la feuille volante

Cinéma américain

  • Down by law

     

    La Feuille Volante n° 1370 Juillet 2019.

     

    Down by law Jim Jarmusch

     

    On pourrait traduire ce titre par « sous le coup de la loi ».

    Ce sont trois hommes qui se retrouvent dans la même cellule d’une prison de Louisiane, Jack, un proxénète minable, Zack un DJ que sa copine a largué et qui se retrouve à la rue. Tous les deux sont maintenant derrière les barreaux parce qu’ils ont été piégés par plus malin qu’eux. L’ambiance, on s’en doute est tellement pourrie qu’ils finissent par se battre. On imagine la suite...quand arrive un troisième larron, Roberto (dit Bob), un émigré italien qui apprend laborieusement l’anglais en notant sur un petit carnet des mots et des expressions qu’il veut retenir. Quand il passe la porte du cachot, il fait ce qu’il peut pour se faire accepter par ses deux nouveaux compagnons, mais, malgré l’humour et l’entrain qu’il veut introduire dans ce lieu plutôt rébarbatif, on sent que ce n’est pas gagné. Bien sûr, un semblant de dialogue se noue notamment autour de cigarettes dont Roberto qui n’en a pas, prétend qu’elle lui fera passer un hoquet qu’il simule grossièrement. On se pose des questions réciproques et bien sûr Jack et Zack se prétendent innocents des crimes dont on les accuse. Roberto au contraire leur raconte qu’il est un authentique meurtrier et pour qu’ils comprennent bien, il leur sert une histoire abracadabrante au terme de laquelle lui, un maigrelet face à ces deux colosses, a effectivement tué un homme… avec une boule de billard américain, « la 8 » précise-t-il, la pire puisque, évidemment elle est noire. Nos deux amis gobent-ils cette fable grotesque toujours est-il que notre Italien passe maintenant à leurs yeux pour un vrai dur, eux qui finalement n’ont été victimes que de leur cupidité. Toujours est-il que l’ambiance entre eux se détend et qu’ils finissent par l’accepter. S’en suivent des parties de cartes interminables, intéressées par des cigarettes qu’ils n’ont pas le droit de fumer et pendant lesquelles, bien entendu Roberto ne manque pas de tricher puisqu’il l’a avoué à ses codétenus. Ils ont l’air de s’entendre parfaitement mais quand les autres se morfondent et se livrent à un improbable décompte de leurs jours de taule, Roberto dessine sur le mur une fenêtre comme symbole de liberté, cite des poèmes de Walt Whitman et de Robert Frost, ce qui laisse les autres pantois, entre interrogations et admiration, se demandant de qui il peut bien s’agir.

    C’est un peu difficile au début, mais Roberto parvient à transformer l’atmosphère de ce lieu en quelque chose de jouissif. C’est lui aussi qui prétend trouver, dans la cour de promenade, un moyen d’évasion et qui insuffle à ses compagnons d’infortune l’esprit d’une cavale possible alors que Jack et Zack trouvent l’entreprise des plus hasardeuses. On ne s’évade en effet pas comme cela d’une prison américaine ! Pourtant, sans qu’on sache effectivement comment ils s’y prennent, ils finissent par se retrouver dehors, Roberto, plus faible, courant derrière ses deux compères.

    C’est un long métrage qui date de 1986 et qui n’est sans doute pas le plus connu dans la filmographie de Jim Jarmusch et le fait d’être tourné en noir et blanc lui confère un côté vintage. C’est aussi plein d’invraisemblances, l’évasion, la cavale dans le bayou sans carte ni boussole, avec pour seule impression de recherches l’aboiement lointain de chiens, les serpents et les crocodiles qui fourmillent dans cet endroit mais qu’on aperçoit même pas, cet improbable lapin que Roberto parvient à capturer et à cuire en s’excusant de ne pas l’avoir cuisiné selon la traditionnelle recette de sa grand-mère, la façon miraculeuse dont il s’en sortent et se retrouvent devant une auberge au milieu de nulle part, tenue par une jolie Italienne pas du tout apeurée par ces prisonniers surgissant de la nuit et dont Robertro tombe évidemment amoureux et décide de rester avec elle quand les autres partent à l’aventure. C’est un « Happy end » un peu gros et qui d’ordinaire ne me plaît guère, mais ce Roberto réussit à mettre de la joie dans les situations les plus tragiques et les plus absurdes et on tombe évidemment sous son charme. L’entendre parler américain avec l’accent toscan est aussi un plaisir.

