la feuille volante

Andrea Camilleri

  • Un filet de fumée

    N°1571 - Août 2021

     

    Un filet de fumée– Andrea Camilleri – Fayard.

    Traduit de l’italien par Dominique Vittoz.

     

    Il y a une certaine effervescence sur le port de Vigàta puisque qu’on attend impatiemment le « Ivan Tomorov », navire parti d’Odessa pour prendre sa cargaison de soufre chez Toto Barbabianca, le plus riche mais surtout le plus crapuleux des négociants de cette ville. Cet homme est une véritable anguille, capable de s’adapter à tous les régimes politiques pourvu que cela lui rapporte de l’argent. Ainsi tous les habitants de Vigàta étaient-ils nombreux à attendre patiemment l’heure où ils pourraient lui faire payer toutes ses avanies. Et elle était justement venue ce jour où ce bateau était annoncé. L’ennui c’était que les entrepôts de Barbabianca qui auraient dû contenir ce soufre...étaient vides puisqu’il en avait vendu la marchandise. Bien entendu aucun négociant de Vigàta ne voulu le tirer de ce mauvais pas et tous étaient donc suspendus à la fumée annonciatrice du bateau.

    Pendant toute cette attente, c’est l’occasion d’évoquer la richesse de cette ville faite de la pêche, de mines de sel et de souffre dévolues, travail dangereux et mal payé dévolu à un petit peuple laborieux et quasi esclave qui s’oppose à une population aristocrate, bourgeoise et intellectuelle qui ignore l’autre. On rappelle les influences qui s’y exercent, la place de ceux qui commandent et de ceux qui obéissent, on rumine les vielles querelles et les oppositions définitives, les discussions oiseuses et les condamnations sans appel où chacun s’invective revendiquant sa présence ou son tôle, ses alliances traditionnelles et ses dettes familiales. On alterne les méchancetés rassies et les gestes flagorneurs entre hypocrisies et volonté de délation pour détruire l’autre, lâcheté et complicité.

    L’apparition puis la disparition de cette île volcanique au large de Vigàta annihile cette attente du navire russe et apparaître un émoi général dans la ville, un soulagement pour certains, une déconvenue pour d’autres.

     

    Camilleri reste fidèle à sa ville imaginaire mais change d’époque (nous sommes au XIX° siècle), de thème et de personnage, abandonnant pour un temps son commissaire préféré. Il nous offre un beau panel de l’espèce humaine dans tout ce qu’elle a de plus détestable.

     

    J’avoue que j’ai été un peu déconcerté par la multiplicité des personnages, par la longueur des phrases qui ne facilite guère la lecture autant que par le choix des mots empruntés au dialecte quoique le sens en soit révélé par un glossaire annexé. J’ai été partagé entre le plaisir de lire et découvrir des mots anciens au sens délicieusement inconnu mais compréhensible et un certain agacement à devoir se référer à ce lexique.

     

     

  • La chasse au trésor

    N°1570 - Août 2021

     

    La chasse au trésor– Andrea Camilleri – Le fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Gregorio Plamisano, 70 ans et sa sœur Caterina, 68 ans vivent ensemble dans un appartement plein de bondieuseries et leur vie est entièrement consacrée à la religion catholique et à ses obsessions culpabilisantes. Jusque là rien d’extraordinaire, jusqu’au moment où ils deviennent menaçants et tirent sur tout ce qui bouge. Montalbano intervient et la perquisition révèle l’existence d’une poupée gonflable, ce qui fait les délices de la presse locale. Un appel téléphonique à propos d’un corps trouvé dans un conteneur révèle ce même type de poupée alors qu’un curieux correspondant invite Montalbano à une mystérieuse chasse au trésor en forme de devinettes épistolaires et ...en vers ! Même si les règles de la prosodie sont quelques peu oubliées et l’aspect émotionnel totalement occulté, cela sonne comme un défi pour notre commissaire qui entend bien se plier à ce jeu.

    Il sait d’expérience qu’il faut se méfier des évidences qui peuvent vicier le jugement et conduire un innocent devant un tribunal (« La forme de l’eau » du même auteur), mais il sait aussi que cette énigme qui lui est proposée est pour lui une occasion unique de se remettre en question et de se prouver que le vieillissement ne viendra pas polluer les quelques années qui lui restent à accomplir avant de prendre sa retraite. Il sent en effet de plus en plus le poids du temps sur ses épaules, impression qui est corroborée par une récente prise de poids et par un calme plutôt plat du côté de la délinquance à Vigàta.

    On s’en doute, ce petit jeu va aller en se compliquant mais un aide inattendue lui vient d’un particulier en ce qui concerne la résolution des rébus « poétiques » qui peuvent se résumer en un sorte de duel entre le rédacteur de ces mystérieuses lettres et le commissaire. Pourtant la présence de cette maudite poupée du conteneur qu’on ne savait pas très bien où mettre est assez encombrante pour un célibataire comme Montalbano.

    La torpeur ambiante est quelque peu bousculée par un kidnapping, avec toujours en toile de fond ce qu’on a du mal à appeler poèmes mais qui relancent l’attention du commissaire devenu le seul interlocuteur de ce mystérieux interlocuteur. Au début de la lecture on avait un peu oublié cette histoire de poupées gonflables, mais elles se réinvitent à nouveau, relançant le suspense.

     

    Montalbano a toujours ses acolytes, la lointaine Livia, l’inénarrable Catarella, l’indispensable Fazio , Augello le catégorique, la séduisante Ingrid, et toujours cet appétit généreux et arrondisseur de son tour de taille et pourvoyeur de son taux de cholestérol.

     

     

  • la forme de l'eau

    N°1569 - Août 2021

     

    La forme de l’eau– Andrea Camilleri – Le fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    On retrouve au matin le cadavre de l’ingénieur Luparello, un homme politique local très en vue, au Bercail, un espace entre terrain vague et décharge publique, connu pour être le lieu des rendez-vous pour trafics en tous genres de Vigatà, c’est à dire, en ce qui concerne cette affaire, à un bordel à ciel ouvert. Sa posture ne laisse aucun doute sur les circonstances de sa mort et ce même si le légiste déclare qu’il est mort d’une crise cardiaque, soit de mort naturelle, alors qu’il était en galante compagnie. Dans le même temps et sur les mêmes lieux ont a trouvé un collier d’une grande valeur. Le commissaire Montalbano est chargé de cette enquête qui, compte tenu de la personnalité de la victime et des circonstances demande d’autant plus doigté que cet homme n’était pas si net que cela. Pour être mieux informé il sollicite Gégé, un indic, petit souteneur local et … ami d’enfance du commissaire. Les autorités judiciaires reçoivent d’intenses sollicitations pour clore cette affaire au plus vite et bien sûr, compte tenu du contexte, on reparle de la mafia, on assiste à un festival de faux-culs, on rappelle une vieille histoire de cocuage, un règlement de compte politique, des secrets de famille avec mensonges, amour et passion et un bijou perdu et retrouvé, le tout mélangé peut révéler le sens du titre de ce roman. L’eau n’a pas de forme propre, elle prend celle du récipient qui la contient. Est ce à dire qu’on peut camoufler ce qu’on veut cacher sous d’autres apparences, faire dire aux choses ce qu’on veut qu’elles disent ? Peut-être ?

     

    Je l’aime bien ce Montalbano, amateur de bonne chère, intègre, honnête avec ceux qui le méritent et rusé comme un renard avec ceux qui se paient sa tête, pas vraiment donnaiollo, comme disent si joliment nos amis Italiens, mais avec un charme discret.

     

    C’est un formidable roman que j’ai lu sans désemparer tant le suspense est entretenu jusqu’à la fin.

    Une mention particulière pour le traducteur qui a dû pas mal galérer pour traduire sans trahir (« tradire -tradure »). Nous avons affaire à un auteur sicilien qui ne renie rien de ses origines, de sa sicilianité » et du dialecte, incarné dans les mots et la syntaxe

     

    Un dernier mot pour l’auteur disparu il y a peu près un an qui laisse tous ses lecteurs passionnés un peu orphelins.

     

     

  • la pyramide de boue

    N° 1567 - Août 2021

     

    LA PYRAMIDE DE BOUE – Andrea Camilleri - Fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Il pleut des cordes sur la Sicile et donc sur la cité imaginaire de Vigata et la boue est partout. On a trouvé sur un chantier abandonné le cadavre d’un homme, un comptable, Guigiu Nicotra bien sous tout rapport, marié à une jeune et belle allemande, Inge qui a disparu. Bizarrement l’homme est en caleçon avec une balle dans le dos et on trouve non loin de lui une bicyclette. Les différentes investigations du commissaire et de ses adjoints révèlent que le couple hébergeait un homme dont on ne sait à peu près rien. Au départ, cela ressemble à une banale histoire de cocuage, c’est à tout le moins ce qu’on voudrait faire croire au commissaire, mais les recherches menées par lui et ses adjoints, l’efficace Fazio et Augello (je na parlerai pas de l’inénarrable Catarella) vont mettre en évidence une lutte sourde entre deux familles qui se partagent la région et les chantiers de travaux publics. Cela ressemble de plus en plus à la mafia, on n’est pas en Sicile pour rien et un journaliste et les témoins font l’objet de menaces! Montalbano lui-même a été victime d’une agression et il se demande s’il n’est pas temps pour lui de prendre sa retraite.

    Pourtant notre commissaire, rusé renard, ne s’en laisse pas conter et a bien l’intention de suivre son idée qui est bien différente de ce qu’on veut lui faire croire. Et puis qu’il se rassure, la vieillesse n’a pas encore fait trop de ravage en lui et peut être synonyme d’expérience, ce qui est plutôt rassurant. Il se révèle en effet un fin limier, un peu chanceux toutefois. Il en apprend beaucoup sur tous les protagonistes de cette affaire avec une histoire de voiture brûlée, de douille, de coffre-fort, de souterrain secret, un tatouage, la présence d’un personnage discret, de sociétés au noms poétiques, mais avec cette certitude sous-jacente et surtout obsédante qu’il y a autre chose que cette banale histoire de cocu qu’on a voulu lui faire avaler.

    Lire un roman de Camilleri est toujours pour moi un bon moment de lecture. La disparition de l’auteur il y a un an laisse Montalbano , son personnage emblématique, orphelin.

  • la disparition de Judas

    N° 1560 - Juillet 2021

     

    La disparition de Judas – Andrea Camilleri – Metallié..

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Le jour du Vendredi Saint de l’année 1890 à Vigata, la tradition veut que, dans un pièce de théâtre, autrement appelée « Les Funérailles » on fasse revivre la Passion du Christ. Le personnage de Judas, incontournable, est tenu avec humilité par le comptable Pàto, directeur de la banque locale, personnage intègre et catholique pratiquant, citoyen estimé et neveu d’un sénateur, qui disparaît au cours de la représentation dans le cadre même de son rôle ; il se donne en effet la mort. Au départ on n’y prête guère attention mais il s’avère rapidement que cette disparition inquiète tout le monde d’autant plus qu’elle est mystérieuse. S’agit-il d’une perte de mémoire consécutive à une éventuelle chute, d’un enlèvement, d’un assassinat, d’une volonté de disparaître ou d’une fugue amoureuse ou, pourquoi pas, la chute de l’intéressé dans un interstice spatio-temporel ? D’emblée l’hypothèse d’une malversation bancaire est écartée, ce qui correspond bien à la personnalité intègre de Pàto mais une lettre anonyme qui le menaçait personnellement vient tout compliquer. Les autorités locales nationales et religieuses sont en émoi, les policiers et carabiniers sont sur les dents et, pour résoudre cette énigme, vont devoir oublier un temps leurs différents, sous le regarde inéluctable de la mafia. Dans le contexte religieux d’une Italie très dévote, il ne manque évidemment pas de voix pour fustiger le théâtre dont l’Église excommunia longtemps les acteurs et surtout la personnalité de Judas, archétype du traître, veule et cupide dont le rôle tenu par un comédien pourrait bien cacher quelque chose de sa vraie personnalité. Le plus dur sera, l’énigme une fois révélée, de lui donner une explication logique et qui ne lèse personne.

     

    Le personnage même de Judas a donné lieu à beaucoup de commentaires et d’interprétations parfois contradictoires. Il est certes l’archétype du félon selon l’Église mais incarne bien une facette ordinaire de la condition humaine, les autres apôtres étant eux aussi des hommes simples fascinés par la personnalité de Jésus. Sans lui la vie du Christ en eut été bouleversée, pour ne rien dire dire de celle du monde, et son nom aurait rejoint la cohorte des quidams oubliés.

     

    Il s’agit bien d’un roman policier mais Camilleri choisit de le traiter avec humour sous la forme d’une accumulation d’articles de journaux, de rapports de police à la rédaction savoureusement administrative, d’interrogatoires, dont certains ne servent à rien dans la manifestation de la vérité, de fausses pistes, d’échanges de lettres non moins surprenantes ... J’ai bien aimé cette manière originale de présenter les choses qui est aussi une étude pertinente de la société italienne. On sent l’auteur particulièrement à son aise dans un registre où il excelle par l’architecture de ce roman et par le style toujours aussi agréable à lire et qui emporte à chaque fois l’assentiment de son lecteur.

