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la feuille volante

Antoine de Saint-Exupéry

  • TERRE DES HOMMES

    N°998– Décembre 2015

     

    TERRE DES HOMMES Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

     

    L’œuvre de Saint-Exupéry est indissociable de sa vie. C'est particulièrement vrai pour ce livre paru en 1939 et qui fut couronné par «  Le Prix du roman de l'Académie Française » et par le « National Book Award » sous le titre « Wind, Sand and Stars ». Pourtant ce n'est pas un roman comme« Courrier Sud » et « Vol de nuit » mais bien plutôt une sorte d'essai autobiographique écrit à la première personne, une suite de récits et de témoignages, de méditations aussi sur ses expériences de pilote. C'est son troisième ouvrage qui est une sorte de compilation d'articles écrits pour différents journaux mais rassemblés par lui sans doute à l'invitation d'André Gide qui avait préfacé et tant apprécié « Vol de nuit ». Il avait aimé en lui cet écrivain-pilote hors norme, le message qu'il portait, la façon à la fois poétique et humaine avec laquelle il l'exprimait.

     

    Saint-Exupéry y raconte ses débuts dans ce qui est l'aéropostale naissante, c'est à dire pour lui un métier mais surtout une invitation à l'aventure et à la méditation face à l'immensité et la solitude du désert. Dès la première ligne, il donne le ton de cet ouvrage « La terre nous en apprend plus sur nous que tous les livres. Parce qu'elle nous résiste. L'homme se découvre quand il se mesure avec l'obstacle.» Il évoque ses camarades, Mermoz, Guillaumet et son incontournable épopée dans les Andes comme autant de modèles, parle de l'esprit d'entraide, de l'avion qui n'est qu'un outil « comme une charrue », observe la planète, mentionne la mort qui guette les pilotes, le vide qu'ils laissent quand la camarde leur prend la vie, évoque ses relations en plein désert avec les Maures, parfois tendues, parfois hypocritement calmes. Dès lors la mission prend le pas sur le métier, elle devient un but, la raison d'être d'une vie, loin des biens matériels [« Nous nous enfermons solitaires avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille la peine de vivre ».]

     

    Assurant le transport du courrier entre Toulouse et Dakar à la compagnie Latécoère, il sert de médiateur entre les hommes, est comptable de leurs mots confiés au fragile support du papier, voyage sur le dos des nuages et les épaules du vent, et face aux dangers de la navigation, aux tribus insoumises, risque sa vie. Puis vinrent ses autres expériences et souvenirs, en Amérique du sud notamment, avec toujours cette célébration de l'avion, de l'effort accompli, du but à atteindre. A l'occasion d'un accident qu'il a dans le Sahara avec son navigateur André Prévot, il évoque ses craintes de la mort lente que procure la soif, le certitude de l'abandon en terre inconnue avec son cortège d’hallucinations, d'espoirs fous que tissent l’illusion des mirages quand le désert réclame son tribut et que l'eau est plus précieuse que l'or. Tout cela tisse et ressert l'amitié entre les camarades qui œuvrent dans le même but.

     

    A la lumière de ses expériences il nous invite à réfléchir sur notre présence ici-bas : La terre ne nous héberge que temporairement et il est vain de vouloir la détruire par la guerre. Dès lors il parle de la fragilité de la vie, du destin de l'homme, de ses grandeurs, de ses contradictions, de ses faiblesses, de ses embrasements pour une cause qu'il croit juste. En prenant l'exemple des religions qui agitent sous nos yeux des assurances de plénitude pour lesquels tout semble permis à quelques exaltés, ce livre prend des accents très actuels. En fin de récit, comme dans une sorte de conclusion, il jette sur le monde et sur ses habitants un regard à la fois désabusé, plein de compassions et d'espoirs malgré la guerre civile espagnole dont il a rendu compte en tant que journaliste et le conflit mondial qui se prépare et dont il pressent sans doute l'horreur. La communauté humaine qui, au nom de l'idéologie du profit ou d'un hypothétique bonheur promis, ne cesse de dresser ses membres les uns contre les autres, va à nouveau se déchirer alors qu'il y a plus à partager qu'à lutter et haïr et que notre vie est unique et éphémère. Dans cet ouvrage, il se fait philosophe, tente peut-être de rappeler l'homme à la raison, de privilégier ce qui fait sa grandeur, l'amour, la fraternité, l'obligation de vivre ensemble et donc solidaires, pour une vie meilleure qui reste cependant idéale. En remettant l'homme au centre du monde, il appelle à la paix, à l'amour et à la tolérance entre tous.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • VOL DE NUIT

