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la feuille volante

Jean-Philippe Blondel

  • Un hiver à Paris


     

    La Feuille Volante n° 1401Octobre 2019.

    Un hiver à Paris - Jean-Philippe Blondel- Buchet-Chastel.

    C'est l'histoire d'un malentendu. Victor, un garçon de province issu d'une famille d'un milieu populaire, vient à Paris pour ses études en classe préparatoire et découvre la solitude. Il se rapproche de Matthieu, un autre provincial avec qui il n'a que des conversations aussi épisodiques qu'anodines. A la suite de l'humiliation d'un professeur, il se suicide et Victor, qui passait à tort pour son ami, se trouve soudain entouré par les autres étudiants et même par certains professeurs, sa vie change, un peu comme s'il endossait différents costumes, comme s'il se construisait lui-même ou se découvrait. Ça lui donne une popularité ainsi qu'une vie sociale à laquelle il n'était pas habitué. Cette attitude assez inattendue est sans doute de nature à leur permettre de compenser celle que Victor n'avait pas eu du vivant de Matthieu et qu'il représente maintenant. Elle l'est en effet parce que, généralement, en de telles circonstances, on cherche souvent à éviter les proches du défunt. Victor et le père de Matthieu finiront par se rencontrer, tissant ainsi une relation artificielle entre eux, une sorte de fausse parenté face à une lourde épreuve.

    Étonnant ce roman, pris un peu par hasard sur les rayonnages de la bibliothèque, à cause du seul nom de son auteur découvert récemment et dont le talent me plaît bien. Au-delà de l'histoire ce qui m'interpelle, c'est le peu de vie de Matthieu que l'auteur nous confie et surtout les circonstances de sa mort. Il nous rappelle que nous vivons chacun de nos jours sans penser à la mort pourtant inéluctable, que la vie est fragile, qu'on nous la présente souvent comme quelque chose passionnante et de solide, mais qui n'est en réalité qu'un équilibre instable qui ne dure que par hasard, par chance, par la destiné, selon sa propre croyance, et qui peut être brisée à tout moment. Nous vivons en société et ceux qui nous entourent, et parfois même les plus intimes, se croient autorisés à briser cette équation à plusieurs inconnues pour le plaisir, pour se prouver qu'ils existent et qu'ils ont du pouvoir... C'est ainsi devenu une sorte de règle dans ce jeu de massacre dont on voit assez mal le véritable intérêt. Nous ne sommes que les pâles usufruitiers de notre vie et il nous est possible d'en briser le court en partant avec notre secret, laissant ceux qui restent dans la culpabilité, les questions ou les certitudes. Étonnant aussi ce roman par la pertinence des remarques sur le deuil, sur la façon de le vivre, de l'apprivoiser, sur cette manière de devoir mener sa vie dans la compétition permanente, dans la façon de jouer un rôle qui ne nous correspond pas mais que nous jouons quand même, comme une règle imposée qu'on finit par accepter et même par imposer aux autres. Je l'ai apprécié comme un miroir de cette espèce humaine à laquelle nous appartenons tous et l'image qu'il nous renvoie n'est guère flatteuse et ne sera jamais rachetée ni par les abbés Pierre ni les Charles de Foucault.

    D'ordinaire, quand un roman me plaît, j'en suis passionnément l'histoire, il m'arrive même de le commenter plus ou moins longuement. Je me dis alors que je suis entré dans l'univers de ce livre, que je l'ai aimé. Ici c'est différent, j'ai été happé dès les première lignes et plus je tournais les pages plus l’intensité de ma lecture grandissait, au point d'être étonné moi-même de la vitesse avec laquelle j'avançais. On dit ce que l'on veut du travail de l'écrivain, entre la fiction et l'autobiographie qui nourrit son œuvre et où parfois il trouve lui-même des réponses à ses propres questions restées en suspens. Sans rien connaître de l'auteur, j'ai eu le sentiment que Blondel devait porter en lui quelque chose d'intimement lié à ses mots (et à ses maux) et que, peut-être, l'écriture a joué pour lui un rôle d'exorcisme. Il y a beaucoup d'allusions aux futurs romans à écrire et ce n'est pas, cette fois-ci m'a-t-il semblé, un simple effet de style. Je n'oublie pas qu'il est non seulement le spectateur privilégié de sa propre vie et en nourrit son œuvre mais qu'il est aussi enseignant et que ses élèves doivent constituer un terrain d'observations exceptionnelles pour lui.

