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la feuille volante

Histoire

  • La Rochelle 1939-1945

    N°922– Juin 2015

     

    La Rochelle 1939-1945 - Musée des Beaux-Arts de La Rochelle – Geste Éditions.

    Sous la direction d'Annick Notter, conservatrice en chef et Nicole Proux, historienne.

     

    A l'occasion du soixante-dixième anniversaire de la Libération de la ville, le musée des Beaux-arts de La Rochelle publie cet ouvrage richement illustré et documenté qui accompagne une exposition organisée dans ses locaux du 7 mai au 9 novembre 2015. Il s'agit d'un ouvrage collectif qui retrace ces six années de guerre et d'occupation.

     

    Après l'armistice du 22 juin 1940, La Rochelle qui est une ville commerçante et industrielle active se retrouve en « zone occupée » puis en « zone interdite », est déclarée « ville ouverte ». Les Rochelais vécurent ces six années de tourmente dans la réserve, l'attentisme et la survie malgré les privations, l'afflux des réfugiés, les évacuations et les pénuries de tous ordres. Ceci n’exclut ni les actes de collaboration et de délation ni ceux de résistance et de sabotage. L'ouvrage rend hommage à celles et ceux qui se sont engagés dans ces actions d'opposition à l'occupant, qui ont donné leur vie pour que la ville soit à nouveau libre. Le maire Léonce Vieljeux (1865-1944) en fut la figure emblématique. Nombre de voies urbaines et portuaires rochelaises portent leur nom ce qui contribue à perpétuer leur mémoire.

     

    La répression allemande et vichyssoise n'a épargné, ici comme ailleurs ni les juifs, ni les communistes ni les francs-maçons. La Garde Civique et plus tard la Milice, soutenues par des organisations pétainistes, furent de zélés collaborateurs des autorités allemandes. Les communistes qui entrèrent en résistance notamment après la rupture du pacte germano-soviétique (1941), furent particulièrement pourchassés par l’occupant. Les FTP, qui ont payé un lourd tribu, se montrèrent particulièrement agressifs mais le PCF, eu égard à son organisation interne, et malgré les coups portés par l'occupant, a été particulièrement efficace dans cette lutte. Dans la ville, la Résistance s’organisa dans la clandestinité, parfois sous couvert d’associations sportives mais pas seulement, vers l'action, le renseignement, le sabotage ou la propagande anti-nazie ce qui déclencha une vague d'arrestations et de répression de la part des Allemands. Ici comme ailleurs, dénonciations, déportations, tortures, exécutions sommaires furent l'ordinaire de la barbarie nazie... Comme partout, le maquis a connu un regain de recrutement à partir du début de l'année 1942 et de l'instauration du STO par le régime de Vichy, même si, à partir de cette période, les réseaux de résistance rochelais ont été décimés.

     

    La pêche rochelaise a été lourdement handicapée non seulement par les mesures restrictives imposées à la profession(restrictions de carburant, prélèvements sur les prises) mais aussi par les mines et la destruction de bateaux par la marine allemande et la réquisition de chalutiers transformés en garde-côtes ou en navires de guerre auxiliaires. L'importance stratégique de La Pallice, port en eaux profondes et élément important du Mur de l'Atlantique, incite les Allemands à y implanter des infrastructures militaires(base sous-marine, construction de batteries côtières, mines...) qui seront la cible des bombardements alliés, épargnant cependant miraculeusement la vieille ville. En effet, même si la France n'était plus officiellement en guerre la position géographique de La Rochelle la désignait naturellement comme un objectif militaire.

     

    La Rochelle doit être attractive puisque, avec celui de l'Aunis, elle subit là le septième siège de son histoire mais ce sont des Allemands qui sont retranchés dans la ville rebaptisée « poche »(septembre 1944-mai 1945). Cette ville doit bien être « bénie des dieux » comme a pu le dire plus tard un édile, puisque, malgré sa situation maritime et économique, elle a été épargnée alors que d'autres, dans la même configuration, ont été rasées et ce d'autant plus que sa position de « poche » allemande à la fin d'un conflit dont il n'était pas possible de douter de l'issue, l'exposait à des barouds d'honneur, des règlements de compte et autres débordements qui eussent pu l'endommager durablement. Les troupes allemandes cantonnées à La Rochelle étaient importantes tandis que les résistants (FFI), pourtant peu armés et mal équipés étaient cependant déterminés et combattifs. D'ailleurs, à la fin de la guerre, les Allemands avaient programmé la destruction de la ville mais en aucune façon une reddition et le général de Gaulle lui-même prévoyait qu'une action armée accompagnât la libération de la ville. Il a fallu toute l'humanité et toute la diplomatie du capitaine de Vaisseau Hubert Meyer, du vice-Amiral Ernst Shirlitz et du concours de la Suède pour négocier une trêve, assurer le ravitaillement des Rochelais demeurés dans la ville pour éviter les bombardements alliés comme à Royan, et surtout que cet épisode ne se transforme pas en un bain de sang avec d'inévitables destructions. Par ailleurs, à cette période les Rochelais ont fait preuve de solidarité et de compréhension : la ville était sous administration vichyssoise et allemande mais encerclée par les FFI sur un territoire divisé en zones d'influence, à un moment où la victoire des alliés était en marche. Ce siège, réglementé par une convention pourtant controversée et quasiment secrète, dura six mois relativement paisibles alors que le reste de l'Europe était un vaste champ de bataille. Même si les Allemands étaient craints, ils n'en étaient pas moins considérés, eux aussi, comme des prisonniers. Cette situation un peu surréaliste a donné lieu à des manifestations cocasses où la paix a cependant été privilégiée et sauvegardée. Ainsi, il n'était pas rare que, dans un même lieu, des Miliciens, des Allemands et des Résistants en armes cohabitent sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré, le but de chacun étant de gagner du temps. Le 8 mai 1945 la ville fut libérée par des troupes françaises (zouaves et spahis) épaulées par les FFI, sous les yeux d'un occupant, apparemment soulagé, les soldats allemands désarmés étant considérés comme prisonniers de guerre dans des conditions honorables. Ce fut la dernière ville à être libérées(8 mai 1945) sur le territoire.

