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la feuille volante

Jean-Paul Dubois

  • Si ce livre pouvait me rapprocher de toi

    N°1723 – Mars 2023

     

    Si ce livre pouvait me rapprocher de toi – Jean-Paul Dubois – Éditions de l’olivier.

     

    Paul Permüller, 46 ans, est un écrivain plein de doutes et qui exerce sans conviction des petits boulots. Après son divorce et désespéramment seul, il décide de reprendre sa vie en mains et de partir pour le Québec où son père allait deux fois par an pour pêcher le brochet sur un lac où il s’est noyé. Il est accueilli à Montréal par un ami de son père qui lui révèle laborieusement un secret auquel il n’était pas préparé.

    J’apprécie les romans de Jean Paul Dubois et le film de Philippe Lioret (2016) qui s’en inspire sans pour autant en être une adaptation m’a paru être parfaitement être dans l’ambiance que tisse à chaque occasion cet auteur.

     

  • Les accommodements raisonnables

    N°1649– Juin 2022

     

    Les accommodements raisonnables – Jean-Paul Dubois - Éditions de l’Olivier.

     

    Les deux frères Stern se haïssent cordialement et surtout ne se ressemblent pas. Charles, riche et flambeur doit son immense richesse à des manœuvres inavouables menées dans une période troublée, tandis qu’Alexandre est plus besogneux, moins hâbleur, plus traditionnel et même bigot. Après le brusque décès de Charles, Alexandre, son seul héritier, se transforme complètement et choisit de profiter de la fortune de son frère et même de sa maîtresse, baptisée John-Johny, qu’il veut épouser puisque son veuvage le lui permet, l’exact contraire de sa vie d’avant. Une telle métamorphose étonne ses proches mais c’est sans compter, certes avec la génétique et ses mystères, mais surtout avec l’égoïsme, l’hypocrisie et le mensonge inhérents à l’espèce humaine surtout quand l’intérêt ou le plaisir personnels sont en jeu.

    C’est le fils d’Alexandre, Paul, la cinquantaine, qui évoque cette histoire, mais aussi sa réaction personnelle. Il est, pour l’heure, employé aux studios de cinéma de Los Angeles pour remanier des scenarios foireux. Pour cela il a laissé à Toulouse sa femme Anna, dépressive, ses trois enfants et ses petits enfants ; c’est une sorte de fuite puisqu’il s’aperçoit que tous ces gens lui échappent et son père cherche à ne pas distendre les liens qui l’unissent à ce fils désormais lointain. A Hollywood, il rencontre un autre monde différent, l’alcool, le sexe, l’argent, la drogue et même un étonnant champignon, mais ses névroses à lui s’éclairent à la rencontre de Selma Chantz, une femme sensuelle, la copie exacte d’Anna mais avec trente ans de moins et son père épouse John-Johny.

    Parmi ces accommodements qui émaillent sa vie, Paul admet le nouvelle vie de son père et son mariage, la maladie et l’isolement de sa femme, l’éloignement de ses enfants et petits-enfants. Le mariage de son père le laisse quelque peu perplexe comme l’avait interloqué son changement d’attitude au décès de son frère. C’est sans doute étonnant de voir un homme âgé épouser une femme qui pourrait être sa fille, mais c’est relativement courant et Paul, toutes choses égales par ailleurs, tombe dans le même travers avec Selma, même s’il ne l’épouse pas. Je serai toujours étonné par cette réaction humaine de la part de gens, hommes et femmes, par ailleurs raisonnables, de tout abandonner ce qu’ils ont laborieusement construit pour un hypothétique bonheur dont nous savons qu’il n’est que temporaire, un coup de foudre comme une seconde naissance ou plus sûrement la volonté de rattraper le temps perdu, malgré la traditionnelle culpabilisation judéo-chrétienne. Vivre au quotidien, avec des sentiments, certes érodés par le temps, est peut-être raisonnable, ce qui l’est moins est de céder à une toquade, mais il est un fait que c’en est devenu banal. On dira ce qu’on voudra mais nous passons notre temps à nous adapter aux changements qui interviennent dans notre vie, que nous les ayons recherchés ou pas. Ils sont ces petits arrangements qui nous aident à en supporter les injustices, les maladies, les hasards, les choses que nous nous résignons à accepter ou les malheurs qu’elle nous impose, avec les regrets, les mensonges, les non-dits, les hypocrisies, et à faire prévaloir la vie sur la mort.

