la feuille volante

Articles de hervegautier

  • LIBERTÉ – Un film de Tony Gatlif.

     

     

    N°402 – Mars 2010

    LIBERTÉ – Un film de Tony Gatlif.

     

    Tout commence par une image poétique et tragique à la fois, un camp de concentration et une musique jetée au vent et produite par des cordes de guitare qui vibrent au rythme des barbelés. Le ton est donné.

     

    La deuxième image est celle d'un campement de gitans en marche dans une forêt à la recherche d'un hypothétique fantôme qui leur fait peur. Ce n'est en fait qu'un petit garçon qui veut se joindre à eux pour échapper à l'orphelinat. Lui aussi a choisi la liberté, celle de ceux qui ne sont de nulle part et qui n'ont comme boussole que le vent. Cette famille tsigane s'installe provisoirement dans un village pour les vendanges, comme tous les ans. Pour autant, on commence à comprendre que les choses ont changé, qu'ils se méfient. On aperçoit la silhouette de soldats allemands qu'ils semblent fuir. Pourtant, dans ce village, ils ont leurs habitudes, qu'ils y connaissent des gens qu'ils respectent, comme ce Pentecôte qu'ils accueillent au début en ami. Pourtant, c'est la guerre et même si cela n'est la « leur guerre », elle est là et a changé les mentalités et surtout les hommes. Pentecôte qui était auparavant leur ami est devenu un « collabo », à la solde de la milice et des SS, désireux avant tout de les spolier du peu qu'ils ont et de servir ses propres intérêts. A partir de ce moment les choses s'enclenchent et de fuites en persécutions et internements dans un camp, le spectateur les prend forcément en sympathie. Ils sont les faibles dont les plus forts vont avoir raison, la mort va s'imposer, même s'il elle n'est suscitée qu'à travers l'assassinat de Taloche.

     

    Dans ce film sans véritable scénario, fait seulement de scènes juxtaposées, Gatlif choisit de célébrer le besoin de liberté [Taloche, décidément en décalage complet avec notre société qui libère l'eau en ouvrant largement les robinets – C'est dans l'eau de la rivière qu'il trouvera la mort, symbole d'une véritable libération mais aussi de la volonté d'anéantissement des Allemands] qui colle aux « semelles de vent » des Tsiganes. A l'occasion, l'auteur souhaite revenir aussi sur les idées reçues et fortement ancrées dans l'inconscient collectif qui font d'eux des « voleurs de poules » [L'épisode où les gens du village viennent les chercher et les paient pour jouer devant leurs poules qui ne veulent plus pondre, est révélateur]. Il les montrent comme des gens qui refusent définitivement d'intégrer notre société sédentaire, scolarisée, obéissante..., comme des gens qu'on souhaite surtout voir s'installer ailleurs [Même s'ils jouent dans les bals de campagne, apparemment à la satisfaction de tous, ils n'en sont pas moins l'objet de l'hostilité des villageois, même s'ils partagent, peu ou prou, les mêmes peurs, les mêmes superstitions]

    Gatlif n'oublie personne et rappelle, à sa manière, qu'ils n'ont pas été les seuls à être persécutés par les Allemands [l'épisode où Taloche, malgré son côté hurluberlu et comique, découvre à la sortie d'un tunnel ferroviaire une montre juive, remet les choses dans leur contexte]. Hitler ne s'en est pas pris seulement aux Juifs, mais aussi à tous ceux qui n'avaient pas l'heur de lui plaire [communistes, résistants, opposants politiques, homosexuels...]. Il rend également hommage à ceux qui ont gardé leur humanité, le maire du village qui vient les chercher dans le camp et les sauve provisoirement par un subterfuge juridique, l'instructrice qui est aussi une résistante, le personnage incarné par Rufus qui leur fournit du travail et de la nourriture. Ils sont eux aussi, à leur manière, des « Justes parmi les justes » mais cette distinction n'existe pas chez les Tsiganes. Il n'y a pas eu chez eux, comme chez les Juifs, d'écrivains et des éditeurs pour porter témoignage de cette extermination.

     

    Ce film est donc bienvenu par l'authenticité de ses personnages et par le témoignage qu'il porte, non seulement sur la différence [et donc sur la tolérance qu'elle entraîne de la part d'une société qui se dit civilisée], mais surtout sur le massacre, avec la complicité de l'État français, de ce peuple victime, lui aussi, de la folie meurtrière des nazis.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • L' INVISIBLE – Pascal JANOVJAK

     

     

    N°401 – Mars 2010

    L' INVISIBLE – Pascal JANOVJAK – Éditions Buchet – Chastel.

     

    C'est un peu notre histoire à tous, au moins au début. Tous nous aurions voulu faire autre autre chose, être quelqu'un d'autre... Et puis il y a les hasards de la vie qui vous donnent parfois à penser que vous n'avez pas forcément fait le bon choix...

    Le narrateur est avocat au Luxembourg, trente cinq ans et travaille dans un cabinet important. Sur sa situation professionnelle, il n'y a rien à dire, son salaire est très acceptable et il est compétent. On peut donc penser qu'il a réussi, malgré un âge relativement jeune. Pourtant il aurait voulu être artiste-peintre, mais c'était plus hasardeux, le droit c'était plus simple et il avait hâte de quitter Paris pour la tranquillité du Grand-Duché.

    En réalité, il manque d'ambition et, côté personnel, c'est un solitaire, un timide, un malchanceux et le résultat de tout cela n'est guère brillant : pas d'amis, pas d'amour, malgré son attirance pour les femmes en générale et pour son assistante en particulier, seulement quelques passades rapidement passées, un embonpoint naissant, pas mal de spleen, les mains moites et la prise de conscience de sa médiocrité, de son anonymat! C'est vraiment le désert dans sa vie.

    A cause de cela sans doute et à l'occasion d'un voyage d'affaires un peu laborieux, il se rend compte qu'il est invisible. Là, cela devient intéressant et le personnage prend un côté original qui le différencie du commun des mortels auquel il ressemblait si bien. Et pourtant, chacun d'entre nous est un fantôme, perdu dans la foule, mais lui, sans avoir souhaité ce nouvel état, connaissait enfin ce qui lui avait toujours été interdit avant : il était heureux et surtout libre, transparent, un véritable courant d'air!

     

    Dès lors, une nouvelle vie s'offre à lui et il endosse une nouvelle personnalité. Son nouveau pouvoir lui révèle des possibilités insoupçonnées, des audaces dont, dans sa vie antérieure il n'aurait pas eu le début du commencement d'une intention. Il en profite même pour régler quelques comptes, devenir voyeur, espiègle, coquin et même un peu voleur. Son regard sur les femmes, jadis timide et hésitant, devient sensuel et parfois inquisiteur. Tout cela l'entraine dans un voyage improbable, peut-être initiatique dont le lecteur se demande s'il a réellement eu lieu, mais après nous sommes dans une fiction! Finalement les choses reviennent à leur vraie place et reprennent leur cours. Pas exactement cependant et cette période entre parenthèses lui permet une réflexion salutaire, un nouveau regard sur les choses et les gens, sur la société avec tous les travers que nous lui connaissons.

     

    C'est vrai qu'on ne peut pas ne pas songer à H.G. Wells et à Marcel Aymé.

    Le roman est bien écrit, avec un humour qui sait s'attacher le lecteur. Le style est léger, presque primesautier. J'ai lu ce récit jusqu'à la fin avec plaisir, mais j'ai été un peu déçu par l'épilogue, je m'attendais à autre chose. Qu'importe! Mais j'ai bien aimé la réalité évoquée à une époque où seule compte la réussite professionnelle, les apparences et où chacun s'attache à faire prévaloir le paraître sur l'être, l'égoïsme, l'artifice, le plaisir immédiat. Sa volonté initiale de devenir peintre trouve, à la fin, une heureuse issue.

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE SYNDROME D'ULYSSE - Santiago GAMBOA

     

    N°400– Février 2010.

    LE SYNDROME D'ULYSSE – Santiago GAMBOA - Métailié.

     

    J'ai, avec la lecture des relations bizarres et quand je choisis un livre, c'est parfois à cause de sa notoriété, parce qu'il faut l'avoir lu pour pouvoir en parler[c'est un peu l'objet de cette chronique], mais souvent, c'est le hasard qui guide mon choix. Il fait bien ou mal les choses, c'est selon!

    Pourquoi ai-je choisi ce roman? A cause de James Joyce, peut-être ou de mon chat qui porte le même nom que le héros grec à cause de l'habitude que nous avons prise de baptiser nos animaux de compagnie de noms dont le première lettre varie en fonction de l'année? Ou peut-être de l'attirance irraisonnée que le ressens toujours pour les auteurs hispaniques? Allez savoir!

    L'histoire m'a pourtant paru, au début un peu fastidieuse, mais je ne sais pas pourquoi, je m'y suis accroché. Cela ne m'intéressait pourtant pas beaucoup d'en savoir davantage sur cet Esteban, jeune colombien venu à Paris dans l'espoir d'étudier en Sorbonne et celui un peu plus fou de devenir écrivain. Comme c'était prévisible, lui qui ne rêvait que de salons littéraires et de prix prestigieux, n'a connu que la pluie, le froid, la promiscuité... et la plonge dans un restaurant parisien!

    Je n'avais pas non plus de réelles sympathies pour ce marocain qui lui aussi nourrissait des fantasmes de réussites universitaires françaises mais son parcours s'est révélé le même! Suivent d'autres rencontres avec des Sud-américains, des Roumains, qui livrent tous, à la première personne, une récit proche de l'oralité fait de solitude et de désarroi, comme celle de Jung, le Coréen, réfugié et travailleur précaire, des aventures avec des femmes plus ou moins prostituées aussi. Cela m'a semblé être comme une succession de récits reliés artificiellement entre eux, souhaitant sans doute nous rappeler la dure condition des travailleurs émigrés. Je ne dis pas que ce n'est pas émouvant et une piqure de rappel ne fait jamais de mal surtout dans un pays qui proclame bien haut ses valeurs humanistes et républicaines, mais ne respecte même pas ses propres citoyens nationaux. Mais quand même! C'est d'autant moins original que le récit dévie rapidement vers l'homosexualité et vers des évocations érotiques voire pornographiques, sans doute pour être dans un contexte plus actuel, vers la drogue et l'alcool aussi, sans oublier de remuer des poncifs un peu usés.

    Pour faire intellectuel, l'auteur note constamment des références culturelles, ce que je n'ai, personnellement, pas trouvé très convaincant.

    J'ai cherché ce qu'est réellement le syndrome d'Ulysse, peut-être pour m'expliquer le titre de ce roman dont je suivais les méandres avec difficultés. Il s'agit de retracer le parcours d'un individu qui, sans être sujet à des pressions psychologiques, peut se trouver capter par un autre ou un groupe d'autres au point qu'il en perde tout sens critique et qu'il soit même incapable de se remettre lui-même en cause. C'est aussi le stress ressenti par un émigré qui arrive dans un pays étranger et le ressent comme hostile. Loin de moi de vouloir minimiser un tel message, mais je suis vite lassé, même si ce récit suscite une grande solitude et se termine par le suicide. Quant à l'écriture, présentée comme une libération dans ce contexte difficile, pourquoi pas? Nous savons tous qu'elle est une vertu et une manière de se recréer un monde différent et plus conforme à nos vues.

     

    Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais je n'ai pas vraiment été enthousiasmé par cet auteur dont je ne souhaite pas poursuivre la découverte.

     

    J'avoue que je me suis beaucoup ennuyé à la lecture de ce livre, pas vraiment (et même pas du tout) bien écrit, ni passionnant ni attachant. Cela n'a pas correspondu à ce que j'attends d'un roman, celui d'être un moment d'exception et de plaisir, à la découverte d'un auteur et de son univers.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE SARI VERT – Ananda DEVI

     

    N°399– Février 2010.

    LE SARI VERT – Ananda DEVI – Gallimard.

     

    Nous sommes dans l'île Maurice et un vieux médecin, le Docteur Bissam est à l'agonie. Il est veillé par sa fille, Kitty, et sa petite-fille, Malika. On imagine facilement qu'il aurait souhaité partir en paix, mais son existence entière a été faite de haine, de violences... Le fait-elle exprès (avant qu'il ne soit trop tard?), mais sa fille va réveiller, dans le huis-clos de cette chambre mortuaire et dans l'esprit de ce pauvre nécromant, des images oubliées depuis longtemps. C'est qu'elle veut apprendre de sa bouche comment sa mère, l'épouse du docteur, est morte. Elle veut savoir ce que fut sa vie et elle ne va pas tarder à apprendre qu'elle a été placée sous le signe du mépris, des insultes, des coups... qui peuvent parfois conduire au crime. Même si le récit est fait principalement à la première personne, par ce « Dokter-Dieu », on n'imagine pas, pour une foule de bonnes raisons, qu'il ait pu être aussi un tyran familial. Pourtant, avec la voix qu'on imagine chevrotante d'un mourant, il va justifier son attitude, celle de toute une vie. Pour un plat brûlé, il frappe pour la première fois son épouse et évoque le sourire que lui faisait sa lèvre fendue. «  La violence est une grâce » finit-il par déclarer!

     

    La violence (à la lumière du dernier mot de cet ouvrage étonnant à plus d'un titre) est donc au cœur de ce roman, celle d'un homme qui bat son épouse et plus tard sa fille, parce qu'il n'aime guère les femmes, mais aussi la violence verbale du monologue de cet homme qui revoit le cours d'une vie où il n'a pu se dispenser de rendre malheureux son entourage. Sous sa plume, à la fois cruelle misogyne et lucide, le narrateur entraine son lecteur dans la monstruosité ordinaire d'un homme mesquin, une sorte de « Père-Dieu » qui a d'autant plus facilement humilié cette épouse, morte jeune, qu'il en était profondément épris, qu'il désirait ardemment la posséder, la dominer, mais cette femme choisit, comme acte de résistance, de se réfugier dans le silence. Il étend son pouvoir sur elle puis sur sa fille, mais on sent bien que sa petite fille lui échappe. Le lecteur comprend bien aussi que ces deux femmes ne le laisseront pas en paix tant qu'il ne leur sera pas révélé les circonstances de la mort prématurée de cette épouse, même s'il cherche à louvoyer avec la vérité et ses peurs, celles de la nuit et celles du passé.

     

    C'est peut-être difficile à dire, mais il m'a semblé que ce livre était une sorte de dernier cri poussé avant la mort même si « l'honnêteté de penser est désormais un crime », on sent qu'il a envie de tout braver et de libérer enfin sa conscience, même si ces mots sont pleins de méchanceté, de haine et de volonté de se disculper. C'est que la mort est à chaque ligne, celle de son épouse mais aussi celle de leur fils qui n'a pas vécu, celle du mari de Kitty, de tous ceux qu'il a soignés et qui n'ont pas résisté, de la sienne à venir...Certes, ce qu'il dit dérange, mais j'ai eu l'impression d'une libération par les mots, un besoin de justifications, une catharsis... même si le monologue se transforme, petit à petit en dialogue, certes difficile et même délétère entre « ses » femmes et lui.

     

    A la fin, cet homme finit par mourir et la parole est rendue aux femmes qui lui assènent leur vérité afin que l'équilibre des choses soit en quelque sorte rétabli. Il l'est, d'une certaine façon à la fin, quasi-fictivement, puisqu'elles se retrouvent devant le corps du docteur, désormais privé de vie, et célèbrent en une sorte de fête macabre, une manière de libération, le point final de leurs blessures

     

    Le sari, vêtement de femme de l'île Maurice qui évoque tout à la fois la grâce, la féminité, la légèreté, va devenir sous la main de Bissam, un véritable carcan et même un linceul. Il apparaît au début dans un rêve, une sorte de fantôme que le narrateur poursuit, allégorie de la vie passée avec son épouse, puis de la mort.

     

    Le livre refermé, je retire une impression dérangeante, malsaine. Cette histoire de vie et de mort, de culpabilité et de pardon, de honte et de faute, d'amour et de haine, d'ange et de démon, de solitude et de compassion, de grandeur et de déchéance, de tendresse et de lâcheté, de poésie et de vulgarité, d'émotions et de dégoûts résonne comme les deux pans opposé d'un discours d'où la pertinence et la lucidité ne sont pourtant pas absentes.

     

    Le style est envoûtant jusqu'à la fin et j'ai un peu de mal à admettre que tous ces mots aient pu naître sous la plume d'une femme.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • TROIS FEMMES PUISSANTES – Marie Ndiaye

     

    N°398– Février 2010.

    TROIS FEMMES PUISSANTES – Marie Ndiaye – Gallimard (Prix Goncourt 2009).

     

    Que ce soit Norah, cette avocate qui vit en France et qui est amenée à rejoindre en Afrique un père égocentrique pour débrouiller une triste affaire de meurtre familial, Fanta, compagne d'un professeur de Lettres de Dakar qui doit quitter ce pays pour suivre son mari en France à la suite d'une expulsion du collège où il travaillait, mais qui se révèle incapable de lui procurer la vie dont elle a rêvé ou Khady Demba, jeune veuve africaine et pauvre en mal d'enfant qui veut rejoindre une cousine en France et pour cela se prostitue dans une ville du désert, elles nous sont présentées comme des femmes qui luttent pour leur dignité. C'est en ce sens, au dire même de l'auteur, qu'elles sont puissantes.

     

    J'avoue avoir lu ce livre parce qu'il a été sous le feu de l'actualité à cause de ce prestigieux prix littéraire, mais je n'en ai pas retiré grand chose de ces trois histoires. La première et la troisième m'ont paru un peu dignes d'intérêt, mais la seconde, la plus longue, s'est révélée ennuyeuse. Je ne l'ai pas bien comprise. Il est effet beaucoup question de Rudy Descas, le compagnon de Fanta, de ses états d'âme, de ses indispositions physiques passagères, de ses phobies, de sa propre histoire mouvementée et tourmentée par celle de son père meurtrier, quelques années plus tôt, de son associé à Dakar, de ses impossibilités de se réaliser dans un nouveau métier qui ne lui convient pas. Là, sa compagne est singulièrement absente et le récit qui, Dieu sait pourquoi, oscille et hésite entre le personnage de sa mère, tourmentée par des préoccupations religieuses d'un autre âge, par son rôle éventuel dans la mort par suicide de son mari incarcéré à Dakar à la suite de l'assassinat de son associé, et celui du sculpteur Gauquelan qu'il soupçonne de lui avoir dérobé son image, des craintes au sujet de la fidélité de cette épouse, décidément bien absente de ce récit. Peut-être y a-t-il une allégorie, une métaphore, entre les attaques répétées d'une buse et les anges que sa mère voit partout? Cet animal illustre-t-il la difficulté que rencontre Rudy avec le monde extérieur qu'il perçoit comme hostile et répond-il aux corbeaux du troisième récit? Quand à la dernière évocation, il semble y avoir un cousinage entre Fanta et Khady.

     

    Le troisième témoignage donne à voir une veuve africaine rejetée par sa propre famille parce qu'elle n'a pu avoir d'enfant, ravalée au rang d'une domestique, avec la sensation de n'être rien en ce monde au point d'entrer dans un mutisme presque permanent et de devoir partir pour L'Europe.

    C'est certes un témoignage sur la femme africaine, ses désillusions au regard de ses rêves d'occident. Il y a peut-être une sorte d'unité entre ces trois récits, le lieu (la ville de Dakar et la prison de Reubeuss) que bizarrement les hommes semblent se partager (on peut supposer que le père de Nora a repris le village vacances que celui de Rudy avait voulu créer – A la mort mystérieuse de la seconde épouse du père de Nora, semble répondre l'assassinat de l'associé du père de Rudy et les pulsions meurtrières de celui-ci et la mort non moins mystérieuse et brutale du mari de Kadhy – A l'impossibilité de s'adapter à son nouveau métier, semble répondre, pour Rudy, la volonté destructrice qu'il a déployée jadis, face à l'agression de ses élèves et qui a motivé son renvoi du collègue où il enseignait - Attachement impossible à son propre fils et sentiment de culpabilité de du père par rapport à son enfant auquel répondent ses interrogations, ses états d'âme à lui par rapport à son propre père?).

     

    Je n'ai pas vraiment senti la « puissance » de ces femmes, leur volonté de s'opposer à leur quotidien. J'ai plutôt été interpelé par la mort, omniprésente, comme un leitmotiv, comme la solution d'une existence impossible ou la source de celle-ci. Peut-être le dernier récit, plus fort en intensité émotionnelle, m' a-t-il interpelé mais il m'apparait que Khady subit son sort, la trahison de son compagnon, plus qu'elle ne réagit face à sa condition.

     

    C'est étonnant, mais j'ai lu ces récits, davantage intéressé par le dénouement de chacun d'eux et lien qui pouvaient exister entre eux mais la longueur démesurée de la plupart de phrases et les nombreuses péripéties du récit qui, à mon avis n'apportent rien à l'ensemble, m'ont vite découragé.

    Seul, peut-être, le dépaysement a retenu mon attention mais je n'adhère guère au concert de louanges qui a accompagné ce prix.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • MA GRAND-MÈRE AVAIT LES MÊMES – Philippe DELERM

     

    N°396– Février 2010.

    MA GRAND-MÈRE AVAIT LES MÊMES – Philippe DELERM – Feryane éditeur.

     Philippe Delerm n'est pas un inconnu pour cette revue (la Feuille Volante n°268).

     J'ai donc abordé cette lecture avec un a priori favorable. Le titre en lui-même sonne comme une remarque existentielle, pas vraiment un compliment, plutôt une réflexion désabusée qui insiste sur la banalités de choses qui pourtant se voulaient originales!

     D'emblée, j'ai été conquis par le style, bien dans l'esprit de cet ouvrage qui n'est ni un roman ni un essai mais une somme de réflexions sur la condition humaine à travers des expressions de tous les jours qui reviennent dans notre bouche et qui résument la perception que nous avons du monde qui nous entoure. Du monde et surtout des êtres, nos semblables que nous sommes amenés, parfois malgré nous ou parfois non, à juger d'un mot, comme si cela devait faire date dans notre jurisprudence personnelle, tant il est vrai que nous sommes tous prompts à la critique! Nous nous arrogeons le droit de poser nos yeux sur la vie d'autrui comme si cela nous regardait et comme si cela pouvait arranger les choses, en oubliant, bien sûr, qu'il en va de même pour nous, que nous sommes nous aussi un centre d'intérêt pour autrui ou une occasion de parler! Juger les autres n'a jamais fait avancer les choses. Tout y passe, notre voisin comme la façon qu'ont les hommes politiques de gouverner le monde et donc notre vie, mais aussi le foot, le gaspillage...

    C'est vrai qu'elles sont banales les choses de tous les jours, c'est rien de le dire surtout quand cette caractéristique s'exprime en phrases convenues, presque des clichés, des truismes des petites phrases usitées à en être usées qui soulignent le temps, celui qu'il fait et celui qui passe. On n'y prête même plus attention parce que « le travail », parce que « la famille », parce que « les obligations »... et puis on choisit de tout oublier « parce que le présent est toujours fait de comédie et de tragédie », on laisse filer tout en profitant, parfois, pour oublier, parce que le temps est source de souvenirs, mélancoliques, douloureux, rarement heureux! Tout cela est une question de fidélité, aux autres et surtout à soi parce qu'à l'heure de la toilette l'image que nous renvoie chaque matin le miroir se doit d'être honorable, à moins qu'on choisisse de s'en moquer. Quand on est vieux on se veut « encore jeune » et les générations montantes doutent du futur et envient les retraités! On n'oublient pas les rituels, ceux du marché dominical, même s'il y fait froid, que c'est incommode et plus cher qu'ailleurs. On se justifie avec de bonnes raisons, celle du dialogue avec le commerçant, de la rencontre de copains et de l'appétitif sur le zinc...

    L'auteur décrit en effet des instants familiers, caractérise des moments saisis dans notre quotidien, sur le marché, dans la rue ou simplement dans notre famille. Ce ne sont que des mots, des expressions toutes faites, des phrases usitées à en être usées ( mais les mots de s'usent pas comme des vêtements, on dirait au contraire qu'ils se régénèrent, se revitalisent par un usage excessif) que nous sollicitons pour expliquer une situation , souvent dans un résumé étonnamment bref. Le temps! Voilà bien le sujet. C'est avant tout celui qu'il fait, la météo que chacun se targue de deviner pour le lendemain ou de regretter parce que, maintenant, il n'y a plus de saison et que le réchauffement de la planète menace la vie. Ah, cette météo, si elle n'existait pas! Elle permet à chacun de se mettre en valeur, de faire état de son expérience personnelle qui, bien entendu, est meilleure que celle de son voisin!

    Surtout, me semble-t-il, c'est le temps qui passe qui est évoqué. Sur lui, personne n'a de prise et cet aspect des choses fait tellement partie de la condition humaine qu'il vaut mieux oublier. Nous ne sommes ici que de passage, nous ne sommes pas éternels. Cela aussi fait partie de ces petites phrases récurrentes qu'on emploie comme à regret, un rien philosophe, ou qu'on évite de trop évoquer parce qu'elles deviennent tabou et insistent sur l'aspect transitoire de notre vie! Elles évoquent le passé comme une période pas vraiment mieux que maintenant, mais qu'on regrette parce qu'à l'époque on était plus jeune, on avait la vie devant soi et le temps n'avait pas encore laissé son empreinte dans notre âme et dans notre vie. C'est aussi notre présent qui est évoqué ici, dans nos gestes quotidiens et automatiques, ce qui donne à l'auteur une extraordinaire occasion d'en parler et d'y réfléchir, de disséquer ce qu'il croit être nos raisons profondes d'agir ainsi et les remarques personnelles que cela lui inspire. L'air de rien, il nous parle de nous, de nos petites lâchetés, de notre aptitude à la flatterie, voire à la flagornerie, de nos petits arrangements avec le quotidien, de notre refus de nous remettre en question, de ces non-dits, voire de ces hypocrisies de chaque jour qui envahissent notre vie, de nos compromis qui se changent souvent en compromissions, de nos centres d'intérêt qu'on voudrait définitifs mais qui sont souvent remplacés par d'autres, davantage de circonstance... Nous nous nourrissons avec gourmandise de superficialité parce que l'époque est ainsi. Nous exprimons nos révoltes autant que nos plaisirs intimes et furtifs.

    A travers mille petites phrases de la vie de tous les jours, l'auteur redessine cette hypocrisie, voire cette muflerie qui fait notre quotidien et dont nous nous contentons à bon compte, qui cache ce que tout le monde voit mais affecte d'ignorer, ces non-dits qui gomment artificiellement les différences et clivages sociaux. C'est la société humaine qui se reflète dans son langage comme dans un miroir et évoque ces mille arrangements avec la solitude, la condition humaine, les bassesses et les lâchetés qui font notre quotidien, cette volonté de faire prévaloir le paraître sur l'être parce que c'est ainsi depuis que le monde est monde et que personne ne changera rien à cette comédie, parce que la flatterie, voire la flagornerie fait partie du jeu, parce que les compromis se changent souvent en compromissions, parce que c'est ainsi tout simplement, malgré les images et les visages furtifs de ceux qu'on aurait bien voulu voir s'attarder un peu, mais voilà!

     Ces petits fragments de langage, commentés avec humour et rendus savoureux par l'auteur sont autant d'occasion de se les rapproprier avec émotion, même si, l'air de rien, il nous rappelle que nous ne sommes ici que de passage, que tout ce qui est humain a une fin et que ce n'est peut-être pas si grave que cela après tout puisqu'il nous redonne les goût des mots, pas ceux intellectuels de la littérature, mais au contraire ceux de tous les jours et de tout le monde! Le temps passe, oui, et après? Ces mots c'est, comme le dit l'auteur « un salut à la vie qui se plaint de la vie ».

    Alors, insoutenable légèreté de l'être? Pourquoi pas. Il reste que j'ai bien aimé ce moment de lecture.

    Le sous-titre « les dessous affriolants des petites phrases » me paraît tout à fait justifié.

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

    N° 396 – Février 2010

     

    MA GRAND-MÈRE AVAIT LES MÊMES – Philippe DELERM

    Philippe DELERM n'est pas un inconnu pour cette revue (La Feuille Volante n° 268).

    J'ai donc abordé cette lecture avec un a priori favorable. Le titre en lui-même sonne comme une remarque existentielle, pas vraiment un compliment, plutôt une réflexion désabusée qui insiste sur la banalités de choses qui pourtant se voulaient originales!

    D'emblée, j'ai été conquis par le style, bien dans l'esprit de cet ouvrage qui n'est ni un roman ni un essai mais une somme de réflexions sur la condition humaine à travers des expressions de tous les jours qui reviennent dans notre bouche et qui résument la perception que nous avons du monde qui nous entoure. Du monde et surtout des êtres, nos semblables que nous sommes amenés, parfois malgré nous ou parfois non, à juger d'un mot, comme si cela devait faire date dans notre jurisprudence personnelle tant il est vrai que nous sommes tous prompts à la critique! Nous nous arrogeons le droit de poser nos yeux sur la vie d'autrui comme si cela nous regardait et comme si cela pouvait arranger les choses, en oubliant, bien sûr, qu'il en va de même pour nous, que nous sommes, nous aussi un centre d'intérêt pour autrui, ou une occasion de parler! Juger les autres n'a jamais fait avancer les choses. Tout y passe, notre voisin comme la façon qu'ont nos hommes politiques de gouverner le monde et donc notre vie, mais aussi le foot, le gaspillage...

    C'est vrai qu'elles sont banales les choses de tous les jours, c'est rien de le dire surtout quand cette caractéristique s'exprime en phrases convenues, presque des clichés, des truismes des petites phrases usitées à en être usées qui soulignent le temps, celui qu'il fait et celui qui passe. On n'y prête même plus attention parce que « le travail », parce que « la famille », parce que « les obligations »... et puis on choisit de tout oublier « parce que le présent est toujours fait de comédie et de tragédie », on laisse filer tout en profitant, parfois, pour oublier, parce que le temps est source de souvenirs, mélancoliques, douloureux, rarement heureux! Tout cela est une question de fidélité, aux autres et surtout à soi parce qu'à l'heure de la toilette l'image que nous renvoie chaque matin le miroir se doit d'être honorable, à moins qu'on choisisse de s'en moquer. Quand on est vieux on se veut « encore jeune » et les générations montantes doutent du futur et envient les retraités! On n'oublie pas les rituels, ceux du marché dominical, même s'il y fait froid, que c'est incommode et plus cher qu'ailleurs. On se justifie avec de bonnes raisons, celle du dialogue avec le commerçant, de la rencontre de copains et de l'appétitif sur le zinc...

