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la feuille volante

Jean-Philippe TOUSSAINT

  • LA TELEVISION-

    N°919– Juin 2015

     

    LA TELEVISION- Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Le narrateur raconte qu'il a passé un été à Berlin, seul (son épouse et son enfant étaient en Italie) en compagnie d'un téléviseur qu'il ne regardait qu'avec modération au point qu'il était tout à fait capable de s'en passer. A quarante ans, il ne faisait rien en dehors des fonctions vitales, de la lecture et du sport. Rien, c'est beaucoup dire puisque, historien d'art, il avait choisi de mener à bien une étude du Titien Vecellio ( dit Le Titien, 1488-1576), c'est à dire un vaste essai, remis d'année en année, et financé par une fondation privée, sur la relation entre les arts et le pouvoir politique. Pour cela il avait abandonné son poste à l'université, s’était rendu au Augsbourg où le peintre y avait rencontré Charles Quint. En effet, le narrateur entendait fonder son étude sur « l'épisode du pinceau »(apocryphe sans doute mais repris dans une nouvelle d'Alfred de Musset) au terme duquel l’empereur se serait baissé pour ramasser le pinceau tombé des mains du peintre.

     

    Devant l'ampleur de la tâche, il prend soudain conscience que la télévision est anesthésiante et décide de s'en passer. En effet, il considère que la télévision n'impose chaque jour rien d'autre que des illusions de la réalité auxquelles il faut impérativement résister. Cela donne une série d'aphorismes, parfois assez inattendus sur le sujet.[« Or, c'est pourtant comme cela qu'il faudrait regarder activement la télévision : les yeux fermés ». ] Il livre à son lecteur un tas de petites anecdotes qui émaillent sa vie de célibataire berlinois temoraire. Il croit apercevoir un cambrioleur, s'occupe des plantes de ses voisins partis en vacances, croise l'image furtive d'une femme nue dans l'immeuble d'en face, se promène au gré de ses envies dans la ville ou se baigne nu dans un lac, autant d'épiphénomènes où domine le farniente, il est vrai entrecoupés de vagues recherches à la bibliothèque qui le distraient de son travail, ce qui n'occasionne chez lui aucun état d'âme particulier. Un peu cossard quand même ! Et puis pas très constant dans sa démarche, puisque l'interdiction qu'il s'est lui-même posée de ne pas regarder la télévision ne vaut, à ses yeux, que dans son microcosme personnel. Quand il est à l'extérieur de son appartement, cela en compte plus. Parfois au hasard des émissions, il croise des images de femmes qui le font toujours un peu fantasmer. Il ne peut d'ailleurs pas croiser l'une d'elles dans la rue sans être ému. Ces moments de furtif plaisir oculaire donnent d'ailleurs lieu de sa part à des évocations délicieusement sensuelles qu'il corrige parfois en posant ses yeux sur un téléviseur allumé, comme pour se punir lui-même.

     

    Et son travail dans tout cela ? Il trouve toujours une bonne raison pour le remettre à plus tard, la piscine ou un musée par exemple, d'autant qu'il trouve toujours quelque chose de plus intéressant, qui monopolise son attention et qui donne lieu à de longues réflexions et à des descriptions aussi précises que pertinentes. Il lui arrive même de croiser un portrait de Charles Quint qui devrait lui rappeler son but initial mais que nenni ! Après tout, l'idée de cette étude, vieille de 4 ans déjà, pourra bien attendre encore un peu !

     

    Ce roman est en fait une balade dans Berlin l'été ainsi qu'une réflexion humoristique écrite avec sa jubilation coutumière sur la télévision et son emprise sur ceux qui la regarde. Il le fait naturellement en n'oubliant pas de s'attarder sur le petit détail anodin qui aurait échappé au commun des écrivains et auquel il donne, on se demande bien pourquoi, une importance soudain démesurée mais sans pour autant que son lecteur ait l'impression de l'inutilité. Quant au téléviseur, Il se résout à le traiter par le mépris, c'est à dire à le regarder, même avec une certaine insistance, mais sans l'allumer !

     

    En tout cas cela m'a procuré, malgré des phrases toujours aussi longues, une lecture jubilatoire. Faute sans doute de mener à son terme son travail universitaire, l'auteur a au moins accouché de ce roman ; ce n'est déjà pas si mal.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • AUTOPORTRAIT (à l'étranger)

     

    N°918– Juin 2015

     

    AUTOPORTRAIT (à l'étranger)- Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Pour un écrivain volontiers égocentriste, l'autoportrait (à l'étranger ou pas) paraît être une chose facile et ce d'autant plus que dans tout ce que Toussaint écrit il y a toujours une (grande) part de lui-même et ce nonobstant le fait qu'il prend la précaution de se cacher derrière le masque d'un personnage.

