la feuille volante

Articles de hervegautier

  • LES MAINS NUES - Simoneta GREGGIO.

     

    N°356– Aout 2009

    LES MAINS NUES – Simoneta GREGGIO– Stock.

     

     

    J'aime bien les artistes italiens, les différents articles de cette revue en attestent. J'ai donc lu ce roman, dont je ne connais pas l'auteure et dont j'apprends qu'il est écrit directement en français, avec une curiosité favorable, d'autant que le style narratif se teinte parfois d'une agréable poésie.

     

    L'histoire, puisqu'il faut bien commencer ainsi, est celle d'un retour brutal d'un passé qu'Emma aurait sans doute souhaité révolu « Je me vois à travers les années, une série de poupées russes, la plus petite, toute neuve, loin dans le temps, la dernière encore debout dans son vernis écaillé ». Emma, donc, 43 ans, célibataire, vétérinaire de campagne, à la vie rude, solitaire mais sexuellement libérée et ne vivant que pour son travail, reçoit un soir la visite de Giovanni, bientôt 15 ans, en rupture avec sa famille et dont elle a jadis connu les parents, Raphaël et Micol, partageant avec eux quelques années d'une jeunesse qu'elle aimerait mieux oublier.

     

    Avec cet adolescent, c'est donc son passé qui lui revient en pleine figure et, calée dans son quotidien solitaire et laborieux, Emma souhaiterait que Giovanni parte au plus vite, mais il n'en fait rien et s'installe entre eux une relation ambiguë qui se transforme rapidement en liaison amoureuse. A cause de l'âge des deux amants, cela devient tabou, Giovanni n'est plus un enfant mais pas encore adulte, il y a donc détournement de mineur et la chose, bien sûr se termine devant les tribunaux. Le juge cherchera à comprendre et pour cela fouillera dans le fameux passé qu'on aurait souhaité définitivement enfoui.

     

    C'est que, avant le mariage de Raphaël, Emma et lui ont été amants, qu'il avait voulu renouer leurs relations intimes longtemps après son mariage mais qu'elle avait refusé puis sans doute accepté et cette visite de Gioavanni c'est un peu, sans qu'il le sache, comme souffler sur de vieilles braises mal éteintes, raviver des souvenirs qu'on voudrait à jamais effacés.

     

    Et puis, la liaison révélée, il y a ce déferlement médiatique, les journalistes charognards qui se croient tout permis au nom de l'information mais qui sont surtout avides de scoop et pour cela n'hésitent pas à dire et à écrire n'importe quoi, à bousculer quiconque pourra s'opposer à ce qu'ils fassent « leur métier ». D'autant qu'à la campagne, une femme vivant seule, sans enfant et sans homme à ses côtés, cela inquiète[« Non, les braves gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » chante Brassens] ! Il a y aussi cette vindicte populaire allumée par la presse pour faire vendre du papier, et qui se croit obligée de se nourrir du scandale et de recouvrir d'opprobre au nom d'une morale désuète ce qui n'est après tout qu'une aventure amoureuse dont ceux qui la dénoncent rêveraient peut-être pour eux-mêmes sans oser se l'avouer. C'est ici un tabou qui a été bousculé, une vengeance ainsi vidée qu'Emma assume, un témoignage émouvant sur la solitude et sur la déconvenue amoureuse d'une jeune femme qui voit son amour de jeunesse lui échapper. Raphaël ne s'est-il pas vu forcer la main par la fausse promesse de Micol d'un enfant à naître, ce Giovanni justement qui, après toutes ces années revient auprès d'Emma, comme pour lui donner enfin l'amour qu'elle n'avait pas eu avec Raphaël? C'est l'expression d'une vengeance entre deux femmes amoureuses du même homme, comme si une justice immanente existait, différente bien sûr de la justice des hommes qui passe et peut-être apaise?

     

    Mais, heureusement, à la fin, les choses reprennent leur vraie place, l'espace s'emplit de gestes quotidiens à l'image de cette nature si joliment évoquée.

     

     

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    Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.

  • LA FEMME PROMISE - Jean ROUAUD

     

    N°355 – Août 2009.

    LA FEMME PROMISE - Jean ROUAUDÉditions Gallimard (2009)

     

    Jean Rouaud n'est pas un inconnu pour cette revue [voir La Feuille Volante n° 55, 215, 217, 219] puisque son œuvre y a déjà fait l'objet de commentaires et de présentations. Sans ce prix Goncourt, pour une fois bienvenu, il eût continué à végéter dans un anonymat kioskier en se désolant que son talent ne soit pas reconnu.

     

    Je l'ai donc rencontré à nouveau, toujours un peu par hasard, par le truchement d'un rayonnage de bibliothèque, dans la catégorie nouveautés. J'avais, à l'époque de mes premiers articles, souligné une phrase un peu longue, parfois difficile à suivre. Je l'ai retrouvé ici, avec en plus des dialogues un peu abruptes qui m'ont un peu rebuté au début, mais s'y sont ajouté, avec bonheur, l'humour, l'art des descriptions où la précision le dispute à la poésie, et même une certaine gouaille...

     

    C'est vrai qu'ils sont attachants ces personnages. Lui, Daniel, chercheur en physique nucléaire qui se retrouve vêtu seulement de sa combinaison d'homme-grenouille parce qu'un indélicat lui a dérobé sa voiture où il avait toutes ces affaires alors qu'il plongeait. Elle, Mariana, artiste de retour des États-Unis, a connu la même mésaventure, avec accessoirement la destruction de ses créations, mais dans sa maison de famille, dans ce bourg de Basse-Normandie. Pour cause de déclaration administrative, ces deux personnes se retrouvent à la gendarmerie locale. Ce pourrait être le départ d'une idylle, d'autant que le titre du roman le suggère fortement et que cette Mme Moineau fait ce qu'elle peut pour cela. Pourtant tout cela est un peu laborieux, à tout le moins au début, et cette rencontre fortuite est plutôt le prétexte à un retour dans le passé, chacun à sa manière. Pour lui une enfance orpheline peuplée d'un grand-père réparateur de cycles, bougon et sourd et d'une grand-mère comateuse à qui pourtant il raconte ses journées, pour elle, un histoire familiale encombrée de l'antisémitisme et de la collaboration de son grand-père pendant la guerre, de l'effacement de sa grand-mère, et un père qui fuit le monde dans la contemplation des grottes préhistoriques. Lui, plaqué par sa femme qui ne lui a laissé que ce qu'il porte sur lui, elle, victime d'un cambriolage ont en commun une sorte de dépouillement. Pourtant, cette rencontre qui aurait pu être le prétexte d'une histoire à l'eau de rose comme on en a tant lu, a quelque chose de miraculeux, comme si un tableau volé puis retrouvé, et qui maintenant était mis à sa vraie place, signifiait que leur deux vies antérieures allaient définitivement prendre fin, que la nouvelle pouvait avoir son vrai sens, comme si ce dénuement temporaire qui les avait rapproché était porteur de sens et d'avenir! C'est que cette toile interrompue qui représente sa grand-mère va parler, au sens vrai du terme, pour ajouter une touche féérique au récit. C'est un peu comme si son inachèvement qui répondait aux esquisses des grottes dans lesquelles le fils de cette femme cherchait à fuir le monde, allait à la fois délivrer Mariana de son passé, lui offrir une nouvelle généalogie et éclairer son avenir. Il en résultera une œuvre d'art finale, compréhensible seulement par les initiés, la marque d'un fardeau abandonné, celle aussi d'une liberté et d'un amour retrouvés.

     

    Dans la galerie des personnages, je n'aurai garde d'oublier l'auteur, qui lui aussi fait force digressions sur lui-même, sur l'art [« Tout art est régressif »],sur sa manière de voir les choses, commente parfois longuement les rebondissements et les atermoiements, se révèle même facétieux, sans doute pour emporter la conviction de son lecteur, mais surtout remplit les blancs de ce récit [dont il est aussi l'auteur] quand celui-ci lui en laisse le loisir, un peu comme si nous avions affaire à une création au second degré.[ « L'auteur a son interprétation, qui en profite évidemment pour combler les manques du récit , comme un restaurateur de fresque endommagée »]. Il fera même plus que cela et, par le miracle conjugué de l'imagination et de la création littéraire, donnera un petit coup de pouce au destin pour que cette rencontre se transforme en autre chose qu'une brève rencontre parce que le premier regard est déterminant «  C'est très mystérieux ce qui se joue au premier regard, cette apparition soudaine de l'autre qui n'existait pas quelques secondes avant, et qui s'impose aussitôt comme une évidence massive, comme s'il venait se nicher exactement dans les formes de l'attente » et qu'il ne convient pas que cette histoire se termine mal. C'est là le fait du hasard, la fantaisie de l'auteur, la vie intime et la liberté des personnages...? Allez savoir!

     

    J'ajouterai que, dans la galerie de portraits qui caractérise les romans de Jean Rouaud, il y a toujours des personnages qui passeraient presque inaperçus mais que l'auteur s'ingénie à représenter avec force détails comme ces peintres qui, dans un coin de leur toile figurent des détails picturaux avec autant de soins que le thème principal et entendent qu'on y porte la même d'attention. C'est moins le cas des Moineau qui sont davantage le prétexte d'un retour dans le passé sur fond d'histoire, à partir d'anecdotes ou de coupures de presse, que le personnage du clochard ou de Jack Kérouac, ou de la grand-mère du portait inachevé, mais pourtant si précisément décrit.

     

    Il y a certes l'amour prévisible entre Daniel et Mariana, mais ce que je retiens aussi ce sont les rapports entre elle et ce père qui a choisi de s'enterrer vivant pour étudier les fresques des grottes paléolithiques, comme s'il avait voulu effacer de sa mémoire la trace de son père à lui, collaborateur et profiteur, rompre avec l'opprobre de ses origines. Il y a entre eux plus qu'une complicité, une souffrance partagée que l'auteur, encore lui, choisit, à la fin, d'effacer.

     

    Alors, réflexion à la fois mélancolique et ironique sur le poids de l'histoire sur chacune de nos vies autant que sur la création artistique[« Une œuvre d'art c'est comme un lien informatique, cliquez et entrez dans une autre dimension qui est constitutive de la précédente »], survenue de l'amour dans une vie qui ne l'espérait même plus. Peut-être?

     

     

     

     

     

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  • PLATEFORME - Michel HOUELLEBECQ

     

    N°354 – Août 2009.

    PLATEFORME - Michel HOUELLEBECQ – Éditions Flammarion.

     

    Il y a des auteurs que je lis pour le plaisir et d'autres que j'aborde parce que leur notoriété les a précédé et qu'il convient de savoir qui ils sont... J'ai donc lu Plateforme!

     

    L'histoire commençait bien, si je puis dire « Mon père est mort il y a un an. Je ne crois pas cette théorie selon laquelle on devient réellement adulte à la mort de ses parents. On ne devient jamais réellement adulte ». Je ne sais pas pourquoi, mais ces premières phrases laissaient présager des relations difficiles entre générations ou des développements personnels sur la vie. C'est classique mais souvent intéressant parce que l'écrivain y apporte sa vision du monde, son vécu... D'ailleurs il précise aussitôt « Il avait profité de la vie, le vieux salaud, il s'était démerdé comme un chef... ». On apprend ensuite que le père a été assassiné, qu'une enquête est en cours, que l'auteur est fonctionnaire, célibataire, la quarantaine et part pour la Thaïlande, sans doute pour se changer les idées... mais on s'aperçoit très vite qu'il est sensible à la beauté des femmes, ce qui n'est pas blâmable, loin de là! Au fil des pages, et même rapidement, le lecteur se rend compte que toute sa vie se résume au sexe et et que cela devient même mono-thématique à tendance obsessionnelle, avec des détails érotiques qui ne ressortent pas exactement de la description littéraire. On comprend bien, dès lors, que cette destination n'a pas été choisie par hasard et qu'on va avoir droit aux incontournables. D'ailleurs cela ne tarde pas «  Moi aussi on m'a massé le dos, mais la fille a terminé par les couilles » intervins-je sans conviction ».

     

    Il y a aussi, dans le groupe de touristes, ces improbables dialogues entre membres d'un séjour, ses inévitables fantasmes, ces rencontres parfois sans lendemain...On y fait la connaissance d'individus médiocres qui cherchent avant tout à se mettre en valeur, mais aussi des partenaires d'un été. Classique là aussi! Il finit par croiser Valérie, une femme sensuelle avec qui il décide de vivre à son retour à Paris et à qui il suggère de redynamiser une chaine d'hôtels-club qui périclite. « Propose un club où les gens puissent baiser...il doit forcément se passer quelque chose pour que les occidentaux n'arrivent plus à coucher ensemble ». C'est vrai après tout et on peut parfaitement accorder foi à cette phrase « S'il n'y avait pas de temps en temps un peu de sexe, en quoi consisterait la vie » et puis « Les gens ont besoin de sexe c'est tout, seulement ils n'osent pas l'avouer »... Cela fonctionne, au début, parce que la demande est forte et Valérie et lui envisagent de tout quitter pour s'installer en Thaïlande pour officialiser une entreprise de tourisme sexuel... Et puis tout bascule à cause d'un attentat islamique où sa compagne trouve la mort. Celle qui était « une exception radieuse » ne sera plus désormais qu'un remords de plus dans sa vie qui, on le sent bien, va chavirer...

     

    L'auteur qui, à l'occasion, prononce des aphorismes qui peuvent faire débat, dénonce le tourisme sexuel avec provocation, la déliquescence du monde occidental, mais aussi donne son avis sur l'islam, pose un regard critique sur les Allemands [« Plus que tout autre peuple, ils connaissent le désir de leur propre anéantissement... Leur compagnie pourtant est apaisante et triste »]...

     

    J'ai donc lu ce livre, pas vraiment bien écrit à mon goût, jusqu'au bout, davantage comme un roman érotique, c'est à dire sans passion, sans réel intérêt, pour pouvoir me dire que j'avais déjà lu quelque chose de Houllebecq et ne pas être tenté de porter sur lui un jugement à priori qui ne me serait dicté que par des critiques extérieures. Pourtant, je dois bien avouer que mon attention n'a été attirée que dans les dernières pages, quand l'auteur jette un regard désabusé sur cette vie qui n'a plus d'intérêt pour lui parce que la femme qui la justifiait n'est plus là et qu'il est condamné définitivement à vivre sans elle  «  Vieillir, ce n'est déjà pas très drôle, mais vieillir seul, c'est pire ». Avec elle et grâce à elle, sa petite vie parisienne et quotidienne avait soudain pris des couleurs, à cause du sexe, sans doute, mais pas seulement [Elle (Valérie) faisait partie de ces êtres qui sont capables de dédier leur vie au bonheur de quelqu'un, d'en faire très directement leur but. Ce phénomène reste un mystère... Si je n'ai rien compris à l'amour, à quoi me sert d'avoir compris le reste? »].

     

    Alors, peut-être pour entretenir le souvenir, revenir à une vie plus conventionnelle il revient en Thaïlande, mais seul, sans illusion, pour exorciser sa douleur [ « Il est probable que je ne comprendrai jamais réellement l'Asie, et ça n'a d'ailleurs pas beaucoup d'importance. On peut habiter le monde sans le comprendre, il suffit de pouvoir en obtenir de la nourriture, des caresses et de l'amour ».

     

    Il prend conscience de lui-même [« J'aurai été un individu médiocre, sous tous ses aspects »]. Dès lors la mort peut venir et l'attend sans vraiment la craindre parce qu'elle est l'issue normale de ce passage sur terre qui maintenant n'a plus d'intérêt pour lui [« On ne vient pas à Pattaya pour refaire sa vie mais pour la terminer dans des conditions acceptables » et l'écriture est peut-être un exorcisme... ou peut-être pas!

     

    Un roman qui ne prend sa réelle épaisseur qu'à la fin et qui me laisse une impression mitigée, une sorte de malaise.

     

     

     

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    Hervé GAUTIER – Août 2009.http://hervegautier.e-monsite.com 

  • La méthode Werber

     

    N°353– Juillet 2009.

    La méthode Werber – Article de Jacques Drillon – Le Nouvel Observateur n°2331 du 9 au 15/7/2009 p 89.

     

    Dans la série « Nous vivons une époque formidable », mon attention a été attirée par l'article de Jacques Drillon. Bernard Werber qui n'est pas un inconnu pour cette revue [La Feuille Volante n° 317 – Octobre 2008] avait convié 400 de ses lecteurs à L'institut Océanographique de Paris pour un « atelier d'écriture ».

     

    Personnellement, j'ai toujours pensé [en le vérifiant] qu'une telle activité [l'atelier d'écriture] ressemblait beaucoup à une arnaque et qu'il fallait se garder de tomber dans le panneau. Cela avait pour effet, sinon pour but, d'apprendre aux « stagiaires » ce qu'ils savaient déjà faire, tout en les ponctionnant largement au passage... avec leur consentement et leur satisfaction et surtout en leur donnant l'impression qu'ils sont meilleurs « écrivants », sinon écrivains, qu'avant leur passage dans cet atelier!

     

    C'est peut-être un signe des temps, la preuve que la crise n'est pas pour tout le monde, mais, n'ayant pas été invité et surtout ayant des moyens limités [25 euros quand même pour participer à la séance!], je n'y ai pas assisté et je me suis donc contenté des propos du journaliste.

     

    Si j'en juge d'après le texte du Nouvel Observateur, cette intervention du maître s'est transformée en une opération de promotion personnelle pour un écrivain à succès qui n'en n'a pas vraiment besoin, l'occasion de pratiquer l'autosatisfaction, sorte d'explication de texte de l'auteur lui-même sur ses propres ouvrages, un sondage « in situ » sur l'œuvre... Après tout c'est de bonne guerre, même si les questions posées par Werber, si elles l'ont effectivement été telles qu'elles sont relatées, ne font pas vraiment preuve d'un sens accompli de l'expression française!

     

    Vient en suite l'objet de la rencontre. Au moins l'auteur met en garde son auditoire et indique que si l'écriture est un plaisir, ce n'est pas une chose facile parce que le travail fait aussi partie du processus[Pourtant, je me m'explique pas sa remarque précisant « l'écriture est un métier de feignant »!], que, même si on est convaincu de son propre talent , le succès ne sera pas forcément au rendez-vous. Il rappelle avec raison que si l'écriture peut être jubilatoire, le livre est souvent un univers douloureux, même si la folie, et même l'audace, font un peu partie du décor et que l'observation du quotidien est finalement une bonne école, que l'inspiration réserve parfois de bonnes surprises à l'auteur lui-même parce que l'imagination reste la plus forte face à la feuille blanche.

    Ce sont là beaucoup de banalités, distillées pour un prix manifestement exorbitant, alors que la meilleurs façon d'écrire, c'est certes de s'entrainer à le faire, mais surtout de lire les bons auteurs!

    En revanche, je ne m'explique pas que l'auteur des « Fourmis » puisse affirmer que « tout roman peut se résumer à une blague » et je ne suis pas bien sûr que les participants aient été capables, avec de tels conseils, d'écrire ensuite leur propre best-seller!

     

    Je suis pour autant d'accord avec Jacques Drillon, une telle intervention à quelque chose d'édifiant!

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

  • L'ULTIME SECRET - Bernard WERBER

     

    N°317 – Octobre 2008

     

    L'ULTIME SECRET - Bernard WERBER [Editions Albin Michel].

     

    J'avoue que je ne connaissais pas Bernard Werber avant la lecture de ce roman.

     

    Samuel Fincher, neuropsychiatre, spécialiste du cerveau, vient de battre aux échecs « Deep Blue IV », un puissant ordinateur. De ce fait, il est sacré champion du monde. Le soir même, il est retrouvé mort dans sa villa d'Antibes et sa fiancée, Natacha Andersen, un top modèle danois d'une grande beauté, s'accuse de l'avoir tué... en faisant l'amour avec lui. C'est la danse macabre d'Eros et de Thanatos. Quand même, mourir entre les cuisses d'une jolie femme, peut-on espérer plus beau trépas, d'autant que l'enquête établit formellement que c'est un orgasme hors du commun qui a tué Fincher. Peut-on donc réellement mourir de plaisir?

     

    Deux journalistes Lucrece Nemrod et Isidore Katzenberg se lancent dans ce qu'ils considèrent comme une affaire criminelle, un véritable assassinat, même si cela a toutes les apparences d'un accident, quand même pas si banal que cela! Leurs investigations les conduit dans une clinique ou un homme, Jean Louis Martin, victime d'un grave accident, choisit de continuer à vivre malgré un handicap définitif. Dans cet asile hors du quotidien où travaillait Samuel Fincher, ceux qu'on appelle « les fous » sont utilisés pour leurs talents particuliers. Martin entre volontairement dans cette dialectique et se fait en quelque sorte le complice de son médecin.

     

    D'autre part, la personnalité de Fincher, épicurien convaincu et militant, et surtout son métier orientent ces enquêteurs vers le rôle que joue le cerveau humain dans la vie de chaque homme. Cela se vérifie dans la mémoire, certes, mais aussi dans les différentes formes de motivation qui inspirent chacun de nos actes. Cette problématique ainsi posée devient un axe de recherche intéressant, quoique un peu redondant.

     

    Bien entendu ces deux histoires se croisent et s'entremêlent sur fond d'exploration du cerveau humain et de référence à la mythologie grecque et cela débouche, après de longues tergiversations littéraires et surtout policières, sur ce fameux secret qui pourrait révolutionner l'humanité. Ce roman nous fait toucher du doigt ce que nous savons déjà : que le cerveau recèle encore une foule de mystères.

     

    Si j'ai accroché à l'histoire pleine de rebondissements et, il faut bien l'avouer, un peu abracadabrante au point d'en être parfois déroutante voire lassante, je dirai volontiers que le style est commun et sans grande recherche, ce qui, à mon avis, dessert le roman. En outre, le livre est plein d'explications scientifiques qui ressemblent trop à une compilation de données techniques un peu ennuyeuses à lire. Elles sont probablement indispensables, aux yeux de l'auteur, à la compréhension de cette fiction, mais j'avoue que cela m'a semblé quelque peu indigeste. Le journaliste scientifique prend ici le pas sur le romancier et cela me semble dommage. L'intrigue démarre lentement, laborieusement et c'est, à mes yeux, un artifice pour s'attacher le lecteur. Bref, j'ai peiné à lire ce livre, ce qui ne m'encourage pas à poursuivre la découverte de cet auteur.

     

     

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2008. http://hervegautier.e-monsite.com 

  • LES DERNIERS JOURS DE CHARLES BAUDELAIRE - Bernard-Henri LEVY

     

     

     

    N°352– Juillet 2009.

    LES DERNIERS JOURS DE CHARLES BAUDELAIRE – Bernard-Henri LEVY – GRASSET[1988].

     

    Le genre roman attaché au nom et à la personnalité de Baudelaire ne pouvait qu'attirer mon attention.

     

    Nous sommes en 1866, en Belgique où Baudelaire a entamé, depuis 1864, une tournée de conférences. BHL s'attache ici à imaginer ce qu'ont été les derniers jours du poète qui, torturé par la syphilis, est logé à l'hôtel bruxellois du Grand Miroir. Baudelaire est malade, a perdu l'usage de la parole et de l'écriture. Nous ne savons évidemment rien sur cette période, ce qui permet au romancier d'imaginer ce que le poète aurait pu dire et penser pendant ce temps qui précède sa mort. Pour cela, et ainsi qu'il l'avait fait pour « Le diable en tête », il confie cette rédaction à un narrateur dont il nous dit, d'ailleurs tardivement [pas avant la page 227] qu'il a un peu plus de 22 ans, qu'il est un fils de famille, qu'il est svelte, déjà opiomane... assez effacé donc, mais dont le rôle se révèle décisif à la fin. Pour que le portrait soit complet, l'auteur a recours en alternance, à différentes autres voix, celle de sa logeuse, Mme Lepage, de son éditeur Poulet-Mallasis, de la propre mère de Baudelaire, le photographe Charles Neyt, et, bien sûr Jeanne Duval... Chacun à sa manière et avec ses mots évoque le poète et choisit de mettre en lumière des épisodes de sa vie. Mais revenons au narrateur [qui me paraît avoir quelques ressemblances avec BHL] qui devient le secrétaire du poète et du malentendu qui est esquissé sur la tentation de s' approprier l'œuvre du maître [«  Pauvre Belgique »] au motif qu'il l'a recueillie de sa bouche. Il rend compte d'un parcours intéressant dans l'imaginaire du l'auteur des « Paradis artificiels » et dans ce qui sera son lot toute sa vie : la solitude, la souffrance, l'écriture!

     

    Choisir Baudelaire comme un héros de roman me paraît judicieux. Cela sied au personnage qui a toujours été un marginal, à la fois ennemi de son siècle et des conventions sociales en général [symbolisé par « la bande à Hugo »et dans le refus du remariage de sa mère], mais aussi abandonné de tous dans cette vie un peu lamentable qu'il traine en Belgique entre fréquentation des bordels et rejet du monde. Fixer ce « récit » à la fin de la vie de l'auteur des « Fleurs du Mal » suggère pour le lecteur une sorte de bilan avec, en contre-point, la mort qui pointe le bout de son linceul mais aussi des retours en arrière inévitables et avec eux les regrets et les remords, des relents d'une mémoire sélective, les paradis artificiels, le naufrage aussi perceptible dans cet abandon de son corps.

     

    Chaque roman est une création, une somme de supputations qui, certes ici s'appuient sur des données historiques et documentaires, mais nous livre aussi un personnage recomposé au gré « pages blanches » ou des zones d'ombre qui existent dans la biographie du modèle. Ce dernier n'a évidemment pas été choisi par hasard par l'auteur qui lui prête peu ou prou ses propres réflexions son temps. Une complicité existe donc entre eux [on songe bien sûr au mot de Flaubert « Mme Bovary, c'est moi »] et Lévy, même s'il peut s'en défendre, habite son personnage. Il y a là une sorte de fantasme qui trahit [heureusement] le parti-pris de l'auteur, son art personnel du roman qui reste une fiction c'est à dire un voyage dans l'imaginaire intime avec ses données, ses contradictions parfois, mais dont le lecteur reste le seul juge. C'est aussi l'occasion pour BHL de donner son opinion [et pas forcément celle de Baudelaire] sur le panorama culturel de l'époque du poète, mais aussi sur la religion et les tourments d'un prêtre défroqué, sur l'écriture, sur la notoriété...ce qui donne des formules personnelles en forme d'aphorismes.

     

     

    Alors, roman? A mon sens oui, évidemment, mais aussi le résultat d'une documentation sérieuse et complète sur un sujet qu'il connaît et maîtrise parfaitement [même si parfois on sent un peu trop l'universitaire] mais l'occasion de faire parler de lui, déjà!

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

  • L'AUTOMNE A PÉKIN - Boris VIAN

     

     

     

     

     

    N°351– Juillet 2009.

    L'AUTOMNE A PÉKIN – Boris VIAN.

     

    A l'heure où chacun rend hommage à Michael Jackson, je ne voudrais pas laisser passer le cinquantenaire de la mort de Boris Vian [1920-1959] sans évoquer cet écrivain qui a illuminé mon adolescence. Je ne veux pas me livrer à une étude exhaustive de l'homme et de l'œuvre, d'autres l'on fait brillamment avant moi et ces quelques lignes n'ont évidemment pas cette prétention.

     

    Oublié pendant longtemps des manuels scolaires, délibérément écarté des anthologies de la littérature française , Vian n'en a pas moins déroulé son voyage dans l'absurde et la dérision, dans un décor qu'il tissait page après page et qui emporte encore aujourd'hui l'attention de son lecteur devenu au fil des chapitres un véritable complice.

    Je ne vais pas reprendre à mon compte tout ce qui a été dit et écrit sur le divin Boris, mais dans toute cette œuvre protéiforme et souvent imprévue, faite de mots mais aussi de notes de musique, de projets fous et parfois suicidaires, il a marqué d'une trace indélébile son passage sur terre et dans la littérature. Il y a un roman pour lequel j'ai une tendresse particulière, c'est « l'automne à Pékin ». Étonnant, ce récit qui ne se passe ni en automne ni à Pékin où l'on trouve, comme ailleurs dans son œuvre, des précisions sémantiques inattendues et parfois bizarrement techniques, des créations improbables de mots qui voisinent avec des délires créatifs que ni l'ingénieur ni le pataphysicien n'eussent évidemment renié.

     

    Dans cette fiction, je retiens la jubilation de son auteur au simple niveau des mots et cela est d'autant plus important à mes yeux qu'il entraine souvent son lecteur dans cet univers qu'il a lui-même construit et où il invite chacun à le suivre en lui laissant le soin et la liberté d'apporter à ce qu'il lit sa propre explication. C'est que notre auteur, sous des dehors incongrus, malicieux et décalés jette sur notre société et sur les gens qui la composent un œil réellement critique. Pourquoi, par exemple, la ligne de chemin de fer qui doit traverser l'immense désert d'Exopotamie doit-elle impérativement passer au beau milieu de l'unique hôtel qui s'y trouve? Allez comprendre la différence, s'il y en a une, qu'il y a entre la « ligne de foi » et la ligne de chemin de fer, mais admettez quand même qu'elles sont sans doute complémentaires et que leur rencontre [travail humain et matériel contre pensées profondes] sont parfois à l'origine de catastrophes qu'on pourrait éviter!

