la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Le Zubial

    N°927– Juin 2015

     

    Le Zubial - Alexandre Jardin - Gallimard.

     

    Alexandre Jardin poursuit son travail autobiographique. Ce nom bizarre, ce sobriquet, c'est celui de Pascal Jardin, donné par ses enfants. « C'était son nom de père comme d'autres ont un nom de scène »[nous ne saurons cependant pas la véritable signification, le sens caché de cette appellation familiale, mais après tout peu importe].

     

    Sous la plume de son fils, Alexandre, il prend la dimension non de la statue de commandeur qui aurait tout aussi bien pu être la sienne mais au contraire la figure tutélaire d'un extravagant au sens plein du terme, familier de la démesure, du bizarre, de l'insensé. Pour nous en convaincre, l'auteur énumère force exemples où ce père de famille joue sa vie, et celle des siens, sur un coup de tête devant une table de casino, en conduisant à 140 à l'heure sur une route départementale les yeux fermés ou devant une femme qu’il entend conquérir. Ce fut, semble-t-il un amant d''exception et sans doute bien au-dessus de tout ce que le monde peut compter de Don Juan et de Casanova puisque, 16 ans après sa mort et chaque année, la plupart de ses anciennes maîtresses se réunissaient, autour de son épouse pour une messe en sa mémoire dans une église parisienne ou cette main anonyme qui, chaque année, à la date anniversaire de sa mort, fleurit sa tombe. C'est l'apanage de ceux qui ont fait rêver les vivants (les vivantes) que de pouvoir le faire même après leur mort ! Il avait en effet une attirance pour les femmes, celles des autres en particulier, mais aussi la sienne qui lui donna quatre héritiers. Il la trompa certes abondamment mais ne la quitta jamais et, selon Alexandre, elle ne fut pas non plus en reste mais demeura à ses côtés parce qu’elle avait sans doute compris la vraie nature de cet homme et eu le tact de en pas s'en offusquer. La liberté qu'elle réclamait pour elle était en quelque sorte la réponse de celle qu'elle lui consentait. Il voulait être cet éternel amant comme d'autres veulent rester enfants. Il était capable de faire n'importe quoi pour passer d'une maîtresse qu'il abandonnait ensuite, à une autre tout aussi inconnue parce que sa vie c'était avant tout séduire les femmes qui ne demandaient que cela. L'une d'elles croisait-elle son regard, il commettait ainsi n'importe quelle excentricité pour attirer son attention, la séduire et faire de ces instants une fête. Quant à elles, qu'elles soient riches ou modestes, aristocrates, bourgeoises, plébéiennes ou simples prostituées, cela leur laissait des souvenirs qui parfois les faisaient pleurer. Leurs larmes étaient autant d'hommage à cet homme qui ne pouvait pas laisser ceux (et surtout celles) qui le croisaient indifférents. II ne craignait pas, de son vivant, de bousculer toutes les convenances et même tous les tabous pour entrer dans le lit d'un femme, surtout si elle était mariée ou se livrer, en présence de sa famille aux pires absurdités qui eussent pu contrarier durablement son unité, son existence et sa pérennité. Si on en croit l'auteur, il avait l'art de se mettre dans des situations où l'irrationnel le disputait à l'excès ! Personnage solaire, il ne se trouvait bien qu'avec le gens qui partageaient sa nature exceptionnelle. Il est présenté en effet comme un homme qui avait la liberté chevillée au corps, comme d’ailleurs le talent qui ne s’arrêtait pas à l’écriture de romans ou de scénarios de films même si la mémoire collective n'a pas vraiment retenu son nom. Cet étonnant amoureux de la vie a voulu, comme souvent les gens de sa carrure, la consommer par les deux bouts ce qui le précipita plus vite que les autres dans l'au-delà mais aussi dans l'oubli. Il eut, comme le dit son fils « élégance de mourir jeune »(46 ans), trait d'humour qui cache mal son chagrin de son fils de l'avoir perdu à 15 ans, en pleine adolescence. Au moins cet homme eut-il la chance de ne pas se voir vieillir. Mourir jeune, même si cela bouleverse et révolte ceux qui l'aiment et lui survivent presque malgré eux, a au moins l'avantage pour le principal intéressé de le faire entrer de plain pied dans la légende familiale qui parfois déborde sur l'extérieur. Cela fige aussi définitivement les rapports père-fils parfois difficiles et ouvre largement la porte à l’imagination, aux fantasmes. Quoi d’étonnant dans ses conditions que le fils veuille marcher sur les traces de son père et la truculence de son style, dont j'ai souvent parlé dans cette chronique et qui fait, à mes yeux, l'intérêt de ses livres, en est la marque. Il tire sans doute cela de ces histoires, le plus souvent apocryphes, que Pascal leur racontait. Elles attestaient de cette imagination féconde qui fut la sienne, qui transformait la réalité la plus banale en moment d'exception, la repeignait en bleu en la semant de strass, pourvu qu'elle brille ! Pourquoi le faisait-il ? Sans doute pour être original, pour se singulariser et suivre la pente naturelle de sa personnalité qui le poussait à l'excès en tout, pour être différent des gens qui répètent à l'envi que « la vie est belle » sans être capable vraiment s'en persuader ! Elle ne l’était peut-être pas assez pour lui puisqu'il la titilla en permanence en lui donnant le corps des femmes pour décor. C'était sûrement bien autre chose qu'une simple démarche de jouisseur, peut-être une manière d'affirmer qu'on recherche quelque chose qu'on ne trouvera probablement pas mais qui assurément existe dans la complexité et dans la diversité de la vie et qu'il est urgent de la rechercher. Différer son entrée dans l'âge adulte en se lovant dans le giron chaud de l'enfance était probablement son plus urgent souci. Cette quête vaut bien la peine qu'on la mène tant il est vrai qu'elle est elle-même porteuse d'autre chose qu'on peut parfois appeler « merveilleux ». Portait-il en lui des blessures à ce point profondes qu'il ne concevait sa propre existence que comme un cautère qu'il s’appliquait lui-même chaque jour, et d'autant plus intime qu’elles étaient secrètes et qu'il éprouvait le besoin de les cacher sous le masque de l'excentricité et que seule la mort put guérir ?

     

    Pourtant c'est une lourde hérédité pour Alexandre qui paraît-il lui ressemble physiquement. Ressembler à ce père qui lui-même avait moins les gênes de son géniteur, « le nain-jaune », politicard notoire, que de sa mère, est pour Alexandre à la fois du grand art et une véritable gageure tant la fascination que son père exerce sur lui est exceptionnelle. Porte-t-il les mêmes plaies que lui ? Plus que les extravagances copiées sur lui, l'écriture de romans, avec cette verve si particulière, est sans doute la réponse à cette question. Encore que ! Comptable des facéties de son « zèbre » de père,il énumère ces faits au rythme de son entrée progressive dans la vie (J'ai 7 ans, il fait ceci, j'ai 8 ans, il fait cela…) comme d'autres évoquent les paires de claques reçues en manière d'éducation...

     

    Je sors de la lecture de ce roman émerveillé en me demandant quand même si tout cela est vrai. Il faut préciser que le Zubial lui-même avait érigé le mensonge à la hauteur d'une institution. Pourquoi pas après tout, même si la fiction et l'attachement d'Alexandre Jardin à la mémoire de son père autorisent bien quelques débordements de la réalité. J'ai lu ce roman avec une passion sans doute aussi grande que celle que l'auteur a mis à l'écrire.

     

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Autobiographie d'un amour

    N°926– Juin 2015

     

    Autobiographie d'un amour - Alexandre Jardin - Gallimard.

     

    Ceux qui font rimer amour avec toujours sont des menteurs ou des inconscients qui se réfugient dans la rêve pour exorciser leur cauchemar. N'en déplaise aux mauvais poètes amateurs de vers de mirliton, l'amour, c'est comme le reste, cela s'use et cela disparaît, surtout quand c'est consacré par le mariage. Quel que soit le parcours, le résultat est toujours le même, l'échec, qu'on camoufle parfois sous les traits des apparences, de l'hypocrisie quand tout cela ne se termine pas par l’adultère ou par la fuite ce qui n'est pas vraiment différent. Si cela ne se termine pas par le divorce, comme c'est de lus en plus le cas, on fait durer les choses et c'est souvent pour une question de convenances ou d'opportunité. Quand on se marie on est plein d'illusions et on regarde l'avenir et surtout l'autre avec des lunettes déformantes mais cette union ne tarde pas à s’effriter et sa solidité est celle d'un château de cartes dans un courant d'air. Ce n'est pas Alexandre Rivière qui dira le contraire, lui qui constate, après 7 années de vie commune et deux enfants, que son mariage va à vau-l'eau. Le fait que le couple habite les Nouvelles-Hébrides ne donne qu'une note exotique à la chose mais n'y change rien et cette région battue par le vent des cyclones et sujette aux séismes jouerait plutôt le rôle de miroir pour ce couple.

    Alexandre choisit la fuite, adoptant la traditionnelle lâcheté masculine, mais il le fait après avoir lu une manière de journal intime tenu par Jeanne, sa femme, depuis le début de leur union. Il y fait des découvertes le concernant mais constate la fidélité de cette épouse qui préfère l'écriture à la tromperie. Personnellement, et après l'avoir longtemps cru, je ne suis plus très sûr de l'effet cathartique de l'écriture et s'il suffisait de confier à la page blanche ses souffrances intimes pour en être délivré, cela se saurait. D’ailleurs Jeanne envisageait de se suicider, ce qui est aussi un abandon, mais le départ d'Alexandre l'en dissuade définitivement. Intervient, on en sait pas trop comment, Octave, le frère jumeaux d'Alexandre qui, au lieu de s'installer dans la vie de Jeanne la fuit ostensiblement au contraire, à tout le moins au début. Dans le contexte de l'absence toujours aussi mystérieuse d'Alexandre, l'auteur joue un moment sur la gémellité pour jeter le trouble dans l'esprit de Jeanne et appuie même le trait par un certain nombre de faits troublants pour la jeune femme, suscitant même de la part d'Octave une série de questions déroutantes voire indiscrètes (même si les questions indiscrètes n'existent pas et que seules les réponses le sont).

    Cela m'a semblé un peu trop facile, artificiel même, dans un contexte tropical et romanesque d'autant qu'il prête à Jeanne, femme sensuelle et désirable, restée trop longtemps seule et confrontée à l'énigme de l'abandon de son mari, cette envie d'être séduite par cet homme. Elle reste malgré tout amoureuse d'Alexandre et se sent irrésistiblement attirée par son frère qui en est la copie conforme. L'auteur donne à Octave le rôle péremptoire basé sur une compréhension un peu trop grande de la situation de sa belle-sœur (alors qu'on peut supposer qu'il l'a fort peu connue auparavant), et ce d'autant plus facilement qu'il joue sur leur ressemblance en bien des points. Sa position d'enseignant, surtout vis à vis de ses neveux, facilite les choses et on sent bien que l'auteur épuise ce thème facile, un peu trop peut-être. Il est présenté sous les traits d'un être suffisant, doctoral, pédant qui se sert apparemment de son refus de la séduction mais le lecteur n'est pas dupe de son marivaudage et attend l'épilogue qui ne saurait être différent de ce qu'il subodore. Ce jeu sur la gemellarité jette le trouble dans l'esprit de Jeanne et aussi du lecteur. Un point positif peut-être ? Grâce à lui elle s'acceptera davantage, s'aimera peut-être ? Mais est-ce vraiment Octave ?

    Jardin se laisse entraîné dans les arcanes du raisonnement, de la pédagogie, de la connaissance affichée de l'espèce humaine en générale et du couple en particulier. Je me suis un peu perdu dans les ratiocinations d'Octave-Jardin. C'est, certes pertinent mais j'ai eu un peu de mal à suivre l'auteur dans sa rhétorique. C'est sans doute dû à moi, à mon expérience (malheureuse) mais je ne suis pas très sûr qu'on puisse réellement raviver un amour perdu par de tels artifices. Pourtant, je le crois de bonne foi comme l'atteste son ultime chapitre consacré à ses « remerciements » mais je n'ai pas retrouvé dans ce roman sa verve habituelle qui me paît tant chez lui, et cela je le regrette.

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SOIE

     

    N°925– Juin 2015

     

    SOIE Alessandro Baricco – La scala.

     

    L'histoire commence en 1840 quand Baldabiou décide d'implanter à Lavilledieu une usine de filature de soie ce qui permettra à cette ville de se développer. En 1860 une épidémie de pébrine tue les vers à soie. Quelques années auparavant, cet homme avait demandé à Hervé Joncour, le fils du maire de Lavilledieu, d'aller tous les ans chercher des œufs jusqu'en Égypte et en Syrie mais à cause de cette épidémie il n'y a plus qu'une destination possible : Le Japon qui, à cette époque, est au bout du monde ou plus exactement « la fin du monde » mais où l’exportation des vers à soie est interdite. Il entre donc en contact avec Hara Kei, un homme énigmatique éperdument amoureux de sa maîtresse au charme de qui Hervé n'est évidemment pas insensible. Au vrai c'est une banale histoire d'amour, celle d'un étranger qui tombe amoureux d'une femme déjà liée à un homme, puissant qui plus est. Il accomplira au pays du soleil levant plusieurs voyages, pour les vers à soie, certes, mais pas seulement. Bien sûr cet Hervé est marié et bien sûr il va tromper cette épouse fidèle qui est restée à l'attendre en France parce qu'ils a simplement croisé le regard de cette femme d'autant plus énigmatique qu'il n'était pas forme orientale. Grâce à elle il va revivre. C'est souvent comme cela, c'est toujours le mari qui endosse ce rôle et jamais le contraire, comme si le contraire n'existait pas. Comme toujours l'amour se conjugue ici avec la mort, celle de son épouse mais aussi celle de cette maîtresse mystérieuse, auteur d'un billet. La guerre s'invite aussi dans cette histoire puisque dans ces périodes troublées, des destins se font et se défont. Quant à la richesse promise aux habitants de Lavilledieu, elle se révèle être une illusion

     

    J'ai lu ce roman (qui est plutôt une nouvelle) en italien, par goût de cette langue que je découvre petit à petit avec plaisir à travers la musique des mots, avec un peu de mal quand même. C'est pour moi une belle occasion d'approcher cette langue cousine qui m'a toujours attiré. Les mots italiens sont sensuels, poétiques, évoquent la finesse de la soie, celle de la peau des femmes, la beauté des paysages... Pourtant si la poésie a été au rendez-vous de cette lecture, l'histoire ne m'a pas passionné, elle est plutôt classique. C'est un peu une leçon sur le thème ordinaire propre à la condition humaine, une histoire d'amour impossible et la nostalgie qui va avec. Hélène, la femme d’Hervé est peut-être et même sûrement l'auteur de la lettre reçue par lui et traduite par la maquerelle, peu importe après tout. On peut vouloir être un personnage qu'on ne sera jamais et elle le lui fait savoir de cette manière en lui avouant qu'elle est aussi au courant de tout. Cette façon de le dire peut aussi être une manière de formuler son amour : c'est parfaitement humain.

     

    Le scénario est lent, parfois répétitif mais je garde dans l'oreille la musique et la poésie de la langue italienne.

     

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • JOYEUX NOEL

     

    N°924– Juin 2015

     

    JOYEUX NOEL Alexandre JardinGrasset.

     

    Après les révélations sulfureuses sur sa famille et spécialement sur son grand-père, Jean Jardin, directeur de cabinet de Pierre Laval, qui faisait l'objet d'un encensement familial mais que son petit-fils a osé démasquer (Des gens très bien, publié en 2011), l'auteur nous revient avec l'histoire d'une autre lignée, celle de Norma Diskredapl qui, encouragée par l’initiative « jardinesque », lui confie, lors d'une rencontre dans une librairie nantaise sa saga familiale personnelle. C'est l'histoire d'un « clan turbulent » nommé Diskredapl (impensable en breton) sur plusieurs générations qui s'est installé sur une île bretonne depuis le XIX° siècle mais qui est l'héritière d'une banque suisse. Un tel contexte ne pouvait échapper à la sagacité de notre auteur, familier des extravagants de tout poil. Il sera donc le témoin et le scribe de cette aventure aussi rocambolesque que fantasque. Les différentes histoires dont il se fait l'écho ne pouvaient pas ne pas influer sur lui-même puisque à la fin de son opus il va jusqu'à parler de lui, mais d'une manière plus précise que ne le font les écrivains qui d'ordinaire se cachent sous un masque. On peut même penser que ce parcours dans la vie des autres l'a carrément bouleversé puisqu'il se met à parler de ses revenus, à publier sa feuille d'impôts, sa photo « nu » et « habillé », son bulletin de vote (sans son adresse quand même). Comprenne qui pourra !

     

    En fait, et bien que cela ne paraisse pas évident dès l'abord, ces deux romans sont liés puisque, selon ses dires, les Français lui ont su gré de dévoiler ainsi la part sombre de sa famille en leur en parlant. Ainsi, à son exemple, ils pouvaient maintenant parler des mystères de la leur. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'utilité de révéler des secrets de famille si lourds à porter soient-ils. Un esprit chagrin verra sûrement là une source d'inspiration qui sera aussi une source non négligeable de revenus. Ce n'est pas si sûr cependant et même si celui qui tient la plume est toujours tenté de relater l'histoire à son profit, j'ai toujours vu une sorte de catharsis dans l'écriture même si maintenant, je ne suis plus très sûr, pour l'avoir pratiquer moi-même, que cela soit forcément efficace. Salir sa famille, où plus exactement révéler ses secrets si jalousement gardés au nom de l'hypocrisie qui veut que de cela « on en parle pas » ne change rien à la réalité qui bien souvent rattrape ceux qui souhaitent la voir disparaître derrière le temps qui passe et qui génère, là aussi, une sorte de prescription. Et puis, secouer l'arbre généalogique ne rapporte pas toujours le succès même à un écrivain connu ! L'espèce humaine dont nous faisons tous partie est pleine de contradictions et de vices et si la religion a inventé la confession, quelque forme qu'elle prenne, c'est sans doute pour quelque chose. J'ai toujours été personnellement étonné quand, lorsque quelqu'un meurt, eût-il été de son vivant le pire des êtres, il se trouve transformé par sa mort même, en une sorte de saint sans reproche que le sens populaire transcrit dans cette formule sans appel à force d'avoir été répétée « Ce sont les meilleurs qui s'en vont », donnant à penser que ceux qui restent ne valent pas cher ! Et puis pourquoi parler ainsi de quelqu’un qui ne peut plus se défendre ? Toute vérité n'est pas bonne à dire, il faut sauver les apparences, cela aussi la sagesse populaire nous l'enseigne, alors à quoi bon ? Cette absolution, générale post-mortem, c'est un peu ce qu'on voudrait donner à ce pauvre Félicien qu'on enterre en ce jour de janvier 2004, oui, à moins que Norma ne vienne y mettre son grain de sel, c'est presque normal, en Bretagne. Et puisque le ton est donné, le roman se décline et il y en a pour tout le monde et tout y passe, les mensonges, les adultères, les trahisons, les lâchetés, la collaboration...la liste est longue et bien entendu non exhaustive. Ce faisant, elle va non seulement s'attirer les foudres de cette famille qu'elle a déstabilisée durablement en écaillant le vernis pourtant si laborieusement lissé mais elle va aussi réveiller toute cette parentèle et avec elle les secrets et les non-dits qu'elle maintenait bien jalousement cachés mais authentifiés par Maëlle, actuellement bistrotière mais qui a passé sa jeunesse comme peu discrète « demoiselle du téléphone », c'est à dire bien avant l'automatique. Ne parlons pas du curé, dépositaire de tous les péchés de l'île, et heureusement tenu au secret, mais lui aussi est « un pauvre pécheur ». C'est vrai que tout le monde s'y met lors de cette réunion de famille à Noël 7 ans plus tard et franchement, dans le domaine de la confession intime, ce n'est pas triste, d'autant que c'est contagieux !

     

    J'ai retrouvé avec plaisir la verve et le style jubilatoire que j'avais tant apprécié chez cet auteur, notamment dans « Le Zèbre »(mais pas seulement). Son verbe est comme toujours truculent et je l'ai suivi volontiers dans les arcanes de cette famille vraiment pas comme les autres dont il nous présente les membres dès l'abord avec une certaine facétie[je note que la généalogie qui accompagne le roman est bien pratique]. La présence d'un policier et d'une enquête judiciaire en cours, la réapparition d'un des membres du clan disparu mystérieusement quelques dizaines d'années plus tôt, une série de lettres dilatoires donnent à ce roman une dimension policière qu'un suspens entretient adroitement.

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ROBERT DES NOMS PROPRES

    N°923– Juin 2015

     

    ROBERT DES NOMS PROPRES Amélie Nothomb – Albin Michel.

     

    L'idée exprimée dans la 4° de couverture n'était pas mauvaise : faire la biographie de son propre assassin, après tout puisque nous sommes dans une fiction restons y. Je me suis dit que même si je n'avais pas pour les romans d'Amélie Nothomb beaucoup d'attirance ni beaucoup d'intérêt, cela valait peut-être la peine. J'ai donc lu l'histoire de cette jeune fille au prénom étrange, « Plectrude » (pourquoi pas après tout, l'auteure fait souvent dans l'originalité quand il s’agit de baptiser ses personnages). Le lecteur suit donc par le menu son enfance, son parcours scolaire cahoteux, sa passion pour la danse, la beauté de son regard, son attirance pour la mort, ses parents éphémères, l'aura qui émane d'elle l'admiration et l'envie qu'elle suscite, surtout pour ses parents de substitution, son amitié unique pour Roselyne, ses émois amoureux pour Mathieu… L'auteur précise que notre Plectrude a surtout un attirance pour ce qui est nouveau, surtout quand, dans sa classe, cette nouveauté ressemble à un beau garçon. Jusque là rien de bien original.

     

    J'ai noté quelques aphorismes bien sentis mais, en revanche je n’ai que très modérément goûté l'humour supposé des réponses de la jeune fille qui passe pour un génie dans sa classe alors que rien ne le laisse supposer. Et d'ailleurs elle interrompt prématurément ses études secondaires et entre, comme elle en a toujours rêvé, à l'école de l'Opéra. Elle réalise l'idéal de sa mère qui en est ravie. La jeune fille sort brutalement de l'enfance à travers cette discipline librement consentie de la maigreur, ce rite initiatique fait d'elle une anorexique avec des carences alimentaires inévitables. Elle risque donc sa vie pour le plaisir de danser mais se brise une jambe. Cette fracture lui fait prendre conscience de son exclusion du monde extérieur mais sa carrière est définitivement arrêtée et sa mère qui vivait sa réussite par substitution tombe gravement malade du fait de sa défection. L'auteure en profite pour critiquer la dictature imposée aux « petits rats » par l'école et la culpabilisation qui va avec. Elle fait peut-être appel à sa propre expérience mais, à la longue, cela devient lassant. C'est vrai que le thème était intéressant, devoir renoncer à ce qu'on pense être son destin sans pouvoir faire autrement, voir soudain tout se liguer contre soi pour faire échec à ce qu'on voulait faire de sa vie… A ce compte là, on est prêt à n'importe quoi et surtout à entreprendre ce qu'on avait tout particulièrement évité jusque là. A cette occasion tout explose et sa mère dépitée lui révèle tout, l'assassinat de son père, le suicide de sa mère… Pour une adolescente qui ainsi perd tout, c'est tragique et l’instinct de mort s'insinue en elle avec ce décompte macabre qui correspond à un compte à rebours personnel. Le thème de la « reproduction du modèle » était intéressant mais juste effleuré ici. Il y a aussi ce retour à la vie, la découverte du théâtre, de la chanson et l'envie d'enfant qui, paraît-il, habite les femmes. C'est plutôt rassurant ! Je veux bien que le hasard fasse bien les choses, qu'on soit, pourquoi pas, dans un conte de fées et que l'auteur reste maître de son histoire, mais le happy-end, avec cette possibilité d'être heureux dans l'âge adulte, m'a toujours parut un peu artificiel et bien loin de la réalité.

     

    Mais la 4° de couverture dans tout cela et surtout cette idée de l'assassin ? J'avais eu l'impression d'entamer un roman policier ou quelque chose de ce genre mais à la moitié du livre j'en étais encore à l'histoire assez banale d'une jeune fille à laquelle je m'intéressais en me faisant violence à chaque page, motivé par un épilogue qui m’étonnerait peut-être, à moins que cela ne soit le temps pluvieux qui me maintenait en compagnie de ce roman. Robert ? C'est le nom d'un dictionnaire mais c'est aussi celui d'une chanteuse dont l'auteure est la parolière. C'est en tout cas le pseudonyme choisi par Plectrude, revenue à la vie, pour sa carrière d'artiste. En tant que modeste auteur, j'ai toujours été fasciné par la rencontre d'un écrivain avec un de ses personnages et des relations qui peuvent en découler. Après tout là aussi nous sommes dans une fiction et ce thème aurait pu être utilement développé. L'étrange proposition que résulte de cette entrevue et qui génère l'épilogue ne m'a pas non plus convaincu

     

    Je n'ai peut-être rien compris et ,je suis encore une fois passé à côté d'un chef d’œuvre, mais franchement je ne suis pas entré dans ce roman. A mon sens il y avait pourtant des thèmes intéressants qui auraient pu être développés. Jusqu'à il y a peu, je ne connaissais pas Amélie Nothomb et son nom était pour moi lié à un phénomène littéraire prolifique (un roman par an). J'ai donc voulu en savoir davantage et m'y suis intéressé sans à priori. Je fais encore une fois le constat du désintérêt que je ressens quasiment à chaque fois que je referme un de ses romans pourtant lus avec les meilleurs intentions du monde. Je poursuis donc ma lecture, davantage pour pouvoir en parler que pour le plaisir de lire qu'elle me procure. Mais après tout, être écrivain c'est aussi se mettre en situation d'être jugé par la premier lecteur venu… et je suis celui-là !

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • La Rochelle 1939-1945

    N°922– Juin 2015

     

    La Rochelle 1939-1945 - Musée des Beaux-Arts de La Rochelle – Geste Éditions.

    Sous la direction d'Annick Notter, conservatrice en chef et Nicole Proux, historienne.

     

    A l'occasion du soixante-dixième anniversaire de la Libération de la ville, le musée des Beaux-arts de La Rochelle publie cet ouvrage richement illustré et documenté qui accompagne une exposition organisée dans ses locaux du 7 mai au 9 novembre 2015. Il s'agit d'un ouvrage collectif qui retrace ces six années de guerre et d'occupation.

     

    Après l'armistice du 22 juin 1940, La Rochelle qui est une ville commerçante et industrielle active se retrouve en « zone occupée » puis en « zone interdite », est déclarée « ville ouverte ». Les Rochelais vécurent ces six années de tourmente dans la réserve, l'attentisme et la survie malgré les privations, l'afflux des réfugiés, les évacuations et les pénuries de tous ordres. Ceci n’exclut ni les actes de collaboration et de délation ni ceux de résistance et de sabotage. L'ouvrage rend hommage à celles et ceux qui se sont engagés dans ces actions d'opposition à l'occupant, qui ont donné leur vie pour que la ville soit à nouveau libre. Le maire Léonce Vieljeux (1865-1944) en fut la figure emblématique. Nombre de voies urbaines et portuaires rochelaises portent leur nom ce qui contribue à perpétuer leur mémoire.

     

    La répression allemande et vichyssoise n'a épargné, ici comme ailleurs ni les juifs, ni les communistes ni les francs-maçons. La Garde Civique et plus tard la Milice, soutenues par des organisations pétainistes, furent de zélés collaborateurs des autorités allemandes. Les communistes qui entrèrent en résistance notamment après la rupture du pacte germano-soviétique (1941), furent particulièrement pourchassés par l’occupant. Les FTP, qui ont payé un lourd tribu, se montrèrent particulièrement agressifs mais le PCF, eu égard à son organisation interne, et malgré les coups portés par l'occupant, a été particulièrement efficace dans cette lutte. Dans la ville, la Résistance s’organisa dans la clandestinité, parfois sous couvert d’associations sportives mais pas seulement, vers l'action, le renseignement, le sabotage ou la propagande anti-nazie ce qui déclencha une vague d'arrestations et de répression de la part des Allemands. Ici comme ailleurs, dénonciations, déportations, tortures, exécutions sommaires furent l'ordinaire de la barbarie nazie... Comme partout, le maquis a connu un regain de recrutement à partir du début de l'année 1942 et de l'instauration du STO par le régime de Vichy, même si, à partir de cette période, les réseaux de résistance rochelais ont été décimés.

