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la feuille volante

Pierre Moinot

  • la Saint Jean d'été

     

    N°546 – Novembre 2011.

    La Saint-Jean d'été – Pierre Moinot – Éditions Gallimard.

     

    D'emblée, l'auteur plante le décor, celui dont sans doute chaque enfant se souvient pour lui-même, celui d'une petite école de campagne dans le Marais Poitevin où son père était instituteur, les plaisirs simples de la vie rustique, le rythme des jours que l'année égrène avec les fêtes champêtres, la classe quotidienne, les pleins et les déliés d'une écriture violette qui s'accrochent à la portée bleue de la page, le doux ronronnement des tables de multiplications, les règles compliquées de la grammaire, l'accord des participes passés que la dictée traditionnelle cachait, les problèmes d'arithmétique qui faisaient se vider les baignoires et se croiser les trains, le goûter tant attendu qui mariait les saveurs du bon pain et du chocolat, la découverte quotidienne de la nature sous la férule de son père, guide attentif et passionnant... C'est, à travers les yeux du petit Jacques, une vie de famille simple du début du siècle où le Maître d'école est aussi secrétaire de Mairie parce que c'était la tradition à la campagne, parce qu'on y restait toute sa vie jusqu'à la retraite parce que la réussite ne faisait pas obligatoirement partie du curriculum vitae...

    Dans l'esprit de l'enfant, son père sait tout et aime partager son savoir. C'est donc à lui qu'il pose toutes les questions que sa jeune curiosité lui souffle. Avec lui, il voyage dans le temps et dans l'espace, dans son village ou dans les siècles où l'histoire a laissé ici des marques. Il sait le sens de l'eau souterraine et les secrets de ce qu'on appelait de noms étranges de « Leçon de choses ». Il explore l'herbe d'aujourd'hui et les vestiges archéologiques de quelque mur, d'épaves de pierre. L'enfant va ainsi, les genoux écorchés et les mains fragiles tailladées par les jeux autant que par la découverte toute neuve du monde ou de la visite miraculeuse et éphémère d'un oiseau voyageur...

     

    Ce rythme de « lanterne magique » est avitaillé, à intervalles réguliers, par la visite d'un commerçant faisant sa tournée ou la petite roulotte d'un cirque ambulant. Avec ce père-savant, il apprend à pêcher au Marais dont il découvre les paysages et les secrets, dévore les livres, lui qui en écrira plus tard, entend de sa bouche l'histoire de ce pays où l'eau et la terre se conjuguent, ou fleurissent et s'accrochent les légendes, parce que de tout temps il a été un refuge, une terre d'accueil pour proscrits ou évadés et que le mystère s'y attache. L'esprit de liberté s'accroche à ces arpents de terre mouillée mais généreuse que jadis recouvrait la mer et que l'homme a apprivoisé ou détruit au gré de ses ambitions mais aussi l'image de la mort, le poids de l'absence qui tirent leur réalité du néant.

     

    Le Poitou est une province à laquelle l'histoire a assigné le rôle de marche. C'est un pays de l'intérieur mais aussi une région frontalière où se sont fracassé les batailles et se sont affronté les hommes... Ils ont mêlé leur sang dans la vie comme dans la mort, se sont abimés dans les dogmes comme dans les hérésies, se sont rencontrés dans des routes d'échanges commerciaux comme ils se sont perdus dans des chemins secrets... Le Marais est une contrée où le temps a un rythme différent, où l'espace ressemble à un labyrinthe de conches, baigné alternativement de brume et de lumière diaphane, un havre apaisant et vert d'été, un bruissement de feuilles, un mirage que l'automne incendie en ocre et rouille, des eaux que l'hiver transforme en miroir glacé. Les hommes qui l'habitent ressemblent aux méandres que fait la Sèvre dans le paysage. Ils ont la placide habitude des choses, la patience du pêcheur, le pas alourdi de terre, aiment le balancement lent et gracieux des troupeaux et se déplacent sur les  « chemins d'eau » au rythme des « plates » qu'on pousse à la « pigouille ». Sous la plume de Pierre Moinot, les formes et les couleurs se dessinent à l'invite des phrases si finement ciselées et pourtant si simplement écrites, les senteurs se révèlent, tout un univers animal et sauvage s'anime par la force mais aussi par la magie des mots.

