la feuille volante

Articles de hervegautier

  • UN AMOUR A L'AUBE

    N°820 – Octobre 2014.

    UN AMOUR A L'AUBE Élisabeth Barillé - Grasset

    Lorsque deux personnages se sont croisés, même si on ne sait pas grand chose de cette rencontre, la tentation est grande pour le romancier d'imaginer ce qu'elle fut. Amédeo Modigliani (1884-1920), peintre et sculpteur a effectivement connu à Paris, en 1910, la poétesse russe Anna Akmatova (1889-1966). Il ne coûte rien de supposer qu'ils ont fait connaissance dans un café à la mode fréquenté par les artistes, du côté du boulevard Montparnasse. A ce moment, elle n'a encore rien publié mais il est fasciné par sa beauté. Lui est libre et elle n'est mariée que depuis trois semaines, lui est pauvre et elle est riche. Tout les oppose donc mais ces deux figures de l'art sont à l'aube de leur destin.

    C'est bien la réalité qui inspire la fiction puisque, en 2010 est adjugée dans une salle des ventes parisienne une tête de femme sculptée par Modigliani datant de 1910-1912. Les enchères atteignent des sommes faramineuses pour l’œuvre d'un homme dont toute la courte existence ne fut qu'une survie difficile. Rien ne permet d'imaginer que cette œuvre représente Anna Akmatova mais Élisabeth Barillé veut le croire ! D'autant que quelques mois auparavant, dans un musée de Saint-Pétersbourg, elle a vu un dessin de Modigliani la représentant. Ce sera donc le point de départ de son roman.

    Que sait-on d'une éventuelle liaison entre eux ? Pas grand chose, si ce n'est qu'ils furent fascinés l'un par l'autre, qu'ils se sont écrit, lui surtout quand elle est revenue en Allemagne « Vous êtes en moi comme une hantise, je tiens votre tête entre les mains et je vous couvre d'amour ». De telles paroles peuvent plaider en faveur d'une sculpture la représentant ou aussi signifier des relations plus intimes. Tout est donc possible pour la romancière bien que la poétesse confie « Je le vis peu en 1910 » mais précise « Je remarquais chez lui, quand nous nous revîmes en 1911, qu'il était amaigri, devenu sombre ». Quant au dessin représentant Anna, il est le survivant d'une série aujourd'hui disparue. Cette démarche artistique en direction d'une belle femme peut effectivement signifier un attachement particulier de la part de son auteur, mais rien n'est prouvé.

    Quand ils se rencontrent, Anna est mariée mais son mariage bat de l'aile et son mari, soucieux de son image de poète veut y ajouter celle du voyageur. Il part donc pour l'Afrique, mais seul, et pendant deux années. L’épouse qu'il retrouvera à son retour sera transformée, affirmée dans l'écriture, elle est réellement devenue poète et n'est plus une femme effacée comme avant son départ. Quand elle reviendra à Paris un an plus tard, elle retrouvera Modigliani .

    C'est un livre passionnant, fort richement documenté et fort bien écrit qui s'attache son lecteur dès la première ligne. Il fait revivre deux figures qui ont marqué le début du XX° siècle artistique, leur prête une liaison peut-être hypothétique mais si agréablement imaginaire.

    Élisabeth Barillé est une auteure que je suivrai volontiers dans sa démarche littéraire.

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES BRUMES DE L'APPARENCE

    N°819 – Octobre 2014.

     

    LES BRUMES DE L'APPARENCE Frédérique Degehlt- Actes sud.

     

    Une parisienne de quarante ans, Gabrielle, mariée, mère de famille vient d'hériter d'une masure et d'une forêt au milieu de nulle part, dont elle ignorait l'existence et qu'elle songe tout de suite à revendre. Ce ne sera pas si simple puisque, de l'avis général cette maison est hantée. Sur place, elle note d'ailleurs que ces lieux sont apaisants pour elle alors qu'ils font peur à la population. Elle va d'ailleurs apprendre qu'elle appartient à une lignée de « sorciers » et qu'elle est elle-même l’héritière sans jamais l'avoir soupçonné. On comprend bien que cela va bouleverser sa vie d'autant qu'elle va comprendre, au hasard des rencontres, qu'elle est effectivement douée de pouvoirs surnaturels de guérisseur mais aussi d'intermédiaire entre les vivants et les personnes disparues. Ce sont des apparitions sous diverses formes ce qui met mal à l'aise son mari médecin et donc cartésien et déclenche dans son entourage une suspicion de folie. Bien entendu ces derniers vont lui permettre d'en apprendre davantage sur son entourage immédiat et spécialement sur l'amour que lui porte Stan, son mari. Pour la maison, elle décide de faire des réparations en vue d'une vente prochaine dont elle charge Jean-Pierre, un agent immobilier local.

     

    L'idée de départ avait tout pour me séduire mais le rythme du roman m'a paru trop lent avec beaucoup de digressions. Elle en rajoute même un peu trop, entre les volets qui claquent, le parquet qui grince, les fragrances qui envahissent la pièce sans raison ou une fantomatique présence qui se manifeste pafois auprès d'elle. De plus je ne suis pas sûr de partager son avis sur la survivance après la mort dans un au-delà tout à fait hypothétique. La vie, nous le savons est quelque chose d'unique que nous sommes tentés de vouloir faire perdurer après le trépas. Pour tous ceux qui ont perdu un être cher, la tentation est grande de le retrouver après sa mort et pourquoi pas de correspondre avec lui. Une abondante littérature a fait florès sur ce thème et beaucoup de charlatans pas mal d’argent auprès de personnes trop crédules. Dans un roman qui est du domaine de l'imaginaire, tout est permis et l'auteure ne se gène pas pour exploiter ce créneau, ce qui est parfaitement son droit. Pourtant, c'est un concept qui ne me convient pas et je préfère laisser aux religions de telles assurances béates. Elle en rajoute même un peu en affirmant que non seulement une vie existe après la mort mais qu'elle est heureuse. Cela devient du prosélytisme caché ne me paraît pas avoir sa place dans un roman.

     

    Le personnage de Gabrielle, superficielle et pas vraiment sympathique ne m'a pas accroché, non plus d'ailleurs que les diverses manifestations paranormales égrenées dans le roman. J'ai pour autant été sensible à cette histoire de son couple qui se délite avec en toile de fond la folie qu'on prête à Gabrielle et qui justifiera une tentative d'internement. Ce qui a retenu mon attention c'est peut-être le manque d'amour de cette femme qui quêtera de la compréhension et surtout de la tendresse auprès de Jean-Pierre et, à la fin, d'Erwan. Elle aura le courage de remettre en cause sa vie d'avant qui n'était faite que d’apparences et ce thème me parait en revanche bien plus intéressant. Pourtant le livre est agréablement écrit et se lit bien.

     

    C'est le premier livre que je lis de cette auteure rencontrée d'ailleurs par hasard. Je ne suis pas bien sûr de vouloir poursuivre dans ce voyage, à moins bien sûr que je n'aie rien compris et que je sois passé sans le savoir à côté d'un chef-d’œuvre.

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TOUS LES MATINS DU MONDE

    N°818 – Octobre 2014.

    TOUS LES MATINS DU MONDE Pascal Quignard. Gallimard.

    C'est une histoire bien simple que celle de M. de Sainte Colombe, aristocrate musicien, spécialiste de la viole de gambe à laquelle il a ajouté une septième corde, qui ne se remet pas de la mort de sa femme chérie à qui il continue de parler dans un curieux dialogue d'outre-tombe. Il trouve une manière de consolation dans la musique et vit avec ses deux filles à qui il enseigne son art et refuse avec obstination les honneurs de la cour de Louis XIV. Marin Marais qui fut son élève séduit ses filles mais fonde ailleurs une famille tout en vivant de son art près du roi.

    Il y eut le film d'Alain Corneau avec Jean-Pierre Marielle, sublime dans le rôle principal. Dans ce roman j'ai vu la figure d'un homme qui, ayant perdu sa femme a tout perdu et se retire du monde au point peut-être d'en devenir fou. Il ne trouvera sa véritable consolation que dans sa propre mort. La camarde est très présente dans ce court texte puisqu'elle prend aussi Madeleine que Marin a séduite et abandonnée. La barque de Sainte Colombe dont il est largement question dans ce roman reprend cette symbolique du passage de la vie à la mort avec l'image de Charron. Après la disparition de son épouse le musicien se retire du monde et même de sa propre maison puisqu'il joue dans une cabane en planches, et ce geste évoque une sorte d'acompte payé à la mort. S'il consent à sortir de chez lui, c'est, accompagné de son instrument, pour participer aux obsèques d'un ami. La vie semble avoir quitté cette maison après l'affaiblissement et la mort de Madeleine, le mariage de Toinette et ce même si la musique y retentit encore et que l'instrument en forme de corps de femme peut évoquer la vie. Pourtant la vision d'une gaufrette a demi mangée et d'un verre à moitié vide après une apparition de Mme de Sainte Colombe évoque une forme particulière de vie.

    C'est le portrait croisé de deux hommes dont l'un d'eux choisit une vie recluse alors que son art aurait pu lui ouvrir toutes les portes et l'autre qui ne recule devant rien pour réussir à vivre de son art et côtoyer les grands de ce monde. Ils sont l’exact contraire l'un de l'autre, l'un est solitaire, l'autre est mondain. Pourtant Marais a une réelle fascination pour son maître qu'il vient écouter en cachette même si ce dernier l'a chassé de chez lui.

    Il y a beaucoup de symboles dans ce roman, la musique d'abord qui, à cette époque était fort prisée et représentait une forme de réussite sociale si un artiste parvenait à plaire au roi. Refusant l'offre de venir jouer à la Cour, Sainte Colombe manifeste ainsi une philosophie inspirée par le jansénisme, très prisé à cette époque mais qui fut interdit. Il y a de la musique dans ce texte, avec des temps forts, des silences, des reprises, ses intonations. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'instrument choisi est la viole qui imite à la perfection la voix humaine dans ses multiples registres. La vie choisie par Sainte Colombe est austère, retirée du monde, teintée de fatalisme et de mélancolie et sa seule consolation est le plaisir de jouer. J'y ai vu aussi une dimension religieuse dans la réconciliation finale des deux hommes.Le chant accompagne l'instrument et tient lieu de parole pour les enfants avant la mue de leur voix.

    Cette œuvre est présentée comme un roman, il a pourtant toutes les qualité d'une nouvelle (concision, narration, réflexion, rareté des personnages, scènes et tableaux courts sans pratiquement d'action ni de dialogues, écriture fragmentaire). Cela dit, et compte tenu de l'ambiance générale du livre, j'ai toujours une hésitation sur le sens du titre. Symbolise-t-il l'espoir ? Pourtant tout de texte me paraît baigné d'une grande mélancolie. L'écriture est épurée, classique, musicale avec beaucoup de silences. C'est une livre somptueux mais tragique!

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TUEZ QUI VOUS VOULEZ

    N°817 – Octobre 2014.

     

    TUEZ QUI VOUS VOULEZ Olivier Barde-Cabuçon. Actes sud (Actes noirs).

     

    Nous sommes en 1759 et Paris est perturbé par d'étranges assassinats qui vont occuper le Chevalier de Volnay, commissaire au Châtelet et « aux morts étranges ». Les trois victimes, de jeunes hommes, sont égorgées et on leur arrache la langue, un bien curieux modus operandi, d'autant que chacun d'eux était porteur d'un mystérieux breuvage. De plus on approche de « La fête des fous » qu'un inconnu veut ressusciter après qu’elle fut longtemps interdite et pendant laquelle les fondements de l'ordre social et religieux sont menacés puisque le peuple va goûter à la liberté pendant trois jours. Il n'en faut pas davantage pour perturber Sartine, le lieutenant Général de police qui a horreur de ces débordements populaires. Comme si cela n'était pas suffisant, les Jansénistes s'opposent à cette occasion à l’Église, et donc au pouvoir royal. Quant aux sciences occultes, elles font florès et minent la société et des pratiques qui ressemblent fort à des superstitions religieuses ont lieu à Paris. Le roi Louis XV lui-même est de plus en plus impopulaire tant au parlement que dans les rues. Enfin, le dernier mort est Russe, ce qui ne va pas manquer de donner aux investigations de Volnay la dimension d'une affaire d’État et ce d'autant plus que le chevalier d’Éon, alors secrétaire d'ambassade à Saint-Pétersbourg et de retour en France, personnage fort mystérieux, viendra compliquer cette situation qui ressemble de plus en plus à un imbroglio diplomatico-judiciaire. Son appartenance au ministère des affaires étrangères le met hors de portée des autorités de police et même de Choiseul, principal ministre, puisqu'il est dans le « secret du roi ». Ainsi cette affaire se transforme-t-elle en véritable lutte de pouvoir au sein de la cour, dans une ambiance de suspicion générale où tout le monde espionne toute le monde.

     

    J'ai bien aimé me retrouver dans le quotidien de ce Paris du siècle des Lumières, à la fois libertin et populaire, agité par la contestation, les croyances surannées et l'ambiance de « cour des miracles » de certains quartiers. Les descriptions sont humoristiques parfois, précises toujours, qu'on soit au cabaret, dans la rue, dans un salon ou dans un bureau ministériel. Des détails culinaires nous sont aussi largement dispensés ce qui ajoute à la sensation de dépaysement. On y croise des prostituées et des « mouches » dont le rôle est de surveiller le peuple toujours enclin à la révolte, aux trafics en tous genres. Le style est alerte, humoristique, le scénario bien mené, avec juste ce qu'il faut de suspens, les personnages campés avec talent. Volnay nous est présenté comme un homme sérieux mais passionné alors que son père, costumé en moine hérétique a tout du paillard et de l'anarchiste. Pourtant il cache un savoir encyclopédique et médical mais surtout une mélancolie que la mystérieuse Hélène s'attachera à exorciser.

     

    Le roman se lit bien et m'a procuré un réel plaisir. Cela m'a un peu rappelé Nicolas Le Floch, lui aussi commissaire au Châtelet à la même époque, le personnage de Jean-François Parot, ou Voltaire lui-même quand Frédéric Lenormand le transforme en enquêteur... mais peu importe, ce XVIII° siècle me fascine toujours autant.

     

    C'est le premier ouvrage que je lis de cet auteur découvert par hasard. Je me manquerai pas de poursuivre la lecture de son œuvre, passionnément !

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE POIDS DU PAPILLON

    N°816 – Octobre 2014.

    LE POIDS DU PAPILLON Erri de LucaGallimard - Feltrinelli.

    Traduit de l'italien par Danièle Valin.

    Ce sont deux récits somptueux, lus alternativement en français et en italien pour la beauté et la musicalité de ces deux langues cousines. Ils ont la montagne italienne pour cadre et la poésie pour souffle, l'un est dédié au duel entre un vieux braconnier et un chamois-roi de sa harde, l'autre à la complicité entre un narrateur et un pin des Alpes.

    L'animal est puissant, majestueux, d'une taille au-dessus de la moyenne. Il a engendré une nombreuse descendance mais pour lui, il le sait, la fin est proche et nécessaire parce qu'il sera obligatoirement et rapidement détrôné par un plus jeune. Telle est la loi de cette vie du troupeau sur lequel il règne en maître depuis si longtemps. Il viendra donc au-devant du chasseur qui l'abattra d'une seule balle sans qu'il ressente la moindre souffrance. L'homme solitaire qui gîte dans la montagne après une jeunesse révolutionnaire déçue, l'a poursuivi toute sa vie, en vain ! Il y a en lui un peu du capitaine Achab pourchassant Moby Dick, la baleine blanche et du « Vieil homme et la mer » dans ce combat qui l'oppose à l'animal, face à la nature. Mais aujourd'hui, c'en est fini de ces défis, de ces traques silencieuses et patientes entre deux rois qui partagent le même territoire, la même liberté, la même connaissance du terrain mais pas le même but. Le braconnier reste un homme incapable sans doute de s'attacher, qui n'est pas insensible aux yeux d'une femme mais s'en méfie. L'évocation de leur rencontre dans un café de la vallée a quelque chose de poétiquement sensuel. Il veut poursuivre son parcours terrestre mais maintenant le temps lui est compté parce que la vieillesse l'assaille, ce sera son dernier coup de fusil. Par respect pour cet animal fabuleux, il n'en tirera aucun profit. Il y a une sorte de communauté d'état entre eux, le silence, une solidarité, une attirance commune pour la solitude, une prise de conscience de la fuite du temps, un certain détachement pour les choses, mais cet instant de rencontre est le plus fort qui décidera de la suite.

    Les ailes blanches et fragiles d'un papillon viennent donner au récit, dans un écrin de silence, ce qu'il faut de légèreté et de tragique comme la vie elle-même. Elles sont comme une couronne sur la tête de ce chamois-roi, elles s'opposent aux ailes noires des aigles, des rapaces qui volent haut, se nourrissent des dépouilles des animaux qu'ils tuent.

    Erri de Luca s'affirme comme un sublime conteur. Le texte est initiatique et sa beauté est rude, comme la montagne. L'auteur est aussi un familier des cimes et des parois rocheuses et sait rendre pour son lecteur l’atmosphère du lieu, la faune comme la flore, sait lire dans les odeurs, dans les traces, dans la course des saisons, anticiper l'orage …

    Il est aussi un attentif lecteur de la Bible qui émaille son récit de références religieuses, il y a cet amour de la nature, un peu comme si l'homme partageait avec le chamois et l'arbre cette forme de vie, véritable cadeau de Dieu. La symbolique du ciel religieux et des cimes est très forte comme l'est aussi celle de la foudre qui épargne l'arbre accroché au rocher. La solitude qui fait partie de la condition humaine est ici soulignée par le sublime décor de la montagne. L'homme et le chamois connaîtront aussi la mort qui est l'ultime étape de la vie, mais l'arbre, avant d’être cendre sera bateau guitare ou sculpture...

    C'est un recueil de nouvelles plus bouleversant peut-être que les autres écrits d'Erri de Luca.

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES COBAYES

     

    N°815 – Octobre 2014.

     

    LES COBAYES Tonino Benacquista – Nicolas BarralDargaud.

     

    Qu'est ce qu'on ne ferait pas pour quelques milliers d'euros, surtout quand on est chômeur, un peu paumé ou bourré de complexes (Peut-on minimiser le pouvoir extraordinaire de l'argent sur le plan financier et personnel ?). Tester de nouveaux médicaments avant leur mise sur le marché reste une solution. Pour Daniel, Romain et Moïra qui n'ont aucune expérience dans ce domaine, cela tombe plutôt bien, puisque contre une somme rondelette ils viennent d'être choisis pour essayer le M2 C2 T, sorte d’anxiolytique de nouvelle génération, bref ils sont devenus des cobayes !

     

    Comme dans tout médicament, il y a des effets secondaires et ceux auxquels ils vont devoir faire face sont assez inattendus. Cela changera leur vie, les révélera. Cette substance libère les pulsions enfouies dans l'inconscient de chacun et ces cobayes prennent goût à leur nouvelle vie, toutes leurs vieilles inhibitions disparaissent. L'amnésique va devenir hypermnésique, le timide se transforme en Don Juan, la molécule donne du talent à l'artiste et le succès fait le reste. Jusqu'à présent dans l'anonymat, ils prennent soudain conscience de la réalité du monde qui les entoure et ils profitent de leur « heure de gloire » puisque la recherche du bonheur individuel est une chose normale. Ce n'est bien entendu pas sans susciter des jalousies, la nature humaine y étant naturellement portée. Ce texte illustre la cupidité de l'homme que ne rachètent ni Coluche ni l'abbé Pierre. Quand il y a de l'argent à gagner, peu importe les dégâts collatéraux supportés par les victimes. Cette expérience, impersonnelle au début, fait naître une amitié solide et même une complicité entre ces trois personnes qui sans cela n'auraient eu aucune chance de se rencontrer. L'auteur glisse dans son texte des remarques sur les laboratoires, l'expérimentation et l'emploi des médicaments dans le tiers-monde. Je ne sais si elles reflètent effectivement la réalité mais elles ont l'apparence de la logique.

     

    Nous sommes en pleine fiction : apparemment, ce médicament contribue à améliorer ce monde dominé par l’argent, l’égoïsme, la violence, en s'appuyant sur la culpabilité individuelle. Grâce à lui le financier inhumain devient un mécène, l'assassin confesse ses crimes... Tout cela est utopique ! Chaque médaille a son revers : ce médicament devenu un vulgaire stupéfiant risque de précipiter ceux qui en usent dans une dépendance dangereuse et en faire de véritables victimes. Il se trouvera toujours des gens pour profiter de cette manne. Il ne reste aux auteurs, véritables « apprentis sorciers », qu'à invoquer la protection divine dont nous savons tous qu'elle est illusoire. C'est le sens de l'épilogue qui, je l'avoue, m'a laissé un peu dubitatif.

    Les idéologies qui ont aussi ce pouvoir de manipuler les gens, l'histoire est là pour nous montrer leurs méfaits.

     

    Le dessin est expressif rehaussé de couleurs changeantes (dues à Philippe de la Fuente) en fonction des moments du récit. Je ne suis pas amateur de BD mais cette lecture, suscitée par ma participation à un jury de prix littéraire, m'a quand même intéressé.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ROBE DE MARIÉ

    N°814 – Octobre 2014.

    ROBE DE MARIÉ Pierre LEMAITRECalman-Lévy.

    D’emblée le titre interpelle, robe de marié, avec un seul « é », mais cela ne fait que commencer et n'a rien à voir avec les nouveautés judiciaires récentes en matière de mariage, jugez plutôt : M. Gervais, quadragénaire, est cadre au Ministère des Affaires étrangères et futur secrétaire d’État, son épouse est statisticienne. Ils confient leur fils Léo à Sophie, sa nounou. Cela pourrait être le début d'un roman ordinaire, sauf que là nous sommes en présence d'un polar, et pas n'importe lequel !

    Sophie ne se souvient de rien, mais vraiment de rien et surtout pas des meurtres se multiplient autour d'elle et dont elle est bien entendu l'auteur. Celui de Léo, trouvé étranglé avec un de ses lacets de chaussures, de Véronique Favre, une femme rencontrée par hasard et bien d'autres. C'est comme si tout cela se déroulait en dehors d'elle, comme si elle devenait littéralement folle. Il lui faut donc disparaître au plus vite. C'est que, même si elle est frappée d'amnésie, elle n'en garde pas moins la conscience des choses et fait ce qu'il faut pour disparaître. Elle se retrouve donc rapidement en cavale ! Les appels à témoins, l’activation des indics, rien n'y fait, elle se fond dans le décor et on ne la repère pas. Elle change de vie, d'identité, il ne lui manque qu'un mari pour être enfin une autre personne. Bien entendu elle le trouve.

    Grâce au journal intime de l'énigmatique Frantz (avec cet artifice, l'auteur fait un peu durer le plaisir, mais peu importe), le lecteur en apprend un peu plus sur cette affaire pour le moins ténébreuse. Au départ, ce qui arrive à Sophie peut paraître de la malchance ou de la négligence de sa part mais au fur et à mesure du texte, le lecteur se rend compte que l'action de Frantz dans l'ombre, et bien entendu malgré elle, est machiavélique. La jeune femme en devient facilement paranoïaque et éprouve un inévitable sentiment de culpabilité face à tout ce qui lui arrive. Comme manipulateur diabolique, on peut difficilement imaginer pire et la vie que Sophie avait patiemment construite se délite petit à petit a point de ne faire d'elle qu'une sorte d'être sans consistance qui se demande vraiment ce qui lui arrive. Une véritable descente aux enfers que le lecteur ressent avec empathie en se demandant bien pourquoi ce Frantz s'en prend ainsi à elle de cette manière si méthodiquement horrible. Elle a enfin réussi à mystifier tout le monde et semble vouloir renouer avec le bonheur depuis son mariage mais le lecteur ne tarde pas à s'apercevoir qui est cet homme si amoureux d'elle et apparemment si naïf.