     

    Absurde ou dérisoire, la réponse appartient à chacun mais n'est pas sans rappeler [déjà] les décisions prises par d'autres et qui gèrent notre quotidien. Ce qui fait que Vian est proche de son lecteur, ce n'est pas qu'il parle comme lui, au contraire, mais c'est qu'il l'étonne, qu'il l'entraine dans un microcosme qu'il doit connaître déjà puisqu'il y entre de plain pied , qu'il y a déjà ses marques et où il se reconnaît. Et puis, cultiver le dérisoire dans un monde sérieux est plutôt salutaire!

     

    Il ne faudrait pas oublier que le monde de Vian est romanesque et même s'il ne peut s'empêcher de régler quelques comptes personnels, il y parle d'amour et de mort, comme dans tous les romans. La femme qui inspire le sentiment amoureux présente plusieurs visages évocateurs[Rochelle, Lavande, Cuivre...], et comme dans la vraie vie, les amours sont souvent malheureuses. Certaines sont liées à la mort, comme celle de Choé dans « l'écume des Jours » que le professeur Mangemanche ne peut oublier parce que, sans doute, les héros de Vian s'usaient à vivre, comme si la vie était une maladie qu'on soigne difficilement, qui mange inexorablement nos jours et nous fait souffrir...

     

    Il ne faut pas rester au seul niveau des mots, au jeu sur les phrases, aux calembours humoristiques qui peuvent résulter d'une lecture en surface, « l'automne à Pékin », comme « l'écume des jours » sont des œuvres qui empruntent beaucoup à l'angoisse, au mal de vivre qui nous visitent tous un jour ou l'autre.

     

    Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou m'en féliciter, mais je souscris pleinement à la remarque de Raymond Queneau «  L'automne à Pékin est une œuvre difficile et méconnue ».

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • PARFUM DE FEMME - film de Dino RISI (1974).

     

    N°350– Juillet 2009.

    PARFUM DE FEMME – film de Dino RISI (1974).

    Mercredi 8 juillet 2009 – Cinéma Classic.

     

    L'histoire de ce film, devenu un classique, est connue. Fausto, un ancien capitaine de cavalerie devenu aveugle et manchot à la suite de la malencontreuse manipulation d'une grenade, n'a jamais cessé d'être un grand amateur de femmes. Il refuse son infirmité, la cache sous une agressivité constante et ne devine plus la présence des femmes qu'à la fragrance de leur parfum. Il doit se rendre à Naples et Giovanni [rebaptisé par lui et un peu par dérision Chichio], un jeune militaire du contingent, est chargé de l'accompagner et de le guider jusqu'à sa destination. Le jeune homme est certes impressionné par son supérieur, non seulement par l'argent qui dépense et gaspille mais par la comédie qu'il joue pour masquer aux autres et peut-être à lui-même ce handicap qui pourrit sa vie. C'est vrai qu'il est en constante opposition aux autres, à sa vieille tante chez qui il vit et trouve dans ce jeune soldat un bouc émissaire idéal sur qui il va reporter toute cette violence contenue faite d'insultes et parfois de coups... qui, au départ il file doux mais finit rapidement par se rebeller, à sa façon. Il découvre dans ses affaires une photo de femme et un pistolet, deux choses qui, pour un aveugle, sont parfaitement inutiles.

     

    C'est qu'il a un rendez-vous mystérieux à Naples pour abattre un homme, ainsi qu'il le révèle au jeune homme incrédule. On le retrouve dans cette ville, chez Vincenzo, un lieutenant, aveugle lui aussi, et il y retrouve Sara, une jeune fille qui a toujours été amoureuse de lui. On sent bien qu'il la désire puisqu'il ne peut résister à une femme, mais la repousse cependant. Il y a dans leurs relations une sorte de résumé en filigranes de sa vie devenue insupportable, puisqu'il se considère lui-même, et malgré l'image qu'il veut donner de lui, comme un homme fini, une véritable épave! Il est à la fois drôle et cruel!

     

    Il festoie avec Vincenzo dont on suppose qu'il est l'ami, mais c'est en fait lui qu'il est venu tuer pour une raison obscure, mais le manque.

     

    J'avoue que j'aime beaucoup le cinéma italien de cette époque, ce personnage en particulier, à la fois homme et monstre, qui le sait, qui est sans demi-mesure, qui refuse l'aide et l'amour authentique que lui offre Sara, lui préfère, mais en apparence seulement, la jouissance qu'il peut trouver en compagnie des autres femmes [« Le sexe, les cuisses, de belles fesses : voilà la seule religion, la seule idée politique, la vraie patrie de l'homme »], qui joue ce rôle suicidaire presque jusqu'à la fin, mais finira par accepter le bras de cette femme qui ne voit que lui et sans doute par s'appuyer définitivement sur elle parce qu'il comprend sans doute tout l'aspect délirant du personnage qu'il s'est lui-même crée, parce qu'il ne peut jouer jusqu'au bout ce jeu de la solitude qui va le précipiter dans la mort. C'est que Fausto est devenu solitaire, marginal du fait de son état. Il sait que cela est définitif et débouchera forcément sur le néant, mais il tente, une dernière fois fois peut-être, de se jeter dans l'alcool et le plaisir, mais cela semble être sans issue. Il croît à peine un prêtre de ses amis qui lui affirme que le salut de son âme passe par cette infirmité quotidienne.

     

    Il me semble que le parcours qu'il réalise en train de Turin où il habite à Naples en passant par Gênes et Rome [deux villes que tout oppose], en compagnie de Gioanni, est allégorique et préfigure celui qui va lui faire admettre que Sara et l'amour authentique qu'elle lui porte, sont sa seule planche de salut en ce monde et qu'il n'y en a pas d'autre. A la fin, il s'en remet à elle, et à elle seule, pour cheminer dans une nature hostile dans laquelle il ne pourra se débrouiller seul. C'est un peu comme s'il acceptait enfin ce qu'il avait toujours refusé jusqu'à présent, la pitié!

     

    Il y a dans ce film une émotion réelle, une violence, une douceur et un réalisme qui ne peuvent me laisser indifférent, le tout servi par un jeu d'acteurs exceptionnels, Victorio Gassman, évidemment, mais aussi Allsendro Momo [Giovanni] et Agostina Belli[Sara].

     

     

     

     

     

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    Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

    Hervé GAUTIER – Juillet 2009.

  • L'EAU GRISE - François NOURISSIER

     

    N°349– Juillet 2009.

    L'EAU GRISE – François NOURISSIER – GALLIMARD.

     

    Je relis rarement un roman je ne saurais dire pourquoi, peut-être par crainte de ne pas retrouver , lors d'une nouvelle lecture, le plaisir que la découverte m'avait donné. Pourtant, j'ai fait une exception pour « l'eau grise » que j'avais lu il y a quelques années et qui m'avait inspiré quelques pages.

     

    Il s'agit un roman de jeunesse, écrit en 1950 par François Nourissier et publié à l'époque chez Plon. L'auteur avait « entre vingt deux et vingt quatre ans, [était]un bon jeune homme, marié tôt, chrétien, père d'un garçon né deux mois avant que ne parût ce roman... » Dans l'édition de Gallimard, publiée en 1986, l'auteur fait précédé ce texte d'une longue préface où il évoque ce premier livre, sa vie d'alors, le début de ce qui sera sa long parcours littéraire... Comme il s'agissait d'un livre sur le mariage, dont le titre avait été emprunté à une citation de Jacques Chardonne, il le lui fit tout naturellement parvenir. Cela lui ouvrit certes les portes d'une carrière mais le catalogua comme un homme de droite alors que ses aspirations le menaient plus volontiers de l'autre côté de l'échiquier politique. L'itinéraire de l'auteur d' « Epithalame » passait aussi par la Libération et l'occupation allemande.

    Dans ce long préambule, il fait donc le point sur ses lectures, ses inévitables influences littéraires, son itinéraire personnel. Il indique aussi qu'il se livra, lors de la publication chez Gallimard, à une relecture de ce premier roman avec un œil nécessairement critique [ ma relecture à moi trouve peut-être sa raison dans ses confidences à lui ?] de la part du notable des Lettres qu'il était devenu. Trente cinq ans séparaient ces deux publications, ce qui laisse le champ libre à l'examen, mais aussi à l'introspection, le chemin parcouru, les résultats, la place dans la société et parmi ses pairs, les avis inévitablement formulés, ceux des thuriféraires comme ceux des critiques malveillants. De tout cela que restait-il et qu'est-ce que l'avenir lui réservait?

     

    Il s'agit bien d'un livre sur le mariage. Un homme [Philippe], une femme [Élisabeth], mariés tôt comme cela se faisait dans l'immédiat après-guerre, avec tous les fantasmes qui s'attachaient à cette union, mais que tout sépare malgré le destin [ou le hasard] qui les a unis, s'abîment petit à petit dans un quotidien matrimonial ou chaque geste devient banal et déprimant. L'amour, qui a sans doute existé entre eux, s'est peu à peu dissout dans le subtil acide des habitudes, et l'usure des choses [l'écume des jours aurait dit Boris Vian] a fini par avoir raison des certitudes les mieux établies, menant Philippe à cette évidence désormais inéluctable qu'Élisabeth et lui «  n'avaient plus partie liée, qu'ils n'avaient jamais eu partie liée, qu'ils n'étaient plus que des étrangers ».C'est donc un mariage sans passion qui réunit ces deux êtres qui maintenant se débattent dans cette « eau grise » où le lit est commun mais les rêves différents, les aspirations aussi! Et l'auteur de confier «  la nuit de l'homme et de la femme s'accomplit...Jusqu'au plus profond des jours, les vérités secrètes de la nuit porteront cependant leur fermentation. Élisabeth et Philippe, peureux, les dénonceront comme des mensonges, pour mieux les exorciser ».

     

    Dès lors le décor est planté et l'absence d'enfant favorise peut-être entre eux la venue d'un troisième personnage, Gésa, plus âgé et étranger, ce qui suffit à lui conférer une sorte d'aura aux yeux d'Élisabeth. Et Philippe, face à cette situation nouvelle semble laisser faire «  Élisabeth pouvait bien cesser de l'aimer, aimer Gésa, se donner à lui et le suivre, Philippe ne s'interposerait pas entre cette nouvelle femme et l'ancienne Élisabeth ». Pourtant, il cogite, constate combien les choses ont pu changer sans qu'il s'en aperçoive, à cause de lui peut-être? Il n'est plus le maître du jeu comme il le pensait, refuse cependant l'évidence, n'envisage pas que sa femme puisse le tromper puisque lui-même s'en juge incapable, se cabre sur des idées qui pour lui sont définitives et qui ont nom fidélité,amour, vertu, stabilité du mariage mais aussi hypocrisie, conventions sociales, apparences ... autant d'équilibres que vient compromettre la présence de Gésa! Autrement dit, il refuse la réalité en se jouant une comédie d'autant plus dérisoire qu'elle débouche sur le vide de la jalousie.

     

    Le suicide manqué de Gésa semble devoir révéler à Philippe toute l'intrigue de ce drame matrimonial, mais lui y fait figure de victime consentante, incapable et peut-être non désireux de voir la vérité en face «  Se trompait-il? Était-il trompé? Philippe n'en savait rien et pensait que c'était bien ainsi. Il aimait accepter. Il aimait que la vie accomplît ses promesses , sans nulle extravagance ».

     

    Je trouve  l'analyse de la vie de couple bien menée. Même si dans les années 50 on accordait au mariage des mystères et surtout des vertus de longévité et de solidité qui étaient censées le faire résister aux plus fortes tempêtes, même si, à l'époque c'était plutôt au mari qu'on attribuait la faculté de tromper son conjoint et non le contraire. Ainsi, malgré les nombreuses années qui se sont écoulées, le changement des mentalités, des usages et du mode de vie, ce texte n'a pas vieilli. L'analyse qui y est faite du mariage et de la vie commune entre époux me paraît bien actuelle, pertinente et même un peu désabusée, même si elle peut, encore aujourd'hui paraître quelque peu anachronique chez un écrivain de vingt ans.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE GARDIEN DES RUINES - François Nourissier

     

     

    N°142

    Janvier 1993

     

     

     

    LE GARDIEN DES RUINES – François Nourissier – Editions Grasset.

     

     

    Lire un roman de François Nourissier est toujours pour moi un moment fort. Il est, en effet, l’un des rares auteurs que je choisis sur son seul nom plutôt que sur le titre d’un ouvrage. Comme d’habitude, je n’ai pas été déçu.

     

    Par l’histoire, tout d’abord, celle d’Albin Fargeau, médecin généraliste à Paris dont l’auteur relate le quotidien. Ce récit est l’occasion de revenir en arrière, de revoir sa vie, ses amours éphémères, ses rencontres, sa guerre, de l’oflag en 1940 à la Libération de Paris, ses fiançailles, hésitantes et timides avec Clémence, son mariage conventionnel avec elle, sa vie ordinaire et son couple raté, son fils à côté de qui il est perpétuellement passé, sa liaison mièvre avec Véra, sa maîtresse, ses rares passades, sa belle-famille qui ne l’a jamais vraiment adopté…

    C’est aussi, pour Nourissier, l’occasion d’évoquer des personnages hauts en couleurs : Henri Fargeau, Les Goult de Juzy, Vergadin et combien d’autres …

     

    Pourtant, malgré son côté velléitaire, indolent et conventionnel, Albin Fargeau est un personnage attachant, peut-être parce qu’il est perpétuellement floué, jusqu’à la complicité. Nous le voyons évoluer de 1939 à 1990 et la petite histoire se frotte à la grande. C’est un peu comme si Albin Fargeau, l’air de rien, nous livrait lui-même ses secrets, ses fantasmes, les valeurs traditionnelles auxquelles il est attaché…

    Mais, rapidement, il vieillit, perd de la vitesse, se laisse facilement(trop peut-être ?) rattraper par un siècle qui marche plus vite que lui.

    Après la mort de sa femme, la séparation d’avec sa maîtresse et l’ultime tentative de rencontre avec son fils unique, il choisit lui-même de se retirer à Maussade, dans une maison de retraite. Lui qui rêvait de ressembler à ses grands modèles passera pour « le gardien de quelques ruines qu’il tente de faire visiter . »

     

    Ce qui m’intéresse chez Nourissier, c’est qu’il traite de thèmes qui lui sont chers : l’incompréhension entre père et fils, mais surtout une réflexion toujours renouvelée sur le mariage. Il gratifie à cette occasion son lecteurs de formules lapidaires (presque des apophtegmes) qui méritent réflexion : « Ce n’est pas le silence qui préserve les couples, c’est la sourde oreille. » « Les couples tiennent par politesse, comme les vieilles coques de bateaux par la peinture. »

    Il glisse entre les lèves de ses personnages quelques aphorismes bien sentis sur la condition humaine : « Tous les destins avec le temps rapetissent. ». « A quoi ça tient un homme? A presque rien : Quelques silence, quelques hontes ravalées, quelques comédies. Tout cela tient debout par miracle. Tu fous le pied dedans, le bonhomme s’effondre. »

     

    Il prête à Albin Fargeau (A moins qu’il ne laisse aller sa plume pour son propre compte ?) des analyses politiques et historiques tranchantes : « En 38… En 40 …En 54…En 62 … nous sommes de terribles plaqueurs. ». « Sans la foi, le folklore réactionnaire n’est que dandysme et simagrées ». « Des politiciens en France, ça doit baiser, l’électeur aime cela »…

    Il n’oublie pas non plus la condition humaine : « Le suicide est au bout de toute réflexion un peu sérieuse sur la maladie ». « La vielle peur laisse un répit, sur le tard, aux amers et aux vaincus . »

     

    En fait, à l’occasion de cette incursion dans les secrets de l’âme et de la parentèle de Fargeau, le lecteur attentif assiste à cette tranche de vie qui s’écoule, non vers la mort de l’intéressé, mais, le mal-vivre aidant, vers la déchéance et l’indifférence à sa propre vie. « Je suis devenu le gardien d’un musée que nul ne veut plus visiter. Je fais de la retape à la porte de l’indifférence générale ».

    L’envie de vivre va même jusqu’à disparaître : « Le désir s’arrête comme le vent, la pluie, comme une source s’arrête de couler. ».Il fut, un temps, tenté de jouer encore cette comédie qu’est l’existence, mais la pensée (l’envie ?) de l’autodestruction l’a effleuré : « Si Clémence meurt, je serai libre de me détruire sans scrupules ».

     

    J’ai lu ce roman comme le récit d’un homme qui jette sur cette vie qui fut la sienne et qui ne l’a jamais vraiment passionné, le regard d’un philosophe désabusé, d’un homme qui a voulu « sauver les apparences », quelqu’un qui est ici-bas de passage et le sait, mais aussi quelqu’un qui est las parce qu’il est seul et que toute sa vie n’a été qu’une solitude grise tout juste émaillée de quelques timides coups de soleil.

     

    Si j’ai aimé ce roman (et aussi beaucoup d‘autres du même auteur), c’est aussi pour la qualité du texte, et pour l’usage juste et précis de notre belle langue française. Ils ne sont pas si nombreux, les écrivains actuellement publiés qui peuvent se targuer d’être les gardiens de notre langage ? Son humour n’a d’égal que sa faconde, et quand il décrit un paysage, c’est un plaisir… Il tient jusqu’au bout son lecteur en haleine.

     

    © Hervé GAUTIER.

     

  • EXPOSITION EXCEPTIONNELLE AU MUSÉE DU DONJON DE NIORT.

     

    N°348– Juillet 2009

    EXPOSITION EXCEPTIONNELLE AU MUSÉE DU DONJON DE NIORT.

    [Vernissage du mardi 30/6/2009 – Exposition Juillet-Août 2009]

    Renseignements 05 49 78 72 04 – musees@agglo-niort.fr

     

    Je ne pouvais laisser passer un tel événement, dans une ville où l'intérêt du plus grand nombre ne va pas naturellement vers la culture, sans en porter témoignage.

     

    C'est que le patrimoine niortais vient de s'enrichir de 48 tableaux et dessins de maîtres actuellement exposés au musée du Donjon. Il s'agit d'œuvres de Miro, de Raoul Dufy, de Marie Laurencin, de Suzanne Valadon, de Léonard Foujita, Georges Mathieu, d'Aristide Caillaud, de Jean Claude Chauray...

     

    Cela n'a été rendu possible que grâce à une donation de Mme Jeanne Christine Ouvrard [1926-2008], récemment décédée. Elle avait, tout au long de sa vie et grâce à sa fortune personnelle, constitué une collection d'œuvres d'art, qu'elle avait décidé de léguer, à sa mort, et eu égard à ses attaches poitevines, à la ville de Niort. Elle était d'ailleurs cousine avec le comédien Jean Richard, lui-même niortais.

    Mais il a aussi fallu aussi un autre miracle, celui de la rencontre de la vielle dame avec Daniel Courant, actuel Conservateur Adjoint du musée d'Agesci à Niort à qui nous devons d'avoir finalisé cette donation. Cela n'a pas été simple, demanda pas mal de temps, connut de nombreux rebondissements et même quelques périodes de découragement, mais le résultat est là, maintenant sous nos yeux. Elle avait cependant assorti ce legs d'une condition, que ces œuvres soient effectivement mises en valeur et ne terminent pas dans d'obscures réserves. C'est non seulement le cas dès maintenant, et quand cette exposition quittera le Donjon, c'est à dire à la fin de l'été, elle trouvera tout naturellement sa place dans notre beau musée Bernard d'Agesci.

     

    Parmi ces œuvres figurent quelques toiles du peintre russe Abraham Mintchine [Kiev 1898- Paris 1931] pour qui elle s'enthousiasma. Celui qu'on appela « l'ange perdu du Montparnasse », membre de l'École de Paris, et dont « la peinture s'exalte dans les rouges qui semblent être de rubis, du sang coagulé, des velours lacérés, des cerises piétinées ou bien des couchers de soleil » [selon le mot de Giovani Testori], fut un artiste extrêmement prolifique. Il connut quand même, à la fin de sa courte vie, la reconnaissance, ne vécut que 5 ans en France mais « sa peinture demeure comme un cri sorti de l'âme, un cri déchirant, à la fois slave, juif et éternel, une association active entre la poésie, la peinture, et le rêve de Mintchine qui trouve aujourd'hui le juste écho au plus profond de nous même. »[Sylvie Buisson-Juin 2000].

     

    Il fit l'objet de nombreux articles. On peut notamment lire sous la plume de Giovani Testori [1981]«  Si le génie désespéré de Soutine déflagra dans un ciel parisien comme un hurlement pour rejoindre des sommets que bien peu égalèrent, il conviendra bien d'écrire que, sur le versant d'un déchirement pour ainsi dire serein, Mintchine, sur plus d'une toile, le dépassa. ». Boris Poplavski notait, dès 1931 « Tout chez lui vit, bouge, respire, comme s'il libérait tous les esprits et tous les anges enfermés dans les objets.».

    En janvier 1930, la galerie Zak organisa une grande exposition consacrée aux peintres russes où Mintchine eut évidemment sa place. La revue Tchisla, créée cette même année et qui accorda une large place aux manifestations de l'école de Paris, salua le talent de Mintchine qui mourut, le 25 avril 1931 d'une rupture d'anévrisme. Au Salon des Indépendants de l'année suivante, figurèrent dix toiles du peintre disparu ainsi que dans l'exposition consacrée au « Visage humain » organisée par Tchisla. Dans l'article qu'il donna à cette revue, le critique Maximilien Gauthier nota « Même dans ses toiles les moins fantastiques, il parvient à créer une atmosphère qui amène à méditer sur les mystères qui nous entourent » n'hésitant pas à prophétiser « Dans l'histoire de l'École de Paris, le nom de Mintchine devra figurer aux côtés de ceux de Modigliani, Chagall et Soutine ».

     

    Giovani Testori, dans le Corriere della Serra [1981] célébrait le talent de Mintchine en ces termes «  Que celui qui aime la peinture aille donc voir de quels miracles fut capable notre « errant »[j'ai plus d'une fois appelé de cette manière les exilés russes réfugiés à Paris]. Une stupéfaction qui ne cessera jamais de croître et de s'élargir, l'arrêtera devant ses toiles, grandes et petites, comme si finalement quelqu'un lui récapitulait en face la puissance miraculeuse d'une peinture qui ne demande rien à elle-même, sinon de révéler sa propre entité qui est précisément ce battement, cet or, cette étendue inoubliable, cette lumière exaltante ».

    Mme Hélène Ménégaldo, Professeur de littérature russe à l'université de Poitiers, présente à ce vernissage niortais, a retracé l'itinéraire de ce peintre d'exception.

     

    Actuellement la galerie Di Veroli [Paris 8°] s'est spécialisée dans l'œuvre de ce peintre qu'elle a largement contribué à faire connaître. Massimo Di Veroli, son directeur, qui était également présent lors du vernissage niortais, organise régulièrement des expositions et réalise activement la catalogage de ses œuvres qui, par ailleurs sont conservées dans les musées du monde entier [France, Italie, Suisse, Russie, États-Unis, Israël...].

     

    Cette rencontre fut personnellement une révélation pleine d'émotions et assurément une invitation à davantage de découvertes.

     

    Je suis en outre très heureux de savoir que le musée de Niort devient désormais, eu égard à l'importance de cette donation, un centre européen de référence pour l'œuvre de Mintchine.

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

    Hervé GAUTIER – Juillet 2009.

  • DIALOGUE AVEC MON JARDINIER - Comédie dramatique de Jean Becker

     

    N°347– Juin 2009

    DIALOGUE AVEC MON JARDINIER – Comédie dramatique de Jean Becker – Mardi 23/6/2009 – Cinéma Premier..

     

    Ce film, un peu perdu dans une programmation tardive, aurait pu passer inaperçu. Il a pourtant retenu mon attention.

     

    Le titre un peu banal n'a pourtant rien d'original. De quoi s'agit-il? C'est la rencontre fortuite de deux anciens camarades d'école qui s'étaient perdus de vue, l'un, incarné par Daniel Auteuil, fils d'un notable, devenu lui-même artiste-peintre connu et reconnu, qui revient dans la maison de son enfance parce que la séparation d'avec sa femme va bientôt déboucher sur un divorce qu'il refuse mais qui devient de jour en jour plus incontournable, l'autre, incarné par Jean Pierre Darroussin, fils d'ouvrier devenu cheminot par nécessité, qui occupe sa récente retraite en faisant son jardin. Rien que de très banal au départ.

    Ils vont se reconnaître et l'ancien cheminot va proposer ses services à ce camarade pour aménager son jardin en friche depuis bien longtemps.

     

    Tout oppose ces deux hommes : leur parcours, l'un a refusé de reprendre la pharmacie paternelle pour devenir artiste et l'autre opte, pour un emploi aux Chemins de Fer, mais comme poseur de voies, c'est à dire le métier le plus dur et le plus mal payé. Il y mène une carrière obscure et difficile, mais son métier c'est toute sa vie. Il a toujours vécu en HLM alors que son camarade a acquit des biens immobiliers en rapport avec sa situation.

    Il ya aussi les femmes, en arrière plan. L'ancien cheminot parle de son épouse comme d'une icône, lointaine et respectable, une perception un peu décalée et hors du temps quand l'artiste, davantage dans son époque, opte pour des mœurs libérées. L'un est amoureux de son épouse et l'autre la quitte, certes à regrets, mais s'avoue incapable, malgré sa qualité de peintre, de se souvenir de la couleur de ses yeux! L'un respecte les femmes et l'autre y voit, malgré son âge, une quête de plaisir.

    L'un va toujours en vacances au même endroit depuis des années et l'autre voyage au gré de ses expositions. L'un cite Bonnard, parle de la couleur, de la lumière quand l'autre lui répond « calendrier des Postes, Chromos ou tapisserie de supermarché ».

    L'un se bat pour la vie et l'autre choisit de s'empoisonner avec des paradis artificiels. L'un n'a qu'un vélomoteur et n'a toute sa vie été qu'un ouvrier quand l'autre est habitué aux vernissages et aux encombrements de la capitale...

     

    Pourtant, ce film est pleins de sensibilité. Il va se tisser au fil de ces rencontres et de ces dialogues une complicité entre ces deux hommes au point qu'ils ne vont plus s'appeler par un pseudonyme choisi par eux et qui évoque leurs fonctions [Dujardin et Dupinceau] et le mode de vie de l'artiste va être complètement transformé par l'ancien ouvrier qui va même, à la fin, influencer son style malgré ses manières un peu frustres.

     

    Et puis il y a la mort, abordée ici tantôt sur le mode humoristique tantôt sur le mode tragique. Elle finira par avoir raison de l'ancien cheminot qui l'a pourtant plusieurs fois repoussée et qui, comme un ultime hommage lui demande de peindre quelque chose qui lui ressemble. Ce sera le style de son ami pour l'avenir, à la fois différent de ce qu'il faisait avant et surtout à cent lieues de ce que le snobisme consacre en matière d'art [j'ai toujours été personnellement plus curieux des commentaires critiques sur l'art moderne que de cet art lui-même. Trouver les mots pour expliquer ce qui ne tombe pas sous le sens commun m'a toujours paru un exploit bien plus intéressant que l'acte de création lui-même, surtout quand je ne le comprends pas]. Je vois dans cette démarche non seulement une évolution créatrice intéressante d'un artiste qui se remet en question et accepte de faire évoluer sa démarche vers davantage de sincérité et de simplicité mais surtout une sorte d'acte de mémoire envers cet homme attachant par son authenticité.

     

    Ce fut donc un bon moment et ce film aurait mérité une programmation plus en vue dans la soirée.

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2009.

  • TRAITE D'ATHÉOLOGIE - Michel ONFRAY

     

    TRAITE D'ATHÉOLOGIE – Michel ONFRAY - GRASSET.

     

    J'ai beau tenter de m'abstraire de ce christianisme qui a quelque peu bouleversé mon enfance, il continue de répandre ses méfaits dans notre société qui, même si elle ne veut pas l'avouer, garde une profonde empreinte judéo-chrétienne. L'ouvrage d'Onfray, aussi savant que polémique, bien écrit avec humour, documenté, pertinent et impertinent parfois, était donc pour moi l'occasion de faire le point sur ce qui restait de mes croyances intimes, nourries d'ailleurs par une littérature humaniste. Je l'ai donc lu avec attention, y cherchant, le cas échéant, une justification de mes certitudes ou de mes abandons.

     

    Il s'agit donc de parler de la présence de dieu, sous quelque forme que ce soit, dans notre société. Veut-on l'en chasser, il finit toujours par revenir. C'est que les hommes, mortels par essence, occultent, à tout le moins en occident, cette issue normale de la vie qu'est la mort. Il en résulte une peur exploitée savamment par les tenants de toutes les religions, qui, sous forme d'un nécessaire salut dans un au-delà qu'ils affirment réel, se croient autorisés à peser sur notre vie terrestre qui n'est que transitoire. Pour cela, ils nient l'intelligence, la pensée, la réflexion, édictent tabous et interdits, des règles morales dont le respect serait le sésame pour l'accès à ce paradis... Sans quoi, ce sont les feux de l'enfer qui nous attendent, pour l'éternité![une autre peur]! Ainsi assiste-on au retour du religieux dans notre vie et avec lui toute une série de négations, dont celle du corps, celui de la femme [nécessairement inférieure à l'homme par essence] en particulier, de la jouissance qu'il procure et qui serait un obstacle dans ce parcours obligatoire vers dieu. Il convient donc, pour le combattre, d'adopter une attitude hédoniste où l'esthétisme tient une grande place. Pourquoi pas?