    N°997– Décembre 2015

     

    VOL DE NUIT Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

     

    En octobre 1929, Saint-Exupéry est nommé directeur d'exploitation de la compagnie « Aeroposta Argentina », filiale de l'ancienne compagnie Latécoère à Buenos Aires. Il doit à ce titre organiser le réseau dans l'Amérique du sud en attendant les liaisons transatlantiques avec Dakar. Didier Daurat, le patron, avait, dès 1928 décidé que les avions voleraient la nuit pour conforter l'avance gagnée dans la journée sur les bateaux et les trains. Ainsi, le service nocturne doit-il être poursuivi coûte que coûte même s'il comporte des risques. Ce roman se nourrira de cette expérience.

     

    L'auteur met en scène Rivière, le chef d'escale qui fait exécuter ses ordres sans considération pour la mort d'un pilote, pour un cyclone qui menace et qui se montre intransigeant en licenciant un vieux mécanicien pour une faute vénielle. Ce qui compte c'est la rapidité, la rentabilité [« C'est pour nous une question de vie ou de mort... »]. La mission doit prévaloir sur les hommes, l’acheminement du courrier est sacré et ce devoir transcende ceux qui l'accomplissent [« Il s'agit de les rendre éternels »]. Il n'admet ni la faiblesse ni la défaillance même si au fond il aime ceux qu'il commande. Rivière est plus qu'un directeur d'escale, c'est un chef au sens militaire du terme qui motive les hommes qui travaillent sous son autorité, sous sa responsabilité. Pour lui le bonheur de l'homme réside dans l’acceptation du devoir. Dans son opinion son métier est une sorte de sacerdoce et il considère sa fonction comme celle qui consiste à leur insuffler un idéal alors que pour eux, pilote pouvait seulement être un métier. Dès lors, le roman, c'est à dire l'histoire racontée au lecteur, passe-t-elle au second plan au profit de l'étude de caractère. Rivière ressemble-t-il à Didier Daurat à qui ce livre est dédié ou révèle-t-il l'idée que se fait Saint-Exupéry de l'homme et de son devoir ? Pour lui l'action doit prendre le pas sur les personnes avec leurs préoccupations et la véritable liberté est en réalité l'acceptation librement consentie du règlement qui « est semblable aux rites d'une religion qui semblent absurdes mais façonnent les hommes ». Rivière se révèle un entraîneur d'hommes, quelqu'un qui est capable d'inviter ses pilotes à se surpasser. Il reste le directeur face à tous et seul en charge de l’acheminement du courrier. Quand une mission est réussie, il est satisfait mais ne le montre pas et sait rester froid face à l'épouse de Fabien, le pilote disparu de « La Patagonie ». Lui, même s'il est ému par cette disparition, reste inflexible, incarne l'autorité tandis que cette femme, cette jeune mariée qui portait en elle l'espoir, l'amour et le bonheur est maintenant une veuve désemparée dont la beauté ne pèse rien face à la mort de son mari.