    Le style est haletant, comme tout ce roman plein de suspens. Il y a des remarques pertinentes et parfois aussi humoristiques tout au long d'un texte fort bien écrit. Le scénario est bien mené avec brio, même si parfois il est possible de noter quelques invraisemblances; il tient en haleine le lecteur jusqu'à la fin et c'est généralement le cas des différents livres que j'ai lus de Pierre Lemaitre. C'est vraiment du grand thriller avec tout ce qu'il faut comme meurtres, vengeances, révoltes et résignations intimes... et intoxications psychologiques.

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ET RIEN D'AUTRE

    N°813 – Octobre 2014.

    ET RIEN D'AUTRE James SalterÉditions de l'Olivier.

    Traduit de l'anglais par Marc Amfreville.

    C'est le sixième roman de James Salter, âgé de 89 ans, autant dire une sorte d'inventaire des thèmes qu'il a par ailleurs traités dans son œuvre et auxquels il mêle des références autobiographiques. Il met en scène Philip Bowman, ex-officier subalterne de la marine, ayant survécu à la guerre dans la Pacifique, jeune homme de la classe moyenne américaine du New-Jersey. Du conflit, il est revenu plein d'illusions sur la société et un rien rêveur. Dans ce New-York de l'après-guerre, après avoir rêvé du journalisme il devient un éditeur respecté, rencontre l'amour avec Vivian, fille d'un riche propriétaire terrien mais ce mariage qu'il voulait parfait, à l'image de sa réussite professionnelle, ne tarde pas à se déliter. Elle s'en va pourtant, non sans lui dire ce qui est pour elle une évidence : ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre, autant dire que, dans leur choix ils s'étaient trompés ! Ensuite ce sera pour lui qui est un amoureux des femmes, une succession de passades ou de liaisons torrides et passionnées qui émailleront sa vie avec leurs moments d'intense jouissance qui succéderont à d'autres marqués par le renoncement, la lassitude, le découragement. Des femmes, libres ou mariées se succèdent dans son lit et parfois dans sa vie mais du véritable amour dont il rêvait, il n'aura rien. A son tour il sera trahi et bien sûr lui aussi trahira. Finalement, cette vie n'est pas autre chose qu'une succession de moments forts, la guerre, l’amour et la folie qu'il inspire, le sexe, l’alcool, les voyages, et de moments faibles, le quotidien émaillé des de réceptions ennuyeuses, d'inévitables désillusions et de bavardages sans intérêt souvent autour des livres et des auteurs. Cela donne, dans son ensemble, une impression d'inaccompli, de répétions monotones, autant dire d'échecs.

    Ce texte est une invitation à méditer sur le temps qui passe, à la nostalgie de la vie la recherche et finalement l'inexistence du grand amour. On en parle beaucoup dans les rapports entre les gens et le mariage est presque un point de passage obligé et normal dans la vie d'un être humain. Mais le divorce vient bien souvent brouiller les choses et la solitude qui en résulte est d’autant plus dure à supporter. Ce roman est émaillé de ces exemples de couples qui se sont brisés, de ces êtres qui se sont plusieurs fois mariés, un peu comme si l’expérience matrimoniale désastreuse ne leur suffisait pas où que leur vie serait une perpétuelle recherche. Dans cette vie chaque homme n'est que de passage, il souhaite donc y être.heureux en amour, réussir dans son métier et être considéré, laisser une trace dans la société et se dire que sa vie a été belle mais tout cela se révèle vain. Ce roman est celui du souvenir intime de l'acteur de ce drame qu'est sa vie puisqu’elle est une recherche vaine du bonheur.

    Ce que je retiens à titre personne, c'est le style fluide, descriptif jusque dans les moindres détails. C'est finalement cela qui a motivé ma lecture. Pour autant , je dois bien avouer avoir lu ce roman davantage pour aborder l'univers jusque là inconnu de James Salter. En le lisant, j'ai un peu pensé à l'ambiance des romans de Scott Fitzgerald …Alors ? L'amour (le bonheur?) et rien d'autre !

    Sans être déçu, je dois dire que j'en ressors une impression mitigée, pas vraiment mauvaise mais pas non plus enthousiaste comme l'a été la presse en général.

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DERNIER NOEL DE GUERRE

     

    N°812 – Octobre 2014.

     

    DERNIER NOEL DE GUERRE Primo Levi – 10/18.

    Traduit de l'italien par Nathalie Bauer.

     

    L’univers des nouvelles est complexe. Quand on parcourt un recueil, instinctivement on recherche le point commun de tous les morceaux qui le composent. Ici cet ouvrage publie des textes demeurés inédits ou parus dans divers journaux ou revues de 1949 à sa mort en 1987, ce qui peut donner une impression d'inégalité.

     

    Primo Lévi est avant tout un conteur. Dans ce recueil il mêle des fables (Amours sur toile) et des textes autobiographiques (Dernier Noël de guerre) ou inventés(État-civil). Il y met en scène des animaux, soit épris de liberté (goélands, girafes kangourous), soit invisibles à l’œil nu (bactéries) qu'il fait interviewer par des humains, généralement des journalistes. Ces textes, généralement brefs, sous des dehors anecdotiques et parfois humoristiques, ont toujours une fonction moralisatrice, mettent le doigt sur un dysfonctionnement de la société qu'ils évoquent et qui bien souvent ressemble fort à la nôtre, comportent un message, des références à l’humain, à l'écologie, à l'évolution des choses et des gens, à la nécessité de s'adapter, aux craintes qu'on peut légitimement former pour l'avenir mais aussi de la science -fiction... Comme le faisait La Fontaine, il met souvent ne scène des animaux qui, singeant les hommes, nous assènent des vérités sur nous-mêmes. Ils ont même, si on veut le voir ainsi, une fonction pédagogique et il est parfois préférable de les lire à haute voix pour en goûter toute la musique que ne trahit pas la traduction. L'humour qu'il emploie à l'envi est, à mon sens, la marque d'une connaissance et d'une compréhension profonde de l'esprit humain qui préfère rire des choses plutôt que d'avoir à en pleurer, simplement parce le spectacle du quotidien autant que de l'humain fait qu'il y a bien de quoi ! C'est à tout le moins une invitation à réfléchir !

     

    Son écriture est variée ; soit l’auteur se présente en position de témoin dans son récit, soit il s’engage à travers des souvenirs personnels (« Fra Diavolo sur le Pô »), soit il pratique carrément l'autobiographie (« Dernier Noël de guerre ») - (A ce moment-là, il choisit la rédaction à la première personne).

    Pour autant, l'imagination de Lévi se nourrit de matière profonde et même parfois obscure (« En une nuit » s'inspire des années noires du terrorisme qui secouèrent l'Italie) mais prend aussi sa source dans l'inconscient collectif fait de tabous et de fantasmes (« Amours sur toile »).

    Je choisis de privilégier dans ce recueil deux nouvelles. Dans l'une (« Le buffet »), L'auteur met en scène, dans une réception mondaine, un personnage qui se révèle être un kangourou, qui n'y est vraiment pas à sa place et finit par quitter les lieux en « de longs sauts élastiques et heureux". En fait il fuit un monde qui n'est pas fait pour lui et où il n'a pas sa place. Quant à l' « État-civil », il évoque un monde déshumanisé où personne ne connaît personne, où une administration tentaculaire décide de tout et surtout de la mort des gens. Arrigo, un des rouages anonymes de cette société absurde, prend conscience de cet état de chose et devant la mort programmée d'une petite fille de huit ans refuse de faire son office « Si elle devait mourir, elle mourrait sans lui. Il ne participerait pas à sa mort ». Il est difficile de ne pas voir ici une allusion aux camps d'extermination nazis mais aussi peut-être au mal que peut faire gratuitement, et parfois pour le plaisir, un homme à un autre.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'HOMME BAMBOU

    N°811 – Septembre 2014.

    L'HOMME BAMBOU – Jocelyn Bonnerave – Le Seuil.

    Le narrateur s’appelle A, il est jardinier à Foix et est amoureux de Maïa, une étudiante en archéologie. C'est aussi un dragueur, capable de tout pour séduire sa dulcinée. Il est aussi inventif et veut se lancer dans la culture intensive des bambous dont il espère vendre les pousses au nombreux restaurants chinois de l'Ariège. Sauf qu'il découvre une chose extraordinaire et assez inattendue[« "J'ai une pousse de bambou qui me sort du cul !" ] L'homme devient donc plante. Suit une sorte de cavale à travers la France et au Portugal pendant laquelle des bambous continuent de pousser sur lui, au bas des son dos. Est-ce pour échapper à ce destin ? Cela va faire de lui non plus un agriculteur mais un monstre qu'on exhibe dans les cirques et dans les musées. Il va même jusqu'à se cacher au Jardin des Plantes à Paris. Donc adieu l’exploitation agricole du début. Tout cela est décliné dans trois parties distinctes

    Et Maïa dans tout cela ? Elle le suit puisqu'elle l'aime et l'aide à accepter ce corps biologiquement bizarre et mutant.

    Je veux bien qu'on soit dans une fiction mais quand même ! Le texte est assez mal écrit et sans grand intérêt, les dialogues sont fades, avec parfois des considérations personnelles inutiles à la compréhension et à l'intérêt du texte, sur la recherche, sur les détails anatomiques de Maïa, les phases du déshabillage, de la jouissance, tout cela dénué du moindre sens érotique et même poétique. J'ai aussi cherché le message, écologique, reflet de notre temps ou remarques pour l'avenir ? Je ne l'ai pas saisi ! Quant à l'humour qui pourrait peut-être jaillir de tout cela, j'avoue bien volontiers y avoir été largement imperméable. Je suis là aussi peut-être passé encore une fois à côté d'un chef-d’œuvre ! Quand à l'épilogue que veut « réconcilier Darwin et Alice aux pays des merveilles », j'avoue bien volontiers que je ne suis définitivement pas entré dans l'univers créatif de l'auteur !

    J'ai lu ce livre jusqu'à la fin par une obligation que je m'étais moi-même imposée. Je le regrette beaucoup.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TRAVAIL SOIGNE

    N°810 – Septembre 2014.

     

    TRAVAIL SOIGNE - Pierre LemaitreÉditions du Masque.

     

    Dans un loft de Courbevoie, le commandant Camille Verhœven et son équipe constatent un véritable massacre. Les corps éviscérés de deux prostituées gisent, coupés en morceaux avec au mur une inscription énigmatique faite avec du sang. Cela rappelle une autre affaire au commandant, quelques mois plus tôt à Tremblay-en-France, mêmes victimes, même mode opératoire, mêmes détails macabres... Au départ, il nage en plein mystère mais rapidement son opinion est faite : ces deux meurtres sont liés, probablement commis par le même homme qui est aussi un tueur en série ! Cela commence bien d'autant plus que rapidement, ces deux affaires semblent faire référence à un roman policier, lui-même inspiré de faits réels, ce qui peut parfaitement constituer une autre piste. Il n'y en a pas tant que cela après tout ! C'est vrai que cette enquête est liée à la littérature policière, mais piétine et cela menace de durer encore longtemps, les membres de la brigade n'étant pas particulièrement versés dans ce genre de prose. L'épilogue sera à la mesure de ce parti-pris d'écriture. Tout cela dure puisque ces investigations font également appel à de nombreuses archives, à des concours extérieurs et, bien entendu débouchent parfois sur des impasses. De plus, le meurtrier nargue le commandant, ce qu'il n'apprécie guère.

     

    Comme toujours la presse se déchaîne, est même hypocritement laudative mais aussi caustique envers Camille ce qui n'est guère du goût du juge qui souhaite que le secret de l'instruction soit respecté. C'est un peu oublier que notre commandant est une sorte de marginal, guère soucieux ni de la procédure ni même de sa propre hiérarchie qui pourtant le harcèle. Chaque jour qui passe est une sorte de défi pour lui mais l'enquête s'enlise malgré les moyens importants mis à sa disposition et les méthodes de ce policier hors normes.

     

    C'est un roman très gore où le suspens est entretenu jusqu'à la fin. Le texte se lie rapidement mais comporte, à mon goût quelques longueurs.

     

    Ce roman est le premier de la trilogie Verhœven découverte en ce qui me concerne avec « Alex »(La Feuille Volante n°802).

     

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • MONDE SANS OISEAUX

    N°809 – Septembre 2014.

    MONDE SANS OISEAUX - Karin Serres – Stock.

    Ai-je perdu le goût des fables ? Serais-je devenu imperméable à ce monde merveilleux que des écrivains comme Boris Vian avaient si bien su tisser autour de moi, il y a de cela bien des années, pour modifier mon approche de la littérature qui était à la fois scolaire et un peu trop classique ? L'auteur de « l'écume des jours » avait enchanté cette période de ma vie par cette poésie si caractéristique qui émanait de son œuvre. Je tiens à garder intact ce charme qui fonctionne peu ou prou encore aujourd’hui mais malgré ma propension à vouloir voir les choses autrement, je ne suis pas vraiment entré dans cet univers que je reconnais pourtant comme original et onirique.

    Comme dans tous les contes, il faut dépasser les mots, aller chercher derrière les phrases le message, mais l'histoire de « Petite Boîte d'Os » ne m'a guère enthousiasmé. Elle est la fille d'un pasteur, habite près d'un lac, dans un pays un peu indistinct qu'on peut aisément imaginer nordique. Elle grandit, va à l'école, se fait des amis, voit son corps se modifier, se marie avec Joseph « Tados », plus vieux qu'elle et qui lui fait un enfant. Cet homme a une réputation non vérifiée de « cannibale » parce qu'il a survécu au déluge et qu'il est revenu au village sans l'homme qui l'accompagnait. Cette bourgade est un microcosme où les gens vivent en vase clos. On pourrait peut-être y voir l'incarnation d'un Eden puisque les choses y sont différentes d'ailleurs. On y tire sa subsistance de cochons transgéniques et fluorescents qui vivent dans l'eau du lac dont le fond sombre est tapissé de cercueils troués. Les morts servent ainsi de nourriture au porcs et aux poissons, une sorte de reconstitution de la chaîne alimentaire.« Petite Boîte d'Os » vit avec sa famille dans une maison bleue, dont la couleur, sans doute à cause de la chanson de Maxime Le Forestier, évoque le bonheur.

    Pourtant la vie de cette jeune femme, malgré le contexte surréaliste de ce village, est assez ordinaire, faite de petits bonheurs (scène de la vie de famille) ou de grands malheurs(deuils, perte d'un proche). Les enfants grandissent, quittent leur famille, les gens vieillissent et meurent, certains même se suicident parce qu'il ne supportent pas ce monde, d'autres y connaissent la solitude et l'abandon et comme à l'extérieur c'est la même fuite du temps. Le texte est pourtant actuel, met en scène les changements dans la vie sociale qui obligent les femmes à aller travailler dans la ville voisine et donc à confier leurs enfants à d'autres pour ainsi gagner un peu d'argent et survivre. Il prend un ton écologique quand il est question de la montée des eaux de ce lac à cause du changement climatique. Quand il évoque les temps reculés où l'air était peuplé d'oiseaux maintenant disparus, on ne peut pas ne pas songer à cette constante action destructrice de l'homme qui, au nom de la rentabilité et de l'enrichissement d'une génération, détruit inexorablement ses richesses en laissant le soin à la suivante de réparer ses erreurs ! Des ethnologues viennent de l'extérieur étudier ce mode de vie et des touristes curieux prennent des photos mais les choses dépérissent et les gens avec elles ! Le village se vide et avec le temps, les bouleaux qui entouraient le bourg s’attaquent aux maisons, une sorte de fin du monde !

    J'ai pourtant trouvé à ce texte étrange une sorte de poésie colorée mais je l'ai lu davantage par curiosité que par réel intérêt.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE LINGE SALE

    N°808 – Septembre 2014.

    LE LINGE SALE - Pascal Rabaté – Sébastien Gnaedig – Vents d'Ouest.

    Ce que c'est quand même que la distraction. Voulant occire sa femme, Lucette, et son amant, Pierre Martino se trompe de chambre d'hôtel, tue un autre couple également illégitime et écope de la perpétuité. Cela fait de lui non seulement un cocu mais aussi un assassin. Elle avait choisi pour partenaire ce qui se faisait de pire dans ce village près de Cholet, alors que son mari est un type bien. C'est un malchanceux ce Pierre. Il avait tout pour être heureux, un bon métier, une maison confortable dans ce petit coin de province catholique et bourgeois, tout sauf sa femme qui ne pouvait s'empêcher de le tromper avec n'importe qui, pour le plaisir peut-être mais aussi pour humilier ce mari qui était amoureux d'elle. On imagine que pendant son absence, elle ne pouvait s'empêcher de s'afficher avec ses amants sans le moindre complexe. Le plaisir sexuel devait bien être une motivation suffisante pour Lucette puisqu'elle choisit d'épouser son amant et de fonder avec lui une famille mais surtout de vivre dans un bouge au milieu d'un clan de marginaux où les pratiques sexuelles sont liées à la promiscuité et à l’absorption immodérée d'alcool. C'est qu'elle n’imaginait pas revoir ce mari qui, pourtant, est libéré au bout de vingt ans pour bonne conduite et se jure bien de finir le travail en exterminant toute la tribu de cette mafia locale, les Verron.

    Pour Pierre la vengeance est un plat qui se mange froid et même, en ce qui le concerne, faisandé. C'est vrai que pendant 20 ans en taule il a eu le temps de penser à tout cela, et puis cette libération inespérée tombe plutôt bien pour lui. Il revient donc dans une ville où personne ne le reconnaît, se fond dans le décor, forcément après vingt ans on change et surtout on oublie. C'est un méthodique ce Pierre. Il étudie les lieux dans lesquels vivent les Verron, leurs habitudes, toujours en marge de la légalité, leurs postures querelleuses, et les exploite. C'est vrai qu'on a de la sympathie pour Pierre, qu'on souhaite qu'il réussisse, qu'on applaudit à la naïveté voire à l'imbécillité des Verron. Ils sont d'ailleurs bien croqués à travers des dessins en noir gris et blanc, fort peu avantageux et des dialogues un peu grinçants où j'ai choisi d'y voir l'empreinte de Michel Audiard [« On est en chaleur eh bien je refroidis »] Il ne manque ni l'alcool ni les expressions caractéristiques de cette frange de la population et le suspens est entretenu tout au long du récit. Quant à l'épilogue, il est à l'image de la réalité et pas forcement à celle qu'on attend.

    Je ne suis pas familier des BD. Le film de Pascal Rabaté (« Ni à vendre ni à louer » - La Feuille Volante n° 532) ne m'avait pas vraiment convaincu, mais ici, j'ai bien aimé.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES FIDELITES

    N°807 – Septembre 2014.

    LES FIDELITES - Diane BRASSEUR - Allary Éditions.

    Un peu avant Noël une famille s'apprête à partir pour New-York afin d'y célébrer les fêtes de fin d'année. A cette occasion, le mari, 54 ans, profession libérale aisée, se livre à un monologue au terme duquel le lecteur apprend que, depuis un an, il trompe son épouse avec une jeune et jolie trentenaire, la belle-sœur de son associé, après 19 ans de mariage. Dans cette situation, j'ai beaucoup de mal à voir de l'originalité, c'est même d'une banalité affligeante. Heureusement nous échappons au traditionnel vaudeville du ménage à trois puisque seul cet homme s'adresse au lecteur, lui confiant ses états d’âme, ses espoirs, ses jalousies, ses craintes d'être découvert. Il n'est pas avare de détails à propos de cette double vie nécessairement ambiguë, lui raconte cette passade qui n'est certes pas la première mais qui est plus torride que toutes les autres. Pour retrouver Alix, sa maîtresse, il vit entre Paris où est le siège de son cabinet et Marseille où habitent sa femme et sa fille. A longueur de pages, il fantasme sur le corps sensuel de cette jeune femme, évoque des détails délicatement érotiques, détaille les différentes phases de l'acte sexuel, imagine leurs futures étreintes quand ils sont séparés [« Normalement, fantasmer, c'est prendre le risque d'être déçu. Avec Alix, mes fantasmes ont alimenté mon désir qui a provoqué le sien »], décrit par le menu leur vie parisienne commune pleine de moments intimes qu'il oppose à une relation familiale marseillaise, désormais en pointillés. On comprend bien qu'il aura du mal à quitter Alix ! Pourtant quand il est chez lui sa maîtresse lui manque et c'est le contraire quand il est avec elle ! Tel est donc le dilemme qui se pose à lui, quitter l'une ou l'autre ! Ce n'est pas si simple puisqu'il estime qu'il trompe son épouse avec Alix et cette dernière avec sa femme. C'est là sans doute le sens du titre de ce roman. Il ne s'agit pas à ses yeux d'un banal adultère mais de deux fidélités alternées![« Je fais l'amour avec Alix, je fais l’amour avec ma femme. Je ne sais plus qui je trompe avec qui »], d'un drame qui se voudrait cornélien [« J'aime ma femme et Alix me manque »].

    Pour se motiver, il va même jusqu'à imaginer que sa fille, dans quelques années, lui avoue une liaison toute aussi torride avec un homme marié et se demande comment il réagirait. Il en vient à souhaiter une rencontre voire une complicité entre elle et Alix. Entre culpabilité et projets, il imagine l'avenir, suppose que son épouse découvre son adultère et en soupèse les conséquences. Il devrait alors vivre avec Alix et assumer cette différence d'âge qui, à la longue ne lui serait pas favorable, lui qui a surtout peur de vieillir. En réalité sa femme ne se doute apparemment de rien. On comprend vite quelle sera sa décision que je ne dévoilerai évidemment pas mais le terme « thriller psychologique » employé par la Figaro me paraît quand même un peu exagéré.

    L'originalité de ce roman réside sans doute dans le fait que c'est l'homme qui parle et non pas l’épouse trompée comme c'est généralement le cas. Je note le style haché, assez désagréable à lire. Le texte fourmille de détails ménagers parfaitement inutiles et dont le lecteur n'a vraiment rien à faire. Ils n'ajoutent rien à la compréhension du texte.

    Ce que je trouve le plus beau dans ce roman, c'est le visage de la femme sur la couverture.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA MALADIE DE LA MORT

    N°806 – Septembre 2014.

    LA MALADIE DE LA MORT - Marguerite DURAS - Les éditions de Minuit.

    C'est une sorte de drame intime qui se déroule dans une chambre d'hôtel au bord de la mer entre une femme apparemment payée pour être là, pour se soumettre et un homme, incapable d'aimer et qui lui dicte ses volontés. Dans cette relation à la fois simple et compliquée il y a des rites. Tous les soirs, la femme arrive, se couche nue dans le lit de l'homme et elle s'endort. L'homme la regarde dormir. Ils parlent peu et cette absence de dialogue semble être aussi une règle édictée par l'homme à moins qu'il n'aime que le silence. Il lui arrive de lui faire l'amour mais apparemment c'est sans joie, un peu par hasard et quand la jouissance est au rendez-vous pour elle, il ne veut pas qu'elle le montre ni même qu'elle y fasse allusion. Ils ne savent rien l'un de l'autre et veulent continuer ainsi et l'absence de nom souligne cette notion impersonnelle. Il arrive à cet homme de ne pas la toucher, de la laisser dormir, de la regarder de loin et de pleurer. Il pleure sur lui, sur son incapacité à aimer les autres et les femmes en particulier. Apparemment cette femme n'est pas une prostituée, ou alors nous avons affaire à quelqu’un d’intellectuellement supérieur, mais cette relation est cependant tarifée ce qui ne manque pas d’ambiguïté. Je peux imaginer que cet homme invite cette femme à venir le rejoindre pour assouvir une passion autre que charnelle qui peut parfaitement être de nature fantasmatique ou purement intellectuelle. Quant à elle, l'auteur semble lui conférer un rôle « thérapeutique ». Elle aurait un diagnostique naturel : non seulement elle lui révèle qu'il est atteint de la maladie de la mort parce qu'il lui est impossible d'aimer mais aussi qu'elle a accepté de venir auprès de lui pour l'en délivrer. Cette maladie est mortelle « en ceci que celui qui en est atteint ne sait pas qu'il est porteur d'elle, de la mort. Et en ceci aussi qu'il serait mort sans vie au préalable à la quelle mourir, sans connaissance aucune de mourir à aucune vie » ».  Veut-elle nous dire que la vie est une maladie mortelle ? Nous le savions déjà !

