la feuille volante

Articles de hervegautier

  • STUPEUR ET TREMBLEMENTS

    N°771 – Juillet 2014.

     

    STUPEUR ET TREMBLEMENTSAmélie NothombAlbin Michel.

    Grand prix du roman de l'Académie Française 1999.

     

    C'est l'histoire d'une jeune Belge, pleine d'ambition et amoureuse de la culture japonaise. Elle entre donc comme interprète dans une multinationale nippone d'import-export, la société Yimimoto, mais ne tarde pas à déchanter. Elle se retrouve après pas mal d’humiliations... comme nettoyeuse de chiottes, une sorte de mise au placard un peu particulière, autant dire qu'on veut la pousser à la démission. Pourtant elle tient bon et va jusqu’au terme de son contrat de travail tout en choisissant de s'évader de cette « condition » par des expédients personnels ou même d'en rire ! C'est qu'elle apprend à ses dépends que les codes européens sont différents de ceux en usage au « pays du Soleil-Levant » et que le monde du travail n'y est pas non plus un havre de paix. Elle finit par se couler dans le moule, par prendre son mal en patience et par trouver son salut dans l’inversion des concepts ou, à tout le moins à en donner l'impression, faire en quelque sorte acte de soumission apparent, tel le respect du sens de l'honneur, fondamental dans la culture japonaise, tout en gardant intacts ses valeurs et en puisant dans cette expérience le sujet d'un livre, une manière aussi de se libérer par l'écriture.

     

    L'auteure brosse un portait peu flatteur de la société nippone, décrivant la condition des hommes et surtout celle de femmes vouées à un avenir plutôt compromis sur le plan professionnel comme sur le plan personnel. Apparemment il est difficile de s'y épanouir en dehors de l'entreprise. Dans ce roman autobiographique, l'auteure nous confie son expérience personnelle d'immersion dans la société mais surtout dans le monde du travail japonais. C’est vrai que l'état d'esprit y est moins contestataire, plus docile face au patronat et au pouvoir qu'en occident. Il y a une subordination naturelle de l'individu, inconnue chez nous, face à tout ce qui incarne l'autorité, l'oubli de son bonheur personnel au profit de la société commerciale. Tout ici se résume au travail, à l'entreprise et le reste peu ou prou ne compte guère. Ainsi la tradition de l’obéissance aveugle, de l’auto-culpabilisation est-elle respectée avec des formes appropriées proches de ce qui serait chez nous regardé comme une comédie ainsi qu'en témoigne l'attitude qu'on devait avoir face à l’empereur du Japon, considéré naguère comme un dieu, en s'adressant à lui « avec stupeur et tremblements »( ce qui donne son titre au roman).

     

    Certes le contexte a quelque chose d'exotique et même d'anecdotique, certes en occident il y a des syndicats, des associations, des groupes de pression, des soutiens individuels et spontanés un arsenal juridique apparemment inconnus au Japon et qui garantissent contre ce genre de chose mais je me suis demandé si finalement ce monde du travail en tant que tel était vraiment si différent que cela chez nous. Ce qui est présenté comme « culturel » au Japon me semble transposable dans nos entreprises comme un moyen de culpabilisation, une manière de se débarrasser d'un collaborateur devenu encombrant, de favoriser une forme d'autoritarisme individuel avec parfois la bienveillance de la hiérarchie quand ce n'est pas tout simplement pour obtenir des faveurs sexuelles ! Mademoiselle Fubuki Mori qui se révèle être une femme magnifique et même fascinante sous la plume de l'auteure devient pourtant sa tortionnaire ; ne s'incarne-t-elle pas chez nous dans la multitude de petits chefs imbus de leur importance et qui entendent faire peser leur autorité sur leurs inférieurs ? Leur position intermédiaire dans l’entreprise, acquise certes par la patience, parfois par la compétence mais bien plus souvent par la flagornerie, la délation, le clabaudage, font d'eux des intermédiaires intéressants pour le patronat et ils attendent de leurs inférieurs la même vassalité que celle qui fut la leur pour obtenir leur poste. Conscients de leur importance, ils aiment la faire sentir à ceux qu'ils ont en leur pouvoir. La hiérarchie si pesante dans ce roman est-elle vraiment étrangère à notre système où, bien souvent, elle étouffe l'épanouissement, les initiatives, la simple liberté d'entreprendre ou d'innover. Le système japonais qui réclame la perfection chez les salariés d'une société est-il vraiment inconnu chez nous où on nous parle d'excellence et surtout par la comparaison avec les autres pays plus performants que le nôtre sur le plan économique ? Je ne parle pas du harcèlement, concept longtemps pratiqué, hypocritement ignoré chez nous mais cependant bien présent dans le monde du travail au point d'être enfin reconnu et poursuivi aujourd'hui jusque devant les tribunaux ! Je ne garderai bien de généraliser mais y a-t-il vraiment de la différence entre ce qu'a subi la narratrice, ravalée à des emplois subalternes voire dégradants, constamment maintenue dans un état d'infériorité et psychologiquement fragilisée et la volonté parfois mise en œuvre chez nous de se débarrasser d'un collaborateur en le laissant inactif, en lui confiant une fonction qui ne correspond pas à sa compétence ou simplement en mettant en avant le nécessaire rendement et ce sans se préoccuper des conséquences sur sa vie ?

     

    Certes les mentalités sont différentes au Japon et en occident (singulièrement en France) et l'auteure a sûrement un peu noirci le trait en faisant de la compagnie Yumimoto un modèle qu'elle n'est peut-être pas partout, mais quand même ! L'auteur a été l'objet de nombre d'avanies qui l'ont rabaissée et précipitée vers sa « démission contractuelle ». J'ai vu dans ce roman une manière de remettre en question notre vision du Japon qui a, un temps, servi de modèle économique à notre pays.

     

    Bien écrit et facile à lire, j'ai bien aimé ce livre pour son style, son témoignage et pour les questions qu'il soulève.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA CAMPAGNE DE FRANCE

    N°770 – Juillet 2014.

    LA CAMPAGNE DE FRANCEJean-Claude Lalumière – Le dilettante.

    « Cultibus », c’est agence de voyages basée à Biarritz qu'ont créée Alexandre et Otto, deux jeunes professeurs de littéraire et d'histoire que le métier d'enseignant a rebuté et qui proposent, à titre de reconversion, des trajets culturels en car à travers l'Europe. On fait mieux pour motiver le client et attirer la clientèle mais au moins fait-on ainsi dans l’original puisque la but n'est ni le Mont-Saint Michel, ni Euro-Disney ni le Futuroscope ! D'ailleurs les comptes en font foi, ça sent le dépôt de bilan ! Il va falloir faire quelque chose pour sauver cette pourtant jeune entreprise et cette chose vient sous la forme d'un périple partant de chez eux pour rallier le nord de la France, une sorte de « Ch'ti tour », sur le thème de l'amitié franco-allemande mais version littéraire, ce qui, là non plus ne risquait pas de déplacer les foules. Miracle, une association de retraités de St Jean de Luz se présente mais ce voyage avait quelque chose d'expérimental puisque nos deux voyagistes ne tardent pas à s’apercevoir que leur clientèle s'intéresse davantage à la nourriture et au show-biz qu'à la culture. Malgré leur formation littéraire, nos deux compères peinent à passionner leur auditoire et leur programme originel est vite oublié et varie au gré de ses desiderata, des grèves sauvages avec barrages routiers et des pannes inopinées. Ils avaient prévu d'invoquer les œuvres complètes d'Alain Decaux et le manuel scolaire de Lagarde et Michard en plusieurs tomes mais les voici orientés vers les côtes de Vendée dévastées par la tempête Xynthia, une usine de friandises à Cholet puis contraints à un bivouac en pleine nature plus digne de boys-scouts que de gens du troisième âge !

    En fait ce groupe hétéroclite de douze retraités, composé notamment d'un colonel en retraite, fervent gaulliste, d'un ancien combattant qui bouffe du boche, d'un professeur de français atteinte de la maladie d’Alzheimer et d'un ex-conducteur de car scolaire grincheux, est parfaitement ingérable et nos deux agents de voyage font ce qu'ils peuvent pour satisfaire cette clientèle parfois vindicative parfois étonnamment conciliante alors que leur entreprise ,au bord du gouffre financier, les contraint en permanence à négocier le prix des hôtels et des restaurants, d'inventer des activités, tout cela sous l’œil inquisiteur de leur comptable... Pendant toutes ces pérégrinations parfois hasardeuses Alexandre qui a un penchant pour Otto fait ce qu'il peut pour se rapprocher de lui malgré une indifférence affichée de l'intéressé, mais la hasard des rencontres va changer la donne.

    Son premier roman,« Le front russe »(La Feuille Volante n° 508) m'avait bien plu. Ici, l'auteur ne se départit pas de son humour habituel mais celui-ci m'a beaucoup moins convaincu. Certes le texte se lit facilement et même vite mais j'ai noté quelques longueurs, des incongruités même, un épilogue un peu artificiel avec une « happy-end » digne d'un roman à l'eau de rose pour ces deux loosers reconvertis temporairement en agents de voyages qui ne tarderont sûrement pas à rejoindre l’Éducation Nationale qu'ils avaient soigneusement choisi d'éviter. A entendre ceux qui en font partie, c'est, malgré les grandeurs et les servitudes de la Fonction Publique, le plus beau métier, on y jouit au moins de la sécurité d’emploi et des vacances !

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN SINGE EN HIVER

    N°769 – Juillet 2014.

    UN SINGE EN HIVERAntoine Blondin- Adaptation cinématographique d'Henri Verneuil (1962).

    A quoi ça tient les serments d'ivrogne ! Albert Quentin, patron d'un hôtel-restaurant, ancien fusilier-marin en Chine pendant son service militaire a promis, pendant le bombardement de 1944 de Tigreville, une petite station balnéaire de la côte normande, de ne plus boire s'il en réchappait. C'était l'époque ou le service militaire était une période incontournable, un rituel initiatique. Si on ne l'avait pas fait on n'était pas un homme, c'est à tout le moins ce qu'on disait ! Quentin en a la nostalgie parce que ces années se confondaient avec l'alcool. Quentin est un homme de parole et il mène une vie tranquille aux côtés de Suzanne, sa femme, c'est à dire un quotidien dédié au régime sec, et ce pendant quinze ans. Il déserte même le café de son voisin. Mais voilà qu'un jeune publicitaire, Gabriel Fouquet, débarque un beau jour et s’installe dans l'hôtel de Quentin. Lui, il boit pour oublier l'échec de sa vie sentimentale avec Claire et l'alcool le transporte en Espagne où vit son amie, chacun son voyage ! Et d'ailleurs il vient à Tigreville voir sa fille, pensionnaire dans une institution. L'Espagne, il en rêve au point de parler aux incrédules clients du café de son soleil, de son flamenco, de ses taureaux et, joignant le geste à la parole va jusqu'à interrompre la circulation de cette petite ville en transformant la rue principale en arène. Sauf que, pour lui, les voitures sont autant de taureaux, ce qui déplaît à la maréchaussée. Pour Quentin, c'est le signal qu'il attendait depuis longtemps, il reconnaît en Fouquet un compagnon qui comme lui n'a « ni le vin petit ni la cuite mesquine », le délivre de la perspective d'une nuit passée en cellule de dégrisement et nos deux compères s'en vont arroser cela dans un bar un peu louche qui surplombe la ville « Les gastronomes disent que c'est une maison de passe et les vicelards un restaurant chinois. », indique-t-il en guide averti. Ils connaîtront ensemble deux jours d'ivresse conclus par un mémorable feux d'artifice improvisé sur la plage pour lequel Landru, un commerçant local, s'associe à eux pour lui aussi s'offrir son quart d'heure colonial.

    Après cette « nuit d'ivresse » qu'ils illustrent en chantant la fameuse chanson « Nuit de Chine », ils reprendront chacun leur vie d'avant, Quentin en rentrant à l’hôtel et en allant, comme chaque année visiter la tombe de son père, Fouquet en emmenant avec lui sa fille. Dans le train qui les emmène vers leur destination respective, la petite demande à Quentin de lui raconter une histoire avant de prendre sa correspondance. Un peu tristement il conclut « En Chine, quand les grands froids arrivent, dans toutes les rues des villes, on trouve des tas de petits singes égarés sans père ni mère. On sait pas s'ils sont venus là par curiosité ou bien par peur de l'hiver, mais comme tous les gens là-bas croient que même les singes ont une âme, ils donnent tout ce qu'ils ont pour qu'on les ramène dans leur forêt, pour qu'ils trouvent leurs habitudes, leurs amis. C'est pour ça qu'on trouve des trains pleins de petits singes qui remontent vers la jungle ».

    Je revois toujours ce film avec plaisir et émotion à cause du jeu des acteurs mais aussi des somptueux dialogues de Michel Audiard.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SACRIFICES

    N°768 – Juillet 2014.

     

    SACRIFICESPierre Lemaitre - Albin Michel.

     

    Rien ne prédisposait Anne Forestier, en ce matin tranquille dans une galerie marchande des Champs-Élysées, à être témoin du braquage d'une bijouterie et, devenue gênante, à être sauvagement agressée et laissée pour morte par deux petits truands. C'est, comme on dit, se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Non seulement les braqueurs massacrent Anne à coups de crosse mais ils tirent sur elle et poursuivre leurs casses ailleurs. Malgré leur côté spectaculaire, ses blessures sont moins graves qu'il n'y paraît et elle est une femme de caractère et surtout volontaire ; elle survivra ! Elle a vu le visage de ses agresseurs et à ce titre doit être éliminée, c'est pourquoi l'un d'eux la poursuit jusqu'à l’hôpital. Il y est même venu avec un fusil à canon scié pour l'exécuter mais en vain !

     

    Elle est aussi la compagne de Camille Verhoeven, commandant de police à la Criminelle qui se fait attribuer l'enquête en faisant un peu le forcing face à une hiérarchie qu'il prise peu, qu'il mystifie en permanence, une justice dont il semble se moquer et un code de procédures pénales dont il semble avoir oublié jusqu'à l'existence. C'est un véritable électron libre qui agit pour son propre compte, malgré la bienveillance du juge et l'amitié du contrôleur général, dans la plus parfaite illégalité au risque d'un dessaisissement, d'une enquête de l'IGS, d'une inculpation personnelle et d'une exclusion, comme les flics qui glissent sur la mauvaise pente. Il fait de cette enquête une affaire personnelle, à moins que ce ne soit le contraire, surtout depuis l'assassinat d'Irène, sa première femme. Anne est réellement en danger puisque celui qui l'a passée à tabac, Vincent Hafner, est un truand chevronné qui reste introuvable. Le commandant va donc mettre les moyens qui, pour lui, sont nécessairement entachés de marginalité voire d'illégalité. Pourtant l'enquête piétine et les ennuis pleuvent sur lui mais l'urgence est de protéger Anne à tout prix, même à celui de la rencontre avec les caïds du milieu et même l'assassin de sa propre épouse. Camille est un artiste, un délicat dessinateur qui, malgré son talent ne connaîtra jamais la notoriété, c'est un amoureux des chats et un être secret et c'est sans doute ce qui l'a rapproché d'Anne dont finalement il ne sait rien. Mais bizarrement plus il investigue, plus cette dernière devient un mystère pour lui, un véritable fantôme qui lui pose de nombreuses interrogations, de multiples états d'âme et il en vient à douter des apparences mêmes. Et pourtant il tient à elle.

     

    C'est un thriller avec l’écriture, l’ambiance et les personnages qui conviennent à ce genre. Pendant ces trois jours, le découpage horaire, les actions haletantes, les mystérieux arcanes autant que les rebondissements entretiennent un suspense de bon aloi. J'en profite pour préciser qu'à mon avis le roman policier n'est pas seulement dédié à l'été ou associé au farniente au soleil ou à la plage. Par rapport à la littérature générale dont elle est une facette, la littérature policière à son originalité, ses auteurs talentueux et ceux qui le sont moins. Jusqu'à ce qu'il obtienne le Prix Goncourt pour « Au revoir là-haut », je ne connaissais pas Pierre Lemaitre (La Feuille Volante n°734). Il explore ici un genre différent qui m'a bien plu et je pense que je vais poursuivre la découverte de cette partie de son œuvre*.

     

    * Ce roman est le dernier de la trilogie Verhoeven.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE TORT DU SOLDAT

    N°767 – Juillet 2014.

    LE TORT DU SOLDAT – Erri De Luca - Gallimard.

    Le narrateur se voit confier la traduction en italien de l’œuvre d'un écrivain juif inconnu en Italie. Il explique pourquoi le yiddish est une langue riche et l'attachement qui est le sien à sa littérature. Il parle d'une rencontre fortuite dans un restaurant des Dolomites avec un vieil homme et une jeune femme. Pour lui les livres ont peuplé son enfance et chacun était pour lui une fenêtre sur le monde. Plus tard l'extermination des Juifs par les nazis l'a bouleversé, il a visité certains camps pour s’imprégner de la souffrance et de la mort injustes de ces gens, a évoqué leur résistance héroïque dans le ghetto de Varsovie, les grandes figures qui l'inspirèrent et les écrivains survivants qui en portèrent témoignage.

    Puis vient le récit plein de bon sens et parfois de naïveté de la jeune femme qui était en compagnie de l'homme à côté de la table du narrateur. Elle est allemande et l'homme qui l'accompagne est son père, un ancien tortionnaire nazi dont le seul tort, de son point de vue, est d'avoir été vaincu. Elle narre son histoire personnelle où ses parents lui ont sciemment caché la vérité, son père changeant de nom et de visage et se cachant sous le masque d'un aïeul pour ne pas avoir à lui avouer qu'ils était un criminel recherché. C'est le départ de sa mère qui provoque cette révélation et elle cherche à comprendre ce père qui campe toujours sur les certitudes de l’idéologie nazie. Il y a une sorte de complicité du silence entre elle et ce vieil homme qui finit par s'intéresser aux subtilités de la kabbale, aux mystères de l'alphabet et de la grammaire hébraïque et même y puiser les raisons de l'échec d'Hitler. Pourtant il est fier de ce qu'il a fait, redoute un éventuel procès et sa sentence et n'entend même pas se justifier en se cachant derrière les ordres reçus, sa seule faute ayant été la défaite de l'Allemagne. Dans son attitude il y a une sorte de défi. Il craint d'être pris puisqu'il est inscrit sur la liste des criminels recherchés, mais il quitte l'Amérique du Sud où il s'était réfugié, rejoint sa ville de Vienne et accepte pendant de nombreuses années un poste de facteur qui, dans sa tournée, a de centre Simon Wiesenthal ! Pourtant la compréhension de sa fille ne va pas jusqu'à porter le vrai nom de son père et elle se fait même stérilisée pour ne pas avoir d'enfant et ainsi ne pas transmettre les gènes de son père.

    Ce récit évoque la rencontre avec le narrateur dans cette auberge des Dolomites et le vieil homme se croit découvert à cause des caractères yiddish des documents que le narrateur est en train de traduire à la table voisine. Pire peut-être, le côté paranoïaque qu'il a développé pendant toutes ces années de cavale reprend le dessus et il voit là un avertissement prélude à son arrestation puis à son exécution alors que, pour sa fille, l'image du narrateur lui évoque un agréable souvenir d'enfance. Ce quiproquo le délivre de la vie en même temps que sa fille est sauvée in-extremis dans l'accident de leur voiture, libérant cette dernière du contrat tacite qui la liait à son père.

    Ce sont donc deux récits croisés offerts au lecteur avec une écriture simple, dépouillée et fluide, une évocation de l'angoisse de devoir, toute sa vie, supporter un mensonge pour la jeune femme et pour le vieil homme la certitude aveugle non seulement d'avoir fait son devoir en obéissant aux ordres mais, ce faisant, d'avoir bien agi.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DEMAIN

    N°766 – Juillet 2014.

     

    DEMAIN – Guillaume Musso- XO Éditions.

     

    Par hasard, à la période de Noël, Matthew achète d'occasion un ordinateur qui a appartenu à Emma et qui bizarrement contient encore ses références informatiques. Par cet intermédiaire ils correspondent mais ils ne se rencontrent pas au rendez-vous qu'ils se donnent. Même les courriels que Matthew lui envoie de son smartphone ne lui parviennent pas. Évidemment, elle vit en décembre 2010 et lui en décembre 2011, soit un décalage d’exactement une année... et elle est morte !

     

    C'est que Matthew, jeune et séduisant professeur à Boston a, un an plus tôt , dans un banal accident de la circulation perdu la femme de sa vie qu'il adorait, Kate, et se remet difficilement de cette disparition. Il élève seul et comme il peut sa fille de quatre ans Emily. Avec cette histoire d'ordinateur et la certitude qu'Emma, une sommelière d'un grand restaurant new-yorkais, et lui sont « égarés dans les couloirs du temps », Matthew conçoit cette idée un peu folle de demander à cette jeune femme d'éviter l'accident qui a coûté la vie à Kate. En réalité il va lui envoyer des messages du futur. C'est ainsi une manière de réaliser un fantasme humain, celui de remonter le temps et ainsi de corriger ses propres erreurs et celles de la vie ! Pour cela il lui propose de l'argent en lui communiquant par exemple les numéros gagnants de la loterie puisqu'ils vivent tous les deux dans espaces temporels différents... Mais ce qu'elle veut, après de longues errances amoureuses, c'est un mari, une famille, c’est à dire quelque chose qui ne s'achète pas. Elle a évidemment la possibilité d'éviter la mort de Kate mais ne le fera pas puisqu'elle tombe amoureuse de Matthew et voit en lui la solution à tous ses problèmes. Mieux, elle ne répétera pas la énième tentative de suicide qui lui fut fatale et donc vivra avec lui. Sauf que, pour décider Emma, Matthew enlève son chien, son seul compagnon et menace de le tuer, la vie de l'animal contre celle de Kate en quelque sorte ! Mais bien sûr rien ne se passe comme prévu avec son lot de révélations, de remises en cause des certitudes qu'on croyait définitives, de trahisons, de mensonges et pourquoi pas de doute sur la paternité d'Emily... Le mystère s'épaissit autour de Kate qui ne correspond pas vraiment à l’image de l'épouse-modèle qu'elle veut donner d'elle-même et c'est à peine si on est étonné de se retrouver dans une sorte de roman policier avec piratage informatique, écoutes téléphoniques sauvages, filatures, transmissions de données par ordinateur ou par téléphone portable, à moins que ce ne soit une histoire crapuleuse avec versements de fonds, de sommes faramineuses en dollars, d'un assassinat programmé méthodiquement au terme d'un plan perfide exécuté par un tueur à gages ou simplement une histoire d'amour qui, comme toujours, se termine mal.

     

    Dans ce roman digne d'une œuvre de science-fiction, j'avoue que j'ai eu un peu de mal à suivre et à passer d'un personnage à l'autre puisqu'il y avait entre eux un décalage d'une année et que Musso a décidément beaucoup d’imagination. Je retiens surtout l'idée de solitude, de mal-être que cet homme et cette femme partagent chacun dans leur coin. Mais ce sont deux solitudes amoureuses, celle d'Emma qui lui colle à la peau et dont elle voudrait se défaire ; malgré une errance sentimentale de plusieurs années, elle retombe dans les bras de son ancien amant inconstant et manipulateur et cette situation aura raison d'elle. Matthew avait quitté sa première femme pour épouser Kate qu'il ne parvient pas à oublier depuis son décès. Son ombre plane encore sur lui malgré et il vit mal son veuvage, malgré son travail et sa fille. Cette situation surréaliste, dont on peut cependant imaginer une version plus ordinaire, va occasionner des révélations où l'incompréhension le disputent à l'irrationnel. Elle va accentuer cette solitude et même y ajouter de la révolte d'autant plus forte qu'une explication entre eux est désormais impossible. En choisissant Kate, Matthew avait non seulement privilégié l'amour mais aussi la stabilité d'une famille et la sérénité de la vie commune et n'imaginait pas que cela puisse être remis en cause. Il lui faisait tout simplement confiance et ce qui est évoqué ici c'est un problème humain, bien ordinaire et même banal mais qui caractérise notre condition, cette volonté de tout remettre en question pour un peu de plaisir furtif ou simplement pour le frisson de braver l'interdit, pour se dire qu'on ose et qu'on en a bien le droit, qu'on est libre et qu'on appartient à personne, même si, à l'occasion de cette comédie on joue simplement avec la vie des siens. On se dit qu'on ne sera pas pris et on s'enfonce de plus en plus dans l'hypocrisie et le mensonge... C'est bien normal après tout de faire rimer amour avec toujours et on se dit que, pour une femme le mariage, la maternité, la responsabilité d'un foyer ne peuvent que générer la robustesse du couple, que l'instabilité c'est pour les autres et que rien ne peut arriver. Las, il n'en est rien et en réalité tout cela a la résistance d'un château de cartes édifié dans un courant d'air mais ici le scénario se complique un peu avec un grand amour avec un autre homme, une maladie mortelle, un désir fou d'inverser le cours des choses et le projet machiavélique de tuer son mari pour sauver son amant. On prend soudain conscience « que rien n'est acquis à l'homme » comme le dit Aragon et que les faiblesses, les bassesses, les trahisons existent, qu'elles vont à l'encontre des sentiments les plus définitifs, que finalement les masques finissent par tomber. La solitude de Matthew a cette dimension mais elle a aussi celle de la révélation et de la désillusion. C'est sans doute un paradoxe que de vouloir à tout prix passer sa vie avec quelqu'un qu'on aime et dont on croit être aimé et donc de lui faire une confiance aveugle, c'est à dire faire échec à la solitude alors qu'au bout du compte c'est bien elle qui représente la tranquillité d'esprit, la meilleure solution si on ne veut pas être trahi ! Ce roman est , malgré ce contexte un peu farfelu, une étude de caractères qui m'a bien plu.

     

    J'ai déjà dit dans cette chronique que Musso ne retenait pas vraiment mon attention (La Feuille Volante n° 760 à propos de « Central Park » et n°764 de« La fille de papier »)bien que ses romans se lisent facilement comme c'est aussi le cas ici. Est-ce le thème de temps et possibilité de le remonter et ainsi d'abolir les effets du hasard ou de nos propres erreurs, mais je dois dire que, même si c'est complètement invraisemblable, même si comme toujours Musso ne peut s'empêcher d'en rajouter au point d'agacer un peu son lecteur (quand il a trouvé une bonne idée, il la travaille au maximum et ne manque pas d'exploiter tout ce que l'humain a de détestable, entre mensonge, trahison et confiance abusée quitte à s'égarer dans des digressions un peu longues), j'ai été séduit par cette idée et je suis entré dans son jeu, lisant passionnément pour connaître la fin. Mais quand même, je dois dire que j'ai été un peu surpris à la lecture du dernier chapitre. On sort à ce moment là de la longue fiction qui a duré plus de quatre cents pages et dont on se demande si elle a réellement eu lieu, pour retourner aux premiers chapitres de ce roman, on ferme en quelque sorte une parenthèse pour retrouver Emma, son vieil ordinateur et sa rencontre avec Matthew qui se déroule apparemment sous les meilleurs auspices. Est-ce pour elle le commencement d'une nouvelle vie, le début d'un grand amour si longtemps recherché et dont l'histoire si particulière de Matthew nous a donné à penser qu'il était impossible ? Est-ce pour Matthew la fin de son deuil, le début de quelque chose de différent qui donnera peut-être une mère à la petite Emily, une page qui se tourne avec la volonté farouche d'oublier son expérience désastreuse avec Kate, une volonté de faire prévaloir la vie et l'espoir en prenant à nouveau le risque d'être déçu, avec un « happy-end » que semble beaucoup affectionner Musso et qui a ce côté artificiel qu'on ne retrouve que très rarement dans la vraie vie ? Pourquoi pas ?

