la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Edward Hopper

    La Feuille Volante n°1019– Mars 2016

    Edward Hopper - Gerry Souter – Parkstone international.

    Traduit de l’américain par Aline Jorand.

     

    Je ne sais pas pourquoi, moi qui ne suis pas spécialiste de la peinture en général, et de la peinture américaine en particulier, je ressens pour Edward Hopper (1882-1967) une véritable fasciation. Aussi bien quand je découvre un livre qui lui est consacré, je ne manque pas de le lire avec intérêt.

    L'auteur le présente à travers sa biographie, insistant sur ses origines modestes et sur le rôle de ses parents, de sa mère surtout qui a su favoriser sa vocation artistique. Son éducation a été fortement marquée par les femmes (sa mère et sa grand-mère) et cela se retrouvera dans son œuvre. Il note que son éducation victorienne complétée par une empreinte puritaine et religieuse (son arrière-grand-père, le révérend Griffiths a fondé l'église baptiste de la petite ville de Nyack (État de New York) où il est né – Edward ira à l'école privée) qui prône une vie austère, recommande de s'éloigner des plaisirs de la sexualité et des comportements immoraux. Cela développera une timidité naturelle qui, bizarrement, sera contrebalancée par un réel sens de l'humour. Cette formation ne sera pas sans influencer sa peinture et quand il représente des femmes, même si elles sont nues, il n'y a pas de dimension érotique. Je note également que après son mariage avec Joséphine, celle-ci sera son unique modèle. Dans certaine de ses toiles, surtout celles où il représente des chambres ou des bureaux il y a cependant une sorte de voyeurisme.

    S'il a fréquenté des écoles de dessins, et notamment la New York School of Art, s'il s'est perfectionné par l'étude des impressionnistes français présents dans les musées américains et en France même où il fit trois séjours, il commença son apprentissage en copiant de façon empirique, très jeune, des couvertures de magazines. Ses séjours à Paris ne se confondent d'ailleurs pas avec la vie de bohème qu'on peut imaginer chez un jeune peintre et il en rapporte nombre de tableaux dans la manière impressionniste qui n'apparaissent malheureusement pas dans les illustrations de cet ouvrage.

    Ce que je retiens ce sont les débuts difficiles de Hopper et toute sa vie sera rythmée par l’alternance du succès et de l'échec, l'obligation de gagner sa vie comme illustrateur, ainsi que de la sécheresse artistique passagère ce qui ne sera pas sans influencer son équilibre personnel. Il sera en effet souvent sujet à la dépression. A partir de 1923 cependant, date à laquelle il rencontre Joséphine qui va devenir son épouse, la chance semble lui sourire et, petit à petit, il devient un peintre connu et reconnu. Pourtant sa vie sentimentale sera des plus agitée, émaillées par de violentes disputes avec sa femme qui pourtant choisira de mettre sa carrière artistique personnelle entre parenthèses mais en ressentira une sorte de complexe d'infériorité. Edward semble ne pas avoir été heureux en ménage et il en concevra une profonde solitude qui ressort sur la plupart de ses toiles, notamment au niveau des personnages et des paysages. Les époux voyageront pourtant souvent ensemble, notamment au Mexique mais cet ouvrage ne publie aucune des toiles réalisées dans ce pays. Ils achèteront une maison au cap Cod et Edward renouera alors avec l'inspiration de la mer et des bateaux qui avait été la sienne, très jeune, à Nyack quand il fréquentait les chantiers navals et le « Boys Yacht Club ». Ce thème du voyage, incarné par les bateaux, les trains et les routes me semble également dénoter une sorte de volonté de départ, de fuite, l'envie d'un ailleurs qu'on ose cependant pas pas tenter. Les phares auront aussi une grande influence sur sa peinture.

    Il affectionne également les paysages urbains, les trains ou les maisons isolées mais je note que s'il vécu et travaillé à New York, il ne représenta que peu de gratte-ciel pour se concentrer plutôt sur les maisons de style victorien avec toujours, peu ou prou, cette impression de solitude, de vide, d'attente de quelque chose qui n'arrivera peut-être pas. Cette idée d'isolement persiste même si le tableau représente un groupe de personnages et se retrouvera dans les oeuvres qu'il consacrera aux salles de théâtres ou de cinéma, aux chambres ou aux halls d’hôtels. Je ne suis pas spécialiste de ce peintre mais je ressens sa peinture comme une activité de compensation face à une vie qu'il supporte plus qu'il ne l'apprécie. Sa dernière toile, « deux comédiens », semble vouloir nous dire qu'il a fait son parcours aux côtés de son épouse, comme s'il avait joué un rôle, grimé en acteur, et trouvé dans celui-ci une raison d'exister.

    Hopper est un peintre figuratif qui n'a guère changé de style. Il a du également lutter contre l'expressionniste abstrait très en vogue à son époque mais son style n'a jamais vraiment varié si on excepte sa période impressionniste.

    Cet ouvrage complète l'étude entamée depuis de nombreuses années sur ce peintre emblématique américain. Il m'a prêté un bon moment de lecture.


     


     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • La villa

    La Feuille Volante n°1018– Février 2016

    La villa - Peter Nichols - Éditions Nil.

    Traduit de l’américain par Sarah Tardy.

     

    Malgré son récent AVC, Lulu Davenport ne fait pas ses 80 ans et paraît encore jeune. Elle tient encore son petit hôtel, la villa « Les Rochers » à Majorque fréquentée par des habitués. Gérald Rutledge est écrivain, ne fait pas vraiment dans le best-seller et vivote de sa production d'olives. Il est en moins bon état mais leurs différences ne s'arrêtent pas là. Ces deux-là, s'ils se sont évités pendant cinquante ans se retrouvent ici par hasard et vont mourir ensemble, un peu bêtement d’ailleurs : Nous sommes en 2005. Tel est le point de départ de ce roman qui, bien qu'il se passe au soleil de Majorque et évoque la légèreté et farniente, les bougainvilliers et les oliviers, va promener le lecteur dans les lourdes arcanes du temps.

    A l’aide de nombreux analepses qui déroutent un peu le lecteur, l'auteur va recomposer la vie de Lulu et de Gérald qui ont jadis été amoureux l'un de l'autre, se sont mariés en 1948 puis ont rapidement mis fin à leur bref mariage tout en demeurant à Majorque. Nous ne saurons qu'à la fin ce qui a motivé une si brève union mais franchement je n'ai pas vraiment ressenti le suspens qui aurait pu être entretenu tout au long de ce roman tant les apartés sont multiples qui diluent un peu l'intérêt tissé a départ.

    La 4° de couverture annonce la couleur « Sexe, mensonges et Martini... » C'est à peu près le résumé de ce roman où tout semble être artificiel et superficiel. Ici, les individualités, les désirs, la luxure, l'adultère et le destin s'entrechoquent. Alors qu'entre les autres personnages c'est plutôt une ambiance de légèreté qui prévaut, il y a beaucoup de non-dits, de secrets de famille en suspens depuis un demi-siècle entre Lulu et Gérald, une atmosphère lourde et sombre qui n'a fait qu'enfler avec le temps, cette impression malsaine de quelque chose qu'on regrette, des erreurs ou des malentendus, un abcès qu'on n'a pas crevé et qui ont fait d'eux des ennemis intimes. Tout cela tranche évidemment avec les paysages ensoleillés de l’archipel. Il y a eu leur vie après leur divorce, leur mariage respectif, la personnalité de leur conjoint, le deuxième divorce de Lullu et le veuvage de Gérald, les enfants qu'ils ont eu séparément puis les enfants de ces enfants et les relations qu'ils ont entretenues ensemble. Il y a Luc, le fils de Lullu, un cinéaste un peu rêveur mais bien mal inspiré, un époux pas très fidèle cependant, Aegina, la fille de Gérald, femme d'affaires efficace avec Charlie, son fils adolescent. Pour Luc, Aegina qui est assurément amoureuse de lui est la seule femme qu'il ait jamais aimée, mais il est à la fois maladivement timide et par trop maladroit, à cause peut-être de ce qui s'est passé jadis entre Gérald et Lullu. Ces deux enfants ont un passé commun mais qui n'a rien à voir avec l'histoire de Lullu et de Gérald.

    Il y a beaucoup de personnages dont l’histoire nous est racontée ici sur trois générations. Cela pouvait donner l'occasion d'une saga passionnante mais j'ai noté pas mal d’apartés (notamment l'accident de Luc, passé par dessus bord qui, s'il est un peu émouvant au début, n'en est pas mois assez invraisemblable) qui, à mon sens, sont autant de touches inutiles. Cela a rendu ma lecture laborieuse et même carrément ennuyeuse, seulement motivée par l'engagement que j'avais pris de fournir un commentaire à la suite de l'envoi gracieux de Babélio et des éditions du Nil que je remercie de m'avoir sélectionné. Pourtant, vers le milieu du livre (le roman fait quand même près de 500 pages) mon attention a été attirée par le personnage de Gérald. C'est un écrivain fasciné par l’Odyssée d'Homère et dont le livre « Le chemin vers Ithaque » évoque le voyage initiatique d'Ulysse qui met dix années d'épreuves avant de revenir vers son île après la fin de la guerre de Troie. C'est aussi une véritable tragédie qui examine les conséquences d'un instant sur les générations suivantes. Gérald est aussi un marin qui a pas mal bourlingué en Méditerranée et qui a débarqué un jour à Majorque pour ne plus la quitter à cause du magnétisme que cette île opère sur lui. Il reste en effet attaché à ces quelques arpents d'une oliveraie qu'on veut lui faire vendre en vue d'une opération immobilière juteuse où, évidemment il laissera des plumes.

    C'est le second roman de Peter Nichols, inconnu de moi jusqu'à ce jour. Il se peut que je sois passé à côté d'un chef-d’œuvre mais, le livre refermé, je dois dire que j'ai été assez déçu par ma lecture.

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • La controverse de Valladolid

    La Feuille Volante n°1017– Février 2016

    La controverse de Valladolid – Jean-Claude Carrière – Presse Pocket.

    Historiquement, ce débat a eut lieu dans un couvent de Valladolid (Espagne), en 1550, sous le règne et à la demande de Charles Quint et le pontificat de Jules III. En présence du légat du pape, il réunit des théologiens, des administrateurs et des juristes qui devaient initialement dire, selon le vœux du roi, si les Espagnols avaient le droit de coloniser et dominer les Indiens du Nouveau Monde en mettant fin à certains éléments de la civilisation précolombienne et notamment aux sacrifices humains rituels, mais aussi le cannibalisme et l’adultère. Ces séances furent dominées par le dominicain Bartolomé de la Casas et le théologien Juan Ginés de Sepulveda dont le livre devait ou non être mis à l' « l'Index ». Cela donna lieu entre eux à des querelles théologiques, l'un soutenant que les sociétés païennes sont aussi dignes et légitimes que les sociétés chrétiennes, que les Aztèques ont une civilisation aboutie, pas moins cruelle que celle de l'occident, et que, de ce fait , nul n'a le droit de convertir de force les Indiens et de les réduire en esclavage, l'autre prétendant que l’Évangile édicte un devoir universel de conversion au non du Christ mais aussi de l'humanisme, justifiant ainsi la guerre et ses atrocités inévitables pour y parvenir. Le débat réel est celui de savoir si les indiens ont ou non une âme et met en opposition parfois véhémente ces deux religieux, La Casas, plus empirique, plus impétueux, davantage dans l'émotion, dans la passion, plus informé puisqu'il a longtemps vécu sur place, défend les Indiens, les inscrivant sans aucun doute dans l'espèce humaine tandis que Sepulveda plus calme, plus froid, plus intellectuel et dans la rhétorique, soutient qu'ils sont « esclaves par nature ».

    L'issue du débat ne fait aucun doute et on conclut que les indiens ont bien une âme et qu'il convient donc d'adoucir leur sort, de faire cesser les massacres et l'esclavage, c'est donc la thèse de Las Casas qui l’emporte. Cependant le débat était aussi économique et la reconnaissance de la nature humaine des Indiens privait les colons espagnols d'une main- d’œuvre gratuite c’est pourquoi le légat du pape encouragea l'utilisation des Africains, jugés moins humains, plus frustres que les indiens, comme esclaves. Bien sur Las Casas protesta mais le débat fut déclaré clos, sans véritable vainqueur.

    A titre liminaire, l'auteur indique que son œuvre n'est qu'une interprétation personnelle de faits historiques et qu'il n'est même pas sûr que Las Casas et Sepulveda, s'ils ont largement débattu sur ce sujet par écrit, se soient physiquement rencontrés. D'autre part, la question de l'humanité des indiens, qui semble être le centre des débats, a déjà été tranchée par le pape lui-même dès 1537 dans la bulle « Sublimis Deus », seule le mode d'évangélisation a été examiné.

    Ce sont bien deux argumentations parfois spécieuses et contradictoires mais surtout deux tempéraments qui s’opposent. Avons-nous assisté une nouvelle fois à une de ces querelles byzantines comme les affectionnait l'Église catholique en ces temps bénis (Exemple : le sexe des anges, l'existence du purgatoire, la véritable nature du Christ…) ou étions-nous encore en pleine hypocrisie puisque, aux yeux de l’Église, les noirs étaient considérés comme une sous-catégorie de la race humaine et, à ce titre, pouvaient être réduits en esclavage. Cela justifiera peut-être le « commerce triangulaire » puisque l’Église donnait sa bénédiction.

    Au-delà de la dialectique, des arguments échangés par les deux parties, je ne peux pas m'empêcher de relever un paradoxe. Quand l'Amérique fut découverte, le Pape confia à l’Espagne le soin d’évangéliser les nouvelles populations. Si ce prosélytisme est inévitable, les jésuites et autres missionnaires ne se sont pas privés de l'appliquer, d'autant qu’ils étaient persuadés de détenir « la vraie foi ». La  contradiction réside sans doute dans l'exemple qu'ont donné les Espagnols aux indiens qu'ils voulaient convertir, leur enseignant des préceptes religieux qu'eux-mêmes n'appliquaient pas. Non seulement ils ont détruit leur civilisation mais ils les ont aussi exterminés, perpétrant un véritable génocide, leur prouvant par là que la religion qu'ils voulaient leur imposer était bien moins tolérante que la leur. Les Espagnols étaient en effet censés combattre les sacrifices humains, mais n'ont pas hésité à assassiner les indiens avec d'ailleurs beaucoup de cruauté gratuite. Ne parlons pas des vols et autres spoliations perpétrés au nom de Dieu pour extirper le péché !

    Cette œuvre a été adaptée au cinéma en 1992.

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Joseph Fouché

    La Feuille Volante n°1016– Février 2016

    Joseph Fouché – Stefan Zweig – Grasset .

    De cet homme, nous ne retenons souvent que l'image que nous a donnée Chateaubriand dans ses « Mémoires d'outre-tombe ». Alors qu'il attend dans l'antichambre royale, l'auteur voit passer devant lui Talleyrand soutenu par Fouché et pour évoquer cette scène il parle « du vice appuyé sur le bras du crime ». C'est vrai que Fouché a toujours fasciné à la fois les historiens et les écrivains par sa manière de s'adapter aux circonstances plus que mouvementées de son époque et son extraordinaire longévité. Stefan Zweig n'échappe pas à cette attirance et lui consacre une biographie détaillée, très documentée et fort pertinente, parue en 1920. C'est d'ailleurs assez étonnant de la part de l'auteur de « La confusion des sentiments » que le désespoir conduisit au suicide.

    C'est vrai que Fouché est un personnage pour le moins controversé et surtout contradictoire, qui a quand même gardé du professeur de mathématiques qu'il avait été, le côté calculateur. Il appartenait à l'ordre des Oratoriens (il a seulement reçu les ordres mineurs) qu'il a quitté pour embrasser les idées de la Révolution, mais il ne s'est pas moins signalé comme organisateur de l'armée contre les Vendéens mais aussi par son zèle à déchristianiser la Nièvre, à détruire les ornements sacerdotaux, les crucifix, les églises et piller leurs trésors. Qu'il ait été convaincu de divers détournements et participations à des affaires douteuses reste anecdotique au regard de ses autres méfaits. Sur le plan personnel, l'amitié n'avait que peu de valeur pour lui ; c'est ainsi que s’il soutint Robespierre au début de sa carrière politique, il n'eut aucun état d'âme à participer activement à sa chute, le 9 Thermidor. Quant à l'image de Chateaubriand, elle n'est bien entendu que de façade, Talleyrand étant en réalité son ennemi juré. Il n'était d’ailleurs pas dénué de cynisme et n’hésitait devant aucun abus de pouvoir, dût-il d'ailleurs précipiter ses détracteurs et parfois même ses amis dans la mort pour se sauver lui-même. Sur le plan purement politique il a été un attentif élève de Machiavel, pratiqua avec grand talent la palinodie, la flagornerie, la trahison, l'opportunisme et la délation, ce qui fit de lui, et à plusieurs reprises, un ministre de la police « efficace », ambitieux et surtout redouté. Au début, il s'est fait élire député de la Convention, passant du Marais (qu'on peut classer au centre) pour ensuite choisir le clan des « Montagnards » (qu'on classe carrément à gauche). Il n'en servira pas moins ensuite le Directoire, le Consulat, l'Empire puis la Restauration. Il reste aussi dans l'histoire, en plus des nombreux qualificatifs peu glorieux dont on l'affubla, comme « Le mitrailleur de Lyon » puisqu'il encouragea les cruautés et organisa la destruction par le canon (la guillotine étant jugée trop lente à tuer) des insurgés ou des suspects, ce qui n'était pas vraiment dans la philosophie des « Lumières ». Quant à l'exemple donné au reste du monde par la France d'alors, il était loin de l'idéal révolutionnaire.

    Il faut lui reconnaître une certaine clairvoyance, à laquelle sans doute son appartenance à la franc-maçonnerie n'était pas étrangère . Il soutint Bonaparte le 18 Brumaire lequel sut se souvenir de son appui en lui confiant le portefeuille de ministre de la police mais son parcours dans l'Empire est jalonné de trahisons. Il restera attaché au Directoire, à Bonaparte alors Premier Consul puis à l'Empire mais Napoléon se méfiera toujours de lui, le fera même surveiller, craindra son pouvoir et ses félonies, même s'il le fit « Duc d'Otrante » pour son action en l'absence de l'empereur. Il saura d'ailleurs se maintenir non loin du pouvoir malgré ses disgrâces parfois lourdement désargentées et fort mal vécues, sauvegardera l'autorité de l’État pendant les « Cent-jours », négociant avec les puissances alliées face à la défaite prévisible de Napoléon et préparant la transition vers la royauté. Il n'hésitera pas à remettre Louis XVIII sur le trône et à être également son ministre sous la Restauration. C'est pourtant le même homme qui a voté la mort de Louis XVI, le même prêtre défroqué, pilleur d'églises qui jure « fidélité » au roi très chrétien  !

    Ce personnage ne laissa personne indifférent. Stéfan Zweig lui reconnaît du talent. Il semble être déconcerté par sa faculté de Fouché à avoir survécu à cette période, préférant bien souvent l'ombre à la lumière, évitant de trop s'engager, préférant observer et réfléchir avant d'agir... un véritable animal politique au remarquable sang-froid, à la patience exemplaire, à la clairvoyance proverbiale mais surtout dénué de scrupules. Il était fasciné par le pouvoir mais aussi par l'argent qui parfois lui manqua. L'auteur le prend comme modèle, mais comme un modèle pervers qu'il ne faut pas suivre, comme l'image de l'homme soucieux de faire oublier tous ces petits reniements et ses grandes trahisons et s'attache à l'accabler. Le Duc d'Otrante dont les armes étaient parlantes («D'azur à la colonne d'or, accolée d'un serpent du même, semé de cinq mouchetures d'hermine d'argent, deux deux, et une ; au chef des ducs de l'Empire brochant »)  , était avant tout arriviste et comploteur, et incarnait sans doute la dualité qui est en chacun d'entre nous, était le parangon de tout ce que l'espèce humaine a de plus méprisable et que ne rachètent pas ni les «Père de Foucault », ni les « Mère Teresa » ni les « Saint-Vincent -de-Paul ».


     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • En avant comme avant

    La Feuille Volante n°1015– Février 2016

     

    En avant comme avant !– Michel Folco - Seuil

     

    Il est des patronymes qui sont lourds à porter. Celui de Charlemagne Tricotin est de ceux-là, d'autant que celui qui le porte n'est pas vraiment le commun des mortels. Il est le valet d’échafaud de Montpellier, le futur gendre de Pibrac dit « le Troisième » descendant de Justinien, exécuteur des hautes œuvres de Bellerocaille(Aveyron) et, le jour de son mariage, face à l'autel, il refuse d'épouser Bertille qu'il a préalablement engrossée, simplement parce qu'il ne veut pas devenir bourreau comme ce mariage l'y oblige par contrat. En effet, en ces temps bénis, on ne pouvait épouser la fille d'un bourreau sans le devenir soi-même et de cette vie-là, Charlemagne n'en veut pas. Ce refus, proféré d'ailleurs in-extremis dans l'église, devant le curé et une assemblée de guillotineurs venus de loin et en grand habit de cérémonie, est le début de folles aventures qui commencent dans la sacristie de l'église, avec dégustation des hosties agrémentées des saintes huiles et bien entendu du vin de messe … et cela ne fait que commencer ! Certains s'insurgent contre notre justice, que dire dès lors de celle de l'Ancien régime, de ces procédures, de ces modes de preuves, et de sanctions que l'auteur nous détaille par le menu et dont Charlemagne fait bien entendu les frais. Pensez, pour cela, des broutilles au demeurant, il est condamné à 501 ans de galère !

    Nous aurons donc droit, et dans le détail, à toute la procédure de la « Question » par laquelle il fallait impérativement passer et sans laquelle un aveu n'avait pas de valeur, puis par le séjour dans les geôles au confort très discutable et les différents petits arrangements pour y survivre, à la procédure pénale avec un mode pour le moins « archaïque » de preuve, le marquage au fer rouge en fonction du crime commis, la chiourme qui, à pied, traversait la France de Paris à Toulon et qui vidait des cachots ceux qui étaient condamnés aux galères. Tout cela sans parler du mode d'exécution des condamnés, exposés aux fourches patibulaires à l'entrée des villes pour dissuader les habitants et les nouveaux arrivants mal intentionnés. Je ne parle pas de l'importance que se donnaient les petits seigneurs locaux, véritables potentats qui avaient entre les mains la vie et la mort des gens qui étaient sous leur autorité et qui ne manquaient pas d'en abuser. Une véritable étude de l'espèce humaine qui, même si les choses ont un peu changé, est malheureusement toujours d'actualité.

    Cela dit, notre Charlemagne, au demeurant un homme fort sympathique, avec son zézaiement, son bon-sens et sa curiosité naturelle pour « L'Encyclopédie », va traverser pas mal d'aventures rocambolesques parce que, de ces injustices dont il est l'objet, il a la ferme volonté de se venger. L'auteur nous fait partager ses nombreuses tribulations qui le conduisent à Paris et vont, par de nombreux détours, l'amener à se battre en duel dans les jardins de Versailles, sous les yeux de Louis XVI, ce qui est interdit et lui vaut un embastillement, pas si dur que cela cependant pour cet homme du peuple sans fortune, mais où l'on court de risque d'être oublié. Pas de quoi décourager cependant son exercice favori qui consiste à s’évader dès lors qu'il est prisonnier quelque part ! Pourtant, pendant ce séjour forcé il a quand même réussi à sympathiser … avec les rats. C'est aussi l'occasion d'évoquer plus largement, l'historique (et aussi la géographie) de la Bastille, la personne du roi, la pratique du « commerce triangulaire », la vie à la Cour, les potins et la mode vestimentaire qu'on y rencontrait, l'art et la philosophie du duel à cette période, l'organisation de la police… ce qui donne lieu à des descriptions et des évocations fort suggestives.

    Bref c'est un roman fort plaisant, malgré les sujets traités, bien écrit, instructif et fort richement documenté pour qui s'intéresse à cette période de notre histoire. L'auteur agrémente chaque chapitre d'une ou plusieurs phrases mises en exergue dont on n'est pas obligé de croire qu'elle sont authentiques mais qu'importe, seule l'histoire m'a passionné et dépaysé et j'ai toujours aimé le XVIII° siècle. En tout cas, et c'est l'essentiel, il tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin.

     

    Depuis que le hasard m'a fait rencontrer l’œuvre de Michel Folco sur les rayonnages d'une bibliothèque, j'ai retrouvé avec plaisir son style jubilatoire, assorti de pas mal d'expressions savoureuses.

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Dieu et nous seuls pouvons

    La Feuille Volante n°1014– Février 2016

     

    Dieu et nous seuls pouvons – Michel Folco - Seuil

     

    En ce temps-là, c'est à dire en 1683, on vous envoyait aux galères pour n'importe quoi. Le malheureux Justinien Pibrac en savait quelque chose qui y fut condamné injustement et à cette époque on ne s’encombrait ni de délais ni de débats contradictoires, d'appel et encore moins d'enquêtes méticuleuses. En attendant la chiourme qui devait l'emmener à Marseille, on lui propose, pour sauver sa liberté, d’occuper la charge vacante de bourreau du seigneur de Bellerocaille (Aveyron). Lui qui voulait devenir marin par amour des voyages et de la mer mais qui savait lire et écrire en latin à cause d'une carrière ecclésiastique à venir, n'avait pas vraiment la vocation pour ce genre de charge. Il n'était qu'un enfant trouvé, qu'un bâtard au nez curieusement amputé dès sa naissance, mais était surtout un peu opportuniste, surtout soucieux de ne pas risquer sa vie, il accepta donc de devenir « l'Exécuteur des Hautes Œuvres » et comprit vite tous les avantages, privilèges et même pouvoirs occultes attachés à son nouvel état dont il profita largement. Cette fonction dont personne ne voulait lui permettait certes de rester en vie mais ne faisait pas pour autant de lui un citoyen ordinaire. Ce qu'il ne sut pas c'est qu'il donna naissance à sept générations d'exécuteurs dont la charge se passait de père en fils. Leur richesse et leurs prérogatives seront mises à mal par les législations pénales successives jusqu'à être purement et supprimées par l'abolition de la peine de mort. Pour autant, en  Rouergue, le nom de Pibrac dont personne n'ignorait les fonctions, était un poids bien lourd à porter au point que certains s'en désolidarisèrent. L'un se fit boulanger, d'autres voulurent émigrer en Amérique, d'autres encore changèrent carrément de patronyme pour exorciser cet ostracisme qui représentait pour eux un véritable préjudice. Pour autant ce fut une véritable dynastie de bourreaux avec Mémoire familial, armes parlantes et une devise devenue célèbre : « Dieu et nous seuls pouvons ». L'un d'eux voulut même, pour préserver leur propre histoire et lui donner un lustre de respectabilité, faire classer la traditionnelle demeure comme « monument historique » mais, cette démarche n'ayant pas abouti, en faire un conservatoire à l’inauguration duquel il convia les bourreau du monde entier ! L’événement fut bien entendu festif et chacun eut à cœur d'offrir au musée une pièce caractéristique de la profession.

     

    C'est un roman divisé en deux parties (la deuxième commençant en 1901), un texte, picaresque et rocambolesque à souhait, écrit avec humour et même jubilation , qui, entre fiction et réalité, s'attache son lecteur jusqu'à la fin bien que le sujet ne s'y prête guère. Il est fort bien documenté, agréable à lire, précis dans les détails et donne une image de la société de l'époque avec ses us et coutumes. Il nous remet en mémoire des mots qui désormais appartiennent au passé et j'ai trouvé personnellement cela savoureux.