     

    La pêche rochelaise a été lourdement handicapée non seulement par les mesures restrictives imposées à la profession(restrictions de carburant, prélèvements sur les prises) mais aussi par les mines et la destruction de bateaux par la marine allemande et la réquisition de chalutiers transformés en garde-côtes ou en navires de guerre auxiliaires. L'importance stratégique de La Pallice, port en eaux profondes et élément important du Mur de l'Atlantique, incite les Allemands à y implanter des infrastructures militaires(base sous-marine, construction de batteries côtières, mines...) qui seront la cible des bombardements alliés, épargnant cependant miraculeusement la vieille ville. En effet, même si la France n'était plus officiellement en guerre la position géographique de La Rochelle la désignait naturellement comme un objectif militaire.

     

    La Rochelle doit être attractive puisque, avec celui de l'Aunis, elle subit là le septième siège de son histoire mais ce sont des Allemands qui sont retranchés dans la ville rebaptisée « poche »(septembre 1944-mai 1945). Cette ville doit bien être « bénie des dieux » comme a pu le dire plus tard un édile, puisque, malgré sa situation maritime et économique, elle a été épargnée alors que d'autres, dans la même configuration, ont été rasées et ce d'autant plus que sa position de « poche » allemande à la fin d'un conflit dont il n'était pas possible de douter de l'issue, l'exposait à des barouds d'honneur, des règlements de compte et autres débordements qui eussent pu l'endommager durablement. Les troupes allemandes cantonnées à La Rochelle étaient importantes tandis que les résistants (FFI), pourtant peu armés et mal équipés étaient cependant déterminés et combattifs. D'ailleurs, à la fin de la guerre, les Allemands avaient programmé la destruction de la ville mais en aucune façon une reddition et le général de Gaulle lui-même prévoyait qu'une action armée accompagnât la libération de la ville. Il a fallu toute l'humanité et toute la diplomatie du capitaine de Vaisseau Hubert Meyer, du vice-Amiral Ernst Shirlitz et du concours de la Suède pour négocier une trêve, assurer le ravitaillement des Rochelais demeurés dans la ville pour éviter les bombardements alliés comme à Royan, et surtout que cet épisode ne se transforme pas en un bain de sang avec d'inévitables destructions. Par ailleurs, à cette période les Rochelais ont fait preuve de solidarité et de compréhension : la ville était sous administration vichyssoise et allemande mais encerclée par les FFI sur un territoire divisé en zones d'influence, à un moment où la victoire des alliés était en marche. Ce siège, réglementé par une convention pourtant controversée et quasiment secrète, dura six mois relativement paisibles alors que le reste de l'Europe était un vaste champ de bataille. Même si les Allemands étaient craints, ils n'en étaient pas moins considérés, eux aussi, comme des prisonniers. Cette situation un peu surréaliste a donné lieu à des manifestations cocasses où la paix a cependant été privilégiée et sauvegardée. Ainsi, il n'était pas rare que, dans un même lieu, des Miliciens, des Allemands et des Résistants en armes cohabitent sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré, le but de chacun étant de gagner du temps. Le 8 mai 1945 la ville fut libérée par des troupes françaises (zouaves et spahis) épaulées par les FFI, sous les yeux d'un occupant, apparemment soulagé, les soldats allemands désarmés étant considérés comme prisonniers de guerre dans des conditions honorables. Ce fut la dernière ville à être libérées(8 mai 1945) sur le territoire.

     

    J'ai découvert ce livre passionnant grâce à Babelio et à Geste Éditions que je remercie chaleureusement. Il m'a permis, à titre personnel, de compléter ma connaissance de l'histoire de cette cité qui m'est chère à plus d'un titre. En effet, quelque soit l'endroit où j'habite temporairement, je me revendique définitivement comme Rochelais.

     

    La ville de La Rochelle a encore une fois mérité son surnom de « belle et rebelle ». Elle a connu au cours de son histoire bien des bouleversements. Cet ouvrage a pour but de ne pas oublier cette période pourtant pas si lointaine et surtout ceux qui se sont sacrifiés et envers qui les générations suivantes ont une dette imprescriptible. Il met en exergue l’héroïsme des Rochelais autant que leur vie quotidienne et les heures sombres qu'ils ont vécu à travers des textes, des photographies et documents d'époque.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE COEUR COUSU-

    N°921– Juin 2015

    LE COEUR COUSU- Carole Martinez Gallimard.

     

    C'est un conte triste, long, cruel, que l'histoire de cette jeune fille, comme le sont généralement tous les contes si on veut bien en prendre conscience. Un peu comme une histoire qu'on se raconte de génération en génération. Il n'a pourtant rien de merveilleux puisqu'il parle de solitude, de souffrance, de la quête de l'amour et du bonheur longtemps menée, en vain ! C’est Soledad, une de ses filles, qui confie cette histoire au lecteur.

     

    Frasquita Carasco passe pour une sorcière dans ce petit village misérable où elle habite. Il est situé au sud d'une Espagne traditionnelle, pauvre, rurale, catholique, soumise aux propriétaires terriens et à l’Église, qui craint la Garde Civile et les militaires, qui croit aux miracles, aux sortilèges et aux processions. Comme toutes les filles, elle brode et coud. Son éducation est confiée à sa mère et dès ses premières règles elle entre avec elle dans un univers fait de rituels mystérieux et de prières. Elle lui confie un coffre qui se transmet de mère en fille depuis la nuit des temps, avec l'ordre de ne pas l'ouvrir avant 9 mois. Cette attente révélera un don de guérir les blessures aussi facilement qu'elle transforme le moindre chiffon en somptueuse robe brodée. Ses enfants recevront eux aussi un talent particulier mais jouée et perdue par son mari elle sera réduite à l'errance dans cette Andalousie où traîne la mort. Elle mettra à profit son talent de couturière pour « recoudre » les hommes ! Ses enfants la suivront mais le don surnaturel reçu par chacun d'eux contribuera à les exclure en raison de cette étrange mais pourtant coutumière réaction propre à l’espèce humaine qui est de tout détruire autour d'elle et qui la conduit à se séparer de ceux qui sont à l'origine de son mieux-être ou qui peuvent y contribuer.

     

    C'est donc une longue fable entre magie et réalité qui met en scène des femmes à qui le destin a confié une mission salvatrice et presque divine de gardienne de la vie alors que les hommes sont présentés comme des rustres, notamment son mari qui perd sa fortune et sa femme au jeu. C'est une saga sur trois générations qui met en évidence les travers de l'espèce humaine, l’égoïsme, la lâcheté, la trahison, le mensonge... qui, comme nous le savons puisque nous en faisons partie, n'est pas fréquentable, mais pas seulement. A travers le personnage de Frasquita, ce sont les femmes qui sont à l'honneur mais elles le sont symboliquement dans le contexte de cette révolte paysanne que le roman évoque. Elle n'est pas sans rappeler les événements qui présidèrent à l’instauration de la république puis à cette Guerre Civile qui plus tard ensanglanta l'Espagne. Là aussi ce fut une femme, « la Pasionaria », qui inspira cette révolution et j'imagine bien que l'auteur (Carole Marinez) doit bien avoir dans sa famille une parenté avec ceux de 1936. Ce texte évoque, à mes yeux l'utopie de cette révolte qui devait notamment déboucher sur une réforme agraire que le franquisme étouffa pour longtemps, mais aussi la peur de la mort, de la violence, la volonté de rentrer dans le rang. C'est un Catalan, Salvador, qui mène cette révolution mais il en pourra rien contre l'assassinat de cette liberté toute neuve. Il y a certes le merveilleux d'une fable à travers le don de Frasquita et celui de ses enfants qui font preuve d'une étonnante maturité, à travers le ton poétique de ce long texte mais j'y ai vu peut-être autre chose, cette quête d'un bonheur impossible, la fuite de cette femme en robe de noces, sans homme, tirant seule ses enfants dans une charrette misérable à travers un pays ravagé par la violence. Cette fuite les conduira jusqu'en Algérie mais elle ne sera jamais vraiment heureuse et cherchera désespérément un amour impossible. Chacun de nous courre après une chose ou en fuit une autre, seul dans un monde hostile. Ce genre de parcours nous révèle à nous-mêmes. Frasquita et ses enfants à cause de leur différence se distinguent du reste de la population. Ils sont accueillis ou rejetés par elle au gré des vents et des événements. Tout ce qu'elle brode devient ensorcelé et son pouvoir se transmet à sa progéniture.

     

    J'ai récemment lu « Du domaine des murmures »du même auteur. J'ai retrouvé ici son style agréablement ciselé, poétique, ce souffle épique, lyrique et envoûtant qui consacre son talent de conteuse.

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DU DOMAINE DES MURMURES

     

    N°920– Juin 2015

     

    DU DOMAINE DES MURMURES- Carole Martinez Gallimard.

     

    Au Moyen-Age, quand on est fille de seigneur, jeune, vierge, belle et richement dotée on est destinée au mariage pour assurer la descendance d'une noble lignée. Tel est le destin d'Esclarmonde que son père a promise à Lothaire de Montfaucon, même si celui-ci est plus connu pour croiser le fer et trousser les jeunes paysannes de son fief que pour déclamer des poèmes d'amour. Avec lui on est loin du raffinement de la fine amor des troubadours mais le père de la jeune fille a cédé à ce mariage arrangé à cause notamment de sa situation de vassal dans la société féodale. Elle sera donc « un pudique récipient de grossesses successives » et si son époux meurt elle devra recommencer en s'abandonner au plus offrant. Las, si elle aimerait obéir à son père et faire ainsi son devoir, elle refuse le mariage et avec lui la vie qui l'attend. Son seul refuge est dans le Christ à qui elle offre sa vie et se laisse emmurée vivante comme cela se faisait à l'époque. Ce faisant cette fille unique trahit son père aimant qui avait pourtant payé un lourd tribut à la vie. Devenue béguine vouée à la prière, au jeûne et à l'adoration, elle contribue par son exemple à changer Lothaire en honnête homme paisible, à insuffler un peu d'humanité autour d'elle, à inspirer à chacun son devoir de chrétien : Une sainte est née, mais Dieu lui réserve un tout autre destin qui va nourrir l'atmosphère mystique tissée autour d'elle !

     

    Malgré sa réclusion, elle va répandre ses bienfaits sur le fief de son père, disputant à la Camarde les vies dont elle entendait disposer, affirmer le rôle spirituel attaché à sa personne, aidée, il est vrai par les événements et par l'ambiance religieuse de l'époque tout entière attentive aux miracles et à l'écoute de ceux qui entendaient en interpréter le sens. Malgré elle aussi, elle assistera à cet inévitable commerce des « marchands du temple » qui prospérait sur la crédulité populaire face aux manifestations divines ou supposées telles et saura motiver chacun de ses proches pour qu'il participe au grand mouvement des croisades vers la Terre Sainte. Par la pensée et à travers les yeux de son père elle vécut elle-même cette incroyable épopée où les vivants se mêlaient aux morts, une entreprise un peu folle menée par les hommes pour aller délivrer le tombeau du Christ et obtenir le pardon de leurs péchés quand d'autres n'y voyaient qu'une occasion de guerroyer et de s'enrichir. La foi cheminait aux côtés de l'envie et l'échec à été le lot de ces combattants. Sur cette terre étrangère où elle l'avait envoyé, elle accompagna son père jusque dans la mort. Bien que recluse, elle fera entendre sa voix, goûtant cette emprise et ce pouvoir qu'elle avait sur les gens tout en gardant cette humilité chrétienne et ce regard étonné porté chaque jour sur les choses qui l'entourent. Elle insufflera à chacun l'énergie pour survivre dans un environnement hostile et ainsi découvrir sa voie.

     

    C'est un roman remarquablement écrit, envoûtant, d'une réelle intensité poétique et nourri de merveilleux. Il communique au lecteur la mysticité et l'extase de cette jeune fille autant que l’intensité de sa souffrance et que le tragique de son destin. L'auteure nous fait partager à travers une imagination féconde un univers onirique fait de chair et spiritualité qu'incarne bien cette période où l'on croyait autant à Dieu qu'aux fées, aux fantômes, aux sortilèges et aux lutins. C'est aussi un remarquable ouvrage traitant du pouvoir des femmes sur les hommes au Moyen-Age, une époque où pourtant elles n'étaient regardées que comme l'instrument de la descendance et de la servilité. Esclarmonde n'est pas sans rappeler la figure authentique de Juette célébrée par Clara Dupond-Monod dans son livre « La passion selon Juette (La Feuille Volante nº 906) Elle est le symbole de celles qui ont eu le courage d'être elles-mêmes. J'ai personnellement retrouvé avec plaisir, à travers le réelle talent de conteuse de Carole Martinez, l'ambiance de ce siècle qui reste pour moi à la fois fascinant et mystérieux. Ce moment de lecture épique fut un dépaysement bienvenu

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA TELEVISION-

    N°919– Juin 2015

     

    LA TELEVISION- Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Le narrateur raconte qu'il a passé un été à Berlin, seul (son épouse et son enfant étaient en Italie) en compagnie d'un téléviseur qu'il ne regardait qu'avec modération au point qu'il était tout à fait capable de s'en passer. A quarante ans, il ne faisait rien en dehors des fonctions vitales, de la lecture et du sport. Rien, c'est beaucoup dire puisque, historien d'art, il avait choisi de mener à bien une étude du Titien Vecellio ( dit Le Titien, 1488-1576), c'est à dire un vaste essai, remis d'année en année, et financé par une fondation privée, sur la relation entre les arts et le pouvoir politique. Pour cela il avait abandonné son poste à l'université, s’était rendu au Augsbourg où le peintre y avait rencontré Charles Quint. En effet, le narrateur entendait fonder son étude sur « l'épisode du pinceau »(apocryphe sans doute mais repris dans une nouvelle d'Alfred de Musset) au terme duquel l’empereur se serait baissé pour ramasser le pinceau tombé des mains du peintre.

     

    Devant l'ampleur de la tâche, il prend soudain conscience que la télévision est anesthésiante et décide de s'en passer. En effet, il considère que la télévision n'impose chaque jour rien d'autre que des illusions de la réalité auxquelles il faut impérativement résister. Cela donne une série d'aphorismes, parfois assez inattendus sur le sujet.[« Or, c'est pourtant comme cela qu'il faudrait regarder activement la télévision : les yeux fermés ». ] Il livre à son lecteur un tas de petites anecdotes qui émaillent sa vie de célibataire berlinois temoraire. Il croit apercevoir un cambrioleur, s'occupe des plantes de ses voisins partis en vacances, croise l'image furtive d'une femme nue dans l'immeuble d'en face, se promène au gré de ses envies dans la ville ou se baigne nu dans un lac, autant d'épiphénomènes où domine le farniente, il est vrai entrecoupés de vagues recherches à la bibliothèque qui le distraient de son travail, ce qui n'occasionne chez lui aucun état d'âme particulier. Un peu cossard quand même ! Et puis pas très constant dans sa démarche, puisque l'interdiction qu'il s'est lui-même posée de ne pas regarder la télévision ne vaut, à ses yeux, que dans son microcosme personnel. Quand il est à l'extérieur de son appartement, cela en compte plus. Parfois au hasard des émissions, il croise des images de femmes qui le font toujours un peu fantasmer. Il ne peut d'ailleurs pas croiser l'une d'elles dans la rue sans être ému. Ces moments de furtif plaisir oculaire donnent d'ailleurs lieu de sa part à des évocations délicieusement sensuelles qu'il corrige parfois en posant ses yeux sur un téléviseur allumé, comme pour se punir lui-même.

     

    Et son travail dans tout cela ? Il trouve toujours une bonne raison pour le remettre à plus tard, la piscine ou un musée par exemple, d'autant qu'il trouve toujours quelque chose de plus intéressant, qui monopolise son attention et qui donne lieu à de longues réflexions et à des descriptions aussi précises que pertinentes. Il lui arrive même de croiser un portrait de Charles Quint qui devrait lui rappeler son but initial mais que nenni ! Après tout, l'idée de cette étude, vieille de 4 ans déjà, pourra bien attendre encore un peu !

     

    Ce roman est en fait une balade dans Berlin l'été ainsi qu'une réflexion humoristique écrite avec sa jubilation coutumière sur la télévision et son emprise sur ceux qui la regarde. Il le fait naturellement en n'oubliant pas de s'attarder sur le petit détail anodin qui aurait échappé au commun des écrivains et auquel il donne, on se demande bien pourquoi, une importance soudain démesurée mais sans pour autant que son lecteur ait l'impression de l'inutilité. Quant au téléviseur, Il se résout à le traiter par le mépris, c'est à dire à le regarder, même avec une certaine insistance, mais sans l'allumer !

     

    En tout cas cela m'a procuré, malgré des phrases toujours aussi longues, une lecture jubilatoire. Faute sans doute de mener à son terme son travail universitaire, l'auteur a au moins accouché de ce roman ; ce n'est déjà pas si mal.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • AUTOPORTRAIT (à l'étranger)

     

    N°918– Juin 2015

     

    AUTOPORTRAIT (à l'étranger)- Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Pour un écrivain volontiers égocentriste, l'autoportrait (à l'étranger ou pas) paraît être une chose facile et ce d'autant plus que dans tout ce que Toussaint écrit il y a toujours une (grande) part de lui-même et ce nonobstant le fait qu'il prend la précaution de se cacher derrière le masque d'un personnage.

     

    Cette série de portraits qui sont autant de nouvelles où il tient une place centrale, se passe donc à l'étranger, c'est à dire qu'ils se croque lui-même à l'occasion de voyages qu'il fait hors des frontières de la Belgique, aux frais des institutions pour participer à un colloque d'écrivains ou pour son propre agrément. Ainsi entraîne-t-il son lecteur de Tokyo à Hanoï, partage la vedette avec Tahar Ben Jelloun ou Olivier Rolin et même Jane Birkin à qui des écrivains vietnamiens venus écouter l'auteur réclament une chanson et dont on se demande ce qu'elle peut bien faire dans un tel aréopage. Les voyages ouvrent l'esprit, réservent parfois des surprises comme à Sfax où il est accueilli par un universitaire attentif, mais par une assemblée de 10 personnes seulement ! Il ne cache rien à son lecteur, évoque des érections spontanées à l'approche de Sousse, même si cette situation est pour le moins étonnante alors qu'une visite en principe chaude dans une boite de strip-tease japonaise lui cause une réelle répulsion. Étonnante aussi, cette victoire dans un championnat de de pétanque au cap Corse présentée comme « le plus beau jour de sa vie » !(Je veux bien que cela prenne des allures de finale de Coupe Davis, mais quand même). Il ne cache rien de ses douleurs lombaires ni de sa perte de repères spatio-temporels, ses manques de mémoire et autres petits problèmes liés à sa charge de père de famille ou de l'envie qu'a Madeleine, sa femme, de repeindre tout ce qui passe à sa portée.

     

    Chacun des moments de sa vie, même les plus anodins, est prétexte à cet autoportrait égocentrique, qu'il rencontre une admiratrice nippone ou qu'il se révèle d'une grande cruauté en achetant de la charcuterie dans la boutique d'une malheureuse commerçante allemande. Rien à voir en tout cas avec l'ennui d'un guide touristique, ce qu'on pouvait légitimement redouter puisque que, notamment Carthage le laisse complètement indifférent.

     

    J'aime bien Jean-Philippe Toussaint dont je continue à découvrir l’œuvre de livre en livre, mais en dehors de l’aspect anecdotique riche en fignolages comme à son habitude, cette petite musique nostalgique que j'aime à retrouver chez lui et cet humour si caractéristique qui qui puise une partie de sa réalité dans l'inflation des mots et le culte immodéré du détail, je crois avoir lu plus intéressant sous sa plume et je me suis un peu ennuyé à l'énoncé de ces petites anecdotes, certes bien écrites (les phrases sont comme d'habitude d'une longueur quasi proustienne) mais qui se caractérisent cependant par un aspect insignifiant incontestable.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Et tu n'es pas revenu-

    N°917– Juin 2015

     

    Et tu n'es pas revenu- Marceline Loridan-IvensGrasset.

    Avec Judith Perrignon, journaliste et écrivain.

     

    Ce témoignage est un long monologue face à un absent bien présent, une longue lettre d'amour, rédigée à la première personne, d'une fille à son père disparu dans la tempête de la Shoah et qui s'articule autour de deux prophéties avec la mort pour toile de fond. D'une part celle de ce père, Salomon, qui, en sa compagnie au camp de Drancy et avant leur séparation lui dit qu'elle survivrait parce qu'elle est jeune alors que lui périrait et d'autre part cette phrase prémonitoire de son frère Michel qui déclara qu'il mourrait quand il aurait l'âge que son père avait à sa disparition. Il se suicida effectivement, tout comme sa sœur Henriette. Même pour eux qui n'avaient pas connu la déportation, la mort fut la plus forte. Marceline, elle, a survécu à l'horreur des camps, aux voyages en wagons à bestiaux avec la peur, la faim, le froid, la maladie. Une fois revenue à la vie elle tentera elle aussi de se suicider tant la vie lui était devenue insupportable. Elle est revenue quand sa famille attendait son père et non pas elle, portant le poids de la culpabilité de n’avoir pu échanger sa vie contre la sienne, de devoir vivre avec le souvenir ineffaçable de cette souffrance, de cette vie qu'elle a choisi de faire prévaloir dans les camps alors qu'il lui était facile de s'approcher des barbelés électrifiés et de trouver ainsi une mort rapide, la culpabilité d'être encore là quand tant d'autres sont morts simplement parce qu'ils étaient juifs. Quand les camps furent libérés par les Russes et les Américains l'incertitude plana encore dans l’affrontement à venir des deux blocs transformant cette libération en une future guerre froide. Longtemps Marceline espéra que son père avait réussi à échapper à la mort d'où qu'elle vienne, qu'il avait réussi à marcher au devant de ses libérateurs et se raccrocha faute de mieux à cet espoir tissé par les témoignages incertains des survivants. L'absence de sépulture, de lieu de recueillement, le vide face à ses derniers moments, à ses dernières paroles prend une dimension inacceptable.

     

    Au moment de leur séparation Marceline n'a que quinze ans et ce n'est que soixante dix ans plus tard qu'elle trouve enfin la force de tracer ces lignes qu'elle porte en elle depuis si longtemps, un peu comme si elle voulait racheter l'oubli involontaire des derniers mots que son père lui a écrits dans le camp, sur ce pauvre bout de papier qu'elle perdit. En effet, à la fin de la guerre, il fallait impérativement oublier et ne penser qu'à l’avenir. On pense inévitablement à Jorge Semprun (« l'écriture ou la vie ») où ceux qui avaient connu les camps ont préféré le silence de peur de n'être pas crus tant ce qu'on y pratiquait était indigne de l'espèce humaine. Le silence valait mieux que l'immédiat inexprimable. Je ne sais pas encore aujourd'hui, à titre personnel, si l'écriture est véritablement une catharsis comme on le dit souvent. Il fallait que les rescapés oublient, reprennent une vie normale, comme si cela leur était possible. Pourtant quand elle a vécu cette période des camps elle n'était plus une femme mais une « sale juive » qu'il fallait éliminer, c'est à dire rien du tout. Revenue au monde, Marceline se révéla incapable de vivre devant une telle incompréhension. Là au moins l'auteure porte témoignage de sa souffrance, de celle des autres, de celle de ce père trop tôt disparu. Sa mère qui sembla être loin de tout cela au point qu'elle se remaria presque en catimini une fois la disparition de Salomon devenue officielle, l'incita à oublier, demanda à sa fille si, dans les camps, elle n'avait pas été violée. Cette préoccupation la tracassa bien plus que le reste puisque ainsi Marceline était toujours vierge et pouvait donc se marier pure. A ses yeux, il importait qu'elle endossât le rôle de mère et qu'ainsi les enfants qu'elle aurait remplaceraient les morts un peu comme si les vivants à venir pouvaient combler les vides laissés dans les familles par les absents. Pourtant Marceline a choisi de ne pas avoir d'enfant sans doute pour ne pas transmettre la vie après une telle épreuve ou parce que, pour elle, la guerre ne sera jamais terminée, parce qu'elle a eu beaucoup trop de mal à se supporter elle-même après tant d'épreuves, un peu comme si elle avait, à Bergen-Belsen ou a Birkenau, consommé en une fois toute son envie de vivre. Elle se maria cependant, peut-être pour faire oublier son nom de famille parce que l'antisémitisme était fort après-guerre (ne l'est-il pas toujours?) et par deux fois, son nom gardant la trace de ces deux unions même si maintenant elle y ajoute son nom de naissance (« née Rozenberg »), un parcours à la fois intime et public, révélateur de son attachement à ce père absent

     

    Elle porte témoignage aussi bien de la solidarité qui peut exister dans la souffrance face à la barbarie mais parle aussi de la conduite digne des animaux que la peur de la mort peut inspirer aux hommes. Est-ce en réaction contre cela qu'elle a choisi plus tard de soutenir la création de l'état d’Israël et de militer en valeur des nations qui aspiraient à l'indépendance ? Ne pouvant plus rien faire pour elle, elle voulait être utile aux autres, utopie ou espoir de changer le monde ?

     

    L'auteur rappelle les détails de cette sombre période de notre histoire commune, les dénonciations entre Français, les arrestations de juifs par la milice et les rafles perpétrées par la police française dont les autorités allemandes elles-mêmes reconnurent le rôle déterminant. Sans son concours efficace beaucoup de juifs eussent été épargnés. [On a accordé à la police parisienne le port de la fourragère aux couleurs de la Légion d'Honneur pour son ralliement tardif à la Résistance lors de la Libération de Paris en oubliant un peu vite qu'elle fut un auxiliaire zélé de la Gestapo pendant l'Occupation]

     

    Cette longue lettre écrite dans un style volontairement dépouillé d'une fille à ce père mort, ce travail de mémoire avant qu'il ne soit trop tard, est bouleversant, il met en évidence un travers de l’espèce humaine volontiers amnésique et aussi un peu hypocrite, l'abandon de juifs par la France, pourtant pays des droits de l'homme et de la liberté où ils pouvaient se croire en sécurité mais où on ne voulait plus d'eux. En veut-on encore aujourd'hui face à l'obscurantisme plus que jamais vivant et devant lequel illusions et convictions en pèsent plus très lourd.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CHANGER LA VIE

     

    N°916– Juin 2015

     

    CHANGER LA VIE- Antoine AudouardGallimard.

     

    Le titre lui-même est tout un programme… un programme politique plus exactement. Cela sent la campagne électorale, les promesses du même nom et les désillusions qui vont avec. Mais cela c'est pour plus tard, quand la réalité s'est imposée avec ses évidences et surtout la révélation de l’incompétence de ceux qui ont mis en avant ce genre de slogan dans l'unique but d'être élus et qui se sont dépêchés de faire le contraire de ce qu'ils avaient promis, tout en faisant, au nom des réalités économiques, un bras d'honneur à ceux qui ont eu l'insouciance de voter pour eux simplement parce qu'ils les ont cru (un ancien président de la République n'a-t-il pas affirmer sans vergogne que les promesses électorales n'engageaient que ceux qui les croyaient ?). C'est facile de faire naître de l’espoir chez les plus défavorisés en leur faisant miroiter des changements dont on sait parfaitement qu'ils n'auront pas lieu puisque, même si on fait semblant de croire à la démocratie, on sait aussi que la trahison fait partie du jeu et que ceux qui sont déçus peuvent être regardés comme des « dommages collatéraux » sans grande importance.