     

    Cette série de portraits qui sont autant de nouvelles où il tient une place centrale, se passe donc à l'étranger, c'est à dire qu'ils se croque lui-même à l'occasion de voyages qu'il fait hors des frontières de la Belgique, aux frais des institutions pour participer à un colloque d'écrivains ou pour son propre agrément. Ainsi entraîne-t-il son lecteur de Tokyo à Hanoï, partage la vedette avec Tahar Ben Jelloun ou Olivier Rolin et même Jane Birkin à qui des écrivains vietnamiens venus écouter l'auteur réclament une chanson et dont on se demande ce qu'elle peut bien faire dans un tel aréopage. Les voyages ouvrent l'esprit, réservent parfois des surprises comme à Sfax où il est accueilli par un universitaire attentif, mais par une assemblée de 10 personnes seulement ! Il ne cache rien à son lecteur, évoque des érections spontanées à l'approche de Sousse, même si cette situation est pour le moins étonnante alors qu'une visite en principe chaude dans une boite de strip-tease japonaise lui cause une réelle répulsion. Étonnante aussi, cette victoire dans un championnat de de pétanque au cap Corse présentée comme « le plus beau jour de sa vie » !(Je veux bien que cela prenne des allures de finale de Coupe Davis, mais quand même). Il ne cache rien de ses douleurs lombaires ni de sa perte de repères spatio-temporels, ses manques de mémoire et autres petits problèmes liés à sa charge de père de famille ou de l'envie qu'a Madeleine, sa femme, de repeindre tout ce qui passe à sa portée.

     

    Chacun des moments de sa vie, même les plus anodins, est prétexte à cet autoportrait égocentrique, qu'il rencontre une admiratrice nippone ou qu'il se révèle d'une grande cruauté en achetant de la charcuterie dans la boutique d'une malheureuse commerçante allemande. Rien à voir en tout cas avec l'ennui d'un guide touristique, ce qu'on pouvait légitimement redouter puisque que, notamment Carthage le laisse complètement indifférent.

     

    J'aime bien Jean-Philippe Toussaint dont je continue à découvrir l’œuvre de livre en livre, mais en dehors de l’aspect anecdotique riche en fignolages comme à son habitude, cette petite musique nostalgique que j'aime à retrouver chez lui et cet humour si caractéristique qui qui puise une partie de sa réalité dans l'inflation des mots et le culte immodéré du détail, je crois avoir lu plus intéressant sous sa plume et je me suis un peu ennuyé à l'énoncé de ces petites anecdotes, certes bien écrites (les phrases sont comme d'habitude d'une longueur quasi proustienne) mais qui se caractérisent cependant par un aspect insignifiant incontestable.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA SALLE DE BAIN

    N°915– Mai 2015

     

    LA SALLE DE BAIN- Jean-Philippe TOUSSAINT – Les éditions de Minuit.

     

    Le narrateur, 27 ans, vaguement universitaire, semble éprouver du plaisir à garder la salle de bain comme on garde la chambre quand on est malade, mais apparemment il n'est pas malade ! Dans son appartement où il vit avec Edmondsson, sa femme, la vie se déroule au jour le jour et où nous assistons, avec un luxe de détails et même une certaine lenteur au dépeçage de poulpes de la part de Polonais venus en réalité pour repeindre la cuisine ! Sans qu'on sache pourquoi, il reçoit une lettre de l’ambassade d'Autriche. Puis, dans une deuxième partie, le lecteur finit par comprendre que le narrateur se retrouve à Venise où il part précipitamment et s’installe dans un hôtel où il passe son temps à jouer au fléchettes et où sa femme le rejoint. Il est là sans but précis. Ils forment un couple assez bizarre et l'ambiance qui se dégage de leurs relations est étonnante un peu comme ils étaient des étrangers incapables cependant de vivre loin l'un de l'autre mais qui s'ignorent quand ils sont ensemble, un peu comme un vieux couple ! A Paris, ils semblent s'aimer mais quand son épouse le rejoint à Venise où il était impatient de la retrouver, ce qu'on peut aisément comprendre, c'est pour mener deux vies séparées pendant toute la journée, farniente et jeu de fléchettes pour lui, visites culturelles pour elle. Il se passe quelques temps et sans raison particulière, elle repart pour Paris tandis que lui demeure dans la Sérénissime alors qu'il aurait toutes les raisons de la quitter puisqu'il a contracté une sinusite. Il choisit même de s'y faire soigner dans un hôpital dont il peut sortir aussi aisément que s'il y était à l'hôtel. On se demande bien ce qui le retient à Venise, et ce n'est sûrement ni le tourisme ni son métier (historien?) et, sans être spécialiste, c'est sans doute la dernière ville où il faut séjourner quand on a une sinusite, surtout quand on n'a rien a y faire de particulier. Donc une succession de sketches où si la salle de bain ne joue pas forcément le rôle central mais n'en n'est pas moins présente au début et à la fin du récit et symbolise sans doute toute l’aberration de cette situation.