    L'homme semble en effet être dans un état psychologique catastrophique et tente sans doute de s'en sortir par cette expérience qui paraît promise à l'échec mais qui est assurément la dernière avant sa mort qu'on peut entrevoir. Il me semble d’ailleurs que les draps dans lesquels repose la femme peuvent signifier une sorte de linceul, le sommeil peut-être regardé comme l'antichambre de la mort, les pleurs répétés de l’homme, évoquer le chagrin inspiré par une perte irrémédiable, la lumière à l'intérieur de la chambre évoquer pourquoi pas la lueur d'un tombeau. J'observe que la mer est noire mais sans majuscule, ce qui peut signifier qu'on est au bord de n'importe quel océan mais surtout que la couleur choisie veut rappeler le deuil. L'élément liquide quant à lui peut évoquer le passage vers autre chose, vers un autre monde que les mythologies ont souvent repris à leur compte. Ainsi l'idée de la mort est-elle incarnée alternativement par l'homme et par la femme mais à un certain moment il désire la tuer parce qu'elle incarne la vie, une vie qu'il ne peut atteindre ou qui se refuse obstinément à lui ! Les indications scéniques de la fin du roman peuvent être ainsi interprétées.

    Une partie du texte est écrit au conditionnel surtout quand il s'agit de la femme, de sa conduite face à l'homme. L'auteur y mêle également le présent et interpelle son lecteur, le mettant à la place de l'homme. J'ai eu beaucoup de mal à sentir ce rôle. Quant à la rédaction, elle est hachée, difficilement lisible et ne procure pas, à mon avis une lecture agréable.

    Je concède qu'il y a parfois des moments poétiques, surtout quand l'homme regarde avec crainte la nudité de la femme [« Vous regardez cette forme, vous en découvrez en même temps la puissance infernale, l'abominable fragilité, la faiblesse, la force invincible de la faiblesse sans égale »] mais son regard se fait obsessionnel quand il pose avec insistance ses yeux son son sexe et sur ses seins, ce qui trahit une sorte de refoulement. Cela se transforme évidemment en images érotiques mais avec une notion d'impossibilité. D'ailleurs il lui avoue qu'il n'a jamais regardé, désiré ni possédé ni bien sûr aimé une femme avant elle. Elle est en quelque sorte en elle-même une prise de conscience du mal que l'homme porte en lui et quand cela est formulé par elle, la chambre s'éclaire. A partir de ce moment, il y a entre eux une sorte d'échange, d'explication autour du concept de l'amour [« Vous demandez comment le sentiment d'aimer pourrait subvenir. Elle vous répond : peut-être d'une faille soudaine dans la logique de l'univers. Elle dit : par exemple d'une erreur. Elle dit : jamais d'un vouloir »]. Cela étant dit, elle disparaît sans espoir de retour, ne laissant qu'une empreinte froide dans les draps, mais le ciel pour l'homme s'éclaircit comme si le passage de cette femme dans sa vie, y compris dans sa dimension sensuelle et érotique, avait été une révélation et même une libération, une sorte de retour à la vie.

    J'avoue que je n'ai jamais beaucoup aimé Marguerite Duras. J'ai toujours refusé de lui trouver du talent au seul motif que la presse spécialisée avait été soudain laudative, surtout après son prix Goncourt. Les romans successifs que j'ai lus d'elle m'ont laissé indifférent, tout comme celui-ci. Je n'ai peut-être rien compris, je suis peut-être passé à côté d'un chef-d’œuvre mais, même s'il peut m'arriver à moi aussi d'être dans un état un peu second, j'avoue qu'une lecture attentive de ce roman ne m'a pas procuré la moindre émotion. Était-ce une étude sur le fantasme masculin, le désir inassouvi, l'impossibilité de conquérir une femme, de la posséder autrement qu'en la payant, un rappel de la supériorité sensuelle et esthétique voire intellectuelle de la femme ? Peut-être ! Si c'était pour nous rappeler que nous sommes mortels, ce n'était pas la peine d'en faire tant. Si c'est pour nous dire qu'elle sentait sur elle l'ombre de la Camarde, là c'est parfaitement respectable, mais ce roman m'a laissé, un peu comme à chaque fois, un goût d'inachevé, de vide, de malaise. C'était sans doute son but ?

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SOLEA

    N°805 – Septembre 2014.

    SOLEA - Jean-Claude Izzo - Gallimard.

    J'avoue à ma grande honte que jusqu'à ce que j'écoute un disque du chanteur-poète italien Gianmaria Testa qui fut son ami, je n'avais jamais entendu le nom de Jean-Claude Izzo (1945-2000). J'ai bien, comme toute le monde, vu à la TV la série policière de Fabio Montale mais en dehors des adaptations à l'écran de Simenon, d’Agatha Christie ou de Léo Malet, fait-on vraiment attention à l'auteur du roman qui en est à l'origine ? Et puis cette adaptation télévisuelle n'avait pas vraiment retenu mon attention.

    C'est la troisième tome de la trilogie Fabio Montale, cet ex-flic marseillais qui a démissionné parce qu'il ne se reconnaissait plus dans ce métier[«  Être flic, qu' on le veuille ou non, c'était appartenir à une histoire. La rafle des juifs du Vel'd'hiv. Le massacre des Algériens, jetés à la Seine en octobre 1961 ...Toutes ces choses-là qui avaient des effets sur la pratique quotidienne de pas mal de flics, dès lors qu'ils avaient affaire à des jeunes issus de l'immigration »]. C'est un roman-noir où la mort frappe à toutes les pages[« La mort qui a pour tous un regard »], bien qu'il se déroule à Marseille où douceur du climat méditerranéen inclinerait plutôt au farniente, au pastis,à la pétanque, à l'accent de Pagnol... Je sais cela fait un peu carte postale ; Encore que cette ville phocéenne c'est tout cela mais aussi autre chose, la Mafia, la violence, l'intolérance, le crime, le trafic de drogue, la tentation du Front National...

    C'est vrai que Montale répond aussi aux critères classiques du policier de triller, alcoolique, marginal, désabusé, solitaire mais perpétuellement amoureux des femmes... Lole l'a quitté pour un autre homme mais il rencontre Sonia, une belle brune avec qui il aurait bien fait un petit bout de chemin, un amour éphémère cependant puisqu'on la retrouve la gorge tranchée... la main de la Mafia ! C'est la même organisation criminelle qui recherche Babette Bellini, la journaliste « free lance », parce qu'elle enquête sur les liens que l'organisation entretient avec la finance internationale et probablement aussi avec le pouvoir politique, comme en Italie. Elle fuit de Rome à Marseille avec à ses trousses des tueurs et, en désespoir de cause, se tourne vers Montale. Et ce n'est que le début ! Quant à Hélène Pessayre, elle a beau être commissaire de Police, il n’est pas insensible à son charme. C'est lui, Fabio qui nous raconte cette histoire, à la première personne comme s'il se confiait à son lecteur.

    Je l'aime bien ce Fabio finalement. A la fois pragmatique et posant sur le monde qui l’entoure un regard de plus en plus dubitatif [il parle de « la saloperie permanente du monde »], attaché à sa ville qu'il connaît et qu'il aime, à son port, ses odeurs, ses couleurs, à la mer. Il est aussi cultivé, amoureux du jazz et de la musique [ Solea est un morceau célèbre de Miles Davis], suffisamment conscient de la réalité de la société pour n'en faire partie que de loin, suffisamment humain cependant pour défendre ceux de ses amis qui sont menacés, suffisamment philosophe pour relativiser les choses de cette vie dont on a dit tout et son contraire, mais quand même capable de se battre pour l'améliorer, faire qu'il y ait plus de justice, plus d'égalité. Il aime la bonne bouffe parce qu'elle fait partie de la vie, est amoureux des femmes parce qu'elles représentent la beauté sur terre et il n'y est pas insensible, comme il aime la poésie parce que c'est bien souvent elles qui inspirent les poètes. Cet attachement à la poésie, celle de Saint-John Perse, de Cesare Pavese mais aussi celle des chansons de Gianmaria Testa, je le retrouve aussi dans l'architecture la phrase, elle en est le témoin [« Je voyais, oui. Et je sentais. L'eau coulant sur ma peau. Sa douceur. Et le sel. Le goût des corps salés. Oui, je voyais tout ça, à portée de ma main. Comme l’épaule nue de Sonia. Aussi ronde, et aussi douce à caresser, que les galets polis par la mer. Sonia »]. Il est un peu idéaliste aussi et pas mal rêveur, romantique avec sa sensibilité à fleur de peau, conscient des réalités aussi quand il comprend que son charme d'antan, même s'il a été bien réel, a maintenant disparu.

    Il y a beaucoup de Jean-Claude Izzo dans le personnage de Montale et c'est en cela sans doute qu’il est passionnant. C'est plus qu'un personnage de roman, une sorte de double de l’auteur, lui-même attachant par son parcours personnel, son engagement , même si son passage sur terre fut rapide. Ce roman paraît en 1998. Il clôt sa trilogie et Montale se sent vieillir tout comme Izzo qui apprend qu'il est atteint d'un cancer. Il mourra en 2000.

    « Quand on ne peut plus vivre, on a le droit de mourir et de faire de sa mort une dernière étincelle ».

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Rosy et John

     

    N°804 – Septembre 2014.

     

    ROSY ET JOHN - Pierre Lemaitre. Le livre de poche.

     

    Non, non, ce n'est pas une blague, la trilogie Verhœven comporte bien un quatrième volume, enfin, une nouvelle. Mais après tout cela n'a aucune importance et l'auteur lui-même considère cette œuvre comme un demi-roman ! Elle est même agrémentée d'une préface de l'auteur qui nous explique comment est née cette fiction policière, un simple trou dans la chaussée ! Quoi de plus banal en effet quand, on se demande bien pourquoi, on n'a de cesse de défoncer les rues juste après les avoir regoudronnées. Pour le reste, on peut faire confiance à son imagination d'écrivain !

     

    Le titre évoque une chanson de Gilbert Bécaud dans les années 60, vous savez quand tout était facile, qu'il n'y avait pas de chômage, enfin les golden sixities... Les choses ont bien changé ma bonne dame. Aujourd’hui c'est un poseur de bombe (John) qui en a fait péter une dans la 18° arrondissement et qui menace de recommencer dans six autres endroits si on ne libère pas sa mère (Rosy) et si on ne lui donne pas quelques millions et un billet d'avion pour l'Australie. Surtout que pour cela il s'est livré lui-même au commandant Camille Verhœven et à lui seul parce qu'il l'a vu vu à la télévision. Un joyeux inconscient ce John qui n'a pourtant rien d'un terroriste exalté, quant au chantage, il est plutôt mal tombé !Tout cela semble plié d'avance et on imagine que le pauvre John ne fera pas longtemps le poids face aux flics de antiterrorisme mais quand même, la perspective de ces explosions, ça bouscule un peu la hiérarchie et le ministre... cela affole même le chef du gouvernement ! C'est vrai qu'il est un peu paumé ce pauvre John Garnier, sa mère est en prison, sa petite amie vient de mourir et il n'a plus de travail. Il a peut-être envie qu'on parle un peu de lui ?

     

    Camille qui espérait reprendre sa vie à la criminelle ne s'en tirera pas comme cela. Flanqué de Louis, toujours aussi efficace, va devoir faire sa part de travail alors qu'il ne s'y attendait pas. Ce que c'est quand même que la notoriété télévisuelle ! Il est vraiment très fort ce commandant et il finit par mettre John en confiance à force de persuasion, à tout le moins le croit-il, mais c'est compter sans l'obstination de ce dernier.

     

    Comme toujours le suspens est au rendez-vous entre bluff, lourdeurs administratives, profil psychologique, interrogatoires musclés, parcours personnel, patients recoupements, hésitations, erreurs … et réalité d'une mère abusive !

     

    Cet auteur me procure encore une fois un bon moment de lecture.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TANT DE LARMES ONT COULE DEPUIS

    N°803 – Septembre 2014.

    TANT DE LARMES ONT COULE DEPUISAlfons Cervera- La contre allée.

    Traduit de l'espagnol par Georges Tyras.

    Nous sommes à Los Yesares le jours de l'enterrement de Teresa dont il est question dans « Ces vies-là »(La Feuille Volante n°566). Le narrateur, installé en France, à Orange, avec ses parents depuis de nombreuses années, revient pour assister à cette cérémonie. Comme à chaque fois, dans ce genre de rencontre autour d'un mort, on retrouve famille et amis et c'est l'occasion d'égrener des souvenirs. Les histoires d'amour s'y mêlent à celles des disparus, on évoque la guerre civile, l'exil, la détresse et la survie dans un autre pays que le sien. C'est que ce village a été, comme les autres, marqué par la guerre civile, le franquisme, la crise économique, le déracinement, les vagues successives d'émigration...

    Le narrateur alterne son témoignage et les souvenirs d'autres personnages pour réveiller la mémoire. On a parlé « d’écriture chorale » à son propos. Cette histoire s'écrit à travers les vivants et les morts mais en tout cas dans ces « vies insignifiantes » qui se sont déroulées dans le silence, le bruit, les corps et les images qui reviennent au hasard des souvenirs de chacun. C'est une sorte de labyrinthe ou l'oubli parfois cohabite avec le mensonge parce qu'on fait prévaloir le masque rassurant des apparences. Certains sont revenus définitivement, d'autres n'y font que des visites ponctuelles comme le narrateur, mais tous ont en commun une mémoire qui les relie entre eux. Ils ont tous connu, en France où ils sont venus travailler, le rejet, le mépris, le racisme...Tous ces témoignages nécessairement fragmentaires sont comme les morceaux d'un puzzle, ils en ont le mystère et l’hésitation, l’approximation parfois. Ils sont pleins de colère, de douleurs, d’espoirs déçus. Petit à petit cela forme une sorte de tableau, à la fois impressionniste et réaliste, comme si l'écriture faisait échec à l'oubli et peut-être invitait le lecteur à faire sien le sentiment de révolte, de crainte et de douleurs de tous les exilés de tous les temps et de tous les pays. Ils seront toujours les boucs de la population et la cible des extrémistes.

    Le style est simple, dépouillé, poétique souvent. Les chapitres sont brefs et des analepses qui mélangent présent et passé laissent une impression de permanence.

    Le narrateur nous parle aussi de lui et sème dans son texte des références de ses lectures personnelles où René Char voisine avec Antonio Marchado, Jorge Luis Borges avec William Faulkner.

    Alfons Cervera (né en 1947) fait partie de ces écrivains qui se sont appropriés cette période de l'histoire espagnole qui va de la seconde république à la démocratie retrouvée et qui ont voulu, par l'écriture, faire échec à l'oubli qui caractérise tant l'inconscient collectif de nos sociétés humaines. Comme tout écrivain, il a commencé par raconter une histoire familiale, forcément pudique et silencieuse en y mêlant souvenirs et imaginaire mais il s'est aperçu assez vite qu'il y avait « des territoires de la mémoire à explorer » avec ces zones d'ombre et de lumière. Il en a fait un thème de réflexion et de création en y incluant la mémoire collective, en se faisant le porte-parole des vaincus, prenant en compte leur témoignage, leur exemple et leur rendant ainsi leur dignité.

    Il devient ainsi non seulement un écrivain classique avec son bagage de rêve et de dépaysement mais aussi le « témoin » d'un monde qu'il n'a peut-être pas connu directement mais qu'il fait revivre en l'évoquant par la mémoire et en nous invitant à y réfléchir.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ALEX

    N°802 – Septembre 2014.

     

    ALEX – Pierre Lemaitre – Albin Michel

     

    C'est un thriller présenté comme un plan en trois parties ou, si l'on veut , un drame en trois actes.

     

    Au début de ce récit, Alex, jolie jeune femme de trente ans, solitaire, séduisante, est enlevée en plein Paris et séquestrée dans un hangar froid par son ravisseur. La mise en scène mérite qu'on la décrive : elle est enfermée nue dans une cage exiguë, suspendue au-dessus d'une meute de rats avec seulement un peu d'eau et des croquettes pour animaux qui ne servent qu'à appâter la vermine. Elle ne peut s'y tenir ni couchée ni debout, tout juste repliée dans une position inconfortable et au milieu de ses excréments. On songe au supplice crée par Louis XI pour l'évêque de Verdun. Ils ne se connaissent ni l'un ni l'autre et on pense immanquablement au fait d'un déséquilibré, à un acte gratuit, aux sévices, au viol, au meurtre, mais le plus étonnant c'est que cet homme veut seulement « la regarder crever » ! La jeune fille réfléchit, résiste comme elle le peut dans sa position, se demande ce qu'elle fait là et finit par souhaiter la mort. Pour autant l'inconnu ne répond à aucune de ses questions, se contentant de la prendre en photo.

     

    L'enlèvement s'est déroulé en présence d'un témoin, une enquête est donc ouverte, confiée au commandant Camille Verhœven qui ne souhaite pourtant pas en être chargé parce que ce genre d’affaire lui rappelle le kidnapping de son épouse qui a mal tourné. Enceinte de huit mois, elle a été tuée. Deux meurtres d'un coup et sa vie gâchée ! Il est resté veuf, solitaire et vit avec son chat ! Pourtant il l'accepte, parce que c'est un bon flic, peut-être parce que c'est son supérieur, le commissaire divisionnaire Jean Le Guen, qui le lui demande, peut-être aussi parce que c'est un moyen d'exorciser ses vieux démons ? Il fait équipe avec Armand et Louis, deux officiers aussi dissemblables l'un de l'autre sur le plan vestimentaire comme sur celui du train de vie, de la culture, mais sacrément efficaces. Pourtant cette affaire est atypique : pas de revendication, pas de demande de rançon, absence d'identité de la victime et de l'agresseur... A force d'investigations et aussi avec un peu de chance, la police finit pas trouver le lieux où la jeune fille était séquestrée, mais trop tard, elle n'y est plus. Et pour corser le tout le kidnappeur s'est suicidé. C'est, si l'on veut, la fin du premier acte.

     

    Alex reste introuvable, disparue de la circulation, et une série de meurtres particulièrement atroces et cruels est révélée dans diverses régions de France. Au début on ne fait pas le rapprochement mais les enquêteurs finissent par penser à elle. Elle n'a pas de visage mais, avec les portraits-robots, les témoignages, elle prend vite une physionomie. Pourtant, la jeune fille brouille les pistes, change d'identité et d'apparences, mais le modus operandi est le même : toutes les victimes sont exécutées à l'acide sulfurique concentré déversé dans la gorge. Elle chercherait à se venger des hommes, mais elle n'a pas été violée, les prend au hasard et s'attaque aussi aux femmes à l'occasion... Mais pourquoi ce mode opératoire particulièrement cruel ? Le juge a beau dire que quelque chose a du lui rester en travers de la gorge, l'argument est facile et surprenant de la part d'un magistrat, quant à l'incontournable raison sexuelle elle ne pèse pas bien lourd. Cependant, sans plus de raison qu'avant, Alex choisit de quitter la scène. Fin de deuxième acte.

     

    Reste le troisième acte, moins spectaculaire sans doute que les deux précédents mais il a au moins l'avantage d'être explicatif... et surprenant. Les policiers tiennent un fil et le déroulent et tout un passé qu'on croyait révolu, oublié, remonte à la surface. Alex aimait lire et aussi écrire, même si c'était par intermittence. C'était pour elle, à cause de sa solitude un véritable exorcisme. Les policiers quant à eux sont experts en maïeutique même s'il y a un peu de bluff, pas mal de suppositions, mais cela se passe tout en finesse et loin des violences persuasives traditionnelles et surtout grâce aussi au travail de fourmis des enquêteurs. Dès lors cela provoque la déstabilisation de témoins devenus suspects puis accusés, le réveil de remords, de lourds secrets de famille qu'on croyait définitivement oubliés. Le problème posé est celui de la vengeance, de la volonté de faire subir aux autres ce qu'il nous ont fait subir eux-mêmes et de la légitimité de cette manière de « vendetta ».

    Cette affaire a bouleversé Camille parce qu'elle lui a rappelé un pan de sa propre vie. Le juge, suffisant et vaniteux ne manque pas de le lui faire remarquer, lui conseillant des enquêtes moins lourdes. C'est une occasion aussi pour lui de revenir sur son parcours familial.

     

    L'auteur a dans cette affaire un style particulièrement réaliste précis, riche en détails, en descriptions sans oublier la dimension humoristique que j'ai particulièrement apprécié. Il en profite même, fin observateur de la race humaine, pour formuler quelques aphorismes bien sentis sur ses congénères, ce genre littéraire s'y prêtant bien par ailleurs. C'est un roman policier à la française, passionnant, haletant qui distille le suspense au fil des pages et tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin. Hitchcock a trouvé là un digne successeur !

     

    Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013 pour « Au-revoir là-haut »(La Feuille Volante n°734) se révèle ici un talentueux auteur de roman policier. Ce n'est d'ailleurs pas le première fois que cette revue lui rend hommage pour sa série policière (la Feuille Volante n° 768). Je ne manquerai pas de poursuivre la découverte de son talent.

     

    Ce roman s'inscrit dans la « trilogie Verhœven. »

     

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE LIVRE

    N°801 – Septembre 2014.

    LE LIVRE – René Belletto – P.O.L.

    Michel Aventin, scénariste qui a mis son métier en parenthèses et acteur éphémère d'un film de série B vient de perdre sa sœur, Élisabeth, une jeune et célèbre pianiste à qui il était très attaché. Il éprouve le besoin de revenir dans la clinique où cette dernière était soignée avant sa mort pour saluer le médecin et le personnel soignant qui ont été très présents autour d'elle. Sa visite a aussi pour but de rencontrer une infirmière, Eva Tircée, mais cette dernière a quitté l'établissement pour le Midi où elle souhaite désormais s'établir. Il la rencontrera pourtant à la fin quand elle reviendra pour procéder à la vente de son studio parisien. De son côté il s'est séparé de sa femme Liliane et a beaucoup de mal à surmonter toutes ces épreuves, en perd le sommeil et a même quelques petits soucis de santé qu'il combat avec un sédatif. Lors de sa visite à la clinique, il a aperçu, dans la chambre qui avait été occupée par sa sœur, un homme entre deux âges, hospitalisé, qui lui a adressé un regard mauvais [« Jamais ne n'avais vu autant de haine dans le regard d'un homme »]. Il a fixé avec intérêt la chevalière que Michel portait à l'annulaire, un bijou trouvé par hasard et qu'il s'était approprié, un peu comme s'il souhaitait s'en emparer. Cet homme, Cyril Mallier, à la fois mystérieux et mentalement dérangé, lui fait même parvenir une lettre et cette rencontre est tellement obsédante qu'il rêve que cet homme lui annonce sa propre mort.