    L'auteur décrit en effet des instants familiers, caractérise des moments saisis dans notre quotidien, sur un marché, dans la rue ou simplement dans l'intimité de notre famille. Ce ne sont que des mots, des expressions toutes faites, des phrases usitées et même usées ( mais les mots ne s'usent pas comme des vêtements, on dirait au contraire qu'ils se régénèrent, se revitalisent par un usage excessif ) que nous sollicitons pour expliquer une situation, souvent dans un résumé étonnamment bref. Le temps! Voilà bien le sujet. C'est avant tout celui qu'il fait, la météo que chacun se targue de deviner pour le lendemain ou de regretter parce que maintenant, il n'y a plus de saisons et que le réchauffement de la planète menace la vie. Ah, cette météo si elle n'existait pas! Elle permet à chacun de se mettre en valeur, de faire état de son expérience personnelle, qui, bien entendu, est meilleure de celle de son voisin! Surtout, me semble-t-il, c'est le temps qui passe qui est ici évoqué. Sur lui personne n'a de prise et cet aspect des choses fait tellement partie de la condition humaine qu'il vaut mieux l'oublier. Nous ne sommes ici que de passage, nous ne sommes pas éternels. Cela aussi fait partie de ces petites phrases récurrentes qu'on emploie comme à regret, un rien philosophe, ou qu'on évitent pourtant de trop évoquer parce qu'elles deviennent tabou et insistent sur l'aspect transitoire de notre vie! Elles évoquent le passé, comme une période pas vraiment mieux que maintenant mais qu'on regrette parce qu'à l'époque on était plus jeune, on avait la vie devant soi et le temps n'avait pas encore laissé son empreinte dans notre âme et dans notre vie. C'est aussi notre présent qui est évoqué ici, dans nos gestes quotidiens et automatiques ce qui donne à l'auteur une extraordinaire occasion d'en parler et d'y réfléchir, de disséquer ce qu'il croit être nos raisons profondes d'agir ainsi et les remarques personnelles que cela lui inspire. L'air de rien, il nous parle de nous, de nos petites lâchetés, de notre aptitude à la flatterie, voire à la flagornerie, de nos petits arrangements avec le quotidien, de notre refus de nous remettre en question, de ces non-dits, voire de ces hypocrisies qui chaque jour envahissent notre vie, de nos compromis qui se changent souvent en compromissions, de nos centres d'intérêt qu'on voudrait définitifs mais qui sont aussitôt remplacés par d'autres, davantage de circonstance... Nous nous nourrissons avec gourmandise de superficialité parce que l'époque est ainsi exprimons notre révolte autant que nos plaisirs intimes et furtifs

    A travers mille petites phrases de la vie de tous les jours, l'auteur redessine cette hypocrisie, voire cette muflerie qui fait notre quotidien et dont nous nous contentons à bon compte, qui cache ce que tout le monde voit mais affecte d'ignorer, ces non-dits qui gomment artificiellement les différences et clivages sociaux. C'est la société humaine qui se reflète dans son langage comme dans un miroir et évoque ces mille arrangements avec la solitude, la condition humaine, les bassesses et les lâchetés qui font notre quotidien, cette volonté de faire prévaloir le paraître sur l'être parce que c'est ainsi depuis que le monde est monde et que personne n'y changera rien, parce que parce que c'est ainsi tout simplement, malgré les images et les visages furtifs de ceux qu'on aurait bien voulu voir s'attarder un peu, mais voilà!

    Ces petits fragments de langage, commentés avec humour et rendus savoureux par l'auteur sont autant d'occasion de se les approprier de nouveau avec émotion, même si, l'air de rien, il nous rappelle que nous ne sommes ici que de passage, que tout ce qui est humain a une fin et que ce n'est peut-être pas si grave que cela après tout puisqu'il nous redonne les goût des mots, pas ceux intellectuels de la littérature, mais au contraire ceux de tous les jours et de tout le monde! Le temps passe, oui, et après? Ces mots c'est, comme le dit l'auteur « un salut à la vie qui se plaint de la vie »

    Alors, insoutenable légèreté de l'être? Pourquoi pas. Il reste que j'ai bien aimé ce moment de lecture.

    Le sous-titre « les dessous affriolants des petites phrases » me paraît tout à fait justifié.

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.





     

     

  • LA PREMIERE GORGEE DE BIERE - Philipe DELERM – EDITIONS L'ARPENTEUR

     

    N°268 – Février 2007

     

    LA PREMIERE GORGEE DE BIERE – Philipe DELERM – EDITIONS L'ARPENTEUR

    L'auteur et moi sommes de la même génération, alors, forcément, nous avons quelque chose en commun, au moins l'époque. Peut-être pas autant que cela, parce que moi, je suis un provincial, version France profonde, et j'ai toujours voulu cultiver cela, alors “Les loukoums chez l'Arabe” et “Le trottoir roulant de la station Monparnasse”, cela m'est un peu inconnu, quoique...

    le reste en revanche, m'a beaucoup parlé, je veux dire que cela a fait renaître en moi des souvenirs d'enfance. C'est paradoxale peut-être puisque “La première gorgée de bière”, “Prendre un porto” ou le grog des jours de fièvre étaient, à cette époque, plutôt interdits et le secret tenait lieu de plaisir, mais quand même...

     

    Je me souviens des sorties de la messes dominicales qui ne se terminaient jamais sans le passage obligé dans l'odeur chaude d'une pâtisserie, dans le choix de ces douceurs de fins de repas et du cérémonial qui entourait cet achat. L'odeur des pommes qui embaumaient la cave, les fruits qui offraient leur chair ferme et blanche à l'appétit du gourmand, tout cela appelle une ambiance campagnarde qui me parle. A l'époque où on ne peut plus se déplacer qu'assis au volant d'une voiture, le frottement d'une dynamo sur le pneu d'un vélo m'a rappelé un moyen de transport dont j'ai beaucoup usé dans ma jeunesse. Il était presque un plaisir quand rouler la nuit était interdit et que la première bicyclette ne comportait même pas d'éclairage autant pour dissuader son jeune utilisateur que pour marquer la différence avec les adultes. Pour moi non plus “Le petit frr frr rassurant semble n'avoir jamais cessé” et avec lui l'onglet de l'hiver, le bruit de la chaîne et le plaisir de se déplacer autrement qu'à pied...Moi aussi, je me souviens des inhalations qui vous laissaient le visage moite et les poumons dilatés de chaleur et de camphre, mais aussi l'huile de foie de morue et les cataplasmes brûlants... Cela faisait partie de ces maladies de la petite enfance qu'il était presque obligatoire d'avoir eues parce qu'elles étaient regardées comme un vaccin pour le reste de la vie. Elles avaient au moins l'avantage de maintenir dans la moiteur du lit, le petit malade qui bien souvent avait recours à des artifices pour y demeurer plus longtemps et surtout elles dispensaient d'école...Il y avait bien les sirops amers, les médicaments en ampoules...

     

    Mon enfance à moi, c'est aussi les trains, les omnibus, les michelines bicolores aux couleurs délavées et même les wagons inconfortables et malodorants de 3° classe... Les express et les rapides de 1°classe étaient un luxe auquel je n'ai jamais eu droit. Moi, mon enfance, c'était aussi la ouate blanche d'une locomotive à charbon qui m'enveloppait quand je passais sur le pont de chemin de fer, les bains de mer solitaires sur une plage déserte de septembre ou des boules de glace “vanille-fraise” dans des cornets craquants, des hivers en culotte courte et des étés étouffants d'espadrilles à semelles de corde, dans la bruyante ambiance de la caravane du tour de France.

     

    Le dimanche soir a toujours eu quelque chose de triste et la rentrée des classes sentait les vêtements neufs, les chaussures qu'il faudrait briser en récréation ou en promenade, les cahiers dont les pages blanches à la portée bleue seraient bientôt remplis de mots copiés avec des pleins et des déliés d'encre violette et la complicité obligatoire des plumes “sergent-major”, des notes rouges du maître d'école mais aussi des taches en forme de larmes...

     

     

    Et puis, il y cette ambiance, ce climat distillé par les textes. Ils m'évoquent, par la simplicité des mots et la saveurs des phrases, les poèmes de Léon-Georges Godeau qui sont gravés dans ma mémoire. Leur nostalgie m'enveloppe et m'envoûte, le passé revit autant que m'émerveillent ces moments évoqués ici, même s'ils ne sont pas tout à fait miens. Ce sont des instants certes pleins de banalité mais qui font le quotidien de chacun d'entre nous et éveillent nos souvenirs, avec aussi ce sens de la formule de l'auteur, comme une morale définitive “Mouiller ses espadrilles c'est connaître l'amère volupté d'un naufrage complet”, “L'odeur des pommes est douloureuse. C'est celle d'une vie plus forte, d'une lenteur qu'on ne mérite plus”...

     

    Ce ne sont peut-être que des mots, du vent, diront certains, mais moi j'aime bien!

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2007

  • L'HÔTE – Guadaluppe Nettel

     

    N°395– Février 2010.

    L'HÔTE – Guadaluppe Nettel – Actes Sud.

     

    Ana est habitée par une « Chose » qui fait partie d'elle depuis l'enfance. Elle vit avec elle, ou plus exactement est en elle depuis toujours, elle ne la voit pas mais elle la sent et celle-ci se sert d'elle, s'en nourrit presque, jusqu'à à en devenir insupportable. La chose grandissait en effet en elle « comme une chrysalide »;

     

    Durant l'enfance, elle a été sa compagne-complice ce qui meubla la solitude de la fillette. Seul son frère, Diego, échappait à son emprise, mais plus tard ses réactions furent inattendues, dévastatrices au point de s'attaquer à ce frère lui-même... et l'anéantir, le vider de sa propre substance! C'est à tout le moins l'explication qu'Ana donna à la mort prématurée de son frère, associant le sang de ses premières règles à celui qui accompagnait la mort de Diego. Parfois la chose alternait entre accalmie et violence, parfois se manifestait sous la forme d'une petite voix mais avant la mort de ce frère aimé, il semble que la « chose » a laissé sur son bras une sorte de cicatrice qui évoque le braille. Alors, message codé ou annonce de mauvaise augure, rite cabalistique ou volonté de voir un mystère à déchiffrer? Ce fut pour elle l'occasion d'entrer dans le monde des aveugles, pourquoi pas en devenant lectrice dans un institut pour non-voyants? Ce serait une façon bien originale et sûrement efficace pour Ana de se débarrasser de cette « chose » qui devenait de plus en plus un parasite, de l'exorciser en quelque sorte par une sorte de transfert, comme si l'hépatite dont elle souffrit un temps lui aurait permis de partager sa souffrance avec cet « hôte » encombrant?

    Pourtant, à force d'explorer le monde souterrain des aveugles, de les fréquenter jusque dans leur quotidien, à la fois dans cet établissement qui l'emploie mais surtout dans un monde interlope fait de rencontres improbables, de mendicité, de handicap et de vie cachée dans le métro mexicain, véritable cloaque où pourtant elle finit par se mouvoir presque naturellement, elle finit par décrypter le message sur le bras de son frère!

     

    Alors, manifestation d'un dédoublement de personnalité dont nous souffrons tous sans bien nous en rendre compte, peur intrinsèque à l'enfance de voir disparaître des êtres que nous aimons face à l'inconscience des adultes qui préfèrent transformer la mort en tabou, habitude prise dès les premières années de vivre avec autre chose qui fait que les adultes, et parfois nous-mêmes, craignons pour notre santé mentale, volonté de se recréer un monde différent de celui dans lequel nous vivons, sentiment de culpabilité ou désir de voir dans autre chose le responsable de ses propres malheurs, phobie irraisonnée de cette enfance qui pourtant s'en va, mythomanie dévorante qui confine parfois à la folie, itinéraire intime qui consiste à se libérer définitivement d'une obsession? Qui sait!

     

    J'avoue que j'ai lu ce livre avec une certaine circonspection, partagé entre intérêt et curiosité... Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais cet ouvrage, malgré les éloges que j'ai pu en lire par ailleurs m'a laissé une impression bizarre, non par le sujet traité qui me parlerait peut-être, mais par la manière de l'aborder, entre fiction et réalité.

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.

  • DOUZE TYRANS MINUSCULES - Frédéric LENORMAND

     

    N°393– Janvier 2010.

    DOUZE TYRANS MINUSCULES – Frédéric LENORMAND - FAYARD.

     

    Le hasard a fait que je me suis replongé, grâce à Max Gallo, dans l'univers de la Révolution française (La Feuille Volante n° 391 et 392). Cette période m'a toujours fasciné, non pas à cause de l'insécurité qui y régnait, mais parce que dans les temps troublés de notre histoire et à l'occasion de ce genre d'événements, de grands destins se révèlent... mais également des petits! J'ai toujours été impressionné par la personnalité de ceux, rares il est vrai, qui oublient leur intérêt personnel pour se mettre au service d'une grande cause qui les dépasse et souvent les brise... et par les autres, moins fréquentables mais plus nombreux, qui profitent de cette période pour découvrir leurs petitesses et leurs lâchetés qui, en temps ordinaire, n'auraient eu qu'en écho mineur. La délation, l'oppression, l'asservissement, voire le massacre, restent une occasion unique pour ces êtres sans importance de se distinguer, de se grandir à leurs propres yeux, de se faire redouter aussi. Ils sont conscients qu'ils représentent une fraction de l'autorité, infime certes mais bien réelle, et ils vont en profiter pour nuire ou s'enrichir, pour s'imposer aussi et ce d'autant plus facilement qu'ils se sentent protégés par les événements et par leurs fonctions. L'autorité et le commandement sont des ivresses inhérentes à la condition humaine! De la surveillance du peuple dépend l'ordre public sans lequel il n'y a pas de bonne gouvernance, la délation est une méthode simple mais efficace, la police sert tous les régimes sans distinction, mais que dire de ceux qui exercent ce métier sans discernement ni morale, qui abusent de leurs fonctions et se laissent corrompre?

     

    L'auteur, infatigable et précis archiviste, nous les présente: ce sont, à l'origine, de petits commerçants, des artisans, des clercs, un poète même, que les événements, leurs convictions politiques, et parfois le chômage, décidèrent à devenir policiers et dont il nous restitue avec une grande minutie les actes et les abus. Cette période troublée va les faire passer de l'ombre à la lumière et, de la petite administration locale où ils firent leurs premières armes, ils eurent pour fonction d'encadrer la capitale et accédèrent même à des fonctions d'administrateurs de la police. A travers leurs agissements, le lecteur revisite les grands moments de cette période, la prise de la Bastille, la mort du roi et les massacres perpétrés par les révolutionnaires... Ces douze petits chefs vont jouer un rôle actif au cours de cette Terreur, mais, en cette période trouble, on ne leur demanda pas d'être des professionnels compétents avec une éthique et un savoir-faire, au contraire, certains même étaient pour la plupart quasiment analphabètes et se contentaient de signer, mais surtout ils n'étaient contrôlés véritablement par personne, la corruption étant assez répandue, n'avaient pas de hiérarchie, la guillotine se chargeant d'éliminer les concurrents les plus gênants. Autant dire que leurs fonctions les invitaient aux pires excès auxquels, bien sûr, ils ne manquèrent pas de se livrer.

     

    Il faut croire qu'il y a une justice, ou que la société des hommes finit toujours par faire prévaloir le bon droit, et nos douze policiers, sans qu'ils s'en rendent compte, grisés sans doute par l'époque, leurs succès, leur opportunisme ou leur impunité temporaire finirent peu ou prou là où il avaient envoyé tant de leurs concitoyens, en prison et pour certains à la mort. Rares sont ceux qui survécurent. Ils périrent par où ils avaient pécher et furent accusés puis convaincus de corruption.

    C'est un des drames de la condition humaine que de se croire irremplaçable et les illusions qu'on se fait sur soi-même sont bien pires que toute les légendes patiemment tissées par les autres, la prétention n'étant jamais loin de la naïveté. En réalité, les pouvoirs qu'ils avaient étaient illusoires et ils n'étaient que des pions entre les mains des politiques qui n'hésitèrent pas à se débarrasser d'eux quand ils furent devenus encombrants. Peu ou pas préparés à leurs fonctions qui ne furent que « de circonstances », ces hommes n'eurent pas même l'idée d'exercer sur leur quotidien le minimum de raisonnement qui leur eût inspiré de la modération ou de la circonspection.

     

    Ce livre en évoque un autre, paru également sous la plume du même auteur, « La pension Belhomme » [La Feuille Volante n°328], remarquable ouvrage qui parle de ces établissements, à mi-chemin entre la maison de santé et la prison, que la Révolution favorisa et que nos policiers contribuèrent à remplir. J'avoue que j'ai un faible pour ce genre d' ouvrages historiques, surtout quand Lenormand les signe.

     

    Je l'ai déjà abondamment écrit dans cette chronique, j'aime bien le style de Frédéric Lenormand. Il est plaisant à lire, jubilatoire et instructif. Il se livre ici à une histoire de la police sous le Terreur, inédite jusque là, puisque l'Histoire officielle a bien plus volontiers retenu le parcours des grands noms qui l'illustrèrent alors qu'elle à rejeté dans l'anecdote les actions des sans grade.

    Il est de ces auteurs, pas si nombreux, qui vous font aimer l'Histoire parce qu'il nous la raconte plaisamment.

    Chacun de ses ouvrages est toujours un bon moment de lecture dont je ne veux pas me priver!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (Aux armes citoyens- 1793-1799) Max GALLO

     

    N°392– Janvier 2010.

    LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (Aux armes citoyens- 1793-1799) Max GALLO – XO Éditions.

     

    C'est un peu comme si la mort de Louis XVI avait donné le départ d'une vague d'exécutions entre révolutionnaires. Les royalistes veulent venger la mort du Roi et rétablir la monarchie, les émeutes de la faim et de la misère attisent pillages et meurtres et, à l'extérieur, c'est la première coalition qui menace la République. Les espoirs de paix et de bonheur suscités par la Révolution tardent à se concrétiser. On défend la propriété privée, on stigmatise les possédants, le prix des denrées monte, la monnaie se dévalue et la peur de l'étranger va croissante. La misère s'installe durablement et avec elle l'insécurité. La Vendée se soulève au nom de Dieu, pour le Roi et avec le soutien des aristocrates. La guerre se développe à l'intérieur comme à l'extérieur du pays et la trahison menace la Révolution. C'est la Terreur qui oppose les révolutionnaires les uns contres les autres, la haine est partout le peuple en souffre, et il a faim.

     

    On assassine Marie-Antoinette, mais Marat trouve la mort sous le couteau de Charlotte Corday, les passions révolutionnaires se déchaînent, les procès redoublent, les massacres sont quotidiens, on tue au nom de Dieu et de la liberté, on prône la Vertu et l'Être suprême mais on foule aux pieds les grands principes de la Révolution, le pouvoir est divisé, incapable de gouverner, le coup d'État politique est permanent qui un jour porte un homme au pouvoir et le lendemain à la guillotine. L'insurrection est décrétée, et «  la loi des suspects » encourage la délation, les citoyens deviennent des fanatiques, ivres du « sang des hommes » qui coule comme un long fleuve à Paris, en Vendée et dans tout le pays malgré les appels à la clémence.

     

    Tout le monde a peur de la dictature. Des hommes disparaissent et d'autres se révèlent qui imprimeront leur marque à l'histoire. La machine à tuer s'est emballée mais après la mort de Robespierre, elle semble être apaisée.

    Pourtant l'opinion publique s'inquiète devant la montée du chômage, une nouvelle société apparaît, plus frivole, plus riche, plus contestataire que les vieux révolutionnaires. Aux frontières, la France n'est plus menacée et l'insurrection vendéenne a trouvé une issue. Une époque s'achève et une autre commence mais des troubles éclatent toujours et le peuple espère un homme providentiel, un sauveur. Napoléon Bonaparte attend patiemment son heure! Ses victoires militaires l'ont rendu populaire dans l'armée puis dans l'opinion et face à la montée des royalistes, à la corruption et à l'enrichissement des Directeurs, au fossé qui chaque jour se creuse entre le peuple et les dirigeants et qu'il ne peut ignorer, il apparaît comme un homme nouveau, ambitieux et déterminé à qui le pouvoir ne peut pas échapper. Il saura saisir sa chance, manipuler les hommes et les événements de manière à assumer son destin personnel.

     

    Comme dans le premier volume, l'auteur nous montre, sous la forme d'une grande fresque, cette période mouvementée et autodestructrice. Il le fait en donnant la parole à un homme du peuple, le libraire parisien, Ruault, qui survit presque miraculeusement à ce chaos de mort. Il est un témoin d'exception pour le lecteur.

     

    Comme toujours, sous la plume de Max Gallo, l'Histoire, c'est passionnant!

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (Le Peuple et le Roi - 1774-1793) Max GALLO

     

    N°391– Janvier 2010.

    LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (Le Peuple et le Roi - 1774-1793) Max GALLO – XO Editions.

     

    Nous sommes au matin du 21 janvier 1793, oui, nous y sommes, et Louis XVI, redevenu Louis Capet va être guillotiné. Comment en est-on arrivé là alors que le règne de ce roi avait commencé sous les meilleurs auspices et que 4 ans auparavant, ce même peuple qui maintenant vient assister à son exécution le célébrait encore et le reconnaissait pour un bon souverain?

     

    C'est vrai que pour lui, les choses avaient plutôt mal commencé. La fin du règne de Louis XV, son grand-père, avait été désastreuse et le Trésor était exsangue, la réforme de Maupéou a échoué et le soutien aux États-Unis d'Amérique s'est, plus tard, révélé couteux. D'autre part, Louis a toujours existé dans l'ombre de son frère aîné, le Duc de Bourgogne, qui malheureusement décède en 1761. Louis, Duc de Berry, futur Louis XVI, qui faisait la désolation de son grand-père, se retrouve donc Dauphin de France, mais on ne lui a rien appris de ce métier de Roi qu'il va devoir exercer. Il est en effet plus manuel que politique et fort mal préparé à ses fonctions, même s'il est animé des meilleurs intentions, ouvert aux idées nouvelles et favorable à une réforme des institutions, à l'instauration de davantage de libertés, d'égalité et de tolérance ...

    Il est marié à Marie Antoinette, l'Autrichienne, frivole inconséquente et dépensière. On se méfie d'elle à cause de ses origines et donc de ses éventuelles trahisons. A la cour, on se gausse de lui, à cause de son mariage qui tarde à être consommé, à sa descendance qui vient enfin, mais surtout parce qu'il est inquiet, taciturne, indifférent, hésitant sur les grandes décisions à prendre qui engagent les affaires du royaume, sur la nomination des ministres, mais préfère se consacrer à la géographie, à la menuiserie, au travail du fer... Le peuple est écrasé d'impôts, les mauvaises récoltes entrainent des émeutes de la faim, la révolte gronde... Le peuple ne pourra longtemps se contenter des pamphlets de rues et le roi est partagé entre les promesses de son sacre, ses traditionnels soutiens et sa volonté de réformateur.

    Il se sait protégé par Dieu, croit à l'amour de son peuple malgré la haine témoignée à la reine et les bruits sur les licences et des déficits de la Cour. Puis les choses se précipitent, les régiments se mutinent, on prend la Bastille et pourtant le peuple, si hostile aux aristocrates, tient à son roi même s'il n'y a plus d'État, si l'ordre public n'existe plus, si la France entière s'enflamme, si l'anarchie s'installe et si l'on tue aveuglément. Pendant que la révolution prend pied, Louis tergiverse ou décide de ne rien voir, s'enfuit pour, dit-on, rejoindre l'armée des émigrés, signant ainsi son arrêt de mort, coiffe le bonnet rouge et multiplie les attitudes et des déclarations contradictoires. Le peuple versatile l'acclame ou le conspue suivant les circonstances, ce qui achève de déstabiliser ce monarque sans caractère et maintenant sans appui.

    Des personnalités se révèlent qu'on retrouvera bientôt dans la tourmente qui se prépare... Seule une guerre pourrait renforcer le pouvoir royal mais, la Patrie étant proclamée « en danger », c'est une guerre civile qui se prépare contre le roi, qui annonce sa déchéance, son arrestation, son procès, sa mort... La peur s'installe et la France est menacée par l'armée prussienne autant que par les troubles intérieurs qui sèment la suspicion et la mort. Le sang recouvre le pays mais la victoire de Valmy vient consolider la Révolution. Celle de Jemmapes suivra bientôt. On bannit la royauté et on installe la République. Elle représente une véritable avancée politique, un progrès! Elle servira de modèle aux autres pays.

    La misère est là, pourtant, qui après l'avoir engendrée peut avoir raison de la Révolution. La seule réponse semble être la mort du Roi. Elle est donc votée. Le roi est dans sa trente neuvième année!

     

    J'avoue que j'avais gardé de cette période mouvementée de notre histoire des souvenirs bien scolaires. Avec ce livre facile à lire et instructif, ils ont été heureusement renouvelés. L'auteur y conte, au jour le jour, et en faisant référence au roi, à ce qu'il voit et à ce qu'il entend, à ce qu'il fait, à ce qu'il dit, avec parfois des détails révélateurs et étonnamment précis, la douloureuse histoire de ce souverain, pas vraiment fait pour cette fonction, que les événements n'ont pas servi et qui a eu le malheur de régner dans une période troublée et propice au changement qu'il n'a pas su maîtriser.

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • VICTOR HUGO - Tome I : Je suis une force qui va -Tome II : Je serai celui-là !

     

     

    N° 242 –Août 2002

     

    VICTOR HUGO – Tome I : Je suis une force qui va… ! –Tome II : Je serai celui-là !

    Max GALLO.

     

    A Gide à qui on demandait quel était le plus grand poète français, il répondait « Victor Hugo », mais ajoutait aussitôt, non sans une certaine perfidie « Hélas !», comme si, dans son esprit la quantité l’emportait sur la qualité !Susceptibilité d’auteur, peut-être ? Qu’importe… mais nous sommes nombreux, anciens élèves de l’enseignement secondaire à en vouloir un peu à ce grand homme (et à d’autres aussi d’ailleurs !) ne serait-ce que parce que l’éducation nationale, sous couvert d’éduquer notre mémoire imposait qu’on apprît de la poésie, qu’on retînt par cœur des vers sans pour autant connaître l’auteur. Victor Hugo était du lot !

     

    Il n’empêche, la personnalité de cet homme, sa vie au quotidien vue par Max Gallo, humaniste et écrivain ne pouvait que m’intéresser et faire de moi un lecteur attentif tant Hugo fait partie de notre patrimoine national !

    Dans un style simple, agréable, pédagogique même, il nous présente l’homme, nous dit que son enfance fut difficile entre un père militaire, éperdument amoureux d’une mère que pourtant il finit par délaisser au profit d’une maîtresse officielle, les absences paternelles qui lui firent connaître, aux côtés de sa mère, la solitude et sinon la pauvreté, à tout le moins la précarité !

    L’enfant vécut mal la séparation finale de ses parents, leurs déchirements. Ses études en pension, sa santé fragile, la concurrence avec ce frère aîné qu’il dépassera bientôt... Il puisa dans ces épreuves prématurées le besoin d’écrire, de même que dans l’amour naissant qui deviendra une véritable passion pour Adèle qu’il épousera.

     

    Puis ce sera le divorce de ses parents permis par le Code Napoléon et les vicissitudes financières de son père, tantôt comblé d’honneurs, tantôt en demi-solde. Il en souffrira autant que la présence de cette marâtre à qui il oppose sa mère aimante et dévouée. A travers cette femme bafouée, il fait l’apprentissage du mariage, à travers l’itinéraire du père, celui de la vie en société. Il se souviendra plus tard de ces deux exemples surtout lui dont la vie matérielle dépend déjà de sa plume, du talent, mais pas encore du génie !

     

    La vie est une chose bien étrange. On s’y accroche, le plus souvent en jurant qu’elle est belle et qu’elle mérite d’être vécue au point qu’on la traverse comme si on était immortel alors que la mort nous guette et que le quotidien se charge de nous donner des leçons. Hugo n’échappera pas à cette condition humaine qui souvent fait qu’on suit l’exemple pourtant combattu de ses propres parents.

     

    Le père était volage, le fils lui ressemblera, multipliant les aventures amoureuses mais conservant son épouse Adèle qu’il continue d’aimer passionnément, même s’il la délaisse au point qu’elle aille chercher dans d’autres bras cet amour que son mari dispense si largement à ses maîtresses, Juliette Drouet et combien d’autres… Ses nombreuses amours sont bourgeoises, aristocratiques, ancillaires ou vénales, mais Victor, plus que son père sans doute ne pourra jamais se passer des femmes, de leurs corps, du plaisir même fugace qu’elles lui donnent et y compris dans un âge avancé, il aime toucher, voir, pénétrer ces femmes au point qu’il note sur son carnet chaque passade en latin ou en espagnol avec des précisions sibyllines et bien peu poétiques, et parfois le prix qu’il a payé pour cet égarement. (Lui qui prétendait que ces notes étaient destinées à des ouvrages à venir, on imagine la jubilation de Gallo d’avoir, peut-être su les déchiffrer !) C’est que, l’ayant connu, il sait ce qu’est la nécessité et comprend ces femmes mais son besoin priapique le pousse parfois vers le quartier des prostituées !

