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la feuille volante

Jérôme GARCIN

  • Barbara, claire de nuit

    N°1668 - Août 2022

     

    Barbara, claire de nuit – Jérôme Garcin- Gallimard.

     

    Il doit bien être chanceux ce Jérôme Garcin. Quand à 18 ans il écrit à Anne Philippe, la veuve du célèbre comédien, elle le reçoit chez elle et il épouse sa fille dont il est éperdument amoureux. Bien plus tard, c’est le hasard qui lui fit croiser Barbara dont la voix et les chansons nous ont tous fait rêver, et il en résulta une affection de la chanteuse pour son fils Gabriel. Cette amitié a sans doute nourri sa réflexion sur les choses de la vie et donc enrichi son œuvre. Lui qui a pris l’heureuse habitude de tirer de l’oubli des personnages que l’amnésie générale a recouvert de son voile, lui consacre un ouvrage où il lui donne largement la parole, comme on écrit à quelqu’un dont on sait qu’il ne répondra pas, comme dans le merveilleux poème que Prévert adressa à une autre Barbara. Loin du show-biz, de ses succès éphémères et de sa superficialité, elle s’est insinuée dans nos mémoires au point d’y sertir sa voix, ses mots, ses blessures, son image, sa solitude, ses silences, sans concession mais avec discrétion ...

     

    J’ai retrouvé avec plaisir la fluidité de la phrase que j’apprécie tant chez Garcin. Pourtant, ce n’est pas une biographie (à part la notice « récapitulative » de la fin), c’est davantage une évocation, comme un portrait qu’on esquisse et qu’il faut parfois décrypter, comme un puzzle dont on assemble les pièces, entre ombre et lumière, un peu comme le titre en forme d’oxymore de ce livre qui, à une lettre près, reprend celui d’une de ses chansons. Ombre de sa vie privée, distillée avec parcimonie dans ses chansons dont chacune d’elles est une parcelle de confidence faite de moments douloureux ou fugaces et lumière pour son public devant qui elle apparaît toujours vêtue de noir, comme son piano opposé au blanc comme son visage. Blanc comme le vertige, noir comme l’épuisement ou le deuil, blanc comme le jour, noir comme la nuit, blanc comme le plaisir fugace, l’espérance et peut-être comme le bonheur de passage et noir comme le mal de vivre, le désarroi, noir et blanc, comme un vieux film ou une photo ancienne aux bords dentelés qui font fi des modes furtives, noires et blanches comme les notes de sa musique, noir comme ce monde auquel elle a choisi de s’opposer, celui des déshérités, des malheureux des victimes d’injustices, blanc comme le silence éternel (le paradis blanc?) qui est maintenant le sien.... Deux facettes de cette femme pour qui la scène et le public lui étaient aussi indispensables que le secret de ses combats.

     

    Alors, hommage supplémentaire à cette femme, vingt ans après sa mort, avec des mots tressés entre amitié et émotion, pour faire échec à l’oubli qui engloutit si vite les traces de son passage sur terre, des mots qui résistent au temps, pour raviver son souvenir, pour l’inviter à nous faire une autre visite, pour lui dire simplement et une nouvelle fois « Dis, quand reviendras-tu, dis au moins le sais-tu »

     

     

     

     

  • Théâtre intime

    N°1667 - Août 2022

     

    Théâtre intime – Jérôme Garcin- Gallimard.

     

    J’ai toujours plaisir à lire Jérôme Garcin parce qu’il écrit bien et que cela me procure toujours de bons moments.

    Tout au long de son œuvre, il nous a abondamment fait partager sa biographie avec ses bons et ses mauvais moments . Il avait déjà ravivé le souvenir de Gérard Philippe, mais ici il choisit d’évoquer sa jeunesse, sa rencontre, à 18 ans, avec Anne Philippe puis avec sa fille Anne-Marie qui deviendra son épouse. On pense ce qu’on veut du hasard, du pouvoir des mots écrits sur une simple lettre, mais Jérôme devait bien être destiné à rencontrer celle qui allait de venir sa belle-mère puisque ce fut son grand-oncle qui opéra Gérard Philippe peu de temps avant sa mort. Pour Anne-Marie à l’en croire, ce fut le coup de foudre, mais pas partagé par elle. L’attachement réciproque puisé dans la perte prématurée du père, dans l’amour du théâtre et la vie aux côtés de la fille d’un mythe et d’une femme exceptionnelle, n’est venu qu’ensuite.

    Dans toutes les évocations qu’il fait à cette époque, on le sent en retrait. Est-ce par humilité face aux adultes dont il voit la réussite ou le poids de la présence, est-ce volontairement pour ne pas déranger cette galerie de portraits où son jeune âge le maintient en retrait ? Il m’est apparu au fil de ma lecture qu’à cette époque, pour lui, exister dans ce contexte tenait du théâtre, comme c’était aussi le cas de tous ceux qui, après la mort de Gérard Philippe, faisaient semblant de vivre sans lui et dans son souvenir idéalisé. Pour Anne-Marie aussi, grandir parmi ces ombres et ces présences a dû être difficile. Et que dire du très stendhalien Jérôme Garcin face au service militaire, aux journées ennuyeuses, aux simulacres de combats , aux improbables corvées, à l’ambiance enfumée de la chambrée…

    C’est certes une déclaration d’amour pour Anne-Marie, mais elle passe par l’admiration pour la comédienne dédiée aux grands auteurs et habitée par ses rôles, à la fois la femme qu’il aime et la fille de Gérard Philippe que réclamaient de cinéma et la télévision. Il m’a même semblé percevoir quelque exagération, bien naturelle, dans le propos à travers les pièces dont il fait le palmarès, entre trac et applaudissements, avec ses enfants aimés et les chevaux pour autre passion.

    La vie de l’auteur a effectivement nourri son œuvre comme pour la plupart des écrivains. Dans le cas de Jérôme Garcin, quand il choisit de se livrer (de se confesser) à son lecteur, je me suis toujours demandé si cette volonté de se raconter, qui parfois frôle le solipsisme, n’était pas quelque peu exagérée (comme le sont parfois les nombreuses références théâtrales et cinématographiques). Après tout ces propos tenus sur son épouse qui frisent parfois l’idolâtrie, cette déclaration d’amour passionné, a quelque chose d’intime qui peut être quelque peu incompatible avec une publication. Quoiqu’il en soit, sur cette raison de confier à la page blanche ses impressions et ses sentiments, il s’explique honnêtement, l’écriture comme un héritage de famille !

    Le livre refermé, je mesure l’immense a chance qu’il a eu de rencontrer cette femme, de l’aimer, de la garder, de construire avec elle une vie et une famille quand de plus en plus de mariages sombrent dans l’échec. Je garde personnellement toujours en mémoire cette citation de François Nourissier « Les hommes et les femmes faits l’un pour l’autre n’existent pas, ce n’est qu’une invention niaise des amoureux pour justifier leur entêtement ou leur optimisme, mais les hommes et les femmes destinés à ne jamais s’appartenir existent. Le gibier des grandes passions se recrute parmi eux » ou l’esprit de celle de Jacques Lacan « l’amour c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ».

     

     

     

     

  • olivier

    N°1666 - Août 2022

     

    Olivier – Jérôme Garcin- Gallimard.

     

    Dans nos sociétés occidentales, on vit comme si la mort n’existait pas, en en repoussant l’idée pour plus tard, en évitant de trop y penser. Elle fait partie de la vie, en est simplement la fin comme la naissance en est le début. Quand elle intervient dans nos vies, sans le moindre préavis, à la suite de la perte prématurée d’un être cher, parent ou enfant, la réalité s’impose à nous dans toute sa cruauté. On peut l’accepter quand le cours des choses est normal, mais quand il est bousculé et même inversé, cela fait de ceux qui restent des êtres à part, en quelque sorte en dehors de temps. Jérôme Garcin évoque la mort accidentelle de son frère jumeau à la veille de ses six ans et la fuite criminelle de l’automobiliste responsable.

