Créer un site internet
la feuille volante

Articles de hervegautier

  • LA ROCHELLE, fille de la mer – Christian Errath, Raymond Silar

     

    N°589– Juillet 2012.

    LA ROCHELLE, fille de la mer – Christian Errath, Raymond Silar - Geste Éditions.

    Dans mon imaginaire personnel, il est des villes dont le nom seul évoque le voyage, l'exceptionnel, un attachement à la fois irrationnel et définitif. La Rochelle est de celles-là. Son nom sonne comme celui d'un rocher solide face à l'océan, elle évoque mon enfance et pas mal de souvenirs. Pour l'extérieur elle reste attachée aux paroles d'une chanson (« Les filles de La Rochelle »), au douloureux siège de Richelieu, à ses emblématiques tours, aux 4 sergents qui y furent emprisonnés. Jadis la reine Aliénor en fit le port de l'Aquitaine et lui accorda le privilège de « franche commune ». Elle fut ensuite dédiée aux expéditions lointaines, au commerce triangulaire, puis à celui des produits du pays, sel, vins puis plus tard céréales, à la pêche à la morue, à celle de haute mer et à celle des coureaux. Aujourd'hui elle est le symbole de la culture et de l'université, de la plaisance, des loisirs, de l'écologie, des Francofolies, de la porte vers l'île de Ré, d'un art de vivre différent, mais elle a toujours été tournée vers la mer...

    Avec le texte érudit à l'humour subtil de Raymond Silar et les photographies pleines de cette lumière océane de Christian Errath, le lecteur se promène à la fois dans l'histoire et dans le présent de cette cité « bénie des dieux », créée, dit-on, par la fée Mélusine, mariée à l'Atlantique. Avec ces auteurs, le lecteur découvre « La grande aventure rochelaise » que ses différents musées évoquent et que sa pierre blanche conserve. Ses habitants ont su relever les défis de l'histoire, s'adapter aux changements structurels qui ont accompagné son parcours. Autrefois blottie derrière ses remparts, elle a su « prendre le vent des conquêtes nouvelles » et faire œuvre d'imagination dans bien des domaines ce qui a fait d'elle un véritable modèle. Cette ville à la fois « Belle et rebelle », conquise sur la mer a été successivement depuis Aliénor d'Aquitaine, anglaise puis française, catholique avec la présence des Templiers, des Carmes, des Jésuites et des Oratoriens... puis, évidemment, protestante, en paix et en guerre, peuplée à la fois d'ouvriers et de riches notables commerçants et armateurs. Elle garde les traces architecturales du temps, entre ses célèbres arcades, ses maisons à colombage, ses hôtels particuliers et ses bâtiments de style renaissance ou du XVIII° siècle. Une cité maritime où se mêlent tous les styles et toutes les influences, avec bonheur !

    Depuis le hameau de Cougnes qui a été à l'origine de sa fondation, elle a été tour à tour place forte en guerre et ville de paix, a su s'opposer au pouvoir central si celui-ci devenait trop pesant mais aussi se montrer loyale à ce même pouvoir quand il le fallait. La devise de ses armes,« Servabor rectore deo »(guidé par Dieu, je serai sauvé), même si elle prête à diverses interprétations, illustre bien son attitude. Elle a abrité des célébrités, savants, voyageurs, artistes, peintres, écrivains, philosophes, avocats, inventeurs, marins mais aussi des hommes au caractère bien affirmé, notamment parmi ses édiles nommés ici depuis 1199. Les Rochelais ont dû se battre pour conserver le privilège d'élire leur maire et ce d'autant plus qu'ils devaient cette singularité à Aliénor, une Duchesse-Reine en plein Moyen-Age ! Ils ont payé un lourd tribut lors des luttes qui ont jalonné l'histoire de cette cité mais la vie, la liberté et l'indépendance ont toujours prévalu ce qui la rend extraordinairement attractive.

    La Rochelle a toujours exercé une véritable fascination sur ceux qui l'ont approchée, a suscité des créations artistiques et des innovations parfois audacieuses de tous ordres, bref n'a laissé personne indifférent, a toujours insufflé à ses habitants autant qu'aux touristes de passage sa vitalité, son originalité, son souffle chaleureux.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • TANGO POUR UNE ROSE – Laura Pariani

     

    N°587– Juillet 2012.

    TANGO POUR UNE ROSE Laura Pariani – Flammarion.

    Traduit de l'italien par Dominique Vittoz

    Le tango, c'est l'Argentine où Antoine de Saint-Exupéry a rencontré sa femme Consuelo, la rose c'est celle du Petit Prince dont l'enfant est éperdument amoureux et dont il est responsable sur cette drôle de planète, c'est elle puisqu'elle est présente dans ce roman. C'est aussi une référence aux mémoires de Consuelo intitulée « Mémoire de la rose ». Voilà donc pour le titre.

    Ce récit fictif est celui imaginé par l'auteur qui met ainsi en scène les derniers moments de l'aviateur-écrivain, sa dernière lettre à Consuelo où il lui redit son amour avec, en sourdine, les notes tout autant imaginées d'un ultime tango.

    Je l'ai lu avec ce souvenir que ne me quitte jamais de cet enfant mystérieux venu à la rencontre de cet aviateur tombé en panne dans le désert, avec aussi cette photo de John Phillips où l'on voit, pour la dernière fois le visage inquiet de St Ex qui s'envole vers la mort, crainte ou fascination ? Ce sont, peut-être pas forcément fictivement, une somme de réflexions personnelles sur le passage vers le néant, mêlées à des souvenirs de sa vie un peu cahoteuse, faite d'accidents d'avion et de voyages lointains, de son enfance heureuse malgré la disparition soudaine de son père et d'un de ses frères, un parcours d'homme, partagé entre l'écriture et l'avion, l'amour de la vie et les errances amoureuses et cette attirance vers la mort dont la guerre lui offrira l'opportunité. Disparu dans des conditions énigmatiques, il deviendra encore davantage un mythe, celui d'un homme devenu écrivain un peu par hasard mais qui fait chanter les mots, qui fait rêver son lecteur et réveille en lui les contours évanouis de l'enfance, les découvertes de l'aventure.

    L'auteur lui prête des conversations philosophiques avec un indien ou un mécanicien. On y parle de la fuite du temps, de l'incontournable mort, de l'aspect transitoire de la vie, des plaisirs éphémères, de la volonté de laisser une trace derrière soi. En contrepoint il y a cet air lancinant du tango, cette danse à la fois langoureuse et sensuelle, rythmée et énigmatique aussi où l'homme et la femme jouent une partition personnelle sur le thème de la séduction, de la possession, de la fuite mais aussi du hasard, de l'improvisation, du mystère, du symbole, entre tendresse et agressivité.

    C'est une fable inspirée à la fois par St Ex (rebaptisé Tonio) et par Dante où l'aviateur écrirait à Consuelo une lettre qui n'arrivera jamais, où le Ligthning P38 qui lui servira de cercueil est remplacé par un autocar mais où les balles meurtrières viennent quand même interrompre ce parcours terrestres à son heure comme si d'invisibles Parques officiaient, avec en arrière plan les paysages de son enfance aperçus une dernière fois. En ce 31 juillet 1944, St Ex est parti rejoindre Le Petit Prince rencontré un jour dans le désert, entre les pages d'un livre ou pendant une longue période de géniale inspiration.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • TOMBEAU DES ANGES

      

    N°586– Juillet 2012.

    TOMBEAU DES ANGES Gilles Ortlieb – Gallimard

    Le titre a ce côté énigmatique des romans policiers, mais le texte a d'emblée un goût un peu humoristique qui plante un décor coutumier d'un paysage urbain avec, en arrière-plan des friches industrielles aux relents de pollution. Le lecteur ne tarde cependant pas à s'apercevoir que les anges en question n'ont pas des noms paradisiaques. Ils se nomment « Florange, Erzange, Serémange, Knutane, Illange, Nilvange, Alfrange ». Pour qui suit un peu l'actualité, on comprend tout de suite que ce n'est pas un paradis qui est ici suscité mais bien cette région sinistrée de la Lorraine. Elle avait pourtant été florissante à l'ère industrielle, avait produit du fer, devait ses infrastructures à des capitaines d'industrie. Longtemps elle avait offert un spectacle de haut-fourneaux en activité, des cheminées d'usines et des sirènes qui appelaient au changement de poste, des bistrots incontournables qui ne désemplissaient pas. Bref une région qui vivait Des noms résonnaient dans ce décor et ils n'étaient pas si anciens que cela «  Usinor, Sollac, Sacilor, Sidelor, Lorfonte, Unimétal, Arcelor. »

    A l'invite du narrateur, le lecteur se balade dans les rues désormais désertes où tout rappelle la mine, celle qui faisait vivre tout le monde ici, un peuple de prolétaires de toutes nationalités amenés ici par la guerre ou la nécessité, établis depuis des générations et qui ne voulaient surtout pas quitter cette région. Ce n'est pas qu'on y vivait bien mais il y avait du travail. Maintenant le décor est brut, peu engageant et le chômage gangrène la population. Le tombeau des anges se décline en liquidations, fermetures, cessations d'activité … Puis on affine le paysage de magasins aux rideaux définitivement fermés, aux salles de cinéma en faillite ou aux rares cafés survivants qui offrent une triste devanture de cette région qui porte encore la marque de l'histoire dans des inscriptions à demi-effacées qui attestent de l'occupation allemande de l'entre-deux-guerres. L'air est sans doute plus respirable qu'avant, mais le paysage se ferme petit à petit, la mémoire ouvrière de la mine ne se vit qu'à travers les commentaires d'un guide pour rares touristes de passage, tout un savoir-faire, des techniques, un vocabulaire désormais passés aux oubliettes de la productivité.

    C'est une sorte de pèlerinage qu'effectue le narrateur dont on suppose que l'enfance s'est déroulée ici. Maintenant c'est un peuple de retraités, de chômeurs sans grands moyens, victimes de la crise économique, des gens désœuvrés qui cherchent à faire passer le temps dans des bistrots à demi-désertés entre apéro, loto, lecture de journaux et prévisions météo, le tout dans un décor urbain à répétition et déprimant, des usines fermées, des commerces abandonnés, des maisons à vendre qui ne trouveront jamais preneur, un paysage spectral avec « Un vent aigre soufflant depuis les hauteurs pour se perdre dans une plaine incolore », des cours d'eau pollués, des mines qu'on évoque comme on visite un musée, un passé révolu mais qu'on refuse de voir disparaître. Faute d'activité l'usine est encore là, comme un squelette inutile coincé entre passé et présent... « Dans ces villes en « ange » arpentées avec assiduité, il ne s'agit plus depuis longtemps d'organismes en train de s'étioler ou de lentement mourir, mais bien de l'apparence que peuvent prendre ou ont prise les corps défunts. Car ce ne sont plus des blessures à vif que l'on a sous les yeux, comme ce pouvait être le cas il y a un quart de siècle... mais des plaies plus ou moins adroitement refermées, des paysages cicatrisés de force et donc pacifiés. ». Ce qui amène l'auteur à poser cette question : « Que reste-t-il lorsqu'il ne reste plus rien, lorsque tout ou presque a disparu ? »

    le style au départ est alerte, humoristique même et invite à voir le bon côté des choses, faute de pouvoir faire autrement. Il cache mal une profonde détresse et une absence de gens dans les rues. Ces villes vivaient jadis mais ne sont plus que des ombres. Je n'ai pas vraiment été enthousiasmé par ce récit qui évoque un paysage où je n'ai pas vraiment envie d'aller. De plus, je n'ai pas toujours suivi le fil conducteur de ce récit notamment dans la reproduction de la correspondance qui s'étage de 1947 à 1970. Elle marque le quotidien des gens de cette période, l'évolution des choses, leur changement, mais dans le sens du chômage, de l'abandon, pas vraiment du maintien de la vie...

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Rien ne s'oppose à la nuit

     

    N°585– Juillet 2012.

    Rien ne s'oppose à la nuit Delphine de Vigan – JC Lattès

    Au départ les paroles d'une chanson d'Alain Bashung, un roman dont j'avais beaucoup entendu parler, couronné par un prix [Prix du roman Fnac 2011], un auteur qui commençait à accéder à la notoriété et la couverture, avec ce beau visage de femme aux faux-airs de Jeanne Moreau jeune qui se trouve être celui de Lucile, la mère de l'auteur.

    Ce roman, puisque c'en est un, s'ouvre sur la mort de Lucile, cette femme, qui, à 61 ans s'avère avoir été voulue, pas vraiment un suicide mais quelque chose comme un refus de vivre, de vieillir et de souffrir. C'est donc un hommage à cette mère autant qu'une quête, qu'un travail de deuil qu'elle entreprend, une façon de rompre le silence qui l'entourait, de comprendre cette femme qui avait été sa mère, une sorte d'inconnue... [« Lucile était un rempart de silence autour du bruit »]. Pourtant l'auteur butte sur une sorte d'impossibilité [« Lucile avait édifié les murs d'un territoire retiré qui n'appartenait qu'à elle, un territoire où le bruit et le regard des autres n'existaient pas »] au point qu'elle demande des informations à ses oncles et tantes. Elle veut comprendre pourquoi cette femme belle, intelligente mais triste, immature et dépressive, a pu en arriver là. Qui était donc cette Lucile, cette fille pas très intéressée par l'école, rêveuse mais intelligente et déterminée dont le charme (déjà) en faisait l'enfant préférée de Georges, son père ? Elle était la troisième d'une grande famille dont trois garçons étaient décédés par suicide, ce qui lui a donné très tôt l'image de la mort, de la tristesse, du silence, de l'absence définitive. Dans sa parentèle, parmi ses amis ou les hommes qui ont fait un temps partie de sa vie, beaucoup ont ainsi choisi leur mort.

    On ne peut parler de sa mère sans la rattacher à l'univers familial. C'est en effet quelque chose qu'on ne manie pas facilement parce que, plus que d'autres sans doute, c'est un registre difficile à cause de la mémoire qui fait défaut par moments alors que parfois elle est étonnamment vive et précise. Dans un tel travail d'écriture, on est tenté d'être opportunément oublieux, voire de mauvaise foi, de régler des comptes ou de se livrer à une entreprise de thuriféraire, autant d'actions contradictoires qui sont aussi des d'écueils. C'est que ce livre est un univers douloureux et quand on décide d'explorer les arcanes de l'histoire intime d'une fratrie on finit par côtoyer l'envie, la jalousie, l'admiration, la vengeance. Le fantasme aussi s'installe quand les choses ne sont pas sûres mais au fur et à mesure qu'on avance dans l’introspection ou la découverte, les êtres auparavant flous ou simplement idéalisés prennent de la netteté et leurs contours se précisent. Georges, le mari de Lucile, sous des dehors respectables était « un père nocif, destructeur et humiliant », à l'attitude ambiguë vis à vis de ses filles, Lucile, sa propre mère lui échappe peu à peu. [« J'étais devenue son ennemie...je ne comptais plus. »] puis le mystère lève son voile sur d'autres facettes imprévues. Dès lors, le lecteur s’aperçoit que dans cette famille, comme dans bien d'autres, on cultive le non-dit, l'hypocrisie et le tabou. C'est que, écrire un tel livre qui ressemble beaucoup à une autobiographie, est un exercice délicat. C'est, sous couvert du classique devoir de mémoire ou d'une catharsis, faire resurgir des souvenirs qu'on voulait oublier, redessiner la lente descente de cette femme vers la mort, à travers une vie de couple difficile conclue par un divorce, des silences, des amours malheureuses et plurielles, des fragilités, des failles, son mal de vivre, un cheminement avec la drogue et l'alcool, ses erreurs, ses délires, ses engagements, ses désespoirs, ses hospitalisations en service psychiatrique et anticancéreux, ses guérisons et ses rechutes, sa rupture progressive avec la vie sociale et avec sa famille, son refus des traitements...

    Celui qui tient le stylo est, en principe maître du jeu, il a le droit d'exercer son art, le devoir aussi sans doute et c'est ce qui motive l'auteur pour faire à sa mère « ce cercueil de papier ». Mais je note aussi que, durant tout le récit, l'auteur, à plusieurs reprises, s'interroge sur sa propre démarche au point de s'impliquer directement [« Sans doute m'a-t-il semblé que le « je » pouvait s'intégrer dans le récit lui-même... C'est un leurre, bien entendu... L'écriture ne donne accès à rien »] ou simplement, à cause de la perturbation qu'il lui cause, d'en arrêter la rédaction. Dès lors se pose la question de l'écriture, de son impossibilité, des doutes qui la paralyse, des personnages qui échappent à l'auteur, les interrogations jaillies de la lecture d'un journal intime ou d'une confidence, d'un souvenir. C'est un thème fascinant que celui de l'écriture et je ne perds jamais de vue l'opinion de Simenon qui juge que le métier d'écrivain s'inscrit dans le malheur parce que, lorsqu'on entreprend un tel travail, on n'en ressort pas indemne. On laisse dans cette démarche toujours un peu de ses illusions et de ses certitudes, on rêve de revenir à la facilité d'une fiction, d'avancer masqué derrière un personnage, on n'est pas sûr d'arriver au bout de sa démarche mais malgré tout on en a un extraordinaire besoin. Il est convenu de dire que l'écriture libère... Je n'en suis pas certain. Au contraire peut-être ? Sous des dehors salvateurs et parfois exorcistes, elle a toute les chances de brouiller un peu plus les cartes, d'engendrer des ruptures, des interrogations douloureuses qui resteront à jamais sans réponse.

    Et puis les choses se précisent et l'auteur prend conscience autant qu'elle la craint de l'hérédité de la folie, de cette certitude qu'elle peut parfaitement la transmettre à son tour à ses enfants, l'intuition d'une sorte de destinée malsaine où l'on répète, sans le vouloir, l'exemple délétère donné par les générations précédentes. Elle se rappelle avoir été victime d'anorexie qui est une manière de s’autodétruire

    Que m'est-il resté, le livre refermé ? D'abord une impressionnante somme de notes destinées à rédiger cette chronique, preuve que ce livre ne m'a pas laissé indifférent et même m'a interpellé. Puis une impression de malaise, que ce que je viens de lire est en réalité un témoignage poignant et plein d'amour, écrit non comme un roman mais avec la spontanéité d'une femme qui cherche des réponses avec en contre-point une sorte de fascination de la mort autant qu'un amour de sa mère et de la vie.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • La Rochelle, « Poche » de l'Atlantique

     

    N°584– Juillet 2012.

    La Rochelle, « Poche » de l'Atlantique Christiane Gaschignard – Éditions « Rumeur des Ages ».

    Les liens qui m'unissent à La Rochelle font que rien de ce qui touche à cette cité ne m'est indifférent, cette chronique s'étant déjà largement fait l'écho des événements qui s'y sont déroulés ou des gens qui y ont vécu. Son histoire a été mouvementée et bien souvent bousculée par des guerres, des sièges dont le plus célèbre est celui de 1627 au cours duquel Richelieu réduisit la place forte des protestants. Mais ce ne fut pas le seul ! La « Belle et rebelle », comme on l'appelle, a toujours été un endroit stratégique au bord de l' Atlantique. Le dernier en date fut celui de « la poche de La Rochelle » à la fin de la deuxième Guerre mondiale (Août 1944 – mai 1945).

    Dès juin 1940, elle a été déclarée « ville ouverte » et rapidement occupée par les Allemands. La Pallice, port en eaux profondes, présentait en effet un intérêt particulier pour l'ennemi et l'organisation Todt y construisit, de 1941 à 1943, une imposante base sous-marine, élément essentiel du « Mur de l'Atlantique » complétée sur le littoral par des blockhaus, des batteries d'artillerie, des bunkers. La Rochelle-Pallice était en effet « le port allemand de l'atlantique » autant que le siège du commandement du sud-ouest. Pourtant, un débarquement sur ces côtes n'a jamais été sérieusement envisagé.

    Cette période de huit mois a donc constitué le 5° siège de l'histoire de la cité rochelaise, période pendant laquelle l'angoisse a succédé à l'espoir, le temps s'est en quelque sorte arrêté puisqu'elle était coupée du reste de la France et que planait sur elle une menace de destruction. C'était une situation un peu surréaliste puisque les Allemands qui commençaient à reculer sur le reste du territoire tenaient encore ce port dans le but de le rendre inutilisable par les alliés mais aussi de fixer des troupes loin du front qui avançait vers l'Allemagne et de garder intacte leur base de sous-marins. Cette présence ennemie constituait donc un danger d'autant que pour les Américains, La Rochelle ne constituait pas une priorité et qu'il fallait marcher sur Berlin. Les Allemands tenaient certes la ville, mais, face aux troupes françaises et aux FFI, ils étaient également prisonniers ce qui entraîna une cohabitation avec les Rochelais. La présence de ces derniers fut salutaire puisqu'on pouvait penser qu'elle constituait une sorte de bouclier contre les bombardements alliés bien que, après la destruction de Royan, cette certitude fut quelque peu remise en question dans la population. De plus, l'imminence de la fin des combats a catalysé les mouvements de Résistance qu'il fallait impérativement unifier et coordonner aux manœuvres des régiments de l'armée régulière en évitant les débordements. Bien entendu se posa la question du ravitaillement qui intéressait à la fois les Français et les Allemands mais aussi la présence de la Milice, les « collabos », le marché noir, comme partout durant la guerre. Heureusement la Suède a apporté son concours et l'approvisionnement de La Rochelle fut réalisé dans l'ordre et le calme.

    L'originalité de cette « poche » fut, comme le souligne opportunément l'auteur, « sa dimension humaine ». L'administration et les instances de Libération ont su faire preuve de souplesse pendant cette période mouvementée d'autant plus que si les comités de Libération commençaient à se manifester, les structures pétainistes demeuraient néanmoins en place. Mais les Rochelais se sont montrés sages et tempérés en évitant au maximum des occasions de friction avec l'occupant. De même que le signal de la Résistance avait été donné dès juin 1940 par le maire Léonce Vieljeux, cette volonté d'apaisement a été incarnée par des hommes tels que le commandant Hubert Meyer et l'amiral Schirlitz qui négocièrent diplomatiquement entre hommes de bonne volonté et de raison une reddition honorable pour les Allemands et la remise de la ville intacte aux forces françaises, ce qui était essentiel dans le futur redressement du pays. Le colonel Adeline, de son côté, fit preuve de détermination pour faire que « la convention du 20 octobre » soit signée. Il n'y eut donc pas de combats pendant cette période et les Allemands furent considérés comme des prisonniers de guerre.

    Si La Rochelle a été libérée bien après Strasbourg, elle l'a été par les Français eux-mêmes et surtout sans dommages pour ses installations portuaires, la riche architecture de la ville et sa population. La situation aurait facilement pu rapidement dégénérer mais ce ne fut pas la cas et on préféra la négociation à l'emploi de la force et la volonté de vengeance.

    J'ai lu ce livre fort bien documenté et passionnant du début à la fin avec les yeux d'un Rochelais désireux d'en savoir toujours davantage sur « cette ville bénie des dieux » dont le renom ne cesse de grandir. Même s'il a été publié en 1987, cet ouvrage est essentiel pour la connaissance de cette cité et de sa population.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA VIE EN SOURDINE-David Lodge – Éditions Rivages.

     

    N°583– Juin 2012.

    LA VIE EN SOURDINE David Lodge – Éditions Rivages.

    Traduit de l'anglais par Maurice et Yvonne Couturier.

    Desmond Bates est un ancien professeur de linguistique à la retraite dans une petite ville du nord de l'Angleterre. Il est veuf, sexagénaire et remarié avec Winfred dont il est très amoureux. Elle est de quelques années sa cadette mais sa vie mondaine et professionnelle est assez débordante. S'il a choisi une retraite anticipée c'est qu'il a un grave problème d'audition. Il n'est pas complètement sourd, mais plutôt malentendant et se sent maintenant inutile[« Que vais-je faire de moi aujourd’hui ? », question à laquelle il se trouvait confronté chaque matin en se réveillant depuis qu'il était à la retraite »], surtout devant la réussite professionnelle de sa femme. C'est sans doute pour cela qu'il accepte une tournée de conférences en Pologne alors que rien ne le justifie. Comme tous ceux qui souffrent d'un tel désagrément, il est isolé du monde extérieur, malgré les appareils auditifs avec lesquels il semble avoir pas mal de difficultés. Il se réfugie dans la lecture quotidienne du « Guardian » et les visites qu'il fait à son père, seul, vieux et sourd lui aussi. A l'occasion, il ne dédaigne pas un petit verre !

    Les activités culturelles de son épouse l’entraînent souvent dans des manifestations où il s'ennuie d'autant plus qu'il entend mal. Dans l'une d'elles, il fait la rencontre d'une jeune étudiante américaine, Alex Loom, qui lui tient un long discours auquel il n'entend goutte, et pour cause! Elle le relance pourtant le lendemain en lui demandant de l'aider dans sa soutenance de thèse... avec pour thème une approche particulière sur le suicide, le lecteur comprendra pourquoi par la suite. Le sujet intéresse Bates, mais ce qui le gêne c'est que ce travail se fera dans le dos d'un de ses collègues encore en poste et surtout qu'une relation équivoque commence à se nouer entre la jeune fille un peu fantasque, affabulatrice et aguicheuse et le vieux professeur. Finalement, elle repartira en Amérique sans avoir mené ses recherches universitaires à leur terme. Son départ illustrera une nouvelle fois son côté cynique et manipulateur.

    Le récit prend la forme d'un journal intime tenu par Desmond lui-même, donc à la première personne mais, bizarrement, il change et écrit « Je me sens pris par une brusque envie d'écrire à la troisième personne » pourtant il emploie le « je » dans la presque totalité du récit. Ce texte est la narration d'une tranche de vie d'un vieil homme qui s'ennuie dans sa récente retraite et qui collationne ce qui lui arrive, ses réflexions sur la mort, sur l'amour qu'il porte à sa jeune épouse et ses états d'âme sur une passade possible avec Alex.

    Au départ je trouvais que la relation du quotidien de Desmond procurait une lecture fastidieuse, notamment ses tribulations avec son appareil auditif, ses fantasmes personnels et sexuels quelque peu échevelés, ses démêlés avec Alex , ses cours de lecture labiale, les difficultés avec son père aussi sourd que lui, veuf et atteint par la maladie d’Alzheimer. Il excelle pourtant dans la description des moindres gestes, des plus petits détails et s'attache son lecteur qui, grâce à son humour subtil, a envie d'en savoir davantage, même si parfois ses digressions prennent une dimension dangereusement universitaire. Il réussit à rire de lui-même, trouvant dans son infirmité matière à plaisanter(«la surdité est comique, la cécité est tragique », « Il y a au moins une chose que nous autres les sourdingues réussissons à faire dans une réception, c'est de déclencher le rire des gens avec nos bourdes, et ils n'ont pas se plaindre de moi en la circonstance »), et ce malgré le fait qu'il associe la surdité à la mort. Le titre anglais lui-même [Deaf Sentence] est un jeu sur le mot deaf (surdité) et death (mort). L'hospitalisation de son père consécutive à une attaque et son décès lui rappellent celui de sa propre mère, « organisé » par son entourage.

    En fait, Desmond est à a recherche du bonheur qu'il pensait avoir trouvé en épousant Winfred. Mais cette femme plus jeune que lui, se dérobe de plus en plus à ses sollicitudes sexuelles, lui échappe et il note qu'elle se conduit par rapport à lui « comme une étrangère » plus soucieuse de de son travail que de son mari... et lui l'attend toute la journée à la maison. Sa visite solitaire au camp d'Auschwitz en est l'allégorie, de même que le plaisir qu'il ressent à rester dans le silence qui le protège des agressions du monde extérieur. Il ne profite même pas de la présence d'Alex qui pourrait représenter pour lui une foucade. C'est tout le problème des hommes qui ont épousé des femme plus jeunes et qui désirent le rester et Desmond se prépare à reproduire l'exemple de son père dont il s'occupe pourtant avec patience. On imagine très bien ce qu'il adviendra de lui dans quelques années et la déréliction qui en résultera.

    C'est donc un roman doux-amer que nous livre ici cet auteur à la fois érudit et drôle bien qu'il traite de la maladie, de la vieillesse, de la dégradation physique, de la fin de vie et de la différence grandissante qui existe entre un homme vieillissant et une épouse plus jeune que lui et je ne parle pas de de la valse- hésitation de Desmond face à Alex, ses interrogations, ses craintes pour l'avenir, sa phobie de la mort ...

    J'avais lu avec plaisir « Jeux de maux » du même auteur (La Feuille Volante n° 330). Encore une fois, je n'ai pas été déçu, David Lodge est vraiment passionnant.

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • D'UNE L'AUTRE

     

    N°582– Juin 2012.

    D'UNE L'AUTRE (destins de femmes) Martine Lani-Bayle – Éditions du Petit Pavé.

    Le titre est un peu déconcertant, tout comme les premières pages empreintes d'un désarroi que le lecteur ne tardera pas à comprendre. Pourtant le ton du livre est presque celui de la confidence faite non pas à un lecteur mais à une assemblée d'auditeurs recevant ce récit comme une histoire qu'une conteuse déclinerait par petites touches devant une assistance attentive.

    C'est un triste récit qui commence par le viol de Céline, une jeune fille sans famille placée comme domestique dans une maison où elle n'est même pas considérée. C'est la Deuxième guerre mondiale et son agresseur est un soldat allemand qui l'engrosse, ce qui lui vaudra, à la Libération, d'être tondue et humiliée. Pour elle cette période ne sera pas synonyme de joie mais avant cela, elle accouche seule d'une petite fille que, désespérée, elle abandonne un matin à la porte d'un couvent. Les religieuses accueillent l'enfant, la nomment Aurore et lui prodiguent des soins malgré la règle de leur ordre mais conformément à la charité qu'elles ont fait vœux d'observer. Céline, devenue Lili par le miracle de l'amour, oublie jusqu'à cet enfant qui grandit maintenant dans une famille d’accueil où elle n'est pas mieux reçue que ne l'avait été sa mère. Presque instinctivement, elle a gommé de sa mémoire cette période de sa vie. C'est un peu comme si cette histoire intime se répétait et ce d'autant plus que Aurore est, elle aussi, victime d'un viol, mais loin de Céline qui maintenant à été recueillie par un homme bien qui l'a épousée et à qui elle a donné un fils. Cette famille qui est maintenant la sienne lui rappelle qu'elle a eu une fille. La mémoire lui revient petit à petit et avec elle le remords de l'abandon, l'envie de revoir cette enfant dont elle ne connaît même pas le nom, d'autant que son mari lui dévoile une vérité qu'il a longtemps cachée et qui fait la lumière sur cette malheureuse tranche de sa vie où elle a été la victime plus que l'actrice. La fin sera, si on le veut dire ainsi, une sorte de retour à une normalité, quoique...