     

    De plus, l'homme a besoin de se sentir protégé. Quoi de plus normal que d'inventer une divinité qui jouera ce rôle? A cela, l'auteur oppose une définition de l'athéisme, démystifiant les monothéismes chrétien, juif ou musulman, démontant cette fiction de dieu, en en « déconstruisant » l'idée, sans cependant privilégier le nihilisme, simplement parce l'empreinte religieuse est présente jusque dans notre pensée et dans nos réactions. Que ces religions, qui ne sont finalement que des entreprises humaines, soient néfastes, je veux bien l'admettre, l'histoire est là pour nous en apporter une preuve surabondante [leurs déviances ne sont depuis longtemps plus à démontrer], et ne pas croire en ces religions reviendrait à ne pas croire en dieu, à être athée! Mais qu'en est-il de dieu puisque l'auteur entend nous montrer qu'il n'existe pas, ou qu'il serait mort? Lui aussi serait une création humaine liée à tous nos fantasmes et d'autant plus « crédible » qu'il est immatériel et donc au nom de qui ses représentants peuvent facilement parler! Cela je veux bien le croire. D'ailleurs l'auteur en appelle à des auteurs incontestés pour étayer son discours. Il démontre d'une manière surabondante que Jésus n'a pas existé en tant que personne physique unique, pointe du doigt des contradictions historiques flagrantes, indique que ses apôtres n'ont guère été les témoins de son existence humaine, que la chrétienté se réfère à la Vulgate, rejetant délibérément les écrits apocryphes, que St Paul n'était pas autre chose qu'un ignare frustré, que la chrétienté à fait beaucoup de ravages [et continue à en faire]au nom d'un Évangile dont elle a oublié le message de paix et d'amour, en s'alliant notamment avec tous les pouvoirs terrestres, que la littérature monothéiste est dogmatique, assez approximative et finalement fortement sujette à caution. Bref que tout cela n'est qu'une joyeuse compilation de textes disparates, incohérents, contradictoires et sans grande unité mais que les religions qui s'y réfèrent prennent pour unique boussole et dont chacun s'arrange à sa guise.

     

    Pire peut-être, ces religions qui proclament la paix adorent la guerre et la mort et la justifient bien souvent, sans souci de la contradiction... et les fidèles suivent aveuglément sans mettre en doute cet enseignement! Et il ne réserve pas seulement ses remarques et critiques au seul christianisme, il y associe Judaïsme et islam qui, à se yeux, ne valent pas mieux sur le plan de l'enseignement.

     

    Face à ce déferlement de démonstrations et de vérités, l'auteur milite pour une laïcité post-chrétienne... mais il avertit, elle s'appuie aussi sur l'éthique judéo-chrétienne et ne cherche à en modifier que la forme, l'aspect visible. La pensée laïque conserve un fond de christianisme, il faut donc la dépasser. L'égalité prônée par la république ne serait pas suffisante et peut-être même néfaste en ce qu'elle invite au relativisme qui uniformise tout. Selon l'auteur, il faut « promouvoir une laïcité post-chrétienne, à savoir athée, militante et radicalement opposée à tout choix de société entre le judéo-christianisme occidental et l'islam qui le combat » et de conclure «  Aux rabbins, aux prêtres, aux imams, ayatollahs et autres mollahs, je persiste à préférer le philosophe ».

     

    Cette invitation à ne plus croire en dieu m'intéressait d'emblée, cela me paraissait un thème de réflexion parfaitement humain. L'étude documentée des trois religions monothéistes m'a paru convaincante, encore qu'appliquée au raisonnement logique, leur discours toujours prosélyte ne résiste pas bien longtemps. Cependant la préférence donnée à la philosophie, comme remplacement efficace à des croyances aussi brillamment combattues ne me convainc pas davantage. Je dois cependant noter qu'elle a au moins l'avantage de ne pas jouer sur l'existence d'un monde après la mort et de fonder son enseignement sur cette hypothèse.

     

    Ce livre ne fera de moi ni un athée convaincu ni [ sûrement pas] un chrétien militant!

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • DÉSOBÉIR : Aristide de Sousa Mendes

     

    N°345– Juin 2009

    DÉSOBÉIR : Aristide de Sousa Mendes – Téléfilm de Joël Santoni - France 2 vendredi 12 juin 2009 – 20H35.

     

    La sélection du programme pour une soirée de télévision du vendredi soir se fait souvent au hasard. C'est vrai qu'il fait partie de notre vie beaucoup plus que nous voulons bien l'admettre, mais c'est là un autre débat. Me voilà donc devant mon écran avec le choix entre des émission de variété plus ou moins enthousiasmantes, des séries télévisées et des débats...Le hasard a décidé pour moi. Heureusement!

     

    « Désobéir ». Le titre lui-même est tout un programme. Ce mot évoque à la fois des relents d'enfance et de tentations d'adultes, mais là, le scénario est différent. L'action d'abord: la France de 1940 face à la défaite militaire, à l'exode des populations civiles, à la perte de ses repères culturels, religieux, civiques, patriotiques, à la peur du nazisme qui déferle sur le sol national et précipite l'Europe dans le chaos. Dans ce genre de circonstances, l'individualisme, l'égoïsme, la lâcheté... ressortent plus forts encore que dans le quotidien ordinaire et chacun est prompt à faire prévaloir son propre intérêt, sa propre survie sur ce qu'en d'autres temps on nomme, avec quelque emphase « l'intérêt général ». Face à ces circonstances exceptionnelles, on fait facilement taire des aspirations auxquelles, en d'autres circonstances peut-être [ou peut-être pas], on aurait prêter une oreille attentive. Après tout l'attention portée à sa propre personne est une cause recevable.

     

    Le personnage ensuite. Aristide de Sousa Mendes, consul de 1° classe du Portugal à Bordeaux campé par Bernard le Coq [décidément omniprésent sur notre petit écran en cette période] est bouleversant de sincérité même si cela, par moment, frise un peu l'angélisme. Il représente son pays, certes dirigé par un dictateur, Salazar, mais neutre au regard du conflit mondial. Du coup, toute la population susceptible d'être exterminée par les nazis [Juifs, républicains espagnols, communistes, réfugiés... Ceux qu'on appelait « les indésirables »], souhaite obtenir un visa pour le Portugal. Devant le consulat de Bordeaux, comme ailleurs en France, on fait la queue pour obtenir ce précieux sésame pour la liberté, pour la vie aussi!

     

    Les sympathies de Salazar pour le nazisme inclinent celui-ci à interdire à sa représentation diplomatique à l'étranger de délivrer ces fameux visas. Le cas de conscience de Mendes de Sousa est simple, au moins dans sa formulation, lui, le chrétien, l'humaniste, mais aussi le haut fonctionnaire, représentant d'un Etat auquel il doit, bien entendu, une obéissance sans réserve, peut-il passer outre la circulaire (circulaire n°14) qui lui enjoint de refuser l'accès de son pays à ces pauvres gens et ainsi de les précipiter dans la mort alors que sa conscience l'oblige à désobéir à des ordres qui ne sont pas certes illégaux, mais immoraux et inhumains? Après tout il est payé pour obéir, pour être loyal... c'est ce que lui rappelle son premier secrétaire [Roger Sousa est convainquant et émouvant dans son rôle de fonctionnaire, fidèle au début, et qui finit par se laisser convaincre par l'humanisme du Consul]. Après tout, il appartient à une grande lignée de l'aristocratie portugaise, il est diplomate, père d'une nombreuse famille aux soins de laquelle il veille jalousement et pourrait faire prévaloir la fidélité à son pays. Il pourrait aussi mettre en sommeil cette morale chrétienne qui lui sert de boussole mais qui, par ailleurs, ne lui provoque aucun état d'âme quand il fréquente une maîtresse qui va lui donner un enfant. Il pourrait parfaitement camper sur cette position assez hypocritement confortable et décider de faire ce à quoi il a dédié sa vie d'agent de l'État et obéir aux ordres sans se poser toutes ces questions que les circonstances font naître.

     

    Ainsi, après une rencontre [peut-être imaginaire] avec un rabbin avec qui il disserte longuement sur le message de paix contenu dans le Talmud et l'Évangile, et après une réflexion personnelle qui fait blanchir prématurément ses cheveux [on imagine ainsi la violente tempête sous ce crâne], il décide pour lui-même, mais aussi pour sa famille [parce qu'après tout il n'engage pas que lui dans cette affaire et on conçoit facilement que Salazar ne restera pas indifférent à cet acte de sédition] d'être en accord avec sa conscience. Pourtant il pouvait légitimement penser que ce dictateur, par l'éducation chrétienne qu'il a reçue, ne pouvait que partager son engagement.

     

    Après avoir délivrer des visas en pleine connaissance de cause, il rentre chez lui , au Portugal, bien décidé à affronter, peut-être un peu trop inconsciemment, la justice de son pays. Il se bat pour faire reconnaître sa bonne foi, rappelle que son attitude ne lui a été inspirée que par l'idéal chrétien dont se recommande aussi Salazar et que, de toute manière, son action était parfaitement conforme à la constitution de son pays. Le dictateur souhaite au contraire que ce procès n'ait qu'un caractère administratif, mettant l'accent sur la seule désobéissance et non pas ce pour quoi il a désobéi. Le jugement rendu prend en compte les aspirations humanistes du Consul et lui est, d'une certaine façon, favorable, mais, c'est oublier que le chef d'un état totalitaire ne peut admettre la désobéissance. Par ordre suprême, Il est donc radié à vie de toute fonction publique, privé de ressources et condamné à une mort à petit feu, lui et sa nombreuse descendance. Il n'est donc plus qu'un fantôme qui attend la mort et qui n'est même pas autorisé, comme il le souhaite, à s'expliquer devant le chef, pour plaider sa cause. Pendant des années il devra supporter des attentes vexatoires dans ces antichambres du palais présidentiel et finira par mourir, abandonné de tous, inconnu, ruiné et oublié. Il faudra attendre le retour laborieux à la démocratie pour que sa mémoire soit réhabilitée. Ce film y contribue heureusement!

     

    Cela n'empêchera pas Salazar, à la fin de la guerre, de se prévaloir de son rôle dans l'accueil des Juifs fuyant le régime nazi, volant ainsi à Mendes de Sousa son engagement humanitaire et chrétien.

     

    Ils furent nombreux ces hommes et ces fonctionnaires, à cette époque notamment, qui ont dû choisir entre ce à quoi les obligeaient leurs fonctions et ce que leur dictait leur cœur et ainsi donner un autre sens à leur « devoir ». Cette chronique [La Feuille Volante n° 323 – Février 2009] s'est fait l'écho de l'hommage rendu à l'un d'entre eux, également oublié de l'histoire décidément un peu trop sélective et parfois même amnésique.

     

    Je trouve plutôt bien que ce soit le Service Public, dont on souhaite apparemment la disparition actuellement, qui soit à l'origine de cette réhabilitation.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SEPT CAVALIERS QUITTERENT LA VILLE AU CREPUSCULE - Jean Raspail

     

    N°229

    Septembre 2000

     

     

    SEPT CAVALIERS QUITTERENT LA VILLE AU CREPUSCULE – Jean Raspail – Editions Robert LAFFONT.

     

     

    Cela commence, l’auteur me le pardonnera sûrement, d’une manière banale « Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule, face au soleil couchant, par la porte de l’ouest qui n’était plus gardée ».

    Et pourtant, cette simple phrase m’a dès l’abord accroché, m’invitant à en savoir davantage et m’a abandonné deux cent pages plus tard à la fois surpris et passionné d’avoir été le témoin de cette chevauchée.

    Dès les premières pages, le décor est planté, un pouvoir vieillissant qui ne tient son autorité que d’un passé révolu. L’auteur la nomme du titre énigmatique de « Margrave héréditaire ». Son ombre plane sur le texte comme plus tard celui de sa fille Myriam après la mort de son père.

    Tout le pays semble désorganisé, ses habitants paraissent avoir fuit un ennemie invisible ou avoir été décimée par quelque mal étrange… Seuls quelques fidèles entourent le souverain. Il fallait donc aller voir la raison de toute cette déchéance. La ville dont ils partent a, comme tout le pays a été prospère, mais il ne reste rien de cette grandeur.

     

    Ce voyage pour le moins étrange conduira la petite troupe vers Sépharée, sorte de poste frontière au nord de cette étendue mal définie, un ailleurs assez indistinct.

     

    Puisqu’il s’agit d’un voyage, il y a donc une géographie, mais cela n’a vraiment qu’une importance secondaire. Elle est nécessairement vaste, presque comme un continent, ravagée par une épidémie inexpliquée ou une invasion dont nous ne devinons les ennemis que presque par hasard.

     

    Des personnages qu’on pourrait appeler « résistants » apparaissent et disparaissent comme des elfes ce qui ajoute à ce textes tourmenté un supplément de mystère

     

    Les personnages que le « Margrave » charge d’aller porter un message dont on se demande si cela a véritablement de l’importance sont aussi énigmatiques que différents.

     

    Il y a là Silve de Pikkenendorf, un colonel-comte major sans armée mais qui commande cette petite troupe, l’évêque Osmond Van Beck, coadjuteur de la ville, sachant à l’occasion manier le pistolet avec vitesse et précision , le lieutenant Richard Trancrède, jeune officier et cavalier fougueux, Le brigadier Vassili, cavalier et homme d’action qui ne connaît pas la peur, Abaï, fin palefrenier et chasseur attentif , le cadet Stanislas Vénier, expert en discipline militaire mais aussi amateur de femmes , le cornette Maxime Bazin du Bourg, artilleur et féru de la poésie de Wilhelm Kostroswitzky , plus connu chez nous sous le nom de Guillaume Apollinaire. Ses vers accompagneront cette armée fantôme. Sa disparition déjà ancienne ajoutera au mystère de cette histoire.

     

    J’ai aimé ce récit conté à travers l’histoire du retard hypothétique d’un train qu’on n’aperçoit qu’à la fin, comme en filigrane, pour rappeler au lecteur qu’il est bien dans un monde où la fiction est reine, mais aussi qu’il n ‘est plus très sûr de ce qu’il vient de lire.

     

    Pourtant, reste le décor, des grands espaces remarquablement évoqués, apocalyptiques parfois et surtout les personnages dont deux seulement atteindront le terme de leur mission. Ils iront soit vers la mort, soit s’arrêteront en chemin , mais au cours de ce voyage initiatique, chacun ira à la rencontre de lui-même.

     

    Telle a donc été ma lecture personnelle de ce livre où la folie à sa place, mêlée à un réalisme parfois criant de vérité et où se mêlent souvenirs et fantasmes.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER

  • VIE SECRETE - Pascal QUIGNARD - Gallimard.

     

    N°344– Juin 2009

    VIE SECRETE – Pascal QUIGNARD – Gallimard.

     

    Pascal Quignard est un écrivain dont j'avais beaucoup entendu parler en termes élogieux. A ce titre, je ne pouvais que m'intéresser à son œuvre.

     

    Comme beaucoup parmi les auteurs dont j'ai ressenti le besoin de parler ici, je dois au hasard d'une bibliothèque publique la rencontre avec ses écrits. Les lecteurs de cette chronique peuvent aisément vérifier ce point.

    Au départ, cela m'a paru un peu déconcertant, le sort ne s'était peut-être pas montré très pertinent! Je ne comprenais pas bien le sens de l'histoire racontée, le style me semblait haché, trop désarticulé parfois, l'érudition de l'universitaire, qu'en d'autre temps il m'est arrivé d'apprécier, s'imposait souvent sans que cela, à mon sens, n'apportât rien à la qualité du récit. Bref, il n'était pas de ces auteurs qui, dès la première ligne, s'emparent de l'intérêt de leur lecteur et ne l'abandonnent qu'à la fin, sans que l'ennui se soit insinué dans ce moment de complicité qui existe entre deux êtres qui ne se connaîtront jamais, mais dont l'un enchante l'autre, dans ce qui sera une relation à jamais secrète. Il était véritablement tout cela, mais, sans que je sache exactement pourquoi, je poursuivais la découverte de cette œuvre, par curiosité sans doute, et bien que je n'ignore rien de sa notoriété, je me demandais à côté de quoi j'avais bien pu passer pour n'être pas entrer dans cet univers. Il était de ces écrivains reconnus dont je continuais, malgré toute ma bonne volonté, à être étranger à sa démarche créatrice. Après tout j'assumais ici ma qualité de simple lecteur.

     

    Le hasard m'a désigné « Vie secrète ». J'y retrouvais ce que j'avais, à tort peut-être, déploré dans les autres ouvrages. Pour le décor, la cote amalfitaine et pour le prétexte, l'amour, les femmes, la passion qu'on éprouvent pour elles. Cela, je pouvais le comprendre et l'admettre. Il y a, certes, la marque de l'universitaire, expliquant les mots, amour en particulier, faisant, comme à chaque fois, montre d'une grande érudition, avec force références à la culture gréco-latine, mais il y a aussi celle de l'expérience, la fascination, sublimées en aphorismes plus ou moins idéalisés, du désir analysé d'une façon peut-être un peu trop intellectuelle, du secret qui doit, selon lui entourer les relations amoureuses...

     

    Pourtant, au fil du récit, tout cela m'a paru un peu trop désexualisé, un peu trop éloigné de l'humain et de la spontanéité. Même la nudité dont il est question et qui est indissociable de l'amour physique me paraît, sous sa plume, être un concept lointain. L'analyse est pertinente, sans doute, travaillée et fouillée, mais je ne suis pas parvenu, encore une fois, à entrer dans sa démarche créatrice. Je suis donc resté à la porte de cet univers, en me disant que j'y demeurerai longtemps encore étranger, et ce d'autant plus que la curiosité qui avait un temps animé ma démarche s'est peu à peu changée en lassitude. En outre, et c'est pour moi important, la lecture de ce texte n'a pas été, ce que j'exige qu'elle soit, un moment de plaisir.

     

    Il reste un sentiment d'inachevé qui me dérange. Il tient probablement beaucoup çà de moi, mais Pascal Quignard reste de ces écrivains que j'ai du mal à comprendre et à apprécier.

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES TABLETTES DE BUIS D'APRONENIA AVITIA - Pascal QUIGNARD

     

    N°343– Juin 2009

    LES TABLETTES DE BUIS D'APRONENIA AVITIA – Pascal QUIGNARD – Gallimard.

     

    Sans trop savoir pourquoi, et bien que l'intérêt n'ait pas vraiment réussi à motiver ma lecture, je poursuis l'exploration de l'œuvre de cet auteur avec un peu de curiosité quand même. Bizarrement elle s'applique davantage aux connaissances érudites de l'auteur qu'à sa démarche littéraire et créatrice elle-même. Ici c'est particulièrement flagrant puisqu'il nous choisit de porter à notre connaissance une somme d'écrits qui n'a rien de littéraire, retrouvés et publiés cependant dans une édition française de 1604, c'est à dire bien longtemps après qu'ils furent rédigés.

     

    Puisqu'il faut bien en passer par là, voilà le thème de ce récit.

    L'auteur commence par une présentation de la vie d'Apronénia. C'est une riche patricienne romaine, née en 343, mariée deux fois, veuve deux fois et qui eut sept enfants qui lui ont survécu. Elle a vécu jusqu'à l'age de 71 ans, est l'auteur de deux sortes de lettres, d'une part les « epistolae » [des lettres] et les « buxi ». Quignard choisit de ne s'intéresser qu'aux buxi qui sont des tablettes de buis sur lesquelles les anciens notaient au jour le jour les événements de leurs vies quotidienne. Apronenia n'en fait pas autre chose et s'en sert elle-même comme une sorte d'éphéméride ou d'agenda sur lequel elle note scrupuleusement ses achats, ses sorties d'argent, son état de santé. En cela, ce n'est pas une œuvre littéraire puisqu'elle se contente de notations personnelles sans aucune connotation créatrice. Nous ne sommes pas non plus en présence du document d'un diariste. Ce n'est même pas une chronique puisqu'elle ne fait aucune mention des événements de son temps puisque l'Empire dans lequel elle vit est en train de s'effondrer sous les coups de barbares et le pouvoir chrétien s'y affirme chaque jour davantage... et pendant que tout se délite autour d'elle, elle confie à ce support qui a plus de chance de passer l'épreuve du temps, son goût pour les richesses [Elle compte souvent les sacs d'or qui semblent constituer les intérêts de son argent], le plaisir qu'elle éprouve à regarder les barques qui flottent sur le Tibre , la vue des esclaves, la consultation des auspices, le nombre de fois qu'elle fait l'amour aux cours de la nuit, un accouchement malheureux...

     

     

    Il s'agit d'une traduction et Quignard est un universitaire érudit. C'est aussi un écrivain heureusement reconnu dont la valeur ne peut être mise en cause. Je m'interroge donc sur la raison pour laquelle il a choisi de commenter des documents si apparemment banals. Je l'imagine mal ne tentant pas de se substituer à cette femme, subtilement bien entendu, en évoquant une capitale de l'Empire en la sublimant. Je remarque qu'aux notes d'Apronénia, si laconiques et bassement quotidiennes se mêlent des écrits à la rédaction plus longue et travaillée où sont évoqués la vie, l'amour, la mort, mais en des termes éminemment plus littéraires. Il y est fait mention des relations entre hommes et femmes, souvent après qu'il ont fait l'amour ensemble [« j'aime le sommeil lourd d'un homme qui a joui »], il y a des allusions au désir, au plaisir, celui que procure le vin, le jeu et aussi et peut-être surtout celui du sexe, l'ennui et la puanteur, tout ce qui fait la vie... Face à cela, il y a l'enthousiasme de l'enfance et le vide et même l'abîme de la vieillesse, le néant de la mort et avec elle l'absence de vie éternelle ainsi que l'enseigne la religion chrétienne qui peu à peu gagne des adeptes.

     

    Il est difficile au lecteur de ne pas voir, derrière l'ombre d'Apronénia, la silhouette de l'auteur lui-même qui heureusement pallie le peu d'intérêt qu'auraient ces annotations anodines.

     

    Je reste, pour ma part, attentif à la démarche créatrice de cet auteur, même si ce que je lis n'emporte pas vraiment un intérêt aussi enthousiaste que ce que mon lecteur a pu constater dans cette chronique à la rencontre de certains autres écrivains.

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Juin 2009.

    Hervé GAUTIER – Juin 2009.

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  • L'ENFANT AU VISAGE COULEUR DE MORT - TERRASSE A ROME - Pascal QUIGNARD .

     

    N°342– Mai 2009

    L'ENFANT AU VISAGE COULEUR DE MORT – Pascal QUIGNARD – Galilée.

     

    C'est une sorte de récit d'un narrateur sans visage et qui évoque des temps reculés...

     

    D'emblée le thème de l'adieu s'impose sous la forme du départ d'un père, une fuite vers l'inconnu, comme une nécessité et avec elle celui de l'attente, de l'espoir d'un hypothétique retour qui se peint sous les traits d'un enfant, une sorte d'adieu à la vie.

    Il est assorti d'un interdit paternel, celui de ne jamais lire de livre, ce qui projette ce enfant dans la solitude d'une haute tour. Bizarrement, ce tabou est transgressé par la complicité de la mère et cet accès à la connaissance répand autour de l'enfant la mort pour tous ceux qui l'approchent parce ses traits ont ce pouvoir mortifère. Cela aggrave sa solitude et il sème le malheur autour de lui.

    L'improbable retour du père, son absence, renvoient au thème de la mort. Celui de l'impossibilité définitive de s 'unir à quelqu'un, à cause sans doute de cette destiné funeste née probablement du l'interdit transgressé.

    La fable se termine avec le thème des couches [de vie?] dont on se défait petit à petit pour accéder à à une autre existence, même si celle-ci débouche, elle-aussi, sur la mort parce qu'elle est le terme inévitable de toute aventure humaine.

    Le visage du fils, transformé par la femme, se change en page d'un livre lumineux et ses yeux se posant sur sa mère la tue également, comme une punition...C'est l'histoire d'une chute définitive!

    Écrivain énigmatique d'un récit qui ne l'est pas moins, ce conte philosophique me semble délivrer un message incertain, en tout cas qui m'échappe.

     

    Pourtant, je continue, sans trop savoir pourquoi, et peut-être sans comprendre, avec ma seule curiosité naturelle, à lire l' œuvre de Pascal Quignard.

     

    TERRASSE A ROME - Pascal QUIGNARD .

     

    Étrange histoire que celle qui nous est contée ici, celle de l'amour contrarié d'un jeune graveur du XVII° siècle, Meaume, qui, victime d'une jalousie, reçoit au visage de l'acide qui le défigure. Ainsi perd-t-il sa belle et doit-il vivre dans l'ombre [« Les hommes désespérés vivent dans les angles »] et dans la fuite, partout en Europe, jusqu'en Italie. Dès lors, seul le souvenir de cette jeune fille demeure dans sa mémoire et devient vite une obsession. Elle va bientôt se résumer à un être immatériel, une image, l'objet d'un désir désormais inassouvi, un rêve.

     

    Avec cette biographie fictive, curieusement hachée dans sa présentation narrative, l'auteur glisse des détails historiques, techniques, des traits d'érudition mais aussi des images érotiques dont il est l'auteur et qui circulent sous le manteau. C'est pour lui l'occasion de parler de la malchance définitive de la laideur, ce qui contraint Meaume à vivre constamment en retrait et même parfois dans l'obscurité. Le chagrin d'amour du début de sa vie, l'impossibilité d'être heureux avec la femme dont il est amoureux, [Bizarrement il doit sa laideur à de l'acide dont il se sert pour exercer son talent de graveur et qui aurait pu lui apporter la fortune et donc l'amour] seront le grand désespoir de la vie de cet homme. Tout se résumerait donc aux apparences qui lui procurent tant de souffrances.

     

    Ce texte non plus ne m'a pas enthousiasmé. Je n'entre décidément pas dans l'univers de cet auteur.

     

    Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • VILLA AMALIA – Pascal QUIGNARD

     

    N°341– Mai 2009

    VILLA AMALIA – Pascal QUIGNARD – Gallimard.

     

    Au début, le titre sonnait bien, cela évoquait pour moi une maison de vacances, le farniente, le soleil, l'océan...

     

    L'histoire commençait bien, elle aussi. Une femme, Anne Hiden (ou Eliane), la cinquantaine, (on l'imagine belle, cultivée), mariée à Thomas, rencontre par hasard, un ami d'enfance, Georges Roehl qui souffre de solitude. Est-ce cette rencontre ou la découverte fortuite de son mari embrassant une autre femme, elle décide de vendre sa maison, ses meubles, de quitter cet homme volage, son travail, d'oublier son passé et, à la suite d'une courte errance destinée surtout à brouiller les pistes, d'aller à la rencontre de l'avenir, en Italie! Elle y tombe amoureuse d'une maison sur la falaise, sur l'île d'Ischia au large de Naples, que Amalia, la propriétaire, accepte de lui louer. Ce n'est qu'un vieille maison de pêcheur, taillée dans la lave du volcan, inhabitée depuis des années, le contraire d'une maison de villégiature. Dans sa quête d'une vie nouvelle, elle tombe un peu amoureuse du médecin, le Docteur Radnitzky, qui l'a soignée pour une mauvaise chute, mais surtout s'attache à sa fille dont elle devient, un peu, une mère de substitution. Las la petite meurt.

     

    Il y a, bien entendu, le thème du hasard qui pèse sur notre vie bien davantage que nous ne voulons l'admettre, celui du changement auquel chaque être aspire mais qu'il redoute. Il y a celui de l'eau, l'océan de Bretagne, l'Yonne de ce petit village énigmatique de Teilly, ou celui de la méditerranée. Il incarne la non-immuabilité des choses, l'envie qu'on a de les faire changer, de changer avec elles, et l'euphorie qu'on ressent à ce saut dans l'inconnu, de la liberté nouvelle qu'il suscite, ce paradis incarné par cette île de la mer Tyrrhénienne . Ses furies destructrices sont aussi un symbole puissant qui n'est pas étranger à ce roman. Changer sa vie au point de ne pas vouloir se retourner, de ne pas pouvoir soi-même se reconnaître, pour expier absurdement une faute qu'on n'a pas commise, parce que l'existence qu'on a eue jusqu'à présent devient soudain sans intérêt. Fuir, pour se prouver qu'on existe, fuir comme on se débarrasse d'une peau devenue soudain vieille et sèche [d'une mue?], parce qu'on a une envie urgente de construire autre chose, parce que l'être qu'on avait choisi et à qui on avait confié sa vie, son amour, s'est soudain, comme une révélation, montré indigne de tout cela, qu'il faut tourner la page d'une manière urgente, parce que la vie n'attend pas et que le temps passe, parce que quelque chose d'autre [une maison] a soudain pris en soi, la place du reste et qu'elle devient le centre du monde.

     

    Le thème de l'enfance retrouvée aussi me parle, celui de la solitude qui persiste malgré les apparences trompeuses. Celui de la mort aussi, et avec elle le chagrin, la douleur et l'absence, le gâchis... Celui de la vieillesse où, plus seul que jamais, on attend la Camarde avec une curiosité mêlée de crainte, se demandant chaque matin si ce jour sera celui du grand saut dans l'inconnu et le néant, avec les regrets, les remords, les souvenirs...