     

    J'ai découvert ce livre passionnant grâce à Babelio et à Geste Éditions que je remercie chaleureusement. Il m'a permis, à titre personnel, de compléter ma connaissance de l'histoire de cette cité qui m'est chère à plus d'un titre. En effet, quelque soit l'endroit où j'habite temporairement, je me revendique définitivement comme Rochelais.

     

    La ville de La Rochelle a encore une fois mérité son surnom de « belle et rebelle ». Elle a connu au cours de son histoire bien des bouleversements. Cet ouvrage a pour but de ne pas oublier cette période pourtant pas si lointaine et surtout ceux qui se sont sacrifiés et envers qui les générations suivantes ont une dette imprescriptible. Il met en exergue l’héroïsme des Rochelais autant que leur vie quotidienne et les heures sombres qu'ils ont vécu à travers des textes, des photographies et documents d'époque.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • HISTOIRE DE LA ROCHELLE – Sous la direction de Marcel Delafosse (†).

     

    N°592– Août 2012.

    HISTOIRE DE LA ROCHELLE – Sous la direction de Marcel Delafosse ().

    Éditions Privat.

    Cet ouvrage collectif publié en 2002 est une nouvelle édition reprise, complétée et augmentée d'un ancien ouvrage portant le même titre, chez le même éditeur dans la collection « Pays et villes de France » publié en 1985.

    Les rédacteurs sont professeurs d'Université (Robert Favreau, Etienne Trocmé), maître de recherche au CNRS (Louis Pérouas), conservateurs (Olga de Sainte-Affrique, Marcel Delafosse(†). C'est assez dire que le document qui est ainsi livré au lecteur est un ouvrage de référence sur l'histoire de cette ville d'exception depuis sa fondation jusqu'à la période contemporaine.

    Cette « ville bénie des dieux » n'est principalement connue actuellement que par le festival des « Francofolies » et par les tours emblématiques de son port. Sans vouloir minimiser ces références très médiatiques, ce livre nous fait entrer dans les arcanes de l'histoire riche et palpitante de cette cité qui, au départ n'était qu'un modeste village de pêcheurs entouré de marais. A partir de l'an mil, et sans doute un peu par hasard, il se transforme en une cité qui ne cessera de grandir, de s'affirmer tout au long de sa vie pour devenir une des toutes premières villes de la côte atlantique.

    Grâce à cet ouvrage extrêmement bien documenté et pédagogiquement présenté, nous voyons cette cité, depuis sa création vivre et évoluer. Elle a été tour à tour anglaise, grâce à Aliénor d'Aquitaine, française à partir de 1224, puis à nouveau anglaise à la suite du traité de Brétigny de 1360 mais a toujours marqué son attachement à la couronne de France à laquelle elle est à nouveau rattachée en 1372.

    mais a toujours marqué son attachement à la couronne de France. Au début elle a abrité nombre de congrégations religieuses puis est devenue protestante et même une place forte, pour redevenir ensuite catholique surtout à partir de la fin du siège.

    Le XVII° siècle correspondit à l'essor colonial, celui du commerce et de la « course » qui enrichirent la ville et la dotèrent d'une architecture riche et originale. Lui succéda le XVIII°siècle pendant lequel le catholicisme revint en force, s'établit dans la ville et avec lui l'esprit de tolérance prôné par le siècle des Lumières qui a permis la cohabitation entre les deux communautés. Il en résulta l’émergence d'une nouvelle forme de société axée notamment sur la culture et un nouvel art de vivre ensemble.

    La Révolution a été à La Rochelle singulièrement modérée, loin de l’agitation parisienne. Quant au XIX° siècle, il fut « trop calme » selon l'expression des auteurs, mais le dynamisme inhérent à cette ville s'est à nouveau manifesté à la fin de cette période. La ville a consolidé son port de pêche, s'est installée dans l'industrialisation puis à nouveau dans le commerce international. Lorsque les crises successives eurent atténué ces activités, ce furent la culture, le savoir et le tourisme qui émergèrent et s'installèrent durablement.