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com


     


     


     

  • La colloc

    La Feuille Volante n° 1399Octobre 2019.

    La colloc - Jean-Philippe Blondel Acte sud Junior.

    Pour éviter l'internat ou les trajets frileux et matutinaux dans un car scolaire rural, habiter en ville et en collocation peut-être la solution surtout quand la grand-mère a eu la bonne idée de mourir et de léguer son appartement à deux pas du lycée. Romain, le petit-fils littéraire habitera donc avec Rémy, le geek un peu obnubilé par l'informatique et les manuels scolaires de math et Maxime le génial "beau gosse", un trio un peu hétéroclite qui se veut pourtant "flamboyant" comme cette expérience inédite pour eux et qui entend bien profiter de cette nouvelle liberté, qu'on imagine riche en indépendance, en rencontres et premières vraies histoires d'amour, loin de la houlette des parents. Mais quand on a seize ans, c'est sans compter sur les corvées domestiques, la cuisine surgelée et les suggestions et les concessions en tout genre et, bien entendu, tout ne se passe pas comme prévu et laissera des traces dans la vie de chacun.

    J'ai découvert Jean-Philippe Blondel assez récemment et j'ai apprécié les romans que j'ai lus. Pour autant, ce livre ne m'a pas passionné même si j'ai eu plaisir à apprécié le style d'écriture. Il m'a procuré une lecture rapide mais cependant sans grand intérêt.

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

  • La mise à nu


     

    La Feuille Volante n° 1391 Septembre 2019.

    La mise à nu - Jean-Philippe Blondel - Buchet-Chastel.

    Avec l'âge, les épreuves, on finit par se laisser bercer par le quotidien, par prendre conscience du temps qui passe, des souvenirs qui s'accumulent et de la mémoire qui s'efface, par devenir fataliste... Louis Claret est un professeur vieillissant, au pas d'une retraite à laquelle il pense sans joie et qui sera pour lui baignée de solitude, ses filles parties ailleurs vivre leur vie et une épouse dont il est divorcé depuis quelques années. Leur séparation s'est faite à l'amiable, sans heurt ni haine. Ils se rencontrent même par intermittence et leurs rapports sont cordiaux mais détachés. Ils ont mis fin à leur mariage parce qu'ils ont admis qu'entre eux n'existaient plus ni l'envie, ni la séduction ni l'amour et que le temps avait fait son œuvre et érodé leur vie. Elle a trouvé un nouveau compagnon et lui est resté seul. Dans son souvenir il reste encore l'ambiance des salles de cours de son début de carrière, les photos de classe et la figure émergente de quelques lycéens à qui leurs professeurs prédisent un avenir brillant. Claret retrouve par hasard un ancien élève, Alexandre Laudin, jadis très discret, devenu un artiste peintre mondialement connu, qui a choisi sa ville natale pour accrocher ses tableaux et l'a invité personnellement à ce vernissage. Cette rencontre n'est pas anodine et correspond sans doute pour chacun d'eux, après bien des hésitations, à un tournant dans leur vie respective.