    J'ai lu ce court récit qui, jusqu'à la fin m'a tenu en haleine, avec des sentiments mêlés. C'est le récit de deux destinées semblables, l'une prenant la suite de l'autre, comme si cette lignée de femmes ne pouvait être que visitée par le malheur. Céline est née sous une mauvaise étoile et même si elle ne le veut pas, même si elle fait tout ce qu'elle peut pour éviter les écueils, sa fille Aurore va mettre ses pas dans ceux de sa mère, s'avancera malgré elle vers cet avenir délétère qui s'attache à elle comme une ombre à un corps. Doivent-elles cela à une histoire préalablement écrite dans un improbable grand livre ouvert quelque part à leur nom ? Qu'importe, ce parcours s'impose à elles sans qu'elles y puissent rien et on imagine facilement que si Aurore a une fille un jour, elle sera soumise au même drame intime, comme si cette histoire devait se répéter !

    C'est qu'il existe des gens qui, de tout temps sont dédiés à la malchance, au malheur, que le hasard ne favorisera jamais malgré tous les mérites dont ils pourront faire preuve pour tenter d'inverser le cours des choses. Dans leur parcours se reproduit la triste histoire de l'humanité qui fait que leur vie n’aura jamais rien d'heureux, qu'ils répéteront malgré eux le modèle délétère qui a été le leur, qu'ils mettront leurs pas dans ceux de leurs aînés que la chance n'a pas servis. Ils verront même les autres, moins vertueux qu'eux, être servis par les événements et ainsi réussir dans leurs entreprises souvent destructrices et même mener une existence paisible et dénuée de remords. Pour eux, le paraître prendra toujours le pas sur l'être et l’hypocrisie sera la règle de leur vie, comme si la morale n'existait pas et encore moins la justice immanente dont on leur a forcément parlé qui gomme un jour ou l'autre les injustices. La fuite du temps, l'autosuggestion endorment les consciences, gomment les mauvaises actions et on finit par se convaincre qu'on a bien agi, qu'il ne pouvait pas en être autrement, qu'on a favorisé l'instinct de survie, son intérêt immédiat ou sa méchanceté légendaire et ce sans le moindre sentiment de culpabilité. Bref, tout cela n'a plus d’importance, appartient au passé qu'il ne faut surtout pas remuer ; il y a si longtemps, et puis, tant pis pour les victimes ! C'est que, l'espèce humaine dont nous faisons tous partie est définitivement infréquentable parce qu'elle porte en elle la destruction, le malheur, la mort. Dans ce livre, elle est incarnée par les délateurs qui offrent Céline au viol de ce soldat allemand, la rejettent avec son enfant puis dirigent sur elle la vindicte publique aveugle favorisée par les événements. Elle n'a rien fait pour mériter ce châtiment mais elle fait partie de ces femmes tondues sur qui chacun crache. On n'a pas manqué non plus, au nom de la morale chrétienne, même si cela arrange ces braves gens, de vilipender l'abandon de cet enfant du péché. On a fini par oublier Céline à son triste sort en se disant qu'après tout cela appartenait au passé.

    C'est vrai que dans ce roman il y a beaucoup de manichéisme où les bons, moins nombreux il est vrai, côtoient les méchants... mais ne les rachètent jamais. Ce sont les sœurs de la Charité qui portent bien leur nom et transgressent la règle de leur ordre pour accueillir l'enfant à l'abri des murs de leur cloître. Pour cela elles vont jusqu'à mystifier le brave curé qui vient dire la messe au couvent. C'est lui qui servira de lien, de mémoire pour remonter le fil du temps et reconstituer le puzzle difficile de la recomposition familiale. L'odeur de l'encens sera à la fois pour Céline cette fragrance religieuse d'où renaîtra la mémoire et la marque de cette vertu chrétienne ainsi observée par ces gens d’Église qui, pour une fois, ont honoré l'habit qu'ils portent. C'est aussi ce policier qui a eu connaissance de l'abandon d'Aurore et qui fouille les archives pour aider Céline. C’est aussi Lucien, cet homme veuf, orphelin de son enfant mort-né, qui recueille Céline rebaptisée Lili et qui veut lui donner par amour une deuxième chance pour faire prévaloir la vie. Ensemble ils ont ce garçon et le lecteur pourrait être tenté de voir dans l'épilogue une sorte de « happy end ». Je ne suis pourtant pas certain que la mort d'un enfant corresponde réellement à cela.

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Le loup dans la bergerie

     

    N°581– Juin 2012.

    LE LOUP DANS LA BERGERIE Gunnar Staalesen – Gaïa [1977]

    Traduit du norvégien par Olivier Gouchet.

    Pour Varg Veum, détective privé de son état à Bergen (Norvège), cette période de l'année est plutôt exceptionnelle : deux clients pratiquement à la fois sollicitent ses services. L'un, un avocat connu, William Moberg, pense que sa femme le trompe et souhaite qu'il en fasse la preuve et l'autre, Ragnar Veide veut retrouver sa sœur, Margeret, disparue depuis de nombreuses années et dont il est sans nouvelles. C'est d'autant plus urgent que leur père est à l'article de la mort. Bien qu'il lui faille payer ses factures qui s'entassent dangereusement sur son bureau, il refuse la première enquête mais accepte la seconde... pourtant il ne tarde pas à s'apercevoir, d'après une photo, qu'il s'agit de la même personne ! Après d'ennuyeuses filatures, l'épouse de l’avocat est retrouvée morte et le frère commanditaire de la deuxième enquête s'avère être une autre personne... et la police soupçonne Veum d'être l'auteur du meurtre. C'est donc un classique du roman policier qui nous est ici proposé.

    Il y a du Nestor Burma chez Veum, les même ennuis avec les autorités, le même désœuvrement, la même foule de cadavres qui l'entoure, le même problème avec l'alcool et les femmes, le potentiel de séduction en moins peut-être ? Bref, l'image traditionnelle du privé. Le thème abordé ici est le trafic de drogue, ce qui était peut-être original il y a quelques années, à l'époque de l'écriture de ce premier roman,(1977) mais qui aujourd'hui est plutôt banal. Comme cela sera son habitude dans les autres romans, il le livre à une attaque de la société, montrant ici que les bénéficiaires de ce commerce illicite ne sont pas forcement ceux qu'on attend. Il dénonce ici les agissements d'une couche pourtant aisée de la société norvégienne de cette ville portuaire mais qui se drape dans l'hypocrisie et le faux semblant. Il s'agit aussi de relations extra-conjugales qui conduiront Veum à un réseau de prostitution.

    Comme je l'ai déjà indiqué dans le numéro précédent (La Feuille Volante n° 580), j'ai découvert cet auteur par hasard. J'avais déjà noté le style humoristique qui doit sans doute beaucoup à la traduction, mais j'ai toujours un faible pour un livre qui m'accroche dès la première ligne. Au moins cela m’encourage à poursuivre ma lecture. Jugez plutôt la première phrase de celui-ci «  Au commencement était le bureau et au bureau, il y avait moi,les pieds sur la table. Le bureau était rangé … A gauche il y avait une pile de facture, à droite il y avait ce que je possédait en argent liquide, dix couronnes et trente ore... » Je ne sais pas vous, mais moi, j'ai trouvé cela engageant ! J'ai pu vérifier au long du roman qu'il a aussi le sens de la formule.

    Il s'agit ici du premier roman de Gunnar Staalesen

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • La nuit tous les loups sont gris

     

    N°580– Juin 2012.

    LA NUIT TOUS LES LOUPS SONT GRIS Gunnar Staalesen - Gaïa

    Traduit du norvégien par Alexis Fouillet.

    Il est un peu conventionnel ce Varg Veum, détective privé de son état, avec son manteau épais et son chapeau de pluie. Il est vrai que nous sommes à Bergen, en Norvège. Comme il se doit, il a été abandonné par la femme qu'il aime et noie son chagrin dans les bars. Les débits de boissons sont des endroits d'exception où on fait des rencontres, mais elles sont plutôt masculines. N'allez pas vous méprendre, Veum reste un professionnel d'autant plus qu'il rencontre Hjalmar Nymark, un policier à la retraite mais aussi un ancien Résistant. Et quand deux détectives se rencontrent, qu'est ce qu'ils se racontent … (air connu) Justement, à force de sympathiser, l'ancien policier évoque pour son interlocuteur une vieille affaire dont il garde une mémoire encore vivre, d'autant qu'il est persuadé que le coupable n'a jamais été inquiété. Il s'agirait de l'incendie d'une usine de peinture dans les années 50 qui avait fait plusieurs morts. Il pense avoir retrouvé la trace d'un homme, Harald Ullven surnommé « Mort au rats », ancien collaborateur des nazis pendant la guerre et qui était employé et qui serait responsable de ce sinistre pourtant considéré comme un accident et classé sans suite. Cet homme a une particularité physique : il boite. De plus, il y a la disparition bizarre d'un autre homme, « Johan le Docker », celle d'un ouvrier un peu trop curieux et la présence d'un ancien président du conseil municipal de Bergen...

    Veum, qui s'ennuie un peu reprend mollement cette affaire et veut bien admettre qu'elle n'a pas été complètement élucidée puisque cet ancien policier le prétend, mais quand ce dernier est renversé par une voiture cela prend des proportions inquiétantes. Certes Nymark survit mais trouve mystérieusement la mort à sa sortie de l'hôpital, avec, en prime l'ombre de Ullven. C'est donc au tour de notre détective de s'occuper sérieusement de cette affaire, ce que, bien entendu, il fait. Même si c'est trente ans après, Veum refait l'enquête, contacte les rares survivants de cet incendie. Après les bars qu'il affectionne, c'est dans le milieu des SDF qu'il va devoir exercer ses talents puisque un survivant de l'incendie est maintenant dans la rue. Décidément, ce Veum a tous les attributs d'un privé avec en plus la nuit « où tous les loups sont gris ».

    C'est non seulement un roman policier avec morts mystérieuses, enquêtes qui soulèvent plus de doutes qu'elles ne résolvent de questions, rebondissements, fausses-pistes mais c'est aussi une évocation de cette période troublée de l'histoire de la Norvège où, comme ailleurs, une partie du pays s'est soulevé contre l'occupant et l'autre a choisi la collaboration. Il met en lumière la collusion entre le nazi Ullven et et le démocrate Fanebust qui avait été aussi un héros de la Résistance.

    C'est aussi la critique du milieu économique qui prospère dans le mensonge et le crime tandis que les plus faibles sont appauvris. S'il lui est possible d'accéder aux plus démunis, il lui est en revanche impossible de rencontrer notamment le patron l'usine qui a brûlé et qui aurait pu éclairer son enquête. C'est la manière de l'auteur de dénoncer les disparités qui règnent dans son pays.

    J'avoue que je ne connaissais pas cet écrivain rencontré par hasard sur les rayonnages de la bibliothèque où j'ai mes habitudes. Son personnage fétiche, même s'il date un peu et s'il a des côtés bien conventionnels me plaît bien. Ce n'est pas tant qu'il est en conflit avec les femmes et qu'il a un faible pour l'alcool et les bars, mais le regard qu'il pose sur la société qui l'entoure et le cynisme dont il fait preuve ne me laisse pas indifférent. C'est une histoire un peu compliquée avec des gens qui ne veulent pas parler, d'autres qui ont changé de nom, d'autres encore qui se sont vengés en temps de paix d'une guerre qui ne leur avait pas permis de faire justice.

    Il y a aussi ces réparties qui se sont gravées dans ma mémoire [-ça, ça venait du fond du cœur – ça vient tout droit de mon cul, renchérit-elle en tordant la bouche. - C'est ce que je voulais dire, certains l'ont à cet endroit.]

    C'est une occasion aussi de voir ce pays sous un autre jour que l'actualité immédiate nous l'a présenté, avec notamment les meurtres perpétrés par Anders Behring Breivik.

    Au bout du compte, je ne me suis pas ennuyé, et c'est cela l'essentiel.

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Sur la route

     

    N°579– Mai 2012.

    SUR LA ROUTE Jack KEROUAC (1957) - Gallimard

    Traduit de l'américain par Jacques Houbard.

    Il est des artistes comme des produits de grande consommation, leur nom suffit à évoquer leur pays. Jack Kérouac (1922-1969) est de ces écrivains emblématiques des États-Unis qui ont caractérisé un style, un mode de vie, qui ont inspiré toute une génération à la quelle il sont imprimé leur marque, parfois malgré eux. Ce roman fut le texte fondateur de la « Beat génération » et dans ce domaine le nom de Kérouac est associé à celui de Allen Ginsberg.

    C'est un roman écrit à la première personne ce qui laisse à penser qu'il est autobiographique. Il met en effet en scène un écrivain, Sal Paradise, en quête de nouvelles expériences :« Quelque part sur le chemin je savais qu'il y aurait des filles, des visions, tout quoi ; quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare » Ainsi donc, en juillet 1947, il part de New York à destination de la côté Ouest par Chicago, c'est à dire par la route du nord. Il accomplit son périple en car puis en auto-stop, fait des rencontres extraordinaires, des hommes mais surtout des femmes, fait des petits boulots dans les champs de coton ou dans les vignes pour survivre, atteint San Francisco puis revient à New-York par le sud. Il effectuera ainsi plusieurs voyages en 1949 et 1950, notamment dans le sud et au Mexique mais toujours devant lui il y aura la route et ses promesses d'aventures,(« Mais qu'importait, la route, c'est la vie ») des occasions de visiter des « paradis artificiels ».

    Il raconte son récit comme une épopée, sans recherche de style, d'une manière spontanée et rapide (« La prose spontanée »), inspirée semble-t-il du rythme de jazz Be Bop qu'il aimait. On pourra objecter que certains passages sont longs et monotones, mais ils traduisent ainsi ce que peut-être un tel voyage en voiture. Le personnage central de ce roman est Dean Moriarty, à la fois héros romantique, « pauvre gosse », « saint truqeur » et « ange de feu », animé par une rage de vivre, l'amour de la vitesse et du jazz. C'est un texte brut, écrit, selon une légende remise en cause, en trois semaines sur un rouleau de téléscripteur de 36 mètres de long mais refusé par les éditeurs à cause de son côté non conventionnel. Ce tapuscrit fut cependant vendu aux enchères en 2001 pour un prix exceptionnel et, une décennie après sa rédaction, ce roman a été reconnu comme un chef-d’œuvre, adapté au cinéma, notamment par Walter Salles en 2012 (film actuellement en compétition au festival de Cannes 2012) et à la radio (Radio France en 2005). Il influencera aussi le genre cinématographique connu sous le nom de « road movie ».

    Kerouac, bien qu'il soit issu d'une famille canadienne-française aux origines bretonnes, incarne l'Américain confronté aux changements de son époque et amoureux des grands espaces qui sont l'apanage des États-Unis, mais aussi, et peut-être paradoxalement, c'était un homme qui avait du mal à se positionner dans cette société, en rejetait les valeurs traditionnelles, les certitudes mais aussi le mensonge social qui l'étouffaient, ces écrits donnant naissance à la « Beat génération ». Est « Beat » celui qui rejette le passé et même le futur, celui qui voit sa vie au quotidien comme un mélange d'alcool, de sexe, de drogue, vitesse en voiture, de voyages, et, dans le cas de Kérouac, également de spiritualité, l'exact contraire de la société américaine de son époque ! On ne peut pas ne pas penser à James Dean en lisant ce livre où il y a la marque de Louis -Ferdinand Céline et de Rimbaud. Il fut un précurseur et ses romans qui inspirèrent d'autres auteurs américains furent à l'origine du bouleversement social de la jeunesse et du pacifisme des années 60, déclarant qu'il fallait préférer l'amour à la guerre. Il fut pourtant, à cause notamment de sa vie marginale mais aussi de son style littéraire personnel, en proie à de violentes critiques dans les médias et de la part des auteurs reconnus.

    C'est le roman le plus connu de Kerouac, mais ce n'est pas le seul. Il ne cessera d'ailleurs d'écrire, de la prose comme de la poésie toute sa vie malgré les vicissitudes qu'elle lui réservera et trouvera dans la création littéraire notamment un moyen d'exorciser son mal de vivre.

    Il fut un personnage controversé, refusant la célébrité, inspirant des auteurs notamment dans le domaine de la chanson et du cinéma, trouvant sa consolation dans l'alcool qui aura raison de sa vie, aux opinions parfois changeantes qui l'éloignèrent quelque peu de son image primitive. Il fut un auteur qui ne laissa pas indifférent de son vivant et qui étend encore son ombre sur notre société contemporaine.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Ces vies-là

     

    N°566 Avril 2012

    CES VIES-LA Alfons Cervera. Éditions la contre-Allée

    Le décès d'un parent est souvent l'occasion de relations longtemps cachées sur son parcours, sur sa vie. Chacun apporte son témoignage, on libre la parole, on fait valoir des convictions, on exhibe des preuves, des photos, des papiers, on pose des questions qui appellent des réponses, des commentaires parfois. Des légendes souvent patiemment tissées s'effondrent d'un coup et des affirmations trouvent soudain leur justification. Tous ces secrets de famille révélés en un jour écornent ou renforcent l'image du défunt.

    Quelques temps après la mort de sa mère, l'auteur qui est aussi le narrateur, participe un colloque Grenoble sur le thème "Témoins et témoignages, mémoire individuelle et collective". C'est pour lui l'occasion de revenir sur les dernier jours de cette femme dont une chute apparemment sans gravité avait révélé une tumeur qui allait l'emporter. Pendant un an et demi, elle avait subi patiemment soins et examens médicaux , comme si la mort, avec elle, avait pris son temps. Elle s’était accrochée à la vie tout en appelant la mort de ses vœux. L'auteur se souvient des signes inquiétants survenus avant son décès, de cette longue agonie, de ses silences, de ses moments d'absence, de cette lente progression de la maladie, de la peur qu'on ne peut maîtriser, peur de l'inconnu, du moment fatal et incontournable, peur de souffrir, de mourir [pourtant il cite opportunément Thomas Berhnard "  Je ne comprends pas la peur de la mort parce que mourir est aussi normal que manger  "], peur de l’au-delà, du néant ou de l'inconnu, peur d’être enterrée vivante. La mort guette et elle est patiente. Bien entendu elle inaugurera une longue période d'oubli que ceux qui restent combattront avec leurs moyens. Cervera a choisi l’écriture pour exorciser à la fois cet oubli et ce deuil. L'ouverture de cette succession révèle aussi des documents dont il n'avait jamais entendu parler, qui attendaient sans doute depuis des années et qui concernaient son père mort depuis 16 ans d'un infarctus. L'un disait qu'il avait été condamné à 12 ans de prison en 1940 et l'autre, de 1952, annulait cette condamnation et ce un an après la fin de la guerre civile espagnole qu'il avait faite dans le camp républicains ! Pourtant, il n'aurait jamais été emprisonné. Autour de cet événement, le mystère s’épaissit au cours du récit d'autant que la vieillesse et la maladie ont gommé la mémoire de ceux qui l'ont connu. Nous apprendrons plus tard que ce père a simplement été condamné sur dénonciation, après le conflit, pour avoir participé à l'attaque d'une maison où étaient conservées des reconnaissances de dettes de tout le village. Cette condamnation a été commuée en exil intérieur. Lui qui était boulanger au village de Los Yesares dut partir pour Valence où il se fit laitier. Cet épisode familial est, pour Cervera, à travers le souvenir de son père, l'occasion de prendre son compte   la mémoire des vaincus de cette guerre meurtrière qui ensanglanta le pays et engendra, même après la fin du conflit, haine, exil et assassinats sommaires.

    J'ai bien aimé ce texte écrit d'une manière nostalgique et mesurée, simple et parlante à la fois["  Nous construisons nos vies sur l’échafaudage de nos souvenirs"], sans que je sache exactement si cette impression est due au style de l'auteur ou la qualité de la traduction.[ Sans vouloir faire offense aux auteurs en général, certaines traductions, tout en restant fidèles au texte original, sont de véritables recréations au cas particulier cela n'a d'ailleurs pas dû être très facile puisque j'ai noté au milieu du roman, une phrase sans ponctuation, qui fait un chapitre entier, court, certes, mais quand même !] Qu'importe d'ailleurs, lire est un plaisir chaque fois renouvelé surtout quand le texte sert si bien notre belle langue française.

    J'ai appris aussi, de la part de Cervera qui confesse ne jamais se séparer d'un cahier où il note tour ce que lui inspire l'instant, les aphorismes sur l”écriture " Écrire est un acte héroïque, un labeur impossible, une erreur, la seule écriture descente est celle du silence", "Lire est une autre forme d'écriture, une autre erreur". J’adhère assez cette analyse de l'écriture, ce qui est du domaine du non-dit et le sera toujours à cause de l’impossibilité de s'exprimer ou par la non-volonté de le faire, à cause de motivations qui resteront à jamais secrètes parce que l'art de la parole écrite n'est pas forcement libératrice et ne doit en aucun cas être quelque chose qu'on fait pour plaire aux autres. Elle peut être un exorcisme mais elle reste toujours en retrait de ce qu'on voudrait dire et qu'on ne dira jamais, sans doute parce que la douleur qu'on porte en soi est trop forte et que tenter de l'exprimer est la fois désespéré et inutile. Pire peut-être ? Cet exercice est souvent un pauvre cautère et il est illusoire de penser que le lecteur puisse s'y retrouver ou s'y reconnaître. Il est quand même paradoxalement nécessaire parce qu'il est le vecteur de la mémoire.

    Alfons Cervera (dont il est déjà question dans le n° 564 de cette chronique) est un de ces écrivains du renouveau littéraire espagnol. Il a choisi de faire sien le combat contre l'oubli en portant la parole des vaincus de la Guerre civile, des bannis, des morts et de leur redonner une mémoire que la dictature franquiste avait si longtemps étouffée.Ce roman est le deuxième publié en français.

    .

    c Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Cosmofobia

     

    N°574– Mai 2012.

    COSMOFOBIA Lucia Etxebarria – Éditions Héloïse d'Ormesson.

    Traduit de l'espagnol par Maïder Lafourcade et Nicols Véron.

    J'avais déjà lu, un peu par hasard, cette auteure (« Amour, prozac et autres curiosités » – La Feuille Volante n° 433 de juin 2010). J'avais bien aimé parce qu'elle m'avait étonné par son humour. Pourtant là, j'ai eu beaucoup plus de mal à entrer dans son univers. Tout d'abord je n'ai pas aimé le style. Je suis peut-être vieux-jeu mais j’attends d'un roman qu'il soit bien écrit et quand on doit passer par le biais de la traduction, c'est d'autant plus difficile parce qu'il n'appartient pas au traducteur de réécrire le livre qu'on lui a confié. Le style est certes spontané, reflète le langage parlé, les dialogues en sont la reproduction. Je ne dis pas que cela me gêne mais quand j'ouvre un roman, je m'attends, peut-être inconsciemment à lire autre chose que ce que je côtoie dans la vie, même s'il se trouve des lecteurs pour penser le contraire. Des enfants ballottés d'un côté et de l'autre par des parents qui font passer leur plaisir ou leurs intérêts avant ceux de leur progéniture, les couples qui se séparent alors qu'ils se sont promis de s'aimer pour la vie, des gens qui choisissent de vivre ensemble alors qu'ils ne se supportent plus par habitude ou par peur de la solitude ou qui préfèrent fermer les yeux sur les infidélité de l'autre, l'existence qui devient soudain insupportable alors qu'elle avait été magnifique, les mensonges, les trahisons, l'hypocrisie, cela existe, ce sont des faits de société et personne n'y peut rien. Nous ne vivons pas dans un monde virtuel où tous les protagonistes sont beaux, gentils, fidèles et irréprochables. Les contes de fée, c'est pour les enfants et l'espèce humaine me semble de plus en plus infréquentable...

    Cela me semble être la traduction du titre : Cosmofobia, peur du monde entier. Cela me plaît plutôt quand la littérature se fait l'écho de ce quotidien qui n'a rien d'un monde melliflu, mais au moins que cela soit agréable à lire, que le lecteur passe un bon moment, que sa lecture soit un plaisir.

    Ce roman est une autofiction, une somme de nouvelles qui mettent en scène une télé-opératrice fauchée et un peu paumée qui vit dans un quartier populaire de Madrid. A travers de nombreux personnages l'auteure aborde les questions du métissage, de l’immigration, de la vie en société et de ses amours difficiles.

    Je suis désolé de ne pas faire chorus avec les louanges que j'ai pu lire dans la presse à propos de cette auteure. C'est vrai que c'est facile de formuler ainsi des critiques, mais j'ai eu beaucoup de mal à terminer ce roman et je n'y ai pris aucun plaisir.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Le couperet - Un film de Costa Gavras

     

    N°578– Mai 2012.

    LE COUPERET Un film de Costa Gavras.[2004]

    Ciné+club - Vendredi 18 mai 2012 – 21h.

    Le cinéma comme la littérature ne sont vraiment dans leur rôle que lorsqu'ils sont le reflet de notre société.

    Dans ce film, adapté d'un roman éponyme de l'américain Donald Westlake, Costa Gavras choisit de traiter un sujet qui gangrène nos sociétés occidentales : le chômage. Pour cela il met en scène un cadre supérieur, Bruno Davert (José Garcia), hyper diplômé et particulièrement compétent dans l'industrie du papier. A la suite d'une restructuration, d'une compression de personnel, la société qui l'emploie et qui n'a rien à lui reprocher se délocalise à l'étranger au nom du profit et de la pression des actionnaires... pour gagner encore plus d'argent. Cela n'a rien d'un cas d'école et peut malheureusement se vérifier chaque jour quand les plans sociaux et les fermetures d'usine sont le quotidien d'un monde du travail en pleine mutation.

    Après deux ans de veine recherches, entre entretient d'embauches qui tournent mal et déception chronique, Davert devenu amer et agressif, conçoit un plan machiavélique. A la suite d'un stratagème, il se fait communiquer les CV de cadres qui, comme lui, sont à la recherche d'emploi dans sa branche et qui, de ce fait, sont des concurrents potentiels et donc des obstacles pour lui. Il en sélectionne cinq qu'il estime être de son niveau et une société, « Arcadia » qui peut fournir l'emploi souhaité. L'un d'eux y est d'ailleurs employé. A ses yeux, le seul moyen d'y obtenir du travail est... de les tuer! Il va donc ressortir le vieux Luger de la guerre 39-45 que lui a légué son père pour mettre en œuvre son sombre projet. Il y a urgence et, malgré le cadre agréable de sa maison, et son confort qui correspondent bien à un cadre supérieur, tout autour de lui se délite. Son épouse (Karine Viard) qui fait vivre la famille grâce à de petits boulots, le trompe et son fils est convaincu de vol ce qui attire la police à son domicile. Seule sa fille semble être un pilier solide au milieu de toute cette débandade. C'est elle qui redonne à la fin à Bruno son véritable rôle de père-héros au sein de sa propre famille.

    La quête criminelle de Bruno l'amène à côtoyer les cadres supérieurs qu'il a sélectionnés et qui se sont reconvertis pour un temps, qui dans un restaurant minable, qui dans le prêt à porter et qui lui confient leurs états d'âme et leur désarroi face à la crise. Cela ne l'empêche pas de les éliminer les uns après les autres tant sa détermination est grande ou d'assister, par enquête policière interposée, à leur suicide. C'est que notre homme, quoique déterminé, reste quand même un amateur en matière de crime. Il laisse derrière lui des traces qui font que la police se présente chez lui, non pour l'arrêter, mais pour l'avertir qu'une série de meurtre a été commise... contre des cadres de la papeterie au chômage ! Pendant tout le film, l'omniprésence des policiers entretiendra un suspense équivoque et sera comme une épée de Damoclès sur la tête de Bruno. C'est finalement l'inspecteur en charge de l'enquête qui viendra lui annoncer... qu'il n'a plus rien à craindre ... de ce serial killer !

    Au bout du compte, Bruno assiste, un peu par hasard à la mort accidentelle du responsable de la société qu'il souhaite intégrer. Il faut dire qu'il est, si l'on peut dire, un peu chanceux dans son entreprise morbide et que tout semble, en apparence, s'arranger pour lui, mais en apparence seulement. La dernière image du film nous le présente comme un cadre bien installé dans sa nouvelle entreprise et même bien dans sa peau mais qui va, à son tour, devenir la proie de ceux qui, comme lui auparavant, sont à la recherche d'un emploi et qui n'hésiteront pas à mettre en œuvre ses propres méthodes pour prendre sa place.

    C'est l'occasion pour Costa Gavras d'exprimer une idée bien simple. Dans d'autres sociétés humaines, on élimine, au nom de l'élan vital, les éléments surnuméraires, enfants et vieillards, dès lors qu'ils sont une charge insupportable pour la collectivité, pour ne garder que ceux qui sont rentables. Dans nos sociétés occidentales, c'est le contraire et on se débarrasse, au nom du profit, des meilleurs qu'on pousse vers la sortie, la pauvreté, le suicide...

    José Garcia est ici à contre-emploi mais campe admirablement le personnage machiavélique et déterminé constamment noyé dans l’ambiguïté de l'action, emprunt d'un humour froid mais qui ne parvient cependant pas à être antipathique.

    Après avoir traité avec brio des problèmes politiques (Z, l'aveu) Costa Gavras choisit ici un sujet de société malheureusement bien actuel. Il le fait, certes, sous l'angle bien particulier du thriller, mais en donnant à cette fable, adapté d'un roman noir américain, une dimension humaine dans ce qu'elle a de plus déstructurant pour un individu mais en sauvegardant à la fois la valeur de la famille et du travail.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • MAMAN – Un film d'Alexandra Leclère.

     

    N°577– Mai 2012.

    MAMAN Un film d'Alexandra Leclère.

     

     

    Alexandra Leclère s'attaque encore une fois au drame de la famille. Déjà, avec « les sœurs fâchées » (La Feuille Volante n° 554) elle avait mis en scène deux femmes que tout opposait. Ici, ce sont également deux sœurs, Sandrine ( Mathilde Seigner) et Alice (Marina Foïs), la quarantaine, parisiennes, mais bien différentes l'une de l'autre qui voient, tout d'un coup, leur mère, Pauline, divorcée (Josiane Balasko) dont elles n'avaient pas de nouvelles depuis vingt ans, débarquer dans la capitale parce qu'elle a été abandonnée par l'homme avec qui elle vivait. Cette mère acariâtre, excessive et égoïste compte sur ses filles pour la seconder et l'aider dans sa nouvelle vie et peut-être aussi lui faire oublier son échec sentimental. C'est surtout l'occasion pour elles de régler avec leur mère un vieux compte. Elle ne les a jamais aimées, elle n'a jamais su être maternelle bref elle n'a été pour ses filles qu'une véritable étrangère. Elles vont donc la kidnapper le temps d'un week-end dans un manoir breton pour lui faire prendre conscience de ses carences affectives et l'obliger enfin à les aimer.

     

    Au début c'est Sandrine qui ouvre le bal et s'oppose ouvertement à sa mère alors que sa sœur paraît vouloir rechercher un compromis. Alice, plus docile, semble même être à la traîne de sa sœur, mais, tout d'un coup, elle prend conscience que l'occasion est trop belle et sort de ses gonds. C'est à cause de cette mère indigne que ses filles ont manqué d'amour, que Alice passe son temps à refuser la maternité en se faisant avortée et que Sandrine a une vie sentimentale décousue. Des claques volent en même temps que des mots durs mais aussi des menaces de mort... Alice et Sandrine veulent faire payer à Pauline tout ce temps perdu, toutes ces occasions manquées. Chacun finit par s'expliquer et il n'y a rien de manichéen dans cette situation. Il y a une opposition entre le calme de la mer et la violence des scènes de ce film préfigurant peut-être la réconciliation du dénouement qui se conclue par une sorte de « happy end », si on veut le voir comme cela, dans le fait que Sandrine qui était la plus remontée contre sa mère, à tel point qu'elle ne pouvait même pas l'appeler « maman », lui donne enfin ce titre.