     

     

  • La révolution de la lune

    N° 1558 - Juillet 2021

     

    La révolution de la lune – Andrea Camilleri – Fayard.

    Traduit de l’italien par Dominique Vittoz.

     

    En 1677 la Sicile, alors sous domination espagnole, est gouvernée par un poussah, le vice-roi Angel de Guzmàn qui vient de mourir, ce qui, pour les nobles est une aubaine, sauf que, par testament, il désigne pour lui succéder son épouse Eleonora di Mora, une femme d’une sublime beauté et d’une intelligence redoutable mais qui, jusque là, était restée dans l’ombre. La nouvelle fit grand bruit parmi les conseillers qui, la stupeur passée, se multiplièrent en courbettes et autres marques de flagorneries, partagés qu’ils étaient entre l’admiration de sa grande beauté et la volonté de conserver leur place et prérogatives. Cette entrée d’une femme en politique fut une révolution mais Eleonora profita bientôt de cette opportunité pour réformer le pays en en éliminant la corruption, en portant son attention sur les plus démunis, aux femmes et à leur condition inférieure, aux mendiants, ce qui lui valut la bienveillance de ses sujets restés intègres et l’amour du peuple. Cela ne se fit pas sans mal, le jeu politique reprit ses droits et l’appétit de pouvoir des hommes en place autant que leur volonté de conserver leurs privilèges et leurs fonctions ne manqua pas de se manifester. On était loin de la galanterie et de l’amour courtois du Moyen-âge ! On fit des difficultés et bien entendu on assista à des bassesses, des délations, des trahisons, ce qui est l’ordinaire de l’espèce humaine, face à la volonté d’une femme qui entendait bien marquer son temps dans le registre de la sauvegarde des plus déshérités.

     

    Ce court règne qui ne dura que 27 jours, soit la période d’un cycle lunaire, est authentique et c’est un homme qui y mit fin légalement, mais avec l’assurance que ses décisions seraient maintenues après son départ. Je note qu’elle ne chercha pas à se maintenir au pouvoir, ce qu’aurait sans doute fait un homme à sa place. Cet épisode est l’illustration si souvent proclamée, mais bien peu souvent mise en œuvre, que le pouvoir politique confié à une femme peut êtres synonyme de paix, d’une prise en compte plus complète des problèmes de l’humanité, d’une plus grande justice sociale... et ce fut le cas, malheureusement cette expérience fut contrecarrée par les hommes. A la fin de son règne les choses allaient donc pouvoir redevenir comme avant, de nouvelles injustices se faire jour, la corruption se développer, les malversations se multiplier, les hommes d’Église cultiver leur hypocrisie, les guerres se dérouler pour le plus grand plaisir des puissants qui eux n’y participaient pas... En laissant aller les choses on finirait sûrement par détourner et sans doute oublier tout ce que cette reine éphémère avait fait pour améliorer le sort des plus défavorisés.

     

    La langue de Camilleri est toujours aussi foisonnante mais j’ai été quelque peu déconcerté par le style qui mélange les expressions siciliennes, italiennes et espagnoles. Je ne suis pas contre le principe qui est finalement une belle innovation, mais j’imagine le travail du traducteur qui a dû s’adapter à cette manière originale de s’exprimer de l’auteur, sans pour autant le trahir. Il n’empêche que si Camilleri aime à s’exprimer de cette manière quelque peu humoristique, et c’est bien son droit, mais la lecture n’en est pas pour autant facilitée, même si on peut y voir, en plus de l’humour qu’il affectionne et qu’il manie si joliment, l’occasion de la création de mots qui est la manifestation même de l’évolution d’une langue et fait qu’elle est bien vivante.

     

     

  • indulgences à la carte

    N° 1557 - Juin 2021

     

    Indulgences à la carte – Andrea Camilleri – Le promeneur.

    Traduit de l’italien par Louis Bonalumi.

     

    Andrea Camilleri était sicilien et à ce titre témoin de ce qui se passe sur cette île si convoitée et colonisée depuis des siècles par des peuples étrangers au point que les choses n’y sont pas exactement comme ailleurs. En effet l’accommodement, le compromis voire la compromission, s’ils sont une constante de la condition humaine, sont ici élevés au rang de coutume sociale. Il a tenté, lors de dix-huit courts chapitres, d’en démonter le mécanisme. Il règne en effet ici une règle évidemment non écrite, « la componenda »(la composition) où la mafia rend une certaine forme de justice, en dehors des lois officielles, avec même la connivence des autorités qui en retirent bénéfice, en plus de l’ordre public sauvegardé. Notre auteur, curieux, s’avise que l’Église catholique, loin de sauvegarder la moralité a, dans le passé, usé de contestables pratiques, notamment avec la commercialisation des indulgences auprès du peuple, procédure qu’elle pratiquait déjà à l’égard des nobles sous la forme de constructions d’églises, de monastères ou de la participation aux croisades. Même si cette pratique fut plus tard prohibée, elle consistait à s’assurer de la rémission de ses péchés par l’achat d’une « bulle ecclésiastique » tarifée, garantissant la bienveillance divine après la mort du bénéficiaire. Cela eut pour conséquence, au XV° siècle, outre l’enrichissement de l’Église et de certains de ses représentants, l’émergence du protestantisme… et l’édification de la basilique Saint Pierre de Rome ! On était donc en plein accommodement !

    En Sicile rien n’est pareil qu’ailleurs, ne serait-ce qu’à cause de la mafia qui, dans l’ombre, mène un jeu efficace avec la bénédiction de l’Église catholique et de son hypocrisie. Ainsi le responsable d’une faute, un vol par exemple, en ressent normalement une certaine culpabilisation. Auparavant, grâce à la « bulle de componenda » (bulle de composition) il pouvait avoir la conscience tranquille puisque, contre de l’argent (un véritable impôt perçu au profit du clergé) , il en obtenait l’absolution et même la bénédiction, autrement dit, les instances qui devaient normalement guider les hommes vers la vertu contribuaient largement au climat moral délétère qui régnait ici. Pire peut-être, non content d’être religieux, le Sicilien est superstitieux et trouve dans ces pratiques une justification non seulement à sa réticence au travail mais aussi à l’exercice du vice et donc du délit (mais pas du meurtre). En effet, dans le passé, le Sicilien était traditionnellement un ouvrier agricole, contraint de travailler une terre ingrate pour le compte d’un riche propriétaire terrien qui l’exploitait et cette situation ne pouvait que verser dans la révolte, par ailleurs absoute par l’Église. La vente par les curés, dans les églises et seulement les jours de festivités religieuses de « la bolla di componenda » était, même si l’Église s’en défendait, une forme d’indulgence qui apaisait en quelque sorte les consciences. Cette loi perdura pendant des siècles et, dans sa version « laïque », consistait en un véritable pacte, forcément non-écrit, souscrit entre les délinquants et la police locale et les autorités italiennes continentales ont vainement tenté de mettre fin. Une étude a cependant insisté sur le rôle pivot de la femme dans le cadre de la structure familiale sicilienne fermée que les prêtres ont manipulé sans vergogne. De plus, les Siciliens qui ont la maîtrise du langage, c’est à dire du non-dit et du mensonge, souhaitent que les choses perdurent sous l’égide de la « componenda » et qu’on en parle moins possible.

     

    Andrea Camilleri (1925-2019) est connu en France à travers son personnage fétiche, le commissaire Montalbano, popularisé par le télévision, un peu comme Simenon l’était grâce au commissaire Maigret. Ces deux auteurs n’en sont pas moins intéressants notamment quand ils abandonnent le registre du « polar » et mettent leur talent au service d’une autre forme de littérature, notamment le roman traditionnel. Ici Andrea Camilleri quitte le domaine de la fiction (encore que, à la fin, il ne peut s’empêcher de s’y livrer quand même un petit peu) pour se faire historien et polémiste. Je ne connais de la Sicile que les paysages et les idées reçues qui circulent sur elle. J’avoue que j’ai été étonné par ce texte pertinent et passionnant paru en 1993 en Italie qui contribue un peu à expliquer le spécificité de la société sicilienne. Selon son propre aveu, c‘est dans ce but qu’il écrivit cet essai tout autant qu’en cherchant à expliquer les comportements étonnants les Siciliens face aux événements. Si la « Bulle de composition » a aujourd’hui disparu son état d’esprit demeure et cette île reste attachée pour moi à l’image de la mafia qui dans l’ombre peut frapper où et quand elle veut et tuer de simples citoyens, des policiers, des magistrats....

     

     

     

  • le tailleur gris

    N° 1556 - Juin 2021

     

    Le tailleur gris – Andrea Camilleri – Métaillé.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Quelle est cette habitude prise par les hommes d’un âge certain, le plus souvent veufs ou divorcés, d’épouser des femmes qui pourraient être leurs filles ? C’est sans doute pour se sentir moins vieux, pour faire semblant de croire qu’ils auront ainsi droit à une rallonge de vie ou de plaisir qu’ils répondent à l’appel de ce « démon de midi » alors qu’ils ont toutes les chances de précéder leur épouse dans la mort. Surtout qu’il y a toujours une Gianna, à la fois meilleure amie de l’épouse et surtout sa parfaite complice pour servir d’alibi à l’épouse volage, même si le mari ne se fait aucune illusion. C’est le cas de ce directeur de Banque, tout juste retraité, qui a épousé dix ans plus tôt la très jeune et accorte veuve, Adèle, malgré les réticences de son fils Luigi. Elle n’arbora que pendant peu de temps son tailleur gris de femme d’affaires qui était aussi la marque de la fin de son deuil, de cette période assez indistincte qui est avant tout celle d’une transition. C’est une belle femme, autoritaire et déterminée, avide de reconnaissance sociale mais aussi de sexe et de plaisir, le type même de la femme de pouvoir qui entend bien gouverner sa propre vie qu’elle veut libre d’autant plus qu’elle a imposé Daniele au sein du couple, un soi-disant cousin étudiant qui dort dans la chambre voisine de celle d’Adèle.

    Certes cette femme est au lit à la hauteur de sa fougueuse jeunesse, mais lui, malgré sa vigueur un temps retrouvée, finit par se faire une raison et par admettre de devoir partager Adèle avec des amants de passage. Et la toute nouvelle retraite de son mari, et donc sa présence au foyer, va un peu bousculer la liberté dont elle jouissait auparavant et qu’elle entend bien voir perdurer maintenant. Elle va donc le manipuler ainsi que son entourage pour lui faire accorder un poste important, même si celui-ci est quelque peu mystérieux et sans doute lié à la mafia, pour lui éviter de troubler son quotidien amoureux, autrement dit elle souhaite faire perdurer atmosphère de mensonge et de trahison dans laquelle baignait son couple jusqu’ici. Dans cette épisode, il semble être une marionnette entre ses mains de même qu’elle s’attache à brouiller les pistes autour d’elle, à faire semblant de l’aimer pour profiter des avantages financiers de cette union qui se révèle être un piège et l’amour entre eux, un leurre.

    Avec la vieillesse vient pour cet homme la maladie et il voit son épouse changer, devenir dévouée et attentive tout en s’inquiétant de la succession. Le livre refermé, j’avoue être un peu dubitatif face à cet homme qui se met à croire à l’amour de cette épouse, ou à se rassurer en faisant semblant, au pas de la mort qui sera pour lui une délivrance dans une situation qui ne pouvait que se retourner contre lui. J’ai même l’impression qu’il lui pardonne ses frasques. J’avoue que je n’ai pas cru un instant à cet amour tout neuf d’Adèle pour son mari et j’y ai même vu une autre forme d’hypocrisie. J’imagine qu’elle ne tardera pas à contacter le notaire pour connaître ses droits et ensuite se choisir un nouvel amant !D’ailleurs, avant de mourir, le mari constate qu’elle porte son traditionnel tailleur gris ! La chute de cette histoire m’a même paru un peu convenue, décevante même parce que je m’attendais à autre chose

    J’ai apprécié cependant le style simple et agréable à lire de ce roman du grand auteur italien connu surtout pour ses « policiers ». Ici, rien à voir avec un « giallo » comme disent nos amis transalpins.

     

     

     

  • La concession du téléphone

    N° 1555 - Juin 2021

     

    La concession du téléphone– Andrea Camilleri – Fayard.

    Traduit de l’italien par Dominique Vittoz

     

    Ce roman d’Andrea Camillieri (1925-2019) a été publié en 1998.

     

    L’intrigue est un peu compliquée et se déroule en Sicile à Vigata, une ville imaginaire, sur une année, de 1891 à 1892, période pendant laquelle l’État tente de juguler le socialisme fascisant qui commence à s’installer. Filippo Genuardi, marchand de bois de son état, souhaite avoir une ligne téléphonique privée qui relierait son entrepôt et le domicile de son beau-père . En effet, un décret de 1892, tout à fait officiel donc, autorise les particuliers à obtenir la concession privée d’une ligne téléphonique. Pour cela il envoie en vain une série de trois lettres fort obséquieuses au Préfet Marascianno, dont il orthographie mal le nom, ce que ce dernier prend pour une provocation. Elles vont être suivies de pas mal d’autres qui vont plonger le lecteur dans une atmosphère entre flagornerie, paranoïa et bal des faux-culs et donner lieu à une multitudes de quiproquos, la révélation de magouilles, avec règlements de comptes maffieux, délation, haine, rancœur, trahison, hypocrisie, adultère, mensonges, ambitions, corruptions, c’est à dire l’ordinaire de l’espèce humaine, sans oublier toutefois le formalisme administratif autant dans la posture que dans la rédaction et qui confine parfois a la folie.

