la feuille volante

Simoneta GREGGIO.

  • Elsa mon amour

     

    La Feuille Volante n° 1290

    Elsa mon amourSimonetta Greggio – Flammarion.

     

    Elsa Morante (1912-1985), écrivain (et non pas écrivaine) de grand talent, de nos jours injustement oubliée, a été l'épouse, à partir de 1941 et durant toute sa vie d'Alberto Moravia (1907-1990) également écrivain et ce malgré leur séparation et ses nombreuses maîtresses. Elle l'a suivi dans son exil provoqué en 1943 et 1944 par le fascisme. Ce roman est l'histoire de la vie d'Elsa, mais pas vraiment une biographie au sens habituel malgré les nombreux biographèmes égrenés dans ce livre, mais plutôt un récit où le rêve, l'illusion prennent un peu, l'espace d'un instant, la place du réel, en modifie les apparences. Cela donne un récit acerbe et un peu désabusé et Simonetta Greggio précise elle-même qu'il s'agit d'une fiction où elle se glisse dans la peau d'une Elsa qui prend la parole en refaisant le chemin à l'envers. Elle n'échappe pas à la règle commune à chacun d'entre nous qui, parce que notre vie ne ressemble pas à ce dont nous avions rêvé, à ce que nous avons cru qu'elle nous réservait au point de l'ériger en promesses, se laisse aller à son désarroi et la repeint en couleurs vives, mais ce badigeon s'écaille au fils du temps. Nous avons beau rejouer cette comédie en faisant semblant d'y croire, de nous réfugier dans la beauté, la perfection ou l'imaginaire, nous dire que tout peut arriver, au bout du compte il nous reste les regrets, les remords, la culpabilité peut-être de n'avoir pas fait ce qu'il fallait ou nous incriminons la malchance... Ainsi, sous la plume de l'auteure de « La douceur des hommes », Elsa Morante fait, dans un texte rédigé à la première personne, directement au lecteur la confidence de sa vie, de son parcours, jusqu'aux détails les plus intimes. Avant de rencontrer Moravia, elle avait connu des ruptures avec sa famille, des années de galère financière, n'était qu'un écrivain en devenir, avec pour soutien des amours de passage et surtout cette envie d'écrire qui sera sa passion toute sa vie, qui sera sans doute comme un exorcisme à ses illusions, à ses peines, à son absence de bonheur et d'amour. Quand elle croise Moravia, ils sont à peu près du même âge et lui est déjà couronné par la succès de ses romans. En outre ce qui les rapproche est sans doute leur demi-judéité commune et sûrement aussi le désir (« Nous avons cela en commun, Moravia et moi. Nous ne lambinons pas avec le désir ». Ce fut peut-être de sa part à elle, un amour sincère mais elle nos confie qu'Alberto était à la fois « passionnel et infidèle, indéchiffrable » à la fois amoureux fou de ses conquêtes de passage et homosexuel non assumé. Elle qui n'avait pas connu le bonheur avec ses parents n'aura pas non plus un mariage heureux mais, malgré leur séparation, refusera le divorce, par principe (elle était l'épouse d'Alberto Moravia et le restera) ou pour des raisons religieuses. Ainsi l'histoire de cette longue liaison (49 ans), consacrée par le mariage ne fut pas un long chemin tranquille avec au début la fuite à cause des rafles de juifs, la peur d'être dénoncé et d'être déporté et plus tard, la paix revenue, un quotidien houleux où elle a été malheureuse de trop vouloir être aimée et d'avoir gauchement tout fait pour être détestée. La symbolique de la pluie, l'univers énigmatique des chats accompagnent cette ambiance un peu délétère tissée par l'indifférence de son mari devenu aussi un rival, l'abandon, la fuite ou la mort de ses amants successifs.