    L’auteur confie qu’il a toujours eu du mal à parler de ce frère jumeau, de son accident mortel, de son absence, du deuil. Il précise qu’à ses yeux, écrire sert à exprimer ce que les paroles ne peuvent décrire, que la page blanche, dans le silence et la solitude, est la meilleurs confidente. Il pense même qu’il ne serait peut-être pas devenu écrivain s’il n’y avait eu ce bouleversement dans sa vie à cause de l’exorcisme des mots, parle de sa gémellité, du manque de ce frère qui, plus qu’un autre, était une partie de lui-même, de cette nécessité d’écrire pour lutter contre sa mort, l’oubli et de l’inextinguible tristesse qui se doubla pour lui, quelques années plus tard, de la mort prématurée de son père. Il évoque les mots qui sommeillaient en lui depuis longtemps et qui ont enfin réussi à sortir. Il a, en effet cinquante trois ans quand il réussit à s’exprimer sur ce sujet, comme une lettre dont il aurait longtemps ajourné la rédaction. Cela fit de lui un vivant au milieu de deux fantômes. Il recherche dans la littérature et l’équitation un remède à sa souffrance. J’y vois surtout une forme de solitude, d’impuissance à vivre normalement, autrement que dans une sorte de monde à la fois virtuel et torturé par la certitude de n’être pas comme les autres à cause du malheur injustifié qui vous frappe. Il y eut le repli sur soi, la recherche personnelle dans les textes littéraires ou scientifiques consacrés à la gémellité, le mutisme que la rencontre d’Anne-Marie Philippe qui allait devenir son épouse et la mère de ses enfants, a brisé. Je me dis que la douleur d’avoir perdu son jumeau a en quelque sorte été contrebalancée par cette rencontre et elle a gommé par sa seule présence et son vécu, le vide laissé par Olivier. Jérôme Garcin a eu la chance unique de croiser son double, son complément, son sauveur et l’hommage qu’il lui rend est bref mais émouvant.

     

    Je lis avec plaisir Jérôme Garcin depuis longtemps parce que c’est un bon écrivain, que j’aime son style qui honore notre si belle langue française, son érudition, parfois un peu trop marquée, autant que sa démarche de tirer de l’oubli des êtres d’exception qui n‘ont pas toujours eu la consécration méritée. Je connaissais l’existence de ce récit mais j’en ai longtemps différé la lecture, peut-être parce que je redoutais de n’y pas trouver ce que j’y cherchais, sans d’ailleurs trop savoir quoi, quelque chose comme de l’apaisement ou peut-être une forme de complicité dans la souffrance, compte tenu du thème choisi. A tort peut-être, j’avais chargé cette lecture nécessairement attentive d’une fonction particulière qui me tenait à cœur. Le livre refermé, je ne suis pas sûr que ma quête ait été satisfaite non à cause de l’auteur qui déroule son histoire personnelle dans cette langue si fluide que la lire est pour moi toujours un plaisir, mais peut-être simplement à cause de moi parce que notre parcours est unique, comme notre peine. J’en retiens une sorte d’impression bizarre que ce livre en principe dédié à Olivier dévie parfois en une sorte de monologue d’outre-tombe évoquant seulement Jérôme.

    Une histoire aussi intimement émouvante ne peut que générer qu’une réaction personnelle, parfois surprenante et bien souvent illogique pour le commun des mortels. On peut tenter d’en combattre les effets dévastateurs en cultivant les souvenirs, l’amitié, la pratique de la religion… Jérôme Garcin qui est écrivain a sans doute, grâce à cette évocation, tenté d’ exorciser cette peine (y parvient-on jamais et même le temps ne fait rien à l’affaire) mais cette démarche d’écriture, au demeurant parfaitement respectable et de nature probablement à aider des lecteurs, me laisse quelque peu dubitatif. Je ne suis pas sûr que les mots soient à ce point apaisants, que l’écriture soit vraiment cet exutoire dont on nous parle si souvent. Ils ont peut-être un rôle libérateur dans l’immédiat mais à long terme j’en doute. Un écrivain puise dans sa propre vie, faite comme pour chacun d’épreuves et de joies, l’essence même de son œuvre, mais je me suis demandé si l’écriture a toujours ce pouvoir cathartique face à une place définitivement vide.

  • Le dernier hiver du Cid

    N°1663 - Août 2022

     

    Le dernier hiver du Cid – Jérôme Garcin – Gallimard.

     

    Il y avait eu « Le temps d’un soupir » l’émouvant hommage d’Anne à son époux, Gérard Philipe (1922- 1959)

    Nous avons tous encore en mémoire le visage de cet homme jeune et engagé aux côtés des comédiens et des plus défavorisés, infatigable acteur à la beauté quasi juvénile, prêtant pour les enfants sa voix envoûtante au merveilleux conte d’Antoine de Saint-Exupéry, enterré dans le costume de Don Rodrigue, le Cid de Corneille, qu’il incarna (« la mort a frappé haut » dira simplement Jean Vilar), comme un dernier pied de nez à la camarde qui ne lui enleva que la vie mais pas l’image gravée sur la pellicule, pas la trace de son passage si bref sur terre de trente six ans qui inspira des poètes et symbolisa cette envie de vivre après les atrocités de la guerre. Gérard Philipe reste dans nos mémoires, surtout celles des gens de ma génération, non comme un simple nom sur une plaque de rue, mais comme la trace indélébile de la jeunesse et de la beauté que la vieillesse avec ses rides, ses déformations et ses douleurs, n’altérera jamais, un visage qu’il est impossible de ne pas reconnaître.

    Jérôme Garcin a déjà, avec talent, fait revivre nombre de personnages inconnus du public ou oubliés par le temps, il était donc naturel qu’il rendît hommage, avec la sensibilité qu’on lui connaît, à ce merveilleux acteur mondialement connu dont, bien plus tard, il épousa la fille. C’est un beau témoignage, à la fois émouvant et poétique qui retrace également le parcours personnel d’Anne qui accompagna la carrière de son mari dont il énumère les succès, les écueils, les échecs, les critiques qu’il essuya, les convictions politiques, évoque sa mère et même son père qu’il aimait malgré leurs divergences, parle de son besoin de vie de famille avec ses enfants...

    Son parcours est indissociable du Théâtre National Populaire de Jean Vilar où il milita comme simple comédien, choisissant d’oublier sa notoriété, ce qui dit assez non seulement son amour de la scène mais aussi son désir de vulgariser cet art, de le partager avec les plus défavorisés, c’est à dire avec ceux qui, pour un tas de raisons, n’y ont pas naturellement accès. Ce désir de vulgarisation me rappelle, toutes choses égales par ailleurs, l’expérience menée par Frederico Garcia Lorca en Espagne avec sa troupe « La barraca » en 1931. Son action se limitera pas seulement là et il luttera pour reconnaissance du travail des acteurs et des intermittents du spectacle. A son enterrement, pas d’officiels, seulement quelques amis et surtout tous les habitants du village de Ramatuelle qui accompagnaient ainsi un ami, un parent ...

    Jérôme Garcin relate avec émotion et pudeur ce qu’ont été les derniers jours de l’acteur , le courage d’Anne, sa décision de taire son état à son mari, celui aussi d’être cette tragique comédienne face à cet immense comédien, souligne l’ironie du destin qui avait sollicité la notoriété de Gérard pour participer à une campagne nationale contre le cancer, ce mal qui pourtant allait l’emporter. Il évoque sa vie désormais entre douleurs, silences, espoirs fous de survie, soulève des hypothèses qui pourraient influer sur le cours des choses et auxquelles malgré tout on voudrait croire, en se gardant bien cependant de faire parler un mort, respectant ainsi sa mémoire. Même si on ne l’a pas connu personnellement ou simplement croisé, comme c’est le cas de beaucoup d’entre nous, il reste dans la mémoire collective comme un mythe qui ne mourra jamais, comme James Dean ou Maryline Monroe qui vécurent intensément parce qu’ils savaient, inconsciemment peut-être, que le temps leur était compté. Non seulement il incarna son époque dans son appétit de vivre, mais aussi il n’a pas heureusement eu le temps de connaître l’usure des choses, les rides qui ravagent le visage, les modes qui changent, les goûts du public qui se modifient, la nouvelle génération qui chasse et conteste l’ancienne, l’oubli qu’un acteur plus qu’un autre être, redoute... Que serait devenue cette image si les choses ordinaires de la vie l’avaient altérée ? Au moment où nos sociétés vieillissent, où les hommes souhaitent durer longtemps pour profiter de cette vie qui est un bien unique, mourir jeune est une injustice, la marque d’un destin cruel, surtout si la mort interrompt une belle carrière comme ce fut son cas. Mourir ainsi c’est aussi et malgré soi, nourrir sa propre légende, pourtant, malgré la révolte et le chagrin, cette disparition l’a consacré, alors qu’il était au sommet de son art et qu’il se projetait dans l’avenir.