    Le livre refermé, je m'interroge sur la nature quelque peu ambiguë de cette rencontre entre Alexandre dont le parcours artistique est fulgurant et Louis qui a toujours voulu être discret. Il est resté modestement à Troyes où il a enseigné pendant toute sa carrière. Leurs retrouvailles n'est pas exempte d'une certaine forme de séduction entre eux, comme si elle se manifestait pour Alexandre après des années de refoulement. Est-ce une manière de revanche de l'ancien élève effacé et ignoré face à son professeur qui n'a pas su déceler en lui ce potentiel? Est-ce une façon originale pour le disciple de se positionner par rapport au maître, d'affirmer que toute chose arrive à son heure et qu'il ne faut jamais désespérer de quelqu'un, que la réussite personnelle n'est avant tout qu'une réalisation de soi-même, que la chance existe aussi et peut parfois moduler les événements pour favoriser l’émergence du message qu'on porte en soi et ainsi donner toute la mesure de son talent? Est-ce l'actualisation de désirs longtemps refoulés de Louis pour qui la solitude est devenue une seconde nature, et qui se matérialisent à travers une série de toiles qu'Alexandre souhaite réaliser de son ancien professeur nu, la nudité étant un prétexte autant qu'une condition et qui s'accompagne pour Louis d'une prise de conscience de ses propres fêlures? Est-ce pour lui une certaine forme de manifestation du temps qui passe, le refus de vieillir et une quête éphémère de sa jeunesse enfuie? Est-ce un cheminement à travers les arcanes de la mémoire, avec tout ce qu'elle suppose de vertige, pour tenter de fixer les instants majeurs d'une vie par ailleurs plutôt terne? Est-ce une page supplémentaire qui se tourne, une parenthèse dans la vie de chacun qui en révèle les fragilités?

    C'est une fiction ou peut-être une projection dans le temps, l'auteur, professeur d'anglais qui est né dans les années 60 imagine peut-être ce que serait sa vie future ou la fin de sa carrière enseignant et de ce qu'il pourrait éprouver face à un de ses anciens élèves qui aurait connu une réussit fulgurante, entre fierté et humilité. Je ne perds jamais de vue que l'imagination est pour le romancier un extraordinaire moteur de sa création et que l’écriture a une formidable fonction d'exorcisme.

    J'ai découvert cet écrivain il y a peu et ici comme dans tous ces autres romans, j'ai apprécié son style simple qui m'a procuré une lecture à la fois rapide et agréable. J'ai également retrouvé avec plaisir ce qui émane de ces pages, cette ambiance nostalgique et finalement très humaine, non exempte d'une certaine souffrance.

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

  • Et rester vivant


     

    La Feuille Volante n° 1389 Septembre 2019.

    ET RESTER VIVANT- Jean-Philippe Blondel - Éditions Buchet Chastel.

    Le narrateur, vingt deux ans, se réveille d'une opération des dents de sagesse pour apprendre que son père vient de mourir dans un accident de voiture. Il a déjà perdu sa mère et son frère dans des circonstances analogues et Laure, son amie, vient de le quitter pour Samuel, pourtant son "meilleur ami". Le voilà seul au monde, enfin pas tout à fait puisque que Laure reste à ses côtés avec Samuel pour l'aider à surmonter cette épreuve. Mais est-ce vraiment une épreuve puisqu'il dit être enfin débarrassé de la présence pesante et violente de son père? Il est désormais libre et riche, à cause de l'héritage paternel et, alors qu'il aurait dû le réinvestir dans quelque chose de durable, il emmène ses amis en Californie à cause d'une chanson de Lloyd Cole qui parle de Morro Bay, une petite ville de cet état, et c'est l'été. Il veut, avec eux, vivre son rêve américain au volant d'une grosse voiture, mais ce qui dans sa tête devait être un vrai "road movie" à la manière de Jack Kerouac, se transforme vite en une errance dans l'ouest américain. Ce sera les motels inconfortables, les déserts, les grands espaces puis Las Vegas et son décor intemporel de jeu, le Mexique... Le trio qu'ils forment n'en n'est pas vraiment un, entre attachement et attirance. Laure qui était la petite amie du narrateur depuis l’adolescence est maintenant celle de Samuel, mais leurs relations sont équivoques, et leur présence aux côtés du narrateur est censée l'aider à favoriser sa résilience.