    Nous ne sommes qu’usufruitiers de cette vie qui nous est confiée avec la mission non écrite et quelque peu hasardeuse d'en faire quelque chose. La sienne Elsa l'a dédiée à l'écriture, à l'amour par passion, à la patience, à la souffrance aussi, sans pour autant l'avoir voulue,mais qui est, elle aussi, un élan vers les mots. C'est avec ces mêmes mots qu'elle parle des maîtresses de son mari, de son inconstance mais aussi de la période noire de Mussolini qui endeuilla l'Italie. Elle ne résiste pas non plus à nous confier des anecdotes sur ses contemporains plus ou moins liés au fascisme, à la mafia, à la culture, peut-être pour tromper son ennui et surtout sa solitude. Elle les meublera en tombant à son tour amoureuse d'autres hommes, parfois des homosexuels mais reviendra toujours vers Moravia et surtout vers l'écriture. Elle devint un écrivain majeur de la littérature italienne..

    Il y a des détails biographiques très précis, des citations qui témoignent d'un travail de documentation très poussé, des envolées poétiques émouvantes et même envoûtantes, le tout ressemblant à un tableau composé par petites touches d'où la personnalité et la sensibilité de Simonetta Greggio ne sont sans doute pas absentes. Parfois j'ai même eu l'impression que, derrière Elsa qui est censée s'exprimer à la première personne, c'est carrément elle qui parle au cours de ce bel hommage.

     

    J'apprécie depuis longtemps l'écriture de Simonetta Greggio, sa sensibilité littéraire, ses choix et la qualité de ses romans, mais aussi sans doute parce que elle, Italienne, choisit d'écrire directement en français, ce que je prends comme un hommage à notre si belle langue.

    © Hervé GautierNovembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • la douceur des hommes

    La Feuille Volante n° 1262

    La douceur des hommes – Simonetta Greggio – Stock.

     

    Constance, jeune femme trentenaire narre l'enterrement de Fosca, une vielle dame de 87 ans rencontrée par hasard à Venise. Par un effet d'analepse Constance se souvient de cette rencontre et d'un voyage en Italie qui a suivi où Fosca, une épicurienne devenue un peu sa grand-mère de substitution a abondamment parlé d'elle, de sa vie, de ses amants...Elle a péroré sur l'amour, sur le mariage qui ne tient pas ses promesses et enfante souvent du malheur contrairement aux apparences ou précipite dans les amours de contrebande, sur la souffrance qui n'est pas rédemptrice contrairement à ce qu'on nous a affirmé avec force dans les confessionnaux, sur le désir… Constance prend parfois le relais et parle de ses pérégrinations souvent solitaires autour du monde, se pose des questions sur elle-même, sur son parcours, ses aventures amoureuses, face à cette vieille femme qui semble plus jeune qu'elle mais qui veut lui communiquer son message comme elle le ferait à une parente, à un amie chère, avant de mourir. Elle lui parle avec tendresse des hommes qu'elle a aimés mais cette plongée dans le passé a pour Fosca des accents de testament, ce voyage en Italie, des relents de dernière séance et pour le lecteur, cette profusion de mots transalpins et chantants est une invitation au voyage, au dépaysement. Cette immersion intemporelle s'accompagne de photos en noir et blancs, aux bords dentelés, avec des annotations au dos, une date, un nom, un lieu pour réveiller la mémoire et derrière les sourires, une histoire, des lettres reçues, témoins de passions, d'amertumes ou de regrets, un journal intime aux pages jaunies qui gardent la trace secrète des émotions et des remords…

     