    J’ai lu cela comme une histoire finalement bien ordinaire de la crise de la cinquantaine, une parenthèse américaine vite refermée qui veut faire échec au temps qui passe malgré nous, qui veut entretenir l’illusion qu’on peut sortir de la routine dans laquelle on s’est soi-même enfermé, que notre vie n’est que temporaire et qu’il faut laisser faire les choses et rentrer dans le rang.

    J’ai retrouvé avec plaisir le style de Jean-Paul Dubois.

     

  • Une année sous silence

    N°1646– Juin 2022

     

    Une année sous silence – Jean-Paul Dubois – Éditions Points.

     

    Dès les premières pages de ce roman, il m’est revenu en mémoire cette citation de François Nourissier « Les hommes et les femmes qui sont faits l’ un pour l’ autre n’existent pas » C’est sans doute une évidence, même si elle va à l’encontre de toutes les choses fausses qu’on débite à l’envi à propos du mariage mais que les événements se chargent de contredire.

    Entre Paul et Anna, la cinquantaine tous les deux, le mariage n’est qu’un décor et on sent bien qu’entre eux rien de subsiste de ce qui jadis les a uni ; mal marié, il se sent de plus en plus étranger dans sa propre maison mais continue sa vie et l’idée de la mort s’installe petit à petit. C’est cependant Anna qui choisit le suicide, peut-être associé à la folie. Dès lors on pourrait imaginer Paul libéré et profitant de la nouvelle vie qui s’offre à lui comme une revanche. Que nenni, c’est la solitude qu’il adopte et sa réaction est une mélange de timidité, de procrastination, de regrets, de fantasmes, de coups de folie névrotiques et parfois libidineux, de fatalisme, une sorte de retrait définitif du monde où il n’aurait pas sa place. En réalité, je l’ai ressenti comme un malheureux sur qui s’acharne le destin et qui, quoiqu’il fasse, sera toujours la proie de la malchance. Il continue de vivre sa vie comme une épreuve qu’il n’a pas choisie mais qu’il subit en silence, se disant que, heureusement, tout cela aura une fin qu’il attend en se demandant quand et comment elle arrivera.

    Il est obnubilé par son sexe, fasciné par le corps des femmes qui se confond dans son esprit dans l’image de la mère et de la femme, donnant à leurs seins deux fonctions bien différentes, la nourriture pour l’enfant et le plaisir pour l’homme. Il est aussi obsédé par la mort, celle des autres, à la quelle il assiste avec un mélange de d’indifférence et d’attirance et qui confine par moments à la nécrophilie. Il ne se contente pas de vivre en dehors du monde à la manière d’un délirant, il se venge en quelque sorte sur la société en choisissant des représentants emblématiques, un prêtre débauché et parjure qu’il espionne et tracasse, un psychiatre qu’il harcèle et mystifie. Ils sont l’incarnation de son rejet de la société comme les femmes le sont de son obsession sexuelle. Ils sont aussi l’image de ce qu’il abhorre dans le monde extérieur qu’il refuse, une sorte de manifestation de l’hypocrisie et du mensonge. Pour atteindre son but il se sert de leurs propres armes, la confession et la pseudo-guérison par la parole, ce qui prouve qu’il reste maître du jeu en choisissant, et lui seul, de rompre son silence. Il est aussi tourmenté par le souvenir d’Anna, non que son absence lui pèse, mais il ne manque jamais aucune occasion de régler avec elle, par personnes interposées ou dans le silence de lui-même, tous les comptes qu’il n’a pas eu l’opportunité ou le courage de solder avec elle de son vivant. Il remodèle son histoire et son quotidien personnels à l’aune de sa volonté, même si cela n’est que la manifestation de son imagination malsaine et n’a aucune chance de se réaliser, mais cette démarche atteste qu’il est à la fois conscient mais impuissant devant la réalité.