    Les choses changent, c'est vrai et sans doute l'auteur déplore-t-il l'afflux de touristes dans ce Marais devenu terre de vacance et de loisirs, mais ses souvenirs restent intacts. « Mais, entourés des constructeurs de bateaux, des potiers, des dérouleurs de bois humides, les Riffault existent toujours, pesant lentement sur la pigouille pour embarquer leurs troupeaux d'un pré à l'autre, jetant leurs filets sur les mêmes prises, glissant dans les silences et dans les perfection lumineuses des mêmes matins calmes, vers les « milles jardins où l'on ne va que par bateau »

     

    On dira ce qu'on voudra, lire est un plaisir unique et quand la patiente quête est enfin récompensée par un beau texte bien écrit qui, à la fois, parle à la sensibilité et à l'oreille du quémandeur de rêves qu'est le lecteur, il s'établit un lien ténu, dans le secret des mots, entre lui et l'auteur. Dans ce court livre écrit par Moinot peu de temps avant de mourir, c'est la nostalgie qui nous saute aux yeux. Cet auteur est mort lentement, sans faire de bruit, mais peu de temps avant de fermer les yeux, à 86 ans, il avait déposé ce court manuscrit chez son éditeur, comme un discret signe d'adieu de la main à ses lecteurs pour mettre un terme à son parcours avec les hommes, avec les mots.

     

     

    Pierre Moinot (1920-2007) était académicien, Résistant puis haut-fonctionnaire, ami d'Albert Camus, romancier.

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • LA MORT EN LUI - Pierre Moinot1

     

    N°442– Août 2010

    LA MORT EN LUI – Pierre Moinot1 - Éditions Gallimard.

     

    Le récit s'ouvre sur l'évocation d'une scène de chasse aux cerfs, à l'affût, dans le froid et la nuit ou plus exactement un épisode où le chasseur qui est aussi le narrateur, Lortier, est seul dans un mirador. Tout est silence et immobilité et il fait corps avec le paysage « A cette heure où tout est possible, l'attente soulevait en moi de légers vertiges d'espoirs, mais j'étais une pierre ». Puis, il descend de sa cachette et se perd, renonce à tirer un renard et rencontre un garde qui apparemment l'attend parce qu'il a comprit qu'il s'était perdu! Cet homme qui est un solitaire parce qu'il vit dans la forêt lui parle des cerfs qui ont changé, un peu de lui qui a été victime d'un accident à l'épaule qui l'a réduit à quelqu'un qui n'est plus capable de tirer au fusil comme avant. Une sorte de courant de sympathie s'installe entre les deux hommes, mais un halo de mystère entoure le forestier. Puis survient une petite fille qu'il appelle « mademoiselle » présentée comme une « messagère » de « la grande maison » et qui est porteuse « dans un petit écrin de velours bleu » d'une unique balle, du calibre de la carabine de Lortier, « brillante et blindée d'or, comme les balles qu'on fondait autrefois pour assassiner les rois » destinée à tuer un cerf dangereux pour le voisinage. C'est donc une sorte de marché que le chasseur accepte. Il ira donc à la rencontre du cerf, le tuera mais aura le sentiment bizarre de défendre sa propre vie.

     

    Le second récit évoque l'enfance mais aussi la nuit, le froid et la traque d'une fouine et de renards qui montre que le règne animal aussi à ses règles de mort. C'est un peu comme si la troisième nouvelle oppose la vie que porte la femme enceinte à la mort que sème l'homme sans qu'il puisse s'en empêcher et dont il se satisfait. Le quatrième récit décrit un bal mondain ou plus exactement quelque chose comme une transition, une prise de conscience d'un changement dans l'ordre des choses et contre lequel on ne peut rien. Le mari, Jérôme, fait figure de témoin un peu lointain d'une scène où Laura, sa femme, joue le rôle d'un pantin qui peu à peu se désarticule dans l'indifférence des autres danseurs plus jeunes, plus amoureux et face à cela en conçoit une solitude irrémédiable.