     

    Ce n’est donc pas un roman classique, pas un policier non plus comme Camilleri en a l’habitude, mais une série de lettres suivies de courts récits où Andrea Camilleri s’est amusé à inventer une intrigue humoristique aux multiples répercussions notamment basée sur l’orthographe fantaisiste d’un nom ce qui donne lieu à une interprétation extravagante mais néanmoins savoureuse de la part d’un préfet soupçonneux, sur fond de dialecte sicilien.

    Mais au fait, pourquoi Filippo Genuardi tient-il tant à avoir le téléphone ?

     

    C’est fort plaisant à lire nonobstant la multitude des personnages.

     

    Il n’est pas interdit, avant de commencer la lecture de cet ouvrage, de lire le texte introductif de Luigi Pirandello qui brosse un tableau peu flatteur de la Sicile à cette époque mais qui met le lecteur en condition.

  • le pasteur et ses ouailles

    N°1687 – Octobre 2022

     

    Le pasteur et ses ouailles – Andrea Camilleri – Fayard.

    Traduit de l’italien par Dominique Vittoz.

     

    En Juillet 1945 on a tiré sur Mgr Peruzzo, l’évêque d’Agrigente (Sicile) qui en réchappa miraculeusement. Devant le mystère de cette agression une question restait entière : Qui a voulu tuer un homme d’Église plus engagé aux côtés des pauvres contre les grands propriétaires fonciers et le système latifundiaire que dans son rôle traditionnel de pasteur ? On évoqua une sombre vengeance personnelle d’un ex-délinquant devenu religieux du couvent de la Quisquina tout proche qui a toujours été un lieu marginal au regard des règles monastiques et dont la création remonte au XVII° siècle, l’ombre de la mafia ou du fascisme... Une enquête partisane d’un policier corrompu n’a pas, à l’époque, réussi à éclaircir cette affaire. Pourtant il semblerait que cette survie ne soit pas due uniquement aux prières de ses ouailles mais soit la conséquence directe d’un vœux quelque peu surréaliste de dix jeunes religieuses du diocèse.

     

    Pour ce récit nous retrouvons Camilleri (1925-2019) dans un registre où on ne l’attend pas forcément, celui de l’historien, même s’il n’abandonne pas tout à fait son goût pour l’énigme. Oubliant pour un temps son emblématique commissaire Montalbano, il entreprend un travail d’historien mais aussi de méticuleux enquêteur, non pas tant sur la tentative de meurtre que sur la réalité des conséquences du vœux des dix jeunes cloîtrées. Devant une telle énigme il se pose une multitude de questions qu’il ne résout qu’avec des hypothèses où l’imagination le dispute à une solide recherche documentaire et dont il dit lui-même qu’elles ne sont pas étayées de preuves. Ce travail a au moins l’avantage d’étancher sa curiosité et son insatiable volonté d’expliquer ce mystère quelque peu mystique. Il met aussi en lumière d’intéressantes remarques sur le catholicisme et ses dogmes, comparé aux autres religions au regard du respect de la vie, du sacrifice personnel, de la charité. Ses remarques avisées sur l’espèce humaine sont d’une grande pertinence.

     

    Il ne se départit pas de sa langue fleurie traditionnelle, vernaculaire et même quelque peu inventive qui a dû poser quelques difficultés au traducteur pour peu qu’il ne soit pas, comme lui, originaire de Sicile.

     

    Comme toujours cela a été pour moi un bon moment de lecture.

     

     

     

  • la pension Eva

    N°1682 – Octobre 2022

     

    La pension Eva – Andrea Camilleri – Metaillé.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Chez Camilleri, c’est un peu comme chez Simenon qui étaitt un de ses écrivains favoris, ils étaient tous les deux de célèbres auteurs de polars avec un commissaire de police emblématique, Maigret pour l’un, Montalbano pour l’autre, mais ils étaient aussi deux romanciers traditionnels . Ici Camilleri (1925-2019) nous emmène dans un port de Sicile dans les années 40 c’est à dire quand l’Italie, alliée des nazis , commence à subir des bombardements alliés. Nerè . Un petit garçon se demande ce que signifie ces allées et venues d’hommes qui fréquentent la belle maison voisine où il aperçoit des femmes nues. La pension Eva, tel est le nom de cet établissement, fera l’objet de ses interrogations naïves jusqu’à ce qu’il la visite lui-même à l’âge requis, comme une sorte d’apprentissage initiatique, comme une terre promise. Il commence par découvrir les femmes grâce à sa jolie cousine et à leurs jeux puérils puis évoque les pensionnaires de cet immeuble et leur bienveillance. Il n’oublie pas de les croquer ainsi que certains de leurs clients et cela donne des portraits baroques et des anecdotes truculentes. Puis la guerre suivra son cours avec son lot de bouleversements et de destructions, entre les plaisirs érotiques, l’odeur des sardines grillées et celle du sang, les sourires et les larmes... Mais, goguenard , l’auteur, en postface, précise que ce court roman ne doit pas être regardé comme autobiographique, même si le personnage principal porte un nom semblable au diminutif dont les amis et la famille de Camilleri l’affublaient.

    Il ajoute en revanche que la pension Eva a effectivement existé et il mêle dans à cette fiction des moments de l’histoire de cette petite ville. Il a attendu un âge assez avancé (près de 80 ans) pour l’écrire, ce qui témoigne de sa volonté de sortir de son image traditionnelle créative et d’offrir à son lecteur un moment de lecture où la tendresse et la dérision se mêlent à un érotisme discret.

     

     

  • Nid de vipères

    N°1622 - Janvier 2022

     

    Nid de vipères – Andrea Camilleri - Fleuve Noir.

    Traduit de l'italien par Serge Quadruppani.

     

    Un matin, Barletta, un usurier affairiste doublé d’un Don Juan sans scrupule est retrouvé mort, assassiné deux fois, par le poison et par balle, comme si une mort ne suffisait pas, et apparemment donnée par deux mains différentes. Voilà bien une affaire pour le commissaire Montalbano qui trouve ainsi l’occasion de se libérer de l’obligation de signer cette satanée paperasserie qui encombre traditionnellement son bureau et ce même si son âge devrait le pousser vers la retraite, ce que ne se prive pas de lui rappeler le médecin légiste entre un plantureux repas et une partie de poker. Ça se présente plutôt mal, entre une jeune fille, Stella, dont la victime abusait sexuellement qu’il menaçait de chantage, un héritage dont Barletta semblait vouloir priver ses propres enfants et les nombreuses faillites provoquées par sa pratique de l’usure, mais l’intuition de notre commissaire, et bien entendu aussi son expérience, lui donnent à penser que cette affaire n’est pas liée à la seule vengeance et doit bien pouvoir s’expliquer par quelque chose de beaucoup plus complexe.

    Pour corser le tout il reçoit la visite de Livia, son éternelle fiancée qui habite et travaille à Gênes et revient régulièrement à Vigàta... pour le plaisir de le rencontrer… et de l’engueuler. Ces deux là n’ont pas besoin de vivre ensemble, ni bien entendu de se marier, ils ont déjà tout d’un vieux couple et leur relation c’est plutôt « pas avec toi mais pas sans toi » ! Comme pour compliquer un peu les investigations et aussi la vie de Montalbano, tout cela se passe en la présence furtive d’un curieux clochard siffleur mais aussi qui se révélera providentiel à qui Lidia semble s’intéresser, lz tout sous les yeux de la très belle et très mystérieuse Giovanna, la fille de la victime, de photos compromettantes et de l’éventuelle disparition d’un testament. C’est que Montalbano est toujours égal à lui-même, pouvant difficilement résister à une femme et ici il se fera littéralement phagocyter par l’une d’elles

    Son métier le met directement en situation de connaître tous les défauts et les vices de l’espèce humaine, même les moins avouables, mais le hasard veille qui viendra encore une fois bouleverser l’agencement hypocrite des choses et bouleverser les projets les mieux ficelés.

    Bien entendu notre commissaire n’est pas seul à démêler l’écheveau compliqué de cette affaire. Il est aidé par ses deux compères Augello et surtout Fazio et il a un peu trop tendance à considérer ce dernier comme son larbin. Sans eux il ne serait rien.

    Comme d’habitude ce fut un bon moment de lecturte.

  • Un été ardent

    N°1608- Novembre 2021

     

    Un été ardent– Andrea Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l'italien par Serge Quadruppani et Maruzza Loria.

     

    Il fait chaud, très chaud pendent cet été Sicilien. Alors qu’il était chez des amis qui venaient de louer une maison de vacances, Salvo Montalbano tombe par hasard, en recherchant l’enfant du couple, sur le cadavre caché d’une jeune fille morte quelques années auparavant. Comme il est malin, il va tout faire pour impliquer le constructeur de cet immeuble qui s’avère avoir été construit hors la loi, ce qui est malgré tout ici monnaie courante. Il s’implique tellement dans cette affaire qu’il en découvre une autre, un meurtre camouflé en accident du travail, qui n’a apparemment rien à voir mais qui sera traitée avec la même fougue. Ces deux enquêtes s’orientent vers le promoteur immobilier Spitaleri, prédateur sexuel mais aussi notable qui se sait protégé et qui a produit un solide alibi. Il est officier de police mais, quand il s’agit d’obtenir des renseignements il a allègrement tendance à l’oublier et à carrément agir comme un voyou. Il est même assez chanceux dans sa pratique du mensonge puisque, à la suite d’une intuition inattendue, il invente une sœur jumelle à la première victime qui se révèle effectivement dans la personne de la ravissante Adriana.

    Montalbano enquête donc dans la touffeur hallucinante de ce mois d’août, non sans tomber sous le charme de cette jeune sœur aussi bluffeuse que lui, tout en tentant cependant de garder la tête froide. Il est aidé en cela par le whisky, la bonne nourriture italienne et les bains de mer mais aussi par. son fidèle Fazio, mais il finira par douter de lui, de la justice, de l’homme, ressentir une nouvelle fois de la culpabilité et surtout s’apercevoir qu’il a vieilli, bref un homme perturbé et cependant bien seul, finalement manipulé, et qui conclut d’une manière assez inattendue ces deux affaires, mais en toute conscience de ce qu’il est devenu.

    J’ai retrouvé avec le même plaisir ici tous les ingrédients siciliens de ses traditionnelles affaires, la collusion entre la mafia et le pouvoir politique, le blanchiment de l’argent sale, la hiérarchie tatillonne, les hésitations du commissaire, son épicurisme et ses difficultés sentimentales avec son éternelle Livia.

  • Noli me tangere

    N°1607- Novembre 2021

     

    Noli me tangere (Ne me touche pas) – Andrea Camilleri – Métailié.

    Traduit de l'italien par Serge Quadruppani.

     

    Ce titre en forme d’interdit exprimé en latin, c’est à la fois le nom d’une fresque de Fra Angelico, une phrase, évoquée dans l’Évangile, que dit le Christ à Marie-Madeleine pour lui signifier que, ressuscité, il n’appartient plus au monde des vivants et va donc lui échapper, c’est aussi le nom d’une fleur, la balsamine des bois, ou impatience, qui réagit au toucher en projetant ses graines.

    Nous sommes en juin 2010 et la jeune et jolie Laura Garaudo, l’épouse du célèbre et vieux romancier Mattia Todini a disparu mystérieusement après une des périodes coutumières de déprime. Toutes les pistes sont envisagées, depuis une fugue amoureuse, un enlèvement crapuleux, jusqu’à un coup de pub pour la sortie de son prochain premier roman. Pas simple pour le très subtil et cultivé commissaire Maurizi (ce qui n’est pas le cas de son supérieur hiérarchique) même s’il peut compter sur la collaboration de Todini qui ne se fait guère d’illusions sur sa jeune épouse. Ainsi, au fil des pages on apprend qu’elle est toujours et malgré son mariage une séductrice itinérante, une froide calculatrice, une menteuse invétérée, bref une femme à la personnalité complexe et qui pendant ses études non seulement elle a analysé les œuvres de Fra Angelico mais elle portait le surnom évoquant cette fleur tant elle était belle. De plus ses amants actuels ou passés se se gênent pas pour médire d’elle, tant ils ont été considérés par elle comme de simples moments de distraction.