     

    Ce roman historique est aussi une bonne leçon à la fois sur la vanité humaine et sur sa nature même. Assister à une exécution publique était, semble-t-il, un spectacle fort prisé, quant à la fonction de bourreau, elle me paraît assez étrange même si le bon sens populaire déclare qu'il n'y a pas sot métier ! Cet attachement à la mort, même légale, m'interpelle et en dit long sur l'espèce humaine à laquelle nous apprenons tous. Vouloir éliminer son prochain, jusqu'à le tuer en y éprouvant un certain plaisir qu'on peut camoufler sous le concept de conscience professionnelle, de métier inévitable et, à l'époque, utile à la société, et pourquoi pas d'art, est révélateur. S'il y a une impunité dans tout cela, des gains intéressants et malgré le rejet social que la fonction génère, certains y ont trouvé leur avantage. Je me souviens que, au siècle dernier, peu d'années avant l’abolition officielle de la peine de mort en 1981, alors que dans la profession la vocation familiale avait dû se tarir, une annonce nationale fut passée pour le recrutement d'un bourreau. Quel ne fut pas l'étonnement général, amplifié d'ailleurs par la presse, de voir se déclarer un nombre impressionnant de candidats pour ce poste ! C'était sans doute autant d'assassins en puissance !

     

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • En finir avec Eddy Bellegueule

    La Feuille Volante n°1013– Février 2016

     

    En finir avec Eddy Bellegueule – Édouard Louis- Seuil

     

    « Non les braves gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » chante Brassens. Ce n'est pas vraiment le cas de la famille Bellegueule qui ressemble à s'y méprendre à toutes celles du village, le père qui boit et qui, comme les autres hommes, se partage entre le bistrot et l'usine, le décor c'est les terres agricoles, le ciel plombé, l'air pollué, la pluie et le froid, la maison sans confort et trop petite pour une famille de sept enfants, la pauvreté... La mère souvent enceinte et qui ne lésine pas sur le tabac, la télé qui fonctionne en permanence, l'absence de livres, les ressentiments de chacun contre cette vie, solitude et violence ordinaires qu'on exorcise comme on peut. Dans ce milieu social, il faut ressembler à tout le monde, les hommes sont des durs et quittent l'école pour l'usine et les femmes deviennent caissières, se marient et ont des enfants… Dans tout ce décor, Eddy, l'un des fils, aux gestes efféminés, est une énigme pour cette famille qui l'a élevé comme les autres garçons à qui il ne ressemble pourtant pas. A cause de son aspect maniéré, il est le souffre-douleurs de ses camarades de classe. Ses parents ne comprennent ni n'admettent cette différence, ne se gênent pas pour se moquer de lui en espérant sans doute qu'il rentrera dans le rang, qu'il sera comme les autres et ne leur fera pas honte. Certes ils ne sont pas dupes de l'homosexualité de leur fils, certes ils sont pauvres mais veulent donner une bonne éducation à leurs enfants pour qu'ils ne souffrent pas comme eux de la misère, qu'ils n’aient pas à faire face au regard réprobateur des gens, qu'ils échappent à l'alcoolisme… Le racisme ordinaire du père, son intolérance ne l’empêchent pas de défendre Eddy même quand aucun doute n'est plus possible à son sujet, que son attirance sexuelle pour les hommes est un fait indéniable et qu'il est désormais, pour cette raison, en bute aux lazzis de autres. Il tentera bien vainement des expériences féminines autant pour donner le change que pour vérifier ce qu'il savait déjà, mais ne trouvera son salut que dans la fuite de cette famille qui l'aime pourtant mais dans laquelle il ne se reconnaît plus. Ce sera le théâtre puis plus tard les études supérieures, autant de voies auxquelles il n'avait sans doute pas pens . C'est à la fois un éveil à une autre vie, à la connaissance et à la culture mais aussi l'accès à un monde où il est accepté où il ne sera plus jamais taxé de « pédé ».

     

    Ce roman en forme de biographie, divisé en deux parties, se déroule en Picardie dans les années 1990, date à laquelle l'homosexualité était moins admise qu'aujourd'hui. Il y analyse la prise de conscience progressive d'un adolescent de son attirance pour les hommes. Il y décrit crûment et sans complaisance une classe ouvrière minée par l'alcoolisme, la xénophobie, l'intolérance, l'absence de culture dans une région qui, par la suite, n'a pas été épargnée par crise économique.

    Il est généralement admis que chacun a de bons souvenirs de son enfance. C'est là une idée reçue qui m'a toujours étonné puisque la mienne n'a pas été marquée par le sceau du bonheur. Les circonstances ont certes été bien différentes et surtout en rien transposables à celles de ce roman, mais lire sous la plume d'un auteur un tel témoignage me rassure un peu. Je finissais par me demander si mon cas avait quelque chose d'exceptionnel.

    Reste le titre qui sonne comme une page qu'on tourne et j'ai bien eu l' impression de que cette période de sa vie appartenait pour lui à un passé révolu. L'écriture est reconnue pour ses qualités cathartiques. Je ne sais si ce livre a changé la vie de l'auteur (en dehors du succès littéraire qu'il a suscité), s'il a correspondu à une réelle libération (« la force végétale de l'enfance subsiste en nous toute la vie » dit Gaston Bachelard) où s'il a exploité ce moment délétère de sa vie pour entrer en littérature puisque c'est là son premier roman, mais ces pages résonnent en moi avec des accents de sincérité. Il reste que si ses parents correspondent au portrait qu'il en a fait, je les imagine partagés entre la fierté d'avoir un fils écrivain célèbre et les révélations qu'ils ont lues dans son livre.

    C'est un roman qui se lit rapidement, un style sans fioriture littéraire, écrit à la première personne, entre témoignage et confidence. Pour autant il y a une sorte de double niveau dans le langage. D'une part l'auteur s'exprime simplement et d’autre part il rend compte des propos de ceux qui l'entourent et qu'il transcrit sans artifice. Cette différence se lit dans le graphisme du texte.

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com

  • COMMENT LES GRANDS DE CE MONDE SE PROMÈNENT EN BATEAU

    La Feuille Volante n°1012– Février 2016

     

    COMMENT LES GRANDS DE CE MONDE SE PROMÈNENT EN BATEAU – Mélanie SADLER – Flammarion.

     

    Ne vous y trompez pas, Javier Leornardo Borges n'a rien à voir avec Jorge Luis Borges à qui, pour cette fiction, il emprunte seulement son nom et les initiales de son prénom, sinon qu’il est, lui aussi professeur à l'université de Buenos Aires. Puisque l'auteure nous y invite si gentiment, il ne nous coûtera rien d'imaginer avec elle que ce vieil universitaire découvre par hasard sur un manuscrit turc du XVI° siècle la représentation d'une déesse aztèque. Il y a vraiment de quoi le sortir de la torpeur de sa fin de carrière, lui qui connaissait sur le bout des ongles la civilisation précolombienne, l'histoire de la conquête du Nouveau Monde par Hernàn Cortès, la mort de Monctezuma, la trahison de la controversée Malinche … Pourquoi, après tout, le dernier empereur Cuauhtémoc n’aurait-il pas fait périr quelqu’un à sa place et ne se serait-il pas enfui en Espagne ? Se pouvait-il que l'histoire fût à ce point bouleversée, que les historiens les plus éminents se soient à ce point égarés et que tout cela ne soit rien d'autre qu'un rideau de fumée pour cacher une réalité bien différente ? Ce n'est pas d’ailleurs pas vraiment la première fois que ce thème est soulevé. On se souvient du roman du brésilien Jorge Amado (« De como los Turcos descubieron América »(1994). Quant à la découverte réelle de l'Amérique en 1492 par Christophe Colomb, cela fait longtemps que cette vérité officielle est contestée.

     

    Il n'en fallait pas davantage pour que notre distingué professeur charge son collègue et ami le turc Hakan de débrouiller cette bien ténébreuse affaire. Devant une théorie aussi rocambolesque notre turc comprit rapidement que Borges devait être sénile, à moins qu'il n'ait abusé régulièrement de la bouteille, mais un peu par hasard il finit par trouver une sépulture improbable au sein de la mosquée Sülemaniye et un parchemin codé pour le moins mystérieux. Tout cela évidemment magnifié par le récit digne des Mille et une nuits de la belle sultane Roxelane. Du coup notre universitaire argentin laisse aller son imagination débordante, prête à un prince aztèque un voyage improbable à travers l'Atlantique, mais inverse de celui de Christophe Colomb, lui fait rencontrer Don Quichotte puis mener la bataille d'Alger où non seulement il vainc Charles Quint mais aussi retrouve Hernàn Cortes qu'il torture, vengeant ainsi son peuple.

     

    A l’occasion de ce roman, Mélanie Sadler, promène son lecteur dans une véritable énigme policière, entre érudition et imagination débridée, du Bosphore à l’université argentine dans un fantastique roman d'aventure. Je dois dire que si je ne refuse pas les récits imaginaires même les plus échevelés mais là, j'avoue que même si le style est enlevé et carrément jubilatoire, je dois avouer avoir été un peu perdu autant par la fantaisie burlesque de l'auteure que par l'anachronisme de cette fiction. En réalité, j'ai le sentiment que ce premier roman m'a un peu promené (en bateau) et en tout cas ne m'a pas vraiment emballé... mais cela doit tenir à moi !

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • LE PUITS

    La Feuille Volante n°1011– Février 2016

     

    LE PUITS – Ivàn REPILA – Denoel.

     

    Dès la première page, on a l'impression d'être dans une fable. Dans une forêt, deux enfants, le Grand et le Petit sont tombés au fond d'une sorte d'excavation souterraine d'où ils voient seulement le jour sans pouvoir, malgré leurs efforts, atteindre l’orifice. On sent bien qu'ils sont coincés là pour longtemps. Comme dans tous les groupes, les personnalités se révèlent, surtout en cas de danger : il y a ceux naturellement qui commandent, ici c'est le Grand parce qu'il est l'aîné, et ceux qui obéissent, ici c'est le Petit. C'est effectivement le grand qui prend les initiatives, qui compose les repas, des vers et des racines, que collecte le petit mais c'est aussi lui mange le plus, le plus jeune se contentant de ses restes. C'est lui aussi qui donne les ordres. Avec eux ils ont un sac plein de nourriture destinée à leur mère et auquel le grand a interdit de toucher malgré les sollicitations du plus jeune. Une forme apparaît même par l’orifice que reconnaît le Grand mais il garde cela pour lui. Cette personne ne tentera jamais rien pour les tirer de leur prison, au contraire peut-être, elle vient vérifier qu'ils n'ont aucune chance d'en extraire.

     

    Le temps passe dans la solitude et les tentatives de sortir qui se révèlent vaines. Comme nous sommes dans une forêt, dans un endroit clos et dans une quasi obscurité les fantasmes humains traditionnels s'invitent et avec eux les loups qui incarnent les peurs ancestrales de l'inconscient collectif. Les hallucinations, la folie, le délire s'emparent du plus jeune alors que le Grand tente de se maintenir. La faim aussi y est pour quelque chose qui l'affecte jusqu'à sa manière de parler, mais qui révèle aussi les pulsions meurtrières qu'il porte en lui. Mais il est toujours interdit de toucher aux victuailles du sac, même si le Petit dépérit à vue d’œil. Cela matérialise une forme de tabou, de non-dit qui ici se manifeste autour de la famille, porte en lui des interdits qu'il ne faut transgresser sous aucun prétexte. C'est le corollaire de la forme penchée en silence sur l’orifice du trou qu'a aperçu le Grand. C'est lui  le chef, qui a édicté la règle et il n'est pas question d'y déroger, même si la nourriture se raréfie et si d'aventure un oiseau vient s'égarer dans leur antre et constitue ainsi un met de choix, c'est toujours le Grand, malgré les lazzis du Petit, qui a la décision. Puis vient l'inévitable peur de la mort qui, dans ce contexte est davantage d'actualité même si nous sommes tous morte . Le Petit est dès lors en proie à un délire beaucoup plus grand que précédemment. Il sent la mort sur lui, veut laisser une trace de son passage dans ce monde mais vit ce moment comme une délivrance prochaine. Le Grand lui emboîte le pas, gagné lui aussi par cette idée de la mort salvatrice dont il souhaite peut-être hâter la survenance. Puis, peut-être bizarrement, se manifeste une sorte de pulsion de vie qui s'accompagne d'ailleurs d'un sentiment d'amour fraternel avec, au bout, la vengeance dont le Grand charge son frère, lui confie quelque chose comme un destin.

     

    Ce texte pourtant court, seulement une centaine de pages qui se lisent d'un trait, laisse, au-delà de l’histoire, forcément allégorique, un sentiment assez bizarre mais aussi précis pour moi. J'y ai lu l' image de notre vie à tous avec les trahisons que nous subissons, d'autant plus inattendues qu'elles sont le fait de nos proches dont, évidemment nous ne nous méfions pas. Quand une traîtrise est dirigée contre des enfants sans défense, est le fait de leurs parents ou de leurs proches, cela prend une dimension injuste encore plus grande. Ceux qui en sont les auteurs trouveront toujours de bonnes raisons pour justifier leur félonie ou pour s'en dédouaner. Le sentiment de vengeance qui en découle est légitime et ne laisse aucune place au pardon, trop souvent sollicité comme quelque chose d'automatique et qui serait même dû, à cause du temps qui a passé, des choses qui ont évolué..

     

    Je suis entré dans ce livre sans doute d'une manière autre que celle que le préfacier mentionne. Ce roman est certes une œuvre de l'imagination et le décor planté est là pour exciter la nôtre et individuellement nous faire réagir sous couvert de l'émotion. Il n'est cependant pas besoin, si on veut bien y réfléchir, de faire acte d'imagination pour, à partir de notre vécu, comprendre simplement ce texte ou l'interpréter. Au-delà de la création littéraire, de la mise en scène inévitables dans le cadre d'un roman, nous pouvons parfaitement nous y retrouver et dépasser la fiction. Un autre sentiment me vient, celui de la vengeance d’autant plus nécessaire que la trahison a été injuste et imméritée. Il faut parfois attendre longtemps pour en obtenir réparation ou à tout le moins en avoir l’impression, l'illusion, parce que le mal qui est fait l'est définitivement sans que rien ne puisse l'effacer. Il en reste toujours des traces indélébiles dans la mémoire de celui qui a été la victime mais les événements ne le servent pas toujours parce que la vie elle-même est une injustice. Je ne connais pas cet auteur ni évidemment son parcourt mais le préfacier voit dans l'écriture une forme de châtiment. On dit que la parole libère, parler (ou écrire) aide sans doute à gommer les traces pourries que la vie a laissé en nous , à exorciser nos souffrances. J'ai longtemps cru au pouvoir cathartique de l'écriture. J'en suis beaucoup moins sûr maintenant.

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • L'HERMIONE - Une frégate pour la liberté

    La Feuille Volante n°1009– Janvier 2016

     

    L'HERMIONE - Une frégate pour la liberté – Françis Latreille et Yves Gaubert (illustrations de Gilbert Maurel) – Gallimard.

     

    Il fallait être bien fou pour reconstruire à l'identique une frégate du XVIII° Siècle. Cette idée a pourtant germé à partir de 1992 dans la tête d'une poignée d'hommes et de femmes d'une association de Rochefort/mer, sans doute pour ressouder l'amitié franco-américaine, peut-être aussi pour célébrer le combat d'un homme pour la liberté, le marquis de la Fayette, dont la mémoire française n'a pas gardé une grande trace mais dont le nom, outre-Atlantique reste bien vivace et symbole de l'aide apportée par la France aux « insurgents » épris d'indépendance. J'ai pu personnellement constater que ce nom de La Fayette est synonyme de leur liberté même si deux générations de GI sont venus mourir dans la boue des tranchées ou sur les plages de Normandie pour la nôtre. Ils savent gré à la France, pays ami, de les avoir aidé dans leur combat pour l'indépendance et le premier geste du général Pershing débarquant en France en 1917 fut de déposer une gerbe à la mémoire de La Fayette. Le récent voyage le la frégate de Rochefort à Yorktown a soulevé l’enthousiasme général aussi bien dans la rade de La Rochelle que sur la côtes américaines .

    Vaincue au terme de la guerre de sept ans, La France avait perdu le Canada au traité de Paris de 1763. Les différents ministres de la Marine accélèrent la construction navale pour faire échec à l’hégémonie maritime anglaise en privilégiant les frégates, bâtiments plus maniables et rapides que les lourds vaisseaux de haut-bord . Ainsi, dans l'Arsenal de Rochefort/mer, fut décidé dès 1778, la construction de quatre frégates dont l'Hermione. En juillet 1776 les colonies anglaises d'Amérique proclament leur indépendance et la France s'engage résolument à leur côté notamment La Fayette, jeune aristocrate qui dès 1777 s'était mis au service du général Washington. Il effectue un deuxième séjour en 1780 et s'embraque sur l'Hermione qui participera aux combats navals et terminera sa carrière en s'échouant au Croisic en 1793.

    L'Hermione ne pouvait être reconstruite qu'à Rochefort, ville qui poursuivait sa réhabilitation historique notamment avec la Corderie royale et la remise en service des formes de radoub. Une fois les plans reconstitués, la maquette réalisée, il a fallu sélectionner les bois de chêne et les assembler. La construction dura dix-sept ans alors que la frégate du XVIII° fut assemblée en moins de 6 mois, dans des conditions différentes, il est vrai. Ce livre montre un technique propre à la construction navale en bois, remettant à l'honneur la charpenterie de marine, la voilerie, le travail de maréchaux-ferrants autant pour la frégate que pour ses annexes (canots et chaloupe). L’Hermione est un voilier et, à ce titre, il a fallu remettre à l'honneur le gréement spécifique, la voilerie traditionnelle en lin, les poulies en bois, les pièces d'accastillage en fer forgé, le matelotage des cordages, en chanvre ou en fibre de bananier, réalisés soit à l’atelier de la Corderie royale soit par des société spécialisées. Les ouvriers travaillaient le plus souvent en public ce qui constituaient une source de revenu pour le chantier, une attraction et une occasion pour le public de découvrir ces métiers. L'ouvrage mentionne évidement un vocabulaire technique original bien souvent disparu : l'étambot, l'arcasse, le guibre, les varangues, le vaigrage, les carvelles... qui tissent ainsi un décor particulier et inattendu. Les photos successives ainsi que les commentaires détaillent pour le lecteur les différentes phases de la construction de la frégate.  Les entreprises choisies pour cette aventure étaient soit spécialisées dans la réhabilitation de bateaux anciens en bois soit dans la construction de charpentes pour les monuments historiques terrestres. Cela a si bien fonctionné que le travail et donné lieu à des innovations et à des dépôts de brevets, le tout sous le contrôle du « Comité Historique ».

    L'Hermione est aussi un bâtiment de guerre armé de 26 canons qui tirent des boulets de 12 livres,[d'où son nom : frégate de 12 - Les tirs se font cependant à blanc et ne servent qu'à saluer]. Ils reposent sur des affûts roulants et nécessitent non seulement des outils spécifiques pour les servir et réaliser la mise à feu mais aussi une technique particulière pour les fondre même si leur fabrication fut un peu différente de celle du XVIII° siècle. Quand elle prenait la mer, la frégate emportait à son bord des subsistances mais aussi de la poudre ; la tonnellerie fut donc sollicitée.

    L'Hermione est un navire qui est destiné à naviguer et à ce titre il doit satisfaire aux normes actuelles de sécurité et porte une technologie moderne sans laquelle elle ne pourrait obtenir son permis de navigation (présence de propulseurs électriques servis par des groupes électrogènes, sanitaires pour l’équipage, instruments de navigation électroniques et informatiques embarqués dissimulés dans le décor- congélateurs pour la conservation des aliments…) Elle est donc la conjugaison de la tradition maritime du XVIII° siècle et de la modernité. Quand elle navigue, la frégate est commandée Yan Cariou, commandant de marine marchande, ancien commandant du Belem, secondé par 4 officiers, 15 marins professionnels et 150 volontaires. Son port d'attache est Rochefort où elle participera à des animations que les auteurs souhaitent autant suivies par le public que l'a été le chantier.

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • ET JE RENAÎTRAI DE MES CENDRE S

    La Feuille Volante n°1010– Février 2016

     

    ET JE RENAÎTRAI DE MES CENDRE S - Laurence Finet – Les éditions de l'Atelier.

     

    La première impression que j'ai eue en lisant ce récit c'est effectivement que l'auteur souhaitait laisser quelque chose de son passage sur terre à ses enfants mais aussi à son mari, une sorte de témoignage, une réponse peut-être à toutes les questions qu'ils ont pu se poser à son sujet et qui n'ont pas obtenu de réponse, ce genre de document qu'on laisse aux survivants pour s'expliquer, se justifier, s'excuser peut-être ? Au départ, elle y décrit des apparences plutôt flatteuses. Elle a 45 ans, un bon travail, certes un peu prenant mais qui la passionne, un mari très amoureux d'elle, quatre merveilleux enfants, un train de vie très correct, bref un bon équilibre. A propos d'une banale opération des symptômes apparaissent, de plus en plus inquiétants : C'est un cancer. Entre affolement et euphorie, elle se joue à elle-même la comédie de la guérison, choisit pour l'exorciser la méthode Coué, les larmes, privilégie l'amour de sa famille et de son mari, s'en remet à plusieurs psychiatres, thérapeutes, guérisseurs, médecines parallèles, tente l'humour et l'autodérision ou en appelle à Dieu avec toujours au-dessus d'elle l'ombre de la Camarde.

    C'est que les manifestations se précisent, et face à cela, dans une sorte de réflexe de survie ou d’exorcisme , elle choisit de revenir sur ce qu'a été sa vie. Au fur et à mesure des chapitres, elle détaille sa jeunesse, la vie difficile de ses parents pauvres, exigeants mais malsains, violents et humiliants mais qu'elle doit cependant respecter parce que c'est la règle, le suicide de deux de ses frères, ses rêves de jeune fille refoulés, son devoir impératif de réussite, ses secrets de famille jusque là jalousement gardés... Dès lors vont cohabiter deux parcours, deux combats qui sont liés : d'une part celui qu'elle va mener contre la maladie, pour elle et pour sa famille, et d'autre part, à l'aide de nombreux analepses, celui, plus introspectif et intime qui va lui faire revisiter son enfance, son adolescence.

    Au-delà du témoignage bouleversant, ce récit me paraît poser plusieurs problèmes. Celui de la lutte contre la maladie d'abord. Pour elle l'amour de son mari et de ses enfants est à la fois une force et une motivation : elle doit vivre et se battre. Ce n'est cependant pas si simple surtout quand les enfants sont petits ou adolescents.  Elle doit faire face non seulement à ce mal inexorable qui empoisonne sa vie mais aussi à l'inhumanité des hôpitaux, au détachement des soignants, à l'hypocrisie des mots qui cachent, pour le malade, la vraie nature de la maladie et endort sa méfiance. Quand le traitement se fait plus lourd, elle associe ses enfants à la progression de la maladie, les informe sur le ton de l'humour une façon non seulement de dédramatiser les choses mais aussi de ne pas pratiquer dans sa famille le silence et le mensonge qu'elle a connu dans son enfance. Cela ne va pas sans bouleversements, sans rébellions contre l'autorité des parents, exactement le contraire de ce qu'elle a vécu avec les siens . Sa lutte contre la maladie n'en est pas facilitée !

    Nous sommes dans un contexte judéo-chrétien où la culpabilité est inévitable. Les enfants culpabilisent à cause de la maladie de leur mère et celle-ci considère que son cancer est en quelque sorte une punition divine pour une enfance complice et mutique. Laurence a été très tôt violée par son père ce qui a bouleversé son enfance mais elle a longtemps choisi de taire cette souffrance qui renaît au stade de son introspection. Certes elle révèle avec beaucoup d’hésitations à son mari et à sa famille ce qu'elle gardait pour elle depuis tant d'années mais les relations avec ses parents, qui n'ont jamais été bonnes, rejaillissent sur ses enfants ainsi privés de leurs grands-parents. Avoir révélé cela et brisé ce tabou est vécu par Laurence comme une trahison du silence et elle considère son cancer comme une punition. A force d'y repenser, elle se considère autant comme une victime que comme une coupable, une forme particulière du syndrome de Stockholm et son silence était avant tout une complicité.

    Le pardon ensuite qu'il est difficile d'accorder à ce père immonde et à cette mère complice surtout que Laurence a choisi ce moment pour révéler l'inceste paternel. De toutes leurs forces ils nieront ou feront semblant de ne pas comprendre, espérant secrètement que la mort de leur fille éteindra leur culpabilité et leur donnera l'absolution de leurs maltraitances. Certes le pardon grandit la victime mais il ne peut être accordé que s'il est demandé !

    Dans ce récit, j'ai lu aussi cette souffrance protéiforme qui s'attache très tôt aux pas de Laurence, ne la lâche pas même après une apparente période de répit qui pouvait ressembler au bonheur familial, alors qu'elle épargne ses parents qui eux se drapent dans l'hypocrisie et le non-dit. C'est malheureusement une forme d'injustice bien courante dans cette vie et ce d'autant plus qu'elle ne pourra finalement pas voir grandir ses enfants.

    Un livre est un univers douloureux et celui-là l'est tout particulièrement. L'auteur confie sa vie aux pages encore blanches qui vont recueillir ses confidences et être le témoin de ses souffrances intimes. Ce n'est pas une chose facile que de se mettre en face de soi-même. Il est convenu d'admettre que la parole libère et, même si ce n'est pas facile, mettre des mots sur ses maux est sans doute efficace pour exorciser sa douleur ou son mal-être, surtout au pas de la mort.

    Le style est brut, sans fioriture littéraire, parfois même un peu laborieux. Le récit est divisé en courts chapitres qui se lisent bien, qui détaillent par le menu ce qui fut la vie de l'auteure.C'est un témoignage bouleversant.

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • BILQISS

    La Feuille Volante n°1008– Janvier 2016

     

    BILQISS – Saphia Azzeddine - Stock

     

    Bilqiss, c'est le nom de cette femme insoumise, veuve, sans enfant et sans famille, qui, un matin alors que le muezzin dort encore, en proie à une cuite(!), monte en haut du minaret et appelle à la prière (adhan) à sa manière, c'est à dire avec sa sensibilité de femme et de croyante sincère. Dans ce pays imaginaire (l'Afganistan ?) mais quand même bien réel où il vaut mieux être n'importe quoi, un volatile par exemple, qu'une femme, un tel acte est sacrilège. Elle va donc être jugée et bien entendu lapidée parce que sa seule faute est de vivre seule dans une société qui ne veut pas d'elle parce qu'elle met en danger son équilibre. C'est que non seulement elle a ainsi enfreint la loi mais aux yeux des croyants il y a en outre des circonstances aggravantes. Elle possède en effet dans son réfrigérateur des courgettes et des aubergines entières pour sa nourriture mais qui, pour ses juges, évoquent des symboles phalliques, une pince à épiler, du maquillage, des soutiens-gorges, des livres et de la musique ce qui constitue un crime impardonnable au yeux des habitants du village. Pire peut-être, elle reconnaît les faits et se défend, seule sans pour autant renier Allah !