    J’ai retrouvé avec un réel plaisir l’écriture fluide de Jean-Paul Dubois dans ce roman intimiste qui me parait réaliste tel qu’il est présenté. Certes Paul est déprimé, mais avec ce qu’il vit et a vécu, comment ne le serait-il pas ? Tout a foiré dans sa vie, qu’elle soit familiale, amoureuse, personnelle ou professionnelle et si ce séjour psychiatrique dans le silence volontaire a duré une année, il n’a été qu’un intermède dans sa vie dévastée et quand il croisera le regard vide de la camarde ce sera une libération. Il entre de plain-pied dans la folie délirante et criminelle certes, mais celle-ci succède à une période de lucidité, de prise de conscience du dérisoire, du transitoire et surtout de l’ordinaire de sa vie, qu’il exorcise comme il peut par cette période de silence.

    Ce roman me paraît non seulement juste mais aussi correspondre à l’authentique perception de l’espèce humaine.

    ©Hervé GAUTIER – http://hervegautier.e-monsite.com

  • Vous plaisantez, monsieur Tanner

    N° 1493- Août 2020.

     

    Vous plaisantez, monsieur Tanner – Jean-Paul Dubois- Éditions de l’Olivier

     

    Il faut se méfier des successions autant que des artisans qui sont destinés à rénover les immeubles qui les composent. Pour les premières on a toujours des surprises à la réception quant aux seconds, ils vous trouvent toujours de bonnes raisons pour majorer les factures et augmenter les délais tout en n’oubliant pas de vous noyer sous une montagne d’arguments techniques auxquels vous ne comprenez rien mais vous laissent dans une situation de dépendance, tout en dénigrant le travail fait auparavant par un concurrent sans oublier de se plaindre en dénonçant les impôts, les charges, la conjoncture... Tout cela vise évidemment à emporter votre accord pour le devis qui ne garantit rien, les autorisent à vous assurer qu’au moins avec eux vous faites une bonne affaire, vous avez eu raison de leur faire confiance et que ne le regretterez pas! Et s’ils vous donnent un conseil, c’est toujours un conseil d’ami, même si vous ne le connaissez ni d’Eve ni d’Adam ! Les prétextes ne manquent pas qui illustrent davantage leur imagination que leurs capacités professionnelles, la survenue de miracles permanents qui font douter de l’efficacité des sanctuaires religieux, et, bien entendu, s’il y a des erreurs, elles ne peuvent évidemment pas leur être imputées ; bref on a la désagréable impression de voyager entre incompétence et arnaque. Et gare à vous si vous êtes tenté d’exercer un droit de regard sur leur travail et pire encore si vous avez l’outrecuidance de travailler sur leur chantier. Vous n’êtes là que pour faire le chèque, vous n’êtes que le vulgaire payeur, en évitant évidemment les remarques. Et tant pis pour vos insomnies ! C’est ce qui est arrivé à Paul Tanner, documentaliste animalier qui menait une existence paisible et solitaire avant de faire l’héritage d’une vieille bâtisse à rénover.

     

    Dans le panel qui nous est ici présenté, je remarque qu’il y a bien souvent des travailleurs immigrés, plus ou moins « payé au noir », illustration du concept du « travailleur détaché » ou du « plombier polonais », surtout au moment où on nous exhorte à consommer « français » pour contribuer à réduire le chômage.

     

    Les artisans, tous corps de métiers confondus, sont souvent ainsi, charlatans, voleurs, vicieux, incapable, illuminés, fumistes , profiteurs... même s’il y en a , heureusement, qui font leur travail honnêtement. Ils sont à l’image de la société humaine.