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • QUATRE MURS

    N°765 – Juillet 2014.

     

    QUATRE MURS – Kéthévane Davrichewy – Sabine Wespieser Éditeur.

     

    La maison de leur enfance à Somanges vient d'être vendue et les quatre enfants de « la mère », Saul, Hélène, Élias et Réna, les jumeaux, y reviennent une ultime fois, sans leur conjoint ni leurs enfants. Mais un déménagement n'est pas seulement un simple changement de place, un simple transport de meubles, on laisse toujours un peu de soi, de ses souvenirs dans une maison qu'on a habitée. Vendre une maison de famille c'est un déchirement. En outre, le père est mort quelques années plus tôt, la mère ne peut supporter la solitude dans ces lieux et aucun de ses enfants ne peut venir habiter avec elle. Elle finit par aborder le toujours épineux problème du produit de la vente mais qu'il y a-t-il de pus normal qu'une mère souhaite aider ses enfants qui en ont le plus besoin et c'est justement la cas des jumeaux. Cela ne pose pas de problèmes pour Saul et Hélène qui n'ont besoin de rien. Pourtant ce n'est pas une question d'argent qui va secouer cette famille. En effet sa belle cohésion se lézarde très vite peut-être parce que l'histoire de chacun de ses membres est finalement différente derrière la façade affichée. Deux ans après cette vente, chacun se retrouve dans l'île de Saul et veulent jouer cette comédie de la famille réunie ; c'est à la fois hypocrite et ridicule.

     

    Saul, c'est l'aîné mais aussi l'intello de la famille, celui qui a réussi, jadis directeur de journal et maintenant ébéniste dans une île grecque, une sorte d'hommage à ce père, simple ouvrier horloger, homme aussi renfermé que son épouse était expansive. Et puis il y a eut cet accident qui a laissé Réna handicapée, la mort aussi, celle du père et d'un cousin, et la réaction de chacun face à elle. Tout le poids de ce passé, cette culpabilisation peut-être de celui qui a réussi par rapport aux autres, qui n'a eu que de la chance dans sa vie suscitent une thérapie parce qu'il ne peut plus parler à personne. Hélène est une parfumeuse célèbre, célibataire et solitaire. Elle non plus ne parle plus à personne, quant aux jumeaux leurs souvenirs communs sont entachés de non-dits mais aussi de difficultés relatifs à la gémellité. Ce voyage dans l'île des Cyclades, lieu de substitution à Somanges et qui pourrait bien devenir leur nouveau point de ralliement, est pour chacun d'eux l'occasion de revivre leur passé intime, d'évoquer parfois douloureusement leurs relations plus ou moins incestueuses ou de parentèle, leurs secrets qui parfois provoquent des révélations. Il y a aussi ces relations conflictuelles autour de l'accident qui a failli coûter la vie à Réna mais l'a laissée handicapée. Quatre enfants, quatre vies face aux quatre murs de cette maison qui désormais va appartenir à d'autres, une page qui se tourne...

    Cette évocation du passé est servie par une écriture fluide et un texte dense.

     

      Un variante sur le thème de « famille je vous hais », les liens forts qui avec le temps et la vie s'effritent inexorablement, les choses qui changent, l'innocence de l'enfance qui laisse place à la désillusion, l'histoire de bien des familles qui souvent veulent masquer la réalité par l'hypocrisie et la comédie, une mise en perspective assez réussie de situations que nous avons tous connues. Quand même j'ai été un peu déçu, je m'attendais à autre chose.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA FILLE DE PAPIER

    N°764 – Juillet 2014.

     

    LA FILLE DE PAPIER – Guillaume Musso – XO Éditions.

     

    Au départ, une rupture amoureuse entre un écrivain à succès, Tom Boyd et une pianiste célèbre Aurore Valancourt. Si cette dernière se console rapidement entre les bras d'un musicien, Tom peine à s'en remettre et bascule facilement dans l'alcool, la drogue, les anxiolytiques. Sa saga «La trilogie des anges » n'aura jamais de suite ! Calfeutré chez lui à Los Angeles pendant plusieurs mois, incapable d'écrire la moindre phrase et confronté durablement au syndrome de « la page blanche », il reçoit la visite de Milo Lombardo, son ami mais aussi son agent qui lui rappelle que les deux premiers tomes se vendent bien et qu'on pense même à en faire un film. Il faut donc qu'il s'attelle aux troisième tome d'autant que ses lecteurs n’attendent que cela. Pourtant, il est bel et bien incapable d'écrire et qui plus est complètement ruiné. Est-ce à cause de l'abus d'antidépresseurs, il voit arriver chez lui une femme complètement nue, Billie Donnely, qui n’est autre qu'un personnage secondaire de ses romans « qui enchaîne des histoires d’amour foireuses ». Il pense à une mauvaise blague mais c'est bien elle,  « tombée d'un livre » et le doute n'est plus permis. Elle s'installe dans son quotidien au point de le sauver de l'internement et lui propose de retrouver Aurore ; elle veut bien sortir de sa vie à condition qu'il lui fasse rejoindre le monde de la fiction, avec accessoirement une vie moins minable, c'est à dire qu'il accepte de donner une suite à la saga et donc d'en reprendre l'écriture. Il s'ensuit une succession d'aventures échevelées, pas vraiment convaincantes et même plutôt empreintes de longueurs fastidieuses et même un peu forcées, telle la quête de ce livre devenu unique à cause du pilonnage de la dernière édition due à une erreur d’impression. On voudrait même nous faire croire que le rachat de cet unique exemplaire correspondrait au sauvetage de Billie, ce qui la ferait retourner dans son monde fictif alors que l'amour que lui porte Tom devrait au contraire s'y opposer. Je ne suis qu'un simple lecteur, pas vraiment spécialiste de Musso, mais j'ai été carrément agacé par cette succession de mésaventures dont je me suis demandé si elles auraient une fin. C'est à peine si j'ai eu envie de connaître l'épilogue !

     

    C'est vrai que l'idée n'était pas mauvaise et que la création n'est jamais très loin de la folie, Maupassant, Hemingway ou Nerval en sont l'illustration, et si l’art existe parce que le réel est insuffisant, la mort volontaire finit par s'imposer à l'artiste.

     

    Personnellement, en tant qu'auteur, j'ai toujours été intéressé par les relations qui peuvent exister entre entre un romancier et ses personnages. Ils sont fictifs certes mais ils vivent d'une vie propre, possèdent leur liberté et en profitent parfois au grand étonnement de leur créateur lui-même puisque la fin du roman est parfois bien différente de l'intrigue qu'il avait imaginée au départ. Alors, force de l’imagination, talent et même génie ou simple effet de la liberté des personnages ? Je ne le saurais jamais. Le thème pourtant avait tout pour me plaire et bâtir un roman sur cette idée de rencontre d' un auteur avec son personnage me semblait au départ intéressant, mais filer la métaphore au point de rendre Billie malade et de lui faire vomir de l'encre, de prétendre que son sang contient de la cellulose et que ses cheveux blanchissent à cause d'agents chimiques présents dans la papier, là je pense que Musso en fait un peu trop, d'autant d'ailleurs que tout cela se révèle être un canular. Je dois avoir de la fiction une idée assez restrictive mais s'il peut y avoir une dimension merveilleuse, extraordinaire voire idyllique dans les romans, cela n’autorise pas pour autant l’invraisemblance d'autant que, dans la vraie vie dont ils sont souvent le reflet, tout cela est bien différent, mais c'est là un autre débat.

     

    Quant à cet artifice, sorte de mise en abyme, qui consiste à parler d'un roman impossible à écrire par l'auteur lui-même alors qu'il finit par conclure à sa réalisation sous les yeux mêmes de son lecteur, je trouve cela un peu artificiel. C'est sans doute plus fort que moi mais, en lisant ce roman, j'ai songé à de la littérature alimentaire, de celle dont on se sert pour durer dans le domaine culturel parce que c'est un métier lucratif mais qu'il faut entretenir par une production, fût-elle médiocre, parce que la notoriété est une chose fragile...

     

    J'aimais bien aussi l'idée développée ici que, plus que l'alcool, la drogue ou les médicaments, l'écriture est pour un auteur déprimé une véritable planche de salut et que c'est véritablement grâce à elle qu'il peut se reconstruire. Nous savons tous qu'elle est une alchimie, un mystère, alors, illustrer ce thème par un roman ne pouvait que retenir mon attention. Là je souscris un peu plus à la démarche de l'auteur.

     

    Je lui sais gré aussi de noter dans ce roman toute l'importance qu'il accorde au lecteur («  Un livre ne prend corps que par la lecture. C'est le lecteur qui lui donne vie, en composant des images qui vont créer ce monde imaginaire dans lequel évoluent les personnages ») J'espère que ce n'est pas une simple clause de style mais j'apprécie qu'un auteur aussi médiatique que lui note cette évidence selon laquelle un romancier n'est rien sans ses lecteurs. J'ai eu déjà l'occasion dans cette chronique de fustiger les auteurs qui oublient ce truisme.

     

    L'écriture est simple, sans recherche, un peu comme le style d'un vulgaire polar et se lit facilement. C'est là un avantage. Je continue à explorer l’œuvre de Musso parce que c'est un auteur médiatique dont on ne peut valablement parler sans l'avoir lu, mais malgré ce deuxième livre (La Feuille Volante n°760 à propos de « Central Park »), l'intérêt n'est pas vraiment au rendez-vous. Je suis peut-être passé à côté de quelque chose une nouvelle fois ?

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SI C'EST UN HOMME

    N°763 – Juillet 2014.

     

    SI C'EST UN HOMME – Primo Levi – Robert LAFFONT.

    Traduit de l'italien par Martine Schruoffeneger.

     

    L'auteur, âgé alors de 24 ans, a été arrêté en 1943 en Italie alors qu'il commençait sans grande expérience, à résister au nazisme. Déporté à Auschwitz en février 1944 et y demeurera jusqu'en janvier 1945, libéré par les troupes soviétiques. Par ce récit autobiographique, il témoigne de la vie dans ce camp d'extermination puisque, grâce à la chance, à sa formation de chimiste et peut-être aussi parce que la pénurie de main-d’œuvre se faisant sentir, l'administration allemande ayant décidé d'allonger la durée de vie des prisonniers, il réussit à échapper à la mort. En 1945, il sera chargé avec un autre déporté de fournir un rapport sur le fonctionnement des camps. Ce travail ainsi que les notes qu'il avait prises lui ont permis de rédiger ce récit qui, paru en 1947 passa complètement inaperçu. Il fallu attendre 1963 et la parution de son second livre « La Trêve » pour que « Si c'est un homme » soit enfin considéré comme un chef-d’œuvre. Cette édition est complétée et enrichie par des précisions que l'auteur a apportées à l'occasion des questions qui lui ont été posées lors des conférences qui ont suivi la parution de ce livre.

     

    Il décrit l'arrestation, l'interminable voyage en wagon à bestiaux, l'incertitude sur la destination et sur leur avenir. D'emblée, dès l'arrivée au camp, il prend conscience que lui et ses compagnons d'infortune sont promis à la mort malgré les mises en scène des Allemands qui tendent à leur faire croire le contraire. Il y a la séparation d'avec les proches, les interdictions, les humiliations, les coups, l'abandon du nom au profit d'un numéro tatoué sur le bras, seule preuve crédible de ces épreuves, la faim, la soif, la douleur que les mots ont du mal à exprimer, les appels interminables dans le froid, le travail harassant et destructeur, la perte de toute dignité humaine qui n'ont d'autre but que « la démolition d’un homme ». Il évoque le désespoir et la résignation face à la mort quand, la procédure de « sélection » sur l'avis sommaire d'un SS, vous précipite à la chambre à gaz ou à l'exécution publique. Il décrit les « kapos », des prisonniers comme eux mais souvent des « droits communs » sélectionnés pour leur violence, maintenus dans un état de subordinations par les SS et chargés de la surveillance, il évoque le marché parallèle, de petits trafics, la débrouille dont chacun fait preuve pour rester en vie parce que le seul but pour tous ici est de survivre avec cette étonnante faculté d'adaptation aux circonstances les plus défavorables ! Être ravalé au rang de bêtes, d'esclaves, et devoir agir servilement parce que, grâce à cette servilité apparente on peut gagner encore quelque jours de vie mais conserver quand même la dignité de refuser son consentement à cette condition, c'est simplement refuser de commencer à mourir. Dans cet univers l'instinct de survie efface bien souvent l’élémentaire humanité et la peur, la haine, la méfiance de l'autre créent un équilibre surréaliste. Face à cela il y a des moments de fugace complicité, de compréhension, de solidarité entre détenus, des instants de liberté grappillés, dans les latrines où à l'infirmerie, à cause de la phobies des Allemands pour les maladies et les microbes. Primo Levi cite ce Lorenzo qui par sa seule présence lui a permis de rester en vie. L'auteur émaille son récit de citations de Dante, plus exactement de l'Enfer analogue à celui dans lequel Primo Levi s'enfonce de jour en jour dans ce camp. Ce microcosme concentrationnaire est un véritable laboratoire d'étude de l'espèce humaine et c'est sans doute en référence à la « Divine Comédie » que l'auteur classe cette société entre « les élus » et des « damnés », ceux qui survivront et ceux qui attireront sur eux la mort.

     

    L'auteur a survécu à la dure vie du camp, aux mauvais traitements, à la « sélection » parfois aléatoire, aux pendaisons pour l'exemple qui précipitaient dans la mort et dans la cheminée de Birkenhau, aux bombardements alliés. Sur 96 Italiens du convoi initial, ils ne sont plus que 21 encore en vie à l'hiver 1944. Il a fait prévaloir l'instinct de survie, a eu la chance d'être affecté à une usine de fabrication de caoutchouc synthétique puis à l'infirmerie, mais il est brisé ! Il a pu aussi constater que la souffrance et la mort provoquaient de la part d'autres prisonniers des gestes indignes d'un homme.

     

    Dès l'exergue, Primo Levi publie un de ses poèmes qui donne son titre à ce livre parce qu'il l'a écrit pour faire échec à l'oubli des hommes [« N'oubliez pas que cela fut non, ne l'oubliez pas : graver ces mots dans votre cœur »]. C'est bien en effet l'oubli qui caractérise la condition humaine qui est combattu ici. L'entretien de la mémoire collective peut paraître ringard mais le souvenir de la barbarie dont les hommes sont capables contre les autres hommes au seul motif qu'ils ne pensent pas ou qu'ils ne sont pas comme eux est aussi important que celui de ceux qui se sont battus et qui sont morts pour que nous soyons libres. Ce que je retiens aussi c'est que Primo Levi porte son témoignage, et non pas son jugement, sans haine contre les Allemands alors que ces derniers se sont déchaînés contre les juifs. Il redonne ainsi aux mots leur véritable force et les charge de conserver le souvenir de ce qui ne doit jamais plus se reproduire. Malgré lui pourtant, l'histoire se répète, bégaie...

     

    En lisant ce récit, je n'ai pas eu l'intuition de la moindre « démoralisation intime » d'être encore en vie face à tous ces morts. Autant le dire tout de suite, cette culpabilisation judéo-chrétienne m'a toujours ulcéré. Elle a été instillée dès notre enfance et dans notre éducation par une instruction religieuse distillée à l'envi par des gens dogmatiques. Ce message, dont on se demande à quoi il sert réellement, n'a d'autre effet sur l'esprit de l'enfant qui le reçoit et sur l'adulte qui en est imprégné que de générer un mal de vivre inutile, bien différent du véritable message de l’Évangile.

     

    C'est un livre bouleversant, un témoignage à l'époque inédit. Certes aujourd'hui ces faits nous sont connus, sont incontestables sauf pour une frange d'individus dangereusement dogmatiques mais il reste un texte, un élément du souvenir, comme un jalon dans la triste histoire de l'humanité qui se décline bien plus souvent en violences meurtrières qu'en manifestations humanitaires .

     

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  • INCONNU A CETTE ADRESSE

    N°762 – Juillet 2014.

     

    INCONNU A CETTE ADRESSE – Katrine Kressmann Taylor – Éditions Autrement.

    Traduit de l'américain par Michèle Lévy-Bram

     

    Le titre ressemble à la mention qu'on peut lire sur une enveloppe qui n'a pas atteint son destinataire. Il ne s'agit en effet pas d'un roman au sens traditionnel du terme comme on peut le lire sur la couverture mais d'une succession de lettres, correspondance fictive échangée entre deux hommes, Martin Schulse, un Allemand et Max Eisenstein, un juif américain, propriétaires d'une galerie de tableaux à San Francisco. Ils sont liés par des liens amicaux, presque fraternels. Nous sommes en 1932 et Schulse décide de retourner à Munich pour y élever ses enfants laissant Max dans une solitude affligeante. Là commence cet échange de lettres qui fait allusion à la liquidation de leur société et la nouvelle vie de Martin. La République de Weimar vient d'expirer et le nazisme est en marche. Au départ, Martin se définit comme un libéral, favorable à la paix. D'amicaux au début, le termes de ces missives vont devenir enflammés de la part de Martin qui rapidement fait siennes les thèses du national-socialisme au point que cette amitié du départ se mue en haine viscérale, intense, destructrice. Bien entendu Martin devient antisémite, ce qui, dans le cadre de ce livre est révélateur et il renie l'amitié qui jadis le liait à Max.

     

    C'est, certes l'illustration d'une manipulation des gens, un lavage de cerveau à grande échelle, l'endoctrinement des Allemands mais aussi des peuples conquis ce qui donne à penser que les thèses développées par ce régime sont sans doute latentes chez chacun d'entre nous et n'attendent pour se manifester et se développer que ce genre d'occasion. Les masses populaires sont dans l'attente d'un chef et si celui-ci manœuvre habillement, si les circonstances lui sont favorables ou le contexte politique et économique difficile comme s'était le cas dans l'entre-deux guerres tout devient possible et l'instinct grégaire fait le reste. Dans l'esprit de Martin, Hitler est un sauveur et il faut lui faire confiance, le suivre aveuglément.

     

    J'ai lu passionnément ce livre non parce qu'il est une énième évocation (prémonitoire) du nazisme et de son action dévastatrice sur le monde mais surtout parce qu'il est l'illustration de la fragilité des relations qui existent entre les êtres humains. On les dit indestructibles et les serments ne manquent pas pour proclamer leur pérennité, leur indestructible solidité puis le hasard, la marche des choses, l'évolution des idées quand ce n'est pas simplement les intérêts gomment simplement tout cela. C'est une façon de rappeler que l’oubli, la trahison, l'opportunisme font partie de l'espèce humaine, la caractérise au même titre que l'humanité, la culture, la tolérance et autres qualités dont on se plaît à la parer et dont je suis de plus en plus sûr qu'elles ne peuvent s'appliquer qu'à un nombre infime d'individus et non au plus grand nombre.

     

    C'est un texte bref(une vingtaine de lettres) mais d'une extrême intensité, une sorte de miroir qui nous renvoie une image de nous-mêmes sans complaisance à travers une fiction historique originale. C'est un texte très actuel.

     

    L'auteure, écrivain américaine d'origine allemande (1903-1996) est principalement connue pour cette nouvelle écrite en 1938 et publiée sous le pseudonyme masculin de Kressmann Taylor en 1939, donnant à penser qu'un tel écrit ne pouvait émaner que d'un homme ! Interdite en Allemagne, elle fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1944. Rééditée en 1995 pour le 50° anniversaire de la libération des camps de concentration, cette nouvelle a été traduite en 20 langues.

     

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  • LA PISTE DE SABLE

    N°761 – Juillet 2014.

    LA PISTE DE SABLE – Andrea Camilleri – Fleuve noir.

    Traduit de l'italien par Serge Quadruppani

     

    Le commissaire Montalbano a la chance d'avoir une maison avec vue sur la mer. Pourtant, un matin, il aperçoit sur la plage le cadavre d'un cheval mort. Cela ne l'étonne cependant pas puisqu'il vient de faire un rêve en quelque sorte prémonitoire peuplé d'une femme et d'un cheval mais, le temps de prévenir ses collègues, la carcasse a disparu, ne laissant comme trace de sa présence qu'un seul fer que le commissaire met machinalement dans sa poche. Il apparaît que l'animal a été massacré à coup de barre de fer, ce qui rappelle un peu le film « Le parrain »... Nous sommes en effet en Sicile, terre d’élection de la Mafia, d'autant que, venue signaler la disparition de son alezan, la troublante Rachele Esterman, révèle qu'elle avait confié l'animal à l'écurie de Saverio lo Duca, un notable local, en vue d'une course hippique privée. Cela est pour le commissaire la source de difficultés potentielles puisque la piste des paris clandestins ne peut être négligée d'autant que l’organisateur de cette réunion n'est autre que Prestia, soupçonné d'être lié à l'organisation criminelle. La disparition de l'alezan fait d'ailleurs suite à une précédente, ce qui augure mal de l'avenir pour le commissaire. D'ailleurs, son appartement est une nouvelle fois visité par des cambrioleurs, mais ces derniers ne volent rien et même lui rendent la montre de son père dérobée la première fois, ce qui peut représenter un avertissement bien dans la façon de la pègre locale puisqu'il doit témoigner au procès d'un second couteau de l'organisation criminelle. Il y a même une tentative d'incendie de sa maison et des coups de fil anonymes. Le voilà donc confronté à une enquête autour de ce cheval mort et qu'il devra mener entre intimidations mafieuses et pressions d'une hiérarchie frileuse qu’il ne prise guère.

     

    Je ne suis que très peu entré dans cette histoire à cause des personnages peut-être et spécialement des policiers un peu trop caricaturés, un Montalbano enfermé dans un rôle de séducteur un peu sur le retour, toujours plus ou moins suivi par son amie Ingrid. La traduction volontairement originale si on en croit l'avertissement du traducteur, ne m'a pas convaincu non plus.

     

    J'ai une prédilection pour les romans par rapport à leur adaptation au cinéma ou à la télévision. Cette dernière m’avait donné à voir un Montalbano, certes un peu cantonné dans les caractéristiques du genre mais acceptable. Je ne l'ai pas retrouvé ici et je le regrette !

     

     

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  • Deux Romans de Suzanne Prou.

    N°40 – Mars 1990.

    Deux Romans de Suzanne Prou.

     

    J'ai déjà dit qu’un livre n'a pas d'âge et que seule compte l'émotion qu'il procure au lecteur.

     

    Au début du « Voyage aux Seychelles » (Calman-Lévy), la simple vision d'un tee-shirt bariolé dans un bureau de poste et c'est le début du voyage pour Pauline, cette retraitée solitaire. C'est aussi la révélation d’une femme qui se prend d'amitié pour une jeune fille, Denise, en fait sa protégée, s'occupe d'elle, de sa vie matérielle, culturelle voire sentimentale. En fait elle exorcise son égoïsme.

    Puis, par la magie du départ, de l'absence durable, de l'oubli peut-être de la part de Denise, le lecteur, témoin privilégié de cette histoire assiste au dédoublement du personnage de Pauline qui se met à se recomposer pour elle seule, une Denise bien différente de la vraie, sans qu'il sache vraiment où commence la vérité et où s'arrête l'inconscience. Puis c'est à nouveau le drame de la solitude qui amène Pauline aux marches de la folie . La vie cependant reprend sa réalité, avec ses habitudes et si les fantasmes finissent par se dissiper, reste l'invitation au voyage à cause peut-être de la musique et du mystère des îles Seychelles. A partie d'un mot, Suzanne Prou a su entraîné son lecteur dans un autre univers, le sortir de son quotidien pour son plus grand plaisir.

     

    Dans « Le Pré aux narcisses », (Calman-Lévy) c'est la Provence avec ses senteurs et ses paysages qui sert de cadre au roman. L'auteur y campe deux villages et deux personnages que tout sépare, avec entre eux une plaine aux couleurs de narcisses et une jeune fille qu'on y trouva un matin assassinée. Suzanne Prou renoue ici avec l'intrigue policière et mène son lecteur dans les arcanes de cette histoire où, à la fin, les choses reprennent leur vraie place.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 1990 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES AMIS DE MONSIEUR PAUL

    N°39 – février 1990.

    LES AMIS DE MONSIEUR PAUL- Suzanne Prou – Mercure de France.

     

     

    Il est toujours hasardeux de faire des comparaisons, des classifications, des rapprochements … c'est pourtant un réflexe normal. Ici, à la seule force des mots, d'emblée, le décor est planté et les personnages de cet étrange drame s'y meuvent comme dans une sorte de brouillard, de lueur d'aquarium où rien n'est vraiment clair ni vraiment trouble.

     

    L'écheveau de l'intrigue se déroulera normalement et naturellement les choses prendront leur vrai place, mais, au cours de ce voyage dans le mystère, le lecteur attentif et heureux invité dans l'univers de ce port aura été le témoin d'exception de cette histoire et aura apprécié les personnages abstrus et parfois équivoques autant qu'il aura goûté le style de l'auteur, tantôt discret, tantôt précis.

     

    Suzanne Prou distille au cours de ce roman non seulement le flou d'une intrigue policière, mais aussi un ton, une couleur, une ambiance forgés à touches successives.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 1990 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CENTRAL PARK

    N°760 – Juillet 2014.

    CENTRAL PARK – Guillaume MUSSO – XO EDITIONS.

     

    Un matin un peu froid et sur un banc dans une forêt, un homme et une femme endormis. Jusque-là rien de bien extraordinaire, sauf qu'ils sont menottés, qu'Alice est un flic parisien qui a passé une soirée un peu folle avec ses copines aux Champs-Élysées et Gabriel, pianiste de jazz a joué la veille à Dublin. Ils ne se connaissent pas, ne se sont jamais vus et sont à Central Park près du romantique Bow Bridge à New-York ! Le seul point qu’ils ont en commun est celui d'avoir pas mal picolé de sorte que ni lui ni elle n'ont aucun souvenir de cette nuit. Tel est le point de départ de ce roman policier assez improbable et même carrément impossible. Suivent tout un tas d'aventures aussi échevelées que violentes au terme desquelles ils finissent par se débarrasser des menottes et se procurer un peu d'argent. Ce qui suit n'est pas moins surréaliste que le début avec de nombreux analepses qui distillent l'histoire de chacun, surtout celle un peu cahoteuse d' Alice dont la vie est marquée par la mort. Le lecteur est entraîné dans des histoires parallèles, dans des arcanes compliqués et marche évidement dans le jeu, d'autant que l’auteur tisse autour de cette femme des anecdotes qui rendent les événements crédibles même si parfois ils frôlent l'invraisemblable.

    Guillaume Musso entretient le suspense, rajoutant à l'envi des détails qui entretiennent l’énigme même si au début le rythme s'essouffle un peu. Il y a une étude de cratères : Elle, autoritaire, orgueilleuse, dominatrice, violente parfois, lui, passif au début qui se rebiffe, agit, imagine, et installe Alice en plein mystère. En réalité il maîtrise parfaitement la situation et, avec un peu de chance, attire sa partenaire là où il souhaite la mener. Il y a aussi cette idylle qui naît entre eux, qui ne se révélera qu'à la fin, mais pas dans le contexte ordinaire d'un thriller.