    Sa mort a été tellement brutale qu’on a fait semblant de croire qu’il était parti pour un temps, qu’il était « passé dans la pièce à coté », qu’il allait surgir à nouveau avec son sourire éternel. Nous avons beau nous répéter que la mort n’est rien que la fin de notre parcours terrestre, nous sommes tous mortels et la grande faucheuse choisit ses victimes avec sa logique illogique qui fait durer des vies au-delà du raisonnable et en supprime d’autres, gourmandes d’avenir. J’ai eu beaucoup de mal à refermer ce livre.

     

    Il avait ce côté à la fois fragile et aristocrate de l’acteur qui, sur scène donne, par son talent, la vie à des personnages, il avait prêté sa voix au « Petit Prince » je veux retenir ces mots simples d’une chanson qui lui est dédiée et qui lui vont si bien

    « Il était un prince en Avignon, sans royaume ni château ni donjon, las-bas au fond de la province, il était un prince... »

     

  • Le syndrome de Garcin

    La Feuille Volante n° 1248

    Le Syndrome de Garcin - Jérôme GARCIN – Gallimard.

     

    Une partie de l’œuvre de Jérôme Garcin est consacrée à la vie de ceux qui ont disparu en ne laissant dans la mémoire collective qu'une trace bien ténue.

    Ici, il remonte son propre arbre généalogique, sur sept générations, et choisit plus particulièrement de nous parler de ses deux grands-pères, tous les deux professeurs de médecine, Raymond Garcin du côté paternel qui s'était consacré à la neurologie et Clément Launay du côté maternel qui avait choisi la psychiatrie. Même si tout les opposait, ils furent dans leur métier qu'ils exercèrent l'un et l'autre avec passion, des précurseurs. Cette lignée «hypocratique » du côté paternel doit d’ailleurs beaucoup à la compétence mais aussi aux mariages successifs «entre soi» (l'étudiant brillant qui épouse la fille de son grand patron) qui favorisent les carrières, la lignée médicale et le mandarinat, sans oublier l'alliance traditionnelle avec l’Église catholique. Le titre de ce récit s'inspire d'ailleurs du syndrome annonciateur de troubles neurologiques invalidants décrit par le professeur Garcin. L'auteur découvre donc cette généalogie inconnue de lui et cela commence un peu par hasard et du côté paternel, avec un autodidacte garçon barbier d'Uzerche, monté à Paris et qui termine sa vie comme premier chirurgien de Napoléon Bonaparte, avec Légion d'Honneur, baronnie et une confortable pension. Puis suivent des professeurs, auteurs d'ouvrages et académiciens de médecine, dont l'un d'eux soigna le cirrhose de Verlaine, un autre occupa la chaire de Charcot et un troisième fut le médecin de Pierre Loti.

    Du côté maternel, Launay, le hasard voulu que cette famille de médecins commence par la ruralité pour se prolonger par la pédopsychiatrie, mais en ligne directe cette fois, et si son grand-père Raymond Garcin vint de la Martinique, son aïeul Clément Launay avait ses racines en Normandie. Ils exercèrent cependant leur science, qui était un art, dans la capitale. Les travaux de son grand-père Launay prennent ici une dimension toute personnelle pour l'auteur puisque son frère jumeau a été fauché par un chauffard à l'âge de 6 ans le laissant « orphelin » de « ce double éternel ». Pourtant ni l'un ni l'autre de ces éminents médecins ne dérogea à la règle non écrite qui veut qu'on ne soigne pas les siens, ce qui augmentait leur aura et leur mystère pour le petit garçon qu'était alors Jérôme.

    Ce livre est consacré aux deux grands-pères de l'auteur avec peut-être davantage de détails et de pages pour le de Professeur Raymond Garcin. Le titre de ce récit-hommage est tiré du syndrome éponyme, l'auteur y ajoute de nombreux témoignages de médecins et de patients et bien entendu ses souvenirs personnels, en passant par deux phrases mises en exergue de cet ouvrages et tirées de ses écrits. Pourtant la lignée semble s'arrêter là puisque aucun de leurs enfants n'a choisi la médecine.

     

    Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique, j'ai apprécié le style fluide et agréable à lire de Jérôme Garcin, un de ces auteurs contemporains capable de réconcilier avec la lecture même les plus réticents. Il y a certes des mots techniques inévitables de maladies et de thérapies, sans doute rebutants pour le non-spécialiste, mais derrière la nostalgie du temps qui passe et aussi le chagrin, camouflés sous les mots qui inspirent au lecteur de l'émotion, il y a parfois cette touche d'humour subtil qui imprime, au détour d'une phrase, un sourire fugace sur son visage.

    Ce livre vient compléter, mais d'une façon très particulière et personnelle, la démarche de l'auteur entamée, il y a quelques années déjà, pour que nous n'effacions pas de notre mémoire ceux qui, jeunes ou vieux, ont été fauchés par la mort. Un tel parti-pris ne peut laisser personne indifférent tant il est vrai que les mots aussi peuvent arracher quelque chose à la mort, à l'oubli.

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • LITTERATURE VAGABONDE

    N°961– Septembre 2015

     

    LITTERATURE VAGABONDE Jérôme GARCIN - Flammarion.

     

    Depuis longtemps, j'ai, dans cette chronique, dit combien j'apprécie l’œuvre de Jérôme Garcin. J'aime son style, son écriture cultivée et respectueuse de notre belle langue française, les thèmes qu'il traite… Parmi ceux-ci, il a parfois choisi de mettre en lumière des êtres dont la vie, souvent brève, a été vouée à une passion mais dont la mémoire collective n'a pas gardé la trace de leur passage sur terre ni bien entendu de leur action personnelle. Il s'est donc fait, à diverses occasions, biographe mais chez lui l’écrivain n'est jamais très loin qui ne peut s’empêcher d'imaginer, de mettre son empreinte romanesque sans pour autant trahir son sujet. Ici la démarche est différente et son évocation se fait plus anecdotique, plus brève, moins emprunte d'imagination mais pas moins personnelle puisqu'il confie d'emblée au lecteur « J'ai découvert la France dans les livres...Elle avait la beauté que l’écrivain lui prêtait et que, ne le connaissant pas encore, je croyais être la réalité ». Après tout, surtout quand on est parisien, découvrir son pays à travers les écrivains qui en ont parlé n'est assurément pas une mauvaise approche et je suis même assez persuadé que cela peut faire naître une vocation. Il y a certes les hommes de Lettres qui ont fait la littérature française et à qui s'attache un lieu emblématique, Maupassant en Normandie, Voltaire à Ferney, Balzac en Val de Loire, Mauriac à Malagar, Colette en Bourgogne… mais à l'occasion de ce livre, l'auteur choisit de rencontrer certains des écrivains vivants, présents dans cet ouvrage, de partager avec eux un moment de dialogue autour de leur œuvre qu'il connaît parfaitement et dont il parle abondamment, une autre façon de leur rendre hommage en tout cas, une forme de respect pour leur talent et je ne doute pas que la notoriété de Jérôme Garcin, sa qualité de chroniqueur littéraire, son talent d’écrivain, son entregent ont largement favorisé ces rencontres qui, sans tout cela, n'eussent peut-être pas eu lieu. Certes il relie un écrivain contemporain à un terroir, à une maison, mais c'est bien souvent pour eux une « avant-dernière demeure » où ils attendent la mort avec tout ce qu'il faut de fatalisme et de philosophie, en jetant sur le monde qu'ils vont bientôt quitter un regard souvent désabusé, emprunt de nostalgie et souvent de déconvenues de ne pas avoir été compris ou reconnus, voire d'aigreurs face à cette comédie de la vie à laquelle il ont participé mais qui les a oubliés ou déçus. L'auteur saisit l'opportunité d'un entretien, préférable à toutes les interprétations parfois erronées que suscite la lecture des textes, pour occasionner chez son interlocuteur une remarque ou un aphorisme que le révèlent bien plus sûrement que de longs discours. Ils ont, chacun à leur manière vécu et donc illustré l'incontournable thème de « la vie, l'amour, la mort », ont marqué leur parcours personnel avec leurs livres qui sont autant de jalons dans leur itinéraire intime. De cela, l'auteur de ce volume entend rendre compte, simplement mais fidèlement. Ce que je retiens de ce livre c'est que, après avoir marqué les Lettres françaises de leur empreinte plus ou moins forte, avoir, pour certains participé à l'Histoire, avoir connu avec l’inspiration et l'écriture mais aussi avec les éditeurs et donc avec la notoriété des hauts et parfois surtout des bas, ces écrivains se sont retirés de toute cette agitation médiatique, comme pour attendre sereinement la mort, dans le recueillement et la solitude d'établissements oubliés ou de maisons ignorées par le cadastre, comme s'ils estimaient avoir dit ce qu'ils avaient à dire, avoir fait ce qu'ils avaient à faire. Il m'a semblé que nombre d'entre eux, même les plus athées, souhaitaient se rapprocher de Dieu ou d'une forme particulière de divinité qu'ils se seraient eux-mêmes forgée. Est-ce une façon de se rassurer face au néant, eux qui ont tant profité ou qui ont si bien parlé de cette vie terrestre ?