    Michel Aventin est de plus en plus perdu dans sa petite maison parisienne où tout lui rappelle sa défunte sœur. Pour exorciser sa peine, il se raccroche à des tâches quotidiennes même si on sent bien que cela ne sera pas suffisant. Fragilisé par ce qu'il vit, il reste cependant obsédé par le regard de ce mystérieux homme, disparu depuis de la clinique et qu'il souhaite retrouver. Dès lors, le lecteur entre dans le domaine de l'absurde, un véritable délire paranoïaque, une obsession pesante et même un peu dérangeante de suspicion et aussi de mystère. Au vrai, il est difficile de résumer ce roman à cause des fréquents rebondissements qui s'y produisent et qui remettent en question ce qu'on pouvait éventuellement avoir compris. Restent peut-être de grandes idées ou plutôt des impressions.

    Il devait être très déprimé ce Michel Aventin pour refaire le monde à sa manière, un peu comme s'il se vengeait ainsi de sa vie ratée, de sa solitude, de ses échecs ; d'autres se jettent dans l’alcool ou la drogue pour oublier. Lui il se réfugie dans le rêve ou dans l'imagination sans qu'on puisse très bien savoir si on est dans le songe ou dans la réalité.(« Était-ce ma vie tout entière que je rêvais, était-ce moi qui me dictais le songe que j'aspirais à coucher sur le papier, l'un de ces jours proches ? »).

    Il y a entre les personnages une atmosphère délétère d’hésitation, de confusion, de mystère ; c'est vrai que dans la vraie vie il faut se méfier de tout le monde, y compris de ses proches, mais quand même, cette ambiance malsaine m'a un peu dérangé ! Il y a aussi ces fréquentes obsessions (la chevalière, la voiture, le roman, le film, la mort...) qu'un professionnel de la psychiatrie pourrait sans doute expliquer mais qui m'ont un peu dérouté. Mais celles-ci me semblent contrebalancées par le fantasme qu'il entretient autour des femmes qui croisent son chemin.

    Venons-en au livre (qui donne peut-être son titre au roman ?) que Cyril Mallier aurait écrit, ce qui se révèle faux en ce qui concerne son auteur, son histoire, la signification, son titre. Les circonstances de la rencontre que fait Aventin dans la librairie ne sont guère éclairantes et tout semble encore plus confus. La lecture qu'il en fait lui semble insipide et n'est pas sans lui rappeler sa rapide étreinte avec Évelyne Doublier, une avocate rencontrée au hasard de ses pérégrinations.

    Pourtant à travers notamment le personnage de Michel, l'idée de mort plane sur ce livre mais, même si ce dernier peut facilement être taxé de timide, on le sent attiré par les femmes qu'il croise dont il tombe facilement amoureux, à cause sans doute de son état de déréliction. C'est un peu comme si, à cause de sa solitude et de son deuil, il cherchait à se raccrocher à un visage de femme. C'est un peu comme si dans ce roman, Éros dansait en permanence avec Thanatos ! Pourtant, Michel est attachant dans ses hésitations, dans cette sorte d'état où il tombe en permanence amoureux de toutes les femmes qu'il croise et qui sont sans doute un antidote à sa solitude, dans son obsessionnelle démarche en direction de sa sœur, dans cette volonté de remettre ses pas dans les siens pour entretenir sa mémoire ou pour la rejoindre dans la mort. Ceux qui ont perdu un être cher n'agissent souvent pas autrement... Quant à l'assassinat d’Évelyne qui apparemment restera une énigme, ce n'est pas cela sans doute qui va arranger son équilibre déjà fragile ! Eva sera peut-être son sauveur ?

    J'ai pris ce roman par hasard sur les étagères de la bibliothèque puisque l'auteur m'était parfaitement inconnu. Comme tout le monde j'ai commencé par lire la 4° de couverture qui m'a semblé assez sibylline. C'était sans doute là une raison suffisante pour entamer une rencontre avec un auteur. J'ai donc lu ce roman, sans enthousiasme cependant, peinant même à poursuivre ma lecture à cause d'un style qui m'a paru laborieux et une histoire à rebondissements sans grand intérêt. J'ai pourtant poursuivi, par curiosité sans doute, même si mon sentiment pour ce roman était de plus en plus mitigé au fil du texte, à la fois fiction et réalité. (un personnage comme Mallier, qui se croit tout permis et cherche à s'insinuer dans la vie des autres sans la moindre retenue existe bien dans la vraie vie. Il est un séducteur, ou plutôt un dragueur, insaisissable et audacieux, l’opposé exact de Michel Aventin plus discret et réservé avec les femmes comme si chacune d'elles lui rappelait sa sœur et sa femme. Lui semble cependant évoluer dans un autre monde !).

    Je ne suis pas bien sûr d'avoir tout compris et je suis peut-être passé à côté de quelque chose de passionnant sans le savoir mais, le livre refermé, je ressens une sorte de malaise , en tout cas le contraire de ce que j'attends d'un roman : qu'il soit un bon moment de lecture !

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ET TOUJOURS CES OMBRES SUR LE FLEUVE...

    N°800 – Septembre 2014.

    ET TOUJOURS CES OMBRES SUR LE FLEUVE... Nathalie de Broc – Presses de la cité.

    Nous sommes en décembre 1793 à Nantes c'est à dire au plus fort de la Révolution. Pendant cette période, la haine du peuple accumulée pendant des siècles contre l'ancien régime et ses excès se déchaîne et on élimine les aristocrates et le membres du clergé comme, au cours de cette année on a guillotiné Louis XVI et Marie-Antoinette. Ici les exécutions supervisées par Carrier, consistent à jeter dans la Loire, rebaptisée « Fleuve révolutionnaire » ou « Baignoire de la République » tous ceux dont la Révolution souhaite se débarrasser, prêtres réfractaires, nonnes mais aussi pensionnaires des hôpitaux, réfugiés vendéens et bien sur « ci-devants ». On les lie deux par deux et on les noie. Parmi ces « condamnés » figurent le comte et la comtesse de Neyrac, leur fils Théo que la petite Lucile voit disparaître sous ses yeux, mais elle réussit à échapper à ce massacre. En ce jour qu'elle ne pourra jamais oublier, elle jure vengeance pour l'assassinat de sa famille et grave dans sa mémoire le visage du Chevalier de Préville, un traître qu'elle tient pour responsable. Lui faire payer son forfait sera le but de sa vie d'orpheline avec l'obsession de « ces ombres sur le fleuve ». Son destin bascule de l'enfance insouciante à la vie d'adulte solitaire, avec l'obligation de s'adapter au quotidien dans un milieu hostile, celui de la rue et de la population interlope du port, des incontournables lupanars. Nous la voyons évoluer et vivre avec ses espoirs, ses colères, ses doutes, ses découragements, ses résignations, ses abattements, ses incompréhensions, entre liberté et enfermement, espoirs et respect de son vœux intime qu'elle pourrait facilement oublier face au bonheur qui s'offre à elle. Dans cette entreprise elle trouvera des alliés inattendus. Les temps changent et le temps passe, la vengeance quelle porte en elle peut prendre d'autres visages, le monde de cette ville est petit, ses acteurs se croisent, se révèlent, réapparaissent, se rachètent, espèrent en l'avenir, bâtissent des fortunes entre corsaires, négriers et lucratif commerce outre-mer.

    Nathalie de Broc se fait historienne jusque dans les moindres détails. Sous sa plume le lecteur attentif voyage dans cette ville de Nantes aussi bien pendant la tourmente de la Révolution qu'une fois la paix retrouvée. A travers les yeux de Lucille, elle détaille la mode vestimentaire, les coutumes, la nourriture, les habitudes des quartiers et des quais, évoque les beaux hôtels particuliers avec les arrivistes et les opportunistes qui maintenant les peuplent comme les bouges du quai de la Fosse et leur faune louche. Elle mêle les événements historiques qui secouent le pays au quotidien de cette cité portuaire, convoque Surcouf, ses hauts faits maritimes et sa volonté d'en découdre avec les Anglais. Elle décrit cette société humaine éternelle avec ses vices et ses perversités, sa volonté de cacher des apparences peu flatteuses mais pourtant révélatrices, capable de veuleries, de trahisons, d'avanies de mensonges pour un peu d'argent de considération ou de pouvoir. C'est pour elle l’occasion d'analyser la psychologie des personnages, leur réaction face au hasard, aux événements qui bouleversent les certitudes les plus établies avec, en contre-point, cette parole qu'on s'est donnée à soi-même et qu'on se doit de respecter jusqu’au bout.

    C'est un livre agréablement écrit qui se lit facilement. L'auteure tient en haleine son lecteur jusqu’à la fin, ménageant suspens et rebondissements même si elle lui laisse le soin d'imaginer une fin qui lui convienne. Un bon moment de lecture en tout cas et une invitation à poursuivre la lecture de cette auteure.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Nouvelles

    N°235

    Février 2001

    DINO BUZZATI – Nouvelles – Éditions Robert LAFONT.

    Dino Buzzati est à coup sût un de ces écrivains trop rares qu’il faut aborder avec humilité simplement et peut-être pour cette seule raison qu’il sait parler de l’humaine condition dont chacun d’entre nous porte la marque. Et lui d’égrener tout ce que l’homme porte en lui de souffrance, d’espoirs, d’abnégations mais aussi d’orgueil, d’appétits de gloire éphémère, de volontés de régner et de détruire son prochain ou au contraire de l’aider à survivre.

    Il n’est, à coup sûr pas un agnostique qui nie tout en bloc pour ce qui est des choses divines, bien au contraire. Sa plume les traite avec le respect dû à ce qui est incompréhensible et qui dépasse ceux qui ne pourront jamais les atteindre.

    Ses nouvelles sont une mosaïque humaine composée de vices et de vertus, tentations et renoncements, délations, trahisons et sacrifices, une grande fresque où chacun d’entre nous se reconnaît simplement parce qu’il y a sa place, infime, dérisoire, mais réelle et irremplaçable.

    Quand il philosophe, il ne le fait pas à la manière d’un intellectuel dont les incompréhensibles propos amènent chacun à se dire que comme il n’entend rien à ses démonstrations, elles sont forcément hors de sa portée et qu’on ne peut, dès lors qu’être admiratif devant tant d’intelligence, que d’écouter des paroles qui restent pour nous des mots et des phrases à jamais brumeuses, entourées d’un halo de mystère.

    Il sait parler de la souffrance comme de l’orgueil, de la honte comme de la volonté de puissance, bref il sait dépeindre ce Janus impénétrable et mystérieux qu’est l’homme, à la fois ange et démon, avec ses zones d’ombre et de lumière .

    Mais ce qu’il fait surtout, c’est jouer son rôle, celui d’un sentinelle qui certes observe et reste vigilante mais rappelle à l’homme que l’égarement pourrait rendre oublieux que la mort guette.

    Car c’est bien là l’essentiel du message qu’il nous délivre, ce vers quoi il revient toujours, cette mort qui nous attend tous, puissants ou quidams, riches ou pauvres. Même si on choisi de l’oublier, la camarde nous guette, sait le jour et le lieu qu’elle a choisi pour nous et contre cela nous ne pouvons rien, qui que nous soyons. Quand elle dévoilera pour nous son sourire décharné, ce sera notre tour, tout simplement. Cette vérité là nous est rappelée, comme une chose fondamentalement simple bien qu’inacceptable… C’est ainsi que nous sommes, pauvres hommes, des êtres de passage, des ombres dans un monde transitoire, qu’on a mis sur terre pour un temps déterminé mais qui reste inconnu de nous jusqu’à la fin avec une idée plus ou moins affirmée de la liberté individuelle ou du destin, avec une dose plus ou moins grande de chance et de malheur. C’est une des marques de l’humaine condition que de rappeler que cette vie ne nous est que prêtée, qu’elle nous sera redemandée un jour, qu’on pourra, selon nos croyances religieuses exiger de nous des comptes ou simplement que cette enveloppe charnelle sera tout simplement vouée à la destruction.

    Le temps que nous passons ici-bas n’est qu’un souffle au regard de l’éternité que nous ne pouvons imaginer, comme il nous est difficile de nous faire une idée de Dieu autrement qu’à travers l’enseignement forcément théorique d ‘une religion (une impression personnelle est nécessairement plus restreinte et imparfaite que le message qui nous est délivré par la Parole – Seuls les esprits supérieurs et ceux que Dieu a choisis pour Le servir font exception à cette affirmation).

    Dino Buzzati sait expliquer les choses et ses observations se transforment en nouvelles, moderne forme des paraboles qui ne parlent pratiquement que du seul cheminement de l’homme vers la mort parce que tel est son destin.

    Écrire comme il le fait est sans doute une manière de narguer cette mort inéluctable qui apparemment épargne la nature alors qu’elle sacrifie l’homme, lui donnant ainsi une forme d’humilité.

    Cette humilité, il se l’applique à lui-même quand il affirme que, malgré la notoriété, il a l’intuition que ses œuvres sont écrites par un autre, non pas un « nègre » comme certains hommes de plume dévoyés aiment à s’entourer mais il veut plus exactement nous rappeler que même pour ceux qu’elle choisi pour être ses interprètes, l’inspiration peut aussi venir à manquer. Rimbaud n’a pas dit autre chose quand il a formulé sa fameuse phrase « Je est un autre », un inconnu sans doute. D’aucuns y verrons une marque de sensibilité, d’autres une empreinte divine, qu’importe, le mystère demeure et la création artistique, quand elle n’est pas corrompue par l’argent, reste un mystère avant tout pour celui qui est connu pour l’auteur d’une œuvre à laquelle il attache son nom mais qui ne se fait aucune illusion quant à sa véritable paternité. Cette inspiration choisira, à condition d’y être attentif et dévoué jusqu’à la fin de la vie ou préférera aller ailleurs, visiter une autre sensibilité humaine. Encore une mystère !

    Il n’empêche, le romancier reste une sorte de médium entre le monde des vivants qu’il connaît et celui plus mystérieux des ombres dont il n’a qu’une intuition peut-être imprécise mais dont il sait qu’il est réel, incontestable, simplement parce qu’il le sent et que rien ne peut le faire douter de sa certitude. Il devient donc un messager qui ne peut se taire et dont la fonction est de parler, même si c’est souvent dans le désert de l’indifférence qu’il s’exprime. Là aussi c’est un paradoxe humain qu’il lui fait accepter, assumer parce que sa condition est ainsi !

    Chez Buzzati, il y a ce côté absurde d’un Kafka, mais il est vain d’opposer l’un à l’autre, de vouloir à tout prix voir chez chacun d’entre eux des similitudes. Le chemin que fait tout homme et le message qu’il délivre et que lui enseigne son expérience est nécessairement humain, quelle que soit la forme qu’il prend, des situations les plus absurdes aux plus réelles et aux plus banales. Il y aura toujours quelqu’un pour recevoir ce « message ».

    Dès lors un espoir est possible après cette vie qui peut être désespérée.

    Je voudrais revenir sur ce que je disais sur l’humilité en général et sur celle dont doit faire preuve l’écrivain. Ce détail n’a pas échappé à Buzatti quand il disait à son ami le musicien Luciano Chailly «  La recherche du mérite ?… Moi, je sais seulement que dans mon petit univers j’ai essayé de faire de mon mieux. Si je n’y suis pas parvenu, tant pis ! »

    © Hervé GAUTIER

  • Contes italiens (Fiabe italiane)

    N°799 – Septembre 2014.

    Contes italiens (Fiabe italiane) – Italo Calvino – Folio Bilingue.

    Comme dans tous les contes du Moyen-Age , il y a des châteaux forts, des forêts mystérieuses, des monstres qu'on doit tuer pour conquérir la fille du roi et c'est bien entendu un pauvre berger, c'est à dire un homme du peuple qui y parvient et qui épouse la princesse. Partout il y a de l'or et de l'argent, du cristal, symboles de pureté et de richesse mais aussi des ogres, des magiciens et des fées, des sortilèges, des malédictions, des superstitions et bien entendu des personnages fantastiques comme celui de « nez d'argent »(naso d'argento) ou « Colas poisson » (Colas Pesce).

    Ces véritables contes philosophiques, destinés autant aux adultes qu'aux enfants ont, comme toujours un côté didactique et moralisateur. Pour les adultes, ils véhiculaient le respect de l'aristocratie qui gouvernait les peuples et dont il n'était pas question de contester le pouvoir mais aussi sacralisaient la religion qui entretenait son emprise sur les hommes par la peur de l'enfer. Ils promouvaient le voyage, c'est à dire l'expatriation parce que la terre ne suffisait pas à nourrir tout le monde, incitaient au mariage, présenté comme un point de passage obligé de la vie d'un être humain avec son côté merveilleux et amoureux mais qui était surtout destiné à l'asservissement de l'épouse et à la procréation, c'est à dire à la production de chair à canon puisque les guerres étaient (et sont toujours) traditionnellement l'occupation première des hommes. Ils donnaient à penser, même si cela était illusoire, que les gens du peuple pouvaient accéder, souvent par le mariage ou par la bravoure, à l'aristocratie, c'est à dire sortir de leur condition et progresser ainsi dans l'échelle sociale. Ils préparaient les enfants à la vie en général avec les tabous, les interdits, bien entendu toujours transgressés, mais aussi l'hypocrisie, la trahison, le mensonge, toutes choses qui caractérisent bien la condition humaine.

    Que peut-il rester aujourd'hui de cette tradition populaire, quand deux mariages sur trois se terminent par un divorce, que les églises sont vides , que le pouvoir politique est de plus en plus contesté, que les fonctions officielles sont désacralisées, que la violence des jeux vidéos remplacent les contes des fées ?

    En réalité cette œuvre résulte de la commande en 1950 d'une radio nationale qui demanda à l'auteur de réécrire en langue italienne des contes populaires originellement transcrits en dialecte ou transmis oralement comme dans la plupart des pays, pour qu'ils soient diffusés ensuite à l'antenne. Ce fut sûrement un travail long et fastidieux de recherche (chaque conte est attaché à une région), de choix, d'écoute, de collationnement et d'écriture pour lequel Italo Calvino[1923-1985] a obtenu en 1959 le prix Bagutta décerné chaque année dans un esprit d'indépendance par les membres du jury.

    Cette dimension fantastique se retrouve tout au long de son œuvre. Il a en effet toujours été attiré par la littérature populaire, la fable, le symbole. Il me reste peut-être un peu de mon âme d'enfant ou peut-être pas mal de naïveté mais cela m'a procuré une lecture agréable, une sorte de dépaysement en même temps que le plaisir de la découverte d'une langue cousine qui est aussi une musique.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UNE RESIDENCE SECONDAIRE SUR RE LA BLANCHE

    N°798 – Septembre 2014.

    UNE RESIDENCE SECONDAIRE SUR RE LA BLANCHE - Robert Béné - De Borée.

    Nous sommes au siècle dernier, quand on accédait encore à l'île de Ré par le bac et que La Rochelle n'était connue que par ses tours et son port de pêche et pas encore par ses « francofolies » et encore moins par le festival annuel des états d'âme du parti socialiste.

    C'est l'histoire d'une réelle et solide amitié entre deux hommes que les barrières sociales opposent, l'un, Clotaire Poulacre, est patron d'une minoterie familiale et l'autre, Alcide Ritoux, en est le modeste employé. Elle commence à l'orée du XX° siècle, dans une improbable commune, Pouay-les-Etangs, située sur le continent, comme disent des rétais. La guerre avait rapproché Alcide d'un camarade avec qui il avait été prisonnier et qui possédait un vague terrain sur l’île de Ré que son ami Clotaire acheta pour le mettre gracieusement, et évidemment sans le moindre titre, à sa disposition. Il y construisit une méchante cabane et se trouva bien dans cette île que n'avait pas encore envahi la fièvre immobilière. Quelques années plus tard, les fils de ses deux amis, ne firent guère perdurer l'amitié paternelle, Pierre Poulacre est toujours patron et Gabriel Ritoux toujours modeste employé mais Pierre, que l'entreprise familiale ne motive guère s'est mis en tête de la vendre et de faire construire sur son terrain rétais un hôtel-restaurant de luxe. Pour cela il ne recule pas devant le licenciement de Gabriel qui ainsi prend ses nouveaux quartiers dans sa cabane de l’île de Ré et, amateur de pêche à pied, devient même fournisseur de coquillages attitré des restaurants de la commune. Autant dire qu'il ne regrette guère son ancien métier de balayeur !

    Comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, Malvina Goubert, syndicaliste communiste militante convaincue et proche de la retraite, envisage de quitter son HLM de banlieue pour s'établir dans la vieille maison rétaise de ses parents qui lui avaient léguée et souhaite vendre quelques petites parcelles de dunes limitrophes de celles de Pierre Poulacre dont celle sur laquelle elle estime avoir des droits où justement est établie la masure de Gabriel. Malgré tout ce qui les sépare, un accord devient indispensable entre le futur hôtelier et l'ouvrière syndiquée. Au milieu de tout cela, le pauvre Gabriel fait figure d'un épouvantail dont son ex-patron voudrait bien se débarrasser une nouvelle fois mais qui souhaite quand même faire valoir ses droits. Une bataille s'engage donc entre eux qui met en évidence les luttes intestines, les hostilités et les méfiances dont chaque communauté humaine est friande, sans oublier la traditionnelle « lutte des classes », les visées politiques locales, les ambitions personnelles, les « avantages acquis », tout cela sur fond de prescription acquisitive née d'une occupation sans titre. De quoi déchaîner les passions, enrichir les hommes de loi, réveiller et entretenir les vieilles querelles, de quoi aussi faire naître des associations improbables et des projets un peu fous qui bousculeraient la morale, l'ordre public et surtout le droit ! Après tout, Gabriel était célibataire, solitaire, sans héritier... et fort opportunément porté sur la boisson. Mais j'arrête là pour ne pas déflorer ce roman où tout, évidemment, ne se passe pas comme prévu.

    C'est vrai que toute cette histoire est un peu compliquée mais qu'importe, je me suis laissé bercé par les phrases et par les chapitres un peu comme si le chant des vagues de l'île de Ré teintait les mots de ce roman. J'ai même franchement bien ri tout au long de cet ouvrage tant notre auteur a le sens de la formule parce que l'humour n'en n'est évidemment pas absent. J'ai retrouvé avec plaisir des images poétiques de l'île, sa lumière, ses ânes en culottes et ses femmes en « kissnot » telles que je les ai connues bien avant la construction du pont qui en a fait maintenant une banlieue de Paris... mais la nostalgie n'est ici pas de mise.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • AMERICAN EXPRESS-

    N°797 – Septembre 2014.

     

    AMERICAN EXPRESS- James Salter – Éditions de l'olivier.

    Traduit de l'américain par Lisa Rosenbaum.

     

    Les nouvelles de James Salter ont un goût de nostalgie, celle du temps qui passe inexorablement et sans que nous y puissions rien, ce même temps qui impose à chacun son rythme et sa marque. Les choses se font et se défont malgré nous ainsi dans « vingt minutes » le drame que connaît Jane Vare ou le mystère qui entoure la baby-sitter d' « Autres rivages », l'escapade nocturne de Fenn dans « Akhnilo » ou encore la solitude de Mrs Chandler face à un ancien amant. C'est une atmosphère de passage inexorable qui s'impose à travers ces textes, la nuit succède au jour, l'âge adulte à l'adolescence, la mort à la vie... L'ambiance qui gouverne ce recueil est plutôt mélancolique et tient à peu de choses, des situations en demi-teinte, des détails, une image furtive vite remplacée par une autre qui va combler le vide laissé par la précédente, des traces de sueur sous les aisselles, des relents du cuisine, une odeur de transpiration un peu forte, les vêtements négligés d'un homme, les seins d'une femme, des détails d'un visage ou la certitude d'une absence d'avenir dans la vie. C'est la solitude qui prédomine dans ces nouvelles. Pour souligner ce vide, les chutes sont étonnantes, déconcertantes même et pour le moins inattendues. « Am stende von Tanger » se termine par la mort d'un canari, « vingt minutes » par celle d'une cavalière, « Via negativa » par une appréciation portée sur les seins d'une femme rencontrée par hasard, « Akhnilo » par l'évocation d'une douloureuse insomnie solitaire que les mots ne parviennent pas à soulager, autant d'échecs, d'espoirs déçus.[« En fait pour lui l'échec était romantique. Il en avait presque fait son but »] qu'on perçoit aussi dans « La destruction du Goeotheanum ». 