     

    Mais revenons à ce roman qui se rattache quand même un peu à ce message politique. André Garnier et François Chaban ont vingt ans, l'âge des illusions et des grands espoirs, cela tombait plutôt bien puisque nous étions en 1981 après l'élection de François Mitterrand. La fête du 10 mai avec le poing et la rose incarnait ces espoirs et c'est donc tout naturellement qu'ils y ont participé comme ils avaient milité auparavant chez les révolutionnaires, enfin ceux qui vantaient les bienfaits de la révolution permanente, même si pour eux à l'époque, elle était surtout sexuelle et pleine d'inhibitions. Pour André c'était les filles, tandis que les garçons attiraient plutôt François tout comme l'alcool, la réaction contre son milieu familial et sa vocation de haut-fonctionnaire avec Sciences-Po et l'ENA en ligne de:mire. New-York pouvait être un rêve pour André et un vaccin définitif contre le capitalisme pour François, les voilà donc partis pour cette « ville qui ne dort jamais » d'autant plus volontiers qu'ils y étaient invités et qu'ils caressaient l'espoir d'y rencontrer Bob Dylan ou Loo Reed. Ce ne fut pas exactement ce qui se produisit mais pour eux le changement s'était maintenant (air connu) et ils pouvaient légitimement se répéter à l'envi les paroles de cette chanson éponyme attachée définitivement à Liza Minneli et Franck Sinatra (« If I can make it there, I'll make it anywhere, it's up to you New-York, New York – Si je peux réussir las-bas, je peux réussir partout - Ça dépend de toi, New-York, New-York ). François y pouvait librement suivre ses penchants homosexuels malgré le SIDA et André arrivait avec son prestige de « french lover ». Il ne tarda pas à s'initier aux subtilités du base-ball et surtout a révéler un talent littéraire de « nègre » commencé quelques mois plus tôt à Paris en recueillant et rédigeant, à la demande de Logan, son nouvel employeur américain, les souvenirs de Jenny Swhartz, une résistante française et une virtuose du piano qui perdit l'usage de ses mains sous la torture des nazis. Du coup, cette petite maison d'édition qui vivotait prit, grâce à lui, un essor inattendu et tous les espoirs lui étaient désormais permis. Le charme d'André continua d'opérer puisque la vieille dame, objet de son attention, devint la confidente des bides sentimentaux de ce dernier. Je ne dévoilerai évidemment pas l'épilogue de ce roman passionnant, émouvant de nostalgie parfois et cultivé, émaillé autant de citations poétiques d'auteurs français que de références américaines (ce n'est pas incompatible) mais le temps passe et avec lui les espoirs et les illusions parce que, là comme ailleurs, ainsi va le monde et on abandonne toujours quelque chose de ses fantasmes les plus fous comme le poète l'a si justement dit (« Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force ni sa faiblesse ni son cœur... »)

     

    C'est sans doute la désillusion qui, à priori, me faisait regarder ce roman d'une manière suspecte me disant que j'avais des chances d'y trouver tout ce dont j'avais été frustré par des générations d'hommes politiques aussi idéalistes que menteurs, surtout ceux qui avaient habillé leurs propos et leurs projets d'une dimension sociale pourtant vite démentie. Il serait le miroir de mon innocence coupable et je n'allais pas apprécier... Après des années de gestion conservatrice calamiteuse, l'élection d'un président socialiste ne pouvait être qu'une bonne nouvelle. Pourtant ce slogan politique prometteur devint une arnaque ordinaire, le souvenir de ce qui aurait pu être une vraie révolution mais qui ne l'a pas été. C'est vrai que, au fil des pages, je me suis mis à bien l'aimer ce Dédé, qui, au lieu de flamber comme c'est l'apanage des jeunes (et des moins jeunes aussi parfois), a, sur un mode humoristique de bon aloi, confié à son lecteur combien sa vie (sexuelle, étudiante, professionnelle de « nègre » et le reste) était synonyme d'échec. Cela m'a rappelé quelque chose, mon côté naïf, malchanceux et loser ! J’avoue que je suis entré d'emblée dans cette univers créatif et jubilatoire, dévorant avec avidité les chapitres de ce roman voué à la fois à l'apprentissage et à la désillusion. Le style est fluide et délicatement humoristique, je n'ai même pas été gêné par les barbarismes ni par l'usage du franglais et de l'américain. J'avoue n'avoir pas toujours suivi les références musicales qui parsèment ce roman mais j'ai bien aimé la présentation qui en est faite au premier chapitre.

     

    Jusqu'à ce que Babelio et les éditions Gallimard m'envoient ce roman, ce dont je les remercie chaleureusement, j’ignorais tout de l’œuvre d'Antoine Audouard, je ne suis pas déçu de cette découverte qui sera sans doute suivie d'autres, je l'espère.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA SALLE DE BAIN

    N°915– Mai 2015

     

    LA SALLE DE BAIN- Jean-Philippe TOUSSAINT – Les éditions de Minuit.

     

    Le narrateur, 27 ans, vaguement universitaire, semble éprouver du plaisir à garder la salle de bain comme on garde la chambre quand on est malade, mais apparemment il n'est pas malade ! Dans son appartement où il vit avec Edmondsson, sa femme, la vie se déroule au jour le jour et où nous assistons, avec un luxe de détails et même une certaine lenteur au dépeçage de poulpes de la part de Polonais venus en réalité pour repeindre la cuisine ! Sans qu'on sache pourquoi, il reçoit une lettre de l’ambassade d'Autriche. Puis, dans une deuxième partie, le lecteur finit par comprendre que le narrateur se retrouve à Venise où il part précipitamment et s’installe dans un hôtel où il passe son temps à jouer au fléchettes et où sa femme le rejoint. Il est là sans but précis. Ils forment un couple assez bizarre et l'ambiance qui se dégage de leurs relations est étonnante un peu comme ils étaient des étrangers incapables cependant de vivre loin l'un de l'autre mais qui s'ignorent quand ils sont ensemble, un peu comme un vieux couple ! A Paris, ils semblent s'aimer mais quand son épouse le rejoint à Venise où il était impatient de la retrouver, ce qu'on peut aisément comprendre, c'est pour mener deux vies séparées pendant toute la journée, farniente et jeu de fléchettes pour lui, visites culturelles pour elle. Il se passe quelques temps et sans raison particulière, elle repart pour Paris tandis que lui demeure dans la Sérénissime alors qu'il aurait toutes les raisons de la quitter puisqu'il a contracté une sinusite. Il choisit même de s'y faire soigner dans un hôpital dont il peut sortir aussi aisément que s'il y était à l'hôtel. On se demande bien ce qui le retient à Venise, et ce n'est sûrement ni le tourisme ni son métier (historien?) et, sans être spécialiste, c'est sans doute la dernière ville où il faut séjourner quand on a une sinusite, surtout quand on n'a rien a y faire de particulier. Donc une succession de sketches où si la salle de bain ne joue pas forcément le rôle central mais n'en n'est pas moins présente au début et à la fin du récit et symbolise sans doute toute l’aberration de cette situation.

     

    Le personnage lui-même reste une énigme, à la fois hypocondriaque, inattendu et surpris lui-même de se trouver dans la position dans laquelle il se trouve. Il raconte son histoire, qui est aussi une histoire d'amour, mais sans aucune passion et même avec un certain détachement. De tout cela il ressort une idée de vide, soulignée par la présentation du texte en paragraphes numérotés qui n'ont parfois rien à voir les uns avec les autres

     

    Je ne sais toujours pas quoi penser des romans de Toussaint en général et de celui-ci en particulier. En tout cas, il distille une petite musique quotidienne qui est le reflet de nos vies et cela me plaît, je m'y retrouve même si je m'y perds un peu mais je dois avouer qu'elle est quand même captivante quoiqu'un peu absurde.

     

    Je n'ai que très récemment croisé les romans de cet auteur. Après une période d'étonnement sans doute légitime, j'avoue que je suis entré complètement dans cet univers où il en se passe rien, ou le hasard tient une grande place et sert de boussole à des personnages qui ont l'épaisseur du quotidien et de l'éphémère et sont même un peu étrangers à ce monde, un peu comme moi peut-être ? De plus les relations entre les gens me paraissent bien rendues, aussi hypocrites et temporaires que dans la vie courante.

     

    C'est le premier roman publié de Jean-Philippe Toussaint paru en 1985. A sa sortie, alors qu'il était complètement inconnu, la critique a parlé de « Nouveau »nouveau roman à cause de l'originalité de son expression et a présenté son auteur comme un révolutionnaire de l'art romanesque. Il est assurément un auteur inclassable, plus sûrement intéressé à s’attacher son lecteur par les situations décalées du texte et sa qualité de rédaction que par le thème général volontairement déroutant et qu'on peine à comprendre. Paradoxalement peut-être ce fut pour moi un agréable moment de lecture.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'APPAREIL PHOTO

    N°914– Mai 2015

     

    L'APPAREIL PHOTO- Jean-Philippe TOUSSAINT – Les éditions de Minuit.

     

    J'aborde actuellement les romans de Jean-Philippe Toussaint. J'en retiens une impression bizarre comme une succession de scènes sans forcément de rapport les unes avec les autres, une sorte de récit où il ne se passe rien d'important, une somme d'actions décrites dans le détail avec des mots agréables à lire mais sans davantage de cohérence. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est question de vide, mais presque, un peu comme si le narrateur se laissait porter par les événements de sa vie courante sans vouloir réagir, s'abandonnant au hasard, supportant et assumant l'absurde de cette situation. Cette vacuité qui ne me gêne pas puisqu'elle peut être regardée comme l'image de notre vie à tous, superficielle, banale, joue une petite musique mélancolique assez agréable quand même.

     

    Ici le prétexte du début est une séries de leçons de conduite (pourquoi pas?) qu'il se propose de suivre dans une école puis, rapidement, le narrateur, dont on ne sait pas grand-chose (mais peu importe) nous invite, sur le ton de la confidence à partager le début d'une liaison avec la secrétaire de cette officine. L'action est lente, s'égare dans l'évocation d'un passé plus ou moins immédiat. Cette lenteur est soulignée par des phrases démesurément longues et même délicatement festonnées. Cette histoire un peu incertaine va devenir une histoire d'amour sans qu'on sache très bien la part qu'y prend le hasard et celle de la volonté individuelle. La jeune femme , Pascale, qui est aussi peu réactive que lui face à sa propre vie va le laisser s'installer dans son existence, lui laisser en quelque sorte jouer le rôle du père face à son jeune fils dont le véritable géniteur a préféré un divorce dont elle se remet mal. Elle disparaît néanmoins à la fin du roman et donne l'impression d'avoir quitté la vie du narrateur aussi facilement qu'elle y entrée. C'est étonnant de la part de cet homme qui ne semble pas être un Don Juan, d'avoir réussi à séduire aussi facilement cette femme mais on peut douter de cet amour partagé puisque, si lui semble beaucoup l'aimer, elle en revanche donne l'image d'une dormeuse apathique quand elle est avec lui !

     

    Au cours de ce récit, le narrateur en profite, on se demande bien pourquoi, pour nous décrire avec un luxe de détails, l’achat d'un paquet de chips qu'il va ensuite consommer dans les toilettes tout en laissant son esprit vagabonder au gré de ses pensées, les moments anodins d'une leçon de conduite, la constitution volontairement lente de son dossier, la délicieuse et intemporelle aventure autour de l'achat d'une bouteille de gaz…

    Le style n'est pas désagréable, bien au contraire puisqu'il adopte le rythme et surtout le ton de la confidence, de l’ironie parfois et même du burlesque

     

    Quid de l'appareil photo dans tout cela ? Eh bien c'est le narrateur lui-même qui le trouvera dans le ferry qui le ramène d'Angleterre et il en profitera pour fixer sur la pellicule des instants fugaces de sa vie, autant dire qu'il va servir à photographier le néant. C'est sans doute un peu le message que veut nous délivrer l'auteur puisque, lorsque les clichés seront développés, ils ne représenteront que ce que le propriétaire précédent avait choisi de photographier. Les scènes que le narrateur avait voulu immortaliser n'ont laissé aucune trace !

     

    Je distingue quand même deux parties d’inégale longueur dans ce roman. Si la légèreté semble baigner la première, le ton se fait plus grave dans la seconde, la pensée du narrateur devient profonde et prend le pas sur l'anecdote quotidienne et banale du début. J'y vois personnellement une certaine marque de désespoir, de solitude, une difficulté d'être, le narrateur semblant vivre dans un microcosme personnel.

     

    Alors, autodérision de la part d'un quidam qui ne laissera aucune trace de son passage sur terre? Peut-être mais cet homme me paraît à moi tout particulièrement sympathique, à cause d'une éventuelle parenté entre nous peut-être ? En tout cas, j'ai bien aimé autant l'histoire (ou l'absence d'histoire) que le style, à la fois subtil, simple, mélancolique et poétique. C’est un « roman minimaliste » et même infinitésimal suivant l'expression choisie par la critique, une sorte de manière de s’inscrire entre deux mondes, entre deux infinis, et c'est peut-être là que se trouve l'inspiration créatrice, allez savoir ?.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'INOUBLI

    N°913– Mai 2015

     

    L'INOUBLI (suivi d'un épilogue)- Bernard Ruhaud – L'escampette Éditions.

     

    Quand quelqu'un est mort qu'on a passionnément aimé, il est tentant de le faire revivre avec des mots quand on est écrivain. Ceux qui ne le sont pas doivent se contenter de pensées furtives, de conversations quand ils trouvent quelqu'un à qui parler, de photos… C'est tentant et c'est apaisant parce qu'on ne dira jamais assez l'extraordinaire pouvoir des mots écrits et conserver le souvenir de quelqu'un pour les générations futures est une bonne chose quand on connaît la grande faculté d'oublier qui caractérise l'espèce humaine. Et puis, même au sein d'une famille, le temps passant, les visages s'estompent et, quoiqu'on en dise la mémoire fait défaut. C’est vrai aussi qu'un être n'est vraiment mort que lorsque personne ne parle plus de lui, de son passage sur terre. Dès lors, garder le souvenir d'un être peut paraître une gageure, surtout si cette personne, comme c'est le cas de la plupart d'entre nous, n'a pas eu d'histoire autre que son parcours personnel.

     

    Écrire, C’est une façon de faire le deuil (je n'aime pas le terme « travail de deuil ») même si ce n'est pas aisé à réaliser. Mettre des mots sur une vie s'avère beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît mais tant que l'exercice n'a pas été tenté, pas réalisé, on en ressent le besoin et on ne connaît pas vraiment le repos. Aussi bien quand on parvient à formaliser cette mémoire, l'apaisement est il devenu possible mais pas forcément cependant. En fouillant dans le passé on peut trouver des manques, des failles chez soi, comme chez celui à qui on souhaite rendre hommage. On peut être amené, allant à sa rencontre, à lever des voiles du secret patiemment tissés et jalousement entretenus sa vie durant, d'aller au-devant de révélations, de gommer des zones d'ombre... La tentation est donc grande d'idéaliser celui dont on a choisi de parler et d'autant plus qu'il est mort jeune. A travers cet exercice d'écriture, on fait revivre le défunt , on se remémore ce qu'il a fait dans les plus petits détails.

     

    Ici, c’est « Mado », sa mère que l'auteur à choisi d'évoquer. Il note que son vrai prénom, Madeleine, a été donnée à une descendante qui ne l'a pas connue, ainsi, par cet artifice revit-elle d'une certaine façon ; une vie dans une autre vie…C'est tentant d’imaginer qu'une fille plus jeune, d'une autre génération, pourrait avoir quelque chose de commun avec elle que la génétique pourrait lui avoir légué, outre ce prénom. L’auteur refait à l'envers le chemin bref qui fut celui de Mado sur terre. Il recompose ce décor fait de misère, de dur travail, de faim, de solitude, de peur, de luttes sociales pour plus d'égalités. Au détour d'une phrase, il m’apparaît qu'il ressent peut-être un peu de culpabilité pour s'être éloigné d'elle, d'avoir tutoyé la mort quand elle était encore vivante et d'avoir laissé faire les choses(ou peut-être de n'avoir pu faire autrement), laissant prescrire la concession temporaire et vider sa tombe. Il n'y a dès lors plus de lieu de recueillement et ce court roman fait office de tombeau puisqu'il en reste plus rien. Ce n'est même pas sûr puisqu'il note « Au fond, on ne fait jamais son deuil »

     

    J'avais pris, comme souvent, ce petit volume sur le rayonnage de la bibliothèque municipale car c'est souvent le hasard qui guide mes choix littéraires. Le titre m'avait accroché et le livre une fois refermé, j'ai comme toujours rédigé cette chronique pour me souvenir de l'avoir lu. J'avais même l'intention de me livrer à des développements et des commentaires personnels sur l'oubli et sur le deuil parce que, chez moi aussi, la mort à frappé d'une manière que je juge injuste, mais ce n'était pas le sujet. L'épilogue pourtant a retenu mon attention d'une façon particulière, il avait auparavant été publié sous le titre « Terminus Tasdon-La Rochelle » et cela ne pouvait me laisser indifférent, cette ville, ce quartier qui ont fait partie de ma vie sont profondément ancrés dans mon souvenir. Que quelqu'un d'autre en parle avec des mots simples et émouvants qui ne font pas appel à la culture officielle qui a transformé cette ville en autre chose qu'elle est vraiment, fait revivre en moi une partie de ma vie qui maintenant s'étire vers le terminus. Parler d'un défunt est une chose louable et ce n'est sûrement pas moi qui dirait le contraire, mais cet épilogue aussi m'a bien plu, m'a touché.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • PEPLUM

     

    N°912– Mai 2015

     

    PEPLUM - Amélie Nothomb – Albin Michel.

     

    Une jeune romancière est amenée à l’hôpital pour une opération bénigne. Au réveil elle se retrouve non pas dans une chambre mais dans une basilique où elle dialogue avec Celsius, un scientifique qui lui explique qu’elle n'est plus en 1995 comme avant l'intervention … mais en 2580 ! Il s'ensuit une conversation un peu surréaliste entre eux au cours de laquelle il lui explique les changements intervenus au quotidien sur l'énergie, le régime politique, la façon de s'habiller, les auteurs littéraires et philosophiques, mais aussi sur la coïncidence qui a présidé à l'ensevelissement de Pompéi sous les cendres du Vésuve, une cité fastueuse, pour mieux la transmettre intacte aux archéologues ! L'idée est un peu loufoque, pas tant que cela sans doute puisque Celsius entend la reprendre à son compte pour préserver une parcelle de ce territoire du Sud qui a disparu, comme souvenir en quelque sorte.

     

    La jeune romancière dont il est question est présentée sous les initiales d'A.N. Je veux bien qu'écrire, même des choses apparemment un peu surréalistes, est pour un écrivain, une tentation trop grande de parler de lui mais quand même ! Ce narcissisme, cet égotisme me dérangent un peu. C'est vrai que c'est une tentation louable de vouloir se projeter dans l'avenir comme il en est une sans doute de vouloir modifier le passé, mais franchement j'ai eu du mal à prendre ce roman au sérieux. Sur le plan de la forme, il m’apparaît que cela peut se résumer à une joute verbale gratuite alternativement moralisatrice, drôle, dense, pertinente, agaçante et même un peu lassante, oiseuse même. Ce long dialogue tantôt agressif tantôt lénifiant finit par fatiguer. Je ne suis pas spécialiste mais prétendre que la destruction de Pompéi serait non pas une catastrophe naturelle mais…un phénomène issu de la volonté humaine me paraît quelque peu bizarre. On apprend bien d'autres choses aussi tordues au cours de ce trop long dialogue. On nous assène également des poncifs sur le bien et le mal, sur la moralité mais cela n’apporte pas grand-chose, à tout le moins à mon avis.

     

    Amélie Nothomb est un écrivain inventif à l'imagination débordante ce qui est plutôt bien et qu'elle ait choisi la science-fiction en me gêne pas à priori. J'avoue que j'ai apprécié le système politique qui supprime les états, cela évite sans doute les guerres et autres incidents diplomatiques: il n'y a plus que les Ponantais et les Levantins, le mariage ne se conclut plus que par bail de 3 ans, les actes de la vie courante sont simplifiés à l’extrême, les problèmes d'alimentation n'existent plus …A côté de cela la suppression du Sud parce qu'il est peuplé de pauvres fait appel à des souvenirs inquiétants

     

    J'ajoute que, lorsque je lis un roman, j'apprécie d'apprendre quelque chose en matière de culture et éventuellement de vocabulaire. Cela ne me gêne en rien et c'est même plutôt bien pour moi. Certains écrivains ont, en plus de leur talent littéraire, celui de glisser dans leur texte des informations passionnantes et qui, l'air de rien, complètent l'histoire qu'ils nous racontent ou la démonstration qu'ils sont en train de faire. Cela ajoute à l'intérêt de ce qu'ils écrivent. Depuis que je lis Amélie Nothomb, j'ai, au contraire, cette désagréable impression qu'elle fait plutôt dans le pédantisme et c’est franchement désagréable.

     

    Comme toujours, le style est fluide et procure une lecture facile même si , le livre refermé, j'ai vraiment eu l'impression de m'être ennuyé à cet exercice.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UNE FORME DE VIE

    N°911– Mai 2015

     

    UNE FORME DE VIE- Amélie Nothomb – Albin Michel.

     

    Au départ de ce roman, une improbable lettre d'un lecteur à laquelle l'auteur choisit de répondre (c'est rare mais ça arrive). Elle a été écrite par un soldat de 2° classe américain lors de la deuxième guerre d'Irak qui lui demande de le comprendre. On pourrait s'attendre à de longues litanies sur ce conflit, sur les combats, mais pas du tout, il l'entretient sur… son obésité ! Surtout qu'il la cultive, malgré une certaine forme de culpabilité, comme une rébellion contre l'armée et qu'à titre personnel il la vit comme une sorte de dédoublement de sa personne. Ainsi commence un échange de correspondance qui nourrira (sans mauvais jeu de mots) la créativité de l'auteure et son intérêt pour cet homme.

     

    C'est un roman sur les relations épistolaires qui peuvent exister entre un écrivain et ses lecteurs et c'est vrai que pour un tel exercice il faut au moins être deux, à condition bien sûr que l'auteure accepte de s'y prêter, ce qui, à mon sens, reste une hypothèse d'école. Pour faire plus vrai, elle se met elle-même en scène et invente ce militaire, Melvin Marpple qui, bien sûr a pris l'initiative de ces missives. Au départ on sent le désespoir dans les mots du soldat puis rapidement Amélie Nothomb lui propose de faire du Body-Art, de devenir un artiste de sa propre graisse, c'est à dire de faire de son défaut un avantage. Cette idée transforme sa vie, lui donne un sens. Cet état d'obèse devient une protestation contre l’intervention américaine en Irak, une sorte « d'art engagé ». Puis cette entreprise s'emballe, il faut à Melvin, comme à tout artiste, une notoriété ; un galeriste belge accepte, à la demande d'Amélie, d’assurer la publicité de cet acte créatif et la supercherie est révélée, malgré elle.

     

    Suivent des aventures un peu rocambolesques où le lecteur tombe un peu des nues mais qui mettent en valeur l’imagination créatrice de l’auteure ainsi que l'atteste l'épilogue. Il y a beaucoup de développements sur l'écriture, sur la souffrance qui peut la motiver pour un auteur, le rapport entre l'écrivain et son lecteur, les avantages de leur rencontre éventuelle …J'ai surtout senti dans ce roman une occasion pour l'auteure de parler d'elle, de se présenter comme quelqu'un d'affable, d'attentif à l'autre, ce qu'elle est peut-être, même si dans cette affaire elle est un peu naïve (ne le sommes-nous pas tous parfois ?). Elle admet cependant avoir été bernée et pour finir se croit investie de pouvoirs miraculeux. En revanche, la supercherie révélée, la personnalité de Melvin devient émouvante. Elle montre un être désemparé, seul et abandonné de tous, perdu dans une société qui ne veut plus de lui, mais qui a cependant la force de sortir de cette condition ne serait-ce que pendant un moment. Sa vie d'errance s'est transformée en une addiction pour l'ordinateur et la nourriture au point qu'elle est devenue aussi insupportable que celle qu'il avait auparavant. Je trouve que la démarche de Melvin, qui est un mensonge, est finalement salvatrice pour lui. Il a l'intelligence de mettre Amélie Nothom à contribution à cause d'un de ses personnages, c'est à dire quelqu’un de fictif qui, par ce truchement prendrait vie. Ainsi a-t-il, peut-être un peu malgré lui habité ce personnage du militaire qu'il n'a pas pu être, la réaction positive de l'auteur l'ayant en quelque sorte adoubé, lui redonnant une dignité, « une forme de vie ».

     

    Ce que je retiens aussi c'est le plaisir qu'on peut avoir (c'est mon cas) de recevoir et d'écrire une lettre rédigée à la main sur du papier avec de l'encre, qu'on glisse dans une enveloppe et qu'on poste même si actuellement internet permet à la fois la rapidité et l'efficacité de l'échange, au point que cet exercice d'écriture à la main est ravalé au rang d'une antiquité !

     

    Cela peut sembler être un texte à deux voix mais en réalité le lecteur en est le témoin privilégié, presque de confident. Pourtant je n'ai pas vraiment accroché, un peu comme dans tous les romans d'Amélie Nothomb, que je lis davantage pour ne pas ignorer le phénomène littéraire qu'elle représente et m'en faire une idée que par réel intérêt. Comme toujours j'ai trouvé cela bien écrit, cela m'a procuré une lecture agréable et surtout rapide.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • NUE.

    N°910– Mai 2015

     

    NUE. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Marie est styliste, a de la haute couture une idée très personnelle qui se résume à un concept de robe « sans couture », autant dire une gageure qui se décline sous la forme d'une robe de miel où le corps d'un mannequin entièrement nue est recouvert de miel et suivi par un essaim d’abeilles ! Tel devait être le clou du défilé de mode qu'elle organisait à Tokyo. C'était assurément plus original que la plus extravagante création de Jean-Paul Gaultier ! Cela n’allait pas sans des difficultés de tous ordres mais cela était bien le cadet des soucis de cette femme excentrique dont la spécialité avait déjà défrayé la chronique du métier et bousculer quelque peu les standards de la mode. Pourtant, ce qui promettait d'être un succès tourne au dernier moment au fiasco. L'épisode suivant nous transporte à Paris après que le narrateur et Marie, qui ont été amants pendant deux semaines à l’île d’Elbe où elle possède une maison, viennent de se séparer. Lui qui est éperdument amoureux d’elle, attend désespérément qu'elle l'appelle. Elle le fait au bout de deux mois, jouant sans doute sur son impatience et sur sa solitude mais pour le convier à l'enterrement de Maurizio, le gardien de la maison italienne… Le reste emporte le lecteur dans un tourbillon de souvenirs où Marie, femme d'affaires, créatrice et femme du monde est avant tout imprévisible et traîne derrière elle ce pauvre homme qui voudrait bien reprendre avec elle des relations amoureuses.

     

    Depuis que j'explore l'univers de Jean-Philippe Toussaint, je trouve beaucoup de symboles que je suis pas pour autant capable de déchiffrer, tout au plus se posent-ils en interrogations. Ici, j'y vois plutôt une somme de contraires. Chez Marie, en effet, il y a beaucoup de larmes qui lui viennent facilement mais qui sont tout aussitôt suivies de rires, tout aussi inattendus. Cette antinomie se retrouve dans l'évocation de la vie et de la mort et c'est à propos de l'enterrement de Maurizio qu'elle choisit d'annoncer au narrateur qu'elle est enceinte et pas comme elle l'avait l'avait prévu à l'origine. Paradoxale aussi me paraît être l'attitude de Marie, ses silences qui s'opposent à des intentions de dire, d'annoncer quelque chose d’important mais qui ne débouchent que sur le néant ou en tout cas sur rien d'autre que sur un mutisme que le narrateur lui-même peine à interpréter. Les dialogues échangés entre le narrateur et Marie semblent être menés avec une grande économie de mots, comme si l'essentiel était réduit à quelques paroles suffisantes toutefois pour exprimer sa pensée. Contraste aussi dans l'emploi alterné de l’italien et de français dans certains échanges. Cette différence se retrouve aussi dans l'histoire amoureuse des deux personnages principaux, lui épris d'elle qui semble être étrangère à son attention. Entre eux se succèdent ruptures et reprises d'une liaison qui se voudrait durable mais qui connaît des interruptions imprévues. Il y a aussi les figures qui parsèment ce roman. Marie est évidemment la principale qui fait l'objet de toutes les attentions du narrateur, des évocations de sa vie passée. Elle parle à peine et c'est un long monologue du narrateur qui remplit les pages de ce récit, un peu comme s'il prenait le lecteur à témoin de l'amour qu'il éprouve pour elle et des états d'âme qui sont les siens face à son attitude parfois ambiguë. Il apparaît pourtant comme un personnage légèrement en retrait face à elle, mais d'autres, comme Jean-Christophe de G, juste entr’aperçu et Guiseppe ne sont que des ombres fugitives.

     

    Peut-être suis-passé complètement à côté, mais c'est toujours la même chose avec Toussaint, cette histoire d'amour-désamour qui ne me déplaît pas puisque c'est fort bien écrit, poétique parfois et que cela procure une lecture agréable et facile, mais qui me laisse toujours une sensation bizarre, d’ailleurs assez indéfinissable, d'un récit assez décousu, fait de scènes juxtaposées mais qui finalement est assez entraînant.

     

    C'est le quatrième et dernier volet qui clôt les épisodes de la vie de Marie Madeleine Marguerite de Montalte que l'auteur résume au seul prénom de Marie (Après « Fuir », « La vérité sur Marie » et « Faire l'amour ») .

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FUIR.