     

    C’est que l’homme attire les femmes. Il les lui faut toutes (¡Todas !) et il en aura beaucoup ! Elles s’offrent à lui, malgré leur jeune âge, leur condition d’épouses, leur rang social, leurs opinions politiques…Et dans l’ombre de son ménage officiel se tient toujours Juliette Drouet qu’il n’épousera jamais mais qui lui restera fidèle au point de risquer sa vie pour lui, de le suivre dans son exil, d’être sa copiste, son amante… Il la séquestre pour mieux l’aimer, pour mieux la garder pour lui seul et elle acceptera sans ciller la loi de cet homme. Elle sera sa chose oh combien consentante parce que simplement elle est aussi amoureuse de lui que lui d’elle ! Quand Hugo sera veuf, Juliette deviendra sa compagne « officielle », gérante de sa fortune, mais, peut-être davantage qu’Adèle, elle sera plus prévenante, plus jalouse, plus inquisitrice même ! Elle l’aime, le sait infidèle, lui rappelle ses devoirs et même la simple décence, mais il y a entre Hugo et les femmes une envie plus forte que l’amour, un besoin charnel. Presque au pas de la mort, il ressentira cela comme une vitale nécessité !

     

    L’épouse « officielle » ferme les yeux sur les égarements de son mari, même s’il compte et lui dispute parfois l’argent qu’il lui donne ! C’est qu’il n’oublie pas les premières années, les mansardes et les appartements exigus. Malgré la richesse et la gloire qu’il connaître ensuite, il se souviendra toujours de la condition des pauvres, les défendra, leur viendra en aide, sera, dans son œuvre le témoin de ce prolétariat que la monarchie et l’empire bafouent, humilient et à qui ils refusent la liberté !

     

    C’est que Hugo, dont le seul métier est d’écrire veut réussir, et pas seulement en littérature. Déclarant qu’il veut « être Chateaubriand ou rien », il mêle dans ce vœu les Lettres et la politique. Pour cela, il recherche l’appui et l’amitié des grands. Certains la lui accordent sans arrières-pensées, tel Théophile Gautier qui illumina de sa présence « la bataille d’Hernani », d’autres seront plus tièdes comme Sainte-Beuve à qui son épouse semble accorder ses faveurs mais qui ne sera jamais vraiment un soutien pour lui ! Quand celui dont les mots coulent des mains comme l’eau d’une fontaine publie un livre, il recueille souvent des compliments mais les palinodies, les railleries, les quolibets de ceux qu’ils croyaient siens se manifestent parfois au grand jour. Dans la force de l’âge, il réagit, s’emporte, mais la vieillesse le rend fataliste. Pourtant il vit et comme le fait si justement remarqué Max Gallo, «  Écrire, c’est comme respirer, quand on s’arrête on meurt ! » Il vivra longtemps, lui a qui on peut appliquer cette phrase de Voltaire. Sa seule force c’était sa plume qui « [avait] la légèreté du vent et la puissance de la foudre ».

     

    Grâce à ce formidable don d’écrire, cette inspiration qui le réveille même la nuit, il pèse sur le cours des choses, obtient des grâces, des amnisties pour les condamnés à mort, pour les insurgés de la Commune… Mais cela ne lui suffit pas, il voudrait être Pair de France, le roi l’élèvera à cette dignité, en fera son confident, son conseiller. Un poste de ministre est à sa portée, mais l’affaire ne se fait pas. Pourtant, il sait qu’il ne fera avancer les choses que par la politique. Cela ne l’empêche pas d’hésiter un temps entre la royauté et la République mais quand c’est l’Empire qui se présente, celui de « Napoléon le petit », il s’exile à Guernesey. Pour lui, il n’y a qu’un Napoléon, Bonaparte, qu’un Empire, le Premier ! Et quand il s’agira de se battre, il le fera avec les pauvres, avec le peuple !

     

    Pourtant, même comblé d’honneurs, de réussite sociale, de richesses, même élu (de justesse) à l’Académie Française, il reste un homme d’action et quand le monde bouge autour de lui, il défend les pauvres mais combat l’anarchie, se fait le défenseur de l’ordre. C’est peut-être une contradiction, mais au moins il agit selon son cœur, il fait ce qui lui semble être son devoir. Comme tout homme, il est à la fois ambitieux et pusillanime. Il se veut un homme d’action, alors qu’il est surtout un homme de paroles. Il voudrait être vertueux, mais les femmes l’obsèdent. Il se voudrait généreux (il l’est parfois), mais compte comme s’il avait peur de manquer, il voudrait être socialiste et révolutionnaire mais son ambition politique le pousse souvent au conservatisme et quand il est l’élu de la droite, il n’a de cesse de réclamer une politique de gauche. Il est richissime, mais réclame le corbillard des pauvres pour son enterrement qui pourtant l’emporte au Panthéon ! Il combat l’hypocrisie, mais applique rarement ce principe à sa vie privée. C’est que l’homme ne laisse jamais indifférent, qui dénonce, déclenche la haine autant que l’admiration. Il est un homme libre !

     

    Il est des êtres qui semblent portés leur destin sur leurs épaules au point que leur vie ne peut se dérouler en dehors d’eux. Hugo est de ceux-là. Il y a eu sa vie, longue, admirable et mouvementée, mais surtout, il y a la mort, moins la sienne que celle de ceux qui l’entourent surtout quand le cours des choses s’inverse et qu’on porte en terre un parent plus jeune, son frère, ses deux fils, sa fille, son premier petit-fils, son autre fille, morte-vivante enfermée dans un asile d’aliénés… Il va tenter d’apprivoiser cette mort qui dès lors ne lui fait plus peur. A Guernesey, il correspond avec l’au-delà. Il va la combattre par l’écriture, par le corps des femmes, par cette extraordinaire vitalité et longévité qui a non seulement fait de lui un « immortel », mais qui, selon le mot de Malraux, a « arraché quelque chose à la mort . » Il sent la sienne s’avancer à travers des signes, des coups frappés dans la nuit et qui le réveillent…

     

    Il est des livres qu’on oublie en les refermant. Ces deux tomes, pour moi ne sont pas de ceux-là !

    Dans cette œuvre magistrale, le portrait de Hugo nous est brossé jusque dans ses moindres détails. Si Max Gallo reconnaît la grandeur et les mérites de l’homme de plume, de cœur et d’action, il n’en note pas moins ses contradictions sans oublier qu’il a été aussi un précurseur politique, demandant l’abolition de la peine de mort, rêvant des États-Unis d’Europe avec pour langue officielle le français. C’est peut-être un peu à lui à qui pensait Aragon quand plus tard il a écrit « Rien n’est jamais acquis a l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur… » et c’est peut-être en écho que lui a répondu. Jean Ferrat «  Le poète a toujours raison, qui voit plus loin que l’horizon et l’avenir est son royaume… »

     

    Je ne suis qu’un simple lecteur, mais ces deux volumes ont réconcilié le distrait potache du fond de la classe que j’étais (il y a bien des années) avec « le plus grand poète français », parce qu’ici et grâce à cette œuvre, j’ai rencontré un homme, tout simplement.

     

    © Hervé GAUTIER 

     

  • LE TABLEAU DU MAITRE FLAMAND – Arturo PEREZ-REVERTE.

     

    N°390– Janvier 2010.

    LE TABLEAU DU MAITRE FLAMAND – Arturo PEREZ-REVERTE.

     

    Julia est restauratrice de tableaux à Madrid. Elle s'occupe d'une œuvre de Van Huys, peintre flamand du XV° siècle qui représente deux nobles qui jouent aux échecs et, en arrière-plan, une femme en deuil qui lit et semble les observer. Il pourrait s'agir d'une scène banale mais le travail de restauration, accompagné d'une recherche radiographique approfondie, révèle sous la peinture une inscription en latin « qui a pris le cavalier? » qui l'intrigue quelque peu. Une étude plus poussée révèle que le peintre a exécuté ce tableau trois années après la mort quelque peu étrange d'un des joueurs et l'inscription cachée pourrait tout aussi bien se traduire par « qui a tué le chevalier? », c'est à dire l'un des deux aristocrates représentés sur le tableau. C'est qu'il met en scène deux personnages historiques avec, en arrière-plan une femme qui aurait bien pu jouer un rôle déterminant dans le disparition de celui qui a été tué. Cette composition énigmatique est bien dans la style de l'époque et est d'ailleurs partagée par d'autres artistes.

     

    Voici posée une énigme, voulue sans doute par le peintre et qui va se compliquer par la vente prochaine du valeureux tableau, l'attribution de commissions juteuses, de tractations tordues en marge de la légalité et l'intervention de personnages mystérieux et parfois sans aucun scrupule. Une véritable partie d'échec là aussi! Deux protagonistes de cette histoire seront même assassinés dans des circonstances troublantes, ce qui ajoutera au mystère qui entoure cette œuvre et ne manquera pas de réunir le passé au présent qui lui aussi comporte des interrogations qui ne sont pas sans rappeler l'œuvre de Van Huys!

     

    L'ambiance un peu noire est entretenue tout au long de ce roman par l'analyse des situations, les couleurs du tableau mais surtout par l'échiquier lui-même, représenté sur la toile avec certaines pièces du jeu dont le déplacement pourrait bien révéler une partie du mystère! La symbolique des pièces, les arcanes du jeu, la stratégie et la technique des échecs, l'éventualité d'un autre joueur qui viendrait déplacer les pions, l'existence d'une main anonyme qui distribuerait messages et indices, brouillant ainsi les pistes, l'intervention de la police, la présence de miroirs, l'opposition des carrés noirs et blancs laissant supposer un certain manichéisme, les supputations logiques et parfois déconcertantes faites autours de cette partie laissée en suspens depuis cinq siècles et qui semble vouloir livrer son secret à qui voudra bien s'y intéresser! C'est que ce tableau, sous des apparences ordinaires, invite le spectateur à prendre d'hypothétiques chemins qui semblent l'égarer à l'envi, d'autant plus que cette œuvre finit par être volée et donc par disparaître.

    Le jeu d'échecs peut-être un passe-temps, une simple parabole, un miroir qui cache la réalité...

     

    Comme toujours Arturo Peres-Reverte renoue avec le type de roman à énigme où se mêlent suspense savamment distillé, délit et blanchiment d'argent, comme toujours une grande érudition, nombre de mises en abymes et sens de la formule toujours aussi affirmé.[« Je voulais parler de la vie, de ces soixante-quatre cases de noires nuits et de blanches journées dont parlais le poète... Ou peut-être le contraire: de nuits blanches et de jours obscurs. Tout dépend de quel côté du joueur nous voulons placer l'image... De quel côté, pour parler en parabole, nous plaçons le miroir. ». « La vie est une espèce de restaurant coûteux où l'on finit toujours par vous remettre l'addition, sans qu'il faille pour autant renier ce qu'on a savouré avec bonheur ou plaisir. »].

     

    L'auteur tient en haleine son lecteur passionné jusqu'à la fin. C'est extraordinaire!

     

    Je ne regrette pas d'avoir, par hasard, fait la connaissance de cet auteur.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES ANNEAUX DE BICETRE – Simenon

     

    N°389– Janvier 2010.

    LES ANNEAUX DE BICETRE – Simenon (1962).

     

    René Maugras est ce qu'on appelle un grand patron de presse, un homme qui parle avec les ministres et les responsables politiques, quelqu'un d'important, de décoré, un notable... Au cours d'un déjeuner pris avec des avocats et des médecins, des académiciens, il est victime d'une attaque et repose maintenant sur un lit d'hôpital à Bicêtre et il ne peut plus ni parler ni bouger.

    Lui qui était puissant, respecté, considéré, craint même, n'est à présent plus qu'une masse inerte, un hémiplégique. Il voit le monde depuis la position allongée et ne le domine plus comme avant, il le perçoit différemment. Bizarrement, il n'en est pas mécontent et c'est pour lui une prise de conscience, à cinquante cinq ans, de ce qu'est véritablement le décor qui l'entoure et que sa position sociale lui avait peu à peu masqué. Il rencontre certes les médecins qui l'entourent, qui sont ses amis et qui donc vont tout faire pour le guérir, mais aussi les soignants du service, simples agents anonymes qui s'occupent de lui, aperçoit, même s'il en est séparé par les cloisons de sa chambre particulière, les autres malades. Maintenant, il ne reste plus rien du grand personnage qu'il était auparavant. Il parvient même à porter de l'attention, voire des idées quasi-charnelles pour l'infirmière de nuit qui dort à côté de son lit.

     

    On ne réussi pas comme il l'a fait, dans cette société, sans compromissions ni trahisons. Son immobilité et peut-être l'éventualité de sa mort prochaine, font qu'il repense à ses amis disparus, qu'il repasse sa vie, se remémore ce qu'elle a été, laborieuse, hasardeuse mais finalement réussie, du moins au sens des critères sociaux et mondains. Il a peut-être eu de la chance! Ses origines modestes, ses deux mariages, sa fille infirme, née d'une première union et dont il ne s'est que très peu occupé, ses débuts dans l'existence, le fantôme de toutes les femmes qu'il a croisées... Ce séjour à l'hôpital l'amène à renouer avec sa deuxième épouse, Lina, qu'il avait entraînée dans une vie mondaine et artificielle, au service de sa réussite personnelle et qu'il n'a jamais fait l'effort de comprendre. Avec lui, elle n'est pas vraiment à sa place, à cause sans doute de ses origines populaires et a trouvé dans l'alcoolisme une compensation. C'est aussi l'occasion pour lui d'une introspection au terme de laquelle il reprend goût à la vie, à travers des mots jetés sur un petit agenda, la tentation de la solitude, une sorte de seconde naissance et il recouvre petit à petit l'usage de ses membres et de la parole.

     

    Les anneaux, c'est comme des cercles concentriques que fait dans l'air le son des cloches (titre originel du livre). C'est bien l'idée de la mort qui plane sur ce livre.

    Cet ouvrage retrace une affection dont a été victime l'auteur lui-même. Il tire donc de son expérience personnelle le sujet de ce livre. Le temps exceptionnellement long que Simenon a pris pour l'écrire, ce qui est rare pour lui, indique sans doute qu'il s'est lui-même beaucoup impliqué dans cette rédaction.

    J'ai eu quelques difficultés à entrer dans cet univers. J'en garde une impression mitigée.

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE FOND DE LA BOUTEILLE – Georges SIMENON

     

    N°382– Décembre 2009

    LE FOND DE LA BOUTEILLE – Georges SIMENON – Éditions Belfond..

     

    Un roman de Simenon reste une œuvre de suspense, même si le commissaire Maigret n'y est pas.

     

    C'est toujours pareil, dans chaque famille il y a un raté dont les autres membres, ceux qui ont réussi, parlent à voix basse, avec un air gêné ou compatissant... Mais les histoires de famille n'en finissent jamais et ce sont toujours les mêmes qui viennent demander des comptes parce qu'ils ont été les mal aimés, parce qu'on les a laissés pour compte. Ce sont des créances inextinguibles et prégnantes qui empoisonnent définitivement les relations entre les fratries, composées d' êtres qui devraient pourtant bien s'entendre mais qu'en définitive tout sépare, un sentiment de culpabilité envers celui qui a été délaissé, victime des injustices familiales...

     

    C'est que cette histoire est, comme le dit Pierre Assouline est « un roman d'une rare vérité sur deux frères que tout oppose mais que l'adversité réunit », une histoire d'un homme ( Patrick Martin Ashbridge dit P.M. ce qui fait plus parvenu) qui a réussi parce qu'il a travaillé, est devenu avocat et qu'il a eu de la chance, notamment celle de rencontrer Nora, une femme veuve et plus riche que lui, et qui est devenu une sorte de notable respecté... Elle croise un jour celle de son frère (Donald) que la vie n'a jamais avantagé, que ses parents ont délaissé, qui est devenu un criminel en fuite et que sa famille attend au Mexique. Il vient demander de l'aide à ce frère et notamment pour passer la frontière parce qu'il habite une ville (Los Nogales) partagée en deux par une grille et surveillée par des gardes qui le connaissent. D'ordinaire, c'est dans l'autre sens que se font les passages parce que le Mexique ne peut nourrir tous ses enfants et qu'ils doivent chercher du travail aux USA. Pour Donald, la Terre Promise est simplement différente, a un autre visage, celui de la liberté!

     

    C'est que cette ville est aussi divisée en deux par une rivière, à sec une grande partie de l'année à cause de la sécheresse, mais que les fortes pluies transforment en torrent infranchissable pendant de longs jours. P.M. habite un ranch isolé, du mauvais côté de la ville et un déluge d'eau s'est abattu sur la région, rendant le passage vers la frontière impossible! Dans ces contrées, on se méfie des étrangers et la venue de Donald n'est pas vraiment une bonne nouvelle pour P.M. qui le fait passer pour un ami et entoure sa visite de mystère. Il sert cependant de caution malgré lui au fugitif qui a quelque chose d'attirant pour les femmes, parce « qu'il a quelque chose de triste ». (Cette remarque revient au cours du récit et cette affirmation d'une femme finira par faire éclater la vérité qu'on voulait cacher). Pour autant, les distractions sont rares, le jeu d'argent fait partie du décor comme l'argent lui-même, la crue alimente les conversations, justifient les rencontres entre voisins, arrosées de whisky comme il se doit et le décor prend des allures de microcosme. Là comme ailleurs, l'alcool délie les langues, des choses sont révélées qu'on aurait voulu à jamais oubliées, enfouies dans le passé de l'enfance, dans les affres de la pauvreté... Donald, redevenu lui-même et qui présente donc un risque pour cette société en raccourci, s'enfuit et une chasse à l'homme se met en place comme au pire temps des westerns...

     

    Cette opposition entre les deux frères a quelque chose de biblique, le combat de Caïn contre Abel, d' Esaü contre Jacob, du faible contre le fort, mais c'est toujours le faible, celui qui perd, qu'on bénit et dont on se souvient ! L'histoire se présente donc comme une répétition pour eux, mais pas exactement cependant puisque c'est lui, P.M. , le plus fort des deux qui, pour une fois n'est pas le meilleur et au terme d'une quête nocturne, dangereuse et surtout inattendue parce qu'à l'inverse de ce qu'on peut attendre de sa part, trouve une mort que l'auteur nous présente comme rédemptrice! (« Il y a des moments dans la vie où on est poussé inexorablement à faire le contraire de ce qu'on voudrait faire »). C'est lui qui, en quelque sorte volontairement, rachète les injustices qui ont été faites à ce frère. Donald, c'est le faible, le malchanceux, le raté de la famille, mais c'est lui qui s'en tire, et finalement pas si mal.

     

    Ce roman consacre, s'il en était besoin, le pouvoir catharsique de l'écriture, parce qu'ici, il y a plus qu'une relation romanesque entre l'auteur et ses personnages. Le décor est celui où Simenon a vécu. D'évidence, lui, c'est P.M., celui qui a réussi mais que ses parents, sa mère en particulier (ce qui explique sans doute sa relation avec les femmes, celles du roman et toutes les autres), a toujours renié alors que Donald, c'est son frère, Christian, le préféré de sa mère, mais celui dont on ne parle jamais, celui qui n'a pas réussi, le médiocre, l'être peu recommandable qu'on aime voir loin de soi, parce qu'il dérange, parce que sa seule présence est un danger pour les autres. Il y a aussi une culpabilité judéo-chrétienne dans ce récit, au point que P.M. accepte de purger une dette qu'il n'a pas personnellement contractée face à un frère définitivement considéré comme perdu!

     

    Le titre peut paraître étonnant. Il est beaucoup question d'alcool dans ce coin des États-Unis qui jouxte le Mexique et chaque habitant a une longue histoire avec lui. C'est aussi une allégorie, celle d'une querelle familiale longue et longtemps occultée qu'on vide enfin, comme le contenu d'une bouteille et que la mort seule vient purger, une sorte d'effet exorciste peut-être?

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES INNOCENTS – Simenon (1971).

     

    N°388– Janvier 2010.

    LES INNOCENTS – Simenon (1971).

     

    C'est une histoire simple que nous offre ici Simenon.

    Georges Celerin a un bon métier, il est orfèvre à Paris et sa notoriété est grande. Il est associé avec un de ses amis, Jean Paul Brassier, marié avec Eveline, frivole et superficielle... L'affaire marche bien et avec les ouvriers de l'atelier l'ambiance est conviviale.

     

    Georges a rencontré par hasard Annette, une assitante sociale assez réservée et pas vraiment belle et l'a épousée. Ensemble ils ont eu deux enfants, Jean-Jacques et Marlène, forcément différents. Georges est béatement et égoïstement heureux, les enfants grandissent sans que leurs parents s'en aperçoivent, le temps passe et les affaires sont florissantes. Malgré une certaine aisance financière, Annette qui vit son métier comme un sacerdoce, a tenu à garder son emploi, mais leur vie conjugale semble terne et un peu en marge. En fait chacun à son centre d'intérêt et s'en accommode. Après tout, cela peut paraître banal!

     

    La vie aurait pu continuer à s'écouler, simple et tranquille, sans souci important, avec des projets en commun, le départ des enfants, mais là aussi, c'est le sens de la vie! Pourtant, par hasard, la mort frappe Annette, écrasée par un camion dans une rue de Paris. Tout bascule d'un coup pour ceux qui restent. Georges reste seul avec Nathalie, la domestique de toujours qui fait maintenant partie de la famille. Il est tenté de se laisser aller, pense au suicide, à l'alcool, mais pourtant l'avenir se dessine autrement et d'une manière favorable pour lui et son associé... Il faut bien que la vie reprenne et ses enfants ont encore besoin de lui!

     

    Il se met à penser qu'il a vécu vingt ans à côté de sa femme sans peut-être avoir pu la rendre heureuse. Son emploi d'assistante sociale n'était peut-être qu'une échappatoire? Cette prise de conscience soudaine lui donne à penser que tous les deux, malgré leur bonne volonté et à cause de leur métier, sont peut-être passés à côté de leurs propres enfants qu'ils n'ont pas pris le temps de voir grandir! Maintenant ils vont quitter la maison et le vide laissé par Annette va s'accentuer encore par leur départ à eux...

     

    Le hasard veut que Georges s'intéresse aux circonstances du décès de son épouse. Elle a été accidentée dans un quartier qui n'était pas le sien, dans un secteur où, d'ordinaire, elle n'exerçait pas ses fonctions et les témoins pensent qu'elle a délibérément cherché la mort, qu'elle sortait d'une maison inconnue... Il en conçoit des doutes et, vérifications faites, il obtient la preuve que que son épouse le trompe avec son associé, et ce depuis dix huit ans. Ce n'est pas une simple passade, mais une liaison durable faite de mensonges, d'hypocrisies et il doit bien admettre qu'il n'a rien vu, rien deviné de la trahison d'Annette, occupé à sa seule réussite, son seul bonheur, même si celui-ci était peut-être un peu convenu! Même Nathalie, dont la situation n'a pas échappé à son regard de femme, n'a rien osé dire. Comment l'aurait-elle pu?

    Découvrir que son épouse l'a trompé pendant si longtemps, s'est moquée de lui, de sa famille, de ses enfants avec un de ses amis est inacceptable, d'autant que celui-ci, sans enfant dans son ménage, peut parfaitement être le père de Jean-Jacques et de Marlène. Cette révélation posthume, si elle peut faire naître dans l'esprit de Georges une culpabilité éventuelle, n'en établit pas moins une certitude «  Annette est morte deux fois !».

     

    Face à cela, Georges se coupe du monde, laisse les choses aller à vau-l'eau pour finalement se séparer de cette associé volage qui lui part de son côté.

     

    Au-delà de l'histoire racontée, c'est un rappel que nous sommes mortels, que la Camarde peut frapper au hasard quand nous nous y attendons le moins, que « rien n'est jamais acquis à l'homme », que le bonheur est fragile, que la confiance est un leurre, qu'on est toujours seul...

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA PEAU DU TAMBOUR - Arturo Perez-Reverte

     

    N°387– Janvier 2010.

    LA PEAU DU TAMBOUR – Arturo Perez-Reverte – Le Seuil.

     

    Eh bien imaginez-vous qu'un pirate informatique, un hacker, s'est introduit dans l'ordinateur du Vatican et que le Pape est au courant. On soupçonne un ecclésiastique surnommé « Vêpres » (évidemment!), curé d'une petite paroisse à Séville, d'en être le coupable! Sauf qu'on n'est pas très sûr et que pour avoir des renseignements fiables on y délègue, en toute discrétion, un prude, vertueux mais élégant et non dénué de charme envoyé du Saint Siège, le père Lorenzo Quart, pour faire toute la lumière sur cette affaire. Il n'est pas indifférent au femmes et si son col romain lui ouvre bien des portes, il lui rappelle aussi ses vœux ecclésiastiques et lui évite des faux-pas.

     

    C'est que cela se complique un peu quand l'église (Notre Dame des Larmes), une merveille architecturale qui tombe en ruine et que tente de restaurer Gris Marsala, une troublante architecte américaine, accessoirement religieuse atypique égarée dans les ordres dont le rôle lui paraît assez imprécis. Cet édifice religieux dont est responsable le brave et ombrageux curé sévillan, Don Priamo Ferro, « tue pour se défendre », selon une formule sibylline qui sied bien aux membres de cette congrégation, entendez par là qu'elle a déjà fait deux morts dans son enceinte, mais deux morts qui ressemblent à s'y méprendre à des homicides! C'est que le projet, déjà bien avancé, est de la détruire pour que le terrain sur lequel elle est construite, soit destiné à la spéculation immobilière et que des subsides viennent, accessoirement, alimenter les caisses de l'archevêché de Séville dont Mgr Corvo préside aux destinées, Ajoutez à cela trois malfrats chargés de surveiller le père Quart, la belle et mystérieuse aristocrate andalouse, Macarena Bruner de Lebrija, aussi extravagante qu'infidèle, plus ou moins ex-épouse du financier véreux Pancho Gravira, le banquier spéculateur Don Octavio Machuca, le père Oscar Lobato, jeune vicaire qui a délibérément sacrifié son avenir et qui pourrait bien être « Vêpres » et un corsaire espagnol disparu au large de Cuba en 1898... Mais l'affaire se corse puisque les fidèles de cette paroisse sont prêts à tout pour conserver leur église et que Don Priamo Ferro ne veut pas s'en laisser conter et ce d'autant moins qu'il est soutenu par Macarena Bruner.

     

    Pire peut-être, et comme si tout cela ne suffisait pas, un problème juridique de taille vient troubler ce jeu trop bien huilé : le curé de la paroisse doit dire tous les jeudis une messe pour le repos de l'âme de Gaspar Bruner, donateur du terrain sur lequel est édifiée l'église et ancêtre de Macarena et l'ecclésiastique entend respecter cette condition... et s'en servir pour garder son église. Si l'édifice venait à être détruit, le terrain reviendrait à la famille Bruner... mais ce n'est pas si simple et des actions judiciaires sont possibles, tant l'enjeu est important. De plus, le père Quart n'a pas été envoyé par hasard à Séville. Il a avec Mgr Corvo une vieille querelle inoubliée qui, bien entendu, refera surface! Tout cela se déroule dans un contexte de luttes d'influences, de prises de pouvoir, de volontés mercantiles, de coups bas aussi... Mais le père Quart ne va pas manquer de s'apercevoir rapidement que sa mission n'a rien de confidentiel, que les protagonistes de cette histoire sont tous à la fois mystérieux et solidaires, ce qui ne va pas aller sans rebondissements.

     

    Vous avez ainsi tous les ingrédients d'un roman passionnant, avec cette histoire de carte postale mystérieuse, toutes les pièces d'un puzzle où les amours contrariées se mêlent à l'aventure et au dépaysement dans le somptueux décor de Séville, carrefour ancien des religions, des cultures et donc de la tolérance et de son tropisme irrésistible.

     

    Comme toujours j'ai apprécié les portraits, le père Ferro qui qualifie lui-même les vieux prêtres de « vieille peau de tambour jaunie sur laquelle résonne la gloire de Dieu », mais surtout les femmes, celui de Cruz Bruner, de sa fille Macarena, mais aussi celui de Gris Marsala... La complicité amicale qui existe entre elles brouille un peu le jeu. Bien entendu, dans le contexte religieux, elles sont regardées par la hiérarchie catholique comme des créatures du Diable et donc comme des tentatrices dont il convient de se défier, pourtant Loranzo Quart fait ce qu'il peut pour ne pas succomber... !

     

    J'ai retrouvé avec plaisir l'imagination débordante de Perez-Reverte où se mêle le suspense, une grande profusion de détails évocateurs et un sens de la formule et aussi beaucoup d'érudition historique. J'ai apprécié l'humour dont son style est emprunt, les descriptions de Séville, les dialogues entre ecclésiastiques faits d'hypocrisie, de duplicité, de mots couverts et d'euphémismes qui siéent si bien à cette corporation. J'ai même eu l'impression que l'auteur réglait quelques comptes, faisant, à l'occasion un constat pas si éloigné que cela de la réalité de l'église catholique apostolique et romaine...

     

    Mais seul importe le plaisir de lire, et là, encore une fois, je dois dire qu'il a été complet! J'ai même franchement bien ri en lisant, à haute voix pour ne rien perdre de leur subtilité, certains paragraphes où l'auteur évoque les facettes de ses personnages.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Albert Camus

     

    N°386 – Janvier 2010

    Quelques mots sur Albert Camus (1913-1960)

     

    J'en ai un peu assez d'entendre sur toutes les chaînes de télévision des nouvelles de Johnny Halliday. Heureusement, les médias se sont souvenu que nous célébrons cette année le cinquantenaire de la mort d'Albert Camus.

     

    Il n'est pas dans mon intention de refaire une biographie de cet auteur, non plus que de commenter son œuvre (d'autres le feront mieux que moi!), pas plus d'ailleurs que de chercher à savoir s'il était ou non un authentique philosophe, mais j'observe qu'après avoir été si longtemps oublié, et même boudé par l'éducation nationale, par les Français et surtout par ceux qu'il était convenu d'appeler « les intellectuels », il revient enfin en grâce et c'est bien ainsi. Si j'ai encore des souvenirs précis de ma lointaine classe terminale, il me semble même qu'il n'était pas au programme et que ses romans étaient juste mentionnés, comme pour mémoire. Certes, nous en parlions entre nous, mais c'était tout. Aussi bien n'ai-je eu de lui qu'une vague idée à cette époque de ma vie où disserter faisait à la fois partie du jeu et consistait en un exercice intellectuel assez fascinant. Il y a bien eu de ma part des lectures, mais il me semble que j'en ai peu entendu parler, sans doute à cause de ses origines modestes, ou de son parcours atypique. Pire peut-être, des intellectuels se sont crus autorisés à minimiser son œuvre, à détourner son discours, et l'obtention du prix Nobel de littérature en 1957 à l'âge de 44 ans, et sa disparition prématurée qui a fait de lui une icône de la pensée, n'ont sans doute pas pas contribué à apaiser leur courroux.