    Entre lettre anonyme, mise en scène macabre, rideaux de fumée, découvertes inquiétantes, le mystère s’épaissit et l’enquête s’embourbe. Pourtant ce n’est pas vraiment un roman policier qui nous est proposé ici, malgré la présence d’une enquête souvent évoquée. C’est bien plutôt une étude passionnante de personnages. Laissons de côté les amants délaissés et médisants, atteints dans leur virilité autant que dans leur charme autoproclamé, ainsi que le questeur, un rustre sans doute à ce poste au terme de nombreuses flagorneries. Le notaire, le psychiatre et l’amie d’enfance se penchent avec compréhension sur le cas de Laura et son vieux mari, amoureux et d’autant plus compréhensif qu’il craint de perdre cette femme jeune et jolie qui est pour lui plus qu’une épouse. Reste le cas de Laura qui pourrait passer dans un premier temps comme l’archétype de la jeune femme volage qui a épousé un homme vieux, riche et influent pour en tirer avantage tout en conservant son entière liberté (les allusions au « toucher » des deux personnages de la fresque de Fra Angelico sont révélatrices de la recherche à la fois sexuelle, passionnée et désespérée menée par Laura qui ne trouve même pas une consolation dans l’exorcisme de l’écriture puisqu’elle brûle son roman). C’est sans doute un peu vrai mais je l’ai surtout ressentie comme le symbole de la solitude et du mal de vivre qu’elle cherche d’ailleurs vainement à combattre avec la foule de ses amants et la recherche d’un plaisir éphémère. Le tourbillon de la vie et son vernis ne lui suffisent plus. Sa rencontre avec Wilson est déterminante dans la mesure où elle fonctionne comme un déclic, la révélation d’une vérité qu’elle portait en elle depuis longtemps sans le savoir. Dès lors, celle qui avait coché toutes les cases de la réussite (financière, sociétale, sociale…) choisit de ne plus en cocher aucune et de se consacrer aux plus démunis, et ce dans l’humilité de l’anonymat quoiqu’il puisse lui en coûter et quoiqu’il puisse lui arriver. Notre société moderne qui met en avant la fortune et la notoriété ne peut cependant ignorer les rares personnages qui, malgré une carrière toute tracée, ont choisi une autre voie plus humble.

    Le roman est construit à partir de messages et d’entrevues nombreuses qui dessinent la personnalité aussi fascinante que déroutante de Laura, des confettis d’informations savamment distillés et qui tiennent en haleine le lecteur jusqu’à la fin.

    Camilleri ne s’est pas contenté d’être metteur en scène de théâtre, scénariste et auteur talentueux de romans policiers lus et traduits dans le monde entier, il se révèle ici, s’appropriant une authentique histoire de vie, être un exceptionnel auteur de roman psychologique.

  • Maruzza Musumeci

    N°1606- Novembre 2021

     

    Maruzza Musumeci – Andrea Camilleri – Fayard.

    Traduit de l'italien par Dominique Vittoz.

     

    C'est une histoire bien banale au départ : en cette fin du XIX° siècle en Italie beaucoup d’ habitants pauvres s’embarquaient pour l’Amérique dans l’espoir d’y faire fortune. Ainsi Gnazio Manisco, jeune Sicilien miséreux d’à peine vingt ans, part pour cette grande aventure qui lui fait, à New York, croiser l’incontournable mafia. Cela durera trente ans. Il doit être né sous une bonne étoile puisque, selon ses vœux, il revient au pays avec un pécule qui lui permet de s’y installer. Nous sommes en 1895. Cela aurait pu être une biographie comme le chapitre final de ce court roman le laisse penser. Sauf que, entre le début et la fin, l’auteur distille un conte qui, et toutes choses égales par ailleurs, m’a fait un peu penser à la légende de la fée Mélusine, même si l’aventure est un peu différente. Il s’approprie en l’enrichissant, un histoire entendue dans son enfance et y entrelace son imagination géniale. Il y mêle le merveilleux d’une histoire d’amour entre un humain et une créature mystérieuse venue de la mer, leur descendance sera à la mesure de de cette création fantastique et sans doute aussi un peu fantasmatique, entre les étoiles et les vagues. Il intègre le merveilleux de la fiction à la réalité, introduisant la figure de Walter Gropius, architecte allemand fondateur du « bauhaus », la cruauté de la guerre, la violence et la bêtise du fascisme. Nous sommes tous mortels mais sous la plume de Camilleri la mort n’est pas triste, c’est un simple passage vers l’inconnu et d’ailleurs nous ne sommes que les simple usufruitiers de notre vie, rien de plus, quant à ce qu’il y a après, c’est du domaine de la croyance personnelle. Camilleri nous ayant quittés récemment, j’ai plaisir à imaginer qu’il est quelque part en Sicile, et sûrement du côté de Vigàta, peut-être sur les épaules d’un vent de mer ou dans l’ombre d’un olivier comme Gnazio…

    C’est aussi un hymne à la beauté féminine puisque ce texte parle abondamment de Maruzza, sa merveilleuse épouse, et de son comportement à la fois énigmatique et émouvant, de l’amour qu’elle inspira à cet homme simple, attachant et déjà vieux dont elle transforma la vie. Je ne sais pas Dieu existe mais ce qu’il a fait de plus beau dans Sa Création ce sont assurément les femmes et les artistes sont heureusement là pour nous le rappeler.

    Camilleri n’a pas seulement donné vie au célèbre Commissaire Montalbano, Dans ce roman, entre conte fantastique et récit romantique, il se révèle un extraordinaire conteur qui nous embarque avec lui, à grâce à son style sensuel, magique, grâce à une une langue aux mots inconnus mais joliment traduits et qui nous parle, dans un voyage intemporel.

  • Pirandello - Biographie de l'enfant échangé.

    N°1602 – Novembre 2021

     

    Pirandello – Biographie de l’enfant échangé – Andrea Camilleri – Flammarion.

    Traduit de l’italien par François Rosso.

     

    Dans cet ouvrage, Andrea Camilleri nous montre une autre facette de son talent en se faisant biographe, pas de n’importe qui cependant puisqu’il choisit Luigi Pirandello (1867-1936) qui non seulement était un homme de plume, mais surtout peut-être, parce qu’il était né comme lui à Porto Empédocle, une sorte de double, un « demi-frère sicilien ». Mais en tant que dramaturge Camilleri fait de Pirandello le véritable personnage du roman qu’il écrit à cause des relations plus que tendues que ce dernier avait avec son père, absent, trop occupé par ses affaires, mais aussi violent, volage et colérique. Nous savons qu’une enfance difficile est souvent la source de la création littéraire et c’est donc ce registre que le père du commissaire Montalbano choisit pour nous le présenter. Pour cela, il part d’une légende sicilienne qui reprend le thème traditionnel de l’échange d’enfant au berceau, lequel devient roi à la place d’un autre. A la lumière de ce propos qui a été repris par Pirandello lui-même dans son œuvre, Luigi, qui se voit comme très différent de ses parents, en vient à penser qu’il n’est pas fils de son père. Il était donc normal que son biographe s’emparât de ce thème qui ne fut pas pour Piradello qu’un concept mais véritablement le fantasme et l’obsession de toute sa vie. Le jeune Luigi mettra tout en œuvre pour prendre ces distances avec cette famille où il pensait ne pas avoir sa place. Ce doute sur sa filiation ne l’a cependant pas empêché de vivre correctement, grâce aux subsides de cet homme, pendant toutes ses années d’études, menées parfois à l’étranger, ni d’ailleurs d’accepter un mariage arrangé par lui qui avait pour but de redorer le blason de l’entreprise familiale et d’augmenter son capital grâce à l’importante dot de la jeune fille. Cela lui a permis de se consacrer à sa vocation d’écrivain à laquelle il se destinait exclusivement mais qui ne lui rapportait quasiment rien au début. Ce doute sur sa filiation, cette idée du « double » baigneront tellement toute sa vie que Pirandello en concevra un problème d’identité sur lequel se penchera attentivement le célèbre écrivain italien Leonardo Sciscia. Cela ajouté au tempérament sicilien, à ses coutumes ancestrales, à un mariage malheureux et à l’inévitable culpabilité judéo-chrétienne, l’amèneront à supporter avec un certain stoïcisme la jalousie maladive et la folie paranoïaque de son épouse et même à pardonner à son père. C’est entre autre pour cela qu’il demeura avec son épouse, même s’il comprit très vite qu’elle serait incapable de l’accompagner « sur la voie de l’art », ce qui, pour lui dût être un véritable déchirement et c’est cette incompréhension qui justifia qu’il la cantonne dans son seul rôle de mère. Pour autant, il doit bien y avoir un peu de réalité dans sa filiation légitime puisque Pirandello père nous est présenté comme un être autoritaire, insupportable, imbu de sa personne. Luigi une fois marié et père de famille puis veuf, reproduisit, selon la règle non écrite selon laquelle on refait le mauvais exemple donné, et ce alors même qu’on a tout fait pour l’éviter, puisqu’il se brouilla avec ses propres enfants, devenant, mais dans un tout autre contexte, un aussi mauvais père que le sien. Il fit même quelques pas chez les fascistes avant de rendre sa carte, boudé par le pouvoir mussolinien malgré son prix Nobel.

    Camilleri entreprend donc de narrer des épisodes de son parcours créatif dans cette biographie passionnante, fort bien écrite, richement documentée, citant de larges extraits de son œuvre, de sa correspondance privée, des réactions de la critique, des études biographiques et des lettres d’amis. On le sent même en empathie avec Pirandello tant les épreuves ont émaillé sa vie. De son enfance et de ses diverses expériences, de ses premières amours, de son mariage malheureux, de ses échecs, de la folie de sa sœur et de sa femme, non seulement il puisera les sources de ses créations, mais il trouvera dans l’écriture une forme d’exorcisme pour l’aider à les supporter. Ses personnages ne sont en effet pas exclusivement nés de son imagination créatrice mais empruntent beaucoup à la vie de leur auteur, illustrant ainsi l’effet cathartique des mots.

     

  • La prise de Makalé

    N°1600 - Octobre 2021

     

    La prise de Makalé – Andrea Camilleri

    Traduit de l’italien par Marilène Raiola.

     

    Camilleri (1925-2019) n’est pas seulement le Simenon sicilien comme on s’est plu à le nommer. Il est aussi, comme l’était également l’auteur de Maigret, un remarquable conteur et romancier traditionnel. Il s’intéresse ici au petit Michilino, six ans, très intelligent et doué d’un sexe d’homme adulte qui fait des envieux et des envieuses, qui vit à Vigatà, une bourgade imaginaire de Sicile, en 1935, c’est à dire sous de fascisme. A cette époque l’Italie était en guerre en Abyssinie, ce conflit armé étant l’instrument idéal d’un régime totalitaire. Sa famille, très favorable au pouvoir en place, lui inculque des valeurs catholiques, dans le respect du Duce et de sa politique. C’est un véritable lavage de cerveau à base de fanatisme et de culpabilité judéo-chrétienne, destiné à annihiler tout sens critique chez cet enfant, l’incitant à tuer à la baïonnette, notamment le fils d’un communiste. Cette période correspond pour le petit Michilino à la découverte du monde des adultes, plein de paradoxes, de violence, d’adultères, de vices, de tabous et d’hypocrisies, qui va connaître le viol, le mensonge, la manipulation, la propagande politique et militaire de la part de sa propre famille, des Institutions civiles et religieuses alors qu’il leur fait une confiance aveugle.(Le curé Burruano et du professeur Goergerino sont des personnages révélateurs face à l’innocence et à la crédulité de l’enfant qui peu à peu disparaît au rythme des péchés mortels ou véniels qu’il croit commettre, et la façon très personnelle qu’il a de les conjurer, tant la religion a d’emprise sur lui). Le régime politique dont ses parents sont partie prenante est évidemment coupable comme l’est le système éducatif mais aussi l’Église (le Duce est l’homme de la Providence) qui, dans la très catholique Italie s’allie, comme elle l’a toujours fait, à l’autorité, au pouvoir pour conforter son action et sa place dans la société et ce malgré des contradictions qui n’échappent pas à ce petit garçon. C’est d’autant plus inacceptable qu’elle est censée incarner une tutelle morale au nom d’un Évangile dont elle se recommande mais dont elle n’applique pas les préceptes. Cette caractéristique ressort également aujourd’hui et donne à penser que, malgré de grandes figures morales et charitables, incontestables et parfois anonymes qui l’ont honorée, elle reste une un pouvoir social et spirituel de référence mais qui a failli à sa tâche. Différentes expériences sexuelles et l’attitude compromettante des adultes entament un peu son innocence et sa dévotion autant à Mussolini qu’à Jésus mais Michilino reste un parfait petit fasciste, raciste, sanguinaire, intolérant, naïvement respectueux des préceptes religieux. Elles le font entrer de plain-pied dans ce monde inconnu qu’il ne comprend pas bien. Cela se manifeste lors de la célébration de la prise symbolique de la ville abyssine de Makalé où pour lui tout bascule. Non seulement cette mise en scène est ridiculement grotesque mais Michilino s’avère définitivement conquis par le système : il devient lui-même en même temps rebelle et un instrument de la violence, persuadé qu’il agit conformément aux idéaux fascistes et religieux qui lui ont été inculqués. Il finit par prendre conscience du jeu malsain des adultes entre eux (spécialement celui que jouent ensemble sa propre mère et le curé, son père avec sa filleule) et de celui qu’il faut tenir pour s’insérer dans une société. Il apprend à se forger une bonne conscience pour se justifier, autrement dit, il grandit. Il est juste de dire que nous avons plus ou moins tous fait ce cheminement.

    C’est un roman triste et dur qui parle d’une période difficile pour ce petit garçon qui prend conscience tout seul des réalités qui régissent la société dans laquelle il sera amené à vivre, autant que du discours moralisateur du catéchisme et du gouffre qui sépare le message que lui dispensent les adultes et leur conduite. Il constate que font défaut tous ceux en qui il devrait avoir confiance, ses parents, les enseignants et les hommes d’Église, au profit d’une idéologie politique et religieuse destructrice.