    Mais, est-ce vraiment un thriller ? Il n'est d'ailleurs pas vraiment présenté de cette manière sur la 4° de couverture. Certes l'action se déroule aux USA où la société est marquée par la violence, certes il y a une ambiance et un souffle policiers et c'est seulement à la fin que Musso assemble les nombreuses pièces du puzzle qu'il a savamment éparpillées pendant 380 pages. Le texte se lit facilement comme un polar et le style, sans véritable recherche, est coulant comme celui qu'on attend d'un roman policier. Il y a des meurtres certes mais ils sont surtout évoqués au passé et le seul sang qu'on voit n'est que de l'hémoglobine sur le chemisier d'Alice. Tout cela, toutes ces situations rocambolesques pour introduire un peu rapidement quand même ce qui n'a rien à voir avec une intrigue policière. Je veux bien qu'elle trouve dans ces quelques paragraphes de la fin une explication logique mais c'est quand même une façon inattendue d'aborder une maladie qui nous guette tous, contre laquelle actuellement la médecine n'a pas d'armes efficaces. Cela me semble un peu rapide, un peu facile et même un peu léger d'aborder ainsi une maladie aussi grave. L'effet recherché est évidemment atteint mais cela me paraît un peu artificiel d'expliquer un roman à ce point compliqué par une maladie qui frappe des gens de plus en plus jeunes.

     

    Je l'ai déjà dit dans cette chronique, la fiction n'excuse pas tout. Les romans peuvent parfaitement embellir la vie, cela ne coûte rien et l'imaginaire peut constituer un refuge. Je ne sais pas pourquoi mais je suis de moins en mois friand des « happy-end ». Ici, cela me paraît un peu facile de conclure ce roman en mettant en balance ce mal inexorable et l'amour qu'Alice inspire malgré elle à Gabriel. Je ne sais pas pourquoi, cette fin ne me paraît pas crédible, peut-être parce que dans la vraie vie cela sonne faux, peut-être parce que je dois avoir une perception différente de celle des autres ?

     

    Ce livre est le premier que je lis de Guillaume Musso, un peu parce qu'il est un auteur médiatique qu'il faut avoir lu pour pouvoir en parler, un peu à cause des souvenirs personnels que j'ai de Central Park et de New-york. Pourtant ce roman m'a un peu déçu à cause du contexte publicitaire nécessairement déformant malgré aussi cette envie d'en savoir davantage sur cet écrivain dont l'intérêt n'est pas forcément au rendez-vous.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN BEAU CAPTIF

    N°759 – Juillet 2014.

    UN BEAU CAPTIF - Frédéric Lenormand – Fayard.

    Nous sommes sous le Directoire et un jeune homme d'environ treize ans vient d'être découvert, errant dans la ville. Nicolas-Joseph Lecacheur, commissaire de police de son état, tente de faire respecter l'ordre public dans Châlons-sur-Marne dans ces temps qui succèdent à la Terreur que chacun veut oublier. Il vient d'arrêter ce vagabond qui pour lui est suspect d'avoir des origines aristocratiques. Ce serait même le dauphin pourtant officiellement mort trois ans auparavant. Il est vrai que cet épisode avait nourri pas mal de supputations sur une éventuelle survie de ce personnage et la disparition violente et mystérieuse de familles célèbres, surtout quand il s’agit d'enfants, on pense aux Romanov, a toujours nourri les fantasmes les plus fous. Chacun en effet y va de son témoignage pas toujours de première main où l'imagination le dispute à la volonté de s'accrocher à un éventuel miracle, entre subterfuge, opportunisme, crédulité, délation et intolérance , un vrai miroir de la condition humaine ! De plus, avons-nous affaire à un imposteur ou au réel descendant royal ?

    Il le met donc en prison et la présence de ce jeune homme provoque une émotion dans cette petite ville. Notre fonctionnaire se heurte à titre personnel à Rosalie, son ex-épouse qui non seulement a obtenu le divorce grâce à une loi récente mais aussi exerce la fonction de concierge dans ladite prison. Elle a trouvé là un bon moyen de s'opposer au commissaire et s'occupe maternellement de ce nouveau « pensionnaire ». C'est vrai qu'à en croire Lecacheur, à l'époque on voyait des rois partout et cette folie collective qui s'est emparée de Châlons se manifeste jusque chez les commerçants qui font à ce jeune homme un crédit illimité sur sa bonne mine c'est à dire sur sa ressemblance supposée et donc sur sa parenté avec le défunt roi. Il faut dire que le jeune homme se prend au jeu et que sa cellule a désormais des allures d'hôtel particulier, ce qui indispose notre commissaire et risque de nuire à son avancement. Au bout de huit mois de ce qu'on peut appeler une galéjade, les choses sont revenues à leur vraie place avec sanctions, avertissements, retour à l'anonymat pour le faux-roi, désappointements pour ceux qui se sont laissés berner. Beaucoup de bruit pour rien finalement et, comme à chaque fois, l'oubli est venu recouvrir tout cela.

    A travers des échanges épistolaires, des dénonciations, des extraits de journaux intimes, des rapports et des notes de service, l'auteur nous fait partager cette histoire un peu folle. J'ai eu l'habitude dans cette chronique de dire tout le bien que je pense de l’œuvre de Frédéric Lenormand. J'ai certes retrouvé avec plaisir son habituelle érudition [Je salue ici une nouvelle fois sa culture et son travail d'archiviste],mais je dois dire qu'ici, je me suis un peu forcé pour poursuivre ma lecture, en raison peut-être de l'intérêt que d'ordinaire je lui porte, mais je n'ai pas retrouvé le souffle et le style que me plaisent tant chez lui. D'autre part, le parti-pris de la présentation, nécessairement différente d'un roman traditionnel, me paraît peut-être justifier cette opinion. J'ai donc été un peu déçu mais quand même reconnaissant pour son travail d'écrivain.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ROMAIN GARY

    N°18 – Novembre 1987.

    ROMAIN GARY Dominique BONA- Le Mercure de France.

    J'ai été de ceux qui ont apprécié le remarquable ouvrage que Dominique Bona a consacré à Romain Gary. Cette universitaire qui est aussi romancière nous fait découvrir l'homme, le résistant, le combattant de la France Libre, le consul de France, mais surtout, à travers sa vie mouvementée, l'écrivain deux fois Prix Goncourt grâce à l'épisode d’Émile Ajard.

    Malgré tout, celui qui se cacha derrière ce pseudonyme ne sort pas grandi de cette aventure où la pantalonnade le dispute à la mystification. Pourtant cet homme tourmenté, comme le sont la plupart des écrivains, et pour qui les femmes ont joué un rôle de guides, d’inspiratrices ou simplement d'objets de séduction, mit fin à ses jours en hiver 1980. Chercher une explications à un suicide est une chose vaine. Dire ce qu'un écrivain porte en lui est une nécessité et une impossibilité, surtout face à la mort. Ce paradoxe est peut-être contenu dans sa lettre d'adieu « Je me suis enfin exprimé entièrement ».

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 1987 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • MEURTRE DANS LE BOUDOIR

    N°758 – Juillet 2014.

    MEURTRE DANS LE BOUDOIR (Voltaire mène l'enquête) - Frédéric Lenormand – Éditions du Masque.

    Nous sommes en 1733, sous Louis XV, et « Les lettres philosophiques » ou « Lettres anglaises » de Voltaire sont interdites en France alors qu'elles sont publiées en Angleterre où il avait été accueilli quelques années plus tôt. L'auteur fait de ce pays celui de la liberté et condamne implicitement les institutions françaises, ce qui en fait un ouvrage subversif que le philosophe aimerait bien répandre dans le royaume de France. Pourtant il est paradoxalement le premier à jurer qu'il n'est pour rien dans tout cela ! Il est donc en délicatesse avec la police et redoute plus que tout autre sans doute les lettres... de cachet et l'ombre de la Bastille qu'il connaît déjà ! C'est à ce moment qu'un meurtre est commis dans une maison de plaisir parisienne et le lieutenant de police Hérault va inciter Voltaire à découvrir le coupable ce qui est aussi une manière de le détourner de son projet littéraire.

    Pour se concilier les bonnes grâces des autorités autant que pour satisfaire sa curiosité naturelle, notre philosophe se lance donc à la poursuite du criminel, cela tombe bien, si on peut dire, puisque l’assassin semble s'inspirer d'un roman libertin dont l'auteur reste inconnu et qu'on le charge aussi de découvrir. Cela ne peut laisser notre enquêteur indifférent d'autant qu'il y va aussi de son intérêt personnel. La victime, un riche bourgeois de province a été empoisonné mais le livre licencieux, qu'on pourrait aussi bien attribuer à Voltaire lui-même, reste introuvable ! Dans cette entreprise un peu hasardeuse quand même, il s'adjoint la complicité de sa maîtresse, la marquise Émilie du Châtelet mais aussi son secrétaire Michel Linant, un abbé un peu marginal qui cherche sa vocation d’écrivain mais qui est aussi un peu obsédé, et pas seulement par la religion ! Leur aide lui sera précieuse surtout pour le garder en vie, lui qui est, en permanence et si on l'écoute, au seuil de la mort.

    Dans ce roman, Voltaire est toujours égal à lui-même, hypocondriaque, jaloux, avare, virevoltant, fantasque, facétieux, âpre au gain (pour cette fois, il est « déguisé » en marchand de grains)mais surtout très conscient de sa valeur. Avec l'abbé et surtout Émilie qui est une femme de son temps, mondaine, cultivée, éclairée et curieuse de tout, ils forment une équipe à la fois drôle et efficace. Voila donc notre philosophe contraint de fréquenter, les églises mais aussi maisons de passe, les librairies clandestines et même... les bureaux de la censure ! A son âge, 39 ans, c'est encore possible d'autant que cette enquête laborieuse requiert ton son zèle et... qu'il y risque sa vie ! Pourtant il ne perd jamais de vue la diffusion de ses « Lettres ». Cela donne une comédie policière mais aussi burlesque et un peu sulfureuse où rien ne se passe comme prévu mais qui, comme à chaque fois que je lis un roman de Lenormand m'a enchanté. Le contexte historique est rendu avec précision et la vie parisienne est évoquée au quotidien dans l'ambiance de ce XVIII° siècle d'avant la Révolution.

    On peut s'étonner que Voltaire soit ainsi transformé en enquêteur. En réalité, cela correspond non seulement au personnage des Lumières, soucieux de la liberté, de la réforme d'une société vieillissante et la justice ( on se souvient de les affaires Calas, Sirven, Montbailli... ), mais aussi parce qu'il a laissé une correspondance qui permet de le suivre presque pas à pas. Le lecteur ne peut qu'en être enchanté, pris qu'il est dès la première ligne de ce texte dans les arcanes de cette enquête échevelée.

    L'improbable lecteur de cette chronique ne peut ignorer l'intérêt que je porte aux œuvres de Lenormand, et ce depuis de nombreuses années, tant elles sont documentées et fort plaisamment écrites. Ce n'est donc pas maintenant que je vais changer d'avis d'autant qu'il ne se départit pas de ce sens de la formule que j'apprécie tout particulièrement et qui fait naître un sourire sur le visage des plus sérieux ! Voltaire lui-même n'eût sûrement pas renié le style léger et humoristique et pas non plus les réflexions qui lui sont attribuées.

    Après « La baronne meurt à cinq heures »(La Feuille Volante n° 534) et « Le diable s'habille en Voltaire » (La Feuille Volante n° 755) l'auteur renoue avec les enquêtes de Voltaire. Après nous avoir régalé des aventures du juge Ti (cette chronique s'en est largement fait l'écho), c'est maintenant Voltaire, personnage non moins passionnant qui retient son attention et est l'objet de sa verve. C'est un régal !

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'AMOUR BEATRICE

    N°82 – Octobre 1991.

    L'AMOUR BEATRICE- Jeanine BOISSARD -FAYARD

     

     

    Que, de nos jours, deux êtres inconnus l'un de l'autre se mettent à s'écrire est déjà en soi exceptionnel (recevoir une lettre reste pour moi un plaisir rare que téléphone, courriel et autres fax ne sauraient remplacer) Le ton impersonnel de la première missive laisse rapidement la place à la confidence, à la complicité à l'amitié, à la tendresse et à l'amour... C'est étrange comme les mots couchés sur le papier qui ne sont que de simples signes conventionnels se révèlent rapidement être des éléments de dialogue, de découverte, tant il est vrai qu'écrire à quelqu'un s'est un peu s’écrire à soi-même. Pire, les mots sont un miroir révélateur qui, malgré eux trahissent leur auteur et tout un passé renaît à travers eux surtout si celui-ci est le véritable enjeu inavoué de cette correspondance. Le piège se referme lentement faisant ressurgir ce passé qui, autant que l'avenir aide à vivre quand on veut en exorcisé les échecs.

     

    Le vécu de Béatrice et de Jean était demeuré suspendu quelque vingt ans auparavant à une lettre (encore une) non reçue. Ce passé tout entier voué à l'amour avait été entravé par le calcul, la cupidité d'autrui et les choses avaient déroulé leur quotidien qui semblait immuable, définitivement figé dans la réussite sociale, le foyer, la famille. C'était compter sans le hasard qui, paraît-il fait bien les choses et qui permet à cet homme et à cette femme, trop longtemps séparés, de se retrouver, de prendre place l’un à côté de l’autre et d'inverser le cours des choses.

    Pour une fois c'est l'amour qui gagne !

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 1991 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • PASSIONS PARTAGEES

    PASSIONS PARTAGEES – Félicien MARCEAU – Gallimard.

    Il est des livres qui n'ont pas besoin d'être récents pour être passionnants tant il est vrai qu'à cette époque de l'année on s’enthousiasme beaucoup pour des romans nouveaux et on les couronne même de prix prestigieux qui certes attirent le lecteur mais encore plus souvent le déçoivent.

    Ici  rien de tout cela. Avec les yeux d'un témoin, ami de la famille, l'auteur nous narre l’histoire des Saint-Damien, nobles de vieille souche du sud de la France qu'il sait nous rendre sympathiques avec force descriptions et saillies du meilleur aloi … C'est que l'humour est présent à chaque page quand il évoque ces personnages, Cédric avec son sens des réalités, ses fredaines et son évasion inattendue de son oflag pendant la guerre, Émeline son épouse, non moins attachante et émouvante, Marianca, la secrète qui se révèle aussi femme de tête...Et combien d'autres. Ils vivent des événements de leur vie avec un détachement qui n'a d'égal que l'étonnement qui est le leur face au quotidien. Les membres de cette famille dont l'existence est rythmée par la transhumance ver le château de la Mahourgue seront tour à tour résistants et passeurs vers l'Espagne pendant la 2° guerre mondiale...

    Dans un style déchaîné, Félicien Marceau nous fait découvrir cet univers et c'est exactement le genre de livre dont la lecture peut permettre de lutter efficacement contre le climat délétère que nous vivons actuellement. Franchement, c'est un régal !

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 1991 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • MARIME

     

    N°89 – décembre 1991.

     

     

    MARIME – Anne Wiazemsky. - GALLIMARD.

     

    Instinctivement, on s'attache à un lieu, une maison qui fait partie de son enfance, de ses amours...Pour Catherine, photographe, Marimé est le nom de cette grande bâtisse bretonne où se déroulaient ses jeunes étés. Elle menace ruine et voila qu'elle est à vendre, avec ses souvenirs, ceux de Manon la grand-mère morte il y a peu et qui hante encore les lieux...Catherine s'accroche à ces murs, à ces odeurs et en ce début d’automne elle s' y retrouve parce que par hasard avec Anne, une jeune comédienne et Florence la directrice de son agence. Anne et Catherine vivent une vie mal assurée, quelque peu vagabonde mais Florence représente à leurs yeux la certitude, la solidité, la permanence … et avec elle la menace qui pèse sur Marimé s'éloignent...

    En fait Catherine et Florence font un retour vers l'enfance et se retrouvent telles qu'en elles-mêmes mais l'apparente solidité de cette dernière cache fragilité et faiblesse.

  • RIMBAUD LE FILS-

    N°89 – décembre 1991.

    RIMBAUD LE FILS- Pierre Michon – Gallimard.

     

    Enfin quelque chose de différent sur Rimbaud, quelqu'un qui ne pontifie pas sur sa poésie, son écriture nouvelle, sa vie aventureuse, en un mot tout ce dont on nous rebat les oreilles depuis un an. Non, Michon explique, avec une bonne dose de subjectivité, mais qu’importe, la naissance de Rimbaud, coincé entre son capitaine de père, absent de surcroît, et son étouffante mère, avec pour seul phare Izambard... mais un phare qui sera vite abandonné !

    Et puis il y a le monde, son décor, ses fantasmes, les espoirs qu'il suscite... C'est donc une antibiothérapie de Rimbaud, une vie revue et recréee par l'imagination, à travers la mémoire collective et la faconde mêlée au délire. Rien à voir avec la biographie officielle d'ailleurs difficile à suivre. Ici, le portrait qui est brossé est le résultat d'images diverses et contradictoires où les charmes du portrait le disputent au velléités de l’autoportrait.

    Michon dissèque et dénonce, rappelant qu'il n'y a ni grands hommes ni grands poètes en ce monde mais un ramassis d'idées reçues, de clichés, de certitudes faussement acquises ou savamment tissée et tenues dès lors pour établies. Tout le monde y passe, de Banville dont la personnalité ne vaut sans doute que parce qu'un certain Rimbaud lui écrivit un jour, à Verlaine, astre pâlissant de la poésie au regard du soleil que son ami portait en lui, en passant par Paul Demy qu'on ne connaît que parce que ce même Rimbaud lui écrivit une lettre où il était question de « voyant » … Et par-dessus tout cela il y a l'intuition d'être à la charnière de deux mondes, l’ancien et le nouveau et la certitude de n'appartenir ni à l'un ni à l'autre, d'être d'une autre époque et en même temps de vouloir être à l'image de ce Parnasse vers lequel il lorgne et de ce Harar qui fut sa perte. Un monde à la fois trop étroit pour lui et ses ambitions littéraires comme Charleville et trop grand comme ce désert africain où il eut « son or ». Un monde où les enthousiasmes et les les espoirs les plus fous ne résistent pas à l'usure du temps et aux désillusions, un monde qu'on aime, qu'on désire, qu'on conteste et qu'on finit par épouser !

  • LES PARISIENS

    N°80 – Septembre 1991.

    LES PARISIENS - Michel SCHIFRES- JC LATTES

     

    J'ai lu ce livre plein d'humour et de bons mots avec les yeux d'un provincial qui met, grâce aux billets de congés-payés, les pieds à Paris tous les deux ou trois ans ( et dans le métro encore moins), qui a la chance d'y avoir un beau-frère qui met à sa disposition le canapé du salon, qui doit beaucoup au Monopoly pour la connaissance des quartiers de la capitale et qui n'en connaît que les principaux monuments( d'ailleurs inconnus des Parisiens). Autant dire que mon étonnement n'a eu d'égal que mon appétit de découvrir les mœurs et coutumes jusque là ignorées de moi...

     

    J'ai rectifié beaucoup de mes idées reçues mais la province a pour moi des charmes discrets et même secrets et je n'envie guère les Parisiens-banlieusards à la mine défaite et à l'haleine fétide qui hantent le métropolitain et à qui, faute de mieux je ne manquerai pas de ressembler si d'aventure mon destin m'y conduisait. Quant à la Jet-Set et aux autres castes, je n'ai vraiment rien de commun avec... Certes, selon l'expression consacrée, cela peut passer pour de l'anti-parisianisme primaire et ce malgré l'arrivée du beaujolais nouveau, la proclamation du dernier Prix Goncourt, le tournoi de Roland Garros et toutes les manifestations culturelles parisiennes, malgré aussi le « députe-énarque-parachuté-en-province-pour-y-acquérir-une-stature-d'élu-local » (en fait pour faire sa carrière en attendant mieux), malgré aussi les vedettes du show-biz qui viennent périodiquement troubler notre tranquillité et éponger nos sous. Non décidément, je l'aime bien ma province !

     

    C'est vrai que j'ai apprécié ce livre. Il tient autant du pavé dans la mare que du document de référence indispensable à l'usage des Rastignac de tout poil qui rêvent de conquérir la capitale (et les parisiens!) On y trouve tout un lexique explicatif du vocabulaire étrange qu'on emploie dans cette contrée, un guide de ce qu'il faut faire, ne pas faire, dire, ne pas dire, comprendre ou ne pas comprendre, tout en évitant de s'en tenir aux perceptions primaires. C'est que le vocabulaire qui va s'appauvrissant chez le commun des mortels est ici réduit à quelques mots dont il faut connaître le sens et qui précisément ne tombe pas sous le sens. Pire, les mots prennent une signification différente que celle que nous leur connaissons et les expressions ont besoin d'être décryptées en permanence, une sorte de traduction simultanée de français en français : ainsi n'est-t-on jamais sûr de comprendre ce qu'on croit avoir compris ! C'est du grand art et cela contribue largement à l'accroissement des difficultés de la langue. C'est vraiment plus subtil qu'avant quand on s'attachait à apprendre l'argot dès lors qu'on connaissait l'exact sens des mots, mais ici ces mêmes mots ont la même consonance (c'est même carrément les mêmes), mais, tel un texte ésotérique ils ont une signification cachée qui ne manquera pas d'échapper au non-initié. Encore faut-il ne pas omettre que dans cette acception cabalistique il y a une hiérarchie de nuances riche et pleine de délicatesse, quand on n'entrelarde pas ses phrases de mots anglais, ce qui ajoute à la difficulté et augure mal de ce qui nous attend avec « le grand marché ». Je ne parle pas de l'élasticité des mots et des néologismes. Où est donc passé notre brave instituteur du certificat d'études qui traquait les barbarismes et fustigeait les onomatopées ? Maintenant c’est carrément la récréation permanente de notre langue qu'on n'ose plus appeler maternelle. On m'avait dit que notre civilisation de communication souffrait d'icelle... Je ne m'en étonne plus.

     

    J'ai bien ri, c'est vrai, tant les expressions sont cocasses et les images bien rendues. L'écrit a cela de supérieur la la télévision qu'on peut l'emporter partout et en reprendre à l'envi. Un peu Tartuffe l'auteur... Et après ? N'avoue-t-il pas lui-même que l'envie des Parisiens (et des Français) d'aller à la soupe n'a d'égal que celle de cracher dedans et que celui d'entre nous qui n'a jamais péché lui jette la première cuiller !

    Ce livre est aussi un regard réaliste et parfois cruel porté sur cette société et sa manière de vivre. Il nous livre l'envers du décor. Pas si drôle ! Il s'agit là d'une manière d'état des lieux où l'art de la peinture le dispute à celui de la dissection car qu'il parle de la Jet Set, de la banlieue, des bistrots et de leur faune, il transparaît, malgré l'humour, un peu d'angoisse et un certain mal de vivre. C'est une réflexion sur l'ensemble de la société parisienne, sa condition, ses hésitations, ses pulsions, ses fantasmes ; Bref, toute une psychologie en raccourci.

    C'est vrai que j'ai quand même bien ri. J'y ai retrouvé un peu de cet esprit français et comme de toute manière ce qui se fait à Paris finit par s'exporter en province, nous aurons au moins été avertis. Cela m'a rappelé « Les carnets du major Thompson », mais en plus drôle.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 1991 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CRIMES ET CONDIMENTS

    N°757 – Juin 2014.

    CRIMES ET CONDIMENTS (Voltaire mène l'enquête)-

    Frédéric Lenormand – JC Lattès.

    C'était quand même une drôle d'idée que de confier à Voltaire une enquête sur la disparition des boucles d'oreilles en diamant de la princesse de Lixen, même si cela vient de René Hérault, lieutenant général de police. Pourtant, Voltaire a bien autre chose à faire, tout occupé qu'il est à être le banquier des aristocrates, à se faire munitionnaire ou à traficoter en fraude des produits venus des Amériques. C'est que lui qui a déjà tâté de la Bastille et craint les lettres de cachet a quelque intérêt à être au mieux avec les autorités qui l'ont toujours à l’œil. D'autre part il brûle d'envie d'être élu à l'Académie Française même si la parution de ses « Lettres philosophiques » imprimées à Rouen et en Angleterre, ne plaident pas vraiment en faveur de cette distinction. Jusque là, il a été un candidat malheureux mais il ne s'avoue pas vaincu et fait une cour assidue à tous ceux qui seraient susceptibles d'appuyer sa candidature. Il finira quand même par être « Immortel » en 1746, mais le restera plus sûrement par ses écrits (et par ceux des auteurs qui le font revivre) que par son titre !

    S'il parvient, avec d'ailleurs un peu de chance, à retrouver l'objet du délit, il n'en prend pas moins conscience qu'on en veut à sa vie pour éviter, à tout le moins le pense-t-il, qu'il siège quai Conti, encore n'est-il pas lui-même capable de déterminer si on veut l'éliminer à cause de son commerce illicite ou de ses écrits subversifs ! Pour autant, il est consolidé dans son analyse des choses quand il apprend officieusement qu'on vient de faire sortir de la Bastille un spadassin pour qu'il fît son office, à son détriment ! C'est que, dans son entourage immédiat, se multiplient les attentats et les cadavres qui, dans cette période de débordements culinaires (et pas seulement) prennent la forme de tartes au cyanure et autres mets frelatés: il se sent effectivement menacé ! Il faut dire que Voltaire lui-même est entouré d'un mystérieux cuisinier fort inventif mais un peu mystificateur et d'un abbé goulafre, bien dans le style de l'époque. Ainsi la véritable enquête qu'il mène est-elle celle de démasquer son futur assassin… avant qu'il ne passe à l'acte.

    La guerre fait rage aux frontières et l'un de ses débiteurs, le duc de Richelieu, ancien camarade de lycée mais également académicien et donc soutien potentiel , s'est mis en tête d'aller se battre et ainsi de risquer sa vie pour le roi. Dans cette éventualité, la créance de Voltaire ne pouvait être que compromise ! Elle ne serait, pense-t-il, consolidée et assurée que par le mariage du duc, une union avec un grand nom de l’aristocratie même si le petit-neveu de l’illustre cardinal est surtout connu pour ses frasques de séducteur impénitent ! Voilà donc notre philosophe transformé en un marieur qui ne perd cependant pas de vue son intérêt personnel. Il jette son dévolu sur la jeune Marie-Elisabeth D'Harcourt-Lorraine qui, même si elle est beaucoup plus jeune que son prétendant, aura au moins l'avantage de favoriser les vues voltairiennes. Mais comme toujours les choses ne se passeront pas aussi bien que prévu !

    Sous le couvert d'un titre quasiment emprunté à Dostoïevski, l’auteur nous promène dans ce Paris du XVIII° siècle à la fois populaire et aristocratique, dans les bas-fonds comme dans les salons. Comme toujours, j'ai apprécié le personnage de Voltaire qui, sous la plume de Lenormand nous est restitué avec vérité. Nous le voyons à nouveau ici, tour à tour avare, moribond, flagorneur, industrieux, facétieux, valétudinaire, opportuniste suivant les circonstances. Lenormand ne manque jamais de lui prêter des propos qu'il n'aurait sûrement pas reniés lui-même sur l'écriture, ses contemporains et surtout ses collègues écrivains (« Il faut écrire des livres qu'on aurait soi-même envie de lire, déclara-t-il. Je suis sûr que la plupart de nos amis n'ouvriraient pas les leurs si leur nom ne figurait pas sur la couverture », «La vraie modestie d'un écrivain, c’est la lucidité. Elle n'est pas très répandue car, s'ils acceptaient d'être lucides, la plupart cesseraient d'écrire », « Tout le monde aime le sucre, il est à la cuisine ce qu'est à la religion la promesse d'une vie éternelle : un mensonge agréable qui dissimule l'amertume du reste »). Ce roman est aussi plein d'enseignements, sur la nature humaine, notamment qu'il faut se méfier de tout le monde, en particulier de sa parentèle, sur la marche du monde, sur la structure de la société de ce Siècle des Lumières, sur la conduite des guerres et l'organisation militaire de l'époque...