    Bilqiss [qui porte le même nom que la reine de Saba] n’est cependant pas le seul personnage de ce roman puisqu'une journaliste américaine, fille d'un milliardaire, suit ce procès pour son journal, lui donne une médiatisation mondiale et s'imagine qu'elle pourra faire évoluer les choses. Le juge est troublé par la beauté et la personnalité de Bilqiss qu'il connaît mais qu'il doit condamner et ne sait plus quoi faire, coincé qu'il est par sa position dominante et l'envie irrépressible qu'il a de la sauver. Il fait traîner le procès en longueur en lui concédant le droit à la parole dont elle profite en dénonçant les contradictions de cette société, lui rend visite dans sa prison mais n’oublie pas de la faire fouetter pour la pertinence et l'impertinence de ses propos. Cette trilogie tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin et suscite une réflexion sur la place de la femme dans cette société faite par et pour les hommes, le mariage forcé des filles en bas âge et leur maintien dans un état de servilité dramatique, la présence d'Allah et la réalité des abus qu'on commet en son nom, sous couvert de la loi islamique, l'amour impossible entre ce juge et celle qu'il doit condamner. Cette jeune femme a seule tenu tête aux hommes du village et aussi au juge, ce qui, en soi, est déjà un crime, a voulu faire prendre conscience aux autres femmes de la nécessité de s'affirmer, de sortir de leur condition, respecte la religion mais remet en cause ses déviances que les hommes se sont appropriées à leur seul bénéfice.

    Cet ouvrage est classé dans la catégorie « roman », pourtant, je l'ai lu comme un livre documentaire (bien qu'il se termine quand même comme un roman) qui en dit long sur une religion que je ne connais que par oui-dire mais qui officialise le calvaire domestique et quotidien de la femme musulmane que son mari tient pour sa bonniche, uniquement destinée à enfanter, des mâles de préférence, qu'il bat et dont il abuse à son gré. Quand à l'amour que nous, occidentaux, célébrons et privilégions comme une valeur et un sentiment, il vaut mieux n'y pas penser. J'ai ai lu que les fondamentalistes nient la culture et la liberté au profit d'un dogme religieux aveugle et quand j'entends que ces mêmes islamistes qui viennent chez nous poser des bombes et tuer des innocents simplement parce qu'ils sont incroyants, souhaitent importer en occident ce qu'on a du mal à appeler des « valeurs », cela me fait un peu peur quand même ! J'ai pu voir aussi que ces hommes qui se recommandent de Dieu sont tout aussi hypocrites que le sont nos ecclésiastiques occidentaux et je me souviens que les religions ont été au cours de notre histoire un malheureux prétexte donné aux hommes pour régresser intellectuellement et moralement, exacerber leur volonté de puissance mais aussi pour s’entre-tuer. La justice est rendue au nom d'Allah, mais il n'y a pas si longtemps en France, des crucifix ornaient encore les prétoires et on prêtait serment sur l’Évangile. Quant aux exécutions publiques qu'on peut dénoncer dans ces pays comme un spectacle malsain, elles ont fait partie du nôtre également . Certes les choses ont heureusement changé mais l’espèce humaine, elle, aura du mal évoluer et Bilqiss ne se gêne pas pour le faire remarquer à cette journaliste américaine en lui rappelant que son reportage en sa faveur n'était peut-être pas dénué d'arrière-pensées et certaines de ses remarques sur la présence des troupes occidentales dans son pays sont aussi pertinentes que celles qu'elle adresse au juge sur la religion et la société .

     

    En lisant ce texte, avec effroi mais aussi une certaine crainte que le laxisme de nos démocraties n’entrouvre la porte à ce système juridico-religieux et ne détruise durablement notre art de vivre, je n'ai pu oublier que la beauté des femmes est chez nous non seulement un prétexte à la création artistique mais aussi, à titre personnel, une formidable illumination du quotidien. Si Dieu existe les femmes sont assurément la meilleure réussite de la Création mais j'observe que les religions que je connais (celles du Livre) leur font une bien piètre place ! Je me plais à me souvenir du vers d'Aragon "L'avenir de l'homme, c'est la femme. Elle est la couleur de son âme."

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • LA DERNIÈRE LARME

    La Feuille Volante n°1006 – Janvier 2016

     

    LA DERNIÈRE LARME – Stefano Benni – Actes sud.

    Traduit de l'italien par Marguetite Pozzoli.

     

    L'univers de Stefano Benni est bien celui de l'absurde : la retransmission télévisée d'une exécution capitale, la transaction bancaire parfaitement illégale faite en public au bénéfice d'un client impécunieux par un modeste employé, une interrogation littéraire qui n'a rien de littéraire dans un collège qui ne ressemble pas à un établissement scolaire et qui fait profession de flagornerie et même d’idolâtrie au profit du « Président du Conseil »… Et c'est ainsi pendant vingt sept nouvelles toutes plus déjantées les unes que les autres …

    C'est vrai que nous vivons actuellement une époque formidable où manifestement tout fout le camp autour de nous où chaque jour qui passe nous met devant une évidence de plus en plus flagrante : nous manquons de boussole et les certitudes qu'on nous a mises dans dans la tête depuis des siècles, les grandes idées et tout le reste font de plus en plus figure de châteaux de cartes construits dans un courant d'air. Alors pourquoi ne pas appuyer sur le trait comme le fait l'auteur ? Il est bien placé pour cela puisque, depuis de nombreuses années il a choisi d'être un observateur de la vie qui l'entoure, il en connaît toutes les contradictions et il jubile quand il met en scène des personnages qui font voir à son lecteur tout ce que ce monde qui l'entoure présente de fractures et de paradoxes. Pour cela il a une technique bien particulière qui consiste à mettre des personnages dans un décor bien réel au départ mais d'instiller à celui-ci une dimension un peu extraordinaire où la fiction le dispute à la réalité, la banalité la plus quotidienne à l'inconnu le plus inattendu. Ainsi sous ses yeux défilent d'improbables êtres sortis du néant qui en côtoient d'autres bien ordinaires (le retour de Garibain). Il mélange le tout en une recette surréaliste pour obtenir des situations délirantes, exagérées, excessives où pourtant il est parfaitement possible de s'y retrouver. La nouvelle intitulée « le nouveau libraire » me paraît illustrer parfaitement cette idée. Les livres, souvent anciens, ont une vie, une personnalité qui étaient respectées par l'ancien libraire. Le nouveau au contraire souhaite faire de l'argent avec ce commerce et veut tout révolutionner, mais c'est sans compter avec ces pensionnaires bien indisciplinés qui finalement font valoir leurs droits.

    D'ailleurs j'observe que Benni a une préférence pour les villes fictives ou bien réelles et développe ses récits à travers des relations humaines au lieu de raconter une histoire à la première personne, dans une sorte de monologue. Il se révèle en tout cas être un conteur à la fois imaginatif et même un peu fou qui promène celui qui veut bien passer un peu de temps à le lire, c'est dire à arpenter cet univers loufoque, et l’entraîne dans des sphères comiques ou fantastiques et assurément dépaysantes, c'est selon ! Et il y en a vingt sept comme cela !

    Qu'on ne s'y trompe pas cependant, ces nouvelles sont aussi une critique sociale (Le sondar) où les intellectuels de tout poil se masturbent autour d'une idée, d'un dogme pendant que, devant eux la vie ordinaire déroule son cours. Témoin la nouvelle intitulée « le voleur » où un aréopage d'invités disputent de l'opportunité de livrer ou à la police l’auteur d'un larcin… pendant que ce dernier est en train de mourir ! Et rien ne lui échappe, il faut dire qu'il a de la matière entre le monde politique hypocrite et plein de parvenus inutiles mais suffisants et prétentieux et le celui du travail où règnent la flagornerie, l'irresponsabilité et l’incompétence. Son panel est grand.

    Tout cela passe évidemment par par le jeu sur les mots, la distorsion de la phrase, le choix des termes parfois inattendu, des néologismes… mais qu'importe, cela aussi procède de cet univers unique dans lequel nous invite l’auteur.

    Quelqu'un a défini l'humour comme l'attitude qui consiste à rire des choses plutôt que d'avoir à en pleurer, parce qu'il y a franchement de quoi, quand on y réfléchit. C'est sans doute l'arme qu'a choisi Benni pour supporter ce monde et nous aider à son tour à le faire. Pour lui c'est même à l'occasion de l'humour caustique, voire féroce mais pas autant cependant que le monde qui nous entoure où tout n'est que combat et volonté de détruire l'autre, sous les dehors lénifiants cependant. Pourtant si son ironie n'est pas gratuite, elle est parfois cruelle parce que le monde qui nous entoure l'est lui aussi tout simplement ! Il ne se contente de raconter les faits, de les dénoncer si on veut le dire ainsi, il laisse certes le lecteur juge mais n'oublie pas, en quelque sorte pour l'éclairer de lui donner à voir une facette de cette espèce humaine que nous partageons tous. Il a d’ailleurs le choix entre les attitudes camaleonesques des subalternes par rapport à leurs supérieurs (Un homme tranquille) jusqu'à la certitude de certains êtres portés par une notoriété temporaire ou supposée d'être exceptionnels ce qui ouvre droit à leurs yeux aux plus extravagants caprices (Roi caprice). Il illustre sa manière cet instant grégaire qu'adoptent les hommes par intérêt ou absence d'originalité ce qui les fait dangereusement ressembler à tout le monde ou au contraire adopter une attitude qui se veut bizarrement originale et qui les pousse à cultiver une différence factice quand il ne choisit pas de se pencher sur les pires vices humains ou sur les perversités les plus inavouables. Tout cela fait de lui, malgré les apparences teintées d'humour, un bon observateur, certes de l'Italie, son pays, mais aussi de l'espèce humaine. 

    Que reste-t-il de tout cela, le livre refermé ? C'est à chacun de répondre en fonction du chemin qu'il aura fait au côté de l'auteur. Moi, j'ai bien aimé.

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • VIVANT, OÙ EST TA VICTOIRE ?

    La Feuille Volante n°1007– Janvier 2016

     

    VIVANT, OÙ EST TA VICTOIRE ? Steve Toltz – Belfond.

    Traduit de l'anglais (australien) par Jérôme Schmidt.

     

    D'emblée, le titre m'a évoqué un roman de Daniels Rops (« Mort, où est ta victoire? »), mais ce roman publié en 1934 n'a rien de commun avec celui que Babelio et les Éditions Belfond m'ont fait parvenir, ce dont je les remercie. Liam Wilder est un flic cynique, égaré dans la police parce qu'il faut bien vivre surtout quand on est chargé de famille et qu'on a manqué sa vocation d'écrivain. Les gens pressés appellent cela «un écrivain raté » et la société, même en Australie où se déroule ce roman, en compte beaucoup. Cela ne l'empêche pas d'avoir des amis dont un en particulier, Aldo Benjamin, « vieille connaissance de lycée », qui est pour le moins encombrant, mais l'amitié, surtout dans son cas est un lien sacré ! Pourtant, Liam prend son ami comme prétexte littéraire mais l'inspiration qui pourrait prendre sa source dans leur vieille amitié, tarde à venir. Il est vrai que, comme modèle de farfelu et de guignon, Aldo, est vraiment un parangon. Dès son adolescence, la malchance qui sera la compagne de toute sa vie, se signale et s'incruste. Il est accusé de viol alors qu'à l'évidence, il est encore puceau, plus tard, il sera à nouveau accusé de viol, mais sur la personne d'une pensionnaire de bordel !  Toute sa vie il sera d'ailleurs un lamentable amant, celui dont ses partenaires féminines n'aimeront pas se souvenir, même si lui, au contraire est plutôt sujet aux fantasmes en ce domaine. Puis il deviendra le chef de nombreuses entreprises dont les buts commerciaux étaient des plus surréalistes et dont la courte vie n'eut d'égal que l'impécuniosité… Aucune n'échappa à la faillite et cet ancien taulard qui rate décidément tout ce qu'il entreprend, y compris évidemment son mariage, s'est mis en tête, alors qu'il est paraplégique, de faire su surf et de s'exiler volontairement sur un îlot solitaire  ! Même son unique tentative de suicide est un échec, elle le cloue sur un fauteuil roulant mais aussi tue un enfant, ce qui l'envoie en prison. La deuxième partie du roman est consacrée à la démonstration faite par Aldo devant le tribunal qu'il n'a pas pu tuer son amie Mimi comme il en a été accusé alors qu'il était en libération conditionnelle. Décidément, ce pauvre Aldo n'est pas à sa place en ce monde !

     

    De son côté Liam fait le point sur sa vie, et lui, l'artiste manqué, en épelle les détails, depuis son mariage précipité par le hasard et qui s'est révélé désastreux, jusqu'à ce regard désabusé qu'il porte sur l'écriture dont il sait qu'elle ne lui apportera pas le succès, ausculte son histoire pourtant banale et la biographie d'Aldo qui elle l'est un peu moins pour y puiser son inspiration mais finalement, après pas mal de doutes et de tentatives ne rencontre que la catastrophe et s'insère, un peu malgré lui dans la vie active... comme officier de police, travail honni, mais qui lui permet de faire vivre sa famille ! Cela nous réserve pas mal d'aphorismes bien sentis sur sa vie ratée et sur l'art.

     

    C'est vrai que nos deux compères se ressemblent, sont deux authentiques losers, qui, l'un comme l'autre accumulent les échecs, je devrais même dire en font la collection. Rien d'étonnant donc que ses deux-là se soient rencontrés. Dès les premières pages, le dialogue entre Liam et Aldo est pour le mois surréaliste et sans vraie suite, mais est réellement jubilatoire. Cela déconcerte mais atteste de l'imagination débordante et de drôlerie de l'auteur qui s'est fait connaître pour cela lors de ses romans précédents, notamment « Une partie du tout »[2009]. C'est un texte un peu déjanté, riche en rebondissements, mais ce que je retiens de ce roman c'est la noirceur et la cruauté de la vie, de la condition humaine, l'hypocrisie d'une société déshumanisée, l'enfer des prisons au quotidien. Certains passages, celui où Aldo converse avec une voix censée être divine, organe d'un improbable dieu bien lointain et bien étrange, m'ont paru, certes pertinents, mais surtout un peu fastidieux. Alors, au vu de ces deux exemples, la vie est-elle belle, comme on nous en rebat les oreilles bien trop souvent et cela vaut-il le coup de la faire prévaloir sur la mort. On peut se poser la question ainsi que semble le faire le titre de cet ouvrage !

     

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • CHANTIERS

    La Feuille Volante n°1005 – Janvier 2016

    CHANTIERS – Marie-Hélène Lafon – Éditions des Busclats.

     

    J'avoue que j'ai été un peu décontenancé à la lecture de ce court ouvrage qui n'est pas un roman. Dès les premières pages, l'auteure évoque clairement les épousailles d'une fille de la campagne profonde. Le titre « C'est pas du rôti pour elle », expression empruntée à sa grand-mère qui refuse d'aller à la cérémonie, évoque une sorte de mésalliance entre sa famille qu'on imagine rurale et celle du jeune homme, différente parce qu'elle vit à la ville, que nombres de ses membres ont réussi dans les professions libérales, mais qu'elle a gardé au pays des terres et une maison occupée seulement l'été, pour les vacances. Et d'ailleurs, les parents de cette fille ne sont que les fermiers de la famille du garçon, une sorte de subordination qui perdurera toujours ! Pourtant, c'est là une transgression sociale puisque ici on doit se marier entre paysans. C'est que la jeune fille en question, qui était sans doute promise malgré elle au fils d'un voisin, a étudié le latin, le grec et la littérature, c'est à dire a déjà transgressé un autre tabou qui voulait faire d'elle une mère de famille nombreuse qui resterait à la maison à attendre le père et à élever sa marmaille. Puis très vite le texte est rédigé à la première personne et l’auteure habite ce personnage juste esquissé de la jeune-fille qui non seulement quitte le pays pour enseigner dans la capitale mais aussi se pique d'écrire et peu à peu trouve sa place dans ce monde littéraire pourtant fermé, très loin en tout cas des préoccupations paysannes.

     

    Elle ne renie pourtant rien des beautés de son Cantal, de sa langue et de son enfance et sait apprécier la vie bourgeoise qui est désormais la sienne et qui elle aussi possède ses codes et ses convenances, évidemment différentes de celles de son enfance. Et puis il y a cette envie d'écrire, venue on ne sait d'où qui se manifeste un jour avec plus de force qu'avant. On pose le premier mot sur la feuille blanche avec fébrilité, on s’enhardit, on poursuit, ça dure, on lit, on retrouve même ses racines enfouies pour y chercher l’inspiration et ça marche…Alors on se fait son cinéma. On compose un texte au terme d'un véritable accouchement et on l'envoie à quelqu'un en se disant que ça va marcher, parce qu'il ne peut en être autrement. Ici, ça fonctionne sous forme d'encouragements et un éditeur finit, enfin, sans doute après de longues et décourageantes recherches, par s'intéresser à l'auteure de ces pages. Alors commence la véritable aventure, celle qu'il ne faut surtout pas manquer et le travail s'impose de lui-même, comme celui de la terre qu'il faut labourer et ensemencer. Chaque ouvrage est un véritable « chantier » où le travail dur s'impose comme une évidence. Ainsi reviennent véritablement ses racines qu'elle conjugue avec la beauté des mots et avec sa culture personnelle, ses lectures parce qu'il faut bien entendu prêter attention à ce qui a été fait avant. Le livre qui en résulte, il faut ensuite le faire partager au lecteur (souvent lectrice) en le rencontrant physiquement parce que l'écriture c'est aussi une communion avec lui et qu'un auteur, même s'il écrit pour lui, ne saurait ignorer celui à qui il le destine. L'auteur l'estime et le respecte même si le succès au début est d'estime et que le découragement s’insinue dans les certitudes les plus solides. Puis le talent s'impose, avec, il est vrai la chance indispensable dans tous les actes de notre pauvre vie, et l'auteure se fait une place dans ce paysage littéraire, marque son originalité et sa voix tout en se rappelant que « rien n'est jamais à l'homme » comme le dit le poète parce que là comme ailleurs, le découragement existe comme existent la sécheresse, le doute et le sentiment d’inutilité. Les œuvres se multiplient et l'auteure dévide l'écheveau de son message à travers une créativité qui se nourrit de la vie, de l'amour, de la mort qui sont et resteront les grands thèmes de l'activité artistique. Cela sera livré au public, c'est à dire à la critique qui fait et défait les succès mais aussi, et peut-être surtout, à celui, amateur ou simple quidam guidé par le hasard, qui accepte de passer du temps à explorer cet univers qui est décrit avec des mots, qui au départ lui est étranger mais où, bien souvent, il se retrouve lui-même. Alors l'écriture, qui est aussi une étrange alchimie, retrouve sa fonction première qui est la communication, l'explication, l'exploration, l'aide par la compréhension parce que quelqu’un, un jour a mis des mots sur ses maux, a expliqué ses choix, a raconté sa propre histoire, a rappelé que le livre est bien souvent un univers douloureux qu'il faut partager parce, ainsi il porte en lui une sorte de guérison pour l’auteur autant que pour le lecteur et que ces pages et ces chapitres ont réussi à faire que chacun s'accepte comme il est.

    A la campagne on est catholique presque par tradition, même si cette foi n'a rien à voir avec l’Évangile qu'on ne connaît d’ailleurs pas. Ce ne sont bien souvent que des rituels obligatoires qui, là non plus ne résistent pas.

    Ce livre est une sorte jalon dans son parcours, une volonté de faire le point sur son voyage littéraire autant que sur sa vie, un regard intime porté sur elle-même et offert à son lecteur parce qu'un auteur ne doit jamais être quelqu'un de lointain, d'intouchable, d’intellectuellement différent des autres.

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • L'affaire des corps sans tête

    La Feuille Volante n°1004 – Janvier 2016

    L'affaire des corps sans tête - Jean-Christophe Portes - City Éditions.

     

    Nous sommes en 1791, une période ou le roi et les révolutionnaires cohabitent encore tant bien que mal, où La Fayette, revenu tout auréolé des Amériques, tente de ménager son avenir entre une royauté qui vacille et un nouveau régime encore assez incertain, occupé à rédiger une nouvelle constitution, organisant une sorte de transition. Dans ce contexte, on retrouve dans la Seine le corps d'un homme nu décapité, sans doute pour qu'on ne le reconnaisse pas et ce cadavre est suivi par d'autres également sans tête. La Révolution n'est peut-être pas encore entrée dans cette période trouble où elle a envoyé à l’échafaud tant de ses citoyens, mais quand même, l'affaire est d'importance ! Dans le même temps Marat qui attise la révolte et appelle au meurtre des aristocrates, semble protégé par la population parisienne et La Fayette charge un de ses proches, le Chevalier d'Hauteville devenu Victor Dauterive, jeune sous-lieutenant de dix-neuf ans de la récente gendarmerie nationale, désireux d'échapper à la tutelle familiale, de l'arrêter. La période baigne dans une atmosphère de complots où ordres et contre-ordres se succèdent de sorte que, après moult péripéties, l'affaire de l'arrestation de Marat est un échec et notre sous-lieutenant est démis de ses fonctions. Pour autant, ses investigations maintenant personnelles, émaillées d'ailleurs de nombreux meurtres et rebondissements, le ramènent vers cette histoire de cadavres sans tête.

     

    J'ai apprécié cette balade au sein de ce Paris de la fin du XVIII° siècle qui m'a toujours enchanté. L'auteur promène son lecteur alternativement dans les quartiers populaires aux rues sales et étroites, dans les bouges et les cabarets autant que dans les théâtres et dans les salons et lui fait découvrir des petits métiers aujourd'hui disparus tels que ravaudeuse, marieuse, chirurgien-barbier... Les événements troubles de cette période ajoutent au suspense et à l'intérêt de ce livre bien documenté et au style agréable qui s’attache son lecteur dès les premières pages, le tient en haleine et ne l'abandonne qu'à la fin, sans que l'ennui ait pu s'insinuer dans sa lecture. J'ai également apprécié les rencontres entre des personnages historiques et fictifs dans le cadre de ce roman, les figures d'Olympe de Gouges, bien à la hauteur de sa réputation, de Talma, de Fragonard... ne m'ont pas laissé indifférent. Même si cette technique a été largement usitée par d'autres écrivains dont cette chronique s'est souvent fait l'écho, je salue une nouvelle fois cette heureuse initiative. Je note également l'aspect culinaire du texte qui donne une dimension, certes accessoire mais plus personnelle, aux événements évoqués.

     

    Ce texte met aussi en évidence, mais ce n'est pas une nouveauté, les travers de l'espèce humaine. Il y avait certes les grandes et généreuses idées de la Révolution qui mûrissaient depuis longtemps, la volonté de changer la société, d'émanciper les gens du peuple, de leur donner cette liberté qu'ils attendaient, mais tout cela n’exclut guère la bassesse des hommes, leur duplicité, les manipulations, les délations, les trahisons, la corruption, la perfidie, l’appât du gain qui sont inhérents à la condition humaine et qui ont largement nourri les désillusions qui ont suivi… La pauvreté et l'injustice ont persisté et chacun, même parmi les révolutionnaires a cherché à préserver son pouvoir et son influence, ce qui donne une situation délétère fort bien rendue.

     

    Ce roman est baigné par une véritable intrigue policière avec parfois de fausses pistes et aussi la cohabitation de deux histoires apparemment étrangères l'une à l'autre, d'une part cette arrestation de Marat et d'autre part ces découvertes déconcertantes de corps sans tête. On passe de l'une à l'autre sans pratiquement de transition et il faut attendre la fin, sur fond de fuite du roi à Varennes, pour s'apercevoir qu'elles ont un lien entre elles. C'est aussi une réflexion sur la raison d’État, les grands principes si hautement déclarés, les décisions d'opportunité et sur le pouvoir politique et que ce roman illustre. Elle est permanente et ne saurait se limiter à cette période [« C'est donc cela le pouvoir, une succession de mensonges et de trahisons, loin des regards du peuple, bien loin du services des idées »]. Les délinquants d'hier retrouvent leurs fonctions officielles et leur pouvoir alors qu'ils ont menacé les fondements mêmes de l’État et l'hypocrisie générale recouvre de son manteau bienveillant tous leurs crimes et charge l'amnésie voire l'amnistie de les reléguer aux oubliettes de l'histoire.

     

    Ce roman historique, qui est aussi le premier de cet auteur m'a procuré un bon moment le lecture et je suivrai volontiers ses publications futures.

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • OLYMPE DE GOUGES

    N°1003– Janvier 2016

     

    OLYMPE DE GOUGES Catel & BocquetCasterman écritures.

     

    Étonnant parcours que celui de Marie Gouze (1748-1793) qui prendra comme nom de plume Olympe de Gouges, fille bâtarde d'Anne-Olympe Mouisset et du marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, futur académicien, mariée à seize ans elle sera veuve deux fois et à dix-huit ans pourra jouir de sa dot et d'une indépendance que sa nouvelle condition lui confère et dont elle va profiter. Elle ne se remariera plus ! Elle fut une femme de Lettres passionnée de théâtre, de politique et de liberté dans une société où une femme ne pouvait qu'être sous la dépendance d'un homme, féministe, polémiste, révolutionnaire, morte guillotinée… Son authentique et passionnante biographie est détaillée à la fin de cet ouvrage et romancée en trente et un tableaux, au long de ces quatre cents pages.

    Son parcours, de Montauban à Paris a été semé d’embûches, de rumeurs calomnieuses mais aussi de belles rencontres, de pièces de théâtre dont elle était l'actrice mais surtout l'auteure. Elle a effectivement été libre et même libertine voire scandaleuse mais a profité d'un riche amant qui lui a permis de vivre fort confortablement dans la capitale en compagnie de son fils Pierre dont elle a soutenu la carrière. Elle était cultivée, pleine d'esprit et de reparties, et douée d'une bonne plume. Elle a à la fois fréquenté les salons parisiens où elle n'a pas manqué, malgré son accent rocailleux, de s'y faire accepter et d'y briller et a fait évoluer les mentalités sur la société, l’esclavage, l'émancipation du peuple, la condition des femmes et la reconnaissance politique de leurs droits, notamment celui de voter, d'être éduquées et de divorcer. Elle a en effet pris conscience que l'affranchissement récent des hommes du peuple s'est fait aux dépens des femmes qui ainsi furent les oubliées de cette révolution. Elle est en effet à l'origine de la « déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » qui fut ignorée bien qu'elle soit dans le droit fil des idées nouvelles mais et que les révolutionnaires comme le roi, qu'elle respectait et courtisait, ont refusée. Donner le pouvoir aux femmes n'était pas dans les projets du législateur et la libération des hommes n’incluait pas celle des femmes qu'il convenait de maintenir dans leur état de subordination ancestral ! Si elle a su s'imposer dans la société de l'Ancien Régime et y faire prévaloir son talent, avec, il faut le dire, une bonne dose d'opportunisme, la Révolution qu'elle avait pourtant appelée de ses vœux, qu'elle avait inspirée et dont elle avait souhaité ardemment la réussite, fut fatale à la patriote passionnée par ses idées qu’elle était devenue. Pour elle aussi la roche Tarpéienne fut proche du Capitole, ce qui est bien souvent la rançon du succès et une des leçons de la condition humaine. Elle vécut la trahison, la palinodie des révolutionnaires, participa à sa manière à la chute de ses meneurs, se fit journaliste pour dénoncer les dérives sanguinaires de la Terreur, pris parti pour les Girondins, s’offrit à être l'avocat de Louis XVI mais fut victime de sa notoriété et de sa soif de changement.

     

    Le graphisme en noir et blanc aurait peut-être mérité un peu plus de détails notamment sur les visages.

     

    C'est un roman graphique, et non pas une BD (quoique je ne ne fasse pas bien la différence) mais ce que je retiens c'est que cette histoire passionnante se lit bien et surtout rend hommage à cette femme d'exception, fort belle, généreuse et altruiste, qui fut pleinement de son temps, fut une amoureuse de la vie, sut s'adapter à cette période troublée de notre histoire en y survivant un temps et marqua son époque.