     

    Ce que je peux en retenir est qu'il était un être que la révolte habitait, une révolte contre le tragique de la condition humaine mais aussi contre tous les dogmes et idéologies (marxisme, existentialisme mais aussi christianisme) qui asservissent la liberté de l'homme et le détourne de sa réalisation personnelle, contre l'absurde de la vie aussi qui place l'homme devant un dilemme, celui de « l'appel humain », intime et « le silence déraisonnable du monde ». Cette mise en perspective de deux forces qui s'opposent résument assez bien son message, entre réalisation personnelle et fidélité à soi-même et incompréhension du milieu dans lequel nous vivons, que souvent nous ne comprenons pas et qui nous dépasse. La réponse qu'il entend donner à son questionnement ne peut être qu'humaine et lucide. La prise de conscience de l'absurde de la condition d'homme, de « la nudité de l'homme face à l'absurde » ne peut avoir de réponse religieuse qui brouille le jeu et endort la raison, mais doit s'accompagner d'une réflexion personnelle qui s'inscrit dans le temps présent et surtout en dehors de tout refus de la vie et donc le rejet du suicide.

    Face à l'absurde de cette existence terrestre, seule la révolte est possible parce qu'elle est porteuse de sens et nous permet de vivre cette contradiction entre l'individu et le monde. Mieux peut-être, cette prise de conscience de l' absurdité constitue une formidable énergie mise à notre disposition pour nous réaliser nous-mêmes pendant notre vie terrestre, « ici et maintenant », et non dans une très hypothétique autre vie idyllique promise par les religions. Il s'agit là de la prise en compte de notre destin individuel, et pas autre chose. Elle est à la fois la mise en évidence d'une liberté et la certitude que cette réalisation complète est impossible parce que l'humain est nécessairement limité, ne serait-ce que dans le temps par la mort.

     

    Pacifiste avant l'heure, s'engageant dans la Résistance autant que pour la paix et contre le fascisme pendant la guerre d'Espagne, se méfiant des hommes politiques, ses prises de positions sur la guerre n'ont guère été comprises et lui ont valu plus d'inimitiés que d'adhésions. Pied-noir qui portait en lui l'Algérie comme une plaie ouverte, il ne pouvait rêver qu'à une entente entre Français et Arabes, dans le contexte d'une décolonisation, soutenant notamment le projet Violette, mais la passion et la violence qui ont animé cette période ne pouvaient qu'obérer son discours souvent déformé ou mal interprété. Homme de gauche, il a toujours œuvré en faveur des plus défavorisés au nom de la justice.

     

    Amoureux de la vie, du soleil et des femmes, du théâtre, il fut cet hédonisme que la vie a brutalement quitté...

     

    Cela fait de lui, non un philosophe enfermé dans un système dialectique, mais un humaniste libre et indépendant face à une histoire devenue folle et destructrice, un maître à penser, dont la culture française ne peut que s'enorgueillir. Si la mort ne l'avait happé brutalement, il aurait assurément contribué à une prise de conscience collective et à une humanisation de la société qui nous manque tant actuellement. La pureté de son style en a fait aussi un serviteur de notre si belle langue française qui elle aussi mérite bien autre chose que ce à quoi nous assistons maintenant.

     

    Les études qui lui ont été consacrées montrent assez l'importance et la portée de son discours que ces quelques lignes ne sauraient résumer. Ce que je retiendrai peut-être plus volontiers ce sera son honnêteté intellectuelle, le fait de refuser de mentir sur ce qu'on sait et le devoir de résistance à l'oppression.

     

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA REINE DU SUD – Arturo PEREZ-REVERTE

     

    N°385– Décembre 2009.

    LA REINE DU SUD Arturo PEREZ-REVERTE – Le Seuil.

     

    Térésa Mendoza est une jeune fille mexicaine de 19 ans qui n'a connu que la misère et la violence. Pour échapper à cela, elle vit avec Guero Davila, un pilote à la solde des trafiquants de drogue qui viennent de l'assassiner. Cette sentence de mort s'étend, bien entendu à elle et elle ne peut que fuir pour leur échapper. Ils la retrouvent cependant, la violent et elle n'échappe à la mort que par miracle.

    Elle se retrouve dans l'enclave espagnole de Melilla où elle partage la vie de Santiago Fisterra, un Galicien trafiquant de drogue qui trouve la mort en mer. Térésa qui l'accompagne sauve encore une fois sa vie mais est condamnée par la justice espagnole à plusieurs mois de prison. Là, elle fait la connaissance de Pati O'Farrell, en rébellion contre sa famille bourgeoise, condamnée elle aussi pour trafic de drogue. A son contact, Térésa découvre la lecture et se cultive. A leur sortie, les deux femmes récupèrent une cargaison de drogue cachée par Pati et, avec l'aide d'Eddy Alvarez, avocat affairiste, elles créent une société de transport, en réalité une société écran ainsi qu'un réseau de société fictives dont le seul but est le blanchiment d'argent. La petite mexicaine est donc devenue « la reine du sud » grâce au trafic de drogue et de tabac, même si aucune charge ne peut véritablement être retenue contre elle. Elle réussit à s'imposer dans un univers d'hommes, comme une véritable femme d'affaires, change complètement et se découvre différente.

     

    Pourtant, elle n'a jamais oublié ni ses racines mexicaines ni la mort de Guero, le véritable homme de sa vie et cette vie de femme d'influence ne lui sied guère.

    Voilà donc posée l'intrigue de ce roman, avec ses rebondissements, son suspense, ses personnages bien ciselés ...

     

    Le personnage central est une femme d'exception, comme souvent dans les romans de Perez-Reverte, à la fois forte et faible, comme sont les êtres en général. On sent que l'auteur aime les femmes et prend plaisir à nous faire partager sa passion pour elles. Malgré son parti-pris sympathique, il n'en reste pas mois que Térésa est une trafiquante, une « narca ». Il nous la présente et la fait vivre dans un contexte d'un roman d'aventures inspiré par Alexandre Dumas dont il est un grand admirateur. L'auteur évoque le monde interlope de la drogue, de la corruption qui a cours au Mexique, de la menace qu'elle fait peser sur l'Europe, de l'Espagne considérée comme une plaque tournante de ce trafic, à la fois proche de l'Amérique latine et de l'Afrique, des meurtres...

     

    L'auteur à certes abandonné le roman historique pour nous offrir une évocation plus actuelle de notre société. Lui-même s'implique d'ailleurs dans ce texte, parle de son travail de romancier, de ses lecteurs qu'il imagine, de leur façon de recevoir un livre, d'entrer dans le monde de la fiction... C'est une approche intéressante.

    Pourtant, je n'ai pas retrouvé le même souffle que dans le « maître d'escrime » et je le regrette un peu.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MAITRE D'ESCRIME – Arturo PEREZ-REVERTE

     

    N°384– Décembre 2009.

    LE MAITRE D'ESCRIME Arturo PEREZ-REVERTE – Le Seuil.

     

    « Tout le monde conspirait en cet été 1868 », les jours de la reine Isabelle II étaient comptés et les supputations républicaines aillaient bon train. C'est une Espagne traditionnelle, machiste, monarchiste, immobile qui est le cadre de ce roman pseudo-historique où Jaime Astarloa, vieux maître d'armes, vit ou plutôt survit dans l'ombre bienveillante mais distante des grands aristocrates à qui il enseigne son art. Pourtant, cette discipline à laquelle il a été fidèle toute sa vie est sur le déclin au point d'être ravalée au rang de sport, tout comme sont galvaudées les valeurs de chevalerie et d'honneur qui s'y attachent. Face à ce monde qui s'effondre, il s'efforce de rédiger un traité qui résumera toutes les nuances de son art, avec la révélation de la botte secrète et imparable, une sorte de Graal. Il considère que son enseignement est exclusivement réservé aux hommes, mais c'est une femme, jeune, belle, secrète et célibataire, Adela de Otero, qui vient solliciter ses services, et, accessoirement améliorer son niveau de vie en l'initiant à une botte dont il a le secret, « la botte des deux cents écus »!

    Cela pourrait être intéressant, mais il considère qu'une femme ne peut manier l'épée parce que cet exercice est réservé aux hommes. Il refuse donc mais finit par céder, et ce d'autant plus qu'il tombe amoureux de la belle. C'est qu'il n'a jamais pu résister à une femme. Elles ont provoqué bien des renoncements et des bouleversements dans sa vie et celle-ci lui donne à penser qu'elle n'est pas tout à fait insensible à sa personne.

    Don Jaime est sous le charme des yeux violets de la dame autant que de son habileté à manier l'épée et à être à ce point en avance sur son temps. Il en vient même à concevoir quelque jalousie à cause des relations intimes qu'elles avec un de ses élèves, un aristocrate bien en vue, Don Luis de Ayala, marquis des Alumbres qui a, un temps, tenu un rôle politique. Don Jaime n'a pourtant rien à espérer de Doňa Adela!

     

    Autour de lui, dans la chaleur étouffante de Madrid et surtout sans que cela lui fasse rien, les querelles politiques se déchainent dans le café où il a ses habitudes, et dans le pays les complots succèdent aux faux espoirs de révolution... Mais lui vit désormais et depuis longtemps hors du temps. Il ne se rend compte  que bien tardivement qu'il est le jouet des événements au point d'être soupçonné du meurtre de Don Luis puisque c'est sa « botte secrète » qui a été utilisée pour l'exécuter et que Adela de Otero a disparu mystérieusement! L'escrime et les femmes n'étaient-elles pas quelques-uns des points faibles du marquis?

     

    Il va entrer, presque malgré lui, dans des intrigues où l'assassinat politique est un passage obligé avec pour but ultime le renversement de la monarchie. S'il ne s'était, à ce point retiré du monde, il aurait peut-être compris ce qui se tramait autour de lui!

     

    Ce roman est construit comme un engagement , assaut, fausse attaque,estocade, jusqu'au combat à pointe nue et de son issue, la mort, une véritable métaphore à travers le vocabulaire peut-être un peu trop technique pour un non-initié, du duel à l'épée.

     

    Grand admirateur d'Alexandre Dumas, l'auteur nous offre ici un roman où tous les ingrédients se retrouvent, intrigues politico-policières, histoire d'amour, contexte historique d'une société au bord de l'explosion... Don Jaime est présenté comme un idéaliste, un homme finissant, gardien de valeurs surannées et d'un art qui se dissout dans le temps, mais aussi comme un naïf, pitoyable et crédule qui ne comprend pas une époque qui n'est déjà plus la sienne. Il prend brutalement conscience de la noirceur des hommes et du tourbillon dans lequel il s'est laissé entraîner au point que sa vie est dangereusement menacée. C'est une sorte de Don Quichotte avec des moulins à vent plein la tête. En cela, je le trouve attachant.

    Ce roman tisse une atmosphère qui me plaît bien, celle d'un moment charnière, de quelque chose que l'on connaît et qui se termine et d'une autre chose qu'on ignore mais qui fascine et inquiète à la fois.

     

    Le texte plein d'humour est bien écrit ou en tout cas bien traduit, ce qui rend sa lecture agréable. Le récit des différents combats est particulièrement bien mené, le suspense y est distillé jusqu'à la fin et et tient le lecteur attentif et passionné en haleine.

    Pour moi, cela a correspondu pleinement à ce que j'attends d'un livre: un moment de réel plaisir, mais aussi une invite à découvrir l'atmosphère si particulière tissée par cet auteur.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES HOMMES QUI N'AIMAIENT PAS LES FEMMES – Stieg LARSSON

     

    N°383– Décembre 2009

    LES HOMMES QUI N'AIMAIENT PAS LES FEMMES – Stieg LARSSON – Actes Sud.

     

    Chaque année, depuis 44 ans un homme reçoit anonymement des fleurs séchées pour son anniversaire et téléphone à un policier à la retraite pour l'en informer.

     

    Le journaliste économique Mikael Blomkvist est condamné pour avoir diffamé un financier Hans-Erik Wennerstrom. Cette condamnation met en évidence des lacunes dans ses investigations. Il devra donc aller en prison à cause de cette décision de justice. A ce moment, un industriel suédois très connu, Henrik Vanger, lui confie la rédaction de l'histoire de cette puissante famille. En réalité, ce qu'on attend du journaliste, c'est l'élucidation d'un meurtre perpétré il y a plus de quarante ans, celui de la petite-nièce d'Henrik, Harriet Vanger, alors âgée de 16 ans. Pour corser le tout, Henrik reçoit chaque année des fleurs séchées et, comme dans toutes les familles, celle-ci qui est nombreuse cache des secrets. Blomkvist accepte donc, d'autant que Vanger se propose de fournir au journaliste des informations complémentaires sur Wennerstrom.

    Lisebth Salander, jeune femme de 24 ans un peu gothique a la caractéristique de vivre en dehors de la société qui ne l'intéresse d'ailleurs pas. Un lourd passé psychiatrique l'a fait mettre en tutelle Elle a aussi un don, celui de découvrir par le biais du piratage informatique et d'une étonnante mémoire des données cachées et, bien entendu elle finit par être engagée par Blomkvist et par l'aider efficacement. Ainsi, tous ces personnages finissent par se croiser et les ingrédients d'un véritable polar sont dors et déjà en place et les rebondissements ne manqueront pas de se produire. Il y a aussi des personnages secondaires qui gravitent autours de ceux qui font ce récit, Erika Berger, co-fondatrice avec Mikael Blomkvit du journal Millénium et qui vit avec lui une liaison épisodique, dans l'indifférence du mari de cette dernière, Nils Bjurman, tuteur de Lisebth Sanders, un sadique et un obsédé sexuel qui se sert d'elle...

     

    Le récit a quelque chose de manichéen, les hommes étant les méchants et les femmes les gentils. L'histoire qui est racontée n'est pas vraiment une fiction mais se rattache à la réalité historique suédoise et va révéler des secrets de véritables familles pas toujours avouables. Cette enquête part d'une mystérieuse photo prise le jour de la mort d'Harriet Vanger, fait référence à des crimes anciens particulièrement horribles et rituels perpétrés en Suède avec, comme boussoles des citation de la Bible et une conclusion provisoire tirée par nos enquêteurs« C'est simplement un fumier ordinaire qui hait les femmes ». Tout s'explique à la fin mais ne comptez pas sur moi pour vous la dévoiler!.

     

    C'est vrai que c'est un peu long, parfois même laborieux, surtout au début. Personnellement, je ne goûte pas trop ce genre de « pavé »(650 pages!) et ce d'autant moins que le véritable intérêt du livre n'apparait que vers la moitié du récit, ce qui me paraît un peu discutable, d'autant que la première partie du livre est parsemée de détails dont on n'aurait parfaitement pu se passer pour la compréhension générale. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans cette chronique, j'aime les écrivains qui s'attachent leur lecteur dès le début du texte et je n'ai pas eu cette impression ici. Cela paraît être un parti-pris de l'auteur de promener un peu son lecteur et de faire s'imbriquer, petit à petit, les pièces du puzzle. Cela pourrait être bien, mais j'ai peu apprécié. Pourtant, l'écriture, dans sa version traduite en français, est simple et le style facile à lire.

    Pour autant, et malgré le grand succès qu'il a connu en Suède et en France, ce roman qui est le premier d'une trilogie, ne m'encourage guère à poursuivre avec cet auteur que, je l'avoue, je ne connaissais pas avant.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE FOND DE LA BOUTEILLE - Georges SIMENON

     

    N°382– Décembre 2009

    LE FOND DE LA BOUTEILLE – Georges SIMENON – Éditions Belfond..

     

    Un roman de Simenon reste une œuvre de suspense, même si le commissaire Maigret n'y est pas.

     

    C'est toujours pareil, dans chaque famille il y a un raté dont les autres membres, ceux qui ont réussi, parlent à voix basse, avec un air gêné ou compatissant... Mais les histoires de famille n'en finissent jamais et ce sont toujours les mêmes qui viennent demander des comptes parce qu'ils ont été les mal aimés, parce qu'on les a laissés pour compte. Ce sont des créances inextinguibles et prégnantes qui empoisonnent définitivement les relations entre les fratries, composées d' êtres qui devraient pourtant bien s'entendre mais qu'en définitive tout sépare, un sentiment de culpabilité envers celui qui a été délaissé, victime des injustices familiales...

     

    C'est que cette histoire est, comme le dit Pierre Assouline est « un roman d'une rare vérité sur deux frères que tout oppose mais que l'adversité réunit », une histoire d'un homme ( Patrick Martin Ashbridge dit P.M. ce qui fait plus parvenu) qui a réussi parce qu'il a travaillé, est devenu avocat et qu'il a eu de la chance, notamment celle de rencontrer Nora, une femme veuve et plus riche que lui, et qui est devenu une sorte de notable respecté... Elle croise un jour celle de son frère (Donald) que la vie n'a jamais avantagé, que ses parents ont délaissé, qui est devenu un criminel en fuite et que sa famille attend au Mexique. Il vient demander de l'aide à ce frère et notamment pour passer la frontière parce qu'il habite une ville (Los Nogales) partagée en deux par une grille et surveillée par des gardes qui le connaissent. D'ordinaire, c'est dans l'autre sens que se font les passages parce que le Mexique ne peut nourrir tous ses enfants et qu'ils doivent chercher du travail aux USA. Pour Donald, la Terre Promise est simplement différente, a un autre visage, celui de la liberté!

     

    C'est que cette ville est aussi divisée en deux par une rivière, à sec une grande partie de l'année à cause de la sécheresse, mais que les fortes pluies transforment en torrent infranchissable pendant de longs jours. P.M. habite un ranch isolé, du mauvais côté de la ville et un déluge d'eau s'est abattu sur la région, rendant le passage vers la frontière impossible! Dans ces contrées, on se méfie des étrangers et la venue de Donald n'est pas vraiment une bonne nouvelle pour P.M. qui le fait passer pour un ami et entoure sa visite de mystère. Il sert cependant de caution malgré lui au fugitif qui a quelque chose d'attirant pour les femmes, parce « qu'il a quelque chose de triste ». (Cette remarque revient au cours du récit et cette affirmation d'une femme finira par faire éclater la vérité qu'on voulait cacher). Pour autant, les distractions sont rares, le jeu d'argent fait partie du décor comme l'argent lui-même, la crue alimente les conversations, justifient les rencontres entre voisins, arrosées de whisky comme il se doit et le décor prend des allures de microcosme. Là comme ailleurs, l'alcool délie les langues, des choses sont révélées qu'on aurait voulu à jamais oubliées, enfouies dans le passé de l'enfance, dans les affres de la pauvreté... Donald, redevenu lui-même et qui présente donc un risque pour cette société en raccourci, s'enfuit et une chasse à l'homme se met en place comme au pire temps des westerns...

     

    Cette opposition entre les deux frères a quelque chose de biblique, le combat de Caïn contre Abel, d' Esaü contre Jacob, du faible contre le fort, mais c'est toujours le faible, celui qui perd, qu'on bénit et dont on se souvient ! L'histoire se présente donc comme une répétition pour eux, mais pas exactement cependant puisque c'est lui, P.M. , le plus fort des deux qui, pour une fois n'est pas le meilleur et au terme d'une quête nocturne, dangereuse et surtout inattendue parce qu'à l'inverse de ce qu'on peut attendre de sa part, trouve une mort que l'auteur nous présente comme rédemptrice! (« Il y a des moments dans la vie où on est poussé inexorablement à faire le contraire de ce qu'on voudrait faire »). C'est lui qui, en quelque sorte volontairement, rachète les injustices qui ont été faites à ce frère. Donald, c'est le faible, le malchanceux, le raté de la famille, mais c'est lui qui s'en tire, et finalement pas si mal.

     

    Ce roman consacre, s'il en était besoin, le pouvoir catharsique de l'écriture, parce qu'ici, il y a plus qu'une relation romanesque entre l'auteur et ses personnages. Le décor est celui où Simenon a vécu. D'évidence, lui, c'est P.M., celui qui a réussi mais que ses parents, sa mère en particulier (ce qui explique sans doute sa relation avec les femmes, celles du roman et toutes les autres), a toujours renié alors que Donald, c'est son frère, Christian, le préféré de sa mère, mais celui dont on ne parle jamais, celui qui n'a pas réussi, le médiocre, l'être peu recommandable qu'on aime voir loin de soi, parce qu'il dérange, parce que sa seule présence est un danger pour les autres. Il y a aussi une culpabilité judéo-chrétienne dans ce récit, au point que P.M. accepte de purger une dette qu'il n'a pas personnellement contractée face à un frère définitivement considéré comme perdu!

     

    Le titre peut paraître étonnant. Il est beaucoup question d'alcool dans ce coin des États-Unis qui jouxte le Mexique et chaque habitant a une longue histoire avec lui. C'est aussi une allégorie, celle d'une querelle familiale longue et longtemps occultée qu'on vide enfin, comme le contenu d'une bouteille et que la mort seule vient purger, une sorte d'effet exorciste peut-être?

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN ROMAN FRANÇAIS – Frédéric BEIGBEDER

     

    N°381– Décembre 2009

    UN ROMAN FRANÇAIS – Frédéric BEIGBEDER - GRASSET.

     

    J'avais vainement tenté de lire un de ses romans avant qu'il n'obtienne le prix Renaudot en 2009 pour cet ouvrage, mais j'avais rapidement jeté l'éponge. Là je me suis un peu forcé. Je tombais pourtant bien puisque l'auteur lui-même avoue « j'aimerais qu'on lise ce livre comme si c'était mon premier ».

     

    Cela commence bien, avec un beau visage d'enfant sur la couverture, un titre engageant et un début digne d'une vraie biographie, avec l'évocation de la mort de son arrière-grand-père «  crucifié sur les barbelés de Champagne »... Mais, rapidement, il confie à son lecteur, qu'à l'occasion d'une garde à vue qu'il a un peu provoquée, la détention et l'usage de stupéfiants, et qu'aggrava sa claustrophobie, des souvenirs revinrent à la surface de son âme. Pourtant il précise «  Je ne me souviens pas de mon enfance ... C'était une longue succession de jours vides... mon enfance m'a échappé ». Malgré cela, il remonte dans le temps, raconte l'histoire de cette famille qui est la sienne, celle de ses grands-parents, paternels et maternels, de ses parents, leur rencontre, leur divorce, leurs déchirements, son enfance dorée, ennuyeuse et bourgeoise entre Neuilly et Guétary, évoque son grand frère, celui qui a réussi et qu'on décore de la Légion d'honneur, parle de lui comme d'un vilain petit canard... Une formule peut à elle seule caractériser cette lignée à particule : catholicisme, capitalisme, mondain. Franchement, pour quelqu'un qui n'a aucun souvenir de cette période de sa vie, il est plutôt disert sur la question!

     

    Il le fait avec force références intellectuelles, sans doute pour chercher une caution chez Roland Barthe, Proust, Georges Perec ou Shakespeare, à moins que ce ne soit pour se donner un vernis. Il donne même son avis sur Freud en parlant de ce frère dont la stature imposante, parfaite, écrasante et fascinante jette son ombre-portée sur sa vie à lui. Ensemble ils sont incontournablement complémentaires, comme les deux faces d'une même pièce... mais toujours à son détriment à lui, Frédéric! Là, il est authentique, pathétique même, comme savent l'être ceux qui règlent leurs comptes. Il nous raconte que dans cette famille, ce n'était pas drôle, comme si chez les autres c'était mieux! Je crois bien volontiers qu'il est sincère, émouvant même, mais par moment seulement, quand il nous parle de son enfance meurtrie faite de non-dits, de paradoxes et d'hypocrisies, puis déchirée entre deux parents divorcés, quand il évoque ses liaisons au point de reproduire le mauvais exemple parental, quand il lance des appels désespérés à sa fille, quand il dénonce les geôles de la Républiques et l'arbitraire du système judiciaire ...

     

    Parfois aussi il se souvient de la pub, des films de cette époque, de la musique, comme autant de jalons dans l'évocation... Toutes ces références qui se veulent sans doute érudites, finissent rapidement par être énervantes! Pourtant le ton est parfois intimiste et certains passages, bien écrits, sont agréablement poétiques [« En sortant de l'église, j'ai vu le soleil se dissoudre dans les branches d'un cyprès comme une pépite d'or dans la main d'un géant »].

     

    Désireux d'insérer sa propre histoire dans celle de son pays, il en profite pour la rattacher à des événements mais aussi par asséner à son lecteur des jugements en forme d'aphorismes ou de calembours douteux [« La ligne Maginot se révéla aussi peu fiable que la méthode Ogino »], de disserter sur l'écriture.... Il nous parle de ses flirts d'adolescent, de son mariage, de son divorce, souhaite avant tout coller à son temps, celui d'un poste-soixante-huitard qui se veut revenu de tout, un aristocrate qui veut se montrer rebelle, sans doute pour se prouver qu'il existe, un séducteur blasé et faussement intellectuel, un auteur cynique qui ne parvient à être un grand écrivain que par la grâce et le nom de son éditeur, par le miracle toujours renouvelé de l'agitation médiatique et des mondanités parisiennes, un pipole sans grand courage qui privilégie, comme toujours, le paraître sur l'être. Ces déclarations finales en forme d'incantations [« C'est l'histoire... »] ne parviennent décidément pas à me convaincre, même si elles veulent justifier le titre [« Telle est la vie que j'ai vécue: un roman français »].

     

    Il voudrait nous faire croire que cette garde à vue, qui dura deux nuits pour la seule raison qu'il est un personnage connu et qu'on veut faire un exemple parce qu'il a enfreint la loi comme par défi, est le prétexte à ce roman. C'est cette procédure judiciaire qui l'aurait fait revenir au-devant de ses souvenirs, qui lui aurait fait prendre conscience de lui-même, qui aurait ranimé, grâce à l'écriture, des fantômes qu'il croyait à jamais disparus [« Si ce livre a une chance sur un milliard de rendre éternels mon père, ma mère et mon frère, alors il méritait d'être écrit »]. J'ai quand même du mal à le croire. Après tout on a la madeleine proustienne qu'on mérite! Cela m'évoque plutôt l'expérience un peu marginale qu'un fils de famille souhaite faire pour pouvoir en parler dans les salons, ou l'écrire dans un livre... C'est affligeant!

    Le livre, nous le savons, est un univers douloureux, et j'aimerais le croire quand il avoue que cet épisode judiciaire lui a révélé, enfin, qu'il avait quarante deux ans... Pourtant, il nous confie avoir choisi son camp, celui de la désobéissance [«Vous m'avez déclaré la guerre, je ne serai jamais des vôtres »] et lui, en bon littéraire, de convoquer Baudelaire...Qu'on ne m'en veuille pas mais je n'ai pas été convaincu.

     

    J'ai lu que trois pages faisaient débat et que l'éditeur souhaitait voir supprimer, au nom sans doute de l'auto-censure. Il mettait en cause un magistrat... Tout cela me paraît artificiel et il me semble qu'une biographie, même baptisée d'un beau titre, c'est un peu autre chose.

     

    Le livre refermé, j'ai des sentiments mitigés, partagé que je suis entre la sincérité, peut-être feinte et l'envie irrésistible qu'il a de faire parler de lui. Après tout, les auteurs savent bien comment manipuler adroitement leurs lecteurs!

    Je ne sais si je suivrai Beigbeder dans un autre de ses délires qui se veulent littéraires. On ne sait jamais!

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE WEEK-END –  Bernhard SCHLINK

     

    N°379– Novembre 2009

    LE WEEK-END –  Bernhard SCHLINK – Gallimard Roman [traduit de l'allemand par Bernard Lortholary].

     

    J'avais été bouleversé par « Le liseur » du même auteur. La feuille Volante n°378 garde les traces de la découverte enthousiaste de Bernhard Schlink que je lisais pour la première fois.

     

    Ici, c'est un peu différent. Jörg est gracié par le Président de la République allemande après vingt années passées derrière les barreaux. Sa sœur Christiane invite ses anciens amis a venir fêter sa libération dans sa maison à la campagne berlinoise. Pourtant, ce week-end qu'elle espérait paisible va vite devenir invivable. C'est que Jörg est un ancien terroriste de la Fraction Armée Rouge et dans ce groupe ainsi reformé s'entrechoquent des questions d'abandons, d'oublis, de responsabilités, de culpabilités, de pardons, de regrets, de suspicions, de rêves abandonnés, de mensonges, de coups de bluff, de blocages ... C'est que pendant l'emprisonnement de Jörg chacun a trouvé sa place dans une société qu'auparavant ils combattaient. Quid de l'amitié au regard de l'idée pour laquelle on s'était engagé? Est-elle plus forte que l'idéal? Finit-on par s'insérer dans un monde qu'on refusait, par nécessité, par évolution obligatoire, par conviction lentement forgée par le temps, par récupération plus ou moins volontaire? Doit-on rester toute sa vie habité par par un modèle même s'il se révèle utopique? La société peut-elle être réformée ou doit-elle être dominée constamment par l'argent et le pouvoir qu'elle sous-tend sans qu'il soit possible d'imaginer autre chose? La nécessaire lutte sociale est-elle destinée à n'être qu'un court moment dans la vie des hommes pour n'être plus ensuite qu'un souvenir? La volonté de faire changer les choses légitime-t-elle la violence et l'assassinat? Le fanatisme ne conduit-il pas de lui-même ses protagonistes dans une impasse? La politique doit-elle se conjuguer toujours avec la violence?

    Le huis-clos augmente encore l'ambiance parfois lourde, parfois nostalgique de ces trois jours passés ensemble où les souvenirs reviennent lentement à la surface. Le délabrement de la maison qui sert de cadre à cette rencontre est un peu à l'image de l'ambiance qui y règne et le respect des unités de lieu et d'action donne encore plus de force à ce récit.