    Flanqué de sa maîtresse, la marquise du Châtelet, ce trublion génial ne peut laisser le lecteur indifférent. J'ai aussi apprécié les détails historiques de ce roman et bien entendu le style de l’auteur, toujours aussi impertinent, délié et humoristique. En revanche, l’aspect culinaire, même s'il est important à mes yeux, m'a, pour cette fois, paru un peu indigeste, tout comme d'ailleurs l'enquête policière qui, au fil des pages, s'estompe quelque peu même si elle laisse place aux facéties voltairiennes.

    J'ai cependant souvent souri et même parfois ri de bon cœur à la lecture de ce roman;l'écriture de Lenormand a ce pouvoir. J'y ai retrouvé avec plaisir ce Voltaire que j'aime et c'est quand même là l'essentiel !

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA GRANDE EMBROUILLE-

    N°756 – Juin 2014.

    LA GRANDE EMBROUILLE- Eduardo Mendoza – Le Seuil.

    Traduit de l'espagnol par François Maspero.

     

    Le narrateur n'est autre qu'un ancien détective privé, reconverti en coiffeur pour dames, mais aussi l'ancien compagnon de cellule du beau Romulo du temps où ils étaient ensemble pensionnaires d'un asile psychiatrique. Ce genre de cohabitation crée des liens et c’est sans doute pour cela que lorsque la belle-fille, surnommée « Bout-de-fromage », de son ancien compagnon vient le solliciter pour retrouver son beau-père disparu, il n'hésite pas, laisse tomber ciseaux et peignes et se met en devoir de rechercher cet ami qui n'est en fait qu'un petit malfrat sans la moindre envergure. Il le fait d'autant plus volontiers qu’on évoque alors un enlèvement et pourquoi pas un assassinat, ce qui ne serait pas impossible dans les bas-fonds de cette Barcelone frappée par la crise ! Et d'ailleurs ce n’est pas clientèle de sa petite entreprise qui monopolise beaucoup son énergie ; ce local devient donc son quartier général.

     

    Dans cette quête improbable et puisque toute bonne investigation passe par une surveillance constante, notre ex-détective, passablement désargenté va faire appel à une équipe un peu hétéroclite, une statue vivante des Ramblas, une famille chinoise, une fillette spécialiste des serrures, une accordéonistes de rues, un livreurs de pizzas, un mendiant africain, une famille chinoise...bref une bande de pieds-nickelés dont les aventures se révèlent sans grand intérêt d'autant que la recherche du beau Romulo s'éternise un peu pour déboucher sur un centre de yoga et aussi, et c'est plus inattendu, sur un hypothétique complot terroriste qu'il convient de faire échouer visant à assassiner Angela Merkel, la chancelière allemande  ! Je passe sur l'erreur sur la personne et tout le décor de l'attentat manqué et les allusions à la crise économique. Telle est la trame rocambolesque de ce polar picaresque, baroque, loufoque et plein de rebondissements mais qui ne m'a guère passionné. Je suis peut-être encore un fois passé à côté de quelque chose mais je n'ai que très modérément apprécié cette lecture.

     

    Pourtant, même si j'ai parfois un peu apprécié le style de Mendoza (La Feuille Volante n° 750-756), j'ai eu du mal à entrer dans ce roman qui, quoique désopilant et échevelé m'a laissé un goût bizarre, quelque chose qui ressemble à de la déception qui reste quand j'ai refermé ce livre.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE DIABLE S'HABILLE EN VOLTAIRE

    N°755 – Juin 2014.

    LE DIABLE S'HABILLE EN VOLTAIRE- Frédéric Lenormand – JC Lattès.

    Or, en ce rigoureux hiver parisien de 1733, Voltaire, éternel valétudinaire, vient de décider qu'il ne mourrait pas dans les prochains jours. Cela tombe plutôt bien puisque, dans le séminaire de St Nicolas du Chardonnet où officie le révérend père Pollet, « confesseur du cardinal qui gouverne le France », ce qui fait de lui un personnage influent, on vient d'assassiner un ecclésiastique. Jusque là rien extraordinaire si ce n'est que cela ne contribuera pas à la renommée de cet établissement où se presse la jeunesse de la bonne société désireuse d'être instruite des bonnes pratiques religieuses. Pourtant  les indices laissés par le meurtrier donnent à penser qu'il ne peut s'agir que du diable en personne !Circonstance aggravante, la victimes avait dans ses mains un exemplaire de l'édition clandestine des « Lettres philosophiques d'Angleterre » dudit Voltaire. Le père Pollet, comme s'il ne faisait que très peu confiance aux autorités officielles, charge donc notre philosophe qui lui ne croit ni en Dieu ni au diable, d'enquêter discrètement sur ce qui n'est rien d'autre qu'une énigme policière. Cela tombe plutôt bien pour lui car, même s'il peut paraître paradoxale que l’Église le sollicite dans cette affaire, il trouve enfin un adversaire à sa mesure que son surcroît temporaire de vitalité va nourrir. C'est que notre philosophe du Siècle des Lumières exerce non seulement son génie créateur mais également son esprit critique dans une société fortement marquée par les jansénistes et les jésuites mais aussi par la superstition qu'il s'emploie à combattre de toutes ses forces. C'est que, dans ce Paris du XVIII° siècle se croisent encore des vampires, des démons et des morts-vivants, autant de croyances irrationnelles marquées du sceau de Belzébuth qu'il ne va pas manquer de pourfendre. Si Voltaire qui est aussi soucieux de la promotion de son œuvre malmenée par la censure, accepte cette enquête c'est aussi avec la promesse que ses « Lettres philosophiques » seront publiées sans encombre.Mais rien ne va se passer comme et prévu et même pour Voltaire tout n'est pas toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes !

    Notre écrivain ne manque d'ailleurs jamais de rappeler qu'il est génial, ce dont personne ne doute, mais pour que nul n'en ignore, il fait en permanence son propre panégyrique. On n'est jamais mieux servi que par soi-même ! Ses investigations vont mener notre penseur, qui pour l'occasion n'hésite pas à revêtir diverses apparences, au cimetière des Innocents ainsi que dans des quartiers de la capitale, lui faire découvrir un trafic de vêtements des détrousseurs de cadavres, des tripots clandestins et mêmes les entrailles souterraines de Paris quand ce ne sont pas des séances de dissections. A mesure qu'il mène ses investigations, notre enquêteur-philosophe va croiser d'autres cadavres avec toujours autour d'eux les mêmes indices diaboliques ce qui épaissit le mystère. Devant ce qui est souvent des impasses, il ne manque pas de dénoncer une sorte de complot permanent tramé contre lui, en accuse les jansénistes et ainsi ses propos prennent-ils des accents nono-thématiques... à tendance obsessionnelle (les gens pressés appellent cela de la paranoïa). Finalement cette énigme trouvera son explication.

    Il peut paraître étonnant que Voltaire se transforme ainsi en Hercule Poirot du XVIII° siècle mais souvenons-nous que notre philosophe, à qui bien peu de choses échappaient, s'attaquera dans sa quête constante du respect du droit, et avec le succès qu'on connaît, à l'affaire Calas notamment.

    Je l'ai souvent dit dans cette chronique, un ouvrage de Lenormand est toujours pour moi un moment d'exception, surtout quand c'est Voltaire qu’il met en scène. Il nous conte cette histoire échevelée et qui tient en haleine son lecteur jusqu'à la fin en nous en annonçant les différents chapitres à la manière des bateleurs. Non seulement ce roman regorge de détails sur la vie quotidienne dans ce Paris du XVIII° mais il montre aussi comment notre philosophe, également auteur de pièces de théâtre, se démène pour le réformer et faire évoluer le jeu des acteurs selon ses vues. Après tout, jouer du Voltaire c'est quand même autre chose que déclamer comme on le faisait à l'époque !

    Lenormand parsème son texte de recettes de cuisine, de détails alimentaires mais surtout de remarques pertinentes et impertinentes, que l'auteur de Zadig n’aurait sûrement pas désavouées. Il aime tellement son Voltaire qu'il le persifle volontiers, l'affuble de sobriquets parfois peu flatteurs mais jamais irrespectueux. Il le fait toujours avec cet esprit, cet humour de bon aloi et ce style jubilatoire que nous lui connaissons si bien que je me suis surpris bien souvent à sourire à la lecture de ce roman qui est autant dépaysant et instructif que distrayant.

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CONFITEOR-

    N°754 – Juin 2014.

    CONFITEOR- Jaume CABRE – Actes Sud.

    Traduit du catalan par Edmond Raillard.

     

    « Confiteor », premier mot latin de l'acte de contrition selon l'ancienne formule du rituel catholique où l'on s'accuse de ses fautes et on en implore le pardon devant Dieu. Le ton est donc donné, ce sera celui de la confession mais sous une forme particulière, celle de l'écriture et ce cérémonial qui allège l'âme est cependant labyrinthique et parfois cahoteux comme la démarche d'un pénitent qui, pressé de se libérer, sollicite ses souvenirs qui se manifestent avec un certain désordre, d'où, sans doute un style haché et quelque peu déconcertant. C'est vrai que les analepses ne manquent pas dans ce roman de près de 800 pages. Il y a non seulement l'histoire de sa famille, de son enfance sous la houlette d' Aigle Noir et du shérif Carson, Barcelone dans les années 50, mais aussi des évocation du nazisme, de l'inquisition, du franquisme, de la république espagnole et les espoirs qu'elle portait, la guerre civile, de l'Italie au XVII° siècle... Le lecteur est quelque peu ballotté d'un pays à l'autre, d'une période à une autre, croise des personnages attachants ( un bûcheron, un fabriquant de violons, Lola Xica ) mais aussi d'autres infiniment moins recommandables (Un colonel SS, un médecin allemand dévoyé, un inquisiteur) avec tout ce qui fait les grandeurs (amour pour Sara, amitié pour Bernat, obsession de l'esthétique, dissertation sur le beau, érudition) et les petitesses de la condition humaine (lutte du bien et du mal, guerre, horreur et haine, folie des hommes, les camps de la mort). Pendant que sa mémoire n'est pas encore mangée par la maladie d'Alzheimer ou par la vieillesse Adria Ardèvol refait à l'envers son parcours sur terre. Jeune, c'est un garçon solitaire brillant et plein de promesses dans qui ses parents, pourtant peu aimants, mettent beaucoup d'espoirs. C'est à cause de cet absence d'amour qu'il va se dédié à l'étude. Il sera un érudit polyglotte et un universitaire célèbre.

    Mais, à la mort de son père, cherchant dans cette mémoire encore intacte, il va peu à peu découvrir les origines douteuses de la richesse cette famille qui avait prospéré dans le négoce des œuvres d'art. C'est justement un objet, un violon dont il a parfois joué, pièce unique qu'on convoite de générations en générations qui servira de fil d'Ariane à ce récit.

     

    Dans ce salmigondis de personnages, de lieux et d'époque, je me suis un peu perdu. Que les règles classiques du discours et de la narration soient outrepassées et même parfois violentées pourquoi pas ? Que ce récit prenne parfois des allures de puzzle dont les pièces sont, sans la moindre transition, opportunément éparpillées par l'auteur, soit mais j'ai cependant été un peu déconcerté par ce processus d'écriture.

    Ce récit est le théâtre de l'affrontement du bien et du mal autant dire une constante dans la condition humaine et la culpabilisation s'inscrit dans la logique judéo-chrétienne. Quant au pardon, il reste, il me semble, une impossibilité... Ce problème du pardon m’intéresse en tant que thème de réflexion même si j'en donne personnellement une acception assez personnelle et en complète contradiction avec le message du catholicisme.

     

    Je suis peut-être passé à côté de quelque chose mais j'avoue que je ne suis pas du tout entré dans ce roman.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • VINGT-QUATRE HEURES DE LA VIE D'UNE FEMME-

    N°753 – Mai 2014.

    VINGT-QUATRE HEURES DE LA VIE D'UNE FEMME- Stefan ZWEIG - Stock.

    Traduit de l'allemand par Olivier Bournac et Alzir Hella.

     

    Nous sommes au début du XX° siècle dans un hôtel calme de la Riviera et parmi les clients une femme mariée, mère de famille choisit de quitter son mari et ses enfants et de s'enfuir avec un jeune homme. Aussitôt, chacun y va de son commentaire conventionnel, moralisateur ou bassement médisant, mais le narrateur prend la défense de cette femme. Parmi ces clients, une vieille veuve anglaise de la haute société, discrète et digne, Mrs C …, se confie à lui et lui avoue que, vingt ans auparavant, elle avait alors quarante deux ans, alors qu'elle venait de perdre son mari et que ses enfants n'avaient plus besoin d'elle, était elle aussi tombée sous le charme d'un homme jeune qui venait, à Monte-Carlo, de tout perdre au jeu et qui voulait pour cela se donner la mort. Cet épisode amoureux ne dura que vingt-quatre heures et bouleversa sa vie même s'il ne fut pas partagé. Ce qui n'était au départ qu'une volonté de faire prévaloir la vie sur la mort s'est transformé, sans peut-être qu'elle le veuille vraiment, en un exaltante passade avec cet inconnu qui aurait pu être son fils. Pour elle qui vivait retirée du monde et confite dans le deuil, cette rencontre est une renaissance, une redécouverte du bonheur. Pour celle qui avait voulu, dans un élan de générosité et d'humanité, éviter à cet inconnu de se laisser glisser vers le suicide, cette journée passée avec lui est une invitation à retrouver cette vie à laquelle elle se fermait volontairement jusque là. L’amour dévastateur du jeu chez le jeune homme a ici son pendant sentimental chez cette femme respectable pour qui cette rencontre est un véritable « coup de foudre » ! Cela prend même une dimension quasi religieuse lors de la scène de l'église et Mrs C...pense même l'avoir sauvé définitivement de son addiction au jeu. La passion de Mrs C... pour ce jeune étranger est au vrai à peu près semblable à celle que ce dernier vouait au jeu mais pour lui, elle dura plus longtemps et eut raison de lui.

     

    Ce court roman est bouleversant non seulement à cause du style (j'ai particulièrement été sensible à la description des mains du jeune homme face à la table de jeu, elles préfigurent le début de ce fantasme féminin et je ne dirai jamais assez que la lecture à haute voix souligne la musique des mots) mais aussi de la sincérité de l'auteur qui analyse, suivant son habitude, finement les sentiments des personnages. Ce texte est dans la même veine de « la confusion des sentiments » (La Feuille Volante n°747) qui m'avait tant plu.

    Il n'y a rien d'érotique dans cette passade mais bien plutôt l'analyse de deux formes de passions apparemment incompatibles l'une avec l'autre. Tout est dans l’exhalation des sentiments de cette femme, ses projets insensés pour appartenir à cet homme alors que lui ne lui témoigne qu'une ingratitude brutte. L'auteur excelle à guider son lecteur attentif et passionné dans cet univers qui est le sien. L' issue n'est pas celle qu'aurait souhaitée Mrs C... mais ces vingt-quatre heures de vie intense (au vrai un bref instant dans sa longue existence) ont laissé dans sa mémoire une trace indélébile.

     

    J'avoue que, à titre personnel, je suis particulièrement attentif aux écrivains qui se penchent sur la condition humaine et l'histoire intime des hommes et des femmes (cette histoire est très actuelle et le sera tant que les humains existeront), sur ce qui fait notre quotidien ou ce qui le bouleverse, ce qui est raison ou déraison, folie ou routine.

     

    Ce roman a fait l'objet adaptations cinématographiques notamment en 1968 et 2003.

     

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  • LES AVENTURES MIRACULEUSES DE POMPONIUS FLATUS

    N°752 – Mai 2014.

    LES AVENTURES MIRACULEUSES DE POMPONIUS FLATUS – Eduardo Mendoza - Le Seuil.

    Traduit de l'espagnol par François Maspero.

     

    A la recherche d'une hypothétique source miraculeuse, Pomponius Flatus, patricien, philosophe-incrédule devant les dieux entreprend un voyage dans l'empire romain ce qui lui provoque de fréquents dérangements intestinaux. Nous sommes au premier siècle de notre ère et il narre ses tribulations voyageuses à un certain Fabius qui le conduisent à Nazareth où un certain Joseph, charpentier de son état, vient d'être condamné à mort pour avoir assassiné un riche propriétaire juif. Il rencontre son jeune fils, Jésus, convaincu de l'innocence de son père qui lui propose de le disculper. Voilà donc notre voyageur précipité un peu malgré lui dans une enquête d’autant plus difficile que ledit Joseph semble vouloir accepter son sort avec résignation et conserver le silence sur les circonstances de cette affaire même si cela doit lui coûter la vie.

    Traversant des contrées diverses, il promène sur celles-ci et ceux qui les habitent, sur leurs sociétés, leurs règles, leurs hypocrisies, leurs religions, un regard critique et se transforme ainsi en ethnologue, sociologue et pourquoi pas théologien puisqu'aussi bien il en profite pour donner son avis sur Dieu (et les dieux), sur la Bible, le Coran ou la Vulgate et même pour réécrire à sa manière un autre évangile apocryphe, un de plus ! Comme dans toute enquête policière il y a des meurtres, des mystères et des péripéties inattendues et celle-la ne fait pas exception. Pour l'aider dans ses investigations notre brave Pomponius n'hésite pas à s'adjoindre les services d'un légionnaire dont la force physique n'a d'égal que la naïveté. Il faut dire que, bien qu'en terre d'occupation, Pomponius, parce qu'il est citoyen romain et noble de surcroît, bénéficie de la protection des tribuns locaux ce qui lui confère une certaine liberté

     

    C'est une aimable fable historico-policière où l'auteur amène son lecteur à faire des rencontres un peu surréalistes qui prennent leur source dans son imagination débordante. Dans cette fiction carrément invraisemblable, les gens portent des noms qui ne sont pas le leur, des dieux descendent parmi les hommes, on assiste à un vaste entreprise de mystification collective avec, à la clé des songes dont l’interprétation se veut significative, des zones d'ombre et des affirmations difficiles à admettre, un peu comme tout ce que les religions nous assènent dans leur message !

     

    Le hasard m'a fait connaître les romans d'Eduardo Mendoza et j'avoue bien volontiers que pour une fois il a bien fait les choses [La Feuille volante n°750]. Ici, non seulement j'apprécie l'histoire, le dépaysement mais aussi l'érudition (mais parfois les dialogues en sont un peu trop farcis), l’humour, le suspense, le style jubilatoire... Mais quand même, j'ai été, au fur et à mesure de ma lecture, un peu lassé par les faits rapportés, et même un peu déçu à la fin.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • 11 NOVEMBRE

    N°751 – Mai 2014.

    11 NOVEMBRE – Paul Dowswell.- Éditions Naïve.

    Traduit de l'anglais par par Christine Auché.

     

    Nous sommes le 11 novembre 1918, à quelques heures de l'armistice et parmi tant d'autres, trois jeunes gens sont au front. Bien entendu ils ne savent pas qu'ils vivent les dernières heures de ce conflit et continueront de se battre parce que c'est leur devoir. L'un est allemand, Alex, l'autre anglais, William, ils sont fantassins, quant au troisième c'est Eddy, un officier, pilote de chasse américain. Tous les trois sont jeunes et pleins d'illusions, de peur aussi. L'auteur nous fait découvrir leur vie antérieure au conflit, leur famille, leurs aspirations, leurs projets...

     

    Il y a des rumeurs de mutineries dans le camp allemand, le conflit avait duré longtemps et avait été gourmand en vies humaines puisque maintenant des adolescents combattent au côté de vieillards. L'Allemagne a tout sacrifié pour une victoire qui maintenant lui échappe, pourtant il est impossible que ce pays perdre la guerre !

    Les fantassins allemands et anglais connaissent la dure vie des tranchées, les gaz, les charges meurtrières, la mauvaise nourriture, les missions périlleuses, les tireurs embusqués, l'odeur des cadavres, le terrain gagné puis reperdu, le devoir d'obéissance aveugle aux ordres... Pour eux l'obsession c'est la mort brutale et rapide ou au contraire lente et douloureuse au point qu'ils souhaiteraient, malgré l'instinct de survie, que la Camarde abrège leurs souffrances s'ils venaient à être grièvement blessés. C'est aussi un simple geste, un réflexe qui peut parfaitement être interprété comme une volonté de désertion et punie de mort par sa propre armée. C'est la certitude de vivre « dans un monde sans gouvernail », seulement guidé par la chance.

    Alors que les combats au sol sont meurtriers et aveugles, que les bombes et la mitraille tuent anonymement, les affrontements aériens ont encore une sorte de dimension chevaleresque. Certes il y a les bombardements aériens, mais en plein ciel, quand on affronte son ennemi, le combat est singulier, on respecte l'autre pilote et quand il est vaincu on lui laisse la vie sauve s'il s'est battu loyalement. C'est en quelque sorte une manière de se battre différente au sein d'un même conflit. Pour Eddy ce qui compte c'est d'abattre son cinquième avion ennemi pour mériter le titre d' « as de l'aviation » et rentrer au pays auréolé de cette gloire alors qu'il sait parfaitement que le conflit touche à sa fin.

     

    Signé à 5 heures du matin, l’armistice devait être effectif à 11 heures mais la nouvelle n'en a pas été connue de tous en même temps. Cela signifiait que, de chaque côté, de nombreux hommes allaient mourir pour rien à cause de malentendus, de tirs d'artillerie isolés, de mines ou d'obus non encore explosés.

    Cette guerre avait déjà montré des moments de fraternité entre ennemis où l'on oubliait pour un temps les combats qui reprenaient après, mais ici, à la suite d'un épisode qu'on ne voit que dans les romans, ces trois hommes qui ne se connaissaient pas et qui n'avaient en commun que la volonté de se battre pour leur Patrie et de sauver leur vie vont se rencontrer et faire taire leur rancœurs parce que toute cette boucherie qui a duré quatre années est enfin terminée et qu'il faut faire prévaloir la vie. C'est Eddy qui apprendra à Axel, lors de cette improbable rencontre que l'armistice est enfin signé, mais il le fait en allemand parce que, s'il est un vrai américain, ses parents ont émigré d'Allemagne aux États-Unis quelques quarante ans auparavant. Cette entrevue a quelque chose de surréaliste, un dilemme cornélien autant qu'un piège mortel entre deux hommes que tout oppose.

     

     

    Les détails techniques et historiques sont précis, l'atmosphère des combats est réaliste mais le style n'a pas vraiment retenu mon attention. Il m'a fallu du temps pour entrer dans ce roman, non pas qu'il soit inintéressant bien au contraire, mais peut-être parce que, en cette année où l'on célèbre le centenaire de la Grange Guerre beaucoup d'ouvrages sont déjà parus sur ce sujet. Pourtant l'intérêt n'est vraiment venu que dans les dernières pages parce que les choses reprennent leur vraie place, la dure loi de la guerre sa logique implacable avec ses miracles et ses horreurs, ses injustices et son spectacle de désolation.

     

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    ©Hervé GAUTIER – Mai 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • BATAILLE DE CHATS

    N°750 – Mai 2014.

    BATAILLE DE CHATS – Eduardo Mendoza

    Traduit de l'espagnol par François Maspero

     

    Le roman s'ouvre sur une rupture amoureuse épistolaire, une lettre un peu lâche écrite dans un train qui conduit à Madrid Anthony Whitelands, un expert britannique en peinture espagnole qui ainsi rend sa liberté à Catherine, sa maîtresse depuis près de trois ans. Nous sommes en mars 1936, l'Espagne est républicaine, l'agitation sociale est à son comble, les grèves sont quotidiennes, l'ordre public est gravement menacé et la guerre civile couve. Il se rend donc à Madrid chez un aristocrate, le duc de la Igualada pour une estimation en vue d'une transaction qui doit restée secrète à cause des événements. L'aristocrate souhaite en effet se défaire de sa collection de tableaux pour financer sa fuite et celle de sa famille. C'est donc pour Whitelands, habitué à la tranquillité des musées, un voyage à hauts risques dans un pays au bord de l'implosion puisqu'il est interdit que des œuvres d'art quittent l'Espagne.

     

    Comme rien n'est simple, il va être rattrapé par ses vieux démons d'une part en la personne de Paquita, la fille du duc avec qui il a quelques affinités et surtout un tableau inconnu de Velázquez appartenant à ce même duc, qu’il juge authentique et d'une inestimable valeur. On ne s'étonnera donc pas trop que notre ami souhaite différer quelque peu son retour en Anglettre. A la suite d'une mésaventure, il contacte l'ambassade d'Angleterre et, dans le même temps se retrouve invité à collaborer avec la sécurité espagnole. Bref, tout cela devient bien confus et même carrément glauque pour cet Anglais un peu naïf et pas mal porté sur la bouteille, d'autant plus que, lui qui n'a jamais fait de politique constate que tout cela finalement le dépasse, lui qui n'était venu ici que dans un but artistique. Il se trouve en effet compromis avec les phalangistes et pour cela poursuivi par la police républicaine. Il découvre comment les tribuns galvanisent la foule de leurs sympathisants et les amène à combattre grâce à des discours, des chants et des saluts emblématiques, le tout dans une ambiance délétère où tous les protagonistes ne rêvent que d'en découdre. Cette période troublée débouchera sur une guerre civile sanglante. Le contexte international explosif, l'achat d'armes, l'espionnage et les rumeurs de coup d'état militaire, la politique étrangère de la Grande-Bretagne et l'équilibre de cette région, les problèmes diplomatiques, les troubles quotidiens et violents entre fascistes et républicains bousculent ce pauvre homme de plus en plus perdu dans cet imbroglio auquel il n'était évidemment pas préparé. C'est un peu comme s'il se trouvait au centre d'un maelstrom sans trop pouvoir comprendre ce qui lui arrive, et de plus le voilà affublé d'une petite prostituée espagnole qui espère gagner l'Angleterre avec lui. Pour des raisons qu'il ne peut encore comprendre Paquita, cette femme énigmatique et dont il est de plus en plus amoureux, lui demande de déclarer à son père que le Velázquez est un faux alors qu'il n'en est rien.

     

    Pour lui, la découverte de ce tableau inconnu de Velázquez (un nu qui n'est guère dans le style de l'époque) serait un tournant favorable dans sa carrière d'expert et d’universitaire mais, à cause de ce fait nouveau le conservateur de la « National Gallery » entre en scène. Ce tableau a pourtant, pour la république et ses opposants politiques une toute autre signification mais l'intérêt personnel et immédiat d'Anthony se trouve contrecarré par cette aventure un peu rocambolesque et qui met surtout en perspective une lutte pour le pouvoir et les magouilles qui permettent de l'obtenir. Sa seule planche de salut serait sans doute de quitter le pays mais les événements autant que l'attirance qu'il éprouve pour Paquita l'en empêchent.