     

    Le personnage lui-même reste une énigme, à la fois hypocondriaque, inattendu et surpris lui-même de se trouver dans la position dans laquelle il se trouve. Il raconte son histoire, qui est aussi une histoire d'amour, mais sans aucune passion et même avec un certain détachement. De tout cela il ressort une idée de vide, soulignée par la présentation du texte en paragraphes numérotés qui n'ont parfois rien à voir les uns avec les autres

     

    Je ne sais toujours pas quoi penser des romans de Toussaint en général et de celui-ci en particulier. En tout cas, il distille une petite musique quotidienne qui est le reflet de nos vies et cela me plaît, je m'y retrouve même si je m'y perds un peu mais je dois avouer qu'elle est quand même captivante quoiqu'un peu absurde.

     

    Je n'ai que très récemment croisé les romans de cet auteur. Après une période d'étonnement sans doute légitime, j'avoue que je suis entré complètement dans cet univers où il en se passe rien, ou le hasard tient une grande place et sert de boussole à des personnages qui ont l'épaisseur du quotidien et de l'éphémère et sont même un peu étrangers à ce monde, un peu comme moi peut-être ? De plus les relations entre les gens me paraissent bien rendues, aussi hypocrites et temporaires que dans la vie courante.

     

    C'est le premier roman publié de Jean-Philippe Toussaint paru en 1985. A sa sortie, alors qu'il était complètement inconnu, la critique a parlé de « Nouveau »nouveau roman à cause de l'originalité de son expression et a présenté son auteur comme un révolutionnaire de l'art romanesque. Il est assurément un auteur inclassable, plus sûrement intéressé à s’attacher son lecteur par les situations décalées du texte et sa qualité de rédaction que par le thème général volontairement déroutant et qu'on peine à comprendre. Paradoxalement peut-être ce fut pour moi un agréable moment de lecture.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'APPAREIL PHOTO

    N°914– Mai 2015

     

    L'APPAREIL PHOTO- Jean-Philippe TOUSSAINT – Les éditions de Minuit.

     

    J'aborde actuellement les romans de Jean-Philippe Toussaint. J'en retiens une impression bizarre comme une succession de scènes sans forcément de rapport les unes avec les autres, une sorte de récit où il ne se passe rien d'important, une somme d'actions décrites dans le détail avec des mots agréables à lire mais sans davantage de cohérence. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est question de vide, mais presque, un peu comme si le narrateur se laissait porter par les événements de sa vie courante sans vouloir réagir, s'abandonnant au hasard, supportant et assumant l'absurde de cette situation. Cette vacuité qui ne me gêne pas puisqu'elle peut être regardée comme l'image de notre vie à tous, superficielle, banale, joue une petite musique mélancolique assez agréable quand même.

     

    Ici le prétexte du début est une séries de leçons de conduite (pourquoi pas?) qu'il se propose de suivre dans une école puis, rapidement, le narrateur, dont on ne sait pas grand-chose (mais peu importe) nous invite, sur le ton de la confidence à partager le début d'une liaison avec la secrétaire de cette officine. L'action est lente, s'égare dans l'évocation d'un passé plus ou moins immédiat. Cette lenteur est soulignée par des phrases démesurément longues et même délicatement festonnées. Cette histoire un peu incertaine va devenir une histoire d'amour sans qu'on sache très bien la part qu'y prend le hasard et celle de la volonté individuelle. La jeune femme , Pascale, qui est aussi peu réactive que lui face à sa propre vie va le laisser s'installer dans son existence, lui laisser en quelque sorte jouer le rôle du père face à son jeune fils dont le véritable géniteur a préféré un divorce dont elle se remet mal. Elle disparaît néanmoins à la fin du roman et donne l'impression d'avoir quitté la vie du narrateur aussi facilement qu'elle y entrée. C'est étonnant de la part de cet homme qui ne semble pas être un Don Juan, d'avoir réussi à séduire aussi facilement cette femme mais on peut douter de cet amour partagé puisque, si lui semble beaucoup l'aimer, elle en revanche donne l'image d'une dormeuse apathique quand elle est avec lui !

