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la feuille volante

Sylvain Tesson

  • Bérézina

    N°1861– Avril 2024.

     

    Bérézina- Sylvain Tesson – Éditions Guérin.

     

    Sylvain Tesson est l’homme des défis un peu fous. Après avoir participé au Salon du livre de Moscou en 2012, pourquoi pas revenir à Paris en side-car avec son ami Cédric Gras en suivant l’itinéraire de la Grande Armée de Napoléon, cette retraite de Russie dont on fêtait le deuxième centenaire, histoire de saluer les fantômes de ces grognards qui avaient suivi aveuglement leur empereur dans son aveuglement guerrier de conquêtes. Chacun sa folie après tout ! Sauf que eux, ils étaient revenus à pied, à tout le moins pour ceux qui avaient échappé à la mort, pas vraiment une promenade de santé. Nos deux compères, bannière de la Vieille Garde au vent, étaient accompagnés dans cette équipée démente par un autre ami, Thomas Goisque, photographe, qui partagera cette folle équipée ainsi que deux Russes Vitaly et Vassili sur une autre moto, évidemment de fabrication soviétique.

    Le nom même de Bérézina est un symbole, une évocation pas très glorieuse de cette campagne désastreuse qui a sonné l’effondrement de l’Empire même s’il a paradoxalement une tout autre raisonnance historique. La campagne de Russie se terminait avec la fuite de l’Empereur !

    J’ai aimé voyager avec Sylvain Tesson au rythme de ce récit extravagant et jubilatoire dans l’hiver russe, scandé par les mémoires de Caulaincourt, des citations de « Guerre et paix » de Tolstoï, des atermoiements mécaniques et des lampées de vodka dans cet hiver russe, même si mes origines charentaises me font préférer les pantoufles du même nom.

     

     

  • Blanc

    N°1858– Avril 2024.

     

    Blanc – Sylvain Tesson – Gallimard.

     

    Sylvain Tesson est un incorrigible arpenteur de territoires. Déjà, après un accident stupide qui faillit lui coûter la vie, il avait pris la décision de traverser la France à pied, de la Méditerranée à la Manche, par les chemins de traverse. Ici c’est plutôt une sorte de défi que lui lance son ami, le guide de haute montagne Daniel Du Lac de Fougères de traverser les Alpes à ski, de Menton à Trieste, la montagne entre deux mers, le grand blanc entre deux nuances de bleu. Pour ce périple de quatre vingt cinq jours, un peu bousculé par l’épidémie de covid et qui s’est étiré sur quatre hivers de 2018 à 2021, ils ont été accompagnés de Philippe Rémonville. C’était sans doute un peu fou, mais après tout pourquoi pas ? En tout cas il n’était pas seul.

    De passages de cols en refuges, d’escalades en descentes en rappel ou à ski dans des températures en-dessous de 0, Sylvain Tesson nous narre par le menu et à la façon d’’Hemingway, cette expédition fragmentée. Il use pour cela du passé simple qui évoque une action définitivement passée, un peu comme s’il avait tourné définitivement la page de cette épopée. C’est les noces de la plume et du piolet avec poésie, souvenirs personnels et même une petite dose d’humour. Rimbaud est souvent cité à cause du voyage, mais il n’est pas le seul, même si les citations, par leur nombre un peu trop important, n’apportent que peu de choses à l’écriture de qualité de l’auteur. Les aphorismes qu’il égrène tout au long du texte ont souvent des résonances originales.

    Le voyage lent est un parti-pris au siècle de la vitesse. Je le ressens comme une fuite du monde contemporain, un retour sur soi-même, une recherche intime, une thérapie peut-être face à la mélancolie. Nous savons cependant que voyager n’est pas guérir son âme. Le blanc, associé à la neige est un symbole, la couleur transitoire de l’eau qui n’en comporte pas, sa forme solide que le froid entretient et que la douceur dissoudra, elle évoque le néant, le vide, une sorte de pays assez indistinct où les reliefs sont gommés, les aspérités dissoutes pour mieux cacher les difficultés, le ravin synonymie de mort. Il répond pour l’écrivain à la page blanche mais cela ne semble pas affecter notre auteur. Pourtant, le livre refermé, en dehors du plaisir de lire sa belle écriture, était-ce la répétition de ce mouvement ascendant et descendant et les chiffres qui le caractérisent, cet effort quotidien répétitif avec la crainte de l’avalanche et du danger, je ne suis que peu entré dans ce voyage, mais cela doit tenir à moi.

     

     

     

  • Les jardins d'Allah

     

    N°1836 – Février 2024.

     

    Les jardins d’Allah – Sylvain Tesson- Phébus.