    Et puis, Jörg lui-même n'a été que gracié et doit donc sa liberté provisoire au pouvoir politique qu'il combattait jadis. Cela a fait l'objet d'une demande de sa part...

     

    On sent le décalage qui existe entre Jörg et les autres, ceux qui veulent le voir reprendre le flambeau contre toutes les injustices, il y a tant de combats à mener contre l'oppression ...et tous les autres devenus notables établis. Même la religion est convoquée! Pour lui, c'est un peu comme si le temps s'était arrêté il y a vingt ans et que son idéal d'alors était resté intact face à « l'adaptation » de ses anciens compagnons de lutte.

     

    Comme à son habitude, l'auteur soulève des questions qui bien souvent n'ont de réponse qu'en nous-mêmes. Il conduit sa démarche sans concession. C'est un bon écrivain, qui a à la fois le courage d'affronter les vieux démons de son pays mais c'est aussi un juge professionnel dont le rôle est de défendre une société établie et qui mérite sans doute de l'être au nom de « l'ordre public », de la prospérité économique....

     

    Comme je l'avais noté lors de mon premier commentaire, j'ai trouvé ce livre bien écrit [en tout cas bien traduit], agréable à lire. Le thème choisi colle parfaitement à la condition humaine et à l'action politique. Des exemples ne manquent pas pour l'illustrer et nos sociétés démocratiques et occidentales ont toutes été secouées, à un moment ou à un autre de leur histoire, par ces tentatives révolutionnaires. Cela en fait un livre parfaitement actuel et universel.

    Pourtant, je ne saurais trop dire pourquoi, il a moins retenu mon attention et mon intérêt que le premier.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE LISEUR –  Bernhard SCHLINK

     

    N°378– Novembre 2009

    LE LISEUR –  Bernhard SCHLINK – Gallimard Roman [traduit de l'allemand par Bernard Lortholary].

     

    Des les premières lignes, le narrateur, Michaël Berg, se présente comme un adolescent chétif et maladif âgé de quinze ans qui fait sa première expérience amoureuse avec une femme qui a l'âge de sa mère. A bien y réfléchir, cette sorte d'initiation, sans être courante, est quand même exceptionnelle. On n'oublie jamais un tel épisode de sa vie, surtout s'il se déroule sous de tels auspices et ce récit pourrait s'arrêter là. C'est, certes, une remémoration du passé, mais l'auteur l'exprime avec une formule qui revient souvent « C'est aussi une image qui me reste d'Hanna ». Mais l'évocation de sa partenaire, Hanna, a quelque chose de lointain, sans pour autant que cette impression d'éloignement ne doive rien au temps qui a passé. Les réactions de cette femmes sont bizarres: elle lui donne du plaisir, a des réactions violentes et coléreuses mais lui demande de lui faire la lecture(d'où le titre), puis un jour elle disparaît de sa vie sans motif. Lui, qui de son côté avait choisi de ne rien révéler de cette liaison, ressent du chagrin solitaire face à ce départ précipité.

     

    Il la retrouve quelques années plus tard, alors qu'il est étudiant en droit et qu'elle est dans un box d'accusés. Pendant la guerre, elle s'était engagée aux côtés de SS comme surveillante de camp de concentration et doit répondre de ses crimes. Dès lors pour lui, bien des choses qui étaient restées en suspens, trouvent une explication, sa fuite sans raison, son habitude de choisir dans le camp une lectrice parmi les prisonnières, lui permettant ainsi de vivre quelques heures plus supportables avant la mort, ses différentes dérobades professionnelles, plus tard, après la guerre... Au cours de ce procès, qu'il suit de bout en bout, il découvre qu'elle est analphabète. Dès lors, face à ses juges, elle se défend mal, cherche même la condamnation et n'ose pas avouer qu'elle ne sait pas lire. De quoi a-t-elle le plus honte, de ne pas savoir lire ou d'avoir été un bourreau? L'auteur lui-même est partagé et en conçoit une culpabilité d'avoir aimé une criminelle. Dès lors se bousculent dans son esprit l'image de la femme sensuelle qu'elle a été pour lui et celle de la tortionnaire qu'elle a dû être pour ses prisonnières même si des zones d'ombre subsistent et des questions émergent : Est ce qu'on tue sur ordre, par amour de la violence, par désir de vengeance, par haine des hommes?

    Malgré sa position de subalterne, à cause sans doute d'un épisode particulièrement atroce où elle laisse planer un doute sur sa responsabilité, elle finit par être condamnée à la prison à perpétuité sans que l'auteur puisse rien faire pour elle. D'ailleurs, malgré la fascination qu'elle exerce toujours sur lui, il choisit de ne rien faire et de laisser passer la justice. Cette attitude ambiguë répond sans doute à celle d'Hanna désirant garder le secret sur son analphabétisme?

     

    Puis la vie du narrateur s'est déroulée comme celle d'un homme, un mariage, un divorce, des liaisons avec d'autres femmes, mais, dans chacune de ses passades, il recherchait malgré tout et sans peut-être se l'avouer à lui-même, le goût et le parfum de cette Hanna. Autant de fuites dont il se sent coupable...Devenu juriste et historien du droit, il s'intéressa au Troisième Reich et retrouva la trace d'Hanna dans sa prison. Pour elle, il se mit à lire l'odyssée d'Homère(« l'odyssée est l'histoire d'un mouvement qui à la fois vise un but et n'en a pas »), puis à Schnitzler, à Tchekhov et à beaucoup d'autres auteurs qu'il enregistra à haute voix et sur des cassettes qu'il lui fit parvenir. Une nouvelle fois il redevient son « liseur ». Puis vinrent des textes originaux de l'auteur écrits exclusivement pour cette femme.

     

    Cela avait quelque chose de surréaliste : écrire et dire ces textes à haute voix pour cette femme à la fois analphabète et absente, lui faire parvenir sans jamais chercher à la voir, des enregistrements qui étaient autant de déclarations d'amour alors qu'il demeurait volontairement loin d'elle, manifestaient cette volonté de ne pas l'oublier et de lui permettre d'accéder à la lecture. De fait Hanna fait l'effort d'apprendre à lire et à écrire pour lui seul. Ses lettres brèves qui étaient autant de victoires sur elle-même, devinrent avec le temps pertinentes et pleines de sens critique au regard de l'écriture créative de l'auteur. Ces enregistrements étaient le seul lien qui la reliait à l'extérieur mais elle semblait indifférente à cette opportunité. Quand vint le temps du pardon et qu'une libération anticipée fut envisagée pour Hanna, le narrateur est amené à la rencontrer, à envisager pour elle une réinsertion dans cette société. C'est pourtant une vielle femme qu'il retrouve après tant d'année d'incarcération de sorte que si lui fait un effort réel dans sa direction, elle préfère la mort pour échapper probablement à une vie commune avec lui ou pour gommer à jamais l'image grise qu'elle lui a donnée d'elle, incapable peut-être d'accepter le pardon impossible qu'un séjour en prison lui a fait « mériter », préférant peut-être la mort à la rencontre toujours probable d'une de ses anciennes prisonnières?

     

    J'ai rarement lu un roman aussi bouleversant, bien écrit [et en tout cas bien traduit] qui tient en haleine le lecteur de bout en bout.

     

    Le livre refermé, il reste des questions sur le pouvoir de l'écriture. L'auteur s'en explique «  Je voulus écrire cette histoire pour m'en débarrasser », mais l'écriture a-t-elle véritablement ce pouvoir exorcisant? Les Allemands, qui bien souvent n'étaient pas nés lors de la deuxième guerre mondiale éprouvent-ils des difficultés à aborder l'histoire de leur pays lors de cette période? La culpabilité, qui est très présente chez Schlink, peut-elle être gommée par le pardon? Le pardon est-il possible?

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE CHANT DE LA MER –  Norman LEWIS

     

    N°377– Novembre 2009

    LE CHANT DE LA MER –  Norman LEWIS– Phébus.

     

    « Il n'y a rien ici »!

     

    En effet, c'est un décor du nulle part, quelques barques, des chats maigres qui s'acharnent sur les reliefs de la dernière pêche, la mer, quelques maisons qui forment un méchant bourg ensoleillé de Catalogne après la deuxième guerre mondiale, après la guerre civile espagnole, en pleine période franquiste. Que vient donc faire ici, dans ce petit village de Farol, sur les bords de la Méditerranée, cet étranger, un Anglais, un « homme tranquille », un peu taiseux à cause de sa vie antérieure, de la guerre à peine terminée il y a quelques mois avec ses désillusions, ses désespoirs, ses horreurs ? Il pourrait rentrer chez lui, en Angleterre, mais il a plutôt suivi les prescriptions de son médecin, le changement d'air, le changement de vie...

    Mais voilà, il est ici un étranger et on se méfie de lui. Lui, désireux de n'être pas venu ici pour rien et surtout d'y demeurer, à cause probablement des rituels, des silences, de la vie simple de cet endroit où il n'y a effectivement rien, de sa volonté de se poser quelque part sur terre, parce qu'il est saisi intimement de cette appétit de réadaptation au monde, de son attachement intime à l'imperfection qu'il chérit, de la volonté d'être différent politiquement, de rester fidèle au valeur de l'ancienne république, va petit à petit se faire accepter par ce peuple, s'acclimater dans ce petit port catalan. C'est en cherchant à se fondre dans ce paysage, gardant le silence et cherchant à n'être « personne » qu'il va, sans même s'en apercevoir, être accepté par les autres villageois, sans doute parce qu'il leur ressemble! Il va l'être tellement qu'on lui fait des confidences, qu'on l'invite pour des parties de pêche tout en l'initiant aux tabous du métier, qu'on lui confie les comptes...

    Il a choisi cet endroit parce qu'il est l'écart, parce que le temps semble s'y être arrêté, à cause des chats qui, plus que les autres animaux donnent l'impression à l'étranger qu'il vient effectivement d'une autre planète.

     

    Un village n'est rien sans ses personnages : ce curé assez anachronique dans un bastion où historiquement on a toujours refusé le clergé; on le supporte à cause peut-être de la maîtresse qu'il entretient au vu et au su de tous, l'alcade, désigné par le pouvoir central et dictatorial de Franco qui fait semblant de diriger tout ce petit monde, Don Alberto, grand propriétaire, personnage anachronique qui semble tout droit sorti d'un roman de Cervantès, mais surtout la grand-mère chez qui l'auteur choisit de loger, une femme à la fois fantasque et attachante, qui, en réalité gouverne ce village et qui tient son pouvoir du seul fait que c'est là « le pays des chats », Muga qui incarne la modernité mais surtout le changement, le pouvoir de l'argent.

     

    C'est un récit labyrinthique, nécessairement magique que nous offre l'auteur. Il y distille, avec un certain humour, le délicat parfum de l'éphémère de cette vie, de la fragilité de ce monde qui est le nôtre, une délicate musique un peu enrouée de fin de quelque chose qui, même si on ne le veut pas, finit par être tragique et pleine de désespoir. Les choses évoluent sur cette terre, et pas forcément dans le sens souhaité, la nostalgie des temps anciens peut exister et perdurer, l'humour combattre plus ou moins efficacement tout cela, mais la réalité est là. Farol, avec ses airs d'ailleurs, comme marginalisé par lui-même et désireux de faire durer ce climat d'exception va être emporté par la spirale du temps: les bancs de poissons vont se faire de plus en plus rares, les chênes-lièges, richesse de l'arrière-pays, seront atteints par la maladie, l'argent qui corrompt tout, les « libertés venues du Nord », la spéculation... Ce petit peuple « d'irréductibles », attaché viscéralement à son originalité va voir la voir se dissoudre avec rapidité... C'est probablement là ce qu'on appelle le sens de l'Histoire, l'évolution des choses, le progrès, la recherche inévitable et irréversible du confort, même si tout cela ressemble étrangement à une auto-destruction, au nom du sacro-saint profit, dont les sociétés dites civilisées sont friandes. Face à cela, ce petit coin de terre ne pèse rien et cette fable, pas si fictive que cela, ce « chant de la mer »,qui nous renvoient peut-être à celui des sirènes qui charmèrent Ulysse qui nous endort assurément est une prise de conscience bienvenue mais qui, malheureusement a toute les chances de demeurer lettre morte.

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE SOLEIL DES SCORTA – Laurent GAUDE

     

    N°376– Octobre 2009

    LE SOLEIL DES SCORTA – Laurent GAUDE (Prix Goncourt 2004)– Actes Sud.

     

    Il est des livres qui se lisent laborieusement mais le style fluide et poétique de Laurent Gaudé n'engendre pas, à mes yeux, ce genre d'ouvrage. J'ai vraiment pris plaisir à lire ce roman captivant, le soleil torride oppressant du sud italien, les paysages arides des Pouilles y sont partout présents autant que l'histoire ensorcelante de cette famille marquée, de génération en génération, par le malheur, la honte, l'opprobre et qui manifeste une volonté farouche de s'en sortir pour assurer aux siens de quoi vivre ![l'image de la sueur souvent évoquée symbolise à la fois la touffeur du climat et l'effort pour la vie, pour l'argent, dans cet environnement difficile]

     

    Imaginez une vieille italienne, Carmela Scorta qui, au soir de sa vie, se confie à Don Salvatore, le curé de son village de Montepuccio. Elle lui raconte la vie de cette lignée des Malcazone [les bien nommés] qui va devenir celle des Scorta, née en 1875 d'une méprise, d'une erreur sur la personne qui engendre des criminels, des voyous... Luciano d'abord, puis son fils Rocco, qui, avant de mourir fait don au vieux curé du village, et donc à l'Église, de son immense fortune acquise par le crime, à condition toutefois qu'elle l'enterre avec faste, lui et toute sa descendance. A cause de ce legs, il précipite sa femme et de ses trois enfants, dont Carmela, dans la pauvreté que seule l'émigration vers New-York peut enrayer. Malheureusement, ils doivent revenir sans avoir pu tenter leur chance sur le nouveau continent. Sur le chemin du retour, Carmela se voit remettre  quelques pièces d'or par un vieil immigrant qui meurt peu après. Ayant découvert qu'elle avait le sens du commerce, elle et ses frères reviennent de ce voyage de retour plus riches qu'ils n'étaient partis... Elle ouvre un bureau de tabac à Montepuccio, le clan s'agrandit, le temps passe. Mais pour les gens du village, tous restent, malgré les mariages, des Scorta, une lignée dont chaque membre mâle a hérité de cette malédiction de l'ancêtre, mais aussi un nom que chacun choisit de conserver comme une noblesse dont il est fier [Ils sont ces « mangeurs de soleil. » comme le dit si joliment l'auteur]. Pourtant, le seul nom de cette famille inspire aux autres habitants la crainte et le respect.

     

    C'est à travers les yeux de Carmela que revit cette véritable saga familiale et c'est elle qui suscite cette évocation, tantôt avec une grande économie de mots quand elle prend la parole, tantôt avec des accents magistraux quand l'auteur prend le relais, et il ne faut rien moins qu'un tremblement de terre pour avoir raison de Carmela, « née plusieurs fois à des âges différents ». C'est symboliquement que le sol éventré du cimetière l'engloutit, comme pour souligner son attachement à cette terre, pour consacrer son appartenance à cette famille. Elle délivre son message à un ecclésiastique parce qu'il est comme elle un homme de la terre et qu'il représente Dieu. Elle le respecte pour ce qu'il est mais aussi parce qu'il lui ressemble et accepte de l'écouter pour qu'il transmette son message à sa descendance et plus précisément à Anna, sa petite-fille, pour qu'on se souvienne d'elle. Il est, lui aussi et à sa manière, un être différent, attachant!

     

    Au-delà de toutes les questions existentielles posées, tous les sujets abordés, ce roman me paraît être un hymne à la femme. Celles qui peuplent ce texte sont toutes des êtres d'exception malgré leur humilité. Elles sont irremplaçables, elles inspirent l'amour, le désir, la dignité. C'est avec elles que tout se fait et sans elles rien n'est possible. [Ainsi la continuité sera assurée par les femmes, La Muette, Carmela, Maria, Anna].

    Comme les hommes, elles parlent peu, subissent en silence leur sort sans se plaindre, se sacrifient mais restent debout, dans l'ombre. Mères, sœurs, épouses, tantes, plus que les hommes, c'est elles qui sont porteuses du message pour leur descendance, la transmission des valeurs, le respect de la parole donnée, l'hospitalité, le sens de l'honneur, la rancune aussi, le seul véritable exemple qui vaille face au temps qui passe, à l'éphémère et au tragique de l'existence, à son inutilité peut-être, aux rides qui se creusent, à la mort, à l'oubli.

     

    Elles sont l'authentique image de cette Italie pauvre mais fière. C'est par elles que se perpétue la permanence de la vie, ce sont elles qui sauvent les réalités et les apparences, malgré la turpitude des hommes.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ELDORADO – Laurent GAUDE

     

    N°375– Octobre 2009

    ELDORADO – Laurent GAUDE- Actes Sud.

     

    Ce sont deux portraits croisés que nous livre l'auteur.

    L'un, Soleiman, un Soudanais, va faire jusqu'aux barbelés de Ceuta, un chemin cahoteux vers l' Europe, son Eldorado, un monde qui, pourtant, ne veut pas de lui. Comme ses compagnons d'infortune, il porte le devenir de toute une famille et espère trouver là-bas du travail mais, il le sait, tous ne parviendront pas au bout de ce chemin. Il est comme les autres clandestins la proie de passeurs sans scrupule et de tous ceux qui font commerce de leur espoir, et lui qui était digne et fier au départ va se découvrir, tout au long de ce voyage, solitaire, égoïste, voleur... Sa vie et son projet en dépendent et son aventure est celle du chacun pour soi, nonobstant la présence de Boubakar. Il ira pourtant jusqu'au bout de ce rêve.

    L'autre, celui du commandant Salvador Piracci qui protège depuis 20 ans les frontières de l'Europe sur les côtes de Sicile à la barre de sa frégate[« Vous êtes là pour garder les portes de la citadelle, vous êtes la muraille de l'Europe » lui a -t-on dit]. Son rôle consiste à repousser le flot toujours plus grand des candidats à l'exil qui viennent chercher en occident une autre vie, mais aussi à sauver de la mort ces malheureux abandonnés en pleine mer, sur des embarcations de fortune. Quand ils les aura ramenés à terre et remis aux autorités, ils seront renvoyés dans leur pays d'origine et la ronde recommencera. Nous avons tous dans un coin de notre mémoire leur image qu'un journal télévisé nous a, au moins une fois, donné à voir...

    Ce métier ne lui plaît guère mais, jusque là, il s'en est accommodé même s'il croisait, sans vouloir rien faire pour eux, le regard désespéré de ces hommes. Il décide pourtant de réagir à la suite de sa rencontre avec une femme rescapée d'une cruelle traversée et dont l'histoire l'émeut. Il va donc assumer ses contradictions et pour cela il quitte tout, au point de n'être plus personne, de n'avoir même plus d'identité et fait le chemin inverse de celui de Soleiman qu'il ne connaît pas, à la recherche, lui aussi, d'une autre forme d'Eldorado. Il endossera en quelque sorte le destin de ceux qu'il pourchassait!

    Lui aussi connaîtra des épreuves dans cette improbable quête et la fable, parce que c'en est une, réunira à la fin, ces deux hommes, sous l'égide de Massambalo, le dieu des émigrés et d'un collier de perles vertes, comme un talisman, comme un témoin que l'un passe à l'autre sans presque le toucher. Au bout du compte chacun trouvera ce qu'il cherche.

     

    C'est donc une histoire très actuelle que nous conte l'auteur dans un style certes agréable et fluide. Le livre refermé, j'ai pourtant un sentiment bizarre, quelque chose comme une sorte de malaise, de tristesse parce que les grandes et généreuses idées cèdent le pas devant les réalités [ On se souvient de Michel Rocard, alors Premier ministre, déclarant à la tribune de l'assemblée Nationale que la France ne pouvait prendre toute la misère du monde], mais aussi d'incrédulité au regard de l'attitude de Piracci et du dénuement qu'il a choisi. C'est une histoire qui emprunte à l'actualité son scénario, le commandant est certes seul au monde et sa liberté est entière, mais je ne suis pas sûr de la réponse qu'il apporte soit appropriée. Il me paraît que c'est plutôt une fuite, un aveu d'impuissance, quelque chose de peu constructif en tout cas!

    Soleiman est allé jusqu'au bout de son rêve, mais il me paraît que Piracci n'est pas parvenu au bout de sa révolte et le hasard a mis fin à une quête qui aurait pu avoir un épilogue différent! Au cours de cette histoire, tous les deux se sont découverts différents de ce qu'ils croyaient être mais leur rencontre est véritablement improbable.

     

    Devant le problème éternel des pays riches qui, malgré les discours politiques officiels, se protègent des pays pauvres l'hypocrisie reste la réponse constante. Si Soleiman aura à coup sûr des imitateurs, je ne suis pas sûr que Piracci fasse des émules.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SEUL DANS LE NOIR – Paul AUSTER

     

    N°374– Octobre 2009

    SEUL DANS LE NOIR – Paul AUSTER- Actes Sud.

     

    Le cadre tout d'abord: August Brill, soixante douze ans, veuf, critique littéraire à la retraite, immobilisé par un accident de voiture, vit dans le Vermont chez sa fille, Miriam qui ne peut se libérer de la blessure que lui a infligé son divorce même si cela fait cinq ans que ce mariage a été dissout. Elle a recueilli sa fille, Katya, anéantie elle aussi par la mort de Titus qu'elle avait quitté et qui a perdu la vie dans des circonstances atroces en Irak. Elle est rongée par la culpabilité et s'accuse de cette mort absurde qui, à ses yeux, est motivée par leur séparation. Ce sont donc trois membres d'une même parentèle que la vie a meurtri et qui sont enfermés dans le microcosme de cette maison, chacun avec ses remords.

     

    Une nuit, pour échapper a ce quotidien autant qu'à ses souvenirs, Brill se réfugie dans l'imaginaire pour meubler ses insomnies. Dans ce monde, le 11 septembre n'a jamais eu lieu, la guerre en Irak n'existe pas mais les États-Unis sont en proie à une seconde guerre civile, et lui change de peau et d'identité, devient Owen Brick, le héros un peu irréel d'une histoire qui ne l'est pas moins et qui doit tuer l'instigateur de ce conflit. Dès lors, il craint pour sa vie et il devient lui-même l'enjeu de ce « contrat ».

     

    Petit à petit, au fil de la nuit, imagination et réalité viennent à se confondre et l'auteur mêle à son parcours imaginaire le sien propre et celui de ses proches, pratiquant, peut-être à l'excès les mises en abyme, s'inventant des passades amoureuses dont il n'aurait pas été capable dans la vraie vie. Il émet des considérations personnelles sur les livres, sur les films mais aussi sur la bonté et l'éducation comme pour questionner l'individu au regard de sa propre responsabilité.

     

    Puis August Brill met fin unilatéralement et brutalement à cette histoire de monde parallèle pour déboucher, à la fin, sur un dialogue intime entre le grand-père et la petite fille qui est un peu frustrant pour le lecteur.

     

    J'avoue que lorsque j'ai entamé la lecture de ce livre, j'étais plus intéressé par la puissance imaginative de l'écrivain, par cette faculté qu'il a, plus que tout autre sans doute, d'imaginer les choses et de s'identifier personnellement à elles, par les frontières qui existent entre l'imaginaire et le réel et par les ponts qui enjambent ces deux mondes, le pouvoir des mots, le talent narratif et évocateur de l'auteur. Il s'ensuit la création d'entités qui s'interpénètrent, des engrenages qui s'entrainent entre eux et broient. C'est là une quête dont les arcanes me passionnent que j'ai plaisir, parfois, à explorer pour moi-même, à entrer, virtuellement bien sûr, dans cette spirale où la pataphysique a sa place. Le parcours des autres sur ce thème m'intéresse aussi, ne serait-ce que pour éprouver si ce que je fais est digne d'intérêt. C'est aussi le mécanisme de la création artistique qui est étudié ici et son pouvoir sur les vicissitudes quotidiennes du monde.

     

    Pourtant, cet univers m'a paru inquiétant et comme à chaque fois que j'aborde un roman de Paul Auster, j'ai eu beaucoup de mal à entrer dans son écriture.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • CHER AMOUR – Bernard Giraudeau

     

    N°373– Octobre 2009

    CHER AMOUR – Bernard Giraudeau - Métailié.

     

    Qui est donc cette énigmatique Madame T. à qui est dédié ce livre et cette correspondance mystérieuse écrite sur le ton de la confidence, de la complicité, de l'amour, alternant le tutoiement et le vouvoiement ? L'auteur y parle à une silhouette diaphane, à la fois lointaine et proche, de sa vie, de ses voyages (« le voyage est une aube qui n'en finit pas »), de ses souvenirs. Il évoque pour elle sa vie de marin, de comédien, d'infatigable bourlingueur, ces fragments d'existence où elle n'était pas, où elle ne vivait qu'en filigranes, dans une sorte de transparence que seul le fantasme permet. Elle devait être présente dans toutes ses conquêtes féminines éphémères, ces femmes qu'on ne fait que rencontrer au hasard des rues, dans tous ces visages envolés qui ont cependant sculpté leurs traits dans le souvenir et qu'on ne peut oublier.

     

    Une dédicace aussi énigmatique fait penser à Baudelaire, à son recueil « Les paradis artificiels » et à sa dédicataire mystérieuse [ « J.G.F. »]. Après tout, a-t-elle un visage, un nom, cette femme qu'il n'a peut-être jamais rencontrée et qui n'existe probablement que dans son inconscient, à la fois fidèle et fuyante, sensuelle et hautaine, proche et lointaine? Elle existe peut-être réellement cette femme, cette Madame T. Elle peut avoir le visage d'une passante rencontrée dans une rue du bout du monde qui ne laisse de son passage que la fragrance de son parfum et l'émail de ses yeux ou perdurer dans l'étreinte furtive d'une passade. Elle catalyse sur elle, sans bien souvent le savoir et par le miracle de la pensée, tout ce qu'un homme recherche chez une femme. Elle devient unique, se transforme en ombre fantomatique dont l'existence ne tient qu'à la trace de quelques mots. N'est-elle pas celle que tout homme souhaite posséder pour lui seul, à la fois épouse et maîtresse, mère et femme et qu'il recherche toute sa vie sans bien souvent la trouver parce qu'elle n'existe que dans un ailleurs indistinct et indéfini. Elle devient l'objet de la quête d'une vie, un idéal inaccessible... alors on l'invente, on trace d'elle le portait parfait et pour cela l'écriture est le truchement rêvé qui permet toutes les audaces, toutes les confidences. A cette femme irréelle, il dira tout ce que probablement il tairait à un être de chair, par timidité, par pudeur, parce que ce monologue passe par une feuille blanche, intermédiaire d'exception pour un écrivain et à laquelle il peut confier tous ses fantasmes. Il est romancier et donc créateur, et à ce titre il peut recomposer à l'infini ce miracle qui lui fait célébrer la femme qu'il recherche, lui déclarer cet amour impossible en lui tressant des mots en poèmes, tout en tissant autour d'elle un halo de mystère... pour mieux la garder pour lui! Alors ce sentiment de permanence, d'éternité que chaque phrase porte en elle contribue à protéger ce rêve parce qu'il serait trop injuste qu'une telle image s'effondrât d'un coup!

     

    Après tout, je pense qu'elle existe quand même cette mystérieuse Madame T. même si elle n'est pas exactement comme Bernard Giraudeau la suscite pour son lecteur et la silhouette qu'il a tracée à grands traits ou avec des délicates nuances me plaît bien. Qu'elle reste une ombre me convient, même si elle est aussi différente de lui, lui, voyageur impénitent qui distille pour son lecteur un dépaysement bienvenu, elle, citadine et parisienne étrangère à toutes ces pérégrinations. Il lui raconte l'Amazonie, le Chili, les Philippines, son embarquement sur la Jeanne d'Arc comme écrivain de ma marine, cite Pessoa et London, évoque Rimbaud et Michaux, lui parle de théâtre, de cinéma, mais elle reste un peu lointaine, comme indifférente,[« Vous êtes une étoile lointaine et moi un amant de papier »] il est vrai qu'il émaille son récit d'autres présences féminines sensuelles parfois perdues dans la vénalité des bordels, de ses amours de traverse...

     

    Le voyage est une chose magique, c'est un alcool enivrant pour celui qui en entend la relation, qu'elle soit faite avec des mots, l'œil d'une caméra...Les histoires improbables qu'il lui destine ont quelque chose d'irréel, qu'elle soient puisées dans les livres, la tradition orale ou dans son imagination. Être, même un instant, simple lecteur mais témoin unique, le destinataire de telles confidences ne me gêne guère. Je me sens moins seul!

     

    Quand un auteur choisit d'aborder le thème de la femme, son lecteur ne peut pas ne pas songer à la séduction, au personnage de Giacomo Casanova dont l'ombre habite tout homme parce que l'amour rend fou et que la conquête transforme le plus modeste des êtres en personnage d'exception. Mais quand ce même auteur aborde le thème de la maladie et de la douleur, tout juste évoqué cependant, et avec lui celui de la mort qui est, bien entendu, en filigranes, la confession prend un tour différent, un relief particulier, et cette femme une autre dimension. Pourtant, plus j'ai avancé dans ma lecture, plus cette femme m'est apparue absente.

     

    J'ai lu ce livre avec attention parce que l'auteur à cette sorte d'authenticité attachante que je recherche sans peut-être le savoir. Le thème du voyage m'a plu et les épisodes relatés m'ont procuré un dépaysement bienvenu, les images poétiques m'ont ému par leur puissance suggestive, l'évocation furtive de la ville de La Rochelle ne m'a, bien entendu, pas laissé indifférent, même si j'ai cependant noté dans le cours du texte quelques longueurs digressives et incompatibles avec le parti-pris de l'ouvrage. A la fin cependant, dans une sorte de fable à la fois sensuelle et irréelle, l'auteur revient à ce qui a motivé sa démarche créatrice, comme la conclusion théâtrale d'un conte merveilleux, presque hors du temps :

    « Je me suis approché de vous, je vous ai dit : j'ai beaucoup écrit, je n'avais pas votre adresse... »

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES DAMES DE NAGE - Bernard GIRAUDEAU

     

     

    N°316 – Octobre 2008

     

    LES DAMES DE NAGE - Bernard GIRAUDEAU [Editions Métailié].