    L’épilogue symbolique est à la mesure de l’univers que les événements ont tissé autour du petit garçon, obsédé à la fois par les messages religieux et fanatiques qui ont gouverné sa jeune vie.

    C’est sans doute le livre de Camilleri le plus boudé par la critique, non seulement parce qu’il dénonce l’attitude des adultes, l’enseignement politique et religieux qui bouleversent la naïveté d’un jeune enfant mais aussi parce qu’il correspond à une période que le pays désire effacer de sa mémoire.

     

     

     

  • Le champ du potier

    N°1598 - Octobre 2021

     

    Le champ du potier – Andrea Camilleri – Fleuve Noir

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Près de Vigata on vient découvrir, dans un endroit riche en argile, le cadavre d’un homme coupé en morceaux et une très belle femme, Dolorès, vient déclarer la disparition de son mari, un officier de marine marchande. Il apparaît très tôt à Montalbano que ce meurtre évoque à la fois la Mafia de par son modus operandi et l’Évangile de Saint Matthieu pour les références à la mort de Judas qu’il évoque.

    Comme d’habitude le commissaire doit faire face au mauvais caractère de Livia, sa fiancée éternelle et lointaine, à la suspicion de sa hiérarchie et à la modification du caractère de Mimi, son adjoint, pourtant d’ordinaire bien disposé à son égard mais dont les amours clandestine risquent de lui jouer un sale tour sans qu’il s’en rende compte. Ajouté à cela la vieillesse qui commence à tracasser le commissaire et cette enquête difficile qui semble vouloir l’emmener bien au-delà de la Sicile et mettre en cause son collaborateur. Il y a bien la gastronomie sicilienne pour le calmer, mais cela commence à devenir problématique pour lui parce qu’il va même jusqu’à perdre, temporairement, l’appétit à cause de l’attitude de Mimi qui a quelque chose d’incompréhensible.

    Sans que ce soit une caractéristique très marquée de son personnage, il me semble qu’il y a un petit côté chrétien chez Montalbano. Il est souvent question de son ange gardien et « le champ du potier » (ou champ du sang) est, selon la tradition, l’endroit acquis par les prêtres ou par Judas Escariote lui-même avec les trente deniers de sa traîtrise et où il aurait été enterré. Il est vrai que nous sommes dans la très catholique Sicile. Cette référence évangélique évoque aussi le mensonge qui est un des travers ordinaires de l’espèce humaine, qu’il rencontre chez son adjoint qui ment effrontément à son épouse et qui sonne aussi comme la trahison de leur longue amitié. Cette enquête est pour lui l’occasion de se pencher également sur son cas et de cet examen de conscience il ne sort pas grandi, mais soulagé quand même.

    Ici Camilleri est bien meilleur, ménage ses effets, confie un peu de ses obsessions personnelles avec une discrète allusion à un autre de ses romans consacré à la trahison de Juda et entretient le suspense jusqu’à la fin.

  • l'autre bout du fil

    N°1597 - Octobre 2021

     

    L’autre bout du fil – Andrea Camilleri – Fleuve noir

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Lydia, l’éternelle fiancée de Salvo Montalbano, a trouvé que la garde-robe de son commissaire de compagnon n’était pas assez bien fournie et l’a convaincu de se faire confectionner un costume neuf par une couturière locale, la belle et aimable Elena. Pourtant il a bien d’autres préoccupations notamment les migrants qui arrivent de plus en plus sur la côte et dont il faut s’occuper. Pourtant, quelques jours plus tard on retrouve la belle couturière assassinée à coups de ciseaux dans son atelier. L’enquête dont se charge Salvo révèle rapidement que la victime avait montré, avant de mourir, un changement de caractère inhabituel et les personnes interrogées ne lui apportent pas vraiment des éclaircissements.

    Notre commissaire vieillit de plus en plus et mène laborieusement cette enquête et ce n’est pas le médecin légiste avec qui il n’a que des rapports strictement professionnels qui va se priver de le lui rappeler. Pour résoudre cette enquête il devra pourtant remonter le temps et il le fera grâce à ses habituels soutiens, Mimi et sur Fazio. De plus il doit faire face chaque jour à une montagne de papiers à signer et également à la suspicion de sa hiérarchie. Heureusement qu’il a la compensation de la cuisine sicilienne et du whisky dont il abuse de plus en plus!

    J‘ai été un peu déçu par ce roman paru en France en 2021 qui m’a paru partir dans différentes directions sans véritable lien avec ces investigations comme cette histoire de chat qui monopolise l’attention et l’affection de Catarella. En revanche j’ai bien aimé le discours humaniste de Montalbano, notamment sur les migrants qui a un singulier retentissement sur ce que nous vivons actuellement, j’ai été ému de savoir que ce roman était le premier que Camilleri, devenu aveugle, avait dû dicter à Valentina Alferj. J’ai apprécié aussi la lettre ouverte du traducteur, Serge Quadruppani au commissaire Montalbano, une sorte d’adieu à un personnage certes fictif mais devenu presque vivant mais qui devenait aussi plus qu’orphelin de son créateur disparu en 2019. Les lecteurs le Camilleri le sont aussi un peu.

  • Le tour de la bouée

    N°1593 - Octobre 2021

     

    Le tour de la bouée – Andrea Camilleri – Fleuve noir

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani et Maruzza Loria.

     

    Ça ne va pas fort pour Montalbano. Devant le spectacle des violences policières injustifiées contre des manifestants pacifiques et la complicité de la hiérarchie et des politiciens, notre commissaire a tout simplement envie de démissionner. Son écœurement est à son comble quand, au cours d’un de ses bains traditionnels, il butte sur le cadavre en état avancé de décomposition d’un homme qui n’a rien d’un migrant qu’on rencontre trop souvent sur ces côtes. C’est vrai que ce monde est déprimant comme le sont ces foules d’immigrés qui débarquent en Sicile et s’évaporent dans la nature.comme l’a fait cet enfant qu’on a retrouvé écrasé sur une route. Bizarrement, il pense que ses deux morts sont liées même si tout lui donne tort. Mais quel est le lien entre ces deux cadavres, entre immigration clandestine, travail illégal, trafic d’enfants, délinquance et mafia ? Il peut compter sur sa fine équipe d’enquêteurs et pour une fois Catarela, d’ordinaire très approximatif, se révèle être une aide précieuse, même s’il ne le fait pas exprès.

    Le métier de policier met notre commissaire en permanence en contact avec la face sombre de l’espèce humaine. Heureusement qu’il y a encore la beauté des femmes et la cuisine italienne pour racheter tout cela à ses yeux !

    Avec ce roman Camilleri évoque une réalité bien actuelle en Italie.

  • La première enquête de Montalbano

    N°1592 - Octobre 2021

     

    La première enquête de Montalbano – Andrea Camilleri – Fleuve noir

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani et Maruzza Loria.

     

    C’est un recueil de trois nouvelles policières écrites à des moments différents dont la deuxième donne son titre à l’ensemble. Elles ne comportent pas de sang, ce qui est exceptionnel.

    Dans « Sept lundis », il s’agit d’une série de meurtres étranges puisqu’ils sont perpétrés non sur des hommes mais sur des animaux et accompagnés d’étranges messages. Pour enquêter Montalbano devra se référer à la Kabbale et à la Bible qui ne sont pas vraiment sa tasse de thé.

    Dans la deuxième, nous rencontrons Montalbano qui fait ses premiers pas dans la vie, son entrée dans le monde du travail, c’est à dire de la police, sa nomination à Vigàta, sa ville natale, en qualité de commissaire, son adaptation rapide aux coutumes locales, son côté gourmet et, évidemment sa première enquête un peu compliquée où il croise l’incontournable mafia. Dans cette ville qu’il connaît déjà il se sent bien au point de constituer l’embryon de ce qui sera sa fine équipe de policiers et de se forger des amitiés durables qui l’aideront dans sa future tâche de commissaire. Il se révèle déjà bluffeur et, quand il le faut, peu regardant sur les procédures, mais toujours au service de la justice.

    Dans la troisième nouvelle, son équipe est déjà opérationnelle depuis longtemps, il a vieilli et ses querelles avec Livia, son éternelle fiancée génoise, sont toujours aussi orageuses. Dans une ambiance de fêtes de Pâques, une petite fille a disparu puis est retrouvée mais il y a suspicion d’enlèvement. Ses méthodes peu orthodoxes au regard du code de procédure permettront de déjouer les manœuvres de deux familles mafieuses en lutte l’une contre l’autre.

  • Le sourire d'Angélica

    N°1591 - Octobre 2021

     

    Le sourire d’Angélica – Andrea Camilleri – Fleuve noir

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    On ne contrôle pas ses rêves et encore moins les paroles qui s’échappent de son sommeil. Tout commence par une phrase que Livia endormie prononce et qui laisse Salvo Montalbano perplexe au point de douter de sa fidélité. Il est vrai qu’en permanence ils ne vivent pas ensemble, l’une à Bologne et l’autre en Sicile et que cet éloignement peut favoriser l’adultère, mais il est également vrai qu’une vie commune n’empêche en rien les trahisons conjugales et que bien malin qui peut se targuer de connaître véritablement son conjoint.

    Dans sa circonscription, des cambriolages ont été commis aux dépends de la riche bourgeoisie locale selon une même procédure particulière et l’une de ces affaires met Montabano en face d’Angélica, la jolie salariée d’une banque qui arrondit ses fins de mois en se prostituant mais qui aussi correspond à ses fantasmes d’enfant et au personnage du même nom dans le roman «Roland furieux » du poète L’Arioste. C’est peu dire que la beauté de la jeune femme fait de l’effet à Salvo et ce dernier, pour les besoins de l’enquête autant qu’à la demande pressante d’Angélica, passe avec elle un accord pour contrecarrer les cambriolages à venir tout en respectant la discrétion. Tout cela n’empêche pas les lettres anonymes qui nourrissent la suspicion ordinaire de sa hiérarchie et entravent l’enquête en même temps qu’elles lui pourrissent la vie.

    Dans un roman de Camilleri, il y a certes le compte-rendu des investigations que Montalbano mène ordinairement entre bluff, hésitations et éclairs de génie, mais aussi l’équipe qui le seconde, Fazio à la fois fidèle et efficace, Catarella dont la présence ajoute une note de folklore malgré sa récente passion pour l’informatique. Mais l’intérêt du roman ne s’arrête pas là. Un tel épisode dans la vie de Montalbano peut certes le faire rajeunir, lui faisant pour un temps oublier ses 58 ans et perdre la tête pour cette jeune et jolie femme, croire peut-être à nouveau à son charme. Tout commence pour lui par ces quelques mots prononcés nuitamment par Livia et qui jettent le doute dans l’esprit de Salvo avec, sous-jacente, cette idée de vengeance. Dans le même temps il y a cette rencontre avec Angélica et tout ce qu’elle représente pour lui, entre l’attirance qu’il éprouve pour elle à cause de sa séduction naturelle de femme et les fantasmes qu’il porte en lui depuis longtemps et qui trouvent à ce moment précis leur concrétisation. Il y a l’ivresse d’avoir été choisi pour des moments de plaisirs intimes mais aussi, le moment d’extase passé, le sentiment de déception né de la banalité ordinaire qu’il n’imaginait pas, augmenté peut-être de la honte de lui-même pour avoir trahi Livia sur la seule éventualité d’une passade supposée. Ce genre de situation inspirée par le mensonge peut durer longtemps mais trouve parfois sa conclusion grâce au hasard ou à l’aveu. Ici c’est cette dernière manière que choisit Salvo mais Livia, trop attachée ou amoureuse, ne le croit pas.

    C’est pourtant d’une autre sorte de vengeance dont il s’agit ici mais qui dérange Montalbano, autant parce qu’il prend conscience qu’il a été manipulé à cause de ce satané et peut-être tardif « démon de midi » que parce qu’il doit faire jusqu’au bout son métier de flic, quoi qu’il puisse lui en coûter.

    Depuis que j’ai découvert Camilleri, c’est toujours le même plaisir de le lire d’autant qu’en plus de l’intrigue policière il y a souvent, comme ici, une dimension psychologique qui justifie bien qu’on ait donné à Camilleri le titre de Simenon italien.

     

  • La voix du violon

    N°1590 - Octobre 2021

     

    La voix du violon – Andrea Camilleri – Fleuve noir

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani et Maruzza Loria.

     

    Montalbano vient de découvrir un peu par hasard le cadavre d’une jeune et jolie femme, Michela Licalzi, assassinée dans sa maison juste construite. Bizarrement elle était nue dans une mise en scène macabre et ses vêtements ont disparu, une manière comme une autre de brouiller les pistes. Son mari est chirurgien à Bologne et la victime, quand elle venait dans la région, logeait à l’hôtel.

    L’enquête s’enlise et s’oriente bizarrement vers un malade mental, mais cette piste ne convient pas à notre commissaire, le mari de la victime révèle un couple bien étrange et Montalbano, cible ordinaire d’une hiérarchie tatillonne et d’un collègue envieux et flagorneur se trouve dessaisi puis à nouveau en charge de cette affaire, le tout dans le quotidien de la mafia et la mort opportune d’un présumé coupable. Pour notre commissaire, il y a de quoi en perdre son latin et ce d’autant qu’entre temps ses investigations l’amènent à tomber amoureux d’une jolie femme. Qu’importe, il n’aura pas trop de tout son talent et de sa patience d’enquêteur, et ce malgré les méprises et les fausses pistes, pour éclaircir cette affaire bien compliquée. Une enquête est l’occasion de faire des rencontres et pas forcément des meurtriers ; ici il va croiser notamment un maestro violoniste. De son propre aveu, Montalbano n’y connaît pas grand chose en musique et plus particulièrement en violon, mais c’est pourtant cet instrument qui va l’aider à rétablir les faits, découvrir le vrai assassin et rendre hommage à la mémoire de celui qui a été injustement accusé.