     

    Il y a sans doute de l'autobiographie dans ce film, mais nous sommes nombreux sans doute à avoir souffert de l'abandon ou de l'indifférence de nos parents. L'amour maternel est une sorte de fantasme que nombre d'écrivains et de poètes ont célébré et qui a été, en quelque sorte, sanctifiée par une fête annuelle, même si celle-ci nous vient des temps contestés du pétainisme. A mes yeux, c'est plutôt bien d'avoir montré que toutes les femmes ne sont pas maternelles, et pourquoi le seraient-elles d’ailleurs ? Nous avons tous vécu avec cette sorte d'image d’Épinal où la femme devenue mère se sacrifiait pour ses enfants. Il suffit de promener son regard sur notre société, d'écouter parler les gens, de recueillir leur témoignage pour se persuader que toutes les grandes idées qu'on peut avoir sur la famille en général et sur les mères en particulier se révèlent souvent être des idées fausses mais qu'on transforme rapidement en tabou pour éviter de les évoquer. Après tout, toutes les petites filles n'ont pas joué à la poupée au sortir du berceau et si, mariées, elles ont donné la vie, ce n'était pas forcément par désir mais on peut imaginer qu'elles l'ont fait par hasard, par erreur, par accident ou pour satisfaire à un besoin de descendance de leur famille. L'amour n'est pas forcément au rendez-vous et elles ne sont pas, dans ces conditions, tenues d'aimer leurs rejetons. Tant pis pour eux, il faudra qu'ils s'y fassent, qu'ils vivent avec ce manque toute leur vie et qu'ils parviennent, peut-être à le surmonter !

     

    Ce film, même s'il comporte des longueurs inévitables compte tenu du thème traité n'est pas une fable, pas une fiction, bien au contraire, c'est un drame, une histoire banale mais douloureuse qui malheureusement se reproduit trop souvent et génère injustices et traumatismes pour les enfants qui sont, bien souvent, les seuls à payer.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Le Président - Un film d'Henri Verneuil

     

    N°576– Mai 2012.

    LE PRESIDENT Un film d'Henri Verneuil (1961).

    (Arte – Dimanche 6 mai 2012 – 20h40).

     

    La politique est une chose passionnante mais ceux qui la font, c'est à dire ceux qui en font leur métier, le sont, à mes yeux, beaucoup moins. Ainsi donc, au soir du 6 mai 2012, une fois les résultats de l'élection présidentielle connus, ai-je eu plaisir à regarder une nouvelle fois le fameux film d'Henri Verneuil « Le Président ». Cela tombait plutôt bien et collait à l'actualité. Je délaissai donc les cris de victoire et d'espoir des vainqueurs, et les déclarations de dépit des autres, abandonnant la situation et ses évolutions probables aux commentaires des journalistes, aux déclarations des hommes politiques des deux bords, aux appréciations des instituts de sondage; tout cela reviendrait bien assez tôt, dès le lendemain dans les médias, sous forme de florilèges ou de chroniques. Et puis j'aime bien le cinéma. Surtout que ce film, même s'il n'est pas de la première jeunesse, même s'il est en noir et blanc, a le mérite d'être le reflet de la condition d'hommes politiques, même si le constat date un peu et s'inscrit dans une hypothétique IV° République qui s'est caractérisée par des crises ministérielles à répétition et a fini par en crever.

    Et puis, quand un film met en scène Jean Gabin, c'est plus fort que moi, il faut que je le regarde et que je le savoure tant cet acteur avait de talent. Il campait avec le même bonheur un prolétaire ou un aristocrate, un flic intègre ou un voyou de la pire espèce. Nous manquons actuellement terriblement de ces « Monstres sacrés » que chacun à plaisir à retrouver sur la pellicule bien des années après leur disparition. Et puis ce film brille aussi par les dialogues et aphorismes du regretté Michel Audiard qui savait si bien manier les mots. (« Dans un voyou il y a toujours un Préfet de Police qui sommeille » « Je suis un mélange de conservateur et d’anarchiste, dans des proportions qui restent à déterminer »)

    L'histoire où, bien entendu « toute ressemblance avec des personnes existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence » s'ouvre sur la visite d'un homme politique anglais de premier plan qui vient à Paris pour une conférence internationale et fait à son vieil ami, le Président Émile Beaufort (Jean Gabin), qui passe dans sa propriété familiale une retraite paisible, une visite de courtoisie. Paisible, pas tout à fait puisque, compte tenu de son grand âge, il y a à sa porte une meute de journalistes qui attendent la nouvelle de sa mort et que la venue du médecin ou du curé remplissent d'espoir. Au moins ils auront quelque chose à imprimer dans leur journal. C'est que l'homme n'est pas le premier venu. Il a été, dans le cadre d'une hypothétique IV° République, un Président du Conseil qui, à l'époque, éclipsait même le locataire de l'Elysée. Il incarnait, fictivement bien sûr, cette génération d'hommes qui étaient entrés en politique comme on entre en religion, c'est à dire qu'ils s'étaient investis si personnellement dans leurs fonctions qu'ils s'étaient oubliés eux-même. Quand on lui demande le détail de sa vie sentimentale Beaufort répond qu'il est veuf après dix années d'un mariage heureux, qu'il n'a jamais qu'une maîtresse, la France, et pour le reste, il a fréquenté les maisons closes et les théâtres subventionnés (merci Michel Audiard). Nous avons effectivement eu dans l'histoire de nos républiques des hommes qui se sont effacés devant leur fonction au point de ne pas pratiquer l'enrichissement personnel, le népotisme ou les prévarications de tous ordres, mais ils sont rares. Ceux de maintenant fréquentent plus souvent les prétoires et parfois même les prisons que les couloirs de la Chambre, les bureaux des ministères ou les salons des palais nationaux. Le traditionnel antiparlementarisme français vient sans doute de là.

    C'est que, un Président du Conseil, surtout quand il a été intègre, a toujours quelque chose à dire et compte bien laisser son nom dans l'histoire en révélant sur le tard les ficelles et les intrigues qui ont émaillé ses mandats. Alors il écrit ses mémoires. C'est bien ce que fait Beaufort. Il en profite pour jeter un regard désabusé sur l'espèce humaine en général, sur ses trahisons et ses compromissions et bien entendu sur la classe politique qu'il connaît bien. Son directeur de cabinet de l'époque, Philippe Chalamond (Bernard Blier), jeune homme plein d'avenir et d'ambition, trahit le secret qui entoure une prochaine dévaluation. C'était le temps où, quand elle était réussie, elle correspondait à une relance de l'économie, à condition qu'elle reste cachée jusqu'au dernier moment. Pour des raison d'enrichissement familiale et parce qu'il voit là une occasion de se lancer dans l'arène, il révèle cette mesure à son beau-père, banquier, ce qui lui permet de spéculer contre le franc, c'est à dire contre son pays. Beaufort ne peut enrayé cette décision mais exige que Chalamond atteste par écrit sa culpabilité. Cette simple lettre qui restera longtemps entre les mains de Beaufort bride Chalamond au point que le ministère de l'Intérieur charge la secrétaire particulière du Président de récupérer ce papier compromettant. Nous retrouvons Chalamond, à la Chambre quelques années plus tard. Il est question de la construction européenne que Beaufort avait défendue(déjà) et que Chalamond, alors chef de file des députés conservateurs, avait combattue. A l'époque, ils avaient refusé la confiance à Beaufort ce qui avait fait chuter son ministère. Cela a été l'occasion d'une envolée lyrique du Président comme on aimerait en entendre plus souvent au parlement et ailleurs, dénonçant l'affairisme des députés d'opposition. A l'un d'eux qui a fait du pacifisme son option politique, il reproche l'activité familiale de... fabriquant d'armes, à un autre, démocrate chrétien, il rappelle son métier d'avocat d'une banque israélite...

    Plus tard, Chalamond qui est pressenti comme chef de gouvernement, vient rendre visite nuitamment à Beaufort, sollicitant son avis et lui proposant une collaboration occulte, faisant aussi amende honorable, son projet de gouvernement reprenant celui de Beaufort qu'il avait portant combattu quelques années plus tôt. Le vieux renard refuse de succomber à la vanité de revenir ainsi aux affaires et Chalamond qui en réalité venait rechercher sa confession compromettante, repart sans l'avoir obtenue et se voit contraint de renoncer au pouvoir.

    J'ai revu ce film toujours d'actualité avec plaisir. On y parle des États-Unis d'Europe, du nécessaire abandon de la souveraineté nationale qu'implique le fédéralisme, de l'Europe de la fortune contre celle du travail. On y met une nouvelle fois en lumière la bassesse et la cupidité des hommes, leur appétit de pouvoir, l'hypocrisie qui gouverne cette espèce humaine décidément peu fréquentable.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

    .

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

     

     

     

  • 16,rue d'Avelghem

     

     

     

     

    N°575– Mai 2012.

    16, RUE D'AVELGHEM Xavier Houssin – Éditions Buchet Chastel.

    Ce roman est, si on en juge par les dédicataires, Angèle et Joseph, un peu un devoir de mémoire, mais pas au sens d'une obligation mais un peu comme ce qu'on faisait à l'école, une composition, une rédaction, pour ne pas perdre le souvenir de ceux qui nous ont quittés parce que les morts ne le sont jamais autant que lorsque les vivants ne pensent plus à eux.

    Le narrateur nous les présente, ces gens sans histoire qui habitent Roubaix l'adresse indiquée sur la couverture du livre. Lui, Joseph Lapierre, ancien combattant le la Grande guerre, ancien chauffeur de maître est un ouvrier modèle qui aime son travail, respecte le patron, va à la messe, ne fait pas grève et ne fréquente pas les cafés, un homme humble, père de famille nombreuse qui n'a pas réussi comme on dit maintenant. C'est lui qui a choisi cette nouvelle maison, c'était son idée, parce que dans la précédente on était un peu à l'étroit. C'est vrai qu'avec huit enfants il faut de l'espace ! C'était un peu une folie, une grande maison inoccupée depuis si longtemps, avec tous ces travaux et le loyer qui doublait. Comme le propriétaire était le directeur de la filature, il s'était endimanché pour la visiter. Angèle, sa femme n'était pas d'accord, mais elle s'est résignée, comme toujours. Après tout c'est lui le Pater Familias, celui qui commande et dont on ne discute pas les décisions. Et puis il y a le jardin, le potager et bientôt le poulailler pour améliorer l’ordinaire, et même, pour lui, une salle qui sera son jardin secret, son univers où il bricolera, où il se retirera.

    Dans cette maison, les enfants grandissent et l'Histoire semble extérieure à elle, le Front Populaire, la deuxième guerre mondiale, les restrictions, la libération, tout cela semble étranger à cette famille qui vit sa vie avec ses petits bonheurs et ses grands malheurs, les deuils, les maladies, les révoltes intérieures, les enfants qui s’affranchissent de la tutelle parentale et partent faire leur vie ailleurs, dans les ordres ou dans la société, qui ont à leur tour des enfants, la retraite qui vient et la maison qui se vide, les souvenirs, les regrets, les remords. ..On s'occupe comme on peu avec les fêtes de quartier, l'accordéon et les moules frites en se persuadant, sans trop y croire, que la vie est belle et qu'elle va durer longtemps.

    Puis c'est la solitude à deux, le jardin où les fleurs succèdent aux légumes, la salle à manger au rez de chaussée qui sert de chambre à coucher parce qu'on ne peut plus monter à l'étage, puis la mort qui s'installe, petit à petit, la Camarde qui emporte Joseph et quelques années après Angèle et la maison qu'on détruit pour faire un parking, une page qui se tourne, des vies qui s'évanouissent...

    Ce roman c'est une musique pleine de sensibilité, de tendresse, de poésie, de mélancolie aussi. Une évocation simple de la vie dans ce petit coin de France que ces gens n'ont jamais quitté ou si peu, une chronique douce-amère, un bon moment de lecture en tout cas.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com









     









  • Mort d'un cuisinier chinois

     

    N°573 – Mai 2012

    MORT D'UN CUISINIER CHINOIS – Frédéric Lenormand – Points.

    Nous sommes en 677 et après un séjour dans les provinces reculées de l'Empire et à la faveur d'une promotion, Ti, âgé de 47 ans retrouve Chang-an, la capitale des Tang et sa vieille mère devenue veuve. Pourtant, contrairement à ce qu'il pense, il n'a pas bénéficié d'un avancement en fonction de ses mérites, mais parce que la lecture de ses rapports avait fort diverti les souverains. En effet, il doit attendre plusieurs semaines avant de connaître sa nouvelle affectation. Ses trois épouses et ses enfants vont devoir cohabiter avec leur belle-mère ce qui n'augure rien de bon.

    Ti ne tarde pas à s'apercevoir que sa présence dans la capitale est due au décès d'un cuisinier affecté au Palais. Il était en effet rigoureusement interdit d'être malade et donc de mourir dans l'enceinte de la Cite interdite, à l'exception des membres de la famille impériale, évidemment ! L'ennui c'est que cette mort est la conséquence directe d'un meurtre ce qui fait que notre juge du 6°degré se trouve « bombardé » « enquêteur impérial extraordinaire avec rang de conseiller plénipotentiaire hors cadre, mandarin de 1° classe ». Une véritable promotion donc ! Il pourra donc mener son enquête dans toute la Cité interdite et ses déplacements seront facilités mais aussi contrôlés par Po Zhi-Xin, un jeune eunuque du Palais. Notre juge ne tarde cependant pas à s'apercevoir de la véritable raison de sa présence ici qui est à des années lumières du motif officiel qui lui avait été donné. Il doit donc faire appel à toutes ses ressources pour ne pas perdre la face et accessoirement sa tête.

    Ti a toujours eu un peu de mal avec les femmes d'autant plus qu'il a trois épouses. Il a un peu négligé sa famille au profit de son métier de magistrat qu'il a toujours exercé avec talent pendant toutes ces années. Dame Lin Erma, la Première, après s’être installée au domicile de sa belle-mère, est intriguée par son train de vie plus que modeste et s'interroge sur la succession de son beau-père qui lui permettrait de rompre cette cohabitation forcée. Ce dernier avait, en effet, de son vivant, une fortune confortable. Ainsi mène-t-elle, une fois n'est pas coutume, sa propre enquête qui, de rebondissements en faits nouveaux, épaissit de jour en jour le mystère du ménage de ses beaux-parents.

    Parallèlement Ti résout avec brio l'énigme qui lui avait valu sa promotion et sa sagacité lui ouvre des perspectives de carrière. L’énigme qui occupait Dame Lin était cependant toujours pendante et il convenait d'y apporter une réponse. Notre juge qui avait servi l’État ne voulait pas être en reste vis à vis des interrogations de cette épouse, tout aussi tenace que lui. Il se mit donc à sa disposition pour que tout rentre dans l'ordre.

    Au risque de me répéter, de radoter, cette chronique s'étant souvent fait l'écho des romans de Lenormand, je redirai que ce livre a été pour moi un bon moment de lecture.

     

    © Hervé GAUTIER - Mai 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Dix petits démons chinois

     

    N°571– Mai 2012

    DIX PETITS DEMONS CHINOIS[ Les nouvelles enquêtes du juge Ti,]. Frédéric LENORMAND – Points.

    Nous sommes en 664 et Ti-Jen tsie, âgé de 34 ans est sous-préfet à Peng-Lai, une petite ville sur les rivages de la mer Jaune. C'était un peu la routine quotidienne quand on annonça la visite de Ni Houan-tché, le gouverneur de la province. Voilà qui allait briser un peu la torpeur de ce mois d'août. Plus préoccupé par ses multiples fonctions, Ti avait un peu oublié qu'à cette période de l'année, les âmes des morts incapables de trouver le repos dans l'Au-delà reviennent sur terre. Comme il convient à un fonctionnaire zélé et attentif à son avancement futur, notre mandarin accueille son supérieur avec tout le respect dû à son rang. Il ne tarde pas à s’apercevoir que ce Haut fonctionnaire de l'Empire est moins attentif que lui au respect de l'ordre public et se révèle au contraire être un parfait opportuniste, très peu soucieux des devoirs de sa charge et grandement cupide. En effet, un glissement de terrain met à jour d'anciennes sépultures et Ni souhaite avant tout s'approprier les richesses qu'elles contiennent, en retirer tous les mérites pour se faire valoir auprès de l'Empereur. Sous sa direction en effet, on visite prestement ces tombes et dix statuettes qu'elles contenaient sont dérobées qui apparemment sèment la mort autour d'elles, ce qui fait fuir le gouverneur laissant Ti en charge de ce problème de plus en plus délicat. Autour de lui, il ne manque pas de magiciens et de jeteurs de sorts pour prédire l'avenir et pour prétendre que, en cette fête des âmes affamées, ce sont les morts-vivants qui viennent tourmenter les humains. Il se trouve en effet confronté à des meurtres apparemment inexplicables et les assassins pouvaient parfaitement profiter de cette fête traditionnelle pour les maquiller et les faire endosser à une créature d'outre-tombe. Il avait déjà vu cela dans sa carrière de magistrat !

    Ce n'était guère encourageant au vu du nombre de statuettes dérobées qui, chacune semble entraîner un crime. Ti, pétri de confucianisme, a, au regard des religions qui sont pratiquées dans l'Empire et qui mettaient en avant superstition et charlatanisme, une approche à la fois rationnelle et pragmatique. Il sait que tout cela avait une explication plausible, restait à savoir laquelle, et la chose n'était pas aisée ! Pourtant, il ne répugne pas à payer de sa personne, à jouer sur les croyances populaires, à les manipuler, voire à faire alliance avec les criminels du moment que cela va dans le sens de la manifestation de la vérité et donc d'une bonne administration de la justice.

    Dans ce roman, comme dans bien d'autres Ti se révèle encore une fois un fin connaisseur de l'espèce humaine, un observateur avisé de la société qu'il a à gérer. Il jette sur ses contemporains un regard mi-amusé mi-inquiet et considère les relations qu'ils tissent entre eux, faite d'un profond mélange de bêtise, d'opportunisme et de méchanceté comme une leçon qu'il à tirer des hommes en général. Cela fait de lui un sage philosophe qui se consacre à la recherche des délinquants avec méthode et efficacité. En effet le confucianisme qui inspire chacun de ses gestes lui enseigne que « Là où il y a des hommes, il y a des démons » et qu'il convient à un lettré comme lui de ne pas se laisser abuser par les apparences.

    J'apprécie toujours Frédéric Lenormand dont je lis les œuvres avec gourmandise, même si cette histoire, qui a été un agréable moment de lecture, est un peu moins dense que celles que j'ai déjà lues. J'ajoute que dans ce roman, comme dans tous les autres, le lecteur apprend beaucoup de choses sur la civilisation, sur les coutumes ou sur le droit chinois, sur les rituels des religions pratiquées à cette époque...

    Ce que j'attends d'un livre, même d'une fiction, c'est certes d'être bien écrit, emprunt d'un humour jubilatoire, de m'inviter au rêve et au dépaysement, mais aussi qu'il soit bien documenté. Je dois dire que je suis pleinement satisfait. C'est là une marque de respect du lecteur que j'ai plaisir à souligner ici.

    © Hervé GAUTIER – Mai 2012.
    http
    ://hervegautier.e-monsite.com 

  • Guide de survie d'un juge en Chine

     



    N°569 – Mai 2012.

    GUIDE DE SURVIE D'UN JUGE EN CHINE – Frédéric Lenormand- Fayard.

    Après de longues et parfois pénibles pérégrinations, le juge Ti Jen-Tsie vient d'être nommé directeur de la police de Chang-an, capitale de l'empire Tang, ce qui, à 47 ans, est sans doute une promotion bien méritée eu égard à l'intégrité et aux qualités nombreuses de notre magistrat. Cependant cette nouvelle fonction cache en fait la charge de chef des espions ce qui ne correspond pas pas exactement aux compétences du fin lettré qu'il est. Il n'est pas sans savoir que chaque médaille a son revers et il se voit chargé d'une mission délicate, succéder à «  l'ignoble Nian Changbao » qui s'était rendu coupable de graves prévarications d'autant plus répréhensibles qu'il y avait déjà eu des soulèvements populaires dans la capitale à la suite de la corruption d'employés de l’octroi. L'ancien chef de la police allait donc payer pour tout le monde !Son prédécesseur avait en effet une bien curieuse manière de faire respecter l'ordre public dans la ville : Au lieu d’arrêter les malfrats qui sévissaient dans sa juridiction, il les soudoyait afin qu'ils quittent la ville, ce qui témoigne d'une originale façon de s’acquitter de sa mission. Cela n'a guère échappé à l'autorité de tutelle qui l'a déclaré ennemi de l'Empire. A son arrivée Ti doit donc assister à une exécution publique où Nian doit être châtié, mais la nouvelle d'une victoire militaire éclatante provoque l'amnistie générale des condamnés selon les code des Tang. Nian en profite pour s'enfuir et Ti se voit confier la délicate mission de s'assurer de sa personne, faute de quoi il sera exécuté. Rien ne peut motiver d'avantage notre magistrat, d'autant plus que d'autres avant lui avaient échoué dans cette mission !

    Ti se voit donc investi de la charge officielle de Commissaire enquêteur et voyage donc anonymement sous couvert de la profession de marchand de grains. Il se retrouve dans la petite ville de Liquan, apparemment sans histoire, mais apparemment seulement ! Le magistrat n'est jamais très loin qui se réveille pour déjouer tous les plans maléfiques qui s'opposent à sa mission, même si, autour de lui les gens tombent comme des mouches ce qui est à la fois un défi à sa fonction et une insulte à l'ordre sacré de la nature. C'est un mandarin intègre à qui rien n'échappe, même si nombre de ses collègues ne partagent pas sa loyauté. Il est en permanence, et quelles que soient les circonstances, au service de l'Empire et son esprit de déduction n'a d'égal que la connaissance de l'espèce humaine que dix sept années de magistrature lui ont enseignée. Il est vrai qu'il est aidé dans sa mission par l'enseignement sage de son Maître Confucius ! Ainsi résout-il sans aucune difficultés les énigmes les plus compliquées devant lesquelles d'autres magistrats pourtant habiles ont lamentablement séché.

    Il est aussi secondé dans cette enquête comme dans bien d'autres par Dame Lin Erma, sa première épouse ce qui permet à l'auteur de mettre en perspective le rôle de la femme dans cette société gouvernée par des hommes mais que pourtant une impératrice dirige.

    J'ai déjà abondamment parlé, dans cette chronique, du juge Ti et de Lenormand qui le fait revivre avec talent [ce n'est d'ailleurs pas le seul créneau de cet auteur spécialiste notamment du XVIII° siècle – Quand il redonne vie à Voltaire, c'est un véritable enchantement !]. Chacun de ses romans est pour moi un bon moment de lecture à cause de son style et de cet humour qui ne se dément jamais, mais c'est aussi une occasion bienvenue de dépaysement et de connaissance de cette civilisation et de cette société, l'opportunité de mieux connaître ce personnage qui oscille entre fiction et réalité et dont la vie a été passionnante. L'auteur s'approprie ce personnage, lui prête un peu de lui-même et, dévoilant ses sources le met dans des situations certes un peu extraordinaires mais que notre magistrat n'aurait sans doute pas reniées.

    Lenormand ne manque pas non plus de rendre un discret hommage à Robert Van Gulik qui, quelques années avant lui, avait popularisé le juge Ti

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com











  • Land and freedom - Un film de Ken Loach

     

    N°572– Mai 2012.

    LAND AND FREEDOM Un film de Ken Loach (1994)

    Le film s'ouvre sur la mort d'un homme, David (Ian Art), de nos jour à Liverpool, dans une ambulance.

    Sa petite fille, en rangeant les affaires de son grand-père décédé trouve des photos set des lettres qu'il a envoyée pendant sa jeunesse, découvre que ce dernier a combattu pendant la guerre d'Espagne dans les rangs des Brigades internationales comme volontaire anglais. Sa vision du communisme alliée au chômage qui mine l'économie et la société britannique des années 30 le persuadent qu'il n'y a pas d'autre choix pour lui.

    Un peu par hasard, après un voyage long et pénible, il se retrouve, avec d'autres volontaires de toutes les nationalités dans les rangs du POUM (Parti ouvrier d'unification marxiste) pour combattre les fascistes de Franco. Il ne tarde pas à faire le coup de feu en Aragon, dans les tranchées où il côtoie des femmes combattantes, mais avec des armes obsolètes et l'une d'elle le blesse. La brigade dans laquelle il combat est non seulement peu armée mais est surtout animée par un idéal politique qui ne convainc pas tout le monde. Il part pour une courte convalescence à Barcelone où il retrouve Blanca (Rosana Pastor), une jeune militante aragonaise qui combattait avec lui et dont il était amoureux. Elle tente de le persuader de se battre dans les rangs de la Milice alors qu'elle découvre qu'il a déjà rejoint les rangs des Brigades internationales, ceux qu'elle appelle « les staliniens ». Elle le quitte tandis que, écœuré par les divisions et les combats au sein du camp républicain, David déchire rageusement sa carte du parti communiste et rejoint sa brigade en Aragon pour assister à la liquidation des trotskystes du POUM qui est déclaré illégal en 1937.

    David se forge lui-même son opinion au fur et à mesure que se déroule ce conflit. La discussion qu'ils ont sur la nécessité de collectiviser les terres est révélatrice. Il prend peu à peu conscience non seulement de l'enjeu de cette guerre mais surtout du contexte international. Le POUM fait figure d'extrémiste, ce qui dérange Staline qui recherche surtout la respectabilité sur le plan international. Pour cela on accusera ces combattants de la liberté d'être des traîtres au communisme et même d'être des agents de Franco !

    Vidal (Marc Martinez), capitaine de la brigade est un socialiste convaincu qui veut surtout gagner la guerre contre Franco et en cela s'oppose au gouvernement en place. Il est bien conscient qu'en s'y ralliant il obtiendra des armes modernes et efficaces, mais il devra s'y soumettre et ainsi aliéner son idéal. C'est tout le problème du film qui met en évidence les luttes intestines des Républicains qui les ont amenés, tout autant que l'alliance de Franco avec les puissances fascistes, à perdre cette guerre. Cela est mis en évidence dans les discussions qu'ont, dans le village pris aux fascistes, les paysans et leurs libérateurs mais surtout dans la scène ou Blanca est tuée par les troupes républicaines venues recevoir la reddition de la brigade.

    Comme toujours Ken Loach prend le parti de filmer les opprimés, les humiliés, les laissés pour compte de la société quelle que soit la forme que prend cette manière d'écraser ceux qui ne peuvent guère se défendre. Si en plus ils sont idéalistes, pauvres, pleins d'illusions et désireux de changer le monde, c'est mieux ainsi et cette Guerre d'Espagne leur a fourni l'occasion de se mesurer à la réalité et à la politique … et d'en être déçus ! Ce n'est pourtant pas un film « documentaire » sur la guerre d'Espagne, nombreux sont ceux qui s'en sont faits les historiens ; il y a somme toute peu de scènes de combat.

    Ken Loach ne cesse, dans ses films de dénoncer les compromissions et les lâchetés des hommes face à un idéalisme parfois utopique de quelques-uns. Ce qu'il veut c'est montrer ces hommes qui s'engagent au point d'être capables de mourir pour une idée, un idéal, sont toujours floués, abandonnés par ceux qu'on appelle les élites. Des écrivains contemporains de ce conflit ont contribué, par leurs écrits, à nous donner une vision idyllique de cette guerre, surtout du côté républicain. Il y avait du panache et de la grandeur à se battre pour la liberté d'un peuple attaqué par des rebelles mais la réalité a été bien différente, à cause notamment des dissensions au sein même du camp républicain et de leurs luttes fratricides.

    Les dernières images du film montrent les obsèques de David, les anciens combattants communistes présents qui saluent le cercueil sur lequel sa petite-fille verse de la terre d'Espagne que son grand-père avait rapportée.

    Ken Loach est un grand témoin de son temps de la société et des hommes qui la composent. .

      ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • La Feuille Volante à 32 ans

     

    N°570– Mai 2012.

    La Feuille Volante à 32 ans !

    Pendant ces 32 années de parution plus ou moins régulière, j'avais un peu tendance, chaque année, à me réjouir de la continuation de cette chronique. Las, je dois bien me rendre à l'évidence, je n'ai pas réussi à intéresser mes contemporains. Même sa transformation en « blog » et sa publication sur internet n'ont pas suffi à la sortir de l'anonymat. Son existence a toujours été confidentielle.

    Au fur et à mesure des années, quand je décomptais le temps de son existence et que je notais une année de plus, j'étais saisi par une sorte de vertige, surtout quand on connaît la durée de vie plus que limitée de ce genre de revue. Cette longévité est sans doute due au fait que j'ai toujours été seul pour en assurer la rédaction et tout le reste, ce qui ne se faisait pas, évidemment, sans imperfections.

    Ma vie personnelle cabossée et pleine de bleus a favorisé pendant de nombreuses années la lecture et l'écriture, l'une nourrissant l'autre. Elles m'ont permis de ne pas faire prévaloir ma descente et mon basculement inexorables vers le néant, de supporter les vicissitudes de cette vie. Pourtant, j'avais, à plusieurs reprises [La Feuille volante n° 110-154-187-189-220...], exprimé mes états d'âme et mes doutes à mes hypothétiques lecteurs.

    Il est vrai aussi que je ne suis qu'un simple lecteur à qui personne n'a rien demandé et surtout pas son avis sur les livres des autres. J'ai longtemps entretenu l'illusion qu'il pouvait néanmoins intéresser quelques-uns. Je me suis trompé ! D'autre part, je n'ai pas l'obsession de la performance ou du dépassement du nombre d'articles par rapport à ceux du mois précédent. Je pense ne pas avoir de record à battre en matière de nombre de connexions sur mon site, je n'ai pas les yeux rivés sur le compteur censé mesurer l'hypothétique intérêt pour cette chronique, aussi bien cette feuille paraît-elle à son rythme, c'est à dire sans aucune contrainte et en toute liberté puisqu'elle est gratuite et ne comporte pas d'abonnés.