    Ce livre a été publié au début de l'année 1995 et certains articles sont évidemment bien antérieurs à cette date. Nous sommes au XXI° siècle et les écrivains continuent de marquer la culture de leur empreinte. Il pourrait donc y avoir une suite à ces entretiens. Certes, il ne manque pas de bons serviteurs de notre langue et la relève sera assurée, mais, je ne sais pas pourquoi, ce genre d'ouvrage qui tient peu ou prou de l'anthologie personnelle de son auteur, me paraît teinté de nostalgie, comme si les choses étaient gravées dans un marbre définitif. Cette chronique a modestement choisi aussi de parler des écrivains contemporains à travers leurs œuvres et j'ai bien souvent déploré que des prix prestigieux fussent accordés, à force d'avoir été sollicités, à qui ne les méritaient pas. Qu'on ne compte pas sur moi pour labourer le thème éculé du « de mon temps » mais il me semble que les choses ont changé et que dans l'inflation de ce qu'on publie annuellement la qualité littéraire me paraît bien souvent sacrifiée.

     

    Jérôme Garcin s'efface volontiers derrière son sujet. Il n'en donne pas moins son avis personnel, fait souvent référence à François Mitterrand qui fut, même si on ne partageait pas ses idées politiques, le dernier président cultivé de la V° République (les choses ont bien changé), parle de ceux qui furent ses amis ou de ceux dont il a simplement admiré le talent, ceux qui furent vite oubliés, ceux qui ont eu une vie médiatique, débridée et passionnée, comme ceux qui ont voulu préserver leur intimité, ceux qui se sont battus pour la liberté d'être et d'écrire, la leur et celle des autres.

    Hervé GAUTIER – Septembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • POUR JEAN PREVOST

    N°950– Août 2015

     

    POUR JEAN PREVOSTJérôme Garcin- Gallimard

     

    J'avoue bien volontiers que j'en ai parfois un peu assez de supporter le solipsisme des écrivains qui semblent n'avoir pour centre d'intérêt qu'eux-mêmes et qui, à ce titre, nous assènent leur façon de penser et parfois leur manière d'être comme autant de modèles. Comme je l'ai dit maintes fois dans cette chronique, j'aime lire des biographies, surtout quand elles sont bien écrites et nous parlent d'un être qui à honoré son passage sur terre mais que la nature humaine, toujours égale à elle-même, s'est dépêchée d'oublier. L'auteur rappelle opportunément que « l'oubli est la forme la plus raffinée,la plus hypocrite des trahisons ».

     

    Sa trop grande jeunesse lui avait interdit l'engagement dans l'armée pendant la Grande Guerre, mais il résista toute sa vie, obsédé par l'action, par la mort au combat, en pleine jeunesse. C'est là un paradoxe pour cet homme qui était avant tout pacifiste mais sous un tempérament de boxeur, de bretteur de sportif et de séducteur, il y avait chez lui autant d'énergie contenue que d'amour de la vie et des femmes. Il était antimilitariste par principe mais combattant par nécessité, germanophile mais patriote avant tout et fera tout pour bouter les nazis hors du territoire national. Qu'il soit étudiant ou combattant, il s’opposa, se révolta toujours ! C'est peut-être là le destin de ceux qui mourront jeunes et le savent. Une telle attitude ne procure pas que des sympathies, qu'importe, logique avec lui-même, il sera le capitaine Goderville de la Résistance, mort à 43 ans dans le massif du Vercors face à l'ennemi, les armes à la main. Il reprend à son compte le principe romain qui veut qu'« On ne meurt que pour le plaisir de rester digne de soi-même ».

     

    Normalien et écrivain, c'est aussi un intellectuel original, passionné par son temps mais aussi par Baudelaire, par Stendhal et par Montaigne, un humaniste, à la fois idéaliste et épicurien, poète et journaliste intransigeant, épris de liberté. Il sera aussi l'ami et le protecteur de Saint-Exupéry dont il partagea la destinée guerrière et et peut-être aussi la mort héroïque. Chef emblématique de sa compagnie de Résistants, il fut un officier qui ne vénérait pas les galons et qui détestait les rituels militaires.

     

    Dans ce livre qu'il consacre à Jean Prévost (1901-1944) on sent chez Jérôme Garcin une révolte contre cette amnésie d'autant plus grande que nombre d'hommes dont la conduite n'a pas été, pendant la guerre, des plus exemplaires ont su se faire oublier et prendre le pas sur ceux qui avaient fait le sacrifice de leur vie. Ce n’est pas la première fois que l’espèce humaine se révèle à la fois amnésique et injuste. Certes des rues, des places, des collèges portent son nom mais l'oubli a cependant recouvert son œuvre littéraire autant que sa personne

     

    Avec cet ouvrage publié en 1994 (Prix Médicis essai 1994), Jérôme Garcin inaugure ce qui constituera, en plus de son œuvre romanesque, une autre facette de sa démarche littéraire, des évocations de personnages souvent flamboyants et originaux mais dont l'histoire et la mémoire collective n'ont pas gardé de trace. J'ai plaisir, dans cette chronique, à saluer une nouvelle fois sa démarche.

     

    Hervé GAUTIER – Août 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE VOYANT

    N°938– Juillet 2015

     

    LE VOYANT - Jérôme GarcinGallimard.

     

    Jacques Lusseyran (1924-1971) est un élève de huit ans comme les autres et, à la suite d'un accident stupide, une bousculade qui précède la récréation, il perd l'usage de ses yeux. Sa vie aurait pu en être bouleversée mais ce garçon qui porte en lui des qualités exceptionnelles va, au contraire, puiser dans cette infirmité une force peu commune puisqu'il refuse d'y voir un handicap. La guerre le surprend en pleine adolescence. Il est alors élève à Louis-le-Grand mais la loi en vigueur sous Vichy interdit aux handicapés les concours de la fonction publique. Il voit ainsi son rêve d'enseignant s'effondrer mais cela fait de lui un Résistant chargé du recrutement au sein du mouvement « Défense de la France ». Cela peut paraître paradoxale mais il perçoit, dans la façon de serrer une main, la détermination d'un candidat au combat. Sans qu'il y soit pour rien, c'est pourtant un de ces postulants qui enverra tout son réseau à Buchenvald. Il a à l'époque 20 ans et ne verra rien de l'horreur des camps mais la sentira et, pire peut-être, l'imaginera. Interprète et placé dans la block des invalides, il échappera ainsi aux mauvais traitements et survivra, laissant une œuvre reprise en Allemagne et aux États-Unis, mais pas en France où il sera un auteur sans éditeurs et donc sans lecteurs. On préférait en effet le rescapé à l’écrivain. Pourtant, à son retour du camp, il n'eut droit à rien, ni pension, ni la moindre reconnaissance, sauf la Légion d'honneur et, la loi de Pétain qui interdisait la fonction publique aux invalides n'ayant pas été abrogée, il vit s'évanouir un nouvelle fois son rêve d'enseigner. Un profond traumatisme mental s'ensuivit qui bouleversa sa vie et il rechercha vainement une voie de secours qu'il trouva peut-être dans les sectes ésotériques, dans ses nombreuses aventures féminines et un poste de professeur d'université… aux États-Unis ! Pour lui écrire et aimer étaient synonymes de la vraie vie. A sa mort accidentelle sur une route de France, il avait 47 ans

     

    Paradoxalement peut-être, cette lumière qu'il avait perdue, il la retrouvait en lui-même et sa nuit était pour lui une véritable clarté. Lui qui refusa toujours une canne blanche et usa très tôt d'une machine à écrire ordinaire sut être un chef, et plus tard un professeur, charismatique autant qu'un inspirateur dans ce combat pour la liberté. Il portait en lui un message d'espoir pour tous les aveugles de tous les temps puisque, ainsi, son handicap était pour lui une occasion de « voir autrement ». Paradoxalement, son expérience de Buchenvald lui a redonné le goût de vivre. Son exemple, son œuvre sont sûrement de ceux qui sauvent tous les hommes en perdition et pas seulement ceux qui souffrent de cécité. Il a eu, comme le dit l'auteur « la grande clairvoyance des non-voyants ».