     

    Ce qui est célébré ici, c'est aussi l'aventure, le courage, avec son lot de risques, de responsabilités et avec en point de mire le sérieux du devoir accompli. Il est cependant possible de s'interroger sur le bien-fondé de toute cela, de se demander si la vie humaine n'est pas plus importante que tout. Rivière lui-même, idéaliste et même un peu surréaliste, s'interroge, ouvre un débat intimiste et conclue pour lui-même d'une manière existentielle «  Le but peut-être ne justifie rien, mais l'action délivre de la mort ». Saint-Saint-Exupéry, dans un exemple révélateur, en présence d'un accident survenu à un ouvrier sur un chantier, se demande si un visage écrasé vaut qu'on bâtisse un pont et qu'ainsi la circulation soit facilitée. Sa mort énigmatique peut parfaitement s'expliquer dans cette simple phrase. Dès lors toute la vie d'un homme, qui n'est finalement qu'un bref passage sur terre, trouve-t-elle sa signification non pas tant dans un but poursuivi mais dans la démarche entreprise, pour peu qu'elle soit sérieuse parce que, simplement, elle lui permet non pas d'éviter la mort, ce qui est humainement impossible, mais d'imprimer sa marque dans ce monde et d'y laisser une trace pérenne et exemplaire.

     

    Le Style est simple, direct dans fioritures, poétique dans les descriptions, lyrique dans les méditations. Est-ce l'appréciation laudative d'André Gide dans la préface qu'il fit de ce roman court ou est-ce cette évocation magistrale de l'aventure humaine authentique qui ont séduit les dames du Jury Fémina qui lui ont décerné leur prix en 1931 ? L’œuvre d'Antoine de Saint-Exupéry est indissociable de sa vie, ses expériences d'homme, d’humaniste et l’idéal qu'il portait en lui transparaissent dans ses livres.

     

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • COURRIER SUD

    N°995– Décembre 2015

     

    COURRIER SUD Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

     

    C'est le premier roman de Saint-Ex, paru en 1929, qui reprend le thème d'une nouvelle, « L'aviateur » parue en 1926. Jacques Bernis est un pilote qui travaille pour l'aéropostale et voyage de Toulouse à Dakar. Son travail lui permet d’oublier ces années d'après-guerre marquées par la monotonie, son avion est un peu son havre de paix. Il a rencontrée Geneviève, ce qui lui permet de voir l'avenir autrement, mais cette dernière est mariée et l'existence aventureuse qu'il lui propose ne lui convient guère, ce qui provoque leur séparation malgré l'amour qu'il ressent pour elle. St -Ex complique un peu les choses en faisant de Geneviève une femme mariée dont le fils meurt à cause peut-être de ses frivolités. C'est également l'époque où Louise de Vilmorin rompt ses fiançailles avec St-Ex , sans doute pour ces mêmes raisons.

     

    C'est un roman évidemment autobiographique où non seulement l'auteur parle de la solitude du pilote mais aussi des dangers qu'il court dans les avions peu sécurisés, sans cartes précises et sans radio, souvent à la merci des éléments et dans des zones insoumises où il risque sa vie. Saint-Ex est à cette époque chef de station à Cap Juby, dans le Maroc méridional, pour le compte des lignes Latécoère, comme Jacques Bernis, le personnage central de son roman qui achemine le courrier vers l’Amérique du sud. St Ex s'y ennuie ferme et jette sur le papier ce qui sera le thème de ce livre. Comme c'est souvent le cas, une première œuvre, contient en filigrane au moins une partie de ce qui suivra. Le désert l'inspire et « Le petit Prince » naîtra de ces années passées à le survoler. En 1929, il partira pour l'Amérique du Sud avec Guillomet et Mermoz et écrira « Vol de nuit ». De même, plus tard, son travail de reporter nourrira ses romans comme « Terre des hommes » et de son engagement dans le conflit naître « Pilote de guerre ». La fascination pour les avions qu'il ressent dès l'enfance baignera son œuvre d'écrivain autant qu'elle animera sa propre vie de pilote pendant la guerre, jusqu'à sa mort mystérieuse en juillet 1944.

     

    Il y a dans ce livre beaucoup de poésie mais aussi une sorte de profession de foi. L'auteur est alors âgé de 29 ans et célèbre ainsi son nouveau métier, celui de transporter « un courrier plus précieux que la vie » par delà les océans, l’obsession du travail bien fait malgré les difficultés, l'intuition d'être investi d’une mission et peut-être celle aussi de l'amour impossible. Il y a derrière les mots ses angoisses existentielles, celle de la solitude, de la nostalgie de l'enfance, de la mort qu'il traîne depuis son plus jeune âge et qui ne le quitteront plus. Il est un écrivain qui a parlé de son dangereux métier avec passion, comme un homme d'action et de devoir, comme un humaniste aussi et qui reste dans la mémoire collective comme une référence.