     

    C'est donc à un roman historico-policier palpitant où se mêlent violence, mensonge et amour auquel le lecteur est invité. L'Histoire et ses personnages réels se mêlent à cette cette fiction qui se déroule avec un sens consommé du suspense. On y croise le résumé des événements politiques qui ont bouleversé l'Espagne mais aussi une érudition artistique de grande qualité et une présentation explicative très fine de certains tableaux. J'observe également que l’auteur se livre au cours du récit à une analyse pertinente des faits historiques qui ont précédé la guerre civile et livre également une opinion assez juste des protagonistes principaux de ce conflit et du contexte espagnol. Reste Anthony qui se révèle un séducteur un peu malgré lui et un témoin étonné de toutes ces situations. Il est carrément perdu et même dépassé dans cette lutte d'influences au point qu'il craint pour sa vie d'autant plus qu'autour de lui c'est un jeu de massacre qui accompagne ses aventures avec morts et blessé. A ce sujet, je veux dire que la fiction autorise évidement toutes les mises en scène, que les périodes troublées comme celle que l'auteur a choisie, favorisent les rencontres les plus insolites voire les plus inattendues mais j'ai eu quand même un peu de mal à admettre que ce pauvre Anthony ait pu aussi facilement approcher les principaux protagonistes d'un drame qui va ensanglanter toute l'Espagne.

     

    Finalement, le lecteur connaîtra la vérité sur ce tableau qui est le prétexte à cette affaire et Anthony un peu étourdi aura sans doute un peu de mal à se remettre de cette aventure.

     

    Et les chats dans tout cela ? On n'a guère vu dans ce roman trace de nos compagnons félins qui, bien souvent sont les acteurs un peu involontaires des roman à suspenses. C'est que, sans qu'on sache très bien pourquoi, les habitants de Madrid sont surnommés les « gatos », les chats ; Cette bataille de chats est donc en réalité une bataille de Madrilènes puisque ce roman se déroule dans la capitale de l'Espagne.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • OSCAR ET LA DAME ROSE

    N°749 – Mai 2014.

    OSCAR ET LA DAME ROSE – Eric-Emmanuel Schmitt.

     

    Oscar est un petit garçon espiègle de dix ans qui est soigné dans un hôpital pour enfants parce qu’il est atteint d'une leucémie. Il se surnomme lui-même « crâne d’œuf » à cause de la chimiothérapie qui lui a fait perdre ses cheveux. De même il donne à ses copains des noms en rapport avec leur maladie, « Bacon » parce que c'est un grand brûlé, « Pop Corn » parce qu'il est énorme, « Peggy Blue » parce qu'elle a la maladie bleue... une façon comme une autre d'oublier la maladie avec l'aide de l’humour d'autant qu'il va sûrement mourir.

    Mamie-Rose c'est la bénévole qui vient lui rendre visite et qui a sympathisé avec lui. C'est une vielle dame, ex-catcheuse à ce qu'elle dit, qui revêt une blouse rose pour entrer dans sa chambre. Il l'aime plus que ses propres parents qui pourtant viennent le voir avec régularité et lui apportent des cadeaux dont il n'a que faire. Il sent qu'ils lui mentent et cela ne lui plaît guère. Pourtant ils l'aiment mais ne peuvent rien face à cette maladie qui va l'emporter. Ils se préparent à cette issue fatale sans trop le montrer à leur enfant. C'est que nous sommes dans la période de Noël, exactement douze jours avant et ce petit garçon, à l'instigation de la dame rose, entreprend d'écrire à Dieu une lettre par jour en lui demandant de venir le voir et en lui racontant tout ce qui lui arrive, une manière aussi de dérouler un compte à rebours puisque sa greffe de moelle osseuse n'a pas pris et qu'il le sait.

    C'est aussi cette même Mamie-Rose qui lui propose d'accélérer le temps et d’imaginer qu'à une journée correspond une décennie, une façon comme une autre d'avoir droit à une vraie vie, complète, comme les autres. D'ailleurs il se prend au jeu, se choisit une fiancé en la personne de « Peggy Blue », en tombe amoureux, l'épouse, se constitue une famille fictive et fait semblant de croire à tout cela même quand son « épouse » sort de l'hôpital, guérie ! Avec son stratagème du temps accéléré, ils ont passé leur vie ensemble et c'est l'essentiel. Oscar est mort pourtant parce que la maladie a été la plus forte, mais il a choisi de partir quand ses parents et Mamie-rose étaient partis boire un café, un peu comme le petit prince de Saint Ex, avec cette simple phrase comme épitaphe « Seul Dieu a le droit de me réveiller »

     

    C'est une fable, bien sûr mais elle est émouvante parce qu'il est question de la souffrance et de la mort qui sont notre lot à tous. Pourtant tout cela n'est pas triste, pas dramatique comme cela aurait pu l'être, à cause du style volontairement simple, naïf, naturel, comme celui d'un enfant. Le fait de s'adresser à Dieu à l’instigation de la vielle dame est à la fois puéril et sérieux. En contrepoint il y a la mort qui dans nos civilisations occidentales est à la fois tabou et désespérante et pourtant ce roman ne tire pas de larmes. Il est à la fois cocasse et poétique.

    Comme il le dit lui-même, la vie n'est pas un cadeau, c'est juste un prêt, nous n'en sommes que les usufruitiers alors que nous agissons comme si nous étions immortels. Il n'est pas inutile de la rappeler aussi simplement que cela.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • REQUIEM

    N°748 – Mai 2014.

    REQUIEM – Antonio Tabucchi – Christian Bourgois

    Traduit du portugais par Isabelle Pereira.

    Nous sommes dans l'Alentejo, une région du sud du Portugal et, dans une maison de campagne, un homme assoupi sous un arbre est transporté en songe à Lisbonne et dans ses environs. C'est une longue hallucination qui va durer douze heures pendant le dernier dimanche de Juillet, torride comme il se doit ici.

    Le narrateur qui est Italien va aller, par le biais du rêve à la rencontre de ses souvenirs et dans cette atmosphère comateuse vont se mêler le présent et le passé, des fantômes et des vivants, bref une alliance de réalité et de fantasmes où le passé resurgit à l'occasion d’une rencontre et des dialogues un peu surréalistes se nouent le temps d'un bref échange avec une incursion dans le tableau de Bosch, « la tentation de Saint Antoine ». Il balade donc son lecteur dans un décor sans véritable fil d'Ariane, un peu à la fantaisie de son imaginaire.

    A ce récit onirique, l'auteur mêle volontiers nombre de recettes de cuisine portugaises.

    Je ne sais pas si je suis passé à côté de quelque chose mais, bien que cet auteur ne soit pas un inconnu pour cette revue (La Feuille Volante n° 206 et 489) qui en a déjà parlé, je ne suis pas entré dans cet univers créatif. Pourtant le contexte de Lisbonne notamment se prêtait parfaitement à un dépaysement de bon aloi. C'est sans doute dommage puisqu'il est très amateur de l’œuvre de Fernando Pessao et que cet auteur majeur m'a toujours bouleversé, autant parce qu'il a été que parce qu'il a écrit. Je ne l'ai pas retrouvé dans cette fiction, même à la fin.

    La manière de Tabucchi de donner à son roman une dimension gastronomique qui, à l'évidence le met dans le contexte portugais, n'a pas vraiment retenu mon attention.

    Je ne partage donc pas l'enthousiasme de la 4° de couverture.

    Je déplore aussi la composition du texte. Cette manière « linéaire » de présenter les dialogues a quelque chose d'un peu dérangeant pour le lecteur et n'apporte rien, à mon avis à la qualité du texte ou de la traduction.

    Je poursuivrai cependant la découverte de l'univers créatif de Tabucchi qui m'a toujours semblé valoir la peine d'une lecture.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA CONFUSION DES SENTIMENTS

    N°747 – Mai 2014.

    LA CONFUSION DES SENTIMENTS – Stefan Zweig – Stock

    Traduit de l'allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac.

     

    Pour son soixantième anniversaire, Roland de D, un vieux professeur de faculté reçoit un livre qui est censé être sa biographie. Deux cents pages qui lui sont consacrées retracent son parcours . D'emblée il note des erreurs. En effet, puisqu'il a réussi, on suppose qu'enfant il avait des dispositions puisqu'il était le fils d'un proviseur et donc baignait dans le domaine de l’intellect. On voyait légitimement en lui un futur professeur alors que lui, secrètement se voyait plutôt marin. Il confesse qu'il a eu du mal à avoir son baccalauréat et que, à dix neuf ans, pour ne pas déplaire à son père il s'est inscrit en faculté. Las, une fois étudiant à Berlin c’est à dire loin de chez lui, son côté naturellement épicurien prit le dessus et il négligea les cours pour s'adonner aux plaisirs simples de la vie, le cabaret, les femmes... Pourtant le goût de l'étude lui vint d'un coup, après il est vrai une semonce paternelle, mais la véritable raison de ce revirement resta secret. Pour le reste de l'année, il s'inscrivit dans une autre faculté et découvrit un vieux professeur qui sut lui faire partager sa passion pour Shakespeare et dont il devint le secrétaire et presque le confident ; Il proposa en effet de l'aider à terminer un travail universitaire qu'il avait abandonné. Bien entendu, cette démarche personnelle le mit d'emblée à part parmi les communauté des étudiants.

    Il n'était pas non plus indifférent au charme de sa jeune et belle épouse qui lui avoua que son mari s'absentait fréquemment sans qu'elle ne trouve rien à redire. C'était une femme effacée mais ce couple sembla au jeune homme assez singulier et pas seulement à cause de la différence d'âge. Elle paraissait s’accommoder des absences de son mari, les comprendre, les tolérer et peut-être les approuver ce qui faisait de cette union un mariage de façade

    Au départ, le lecteur peut facilement être égaré par une supposée et potentielle liaison entre Roland et la femme du professeur. Après tout, cela ressemble bien à cet étudiant épicurien qui renouerait là avec ses anciennes habitudes. D'autant plus que non seulement l'épouse se montre, en l'absence de son mari non seulement portée sur les confidences intimes mais aussi complice et même compatissante, dénonçant l'état de subordination et même d'esclavage de l'élève par rapport au maître. Elle l'engage à mener une vie d'étudiant plus conforme à son âge mais s'affiche publiquement en sa compagnie et lui révèle des détails sur sa vie privée qui sont de nature à provoquer l'adultère. Pourtant, il y a de la part de l'épouse une série d'hésitations troublantes qui fait naître dans l'esprit du jeune homme une certaine confusion. Bizarrement Roland, confie qu'il n'aime guère ce genre de trahison, ce qui est étonnant de la part d'un jeune étudiant aussi amoureux de la vie, mais il ajoute qu'il est, comme l'épouse sans doute, sous l'influence de son maître. L'expression s'applique pour les deux, pour cette femme en tant qu'épouse et pour Roland en tant que disciple, l'ascendant que cet homme exerce notamment sur lui est présenté comme déstabilisant. Non seulement le professeur est peu reconnaissant du travail que son élève fournit à son profit mais il est parfois blessant voire humiliant au point que naît dans l'esprit du jeune homme à la fois une culpabilisation due à la jalousie et à une certaine tension entre eux mais aussi à un attachement certain à sa personne. Si le jeune homme se laisse aller, avec la complicité active de cette épouse, à ce qu'il appelle une trahison, c'est moins l'acte de chair qu'il réprouve mollement que le voile que cette femme lève pour lui sur les secrets intimes de son mariage. Pourtant Roland est à la fois honteux et demandeur de cette révélation qui, le pense-t-il, le déculpabiliserait. S'il séduit cette femme c'est aussi en pensant très fort au mari de cette dernière ce qui ajoute, dans son esprit en tout cas, à cette confusion de sentiments. [« J'ai de tout temps exécrer l'adultère, non par esprit de mesquine moralité, par pruderie et par vertu, non pas tant parce que c'est là un vol commis dans l’obscurité, la prise de possession d'un corps étranger, mais parce que presque toute femme, dans ces moments-là, trahit ce qu'il y a de plus secret chez son mari  »].

     

    On sent qu'il y a une évolution personnelle du jeune homme dans l'exercice du plaisir. Auparavant, il jetait sa gourme avec des femmes en ne s'attachant pas à elles, profitant de l'occasion pour jouir de l'instant, maintenant, avec l'épouse de son maître, c'est un peu différent. Certes il la fréquente au point de se retrouver dans son lit mais sa démarche est plus laborieuse, plus amoureuse aussi. Non seulement on a l'impression que leurs relations est d'une autre nature, qu'elles sont empreintes de retenue et de culpabilisation mais surtout elles interviennent avec en toile de fond les disciplines intellectuelles avec lesquelles Roland a décidé de renouer. C'est dans ce contexte sans doute qu'il en éprouve à la fois du dégoût et de la honte et que les relations qu'il peut avoir avec l'un et l'autre séparément sont tendues, qu'il est en quelque sorte partagé entre entre le plaisir dont il entend profiter et la colère qu'il ressent contre lui-même au point qu'il tente de fuir cette ambiance qu'il ressent comme malsaine. Cette fuite répond à celle qui l'a fait partir de Berlin mais elle est évidemment causée par des raisons différentes. Pourtant la réaction du maître est bien opposée, non seulement il suppose un écart de la part de son épouse, n'y accorde que peu d'importance et avoue même à Roland la grande liberté qu'il lui octroie par principe. Cette licence a pourtant un pendant puisque lui-même pratique des relations extra-conjugales, mais avec des hommes et il lui déclare son amour, ce qui achève de déstabiliser le jeune étudiant. Il s'attendait à un châtiment de la part de cet homme et c'est un aveu quelque peu humiliant qu'il reçoit de sa part, assorti d'ailleurs de confidences personnelles et bouleversantes. De cette situation finalement délétère il choisit de sortir par la fuite (encore une fois). Il tourne cette page de sa vie en choisissant de poursuivre son cursus universitaire mais surtout en se cachant sous le masque de la respectabilité. Cet épisode de sa vie est resté secret puisqu'il correspond autant à l'éveil intellectuel qu'à la rencontre d'une passion qui aurait pu être destructrice.

     

    Il est vrai que Zweig se livre ici à une analyse psychologique très fine des sentiments de chaque personnage autant que le trouble qu'engendre une passion pour ceux qui en sont l'objet. Cela n'a pas échappé à Sigmund Freud qui expliquait les relations humaines par la sexualité.

     

    Il s'agit d'une nouvelle parue en 1927 qui a fait l'objet d'une adaptation télévisuelle en 1979 réalisation d’Étienne Perrier avec Miche Piccoli dans la rôle du professeur.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA NUIT SACREE

    N°746 – Mai 2014.

    LA NUIT SACREE – Tahar Ben Jelloun – Le Seuil

    Prix Goncourt 1987

     

    Je n'ai pas l'habitude de me transformer en thuriféraire d'un roman pour la seule raison qu'il a été couronné par le prix Goncourt. J'ai déjà dit dans cette chronique que même s'il s'agit d'un prix prestigieux, son attribution a bien souvent été galvaudée, accordé qu'il a été parfois à des écrivains qui ne le méritaient pas. Tel n'est pas le cas de ce roman dont ma lecture a été différée sans raison valable depuis de nombreuses années, constamment remise à plus tard. Il est comme cela des livres qu'on regarde de loin pendant longtemps avant de les lire.

     

    Ce roman est la suite de « L'enfant de sable » publié en 1985 qui mettait en scène Ahmed qui en réalité est une fille mais que son père, irrité et même déshonoré d'avoir eu sept filles auparavant voulait que la huitième fût élevée comme un garçon avec tous les privilèges du mâle et ce pendant vingt ans. Elle a grandi et prend ici la parole (elle est la narratrice de ce récit) alors que son père va mourir au cours de la 27° nuit du Ramadan. C'est la nuit du Destin, la nuit sacrée des musulmans qui, si elle enlève la vie à son père la libère de celle que cet homme lui imposait. Il souhaite qu'elle entende sa confession, l'affranchit, la nomme Zahra et l'engage à voyager, à vivre comme une femme, à découvrir sa véritable identité, à être libre, à sortir de ce carcan qu'il lui avait imposé. Après les obsèques du père, elle enterre symboliquement avec lui tous les signes extérieurs de cette période marquée à la fois par le secret, l'hypocrisie et qui avait fait d'elle un être à part dans cette famille d'où elle était rejetée et où le poids des femmes était insupportable pour lui. Il y aura tout au long de ce roman une sorte de rappel de cette identité masculine antérieure, comme une peau dont elle aurait du mal à se débarrasser (Port de burnous d'homme, faux certificat de mariage avec Fatima et surtout, en prison, l'obligation qui lui est faite de revêtir un uniforme de fonctionnaire de part ses fonctions) ; c'est une lutte constante pour affirmer sa féminité. Les funérailles terminées elle part effectivement avec Cheick, un homme bleu du désert, un prince qui l'enlève et lui révèle les « 7 secrets », en réalité un véritable conte oriental qui malheureusement est interrompu et elle doit fuir. Ce récit onirique cesse donc mais dans sa fuite éperdue la mène à Agadir, elle est abordée par un homme qui la viole. Cet homme est sans visage et ce viol qui est aussi une défloration n'a cependant rien de brutal, c'est un peu comme un passage initiatique à l'état de femme, un peu comme si elle était par cet acte barbare reconnue comme telle.

     

    Dans cette ville elle rencontre par hasard « l'Assise », une femme qui tient le Hammam, la prend en pitié et l'invite chez elle pour tenir compagnie à son frère aveugle. Au début sa présence dans cette maison est un peu celle d'une domestique, mais elle ne tarde pas à s'apercevoir que les relations du frère et de la sœur sont fantasmatiques et de nature quasi incestueuse. Il existe entre eux une sorte de jeu étrange au terme duquel cette femme nomme son frère « le Consul » puisqu'elle fait mine de penser qu'il est le diplomate imaginaire d'un pays fantôme. En réalité il enseigne dans une école coranique et tombe évidemment amoureux de Zahra. Leurs relations sont faites de nuances, de peur de se perdre mutuellement, de violences contenues, de folie aussi mais cet homme semble, grâce à elle revenir à la vie. Pour autant Zahra ne veut pas être sous sa dépendance comme elle était auparavant sous celle de son père. « Le Consul » n'est pas son maître, elle n'est pas son esclave. Il en résulte une fragile cohabitation mais il y a entre les deux femmes une lutte sans merci qui révélera le versant mauvais de « l'Assise », plus vieille et plus laide qu'elle et qui ne rêve que de l'éliminer. Elle maintenait son frère dans un état de dépendance quasi semblable à celui que Zahra subissait de la part de son propre père. La jeune femme est en quelque sorte la moteur de la libération de cet homme qui semble arbitrer ce conflit interne qui révèle une véritable complicité entre elle et lui et choisit celle qu'il appelle « L'Invitée » au détriment de sa sœur. Cette dernière découvre une partie du passé de Zahra, sa fuite et retrouve un oncle qui menace cette fragile stabilité ainsi établie dans ce nouveau foyer. Pour conjurer les menaces qu’il profère contre elle, les accusations mensongères de vol de l’héritage familial, elle le tue autant pour ne pas être forcée de partir avec lui que pour effacer symboliquement l'injustice faite aux femmes dans la société marocaine. Pour cela est condamnée à quinze années de la prison. Pourtant, à aucun moment elle ne témoigne de regret pour le meurtre qu'elle a commis.

     

    Une fois incarcérée, « le Consul » vient lui faire des visites régulières et elle se claquemure dans les ténèbres, vit volontairement avec un bandeau sur les yeux pour être en communion avec lui, une manière d'être à ses côtés malgré les murs et la séparation. Elle s'évade dans des rêveries qui font d'elle une princesse mais lors d'une scène particulièrement violente dont on se demande si elle est réelle ou imaginée, le lecteur assiste à une infibulation perpétrée contre elle par ses sœurs avec la complicité d'une gardienne, comme une vengeance. Là aussi acte symbolique puisqu'il la prive de relations sexuelles normales avec un homme, une manière de lui dénier sa véritable nature féminine qui était d’avoir de enfants, une sorte de rappel de son ancien état de « garçon » au sein de son ancienne famille. Rejetée d'abord au sein de ce milieu carcéral, elle sait se rendre indispensable, devient l'écrivain public de la geôle et la confidente des autres prisonnières au point que, bizarrement, elle est intégrée, malgré son statut de détenue, au personnel de la prison ce qui se traduit par la port obligatoire de l'uniforme qui est une vêture d'homme, comme un rappel de son ancien statut au sein de la famille de son père. « Le Consul » finira par partir, délaissant à la fois sa sœur et sa maîtresse en incarnant une libération à peu près semblable à celle que Zahra avait matérialisé par la fuite de sa famille. Elle le retrouvera à la fin, comme sanctifié par cet acte d’affranchissement avec, en contre-point l'image de la mer véritable symbole de liberté. Dès lors tout est possible entre ces deux êtres qui s'aiment, qui s'attendaient et qui, maintenant peuvent vivre pleinement l'un avec l'autre, débarrassés définitivement d'un passé trop pesant.

     

    Il y a dans ce roman quelque chose de transitoire, de fuyant un peu à l’image du regard des aveugles qui ne se pose nulle part et qui fouille constamment leur obscurité. Il y a aussi une idée très ancrée de la faute avec deux versants, celle du père qui a imposé à sa fille une vie qui n'était pas la sienne et implore son pardon, celle de n'avoir pas observé les préceptes du Coran et d'avoir méprisé sa famille et une certitude d'absence de faute de la part de Zahra quand elle tue son oncle, comme pour se libérer à la fois de cette famille maléfique et de la condition de femme dans ce pays.

     

    J'ai lu ce roman comme un conte oriental plein d'images et de poésie, un récit onirique où le lecteur se perd mais retrouve toujours cette trame magique. Reste l'histoire distillée à travers un texte somptueusement écrit, une quête identitaire, un témoignage exceptionnel.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE CAPITAINE ALATRISTE

    N°745 – Avril 2014.

    LE CAPITAINE ALATRISTE – Arturo Perez-Reverte – Le Seuil

    Traduit de l'espagnol par Jean-Pierre Quijano

    L'histoire de Diego Alatriste y Tenorio, nous est contée par Iňigo, un pauvre petit garçon de douze ans que sa mère, veuve de Lope Balboa, un ami d'Alatriste, lui confia un jour pour être son domestique à cause de la misère qui régnait alors en Espagne. C'est un personnage que cet homme qui n'avait de capitaine que le surnom, rescapé des combats de Flandres et qui survivait en louant son épée « pour quatre maravédis la journée »,c'est à à dire pas grand chose, à ceux qui n'avaient ni le courage ni l'adresse de vider leurs querelles, autrement dit un vulgaire spadassin qui tâtait parfois des cahots du roi, pour dettes évidemment ! Bref, il était maintenant un homme de main à la petite semaine qui vivotait à Madrid mais la réputation de ce rescapé des champs de bataille des Flandes et d'ailleurs, aux états de service prestigieux, était cependant établie. Il fut contacté par deux curieux commanditaires masqués qui lui proposèrent d'agresser, mais sans les tuer, deux voyageurs anglais qui devaient arriver dans la capitale du royaume. Ce « contrat » était d'autant plus bizarre que leur succéda un dominicain de l'Inquisition qui lui demanda d'exécuter ces deux voyageurs en lui adjoignant un comparse italien du nom de Malatesta. Le voilà donc transformé malgré lui en bras armé du Saint-Office. Alatriste, habitué aux ordres simples des champs de bataille se vit donc confronté à une situation qui le dépassait. Cette affaire lui paraissait d'autant moins claire que, le combat une fois engagé, l'un des deux anglais demanda grâce... mais pour son compagnon ! Diego les épargna donc tous les deux et renvoya Malatesta bien décidé à lui faire payer sa forfaiture. Du coup sa vie fut menacée puisqu'il s'était mis à dos l’Église espagnole.

    Ce qui aurait pu n'être qu'un simple incident vite oublié prit un tour diplomatique puisque les deux voyageurs n'étaient autres que le duc de Buckingham et Charles Stuart, jeune Prince de Galles et futur roi d’Angleterre venu incognito faire le connaissance de sa futur épouse Doňa Maria, sœur du roi Philippe IV. L'affaire prit donc un tour politique puisque ce mariage entre un hérétique et une catholique était évidemment refusé par l’Église et menaçait l'équilibre précaire de l'Europe. Le prince avait simplement voulu précipiter un peu les choses ! Pourtant, tout n'alla pas pour le mieux dans le meilleur des mondes et les projets capotèrent malgré la liesse populaire. Cela est bel et bon mais n'arrangea pas vraiment les affaires d'Alatriste qui craignait toujours pour sa vie même s'il pouvait compter sur son protecteur le comte de Guadalmedida. On le pressa donc de voyager au loin mais apparemment lui n'était guère pressé de disparaître, échappa à la mort de peu, avec il est vrai un eu de chance.

    Mais revenons à Iňigo. Il servit correctement la capitaine jusqu'à risquer sa propre vie pour lui mais il n'échappa pas à la condition du commun des mortels puisqu’il tomba amoureux de la jeune et jolie Angélica d'Alquezar. Cela aurait pu être une bonne chose pour lui mais elle se révélera être son pire ennemi. Dans ce roman, il tient la plume mais aussi l'épée et malgré son jeune âge il sauva la vie du capitaine ce qui fit de lui son compagnon d'armes.

    Je l'aime bien cet Alastriste, soldat courageux, fin bretteur, intègre mais tendre à l'occasion, respectueux de la parole donnée mais capable de se remettre en question si sa conscience le lui demande. C'est un homme cultivé aussi qui fréquente Lope de Vega et cite son ami Francisco de Quevedo, fin poète mais aussi prêt à en découdre à chaque occasion, l'épée à la main.

    C'est donc dans une Espagne du XVII°siècle, celle du Siècle d'Or, que nous invite l'auteur. Pourtant c'est un pays misérable, noyauté par l'Inquisition où se côtoient une noblesse oisive et imbue d’elle-même, un clergé tout-puissant, un petit peuple misérable et une société interlope, bref un pays corrompu ou tout est à vendre parce que le Trésor est miné autant par la guerre des Flandres que par l'or des Indes. Le roi Philippe IV nous est présenté comme un monarque cultivé qui favorisa les arts mais qui laissa le gouvernement du royaume au Comte d'Olivares. Dans ce court récit passionnant qui tient du roman de cape et d'épée mais aussi un peu du roman picaresque se mêlent personnages historiques et fictifs, l'auteur en profite non seulement pour promener son lecteur dans Madrid et à évoquer l'histoire de l'époque, mais aussi pour donner son avis sur le siècle de Philippe IV, sur la politique qu'il mena, sur les succès qu'il obtient, sur les échecs aussi. Reverte ne se prive d'ailleurs pas d'émailler son propos de citations polémiques ou flatteuses de poètes de l'époque, quand ces derniers ne règlent pas leurs comptes personnels par sonnets interposés.

    J'ai retrouvé avec plaisir le style d'Arturo Prerez Reverte, son érudition, le dépaysement qu'il procure à son lecteur et le suspens qui baigne ce texte. Il n'est pas un inconnu pour cette chronique où son œuvre a déjà été largement mentionnée (La Feuille Volante n° 384-385-387-390-735) aussi bien je poursuivrai assurément la découverte de cette saga.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN HOMME QUI DORT

    N°744 – Avril 2014.

