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la feuille volante

Bernard GIRAUDEAU

  • Les hommes à terre

    La Feuille Volante n° 1107

    LES HOMMES A TERRE Bernard Giraudeau - Métaillé

     

    L'univers de la nouvelle est particulier et le fil d'Ariane est parfois difficile à trouver pour l'écrivain comme pour le lecteur. Ici c'est la mer, le voyage, l’éternelle errance des hommes incapables de se fixer quelque part. « Il y a les vivants, les morts et les marins », ceux qui ont épousé la mer et elle seule parce qu'un jour ils l'ont prise et par un incompréhensible mystère, elle ne les a jamais lâchés, et ce, même si leur vie en dépend, même s'ils doivent la lui offrir. « Un marin à terre est un marin perdu » dit-il, sans doute parce ses rêves de voyages et d'infini ne pourront jamais être épuisés, parce que le monde est vaste, la vie sans fin et la soif d'aventures inextinguible. Ici, j'ai retrouvé avec plaisir l'ambiance que j'apprécie depuis que j'ai ouvert un peu par hasard son premier roman. Je ne suis pas un voyageur mais j'aime voguer sur le dos de ses mots à lui, comme je le ferais sur la mer, cet océan qui venait se lover entre les tours de La Rochelle. J'aime retrouver des paysages familiers et découvrir des contrées que je n'ai jamais vues, c'est comme si je les connaissais depuis toujours, comme si j'avais croisé tous les personnages à qui il a donné vie. Il manie les mots avec aisance et je me dis que si la mort ne l'avait pas fauché trop tôt il serait devenu un grand écrivain qui sans doute puisait son talent dans cette blanche écume des vagues qui coulent dans les veines de chaque Rochelais. S'il fut un grand acteur, il ne fut pas moins un exceptionnel romancier, un témoin sans fard de sa vie parfois aventureuse, de son combat contre la maladie . Il n'empêche, j'aime ses mots quand il décrit un paysage et quand il parle de la beauté des femmes.  J'aime ces images d'enfance dans le Marais où croissent les anguilles et leurs rêves de Sargasses et ses évocations de La Rochelle, des voyages au long cours ou des campagnes de pêche. Ceux dont il a choisi de parler ce ne sont pas les officiers de la Royale aux beaux informes, avec médailles, plan de carrière, pension de retraite et emplois réservés mais les matelots perdus et désespérés avec, pour seul horizon, l'escale avec ses borées et ses bordels, de ceux qui s'embarquent sur des coques rouillées, oubliées des armateurs véreux et promises au naufrage, de ceux qui terminent leur vie au fond de la mer ou dans la crasse des ports, avec pour seules compagnes des putes et de l'alcool. Chaque homme à son histoire, celle des marins est souvent faite de naufrages et de cuites dans les bars louches et les amours tarifés. Son écriture est parfois crue mais il y a un souffle, une âme, la vie. Plus tard, une fois le sac à terre, il a été un terrien mais il a choisi de porter témoignage d'une page tournée, il est resté cet orphelin du voyage, de l'ailleurs, cet être incapable de se fixer, de tresser autre chose que des horizons de bastingages, de houles et de tempêtes, avec un peu de ce tangage qu'il quête au bord du corps des femmes. Ses évocations sont toujours pleines de sensibilité et de réalisme, servie par des descriptions poétiques et des introspections faites d'humanité et de nuances.