     

    Puis intervient la troisième partie qui m'a intrigué. D'emblée le « je » laisse supposer un narrateur qui tranche (brutalement) sur ce qui précède. En outre, Ann Hidden, qui tout à l'heure, était évoquée à travers son histoire personnelle, se trouve en contact direct avec ce dernier. Puis intervient Juliette qui semble être la compagne du narrateur, le quitte pour vivre avec Ann. Ensemble elles ont une vie de couple amoureux avec, comme en contrejour, la présence épisodique de Léna, puis d'autres, plus fantomatiques comme Amado, Léo, Charles... En plus, il y a le retour de ce père disparu depuis des dizaines d'années et qui choisi de revenir après le décès de la mère d'Ann, des moments fugaces, soulignés par un style épuré, économe en mots, qui évoque les moments-confetti de la vie de cette femme perpétuellement en mouvements, comme s'il ne lui était plus possible, après toutes ces années de certitudes immobiles, de se poser définitivement.

     

    L'histoire m'a intéressé, au moins au début, j'y ai apprécié le thème de la fuite, de la remise en cause des acquis, celui du dépouillement de soi-même qui peut être assimilé à une seconde naissance. En revanche, au fil des pages, malgré quelques descriptions poétiques mais malheureusement trop furtives, malgré aussi l'évocation de la musique, de la naissance de la création artistique, le style haché [qui n'est peut-être pas sans rappeler le thème du dépouillement] s'est révélé, pour moi, ennuyeux, comme une véritable négation du langage , les dialogues bruts, à en être désagréables, parfois trop vagues, parfois trop précis, bizarrement et même inutilement anecdotiques, comme s'il y avait plusieurs moments dans la rédaction, plusieurs mouvements dans le même texte, ont également étouffé l'intérêt du début. Il y a des morceaux de récits, comme jetés au gré des chapitres, que j'ai eu du mal à relier entre eux et qui compliquent la narration sans toutefois l'enrichir.

     

     

     

     

    Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA STRATÉGIE DU BOUFFON - Serge LENTZ- Robert LAFFONT.

     

    N°340– Mai 2009

    LA STRATÉGIE DU BOUFFON – Serge LENTZ- Robert LAFFONT.

     

    Cela pourrait être une histoire banale de celui qui veut réussir à tout prix, ou, à tout le moins, celle de quelqu'un qui est poussé sur ce chemin cahoteux par une mère ambitieuse et riche et qui voit dans son fils l'incarnation de ce qu'elle n'a pas pu faire elle-même. Quoi d'étonnant puisque nous sommes au Moyen-Age, que l'ascension sociale est réservée aux hommes et que pour la réaliser quand on n'est pas d'un haute noblesse, il vaut mieux en passer par l'Église! Nicolas d'Ausone, jeune fils de Marguerite, qui a aussi hérité de sa mère une ambition démesurée, va, bien entendu, marcher dans le jeu maternel, d'autant que notre homme est fort beau, fort brillant, fort débauché, ce qui n'est pas incompatible, surtout à l'époque, pour un homme d'église, et peu regardant sur la manière de parvenir à ses fins. Autant dire machiavélique! Tout cela n'est cependant pas très catholique mais cela lui réussit assez bien puisque le voilà évêque... à l'âge de 23 ans, mais « in partibus infédilium », c'est à dire sans diocèse! Il voit déjà pour lui la pourpre cardinalice et pourquoi pas le trône de Saint Pierre! Las, pour avoir voulu trop vite arriver au sommet, il commet une erreur et choisit de parier sur le mauvais cardinal lors du conclave de 1458. Cette erreur de jugement va lui valoir la réclusion dans un monastère, au milieu de nulle part, dans un coin désolé des Cévennes que sa qualité de SDF [comprenez, « sans diocèse fixe »] le désigne naturellement pour convertir le petit peuple qui en a bien besoin, mais où ni le luxe ni la luxure qu'il affectionne tant n'ont droit de cité. Pour sortir de cette disgrâce et revenir en cour, c'est à dire à Rome, il lui faudra déployer des trésors d'une « stratégie » où le mensonge, la trahison et l'hypocrisie tiennent le haut du pavé. Bouffon, il l'était déjà, à sa manière, mais pour sortir de ce mauvais pas où le destin l'a mené, il va se retrouver dans la situation du funambule de foire, en équilibre sur un fil au-dessus du vide avec le risque de tomber, c'est à dire d'être moqué, mais aussi avec l'opportunité de rebondir, c'est à dire de recommencer en remportant les acclamations de la foule.

     

    A force d'attente, d'expérience et aussi de modération qu'impose l'âge, il finira par retourner la situation en sa faveur et parvenir enfin au but que lui avait fixé sa mère. Rome qui s'était refusée à lui vingt ans plus tôt finit par s'ouvrir à ses desseins!

     

    Il fait, heureusement, la rencontre de deux personnages qui vont l'accompagner, Jean Muret, son serviteur, qui le suit comme son ombre, il est une sorte de témoin privilégié et attentif de ce parcours, un commentateur avisé mais qui sait également faire son chemin, et Marin, pour le moment revêtu de la robe de moine, un peu soldat, un peu médecin cependant, rablaisien assurément, ami de tous les plaisirs terrestres, généreux et charitable, doté d'une belle voix et de beaucoup de charisme qui, tout en gardant son franc-parler et sa vraie personnalité, finira par servir, un peu malgré lui, les ambitions de Nicolas. Ensemble ils pratiquent le jeu d'échecs, ce qui est révélateur de leurs relations!

     

    Ce livre expose des idées contradictoires sur Dieu, celle traditionnelle d'une divinité vengeresse, lointaine et tyrannique qu'on ne sert que dans la crainte, incarnée par la règle des moines de la vallée Borgne et la hiérarchie catholique et celle plus festive et attractive, basée sur la joie de vivre, représentée par Marin. La sainte Église ne sort pas grandie de ce livre.

    Il illustre aussi cette malheureuse idée qu'ont les hommes de vouloir à toutes forces « réussir » dans cette vie, comme si cela était indispensable, et pour cela, sont capables de toutes les vilénies.

     

    Nous connaissons tous le Moyen-Age pour avoir été le théâtre de troubles dont l'Église, quoique que catholique et porteuse de valeurs généreuses, hautement affirmées par ses soins, n'en a pas moins suscité hérésies, schismes, commerce des indulgences, affres de l'inquisition... et volonté de domination sur le peuple! Puissance plus temporelle que jamais, le Vatican suscitait des ambitions humaines qui, pour être satisfaites, entraînaient trahisons et magouilles ce qui n'est pas sans évoquer une constante de la triste condition humaine, rappeler également toutes les époques et rendre donc ce livre très actuel.

     

     

    J'aime bien l'écriture quand elle est fluide et pertinente, comme c'est le cas ici. J'apprécie aussi quand le style est humoristique, voire impertinent, les personnages truculents et l'intrigue pleine de rebondissements picaresques. Tout cela tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin!

     

    Je ne connaissais pas Serge Lentz avant que le hasard ne me mette en contact avec ce roman. Je n'ai pas été déçu!

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • OÙ EN ÉTAIS-JE ? - Philippe BEAUSSANT

     

    N°339– Mai 2009

    OÙ EN ÉTAIS-JE ? – Philippe BEAUSSANT - FAYARD.

     

    Quand on fait la présentation d'un roman, il est d'usage d'en dévoiler [un peu] l'intrigue. Ici ce n'est pas facile puisqu'il l'y en a pas, enfin presque.

     

    L'auteur raconte certes une histoire, regarde par sa fenêtre, dit ce qu'il voit, écoute son imagination et laisse aller sa main sur la feuille blanche. C'est pour lui l'occasion de prendre son lecteur à témoin pour lui expliquer sa démarche d'écriture, le départ de l'inspiration qu'il faut écouter et qui intervient quand on s'y attend le moins, comment tout cela naît, si cela se fait tout seul ou non [« Voilà, cher lecteur, comment peut naître un roman, une phrase suffit »], le plaisir qu'il éprouve à cet exercice, avec le choix gourmand qu'il fait des mots, justes et sonnant bien, de l'architecture des phrases, pour que le témoin des scènes rapportées les voit et devienne au moins un spectateur et peut-être son complice, parce que notre langue française est belle et qu'il faut l'utiliser correctement... Il indique que tout cela n'est pas quelque chose de facile, qu'écrire c'est un peu se soumettre à cette dictature des mots [qu'on ne s'y trompe pas, il est bien ce « tâcheron de la plume »], parce qu'il faut être disponible, attentif à tout, capable de se laisser entraîner dans d'improbables contrées à l'invite de son imagination.

     

    Il rend compte de ce qu'il voit, les lieux et les personnages, les sensations, mais aussitôt, sa culture, son érudition prennent en quelque sorte, le relais malgré lui, lui soufflent d'autres situations, d'autres figures venues d'autres romans ou de tableaux. Alors, puisqu'il a décidé de se laisser embarqué dans une folle équipée, il mélange tout, les paysages, les époques, et convie le lecteur dans sa démarche intime, et un geste banal devient aussitôt un invitation au voyage dans le temps, dans l'espace!

     

    Les hommes et les femmes du quotidien, ceux qu'il voit de cette fenêtre, qui ont les deux pieds sur cette terre d'aujourd'hui, et même parfois dedans, qui s'agitent et qui parlent à leur manière, il les transposent sous Louis XIV, invente des dialogues précieux, une transaction un peu surréaliste, une histoire de fontaine et de roi qui veut, seul, en boire l'eau, y glisse les fantasmes que peut susciter une jolie voisine ou se fait le témoin privilégié de la tournée journalière de la boulangère ou de l'arrivée, plus impromptue et fugace, de l'héritier d'un immeuble vacant depuis longtemps... Bref, il met tout ce petit monde en scène, en perspective, comme on dit, il lui insuffle la vie, lui prête des sentiments, des défauts, des qualités ou plus exactement le laisse vivre, former des projets, parce que, maintenant, tous sont autonomes et échappent complètement à leur créateur qui se contente de les regarder... M. Mitard, M. Boussard, Mlle Leroux, habitants de ce petit village, deviennent des acteurs de cette fiction intime qui est partie d'un écrivain qui voudrait bien qu'on le laisse tranquille quand il se met au travail, qui est assis face à sa fenêtre, devant sa feuille blanche, dans ce petit village de nulle part, avec devant lui quatre maisons et , plus loin, la route de Provins, de Château-Thierry...

     

    Alors oui, parfois il y revient dans ce décor, fait un peu le point, comme lorsqu'on sort d'un rêve et qu'on tente de faire la part de la réalité et du songe et qu'il se demande si tout cela est vrai. Mais c'est qu'il n'est plus seul comme devant sa feuille, il a avec lui son lecteur, parce que, bien sûr ce dernier, même s'il a été un peu décontenancé au départ, est devenu au fil des pages le témoin attentif de tout cela et s'est engagé dans ce voyage. Parfois, cette pause entraine l'auteur plus loin qu'il n'aurait voulu et un visage de femme croisé au hasard de la vie est à nouveau l'invite d'une création, parce que les yeux des femmes ont ce pouvoir de faire rêver. Les choses sont bien plus complexe, et cette Justine qu'il avait seulement imaginée, cette femme immatérielle, peut soudain prendre corps et exister réellement, devenir Claire!

     

    Mais l'histoire déraille, [fiction ou réalité?] et il n'est plus question de ratiocinations sur l'écriture, sur l'architecture des phrases, le choix des mots, quand l'ordre immuable des choses qu'on avait imaginé est bouleversé et qu'on a le sentiment confus d'avoir tout deviné avant les autres.

     

    L'écriture, ce n'est pas une sinécure mais on peut même dire que c'est une alchimie, et la question vaut bien d'être posée, au moins par l'auteur « Un romancier, est-ce qu'il invente ou est-ce qu'il raconte ? ».

     

    Alors le lecteur attentif et complice peut, lui aussi, dire avec l'auteur« Où en étais-je? ».

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN NOM DE TORERO - Luis SEPULVEDA

     

    N°338– Mai 2009

    UN NOM DE TORERO – Luis SEPULVEDA– Éditions MėtaIlliė. - Traduit de l'espagnol par François Maspero.

     

     

    Nous le savons, le domaine du romancier c'est la fiction. Drôle de nom pour caractériser un récit, une histoire qui est racontée au lecteur, avec un début, un développement et une fin où s'entremêle réalité et imaginaire , où les personnages existent et croisent dans un décor dû au seul pouvoir de l'auteur, mais qui, parfois, se laisse déborder par la vie qu'il leur insuffle. Le milieu de prédilection de Sepulveda, c'est le voyage et le monde qui lui offre sa vaste étendue, mais c'est aussi l'histoire immédiate de l'humanité qui se confond avec sa propre expérience, ses propres pérégrinations, ses désillusions aussi...

     

    L'histoire donc. Elle met en scène deux hommes, Juan Belmonte, ancien guérillero de toutes les guerres perdues d'Amérique Latine et Frank Galinsky, ex membre de la Stasi qui sont engagés par des parties adverses pour retrouver un mystérieux trésor composé de 63 pièces d'or appartenant à la collection du « Croissant de Lune Errant » originellement dérobé par les SS. L'histoire a pesé sur ces deux hommes qui ont dû revenir sur leur idéaux politiques et qui, pour mener à bien leur mission doivent se livrer à un duel sanglant en Patagonie. Belmonte, qui porte un nom de torero, le même que celui d'Hemingway, est mandaté par « la Lloyde Hanséatique » qui a sur lui un moyen de pression idéal : soit il mène à bien sa mission, soit il perd Véronica, sa seule raison de vivre, brisée par la torture.

     

    Comme son titre ne l'indique pas, il s'agit d'un roman noir [le couleur de la couverture le laissait cependant penser], un véritable duel sanglant sur fond de désillusions, mais de désillusion politiques, celle de la démocratie chilienne assassinée par Pinochet, celle des idéaux communistes trahis par Staline, celle aussi des espoirs déçus de la réunification allemande.

     

    Il y a le personnage de Véronica, absent, muet, autiste, mais incroyablement présent, une sorte d'obsession de la mort, de la souffrance, de la nuit dans lequel elle survit, de l'exil, du mal de ce pays envoûtant qu'est la Patagonie, comme il le dit, la Terre de Feu est un pays de légendes, de trésors cachés. Il est fascinant par son climat, ses paysages, sa solitude. Il y a aussi la figure de Belmonte, perdant définitif dans cette société où il ne se reconnaît plus, qui a manifestement évolué sans lui et qui le laisse, lui, au bord du chemin sans possibilité de lui tendre une main secourable. C'est un roman de la réconciliation impossible d'un homme avec son pays qui veut surtout oublier ce qui fut la dictature de Pinochet, le roman d'un éternel exilé, un roman d'amour aussi...

     

     

    Sepulveda fait ici un travail de remise en cause personnel, de confidences faites à son lecteur. Il est un fameux conteur dont cette chronique n'a pas manqué de célébrer le talent. J'y ai dit le plaisir que j'ai éprouvé à la lecture de certains de ses romans. Ici, j'ai retrouvé tout ce qui fait l'intérêt traditionnel que suscite d'ordinaire ses récits. Cependant, et je ne saurais dire pourquoi, j'ai moins accroché à ce roman, et je me suis un peu forcé à lire jusqu'à la fin, parce que c'est lui!

     

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES FRÈRES ROMANCE - Jean COLOMBIER

     

     

     

    Juin 1991

    n° 65

     

    LES FRÈRES ROMANCE – Jean COLOMBIER - Éditions Calman-Lévy.

     

    Tout commence par un défi ridicule, une course de poids lourds sur une nationale pour prouver, ou se prouver, qu'on est le plus fort... Les choses s'enchaînent, s'aggravent, comme une sorte de vendetta au terme de laquelle il faut monter qu'on est un homme simplement parce qu'on ne laisse pas un affront impuni. Ce qui n'était qu'un jeu devient un drame, la justice s'en mêle, avec, au bout du compte, le tribunal et la prison à cause d'un mauvais coup.

     

    Je dois dire que je n'ai pas, dès l'abord, accroché à ce texte qui pourtant ne ménageait pas les descriptions poétiques et évocatrices d'un terroir agréable. Pourtant, les personnages se sont imposés peu à peu... Les deux frères Romance, qu'on disait inséparables, et qui n'avaient l'un pour l'autre aucun secret, malgré leur différence d'âge, sont une manière de jumeaux dont la complicité est exacerbée par la disparition précoce de leurs parents. L'aîné, Alain, après avoir espéré autre chose, se retrouve marié et transporteur chez son beau-père. Sa femme qui ne fait partie de sa vie que d'une manière épisodique, attend une maternité qui ne vient pas. Julien, élevé par Clairon, leur grand-père, c'est celui qui a réussi et dont l'avenir est plein de promesses, une brillante carrière d'ingénieur... C'est pourtant lui que la justice condamne pour avoir voulu venger son frère aîné, cet Alain, dont la lâcheté éclate un soir sur un parking, entre routiers.

     

    L'incarcération de Julien sera, pendant dix huit mois, avec la complicité de tout un village du Limousin, cachée à Clairon, qui n'aurait pas supportée cette épreuve. Un hypothétique stage aux États-Unis servira d'alibi... Et pourtant, la complicité qu'on suppose entre les deux frères, se dégrade, se lézarde, avec l'apparition de Louise, l'amie inconnue de Julien qui, bien entendu, finit par devenir la maîtresse d'Alain, autre lâcheté, d'autant plus grande de cette liaison se déroule pendant l'incarcération du frère. Elle creuse encore plus profondément le fossé qui sépare les deux hommes.

     

    Ce roman m'apparaît être celui de la trahison où chacun rencontre son propre personnage, celui qui sommeille en lui et contre qui il n'a pas envie de se battre. Alain révèle la solitude du routier, une solitude qu'il redoute, mais dans laquelle il se complaît, parce qu'il avait vu sa vie autrement et que celle-ci l'entraîne dans une décision presque maladive autant que dans un tourbillon dans lequel il se sent mal. Il finit par s'y couler comme dans une peau trop étroite. Au tribunal, le témoignage d'Alain aurait pu sauver son frère, mais il garde le silence sur l'humiliation qu'il a subie et que Julien a voulu venger. Le silence puisé soit dans l'ignorance de la vérité, soit dans la volonté de ne pas révéler les faits tels qu'ils se sont passés restera pesant jusqu'à la fin.

     

    La vie d'Alain est peuplée de fantasmes qu'il cherche à apprivoiser par la fréquentation de la mort, comme si les absoutes qu'il recherche pouvaient remplacer celle de ses parents trop tôt disparus. Cette idée de la mort est trop présente pour ne pas éclater à la fin, dans le fracas d'un accident et la dislocation du corps de Louise... Un suicide libérateur. La vie continuera, mais ce drame ne pourra être happé par l'oubli.

     

    J'ai lu dans ce livre une étude de caractères fort bien menée, surtout celui d'Alain qui aurait pu jouer le rôle du père pour son frère mais que les évènements révèlent comme quelqu'un qui fuit les responsabilités, celui qui trahit et qui se retrouve seul... à cause de lui. Il ne suffit pas de dominer la route du haut d'un " quarante tonnes " pour être maître de sa vie. On ne peut être longtemps son propre illusionniste.

     

    Je l'ai dit, je n'ai pas, d'emblée, été conquis par ce texte. J'ai continué cependant, peut-être conduit dans ma lecture par le fil ténu de l'intérêt. Je n'ai pas été déçu.

     

    © Hervé GAUTIER.- Juin 1991.

  • ALABAMA SONG - Gilles LEROY

     

    N°337– Avril 2009

    ALABAMA SONG – Gilles LEROY– Mercure de France. [Prix Goncourt 2007]

     

     

    Scott Filtzgerald est un écrivain que je n'aime pas ou plus exactement dans l'univers littéraire de qui je ne suis jamais parvenu à entrer.

     

    Pour autant ici, il s'agit de Zelda, son épouse dont l'auteur nous offre une biographie tout en nous avertissant qu'il s'agit d'une fiction. On s'y perd un peu, d'autant que pour ceux qui connaissent le parcours de l'écrivain américain et de son épouse, les similitudes biographiques sont troublantes, je dirai qu'il n'y a même que cela. Entendons-nous bien, cela ne me gêne pas, c'est même plutôt bien trouvé et bien rendu. Ces deux êtres que tout oppose, ces improbables adolescents en réaction contre leur milieu qui se rencontrent, finissent par s'aimer, par se marier, par écrire [surtout lui], par connaître le succès puis la déchéance et l'oubli, c'est bien eux, même s'il leur est prêté des sentiments, des amours et des situations qui, pour être possibles n'en sont pas moins l'objet de supputations. L'auteur se glisse dans la peau de Zelda,au point de rédiger le texte à la première personne, la fait parler et confier au lecteur ses joies, ses peines, ses angoisses et notamment celle d'être phagocytée par un mari contre qui elle doit lutter...Nous sommes là dans le domaine de la création, inspirée par des faits réels et ce n'est quand même pas moi qui vais trouver à redire. C'est d'ailleurs un thème original qui mérite bien qu'on s'y attarde et qui est de nature à être le prétexte d'une réflexion. D'autre part, évoquer ces deux vies marquées par le sceau de la démesure, de l'excès, de l'autodestruction, c'était plutôt un bon sujet!

    Que Zelda ait été la source d'inspiration de Scott, son pigmalion mais aussi que leur couple ait connu l'amour, la haine la déchéance, c'est là le parcours véridique d'un créateur et de son épouse qui faisaient ensemble plus qu'un ménage traditionnel que les parents de cette femme auraient sans doute rêvé pour leur fille.

    Qu'elle ait trouvé la mort dans un incendie accidentel, c'est à dire de la manière (un peu différente quand même) dont on éliminait les sorcières, les folles, les rebelles, c'est plutôt une fin à sa mesure et qui lui ressemble. Que l'auteur puisse dire d'elle qu'elle ne pouvait périr dans les flammes parce qu'elle était une salamandre : c'est magique et c'est même d'une certaine manière un hommage, qu'il suppose qu'elle ait été assommée par les médicaments et que, donc, elle n'ait pas été consciente et que le sommeil l'ait fait passer directement de la léthargie à la mort, pourquoi pas?.

    Qu'elle ressemblât à ces ciels d'Alabama, orageux, impétueux, diluviens, porteurs de mort aussi, puis ensuite bleus d'azur, cela c'était bien elle. Que ce récit emprunte son titre à une chanson des Doors est plutôt bienvenu... à cause des paroles.

     

    Pourtant, il y a quelque chose qui me gêne dans ce récit que j'ai pourtant lu avec gourmandise et attention, quelque chose qui tient sans doute à la façon peu conventionnelle dont le texte est écrit. Il est peu convenu et volontairement provocateur, ce qui n'est pas pour me déplaire. Ce n'est pas non plus les allers et retours dans le temps qui tressent petit à petit une atmosphère un peu malsaine en tout cas tout à fait propice à cette ambiance qui a baigné cette union pendant toute sa durée. Ce n'est pas non plus ce dernier chapitre plus actuel où l'auteur apparaît peut-être en filigranes, peut-être à contre-jour. Il y est question de cette impossibilité d'écrire parce que l'autre, l'amant, l'interdit. Cette lutte, c'est un peu celle de Zelda contre Scott?

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Avril 2009.

    Hervé GAUTIER – Avril 2009.

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  • LE MONDE DU BOUT DU MONDE - Luis SEPULVEDA

     

    N°336– Avril 2009

    LE MONDE DU BOUT DU MONDE – Luis SEPULVEDA– Métailié.

    (Traduit de l'espagnol par François Maspero)

     

     

    Dans ce récit se mêlent des bribes d'enfance d'un garçon de 16 ans qui vient passer ses vacances d'été à bord d'un baleinier des les eaux désolées des canaux de Patagonie parce qu'il a lu « Moby Dick » mais aussi les romans de Francisco Coloane, et le combat écologique en faveur des baleines de ce même garçon qui, ayant grandi, s'engage au côté de « Greenpeace » contre la pêche industrielle japonaise d'un bateau-usine dont on cherche à cacher l'existence et l'activité, et le soutient de ceux qui ont choisi de mener ce combat..

    C'est donc un roman militant qui veut porter témoignage.

     

    Comme à son habitude, l'auteur se livre à l'évocation de personnages hauts en couleurs comme le capitaine Nielssen, sculpté par l'aventure et la vie en mer, fils d'un marin danois et d'une indienne Ona, qui veut finir sa vie ici, malgré le climat rude, dans ce décor sauvage « parce que ces milliers d'îles, d'îlots et de rochers sont ce qu'il y a de plus proche du moment de la création ». C'est l'occasion pour lui de dénoncer aussi l'extermination par les Chiliens des minorités indiennes qui peuplaient originellement ce pays devenu terre d'émigration.

    Il rappelle le génocide oublié de ces peuples de la mer maintenant disparus, la déforestation de la Cordillère, les ravages des Japonais, la corruption des militaires au pouvoir au Chili qui ont encouragé et fait perdurer cette œuvre de destruction, les trafics en tous genres et l'absence de contrôles et de sanctions qui qui favorisent cette politique... Il rompt le silence sur la surexploitation de la mer dans ces contrées, le massacre aveugle de la faune par les Japonais mais également à l'époque (nous sommes en 1984) par les États-Unis, la Russie et l'Europe.

     

    C'est aussi un texte qui évoque ces vaisseaux-fantômes qui font partie de la mythologie nationale, qui décrit les paysages grandioses du sud du Chili où les récifs écorchent la mer et les tempêtes sèment la mort, ces récits de piraterie où la légende se mêle à l'histoire, cette fable (mais en est-ce une vraiment) ou les baleines et les dauphins se défendent eux-mêmes contre les pêcheurs criminels venus les exterminer.

     

    Je ne sais pas pourquoi mais, malgré les images et les évocations poétiques qui émaillent ce livre, ce qui est aussi un manifeste écologique m'a moins plu que ceux que j'ai déjà lus.

     

     

     

     

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    Hervé GAUTIER – Avril 2009.

    Hervé GAUTIER – Avril 2009.

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  • LE NEVEU D'AMERIQUE - Luis SEPULVEDA- Métailié.

     

    N°335– Avril 2009

    LE NEVEU D'AMERIQUE – Luis SEPULVEDA– Métailié.

    (Traduit de l'espagnol par François Gaudry)

     

     

    Cela commence par un geste iconoclaste, où l'anticléricalisme le dispute à l'anarchisme, d'un petit garçon qui, à l'invite de son grand-père, va pisser sur la porte d'une église de Santiago, tout aussitôt suivi, à propos d'un livre à lire, par une promesse de voyage, à un grand voyage, celui d'aller dans un village d'Andalousie d'où est originaire sa famille et peut-être aussi d'en faire un qui ne mènera nulle part! Nulle part, oui, peut-être mais avec pas mal d'étapes dont le point de départ obligé se situe dans un pays, le Chili, qui a accueilli jadis sa parentèle comme des émigrants, mais qui maintenant le rejette à cause de Pinochet , de ses exactions, de ses exécutions...

     

    Dans ce récit autobiographique, l'auteur entraine son lecteur dans un périple picaresque qui le conduira des geôles chiliennes à la Terre de Feu, à travers toute l'Amérique Latine, dans un itinéraire compliqué, hésitant et en pointillés qui ressemble à une fuite, un exil, une quête de quelque chose d'indistinct. Son but initial, c'est la liberté, mais pour lui, les détours se multiplient, l'entrainent toujours plus loin, mais c'est pour revenir sur cette terre sud américaine qui est la sienne. C'est aussi un parcours initiatique de l'aventure d'un infatigable voyageur à qui il arrive les choses les plus incroyables depuis l'atmosphère fétide des prisons jusqu'aux paysages grandioses de la Patagonie en passant par des projets avortés où la bonne fortune n'a d'égal que le refus de se fixer définitivement, où la volonté de bouger s'apparente vraiment à la conjugaison du verbe « partir. ».. à tous les temps!

    C'est pour lui l'occasion de rencontres d'exception d'hommes et de femmes que seul le voyage permet de croiser, des gens qui vivent leur vie sans entraves, des gens au grand cœur, insoumis, anarchistes qui ont en commun ce goût de la liberté et le refus d'obéir à l'ordre établi, une certaine attirance pour le bonheur, quel que soit le prix qu'il faut payer pour cela «  Sur cette terre nous mentons pour être heureux. Mais personne ici ne confond mensonge et duperie »; C'est toute une galerie de portraits qui défile devant nous.

    Et l'écrivain n'est jamais très loin qui, mêlant légende et réalité, fait la chronique de tout cela, autant pour en conserver la mémoire intime que pour, grâce à son imagination autant qu'à son souvenir, enthousiasmer son lecteur ainsi transformé en passager clandestin, caché entre les pages du livre, témoin silencieux de ce parcours .

     

    Il n'oublie pas de nous faire partager la beauté de ces paysages grandioses des terres australes auxquels répond ce village andalous écrasé de soleil où il a ses racines lointaines et qui est le terme de cette pérégrination, le respect de cette promesse qui, en quelque sorte, le fait revenir « au point de départ du long voyage entrepris par (son) grand-père », lui, « le neveu d'Amérique » qui ainsi est revenu.

     

    Le style est humoristique et alerte, captivant, comme bien souvent celui des écrivains sud-américains, et Sepulveda, en merveilleux conteur, entraine son lecteur presque malgré lui dans le sillage dépaysant de ces contrées autant que dans les méandres de ses aventures d'éternel nomade.

     

     

     

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    Hervé GAUTIER – Avril 2009.http://hervegautier.e-monsite.com 

  • RENDEZ-VOUS D'AMOUR DANS UN PAYS EN GUERRE - Luis SEPULVEDA

     

    N°334– Avril 2009

    RENDEZ-VOUS D'AMOUR DANS UN PAYS EN GUERRE – Luis SEPULVEDA– Métailié.