    Il galère toujours avec Livia, sa lointaine fiancée génoise et ce d’autant qu’ils traversent une crise liée à l’adoption éventuelle d’un petit garçon. Le tout sur fond de recettes de cuisine sicilienne capables de faire saliver les plus accrocs au jeûne.

    Cette enquête à la Simenon fut encore un bon moment de lecture.

  • L'excursion à Tindari

    N°1589 - Septembre 2021

     

    L’excursion à Tindari – Andrea Camilleri – Fleuve noir

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani et Maruzza Loria.

     

    Montalbano a l’appétit coupé et ce n’est pas facile de lui faire passer l’envie de manger. Son adjoint, Mimi va se marier, ce qui est déjà une nouvelle étonnante mais surtout il va demander sa mutation dans un autre commissariat, sûrement sur le continent. C’en sera fini de cette belle équipe, Augello, Fazio et Catarella, qu’il a si patiemment constituée et à laquelle il est très attaché. Mais Mimi n’a pas dit son dernier mot et l’amour vous joue des tours pendables quelquefois! Apparemment cela plaît à sa hiérarchie qui verrait ce démantèlement d’un bon œil, ce qui n’enchante pas le commissaire tant il est en délicatesse avec elle. De plus tous ces anciens copains de 68 n’ont pas résisté à l’attrait de l’argent, de la réussite et il ne digère pas cet abandon des « idéaux révolutionnaires » de leur part. Ajouter à cela une Livia, son éternelle fiancée génoise, absente et parfois désagréable au téléphone, notre commissaire n’est pas dans ses meilleurs jours et ce n’est pas la lecture des romans policiers de Vasquez Montalbàn, l’auteur catalan qu’il affectionne, ni la rencontre de Beatrice, une belle jeune femme qui est aussi témoin et que Mimi trouve à son goût, qui vont apporter un remède à cette mauvaise passe. Il se console quand même avec les intuitions que lui inspirent un vieil olivier tordu !

    A côté de cela, il se retrouve en charge de deux enquêtes qui ne le passionnent guère, la disparition d’un couple de retraités un peu bizarres, partis en excursion dans la ville de pèlerinage de Tindari, et qu’on retrouvera trucidés et l’assassinat d’un petit Don Juan de sous-préfecture qui habitait le même immeuble, deux affaires qui sont peut-être liées ? Ces laborieuses investigations autour de photos, de vidéos, d’un livret de caisse d’épargne, d’un curé, d’un médecin cupide, dans l’ombre de l’incontournable mafia, s’effectuent sous  le regard d’un questeur de plus en plus tatillon et soupçonneux. Montalbano et son équipe mettront à jour un trafic délictueux d’organes qui confortera la solidité et la pérennité de cette équipe et peut-être aussi l’avenir amoureux de notre commissaire. Pour le moment il lui reste les plaisirs de la table.

    D’une manière générale j’aime bien les romans de Camilleri, mais je dois avouer que celui-là m’a paru un peu moins attachant .

  • chien de faïence

    N°1587 - Septembre 2021

     

    Chien de faïence – Andrea Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Contrairement à la plupart ds gens, le commissaire Montalbano refuse la promotion qui le déplacerait, sans doute à cause de l’attachement à cette terre de Sicile, à cette ville et à sa gastronomie dont il fait un usage à peine raisonnable, à ses collègues, à ces fonctions de terrain, allez savoir... Pourtant l’arrestation spectaculaire de Tanou u Grecu, un mafieux en cavale depuis des années et qui contrôle la prostitution sur l’île , va sans doute précipiter sa nomination au grade de «vice-questeur ». Cette perspective ne l’enchante guère, pas plus d’ailleurs que l’incontournable conférence de presse télévisée qui suit. Par ailleurs, des informations lui permettent de mettre à jour un trafic d’armes avec la découverte de cadavres quasi momifiées depuis cinquante ans d’un homme et d’une femme, dans une grotte, en plein ébats amoureux figés dans la mort et dans une mise en scène étrange. Suicide romantique, assassinat ou rite funéraire? Il mènera son enquête entre découragement et volonté farouche de faire éclater la vérité.

    Éternellement fiancé à la génoise et lointaine Livia avec qui les rapports sont parfois houleux, il n’en reste pas moins ébloui par les belles femmes et, comme il ne leur est pas indifférent, il sait, à l’occasion, les mettre à contribution, pour les besoins de l’enquête, évidemment ! Ici, la caverne tient à la fois du mythe et de la réalité et face à ce qui est un mystère, notre commissaire sait aussi solliciter des érudits qui explorent le Coran et autres textes anciens, le double sens de certains mots, sans oublier de faire appel à son imagination la plus créative et même la plus risquée.

  • L' odeur de la nuit

    N°1586 - Septembre 2021

     

    L’odeur de la nuit – Andrea Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani et Maruzza Loria.

     

    Émoi dans Vigata. Le comptable Gargano, honnête et intègre comme il se doit, a disparu en emportant les économies de bien des gens, glanées grâce à un système vieux comme le monde, un énorme mensonge qui, bien entendu a fonctionné. Bref, il les a escroqués, même si sa secrétaire, follement amoureuse de son patron, refuse encore d’y croire. Ça occasionne à Montalbano des états d’âme à cause d’un éventuel dépôt de fonds effectués par un tiers chez ce malfaiteur. Il en fait une affaire personnelle !

    Nous retrouvons un Montalbano toujours aussi bluffeur, qu’ils s’agisse de faire éclater la vérité ou d’affronter ses supérieurs. Cette fois c’est une veille histoire, vieille de quelques années que le Questeur exhume, évidemment averti par une lettre anonyme . Comme par hasard ces deux affaires sont peut-être liées ! Notre commissaire enquête donc, mais une enquête est toujours imprévisible et des rencontres qu’on y fait sont improbables. Comme si l’escroquerie ne suffisait pas, s’y ajoute un meurtre avec mise en scène. Grâce à ses deux habituels comparses Fazio et Augello, notre commissaire, même s’il n’est pas officiellement chargé de l’enquête, finit par comprendre les différentes phases de cette affaire et ensemble ils la reconstituent façon scénario de film. Nous sommes en Italie où le cinéma fait partie de la vie et en Sicile, si on ne comprend pas un assassinat on peut toujours en accuser la mafia. Cela a au moins l’intérêt de la vraisemblance.

    Mais ce Montalbano doit bien être doté d’un sixième sens, à moins que ce ne soit sa connaissance de la nature humaine avec toutes ses nuances obscures, ses refus, ses fantasmes, ses blocages intimes, ses pulsions, ses folies, et sa version risque d’être sensiblement différente des conclusions officielles.

    Montalbano vit ses éternelles et lointaines fiançailles, quant à Mimi, son adjoint, il va se marier même s’il hésite encore à sauter le pas, ce qui ne lui empêche pas de papillonner, mais quand même, il est un peu jaloux, notre commissaire. Il est toujours préoccupé par son âge mais ça ne l’empêche pas d’aimer les bonnes choses de la vie à commencer par la nourriture. C’est une forme de compensation, mais moins forte cependant que la lecture des romans de Simenon ou de Faulkner que pourtant il aime lire.

  • l'age du doute

    N°1584 - Septembre 2021

     

    l’âge du doute – Andrea Camilleri – Fleuve Noir

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani

     

    Un yacht de luxe vient d’aborder dans le port de Vigatà avec, à son bord, le cadavre d’un homme défiguré et nu, trouvé en mer sur un canot de sauvetage. Cela promet des ennuis en respectives pour la propriétaire, la Giovannini, une femme autoritaire, carrément nymphomane qui est aussi passagère, le commandant Sperli et son équipage. Ils vont devoir attendre la fin de l’enquête. Les choses se compliquent un peu avec l’arrivée d’un bateau de croisières dont la présence au port paraît assez étrange, la révélation d’informations qui ne le sont pas moins et d’un mort supplémentaire.

    Le commissaire Salvo Montalbano est de plus en plus tracassé par son âge (58 ans) et par la retraite qui s’annonce. Il peut d’ailleurs compter sur le médecin-légiste pour le lui rappeler, lequel ne s’en prive d’ailleurs pas. Il a conscience qu’une page s’est tournée dans sa vie sentimentale et que le temps a sur lui fait son œuvre destructrice. Ses amours avec Livia, son éternelle fiancée génoise, sont lointaines et épisodiques et c’est sans doute pour tout cela qu’il a des doutes sur sa capacité de séduction. Elle va d’ailleurs être mise à l’épreuve par la rencontre, dans le cadre de cette enquête, avec Laura Belladona, la séduisante lieutenante de la capitainerie du port. Leurs relations éphémères oscillent entre la volonté de se laisser porter par les événements et d’en retirer le meilleur et celle de bousculer le destin, une sorte de valse entre hésitation et attirance avec la crainte de remettre en cause tous ses propres projets et ce qu’on croit acquit définitivement. Dans ce genre de situation les espoirs les plus fous germent dans les têtes et l’imagination n’a plus de limite. C’est que cette jeune femme bouleverse à ce point notre commissaire qu’elle le met, sans le vouloir vraiment, face à lui-même, avec son âge, ses désillusions, ses folles pensées, ses accès secrets de culpabilité, et malgré tout, son charme naturel continue à agir au point qu’elle même en est ébranlée. C’est une très belle femme, comme son nom l’indique, mais les phases de cette enquête vont la faire douter d’elle-même, de son avenir, sans qu’on sache très bien si elle choisit son destin ou si elle s’abandonne aux circonstances, entre prémonition et renoncement. La fatalité, le hasard ou une quelconque divinité régleront la tranche de vie de ces deux êtres qui peut-être envisageaient des moments intimes passionnés ou un futur commun différent, malgré tout ce qui pouvait raisonnablement les opposer, mais nous savons tous fort bien qu’en amour la raison est souvent mise de côté. Ce genre de doute arrive à tout âge et le nom que porte cette jeune femme est aussi celui d’un poison. C’est donc un roman policier bien construit, sans doute un des meilleurs que j’aie lu sous la plume de Camilleri, plein de rebondissements et de suspense qui tiennent en haleine son lecteur jusqu’à la fin, mais c’est aussi une réflexion sur la vieillesse, sur le pouvoir de séduction qui disparaît avec les années mais qui peut resurgir sans crier gare, une illustration des paroles d’Aragon : « Rien n’est jamais acquit à l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur et quand il croit ouvrir les bras son ombre est celle d’une croix, sa vie est un étrange et douloureux divorce, il n’y a pas d’amour heureux ». J’ai éprouvé ici, ce qui arrive rarement dans un roman policier, même sous la plume de Camilleri, ce supplément d’émotion qui fait que l’intrigue policière, pourtant intense et passionnante, passerait presque au second plan.

    Mais restons pour cette enquête, dans le contexte de la séduction, puisque Montalbano charge son adjoint Mimi Augello, de séduire la propriétaire du bateau, mais dans le seul but de faire avancer l’enquête et de favoriser la manifestation de la vérité, évidemment ! Son côté « donnaiolo »(comme disent si joliment nos amis italiens) est bien connu du commissaire mais il y a fort à parier que cette fois il fera du zèle « professionnel »ce qui, accessoirement, suscitera chez son supérieur vieillissant une sorte d’envie.

    Entre ses rêves parfois morbides, ses obsessions, ses jalousies, ses fantasmes, Salvo se débat comme il peut avec cette enquête qui finalement le dépasse, et les obsessions administratives du Questeur, entre improbables mensonges et investigations perturbées par ses tourments amoureux. C’est pour lui l’occasion de réfléchir sur l’amour, le désir sexuel d’une femme, de regretter les ravages de l’âge et le mirage des impasses ...En tout cas ça lui occasionne des états d’âme dévastateurs au point de se laisser aller à écouter la voix de sa conscience et de discuter avec elle. Ce soliloque serait plutôt le signe d’un vieillissement prématuré. Reste que cette enquête perturbe tellement notre commissaire qu’il y associe l’ombre de la mafia.

    L‘âge qui paraît tant tracasser Montalbano n’entame en tout cas pas son appétence pour les pâtes ‘ncasciata, pour la caponata ou le rouget frit, et quand il ne profite pas de la carte alléchante de son ami le restaurateur Enzo, il se goinfre des réalisations culinaires d’Adelina sa femme de ménage, ce qui ne doit arranger ni son poids ni son taux de cholestérol !

    Camilleri est, à tort ou à raison, considéré comme le Simenon sicilien. Il y est d’ailleurs fait, dans cet ouvrage, une référence à un de ses personnages. La figure de Montalbano a été popularisée en France par l’adaptation des intrigues policières de Camilleri pour la télévision. Il est incarné avec talent à l’écran par Luca Zingaretti mais je ne retrouve pas exactement, dans son jeu d’acteur, l’image que je me suis faite du commissaire à travers les romans.