    Dans « Indochine » il parle d'une rencontre entre un père et son fils, de cette tranche de vie paternelle oubliée ou peut-être cachées pour faire prévaloir la famille et peut-être la moralité avec cette hypocrisie ordinaire qui pourtant ne change rien à la réalité et au passé. J'ai goûté cette « histoire simple », une histoire de marin égaré sur la terre, écrite avec ce souffle. Avec « Billy », ce n'est plus vraiment dans la mer et les vagues qu'il puise son talent mais dans son parcours de marin à pompon rouge et çà col  bleu, dans les bars louches et les bordels des ports où le maquillage des femmes cache mal leur métier et leur désespoir. Des mots crus de bourlingueurs et de matelot ivres mais ça a au moins l'avantage d'être authentique loin de l'hypocrisie des petites bourgeoises qui ne cherchent qu'à s’encanailler, mais surtout une histoire à la fois cruelle et émouvante. « Diego l'Angolais » nous emmène à Lisbonne, avec le fado, la saudade, là on l'on parle toutes les langues et on lit Pessoa même dans les effluves de mazout.. Jeanne aussi a droit à l'attention de l'écrivain parce que sa trace est encore chaude. Une belle écriture pour un exceptionnel moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER – Février 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • LE MARIN A L'ANCRE - Bernard Giraudeau

     



    N°514 – Avril 2011.

    LE MARIN A L'ANCRE – Bernard Giraudeau – Métailié.

     

    D'abord l'histoire sans laquelle un roman n'en est probablement pas un. Deux personnages principaux, l'un d'eux, Roland est tétraplégique, « ancré » sur un fauteuil roulant, sa « galère à roulettes » et Bernard a été ce marin de dix-sept ans, sur la Jeanne d'Arc, naviguant sur les mers du globe, puis est devenu comédien, réalisateur... Pour lui il sera « témoin »... Entre eux, des lettres écrites par Bernard pour Roland, pendant dix années... Il y raconte ses souvenirs, ses aventures, une sorte de voyage par procuration dans les ports et sur les lieux de tournage, dans des pays lointains que son ami ne verra jamais, qu'il ne connaîtra que par la force de ses mots... Il lui offre avec pudeur des paysages magnifiques, comme ceux des cartes postales mais aussi des images de ports parfois crasseux, avec leurs relents de graisse et d'alcool et de vomissures. Il lui livre aussi ses réflexions personnelles sur la vie, sur ceux qu'il croise, note que l'homme n'est pas aussi bon que les philosophes du Siècle des Lumières ont voulu nous le faire croire, met ses pas dans ceux de René Caillié, de Pierre Loti, de Francisco Colloane ou d'Antoine de Saint-Exupery. Il mêle dans son récit ses souvenirs de jeune matelot embarqué, d'élève de l'école des mécaniciens de la marine à St Mandrier où à quinze ans les rêves d'enfant s'effondrent dans des odeurs de cuisine, d'équipages ou de salles des machines, que naissent les fantasmes et les fanfaronnades d'une adolescence à peine entamée... Il y ajoute ses expériences d'homme, d'écrivain-voyageur, retrace la découverte des femmes et de leur fragrance, celle de lui-même aussi, de son destin qui peu à peu se tisse, une chronique à la fois nomade et intime, livrée à travers un texte parfois intensément poétique, parfois trivial, brut et sans artifice... Cela aussi j'aime bien !

     

    Des femmes, il dit « qu'elles naviguent dans le vent comme l'algue sur l'océan, (qu') elles bougent comme la houle », mais sous chaque mot qui les évoque, je choisis de voir leur beauté à laquelle nul ne peut être indifférent. Il parle simplement de « la douceur des femmes du sud », des vahinés de Gauguin, des femmes à la peau ambrée et en paréos bleus des Marquises, des filles de Manille dont «( les) rires s'éparpillent sur la pierre chaude », de cette irréelle et sensuelle dame de Balboa dont un quartier-maître de la Jeanne fut l'éphémère amant, de cet Iva «  qui avait du satin au creux des cuisses »... Il parle aussi des bordels tristes, des étreintes fugaces et sans joie, des prostituées qui se vendent aux marins en escale pour manger parce que la misère est leur quotidien. Il évoque tout aussi bien ces épouses adultères qui trompent leur conjoint pour un peu de jouissance, pour le plaisir d'enfreindre l'interdit ou de cultiver la trahison. Pour cet interlocuteur lointain resté à terre, il se fait tour à tour guide, témoin d'exception, érudit, historien même, respectueux des coutumes et des traditions, mais aussi simple étranger de passage quelque fois pressé de partir, pour qu'à l'immobilité de l'un réponde le mouvement de l'autre. C'est la marque d'une amitié tissée à travers des mots confiés au papier messager, l'ambiance des ports, de La Rochelle à Dakar de Diego Suarès à Marseille ou Valparaiso, autant de lieux mythiques où le dépaysement le dispute à l'invitation au voyage, où l'écriture de l'auteur suscite l'émotion et l'imaginaire du lecteur. Bernard et Roland voulait partir ensemble aux Marquises. Ils n'en ont pas eu le temps, Roland qui n'a connu que l'île de Ré et les pertuis a été rejoint par la mort en décembre 1997, a « décidé de voyager libre comme un papillon du silence ».