    Dans « Fils perdu », il se souvient avec nostalgie qu'il a été officier de l'armée de l'air et c'est sans doute un peu de son expérience personnelles qu'il livre à son lecteur de même qu'il note ses observations sur les écrivains dans « Via negativa ». De toute manière et malgré une prose fluide, il reste une sorte de silence pesant qui peu à peu s'installe entre poésie et mysticisme. [« Couché dans son lit tel un étudiant pauvre - combien la vie changeait peu depuis le début jusqu'à la fin - il s'endormit, agrippé à ses rêves. Les fenêtres étaient ouvertes. L'air froid se déversait sur lui comme la mer sur un marin aveugle, le trempant jusqu'aux os, inondant la pièce. Il était allongé, les chevilles croisées comme un martyr, le visage tourné vers Dieu ».] Il a aussi été scénariste, en évoque le métier, l'ambiance qui règne sur les plateaux de tournage et au sein de la profession, la vie des acteurs dans « le cinéma » et à cette occasion il se révèle un peu voyeur. De Mrs Chandler il dit « C'était une femme... qui avait de belles jambes ». Il y a souvent des figures de femmes qui elles aussi passent et qui sont évoquées à travers une image érotique « Elle a de petits seins et de grands mamelons. Et aussi, comme elle le dit elle-même un assez gros postérieur ».

     

    Il n'a pas de lieu privilégié pour l'auteur et il place ses « actions » (je devrais dire ses inactions tant les scènes qu'il évoque semblent banales) dans des villes emblématiques comme Barcelone ou Paris, des contrées d'Italie, d'Amérique du nord ou les bords du Rhin.

     

    De toute cela résulte une atmosphère un peu dérangeante.

     

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • BANGKOK

    N°796 – Août 2014.

     

    BANGKOK- James Salter – Éditions des 2 terres.

    Traduit de l'américain par Anne Rabinovitch.

     

    Un recueil de nouvelles est parfois composé de textes disparates réunis sous un même titre mais pas forcement avec un thème commun. Ici, avec ces six textes, l'auteur reprend des sujets favoris, l'amour, la perte, le gâchis qui caractérisent la vie. Il met en scène souvent des hommes, parfois des militaires comme il l'a été pendant une partie de sa vie, qui ont été trahis par leurs épouses (l'inverse est évidemment vrai) et qui souhaitent non pas oublier cette triste époque mais en tourner la page en évitant de pardonner à celle-là même qui vient le solliciter. Mais refait-on réellement sa vie après un échec, après l'opprobre intime de la tromperie, peut-on refaire confiance à l'autre, qu'il soit le même ou qu'il soit différent sans penser que cette histoire peut parfaitement bégayer ?

     

    Les relations intimes hommes-femmes sont au centre de ce recueil. Le couple est en effet examiné par l'auteur à un moment critique où tout est devenu possible pour chacun de ses membres, malgré les années de vie passées ensemble. L'amour, la confiance ont certes existé entre eux mais le temps a passé qui les a modifiés. La routine s'est installée, les illusions se sont dissipées pour laisser place aux regrets, aux remords et parfois aussi à la rancœur et la poursuite du bonheur s'est arrêtée presque naturellement : Un couple est sur le point de se séparer à cause d'une relation homosexuelle de l'un des deux, une ancienne maîtresse refait soudain surface et aguiche son amant maintenant marié à une autre, un homme aide sa femme, gravement malade à mourir mais se laisse aller avec sa maîtresse pendant l'agonie supposée de son épouse, dans la pièce à côté... C'est comme cela, l'amour qui a été si intense au début n'existe plus mais se reporte sur un autre ou une autre... Ils sont parfois restés ensemble pour sauver les apparences ou les convenances et parfois non. Ce sont de petits accommodements avec la vie, des mensonges, des hypocrisies qui peuvent passer pour de la tolérance mais c’est assurément de silences, de souffrances qu'il s’agit. Ce sont « ces petits riens qu'on ignore au début mais qui, à la longue vous exaspèrent ». Salter passe le couple à la fois à l'épreuve du quotidien et du temps. Les femmes sont toujours belles d'une beauté discrète mais attirante. Il les habille sobrement et cette sobriété ajoute à leur charme mais il fait naître des désirs secrets et bien souvent inassouvis, fantasmes ordinaires. Ses textes nous renvoient assurément une image de nous-mêmes pas forcément flatteuse. Son écriture est directe, simple, dépouillée, agréable à lire.

     

    Salter a passé une partie de sa vie dans l’armée américaine comme pilote de chasse. Il a quitté l'uniforme pour se consacrer à l'écriture. Ses nouvelles ne cachent rien de la vie, de l'amour, de la séparation des couples, de la mort, de la vie en société, une vérité de chaque jour, de chaque instant. Je découvre l’œuvre de Salter à l'occasion de ce recueil pris au hasard. Je pense que je vais poursuivre.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • IL FAUT BEAUCOUP AIMER LES HOMMES

    N°795 – Août 2014.

    IL FAUT BEAUCOUP AIMER LES HOMMES - Marie Darrieussecq – P.O.L.

    Au départ, deux acteurs, une femme française, Solange qui a choisi Hollywood pour y faire carrière ce qui n'est pas un mauvais choix et Kouhouesso, Camerounais mais naturalisé canadien, un noir et une blanche, amoureux l'un de l'autre, enfin surtout elle !

    La carrière de Solange se déroule certes dans le temple du cinéma américain, elle y côtoie les vedettes mais n'obtient que des seconds rôles même si c'est parfois dans de grands films. Lors d'une soirée, elle rencontre Kouhouesso qui reste distant alors qu'elle tombe littéralement sous son charme. Elle nouera avec lui une passade mais dans cette relation un peu entrecoupée d'absences ce qui ressort c'est effectivement l'attente [« Attendre est une maladie, une maladie mentale. Souvent féminine »]. Ce qui semble être un problème c'est qu'il est noir et elle blanche, même si nous sommes à Los Angeles, ville de toutes les tolérances mais quand même, qu'un homme blanc couche avec une noire, cela passe bien mais mais qu'une femme blanche choisisse un noir, cela peut créer des problèmes de racisme. Et puis elle se souvient qu'elle a déjà eu une aventure avec un Antillais, mais sa peau était plis claire. Le roman dévie un peu sur le racisme avec en contre-point le discours de Sarkozy sur « l'Homme africain(qui) n'est pas assez entré dan l'Histoire... » et une incursion en France avec lui ce qui réveille ici des réflexes d'exclusion, de moqueries, d'accents Banania...

    Ce qui compte pour Kouhouesso s'est le cinéma et il veut adapter à l'écran un roman de Joseph Conrad «  Au cœur de ténèbres.» ce qui l'amènerait dans son pays d'origine au Congo. Il y a beaucoup d’hésitations dans le casting mais Solange, décidément dédiée aux petits rôles, fera partie de l’équipe, décrochera le rôle de « La Promise », même si, à l’origine le rôle n'était pas pour elle et poursuivra cette idylle mais son amant restera distant. Quant au film...

    Je n'ai rien contre Marie Darrieussecq dont j'ai déjà lu quelques romans, mais j'ai vraiment du mal à entrer dans son univers créatif et j'ai souvent eu envie de refermer ce livre. Elle fait partie de ces auteurs que je lis parce qu'ils sont médiatisés et dont je souhaite pouvoir parler sans a priori, mais vraiment elle ne me procure aucun plaisir de lecture. J'ai pourtant fait effort pour cela mais là je n'ai pas aimé non plus le style haché des phrases, j'ai peu apprécié aussi les nombreuses références cinématographiques... J'ai encore une fois été déçu.

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CINQ JOURS

    N°794 – Août 2014.

     

    CINQ JOURS - Douglas Kennedy - Belfond .

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Saint Augustin conseillait qu'on se méfiât de l'homme d'un seul livre. Je n'ai pas lu tout Douglas Kennedy, tant s'en faut, mais le thème du mariage est un de ceux qu'il affectionne particulièrement. Je dois bien avouer que, à l'heure où la pérennité de cette institution est de plus en plus malmenée par le divorce, c'est bien là un thème de société qui peut effectivement être abordé.

     

    L'intrigue est simple, basée comme toujours sur le hasard qui fait bien plus souvent partie de notre vie que nous voulons bien l'admettre. Laura et Richard sont deux inconnus l'un pour l'autre, ils ne se sont jamais rencontrés. Elle est technicienne en radiologie, aime ce qu'elle fait mais un peu moins son contexte familial où elle ne s’épanouit guère avec un mari chômeur puis nanti d'un emploi précaire et dévalorisant, peu prévenant, avec qui elle n'a pas vraiment de points communs et deux enfants qui peinent à sortir de l’adolescence. Lui est assureur et ne trouve dans son métier comme dans son couple aucune vraie raison de vivre une vie heureuse. Une conférence à Boston va provoquer leur rencontre qui n'avait pourtant aucune chance de se produire. Bien sûr, cela va être coup de foudre entre eux, un peu comme s'ils s'y étaient déjà individuellement préparés sans même le savoir et cela va durer cinq jours pendant lesquels ils vont se découvrir mutuellement et s'aimer d'un amour passionnel. C'est une situation que nous avons tous connue, soit parce que nous l'avons vécue personnellement, soit parce que nous l’avons rencontrée dans notre entourage. Dès lors des questions se posent, peut-on s'échapper d'une vie qui, à la longue devient, sinon insupportable, à tout le moins difficile à vivre ? Que sera cette nouvelle existence, le moment de passion gommé ? Ne risque-t-elle pas, elle aussi, de devenir routinière, avec en prime, le regret d'avoir peut-être fait un nouveau mauvais choix ? A-t-on le droit, à l'occasion de cette poursuite du bonheur qui par ailleurs est légitime, de compromettre la vie de ceux qui dépendent de soi ? Doit-on forcément se sacrifier pour eux ? Peut-on faire durer artificiellement des situations sentimentalement délétères alors qu'on peut par ailleurs changer de vie et se donner une nouvelle chance ? Peut-on tout bouleverser au nom d'un amour qui ne durera peut-être pas et l'infidélité d'un moment, même si elle est tentante et forcément exaltante s’inscrira-t-elle dans la durée ? Mais peut-on réellement et définitivement répondre à ce questionnement sans fin dans un contexte forcément émotionnel, ce qui induit à terme assurément de la déception, de la détresse et des larmes comme seul rempart contre le malheur. C'est en tout cas une réflexion sur l'existence qui a le mérite d'être ainsi formulée, même si l’épilogue qu'il propose n'est pas de l'ordre du « happy-end » qui ne se rencontre que dans les livres et jamais dans la vraie vie. Il met en évidence, une nouvelle fois les compromissions de la condition humaine, les petits arrangements avec la vie qui nous la font accepter.

     

    Ce texte écrit à la première personne par Laura elle-même est un témoignage émouvant, même s'il peut passer au départ pour une banale entreprise de séduction, une simple envie de profiter d'un moment de liberté. Au début j'y ai vu des longueurs, une première partie assez longue et hésitante puis, au fur et à mesure de ma lecture, le texte a imposé son rythme et l'approche entre Laura et Richard, faite nécessairement d’hésitations et de confidences parfois intimes sur leur parcours, s'est justifiée d'elle-même. Ils ont tous les deux la quarantaine, une expérience matrimoniale réelle, des espoirs déçus, des regrets et des remords mais quand même des plans d'avenir encore possibles, des enfants à épauler parce qu'il faut bien continuer à vivre. La lenteur des dialogues et des postures est devenue inhérente à cette passion naissante qui s'affirme de page en page. Il y a cette empathie réciproque des deux personnages qui n'est pas du tout surfaite telle qu'elle est présentée. Chacun écoute l'autre, comprend ses difficultés au sein du ménage et de la famille qu'il a créé, communie à ses projets et à ses échecs, s'unit à l'autre à travers sa propre connaissance du couple qui est le sien. Elle est faite, comme pour tout le monde, de déceptions, de mensonges et parfois de trahisons, de routine, d'espoirs d'autant plus utopiques que le temps y a imprimé définitivement sa marque. On est davantage dans la confidence mutuelle que dans la « drague » classique et cette période d'attente et même parfois de doute, imposée par le roman, non seulement distille une sorte de suspens mais aussi ajoute à l'intérêt que j'ai personnellement ressenti à cette lecture. Cela donne une dimension plus humaine et authentique à ce roman qui ressemble de plus en plus au fil des pages non plus à une fiction mais à un véritable témoignage. Cela passe par une complicité des instants passés ensemble, par les confessions de chacun, les retours à la réalité à travers les textos que Laura reçoit sur son portable, par la transformation physique de Richard sous l'impulsion de Laura qui n'aurait à l’évidence pas pu avoir lieu sans elle, des projets d'avenir un peu fous, des étreintes pleines de fougue. Dès lors non seulement une passade est possible mais sans doute aussi une décision définitive de changer de vie, à condition de le faire ensemble, malgré tout ce que cette décision peut avoir de bouleversant dans la vie de chacun, entre culpabilité et volonté d'être soi-même et de profiter de l'instant, entre renoncement à une certaine sécurité dans la routine et saut dans l'inconnu avec, en toile de fond, ce mythique « rêve américain » qui pourrait, dans leur cas, se révéler possible. Reste la question, à la fois pertinente et abrupte que pose Kennedy :« Sommes-nous libres de choisir le bonheur ? »

     

    Cela donne l'occasion à l'auteur de livrer à son lecteur, outre ce roman émouvant, des aphorismes bien sentis qu'il puise assurément dans son expérience personnelle, l'écriture prenant ici sa véritable fonction cathartique. Je garde à la mémoire, le livre refermé, une de ses remarques puisée dans un autre ouvrage « Dans mes livres, je rôde toujours autour de l'idée que chaque homme est très doué pour construire sa propre prison, le mariage étant la prison la plus commune. Le couple, rongé par le sentiment confus de culpabilité est l'un de mes thèmes obsessionnels ». Je terminerai ce commentaire par une remarque personnelle. Je ne sais si je dois cela à la fascination qu'exerce sur moi le peintre américain Edward Hopper mais j'ai lu les dernières pages de ce roman avec, dans ma mémoire, certaines de ses toiles, à cause sans doute de la solitude qu'elles distillent et que j'ai ressentie sur la fin.

     

    Dans cette chronique j'ai déjà eu l'occasion de parler de Douglas Kennedy dont je découvre l’œuvre avec curiosité et un réel plaisir. Autant par l'écriture et le style que par l'histoire mais aussi par la pertinente analyse psychologique des personnages, j'ai vraiment apprécié ce roman qui m'engage à poursuivre la découverte des autres ouvrages de cet auteur.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA NOSTALGIE HEUREUSE

    N°793 – Août 2014.

     

    LA NOSTALGIE HEUREUSE - Amélie Nothomb – Albin Michel .

     

    D'emblée, le titre m'a interpellé. C'est sans doute pour cela que je l'ai ouvert, par simple curiosité. La nostalgie ne peut, à mes yeux, qu'être triste, simplement parce que, lorsqu'on éprouve ce sentiment, il se rattache à un passé heureux, définitivement révolu et qu'on ne connaîtra plus. Il est synonyme de spleen, de mélancolie, d'ennui, de tristesse. Elle se confond aussi avec le mal du pays et, même si je ne sais pas grand chose de l'auteur, je crois avoir retenu qu'elle a passé sa petite enfance au Japon et le fait qu'elle y revienne, ce livre étant la relation de ce retour, peut effectivement provoquer chez elle de la nostalgie. Mais, la nostalgie peut-elle être heureuse ?

     

    Dans ce livre, baptisé roman, l'auteur nous raconte par le menu son retour au Japon après seize années d’absence à la suite de son départ un peu précipité pour l'occident, en fait une sorte de fuite. Elle a relaté cette période dans un roman intitulé « Ni d'Eve ni d'Adam » que j'avais moyennement apprécié (La Feuille Volante n°783). Elle s'y mettait en scène à l'âge de 20 ans auprès d'un jeune Japonais, beau, brillant et riche qui voulait l'épouser mais au dernier moment elle a préféré renoncer à ce mariage avec lui. Ici, nous sommes en 2012, l'auteure à 44 ans et elle revient, avec une équipe de la télévision française sur l'archipel. La camera la suivra un peu partout, le micro recevra ses remarques au fur et à mesure qu'elle refera ce chemin à l'envers, retrouvant à la fois sa vieille nourrisse qu'elle considère comme sa deuxième mère et ce fiancé maintenant marié et père de famille. Les lieux se sont modifiés, se sont urbanisés au point qu'elle ne les reconnaît pas [ seuls « Les caniveaux et les égouts n'ont pas changé » écrit-elle] avec en toile de fond Fukushima, son tremblement de terre et sa catastrophe nucléaire de mars 2011. Tout ce périple ne se fait évidemment pas sans émotion et lorsqu'on traduit ses propos, l'interprète emploie le mot « nostalgic » au lieu de «natsukashii » qui désigne la nostalgie heureuse, c'est à dire « l'instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l'emplit de douceur » ; et lui d'ajouter pour justifier son choix de vocabulaire qu'à ce moment précis de l'évocation, les traits du visage et la voix de l'auteure signifiaient son chagrin. Il s'agissait donc d'une nostalgie triste, la nostalgie heureuse étant une notion essentiellement japonaise, inconnue en occident. Voilà donc l'explication du titre. J'ai au moins appris quelque chose.

     

    Pour le reste, j'ai peu goûté la relation de ce voyage qui a surtout été le prétexte à un panégyrique de l'auteur et de son œuvre, les personnages de ses romans et ses romans eux-mêmes étant mentionnés tout au long du récit. De plus je n'ai pas bien vu l'intérêt de ce retour médiatisé, surtout auprès de son ex-fiancé. Je veux bien que ce voyage était fait pour la mettre en valeur, mais quand même ! D'ailleurs elle note elle-même que ce voyage l'a laissée « vide », c'est à dire passive et par moment, elle est presque absente, sauf peut-être lors de la rencontre avec sa vieille nourrisse. Elle a sans doute voulu pour des raisons d'ego ou de promotion, se mettre ainsi en valeur et on ne peut lui reprocher cette démarche. Elle aurait peut-être dû méditer cette pensée de Camus qui rappelait qu'il était vain, et bien souvent châtié, de vouloir revivre à quarante ans les plaisirs qu'on avait connus à vingt.

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN ETE 42

    N°792 – Août 2014.

     

    UN ETE 42 - Herman Raucher. - (Traduit par Renée Rosenthal)

     

    En cet été 1942, Pearl-Harbor a déjà eu lieu et les États-Unis sont en guerre, mais les opérations miliaires se déroulent loin du territoire national. Sur une petite île de la Nouvelle-Angleterre des familles viennent passer des vacances. Ici, trois copains, Orcy, Hermie et Benji, tous âgés d'une quinzaine d'années, s'y ennuient un peu et pour eux tous les jours se ressemblent. Cette période est sans doute comme les vacances de tous les garçons à peine sortis de l'enfance qui regardent le monde des adultes sans trop savoir ce qu'il leur réserve, avec envie et appréhension, en tuant maladroitement le temps. Pour jouer aux grands, ils commencent à regarder les filles mais les abordent gauchement. Orcy remarque une jeune femme dont le mari est à la guerre et en tombe amoureux... mais elle a à peu près le double de son âge ! Il l'aborde quand même, il n'est pour elle qu'un garçon serviable et sympathique, mais elle ne pense qu'à cet homme de sa vie qui se bat au loin. Quand elle apprend la nouvelle de sa mort, tué en opération, sa vie bascule et, une seule fois, accorde ses faveurs à Orcy pendant une seule nuit au terme de laquelle elle disparaîtra pour toujours, laissant à d’adolescent le souvenir indélébile d'un premier amour impossible, accompagnant ainsi son passage dans l'age adulte.

     

    Je ne peux évoquer ce livre sans me souvenir du film qui a été réalisé par l’Américain Robert Mulligam en 1971. Je l'ai vu pour la première fois avec émotion il y a bien longtemps, à sa sortie sans doute, et il est resté dans ma mémoire avec précision malgré le temps. Est-ce à cause du sujet traité, de cette période de l'adolescence perturbée de trois garçons, de l’étonnante beauté de l'actrice Jennifer O'Neill, des images sobres et des paysages qui rappellent tellement les tableaux d'Edward Hopper pour qui j'ai, sans me l'expliquer, une véritable fascination ou pour la somptueuse musique de Michel Legrand (Oscar de la meilleure musique) ? Pour tout cela sans doute avec en plus la nostalgie qui s'attache aux souvenirs du temps passé, des choses qu'on aurait dû faire et qu'on a pas faites, par timidité, par peur, en me remémorant mes émois d'adolescent où, face à une jeune fille plus âgée, on souhaiterait avoir quelques années de plus...

     

    A l'origine, ce roman a été écrit par Herman Raucher pour rendre hommage à son ami d'enfance, Orcy, tué pendant la guerre de Corée. Ils passaient ensemble des étés sur l'île de de Nantuket pendant la Seconde Guerre mondiale. Le narrateur s'en souvient longtemps après et évoque ce souvenir. La scène la plus marquante est sans doute celle où la jeune femme, bouleversée par la mort de son mari, entre désespoir et résignation, accorde une nuit d'amour à l'adolescent. Les images sont sobres, sans dialogue, avec seulement le bruit des vagues au loin et la merveilleuse musique de Michel Legrand, si discrètement distillée.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CAPRICE DE LA REINE

    N°791 – Août 2014.

    CAPRICE DE LA REINE - Jean Etchenoz - Les éditions de Minuit. (2014)

    Si j'en crois la 4° de couverture, chacun de ces récits (qui ne sont pas à proprement parlé des nouvelles, sauf, peut-être « Génie Civil » ou « Trois sandwichs au Bourget ») est attaché à un lieu précis aussi inattendu que Babylone ou le Jardin du Luxembourg.

    J'ai lu ce livre comme un recueil d'érudition ou plus exactement comme le remploi de notes techniques prises antérieurement ou de descriptions mises temporairement de côté pour l'écriture de quelque roman et qui ici sont recyclées si on peut le dire ainsi. Je connais maintenant un peu de la physionomie, du quotidien et de l’histoire de Babylone à travers la vision qu'en a donné Hérodote, même si son témoignage peut, selon l'auteur, parfois être contestable. De même Nelson apparaît ici comme un marin soucieux de l'avenir de la flotte anglaise, un peu comme l'était Colbert avec la forêt de la Navale et je ne serai sans doute pas dépaysé au jardin du Luxembourg en apercevant ces vingt statues de femmes.