     

    Cette première œuvre sera un succès qui décidera de la carrière d'écrivain de St-Ex.

     

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE PETIT PRINCE

    N°824 – Novembre 2014.

    LE PETIT PRINCE Antoine de Saint-Exupéry - Gallimard.

    Je relis une nouvelle fois ce texte que le monde entier connaît puisqu’il a été abondamment traduit dans de nombreuses langues. Parce qu'il met en scène un garçonnet blond un peu naïf qui est tombé du ciel et qui pose des questions inattendues, il a été présenté comme un conte pour enfants. Mais en est -ce vraiment un ? Certes le style dans le quel il est écrit semble s'adresser à eux et épouse même leur manière de s'exprimer. Les histoires merveilleuses qu'il renferme sont parfaitement imaginaires et s’accordent avec leur univers. Les aquarelles qui les accompagnent illustrent cette impression. Ces aventures de boas, d'éléphants, de moutons appartiennent à un bestiaire qui ne les laisse pas indifférents tout comme ce renard et ce serpent qui parlent, mais quand même !

    Il est écrit par un homme qui garde de son enfance douillette un souvenir nostalgique et qui portait en lui ce livre depuis bien longtemps. Il est aussi un pilote, un homme tombé du ciel, mais dans un contexte où il risque sa vie. C'est sans doute une manière dire nous dire que dans ce monde il n'est pas vraiment à sa place, qu'il s'y sent mal, qu'il n'y est, comme chacun d'entre nous, que de passage, comme ce petit garçon tombé de l’astéroïde B 612 ! Quand il parle au pilote de son périple avant d'arriver sur terre il prend soin de préciser « Les grandes personnes, bien sûr, ne vous croiront pas »

    Il est dédié à une grande personne, son ami l'écrivain Léon Werth et le personnage secondaire, le pilote-témoin est un vrai homme qui écoute, parfois distraitement, ce que dit le garçon. Son métier l'a amené dans le désert qu'il a beaucoup survolé et où il a parfois été contraint de se poser en catastrophe. C'est plutôt un lieu de recueillement pour les adultes, Jésus, le père de Foucault y ont trouvé refuge pour réfléchir et orienter leur vie. C'est quelque chose comme un long poème en prose mais où se sont glissées des réflexions en forme d'aphorismes pour adultes sur l'amour, sur l'amitié, sur les travers de l'humanité et de ses préoccupations futiles, le prix du bonheur, la trace qu'on laisse après sa mort[« J'aurai l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai »].... Quand il parle de sa rose, l'enfant fait tout autre chose qu'une référence à une simple fleur. Il y glisse des remarques de nature humaine, sur l'amour et sur l'éphémère. On peut y donner toutes les significations qu'on veut, moi j'y vois la fragilité des choses, des sentiments, des gens et de leur orgueil parfois destructeur, de l'amour aussi, bien sûr. St-Ex a connu une vie mouvementée jusque et y compris sur le plan sentimental et il n'est pas interdit d'y voir aussi un message personnel et même intime. Ce petit garçon parle vraiment comme un adulte surtout quand il se fait jardinier de sa planète ou ramoneur de volcans. Doit-on y voir des conseils de nature écologique (déjà). Ces histoires de graines de baobab qui envahiront sa planète s'il ne prend garde de les éliminer peut avoir une signification plus politique tout comme les trois arbres qui ont fini par coloniser l'espace en le détruisant. Il est convenu d'y voir les puissances de l'Axe (l’Allemagne, l'Italie et le Japon – nous sommes en pleine guerre quand le livre paraît). Le baobab est un arbre emblématique de l'Afrique. Il est le symbole de « l'urgence », du danger. On peut voir la fuite du temps dans ces couchers de soleil si prisés par le garçon ou dans la consigne de l'allumeur du réverbère. Le serpent et le renard qui sont ses interlocuteurs vont faire partie de son périple sur terre, ils l'accompagneront, le guideront, lui feront quitter cette planète pour retrouver la sienne, le symbole d'un passage qui pourrait bien ressembler à la mort, à sa recherche, à l'acceptation de celle-ci dont on a tant parlé pour St-Ex lui-même. (« Il n'y eut rien qu'un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit pas de bruit, à cause du sable ») -