     

    D’après l’auteur il s’agit là d’un récit véridique qui s’est déroulé sur plusieurs années et personnellement je veux bien le croire parce que, peu ou prou, nous avons tous eu, à un moment ou à un autre, ce genre d’expérience. Ce coup de gueule, bien dans le style de Jean-Paul Dubois, est donc le bienvenu. Depuis que je lis cet auteur, j’apprécie son phrasé enlevé et surtout son humour et c’est bien sur ce ton et en courts chapitres qu’il entend traiter ce sujet pourtant sérieux et qui vous dégoûte d’être propriétaire de votre maison ou de votre appartement. Il faut en effet rire de tout parce que, dans cette société sans boussole ou on nous affirme tout et le contraire de tout avec le même sérieux, rire est vraiment tout ce qui nous reste pour supporter ce qui chaque jour nous tombe dessus.

     

     

    ©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Le cas Sneijder

    N° 1486 - Juillet 2020.

     

    Le cas Sneijder – Jean Paul Dubois – Éditions de l’Olivier.

     

    Que Paul Sneijder soit un cas, ça ne souffre pas la contradiction encore que sous la plume de Jean Paul Dubois, les malchanceux sont nombreux. Alors qu’il vient d’avoir soixante ans, lui qui est doué d’une mémoire exceptionnelle se souvient sans joie de ce que fut son parcours. Mal marié deux fois successives il perd sa fille dans un rarissime accident d’ascenseur auquel il a survécu après un long coma. Cette chance d’être passé à côté de la mort ne plaît guère à Anna, sa deuxième épouse, « cadre plein d’avenir », qui se voyait bien veuve et ce d’autant qu’elle avait un amant depuis deux ans, quant à Paul, il ressort de cette épreuve avec des crises d’angoisse claustrophobes et un intérêt pour les ascenseurs ! Voir mourir son enfant est la chose la plus douloureuse qu’on puisse imaginer et qu’aucune religion ne peut apaiser et cela est tellement bouleversant qu’on est amené à faire des choses que la raison en temps ordinaires vous empêcherait de décider. Est-ce d’avoir approché la mort de près, la culpabilisation d’avoir survécu à cet accident où a péri sa fille ou simplement sa nature, il devient indifférent à tout. Après son hospitalisation il démissionne de son emploi qu’il pouvait cependant garder, devient promeneur de chiens, ce qui au Québec où il habite est une chose courante mais qui ne correspond cependant pas à son âge, choisit d’ignorer l’adultère de sa femme et renonce même au procès, gagné d’avance selon son avocat, que ce dernier entend intenter à la compagnie d’ascenseurs et qui ne peut que lui rapporter une petite fortune. Même le succès qu’il rencontre dans son nouvel emploi l’indiffère et il souhaite le quitter allant même jusqu’à agresser un de ses clients et forme le projet surréaliste d’aller à Dubaï juste pour essayer un nouvel ascenseur ! Être devenu une charge pour Anna mais aussi une source de honte, pour elle qui tient à garder son rang social, lui est complètement égal et il se polarise sur l’étude des ascenseurs et sur la conservation des cendres de sa fille jusque dans sa chambre. De la honte à la haine il n’y a qu’un pas que sa femme franchit allègrement mais Paul commence lui aussi à envisager l’éventualité de la mort d’Anna. Depuis son accident il est devenu attentif à tout, à la vie en particulier en n’ayant plus peur des ascenseurs, relativise bien des choses, s’intéresse aux chiens malgré son allergie. Il y a dans ce roman une odeur de mort, des vrais morts et des morts potentiels, de ceux dont on désire la disparition le plus vite possible parce que leur présence est devenue insupportable, parce que le concept même de la famille n’existe plus, parce que Paul vit dans une ambiance suicidaire.

    J’ai apprécié comme toujours l’humour décalé et un peu froid de Jean-Paul Dubois, son style fluide et poétique qui transforment chacune de mes lectures en réel plaisir. En revanche les considérations philosophiques sur les ascenseurs et les chiens m’ont laissé dubitatif. On ne dira jamais assez combien un mariage raté peut être définitivement néfaste pour la vie de quelqu’un, surtout s’il se faisait beaucoup d’illusions au sujet de l’amour qui en principe doit présider à une telle union et surtout résister au temps et aux épreuves. Divorcer n’est pas forcément la solution qui peut être simplement de laisser les choses en l’état en se recroquevillant sur soi-même, en attendant que le temps passe et que la mort vienne. Ici, sa chère famille à trouvé la solution pour lui.