    UN HOMME QUI DORT – Georges PEREC – Denoël. (1967)

    Le personnage central de ce roman est un homme qui s'éveille. Il n'a pas de nom et l'auteur s'adresse à lui en le tutoyant. Est-ce parce qu'il le connaît ou peut-être parce que cet auteur s'adresse à lui-même un peu comme ces solitaires qui soliloquent sans cesse et s'interpellent eux-mêmes ? C'est un étudiant sans importance qui habite une mansarde minable de cinq mètres carrés sans confort, sous les toits et qui décroche de plus en plus des études. Non seulement il ne va pas en cours, a abandonné tout idée de diplôme et de réussite mais il se laisse aller physiquement et moralement, ne se lave même plus, ne quitte sa chambre qu'à la nuit pour roder dans les rues désertes ou pour les gestes élémentaires de la vie. De l'extérieur, il ne perçoit plus que les ombres portées qui se dessinent sur le plafond de son galetas et les bruits étouffés de la rue. Il ne rencontre plus personne, a tourné le dos à ses copains, ne vit plus et ne veut pas de la vie qui se résume pour lui à « une bassine en matière plastique rose où croupissent six chaussettes ». Quelque chose s'est brisé en lui et il n'est pas vraiment de ces philosophes qui s'interrogent à perte de vue sur le sens de l'existence, il laisse les problèmes métaphysiques aux autres.

    A vingt cinq ans, c'est un marginal qui s'est inscrit en faculté pour ne pas participer à ce monde, faire partie de cette société qu'il veut ignorer. Il a oublié (où peut-être ne les a t-il jamais connus) la fougue de la jeunesse et l’enthousiasme qui dit-on caractérise cet âge et fait qu'on veut conquérir le monde et réformer la société, il n'a même plus ni repaires, ni souvenirs, ni espoirs, ni amours, ni passé ni avenir et quand il rentre chez ses parents, des retraités qui vivent à la campagne, dans l'Yonne, il ne partage avec eux plus rien que le silence, un lien de parenté qui se distend de plus en plus et peut-être aussi un maigre pécule qu'ils lui allouent pour préparer sa vie. Comme eux il est vieux mais cette vieillesse est d'une autre nature. Eux ont fait leur parcours sur terre et lui refuse de le sien, son itinéraire est déjà tout tracé vers la mort et l’hospice de vieillards. Cette absence de dialogue se traduit par l'éloignement, lui à Paris où il est censé étudier et eux ailleurs, loin de lui, autant dire dans un autre monde. Chez eux il s'isole volontiers en forêt pour regarder les arbres qui le fascinent, peut-être simplement parce qu'ils sont muets. Dans la Capitale, il mène une vie végétative, volontairement coupée du monde. Il est ce piéton qui arpente les rues et dont les gestes habituels et répétitifs sont dérisoires. Pourtant, il suffirait qu'il accepte de correspondre au stéréotype de celui qui fait ce qu'on attend de lui, docilement, qu'il fasse partie de ces oubliés de la société dont on attend rien qu'une obéissance servile et un dévouement de tous les jours, qu'il endosse ce costume du citoyen ordinaire. A ceux-là on donne des miettes sous forme de décorations, de flatteries illusoires, de distinctions hypocrites qui ne sont que de la poudre aux yeux mais qu'ils apprécient. Lui, au contraire ne veut être que « la pièce manquante du puzzle », celui qui n'écoute pas les conseils et marche sans se retourner vers son néant quotidien. Autour de lui le monde s’agite mais il n'en a cure. Il est transparent, sans importance, invisible, limpide et sa vie ne tient qu'en quelques mots, il est« comme une goutte d'eau qui perle au robinet d'un poste d'eau sur un palier, comme six chaussettes trempées dans une bassine en matière plastique rose, comme une mouche ou comme une huître, comme une vache, comme un escargot, comme un enfant ou comme un vieillard, comme un rat ».

    A la fois indifférent, inaccessible et solitaire, il marche dans la ville comme dans un labyrinthe, hantant les bars et les squares sans presque s'en rendre compte et le métro est pour lui un souterrain incertain. Ses actions sont limitées, mesquines, sans importance et surtout il néglige l'étude. Tout chez lui est illusoire et sans intérêt. Il se sent persécuté, paranoïaque et le sommeil, ce basculement dans le néant, finit par le gagner et avec lui la perte du sens du réel et même une sorte de dédoublement de lui-même. Son angoisse est réelle, il refuse de réagir, n'offre aucune prise aux événements extérieurs et semble se complaire dans cette situation pas vraiment constructive. C'est aussi un sommeil éveillé, un sorte d'état semi-comateux où il fait des gestes automatiques uniquement destinés à survivre presque comme un ectoplasme, comme un fantôme transparent. La fin laisse entrevoir une espérance possible

    Pourtant cette attitude n'est pas nouvelle pour lui et ne résulte pas d'une soudaine prise de conscience ; il a toujours été comme cela, dépressif, défaitiste, indolent, à cause peut-être de l'âge de ses parents. Pourtant il ne semble pas y avoir de ressemblance avec eux. Ils ont fait leurs parcours dans cette vie et espèrent bien que leur fils fera le sien. Ils lui permettent même de faire des études pour que sa vie soit meilleure. Pourtant il n'a pas le même état d'esprit à cause peut-être du fossé des générations, des références qui ne sont pas les mêmes ou à cause des temps qui changent un peu trop vite. Peut-être aussi doit-il cet état déprimé à un lointain aïeul ? La roulette de la génétique a de ces mystères !

    C’est un texte déprimant comme l'est la vie de ce jeune homme mais pourtant éminemment poétique. Je connais mal le parcours de Perec. Je ne sais pas si ce texte est autobiographique (il l'a écrit avant son adhésion à l'OULIPO), mais un livre qui est aussi un univers douloureux est souvent porté pendant de nombreuses années avant que les mots ne viennent. Son enfance a été chaotique et il a peut-être été cet étudiant paumé. C'est peut-être aussi une simple fiction (encore que ce livre ne porte pas la mention « roman ») mais je m'y retrouve un peu, il est vrai avec quelques dizaines d'années de recul. J'ai bien dû, moi aussi, avant d'entrer dans la vie active, ressentir les mêmes affres, connaître les mêmes angoisses face à une vie qui semblait vouloir se dérober devant moi. Mes réaction n'ont certes pas été semblables mais il y avait quelque chose de cette errance, dans ces questions sur l'avenir, dans cette perte de repaires qui m'a fait apprécier ce texte

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • JE M'ATTACHE TRÈS FACILEMENT

    N°422– Avril 2010

    JE M'ATTACHE TRÈS FACILEMENT – Hervé LE TELLIER - Éditions Mille et une nuits.

     

    Avant de commencer un roman, je lis toujours l'exergue qui en fait partie. Ici, j'apprends que l'ouvrage emprunte son titre à une citation de Romain Gary. L'intérêt que je porte depuis longtemps à cet auteur m'incite à ouvrir le livre avec confiance. Et puis, cette expression me ressemble tellement que c'est sans doute bon signe. Moi aussi, je m'attache très facilement, mais laissons cela!

     

    L'histoire qu'il faut bien raconter, est banale si tant est qu'une histoire d'amour puisse l'être. Nous savons tous qu'elle est au contraire unique. L'homme, c'est « notre héros » et la femme « notre héroïne », cela me paraît un peu désincarné, j'aurais sans doute préféré des êtres nominatifs, mais laissons cela! Il a la cinquantaine, c'est donc « un homme mûr »(j'apprécie l'euphémisme qui cache un début de vieillesse avec ses rides, ses bourrelets et sa calvitie) qui pense encore qu'il est capable de séduction... et elle a vingt ans de moins que lui. « Notre héroïne » est donc jolie, elle est «  grande, élancée, possède de charmants petits seins ». Je n'aurais jamais imaginé qu'une telle maîtresse fût laide et repoussante. Bien sûr, « notre héros » en est follement amoureux. Comment pourrait-il en être autrement? On n'est cependant pas très sûr que la réciproque soit encore vraie, même si le plaisir est encore au rendez-vous de leurs étreintes. Mais laissons cela!

     

    Notre homme a décidé de rejoindre cette femme en Écosse où elle est partie voir sa mère, mais sans pour autant y avoir été invité. Le rendez-vous de ce qui ressemble de plus en plus à une rupture, est fixé à l'embranchement de deux routes. C'est un symbole évident, mais laissons cela! Pourtant notre héros n'abandonne rien au hasard, il téléphone, prend l'avion, réserve pour lui seul une chambre d'hôtel, loue une automobile. C'est là que le lecteur, que le narrateur prend constamment à témoin, se rend compte que le titre est un jeu de mots, puisqu'il apprend que « notre héroïne » ne s'attache pas facilement, comprenez qu'elle ne boucle pas automatiquement sa ceinture de sécurité en voiture. Là aussi la polysémie est soit bienvenue, soit facile, c'est selon.

    Ce même lecteur comprend aussi très facilement que la tendresse ne fait plus partie du jeu et que l'espoir, pour lui, n'est plus permis puisque la décision de « notre héroïne » est apparemment sans appel, à cause sans doute de la lassitude, de l'usure des choses, d'une autre passade ou d'une autre passion. Mais laissons cela! Puis c'est le retour à Paris, non sans avoir fait un détour par le beau visage d'une autre femme plus jeune, mais tout aussi inaccessible pour « notre héros », la solitude qui revient et avec elle la vieillesse qui se fait plus pesante. Même s'il veut se jouer la comédie de la jeunesse et de l'avenir, il repense à Romain Gary.

     

    C'est donc une histoire comme tant d'autres, une page qui se tourne, une tentative de

    ravaudage sentimental et... un désastre annoncé!

     

    Je suis pourtant volontiers attentif aux manifestations de l'Oulipo dont l'auteur fait partie mais j'ai très modérément aimé le style haché de cette histoire pourtant courte.

     

    J'ai quand même préféré « assez parlé d'amour »du même auteur.[La Feuille Volante n°419]

     

     

    Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA RUCHE

    N°707 - Décembre 2013.

    LA RUCHE – Arthur Loustalot – JC Lattès

     

    Pour moi, cet auteur m'était inconnu mais son nom ne l'était pas. Jacques Loustalot , connu sous le surnom du « Major », était l'ami flamboyant et délirant de Boris Vian. Il mourut accidentellement (ou volontairement) à l'âge de 23 ans !

     

    Reste ce roman qui respecte à sa manière l'unité de lieu, mais pas celle de temps. On y apprend qu'Alice vit dans un appartement avec ses filles, Marion, Claire et Louise. Il n'y a pas d'homme puisque le père est parti et Alice n'a jamais réussi à admettre ce départ, cette fuite, s'enfonce chaque jour davantage dans une dépression dont elle ne sortira pas. Avec de nombreux analepses, l'auteur recompose pour son lecteur cette atmosphère délétère, les disputes du couple, les coups portés par le père, les blessures, les départs et les retours pour tenter d'exorciser ce mal qui rongeait cette famille, les promesses, les trahisons, les compromissions. Le père est présenté comme le bourreau, c'est lui qui bat sa femme, même devant ses enfants, lui qui se rend coupable d'adultère. Pour combattre cette ambiance malsaine il y a les pleurs, les mots, l’alcool et les médicaments comme des bouées de sauvetage improbables. Les filles font ce qu'elles peuvent pour aider leur mère, tentent de recoller les morceaux dans une famille qui part à vau-l'eau, mais toujours en vain. Elles vivent aussi mal que leur mère l'absence du père et tentent de se le cacher mais parfois cela déborde. Le père est seulement évoqué, mais pas à son avantage. Alice qui supporte tout et ce depuis longtemps, se laisse de plus en plus aller songe à la mort comme une délivrance.

     

    Le décor est à la mesure de la déprime d'Alice. L’appartement est sombre, les portes sont closes, les pièces étriquées, pourtant et contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre, par dérision sans doute, l'activité qui y règne n'est pas celle d’une ruche

     

    Quand je lis un roman, il y a l'histoire, évidemment. J'aime qu'elle m’intéresse, qu'elle m'instruise, qu'elle me dépayse, mais elle peut aussi être le reflet de la réalité quotidienne. On parle beaucoup de nos jours de famille recomposée, c'est même devenu à la mode et présentée comme quelque chose de normal, parfois de joyeux et aussi comme la solution à l'inconstance qui bien souvent gouverne la relation entre les hommes et les femmes. Tant mieux pour ceux qui en profitent. Ici c'est plutôt une famille décomposée qui nous est présentée et dont le quotidien contribue à augmenter la déliquescence malgré les efforts un peu désespérés des filles d'Alice. C'est la réalité de notre monde où deux mariages sur trois se terminent par une séparation. Ce roman peut donc être considéré comme le miroir de notre société qui rappelle que la vie est injuste et que c'est toujours les enfants qui souffrent de la séparation de leurs parents....Ce n'est malheureusement pas une nouveauté mais cela peut effectivement être rappelé. Quand je choisis de lire un roman, j’attends de l'auteur qu'il s'exprime agréablement, que son texte ne ressemble pas à un article de presse qui relate un événement factuel, bref qu'il serve notre belle et riche langue française, qu'il en respecte la syntaxe, qu'il s’attache mon attention et mon intérêt de préférence dès le début. On peut dire que la façon d'écrire se veut être la transcription d’une ambiance, que le texte est là pour instiller un rythme dans l'action ou pour, au contraire montrer une décrépitude... Pour autant, à titre personnel, j'aime quand un auteur, qui avant tout est un créateur, se sert de l'outil qu'est la langue pour faire passer un message, mais le fait de telle manière que ma lecture se transforme en plaisir. Ici, la phrase est hachée, minimaliste, parfois désarticulée, comme si les mots ainsi torturés trahissaient à eux seuls tout le drame de cette situation. J'ai pourtant poursuivi ma lecture jusqu'à la fin, mais je n'ai guère aimé le style.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • A PROPOS DE MARIE DARRIEUSSECQ.

    N°210

    Août 1999

    A PROPOS DE MARIE DARRIEUSSECQ.

    Dans un précédent numéro de la Feuille Volante (N°209) j’ai livré mon sentiment sur une remarque de Marie Darrieussecq à propos du lecteur de ses romans. Je ne retire rien de ce que j’ai écrit mais dans cet article j’avouais ne pas connaître l'œuvre récente de cet écrivain. Je l’ai donc abordée à travers deux romans »Le mal de mer » et « La naissance des fantômes ».

    Je crois savoir que la critique n’est pas tendre avec elle mais cette revue existe pour que soit exprimé mon avis et non pour qu’elle soit le reflet de celui des autres. De ces deux romans dont le style d’écriture m’a surpris je dirai simplement que, malgré une lecture attentive je n’ai pas réussi à entrer dans l’univers de l’auteur... et que je le regrette.

    Je ne comprends pas non plus la remarque laudative de François Nourrisier « Darrieussecq atteint un raffinement dans le style »

    ©Hervé GAUTIER

  • W ou le souvenir d'enfance

    N°743 – Avril 2014.

    W ou le souvenir d'enfance – Georges PEREC – Denoël. (1975)

    D'emblée, ce récit a quelque chose de déconcertant. Il se présente sous la forme de deux textes, l'un autobiographique et l'autre fictif. L'effet recherché est sans doute celui du miroir né de l’alternance ou d'un enchevêtrement complémentaire entre les deux, un peu comme si ce qu'il n'était pas dit dans l'un(où que l'auteur ne pouvait écrire de sa propre biographie ) l'était dans l'autre, avec cependant une certaine pudeur et aussi une certaine volonté d'expliquer les choses comme l'indique l'exergue de Raymond Queneau [« Cette brume insen­sée où s'agitent des ombres, com­ment pourrais-je l'éclaircir ? »].

    Assez bizarrement, quand il débute l'autobiographie, Perec écrit « Je n'ai pas de souvenirs d'enfance ». Il va pourtant, à travers les réminiscences nées de quelques photos jaunies et quelques bribes de mémoire, nous décrire ce qu'elle a été. Il naît le 7 mars 1936 à Paris et ses parents sont des juifs polonais immigrés (Peretz) dont le père, qu'il n'a pratiquement pas connu, meurt sous l'uniforme au début de la guerre en 1940. Pour le sauver, sa mère l'envoie avec la Croix-Rouge à Villars de Lans en zone libre où il est baptisé et son nom francisé (Perec). Il est ballotté de familles en établissements et de cela il ne garde que peu de souvenirs. Il ne reverra plus sa mère puisqu’elle meurt à Auschwitz. Le thème de la disparition de ses proches hantera donc ce récit et avec lui la douleur de leur absence. « W » est une histoire de son enfance « la vie exclusivement préoccupée par le sport sur un îlot de la Terre de Feu »,une sorte de société qui vit selon les valeurs olympiques. Quand il évoque son enfance, brisée par l'absence de ses parents, cette dernière est symbolisée par la lettre « E » à qui est dédié ce livre [on se souvient que Perec a écrit aussi un autre roman, « La disparition », d'où cette lettre est complètement absente et qui apparaît deux fois dans son nom pourtant court. Cette disparition de ses parents est ressentie par lui comme une suprême injustice.

    La fiction est présentée sous forme d'enquête policière (le W apparaît sous la forme d'un nom de la ville où le narrateur, Gaspard Winckler, se rend au début et qui est aussi le nom d'un autre homme qui a disparu) et qui se poursuit par une autre histoire qui se déroule dans une île, « W » (située au bout du monde). Ce territoire comporte quatre villages, sorte de phalanstères organisés, hiérarchisés qui abritent une société pratiquant les valeurs olympiques du sport, une sorte d'idéal avec des rituels compliqués, très codifiés et parfois même inattendus voire surréalistes pour les « Athlètes », autant dire une certaine notion du bonheur inexistante dans son enfance, peut-être aussi un modèle éducatif dont l'absence de ses parents l'a privé. Je note que dans cette collectivité, peut-être utopique, il semble exister des liens internes assez forts que Perec n'a pas connus dans son enfance, tiraillé qu'il a été entre différents membres de sa parentèle.

    Petit à petit, l'auteur pourtant dévoile ces ombres comme on soulève une couverture qui recouvre quelque chose. Il le fait comme à son habitude, à coup de références personnelles (Bartleby, Moby Dick de Herman Melville, la fuite, la vengeance, le bien et le mal) et d'un détail à mes yeux significatif. W est « le » souvenir d'enfance alors qu'on pourrait s'attendre à voir ce nom au pluriel. Perec se livre à une démonstration un peu forcée à partir de cette lettre qui, manipulée physiquement devient un X, symbole de l'inconnu mathématique et judiciaire, signe aussi de l'ablation, mais également une croix de Saint André, symbole de mort. Si on la double, c'est le signe qui apparaît sur la casquette de Charlie Chaplin dans le film « le dictateur », si on en prolonge les segments, elle devient une « croix gammée » et redessiné, ce « W » originel se transforme en une étoile de David. Cette lettre est donc omniprésente et devient la marque indélébile de cette enfance assassinée. D'ailleurs tout au long de l'autobiographie, Perec fait allusion aux Allemands, à la guerre, à la peur d'être lui aussi l'objet d'un emprisonnement et d'une déportation. Il fait une discrète allusion aux camps qu'il découvre mais seulement à la fin du récit, note un parallèle étonnant entre les camps de concentration et la vie sur l'île W et remarque enfin que la dictature de Pinochet a installé des camps de déportation dans les îles de la Terre de Feu. Il avait d'ailleurs, au cours du récit consacré à la vie sur W, insisté sur la cruauté et l'humiliation voire l'inhumanité de certaines scènes.

    Ces digressions ne sont pas destinées à égarer le lecteur mais bien au contraire à lui tenir la main dans ce récit volontairement labyrinthique. Il y a quelque chose de révélateur dans cette technique où s'entremêlent la fiction et la réalité, la construction et la déconstruction, la mémoire et l'imaginaire. Personnellement j'y vois une tentative de traduire une douleur ressentie par l'écrivain qu'il tente d'exprimer sans pour autant pouvoir y parvenir laissant son lecteur face au « non-dit ». Cela me rappelle les derniers mots écrits de Romain Gary avant son suicide « Je me suis enfin exprimé complètement ».

    Ce livre n'est pas un roman au sens classique, il veut nous délivrer un message bien plus important que ce qu'une fiction ordinaire est censée exprimer, à la fois texte intime et pathétique, acte volontaire pour que l'oubli qui fait tant partie de notre vie ne recouvre pas trop vite celle des autres que nous avons aimés et qui nous ont quittés [« J'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps auprès de leur corps ; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie »] . C'est ici son rôle rendu à l'écriture comme acte de la mémoire mais aussi l'occasion unique pour celui qui tient le stylo de construire, à travers les souvenirs intimes de son enfance rien d'autre que sa propre vie ; autant dire une véritable thérapie ! Léon-Paul Fargue exprime cela quelque part avec une grande économie de mots :« On ne guérit jamais de son enfance ». 

    J'avoue que cette lecture m'a laissé à la fois dubitatif et surtout bouleversé, comme si Perec, une nouvelle fois et au-delà des mots, m'invitait à comprendre autre chose qu'une simple histoire. Je suis peut-être passé à côté du message mais j'ai éprouvé le besoin de formaliser ici, et sans aucune prétention, mon sentiment de simple lecteur.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA VIE MODE D'EMPLOI

    N°742 – Avril 2014.

    LA VIE MODE D'EMPLOI – Georges PEREC – Hachette.(Prix Médicis 1978)

    Si on en juge par la couverture, ce n'est pas un mais des romans que le lecteur va aborder. Ce texte retrace la vie d'un immeuble imaginaire situé au 11 de la rue Simon Crubellier dans la 17° arrondissement de Paris entre 1875 et 1975. C'est déjà tout un programme et cela commence le 23 juin1975 à huit heures du soir ! Il sera en effet question de ses habitants, de leur histoire et de leurs histoires, bref des destins entrecroisés, des aventures qui s'entrechoquent, des épisodes de cette comédie humaine éphémère et éternelle mais aussi des descriptions scientifiques, des recettes de cuisines, des listes, des grilles de mots croisés, des inventaires... autant de choses hétéroclites, de digressions et de détails un peu fous dont Perec est friand. Pour « faciliter » les choses, le lecteur doit imaginer cet immeuble comme une sorte de maison de poupées dont on aurait supprimé la façade de façon à pouvoir percevoir la vie à l'intérieur à moins qu'il ne préfère être investi de cet étrange pouvoir qu'avait, selon a légende, cette fée qui pouvait soulever les toits des maisons et observer leurs occupants. C'est en tout cas une sorte de microcosme qui existe et meurt sous les yeux du lecteur. L'auteur va décrire minutieusement toutes les pièces (appartements, caves, ascenseur et sa machinerie mais aussi des cages d'escaliers, les caves, la chaufferie et des choses qu'on y perd ou qui s'y trouvent par hasard) et évoquer leurs occupants passés et présents, un peu comme on considère les morceaux d'un puzzle. Cela fait penser à un patchwork, des séquences de vécu qu'on aurait réunies ensemble.

    Bartlbooth est quand même le personnage principal de toute cette agitation (même s'il ne l'est qu'en filigranes) et son étrange projet autour de l'aquarelle pour laquelle il n'a aucune disposition mais qui bouscule la logique la plus élémentaire. Il mobilisera son énergie personnelle mais aussi celle de Smauft, son factotum, celle de Winkler (le faiseur de puzzle), celle de Valène (le peintre), celle de Morellet, tous évidemment habitants de cet immeuble mais avec un seul objectif : qu'il ne subsiste rien de tout le travail de chacun !

    Ce sont effectivement des romans qui nous sont proposés et qu'on peut lire séparément, des textes gigognes où se mélangent harmonieusement l'histoire, la géographie, les légendes, les aventures personnelles plus ou moins imaginaires et hypothétiques et tout cela sans beaucoup de lien entre elles. On y rencontre à l'occasion des catalogues de bricolage, la généalogie et la biographie d'une famille ou des tranches de vie de locataires successifs, une sorte d'inventaire à la Prévert ainsi que des histoires à arborescences, rebondissements et improbables conclusions qui assurément égarent le lecteur mais qu'importe puisque la relation qu'il est en train de lire a pour lui la solidité d'un château de cartes édifié dans un courant d'air ! Il y est souvent question d'amour et de mariages, de quêtes, de difficultés de tous ordres, de souffrances, de maladies, de décès et de successions subséquentes, d'injustices dans les héritages, de malversations ou de mauvaises affaires, de volontés de laisser une trace de son passage sur terre où celle de retrouver ses racines, bref que des choses bien humaines. Perec a ainsi voulu, semble-t-il, appréhender le monde dans sa totalité, à travers les petites et les grandes choses qui arrivent à chacun mais surtout en en soulignant les incohérences et les incongruités et ce à travers les vies de ses occupants. Il l'a fait sous la forme contraignante édictée par l'OULIPO (Ouvroir de littérature potentielle) qui est censée générer la créativité. Il semblerait bien qu'il ait rempli son « contrat » puisque au terme de cet ouvrage de 695 pages(y compris les annexes) on ne s'y ennuie pas, mieux peut-être on lit chaque chapitre avec la gourmandise d'un écolier qui fait ses premiers pas dans l'apprentissage de la lecture !

    Perec a, paraît-il, mis près de 10 ans à écrire cet ouvrage. C'est une œuvre unique, pleine de curiosités et d'érudition qu'il ne faut surtout pas rejeter à priori à cause du nombre de ses pages et peut-être aussi de son côté labyrinthique. La lecture peut paraître difficile mais le lecteur en ressort avec une curieuse sensation, celle peut-être d'avoir lu autre chose qu'un roman traditionnel avec un début, un développement et une fin qui souvent est classiquement un « happy-end ». J'ai goûté cette écriture débridée et débordante qui prend sans doute sa source dans l'imaginaire délirant de l'auteur et sa volonté d'en rajouter toujours un peu dans les précisions et les anecdotes qui souvent prêtent à sourire dans leurs développement comme dans leurs conclusions. Le style de Perec révèlent un goût non dissimulé pour les phrases et les mots qu'on mâche avec gourmandise et que l'auteur a écrits jusqu'à satiété pour le plus grand bonheur de son lecteur mais sûrement d'abord de lui-même. Elle n'a d'égal que celle de monopoliser l'attention et même l’intérêt, et ça marche ! J'ai bien aimé ce dépaysement complet, ce culte du détail qui peut paraître inutile à la compréhension du texte(et l'est peut-être) qui le dispute à la poursuite de l'histoire mais qui est tout à fait propre à exciter l'imagination du lecteur devenu de plus en plus complice de cette chronique abracadabrantesque. Un simple objet par ailleurs anodin est pour notre auteur le prétexte à l'énoncé d'une histoire à la fois improbable et parfaitement acceptable si on veut bien l'admettre. J'ai apprécié aussi le sens abscons de certaines formules pourtant censées être explicatives, claires et même pédagogiques sans oublier les rébus et les incontournables calembours dignes de consommateurs avinés du café du commerce ou de bureaucrates fatigués par une harassante journée de travail dans un bureau mal éclairé et poussiéreux ! Tout cela instille dans l'esprit du lecteur une impression qui ressemble à la fois à du dérisoire et à du sérieux, de l'éternel et de l'éphémère sans qu'on sache très bien si c'est le plaisir de lire un tel ouvrage qui fait se graver un sourire au coin des lèvres ou celui de pénétrer malgré soi dans un univers digne des meilleures fictions mais un peu étrange quand même.

    J'ai retrouvé avec un immense plaisir cet auteur dont j'ai déjà parlé dans cette chronique (la Feuille Volante n° 484-486-487). Dans ma bibliothèque idéale, il tient une grande place, celle qu'occupent généralement ceux qui sont partis un peu trop tôt !

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • EDWARD HOPPER - Gail Levin

    N°741 – Avril 2014.

    EDWARD HOPPER- Gail Levin – Flammarion.

    Traduit de l'américain par Marie-Thérèse Agüeros.