     

    Au cours de ce récit, le narrateur en profite, on se demande bien pourquoi, pour nous décrire avec un luxe de détails, l’achat d'un paquet de chips qu'il va ensuite consommer dans les toilettes tout en laissant son esprit vagabonder au gré de ses pensées, les moments anodins d'une leçon de conduite, la constitution volontairement lente de son dossier, la délicieuse et intemporelle aventure autour de l'achat d'une bouteille de gaz…

    Le style n'est pas désagréable, bien au contraire puisqu'il adopte le rythme et surtout le ton de la confidence, de l’ironie parfois et même du burlesque

     

    Quid de l'appareil photo dans tout cela ? Eh bien c'est le narrateur lui-même qui le trouvera dans le ferry qui le ramène d'Angleterre et il en profitera pour fixer sur la pellicule des instants fugaces de sa vie, autant dire qu'il va servir à photographier le néant. C'est sans doute un peu le message que veut nous délivrer l'auteur puisque, lorsque les clichés seront développés, ils ne représenteront que ce que le propriétaire précédent avait choisi de photographier. Les scènes que le narrateur avait voulu immortaliser n'ont laissé aucune trace !

     

    Je distingue quand même deux parties d’inégale longueur dans ce roman. Si la légèreté semble baigner la première, le ton se fait plus grave dans la seconde, la pensée du narrateur devient profonde et prend le pas sur l'anecdote quotidienne et banale du début. J'y vois personnellement une certaine marque de désespoir, de solitude, une difficulté d'être, le narrateur semblant vivre dans un microcosme personnel.

     

    Alors, autodérision de la part d'un quidam qui ne laissera aucune trace de son passage sur terre? Peut-être mais cet homme me paraît à moi tout particulièrement sympathique, à cause d'une éventuelle parenté entre nous peut-être ? En tout cas, j'ai bien aimé autant l'histoire (ou l'absence d'histoire) que le style, à la fois subtil, simple, mélancolique et poétique. C’est un « roman minimaliste » et même infinitésimal suivant l'expression choisie par la critique, une sorte de manière de s’inscrire entre deux mondes, entre deux infinis, et c'est peut-être là que se trouve l'inspiration créatrice, allez savoir ?.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • NUE.

    N°910– Mai 2015

     

    NUE. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Marie est styliste, a de la haute couture une idée très personnelle qui se résume à un concept de robe « sans couture », autant dire une gageure qui se décline sous la forme d'une robe de miel où le corps d'un mannequin entièrement nue est recouvert de miel et suivi par un essaim d’abeilles ! Tel devait être le clou du défilé de mode qu'elle organisait à Tokyo. C'était assurément plus original que la plus extravagante création de Jean-Paul Gaultier ! Cela n’allait pas sans des difficultés de tous ordres mais cela était bien le cadet des soucis de cette femme excentrique dont la spécialité avait déjà défrayé la chronique du métier et bousculer quelque peu les standards de la mode. Pourtant, ce qui promettait d'être un succès tourne au dernier moment au fiasco. L'épisode suivant nous transporte à Paris après que le narrateur et Marie, qui ont été amants pendant deux semaines à l’île d’Elbe où elle possède une maison, viennent de se séparer. Lui qui est éperdument amoureux d’elle, attend désespérément qu'elle l'appelle. Elle le fait au bout de deux mois, jouant sans doute sur son impatience et sur sa solitude mais pour le convier à l'enterrement de Maurizio, le gardien de la maison italienne… Le reste emporte le lecteur dans un tourbillon de souvenirs où Marie, femme d'affaires, créatrice et femme du monde est avant tout imprévisible et traîne derrière elle ce pauvre homme qui voudrait bien reprendre avec elle des relations amoureuses.

     