    Ces trois lascars correspondent bien à l’archétype de l’anti-héros décalé, qu’affectionne Jarmusch. Il est aussi acteur et musicien mais c’est surtout un cinéaste original et farouchement indépendant qui est l’auteur des scénarios de tous ses films, s’amuse à détourner les codes comme dans « Dead man » et a briser les traditions hollywoodiennes (« Stranger than paradise ») en privilégiant le « road movie » et les personnages marginaux, authentiques et solitaires avec récemment une incursion dans le cinéma d’épouvante qui est aussi une critique de la société américaine (The Dead don’t die).

     

    J’ai découvert ce metteur en scène par hasard, je ne le regrette pas et je suivrai bien volontiers le déroulement de son œuvre future.

     

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • LES SENTIERS DE LA GLOIRE

    N°283 – Novembre 2007

    LES SENTIERS DE LA GLOIRE- Stanley KUBRICK. [ARTE Diffusion le 8/11/2007]

    « Le pire, c'est la guerre » a dit récemment un ministre.

    C'est effectivement ce qui peut arriver de pire à un pays, à une nation, à une civilisation, mais le pire, dans cette situation, c'est sans doute que la guerre soit dévolue à des militaires, d'autant qu'à l'époque, c'est au Peuple français qu'on a confié le soin de défendre le sol national. Au nom de la conscription, on est donc allé chercher des hommes qu'on a instruit dans l'usage des armes, qu'on a habillé et mis en condition.

    Ces citoyens sont donc devenus des soldats. Jusque là, rien à dire, mais le pire, sans doute, c'est que ces pauvres gens ont été livrés à l'incompétence de militaires de carrière, des généraux aux idées d'un autre âge, mus par la seule volonté d'obtenir un avancement, une décoration, une citation, une étoile, que le sacrifice de « leurs » soldats serait capable de leur assurer. Ce qu'ils souhaitaient c'était se faire valoir vis à vis de leur hiérarchie, et pour cela, ils ont joué avec eux, c'est à dire avec leur vie, comme on manipule des soldats de plomb, avec tout l'inconscience et l'humanité qui sied à des gens qui veulent faire prévaloir le paraître sur l'être. C'est qu'ils ont bien souvent conquis leurs galons, non par leur valeur, mais par leur capacité de flagornerie, de délation, de nuisance. Le pire, c'est que, ne devant leur place qu'à leurs bassesses, ils n'hésitent pas, pour la conserver, à trahir leurs amis, devenus ainsi leurs concurrents dans cette course effrénée aux honneurs, à la reconnaissance. Leur poste, qu'il faut impérativement conserver, ils le doivent à leurs nombreuses compromissions et trahisons qui émaillent leur parcours, mais peu leur importe, ce décor, patiemment tissé dans l'ombre de la médiocrité, ne saurait être balayé par un plus vertueux qu'eux. Ils sont responsables, disent-ils, de leurs hommes, mais c'est au nom de cette responsabilité, mais aussi pour obéir à des ordres impossibles à exécuter, parce que concoctés par des hommes coupés des réalités, mais dont ils n'osent contester le bien-fondé, qu'ils vont obéir, c'est à dire sacrifier inutilement des vies humaines. Dès lors, que devient l'amour de la Patrie, la nécessaire défense du pays?

    Alors, au nom de la discipline, ils mettent en place cette parodie meurtrière pour le seul bénéfice de leur carrière en n'oubliant pas de ressortir les vieilles rengaines sur le patriotisme, avec tout ce qu'il faut de paternalisme pour faire plus authentique. Même s'il faut, pour cela, que des Français tirent sur des Français! Ce film ne le montre pas, mais il était, je crois, d'usage d'y ajouter de larges rasades de gnôle pour exciter les hommes où leur faire perdre le sens du danger.

    Bien entendu, quand l'affaire tourne au fiasco, ce qui est inévitable, il convient de trouver des responsables. Alors, pour faire bonne mesure, mais surtout pour masquer les vraies responsabilités, on accuse de traîtrise, de désertion, de refus d'exécuter les ordres, ceux-là mêmes dont on souhaitait se servir. Et bien entendu, pour l'exemple, on en fusille quelques-uns, en évitant de prendre en compte les réalités du combat et parfois l'attitude héroïque des accusés, en laissant au hasard ou à la vengeance personnelle le soin de désigner ceux qui seront sacrifiés. On ne prend même pas le soin d'un vrai procès, dans cette mascarade où les décisions sont prises à l'avance. Dans cette affaire, il ne saurait être question de sanctionner les vrais coupables. Il ne peut s'agir que de sans grades qui ne peuvent se défendre et en aucune façon, d'officiers.