    J'ai lu ce roman avec curiosité et attention, Le titre était engageant, je n'ai pas souvent entendu des auteures parler ainsi de la douceur des hommes, mais, le livre refermé je ne l'ai pas vraiment ressentie tout au long de cette lecture. Fosca a peut-être tendrement aimé ces hommes mais ceux qui sont passés dans sa vie semblent l'avoir fait rapidement, en y laissant seulement une trace comme l'empreinte d'un pied dans le sable, vite effacée par la vague et sa mémoire en a conservé un souvenir à la fois fort et fragile. Quant à ceux que Constance évoque, c'est la même chose, la même marque furtive, vite envolée ! Il faut dire que le sujet s'y prête, les relations entre les hommes et les femmes, leurs liaisons amoureuses sont des sujets récurrents et largement traditionnels dans les romans. Le mariage , tenté deux fois par Fosca, qu'on nous présente comme un point de passage obligé dans la vie de chacun d'entre nous, au nom de la perpétuation de la race et de l'enrichissement du pays, en nous faisans croire que le bonheur passe par lui, est un leurre. Cette certitude initiale, si souvent répétée au point qu'elle est ancrée en nous, a pourtant des accents d'hypocrisie et d'échec, même si nous trouvons toujours de petits arrangement pour la faire perdurer. Quant à l'amour qui en principe préside à tout cela, il n'est lui aussi qu'une illusion fugace, qu'une image virtuelle dont les traits se dissipent rapidement sous les coups de la réalité. Il ne se conjugue pas avec « toujours », même si on le voudrait bien et souvent c'est la solitude qui prévaut parce qu'avant, ou à la place, il y a eu des attentes, des atermoiements, des faux-pas, des renoncements des trahisons et bien sûr des larmes . Elle est l'antichambre de cette mort qui nous attend tous parce que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie, même si nous voulons toute notre vie l'oublier.

     

    Simonetta Greggio n'est pas une inconnue pour cette chronique où son talent d'écrivain a déjà été apprécié. J'ai retrouvé, dans ce qui est son premier roman (paru en 2005), avec plaisir son style fluide et agréable à lire, avec des accents poétiques émouvants et une somme d'aphorismes bien sentis et pertinents.

    © Hervé GautierJuillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Col de l'ange

    La Feuille Volante n° 1273

    Col de l'ange – Simonetta Greggio - Stock,

     

    D'emblée l'auteure nous rappelle une évidence. Nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie et celle-ci peut nous être enlevée dans préavis, La mort fait partie de la vie et elle interviendra de toute manière même si nous faisons semblant , au cours de notre passage sur terre, d'oublier cette vérité.

     

    Que me reste-t-il de ce roman lu sans désemparer tant il est poétique et émouvant ? Le narrateur, Nunzio, architecte parisien célèbre, homosexuel de 46 ans, est mort assassiné par l'intolérance et la haine de la différence. Il est absent depuis 17 jours, abandonnant derrière lui chantiers, projets et plans inachevés, laissant Ami, son amant et Blue, une cover-girl, son amie d'enfance, sa presque sœur jumelle, sans lui. Ce texte, c'est comme une sorte de message qu'il adresse à cette amie depuis un au-delà hypothétique où il flotterait comme un ange et qui verrait tout ce qui se passe dans notre pauvre monde. Il l'accompagne dans ses démarches de recherches, ses vains espoirs sans pouvoir rien faire pour l'aider. Blue, qu'enfant on appelait Nine, revient, bouleversée sur les traces de cette enfance enfuie peut-être pour retrouver Nunzio, peut-être pour exorciser cette période de la vie qui est unique et qu'on n'oublie jamais, dans leur village natal au Col de L'ange. Elle y vient avec cet espoir fou qu'il sera à ce rendez-vous parce que c'est ici et nulle part ailleurs qu'elle le retrouvera ; C'est Nunzio qui, par un artifice qui n'existe dans dans les romans et peut-être dans l'imagination intime, la guide dans l'exploration de ce passé encore chaud avec ses bons et ses mauvais moments. On y refait à l'envers un chemin qui parfois nous donne des frissons et souvent aussi le vertige, tant on peut regretter d'avoir fait quelque chose qu'on n'aurait pas dû faire et qui a décidé de notre avenir, entre liberté individuelle et destin implacable. C'est cette période un peu surréaliste où l'on croit aux fées et aux lutins et où on fait sur l'avenir des plans qui ne se réaliseront jamais. C'est l'enfance qui lui revient en pleine figure avec son insouciance mais aussi les émois de l'adolescence, les vacances d'été et les senteurs de l'automne… une amitié complice qui se jouait des différences sociales, une période de la vie qui se termine et une autre qui commence avec ses espoirs et ses doutes, un départ inévitable vers un ailleurs mystérieux, une carrière brillante pour Nunzio, la beauté de Nine qui enflammait déjà les adolescent du village et qui, devenue Blue, suscita, sur papier glacé, les fantasmes de tant d'hommes… Ce qu'elle retrouvera sur ces terres d'enfance est à la fois inattendu, lié à la mort qui a pointé le bout de son nez mais s'est éloignée pour cette fois, scellé à la vie qui continue son cours inexorable avec ses projets et ses certitudes, mais aussi peut-être guidé par la main de Nunzio venue d'outre-tombe. Pour ça il suffit d'y croire, de s'approprier cette chance qui est parfois si parcimonieuse qu'on hésite à la saisir. Mais il reste vrai qu'on va toujours rechercher ailleurs ce qu'on a chez soi en perdant un temps précieux, en brassant inutilement de l'air et en tirant d'improbables plans sur la comète.