    Je m'étais aussi imaginé que cette chronique qui tirait son concept et son nom d'une phrase et d'une idée de Montesquieu [« J'ai mille fois jeté aux vents les feuilles que j'avais écrites »] pourrait contribuer à nouer des liens avec d'autres lecteurs autour d'un livre, d'un écrivain ou d'un film, qu'elle pourrait provoquer des discussions, un échange d'idées... Je ne suis pas un collectionneur d'autographes ni un fanatique des carnets d'adresses et encore moins de la polémique, mais j'avais aussi supposé que mon avis pouvait susciter, de leur part, des réactions ou des courriels. Malgré la convivialité supposée d' internet, je me suis trompé et ce partage qui aurait sûrement été enrichissant n'a jamais vraiment eu lieu. Si peu de lecteurs ont réagi à mes articles ainsi publiés, les auteurs quant à eux ont, au mieux montré leur indifférence, au pire leur mépris. Je précise que j'envoie systématiquement la Feuille Volante aux attachés de presse des éditeurs en espérant qu'ils font leur travail de transmission. Comme l'a très bien et très simplement formulé l'écrivain espagnol Alfons Cervera lors d'un entretien autour de son œuvre « Écrire n'est rien s'il n'y a personne de l'autre côté de cette écriture ». Modestement et à mon niveau, j'ai voulu être cette sorte de miroir des écrivains que j'avais lus ! Il y eu quelques échanges épistolaires rarissimes et que je n’avais pourtant pas suscités, puis, sans aucune raison, plus rien ! J'ai toujours cru, béatement sans doute, que des relations fructueuses pouvaient se nouer entre eux et leurs lecteurs, que certains auteurs affectionnaient ces échanges qui peuvent nourrir leur écriture... Après tout, c'est, en principe pour eux qu'ils écrivent et ils leur doivent leur notoriété et parfois même un peu de leurs revenus. Là aussi je me suis fourvoyé.

    Les improbables lecteurs de cette revue peuvent en témoigner, sans être laudatifs et encore moins flatteur, mes papiers ont toujours tenté de rechercher ce qui, dans un roman, pouvait accrocher le lecteur et mériter son attention. Je pars en effet du principe, à cause sans doute de mon expérience personnelle en la matière, que si quelqu'un fait la démarche d'écrire et de publier ses écrits, de se livrer dans ses mots, il mérite de l'attention et, même s'il se met ainsi en situation d'être jugé « par le premier venu », il est en droit d'attendre autre chose qu'une avalanche de critiques gratuites et destructrices. J'ai toujours eu pour règle de ne pas porter gratuitement préjudice à quelqu'un au seul motif que je n'avais pas aimé son ouvrage. Je crois deviner, derrière la couverture d'un livre, tout ce qu'il a demandé d'efforts, d'hésitations, de recherches, de doutes... Même s'il m'est arrivé d'être parfois enthousiaste à la lecture d'un livre, je n'ai jamais ici été ni thuriféraire ni inquisiteur.

    La lecture a toujours fait partie de ma vie. Elle constitue pour moi un réel plaisir et cette chronique tire son existence de cette envie irrésistible de répondre à l'invitation d'un auteur, d'enter dans son univers surtout quand celui-ci sert correctement notre si belle langue française. Cette habitude de lire, tout comme ma participation à quelques jurys littéraires m'ont montré que, dans ce domaine aussi, le pire côtoie le meilleur. A force d'accumuler chez moi mes propres tapuscrits, j'ai fini par m'imaginer que, moi aussi, je pourrais faire entendre ma voix et être publié par un éditeur. C'était après tout parfaitement légitime ! Là aussi ce fut un échec à cause de ma malchance proverbiale ou peut-être mon absence de talent. J'avais aussi espéré, un peu naïvement, que cette chronique m'entrebâillerait peut-être les portes de maisons d'édition et favoriserait la publication de mes poèmes, de mes nouvelles et d'un « roman fleuve » auquel pour des raisons personnelles j'attache beaucoup d'importance, le tout a pourtant été refusé par de nombreux professionnels. Las, les sagas ne sont plus à la mode et je n'ai peut-être pas le talent requis. Quant à mes romans policiers, s'ils ont été publiés, ils sont de plus en plus destinés à rester dans mes tiroirs. Et puis, la recherche d'un éditeur n'est, à mon âge, plus vraiment de mise. Hélas !

    La Feuille Volante n'a sans doute jamais été un authentique organe de « critique littéraire ». J'en ai bien conscience. D'ailleurs, en 32 ans, on ne m'a jamais sollicité comme intervenant extérieur pour donner mon avis et c'est heureux (J'ai parfois reçu quelques ouvrages en service de presse mais tous les livres que je lis sont empruntés à la bibliothèque municipale). Il m'est, il est vrai, arrivé de la qualifier ainsi dans un but pratique et statistique, parce qu'il fallait bien caractériser son activité. Je ne suis jamais cependant fait d'illusion sur ce qualificatif qui a toujours correspondu pour moi à un abus de vocabulaire. Quand je l'ai créée, en 1980, avec la complicité du regretté Marjan, le dessinateur Arfoll de « La Revue Indépendante » avait spontanément salué cette initiative d'une série de bandeaux que j'ai gardés. Elle était surtout destinée à parler de ceux dont on ne parle jamais, les poètes inconnus et qui avaient toutes les chances de le rester parce que la grande presse en ignorait jusqu'à l'existence. Ceux-là publiaient, souvent à grands frais et avec leurs propres deniers, leurs poèmes qui ne seraient jamais étudiés dans les écoles, dont les recueils circuleraient sous le manteau dans le plus grand anonymat, ou resteraient sur leurs étagères. Par la suite, aimant lire, j'y ai adjoint des notes de lecture dont j'ai, avec le temps, tenté d'améliorer la présentation. Là non plus, il n'y avait pas de volonté « critique ». C'était un peu ce que, au collège, mes professeurs de français successifs avaient tenté, vainement, de me voir rédiger. J'ai peut-être ainsi cherché à me rattraper et ainsi à leur donner raison... avec quelques dizaines d'années de retard ! De plus, l'âge venant, et avec lui la perte progressive de la mémoire, ces articles avaient au moins l'avantage personnel de garder trace de mon avis sur un livre que j'avais lu. Chaque article était donc seulement un jalon dans mes lectures. J'ai quand même épuisé les joies de cette activité et, ce n'est pas là un simple jeu de mot, elle m'a elle-même épuisé ! Je dois donc reconnaître que cette Feuille Volante s'achemine vers sa fin parce que je n'ai plus vraiment le goût de la faire perdurer. Elle continuera sans doute encore pendant quelques temps puis s'arrêtera de paraître sans que personne s'en aperçoive. Elle n'aura guère marqué de son empreinte le « paysage » comme j'ai pu, dans un moment d'inconscience ou de vanité, l'espérer, mais, au vrai, cela n'a guère d'importance.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Anatomie d'un instant

        

    N°568 – Avril 2012.

    ANATOMIE D'UN INSTANT – Javier Cercas – ACTES SUD.

    Traduit de l'espagnol par Élisabeth Beyer et Alexandra Grujieie.

    L’Espagne est un pays qui ne peut nous laisser indifférents. Il a toujours fait partie de notre culture, de notre histoire, soit à l'occasion de conflits, soit parce que, au nom de la démocratie, de la défense de la liberté, nous avons, nous Français, pris partie pour sa sauvegarde, même si, la politique s'en mêlant, le résultat n'était pas forcément à la hauteur des espérances tressées. Ce pays qui reste celui du soleil, du farniente, des vacances, de l’exubérance mais aussi de la culture a inspiré de nombreux créateurs et nombreux sont les Espagnols qui ont trouvé refuge en France, s'y sont établis, ont choisi de combattre pour lui, l'ont enrichi... Il resurgit régulièrement dans l'actualité pour nous rappeler qu'il n'est pas seulement un pays voisin, limitrophe de la France mais surtout un peuple ami avec qui nous partageons plus que d'anecdotiques événements.

    La Guerre d'Espagne, ses suites parfois malheureuses, l'établissement durable du fascisme ont nourri fantasmes et soutiens de tous ordres en faveur de ceux qui avaient une légitime aspiration à la liberté, et le retour à la démocratie a été salué par tous comme la fermeture d'une parenthèse douloureuse de quarante années de franquisme. Las, dans toutes les démocraties, surtout si elles sont jeunes, il y a toujours des nostalgiques du passé, des idéologies perdues, de l'arbitraire, de l'injustice, des privilèges qu'ils ont perdus. Franco a laissé une trace prégnante dans ce pays. Malgré l'ouverture à la liberté, le pays a été secoué par des attentats, des soulèvements populaires. Nous sommes en Février 1981, Adolfo Suàres, Président du gouvernement est un homme affaibli qui vient de démissionner de sa charge et le parlement s'est réuni ce 23 février pour élire son successeur, Calvo Sotelo. Les débats promettent d'être houleux et passionnés mais ce n'est que le jeu normal de la démocratie quand surgissent des militaires en armes qui intiment l'ordre impératif à tous de se mettre à terre en le soulignant de coups de feu. A leur tête, le lieutenant-colonel Tejero de la Garde Civile, unité emblématique du franquisme. Nous avons tous en mémoire cette scène où la liberté bascule, le coup d’État qui est une pratique traditionnelle en Espagne recommence, le franquisme menace la jeune démocratie, créant un vide que des militaires putschistes ne vont pas tarder à combler, et ce en direct. Les membres de la représentation nationale se couchent tous, à l'exception de trois personnes, Adolfo Suàres, le vieux général Guitiérrez Mellado et Santiago Carrillo, qui, pour des raisons différentes tentent de résister, à leur manière à cet officier menaçant. Ce geste peut passer pour du courage, de la révolte, une manifestation de liberté face à la violence mais il peut parfaitement être analysé différemment. L'auteur se demande avec pertinence s'il n'était tout simplement pas dicté, pour chez chacun d'eux, par le besoin de racheter une faute personnelle.

    Adolfo Suàres est un homme politique controversé, ancien membre de la phalange, arriviste ambitieux et opportuniste dénué de scrupules. Il fut choisi par le roi Juan Carlos pour organiser la transition démocratique, c'est à dire de liquider le franquisme et légaliser le parti communiste. Il s’acquitta de cette tâche, mena les réformes nécessaires mais c'est un homme épuisé, abandonné de tous et surtout du roi, au bord de la retraite qui vient de donner sa démission de chef du gouvernement et que le monde politique souhaite voir se retirer. L'ambiance autour de lui est à la conspiration et tout, à l'intérieur comme à l'extérieur, semblait avoir pour but l'éviction de Suàres. L'auteur se demande s'il ne cherche à mourir en martyr dans un ultime geste spectaculaire et ce même s'il n'était pas au courant, comme beaucoup d'autres initiés, de l'intrusion de Tejero dans l'hémicycle.

    Guitiérrez Mellado est un officier de carrière fondamentalement franquiste, maintenant haï des militaires, qui a combattu dans les rangs nationalistes pendant la Guerre civile et devint, à cette période, membre de la 5° colonne c'est à dire qu'il infiltra les rangs républicains. Promu général, il s'engagea en politique et devient ministre de la défense dans le gouvernement d'Adolfo Suàres dont il était l'ami personnel. Puis, à la suite de son opposition spectaculaire à Tejero, épuisé, il se retira de la politique.

    Santiago Carrillo fut un dirigeant historique du parti communiste espagnol, il a combattu dans les rangs de l'armée républicaine pendant la Guerre civile. Compromis pendant ce conflit, il joua un rôle déterminant dans le processus de transition démocratique. Au moment du putsch il est un homme politique sur le déclin. Le jeu politique fit que Carrillo le communiste et Suàres l'ancien phalangiste, pourtant ennemis inconciliables se retrouvèrent côte à côte dans le rétablissement de la démocratie et que, lorsqu'ils furent l'un et l'autre évincés de la vie politique, ils entretinrent de solides liens d'amitiés.

    Vient ensuite l'évocation des putschistes, les généraux Armada, Milans et le lieutenant-colonel Tejero, tous militaires ambitieux, monarchistes, franquistes et opposés à la démocratie telle que l'entendait Suàres et donc contre lui, mais surtout tous fondamentalement différents dans leurs motivations, ce qui mena le putsch à l'échec.

    Même si l'auteur présente ces hommes, qu'il qualifie de traîtres à leur idéal comme des personnages de fiction, les événement du 23 février s'étant déroulés dans une lumière blafarde et quelque peu irréelle, ce récit n'est pas un roman, c'est plutôt une non-fiction écrite avec faconde parce que la réalité dépasse l'imaginaire. Avec une précision d'archiviste, Javier Cercas démonte tout ce qui a conduit à ce coup d’État, certes avorté, mais oh combien prévisible dans la classe politique et ce qui en motiva l'échec, le putsch manqué n'étant que la partie visible de conspirations multiples et secrètes dans un contexte d'attentats de l'ETA et d’assassinats de gardes civils, de peur et de situation catastrophique de l’État et de la couronne. Ainsi montre-t-il que, ce qui a été ressenti dans l'opinion comme une atteinte à la démocratie n'était en réalité que l'aboutissement, certes mort-né, d'une atmosphère politique délétère. L'intervention télévisée du roi revêtu de son uniforme militaire se rangeant aux côtés de la constitution a été déterminante pour sauver la jeune démocratie espagnole. Armada et Milans, en prônant un gouvernement d'union nationale que refusait Tejero abandonnèrent ce dernier qui refusa la fuite et l'exil. Puis vint le procès et les condamnations mais il reste que ce coup d’État manqué, cette séquestration humiliante pour les politiques durant 17h30 dans l'hémicycle a renforcé la démocratie et la couronne et mis une fin définitive à la Guerre civile.

    S'il fallait trouver une « morale » à ce livre remarquablement documenté, à ces faits, c'est sans doute Jorge Luis Borges que la fournit et l'auteur qui la cite opportunément : «  Tout destin, si long et compliqué soit-il, se résume au fond à un seul moment : le moment où l'homme apprend une fois pour toutes qui il est ».

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2012.http://hervegautier.e-monsite.com









     


     

  • INITIALES

     

    N°567 – Avril 2012

    INITIALES (Association des libraires) – Dossier n°26.

    Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole.

    Pour aborder un thème historique il est deux manières. L'une tient à la fiction et l'autre à l’étude classique. Pourtant, certains faits, surtout s'ils sont baignés par la violence, résistent à l'écriture, quelle que forme qu'elle prenne. Soit cela résulte d'un parti-pris de l'auteur (on songe aux rescapés des camps de concentration qui ont choisi de se taire volontairement, faisant prévaloir la vie sur la mort), soit les événements interdisent qu'on en parle. La Guerre civile espagnole (guerre incivile disent certains) est de ceux-là. Pendant son déroulement, elle inspira pourtant de grands écrivains, Hemingway ou Malraux, mais sans vouloir minimiser leurs témoignages, ils en ont surtout donné une version lyrique, nourrissant l'imagination des étrangers au conflit, donnant une vision romantique de la guerre, côté républicain. Puis ensuite plus rien à cause de la censure franquiste qui imposa près de quarante années de silence, de répression, d'exil et de mort pour les vaincus.

    A partir de 1975, des écrivains espagnols, qui bien souvent n'ont pas connu le conflit ont décidé de s'emparer de cette mémoire, d'en faire l'axe de leur œuvre mais aussi de ranimer la culture historique collective que le franquisme avait efficacement confisquée aux Espagnols. Alfons Cervera (né en 1947) s'est approprié cette période d'après-guerre . L'oubli, si savamment orchestré est tellement grand dans l’inconscient collectif qu'il se produit parfois, par le miracle de l'écriture, une sorte de réminiscence, en ce qui le concerne puisée dans son histoire familiale. On ne dira jamais assez combien la création artistique est une alchimie et combien l'auteur peut, au premier chef, être surpris par le résultat. Comme tout écrivain, il a d'abord cherché à raconter des histoires mais s'est très vite aperçu qu'il existait « des territoires de la mémoire à explorer » et a donc fait sien ce vaste et complexe espace historique qui va de la seconde république à la démocratie retrouvée en passant par la dictature, la transition... Ainsi cette période, « pleine de lumières et d'ombres » s'est-elle imposée à lui comme un thème de réflexion et de création. Ainsi l'écrivain, à travers son histoire familiale faite de soumission, de silence, prend-il en charge la mémoire collective qui avait longtemps été dédiée à l'oubli, dénonçant par l'écriture ce que fut le régime franquiste, se faisant ainsi le porte-parole des vaincus et leur rendant leur dignité. Pourtant, ce besoin de ne pas oublier et de témoigner avait existé malgré la dictature et même pendant la période de transition pendant laquelle on prônait le principe officiel de « ni vainqueurs ni vaincus ». On n'avait pourtant pas ouvert toutes les fosses communes et les condamnations prononcées par les tribunaux franquistes n'étaient pas toutes effacées. Restait aussi la mémoire familiale, nécessairement pudique et silencieuse de ces ouvriers et de ces paysans pauvres qui s'étaient dressés contre l’invasion fasciste. Nombreux furent les témoins qui se manifestèrent par l'écrit, se faisant l'écho de ce conflit à la fois absurde et sanglant qui mit en perspective la délation, le déchirement familial, donna à cette guerre son visage horrible, montra la folie des hommes et révéla, une nouvelle fois, la véritable nature humaine.

    Puis vinrent les auteurs contemporains qui, en quelque sorte, prirent ce relais malgré le risque du « radotage », de la redite devenue peut-être inutile. C'est que, une guerre civile ne ressemble pas à un conflit armé traditionnel et porte en elle une dimension manichéenne. De plus, on a eu tendance à oublier que la république avait été démocratiquement élue alors que Franco était le rebelle putschiste. Puis il y eut le reste, les faits d'armes de chaque camps, les atrocités des deux côtés, mais bénis par l’Église catholique quand ils étaient franquistes, le combat inégal, les républicains soutenus par les communistes et surtout par les Brigades internationales, les nationalistes trouvant leur soutien parmi les puissances fascistes, le déchirement interne des républicains, les défections anglaise et française, les camps de concentration français pour les vaincus... Comme le dit Tony Cartano, l'Espagne reste, aujourd'hui encore divisée « entre ceux qui prêchent l'oubli et ceux qui réclament justice contre les crimes franquistes ». L'expérience du juge Garzon est sans doute là pour le prouver. Pourtant, la libération de l'Espagne passe à n'en pas douter par la parole ! Elle porte la mémoire individuelle d'un parent qui devient collective, a travers la honte de la retirada , l'exil en France, la résistance au maquis contre le nazisme, le rêve avorté de reconquête de l'Espagne, l'exil durable pour les combattants et leurs familles.

    Ce numéro rend également hommage aux femmes, romancières contemporaines qui font elles aussi entendre leur voix mais surtout ces combattantes, soit figure emblématiques de la république, comme Dolorès Ibarruri, soit ministre de la santé comme Federica Montseny ou photographe comme Gerda Taro, la compagne de Robert Capa, tuée en 1937 à la bataille de Brunete.

    Ce conflit qui pourtant ne déborda pas l'Espagne eut un retentissement mondial non seulement à cause de Guernica que Picasso immortalisa, mais aussi parce que des intellectuels, et pas seulement eux, s'engagèrent dans les Brigades internationales pour défendre la liberté ainsi attaquée, parce que des écrivains étrangers de toutes les nationalités prirent parti pour un camp ou pour un autre, médiatisant ce conflit à en faire une légende, faisant qu'à l'extérieur au moins il ne tombe pas dans l'oubli.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Maquis

     

    N°564 – Avril 2012

    MAQUIS – Alfons Cervera -Éditions La Fosse aux Ours.

    Traduit de l'espagnol par Georges Tyras.

    Ce sont en réalité de petites anecdotes racontées à la manière des gens du peuple, de ce petit village de la province de Valence après la victoire des franquistes. Là, des hommes prennent le maquis pour résister à la Guardia Civil sans pitié pour ceux qui restent, les enfants et les femmes des maquisards.

    Grâce à des analepses et à différents témoignages éclatés dans le temps, les choses se révèlent, faites de souffrances, d'humiliations, d'embuscades et d'exécutions sommaires comme les affectionnaient les franquistes. C'est pour y échapper que les hommes se réfugient dans la montagne et choisissent de résister à Franco mais aussi peut-être pour venger la défaite républicaine et leurs camarades assassinés par les vainqueurs. Ils s'appellent, « Paco Haute tension » Justino Sanchez, Sébas, Nicasio, Ojos Azules, et ont été les victimes du caporal Bustamente, misérable petit chef de la Garde Civile qui fait régner la terreur dans le petit village de Los Yesares. Les circonstances font que celui-ci se croit autorisé a perpétrer des violences contre ceux qui sont restés au village pour qu'il dénoncent ceux qui l'ont quitté et qui les harcèlent. Il fait régner la terreur qui donne aux vainqueurs tous les droits, tortures, humiliations et assassinats pour affirmer leur autorité. A chaque page il y a la peur de la mort, celle des autorités chargées de maintenir l'ordre moral franquiste, le maire, le curé, les notables, le chef de la phalange, le caporal Bustamente et son arbitraire, celles des gardes qui craignent les représailles des maquisards, celle de son voisin qui peut parfaitement devenir un délateur... Une sorte de folie ordinaire s'empare de ce village perdu et oublié où le maquisard n'est qu'un nom, qu'une frêle silhouette promise à la mort ... et le combat est tellement inégal !

    Ce n'est pas un roman, mais un récit, inspiré peu ou prou par l'histoire familiale de l'auteur, réalisé à petites touches avec différents témoignages d'hommes déjà morts, écrits dans un langage volontairement populaire mais aussi éminemment poétique. Il marque ainsi une phase de résistance au franquisme, entre la fin de la guerre civile et les années cinquante, période marquée par la peur, la culpabilité, l'oubli et, bien sûr, la répression, avec aussi, au début, l'espoir un peu fou des vaincus que Franco sera délogé par les alliés à la fin de le Deuxième guerre mondiale ! Face à cette lutte perdue dans le maquis, il ne reste plus aux opposants survivants qu'à s'exiler à l'étranger et tenter de résister à Franco à l'abri des frontières, en France. C'est le récit des temps difficiles de l'Espagne des vaincus persécutés par les vainqueurs

    Ce travail de mémoire, qui est aussi une sorte de «  devoir de mémoire » est bien résumé par cette phrase : « Il lui a parlé de la mémoire, de ce que nous sommes et ne sommes pas si nous renonçons à laisser le meilleur de nous-mêmes à ceux qui viendront après nous ». La lutte était nécessaire ne serait-ce que pour faire échec à l'oubli même si l'histoire est écrite par les vainqueurs « Dans la mémoire des gens seules restent les guerres remportées par les vainqueurs, les autres, on les oublie parce que les victoires marquent l'indignité de la défaite et que, au bout du compte c'est la vérité falsifiée, écrite par les chroniqueurs de l'oubli qui s'imposera ».

    L'auteur qui n'a pas connue cette période puisqu'il est né en 1947, s'approprie cette « mémoire des vaincus » et la laisse en héritage aux générations futures, porte témoignage sur ce qu'a été cette guerre civile sanglante et sans pitié qui a bouleversé bien des consciences et préparé le chaos de la Deuxième Guerre Mondiale. « Nous ne sommes que ce que nous laissons, Sebas. Mets toi bien ça dans la crâne, juste ce que nous laissons. Une fois morts, il n'y a plus moyen de rectifier ce que nous avons été ou pas été, ni dans un sens ni dans l'autre, rien à faire, que dalle, point final ».

    Alfons Cervera est journaliste, universitaire au service culturel de l'université de Valence, responsable du « Forum des débats », poète, écrivain de langue catalane. A partir de 1984, il publie « Sur les vampires et autres histoires d'amour » surtout axé sur une recherche esthétique du langage. A partir de 1990, à cause sans doute de ses origines valenciennes, il ressent le besoin d'être le témoin de « la mémoire des vaincus ». Teruel et Cuenca, qui furent le théâtre d'affrontements sanglants pendant la guerre civile ne sont pas si loin. Il inaugure ainsi un cycle romanesque avec « La couleur du crépuscule »(1995), « Maquis »(1997), « La nuit immobile »(1999), « L'ombre du ciel »(2002),  « Cet hiver-là »(2005).

    Cette recherche littéraire de la mémoire collective des républicains a été saluée par le critique espagnole. Cervera précise bien «  Je ne recherche pas la revanche mais la mémoire des faits qui n'ont jusqu'alors été racontés que dans une version unique et intéressée des vainqueurs de la guerre ». C'est donc exercice de récupération de cette mémoire confisquée par les vainqueurs auquel ce livre Alfons Cervera... avec bonheur !

    © Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • En attendant Robert Capa

     

    N°563 – Avril 2012

    EN ATTENDANT ROBERT CAPA – Susana Fortes -Éditions Héloïse d'Ormesson.

    Traduit de l'espagnol par Julie Marcot.

    Fuyant l'Allemagne nazie, Gerta Pohorylle, jeune juive allemande, admiratrice de Greta Garbo, « avec un passeport polonais », vient d'arriver à Paris. « Elle à 24ans et elle est vivante » ! Elle ne va pas tarder à rencontrer, un peu par hasard, un autre réfugié, photographe, Hongrois, ambitieux mais désargenté. Ces deux-là étaient faits pour se croiser et le fait qu'ils le fassent dans la capitale française est plus qu'un symbole. Gerta y voit un signe, une chance ! Lui, c'est André Friedmann, juif lui aussi, qui vit avec son Leica comme on vit avec une femme. Dans ce Paris d'avant-guerre, pleins d'intellectuels, ils croisent au hasard des cafés ou des cercles, dans le tourbillon germanopratin, James Joyce, Man Ray...

    Pourtant, entre eux, ce n'est pas vraiment le « coup de foudre », juste, de la part de Gerta, une sorte d'observation curieuse. Elle adopte cependant cet homme [« Ne t'inquiète pas, ce qu'il te faut c'est un manager...Et c'est moi qui vais être ton manager »]. Pour lui, elle est « la patronne » et il l'initie à la photographie en même temps qu''il devient son amant.

    Foncièrement antifasciste, André part pour l'Espagne, d'abord comme reporter-photographe et Gerta, restée à Paris, apporte sa pierre à la réaction républicaine qui se doit de faire front aux bruits de bottes qui approchent, qu'ils viennent de Berlin ou d'ailleurs. Pourtant Gerta et André sont amoureux l'un de l'autre, prennent la décision un peu folle de couvrir la guerre d'Espagne comme photo-reporters en s'inventant les pseudonymes américains de Gerta Taro et Robert Capa. C'est une manière pour eux d'échapper à leur judéité autant que d'inaugurer leur nouvelle vie ensemble. En changeant de nom, André devient un américain triomphant et audacieux, en devenant Taro, Gerta s'approprie phonétiquement le nom de Garbo, son actrice fétiche.

    Ce conflit les fascine autant qu'il les révolte et ils rendent compte en images du quotidien des républicains au front ou dans les villes et villages. Cette guerre fait d'eux un couple mythique qui ne vit que pour son métier de photographe de guerre et sa passion d'informer, armés de leur appareil photo ou à l'occasion d'un fusil, tissant leur propre légende, exposant leur vie. Leur amour fait contrepoids à la violence des combats et, petit à petit, ils changent leur vision romantique de la guerre. Si des atrocités ont été commises de part et d'autre, eux ont choisi leur camp, celui des républicains. Comme ils sont jeunes, leur vie se déroule au mépris du danger, tantôt houleuse et cahoteuse, tantôt passionnée, au sein même de ce conflit sanglant. Pourtant l'amour de leur métier se conjugue assez mal avec celui, à la fois sensuel et épisodique qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. Gerta est éprise de liberté et d'indépendance mais a du mal à exister professionnellement dans l'ombre de Capa. Certains de ces clichés sont attribués à Robert; le journalisme de guerre n'est pas vraiment une affaire de femme ! Cependant, quand elle apparaît, au front ou à l'arrière, tous ces hommes un peu frustes n'ont d'yeux que pour elle. Pourtant, elle n'est pas vraiment une beauté au sens des canons traditionnels, mais il émane d'elle une sorte d'aura. « La guerre l'avait dotée d'une beauté différente, de survivante » écrit joliment Susanna Fortes.

    C'est aussi un hommage aux journalistes de terrain qui risquent leur vie pour l'information du plus grand nombre, mais c'est aussi un récit passionnant, émouvant et poétique où le lecteur croise Raphaël Alberti, Ernest Hemingway, autant qu'une version romancée de la vie libre, passionnée et solaire de ces deux amants, une mise en lumière de celle de Gerta dont on ne connaissait jusqu'alors que très peu l'existence. Elle se révèle sous la plume de l'auteur être une femme courageuse, passionnée et passionnante quand le nom seul de Capa était connu autant d'ailleurs que certaines de ses photos dont l'une d'elles, devenue célèbre, représente un milicien espagnol anonyme, fauché par une balle. Capa ne se remit jamais de ce cliché par ailleurs sujet à polémique.

    C'est un roman très bien documenté sur cette Guerre civile ( d'aucuns l'ont baptisée « incivile ») qui déchira l'Espagne de 1936 à 1939 et qui annonça la Deuxième Guerre Mondiale. L'auteur mêle donc dans ce travail, la fiction à la réalité. C'est une histoire tragique aussi puisqu'elle se termine par la mort de Gerta, la première femme reporter tuée pendant la Guerre Civile, fauchée à la bataille de Brunete en juillet 1937 à l'âge de 27 ans [« C'est à cet instant qu'elle comprit que toute une vie tenait dans l'éclair d'un millième de firmament, car le temps n'existait pas. »].

    Elle qui vivait dans l'espoir d'une victoire des républicains ne vit pas leur défaite. Elle sera enterrée au cimetière du Père Lachaise, en présence de milliers de personnes, son éloge funèbre prononcée par Pablo Neruda et Louis Aragon. Elle ne quittera jamais plus la mémoire de Capa qui s'en voulait de l'avoir abandonnée aux combats meurtriers de l'Espagne. Sa vie à lui est désormais en pointillés, et quand il débarque, le jour J à Omaha Beach avec la première vague d'assaut, il pense aussi à cette mort qu'il a si longtemps défiée. S'il survit, comme par miracle au débarquement et au conflit, c'est en Indochine en 1954, à l'âge de 40 ans que le destin les réunira.

    Il se dégage de ce roman une formidable énergie autant qu'un amour de la vie de la part de ces êtres, morts jeunes, que le monde fascinait mais qui n'étaient pas faits pour lui, qui mettaient constamment en balance leur vie sachant qu'ils n'en étaient que les usufruitiers. Ils ont pris des risques pour vivre intensément l'instant, pratiquer l'art de la photo unique qui résume tout, mais aussi pour satisfaire leur idéal d'informer, de témoigner, d'être présents là où il n'y avait personne d'autre, et d'y arriver avant les autres ! Avec eux, la photo est devenue une véritable arme.

    L'occasion de ce récit a été inspiré à Susanna Fortes, un peu par hasard à cause de la découverte de négatifs et de clichés de Capa et de Gerta, en 2008, au Mexique. Il a le grand mérite de mettre en lumière la personnalité de cette femme d'exception qui n'était jusque là qu'une silhouette.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Le crabe-tambour- Un film de Pierre Shœndœrffer

     

    N°562 – Mars 2012

    LE CRABE-TAMBOUR – Un film de Pierre Shœndœrffer [1977]

    Le 14 mars 2012, Pierre Shœndœrffer nous quittait à l'âge de 83 ans. La République et l'armée ont rendu un hommage solennel aux Invalides, en présence du Premier ministre et du ministre de la culture à celui qui s'était engagé dans le service cinématographique des armées en Indochine jusqu'à la défaite de Diên Biên Phu. Il avait continué sa vie en tant que photographe de presse, cinéaste et romancier, se situant dans la lignée prestigieuse des écrivains de marine.