    Depuis que j'explore l'univers de Jean-Philippe Toussaint, je trouve beaucoup de symboles que je suis pas pour autant capable de déchiffrer, tout au plus se posent-ils en interrogations. Ici, j'y vois plutôt une somme de contraires. Chez Marie, en effet, il y a beaucoup de larmes qui lui viennent facilement mais qui sont tout aussitôt suivies de rires, tout aussi inattendus. Cette antinomie se retrouve dans l'évocation de la vie et de la mort et c'est à propos de l'enterrement de Maurizio qu'elle choisit d'annoncer au narrateur qu'elle est enceinte et pas comme elle l'avait l'avait prévu à l'origine. Paradoxale aussi me paraît être l'attitude de Marie, ses silences qui s'opposent à des intentions de dire, d'annoncer quelque chose d’important mais qui ne débouchent que sur le néant ou en tout cas sur rien d'autre que sur un mutisme que le narrateur lui-même peine à interpréter. Les dialogues échangés entre le narrateur et Marie semblent être menés avec une grande économie de mots, comme si l'essentiel était réduit à quelques paroles suffisantes toutefois pour exprimer sa pensée. Contraste aussi dans l'emploi alterné de l’italien et de français dans certains échanges. Cette différence se retrouve aussi dans l'histoire amoureuse des deux personnages principaux, lui épris d'elle qui semble être étrangère à son attention. Entre eux se succèdent ruptures et reprises d'une liaison qui se voudrait durable mais qui connaît des interruptions imprévues. Il y a aussi les figures qui parsèment ce roman. Marie est évidemment la principale qui fait l'objet de toutes les attentions du narrateur, des évocations de sa vie passée. Elle parle à peine et c'est un long monologue du narrateur qui remplit les pages de ce récit, un peu comme s'il prenait le lecteur à témoin de l'amour qu'il éprouve pour elle et des états d'âme qui sont les siens face à son attitude parfois ambiguë. Il apparaît pourtant comme un personnage légèrement en retrait face à elle, mais d'autres, comme Jean-Christophe de G, juste entr’aperçu et Guiseppe ne sont que des ombres fugitives.

     

    Peut-être suis-passé complètement à côté, mais c'est toujours la même chose avec Toussaint, cette histoire d'amour-désamour qui ne me déplaît pas puisque c'est fort bien écrit, poétique parfois et que cela procure une lecture agréable et facile, mais qui me laisse toujours une sensation bizarre, d’ailleurs assez indéfinissable, d'un récit assez décousu, fait de scènes juxtaposées mais qui finalement est assez entraînant.

     

    C'est le quatrième et dernier volet qui clôt les épisodes de la vie de Marie Madeleine Marguerite de Montalte que l'auteur résume au seul prénom de Marie (Après « Fuir », « La vérité sur Marie » et « Faire l'amour ») .

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FUIR.

    N°909– Mai 2015

     

    FUIR. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Au début, le lecteur apprend que le narrateur doit se rendre à Shanghai pour le compte de Marie, son ex-amie pour ce qui peut être un transfert d’argent ou le paiement d’une transaction. Dès l’aéroport, il rencontre Zhang Xiangzhy, un chinois énigmatique qui va l'accompagner tout au long de ce roman et plus sûrement le surveiller sans qu'on sache vraiment pourquoi. D'ailleurs il lui offre un téléphone portable d'assez bas de gamme. Il croise aussi un belle chinoise, Li Qi, dont on nous dit qu'elle a sans doute été l'amante de Zhang mais qui n'est pas insensible au charme du narrateur, à moins bien sûr que cela en soit pour renforcer la surveillance que ces deux personnages exercent sur lui. Ainsi, ce qui peut ressembler à une passade se tisse petit à petit entre eux dans un train mais toujours Zhang veille ! Pendant son séjour, il apprend la mort du père de Marie. Arrivés à Pékin, l’hôtel qui les accueille révèle une liaison entre Zhang et Li alors que le narrateur dort seul dans sa chambre ! Tout cela est fort ambigu, d'autant que le narrateur semble invité par Zhang qui se charge de tout mais toujours ce dernier discute les prix, cherche à marchander, ce qui est étonnant compte tenu de l'importance de la somme qui lui a été remise à l'aéroport par le narrateur. En fait, tout au long de ce roman, il y a une atmosphère de mystère (la surveillance constante du narrateur y compris par le biais de la jolie Li Qi, la visite au garage et le départ à moto, la fuite du bowling, à trois sur cette moto, la traversée de lieux divers et surtout assez fantomatiques sans qu'on sache vraiment si la police est à leurs trousses, le vrai contenu du sac que Zhang garde précieusement contre lui notamment pendant cette fuite éperdue, dissimulation dudit sac dans un plafond par Zhang qui ordonne au narrateur de prendre un taxi pour rentrer…). Dans la troisième partie du roman, le narrateur se rend à l'île d'Elbe pour l’enterrement du père de Marie qu'il retrouve sur place. Pour autant, ils ne se parlent pas et il part en plein milieu de la cérémonie, sans raison apparente. Puis elle le cherche, le retrouve et entre eux débute une relation charnelle mais qui s’interrompt très vite comme si cela était devenu impossible entre eux. Tout cela se passe en silence et Marie part nager. Il cherche à la rejoindre, ne la trouve pas et on sent la panique légitime qui l'envahit. Après quelques instant, il la trouve et elle s'effondre dans ses bras, en pleurs.