    Seul Kirk Douglas apporte une note d'humanité et de justice dans cette pantalonnade qui serait comique si elle n'était fatale.

    Mais , l'aveuglement de cette hiérarchie n'est pas seulement l'apanage de l'armée. Il y a certes la dénonciation des bassesses des intermédiaires, désireux, eux aussi, de faire porter la responsabilité des fautes sur les plus petits qu'eux, mais, il m'apparaît que ce film n'est pas seulement anti-militariste et que son auteur a voulu donner à voir une facette de la condition humaine. Après tout, dans toute son œuvre Kubrick a voulu déranger et mettre à mal toutes les idées reçues sur la société. Ce long métrage lui-même, bien que de 1957, n'a été connu en France qu'en 1972. Tout au long de ce film, le spectateur éprouve de la compassion pour les soldats, pour leurs souffrances, leur sacrifice, mais il y a pire. A la fin, la sentence prononcée, on les oblige à assister à l'exécution de leurs camarades et, pour ceux qui font partie du peloton, à y participer. La dernière scène du film me paraît révélatrice. On y voit ces soldats ivres qui viennent d'être témoins de l'assassinat légal de leurs compagnons d'infortune, verser des larmes en écoutant la triste complainte d'une chanteuse allemande. La guerre les a peut-être déshumanisés, mais je crois plutôt que Kubrick choisit de montrer ce que les hommes en général ont de méprisable.

    Ce film est bien nommé. La gloire, on peut l'habiller comme on veut, mais pour y accéder, ce ne sont pas des boulevards, des avenues, mais bien des sentiers, tortueux, cahoteux, boboueux.

    © Hervé GAUTIER - Novembre 2007.

    http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • MATCH POINT - Un film de Woody Allen

     

     

     

     

     

     

     

     

    N°507 – Février 2011.

    MATCH POINT – Un film de Woody Allen – France 2 – Dimanche 20/02/2011 – 20H35.

     

    Woody Allen est assurément un fin observateur des choses de la vie, un illustrateur inspiré et génial des noirceurs de l'âme humaine mais aussi un maître du suspense .

     

    Qu'avons nous ici, oh, quelque chose de banal ! En Angleterre, de nos jours, un jeune professeur de tennis, Chris Wilton (Jonathan Rhys Meyer), issu d'un milieu modeste, passablement désargenté mais passionné d'opéra et de peinture, se fait embaucher dans un club huppé pour riches désœuvrés. Grâce à sa passion pour la musique, il se lie d'amitié avec Tom Hewet (Matthew Goode) qu'il a la charge d'entraîner. Le hasard fait bien les choses puisque, sans rien faire et sans presque le vouloir, il va conquérir la sœur de Tom, Chloé, et l'épouser. Puisque c'est un garçon bien sous tous rapports, qu'il est discret, cultivé, bien élevé, il va plaire à la famille, à sa belle-mère d'abord puis à son beau-père que les affaires et la spéculation ont enrichi. Il va le faire passer du statut de simple professeur de tennis à celui de collaborateur, favorisant son ascension sociale, son salaire, la vie devenue soudain plus facile. Il veut à la fois partager avec Chris son goût pour la musique et les arts et le faire sortir de la position subalterne dans laquelle la vie l'avait mise. Il va même jusqu'à lui offrir une formation dans une école de commerce ce qui fait de lui un cadre supérieur compétent et apprécié de ses collègues, gomme volontiers, au nom de la volatilité du marché, ses erreurs d'investissements, pardonne ses décisions hasardeuses... et les finance sans lui adresser le moindre reproche. Le voilà donc parfaitement intégré dans cette famille qui ne lui demande... qu'un héritier !