    C'est l'occasion d'évoquer non pas son œuvre toute entière, d'autres le feront mieux que moi, mais un film en particulier, considéré comme son chef-d'œuvre. J'en avais gardé, lors de sa sortie, un souvenir précis non seulement parce qu'il était servi par des acteurs prestigieux (Jean Rochefort – César 1978 du meilleur acteur, Jacques Dufilho – César 1978 du meilleur second rôle) mais aussi à cause des somptueuses prises de vue en mer (César 1978 de la meilleure photographie), le vieux navire qui geint de toutes ses membrures, les vagues qui se brisent sur la coque, l'étrave qui fend la houle dans le brouillard et la haute mer...

    L'histoire tout d'abord. Elle est suggérée par un roman éponyme de Shœndœrffer paru chez Grasset (Grand prix du roman de l'Académie Française), inspiré par la vie du lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume. Il retrace la dernière mission d'un capitaine de vaisseau, homme austère, dévoré par un cancer, (Jean Rochefort dit « le vieux ») qui reprend un commandement à la mer sur l'escorteur d'escadre « Jauréguiberry » dont c'est le dernier voyage avant sa réforme définitive. Il s'agit d'assurer une mission de surveillance et d'assistance aux chalutiers français pêchant sur les bancs de Terre-Neuve.

    Pourtant c'est un peu plus que cela, c'est un retour dans le passé puisque « le vieux » veut revoir une dernière fois son ami et compagnon d'armes, l'ancien lieutenant de vaisseau Willsdorff, dit « le crabe-tambour » (Jacques Perrin) devenu capitaine de chalutier dans ce Grand Nord désolé, fuyant ainsi l'espère humaine avec, comme toujours, un chat noir sur l'épaule. C'est Pierre (Claude Rich), le médecin du bord, qui en a parlé le premier sur la passerelle « Vous connaissez Willsdorff ?». Lui était son ami en Indochine et souhaite le revoir une dernière fois. C'est la vraie raison de son rengagement et de sa présence à bord. Après la défaite française, il est resté là-bas pour soigner ses anciens ennemis. Il a pourtant été expulsé du Viet-Nam. Le commandant, habile manœuvrier, confie au médecin son corps meurtri par la maladie mais aussi son âme tourmentée d'homme « déjà mort » en l'invitant chaque jour à sa table. Il est évidemment question de Willsdorff, ce mythique soldat perdu qu'ils ont connu séparément. Pourtant, cette rencontre n'aura lieu qu'en filigrane, avec une grande économie de mots, comme si, malgré son ultime démarche, le commandant ne pouvait plus parler à cet ami, comme si c'était trop tard, comme s'il n'avait plus rien de commun avec lui, comme s'ils n'étaient plus l'un pour l'autre que deux fantômes. Cette idée est suggérée dans la scène du transfert du courrier où les deux bâtiments se côtoient, une trace sur l'écran radar, la radio qui grésille, rien que quelques mots convenus trop lourds de passé, un salut de sirène, une page qui se tourne, définitivement ! « Adieu » ne cesse de répéter Willsdorff, « Aperçu » fait simplement répondre le commandant par le timonier. Seul Pierre échangera quelques mots amicaux et complices avec Willsdorff et le chalutier s'éloignera.

    Cette quête est alimentée en flash-back par des évocations de gens qui l'ont également connu, le commandant puis Pierre, le narrateur de ce récit, mais aussi le chef mécanicien, dit « le chef », alcoolique et catholique pratiquant (Jacques Dufilho) et ses histoires loufoques du pays bigouden, chacun apportant témoignages et souvenirs de cet homme hors du commun ayant combattu en Indochine. Ils évoquent, chacun à leur manière et avec des anecdotes, le parcours militaire de cet officier fidèle à son engagement et à lui-même, à son sens de l'honneur, qui est exclu de l'armée, jugé pour désobéissance et rébellion. (« une histoire de mer et de discipline poussée jusqu'à l'absurde ») Cela sonne comme un hommage, comme un remerciement à quelqu'un qui a refusé la compromission face à un choix.

    Dans ce film il y aussi un questionnement chrétien et même profondément humain qui m'interpelle, même s'il passe quelque peu au second plan. C'est celui qui est évoqué par « La parabole des talents », texte de l'Évangile qui invite chaque homme à s'interroger sur le sens de son passage sur terre et sur l'usage qu'il a fait des facultés qu'il a reçues à sa naissance, sur la fidélité aussi. « Qu'as-tu fait de ton talent ? », « Celui qui ne fait pas fructifier ce qu'il a reçu du Seigneur sera jeté dans les ténèbres extérieurs », rappelle « le chef ». C'est aussi l'occasion pour l'auteur d'asséner des aphorismes : « Qui êtes-vous pour le juger ? » de rappeler que le choix de l'homme «  n'est pas forcément entre le bien et le mal, mais entre un bien et un autre bien ».

    Le nom même de Pierre Shœndœrffer évoque des films devenus mythiques qu'il a réalisés « La 317° section » (1964), « L'honneur d'un capitaine » (1982) qui s'interrogent tous sur les guerres coloniales françaises, sur les militaires eux-mêmes. Plus que « Ramutcho »(1958) et « Pêcheurs d'Islande »(1959) qui sont des adaptations des romans de Pierre Loti et qui ne rencontrèrent guère le succès, Pierre Shœndœrffer s'attacha toujours à évoquer l'aventure humaine, témoin « La passe du diable » (1956) qui est une adaptation du roman de son ami Joseph Kessel mais aussi la dure réalité de la guerre, sur les questions qu'elles posent, les personnalités qu'elles révèlent [ « Diên Biên Phu »(1992)]. C'est que les personnages de ces films s'inspirent tous d'hommes ayant réellement existé, témoignent de leur parcours personnel, de leurs questionnements intimes sur leur mission, sur leur vie. Chacun à sa manière, ils ont nourri l'œuvre de Shœndœrffer.

    C'est pour moi un film émouvant. Il ne s' agit pas ici de polémiquer sur la guerre mais de porter un regard, mais pas un jugement, sur les hommes de tout grade qui l'ont faite, de l'engagement de ces soldats perdus, de leur courage, de leur abnégation, de leur obligation d'obéir aux ordres face à leur conscience, valeurs aujourd'hui contestées, et même regardées comme désuètes dans une société sans boussole. L'auteur porte témoignage de ces conflits décriés, volontairement oubliés et parfois même injustement rejetés par la communauté nationale, de ces soldats oubliés.

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Une autre époque

     

    N°561 – Mars 2012

    UNE AUTRE EPOQUE – Alain-Claude Sulzer – Éditions Jacqueline Chambon.

    Traduit de l'allemand par Johannes Honigmann.

    Les photos sont sans doute les seules choses qu'on conserve des êtres chers qui ont disparu. Le narrateur, un garçon suisse de dix sept ans, trouve un cliché de son père mort quelques semaines après sa naissance. Il est intrigué par cette photographie, s'interroge sur celui ou celle qui l'a prise, sur l'image de cet homme, sur la montre qu'il porte au poignet... Il plane sur cette disparition un épais mystère, comme un non-dit puisqu'il n'était pas malade et n'avait pas été victime d'un accident. Sa mère, remariée depuis, finit, un peu gênée, par lui avouer son suicide. Il prend donc à l'adolescent l'envie d'en savoir davantage sur cet homme, Emil, ce père absent. Entre l'explication et l'oubli, l'adolescent hésite.

    Il y a toute une allégorie du temps à travers la montre que son père portait à son poignet sur la photo et que l'adolescent récupère. Elle indique la durée mais aussi décompte à l'envers la recherche de ce père inconnu et mystérieux. C'est une sorte d'itinéraire balisé avec en arrière plan la figure tutélaire du géniteur, son histoire, ses amis et amants, les raison apparentes de sa disparition, la présence fuyante de la mère ...

    Le narrateur découvre que celui qui a pris la photo est son parrain André, qu'il n'a jamais vu et qui n'a jamais cherché à prendre contact avec lui bien qu'il ait été un ami d'enfance de son père. Cela ressemble à un long parcours initiatique à travers Paris où habite ce parrain qu'il va rejoindre. Il fait connaissance avec son père par le truchement de clichés et de cartes postales qu'Emil a envoyées à André, il y a longtemps. L'adolescent pressent que son père était différent des autres enfants de son âge puisqu'il a été interné dans une clinique suisse quelques temps avant son baccalauréat. Était-il fou ou suicidaire ? Pourtant la correspondance que le narrateur découvre ne laisse rien transparaître de tel, bien au contraire. Dès lors il devient évident que ses parents étaient pour lui des étrangers à qui il ne cessait de s'opposer, surtout à son père qui le considérait comme inguérissable alors que les médecins de la clinique semblaient être d'un avis contraire. Pourtant ce séjour a été suivi de deux ou trois autres semblables et à cause de cela peut-être les relations entre Emil et André qui, après avoir été enflammées et secrètes se sont peu à peu distendues jusqu'à disparaître complètement. Les deux amis se ressemblaient pourtant beaucoup. Puis ce fut la rencontre avec Véronika, la secrétaire du docteur directeur de la clinique, leur mariage, amoureux pour elle qui désire un enfant, mais vécu par lui, devenu un peu malgré lui professeur, comme une sorte de refuge dans la normalité mais surtout pas dans la paternité. Il fait l'amour avec sa femme, mais c'est à d'autres qu'il pense, à des hommes, à André, à Sébastian, une jeune homme avec qui il vit une passade parallèle, enflammée et secrète... Il ne survivra cependant pas longtemps à cette hypocrisie organisée et trouvera dans la mort avec Sébastian, la seule issue possible.

    Grâce à de nombreux analepses, l'auteur tisse les histoires entrecroisées d'Emil et de son fils, déroule cette quête, présente le personnage de la mère presque en contre-jour. Amoureuse d' Emil et dans l'attente inquiète de leur enfant, elle n'a rien vu de la passion de son mari pour ce jeune garçon ni de l'éventuel chantage exercé par la mère de ce dernier. Bien des années après, elle souhaite oublier cette épisode de sa vie.

    L'écriture de Sulzer est agréable, juste dans le ton de ce roman feutré, sans emphase, tout en finesse . L'auteur nous décrit effectivement « une autre époque », bien différente de celle que nous pouvons connaître aujourd'hui où l'homosexualité d'un enfant pouvait signifier son exclusion définitive de la cellule familiale. Encore que... Les tabous ont la vie dure !

    Après « Un garçon parfais »[Médicis étranger 2008] et « Leçons particulières », ce roman clôt une trilogie. Cela a été un bon moment le lecture, une occasion de réflexion aussi sur la détresse humaine, sur la relation entre les gens, l'acceptation de la différence, le souvenir qu'on laisse après sa mort.

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Inverno

     

    N°560 – Mars 2012

     

    INVERNO – Hélène Frappat – Actes Sud.

     

    Inverno : un hiver en italien. C'est vrai que le texte est écrit sur un mode mineur qui évoque cette saison morne et glacée. L'Italie qui dans l'inconscient collectif est un pays lié à l'amour est pourtant ici synonyme de rupture puisque L.(nous ne saurons pas même son prénom, cette lettre signifiant peut-être le pronom « elle » pour plus d'anonymat) en revient avec son fils, en train, après que son ami, Elio, le père de son enfant, lui eut signifié leur séparation définitive. Ce voyage aller-retour dans la ville éternelle symbolise aussi les incursions dans le temps, dans le pays de son enfance, dans sa vie...

     

    L. a partagé son enfance avec Emmanuelle qu'elle va rejoindre en Bretagne après un éloignement de vingt ans. C'est un peu comme si la mémoire de l'une suppléait celle de l'autre. C'est l'occasion de revisiter l'histoire de cette famille de grands bourgeois où la mère, Bérangère, élevée à la Maison d'éducation de la Légion d'honneur, choisit un jour de s'échapper et de céder au premier venu, Jean, de vingt ans son aîné, qui l'engrosse et l'épouse. Emmanuelle naitra de cette étreinte furtive. Dès lors, Bérangère ne vit que pour son mari mais la différence d'âge rend bientôt celui-ci soupçonneux et même maladivement jaloux. Il n'a d'ailleurs pas tort puisque Bérangère multiple les passades aussi éphémères que nombreuses, collectionne les amants avec une prédilection pour les voyages en train [« Dans ces parenthèses suspendues entre deux gares, dans cet espace-temps parallèle qui semblait se dérouler nulle part, ces aventures n'avaient pour Bérangère d'autres réalité que l'intensité passagère du fantasme »]. Un divorce viendra conclure cette vie matrimoniale cahoteuse et Bérangère entrera dans la vie par le biais d'un travail libérateur.

     

    Emmanuelle devenue sage-femme passe son temps libre à aller visiter son père en prison pour le meurtre de sa deuxième femme. C'est sur cette scène de crime que s'ouvre ce roman qui n'est pas, comme on pourrait le penser au début, un thriller.

     

    Portraits de femmes en demi-teinte, [les évocations d'hommes sont peu flatteuses], de destins tourmentés, d'existences bancales et de fuites hasardeuses de ces passagères toujours en partance, toujours sur un quai, ou entre deux passades, avec en toile de fond une nostalgie malsaine, pleine de souvenirs, d'illusions perdues et de fantômes.

     

    J'ai pourtant goûté l'écriture poétique et les décors de train [plus que les avions ou les voitures, les trains distillent cette atmosphère à la fois irréelle et temporelle de la vie]. Je me suis en revanche un peu perdu dans ces évocations ou le présent alterne avec le passé, dans ces zigzags entre la Bretagne et l'Italie, dans les évocations de personnages appartenant à des générations et des couches sociales différentes.

    Je n'ai peut-être rien compris mais, le livre refermé, il ne m'en est pas reste grand chose et surtout pas l'envie de lire un autre roman de cet auteur.

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • El BUSCÓN

     

    N°559 – Mars 2012

     

    El BUSCÓN – Francisco de Quevedo – Éditions Sillage.

    Traduction de Rétif de la Bretonne.

     

    Le titre tout d'abord « el Buscón », vient du verbe espagnol buscar qui signifie chercher. On pourrait donc traduire ce nom par « celui qui cherche, le chercheur » mais il serait plus pertinent de lui préférer « le filou », bien plus dans l'esprit du roman picaresque car c'est bien dans ce courant et dans la continuité de « La vie de Lazarillo de Tormes » que s'inscrit cette œuvre de jeunesse écrite probablement vers 1603. (sur ce récit et sur le roman picaresque en général, voir la Feuille Volante n°558).

     

    Le sous-titre espagnol de ce roman est plus explicite puisque qu'il précise qu'il s'agit de « [l'] histoire de la vie du filou appelé Don Pablo, exemple de vagabond rusé ». Il s'agit de l'unique roman de Francisco de Quevedo y Villegas [1580-1645], écrivain baroque du « siècle d'or » espagnol, contemporain de Cervantès, érudit, homme d'action, polémiste et humaniste. L'auteur y raconte l'histoire de ce Don Pablo, fils d'un barbier dont l'honnêteté douteuse le fera mourir sur l'échafaud pour vol et d'une mère tout aussi peu recommandable emprisonnée pour sorcellerie. Très tôt il est mis au service de Don Diego, un fils de famille qui l'emmène avec lui à Alcalà de Hénarès pour y étudier. Pourtant, loin de profiter de cette occasion pour être plus instruit et devenir meilleur, il préfère la situation de voleur et d'escroc, ce qui fait de lui un fugitif particulièrement apte à duper ses contemporains, n'hésitant pas à se déguiser pour cela en mendiant, en comédien ou en homme d' Église, à se dire noble ou dévot, à changer de nom pour exercer sa vrai profession d'aigrefin itinérant. Il est vrai qu'au début de sa vie, il fut lui aussi abusé par ses professeurs et retint d'eux surtout cette leçon.

     

    Au lieu d'étudier, il a choisi une vie d'errant qui lui convient parfaitement et la liste est longue des compagnons avec qui il s'acoquinera volontairement, chacun d'eux ayant sa spécialité pour extorquer de l'argent au pauvre monde, jouant alternativement sur l'hypocrisie, le mensonge, la charlatanerie, la séduction, le vol... Il donne lui-même à son lecteur des conseils avisés pour tricher au jeu. Bien sûr, à vivre ainsi, Don Pablo tâte des prisons du royaume mais trouve toujours le moyen d'en sortir par ruse.

     

    Il s'agit donc d'un récit humoristique plaisant à lire parce que admirablement traduit par Rétif de la Bretonne. Bien qu'il s'inscrive dans le courant picaresque, l'auteur cherche moins à condamner des actes répréhensibles qui mériteraient une punition qu'à distraire et amuser ses lecteurs. D'ailleurs nombres d'actes condamnables, perpétrés par Don Pablo, restent impunis et on cherchera vainement une fin moralisatrice à ce récit. Pourtant, il n'échappera pas au lecteur attentif que Don Pablo tente quand même de s'évader de sa condition, notamment par un riche mariage, et, peut-être, de s'améliorer, mais il échoue dans toutes ces entreprises qui peuvent passer pour des tentatives avortées d'ascension sociale parce que la malchance le poursuit. Pourtant, si on en juge par la lettre qu'il laisse à son oncle, bourreau à Ségovie, il veut à la fois oublier sa famille et poursuivre son errance parasite et fructueuse. En tout état de cause un roturier ne pourra jamais devenir noble ce qui est bien dans l'esprit du roman picaresque. A la fin, il tente de partir pour l'Inde et ainsi de refaire sa vie mais l'auteur nous laisse à penser qu'il échoue également dans cette entreprise. Tout au plus conclue-t-il lui-même « qu'il ne suffit pas à l'homme de se transplanter pour que son état se bonifie; il faut encore qu'il change de vie et de mœurs, quand elles son dépravées et changer est une chose presque impossible à l'homme familiarisé avec le crime, et qui s'y endurci » sans qu'on sache très bien s'il s'agit là d'amères regrets, d'une leçon temporaire dont évidemment il ne tirera aucun profit ou une ultime pirouette...

     

    Dans ce récit, Quevedo ne manque pas de faire des réflexions aigres sur le monde qui l'entoure, de se moquer de la société de son temps, les intellectuels comme les ecclésiastiques, les charlatans comme les gens du peuple et des nobles ruinés. C'est donc aussi une critique sociologique qui nous est offerte sous couvert d'une présentation résolument comique.

     

    Le style de ce roman est baroque, notamment dans les descriptions qui sont faites où tout est poussé à l'extrême et caricaturé [notamment quand il nous livre avec force détails la description des artifices employés pour masquer la pauvreté de la vêture faite de pièces de vêtements mille fois ravaudés]. Les pérégrinations de Don Pablo sont, l'occasion pour le lecteur de connaître une société interlope où la pauvreté n'a d'égal que la débrouillardise pour la camoufler. D'autre part, l'auteur n'hésite pas à utiliser les jeux de mots et des expressions savoureuses [Don Pablo indique, non sans humour que son père sortit de prison « avec tant d'honneurs qu'il était accompagné de de deux cents cardinaux que l'on ne traitait cependant pas d'éminence »,désignant ainsi les traces laissées sur sa peau par les coups de fouet qu'il avait reçus en prison et qui rappelaient par leur couleur la robe des cardinaux].

     

    Cette œuvre rencontrera un grand succès lors de sa publication et sera traduite dans différentes langues mais il semblerait que Quevedo ait nié sa paternité à cause sans doute de l'Inquisition.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • la fortune de Sila

     

    N°557 – Mars 2012

     

    La fortune de Sila – Fabrice Humbert – Éditions Le PASSAGE.

     

    Le roman s'ouvre sur une scène un peu particulière, si on peut le dire ainsi. Dans un grand restaurant parisien, un soir de juin 1995, un client frappe violemment un serveur noir venu d'Afrique, Sila, pour une raison futile, mais, dans l'assistance, personne ne bouge. Il y a là celui qui a frappé, un Américain accompagné de sa femme et de son fils, deux jeunes Français, Simon et Mathieu, colocataires du même appartement mais à la personnalité diamétralement opposée, un Russe richissime et son épouse. Chacun a sa propre histoire et l'épisode qu'ils viennent de vivre les laisse apparemment complètement froids. C'est que, même s'il ne se croisent pas, ces personnages ont au moins un point commun : ils sont corrompus par l'argent. L'Américain, Marc Ruffle, est un fils de famille parfaitement inculte, inintéressant et répugnant qui a la particularité d'avoir été lancé par son père et qui a marché dans le jeu de l'immobilier de type « suprimes ». Le Russe, Lev Kravchenko, qui a l'origine était un brillant universitaire est devenu un oligarque opportuniste qui a profité de l'effondrement de l'ancienne URSS pour s'enrichir dans le domaine du pétrole. Simon, l'un de deux jeunes Français, vient de lâcher les mathématiques pour se lancer dans la finance internationale. Ils fêtent ensemble la récente promotion de Simon dans une grande banque internationale.

     

    D'emblée, on voit bien les camps s'opposer. Il s'agit des riches contre le pauvre prolétaire, émigré de surcroit, qui ne peut même pas répliquer ni se défendre. C'est une sorte de fresque manichéenne presque ordinaire sur fond de société en pleine déliquescence où pourtant, et ce pendant longtemps, on nous a fait croire à la grandeur de l'homme, à son altruisme... Certes, l'auteur nous fait pénétrer dans le monde inhumain de la finance et du profit à tout prix, certes il nous rappelle que ce monde est fait de violences, d'hypocrisies et d'injustices, oppose les riches contre les pauvres et ne laisse plus plus la moindre place à la charité, à la simple humanité. A la violence de nos sociétés dites modernes, répondent l'indifférence et la lâcheté. La scène du début est presque ordinaire et personne ne pense plus à ce pauvre Sila...

     

    Les femmes semblent jouer une autre partition dans ce drame ordinaire, Soshana, l'épouse de Marc fait amende honorable auprès de Sila non seulement parce qu'elle croit qu'il est venu en Floride, quelques mois plus tard, pour se venger mais surtout parce qu'elle a honte du geste de son mari. Elle restera cependant avec lui profitant de son argent. Eléna, l'épouse de Lev parvient à fuir cet environnement dont pourtant elle jouissait jusque là. Zeda, la banquière, même si elle joue à fond la carte de son métier tout entier dédié à l'argent peut être regardée comme moralisatrice en ce sens qu'elle ruine Lev et même le réduit à néant.

    Certes l'empire pétrolier de Lev patiemment échafaudé s'effondre et la crise mondiale s'amplifie, chacun devient de plus en plus mafieux parce que l'argent est roi, corrompt tout et devient la seule référence qui vaille [« A partir de quelle somme d'argent annuel existe-t-on? »] certes chacun a vendu son âme au pouvoir du « toujours plus » au point d'être ruiné en un instant. Eléna qui obtient le divorce d'avec Lev prétend que son mari a perdu son âme du jour où il n'est pas intervenu pour défendre Sila...Et Pourtant le roman n'a pas la naïveté de nous faire croire à une sorte de « happy end » . Le pauvre Sila semble, dans tout cela, jouer le rôle de figurant pourtant châtié injustement.

     

    J'avoue que, dans l'histoire de chacun des protagonistes, déclinée par le menu, je me suis un peu ennuyé et j'ai même un peu perdu le fil du roman, mais, j'ai fini quand même par me laisser happé par l'histoire. Elle m'a quand même un peu déçu. Je ne connaissais pas cet auteur, découvert un peu par hasard.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Quelques mots sur le roman picaresque

     

     

    N°558 – Mars 2012

     

    La vie de Lazarillo de Tormes - Anonyme.

     

    Ce livre raconte les tribulations d'un orphelin d'une dizaine d'années dans l'Espagne du XVI° siècle entre Salamanque et Tolède. Pour lui la vie a mal commencé et il est confié par sa mère, veuve, à un aveugle avaricieux et vagadond qui subsistait en récitant des prières, en mendiant et en exerçant une activité de pseudo-guérisseur. L'enfant lui servit de guide mais surtout de souffre-douleur. Il en acquit une expérience particulière qui l'amena à être aussi malin que ce maître qu'il finira quitter pour se mettre au service d'un prêtre ladre et dépourvu de toute charité qui le congédie.

    Poursuivant sa quête de mieux-être il se mettra au service d'un écuyer impécunieux et malhonnête qui l'abandonnera à son sort, puis il proposera ses services à un moine qui n'avait que peu de goût pour la vie monastique. Après quelques aventures, il entrera au service d'un bulliste, hâbleur et charlatan qui vendait des bulles papales et surtout les indulgences qui allaient avec à un public populaire et crédule. Le garçon ne manqua pas de s'apercevoir que ce commerce était avant tout basé sur la naïveté de la clientèle mais aussi sur des manœuvres où la supercherie et la dévotion religieuse n'étaient pas absentes. Le garçon finit par rencontrer un chapelain qui le traita passablement et qui lui permit de s'insérer dans la société en devenant crieur public. Enfin, il croisa la route d'un archiprêtre qui le maria avec sa servante et fit de lui un citoyen honnête, même si la lecture de l'épilogue peut signifier que Lazarillo souhaita faire perdurer sa situation, même au prix d'une complaisance conjugale.

     

    Il s'agit d'un écrit anonyme, publié en 1554 à Burgos, mais le style du texte, la richesse du vocabulaire, le respect de la syntaxe, l'analyse des situations et la pertinence des remarques donnent à penser que l'auteur ne peut être qu'un lettré et qu'un homme cultivé. Ce livre fut bien entendu censuré par l'Inquisition et parut en 1573 sous une version expurgée. Des noms d'auteurs sont avancés notamment comme celui de Diego Hurtado de Mendoza y Pacheco[1503-1575], poète et diplomate espagnol, Lope de Rueda [1510-1565] dramaturge et poète espagnol, de même que celui de Sebastien de Harozco[1510-1580] et même celui d'un moine dominicain et professeur de mathématiques Juan de Ortega [1480-1568]. On a même pensé que l'auteur pouvait être un chrétien espagnol vivant en Flandres, à cause de la parenté de Lazaro avec Till Ulenspiegel. Bien entendu rien n'est confirmé.

     

    C'est, en tout cas l'occasion pour l'auteur de se livrer, sous couvert d'un récit facétieux, à une évocation critique de la société à une période que l'Histoire a cependant retenu sous le nom de « Siècle d'Or ». Elle présente Lazarillo comme un jeune garçon sans expérience dont le seul et unique but est de manger mais qui finalement parvient à une certaine aisance matérielle. Le texte s'inspire de la tradition orale populaire et s'inscrit dans un contexte satirique mettant en scène le mendiant, le prêtre avare et l'écuyer(variante de l'hidalgo) ridicule et famélique.

     

    A titre personnel, j'ai toujours été extrêmement intéressé par cette période de l'histoire littéraire espagnole.

     

    Quelques mots sur le roman picaresque.

     

    Le roman picaresque est né en Espagne au XVI° siècle. Cela vient du mot espagnol :« picaro » qui signifie misérable, mais aussi futé, malicieux.

    D'aucuns en font remonter l'origine à l'Antiquité et plus particulièrement à Apulée, écrivain d'origine berbère né probablement en 123 après JC et mort vers 170. Son œuvre principale est « L'âne d'or » où le héros, un aristocrate nommé Lucius est transformé par accident en âne et connait différentes aventures parfois burlesques mais aussi malheureuses.

    Le roman picaresque se caractérise par une vision critique de la société et des mœurs de l'époque. Sa construction d'une grande liberté permet à l'auteur de faire se succéder sans grande logique des épisodes différents au sein d'un même récit. En ce sens, il diffère des genres littéraires traditionnels comme la tragédie ou le discours qui répondent à des règles de constructions très précises. La peinture sans complaisance de la société implique en effet une liberté totale d'expression. Il s'oppose également au gongorisme, très en vogue au temps des Habsbourg

    Le picaro est toujours d'un rang social très bas, constamment aux prises avec la faim, la souffrance et la malchance. En ce sens, il est l'exact contraire du chevalier à la condition et à l'idéal plus élevés. Le picaro est le type même de « l'anti-héros » qui vit en marge et ne recule devant rien pour améliorer sa condition, pourtant il échoue toujours dans cette entreprise. Quoiqu'il fasse, il restera toujours un déshérité !

    Pour autant, le picaro qui entre pour survivre au service de différents personnages qui lui sont socialement supérieurs ne manque pas de critiquer son nouveau maître. Il y a donc dans sa démarche une dimension satirique incontestable et même moralisatrice puisque la conduite dévoyée d'un individu se termine souvent soit par un repentir soit par une punition. N'oublions pas non plus que ce genre littéraire s'épanouit à un moment connu pour être « l'âge d'or » de l'Espagne, ce qui en fait un témoignage exceptionnel du point de vue psychologique et sociologique.

    Du point de vue style, le texte est souvent rédigé à la première personne ce qui peut faire passer, à tort cependant, le récit pour une autobiographie. Il évoque le parcours aventureux du héros, souvent obligé de changer de maître au gré des nécessités puisque sa seule préoccupation est de survivre, c'est à dire de manger, dans une société dont il semble exclu ou dans la quelle il a le plus grand mal à s 'insérer.

     

    Ce genre littéraire a été illustré notamment par « La vie de Lazarillo deTormes » (1553), récit anonyme, par « Guzman de Alfarache » (publié en deux parties en 1599 et 1604) de Matéo Aleman, par « Las relaciones de la vida y aventuras del escudero Marcos de Obregon » (1618) de Vicente Espinel, par « El buscón » de Francisco de Quevedo. Alain-René Lesage [1668-1747] peut être considéré comme l'héritier français du roman picaresque avec « Gil Blas de Santillane »

     

     

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • La vie de Lazarillo de Tormes

     

    N°558 – Mars 2012

     

    La vie de Lazarillo de Tormes - Anonyme.

     

    Ce livre raconte les tribulations d'un orphelin d'une dizaine d'années dans l'Espagne du XVI° siècle entre Salamanque et Tolède. Pour lui la vie a mal commencé et il est confié par sa mère, veuve, à un aveugle avaricieux et vagabond qui subsistait en récitant des prières, en mendiant et en exerçant une activité de pseudo-guérisseur. L'enfant lui servit de guide mais surtout de souffre-douleur. Il en acquit une expérience particulière qui l'amena à être aussi malin que ce maître qu'il finira quitter pour se mettre au service d'un prêtre ladre et dépourvu de toute charité qui le congédie.

    Poursuivant sa quête de mieux-être il se mettra au service d'un écuyer impécunieux et malhonnête qui l'abandonnera à son sort, puis il proposera ses services à un moine qui n'avait que peu de goût pour la vie monastique. Après quelques aventures, il entrera au service d'un bulliste, hâbleur et charlatan qui vendait des bulles papales et surtout les indulgences qui allaient avec à un public populaire et crédule. Le garçon ne manqua pas de s'apercevoir que ce commerce était avant tout basé sur la naïveté de la clientèle mais aussi sur des manœuvres où la supercherie et la dévotion religieuse n'étaient pas absentes. Le garçon finit par rencontrer un chapelain qui le traita passablement et qui lui permit de s'insérer dans la société en devenant crieur public. Enfin, il croisa la route d'un archiprêtre qui le maria avec sa servante et fit de lui un citoyen honnête, même si la lecture de l'épilogue peut signifier que Lazarillo souhaita faire perdurer sa situation, même au prix d'une complaisance conjugale.