     

    La première fois que j'ai appris la publication de ce livre, ce fut à la fin d'un journal télévisé, à travers les mots économes d'une belle journaliste blonde. Je me souviens de ses yeux qui en parlaient beaucoup mieux, puis le temps a passé et j'ai remis à plus tard cette lecture... J'avais eu l'impression fugace que ces pages évoquaient une longue liste de conquêtes féminines, des aventures amoureuses d'un séducteur...

     

    Pourtant, dès les première lignes, l'auteur accroche son lecteur par des phrases apparemment anodines «  J'attends sans impatience, en vivant l'instant comme une éternité » ou bien «  J'ai alors, comme le veilleur, le sentiment de garder un territoire ». Alors moi, d'un coup, je comprends qu'il ne s'agit pas là d'une banale succession de passades d'un improbable Don Juan et je m'embarque avec lui dans son voyage.

     

    Il y a d'abord l'évocation de cette jeunesse rochelaise, le père lointain et happé par la mort, la mère authentique, la famille, immédiate. Nous savons tous que cet épisode de la vie est primordial. Puis c'est l'approche des femmes, très tôt dans la timidité gauche de l'enfance, à travers l'image diaphane d' Amélie, celle du monde extérieur que tout à la fois on craint et souhaite conquérir pour elle, celle de la terre et de la mer parce qu'à La Rochelle l'une de va pas sans l'autre. C'est l'intuition que les rêves se tressent dans les ports parce que ceux qui y naissent et y vivent les premières années de leur vie ne peuvent pas ne pas les imaginer autrement, partagés qu'ils sont entre leur soif d'aventure et leurs certitudes...Pour Giraudeau l'enfance c'est la mère qui phonétiquement se confond avec l'océan, cette première femme qui non seulement donne la vie mais aussi le bagage qui accompagnera toujours l'enfant devenu un homme. C'est vers elle qu'il reviendra, c'est elle qui a imprimé, d'une manière définitive, ses traits dans la trame de sa mémoire et qu'il recherchera dans le visage de chaque femme... et d'avouer « Marguerite me rappelait que j'avais une mère qui vieillissait... elle était là-bas, à La Rochelle, la ville d'Amélie, celle de mon enfance, tournée vers la mer et des rêves à n'en plus finir ».

     

    C'est l'éveil à l'amour, puéril et merveilleux, qui contient en lui tout ce qui sera plus tard la perpétuelle quête de l'homme vers la femme. Ce sont souvent les boucles innocentes d'une camarade de classe, d'une voisine ou d'une cousine qui en sont la cause, une vision fugace pour un garçon qui en gardera toute sa vie d'homme la trace au point d'en rechercher l'empreinte dans toutes les autres. «  Tout au long de ma vie j'ai aimé les nuques déliées, les femmes comme des gerbes et le secret des graines et dans les épis », même si l'existence se chargera plus tard de mâtiner tout cela, dans ses vicissitudes ou les brisures de la souffrance et de la mort... « Amélie tu fus une messagère, un guide que je reconnus sans conscience... Ce n'est pas toi que je quitte, c'est mon enfance , ma naïveté et ce long silence parce que tu n'es plus... Ce n'est pas une rupture, on ne rompt pas avec ce qu'on a aimé, je m'éloigne, puisque depuis longtemps nous nous sommes lâché la main ».

     

    Ce sont aussi des souvenirs de voyage maritimes, des bribes de texte confiés au fragile support du papier, rangés dans un repli de la mémoire, qui viennent d'Afrique ou d'Amérique du Sud où le vent est bien souvent le seul témoin, le seul écrin de toute aventure humaine. Les ports sont des lieux d'exception qui accueillent les marins après l'exil du large. Les hommes qui y sont nés portent malgré eux, jusque dans leur sang, le rythme de la houle, l'haleine des embruns, l'écume blanche des vagues qui invitent à l'ailleurs. Ici se conjugue les forces de la terre et de l'eau, la volonté d'être de quelque part et celle, parfois plus forte de fouiller l'horizon, les valeurs de la permanence et celles, plus subtiles et irréelles de l'intemporel. Ils sont tiraillés entre sa volonté de plonger ses racines dans les murs d'une maison, dans la vie quotidienne d'un couple rangé et celle, souvent plus forte, comme une aventure renouvelée, de partir à l'appel prégnant du vent, au hasard de l'escale, de ses plaisirs fugaces, de ses rencontres parfois noyées dans l'alcool et les bordels des ports. Il y a la mémoire, forcément sélective et labile « Il y eut d'autres escales, d'autres quais, d'autres amours... j'ai seulement gardé le visage de celles qui étaient venues à moi comme des cadeaux, des messages de vie. Il y eut des trésors et de fausses perles, des mirages d'amour et des corps glacés »

    Quand on croise un regard de femme au hasard d'une rue, qu'on goûte à la délicate fragrance du parfum qui la suit, il se passe toujours quelque chose d'exceptionnel et parfois de frustrant. L'homme de mer, aventurier à la peau burinée, mais aussi le poète-témoin à l'âme bouleversée, malgré sa volonté d'indépendance, garde cela dans la grosse toile de son sac qui, posé à terre, se vide malgré tout de son contenu, avec des mots pour le papier, des images pour le ruban d'arlequin d'une pellicule... Et Bernard Giraudeau de convoquer Albert Camus pour « l'étranger », Alvaro Mutis pour le voyage et Pierre Loti pour tout cela et peut-être aussi pour la beauté des mots...

     

    Portraits de femmes sensuelles, dispensatrices d'amour et de plaisirs, compagnes fugace du marin, partagées entre les larmes d'une foucade et la volonté définitive de s'établir, silhouettes d'hommes aussi, comme ce chef d'une gare perdue dans le désert d'Atacama au Chili, d'homos et de transfuges du sexe comme celui, sublime et douloureux, de Marco devenu Marcia...

    Je n'en finirai pas de citer les phrases de ce livre tant elles m'appartiennent sans doute un peu. Les pages en sont autant de bouteilles jetées à la mer du quotidien, une invitation à la complicité...

     

    C'est peut-être puéril, mais j'ai lu de nombreux passages de ce texte à haute voix, parce que ces mots sont comme des notes d'une musique alternativement tranquille et crue, apaisée et tourmentée. J'ai voulu me pénétrer de cette poésie, du balancement de la phrase, du ronronnement des allitérations qui ont été pour moi, pauvre lecteur, autant d'invitations au rêve que d'évocations intimes mais aussi du plaisir plus secret du non-dit.

     

    Les dames de nage, une pièce d'accastillage pour chaloupe, un instrument qui permet au bateau d'avancer à la force des bras des rameurs, un beau titre évocateur. On pense aux femmes et à la mer, au voyage et au tangage de la houle et des corps dans l'étreinte, aux rencontres d'exception que seule l'aventure peut vous prêter ... Le livre refermé, il reste des impressions, des paysages, des personnages, des délicates ombres de femmes, mais surtout le parfum de l'aventure, le dépaysement et ...la délicieuse musique des mots.

     

     

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2008. http://hervegautier.e-monsite.com 

  • MALIKA – Dominique BONA

     

     

    N°150

    Avril 1993

     

     

     

    MALIKA – Dominique BONA – Editions Le Mercure de France.

     

    Jeune fille marocaine, employée de maison chez David et Marie-Hélène Paul-Martin, Malika se retrouve dans une villa tropézienne du couple, « La Paressante », pour l’été. Dans cette société policée mais un tantinet mondaine, elle qui aurait dû passer inaperçue va au contraire bouleverser, par sa seule présence, l’ordre des choses. Elle s’acquitte de sa tâche avec précision et efficacité, les enfants l’adorent au point que leur mère en devient presque jalouse.

     

    Celle qui n’est qu’une jeune fille de passage dont on ne sait pas grand chose va prendre peu à peu le pas sur les personnages qui, cet été-là, peuplent « La Paressante ». Benoît Darmon, architecte-séducteur, Sophie Bessie-Drouin, à la recherche éternelle de l’homme de sa vie, Henri-Paul Leroux, intellectuel bardé de diplômes qui rêve d’écrire un roman, jusqu’au maître de maison, David, qui occupe un poste important dans la banque et sa femme Marie-Hélène qui, tout en se cherchant un talent de peintre s’est lancée dans la recherche de créateurs design…

    Tout ce monde vit plus ou moins épisodiquement dans le décor exceptionnel de cette maison dont Marie-Hélène avoue « qu’elle projetait dans la réalité son idéal de vie ». Sertie entre la mer et la garrigue, parfumée de lavande, de thym et de santoline, elle ne sert que de toile de fond.

     

    Par sa seule présence anodine, Malika catalyse presque inconsciemment sur elle-même tous les regards, ceux amoureux et pervers des hommes, ceux jaloux ou envieux des femmes parce que sa jeunesse, sa beauté, son mystère distillent autours d’elle une sorte d’aura érotique et émouvante qui dérange, révèle les cassures, les zones d’ombre, les fantasmes…

     

    Face aux attitudes sophistiquées et superficielles de cette société, la jeune fille oppose naturellement le balancement de ses hanches, la couleur de sa peau, la senteur de son cœur, ses yeux. On dirait que, au cours de cet été trop chaud qui lui rappelle un peu le climat de son enfance, elle porte en elle un amour à réinventer. C’est vrai qu’elle suscite plus d’interrogations que de certitudes et son côté exotique la rend plus insaisissable et ensorcelante encore.

     

    A travers le récit d’une voyante, l’auteur lève pour son lecteur forcément attentif et passionné un coin du voile qui recouvre la personnalité de cette jeune fille. Son enfance à Aït-Saïd, ses jeux, sa vie insouciante dans un décor grandiose, sa famille, sa culture puis le refus de son destin de femme marocaine soumise à son frère, promise au mariage, sa fuite vers la France avec un photographe qui la libérera de sa condition. Elle sera son modèle, sa maîtresse, mais pas tout à fait le Pigmalion tant le besoin de liberté de Malika est grand.

     

    Ce roman, construit à la manière d’une enquête, nous invite alternativement dans l’atmosphère du reportage, de la culture arabe, de l’astrologie autant que dans la société interlope et marginale de Paris. Sans être un personnage central, Ali compte beaucoup pour elle, mais leurs relations sont ambiguës. Pourtant, malgré sa fidélité à cet homme « Malika n’est qu’un interlude dans la vie de beaucoup de gens » tant il est vrai qu’elle est une femme comme on aimerait en rencontrer, à la fois fuyante et attachante, gitane vagabonde et farouche, sorte de Janus, tantôt objet de plaisir, tantôt amie attentionnée et délicate, à la fois rebelle et soumise, une femme au naturel déroutant, experte en jeux érotiques et cuisinière avisée, capable de merveilles culinaires.

     

    Pourtant, ce livre est une authentique histoire d’amour. La fuite de Malika est révélatrice. Elle quitte le Maroc de son enfance bien qu’elle y laisse ses souvenirs et Tahar. Dans sa quête d’amour, c’est un peu lui qu’elle recherche dans chacun de ses amants. Lui aussi quitte le Maroc pour venir à l’Université de Paris. Il est un peu son contraire, son double, son complément. Pourtant, ils ont en commun l’authenticité, la simplicité et la beauté sauvage comme celle de ce bouquet de chardon, à la fois jalon et symbole de cette histoire envoûtante qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la fin.

     

    Dans un style sobre, agréable à lire, sans fioritures excessives, l’auteur décrit des paysages grandioses et provoque pour son lecteur un dépaysement véritable à l’invite du parcours de cette jeune fille inoubliable et unique.

     

    © Hervé GAUTIER.

  • ARGENTINA – Dominique BONA

     

    N°24

    Janvier 1989

     

     

     

    ARGENTINA – Dominique BONA – Editions Mercure de France.

     

     

    Je voudrais aujourd’hui faire partager mon coup de cœur pour un roman dont la parution remonte à 1984-1985. En effet, mon sentiment n’a jamais été que l’intérêt d’un livre réside uniquement dans sa nouveauté. Ce qui est écrit reste à découvrir, à lire, à relire, à apprécier…

     

    Il y a des périodes dans la vie d’un homme où tout s’effondre autour de lui, tout se dérobe. Restent l’attrait de l’inconnu et l’espoir qu’on y fonde pour exorciser le passé… Pour Jean Flamant, cet effondrement résulte de la guerre. On a beaucoup dit que la Première Guerre Mondiale avait été un tournant… De ce grand chambardement qui l’a empêché de poursuivre ses études, Jean ressort pauvre et décide d’échapper au nord de la France en même temps qu’à sa vie.

     

    L’espoir, la pauvreté et l’attirance pour l’exotisme le poussent vers cette terre de passion, de rêve et d’aventure. Cela fait de lui un émigrant qui, un matin de 1920 à Bordeaux, s’embarque pour l’Argentine. En réalité « Il fuyait un pays qui mettait tant d’obstacles sur sa route ». Dès l’embarquement, il croise une femme qui se dirige vers les 1° classes alors que lui voyage près des soutes mais «jura qu’un jour il donnerait le bras à une femme semblable ». Dès lors, le ton est donné, Jean est ambitieux et part pour réussir. Il saura tirer profit des événements.

     

    Des lupanars aux grands espaces, des petits boulots à la réussite sociale, de la chambre d’un hôtel minable à la maison cossue de «la Récolta » et aux salons du Jockey-club, le lecteur attentif suit l’itinéraire de Jean, guide d’exception dans ce pays où les images poétiques créent le dépaysement. L’histoire de cet homme, parti de rien, devenu en quelques années et malgré la crise de 1929 un industriel influent est un homme d’affaires avisé se déroule dans le cadre des paysages envoûtants des Andes, de la Pampa pour se terminer dans cette ville au nom enchanteur : Ushuaia.

     

    Cet homme ambitieux doit cependant beaucoup aux femmes, sa réussite, son bonheur, ses plaisirs, sa fortune. Ces femmes, ces maîtresses, sensuelles, désirables, énigmatiques passent dans sa vie et lui va de l’une à l’autre, avec le détachement de celui à qui tout sourit et qui s’autorise, une fois épuisé l’intérêt qu’il leur a porté, à jeter leur ombre au souvenir. Il n’en ressortira cependant pas indemne !

     

    Ce livre est aussi un roman à personnages : Mandoline, la petite prostituée française qui reviendra au pays fortune faite, Robert de Liniers, homme attentif au souvenir et au culte de ses ancêtres, amant fougueux, héros mutilé de la Grande Guerre et qui a cette phrase, parlant de son bras perdu au Chemin des Dames «toutes les blessures ont un nom de femme », Léon Goldberg, émigrant lui aussi, industriel en viande, mélomane, sa fille Sarah, un peu fantasque, un peu romantique, cultivée et insouciante. La vie en fera la femme de Jean, mais aussi une mère attentive et aimante, une épouse réaliste…, Jean Flamant, que cette guerre précipita en Argentine pour tout recommencer.

    D’autres personnages sont plus fuyants, Clarance, aventurier mélomane, Don Raphaël Ponferrada, gentilhomme de la Pampa, à la fois Hidalgo et fermier…

    Il y a des femmes aussi dont le parfum subtil se mêle à la fragrance de ce pays, à la beauté de ses paysages : Lady Campbel, sensuelle et mondaine, Térésa Carmen, tenancière de maison close, Martha, l’épouse de Don Raphaël, ils forment ensemble un couple étrange, à la fois frivole et uni. Thadéa Olostrov, botaniste, «métis de mayas et de vikings », passionaria de la révolution prolétarienne au moment de la crise de 1929 mais aussi femme étrange et rare dont Jean tombe amoureux et qu’il va rejoindre en Terre de Feu après avoir renoncer à sa réussite. Elle a cette phrase qui résume tout ce qui les sépare : « Ta vie est un challenge, ma vie une promenade, nous ne marchons pas du même pas »

     

    C’est un roman où l’amour se mêle à la souffrance, le désir à la quête, le chagrin à l’oubli, une saga contée dans un style agréable à lire, alerte et poétique. L’intérêt de l’intrigue tient le lecteur jusqu’à la fin dans un dépaysement total.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • DIPLOMATIE EN KIMONO – Frédéric LENORMAND

     

    N°372– Octobre 2009

    DIPLOMATIE EN KIMONO – Frédéric LENORMAND - FAYARD.

     

    Cette fois, nous somme à l'hiver 678 et le juge Ti, âgé de 48 ans est devenu Directeur de la police Civile Métropolitaine dans Chang-an, capitale des Tang. Autant dire qu'il a eu de la promotion! Ses fonctions l'amènent à recevoir une délégation japonaise venue, avec d'autres, étudier la culture chinoise pour s'en inspirer et être reçus par Sa Majesté. Le voilà donc devenu diplomate, même si ces peuplades de l'Est étaient considérées par les Chinois comme des barbares mal dégrossis !

     

    Pourtant, même s'il est chargé de « surveiller » ses hôtes dans leur découverte de la Chine et de sa civilisation, Ti, sous couvert de leur faire découvrir « les bonnes manières », c'est à dire l'étiquette, le protocole en usage à la Cour mais aussi la grandeur de l'Empire du Milieu, sa position centrale dans le monde, ses connaissances et bien sûr la magnificence de son Empereur, est en fait chargé de leur faire une démonstration de l'implacable justice impériale. Cela tombe bien puisqu'il reste un incorrigible enquêteur et semble constamment en situation de démêler différentes affaires criminelles aussi compliquées que pleines de rebondissements. Il le fait avec d'autant plus de brio que, non seulement il a la passion de la vérité, un sens de l'État affirmé, une fidélité sans faille à son Empereur, qu'il a une réputation de fin limier et de magistrat intègre à soutenir, mais aussi parce qu'il découvre que la pédagogie judiciaire fait aussi de ses fonctions temporaires.

    En fait, ces émissaires ne pouvaient avoir meilleur cicérone, non seulement ils recevront le message officiel pour lequel il sont venus en Chine, mais surtout, ils apprendront « la culture personnelle du juge Ti », puisque ce dernier ne pourra s'empêcher de leur faire la démonstration de ses méthodes pour le moins originales et efficaces pour déjouer les manœuvres frauduleuses des délinquants! Il ne manquera pas non plus de leur livrer, laconiquement bien sûr, son avis sur leur civilisation.

     

    En réalité, au fil du récit, ces « barbares » se révèlent être des esprits à la fois brillants et retors, des observateurs avisés et habiles, des doubles de Ti en quelque sorte, et aussi rusés que lui, et ce dernier aura besoin de toute son expérience, de sa légendaire sagacité, pour déjouer les pièges qu'ils lui auront tendus. J'observe d'ailleurs qu'il y sera aidé, comme souvent, par une de ses épouses, mais ce sera pour une fois la deuxième, et sa remarque qui ouvre les yeux de notre juge, est pleine de bon sens, comme si elle était, elle-aussi, le complément de cet époux d'exception.

     

    Au passage, le lecteur découvrira la personnalité hors du commun de ce magistrat pragmatique qui, tout pétri de confucianisme, culte en usage chez les élites, jettera une nouvelle fois un regard de méfiance quelque peu amusée sur les pratiques superstitieuses des chamanistes, sur les habitudes mercantiles des bouddhistes et l'efficacité douteuse des taoïstes. On sent bien un nouvelle fois qu'il tient les religions en usage dans l'Empire en petite estime.

     

    Je note aussi que l'auteur prête à Ti, à l'issue de cette aventure un peu rocambolesque, à la fois des conclusions sur la relativité des choses de ce monde [« la vie est un jeu et celui qui s'appuie sur ses certitudes perd la partie » se dit-il] mais aussi des remarques qui trouveront dans l'histoire future de ces deux pays des conséquences plus tristes, faisant de lui, une nouvelle fois, un observateur avisé.

     

    Comme toujours un roman de Frédéric Lenormand procure à son lecteur une véritable immersion dans la société chinoise à son apogée, autant par la qualité des descriptions, l'évocation des différentes couches de la société et son organisation, que par les allusions aux us et coutumes, aux procédures judiciaires, aux rituels en usage à la Cour, aux préparatifs des fiançailles et du mariage, au code des Tang, à l'histoire du pays, et même l'art culinaire.... C'est comme un fond de tableau, un décor vivant qui sert de cadre aux aventures de ce célèbre mandarin et dans lequel il se déplace avec aisance. Fin connaisseur de la condition humaine et de « l'esprit humain » dont il est un incorrigible observateur, il ne manque jamais une occasion de retourner une situation en sa faveur et de sauver la face.

     

    On imagine aussi le considérable travail d'archiviste et d'historien de l'auteur. Cela procure, comme à chaque fois, un dépaysement bienvenu que personnellement j'apprécie. Il y ajoute son humour personnel, l'usage opportun de l'euphémisme, son sens de la formule, son a-propos, s'appropriant en quelque sorte ce personnage et lui conférant une attachante sincérité.

     

    Pour peu qu'il soit attentif, son lecteur ne peut pas ne pas sourire en parcourant ce texte. J'ai personnellement et comme toujours, ri de bon cœur à la lecture de ce roman. J'ai retrouvé avec plaisir le style jubilatoire que j'apprécie particulièrement chez cet auteur qui suscite l'intérêt de son lecteur dès la première ligne pour ne l'abandonner qu'à la fin sans que l'ennui se soit insinué dans le cours du récit. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui peuvent se targuer de réussir un tel exercice.

     

    Frédéric Lenormand n'est pas un inconnu pour cette chronique qui a choisi depuis longtemps de suivre son parcours. Encore une fois je n'ai pas été déçu par ce récit qui a été pour moi un bon moment de lecture.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MANUSCRIT DE PORT EBENE - Dominique BONA

     

     

     

    N°203 - Février 1999

     

     

     

    LE MANUSCRIT DE PORT EBENE - Dominique BONA - Editions GRASSET.

     

     

    Je n’ai évidemment aucun mérite de parler aujourd’hui de Dominique Bona surtout après le Prix Renaudeau obtenu en 1998. Je tiens cependant à dire que pour moi elle n’est pas une inconnue. Je garde en effet le souvenir de l’extraordinaire portrait de Romain Gary, mais aussi d’Argentina (La Feuille Volante n°24) de Malika ( La Feuille Volante n°150). A chaque fois je notais un grand talent dans le portait de personnages d’exception dont l’auteur souhaitait nous faire partager la personnalité et l’histoire.

     

    Ici, avec un dépaysement qui se distille jusque dans le vocabulaire, c’est encore de portraits dont il est question. Celui de cette jeune femme tôt arrachée à sa Vendée natale par un mariage arrangé avec un riche planteur français de Saint Domingue. Elle découvre l’île et les tropiques certes mais ne tarde pas non plus à apprendre l’existence d’une autre femme noire qui avant elle avait été la compagne de son mari et qui lui avait donné deux fils. Elle a été répudiée pour que elle, la nouvelle femme légitime assure la descendance de son nouveau mari. C’est vrai qu’elle a été envoûtée par le paysage paradisiaque de l’île que par ennui ou par désoeuvrement elle a choisi de découvrir.

    Portait aussi de Julien, l’époux de la Dame de Saint Domingue, planteur libéral, ouvert aux idées nouvelles, attentif au sort des noirs et des métisses mais pourtant paradoxal dans son attitude.

    D’autres plus secondaires comme Fleuriau, le voisin conservateur, attaché aux traditions coloniales et Louis Desmaret, plus volontiers attentif aux performances de son domaine agricole mais aussi naturaliste passionné.

    Parce qu’il était épris de régionalisme et qu’il aimait assez les « femmes de fer sous le velours », l’éditeur Camus, publiera ce manuscrit bien des années après qu’il fut écrit et qu’il eut voyagé dans le temps comme seuls les écrits savent le faire. Le titre un peu pompeux serait « Mémoires écrits en France pour servir l’histoire de Saint Domingue » malgré le goût de notre homme pour les choses simples. Pourtant, pour une fois l’exotisme aura raison!

    Son parcours est aussi anachronique que celui de Julien et de la Dame de Saint Domingue mais passant en quelque sorte de l’autre côté du miroir il finit par être fasciné par cette femme et par sa vie autant que par le décor de son île. Il va lui aussi pénétrer de plain pied dans les arcanes inconnues de cette contrée, connaître et craindre les mystères du vaudou...

    Etait-ce la fascination du paysage ou de ses habitants? La jeune femme sage qui débarqua un jour au Port au Prince et fut aussitôt mariée à Julien va devenir insoumise et provocante « hantée par les déesses du désordre et du plaisir ».

    Nous allons assister à ses amours interdites, avec les blancs d’abord puis avec un noir, deuxième fils naturel de son mari... On pourrait voir dans cette « Dame de Saint Domingue » une femme libre d’aimer une victime tour à tour de la beauté de l’île ou de ses habitants, de son climat... Il serait aussi tentant d’y voir une femme non conformiste, désirant avant tout bousculer les traditions, la légendaire condition de l’épouse reléguée au foyer et couverte d’enfants. On pourrait aussi excuser ses frasques, en se disant que, somme toute elle ne fait qu’imiter son mari qui, sans être volage n’avait pas tout à fait rompu les liens avec son ancienne maîtresse.

     

    Malgré parfois un manque de rythme, l’histoire tient en haleine le lecteur attentif jusqu’à la dernière ligne. Il y a aussi l’Histoire qui n’est pas négligeable et on imagine le travail d’archiviste qu’il a fallu mener pour brosser cette fresque. Car la Révolution dont les idées généreuses parviennent jusqu’à Saint Domingue est en marche. Elles vont bousculer les fondements de cette société faite de blancs, de noirs libres, d’esclaves et de mulâtres aux repères mal définis. Il y aura des morts et la fuite de la dame en France avec sa fille qui, bien que conçue par un noir est blanche de peau!

     

    On pourrait croire que ses amours interdites allaient s’arrêter là et que les conséquences de celles-ci seraient sans lendemain. Pourtant le piège dans lequel elle est tombée se refermera non sur elle mais sur sa fille qui, au vrai paiera malgré elle l’inconduite de sa mère. Le lecteur reste partagé entre la coupable attitude d’une femme restée impunie, la certitude qu’elle pouvait facilement abuser son mari et la révolte qui fait supporter à la fille la faute de la mère.

     

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    © Hervé GAUTIER

  • LA PROCHAINE FOIS JE VOUS LE CHANTERAI - France Inter- Philippe Meyer

     

    N°370– Octobre 2009

    LA PROCHAINE FOIS JE VOUS LE CHANTERAI – France Inter - Philippe Meyer – Samedi 12h05 à 13 h.

     

    La radio a toujours été un média qui a eu ma préférence, tout d'abord parce que je n'avais, au départ, pas la télévision [j'appartiens à une génération qui, sans avoir vraiment connu la TSF, n'en a pas moins vécu toute sa jeunesse avec pour seule distraction un poste de radio écouté dans la nuit] et puis surtout parce que parce que j'ai toujours accordé une certaine magie à la seule voix d'un homme (ou d'une femme) sans devoir pour autant mettre un visage sur celle-ci. Mais, comme beaucoup, et je le déplore, je n'écoute plus la radio qu'en voiture.

     

    Le hasard qui gouverne nos vies beaucoup plus souvent que nous voulons bien l'admettre, m'a donné l'occasion, lors d'un déplacement en automobile, d'entendre à nouveau la voix de Philippe Meyer.

    J'avoue que je l'avais un peu oublié, celui-là, encore que j'avais toujours dans l'oreille le son radiophonique de sa voix autant que la pertinence et l'humour de ses remarques. Je l'ai donc écouté avec attention tout en me souvenant que, voilà quelques années, cette modeste chronique avait déjà attiré l'attention de ses improbables lecteurs sur une émission matinale que je ne manquai jamais parce qu'elle accompagnait mon trajet vers le travail.

    Je reproduis donc ici le numéro 71 de juillet 1991, pour le plaisir de me souvenir qu'à l'époque, je commençais toujours la journée par un sourire.

     

    Juillet 1991

    n°71

     

    CHOSES ENTENDUES – (A propos de « Choses vues » - Chronique de Philippe Meyer – 8h45 - France Inter).

     

    Notre pauvre monde ne me réserve sans doute pas grand chose mais franchement peu m’en chaut puisque, comme tout un chacun, je suis, chaque matin abreuvé de nouvelles qui ne sont pas de nature à me faire regarder notre société comme un parangon idéal. Ce ne sont que catastrophes, assassinats, coups d'État, quand l’homme lui-même n’en rajoute pas par un petit scandale, une petite « affaire », une petite magouille… Pour l’heure nous sommes servis !

     

    Il y a bien des tentatives de détournements d’opinion qui voudraient, en braquant habilement le projecteur de l’actualité sur un fait anodin, nous faire oublier le chômage et les injustices en tout genre que génère notre société qui pourtant sert de modèle. Reconnaissons que tout cela ne dure qu’un temps. Heureusement !

     

    Loin des hommes politiques douteux, des journalistes flagorneurs, je suis reconnaissant aux hommes de communication, chroniqueurs de l’audiovisuel et autres échotiers contractuels de me faire commencer ma journée par un sourire. L’humour est en effet la seule arme efficace contre la morosité qui dévore de plus en plus notre vécu qui, bien entendu, n’est pas « sans nous interroger quelque part », pour peu qu’on prenne un peu conscience des réalités.

     

    Ainsi chaque matin, « auditeur sachant auditer », en me rendant à mon travail, ai-je le plaisir d’écouter attentivement la chronique de M. Philippe MEYER, non seulement parce que c’est la seule station (France Inter) qui soit audible sur un auto-radio aussi vieillissant que mon automobile, mais encore parce que ses remarques pertinentes et humoristiques viennent frapper mes tympans au moment précis où mon véhicule s’immobilise sur la chaussée, victime des encombrements coutumiers.

     

    Je lui suis reconnaissant, dès le matin, de nous faire voir la face cachée de notre société ou, à tout le moins de nous la présenter sous un jour plaisant, ce qui chasse du même coup et pour un temps les préoccupations des embouteillages, du trou de la Sécu et des délices incomparables de la rédaction de notre déclaration de revenus !