     

    Il y a aussi cette vérité, quand quelqu'un meurt, ceux qui l'aimaient restent avec lui par la pensée. C'est, pour les vivants, l’ultime manière de les faire revivre, de faire semblant qu'ils ne sont pas morts, c'est cette certitude de les voir partout, dans les animaux qu'ils ont chéris, dans les objets qu'ils ont touchés, dans les lieux qu'ils ont habités au point que cela se transforment en hallucinations, l'impression qu'ils nous guident et nous inspirent, qu'ils sont devenus encore plus une part de nous-mêmes, une présence malgré l'absence, qu'ils se sont transformés en une sorte de médiateurs  entre le monde des vivants et celui des morts;

     

    Je l'ai déjà dit dans cette chronique, j'aime beaucoup le style de Simonetta Greggio, cette Italienne qui écrit si bien en français. J'ai goûté ces portraits dessinés par petits touches à la fois précises et subtiles, pleins de détails, baignés et parfois abîmés par temps qui s'écoule aussi inexorablement que le sable qui s'échappe d'un poing fermé. J'ai apprécié également, dans un autre contexte son implication dans son difficile travail de romancière-documentaliste (« Les nouveaux monstres » - La Feuille Volante N°999), explorant les méandres du pouvoir politique italien et sa collusion avec la Mafia.

     

     

    © Hervé GautierAoût 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • LES NOUVEAUX MONSTRES (1978- 2014)

     

    N°999– Décembre 2015

     

    LES NOUVEAUX MONSTRES (1978- 2014) Simonetta Greggio - Stock.

     

    Après « La Dolce-Vita » [La Feuille Volante n° 565], Simonetta Greggio reprend le portrait de l'Italie, qu'elle avait laissé après l'assassinat d'Aldo Moro en 1978. On s'en serait un peu douté, le personnage central de ce roman, c'est la Mafia, cette pieuvre qui gangrène tout ce qu'elle touche et notamment la politique et ses cohortes de parasites véreux qui, à tous les niveaux du pouvoir, profitent d'un système juteux. La presse et même le Vatican qu'on attendrait pas forcément ici, font pression sur une population qui, même si elle n'est pas dupe, adule ses dirigeants. En 1993, au plus fort de l'été, Berlusconi était au plus haut dans les sondages, ce qui fait dire à l'auteure, certes sur le ton de l'humour, que dans ce pays « la ligne la plus droite est l'arabesque ». Celui que l'Europe entière s'accorde à regarder comme un triste pantin, inéligible actuellement, refait surface et menace la démocratie. Ici comme ailleurs, tant que les politicards ne sont pas six pieds sous terre, ils chercheront toujours à revenir sur le devant de la scène.