     

    Il s'agit d'un écrit anonyme, publié en 1554 à Burgos, mais le style du texte, la richesse du vocabulaire, le respect de la syntaxe, l'analyse des situations et la pertinence des remarques donnent à penser que l'auteur ne peut être qu'un lettré et qu'un homme cultivé. Ce livre fut bien entendu censuré par l'Inquisition et parut en 1573 sous une version expurgée. Des noms d'auteurs sont avancés notamment comme celui de Diego Hurtado de Mendoza y Pacheco[1503-1575], poète et diplomate espagnol, Lope de Rueda [1510-1565] dramaturge et poète espagnol, de même que celui de Sebastien de Harozco[1510-1580] et même celui d'un moine dominicain et professeur de mathématiques Juan de Ortega [1480-1568]. On a même pensé que l'auteur pouvait être un chrétien espagnol vivant en Flandres, à cause de la parenté de Lazaro avec Till Ulenspiegel. Bien entendu rien n'est confirmé.

     

    C'est, en tout cas l'occasion pour l'auteur de se livrer, sous couvert d'un récit facétieux, à une évocation critique de la société à une période que l'Histoire a cependant retenu sous le nom de « Siècle d'Or ». Elle présente Lazarillo comme un jeune garçon sans expérience dont le seul et unique but est de manger mais qui finalement parvient à une certaine aisance matérielle. Le texte s'inspire de la tradition orale populaire et s'inscrit dans un contexte satirique mettant en scène le mendiant, le prêtre avare et l'écuyer(variante de l'hidalgo) ridicule et famélique.

     

    A titre personnel, j'ai toujours été extrêmement intéressé par cette période de l'histoire littéraire espagnole.

     

    Quelques mots sur le roman picaresque.

     

    Le roman picaresque est né en Espagne au XVI° siècle. Cela vient du mot espagnol :« picaro » qui signifie misérable, mais aussi futé, malicieux.

    D'aucuns en font remonter l'origine à l'Antiquité et plus particulièrement à Apulée, écrivain d'origine berbère né probablement en 123 après JC et mort vers 170. Son œuvre principale est « L'âne d'or » où le héros, un aristocrate nommé Lucius est transformé par accident en âne et connait différentes aventures parfois burlesques mais aussi malheureuses.

    Le roman picaresque se caractérise par une vision critique de la société et des mœurs de l'époque. Sa construction d'une grande liberté permet à l'auteur de faire se succéder sans grande logique des épisodes différents au sein d'un même récit. En ce sens, il diffère des genres littéraires traditionnels comme la tragédie ou le discours qui répondent à des règles de constructions très précises. La peinture sans complaisance de la société implique en effet une liberté totale d'expression. Il s'oppose également au gongorisme, très en vogue au temps des Habsbourg

    Le picaro est toujours d'un rang social très bas, constamment aux prises avec la faim, la souffrance et la malchance. En ce sens, il est l'exact contraire du chevalier à la condition et à l'idéal plus élevés. Le picaro est le type même de « l'anti-héros » qui vit en marge et ne recule devant rien pour améliorer sa condition, pourtant il échoue toujours dans cette entreprise. Quoiqu'il fasse, il restera toujours un déshérité !

    Pour autant, le picaro qui entre pour survivre au service de différents personnages qui lui sont socialement supérieurs ne manque pas de critiquer son nouveau maître. Il y a donc dans sa démarche une dimension satirique incontestable et même moralisatrice puisque la conduite dévoyée d'un individu se termine souvent soit par un repentir soit par une punition. N'oublions pas non plus que ce genre littéraire s'épanouit à un moment connu pour être « l'âge d'or » de l'Espagne, ce qui en fait un témoignage exceptionnel du point de vue psychologique et sociologique.

    Du point de vue style, le texte est souvent rédigé à la première personne ce qui peut faire passer, à tort cependant, le récit pour une autobiographie. Il évoque le parcours aventureux du héros, souvent obligé de changer de maître au gré des nécessités puisque sa seule préoccupation est de survivre, c'est à dire de manger, dans une société dont il semble exclu ou dans la quelle il a le plus grand mal à s 'insérer.

     

    Ce genre littéraire a été illustré notamment par « La vie de Lazarillo deTormes » (1553), récit anonyme, par « Guzman de Alfarache » (publié en deux parties en 1599 et 1604) de Matéo Aleman, par « Las relaciones de la vida y aventuras del escudero Marcos de Obregon » (1618) de Vicente Espinel, par « El buscón » de Francisco de Quevedo. Alain-René Lesage [1668-1747] peut être considéré comme l'héritier français du roman picaresque avec « Gil Blas de Santillane »

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • LES FRERES ROMANCE

     

    Juin 1991

    n° 65

     

    LES FRERES ROMANCE – Jean COLOMBIER - Éditions Calman-Lévy.

     

    Tout commence par un défi ridicule, une course de poids lourds sur une nationale pour prouver, ou se prouver, qu'on est le plus fort... Les choses s'enchaînent, s'aggravent, comme une sorte de vendetta au terme de laquelle il faut monter qu'on est un homme simplement parce qu'on ne laisse pas un affront impuni. Ce qui n'était qu'un jeu devient un drame, la justice s'en mêle, avec, au bout du compte, le tribunal et la prison à cause d'un mauvais coup.

     

    Je dois dire que je n'ai pas, dès l'abord, accroché à ce texte qui pourtant ne ménageait pas les descriptions poétiques et évocatrices d'un terroir agréable. Pourtant, les personnages se sont imposés peu à peu... Les deux frères Romance, qu'on disait inséparables, et qui n'avaient l'un pour l'autre aucun secret, malgré leur différence d'âge, sont une manière de jumeaux dont la complicité est exacerbée par la disparition précoce de leurs parents. L'aîné, Alain, après avoir espéré autre chose, se retrouve marié et transporteur chez son beau-père. Sa femme qui ne fait partie de sa vie que d'une manière épisodique, attend une maternité qui ne vient pas. Julien, élevé par Clairon, leur grand-père, c'est celui qui a réussi et dont l'avenir est plein de promesses, une brillante carrière d'ingénieur... C'est pourtant lui que la justice condamne pour avoir voulu venger son frère aîné, cet Alain, dont la lâcheté éclate un soir sur un parking, entre routiers.

     

    L'incarcération de Julien sera, pendant dix huit mois, avec la complicité de tout un village du Limousin, cachée à Clairon, qui n'aurait pas supportée cette épreuve. Un hypothétique stage aux États-Unis servira d'alibi... Et pourtant, la complicité qu'on suppose entre les deux frères, se dégrade, se lézarde, avec l'apparition de Louise, l'amie inconnue de Julien qui, bien entendu, finit par devenir la maîtresse d'Alain, autre lâcheté, d'autant plus grande de cette liaison se déroule pendant l'incarcération du frère. Elle creuse encore plus profondément le fossé qui sépare les deux hommes.

     

    Ce roman m'apparaît être celui de la trahison où chacun rencontre son propre personnage, celui qui sommeille en lui et contre qui il n'a pas envie de se battre. Alain révèle la solitude du routier, une solitude qu'il redoute, mais dans laquelle il se complaît, parce qu'il avait vu sa vie autrement et que celle-ci l'entraîne dans une décision presque maladive autant que dans un tourbillon dans lequel il se sent mal. Il finit par s'y couler comme dans une peau trop étroite. Au tribunal, le témoignage d'Alain aurait pu sauver son frère, mais il garde le silence sur l'humiliation qu'il a subie et que Julien a voulu venger. Le silence puisé soit dans l'ignorance de la vérité, soit dans la volonté de ne pas révéler les faits tels qu'ils se sont passés restera pesant jusqu'à la fin.

     

    La vie d'Alain est peuplée de fantasmes qu'il cherche à apprivoiser par la fréquentation de la mort, comme si les absoutes qu'il recherche pouvaient remplacer celle de ses parents trop tôt disparus. Cette idée de la mort est trop présente pour ne pas éclater à la fin, dans le fracas d'un accident et la dislocation du corps de Louise... Un suicide libérateur. La vie continuera, mais ce drame ne pourra être happé par l'oubli.

     

    J'ai lu dans ce livre une étude de caractères fort bien menée, surtout celui d'Alain qui aurait pu jouer le rôle du père pour son frère mais que les évènements révèlent comme quelqu'un qui fuit les responsabilités, celui qui trahit et qui se retrouve seul... à cause de lui. Il ne suffit pas de dominer la route du haut d'un " quarante tonnes " pour être maître de sa vie. On ne peut être longtemps son propre illusionniste.

     

    Je l'ai dit, je n'ai pas, d'emblée, été conquis par ce texte. J'ai continué cependant, peut-être conduit dans ma lecture par le fil ténu de l'intérêt. Je n'ai pas été déçu.

     

    C. Hervé GAUTIER.- Juin 1991.

     

  • La méthode Werber

     

     

    N°353– Juillet 2009.

    La méthode Werber – Article de Jacques Drillon – Le Nouvel Observateur n°2331 du 9 au 15/7/2009 p 89.

     

    Dans la série « Nous vivons une époque formidable », mon attention a été attirée par l'article de Jacques Drillon. Bernard werber qui n'est pas un inconnu pour cette revue [La Feuille Volante n° 317 – Octobre 2008] avait convié 400 de ses lecteurs à L'institut Océanographique de Paris pour un « atelier d'écriture ».

     

    Personnellement, j'ai toujours pensé [en le vérifiant] qu'une telle activité [l'atelier d'écriture] ressemblait beaucoup à une arnaque et qu'il fallait se garder de tomber dans le panneau. Cela avait pour effet, sinon pour but, d'apprendre aux « stagiaires » ce qu'ils savaient déjà faire, tout en les ponctionnant largement au passage... avec leur consentement et leur satisfaction et surtout en leur donnant l'impression qu'ils sont meilleurs « écrivants », sinon écrivains, qu'avant leur passage dans cet atelier!

     

    C'est peut-être un signe des temps, la preuve que la crise n'est pas pour tout le monde, mais, n'ayant pas été invité et surtout ayant des moyens limités [25 euros quand même pour participer à la séance!], je n'y ai pas assisté et je me suis donc contenté des propos du journaliste.

     

    Si j'en juge d'après le texte du Nouvel Observateur, cette intervention du maître s'est transformée en une opération de promotion personnelle pour un écrivain à succès qui n'en n'a pas vraiment besoin, l'occasion de pratiquer l'autosatisfaction, sorte d'explication de texte de l'auteur lui-même sur ses propres ouvrages, un sondage « in situ » sur l'œuvre... Après tout c'est de bonne guerre, même si les questions posées par werber, si elles l'on effectivement été telles qu'elles sont relatées, ne font pas vraiment preuve d'un sens accompli de l'expression française!

     

    Vient en suite l'objet de la rencontre. Au moins l'auteur met en garde son auditoire et indique que si l'écriture est un plaisir, ce n'est pas une chose facile parce que le travail fait aussi partie du processus[Pourtant, je me m'explique pas sa remarque précisant « l'écriture est un métier de feignant »!], que, même si on est convaincu de son propre talent, le succès ne sera pas forcément au rendez-vous. Il rappelle avec raison que si l'écriture peut être jubilatoire, le livre est souvent un univers douloureux, même si la folie, et même l'audace, font un peu partie du décor et que l'observation du quotidien est finalement une bonne école, que l'inspiration réserve parfois de bonnes surprises à l'auteur lui-même parce que l'imagination reste la plus forte face à la feuille blanche.

    Ce sont là beaucoup de banalités, distillées pour un prix manifestement exorbitant, alors que la meilleure façon d'écrire, c'est certes de s'entrainer à le faire, mais surtout de lire les bons auteurs!

    En revanche, je ne m'explique pas que l'auteur des « Fourmis » puisse affirmer que « tout roman peut se résumer à une blague » et je ne suis pas bien sûr que les participants aient été capables, avec de tels conseils, d'écrire ensuite leur propre best-seller!

     

    Je suis pour autant d'accord avec Jacques Drillon, une telle intervention à quelque chose d'édifiant!

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

  • Gilles

     

     

    N°556 – Mars 2012

     

    GILLES – Pierre Drieu La Rochelle* (1939) – Gallimard.

     

    Gilles Gambier, le personnage principal de ce roman, a combattu pendant la Première Guerre mondiale et a été blessé. Désargenté, il tombe amoureux de Myriam Falkenberg, femme riche qu'il séduit, épouse mais qu'il quitte dès que la mort de son père fait d'elle une héritière plus riche encore. Le héros rejoint l'armée, vit une passade avec une infirmière qu'il quitte également, devient, à la fin des hostilités, une sorte de dandy profiteur, entraîné un peu malgré lui dans un complot politique. Il se retrouve en Algérie après une brève aventure avec Dora, une américaine qu'il aimait sincèrement mais qui le quitte, s'amourache de Pauline, une jeune fille simple. Plus ou moins écœuré par la vie, il rentre à Paris, fonde un journal fasciste et part s'engager en Espagne au côté des franquistes.

     

    Voilà résumé en peu de mots ce roman dont l'auteur, auparavant tenu pour une sorte de dandy, voulait se faire reconnaître comme un authentique écrivain. C'est que ce Gilles Gambier ressemble beaucoup à Drieu, élégant, cynique, séducteur, tenté par l'écriture aussi . Il ne s'arrête cependant pas à l'autocritique puisque ce roman, dont le titre original devait être « Pamphlet contre moi et mes amis », égratigne également Aragon, André Breton et le groupe des Surréalistes auquel il a été un moment lié mais avec lequel il se brouillera. Ce récit se veut le dénonciateur de la décadence de la France de l'entre-deux guerres, de la politique du moment, mais pas seulement.

     

    Alors, chantre du fascisme ? Peut-être et même surement mais ce qui a fait de lui un écrivain rejeté par ses contemporains à cause de ses choix politiques tient sans doute au fait qu'il a été le reflet de son époque. C'est souvent le destin des écrivains talentueux sur le plan littéraire, que d'être le miroir de leur temps et à ce titre d'en incarner les lâchetés et les compromissions. L'image peu flatteuse qu'ils en donnent font d'eux des boucs émissaires tout désignés.

     

    Drieu était par ailleurs un personnage complexe, hanté par sa propre mort (il se suicidera probablement pour éviter d'être fusillé mais n'en était cependant pas à sa première tentative. Le père de Myriam Falkenberg se suicide au début du roman et Paul Morel, un autre personnage de ce roman, fait de même) parce que sa désespérance était trop forte. C'est une sorte d'antidote au mal de vivre de celui qui ne trouve pas sa place dans la société. Dans ce roman, l'ambiance même du récit trahit une sorte de mal-être d'un homme égaré, perdu [« Vivre c'est d'abord se compromettre » dit-il.] Il était certes un idéaliste, dénonçant le déclin de la bourgeoisie et de la société, mais il était assurément un homme que la Première Guerre mondiale avait définitivement déstabilisé et que les événements qu'il traversait avaient du mal à satisfaire. Il variera beaucoup dans le choix de ses modèles. Séducteur, il est bien sûr attiré par les femmes à qui il plait mais elles ne semblent pas à la hauteur des aspirations amoureuses de ce dandy libertin qui sait qu'elles ne l'aiment pas pour lui-même. Il représente pour elles la jouissance mais lui regarde parfois la femme comme l'objet de la conquête mais aussi un remède contre la solitude [« Vous, vous souhaitez la femme des autres, mais si elle était à vous ... » fait-il dire à un de se personnages s'adressant à Gilles]. Elles sont aussi liées à l'argent qui est un symbole de pouvoir, d'indépendance, comme Myriam dans ce roman. Les femmes et l'argent sont un thème central de son œuvre comme dans sa vie.

     

    Avant la deuxième guerre il est ouvertement en faveur des juifs. Sa première femme, Colette Jéramec, est juive mais, après un voyage en Allemagne, dans les années 30, il revient convaincu par le régime nazi, à ses yeux, remède contre la décadence de la société moderne. C'est à cette époque qu'il écrit « Gilles » qui est probablement le roman le plus représentatif de son œuvre. Sous l'occupation, il soutient la collaboration avec l'Allemagne et prône la haine des juifs ce qui fit de lui un écrivain maudit. Pourtant il parvint, après son divorce, à libérer sa première femme du camp de Drancy où elle était incarcérée avec son frère et son enfant d'un précédent mariage. Cela ne l'empêche pas, revenu apparemment de ses illusions, de faire l'éloge en privé du stalinisme, de se lier à André Malraux mais de refuser l'aide de ce dernier à la Libération, préférant la mort.

     

    Drieu était un être tourmenté, tiraillé par ses propres contradictions et ses aspirations idéalistes et politiques. Je n'adhère guère à l'idéologie politique de Drieu et je distingue l'homme de plume et ses choix idéologiques, mais son style me semble être tout à fait intéressant. Je choisis de voir en lui un serviteur de notre belle langue française et de déplorer qu'il fut si longtemps oublié. Il est peut-être bizarrement actuel pour nous qui sommes également perdus dans une société qui a abandonné ses repères traditionnels, dans une démocratie empêtrée dans ses contradictions qui prend davantage en compte l'aspect financier que la réalité humaine et tient en permanence un double langage. Au moment où il nous est fait l'éloge de la réussite, il est l'image de l'homme avec ses fêlures, ses interrogations, son attirance vers la mort, sa fascination du suicide face à l'échec ...

     

    Si mes informations sont exactes, il semble que La Pléiade répare cet oubli par la publication, en avril 2012, de l'ensemble de son œuvre. Ainsi Drieu reprendra-t-il sa place dans la littérature française, celle d'un grand écrivain malencontreusement et injustement délaissé.

     

    *Pierre Drieu La Rochelle [1893-1945]

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Les soeurs fâchées- Un film d'Alexandra Leclère

     

    N°554 – Février 2012

     

    LES SOEURS FÂCHEES- Un film d'Alexandra Leclère (2004) Rediffusion le jeudi 13 février 2012, 20h35.– FR3.

     

    C'est, au départ, une histoire bien banale, celle de deux sœurs que tout oppose. Leur mère, vieille et alcoolique, qui attend la mort dans une maison de retraite de province les a très tôt bannies de sa vie en leur prédisant un avenir désastreux . (J'ai toujours été étonné de la manière dont des personnes, par ailleurs très contestables dans leur vie, se croient autorisées à lire dans le marc de café pour les autres et à manier ainsi l'anathème définitif pour les personnes qu'elles rejettent unilatéralement ). D'elle on n'entend parler qu'en filigrane et c'est sans doute ce qu'elle mérite. Elle a donc eu deux filles bien différentes, Martine ( Isabelle Huppert), désœuvrée, snob, aigrie, méchante vit à Paris une existence de mère de famille indifférente à son jeune fils.(Je suis toujours étonné de constater les surprises que nous réserve la génétique qui, au sein d'une même fratrie met en scène des personnalités bien différentes, pourtant issues du même sang ). Elle a apparemment fait un beau mariage et montre toutes marques d'une réussite sociale. Elle s'ennuie cependant dans un costume bien trop grand pour elle au point qu'elle envisage de travailler, elle qui, malgré la quarantaine, n'a jamais rien fait dans sa vie. Elle fréquente un monde superficiel fait de vernissages et de rendez-vous mondains. De son mari, Pierre (François Berléand), on ne sait rien sinon qu'il existe, qu'il est riche, qu'il la supporte et qu'il ramène la vie à des occasions de fornications animales. Non seulement il considère son épouse comme devant se livrer au traditionnel « devoir conjugal » mais il étend volontiers ses talents au bénéfice de la voisine du dessus, aussi avide de sexe que lui, et pourquoi pas à sa belle-sœur !

     

    L'autre, Louise (Catherine Frot), mariée et mère de famille, est esthéticienne au Mans, ce qui n'augure pas d'une vie bien trépidante. Le spectateur comprend très vite qu'elle n'a rien de bien original sinon qu'elle est gaie, spontanée, à en devenir exaspérante et même maladroite. Pourtant, et à l'inverse de cette sœur oubliée depuis bien des années, elle rencontre l'amour en croisant le regard d'un homme, sur un trottoir, un véritable « coup de foudre » qu'elle veut à tout prix ne pas laisser passer. Pour cela, elle hésite puis finalement se lance pour le conquérir et ainsi bouleverse son présent pour ce moment de folie. Elle vit avec lui depuis deux ans ! Cet instant a dû être exceptionnel et chargé d'émotions puisque, elle qui n'était guère douée en français et n'avait jamais tenu un stylo de sa vie, à part peut-être pour sa liste de courses ou la rédaction de ses chèques, confie spontanément cette expérience à la page blanche. Il en résulte un roman qu'elle a envoyé à un grand éditeur parisien ! Une folie de plus mais qui a passionné les membres du comité de lecture et provoqué une convocation prometteuse... et une future édition. C'est la raison de sa présence à Paris de Louise qui en profite, pendant trois jours, pour renouer avec Martine, alors qu'elle aurait pu faire l'aller et retour dans la journée. C'est aussi l'occasion pour cette provinciale de visiter la capitale, de faire connaissance avec son jeune neveu, de craindre un peu pour la future édition de son livre pourtant promis à un succès de librairie... et de bouleverser la vie de cette sœur un peu trop guindée !

    C'est pourtant un peu grâce à elle, à son rejet de ce microcosme où elle n'est pas acceptée que Martine prend conscience des relations coupables que son mari entretient avec sa voisine du dessous, celle-là même qu'elle prenait pour sa meilleure amie. C'est aussi un peu par hasard qu'elle rencontre un ancien amant désormais marié et père de famille. C'est aussi pour se venger de cette adversité qu'elle gifle Louise. Quant à Pierre, il disparaît... On imagine un divorce à venir, une nouvelle vie, et ce d'autant plus que la dernière scène du film se déroule à la gare Montparnasse, sur un quai où tout espoir est désormais possible. Louise revient au Mans emportant avec elle la magie des rues de Paris mais aussi les déconvenues familiales. Elle n'est pas au courant du bouleversement qui est intervenu dans la vie de sa sœur mais c'est pourtant mi- surprise mi-complice qu'elle la voit se présenter à elle avec son fils pour ce qui n'est peut-être pas un adieu définitif.

     

    Il s'agit là d'un film qui était le premier long métrage d'Alexandra Leclère et le hasard, encore lui, à transformé pour moi une soirée qui menaçait d'être morne en un bon moment. En effet, J'ai été séduit par le jeux des acteurs, ces deux personnalités que tout oppose et qui sont si bien incarnées par deux actrices d'exception, Isabelle Huppert et Catherine Frot. L'étude psychologique aussi est bien menée, Louise rappelant à sa sœur ses origines sociales, lui donnant un peu malgré elle ce que cette dernière n'a plus, l'amour de la vie, l'intérêt pour les autres, la folie peut-être ? Le portrait de la bourgeoise parisienne ainsi brossé est pertinent et les personnages campés correspondent bien à ce qu'ils sont dans l'inconscient collectif.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • cité de verre

     

    N°506 – Février 2011.

    CITE DE VERRE – Paul AUSTER – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    C'est le 1° roman de la trilogie new-yorkaise de Paul Auster (la Feuille Volante n° 497 et 500). Bizarrement, j'ai l'impression qu'il faudrait en commencer la lecture par la fin. En effet, c'est un étrange récit raconté par un narrateur qui écrit : « Je suis rentré en février de mon voyage en Afrique... J'ai téléphoné à mon ami Paul Auster...(il) m'a expliqué le peu de choses qu'il savait de Quinn puis il a continué à me décrire l'étrange affaire dans laquelle il il avait été fortuitement impliqué ».

     

    Un lecteur attend d'un roman qu'il lui raconte une histoire, mais comme souvent chez Auster, cela ne se passe pas exactement comme cela. Ici l'histoire existe, certes, mais elle est non seulement compliquée, fait intervenir des personnages inattendus, parfois furtifs, parfois quasi-réels que l'auteur abandonne, explore des thèmes de réflexion intéressants, brouille parfois le jeu... Ici le narrateur prend la parole en premier, évoque Daniel Quinn, écrivain new-yorkais de romans policiers. Il a 35 ans, a perdu son épouse et son fils et vit seul, modestement et sans grandes ambitions. Il signe ses romans policiers du nom de William Wilson [C'est le nom d'une nouvelle d'Edgar Poe écrite sur le thème du double]. Ce n'est pas là une simple fantaisie d'auteur puisque puisqu'il nous est dit que « Même s'il n'était qu'une invention, s'il était né de Quinn, il menait désormais une vie indépendante ». Quinn met également en scène dans ses romans un personnage fictif du nom de Max Work, détective privé, mais qui, avec le temps prend de la consistance au point que Quinn voit le monde à travers lui [il est intéressant de s'attarder sur le jeu de mots qui nous est offert entre « I » et « eye »]. Il peut donc s'agir d'un prétexte qui joue sur le dédoublement d'un même personnage.

     

    En pleine nuit, Quinn reçoit un coup de téléphone et l'interlocuteur demande à parler au détective privé du nom de... Paul Auster ! Il ne peut donc s'agir que d'une erreur. Pourtant la voix se fait convaincante, parle de danger de mort et Quinn accepte de rencontrer une femme énigmatique, Virginia Stillman, mariée à Peter, jeune homme mystérieux qui prétend que son père qui l'a torturé pendant toute son enfance veut l'assassiner. Peter se révèle étrange, tient des propos désordonnés sur la vie, sur son épouse, sur Dieu et émet des doutes sur son propre nom. Quinn accepte un chèque à l'ordre d'Auster pour protéger Peter, découvre le père Stillman (qui s'avère, dans un premier temps être deux personnages), mène son enquête en notant ses remarques sur un cahier rouge. Il suit donc Stillman à travers New-York, reconstitue ses itinéraires aléatoires, en donne des interprétations qui se révèlent être erronées, étudie ses habitudes... Cet homme souhaite inventer un nouveau langage [« Un langage qui dira enfin ce que nous avons à dire. Car les mots que nous employons ne correspondent plus au monde »].

    Quinn fait des rapports téléphoniques réguliers à Virginia Stillman et, à l'instar de son héros Max Work, se met à désirer ardemment cette femme. Quinn finit, sous son vrai nom par rencontrer le père Stillman. Chacune de leurs rencontres est quelque peu surréaliste, soit il est question de la quête d'objets hétéroclites, soit Quinn se fait passer pour le fils de Stillman que celui-ci ne reconnaît pas, soit Quin qui se présente comme étant Henry Dark. Il se trouve que ce nom, choisi par hasard par Quinn correspond au personnage d'un roman que Stillman a écrit autrefois. [ Et les initiales H.D. lui évoquent Humpty Dumpty, personnage en forme d'œuf du roman de Lewis Caroll « De l'autre côté du miroir » !]

    Puis Stillman disparaît (nous saurons plus tard qu'il s'est suicidé en se jetant du pont de Brooklyn), Quin rencontre le vrai Paul Auster qui lui avoue être écrivain et non détective,et lui donne le chèque libellé à son nom. Ensemble ils parlent littérature et évoquent Don Quichotte et Cervantes, dissertant à la fois de la folie du chevalier, du bon sens de Sancho Penza et surtout de la façon dont a été écrit le fameux roman puisque Cervantes prétend en avoir trouvé le manuscrit dû à l'auteur arabe Cid Hamet Ben Engeli au marché de Tolède. C'est une manière comme une autre de parler de ce roman dans le roman, de cette mise en abyme tant prisée par Auster, de cet ouvrage où le lecteur se perd et où les noms se mélangent sans qu'on ne sache plus très bien qui est qui.

    Puis Auster abandonne sans crier gare l'intrigue initiale autour de Stillman. En effet Quinn constate que le téléphone ne répond plus, que le chèque qu'il avait reçu au non d'Auster est sans provisions... Il décide donc de changer de vie, devient marginal, reprend la rédaction du fameux « cahier rouge » qu'il avait un peu abandonné, revient à son ancien appartement maintenant habité par une femme, puis investit celui de Peter Stillman dont il n'a aucune nouvelle et qui a définitivement disparu. Dans l'état où il se trouve, il constate que William Wilson et Max Work sont morts et que lui-même disparaît petit à petit du décor que les ténèbres envahissent. Le cahier rouge n'a d'ailleurs plus de pages. C'est un peu comme si cette histoire s'était révélée transitoire «  Cette affaire avait servi de pont vers un autre lieu de sa vie, et maintenant qu'il l'avait franchi, Quinn en avait perdu le sens. Il ne s'intéressait d'ailleurs plus à lui-même. Il parlait des étoiles, de la terre, de ses espérances pour l'humanité. »

    Quant au cahier rouge, la dernière phrase qui y est inscrite est « Que sa passera-t-il quand il n'y aura plus de pages dans le cahier rouge ? » Un familier de l'œuvre d'Auster notera opportunément que dans un autre roman («  La nuit de l'oracle »), l'auteur accorde aussi une grande importance à un cahier bleu !) ]. De plus, le narrateur, qui prétend s'être brouillé avec Auster à cette occasion, termine par ces mots «  Pour ce qui est de Quinn, il m'est impossible de dire où il se trouve actuellement. ». Une manière comme une autre de laisser son lecteur libre d'imaginer une fin qui lui convienne.

     

    Dans ce roman, il faut noter une nouvelle fois l'art de la narration labyrinthique qui est allié à une imagination débordante? Cela étourdit le lecteur et c'est sans doute l'effet recherché. C'est en effet une sorte de vertige qui ne peut pas ne pas le prendre à la lecture d'un tel roman. Je ne suis pas sûr cependant d'avoir bien tout compris, mais j'ai poursuivi ma lecture jusqu'à la fin, et avec plaisir !

    Est-ce une remise en cause du langage et du sens des mots ? Est-ce que Auster s'interroge sur les concepts d'identité ? Veut-il, à l'occasion d'un roman à la fois s'attacher son lecteur et ne pas lui imposer complètement un texte en le laissant libre d'imaginer ce qu'il veut ? Explore-t-il ici une forme de folie qui peut s'emparer des hommes des grandes villes tentaculaires (New-York ?) ou des écrivains qui créent autour d'eux un univers de fiction et des personnages qui peuvent finir par leur échapper ? A chacun de répondre !

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • La nuit de l'oracle

     

    N°504 – Février 2011.

    LA NUIT DE L'ORACLE – Paul Auster – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Christine Le Boeuf.

     

    Le jeune écrivain new-yorkais d'origine polonaise, Sidney Orr revient chez lui après une longue hospitalisation. Il est marié à une femme, Grace, qui l'aime et il est heureux avec elle. Cette période a été cependant difficile pour lui puisqu'il semble avoir perdu tous ses repères « Quand arriva le jour de ma sortie de l'hôpital, c'est à peine si je savais encore marcher, à peine si je me rappelais qui j'étais censé être. ». Il est à nouveau désireux d'écrire et commence à rédiger une histoire dont le personnage principal, Nick Bowen, est à la fois romancier et résident à New-York [comme Auster lui-même]. Sydney Orr commence donc l'histoire de Nick tout en la rapprochant de la sienne propre, esquissant les ressorts complexes qui existent dans la création romanesque. Dans l'histoire du narrateur, Nick qui est aussi éditeur, reçoit le manuscrit d'un roman inédit attribué à Sylvia Maxwell par l'intermédiaire de sa petit-fille, Rosa Leigthman et qui s'intitule « la nuit de l'oracle ». Ce roman met en scène Lemiel Flag, un héros aveugle qui a de pouvoir de deviner l'avenir. Nick manque d'être tué par la chute d'un objet, quitte sa femme sans raison et part au hasard pour Kansas City.