    Ce texte a fait l'objet de beaucoup de commentaires et d'interprétations jusque et y compris par des universitaires. En tout cas il n'a laissé personne indifférents. Les maigres remarques qui sont les miennes ne sont que des impressions de simple lecteur, rien de plus. Elles mériteraient sans doute de ma part plus amples développements. C'est bizarre, ce texte a dû un peu déteindre sur moi depuis tout ce temps. Je suis allé récemment dans le sud marocain et face aux paysages d'ergs si simplement dessinés par St-Ex (« le plus beau et le plus triste paysage du monde »), j'y ai instinctivement cherché la trace de ce petit garçon aux cheveux d'or, j'avais tellement envie de croiser ne serait-ce que son regard et de pouvoir enfin écrire à son auteur «  qu'il est revenu » !

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO

    N°649– Mai 2013.

    LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO - Éditions Jacob-Duvernet

    Mise en images Jérôme Pecnard.

    Plus que l'écrivain-pilote, l'officier combattant mort dans des circonstances obscures, le séducteur, l'homme qui a toujours eu la nostalgie de son enfance, Antoine de Saint-Exupéry reste, dans la mémoire collective, le "Petit Prince", cet éternel enfant, héros de ce roman merveilleux qui continue de nous parler, suscite encore de bons moments de lecture, de nombreux commentaires, des citations et des développements bien des années après sa mort. Rares sont en effet les écrivains qui, une fois disparus, survivent à ce point à leur œuvre. Il n'a jamais porté l'habit vert du Quai Conti mais reste un authentique "immortel". Ce livre, traduit dans le monde entier, figure à coup sûr dans toutes les bibliothèques.

    Cela me plaît bien que ce soit ce Petit Prince, habitant de l'improbable astéroïde B 612, cet enfant rieur aux cheveux d'or ébouriffés qui ne répond pas quand on l'interroge et qui un jour rencontra un pilote perdu dans le Sahara en lui demandant de lui dessiner un mouton, qui serve de fils d'Ariane au lecteur puisque son visage ouvre chacun des chapitres et qu'il raconte Saint-Ex. On dira sans doute que c'est là un livre supplémentaire consacré à Saint-Exupéry, peut-être, et après ! C'est avant tout un hommage et c'est ce que je choisis de retenir surtout parce que celui-ci puise sa sève principalement dans les citations personnelles de l'auteur tirées de ses livres ou de sa correspondance.