    Très tôt la cité a dû sa richesse à son port d'où partaient le sel et le vin de l'Aunis. Puis des navires ont été armés, destinés au négoce avec les pays du nord, l'Afrique et les colonies ultramarines puis les Amériques, au commerce « en droiture » et «  triangulaire », enrichissant considérablement La Rochelle et en ont fait une cité longtemps convoitée. Si la perte du Canada et le révocation de l’Édit de Nantes, les guerres l'ont affaiblie, elles ne l'ont pas anéantie. Son activité commerciale a connu des périodes fastes de grande prospérité mais elle a aussi frôlé la ruine, on l'a même menacée de destruction, mais ses habitants ont toujours su comment la faire perdurer dans une paix relative favorable au commerce et à la vie en société. Autour notamment de ses édiles, elle a su relever les nombreux défis économiques sociaux qui se sont présentés, a su affirmer sa spécificité, son originalité, son sens de l’innovation, son amour de la liberté qui font d'elle, et définitivement, une cité « belle et rebelle ».

    Elle a donné à la France nombre de savants, juristes, militaires de haut rang, marins, écrivains et artistes. Son architecture urbaine exceptionnelle, son climat, sa douceur de vivre, ses attraits ont toujours fait d'elle une ville peuplée, attrayante, tolérante, véritable creuset, riche de diversités sociales et culturelle. On peut probablement regretter que Le Corbusier n'ait pas pu y donner toute la mesure de son talent mais Eugène Fromentin aurait aujourd’hui du mal à reconnaître « sa pauvre province », dans cette cité faite de pierre blanche et de toits ocres, bien différente de cette « vieille cité huguenote, grave, discrète avec ces maisons d'un luxe sévère aux façades sombres ».

    L'histoire nous enseigne les grandes évolutions des idées et peuples. C'est une discipline indispensable dans le vaste domaine de la connaissance et de la culture. J'ai personnellement, et depuis toujours, une passion pour cette ville et un tel ouvrage ne peut que me conforter dans mes certitudes.

    ©Hervé GAUTIER – Août 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA ROCHELLE, fille de la mer – Christian Errath, Raymond Silar

     

    N°589– Juillet 2012.

    LA ROCHELLE, fille de la mer – Christian Errath, Raymond Silar - Geste Éditions.

    Dans mon imaginaire personnel, il est des villes dont le nom seul évoque le voyage, l'exceptionnel, un attachement à la fois irrationnel et définitif. La Rochelle est de celles-là. Son nom sonne comme celui d'un rocher solide face à l'océan, elle évoque mon enfance et pas mal de souvenirs. Pour l'extérieur elle reste attachée aux paroles d'une chanson (« Les filles de La Rochelle »), au douloureux siège de Richelieu, à ses emblématiques tours, aux 4 sergents qui y furent emprisonnés. Jadis la reine Aliénor en fit le port de l'Aquitaine et lui accorda le privilège de « franche commune ». Elle fut ensuite dédiée aux expéditions lointaines, au commerce triangulaire, puis à celui des produits du pays, sel, vins puis plus tard céréales, à la pêche à la morue, à celle de haute mer et à celle des coureaux. Aujourd'hui elle est le symbole de la culture et de l'université, de la plaisance, des loisirs, de l'écologie, des Francofolies, de la porte vers l'île de Ré, d'un art de vivre différent, mais elle a toujours été tournée vers la mer...

    Avec le texte érudit à l'humour subtil de Raymond Silar et les photographies pleines de cette lumière océane de Christian Errath, le lecteur se promène à la fois dans l'histoire et dans le présent de cette cité « bénie des dieux », créée, dit-on, par la fée Mélusine, mariée à l'Atlantique. Avec ces auteurs, le lecteur découvre « La grande aventure rochelaise » que ses différents musées évoquent et que sa pierre blanche conserve. Ses habitants ont su relever les défis de l'histoire, s'adapter aux changements structurels qui ont accompagné son parcours. Autrefois blottie derrière ses remparts, elle a su « prendre le vent des conquêtes nouvelles » et faire œuvre d'imagination dans bien des domaines ce qui a fait d'elle un véritable modèle. Cette ville à la fois « Belle et rebelle », conquise sur la mer a été successivement depuis Aliénor d'Aquitaine, anglaise puis française, catholique avec la présence des Templiers, des Carmes, des Jésuites et des Oratoriens... puis, évidemment, protestante, en paix et en guerre, peuplée à la fois d'ouvriers et de riches notables commerçants et armateurs. Elle garde les traces architecturales du temps, entre ses célèbres arcades, ses maisons à colombage, ses hôtels particuliers et ses bâtiments de style renaissance ou du XVIII° siècle. Une cité maritime où se mêlent tous les styles et toutes les influences, avec bonheur !

    Depuis le hameau de Cougnes qui a été à l'origine de sa fondation, elle a été tour à tour place forte en guerre et ville de paix, a su s'opposer au pouvoir central si celui-ci devenait trop pesant mais aussi se montrer loyale à ce même pouvoir quand il le fallait. La devise de ses armes,« Servabor rectore deo »(guidé par Dieu, je serai sauvé), même si elle prête à diverses interprétations, illustre bien son attitude. Elle a abrité des célébrités, savants, voyageurs, artistes, peintres, écrivains, philosophes, avocats, inventeurs, marins mais aussi des hommes au caractère bien affirmé, notamment parmi ses édiles nommés ici depuis 1199. Les Rochelais ont dû se battre pour conserver le privilège d'élire leur maire et ce d'autant plus qu'ils devaient cette singularité à Aliénor, une Duchesse-Reine en plein Moyen-Age ! Ils ont payé un lourd tribut lors des luttes qui ont jalonné l'histoire de cette cité mais la vie, la liberté et l'indépendance ont toujours prévalu ce qui la rend extraordinairement attractive.