     

    Au cours de cette série de nouvelles un peu surréalistes, une sorte de rêve éveillé, c'est le thème de la mort qui est analysé ici. Le chasseur la porte au bout de son arme pour le gibier et une seule balle suffit à la lui imposer facilement. Pour lui, une bête sans vie est une victoire. C'est aussi le thème de la fuite du temps et de ses ravages sur le corps, l'esprit, la faculté d'aimer, la perte définitive de choses qui ne reviendront plus mais qu'il est sage d'accepter comme une réalité. C'est un récit passionnant, plein de belles descriptions tissées dans une langue pure et un vocabulaire parfois technique mais à la fois précis et riche.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

    1Pierre Moinot (1920-2007) résistant, combattant, conseiller au cabinet d'André Malraux et créateur des premières maisons de la culture, Procureur Général près la Cour des Comptes. Il est l'auteur de nombreux romans couronnés par des prix prestigieux, mais œuvra aussi dans le domaine de l'audiovisuel. Il a été élu à l'Académie française en 1982 au fauteuil de René Clair.

  • COUP D'ÉTAT - Pierre Moinot

     

    N°445 - Août 2010

    COUP D'ÉTAT – Pierre Moinot - Éditions Gallimard.

     

    Nous sommes en 1851 et le Prince Président, bien qu'ayant juré de défendre la Constitution, se prépare à la déchirer et devenir Napoléon III. Ayant obtenu les pleins pouvoirs, il se met en devoir de pourchasser et d'éliminer physiquement tous ceux qui ne partagent pas ses idées et ses projets, c'est à dire les républicains.

     

    Dans un petit village du mellois, près de Niort, Paul Méhus, veuf de Laure qui éclaira sa vie, vétérinaire, proche du peuple, créateur de nombreuses sociétés d'entraide, mais aussi chef politique local apprécié et fervent républicain va devenir le gibier de cette chasse à l'homme. Des listes d'opposants sont dressées et son nom y figure. Il suffit d'ailleurs de peu de choses pour être recherché et traqué. Dans ce Bas-Poitou, nous sommes en pays protestant, rude et austère, encore tout meurtri par les dragonnades, un siècle et demi plus tôt. On ne s'endort jamais ici sans avoir dit ses prières et surtout on ne transige ni sur les idées ni sur l'honneur!

     

    Naturellement, devant cet assassinat de la liberté, partout en France et dans la capitale, des hommes vont lutter pour le triomphe de la démocratie. Méhus songe à un soulèvement à Niort, mais le coup semble perdu d'avance. Comme toujours en pareil cas des traitres se révèlent mais aussi des amitiés, des fraternités se créent, nourries par le même idéal. Méhus, trahis et blessé devra fuir la plaine du mellois et trouvera refuge dans le Marais. Même s'il est catholique, c'est un refuge sûr pour ceux qui fuient quelque chose ou quelqu'un. De tout temps, dans ce pays où la terre et l'eau s'entremêlent, on parle peu et on n'aime guère les gendarmes et l'autorité. Il y sera en sécurité et trouvera, sous les traits de Madeleine, à la fois une infirmière attentive et les prémices d'un amour naissant qui lui rappela Laure et s'harmonisera avec le paysage ambiant, lui procurant une sorte de paix intérieure. Rêve et action se conjuguent dans ce roman inspiré par la phrase de Baudelaire citée en exergue.

     

    Cet ouvrage tranche un peu sur les habituels thèmes traités par Pierre Moinot mais j'ai retrouvé avec bonheur son style extraordinairement pur et poétique, plein de descriptions et d'évocations de cette terre qu'il aimait tant et qu'il a si bien su faire vivre pour son lecteur. Ce récit est plein d'images apaisantes comme le sont celles qu'on rencontre dans ce qu'on nomme maintenant « La Venise Verte » : « Il tourna dans un chemin d'eau plus étroit bordé de vergnes qu'ils appelaient une conche, puis dans une autre et du coup Méhus sentit qu'entrait en lui un grand silence peuplé de petits bruits lointains et du doux glissement de l'eau sous lui, la lumière mouillée de l'hiver, une paix d'un autre monde. Au passage des bas-fonds, Riffaut changeait sa pelle pour une longue perche ferrée qu'il appelait la pigouille et qui, lorsqu'il pesait sur elle de tout son poids faisait relever le nez du bateau. »