  • la lune de papier

    N°1582 - Septembre 2021

     

    La lune de papier – Andréa Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Au cours de ses enquêtes, il est rare que le commissaire Salvo Montalbano ne croise pas des femmes, le plus souvent fort belles. Cela donne pour lui un intérêt particulier à ses investigations et ici c’est aussi le cas. Il est vrai que notre commissaire n’est pas indifférent à leur charme, pas au point cependant du procureur Tommaseo, un obsédé sexuel qui ne peut regarder une femme sans l’imaginer complètement nue. En effet Angelo Parlo, célibataire, ex-médecin radié de l’Ordre pour une vieille histoire d’avortement clandestin et informateur secret, généreux avec sa maîtresse et expert en informatique, est retrouvé mort d’une balle dans la tête, chez lui dans une tenue assez équivoque. Notre commissaire, pour éclaircir cette affaire va croiser Michela Pardo, la sœur de la victime, une brune à la beauté inoubliable et Elena Scalfani, sa troublante maîtresse et d’autres aussi avec leur histoire parfois sordide. Pardo se révèle lui-même être un mystère.

    Ces deux femmes (plus une troisième, la rousse Paola, ex-maîtresse de Pardo, mais elles ne sont pas les seules) vont tellement troubler notre pauvre Salvo qu’il va bien finir par croire que la lune est en papier comme son père à qui il faisait une confiance aveugle dans son enfance le lui avait déjà affirmé. Il faut dire qu’elles font chacune assaut de jalousie pour faire accuser l’autre, ce qui n’est pas sans le dérouter et puis toute cette affaire regorge de fausses pistes, d’impasses, de mensonges en tout genre, de mises en scène, notamment sur la mort de Parlo. Qu’est ce que c’est que cette histoire de lettres cachées (et retrouvées « par hasard » par Montalbano), ce livret de chansonnettes et ces codes que Catarella a tant de mal à déchiffrer, cette cassette blindée disparue ? Salvo en perd son latin ! Pourtant, il est toujours égal à lui-même, intuitif et surtout bluffeur, c’est selon !

    Dans cette enquête la prostitution, la drogue, la mafia s’invitent et avec elles la mort qu’elles sèment autour d’elles et l’hypocrisie qui va avec parce qu’il n’est pas question que des notables soient mêlés à cette forme de délinquance .

    Roman qui intègre le système politique italien et notamment l’opération « Mains Propres » qui révéla un système de corruption politico-économique visant à financer les partis politiques italiens.

    Ce fut un bon moment de lecture, comme d’habitude.

  • Les ailes du sphinx

    N°1581 - Septembre 2021

     

    Les ailes du sphinx – Andréa Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Pour cette enquête nous retrouvons les mêmes, Cattarella qui aurait bien besoin d’un appareil auditif tant il modifie les mots, Montalbano toujours aussi morfal et tout le reste de la bande. Présentement, ce qui l’occupe c’est le cadavre d’une jeune femme découvert nue dans une décharge avec pour seul indice un tatouage en forme de papillon et plus exactement de sphinx. C’est bien maigre ! Cela peut-être un indice où simplement la marque d’une mode. Cela au moins à l’avantage de lui changer les idées parce que, avec Livia, son éternelle mais lointaine fiancée, c’est plutôt l’orage. Il a tout fait pour cela, le bougre, puisqu’il papillonne beaucoup, malgré l’âge qui de plus en plus le titille et sa récente incartade avec une très jeune demoiselle n’a pas été du goût de sa régulière. Ils vivent chacun à un bout de l’Italie, elle à Gêne, lui en Sicile, ils s’aiment, ne peuvent se passer l’un de l’autre, entre eux c’est « pas avec toi mais pas sans toi », mais c’est toujours des engueulades souvent par téléphone interposé, bref ils ont tout d’un vieux couple !Comme un tracassin n’arrive jamais seul, il est aussi chargé de l’enlèvement pour le moins bizarre du marchand de bois Picarella, deux affaires pas vraiment liées l’une à l’autre, en apparence.

    La première affaire doit avoir une importance certaine puisque ses investigations remuent beaucoup de monde, même l’Église et ce pauvre commissaire est bien seul au point qu’il soliloque et interroge alternativement Montalbano 1 et 2 mais, c’est peut-être la voix de sa conscience ou du bon sens mais, même dans son dialogue intérieur, Livia est toujours présente.

    Tout est étrange dans cette affaire menée par notre commissaire et ses habituels comparses, dans une ambiance tendue et des restrictions budgétaires de plus en plus grandes, ces meurtres de jolies femmes, cet enlèvement sans demande de rançon, cet incendie volontaire, cela sent la prostitution, l’adultère, la marque de l’incontournable mafia, la frilosité d’une hiérarchie policière d’autant plus hésitante que risquent d’être mis en cause des notables et surtout une organisation de bienfaisance catholique dont on ne saurait douter puisqu’elle est officiellement garante du message de l’Évangile, mais elle l’oublie opportunément comme d’habitude et fait honneur à sa caractéristique constante d’hypocrisie.

     

  • la danse de la mouette

    N°1579 - Septembre 2021

     

    La danse de la mouette – Andrea Camilleri – Fleuve Noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Emoi dans le commissaria de Vigata, Fazio, l’inpecteur indispensable du commissaire Montalbano a disparu. Officiellement il n’était pourtant pas sur une enquête précise mais compte tenu du contexte sicilien l’affaire est d’importance au point de mobilider tous les policiers disponibles pour le retrouver. Le commissaire en perd le sommeil et en oubie même Livia son éternelle fiancée venue passer quelques jours avec lui.

    On est effectivement en Sicile, c’est à dire qu’on n’hésite pas à poursuivre quelqu’un pour le tuer jusque sur son lit d’hopital et ce ce qui arrive à Fazio enfin retrouvé et transféré pour y être soigné. Cette enquête nous montre un Montalbano toujours aussi gourmand (on peut craindre pour son taux de cholestérol dont l’auteur ne nous parle cependant jamais – on a tout juste droit aux prémices de le vieillesse qui s’annonce pour notre commissaire), toujours aussi facétieux avec les carabiniers et même avec sa hiérarchie (la blague qu’il sert au questeur pour justifier son absence est loin d’être du meilleur goût et ce fonctionnaire passe carrément pour un imbécile), bluffeur aussi et même un peu balourd quand même au point de ne pas pouvoir s’orienter dans un hôpital aux couloirs pourtant bien balisés. Il est vrai qu’il y a croisé la belle Angela, une infirmière qu’il aimerait bien mettre dans son lit mais que sa vigilance de policier détourne à temps de cette entreprise (et sans doute aussi un peu l’âge ou la présence même virtuelle de Livia). Il est bien sûr question de trafic, d’enlèvements, de contrebande, de meurtres, de la mafia et de collusion avec le pouvoir politique, l’ordinaire de la Sicile en quelque sorte.

    Entre temps la recherche de Fazio a permis de mettre la main sur deux cadavres dont un, un ancien danseur, a été torturé à coups de balles dans le pied, ce qui l’a fait danser avant de mourir. Cette danse rappelle à Montalbano une image qui l’obsède depuis le début, celle d’une mouette qui avant de s’abîmer sur la plage à exécuté devant lui une sorte d’étrange chorégraphie, comme un mauvais présage.

    Je m’attendaisà un parralllèle entre ces deux formes de danse, mais là je suis resté sur ma faim.

    D’ordinaire j’aime bien lire Camilleri, mais cette fois j’avoue avoir été moins captivé par ce roman.

     

     

  • Une voix dans l'ombre

    N°1575 - Août 2021

     

    Une voix dans l’ombre– Andrea Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    On pense ce qu’on veut du jour de son anniversaire (une fête qu’on célèbre avec cadeaux et libations ou, plus précisément dans le cas de notre commissaire, le rappel inexorable de la marche du temps qui donne le vertige), mais ce 6 septembre c’est celui du commissaire Salvo Montalbano (58 ans déjà). Pourtant, dans sa cuisine, il est attaqué par un poulpe destiné à son menu et à la station-service c’est un automobiliste irascible qui s’en prend à lui. Il y a des journées qui commencent sous de meilleurs auspices ! Effectivement, la compagne de son agresseur est assassinée atrocement peu après et le Directeur d’un supermarché cambriolé est retrouvé pendu après avoir été malmené par la police. En réalité, Montalbano y voit la patte de la mafia, l’établissement en question étant sa propriété et aussi la volonté du pouvoir politique de se débarrasser de lui. Pourtant ces deux affaires semblent bien étrangères l’une à l’autre.

     

    Les investigations avançant, les choses s’éclaircissent un peu entre meurtre camouflé en suicide, double comptabilité, rapt, faux cambriolage et mise en cause de l’agresseur qui est aussi le fils d’un homme politique, le tout enveloppé dans l’hypocrisie et dans un silence causé par la crainte de la mafia. Pourtant, est-ce dû à l’âge, à une curiosité maladive ou à une volonté d’autodestruction mais Montalbano prend la décision de servir de bouc-émissaire dans ces affaires où les carrières et même les vies ne pèsent pas lourd. C’est que, une des caractéristiques de Montalbano c’est d’être révolté contre l’injustice , le mensonge, la fourberie et d’être animé par la volonté de faire triompher la vérité. On peut dire qu’il est têtu et ce même si sa position, qui résulte parfois d’une intuition, bouscule la logique ou l’évidence et pour faire triompher son point de vue il ne recule ni devant le bluff, ni devant l’audace, ni devant l’illégalité. Pour l’aider dans sa démarche il a heureusement ses chers collèges du commissariat, des amis sûrs à l’extérieur, pas mal de chance et aussi les recettes de cuisine d’Adelina, sa femme de ménage, le café (il est Italien) et le whisky qui sont aussi des soutiens efficaces.

    Ce fut pour moi, comme habitude, un bon moment de lecture.

  • une lame de lumière

    N°1574 - Août 2021

     

    Une lame de lumière – Andrea Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Dans cet épisode Salvo Montalbano est amoureux de Marian, une belle galeriste de Vigàta rencontrée par hasard. Cette fois, c’est du sérieux de part et d’autre au point pour lui de devoir choisir entre elle et Livia, son éternelle fiancée du nord de l’Italie. Depuis que j’ai fait la connaissance de notre commissaire, j’avoue qu’on peut s’interroger sur la nature exacte de leurs relations. Ils vivent constamment séparés, se rejoignent de temps à en temps pour quelques jours puis elle repart et leurs conversations téléphoniques sont souvent houleuses. Montalbano déclare aimer Livia, mais considère que, depuis toutes ces années, s’il l’avait épousée, leur amour n’aurait pas résisté à l’épreuve du temps et ils se seraient séparés au bout de quelques années. Sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas, je souscris néanmoins à cette analyse. L’étonnant c’est qu’elle sont toutes les deux attachées à Salvo et, quant à lui, il est tellement perturbé par cette situation qu’il lui arrive même de se tromper dans leur prénom respectif. C’est peut-être de la sénilité qui apparaît, mais c’est peut-être pire. Il doit composer avec la solitude qui de plus en plus l’assaille et temporiser entre ces deux femmes pour pouvoir faire un choix.

    Il se trouve confronté à une affaire assez bizarre telle qu’elle lui est présentée, un viol qui n’en est pas un et un vol bien réel, ce qui lui permet de mettre une nouvelle fois en œuvre son esprit critique, sa roublardise et son sens de la logique qui lui ont depuis longtemps fait considérer que les évidences Ne sont pas obligatoirement réelles et qu’il faut considérer l’alibi le plus solide avec beaucoup de réserves. Ainsi est-il amené à ne pas faire confiance à une femme jeune et jolie surtout si elle est mariée à un vieux barbon beaucoup plus riche qu’elle.

    Son culte de la vérité l’entraîne ici à investiguer sur trois terroristes tunisiens qui semblent cacher et trafiquer des armes dans la campagne environnante. Cette affaire d’évidence lui échappe et est du ressort des services antiterroristes mais là aussi son esprit critique l’aide à faire la part des choses. .. et à agir comme il l’entend.

    Il y a habituelle série d’assassinats, de voiture brûlées avec toujours avec l’ombre de la mafia. Pourtant, toujours fidèle à sa méthode de ne pas prendre pour vrai les évidences et peut-être aussi d’être assez clairvoyant pour ne pas tomber dans les pièges qu’on lui tend, il ne manque pas de réfléchir surtout quand quelque chose ne colle pas.

    Pour ce qui le concerne personnellement cette affaire de Tunisiens se termine pour lui d’une manière qu’il aurait eu du mal à concevoir malgré toute son imagination mais qui finalement résoudra son problème de choix.

     

    Nous retrouvons Montalbano amateur de cuisine, de café et de whisky, toujours entouré de ses fidèles collaborateurs, l’inénarrable Catarella, Fazio l’efficace et Augello le séducteur impénitent

    Comme à chaque fois ce fut un bon moment de lecture à cause du style, de l’humour et du suspense.