    La Rochelle a toujours exercé une véritable fascination sur ceux qui l'ont approchée, a suscité des créations artistiques et des innovations parfois audacieuses de tous ordres, bref n'a laissé personne indifférent, a toujours insufflé à ses habitants autant qu'aux touristes de passage sa vitalité, son originalité, son souffle chaleureux.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • La Rochelle, « Poche » de l'Atlantique

     

    N°584– Juillet 2012.

    La Rochelle, « Poche » de l'Atlantique Christiane Gaschignard – Éditions « Rumeur des Ages ».

    Les liens qui m'unissent à La Rochelle font que rien de ce qui touche à cette cité ne m'est indifférent, cette chronique s'étant déjà largement fait l'écho des événements qui s'y sont déroulés ou des gens qui y ont vécu. Son histoire a été mouvementée et bien souvent bousculée par des guerres, des sièges dont le plus célèbre est celui de 1627 au cours duquel Richelieu réduisit la place forte des protestants. Mais ce ne fut pas le seul ! La « Belle et rebelle », comme on l'appelle, a toujours été un endroit stratégique au bord de l' Atlantique. Le dernier en date fut celui de « la poche de La Rochelle » à la fin de la deuxième Guerre mondiale (Août 1944 – mai 1945).

    Dès juin 1940, elle a été déclarée « ville ouverte » et rapidement occupée par les Allemands. La Pallice, port en eaux profondes, présentait en effet un intérêt particulier pour l'ennemi et l'organisation Todt y construisit, de 1941 à 1943, une imposante base sous-marine, élément essentiel du « Mur de l'Atlantique » complétée sur le littoral par des blockhaus, des batteries d'artillerie, des bunkers. La Rochelle-Pallice était en effet « le port allemand de l'atlantique » autant que le siège du commandement du sud-ouest. Pourtant, un débarquement sur ces côtes n'a jamais été sérieusement envisagé.

    Cette période de huit mois a donc constitué le 5° siège de l'histoire de la cité rochelaise, période pendant laquelle l'angoisse a succédé à l'espoir, le temps s'est en quelque sorte arrêté puisqu'elle était coupée du reste de la France et que planait sur elle une menace de destruction. C'était une situation un peu surréaliste puisque les Allemands qui commençaient à reculer sur le reste du territoire tenaient encore ce port dans le but de le rendre inutilisable par les alliés mais aussi de fixer des troupes loin du front qui avançait vers l'Allemagne et de garder intacte leur base de sous-marins. Cette présence ennemie constituait donc un danger d'autant que pour les Américains, La Rochelle ne constituait pas une priorité et qu'il fallait marcher sur Berlin. Les Allemands tenaient certes la ville, mais, face aux troupes françaises et aux FFI, ils étaient également prisonniers ce qui entraîna une cohabitation avec les Rochelais. La présence de ces derniers fut salutaire puisqu'on pouvait penser qu'elle constituait une sorte de bouclier contre les bombardements alliés bien que, après la destruction de Royan, cette certitude fut quelque peu remise en question dans la population. De plus, l'imminence de la fin des combats a catalysé les mouvements de Résistance qu'il fallait impérativement unifier et coordonner aux manœuvres des régiments de l'armée régulière en évitant les débordements. Bien entendu se posa la question du ravitaillement qui intéressait à la fois les Français et les Allemands mais aussi la présence de la Milice, les « collabos », le marché noir, comme partout durant la guerre. Heureusement la Suède a apporté son concours et l'approvisionnement de La Rochelle fut réalisé dans l'ordre et le calme.

    L'originalité de cette « poche » fut, comme le souligne opportunément l'auteur, « sa dimension humaine ». L'administration et les instances de Libération ont su faire preuve de souplesse pendant cette période mouvementée d'autant plus que si les comités de Libération commençaient à se manifester, les structures pétainistes demeuraient néanmoins en place. Mais les Rochelais se sont montrés sages et tempérés en évitant au maximum des occasions de friction avec l'occupant. De même que le signal de la Résistance avait été donné dès juin 1940 par le maire Léonce Vieljeux, cette volonté d'apaisement a été incarnée par des hommes tels que le commandant Hubert Meyer et l'amiral Schirlitz qui négocièrent diplomatiquement entre hommes de bonne volonté et de raison une reddition honorable pour les Allemands et la remise de la ville intacte aux forces françaises, ce qui était essentiel dans le futur redressement du pays. Le colonel Adeline, de son côté, fit preuve de détermination pour faire que « la convention du 20 octobre » soit signée. Il n'y eut donc pas de combats pendant cette période et les Allemands furent considérés comme des prisonniers de guerre.

    Si La Rochelle a été libérée bien après Strasbourg, elle l'a été par les Français eux-mêmes et surtout sans dommages pour ses installations portuaires, la riche architecture de la ville et sa population. La situation aurait facilement pu rapidement dégénérer mais ce ne fut pas la cas et on préféra la négociation à l'emploi de la force et la volonté de vengeance.