     

    Cette chronique a souvent rendu hommage à Jérôme Garcin pour les écrivains et les hommes oubliés qu'il a sortis de l'ombre. Il l'a toujours fait avec humanité et générosité, en mettant au service de cette « résurrection » sa belle et fluide écriture autant que son travail de méticuleux archiviste. C'est donc un double plaisir à chaque fois que de le lire. C'est un fait, la France qui est, comme l'on lit « le pays de culture », méprise souvent en les oubliant ceux à qui le destin n'a pas donné assez de temps pour s'exprimer. La postérité est parfois ingrate dans la reconnaissance qu'elle distille avec parcimonie et parfois même avec rancœur, décidant, pour des raisons bien souvent futiles de précipiter des êtres exceptionnels dans les bas-fonds de l'oubli en les chargeant au passage de cette injustice qu'est le rejet et qui caractérise l'espèce humaine. Jacques Lusseyran fut de ceux-là qui servirent et honorèrent leur pays par leur action, par leur talent, par leur humanisme. Il puisa sa force dans ce qui aurait pu être une occasion de désolation et de découragement et le portrait émouvant qu'en fait l'auteur ne peut que forcer le respect. Il fait partie de ces hommes et de ces femmes qui se sont levés face à l'occupant, qui n'ont pas voulu « être du côté du plus fort » mais dont les noms ont malheureusement été oubliés

    J'ai personnellement toujours été à la fois bouleversé, révolté et interrogatif face à la mort d'un être jeune. Certes, il n'a pas eu le temps de s'exprimer complètement, et en ce sens c'est un gâchis, mais aussi il ne s'est pas vu vieillir, n'a pas eu le temps de voir ses forces décliner, son enthousiasme se dissoudre.

     

    Après « Pour Jean Prévost »(prix Médicis 1994) où l'auteur nous parle d'un autre écrivain-Résistant mort les armes à la main au pied du Vercors, Jérôme Garcin signe ici un portrait sans concession et une émouvante évocation d’un homme exceptionnel injustement oublié.

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ECUYER MIROBOLANT

    N°737 – Avril 2014.

    L'ECUYER MIROBOLANT– Jérôme Garcin – Gallimard – 2010.

    Le récit s'ouvre sur l’enterrement d'un homme, un officier de cavalerie surnommé l' « écuyer mirobolant » par le général Decarpentery. Il n'y a pas grand monde dans ce cimetière, seulement quelques frères d'armes et un cheval pour l'accompagner, mais aucun membre de sa famille.

    Avec « Bleu horizon » paru en 2013, Jérôme Garcin a choisi de faire sortir de l'anonymat Jean de la Ville de Miremont (1886-1914), poète et romancier mais aussi un obscur combattant volontaire de la Grande Guerre, mort au tout début des combats (La Feuille Volante n° 687). Ici, c'est Étienne Beudant (1863-1949), capitaine de cavalerie qui renaît sous sa plume. L'auteur dresse son portait tout en nuances et en délicatesse et rend hommage à cet homme de passion. Lui aussi c'est une sorte d'anonyme oublié de l'histoire qui pourtant de son vivant fut admiré, adulé, respecté pour ce qu'il était, un cavalier hors pair mais aussi quelqu'un qui par sa patience et son talent savait tirer le meilleur des pires rossinantes en les soustrayant aux mauvais traitements d'un charretier ou en les sauvant de la boucherie. Quand en 1914 il rêvait d'en découdre sur le sol de France, Lyautey le maintint au Maroc sous ses ordres. Fut-il cet « homme qui murmurait à l’oreille des chevaux » ou y avait-il chez lui du centaure ? Toujours est-il qu'il réussissait à soigner et à métamorphoser les bêtes les plus rétives, à leur faire exécuter presque naturellement les figures les plus compliquées là où d'autres avaient depuis longtemps jeté l'éponge. Il écrivit nombres de traités sur l'art équestre et transforma les règles du dressage apprises à Saumur. L'arme de la cavalerie était, à l'époque celle des aristocrates mais lui l'avait choisie pour le seul amour du cheval [« Beudant sonnait pauvre, Beudant résonnait triste, Beudant sentait la roture »] Pour autant cet homme, engagé volontaire dans un régiment de dragons et qui passera sa vie dans l'arme de la cavalerie, servant en France mais aussi au Maghreb, à qui on prédisait une belle carrière, s'arrêta au grade de capitaine et resta dans un relatif anonymat. C'était un solitaire, la vie militaire l'ennuyait, et à la routine des casernes et aux réceptions de garnisons il préférait la compagnie d'un cheval. Son mariage de raison et de convenance qui fit suite à son long célibat ne résista pas. Son épouse aimait les bals mondains et détestait les chevaux auxquels elle préférait l'automobile, elle le supporta en Afrique du Nord mais ne put vivre à Dax avec ce retraité bancroche au corps douloureux à force de chutes et de fractures qui était resté en esprit dans les oasis du Maroc et les sables du désert. Elle et leur fils unique l'y abandonnèrent à la solitude et à la réflexion sur le genre humain et sur la souffrance, le constat amer d'un écuyer devenu philosophe[« Dieu sait que j'en ai monté des chevaux...ils gardent toujours leur secret. J'ai passé ma vie à tenter de le percer et ce fut en vain. Toi et tes congénères on peut vous dresser mais pas vous dompter. Vous restez des énigmes pour nous, pauvres humains. »].

    Jérôme Garcin imagine la vie de cet homme dans sa retraite désormais solitaire, simplement illuminée par l'entretien et l’accomplissement de la jument « Vallerine » dont il dut cependant se séparer parce que son corps ne lui permettait plus de poursuivre sa tâche. J'ai eu plaisir à lire l'épisode des adieux du cheval et du vieux capitaine [« Au galop assis, ils s'épousèrent. Étienne ferma les yeux. Vallerine céda, onctueuse et chaloupée. Ils ne faisaient qu'un. .. Lorsque, en soufflant , Beudant mis finalement pied à terre, il caressa l'encolure de Vallerine et lui murmura à l'oreille « Je te remercie de toi ».] Il accompagna ce passage de témoin à son successeur, malgré l'arthrose qui le torturait, d'un document de 81 pages écrit en une nuit, un texte de recommandations autant qu'une lettre d'adieu et d'amour ! Il nous présente ce vieil écuyer devenu prématurément invalide resté humble face à l'animal [« Un valet en livrée d'écuyer, voilà le titre dont, à la rigueur, il voulait bien se prévaloir »] bourrelé de remords pour avoir préféré ses chevaux à sa famille [« Ma vie de cavalier a été une vie de moine cistercien, et il n'y a pas de place pour la famille au monastère »], jetant sur sa vie un regard désabusé [« Tant d'efforts pour obtenir l'équilibre parfait qui est pourtant une illusion, une telle foi dédiée à l'éphémère »] C'est un témoignage bouleversant sur une vie d'homme de l'ombre consacrée exclusivement au culte du cheval même si on peut y déceler une forme d'égoïsme. C'est aussi une réflexion sur le sens de l'existence, de la trace que chaque être humain veut laisser de son passage sur terre, quelqu'un qui prend conscience que son art disparaît petit à petit avec le temps, qu'il ne sera plus ce qu'il a été, que lui-même, après avoir été célèbre par son génie s'efface peu à peu, qu'il se raccroche à ses souvenirs, que sa vie s'en va ...

