la feuille volante

Édouard Louis

  • Histoire de la violence

    La Feuille Volante n°1027– Avril 2016

    HISTOIRE DE LA VIOLENCE – Édouard LOUIS – Seuil.

    S'il y a un mot qui peut caractériser notre siècle, c'est bien la violence. Certes, depuis que l'homme existe, il n'a eu de cesse d'exterminer ses semblables, mais chaque jour nous apporte son lot d'attentats aveugles, d'agressions gratuites, de crimes irrationnels perpétrés contre les êtres humains, nos semblables, nos frères, par d'autres hommes fanatiques, vicieux qui ont choisi de faire le mal plutôt que le bien.

     

    Édouard nous raconte son histoire, crûment, sans recherche littéraire, celle d'une rencontre fortuite avec Reda, un garçon maghrébin, un soir de Noël, après un réveillon entre amis. Il avait envie de parler et Édouard l'invite à boire un verre chez lui, écoute son histoire, celle de son père, un émigré kabyle. Puis les choses s'accélèrent, dérapent même…Après avoir bu et ri, Édouard et Reda couchent ensemble mais au matin Reda insulte son amant, l’agresse, le viole et tente de le tuer... C'est une sorte de huis-clos tragique suivi d'une plainte déposée au commissariat et une visite à l’hôpital.

    En fait, c'est Clara, la sœur d’Édouard qui raconte à son mari cette histoire puisque ce dernier la lui a confiée, Édouard étant dans une autre pièce et écoutant la relation. Pourtant le texte est assez confus, un style haché et populaire, à la syntaxe parfois approximative [ce qui n'est pas le cas des paragraphes en italiques qui sont d’Édouard], avec de nombreuses digressions, rendu ainsi difficile à lire, entrecoupé de relations à la première personne qui sont le fait d’Édouard, et d'autres où Clara est décrite un peu comme le témoin ces scènes autant que comme la narratrice. Il la retrouve en effet dans ce petit village du Nord après une longue absence. Non seulement leurs relations se sont distendues avec le temps mais il y a un gouffre entre le milieu populaire et ouvrier dans lequel elle vit et celui, érudit, parisien et universitaire qui est celui de l'auteur. Dès la première page, le narrateur nous confie que ce que dit Clara ne correspond pas exactement à la réalité de ce qu'il a vécu pendant cette nuit et qu'il vit cela comme une dépossession et en souffre encore davantage. En réalité j'ai été assez surpris par ce texte où il est question autant de la peur du sida, du viol autant que du racisme, Reda est en effet maghrébin, le tout entrecoupé de souvenirs d'enfance... Pourtant, après cette agression il élimine toutes les traces de cet amant pour compliquer le travail de la police, ce qui est une manière de le protéger. Cela me paraît quand même quelque peu ambiguë après ce qu’il vient de subir de sa part et ce même s'il hésite à porter plainte.

    Que l'auteur fasse dans l'autobiographique ne me gêne pas, bien au contraire puisque cela peut-être une sorte de libération, une source inépuisable d'inspiration autant qu'un procédé littéraire. Qu'il se plaigne que le récit qu'en fait sa sœur ne corresponde pas ce qu'il a vécu, qu'il se sente « exclus de sa propre histoire » me paraît en revanche un artifice romanesque dans lequel j'ai du mal à entrer. A titre personnel, je me suis beaucoup interrogé sur l'écriture et de son rôle supposé de thérapie et ici je comprends mal cette démarche par procuration et le résultat pour l'auteur. C'est une sorte de paradoxe qu’Édouard est le personnage central de ce roman mais qui vit en quelque sorte par procuration dans le récit de cette femme, comme si sa propre histoire lui échappait, qu'il en était dépossédé par une narration étrangère. Cette situation se reproduit quand Édouard est face aux policiers et aux médecins, c'est une sorte de mise en évidence de la relativité du langage.

     

    Au départ le titre (« histoire de la violence ») je croyais que ce livre se voulait général, thématique, presque pédagogique, mais je n'ai lu ici qu'un récit personnel que j'ai eu du mal à habiter. Je suis peut-être passé à côté d'un chef-d’œuvre, cela correspond peut-être à une nouvelle manière d'écrire… Comme toujours je respecte le travail de l'auteur, sa démarche littéraire, mais je dois dire que j'ai été un peu déçu. J'avais pourtant été quelque peu intéressé par son premier roman, « En finir avec Eddy Bellegueule ». Là mon impression est un peu différente et si j'ai poursuivi ma lecture, c'était davantage pour pouvoir me faire une idée personnelle sur ce roman et sur l’œuvre de cet auteur dont on parle beaucoup actuellement que par réel intérêt pour cette histoire.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • En finir avec Eddy Bellegueule