    J'ai lu ce livre fort bien documenté et passionnant du début à la fin avec les yeux d'un Rochelais désireux d'en savoir toujours davantage sur « cette ville bénie des dieux » dont le renom ne cesse de grandir. Même s'il a été publié en 1987, cet ouvrage est essentiel pour la connaissance de cette cité et de sa population.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Ils étaient 4 sergents de La Rochelle

     

    N°545 – Novembre 2011.

    Ils étaient 4 sergents de La Rochelle – Bernard Morasin – Éditions Bordessoules.

     

    A La Rochelle, face à la mer, se dresse une tour gothique élégante qui servit de phare et qui, pour cette raison, porte encore le nom de « Tour de la Lanterne ». Ce n'est d'ailleurs pas son seul nom mais, parmi ceux-ci, elle est aussi connue comme « Tour des quatre sergents » puisque la Restauration emprisonna ici quatre sous-officiers séditieux qui furent guillotinés à Paris en 1822.

     

    Ils étaient affectés au « 45° de Ligne », qui, basé à Paris depuis 1821 venait de prendre ses quartiers à La Rochelle. Crée sous Anne d'Autriche, ce régiment d'infanterie traversa la Révolution et l'Empire puis se trouva, à la Restauration, commandé par un de ces officiers émigrés, le colonel-marquis Louis-Victor-Alexandre Toustain de Fontebosc, sans grande autorité sur ses hommes, un peu naïf et même vindicatif.

     

    A 26 ans, le sergent-major Jean-François Bories, Franc- Maçon, s'ennuyait ferme au 45° de ligne. Déçu par l'armée qui, selon lui ne reconnaissait pas ses mérites et le maintenait dans la subalternité, il avait fait le choix de la « Charbonnerie ». D'origine italienne, cette société secrète, dont le but était « la liberté conquise à main armée », convenait à son ambition. Elle s'était implantée fortement en France et était active dans l'armée. La Restauration avait décimé les rangs de l'armée impériale, multipliant les militaires en demi-solde ou carrément privés de leur grade et sans emploi. Le climat à l'époque était volontiers comploteur et nombre de militaires étaient des nostalgiques du Premier Empire et de la Révolution et conspiraient volontiers en faveur de la disparition des Bourbons. Bories avait efficacement œuvré, dans son régiment, en faveur de la Charbonnerie à la quelle « Les Chevaliers de Liberté », société secrète composée surtout de civils, mais très active dans l'ouest de la France, était affiliée. Il recruta donc divers sous-officiers et soldats qui prêtèrent serment à la « Charbonnerie » parmi lesquels le sergent Jean-Joseph Pommier, le sergent-major Charles-Paul Goubin et le sergent Marius Raoulx. Ils adhérèrent à ce mouvement pour des raisons personnelles, tenant à leur avancement ou à la future fortune qu'ils imaginaient à la suite de la chute des Bourbons. Bories fut naturellement leur chef.

     

    Ce fut lors du mouvement que fit ce régiment de Paris à La Rochelle, à pied, dans le froid et la neige, que se déroula cette aventure épique, pleine de rebondissements et qui se révéla être un complot contre le régime monarchique. A force de malchance, de délations, de défections et surtout d'acharnement lors du procès, de nombreux prévenus se retrouvèrent condamnés mais les quatre sous-officiers terminèrent leur brève vie sous le couperet de la guillotine, en place de Grève.

     

    Telle fut l'histoire personnelle de ces quatre jeunes fantassins dans une époque troublée où il fallait faire un exemple. La présence de civils dans la conjuration justifiait qu'on chargeât la Cour d'Assises de cette affaire qui fut jugée à Paris. Leur transfert fut long et pénible. S'il y avait effectivement eu complot, il n'y avait cependant pas eu commencement d'exécution, mais l'avocat général tira partie de toutes les ressources du Code Pénal de l'époque pour demander et obtenir la tête des quatre militaires. Si leur arrestation s'était passée dans le calme et l'indifférence à La Rochelle, leur procès se déroula dans une ambiance électrique et passionnée qui donna lieu à un réquisitoire enflammé et des plaidoiries bouleversantes. Parmi les trente six accusés, certains ne furent pas poursuivis, d'autres furent acquittés et d'autres encore condamnés à des peines de prison.

     

    Cet épisode qui maintenant est définitivement inscrit dans l'histoire et même dans la légende, fut empreint de beaucoup d'illusions, d'approximations, d'inconséquences voire d'incompétences. Il témoigna d'affabulations, d'atermoiements, de trahisons, de délations et de fidélité à un idéal et à un serment. Ce qui aurait pu être la réalisation d'une aspiration humaine légitime pour la liberté s'est transformé en une aventure où les principaux protagonistes responsables et instigateurs du complot n'ont même pas été inquiétés. Le procès de lampiste qui s'en est suivi s'est terminé pour ces malheureux militaires un peu trop idéalistes par une mort infamante sur l'échafaud, sacrifiés sur l'autel de l'ordre public et de la sauvegarde d'un trône et d'un régime qui finiront par être balayés. La réhabilitation qui suivit grâce à la révolution de 1830 leur fit certes recouvrer une dignité posthume mais l'espèce humaine est oublieuse et leur épopée est maintenant réduite à un vague souvenir.