    J'ai bien aimé ce personnage du narrateur, ses réflexions sur sa famille, sur ses parents sur son frère et les mystères et les incompréhensions qui vont avec, sa fuite vers un but irréel, sa volonté de se raccrocher désespérément à des êtres qui pourtant lui sont relativement étrangers, sa quête de quelque chose d'assez incertain qui semble se dessiner devant lui où disparaître à sa vue après s'être révélé, à l’image du désert qu'il aborde comme un jalon dans sa course surréaliste, la certitude que ces rêves ne s'accompliront jamais. Il gardera l'empreinte de tout cela, fixera peut-être avec des mots l'émotion ou l'espoir d'un instant, confiera à la page blanche les traits d'une silhouette ou le fantasme d'une passade qui n'a pas existé... Morroy Bay, un lieu si loin de la France, choisi parce qu'un chanteur l'évoque avec des mots où sont accrochés des notes de guitare, une sorte d'Eldorado inconnu qui se dérobe comme un mirage, une intuition de fin du monde qui peut arriver maintenant mais qui l’indiffère. Il y a tout ce qu'il voulait faire, dans cette vie, tous ces châteaux en Espagne qui fleurissent et s'épanouissent dans nos têtes, mais tout cela ne se fera pas et contribuera à ne faire naître que des regrets et des remords. Dans ce bout du monde enfin atteint, à où la terre s'arrête et où commence l'océan, l'envie de vivre revient parce que ce but, même un peu fou, est atteint et que demain redevient possible, qu'on a quand même envie de nouveau de prendre sa part dans ce grand combat perdu d’avance parce qu'il est humain et que tout ce qui est humain est transitoire et voué à la destruction. Face à cette mort annoncée il reste l'écriture, un exorcisme possible, des mots confiés au fragile support du papier. Écrire pour aider à supporter la vie, pour rester vivant, ou rester vivant pour écrire?

    C'est un roman simplement autobiographique, avec tout ce que cela implique dans le ton, dans l'écriture et pas seulement en raison de l'emploi de la première personne. Même si ce dont il parle semble irréel, l’accumulation des deuils, ses espoirs dont on comprend vite qu'ils seront sans lendemain, c'est son histoire personnelle qu'il livre au lecteur et j'ai ressenti une sorte d'attachement personnel rare avec ces mots, une sorte de communauté d'expérience et d'intentions... et peut-être aussi d'échec, le fait de se sentir perdu dans ce monde, de n'y être pas vraiment à sa place. Pour cela, pour le style, pour l'ambiance et sans doute pour beaucoup d'autres choses dont je n'ai même pas conscience, ce roman a été pour moi un bon moment de lecture.

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

  • 06h41


     

    La Feuille Volante n° 1388 Septembre 2019.

    06H41- Jean-Philippe Blondel - Éditions Buchet Chastel.