    (Traduit de l'espagnol par François Gaudry)

     

    Je ne dirai jamais assez l'attachement que j'ai pour les écrivains sud-américains, d'expression espagnole en particulier, et, en général, pour l'atmosphère d'exception que tissent les nouvelles.

     

    J'ai aussi plaisir à célébrer le 29° anniversaire de cette revue en compagnie d' un écrivain d'exception.

     

    Ici, Luis Sepulveda, dont cette chronique a déjà mentionné l'œuvre, revient avec un recueil de 27 nouvelles où le style est fluide, précis, simple, poétique, érotique aussi parfois et où l'auteur s'attache son lecteur jusqu'à la fin.

     

    Il y est question de ces rendez-vous manqués qu'on a, au cours de sa propre vie, avec soi-même, avec les autres, avec l'amour, l'amitié, avec le temps... Ce sont autant d'actes manqués, de situations qu'on regrette amèrement plus tard mais pour lesquelles on n'est pas forcément pour quelque chose, des moments où la malchance nous accable ou nous paralyse, bloque en nous des mots qu'on n'ose pas dire, de gestes pourtant simples que la timidité nous interdit de faire, qui compromettent à jamais notre vie, la recouvrent de ces remords dont on ne peut se débarrasser et qu'on traine toute son existence.

     

    Que ce soit ces femmes qu'on n'a pas pu aimer, qui nous ont échappé, ces paysages de bout du monde comme seule la Terre de feu en offre, ces fantasmes d'une enfance qui s'en va sans retour, ces peines jamais éteintes, ces envies jamais vraiment assouvies, le mystères des autres, celui qu'ils ont ou celui qu'on leur prête, leur charme, leur charisme, tout cela laisse des traces indélébiles dans notre âme, avec, en plus une cicatrice invisible, intime mais bien réelle, que nous sommes seuls à connaître et qui nous torturent. Il y a aussi ces moments anodins d'une vie, sublimés par l'écriture, ces petites parcelles d'existence qui, sans elle, s'évanouiraient dans l'oubli, des instants d'une conscience ou d'une absence que le quotidien, la routine et l'usure des jours rendraient transparentes, ces souvenirs qui vous reviennent en pleine figure à propos de rien et qui soulignent nos renoncements, nos compromissions parfois, ce hasard néfaste qui s'attache à nos pas et qui fait de nous, sans que nous y puissions rien, une victime expiatoire de quelque chose que nous ne maitrisons pas, parce que d'autres êtres se sont insinués dans notre vie, s'y sont installés et pèsent de tout leur poids sur notre destin, cette envie légitime que tout cela change dans un autre sens, que cesse cette chape d'incompréhension, de mystères qui nous étreignent et qui finissent par faire de notre vie quelque chose d'insupportable au point que nous ne pouvons plus nous débarrasser de nos obsessions, de nos phobies, de nos paris fous sur l'avenir immédiat. Ce sont bien ces mots dérisoires qui résument notre histoire, notre cheminement sur cette terre, nos souvenirs, nos repentirs impossibles, tous ces non-dits, ces qui pro quo, des possibles devenus maintenant impossibles... Notre histoire personnelle, que l'Histoire ignore parce que nous ne sommes pour elle que des numéros et des êtres sans importance, fait foi de ce parcours qui n'est bien souvent pas sans faute, nous, nous le savons! C'est aussi ces amours chimériques ou usés durablement par le quotidien et qui n'auront jamais plus le lustre d'antan, à jamais enfouis, détruits, parce qu'il n'y a plus rien à dire, plus rien à faire, bref qu'on n'est plus rien et qu'on n'est plus bons qu'à attendre la mort, parce qu'elle, au moins, elle voudra bien de nous, ces amours si improbables que seul la fuite est la solution et avec elle l'oubli, la quête des ombres qui envahissent notre inconscient, ces amours qui nous font croire à nous-mêmes que nous sommes uniques et exceptionnels, ces amours qui nous tombent dessus sans crier gare à cause d'un simple regard, ces amours qui se font urgentes quand la mort rode, que la vie se fait avare de son temps ou fréquente un peu trop le danger, l'indifférence, le dégoût de soi-même, et que l'ennui de l'autre devient soudain insoutenable et qu'on a envie d'autre chose.

     

    Les choses changent pour chacun, d'entre nous, génèrent l'exil, le bonheur ou quelque chose d'indicible que parfois nous ne voulons ni voir ni exprimer parce que ainsi cela perdrait de sa substance et peut-être nous détruirait, ferait renaître en nous le désespoir et nous obligerait à vivre avec l'absence de quelqu'un ou de quelque chose.

     

    Parfois pourtant, on entraperçoit, l'espace d'une fraction de seconde, le bien fondé de cette existence qui est autre chose que la somme des jours sans joie qui constituent notre quotidien, et on admet que tout cela justifie cette attente parfois angoissée et paie largement nos désespérances.

     

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER

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  • LE CHIEN TCHECHENE - Michel MAISONNEUVE- Gaïa.

     

    N°333– Avril 2009

    LE CHIEN TCHECHENE – Michel MAISONNEUVE– Gaïa.

     

    D'emblée le style m'a paru déconcertant, pas vraiment ce à quoi je m'attendais! Après tout un polar, c'est un polar, me suis-je dit, alors allons-y! Il m'est apparu que ce n'était pas vraiment mal écrit, pas vraiment bien non plus malgré les aphorismes poétiques d'Omar Khayyâm, de Lao-Tseu ou de Georges Brassens, mais pas non plus vraiment passionnant! Il est vrai que j'attache beaucoup d'importance à l'écriture. Je n'y peux rien. C'est comme cela. Là, j'ai été déçu. Le style est franchement celui du polar et cela me dérange un peu. Cela crée une atmosphère pas vraiment dérangeante, un peu curieuse et qui m'a déplu. Je sais que chaque livre est un monde à part, mais celui-là ne m'a pas enthousiasmé. Même les formules qui se veulent caractéristiques et peut-être percutantes ou humoristiques ne m'ont pas emballé.

     

    L'histoire ensuite. Elle m'a paru un peu compliquée. Cela commence par les obsèques, à Marseille, d'une veille dame suivies par seulement trois personnes dont son chien. Mémé Oumaraq est morte assassinée après une séance de torture, et son appartement a été mis à sac, alors qu'elle ne possède rien. Ce n'est donc pas un crime crapuleux, mais peut-être pas un acte gratuit non plus! Puis d'autres personnages un peu bizarres, Dachi El Ahmed, son voisin féru de poésie persane, enseignant et médiateur des cités, Nestor Patipoulos, veuf et ancien ébéniste et son histoire d'urne mortuaire contenant les cendre de son épouse, sa fille Léda, rousse et attirante, puis d'autres encore comme Hocine, petit caïd de banlieue, toujours friand d'un mauvais coup, très sourcilleux sur la question de son territoire, ou d'anciens malfrats de la pègre, l'Apache, en réalité Raoul Babinetti devenu « nuage d'acier », ancien truand, qui vit dans un tipi planté sur un toit en terrasse, mais n'oublit pas son ancien état et le P 38 qui va avec. Il est bien entendu frère de sang de Dachi puisque c'est un indien ou qu'il se considère comme tel, des alcoolos et une intellectuelle... Et en filigranes une BMW grise en embuscade avec des Russes comme passagers qui poursuivent Dachi, Nestor et le chien, une histoire de plan du Caucase, de carte postale rédigée en tchétchène et, au loin, une guerre un peu oubliée, là-bas en Tchétchénie.

    Tout y est pourtant dans ce décor marseillais, les cartes, l'anisette, le vieux port, les truands, les cités...

     

    Reste l'énigme du chien, Hassan, un beagle, cadeau du fils de la vielle dame assassinée, un fils, combattant là-bas, qui portait le même nom que le chien, une énigme à lui tout seul, le moteur de toute cette histoire. Il est tchétchène comme la vielle dame et son fils, tatoué et possède une puce, entendez une puce électronique sous la peau, ce qui sera la source de toute cette intrigue.

     

    J'ai eu l'impression que l'auteur souhaitait entrainer son lecteur dans une galerie de portraits, dans des rencontres rocambolesques et dans des aventures qui ne le sont pas moins. Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais je ne suis pas entré vraiment dans ce voyage, dans cette histoire où l'écriture n'est pas une musique et où l'intrigue est un peu déconcertante.

     

     

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    Hervé GAUTIER – Avril 2009.http://hervegautier.e-monsite.com 

  • LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D’AMOUR - Luis SEPULVEDA - Editions Métaillé.

     

    N° 166 - Septembre 1993.

     

    LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D’AMOUR - Luis SEPULVEDA - Editions Métaillé.

     

    Je dois avoir un faible pour les écrivains sud-américains mais ce roman de Sepulveda parvenu entre mes mains par hasard m’a, comme à chaque fois, procuré ce dépaysement un peu surréaliste d’une contrée perdue au bord d’un fleuve, unique voie de communication qui la relie à la civilisation. Il apporte à ce village nouvelles et vivres, et, bien entendu il émerge de ce petit peuple de « peones » et de « jivaros » des personnalités fortes qui s’imposent par leur seule présence.

    El Idilio, petit village de l’Equateur est situé dans la forêt au bord du fleuve. Antonio José Bolivar Proano y vit ou plutôt y survit dans une solitude tout juste égayée par la lecture laborieuse de romans qui parle de l’amour, le vrai, celui qui fait souffrir... C’est sa manière à lui d’oublier qu’il vieillit. Il a tout abandonné, sauf peut-être la chasse qu’il va reprendre une ultime fois contre un ocelot qui menace le village. Il n’aura pas trop de toute la science que lui ont enseigné jadis les indiens Shuars pour déjouer ses pièges et en venir à bout. Mais le combat qu’il livre contre la bête est sans haine, un peu comme le dernier avant de basculer dans la mort. Il tue le fauve pour réparer les erreurs et la barbarie des hommes qu’il hait définitivement mais surtout pour protéger ce petit coin de terre où il a choisi de mourir.

     

     

    © Hervé GAUTIER

  • DICTIONNAIRE DES MOTS RARES ET PRECIEUX

     

    DICTIONNAIRE DES MOTS RARES ET PRECIEUX - Domaine français- dirigé par Jean Claude Zylberstein - Collection 10/18.

     

    J'ai peu l'habitude de donner mon avis sur un dictionnaire, mais celui-ci me paraît original et mérite l'attention du "lecteur". C'est en effet un ouvrage que j'ai consulté avidement, autant pour enrichir mon vocabulaire que pour goûter les délices de notre langue et ce d'autant plus volontiers que nous perdons chaque jour malgré nous et par le non-usage des mots français au profit de termes étrangers que notre langage assimile aussitôt. Certes, c'est bien puisque notre langue ainsi évolue (c'est en cela qu'elle est une langue vivante) grâce aux apports extérieurs.

    J'ai toujours été frappé par le fait qu'à chaque édition d'un dictionnaire, celui-ci fait la même épaisseur que le précédent alors qu'il comporte des ajouts de mots. Pour cela il est évident qu'il faut en sacrifier d'autres et que ces derniers ne peuvent être que des mots anciens, c'est à dire rares et relativement peu usités. Le plus souvent les mots rajoutés sont nés du "franglais", ce qui est bien triste mais je crois me souvenir avoir entendu de la bouche d'un éditeur que le rôle d'un dictionnaire est actuellement non pas tant de conserver la langue dans sa pureté originelle que d'en expliquer les mots nouveaux pour qu'ils soient compris de tous, même si pour cela il faut consentir à des sacrifices.

    Cet ouvrage me paraît donc venir utilement combler le vide ainsi creusé par les éditions successives des dictionnaires.

    Et puis il y a le plaisir d'apprendre et de découvrir. Qu'est-ce donc qu'étriver, qu'une gradine, qu'un moisement, qu'une panneresse ou qu'un récibion? Tous ces mots venus d'un passé lointain, souvent technique ont conservé, par cela même qu'ils n'ont pas été mâtinés une fraîcheur et une musique dont il serait dommage de se priver.

    Ne vaut-il pas mieux préférer le mot juste à une périphrase peu élégante? Par exemple "Echampir" pour dire imiter le relief des objets en en soulignant les contours ou "dévoler" pour indiquer qu'on a fait de mauvaises affaires. C'est peut-être quelque peu désuet mais ô combien évocateur même si cela peut paraître pédant!

    C'est vrai que "la richesse de notre langue fait qu'un grand nombre de mots nous sont pratiquement inconnus" mais il est également vrai de constater que "notre langage est en perpétuel mouvement, soumis sans cesse au flux et au reflux qui tour à tour masquent et découvrent tel ou tel secteur."

    En tout cas, pour ma part, je suis disposé à poursuivre avec plaisir ce merveilleux voyage au pays des mots qui sont aussi le véhicule de la poésie.

     

     

  • JE M'APPELLE VICTOR - Film de Guy Jacques.

     

     

    N°169

    Octobre 1993

     

    JE M’APPELLE VICTOR – Film de Guy Jacques.

     

     

    Pendant près de deux heures, le spectateur, pour peu qu’il emboîte de pas de l’auteur, partage la vie, ou plus exactement l’univers de Basile, ce petit garçon de onze ans, amoureux de Cécile, une jeune fille plus âgée que lui et qu’il tente de séduire en lui faisant croire qu’il est réincarné et qu’ainsi il a connu son arrière-grand-père, le nain kleptomane…

    En réalité, il puise dans les souvenirs d’une vieille dame, Rose, qui vit recluse dans son microcosme, au premier étage de la maison des grands-parents du garçon à Wassy.

    Malgré les apparences, Rose n’a pas vieilli, car sa vie à elle s’est arrêtée au moment où, en pleine guerre de 14-18 sa mère devait venir la chercher et a trouvé la mort dans la petite gare de Wassy sans que Rose en sache rien. Depuis, clouée sur un fauteuil roulant à cause de l’autre guerre, elle vit avec cet espoir fou de revoir sa mère, mais aussi avec le souvenir de ce Victor, un coureur automobile qui lui aussi a disparu, qui était son compagnon et avec qui elle devait faire sa vie.

    En fait, le personnage fascinant de Rose est en prise directe sur Basile au point qu’il s’identifie à Victor, qu’il prend sa place. Il n’a de cesse d’entraîner sa jeune amie dans «l’’île aux amoureux » à cause d’une légende instillée dans l’esprit de l’enfant par Rose elle-même.

    Dans ce récit initiatique, il y a plus qu’une histoire, il y a une invitation au rêve, à l’amour, au merveilleux. Il y a ceux qui y sont déjà, Rose, qui n’en sortira que par la mort, ceux qui veulent y entrer, qui en entrouvre la porte, comme Basile mais qui souffre de ne pas entraîner celle qu’il aime dans sa démarche, parce que cet amour d’enfant est impossible, ceux qui resteront sur le seuil comme Cécile qui regrettera jusqu’aux larmes de ne pas sauter le pas parce qu’elle est consciente de l’impossibilité de cet amour, ceux qui sont ailleurs, dans un autre monde, différent mais tout aussi idyllique et qui n’en sorte que de temps en temps, le vieux Chef de Gare qui n’est plus là que pour lever les barrières et regarder passer des trains qui ne s’arrêtent plus mais qui reconstitue pour lui seul dans la gare désormais vide tout un réseau de train électrique, le grand-père de Basile, un ancien légionnaire qui n’a jamais vraiment quitté le Tonkin et qui en recrée le décor, ceux enfin qui sont étrangers à tout cela, le compagnon de Cécile, plus intéressé par la moto et les copains. Il est en dehors du monde de cette émouvante histoire, tout comme Luce, la grand-mère de Basile, bourrelée de remords. Elle n’y vit physiquement que dans les exagérations de son mari. Elle est fait une femme malheureuse, dominée par Rose qui lui est supérieure et qui l’écrase, l’étouffe…

     

    Outre les excentricités des personnages, il y a l’atmosphère de ce film où le présent se mêle au passé par le truchement de la réincarnation feinte de Basile, et pourtant le spectateur ne sait jamais où s’arrête l’un et où commence l’autre, tant le fantastique et présent à chaque moment fort, au point que les souvenirs de Rose, véritables prétextes de ce récit resurgissent à l’occasion des larcins que le nain voleur avait cachés dans sa maison et qui réapparaissent comme par hasard !

    Mais est-ce vraiment par hasard que Rose choisit de quitter son décor et sa vie parce que Basile, son complice, est venu lui annoncer «l’arrivée » de sa mère ?

     

    Chacun des personnages vit dans un monde qu’il s’est construit parce que, pour lui, peu ou prou, il reste un peu de cet esprit d’enfance magique, merveilleux, poétique, mélancolique aussi. Bref, un film à la réelle personnalité, plein de rigueur et d’émotion.

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • FLEUR DE SEL ET FLAQUE DE SANG SUR RE LA BLANCHE - Roman - Robert BENE.

     

     

    N°251 – Février 2006

     

    FLEUR DE SEL ET FLAQUE DE SANG SUR RE LA BLANCHE – Roman - Robert BENE.

    Editions De BOREE.

     

     

     

    D’emblée, le décor est planté, celui de l’Ile de Ré (avec une majuscule, s’il vous plaît) comme l’appellent les Rhétais mais aussi les Rochelais, ceux du continent tout proche, comme s’il n’y en avait qu’une sur ce littoral qui pourtant en est riche ! «  Toute la journée de la veille, la pluie était tombée, fine et continue, et Marcelline n’avait pas vu âme qui vive dans le chemin de la Grande Vasouse longeant le Moulin des Rapaces… Seuls quelques vieux goélands qui connaissaient bien la vieille dame, étaient venus rompre sa solitude et quémander bruyamment quelques croûtons de pain sous sa fenêtre ». La couleur locale non plus n’est pas en reste, révélée à travers les mots d’une langue vernaculaire «  Roger Leman fit glisser sa lourde pelle sur la surface de la vasière, afin d’enlever les salicornes et d’étaler les « bossis » sur lesquels poussaient quelques maigres obiones »…

    Nous sommes bien sur « Ré la blanche », avec ses maisons basses, ses marais salants, ses embruns, ses tas de sel scintillants…

     

    Comme la couverture l’indique, il s’agit d’un roman d’où la poésie n’est jamais bien loin et illumine les descriptions. Ecoutez plutôt «  Ce matin, le soleil trop exubérant dès son lever, avait très vite fait place à un épais brouillard qui maintenant enveloppait tout le marais de sa couverture cotonneuse. Des milliers de perles étincelantes et tremblotantes s’accrochaient aux toiles d’araignées suspendues aux fines branches des buissons de tamaris et aux longues herbes salées des bosses des marais » ou encore «  De son long « Simoussi » de Bois, il retirait, d’un geste léger de dentellière tirant son aiguillée de fil, la fleur de sel que le soleil généreux des jours précédents avait miraculeusement générée de la mince couche d’eau de mer étalée dans les petits damiers colorés de rose des « œillets » saunants »

     

    Le style est aussi emprunt d’un argot contemporain avec ce sens de la formule imagée qui ne peut laisser le lecteur indifférent « [les frères Baillon], deux marginaux dont la matière grise mijotait en permanence dans les vapeurs d’alcool. » ou encore «  Le flot de paroles que l’alcool avait déclenché chez ce petit homme, pas vert comme un martien, ni noir comme une cuisinière, mais rouge comme un homme que la passion emporte » ou « Tiens donc, un cadavre, comme ça, devant ta porte ? Il est arrivé tout seul. C’est vrai que c’était peu de temps avant Noël »,ou encore « Il était facile de deviner que celui-ci pataugeait dans un épais brouillard éthylique qui le laissa muet »…

     

    Ce qui est mis en scène ici, c’est tout un petit monde où les voisins ne se parlent plus, excepté pour s’invectiver ou se menacer pour des histoires de succession, de filiations putatives incertaines et improbables, de conflits d’intérêts, d’usage de droits coutumiers à cause desquels les vivants se pourrissent la vie et qui font le folklore, sinon la fortune, des études de notaires. Toutes ces péripéties font aussi naître dans les têtes des protagonistes des idées de vengeance où on remâche sa haine des autres et de la terre entière, ses médisances, ses clabaudages, ses fantasmes et ses rancunes. On en vient parfois à souhaiter la mort d’un parent où d’un voisin pour un héritage désiré, qui tarde à venir et qu’on voudrait bien précipiter ! C’est l’univers des basses représailles exercées au quotidien, des vielles rancœurs, de la flagornerie intéressée témoignée aux gens riches, ceux de la ville, les « Parisiens » [« Pour lui tous les touristes étaient des Parisiens »], ces touristes avec leur argent qui transforment les vieilles ruines en résidences secondaires luxueuses, leurs questions naïves et condescendantes. On les méprise, on les attend, on les envie…La galerie de portraits n’est pas en reste : C’est deux mondes qui se juxtaposent sans vraiment se comprendre et se connaître. Leurs relations, jamais exemptes d’arrière-pensées, ne sont qu’éphémères et épisodiques.

     

    C’est une peinture de la condition humaine, avec ce sens du raccourci dans la phrase où se lisent l’attente et l’espoir fou vite déçu «  Après avoir longtemps attendu le prince charmant, Raymonde passa deux ans de sa jeunesse à attendre le facteur tout en faisant du crochet. », les rêves de possession « Tous deux avaient compensé leur manque d’amour par un amour démesuré de l’argent et n’étaient possédés que par un seul désir, celui de posséder », tout ce qui fait la vie avec des habitants de ce petit coin de terre et de sable, coincé entre le ciel et l’eau, ses hasards, ses surprises …

     

    Ce sont des parents qui ne pensent, à défaut de son bonheur, qu’au mariage de leur fille, de préférence avec un bon parti, parce que cela se fait, parce qu’on ne reste pas vieille fille, à cause du qu’en dira-ton ou de convenances d’un autre âge, une histoire pleine de désamours ou d’amours contrariées ou dissoutes par l’usure du temps… Tout cela fait naître de drôles d’idées dans les têtes… Je vous rassure, l’amour fou, le plus inattendu et donc le plus merveilleux existe aussi, heureusement !

     

    C’est aussi une intrigue policière dont je ne saurais dévoiler les arcanes, à la fois surprenantes et déroutantes, comme il se doit, et qui participe aussi de l’intérêt du livre.

     

    C’est donc avant tout un roman, écrit comme tel et qui se lit d’un trait, avec juste ce qu’il faut de situations énigmatiques et pleines de suspense, de rebondissements, de retournements, qui, jusqu’à la fin, tient le lecteur attentif en haleine.

     

     

    © Hervé GAUTIER

  • SERIE NOIRE SUR RÉ LA BLANCHE - Robert BÉNÉ - auto-édition.

     

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    N° 248–août 2003

    SERIE NOIRE SUR RÉ LA BLANCHE – Robert BÉNÉ - auto-édition.

    Il paraît qu’un roman policier ne se lit bien qu’en vacances. C’est donc pendant l’été que j’ai lu ce livre amicalement offert. J’y ai retrouvé avec plaisir cette île de mon enfance quand elle n’était pas encore reliée par un pont au « continent », qu’on y accédait encore par la noria des bacs (« l’Amiral Duperré » entre autres), qu’elle était encore typique, qu’on pouvait courir en liberté parmi les vignes sauvages, ramasser des poireaux et des asperges qui poussaient simplement dans le sable et jouer dans les restes de blockhaus allemands de la dernière guerre… C’était un autre temps, comme ont dit, celui de la jeunesse, de l’insouciance… « Ré la blanche », elle l’était par la couleur de ses tas de sel, du sable de ses plages et de la façades de ses maisons blanches aux contrevents verts, éclaboussées de soleil.

    A l’époque, il y avait déjà des roses trémières, mais aussi des ânes en culottes à carreaux, des femmes en quichenottes et des bateaux de pêche qui rentraient le soir au port avec leur marée fraîche. Oui, c’était un autre temps que les aquarelles de Suire ont immortalisé et les touristes déjà y venaient pour l’été, mais il y avait davantage de « villages de toile » que de résidences secondaires hors de prix.

    De La Rochelle toute proche on venait pour passer une journée ou un après-midi et on se sentait chez soi sur l’île de Ré. Maintenant, elle est de plus en plus la banlieue d’un Paris chic. C’est comme cela, les temps ont changé !

    L’auteur, lui, choisit cette île des années 1970 … Nostalgie peut-être, mais moi j’aime bien !

    Mais revenons sur ce roman dont on devine avant même de l’avoir ouvert, à cause du titre et de la couleur de la couverture, qu’il va être noir. Ah ça, pour l’être, il l’est ! Pas moins de douze meurtres et deux suicides en un mois dans ce petit village de La Noue ; c’est presque surréaliste ! Le policier fera son travail…mais il n’en sortira pas indemne !

    En tout cas cela suffit à faire réquisitionner le pauvre commissaire Paulhac qui, à dix huit mois de la retraite vient prendre un mois de vacances dans la maison familiale avec son fils, Pierre, lui aussi un futur policier. Il fait déjà des projets pour son avenir, lui qui a si difficilement gravi les échelons pour devenir ce qu’il est !

    Au vrai, tout commence avec une évasion du pénitencier de Saint Martin de Ré et le Service Public et le devoir n’attendant pas, de vacancier tout juste débarqué à La Noue, le commissaire se retrouve réquisitionné d’office pour mener l’enquête, mais seul ! C’est qu’on soupçonne le fuyard d’être aussi un dangereux assassin ! Heureusement son fils est là qui propose à son père de l’aider et qui va ainsi pouvoir exercer son talent de futur limier. Ses méthodes sont différentes (là aussi, un autre temps !), mais qu’importe, seul le résultat compte, alors ils font équipe, mais les assassinats se multiplient.

    Bien sûr, il ne faut jamais déflorer l’intrigue d’un roman policier, et, cher lecteur de cette vieille revue, ne comptez pas sur moi pour le faire !

    En tout cas, ce roman est l’occasion pour l’auteur non seulement d’évoquer des paysages de l’île de Ré, si poétique et si belle, mais aussi de brosser toute une galerie de portraits. C’est que le fonctionnaire de police retrouve pour ses vacances rétaises ses copains d’école comme ce brave « Père Milou », un peu voyeur, un peu vicieux qui rend, pourquoi pas, un culte appuyé à Bacchus, mais pas méchant pour deux sous ! C’est une figure locale comme les aiment ceux qui viennent se dépayser ici. Il fait en quelque sorte partie du paysage.

    Il y a les commerçants soucieux de l’ordre public et estival, générateur de chiffre d’affaires qui n’hésitent pas à flatter le commissaire pour mieux le trahir ensuite (Là, les temps ne sont pas prêts de changer et la condition humaine est toujours égale à elle-même), même si celui-ci fait ce qu’il peut, parmi ces milliers d’estivants, pour démasquer le coupable.

    C’est aussi cet ancien marin, véritable bête de guerre qui fait peur à tout le monde. C’est un coupable idéal !

    Il y a aussi Odette, l’épouse du copain d’enfance de son fils que celui-ci a laissé se marier avec un autre, par timidité sans doute ? C’est que Pierre est un idéaliste et entoure tout ce qu’il voit, les femmes comme son île de Ré d’un halo de pureté ! Chacun sa manière de voir les choses !

    Il y a aussi le Maire, parvenu et suffisant, qui tient avant tout à la tranquillité estivale de ses administrés et des vacanciers, mais surtout à sa position de notable, à ses mandats électoraux et à son avenir politique. Le commissaire qui le connaît bien l’invective «  Quand on était en classe, tu étais un petit con, maintenant que tu es dans la politique, tu es une belle ordure ». On ne peut être plus clair et tout est dit en peu de mots ! Lui n’hésitera pas à écraser tout le monde pour se maintenir là où il est et la vieille camaraderie qu’il avait avec le commissaire ne pèse pas lourd quand il s’agit de sauver la face. Il pratique aussi la palinodie avec un regrettable talent !

    Heureusement que l’auteur prend la précaution de préciser que «  Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé … » On ne sait jamais, il y en a qui pourrait se reconnaître !

    Lisez donc ce roman, vous n’en serez probablement pas déçu, même si cet été un peu trop meurtrier a, cette année-là et par le miracle de l’imaginaire, ensanglanté la blancheur de « Ré ».

    Diffusion gratuite – correspondance privée.

    © Hervé GAUTIER

  • 1492 - Les aventures de Juan Calbezón de Castille - Homero ARIDJIS.

     

    N°270 – Mars 2007

     

    1492 – Les aventures de Juan Calbezón de Castille – Homero ARIDJIS.

     

    Décidément, les écrivains sud et meso américains me passionnent par leurs écrits. Cette chronique s'est d'ailleurs souvent fait l'écho de leurs œuvres. Ce n'est pas la lecture de ce roman qui me fera changer d'avis!