     

    Mes origines rochelaises autant que l'intérêt que je porte personnellement à cette ville et à son histoire m'ont incité à lire ce livre passionnant et même parfois émouvant, fort bien écrit et abondamment documenté. Il plonge le lecteur dans l'ambiance délétère de cette époque à laquelle mettra fin la révolution des « Trois glorieuses », en juillet 1830. C'est un acte de mémoire important et un bel hommage à ces artisans de la liberté qui ont attaché leurs noms à cette cité d'exception.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Histoire de La Rochelle

     

     

     

     

    HISTOIRE DE LA ROCHELLE – Ouvrage collectif sous la direction de Marcel Delafosse – Editions Privat.

     

     

    La Rochelle est pour moi plus qu’une ville et les liens personnels et affectifs que j’ai avec elle font que tout ce qui s’y rattache ne peut me laisser indifférent. L’histoire de cette cité, dans sa richesse et sa diversité ajoute à l’intérêt que naturellement j’y porte.

     

    Crée vraisemblablement aux alentours de l’an mil, elle n’apparut vraiment dans les faits qu’au XII° siècle où elle devint la principale citée de l’Aunis. Sans faire le résumé de cet intéressant et complet ouvrage, je dirai simplement que c’est une ville qui, entre guerres et paix a su rester fidèle au pouvoir central(Conformément sans doute à sa devise « Servabor rectore deo »), tout en étant jalouse de ses privilèges et de ses libertés. Tour à tour rebelle, sage et prudente, elle su affirmer son autorité tout en s’adaptant aux événements comme aux circonstances. Quand il a fallu montrer sa différence et son indépendance les rochelais l’ont fait savoir, à l’image de leur maire Léonce Vieljeux qui, malgré la défaite de 1940 s’est opposé, à sa manière à l’occupant allemand, ce qui lui a coûté la vie.

     

    Bien que privée d’arrière-pays et dotée de richesses limitées, essentiellement constituées pendant longtemps de vin, d’eau de vie et de sel, elle a su développer son port au cours des siècles jusqu’à devenir une place importante avec un apogée au XVII° et XVIII° siècle. A cette époque elle a été florissante même si une partie de sa richesse était due au « commerce triangulaire ».

     

    Entre protestantisme et catholicisme, elle est restée fidèle au message du Siècle des Lumières, c’est à dire tolérante mais toujours soucieuse de ses intérêts commerciaux. La Révolution y fut modérée, le XIX°calme et le XX° entre désastre économique et dynamisme retrouvé.

     

    Son architecture particulière en fait un lieu attachant.

     

    La ville que nous connaissons actuellement est l’héritière de toute cette histoire riche et mouvementée. Elle en est le digne témoin et porte en elle des promesses d’avenir qui la font se tourner résolument vers le XXI° siècle.

     

    Elle est, comme a pu le dire un édile « une ville bénie des dieux ».

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • ALIENOR AUX DEUX ROYAUMES - Joëlle Dusseau – Mollat.

     

    N°319– Novembre 2008

    ALIENOR AUX DEUX ROYAUMES - Joëlle Dusseau – Mollat.

    Est-ce mon intérêt personnel pour la vie d'Aliénor d'Aquitaine qui m'a fait choisir ce livre ou mon attirance pour les légendes en général et pour celle de la Fée Mélusine en particulier qui s'est tissée, dit-on, sur le modèle de cette reine, je ne sais? Toujours est-il que j'ai lu avec une attention toute particulière ce livre à la fois bien documenté, pédagogique et agréablement écrit.

     

    Que dire de cette femme d'exception, duchesse d'Aquitaine et autres lieux, reine de France par son mariage avec Louis VII qui la répudia, officiellement pour consanguinité, puis reine d'Angleterre par son union avec Henri II Plantagenêt, duc de Normandie et comte d'Anjou? Le hasard de la féodalité fait que son second mari est vassal du premier, mais est infiniment plus riche et puissant que lui. Louis VII avait, en effet, par son inconséquent geste de répudiation, cependant béni par l'Église, précipité son ex-épouse dans le lit de celui qui allait devenir monarque. L'ennui pour notre Capétien, c'est que le fief d'Aliénor, ajouté à celui de son nouvel époux comprenait, outre ses possessions anglaises, une bonne moitié de la France actuelle. Le domaine royal de Louis était, à côté de cela, fort exigu.

     

    Mariée une première fois à treize ans à Louis VII, elle épousera son second mari à vingt neuf ans pour finalement mourir à quatre vingt deux ans. Sa vie, quoique longue, n'a cependant pas été tranquille comme aurait pu l'être celle d'une épouse royale qui, au Moyen-Age, était le plus souvent dédiée à la naissance et à l'éducation des enfants. Reine, elle devait assurer une descendance à son royal époux, mâle, de préférence. Elle ne donna que des filles à Louis, mais assura la dynastie d'Henri par la naissance de huit enfants, notamment de « Jean sans Terre » et de « Richard Coeur de Lion », son préféré. Elle est la mère de deux rois d'Angleterre, la grand-mère d'un empereur germanique, Othon, et l'arrière-grand-mère d'un roi de France, Saint Louis! Elle su dépasser sa douleur de mère lors de la perte de nombre de ses enfants, notamment Richard Coeur de Lion, et choisir une de ses petites filles, Blanche de Castille, pour être reine de France et mère de Saint Louis. Grâce à elle, la France et l'Angleterre, pourtant ennemies héréditaires, se rencontrèrent .