    N°909– Mai 2015

     

    FUIR. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Au début, le lecteur apprend que le narrateur doit se rendre à Shanghai pour le compte de Marie, son ex-amie pour ce qui peut être un transfert d’argent ou le paiement d’une transaction. Dès l’aéroport, il rencontre Zhang Xiangzhy, un chinois énigmatique qui va l'accompagner tout au long de ce roman et plus sûrement le surveiller sans qu'on sache vraiment pourquoi. D'ailleurs il lui offre un téléphone portable d'assez bas de gamme. Il croise aussi un belle chinoise, Li Qi, dont on nous dit qu'elle a sans doute été l'amante de Zhang mais qui n'est pas insensible au charme du narrateur, à moins bien sûr que cela en soit pour renforcer la surveillance que ces deux personnages exercent sur lui. Ainsi, ce qui peut ressembler à une passade se tisse petit à petit entre eux dans un train mais toujours Zhang veille ! Pendant son séjour, il apprend la mort du père de Marie. Arrivés à Pékin, l’hôtel qui les accueille révèle une liaison entre Zhang et Li alors que le narrateur dort seul dans sa chambre ! Tout cela est fort ambigu, d'autant que le narrateur semble invité par Zhang qui se charge de tout mais toujours ce dernier discute les prix, cherche à marchander, ce qui est étonnant compte tenu de l'importance de la somme qui lui a été remise à l'aéroport par le narrateur. En fait, tout au long de ce roman, il y a une atmosphère de mystère (la surveillance constante du narrateur y compris par le biais de la jolie Li Qi, la visite au garage et le départ à moto, la fuite du bowling, à trois sur cette moto, la traversée de lieux divers et surtout assez fantomatiques sans qu'on sache vraiment si la police est à leurs trousses, le vrai contenu du sac que Zhang garde précieusement contre lui notamment pendant cette fuite éperdue, dissimulation dudit sac dans un plafond par Zhang qui ordonne au narrateur de prendre un taxi pour rentrer…). Dans la troisième partie du roman, le narrateur se rend à l'île d'Elbe pour l’enterrement du père de Marie qu'il retrouve sur place. Pour autant, ils ne se parlent pas et il part en plein milieu de la cérémonie, sans raison apparente. Puis elle le cherche, le retrouve et entre eux débute une relation charnelle mais qui s’interrompt très vite comme si cela était devenu impossible entre eux. Tout cela se passe en silence et Marie part nager. Il cherche à la rejoindre, ne la trouve pas et on sent la panique légitime qui l'envahit. Après quelques instant, il la trouve et elle s'effondre dans ses bras, en pleurs.

     

    Au-delà de ce résumé un peu fastidieux mais nécessaire dans le cas d'un roman de Jean-Philippe Toussaint tant ils sont toujours assez obscurs et surtout inattendus, j'ai tenté de m'interroger sur ce que je venais de lire. Le voyage est omniprésent dans cette œuvre, ce qui est une fuite comme semble l'indiquer le titre, mais fuir quoi ou qui dans la cadre de ce rythme effréné où tous les moyens de transports possibles sont sollicités ? Est-ce l'image de notre société marquée par ce « mouvement perpétuel » que seule la mort interrompra ou une volonté de l'auteur de ne pas rester en place ? Quelle est la relation entre la Chine et l’île d'Elbe, entre ce transfert d'argent et le décès du père de Marie ? Celle qui est un peu « l'arlésienne » pendant toute la partie « chinoise » du roman révèle sa présence à la fin, mais elle est une sorte « d'apparition » fuyante, pleurante et silencieuse. Que signifie la présence quasi constante du téléphone portable qui accompagne les protagonistes en Chine ? Est-ce l'image de la surveillance continue qu'on entend exercer sur le narrateur et surtout pourquoi ? Quant à lui, il est d'une passivité étonnante que je ne me suis pas expliquée, un peu comme s'il était le spectateur de ce qui lui arrive, mais un spectateur qui se laisse étonnamment diriger sans rien demander. Qui est derrière tout cela ? Marie peut-être, restée en France, mais quel est son véritable rôle dans cette affaire ? Pourquoi cette rupture de rythme entre l'épisode chinois et celui de l’île d’Elbe. Pourquoi Marie oppose-t-elle, comme d'ailleurs dans d'autres romans, des pleurs aux sollicitations du narrateur ? Il y a certes une sorte de souffrance de ces deux êtres, un peu comme si l'absence de l'autre était aussi insupportable que sa présence, comme s'il s'agissait d'une histoire d'amour qui ne pouvait pas finir sans avoir peut-être jamais commencé vraiment.

    Ce roman pose effectivement beaucoup de questions qui, pour moi, restent sans réponse. Et pourtant, même si dans celui-ci, les événements relatés peuvent se poursuivre à l’infini, il y a une sorte d'alchimie qui me retient au texte. Non seulement c'est bien écrit, avec des descriptions précises et évocatrices, poétiques même parfois mais malgré moi, j'ai toujours envie d'en savoir plus, sans que je sache vraiment pourquoi. Le livre refermé j'ai donc toujours un sentiment mitigé comme celui qui reste sur sa faim mais aussi en ayant des difficultés à me remémorer ce que je viens de lire, à en comprendre le thème.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FAIRE L'AMOUR.

     

    N°908– Mai 2015

     

    FAIRE L'AMOUR. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    La première phrase ne peut passer inaperçue « J'avais fait remplir un flacon d'acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi, avec l'idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu'un… ou dans sa gueule à elle, dans son visage, en pleurs depuis quelques semaines ». Le ton est donné, celui de la violence contenue, de l'envie de faire mal, pas vraiment en accord avec le titre. C'est en effet le récit d'un amour qui n'existe plus, qui a duré 7 ans, avec au début des choses que l'on dit qui ont déjà été dites par des milliards d'autres gens et pourtant, nous savons tous que faire rimer amour avec toujours, c'est pour les mauvais poètes et surtout cela n'a rien de vrai, sinon cela se saurait ! Alors quand on a pris conscience que cette union ou que cette aventure n'avait que trop duré et qu'on devait unilatéralement y mettre fin, les idées les plus folles nous traversent la tête et parfois s'y installent, ainsi cette bouteille d'acide. On est loin des serments du début et même il y a urgence !

     

    Les voilà donc à Tokyo, elle pour présenter sa collection de robes dont on se demande si le défilé va finalement avoir lieu, et lui pour accompagner Marie. C'est sans doute la ville choisie pour cette rupture un peu comme si, si elle en se produisait pas dans un lieu extraordinaire, il lui eut manqué quelque chose pour être définitive.

     

    Il y a certes des scènes chaudement érotiques ( ce qui donne sans doute son titre à ce roman?) qui ne m'ont pas laissé indifférent, Marie devant être une belle femme sensuelle, mais cela ne laissait pas vraiment présager la fin de cette liaison. J'avoue que j'ai un peu perdu le fil de cette histoire, entre un tremblement de terre et une escapade du narrateur à Kyoto chez son ami Bernard.

     

    Je n'ai sans doute rien compris, mais il me semble que contrairement à ce qui était dit dans les premières pages, je n'ai pas vraiment eu l'impression qu'il voulait se débarrasser de Marie. Dès lors, je n'ai pas bien compris la présence du flacon d'acide qui ne le quitte pas. Il doit d'ailleurs y avoir une symbolique particulière dans le fait de vider le contenu de cette bouteille sur une fleur fragile après en avoir menacé un inconnu. Cela ouvre largement la porte à nombre d'interprétations mais j'avoue que j'y ai été très imperméable !

     

    J'avais déjà lu des œuvres de Jean-Philippe Toussaint (La Feuille Volante n º 405 et 879) Dans l'une d'elle (« La vérité sur Marie »), il était déjà question d'une Marie, comme ici. C'est sans doute la même puisqu'il semble qu'avec « Fuir » nous sommes en présence d’une trilogie. Elle doit sans doute incarner pour l'auteur l'éternel féminin ou est-elle la figure d'une femme qui sans cesse est destinée à lui échapper, entre amour et désamour entre volonté de faire durer une liaison qui, il le sait, part à vau-l'eau et va se terminer?

     

    Le style est fluide et le roman se lit facilement même si l'histoire en m'a pas vraiment emballé , après tout lire la fin d'un amour, d'une rupture n'est pas enthousiasmant.

     

    En tout cas je reste sur une impression bizarre, un peu la même à chaque fois que je lis un roman de Jean-Philippe Toussaint.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SARA LA NOIRE

    N°907– Mai 2015

    SARA LA NOIRE. Gianni Pirozzi– Rivage Noir.

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    Guillermo est gitan par sa mère. Sept ans plus tôt, il a promis à Sénégas, le patriarche de la communauté des gens du voyage d'Aigues-Mortes de retrouver l’assassin de ses deux filles. A la suite d'une promotion, à a été muté dans la région parisienne mais n'a pas oublié sa promesse. On lui a affecté une affaire de suicide, un certain Martinez vient de se jeter du quatrième étage. C'est aussi un Martinez qui a assassiné dans le sud de la France les deux petites gitanes, son affaire d'il y a sept ans qu'il n'avait cependant pas oubliée refait donc surface.

    Ce n'est pourtant pas un sentimental, plutôt un marginal entre deux mondes ce flic puisqu'il est pisté par l'IGS pour trafic de drogue et proxénétisme. Il se permet même de faire attendre les collègues venus l'interroger. Il a été marié mais la pension alimentaire pour se deux filles n'est pas vraiment son problème puisqu'il est avec Hazfia, une jeune marocaine, jadis contrainte au mariage et qui maintenant s'adonne à la drogue et à la prostitution. Son ex-mari poursuit également le policier. En outre, il a sous sa coupe une communauté de femmes battues qu'il contraint à la prostitution.

    Djibril est une petite frappe, tout juste sorti de prison, un dealer qui pour se faire une place dans le milieu a accepté de faire la peau à Guillermo. Voilà donc notre policier poursuivi à son tour alors qu'il est en charge d'une affaire d’incendie qui sonne comme un règlement de compte.

    A l'aide de fréquents analepses l'auteur revient sur cette promesse. A la fin c'est un peu agaçant. C'est pourtant un livre qui se lit vite, heureusement. Je n'ai pas goûté le style très polar, pas plus que l'intrigue. Autant dire que je me suis ennuyé. En effet qu'un flic soit amoureux d'une prostituée et qu'il soit accessoirement dealer, même si dans la vraie vie cela peut être rare, c'est sans doute possible, qu'il y ait des ripoux dans la police qui arrondissent leur fins de mois dans l'illégalité, je ne suis pas spécialiste mais, connaissant un peu l'espèce humaine, je veux bien l'admettre. Ce thème a fait les beaux jours de la littérature policière, ce n'est donc pas très original.

    Et le lien avec Sara la Noire, cette sainte vénérée par la communauté gitane aux Saintes-Maries-de-la-Mer ? Simplement parce que Guillermo, d'origine gitane, se recueille volontiers devant elle dont il a un oratoire à son domicile, quand il a des périodes de doute. Cela va quand même assez mal avec sa personnalité de ripoux, dealer et proxénète… mais il est vrai que je en suis pas spécialiste !

    Ce roman est un remake d'une nouvelle de Marc Villard (« Entrée du diable à Barbes-ville ») ce qui était un intérêt supplémentaire pour moi. J'ai quand même poursuivi ma lecture pour voir si ma curiosité serait enfin titillée et également pour me faire une idée de l'univers de cet auteur que je ne connaissais pas mais dont je n'ai pas vraiment envie de poursuivre la découverte de l’œuvre.

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  • LA PASSION SELON JUETTE .

    N°906– Mai 2015

    LA PASSION SELON JUETTE . Clara DUPOND-MONOD - GRASSET.

    Juette à 13 ans et apprend à coudre parce qu'à cet âge, en pleine période médiévale, on se marie quand on est une fille. Son univers c'est cette petite ville belge de Huy où son père est un riche et influent collecteur d’impôts épiscopaux. Jusqu'à présent elle se conforme aux prescriptions de l’Église, prie, respecte des parents, reste renfermée sur elle-même, menue et farouche. Elle aime les belles et naïves légendes de chevaliers, même si, dans le cas de Lancelot et de Guenièvre ou de Tristan et Iseult, elles parlent d'adultère, c'est à dire de péché, sent son corps grandir mais n'est pas encore une femme, elle le sait. Elle va quand même devoir se marier et donc procréer parce qu'à cette époque c'est le rôle de la femme. Cela fera des vies et des âmes sur lesquelles l’Église, puissance spirituelle mais aussi temporelle, pourra régner. Pourtant, elle se méfie du regard des hommes mais cependant ne parle qu'à un seul d'entre eux, un moine séculier, Hugues de Floreffe, que ses parents apprécient. Il est son confident et son guide dans la foi, différent des autres prêtres qui sont volontiers corrompus et indignes de leur charge. Malgré leur amitié pure mais parfois un peu équivoque dans les mots, malgré son aide et son exemple, il reste partagé entre sa volonté de la soutenir et son obéissance aux dogmes de la religion et à la règle de son ordre. Ainsi, malgré son jeune âge Juette pose des questions embarrassantes pour son entourage, porte sur le monde qui l'entoure un regard étonné qui rapidement devient critique , a le courage de dire « non »  à l’Église qui, à ses yeux, n'a rien à voir avec Dieu qu'elle craint et vénère et à Qui elle souhaite vouer sa vie, redoute les hommes « avides »... Pourtant cela ne l'empêche pas d'être mariée de force à 13 ans avec un homme qui a l'âge d'être son père et qu'elle n'aime pas… et d'être veuve cinq ans plus tard. Cela contribue largement a modifier sa perception du monde et l'invite à ne plus se plier servilement au rôle qui lui était dévolu dans la société. C'est une révélation, une invitation et même une vocation. Dès lors, elle qui n'aimait guère la vie conjugale, est libre mais va mettre cette liberté en accord avec elle-même, avec ses idées révoltées alors que son père songeait déjà à lui donner un autre mari. Elle se sépare de ses biens, se consacre aux lépreux mais sans entrer dans les ordres, c’est à dire sans se soumettre à une règle d’obéissance aveugle qui entamerait sa liberté, réorganise le petit aréopage de femmes qui ont pris le même engagement qu'elle, se porte à leur tête. Ce faisant, elle s'attire les foudres de cette Église qui entend tout régenter et l'accuse d'hérésie parce qu'elle remet en cause de concept même de soumission.

    De son vivant on vantait son exemple et après sa mort elle fit l'objet d'une véritable vénération et donna naissance à des vocations de femmes semblable à la sienne. On la qualifie volontiers de « Sainte laïque » mais l’Église s'est bien gardée d'ouvrir pour elle un procès en canonisation simplement parce qu'elle n’aime guère ceux qui, certes appliquent le message de l’Évangile, mais le font hors de sa férule.

    Avec ce texte à deux voix, deux monologues intérieurs, l’auteure nous fait partager l'ambiance foisonnante du Moyen-Age autant que le paysage intérieur de cette jeune femme et les états d'âme de Hugues. Ce livre est le témoignage romancé de la vie d'Ivette (ou Juette) de Huy (1158-1228) qui fut transcrite par le moine Hugues de Floreffe et que Georges Duby fit revivre dans son ouvrage « Dames du XII° siècle ». A son tour et dans sa manière délicate et nuancée, Clara Dupond-Monod évoque cette femme d'exception. Juette illustre, comme d'autres, cette réaction contre une Église corrompue et un clergé vicieux, proclame son engagement (« le dévouement sans le serment, la religion sans le clergé, la foi au service des autres »), incarne ce courant médiéval de remise en cause des institutions religieuses qui a donné naissance à l'hérésie cathare, l'a fait sortir de l'anonymat et a fait d'elle quelqu’un d’étonnamment moderne, libre, indépendante, capable de mener seule sa vie mais dans un but altruiste.

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  • DERAPAGES

    N°905– Mai 2015

    DERAPAGES . Danielle Thiéry - Versilio.

    Tout d'abord une information comme les médias en diffusent chaque jour au point d'en devenir banale : on a découvert un corps sur la plage de Berck et la police hésite entre accident de baignade et acte criminel. Edwige Marion, commissaire parisien, à qui on attribué l'affaire de préférence aux policiers locaux, enquête sur place et l'autopsie révèle que la victime est une femme entre 50 et 60 ans mais qui a les apparences d'une enfant ! A cette occasion, Edwige a au moins l'occasion de retrouver Olivier Martin, le médecin légiste qu'elle a connu dans une autre vie. Au cours de cette enquête, d'anciens couples se reformeront ainsi, d'autres liens se tisseront… Au même moment, elle récupère sa fille adoptive, Nina, choquée, mutique et couverte d'un sang qui n'est pas le sien et qui a mystérieusement voyagé depuis Londres en Eurostar. Elle vivait chez sa sœur aînée qui, avec son mari, Sasha Azonov, spécialiste du génome humain, ont disparu.

    Au même moment à Paris, une femme, Jennifer, est victime d'un accrochage avec sa voiture et on lui vole son bébé de 4 mois en le remplaçant par une jeune fille à l’apparence d'un vieillard, lui conseillant de ne pas appeler la police. Elle a l’impression d'être tombée dans un traquenard d'autant plus surréaliste que, lorsque la télévision a révélé le visage du cadavre de Berck, elle a eu la certitude de la connaître ! Son mari, un autre Sasha a également disparu !

    A priori, il n'y a pas de lien entre ce qui peut être un assassinat et cet enlèvement d'enfant, non plus d’ailleurs qu’entre ces différentes disparitions. Tel est le point de départ d'une enquête où le mystère s'épaissit à chaque page, avec des cadavres qui disparaissent, des pièces à conviction qui sont subtilisées, des accidents, des voitures qui brûlent, une façon d’opérer de la part des voyous vraiment peu commune et qui s’apparente à des pratiques mafieuses, une mystérieuse boucle d'oreille, une friche industrielle déserte, des investigations hasardeuses qui ne débouchent sur rien de concret et qui procurent davantage d'interrogations que de certitudes, des enlèvements, des disparitions, un imbroglio de sociétés-écrans à l'international, des recherches bien mystérieuses sur la génétique… Bref une histoire un peu compliquée, sur fond d'ADN, où la manifestation de la vérité devient de plus en plus problématique et qui met en scène la recherche de l'éternelle jeunesse, celle de la notoriété et de l’appât du gain, du refus de la mort, si chères à la condition humaine sans pour autant qu'on se soucie des conséquences. On ne nous épargne pas non plus l'espionnage systématique d'autant que la DGSI est partie prenante dans cette affaire, les coïncidences troublantes et les divers rebondissements qui, pour la commissaire et son équipe s'accumulent et où le lecteur se perd un peu d'autant qu'il voyage constamment de Paris(l'incontournable 36 quai des Orfèvres, mais pas seulement) à Nanterre, à Saint-Denis, en Russie…, à la recherche de cet énigmatique Sasha aux multiples visages et à l'accent slave. On n'échappe pas non plus au traditionnel alcoolisme des policiers, à leur langage argotique, à l'évocation très « british » du collègue anglais du commissaire Marion, aux inévitables marques de condescendance hiérarchique entre collègues, à l'incontournable enterrement d'un policier mort en service et des paroles creuses qu'on peut dire devant son cercueil !

    Les chapitres sont courts et se lisent facilement, comme ceux d'un thriller. Le texte fourmille de détails, de remarques sur fond de guerre des services, de manipulations diverses, d'antagonismes police-justice, de blocages de la part de la hiérarchie attachée aux faits et imperméable aux élucubrations des psy et autres nouveaux venus, des lourdeurs administratives, des inévitables« dérapages » en marge de la procédure et donc de la légalité, les obstructions des ambassades, toutes choses qui ne peuvent émaner que d'un policier ; Danielle Thiéry fait ici honneur à son ancien métier de commissaire divisionnaire. J'ai eu un peu de mal au début à entrer dans cette histoire embrouillée, mais je dois dire que, au fil des pages, l'auteure s'attache son lecteur avec un réel sens du suspense et j'ai vraiment eu envie de connaître l'épilogue. Je ne suis pas un spécialiste de la générique mais j'ai apprécié les informations que comporte ce roman autant que le parti-pris de l'intrigue qui transforme les humains esclaves ou en cobayes. Cela montre le sérieux de sa documentation et la pertinence du scénario. Quant à Nina, la fille du commissaire, elle entre à cette occasion dans l'âge adulte par la grande porte mais veut, de toutes ses forces, garder ses illusions d’adolescent. J'ai fait allusion tout à l'heure au passé professionnel de l'auteure. J'espère, comme l'indique la note de fin, que cette affaire est effectivement née dans son imagination féconde et n'est pas inspirée par la réalité.

    J'avoue que je ne connaissais pas cette auteure jusqu'à ce que les éditions Versilio m'envoient cet ouvrage, ce dont je les remercie. Quoiqu'il en soit, je n'ai pas été déçu par ce moment de lecture et j'ai bien envie d'explorer le reste de l’œuvre de Danielle Thiéry.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA FOLIE DU ROI MARC

    N°904– Mai 2015

    LA FOLIE DU ROI MARC .Clara Dupont-Monod – Grasset.

    Clara Dupont-Monod s'approprie un thème vieux comme le monde, celui de l'amour impossible puisqu'il a déjà ses mythes, celui de Roméo et Juliette, de Cyrano et de Roxane, d’Héloïse et d’Abélard… Elle choisit comme sujet de son roman la relation amoureuse de Tristan et Iseut conservée par la tradition orale bretonne et qui été largement illustrée au Moyen-Age, notamment par Chrétien de Troye. Tristan a été recueilli et élevé comme son fils par son oncle Marc, roi de Cornouailles. Pour avoir un héritier direct, le souverain doit se marier et il choisit Iseut, une princesse irlandaise que va chercher Tristan. Les deux jeunes gens tombent amoureux l'un de l'autre après avoir bu par erreur un philtre mais malgré celai, Iseut épouse Marc tout en étant l'amante de Tristan. La légende celte conclut cet amour impossible par la séparation et la mort des deux amants. Ici l'auteur revisite cette histoire mais du point de vue de Marc seulement. Il est présenté comme un mari trompé deux fois, non seulement par une femme infidèle mais aussi par un neveu traître qui pourtant lui doit tout. Il s'ensuit un long monologue pendant lequel il confesse l'amour qu'il porte à son épouse, les attentions qu'il a pour elle. Aveuglé par sa beauté, il ne voit rien du manège des deux amants mais alerté par ses barons finit par se rendre à l'évidence et bannit Tristan et Yseut lui revient.

    Avec une réelle dimension émotionnelle, l'auteur nous fait partager la naïveté de Marc, son ignorance de ce qui se trame derrière son dos, la confiance aveugle qu'il lui fait, puis son désarroi quand il prend conscience de son erreur. Il est pourtant fou amoureux d'Iseut qui le délaisse au profit de son amant, elle qui n'a aucune considération pour lui, pour son autorité royale. On la sent silencieuse, indifférente à l’humiliation qu'elle lui impose, ajoutant au plaisir que lui procure son amant celui de rabaisser son époux et ce d'autant qu'elle sait qu'il ne fera rien contre elle. Pour donner le change ou faire durer son calvaire, elle a auprès de lui et en public un rôle passif, équivoque même, entre les ragots et la jalousie de la cour, tandis que Tristan reste tapi dans l'ombre, attendant son heure. Se sent-elle autorisée à agir ainsi contre son époux qu'elle n'aime pas, est-ce l'effet du philtre ou de son égoïsme ? Face à cette liaison adultère, Marc n'oppose au début que sa tristesse, sa volonté de supporter l’opprobre par amour pour cette femme en se demandant ce qu'il a bien pu faire pour mériter cela. Puis il la méprise pour finalement admettre que cette situation délétère le détruit. Il tergiverse, réagit comme un mari trompé mais aussi comme un roi qui décrète une vengeance à la mesure de la faute. Finalement la légende reprend son cours...

    Loin de se moquer d'une situation qui d'ordinaire suscite la raillerie, surtout quand on n'est pas concerné, le lecteur communie à la peine de cet homme trahi par sa femme. L'auteure choisit de lui donner la parole, de le tirer de l'oubli alors que le mythe choisit de conter ce qui n'est pas autre chose qu'un adultère, débarrassé d'ailleurs de toute culpabilité. Elle le présente comme un homme qui se croyait sans doute protégé par son amour pour sa femme ou par son autorité royale et qui se voit soudain ravalé à la position d'un simple humain. Elle analyse les différentes phases par lesquels passe un homme victime de la trahison, surtout quand celle-ci vient de quelqu’un qu'on aime, tant il est vrai qu'on n'est vraiment trahi que par les siens. Puis son malheur le fait peu à peu entrer dans la folie, il doute de ce qu'il a vu, finit par se persuader que c'est une illusion, que son épouse lui est fidèle, que tout cela n'est qu'un cauchemar. Cette malheureuse histoire fait de lui un lâche, un pauvre homme, un faible qui ne sait même pas tenir sa femme qui admet tout et ce d'autant plus qu'il lui semble que Dieu est complice des amants.

    Ce thème hérité du Moyen-Age peut sembler suranné aujourd'hui où les idées autour du mariage et des relations amoureuses sont différentes. Certes le contexte est autre mais ce que je retiens c'est le malheur de Marc, ses états d'âme à propos de l'adultère de sa femme. Cela c'est universel et très humain et même si les choses ont pu changer, les idées évoluer et se libéraliser, la peine, le chagrin restent les mêmes face à une telle trahison.

    C’est un thème vieux comme le monde, souvent repris dans les légendes médiévales. Les relations amoureuses entre les hommes et les femmes ont toujours nourri les création artistiques et en particulier celles des écrivains. Ici, le texte est servi par la belle plume de Clara Dupond-Monod. Son style est pathétique, simple, dépouillé, poétique, parfois mais un peu redondant quand même à certains moments. Je continue cependant d'explorer avec plaisir l’œuvre de cette auteure.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Don Quichotte 

    N°903– Mai 2015

    Don Quichotte . Miguel de Cervantes

    Je viens de relire Don Quichotte, œuvre qu'il est inutile de résumer puisque depuis sa parution on l'a abondamment commentée. Je me suis seulement demandé si cet étrange roman n'était pas toujours d'actualité et si la folie n'était pas un refuge bienvenu surtout dans une société si marquée par la réussite, l'argent, la recherche de la notoriété, du profit, des apparences et si, face à cela qui ne me convient décidément pas, il ne valait mieux pas vivre dans un monde parallèle, si marginal soit-il, pour ne pas vivre selon les critères sus-nommés.

    N'est-il pas en effet rassurant de poursuivre des « châteaux en Espagne » (sans mauvais jeu de mots) c'est à dire des choses qui n'ont aucune chance de se produire, ne serait-ce que pour nous aider à vivre dans cette vallée de larmes qu'est la vie. D'aucuns nommeront cela fantasmes, oui, et après ! Poursuivre un rêve, de préférence un peu fou, qu'on peut aussi nommer ambition personnelle n'est-ce pas un peu faire le même parcours que notre pauvre chevalier ? Comme lui on peut toujours rêver de faire quelque chose de notre pauvre vie , de marquer notre passage sur terre et ne jamais y parvenir tant sont nombreux ceux qui ont décidé de nous en empêcher, de nous trahir jusque dans notre immédiat entourage. Il en va de même quand notre pauvre ami décide de faire une confiance aveugle à ceux qu'il rencontre. Dans notre monde où la trahison est presque érigée en règle du jeu, nous savons tous, pour l'avoir expérimenté que s'en remettre ainsi aux autres est une attitude bien risquée. Quant à vouloir à toute force s'improviser redresseur de torts, même si cela témoigne d'une grandeur d'âme, cela ne peut vous attirer bien souvent que des ennuis. L'actualité est riche de ces expériences avortées.

    En ce qui concerne la promesse que fait Don Quichotte à Sancho Panza de lui confier le gouvernement d'une île imaginaire, cela me rappelle, toutes choses égales par ailleurs, Don Quichotte n'étant pas susceptible de mauvaise foi, les promesses électorales dont nos élus ne sont pas avares mais qui ont la particularité de ne jamais voir le jour. Un ancien président de la République n'a-t-il pas dit qu'elles n'engageaient que ceux qui les croyaient ? Sauf que dans le cas des politiques il n'y a ni la naïveté ni l'idéalisme du Chevalier à la triste figure.

    Quant à se battre contre les moulins, il nous est sans doute arrivé de nombreuses fois dans notre vie de le faire à notre tour sans forcément que l'issue soit semblable à celle qu'a connue notre pauvre chevalier. Cet épisode qu'on retient volontiers, malgré toutes les autres aventures de notre héro, est emblématique et il est évidemment facile de s'en moquer. Pour autant, n'a-t-on jamais fait, sous influence, des choses qui plus tard, la période d'émotion passée, ont heurté notre propre raison et notre propre logique ? Bien malin sans doute qui pourrait affirmer le contraire.

    Idéaliser une femme comme le fait Don Quichotte en lui donnant les attributs de la belle Dulcine de Toboso, cela aussi nous l'avons tous fait, et pas forcément pour notre bonheur. Au moins notre chevalier en va-t-il pas jusqu'au mariage, reste-t-il dans son monde et n'est-il pas confronté à la trahison, au mensonge, à l'adultère qui sont souvent les conséquences de cet aveuglement.

    Est-ce que cette manière de s'improviser chevalier errant à une période où ils n'existaient plus n'était pas finalement une marque d'originalité, une volonté de se démarquer face à l'instinct grégaire qui veut que chacun ressemble à son voisin ou plus sûrement à des personnages connus ? Plongé dans une société qu'il réprouve et désireux de s'en démarquer, il sera quand même rejoint par ceux qui la font et qui ne manqueront pas de saisir l'occasion d'abuser de sa naïveté et ce malgré la voix de la raison de son bon Sancho qui, à l'occasion, en profite même un peu lui aussi. Et d’ailleurs n'avons-nous pas nous-mêmes parfois saisi de pareilles opportunités au détriment d'êtres plus fragiles pour les mystifier encore davantage.