     

    Ce roman a été publié en 2001 et a sans doute consacré la naissance d'un auteur. Il fut suivi d'autres qui ne laissèrent pas cette revue indifférente (La Feuille Volante n°316 - 373) Pour moi, simple lecteur, je ne considérerai jamais que la valeur d'un livre réside dans sa seule nouveauté, il reste un témoignage pérenne. Au delà de ce premier ouvrage, du regard bleu de l'acteur et de son charisme, de sa lutte désespérée contre la souffrance et contre la mort, de son témoignage et de l'émotion qui a suivi sa disparition brutale (La Feuille Volante n° 438), Bernard Giraudeau avait ce talent d'écrivain qui, de livre en livre, allait s'affirmant. Je ne me lasserai jamais de dire que la mort est un gâchis et, si elle ne l'avait pas fauché, il serait assurément devenu un écrivain majeur, apprécié à la fois pour son message et pour la façon originale qu'il avait de l'exprimer. Sa démarche créatrice n'était pas différente de celle formulée par Victor Segalen, un autre marin-écrivain, [« Voir le monde et, l'ayant vu, dire sa vision »], de redessiner pour son lecteur un décor, de l'y inviter et de susciter le rêve.

     

    J'ai lu ce livre comme je l'aurais fait d'un roman d'Alvaro Mutis, d'Henri de Monfreid ou de Jack London. J'ai suivi Bernard dans le désert et sur les mers, j'ai imaginé le sac de l'éternel errant, du marin perpétuellement en partance, moi qui ne suis qu'un terrien pantouflard ! [je dois probablement à mes origines charentaises le goût du port des chaussons du même nom ].

    J'ai surtout lu ce roman avec émotion à cause du message, certes mais aussi parce que celui qui en a tracé les lignes a maintenant rejoint le néant, que son destin s'est soudain brisé et qu'il n'écrira plus.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

  • PARIS-LA ROCHELLE - Le samedi 17 juillet 2010. Bernard Giraudeau.

     

    N°438– Juillet 2010

    PARIS-LA ROCHELLE – Le samedi 17 juillet 2010. Bernard Giraudeau.

     

    Comme tout le monde aujourd'hui, j'apprends la mort de Bernard Giraudeau dans un hôpital parisien.

     

    Je n'ai pas l'intention de me livrer à un article nécrologique, d'autres le feront mieux que moi, et je n'ai vraiment pas la tête à cela. Je suis quand même satisfait que sa disparition ne passe pas inaperçue et qu'un hommage lui soit rendu. Ce n'est peut-être pas grand chose, mais quand même, le parcours de cet homme a quelque chose d'exceptionnel et de discret à la fois, de multiforme aussi...

     

    Il ne suffit pas d'être né à La Rochelle pour aimer la mer, mais quand même, l'écume des vagues et le rythme de la houle coulent dans les veines de ceux qui sont nés et ont vécu dans un port et ce n'est sans doute pas un hasard si c'est dans la marine qu'il s'est engagé à 16 ans et si son œuvre d'écrivain est tournée vers le grand large, si la Royale l'a accueilli aussi comme écrivain de la marine. On avait d'ailleurs fait allusion à son nom lors du dernier défilé du 14 juillet.