     

    Elle aima la guerre, la croisade d'abord qu'elle fit aux côtés de Louis VII et avec la Bénédiction du futur St Bernard, mais aussi, autour d'elle, naquirent des combats que souvent elle inspira et suscita, notamment entre Henri II et ses fils. C'était une forte personnalité qui su s'imposer dans un monde d'hommes par toujours raffinés et bien souvent rebelles... Même si ses efforts ne furent pas toujours couronnés de succès!

     

    Elle aima aussi la politique à laquelle, à l'époque les luttes parfois fratricides et parricides, étaient liés. Elle su, avec une grande clairvoyance, favoriser les alliances entre les puissants, ne craignant pas de solliciter ceux qui pouvaient favoriser ses vues ou servir ses intérêts, même si ce jeu fit d'elle la prisonnière de son propre mari pendant quinze années! Pourtant elle survécu à ces épreuves comme aux nombreux deuils qui meurtrirent sa propre vie. Pour tous elle fut un exemple de courage!

     

    Fut-elle heureuse en mariage? Les avis divergent, mais il semble que si elle a supporté Louis VII qui s'était auparavant destiné à la carrière cléricale, elle aima tendrement Henri II plantagenêt, au moins au début! Même si ce second mari, dont elle se sépara, la trompa sans scrupule. Pour autant la mort frappa ses deux époux successifs et nombre de ses enfants!

     

    On la disait dévoreuse d'hommes et séductrice. Ce serait une des raisons de sa répudiation, même si cela fut motivé officiellement par la consanguinité qui existait entre elle et Louis VII. Là aussi les témoignages sont légions et avec eux les médisances. A-t-elle été la maîtresse de son oncle Raymond? A -t-elle été l'amante du poète Bernard de Ventadour qui la célébra? Certes, elle avait un fief alléchant, mais surtout, elle était belle [On parle d'elle comme la « perpulchra », la femme plus belle que belle]. Avant qu'elle ne rejoigne son second époux, deux prétendants,Thibault 1°, comte de Blois et Geoffroy d'Anjou entreprirent vainement de l'enlever. Lors de la Croisade qu'elle fit avec Louis, céda-t-elle aux charmes de Saladin? Il plane autour d'elle un parfum de scandale au point que sa conduite suscita des légendes qui lui prêtent des amours incestueux, séduisant le père avant de coucher avec le fils! Elle ne laissa personne indifférents au point que la célèbre « Chanson de Roland » en garda, dit-on, la trace de ses frasques conjugales. La mythologie française, trop peu étudiée et à laquelle on préfère celle des Grecs et des Latins, se serait inspirée bien plus tard de son personnage sous le nom de Mélusine!

     

    On ne peut parler d'Aliénor sans évoquer les « cours d'amour » qu'elle tint, notamment à Poitiers dont elle fit, un temps, sa capitale. Elle y réunit autour d'elle une foule de troubadours, des poètes, des hommes d'Etat et de culture, « flamboyants » comme elle. Ses « jugements »attestent sa culture personnelle, sa clairvoyance son honnêteté intellectuelle, sans cesser d'être femme!.

     

    Elle fut cependant ce qu'on appelle aujourd'hui, « une femme de tête », soucieuse, certes, de ses intérêts et de ceux du royaume, mais assurant l'avènement et le mariage de son fils Richard Coeur de Lion. Elle fut une administratrice éclairée, unifiant en Angleterre, la monnaie, les poids et mesures, inspirant les rudiments du droit maritime, développant l'exportation des vins de Bordeaux vers l'Angleterre, fondant ou dotant, comme Mélusine, châteaux, églises et monastères, chevauchant, jusqu'à un âge avancé, dans ses domaines pour accorder aux villes notamment, des Chartes qui, en pleine époque féodale, leur permirent de se gouverner elles-mêmes.

     

    Telle fut cette femme d'exception dont la vie incroyablement longue pour l'époque et l'action infatigable, éclairèrent son temps au point qu'elle demeure encore aujourd'hui dans la mémoire collective.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2008.http://hervegautier.e-monsite.com 

  • 1939 - 1945 - Delphin DEBENEST - Un magistrat en guerre contre le nazisme. Dominique Tantin – Geste Editions.

     

    N°323– Février 2009

    1939 – 1945 - Delphin DEBENEST – Un magistrat en guerre contre le nazisme. Dominique Tantin – Geste Editions.

     

    Lorsqu'il m'arrivait d'aller « Aux Iles », cette splendide demeure qui donne sur la Sèvre et qui fut naguère la maison d'un poète, j'y entendais évoquer Ernest Perrochon par la bouche de sa fille. Elle entretenait vivant le souvenir de ce père, écrivain et Prix Goncourt 1920, qui avait, entre autre, refusé de cautionner le régime de Vichy et avait fini par succomber aux harcèlements de l'occupant.