     

    Au-delà de ce résumé un peu fastidieux mais nécessaire dans le cas d'un roman de Jean-Philippe Toussaint tant ils sont toujours assez obscurs et surtout inattendus, j'ai tenté de m'interroger sur ce que je venais de lire. Le voyage est omniprésent dans cette œuvre, ce qui est une fuite comme semble l'indiquer le titre, mais fuir quoi ou qui dans la cadre de ce rythme effréné où tous les moyens de transports possibles sont sollicités ? Est-ce l'image de notre société marquée par ce « mouvement perpétuel » que seule la mort interrompra ou une volonté de l'auteur de ne pas rester en place ? Quelle est la relation entre la Chine et l’île d'Elbe, entre ce transfert d'argent et le décès du père de Marie ? Celle qui est un peu « l'arlésienne » pendant toute la partie « chinoise » du roman révèle sa présence à la fin, mais elle est une sorte « d'apparition » fuyante, pleurante et silencieuse. Que signifie la présence quasi constante du téléphone portable qui accompagne les protagonistes en Chine ? Est-ce l'image de la surveillance continue qu'on entend exercer sur le narrateur et surtout pourquoi ? Quant à lui, il est d'une passivité étonnante que je ne me suis pas expliquée, un peu comme s'il était le spectateur de ce qui lui arrive, mais un spectateur qui se laisse étonnamment diriger sans rien demander. Qui est derrière tout cela ? Marie peut-être, restée en France, mais quel est son véritable rôle dans cette affaire ? Pourquoi cette rupture de rythme entre l'épisode chinois et celui de l’île d’Elbe. Pourquoi Marie oppose-t-elle, comme d'ailleurs dans d'autres romans, des pleurs aux sollicitations du narrateur ? Il y a certes une sorte de souffrance de ces deux êtres, un peu comme si l'absence de l'autre était aussi insupportable que sa présence, comme s'il s'agissait d'une histoire d'amour qui ne pouvait pas finir sans avoir peut-être jamais commencé vraiment.

    Ce roman pose effectivement beaucoup de questions qui, pour moi, restent sans réponse. Et pourtant, même si dans celui-ci, les événements relatés peuvent se poursuivre à l’infini, il y a une sorte d'alchimie qui me retient au texte. Non seulement c'est bien écrit, avec des descriptions précises et évocatrices, poétiques même parfois mais malgré moi, j'ai toujours envie d'en savoir plus, sans que je sache vraiment pourquoi. Le livre refermé j'ai donc toujours un sentiment mitigé comme celui qui reste sur sa faim mais aussi en ayant des difficultés à me remémorer ce que je viens de lire, à en comprendre le thème.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FAIRE L'AMOUR.

     

    N°908– Mai 2015

     

    FAIRE L'AMOUR. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    La première phrase ne peut passer inaperçue « J'avais fait remplir un flacon d'acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi, avec l'idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu'un… ou dans sa gueule à elle, dans son visage, en pleurs depuis quelques semaines ». Le ton est donné, celui de la violence contenue, de l'envie de faire mal, pas vraiment en accord avec le titre. C'est en effet le récit d'un amour qui n'existe plus, qui a duré 7 ans, avec au début des choses que l'on dit qui ont déjà été dites par des milliards d'autres gens et pourtant, nous savons tous que faire rimer amour avec toujours, c'est pour les mauvais poètes et surtout cela n'a rien de vrai, sinon cela se saurait ! Alors quand on a pris conscience que cette union ou que cette aventure n'avait que trop duré et qu'on devait unilatéralement y mettre fin, les idées les plus folles nous traversent la tête et parfois s'y installent, ainsi cette bouteille d'acide. On est loin des serments du début et même il y a urgence !

     

    Les voilà donc à Tokyo, elle pour présenter sa collection de robes dont on se demande si le défilé va finalement avoir lieu, et lui pour accompagner Marie. C'est sans doute la ville choisie pour cette rupture un peu comme si, si elle en se produisait pas dans un lieu extraordinaire, il lui eut manqué quelque chose pour être définitive.

     

    Il y a certes des scènes chaudement érotiques ( ce qui donne sans doute son titre à ce roman?) qui ne m'ont pas laissé indifférent, Marie devant être une belle femme sensuelle, mais cela ne laissait pas vraiment présager la fin de cette liaison. J'avoue que j'ai un peu perdu le fil de cette histoire, entre un tremblement de terre et une escapade du narrateur à Kyoto chez son ami Bernard.