     

    Hervé GAUTIER – Janvier 2016 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ARMEE FURIEUSE

    N°1002– Janvier 2016

     

    L'ARMEE FURIEUSE Fred Vargas – Viviane Hamy.

     

    Un été qu'on imagine caniculaire et deux meurtres qui bien entendu n'ont rien à voir l'un avec l'autre occupent le commissaire Adamsberg. Dans la police comme ailleurs on en apprend tous les jours mais est-ce l'effet de cette touffeur estivale mais une femme du côté de la Normandie prétend avoir aperçu « l'armée furieuse » dont le policier n'a jamais entendu parler. Il n'a pas trop de l’érudition du Commandant Danglard pour apprendre qu'il s'agit d'une troupe de chevaliers nordiques qui se saisissent de criminels impunis à la recherche d'une bonne âme pour réparer leurs forfaits. Selon le commandant, cette vision est annonciatrice de mort et donc de travail pour la police, mais cette légende date du XI° siècle et tous les chevaliers n'existent plus ! D'ailleurs Herbier, un individu peu recommandable, est trouvé mort et la maréchaussée locale, par crainte ou par facilité, penche pour le suicide. Le commissaire doit avoir un faible pour la Normandie puisqu'il s'y rend pour mener sa propre enquête même s'il n'est pas dans sa circonscription. C'est que, dans le même temps, à Paris, donc chez lui, un homme influent dans le domaine économique est retrouvé carbonisé dans sa voiture et les soupçons se portent sur un jeune délinquant multirécidiviste, Momo mais Adamsberg qui le connaît n'y croit pas et va risquer gros pour faire éclater la vérité. Et puis il y d'autres meurtres et d'autres tentatives ce qui égare et déroute les policiers, un assassin insaisissable , des indices et des traces qui disparaissent ...

     

    Depuis que je lis les œuvres de Vargas, je fais la même remarque : son univers est vraiment à part, ce n'est pas un polar au sens strict du terme mais un authentique roman plein de références aux légendes et aux mythes mais aussi une études des rapports humains et de la condition humaine. Les personnages sont attachants, parfois énigmatiques, souvent seuls face à eux-mêmes encore que cette brigade ressemble à une grande famille solidaire, ce qui n'est pas pas forcément le cas dans le monde du travail ou dans le monde en général. Le lecteur parvient cependant parfois à explorer ses replis de leur âme et c'est plutôt réussi. L’étude de chaque personnalité est menée avec finesse quoique un peu dans l'ombre des principaux protagonistes mais j'aime bien que ces derniers soient marginaux par rapport à leur hiérarchie, soit originaux dans leur manière d'être ; le respect qu'ils se portent les uns les autres, la complémentarité et le dévouement dont ils font preuve sont presque rassurants. Certes il y a l'intrigue policière pour pimenter la lecture car il s'agit bien d'un triller mais c'est tout juste si elle n'est pas secondaire, presque accessoire, c'est fort bien écrit, à cent lieues du style traditionnel des polars et c'est heureux. L'érudition de certains passages ne me gêne pas, au contraire, à mon sens il rajoute de l'intérêt à l'histoire et, pourquoi pas nous apprend quelque chose. C'est que Fred Vargas est une conteuse qui s'approprie son lecteur souvent dès la première phrase et chaque enquête est une aventure ou le dépaysement le dispute à la découverte du coupable . Elle tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin même si, pour ce roman en particulier, la lecture m'a paru parfois un peu difficile, égarée par des intrigues secondaires.

     

    Hervé GAUTIER – Janvier 2016 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DANS LES BOIS ETERNELS

    N°1001– Décembre 2015

     

    DANS LES BOIS ETERNELS Fred Vargas – Viviane Hamy.

     

    Elle est bizarre cette histoire qu'il est difficile et sûrement inutile de résumer tant elle est compliquée. D'ordinaire, on se débarrasse volontiers d'une affaire délicate en la refilant à un autre. Ici, le commissaire Adamsberg insiste lourdement pour se faire attribuer le meurtre de deux petits dealers parfaitement inconnus mais que revendique la « Brigade des Stups ». C'est oublier un peu vite qu'il est têtu, mais têtu comme un Béarnais, ce qui n'est pas peu dire et ce d'autant plus qu'il vient de croiser un peu par hasard Ariane, la médecin légiste qu'il a connue dans une autre vie, il y a bien longtemps. Il a décidé qu'elle serait une adjointe précieuse dans cette affaire et elle lui livre effectivement des indices intéressants sur ces deux victimes. Elle réussit même à le convertir à sa théorie sur les meurtriers « dissociés » dont pourrait bien faire partie une vieille infirmière, récemment échappée d'une prison allemande, et qui, selon la légiste, ferait une coupable très présentable. Il la mettrait bien dans son lit, cette Ariane, mais ses relations avec les femmes sont compliquées, un peu comme celles qu'il a avec Camille, son épouse, la mère de son enfant mais dont il est actuellement séparé. Elle prend de plus en plus la forme et la consistance d'une ombre, un peu comme celle qui hante la maison que le commissaire a choisi d'habiter et que tout le monde évite à cause justement de ce fantôme. Obnubilé par cette idée, il ira pour autant la rechercher bien loin de Paris, cette silhouette grise qui est liée à cette affaire, à tout le moins le pense-t-il, mais toujours dans des cimetières, à déterrer des cercueils de femmes vierges.

    Comme rien n'est simple, cette enquête emmène toute la brigade au cimetière de Montrouge, à la recherche de petits cailloux et de terre logée sous les ongles des deux victimes, ce qui se traduit par l'ouverture d'une tombe et des hypothèses qui paraissent bien légères ! C'est que le commissaire Adamsberg est comme un père pour chaque membre de cette brigade qui le suit aveuglement sans poser aucune question. Les liens qui les unissent son très forts et notamment ceux qui lient le lieutenant Retancourt, une jeune femme imposante mais indispensable au commissaire depuis une aventure canadienne constamment rappelée dans ce roman. C'est aussi sans compter aussi sur le commandant Danglard, érudit alcoolique dont les connaissances étonnent toujours le commissaire et qui lui aussi à un rôle de protecteur. D'ailleurs dans cette brigade comme dans une véritable famille les agents sont solidaires et chacun protège l'autre. Comme dans chaque brigade, il y a toujours le nouveau, celui qu'il faut former et qui bien souvent entrave la bonne marche des choses par ses questions. Ici le Nouveau (avec une majuscule) c'est Veyrenc, un Béarnais lui aussi qui n'est pas exactement un nouveau puisqu'il est policier depuis quelques années déjà, a été enseignant, semble égaré dans la police avec ses cheveux bicolores, cette passion pour Racine et cette manie bien étrange de ne s'exprimer qu'en alexandrins. Est-ce une coïncidence, mais sa présence ici ne doit rien au hasard et il réveille par sa seule présence des souvenirs d'enfance que Adamsberg croyait évanouis et en tout cas qu'il aurait bien voulu oublier.

     

    On va de fausses pistes en histoires abracadabrantesques, empruntées au présent, au passé ou à l'imagination comme ces palabres incertains et apparemment inutiles sur l'os du groin de porc, l'os pénien du chat, le pillage des reliquaires religieux, la recette de la vie éternelle quêtée dans des grimoires, les bois de cerf, la recherche d'hypothétiques femmes vierges dans le département de l'Eure, l'inspiration que trouve le commissaire dans le vol des mouettes sur la Seine ou en pelletant les nuages… Bref l'enquête s'enlise chaque jour un peu plus et les policiers de la brigade doutent ! Mais après tout ce n'est pas autre chose que la réalité avec son droit imprescriptible à l'erreur. Peut-être pas tant que cela cependant puisqu'il est vrai que la vengeance se nourrit de la mémoire et la fausse piste de la mystification !

     

    On ne s'ennuie vraiment pas dans un roman de Fred Vargas et quand c'est fini ça recommence, les impasses ne sont qu'apparentes et l'auteur tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin. C'est bien écrit et c'est passionnant.

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'HOMME A L'ENVERS

     

    N°1000– Décembre 2015

     

    L'HOMME A L'ENVERS Fred Vargas – Viviane Hamy.

     

    Dans le Parc national du Mercantour, les loups ont fait leur apparition, ils venaient parait-il des Abruzzes italiennes et s'étaient multipliés en France où ils commençaient à faire des dégâts sur les troupeaux de moutons. Lawrence un Canadien taiseux, spécialiste des grizzlis était venu pour les étudier mais il ne parvenait pas à repartir chez lui, à cause paraît-il de la fascination que ces animaux exerçaient sur lui. Pas qu'eux apparemment parce qu'il partageait la vie de la jeune Camille, passionnée de musique et de plomberie. Elle ne croit pas aux loups et ne participe pas aux battues tout comme Massart, un solitaire qui travaille aux abattoirs, qui est parfaitement glabre sur tout le corps et que Lawrence soupçonne d'être…un loup-garou à cause des poils qui lui pousseraient en-dedans, un véritable homme à l'envers ! Suzanne, une femme du pays est assassinée, égorgée comme une brebis… Et Massart a disparu et fait donc un suspect idéal que Camille, accompagnée d’acolytes un peu bizarres, pourchasse au volant d'une bétaillère et ce d'autant que les meurtres et les massacres de brebis se multiplient sur un itinéraire qui semble, pour des raisons obscures, mener notre petite troupe en direction de Paris !

     

    Que vient faire dans cette histoire le commissaire parisien Adamsberg qui a bien d'autres préoccupations au demeurant. C'est que Camille, celle-là et pas une autre, n'est pas une inconnue mais au fond cette histoire un peu loufoque (sans mauvais jeu de mots) c'est bien une affaire pour lui. Il la prend donc en mains ou plus exactement en sous-main parce qu'il n'est pas dans sa circonscription et que, par ailleurs sa vie est menacée et donc qu’il doit garder l'anonymat. L'enquête semble un temps s'égarer d'autant que le flou l'entoure de plus en plus et qu'elle piétine passablement et même s'enlise, avec en toile de fond à la fois ce personnage qu'il pourchasse et qui semble lui envoyer un défi et le sourire de Camille auquel notre commissaire n'est pas indifférent.

     

    L'homme a toujours été fasciné par le loup au point qu'il l'a diabolisé où chargé d'un destin et de pouvoirs légendaires. L'auteur en profite pour revisiter le mythe du loup-garou, celui de la lycanthropie et la « bête du Mercantour » dessine peu à peu sa silhouette floue mais inquiétante et contribue à nourrir la psychose collective. En jouant sur ces peurs ancestrales, l'auteur qui est une authentique raconteuse d'histoires, parvient à tenir en haleine son lecteur jusqu'à la fin.

     

    C'est le deuxième roman de Fred Vargas parue en 1999 ; il reprend le personnage du commissaire Adamsberg, ce flic un peu marginal que ne gênent ni les ordres ni la hiérarchie et qui finalement me plaît bien.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES NOUVEAUX MONSTRES (1978- 2014)

     

    N°999– Décembre 2015

     

    LES NOUVEAUX MONSTRES (1978- 2014) Simonetta Greggio - Stock.

     

    Après « La Dolce-Vita » [La Feuille Volante n° 565], Simonetta Greggio reprend le portrait de l'Italie, qu'elle avait laissé après l'assassinat d'Aldo Moro en 1978. On s'en serait un peu douté, le personnage central de ce roman, c'est la Mafia, cette pieuvre qui gangrène tout ce qu'elle touche et notamment la politique et ses cohortes de parasites véreux qui, à tous les niveaux du pouvoir, profitent d'un système juteux. La presse et même le Vatican qu'on attendrait pas forcément ici, font pression sur une population qui, même si elle n'est pas dupe, adule ses dirigeants. En 1993, au plus fort de l'été, Berlusconi était au plus haut dans les sondages, ce qui fait dire à l'auteure, certes sur le ton de l'humour, que dans ce pays « la ligne la plus droite est l'arabesque ». Celui que l'Europe entière s'accorde à regarder comme un triste pantin, inéligible actuellement, refait surface et menace la démocratie. Ici comme ailleurs, tant que les politicards ne sont pas six pieds sous terre, ils chercheront toujours à revenir sur le devant de la scène.

     

    Simonetta Greggio reprend les personnages de son précédent roman, le jésuite Don Saverio, sans doute judicieusement choisi pour les révélations qu'il fait à la journaliste d'investigation, Aria Valfonda qui est aussi sa nièce et qui a peut-être quelques ressemblances avec l'auteure. Il y a entre eux une complicité qui ira s'affirmant dans leur correspondance et leurs rencontres tout au long de ce roman. L'auteure en profite pour évoquer la mort du « Prince Malo », le demi-frère de Saverio pour mettre ce dernier face à ses états d'âme, ses doutes face aux dogmes religieux et aux règles qu'il a embrassés en prononçant ses vœux. Ce roman mêle des secrets de famille avec leur inévitable lot de révélations, non-dits, passions, violences, trahisons, jeunesse et beauté des corps mais aussi les soubresauts meurtriers de l'histoire de la classe politique de cette Italie à la botte de Cosa Nostra, la collusion entre le pouvoir et l'argent, le risque du parti communiste, la loge P2, la naissance de « Forza Italia » en 1994 à la suite de la faillite de la Démocratie Chrétienne, l'ombre inquiétante des Brigades rouges, l'attentat de la gare de Bologne et autres massacres, des mystère et des silences du Vatican dans le blanchiment d'argent omniprésent et omnipotent de la Mafia, et du rôle des papes successifs dans le grand ménage qu'il convenait de faire dans cette institution à la fois rétrograde et conservatrice... Elle met à nu les plaies de ce pays qu'on associe volontiers à la culture, à la beauté des paysages, au farniente ; on aime le peuple italien pour sa langue et son côté baroque mais les tares qu'elle dénonce entachent durablement la démocratie. Un beau gâchis ! On sent, dans les termes qu'elle emploie, et ce malgré la poésie qu'elle met dans ses descriptions, une grande indignation face à la situation de ce pays gangrené par le détournement de l'argent et des marchés publics, les malversations, les carences et la corruption au plus haut sommet de l’État... Elle l'aime passionnément comme sa patrie mais l'a pourtant quitté depuis trente ans.

     

    Il n'y a pas seulement des interrogations sur l’Église à travers ce père jésuite énigmatique et sur les agissements du Vatican, mais son questionnement s'étend aussi à Dieu, sur son silence, son indifférence face à l'injustice et aux crimes qui sont quotidiens, au culte aussi qui lui est rendu dans ce pays très catholique où les assassins pratiquent la peine de mort alors qu'elle est proscrite par les commandements et vont même jusqu'à prier pour l'âme de ceux qu'ils ont fait assassiner.

     

    Ce n'est quand même pas un roman comme les autres puisque, à la place de la traditionnelle et souvent hypocrite formule sacramentelle qui rappelle au lecteur que toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence, elle enfonce le clou et indique au contraire que cette chronique italienne colle au plus près de la réalité, donnant des noms, des dates, révélant des curriculum vitae éloquents, se livrant certes à des interprétations personnelles mais qui ont le mérite d'être pertinentes.

     

    Le style est simple, efficace, souvent poétique et agréable à lire, servant un texte toujours fort bien documenté et précis dans ses révélations et écrit directement en français. Il a constitué pour moi, comme la première fois, un bon moment de lecture.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TERRE DES HOMMES

    N°998– Décembre 2015

     

    TERRE DES HOMMES Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

     

    L’œuvre de Saint-Exupéry est indissociable de sa vie. C'est particulièrement vrai pour ce livre paru en 1939 et qui fut couronné par «  Le Prix du roman de l'Académie Française » et par le « National Book Award » sous le titre « Wind, Sand and Stars ». Pourtant ce n'est pas un roman comme« Courrier Sud » et « Vol de nuit » mais bien plutôt une sorte d'essai autobiographique écrit à la première personne, une suite de récits et de témoignages, de méditations aussi sur ses expériences de pilote. C'est son troisième ouvrage qui est une sorte de compilation d'articles écrits pour différents journaux mais rassemblés par lui sans doute à l'invitation d'André Gide qui avait préfacé et tant apprécié « Vol de nuit ». Il avait aimé en lui cet écrivain-pilote hors norme, le message qu'il portait, la façon à la fois poétique et humaine avec laquelle il l'exprimait.

     

    Saint-Exupéry y raconte ses débuts dans ce qui est l'aéropostale naissante, c'est à dire pour lui un métier mais surtout une invitation à l'aventure et à la méditation face à l'immensité et la solitude du désert. Dès la première ligne, il donne le ton de cet ouvrage « La terre nous en apprend plus sur nous que tous les livres. Parce qu'elle nous résiste. L'homme se découvre quand il se mesure avec l'obstacle.» Il évoque ses camarades, Mermoz, Guillaumet et son incontournable épopée dans les Andes comme autant de modèles, parle de l'esprit d'entraide, de l'avion qui n'est qu'un outil « comme une charrue », observe la planète, mentionne la mort qui guette les pilotes, le vide qu'ils laissent quand la camarde leur prend la vie, évoque ses relations en plein désert avec les Maures, parfois tendues, parfois hypocritement calmes. Dès lors la mission prend le pas sur le métier, elle devient un but, la raison d'être d'une vie, loin des biens matériels [« Nous nous enfermons solitaires avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille la peine de vivre ».]

     

    Assurant le transport du courrier entre Toulouse et Dakar à la compagnie Latécoère, il sert de médiateur entre les hommes, est comptable de leurs mots confiés au fragile support du papier, voyage sur le dos des nuages et les épaules du vent, et face aux dangers de la navigation, aux tribus insoumises, risque sa vie. Puis vinrent ses autres expériences et souvenirs, en Amérique du sud notamment, avec toujours cette célébration de l'avion, de l'effort accompli, du but à atteindre. A l'occasion d'un accident qu'il a dans le Sahara avec son navigateur André Prévot, il évoque ses craintes de la mort lente que procure la soif, le certitude de l'abandon en terre inconnue avec son cortège d’hallucinations, d'espoirs fous que tissent l’illusion des mirages quand le désert réclame son tribut et que l'eau est plus précieuse que l'or. Tout cela tisse et ressert l'amitié entre les camarades qui œuvrent dans le même but.

     

    A la lumière de ses expériences il nous invite à réfléchir sur notre présence ici-bas : La terre ne nous héberge que temporairement et il est vain de vouloir la détruire par la guerre. Dès lors il parle de la fragilité de la vie, du destin de l'homme, de ses grandeurs, de ses contradictions, de ses faiblesses, de ses embrasements pour une cause qu'il croit juste. En prenant l'exemple des religions qui agitent sous nos yeux des assurances de plénitude pour lesquels tout semble permis à quelques exaltés, ce livre prend des accents très actuels. En fin de récit, comme dans une sorte de conclusion, il jette sur le monde et sur ses habitants un regard à la fois désabusé, plein de compassions et d'espoirs malgré la guerre civile espagnole dont il a rendu compte en tant que journaliste et le conflit mondial qui se prépare et dont il pressent sans doute l'horreur. La communauté humaine qui, au nom de l'idéologie du profit ou d'un hypothétique bonheur promis, ne cesse de dresser ses membres les uns contre les autres, va à nouveau se déchirer alors qu'il y a plus à partager qu'à lutter et haïr et que notre vie est unique et éphémère. Dans cet ouvrage, il se fait philosophe, tente peut-être de rappeler l'homme à la raison, de privilégier ce qui fait sa grandeur, l'amour, la fraternité, l'obligation de vivre ensemble et donc solidaires, pour une vie meilleure qui reste cependant idéale. En remettant l'homme au centre du monde, il appelle à la paix, à l'amour et à la tolérance entre tous.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • VOL DE NUIT

    N°997– Décembre 2015

     

    VOL DE NUIT Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

     

    En octobre 1929, Saint-Exupéry est nommé directeur d'exploitation de la compagnie « Aeroposta Argentina », filiale de l'ancienne compagnie Latécoère à Buenos Aires. Il doit à ce titre organiser le réseau dans l'Amérique du sud en attendant les liaisons transatlantiques avec Dakar. Didier Daurat, le patron, avait, dès 1928 décidé que les avions voleraient la nuit pour conforter l'avance gagnée dans la journée sur les bateaux et les trains. Ainsi, le service nocturne doit-il être poursuivi coûte que coûte même s'il comporte des risques. Ce roman se nourrira de cette expérience.

     

    L'auteur met en scène Rivière, le chef d'escale qui fait exécuter ses ordres sans considération pour la mort d'un pilote, pour un cyclone qui menace et qui se montre intransigeant en licenciant un vieux mécanicien pour une faute vénielle. Ce qui compte c'est la rapidité, la rentabilité [« C'est pour nous une question de vie ou de mort... »]. La mission doit prévaloir sur les hommes, l’acheminement du courrier est sacré et ce devoir transcende ceux qui l'accomplissent [« Il s'agit de les rendre éternels »]. Il n'admet ni la faiblesse ni la défaillance même si au fond il aime ceux qu'il commande. Rivière est plus qu'un directeur d'escale, c'est un chef au sens militaire du terme qui motive les hommes qui travaillent sous son autorité, sous sa responsabilité. Pour lui le bonheur de l'homme réside dans l’acceptation du devoir. Dans son opinion son métier est une sorte de sacerdoce et il considère sa fonction comme celle qui consiste à leur insuffler un idéal alors que pour eux, pilote pouvait seulement être un métier. Dès lors, le roman, c'est à dire l'histoire racontée au lecteur, passe-t-elle au second plan au profit de l'étude de caractère. Rivière ressemble-t-il à Didier Daurat à qui ce livre est dédié ou révèle-t-il l'idée que se fait Saint-Exupéry de l'homme et de son devoir ? Pour lui l'action doit prendre le pas sur les personnes avec leurs préoccupations et la véritable liberté est en réalité l'acceptation librement consentie du règlement qui « est semblable aux rites d'une religion qui semblent absurdes mais façonnent les hommes ». Rivière se révèle un entraîneur d'hommes, quelqu'un qui est capable d'inviter ses pilotes à se surpasser. Il reste le directeur face à tous et seul en charge de l’acheminement du courrier. Quand une mission est réussie, il est satisfait mais ne le montre pas et sait rester froid face à l'épouse de Fabien, le pilote disparu de « La Patagonie ». Lui, même s'il est ému par cette disparition, reste inflexible, incarne l'autorité tandis que cette femme, cette jeune mariée qui portait en elle l'espoir, l'amour et le bonheur est maintenant une veuve désemparée dont la beauté ne pèse rien face à la mort de son mari.

     

    Ce qui est célébré ici, c'est aussi l'aventure, le courage, avec son lot de risques, de responsabilités et avec en point de mire le sérieux du devoir accompli. Il est cependant possible de s'interroger sur le bien-fondé de toute cela, de se demander si la vie humaine n'est pas plus importante que tout. Rivière lui-même, idéaliste et même un peu surréaliste, s'interroge, ouvre un débat intimiste et conclue pour lui-même d'une manière existentielle «  Le but peut-être ne justifie rien, mais l'action délivre de la mort ». Saint-Saint-Exupéry, dans un exemple révélateur, en présence d'un accident survenu à un ouvrier sur un chantier, se demande si un visage écrasé vaut qu'on bâtisse un pont et qu'ainsi la circulation soit facilitée. Sa mort énigmatique peut parfaitement s'expliquer dans cette simple phrase. Dès lors toute la vie d'un homme, qui n'est finalement qu'un bref passage sur terre, trouve-t-elle sa signification non pas tant dans un but poursuivi mais dans la démarche entreprise, pour peu qu'elle soit sérieuse parce que, simplement, elle lui permet non pas d'éviter la mort, ce qui est humainement impossible, mais d'imprimer sa marque dans ce monde et d'y laisser une trace pérenne et exemplaire.

     

    Le Style est simple, direct dans fioritures, poétique dans les descriptions, lyrique dans les méditations. Est-ce l'appréciation laudative d'André Gide dans la préface qu'il fit de ce roman court ou est-ce cette évocation magistrale de l'aventure humaine authentique qui ont séduit les dames du Jury Fémina qui lui ont décerné leur prix en 1931 ? L’œuvre d'Antoine de Saint-Exupéry est indissociable de sa vie, ses expériences d'homme, d’humaniste et l’idéal qu'il portait en lui transparaissent dans ses livres.

     

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • COURRIER SUD

    N°995– Décembre 2015

     

    COURRIER SUD Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

     

    C'est le premier roman de Saint-Ex, paru en 1929, qui reprend le thème d'une nouvelle, « L'aviateur » parue en 1926. Jacques Bernis est un pilote qui travaille pour l'aéropostale et voyage de Toulouse à Dakar. Son travail lui permet d’oublier ces années d'après-guerre marquées par la monotonie, son avion est un peu son havre de paix. Il a rencontrée Geneviève, ce qui lui permet de voir l'avenir autrement, mais cette dernière est mariée et l'existence aventureuse qu'il lui propose ne lui convient guère, ce qui provoque leur séparation malgré l'amour qu'il ressent pour elle. St -Ex complique un peu les choses en faisant de Geneviève une femme mariée dont le fils meurt à cause peut-être de ses frivolités. C'est également l'époque où Louise de Vilmorin rompt ses fiançailles avec St-Ex , sans doute pour ces mêmes raisons.

     

    C'est un roman évidemment autobiographique où non seulement l'auteur parle de la solitude du pilote mais aussi des dangers qu'il court dans les avions peu sécurisés, sans cartes précises et sans radio, souvent à la merci des éléments et dans des zones insoumises où il risque sa vie. Saint-Ex est à cette époque chef de station à Cap Juby, dans le Maroc méridional, pour le compte des lignes Latécoère, comme Jacques Bernis, le personnage central de son roman qui achemine le courrier vers l’Amérique du sud. St Ex s'y ennuie ferme et jette sur le papier ce qui sera le thème de ce livre. Comme c'est souvent le cas, une première œuvre, contient en filigrane au moins une partie de ce qui suivra. Le désert l'inspire et « Le petit Prince » naîtra de ces années passées à le survoler. En 1929, il partira pour l'Amérique du Sud avec Guillomet et Mermoz et écrira « Vol de nuit ». De même, plus tard, son travail de reporter nourrira ses romans comme « Terre des hommes » et de son engagement dans le conflit naître « Pilote de guerre ». La fascination pour les avions qu'il ressent dès l'enfance baignera son œuvre d'écrivain autant qu'elle animera sa propre vie de pilote pendant la guerre, jusqu'à sa mort mystérieuse en juillet 1944.

     

    Il y a dans ce livre beaucoup de poésie mais aussi une sorte de profession de foi. L'auteur est alors âgé de 29 ans et célèbre ainsi son nouveau métier, celui de transporter « un courrier plus précieux que la vie » par delà les océans, l’obsession du travail bien fait malgré les difficultés, l'intuition d'être investi d’une mission et peut-être celle aussi de l'amour impossible. Il y a derrière les mots ses angoisses existentielles, celle de la solitude, de la nostalgie de l'enfance, de la mort qu'il traîne depuis son plus jeune âge et qui ne le quitteront plus. Il est un écrivain qui a parlé de son dangereux métier avec passion, comme un homme d'action et de devoir, comme un humaniste aussi et qui reste dans la mémoire collective comme une référence.

     

    Cette première œuvre sera un succès qui décidera de la carrière d'écrivain de St-Ex.

     

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FEMME AU FOYER

    N°996– Décembre 2015

     

    FEMME AU FOYER Jill Alexander Essbaum – Albin Michel.