     

    Arpenteur impénitent de notre vaste monde, Sylvain Tesson, avec ce recueil de quatorze courtes nouvelles se tourne naturellement vers les terres lointaines au-delà de notre horizon, celles de l’Orient, de l’Inde. En fin connaisseur de l’espèce humaine il retisse avec sa plume un univers où l’homme est prompt à voir dans les manifestations du quotidien le plus banal le doigt de Dieu qui intervient dans la vie des pauvres hommes qui le vénèrent. Ainsi s’interroge-t-il, l’air de rien, sur leur crédulité et sur l’absurdité de leur conduite quand celle-ci se met à prendre une dimension religieuse et ainsi à oublier l’élémentaire raison qui devrait gouverner chacun de nos actes. C’est d’autant plus facile qu’une religion est avant tout une somme d’interdits qui sont censés vous procurer une vie éternelle dans « un monde meilleur » dont nul n’est jamais revenu pour en attester la véracité. D’autre part l’imagination humaine est sans limites et quand, pilotée par quelque mystique illuminé ou par un clergé besogneux et intéressé, elle s’aventure dans le domaine religieux, c’est carrément du délire. On voit des miracles partout, des manifestations divines dans les moindres détails de notre vie, ce qui atteste sans le moindre doute l’existence de divinités supérieures auxquelles il convient de croire et qui évidemment méritent notre respect et notre culte sans condition. On y ajoute un peu de mystère, une histoire qui sort du commun, qu’on répète inlassablement depuis des siècles, en y rajoutant éventuellement de temps en temps une petite couche, et le tour est joué. Si d’aventure quelqu’un à l’outrecuidance de remettre tout cela en cause au nom d’une révélation contraire ou d’un simple raisonnement, on le voue aux gémonies et on le fait taire de la plus simple des manières. Les religions ont pour raison d’être l’amélioration individuelle de chacun par l’observation des vertus, la prière, la discipline, l’abstinence, le sacrifice mais elles maintiennent également les différences sociales entre les hommes et évitent que ces inégalités consacrées par la société ne soient bousculées par une éventuelle émancipation. Les différentes confessions, portées au rang de croyances à la fois obligatoires, inattendues et surréalistes, existent entre autre pour canaliser les pulsions humaines dans ce qu’elles ont de criminelles.et ainsi de les modérer voire de les annihiler. Cette fonction morale est louable à condition qu’elle ne soit dévoyée par ceux-là mêmes qui la revendiquent et sont chargés par leur statut de la mettre en œuvre. Le prosélytisme, le fanatisme, la guerre sainte, le djihad, le terrorisme ne sont jamais très loin qui autorisent la violence et la mort alors qu’on s’attend plutôt à de la tolérance. Quant à l’amour physique qui attire un être vers un autre, il vaut mieux ne pas y penser surtout si cette attirance va à l’encontre des principes religieux.

    L’auteur, avec le sens subtil d’une dérision de bon aloi, multiplie les exemples tirés de ses connaissances théologiques pour nous faire toucher du doigt les contradictions de ces croyances qu’une foi millénaire et une soumission doctrinale inconditionnelle ont incrusté dans l’esprit des fidèles qui n’ont jamais mieux mérité leur nom. Cela peut porter le nom de blasphème qui est heureusement autorisé dans notre république démocratique et laïque. Il ne lui est pas difficile de mettre ainsi en œuvre par l’exemple cette volonté de caricature et ni l’islam ni l’hindouisme ni le bouddhisme ni le judaïsme n’échappent à sa fougue humoristique que j’ai appréciée tout au long de ce recueil. De là à dire que toutes les religions se valent !

    Est-ce par prudence ou par conviction personnelle qu’il se limite à une critique des religions ultramarines. Ce recueil qui parle également des ravages du temps, phobies qui ravagent le quotidien des humains et ruinent leurs rêves et leurs espoirs, la destiné implacable qui vous poursuit et annihile tous vos efforts pour la contrer. On peut l’attribuer à une hypothétique divinité, à un hasard malheureux ou à la malchance si on en a envie et je partage avec l’auteur la certitude que, lorsque vous voulez absolument éviter quelque chose, les événements viennent obligatoirement contrarier tous vos efforts et vous obtenez le résultat inverse de celui recherché (Tu finiras brûlé) .

     

     

  • Sur les chemins noirs

    N°1833 – Février 2024.

     

    Sur Les chemins noirs – Sylvain Tesson- Gallimard.