     

    Je n'ai sans doute rien compris, mais il me semble que contrairement à ce qui était dit dans les premières pages, je n'ai pas vraiment eu l'impression qu'il voulait se débarrasser de Marie. Dès lors, je n'ai pas bien compris la présence du flacon d'acide qui ne le quitte pas. Il doit d'ailleurs y avoir une symbolique particulière dans le fait de vider le contenu de cette bouteille sur une fleur fragile après en avoir menacé un inconnu. Cela ouvre largement la porte à nombre d'interprétations mais j'avoue que j'y ai été très imperméable !

     

    J'avais déjà lu des œuvres de Jean-Philippe Toussaint (La Feuille Volante n º 405 et 879) Dans l'une d'elle (« La vérité sur Marie »), il était déjà question d'une Marie, comme ici. C'est sans doute la même puisqu'il semble qu'avec « Fuir » nous sommes en présence d’une trilogie. Elle doit sans doute incarner pour l'auteur l'éternel féminin ou est-elle la figure d'une femme qui sans cesse est destinée à lui échapper, entre amour et désamour entre volonté de faire durer une liaison qui, il le sait, part à vau-l'eau et va se terminer?

     

    Le style est fluide et le roman se lit facilement même si l'histoire en m'a pas vraiment emballé , après tout lire la fin d'un amour, d'une rupture n'est pas enthousiasmant.

     

    En tout cas je reste sur une impression bizarre, un peu la même à chaque fois que je lis un roman de Jean-Philippe Toussaint.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'URGENCE ET LA PATIENCE

    N°879– Mars 2015

    L'URGENCE ET LA PATIENCE – Jean-Philippe Toussaint - Éditions de Minuit.

    Après pas mal de romans publiés et sans doute d'autres seulement écrits, l'auteur éprouve le besoin de faire le point sur son matériau de prédilection, les mots, et la façon de les utiliser, l'écriture. Il dissèque à travers son œuvre personnelle ce phénomène à la fois manuel et intellectuel, entre dans le détail, analyse le processus de création littéraire au regard de ces deux caractéristiques qui peuvent être contradictoires, voire inconciliables ou complémentaires : l'urgence et la patience.

    Au milieu, il place l'inspiration comme une grâce extérieure, d'aucuns la qualifieraient de divine, mais l'urgence est là qui la commande et il faut respecter son rythme, ses exigences, sa fragilité aussi. II souligne, avec pertinence, l’importance du travail et aussi de la lecture des autres auteurs (pas n'importe lesquels cependant) mais aussi les lieux qui selon lui sont propices à l'écriture. Pour lui ce sont les hôtels qui ne sont pas forcement des édifices de pierre mais qui peuvent parfaitement être des constructions purement mentales (il parle de « fonctionnalité fictionnelle »). Bref, l’écrivain dans tout cela, dans tout ce chambardement intime, paraît être bien frêle face à la page blanche et à ce bouillonnement d’où sortiront des mots et des chapitres. Si on veut faire la démarche de publier ce qu'on écrit (et c'est bien naturel) il faut aussi faire preuve de patience, mais pas la même, face aux éditeurs. Il ne faut oublier non plus que l'écriture en se laisse pas dominer facilement, la patience est aussi nécessaire dans les périodes incontournables d 'abattement et de dépression.

    A titre personnel j'ai toujours été fasciné par le phénomène de création artistique (et spécialement littéraire). D'où cela vient-il ? Pourquoi cela s'applique-t-il à quelqu'un qui en s'y attend pas, qui n'a rien fait pour cela alors que d'autres ont fait des études et des efforts pour écrire et n'y parviennent pas ou mal. J'avoue que je souscris assez à cette conjugaison entre la patience et l'urgence mais j'ai toujours été interpellé par ce moment extraordinaire et fugace qu'est l'inspiration qui se manifeste au hasard, le jour ou la nuit et surtout quand on s'y attend le moins( à la réflexion je n'ai jamais cru que cela avait une dimension divine). Il faut cependant impérativement s'y soumettre faute de perdre définitivement ce qu'elle nous offre. En outre j'ai toujours été frappé par cette sorte d'extériorité qu'on éprouve quand on se soumet à ce processus créatif, qu'on y fait allégeance au point d'abandonner ce qu'on fait pour répondre à cet appel qui peut durer des heures ou quelques secondes. Je l'ai toujours, peut-être à tort, rapproché de ce mot de Rimbaud « Je est un autre ». J'ai souvent ressenti à titre personnel cette impression assez étrange d'être en dehors de tout cela, de tenir le stylo certes, de mettre mon nom en tant qu'auteur, mais de n'avoir avec ce moment excitation et d'exception que nous nommons la création qu'une lointaine parenté.