    Quant à la méditation sur la vanité des choses, cela vaut bien tous les messages philosophiques ! Cette histoire sur la relativité des choses humaines est bienvenue. L'homme est naturellement porté vers la puissance, le pouvoir, la richesse. Le fait d'être important un jour et le lendemain n’être plus rien est très actuel et carrément éternel, les Romains ne disaient pas autre chose parlant de la Roche Tarpéienne si proche du Capitole.

    Quant à cette période un peu folle qui voit Don Quichotte, hidalgo paisible, se transformer en chevalier errant, c'est sans doute aussi la jouissance intérieure que nous ressentons tous quand le hasard nous prête ce « quart d'heure de gloire » si agréable qui nous fait sortir, forcément provisoirement, de la condition de quidam.

    En réalité ce roman, derrière des apparences volontiers critiques voire comiques, me paraît camper à travers Don Quichotte un personnage emblématique de la condition humaine. Ce faisant, Miguel Cervantes a évoqué, comme le feront plus tard Shakespeare, Molière, Victor Hugo ou Céline une part de nous-mêmes.

    Une des causes de la folie de Don Quichotte est la lecture effrénée des romans de chevalerie qui lui auraient asséché la cervelle. La lecture aurait donc des effets néfastes sur le cerveau. C'est vrai que même si la chevalerie n'est pas vraiment ma tasse de thé, j'aime bien les romans. Ils me procurent un dépaysement bienvenu et d'autant plus apprécié que mon quotidien se révèle de jour en jour plus délétère. Et je dois avouer que « ce vice impuni » me taraude depuis bien longtemps, cette chronique en est notamment le témoin. Pourtant, je ne me sens pas menacé. Quoique !

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE ROI DISAIT QUE J'ETAIS DIABLE

    N°902– Mai 2015

    LE ROI DISAIT QUE J'ETAIS DIABLE – Clara Dupond-Monod - Grasset.

    On parle beaucoup des femmes en politique, surtout pour déplorer leur absence. Pourtant s'il est une figure qui a marqué son temps, c'est bien celle d'Aliénor d'Aquitaine… Et nous étions en plein Moyen-Age ! On a beaucoup parlé du mariage, glosé sur les qualités respectives que doivent avoir les époux pour que leur union soit heureuse mais franchement là tout opposait Aliénor à Louis VII qu'on avait tiré du couvent parce que son aîné avant eu le mauvais goût de mourir. Elle aimait la vie et l'amour et lui était confit dans l'eau bénite et les patenôtres, vivait dans l'ombre de l'abbé Suger, elle était riche, belle et ambitieuse et lui pauvre et hésitant, maladroit, elle était cultivée, aimait la poésie et les poètes de sa langue d'Oc et lui était triste, austère, naïf, s’abîmait en prières, enfin ils étaient tellement différents que ce mariage de royal cousinage, donc arrangé, ne pouvait que capoter, ce qui n'a pas manqué de se produire... et il fut annulé ! Son rapide remariage avec Henri II Plantagenet fit d'elle la reine d'Angleterre mais cette union et l'apport qu'elle fit de son fief français portera en germe les causes de la « Guerre de cent ans ». Elle aura une vie mouvementée sur le plan personnel et politique ce qui fit d'elle un personnage hors norme, donc particulièrement passionnant.

    Avec un réel talent de conteur, l'auteure promène son lecteur dans ce Paris médiéval, certes pas très ragoutant, mais on y croise des coutumes, des jeux de l'époque et le dépaysement est total. Avec ce texte à deux voix, face à un roi hésitant, amoureux et jaloux mais qui a la piété d'un moine, elle évoque Aliénor qui découvre son nouveau royaume, elle qui vient d'un sud doux et ensoleillé aimera pourtant cette cité et surtout son peuple. Ce qu'elle aime moins ce sont ceux qui gravitent autour du roi, des flagorneurs, des courtisans qui en lorgnent les miettes. Elle vilipende Adélaïde, la reine-mère que son fils finit par éloigner de lui, le zélé abbé Suger, ils sont avides de pouvoir et elle constate que son mari n'est vraiment pas fait pour elle. Au long des chapitres on découvre une Aliénor belle et rebelle, désireuse de réformer le royaume pour le bien du peuple, qui n'aura de cesse de cultiver sa différence, sa personnalité, sa liberté. Elle sera un modèle pour les femmes et peuplera les rêves des hommes, en sera parfois leur cauchemar. Elle ne tardera pas à affirmer son pouvoir sur le roi et obtenir qu'elle soit une reine sans partage même si son rôle est avant tout d'assurer la dynastie et donc de se sacrifier. Elle ne donnera à Louis que deux filles mais sa descendance sera prestigieuse, elle sera notamment la grand-mère de Saint Louis. On lui prête des aventures amoureuses, on tisse contre elle « une légende noire », on moque son appétit d'Orient, mais de tout cela elle n'a cure. Elle veut modeler un roi à son image, l’incite à guerroyer, à s’opposer au pape qui l'excommunie, un comble pour ce roi dévot, mais sa participation à la deuxième croisade, pourtant calamiteuse, fera oublier tout cela. C'est Raymond de Poitiers, l'oncle d'Aliénor qui conclut ces quinze années de règne français de sa nièce qui auraient pu être heureuses mais qui en l'ont pas été. Elle n'en a cependant pas fini avec la vie.

    Ce texte est une fiction autour de la personne de cette reine dont la vie laisse des zones d'ombre que l'imagination du romancier peut combler. C'est donc un parti-pris mais j'ai eu plaisir retrouver sous ses traits ceux de Mélusine, cette fée mythique si ancrée dans le terroir du Poitou. C’est curieux comme les deux femmes se ressemblent, l'une bien réelle et l'autre qui appartient à la légende au point peut-être de confondre leurs destinées.

    le style est alerte, aux accents poétiques parfois, entre épopée et tragédie, entrecoupé de textes de Marcabru, de Rudel et de Guillaume de Poitiers son grand-père, connu sous le nom de Guillaume le Troubadour. C'est vraiment un plaisir que de parcourir la vie de cette femme d'exception.

    Je ne connaissais pas cette auteure dont j'ai bien envie de découvrir l’œuvre.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • PAYS PERDU

     

    N°901– Mai 2015

     

    PAYS PERDU – Pierre Jourde – L'esprit des péninsules.

     

    Parce que son frère vient d'hériter d'un lointain cousin, Joseph, il revient avec le narrateur dans ce village perdu du Cantal pour prendre possession de son héritage, au vrai pas grand chose une fois que toutes les vieilleries auront été brûlées et les lieux nettoyés de tout ce que ce vieux célibataire avait, tout au long de sa vie, amassé. C'est aussi l'occasion d'apprendre la mort de Lucie, une jeune fille du village, torturée depuis longtemps par la maladie et d'aller à ses obsèques.

     

    Ce roman qui se déroule sur deux jours retrace la vie des habitants d'un petit village du Cantal, Lussaud, où l'auteur a ses origines. C'est effectivement un pays perdu, un petit village de quelques familles dont le nombre va diminuant, où la route qui y mène se termine en cul-de-sac. A l'occasion de cet enterrement où il va revoir des voisins et des parents éloignés, des souvenirs d'enfance vont lui revenir et il va décrire ce terroir tel qu'il le voit, comme si l'écrivain qu'il est, portait cela en lui depuis bien longtemps. Sous sa plume, les paysages sont bucoliques et décrits poétiquement mais le village lui-même et ses habitants sont marqués, comme bien souvent ailleurs, par la solitude, l'alcoolisme, le suicide, le handicap mental qui résulte souvent des conséquences d'un alcoolisme militant et des mariages consanguins depuis plusieurs générations. Il évoque les incontournables vieux garçons, restés célibataires pour n'avoir jamais croisé de femme, la haine des clans, entretenue d'années en années, née d'une faute grave ou d'une broutille mal interprétée et qu'on avait même fini par oublier, mais qui est vouée à une impossible réconciliation. Il parle des inévitables adultères que tout le monde connaît mais qu’il faut taire, des ragots, de la cohabitation des générations sous un même toit, de la traditionnelle obéissance aux anciens, des rituels comme les verres de vin et d’apéritifs qu'on partage, les parties de belote, la lecture du journal, la mise à mort annuelle du cochon, la vie simple, austère, dure, de la saleté des fermes, de l’hygiène plus que relative au quotidien, de la rudesse du climat d'hiver, des villages quasi-déserts aux cimetières plus peuplés que les maisons. Il n'oublie pas non plus les fantasmes entretenus de tout temps, celui du trésor caché, des hypothétiques louis d'or enfouis dans les matelas mais qu'on en retrouve jamais. D'ailleurs le narrateur lui-même y succombe, les cherchant sans l'avouer, dans le fatras du cousin Joseph. De tout cela il parle sans complaisance et sans détour, décrivant le village tel qu'il est. Il se souvient de son enfance passée au village, revoit ceux qui sont encore là et qui suivront le cercueil et ceux qui ne viendront pas. Cet enterrement lui rappelle son père, sa vie, sa tombe...Il se laisse aller à des considérations personnelles sur la mort, la souffrance, les larmes qu'il exprime avec les mots de l'écrivain.

     

    Ce texte évoque la disparition progressive et définitive d'une certaine forme de société paysanne qui désormais appartient au passé ou qui est promise à une mort prochaine et dont l'auteur a voulu porter témoignage. Même si ce n'est pas exactement un hommage, le dire, surtout de la manière dont a choisi l'auteur, n'a rien de déplacé et ne manifeste aucune volonté de dénigrer quiconque, même si ce n'était pas tout à fait ce qu'attendaient ces habitants. Malheureusement, ce livre qui est avant tout une œuvre d'art, une œuvre de l'esprit, n'a pas atteint son but, bien au contraire puisqu'une incompréhension s'est installée en même temps qu'un malaise. Ce qui, au départ ne devait être qu'une nouvelle relatant la mort d'une jeune fille s'est petit à petit transformé en roman à l'invite des souvenirs de l'auteur. Dans ce microcosme où tout se sait mais où tout doit rester secret jusqu’au sein des familles, il a osé briser le tabou du silence en évoquant les gens et leur histoire, même si les noms ont été changés. Ceux qui se sont reconnus ne l'ont pas supporté, l'ont accusé de « violer » ce village et sous couvert de parler d'eux s'est mêlé de ce qui ne le regardait pas, a révélé tout cela tout cela au grand jour. Dire des vérités, révélé des informations est devenu à leurs yeux inconcevable même si l'auteur y a inclus lui-même sa propre histoire, celle d'une lointaine filiation adultérine.

     

    Pierre Jourde n'est pas un inconnu pour cette revue et la lecture de « La première pierre » m'avait ému (La Feuille Volante n°708). Il se trouve que les personnages dont parle l'auteur ont considéré que ce dernier, même s'il était originaire de ce village et même s'il était écrivain, n'avait pas le droit de parler des vivants et des morts, c'est à dire d'eux. Une polémique est donc née et, après la parution du livre, lorsqu'il est revenu, comme chaque été pour les vacances dans ce village où il possède encore une maison de famille, il a été agressé et la chose s'est terminée comme de juste devant le tribunal. C'est un peu comme si, puisqu'il était parti du village, qu'il avait embrassé une autre vie que celle de gratter la terre, qu'il avait choisi de vivre différemment des gens d'ici, qu'il était devenu universitaire et écrivain, il était maintenant considéré comme un étranger dont peu ou prou on était jaloux. Georges Brassens ne dit pas autre chose « Non les gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » ce à quoi Pierre Vassiliu lui répond « Ça emmerde les gens quand on vit pas comme eux ».

     

    Ce que je retiens pour ma part et en dehors de cette polémique stérile (d'autant qu'il y a « chose jugée »), c'est l'écriture poétique de cet auteur, les descriptions méticuleuses et particulièrement réalistes des paysages et des gens. A titre personnel, j'ai entendu la même petite musique agréable que celle dont le poète Georges-Léon Godeau faisait entendre dans ses écrits. Je pense aussi qu'il ne peut y avoir d'art, d'inspiration, sans la nourriture de l'esprit qu'est le réel et qu'un écrivain choisisse d'irriguer son œuvre avec ses souvenirs et son environnement n'a rien de scandaleux. Au nom de quoi les peintres, les musiciens, les écrivains n'auraient-ils pas le droit de puiser leur créativité dans la réalité qui les entoure. Il me semble d’ailleurs que cela a déjà été fait, et avec talent, et notre belle littérature est riche de ces écrits dont notre culture, à juste titre, s’enorgueillit. Et puis n'a-t-on pas beaucoup parlé récemment de la liberté d’expression qui est si chère à notre démocratie et à notre modèle social ? Il y a, bien évidemment, l'indispensable respect de l'autre mais, sans vouloir entrer dans le débat, je n'ai vu dans ce texte aucune allusion tendant à porter préjudice à ceux qui sont ici décrits ni la moindre la moindre intention de leur nuire. Si ce qu'ils ont lu correspond à la réalité et que cette réalité les indispose, qui y peut quelque chose ?

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'INCENDIE

    N°900– Mai 2015

    L'INCENDIE – Antoine Choplin – Hubert Mingarelli – La Fosse aux ours.

    Deux hommes qui se sont connus dans le passé et qui se sont revus à l'occasion de l’enterrement du père de l'un d'eux entament une correspondance. Jovan habite Belgrade et travaille aux archives d'un institut de musicologie et Pavle habite un port de l'Argentine et travaille dans une scierie. La cérémonie passée, ils décident d'entreprendre une correspondance. C'est à cet échange épistolaire qu'est convié le lecteur.

    Au commencement, les lettres sont brèves, presque timides mais rapidement ce qui pouvait passer pour une correspondance de circonstances qui n'avait aucune chance de perdurer bien longtemps, s'étoffe, les lettres s'allongent et évoquent des souvenirs précis du conflit en ex-Yougoslavie auquel ils ont ensemble participé. Pourtant elles sont écrites avec une grande économie de mots, comme si ce qui motivait réellement cette correspondance devait cependant rester secret. On y apprend l'existence d'une maison désormais en ruines à Ostrovo, la présence d'un troisième soldat, Branimir, et d'une femme, l'occupante de cette maison. Dès lors le lecteur entre de plain-pied dans les souvenirs, mais ils resurgissent presque malgré soi et on aurait bien voulu les oublier à jamais au point que leur simple évocation suffit à interrompre momentanément cet échange, tant le malaise qu'ils ont réveillé est grand. C'est un peu comme si Jovan voulait se débarrasser de « ses sales pensées » en les écrivant à son ami par dessus l'océan, mais elles s'incrustent malgré sa volonté de parler d'autre chose.

    Cette correspondance est assez étrange. Non seulement elle évoque un souvenir que nos deux épistoliers auraient voulu oublier, mais c'est un peu comme s'ils souhaitaient se faire mal ou remuer avec cependant un certain courage les vieux démons et, par ce biais, obtenir une forme de rédemption, cette correspondance n'étant pas autre chose qu'une véritable confession. L'absolution devait sans doute venir de cette évocation elle-même et de la réponse de l'autre, de sa compréhension, de son acquiescement, ou peut-être du chemin fait à moitié par chacun d'eux ? Cette volonté de revivre le passé en évitant de voir le monde non comme il est mais comme on voudrait qu'il soit, de pratiquer face aux difficultés la politique de l'autruche, l'envie que tout cela n'ait été qu'un simple cauchemar ou simplement que tout cela n'ait jamais existé, c'est sans doute l'attitude de Pavle qui a pris l’initiative de cette évocation que Jovan fait semblant de ne pas comprendre, au moins au début. Il y a une montée de l'intensité à travers les phrases échangées, mais aussi une sorte de paradoxe dans cet échange. Jovan et Pavle remuent un passé fangeux mais, à la fin de chaque lettre, ils font échange d'amabilités et de vœux qui sont en contradiction avec les paroles partagées, les non-dits qu'ils font semblant d'ignorer, des souvenirs qu'ils voudraient définitivement effacer.

    Je me suis toujours demandé si on pouvait se libérer par l'écriture, si le fait de mettre des mots sur des maux pouvait les adoucir, exorciser des peurs, des deuils, des remords. J'ai longtemps cru à l’effet cathartique du discours, j'en suis beaucoup moins sûr maintenant. Je ne suis pas sûr non plus que cet échange de lettres qui s'étale sur environ un an contribue à rapprocher ces deux hommes et à entretenir leur amitié, je pense au contraire que chacun gardera ce souvenir comme une plaie ouverte en refusant d'en parler et que ces lettres n'ont finalement fait que raviver une douleur bien inutilement. Cela m'évoque aussi le souvenir qui s'effrite avec le temps. Non seulement la mémoire humaine est naturellement défaillante et ce d'autant plus qu'on veut occulter celles de nos actions qui ne nous ont pas vraiment grandi. Ce roman, parce qu'on peut dire que c'en est un, est original dans la manière dont il est conçu. Il aurait parfaitement pu être écrit par un seul auteur mais il a été réalisé à quatre mains. Sa singularité réside en effet dans le fait que les deux écrivains ont respecté le rythme de la correspondance, l'un attendant la réponse de l'autre pour, à son tour prendre, la plume. C'est une invitation à la réflexion qui n'est pas inutile et également un bon moment de lecture .

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'INCENDIE

    N°900– Mai 2015

    L'INCENDIE – Antoine Choplin – Hubert Mingarelli – La Fosse aux ours.

    Deux hommes qui se sont connus dans le passé et qui se sont revus à l'occasion de l’enterrement du père de l'un d'eux entament une correspondance. Jovan habite Belgrade et travaille aux archives d'un institut de musicologie et Pavle habite un port de l'Argentine et travaille dans une scierie. La cérémonie passée, ils décident d'entreprendre une correspondance. C'est à cet échange épistolaire qu'est convié le lecteur.

    Au commencement, les lettres sont brèves, presque timides mais rapidement ce qui pouvait passer pour une correspondance de circonstances qui n'avait aucune chance de perdurer bien longtemps, s'étoffe, les lettres s'allongent et évoquent des souvenirs précis du conflit en ex-Yougoslavie auquel ils ont ensemble participé. Pourtant elles sont écrites avec une grande économie de mots, comme si ce qui motivait réellement cette correspondance devait cependant rester secret. On y apprend l'existence d'une maison désormais en ruines à Ostrovo, la présence d'un troisième soldat, Branimir, et d'une femme, l'occupante de cette maison. Dès lors le lecteur entre de plain-pied dans les souvenirs, mais ils resurgissent presque malgré soi et on aurait bien voulu les oublier à jamais au point que leur simple évocation suffit à interrompre momentanément cet échange, tant le malaise qu'ils ont réveillé est grand. C'est un peu comme si Jovan voulait se débarrasser de « ses sales pensées » en les écrivant à son ami par dessus l'océan, mais elles s'incrustent malgré sa volonté de parler d'autre chose.

    Cette correspondance est assez étrange. Non seulement elle évoque un souvenir que nos deux épistoliers auraient voulu oublier, mais c'est un peu comme s'ils souhaitaient se faire mal ou remuer avec cependant un certain courage les vieux démons et, par ce biais, obtenir une forme de rédemption, cette correspondance n'étant pas autre chose qu'une véritable confession. L'absolution devait sans doute venir de cette évocation elle-même et de la réponse de l'autre, de sa compréhension, de son acquiescement, ou peut-être du chemin fait à moitié par chacun d'eux ? Cette volonté de revivre le passé en évitant de voir le monde non comme il est mais comme on voudrait qu'il soit, de pratiquer face aux difficultés la politique de l'autruche, l'envie que tout cela n'ait été qu'un simple cauchemar ou simplement que tout cela n'ait jamais existé, c'est sans doute l'attitude de Pavle qui a pris l’initiative de cette évocation que Jovan fait semblant de ne pas comprendre, au moins au début. Il y a une montée de l'intensité à travers les phrases échangées, mais aussi une sorte de paradoxe dans cet échange. Jovan et Pavle remuent un passé fangeux mais, à la fin de chaque lettre, ils font échange d'amabilités et de vœux qui sont en contradiction avec les paroles partagées, les non-dits qu'ils font semblant d'ignorer, des souvenirs qu'ils voudraient définitivement effacer.

    Je me suis toujours demandé si on pouvait se libérer par l'écriture, si le fait de mettre des mots sur des maux pouvait les adoucir, exorciser des peurs, des deuils, des remords. J'ai longtemps cru à l’effet cathartique du discours, j'en suis beaucoup moins sûr maintenant. Je ne suis pas sûr non plus que cet échange de lettres qui s'étale sur environ un an contribue à rapprocher ces deux hommes et à entretenir leur amitié, je pense au contraire que chacun gardera ce souvenir comme une plaie ouverte en refusant d'en parler et que ces lettres n'ont finalement fait que raviver une douleur bien inutilement. Cela m'évoque aussi le souvenir qui s'effrite avec le temps. Non seulement la mémoire humaine est naturellement défaillante et ce d'autant plus qu'on veut occulter celles de nos actions qui ne nous ont pas vraiment grandi. Ce roman, parce qu'on peut dire que c'en est un, est original dans la manière dont il est conçu. Il aurait parfaitement pu être écrit par un seul auteur mais il a été réalisé à quatre mains. Sa singularité réside en effet dans le fait que les deux écrivains ont respecté le rythme de la correspondance, l'un attendant la réponse de l'autre pour, à son tour prendre, la plume. C'est une invitation à la réflexion qui n'est pas inutile et également un bon moment de lecture .

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN ETE 63

    N°899– Mai 2015

    UN ETE 63 Tracy Guzeman – Flammarion.

    Traduit de l'anglais par Simone Davy

    Natalie et Alice Kessler sont sœurs mais sont bien différentes. La première, l'aînée est aussi têtue et manipulatrice que la seconde est rêveuse, poète et attentive à la nature. Pendant l'été de l'année 1963, Alice, qui est la plus belle des deux, tombe amoureuse de Thomas Bayber, un jeune peintre alors complètement inconnu.

    Quarante ans plus tard Thomas, devenu célèbre, est maintenant un artiste mondialement reconnu dont l’œuvre a été étudiée et commentée, mais depuis 20 ans il traverse une crise de création, n'a plus touché un pinceau, vit en marge de la société et tente de se détruire à petit feu ; il est d’ailleurs très malade. A son ami Dennis Finch, historien d'art et critique qui lui est toujours resté fidèle, il propose un de ses tableaux resté inconnu qu'il veut vendre par l’intermédiaire de Stephen Jameson, un ancien expert en perte de vitesse qui travaille actuellement dans une officine de ventes aux enchères. Ce tableau représente « les sœurs Kessler » mais il est incomplet puisque l'orignal est un triptyque dont les deux autres panneaux ont été offerts à Alice et à Natalie et ont disparu. Va donc s'engager une recherche de ces deux éléments, confiée à Finch et à Jameson par Thomas lui-même qui, en posant ainsi le problème, se révèle machiavélique car le lecteur ne tarde pas à se rendre compte que cette quête n'est qu'un prétexte et que ce que l'auteur souhaite retrouver c'est la trace des deux sœurs et ce dans un but bien précis. Dès lors c'est à une véritable enquête policière que nous assistons.

    Dans l'univers protecteur de l'enfance, les deux sœurs étaient très liées et n'imaginaient pas que ce lien puisse un jour être distendu. Pourtant le hasard, la destiné, la vie, selon le nom qu'on veut bien donner, allaient se charger de faire changer ces choses qu'elles croyaient immuables. Non seulement elles ont croisé la fuite du temps, la maladie et la mort mais des événements sont intervenus qui allaient révéler définitivement les personnalités, mettre chacun dans un rôle qui, avec le temps se figera. Non seulement une rivalité va naître entre Alice et Natalie mais la position de chacune d'elles par rapport à l'autre va devenir progressivement une domination puis une véritable haine, avec tout son cortège de non-dits, de mensonges, de dissimulations, de secrets que la mort de Natalie dévoilera brutalement. A l’aide de nombreux analepses l'auteur remonte le temps pour révéler le parcours d'Alice et de Natalie depuis cet été 63, pour analyser les relations de plus en plus difficiles entre elles, évoquer les rencontres qui vont bouleverser le cours de leur existence, l'aînée prenant le pas définitivement sur la cadette. Dès lors, par la force des choses et avec une certaine énergie d'ailleurs assez inattendue de sa part, Alice qui avait toujours vécu dans l'ombre de sa sœur à cause de la maladie, tente de prendre en mains sa vie, entre étonnement et culpabilité, d'en explorer les recoins et les failles, jusque là savamment occultés, avec, il est vrai l'aide attentive de Phinneaus. Le voyage qu'elle fait volontairement seule à destination de Santa Fe depuis le Tennessee est révélateur ainsi que sa volonté d’aller au devant de révélations, fussent-elles destructrices.

    Au fur et à mesure du récit, le lecteur découvre non seulement tout ce que cette histoire de tableau cachait mais aussi la personnalité de chacun des personnages principaux, leur refus des choses, par égoïsme ou fuite de leurs responsabilités, leur jalousie, leur abnégation, leur joie de vivre et leur confiance en l'avenir aussi avec, en toile de fond, cette dernière chance qu'il fallait saisir avant que la mort n'anéantisse tout. Thomas avait volontairement brouillé les pistes, ajoutant l’image toujours présente de l'oiseau, symbole de liberté, mais aussi avait joué sur la lumière du portrait central et des panneaux adjacents, signifiant par là un message bien précis. Ce que vont découvrir nos deux enquêteurs va bouleverser bien des vies, bousculer des certitudes établies, révéler le vrai visage de ceux qu'on croyait connaître, faire en sorte que le but recherché soit finalement atteint.

    J'ai découvert Tracy Guzeman que je ne connaissais pas avant le que les éditions Flammarion en m'envoient ce roman, ce dont je les remercie. J'observe que dans cet ouvrage les personnages, Thomas Bayber, Stephen Jameson sont inhibés, torturés comme si l'art était une malédiction au lieu d'être un bienfait. Alice se complaît dans sa maladie qui fait d'elle une assistée et sa sœur une ombre protectrice un peu envahissante, tandis que Finch poursuit avec sa défunte épouse un dialogue surréaliste. Ce roman où les destins s'entremêlent, est compliqué à l'envi mais avec talent. C'est, en tout cas une belle étude de caractères.

    Le style est agréable à lire, les descriptions précises et évocatrices même si on rencontre des notations techniques sur la peinture un peu fastidieuses et des longueurs parfois déroutantes en apparences... Mais tout cela n’occulte pas le bon moment de lecture que fut ce roman.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • PARAPLUIES

    N°898– Avril 2015

    PARAPLUIES – Christine Eddie - Éditions Héloïse d'Ormesson.

    Matteo, le compagnon de Béatrice est parti en pleine nuit sans la moindre explication, Du coup, cette jeune québécoise de 40 ans se retrouve en charge de sa « belle-mère » Francesca, qui ne parle qu'italien et se branche en permanence sur la télévision et plus particulièrement sur « télé-achats ». Et en plus, il s'est mis à pleuvoir ! La pauvre Béatrice n'a pour se consoler qu'un travail de correctrice dans une société qui édite des catalogues et la recherche méthodique de son éventuelle remplaçante et ce d'autant qu'elle a trouvé sous le lit conjugal un indice sous la forme d'une petite culotte qui en lui appartient pas . Pour corser le tout, Francesca fait une chute et doit aller à l’hôpital.

    Au début cela m'a paru être une banale histoire d'adultère d'autant que Béatrice entreprend de trouver l'intruse parmi, pourquoi pas, les étudiantes dont Matteo à la charge à l'université. C'est pourtant le prétexte à une histoire où l'imagination de Béatrice le dispute à sa sensibilité et ce d'autant plus que le hasard des rencontres va venir compliquer un peu les choses. Des gens qui ne se parlaient pas ou qui ne se connaissaient pas vont se croiser et des amitiés vont naître, des liens vont se tisser puisque, finalement leurs vies se révéleront complémentaires. Chacun vient avec son vécu, ses espoirs, ses rêves parfois trop grands, sa tendresse, ses illusions, ses cicatrices et sa solitude au point qu'on oublie presque complètement ce Matteo absent dont l'ombre plane pourtant sur tout le roman. Cela donne une ambiance particulière, pas vraiment dérangeante et même plutôt favorable à quelque chose de nouveau et d'assez inattendu.

    Cela donne lieu à des portraits de femmes attachants, émouvants même et l'humour avec lequel le texte est écrit masque un peu son côté dramatique.

    Le roman est bien écrit, agréable à lire et le style alerte m'a bien plu. J'avoue que je ne connaissais pas cette auteur québécoise que je retrouverai volontiers dans un prochain roman.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • IL N'Y A QU'UN AMOUR

    N°897– Avril 2015

    IL N'Y A QU'UN AMOURDominique Bona - Grasset.