    Traduit de l'américain par Françoise du Sorbier.

     

    Anna est une jeune zurichoise d'origine américaine, mère de famille de 37 ans un peu déracinée, perdue dans une Suisse adoption, dépressive mais qui s'occupe de ses trois enfants et de Bruno son mari, par ailleurs banquier, bref « une bonne épouse, dans l'ensemble ». Elle passe donc sa vie dans une sorte de cocon confortable même si celui-ci génère pour elle une sorte d'ennui, de solitude, une forme de bovarisme que la psychiatrie peine à guérir et à expliquer à travers l'interprétation de ses rêves et les révélations qu'Anna distille avec parcimonie. Cela c'est pour les apparences qu'on aime, en Suisse comme ailleurs, faire prévaloir surtout si elles cachent quelque turpitude, ni plus ni moins que de l'hypocrisie.

     

    C'est que, quand une femme a ce qu'elle peut espérer de la vie, elle cherche évidemment autre chose et souvent cela prend la forme classique d'un amant, souvent un inconnu qui ne fera qu’un bref passage dans sa vie. Anna n'échappe pas à cela, elle dont la jeunesse était peuplée de fantasmes érotiques, de volonté de séduction et dont le mariage s'est peu à peu enlisé dans la routine, la facilité et la dépendance financière ; Cet épisode sonne donc comme un point de passage obligé, inévitable. Ici on sent bien que tous ces amants n'ont aucun attachement sentimental pour Anna. Ils ne ressentent rien d'autre pour elle que des envies bestiales [il y a dans ce roman des images, des scènes à la limite de la pornographie]. De son coté, Anna est passive et on a l’impression qu'elle vit ces relations, non pour se donner l'illusion de la jeunesse et de la séduction retrouvées, mais pour pimenter une vie familiale étouffante, pour se dire qu'elle a tout simplement des amants, qu'elle vit des situations dont toute femme mariée rêve parce qu'elle transgresse un interdit, qu'elle veut se faire peur, souhaite inconsciemment être découverte ou simplement veut explorer un terrain inconnu et peut-être fascinant. A aucun moment, je n'ai senti Anna vivant ces toquades dans le seul but de changer radicalement de vie et d'épouser ses amants. D'ailleurs le destin de telles liaisons amoureuses est de s'inscrire dans un temps très court, d'être vouées au seul plaisir sexuel mais dans le secret espoir qu'elles ne bouleversent pas par un divorce puis un remariage une vie établie. C'est un peu comme si Anna, ayant tourné la page de ces « moments », souhaitait revenir au bercail, comme si rien ne s'était passé. Il est évident qu'une telle séquence ne peut pas ne pas laisser de traces et qu'il est évidemment tentant de faire porter à son mari la responsabilité de ses propres trahisons, surtout si elle n'a rien de véritablement important à lui reprocher et si elle fait bon marché de sa culpabilité. Dès lors on se perdra en conjectures sur les raisons d'une telle attitude adultère. Est-ce la volonté de tout détruire autour d'elle, de ridiculiser un mari trop amoureux d'elle ou trop confiant au point de ne rien voir de son cocuage, de se singulariser par rapport à la famille traditionnelle, d'hypothéquer l'avenir, de faire dans la provocation, de vivre quelque chose de différent, d'entrer de plain-pied et de s'installer dans une situation délétère qui ne peut, à terme, que se retourner contre elle et saper durablement l'avenir de ses propres enfants ? Il est évidemment préférable de ne rien expliquer et de poursuivre cette attitude nuisible, en se disant que seules comptent sa propre liberté et son envie de jouir de la vie et que le reste n'a aucune importance même si tromper son mari c'est aussi se moquer de ses propres enfants. Cette situation met certes Anna en face de son dégoût d'elle-même, de ses faiblesses, de sa passivité, de sa volonté irrationnelle de sanctionner ses proches et la révèle telle qu'elle est, un nymphomane prête à écarter les cuisses pour le premier venu et à en garder le secret, exactement l'inverse de l'image de la mère de famille qu'elle souhaite donner à voir. Quand, grâce au hasard, le dieu des malchanceux qui finit toujours par se manifester, Bruno ne pourra plus rien ignorer de la vie de gourgandine d'Anna, même s'il s'était fait une autre idée de cette femme, il en sera jaloux, ressentira de la honte pour lui-même mais surtout méprisera celle qu'il a choisie pour être son épouse et la mère de ses enfants et qui l'a si facilement trompé. Il s'en voudra lui-même de ce choix, autant pour lui que pour les autres, souhaitera sauver les apparences en privilégiant l’hypocrisie, demeurer auprès de ses enfants qu'il aime, que sais-je ? Mais sa réaction sera à la hauteur de sa déception. Bien entendu il aura des doutes sur sa paternité, se sentira atteint dans son ego, sortira de cette épreuve meurtri voire détruit, se demandera ce qu'il a bien pu faire pour mériter une telle sentence et en plus devra faire face aux arguties de cette femme qui cherchera par tout moyen à taire, à nier, ou à minimiser ses fautes, jusque et y compris en lui en imputant la responsabilité.

     

    Ce roman qui se déroule sur trois mois mais avec de nombreuses analepses, va plus loin qu'une histoire sentimentale ou qu'un banal adultère. L'auteur y introduit une dimension dramatique qui n'emprunte malheureusement pas son déroulement à la seule imagination, comme si la morale ou une quelconque divinité aveugle réclamait réparation de cette faute répétée sans se soucier de ceux qui, malgré leur naïveté, leur innocence, paieraient également un péché pour lequel ils ne sont pour rien.

     

    Je n'ai pas vraiment adhéré aux considérations de l'analyste dont le discours jungien est plein de nuances et de questions puisque Anna a la volonté de vivre ces passades sans vraiment vouloir les lui révéler ni les expliquer même si la personne de Steve ou plutôt son fantôme, hantait ses séances d'analyse. Je n'ai pas non plus goûté les subtilités grammaticales de la langue allemande que je ne parle malheureusement pas, non plus que les variations sur la mort, l'enfer avec ses flammes et le paradis avec son lénifient et contestable discours religieux qui sont censés y succéder. Elles sont pourtant intimement liées à cet ouvrage et éclairent cette part d'obscurité que chaque être porte en lui. Ce roman au style direct, réaliste et sans fioriture est aussi une longue variation sur l'amour et le désir sexuel, la famille et les passades, les amitiés de façade et la solitude. On ne sait pour autant pas pourquoi le mariage d'Anna et de Bruno est un échec au point qu'elle l'exorcise à travers une telle activité sexuelle de contrebande ni pourquoi elle est à ce point contradictoire et ambivalente. Cela peut s'expliquer par la génétique, la volonté de faire souffrir, de régler des comptes anciens et inavoués ou simplement par l'envie d'être différente ou d'ignorer son entourage. D'autre part, il y a toujours le regard extérieur, celui de sa belle-mère, Ursula, dont on comprend vite qu'elle a des doutes sur la fidélité de sa bru, celui de la psychanalyste aussi qui devine tout, malgré les révélations laconiques d'Anna mais qui finalement ne fera rien pour elle.

     

    Le livre est un univers douloureux et l'écriture est souvent revêtue par l'auteur de fonctions cathartiques, de contrition voire de rédemption. On peut toujours donner une dimension autobiographique à un tel texte qui m'a paru passionnant, pertinent du début à la fin dans l'analyse de personnages, des situations, des sentiments décrits. La lecture des « remerciements » m'a paru révélatrice. Alors ? Anna est-elle vraiment « une bonne épouse, dans l’ensemble » ?

     

    Avant que Babelio dans le cadre de « Masse critique » et les éditions Albin Michel ne me fassent parvenir cet ouvrage, ce dont je les remercie, je ne connaissais pas cette auteure américaine dont c'est le premier roman. Cette lecture passionnante du début à la fin m'incite à explorer son œuvre à venir.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ZONE

    N°994– Novembre 2015

     

    ZONE Mathias Enard – Actes Sud.

     

    Dans un train qui va de Milan à Rome, Francis Servin Mirković, emporte avec lui une valise pleine de renseignements importants et compromettants sur des trafiquants d'armes et autres criminels de guerre et qu'il compte vendre à un représentant du Vatican. Il les a accumulés au cours de quinze années d'une carrière d'espion dans ce qu'il appelle sa « Zone », en réalité des théâtres de guerre, l'Algérie, le Proche-Orient, les Balkans dans lesquels il a combattu volontairement. Avec cet argent et un nouveau nom, il espère mener une nouvelle vie, abandonnant derrière lui la précédente faite de tortures et de mort avec peut-être l'amour hypothétique d'une femme. Bercé par le roulis des boggies, il laisse son esprit remonter le temps, revisiter sa jeunesse militante aux cotés de l'extrême-droite, fascinée par les idéologies violentes, ses aspirations militaires, son idéal, ses certitudes, ses combats, sa participation au carnage, marchant en cela sur les traces d'un père que les les événements d'Algérie ont transformé jadis en tortionnaire. Entre analepses et digressions, le narrateur revient sur sa vie solitaire et désespérée, encombrée de souvenirs où la violence voisine avec la mort, où les idéaux de liberté et les certitudes religieuses sont rapidement balayés par le goût du sang. Il se souvient de ses trahisons, de ses délations et de sa responsabilité dans la mort d'innocents. Lui reviennent aussi, mêlés à l'histoire et à ses réminiscences mythologiques, les moments dérisoires de son enfance, ses amours calamiteuses, ses pérégrinations imposées par son « métier de l'ombre », les visages grimaçants de haine de ses compagnons d'armes capables de violer, d'égorger, de décapiter, de tuer d'autres hommes en raison de leur religion, de leur nationalité ou de leur couleur de peau, le visage tutélaire du père, le veuvage de sa mère camouflé sous l'hypocrisie des convenances.

     

    Je respecte toujours le travail d'un auteur mais rien ne m'irrite plus que des phrases démesurées parce que mes études et mes lectures m’ont appris à aimer la concision en la matière et peut-être à la pratiquer moi-même. Dès les premiers paragraphes de ce roman de 500 pages, avare de cette ponctuation qui est la respiration du texte, je me préparais donc à connaître ce genre d'étouffement qui généralement me précipite dans l'ennui et l'abandon du livre (J'ai déjà noté dans cette revue cette pratique un peu gênante de l'auteur). Pourtant, j'aime bien l’œuvre de Mathias Enard pour sa riche érudition, son intérêt documentaire et artistique, pour son style direct et sans fioriture aux accents parfois céliniens, cette chronique en fait foi, et c'est sans doute ce qui m'a fait dépasser ce problème d'architecture littéraire et qui, à mon grand étonnement, m'a fait oublier ce qui d’ordinaire provoque un rejet, gommant un peu cette sensation de suffocation, imposant son rythme propre... [il est vrai que certains passages sont écrits plus classiquement] J'ai retrouvé sous sa plume cette silhouette de l'homme à qui l'on prête hypocritement des qualités dont il est si tragiquement dénué, la figure du père qu'on pare de toutes les vertus dès lors qu'il est décédé, comme si la mort lavait d'un coup toutes ses avanies et trahisons et qu'on chargeait la mémoire de les rédimer. Le narrateur note d'ailleurs que l'histoire de l'humanité est davantage jalonnée de guerres, de destructions, d'exactions, d'exterminations que de créations artistiques. A coups de références culturelles et historiques mais aussi d'exemples individuels, il ravive la mémoire collective, rappelle que, depuis la nuit des temps, l'homme, au nom de l'idéologie, d'une volonté de puissance, d'expansion territoriale quand ce n'est pas d'enrichissement personnel, mène des guerres exterminatrices de sa propre espèce, encouragées et bénies par les religions qui ainsi oublient opportunément le message de paix et de tolérance qu'elles sont censées porter. Il ne faut pas oublier non plus cette traditionnelle mais inévitable amnésie qui caractérise cette même espèce humaine, prompte à s'enflammer pour de grandes idées mais aussi capable de se livrer à une destruction systématique de ses semblables mais qui ne résiste pas à l’appât du gain surtout s'il en va de son intérêt, en s'asseyant sur des charniers et en brûlant un cierge à l'hypocrisie.

     

    Ce n'est pas un roman qu'on lit pour tuer le temps, c'est un regard désabusé jeté sur l'humanité, un monologue oppressant dans ses révélations, une confession qui, au rythme de la progression du train, tisse, avec pour toile de fond la vie délétère et solitaire du narrateur, une sorte d'épopée tragique d'un homme qui souhaite tourner la page sur sa vie d'avant et nouer une relation traditionnelle et rangée avec une femme si toutefois il en trouve une.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FABLE D'AMOUR

    N°993– Novembre 2015

     

    FABLE D'AMOUR Antonio Moresco- Éditions Verdier.

    Traduit de l'italien par Laurent Lombard.

     

    Comme le titre l'indique, c'est une fable, il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu’elle commence par la traditionnelle formule qui fait toujours rêver « Il était une fois »…Il y est question d'un clochard, Antonio, un de ces hommes sans visage qui tendent la main et dont on évite de croiser le regard dans la rue. Son seul ami est un pigeon blessé qui servira de passeur dans cette histoire et avec lequel il partage sa maigre pitance glanée dans les poubelles de la ville. Ils ne parlent pas le même langage mais ils se comprennent. Comme dans toute les fables il y a du merveilleux et celui-ci a le visage d'une jeune fille, Rosa, qui l'arrache sans raison à l'enfer de la rue, change sa vie et devient son amante. Elle est aussi belle qu'il est laid, aussi resplendissante qu'il est transparent. Bref, ils ne se ressemblent pas. Alors pourquoi lui et pour quelle raison sa vie change-t-elle ainsi du jour au lendemain, la fable ne le dit pas. Veut-elle faire une bonne action, vivre un rêve personnel, s'acheter une bonne conscience ou est-elle à ce point possédée par cette culpabilité judéo-chrétienne qui inspire souvent nombre de nos actions ? Ce qu'elle dit en revanche c'est que la chance tourne pour Antonio et sans plus de raison qu'avant, Rosa se désintéresse soudain de lui, le précipite dans sa vie d'avant faite de peur, de faim, d'insécurité. Il s'ensuit sous la plume de l'auteur une violente diatribe contre les femmes, leur inconstance, leurs fourberies, leurs trahisons mais aussi contre les hommes, leur suffisance, leur naïveté, bref contre la nature humaine qui ne vaut décidément pas cher, capable de tout détruire autour d'elle et même l'amitié comme l'amour ne résistent pas à ses attaques. Toutes ces grandes idées généreuses et altruistes ne pèsent pas bien lourd, ne sont que du vent et Antonio prend soudain conscience de cette cruauté. Pourquoi fait-on ce qu'on regrette ensuite, comment change -t-on au point de devenir quelqu'un d'autre que soi-même on ne reconnaît plus ?

     

    C'est un conte semblable à celui de notre enfance, un conte de fée, celui du Prince Charmant et de la petite mendiante qui l'épouse, ils s’aiment, sont heureux et ont beaucoup d'enfants selon la formule consacrée, sauf que là les rôles sont inversés, comme si cela était la prise en compte du changement de la société et que ce texte s'adresse aux adultes. Comme nous sommes dans le domaine du merveilleux, l'auteur nous fait voyager au-delà de la vie. Pourquoi pas ?

     

    Le livre refermé qu'en reste-t-il ? Comme celles de La Fontaine, cette fable a une morale, cette histoire se termine bien et l'auteur tient a son « happy end ». Ce que je retiens cependant, c'est cette image de la nature humaine, capable du meilleur comme du pire, surtout du pire, qu'il ne faut se fier ni aux apparences ni aux certitudes, que l'homme est un prédateur pour ses semblables, que l'amour n'existe pas, que tout ce décor qu'on voudrait idyllique n'est qu'une illusion, qu'il n'y a pas de havre de paix, même dans la mort, que Dieu n'existe pas davantage que les hommes généreux, qu'il n'y a pas de paradis, que l'enfer est ici, qu'il n'y a rien à espérer que la solitude et que la mort. Bien sûr, cela se termine bien sinon ça ne serait pas une fable sans cela, mais ça ne me fera pas changer d'avis sur la nature humaine. Face aux réalités de cette vie, j'aime bien me réfugier dans les livres pour voir le monde autrement, même si l'image qu'ils en donnent n'est pas la bonne, mais là j'ai quand même été un peu déçu.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • La neige de l'amiral

    Avril 1992

    n°103

     

    La neige de l'amiral – Alvaro Mutis – Éditions Sylvie Messinger .

     

    Sous la forme d'un journal de bord rédigé sur du papier de hasard, El Gaviero nous relate sa remontée rocambolesque du fleuve équatorial Xurando à la recherche de l'argent. Comme toujours, il note sur lui-même son éternelle remarque « Je suis au plus haut point intrigué par la manière dont ma vie est une répétition d'échecs, de décisions erronées au départ, de voies sans issue qui, mises bout à bout seraient tout compte fait l'histoire de mon existence ».

     

    C'est encore une fois l'histoire d'un voyage, c'est à dire d'une fuite aux côtés d'un capitaine alcoolique et désespéré … et, par intermittence la compagnie d'un major énigmatique qui lui sauve la vie mais qui avait choisi d'abréger la sienne en venant vivre dans cette forêt « Ici ou là-bas, c'est la même chose, seulement ici, ça va plus vite ! » dit-il au capitaine qui le comprend.

     

    Le véritable but d'El Gaviero semble être les scieries situées aux sources du Xurando. Autour d'elles se bâtissent des légendes complaisamment entretenues par le lamaneur et le mécanicien du bord… puis, rapidement, tout cela perd de son intérêt.

     

    Dans ce voyage qui ressemble fort à un retour à ses origines inconnues, avec en toile de fond la Cordillère, il croise la mort, la sienne d'abord qu'il réussit à éviter, celle du capitaine ensuite qu'il découvre un matin, pendu… puis le naufrage fatal de l'esquif qu'il venait de quitter quelques heures auparavant.

     

    Dans sa tête demeure l'image d'une femme, Flor Estevez et de « la neige de l'amiral », établissement perdu dans la montagne qu'il retrouve vide et délabré.

     

    Ce livre est une approche supplémentaire du personnage d'El Gaviero, marin énigmatique et solitaire en perpétuelle errance, personnage romanesque mais Ô combien attachant dû au talent à chaque fois renouvelé du poète Alvaro Mutis.

     

    © Hervé GAUTIER.

  • D'ARGILE ET DE FEU

    N°992– Novembre 2015

     

    D'ARGILE ET DE FEU Océane Madelaine- Éditions des Busclats.

     

    Étrange récit que celui-ci qui se décline alternativement sur deux cahiers, le blanc où la narratrice, Marie, évoque son enfance dans la garrigue, ses parents morts, sa peur du feu qui les tua, la pension chez les sœurs, Pierre, son compagnon qu'elle suivit dans cette ville du nord, son travail d'enseignante puis son départ sans raison, seule, vers le sud, à pied avec chaussures de marche et ampoules douloureuses et pour seule boussole son envie de vivre autrement, de tourner le dos à sa vie d'avant, de changer pour l'inconnu, le hasard, l'inconfort... Sur le cahier rouge elle épelle la vie d'une autre Marie, qu'on nommait aussi Jeanne, la bâtarde, femme de terre et de feu qui a vécu au XIX° siècle et a choisi un métier réservé aux hommes dans lequel elle s'est imposée. Elle a jeté ses poupées pour modeler des écuelles, des pots, des pichets, préféré malgré son jeune âge les tours, la sculpture et l'émail au point d'imposer plus tard son style et d'apposer sa marque personnelle sur chaque pièce réalisée [« fait par moi, Marie Prat »]. Parce qu'elle a laissé des traces, elle la rencontre par hasard, à mi-parcours de son périple, se réfugie dans une cabane en planches et choisit de s'y fixer à cause de la couleur et des vertus de cette terre. Elle ne le sait pas encore mais ce terroir sera un jalon dans son voyage, peut-être aussi un but à cause de ce géomètre taiseux et énigmatique qu'elle rencontre là ou de ce rendez-vous imprévisible avec l'histoire de cette femme et aussi avec son destin personnel. Elle sera potière comme elle, un peu comme si, malgré toutes ces années, elle lui passait le relais. Elle apprend donc, s’approprie cet art populaire et quasiment brut dont elle ignorait tout, parvient à dominer sa peur du feu parce que les habitants du lieu l'incitent à reprendre l'usage du four laissé par Marie Prat. Ainsi le feu assassin devient-il pour la jeune femme, fécond, bénéfique, apaisant. Elle façonnera et cuira la glaise, ajoutant des mots pour que la complicité avec l'autre Marie soit complète, pour que l'hommage soit authentique .

     

    Pourtant son voyage n'est pas terminé et un peu malgré elle doit aller plus loin, vers son enfance et ses souvenirs, comme un devoir de mémoire personnel, comme une manière de se retrouver elle-même, une chanson espagnole pleine de soleil au coin des lèvres pour adoucir cet hiver rude, emportant avec elle l'esprit et l'exemple de cette Marie Prat.

     

    J'ai lu certains passages à haute voix pour apprécier toute la musique poétique de ce beau livre fort bien écrit, alternant les passages sensuels et bucoliques.

     

    Je le redis ici, dans le climat délétère qui nous entoure, lire est apaisant

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • MADAME RÊVE

    N°991– Novembre 2015

     

    MADAME RÊVE Pierre Grillet- Stock.

     

    Quand on écoute une chanson, ce qui frappe d'abord, ce qu'on retient en premier, c'est la mélodie, c'est grâce à elle qu'on la reconnaît même si on n'est pas musicien. La mémoire des paroles vient après mais il arrive souvent qu'on ne les retienne pas ou qu'on les attribue au chanteur même s'il n'en est que l'interprète. Ici, le texte est né, s'est enrichi, à gagner en maturité et en sensualité entre Pierre Grillet et Alain Bashung parce que, sans doute, chacun y a pris sa part personnelle. Pour l'auteur de ce livre, les paroles de la chanson comme du roman lui ont été inspirées par une femme, ce qui est plutôt banal au demeurant mais, ce qu'il l'est peut-être moins c'est que cet amour qui en est à l'origine a quelque chose d'impossible, il est fait d'étreintes et de fuites, de retrouvailles et de trahisons, de réconciliations, de passions avortées, d'indifférences et de jalousies...Natasha y accroche sa vie, son sourire, ses absences, « sa part ». Lui apporte son besoin irrépressible de la protéger, ses envies, ses fantasmes, ses lâchetés… Elle lui est indispensable, elle existe dans sa mémoire plus que dans son quotidien, entre la drogue et la liberté, sa vie de papier n'est faite que de ces mots qu'elle lui souffle sans le savoir. Être la muse d'un écrivain a quelque chose de frustrant et de merveilleux à la fois. Lui n'est ici que de passage sans vraiment l'intention de marquer son temps malgré les mots qu'il distribue pour le succès des autres parce que le parolier est souvent oublié ou méconnu. Il écrit non pour gagner de l'argent mais pour se libérer et fixer ses souvenirs mais reste son éternel amant, un homme de passage qu'on prend et qu'on oublie, qui part à l'aube, qu'on cache, qui ne laisse qu'une ombre, qu'un souvenir mais pas de trace dans le quotidien et peu de projets pour l'avenir…

     

    On a beaucoup gloser sur le sens des paroles de cette chanson qui parle de l'onanisme féminin et de la jouissance. Ce thème a été longtemps tabou et ces mots écrits ont suscité de la gêne, entre vulgarité et puritanisme. C'est vrai qu'il est décevant d'avoir écrit quelque chose et de devoir le garder pour soi faute de pouvoir le faire partager parce que les autres ne le comprennent pas ou le refusent. C'est aussi bête que cela mais une chanson doit être chantée et le jour où on trouve l’interprète, une voix la fera exister. Quand elle sera chantée, diffusée, on pourra toujours l'aimer, la détester, s'identifier à elle et se demander si peut-être c'est de soi dont elle parle, cela ne coûte rien mais elle finira assurément dans l'oubli. Heureusement Bashung est là pour « Madame rêve » mais Natacha, elle, n'est qu'une ombre.

     

    Le livre refermé que m'en reste-t-il ? Une impression bizarre, comme quelque chose qui ressemble à l'évocation d'un amour chaotique, épisodique mais bizarrement sincère et profond parce que non pollué par un quotidien matrimonial, une volonté de faire revivre un passé en pointillés. Pourquoi pas ? Nous savons tous que nos proches disparus, ceux que nous ne reverrons plus, ne sont vraiment morts que lorsqu'on ne pense plus à eux. Je sais aussi que la genèse des mots qu'on charge de porter le souvenir d'un être aimé s'inscrit dans l'univers douloureux qu'est un livre. L'accouchement en est difficile et le résultat bien souvent en-deçà de nos propres espérances, avec au bout, la déception de n'avoir pas su ou pas pu dire exactement ce qu'on porte en soi. On connaît, à ce moment-là, la vraie dimension de la solitude, de l'impuissance, de l'inutilité, on se raccroche à ce qu'on peut, on choisit de voir des signes dans le hasard, le destin ou dans un quelconque dieu si on croit à son message, on retient ses larmes ou on se laisse aller, cela dépend de chacun. On aurait souhaité échanger notre vie contre celle qui vient de disparaître mais ce troc n'est pas possible et cela génère une culpabilité ridicule, irrationnelle mais incontournable. On s'accroche au peu de choses qui restent et qui symbolisent et rappellent sa vie, des photos, des objets personnels, cela rassure parce qu'ils entretiennent la mémoire, comme les mots parce que le tri se fait de lui-même et qu'il n'en reste que le meilleur puisque c'est, inconsciemment, ce qu'on veut préserver.

     

    C'est un texte sur la passion que j'ai pourtant lu sans passion, presque pressé de connaître l'épilogue sans pour autant être capable d'en interrompre définitivement la lecture avant la fin. Une impression bizarre donc.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • BREVIAIRE DES ARTIFICIERS

    N°990– Novembre 2015

     

    BREVIAIRE DES ARTIFICIERS Mathias EnardGallimard.

    Illustration de Pierre Marques.

     

    Quand, dans ma volonté de découvrir l’œuvre de Mathias Enard, j'ai ouvert de roman, je dois dire que les événements que nous vivons depuis plusieurs mois, qui menacent durablement notre démocratie et notre art de vivre à la française, étaient bien présents à mon esprit. C'est, certes « un manuel de terrorisme à l'usage des débutants » comme l'indique la 4° de couverture, mais c'est surtout une histoire un peu surréaliste, qui se passe de nos jours, celle de Virgilio, un esclave caribéen un peu naïf qui reçoit de son maître un enseignement en dix leçons pour devenir un parfait artificier. Ce maître, solitaire et âgé, va lui enseigner par l'exemple comment venger des siècles d'oppression des maîtres sur les esclaves, des blancs sur les noirs, des colonisateurs sur les colonisés, bref comment déstabiliser une société trop bien établie sur cette injustice. Il va lui détailler non seulement l'aspect technique d'une telle action subversive mais aussi développer des arguments religieux, philosophiques, sociologiques, moraux, médiatiques qui, à ses yeux, font du terrorisme un art. Il l'incite à apprécier ce qu'est « un bel attentat », l'invite à entrer dans sa confrérie de tueurs.