     

    Je ne m'étendrais pas sur son parcours de comédien, de réalisateur, de voyageur, de séducteur même, mais je retiendrai plus volontiers son talent d'écrivain. Cette revue s'en est d'ailleurs fait modestement l'écho [n°316 - 373].

    Vraiment, j'ai bien aimé ce parcours, le succès populaire qu'il a rencontré, sa modestie aussi puisqu'il n'oubliait jamais de rappeler que, s'il était célèbre, et il n'y avait qu'à voir la foule qui se pressait à la signature de ses livres, il n'était pas de ces intellectuels prétentieux qui mettent en avant leur réussite. Il rappelait, à l'occasion qu'il n'avait pas fréquenté l'université ni fait de hautes études...

    Ce que je retiens aussi, c'est son combat contre la maladie dont il avait choisi de parler simplement parce que cela pouvait aider ceux qui comme lui luttent contre le mal. Dans une civilisation qui occulte la souffrance et la mort, qui classe tout de suite et qui marginalise celui qui n'est pas dans la norme, il avait pris la décision de parler, et il fallait pour cela un certain courage! C'est vrai que le contact avec le public était pour lui une thérapie. Donner et recevoir...

    Pourtant, quand je l'avais rencontré, ici à Niort, à l'automne dernier pour la sortie de son dernier livre, j'avais pensé que sa lutte contre la maladie était peut-être gagnée. De cette rencontre furtive il reste une dédicace, un visage de femme à peine esquissé qui l'accompagne et un souvenir devenu soudain plus précieux. Il avait parlé pendant plusieurs heures avec un public chaleureux qui était manifestement heureux de le rencontrer, de l'entendre parler, de le voir... Chacun avait noté non seulement le plaisir qu'il avait d'être là mais aussi la qualité de ce moment de partage... et sa bonne santé apparente.

     

    La mort est une chose inéluctable, nous le savons tous, mais dans nos sociétés occidentales elle est cependant taboue et nous vivons comme si elle n'existait pas, comme si elle ne devait jamais arriver. Quand elle survient, par surprise ou parce qu'elle est annoncée, elle nous bouleverse. C'est à chaque fois pareil! Mais je le dis, cette disparition me touche profondément non pas seulement parce nous partagions le fait d'être nés le même jour au même endroit, mais parce que j'étais et je resterai admiratif du chemin parcouru et de l'exemple donné. C'était un beau parcours et quelqu'un de bien!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • CHER AMOUR – Bernard Giraudeau

     

    N°373– Octobre 2009

    CHER AMOUR – Bernard Giraudeau - Métailié.

     

    Qui est donc cette énigmatique Madame T. à qui est dédié ce livre et cette correspondance mystérieuse écrite sur le ton de la confidence, de la complicité, de l'amour, alternant le tutoiement et le vouvoiement ? L'auteur y parle à une silhouette diaphane, à la fois lointaine et proche, de sa vie, de ses voyages (« le voyage est une aube qui n'en finit pas »), de ses souvenirs. Il évoque pour elle sa vie de marin, de comédien, d'infatigable bourlingueur, ces fragments d'existence où elle n'était pas, où elle ne vivait qu'en filigranes, dans une sorte de transparence que seul le fantasme permet. Elle devait être présente dans toutes ses conquêtes féminines éphémères, ces femmes qu'on ne fait que rencontrer au hasard des rues, dans tous ces visages envolés qui ont cependant sculpté leurs traits dans le souvenir et qu'on ne peut oublier.