     

    Ainsi, de la première à la dernière ligne de ces chapitres, l'auteur entraîne son lecteur passionné sur les pas de Juan Calbezón de Castille à travers cette Espagne du XIV°-XV° siècle dévorée par la Sainte Inquisition. A l'aide de documents historiques et d'une imagination de bon aloi, Homero Aridjis nous restitue sur le mode picaresque cette société parfois interlope et qui tient de la Cour des Miracles mais aussi aristocratique et religieuse au point qu'on a l'impression de la voir vivre sous nos yeux. Juan Calbezón est notre guide, mais aussi Pero Meňique, Isabel de la Vega... Nous traversons avec eux la Castille, L'Aragon, l'Andalousie... C'est un tableau de cette société médiévale qui m'a toujours éblouie avec son désir de spiritualité, son appétit de vie charnelle, son bouillonnement d'idées nouvelles, mais aussi ses débordements et sa fascination pour la mort. C'est l'Espagne où trois religions cohabitent en bonne intelligence, Islam, Chrétienté et Judaïsme, au point qu'elle est montrée comme exemple de la tolérance. Et puis soudain, sans doute parce que la reconquête du pays sur les Maures est une obligation morale, mais surtout parce que l'antisémitisme de l'Église catholique couvait depuis trop longtemps, par cupidité aussi, tout cela s'est effondré comme un vulgaire château de cartes. Au nom du Christ qui inspira et prêcha le message d'amour de l'Évangile au point de mourir pour cela, les rois, connus pourtant pour être “catholiques”, et leur alliée un peu trop zélée, la hiérarchie catholique, vont s'arroger le droit de chasser les Juifs d'Espagne et, bien entendu, de confisquer tous leurs biens. Ainsi émerge la triste figure de Tomás de Torquemada, grand inquisiteur, assoiffé du sang des juifs et des convertis, accusés de tous les maux et voués à la torture et finalement au bûcher. L'auteur nous brosse avec talent toute cette société jadis tolérante et respectueuse des valeurs religieuses qui se transforme et compte dans ses rangs des faux témoins capables de précipiter leur propre voisin dans la mort, des flagorneurs, des délateurs qui, pour complaire au pouvoir et pour se faire valoir ne ménagent ni la trahison ni la volonté de détruire... c'est une nouvelle illustration du “juif errant”, dont le destin est d'être chassé de partout, toléré nulle part...

    L'idée utopique de Christophe Colomb termine le livre et avec elle un formidable espoir...

     

    Il y a, certes ce récit passionnant, mais je choisis d'y voir un témoignage de la condition humaine, pas si éloigné que cela de notre histoire contemporaine, la dénonciation d'une facette de cet Homme dont on dit volontiers qu'il est humain, voire humaniste, mais qui porte en lui le germe de la mort.

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2007

  • LE GRAND VOYAGE -Jorge SEMPRUN - Editions GALLIMARD.

     

     

    N°236

    Décembre 2001

     

     

    LE GRAND VOYAGE – Jorge SEMPRUN - – Editions GALLIMARD.

     

     

    Je suis particulièrement satisfait de célébrer la 21° anniversaire de « La Feuille Volante » en évoquant un roman de Jorge SEMPRUN.

     

    Je me pose souvent la question de ce qui peut motiver un lecteur d’aller au bout de ce parcours qu’il fait avec l’auteur d’un livre, ce qui fait naître en lui l’intérêt pour le texte, l’envie d’en savoir davantage, le plaisir qu’il prend à vouloir poursuivre l’histoire racontée, de partager avec cet être inconnu qui se cache derrière ses mots le moment privilégié de la lecture qui, malgré le temps, la distance et le nécessaire détachement, continue jusqu’au dernier mot de l’ouvrage d’entretenir cette complicité mutuelle.

     

    Depuis les années déjà nombreuses que j’entretiens « ce vice impuni » qu’est la lecture, je n’ai toujours pas pu répondre à cette question, mais la passion pour les écrivains et leur œuvre reste intacte en moi, surtout quand j’ai la chance de croiser quelqu’un d’authentique.

     

    De ce livre, maintenant refermé, il me reste un sentiment fort de quelqu’un qui veut témoigner, non pas tant comme un « devoir  de mémoire » mais comme un jalon dans sa propre vie dont nous savons qu’elle n’a pas été quelconque !

     

    Ce voyage, ici qualifié de « grand », c’est la relation faite par un témoin, communiste espagnol de surcroît, de ce qu’à été sa vie dans cette période trouble de notre histoire nationale qu’a été l’Occupation, la pudeur dans le récit tout juste esquissé de ce qu’a été son action dans la Résistance en faveur de notre pays qui avait pourtant si mal reçu les Républicains espagnols vaincus qui fuyaient l’Espagne, Franco, le fascisme et la mort !

     

    C’est aussi le trajet, dans des wagons à bestiaux de ce qu’il a vu, des ces hommes parqués comme des bêtes, dans le froid, la faim et la souffrance, entassés dans des trains de marchandises qui mourraient parfois avant d’être arrivés, qui ne savaient même pas vers quelle destination les emmenait ce convoi, apparemment hésitant entre aiguillages et voies de garage, pendant que ceux qu’il transportait continuaient à mourir, comme si la mort était soudain devenue banale, sans importance.

     

    Il y avait ces petits riens, ces paroles qu’on échangeait malgré le peu d’aisance que permettait l’entassement des hommes debout des jours durant, ballottés par le crissement des roues et le halètement de la locomotive, ces actions parfois vaines mais pourtant tentées pour sauver une vie, dans ces wagons où la mort faisait aussi partie des passagers… Elle prélevait sa dîme dans le convoi des hommes rassemblés là parce qu’ils étaient juifs, résistants ou avaient eu simplement le malheur d’avoir été pris dans une rafle.

     

    Il y avait aussi ces retours en arrière, proustiens, du narrateur, ancien étudiant au lycée Henri IV qui aimait tant la philosophie et le grec … Il faisait lui aussi partie du voyage. Ce train de la souffrance, lent et régulier comme sait parfois être la vie elle-même, mène tout son monde vers la mort. Ils ne le savent pas encore, regardant comme ils le peuvent le paysage à travers l’ouverture grillagée d’un wagon. Ils traversent l’Est de la France, parce que le pays est vaincu, parce qu’ils ont voulu résister à l’envahisseur, parce qu’ils ont eu un sursaut de « vouloir vivre » dans cette France abattue qu’ils ont refusée, face à ceux qui ont choisi un autre camp…

     

    Ils vont vers la mort du camp de Buchenwald, le froid, la neige, les SS et leurs chiens… Ils vont à la rencontre de tout ce dont l’homme, qui est pourtant, dit-on, la forme la plus élaborée de la création est capable en matière de bestialité, d’horreur, de tout ce qui est la négation de l’humanisme et de la culture, de la simple humanité aussi. Il y a l’épaisseur des mots dans leur simplicité même, l’émotion qu’ils inspirent au lecteur attentif… Il y a le spectacle de ces hommes guettés par la mort, ces enfants qu’on massacre pour le simple plaisir de tuer, dans la neige, dans la nuit noire de l’hiver, des projecteurs, des cris des soldats…

     

    Dans ce camp qu’il évoquera plus tard dans « L’écriture ou la vie », indiquant qu’il privilégiait la vie à l’horreur de ce souvenir, il passera deux années qui brûleront sa vie comme si on appliquait un fer rouge sur sa peau. Il y parle pourtant de ce morceau d’Allemagne qu’aima Goethe que les nazis transformèrent en une fabrique de mort. Il y évoque ces hommes qui périssent en fumée sous les yeux apparemment apaisés, ignorants ou volontairement aveugles des habitants de Weimar, cette ville si paisible qu’une éphémère république abrita.

     

    C’est un texte tellement présent qu’on voudrait que la mort ne fût pas au rendez-vous de ce voyage sans retour vers les camps où tant d’hommes et de femmes périrent parce qu’ils ne correspondaient pas au modèle allemand, parce qu’ils étaient livrés à la volonté de tuer de leurs geôliers.

     

    De ce fait, L’auteur devient le gardien de la mémoire, le grand et peut-être l’unique témoin qui osera parler pour que d’autres se souviennent, pour que les générations futures n’ignorent rien de ce qui s’est passé, parce qu’il reste toujours un homme pour décrire l’horreur et qu’il a le devoir d’authentifier les faits qu’il rapporte, d’être celui qui dira ce qui a endeuillé notre XX° siècle dans cette Europe qui fut jadis celle des Lumières, d’être l’avitailleur de cette mémoire collective qu’on voudrait pourtant endormir.

     

    © Hervé GAUTIER. http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

     

    (Pour ce livre d’exception Jorge SEMPRUN a obtenu le prix Formentor et le Prix littéraire de la Résistance)

  • L'ECRITURE OU LA VIE - Jorge SEMPRUN- Editions Gallimard.

     

     

    N°232

    Décembre 2000

     

     

    L’ECRITURE OU LA VIE - Jorge SEMPRUN- Editions Gallimard.

     

     

    D’emblée, le titre du livre m’a déconcerté.

    Pouvait-on concevoir qu’on opposât l’écriture à la vie, cet acte qui, par excellence est synonyme d’existence ?

    J’ai donc lu ce récit, attentif à une explication de ce qui me semblait être un paradoxe.

     

    Le texte révèle une partie de la vie de l’auteur et plus précisément son séjour au camp de concentration de Buchenwald où il fut enfermé comme prisonnier politique, les rencontres qu’il a pu y faire, les expériences qu’il en a retirées.

    A l’époque, jeune étudiant communiste Espagnol mais vivant en France, il pensait que l’écriture qu’il pratiquait lui-même dans la poésie pouvait exorciser la mort. Il s’est aperçu qu’elle y renvoyait ! En réalité il était un véritable apatride, ni Français ni Espagnol, mais un communiste convaincu, un être qui est passé à travers la mort où plus exactement que la mort a traversé et quand en avril 1945, les troupes du général Patton ont libéré le camp, c’est un peu comme s’il ne restait de lui que les yeux, des yeux hagards qui ne parvenaient plus à croire à la fin de cet enfer, à la vie enfin redevenue possible, libre, loin des hurlements des SS, des mauvais traitements, des fours crématoires… Ces yeux qui jadis avaient eu plaisir à regarder les femmes, ses yeux aussi qui faisaient son charme, résumaient ce qu’il était à cette époque, dans ce camp soudain tranquille, mais que les oiseaux eux-mêmes avaient abandonné à cause de cette insupportable odeur de chair humaine brûlée qui retombait sur le camp en une sorte de suie !

     

    Son séjour dans ce camp où tant de camarades et d’amis ont trouvé la mort a été pour lui une période entre parenthèses que l’écriture lui a permis (peut-être ?) d’exorciser. En tout cas, quand il en parle, il dit « Une autre vie plus tard », comme si la première s’était arrêtée à son entrée dans ce camp, à l’oubli de son nom au profit d’un numéro matricule (44904), qu’il n’était devenu rien d’autre qu’une ombre, le contraire d’un homme !

     

    Pourtant dans ce camp où l’on torturait, où l’on travaillait jusqu’à l’épuisement, où l’on souffrait, il se passait des choses étranges comme ses réunions dans le local des contagieux où les Allemands ne mettaient pas les pieds par peur de la maladie, dans ce local des latrines aussi où l’on parlait de philosophie, de littérature et de liberté…

     

    C’est un paradoxe, mais Buchenwald était proche de la ville de Weimar qui fut le siège d’une éphémère république mais surtout la ville où Goethe aimait venir trouver l’inspiration. Faut-il rappeler que les nazis tortionnaires faisaient aussi pousser des fleurs dans les camps d’extermination !

     

    Même parti de ce camp maudit, il traînait derrière lui en quelque sorte la mort comme son ombre. Rien, pas même un corps de femme « la certitude apaisante de sa beauté ne m’avait distrait de ma douleur, rien d’autre que la mort, bien entendu. »

     

    C’est donc une sorte de renvoi à la condition humaine, celle d’un être qui doit perpétuellement souffrir parce que son destin en a décidé ainsi, parce qu’il aura toujours dans sa mémoire les squelettes ambulants, un peu comme des sculptures de Giacometti, ces morts vivants, ces hommes à jamais disparus dans la fumées des crématoires, cette propension qu’a l’homme à être cruel pour l’autre quand il y va de sa survie ou parfois de son plaisir sadique, à mettre en relief « cette région cruciale de l’âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité » comme le dit Malraux.

     

    C’est que la fraternité, il l’a rencontrée à Buchenwald quand le communiste allemand prisonnier qui l’a enregistré à son arrivée, lui ayant demandé son métier et s’étant entendu répondre « étudiant » (Studden) a pourtant inscrit sur sa fiche « Stukatten » ce qui correspond à peu près à décorateur. Dans ce camp, il valait mieux être un bon ouvrier qu’un intellectuel ! Celui qui avait fait cette faute d’orthographe l’avait fait exprès, par fraternité communiste. Longtemps après il s’est souvenu du regard de cet homme dont l’engagement politique valait au moins qu’il se trompât pour sauver un frère. Au surplus, la pratique courante de l’allemand permit à Semprun de travailler dans un bureau, de comptabiliser les entrées et les sorties, les morts surtout, c’est à dire de pouvoir survivre relativement loin de ces mauvais traitements…

     

    Dès lors, sourd un sentiment de culpabilité qu’il n’éprouve cependant pas, celui d’être revenu de l’enfer grâce à un mot vraisemblablement intentionnellement mal orthographié. Il s’interroge bien au contraire sur la chance qu’il avait eue d’avoir croisé cet Allemand, d’avoir été sur la route d’un communiste comme lui qui avait eu l’intention de faire ce qu’il pouvait pour lui sauver la vie, d’être, si l’on peut dire, au bon moment, au bon endroit. « La chance ne s’apprend pas, on l’a », a dit Blaise Cendrars.

     

    Il y a donc, à ce moment-là, pour lui de l’estime, malgré tout ce qu’il pensera plus tard de l’idéologie communiste, de ses déviances, de ses dérives et de ses crimes semblables à ceux des nazis (Buchenwald deviendra après la guerre un camp d’internement russe),à ce moment précis, entre ces deux hommes c’est le respect qui prévaut, au nom d’un idéal individuel, d’un engagement personnel, malgré le silence sur les atrocités, le pacte-germano-soviétique qui tournera au conflit… Il éprouve le besoin de préciser « J’ai toujours respecter plus tard la part d’ombre, d’horreur existentielle abominable, même si le respect ne vaut pas pardon et encore moins oubli. »

     

    Et puis, il y a la neige, cette neige omniprésente du temps de son séjour à Buchenwald comme pendant le temps de sa liberté, cette neige qui recouvrait Weimar comme le souvenir, comme les reproches intimes que l’on peut se faire à soi-même. Ce manteau blanc uniformise tout, les images comme les sons, purifie aussi les formes en en gommant les contours. Cette neige qui l’accompagne jusque dans son sommeil comme une obsession lui rappelant la souffrance et la mort.

     

    Pourtant, quelques cinquante années plus tard, il revint dans cet ancien camp nazi qui fut aussi un camp stalinien après la guerre. La nature y avait reverdi, les arbres repoussé, mais il apprit que cette végétation croissait sur des restes humains, ces cadavres enterrés sur place dans des fosses communes comme si tout cela pouvait être oublié.

     

    Dès lors, l’écrivain qu’il est se doit de témoigner, ne serait-ce qu’au non du « devoir de mémoire » et donc d’écrire. Pour se pose de nouveau le problème du titre de ce récit « l’écriture ou la vie », comme si, encore une fois l’une excluait l’autre. J’ai donc lu ce livre avec toujours en tête cette question pour laquelle je voulais trouver une réponse. Décidément cet homme, et plus précisément son parcours m’étonnaient. Républicain espagnol, résistant français, communiste convaincu et brillant intellectuel, il avait survécu à tout ce que l’homme avait pu enfanter de mauvais, de dangereux, de mortel pour lui-même, et plus exactement pour ses semblables, mais trouvait quand même les mots pour nous parler de la beauté des femmes, de la grandeur de l’homme, de sa culture. En parlant de Maurice Halbachs, de Diego Morales et de combien d’autres inconnus sans nom ni visage, il a porté témoignage. Donc l’écriture est quand même bien la vie ! Et puis il évoqué si bien les poètes, René Char, Vallejo, Primo Lévi que je ne comprends toujours pas cette oppositions entre l’écriture et la vie. J’ai cherché des bribes d’explications dans ce témoignage « l’écriture m’a rendu de nouveau vulnérable aux affres de la mémoire » et si je comprends bien, il avait choisi de vivre en étouffant les mots qu’il portait en lui, parce ces mots le renvoyaient à la mémoire c’est à dire à la mort.

     

    A le lire, ce projet de livre a été maintes fois abandonné « (il) était devenu un autre, pour rester en vie », comme si l’écriture le renvoyait à une part de lui-même qu’il voulait oublier, à cause d’une culpabilité peut-être d’avoir échapper à tout cela, au point de porter en lui cet ouvrage pendant des années et que sa volonté de vivre était telle qu’il ne pouvait pas revenir en arrière sans ouvrir la « boîte de Pandore » de la mémoire et de retrouver la mort…

     

    Et pourtant, il l’a fait et devant son parcours, on ne peut qu’être admiratif et respectueux. Je tiens pour évident qu’un homme qui ne transige pas, qui a le courage d’aller jusqu’au bout de ses idées sans tergiverser, malgré les contradictions d’un système dont il n’est pas personnellement responsable, mérite, à tout le moins notre estime !

     

    Il a donc porté témoignage et ce document est précieux non seulement pour ce qu’il dit mais surtout peut-être pour l’itinéraire qui fut le sien a été sincère, rigoureux… Mais je ne peux pas rappeler le mot de Malraux « Ecrire, c’est arracher quelque chose à la mort ».

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • Pierre LOTI l'enchanteur - Christian GENET -Daniel HERVE - La Caillerie – Gémozac.

     

     

    N°28

    Avril 1989

     

     

     

    Pierre LOTI l'enchanteur – Christian GENET -Daniel HERVE – La Caillerie – Gémozac.

     

    Il s'agit d'un livre-souvenir qui évoque la vie et l'œuvre de Pierre Loti, officier le marine, académicien, découvreur du monde et défenseur de sa Saintonge natale, de sa patrie et aussi de la Turquie qu'il chérissait. Esprit brillant et cultivé qui a cherché à marquer son temps, amant délicat qui fut aussi un personnage fantasque et étonnant.

     

    A travers cette évocation à la fois riche et pleine d'émotions, Loti m'apparaît comme un homme qui, à travers ses voyages et ses expériences a cherché un bonheur qui lui paraissait inaccessible, mais aussi une foi religieuse qui l'a mené du protestantisme à la méditation de l'Inde en passant par les murailles de Jérusalem et à la Trappe. Là aussi la déception semble avoir été au rendez-vous!

     

    Ce qu'il y a de merveilleux chez Loti, c'est que chacun de ses voyages était une invite à la création d'un roman ou d'articles de presse , d'un dépaysement évocateur et en tout cas d'une merveilleuse œuvre d'art.

     

    S'il fallait privilégier un aspect des facettes multiples de Loti que ce livre nous donne à voir, je choisirai évidemment la créateur de cette « maison enchantée » de Rochefort/mer, à la fois bateau immobile au ventre plein de rêves et haut lieu du souvenir jalousement entretenu. Là plus qu'ailleurs, le visiteur, à l'invite de ce merveilleux écrivain, peut rêver, venir à la rencontre de l'auteur et de l'homme mais aussi du voyageur qui a fixé là ses racines, n'oubliant pas de faire de chacune de ces pièces le témoin privilégié du charme d'un pays. Ainsi a-t-il réalisé une sorte de synthèse entre son œuvre littéraire et lui-même. Cette maison est un lieu d'exception qui garde le souvenir d'un rivage, d'une contrée, tout comme le sont d'ailleurs ses romans... Dans cette maison, jadis lieu de fêtes où se succédèrent tant de grands esprits, Loti aplanissait par la magie de son imagination à la fois le temps et l'espace, créant en ce lieu vraiment privilégié un microcosme à la fois féérique et secret , à l'image même de l'homme et de l'écrivain. Familier des Princes et des grands de ce monde, il ne dédaignait pas de choisir ses amis parmi de simples matelots de son équipage et beaucoup de ses chef-d'œuvre furent inspirés par eux.

     

    Cet homme extravagant, fantasque, cultivé, raffiné, m'apparaît aussi parfois comme déconcertant. Ce qui me frappe le plus dans cette somme de documents où les photos de Loti sont nombreuses , c'est le visage de l'homme avec, au bord des yeux cette tristesse et cette mélancolie. Il semblait chercher dans au-delà imaginaire un bonheur introuvable . Il m'apparaît qu'il puisait là une part de son inspiration résumé par cette adage qu'il avait fait sien « Mon mal, j'enchante ».

     

     

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • LE ROMAN D’UN SPAHI – Pierre LOTI.

     

    N°221

    Avril 2000

     

     

     

    LE ROMAN D’UN SPAHI – Pierre LOTI.

     

    Je ne sais ce qui ne fit choisir dans ma bibliothèque un roman pourtant déjà lu de Pierre Loti. Le hasard peut-être à moins que ce ne soit l’intérêt que je porte depuis de nombreuses années à l’écrivain rochefortais qui enchanta ma jeunesse  et mon adolescence. Ses romans reflètent son attraits pour les voyages et pour un certain art de vivre, à l’image de cette « maison enchantée » blottie au milieu de cette petite ville charentaise qu’il serait bon de redécouvrir.

     

    C’est vrai qu’actuellement Rochefort /mer reprend de l’attrait notamment à cause de la construction de « l’Hermione », bateau qui amena Lafayette aux Amériques. La télévision nous rend compte régulièrement de l’avancement de ces travaux. Loti su se battre pour sa ville natale et usa de son autorité pour qu’elle ne sombre pas dans l’oubli, qu’elle conserve son port militaire, son arsenal, son importance. Bien sûr il y avait la source thermale, les bégonias et plus tard le Film de Jacques Demy, « Les demoiselles de Rochefort », la résurrection de la « Corderie Royale »…

     

    Comme son œuvre, cette maison est le miroir de son itinéraire, de ses passions, de ses amours. C’est à la fois un bateau immobile au ventre plein de rêves et un haut lieu du souvenir jalousement gardé. C’est la synthèse de sa vie personnelle, amoureuse, littéraire, aventureuse... On y retrouve les différentes facettes de la personnalité de l’homme public et l’intimité de l’être tourmenté. Là plus qu’ailleurs le visiteur est incité au rêve, à la complicité avec son hôte invisible mais bien présent .Chaque pièce est un jalon de la vie de ce personnage d’exception, grand marin et écrivain de talent. Il fut à son époque un personnage contesté, moqué même, honni peut-être, mais c’est oublier un peu vite le patriote, l’officier de marine, l’académicien, l’amoureux, l’humaniste, l’homme libre, tour à tour fantasque, déconcertant mais toujours d’une culture et d’un raffinement étonnants…

     

    Mais revenons à ce livre.

     

    Il s’inscrit, bien sûr dans l’histoire immédiate de la France coloniale avec tout ce qu’elle avait d’exotique, de dépaysant, de guerrier aussi. Comme toujours les descriptions y sont évocatrices, chatoyantes et l’émotion y est toujours présente.

     

    Comme avec « Pêcheurs d’Islande » ou « Ramuncho », Loti a toujours su me passionner, me faire pleurer aussi. Ici, il choisit de peindre de nouveau une facette de la condition humaine, celle de Jean, fils d’un paysan pauvre des Cévennes, arraché à sa terre natale pour un service militaire de cinq années. Le hasard et peut-être aussi l’amour du cheval lui fit choisir les spahis et l’Afrique accueillit cette tranche de vie qu’il allait passer entre ses amours locales et le souvenir d’une « promise » qui au pays l’attendait. Chez Loti, rares sont les « happy ends » rassurants. Il choisit de nous dire les choses telles qu’elles sont, dans leur simplicité, dans leur cruauté aussi. La séparation, la mort font partie de la vie d’un homme et il est vrai que le bonheur n’est pas toujours aux rendez-vous de nos quêtes, que nous ne sommes ici que de passage…. Loti l’a rappelé naturellement, peut-être mieux que les autres . Il est cet écrivain de l’humanité comme d’autres le sont de la négritude ou de la condition ouvrière…

     

    Il a délivré son message avec talent et avec cœur, avec aussi cette plaie invisible qu’il portait en lui et que, comme tout créateur authentique il passa sa vie à exorciser. Elle transparaissait sans doute dans son visage mélancolique et dans la tristesse qu’il portait au bord de ses yeux. Il y puisait sûrement une partie de son inspiration et sa quête du bonheur lui fit dire simplement «  Mon mal, j’enchante ».

     

     

    © H.G.

     

  • MON FRERE YVES – Pierre LOTI.

     

     

    N°230

    Septembre 2000

     

     

    MON FRERE YVES – Pierre LOTI.

     

     

    Malgré une succession d’événements douloureux qui ont définitivement endeuillé ma famille et dont rien ne parviendra jamais à atténuer la douleur, j’ai décidé, néanmoins de continuer, à tout le moins pendant quelques temps, la publication de « La Feuille Volante ». Cette revue qui a vingt ans cette année et qui était naguère publiée sur papier l’est maintenant sur Internet. Elle est peu lue, je le sais, mais je précise que je ne recherche cependant pas à travers elle une quelconque notoriété. Je continue donc à la rédiger pour d’autres raisons que je ne saurais moi-même expliquer.

    Je n’ai pas la fatuité de penser que cette modeste chronique intéresse beaucoup de lecteurs, mais je choisis de durer, peut-être pour renforcer pour moi-même l’idée que j’existe pour autre chose qu’une vie bassement quotidienne, de continuer, malgré les événements à commenter un livre simplement parce que celui-ci m’a plu et d’inviter un éventuel lecteur à partager mon plaisir.

     

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    J’ai choisi aujourd’hui un ouvrage de Pierre Loti pour moult raisons dont la première est que j’aime son œuvre en général, autant pour elle-même que pour la personnalité de son auteur

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    Ce roman est « Mon frère Yves » publié avec succès en 1883 . A cette époque , il était déjà connu comme écrivain mais exerçait le métier d’officier de marine .

    Il s’agit d’un roman et les faits qui y sont rapportés ne font pas référence à un épisode peu connu de sa vie où son frère aîné, Gustave Viaud, chirurgien de marine, victime du choléra durant une mission en Cochinchine est mort et a été immergé dans le Golfe du Bengale par 6°11 de latitude Nord et 84°48 de longitude ouest.

     

    Comme on le sait l’auteur est né à Rochefort en Charente Maritime le 14 Janvier 1850 ,mais c’est en Bretagne que se déroule cette histoire qui n’est cependant pas exactement une fiction. Ecrivain déjà célèbre, il décrit avec humanité mais aussi avec réalisme un monde de gens simples et pauvres auquel il n’appartient cependant pas, des familles harcelées par la misère, une Bretagne rurale, dévote, travailleuse…

     

    Parmi ces gens Yves Kermadec qui a choisi comme beaucoup de Bretons la mer et ses dangers. Il sera donc dans la « Royale » , mais comme simple matelot, c’est à dire qu’il sera voué aux tâches les plus rudes, les plus ingrates, les plus périlleuses. Il les accomplira cependant avec discipline

     

    Quand il est en mer, il est dur à la tâche et fait son métier, mais quand une escale lui fait toucher terre, il redevient querelleur, buveur, laissant volontiers sa maigre solde dans les bouges où il est souvent laissé pour mort.

     

    Il n’y a pas de lien de parenté entre Loti et lui, bien qu’il apparaisse lui-même comme un personnage de sa propre œuvre et soit le parrain du fils d’Yves Kermadec. Une grande amitié est née entre ces deux hommes. Cette « filiation »se fit un soir de confidence où l’officier qu’il était mais qui avait tu son grade, avait rencontré la mère déjà vieille d’Yves Kermadec qui lui avait raconté sa pauvre condition de femme de marin perdu par l’alcool et que la mort avait prématurément emporté. Des treize enfants qu’il lui avait laissé à élever, les garçons s’étaient faits marins, un peu forbans, déserteurs parfois.

     

    Pour Yves c’était différent et cette pauvre femme fit promettre à Loti dont elle avait senti qu’il était différent des autres hommes de lui faire un serment. L’auteur à cette phrase merveilleuse et émouvante «  Le regard anxieux et profond fixé sur moi me causait une impression étrange. C’était pourtant vrai que toutes les mères, quelle que soit la distance qui les séparent, ont, à certaines heures des expressions pareilles. Maintenant il me semblait que la mère d’Yves avait quelque chose de la mienne » et il ajoute « [je] jure de veiller sur lui toute ma vie comme [s’il] était mon frère ».

     

    Dès lors Pierre Loti décrit leurs séparations et leurs retrouvailles au gré des affectations sur différents bâtiments, mais malgré ses grandes qualités d’homme et de marin, Yves retombait toujours, attiré par les cabarets et les bouges. « A cet instant il était irresponsable, il cédait à ses influences lointaines et mystérieuses qui lui venaient de son sang. Il subissait la loi de l’hérédité de toute une famille, de toute une race ».

     

    Pierre Loti évoque la vie de ce marin, de cet homme humble qui finit par tenir la résolution qu’il avait prise de ne plus boire, de changer de vie, de se marier, d’avoir un enfant dont l’auteur sera le parrain, d’être un homme comme les autres dont la hiérarchie reconnaîtra cependant les mérites. C’est vrai que l’officier de marine Pierre Loti l’a protégé, a obtenu que certaines sanctions soient atténuées, l’a fait nommé « second »… Ces deux hommes que tout séparaient seront donc devenus frères au nom du respect de la parole donnée, un soir à une vieille dame.

     

    Dans chaque roman, il y a l’histoire qui nous est racontée, mais il y a aussi la manière de le faire, le style. Ici aussi j’ai retrouvé des descriptions et des évocations aux accents de Zola, et je pense que Loti, déjà célèbre était bien modeste en écrivant à Alphonse Daudet à qui il dédia ce livre « Voici une petite histoire que je veux vous dédier, acceptez-la avec mon affection. ».

     

    Je trouve en tout cas que cet écrivain majeur qu’est Pierre Loti a été trop longtemps injustement oublié. Son œuvre mérite davantage d’attention et le cent cinquantième anniversaire de sa naissance qui tombe cette année en est sans aucun doute l’occasion.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • TROIS CHEVAUX- Erri DE LUCA – Edtions Gallimard.