     

    Je n'ai pas pu lire ce livre qui est une fable, sans en alterner la lecture avec le suivi de l'actualité. C'est certes une fiction qui fait appel à la philosophie et la culture, toute choses qui sont absentes du cerveau des assassins du « Bataclan » et de « Charlie » et il convoque sans doute Camus sans le citer [« Mal nommer les choses, c'est rajouter du malheur au monde »]. Dans le domaine « descriptif et métaphorique» de son propos qui s'inscrit dans cette grande foire d'empoigne qu'est notre monde, ce maître révolutionnaire n'oublie personne et dresse pour un Virgilio de plus en plus dubitatif un portrait peu reluisant de la société qui nous entoure. Ce livre est présenté sous le couvert de l'humour mais, à la lumière des événements récents, et de ce qui sans doute se prépare, je ne suis pas sûr d'avoir vraiment ri ou même souri, tant ce qui est écrit évoque des épisodes meurtriers qui ont endeuillé notre démocratie. Il nous rappelle qu'il ne faut pas se laisser abuser par les apparences et endormir par la torpeur d'une actualité où rien ne se passe mais où toujours quelque chose se prépare. Certes, dans un excès d'humour, le maître confesse que la seule chose qu'il peut revendiquer c'est un « attentat à la pudeur » ou plus simplement la destruction d'un palmier, symbole du tourisme dans cette île du soleil ; ce serait pour lui se libérer d'une logique économique asservissante, une sorte de mouvement de résistance que n'auraient désapprouvé ni Eluard ni Aragon ni Char. C'est sans doute un peu trop cérébral, trop intellectualisé, pas si comique que cela, mais quand même efficace. L'air de rien, l'auteur procède par images simples voire anodines mais qui, à bien y réfléchir, nous rappelleront quelque chose et forcément pas les plus agréables. Il met en scène les jésuites, ce qui n'est pas neutre, et par là instille une dimension religieuse à son propos. Chacun y donnera la signification qu'il souhaite. Alors, texte volontairement politiquement incorrect, désir de rire de tout ou envie de faire dans le dérisoire. Pourquoi pas ? Les dessins de Pierre Marquès participent de cette démarche ironique qui, sous la plume d'Enard, donne une coloration culturelle au terrorisme. Il illustre même son propos d'exemples d'une déconcertante mais pertinente logique qui témoignent d'une réflexion sérieuse de la part de son auteur, d'une grande connaissance de l'espèce humaine capable du meilleur comme du pire et pour qui plus un mensonge est gros plus il est crédible. Cela n'exclut évidemment pas ni la subtilité ni la discrétion, qualités dont sont dépourvus ceux qui ont semé la mort dans le monde démocratique. Je les imagine incultes, dogmatiques et seulement animés d'une volonté aveugle de tuer, mais c'est sans doute un autre débat. Je me souviens que dans ma jeunesse on a beaucoup parlé du « péril jaune » ; c'est bien un péril qui nous menace, mais on s'était seulement trompé de qualificatif tout en se campant dans la béate certitude que rien ne pouvait nous arriver.

     

    Comme d'habitude, ce texte regorge de références érudites et même des remarques gastronomiques (mais pas seulement), le style est agréable et le tout m'a procuré, malgré la dramatique actualité, un bon moment de lecture. Lire et aussi écrire seront toujours pour moi un antidote aux événements délétères qui nous entourent. Je le redis ici, bien avant qu'il n'obtienne le prix Goncourt, je me suis intéressé à l’œuvre de Mathias Enard parce que je l'ai jugée originale et digne d'attention.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA PERFECTION DU TIR

    N°989– Novembre 2015

     

    LA PERFECTION DU TIR Mathias Enard – Actes Sud.

     

    Dans mon souvenir de jeune appelé du contingent, l’instruction militaire se caractérisait par l'exercice physique et la discipline. Le temps réservé au tir constituait en lui-même un moment fort où les soldats que nous étions alors prenaient toute leur mesure puisque le « métier » qu'on entendait nous inculquer était « d'apprendre à tuer ». Dans ma mémoire, c'était un moment bizarrement excitant peut-être à cause de l'odeur de la graisse et de la poudre mais aussi parce qu'il couronnait en quelque sorte notre apprentissage et était entouré d'une procédure particulière à cause de la dangerosité de la séance et de l'application méthodique dont il fallait faire preuve pour loger une balle au centre de la cible. C'était un mélange subtil de maintient du fusil sans trembler de manière à obtenir une visée parfaite, le vide qu'il fallait faire dans ses poumons, l'adhésion du buste au fusil pour minimiser le recul, la pression progressive de la première phalange sur la détente, le tout dans une concentration maximum où le départ du coup devait surprendre le tireur. Tout cela constituait un tir parfait, bien différent de ce qu'on voit au cinéma où l'acteur « arrose » anarchiquement son adversaire. Ensuite seulement venait le plaisir des résultats mais ce n'était qu'un exercice sur des silhouettes en carton.

     

    Cet « art » de tirer je l'ai retrouvé dans la technique et le monologue de ce jeune sniper, combattant d'une quelconque guerre civile. Ce jeune homme aguerri nous livre dans un soliloque sa fascination pour son arme et pour la mort qu'il sème autour de lui au gré de son humeur comme si toute sa vie tenait dans la ligne de mire de son fusil. Il tire peu mais fait mouche à chaque coup et met même un point d'honneur à éviter les tirs trop faciles, considérés comme dégradants pour lui mais ce n'est pas pour autant un esthète. Il recherche seulement à être un perfectionniste. Il va rencontrer Myrna, une jeune fille de quinze ans qui va s'occuper de sa mère rendue folle par les hostilités et sa proximité va bouleverser sa vie. L'ambiance de ce roman est un peu surréaliste, on sent que le sniper fait son métier avec amour, conscience jusqu'à l'acte gratuit qui le valorise. Il est même satisfait qu'on reconnaisse ses mérites. Le soir, il rentre chez lui comme un simple employé après sa journée de travail et retrouve la jeune fille qui fait naître chez lui à la fois des gestes de protection et des fantasmes érotiques et son envie de tuer se transforme parfois en volonté d'agresser la jeune fille. Sa vie se résume au tir et à Myrna et cela le rend invincible. Quand elle disparaît, il est comme fou et songe à la tuer et à supprimer tous ceux qui s'opposent à leur rencontre. En réalité en lui se bousculent la volonté d'être avec elle et de la supprimer pour qu'elle n'appartienne pas à un autre. Dehors la guerre fait rage et elle est pour lui comme une drogue mais il est frustré de ne pas voir ses victimes, le résultat de son travail, de près, pourtant, dans les moments d'accalmie, la vie reprend normalement, et comme en temps de paix il se promène avec la jeune fille sur la plage ou en ville.

     

    C'est le premier roman d'Enard, fort bien écrit comme toujours et qui rend compte de cette tension où la vie est l'enjeu dans une atmosphère de terreur, de folie et de violence. Il date de 2003 et marque le début d'une ascension qui le verra consacré par le prix Goncourt en 2015.

     

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  • LA NUIT DE FEU

    N°988– Novembre 2015

     

    LA NUIT DE FEU Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    L'auteur a alors 28 ans, en pleine recherche de sa voie entre écriture et enseignement de la philosophie, et il participe en qualité de scénariste à un projet de film sur le père de Foucault. Pour cela il se rend, avec le réalisateur dans le Hoggar sur les traces du religieux. Se joignant à un groupe de touristes d'horizons socio-professionnels différents, il effectue un parcours dans le désert et après quelques jours de marche, à la suite d'un état d’excitation extrême ou d'un caprice, se perd seul et subit une sorte de « voyage astral » d'une nuit qui lui fait approcher la mort.

    Ce titre est emprunté à Pascal qui nommait ainsi sa nuit mystique. Il parait particulièrement pertinent puisque E-E Schmitt a découvert Dieu sur le mont Tahat à cette occasion. Tous les ingrédients sont ainsi présents, le désert grandiose propice à la réflexion, l'opacité glaciale de la nuit saharienne, le scintillement de la voûte céleste, l'idée de l'infini face à sa propre fragilité, l'ascension d'une haute montagne, l'abandon de tout confort occidental, la solitude face à soi-même... Ils invitent à un retour sur soi, sur le passé personnel avec ses joies et ses peines, ses moments forts comme ses compromissions…

    De nombreuses pages, souvent émaillées de descriptions poétiques fort bienvenues, sont consacrées à des ratiocinations d'intellectuels désireux d'expliquer le monde, les hommes comme la formation de la terre et de l'univers, entre interrogations éternelles et affirmations sans cesse remises en question, humilité, curiosité et pédantisme. Cela m'a paru long. A partir de la moitié du récit, à l'invitation de la prière du Touareg accompagnateur, on en vient à un questionnement sur l'existence de Dieu ainsi que du hasard, de la mort, de la survie de l’âme... Ce sont là des thèmes récurrents que le décor particulier suscite, mais l'expérience de l'auteur, sa découverte de la foi et surtout son retour à la vie ne sont pas sans poser aussi d'autres questions existentielles pertinentes sur son destin, le choix de sa personne, les circonstances de ce qui devait être un rendez-vous avec Dieu, le hasard, l'usage qu'il fera de ce « cadeau », le message de Charles de Foucault...

    A titre personnel, je n'ai jamais voyagé dans le désert mais le hasard de mes visites dans les bibliothèques m'a fait croiser l’œuvre de Lorand Gaspar. A la lecture de ses poèmes, moi le béotien du voyage, bien campé dans mes charentaises, j'ai vraiment vu les ergs et les oasis ce qui m'a fait lui avouer humblement cette incroyable et inattendue sensation que je n'ai pas vraiment retrouver ici. Mais ce n'était pas vraiment le sujet. Quant à l'existence de Dieu qui fait l'objet d'un de mes questionnements intimes, comme sans doute nombre d'hommes, je n'ai guère avancé sur ce sujet à l'invite de ce texte. Peut-être devrais-je moi aussi répondre à cet appel du désert pour avancer sur ce thème ? Il est un fait que l'imminence de la mort incite à se rapprocher de Dieu, on ne sait jamais, surtout si on n'a guère respecté le « pari » du même Pascal. Il y a effectivement une relation entre Schmitt et l'auteur des « Pensées » qui lui aussi frôla la mort avant de trouver Dieu lors de sa « nuit de feu ». La perspective de réaliser un documentaire sur Charles de Foucault contenait sans doute en filigrane ce rendez-vous et cette révélation ? La foi est une chose qui nous est donnée, non pas qui est acquise au terme de je ne sais quelle démarche et j'ai toujours respecté ceux qui avouent être ainsi l'objet d'une telle révélation, en pensant peut-être qu'ils ont eu bien de la chance puisque, après tout, il ne faut négliger aucune aide pour supporter cette vie qui n'est pas un cadeau mais juste un prêt temporaire. Pour lui il s'ensuit une véritable béatitude que ne lui avait pas pas procuré la philosophie. Dans l'histoire, il ne manque pas de ces conversions qui, pour être intimes, n'en sont pas moins spectaculaires. Pourtant, je ne suis pas bien sûr qu'il suffise de se mettre à genoux pour croire, comme l'abbé Huvelin l'ordonna au jeune officier Charles de Foucault qui allait devenir ermite, prêcheur et « bienheureux ».

    E.E. Schmitt avait déjà abordé le thème de la mort et de Dieu dans « Oscar et la dame rose » que j'avais bien aimé (La Feuille Volante nº749). Il s'agissait d'un roman ce qui n'est pas le cas ici. Dans le domaine religieux, ce témoignage ne m'a pas convaincu, partagé que je suis, quand je referme un tel livre, entre le solipsisme et le prosélytisme mais j'ai quand même eu plaisir à le lire à cause du style de l'auteur.

     

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  • LA DETTE

     

    N°987– Novembre 2015

     

    LA DETTE Mike Nicol – J'ai lu.

    Tome 1 de la trilogie « Vengeance »- Traduit de l'anglais (Afrique du sud) par Estelle Roudet.

     

    Mace Bishop, le blanc et Pylon Buso le noir sont les deux héros de ce polar gore qui se déroule au Cap. Ce sont deux anciens mercenaires et trafiquants d'armes pour le compte de l'ANC qui se sont reconvertis pour une retraite tranquille dans la protection d'amateurs de safaris chirurgicaux fortunés. Autant dire qu'ils ont oublié l'emploi de la kalachnikov qui fut longtemps leur outil de travail. Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes s'il n'y avait eu une vieille affaire de dette d'honneur et aussi un petit chantage autour d'un magot planqué aux îles caïmans, ce qui va les obliger à reprendre du service. Ils sont contactés par un ancien compagnon de route, Ducky Donald, le bénéficiaire de cette fameuse dette, dont le fils, Matthew est gérant d'un boite de nuit qui est une plaque tournante de la drogue. Il est menacé par la « Pagad », une association qui lutte contre le trafic de stupéfiants et que représente Sheemina February, une avocate énigmatique et un peu sulfureuse qui est une vieille connaissance de Mace et qui lui rafraîchira la mémoire sur un passé qu'il espérait définitivement enfoui. Tel est point de départ de ce polar rugueux et noir où la violence éclate à chaque page et le suspens est distillé à travers un style minimaliste et un rythme effréné. C'est aussi un portait sombre de cette société sud-africaine pas vraiment meilleure que les autres, loin des clichés touristiques ordinaires. Pourtant la description du Cap est convaincante avec d'un côté les riches quartiers blancs et de l'autre les ghettos où vivent les noirs, pauvres et souvent malades du SIDA. Bref une lecture prenante, dynamique, bien dans le style polar noir que j'ai découverte grâce à  Babelio (« Masse Critique ») et aux éditions « J'ai lu » que je remercie. Peu familier de ce genre, j'ai quand même été un peu surpris mais je respecte la travail de l'auteur.

     

    Les personnages ne manquent pas durant ces 600 pages, ce qui nuit un peu à l'intérêt de ce volume et rend un peu laborieuse sa lecture. Je retiens surtout les femmes et si l'une d'elles est douce maintenant, les autres ne sont pas des plus tranquilles, à la fois déjantées, troublantes, dangereuses ou sexy. Avec eux nos deux lascars vont aller au devant d'ennuis divers qui sont directement issus de leur passé fangeux dont souhaite se souvenir Sheemina. L'auteur nous embarque donc dans des affaires variées depuis l'enlèvement d'enfant jusqu'aux trafics d’armes, de drogue et de diamants mais aussi, pour que le panel soit complet, meurtres, règlements de compte et affaires louches, contrats qui tournent mal y compris la gestation pour autrui au profit de deux homosexuels italiens fortunés, guerre civile, carnaval et terrorisme islamique... ce qui dilue un peu l'attention du lecteur mais maintient le suspens. Nos deux héros étaient des brutes sans scrupules mais l'auteur nous donne maintenant à voir une toute autre image de Mace, ex-baroudeur lovelace devenu père de famille, amoureux de son épouse et qui culpabilise pour l'état de sa fille paralysée.

     

    Quant à cette dette dont on nous parle tout au long de ce roman, nous le saurons qu'à la fin ce qu'il en est, mais partiellement seulement puisque nous avons en mains le premier tome de cette trilogie. Ce serait plutôt une forme de vengeance. C'est quand même une performance d'avoir réussi à parler à son lecteur d'une chose pendant si longtemps et de ne lever partiellement le voile qu'à la fin.

     

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  • LA REPUBLIQUE DU CATCH

     

    N°986– Novembre 2015

     

    LA REPUBLIQUE DU CATCH Nicolas de Crécy - Casterman.

     

    C'est une histoire un peu compliquée des forts contre les faibles, d'un petit bonhomme chauve, Mario, marchand de pianos, au physique de petit fonctionnaire subalterne, qui se cache derrière de grosses lunettes et que son neveu, Enzo, un bébé maléfique qui en fait n'est pas son neveu, veut tuer parce qu'il veut s'approprier sa boutique pour en faire une salle de jeu dans une ville aux faux-airs de New-York. En plus nous avons droit à un manchot pianiste (l'oiseau pas un homme, évidemment), ce qui est assez inattendu, une série de fantômes finalement sympathiques mais relégués dans une usine qui est une sorte de lieu oublié simplement parce qu’ils n'ont pas réussi leur vie (là j'y vois quelque chose que nous connaissons chez nous dans ces banlieues où s’agglutinent les chômeurs), des mafieux italiens peu engageants, des catcheurs costumés comme des super-héros de dessins animés américains, avec poursuites et combats un peu déjantés... Cela tisse un univers assez singulier. On peut donner la signification qu'on veut à cette fiction en forme de bande dessinée et ce d'autant que la fin offre largement la place à l'interprétation personnelle et à la suite qu'on peut soi-même imaginer. Après tout, peut-être y aura-t-il un autre album ?

     

    Je ne suis pas un familier de ce genre de lecture que j'ai cependant tenté dans le cadre de « Masse critique » (merci à Babelio et aux éditions Casterman) mais je n'ai guère été convaincu. Ce que je retiens peut-être c'est une sorte de victoire des faibles sur les forts même si cela ne fonctionne vraiment que dans les romans et bien peu souvent dans la vraie vie. Quant à l'amour que ce pauvre Mario éprouve pour Bérénice la catcheuse, je ne l'ai pas bien senti non plus. Lui ne veut pas mourir sans avoir touché la peau d'une femme et sûrement aussi avant d'avoir fait l'amour mais, elle ne pense qu'à elle, qu'à sa carrière… Cela en revanche je peux le comprendre parce que cela met en évidence des facettes de l'espèce humaine, entre désirs inassouvis générateurs de mal-être, de frustrations et égoïsme.

     

    Mettre en perspective le catch et la musique classique est en revanche une idée intéressante, même si je n'y connais personnellement rien ni en catch ni en musique, quant à la mafia… Il y peu de dialogue, c'est très visuel, un peu comme au cinéma sans histoire très structurée si ce n'est la quête d'un amour impossible. Certains personnages prennent des formes insolites, minimalistes parfois et subissent des transformations assez bizarres, le piano roule et le bébé parle comme un grand et tire au pistolet, ce qui illustre l'imaginaire débordant de l'auteur.

     

    Le graphisme est lui-aussi minimaliste, en noir, blanc et nuances de gris, façon manga (Il me semblait que les mangas japonais se caractérisaient surtout par la dimension des yeux des personnages. Ici apparemment pas puisque Mario se cache derrière d'immenses lunettes rondes qu'il n'enlève épisodiquement que vers le milieu de l'histoire), puisque cette bande dessinée a été conçue pour un éditeur japonais comme l'explique l'auteur en fin de volume.

     

    Je suis certainement passé à côté de quelque chose mais c'est quand même le résultat d'un travail d'auteur.

     

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  • REMONTER L'ORENOQUE

    N°984– Novembre 2015

     

    REMONTER L'ORENOQUE Mathias Enard – Actes Sud.

     

    C'est encore une fois une histoire de triangle amoureux mais pas vraiment le classique vaudeville : mari, épouse, amant. Ici Johanna, jeune et belle infirmière, célibataire est amoureuse de Youri, un chirurgien d'origine russe, mal dans sa peau tandis que Ignacio, également chirurgien, collègue et ami de Youri convoite la jeune femme. Ils travaillent ensemble au bloc opératoire d'un hôpital parisien en pleine canicule de 2003. Johanna est au centre de cette relation amoureuse où Youri, en dehors de la salle d'opération, est au bord d'un gouffre où l’alcool lui tient lieu d'équilibre. Elle est pourtant ensorcelée par lui. De son coté Ignacio est marié à Aude et c'est grâce à Youri qu'il l'a rencontrée. Il est lui aussi désespérément amoureux de Joana qui a recours à lui quand Youri sort de ses gonds et devient belliqueux et même violent. Le jeune praticien est volontiers hautain, condescendant, imbu de lui-même à cause de sa jeunesse, de ses illusions, de sa richesse, de sa fonction de chirurgien et méprise les autres soignants qui lui sont inférieurs et dont Joana fait partie. Il est même pervers puisqu'il pousse la jeune femme dans les bras d'Ignacio qui pourtant, parce qu'il est réservé et trop timide, parce qu'il ne veut pas commettre l'adultère et sait qu'il en vivra jamais avec la jeune femme un amour impossible, n'est pour elle qu'un confident. Elle pourrait être sa fille à cause de la différence d'âge et représente un risque pour sa vie familiale, pour sa carrière qu'il a si patiemment construites, pour son sens de la moralité peut-être qui s'oppose ainsi en lui à cet amour un peu fou. Son désir sera inassouvi. De son côté, Joana est fascinée par Youri au point de s'attacher désespérément à sa personne mais elle finit par fuir cette liaison délétère avec lui et cette promiscuité professionnelle malsaine. Pour cela elle choisit le Venezuela, son pays à elle mais aussi celui d'Ignacio. Elle remonte l'Orénoque, ce fleuve qui traverse le Venezuela d'Est en Ouest, sur un rafiot rouillé qui est à l'image de sa vie et de sa désespérance face à ces deux hommes. Remonter le cours du fleuve jusqu’à la source c'est un peu matérialiser l'impasse de sa vie. C'est comme si à la canicule française répondait la touffeur tropicale vénézuélienne, comme si la débâcle hospitalière due à l’afflux de patients répondait le désordre intime de sa vie, comme si la mort qui rodait dans les couloirs de ces hôpitaux français et de ces maisons de retraite non adaptés évoquait celle de cette femme dont la vie n'a plus de véritable sens hors. Ce voyage est plus qu'un retour aux sources, c'est une retrouvaille avec le père, mais une retrouvaille virtuelle parce qu'elle ne l'a que peu connu. Elle est pleine de fantasme, de souvenirs et d'espoirs. Il y a autre chose aussi, me semble-t-il : Malgré elle, Joana accomplit ainsi son destin de femme. Comme sa mère qui vécu seule à cause de la disparition de son mari, elle fuit Youri et ce faisant elle réincarne cette fatalité. Elle a été orpheline de père et l'enfant qu'elle porte, parce qu'il naîtra et vivra loin de son géniteur, sera lui aussi un enfant sans père. Suivant une règle non-écrite mais implacable, elle reproduira, malgré elle l'exemple que sa mère a vécu et ce même si elle veut l'éviter. C'est à la fois une fuite et une lâcheté pour Joana qui porte en elle la vie et qui fuit Youri et le désir qu'elle a de lui autant qu'elle a la volonté d'échapper à cet homme, à sa folie, « à sa chute loin de lui-même ». Tout cela n'est peut-être que fantasmes, volonté avortée, désir à jamais impossibles parce que nous en sommes que les usufruitiers de notre propre vie.

    Je note encore une fois la dimension un peu longue des phrases qui peut parfois rebuter le lecteur mais qui n'affecte pas la qualité poétique du style.

    Ce roman a fait l'objet d'une adaptation cinématographique par Marion Lainé sous le titre de « A cœur ouvert » en 2012.

     

    Depuis qu'il a obtenu en 2010 le Prix Goncourt des Lycéens « Parle-leur de Batailles, de rois et d'éléphants » (La Feuille Volante n°477), cette chronique suit attentivement Mathias Enard. Il vient de recevoir le Prix Goncourt 2015 pour « Boussole » (La Feuille Volante n°969). J'ai assez dit que ce prix prestigieux avait parfois été attribué à des auteurs qui le ne méritaient pas, aussi ai-je plaisir à saluer cette distinction, accordée au premier tour de scrutin, par six voix sur dix à Mathias Enard dont le talent est ainsi consacré. Je le fais d’autant plus volontiers qu'en même temps son éditeur, Actes sud, qui s'est caractérisé par les choix de publication parfois audacieux et bien souvent judicieux, est aussi distingué. On sort petit à petit de la spirale infernale nommée il y a bien des années par le néologisme« Galligrasseuil » et je trouve cela plutôt bien.

     

     

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  • CELLES DE LA RIVIERE

     

    N°985– Novembre 2015

     

    CELLES DE LA RIVIERE Valérie GearyÉditions Mosaic.

    Traduit de l'américain par Marylin Beury.

     

    Sam, une jeune fille tout juste sortie de l’adolescence et Ollie, encore enfant, jouent au bord de la rivière Crooked. Elles découvrent le cadavre d'une femme flottant entre deux eaux. Les deux sœurs ne s'attendaient guère à ce spectacle qui les bouleverse d'autant plus que cette morte leur rappelle leur mère disparue quelques semaines plus tôt. Depuis, Sam est perdue sans elle mais Ollie est depuis devenue complètement muette comme elle l'avait été quatre ans auparavant à la mort de sa tante Charlotte. A la suite de la découverte du cadavre de la rivière, une enquête et ouverte, menée par l'inspecteur Talbert et dans le pays on se méfie de leur père, un être marginal, surnommé « Ours », qui vivait ans un tipi, ayant abandonné femme et enfants. Pour la police et aussi pour la population de cette petite ville pétrie de préjugés et de rancœurs, il fait figure de coupable idéal. En effet la situation familiale des deux filles était un peu compliquée puisqu'elles n'habitaient plus chez leur père depuis deux ans même si leurs parents n'étaient pas officiellement séparés. Depuis la mort de leur mère elles étaient revenues vivre avec lui. A certains indices les deux enfants finissent par penser que leur père est responsable de l’assassinat de cette femme trouvée dans la rivière et ce d'autant qu'il n'a sûrement pas tout dit. Pour ne pas le perdre comme elles ont perdu leur mère et pour ne pas aller vivre chez leur grands-parents à Boston, elles décident de mentir pour le protéger bien qu'il ait été arrêté comme principal suspect.

     

    Avant que le éditions Mosaic, que je remercie, ne me fassent parvenir ce roman, je ne connaissais pas l’œuvre de Valérie Geary. J'avoue que ce livre m'a quelque peu déconcerté. La page de garde annonce effectivement qu'il s'agit d'un roman mais le premier chapitre donne plutôt à penser que le lecteur va avoir affaire à un « policier ». D'une certaine façon, c'est un peu le cas puisqu'il y a un meurtre, sauf que les fonctionnaires de police font montre d'une particulière inexistence. Les investigations, d'ailleurs fort rocambolesques, sont menées par Sam elle-même qui ne croit pas à la culpabilité de son père, avec toute la naïveté et la spontanéité de l’adolescence dans laquelle elle entre. Et bien entendu en toute illégalité ! Elle est, en cela soutenue, un peu malgré elle cependant, par Ollie qui, bien que muette est adepte des sciences paranormales correspond avec des fantômes et des esprits. Elle voit et entend des choses que les autres personnes autour d'elle ne perçoivent pas. Le roman est assez bizarrement construit qui donne la parole alternativement à Sam et à Ollie et c'est à travers leurs yeux et leurs craintes intimes, leurs rêves, leurs visions que se déroule ce récit. Je veux bien que ceux qui ont perdu un être cher soient l'objet d'hallucinations mais quand même ! Le lecteur découvrira ce récit émaillé de mensonges, de secrets, de on-dit et de non-dits, ce qui épaissit grandement le mystère qui entoure la personnalité d'Ours...

     

    La lettre d'accompagnement indique que ce roman doit beaucoup à la propre histoire de l'auteure. J'avoue que ce détail me laisse dubitatif, entre autobiographie et imagination créatrice. Je note cependant que ce roman m'a tenu en haleine jusqu'à la fin avec un sens particulier et vraiment peu ordinaire du suspens. Il est bien écrit (bien traduit?) et procure une lecture fluide et fort agréable. Au début, certes l'auteure présente les personnages et définit l'intrigue mais il y a des longueurs dues notamment à des descriptions de la nature environnante, des abeilles, ce qui dilue un peu l'attention. J'ai lu ce roman comme un récit initiatique dramatique pour les deux filles qui ainsi quittent l'enfance et entrent de plain-pied dans le monde brutal des adultes. C'est aussi une sorte de deuil de la famille, l'absence de leurs parents que cette histoire raconte pour les deux filles. A titre personnel, je communie à ce genre d'épreuve qui marque durablement l'existence future de ceux qui la vivent. Pour autant l'épilogue lui aussi m'a un peu déconcerté.