     

    Une dédicace aussi énigmatique fait penser à Baudelaire, à son recueil « Les paradis artificiels » et à sa dédicataire mystérieuse [ « J.G.F. »]. Après tout, a-t-elle un visage, un nom, cette femme qu'il n'a peut-être jamais rencontrée et qui n'existe probablement que dans son inconscient, à la fois fidèle et fuyante, sensuelle et hautaine, proche et lointaine? Elle existe peut-être réellement cette femme, cette Madame T. Elle peut avoir le visage d'une passante rencontrée dans une rue du bout du monde qui ne laisse de son passage que la fragrance de son parfum et l'émail de ses yeux ou perdurer dans l'étreinte furtive d'une passade. Elle catalyse sur elle, sans bien souvent le savoir et par le miracle de la pensée, tout ce qu'un homme recherche chez une femme. Elle devient unique, se transforme en ombre fantomatique dont l'existence ne tient qu'à la trace de quelques mots. N'est-elle pas celle que tout homme souhaite posséder pour lui seul, à la fois épouse et maîtresse, mère et femme et qu'il recherche toute sa vie sans bien souvent la trouver parce qu'elle n'existe que dans un ailleurs indistinct et indéfini. Elle devient l'objet de la quête d'une vie, un idéal inaccessible... alors on l'invente, on trace d'elle le portait parfait et pour cela l'écriture est le truchement rêvé qui permet toutes les audaces, toutes les confidences. A cette femme irréelle, il dira tout ce que probablement il tairait à un être de chair, par timidité, par pudeur, parce que ce monologue passe par une feuille blanche, intermédiaire d'exception pour un écrivain et à laquelle il peut confier tous ses fantasmes. Il est romancier et donc créateur, et à ce titre il peut recomposer à l'infini ce miracle qui lui fait célébrer la femme qu'il recherche, lui déclarer cet amour impossible en lui tressant des mots en poèmes, tout en tissant autour d'elle un halo de mystère... pour mieux la garder pour lui! Alors ce sentiment de permanence, d'éternité que chaque phrase porte en elle contribue à protéger ce rêve parce qu'il serait trop injuste qu'une telle image s'effondrât d'un coup!

     

    Après tout, je pense qu'elle existe quand même cette mystérieuse Madame T. même si elle n'est pas exactement comme Bernard Giraudeau la suscite pour son lecteur et la silhouette qu'il a tracée à grands traits ou avec des délicates nuances me plaît bien. Qu'elle reste une ombre me convient, même si elle est aussi différente de lui, lui, voyageur impénitent qui distille pour son lecteur un dépaysement bienvenu, elle, citadine et parisienne étrangère à toutes ces pérégrinations. Il lui raconte l'Amazonie, le Chili, les Philippines, son embarquement sur la Jeanne d'Arc comme écrivain de ma marine, cite Pessoa et London, évoque Rimbaud et Michaux, lui parle de théâtre, de cinéma, mais elle reste un peu lointaine, comme indifférente,[« Vous êtes une étoile lointaine et moi un amant de papier »] il est vrai qu'il émaille son récit d'autres présences féminines sensuelles parfois perdues dans la vénalité des bordels, de ses amours de traverse...

     

    Le voyage est une chose magique, c'est un alcool enivrant pour celui qui en entend la relation, qu'elle soit faite avec des mots, l'œil d'une caméra...Les histoires improbables qu'il lui destine ont quelque chose d'irréel, qu'elle soient puisées dans les livres, la tradition orale ou dans son imagination. Être, même un instant, simple lecteur mais témoin unique, le destinataire de telles confidences ne me gêne guère. Je me sens moins seul!

     

    Quand un auteur choisit d'aborder le thème de la femme, son lecteur ne peut pas ne pas songer à la séduction, au personnage de Giacomo Casanova dont l'ombre habite tout homme parce que l'amour rend fou et que la conquête transforme le plus modeste des êtres en personnage d'exception. Mais quand ce même auteur aborde le thème de la maladie et de la douleur, tout juste évoqué cependant, et avec lui celui de la mort qui est, bien entendu, en filigranes, la confession prend un tour différent, un relief particulier, et cette femme une autre dimension. Pourtant, plus j'ai avancé dans ma lecture, plus cette femme m'est apparue absente.