    Le titre sonne comme un indicateur des chemins de Fer. Ça tombe bien, me suis-je dit, j'ai passé une partie de ma jeunesse dans les trains et je les ai toujours considérés comme un lieu privilégié propice aux rêves et aux rencontres. Cécile Duffaut, 47 ans, chef d'entreprises, mariée à Luc qu'elle va rejoindre, prend effectivement ce train qui la mène de Troyes à Paris. Dans le compartiment à côté d'elle une place est libre où vient s'installer par le plus grands des hasards Philippe Leduc. Ils sont été amants il y a vingt sept ans et leur liaison a été orageuse et éphémère; ce voyage menace donc d'être difficile, entre rancœur et embarras, quatre-vingt dix minutes d'un trajet lourd et silencieux de part et d'autre. Chacun reconnaît l'autre mais tout au long de ce voyage n'en laisse rien paraître parce que cette passade a laissé trop de mauvaises traces que cette rencontre vient raviver. Ils mènent chacun une introspection personnelle faite de souvenirs malsains qui donnent la mesure du temps passé et aussi le vertige, à l'aune des amitiés et des amours de passage et qu'on prend ainsi conscience du vieillissement des corps et des esprits. Au rythme de son autocritique, chacun se remémore les phases de cette amourette qui aurait pu être une belle histoire mais ne l'a pas été, son épilogue destructeur, se rappelle avec une étonnante précision les erreurs, les mots blessants, les petits détails assassins qui l'ont accompagnée, rejoue un scénario surréaliste où tout pourrait être différent, refait le chemin à l'envers,et, malgré le temps, tisse un espoir un peu fou. On mesure les conséquences que cette aventure amoureuse a pu avoir sur leur deux parcours, on constate le poids trop lourd du passé et peut-être aussi l’impossibilité du présent. Ils n'échangeront que quelques paroles convenues, une politesse de façade comme volée au silence qu'ils ont décidé d'établir entre eux au terme d'un accord tacite, un peu comme si les paroles qu'ils auraient voulu échanger et qui leur ont été soufflées par leur mémoire qui revient, leur resteront dans la gorge. Il n'y aura que de vagues allusions, que des banalités sans suite même si le dénouement laisse planer un doute qui m'a paru quelque peu artificiel et plein d'interrogations pour un avenir très éventuel auquel il m'a été difficile de croire cependant. C'est donc une sorte de drame intime et secret entre deux personnages coincés dans un espace volontairement exigu et que les circonstances amènent à se pencher sur leur délétère passé commun, une sorte d'unité de temps, de lieu... et d’inaction, une réflexion sur l'amour qui ne dure pas toujours, comme on le dit trop souvent, suivi peut-être d'une plongée hasardeuse dans l'avenir. Allez savoir !

    Je suis d'autant plus facilement entré dans ce roman que j'ai souvent imaginé une telle situation provoquée par le hasard. L'auteur se l'approprie et l'installe dans des circonstances où l'hypocrisie et le secret prévalent et prospèrent, avec une conclusion cependant un peu décevante à mon goût .

    J'ai découvert Jean-Philippe Blondel par hasard et j'aime la nostalgie qui se dégage de ses romans, cette ambiance un peu surannée et en demi-teinte qui les baigne. C'est bien et simplement écrit et l'auteur touche son lecteur. Cela a beau être une fiction, j'ai été favorablement intéressé par les postures de chaque personnage et l'analyse de leurs sentiments, de leurs états d'âme.


     


     


     

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

  • Accès direct à la plage.


     

    La Feuille Volante n° 1387 Septembre 2019.

    Accès direct à la plage - Jean-Philippe Blondel - Éditions Delphine Montaland.

    Ce court roman qui ressemble plutôt à un recueil de nouvelles se décline à la fois dans le temps et dans l'espace, mais comme son titre l'indique, aux abords de la plage. Le lecteur est ainsi entraîné de la Bretagne à la Méditerranée et aux côtes de la Manche, de 1972 à 2002 à travers de petites aventures de vacances vécues par Philippe, Vincent, Maud, Eva...

    On n'échappe pas à l'ambiance estivale vue par les adolescents, le père, la mère de famille, les voisins, une galerie de portraits un peu stéréotypés où chacun des intervenants conte pendant cette période, à la première personne, comme sur le ton de la confidence, son expérience, une tranche de sa vie, avec ses malheurs, ses rencontres, ses amours éphémères, ses envies, ses fantasmes, ses espoirs, ses déceptions. On n'échappe pas non plus à l'incompréhension et à l'opposition entre les générations, au sein même de la famille qui pourtant a été un repère et qui maintenant devient un lieu insupportable qu'on aspire à quitter, à la peur des adolescents de devenir comme leurs parents... On a droit aux propos de racisme ou de l'homophobie ordinaires, aux vannes à deux balles des pères plus ou moins avinés et aux discussions de chiffons des mères, avec des vieux souvenirs qui reviennent, obsédants, des regrets du temps passé, la certitude "que c'était mieux avant", des remarques désabusées sur le monde et cet amour auquel on a cru un temps et qui s'est envolé définitivement pour laisser place à la routine, à la jalousie, au mensonge... On s'étonne parfois de ce qu'a été notre vie qu'on voyait bien autrement au départ et qui sait imposée à nous, petit à petit, insidieusement, sans presque qu'on s'en rende compte. Peu à peu on voit apparaître des liens qui existent entre les différents personnages, de toutes origines et de tous âge, banals ou originaux, ce qu'on ne soupçonnait pas au début. Il faut quand même revenir un peu en arrière pour les renouer entre eux.