     

    Vous me croirez si vous voulez, mais quand j’entends, à 8h45 et malgré les grésillements du susdit (auto-radio), sa voix monocorde annoncer « Heureux habitants de la Charente et des autres départements français », c’est plus fort que moi, cela me fait sourire et je tends l’oreille. Le monde est ainsi fait maintenant que l’humour pour moi prend le pas sur les choses qu’on dit sérieuses et j’ai de plus en plus envie, à l’invite de ce chroniqueur « matutinal » de poser sur le décor qui nous entoure un regard amusé, gage d’un certain art de vivre. A force de l’entendre dire chaque matin que « nous vivons une époque moderne », je vais bien finir par en être persuadé.

     

     J'ai passé un bon moment en sa compagnie et, grâce à lui, j'ai découvert un chanteur italien, Gianmaria Testa, qui, je pense, va m'intéresser.

  • SERAPHINE, de la peinture à la folie- Alain Vircondelet

     

    N°369– Septembre 2009

    SERAPHINE, de la peinture à la folie- Alain Vircondelet – Albin Michel

     

    L'univers des autodidactes m'a toujours fasciné, tout comme la spontanéité du style naïf en peinture comme dans d'autres disciplines artistiques. D'autre part, le succès, la notoriété ont des lois que je ne m'explique pas très bien surtout quand ils se manifestent en dehors des voies royales de la médiatisation, du matraquage journalistique ou d'un parisianisme incontournable.

     

    Rien ne prédisposait en effet, Séraphine Louis, née à Asny [Oise] en 1864 dans une famille pauvre, d'un père horloger itinérant et d'une mère domestique de ferme qui meurt alors qu'elle vient d'avoir un an, à connaître le succès. Son père meurt lui-même alors qu'elle n'a pas encore sept ans. C'est donc une orpheline qui, recueillie par sa sœur aînée, devient bergère, domestique au Couvent de la Providence à Clermont [Oise] puis femme de ménage, à partir de 1901, à presque quarante ans, dans les familles bourgeoises de Senlis. C'est dans cette même ville qu'en 1912 s'installe un collectionneur et marchand d'art allemand, Wilhem Uhde, lassé de la vie parisienne. Amateur de Picasso et du Douanier Rousseau, il remarque, chez des notables, de petites œuvres peintes sur bois et découvre que leur auteur n'est autre que sa propre femme de ménage, Séraphine. Voilà tous les ingrédients d'un conte de fée, mais la réalité est toute autre. Celle qui aurait voulu devenir religieuse par amour de Dieu et qui a été maintenue par la Mère Supérieure dans sa condition de simple servante à cause de sa pauvreté et de son absence de dot, garde cependant en elle une foi inébranlable. Considérée comme un esprit simple, sans instruction et sans fortune, elle est finalement  poussée dehors et commence à peindre en s'inspirant de ce qu'elle connaît, des images pieuses, des vitraux, des statues des églises et du culte marial, des fruits, des fleurs et des feuilles.

    Elle s'humilie devant Dieu qui, le pense-t-elle, lui dicte son cheminement artistique. Elle peint sans véritable technique, sans avoir jamais appris, au Ripolin, pratique des mélanges inattendus et improbables mais reste à l'écoute exclusive de cet « ange » qui la guide. C'est un peu comme si, en elle, se révélait une sorte de « mémoire héréditaire » dont elle était l'expression, la manifestation, avec en plus la main de Dieu pour la soutenir. La folie mystique qui l'habite et dont elle ne cache rien, la fait déjà considérée par la rumeur publique comme une folle. Elle se compare à Jeanne d'Arc, à Bernadette de Lourdes, se définie comme une « voyante de Dieu », prétend entendre des voix qui lui intiment l'ordre de peindre, ce qu'elle fait comme un devoir sacré.

     

    Après la guerre de 14-18, Uhde revient s'occuper d'elle et la révèle au grand public, organise des expositions. Son style, naïf et primitif, s'inspire d'une nature luxuriante semblable à celle qu'elle imagine au Paradis Terrestre. On la compare déjà au Douanier Rousseau et les surréalistes s'intéressent à ses œuvres. Elle-même se reconnaît une parenté artistique avec Van Gogh. La notoriété aidant, elle devient imbue d'elle-même, et elle qui avait toujours vécu de peu, se met à faire des dépenses inutiles et couteuses malgré les mises en garde de Udhe. Son style change et se surcharge de pierreries et de plumes, les couleurs, vives au départ, s'assombrissent mais elle continue d'exploiter les thèmes bibliques ... Sa peinture est, d'une certaine façon, la synthèse entre Dieu et les hommes, se définissant elle-même comme une médium solitaire et secrète, investie par les puissances surnaturelles. Dès lors, elle se prétend « l 'élue de Dieu », sa servante, son instrument, s'affirme cependant « sans rivâle » et s'enfonce de plus en plus dans une folie irréversible.

     

    La grande dépression des années trente met fin à ses ventes ce qui affecte sa santé mentale et physique au point qu'on songe de plus en plus sérieusement à un internement. Les symptômes délirants s'accentuent avec la perspective de la guerre qui s'annonce, Uhde, juif, anti-nazi et homosexuel, disparaît, et avec lui sa source de revenus. Son discours mystique s'accentue, elle parle de la mort, abandonne la peinture, s'enfonce de plus en plus dans un dénuement moral dont elle ne sortira plus. Des plaintes sont déposées et, possédée par un délire définitif, finit par troubler l'ordre public, ce qui la précipite à l'hôpital psychiatrique de Clermont en 1932. Elle perd complètement la tête ainsi que l'atteste un rapport de police. Dès lors personne n'entendra jamais plus parler d'elle, elle ne fera jamais plus partie de ce décor provincial où elle dérangeait. Elle y restera dix ans sans jamais reprendre la peinture, prostrée, comme si cette vibration qui avait guidé sa main l'avait définitivement quittée. Elle est victime de délires hallucinatoires, de psychoses, l'hystérie la gagne et elle souffre de persécutions. Uhde retrouve sa trace et l'aide financièrement pour adoucir son sort, mais dans cet univers, la peinture qui a été toute sa vie n'a plus d'importance.

    Son délire s'accentue dangereusement, elle se croit enceinte et la deuxième guerre mondiale éclate la précipitant dans un état de dénuement physique et mental alarmant que les restrictions alimentaires et un cancer aggravent. La politique d'extermination des nazis à l'égard des malades mentaux la précipite, fin 1942, dans la mort solitaire, mais c'est aussi de faim qu'elle meurt. Personne ne réclamant son corps, elle sera ensevelie à la fosse commune.

     

    C'est un livre passionnant et agréablement écrit que j'ai lu d'un trait tant l'histoire de cette femme est inattendue mais pourtant si commune à celle de bien des artistes, et comme le note l'auteur « Comme Camille Claudel morte dix mois seulement après elle et dans les mêmes circonstances, elle a été de ces artistes qui ont été au bout d'eux-mêmes, à l'extrême de leurs limites et qui ont accepté la plus grande violence contre eux » .

     

    De nombreux musées, celui de Nice, de Senlis mais aussi le musée Maillol à Paris exposent ses œuvres.

     

     

    (C) Hervé GAUTIER – Septembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • QUELQUES MOTS SUR HORACIO QUIROGA [1878-1937]

     

    N°367– Septembre 2009

    QUELQUES MOTS SUR HORACIO QUIROGA [1878-1937]

     

    Les écrivains sont le miroir de l'humanité. Ils parlent d'elle et elle se reflète en eux. A ce titre, ils présentent de multiples facettes et mettent en lumière toutes les composantes de la condition humaine, des plus basses turpitudes aux attitudes les plus morales. Ainsi a-t-on l'habitude de résumer en quelques mots l'œuvre d'un auteur. A titre personnel, je ne sais pourquoi, j'ai toujours été attiré par ceux qui parlent de la solitude et de la mort, probablement parce que, bien que nous refusions cela, elles résument notre parcours terrestre. Parmi les noms qui sont présents dans ma bibliothèque idéale, celui d'Horacio Quiroga y tient une place particulière.

     

    Il y a, certes, des contes pour enfants[« Contes de la forêt vierge »], écrits pendant le séjour qu'il fit le long du fleuve Paran, en Argentine, où le spectacle qu'il donne à voir est onirique et même plaisant, il a également publié des recueils de poèmes mais, ailleurs, dans toute son œuvre, la mort revient avec une prégnance singulière. Elle est présente dans chacune de ses nouvelles. Elle est même parfois dépeinte comme une chose simple et même parfois apaisante comme dans « les exilés » où un paysan heureux repose au soleil, une machette plantée dans le ventre ou un homme, au fond d'un puits, regarde les étincelles d'une mèche de dynamite qui se consume à ses pieds. Elle peut-être aussi plus subtilement distillée sous forme d'un alcool mortel dégusté par un client au pied même de l'alambic! C'est donc de la fragilité de l'existence dont l'auteur souhaite être le témoin.

     

    C'est que la mort a fait très tôt partie de sa vie, son père mourant accidentellement alors qu'Horacio, son fils, n'avait que trois mois, puis, dix-sept ans plus tard, c'est son beau-père qui se suicide sous ses yeux. Sa première épouse met fin à ses jours puis s'est lui qui, en manipulant une arme tue son meilleur ami, Frédérico Ferrando. Plus tard, atteint d'un cancer, se suicidera en 1937 à Buenos Aires et ses deux enfants se suicideront à leur tour. La violence dans la mort est aussi une constante dans ses écrits.

     

    La solitude est également un thème récurrent dans son œuvre. Né en Uruguay, il s'installe, en 1912, à San Ignacio, dans la forêt tropicale, son œuvre témoigne de ce lieu, de la faune hostile comme de la flore et l'atmosphère qui se dégage de ses écrits est oppressante. Dans « Anaconda », il dessine un décor labyrinthique où les animaux dont doués de sentiments humains dans lequel le lecteur trouve à la fois la folie et la mort. Au départ, les histoires racontées sont réalistes, dans un style épuré et sont le fruit de l'expérience vécue de l'auteur, mais elles dérapent rapidement dans un surréalisme inquiétant et l'atmosphère qui s'en dégage est monstrueuse et délirante.

     

    Dans « Contes d'amour de folie et de mort »,il y a, certes, l'évocation des deux premiers thèmes, mais c'est surtout le dernier qui est évoqué, comme un poison que l'homme porte en lui et qui finira par lui être fatal.

     

    Il est considéré, à juste titre, comme le maître de la nouvelle fantastique latino-américaine, à l'égal de Maupassant ou d'Edgar Poe dont il s'est sans doute inspiré.

     

     

     

     (C)Hervé GAUTIER – Septembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'AGE DE PIERRE - Paul Guimard

     

    N°367– Septembre 2009

    L'AGE DE PIERRE - Paul Guimard – Éditions Grasset

     

    Comme je l'ai déjà dit, la parution récente d'un livre n'a jamais été un critère de lecture en ce qui me concerne. Ce roman publié en 1992 et dû à un auteur qui ne m'était évidemment pas inconnu pouvait donc parfaitement retenir mon attention.

     

    J'ai ressenti à cette lecture une sorte de nostalgie. Au départ, une rêve, presqu'une apparition, celle d'une violoncelliste à la chevelure flamboyante et à la pose érotique que la pratique de l'instrument oblige. C'est là un parti-pris d'un homme mûr, d'un jouisseur assurément qui ne pouvait laisser passer cette image sans se livrer à ses fantasmes secrets. Pourtant, il choisit de s'exiler en Irlande « le bout du monde .... où la pluie est une fête ». Pour cela il se sépare « du plus florissant cabinet d'architecte de Paris pour s'exiler dans un lieu au nom imprononçable dans la péninsule de Dingle ». C'était une folie d'autant qu'elle s'accompagnait d'un divorce avec Nathalie, non pour refaire sa vie, mais pour la « défaire ». Certes leurs relations communes prend des allures de bonne entente, son ex lui rendant visite chaque semestre dans sa retraite, mais on sent autre chose, une volonté du narrateur de mettre entre eux plus que des kilomètres.

    C'est que Pierre constate rapidement la calcification de ses pieds au point qu'on envisage la consultation d'un géologue, d'un maçon et qu'on se risque même à attribuer ce phénomène à l'intervention d'une fée. Il faut dire que le pays s'y prête, que la lecture d'une nouvelle de Malaparte évoque cette histoire qui va être distillée pour le lecteur, que « les gens d'ici ont un pied dans la boue, l'autre dans les nuages et n'ambitionnent pas d'avoir les deux sur terre » et que le médecin prêterait volontiers son concours à ce genre de chose bien qu'il reste confondu devant un phénomène extraordinaire qui ne s'accompagne pourtant d'aucune souffrance. Dès lors le lecteur voit bien le jeu de mot sur le nom de Pierre et le titre prend tout son sens.

    Dès les premières page, on comprend qu'il peut s'agir ici d'une allégorie, la fin d'une vie, une vieillesse solitaire, avec ses souvenirs, ses regrets et ses remords... en attendant la Camarde. Pourtant l'auteur ne manque pas de décliner le calembour du genre « tu as toujours eu un cœur de pierre » ou « Tu es Pierre et sur cette pierre j'avais bâti mon avenir » c'est vrai que l'Évangile avait déjà eu cet humour! D'ailleurs l'auteur n'a pas manqué de situer cette histoire un peu surréaliste en Irlande, au bord de la mer, dans un site rocailleux de falaises. L'examen de ce phénomène pour le moins curieux révèle chez le patient qui porte ainsi bien son nom, une roche de nature granitique, avec quelques traces d'or, quand même!

    Puis les choses s'aggravent et l'infirmité qui au départ n'affectait qu'un pied gagne rapidement les deux jambes et l'âne et son attelage achetés pour lui permettre de se mouvoir plus aisément se révèlent d'une grande importance et même une sorte de complicité. La fin fait évidemment penser à la statue du commandeur!

     

    Il y a des évocations majestueuses des paysages, « la rousseur violente des fougères et le tweed des tourbières » et les chemins creux « qui donnent l'illusion d'un labyrinthe sans espoir d'évasion », des descriptions poétiques, mais j'ai eu du mal à entrer dans cette histoire pourtant bien écrite, dans ses réflexions sur la vie, sur la vieillesse, sur les femmes, sur la mort et même sur la religion et le salut de l'âme, Je l'ai pourtant lue jusqu'à la fin, mais sans enthousiasme excessif cependant.

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'HOMME BARBELÉ - Béatrice Fontanel

     

    N°366– Septembre 2009

    L'HOMME BARBELÉ - Béatrice Fontanel – Éditions Grasset

     

    C'est une histoire de famille qui nous est narrée ici, l'histoire d'un homme, Ferdinand, héros de la guerre de 14-18, promu officier, décoré pour faits de bravoure et que la deuxième guerre mondiale retrouve au maquis. Inconnu pour ses propres enfants, ceux-ci refont le chemin à l'envers, après sa mort, avec pour toute boussole son livret militaire et la consultation des archives. De Verdun, de Douamont, du Chemin des Dames aux théâtres d'opérations des Balkans et de la Syrie, le lecteur découvre, par le menu, le parcours de cet homme qui aime la guerre [« La guerre, il l'a dans la peau »], un héros à la démarche mécanique inspirée seulement par le règlement et l'obéissance aux ordres, un soldat qui passent à travers les balles qui pourtant fauchent tant des camarades, une sorte de trompe-la-mort qui revient chez lui indemne après ce périple guerrier, presque étonné d'être encore en vie, quelqu'un de compatissant qui sait écouter la détresse des autres. L'entre-deux guerres le rend à la vie civile puis, au cours du second conflit, dénoncé il meurt à Mathausen. L'exploration de ces archives révèle un homme courageux au combat, volontaire pour les missions périlleuses lors du premier conflit et qui, dans le camp nazi, soutient le moral des prisonniers. Avec un luxe de détails, le récit retrace la dureté des combats auxquels Ferdinand a participé, le froid et la faim dans les tranchées autant que la description macabre du camp, entre chambre à gaz et four crématoire qui furent le décor de ses derniers moments.

     

    Mais c'est un père dur pour sa famille et pour sa femme, indifférent envers ses enfants au point que lorsqu'il est arrêté par la Gestapo et que chacun comprend qu'il ne reviendra pas, un de ses fils a cette parole « Enfin une journée tranquille ». C'est révélateur! Je me suis pourtant demandé pourquoi il terrorisait ainsi sa famille. On peut y voir le parcours d'un écorché, à la jeunesse déchirée par la guerre, comme pourrait le suggérer le titre. Je me suis dit que beaucoup de gens sont ainsi. Peut-être ce Ferdinand méritait-il qu'un roman lui rende justice?

     

    Ils nous est présenté comme un homme à double face, un visage drôle et généreux pour les copains à l'extérieur, officier bon pour ses hommes... et pour sa famille un véritable tyran, entre colères et silences peut-être parce que la guerre qui était intervenue par hasard dans sa vie en était devenue sa seule vraie raison d'exister. Alors la paix ne pouvait être qu'un long moment de désœuvrement; ce bon soldat s'est débrouillé pour servir en Syrie après les hostilités de la première guere. Cela avait beau être une histoire banale, au début, je me suis intéressé à ce récit un peu décousu, plein de détails à la fois historiques et banalement quotidiens, pas vraiment bien écrit pour mon goût[Il faut atteindre la première centaine de pages pour que le récit devienne vraiment attachant et plus facile à lire]. Après tout bien des romans sont comme cela maintenant, alors pourquoi pas?

     

    L'originalité de la rédaction tient sans doute au fait que l'auteur donne la parole à divers intervenants pour évoquer la figure de Ferdinand... et ils dessinent à leur manière le portrait de l'homme qu'ils ont connu. Au bout du compte un personnage énigmatique qui pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses.

     

    Je n'ai pas vraiment accroché à ce roman qui n'a pas représenté pour moi ce que je demande généralement à un livre, celui d'être un moment d'agréable lecture.

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • A PROPOS DE PIERRE AUTIZE.

    Je publie à nouveau ce texte déjà ancien pour que Pierre Autize ne soit pas oublié.

     

    N°41

    Avril 1990

     

     

     

    A PROPOS DE PIERRE AUTIZE.

     

    Dans le prolongement du n°57 de Poètes Niortais consacré Pierre Autize, je voudrais ici, de nouveau, jeter un regard sur l’œuvre de ce «poète du terroir », comme il aime à être appelé.

     

    Cette manière d’aborder ses écrits contenus dans vingt sept recueils et surtout des dizaines de revues de poésie auxquelles il participe activement, est nécessairement subjective. Dans une étude que je lui ai consacrée en 1988, il m’a paru intéressant d’analyser sa poétique sous le double éclairage du «poète de la condition humaine » et du «poète naïf ».

     

    Avant tout, le professeur de Lettres qu’il a été s’est toujours attaché à la forme, rappelant à l’occasion qu’il est un poète classique, c’est à dire que si, comme créateur, il privilégie l’inspiration, il n’en bannit pas moins l’écriture automatique, respectant scrupuleusement les règles de la prosodie qui, à ses yeux, ne sont pas une entrave à l’expression poétique. Ainsi égrène-t-il les ballades, rondels, sonnets et autres rondeaux…

     

    Cette étude a révélé un personnage plein de paradoxes et, contrairement à la première impression qu’on peut avoir de lui, il est d’abord le « poète de l’humaine condition » et ce n’est pas sans raison que Bernard Aurore l’a dit «poète-paysan ». De son terroir du Bas-Poitou, et donc de l’humanité, il a dit les peines, les joies, le dur labeur qui était celui de ses parents, de ses ancêtres. De sa famille il a retracé le parcours difficile, la vie ingrate qui n’ont pas, pour autant, laissé le citadin qu’il a toujours été insensible au travail de l’homme, aux injustices de la société, à la solitude.

     

    Si les épreuves ne l’ont pas épargné, si deuils et douleurs m’ont meurtri, il semble que l’écriture ait été pour lui une invite à exorciser ce mal, à panser ces plaies. Comme chacun, il a connu le doute, l’amour et l’amitié, mais lui en a parlé…

     

    En effet, quand on connaît cet homme, on ne peut pas ne pas être frappé par l’importance qu’il accorde à l’amitié de ses semblables et l’intimité qui est la sienne nous est rapportée dans ses poèmes. Ce n’est pas abusivement qu’on parle toujours de lui comme «le poète de la joie de vivre » ; il ne dément pas ce qualificatif, cherchant délibérément ce qui est bien dans la vie et en excluant tout ce qui est mal. C’est un a priori qui le caractérise bien et il convient de le respecter…

     

    Un autre aspect de son écriture me paraît intéressant : c’est celui du «poète-naïf ». On comprendra ici que cette naïveté est toute littéraire et ne saurait être péjorative. La première chose, je l’ai dit, est que ses poèmes sont rimés et si le puriste peut trouver quelques faux-pas dans ses textes au regard de la métrique, cela reste une querelle d’experts. La seconde est la répétition des mêmes mots au point parfois que la rime se devine. Le balancement du vers quant à lui, pour être classique, n’en est pas moins un peu ronronnant.

    Le réel reste pratiquement sa seule source d’inspiration et quand il peint la nature (Le Marais Poitevin), elle ne saurait être que luxuriante, verdoyante, apaisante, accueillante. Quand Il parle de l’Autize, cette rivière à laquelle il a emprunté son nom, c’est une femme qu’il voit en elle. Son bestiaire est peuplé de «copains » à qui il donne des noms familiers et qu’il croque d’une plume alerte.

    Enfin Pierre Autize me paraît avoir gardé une âme d’enfant qui fait de lui «un poète sans angoisse ». Il reste, à mes yeux, un créateur, quelqu’un qui a, comme l’a dit Malraux, arraché quelque chose à la mort.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • PARIS-BREST - Tanguy Viel

     

    N°365– Aout 2009

    PARIS-BREST - Tanguy Viel – Éditions de Minuit

     

    C'est une histoire de famille comme on en connaît tous [Chaque famille n'a-t-elle pas son histoire, parfois inavouable?], mais ici c'est un peu plus compliqué peut-être parce que c'est devenu un roman et que du coup ce n'est plus la même chose, parce que l'auteur s'en mêle et mélange un peu tout, la biographie et la fiction, la narration, l'imagination et la volonté de créer un monde différent de la réalité!

     

    Comme dans toutes les histoires, il y a un lieu. Ici, c'est Brest, pas exactement la ville évoquée par Prévert et dans son poème « Barbara », mais une ville «  qui ressemble au cerveau d'un marin, détachée du monde comme une presqu'île ». C'est que dans cette histoire il y a de l'argent et que cela n'arrange rien parce que l'auteur nous confie «  Partout où mes parents se sont installés, partout où ils ont touché de l'argent, ça s'est immédiatement chargé d'histoire ». L'argent, c'est l'héritage de la grand-mère, Marie-Thérèse, veuve et remariée tardivement avec un vieux et riche notable, la condamnation pour malversation du père de l'auteur, vice président du club de foot local, et aussi celui qui a servi à sa mère à acheter un fonds de commerce qui s'est rapidement révélé déficitaire à Palavas-les-flots pour échapper au scandale.

     

    Comme dans toutes les histoires il y a des départs, celui des parents qui doivent quitter Brest, celui du narrateur, Louis, qui, au retour de ses parents et ne supportant plus cette maison, part pour Paris où il veut faire sa vie définitivement, cet exil répondant, quelques années plus tard, à celui de ses parents. Il revient quand même pour Noël, mais pas innocemment, après que ses parents se sont établis de nouveau dans la cité bretonne parce qu'ils considèrent que le temps a passé et que les choses ont été oubliées....

     

    Il y a aussi des personnages secondaires qui vont cependant prendre une place démesurée dans le récit. Kermeur, le copain d'école au rire malsain, au vrai une petite frappe, le mauvais génie du narrateur que sa mère veut à tout prix éloigner de son fils. Elle doit cependant, eu égard aux dispositions testamentaires de feu l'époux de Marie-Thérèse, garder la mère, Mme Kermeur, comme femme de ménage. Elle le fait donc, elle qui pourtant, nouvellement enrichie, souhaiterait s'offrir les services d'une autre domestique, mais s'est à contre-cœur parce « qu'elle n'aime pas les pauvres ». Et c'est à grand regret que, partant pour le Languedoc, elle laisse Marie-Thérèse à Brest, à la seule garde de son fils pour que celui-ci la surveille, même si, du même coup, elle laisse à Louis la possibilité de revoir ce Kermeur. C'est que, pour elle, «  Le monde est une sorte de grand cercle et au milieu il y a une montagne d'argent et sans cesse des gens entrent dans ce cercle pour essayer de gravir la montagne et planter un drapeau en haut ».

    C'est aussi l'argent qui motive le cambriolage perpétré une nuit par les deux adolescents, au détriment d'une Marie-Thérèse endormie.

     

    Pour le roman-familial, c'est autre chose, des pages écrites qui retracent ces années, pour exorciser cette histoire de famille, celle d'un fils mal aimé par une mère dominatrice et égoïste, délaissé par un père absent et cupide, et en rupture avec sa propre famille, un enchainement de faits qui portent en eux le germe de toutes ces destructions. Parce que dans cette famille comme dans toutes les autres il y a des non-dits, des tabous, et chacun fait un effort pour accueillir le retour improbable du fils prodigue qui ne veut guère quitter Paris pour revenir habiter Brest avec ses parents. Sauf que, quelques mois plus tôt, Louis avait confié à son frère ses projets littéraires et que celui-ci a parlé, même si c'est par inadvertance. Alors, les choses se sont gâtées, parce que, tout d'un coup, les secrets de famille allaient être mis sur la place public et cela devenait insupportable. Dans la série des « secrets », Louis n'avait pourtant rien dit de l'homosexualité de son frère, mais, de tout cela, c'était toujours sa mère qui était la dernière informée, parce que les mères méchantes et destructrices, cela existe et pas seulement dans les romans! Mais, devant cette révélation éventuelle, chacun se demande la part qu'ils aura dans cette création romanesque, le rôle qui sera le sien et si l'empreinte qu'il y laissera sera à son avantage...

     

    Le livre refermé, au moment d'écrire cette chronique, je me dis que, même si au début l'humour de l'auteur m'a un peu séduit, j'ai finalement peu goûté ce style déjeté et peu agréable à lire. Cela me rappelle du déjà lu, mais ce n'est peut-être qu'une impression!

     

    Et puis cette fin un peu bizarre et même décevante par rapport au suspense de l'ensemble du texte, cette mise en abyme d'un récit écrit à la première personne et qui évoque un auteur écrivant son propre roman, avec des événements qui ne se sont pas produits et qui déroutent le lecteur, cette flambée un peu triste du manuscrit qui se veut destructrice, mais qui, bien entendu, ne l'est pas!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UNE NUIT A POMPEI - Alain JAUBERT

     

    N°364– Aout 2009

    UNE NUIT A POMPEI - Alain JAUBERT – Gallimard.

     

    Des la première page, le ton érotique est donné par la description d'une femme nue, même s'il s'agit d'une statue, celle d'Aphrodite callipyge, quand même! Qu'elle se trouve au musée de Naples fait ressurgir des souvenirs intimes au narrateur. D'ailleurs le titre et la ville antique de Pompéi où les mœurs étaient plus que libres ne laissaient que peu de doutes sur le thème du récit. L'exergue non plus d'ailleurs qui reproduit une inscription lue sur les murs de la ville «  Nous habitons ici. Que les dieux nous rendent heureux ». La référence à la nuit et la présence tutélaire du Vésuve ont, elles aussi, une charge sensuelle particulière, la mort qui menace la vie comme le temps émousse le désir et les performances. Après tout, tant mieux me suis-je, cela pourra être un moment agréable dans notre époque qui se veut de plus en plus moralisatrice.

     

    Naples sera donc ce fil d'Ariane et l'auteur évoque à la fois son dépucelage, en Italie à l'âge de 18 ans puis, plus tard, alors qu'il est adulte, exactement sexagénaire nous conte des jeux amoureux dans ces ruines romaines en compagnie de deux femmes, une star de cinéma anglaise à peu près du même âge que l'auteur et une archéologue italienne beaucoup plus jeune, spécialiste des graffitis érotiques de l'antiquité romaine. Une nuit d'été, chaude à tous les sens du terme, évidemment! Le narrateur n'est pas avare de descriptions évocatrices, celles de la plastique féminine autant que les mosaïques gardées dans des cabinets secrets de la cité pompéienne, cachées à la vue de nos sociétés pudibondes mais où les anciens ne dissimulaient rien de leur appétit pour la vie et pour les plaisirs de l'amour. L'auteur se complait en descriptions où il est question de la prostitution masculine et féminine, la pédérastie étant une composante de plaisir des Romains et il n'oublie pas non plus les illustrations locales mettant en scène des ménades, satyres et des phones ... avec force détails anatomiques. Le tout est parsemé de citations latines assez gaillarde puisées pour la plupart sur les murs de Pompéi. Tout est donc réuni pour construire cette ambiance d'art de vivre à la romaine, de jouir du moment présent, et pas seulement à cause du climat!

    Pendant cette nuit unique, les personnages qui ne peuvent évidemment pas se livrer constamment à des jeux sexuels, se racontent des histoires, mais toujours sur le même thème, avec, à la fin une évocation du Marquis de Sade qui paraît un peu incontournable. L'archéologue donnent des précisions « culturelles »... Mais aussi les deux femmes présentes se livrent-elle à une sorte de concours anatomique ce qui ramène le lecteur à la description de la Vénus Callipyge du début.

     

    Alors, est-ce une évocation du mariage de l'art, de la vie et de l'obscène, de la jeunesse évanouie, de la vieillesse et de ses regrets, un moment libertin ou un hymne à la beauté des femmes, opposition entre notre civilisation plus réservée, plus censurée, mais aussi plus obsédée par le sexe et celle des Romains plus volontiers débridée et libre? Un amour de la vie et une fascination de la mort? Une opposition entre Eros et Thanatos?Est-ce l'illusion prêtée par le roman par rapport à la réalité de l'auteur? L'imagination débordante de ce dernier ou ses propos hâbleurs? Le tout ensemble peut-être!