     

    J'ai lu ce livre avec attention parce que l'auteur à cette sorte d'authenticité attachante que je recherche sans peut-être le savoir. Le thème du voyage m'a plu et les épisodes relatés m'ont procuré un dépaysement bienvenu, les images poétiques m'ont ému par leur puissance suggestive, l'évocation furtive de la ville de La Rochelle ne m'a, bien entendu, pas laissé indifférent, même si j'ai cependant noté dans le cours du texte quelques longueurs digressives et incompatibles avec le parti-pris de l'ouvrage. A la fin cependant, dans une sorte de fable à la fois sensuelle et irréelle, l'auteur revient à ce qui a motivé sa démarche créatrice, comme la conclusion théâtrale d'un conte merveilleux, presque hors du temps :

    « Je me suis approché de vous, je vous ai dit : j'ai beaucoup écrit, je n'avais pas votre adresse... »

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES DAMES DE NAGE - Bernard GIRAUDEAU

     

     

    N°316 – Octobre 2008

     

    LES DAMES DE NAGE - Bernard GIRAUDEAU [Editions Métailié].

     

    La première fois que j'ai appris la publication de ce livre, ce fut à la fin d'un journal télévisé, à travers les mots économes d'une belle journaliste blonde. Je me souviens de ses yeux qui en parlaient beaucoup mieux, puis le temps a passé et j'ai remis à plus tard cette lecture... J'avais eu l'impression fugace que ces pages évoquaient une longue liste de conquêtes féminines, des aventures amoureuses d'un séducteur...

     

    Pourtant, dès les première lignes, l'auteur accroche son lecteur par des phrases apparemment anodines «  J'attends sans impatience, en vivant l'instant comme une éternité » ou bien «  J'ai alors, comme le veilleur, le sentiment de garder un territoire ». Alors moi, d'un coup, je comprends qu'il ne s'agit pas là d'une banale succession de passades d'un improbable Don Juan et je m'embarque avec lui dans son voyage.

     

    Il y a d'abord l'évocation de cette jeunesse rochelaise, le père lointain et happé par la mort, la mère authentique, la famille, immédiate. Nous savons tous que cet épisode de la vie est primordial. Puis c'est l'approche des femmes, très tôt dans la timidité gauche de l'enfance, à travers l'image diaphane d' Amélie, celle du monde extérieur que tout à la fois on craint et souhaite conquérir pour elle, celle de la terre et de la mer parce qu'à La Rochelle l'une de va pas sans l'autre. C'est l'intuition que les rêves se tressent dans les ports parce que ceux qui y naissent et y vivent les premières années de leur vie ne peuvent pas ne pas les imaginer autrement, partagés qu'ils sont entre leur soif d'aventure et leurs certitudes...Pour Giraudeau l'enfance c'est la mère qui phonétiquement se confond avec l'océan, cette première femme qui non seulement donne la vie mais aussi le bagage qui accompagnera toujours l'enfant devenu un homme. C'est vers elle qu'il reviendra, c'est elle qui a imprimé, d'une manière définitive, ses traits dans la trame de sa mémoire et qu'il recherchera dans le visage de chaque femme... et d'avouer « Marguerite me rappelait que j'avais une mère qui vieillissait... elle était là-bas, à La Rochelle, la ville d'Amélie, celle de mon enfance, tournée vers la mer et des rêves à n'en plus finir ».

     

    C'est l'éveil à l'amour, puéril et merveilleux, qui contient en lui tout ce qui sera plus tard la perpétuelle quête de l'homme vers la femme. Ce sont souvent les boucles innocentes d'une camarade de classe, d'une voisine ou d'une cousine qui en sont la cause, une vision fugace pour un garçon qui en gardera toute sa vie d'homme la trace au point d'en rechercher l'empreinte dans toutes les autres. «  Tout au long de ma vie j'ai aimé les nuques déliées, les femmes comme des gerbes et le secret des graines et dans les épis », même si l'existence se chargera plus tard de mâtiner tout cela, dans ses vicissitudes ou les brisures de la souffrance et de la mort... « Amélie tu fus une messagère, un guide que je reconnus sans conscience... Ce n'est pas toi que je quitte, c'est mon enfance , ma naïveté et ce long silence parce que tu n'es plus... Ce n'est pas une rupture, on ne rompt pas avec ce qu'on a aimé, je m'éloigne, puisque depuis longtemps nous nous sommes lâché la main ».