     

    Ce peintre américain me fascine tellement que j'ai résolu de m'intéresser à ce qui a été écrit sur son style et sur son talent. Cette chronique s'est récemment fait l'écho de quelques-uns de ces ouvrages (La Feuille Volante n°696-698-739). A l'inverse d'autres qui dissertent volontiers sur sa peinture et, si l'on veut le dire comme cela, sur sa manière de voir le monde, ce livre nous parle de la biographie d'Edward Hopper (1882-1927), soulignant les différentes étapes de son évolution et montrant qu'il est assurément un des peintres importants du XX° siècle.

     

    Sa famille, des commerçants baptistes de la petite ville de Nyack au bord de l'Hudson, fut attentive aux goûts artistiques d'Edward mais l'encouragea cependant à apprendre le métier d'illustrateur commercial, plus lucratif et aussi plus sûr que celui d'artiste-peintre. A la fin de ses études secondaires, il partit donc effectuer sa formation à New-York, fréquenta écoles et ateliers où, grâce à son talent précoce, on lui promit une belle carrière. Plus tard il rendit hommage à l'un de ses professeurs, Robert Henri, pour l'influence qu'il a exercée sur lui et notamment sur les tonalités sombres de sa peinture. Ce professeur l'avait encouragé à peindre en combinant l'observation et l'imagination mais lui qui aimait surtout les bords de mer ou en plein air n'oublia cependant pas ce conseil. Selon le message de Henri, Hopper a en effet eu soin de reproduire cette « sensation de nuit » caractéristique. Certes, au cours de sa carrière sa palette éclaircira ponctuellement, notamment sous l'influence des Impressionnistes, mais il restera fidèle à ces tonalités.

     

    Toujours à l'instigation de ce professeur, il s'embarqua pour l'Europe afin d'y assimiler le message des Impressionnistes français, mais pas seulement. De 1906 à1910, il fit trois séjours sur le vieux continent qui l'amenèrent de Paris à Londres, Amsterdam, Berlin, Bruxelles et en Espagne où il se prit de passion pour la corrida. Il apprécia tout particulièrement  Paris, ville qu'il trouva pleine de vie en comparaison de New-York. De ce séjour il rapporta un style et des œuvres, souvent composées de mémoire mais que la critique américaine apprécia très peu à son retour. Il restera cependant toujours fidèle au souvenir des Impressionnistes français. En 1915 et un peu par hasard, il découvrit la gravure qu'il pratiqua en restant fidèle à son inspiration française. Il prisait peu cette technique mais ses gravures se vendaient mieux que ses toiles. Revenu à New-York à partir de 1912, il s'installa à Greenwich-village où il exerça le métier d'illustrateur publicitaire pour différents magazines, ce qui lui permit de gagner sa vie, mais sans grande conviction cependant. A l'époque il continua à peindre et en 1920, à l'âge de 37 ans, il fit sa première exposition américaine. Il exposa un maximum de toiles d'inspiration française mais ce fut un échec. Il commença à s'intéresser à l'architecture américaine, caractérisée par la maison victorienne qu'il reproduira souvent dans ses toiles, gravures et aquarelles. A partir de 1928, période qui correspond à sa maturité, il abandonna la gravure et adopta un style de composition qu'il gardera toute sa vie. Il présentait ses toiles soit comme une composition frontale, soit en diagonale et souvent vues à travers une fenêtre. Cette dernière manière met le spectateur en position de voyeur mais aussi ouvre le tableau vers le monde extérieur. Il n'en continua pas moins à jouer sur l'ombre et la lumière ce qui caractérise les toiles de la maturité.

     

    A New-York, la ville où il a pratiquement vécu toute sa vie il est inspiré par John Sloan (1871-1951). C'est à partir de cette époque qu'il s'intéresse aux femmes qu'il figure nues ou peu vêtues et représentées dans des scènes quotidiennes réalistes voire intimes, un peu comme si elles ne se savaient pas observées par le peintre. Il poursuivit son étude des fenêtres en explorant les jeux sur l'ombre et la lumière et en donnant à ses toiles une connotation sensuelle par la représentation d'un rideau gonflé par le vent. A cette époque il peignit également des maisons en aquarelles. Il rencontra Jo Nivison, peintre elle-même, qu'il épouse en 1924 ; Il a alors 42 ans. Elle l'encouragea dans sa recherche picturale et l'invita à participer à une exposition à Brooklyn. La critique accueillit favorablement ses aquarelles et il commença à vendre ses toiles et à connaître le succès même si ce fut au détriment de l’œuvre de Jo. Il put enfin abandonner son activité d'illustrateur qu'il prisait peu et se consacrer à sa peinture.

     

    Ses toiles n'ont aucune connotation politique ou sociale mais il s’intéressa beaucoup aux atmosphères et aux relations humaines. Elles laissent notamment transparaître une certaine solitude et même de l'ennui mais c'était sans doute voulu. Ce qu'il recherchait en effet à travers les représentations c'était exprimer une pensée par la peinture. En réalité et compte tenu de ses propos, chacune de ses toiles est une étape dans la connaissance de lui-même. Il ne représente pas ce qu'il voit comme on a pu le dire mais il cherche à faire passer une émotion à travers la représentation. Ses toiles sont donc suggestives et l'invitation à une interprétation bien plus qu'une banale reproduction du quotidien. On peut notamment y lire une charge érotique, lui qui était si réservé, mais aussi l'absence, surtout à la fin de sa vie et bien entendu la mort ! Hopper disait volontiers qu'il lui était difficile d'exprimer une pensée par la peinture, pourtant, quand il choisit de représenter le couple, d'évoquer le mariage et les relations homme-femme, on peut aisément deviner son message. Au début, c'est l'amour qui l'emporte mais plus le temps passe plus les liens se distendent et dans le couple s'installent l'incompréhension et le silence. Cela est souligné par le choix de l'automne et du crépuscule qui ne sont pas sans rappeler les poètes symbolistes français que lui avait fait découvrir Henri. Pour figurer la solitude, le peintre représente souvent des rues, des routes ou des parc publics vides ou des personnages isolés qu'on s'attendrait plutôt à voir figurer dans une foule. Pour évoquer l'attente, il choisit souvent des femmes seules, s’inspirant sans doute des peintres hollandais et pour le voyage, il préfère les trains ou les bateaux en haute mer, les toiles vides de personnages. On peut aisément faire un parallèle avec sa vie personnelle.

     

    Jo qui fut son unique modèle féminin, même si elle s'effaça devant le talent de son mari et mit sa propre carrière entre parenthèses, joua un rôle crucial dans l'imaginaire de Hopper au point d'être sa véritable complice dans ses compositions. Sa dernière toile les représente tous les deux en habit de théâtre de la « Commedia dell'arte »(ce qui paraît anachronique le concernant) , saluant un public imaginaire ce qui évoque évidemment le départ mais aussi l'idée de mort. Il s'éteindra en 1967 à l'âge de 85 ans. Jo le suivra moins d'un an plus tard.

     

    Gail Levin (1946-2013) Universitaire, professeur d'histoire de l'art, spécialiste de la culture américaine et de la peinture de Hopper en particulier était tout à fait indiquée pour présenter ce peintre d'exception qui incarne si bien la peinture américaine et peut-être aussi la condition humaine.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES CREUX DE MAISONS

    N°740 – Avril 2014.

    LES CREUX DE MAISONS- Ernest Pérochon – Éditions du Rocher.

     

    « Les Creux de Maisons », c'était ces cabanes insalubres du bocage vendéen où se réfugiaient jusqu'au début du XX° siècle les plus pauvres, des journaliers qui n'avaient pour toute richesse que leurs bras et qui travaillaient comme des esclaves pour un salaire de misère ou qui, trop démunis, envoyaient leurs jeunes enfants mendier, souvent pieds nus, de ferme en métairie quelques quignons de pain et de la nourriture ; on les appelait les « cherche-pain ». Séverin Pâtureau a été l'un d'eux. Au début du roman, nous le voyons revenir du service militaire, quatre longues années passées sur la frontière de l'Est de la France, dans une ville de garnison. Il est maintenant un homme comme l'atteste la moustache qu’il porte fièrement puisque, à l'époque, cet épisode de la vie correspondait à un passage initiatique : quand on avait été soldat, tout devenait possible puisqu'on avait servi sa Patrie sous l'uniforme. Il se gage donc comme valet dans les environs de Bressuire et ne tarde pas à rencontrer Delphine, la fille d'un meunier qui l'aimait depuis l'enfance. Il la « fréquente » puis l'épouse. Ils s’établissent eux aussi dans un « creux de maison », lui restant valet et elle travaillant en journées, de quoi vivre heureux, rêver, faire le projet de « prendre une terre », une borderie, c'est à dire travailler pour son compte et non plus pour les autres ou peut-être partir pour les Charentes plus riches et ouvertes au machinisme agricole. Tout cela ne sont que des chimères et, à la suite d'une mauvaise querelle, tout bascule et Séverin perd sa place. Le voilà journalier. L'absence totale de contraception qui génère des familles anormalement nombreuses que les parents ne peuvent nourrir, la maladie, la raréfaction du travail font que cette famille connaît la misère, la famine puis la mort de Delphine après son sixième accouchement. Selon la tradition une grand-mère vient aider Séverin à élever ses enfants, mais cette situation nouvelle oblige l'aînée à se transformer en « cherche-pain » à son tour, au grand dam de son père. Certes les Pâtureau sont aidés par la collectivité et Séverin est dur à sa peine malgré son âge mais ils sont pauvres et le seront toute leur vie. Il se fait même braconnier pour survivre et bien entendu il se fait prendre, perd son travail et l’aînée meurt.

     

    Il s'agit d'un roman rural, si on veut l'appeler ainsi où l'auteur dépeint la vie dure d'un monde de paysans pauvres de l'ouest de la France. Dans sa préface, Pérochon indique qu'il ne veut pas se faire le chantre d'une quelconque vision idyllique et pastorale de cette vie mais, au contraire, en dépeindre la rudesse. Pérochon se fait le témoin de ce temps heureusement révolu où les foires n'étaient pas seulement destinées aux transactions commerciales mais servaient aussi à rencontrer son futur conjoint, où la messe était incontournable. Il parle des coiffes, des coutumes, mêlant le patois aux descriptions poétiques de la nature, dénonçant au passage les processions catholiques ou des rituels païens pour faire tomber la pluie ! A travers une galerie de portraits qui témoigne d'une attentive observation, il croque toute une société rurale, n’épargnant ni le clergé ni les maîtres ni les fermiers, campant un décor de misère, fait d'augmentation du coût de la vie, de familles exagérément nombreuses, d'exode rural...

     

    Ce roman paraît en 1912 en feuilleton dans « L’Humanité » puis aux frais de l'auteur l'année suivante. Ernest Pérochon [1885-1942] est alors instituteur dans le nord des Deux-Sèvres. Après sa mobilisation en 1914, il obtint le Prix Goncourt en 1920 pour son roman « Nêne » (paru en 1914), de la même inspiration, grâce au soutien actif de Gaston Chérau [1872-1937] journaliste et écrivain, deux-sévrien comme lui. C'est bien sûr son œuvre la plus connue mais, à mon avis et sans bien entendu dévaluer en rien les mérites de « Nêne », Pérochon eût mérité ce prix pour « Les Creux de Maisons ». Ce fut le départ de son abondante production romanesque mais il est également l'auteur de poèmes, de contes pour enfants et même de romans de science-fiction. Il devint ensuite un homme de Lettres reconnu jusqu'à sa mort en 1942, victime de brimades de la part du régime de Vichy qu'il refusait de servir. Son œuvre fut quelque peu oubliée jusqu'en 1985 où l'on célébra le centenaire de sa naissance, date à partir de laquelle ses romans furent réédités et sa mémoire entretenue par des conférences et des expositions. Il est actuellement célébré à la hauteur de son talent et ce n'est que justice pour cet écrivain injustement oublié pendant si longtemps.

     

    J'ai très tôt connu le nom d'Ernest Pérochon, mais pas son œuvre. En effet, avec Pierre Loti et Anatole France, il était l'auteur des dictées qui à l'époque étaient le quotidien de l'école primaire. C'était pour moi une épreuve redoutée qui ne fut cependant pas une invitation à découvrir ses romans, découverte qui ne vint que bien plus tard. Je l'apprécie maintenant comme un serviteur de notre belle langue française.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • HOPPER – Peindre l'attente

    N°739 – Avril 2014.

    HOPPER – Peindre l'attente- Emmanuel Pernoud – Citadelles et Mazenod.

    L’impression générale que peut avoir un non-initié à la vue des toiles d'Hopper est effectivement l'attente. En douze chapitres d'un livre richement documenté, illustré et pédagogique, l'auteur s'attache à montrer cet aspect de l’œuvre du peintre américain autant que les influences extérieures dont ses toiles se sont enrichies (Impressionnistes français, cubistes, peintres hollandais du XVII°, poètes symbolistes français, Proust...) ainsi que son empreinte sur les autres artistes, à la fois dans le domaine de la littérature et du cinéma. Il montre aussi tout le paradoxe de cette œuvre qui va à rebours de son temps.

    Ce qui frappe d'abord chez Hopper, c'est le regard de ses personnages, leurs yeux sont vides, dirigés le plus souvent vers une sorte d'infini, baignés par une absence d'eux-mêmes. C'est un peu la solitude qu'on lit dans leur immobilité, car ce sont bien des êtres dénués de tout mouvement qu'il nous donne à voir. Cet aspect statique dénote comme un désintérêt du monde extérieur, un espoir d'autre chose qu'ils ne voient pas ou qu'ils imaginent. On sent en eux une sorte de vacuité ou peut-être de doute qui génère une mélancolie qui devait bien être aussi celle du peintre. Ils sont passifs face au décor qui se déroule devant eux et auquel ils sont étrangers. Ils ne bougent pas mais cette absence de mouvement peut signifier qu'ils sont à l'écart de tout changement. Ils sont comme résignés, capables d'attendre indéfiniment quelque chose qui ne viendra peut-être pas. Ils regardent souvent par une fenêtre et se perdent au loin, le ciel étant alternativement noir ou bleu, couleur qui suffit à caractériser leur état d'esprit, leur degré d'espérance. Généralement ils gardent le silence et quand ils parlent entre eux, le spectateur à l'impression que leur dialogue est suspendu de même d'ailleurs que leurs gestes, comme s'il existait entre eux une sorte d'incompréhension, un impossible dialogue. C'est là un paradoxe puisque Hopper qui vit principalement à New-York où tout est mouvement  peint des villes et des rues généralement vides de voitures, de gens et même d'enfants. Lui, choisit tout autant de représenter des immeubles à l'architecture victorienne mais néglige les gratte-ciel alors que nombre de ses contemporains, peintres ou écrivains feront le choix d'une représentation plus contemporaine, du tumulte et du bruit. Dans ce décor figé, l'auteur veut voir un parti-pris d'attente et on retrouve cette idée autant dans la façade des immeubles que dans la fixité du regard des gens et, de la peinture de Hopper, pourtant réaliste, la vie ne ressort pas.

    Le spectateur est placé dans la position indiscrète d'un voyeur et l'artiste excelle à montrer des scènes de la vie conjugale, dans le huis-clos d'une chambre mais ce qu'il donne à voir n'a rien d'érotique, au contraire, c'est l'ennui, l'indifférence, le silence, l'absence de communication, le spleen qui ressortent de ces toiles. C'est l'image d'un échec qui fut sans doute aussi le sien, son mariage n'ayant pas été des plus heureux et surtout sans descendance. Le lit est souvent représenté défait et vide ce qui est le symbole de l'isolement, de l'intimité non-partagée et les femmes parfois dénudées ou peu vêtues semblent attendre désespérément un amant qui ne viendra pas les rejoindre. C'est un peu comme si elles étaient vivantes mais presque déjà mortes, si elles attendaient un amour impossible ! Les derniers tableaux insistent peut-être sur cette idée quand ils montrent des pièces vides qui sont un peu comme des boites peintes où il est difficile de communiquer.!

    Les personnages de Hopper (souvent des femmes) sont en train de lire des lettres ou des livres ce qui n'est pas sans rappeler l'influence de Vermeer mais cela accentue cette notion de solitude et d'attente, de désœuvrement, de désintérêt pour le monde extérieur et les lieux représentés sont souvent de transition (halls d’hôtel, gares, compartiments, bureaux, chambres) et impliquent l'expectative d'autant que ces personnages sont immobiles et regardent souvent par une fenêtre d'où on aperçoit à peine le ciel, comme s'ils étaient prisonniers et donc en espérance d'une libération, comme s'ils n’occupaient l'espace que temporairement. D'une manière générale les toiles de Hopper sont tristes, qu'elles représentent des couples, des être seuls ou des paysages. Les femmes semblent avoir sa préférence mais elles portent rarement de maquillage, le peintre restant puritain à l'image de ses contemporains. Quand il choisit de représenter les cafétérias, les cafés, il y introduit parfois la prostituée comme celles qu'il a vues lors de son séjour à Paris. Là aussi l'attente existe et peut être orpheline... mais c'est celle du client ! Les autres individus représentés sont souvent soit des femmes seules, soit des couples qui paradoxalement semblent absents. Ils paraissent espérer quelque chose sans que nous sachions très bien quoi. Leur attitude veut peut-être signifier un échec sentimental ou sexuel qui fut peut-être celui du peintre lui-même.

    Un autre aspect de la représentation de Hopper est donnée par les bancs des parcs publics. Ils sont souvent déserts et illustrent ainsi à la fois l'attente et l'ennui. Cette vacuité dans les paysages s'étend aussi aux rues américaines ce qui est un paradoxe puisque l’Amérique est mouvement. Le siège lui-même est le symbole de l’attente et quand quelqu'un est assis, il y est comme vissé, immobile, figé, en contemplation de l'horizon ou du vide. S'il y a peu de statues chez Hopper, les êtres qu'il représente en ont souvent l’apparence.

    Cette inactivité se retrouve dans la représentation des travailleurs. Là aussi c'est l'inaction, le chômage consécutifs à la crise de 1930 (il commence à être connu à partir de cette époque). Il pratique donc l'art social qui pour lui est réaliste. Quand il peint des travailleurs, il préfère figurer la pause, le temps de repos plutôt que l'acte de travail qui est mouvement. Pourtant, il faut noter qu'il a été illustrateur de presse et que, dans ce domaine seulement il a changé de registre et représenté exceptionnellement le mouvement, mais pour des raison professionnelles. Cependant en tant que peintre il montre la vie ordinaire, donne à voir assez peu d'usines et ignore le Taylorisme. Sa peinture est réaliste mais il en gomme cependant la vie comme pour figurer le souhait de quelque chose. Il préfère les bureaux, les restaurants, les cafés, mais des travailleurs qu'il représente sont dans l’expectative, dans une sorte de passivité, ils sont comme pétrifiés, acceptant leur sort, leurs gestes sont suspendus, leur regard est vide, un peu comme une photographie, une image fixe. C'est sans doute pour cela qu'on a parlé d'anachronisme chez Hopper.

    Cet aspect statique des corps se retrouve également dans le sport. Il représente l'athlète non pas en plein effort mais au repos. Quand il choisit le théâtre c'est moins le spectacle que la salle d'attente (endroit d'événements potentiels) qu'il peint et s'il choisit quand même la salle de spectacle, le rideau symbolise chez lui encore une fois cette attente, la frontière entre deux mondes, entre deux temps. Lorsque c'est une scène de strip-tease qu'il peint, c'est le puritain qui ressort en lui et il réussit à faire passer chez le spectateur...une absence de désir ! Puritain encore quand il donne à voir des rues : elles sont vides et sabbatiques puisqu'il les choisit lors du dimanche protestant quand chacun est à l'office ou reste chez soi, c'est à dire attend. De même les voies ferrées qu'il représente semblent abandonnées et les trains sont le plus souvent à l'arrêt, les routes sont désertes et les poteaux télégraphiques sans fils, tout cela symbolise peut-être le désir du départ mais sûrement aussi l'attente que quelque chose. Même les phares sur les côtes du Maine qui peuvent trancher quelque peu dans l’œuvre de Hopper ressemblent à des guetteurs tournés vers le large, vers l'infini, donc là aussi l'idée d'ailleurs existe.

    C'est un livre qui montre une approche différente, particulière mais pertinente, de la peinture de Hopper, une invitation à la voir différemment, à la comprendre dans le contexte de son temps et la psychologie de son auteur. Un ouvrage remarquable sur un peintre également remarquable !

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ACCORDEZ-MOI CETTE VALSE

    N°738 – Avril 2014.

    ACCORDEZ-MOI CETTE VALSE- Zelda Fitzgerald- Robert Laffont.

    Traduit de l'américain par Jacqueline Remillet.

     

    Zelda (1900-1948)est l'épouse du romancier américain Scott Fitzgerald. Ce livre est son unique roman écrit en trois semaines en 1932 qui est le pendant ou peut-être une forme de réponse à « Tendre est la nuit »(La Feuille Volante n°721) mais vu par une femme au destin tragique. Il fut boudé par la critique à sa sortie mais Scott lui-même en corrigea les épreuves. Elle avait été une jeune fille séduisante mais excentrique et capricieuse, élevée avec ses sœurs dans une famille rigide mais heureuse du Sud. Elle était l'objet de l'attention des hommes qui la désiraient et dont elle se jouait à l'occasion en multipliant les flirts. En épousant Scott, ils formaient un couple mondain, emblématique de cet âge d'or de l'entre-deux-guerres. Cette union fut cependant orageuse, ponctuée par la lente décrépitude de Scott miné par l’alcool et par la folie de Zelda qui périt dans l'incendie du pavillon où elle était soignée.

     

    Il s'agit là d'un roman autobiographique où elle apparaît sous le nom d'Alabama Beggs qui épousa un jeune artiste peintre promis à un brillant avenir, David Knight, alors lieutenant de réserve. David devient rapidement célèbre et le couple s'étourdit dans des fêtes où l’alcool coule à flots. Ils s'installent à New-York où David pourra davantage s'épanouir mais à cause de la prohibition, ils partent pour la France et ce sera Paris et la côte d'Azur, ses palaces et sa douceur de vivre. La naissance de Bonnie fait d'eux un couple accompli. A cette époque Alabama rencontre un jeune aviateur français, mais ce qui est présenté comme un simple flirt révèle déjà une fêlure dans le couple et Alabama est délaissée. Ils reviennent à Paris puis David, torturé par la jalousie, s'installe en Suisse avec leur fille Bonnie et Alabama s’initie à la danse, part pour Naples et commence à prendre des tranquillisants peut-être pour combattre sa culpabilisation de s'occuper mal de sa fille, peut-être aussi pour exorciser l'échec de sa carrière de ballerine puisqu'un accident y met brutalement fin. Ce roman se termine par la mort du père d'Alabama.

     

    Tout au long de ce roman, Alabama cherche à se mettre en valeur par rapport à David qui lui devient de plus en plus un artiste célèbre. Elle choisit la danse et la travaille d'une manière effrénée pour devenir une grande ballerine mais le hasard s'en mêle et c'est un échec. C'est bien une femme blessée qui nous est présentée ici et qui cherche désespérément à combattre la célébrité de son mari en s'exprimant elle aussi par l'art. Qui fut donc réellement Zelda ? Une femme qui a vécu sa vie comme un rêve ou un être qui a poursuivi des chimères et existé dans l'ombre de son époux jusqu'à en devenir folle.

     

    J'avais lu « Alabama song » de Gilles Leroy (La Feuille Volante n° 337) qui est une entrée en matière, d'autant que l'auteur y présentait Zelda comme une sorte de victime de Scott et qui devait lutter contre lui pour exister. Le style de « Accordez-moi cette valse » est parfois déconcertant, laborieux même et m'a un peu gêné mais la post-face peut peut-être apporter une explication. Il semblerait d'ailleurs que ce texte ait été visé par Scott lui-même et que de cette correction ait donné un roman moins personnel. Ce style peu attirant veut probablement traduire un mal-être qui est celui de l'auteure. J'ai choisi de lire ce roman parce qu'il était complémentaire de celui de Scott Fitzgerald dans l'univers créatif de qui je ne suis pas jamais parvenu à entrer pleinement. Ce livre de Zelda m'a carrément déçu.

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ECUYER MIROBOLANT

    N°737 – Avril 2014.

    L'ECUYER MIROBOLANT– Jérôme Garcin – Gallimard – 2010.

    Le récit s'ouvre sur l’enterrement d'un homme, un officier de cavalerie surnommé l' « écuyer mirobolant » par le général Decarpentery. Il n'y a pas grand monde dans ce cimetière, seulement quelques frères d'armes et un cheval pour l'accompagner, mais aucun membre de sa famille.

    Avec « Bleu horizon » paru en 2013, Jérôme Garcin a choisi de faire sortir de l'anonymat Jean de la Ville de Miremont (1886-1914), poète et romancier mais aussi un obscur combattant volontaire de la Grande Guerre, mort au tout début des combats (La Feuille Volante n° 687). Ici, c'est Étienne Beudant (1863-1949), capitaine de cavalerie qui renaît sous sa plume. L'auteur dresse son portait tout en nuances et en délicatesse et rend hommage à cet homme de passion. Lui aussi c'est une sorte d'anonyme oublié de l'histoire qui pourtant de son vivant fut admiré, adulé, respecté pour ce qu'il était, un cavalier hors pair mais aussi quelqu'un qui par sa patience et son talent savait tirer le meilleur des pires rossinantes en les soustrayant aux mauvais traitements d'un charretier ou en les sauvant de la boucherie. Quand en 1914 il rêvait d'en découdre sur le sol de France, Lyautey le maintint au Maroc sous ses ordres. Fut-il cet « homme qui murmurait à l’oreille des chevaux » ou y avait-il chez lui du centaure ? Toujours est-il qu'il réussissait à soigner et à métamorphoser les bêtes les plus rétives, à leur faire exécuter presque naturellement les figures les plus compliquées là où d'autres avaient depuis longtemps jeté l'éponge. Il écrivit nombres de traités sur l'art équestre et transforma les règles du dressage apprises à Saumur. L'arme de la cavalerie était, à l'époque celle des aristocrates mais lui l'avait choisie pour le seul amour du cheval [« Beudant sonnait pauvre, Beudant résonnait triste, Beudant sentait la roture »] Pour autant cet homme, engagé volontaire dans un régiment de dragons et qui passera sa vie dans l'arme de la cavalerie, servant en France mais aussi au Maghreb, à qui on prédisait une belle carrière, s'arrêta au grade de capitaine et resta dans un relatif anonymat. C'était un solitaire, la vie militaire l'ennuyait, et à la routine des casernes et aux réceptions de garnisons il préférait la compagnie d'un cheval. Son mariage de raison et de convenance qui fit suite à son long célibat ne résista pas. Son épouse aimait les bals mondains et détestait les chevaux auxquels elle préférait l'automobile, elle le supporta en Afrique du Nord mais ne put vivre à Dax avec ce retraité bancroche au corps douloureux à force de chutes et de fractures qui était resté en esprit dans les oasis du Maroc et les sables du désert. Elle et leur fils unique l'y abandonnèrent à la solitude et à la réflexion sur le genre humain et sur la souffrance, le constat amer d'un écuyer devenu philosophe[« Dieu sait que j'en ai monté des chevaux...ils gardent toujours leur secret. J'ai passé ma vie à tenter de le percer et ce fut en vain. Toi et tes congénères on peut vous dresser mais pas vous dompter. Vous restez des énigmes pour nous, pauvres humains. »].