     

    Résumer un roman a toujours quelque chose de frustrant. Dans le cas de Auster, l'intrigue n'est jamais simple et il balade son lecteur dans les arcanes d'un récit plein de rebondissements. Il se trouve que l'auteur introduit également dans son texte un autre personnage, John Trause, écrivain lui-même qui conseille à Orr de s'approprier le personnage [Flitcraft] d'un autre roman [« le faucon maltais »] dont il n'est pas l'auteur et de le mettre en situation dans sa création personnelle. De fait, les deux histoires se rejoignent sous la plume d'Orr. Cette mise en abyme est peut-être un peu difficile à suivre mais elle met en évidence le hasard et le poids qu'il a sur la vie des hommes. Cela a toujours été pour moi un thème de réflexion intéressant et pas seulement du point de vue littéraire. Pour autant, le narrateur révélera à la fin de ce roman les liens qui l'unissent à Trause. Orr reste le maître de ce récit jusqu'à la fin, nous décrivant sa vie parfois mouvementée avec Grace.

     

    On peut aussi s'interroger sur le processus créatif au terme duquel un personnage de roman, nécessairement fictif, prend vie sous la plume d'un créateur, ce qu'il doit à la culture de ce dernier à ses fantasmes. D'où vient ce Ed Victory, chauffeur de taxi que rencontre Nick, mais aussi collectionneur d'annuaires téléphoniques de Varsovie dans les années 30 ? Dans ces bottins Nick retrouvera trace du patronymes de la famille de Orr. Ed est un personnage secondaire mais qui va prendre de l'importance dans la vie de Nick au point qu'il pourrait parfaitement devenir le héros... d'un autre roman !

     

    A l'occasion de cette histoire labyrinthique et pleine de mises en abyme ainsi que Auster les affectionne, l'auteur engage une réflexion sur l'écriture et sur la création artistique en général et les rapports qu'un écrivain peut entretenir avec la réalité. A quel point cette dernière peut-elle influencer l'œuvre qui est du domaine de l'irréel, de la fiction ? [« Perdu dans les affres du chagrin il se persuada que les mots qu'il avait écrits au sujet d'une noyade imaginaire avaient provoqué une noyade réelle, que sa fiction tragique avait donné lieu à une tragédie réelle dans le monde réel. »]. Après tout, ce n'est pas un hasard si on parle aujourd'hui de l'auto-fiction comme un moteur de la création littéraire. Il note jusqu'à l'obsession l'existence de ce petit carnet bleu de fabrication portugaise que vend son ami Chang et qui recueille ses mots. Mieux, il les suscite ! Pourtant il finit par le détruire. Grâce à cela, il invente l'histoire de John Trause qui est lui-même écrivain et de son éditeur, Nick Bowers à qui il prête des pérégrinations pour le moins fantastiques, mélange judicieusement le roman de Sylvia Maxwell et que sa petite-fille Rosa Leigthmann souhaite voir publier par Bowers, met en situation des différents personnages de ces fictions, leur prête des aventures extraordinaires qui ont pour seules limites l'imagination de l'auteur qui est aussi le narrateur...

     

    Je suis un peu surpris par le nombre et surtout par la longueur des notes de bas de page. Elles participent largement aux digressions chères à Auster et entretiennent cette impression d'égarement que ne manque pas de ressentir le lecteur. On se perd d'autant plus facilement dans l'histoire principale que le narrateur y introduit des évocations secondaires. Dans celles-ci, il inclut toute une arborescence de personnages qu'il crée et qu'il abandonne, toute une série de situations qui complètent et éclairent l'intrigue mais qui pourraient tout aussi bien être le départ d'une nouvelle fiction. Cela rompt sans doute le processus narratif mais nourrit l'imaginaire du récit.

    Cela met en évidence une caractéristique du style de Auster qui est le culte du détail dans la narration. On pourrait le rapprocher du « pointillisme » en peinture... D'autre part, le lecteur ne sera pas sans remarquer de Trause est l'anagramme de Auster, ce qui accentue les ressemblances entre eux. Ces deux écrivains ont traversé une période de sécheresse analogue [symbolisée sans doute par une période d'hospitalisation] et le narrateur, dans une sorte de dialogue improvisé et improbable entre lui et Trause, s'interroge sur la couleur bleue de ce carnet qu'ils ont en commun [« Le carnet était fermé et posé sur un petit dictionnaire et, sitôt penché pour l'examiner je constatais que c'était le double exact de celui qui se trouvait chez moi, sur ma table »] autant que sur leur rôle dans la société [« Ça ne veut rien dire Syd, sinon que tu as le cerveau un peu fêlé. Je suis tout aussi fêlé que toi. Nous écrivons des livres, non? Que peut-on attendre de gens comme nous ? »]. Il tente d'analyser le processus créatif que l'imagination mais aussi la réalité et le hasard alimentent, mais aussi ce simple assemblage de feuilles vierges et reliées sous la forme de ce fameux « carnet bleu » qui est une invitation forte à l'écriture. Le narrateur prend en compte que l'inspiration peut parfaitement manquer tout d'un coup au plus prolixe des écrivains !

     

    Paul Auster s'interroge sur la démarche des écrivains en général par rapport à leurs personnages. Qu'ont en commun ces créations fictives et donc inventées et le vécu de celui qui les invente. Peuvent-il s'échapper du moule que l'auteur leur a assigné ? Sont-ils libres de leurs mouvements (et de leur destin ?) à l'intérieur d'une histoire inventée par un auteur. Je goûte à titre personnel cette sorte d'introspection et le questionnement d'un auteur sur lui-même autant que sur ces personnages me paraît être une démarche intéressante et révélatrice à la fois pour le lecteur et pour l'auteur lui-même. Comme on le voit chez Auster, l'histoire peut assez facilement passer au second plan au profit de ses interrogations personnelles.

     

    J'ai bien conscience de m'être un peu perdu dans le dédale la lecture de ce roman comme sans doute le seront tous les lecteurs. Je n'ai peut-être pas tout compris tant la démarche créatrice d'Auster est labyrinthique, mais j'ai pris du plaisir à entrer dans cet univers narratif auquel la traduction doit probablement beaucoup. Il m'a tenu en haleine jusqu'à la fin et c'est sans doute ce qu'un lecteur peut demander à un roman.

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Tombouctou

     

    N°503 – Février 2011.

    TOMBOUCTOU – Paul Auster – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Christine Le Boeuf.

     

    Le titre d'abord. Il évoque une ville mythique, à la fois mystérieuse et lointaine dont l'origine serait, selon la légende, rattachée à un puits et à une femme. Elle reste dans notre inconscient ou peut-être dans notre histoire une cité qui a été explorée par René Caillié en 1828.

    Mais, avec Paul Auster, on est jamais au bout de ses surprises et la lecture d'un de ses romans est toujours un moment d'exception, plein de curiosités pour le lecteur attentif. C'est que ce récit commence par l'évocation de Willy, un personnage un peu bizarre, à la fois vagabond et rimailleur qui se prend pour l'assistant du Père Noël. Il erre dans la ville de Baltimore en compagnie de son chien, Mr Bones, un authentique bâtard. Pourtant cet animal n'est pas le commun des canins, il est plein de sensibilité et son maître ne le tient pas pour un inférieur mais au contraire pour un véritable ami. L'animal est même animé d'aspirations métaphysiques ! Willy va mourir, il le sait, mais avant de faire le grand saut, il tient à assurer à son compagnon un nouveau gîte en lui conseillant d'éviter la police, la fourrière... et les restaurants chinois ! Le mieux serait qu'il le confie à Bea Swanson, son ancienne professeur d'anglais. Il veut aussi assurer un avenir à ses écrits consignés sur soixante quatorze cahiers. Ce sont des poèmes mais aussi les premiers balbutiements d'une longue épopée « Jours vagabonds » où il évoque ce qu'a été sa vie personnelle. Las, il meurt misérablement avant d'avoir mené à bien ce dernier projet. Ainsi, happé par la mort, il doit bien se résoudre à faire une croix sur ses légitimes et littéraires ambitions !

    Mr Bones se retrouve donc seul, orphelin, et recherche vainement l'ancien professeur de Willy. Il va donc errer et rechercher un maître. Après un long voyage « à pattes » qui peut, si on veut le voir ainsi, ressembler à une démarche labyrinthique (et que Paul Auster affectionne) analogue à celle de son maître, il trouve enfin une famille qui l'adopte, s'occupe de lui et l'aimera... Poursuivant ses préoccupations philosophico-religieuses, l'animal, qui rêve parfois à son maître et entreprend avec lui des dialogues d'outre-tombe, s'imagine que cet homme réside maintenant dans un lieu de félicité paradisiaque qu'il a du mal à situer sur la carte du monde et qu'il nomme Tombouctou ! Willy lui parle, lui donne des conseils sur la façon de survivre...

     

    C'est que cette fable romanesque, pleine de sensibilité où les hommes portent des noms d'animaux et vice versa, donne la parole à ce brave chien qui va faire part de ses remarques sur sa vie devenue aussi vagabonde que celle de feu son maître. Perdu dans ce monde, il se révèle un peu naïf, parfois malchanceux mais se montre plus humain que bien des hommes. Il mènera à son terme sa quête personnelle pour, le pense-t-il, retrouver Willy dans cet ailleurs

     

    Ce roman a la caractéristique, rare à mes yeux, de capter l'intérêt du lecteur dès la première ligne, de le prendre par la main en quelques sorte et de ne l'abandonner qu'à la fin sans que l'ennui se soit insinué dans sa lecture. Paul Auster s'y révèle encore une fois un narrateur exceptionnel. Son style fait d'humour, de tendresse et de réflexions parfois grinçantes sur la vie a quelque chose d'attachant, de magique même !

     

    J'ai vraiment bien aimé et je continue d'explorer l'univers tissé par cet auteur qui ne cesse de m'étonner.

     

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La chambre dérobée

     

    N°500 – Février 2011.

    LA CHAMBRE DÉROBÉE - Paul AUSTER– Actes sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    Ce roman s 'ouvre sur l'écrivain américain Fanshawe, où plus exactement sur son fantôme. Cet homme semble avoir disparu et probablement est mort puisque sa femme Sophie contacte le narrateur, qui est aussi critique littéraire, mais également l'ami d'enfance de son défunt mari, pour qu'il juge si son œuvre demeurée inédite, est digne d'être publiée. En cela elle exécute une de ses dernières volontés explicitement exprimées. Non seulement les poèmes, romans et pièces de théâtre de Fanshawe sont éditées et sont un succès, mais le narrateur, sur la demande expresse de son ami, épouse sa femme et adopte son fils. Il lui propose en quelque sorte une vie par procuration ou, si l'on veut, une certaine forme d'imposture. Par la suite, non seulement le narrateur apprend que son ami n'est pas mort, mais ce dernier lui enjoint de n'en rien dire à Sophie et surtout de ne pas chercher à le retrouver. S'ouvre donc avec son épouse une période de vie commune qui sera heureuse bien que fondée sur le mensonge. Devant la réussite littéraire de la publication posthume, on demande au narrateur de rédiger une biographie de Fanshawe. A partir de ce moment, il va découvrir un être différent du garçon qu'il a connu enfant et prendre conscience qu'il a fait une erreur en acceptant ce travail qu'il finira par abandonner. Derrière l'élève brillant qu'il admirait, il découvre un jeune homme distant de ses parents, abandonnant ses études pour fuir sa famille et qui refuse d'éditer ses écrits pourtant prometteurs. Dès lors, il ne sait plus si Fanshawe est toujours vivant où s'il se confond avec l'image de la mort. A la fin, il lui révèle son existence qui ressemble à une fin de vie en lui confiant un cahier manuscrit passablement abscons « Tous les mots m'étaient familiers, mais ils semblaient pourtant avoir été rassemblés bizarrement , comme si leur but final était de s'annuler les uns les autres... Chaque phrase effaçait la précédente, chaque paragraphe rendait le suivant impossible. » . C'est un peu comme si le narrateur et probablement Auster lui-même, considéraient l'écriture comme une impossibilité !

     

    Il est curieux que le nom de Fanshawe donné à cet écrivain soit en réalité le nom d'un roman écrit par Nathaniel Hawstorne, auteur américain [1804-1864] dont il est question dans « Revenants » qui est le deuxième roman de cette « Trilogie New-Yorkaise ». Son épouse se prénomme Sophie, tout comme celle de Hawstorne. Cela dit, Auster, avec ce roman labyrinthique écrit à la première personne, avec ses fréquentes digressions, tisse un suspens qui confine à l'interrogation, à tout le moins en ce qui me concerne. Au cours de ce récit, Auster lui-même (le narrateur?) lors d'une de ces parenthèses qu'il affectionne, révèle que ce roman se rattache à sa « Trilogie new-yorkaise », précisant «  Ces trois récits sont la même histoire, mais chacun représente un stade différent de ma conscience de ce à quoi elle se rapporte... Si les mots ont suivi, c'est que je n'ai pu faire autrement que de les accepter. Mais cela ne rend pas les mots nécessairement importants. Il y a longtemps que je me démène pour dire adieu à quelque chose, et, en réalité, seule cette lutte compte. ». Que doit-on comprendre ici ? Que les mots sont un simple outil pour exprimer la pensée, qu'ils peuvent se dérober, que l'écriture est un moment de sa vie qu'il souhaite peut-être abandonner ? Est-ce une fascination pour la mort ou pour la quête perpétuelle d'une chose impossible à atteindre ? Est-ce une interrogation métaphysique sur le sens de la vie [« Les vies n'ont pas sens. Quelqu'un vit puis meurt et ce qui se passe entre les deux n'a pas de sens »], sur la destinée, sur la solitude, sur la quête que quelque chose dont on porte la réponse en soi-même ?[« Cette chambre, je m'en apercevais à présent, était située sous mon crâne »].

     

    Ce roman qui clôt la série de la « Trilogie new-yorkaise » est d'une lecture facile mais m'a quand même laissé dubitatif. Pour autant, je continuerai à explorer l'univers de l'auteur à cause d'une attirance que je ne m'explique pas moi-même.

     

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • SEUL DANS LE NOIR

     

    N°499– Janvier 2011.

    SEUL DANS LE NOIR- Paul AUSTER– Actes sud.

    Traduit de l'américain par Christine Le Bœuf.

     

    August Brill, critique littéraire à la retraite, contraint à l'immobilité à la suite d'un accident de voiture se réfugie dans le Vermont, chez sa fille divorcée qui héberge également sa propre fille. La solitude, les insomnies, l'inaction suscitent chez lui un retour sur lui-même avec ses regrets, ses remords ... Pour fuir le noir de la nuit, il se recréé un monde imaginaire dans une Amérique qui n'aurait connu ni le 11 septembre ni la guerre en Irak [ On peut penser qu'il nie cet épisode historique parce que l'ex-compagnon de sa petite-fille Katia a été tué en Irak. Elle aussi se réfugie, aux côtés de son grand-père, dans le visionnage de vieux films], mais qui serait déchirée par une sorte de deuxième guerre de sécession. Dans ce décor surréaliste, Brill place son personnage principal, Owen Brick, magicien professionnel, la trentaine, chargé de tuer un homme qu'il ne connaît pas mais qui est présenté comme le seul responsable de ce conflit. Cet homme se révèle être Brill lui-même, l'inventeur de toute cette histoire. Son élimination physique mettra fin aux combats. Pour l'inciter à mener à bien cette mission, Brick fait l'objet d'un chantage : s'il n'élimine pas August Brill, c'est lui et son épouse Fortuna qui seront tués. Et tout cela, bien qu' imaginé par Brill lui-même, prend l'aspect d'une réalité. Pire peut-être, Auster n'imagine pas que Brill puisse renoncer à cette histoire [« Or Brill ne peut en aucun cas renoncer puisqu'il doit continuer à raconter son histoire, l'histoire de cette guerre dans cet autre monde qui est aussi ce monde-ci, et il ne peut se laisser arrêter par rien ni par personne. »]

    Brill, déroule donc son histoire. Il permet à Brick de rencontrer une multitude de personnages dont pas mal de femmes. Ils ont tous leur place dans ce monde parallèle qu'il imagine ! Dans ce processus « d'histoire dans l'histoire », l'auteur mélange allègrement réel et virtuel et la nuit favorise cette « création » ! Dès lors cette introspection fait défiler dans sa tête toutes sortes de scénarii, des plus vraisemblables aux plus échevelés, allant même jusqu'à évoquer le suicide de Brick, pour éviter un sort tragique à son épouse.

     

    Ce roman est composé un peu comme un patchwork un peu déroutant pour le lecteur. Cela commence par une référence à Giordano Bruno, ce moine philosophe du XVI° qui fut brûlé par l'inquisition italienne pour avoir soutenu qu'il existait d'autres mondes analogues au nôtre. Dans un texte gigogne, Auster mélange plusieurs fictions, juxtapose des morceaux de textes, passe brutalement d'une narration écrite à la première personne par Brill à un épisode du parcours de Brick. On a même parfois l'impression d'être carrément dans l'irréalité d'un conte de fée. Le narrateur évoque son enfance, sa rencontre avec sa défunte épouse, Sonia, son divorce, son remariage, le divorce de sa fille, parle longuement avec sa petite fille... Tout cela au cours d'une seule nuit d'insomnie !Ce pauvre vieil homme qui revient sur sa vie, la raconte à sa petite-fille, est en réalité en train de se distraire lui-même [« Je me suis surtout raconté une histoire, c'est ce que je fais quand je ne peux pas dormir. Je reste couché dans l'obscurité et je me raconte des histoires »]

    Mais « Ce monde étrange continue de tourner » comme l'écrit le poète. La nuit se termine, le jour se lève, l'imagination s'arrête, l'inspiration se dissipe, la magie prend fin... Auster cesse tout d'un coup les « aventures » de Brick et aussi la rédaction de son roman !

     

    Paul Auster est vraiment un écrivain étonnant à plus d'un titre. Sa créativité semble ne pas avoir de bornes, mélangeant autobiographie et chimères, jouant avec les mises en abymes, il tisse lentement un univers kafkaïen et labyrinthique. Non seulement il raconte une histoire, mais aussi il en profite, dans la seconde partie, pour s'interroger sur le rôle de l'écrivain par rapport à ses personnages, mène une réflexion sur la guerre et sur l'engagement américain, compare livre et film [« Un livre vous oblige à échanger avec lui, à faire travailler votre intelligence et votre imagination , alors qu'on peut regarder un film dans un état de passivité décérébrée. »], se livre à une analyse assez longue de certains longs-métrages [ Renoir, de Vittorio de Sica, Ray...], parle, sous forme d'aphorismes de Dieu, de la bonté, l'éducation, de la culpabilité [ Katia pense que le départ de son ex-compagnon pour l'Irak où il sera tué est la conséquence de leur rupture], met en perspective la douleur et la création artistique, sa genèse aussi parfois. Un écrivain doit souffrir pour créer[Brill vit « dans une maison d'âmes en peine, blessées » et sa fille, également meurtrie par la vie, écrit, elle aussi]ou simplement laisser aller son imaginaire ? Sa propre création est-elle un baume à la douleur, tant le monde extérieur est peu attirant. L'imagination serait-elle une antidote à la vie et pourquoi pas au temps qui passe ?

     

    Je ne sais pas pourquoi, mais je continue avec plaisir à explorer l'univers de Paul Auster.

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

  • REVENANTS

     

    N°497– Janvier 2011.

    REVENANTS – Paul AUSTER– Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    Trois personnages principaux à qui l'auteur donne des noms de couleurs : Bleu, Blanc, Noir. Un lieu : New-York près du Pont de Brooklin. Une année : 1947. voilà pour le décor. Le narrateur de cette histoire demeure inconnu.

     

    Blanc demande à Bleu de surveiller Noir et pour cela lui loue un appartement depuis les fenêtres duquel il peut voir Noir et observer ses faits et gestes. Il devra seulement, contre paiement, établir des rapports hebdomadaires qu'il déposera dans une boîte postale. C'est donc un travail facile d'autant que Bleu est détective privé. Ce qu'il voit au début, c'est que Noir écrit beaucoup. Cela semble être sa seule activité. Cette filature monopolise tout le temps de Bleu qui ainsi néglige sa fiancée a point de ne plus lui téléphoner. Cela laisse pour lui la place aux craintes, voire aux fantasmes... A force de rédiger ses rapports qui n'entrainent aucun commentaire, Bleu en vient à douter du bien-fondé de sa tâche. Suivre Noir lui paraît inutile tant il lui semble que sa vie ne recèle aucun secret. A partir de ce moment, il se libère lui-même de son travail en s'accordant des répits, mais lors d'un de ces moments de liberté il s'aperçoit que sa fiancée lui préfère un autre homme. Il l'interpelle, lui apparaît « comme un revenant » et prend conscience qu'il a perdu toute chance de vivre heureux. Il se rabat sur Violette, une prostituée qui lui donne du plaisir. Il va aussi au cinéma parce qu'il aime les salles obscures et parce que « les images à l'écran ont une certaine ressemblance avec les pensées qui défilent dans sa tête ». Est-ce le fait d'assister à la projection du film « la griffe du passé » qui lui fait remonter le temps et revenir à l'histoire du pont de Brooklin et à la vie de son propre père ? Il en déduit que les vivants sont entourés de « revenants » puisqu'il est aussi question au cours de ce texte des écrivains américains tels que Walt Withman ou de Nathaniel Hawthorne

     

    En même temps que cette révélation, Bleu prend conscience que les mots qu'il utilise dans ses rapports sont insuffisants, inexpressifs pour parler complètement de Noir. Il décide donc, pour mieux sérier sa personnalité de faire ce qu'il fait, de lire ce qu'il lit... De même il s'aperçoit que cette tâche lui paraît bizarre et même impersonnelle. L'appartement est loué au nom de Blanc mais occupé par Bleu, les paiements se font par mandat et non par chèque. Est-ce là la certitude de vivre sa vie par procuration, comme si celle de Bleu se confondait avec celle de Noir ? Le temps passe ainsi sans que rien ne se produise et par une sorte de jeu de miroir, Bleu s'aperçoit qu'il n'est plus maître de cette activité d'observation. D'observateur, il devient observé, et par Noir lui-même, et ce d'autant plus que, nous l'apprendrons plus tard, Noir est lui-même un détective privé, chargé, dans les mêmes conditions d'établir des rapports sur les activités de Bleu. Ce dernier en vient à douter de sa propre personne, de sa propre tâche. Il en vient à penser qu'il est, en quelque sorte, désincarné, dépossédé de lui-même par cet homme qui joue ainsi un double jeu sans qu'il comprenne bien pourquoi.[« Car en épiant Noir de l'autre côté de la rue, c'est comme si Bleu regardait dans un miroir, et au lieu de simplement observer quelqu'un d'autre, il découvre qu'il s'observe aussi lui-même »]. Est-ce un message sur la précarité de l'identité, sur l'angoisse inévitable que génère pour un homme le fait de n'être rien, de ne servir à rien ? C'est un peu comme si, en rédigeant des rapports sur Noir, Bleu écrivait sur lui-même, comme si l'écriture avait le rôle progressif du bain révélateur dans le processus du développement photographique.

     

    Ce livre est présenté comme le deuxième volume d'une trilogie new-yorkaise[« la cité de verre » - « La chambre dérobée »]. On peut le lire comme un thriller. Moi, j'ai choisi de le voir comme un « roman à énigme » dont nous n'aurions même pas, à la fin, la moindre explication. Elle serait même laissée à la seule imagination du lecteur. (La dernière phrase est ainsi rédigée « A partir de ce moment-là, nous ne savons plus rien. »). Cela me paraît être révélé par le procédé de « mise en abyme » qui est inhérent à ce récit. Le lecteur s'aperçoit que les annotations qu'a faites Bleu sur Noir et qui sont consignées sur des feuilles, servent de trame au roman qu'il vient de lire. [« Ça à l'air d'un gros livre » dit Bleu à Noir quand il aperçoit une liasse de feuilles posées sur sa table]. Ce n'est autre que les rapports qu'il a lui-même adressés à Blanc sur les activités de Noir !

    Les personnages eux-mêmes ont la transparence et la consistance d'un ectoplasme, une sorte de non-existence [ils portent des noms de couleurs primaires] qui déstabilise le lecteur tout comme les nombreuses digressions qui émaillent le récit. Par une sorte de jeu de miroir, il est est complètement perdu, se demandant qui est qui et qui fait quoi ! Bleu et Noir sont devenus interchangeables au point que la personnalité de l'un éclaire celle de l'autre, ou la complique...

     

    Paul Auster pose des questions existentielles et, malgré les apparences, n'offre nullement une histoire policière dont nous aurions la solution à la fin. Je choisis d'y voir une méditation sur la solitude, sur la condition humaine, sur sa propre identité dans un monde de plus en plus déshumanisé et anonyme, et même sur le rôle de l'écriture et de l'écrivain [« L'écriture est une occupation solitaire qui accapare votre vie. Dans un certain sens un écrivain n'a pas de vie propre. Même lorsqu'il est là, il n'est pas vraiment là. »]. C'est un peu comme si lui, qui est le maître de cette fiction, avouait qu'il en est en réalité étranger, peut-être seulement le simple transcripteur, le transitoire et transparent témoin, seulement là pour livrer au lecteur ce qu'il voit, ce qu'il croit voir ou ce qu'il imagine. D'une certaine façon, il est un de ses personnages, aussi mystérieux qu'eux !

     

    Paul Auster évoque avec ce court roman un univers kafkaïen à la fois cauchemardesque, oppressant et absurde. Cela me plait bien et me donne envie d'en explorer les arcanes.

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Des vies d'oiseaux

     

    N°553 – Février 2012

     

    DES VIES D'OISEAUX– Véronique Ovaldé- Editions de l'Olivier.

     

    Cela commence comme une sorte de roman policier. Des intrus se sont introduits dans la villa cossue de Gustavo et Vida Izarra, en leur absence, sur la colline du quartier résidentiel de Villanueva (on l'appelle la colline Dollars), face à la mer. C'est, à tout le moins, ce qu'indique la maîtresse de maison au lieutenant de police Taïbo. Pourtant, même si elle insiste pour qu'une enquête soit ouverte, elle prend soin de lui préciser que rien n'a été dérobé et qu'il n'y a même pas eu d'effraction. Tout au plus s'est-on contenté, comme dans l'histoire de « Boucles d'or »... d'essayer tous les lits des nombreuses chambres ! Cela ne peut donc être le fait que des « jeunes », pense Mme Izarra, parce qu'elle ne voit pas des vieux agir ainsi. Cet officier de police mènera donc son enquête avec patience et même douceur...

     

    Cela intrigue de policier puisque des faits similaires se sont produits dans cette petite ville du bord de mer de ce pays (plus ou moins imaginaire) d'Amérique du sud. Il a même été constaté que le bijoutier du quartier a subi nuitamment, une sorte de cambriolage, mais, rien lui a été volé. On s'est seulement contenté de « déplacer » les objets à l'intérieur du magasin, un peu comme pour brouiller les pistes. L'examen des bandes de la caméra de surveillance donne à penser que Paloma Izarra, la fille de Vida, aurait pu être mêlée à cette affaire...Mais Vida à indiqué au policier qu'elle n'avait pas d'enfant ! L'enquête s'annonce donc difficile et Taïbo va décortiquer la vie de Vida jusqu'à l'accompagner dans la ville de son enfance.

     

    Au fur et à mesure du récit, le lecteur apprend à connaître les différents membres de cette famille. Vida est apparemment une épouse rangée, établie dans une société bien pensante, dévouée à son mari et vivant dans une sorte de bulle familiale. Pourtant, elle n' hésitera pas à le tromper, pour rompre avec le quotidien ou par attirance de l'inconnu. Elle qui vient pourtant d'un milieu défavorisé ira même jusqu'à quitter son mari, c'est à dire la sécurité d'une vie oisive et sans surprise, peut-être à la suite de cette enquête qui est pour elle l'occasion de revisiter son passé. Gustavo, le mari, est l'archétype de celui qui a réussi socialement et qui attache de l'importance à tout ce qui matérialise cette réussite. Il est plus attentif à sa carrière, à son chiffre d'affaires qu'à sa famille. Paloma, la fille (parce que, malgré ce qu'a dit Vida à la police, elle a une fille) mène la vie d'une enfant de riche, s'y ennuie et rêve de celui qui l'en fera sortir. Elle le trouve un peu par hasard, en la personne d'Alfonso, jardinier de son état, bellâtre flambeur et magouilleur qui l'enlève, ou plus exactement c'est elle qui le suit avec cette volonté affichée d'échapper à son milieu. Comme le couple manque d'argent, Alphonso a l'idée de s'installer dans les différentes villas, dont, évidemment, celle de ses parents en l'absence de ces derniers. Ils les habitent successivement, se contentant simplement de profiter des différentes facilités ainsi offertes et ...d'en visiter la cave ! Ils mènent ainsi une vie de squatters ou « d'infatigables coucous » comme le dit l'auteur. Ce qui interpelle le plus Vida ce n'est pas que sa fille soit partie de la cellule familiale où elle étouffait, mais bien davantage qu'elle prenne du plaisir à se glisser ainsi dans la peau des autres. Pourtant, elle part à sa recherche, mue sans doute par une manière de culpabilité puisqu'elle prend conscience que c'est à cause d'elle que sa fille est partie.

    C'est que l'errance semble convenir à Paloma, à condition toutefois que cette oisiveté se conjugue avec une certaine opulence et surtout que les résidences qui s'offrent ainsi à eux n'aient rien de définitif. Alfonso, quant à lui, travaille ou fait semblant. Pour elle comme pour lui, cette vie tranche tellement avec celle d'avant qu'ils ont quittée chacun à leur manière qu'on se demande quand et comment cette escapade finira. Autour d'eux et sans qu'ils en sachent rien, des couples se font et se défont, l'existence de chacun croise celle de l'autre en toute liberté, la vie reprend ses droits . Elle se décline comme celle des oiseaux, légères et insouciante.

     

    Lors d'un première approche de l'œuvre de Véronique Ovaldé, j'avais exprimé une impression mitigée (La Feuille Volante n° 394 à propos de « ce que je sais de Véra Candida »). Je vais sans doute m'inscrire en faux par rapport à tous les avis laudatifs qui ont accueilli la sortie de ce roman. J'en ai achevé la lecture davantage pour en connaître l'épilogue que par réelle passion pour ce texte. Je note néanmoins un style agréable à lire et des phrases fort bien écrites et poétiques. La composition en forme de puzzle est inattendue, mais ... je suis resté sur ma faim

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Ce que je sais de Véra Candida

     

    N°394– Février 2010.

    CE QUE JE SAIS DE VERA CANDIDA – Véronique OVALDE – Éditions de l'Olivier.

     

    Dès la première ligne le ton est donné «  Quand on lui apprend qu'elle va mourir dans six mois, Vera Candida abandonne tout pour retourner à Varapuna ».