    Si l'armée lui permit de vivre pleinement sa passion, ce qui lui valut les remontrances de sa hiérarchie et sans doute aussi des retards dans son avancement, il n'en fut pas moins habité par le doute et il la quitta temporairement pour connaître les grands espaces des États-Unis, y rencontra Buffalo Bill et Calamity Jane mais cette sorte d'incartade sabbatique fut bien entendu toujours placée sous l'égide du cheval. Au Maroc, Il croisa Lyautey qui vit sans doute en lui son double [« En vous et moi... il y a plus d'âme arabe que d'esprit colon. On doit sans doute cela aux chevaux. Ils m'ont appris à n'être jamais arrogant ni méprisant ». « Il m'arrive de vous regarder comme on fixe un miroir. Je me juge dans vos yeux. Parfois ils me renvoient une méchante image de moi » ], ce qui le rapprocha sans la moindre flagornerie de son chef.

    Je ne suis malheureusement pas, comme Jérôme Garcin, versé dans l'art équestre mais les mots rares, précis qui deviennent précieux sonnent bien à mon oreille et j'ai apprécié ce vocabulaire technique où j'ai trouvé de la poésie, comme d'ailleurs dans les évocations et les descriptions qui émaillent ce texte. J'ai aussi goûté, dans l'exemple d’Étienne Beudant les conseils de patience et de respect pour l'animal. C'est un livre émouvant et plein de sensibilité et l'auteur qui est aussi journaliste, écrivain et passionné de cheval ne pouvait passer à côté d'un tel parcours. J'ai retrouvé avec plaisir cet auteur qui n'est pas un étranger pour cette revue et comme toujours j'ai apprécié son style fluide, précis et agréable à lire.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • C'ETAIT TOUS LES JOURS TEMPETE – Jérôme GARCIN

    N°688– Octobre 2013.

    C'ETAIT TOUS LES JOURS TEMPETE – Jérôme GARCIN – Gallimard.

    Qui est ce Marie-Jean Hérault de Séchelles[1759-1794] qui va mourir à 35 ans, sous le couperet de la Révolution et qui le sait ? Quoiqu'il en soit, il écrit depuis sa prison parisienne une lettre enflammée à sa dernière maîtresse, Mme de Sainte-Armaranthe, pour lui redire son amour passionné. Il s'y confesse et ce qu'il dit le décrit comme un jouisseur passant du lit des soubrettes à celui des dames de la Cour (Et peut-être de la Reine?) en n'oubliant pas la cellule des moniales et les nombreuses chambres où officient les prostituées. Selon ses dires, Mme de Sainte-Armaranthe aurait eu le pouvoir de corriger chez lui« Une orgueilleuse frivolité où passait, dans le mépris des autres, le dégoût de [lui]». Désormais sans avenir, il s'accroche à son passé « comme [à son] dernier trésor ».

    La Révolution qu'il a pourtant servie avec zèle, par ambition et par opportunisme, va l'exécuter, mais il poursuivait un but qui maintenant lui échappe. II faut croire que l'imminence du supplice favorise le repentir puisqu'il lui avoue une de ses tromperies, nombreuses sans doute, s'accuse d'être orgueilleux, hypocrite et machiavélique avoue la certitude qu'il mourrait jeune et insatisfait, lui qui voulait surtout réussir, et vite ! Ainsi il fit de bonne heure ce qu'il fallait pour être célèbre et se révéla, sous l'ancien régime, perfide voire manœuvrier, flagorneur et prétentieux à l'occasion, et dut beaucoup de sa bonne fortune aux femmes. Avocat Général au Parlement à à peine 30 ans (ce qui ne l’empêcha pas de participer à la prise de la Bastille ni de s'insurger contre les conséquences de la nuit du 4 août sur son patrimoine personnel), il fut un homme d'influence, de pouvoir sinon de lettres mais il fut surtout un homme d'alcôves ce qui n'était pas la moindre de ses contradictions. Il devient en effet député républicain de Paris et même président de l'Assemblée, rédacteur de la Déclaration des Droits de l'homme, vota la mort de roi et même celle de Marie-Antoinette qui fut sa protectrice. Il avait en effet cette étonnante faculté de vouloir faire du mal à ceux qui lui voulaient du bien ! Lui dont la noblesse remontait à 1390 fut, sous le Révolution qu'il servit avec cynisme et dans l'horreur, le bourreau de l'aristocratie à laquelle pourtant il appartenait, trahissant ainsi sa caste et ses origines au nom de son ambition. Il fut peut-être plein d'illusions révolutionnaires [« Et pourtant, malgré mes postures et mes impostures, mes petits calculs et mes grandes prétentions, mes infimes courages et mes vraies lâchetés, mes enfantillages, mes contradictions, mes foucades, j'y ai cru à cette Révolution, cette folie, cette effrayante et magnifique machine conçue par des mains anonymes pour fabriquer du progrès »] mais reste le complice des assassinats perpétrés par la Terreur. Pourtant ce talentueux jeune homme, trop brillant sans doute pour les temps si troublés de la Terreur, trop arriviste et probablement trop oublieux de ses origines finit par être suspect et sûrement davantage jalousé. Il n'allait pas tarder à tomber dans le piège tendu avec, au bout du chemin l'inquiétante ombre de la guillotine. Lui qui avait baigné dans la culture classique, qui avait été l'élève des oratoriens oublia peut-être un des préceptes qui lui fut enseigné selon lequel « La roche Tarpéienne est proche du Capitole ».

    Dans une ultime correspondance toujours adressée à Mme de Sainte-Amaranthe, Marie-Jean Hérault s'estime victime d'une injustice, fait l'amère constatation de l’ingratitude humaine autant que de sa lâcheté. La proximité de la mort réveille en lui des souvenirs amoureux et poétiques à l'endroit de sa maîtresse [« Ce sont des pelures de l'amour » écrit-il, parlant des crocus qu'elle avait cueillis et qui avaient séché entre les pages de son livre]. Sentant venir la mort et le couperet, il devient fataliste un peu comme si, mourir jeune était soudain devenu une chose acceptable. Il ne recevra évidemment aucune réponse à sa longue lettre mais elle parviendra à sa destinataire sans qu'il le sache. Cette dernière, sans pouvoir lui répondre puisqu'il est déjà mort, en écrivant à sa fille, fait écho à cet amour que son amant vient de lui déclarer autant qu'elle répond à la missive qu’Émilie fit jadis parvenir à Hérault. Ces deux correspondances croisées illustrent sans doute cet amour partagé puisque dans cette confession où il se décrit pour elle sans complaisance est ressentie par cette femme « comme un ultime gage d'amour » qu'elle gardera « dans le tiroir central de (son) bonheur-du-jour en marqueterie, celui où (elle) range tous (ses) regrets et qui sent l'orange ».

    Jérôme Garcin nous offre aussi des évocations équestres à la fois techniques et esthétiques, explore avec ce livre où la fiction rejoint l'histoire une vie qui aurait pu être brillante mais qui fut brutalement interrompue. Marie-Jean Hérault de Séchelles ne fut pas le seul, en cette période troublée, à renier ses origines et à contribuer de bonne foi ou pour sauver sa vie au changement de la société, pour autant, je ne sais pas pourquoi, j'ai du mal à éprouver de la sympathie pour lui. J'imagine que s'il avait vécu, il aurait sans doute repris sa vie de Don Juan, aurait oublié Mme de Sainte-Amaranthe, aurait joué un rôle politique où le cynisme l'eût disputé à l'arrivisme. Mais son destin s'est arrêté brutalement, le sort (ou Dieu, selon qu'on y croit ou pas) lui a été contraire, son parcours a pris une autre voie, s'est heurtée à l’échafaud de la Terreur. Reste l'histoire de cette passion amoureuse qui peut nous émouvoir ou nous révolter. Elle illustre la condition humaine qui fait de nous les usufruitiers de notre propre vie.