    On pense ce qu'on veut de son enfance, mais elle conditionne la vie future d'un homme. La sienne, malgré la mort prématurée de son père, a été merveilleuse, une "planète" en dehors du temps, une sorte de cocon protecteur et douillet avec sa mère, ses frère et sœurs, une maison, une famille, autant de havres, de jalons auxquels se raccrocher. Des photos en noir et blanc ou couleur sépia attestent de cette période. Elles disent le bonheur, les odeurs, les saveurs de cette enfance qu'Antoine n'oubliera jamais. Il adorait sa mère et même loin d'elle, dans les périodes troublées de sa vie, il se raccrochera par la pensée ou par les missives à cette famille, au pays de son enfance. Lui qui était né avec le siècle n'était pas vraiment pressé d’affronter la vraie vie et voler était sans doute le moyen qu'il avait trouvé pour échapper au quotidien ordinaire des hommes ordinaires. D'ailleurs son existence n'aura de véritable sens qu'à travers l'avion. Voler reste son but pourtant dès 1923, un accident d'avion, au Bourget, l’immobilise. Plus tard, des raids d'aventurier se terminent en crashs et en fractures qui auraient pu être mortelles, que se soit au Guatemala ou en Lybie. Pourtant, il n'a pas toujours été pilote, a dû s'étioler dans un bureau comme comptable, sur les routes de France comme représentant ou comme grand reporter en URSS, à New-York, en Asie, en Espagne pendant la Guerre Civile à "L'intransigeant" ou à "Paris-Soir". De cette période, après la rupture de ses fiançailles, il s'étourdit dans les bars parisiens, s'ennuie dans des hôtels de préfecture, ou recherche la compagnie des femmes de passage. D'elles il attend qu'elles apaisent sa solitude, ses angoisses. Ce sont sa mère qu'il admire et adore, sa sœur, ses cousines, ses amantes, sa première fiancée, Louise de Vilmorin, puis sa femme, Consuelo, une jeune veuve salvadorienne qu'il épouse à 30 ans malgré la désapprobation de sa famille. Ce seront 12 années d'amour, de séparations, de ruptures, de retrouvailles. La solitude sera sera son lot pendant toutes ces années où il se cherche. Il l'exorcise comme il peut et principalement par l'écriture, des missives adressées à sa parentèle et à ses amis, des nouvelles et bientôt des romans où le pilote et l'écrivain se mêlent et se conjuguent. C'est que, grâce à l'aventure de aéropostale, il vole enfin, à travers montagnes et océans, croise Mermoz et Guillaumet avec qui il se lie d'amitié, vit enfin avec le vent, les étoiles, les sables du désert, le dangers des territoires insoumis. A cette époque, le pilote est seul aux commandes de son appareil; cela suscite pour lui la méditation sur le sens de la vie, de la mort, de l'immensité des territoires survolés et la solitude, toujours, qu'il ressent dans les montagnes glacées ou l'aridité du désert, le danger aussi qu'il voit dans les accidents et la mort de ses amis...C'est cette même action qu'il retrouve pendant la 2°guerre mondiale. Et il écrit tout cela. Ce sera "Courrier sud"(1929), "Vol de Nuit"(1931) pour lequel il obtiendra le Prix Femina, "Terre des hommes" (1939- Grand prix du roman de l'Académie Française). Pourtant, cette complicité avec les grands espaces et l'ivresse du vol ne font qu'accentuer chez lui la sensation désespérante de solitude qui semble lui coller à la peau. Seuls les mots, leur musique et l'exorcisme de l'écriture parvient à l'en sortir.

    Parti pour New-York, dans l'espoir de susciter l'entrée en guerre des États-Unis, il y reste deux ans. Il est las-bas un auteur à succès mais son pays est occupé. Il rejoint l'Afrique du Nord. Ce sera "Pilote de guerre" (1942) et "Le Petit Prince"(1943). Lui qui avait cent motifs de réforme, revient pour défendre son pays, lui qui avait si souvent côtoyé la mort, dans sa famille proche, dans son métier de pilote, dans le cercle de ses amis, abandonne son corps à la mer, au néant, comme le Petit Prince qui s'en va ["J'aurais l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai"] . On a beaucoup glosé sur sa disparition, en Méditerranée, au large de la Provence, en juillet 1944, au terme d'une mission photographique après qu'il eut, une ultime fois, survolé la maison de son enfance et ses souvenirs. C'est un peu comme si la solitude et la désespérance le rejoignaient, définitivement.

    J'aime lire et relire Saint-Ex, un écrivain d'exception qui a honoré la langue française, un homme torturé par un mal de vivre et le désespoir, qui était de son enfance comme on est d'un pays, qui en a porté en lui toute la magie, tous les mystères.

    © Hervé GAUTIER - Mai 2013 -

    Sur l'avion de Saint-Ex, voir la Feuille Volante n°225 - Mai 2000.









  • LIBRES PROPOS - L'AVION DE SAINT- EXUPERY.

     

     

    N°225

    Mai 2000

     

     

     

    LIBRES PROPOS – L’AVION DE SAINT- EXUPERY.