     

    Qui est-elle donc, cette femme qui, au pas de la mort, choisit de revenir sur le lieu de son enfance et de confier au lecteur, certes à travers une narratrice, ce que fut sa vie? Pourquoi, choisit-elle de rompre un destin tracé à l'avance, celui des femmes vouées à la prostitution, l'asservissement, la misère et l'enfantement. Pourtant la vie semblait toute tracée. Rose sa grand-mère et Violette sa mère, toutes éprises de liberté avaient assumé leur vie, leur maternité, loin des hommes, de leur présence, de leurs responsabilités paternelles et d'une famille traditionnelle. Pourtant, Vera Candida part, dès quinze ans, enceinte, la tête pleine d'illusions, pour un ailleurs qu'elle imagine plus radieux, plus neuf et porteur d'espoirs que dans ce village de Varapuna...Ce sera une ville, Lahomeria, où elle croisera un homme, Itxaga, au passé tourmenté, qui s'intéressera à elle, en deviendra naturellement amoureux. Elle aussi mettra au monde un fille, Monica Rose.

     

    Cela ressemble à une fable qui ne commencerait pas par la traditionnelle formule « Il était une fois », comme celle qu'on raconte aux enfants pour leur faire croire que le monde est beau. Cela se déroule dans un pays plus ou moins imaginaire de l'Amérique du Sud où il fait chaud mais hélas, la réalité reprend rapidement le dessus sur le merveilleux. Cela a commencé avec sa grand-mère Rose Bustamente, ancienne prostituée devenue pêcheuse de poissons volants, séduite par Jéronimo, un véritable goujat qui l'ignore surtout depuis qu'elle met au monde la fille,Violette, qu'elle a eue avec lui et qu'elle va élever seule. Elle représente l'archétype de femme soumise, non à un homme, mais à son destin. A l'issue de sa courte vie, Violette donnera naissance à Vera. Ce sera elle qui choisira de rompre cette logique traditionnelle et d'inviter sa propre fille à marcher sur ses traces en s'émancipant, mais pas par la fuite comme sa mère mais par l'étude. Elle confiera même à sa mère son intention de partir en Angola s'occuper des réfugiés. Véra, de son côté, poursuivra en quelque sorte cette fuite en quittant Itxaga, l'amour de sa vie!

    C'est un univers de femmes différentes, victimes à leur manière à la fois de leur destin et de leur condition qui illustrent la difficulté d'être. Le décor tropical et les noms un peu irréels ne parviennent pas à nous faire oublier le côté sordide et violent. Cette transposition dans un pays imaginaire ne réussit pas à créer un dépaysement que j'aime tant retrouver dans la lecture.

    Le récit qui est fait de ces trois vies me paraît bizarrement silencieux(sauf peut-être vers la fin entre Véra et sa fille) en ce sens que ces femmes ne se parlent pas entre elles, ne se confient rien de leur vie, vivent, presque côte à côte sans échanger un seul mot.

     

    Je n'ai pas trouvé que le style de ce roman était aussi enchanteur qu'on a bien voulu le dire. Je m'attendais à autre chose et je retire de la lecture de cet ouvrage une impression mitigée, pas vraiment un engagement à accompagner l'auteur dans son parcours.

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.

  • Les enfants du marais - Un film de Jean Becker.

     

    N°552 – Février 2012

     

    LES ENFANTS DU MARAIS– Un film de Jean Becker (1999).

     

    Il est des films qui s'inscrivent dans notre mémoire à cause des distinctions qu'ils reçoivent, de la notoriété qu'ils obtiennent grâce à la médiatisation au moment de leur sortie en salles, de l'histoire qu'ils évoquent, des acteurs qui servent leur scénario, des paysages qu'ils offrent...Il en est d'autres, au contraire, dont nous nous souvenons avec précision sans trop savoir pourquoi, peut-être parce qu'ils nous ressemblent et évoquent une partie de notre parcours. « les enfants du marais » est de ceux-là.

     

    Pourtant, il raconte une histoire bien banale, celle d'une rencontre de deux hommes devenus amis presque par hasard. Garris[Jacques Gamblin], un homme encore jeune, sans famille, sans attache ni fortune qui revient de cette grande boucherie de 14-18 qui l'a profondément marqué. Il croise un vieil homme[Jacques Dufilho] qui habite dans une pauvre masure près d'un étang en Bourgogne et qui l'y invite. Rapidement, il meurt en lui laissant tout ce qu'il possède, cette cabane en planches et quelques lignes pour la pêche à la grenouille. Il s'installe donc ici et rencontre Riton [Jacques Villeret] qui vit ici depuis toujours avec sa deuxième femme et ses trois enfants. Autant le premier est généreux et courageux, autant le second est paresseux, roublard et alcoolique. Garris l'entraine pourtant à travailler pour survivre. Une véritable amitié nait entre eux et ensemble, ils se font, au rythme de l'année, chanteurs de rues, marchands d'un peu de tout, fournisseurs de grenouilles ou d'escargots pour les restaurants de la ville d'à côté. Après tout, ils ne possèdent que leur vie dans ce coin de France où l'eau et la terre se conjuguent, qui ressemble à un paradis à l'écart de la ville et où la liberté semble être la règle. Pourtant, ils ne sont pas à la charge d'une société en marge de laquelle ils vivent volontiers « On est des gagne-misère, mais on n'est pas des peigne-culs »!

     

    Cette amitié est partagée avec Amédée [André Dussolier], sorte d'intellectuel féru de lecture et de musique, sympathique et oisif mais qui épouse parfaitement ce mode de vie tout en différence. Elle l'est aussi par un veuf illettré, Hyacinthe Richard, dit « Pépé la Rainette » [Michel Serrault] qui a jadis habité au bord de cet étang et à qui la vie a souri. De ramasseur de ferraille il est devenu un riche patron de fonderie ce qui lui a permis de devenir notable et de marier sa fille à un arriviste qui le l'aime guère. Sa famille devenue bourgeoise et méprisante lui interdit de revenir au marais, mais il brave volontiers cette défense, ce qui lui sera fatal.

    Eric Cantona signe ici avec talent un rôle de boxeur à sa mesure, victime lui aussi des femmes autant que de son caractère impulsif. Il complète avec bonheur ce panel de comédiens d'exception.

     

    Il n'y a pas que cette connivence entre eux. Riton se remet mal du départ de sa première femme, Paméla, et Garris croisera le regard claire de Marie, domestique dans une grande maison. Il apprendra à ses dépens que ses amours ancillaires seront contrariées et que celle qu'il aimait a suivi dans le sud un homme plus âgé qu'elle, plus riche aussi sans doute parce qu'il représente sa sécurité et son avenir.

    La morale de ce film tient en ces quelques mots de la conteuse qui illustrent bien ce qu'est la condition humaine « Il y a des moments dans la vie où l'on voudrait que rien ne change jamais plus ».

     

    Il est cependant un personnage qui m'interpelle, celui qu'incarne le regretté Jacques Villeret [1951-2005]. J'ai déjà eu l'occasion de dire dans cette chronique (La Feuille Volante n° 157) tout le bien que je pensais de cet acteur emblématique, à la filmographie prestigieuse, au palmarès impressionnant, notamment oscar du meilleur second rôle en 1999 pour « Le dîner de cons », dont le talent se déclinait au théâtre comme au cinéma, disparu trop tôt à près de 54 ans, à la fois discret et représentatif du « Français moyen », gentil, rondouillard, raciste, maladroit, froussard, naïf et souffre-douleur des autres. Jamais vraiment star et même plutôt discret, il était l'archétype de l'acteur populaire et son apparition sur les écrans, même dans un rôle secondaire, était toujours pour le public un gage de qualité.

     

    Gamblin, Dussolier et Villeret forment ensemble dans ce film à la fois drôle, poétique et profondémlent humain, un trio amical, émouvant et complice.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • l'occupation américaine

     



    N°547 – Novembre 2011.

    L'Occupation américaine – Pascal QUIGNARD – Éditions du Seuil.

    Marie-José Vire, fille du quincaillier-épicier de Meung sur Loire et Patrick Carrion, fils du vétérinaire de ce même village... Ils s'aiment depuis l'enfance, c'est à dire depuis les années 50. Ils sont allés à l'école ensemble, ont découvert ensemble le monde immédiat, c'est à dire les paysages de Sologne faits de terre et d'eau, l'eau de la Loire et celle du ciel, ont rêvé ensemble à l'avenir, se sont inventé des histoires où ils étaient les seuls acteurs, dans le décor d'une île sur le fleuve ...Seul leur amour les intéresse, mais c'est un amour d'enfant fait de peurs et d'imaginaire. Patrick est même devenu l'auxiliaire zélé du curé, mais cela ne dure qu'un temps... Dehors, c'est un autre monde, celui des adultes, de l'Histoire, des guerres et de leurs conséquences, de la politique intérieure et internationale. Que le monde autour d'eux soit en flammes ne les concerne en rien. Ce qu'ils voient se sont les troupes américaines qui occupent la France sans pour autant l'avoir vaincue. Avant, il y avait eu les Romains, Attila, Jeanne d'Arc et l'occupant anglais, les Allemands et maintenant les Américains ! Et Meug sur Loire, c'est aussi la ville qui avait jadis accueilli François Villon pour le mettre aux fers !

    Cet autre monde, ils l'observent de loin, toujours ensemble et ce qu'ils voient c'est un camp protégé par des barbelés, une ville étrangère avec ses magasins, ses rites militaires, son drapeau... C'est pourtant un monde qu'on singe volontiers quand on est adolescent. On en adopte les coutumes, des rudiments de la langue, les cigarettes, les boissons, la drogue, la musique, les trafics, les voitures. Il fascine ce monde-là surtout quand le corps change, comme celui de Marie-José qui devient belle, désirable et intéresse un sergent Américain qui pourrait être son père ! Pour elle c'est un peu le rêve qui se dessine, loin de Patrick... Lui non plus n'est pas insensible aux charmes de Trudy, la jeune américaine mais il pense surtout au jazz, à la batterie et au groupe qu'il a formé au village. Pour lui, la vie immédiate c'est les photos de pin'up, la bannière étoilée, la bière, pendant que les adultes crient volontiers « Us go home » et craignent pour la vertu de leurs filles. Puis vient l'anniversaire de Patrick que chacun fête à sa manière avec, en contre-point la mort [« La mort est seule à arracher notre vie à elle-même »], la désintégration du groupe de musique, le bac qu'il faut passer, le départ définitif des Américains, l'incompréhension qui mine la famille de Patrick et sa vie à côté de Marie-José qui se décline sur le mode « Je t'aime moi non plus ».

    J'ai peu goûté les dissertations philosophiques de Rydell sur la vie et la mort. J'ai lu ce livre paru en 1994 jusqu'au bout, davantage pour en connaître la fin que par réel intérêt. Ce dernier est venu pourtant, mais pas avant les vingt dernières pages. Même si le style m'a paru un peu sec, même si d'ordinaire je ne goûte guère les romans qui affectionnent le « happy end », cela m'a laissé un goût amer et pour tout dire je m'attendais à autre chose de la part de celui qui sera Prix Goncourt en 2002. D'ailleurs, mon improbable lecteur pourra constater que malgré la lecture que j'ai pu faire de quelques romans de cet auteur, je n'en ai guère été bouleversé.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com











  • L'alcool et la nostalgie

     

     

     

     


     

    N°548 – Novembre 2011.

    L'ALCOOL ET LA NOSTALGIE – Mathias ENARD – Éditions Inculte.

     

    Le récit commence dans un train à Moscou et, par une sorte de monologue de Mathias à son ami. Il lui adresse des reproches cordiaux « Tu es un faux-frère, Vladimir, tu ne bois pas, pas une goutte mon salaud... ». Puis vient Jeanne qui sur le quai de la gare attend Mathias. Grâce à une sorte d'analepse, il se remémore un coup de téléphone en pleine nuit, des paroles désordonnées de cette femme, inspirées autant par le chagrin que par la surprise. Puis, au fur et à mesure que le roman avance, le lecteur comprend que ces trois personnages étaient « comme des poupées russes... emboitées les unes dans les autres, inutiles au dehors ouvertes en deux et vides », une sorte de ménage à trois surréaliste, basé sur la drogue, l'alcool, le masochisme. La mort de Vladimir fait revenir Mathias auprès de Jeanne, à Moscou, mais ce voyage est sans issue, « on ne berce pas des enfants grandis », elle l'avait quitté pour Vladimir.

    Pourquoi Mathias fuit-il ainsi ? Il veut ramener la dépouille de son ami dans son village, en Sibérie, dans un train qu'il appelle « le trans Baïkal ». C'est donc un voyage de trois jours et de plusieurs milliers de kilomètres avec un fantôme. La solitude, la nostalgie lui rappellent leur histoire, sa vie d'avant avec cette jeune femme dont il était amoureux et qu'il voulait garder, la fuite de Jeanne vers Moscou et sa rencontre avec Vladimir. L'ombre de Pouchkine, cocu et mort en duel, tué par celui dont il sera doublement la victime, s'étend sur Mathias au rythme lancinant des boggies. Pourtant Vladimir et lui étaient amis et Jeanne n'était pas vraiment cette femme infidèle, elle a simplement vécu sa vie « De nous trois seule Jeanne a réussi à rester vivante, elle a su nous fuir, nous mettre à distance, mais de loin...parce que Jeanne n'est plus la petite princesse qui se laisse bêtement emportée par ses couches ou par une maladie quelconque, c'est une force. ». Il comprend même que la mort de son ami est une forme de suicide, d'acceptation du néant « Je sais que si tu as décidé d'en finir, c'est que tu n'avais pas cette force, tu t'es laissé aller à l'accident, parce que tu ignorais comment sortir de cette histoire, comme moi tu savais que tu perdais Jeanne, qu'elle construisait son chemin dans la vie bien plus vite que nous ». Pour eux, les hommes, elle incarne quelque chose qui graduellement s'efface « (Jeanne) se donnait la force de ses rêves alors que nous, nos songes d'enfants devenaient petits à mesure que nous grandissions ».

    C'est que la mort dont il rêvaient, eux, les deux hommes de ce trio, c'était celle d'un héros de guerre, d'un révolutionnaire qui accepte le sacrifice avec courage et abnégation pour échapper à cela. Maintenant, Mathias se retrouve seul à Novossibirsk . C'est une folie que ce voyage de froid et de glace, une fuite avec le cercueil de Vladimir et le souvenir de Jeanne bien vivante. C'est que ce voyage a quelque chose d'initiatique, une sorte de rite de passage ou plutôt d'abandon de cet amour sans issue. Cette amitié qui n'en était pas une était floue à cause du personnage de Jeanne, de son corps de femme désirable, mais qui ne pouvait vraiment appartenir ni à l'un ni à l'autre « Je regrette ces moments flous... l'impossibilité d'admettre que nous étions trois, cette terrible morale biologique qui nous condamne à la bijection, à la symétrie...nous nous sommes repoussés toi et moi, face à l'aiguille d'une boussole ». Leur histoire était condamnée d'avance avec, en contre-champ, l'âme russe faite « d'alcool et de nostalgie », la mort et la vie, Eros et Thanatos, Jeanne qui revient en filigrane entre ce fantôme et ce « vivant déjà mort », qui réaffirme sa présence et son appétit de vie... Avec Mathias ! « Ton cœur bat dans ma main, nos cœurs battent dans nos mains, tous les cours battent dans toutes les mains. »

     

    J'avais bien aimé « Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants » [La feuille volante n° 477), je n'ai pas été déçu par ce récit littéraire qui est « l'adaptation plus ou mois fidèle d'une fiction radiophonique écrite dan le Transsibérien entre Moscou et Novossibirsk » avec, sans doute, l'ombre de Blaise Cendras.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

  • La patience des goélands

     

    N°551 – Décembre 2011

     

    LA PATIENCE DES GOELANDS– Jean-François POCENTEK- Lettres vives.

     

    Le paysage, celui d'une petite ville du bord de mer du Nord, un matin de novembre solitaire et ensommeillé. Dans ce décor un peu froid et désolé, un homme et une femme. Celui-là, Baptiste, a les yeux tournés vers le large et l'autre, Marie, s'affaire d'ordinaire à déposer dans des boites aux lettres « des papiers pour convaincre de dépenser des sous ». Un petit métier pour survivre avec son père, Mathurin, et ses quatre enfants au noms bizarres. Ils sont le regard tournés vers la mer, « assis sur un banc, dos à la ville, là où se rencontre l'avenue Saint-Exupéry, l'esplanade maritime et la promenade Débeyre », face au Christ de faïence blanche, sous les auspices bienveillants des goélands, ils se sont parlé.

    C'est que Baptiste est venu d'ailleurs, tout exprès, avec son univers et ses souvenirs personnels de Camille, un ami qui habitait rue Consolante, mort il y a treize ans, de ne pas avoir aimé la vie. C'était pourtant sa seule richesse ! C'est avec ses mots que Camille pour une journée, va revivre, dans cette maison qu'il habitait rue Consolante, qui sentait la bière, le tabac et l'essence à briquet, où il cachait ses « cahiers », témoins de son quotidien. C'est le narrateur qui prendra ce relais en notant lui-aussi dans son carnet noir comme le deuil, cet hommage amical et la vie modeste des personnages qu'il croise en ce jour. Il y est venu pour ranger, récupérer un peu pour la brocante et surtout abandonner au trottoir quelques accries à la curiosité des gens, comme cela se fait là-bas. Une façon de tourner définitivement la page de son passage sur terre où « il n'était que le passager d'un voyage sans heurts, sans retards, sans excès ». Il évoque l'enterrement « ni éloge, ni dithyrambe non plus. Que du vrai. » et ce Camille qui, par le truchement de l'écriture ou de je ne sais quel miracle, accompagnait son propre cercueil; il guidait avec des mots et des silences tous ces mineurs endimanchés et un peu gauches, venus rendre un dernier hommage à leur camarade d'infortune. Il refit à l'envers ce parcours quotidien et du souvenir, des lieux et des gens disparus avant lui, et c'est un peu un pèlerinage que Baptiste accomplit en ce jour de brume grise et froide. C'est aussi en l'honneur de Camille, pour qui on réserve une chaise vide et un couvert, qu'on l'invite à partager le repas de l'amitié. En ce mois de novembre qui est aussi celui des morts, après avoir évoqué Camille sa vie et ses souffrances, Baptiste repart, avec un dernier salut aux vivants. La maison où Camille avait vécu est vendue, les livres dispersés eux aussi, la page est tournée, la vie reprend son cours, le souvenir de Camille reste cependant, en mots noirs sur les pages blanches, parce que les morts ne le sont vraiment que lorsqu'on ne pense plus à eux.

    Ce n'est pourtant pas un éloge funèbre, de ceux qui sont officiels, compassés, faussement émus et même un peu hypocrites. Ce sont quelques phrases qu'on jette sur le papier, dans le secret de sa peine pour lui dire tout ce qu'on à pas pu ou su faire de son vivant.

     

    L'univers de Pocentek, il est vrai découvert par hasard dans une bibliothèque, m'émeut toujours et ne me laisse point indifférent (La Feuille Volante n° 414-417-420-421-516) autant par les gens humbles qu'il choisit d'évoquer que par la poésie que ses mots distillent. Ici, les morts parlent aux vivants. On exorcise leur absence à travers les objets qui leur ont appartenu et qu'on garde (le briquet par exemple). Les vies qu'il choisit d'évoquer laissent une empreinte en creux, qui pourrait être aussi éphémère qu'une trace sur le sable. C'est une musique mélancolique tout en pudeur et en subtilités.

     

    Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique, l'éditeur propose ce livre à la lecture mais il faut préalablement en couper les pages, comme dans les anciennes publications. Cette démarche n'est pas fastidieuse, au contraire, elle fait partie intégrante de la lecture, lui donne sa dimension terrienne et individuelle, met en condition le lecteur pour le message à recevoir et le temps à y consacrer.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Janvier 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Valentine Pacquault

     

    N°549 – Décembre 2011

     

    VALENTINE PACQUAULT– Gaston CHERAU. Plon (1921)

     

    Pas très chanceux François Pacquault ! Orphelin de père de bonne heure, c'est à la mort de sa mère, âgée de 27 ans qu'il fut confié, encore enfant, au « ménage » de trois vieille filles, Solange, Célina et Amélie Carignan qui tenaient un pensionnat à Argenton (Creuse). C'est dans ce gynécée un peu étouffant de province que François, leur neveu, va vivre jusqu'à son baccalauréat parce que c'est tout ce qui lui restait de sa famille. Elles l'ont littéralement couvé mais arrive le temps de son service militaire qu'il doit accomplir, pendant 3 ans, à Saint-Léger, une ville de garnison dans le département des Deux-Sèvres. Mais les choses se précipitent et, à cause de la banqueroute frauduleuse d'un notaire d'Argenton, les demoiselles Carignan doivent réduire leur train de vie... et marier François au plus vite, de préférence à un beau parti. Leur choix se porte sur Valentine Delpérrier, ancienne pensionnaire de l'établissement Carignan et François en tombe tout naturellement amoureux. Les voilà donc mariés et lui affecté, comme 2° classe dans ce régiment d'infanterie.

    Sitôt arrivée dans cette ville de province, Valentine qui déjà s'y ennuyait, veut faire la grande dame, dépense sans compter, veut être entourée d'officiers, être la reine des fêtes qu'on donne, des bals de garnison où elle se rend seule, à cause du grade de son mari. De son côté, François qui manifeste peu de goût pour la vie militaire doit se tenir en retrait des plaisirs de son épouse, est cependant en butte aux critiques et aux moqueries des hommes du rang dont il fait partie. Sans peut-être que François s'en rende compte, le fossé se creuse entre Valentine et lui, sa jalousie s'installe, durable. De son côté, Valentine se laisse entrainée dans une passade amoureuse dévastatrice avec le lieutenant Tassard, un compatriote de la Creuse, un rustre qui pourtant séduira Valentine et détruira son ménage. Elle ne l'aime pas mais c'est lui qui lui fait découvrir ce qu'elle ne connaissait pas avec son mari : le plaisir des sens ! Elle souhaite donner le change pour le monde extérieur mais c'est vers lui qu'elle se sent attirée, c'est lui qui lui permet de se révéler comme une femme sensuelle qui aimait les hommes et l'amour, une femme mariée qui aimait « avoir un amant »... pour son malheur ! Cette liaison donne l'occasion à l'auteur de se livrer à une analyse psychologique très fine des personnages. Il se révèle encore une fois comme « le brillant analyste de l'âme féminine ». L'indélicatesse du notaire, la mort de son mari, le départ de Tassard la précipitent dans la la précarité, la solitude et la prostitution.

     

    Valentine Pacquault est un roman majeur dans l'œuvre de Chérau, un roman dur aussi, axé sur cette femme gourmande de vie, amoureuse éperdue de son amant, une sotte qui voulait s'élever dans l'échelle sociale, dût-elle pour cela détruire tout ce qui était bien autour d' elle , une égoïste détachée de François qu'elle n'aime plus et qu'elle considère presque comme son ennemi personnel. C'est un peu comme si elle voulait lui faire payer ces années de réclusion à la pension Carignan, sa jeunesse sacrifiée... François est quant à lui un peu naïf, niais, comme un enfant, peu préparé à ce mariage trop hâtif, mais surtout follement amoureux de son épouse pour qui rien n'est trop beau. Il ne voit rien de son propre malheur et submergé par la peine né de la trahison de Valentine ne trouve son salut que dans la mort. Son épouse, veuve à 22 ans l'oubliera vite, quêtera une consolation passagère et inefficace dans la religion, mais ce qu'elle recherchera surtout ce sera une relation avec les hommes qui pourrait lui procurer une forme de réussite sociale.

     

    Il y a un personnage qui retient mon attention : c'est le capitaine de Millau. Il est à la fois protecteur du couple et paternel, un peu marginal, humain, philosophe, solitaire et érudit sous des apparences peu flatteuses... Il a beaucoup d'amitié pour François. Au fil des pages son portrait s'affine pour donner de lui, à la fin, sa véritable image. C'est par son entremise que François échappe à l'opprobre du suicide et peut être enterré en terre consacrée, c'est aussi grâce à lui, et malgré l'énorme différence d'âge, que Valentine reprend pied dans la vie quand les portes de Saint-Léger se referment devant elle, c'est aussi lui qui, bravant la morale et aussi sa propre conception des choses, l'arrache à la mort.

     

    Le style de Chérau, ce sont des analyses pertinentes de ses personnages, des évocations agréablement poétiques, un zeste d'humour, une phrase toujours sobre et précise, finement ciselée et agréable à l'oreille, une musique....

     

    J'ai vraiment pris plaisir à relire ce roman passionnant du début à la fin et qui évoque « Mme Bovary ». Il y a beaucoup de « parentés » entre ce roman et celui de Gustave Flaubert à commencer sans doute par l'analyse psychologique des personnages menée par l'auteur. Valentine est peut-être plus inhumaine qu'Emma, mais toutes les deux sont romantiques et s'ennuient dans cette province reculée. Elles ne trouvent leur salut que dans la relation avec un amant. Valentine, comme Emma, aime s'étourdir dans les soirées[ le bal du colonel ressemble à la réception chez le marquis de la Vaubyessard], toutes le deux ont épousé un mari falot qui est pourtant éperdument amoureux de sa femme et dans les deux ouvrages il y a un suicide [à celui d'Emma répond celui de François et Valentine y songe sans pouvoir le faire]. Le médecin-major du régiment s'exprime un peu comme Homais, mais le bon capitaine de Millaud assure par son humanité et l'amour qu'il porte à Valentine, une fin sinon heureuse, à tout le moins apaisée à cette triste histoire.

     

    Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans cette chronique [la Feuille Volante n° 280-282-457], Chérau [1872-1937] reste malheureusement de nos jours un écrivain méconnu et injustement oublié, même dans sa ville natale.

     

    © Hervé GAUTIER - Décembre 2011.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • la Saint Jean d'été

     

    N°546 – Novembre 2011.

    La Saint-Jean d'été – Pierre Moinot – Éditions Gallimard.

     

    D'emblée, l'auteur plante le décor, celui dont sans doute chaque enfant se souvient pour lui-même, celui d'une petite école de campagne dans le Marais Poitevin où son père était instituteur, les plaisirs simples de la vie rustique, le rythme des jours que l'année égrène avec les fêtes champêtres, la classe quotidienne, les pleins et les déliés d'une écriture violette qui s'accrochent à la portée bleue de la page, le doux ronronnement des tables de multiplications, les règles compliquées de la grammaire, l'accord des participes passés que la dictée traditionnelle cachait, les problèmes d'arithmétique qui faisaient se vider les baignoires et se croiser les trains, le goûter tant attendu qui mariait les saveurs du bon pain et du chocolat, la découverte quotidienne de la nature sous la férule de son père, guide attentif et passionnant... C'est, à travers les yeux du petit Jacques, une vie de famille simple du début du siècle où le Maître d'école est aussi secrétaire de Mairie parce que c'était la tradition à la campagne, parce qu'on y restait toute sa vie jusqu'à la retraite parce que la réussite ne faisait pas obligatoirement partie du curriculum vitae...

    Dans l'esprit de l'enfant, son père sait tout et aime partager son savoir. C'est donc à lui qu'il pose toutes les questions que sa jeune curiosité lui souffle. Avec lui, il voyage dans le temps et dans l'espace, dans son village ou dans les siècles où l'histoire a laissé ici des marques. Il sait le sens de l'eau souterraine et les secrets de ce qu'on appelait de noms étranges de « Leçon de choses ». Il explore l'herbe d'aujourd'hui et les vestiges archéologiques de quelque mur, d'épaves de pierre. L'enfant va ainsi, les genoux écorchés et les mains fragiles tailladées par les jeux autant que par la découverte toute neuve du monde ou de la visite miraculeuse et éphémère d'un oiseau voyageur...

     

    Ce rythme de « lanterne magique » est avitaillé, à intervalles réguliers, par la visite d'un commerçant faisant sa tournée ou la petite roulotte d'un cirque ambulant. Avec ce père-savant, il apprend à pêcher au Marais dont il découvre les paysages et les secrets, dévore les livres, lui qui en écrira plus tard, entend de sa bouche l'histoire de ce pays où l'eau et la terre se conjuguent, ou fleurissent et s'accrochent les légendes, parce que de tout temps il a été un refuge, une terre d'accueil pour proscrits ou évadés et que le mystère s'y attache. L'esprit de liberté s'accroche à ces arpents de terre mouillée mais généreuse que jadis recouvrait la mer et que l'homme a apprivoisé ou détruit au gré de ses ambitions mais aussi l'image de la mort, le poids de l'absence qui tirent leur réalité du néant.

     

    Le Poitou est une province à laquelle l'histoire a assigné le rôle de marche. C'est un pays de l'intérieur mais aussi une région frontalière où se sont fracassé les batailles et se sont affronté les hommes... Ils ont mêlé leur sang dans la vie comme dans la mort, se sont abimés dans les dogmes comme dans les hérésies, se sont rencontrés dans des routes d'échanges commerciaux comme ils se sont perdus dans des chemins secrets... Le Marais est une contrée où le temps a un rythme différent, où l'espace ressemble à un labyrinthe de conches, baigné alternativement de brume et de lumière diaphane, un havre apaisant et vert d'été, un bruissement de feuilles, un mirage que l'automne incendie en ocre et rouille, des eaux que l'hiver transforme en miroir glacé. Les hommes qui l'habitent ressemblent aux méandres que fait la Sèvre dans le paysage. Ils ont la placide habitude des choses, la patience du pêcheur, le pas alourdi de terre, aiment le balancement lent et gracieux des troupeaux et se déplacent sur les  « chemins d'eau » au rythme des « plates » qu'on pousse à la « pigouille ». Sous la plume de Pierre Moinot, les formes et les couleurs se dessinent à l'invite des phrases si finement ciselées et pourtant si simplement écrites, les senteurs se révèlent, tout un univers animal et sauvage s'anime par la force mais aussi par la magie des mots.

    Les choses changent, c'est vrai et sans doute l'auteur déplore-t-il l'afflux de touristes dans ce Marais devenu terre de vacance et de loisirs, mais ses souvenirs restent intacts. « Mais, entourés des constructeurs de bateaux, des potiers, des dérouleurs de bois humides, les Riffault existent toujours, pesant lentement sur la pigouille pour embarquer leurs troupeaux d'un pré à l'autre, jetant leurs filets sur les mêmes prises, glissant dans les silences et dans les perfection lumineuses des mêmes matins calmes, vers les « milles jardins où l'on ne va que par bateau »

     

    On dira ce qu'on voudra, lire est un plaisir unique et quand la patiente quête est enfin récompensée par un beau texte bien écrit qui, à la fois, parle à la sensibilité et à l'oreille du quémandeur de rêves qu'est le lecteur, il s'établit un lien ténu, dans le secret des mots, entre lui et l'auteur. Dans ce court livre écrit par Moinot peu de temps avant de mourir, c'est la nostalgie qui nous saute aux yeux. Cet auteur est mort lentement, sans faire de bruit, mais peu de temps avant de fermer les yeux, à 86 ans, il avait déposé ce court manuscrit chez son éditeur, comme un discret signe d'adieu de la main à ses lecteurs pour mettre un terme à son parcours avec les hommes, avec les mots.

     

     

    Pierre Moinot (1920-2007) était académicien, Résistant puis haut-fonctionnaire, ami d'Albert Camus, romancier.

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com