     

    Simonetta Greggio reprend les personnages de son précédent roman, le jésuite Don Saverio, sans doute judicieusement choisi pour les révélations qu'il fait à la journaliste d'investigation, Aria Valfonda qui est aussi sa nièce et qui a peut-être quelques ressemblances avec l'auteure. Il y a entre eux une complicité qui ira s'affirmant dans leur correspondance et leurs rencontres tout au long de ce roman. L'auteure en profite pour évoquer la mort du « Prince Malo », le demi-frère de Saverio pour mettre ce dernier face à ses états d'âme, ses doutes face aux dogmes religieux et aux règles qu'il a embrassés en prononçant ses vœux. Ce roman mêle des secrets de famille avec leur inévitable lot de révélations, non-dits, passions, violences, trahisons, jeunesse et beauté des corps mais aussi les soubresauts meurtriers de l'histoire de la classe politique de cette Italie à la botte de Cosa Nostra, la collusion entre le pouvoir et l'argent, le risque du parti communiste, la loge P2, la naissance de « Forza Italia » en 1994 à la suite de la faillite de la Démocratie Chrétienne, l'ombre inquiétante des Brigades rouges, l'attentat de la gare de Bologne et autres massacres, des mystère et des silences du Vatican dans le blanchiment d'argent omniprésent et omnipotent de la Mafia, et du rôle des papes successifs dans le grand ménage qu'il convenait de faire dans cette institution à la fois rétrograde et conservatrice... Elle met à nu les plaies de ce pays qu'on associe volontiers à la culture, à la beauté des paysages, au farniente ; on aime le peuple italien pour sa langue et son côté baroque mais les tares qu'elle dénonce entachent durablement la démocratie. Un beau gâchis ! On sent, dans les termes qu'elle emploie, et ce malgré la poésie qu'elle met dans ses descriptions, une grande indignation face à la situation de ce pays gangrené par le détournement de l'argent et des marchés publics, les malversations, les carences et la corruption au plus haut sommet de l’État... Elle l'aime passionnément comme sa patrie mais l'a pourtant quitté depuis trente ans.

     

    Il n'y a pas seulement des interrogations sur l’Église à travers ce père jésuite énigmatique et sur les agissements du Vatican, mais son questionnement s'étend aussi à Dieu, sur son silence, son indifférence face à l'injustice et aux crimes qui sont quotidiens, au culte aussi qui lui est rendu dans ce pays très catholique où les assassins pratiquent la peine de mort alors qu'elle est proscrite par les commandements et vont même jusqu'à prier pour l'âme de ceux qu'ils ont fait assassiner.

     

    Ce n'est quand même pas un roman comme les autres puisque, à la place de la traditionnelle et souvent hypocrite formule sacramentelle qui rappelle au lecteur que toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence, elle enfonce le clou et indique au contraire que cette chronique italienne colle au plus près de la réalité, donnant des noms, des dates, révélant des curriculum vitae éloquents, se livrant certes à des interprétations personnelles mais qui ont le mérite d'être pertinentes.

     

    Le style est simple, efficace, souvent poétique et agréable à lire, servant un texte toujours fort bien documenté et précis dans ses révélations et écrit directement en français. Il a constitué pour moi, comme la première fois, un bon moment de lecture.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DOLCE VITA 1959-1979

    N°565 Avril 2012

    DOLCE VITA 1959-1979 Simonetta GREGGIO. Stock

    Le titre d'abord qui évoque un film mythique de Frederico Fellini sorti en 1960 dont on ne retient que le bain nocturne de Marcello Mastroianni et d'Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi à Rome. Ce film qui rompt avec la tristesse et la pauvreté cinématographiques des années d'après-guerre, fit scandale dans cette Italie puritaine et l'Osservatore Romano menaça d'excommunication tous les spectateurs mais il obtint cependant la palme d'or à Cannes en 1960. Il parle de ce pays dans les années 50 et inaugure une écriture cinématographique   « fellinienne », faite de sketchs très en vogue à l’époque. Le synopsis est en effet composé d’épisodes, en apparence décousus, que sa longueur (2H46), le nombre des thèmes abordés et l'ambiance qu'il distille contribuent, à tort, à donner cette impression.