     

    Du style, je dirai simplement qu'il est plaisant à lire, bien écrit ... mais j'ai eu un peu de mal à aller au bout, certains passages étant un peu longs et fastidieux, parce que trop « anecdotiques ».

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA BIBLIOTHÈQUE - Jean LIBIS

     

    N°363– Aout 2009

    LA BIBLIOTHÈQUE - Jean LIBIS – Éditions du Rocher.

     

    Cela commence plutôt bien, cela parle d'une bibliothèque, un lieu que j'apprécie tout particulièrement, d'une période sabbatique obtenue par l'auteur pour procéder à quelques recherches devant accoucher d'un travail universitaires célébrant la beauté des femmes dans l'histoire de l'art, ce qui est un vaste et passionnant programme... Ce roman avait donc tout pour le séduire.

     

    Pourtant, il s'ensuit une relation par le menu du quotidien de ce qui se passe dans et à l'extérieur de cette bibliothèque, le personnage de Mlle Simonetta, sorte de cerbère qu'on imagine bien dans ces lieux, faisant tout, sachant tout, supervisant tout, avec la certitude qu'elle est indispensable à la bonne marche de l'établissement et que sans elle on va droit vers le chaos, M. Paul manutentionnaire besogneux, sérieux, crépusculaire et poussiéreux, le ramassage d'escargots envahisseurs de pelouses, de description de poissons apathiques habitant un aquarium... Ses travaux amènent notre auteur à examiner divers documents dont le « dictionnaire de théologie » traitant, en 28 volumes indigestes et décourageants de la concupiscence, des interrogations théologiques, de la localisation géographique des limbes... Rien de bien séduisant et en tout cas bien loin du sujet. Et ce d'autant que cela se complique par la consultation des écrits anciens sur les préoccupations théologiques d'après-mort, les chants liturgiques, les angoisses judéo-chrétiennes que suscite le jugement dernier, avec en prime la vie un peu agitée d'un docte jésuite, son goût immodéré pour la casuistique, les mortifications purificatoires, les anathèmes définitifs, les tentations qu'on doit fuir, mais aussi les écrivains classiques et néanmoins latinisants, leurs syllogismes, leurs interrogations sur le sexe des anges et les tourmentes de la chair ...

     

    Par le miracle de la mémoire, et de ce père jésuite, surgit l'évocation de l'enfance, de l'adolescence boutonneuse et gauche, de l'éveil à la vie et des premiers émois amoureux, l'apparition d'une jeune fille diaphane, Cécilia, et la fugace vision d'une partie de son corps, un sein, d'ordinaire jalousement caché. Nous avons tous bien connu ces fantasmes, ils s'incrustent dans notre inconscient et, bien qu'on s'en défende, ne nous lâchent pas de toute notre vie. Nous y voilà donc, et cette évocation nous rapproche du sujet d'autant que cet appas féminin va prendre une proportion inattendue et pour tout dire extravagante.

    Une lettre parfumée à laquelle il n'a pas répondu prend, vingt plus tard une importance surréaliste, l'érotisme reprend sa place, l'imagination déborde... Une rencontre fortuite, l'homonymie d'un prénom et c'est tout un mécanisme qui se met en place, d'autant que le hasard s'en mêle par le truchement d'une traduction latine laborieuse.

    Mais la vie cruelle et quotidienne reprend ses droits, parfois inflexibles et inattendus et vous ramène sur une terre que vous n'auriez jamais dû quitter, même si, heureusement «  il y a dans une vie deux ou trois événements extraordinaires »

     

    Et les recherches universitaires dans tout cela. Rien, je dirai heureusement, si on veut bien me le permettre, tant pis pour la thèse, tant mieux pour le lecteur!

     

    J'ai bien aimé ce roman que j'ai lu d'un trait avec curiosité. Le style est fluide, évocateur, les phrases agréablement humoristiques et chantournées, pleines de citations bienvenues et pertinentes.

     

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.

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  • POUR NE PAS OUBLIER PAUL BAUDENON.

     

    N°362– Aout 2009

    POUR NE PAS OUBLIER PAUL BAUDENON.

     

    En feuilletant cette « feuille volante » déjà ancienne, je retrouve un article daté de Juin 1986, quand cette revue ne portait pas encore ce nom mais existait. Il était consacré à Paul Baudenon.

    Je le reproduis ici en mémoire de lui notamment parce que j'ai pu voir qu'il est présenté parfois comme un écrivain primesautier et qu'il me semble que cela ne correspondait pas tout à fait au personnage.

    Après sa mort, j'ai eu une correspondance avec sa veuve, Claire, qui même en l'absence de son cher mari, signait encore « Claire et Paul Baudenon », marquant ainsi son attachement au compagnon de toute sa vie. Ce détail m'a toujours ému.

     

    A propos de « Vers l'estuaire » de Paul BAUDENON [n° 6 -Juin 1986]

     

    Le n°134 des « Feuillet poétiques et Littéraires » de Marjan commençait ainsi «  Dans la nuit du 6 au 7 février 1983 notre ami Paul Baudenon est mort »

    Cet homme ne ferait donc plus partager sa sensibilité proposée depuis bien des années par ses recueils et ses poèmes inédits dont les « Feuillets » ont été le témoin.

     

    De lui, j'appréciais l'humour et la manière originale d'appréhender les événements les plus anodins de la vie, la façon de les voir, de les traiter, d'en rendre compte. « L'annonce faite au mari » m'avait donné envie de recréer cette pièce... Grâce à ses poèmes, je goûtais le regard complice qu'il posait sur les femmes et l'amour qu'elles pouvaient lui inspirer... J'avais noté combien l'officier et le voyageur qu'il avait été, était attaché à sa terre «  Tout bonheur d'homme est son champ » confie-t-il dans « Cantilènes et Fulmicoton », combien, malgré les apparences qui auraient pu être trompeuses il devait aimer se retirer en lui-même « Mon refuge est mon silence, ce clôt d'âme où nul ne paît » et combien le beau langage devait lui plaire, lui qui le maniait si bien «  Au carrefour des collines les mots dansent à pieds nus, mais l'écho ne restitue que l'écorce des syllabes ».

     

    Il devait bien y avoir quelque part un philosophe qui sommeillait en lui [« Les cinq bols » in Cantilènes et Fulmicoton] avec toujours sous sa plume la présence de la mort qui semblait l'obséder. Cette mort, il l'avait côtoyée en Indochine, mais il a su se souvenir de ses copains, mais aussi de ces inconnus pour qui il avait plus que de la sympathie et qui ont laissé leur vie dans cette terre de guerre et d'exil «  Les oubliés n'ont pas de plaques, ni quais, ni boulevards, ni rues, ils sont tombés dans les attaques, ils ont fait foc, ils ont fait flaques, ils sont nuls et non avenues ». Il leur rend un hommage posthume dans un style où se lit une extrême sensibilité [« Les oubliés » in Cantilènes et Fulmicoton]. Il remet les choses à leur vraie place [« Les colombes » in Vers l'estuaire] où tous ces morts revivent dans sa mémoire là où dans celle des autres hommes, ils n'ont pas même laissé l'ombre d'un souvenir « La mémoire un temps s'acharne et sanglote puis le chagrin tourne au vague oremus. Le haut-fait passé devient anecdote, le bon, le méchant, l'humble et le despote ne sont bientôt plus qu'un regain d'azote dans un peu d'humus  ».

    Il y a aussi cette mort qu'ils évoque pour lui-même dans ce poème qui donne son titre à l'hommage que Claire Baudenon a voulu rendre à son mari, « Vers l'estuaire ».

     

    Dans ce livre, j'ai retrouvé l'amour que ce pêcheur-poète portait à l'Isle, sa rivière, à qui il s'identifie et qui prend l'allure d'une personne, d'une confidente, d'une borne chaque fois ajoutée à ses voyages. Elle est son décor mais aussi l'invite à nous faire partager son humour de bon aloi, son jeu sur les mots, témoin d'une plaisante jovialité. Devant ce décor rustique, il se met à égrener ses souvenirs d'enfance, à nous prendre à témoin de son bon sens...

     

    Parfois primesautier mais jamais licencieux, le style devient ironique, alerte, saute par-dessus les tabous en tout genre, entame les plus solides idées reçues et la belle humeur reste de règle. Témoin le préambule de « la vasque d'émail » où il donne la parole, en mots choisis, à un banal ustensile de toilette : Le bidet. Sans donner dans le facile, voire le facétieux, il conte l'histoire de cet instrument sans gloire dont le seul office est de nettoyer et de « noyer des copeaux d'amour », comme il le dit si bien!

    Nous entrons de plain-pied dans l'imaginaire avec « Les Sirènes » où l'auteur recrée la légende de ces femmes-poissons, filles « du pollen gaspillé des hommes » et « des œufs de poissons femelles ».

     

    La deuxième partie de ce livre me parle davantage, peut-être parce qu'elle est écrite dans une prose poétique évocatrice. Le style ductile atteste le sérieux de l'homme qui était aussi une scientifique. Il souhaitait sans doute marquer par le texte un jalon de sa vie dans ces « terres pures ».

     

    Il ne fut certes pas le seul à voir ces paysages, à rencontrer ces hommes, mais il a su rendre pour le lecteur attentif les impressions qui furent les siennes lors de ses rencontres d'exception. Le créateur et l'humaniste se débattaient sous l'uniforme... Ces paysages grandioses et exotiques on exacerbé en lui non seulement l'envie d'écrire pour lui-même, mais aussi celle de donner à voir, et je ne peux pas ne pas songer à un autre poète, Victor Ségalen, qui définissait ainsi la poésie « Voir le monde et, l'ayant vu, dire sa vision ».

     

    Marjan, dans les « Feuillet poétiques et littéraires » dont je parlais au début, caractérisait son ami Paul Baudenon : Amour, humour et humanisme. J'y ajouterai simplement une extrême sensibilité.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE VOYAGE DE M. RAMINET - Daniel Rocher

     

    N°361– Aout 2009

    LE VOYAGE DE M. RAMINET – Daniel Rocher – Éditions du Serpent à plumes..

     

    D'emblée, au simple nom de ce qui devait être le héros de ce roman, j'ai craint le pire [Félix Raminet – Rat, minet, Félix le chat]. A la lecture des premières pages, je n'ai pas été plus motivé. Jugez plutôt : M. Raminet donc, tout juste retraité, célibataire, soixante six ans, un homme rangé « petit, rond, chauve, lustré, excité »... La faculté de droit où il a enseigné toute sa vie n'incite pas beaucoup aux extravagances, d'ailleurs il vient juste d'obtenir son permis de conduire! Il s'achète une voiture et fonce vers St Malo, où il souhaite finir ses jours ...à 90 km à l'heure, évidemment, mais sur l'autoroute. On imagine l'attitude des autres conducteurs!

     

    Non seulement notre Raminet vit en dehors du temps [ce qui est plutôt étonnant de la part d'un professeur de droit civil], mais encore il semble en permanence à côté de la plaque [même quand il rêve on s'attend à croiser Alice dans son Pays des Merveilles], naïf et même franchement dépassé avec ses manières d'un autre âge [parfois fréquentes chez les vieux enseignants], mais quand il rencontre une jeune, jolie et blonde étudiante américaine, Jane, auto-stoppeuse de surcroît, au franc-parler et au comportement libéré, qu'il emmène avec lui à St Malo et qui le surnomme Pussy [c'est facile – poussah eût peut-être été possible], on se met franchement à craindre pour lui. Quand elle lui révèle qu'elle parcourt le monde et prépare une thèse sur la timidité masculine, on se dit que cela ne pouvait pas mieux tomber et que la hasard fait décidément bien les choses.

    Il fait d'improbables rencontres, parfois sordides, parfois hautes en couleurs mais n'échappe pas [heureusement pour lui] à ce que d'aucuns imagineront être son destin immédiat. Une réelle et authentique complicité s'installe entre la jeune fille et lui et les circonstances de ce livre rendent ces deux personnages attachants. S'ensuivent des situations aussi scabreuses qu' ambigües qui sont dans le droit fil de l'humour du début.

    Je ne sais pas pourquoi, mais au-delà de l'aspect distrayant du récit et malgré des discussions qui sont émaillées de philosophie existentielle du genre « Qui sommes-nous, d'où venons-nous, où allons-nous? », parfois passionnantes mais souvent superficielles et oiseuses, je retiendrai plus volontiers le personnage solitaire qu'est M.Raminet. Il aime à parler philosophie avec Jane [« Ce que les occidentaux appellent « philosophie » c'est la mise en commun de leurs langages pour se poser les mêmes questions. Mais plus les interrogations sont nombreuses plus les réponses sont rares »]et on sent qu'elle aime être avec lui, même si les thèmes abordés sont vieux comme le monde, la vie, l'amour, la mort. Il insiste sur la solitude qui a bien souvent fait partie de sa vie, mais aussi sur sa personne qu'il juge médiocre et ridicule tant sa vie se résume à peu de choses, la solitude, la peur, le quotidien et cela me paraît lui donner une autre dimension...

     

    J'ai bien aimé le style d'écriture, alerte et enjoué, souligné par des tournures de phrases précieusement brodées et inspirées par une sincère urbanité quand elles sortent de la bouche de M. Raminet. J'ai aussi apprécié le sens consommé de la formule pour le commentaire et les descriptions où la poésie n'est heureusement pas absente [« Il pleuvait, la ville économisait ses bruits. L'air était doux comme un buvard offert à l'invasion silencieuse de la nuit »]. Les situations sont parfois un peu forcées, prévues et même prévisibles, mais qu'importe. L'humour et même la cocasserie sont évidemment au rendez-vous, mais je n'omettrai pas de privilégier la scène finale. Le tout m'a procuré un bon moment de lecture.

    Au moins là, M. Raminet est le type de personnage qui n'échappe pas à son auteur, encore que....

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ETHER - Franck RESPLANDY

     

    N°360– Aout 2009

    ETHER – Franck RESPLANDY - Plon.

     

    Tout s'articule autour de deux personnages sans nom. Elle est infirmière dans un hôpital d'un ancien secteur minier du Nord, dans un service de soins palliatifs et vit seule dans une maison vouée à démolition. Elle est en instance de divorce, catholique, d'origine polonaise et fille unique d'un mineur emporté par la silicose. Lui est photographe, parisien, simplement de passage parce qu'il s'intéresse aux vestiges des puits de mine qu'il souhaite photographier. Par hasard, ils se rencontrent dans l'hôpital où elle travaille parce qu'il vient y faire soigner une blessure superficielle. Elle n'est pas insensible à son charme, il lui confie son projet et elle lui propose de lui montrer des vieilles photos qu'elle possède. C'est le départ de cette intrigue passionnante où toutes les convenances sont balayées.

     

    Elle lui propose de la retrouver chez elle , il la viole et disparaît. Pourtant elle n'a pas résisté, ne s'est pas débattue, s'est en quelque sorte laissée faire passivement. A partir de ce moment tout le scénario se noue, elle cherche à le revoir, le retrouve et naît entre eux une sorte de complicité et, en ce qui la concerne, d'abandon complet qui lui fait aimer la jouissance qu'elle éprouve à l'acte d'amour qu'elle avait oublié depuis longtemps. Sa vie faite auparavant de pudicité, de réserve, d'abnégation, de dévouement, de quotidien sans surprise va être bouleversée par cet homme dont elle sait qu'il peut être dangereux mais à qui elle s'attache presque désespérément. Cette folle passion va faire ressurgir en elle des souvenirs douloureux de son enfance autant qu'elle va l'entrainer dans un maelström de soumission amoureuse. Cette relation qui a commencé dans la violence devient peu à peu tendre et elle ne refuse pas l'avenir avec lui, affiche leur relation au point de vouloir la rendre publique, se projette dans un avenir commun... Le lecteur devine aisément que s'il y trouve une passade, elle au contraire y redécouvre le plaisir charnel et l'antidote à sa solitude. Elle se prête à son jeu et les photos, de documentaires qu'elles devaient être au départ, se transforment en clichés érotiques d'elle-même, comme accompagnant son envie d'être autrement de changer soudain de vie et de peau, de tirer un trait définitif sur ce passé gris qu'elle veut oublier.

    Elle finit par craindre que cette histoire passionnée ne se résume qu'aux relations sexuelles qu'elle aime, certes, mais qui ne sont que ponctuelles alors qu'elle souhaiterait voir cette tocade se muer en amour durable et réciproque.

    Cela ne va pas sans dérapage, sans gamberge de sa part à elle et le moindre incident, la moindre absence, le moindre contre-temps donne au récit un tour un peu pathétique. Même si certaines situations peuvent être convenues et peut-être déjà lues, la fin est à la mesure de cette ambiance patiemment tissée.

     

    C'est cependant un roman sombre et quand même inquiétant, surtout à la fin, dérangeant parfois et la folie n'est jamais très loin. Le décor des corons ajoute à cette impression d'ensemble. Le titre évoque l'hôpital, la douleur qui sont son quotidien avant la rencontre mais aussi en termes poétiques il évoque le ciel, la félicité, une sorte d'état euphorique et anesthésique prêté par un liquide pharmaceutique.

     

    Dans un style fluide, fort agréable émaillés parfois d'images érotiques mais jamais déplacées, l'auteur accompagne son lecteur passionné au bout de son voyage,sans que l'ennui s'insinue dans sa démarche.

    Les citations de chansons en italien, qui me rappellent beaucoup le style un peu nostalgique de Paolo Conte, ajoutent à cet atmosphère lentement distillée par l'auteur.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LACRIMOSA - Régis JAUFFRET

     

    N°359– Aout 2009

    LACRIMOSA – Régis JAUFFRET - Gallimard.

     

    Décidément, je joue de malchance avec mes lectures de l'été. J'ai fait ce que j'ai pu, mais je ne suis pas parvenu à entrer dans l'univers de ce roman, au vrai assez étrange qui emprunte son titre du « requiem ». C'est un échange épistolaire entre l'auteur et sa jeune amie, Charlotte, qui vient de se suicider et qui retrace des épisodes de leur vie commune. D'ailleurs par un subterfuge, elle lui répond par delà sa propre mort en l'insultant, le traitant d'écrivassier, de charognard et d'escroc! A priori l'idée n'était pas mauvaise et un dialogue surréaliste entre un vivant et une morte, qui, chacun à leur manière se disent des choses qu'ils n'ont jamais oser se reprocher de leur vivant, pourquoi pas?

     

    Nous sommes dans un roman, les personnages sont donc fictifs, c'est sans doute pourquoi l'auteur affuble la jeune femme d'une parentèle improbable. Je veux bien qu'on parle légèrement du suicide qui est un sujet grave surtout quand il touche les jeunes, mais je ne vois pas très bien l'intérêt d'introduire dans le récit le personnage assez burlesque du philosophe nommé Gaston Kiwi autant que l'énigmatique du docteur Hippocampe Dupré dont la particularité est de vivre avec un panda géant, Mazda. Il va donner à Charlotte une sorte de seconde chance de remonter le temps et ainsi d'échapper à la mort.[?]

     

    Écrire quelque chose sur quelqu'un qui vient de mourir est une manière salutaire de le faire revivre et favorise probablement le deuil. Pourtant, dans la même volonté de fiction un peu délirante, l'auteur donne la parole à la morte qui se rebiffe quand il parle d'elle, quand il évoque une liaison qu'elle aurait eu lors de vacances à Djerba... Elle lui déclare qu'elle l'a aimé, mais je ne suis pas bien sûr de l'authenticité de sa déclaration, mais n'oublie pas de l'insulter copieusement. Là l'imagination de l'auteur se déchaîne...

     

    J'ai toujours été passionné par les personnages de roman, qui sont fictifs par essence et par la vie qu'il peuvent avoir dans le cours du roman et disons-le de la liberté qu'ils prennent eux-mêmes par rapport à l'auteur. Ici il semble n'en être rien et le narrateur manipule complètement Charlotte qui semble consentir à se processus et même l'admettre « Quand on meurt on devient imaginaire ». Ne deviendrait-elle un personnage fictif qu'une fois morte? Cela, qui aurait pu être une piste intéressante dans le domaine de la création me semble tourner au dialogue de sourd! J'ai pensé que cela pouvait être une exploration intime de l'éternité, surtout qu'il est fait mention d'internet et de l'informatique qui, surtout pour moi, comportent autant de mystères que l'au-delà. Mais bon...

     

    Le style, haché parfois, n'a pas non plus retenu mon intérêt [Je ne m'explique pas ce que l'alternance du vouvoiement et du tutoiement ajoute dans l'échange épistolaire] au point que je me demande, le livre refermé, si mon goût en la matière est encore sûr, si c'est moi qui ait manqué un épisode ou si les choses ont changé sans que je m'en aperçoive, sans que j'en ai été informé. Je ne goûte ni les traits d'humour ni la relation par force détails inutiles de l'évocation rétroactive de leurs vies au quotidien ni même la trivialité qui émaille les dialogues. Il me semble pourtant que l'originalité en littérature ne réside pas dans l'à peu près, le banal, voire le ridicule. L'ensemble m'a paru fade et même assez glauque. Il y a bien des aphorismes que l'auteur tente de faire admettre, mais cela tombe à plat. Tout cela fait que j'ai bien regretté ce moment passé même si je le redis comme à chaque fois, j'ai pu passer à coté de ce livre.

     

    « Étonne-moi, Jean » disait Serge Diaghilev à Jean Cocteau. On peut effectivement admettre que l'étonnement soit le motif de l'intérêt pour une œuvre de création. Ici, je n'ai pas été été étonné favorablement et je ne suis pas prêt à m'enthousiasmer pour un tel roman. Est-ce une tendance actuelle dans la littérature française que d'écrire mal et l'originalité réside-t-elle dans l'a peu près des mots et des phrases autant que dans le désintérêt que l'auteur instille dans son texte?

    Franchement, la lecture laborieuse de ce roman ne m'incite pas à lire une autre œuvre de Régis Jauffret.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA POSSIBILITÉ D'UNE ILE - Michel HOUELLEBECQ

     

    N°358– Aout 2009

    LA POSSIBILITÉ D'UNE ILE – Michel HOUELLEBECQ - Fayard.

     

    Michel Houellebecq fait partie des écrivains que je lis parce qu'on en parle et que je ne veux pas délibérément ignorer ce qu'il fait, mais, franchement, dans ses livres, je ne retrouve pas ce qui doit être à mes yeux la justification de chaque lecture : le plaisir.

     

    Pourtant, je suis plutôt favorable à ceux qui, d'une manière ou d'une autre cherchent à faire évoluer les choses, au cas particulier la littérature, dans un sens moins conventionnel. Mais là, je ne comprends pas et ce d'autant plus que j'entends dire qu'il s'agit d'un écrivain incontournable. Alors pourquoi? Cela réside-t-il dans le thème de ce livre à succès? J'ai donc tenté de comprendre. Il s'agirait d'un récit dont l'action se passe à la fois maintenant et dans le futur que l'auteur déroule à travers la vie de Daniel, héros antipathique, misogyne mais obsédé par le sexe. Pour souligner la course du temps, l'auteur annote ses chapitres de Daniel 1 à Daniel 25...les derniers étant le résultat de clonage de l'original par la secte des Elohimites dont le but apparent est d'échapper au temps , à ses dérives consuméristes.[Daniel 25 commentant largement la vie de Daniel 1] et de promettre la vie éternelle à ses adeptes.

     

    Je me suis vite lassé de son style pas vraiment à mon goût, de l'histoire aussi, un peu longue et décousue, pleine de citations volontairement provocantes où l'auteur se veut avant tout avant tout le contestataire de la société contemporaine. Même si la critique peut parfois être constructive et pourquoi pas intéressante, je comprends mal qu'on en fasse ainsi le sujet d'un roman... Enfin pas écrit de cette façon. Je l'ai ressenti comme si, dans cet ouvrage, il souhaitait traiter des thèmes personnels et effectivement actuels et laisser le soin à ses lecteurs d'en débattre, en n'oubliant pas de parsemer ses paragraphes d'une coloration sexuelle et parfois même pornographique. Cela ne me gêne pas à priori, même si je choisis d'y lire une sorte d'impossibilité ainsi exorcisée, mais à la fin, cela devient un peu obsessionnel! Aborder pèle-mêle Dieu, le racisme, le clonage, les relations sociales basées sur l'argent et la réussite, les liaison difficiles qu'il a avec les femmes[son amour pour elles est à la fois passionné et irréalisable à cause sans doute de l'érosion du désir], le phénomène sectaire... sont certes des thèmes qui reflètent l'image de notre société pas si brillante que cela, et les traiter à sa manière, c'est à dire avec un mélange de cynisme et de provocation ne me gêne pas, au contraire. Le fait que l'opinion publique ait si vite réagi est sans doute un signe. Se sentir mal dans cette société au point d'en éprouver de la mélancolie et même «  une apathie languide et finalement mortelle » de désirer un ailleurs baudelairien incarné par les sectes, «Il existe au milieu du temps  la possibilité d'une île », au point d'en arriver au suicide me parait pourtant actuel et ,pourquoi pas défendable, même si tout cela n'est pas vraiment original.

     

    J'admets que tout cela est argumenté, avec de nombreuses références pertinentes et j'espère que la critique de l'Islam, déjà abordée dans « Plateforme » et ses propos qui lui ont valu un procès ne finiront pas par provoquer une fatwa? Cela ne lui déplairait sans doute pas puisqu'on parlerait de lui. Il me semble que ce qu'il cherche est avant tout à être un phénomène médiatique avant d'être un auteur ... et d'espérer qu'il finira par le devenir malgré tout. C'est peut-être l'unique but recherché et si c'est le cas, cela me paraît un peu dommage. La littérature me paraît mériter autre chose.

     

    J'admets être peut-être passé à côté de quelque chose, à cause du style sans doute qui me paraît terne, pauvre et sans véritable intérêt, incapable en tout cas d'accrocher ma curiosité, [Après tout je revendique toujours ma qualité de simple lecteur] mais j'ai quand même du mal à m'enthousiasmer pour l'œuvre de Houllebecq. Il est vrai que je ne fais pas partie de ses inconditionnels et que, à la suite de cette lecture, on ne comptera assurément pas dans leurs rangs.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LA FIANCEE JUIVE - Jean ROUAUD

     

    N°357– Aout 2009

    LA FIANCEE JUIVE – Jean ROUAUD - Gallimard.

     

     

    J'ouvre toujours un recueil de nouvelles avec intérêt et même parfois avec une certaine appréhension. Je pense toujours que, sauf à ce qu'un thème commun existe entre les textes qui le composent, il est parfois difficile à l'auteur de colliger des récits qui n'ont souvent les uns avec les autres que la parenté qu'il veut bien lui donner. Chez Rouaud, c'est un peu différent. Il nous avait jusqu'à présent habitués à des romans où il avait choisi d'évoquer ses souvenirs personnels à travers l'histoire de sa famille. Il poursuit donc cette quête de mémoire, évoquant la mort de son père «  s'affalant brutalement dans la salle de bains sous on ne sait quelle corruption de l'organisme, sans crier gare, à quarante et un an, le lendemain de Noël», le courage de sa mère devenue veuve. Il le fait, cette fois un peu différemment, comme une longue lettre que l'auteur adresse à sa fiancée juive, et qui se termine par une série de poèmes chantés. Il lui avoue, presque sur le ton de la confidence, des souvenirs de jeunesse comme on se raconte à une femme à qui on va confier sa vie, pour la vie. On ne voit qu'elle, elle est unique et occupe l'espace « Ailleurs, c'est comme un grand désert si n'y est pas ma belle Nadja ». Ce blues amoureux qui a quelque chose de triste et de joyeux à la fois est « compacté » dans un CD qui accompagne le recueil.

     

    A travers neuf « chapitres » d'inspiration autobiographique, c'est aussi une atmosphère [eh oui!] d'un temps pas si lointain pourtant tissée à force de mots tressés comme si, à l'échoppe rudimentaire et bretonne des sœurs Calvaire répondait « la crèche à journaux » qui fut aussi le gagne-pain de l'auteur, dans le XIX° arrondissement parisien. C'est que, avant d'obtenir ce prix littéraire prestigieux, opportun et, pour une fois, bien conforme à l'esprit de ses fondateurs, il a dû attendre, espérer, faire autre chose, désespérer aussi en rédigeant des articles sans intérêt pour un journal régional, mais continuer à écrire dans l'ombre sans se décourager, parce que, nous le savons aussi, l'écriture est avant tout un plaisir solitaire, en attendant son heure qui, heureusement, à fini par venir. Il n'en finit pas de puiser dans cette histoire familiale dont il et maintenant à la fois l'échotier et le chantre, le sauveur de mémoire, se positionnant, lui, le vivant, et de livre en livre, parmi tous ces morts. Cela mérite bien une remarque personnelle en forme de critique qui rappelle à tous les candidats au succès une dure réalité «  Le monde de l'édition... ne publie pas de nouvelles... à moins d'avoir déjà un nom... ». Et, nous l'oublions pas que «  l'écriture est une pensée qui pleure », et il y a bien de quoi pleurer aussi quand des professionnels passent à côté de tant de talents!

     

    Mais revenons à l'écriture qui, nous la savons aussi prend sa source dans l'enfance et les terres qui l'ont portée «  En fait de lieu, il n'y en a qu'un, c'est celui de l'enfance » et lui de dérouler l'écheveau de ses souvenirs personnels que non seulement le temps [non, on n'y échappe pas!] n'a pas effacé, mais au contraire a embelli et enrichi. Pour lui, ce lieu n'a pourtant rien d'extraordinaire« Vous parlez d'un trésor ...Campbon, Loire inférieure, ...un bourg à peu près à mi-chemin entre Nantes et St Nazaire... », ses études chez les frères non plus où la liberté restait à la porte de l'établissement, à part peut-être ce maitre d'école en soutane qui a éveillé sa curiosité, ses étés de vacances où on s'ennuyait ferme...

     

    Entre simplicité des mots et complexité de la vie, il égrène ses souvenirs qui sont l'occasion d'en faire ressurgir d'autres, les nôtres, pas si éloignés des siens cependant.

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.