     

  • Jeu de miroirs

    N°1573 - Août 2021

     

    Jeu de miroirs – Andrea Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Tout saute à Vigala et on ne compte plus les commerces détruits peut-être à cause de l’impôt mafieux non payé, les fusillades et les disparitions. Pourtant une bombe est disposée de telle manière devant un immeuble comportant également des appartements qu’on aurait dit qu’elle était destinés à un résident et non pas au commerçant. Erreur ou avertissement ou simplement volonté de brouiller les pistes de la part de la sempiternelle mafia, comme dans un jeu de miroirs ? Qu’y a t-il en effet de plus trompeur d’un reflet de miroir , à la fois déformant et générateur d’imagination parce que là est souvent la frontière entre la réalité et l’illusion voire le fantasme, et en ce qui concerne Montalbano entre vérité, et fausse piste, apparence et évidence, innocence et culpabilité.

    Dans le même temps Montalbano qui apporte son aide sa voisine en panne de voiture, la belle Liliana, un peu délaissée par son mari et tombe sous le charme de celle-ci. Pourtant le moteur de la voiture a été endommagé volontairement, ce qui n’est pas sans poser des questions au policier d’autant qu’il découvre qu’elle a des mœurs assez libres. Cette incivilité est peut-être le fait d’un amant éconduit ?Dans cet épisode Montalbano a quelque chose du « donnaiolo » (Don Juan) comme disent si joliment nos amis Italiens mais le sex-appeal de Liliana auquel il n’est pas indifférent peut cacher une demande de protection et peut-être un appel au secours … ou d’une volonté de le manipuler. Cette belle femme bouleverse le cœur des hommes qui la croisent mais malheureusement cela va lui porter malheur, sur fond de trafic de drogue, de jeu d’influence entre clans mafieux, de règlement de comptes et de volonté de se débarrasser du commissaire un peu trop curieux et pas mal roublard par la même occasion.

    Nous retrouvons un Montablabano toujours aussi éloigné géographiquement de Livia son éternelle compagne et aussi pas mal jaloux au point que chacune de leurs conversations téléphoniques qui devraient normalement être amoureuses se terminent immanquablement en engueulades. S’il a perdu un peu de sa jeunesse et de sa souplesse, il a cependant gardé son appétit pour la cuisine italienne et nous avons droit ici à de nombreuses recettes et peut-être aussi à leur fumet.

    Un bon moment de lecture en tout cas.

  • Le voleur de goûter

    N°1572 - Août 2021

     

    le voleur de goûter – Andrea Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l’italien par Serge Quadruppani et Maruzza Loria.

     

    Le titre évoque l’enfance, l’école, les cours de récréation. On n’en est cependant pas si loin.

    Pourtant il s’agit d’une enquête policière où Salvo Montalbano est confronté au meurtre d’un sexagénaire poignardé dans l’ascenseur de son immeuble. Inévitablement la veuve interrogée parle de lettres anonymes, découvre la double vie de son mari avec la marque de l’inévitable mafia . Dans le même temps, il est question d’un marin tunisien tué à bord d’un bateau de pêche sicilien mitraillé par une vedette de la marine tunisienne. Ajoutez à cela du terrorisme, du rapt, de la prostitution, du chantage, de l’adultère et du trafic de matières illicites, sans parler, et pour la première fois des Services secrets, et vous saurez l’intrigue et les rebondissements d’un bon polar. Il fait d’ailleurs montre à cette occasion d’une ruse hors du commun où le bluff tient un grande place pour parvenir à ses fins.

     

    J’ai toujours été intrigué par Livia et son éternel éloignement dans le nord de l’Italie. Un peu malgré lui Montalbano aura une image de ce que peut-être la vie durable de couple avec un enfant, le petit François, ce qui n’a pas été sans le perturber quelque peu. Cet attachement soudain de sa compagne à ce petit garçon qui par la suite deviendra officiellement orphelin, est révélateur et génère sans doute chez lui quelque chose comme une obligation de partage de Livia ou chez elle une fibre maternelle inconnue ou volontairement occultée jusque là de la part du commissaire. J’ai toujours été étonné de la solitude de ce policier, sans doute entretenue par lui et que maintenant il souhaite interrompre définitivement en se mariant et en adoptant.

     

    Comme toujours, le style fluide fait de ce roman un agréable moment de lecture.

  • Le garde-barrière


     

    La Feuille Volante n° 1386 Septembre 2019.

    Le garde-barrière - Andrea Camillieri - Fayard.

    Traduit de l'italien par Dominique Vittoz.

    Ce roman nous ramène dans l'Italie fasciste du début de la Seconde guerre mondiale en Sicile. Nino, garde barrière et son épouse Minica vivent en bordure de la voie ferrée avec espoir d'enfant et gain inespéré à la loterie. Cela pourrait être le bonheur quand, en l'absence de son mari, Minica est violée et laissée pour morte, perd son bébé et ne pourra plus avoir d'enfant. Elle s'en remets mais le temps qui passe ne fait rien à l'affaire, sa stérilité devenant à ce point obsédante qu'elle se prend pour un arbre, veut s'enraciner dans le terre de leur jardin et porter des fruits. Son mari entre dans son jeu et fait ce qu'il peut pour l'aider à guérir de son obsession quand le hasard, l'imagination de Camillieri ou peut-être la Providence, après tout nous sommes en terre italienne, vient gommer ce qui aurait pu être des vies visitées par le malheur, même si l'épilogue tient un peu trop facilement du "happy end".

    Malgré le contexte, la vie, l'amour mais aussi la mort sur fond de guerre et de malheur, la tendresse, l'humour, l’espérance, bref, l'ordinaire de l'espèce humaine constituent la trame de ce court texte. C'est un roman à la langue truculente, pleine de néologismes et d'expressions siciliennes, mélange d’italien et de dialecte local, ce qui a sans doute été pour la traductrice un défi d'importance qu'il convient ici de saluer. Il se lit bien et même rapidement et a été pour moi un bon moment de lecture.

    Ce n'est peut-être pas le roman le plus connu de Camilleri (1925-2019), peut-être pas le meilleur non plus, mais cet auteur sicilien de romans policiers, récemment décédé au mois de juillet de cette année, connu notamment en France par la série télévisée qui a popularisé le commissaire Montalbano, a laissé ce dernier orphelin et les amateurs de ses romans bien tristes.


     

     

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

  • il diavolo, certamente

    La Feuille Volante n°1059– Août 2016

    IL DIAVOLO, CERTAMENTE – Andrea Camilleri – Libellule Mondadori.

     

    On dit qu'il se cache dans les détails, qu'il ne faut pas le tenter, qu'on peut lui vendre son âme, que les femmes ont sa beauté, mais on pourrait tout aussi bien penser qu'il est dans les non-dits, dans tout ce qui n'est pas révélé. Comme nous l'enseigne l’Église, le diable est partout et pour nous, pauvres humains, il se manifeste dans la compromission, la perfidie, le mensonge la trahison, la lâcheté, l'adultère… d’autant plus facilement ce cela fait partie de notre nature. Et c'est sans doute quand il s'habille en Prada qu'il est le pire

     

    J'ai lu ces courtes nouvelles au nombre de trente trois, en italien, et souvent à haute voix, pour la beauté et la musicalité de cette langue. C'est toujours un plaisir. Elles sont délicieusement amorales, parfois drôles, parfois tragiques, le miroir de la vie tout simplement. Camilleri, surtout connu par ses romans policiers, fait ici dans l'abrégé, dans la concision, jusque dans la chute et chacune de ses nouvelles compte environ trois pages, un peu comme si elles étaient écrites pour les lecteurs pressés d'aujourd'hui. [d'ailleurs 33 nouvelles de 3 pages chacune donnent 333 et si vous le multipliez par deux vous obtenez 666 est est le chiffre du diable lui-même !]Il ne fait pas non plus dans l'analyse psychologique comme on pourrait s'y attendre, pas davantage dans les descriptions et les dialogues sont réduits à leur plus simple expression. Son panel est étendu et il n’épargne personne, juges et cambrioleur, employés, époux, professeur, écrivains (pourquoi pas?) et même prêtres, après tout, pour être les représentants de Dieu sur terre, ils n'en sont pas moins des hommes !

     

    Ses thèmes favoris sont le couple, ce qui dans ce domaine n'est guère étonnant et on ne peut quand même pas lui reprocher, à lui l'auteur célèbre de thrillers, d'abandonner le crime dont il a fait son fonds de commerce. Il met volontiers ses personnages dans le contexte du quotidien le plus banal ou face à leur destin ou à l'ironie du sort et pourquoi ne pas y voir là aussi la marque du diable ? Après tout que la vie d'un homme à la cinquantaine rangée et comme définitivement établi, vienne à être, par le plus grand des hasards, dérangée par un amour de jeunesse qui soudain refait surface, qu'un service qu'on aurait pas dû rendre se matérialise en catastrophe, qu'un lapsus, par ailleurs révélateur, soit le fait d'un ecclésiastique que, même au pays de la Mafia, un tueur ne puisse pas honorer son contrat, qu'une épouse rencontre fortuitement les deux maîtresses de son mari, qu'un crime dont on accuse un innocent qui ne pourra pas se disculper soit payé par lui et malgré lui, qu'un magistrat trop amateur de romans policiers soit induit en erreur par une de ses lectures, qu'un partisan soit trahi par une simple souris, on peut toujours imaginer que cela puisse arriver. Après tout la fiction, qui est parfois bien en de-ça de la réalité, est là pour nous inviter à sa table.

     

    Après tout, notre condition d'homme nous réserve parfois des surprises pas toujours agréables. L'argent, le sexe, c'est ce qui fait marcher le monde et parfois aussi ils contribuent à sa destruction. Il ne faut pas oublier non plus les distinctions et promotions, pourtant temporaires et illusoires, mais qu'on recherche et justifie pour écraser et parfois éliminer son prochain. Les vices et les travers de la condition humaine sont une mine pour l'écrivain attentif, devenu ici un conteur d'exception, et la morale n'est pas toujours sauve parce que la justice immanente, celle dont on nous a tant rebattu les oreilles et qui est censée punir les méchants et récompenser les bons, n'existe pas. Quant à la justice des hommes, Blaise Pascal, en peu de mots, en a résumé le sens et toute la philosophie  ! Même si cela nous choque, heurte notre bon-sens, ce sont souvent les tricheurs, les menteurs, les épouses et époux adultères qui ont raison et les innocents qui ont tort. Le hasard gouverne nos vies, l'erreur est humaine, la naïveté, l’hypocrisie aussi et les fausses certitudes égarent le jugement le mieux aiguisé... L'espèce humaine, dont nous faisons tous partie, est capable du pire comme du meilleur, mais c'est bien souvent le pire qui l'emporte et quand il s'agit de s'affirmer face à l'autre et souvent d'être son bourreau nul n'est à court d'imagination. On peut toujours chercher ailleurs des responsables de tout ce qui nous porte préjudice, de donner un visage à cette malchance qui parfois nous assaille... c'est diablement humain !

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA PISTE DE SABLE

    N°761 – Juillet 2014.

    LA PISTE DE SABLE – Andrea Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l'italien par Serge Quadruppani

     

    Le commissaire Montalbano a la chance d'avoir une maison avec vue sur la mer. Pourtant, un matin, il aperçoit sur la plage le cadavre d'un cheval mort. Cela ne l'étonne cependant pas puisqu'il vient de faire un rêve en quelque sorte prémonitoire peuplé d'une femme et d'un cheval mais, le temps de prévenir ses collègues, la carcasse a disparu, ne laissant comme trace de sa présence qu'un seul fer que le commissaire met machinalement dans sa poche. Il apparaît que l'animal a été massacré à coup de barre de fer, ce qui rappelle un peu le film « Le parrain »... Nous sommes en effet en Sicile, terre d’élection de la Mafia, d'autant que, venue signaler la disparition de son alezan, la troublante Rachele Esterman, révèle qu'elle avait confié l'animal à l'écurie de Saverio lo Duca, un notable local, en vue d'une course hippique privée. Cela est pour le commissaire la source de difficultés potentielles puisque la piste des paris clandestins ne peut être négligée d'autant que l’organisateur de cette réunion n'est autre que Prestia, soupçonné d'être lié à l'organisation criminelle. La disparition de l'alezan fait d'ailleurs suite à une précédente, ce qui augure mal de l'avenir pour le commissaire. D'ailleurs, son appartement est une nouvelle fois visité par des cambrioleurs, mais ces derniers ne volent rien et même lui rendent la montre de son père dérobée la première fois, ce qui peut représenter un avertissement bien dans la façon de la pègre locale puisqu'il doit témoigner au procès d'un second couteau de l'organisation criminelle. Il y a même une tentative d'incendie de sa maison et des coups de fil anonymes. Le voilà donc confronté à une enquête autour de ce cheval mort et qu'il devra mener entre intimidations mafieuses et pressions d'une hiérarchie frileuse qu’il ne prise guère.

     

    Je ne suis que très peu entré dans cette histoire à cause des personnages peut-être et spécialement des policiers un peu trop caricaturés, un Montalbano enfermé dans un rôle de séducteur un peu sur le retour, toujours plus ou moins suivi par son amie Ingrid. La traduction volontairement originale si on en croit l'avertissement du traducteur, ne m'a pas convaincu non plus.

     

    J'ai une prédilection pour les romans par rapport à leur adaptation au cinéma ou à la télévision. Cette dernière m’avait donné à voir un Montalbano, certes un peu cantonné dans les caractéristiques du genre mais acceptable. Je ne l'ai pas retrouvé ici et je le regrette !

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com