     

     

    Voilà qu’on reparle d’Antoine de Saint Exupéry. En soi, la nouvelle ne pouvait que m’intéresser. Qu’on parle de cet écrivain d’exception qui a su être un homme de plume comme un homme d’action ne pouvait me laisser indifférent !

     

    Malheureusement, ce n’était pas pour évoquer le compagnon de Mermoz et de Guillomet ou « Courrier Sud », « Pilote de Guerre » ou « Terre des Hommes » , ces textes qui ont enchanté mon adolescence et ma vie d’homme, mais pour reparler … de sa mort !

     

    Déjà, l’an passé, on avait, soi-disant, retrouver son avion. En faisait foi, une hypothétique gourmette qui lui aurait appartenu. Elle est toujours en cours d‘examen… Et voilà qu’on remet cela et qu’un plongeur, sûrement en mal de notoriété, prétend avoir retrouvé son avion. A la télévision on a exhibé un train d’atterrissage mangé par la rouille et torturé par des mollusques marins. La belle affaire ! Et on a prétendu que cet avion était unique et ne pouvait donc qu’être celui du pilote–écrivain !

     

    Cela va sans doute occuper un peu l’actualité immédiate. Si au moins cela pouvait donner envie de lire ou de relire ce merveilleux auteur qui a tant honoré les Lettres Françaises, si au moins… mais franchement je ne suis sûr de rien ! Au contraire, au nom du sacro-saint droit à l’information, on va nous abreuver d’images sous-marines d’ improbables restes d’un aéronef dont on va nous affirmer qu’il est bien celui de Saint-Ex. Peut-être passera-t-on quelques photos de l’écrivain ? Mais je n’ose espérer qu’on nous fasse partager quelques extraits de ses romans. Il ne faut pas en demander trop !

    On va sûrement nous débiter sur son compte les habituelles inepties dont bien des films se sont fait l’écho… Et puis on reparlera de l’avion !

     

    A propos de cet appareil, et n’en déplaise à l’inventeur, puisque c’est son nom juridique, cette partie de la Méditerranée ne recèle pas un, mais un grand nombre d’épaves de Lighting P38, comme celui que pilotait le commandant Antoine de Saint Exupéry, le 31 juillet 1944, quand il avait rendez-vous avec la mort. Alors, cet avion plutôt qu’un autre !

     

    Et puis il y a autre chose. On dit que Saint-Exupéry était las de vivre. Sans doute, et le dernier écrit qu’il laissa avant de s’envoler pour sa dernière mission pourrait en faire foi . Il était un homme libre et avait peut-être choisi, en ce jour qui était pour lui le dernier, de survoler une dernière fois les lieux où il passa sa merveilleuses enfance.

     

    On a beaucoup gloser sur la manière dont il a été « descendu » par un avion de la chasse allemande qu’il n’aurait pas dû croiser. Le P 38, volant plus haut était hors de portée du chasseur. Une lettre d’un pilote allemand, tué quelques jours après et qui volait ce 31 juillet 1944 dans ces parages, fait état de cet avion allié qui semble s’être offert à ses balles d’une manière incompréhensible… Tout cela est intriguant, même si le commandant Antoine de Saint- Exupéry a choisi, en ce jour de quitter la vie en servant son pays.

     

    Il aurait donc voulu la Méditerranée pour linceul, comme l’Atlantique qui s’était refermé, quelques années plus tôt sur «  La Croix du Sud » de son ami Mermoz. Qu’on respecte cela et qu’on aille pas fouiller les restes du cimetière marin qu’il aurait choisi. Qu’on respecte sa sépulture puisque c’est en pilote combattant qu’il est mort !

     

    Il est pour chacun de nous l’auteur du « Petit Prince », peut-être le livre le plus populaire et assurément le plus traduit dans le monde. Il a, grâce à lui fait rêver notre pauvre espèce humaine et continuera sans doute de le faire encore longtemps, preuve que les poètes ne meurent jamais complètement !

     

    Alors, que les hommes le laissent reposer en paix. Ils lui doivent bien cela !

     

    © Hervé GAUTIER.