    J'ai fait un peu par hasard la connaissance de l’œuvre d'Etchenoz (La Feuille Volante n° 407 et les nombreux suivants...) J'avoue bien volontiers que cet auteur m’intéresse par ce qu'il dit, par son style simple, fluide et accessible, par l'émotion et l'humour qu'il fait passer dans ses mots même si ce livre diffère quelque peu de sa manière traditionnelle de s'exprimer. J'ai retrouvé cet humour dans l'écriture de ces textes. Il dit quelque part avoir eu du plaisir à écrire cette somme de récits qui, pour partie sans doute répondait à une demande ou à une commande, cette contrainte stimulant en quelque sorte l'inspiration et justifiant l'appropriation personnelle que l'auteur fait du thème imposé.

    J'ai moi, eu du plaisir à les lire même si j'ai, en ce qui le concerne, une préférence pour ses romans.

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE PONT D'ARCUEIL

    N°790 – Août 2014.

     

    LE PONT D'ARCUEIL - Christian Oster- Les éditions de Minuit. (1994)

     

    Le narrateur est abandonné par Laure qui le quitte sur le quai d'une gare et, de retour de son centre de Sécurité-Sociale pou une histoire de carte, il se rend dans l'appartement de France dont il possède les clés mais qui est absente. Ici, il rencontre une troisième femme, Catherine. Comme c'est, sans doute, l'anniversaire de France, il convient de lui faire un cadeau ce dont notre héro se met en devoir, déambulant dans Arcueil et Cachan, villes dominées par le fameux pont qui en fait est composé de deux aqueducs, imposant monument, omniprésent dans le roman, dont l'existence trompe un peu l'ennui du narrateur, France tardant à rentrer.

     

    Il y a donc ce voyage dans les rues, de café-restaurant en boutiques mais notre narrateur se livre à un autre plus subtil et peut-être inattendu, dans sa propre tête, avec cette idée de cadeau pour l’improbable anniversaire de France dont on se demande si c'est la vraie raison de sa démarche vers elle. Il réfléchit, ergote avec lui-même, ratiocine à propos de tout et de rien, se triture les méninges, exprime avec une débauche de mots les plis et les replis d'une pensée baroque, bâtit des hypothèses avec une sorte de plaisir que j'ai personnellement du mal à saisir. Autour de lui, c'est à dire dans l'appartement de France, le téléphone sonne, les questions restent sans réponse, à l'extérieur un accident est évité qui n'a peut-être jamais existé que dans sa tête... Le narrateur évoque en effet, avec un grand souci de détails une succession d'événements anodins, de rencontres qui n'ajoutent rien à la compréhension du texte mais qui, au contraire peut-être égarent un peu plus le lecteur à moins qu'ils ne servent qu'à insister sur l'absence de France. Même une rapide passade entre lui et Catherine, sa voisine, n'atteint pas cet objectif et complique encore plus ce récit.

     

    C'est en fait un roman dans lequel, comme souvent, il ne se passe rien si ce n'est dans la tête du narrateur, avec en prime l'attente, la solitude, l’obsédante abandon d'une compagne dont l'homme qui en est la victime a beaucoup de mal à se remettre. Le fantasme qu'il ressent pour d'autres femmes comme Catherine n'est là que pour souligner, en contre-champ, l'absence obsédante de France mais aussi la fuite de Laure. Lui-même n'est rien, un simple salarié sans importance, sans beaucoup d'amis et probablement sans vie sociale, pas grand chose dans ce monde où il est un peu perdu au point que le lecteur ne serait pas étonné qu’au détour d'une page, il le trouvât sombrant dans la folie ou simplement ayant attenté à sa vie. Pourtant, il se mêle un peu de tout et surtout de ce qui ne le regarde pas, pour se prouver sans doute qu'il existe, surtout après l'abandon de Laure. C'est que, dans ce roman comme dans bien d'autres que j'ai lus d'Oster, il y a quelque chose de déprimant, de surréaliste, une ambiance qui ressemble à un malaise même, ce qui, à force, devient communicatif et même un peu lassant.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UNE FEMME DE MENAGE

    N°789 – Août 2014.

     

    UNE FEMME DE MENAGE - Christian Oster- Les éditions de Minuit. (2001)

     

    J'ai toujours été étonné par les décisions apparemment anodines que l'on prend et qui, bien longtemps après, quand on y repense, se révèlent bénéfiques ou catastrophiques pour le cours de notre vie.

     

    Depuis six mois que Constance l'a quitté, Jacques, un quadragénaire un peu solitaire, a attendu qu'elle revienne, mais en vain. En fait c'est un homme ordinaire que le départ de cette compagne laisse complètement démuni et perdu, seul. Puisqu’il a laissé la poussière s'accumuler sur les meubles pendant tout ce temps, il lui faut donc une femme de ménage qu'il a embauchée sur une petite annonce croisée dans une pharmacie. Laura vient donc chez lui pour nettoyer son appartement comme leur accord non écrit le prévoyait, le travail au noir étant de règle. Avoir une femme étrangère chez lui, surtout pour s'occuper du ménage est une chose nouvelle pour lui et la propreté elle-même, autant que la manière dont elle l'obtient, deviennent une sorte d'obsession d'autant que maintenant il la paye pour cela. Il ne faut cependant pas longtemps à cet homme fragile pour être troublé par la présence de Laura au point qu'il est devant elle comme un adolescent boutonneux incapable de lui adresser la parole, entre prévenance et gaucherie jusqu’au jour où l'amant de Laura décide de la mettre à la porte. C’est donc tout naturellement qu'elle demande à Jacques de l'héberger... et qu'il accepte. Laura est de plus en plus attachante avec, en toile de fond, Constance qui se manifeste à nouveau et Claire toujours aussi fantomatique. Leur liaison un peu chaotique devient peu à peu une émouvante, lente et intime vie commune, avec entre eux, de plus en plus l'ombre portée du mariage...

     

    L'auteur renoue dans ce roman avec son obsession des femmes, du quotidien, du hasard, de la solitude qui pèsent sur nos vies.

     

    Je découvre petit à petit l’œuvre de Christian Oster et je dois dire que jusqu'à présent avec lui je suis passé de l’attention à l'ennui. Là au moins j'ai apprécié l'humour, l'écriture à la fois précise et délicieusement ratiocinante, rehaussée par l’emploi d'imparfaits du subjonctif pas du tout suranné à mes yeux. C'est vrai qu'au départ, j'ai été séduit par cette histoire qui mettait en présence un quadragénaire, un peu secoué par une récente séparation et une jeune femme qui manifestement savait ce qu'elle voulait et n'avait aucun mal à l'obtenir. Cette situation n'a d’ailleurs rien d’exceptionnel dans la vraie vie mais mérite bien cette mise en scène romanesque. Le caractère des deux protagonistes est bien marqué et le jeu sur la différence d'âge bien mené à travers les hésitations de Jacques et les décisions de Laura. Puis, au fil des pages, l'intérêt de cette mise en perspective du couple ainsi formé a diminué, s'est essoufflé et l'épilogue m'a paru artificiel, même s'il est logique. Je ne sais pas pourquoi mais je m'attendais à autre chose. Un peu déçu donc !

     

    Ce roman a été adapté à l'écran par Claude Berri en 2002.

     

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  • LE VIN DES MORTS

    N°788 – Août 2014.

     

    LE VIN DES MORTS - Romain Gary- Gallimard.

     

    C'est un roman étonnant écrit par le jeune Roman Kacew, alors âgé de 20 ans qui deviendra plus tard Romain Gary. Nous sommes en 1934. Ce texte qui resta à l'état de manuscrit et qui portait pourtant tous les espoirs d'écrivain de son auteur, fut offert par le jeune homme à la journaliste suédoise Christel Söderlund avec qui il avait une liaison après qu'il eût maintes fois été refusé par les éditeurs. Le manuscrit fut ensuite mis en vente à l'Hôtel Drouot en 1992 et publié en 2014.

     

    C'est un conte où il nous est dit qu'il y a une vie après la mort, une sorte de « monde à l'envers », « un autre côté du miroir » comme aurait pu le voir Lewis Caroll où la mort n'atténue pas les faiblesses humaines, bien au contraire. Contrairement au message religieux, ce monde de l'au-delà n'est pas meilleur que le nôtre, il en est le reflet exact. Tulipe, le héro de ce voyage sous terre qui commence dans un cimetière, y rencontre sous l'emprise de l'alcool des personnages disparus. Ce texte peut être interprété comme une critique de la société bourgeoise de l'entre-deux-guerres, de la guerre en générale, de l'autorité et de la crise des années trente. Des thèmes s'y entrecroisent sur la vie, la mort, l'enfance, les nombreuses turpitudes de l'homme, le sexe, le suicide qui sera bien plus tard le modus operandi choisi par l'auteur pour quitter ce monde. Le héro s'y déplace dans ce monde d'en bas, peuplé de morts-vivants, parfois accompagné d'un enfant, au gré de ses découvertes mais, dans la forme du moins, on est loin du cheminent de Dante aux enfers dans la Divine Comédie avec un cicérone. Tulipe marche dans un souterrain peuplé de squelettes et d'une faune à peu près analogue à celle du dessus, des sœurs maquerelles dans un bordel d'outre-tombe, des flics violents, des moines paillards, des soldats allemands grossiers et un Dieu ivre qui porte sur tout cela un regard absent. Quant à Tulipe qui cherche toujours la sortie, il y va de ses anecdotes égrillardes sur les clients qui habitent l'hôtel tenu par sa femme, sans doute puisées elle-mêmes dans le quotidien et les clients de la pension « Mermonts » dirigée par sa mère à Nice. Ici les dialogues sont orduriers, inspirés sans doute par Alfred Jarry et peut-être Edgard Poe pour l'atmosphère des « Histoires extraordinaires ».

     

    On se souvient que Romain Gary avait obtenu le prix Goncourt en 1956 pour « Les racines du ciel ». Chose extraordinaire, qui est en fait un pied de nez au système, il l'obtint une deuxième fois, en 1975, avec « La vie devant soi », mais sous le nom d’Émile Ajar qui n'était que l'un des nombreux pseudonymes qui jalonnèrent son œuvre. Sous les dehors de diplomate et d'écrivain reconnu, Gary était un véritable anticonformiste.

     

    Selon Philippe Brenot présente ce livre de jeunesse, « Le vin des morts », comme préfigurant et annonçant ce que sera l’œuvre future de Romain Gary. Mais si j'ai aimé, il y a très longtemps « Les racines du ciel » ou  « la promesse de l'aube », ici, même si la mémoire peut me faire défaut, j'ai eu du mal à entrer dans cet univers surréaliste et même un peu pestilentiel de danse macabre où je n'ai pas vraiment retrouvé ce que j'ai ensuite apprécié chez Romain Gary.

     

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  • MURMURER A L'OREILLE DES FEMMES

    N°787 – Août 2014.

     

    MURMURER A L'OREILLE DES FEMMES - Douglas Kennedy- Belfond.

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Sacré Douglas Kennedy ! Je ne connais pas sa biographie et encore moins sa vie intime mais si ces douze nouvelles en sont le reflet, puisqu'elle sont écrites à la première personne, même sous le masque d'autres personnages, je me dis que soit c'est une sorte de don Juan, soit c'est un sacré vantard. Car qu'il se cache sous la masque d'un modeste comptable, d'une brillante avocate d'affaires ou d'un professeur respecté, il puise sans doute autant dans son imagination que dans son expérience les modèles qu'il met en scène, même s'il alterne, pour la crédibilité de la lecture sans doute, les hommes et les femmes, l'écriture permettant cette fiction. Ça l'aurait même pris de bonne heure, cette attirance pour l'autre sexe, dès l'âge de 7 ans, à l'entendre, à l’occasion d'une simple rencontre, puis ensuite il aurait connu le grand amour, à supposer bien sûr qu'il existe. Il pourrait même se dire qu'il a été « l’homme de la vie » d'une ou de plusieurs femmes, ce qui est plutôt flatteur et il est de bon ton pour un homme de se vanter de ses succès féminins ou de laisser planer un doute sur ses performances sexuelles! Pour un homme comme pour une femme, c’est tentant de pouvoir se dire « qu'ils sont faits l'un pour l'autre » et que par conséquent ils doivent passer leur vie ensemble. Alors on fait rimer « amour avec toujours », on parle de destin et si on y croit, de Dieu, cela ne coûte rien, mais finalement tout cela est bien artificiel et résiste bien rarement à l'épreuve des faits, du temps et de l'usure des choses, bien des mariages se concluent par un divorce... . Il a sûrement rencontré des femmes avides de se marier et ardemment désireuses de devenir mères mais l'amour est sans doute le domaine qui révèle le mieux la part d'ombre de chacun. Ici elle se nomme lâcheté, trahison, mensonge, adultère quand ce n'est pas, pour briser la routine matrimoniale destructrice ou l'illusion de la sécurité, pour accéder à cette envie de liberté, céder à l'espoir bien souvent déçu de faire fortune ou obtenir la notoriété, de satisfaire à ce désir inextinguible de tout jeter par-dessus les moulins et changer de vie pour l'inconnu ou les fantasme de la nouveauté, la folie quoi ! Le mariage, surtout s'il succède à une déception amoureuse antérieure ne peut que se conclure par un échec[je suis frappé dans ces nouvelles par la facilité avec laquelle les conjoints ou les amants se séparent, souvent pour des raisons sentimentales mais sans oublier la dimension financière cependant]. Sans doute le charge-t-on de trop d'espérances mais je ne suis pas sûr que l'écriture, dénonçant ce désastreux état de choses, en constitue le baume, pas plus d'ailleurs que tous les produits excitants extérieurs... Quant aux relations extra-conjugales, elles ne valent guère mieux et la déconvenue en est souvent l'issue. De quoi êtres vraiment désespéré ! [« Est-ce que ça se passe toujours comme ça ? Vouloir ce que l'on n'a pas, avoir ce que l'on ne veut pas. Pensez qu'il existe une autre vie « là-bas » et redouter de perdre celle qui est ici. Ne jamais être sûr de ce que l'on poursuit... » et puis aussi « Rappelle-toi, petit, on est seul, toujours seul »].

    Il y a aussi cette certitude qu'ont certains de n'être pas faits pour être heureux, à côté de qui le bonheur passera toujours... sans s'arrêter et pour qui le choix dans cette matière sera toujours mauvais quoiqu’ils fassent.

     

    C'est vrai que la condition humaine est un spectacle à la fois changeant et constant et quand on choisit l'aspect amoureux des relations entre les gens, le mariage qui épuise l'amour pourtant si ardemment promis et qui transforme les époux en véritables étrangers l'un pour l'autre, quand ce n'est pas pire, avec au bout du compte bien souvent la résignation... ou l'irréparable ; c'est là un sujet inépuisable pour qui veut en parler et je crois de Douglas Kennedy le fait bien. Il promène un regard désabusé sur les hommes et les femmes qui composent cette chose étrange qu'on appelle la société avec ses convenances, ses règles, son hypocrisie. Le fait que ce recueil se termine par un improbable conte de Noël veut-il il cependant dire que tout espoir n'est pas perdu ou au contraire que ce monde n'existe que parce que nous y instillons de temps en temps des choses qui n'arrivent que dans les livres ?

     

    Si, dans ces textes, il fait simplement œuvre d’écrivain, non seulement c'est bien observé mais aussi c'est bien écrit. Je ne sais pas si c'est grâce à son style ou à la traduction mais le texte est agréable à lire.

     

    J'ai déjà dans cette chronique l'intérêt que je porte aux romans de Kennedy. L'univers de la nouvelle est très particulier et j'avoue une attirance pour ce genre littéraire. Là je n'ai pas été déçu .

     

     

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  • MON GRAND APPARTEMENT

    N°786 – Août 2014.

     

    MON GRAND APPARTEMENT - Christian Oster- Les éditions de Minuit.

     

    En fait, c'est l'histoire un peu folle d'un homme qui possède un grand appartement dont il a perdu les clés, que son amie vient de quitter, qui donne rendrez-vous à la piscine à une autre qui ne vient pas mais qui en rencontre une troisième, enceinte, qu'il ne connaît pas mais il décide qu'il sera le père de cet enfant ! Luc Gavarine est un chômeur un peu paumé et qui ressent un grand vide dans son existence. Cet échec sentimental lui rappelle sa vie amoureuse un peu désordonnée, pleine de désillusions et ravive son côté dépressif qu'il combat en livrant au lecteur ses pensées même si celles-ci sont un peu brouillonnes et sans grande cohérence. En fait, il recherche une raison de vivre autrement qu'en égoïste et Flore se trouve là, alors pourquoi pas ? Pourtant elle ne l'aime pas mais a besoin du soutien qu'il lui offre et il accepte cette rencontre faite par hasard, se laisse porter par les événements. Il attendait Marge, une ancienne conquête, à la piscine et c'est Flore qui se présente, enceinte et c'est sans doute parce qu'elle est seule, il lui propose de vivre avec elle, oui mais voilà, il a perdu les clés de son appartement, cela devient compliqué. Pourtant il l'accompagne pour son accouchement et joue auprès de Maude, l'enfant, le rôle du père. Un drôle de père cependant qui n'a rencontré Flore que l'avant-veille, qui prend en charge un peu au hasard un enfant qui n'est pas le sien simplement parce qu'il a de l'amour à donner. Pourtant il est triste, un peu désaxé, a du mal à s'exprimer.

     

    Je n'aime pas faire de parallèles mais cela m'évoque un peu Modiano, une sorte d'errance, de passivité mais en moins bien écrit quand même, avec une ambiance différente, une musique nostalgique mais moins harmonieuse cependant. En effet des centaines de phrases soit pour ne rien dire ou faire partager sa technique de drague, soit pour indiquer ses états d'âme sur les femmes qui le quittent, sa façon de nager, ses difficultés pour se rhabiller, tout cela a tissé un univers dans lequel j'ai eu du mal à entrer et à la fin cela est devenu un peu lassant. Les dialogues minimalistes contrastent avec les nombreuses ratiocinations de Luc autour de sa solitude et de l’avenir qu'il entrevoit avec Flore et Maude, cette enfant dont évidemment il n'est pas père. Pourtant il prend la place de ce dernier, sans raison apparente autre que son manque d'amour et que sa solitude, alors qu'on ne lui a rien demandé. Il est même accepté par Jean, le frère de Flore, quasiment comme quelqu'un de la famille. C'est un peu comme s'il s'était, tout d'un coup, trouvé un rôle à jouer dans un monde où il n'était rien [« J'ai besoin d’une place, d'une petite place sur cette terre, jusque de quoi tendre les bras »]. Pire peut-être il y croit complètement [« Cet enfant, j'en étais... le père depuis longtemps et depuis longtemps sa mère était ma femme. Je les attendais, ils étaient là »] et finalement on peut penser qu'il y restera. Quant à son appartement c'est peu dire qu'il passe au second plan. On en parle même plus !

     

    Le style est fait de phrases courtes, l'intrigue a l'air de patauger un peu et l'ensemble se lit assez facilement. J'ai trouvé ce livre plutôt triste. Lors de mes précédentes lectures, je m'étais un peu vite enthousiasmé pour cet auteur, je change un peu d'avis avec ce roman.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ENFANT D'OCTOBRE

    N°785 – Août 2014.

    L'ENFANT D'OCTOBRE - Philippe Besson-Grasset.(2006)

    Les gens de ma génération ne peuvent oublier « l'affaire Grégory », ce petit garçon de 4 ans retrouvé noyé dans la Vologne au soir du 16 octobre 1984, qui est toujours et sans doute pour toujours inexpliquée et ce crime impuni. La photo de garçonnet, rieur et les cheveux bouclés est dans toutes les mémoires. Cette affaire qui a tenu la France entière en haleine n'est pas officiellement terminée puisque relancée en 2013, mais les chances d'aboutir sont de plus en plus minces. Il y a eu ce meurtre atroce puisqu'il a été commis sur la personne d'un enfant sans défense mais il y eu aussi des indices mal exploités ou effacés, l'amateurisme dans l'enquête de gendarmerie puis des hésitations dans celle de la police, un juge trop jeune, sans expérience, complètement dépassé, un dysfonctionnement de la justice, des coupables trop vite trouvés puis relâchés ou exécuté pour l'un d'entre eux, des rebondissements nombreux, des jalousies familiales, de vieilles querelles, la vie difficile dans cette contrée des Vosges, une parentèle qui se déchire, un « corbeau » menaçant mais invisible, la pression médiatique et au bout du compte un constat d'échec, l'impossibilité de connaître la vérité ! De reconstitutions en annulations de procédure, de dénonciations en rétractations, de trahisons en lynchage médiatique, d’incarcérations en libérations, d’expertises accusatoires en en conclusions contradictoires, de maladresses des enquêteurs en pièces à conviction, de « crime parfait » en absence de mobile, d'intime conviction du juge en absence de preuves, d'obligation de résultats en oubli des principes élémentaires du droit, de nominations successives de magistrats instructeurs en jugement de non-lieu, cette affaire va de plus en plus à vau-l'eau entre cadavres et enfants à naître.Tout et le contraire de tout !

    C'est un roman et l'auteur imagine comment Jean-Marie et Christine se sont rencontrés, ont bâti leur vie. Il écrit sa fiction en y mêlant la réalité des informations qu'il détient. Il donne la parole à Christine, comme si elle était invitée à se confier à la feuille blanche, des pages imaginaires en quelque sorte. A travers son témoignage, le lecteur sent l'évolution de cette affaire où elle passe de la situation de mère éplorée ayant perdu son enfant unique à celle de coupable d'infanticide contre qui les experts et la presse vont se déchaîner pour enfin recouvrer la liberté. Elle doit maintenant faire face à l'opinion publique qui voit en elle une criminelle très présentable, d'autant que son mari vient de désigner et d'exécuter celui qui, à ses yeux, est le vrai coupable, et chacun de se faire sa propre opinion, subjective évidemment !

    Je n'ai malheureusement pas retrouvé le style agréable que j'avais apprécié dans les précédents romans de Besson. Ce livre est écrit avec une certaine froideur, comme une chronique judiciaire, à cause sans doute du sujet choisi. Il apporte un éclairage personnel sur l'enquête ce qui, immanquablement, amène le lecteur à se faire sa propre opinion. Pourquoi Philippe Besson, qui est un bon romancier, s’est-il dédié à une affaire criminelle en s'en faisant le chroniqueur ? J'ai personnellement du mal à voir ici un roman ordinaire et j'ai ressenti un véritable malaise à sa lecture. D’ailleurs une plainte a été déposée par les époux Villemin et l'auteur et l'éditeur ont été condamnés pour diffamation à 40 000 € d'amende. Il a peut-être voulu mettre en lumière les travers de l'espèce humaine, mais pourquoi l'avoir fait dans ce cadre là et surtout de cette manière ?

    Cette affaire est de celles qui ont bouleversé la France entière, de la même veine que d'affaire Dreyfus, toutes proportions gardées, ou que celle de Bruay en Artois. Ces deux crimes de sang, deux véritables tragédies modernes, resteront probablement à jamais non élucidés. Demeureront le chagrin des Villemin d'avoir perdu leur fils et le calvaire qu'ils ont dû subir, comme si la perte d'un enfant ne suffisait pas, un enfant assassiné mais sans assassin, une absence et une tombe pour le reste de leur vie.

    Je n'ai pas aimé ce livre abusivement appelé « roman ».

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES CATILINAIRES

    N°784 – Août 2014.