     

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  • NEVERHOME

    N°983– Novembre 2015

     

    NEVERHOMELaird HUNT - Actes sud.

    Traduit de l'américain par Anne-Laure Tissut.

     

    Nous sommes pendant la guerre de Sécession aux États-Unis et Constance, habite avec son mari Bartholomew dans une ferme de L’Illinois où ils vivent ensemble un bonheur tranquille. Cette guerre réclame la présence sous les armes de cet homme, faible de constitution et qui n'a vraiment rien d'un soldat. Parce qu'elle est dotée d'une forte stature, qu'elle n'a peur de rien, qu'elle sait tirer au fusil, elle se travestit en homme, revêt la tunique bleue de l'armée du Nord et part sous le nom de Ash Thompson. Cette femme est présentée comme un être robuste et son mari comme quelqu’un de fragile.

     

    C'est là une décision qu'elle prend pour remplacer Bartholomew qu'elle aime à la folie. Elle va donner le change dans cet univers de combattants masculins, acquiert même le surnom de « Gallant Ash », Ash le galant, pour avoir donné sa veste à une jeune fille dont le corsage était déchiré, va rencontrer le fantôme de sa mère morte avec qui elle entretient une conversation permanente et intime, gagnera l'estime de tous ces hommes, souvent des soudards, qu'elle surpasse largement en valeur humaine et en qualités militaires, mais toujours en tant « qu'homme ». Elle se révèle en effet être un excellent « soldat », rusé et courageux et sa bravoure va même jusqu'à être connue dans le camp d'en face où on sifflote « La ballade de Galland Ash ». Tout au long du récit, elle va raconter à son mari resté à la ferme, dans des lettres, son épopée guerrière avec ses scènes de combat et ses drames.

     

    Dans les armées de cette époque, il y a toujours eu des femmes qui suivaient les régiments dont elles assuraient l'intendance comme cantinières ou blanchisseuses. Ici, c'est différent et j'avoue que, au début, je n'ai pas tellement cru à cette mascarade d'une femme qui se fait passer pour un homme et combat sous l'uniforme pendant cette guerre civile sans que personne ne s'en aperçoive. Compte tenu des circonstances, on ne devait pas être très regardant sur la procédure d'incorporation, particulièrement sur la visite médicale, et tout engagement était bon à prendre. Pourtant, il semblerait que selon les recherches effectuées, d'autres femmes firent cette guerre, déguisées en hommes. Le roman indique en effet que Constance en rencontre quelques-unes. Pourtant cette situation n'était pas vraiment idyllique et il fallait que ces femmes soient effectivement solides parce que non seulement elles affrontaient les balles, la faim, la peur, mais quand elles étaient découvertes, quand leur subterfuges était dévoilé, elles étaient lourdement punies comme ce roman le révèle. On accuse en effet Constance d'être une espionne, on l'emprisonne, on l'humilie par des corvées dégradantes et on menace même de la pendre. Ce livre est donc un hommage qui leur est rendu d'autant que l'histoire, les hommes, ont cherché à effacer ces actions individuelles dans la mémoire collective. Après tout, même si la guerre est traditionnellement une affaire d'hommes, dans tous le conflits les femmes ont su prendre leur part en luttant pour leurs convictions.

     

    J'ai lu ce roman comme une épopée mais aussi comme une formidable histoire d'amour de cette femme pour son mari. Non seulement elle le remplace dans ce conflit, risque sa vie dans cette lutte fratricide, mais cet acte héroïque n'est pas une fuite puisqu’elle entretient avec lui une correspondance suivie et lui renouvelle à chaque fois son attachement et son amour.

     

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  • LA PETITE BARBARE

    N°982– Novembre 2015

     

    LA PETITE BARBAREAstrid Manfredi - Belfond.

     

    Ce que nous décrit cette « Petite Barbare » dont nous en connaîtront pas le nom c'est un univers de banlieue dans tout ce qu'il a de plus sordide, entre chômage, alcoolisme, vie étriquée, huissiers... Rien que le surnom de la narratrice nous donne une idée de ce qui va suivre. Quand on est une jolie fille un peu paumée, on est une proie facile pour les petites frappes de cet univers fait de violence, de drogue, de prostitution et il ne manque pas de minables caïds ou prétendus tels qui prospéreront dans cette marginalité pour profiter d'elle. Ainsi, dès le collège, à treize ans, exerce-t-elle ses « talents » de future tapineuse sous l'égide d'Esba, dit « le Prince noir », sorte de minable Janus qui gouverne un gang où vont rapidement se développer la drogue, l'argent facile, la prostitution, les trafics en tous genres et bien entendu le meurtre. Et tout cela au nom d'Allah ! C'est tout à fait dans l'air du temps mais il me semble que faire souffrir et tuer au nom de Dieu, que ce soit sous couvert du Djihad ou de l'Inquisition, m'a toujours paru surréaliste et ceux qui s'en sont rendus coupables, qu'on a sanctifiés ou qu'on envoie au Paradis, restent des criminels. La pauvre petite est tellement naïve qu'elle accepte de servir « d’appât » et c'est elle qui paiera pour tout le monde et fera de la prison (la couverture du roman est assez subjective qui donne à voir, d’une manière stylisée deux mains crochues symbolisant cette spirale). C'est depuis sa prison qu'elle écrit, qu'elle évoque cette enfance volée, cette adolescence difficile, tout un univers de désamour, de délinquance familiale, la honte de n’être pas comme les autres filles des quartiers bourgeois quand, d'aventure elle est invitée pour un anniversaire. Alternativement, elle raconte cette vie en taule, comme elle dit, et les fantasmes qu'elle fait naître chez les gardiens et chez le directeur. Elle ressasse ses erreurs, ses espoirs, son appétit de lire, Marguerite Duras et Boris Vian, et de rêver à un autre monde que celui dans lequel elle vit. Elle va donc imiter ce processus qui peut toujours être une thérapie, une catharsis. Elle exprime avec des mots bien à elle cette haine de la société autant que son rejet du système carcéral.

     

    Cette histoire nous rappelle par bien des côtés la réalité quotidienne de ces banlieues autant que des affaires judiciaires qui ont émaillé ce qu'on a du mal a appeler des « faits divers ». Elle souhaite même, à sa sortie de prison, s'amender par un travail régulier et officiel dans une librairie, en tissant des espoirs pour son livre. En ce sens ce roman est plutôt bienvenu parce qu'il rend compte d'une société faite de plus en plus de violence et de peu d'espoirs. Le livre refermé, il me reste une sorte d'impression bizarre. On a parfaitement le droit de dénoncer les insuffisances , les vices et même les tares de notre société, et dans ce registre il y a de l'ouvrage mais, à mon avis, quand on choisit de le faire sous la forme littéraire, on se doit de bien écrire c'est à dire de servir correctement notre belle langue française. C'est vrai que certains auteurs, ex-prisonniers, ont fait ce parcours littéraire et se sont révélés des écrivains de qualité. Il m'est arrivé dans cette chronique de célébrer leur talent. Certains ont même été à l'origine de la création de mots mais ici, je n'ai rien lu de semblable sinon des propos orduriers qui ne m'ont point fait rêver. Je m'attendais à autre chose, surtout à la lecture de la 4° de couverture et des critiques dithyrambiques qui ont accompagné la sortie de ce roman. J'ai été largement déçu.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA COULEUR DE L'AUBE

    N°981– Novembre 2015

     

    LA COULEUR DE L'AUBE - Yanick Lahens – Sabine Wespiesser éditeur.

     

    Ce sont deux jeunes femmes, Angélique et Joyeuse qui alternativement s’expriment tout au long de ce texte. Angélique, l’aînée, est sage et soumise, vouée à Dieu et à ses ses malades de l’hôpital, travailleuse et aidante pour sa mère, partage avec son frère et sa sœur une petite maison dans les faubourgs de Port-au-Prince. Joyeuse est tout le contraire, belle et rebelle, sensuelle et sexuelle, gourmande de vie, elle est vendeuse dans une boutique de luxe et attend qu'un homme s’intéresse vraiment à elle et aspire à une vie meilleure malgré la misère et la violence qui font son quotidien. Fignolé, leur frère, qui ne vit que pour la musique, est incapable de s'insérer dans la vie en dehors du parti des Démunis où il milite et qui semble être sa boussole. Il n'est pas rentré de la nuit et l'aube angoisse Angélique qui n'a cessé d'entendre des tirs dans le lointain à cause d'une émeute contre le gouvernement. La mère est vouée au vaudou dans cette famille monoparentale que le géniteur, un homme « rusé et vantard » a quitté depuis longtemps.

    Il y a d'autres personnages dans cette vie, le pasteur Jeantilus dont nous parlera Angélique mais aussi John, l'Américain, le journaliste-humanitaire qui a choisi leur famille pour réaliser une œuvre charitable mais qui n'est pas vraiment accepté et qui ne réussit pas dans son entreprise à cause de son arrogante utopie face à un peuple noir qu'il considère comme inférieur. Gabriel, le fils d'Angélique, témoin de tout cela et qu'elle considère comme responsable de sa solitude. Tout en attendant un homme, un mari, elle élève son fils dans la crainte de Dieu, loin de l'exemple de sa parentèle, coincée entre superstition, utopie et légèreté. Pourtant, elle porte cette maternité comme une faute, victime d'un homme disparu, comme pour sa mère avant elle. Fortuné qui, en vrai caméléon, s'adapte aux circonstances au détriment des autres, Ti-Louze, la bonne noire, Mme Jacques qui illustre la classe qui domine l'île...

     

    C'est donc un récit à deux voix d'où sourd une sombre angoisse qui est déclinée à travers ces deux voix de femmes, deux monologues alternatifs. Il s’inscrit dans l’unité de temps d'une seule journée pendant laquelle se déroulera cette enquête familiale de ces trois femmes pour retrouver ce fils et aussi une sorte d'unité d'action qui se décline dans les trahisons politiques, les enlèvements, le chaos, la violence quotidienne d’Haïti vouée à la violence et à la mort mais aussi dans l'appétit de sensualité.

     

    Le style est simple, sensuel, dépouillé, poétique [J'ai même lu certains passages à haute voix pour goûter la musique des mots]. Pour l'auteur l'écriture est une thérapie dans cet univers douloureux qu'est celui de son pays. Elle en porte un témoignage littéraire, émouvant et révélateur de la réalité politique et économique d’Haïti.

     

    Après la lecture de « Bain de lune »- Prix Fémina 2014 (La Feuille Volante n°855) qui m'avait bien plu, j'ai lu ce roman comme une fenêtre sur la culture haïtienne, la religion chrétienne d'Angélique, fortement teintée de superstition noire et le vaudou et ses rites de sa mère, mais aussi sur son quotidien fait de misère et de violences du clan Duvalier. J'y ai lu la beauté et la sensualité des femmes caribéennes, la déliquescence d'une société en train de mourir entre la violence, la drogue et la mort.

     

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  • Le rire du grand blessé

    N°980– Octobre 2015

     

    Le rire du grand blessé - Cécile Coulon -Éditions Libra diffusio.

     

    Imaginez un pays imaginaire où le système social serait basé sur l'ignorance et le divertissement. En effet personne ne sait lire mais prend du plaisir à écouter en lecture publique un « livre-frisson ». Bien entendu tout cela est entièrement contrôlé par le pouvoir et se passe lors de manifestations que surveillent, dans des stades des gardes eux aussi illettrés. Cela a pour but non seulement de contrôler la production littéraire mais aussi de ménager pour le peuple des instants, assez courts d'ailleurs, de défoulement public. L'un d'eux, dont le nom est remplacé par un numéro (1075) vient de la campagne et souhaite intégrer cet organisme de surveillance. Il est costaud et parfaitement ignare ce qui fait de lui un candidat idéal. Effectivement, on le transforme en automate à condition qu'il n'apprenne jamais à lire. Il devient l'élite de cette garde prétorienne mais est un jour mordu gravement par un molosse qui accompagne les gardiens. A l’hôpital où il est soigné, le hasard le met en contact avec un groupe d'enfants et il entend pour la première fois le mots « alphabet » et « dictionnaire » qui font naître chez lui un désir d'apprendre. Lui qui était différent des autres, qui était le symbole parfait de cette société, en devient la déviance. Il apprend à lire et se cache même pour cela et Lucie Nox, qui ressemble à «Big Brother » qui sait tout et voit tout le perce à jour. La paix intérieure que pouvaient ressentir les analphabètes qui apprenaient à lire est insupportable pour le système mais c'est bien ce qu'il ressent. Lucie pourtant quelqu’un de compréhensif qui ne le dénoncera pas aux autorités parce qu'ainsi elle avouerait la faillite de son programme et peut-être aussi la fin de son parcours professionnel. Leurs carrières à tous les deux est assurée par cette sorte de secret. 1075 sera promu, deviendra tout puissant au sein du système.

     

    C'est une fable, parfois grinçante parfois inquiétante qui décrit cette société très hiérarchisée et encore plus déshumanisée et on se dit qu'on a peut-être échappé à cela. Voire, cela peut ressembler par certains côtés à nos sociétés dites libres.

    En lisant ce genre de roman on a imperceptiblement des références à « 1984 » de George Orwell, à « Fahrenheit 451 » de Ray Badbery et même du roman « Les hommes frénétiques » du très classique Ernest Perochon, autant de dystopies qui mettent en garde le lecteur contre les déviances possibles des régimes totalitaires gouvernant la société. Après tout, rien n'empêche un écrivain d'exprimer ainsi ses peurs, de les mettre en scène sous la forme d'un d'exorcisme. Ces romans sont parus au milieu de XX° siècle et ont eu des formes d'illustrations dans les années qui ont suivi. Je ne suis pas bien sûr que ce roman n’empreinte pas quelques-unes de ses scènes à notre société, moins dans le domaine de la lecture publique que dans celui du sport ou de certains spectacles par exemple. Quant à la destruction des livres anciens, je crois que nous l'avons déjà rencontrée dans les autodafés nazis qui brûlaient les ouvrages prohibés en favorisant ceux recommandés par le régime. C'est l'image de toutes les censures que nous avons connues, y compris en France, sans oublier « l'Index » longtemps en vogue dans l’Église catholique. Quant au matraquage publicitaire des nouveautés littéraires, et pas seulement, il génère souvent des scènes de « fièvre acheteuse » un peu délirantes chez nos concitoyens.

     

    Le système d'espionnite et de délation, il me semble qu'il existe déjà et qu'il est même largement répandu notamment dans le monde du travail ou de surveillance sur la voie publique par le biais des caméras. La solitude des membres de cette société me paraît s'apparenter à celle que nous connaissons malgré les réseaux sociaux, les occasions de plus en plus nombreuses se rencontrer…Le fait que 1075 prenne conscience de la vacuité de son existence et la combatte par la lecture, je trouve cela plutôt bien et ce n'est pas moi qui dirait le contraire. La lecture a toujours correspondu à un éveil de la conscience. Son attitude est alternativement celle d'un homme qui veut tout faire pour réussir,

     

    Le livre refermé, je suis perplexe autant par l'histoire racontée que par ce qui peut lui tenir lieu de morale. Un conte philosophique, oui peut-être ?

     

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  • Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran

     

    N°979– Octobre 2015

     

    Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    Finalement il n'est pas mal ce petit, Moïse, Momo comme l'appelle Ibrahim, l'épicier arabe de la rue Bleue, le seul arabe de la rue juive. A 13 ans il casse sa tire-lire pour aller aux putes, c'est sa façon à lui d'être baptisé et d'être un homme. Il y a pire comme rite de passage même s'il se sent bien seul. C'est sans doute un peu prématuré, mais il grandit plus vite que les autres enfants de son âge, puisque son père, un avocat sans cause, est viré du cabinet où il travaille et le quitte comme sa mère et son frère l'avaient fait auparavant. Sa solitude s'aggrave encore, mais il décide de faire semblant que son père est toujours avec lui, mais quand même, c'est un sacré coup… et ce n'est que le début ! Sur les conseils avisés de son ami, il apprend même à sourire et cette arme bien pacifique se révèle efficace et lui ouvre bien des portes qui auparavant lui étaient fermées. Heureusement qu'il a M. Ibrahim qui lui donne un Coran, ce qui, à un juif, est un cadeau assez original. Ce qu'il l'est encore plus c'est que son ami arabe ne lui parle pas comme un religieux mais comme un homme simple et bon qu'il est. Momo, le juif, devient Mohammed aussi naturellement que cela.

     

    J'y ai lu une fable sur la tolérance, l'acceptation de l'autre tel qu'il est et non pas tel qu'on voudrait qu'il soit, comme un récit initiatique du passage de l'enfance à l'âge adulte, avec pas mal d'aphorismes sérieux et d'autres moins. Cela se veut drôle mais je ne suis pas bien sûr que cela le soit vraiment, à force de nous répéter que la vie est belle, qu'elle n'est pas triste (comme c'est écrit sur la 4° de couverture) on peut le croire, mais on n'est quand pas obligé parce que tout cela, c'est dans les romans seulement. C'était plutôt une bonne idée de nous raconter cette histoire en mélangeant à la fois les générations ( le vieil homme et l'enfant ) et les religions (le juif et l'arabe) mais ce conte philosophique, même s'il est plein d'enseignements et de bon sens, me paraît un peu trop optimiste, bien loin de la réalité, de la vraie vie...

     

    C'est bien écrit, agréable à lire, poétique, émouvant parfois, humoristique souvent, plein d'un espoir un peu surréaliste, une manière de leçon de vie un peu trop idyllique. Au début, je m'attendais à autre chose ... Dans cette longue nouvelle, l'auteur renoue avec le thème de la mort, celle d'Ibrahim qu'il oppose à la vie, celle de Momo. Elle continuera celle de son ami. Eric-Emmanuel Schmitt les décline dans le cadre d'une fable qui emporte l'adhésion du lecteur même s'il garde à l'esprit qu'il est dans une fiction. Personnellement, de part mon expérience, je ne partage pas sa vision de la vie, pour autant, j'ai été conquis par son talent de conteur et je continuerai à faire perdurer, dans la cadre de la découverte de son œuvre, cette agréable sensation d'être ailleurs. Cela me réconciliera peut-être avec l'espèce humaine, sinon, tant pis pour moi !

     

    J'ai abordé l’œuvre d'Eric-Emmanuel Schmitt avec « L'enfant et la dame rose » (La Feuille Volante n°749) et j'avoue que cela m'avait bien plu.

     

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  • VENUS D'AILLEURS

    N°978– Octobre 2015

     

    VENUS D'AILLEURS Paola Pigani -Éditions Liana Levi.

     

    Mirko et Simona sont Albanais et frère et sœur, tout juste âgés de 20 ans. En cette fin du XX° siècle, ils viennent du Kosovo déchiré par la guerre. En passant par l'Italie et par un centre de transit en France, ils connaissent toutes les étapes et les épreuves que doivent traverser les réfugiés puis s'installent à Lyon où ils trouvent du travail, elle dans un magasin de vêtements, lui sur les chantiers. Le frère et la sœur ne se ressemblent pas, Simona est combative, ne s'en laisse pas compter, noue des amitiés, ne manque pas une occasion de s'affirmer et souhaite surtout s'intégrer. Elle veut faire oublier qu'elle est « une fille de l'Est » tandis que lui vit plutôt dans la nostalgie de son pays et exprime son désarroi dans des graffs, malgré la violence et la racisme qui hantent ces lieux, mais pas seulement. Elle s'implique plus que lui dans l’apprentissage du français qui est le gage d'une intégration réussie.

     

    C'est dans ces endroits un peu flous que fréquentent les graffeurs que Mirko rencontre Agathe et un amour fragile naît entre eux.

     

    Cette histoire est rendue par petites touches parfois poétiques. Le problème qu'elle soulève est évidemment d'actualité mais j'avoue y être entré difficilement. J'ai, en revanche, été sensible à un personnage secondaire qu'est celui du bouquiniste, une sorte de marginal sympathique qui propose à Mirko de découvrir le français à travers les livres de Blaise Cendras et de Prévert qu'il lui donne. C'est plutôt une bonne école et un belle approche de notre langue, il lui parle d'une autre guerre, la deuxième, de la Résistance dont Lyon fut un haut-lieu, lui offre un vieil atlas comme pour lui dire que nous appartenons tous au monde.

     

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  • PORTRAIT D'APRES BLESSURE

    N°977– Octobre 2015

     

    PORTRAIT D'APRES BLESSURE Hélène Gestern -Arlea.

     

    Olivier est professeur d'histoire à l'université mais actuellement en disponibilité pour produire, à la télévision, des « émissions historiques ». Il forme avec sa compagne, Karine, hôtesse de l'air, un couple atypique mais qui bat de l'aile. Héloïse, plus réservée et érudite est responsable du département « Mémoire et Patrimoine » du Ministère de la Défense. Elles est mariée à Yves, un ingénieur aéronautique, souvent en déplacements et ils forment ensemble un couple tranquille et sans enfant mais au bord de l'ennui. Héloïse est devenue, presque naturellement la collaboratrice d'Olivier. Un matin, ils prennent le métro ensemble et une explosion se produit qui blesse gravement Héloïse qu'Olivier a réussi à dégager des décombres. Au moment de leur évacuation, ils sont en état d’extrême vulnérabilité ; Héloïse est à demi dénudée et quelqu’un prend une photo qui au nom du droit à l'information mais surtout pour satisfaire le voyeurisme médiatique, va être diffusée sur internet et dans la presse du monde entier. La posture donne même lieu à des commentaires et des extrapolations déplacés. Pour des raisons différentes la déstabilisation s'installe dans les deux couples à cause de cette photo alors que les autorités s'attachent davantage à l'enquête sur cet acte terroriste.

     

    Au delà de l'histoire longue et qui s'inspire de la réalité, ce texte où parlent alternativement Olivier et d’Héloïse, cède progressivement la place à d'autres personnes qui s’expriment elles aussi directement, me paraît poser plusieurs questions. La première est sans contexte le « droit à l’image », cher aux juristes mais c'est une théorie, un principe juridique qui ne pèse pas grand chose, dans une société qui s'en nourrit chaque jour davantage et surtout dans une action en justice, aléatoire et perdue d'avance. Le pouvoir de cette photo, souvent volée, parfois truquée sans vergogne pour être plus émouvante et accompagnée de titres racoleurs, décuplé par internet (On sait les ravages qu'a pu faire le cyber-harcèlement, notamment chez les adolescents), transforme bien souvent le photographe plus soucieux de la réaliser sur le vif que de porter secours aux victimes, en un complice actif de ce marché où elle fera vendre du papier.(Je ne parle pas du chantage qui va avec). En prenant son cliché, en faisant son métier, il oublie délibérément les dégâts qu'ils peut occasionner dans la vie de ceux qu'il vient de photographier. C'est un véritable viol par objectif interposé. La liberté de la presse, le droit à l'information « à tout prix » auxquels nous sommes si attachés et au nom desquels, devenus des consommateurs effrénés d'images et même des voyeurs, nous abandonnons volontiers les convenances, la rationalité et la maîtrise de soi issus de notre éducation, et ce même si nous prenons la précaution de déguiser cela sous l'hypocrite compassion, se transforment en une force magnétique à laquelle nous résistons difficilement. Il y a certes, dans ces circonstances, et c'est plutôt rassurant, des actes héroïques individuels, mais quand même. Ce droit à l'information passe souvent par l'image qui tire en partie sa légitimité et son utilité de l'histoire qui, bien souvent, est contestée dans ses moments les plus tragiques. Il est vrai aussi que les photos portent témoignage, éveillent les consciences, sans elles l'information n'existerait pas. Le travail que mène Olivier à la télévision tourne lui aussi autour de l'image et il prend conscience, à travers cet événement qui le touche de près, qu'il est lui aussi complice de la force de ces clichés qu'il exploitait auparavant sans le moindre scrupule. Pris par le sérieux de sa recherche il n’accordait pas à ceux dont il publiait les photos le respect qu'il revendique maintenant pour lui-même. On comprend que ce paradoxe, né de cette prise de conscience et face à l’hypocrisie journalistique ordinaire , soit dur à vivre pour lui.

     

    L'autre question est plus intime. Le couple Yves/Héloïse est présenté comme sans histoire. On imagine qu'ils se disent tout, ne se cachent rien de leur vie professionnelle, or nous savons que cette dernière est bien souvent la cause de nombreux divorces, l'honnêteté et la confiance étant deux des principaux ciments du mariage. Ici, cette photo et les commentaires qu'elle inspire donne forcément à penser, même s'il n'en était rien, qu'Olivier et Héloïse avaient alors une liaison et qu'une amitié entre un homme et une femme ne peut pas ne pas se terminer par une passade. Dans ce contexte, il ne faut surtout pas rechercher compréhension ou réconfort auprès de la famille; c'est souvent de là que viennent les pires coups auxquels d’ailleurs on ne s'attend pas et les unions, même les plus solides résistent rarement à ce genre d'épreuves.

    Le style est simple,sans fioriture, efficace et l'épilogue conclut à sa manière cette réflexion sur l'image.

     

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  • LETTRES A MA MERE

    N°976– Octobre 2015

     

    LETTRES A MA MERE Présentées par Didier Lett - Le Robert.

     

    Les relations que les enfants ont avec leur mère sont complexes. Cette femme leur a certes donné la vie mais les véritables liens se tissent entre eux au cours de leur existence en fonction des choix opérés, de l'éducation, de la place de chacun au sein de la famille, des préférences affichées ... Bien entendu, ils sont différents en fonction du sexe des enfants, de leur sensibilité, de l'attitude des parents. Les différentes civilisations ont mis en exergue ces liens. Il y a sur ce sujet tout une littérature abondante, d'ailleurs contradictoire, présentant la mère soit comme un être qui se sacrifie pour ses enfants soit un monstre d’égoïsme qui au contraire ne pense qu'à ses intérêt au détriment de sa propre famille. La mère est un personnage qui a été souvent idéalisé mais abusive, aimante, directive ou possessive, ce sont là bien souvent des qualificatifs qui s'attachent à cette mère qui inspirent à ses enfants de l'amour autant que de la haine. Les termes de ces correspondances filiales en font foi, soit touchants et tendres, soit formels, pleines de rancœurs, de reproches ou d'incompréhensions. Elles sont le reflet de la vie et de ces liens familiaux difficiles ou passionnés. Correspondances de gens célèbres ou de quidams, lettres ordinaires ou de guerre, quand la mort menace, qu'on attend une consolation pour un déboire amoureux ou un deuil, qu'on demande des conseils, de l'argent, des encouragements ou qu'on y exprime ses regrets de l'enfance, c'est souvent à sa mère qu'un enfant s'adresse[dans ce choix de Didier Lett, le père est souvent mort prématurément]. Les échanges épistolaires entre mère et fille adolescente sont parfois durs et marquent ainsi la différence de génération, mais quand les combats font rage et que la mort rôde pour les soldats, c'est bien souvent leur mère qu'ils appellent. Malgré des liens familiaux difficiles, les enfants remercient souvent leur mère pour ce qu'elle a été, pour l'éducation, l'exemple et l’amour qu'elle leur a donné.