    En face de tout cela il y a cette envie d'écrire pour ne rien oublier, pour créer quelque chose d'original à partir de cela, pour exorciser un passé plein d'insatisfactions, ou peut-être, pour un jeune auteur qui rêve de venir écrivain, ce désir de se lancer dans un monde inconnu tout en se heurtant au paradoxe de l'écriture, celui de vouloir s'exprimer et de ne pas pouvoir le faire pleinement.

    On a l'impression de connaître tous ceux qui ainsi se livrent parce que, plus ou moins, on leur a ressemblé pendant quelques temps à ce moment de l'année qui est le symbole de la fête, du farniente du soleil et où souvent tout se révèle.

    C'est le premier roman de Jean-Philippe Blondel. Ce livre se lit vite, sa lecture n'est pas désagréable, son style ordinaire, mais j'avoue m'être un peu ennuyé vers la fin

     

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

  • Mariages de saison


     

    La Feuille Volante n° 1385 Septembre 2019.

    Mariages de saison - Jean-Philippe Blondel - Buchet-Chastel.

    Ah le mariage! Même à l'heure du PACS et de l'union libre, il reste malgré tout une institution solide, avec passage devant Monsieur le Maire et devant le curé souvent peu convainquant dans ses propos, avec fête et folklore pas toujours du meilleur goût. C'est en tout cas ce qui fait vivre temporairement en plus de son poste à mi-temps d'assistant d'éducation, Corentin, en rupture d'université qui rêve de cinéma et qui, l'espace de la saison, retrouve son parrain Yvan pour cet emploi temporaire de vidéaste de mariage. Il filme cette cérémonie qui, en principe est "le plus beau jour" de la vie des mariés et il assiste aussi au bonheur, aux sourires, à la fête mais aussi aux dérapages inévitables de cette journée. Une copie de tout cela finit dans ses archives personnelles mais c'est aussi une occasion, quand on les regarde bien des années après de mesurer le temps passé avec son poids de nostalgie et de regrets. Il a vingt sept ans, il est en couple avec Aurore et ce travail serait bien capable de lui donner des idées d'avenir, mais c'est un autre histoire ... Pourtant, quand il croise une inconnue qui lui sourit, il pense toujours, soit qu'il a un ticket avec elle, soit qu'il est victime d'une erreur sur la personne... en privilégiant bien souvent la deuxième solution! C'est qu'il réservé, même un peu timide et hésitant et se contente , faute de mieux, du bonheur des autres en se demandant quand viendra son tour.

    Vidéaste de mariage, c'est une fonction assez ingrate, filmer chacun sans oublier personne, se faire discret mais ne rien omettre des grands et des petits moments de cette journée forcément mémorable en en gommant les excès et qui est destinée à rester dans les mémoires. On regardera ces souvenirs bien des années plus tard... C'est aussi une position privilégiée pour observer la nature humaine et, parce qu'il est non seulement derrière la caméra, il lui arrive de recueillir, tel un confesseur ou un psychanalyste, des confidences privilégiées, des serments d'amour d'une femme à destination de son futur époux , le tout gravé sur CD, une sorte de cadeau qui ne durera sans doute lui aussi que "ce que dure les roses, l'espace d'un matin" comme aurait dit Malherbe, mais c'est l’image même de la vie. Cet expérience est une bonne idée que Corentin applique à sa mère, à son père, à son parrain, à son meilleur ami et ce qu'il entend est révélateur.