     

    LES CATILINAIRES - Amélie NothombAlbin Michel.(1995)

     

    D'emblée le titre m'évoque Cicéron qui prononça ses célèbres réquisitoires contre Catilina qui conspirait contre le république romaine. Ici, rien de tout cela. Le narrateur, Émile Hazel, 65 ans, ex-professeur de lettres classiques, vient de prendre sa retraite avec sa femme Juliette qu'il connaît depuis l'enfance dans une maison retirée dans la campagne. Leur entente est parfaite et ils veulent être seuls. Leur plus proche voisin, Palamène Bernardin, 70 ans, à « l'air d'un Bouddha triste », c'est un médecin qui vient ponctuellement chaque après-midi pendant deux heures leur faire une visite, mais sans rien leur dire, ne répondant à leurs questions que par oui ou par non et refuse obstinément que son épouse l'accompagne. Ils finissent par s'habituer à ce fâcheux qui pourtant en prend de plus en plus à son aise, entre désinvolture et incrustation, combattant ces intrusions par l'érudition, l'humour ou le silence. En fait ils sont affaire à un véritable emmerdeur. Palamène cède et leur présente sa femme, sorte de personnage fellinien, inintéressant et rustre comme lui, qui ne pense qu'à manger et qu'il veut cacher.

    Ils réfléchissent à un moyen de se débarrasser de lui, Émile qui est plutôt satisfait de lui-même se remet en question, se révélant incapable de réagir face à ce voisin envahissant, prenant conscience que finalement c'était un faible qui avait passé toute sa vie comme un modeste professeur de langues mortes, ce qui n'était somme toute pas grand chose. N'y tenant plus, il parvient quand même par le mettre dehors, ce qui permet au lecteur de constater son vocabulaire fleuri, bien loin du classicisme qu'il enseignait jadis, mais peu de temps après Palamène tente de se suicider. C'est Émile qui le sauve d'une mort certaine. Cet épisode lézarde un peu la complicité traditionnelle de Juliette et de son mari autour de l'opportunité du sauvetage de leur voisin qui d'évidence n'a aucun goût à la vie. Il lui semble que le fait d'être environné d'horloges chez lui est le signe qu'il prend ainsi conscience de la fuite du temps et que l'unique but de sa vie est la mort puisque, prisonnier de lui-même, il ne trouve d'issue que dans le trépas. De là une certaine culpabilité ressentie par Émile, mais aussi la révélation du côté sombre de sa personnalité, le jour M. Hazel était un peu lâche mais la nuit il était capable des pires audaces. Il illustrait à sa manière le mythe de Pénélope qui le jour jouait le jeu de ses prétendants et la nuit redevenait une héroïne. Il illustrera ce paradoxe jusqu’au bout ! Prenant conscience de la situation de Palamène, Émile soutient, avec la fougue de Cicéron, qu'il comprend son voisin et sa prédilection pour son geste fatal.

     

    Il y a beaucoup de longueurs dans ce roman. Il s'agit d'une fiction et comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette chronique, Amélie Nothomb n'est jamais aussi intéressante et émouvante que lorsqu'elle livre à son lecteur son expérience personnelle [« Ni d'Eve ni d'Adam », « Stupeur et tremblements »]. Comme à chaque fois, l'auteure fait preuve d'originalité dans les prénoms de ses personnages, ici par exemple Palamène, et fait montre de son érudition, de ses remarques sur la vie et sur la mort, sur la condition humaine aussi qui n'est pas reluisante, mais cela nous le savions déjà. Pour autant, j'ai peu apprécié cette œuvre pourtant bien écrite.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • NI D'EVE NI D'ADAM

    N°783 – Août 2014.

     

    NI D'EVE NI D'ADAM - Amélie NothombAlbin Michel.

     

    C'est un récit autobiographique où Amélie Nothomb, étudiante en japonais, décide de donner des cours de français à un jeune nippon énigmatique, Rinri. Elle relate par le menu cette expérience qui la conduit inévitablement à avoir une liaison avec lui. Il présente d'ailleurs comme « sa maîtresse », terme à la fois ambigu et révélateur compte tenu du contexte. Elle est de ce fait reçue dans sa famille et se demande quel rôle joue chacun de ses membres. C'est l'occasion pour elle de parler de la société japonaise, des rituels qui la gouvernent, de l'élitisme qui est en vigueur ici plus qu'ailleurs et qui affecte les enfants dès leur plus jeune âge, de l'homosexualité qui a longtemps été interdite par la loi, de l'addiction au travail des Japonais. On a ainsi droit à la cérémonie du thé, aux cerisiers en fleurs au printemps, au Mont Fuji, à la politesse traditionnelle, à la technologie avancée... Le garçon se révèle romantique, enfin version japonaise, tout comme est japonaise sa version de la cuisine occidentale, c'est à dire ratée malgré toute sa bonne volonté, alors qu'Amélie s'attendait à manger des sushis et des sashimis. Il est original, voyageur volontiers solitaire et surtout... sans appareil photo ! Quant à elle, elle devient la fiancée officielle de Rinri, ce qui lui vaut la curiosité des grand-parents, le respect poli de son père mais la haine tenace de sa mère. Non seulement elle lui prend son fils mais en plus elle est étrangère, pourtant elle a vécu très jeune au Japon, parle couramment la langue. Elle est presque déjà Japonaise !Pour autant la fin diffère quelque peu de ce qu'on peut imaginer. C'eût été un « happy end » un peu trop facile et que dans d'autres chroniques j'ai déploré. Et puis la liberté existe, même si elle ressemble à une impasse et si on veut à toute force refuser le chemin tracé ! C'est vrai que le mariage est une grave décision qui engage toute une vie, même si, à tout le moins en occident, le divorce vient souvent le conclure. Ce Rinri semblait non seulement très prévenant mais surtout très amoureux. Cela sentait non seulement le beau et riche mariage mais surtout le mariage d'amour, ce n'est pas si fréquent, cela faisait peut-être trop « prince charmant » ou trop « midinette », je ne sais pas ? Alors la fuite reste, dans ce domaine comme dans bien d'autres, une forme de solution, même après deux années d'apparent bonheur. Cela ressemble quand même à un gâchis, à une sorte d'échec qu'encore une fois l'écriture a réussi à exorciser.

    Le livre refermé, j'avoue que j'ai ressenti de la sympathie pour ce jeune japonais qui méritait peut-être mieux que cela, mais c'est peut-être mon côté « fleur bleue » ? Pour moi qui dans le domaine de la civilisation et de la culture nippone n'y connaît rien, je confesse quand même que ce livre est intéressant sur le plan documentaire. On y apprend ainsi les us et coutumes du pays, les légendes, l'histoire, la géographie, l'art culinaire... Ce récit précède l'expérience professionnelle malheureuse de l'auteur dans une grande entreprise japonaise narrée dans « Stupeur et tremblements » (La Feuille Volante n° 771), il en est l’exact contraire, entre jubilation et culpabilité.

    Je m'aperçois avec un certain étonnement que je lis les œuvres d'Amélie Nothomb dans le seul but de pouvoir m'en faire une idée et ainsi pouvoir en parler puisqu'elle est un auteur médiatique et, à ce titre, fait partie de la culture, mais en aucun cas par réel intérêt personnel ou par plaisir. Je dois cependant reconnaître que le texte est agréable à lire, sans fioriture excessive, d'une écriture agréable et que, lorsqu'elle choisit de relater une expérience personnelle, l'auteur est bien meilleure que dans le domaine de la fiction .

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'IMPREVU

    N°782 – Août 2014.

     

    L'IMPREVU - Christian OsterLes Éditions de Minuit.(2005)

     

    D'après le dictionnaire, l'imprévu c'est ce qui arrive quand on ne s'y attend pas. Dans cette histoire, d'ailleurs un peu compliquée c'est bien le cas. Le narrateur qui n'a pas de nom, mais qui se fait appelé Serge au cours du récit, doit aller à l’anniversaire de Philippe dans l' île de bretonne de Braz. Avec lui il emmène Laure dont il est follement amoureux. La particularité du narrateur c'est qu'il est perpétuellement enrhumé et que ses compagnes successives attrapent son rhume et quand elles guérissent, elles le quittent.

     

    Au cours du voyage en voiture, ils s'arrêtent dans un hôtel en pleine campagne, Laure tombe malade, et finalement lui demande de se rendre chez Philippe, seul et par ses propres moyens puisqu'elle garde le véhicule. C'est le premier imprévu mais pas le seul et il obtempère. L’auto-stop l'amène dans une famille, les Traversière, où il est invité à l'anniversaire du mari. Lors de cette soirée, il rencontre des gens, des femmes en particulier à qui il est particulièrement attentif. Pourtant, depuis le début de ce récit, le narrateur ment et il continue quand il rencontre au cours de cette même soirée, Florence, une femme qui va elle-aussi dans l'île de Braz. On se rend bien compte que, de son côté Laure l'a quitté, guérie sans doute.

     

    Contrairement à ce qu'on pouvait penser, il ne se passe rien entre lui et Florence, mais c'est aussi une manière d'imprévu mais en cette matière le lecteur n'est pas au bout de ses surprises.

    Le récit fourmille de détails dont l'accumulation n'apporte rien à la compréhension et même à l'intérêt. C'est une sorte de tranche de la vie du narrateur où se dernier passe son temps à rechercher une femme à aimer et quand il l'a trouvée il la fuit soit parce qu'il ne se sent pas à la hauteur, soit parce qu'il a peur soit peut-être parce qu'il veut passer à autre chose, une sorte d'impossibilité de se fixer sans doute ? L’épilogue est étonnant et vraiment inattendu. Certes, cela analyse finement les états d'âme mais quand même, je me suis un peu ennuyé.

     

    Je ne suis pas un spécialiste de l 'œuvre de Christian Oster que je découvre petit à petit (La Feuille Volante n° 779, 780, 781), mais je crois avoir lu bien mieux.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LOIN D'ODILE

    N°781 – Août 2014.

     

    LOIN D'ODILE - Christian OsterLes Éditions de Minuit.(1998)

     

    J'avoue que j'aime assez les auteurs qui, dans un roman, m'interpellent dès la première ligne. Là, ça a été le cas, jugez plutôt «  Exagérons. Disons qu'il fut un temps, pas si éloigné du reste, où je vivais avec une mouche ». Voilà, me suis-je dit, qui menace d'être intéressant ou à tout le moins original !

     

    En effet, en plein mois de novembre, une mouche s’introduit dans l’appartement parisien du narrateur, ce dernier, Lucien, 45 ans semble ne rien avoir à faire d'autre que de rédiger son journal intime. Il l'y fait donc figurer tout en cherchant à la chasser, car, c'est bien connu, rien n'est plus agaçant qu'une mouche. Puis il se reprend et après l'avoir un peu étourdie choisit de partager son espace avec elle. Jusque là, ça va. Mais nous sommes dans un roman d'Oster et, bien que je n'ai pas vraiment exploré tout son univers, je n'ai pas l'impression qu'il accorde beaucoup d'importance aux diptères. Quoique ? Effectivement, cet homme solitaire qui confie à la feuille blanche ses états d’âme, fait rapidement mention d'une femme, Odile, qui a un temps partagé sa vie mais cela fait trois ans déjà qu'ils se sont quittés. Il nous narre par le menu le détail de leur rencontre, dans une soirée, un peu par hasard. Il ne savait pas trop s'il l'aimait, a fini sans doute par s'habituer à sa présence, mais ce ne fut pas un « coup de foudre ». C'est vrai que cette femme était fascinante, c'est en tout cas lui qui le dit mais on sent bien aussi que la solitude lui pesait et que cette rencontre a été la bienvenue. Pourtant leurs relations se révèlent à la fois ardentes et sans lendemain et c'est bizarrement lui qui choisit de les rompre, un peu comme s'il avait peur de l'avenir avec une femme et que la solitude était son véritable lot. Odile accepte sa décision avec regret quand même et cet acceptation un peu inattendue introduit en lui une sorte de fatalisme. Il note « Je crus alors réellement que j'allais mourir, puisque aussi bien le vide qui se creusait parut prendre toute la place que j'occupais jusqu'alors pour donner quelque forme à la vie que j'imaginais de vivre et révéler, derrière la fiction de mon être, la tranquille et blanche vérité de sa fin » . Il compense par l'écriture de ce journal ce qui est un moyen efficace de sublimer les épreuves les plus intimes. Puis il rencontre André, un ami de 21 ans son cadet qui lui présente sa compagne, Jeanne, dont il tombe évidemment amoureux. Du coup, depuis qu'il a rencontré Jeanne, ses rapport avec la mouche changent. Il se met à l’invectiver dans son journal et lui donne le nom d'Odile, celui de la femme qui, dit-il, avait précipité son destin! Il est amené à l'abandonner dans son appartement en souhaitant qu'à son retour elle serait simplement morte puisque ses amis le convient à une séjour d'une semaine aux sports d'hiver, ce qu'il accepte. Pendant cette période le couple se déchire mais se réunit, le laissant seul à la montagne. Il rencontre une autre femme Meije, dont il tombe amoureux...

     

    La vie de Lucien est oisive mais encombrée de femmes qu'il aime, laisse partir ou ne peut toucher par timidité, par peur ou par volonté de ne pas s'engager. Cette histoire où finalement il ne se passe pas grand chose, surtout à propos de cette mouche, est une tranche de vie d'un homme ordinaire, frustré sans doute, qui fantasme beaucoup à propos des femmes. Il m'apparaît que les héros d'Oster sont ainsi. Ce n'est pas que cela m'ennuie, au contraire puisque finalement je m'y retrouve un peu et, au fond, je ne dois pas être le seul. Lucien est un homme qui aime les jolies femmes, ce qui prouve son goût, mais il se révèle incapable de les retenir. Il séduira peut-être Meije comme il a séduit Jeanne mais surtout elle ne restera pas avec lui soit parce qu'elle préféra son ami, soit parce que Lucien finira par se séparer d'elle comme il l'a fait avec Odile. En réalité, c'est un homme à qui le bonheur conjugal et peut-être le bonheur en général est tout simplement interdit. Il est sûrement séduisant, la femme qui est dans son lit est « belle comme la femme d'un autre » mais il ne s'y attachera pas et se retrouvera irrémédiablement seul face à la page blanche de son journal à laquelle il pourra confesser ses déboires. Je suis donc personnellement reconnaissant à l'auteur de ces romans intimistes d'être en phase avec la réalité, même si elle est un peu triste.

     

    Le style est agréable, la phrase est, il est vrai est un peu longue parfois, mais l'émailler d’imparfaits du subjonctif ne me gêne guère, au contraire, cela lui donne un petit côté suranné qui me plaît bien.

     

    La quatrième de couverture présente ce roman comme irrésistible et drôle. Je ne suis pas de cet avis et je dois dire que je n'ai pas beaucoup ri, peut-être au contraire. J'y ai trouvé quelque chose qui ressemble à la vraie vie et j'ai apprécié.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES RENDEZ-VOUS

    N°780 – Août 2014.

     

    LES RENDEZ-VOUS - Christian OsterLes Éditions de Minuit.

     

    Francis, le narrateur, donne à Clémence des rendez-vous dans un café sans l'en avertir... On comprend bien que dans ces conditions elle n'y vient pas. C'est qu'elle a fait partie de sa vie, mais depuis trois mois elle en est absente. Du coup, il se donne rendez-vous à lui-même, chez lui, mais l'autre lui-même qu'il a convié n'est pas là. Ainsi dîne-t-il seul et s’abandonne au sommeil puisqu'il est livré à lui-même et que tout le monde s'en fout ! Pourtant, il poursuit ses rendez-vous fictifs, un peu comme si toute sa journée se résumait à ces instants qui dès lors sont synonymes d'absence, de déception, de désespoir. Sa nouvelle vie articulée autour de ces fantasmatiques rendez-vous le coupe de la plupart de ses amis mais il convie quand même l'un d'eux, Simon, dont l'épouse, Audrey, vient de le quitter il y a trois jours lui laissant leurs deux enfants. Du coup ils sont deux à attendre leur femme et Francis part du principe que si Audrey peut revenir, il n'y a pas de raison pour que Clémence n'en fasse pas autant. Pour le soutenir dans son épreuve, Francis décide d'attendre lui aussi Audrey qui se manifeste d'ailleurs auprès de lui ce qui lui fait oublier ses problèmes personnels. Voila donc le lecteur devenu le témoin de deux chaos amoureux comme les affectionne Oster. Au vrai il n'y a rien d’extraordinaire, c'est plutôt deux drames minuscules avec une femme au centre de chacun d'eux. En fait Francis est comme les héros des romans d'Oster, un homme en manque d'amour et, malgré lui, grâce au hasard et un peu aussi à son ami, son destin va changer. Pourtant il ne s'attend pas du tout à ce qui va lui tomber dessus mais pour lui qui est toujours amoureux de Clémence et qui l'attend c'est assez étonnant et il y a de quoi être surpris. C'est un homme ordinaire, timide, sans relief et sans originalité, à qui il n'arrive rien d'habitude et le départ de sa femme est un événement qu'il a du mal à surmonter. On a beau se dire que cela peut arriver à tout le monde mais s'il est bien obligé de croire à l'absence de Clémence et ce qui lui arrive par ailleurs le bouleverse, le gêne, l'amène à se poser des questions, lui occasionne des états d'âme. L'instant de stupeur passé, il s'habitue, d'ailleurs très vite, se coule dans son nouveau rôle qui lui ouvre des horizons.

     

    Le style est toujours le même, ce qui n’est pas forcément désagréable, le monologue accentue au début la sensation de solitude du narrateur et donne même une impression un peu labyrinthique, les situations ont un petit parfum de surréalisme (présence d'une panthère dans la salon de Simon qui est gardien d'un zoo), sont même un peu absurdes mais c'est là l'univers d'Oster. Dans la deuxième partie du roman les dialogues inverse cette sensation de solitude du début.

     

    Je découvre l’œuvre de Christian Oster mais j'avoue que j'ai été un peu surpris par l'ambiance de cette histoire. Elle a beau vouloir être originale et l'est peut-être mais j'ai quand même été un peu déçu.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DANS LE TRAIN

    N°779 – Août 2014.

     

    DANS LE TRAIN - Christian OsterLes Éditions de Minuit.

     

    Les gares ont toujours été un lieu de rencontre privilégié. Quoi de plus étonnant qu'un homme y croise une femme et c'est peut-être le début d'une aventure amoureuse. Naturellement l'homme lui propose de porter son bagage, un sac plein de livres. Comme c'est un habitué des lieux et que cette femme lui plaît, il tente sa chance et l'accompagne dans le train et descend à la même station qu'elle, lui porte son sac jusque sur le quai. En principe quelqu'un l'attend dans cette ville et par curiosité, par envie ou par amour, il décide de la suivre de loin, prend un chambre à l'hôtel des voyageurs tout proche parce qu'il pense qu'elle y est descendue. Tel est le point de départ de cette histoire où cet homme, Franck, qui donne l’impression au début de savoir ce qu'il veut, est entreprenant et même carrément dragueur, pire peut-être, séducteur, puis au fil des pages devient hésitant, timide, maladroit. C'est le genre d'hommes à suivre de loin les femmes dans la rue mais sans les aborder sans leur adresser la parole. Finalement il a peur des femmes et se révèle être le jouet de cette Anne qui fait de lui ce qu'elle veut. Il en souffre mais aime cette souffrance puisque c'est elle qui la lui inflige. Il ne réagit guère et ne cherche même pas à profiter d'une situation qu'il a pourtant cherchée et dans laquelle maintenant il ne joue plus aucun rôle, ou si peu. Il se dit qu'il l'aime mais cet amour est platonique, idéalisé, intellectualisé, irréel même. Il subit cette crainte des femmes et quand il veut faire montre d'audace, cette dernière tombe à plat simplement parce qu'il ne va pas au bout de sa volonté. Finalement il est pathétique d'hésitations, il réfléchit, il ratiocine même et son embarras est maladif face à Anne qui se joue de lui et joue avec ses scrupules. Il est tellement fasciné par elle qu'il lui eût écrit des poèmes s'il avait su le faire mais elle lui aurait sans doute montré beaucoup d'indifférence.

     

    Petit à petit il devient son ange-gardien, sa mascotte, un remplaçant mais si elle fait l’amour avec un homme dans cet hôtel, ce n’est pas avec lui. On a du mal à cerner cette femme, est-elle une allumeuse, une intellectuelle frigide, une hypocrite, une jouisseuse qui recherche l'extase dans les bras de n'importe qui et qui joue avec ce pauvre Franck ? Peut-être, mais lui, amoureux transi, ne peut que lui obéir et quand son tour vient de bénéficier de ses faveurs, il est aux anges. Dès lors son imagination est sans borne. Il veut l'aider , se sentir responsable d'elle et choisit de voir dans chacun des gestes qu'elle fait, même plus anodin, une confirmation de cette impression qui peu à peu s'installe dans son esprit et devient une certitude. C'est le signe de quelqu’un qui a longtemps attendu le grand amour, qui se persuade qu’il l'a enfin trouvé et qui fera tout pour le garder.

     

    Il m'apparaît comme un grand sentimental qui idéalise les femmes parce qu'il en a peur et qui est parfaitement capable de tomber amoureux de chacun d'elles ; il est de ceux qui font rimer amour avec toujours et qui veulent surtout y croire, de ceux qui n'oublient jamais le nom de leurs conquêtes féminines simplement parce qu’elles ne sont pas si nombreuses. Pourtant, même s'il est sympathique, ce Franck, j'ai à son sujet un sentiment bizarre. Je pense que tout cela est bel et bon mais n'est finalement qu'une passade de plus pour Anne et que lui sera rapidement déçu parce qu'elle et lui n'ont pas la même approche et que ce qui est une belle histoire durable pour lui ne sera qu'une toquade de plus pour elle. Mais après tout il est peut-être bien qu'on lui laisse ses illusions !

     

    Le texte est écrit à la première personne ce qui donne un monologue assez impersonnel. L'écriture d'Oster est descriptive, accordant une grande place aux détails du quotidien, donne à voir des scènes assez statiques avec une technique un peu bizarre marquée par une absence de dialogues directs mais qui sont rendus d'une manière indirecte. C'est orignal, pas forcément désagréable à lire, peut-être un peu moins fluide qu'un échange classique de paroles même si ce n'est pas sans instiller une certaine froideur dans le texte. D'aucuns pourront même y voir la marque d'une pudeur. Quand les dialogues reprennent leur place, ils le font une manière un peu gauche comme si tout cela n'était qu'un jeu sur la phrase et sur la langue pour donner une impression de malaise, d'inquiétude.

     

    J'ai pris ce livre au hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque. Je ne regrette pas.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • COSMETIQUE DE L'ENNEMI

    N°778 – Août 2014.

     

    COSMETIQUE DE L'ENNEMI - Amélie NothombAlbin Michel.

     

    Cela commence d'une façon un peu bizarre dans un aéroport où un homme d'affaires, Jérôme Angust attend son avion et est interpellé par un Hollandais qu'il ne connaît pas, Textor Texel. Dans ce genre de lieu de passage les conversations qu'on y tient sont d'ordinaire d'une banalité affligeante. Là non et Texel confie à Angust avoir dans son enfance perpétrer par jalousie et avec la complicité de Dieu, le meurtre d'un élève plus brillant que lui. Il s'agit bien entendu d'un crime hypothétique qui pour lui est l'occasion de développements où se mêlent la culpabilité et les croyances religieuses et personnelles quelque peu naïves. Pour Angust, cet échange devient vite insupportable puisque Texel s'accroche à lui comme la moule à son rocher. Son véritable but est de le rendre malade sans qu'on sache très bien pourquoi il l'a choisi. L'épilogue peut fournir une réponse si on y veut en voir une.