     

    D’abord la chute d’un toit, le coma, l’hôpital, avec de graves séquelles sur son corps, puis le vœu un peu fou de traverser la France à pied s’il s’en sort, un peu comme ces combattants qui au plus fort des combats jurent d’entrer en religion s’ils survivent. Pour ce voyage, l’auteur privilégie cependant les sentiers abandonnés qui lui permettent de voir le pays sous un jour différent, un trajet de Nice à l’extrême pointe du Cotentin, trois mois de marche solitaire, parfois entrecoupée par un accompagnement amical, dans le rougeoiement de l’automne. Ce seront « les chemins noirs » mais aussi une manière originale de mener sa rééducation, de renouer avec la vie sauvage, l’aventure, la liberté, un œil sur la carte IGN, l’autre sur les pages d’un livre, une balade intellectuelle mais aussi une bonne manière de conjurer la perte de poids qui est une des obsessions de notre société actuelle, de parfaire sa condition physique. Ce mode de vie itinérant est pour lui l’occasion de renouer avec la marche et la nature, la vie simple, bucolique et marginale, de sortir des sentiers battus de la civilisation, un vrai défi, une renaissance après avoir frôlé la mort. Sa « longue marche » au milieu de spectacles changeants, loin des villes, de leur bruit et de leur goudron, lui donne à voir des villages fantômes, des maisons fermées, désertées, des fermes abandonnées, des lieux déserts mais hérissés d’interdictions placardées, des chemins qui disparaissent des cartes, mangés petit à petit par les agriculteurs qui les intègrent à leurs parcelles cultivables et on songe à ce que Gaston Couté disait déjà des « mangeux d’terre ». Son cheminement à la fois attentif et passionné lui fait communier avec le silence, la lenteur, suscite en bloc des questions simples qui dérouteraient les énarques décideurs, lui donne à voir une nature détériorée par la folie des hommes, par les aberrations de la gestion comptable qui favorisent l’économie au détriment de l’écologie, une agriculture devenue industrie, les méfaits de la mondialisation et de notre addiction aux nouvelles technologies qui nous masque, par écrans interposés, la simple beauté des choses et colonise notre propre vie au quotidien.

    Parcourir ainsi cette géographie rurale l’invite à revisiter l’histoire désormais sacrifiée au nom de la modernité des lieux parcourus, à réfléchir sur le présent et à méditer sur un avenir jugé quelque peu incertain.

    J’ai aimé ce trajet, vécu sans doute comme le prolongement de quelque chose. J’en ai apprécié le style fluide et poétique, riche de descriptions et j’ai presque eu envie de reprendre à mon compte cet art du voyage à pied, moi dont les origines charentaises me font goûter le port de ces pantoufles confortables et préférer l’été. Que reste-t-il de ce périple transversal que seule l’eau, tolérée par la faculté, est venue irriguer, le vin, symbole et richesse des régions traversées lui étant interdit ? Des souvenirs journellement engrangés, des images lyriques confiées à la page blanche, les bivouacs nocturnes entre feu de camp et sommeil de belle étoile où les repas semblaient accessoires, bref un livre plein de remarques en forme d’aphorismes et de citations d’intellectuels.

    Sylvain tesson ne laisse pas indifférent, suscite même la polémique par ses écrits et son impact dans l’opinion. Pour moi je retiens ce livre qui fut une belle découverte..

  • Une vie à coucher dehors

    N°1748 – Mai 2023

     

    Une vie à coucher dehors- Sylvain Tesson- Gallimard.

     

    Avec cette expression qui s’applique le plus souvent au nom (« un nom à coucher dehors » qui signifie avoir un drôle de patronyme) l’écrivain-voyageur décline, tout au long de 15 nouvelles, un concept qu’il connaît bien puisque c’est celui de la nature qu’à ses yeux il faut respecter parce que ceux qui veulent en contourner les règles vont droit à l’échec (l’asphalte). Il considère que le destin obéit également à cette loi et qu’il est vain de vouloir s’y opposer (le bug). Pour illustrer son propos il emmène son lecteur de la Sibérie à Mexico, des États-Unis à l’Écosse et au cours de ce voyage dans l’espace mais aussi dans le temps, il tricote un texte où la fiction le dispute parfois à la vraisemblance, tant il est vrai que cette nature qui nous entoure et dont nous sommes les hôtes bien souvent indélicats à son égard, se venge en faisant valoir ses droits à la survivance et même à une sort de justice (le lac). Cette dimension n’exclut évidemment pas le rêve et ses illusions qui nous aident à supporter la réalité du quotidien avec ses injustices, ses hasards malheureux et grâce auxquels on se redessine pour un temps un autre univers (la particule, la fille) ou la simple chance de profiter de moments fugaces tressés par la bonne fortune (le glen) . Parfois les choses reviennent à leur vraie place, celle qu’elles n’auraient jamais dû quitter si l’inconséquence et la cupidité des hommes n’étaient passées par là (la chance) et avec elles le respect du cycle de la vie (le naufrage).