     

    N°261- Novembre 2006

     

     

     

     

     

    TROIS CHEVAUX- Erri DE LUCA – Edtions Gallimard.

    Traduit de l’italien par Danièle Valin.

     

     

    Je vais probablement étonner mon lecteur, mais j’ai goûté ce livre comme on goûte un long poème, un long poème sans rime mais avec des images, un rythme propre, lancinant et entraînant à la fois, avec parfois une tentation non réprimée d’en lire des passages à haute voix. Il est vrai qu’un roman vaut par l’histoire qu’il conte, mais aussi par les mots qui servent le récit, par leur musique, comme douce mélodie. Je ne sais si cela tient au texte italien ou à la traduction, mais c’est ainsi. Je pense aussi que lorsqu’une femme traduit un tel texte, le résultat ne peut qu’être plus harmonieux...

    Le style est dépouillé, sans fioriture, il sonne bien et mérite assurément d’être dit…

     

     

    L’histoire résonne comme une fable, la rencontre d’un émigré italien avec des femmes, la sienne d’abord, Dvora, qui l’attire en Argentine. Il y rencontre l’amour et la dictature militaire, la vie et la mort, l’engagement dans la clandestinité et le combat pour la liberté, dans un pays qui n’est pas le sien… C’est une danse autour du souvenir de cette femme qu’il a aimée et qui est morte sans sépulture, sans un endroit pour se recueillir, pour évoquer son souvenir, l’image qu’elle lui a laissée … Le sort qu’on lui a réservé était le même pour tous les opposants, jetée en mer d’un hélicoptère, les mains liées, pour ne pas laisser de trace, avec pour unique linceul l’eau glacée de l’océan… Pour cela, l’homme n’a que sa mémoire et quand il se rend au Malouines pour fuir ce pays maudit, le ressac de la mer fait resurgir en lui la vie de cette femme qu’il a aimée.

     

     

    C’est aussi un jeu de la séduction entre cet homme devenu jardinier solitaire et Làila, jeune femme « qui va avec les hommes pour de l’argent », danse de mort autour d’un souvenir et d’un projet également morbide. Leur amour est la fois sensuel et pur, en décalage à cause de la différence d’âge, celui de l’homme revient comme un leitmotiv à travers son histoire personnelle, souligne la fuite du temps… Trois chevaux, le temps de leur vie équivaut, dit-on à celle d’un homme… et lui en a déjà enterré deux ! La mort viendra, par hasard ou à son heure, mais elle viendra, c’est la condition humaine ! Le goût de la mort est présent à chaque page, c’est une fuite, un parcours qui va du sud au nord « par la panse de l’équateur »

     

     

    En contre-point, presque à contre-jour, il y a la personne d’un homme, Sélim, ouvrier africain égaré en occident mais qui n’a pas perdu le souvenir de sa terre dont il parle avec poésie ; Il évoque l’Afrique où l’on marche nus-pieds, où l’on bâtit des cases avec de la terre et de « l’eau du ciel »[«  Nos maisons sont faites de pluie, ce sont des nuages plutôt que des maisons ». Il lit l’horoscope dans les cendres du bois, cueille des bouquets de mimosas ou de thym en fleurs pour les vendre, mais aussi parce qu’ils sentent bon et ont la couleur du ciel, de la nature et du soleil. Musulman, il « prie à chaque adieu du jour » ;

     

     

    Cette fable peut se terminer ainsi « C’est ce que doivent faire les livres, porter une personne et non pas se faire porter par elle, décharger la journée sur son dos, ne pas ajouter leurs propres grammes de papier sur ses vertèbres. »

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.     http://hervegautier.e-monsite.com 

  • TU, MIO -Erri DE LUCA - EDITIONS RIVAGES

     

     

    N°267 – Février 2007

     

    TU, MIO -Erri DE LUCA – EDITIONS RIVAGES

     

     

    D'emblée le titre fait entrer le lecteur dans le décor (Tu, mio: Toi, mien), exprimé en italien, la langue qui parle si bien de l'amour! L'auteur complète le tableau, la mer Tyrrhénienne, une île près de Capri, l'été, les vacances, les filles étrangères, les parties de pêche au large... Tout est rassemblé pour que l'auteur entraine dans son sillage de légèreté son lecteur-témoin!

     

    Et pourtant, tout n'est pas si superficiel qu'il y paraît. Face à lui, il y a le monde des adultes qu'il regarde de loin. La deuxième guerre mondiale n'est pas très éloignée et on l'évoque autour de lui par le souvenir, les paroles retenues, empreintes de secret, d'impuissances individuelles, de petites trahisons aussi... L'adolescent est curieux de cette période et de ces événements. C'est sa manière à lui d'aborder cette époque qu'il n'a pas connue, comme il recherche instinctivement la compagnie de camarades plus âgés et même des adultes, marquant ainsi son empressement à sortir de cette adolescence comme on se débarrasse d'une mue devenue encombrante. Le quotidien est aussi évoqué à l'occasion de la présence des libérateurs américains à Naples parce que c'est une ville agréable mais où il règne “la contrebande, le marché noir, tout le commerce des dollars”. Cette ville est pour ces soldats étrangers “le plus vaste bordel de la Méditerranée... une ville offerte, les cuisses écartées aux marins”. Puis le décor se réduit à l'île et à quelques personnages. Il y a la complicité de Nicola, un pêcheur, un peu un modèle qui lui enseigne l'art d'attraper du poisson et de comprendre la mer à laquelle il est attaché, comme il l'est aussi à la terre. Lui c'est presque un grand frère qui a aussi fait la guerre et en a retiré un goût âcre, mais il n'est pas un véritable confident. Il y a aussi son oncle, un peu le double d'un père absent, comme dans “Une fois, un jour, mais c'est un homme qui “avait la bonne quarantaine [qui] plaisait aux femmes et savait leur faire comprendre qu'elles lui plaisaient”, il y a Daniel, le cousin, de quatre ans son aîné. C'est une sorte de latin-lover un peu superficiel, mais c'est par son entremise qu'il va se faire accepter par le groupe de garçon et de filles plus âgés, un véritable passeur dans cet épisode de sa vie! Avec eux, il est à cheval entre deux mondes, celui de d'adolescence où on est toujours attaché à la famille, à ses valeurs traditionnelles de respect, de travail et celui qu'il aperçoit avec envie, celui des adultes dont il fera bientôt partie mais où il hésite à entrer.

     

    Le récit évoque aussi une jeune fille, Caia, au nom venu d'ailleurs qui offre à tous sa liberté, son insolence, sa maturité et parfois sa révolte, mais révèle son origine juive à l'auteur, tout juste âgé de seize ans. Bien sûr, ce dernier en tombe amoureux, comme on le fait à l'adolescence, c'est à dire avec toute la pudeur qui sied à cet âge et aux années cinquante pendant lesquelles se déroule ce récit. C'est par Caia, une jeune fille, presqu' une femme, qu'il va finalement passer d'un monde à l'autre, dans une atmosphère de liberté, d'euphorie et aussi par l'apprentissage du chagrin né de la séparation et de l'absence. Un amour de vacances est par définition éphémère et chargé de regrets.

     

    L'épisode où il se fait mordre par une murène juste pêchée est révélateur. C'est une sorte de passage initiatique du néophyte qui découvre douloureusement un des secrets du métier de pêcheur. La blessure est soignée par Nicola et la cicatrice laissée sur sa main est en quelque sorte exorcisée par Caia “Elle touchait la surface d'une douleur, une prise nette capable de la raviver comme de l'adoucir”. C'est la jeune fille qui l'entraine avec elle dans le monde des adultes.

     

    Il va y avoir un processus intime d'appropriation réciproque entre le narrateur et Caia. ¨Peu lui importe son passé amoureux fait de passades réelles ou supposées. Par petites touches, leur complicité va aller s'affirmant. Le nom de la jeune fille va être transformé par lui et pour lui seul, lui va hériter d'un surnom, mais pas n'importe lequel, celui de “tate”, papa en yiddish, et mieux encore, il va lui rappeler son père disparu dans la mort. Il va même se réaliser une sorte de transfert, comme une sorte de prise en compte de la tendresse que son géniteur n'a pas eu le temps de lui prodiguer, comme une facette des rapports complexes qui peuvent exister entre un père et sa fille Elle le lui avoue sans embage“ Ce n'est pas la première fois que je sens quelque chose de mon père en toi”, parce qu'elle retrouve, ou veut à toutes forces retrouver en lui les gestes et la présence paternelle. C'est un peu comme si cette jeune fille prenait possession du narrateur avec la complicité de ce dernier “ Non Hàiele, je ne veux pas être laissé en paix par toi. J'ignore ce qui m'arrive depuis peu, depuis que je te connais, mais c'est une plénitude”. Elle en fait son “vieux chevalier” et lui marche dans ce jeu où la retenue et peut-être la timidité le dispute à la volonté de grandir par et pour elle. “Tu m'as appelé tate, tatele, du nom que tu as aimé le plus au monde. Que m'importe d'avoir raté tes baisers longs comme un plongeon? Moi, j'étais là pour baiser ton front, te donner le bras, t'acheter de la barbe à papa, porter ta valise”. Tout cela va crescendo au point de faire sienne la haine qu'elle porte soudain, à cause de quelques couplets de chants SS, à ce groupe de touristes allemands, responsables à ses yeux de la mort de sa famille. Jusqu'au bout, le jeune homme s'approprie ce besoin de vengeance, comme si son passé à elle, devenait le sien!

     

    Il y a aussi le retour sur terre, le départ nécessaire, parce que le temps passe, que les choses changent, qu'il faut continuer à vivre... il voit partir la bateau qui emporte Caia et attend le sirocco qui sera pour lui le signal du départ vers le quotidien, vers un monde qui aura changé pour lui grâce à cet été. Ce concept du temps qui passe et aussi celui du temps qui change se retrouve dans “Une fois, un jour” à travers des photos un peu jaunies, des souvenirs qui reviennent, l'enfance qui disparaît et le corps qui grandit...

     

    Ce roman qui puise ses racines dans le passé et l'intimité de personnages appelle une précision de l'auteur lui-même mais qui est postérieure à cette œuvre. Il écrit que “Au moment ou l'on décrit ces personnes, on les rencontre à nouveau et puis on ne prend définitivement congé, parce que l'écriture donne un congé définitif au temps passé : au moment où on les retrouve, on échange un dernier salut. L'écriture rentre dans la catégorie des meilleures rencontres” [Essais de réponse].

  • LE TRAIN IMMOBILE - Frédérick TRISTAN - Balland Editeur

     

     

    N°210

    Août 1999

     

     

     

    LE TRAIN IMMOBILE - Frédérick TRISTAN - Balland Editeur

     

     

    Il est des livres étonnants qui, une fois refermés laissent au lecteur une impression indistincte, non qu’il fût inexprimable mais qu’il n’est pas aisé de formuler avec des mots. Ce roman est de ceux-là qui allient la magie d’un train suranné à l’image de la Sérénissime République! Ah Guillaume Apollinaire a bien raison de craindre d’un jour un train n’émeuve plus!

     

    Un train donc, et dans la nuit comme il se doit. Il est peuplé de fantômes endormis, emmitouflés sous des pelisses. Au milieu d’eux un jeune homme fume pour se donner l’illusion de la chaleur. Il est rejoint par un vieil homme qui se présente comme un aristocrate italien à qui on donnerait bien deux ou trois cents ans tant son verbe est riche et ses histoires inattendues. Rien de la vie ne semble lui être étranger et il fait pour son jeune compagnon le catalogue de ses plaisirs de ses vives et de ses passions qu’il tire autant de sa pelisse usée que de son imagination. C’est bien un personnage comme on aimerait en rencontrer, hors du temps et du commun mais à la fois énigmatique, inquiétant, diabolique peut-être?

     

    Et puis il y a cette évocation de Venise, entraperçue sur le pont d’un vapeur qui se découvre au spectateur à travers les lambeaux du brouillard. Étrange spectacle que ces palais qui s’effondrent comme tombe la neige, que ces personnages qui semblent jouer une sinistre comédie pour pénétrer dans une sorte de mort annoncée! Tout cela n’est sans doute rien d’autre qu’un décor, sorte de rêve à demi-éveillé où surgit de nouveau notre aristocrate italien... mais déjà un train attend sur le quai d’en face...

     

    Ce roman est bien digne de la devise de la collection « Quand le plaisir de lire rejoint le plaisir d’écrire. De courts textes. De grands écrivains »

  • IL AVAIT DANS LE COEUR DES JARDINS INTROUVABLES - José GIOVANNI

     

     

     

    n°204 - Mars 1999

     

     

    IL AVAIT DANS LE COEUR DES JARDINS INTROUVABLES - José GIOVANNI.

    EDITIONS ROBERT LAFFONT.

     

     

     

     

    Son nom était associé à des romans et à quelques films vus au cinéma ou rediffusés à la télévision. Il disparaissait pour moi et sans doute pour beaucoup d’autres derrière ceux des acteurs célèbres qui les avaient interprétés. Pourtant, je dois le dire, ce livre m’a passionné, mieux il m’a ému, bouleversé.

     

    J’ai toujours cru que le rôle des vivants est d’honorer les morts, de satisfaire à ce devoir de mémoire dont ils sont comptables. Les traces qu’un être humain laisse après sa mort sont tellement ténues qu’elles s’effacent vite et le temps recouvre ce qu’a été sa vie, son passage sur terre. L’amnésie est un vrai fléau!

    Rendre hommage est une chose bien difficile quand on n’a à sa disposition que l’épaisseur des mots. C’est vrai « qu’il ne s’agissait pas de vouloir jouer à être écrivain! Il s’agissait de laisser s’écouler les sentiments comme une source ». C’était simple « Vous prenez ce que vous avez à pleines poignées et vous le jetez sur le papier » Une gageure!

    Peut-être parce que ce travail d’écriture sonnait aux oreilles de ce fils comme un devoir auquel il ne pouvait se dérober et qu’il ne rencontrerait l’apaisement que lorsqu’il aurait couché sur le papier tout ce qu’il avait sur le coeur? On objectera que la mémoire enjolive. Voire! Il y a des aveux qui ne trompent pas «  Toujours ce retard entre mon père et moi. J’essaie encore aujourd’hui de le rattraper comme un coureur distancé qui a mal à chaque tour de roue ».

    C’est bien cela, une histoire de tiraillements entre un père et son fils, faite d’absences, de renoncements, d’espoirs déçus. On ne dira jamais assez la valeur de l’exemple qu’un père donne à ses enfants. Il vaut tous les doctes traités sur l’éducation. Joe, fut un père absent, plus passionné par le jeu et par les femmes que par sa propre famille. Cet homme pusillanime se laissa entraîner dans la marginalité, montrant à ses deux fils une bien mauvaise image de lui-même. Ils le suivront à des degrés divers malgré Lilie, la mère devenue possessive à force d’être trop aimante!

     

    Le lecteur ne sait plus s’il s’agit d’un roman dont le personnage principal, Joe, procède de l’imagination de l’auteur ou bien si c’est une histoire réelle qui nous est ici narrée tant le style mêle, agréablement d’ailleurs, la première et la troisième personne. Cela se termine en apothéose puisque l’auteur s’adresse directement à lui en lui offrant « son livre »!

    C’est dans le ton d’un roman policier que Giovanni nous conte ce récit qui, au vrai, sort de l’ordinaire. Il n’oublie pas de le recadrer dans l’Histoire, celle de l’humanité comme un clin d’oeil pour nous convaincre, s’il en était besoin, que tout cela n’est pas tout à fait imaginaire. Il n’omet pas non plus d’y glisser des aphorismes et des images poétiques.

    Mais revenons au texte de cet infatigable « raconteur d’histoires » propose à son lecteur qui devient au fil des pages presque son intime. Au début cela prend la forme du rêve américain pour ce petit émigrant corse qui quitte son pays, encore adolescent, au seuil du XX° siècle. Pour seule richesse il a son regard bleu et un jeu de cartes (plus quelques louis d’or). Ils incarneront son parcours marginal sur cette terre: le poker et les femmes! Puis, à peine arrivé c’est à nouveau cette quête de celui qui veut se faire une place dans ce nouveau monde où pourtant il se sent étranger. La délicate alchimie de sa vie se marie mal avec cette société en constante recherche de ses marques, en recomposition... La Grande Guerre se déclare. Il part pour la France... Et il y restera. N’est-ce pas, après tout son pays d’origine, celui de Napoléon I° qu’il admire tant? La fortune lui sourira largement puis l’abandonnera.

     

    « Une fois la vie tracée, on ne peut pas ne plus poursuivre » écrit Antoine de Saint-Exupéry. C’est vrai que l’homme ne peut pas grand chose face à son propre destin sinon s’y conformer avec l’impression qu’il le fait librement.. Celui de Joe croisera celui de Santos, ce beau-frère, corse comme lui, et l’entraînera dans l’univers de la pègre. Ses deux fils Barthy et José, pourtant bien différents, l’un ressemblant à cet oncle douteux qu’il convenait pourtant d’éviter et l’autre plus attiré vers sa mère et vers la liberté de la montagne, seront comme fascinés par lui. L’aîné perdra sa vie dans une rixe.

    Pour José, le survivant, sa mère sera une bouée de sauvetage dans ce grand tangage familial. Elle aussi se bâtissait des châteaux en Espagne dans des expériences commerciales qui bien souvent tournaient court. Elle cultivait aussi l’illusion en recherchant jusqu’à la fin de sa vie d’improbables martingales qui devaient lui ouvrir, à la roulette, la voie de la fortune. De ces deux pôles du couple, la fourmi c’était elle, le bon exemple aussi!

     

    Ce livre en fait est la somme des rendez-vous manqués entre José, le fils et Joe le père qui préférait son monde de jeu et d’adultère à celui plus terre à terre de sa famille. Ce témoignage est sans fard, peint à petites touches précises et parfois incisives, sans complaisance...

     

    Pourtant la vie de Joe, le père absent, va basculer. Barthy, le fils aîné avait perdu la vie dans une affaire que la justice avait du mal à démêler. Parce José se trouvait là aussi et parce qu’il en était le seul survivant crédible, on s’empressa de la condamner pour l’exemple. Dans cette atmosphère délétère de l’après-deuxième guerre mondiale où dans notre pays la collaboration et les délations en tout genre avaient un peu fait oublier la grandeur de la France il fallait faire un exemple. Malgré sa conduite exemplaire au combat, les plateaux de la balance furent néfastes à José. Il fut condamné à mort.

    Dès lors son père Joe s’assigna un but : délivrer son fils des griffes de la justice qui au vrai avait été peu sourcilleuse dans le collationnement des preuves et avait un peu oublié la présomption d’innocence dont on nous reparle de temps en temps. Toujours l’exemple.

    Ce petit homme vieillissant, de plus en plus malade se battra donc par avocats et personnalités interposées pour atténuer les souffrances de ce fils. Il le soutiendra dans son combat, ne « vivra que pour lui » pendant ces années de détention, supportant avec lui les chaînes et les vexations, lui écrivant chaque jour, ne manquant aucun parloir. Il était devenu une figure dans ce café de la rue de la Santé qui fait face à la prison. Les deux hommes vivaient la même souffrance de part et d’autre des hauts murs de cette maison centrale.

    Puis, à force d’interventions, de combat au quotidien, de bouteilles jetées dans cet océan d’incompréhension qu’est bien souvent notre société il obtiendra du Président Auriol la grâce de son fils, de nombreuses remises de peine, la libération anticipée puis la réhabilitation. Pour une fois la justice reconnaissait son erreur... Mais cette dernière victoire il n’a pu la savourer. La mort l’a happé avant.

    Puis les choses se sont précipitées pour José. Lui dont on ne donnait pas cher de sa vie, même libre vit son existence s’éclairer. A cette époque ses amis étaient peu nombreux. Ils étaient surtout avocats. Ils l’incitèrent à écrire, à témoigner de ce parcours cahoteux. Il le fit et ce fut un succès. Le destin toujours! Lui à qui une cartomancienne avait prédit une improbable notoriété devint célèbre sous les yeux mêmes de son père. Se sentait-il coupable d’avoir par son exemple ou ses renoncements entraîner son fils dans cette parenthèse carcérale ou en était-il fier de lui au point de rester sans voix? Ce livre aussi parle des silences de celui qui a bien souvent ravalé ses paroles, qui n’a pas su incarner l’autorité du père en préférant la fuite. José lui rendra hommage après sa mort, afin qu’il demeure dans le souvenir des siens autant que dans la mémoire collective.

     

    J’imagine le soulagement de José Giovanni devant le livre enfin terminé, le point final mis à ce texte (fin 1994... en montagne) qu’il voulait offrir à son père par delà la mort, le chemin de croix qu’à été pour ce petit homme vieillissant, éternel dandy à l’élégance raffinée qui se mouvait si facilement dans le bluff du poker mais dont l’existence ne prit son vrai sens que lorsqu’il décida de se battre pour son fils. Il a réussi à repousser la mort pour le revoir vivant et libre.

     

    Les mots résument bien cela dans leur simplicité et leur dénuement « Voilà, père, c’est fini. Il ne me reste plus que le remords de t’avoir fait souffrir. Mais tu sais, je t’ai toujours aimé. »

     

    Oui, je le redis, c’est là un témoignage émouvant.

     

    © Hervé GAUTIER

  • RAINING STONES – Un film de Ken LOACH.

     

     

    N°174

    Novembre 1993

     

     

    RAINING STONES – Un film de Ken LOACH.

     

     

    L’histoire (si tant est qu’on puisse appeler cela une histoire puisqu’elle est de tout temps, se répète à l’infini et se nomme chômage, misère…) se déroule en Angleterre de nos jours. Nous voyons deux travailleurs anglais, sans travail, bien que «travaillistes », Bob et Tommy, tous les deux pères de famille, qui cherchent de bonne foi un emploi. On comprend très vite qu’ils n’en trouveront pas parce que le système est ainsi fait, qu’il joue contre eux et prospère sur leur dos. D’emblée, ils nous sont sympathiques parce que de bonne volonté. Bob se fait tour à tour égoutier, videur de boîte de nuit mais peu chanceux ou trop honnête, se retrouve sur le pavé. Pire, quand la chance semble lui sourire, on le prend pour un bénévole ou on l’expulse parce qu’il refuse le système… Pourtant le Père Barry lui dit que «tout homme a droit au travail et ne doit pas être critiqué s’il n’en trouve pas ».

    Avec Tommy dont la gouaille camoufle mal le désespoir, Bob se fait voleur de mouton, déracineur de green anglais, mais tous ces larcins ne parviennent pas à nous les rendre antipathiques, bien au contraire. Ces entreprises se révèlent être un fiasco au point que Bob se fera voler sa camionnette qui représente pour lui un travail potentiel. Sans le savoir, c’est peut-être à tout ce qui fait l’Angleterre de toujours qu’ils s’attaquent : le mouton et le gazon ! Mais ils cherchent toujours et sans relâche, refusant cependant la spirale de la drogue et de l’alcool qui, là-bas comme chez nous frappe même les enfants. C’est qu’ils veulent garder leur dignité malgré tout !

    Il y a autre chose Tout tourne autour d’une robe de communion que Bob veut offrir à sa fille Coleen, sa Princesse. Il est chômeur, certes, mais aussi catholique pratiquant et n’entend pas que sa fille soit plus mal vêtue qu’une autre ce jour-là. Alors il s’endette, jusqu’à menacer l’équilibre déjà précaire de son foyer, ment à sa femme sur l’origine de cet argent et refuse l’offre généreuse du Père Barry « L’école prête des robes…Personne n’en saura rien » Le simple fait que lui et son épouse le sachent suffit à lui faire refuser. Sa fille aura pour ce jour tout ce qu’il y a de mieux et ce sera une fête pour tous, immortalisée par une photo. Coleen gardera la robe en souvenir.

    Bob veut garder sa dignité qui le fait demeurer un homme. On sent bien que sans elle il glisserait sur la planche savonnée par la société, il serait tout juste une loque ravagée par la drogue et mangée par l’alcool. Si on le voit boire, c’est pour trouver le courage d’aller régler son compte à l’usurier qui représente pour lui plus qu’un danger. Si celui-ci met ses menaces à exécution, c’est sa raison de vivre qui disparaît… On craint le pire et le fragile équilibre risque d’être rompu définitivement.

    Il y a plus. Ce film sur la misère au XX° siècle est une photographie exacte et sans complaisance d’une société en pleine décadence qui refuse aux plus démunis de ses membres la survie élémentaire. Un tel système ne peut, en effet, durer et prospérer sur l’exclusion de certains de ceux qui la composent. Chacun y joue son rôle, semble nous dire Ken Loach, et quand l’usurier trouve la mort, par le truchement involontaire de Bob, les choses reviennent à leur vraie place, la morale remporte la victoire, il y a enfin une justice, et singulièrement elle vient du Destin, de Dieu qui prend ici les traits sympathiques du Père Barry qui comprend, conseille et pardonne quand Bob s’accuse du meurtre de l’usurier(«c’était juste un accident »lui dit l’homme d’Eglise) C’est tout juste si Bob n’a pas été le bras justicier de Dieu et c’est sans hésiter que le bon curé lui donne l’absolution et la communion. Il n’a pas d’argent, mais ses paroles s. Ken Loach a bien fait les choses en donnant au Père Barry le rôle que doivent avoir bien des prêtres catholiques dans ces banlieues ouvrières, bien loin de l’alliance classique de l'Église et de l’argent.

    Bob et Tommy sont tout en nuances et en émotions malgré leur côté désespéré. C’est Tommy qui pleure tout seul après avoir reçu l’argent de sa fille, c’est l’histoire de cette cité qu’on apprend par les yeux de ses habitants… Quelques mots, quelques images, on a compris et cela suffit !

    Il y a autre chose et c’est une gageure. Le rire accompagne les deux hommes qui veulent à tout prix garder le moral. La gouaille et l’humour parfois décapant colle à leurs tentatives. Seule l’intrusion de l’usurier nous fait peur, mais le talent de Ken Loach est là pour maintenir cet humour où la dérision le dispute parfois au suspense. Quand la police qu’il ne fréquente guère vient chez Bob après la mort de l’usurier, on comprend qu’il détourne les yeux de l’objectif du photographe. On sent la fin, le dénouement l’éclatement de cette famille qui est tout pour lui. Que nenni ! C’est pour lui annoncer que sa camionnette volée a été retrouvée ! Quand Bob parle de Dieu à sa fille, comme le Père Barry le lui a demandé, il est drôle et émouvant parce qu’il se trompe, en oublie et tente vainement d’expliquer avec des mots un mystère qui le dépasse.

     

    Ce qui fait que ce film est vrai et bouleversant, c’est sans doute que les acteurs n’ont pas eu beaucoup à se forcer pour camper les personnages. Ils sont ces personnages, on le sent. Alors, film politique, oui, et après. Il est l’image de la société anglaise après l’aire Tatcher. C’est en tout cas un film de référence (et à petit budget), une grande œuvre authentique !

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • LE PETIT SAUVAGE – Alexandre Jardin - Gallimard.

     

     

    N°145

    Février 1993

     

     

    LE PETIT SAUVAGE – Alexandre Jardin - Gallimard.

     

     

    Retrouver son enfance dans le caquetage d’un perroquet, revenir vers elle, bousculer au passage tous les attributs et artifices de la vie d’un adulte et de la réussite sociale pour découvrir l’esprit, l’espièglerie, le merveilleux de cette enfance, voilà la démarche de ce «petit sauvage ».

     

    J’avoue que l’entreprise m‘a un moment charmé et qu’elle était, tant par le style que par la conduite du récit une piste sur laquelle je souhaitais suivre cet ancien enfant qui reconstruisait, brique après brique cette période merveilleuse. Je l’y ai suivi jusqu’au bout …Le dédoublement de la personnalité du narrateur allait de soi «je résolus de réveiller le Petit Sauvage » déclare Alexandre Eiffel, et, pour cela, il entraîne avec lui non seulement l’enfant qu’il a été mais aussi les survivants de cette période bénie. A presque quarante ans, il voulait devenir digne du «petit Sauvage », mais aussi faire en sorte que les autres acteurs le soient de leur enfance, de leur jeunesse à eux.

     

    Pour cela, rien ne manque, pas même le décor (La Mandragore, le Collège Mistral), les personnages (Tout-Mama, les Crusoé), les amours fantasques de Marie Tonnerre dont la fille sera, quelques années plus tard l’actrice attentive et passionnée. Pourtant, bien qu’il ait essayé d’entraîner tout le monde dans son sillage et que chacun se soit prit au jeu un moment, les gens qu’Alexandre invite dans sa ronde effrénée ont vieilli et en ont assez de jouer, soit qu’ils aient été happés par la vie, soit qu’ils aient été rattrapés par le temps. Ainsi, Alexandre Eiffel devient-il «le Petit Sauvage » et, gaucher comme au temps de son enfance, se retrouve-t-il seul dans une sorte de mysticisme, rencontre-t-il Dieu comme on le fait d’ordinaire quand on est face à soi-même !