    Depuis quelques temps j'explore et découvre avec plaisir l’œuvre de Jérôme Garcin. C'est toujours agréable de lire un de ses romans qui allient le bien écrire, la poésie à des touches d'humour subtil. C'est pour moi un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • BLEUS HORIZONS – Jérôme GARCIN

    N°687– Octobre 2013.

    BLEUS HORIZONS – Jérôme GARCIN - Gallimard

    Jean de la Ville de Miremont, 28 ans, employé à la Préfecture de la Seine, était-il l'exacte illustration de cette image d’Épinal qui a montré les militaires, conscrits pour la plupart, partir au combat la fleur au fusil, persuadés qu'ils seraient de retour à Noël ? Se considérait-il, de part ses origines aristocratiques ou de sa confession chrétienne comme comptable de l'intégrité du territoire national ou le défenseur des valeurs patriotiques ? Devait-il à son côté poète des idéaux inatteignables ? Lui qui avait été réformé à cause d'une santé fragile insista pour s'engager, « pour la seule durée des hostilités ». Avait-il eu la prémonition de sa mort ? Il fut tué au tout début du conflit, en novembre 1914 au « Chemin des Dames » !

    Le prétexte de ce roman est le témoignage reconstitué et réécrit par Jérôme Garcin de l'amitié exceptionnelle de Louis Gémon, (1885-1942), obscur poète selon ses propres dires et de Jean de la Ville de Miremont (1886-1914) poète et romancier prometteur fauché en pleine jeunesse dans sa tranchée presque sous les yeux de son ami. Cette amitié basée principalement sur l'amour de la littérature débuta à Libourne lors de leur incorporation puis s'affirma dans les tranchées, autant dire qu'elle fut de courte mais intense. Après la mort de Jean de La Ville, Gémon s'attacha , pendant toute sa vie, avec abnégation et admiration, à faire connaître l’œuvre de son ami. Il le fit certes au nom du devoir de mémoire pour l'arracher à l'indifférence et à l'oubli mais aussi pour le faire revivre, pour que son écriture qu'il jugeait indispensable à la littérature fût connue de tous, lui dont l'existence avait été si injustement et si violemment interrompue. Il insista longtemps pour que cette œuvre fût publiée chez Grasset, sut motiver François Mauriac qui fut l'ami de Jean et qui signa une préface et Gabriel Fauré qui mit quelques-uns de ses poèmes en musique, notamment « Vaisseaux, nous vous aurons aimés » mais surtout il sacrifia sa vie professionnelle, son bonheur conjugal et sa propre existence à cette mission parce que son ami avait fait de lui, au fond de sa tranchée, son véritable exécuteur testamentaire littéraire (Jean avait laissé à Louis un recueil de poèmes, « L'horizon chimérique » pour qu'il le publie si d'aventure il mourrait avant lui). En effet, Gémon qui était aussi un auteur, s'effaça constamment devant Jean, vécut en présence de ce fantôme au point qu'il accepta que sa compagne le quitte, lassée de cette quête qu’elle jugea impossible (« J’ai cru que je survivais à Jean, mais la vérité, c’est que je me suis tué pour lui. Je lui ai tout sacrifié, au point d’en oublier de respirer. Je n’ai pas réussi à écrire parce que je passais mon temps à le relire. J’ai préféré son passé à mon avenir. Il a été mon jumeau de guerre, mon double idéal, et je ne suis jamais parvenu à en faire le deuil. ») . Il le fit aussi sans doute pour exorciser cette culpabilité d'avoir survécu à l'enfer de la guerre lui qui, grièvement blessé, en revint, estropié mais vivant.

    Garcin imagine que la mère de Jean sollicite Louis Gémon pour lui parler des derniers moments de son fils. Il donne donc la parole à Louis qui, à travers les vers de Jean, livre les impressions que la guerre puis le quotidien lui inspirent, recréant, en parallèle, une histoire personnelle de cet homme dont on ne sait pratiquement rien. Louis se remémore l'été 1914 où l'ombre du conflit planait sur le pays, ces jeunes Français qui voulaient faire la guerre comme un passage initiatique ; elle serait courte et évidemment victorieuse et Jean n'échappa pas à cette fascination pour le combat. La réalité fut bien différente mais pendant que des jeunes gens souffraient et mourraient dans des conditions atroces, à l'arrière on festoyait et d'autres, plus riches ou plus débrouillards échappaient à leur devoir.

    Je retiens, à titre personnel les premiers mots de ce roman. Parlant de la mère de Jean, le narrateur, Louis Gémon, note «  Elle attendait de moi que je l'encourage à porter plainte non pas contre l'armée mais contre le destin... Croyait-elle vraiment intimider Dieu, et faire condamner, pour la mort de son garçon, le juge suprême ?» De part son engagement religieux elle avait fidèlement servi et aimé ce Dieu qui lui avait enlevé son dernier fils encore vivant. Ces quelques mots me paraissent tout à fait sujets à remise en cause profonde des convictions religieuses et même de la foi des êtres humains en une divinité qu'on nous présente comme bonne et compatissante. Cette « vérité » qui a valeur de dogme, existe autant que les choses humaines sont normales, c'est à dire qu'elles ne sont en rien bousculées par les événements, mais aller à l’enterrement de ses enfants remet forcément en cause tout ce qu'on nous a affirmé. La révolte qu'on peut éprouver contre le destin, c'est à dire contre Dieu, est à la fois légitime et parfaitement inutile, c'est à dire finalement tellement frustrante que la foi en souffre forcément au point de disparaître et qu'on se raccroche à ce qu'on trouve pour ne pas sombrer.

    Ce n'est pas la première fois que cette revue s’intéresse à l’œuvre romanesque de Jérôme Garcin [La Feuille Volante n°447 et 450]. Sa démarche est cette fois particulièrement bienvenue en ce qu'elle contribue à tirer de l'oubli quelqu'un d'exceptionnel dont le destin a été malheureusement brisé mais aussi un poète qui a si bien servi notre langue et notre culture.

    J'ai lu ce roman sobrement écrit et plein de sensibilité avec une réelle émotion en pensant aussi, comme nous y invite l'auteur, à tous ceux qui ont accompagné Jean dans la mort et qui auraient pu avoir une vie après cette guerre. Il y a certes Louis Pergaud, Alain Fournier et Charles Peguy dont on se souvient mais il y a aussi les anonymes qu'on s'est empressé d'oublier et dont le souvenir ne perdure sur terre qu'à travers un nom gravé sur un monument ou une croix de bois ...

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES SOEURS DE PRAGUE-Jérôme Garcin

     

    N°450 - Septembre 2010

    LES SŒURS DE PRAGUE– Jérôme Garcin - Éditions Gallimard.

     

    Cela commence plutôt fort par une lettre peu amène et carrément insultante de Klara Gottwalt, tchécoslovaque sulfureuse à un homme dont on comprend tout de suite qu'il est romancier. Cela ressemble à une rupture ou quelque chose qui a ressemblé à un contrat non honoré. Klara est en effet un agent artistique qui souhaite avoir dans son agence toutes les célébrités littéraires. Cette femme est tout l'inverse du narrateur originel, people, exagérément cabotine, manipulatrice, séductrice au franc-parler, énigmatique et autoritaire, désireuse de faire prévaloir le paraître et proche du monde politique qu'elle entretient de ses flagorneries.

    Le narrateur, un auteur pas vraiment sympathique, cynique, un peu jouisseur et pas mal profiteur, paresseux, et qui n'a connu qu'un succès un peu fade, refait le chemin à l'envers, narre le jour de leur rencontre et le bénéfice qu'il espère tirer de cette « collaboration » puisqu'elle le sollicite. En réalité, l'écriture n'est pas pour lui un besoin viscérale mais bien plutôt un moyen de réussir dans la société. Pour cela, il va trahir tout son milieu jusque et y compris lui-même pour atteindre, l'espère-t-il, le succès et une hypothétique adaptation cinématographique de son manuscrit. Il marche si bien dans ce jeu sordide que son amie le quitte définitivement tant il est devenu abject! Pour parvenir à ses fins il va épouser les manières glauques de cette société marginale et parisienne où l'hypocrisie le dispute à la vanité.