     

    Je poursuis sans grande conviction l’exploration de l’œuvre d'Amélie Nothomb, à cause sans doute de sa notoriété littéraire. Cela au moins me permet de me faire une idée de ses livres et peut-être de pouvoir en parler. Ce roman est certes facile à lire, son écriture est fluide et agréable mais je suis resté, un peu comme à chaque fois, sur ma faim. Les aphorismes sont parfois originaux, sur le hasard, sur Dieu, sur l'amour, sur la culpabilité, sur l'existence d'un ennemi intérieur qui nous pousse à tout détruire autour de nous. J'ai personnellement peu goûté l’évocation du viol ni les développements qui vont avec, quant aux meurtres, ils tiennent, à mon sens, davantage de l'acte gratuit que de la véritable illustration d'une pulsion. Quant aux propos sur le jansénisme et sur Pascal... ! La fascination que semble éprouver Texel pour la mort m'a paru assez superficielle et pour tout dire pas crédible du tout. Cette absence de crédibilité, qui ne peut à elle seule se justifier par le fait que nous sommes dans une fiction, revient souvent dans les romans d'Amélie Nothomb. J'y vois, en ce qui me concerne, une explication pour le manque d’intérêt que je ressens à chaque fois. Les dialogues, même si parfois ils ne manquent pas d'intérêt, débouchent souvent dans une impasse à cause de la passivité voire de l’énervement d'Angust plus préoccupé par le retard de son avion que par les propos de son interlocuteur. J'avoue que j'aurais été à sa place j'aurais ressenti ce même manque d'intérêt devant ce fâcheux. Quant à la conversation qui se déroule entre ces deux hommes, même après que Telex eut révélé la vraie raison de leur rencontre, j'ai du mal à en imaginer l'authenticité, entre injures, harcèlements, mystification et invitation au meurtre à cause du sentiment de culpabilité. Que le dédoublement de la personnalité existe et que chacun d'entre nous ait sa part d'ombre, cela ne fait pas de doute, que l'on porte en soi des pulsions criminelles, pourquoi pas, que l'inconscient soit un des moteurs de nos actes, sans doute, mais quand même les fantasmes sont du domaine de l'imaginaire, quant au suicide, même s'il reste un mystère pour les autres et même pour les proches, j’ai du mal à lui donner ce genre d’explication, mais après tout je laisse à l'auteur son point de vue. Cela donne, comme à chaque fois ou presque un livre qui n'a pas réussi à assouvir la passion que j'ai pour la lecture, et je trouve cela dommage. C'est peut-être tout simplement la marque de l'auteur que d'écrire ainsi. C’est peut-être la mienne, celle d'un simple lecteur, que de ne rien comprendre à sa démarche mais franchement je n'aime guère.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • HYGIENE DE L'ASSASSIN

    N°777 – Août 2014.

     

    HYGIENE DE L'ASSASSIN - Amélie NothombAlbin Michel.

     

    Prétextat Tash, célèbre auteur a toujours fait dans l'originalité. Il a été Prix Nobel de littérature, ce qui n’est déjà pas banal mais encore, à l'age de 83 ans il se meurt d'un cancer des cartilages, une maladie orpheline au nom imprononçable, ce qui ajoute on ne conviendra un peu de lustre au personnage. C'est qu'il a toute sa vie joué un rôle, cachant sa générosité naturelle sous une agression de chaque jour. Mieux sans doute, se sentant mourir, il décide de mettre en scène cet ultime acte de sa vie. Non seulement la date en est prévue mais il convient de convoquer la presse qui bien entendu se fera un devoir de recueillir ses dernières paroles. Il avait même rédigé lui-même sa propre épitaphe !Au moins ne manquera-t-il pas sa sortie lui qui avait fait un parcours exceptionnel. Il se complet donc, lors de ces entrevues à détailler sa carrière littéraire, longue et à l'entendre fastueuse qui a fait de lui une écrivain précoce et célèbre. Il a même tissé sa propre légende de son vivant qu'il épelle pour les nombreux journalistes qui viennent l’interviewer. Cabotin, il en rajoute toujours un peu dans ses propos, maniant la contradiction et noircissant le trait ne serait-ce que pour se mettre lui-même en valeur mais donne à voir un homme acerbe, intolérant, misanthrope, misogyne et finit toujours par éconduire vertement le chroniqueur. C'est que, par un excès de nombrilisme il souhaite surtout parler de lui-même et attend de ses interlocuteurs d'occasion flagornerie et déférence.

     

    Auparavant tous les reporters étaient des hommes. Arrive cependant une femme, Nina, dont il souhaite se débarrasser dès le début de l'entretien n'attendant même pas les questions. L'ambiance est tendue au début, lui est ignoble comme auparavant mais elle paradoxalement s'accroche et n'entend pas, comme ses autres collègues, être une flatteuse de plus. Est-ce à cause de sa virginité ou de sa peur des femelles comme il dit ? Est-il séduit ou mord-t-il malgré lui à l'hameçon de cette femme plus talentueuse que les autres ? Toujours est-il que les rôles s'inversent, qu'il la retient, refuse de parler de son œuvre, se livre un peu penaud , un peu honteux comme il ne l'avait jamais fait auparavant. Pourtant, elle est la seule de tous les chroniqueurs a avoir lu son œuvre et un de ses romans inachevé celui-là précisément intitulé « L’hygiène de l'assassin », l'amène à être plus précis. Est-elle une talentueuse adepte de la maïeutique ou une enquêtrice hors pair mais Tash qui aimait tant parler de lui se retrouve face à lui-même et lui avoue... un crime. Il a effectivement assassiné sa cousine dans sa jeunesse.

     

    J'ai lu ce roman, comme les autres, facile à parcourir. Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique, les livres d'Amélie Nothomb se lient facilement et c'est au moins agréable à ce titre. Cela a été pour elle sans doute l'occasion de pas mal de poncifs sur l'écriture, l’érotisme, les femmes, la nourriture, Mai 68, la société et ses travers... une sorte de salmigondis pas vraiment passionnant ainsi que des avis sur Kant, Louis-Ferdinand Céline ou Sartes, pas non plus originaux. Cet sorte de huis-clos a, pour une fois l'avantage d'être crédible puisque ce roman met en évidence l'hypocrisie et la perversité de la condition humaine, et de donner une fin à un roman inachevé qui peut parfaitement évoquer Montaigne.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA GRANDE VIE

    N°776 – Août 2014.

    LA GRANDE VIE - Christian Bobin - Gallimard

    J'ai lu ce livre comme un long poème en plusieurs fragments, plusieurs tableaux qui donnent à voir des hasards de la vie, dans un bureau de tabac, une épicerie, dans les rues de la ville, dans un cimetière aussi parce que la mort fait partie de nous, conclut notre passage éphémère sur cette terre. Nous sommes mortels et notre mémoire se peuple des fantômes de ceux qu'on a aimés et qui ne sont plus. Écrire est peut-être participer à une comédie pour faire semblant d'être immortel [« Quand j'appuie la pointe du feutre sur le papier délicieusement froid, ma mort ne sait plus mon nom »]. Face à la mort, l'oubli guette et l'écriture, garde la mémoire, allège l'âme, panse les blessures, c'est un miracle, une sorte d'invitation à refaire ce monde avec des mots, si toutefois cela s'avère possible. C'est parfois une simple lettre, parfois un livre entier qu'importe, les mots qu'ils contiennent et dont ils sont faits sont une sorte de mystère qu'on disperse au vent ou qu'on conserve comme un souvenir. On les jette sur le papier où on les travaille comme le ferait un orfèvre et ils portent en eux le silence, l'angoisse ou une explosion de joie. Les livres sont un monde étrange, ils abolissent le temps et transportent le lecteur dans un ailleurs qu'il découvre et qu'il reconnaît à la fois puisque le monde dont il est question est aussi le sien et celui qui écrit possède en commun avec son lecteur sa condition d'homme qui certes est vouée à la mort mais aussi à une éternelle résurrection. [« Pourquoi ne nous dit-on jamais que la résurrection commence dès cette vie et que toute parole ivre est une rose de sang, éclatante reine du néant de nos jours ?»].

    Le livre est un jalon vers ce qu'on voudra, paradis ou enfer mais il contient l'éternité [« L'éternel est là, sous nos yeux, sous nos pieds, dans une phrase »], un objet, un trésor qu'on tient entre ses mains. Avant, il y a la feuille vierge, la main qui tient le stylo et la nuit qui est à la fois une invitation à l'écriture et un moment fort de l'inspiration qui va faire naître des couleurs et des formes sur la blancheur du papier [« Les livres sont des secrets échangés dans la nuit »]. Les mots procurent l'ivresse pour ceux qui écrivent comme pour ceux qui lisent, ils portent en eux la poésie sortie du néant, née de la vision fugace de l'instant, comme un ange qui passe, sorti de l'éternité. Certains animaux, les chats par exemple, en sont les intermédiaires involontaires mais talentueux [« Tu t'allongeais sur une lettre en cours et c'était comme si Dieu en personne, lassé de me voir écrire, versait l'encre noire de ton pelage sur mes mots »].

    Ceux qui ont fait partie du monde des vivants et qui nous ont quittés laissent une trace, même si cela ressemble à de la folie [«Marilyn suivait l'étoile désorientée de sa folie... La folie est un mécanisme d'horlogerie très fin »]. Malgré tout le mal que nous réserve la vie, malgré la mort qui l'interrompt et salit celle de ceux qui restent et souffrent de l'absence, la vie reste un bien inestimable, un poids aussi. [«  Qu'on ne doute pas en m’entendant, que cette vie est le plus haut bien, même si elle nous broie »].

    L'auteur convoque tous ceux qui, dans sa mémoire sont acteurs de cette vibration de vie Lewis Carroll, Kierkegaard ou Jean Grosjean, et lui de conclure « La poésie c'est la grande vie ».

    Ce texte est une véritable magie, celle de l'instant et de la durée, de la légèreté et du poids des mots, de l'inestimable richesse de la vie.

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • MERCURE

    N°775 – Août 2014.

     

    MERCURE- Amélie Nothomb – Albin Michel (1998)

     

    Nous sommes en 1923 et une infirmière, Françoise Chavaigne, gagne l'île de Mortes-Frontières où elle doit soigner la pleurésie d'une jeune fille, Hazel, qui vit là avec un vieil homme, le capitaine Omer Loncours. Elle apprend de la bouche de ce dernier qu'il l'a recueillie à la suite d'un bombardement qui l'a laissée affreusement défigurée.D'emblée des relations de confiance s'installent entre les deux femmes ; pourtant, la consigne est de ne pas parler de cet événement ni évidemment de son aspect physique.. sous peine de mort ! Elle ne tarde pas à s'apercevoir que l'absence de miroirs, d'objets réfléchissants et la position des ouvertures vitrées lui interdissent de se voir. Elle apprend que le vieil homme couche avec Hazel et aussi l'existence d'une autre femme, Adèle, que le capitaine à sauvé de la mort quelques vingt ans auparavant, qu'il a séquestrée en lui faisant croire qu'elle avait été défigurée par un incendie et qui se serait suicidée. Dans les deux cas il s'agit d'un mensonge entretenu par le capitaine alors que les deux femmes sont d'une éclatante beauté.

     

    J'ai eu l'impression de lire un roman policier mais ce n'en est pas un. En revanche j'ai bien eu le sentiment d'être en présence d'un roman à l'eau de rose, par ailleurs peu convaincant, avec ses développements sur l'amour, le bonheur, le consentement à l'acte sexuel, la jalousie, la volonté de demeurer incarcérée c'est à dire sous l'emprise de Loncours, la virginité et sur les personnages stendhaliens. La localisation sur une île, dans un manoir sombre ajoute un côté exotique et même un peu théâtral, du genre « unité de lieu », à moins que cela n'évoque le jardin d'Eden, au moins pour le capitaine. Le jeu de mots facile sur les noms des femmes et surtout sur celui du vieillard n'ont pas non plus retenu mon intérêt (O.Loncours pour « capitaine au long cours » qu'il était effectivement).

     

    Je note cependant que le concept de résurrection que j'avais déjà remarqué dans « Le fait du prince » (La Feuille Volante n°772) revient sous sa plume. En effet l'auteure présente Hazel comme la réincarnation d'Adèle ce qui peut-être à mes yeux une piste intéressante, c'est peut-être aussi tout simplement un fantasme ou une obsession d'Amélie Nothomb ! L'arrivée dans la vie du capitaine d'Hazel est présentée comme un cadeau des dieux, un bienfait du hasard, Pourquoi pas après tout mais on peut parfaitement voir aussi dans cet homme vieillissant, un sadique et un vicelard ?

     

    L'épilogue d'un roman est toujours attendu par le lecteur. J'ai déjà dit dans cette chronique que le « happy-end » ne me plaît pas du tout et la première version emprunte beaucoup au roman feuilleton pour midinettes. Ici, c'est peut-être un avantage puisqu'il est double, un peu comme si le lecteur avait le droit de choisir. Là aussi pourquoi pas ? Je choisis quand même d'y voir quelque chose qui, en tant qu'auteur, m'a toujours étonné, c'est la liberté de personnages dont j'ai pu vérifier personnellement qu'elle existe et pas seulement en tant que concept. Quand on écrit une fiction, on a une idée assez précise du scénario mais il arrive parfois qu'au cours des développements une histoire différente s'impose à vous, et vous vous laissez faire en vous demandant où tout cela va vous mener...Mais là aussi, c'est peut-être moi qui divague !

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE ROMAN DES ESPIONNES

    N°774 – Août

    2014.

    LE ROMAN DES ESPIONNESVladimir Fédorovsky- Éditions du Rocher.

    Pour le commun des mortels, l'univers de l'espionnage est fascinant. Quand il s'agit d'espionnes, le sujet devient passionnant puisqu'elles ajoutent l'amour au mystère. Ces femmes sont nécessairement belles, intelligentes, vives, cultivées, parlant le plus souvent plusieurs langues, aimant le luxe et paradoxalement elles sont discrète, mais d'une discrétion déguisée qui donne facilement le change ; elles ont servi leur pays à l'égal des combattants du front en exploitant la vanité des hommes qui furent leur proie. Ce sont des séductrices mais ce qui les caractérise le plus c'est le génie de la vie puisqu'elles ont, pour la plupart exercé dans le contexte de la guerre froide et ont réussi à échappé « à cet instrument de souffrance de mort que fut le communisme ». C'est que l'activité d’espionnage s'est développée presque essentiellement au XX° siècle et évidemment à l'occasion des guerres, la 1° et la 2° guerre mondiales, la guerre d'Espagne puis la guerre froide et dans ce domaine l'importance de femmes a été déterminante. L'auteur distingue les professionnelles comme celle qui livra les secrets de la bombe atomique américaine à l'Union soviétique mais il y eut aussi des agents d'influence, des « idiotes utiles » qui étaient sûres de la justesse des idées soviétiques, telle Mme Romain Rolland qui convainquit son époux de prendre partie pour l'URSS ou Elsa Triolet qui de la même manière persuada Aragon parce qu'à l'époque le choix idéologique entre le nazisme et le communisme penchait pour ce dernier. Il y ajoute les vraies- fausses espionnes telle Mata Hari qui selon lui fut un fantasme collectif mais surtout un bouc-émissaire.

    C'est que l'amour dans ce domaine interfère largement dans le travail d’espionne pour lequel elles ont un atout supplémentaire dans la collecte de renseignements : la séduction . Ainsi Olga Techekhova , intime d'Hitler et amie d'Eva Braun informa-t-elle Staline sur les secrets du III° Reich. De même les soviétiques réalisèrent-ils la bombe atomique grâce aux espionnes infiltrées aux États-Unis.

    A travers des documents des témoignages et des documents d'archives, l'auteur nous livre une liste des plus emblématiques d'entre elles, en commençant par la période de la Grande Guerre. L'incontournable Mata Hari et, on s'y attend sûrement moins, Marthe Richard, qui a attaché son nom à la fermeture des maisons closes en 1946. La liste est longue de celles qui ont, par leur action, peser sur le destin du monde.

    Outre les révélations passionnantes de ce livre, ce que je retiens c'est, comme toujours, l'hommage de l'auteur à notre langue française qu'il pratique avec bonheur. C'est toujours un plaisir de le lire !

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES VIEUX DE LA VIEILLE

    N°773 – Août 2014.

     

     

    LES VIEUX DE LA VIEILLE – René FALLET – Denoël (1958)

     

    Dans un village du Bourbonnais, deux septuagénaires, Jean-Maris Pejat, ancien réparateur de cycles, et Blaise Poulossière, ancien agriculteur, forts en gueule et amateur de chopines font la loi. Un troisième compère, Baptiste Talon, fraîchement retraité de la SNCF revient au village et apprend à ses amis son intention de se rendre à Gouyette, une maison de retraite dont un collègue lui a dit beaucoup de bien, tenue par les bonnes sœurs à quelques kilomètres de là. Après pas mal d'hésitations, ayant constaté qu'ils ne faisaient plus vraiment partie du village, qu'ils n'étaient finalement plus très jeunes, et qu'ils passaient le plus clair de leur temps au bistrot, les trois compères se décident à partir ensemble, mais à pied et en compagnie d'un âne cacochyme. Ils feront des rencontres non prévues avec leurs souvenirs de jeunesse mais aussi avec la maréchaussée qu'ils ne manqueront pas de ridiculiser. Ils ne partiront cependant du village sans un dernier salut aux copains du cimetière. Ils entament donc une pérégrination laborieuse et surtout arrosée jusqu'à cet hospice où ils se trouvent décidément trop vieux pour y vivre. Ainsi vont-ils refaire le chemin en sens inverse, le plus vite qu’ils pourront !

     

    René Fallet signe là un roman d'humour repris en 1960 par Gilles Grangier. Certes il s'agit-là d'une adaptation, d'une recréation comme on dit. Les lieux sont un peu différents, les aventures aussi mais l'esprit est le même. Nous retrouvons nos trois compères toujours aussi vantards et prompts à la critique mais que rien ne retient plus au village. Leur temps est terminé et ils ne parlent plus que de la guerre de 14 qu'ils firent chacun sur des théâtres d'opérations différents et effectivement le temps a passer sans peut-être qu'ils s'en rendent compte. Grangier brode un peu avec cette histoire de pré appartenant à Talon et loué à Poulossière mais dont Baptiste n'a pas touché les loyers depuis quatre années. C'est que ledit pré a été cédé par le fils de Blaise à la commune pour en faire un terrain de football. Ce geste altruiste lui a permis de devenir conseiller municipal, autant dire notable. Le pauvre Poulossière, quoique hâbleur avec ses compères, file doux face à sa famille et n'ose s’opposer aux décisions de son fils. Pourtant, à l'aide de ses deux amis, il va se venger et empêcher autant qu'ils le peuvent les matchs de football.

     

    Las, le temps a passé depuis leurs jeunes années et la fête annuelle des escargots va leur rappeler la triste réalité. Ils sont vieux  ! Puisque Talon a refusé la voiture des bonnes sœurs, ses deux compères décident de l'accompagner à sa nouvelle résidence, mais il préfèrent faire le chemin a pied ce qui n’est pas sans mésaventures, des rencontres de vieilles connaissances, des souvenirs de guerre, de jeunesse et de conquêtes féminines, des disputes, des jurons bien sentis et surtout sans quelques arrêts-boissons.

     

    Arrivés enfin au but, ils ne tardent pas à s'apercevoir que cet établissement austère dont on avait pourtant dit tant de bien à Talon se révèle effectivement être un « bagne pour vieux » dont ils décident de s’échapper non sans semer la panique sur leur passage. Le retour n'est pas moins épique que l'aller mais c'est entre deux gendarmes qu'ils reviennent au village. Le maire les sermonne comme il l'aurait fait à des garnements. Ils promettent de s’assagir, mais faut-il leur faire confiance ?

     

    Cette adaptation cinématographique rablaisienne s'est faite avec la complicité de Michel Audiard dont les dialogues sont toujours aussi inimitables. Le scénario est servi par Noël Noël  Pierre Fresnay et Jean Gabin, des acteurs d'exception capables avec le même talent de camper un aristocrate ou un prolétaire, un flic ou un truand.

     

    Ce n'est pas pour donner l'impression que moi aussi je fais partie des vieux de la vieille, mais je revois toujours ce film avec le même plaisir. Il correspond à une écriture cinématographique particulière désormais révolue qui doit beaucoup aux dialogues à la mise en scène et aux acteurs.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE FAIT DU PRINCE

    N°772 – Juillet 2014.

     

    LE FAIT DU PRINCEAmélie NothombAlbin Michel.

     

    Ce livre pris au hasard dans les rayonnages de la bibliothèque m'était parfaitement inconnu et je venais juste d'entamer l’œuvre d'Amélie Nothomb. D'autre part, le titre m'évoquait davantage une théorie juridique qu'une œuvre de fiction mais pourquoi pas ?

     

    Dès les première pages, cela me semblait un peu loufoque mais après tout pourquoi pas me suis-je dit. Un parfait quidam, Baptiste Bordenave, la quarantaine triste, dont la vie est sans aucun fait marquant, voit débarquer chez lui un inconnu qui lui demande d’utiliser son téléphone à cause d'une panne de sa voiture. Jusque là rien d'extraordinaire sauf que cet homme meurt sous ses yeux. A cause d'une conversation qu'il a eue la veille, il craint d'être accusé de meurtre ce qui est assez inattendu. Ce qui l'est encore plus est qu'il décide de prendre sa place, son identité, de le ressusciter en quelque sorte alors même qu'il ne sait rien de lui. Du point de vue du code pénal c’est quand même assez risqué. Il sera donc Olaf Sildur, un suédois et comme le hasard fait bien les choses, surtout dans les romans, il s'aperçoit vite qu'il ne perd pas au change puisque qu'après avoir volé son identité et son argent au défunt, il lui prend sa jeune et jolie femme. De quotidienne et laborieuse, sa vie devient soudain oisive et surtout riche, consacrée au sommeil, au repas décalés et surtout à l’assèchement de la cave, ce qui donne un florilège de poncifs sur le savoir-boire, l’alcoolisme et l'ivresse. A ce moment on peut s'interroger sur l'activité réelle de cet Olaf, entre trafic de drogue et espionnage d'autant que notre « Baptiste-Olaf » est suivi par deux hommes ce qui l'oblige à fuir et donc à disparaître avec sa nouvelle maîtresse en direction de la Suède. Du coup ce roman bascule dans une sorte de thriller, mais ce n'est pas exactement cela puisque cela devient complètement surréaliste avec l'existence d'un tunnel entre l'appartement du défunt et la banque que, bien entendu et sans aucune difficulté, le nouvel Olaf dévalise. Le fait d'être dans une fiction n’autorise pas pour autant n'importe quelle facilité de scénario ni d'ailleurs des longueurs un peu trop fréquentes et on se perd en conjectures sur la véritable identité du vrai Olaf, sur sa vie, sur sa mort et sur ce qu'a amené Baptiste à prendre sa place. Quant à l'évocation finale du Cercle polaire, je n'ai pas vraiment compris, à moins que ce ne soit le sempiternel thème de la feuille blanche qui, ici, aurait bien dû le rester. Le récit n'est tout simplement pas crédible et j'ai trouvé cela dommage. Le seul intérêt que j'y ai perçu est qu'il se lit bien et vite, comme la plupart des romans d'Amélie Nothom, et procure une agréable lecture.

    Et « le fait du Prince » la-dedans ? Je ne suis pas un spécialiste mais c'est soit un acte arbitraire du gouvernement soit, en droit administratif français, une décision de l'Administration qui pèse sur un contrat où elle est partie prenante et qui peut éventuellement lésé son cocontractant. Mais je ne vois pas très bien le lien entre ces notions juridiques et ce roman, l'explication finale ne m'ayant pas vraiment convaincu, à moins bien sûr que je ne sois, une nouvelle fois, passé à côté de quelque chose !

    Je connais imparfaitement l’œuvre, par ailleurs abondante, de l’auteure (La Feuille Volante n°676 – 771) mais il m'apparaît de plus en plus qu'elle est capable du pire comme du meilleur. Là, j'ai été franchement déçu.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com