    Ce roman fait non seulement beaucoup d'allusions au film mais lui emprunte aussi son montage puisqu'il se donne à voir, un peu comme une sorte de documentaire, racontant vingt ans de l'histoire de l'Italie. Cela commence par la sortie du film de Fellini et se termine par l'assassinat d'Aldo Moro, président de la   Démocratie Chrétienne, en mai 1978 même si on déborde un peu sur cette période). Entre ces deux dates, l'auteur mêle fiction et réalité à travers le personnage flamboyant mais un peu décati du prince Emanuele Falfonda dit   Malo  , vieux et jouisseur octogénaire au pas de la mort et de celui, un peu plus en retrait du prêtre Saverio, un jésuite à la jeunesse mouvementée qui conte, des années plus tard, son histoire un peu comme une confession. Pourtant,   Malo, qui a a participé au film de Fellini (mais juste un petit rôle, presque de la figuration),  ne cherche pas l'absolution, peut-être veut-il seulement la libération que lui procure la parole puisqu'il ne connaît pas le remords et exècre le repentir ? Cela peut passer pour un sourd combat du vice contre la vertu mais ce que veut Malo c'est surtout raconter sa vie dissolue, ses frasques, autant que révéler des secrets politiques dont il a été le témoin. La mort sera pour lui une délivrance mais il souhaite ardemment la compagnie de l’ecclésiastique pour ses derniers instants...

    Pourtant, c'est moins son parcours personnel qui est ici évoqué que l'histoire de l'Italie, à la fois insouciante et ravagée par la violence. Tout y passe, les fascistes de Mussolini et les no-fascistes, les affaires de mœurs, les agressions et les attentats, les scandales financiers, les luttes à mort pour le pouvoir, les Brigades rouges, le meurtre d'Aldo Moro, le monde politique, la mort mystérieuse du réalisateur Pier Paolo Pasolini, les assassinats violents et suspects où chacun peut voir l'empreinte de la Mafia, invisible, mystérieuse et toujours meurtrière, la loge P 2, la CIA, les services secrets, mais aussi les intrigues sulfureuses immorales et hypocrites du Vatican, l'ombre inquiétante du cardinal Marchinkus, les blanchiments d'argent, la mort toujours controverse de Jean Paul 1° ... sans oublier le sacro-saint secret de la confession !

    Cette histoire n'est pas exactement comme le titre le donne penser, une vie douce, à laquelle on associe volontiers ce pays qu'on voudrait romanesque. Au contraire, c'est la fois un récit plein de dépravations et de cynisme quand il s'agit de la vie de Malo et une chronique sombre où les luttes d'influence, qui bien souvent se terminent dans le sang, le disputent aux enquêtes bâclées, aux destructions de preuves par les pouvoirs publics eux-mêmes, aux coups dtat avortés, aux procès truqués, une classe politique manipulée, véreuse, minée par la corruption, aux prévarications de tous ordres ... Tout cela donne, et sans doute explique, le personnage grand-guignolesque de Silvio Berlusconi, autant que le naufrage économique que connaît actuellement ce pays-frère qui ne peut nous laisser indifférents.

    L'auteur qui écrit directement en français, se livre ici à un remarquable travail documentaire autant qu' l’écriture d'une fiction dont la poésie n'est pas absente. Elle procède par petites touches pour tisser peu à peu ce roman bien écrit, qui se lit facilement, et, avec ses relents de scandale, passionnant du début à la fin. Elle présente son travail de dépouillement d'archives et de créateur de fiction en courts chapitres qui ne sont pas le résultat d'une enquête policière, même si on peut parfois regretter que certains d'entre eux aient la froideur d'une chronique judiciaire. Elle se rapproprie ce pays qui est aussi le sien, y jette un regard plein de tristesse et de nostalgie comme on évoque un âge d'or culturel disparu, fait notamment de grands noms du cinéma et de la la littérature mais aussi en déplore la déliquescence, un véritable gâchis où on a sciemment sacrifié l'espoir légitime dans un monde meilleur et confisqué la démocratie au profit de quelques-uns qui ne seront jamais inquiétés. L'auteur fait dire un de ses personnages cette phrases laconique qui résume bien tout cela   « Nous avons cru que nous allions changer le monde , et c'est le monde qui nous a changés. »

    Ce fut un bon moment de lecture avec un plaisir particulier et tout personnel de l'insertion dans les phrases et les paragraphes d'expressions et de mots italiens.

    Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • LES MAINS NUES - Simoneta GREGGIO.

     

    N°356– Aout 2009

    LES MAINS NUES – Simoneta GREGGIO– Stock.

     

     

    J'aime bien les artistes italiens, les différents articles de cette revue en attestent. J'ai donc lu ce roman, dont je ne connais pas l'auteure et dont j'apprends qu'il est écrit directement en français, avec une curiosité favorable, d'autant que le style narratif se teinte parfois d'une agréable poésie.

     

    L'histoire, puisqu'il faut bien commencer ainsi, est celle d'un retour brutal d'un passé qu'Emma aurait sans doute souhaité révolu « Je me vois à travers les années, une série de poupées russes, la plus petite, toute neuve, loin dans le temps, la dernière encore debout dans son vernis écaillé ». Emma, donc, 43 ans, célibataire, vétérinaire de campagne, à la vie rude, solitaire mais sexuellement libérée et ne vivant que pour son travail, reçoit un soir la visite de Giovanni, bientôt 15 ans, en rupture avec sa famille et dont elle a jadis connu les parents, Raphaël et Micol, partageant avec eux quelques années d'une jeunesse qu'elle aimerait mieux oublier.

     

    Avec cet adolescent, c'est donc son passé qui lui revient en pleine figure et, calée dans son quotidien solitaire et laborieux, Emma souhaiterait que Giovanni parte au plus vite, mais il n'en fait rien et s'installe entre eux une relation ambiguë qui se transforme rapidement en liaison amoureuse. A cause de l'âge des deux amants, cela devient tabou, Giovanni n'est plus un enfant mais pas encore adulte, il y a donc détournement de mineur et la chose, bien sûr se termine devant les tribunaux. Le juge cherchera à comprendre et pour cela fouillera dans le fameux passé qu'on aurait souhaité définitivement enfoui.

     

    C'est que, avant le mariage de Raphaël, Emma et lui ont été amants, qu'il avait voulu renouer leurs relations intimes longtemps après son mariage mais qu'elle avait refusé puis sans doute accepté et cette visite de Gioavanni c'est un peu, sans qu'il le sache, comme souffler sur de vieilles braises mal éteintes, raviver des souvenirs qu'on voudrait à jamais effacés.

     

    Et puis, la liaison révélée, il y a ce déferlement médiatique, les journalistes charognards qui se croient tout permis au nom de l'information mais qui sont surtout avides de scoop et pour cela n'hésitent pas à dire et à écrire n'importe quoi, à bousculer quiconque pourra s'opposer à ce qu'ils fassent « leur métier ». D'autant qu'à la campagne, une femme vivant seule, sans enfant et sans homme à ses côtés, cela inquiète[« Non, les braves gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » chante Brassens] ! Il a y aussi cette vindicte populaire allumée par la presse pour faire vendre du papier, et qui se croit obligée de se nourrir du scandale et de recouvrir d'opprobre au nom d'une morale désuète ce qui n'est après tout qu'une aventure amoureuse dont ceux qui la dénoncent rêveraient peut-être pour eux-mêmes sans oser se l'avouer. C'est ici un tabou qui a été bousculé, une vengeance ainsi vidée qu'Emma assume, un témoignage émouvant sur la solitude et sur la déconvenue amoureuse d'une jeune femme qui voit son amour de jeunesse lui échapper. Raphaël ne s'est-il pas vu forcer la main par la fausse promesse de Micol d'un enfant à naître, ce Giovanni justement qui, après toutes ces années revient auprès d'Emma, comme pour lui donner enfin l'amour qu'elle n'avait pas eu avec Raphaël? C'est l'expression d'une vengeance entre deux femmes amoureuses du même homme, comme si une justice immanente existait, différente bien sûr de la justice des hommes qui passe et peut-être apaise?

     

    Mais, heureusement, à la fin, les choses reprennent leur vraie place, l'espace s'emplit de gestes quotidiens à l'image de cette nature si joliment évoquée.

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.