     

    Ce sont aussi des souvenirs de voyage maritimes, des bribes de texte confiés au fragile support du papier, rangés dans un repli de la mémoire, qui viennent d'Afrique ou d'Amérique du Sud où le vent est bien souvent le seul témoin, le seul écrin de toute aventure humaine. Les ports sont des lieux d'exception qui accueillent les marins après l'exil du large. Les hommes qui y sont nés portent malgré eux, jusque dans leur sang, le rythme de la houle, l'haleine des embruns, l'écume blanche des vagues qui invitent à l'ailleurs. Ici se conjugue les forces de la terre et de l'eau, la volonté d'être de quelque part et celle, parfois plus forte de fouiller l'horizon, les valeurs de la permanence et celles, plus subtiles et irréelles de l'intemporel. Ils sont tiraillés entre sa volonté de plonger ses racines dans les murs d'une maison, dans la vie quotidienne d'un couple rangé et celle, souvent plus forte, comme une aventure renouvelée, de partir à l'appel prégnant du vent, au hasard de l'escale, de ses plaisirs fugaces, de ses rencontres parfois noyées dans l'alcool et les bordels des ports. Il y a la mémoire, forcément sélective et labile « Il y eut d'autres escales, d'autres quais, d'autres amours... j'ai seulement gardé le visage de celles qui étaient venues à moi comme des cadeaux, des messages de vie. Il y eut des trésors et de fausses perles, des mirages d'amour et des corps glacés »

    Quand on croise un regard de femme au hasard d'une rue, qu'on goûte à la délicate fragrance du parfum qui la suit, il se passe toujours quelque chose d'exceptionnel et parfois de frustrant. L'homme de mer, aventurier à la peau burinée, mais aussi le poète-témoin à l'âme bouleversée, malgré sa volonté d'indépendance, garde cela dans la grosse toile de son sac qui, posé à terre, se vide malgré tout de son contenu, avec des mots pour le papier, des images pour le ruban d'arlequin d'une pellicule... Et Bernard Giraudeau de convoquer Albert Camus pour « l'étranger », Alvaro Mutis pour le voyage et Pierre Loti pour tout cela et peut-être aussi pour la beauté des mots...

     

    Portraits de femmes sensuelles, dispensatrices d'amour et de plaisirs, compagnes fugace du marin, partagées entre les larmes d'une foucade et la volonté définitive de s'établir, silhouettes d'hommes aussi, comme ce chef d'une gare perdue dans le désert d'Atacama au Chili, d'homos et de transfuges du sexe comme celui, sublime et douloureux, de Marco devenu Marcia...

    Je n'en finirai pas de citer les phrases de ce livre tant elles m'appartiennent sans doute un peu. Les pages en sont autant de bouteilles jetées à la mer du quotidien, une invitation à la complicité...

     

    C'est peut-être puéril, mais j'ai lu de nombreux passages de ce texte à haute voix, parce que ces mots sont comme des notes d'une musique alternativement tranquille et crue, apaisée et tourmentée. J'ai voulu me pénétrer de cette poésie, du balancement de la phrase, du ronronnement des allitérations qui ont été pour moi, pauvre lecteur, autant d'invitations au rêve que d'évocations intimes mais aussi du plaisir plus secret du non-dit.

     

    Les dames de nage, une pièce d'accastillage pour chaloupe, un instrument qui permet au bateau d'avancer à la force des bras des rameurs, un beau titre évocateur. On pense aux femmes et à la mer, au voyage et au tangage de la houle et des corps dans l'étreinte, aux rencontres d'exception que seule l'aventure peut vous prêter ... Le livre refermé, il reste des impressions, des paysages, des personnages, des délicates ombres de femmes, mais surtout le parfum de l'aventure, le dépaysement et ...la délicieuse musique des mots.

     

     

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2008. http://hervegautier.e-monsite.com