    Jérôme Garcin imagine la vie de cet homme dans sa retraite désormais solitaire, simplement illuminée par l'entretien et l’accomplissement de la jument « Vallerine » dont il dut cependant se séparer parce que son corps ne lui permettait plus de poursuivre sa tâche. J'ai eu plaisir à lire l'épisode des adieux du cheval et du vieux capitaine [« Au galop assis, ils s'épousèrent. Étienne ferma les yeux. Vallerine céda, onctueuse et chaloupée. Ils ne faisaient qu'un. .. Lorsque, en soufflant , Beudant mis finalement pied à terre, il caressa l'encolure de Vallerine et lui murmura à l'oreille « Je te remercie de toi ».] Il accompagna ce passage de témoin à son successeur, malgré l'arthrose qui le torturait, d'un document de 81 pages écrit en une nuit, un texte de recommandations autant qu'une lettre d'adieu et d'amour ! Il nous présente ce vieil écuyer devenu prématurément invalide resté humble face à l'animal [« Un valet en livrée d'écuyer, voilà le titre dont, à la rigueur, il voulait bien se prévaloir »] bourrelé de remords pour avoir préféré ses chevaux à sa famille [« Ma vie de cavalier a été une vie de moine cistercien, et il n'y a pas de place pour la famille au monastère »], jetant sur sa vie un regard désabusé [« Tant d'efforts pour obtenir l'équilibre parfait qui est pourtant une illusion, une telle foi dédiée à l'éphémère »] C'est un témoignage bouleversant sur une vie d'homme de l'ombre consacrée exclusivement au culte du cheval même si on peut y déceler une forme d'égoïsme. C'est aussi une réflexion sur le sens de l'existence, de la trace que chaque être humain veut laisser de son passage sur terre, quelqu'un qui prend conscience que son art disparaît petit à petit avec le temps, qu'il ne sera plus ce qu'il a été, que lui-même, après avoir été célèbre par son génie s'efface peu à peu, qu'il se raccroche à ses souvenirs, que sa vie s'en va ...

    Si l'armée lui permit de vivre pleinement sa passion, ce qui lui valut les remontrances de sa hiérarchie et sans doute aussi des retards dans son avancement, il n'en fut pas moins habité par le doute et il la quitta temporairement pour connaître les grands espaces des États-Unis, y rencontra Buffalo Bill et Calamity Jane mais cette sorte d'incartade sabbatique fut bien entendu toujours placée sous l'égide du cheval. Au Maroc, Il croisa Lyautey qui vit sans doute en lui son double [« En vous et moi... il y a plus d'âme arabe que d'esprit colon. On doit sans doute cela aux chevaux. Ils m'ont appris à n'être jamais arrogant ni méprisant ». « Il m'arrive de vous regarder comme on fixe un miroir. Je me juge dans vos yeux. Parfois ils me renvoient une méchante image de moi » ], ce qui le rapprocha sans la moindre flagornerie de son chef.

    Je ne suis malheureusement pas, comme Jérôme Garcin, versé dans l'art équestre mais les mots rares, précis qui deviennent précieux sonnent bien à mon oreille et j'ai apprécié ce vocabulaire technique où j'ai trouvé de la poésie, comme d'ailleurs dans les évocations et les descriptions qui émaillent ce texte. J'ai aussi goûté, dans l'exemple d’Étienne Beudant les conseils de patience et de respect pour l'animal. C'est un livre émouvant et plein de sensibilité et l'auteur qui est aussi journaliste, écrivain et passionné de cheval ne pouvait passer à côté d'un tel parcours. J'ai retrouvé avec plaisir cet auteur qui n'est pas un étranger pour cette revue et comme toujours j'ai apprécié son style fluide, précis et agréable à lire.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DOLCE VITA 1959-1979

    N°565 Avril 2012

    DOLCE VITA 1959-1979 Simonetta GREGGIO. Stock

    Le titre d'abord qui évoque un film mythique de Frederico Fellini sorti en 1960 dont on ne retient que le bain nocturne de Marcello Mastroianni et d'Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi à Rome. Ce film qui rompt avec la tristesse et la pauvreté cinématographiques des années d'après-guerre, fit scandale dans cette Italie puritaine et l'Osservatore Romano menaça d'excommunication tous les spectateurs mais il obtint cependant la palme d'or à Cannes en 1960. Il parle de ce pays dans les années 50 et inaugure une écriture cinématographique   « fellinienne », faite de sketchs très en vogue à l’époque. Le synopsis est en effet composé d’épisodes, en apparence décousus, que sa longueur (2H46), le nombre des thèmes abordés et l'ambiance qu'il distille contribuent, à tort, à donner cette impression.

    Ce roman fait non seulement beaucoup d'allusions au film mais lui emprunte aussi son montage puisqu'il se donne à voir, un peu comme une sorte de documentaire, racontant vingt ans de l'histoire de l'Italie. Cela commence par la sortie du film de Fellini et se termine par l'assassinat d'Aldo Moro, président de la   Démocratie Chrétienne, en mai 1978 même si on déborde un peu sur cette période). Entre ces deux dates, l'auteur mêle fiction et réalité à travers le personnage flamboyant mais un peu décati du prince Emanuele Falfonda dit   Malo  , vieux et jouisseur octogénaire au pas de la mort et de celui, un peu plus en retrait du prêtre Saverio, un jésuite à la jeunesse mouvementée qui conte, des années plus tard, son histoire un peu comme une confession. Pourtant,   Malo, qui a a participé au film de Fellini (mais juste un petit rôle, presque de la figuration),  ne cherche pas l'absolution, peut-être veut-il seulement la libération que lui procure la parole puisqu'il ne connaît pas le remords et exècre le repentir ? Cela peut passer pour un sourd combat du vice contre la vertu mais ce que veut Malo c'est surtout raconter sa vie dissolue, ses frasques, autant que révéler des secrets politiques dont il a été le témoin. La mort sera pour lui une délivrance mais il souhaite ardemment la compagnie de l’ecclésiastique pour ses derniers instants...

    Pourtant, c'est moins son parcours personnel qui est ici évoqué que l'histoire de l'Italie, à la fois insouciante et ravagée par la violence. Tout y passe, les fascistes de Mussolini et les no-fascistes, les affaires de mœurs, les agressions et les attentats, les scandales financiers, les luttes à mort pour le pouvoir, les Brigades rouges, le meurtre d'Aldo Moro, le monde politique, la mort mystérieuse du réalisateur Pier Paolo Pasolini, les assassinats violents et suspects où chacun peut voir l'empreinte de la Mafia, invisible, mystérieuse et toujours meurtrière, la loge P 2, la CIA, les services secrets, mais aussi les intrigues sulfureuses immorales et hypocrites du Vatican, l'ombre inquiétante du cardinal Marchinkus, les blanchiments d'argent, la mort toujours controverse de Jean Paul 1° ... sans oublier le sacro-saint secret de la confession !

    Cette histoire n'est pas exactement comme le titre le donne penser, une vie douce, à laquelle on associe volontiers ce pays qu'on voudrait romanesque. Au contraire, c'est la fois un récit plein de dépravations et de cynisme quand il s'agit de la vie de Malo et une chronique sombre où les luttes d'influence, qui bien souvent se terminent dans le sang, le disputent aux enquêtes bâclées, aux destructions de preuves par les pouvoirs publics eux-mêmes, aux coups dtat avortés, aux procès truqués, une classe politique manipulée, véreuse, minée par la corruption, aux prévarications de tous ordres ... Tout cela donne, et sans doute explique, le personnage grand-guignolesque de Silvio Berlusconi, autant que le naufrage économique que connaît actuellement ce pays-frère qui ne peut nous laisser indifférents.

    L'auteur qui écrit directement en français, se livre ici à un remarquable travail documentaire autant qu' l’écriture d'une fiction dont la poésie n'est pas absente. Elle procède par petites touches pour tisser peu à peu ce roman bien écrit, qui se lit facilement, et, avec ses relents de scandale, passionnant du début à la fin. Elle présente son travail de dépouillement d'archives et de créateur de fiction en courts chapitres qui ne sont pas le résultat d'une enquête policière, même si on peut parfois regretter que certains d'entre eux aient la froideur d'une chronique judiciaire. Elle se rapproprie ce pays qui est aussi le sien, y jette un regard plein de tristesse et de nostalgie comme on évoque un âge d'or culturel disparu, fait notamment de grands noms du cinéma et de la la littérature mais aussi en déplore la déliquescence, un véritable gâchis où on a sciemment sacrifié l'espoir légitime dans un monde meilleur et confisqué la démocratie au profit de quelques-uns qui ne seront jamais inquiétés. L'auteur fait dire un de ses personnages cette phrases laconique qui résume bien tout cela   « Nous avons cru que nous allions changer le monde , et c'est le monde qui nous a changés. »

    Ce fut un bon moment de lecture avec un plaisir particulier et tout personnel de l'insertion dans les phrases et les paragraphes d'expressions et de mots italiens.

    Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • 22O VOLTS

    N°588– Juillet 2012.

    22O VOLTS Joseph Incardona – Fayard Noir.

    Le roman policier, le polar comme on dit avec une certaine condescendance ou même un certain mépris, qu'on lit de préférence sur une plage ensoleillée, passe volontiers pour de la sous-littérature. Je ne partage pas cette analyse puisque, mon improbable lecteur peut en attester, cette feuille consacre volontiers nombre de chroniques à ce genre littéraire. J'ai peut-être eu de la chance mais celui-ci m'a surpris. Si on en juge par la 4° de couverture comme par le nom de la collection (Fayard Noir), on peut le ranger dans cette catégorie. L'auteur met en scène Ramon Hill, la quarantaine satisfaite, qui après des années de vaches maigres, est maintenant un auteur à succès. Il en a d’ailleurs tous les signes extérieurs et connaît maintenant un bonheur sans ombre : belle maison, grosse voiture, éditeur attentif à tout ce qu'il écrit, agent littéraire, argent facile, beaux enfants, et surtout une femme qu'il aime à la folie et dont il ne peut pas se passer...

    Ce roman s'ouvre sur une période de sécheresse toujours redoutée par l'écrivain. Ramon peine à terminer son dernier roman et son épouse, Margot, une journaliste très en vue, pense qu'un séjour en amoureux dans le chalet de de ses parents peut enlever à son mari cette anxiété passagère, d'autant que son éditeur s'impatiente. Après tout l'air de la montagne leur fera du bien à tous les deux et favorisera sûrement l'inspiration de son mari ! Je me suis dit au début que cela allait être une sorte de développement sur la panne créatrice, sur le défi de la page blanche, sur l'impossibilité d'écrire autre chose que des banalités décevantes face à l'urgence. C'est là un débat éternel et intéressant mais quelque peu rébarbatif pour les non-initiés. Et puis faire tout un livre là-dessus n'est pas vraiment du domaine du polar.

    Oui mais voilà, le hasard d'un lavabo bouché, un roman d'un autre auteur retrouvé dans cette maison où à priori il n'a rien à y faire, une réparation électrique hasardeuse qui provoque un malaise de Ramon (d'où le titre du livre) et surtout une absence un peu prolongée pour des raisons professionnelles de Margot, vont faire basculer cette situation. Un matin, il se réveille auprès du corps de sa femme, morte ! Il se soupçonne d'être l'auteur de cet acte... dans son sommeil ! A moins que ce ne soit une réaction longtemps refoulée, allez savoir ! Si cette électrocution sans gravité réveille chez lui une boulimie d'écriture, ce qui est plutôt bien pour lui puisqu’il achève enfin son roman, elle n'en suscite pas moins à la fois un vieux souvenir d'enfance, une pulsion irrésistible et surtout des doutes puisque cette solitude temporaire l'a amené à réfléchir sur l'attitude de Margot. Certes, il l'aime passionnément, il a avec elle des relations érotiques torrides, bref, elle est la femme de sa vie, la compagne des mauvais jours, la mère de ses enfants... mais il reste un écrivain, c'est à dire quelqu'un qui observe l'espèce humaine, en connaît les grandeurs mais surtout les bassesses, les compromissions, les trahisons. Il sait que, même s'il en fait partie, elle est infréquentable et que les serments d'amour ne pèsent pas bien lourds face à la turpitude que nous portons tous en nous. Bien évidemment au début il tente de se faire une raison, de chasser toutes ces idées noires de son esprit mais plus il réfléchit plus les évidences se dressent devant lui. Ce n'est plus de l'imagination, c'est carrément des certitudes ! Et puis il est en présence du cadavre de sa femme et il va, bien évidemment, être soupçonné de ce meurtre. Il n'a pas trop de toute son expérience de romancier pour éliminer le corps, brouiller les pistes même si au passage il devient effectivement un authentique criminel et approche à peu près le « crime parfait ».

    Bien sûr il devra faire face à la police, à ce jeune lieutenant méfiant, à son beau-père qui ne l'a jamais aimé, le traite volontiers « d'écrivain de salles d'attente » et qui laisse éclater sa colère, à ce paysan matois et pas si naïf que cela et à tous ceux avec qui il était proche. Il aura le fin mot de tout cela, réglera ses comptes, récupérera ses enfants et reprendra le cours aussi normal que possible de sa vie, digérera cette trahison d'autant plus inacceptable qu'elle reposait aussi sur un mensonge supplémentaire, finira par se dire qu'il s'était trompé avant de l'avoir été, que l'amour l'avait rendu aveugle au point de n'avoir rien vu (air connu), qu'il vaut mieux vivre seul que mal accompagné (air connu également), qu'il va retrouver sa liberté et peut-être refaire sa vie, que son parcours littéraire sera, le lecteur peut à son tour l’imaginer, plein de succès … Contrairement aux dernières lignes de la 4° de couverture, je ne suis pas sûr que cette histoire d'amour se termine si mal, finalement.

    J'avoue bien volontiers que j'ai pris ce livre au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque sans rien connaître de cet auteur, et que, même si j'ai peu prisé le style très « polar » de ce roman, j'ai été tenu en haleine jusqu'à la fin. En définitive, je ne regrette pas.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE CIMETIERE DES BATEAUX SANS NOM

    N°735 – Mars 2014.

    LE CIMETIERE DES BATEAUX SANS NOM – Arturo Pérez-Reverte – Le SEUIL.

    Traduit de l'espagnol par François Maspero

    Coy, trente huit ans, ancien officier en second de la marine marchande, suspendu pour 2 ans à cause d'une erreur de navigation, erre dans Barcelone. Le voilà « sac à terre » malgré lui, marin sans navire, l’inaction le mine et il est à la recherche de n'importe quel travail pour survivre. Il est même un peu perdu à terre et règle sa vie à coup de lois pittoresques et sibyllines du genre LRDRH (Loi des rencontres qui ne doivent rien au hasard) Parce qu'il aimait les ventes aux enchères d'objets nautiques, il se retrouve dans un hôtel des ventes à Barcelone et y croise une femme belle et énigmatique, Tanger Soto, qui enchérit pour obtenir un vieil atlas maritime. Il tombe sous son charme et va jusqu'à Madrid pour la retrouver. Rien ne se passe comme prévu malgré tous ses fantasmes amoureux, il ne la séduit pas, enfin pas tout de suite mais se trouve engagé dans une quête que la jeune femme mène depuis longtemps. Il s'agit de retrouver la trace d'un brigantin, le « Dei Gloria », coulé en 1767 au sud de l'Espagne. Cela tombe plutôt bien puisqu'il connaît la navigation et qu'il a plongé, quelque vingt ans plus tôt sur cette côte. Cette jeune femme sait aussi que la recherche des herpes marines commence par la fréquentation des musées, des bibliothèques et par l'étude minutieuse des archives. Coy imagine une chasse au trésor d'autant plus facilement que cette épave semble intéresser nombre d'individus pas toujours recommandables auxquels il se trouve confronté et ces rencontres ne doivent effectivement rien au hasard. Il s'aperçoit très vite que cette course poursuite est pleine de dangers mais le charme de Tanger, l'attrait de l'inconnu et la fièvre de la recherche sont les plus forts.

    Il songe bien sûr à un trésor mais il ne tarde pas à apprendre que la cargaison du navire n'était composée que de coton, de tabac et de sucre, rien qui supporte vraiment un séjour dans l'eau de mer de deux siècles et demi ! C'est plutôt un mystère qui entoure cette épave, quelque chose qui ressemble à une fièvre de l'or qui gagne peu à peu Tanger et Coy. Ce qui intrigue le plus, et évidemment complique la recherche, c'est son itinéraire (parti d'Espagne, il est allé en Cuba puis, au retour, a été coulé au large de Cadix par un corsaire), le fait qu'il appartienne en réalité aux jésuites qui ont ensuite été expulsés d'Espagne par Charles III et que le manifeste d'embarquement retrouvé aux archives mentionne la présence à bord de deux passagers en indiquant seulement leurs initiales. Pour être des hommes d’Église dédiés à la prière et à l'évangélisation, ils étaient aussi des hommes d'affaires avisés et parfaitement capables de défendre par la corruption la survie de leur ordre mais aussi des hommes de secret. Le narrateur qui est aussi cartographe donne son avis sur le positionnement du navire naufragé : il est à la fois logique et original. Il ne fait pas non plus de doute dans l'esprit de Tanger que la disparition de ce bâtiment est intimement lié à l'expulsion des jésuites d'Espagne. Elle possède un esprit à la fois intuitif et logique. Comme rien n'est simple, il faut, pour déterminer avec exactitude le lieu du naufrage, tenir compte des nombreux méridiens de référence au XVIII° siècle qui permettaient de faire le point, des différentes cartes en usage à l'époque, des des courants marins... C'est là que l'atlas acheté à Barcelone prend toute son importance. Il faut aussi s'intéresser au corsaire qui l'a coulé, le « Chergui » et qui sombra aussi lors de ce combat naval. Là non plus ce fait ne semble pas laisser une grade place au hasard et ce d'autant plus que les mystères se multiplient et que le lecteur attentif n'est pas au bout de ses surprises ! C’est que, une fois sur place, l'affaire est hasardeuse et surtout risquée compte tenu des autres intéressés, de leur manque de scrupules et surtout que l'épave n'est pas au rendez-vous. Tanger dépend maintenant de Coy et du Pilote, véritable techniciens de l'expédition mais l'échec omniprésent continue de hanter les esprits et des surprises sont toujours possibles !

    Sur ce récit plane la beauté fascinante de cette femme, le dévouement de Coy, d'autant plus grand qu'il est nourri par ses propres fantasmes amoureux et sa patience [« Je veux compter ses taches de rousseur...Elle en a des milliers et je veux les compter toutes une à une en le parcourant du doigt comme si c'était une carte marine. »] pour ne pas dire son attachement aveugle. Elle se sert de lui mais il ne s'en rend pas compte ou plutôt se met volontairement à sa disposition, négligeant à l'occasion ses propres intérêts, aveuglé qu'il est par cette jeune femme. Le mystère s’épaissit pour le lecteur au fur et à mesure qu'il tourne les pages et c'est un peu le hasard, encore lui, qui gouverne cette affaire puisque ce qui n'était au départ qu'un travail universitaire de Tanger suivi d'un concours pour entrer au Musée Naval de Madrid et d'une rencontre dans ce contexte avec un chasseur d'épaves pour que cela devienne pour la jeune femme « le rêve de toute une vie » et, malgré la législation en vigueur, elle considère que ce bateau lui appartient. Tout au long de ce roman Tanger apparaît froide, déterminée, uniquement préoccupée par son but alors que Coy n'a d'yeux que pour elle. Elle applique cette maxime en forme d’aphorisme, « Je te mentirai et je te trahirai », bien connue et bien souvent oubliée qui gouverne les relations entre les hommes (et aussi les femmes) mais avoue à Coy «  J'ai peur de mourir dans le noir, seule » . C'est une partie de poker-menteur entre Tanger et Palermo  autour de cette épave puisque chacun possède des atouts et fait croire à l'autre qu'il en a davantage. C'est aussi un rapport de force entre Tanger qui ne veut pas lâcher son idée et le pauvre Coy parfois un peu trop impulsif et prompt à la bagarre surtout quand il s'agit d'elle. Surtout que lui et le Pilote doutent de plus en plus. En effet, les rebondissements ne manquent pas dans cette quête un peu folle pas davantage d'ailleurs que la galerie de portraits assez pittoresques qui nous est offerte.

    Arturo Perez Reverte n'est pas un inconnu pour cette chronique (La Feuille Volante n° 384-385-387-390) Cette fois, j'avoue que j'ai été un peu perdu dans les détails techniques de la navigation mais, comme toujours, je salue ici l'érudition de l'auteur, notamment en matière de langage maritime ; son travail d'historien et d'archiviste autant que son style (servi sans doute par une bonne et fidèle traduction), son sens du suspense tiennent en haleine son lecteur jusqu'à la fin. Le récit réserve des descriptions poétiques et émouvantes, des évocations dramatiques qui consacrent une nouvelle fois (en était-il besoin?) le talent exceptionnel de cet écrivain.

    Comme toujours cela a été pour moi un bon moment de lecture.

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    ©Hervé GAUTIER – Mars 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • AU REVOIR LA-HAUT

    N°734 – Mars 2014.

    AU REVOIR LA-HAUT– Pierre Lemaître – Albin Michel.

    Prix Goncourt 2013.

     

    « Alors au revoir, au revoir là-haut, ma Cécile, dans longtemps » Telles sont les dernières paroles du soldat Albert Maillard qui, au fond d'un trou d'obus va mourir. Elles font écho à l'exergue en tête du roman et lui donnent son titre.

     

    La trame de cette fiction, car c'en est une, est finalement une suite de rencontres comme le hasard nous e réserve parfois dans la vraie vie. Ici, c'est la Grande Guerre qui favorise celle du 2° classe Albert Maillard qui frôle la mort par ensevelissement dans un trou d’obus et le soldat Édouard Péricourt qui lui sauve la vie au péril de la sienne. Ils sortiront de ce conflit pas mal cabossés, surtout Édouard, mais vivants et unis par un lien amical solide. Si Albert n'est rien qu'un simple salarié, un homme du peuple, son camarade est le fils un peu délaissé parce que trop artiste et efféminé du banquier bien connu qui a fait sa fortune sur les crises successives. Il a eu la mâchoire arrachée refuse la greffe et le retour dans sa famille et naturellement c'est Albert qui qui va s'occuper de cet homme défiguré, tenté un temps par la mort et dont il ignore tout. Il va subvenir à ses besoins et le ramener à la vie. Son état est si désastreux qu'il va même jusqu'à le faire mourir, mais fictivement, en intervertissant son livret militaire avec celui d'un « poilu » mort : officiellement il devient donc Eugène Larivière. Albert, à qui la guerre a tout pris, son emploi, sa femme parti avec un autre, ses illusions, s'occupe dans la vie civile quotidienne à la quelle ils ont été rendus, de cette « gueule cassée » qui maintenant est dépendant à la drogue qui apaise ses souffrances. Édouard-Eugène qui refuse toujours de revenir dans sa famille où sa mort est presque passée inaperçue, sauf peut-être pour Madeleine sa sœur, ne peut rien attendre de l’État au titre des soins puisqu’il est officiellement mort. Il se contente de porter des masques qui cachent son image insoutenable et de rester cloîtré.

     

    Rencontre encore quand le capitaine d'Aulnay-Pradelle, noblaillon « fin de race », prêt à tout pour se faire valoir et parfois même à tuer y compris ses propres soldats mais surtout désargenté, va croiser la route de Madeleine Péricourt venue chercher le corps de son frère. Il l'épousera pour redorer son blason et son patrimoine, la trompera et son mariage partira à vau-l'eau. La libération fera de lui un affairiste inhumain et méprisant pour ses semblables qui se jettera dans des transactions douteuses. La République qui avait si bien su mener ses enfants à la boucherie va oublier les survivants et s'occuper des morts puisqu'il faut bien célébrer la victoire et surtout préserver les apparences. C'est là que Pradelle intervient puisque, maintenant introduit par son mariage dans la société dirigeante, va monter une société qui sera chargée, par adjudication, d'exhumer les soldats morts des champs de bataille et de les inhumer dans de grandes nécropoles. L'affaire faite de trucages des marchés publics, de malfaçons, de vols et de corruption tournera court et Pradelle, lâché par tous mourra seul et ruiné.

     

    De son côté, Albert qui a à sa charge Édouard survit comme il peut avec peu de ressources. On ne donne pas cher de leur avenir à tous les deux quand ledit Édouard a une idée de génie. Lui qui a un don pour le dessin décide de l'exploiter quand l’État incite les communes de France à honorer leurs enfants en érigeant un « monument aux morts ». Partant du principe que plus un mensonge est gros plus il prend, notre dessinateur va, sans sortir de chez lui, monter une arnaque baptisée du nom ronflant de « Souvenir Patriotique » qui fait appel aux subventions publiques d'ailleurs maigres mais surtout à la souscription. C'est, certes, escroquer les petites gens qui avaient perdu un proche à la guerre et donc une insulte aux morts mais pour eux, c'est une revanche. L'affaire réussit bien au-delà de leurs espérances et pour eux un départ sous d'autres cieux plus cléments pour les délinquants est maintenant inévitable. Là non plus tout ne se passera pas comme prévu et le scandale éclatera.

     

    Parce que la morale doit toujours être sauve, le père Péricourt, maintenant bourrelé de remords à cause de la disparition de son fils à côté de qui il est passé délibérément avant ce drame, y laissera quelque argent et sûrement davantage, Pradelle retrouvera une place qu'il n'aurait jamais dû quitter et nos deux acolytes ne profiteront pas vraiment de cette fortune mal acquise.

     

    J'ai lu ce roman jusqu'à la fin avec passion autant pour connaître l'épilogue que pour le plaisir de lire le texte. Ce n'est pourtant pas à cause du style fort peu académique mais peu importe. J'avoue que j'ai volontiers goûté l'humour subtil des phrases, la manière à la fois caustique et fluide avec laquelle Pierre Lemaître s'exprime [j'ai même parfois souri à certains bons mots bien que le sujet ne s'y prête pas vraiment]. Je ne l'ai pas fait non plus à cause de l'attribution de ce prix prestigieux. J'ai déjà déploré maintes fois dans cette chronique qu'il ait été attribué à des romans qui ne le méritaient pas ; Je l'ai pourtant lu avec gourmandise à cause de l'histoire pleine de suspense, de l'étude psychologique des personnages qui s'accompagne d'un réel sens de la formule et du culte du détail. C'est une authentique évocation de l’espèce humaine qui n'est ni respectable ni fréquentable mais à laquelle nous appartenons tous. Ce qui a aussi retenu mon attention c'est sans doute le montage de cette arnaque, certes fictive mais quand même géniale autour des débris de cette guerre qu'on a baptisée Grande (avec une majuscule) et que l’État voulait vite oublier comme il voulait oublier ceux qui l'avait faite, vivants ou morts. On avait su les trouver, les forcer à se battre, à vivre dans des conditions inhumaines, à mourir « Pour la Patrie », on saurait bien les abandonner (comme toujours) malgré toutes les déclarations lénifiantes et patriotiques des hommes politiques et les commémorations hypocrites ! Et ceux qui étaient décidés à profiter des commandes de l’État autour du transfert des morts ne manquaient pas. J'y ai lu aussi l'histoire d'une amitié entre deux anciens combattants devenus frères d'armes un peu par hasard, à la fois inventif et flamboyant pour Édouard et maladivement inquiet pour Albert aussi dissemblables l'un de l'autre par leur vie, leur classe sociale, leur culture. Leur expérience du champ de bataille les a définitivement unis, eux qui appartiennent à cette génération délibérément sacrifiée sur l'autel de la Patrie.

     

    Je ne connaissais pas Pierre Lemaître avant ce roman réellement captivant qui fut pour moi un grand moment de lecture. Je crois bien que je vais continuer à explorer son œuvre.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com