     

    Quand il rencontre Tom, ce dernier est fiancé à Nola, une américaine belle et sensuelle mais une actrice ratée qui peine à s'imposer dans son métier. Comme Chris, elle vient d'un milieu modeste mais elle s'est toujours promis de tout faire pour y échapper. Ses fiançailles arrivent à point nommé pour satisfaire son ambition. Elle en fait sans doute un peu trop et sa future belle-famille, surtout sa future belle-mère, la rejette au point que Tom finit par convoler avec une autre. Le temps passe et Nola revient à Londres où elle vivote et rencontre à nouveau Chris. Ce qui n'avait été qu'une passade du temps de ses fiançailles avec Tom devient une liaison torride. Chris trompe sa femme, apprend à vivre dans le mensonge et, bien entendu, Chloé ne se rend compte de rien et lui qui ne peut, malgré ses efforts, avoir un enfant avec sa femme met Nola enceinte. Certes, la situation devient compliquée mais cela se rencontre souvent dans les couples illégitimes. Face à cela Chris tergiverse, ment aussi facilement à Nola qu'il mentait à Chloé, cherche à gagner du temps, propose de l'argent pour avorter, cherche à se dérober devant ses nouvelles responsabilités... Mais rien n'y fait, Nola entent garder son enfant et même profiter de cette situation pour parvenir enfin à sortir de sa condition modeste. Pour lui, son laborieux et méticuleux travail d'acquisition de la notabilité va s'effondrer tout d'un coup s'il choisit la vie avec sa maîtresse. Au lieu de quitter sa femme qui a enfin réussi à avoir un enfant de lui et de renoncer du même coup à sa situation confortable, à sa vie dorée, à sa sécurité, il tue Nola (et son enfant), camoufle ce crime en assassinant la voisine et en faisant croire à un cambriolage qui a mal tourné. Le quartier se prête d'ailleurs à la délinquance habituelle autour de la drogue. Cet homme riche, établi, devient donc un vulgaire assassin !

     

    Là où Woody Allen est remarquable, c'est qu'il se fait le témoin de cette situation, mais pas dans un scénario moralisateur où la justice triomphe, le meurtrier est condamné et l'ordre public est sauf ! Dans ce cas de figure notre esprit de midinette ou notre vieux fond judéo-chrétien en sortiraient satisfaits. Mais pas du tout ! Avec l'aide du hasard (ou de la chance !) l'impunité de Chris va être établie. A l'image du début, où la caméra montre une balle de tennis qui heurte le filet et tombe d'un côté ou de l'autre, donnant ou refusant le point, répond celle de la fin où Chris, ayant dérobé l'alliance de la vielle dame qu'il vient de tuer, lance le bijou dans la Tamise. Il heurte une rambarde mais tombe sur le quai. Non seulement cela ne servira pas de preuve contre lui, comme on pourrait le penser, mais au contraire se révélera favorable dans l'enquête qui le met en cause dans le meurtre de Nola. La chance, toujours elle, fait intervenir des événements similaires quelques jours après et l'alliance trouvée dans les poches de l'assassin disculpe définitivement Chris qu'un policier, plus inspiré que les autres, était persuadé de pouvoir faire condamner.

     

    Alors, satire sociale : certainement ! Mais ce qui me paraît bien vu dans ce film c'est que, le temps passant, Chris va complètement occulter ses fautes, s'en accommoder et vivre sans aucune difficulté avec. La petite fable de la fin, où il est fictivement en présence du fantôme des deux femmes qu'il a assassinées quelques temps plus tôt en est la preuve. A Nola, il dit que c'est mieux ainsi, qu'il ne pouvait pas faire autrement et qu'elle devait disparaître. A la vieille voisine qui se plaint de n'être pour rien dans ce différend, il déclare qu'elle n'est qu'un dommage collatéral et que pour lui tout est rentré dans l'ordre. Ce drame est une illustration brillante de « l'amour et du hasard » mais aussi d'un des nombreux travers de l'homme qui n'est ni aussi bon ni aussi généreux que des générations de philosophes ont bien voulu nous l'affirmer. On finit toujours par vivre, même confortablement, avec une faute, si grave soit-elle. On la cache, on la justifie, on s'en accommode, quitte à chercher des responsabilités chez la victime elle-même. Plus le temps passe plus on accumule les bonnes raisons qui nous ont fait agir ainsi. On imagine très bien que Chris vivra longtemps en oubliant tout simplement ses crimes puisque la chance l'a favorisé.

     

    C'est aussi un clin d'œil à ce que cette famille attendait de Chris : être le géniteur d'une descendance en opposant opportunément cette parole de Sophocle « Échapper à la naissance est sans doute la plus grande des chances » à l'image de l'enfant tant désiré, enfin né.

     

    Ce n'est peut-être pas ce qu'on pouvait attendre mais c'est malheureusement ce qui se produit souvent dans la vraie vie et l'hypocrisie, l'amnésie, la bienséance et le culte du paraître font le reste. Quant aux malheureux qui ont été les victimes, on peut peut toujours dire d'eux « qu'ils se sont trouvés là, au mauvais endroit au mauvais moment ».

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com