     

    Pourtant, cette folie tout entière contenue dans les paroles laconiques de perroquet de Lily, inlassablement répétées comme un avertissement ou un défi ne m’a pas apporté cette part de rêve qu’un livre doit impérativement prêter à son lecteur. Relisant mes notes et les articles parus dans cette chronique, je m’aperçois que j’avais été enthousiasmé par les trois premiers romans d’Alexandre Jardin. Ici, mon exaltation a été rapidement émoussée et s’est évanouie dans des rebondissements où l’invraisemblable le dispute aux longueurs. Je ne sais s’il s’agit d’une œuvre de fiction, mais le simple lecteur que je suis n’a pas ressenti, à l’occasion de ce roman, le même plaisir qu’avant. J’ai même éprouvé un certain agacement à divers aphorismes qu’on a du mal à imaginer sous sa plume !

     

    Alexandre Jardin met en exergue une citation de Jean Anouilh. J’y préférerais volontiers une autre d’Albert Camus « Certes, c’est une grande folie, et presque toujours châtiée, de revenir sur les lieux de sa jeunesse et de vouloir revivre à quarante ans ce qu’on a aimé et dont on a fortement joui à vingt ».

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • Michel RAGON, Vendéen, écrivain populaire.

     

     

    Avril 1992

    107

     

    Michel RAGON, Vendéen, écrivain populaire.

     

    Nous connaissons tous Michel Ragon, l’auteur du roman populaire " Les mouchoirs rouges de Cholet ".

    Un peu moins connu en revanche est le personnage lui-même qui apparaît en filigrane à travers propre histoire et celle de sa famille dans trois autres ouvrages qui donnent à voir un homme au parcours pour le moins original.

     

    A propos d’ " enfances vendéennes ", il indique ce que fut sa vie. Issu d’une famille de paysans vendéens, pupille de la Nation, il quitte l’école à quatorze ans pour devenir garçon de courses à Nantes. Manutentionnaire, aide-comptable, manoeuvre dans une fonderie à Paris, ouvrier agricole en Angleterre, bouquiniste sur les quais de la Seine, journaliste, il devient critique et historien de l’art moderne. Professeur à l’école Supérieure des Arts Décoratifs dans une université américaine, il soutient à cinquante ans une thèse de doctorat es-lettres en Sorbonne sur la modernité. Il complète l’audience nationale qui est la sienne en matière d’art par l’écriture de romans populaire car il est le type même de l’autodidacte, curieux de tout ce qui touche à la connaissance et attentif aux grands esprits de son temps. Il sait se souvenir de ses origines roturières dont il ne fait aucun mystère et qui, au contraire font sa richesse.

     

    Erudit, à l’immense culture toujours renouvelée et remise en question, il parcourt le monde en bourlingueur mais revient à son terroir vendéen comme à un port d’attache et donne à la littérature une dimension populaire qui lui manque trop souvent. Mais qu’on ne s’y trompe pas, devenir un écrivain populaire n’est pas si simple. Il rappelle lui-même que " la vocation de l’écrivain est monastique ".

     

    Une des nombreuses raisons de ce succès est sans doute que non seulement il n’a pas oublié ses origines (" La terre, la plume, le cuir, voilà les trois éléments de ma petite enfance. ") mais aussi qu’il est au carrefour de deux cultures, celle du paysan vendéen, jaloux de son histoire, de ses traditions et fier de ses racines (Il a su mieux que personne parler des petits métiers de la campagne), celle aussi du citadin du XX° siècle ouvert au monde et à la modernité. Ce n’est pas là un moindre paradoxe, d’où naît sans doute une culture fort riche et diverse qu’il aime à faire partager à travers des écrits accessibles à tous car, malgré son côté intellectuel indéniable, il reste un homme du peuple.

     

    C’est au sein de cette Vendée profonde qu’il passa sa merveilleuse enfance, malgré la mort prématurée de son père et les difficultés matérielles de sa mère. L’enfance, beaucoup d’écrivains en ont parlé. Michel Ragon recompose pour son lecteur cet univers qui fut le sien, avec ses fantasmes, ses phobies, ses espoirs aussi , mêlant agréablement le souvenir de Georges Simenon qui résida un temps à Fontenay le Comte, à celui de Rabelais qui fut en d’autres temps moine à l’Abbaye de Maillezais, à celui de Gargantua aussi, en n’oubliant pas que la Fée Mélusine a toujours été présente dans la forêt de Mervent ! Il évoque tout un folklore, à la fois laïque et religieux et le souvenir d’une enfance et d’un adolescence où la vie était rude.

     

    Dans " Adolescence nantaise ", il évoque Nantes la grise, immortalisée par une chanson de Barbara mais où l’histoire croise sous sa plume le quotidien avec l’évocation de personnages fugaces empruntés au passé. C’est un guide touristique où la nostalgie le dispute aux souvenirs personnels.

     

    Si on voulait affiner la raison de cette dimension populaire de l’écrivain, je dirais que outre l’intérêt tout particulier qu’on peut avoir pour les autodidactes authentiques ( ils ne sont pas si nombreux !), la fidélité est un élément important, essentiel même ! La lecture de " J’en ai connu des équipages " révèle davantage l’homme et son parcours.  Plus qu’un roman, c’est un entretien. On doit y voir l’ascension sociale de l’homme, ce qui sera toujours pour sa mère un but avoué, mais surtout, à travers la relation d’une vie laborieuse et dure, le message le l’écrivain et la fidélité à ses idées.

     

    Certes, il y a l’exigence de celui qui est pour lui-même son propre censeur, mais surtout il y a l’homme qui ne se laisse pas aveugler par la notoriété. Il jette sur le monde du quotidien, qu’il soit passé ou présent le regard de l’humaniste et du libertaire où l’anarchiste amoureux de la liberté reste présent et actif en assénant au passage, au monde politique, religieux et littéraire quelques vérités bien senties. Il est en effet difficile de voir en lui l’homme de la compromission. J’y préférerais, pour ma part, celui de la vigilance. Cela donne des phrases peu équivoques telles que " Tout contre-pouvoir qui accède lui aussi au pouvoir devient oppresseur. " ou " La complicité de l’écrivain avec le pouvoir est une trahison de sa mission. ". Car il est aussi volontiers critique à l’égard du monde des Lettres auquel il appartient, expliquant par exemple que " La grande baisse du tonus de la littérature française  actuelle tient à cette espèce de fonctionnarisation de l’écrivain. ", rappelant aussi que " (leur) vraie mission est d’être des créateurs d’un monde littéraire".

     

    C’est une évidence, mais il la formule en termes simples : " Un écrivain ne présente d’intérêt que dans son ?uvre, non dans son aspect physique. ", ou bien plus critique encore " Les écrivains ne sont pas meilleurs que les hommes politiques, ils sont pires parfois".

     

    Un autre élément, et ce n’est sûrement pas le seul qui lui donne cette dimension populaire est à mon sens l’hommage qu’il rend à sa région d’origine. Dans " L’accent de la mère " où il est, somme toute assez peu question de sa mère, peu de son père et de sa famille, il se livre surtout à une étude historique, sociologique et économique de la Vendée. S’il rappelle à l’occasion que l’histoire et écrite par les vainqueurs et jamais par les vaincus, il saisit là l’opportunité de rétablir, à travers ce qu’on appelle " Les guerres de Vendée " une vérité historique trop longtemps occultée par l’histoire officielle, parlant d’un véritable génocide franco-français perpétré dans cette province par les hommes de la Révolution bien peu soucieux de leur devise républicaine pourtant hautement proclamée !

     

    Il donne, à cette occasion un éclairage historique intéressant sur une page de notre mémoire nationale, bousculant au passage bien des idées reçues, tirant des leçons inattendues de l’histoire et des hommes qui la font. Dès lors, il n’est pas étonnant que sous sa plume soit évoquée la Vendée protestante, ouvrière et progressiste alors que cette région était traditionnellement vouée au catholicisme, au royalisme et à l’obscurantisme…

     

    Homme de culture, il n’oublie pas que pour expliquer un terroir, il faut certes la connaissance de son histoire mais aussi y mêler une bonne dose de merveilleux. Il cite opportunément Victor Hugo : " La Vendée ne peut être complètement expliquée que si la légende complète l’histoire. Il fait l’histoire pour l’ensemble et la légen,de pour le détail ".

     

    Authentique écrivain situé au carrefour de deux cultures, il n’en a pas moins été soucieux de restituer la vérité historique de sa province, d’y rester fidèle ainsi qu’à ses idées et à ses origines. Il reste le chantre de l’identité vendéenne. C’est en tout cas pour moi ce qui fait l’intérêt de l’écrivain et de l’homme et sans doute une grande part de son succès.

     

     

    (c) Hervé GAUTIER.

  • GEORGES et LOUISE - Michel RAGON Editions Albin Michel.

     

     

    N°234

    Février 2001

     

     

    GEORGES et LOUISE - Michel RAGON Editions Albin Michel.

     

     

    On s’étonnera peut-être que Michel Ragon, dont le parcours dans la vie et dans la littérature est des plus exemplaires qu’il choisisse de parler de deux personnages aussi apparemment différents que la révolutionnaire Louise Michel, fille naturelle, institutrice, pauvre et délicate poétesse et l’homme politique mondain et ambitieux, le médecin et riche bourgeois qu’était Georges Clemenceau.

     

    A priori tout les oppose mais ces deux êtres portaient en eux la révolte, la volonté de faire changer le monde, même si leurs chemins divergèrent parfois, ils restèrent rebelles à cette société dans laquelle ils vivaient. Louise avait épousé la cause des pauvres, des déshérités et Georges, quand il la rencontra à Montmartre dont il était la maire, fut frappé par son immense charité, bien qu’elle ne fût pas chrétienne, au contraire ! Il choisit donc de l’aider financièrement comme l’aideront plus tard le Marquis de Rochefort et la Duchesse d’Uzès ! C’est que Louise ne laissait pas indifférents ceux qui la rencontraient !

     

    Pendant tout son chemin, Louise a opté pour l’action politique, parfois violente mais Georges lui préféra toujours l’action parlementaire, plus feutrée mais pas moins efficace. Pendant la Commune, l’action de Louise sera modeste mais pendant son procès elle prendra sur elle toute la responsabilité des émeutes, bravant ses juges et la condamnation à mort. Finalement ce sera la déportation en Nouvelle-Calédonie où elle n’oubliera pas son engagement humanitaire définitif. Il se fera en faveur des Canaques !

     

    On sent qu’il s’apprécie ces deux personnages que tout sépare. Ne compare-t-on pas à Jeanne d’Arc celle qui fut, un peu après coup, la Passionaria de la « Commune », ne porte-t-elle pas le deuil de cette révolte avortée, de tous ces fusillés, de tous ces morts pour la Liberté ?

     

    On sent bien que cet autodidacte authentique qu’est Michel Ragon, qui porte aussi en lui la révolte, aime peut-être davantage Louise Michel pour la droiture de son action. L’histoire l’a fait croiser la route de Clemenceau, vendéen comme lui, révolté aussi et de cette rencontre est née plus qu’une amitié, une sorte d’admiration réciproque dont leur correspondance témoigne.

     

    Ce qui passionne Michel Ragon c’est sans doute aussi le souci qu’il a de livrer à son lecteur l’histoire authentique comme il le fit à de nombreuses reprises, notamment à propos des « Guerres de Vendée », même si ce qu’il écrit dérange, est en marge de l’histoire officielle dont on sait qu’elle est toujours écrite par les vainqueurs !

    Il aime la révolte même si elle est utopique car nous savons bien que cela aussi et peut-être même surtout fait avancer le monde, le fait évoluer et non s’engoncer dans des idées reçues. On sent qu’il les aiment ces oubliés de l’histoire qui ont su, eux-aussi et à leur manière œuvrer pour le triomphe des valeurs de notre république. Il ne quitte jamais des yeux son modèle, sa « Vendée » !

     

    Il tient à nous dire qu’il apprécie les être humains pour ce qu’ils sont mais surtout quand ils sont fidèles à leur idéal. Ennemis peut-être mais qui forcent le respect par leur droiture et le refus de la compromission, la fidélité à leur engagement personnel, oubliant les clivage sociaux, les opinions divergentes.

     

    L’auteur, véritable humaniste, n’oublie pas de rappeler des évidences, que le pouvoir corrompt, rend oublieux parfois des engagements pris qui ne sont jamais tenus et il conclut (sans doute) avec Louise « C’est que le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste. ». Il n’oublie pas non plus de se situer dans son siècle, l’histoire étant, nous le savons un éternel recommencement et c’est pleinement conscient de ce qu’il écrit qu’il note pour son lecteur attentif ( et ce sont ses propres termes) « La gauche au pouvoir n’est plus la gauche ». Cette remarque me paraît à moi, avoir été dans un passé récent ( et peut-être aussi dans le présent ?) marqué au point du bon sens !

    On sent bien sous la plume de notre auteur le vendéen frondeur qu’il continue d’être et lui de citer Clemenceau encore une fois «  Ce peuple vendéen a quelque chose de sauvage et de buté qui me plaît ! »

     

    Dans sa haine du pouvoir Louise, à son retour en France, va désirer ardemment tuer Gambetta comme elle avait pensé exécuter Thiers pendant la Commune. Pour elle ce qui importait c’était « que ça pète »

     

    Elle n’est pas exempte de contradictions non plus, elle qui désira faire sortir les femmes de leur condition inférieure mais refusa de militer pour leur droit de vote. Elle resta célibataire pour ne pas être assujettie à une homme mais défendit quand même la cause des femmes que la Commune oublia un peu vite. Elle refusa même un mandat parlementaire qui lui aurait sûrement permis de faire bouger les choses, certes plus lentement, mais dans la légalité. Elle restait pour Clemenceau « l’incarnation de l’éternelle révolte des gueux, l’image de la Révolution ».

    Pourtant c’est Clemenceau qui fait évoluer les choses en instituant de nouvelles libertés politiques et syndicales, s’élevant contre la répression et la peine de mort, militant pour l’institution de retraites ouvrières, pour l’école laïque et gratuite.

     

    Mais la «  veuve rouge », celle qui porte si haut le deuil des communards morts, va finir par être manipulée, huée même. Elle devient impopulaire, un comble pour elle tandis que Clemenceau prend la première place dans le monde politique. A elle le combat au quotidien contre la misère, la pauvreté et les injustices, à lui les mondanités et les honneurs. Lui si élégant et raffiné si soucieux de sa personne, elle négligée jusqu’à l ‘outrance car ce qui les sépare malgré tout c’est bien le milieu social.

     

    Nous la découvrons aussi « femme de plume » non seulement auteur de romans poèmes et pièces de théâtre mais aussi ardente lectrice de science fiction, amie d’un « lointain » Hugo, admiratrice de Zola et célébrée par les poètes symbolistes, moins, il est vrai, pour son talent que pour son engagement politique.

     

    C’est que la voilà désormais, après un long séjour hors de France, conférencière, mais son image ne fait plus recette. Elle est de plus en plus contestée, elle essuie des quolibets. Ses atermoiements, ses silences coupables lui ont peut-être valu cet attentat où elle échappa à la mort, pardonnant cependant à son agresseur. A ce moment peut-être plus qu’à tout autre elle mérite son surnom de « Vierge rouge ».

     

    Georges et Louise se sont toujours suivis malgré les divergences de parcours. L’homme politique a toujours été aux côtés de l’anarchiste un peu comme son double, l’autre face d’un Janus, l’un dans la lumière et l’autre dans l’ombre, un peu comme si l’un osait faire ce que l’autre n’osait pas !

     

    Michel Ragon, on le sent bien, domine son sujet, plus, celui-ci le passionne. Il sait quand même pointer du doigts, même s’il est sous le charme de cette Louise, les insuffisances de ce personnage complexe. D’elle et de Georges je crois bien que c’est elle qu’il préfère sans doute parce qu’elle est restée fidèle jusqu’au bout à elle-même alors que Clemenceau, malgré ses idées libertaires affichées sera constamment tenté par le pouvoir et finira pas succomber. Si elle avait fait sienne la devise de Blanqui « Ni Dieu ni Maître » qui, si je me souviens bien avait aussi été celle de Cathelineau, voiturier vendéen qui commanda les Blancs au début des Guerres de Vendée, Clemenceau aimait le pouvoir pour ce qu’il était.

     

    Puis, lui qui était surtout capable de faire et de défaire les gouvernements, porté par le Bloc des Gauche , devint député puis, comme il aimait à le rappeler, « le premier flic de France » et enfin Président du Conseil, reniant beaucoup de ceux qui avaient été ses amis et l’avaient soutenu et, pire encore faisant réprimer par la troupe les émeutes ouvrières du nord et les révoltes paysannes du sud de la France. Louise était déjà morte, un peu comme si la griserie du pouvoir prenait le dessus, comme si son mentor de l’ombre, son contrepoids n’existant plus. II était en quelque sorte libéré !

     

    C’est vrai qu’il s’en moqua un peu de ce pouvoir mais pour mieux s’en emparer et oublier que dix ans plus tôt il souhaitait  réduire l’action du gouvernants «  à son minimum de malfaisance ». Pourtant, dans la mémoire collective, c’est sous le nom de « père la Victoire », jusqu’au-boutiste, revanchard, cocardier, patriote qu’il restera, le comble pour un anarchiste et un antimilitariste. Lui aussi essuya un attentat et comme Louise protesta contre la peine de mort pour son agresseur .

     

    Pour s’excuser peut-être Clemenceau disait de lui qu’il était un mélange d’anarchiste et de conservateur mais refusait d’indiquer dans quelle proportion ! Il rappelait qu’il avait eu ses heures d’idéologie et qu’il n’était pas disposé à les regretter.

     

    A travers ces pages écrites simplement comme à son habitude, c’est à dire pour être lues et comprises, Miche Ragon se fait (et avec quel brio) un peu l’historien de l’anarchisme et on ne peut que souligner l’important travail de recherche qu’il a mené pour écrire cet ouvrage, pour montrer la part d’anarchisme qu’il y avait chez l’homme de pouvoir et la part de rêve qu’il pouvait y avoir dans cette petite silhouette frêle qui incarna l’insoumission sans renoncer à l’amitié et à l’argent des riches, même si elle n’en profitait pas elle-même. Ces portraits croisés ont quelque chose d’émouvant .

     

    Le choix qu’a fait Michel Ragon d’en être l’auteur vient sans doute du fait que Louise et Georges se sont beaucoup écrit pendant leur vie mais, à mon avis, c’est un peu la condition humaine qu’il a évoquée à travers ces deux personnages, sa complexité ses nuances, ses renoncements…

     

    © Hervé GAUTIER. http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • LA CONTREBASSE – Pièce de Patrick SUSKIND avec Jacques VILLERET.

     

     

    N°157

    Juin 1993

     

     

     

    LA CONTREBASSE – Pièce de Patrick SUSKIND avec Jacques VILLERET.

     

     

     

    Au risque de passer pour un importun et d‘aller à l’encontre d’une opinion laudative, je dirai que cette pièce, écrite en 1980 par Patrick Suskind m’a laissé une impression mitigée, pas vraiment mauvaise, mais largement en-deça de tout le bien que j’en ai entendu dire.

     

    Non que Jacques Villeret fût mauvais, tant s’en faut, mais le texte m’a paru très moyen, et si cette pièce se veut être une comédie, il n’y a pas là de comique de mots, pas davantage de comique de situation. A preuve, le rire, quand le public en gratifie l’interprète, va plutôt à un effet de scène de Villeret qui, à mon sens, rachète beaucoup le texte.

     

    De quoi s’agit-il ? simplement d’un homme de 35 ans qui connaît une solitude forcée (soulignée d’ailleurs par un monologue de 2H30 – une véritable performance pour l’interprète), un petit fonctionnaire de l’Orchestre National qui a renoncé à une carrière de virtuose plus en vue, pour préférer cet instrument encombrant qu’est la contrebasse ! Pourtant, a-t-il vraiment choisi ?

     

    Au vrai, il est cossard, et qui plus est, limité dans ses possibilités. Il passe son temps à ressasser ses échecs. C’est un petit musicien d’orchestre, « un contrebassiste du 3° pupitre au fond » (derrière lui, il n’y a plus personne) à qui on ne fait guère attention et qui peut se permettre, en toute impunité, de ne jouer que quelques notes sans qu’on relève ses manquements ! Après tout, il ne sert que d’accompagnement !

     

    C’est un être irascible qui passe ses nerfs sur son instrument, n’y voyant qu’un exutoire, se contentant de boire de la bière et de caresser les formes de sa contrebasse, faute de pouvoir effleurer celles de Sarah, la chanteuse soprano qu’il aime en secret, qui ne le connaît pas et qu’il n’aura jamais. C’est un être cupide, envieux, pusillanime, méchant et sans envergure qui remet chaque jour au lendemain le coup d’éclat qu’il prépare depuis longtemps, celui de lancer son cri d’amour à Sarah, en plein orchestre, ce qui attirera l’attention sur lui… mais lui coûtera sa place !

     

    C’est un être mal dans sa peau, aussi petit que son univers quotidien de fonctionnaire. Il n’a peur de rien, mais ne fera rien pour être mieux qu’un modeste contrebassiste mal payé et qui rêvera toute sa vie de celle des autres, de ceux qui emmènent Sarah « dans des restaurants de poissons ». Lui restera éternellement à la porte, écarquillera les yeux à travers la vitre, mais ce sera tout ! Il est amer, un peu raciste, quant à la musique, s’il en joue, c’est sans l’aimer vraiment.

     

    On aurait pu imaginer, puisque nous sommes en pleine fiction qu’un dialogue surréaliste s’installe sur scène et que l’instrument prenne la parole et réponde au personnage. Là un effet comique eût sûrement été au rendez-vous… Mais la contrebasse reste muette, se contentant d’imposer sa silhouette massive jusqu’à la fin. C’est que le personnage n’a rien de comique en lui-même, il joue le rôle ingrat de celui qui s’est égaré dans cette vie qu’il voyait autrement pour lui. Il s’y débat seul, sans grand espoir ni peut-être volonté d’échapper à sa condition qui ressemble pourtant à la condition humaine ordinaire.

     

    Je le répète, Jacques Villeret sauve cette pièce. Je pense simplement qu’on s’est trompé de registre en voulant en faire une comédie, alors que c’est d’un drame qu’il s’agit.

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • CONTES D'AMOUR DE FOLIE ET DE MORT - Horacio QUIROGA - Editions Métailié /Unesco.

     

     

    N°223

    Mai 2000

     

     

     

    CONTES D’AMOUR DE FOLIE ET DE MORT - Horacio QUIROGA – Editions Métailié /Unesco.

     

    A priori le lecteur pourrait croire qu’il s’agit de récits qui sont imaginaires et fantastiques et qui s’inspirent de la condition humaine. De quoi, en effet, parlent les artistes et spécialement les écrivains depuis l’aube des temps sinon de l’homme, de son quotidien, de ses aspirations, parfois de ses fantasmes et de l’issue de sa vie ?

     

    Pourtant, dans la trilogie classique « La vie, l’amour, la mort. », j’ai rencontré chez Quiroga surtout la dernière. Ses contes m’ont fait penser à la phrase d’Yves Bonnefoy « La mort est un pays que tu aimais. ». C’est en effet un thème récurrent chez l’écrivain uruguayen puisqu’elle a fait très tôt partie de sa vie. Ce fut d’abord celle de son père puis celle de son meilleur ami Federico Ferrando qu’il tua accidentellement, celle de son frère, de sa sœur puis de sa première femme. Mais ce fut surtout le suicide, celui de son beau-père puis le sien en 1937. Il fait le joint entre ces trois mots, en est l’issue définitive.

     

    Il faut se rappeler que c’est à partir du suicide de son beau-père en 1896 qu’il commença à écrire.

     

    L’homme porte en lui la mort comme un germe, comme un poison. Notre auteur, à qui la condition humaine n’était point étrangère a su si bien l’exprimer dans sa simplicité mais aussi dans sa complexité, dans son horreur comme dans sa violence. Même si le Cantique des Cantiques rappelle que « l’amour est plus fort que la mort », c’est pourtant elle qui gagne à la fin, sans que nous y puissions rien !

     

    La solitude qui bien souvent est la cause ou la conséquence de la folie fait aussi partie de son être. Il s’est lui-même exilé en pleine forêt. Il en fera la matière de certains de ses contes, le décor, l’essence.

     

    Dans cette forêt se confondent et s’opposent deux civilisations, celle ancestrale des indiens Guaranis et celle des blancs des grandes compagnies étrangères. En cela, Quiroga, amoureux de cette nature dénonce un système ce qui fait de lui un écrivain engagé. D’autres suivront son exemple !

     

    Ecrivain de la vie, il sait que nous ne sommes ici que de passage. La durée nécessairement courte de notre existence s’incarne chez lui dans le conte ou la nouvelle, forme brève qui porte en elle toute la nécessité de dire, avec une grande économie de mots, le message qu’il porte en lui. Le style est, plus que dans le roman, épuré, dépouillé parfois, toujours sans artifice. Autant dire qu’il choisit d’aller à l’essentiel.

     

    Il y a aussi du fantastique, du merveilleux, de l’étrange chez Quiroga. Cela peut faire partie de notre vie comme il faisait sans doute partie de la sienne, de son imaginaire, sûrement ! Ses textes en sont aussi les témoins.

     

    La mer est présente dans cette œuvre. Elle fait, au même titre que la solitude, la folie et la mort, partie de la vie de l’auteur. Son père, marin, inspira de son exemple l’écriture de ce fils.

     

    Peut-on dire que son écriture débouche Dieu ? Quiroga pourrait-il être regardé comme un écrivain mystique comme on a pu le dire ? Je dois avouer que je n’ai pas lu ou senti cette dimension dans ses textes. Pourtant j’y ai rencontré bien des préoccupations humaines et personnelles. C’est pour moi un beau livre !

     

    © Hervé GAUTIER.

  • GILLES & JEANNE - Michel TOURNIER - Editions Gallimard.

     

     

    N° 205 - Mai 1999

     

     

    GILLES & JEANNE - Michel TOURNIER - Editions Gallimard.

     

     

    Je l’ai souvent dit dans cette chronique, la nouveauté d’un livre n’est pas un critère suffisant pour susciter mon intérêt. J’ai vérifié encore une fois cette évidence avec cet ouvrage.

     

    L’histoire nous enseigne que Gilles de Rais, Maréchal de France était le compagnon d’armes de Jeanne d’Arc. Les contes nous l’ont également dépeint sous les traits de « Barbe bleue ». J’avoue que le personnage m’avait un temps intéressé et avait éveillé ma curiosité mais j’en étais resté là, sans réelle envie d’en savoir davantage. Les stéréotypes ont parfois la vie dure!

    Je savais aussi qu’il était grand amateur d’art et de chants d’église, créateur d’une chorale pour la chapelle de son château de Tiffauges, qu’il était connu pour être l’assassin et le sodomite de jeunes garçons qu’il recrutait notamment pour leur voix. Je connaissais enfin sa mort tragique sur le bûcher à Nantes. Tout cela c’était l’histoire.

    La lecture de ce roman pris au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque, dans le seul but d’enrichir ma connaissance de l'œuvre de Michel Tournier m’a émerveillé. Je ne partage pas exactement sa vision des choses, mais enfin ce roman explique à sa manière ce qu’était cet homme et j’avoue que cela m’a bien plu.

    A travers un travail d’historien, d’érudit qui ne commence jamais un livre sans une foule de notes(ce que j’apprécie aussi dans les romans qui sont des œuvres imaginaires c’est d’apprendre quelque chose, de recevoir un message sous les apparences parfois anodines du conte. J’ai tout loisir de l’interpréter à ma manière selon ma sensibilité du moment.), notre auteur révèle que les meurtres et les crémations d’enfants seraient pour lui une obsession depuis qu’il a assisté à Rouen au supplice de Jeanne d’Arc. Dès lors, pour lui Jeanne étant une sainte, le bûcher et l’odeur qui s’en dégage ne pouvaient être que l’image du Ciel et de la sainteté.

    La dévotion qu’il avait pour « Les Saints Innocents », ces enfants qui furent massacrés sur l’ordre du roi Hérode expliquait la quête qu’il menait dans les villages entourant ses châteaux de ces enfants qu’on ne revoyait jamais. Au spectacle d’enfants égorgés, Gilles ressentait une certaine jouissance en se demandant si la pitié qu’il éprouvait pour ces petits êtres procédait de Dieu ou du Diable.

    La disparition de Jeanne d’Arc avait été pour Gilles de Rais une épreuve au point qu’il paraissait possédé par son fantôme. Il recherchait son visage, celui d’une femme-garçon dans tous les êtres jeunes qu’il rencontrait. Son âme errante l’obsédait au point de la voir partout.

    Toutes ces « turpitudes » seront interprétées par un aventurier toscan fort disert et connaissant bien l’Ecriture qu’il interprète à sa manière, entraînant cependant Gille sur les voies de la sorcellerie... pour mieux retrouver Jeanne et son esprit! D’ailleurs ne l’avait-on pas chargée de ce chef d’inculpation?

    Puis ce fut le procès conduit par l’Evêque de Nantes, Jean de Malestroit où tout fut dit même si cette procédure visait aussi à le déposséder de ses immenses richesses et de son influence politique. C’est vrai aussi que Gilles se métamorphosa, qu’il apparut à la fin comme repentant et soumis, absout certes par son confesseur qu’il avait souvent laissé circonspect à l’énoncé de ses pêchés. Était-ce pour retrouver Jeanne qu’il confessa lui même toutes les fautes dont on l’accusait et qui réclama lui-même la sentence du bûcher? A entendre notre auteur, Gilles avait juré de la suivre jusqu’à la mort.

    Même si je ne souscris pas à la démarche de Michel Tournier je dois avouer quand même avoir passé un bon moment en sa compagnie.

     

    © Hervé GAUTIER