    J'avais déjà lu Jean-Philippe Toussaint comme un écrivain (La Feuille Volante nº 405 « La vérité sur Marie »). Sa démarche d'essayiste est intéressante et enrichit ma réflexion personnelle sur l'écriture.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA VÉRITÉ SUR MARIE – Jean-Philippe TOUSSAINT

     

     

     

    N°405 – Mars 2010

    LA VÉRITÉ SUR MARIE – Jean-Philippe TOUSSAINT – Éditions de Minuit .

     

    Cela commence plutôt bien «  Plus tard, en repensant aux heures sombres de cette nuit caniculaires, je me suis rendu compte que nous avions fait l'amour au même moment, Marie et moi, mais pas ensemble ». Je me suis dit qu'avec cette première phrase, j'étais en présence d'un écrivain comme je les aime, de ceux qui captent l'attention, de leur lecteur dès le début du roman et qui ne l'abandonnent qu'à la fin, sans que l'ennui se soit installé dans la lecture.

    On comprend vite aussi que l'histoire parallèle de ces deux ex-amants (Le narrateur et Marie) qui se retrouvent par hasard dans la touffeur d'une nuit d'été autour d'un mort, va vite devenir passionnante. Ils avaient vécu ensemble de nombreuses années dans ce petit appartement maintenant occupé par Marie puis s'étaient séparés, voici six ans, parce qu'ils en avaient décidé ainsi et ils vivaient une vie sentimentale indépendamment l'un de l'autre. Pourtant, parce que son dernier amant, Jean-Christophe de Ganay, trouve chez elle la mort par crise cardiaque, Marie appelle le narrateur au secours. Ce dernier, malgré la présence d'une autre femme dans son lit cette nuit-là, accourt vers son ancienne maîtresse. Dès lors, les choses reviennent à leur vraie place, celle qui avait été bousculée quelques années avant. C'est, entre eux, la même valse-hésitation entre l'envie, le rejet, la tentative d'étreintes et la volonté de fuite et Marie se remet à «  détester passionnément » le narrateur, comme avant.

    Les évocations de cette nuit d'orage ne sont pas sans rappeler les relations tendues qui président à leurs retrouvailles comme elles existaient auparavant et la fuite effrénée d'un cheval, dont est propriétaire Jean Christophe de Ganay, sur le tarmac d'un aéroport ajoute à cette impression un peu délétère. Les éléments se répondent d'ailleurs comme cette nuit parisienne et caniculaire où l'orage couve, celle de l'île d'Elbe partagée jadis par le narrateur et Marie où le feu frappa aussi. La crise cardiaque c'est aussi une forme de foudre et Marie est aussi déroutante qu'un cheval désemparé et perdu, comme l'est le narrateur sans doute quand il s'éloigne de la présence de cette maîtresse de plus en plus incontournable.

     

    Il y a aussi la silhouette énigmatique de Jean-Christophe (ou Jean-Baptiste de G.), le dernier amant de Marie, homme d'affaires et propriétaire d'un pur-sang. De cet homme on ne sait rien mais, petit à petit, il se révèle au lecteur. Entre les rares certitudes de la vie de cet homme, le narrateur tente d'en savoir davantage, et ce qu'il ne sait pas, il l'imagine et comble les blancs! Sa mort prématurée et énigmatique épaissit le mystère autour de lui. Pourtant, même si on en apprend un peu sur lui au cours du récit, il n'en reste pas moins un personnage secondaire, presque inexistant au regard des relations qui existent toujours entre le narrateur et Marie, deux éternels amants. Ce qui original aussi dans ces retrouvailles c'est que le narrateur joue alternativement le rôle de l'amant de Marie et celui de l'écrivain,

     

    Le titre « La vérité sur Marie » porte en lui-même sa charge de suspens. Son simple énoncé implique qu'on ne sait pas tout d'elle ou que ce que l'on sait est faux. Si j'en juge par la 4° de couverture, ce roman serait « le prolongement » de « Faire l'amour »(2002) et « Fuir » (Prix Médicis 2005). Malheureusement pour moi, j'aborde ici et pour la première fois cet auteur sans avoir lu ses précédents romans.

     

    Pour autant, j'ai apprécié le style, évocateur et plein de descriptions poético-érotiques, j'ai aimé ces relations parfois tendues parfois complices et sensuelles des deux personnages qui deviennent petit à petit les uniques protagonistes de ce récit.

     

    Quelle est donc, le livre refermé, cette vérité sur Marie? J'y ai lu l'incarnation d'un amour à la fois sensuel et distant, irréel et peut-être impossible qu'elle distille pour un narrateur très épris d'elle. Cela illustre sans doute une des facettes de la conditions humaine, l'éternelle hésitation entre « être et ne pas être », entre amour et désamour.

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.