    Il me plaît bien ce Corentin. Il survit comme il peut dans une société qui ne lui plaît pas, où il ne trouve pas sa place. Il voudrait bien s'y insérer, par le mariage qu'il filme pour les autres, mais cela s'avère difficile. C'est un idéaliste un incompris, plus ou moins méprisé par les autres, particulièrement par les femmes. Je ne sais si ce thème du mariage, qui en principe est festif, inspire l'auteur, mais j'ai retrouvé, non d'ailleurs sans un certain plaisir, l'ambiance un peu nostalgique, l'analyse des sentiments humains, à la fois complexes et sensibles, le regard critique posé sur la nature humaine que j'avais appréciés dans un précédent ouvrage qui m'avait révélé son existence. Je m'étais promis d'explorer plus avant son univers créatif et je dois dire que je ne suis pas déçu. Le style est agréable à lire et m'a procuré un bon moment de lecture.


     

     

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

  • Un minuscule inventaire


     

    La Feuille Volante n° 1383 Septembre 2019.

    Un minuscule inventaire - Jean-Philippe Blondel - Robert Laffont.

    Il me plaît bien cet Antoine, marié, père de famille, vaguement prof d'anglais qui vient de voir sa femme partir avec son dernier amant. Eh oui, ça n'arrive pas qu'aux autres et prétendre que l'amour dure toujours est une aimable plaisanterie... mais c'est devenu tellement banal! Bientôt ce sera le divorce, la garde alternée des enfants et toutes les joyeusetés que cette situation implique. Il se sent à la fois oppressé, se demandant ce qu'il avait fait pour mériter cela, mais sourd aussi en lui un sentiment de liberté puisqu'il tourne la page, au moins les choses seront plus claires! Pourtant, et sans doute un peu paradoxalement, je l'ai senti comme une victime plus que comme un acteur des événements de son existence passée et je ne suis pas bien sûr qu'il fasse un usage qui aille dans le sens de la vie et de cette liberté toute neuve. Il m'a en effet semblé que ce qui surnageait de toutes ces situations passées comme de celles qui lui arrivent actuellement, c'est la mélancolie et surtout la solitude, celle d'avant et celle d'après la parenthèse du mariage, un peu comme s'il en avait toujours été ainsi malgré les apparences. J'ai ressenti aussi un certains fatalisme chez lui, l'attitude de celui qui préfère se laisser porter par les circonstances plutôt que de tenter de peser sur elles.

    Il a bien fallu trier et partager les objets oubliés qui révélèrent leur pesant de nostalgie et Antoine souhaite faire table rase de tout cela en participant à un vide-grenier. Ainsi, retrouve-t-il au hasard des cartons qui se remplissent, une couverture de laine jaune, un cendrier en métal doré, un bob rayé bleu et blanc, véritable inventaire à la Prévert qui partira à l'encan pour quelques euros vite dépensés comme s'il ne fallait rien garder de ce passé. Au fur et à mesure des souvenirs lui reviennent qui plus ou moins lui donnent le vertige, des images furtives, des amours éphémères, des tentatives de liaisons hésitantes et souvent foireuses, des amitiés qui se sont diluées dans le temps qui passe, des visions d'enfance et d'adolescence, des apprentissages plus ou moins avortés, des émotions clandestines nées du regard d'une belle passante, des phases de son couple qui peu à peu se délite... On a droit à pas mal d'analepses, des moments d'une vie un peu triste et presque banale, des espoirs et des déceptions...

    L'idée est plutôt bonne, surtout avec le destin que l'auteur assigne à chacun de ces objets après leur vente à un inconnu, une manière de boucler la boucle. Le style simple et agréable m'a procuré une lecture aisée, mais de trop nombreuses longueurs égarent et lassent un peu le lecteur. J'ai eu de la sympathie pour Antoine pour ce qu'il voulait faire et pour ce que il fait, pour ce qui lui était arrivé aussi, pour cette ballade douce-amère dans les pans de sa vie et ce sentiment ne m'a pas quitté tout au long de ma lecture en demi-teinte cependant.

    Paradoxalement peut-être j'ai envie de faire quelques pas dans l'univers créatif de cet auteur inconnu de moi jusqu’à aujourd'hui.

     

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com