    Rien en prédisposait Émile Herzog (1885-1967), jeune fils d'une riche famille normande et industrielle à devenir écrivain. Certes il avait renoncé à des études littéraires qui auraient pu être brillantes pour se consacrer à l'entreprise familiale et partageait son quotidien entre entre cette activité et ses nombreuses maîtresses. Les femmes étaient alors pour lui une récréation et une source de plaisirs mais quand il rencontra Jane-Wanda de Szymkiewicz (Janine), une jeune russo-polonaise âgée de 16 ans, non seulement il en tomba éperdument amoureux mais la racheta littéralement à sa mère, en fit une femme entretenue, la mit en pension en Angleterre pour terminer son éducation et finit par l'épouser, elle qui n'avait ni dot ni trousseau et dont la famille était surendettée. Une fois l'épouse d’Émile, Janine, se révèla sous un tout autre jour, capricieuse et frivole et même volage puisque sur les trois enfants qu'ils eurent ensemble, deux ne seraient pas de lui. Une septicémie l'emportera à l'âge de 31ans et Émile portera douloureusement le deuil de celle qui fut réellement la femme de sa vie et qui se maria d'une manière prémonitoire sans doute… en noir ! Le succès attire les femmes; déjà célèbre et désormais libre, Émile rencontre Simone de Caillavet, aussi parisienne, calculatrice et froide que Janine était brûlante, provinciale et désespérée. Devenu écrivain à succès, il épousera cette femme de lettres divorcée, déçue par son précédent mariage et qui l'admirait. Au mariage-passion succédera un mariage de raison, Simone, en véritable infirmière du cœur, s'attachant à lui faire oublier Janine et devenant sa secrétaire, sa collaboratrice, sa conseillère littéraire autant que son épouse. Pourtant, malgré tous ses efforts, l'amour s'éloignera petit à petit du couple et même s'il a épousé Simone, Émile qui a eu pourtant sinon des passades à tout le moins des passions pour d'autres femmes, n'est jamais parvenu à oublier Janine.

    Il est maintenant célèbre sous le nom d'André Maurois, académicien et écrivain à succès. Il fait des conférences dans le monde entier et c'est à l'occasion de l'une d'elles, en Amérique du Sud, qu'il rencontre Maria Rivera, une jeune actrice péruvienne. Leur liaison sera courte mais passionnelle. Avec elle il connaîtra la volupté, la fulgurance dans l’amour. Il naîtra même entre Simone et elle, le temps de la jalousie passée et malgré la distance, une sorte d'amitié épistolaire, entre complicité et perversité.

    Toutes ces femmes qu'il aimera d'une manière passionnée symboliseront sa quête du bonheur, mais d'un bonheur impossible à atteindre. Elles se retrouveront dans les personnages de ses romans qu'elles nourriront de leur présence et de leur vie. Elles feront de lui, sans même le vouloir un écrivain mais aussi un homme devenu étranger à lui-même, déçu par l'amour qu'il recherchait à travers elles.

    Comme toujours Dominique Bona, qui est aussi romancière, excelle dans les biographies et cette chronique a depuis longtemps été attentive à son œuvre. Ce livre est non seulement fort bien écrit mais aussi richement documenté jusque dans les moindres détails. Elle cite scrupuleusement les références épistolaires et analyse pertinemment les romans d’André Maurois où elle note nombre d'allusions biographiques. Cette œuvre n'est ni un roman puisque tout y est vrai ni une biographie au sens stricte ; l'auteur dit elle-même qu'il s'agit d'une ballade amoureuse dans la vie de cet homme qu'on a, il est vrai, un peu oublié même s'il fut et est encore un monument de la littérature. En outre, nous avons ici un tableau de la bonne société du début du siècle, l'atmosphère des salons littéraires, des années folles et de l'entre-deux-guerres.

    Outre que c'est une interrogation que j'ai toujours menée à titre personnel (le soutien d'un auteur par l'amour qu'il peut trouver autour de lui et qui nourrit son œuvre), j'ai été passionné, comme toujours, par cette lecture et même fasciné par la personnalité de Maurois qui, entre destin, liberté et hasard, cherche à travers toutes ses femmes un sens et une raison à sa vie. C'est l'esprit de l'exergue de Balzac « Il n'y a pas deux amours dans la vie de l'homme;il n'y en a qu'un seul, profond comme la mer, mais sans rivage ».

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ACHILLE AU PIED LEGER

     

    N°896– Avril 2015

     

    ACHILLE AU PIED LEGERStefano BENNIActes Sud.

    Traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli.

     

    Achille est un jeune écrivain peu inspiré et en mal de chef-d’œuvre. Pour survivre s’est fait lecteur dans une petite maison d'édition du nom de Forge, par ailleurs au bord de la faillite à cause de la concurrence. Elle est comme il se doit dirigée par Vulcain (d'emblée de ton est donné). Il a aussi le malheur d'être insomniaque et quand il parvient enfin à dormir, il rêve que les auteurs qu'il est obligé de lire dans le cadre de son travail le poursuivent. Sa vie n'est donc un calvaire tout juste ensoleillé par son amour pour Pilar-Pénélope, une BTLSP, comprenez « une beauté typiquement latino sans permis de séjour », une plantureuse jeune fille très courtisée, ce qui ne l'empêche cependant pas de de répondre aux avances de Ciré, la secrétaire de la maison d'édition. Après tout il y a pire comme situation même s'il pouvait espérer mieux pour lui sur le plan professionnel. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, selon l'expression désormais consacrée, jusqu’à ce qu'Ulysse reçoive un courriel envoyé par un certain Achille qui souhaite le rencontrer. On est déjà en pleine mythologie antique et cela en fait que commencer ! Sauf que le Achille en question n'a rien d'un valeureux guerrier, ressemble à un monstre cloué sur un fauteuil roulant, rongé par la solitude, constamment plongé dans une pièce obscure. Il ne connaît rien de la vie, ne connaît l'amour qu'en imagination et ses rares rapports aux autres sont faits de violence. Quant à Ulysse, il n'a rien de commun non plus avec le personnage d'Homère, c'est plutôt un anti-héros un peu ballotté par les événements. Pourtant, malgré ces apparences peu engageantes, un marché va être conclu entre les deux hommes que tout oppose : Si Ulysse lui raconte ce qu'il veut écrire sans être capable d'y parvenir, Achille sera sa plume, révélant ainsi une parfaite complémentarité entre eux. Achille vivra donc par procuration et trouvera ainsi un sens à son existence. Ainsi la vie de chacun va être transformée. Une amitié va naître entre eux mais une amitié dérangeante à cause des propos durs et méchants d'Achille, personnage à la fois cynique et intelligent, et de la bienveillance d'Ulysse, surtout quand leurs conversations abordent la sexualité. Nous avons droit à des séquences érotiques à travers les rêves et les fantasmes d'Achille. Les femmes sont belles, désirables et on sent Ulysse très amoureux de Pénélope même si Circé en le laisse pas indifférent, c'est le moins qu'on puisse dire. Il y aura quand même entre les deux hommes une véritable complicité où la perversité le dispute à la souffrance, à la tendresse et à l'humour.

     

    Ce roman baroque est véritablement prenant, à cause de l'univers de Benni, son humour décalé, son vocabulaire truculent qui me rappelle celui de Boris Vian (parfois aussi de Lewis Caroll), sa poésie si particulière malgré ou à cause des mots parfois crus, des situations salaces, son style agréable à lire et généreusement débridé (et sûrement bien traduit, ce qui en doit pas être facile). A travers les personnages, les situations, c'est aussi une critique de l'Italie contemporaine avec l'inévitable mafia, la franc-maçonnerie, le football, le non moins incontournable Berlusconi (pourtant jamais nommé) et ses scandales, les immigrés, la crises économique et les licenciements qu’elle induit et, évidemment les problèmes des maisons d'édition. On n'oubliera pas non plus de réfléchir sur l'inspiration, la peur de la page blanche, celle de la panne créatrice et de l'inévitable découragement chez les jeunes auteurs qu'on n'encourage guère, surtout dans les maison d'édition. Là aussi j'ai accroché et me suis retrouvé à titre personnel sur ce chapitre. De plus c'est, à travers une sorte de parabole, une tentative originale de réécrire la mythologie antique marquée par une certaine perfection et de l'adapter au monde de l'Italie d'aujourd'hui nettement moins ressemblant !

     

    J'ai rencontré Stefano Benni un peu par hasard, comme souvent, mais franchement je ne suis pas déçu. Son univers à la fois loufoque et fantastique me parle et m'a entraîné dans cette histoire jusqu'à la fin.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • KADDISH POUR L'ENFANT QUI NE NAITRA PAS

    N°895– Avril 2015

    KADDISH POUR L'ENFANT QUI NE NAITRA PAS -Imre Kertész – Actes Sud.

    Traduit du hongrois par Nathalia er Charles Zaremba.

    Le kaddish, ce n'est pas comme on le dit souvent la prière des morts mais des endeuillés. Ainsi le titre prend-il tout son sens dans la mesure où l'auteur, refusant d'avoir un enfant, est endeuillé par sa propre décision.

    D'abord, il s'agit d'un soliloque, c'est à dire d'une réflexion face à soi-même couchée sur le papier par le truchement de l'écriture, une manière de fixer les choses. Le narrateur qui est juif est un traducteur qui a renoncé à être écrivain et qui entame une conversation avec M. Oblàth, un philosophe qui lui demande innocemment s'il a des enfants. Sa réponse est un « Non » catégorique à son interlocuteur et cela le bouleverse au point que, dans la nuit qui suit, il se remet à écrire, c'est à dire fixer ce soliloque sur la page blanche, avec pour thème cette négation. Cette conversation « entre deux intellectuels moyens » tourne donc autour d'un enfant qui aurait pu naître mais qui ne naîtra pas, une inexistence qui est le prélude à « son auto-liquidation consciente »,  le premier coup de pelle à cette tombe qu'il creuse pour lui dans les nuages avec sa plume! Bien entendu, cette réflexion intime sollicite sa mémoire et c'est tout naturellement qu'il évoque sa femme dont il est séparé depuis. Il refait à l'envers le chemin de leur amour, de leur bonheur qui bien que « considéré comme une obligation » ne fut pas au rendez-vous à cause de cet enfant qu'il lui refusa mais aussi cette impossibilité d'écrire ce roman qu'il portait en lui et qu'elle espérait comme la consécration de leur union. En réalité pour lui l'écriture était la marque de sa souffrance (suivant l'expression communément admise « je souffre donc j'écris ») et non la conséquence de sa liberté, et donc incompatible avec l'expression alors que pour elle, elle était symbole de la réussite littéraire. Il revient sur cet épisode de la liberté quand il évoque l'attitude de celui qu'il appelle « Monsieur l'instituteur »qu'il rencontre quand ils sont ensemble dans un wagon à bestiaux que les emporte vers les camps. Le narrateur, alors adolescent, est incapable de bouger, immobilisé par la douleur. Cet homme s'est chargé de lui apporter sa portion de nourriture mais disparaît un moment, happé par la foule. Le narrateur suppose qu'il se l'est appropriée pour augmenter ses chances de survie mais il réapparaît et la lui apporte, s'indignant de son étonnement. Il n'était pas obligé de faire ce geste qui illustre sa liberté intérieure et va à l'encontre de sa propre survie. L'auteur y voit même la marque de l'illogisme. Pour lui-même, le narrateur revendique sa liberté d'écrivain en refusant par avance toute intrusion dans son travail. Ainsi la propriété d'un logement. Il en va de même pour l'amour qui d'ordinaire est plutôt un moteur de la création artistique. Au contraire, à ses yeux, il est le symbole de l'attachement, l'inverse de la liberté qui pour lui est la seule source de création littéraire. C'est que, pour lui, l'écriture n'est pas exactement le reflet de la vie, sa façon d'écrire ce texte en est la manifestation et peut parfaitement, comme il le dit lui-même, être une fuite. Il y avait donc, au départ une contradiction (peut-être inavouable) dans leur union. Il avait bien tenté de l'exprimer en explorant son enfance dans une nouvelle mais ce fut un échec. De plus, pour lui, sa judéité reste quelque chose de laquelle il est prisonnier. Son épouse qui est juive et dont les parents eux-mêmes ont connu Auschwitz comptait sur lui, sur son écriture, pour se libérer de ce poids, alors que lui entendait faire cette démarche en solitaire. En outre, il lui a refusé cet enfant dont la femme qu'elle est avait envie sans doute parce qu'on ne pouvait pas donner raisonnablement la vie après avoir vécu l'Holocauste. Il ne le pouvait pas non plus à cause de ce mariage raté auquel il met cependant fin. Du coup il est lui « le mauvais juif » par rapport à cette « belle juive », de 15 ans sa cadette qui fut son épouse. Il n'empêche, cette liberté qu'il revendique en tant qu'écrivain se manifeste pleinement dans ce « non » opposé à la fois à Oblàth et à son épouse.

    Ainsi, peut-on imaginer que ce kaddish s'adresse aux vivants en leur enjoignant de vivre malgré tout. S'il avait eu cet enfant, l'auteur aurait, d'une certaine façon prolongé sa propre existence, mais peut-on vivre et transmettre la vie dans un monde qui a enfanté Auschwitz? Comment croire à la beauté et à la grandeur de cette humanité quand on a assisté à sa si profonde déchéance? L'auteur sait qu'il peut avoir un enfant mais le refuse pour provoquer une prise de conscience et un acte de mémoire dans une société si encline à l'oubli, pour l'inciter à se souvenir des martyrs qui ont payé de leur vie le seul fait d'être juif et qu'il est indispensable d'en garder la mémoire pour que cela en se reproduise pas. Ce texte est pourtant une sorte de prière, solitaire, longue et tortueuse, qui se conclue par un « amen ». Il est une longue négation de la vie qui ne peut être vécue pareillement après les horreurs des camps. Il adresse cette prière à Dieu comme une excuse de ne pas pouvoir jouir pleinement de la vie qu'Il lui a donnée à cause de ce qu'il a vécu et de cette paternité qu'il refuse. J'ai personnellement lu ce livre avec les yeux d'un désenchanté et je suis, moi aussi, bien enclin, moi aussi, à désespérer de cette humanité que les philosophes nous ont présenté souvent comme humaine et humaniste.

    Le texte est dense, labyrinthique, douloureux, la phrase est longue, pesante, désarticulée, disloquée, écartelée en multiples digressions, ce qui n'en facilite pas la lecture. Qu'est -ce à dire ? Cela veut-il montrer l’intensité de la souffrance ou au contraire la difficultés de s'exprimer [avec ce texte il dit creuser sa propre tombe « dans les nuages », son « auto-liquidation »] Je choisis d'y lire une sorte d'attirance vers la mort de celui qui n'est pas vraiment sorti d’Auschwitz et qui n'en sortira jamais, une sorte d'accomplissement de sa judéité dans la mort. Il a connu l'horreur des camps [et aussi la joug soviétique en Hongrie après la guerre] et puise dans cette mémoire qui nourrit sa réflexion jusqu'à désirer la mort à la fois terme normal de la vie mais ici vécue comme une libération de la souffrance pour celui qui traîne sa vie comme un fardeau. Cela me rappelle le suicide de Romain Gary, laissant pour toute explication ces quelques mots « Je me suis enfin exprimé complètement ». Ainsi me semble -t-il que ce kaddish est certes pour Dieu, pour cet enfant qui en naîtra pas de lui mais aussi et peut-être surtout pour lui, pour obtenir cette paix dont parle cette prière et qui est impossible!

    J'avoue avoir lu ce livre parce qu'il fallait sans doute avoir eu connaissance de ce texte, de ce message exprimé par un écrivain majeur et couronné par le Prix Nobel en 2002. Il est animé des mêmes angoisses à la fois sur le destin des juifs, sur l'horreur de la Shoah et sans doute aussi sur la culpabilité d'y avoir survécu. J'ai bien conscience que mon commentaire est largement en-deçà de ce qu'à voulu ou pu exprimer l'auteur, que je n'ai peut-être rien compris et qu'il peut parfaitement être contesté.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • STEFAN SWEIG

    N°893– Avril 2015

    STEFAN SWEIG Dominique BonaPerrin.

    D'emblée l'auteure définit Sweig comme un mystère. Comment se fait-il que cet écrivain talentueux des années trente, grand bourgeois cultivé, polyglotte, sensible et discret au point de ne pas s'engager, citoyen du monde, continue-t-il de tant fasciner les lecteurs ? Est-ce la noirceur de son œuvre qui se marie si bien avec notre époque tourmentée ou l'espoir d'une amélioration reste possible ?

    Quand il naît en 1881à Vienne, la ville comme le pays est multiethnique et cosmopolite. Fils d'un industriel juif mais élevé dans la laïcité il se prépare à une vie facile en rêvant de sa vocation d'écrivain. A l'époque Vienne est une ville paisible et musicale, carrefour de toutes les cultures mais une cité immobile mais le jeune Stefan est impatient de vivre. Étudiant il réside à Vienne puis à Berlin où il connaît la vie de bohème bien qu'il ait toute sa vie été rentier et à l'abri du besoin, renonce temporairement à son œuvre pour devenir traducteur, voyage aussi en Europe où il rencontre les grands esprits de son temps avec qui il se lie d'amitié. Il renoue pourtant avec l'écriture et c'est d'emblée le succès. Ce début de siècle est marqué par le progrès et Sweig s’enthousiasme pour la vie et pour la paix. C'est un européen et un pacifiste convaincu mais déjà la guerre couve. Il écrit pour le théâtre, a de nombreuses secrètes et éphémères liaisons amoureuses. C'est un bel homme, distingué qui tombe amoureux d'une femme mariée, Friderike, mère de famille et romancière qui divorce pour lui et qu’il épouse dans des conditions pour le moins originales. Il en divorcera en 1938 pour épouser Lotte, sa cadette de 27 ans. Même s'il considère la femme comme un apaisement autant qu'un plaisir, il la craint, la considère comme une tentatrice qui profite de la naïveté des hommes, la compare au serpent de la Bible. Il n'en a pas moins, tout au long de sa vie, de nombreuses et éphémères liaisons amoureuses avec des amantes de passage. Pourtant les femmes dont il parle dans toute son œuvre, ne lui porteront pas bonheur. Pour autant il refusera de donner la vie, d'être père.

    La guerre qui éclate va d'abord remettre en cause son idéal européen de paix puis au fur et à mesure, l'affermir et aiguiser sa lucidité politique. Déclaré inapte au service, il s’engage quand même dans une unité de vétérans chargée de la propagande mais le conflit fait voler en éclats à la fois son idéal de paix et ses amitiés étrangères. Il condamnera finalement cette guerre fratricide et criminelle. A la fin du conflit, il devient biographe, rencontre Freud qui aura dans son œuvre créatrice une importance déterminante. Le nazisme qu'il perçoit rapidement menace la paix en Europe et l'Anschluss achève ce qui lui reste d’illusions, il perd sa nationalité, et même s'il a un passeport anglais, il reste un juif errant et se réfugie au Brésil où il met fin à ses jours en compagnie de sa femme. Même s'il doute de lui en permanence, il est un écrivain adulé qui aime la vie et son travail, mais qui n'oubliera pas d'aider les jeunes auteurs. Il voyage dans le monde entier mais la littérature commence un peu à le fatiguer au point qu'il songe à l'abandonner.

    Cet ouvrage remarquable, richement documenté et fort bien écrit, comme toujours chez Dominique Bona, éclaire d'un jour nouveau cet auteur majeur qui a toujours été pour moi énigmatique. En ce qui me concerne je suis toujours interrogatif à la fois sur le destin de cet homme et sur sa mort. Lui qui choisit volontairement de ne pas s'engager, finit toujours par prendre position, ne serait-ce qu'intellectuellement[Peut-on vivre sans s'engager?]. Est-ce au nom du plaisir ou du refus de responsabilités qu'il refuse de donner la vie, de ne pas avoir de descendance ? Je suis toujours étonné voire bouleversé par le destin de ceux dont la vie s'arrêtera avec eux, qui n'auront, volontairement ou pas, personne après leur mort pour honorer leur mémoire [il est vrai que son œuvre suscite largement ce mouvement]. Sa mort aussi m'interpelle dans la mesure où elle a été volontaire , lui qui avait tout. Était-il à ce point désespéré qu'il décidât d'en finir alors que la Thora dont il ne respectait pas cependant pas les préceptes et la simple morale interdissent le suicide ? Pourtant, bien qu'il soit foncièrement laïc, la judéité baigne son œuvre. S'est-il senti trahi par son époque, par ses amis, par ses idéaux, la vie s'est-elle vengée de lui avoir trop donné, refusait-il simplement de vieillir(il a 60 ans en 1942) , l'être sensible qu'il était avait-il besoin d'un soutien  que sa deuxième épouse, malade chronique, ne sut ou en put pas lui donner ? Interrompre ainsi délibérément un parcours aussi exceptionnel est un geste, un engagement intime qui m'interpellent chez cet amoureux de la vie !

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ÇA S'EST FAIT COMME ÇA

    N°894– Avril 2015

    ÇA S'EST FAIT COMME ÇA Gérard DepardieuXO éditions.

    Avec la collaboration de Lionel Duroy.

    Pas vraiment désiré le Gérard, le troisième enfant d'une famille pauvre de Châteauroux entre les aiguilles à tricoter de sa mère, Lilette, qui veut le faire passer et les bitures de son père Dédé. C'est vrai qu'il ne devait pas naître mais il ne sera pourtant pas le dernier, lui qui à huit ans aidera aux accouchements de sa mère. Au moins comme cela il sait comment naissent les enfants ! Les parents sont tellement pauvres qu'ils ne peuvent payer ni à l'école ni à l'église, ce qui fait de lui très tôt un exclus qu'on vire de partout. C'est aussi parce qu'il est pauvre qu'on l'accuse d'un vol qu'il n'a pas commis. C'est le début de la délinquance, des petits trafics qui le mènent en prison mais, heureusement pour lui il rencontre des gens biens, et toujours confiant dans sa bonne étoile part pour Paris, découvre le théâtre et même s'il ne comprend pas grand-chose au texte, goûte la musique des mots. C'est une révélation. Tout va s’enchaîner à partir de cela, les rencontres déterminantes, la confiance qu'on va lui témoigner, les cours et le travail de la diction, la magie des mots, la passion pour la scène, la découverte des grands auteurs, le cinéma, la culture, le succès, la consécration... mais ce qui m'a frappé c'est aussi une grande solitude, une solitude comme un refuge !

    J'en ai été sans doute le premier surpris mais j'ai lu passionnément ce récit et j'ai été bouleversé par la sincérité de ses propos. A chaque chapitre, c'est quelqu'un qui se livre et qu'on découvre, quelqu'un dont la vie se retrouve un peu dans les personnages qu'il incarne au cinéma. Il les habite d'autant plus qu'il a peu ou prou vécu leurs expériences, qu’il partage avec eux un peu d’intimité. J'ai découvert, sous la carapace médiatique, malgré l'image qu'il veut donner ou celle qu'on lui prête quelqu'un qui se confie sans fard sur l'amour, l'ivresse, l'argent, la célébrité, l'échec, la solitude, la souffrance, la vieillesse, la Russie, la mémoire, les morts, le deuil... Le texte est écrit sans recherche, comme il s'exprime, mais franchement cela en m'a pas gêné, au contraire, cela m'a parlé peut-être davantage que ce que j'ai l'habitude de lire, simplement parce que j'en ai apprécié la spontanéité, l'authenticité. Nous connaissons tous Gérard Depardieu pour ses excès, son culot, son sans-gène parfois, son refus de se plier aux lois de la société... Et puis après ! Ce n'est assurément pas parce qu'il est connu qu'il peut tout se permettre, qu'il peut faire passer avant tout sa liberté, ses caprices parfois, mais c'est peut-être là une façon de se protéger ! Qu'il se mette à nu sur les pages blanches d'un livre, qu'il épluche sa vie, qu'il confesse ses erreurs, ses errances, ses insuffisances, qu'il s'exprime sur les jugements qu'on porte sur lui, qu'il parle de son mariage raté, de ses amours manquées, de ses ruptures, de ses nombreux enfants qu'il n'a pas toujours su comprendre et retenir, qu'il admette ne pas avoir fait d’études quand la plupart des gens qui nous entourent se vantent d'avoir hanter l'université et s'invente des diplômes qu'ils n'ont jamais eu, je trouve cela plutôt courageux d’autant que personne ne lui demandait rien. Il a eu de la chance, il est peut-être l'objet d'un miracle, tant mieux pour lui, d’autant qu'il n'avait au départ rien pour faire ce métier de comédien, mais ce que je retiens c'est qu'il aime la vie, n'a jamais perdu espoir dans cette bonne étoile sous laquelle il est né, lui, l'ex-voyou analphabète, l'autodidacte qui a appris dans la vie tout ce que l'école en lui a pas dit, lui, devenu un monstre sacré. Ce livre aide à le comprendre lui et son destin exceptionnel.

    Je n'ai aucune volonté de pénétrer dans l'intimité des gens connus pour le seul plaisir du scandale ou du voyeurisme, mais quand ce livre est sorti et qu'il en a parlé à la télévision, j'ai vraiment eu envie de le lire et pour une fois le hasard n'a pas guidé mon choix. Il m'a semblé qu'il y avait là autre chose qu'un coup de pub. Je n'ai pas été déçu et, en effet, c'est un bonhomme qui ne laisse pas indifférent, un sacré talent et un sacré parcours !

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA PYRAMIDE DE GLACE

    N°892– Avril 2015

    LA PYRAMIDE DE GLACE Jean-François Parot – JC Lattès.

    Nous sommes en février 1784 et il fait froid, un froid qui fait augmenter le prix des denrées de première nécessité et active la colère populaire même s'il y a, dans les villes, un élan sporadique de solidarité des plus riches vers les plus humbles. Dans les campagnes, les loups sortent des forêts, terrorisent le peuple et on cherche vainement des raisons à ce changement climatique exceptionnel. A Paris, le bon peuple qui, quelques années plus tard s'élèvera contre l’autorité royale et la personne du roi (et celle de la reine) témoigne son attachement à Louis XVI en érigeant dans les rues des pyramides de glace et de neige en son honneur. Le dégel qui rend les rues de la capitale encore plus repoussantes et malodorantes, révèle, dans une de ces élévations éphémères, le cadavre nu d'une femme préalablement assassinée dans des conditions mystérieuses. Pourtant, le fait que cette jeune femme ressemble à s'y méprendre à la reine Marie-Antoinette est-il un signe des bouleversements à venir? Qu'elle ait été trouvée à proximité de la maison du président du Parlement de Paris est-il révélateur, tout comme cette mise en scène macabre ? Le libelle obscur qui accompagne cette découverte plonge les enquêteurs dans un abîme de réflexions. Voilà donc pour Nicolas le Floch, commissaire aux affaires extraordinaires du royaume, et pour ses habituels et parfois inattendus collaborateurs, une enquête qui promet d'être pleine de surprises. Comme d'habitude, ses investigations mettent à jour les vices et travers libertins de l'élite aristocratique de la société et cette enquête ne fera pas exception. Elle se déroule sur fond de mépris de la noblesse pour le peuple qu'anime un profond désir de changement, lui permet d'en rencontrer encore une fois les bas-fonds mais aussi des nobles dépravés qui ne reculent devant rien pour satisfaire leurs vices. Pour cela il croisera nombre de personnages qui apporteront leur pierre à la manifestation de la vérité mais aussi le mystificateur Cagliostro et Rétif de la Bretonne toujours aussi énigmatique mais qui a une connaissance très précise des mœurs et des gens de la haute société.

    A la cour, le roi se préoccupe davantage d'un vol de porcelaine de Sèvres prisée par la reine autour de qui les intrigues et critiques vont bon train. Louis XVI, malgré sa volonté d'améliorer le sort des plus pauvres, se caractérise par son incapacité à gouverner, sa naïveté naturelle, ce qui, malgré lui le coupe des masses populaires. Face à la montée de la contestation que les philosophes des Lumières ont largement inspirée, Nicolas est quelque peu tiraillé entre sa fidélité aux souverains, ses origines nobles et son aspiration naturelle qui le pousse vers le peuple dont son fidèle Bourdeau incarne bien cette volonté d'émancipation. Sartine, ancien lieutenant général de police et ami de Nicolas, même s'il a été remplacé par Le Noir, s'ennuie dans sa toute nouvelle retraite, mais continue à garder un œil sur les affaires du royaume et s’intéresse toujours de très près aux enquêtes du commissaire Le Floch. Il se pourrait donc bien qu'il ait sur cette affaire où la sorcellerie, la politique étrangère, le déficit grandissant du Trésor et peut-être ce fameux vol de porcelaine dont l'ombre plane de plus en plus sur cette enquête, des informations particulières, d'autant que les cadavres se multiplient et qu'un prince du sang pourrait bien y être compromis. Tout cela n'a évidemment pas échappé à ce grand serviteur du royaume.