    Voyager c’est faire usage de sa liberté et la mer offre à ceux que l’aventure attire un espace où se conjuguent l’odeur de l’iode, le scintillement des vagues, la légèreté du vent qui gonfle la voile... Pour eux se priver de cette opportunité c’est renoncer au sens de leur vie qui est unique, dussent-ils pour cela tout quitter, leur famille, leur maison, leur travail...

    Voyager permet d’observer le monde, de porter sur lui un regard critique, d’en apprécier la civilisation mais surtout d’en déplorer les injustices. Cette prise de conscience d’un environnement humain qui devient de jour en jour plus méprisable, fait que ses personnages fuient la foule, les autres, au point de rechercher et même de désirer la solitude (le phare, le courrier) comme un authentique art de vivre. Partager son existence avec autrui, ce qui semble être la règle aujourd’hui, le vivre ensemble dont on nous rebat les oreilles, suscite aussi les pires attitudes qui peuvent facilement aller jusqu’au meurtre, c’est à dire jusqu’à l’autorisation qu’on se donne à soi-même de disposer de la vie d’un de nos semblables, fût-il un proche.

    Donc « une vie à coucher dehors » oui, mais seul !

    Le voyage auquel il nous convie nous invite à observer les paysages parfois hostiles (le phrare), depuis les glaces de Sibérie (le lac)jusqu’aux tempêtes naufrageuses des îles inconnues (le courrier), parfois unique comme la couleur bleue, mystérieuse et insondable de la Mer Égée (la crique). C’est l’occasion de descriptions poétiques qui caractérisent si bien le style de notre auteur et qui à chaque fois retiennent mon attention et mon intérêt de lecteur.

     

     

     

  • S'abandonner à vivre

    N°1746 – Mai 2023

     

    S’abandonner à vivre – Sylvain Tesson – Gallimard.

     

    Qu’il choisisse d’évoquer la rencontre cocasse d’un mari cocu avec l’amant, escaladeur de façades, de sa femme, qu’il nous parle de la fin tragique d’une mission britannique au Pôle ou qu’il dénonce avec délectation les Russes, leur addiction à la fornication et à la vodka ou la beauté et la sensualité de leurs femmes, Sylvain Tesson ne se départit pas de son style alerte et jubilatoire où les descriptions poétiques le disputent à la qualité de sa documentation, ce qui donne pour son lecteur un texte facile à lire et dont il se délecte jusqu’à la fin. A lire ses nouvelles il semble avoir un particulier attachement à la montagne et à l’escalade et il nous balade dans le monde entier, sous toutes les latitudes et dans tous les milieux. Sous sa plume, même la mort n’a pas cette dimension tragique et c’est entre les lignes qu’il conseille de privilégier la vie, même si celle-ci peut parfois réserver bien des surprises et pas toujours des bonnes.

    Le titre a pourtant quelque chose de fataliste. En effet, pour notre auteur, il faudrait accepter le monde dans son absurdité, car il n’en manque pas, se laisser porter par la vie sans chercher à en combattre les évènements parce que ce combat est perdu d’avance, accepter le hasard qui fait partie de nos vies bien plus que nous voulons bien l’avouer, le sort ou la destiné selon le nom qu’on veut lui donner.

    Quand nous naissons, c’est à dire quand nous sortons du néant, une hypothétique divinité ouvre à notre nom un livre dont nous tournons plus ou moins longtemps les pages. Quand nous retournons au néant, la Camarde en arrache une, la dernière, et range ce livre dans la grande bibliothèque de l’oubli. Alors, pourquoi pas accepter la vie telle qu’elle est, telle qu’elle vient, au jour le jour, sans se poser trop de questions. C’est une philosophie qui en vaut bien un autre et qui a au moins l’avantage de la simplicité, loin des interdits religieux censés nous valoir une incertaine éternité heureuse et les déductions oiseuses des supposés penseurs qui se targuent de nous servir de boussole.

    Ce titre viendrait du mot russe « pofigisme » qui est intraduisible en français, qui est une sorte de philosophie, une torpeur métaphysique qui ferait partie de l’âme russe. C’est un peu l’attitude des personnages de ces dix-neuf histoires qui, avec une certaine forme d’humour, acceptent la vie comme elle vient, surtout quand le merveilleux et l’inexplicable, selon critères du cartésianisme, s’invitent dans nos vies.

    J’avoue que je partage cette vision des choses.