     

    Ce fut, comme à chaque fois, un bon moment de lecture.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MATIN VIENT ET AUSSI LA NUIT – Pierre Moinot

     

    N°443– Août 2010



    LE MATIN VIENT ET AUSSI LA NUIT – Pierre Minot - Éditions Gallimard.

     

     

    Qu'annonce le titre de ce roman qui s'inspire d'un verset biblique? Qu'y a t-il de commun entre ces personnages si différents les uns des autres? Maria la vieille servante qui pour la première fois accepte de parler de sa vie et de son unique et merveilleux amour qui l'a illuminée, Adrien, enfant de l'Assistance Publique qui s'enthousiasme pour la lecture, s'émerveille de la vie qui l'entoure mais fait une étrange découverte qui bouleverse son quotidien, Fernand et Clémence, un couple de paysans qui l'ont recueilli mais pour qui la vie commune n'est devenue supportable qu'en silence, Zacharie, le menuisier qui va devoir fabriquer deux cercueils parce que, dans la campagne, on vient de découvrir deux cadavres et qu'il s'agit de deux assassinats..., Malvina et Émile, ce couple aux semelles de vent qui gardera secret ce qu'ils ont vu, le confiant seulement et à demi-mots à Lortier qui va mener une enquête discrète et brouiller un peu les pistes sur ces deux meurtres parce qu'il ne conçoit pas que son pays puisse donner asile à un meurtrier mais ne veut pas non plus qu'un enfant paie pour ses peurs... Lui-même qui, tout au long de sa vie a couru et déchiffré le monde comme archéologue a fini par admettre que ce qu'il a toujours cherché se trouvait là, dans le simple village poitevin comme dans l'amour qu'il porte à sa femme...

    L'auteur nous offre donc un texte avec, comme en contre-point, une énigme policière qui prend corps à la fin avec un suspense savamment distillé, mais surtout qui est écrit comme un véritable roman!

     

    Les hommes et les femmes, quelle que soit leur place dans la société, se côtoient dans ce village poitevin du milieu du siècle dernier, y mènent une vie simple, sans artifice. Ils appartiennent tous à la condition humaine et sont donc tous assujettis à la fuite du temps qui vous pousse vers la mort ou vous sort de l'enfance, au vieillissement et vers cette fin tant redoutée dont on ne parle pas mais qu'il faut quand même accepter. Il évoque aussi l'enfance, la solitude et le secret, la crainte de la faute et la peur du monde des adultes, le poids de la culpabilité que la jeunesse amplifie. Ce sont tous des humains et, à ce titre, incarnent eux aussi, de génération en génération, et dans ce même décor familier, la cohabitation du bien et du mal.

     

    La lecture de ce roman a révélé un écrivain qui manie avec bonheur notre belle langue française, la fait chanter avec justesse et simplicité, n'oublie rien des gestes ancestraux, des superstitions, des rites et des coutumes parfois incantatoires de ces paysans ni des légendes que ce Poitou a su faire naître ou accueillir. Les histoires qu'il conte non seulement s'inscrivent dans le terroir d'une enfance paysanne qu'il ne renie pas mais la nature qui l'inspire et qu'il sait si bien décrire baigne cette écriture d'une clarté apaisante, la peuple d'images à la fois évocatrices et poétiques. Ses mots tressent un univers qui ne peut laisser indifférent un lecteur attentif peu à peu gagné par la beauté des paysages suggérés et sa phrase est superbe...

     

    Je dois bien avouer qu'avant que le hasard ne m'invite à croiser les ouvrages de Pierre Moinot, cet auteur n'était pour moi qu'un nom, celui d'un écrivain peut-être injustement méconnu!

     

    Cela a été un moment exceptionnel de lecture que je n'ai pas regretté!

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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