     

    Les lettres que Didier Lett a colligées sont majoritairement écrites à leur mère par des fils ayant atteint un certain âge, rares sont celles qui émanent d'une fille ou plus rares encore, celles écrites par une mère à son enfant. Ce choix est révélateur puisqu'on a toujours privilégié dans l'histoire épistolaire les lettres masculines et d'adultes au détriment de celles des femmes, des filles et des jeunes enfants. Ces lettres sont aussi principalement récentes mais certaines autres, plus anciennes, permettent de se faire une idée des mœurs, des croyances, du mode de vie, des relations familiales, de la culture de leur époque, c'est une véritable chronique vivante. Il y est souvent question de séparation entre une mère et sa fille, éloignée d'elle par le mariage comme chez Mme de Sévigné ou chez Léopoldine Hugo. On connaissait l'attachement d'Antoine de Saint-Exupéry à sa mère, plus étonnant sans doute sont les liens qui unissaient Le Corbusier à la sienne. C'est Robert Brasillach, écrivain collaborationniste, recherché à la Libération qui se livre pour que sa mère soit délivrée par la Résistance qui la retient captive. Plus surprenante encore est cette lettre de Simenon à sa mère, décédée quelques trois an plus tôt où il déplore l'absence de liens entre eux, même s'il lui reconnaît des qualités. Étonnant, quoique bien en accord avec son personnage, est ce témoignage de Depardieu pour sa mère qu'il appelle « La Linette » et malgré tout émouvant est son aveu.

     

    Entre les hommes et les femmes, l'amour, surtout s'il se décline dans le mariage, est une chose fongible et consomptible. Dans ce recueil, obtenu dans le cadre de « Masse critique », ce dont je remercie Babelio et les éditions Le Robert, les lettres publiées montrent que l'appartenance à une famille ressert ce lien. Le fait pour une femme de donner la vie à des êtres qui n'ont pourtant rien demandé, c'est à dire de les projeter dans un monde hostile et, bien souvent de les charger de poursuivre l’œuvre parentale jusque dans la progéniture, lui donne une dimension différente. La filiation qui en résulte crée un attachement particulier entre une mère et son enfant, ce dernier trouvant souvent les mots pour l'exprimer simplement tout en craignant de ne pas être à la hauteur des espoirs qu'on a mis en eux. Qu'elle soient griffonnée sur un bout de papier ou sur un riche vélin, une missive est toujours, à mon avis, un moment fort, plus qu'un SMS ou qu'un e-mail plus communs aujourd'hui, parce qu'on peut la toucher, la sentir, la plier, la garder… On confie à la feuille blanche qui est pourtant un fragile support, surtout au pas de la mort, et en quelques mots, tout ce qu'on n'a pas pu dire avec de longs discours tout au long de son parcours sur terre. C’est une ultime trace laissée dans cette vie dont nous ne sommes que les modestes usufruitiers.

     

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  • GLOSE

     

    N°975– Octobre 2015

     

    GLOSE Juan José SaerLe Tripode.

    Traduit de l'espagnol par Laure Bataillon.

     

    Nous sommes quelque part dans une ville d'Amérique du sud, le 23 Septembre 1961 et Angel Leto comptable de son état, mal dans sa peau, décide sans raisons apparentes de se promener en ville au lieu de se rendre comme chaque jour à son bureau. Chemin faisant, il rencontre une vague connaissance, le Mathématicien, homme athlétique en costume blanc et fort élégant. Ensemble, ils évoquent l'anniversaire des soixante cinq ans du poète Washington Noriega, fête à la quelle ni l'un ni l'autre n'ont assisté, Leto parce qu'il n'y était pas invité, le Mathématicien parce qu'il était en voyage en Europe. Ce dernier évoque pour Leto cet anniversaire à travers la relation que lui en a fait un certain Bouton. Ainsi chacun cherche-t-il à « gloser », c'est à dire à commenter un fait dont il n'a pas eu personnellement connaissance. En réalité il ne se passe rien d'autre que ces bavardages, parfois médisants au termes desquels, plus on avancera dans la lecture de ce roman, moins on en saura, puisque les événements de cette soirée sont constamment parasités par leurs souvenirs personnels ! Le Mathématicien vit mal ses contradictions de classe et ne prise guère ceux qui appartiennent à la sienne. Leto, quant à lui est obnubilé par le suicide de son père. Dans cette relation pleine d'extrapolations plus ou moins surréalistes, il est un peu question de tout, comme du faux-pas d'un cheval ou de cette histoire de moustiques. Ainsi chacun donne son avis, fait des commentaires personnels, malvellants ou empreints d'une certaine mauvaise foi mais qui n'ont rien à voir avec le sujet qui les occupe puisqu'aussi bien nous avons là une somme de digressions, de résumés, de rappels, de reconstitutions de l'événement. Cela peut être passionnant ou carrément barbant, c'est selon.

    A cette heure la ville est particulièrement animée et la circulation est dense et des incidents vont venir troubler la narration des promeneurs. Cela ne les empêche pas de rencontrer Carlos Tomatis, un journaliste vantard qui va également donné sa version des faits et bouleversera les certitudes de nos deux marcheurs. Une autre version sera aussi donnée par un ami du Mathématicien qui lui racontera dix huit ans plus tard dans les rues de Paris, il pense à une autre fête qu'il regrette.

     

    Ce roman s'articule en trois parties qui en correspondent finalement qu'à la distance parcourue par les marcheurs (Les premiers sept cents mètres, les sept cents mètres suivants, les derniers sept cents mètres). Cette partition peut donner l'impression au lecteur qu'il s'agit d'un récit linéaire fort long par ailleurs mais ce n'est qu'une illusion puisque ces 300 pages du roman ne représentent en réalité qu'une heure de la vie de ceux dont il est question . A travers le passé et l'avenir ici évoqués, il est surtout question de la vie de Washington Noriéga à travers l'histoire de l'Argentine… C'est un véritable parcours labyrinthique

     

    Qu'est ce à dire en réalité ? Que la réalité est relative, les témoignages sujets à caution et parfois partiaux et contradictoires. La vie peut être regardée comme quelque chose d'instable, de chaotique et l'imagination quelque chose qui n'a pas de limite. En tout cas ce récit qui n'en n'est pas vraiment un emporte l'adhésion du lecteur par le style débridé des phrases

    Est-ce un exercice de style à la Queneau ou un récit aussi déjanté que celui que Perec nous offre dans « Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour » ? Cela m'a paru à moi comme quelque chose que j'aurais peut-être envie de poursuivre, dans une sorte d'écriture aussi déjantée que celle de l'auteur si, bien entendu, j'en avais le talent ou l'imagination, « n'est ce pas », comme dirait l'auteur.

     

    Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE BOXEUR POLONAIS

    N°974– Octobre 2015

     

    LE BOXEUR POLONAIS Eduardo Halfon- Quai Voltaire.

     

    Ce sont deux nouvelles assez courtes qui comportent ce recueil. De l'aveu même de l'auteur, c'est un genre littéraire dans lequel il s'exprime le mieux. Il me paraît important de commencer par la seconde au terme de laquelle cet écrivain guatémaltèque , juif polonais d’origine, ayant faut ses études aux États-Unis est invité à un colloque qui a pour thème « La littérature écorche la réalité ». C'est une formule assez sibylline qui, au milieu des insomnies qu'elle lui procure, lui fait penser à un film de Bergman. Il en vient à s'interroger sur l'interdépendance de la réalité et la littérature et conclue que cette dernière est, à ses yeux, synonyme de destruction puisque l'écrivain, même s'il souhaite en rendre compte avec précision, l'oublie. Cela l'amène à se remémorer une histoire que son grand-père lui racontait alors qu'il était petit. Le vieil homme lui révéla que le numéro tatoué sur son avant-bras était en réalité son numéro de téléphone qu'il ne parvenait pas à se rappeler. Plus tard, alors que son petit-fils a grandi et qu'il l'interviewe, le vieil homme lui parle du camps d’Auschwitz où il devait être exécuté. La veille, le hasard lui fait rencontrer un boxeur polonais qui, pendant toute la nuit, lui indique ce qu'il doit dire et ne pas dire aux Allemands qui le lendemain seront chargés de le juger et qui décideront de sa vie ou de sa mort. Le fait est qu'il a effectivement la vie sauve grâce à ses conseils. L'auteur décide donc, quelques années après, de raconter cette histoire qui fait l'objet de la première des deux nouvelles de ce recueil et qui apparemment lui convient parfaitement. Ce faisant, la littérature lui a donc permis de rendre compte de la réalité et non pas de l'écorcher.

    Le hasard, toujours lui, fait que, longtemps après, l'auteur lit, publiée dans un journal guatémaltèque, l'interview de ce même grand-père sur sa détention et sa survie dans les camps de la mort. Le vieil homme révèle qu'il la doit simplement à ses talents de menuisier, les SS privilégiant effectivement les artisans qui leur rendaient des services et qu'ainsi ils sauvaient provisoirement de l'extermination. Il n'est donc plus question de ce proverbial boxeur polonais qui, tel Shéhérazade, a passé sa nuit à lui prodiguer des conseils. Dès lors, il a, en quelque sorte, la réponse à son questionnement sur la réalité et la littérature. Pourquoi son grand-père a-t-il déguisé la vérité derrière une histoire inventée ? L'auteur en conclue que la littérature est « comme le tour d'un prestidigitateur ou d’un sorcier, qui donne corps à la réalité et fait croire qu'il n'y en a qu'une. A moins que la littérature ne nécessite de détruire une réalité pour en construire une autre  » Il y ajoute même une réflexion personnelle prétextant que la littérature devrait effectivement rendre compte de la réalité, que cela est à la portée de l'auteur mais qu'il est, peut-être malgré lui, sujet à l'oubli.

     

    Derrière l'histoire relatée dans ces deux nouvelles, le thème de réflexion me paraît pertinent. Je note que, certes l'auteur, a rendu compte d'un souvenir personnel de son grand-père, mais que ce dernier l'a délibérément déguisé, peut-être parce qu'il ne voulait pas évoquer la triste réalité et qu'il préférait la travestir ainsi. D'ailleurs la supercherie de son numéro de téléphone procède de cette même démarche et rares sont les déportés qui ont accepté d'emblée de parler de leur détention dans les camps. On se souvient de la démarche de Jorge Semprun dans « L'écriture ou la vie ». C'est là un oubli volontaire et, quand un auteur choisit de relater ses souvenirs, et au cas particulier ceux de sa famille ce qui est, comme souvent un thème récurrent chez un écrivain, il fait effectivement un tri parmi eux. C'est un parti-pris parfaitement respectable qui ne fait que mettre en lumière sa liberté de création. L'oublie-t-il volontairement pour autant ? Ce n'est pas sûr et il se réserve peut-être le droit d'y revenir plus tard, lors de la rédaction d'une autre œuvre. La mémoire qu'un créateur veut faire revivre avec des mots subit effectivement une forme de choix inconscient du à sa sensibilité ou à sa volonté de prouver quelque chose, étant entendu que c'est lui qui a la main unique du scribe. D'autre part nous savons tous que l'écriture est le domaine de la création et que la fiction vise justement à créer quelque chose qui n'existe pas, pourquoi pas sur les cendres d'autre chose, comme une sorte de phénix .

     

    Je n'ai abordé l’œuvre d'Eduardo Halfon que très récemment (La Feuille Volante n°966 pour Signor Hoffman). J'en ai goûté le style et l'ambiance un peu particulière, à la fois nostalgique et lente qui sourd de ses textes autant que l’invitation à la réflexion sur le rôle de la littérature.

     

    Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES AMYGDALES

    N°973– Octobre 2015

     

    LES AMYGDALES – Gérard Lefort – Éditions de l'Olivier.

     

    Un jeune narrateur en opposition plus ou moins frontale avec sa famille, des bourgeois provinciaux établis, nous la raconte au quotidien avec une certaine causticité. D'évidence, il ne l'aime guère mais ne le montre pas, préférant, sainte nitouche, faire ses coups par en-dessous. Il nous présente les membres de cette tribu les uns après les autres. Ses deux frères aînés, des jumeaux, dont il ne dit pas de bien (et même pas les prénoms) mais qu'il supporte, sa petite sœur, Corinne (un prénom à la noix selon lui), une flagorneuse qu'il ne manque pas de faire souffrir (s'il pouvait la tuer il le ferait volontiers), mais l'air de rien évidemment. Il ne va pas jusqu'à dire  « Père » ou « Mère » mais « le papa » et « la maman », c'est presque pire ! Il faut dire qu'il n'est guère gâté, enfin, c'est lui qui parle. La mère est à moitié folle, aux anathèmes faciles, un peu nymphomane oubliant son âge avancé surtout quand elle croise un jeune maître-nageur sur la plage et surtout pas mal dépensière et fantasque, le père est à la fois insomniaque et maladroit. Toute maison bourgeoise se doit d'être grande, de sacrifier aux mondanités et bien entendu d'avoir du personnel, des « bonnes » dont on disait à l'époque qu'elles étaient «à tout faire » ce qui laissait l’imagination galoper, enfin pour ceux qui en avait. Elles défilent dans cette maison au gré des humeurs de « la maman » qui, bien entendu ne manque pas de faire savoir à ses amies, qui bien souvent n'en ont pas, combien il est difficile d'être obéi par « ses domestiques ». Il ne s'oublie pas non plus dans ce catalogue familial, confie ses phobies dont celle de l'instituteur, ses obsessions, ses maladies infantiles qui avaient pour avantage d'être maintenu au lit en évitant l'école et d'être chouchouté par la bonne, mais c'était aussi l'occasion de faire connaissance avec les cataplasmes à la moutarde, considérés à l’époque comme la panacée (l'auteur est né 1952). Sans parler de l'incontournable opération des amygdales ! Il se montre volontiers roublard, tricheur permanent, menteur, et pas mal imaginatif donnant volontiers libre court à un esprit créatif parfois surprenant d'originalité. Un marrant aussi mais aussi qui savait et avec talent circonvenir son auditoire... Et pour que le décor soit complet, il va nous le décrire par le menu, à la manière d'une antique photo de classe, comme une sorte de tour du propriétaire d'une contrée maintenant disparue, évoquer cette enfance en allée dont on ne sait pas trop s'il la regrette où s'il s'en souvient avec effroi. Il évoque de ses aimables plaisanteries de potache mais aussi ses méchancetés de futur adulte. Le narrateur a heureusement un copain, Jacques Avril, un chic type de son âge mais pas de sa « condition », un déconneur qui cependant cite Clément Marot et qui seul est capable de le rassurer, de le sortir de cette jeunesse cloîtrée !

     

    C'est vrai que j'ai bien ri, mais pas toujours cependant, l'auteur s’inscrivant dans cette grande tradition littéraire que sont les souvenirs d'enfance, c'est sans doute là le côté « solipsisme » propre à tous les écrivains. C'est délicatement drôle mais aussi dramatique, les deux pôles de la condition humaine. Mon sourire, même partiel, est plutôt bienvenu dans ce monde où tout fout le camp mais derrière la dérision et l'humour, j'ai surtout lu une enfance tourmentée, un enfant mal aimé, mal dans sa peau qui, malgré le décor familial qu'on voudrait idyllique, fait l'apprentissage de la vie, découvre la méchanceté, l’hypocrisie et la trahison de ceux qui l'entourent, ce qui est somme toute le quotidien de notre société. J'ai lu des divagations échevelées d'un garçon affabulateur qui se réinvente un monde parce que celui où il vit en lui plaît pas. Avec un talent certain, il se joue de cet état qu'il aurait voulu différent, de cette famille qu'il aurait sans doute souhaité plus conventionnelle. Rire de tout à toujours été une manière de supporter les difficultés. C'est une thérapie efficace. Alors rire de son enfance où, pour paraphraser Émile Ajard, ou si vous préférez Romain Gary, on a « la vie devant soi », avec ses projets, ses fantasmes, ses illusions, pourquoi pas ? Surtout si au bout du compte il ne reste de tout cela que bien peu de choses. Rire du temps qui passe, de la mort vers laquelle nous allons tous, oui pourquoi pas ? Puisque se lamenter ne sert et que c'est une arme comme une autre pour se défendre dans ce combat perdu d'avance. Rire de cette vie qui s'impose à nous parce qu'elle n'est pas forcément belle contrairement à ce qu'on nous affirme, parce qu'à travers les hasards, les malheurs, les rencontres, les deuils, elle fait de nous ce qu'elle veut et la liberté individuelle dont on nous rebat les oreilles est bien souvent laissée pour compte. C'est comme cela et nous n'y sommes pour pas grand chose, alors autant en rire !

     

    Dans mon panthéon personnel, j'ai bien sûr trouvé des références en lisant ce roman mais surtout j'y ai pris un plaisir certain. J'y ai aussi lu des évocation bucoliques et poétiques quand il est question de bord de mer, de tempêtes et de nature. Je ne connaissais pas l'auteur comme romancier puisque son nom était plutôt attaché à «Libé » et à la télévision mais j'attends volontiers son prochain roman.

     

    Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • IL ETAIT UNE VILLE

    N°972– Octobre 2015

     

    IL ETAIT UNE VILLE Thomas B. Reverdy – Flammarion.

     

    Nous sommes à Détroit en 2008 et cette ville qui a été le fleuron de l’industrie automobile américaine se vide, les faillites et les licenciements se multiplient, la crise des subprimes est passée par là, les maisons qui sont abandonnées sont livrées aux pileurs et incendiées, des petits malfrats et autres dealers rodent dans ce désert en quête d'un mauvais coup c'est le chaos ou, pour faire plus couleur locale, le Far West. Pour faire bonne mesure, la corruption, les sandales touchant l 'administration communale s'accumulent et les dossiers s’entassent sur le bureau du Procureur. Il vaut mieux en pas parler des dysfonctionnements des services de police, pour ne pas dire de leur incompétence, de leur sous-effectifs et de leur matériel obsolète… Quant à l'ordre public, il est en permanence bafoué. Autant le dire tout de suite, là-bas aussi, on vit une époque formidable ! Certains tentent de résister mais dans ce contexte délétère des enfants disparaissent, comme Charlie, un brave garçon qui vit ici avec Gloria, sa grand-mère.

    Eugène est un jeune ingénieur français envoyé à Détroit pour mettre sur pied une unité de production automobile et peut-être aussi pour relancer une carrière qu'une précédente mutation en Chine qui s'était terminée par un fiasco avait quelque peu comprise. Malheureusement pour lui, l'Entreprise qui l'emploie part à vau-l'eau et il ne peut que se raccrocher au sourire de Candice, la serveuse du bar qu'il fréquente après son travail.

    Brown est un lieutenant de police un peu marginal, peu prisé cependant par sa hiérarchie et qui, pour cela sans doute n'a aucune chance d'avoir de l'avancement. C'est pourtant à lui qu'on confie les affaires les plus merdiques comme celle de la disparition de Charlie et de deux de ses camarades. Après tout, des enfants qui disparaissent ici, il y en a tous les jours dans cette ville qui se vide à vue d’œil mais quand même, Brown est consciencieux.

     

    Ce roman semble un peu décousu, avec ses personnages à l'histoire parallèle dont on a du mal à penser qu'ils vont finir par se rencontrer. Certes, ce roman nous replonge dans l'univers des subprimes, de l'effondrement du système bancaire, de notre société et de ses valeurs qui se délitent, d'une paupérisation galopante, bref l'image d'un chaos loin de celle du capitalisme triomphant. Cet univers est déprimant et déteint sur les personnages, explique leur solitude mais aussi peut-être leur volonté de tout faire pour se maintenir contre la décadence générale. C'est bien une ambiance délétère dont ce roman rend compte et notamment des abus des hommes politiques qui aiment se classer eux-mêmes dans la catégorie des « élites ». Il y a heureusement cette enquête pleine de suspense, menée par cet officier de police désabusé mais opiniâtre.

     

    J'ai bien aimé que ce soit la ville de Détroit qui soit au centre de cette fiction. C'est assez rare pour être souligné. Cette ville est un authentique personnage plongé dans une réalité inquiétante. A travers elle, j'ai choisi de voir cette extraordinaire et étonnante faculté qu'à l'homme de s'autodétruire, de mettre plus d'énergie à compromettre son avenir et celui des générations futures qu'à conserver et améliorer ce que leurs aïeux leur ont transmis. Pour un peu plus d'argent il n'hésite pas à polluer, à jeter à la rue d'autres hommes qui sont comme lui, à bafouer les valeurs du travail, de l'effort, de la famille. C'est exactement l'image de notre société actuelle. Heureusement il se trouve toujours des individus qui choisissent de se dresser contre cette logique et qui, malgré leur peu de moyens, font valoir le bon sens, le courage. Brown et Gloria sont de ceux là. Je voudrais revenir sur Eugène et Candice. Il y a entre eux autre chose que de l'amour physique, qui certes existe mais pas tout de suite comme on pourrait le penser. Cela aurait pu être une « brève rencontre » mais ce sera en réalité autre chose. Candice n'a pas voulu tomber dans la prostitution et dans la drogue comme les autres filles mais a choisi de rester une simple serveuse de bar. Eugène qui sent bien que son séjour à Détroit tourne au fiasco repartira sans doute pour l'Europe. Il n'y a pas entre eux au départ beaucoup d'atomes crochus à part le sexe qu'on suppose facile et éphémère. Et pourtant ce n'est pas ce qui se passe, malgré la différence de milieu, de culture, de niveau social, un peu comme si ce qui prévaut entre eux c'est leur deux solitudes qui paradoxalement les réunit. C'est elle qui le transforme par son amour simple et non pas le contraire comme on aurait pu s'y attendre.

     

    Le style est agréable, les descriptions sont précises, poétiques parfois et pleines alternativement de sensibilité, de sensualité et de total désespoir.

     

    Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN AMOUR IMPOSSIBLE

    N°971– Octobre 2015

     

    UN AMOUR IMPOSSIBLE Christine Angot – Flammarion.

     

    Nous sommes dans les années 50 et Rachel Schwartz, 26 ans, employée à la Sécurité Sociale depuis déjà plusieurs années rencontre, dans une cantine de Châteauroux puis plus tard dans un bal de société, Pierre Angot, traducteur à la base américaine de La Martinerie. Ils se sont revus puis, bien entendu, ont couché ensemble. Bien sûr ils s'aiment, ils sont libres, ils sont beaux, mais le mariage qui devrait couronner cette relation est jugé impossible par Pierre simplement parce qu'il n'appartient pas à la même classe sociale que Rachel, n'ont pas la même culture, la même fortune. En effet les familles des deux amants sont bien différentes et que notamment le père de Rachel est juif et pas très paternel mais Pierre ne voulait surtout pas d'une mésalliance comme celle de son frère. Pourtant Pierre est seul, sans ami et ne refuse pas d'avoir un enfant avec elle. Rachel tombe enceinte, ce qui n'est point original et Christine grandit sans beaucoup voir son père, un peu comme sa mère avant elle. Il veut bien avoir un enfant avec Rachel mais refuse de l'épouser, se contentant de venir les voir de temps en temps, de participer financièrement à l'éducation de sa fille. Rachel sera donc fille-mère, ce qui, à l'époque avait quelque chose d’infamant et l'absence de son père a été traumatisant pour la petite fille, « née de père inconnue ». Leur amour ne sera donc jamais conjugal, pire peut-être, Pierre se mariera avec une autre, différente de Rachel, lui fera un enfant, reconnaîtra cependant Christine, mais pas sans hésitation puisque sa vie est désormais ailleurs. Est-ce à ce moment-là, au moment où sa fille change de nom pour porter le sien qu'il choisit non seulement de rejeter sa mère mais surtout de violer Christine qui pendant des années n'en a rien dit.

     

    Nous sommes en présence d'un roman autobiographique où l’implication de l'auteure se sent à toutes les pages et pas seulement dans l’emploi de la première personne [Elle ne prend même pas la précaution de se cacher sous un nom d'emprunt mais se nomme elle-même]. Je ne connais pas l’œuvre de Christine Angot, c'est le premier roman que je lis d'elle. Il me paraît poser le problème de l'écriture qui, en principe, a un effet cathartique, en principe seulement car écrire sur soi n'est pas aussi facile qu'il y paraît et le livre est avant tout un univers douloureux. Je pense de plus en plus, pour l'avoir personnellement éprouvé, que l'écriture n'est pas un refuge et que mettre des mots sur ses maux n'est pas forcément la solution. Nous savons tous combien pernicieuse est l'écriture quand il s'agit de se confier à la page blanche et bien plus dur encore est le fait de se mettre soi-même en scène. D’ailleurs, elle en note la difficulté puisque l'apaisement attendu ne semble pas au rendez-vous. Christine a vieilli, elle vit avec Claude et ils ont ensemble une petite fille Léonore. Ce genre de situation, le temps qui a passé et la mort de son père auraient pu gommer les choses. Au contraire pourtant, Christine reste marquée par son enfance, son adolescence au point d'être durablement déstabilisée, de ne plus savoir si elle aime réellement Claude et surtout de rejeter définitivement sa mère dont elle dénonce l’égoïsme au point qu'elle et Pierre l'ont délibérément sacrifiée. Elle se sent profondément seule parce que, même si on est soutenu, on est toujours seul face à une épreuve. Elle réagit comme elle le peut, se réjouit presque de la mort de son père mais cette absence, désormais définitive, lui ferme la porte des explications, la laissant seule face à ses questions. Du coup elle s'en prend à la seule personne qui lui reste, sa mère qu'elle rejette, refusant à son tour la possibilité d’une réconciliation et bien entendu du pardon. Elle décide de renoncer à l'hypocrisie qui a été longtemps une règle de vie pour sa mère qui n'a jamais songé à se remettre en question. Faire encore semblant comme auparavant l'épuise désormais. Elle songe même au suicide et juge durement l'attitude de sa mère qui se dérobe. Elles sont désormais deux étrangères et ni les cadeaux ni l'argent ne peuvent racheter aux yeux de Christine ces années d'abandon, ces années perdues et l'amour qui n'existe plus désormais entre elles. Le principe même de l'amour n'existe plus pour Christine qui ne sait plus ce que c'est à cause de cette enfance délibérément sacrifiée. A la fin, il y a une tentative d’explication comme si le pardon était au bout mais personnellement je n'y crois pas. Il y a trop de logique froide là-dedans et, même si Christine réussit à décortiquer cette situation, à démontrer la responsabilité de son père, à expliquer sa conduite jusque dans l'inceste, rien, à mes yeux, ne peut justifier celle de sa mère. Tout ce temps perdu ne peut se rattraper, même avec la meilleure des volontés et les dés étaient pipés dès le départ. Ce « happy-end » me paraît trop artificiel. Comme le disait Léon-Paul Fargue « On ne guérit jamais de son enfance »

     

    Une autre piste de réflexion que ce livre m'inspire est le fait de reproduire le modèle malgré soi et malgré le désir qu'on a de l'éviter. Le père de Rachel était très absent, comme le sera celui de Christine. Christine sera donc élevée par sa mère avec seulement la famille maternelle, comme Rachel avant elle. De même Rachel a rejeté Christine en lui opposant son silence, sa volonté de ne rien voir et, à son tour, Christine rejettera sa mère comme cette dernière l'avait été par son père puis par son amant. L’appartenance à deux milieux sociaux différents, à une culture et une fortune différentes (et surtout la judéité de Rachel et la supériorité affichée de Pierre) portait sans doute en germe cette exclusion, cet échec de la liaison entre Rachel et Pierre qui n'a pas débouché sur autre chose que sur un fiasco, le mariage en pouvant se faire de la volonté même de Pierre.

     

    Je n'ai pas été emballé par le style que j'attendais plus littéraire. De plus le texte est parfois difficile à suivre. C'est pourtant un livre bouleversant non seulement à cause de l'histoire personnelle de l'auteure mais surtout à cause des questions qu'il pose. J'ai eu du mal à y entrer au début puis, sans doute à cause de mon expérience personnelle pourtant bien différente et malgré la forme que je n'ai guère goûtée je suis allé jusqu'à la fin. Elle en m'a pas pour autant paru convaincante.

     

    Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com