     

    L'histoire de Klara qui abandonne son fils à des dérives artificielles et ses parents à l'oubli, pour mieux connaître la réussite sociale, doublée de celle de sa sœur Hilda qui reste cependant en retrait pour mieux se réfugier, à la fin, dans des pratiques religieuses illusoires, illustre parfaitement quelques travers de la condition humaine. La mort semble guetter au coin de chaque chapitre pour avoir finalement le dernier mot, qu'elle prenne la forme d'un saut dans le vide ou d'une relégation volontaire sur une île de la côte l'atlantique quand elle est désertée par les touristes.

     

    Cet épisode de la vie du narrateur va le révéler à lui-même et quand cette entreprise douteuse faite de scandales et d'escroqueries financières en passant par le démantèlement d'un raison de call-girls, et un avertissement de la mafia de Prague, tourne court, il s'exile seul à Noirmoutier comme pour tourner définitivement la page. Dégoûté du monde mais surtout de lui-même, il décide en effet de jeter aux orties ses fantasmes, sa chronique à France-Inter, ses prétentions littéraires qui menaçaient, malgré des velléités stendhaliennes, d'enfanter des personnages pas vraiment apparentés à ceux de son modèle. Son héros finissait par lui ressemblaient beaucoup, n'avait donc plus rien de commun avec la fiction et devenait même un peu dérangeants! Au bout du compte le narrateur perd le goût d'écrire.

     

    Alors, roman catharsique ou règlement de compte sous la forme de peinture d'une société que l'auteur, qui en fait peu ou prou partie, décrit en trempant sa plume dans une encre pas très sympathique? Récit qui met en scène un écrivassier vaniteux sans réel talent (comme il y en a tant) qui recherche la « protection » d'une femme d'influence pour obtenir un succès médiatique? Sorte de mise en abyme où le lecteur ne discerne pas bien la dénonciation un peu méchante d'un milieu intellectuel et la mise en garde contre une profession nouvelle, les « agents littéraires » présentés comme des parasites qui se veulent indispensables? Est-ce, peut-être, sous la forme d'une allégorie, une manière d'évoquer l'abandon maternel, cette Klara étant à la fois une mère indigne pour son fils et une « protectrice » peu crédible pour ceux qu'elle a réussi à engager dans son agence.

     

    J'avoue que j'ai été peu convaincu par ce récit où même le style m'a laissé un peu indifférent. Je pense aussi que les nombreuses références aux chansons, aux films qui donnent l'illusion d'une certaine érudition n'ajoutent rien au texte. Quant à l'évocation de personnages bien réels qui trouvent ainsi leur place dans ce récit de fiction, je n'en vois pas l'intérêt. Je dois dire que je suis parfaitement étranger à ce milieu parisien et faussement intellectuel, même si on admet facilement que de décor ne puisse longtemps faire illusion.

     

    J'avais bien aimé « Son excellence monsieur mon ami » (La Feuille volante n°447) et j'avais eu envie de poursuivre avec cet auteur. Je ne suis plus sûr d'être du même avis.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI - Jérôme Garcin

     

    N°447 - Août 2010

    SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI– Jérôme Garcin - Éditions Gallimard.

     

    Qui se souvient encore de François-Régis Bastide? Il faut assurément n'être plus très jeune, être un amoureux passionné de la radio et de la culture et avoir un peu de mémoire! Qui était-il donc? Fondateur du « Masque et la plume », musicien, écrivain, séducteur, admirateur de Cocteau, mystificateur et ambassadeur de France ( d'où le titre). C'est en tout cas ce personnage que choisit d'évoquer Jérôme Garcin qui, entre autre, anime à son tour l'émission de France-Inter qui était celle de « son ami ».

     

    Quand il choisit de revenir à La Garde-Freinet où il habitait, de remettre en quelque sorte ses pas dans les siens, Bastide est mort depuis dix ans déjà. Par un réflexe qui n'anime que ceux qui souhaitent que la mémoire d'un homme ne se perde pas tout à fait mais qui refusent l'édification d'une statue si tentante, irréaliste et peut-être inutile aux yeux des quidams pour qui il restera toujours un inconnu, l'auteur préfère un hommage appuyé à celui qui avait « le visage exact du séducteur qui suscita autrefois, à parts égales, de l'excitation et de l'exaspération, tant il était à la fois irrésistible et insupportable ». Le ton est donc donné. Mais comment le faire sinon avec des mots qui portent en eux à la fois la pérennité de l'airain et la fragilité du support que guette l'oubli, ce travers de la condition humaine? Et puis, nous le savons bien, ils enjolivent et trompent à la fois, et ce malgré l'auteur lui-même, se conjuguent souvent avec l'ombre, les anthologies étant souvent des vœux pieux que personne ne lit.

     

    Quand il décline son enfance et son adolescence biarrottes baignées de musique, son engagement dans la 2°DB, son séjour en Allemagne occupée, pays qui fera toujours peu ou prou partie de lui-même, ses passionnantes découvertes littéraires, son entrée dans le monde culturel et médiatique, il montre que ce que veut Bastide c'est avant tout conquérir Paris et obtenir réussite et notoriété. Puis ce fut l'engagement politique aux côtés de François Mitterand en lorgnant en secret sur un ministère, à condition qu'il fût situé rue de Valois, pour finalement embrasser une carrière diplomatique, même si celle-ci ressemblait un peu à une disgrâce ou a un éloignement et qui mit entre parenthèses sa carrière d'écrivain. Malgré de fréquents séjours à Latché, celui que Garcin appelle familièrement « Régis » n'était pas non plus exempt de vanité.

     

    Il évoque aussi ses aventures amoureuses se demandant «  S'il n'était pas un collectionneur vaniteux qui trop embrasse ou un pénitent inconsolé qui mal étreint ». Pourtant Gilles Jacob le dira « brillant avec les mots, brillant avec les femmes ». C'est plutôt un compliment!

     

    Quand il parle du chroniqueur littéraire qu'il fut aussi, Garcin note que «  c'était un troublant mélange de jeune amant transi et de vieux critique râleur, de cabot et d'exégète qui donnait à ses chroniques un charme coquin , ébouriffé, fougueux, parfaitement inactuel. ». On ne fait sans doute pas ce métier sans se créer des inimitiés. A lui non plus elles ne manquèrent pas!

     

    Comme tout personnage en vue, il a suscité la polémique. C'est à cela qu'on reconnaît aussi la valeur des gens, surtout s'ils sont, comme il aimait à le dire de ceux qui participait à son émission « des insolents plutôt convenables », au moins, ils ne laissent pas indifférents. Et Bastide ne s'est pas contenté de la créer dans le cadre de son émission de radio du dimanche soir!

     

    En réalité s'il parle de cette amitié qui les unissait et les unit encore par-delà la mort, c'est peut-être à cause de leurs deux vies parallèles et le désir de Garcin de rédiger non pas une biographie mais une évocation amicale, tout en y glissant, mais on ne saurait lui en vouloir, des anecdotes personnelles. Et d'ajouter « J'aimais que notre amitié fondée sur des désaccords parfaits que rien jamais n'ébrécha ni n'assombrit. Il m'arrive de croire qu'il a été, à son insu, mon ange gardien ».

     

    C'est donc la fidélité en amitié imperméable au temps qui anime l'auteur qui ne voudrait pas « qu'on négligeât François-Régis Bastide » simplement parce qu'il ne fait plus partie du monde des vivants. C'est un hommage émouvant, sans grandes concessions et qui évite autant la dithyrambe que les révélations malsaines qui font trop souvent le succès des livres actuels, et n'a pour unique but que de faire revivre un ami disparu. De cet écrivain adepte du « mentir-vrai » il fait un portrait attendrissant : « Il m'a toujours semblé que cet admirateur de Saint-Simon s'était trompé de siècle et qu'il était fait pour vivre au temps de la litote, de la prétérition, du clair-obscur et du baisemain... Maladroit en amour, gaffeur en société, querelleur avec ses amis, d'une grandiloquente timidité, bravache sans raison, préférant être amoureux qu'aimer, et caressant peut-être mieux les mots que les corps, mon ami, cela au moins lui sera-t-il accordé, était beau de langage ».

     

    L'écriture de ce livre est calme, musicale, limpide et procure une lecture agréable, donne aussi envie, pourquoi pas, de lire Bastide et peut-être aussi et même sûrement, d'en découvrir davantage chez Garcin.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com