    Cette enquête labyrinthique où se mêle crimes passionnels, intrigues politiques, affaire d’État, jusque dans l'entourage immédiat de Louis XVI entraîne comme toujours le lecteur dans un Paris fascinant et inquiétant. Les recettes de cuisine, le style à la fois agréable à lire, délicieusement suranné et plein de suspense de l'auteur contribue comme toujours à un dépaysement agréable et bienvenu.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE PREMIER QUI VOIT LA MER

    N°890– Avril 2015

    LE PREMIER QUI VOIT LA MERZakia et Célia HERON – Versilio.

    Nous sommes en 1956, quand l'Algérie était encore française, dans un village perdu de la plaine agricole de la Mitidja près de Blida. La narratrice, Leila, 8 ans, une petite arabe, d'une fratrie de 5 sœurs et 2 frères fait partager au lecteur sa vie quotidienne et familiale faite de jeux, de travaux domestiques réservés aux filles, d'une cohabitation paisible mais juxtaposée avec les Français, de rituels et d'interdits religieux musulmans, de soleil, de sirocco, un décor bucolique... Cela commence doucement, au rythme d'un éphéméride, puis soudain les temps changent, s'accélèrent, avec la présence des soldats, les attentas, le couvre-feu, les arrestations arbitraires, le départ des pieds-noirs, l'indépendance, le pays à construire... Leila s’éveille à l'instruction, à la vie qui évolue. C'est une jeune fille brillante qui ne craint pas de s'adapter, de s'affirmer, de contester les idées reçues surtout en matière de religion. L'université va lui ouvrir les portes de la connaissance jusque là réservée aux européens. Elle aborde cette émancipation à travers la culture et grâce aux intellectuels français favorables à la paix, à la décolonisation, à l'indépendance et prend ainsi conscience de l’émergence d'une identité africaine. Son évolution personnelle croise celle de son pays et du continent africain. Nous assistons au paradoxe qui met en perspective des danseurs africains à demi-nus applaudis…par des femmes voilées. Elle parfait même cette démarche en voyageant à l'étranger, en venant plusieurs fois en France sous l'égide de la culture et de la santé y rencontre l'amour libre et est bouleversée par les enfants algériens sourds et les problèmes que pose pour eux l'abandon du français et l'implantation de l'arabe comme langue officielle. Sa vie se poursuivra par un mariage mixte avec un français malgré l’opposition paternelle inévitable, la naissance de deux filles, la vie en Algérie. L'histoire est en marche avec ses évolutions, la présence pesante et liberticide de l'Islam intégriste dans la vie quotidienne, la violence des « fous de Dieu », l'intolérance, l'intransigeance de l'ordre moral et finalement le refuge en France, le déracinement.

    Le style est ordinaire au début, comme celui d'une enfant mais au fur et à mesure que Leila grandit, la phrase s'affirme, le style devient plus fluide. Dans les deux premières parties du récit c'est Leila qui parle. Dans la troisième partie, il y a une alternance de narrations entre elle et d'autres dont ses filles (la police d'impression change en fonction des locuteurs). Ces dernières ont grandi, vivent en France, n'ont aucune mémoire de l'Algérie où elles en sont jamais allées, ne parlent pas arabe et s'étonnent même de ce qu'elles apprennent au sujet de ce pays bouleversé. Même s'il reste un mystère pour elles, il est aussi une sorte d'aimant, une interrogation autant que le silence de Leila qui y répond est une source de culpabilisation pour elle. Reste le problème de l'identité, du droit à la différence pour ces jeunes filles qui sont de plus en plus écartelées entre deux cultures et deux pays.

    Au départ j'ai lu ce récit assez laborieusement, à cause du thème de la guerre d'Algérie déjà de nombreuses fois traité où à cause du commentaire que je m'étais engagé à écrire dans le cadre de « Masse critique », mais, au fur et à mesure de ma lecture, j'ai réellement pris plaisir à parcourir cet ouvrage émouvant écrit à quatre mains. Le conflit armé est ici à peine évoqué au profit de l'itinéraire personnel de Leila qui remet en cause l'image traditionnelle de la femme maghrébine. Il met en lumière l'évolution de cette petite fille arabe de 8 ans qui grandit dans un pays qui s'émancipe de la France, acquiert son indépendance mais tombe sous la domination politique et économique de la Russie, sacrifie sa liberté et connaît à nouveau la violence et les meurtres. Le lecteur suit son éveil à la connaissance à travers l'éducation scolaire, sa volonté de s'émanciper en tant que femme des événements qui fondent la nation algérienne mais aussi et peut-être surtout de s'opposer à ce qui est le lot des femmes dans la société maghrébine, leur dépendance servile par rapport aux hommes qui fait d'elles de véritables esclaves, le refus des mariages arrangés avec la complicité des familles, la remise en cause des préceptes de la religion musulmane mais aussi la résistance au prosélytisme des religieux catholiques.

    Comme beaucoup métropolitains de ma génération, je n'ai vécu le conflit algérien qu'en pointillés, à travers les images des actualités cinématographiques, les conversations d'adultes, les idées reçues mais aussi de l’afflux au quotidien de gens qui avaient tout perdu et devaient recommencer leur vie dans un pays qui était certes le leur mais qu'ils ne connaissaient pas, de leur accent, de leurs coutumes... Il y eut, certes des réactions de rejet, d'abus, de racisme ordinaire surtout à l'encontre des Arabes, des harkis survivants qui pourtant avaient fait le choix d'une France qui maintenant les rejetait.

    Ce récit retrace 50 ans de souvenirs de nostalgie, de mélancolie.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA METAPHYSIQUE DES TUBES

    N°889– Avril 2015

    LA METAPHYSIQUE DES TUBES – Amélie NothombAlbin Michel.

    J'avoue que j'ai eu du mal à entrer dans ce livre, une première tentative, il y a quelques mois s'était déjà soldée par un abandon dès les premières pages. Je l'ai déjà dit dans cette chronique, je lis Amélie Nothomb pas vraiment par intérêt mais pour ne pas ignorer une auteure qui fait partie de la littérature, m'en faire une idée et ainsi pouvoir en parler. Au vrai, le titre me paraissait un peu énigmatique. En réalité elle parle d'elle, ce qui, pour un écrivain est une source d'inspiration plutôt classique. Elle le fait entre le jour de sa naissance et sa troisième année alors qu'elle habite au Japon où son père est consul de Belgique. Elle insiste sur la vie végétative qui est celle de tous les nourrissons qui avalent la nourriture à un bout et défèquent à l'autre. Là non plus ce n'est guère original et de là a se comparer à un vulgaire tube, il n'y a qu'un pas qu'elle franchi aisément. De là à en faire une métaphysique, je ne voyais pas trop. Petite dernière d’une famille comportant déjà un frère et une sœur, elle est regardée comme un enfant-dieu, ce qu'elle apprécie, une petite princesse mais dont la plus clair de l'activité se limite à celle d'un tube. Sauf qu'elle ne se manifeste pas et ne consent à s'éveiller à la vie que vers deux ans et encore par le miracle d'une barre de chocolat, belge évidemment. Pour autant, elle décide unilatéralement de devenir japonaise et non pas occidentale, mais bien entendu quand même capricieuse. Elle reste cependant une petite fille qui promène sur le monde qui l'entoure un regard étonné, inquiet, interrogateur, naïf... Pour cela elle s'appuie sur Nishio-san, une servante pauvre qui l'aimera alors que Kashima-san, une autre domestique mais ancienne aristocrate déchue la méprisera, la haïra, et à travers elle l'occident vainqueur de la 2° guerre mondiale.

    Elle fait connaissance avec l'eau, ce qui au Japon est un élément important, mais y ajoute pour elle-même des digressions sur le trépas, fait son apprentissage patient et cruel parfois de cette vie et imagine peut-être ce qu’elle lui réserve. Les diverses expériences de la narratrice lui font côtoyer la mort ce qui l'amène à prendre conscience, malgré son jeune âge de l'importance de la vie et de sa fascination pour le suicide ce qui me paraît être plutôt une réflexion d'adulte. Que nous ne soyons que les usufruitiers de notre propre vie me paraît être une révélation évidente mais étrangère à la petite enfance.

    Mais les tubes la-dedans, il me semble qu'on en était loin. Ils reviennent peut-être à l’occasion d'un cadeau d'anniversaire sous la forme de trois carpes koï qui, pour elle y ressemblent dans la mesure où toute leur vie se résume à la quête de nourriture. Elle renouera avec ce concept de « tube » « qu'elle n'a jamais cessé d’être » à travers une expérience personnelle un peu surréaliste. Pour elle comme pour tous, le temps passera et elle sera scolarisée à l'extérieur, c'est à dire à être chassée de cette manière de « jardin d'Eden » de l'enfance surprotégée qui a été la sienne jusque là. Je veux bien que l'enfance soit unique mais la dernière phrase « ensuite il ne s'est rien passé » m'étonne un peu.

    Que reste-il de ma lecture, le livre refermé ? Je sais gré à l'auteure de m'avoir fait découvrir une partie de la psychologie japonaise qui m'était inconnue, par exemple le fait pour un nippon de ne pas vouloir sauver la vie d'autrui pour la seule raison que ce dernier en serait obligé toute sa vie et perdrait ainsi une parcelle de sa liberté. Je en connaissais pas non plus le Nô, ce chant typique japonais. Ce roman qui se veut parfois humoristique, jubilatoire mais aussi dramatique à l'occasion a l'intérêt d'être, comme à chaque fois, écrit simplement et facile à lire. Je l'ai dit j'ai eu du mal à entrer dans ce roman, mais je n'ai peut-être, une nouvelle fois, rien compris.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE BAR SOUS LA MER

    N°888– Mars 2015

    LE BAR SOUS LA MERStefano BENNIActes Sud.

    Traduit de l'italien par Alain Sarrabayrouse.

    D'emblée, le lecteur est invité à entrer dans ce recueil de nouvelles un peu étrange. En effet, le narrateur raconte une rencontre, un soir, au bord de la mer. Il aperçoit un vieil homme qui entre dans l'eau. Croyant à un suicide, il tente de le sauver mais se retrouve, à sa suite, dans un bar sous la mer où chaque client se met à lui raconter une histoire plus abracadabrantesque que la précédente, tissant dans ce lieu incertain une sorte de halo mystérieux, entre surréalité et cuisine gourmande. Ce sont d'ailleurs les personnages qui sont dessinés sur la couverture du livre. Ce sont des hommes et des femmes ordinaires mais aussi un chien, sa puce et, bien entendu, une sirène. Chacun y va de son récit, aussi déjanté qu'irréel, et dessine un univers labyrinthique où le sérieux le dispute à l'humour, sans qu'on sache exactement faire la part des choses… Mais cela a-t-il vraiment de l'importance ? L'auteur ne fait évidemment pas l'économie d’une galerie de portraits dont les noms improbables vous transportent dans un ailleurs assez indistinct où les animaux parlent et se transforment à l'envi mais où j'ai trouvé mes marques sans aucune difficulté.

    On y fait des découvertes bizarres comme ces animaux qui vivent entre ces pages et qui sont friands de mots. Vous avez bien compris, ils les mangent ! Certains ont une appétence particulière pour les consonnes redoublées, les signes de ponctuation ou les verbes désormais inusités, quand ils ne s'attaquent pas à la syntaxe ou aux verbes conjugués à l'imparfait du subjonctif ! Cela donne évidemment un texte complètement fou, des jeux de mots, des phrases un peu bouleversées à l’architecture bousculée … J'ai bien aimé aussi « Le samedi porno du Rex », pas pour son côté salace d'ailleurs absent, mais seulement pour l'humour du texte.

    Le style est jubilatoire, enjoué, burlesque, s'attachant, son lecteur dès la première ligne sans que l'intérêt suscité dès l'abord ne disparaisse. Le texte est « cultivé », plein d'enseignements, léger et les thèmes traités le sont d'une manière originale, témoin cette version très personnelle de Moby Dick ou cette visite forcée et nocturne dans une mystérieuse maison au bien étrange occupant. L'auteur ne néglige aucun détail dans la description des situations ou l'évocation des personnages, use volontiers de l'analepse, ce qui contribue à tisser un décor qui, peu à peu, devient familier au lecteur.

    Stephano Benni est un remarquable conteur. Il distille des histoires extraordinaires sans être morbides, extraterrestres, extra humaines dans lesquelles je suis entré de plain-pied avec délice. Je ne sais pas si le monde dans lequel nous vivons tous m'est à ce point indifférent voire désagréable mais l'univers de Benni que j'ai juste entraperçu ici me plaît bien et je m'y réfugie volontiers. J'embarque avec lui dans son voyage et j'ai plaisir à explorer, à son invite, cet univers onirique d'invétérés raconteurs d'histoires, un peu mythomanes quand même et pour le moins décalés et je suis sûr que, avec moi, vous en redemanderez ! D'ailleurs, cette incursion dans un lieu sous-marin, un bar où, dit-on les langues se délient plus facilement, les relations se tissent plus aisément, serait-elle pour le lecteur une invitation à se maintenir dans un lieu intermédiaire, une sorte de monde fait de mots, d'idées et de situations différentes du nôtre, une manière d'être autrement, une antidote bienvenue à notre quotidien ordinaire, une sorte de chance donnée à chacun des clients de révéler sa vision du monde ?

    C'est vrai que dans ce recueil, nous ne sommes pas exactement sur terre !

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • BLEU TATOUAGE

    N°887– Mars 2015

    BLEU TATOUAGEMarie Causse – L'Arpenteur.

    Une petite ville de province, ni plus calme ni plus agitée qu'une autre, une commissaire divisionnaire presque en retraite, Catherine Blondet, que Bébert, le bistroquet qui fait face au commissariat, [il y en a toujours un qui ne céderait sa place à personne à cause de la fidélité de la clientèle] s'obstine, comme tous les policiers de son service à l'appeler « Monsieur », le cadavre d'une junkie et une enquête qui débute chez Benoît, un petit dealer qui aimerait bien qu'on le laisse mener ses petits trafics tranquillement, des querelles de personnes entre collègues, tout y est pour planter le décor d'un polar. C'est bien dans une poubelle qu'on a retrouvé le corps de la pauvre fille et chacun s'accorde à penser que c'est un véritable gâchis qu’une fille aussi jolie et aussi jeune meurt de cette façon, surtout que les circonstances en sont assez énigmatiques.

    Je veux bien qu'on en rajoute un peu dans l'originalité en décidant que ce minable dealer est un « lettré » parce que son appartement « déborde de livres » alors qu'il est un étudiant de plus qui a mal tourné, un intello raté comme il y en a beaucoup. Je veux bien qu'on noircisse le trait sur la légendaire inculture des gardiens de la paix et sur leur manque d'éducation, tout cela fait un peu cliché et n'apporte pas vraiment de valeur ajoutée au décor. J'aurais bien aimé en savoir un peu plus sur la complicité que Benoît avait avec les livres par exemple même si ce jeune homme devient indic ce qui n’est pas vraiment une qualité et le mettra toujours en porte à faux. Il a une copine, Florence qui, comme il se doit est une jolie femme que peut-être Benoît en mérite pas.

    L'auteure fait une intéressante tentative dans le domaine de l'analyse des personnages. On suit Catherine Blondet, célibataire un peu inhibée, son parcours dans la police et aussi dans la vie, ses souvenirs, son enfance, son addiction au tabac, le regard des hommes sur elle aussi et sa relation un peu fantomatique avec un compagnon qu'on en rencontre pas vraiment. Cela aurait pu donner lieu à des développements peut-être passionnants mais tout s’arrêtent bien trop vite. C'est souvent Benoît qui a la parole, comme si c’était lui qui était chargé de l'enquête. D'ailleurs, est-ce à cause de sa nouvelle fonction de « balance » ou à cause de l'attachement qu'il pouvait avoir avec Lucie dont il était accessoirement le fournisseur qu'il choisit de mener sa propre enquête ?

    Le style est bien celui du polar, même s'il n'est nullement obligatoire d'adopter pour cela un vocabulaire marginal, mais après tout cela ne me gêne pas et colle bien avec ce genre littéraire. Ce roman est par ailleurs facile à lire. D’ordinaire, je suis assez amateur de romans policiers, surtout quand ils n'évoquent le sexe, la violence et la sang qu'avec parcimonie. J'y préfère volontiers les études psychologiques de personnages. Au début, j'ai accroché mais j'ai vite changé d'avis à cause sans doute des nombreux images convenues auxquelles ce roman fait allégeance. Seul l'épilogue a retenu mon attention.

    Pour autant, je lui donne volontiers rendez-vous une prochaine fois

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TU N'AS PAS TELLEMENT CHANGÉ

    N°886– Mars 2015

    TU N'AS PAS TELLEMENT CHANGÉMarc Lambron - Grasset.

    Dès la lecture du titre et des premières lignes on se rend compte qu'on va avoir affaire à un texte intimiste.

    En effet le narrateur, Marc, choisit d'évoquer Philippe, son frère cadet, mort en 1995 à l'âge de 34 ans. Il refait son parcours brillant malgré la maladie qui se déclarera à l'âge de 26 ans et qui le torturera pendant 8 années, jusqu'à sa mort. Le mal n'est jamais nommé[le narrateur lui donne le nom de « virus-oursin »], cette maladie qu'un acronyme a simplifié en quatre lettres qui à l'époque sont synonymes de mort devant l'impuissance de la médecine, le lecteur en comprend vite la nature et l'issue qui, en l'absence de thérapie ne faisait, dans ces années, aucun doute. Elle était la conséquence d'une contamination qu'on opposait volontiers aux maladies génétiques, résultat du hasard de l'ascendance. On instillait là l'idée d'une faute, une sorte de punition divine puisque aussi bien nous baignons malheureusement dans un contexte judéo-chrétien et le sida était un peu assimilé à la peste du Moyen-Age. Malgré cette issue certaine, Philippe se jettera dans la vie avec passion et dans métier de banquier comme s'il devait prendre sa retraite au bout de sa carrière. Marc analyse finement les relations difficiles qui ont existé entre ces deux frères pendant leur jeunesse. Ils avaient tout pour se rencontrer et faire ensemble leur chemin mais ils ont choisi, volontairement ou au hasard des circonstances, de n'en rien faire et de s'ignorer. Seules ces quelques années de souffrance les ont réunis comme du temps perdu qu 'on cherche désespérément à rattraper et c'est Marc, l'aîné, qui a survécu à son cadet. Pendant leur jeunesse, un réflexe de protection de l’aîné sur son frère se manifeste mais sans forcément l'idée de complicité. Elle ne viendra que plus tard, avec la maladie, quand celle-ci aura fait le vide autour de Philippe, l'espèce humaine ayant horreur de tout ce qui n'est pas dans la norme. Le narrateur saisira cette occasion qu'il sait ultime pour lui dire tout l'amour qu'il a pour lui, même s'il le fait dans une grande solitude.

    Très tôt dans le récit, le lecteur apprend que Philippe qui était un séducteur, est amené, sans doute la mort dans l'âme, à éconduire une jeune fille désireuse de l’épouser parce qu'il avait soit la connaissance, soit la prescience de ce qui allait lui arriver. Ce détail est surprenant et me paraît ne pas ressortir de la seule technique de l'écriture. A titre personnel, je ressens cette affirmation comme une intuition intime de son propre destin, formulée sous une forme sibylline, soit volontairement soit plus sûrement dans des termes spontanés, mais qui portent en eux un futur programmé. J'ai souvent noté qu'elle est l'apanage des gens qui vont mourir jeunes.

    Marc refuse la réalité au début, la maladie de son frère et sa mort annoncée. C'est un combat qu'il mène, perdu d'avance, une malédiction injuste, un anachronisme, une chose inadmissible et révoltante. Quant à la contamination qui a précédé la maladie, il la juge absurde, de l'ordre du gâchis ! Pourtant Philippe choisit, par réaction, de jouer le jeu de la vie, de la carrière tout en gardant en silence son secret face aux autres, à leurs bassesses, à leurs vengeances, à leurs petitesses qui caractérisent bien l'espèce humaine. Pourtant l'inévitable dépression se manifeste comme une réaction face à la réalité.

    La différence entre les deux frères ressort aussi à la fin du récit, en ce sens que Philippe n'ayant pas laissé de descendance ne souhaite pas non plus laisser de traces après sa mort, choisissant l'incinération « sans stèle », c'est à dire sans endroit pour se recueillir, laissant aux vivants la seule arme de la mémoire. Dès lors on mesure l'importance de ce récit et la démarche de son auteur. A la fin du texte, le narrateur révèle que Philippe avait un ami, ce qu'il n'avait pas mentionné jusqu'à présent, soulignant, surtout à l’époque où les mentalités n'avaient pas encore évolué, qu'il était marginal mais surtout original et singulier. Marc ne sera dès lors plus le seul a pleurer l'absent ! Il nous révèle aussi que son frère était mélomane et cherchait dans la musique, celle de Mozart, des réponses à ses questionnement intimes sur la mémoire, la faute, les alliances parfois douteuses au cours des générations !

    J'ai lu ce livre comme une sorte de contrition du narrateur qui prendrait le lecteur comme confesseur. Marc a attendu vingt années avant d'écrire ce texte, comme quelque chose qu'on porte en soi, qu'on veut garder ou qui ne peut sortir. Le texte est tellement personnel que l'auteur confie au lecteur qu'il ne souhaite pas faire la promotion de ce livre. A mes yeux cela met l'accent sur une manière de paradoxe : L’auteur est écrivain et s'exprime donc par les mots. Il souhaite rendre hommage à ce frère trop tôt disparu. Il y a donc une nécessité de l'écriture comme une catharsis mais aussi une volonté pudique et personnelle de garder le silence, de ne partager cela parce que cela est trop intime et de l'ordre de la confidence. On sent l'auteur qui ressent lui aussi les affres de la mort, partagé entre la nécessité de cet acte de mémoire pendant qu'il en est encore temps et ce combat intime qu'il mène contre lui-même, contre les mots !

    Je suis entré de plain-pied dans ce témoignage poignant, peut-être parce qu'il parle de la mort qui est notre lot à tous mais plus sûrement parce qu'il retrace un parcours qui certes n'a pas été le mien directement mais qui m'a rappelé, toutes choses égales par ailleurs, quelques détails personnels. Les termes sont pudiques, pleins de tendresse, les phrases simples, l'écriture émouvante, sur le mode mineur de la confidence. Au début les chapitres sont normalement écrits et plus le texte avance plus il est haché, en courts paragraphes, comme les derniers soubresauts de la vie !

    J'avoue que je ne connaissais pas cet écrivain pourtant académicien (je suis loin de tous les connaître), au parcours brillant et couronné par le prix Fémina 1993 (« l'œil du silence »). Il retiendra sûrement à l'avenir mon attention.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DE TOUTES LES RICHESSES

    N°885– Mars 2015

    DE TOUTES LES RICHESSESStefano Benni – Actes sud

    Traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli.

    La vieillesse est un naufrage avec son lot de douleurs, d'abandon et de solitude. Enfin pas pour ceux qui savent nager surtout quand ils ont soin de pratiquer la natation avec une bouée. C'est un peu le cas de Martin, vieux misanthrope, ancien universitaire, philosophe et poète par vocation, la septantaine, retiré dans un village perdu dans les Apenins. Ses soutiens sont efficaces : Il mène une étude sur un poète oublié baptisé « l’Enchaîné » qui habitait une maison voisine, écrit lui-même des poèmes, parle aux animaux du bois derrière chez lui qui lui répondent volontiers et a avec son chien des rapports quasi-humains. Ainsi s'engagent entre eux un dialogue un peu surréaliste, souvent cultivé, mais à chaque fois aussi savoureux que les mondes parallèles dont il tisse les contours pour lui seul et qu'il habille de légendes. Et d'ailleurs il n'est pas seul, ses amis eux aussi sont originaux. C'est Virgile alias Voudstok, son voisin, « un hippy un peu flapi », Remorus, qu'il ne prise pourtant pas tellement, une sorte d'épouvantail sur le retour, infâme lèche-cul et capable de tout pour un peu de notoriété. Apparemment, rien ne pouvait bouleverser cet ordre établi sauf qu'un jeune couple vient s'établir en face de chez Martin. Lui, qu'il surnomme le Torve, peintre raté, alcoolique et propriétaire d'une galerie qui peine à décoller, ne lui fait pas beaucoup d'effet. En revanche elle, Michelle, qu'il baptise « La princesse des Blés » à cause de sa longue chevelure dorée l'inspire davantage, d'autant qu'il rapproche son image de celle de la légendaire jeune fille du lac tout proche mais surtout parce qu'elle lui rappelle quelqu'un qu'il a bien connu, même si cela fait longtemps. Lui comme elle sont un peu déçus par la vie et c'est sans doute ce qui les rapproche. Alors Martin oublie la vieillesse, la solitude et c'est reparti pour les sentiments et pourquoi pas pour l'amour !

    J'ai bien aimé l’architecture de ce livre pris au hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque où chaque chapitre s'ouvre sur un poème ludique, j'ai bien aimé le style (la traduction?) alerte, humoristique, poétique et aussi la façon dont il règle ses comptes en passant avec le monde universitaire, celui de la politique et de l'art, sans oublier la société des hommes. J'ai surtout bien aimé ce professeur retiré du monde, un vieux fou qui fait semblant de croire une dernière fois à l'amour, qui combat comme il peut la vieillesse et tente d’apprivoiser la mort. Pour compenser ce qui est un manque définitif, il se refait un monde imaginaire et y entre de plain-pied. C'est vrai que ce qu'on imagine est forcément plus beau que ce qu'on voit et cela ne coûte d'y mettre des êtres bien différents de ceux du quotidien. Il y invite à sa guise tous ceux du monde extérieur, leur prête un rôle qui les étonnerait eux-mêmes dans ses histoires, leur fait dire des choses qu'ils ne diront jamais, leur fait faire des gestes qu'eux-mêmes ne distribueraient pas autour d'eux, mais qu'importe. Cette démarche est celle d'un rêveur solitaire qui combat à sa manière son manque d'être. Je suis de tout cœur avec lui ! Il dépare pas dans ce décor même si, à son âge tomber amoureux est un peu anachronique et si Michelle ne peut que lui échapper. Cette fable sur la fin de vie, avec son cortège de regrets, de remords, de renoncements, de souvenirs qui resurgissent, avec au bout la mort est finalement une réalité à laquelle nul n'échappe.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio

    N°884– Mars 2015

    Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio - Amara Lakhous- Acte Sud

    Traduit de l'italien par Elise Gruau.

    Lorezzo Manfredini, surnommé « Le gladiateur », a été retrouvé mort, assassiné dans un ascenseur d'une résidence de la Place Vittorio, un quartier de Rome situé non loin de la gare Termini et habité par de immigrés. Cet homme, un jeune italien, était peu recommandable, à la fois violeur et violent, une véritable emmerdeur pour les autres habitants de cet immeuble, mais sa mort déclenche une prise de conscience à propos de la cohabitation entre Italiens et étrangers au sein de ce quartier, comme si le microcosme qu'est cet ascenseur était l'occasion de cette réflexion. Au même moment, un de ses voisins, Amédeo, disparaît sans raison. Il n'en faut pas davantage pour faire peser les soupçons de certains sur ce malheureux mais cela ne fait pour autant pas d'Amédéo un assassin, lui qui est si apprécié dans ce quartier, actif dans l'intégration des étrangers, tolérant et défenseur des plus humbles. Cet événement donne donc l'occasion à chacun, et ils sont nombreux, de donner son avis, « sa vérité » comme aurait dit Luigi Pirandello. Même jusqu’au commissaire de police Bettarini pour qui Amédéo qui a italianisé son nom(Ahmed) et dont l'histoire présente des zones d'ombre, même pour sa compagne, est forcément suspect ! On se demande même s'il est véritablement italien. Heureusement, Amédeo lui-même, par le biais d'écrits (ses « hurlements ») laissés par ses soins, prend la parole, comme pour rectifier et préciser les chosesComme il se doit c'est ce policier qui, malgré la multiplicité et la complexité des témoignages, apportera la solution. En tout cas ces différentes interventions révèlent le racisme ordinaire, la peur de l'autre… Et puis à Rome comme dans toutes les capitales du monde sans doute, on est toujours l'étranger de l'autre, même entre nationaux. Là aussi il y a un « nord » et un « sud » et les querelles de clochers ne manquent pas. Et d'ailleurs, au cours de leur histoire, les Italiens eux-mêmes ont été des immigrés, victimes de l'intolérance et du rejet des habitants du pays qui les « accueillait ». Ils sont maintenant dans le rôle du pays « accueillant » et c'est pour eux l'occasion de tirer les leçons de leur expérience. La diversité est incarnée par le nombre d'intervenants, pas moins de dix, depuis l'épicier bangladeshi, la bonne sud-américaine, la concierge napolitaine, l'étudiant hollandais, le professeur de faculté et j'en passe. Chacun donne sa version des faits et surtout à la couleur de son esprit ce qui laisse évidemment la place à la mauvaise foi, aux idées reçues, à l'ignorance des cultures, le repli sur soi, au rejet de l'autre...Tel est sans doute le message délivré par l'auteur qui trouve ici un cadre romanesque bienvenu puisque, comme lui, Amédéo est un algérien immigré en Italie. J'y vois personnellement une manière de catharsis

    J'ai apprécié l'écriture fraîche, entrecoupée de riches références culturelles, de l'algérien Amara Lakhoust dans cette enquête à la fois policière, sociale mais également satirique et ce d'autant plus qu'il l'a écrite d'abord en arabe pour ensuite la transcrire en italien puis la faire traduire en français. A en croire l'auteur, l'Italie ne serait pas vraiment une terre d’accueil ! Et puis après, je ne suis pas bien sûr qu'en général on aime voir son pays envahi par des étrangers. La France elle-même, dont la réputation est d'être un « melting-pot », fait de tolérance et d'acceptation de l'autre n'a pas toujours, au cours de son histoire, fait montre de cette ouverture qu'on lui prête, l'amnésie étant la propre de l'espèce humaine.