    J'y rencontrais aussi son gendre, Delphin Debenest, qui s'occupait plus volontiers de son jardin. Il était cet homme tranquille qui ne parlait jamais de lui, souhaitait rester simple et donner l'image d'un retraité. Comme tout le monde, je savais qu'il avait été magistrat, que sa carrière, commencée à Niort comme substitut, avait été interrompue par la guerre, pour se terminer comme Président de chambre à la cour d'appel de Paris. C'était à peu près tout, et pour tous, il était un citoyen comme les autres... Il était pourtant bien plus que cela et sa frêle silhouette cachait un parcours hors du commun.

     

    Mobilisé en 1939 comme homme du rang, il tiendra un journal de cette « drôle de guerre », décrivant la débâcle de l'armée, dénonçant l'attitude désastreuse du commandement, la défection des officiers... Il y a beaucoup de lucidité dans ses propos. Après sa démobilisation, en 1941, il retrouve ses fonctions de substitut dans une France vaincue et occupée et s'engage dans la Résistance. Il sera un agent de renseignements de la résistance franco-belge, communiquant des informations d'ordre administratives aux réseaux de la Vienne et des Deux-Sèvres, profitant de ses fonctions de magistrat en place pour combattre un régime qu'il désapprouvait mais dont il était pourtant le représentant, permettant à de nombreux Français, traqués par la police française et par la Gestapo, de leur échapper, disqualifiant des délits pour permettre aux prévenus d'échapper à la justice et de fuir ... C'est qu'un dilemme important se posait à lui. Il se mettait ainsi hors la loi, lui qui était censé l'incarner, alors qu'humaniste convaincu, il était animé d'une « certaine idée des droits de l'homme » et que, chrétien fervent, il puisait dans l'Évangile les raisons de son engagement et de son action. Il sut faire un choix qui n'était pas sans grandeur, entre l'accomplissement de son travail, et donc courir le risque de se faire à lui-même des reproches, pratiquer la désobéissance civique et ainsi mettre sa vie et celle de sa famille en danger. Resté en poste, il rendit à la Résistance plus de services que s'il avait choisi la clandestinité ou le maquis. Ils furent en effet peu nombreux, les membres de la magistrature qui, à cette époque, acceptèrent cette « dissidence ».

    Arrêté en juillet 1944, il est déporté à Buchenvald puis au commando d'Holzen d'où il s'échappe, profitant de la débandade des nazis. Choisi pour faire partie de la délégation au procès de Nuremberg en qualité de procureur adjoint, il aura le privilège « d'être le juge de ses bourreaux ».

     

    Pendant toute cette période il prend des notes « au jour le jour » qui montrent le quotidien dans ce camp de concentration où tout devient banal, la faim, la souffrance, la mort! Plus tard, lors du procès, il sera plus précis dans la relation qu'il en fait, plus critique aussi au regard des arguments développés par la défense, sans cependant se départir de son humanité et soucieux de ne pas obtenir vengeance à tout prix mais qu'une justice équitable soit rendue.

     

    De retour en France, il devint un militant de la mémoire pour que tout cela ne se reproduise plus.

     

    Il s'agit d'un témoignage écrit, non destiné à la publication, uniquement appelé à garder pour lui seul, le souvenir personnel de toute cette période dont « il veut (en) conserver seul le souvenir et aussi les traces ineffaçables » et « ne pas attirer l'attention sur lui ». Le lecteur y rencontre un narrateur qui veut, dans le camp, garder sa dignité et conserver intacte sa foi en la vie et en l'espoir de rentrer chez lui. On songe bien sûr à Jorge Semprun. Il continuera, pendant toute cette période, de transcrire pour lui-même, ses impressions et ses remarques, sous forme d'un simple témoignage. En fait, c'est beaucoup plus que cela, même s'il ne se fait aucune illusion sur l'intérêt que pourront montrer ses contemporains, et encore moins de la compassion qu'ils pourront éprouver.

     

    Sur son action de Résistant, il reste discret et se qualifie lui-même de « modeste agent de renseignements d'un réseau » dont « l'action n'eut rien de spectaculaire ».

     

    Ces écrits n'ont été exhumés après sa mort survenue en 1997, que grâce à la complicité de sa famille et publiés en marge d'un travail universitaire de Dominique Tantin dans le cadre de la soutenance d'une thèse de doctorat. Ce travail reste pédagogique puisque les écrits de Delphin Debenest ont été scrupuleusement retranscrits, annotés de commentaires et enrichis de citation d'historiens. Son histoire individuelle rejoint donc l'Histoire.

     

    Pourtant, la mémoire collective n'a pas conservé le souvenir de cet « authentique résistant » qui regardait cette période de sa vie comme « malheureuse aventure » qu'il souhaitait oublier. Il avait seulement fait son devoir, c'est à dire agi conformément à sa conscience et son destin fut exceptionnel. De ce parcours, nulle trace officielle, simplement des décorations prestigieuses simplement rangées de son vivant et qui attestaient cet engagement. Il eut même la désagréable occasion de constater que sa carrière eut à pâtir de son action patriotique et que d'autres collègues, moins soucieux que lui de leur devoir et plus attentifs à leurs intérêts personnels, ont su tirer partie des événements à leur profit. C'est là un autre débat sur l'opportunisme et l'ingratitude.

     

    Il faut remercier Dominique Tantin d'avoir ainsi mis en lumière la mémoire de cet homme d'exception que sa modestie rendait plus grand encore.

     

     

     

     

     

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