    La Feuille Volante n°1013– Février 2016

     

    En finir avec Eddy Bellegueule – Édouard Louis- Seuil

     

    « Non les braves gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » chante Brassens. Ce n'est pas vraiment le cas de la famille Bellegueule qui ressemble à s'y méprendre à toutes celles du village, le père qui boit et qui, comme les autres hommes, se partage entre le bistrot et l'usine, le décor c'est les terres agricoles, le ciel plombé, l'air pollué, la pluie et le froid, la maison sans confort et trop petite pour une famille de sept enfants, la pauvreté... La mère souvent enceinte et qui ne lésine pas sur le tabac, la télé qui fonctionne en permanence, l'absence de livres, les ressentiments de chacun contre cette vie, solitude et violence ordinaires qu'on exorcise comme on peut. Dans ce milieu social, il faut ressembler à tout le monde, les hommes sont des durs et quittent l'école pour l'usine et les femmes deviennent caissières, se marient et ont des enfants… Dans tout ce décor, Eddy, l'un des fils, aux gestes efféminés, est une énigme pour cette famille qui l'a élevé comme les autres garçons à qui il ne ressemble pourtant pas. A cause de son aspect maniéré, il est le souffre-douleurs de ses camarades de classe. Ses parents ne comprennent ni n'admettent cette différence, ne se gênent pas pour se moquer de lui en espérant sans doute qu'il rentrera dans le rang, qu'il sera comme les autres et ne leur fera pas honte. Certes ils ne sont pas dupes de l'homosexualité de leur fils, certes ils sont pauvres mais veulent donner une bonne éducation à leurs enfants pour qu'ils ne souffrent pas comme eux de la misère, qu'ils n’aient pas à faire face au regard réprobateur des gens, qu'ils échappent à l'alcoolisme… Le racisme ordinaire du père, son intolérance ne l’empêchent pas de défendre Eddy même quand aucun doute n'est plus possible à son sujet, que son attirance sexuelle pour les hommes est un fait indéniable et qu'il est désormais, pour cette raison, en bute aux lazzis de autres. Il tentera bien vainement des expériences féminines autant pour donner le change que pour vérifier ce qu'il savait déjà, mais ne trouvera son salut que dans la fuite de cette famille qui l'aime pourtant mais dans laquelle il ne se reconnaît plus. Ce sera le théâtre puis plus tard les études supérieures, autant de voies auxquelles il n'avait sans doute pas pens . C'est à la fois un éveil à une autre vie, à la connaissance et à la culture mais aussi l'accès à un monde où il est accepté où il ne sera plus jamais taxé de « pédé ».

     

    Ce roman en forme de biographie, divisé en deux parties, se déroule en Picardie dans les années 1990, date à laquelle l'homosexualité était moins admise qu'aujourd'hui. Il y analyse la prise de conscience progressive d'un adolescent de son attirance pour les hommes. Il y décrit crûment et sans complaisance une classe ouvrière minée par l'alcoolisme, la xénophobie, l'intolérance, l'absence de culture dans une région qui, par la suite, n'a pas été épargnée par crise économique.

    Il est généralement admis que chacun a de bons souvenirs de son enfance. C'est là une idée reçue qui m'a toujours étonné puisque la mienne n'a pas été marquée par le sceau du bonheur. Les circonstances ont certes été bien différentes et surtout en rien transposables à celles de ce roman, mais lire sous la plume d'un auteur un tel témoignage me rassure un peu. Je finissais par me demander si mon cas avait quelque chose d'exceptionnel.

    Reste le titre qui sonne comme une page qu'on tourne et j'ai bien eu l' impression de que cette période de sa vie appartenait pour lui à un passé révolu. L'écriture est reconnue pour ses qualités cathartiques. Je ne sais si ce livre a changé la vie de l'auteur (en dehors du succès littéraire qu'il a suscité), s'il a correspondu à une réelle libération (« la force végétale de l'enfance subsiste en nous toute la vie » dit Gaston Bachelard) où s'il a exploité ce moment délétère de sa vie pour entrer en littérature puisque c'est là son premier roman, mais ces pages résonnent en moi avec des accents de sincérité. Il reste que si ses parents correspondent au portrait qu'il en a fait, je les imagine partagés entre la fierté d'avoir un fils écrivain célèbre et les révélations qu'ils ont lues dans son livre.

    C'est un roman qui se lit rapidement, un style sans fioriture littéraire, écrit à la première personne, entre témoignage et confidence. Pour autant il y a une sorte de double niveau dans le langage. D'une part l'auteur s'exprime simplement et d’autre part il rend compte des propos de ceux qui l'entourent et qu'il transcrit sans artifice. Cette différence se lit dans le graphisme du texte.

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com