    Ce court roman, par ailleurs primé a fait l'objet d'une adaptation cinématographique et je serai volontiers attentif à l’œuvre de cet auteur.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ANGEL BABY

    N°883– Mars 2015

    ANGEL BABY – Richard Lange- Albin Michel.

    Traduit de l'américain par Cécile Deniard.

    Rien en va plus entre Luz et Rolando dit « El Principe » (Le Prince), un cruel narcotrafiquant à Tijuana (Mexique). Depuis plus de 3 ans, il la tabasse, la drogue, la viole, la tyrannise et elle décide donc de s'enfuir sur un coup de tête avec pour tout bagage une poignée de dollars dérobés dans le coffre et un colt 45. Dans sa fuite elle tue même deux personnes à la solde de cet homme qui lance un tueur à sa poursuite. C'est qu'elle l'a épousé tout en lui cachant l'existence d'Isabel, sa fille restée à Los Angeles chez sa tante Carmen. Elle n'a qu'une idée en tête, traverser la frontière toute proche et la rejoindre. Cela commence donc sur les chapeaux de roues, un peu comme dans un film américain. Même si sa vie avec Rolando a été un enfer et que ses hommes de main la poursuivent, Jéronimo, dit l'Apache, un truand tout dévoué à Rolando et Tracker, un flic tordu et corrompu mais qui de plus en plus regrette de s'être laissé entraîné dans cette affaire, elle a quand même la chance de rencontrer dans sa fuite, Malone qui lui fait traverser la frontière. C'est un personnage à la fois intéressé, sympathique mais aussi énigmatique, poursuivi par son passé et dépendant de l'alcool. Il représente dans tout ce panel de déjantés, partagés entre l'argent et le meurtre, la seule note réconfortante dans cette aventure.

    Le lecteur vibre au rythme de ce roman échevelé, craignant pour la vie de Luz mais aussi sympathisant avec Malone, finalement aux petits soins pour elle et désireux de l'aider jusqu'au bout.

    Angel Baby, c'est le titre de la chanson qu'elle chantait à Isabel, sa fille. C'est peut-être plus que cela en réalité puisque, au cours de ces 300 pages, le lecteur qui aurait volontiers prit Luz pour une femme facile, opportuniste, plus volontiers attirée par l'argent, va rencontrer une femme bien différente, prise entre la pauvreté la peur et le désespoir. Depuis qu'elle a abandonné Isabel aux bons soins de Carmen, elle est partagée entre le remords et les illusoires prières pour qu'il ne lui arrive rien et qu'elle puisse la retrouver. Ce roman est d'ailleurs plus qu'un thriller, comme la couverture suggestive le donne à penser, c'est une véritable étude de caractères menée à travers des personnages qu'on aurait tôt fait de mal cataloguer et le lecteur pénètre malgré lui dans le monde un peu obscur de Richard Lange. Ce roman pourrait être regardé comme une chasse à l'homme (à la femme) effrénée et impitoyable, aux multiples rebondissements, comme dans les meilleurs romans noirs américains, faits de trahisons, de chantage, de dollars, de violence, de drogue et de sexe, mais il est entrecoupé de moments pleins de souvenirs, de complicité et de tendresse surtout entre Luz et Malone.

    D'ordinaire, j'avais, par goût, par culture, par réaction, que sais-je, l'habitude de me réfugier dans l'art et plus spécialement dans les livres, face à un monde de plus en plus déshumanisé. Cela constituait mes lectures habituelles plutôt paisibles. J’avoue que je ne connaissais pas cet auteur ni ce livre ni son atmosphère glauque et gore, avant que « Masse critique » ne contribue à cette ouverture sur une autre littérature[merci aux Éditions Albin Michel de me l’avoir fait parvenir directement]. Pour en faire partie, nous savons que l'espèce humaine n'est pas fréquentable. Que la littérature prenne en compte cette caractéristique, qu'elle peigne la société telle qu'elle est, qu'elle montre un changement rapide, surtout dans le mauvais sens, je ne vois pas ce qu'il y a d'anormal. Après tout, depuis que le monde existe, les hommes n'ont eu de cesse que de s’entre-tuer, de se trahir, de s’autodétruire. La société dans laquelle nous vivons, celle des États-Unis mais aussi la nôtre, est de plus en plus faite de violences, d’escroqueries, de trahisons, de meurtres, d'hypocrisies et elle ne fait rien contre cela puisqu'elle en est bien souvent l'organisatrice, l’instigatrice ou même la complice et je comprends assez mal dans ces conditions le concept de « vivre ensemble » dont on nous rebat les oreilles en toutes occasions. En réalité je ne regrette pas cette lecture même si mes goûts vont plutôt vers autre chose, une écriture plus poétique par exemple, que je n'ai pas vraiment retrouvée ici.

    Quoiqu'il en soit, je respecte ce parti-pris d'auteur qui me donne sûrement envie de redécouvrir d'autres œuvres de Richard Lange.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Un héros

    N°600– Novembre 2012.

    Un héros – Félicité Herzog - Grasset.

    Victor Hugo voyait son père comme un héros, mais je ne suis pas bien sûr que les Vendéens de 1791 dont il mata la révolte partageaient son admiration pour son « sourire si doux ».

    Je ne sais pas pourquoi, mais j'aime assez qu'on fasse tomber les mythes qui, le plus souvent sont hypocrites. La famille, à laquelle on trouve par ailleurs beaucoup de qualités et qui est aussi un pilier de la société, est un des thèmes qui se prête à ces mises au point, surtout quand elles sont nourries par ceux qui ont été les victimes innocentes et surtout impuissantes des ces potentats familiaux qui trouvent ainsi le moyen d'y étendre leur autorité malsaine tout en tissant, à leur seul bénéfice, une image forcément favorable. C'est sa fille, Félicité, qui se charge de cette tâche d'autant plus ingrate qu'elle s'attaque à la statue du commandeur, son propre père, Maurice Herzog. Pour le commun des mortels, cet homme est un ancien résistant, un alpiniste accompli, vainqueur de l'Anapurna en 1950 et même si cet exploit a été enjolivé et contesté, il reste celui dont les doigts ont été amputés par le gel dans cette aventure, l'homme de lettres aussi qui en tira un best-seller. Secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports du général de Gaulle, il garde l'aura de ce titre qui fait de lui un homme politique respecté, grand-Croix de la Légion d'Honneur. Le père devenu fasciste avec le temps, fut un séducteur impénitent, un père absent et démissionnaire, indifférent et lointain, plus impliqué dans les fonctions officielles et ses succès féminins que dans sa propre famille. Il dit d'ailleurs à Félicité «Tu es ma fille mais tu es une étrangère », un père abrupt, inattendu parfois quand il s'adresse à sa fille en la photographiant et lui déclare sans équivoque, l'avant-bras dressé « Tu verras ma petite, comme toutes les femmes, c'est cela que tu aimeras, un sexe dur qui te fera bien jouir ». Il est vrai que ce n'est pas facile d'être la fille d'un héros à ce point reconnu, un personnage public couvert d'honneurs et qui entretient, de son vivant, sa propre légende.

    Face à lui, une mère, malheureusement en charge de deux enfants qui lui échappent de plus en plus, peu regardante elle-même sur la fidélité conjugale, elle est davantage faite pour l'enseignement public que pour l'éducation de ses propres enfants.

    L'auteure, née en 1968, tente de se libérer par l'écriture d'un contexte familial qu'elle présente comme délétère «  Je n'étais qu'un petit garçon manqué que la familiarité libidineuse de mon père confortait dans son choix de comportement ». Il reste une « énigme insupportable », son frère aîné Laurent, schizophrène, paranoïaque, mort à trente quatre ans d'un infarctus après avoir été « vagabond des étoiles », « promeneur du monde », enfermé petit à petit dans une maladie qui fera de lui un jeune homme déstructuré qui est persuadé d'être la victime d'un complot international. Dès sa disparition, on ne parle plus de lui et son père n'ira jamais sur sa tombe peut-être parce qu'il ne sera plus jamais « l'enfant sublimé qui devait répondre par miroir aux canons parentaux ». Pour Félicité, il avait été longtemps ce frère, adulé, jalousé et craint, nanti d'un avenir brillant et chargé par avance de perpétrer la lignée alors qu'elle n'était cantonnée que dans un rôle secondaire par ses parents. Le frère et la sœur, que tout oppose sont deux-écorchés vifs mais Laurent, plus violent va finir par plonger dans la marginalité puis dans la folie que personne n'avait vue venir. Face à cette famille, Laurent et Félicité sont des « manants » dont l'adolescence a été rendue infernale par un duel fratricide. Ensemble ils sont les héritiers privilégiés mais abandonnés d'une famille d'aristocrates, les grands-parents, duc et duchesse de Brissac d'un côté et la dynastie industrielle Schneider de l'autre. Ses grands-parents maternels, Vieille France, antidreyfusards et arc-boutés sur leur arbre généalogique ont pactisé avec l'Allemagne nazie, mais sa mère, Marie-Pierre, agrégée de philosophie, choisit pour premier mari un jeune inspecteur des Finances, résistant et juif. Elle épousera ensuite Maurice Herzog dont elle divorcera également.

    Il reste à Félicité à entrer véritablement dans la vie. Peut-être à cause du parcours raté de son frère qu'on destinait à la banque ou peut-être parce qu'elle est enfin libérée de l'emprise de cette famille, elle entre comme analyste chez Lazard à New York. Elle connaît cet univers impitoyable de la finance internationale où tout n'est que rentabilité et déshumanisation. Pourtant cette nouvelle vie l'aide à oublier son passé, à tourner la page et à s'installer dans un nouvel univers où elle trouve sa place « Je damais le pion à mes fantômes existants ou futurs, mes faux et mes vrais héros, en m'arrachant brusquement à mon amas de mémoire putride ...J'avais obtenu une place dans une autre fratrie».

    Le véritable héros de ce roman, ce n'est pas le père dont elle livre une image différente de celle que l'histoire a retenu, mais le frère qui a pour elle marqué sa vie de son existence courte mais intense comme le font généralement ceux qui meurent jeunes. Dans ce livre, l'auteure règle ses comptes avec ce père qui ne correspond pas à l'image qu'il avait lui-même tissée autour de lui. Il n'y a rien d'étonnant à cela, d'autant qu'elle le fait avec talent. Ce que je retiens aussi, c'est l'image de ce frère, alternativement surexposée ou floue qui se transforme à la fin en fantôme perpétuellement présent.

    L'éditeur range, par commodité sans doute, ce livre dans la catégorie « Roman ». Ce n'en est pourtant pas un. Non seulement l'auteure a le courage de ne pas avancer masquée en offrant à son lecteur une fiction, une autobiographie qui ne voudrait pas dire son nom, mais surtout elle affronte l'hypocrisie familiale et ses trahisons autant que le lourd passé qu'elle génère, rend hommage à ce frère à la fois redouté et regretté.

    J'ai bien aimé ce livre, notamment parce qu'il est bien écrit. L'écriture, pour celui qui la pratique est une libération et, pour le modeste lecteur que je suis, elle est un plaisir et c'est important.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA PASSION D'EDITH S.

    N°882– Mars 2015

    LA PASSION D'EDITH S. – Maryse Wolinski- Seuil.

    Hannah Herder, journaliste, révolutionnaire, juive, athée embarque comme tant d'autres en ce mois d’août 1942 vers les camps de la mort. Elle rencontre par hasard Édith Stein (1891-1942), allemande, féministe, juive comme elle mais philosophe et surtout convertie au catholicisme et devenue carmélite sous le nom de sœur Thérèse Bénédicte de la Croix.

    Au cours de ce voyage Hannah ne cesse de questionner Édith sur son engagement religieux, sur l'absence de dieu dans l'épreuve que tous sont en train de vivre, surtout l'abandon du peuple juif, sur le renoncement à son rôle d’intellectuelle. Elle entraîne avec elle d'autres juifs qui s'étonnent de la conversion de Sœur Bénédicte, lui reproche d'avoir ainsi voulu se cacher, d'avoir trahi le peuple juif même si, sur son habit conventuel, elle porte quand même l'étoile jaune. Elle justifie que c'est la philosophie qui l'a amenée au Christ qui est l'unique but de sa vie et ne cesse de proclamer qu'elle n'a pas pour autant renier sa judéité tout en affirmant sa foi au Christ, ce qui peut paraître paradoxal. Dans le même temps, elle veut comprendre ceux qui se sont convertis au christianisme par opportunisme, pour éviter les exterminations du nazisme. Elle est également confrontée à une autre contradiction en la personne de Susanna, convertie elle aussi au catholicisme, mais qui a choisi l'action plutôt que la vie contemplative.

    Hannah est un peu le double laïc d’Édith dans sa démarche et malgré l'admiration qu'elle peut avoir pour elle, la provoque volontiers, comme pour l'éprouver. La comparaison de leurs deux attitudes est saisissante. Dans le huis-clos de ce wagon surchauffé et inconfortable qui les emmène vers la mort, Édith prie et encourage les occupants, même si personne ne connaît l'issue de ce voyage, même si la mort rôde autour d'eux. Ils font preuve tour à tour de solidarité, d'indifférence puis franchement de sauvagerie ce qu’Édith tente de combattre. La prière sera cependant leur dernier rempart contre la souffrance et la mort. Elle sent investie d'une ultime mission inspirée, dit-elle par Sainte Thérèse d'Avila dont la lecture de la vie présida à sa conversion.

    A l'aide de nombreux analepses, l'auteure revisite la vie de cette femme d'exception à la personnalité écrasante qu'elle affirmera non seulement dans ce wagon mais dont elle a toujours fait preuve en toutes circonstances, jusque devant les fonctionnaires du Reich et devant des SS. Elle évoque une Édith à la fois énigmatique et romanesque, ses amours contrariées, ses origines bourgeoises qu'elle a choisies de contester, son refus de la religion juive et des convenances sociales, sa découverte de la philosophie, son opposition à sa mère, son destin qui s'est heurté au fascisme. L'auteure y ajoute quelques éléments de fiction notamment au niveau des dialogues et de l'ambiance dans le convoi. Édith trouve dans ce dernier voyage une manière de renouer avec la foi et surtout, comme elle l'a fait depuis sa conversion, de jeter des ponts entre judaïsme et christianisme. Édith se présente avant tout comme une authentique mystique, en totale communion avec Dieu dont, malgré les questions pressantes qui lui sont adressées, elle porte à chaque instant témoignage tandis que les autres occupants sont davantage attentifs à leurs conditions de vie précaires à l'intérieur du wagon. Face aux prières de la religieuse, à sa totale humilité devant la volonté de Dieu, Hannah préconise l'action pour la survie. Dans ce microcosme du wagon qui prend au fil du récit des proportions énormes, on va à la rencontre de l'espèce humaine, entre humanisme, égoïsme et bestialité. L'auteure la présente en permanence comme une femme désireuse de s'affirmer catholique malgré ses apparentes contradictions.

    Morte à Auschwitz, sœur Thérèse sera canonisée par Jean- Paul II en 1998.

    Un autre thème également abordé dans ce roman, sous les reproches qu'Hannah adresse à Édith, mériterait sans doute d'être discuté. C'est celui des relations, difficiles à l'époque, entre la religion juive et les catholiques. Je me souviens du discours officiel de l’Église romaine qui voyait les Juifs comme le peuple déicide au motifs qu'ils avaient envoyé Jésus à la mort. Cette position a été corroborée par le silence assourdissant du pape Pie XII qui, face à la Shoah et malgré les informations précises et concordantes fournies par le clergé européen a persisté dans son inaction au motif qu'il ne voulait pas mettre en porte à faux les catholiques d'Allemagne où il avait été nonce apostolique. Je remarque également que, malgré cette inobservation du message de l’Évangile, ce pape est toujours en instance de canonisation. Quant à Édith, elle doit bien avouer que malgré sa qualité d'intellectuelle reconnue et son appel au Pape, elle s'est heurtée au silence pontifical. Son action en faveur des juifs est donc restée lettre morte, ce qui peut la faire passer pour complice aux yeux d'Hannah ! Dès lors une seule action est recevable à ses yeux, celle du sacrifice ultime.

    Avec ce roman émouvant, l'auteure entre de plain pied dans la réflexion sur le sens de la vie, de la foi, de l'engagement religieux face au danger et à la mort. Elle choisit de rendre compte de ce témoignage humain et religieux hors du commun, de cette passion mystique d’Édith pour le Christ, de son amour supérieur pour Dieu par rapport à celui qu'un homme peut lui offrir, de ses épreuves ainsi acceptées et offertes comme une prière et qu'elle choisit de mettre en perspective avec la passion et la mort de Jésus. C'est un témoignage réellement bouleversant !

    Cette œuvre a donné lieu à une adaptation théâtrale.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN COEUR BIEN ACCORDÉ

    N°881– Mars 2015

    UN COEUR BIEN ACCORDÉJan-Philipp Sendker – JC Lattès.

    Traduit avec l'autorisation de l'auteur à partir de la version anglaise de Kevin Wiliarty par Laurence Kiefé.

    Julia Win, la narratrice, d'origine birmane, la quarantaine, est une brillante avocate à Manhattan. Elle est aussi une femme épanouie mais solitaire avec une seule amie, Amy Lee, artiste peintre. Elle se met a entendre une voix féminine étrange qui lui posent des questions pour le moins personnelles sur sa vie. Il n'en faut pas davantage pour la troubler durablement au point qu'elle manque d'entrer dans la folie. Elle pense qu'un retour en Birmanie peut lui apporter une réponse et elle y retrouve son frère, U Ba. Là, c'est un autre monde, des gens bien différents de son quotidien et dix ans se sont écoulés depuis son dernier voyage dans ce pays. Seules quelques lettres échangées avec lui ont entretenu cette relation. Sous la conduite de ce frère pourtant malade, Julia apprend la vie tragique de Nu Nu, une femme poursuivie par le malheur mais aussi celle de Thar Thar, son fils. Ce sont deux êtres dont on dit qu'ils sont nés sous une mauvaise étoile, que malgré eux, ils attirent le malheur et qu'ils sont l'objet, jusque de la part de leurs proches, d'une volonté de destruction. Et pourtant ils survivent alors qu'on imaginerait qu'autant d’épreuves ne peuvent que se conclure par la mort qui serait pour eux une libération. Ce récit est réellement pathétique et aucun détail en nous est épargné. Hasard des rencontres, Julia croise un homme qui pourrait bien être Thar Thar. Il n'est pas un moine comme il en a l'apparence mais réalise à sa manière une sorte de syncrétisme entre le christianisme et le bouddhisme, se consacre aux plus défavorisés que la société rejette. Il pratique, à travers le pardon et l'amour, un sorte de dévotion à un dieu universel autant qu'un art de vivre. La métaphore du cœur désaccordé, comme le serait un instrument de musique, prend alors tout son sens. L'auteur met en avant l'amour mais aussi le pardon qui génère la liberté pour celui qui le prononce [« Pour pardonner, il faut aimer et être aimé. Seuls ceux qui pardonnent peuvent être libres. Quiconque pardonne n'est plus prisonnier. » déclare-t-il].

    C'est un peu comme si la voix qu'elle entendait sollicitait à travers elle le pardon de Thar Thar. A travers son exemple et son enseignement, Julia en tire des leçons pour elle-même, réfléchit sur le destin, accepte de mener une vie différente de celle qu'elle avait à New-York, de prendre son temps, de vivre au quotidien comme une Birmane à travers des gestes simples, de remettre en question ses certitudes, de perdre ses repaires américains et ses valeurs occidentales, de retrouver peut-être ses croyances religieuses oubliées… Comme elle, le lecteur reçoit cette leçon de sagesse orientale et explore les arcanes du cœur humain. Du coup, Julia accepte de confier à cet homme l'objet de sa quête et la voix qui torturait sa vie se tait, lui procurant une sorte de plénitude intérieure. Entre eux naîtra une sorte de complicité basée sur la connaissance commune, un amour même mais qui n'a rien à voir avec une de ces passades new-yorkaises que Julia a pu connaître dans sa vie d'avant. Ce qui les unit est de nature quasi-religieuse et procure à Julia une certaine paix de l'âme qui naît autant de la vie spartiate qu'elle mène pendant ces quelques semaines birmanes que de la découverte de ce frère qu'elle n'avait jusqu'alors qu'entraperçu. Ce bouleversement intervenu dans sa vie donne à penser que non seulement elle abandonnera ici le fardeau qu'elle porte mais qu'on imagine pas qu'elle puisse vivre ailleurs désormais.

    C'est un roman dépaysant mais surtout une sorte de voyage initiatique que Julia mène comme une quête personnelle même si je peux personnellement avoir une notion différente du pardon. En ce qui concerne le récit de la vie de Nu Nu puis celle de Thar Thar, cela peut paraître appartenir à une fiction, l'auteur noircissant le trait pour servir l’histoire et ainsi apitoyer le lecteur. En réalité le malheur existe qui s'accroche à certains êtres sans aucune raison et martyrise leur vie alors qu'il en épargne d'autres. Trop d'épreuves imméritées qu'on a du mal à justifier autrement que par un mauvais karma, peuvent effectivement bouleverser les plus solides.

    Avec un art consommé du suspens et une écriture fluide,[même si le texte original a pu être écrit en allemand et a dû passer par une version anglaise avant d'être traduite en français] l'auteur entretient l’attention et l’intérêt de son lecteur jusqu’à la fin. Je suis personnellement entré complètement dans ce roman notamment dans le récit des destinées de Nu Nu et de Thar Thar. Cela m'a paru appartenir à une réalité différente de celle parfois faussement idyllique qu'on rencontre dans les romans.

    J'ai eu plaisir à découvrir à cette occasion un auteur jusqu'à là inconnu.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES FLEURS D'HIVER

    N°880– Mars 2015

    LES FLEURS D'HIVER – Angélique Villeneuve- Phébus.

    Nous sommes en octobre 1918 et, quand ce conflit a fait tant de morts, rentrer chez soi vivant est un événement exceptionnel. Toussaint y retrouve sa femme Jeanne et sa fille Léonie. Quatre années pendant les quelles elles n'ont connu que les privations, le dur travail d'une ouvrière, le froid, la maladie. Lui, blessé après quelques mois de conflit était au Val de Grâce, il se montrait rassurant sur sa santé mais bizarrement demandait à Jeanne qu'elle ne vienne pas le voir. Elle avait respecté ce souhait, imaginant le pire. Il rentre maintenant chez lui à l’improviste mais porte en permanence un large bandeau sur le visage, c'est « une gueule cassée ». Il restera silencieux, se cachera de sa propre épouse pour ne pas lui révéler sa mutilation.

    C'est un roman qui s'inscrit dans la somme de ceux qui ont été publiés en l'honneur des cérémonies commémoratives de la Grande Guerre. Pourtant, il ne parle pas de la guerre de tranchées, de cette boucherie générale et inutile mais, au contraire de l'amour de Jeanne pour Toussaint. C'est en effet un authentique roman sur le couple, sur la famille. Non seulement Jeanne n'a pas oublié son mari pendant tout ce conflit, lui est restée fidèle, ne l'a pas trompé comme beaucoup d'autres l'ont fait, profitant de leur nouvelle vie et de l'absence de leur mari, mais surtout elle continue de l’aimer en silence malgré sa blessure et cette image muette et dégradée qu'il donne de lui. La joie que cette famille connaissait avant la guerre fait maintenant place à une autre ambiance faite de gêne, de non-dits, d'un pesant silence… et Léonie doit aussi accepter cette nouvelle situation malgré son jeune âge. Toussaint, de son côté, tente de garder pour lui sa nouvelle image saccagée. Jeanne devra l'accepter, l’accompagner dans son retour difficile à la vie comme lui-même devra reprendre pied dans un monde plus vraiment fait pour lui. Et elle le fera parce qu'elle aime cet homme, tout simplement et puisera dans cet amour la force de ne pas le regarder comme un étranger. Elle mesure aussi toute la complexité de sa situation quand sa plus proche voisine et amie a perdu son fils unique à la guerre.

    C'est un livre délicat, pudique sur l'acceptation de l'autre que les événements ont transformé malgré lui. C'est vrai qu'on n'a peu abordé le thème douloureux de ceux qui ont été marqués définitivement dans leur chair par ce conflit. Ils étaient vivants mais portaient jusqu'à la fin la marque visible de tous de leurs souffrances. Ils ont dû, malgré eux, affronter le regard des autres entre fausse compassion et voyeurisme. C'est aussi un formidable roman d'amour, peut-être un peu trop idéalisé mais en tout cas porteur d'espoir.

    L'auteur évoque également la vie quotidienne de « l'arrière », entre cérémonies de commémoration pour les « morts au champ d'honneur » et privations de tous ordres, surtout pour les plus humbles, le spectacle douloureux des mutilés rencontrés au hasard du quotidien.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'URGENCE ET LA PATIENCE

    N°879– Mars 2015

    L'URGENCE ET LA PATIENCE – Jean-Philippe Toussaint - Éditions de Minuit.

    Après pas mal de romans publiés et sans doute d'autres seulement écrits, l'auteur éprouve le besoin de faire le point sur son matériau de prédilection, les mots, et la façon de les utiliser, l'écriture. Il dissèque à travers son œuvre personnelle ce phénomène à la fois manuel et intellectuel, entre dans le détail, analyse le processus de création littéraire au regard de ces deux caractéristiques qui peuvent être contradictoires, voire inconciliables ou complémentaires : l'urgence et la patience.

    Au milieu, il place l'inspiration comme une grâce extérieure, d'aucuns la qualifieraient de divine, mais l'urgence est là qui la commande et il faut respecter son rythme, ses exigences, sa fragilité aussi. II souligne, avec pertinence, l’importance du travail et aussi de la lecture des autres auteurs (pas n'importe lesquels cependant) mais aussi les lieux qui selon lui sont propices à l'écriture. Pour lui ce sont les hôtels qui ne sont pas forcement des édifices de pierre mais qui peuvent parfaitement être des constructions purement mentales (il parle de « fonctionnalité fictionnelle »). Bref, l’écrivain dans tout cela, dans tout ce chambardement intime, paraît être bien frêle face à la page blanche et à ce bouillonnement d’où sortiront des mots et des chapitres. Si on veut faire la démarche de publier ce qu'on écrit (et c'est bien naturel) il faut aussi faire preuve de patience, mais pas la même, face aux éditeurs. Il ne faut oublier non plus que l'écriture en se laisse pas dominer facilement, la patience est aussi nécessaire dans les périodes incontournables d 'abattement et de dépression.

    A titre personnel j'ai toujours été fasciné par le phénomène de création artistique (et spécialement littéraire). D'où cela vient-il ? Pourquoi cela s'applique-t-il à quelqu'un qui en s'y attend pas, qui n'a rien fait pour cela alors que d'autres ont fait des études et des efforts pour écrire et n'y parviennent pas ou mal. J'avoue que je souscris assez à cette conjugaison entre la patience et l'urgence mais j'ai toujours été interpellé par ce moment extraordinaire et fugace qu'est l'inspiration qui se manifeste au hasard, le jour ou la nuit et surtout quand on s'y attend le moins( à la réflexion je n'ai jamais cru que cela avait une dimension divine). Il faut cependant impérativement s'y soumettre faute de perdre définitivement ce qu'elle nous offre. En outre j'ai toujours été frappé par cette sorte d'extériorité qu'on éprouve quand on se soumet à ce processus créatif, qu'on y fait allégeance au point d'abandonner ce qu'on fait pour répondre à cet appel qui peut durer des heures ou quelques secondes. Je l'ai toujours, peut-être à tort, rapproché de ce mot de Rimbaud « Je est un autre ». J'ai souvent ressenti à titre personnel cette impression assez étrange d'être en dehors de tout cela, de tenir le stylo certes, de mettre mon nom en tant qu'auteur, mais de n'avoir avec ce moment excitation et d'exception que nous nommons la création qu'une lointaine parenté.

    J'avais déjà lu Jean-Philippe Toussaint comme un écrivain (La Feuille Volante nº 405 « La vérité sur Marie »). Sa démarche d'essayiste est intéressante et enrichit ma réflexion personnelle sur l'écriture.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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