    Le livre refermé je comprends mieux la symbolique de l’ascenseur où il était enfermé et où il a survécu. Maintenant, pour mieux se débarrasser de lui, pour mieux intenter le procès qu’il refusait et qui allait à coup sûr l’enrichir, lui et surtout sa famille, pour laisser les mains libres à Anna et à ses ébats adultères et surtout pour qu’elle n’ait plus honte de lui, on allait l’enfermer légalement dans un asile d’aliénés pour officiellement le protéger contre lui-même. Après tout il est « Le cas Sneijder », celui qui a survécu à cette chute d’ascenseur et qui en a évidemment été marqué, un cinglé dont sa chère famille se préoccupe, évidemment pour son bien. Il ne lui reste plus qu’à faire confiance au hasard pour être délivré mais tout cela est bien trop improbable comme est improbable tout ce qu’il imagine pour lui-même et qui ne se produira jamais. Encore un qui n ‘est pas à sa place ci-bas !

    ©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Eloge du gaucher

    La Feuille Volante n° 1482 – Juillet 2020.

     

    Éloge du gaucherJean-Paul Dubois – Éditions de l’Olivier.

     

    « Toute révolte n’est que l’aboutissement d’une longue douleur » telle est une des premières phrases de cet essai qui est une somme d’exemples choisis. Il y a bien lieu de se révolter contre le fait d’être gaucher dans une société où tout est fait pour les droitiers. C’est un peu la même chose pour tous les marginaux qui ne trouveront pas leur place dans un système pas fait pour eux, et qu’on ne compte pas sur ce système pour s’adapter à eux, c’est évidemment le contraire qui doit se produire, et qui ne se produira que rarement. Il y a bien de quoi se révolter en effet contre quelque chose pour laquelle on n’est pour rien mais qui va empoisonner toute votre vie, et comme si cela ne suffisait pas, il y a toujours un membre de votre famille pour vous exhorter à vous servir de votre main droite, comme si cela avait une importance personnelle pour lui !

     

    Comme à son habitude, Jean-Paul Dubois use de son style fluide, humoristique, toujours bien documenté et même érudit, pour nous parler de ce problème dont, une fois n’est pas coutume, il choisit de rire, comme si dans cette société qui se voudrait policée et uniformisée il n’y avait pas de place pour l’originalité, comme s’il ne nous restait plus que le rire pour faire obstacle à cette sorte de rejet des gens pas comme les autres, pas dans la norme, pas « normaux » Il note opportunément que, dans les expressions, quand le terme « gauche » est employé, c’est souvent, à l’exception peut-être du sport, avec une nuance péjorative, dangereuse, impure, même s’il appelle à la rescousse des gauchers célèbres et ainsi justifie le titre de son livre. Il prend des exemples puisés dans différentes civilisations, langues et cultures actuelles, dans l‘Antiquité et même dans la Bible avec son message d’éternité, il énumère des circonstances du quotidien tout en soulignant l’angoisse des malheureux pour qui tout est plus compliqué et ressemble à un calvaire, de ceux dont on se moque gentiment mais qu’on évite et surtout qu’on voudrait bien voir changer de comportement, simplement pour qu’ils ressemblent aux autres, à tout le monde !

     

    C’est vrai qu’il vaut mieux rire de tout plutôt que d’avoir à en pleurer parce que pleurer ne sert à rien, c’est une attitude peu constructive et même négative et avec le rire on marque sa volonté de ne pas vouloir donner prise à l’adversité, mais souvent il ne nous reste plus que cela pour faire illusion et tout supporter. Cela dit, en lisant cet essai j’ai eu, comme souvent chez Jean-Paul Dubois, le sentiment qu’il était question de gens qui ne sont pas et ne seront jamais à leur place dans cette société.

    Même si je peux déplorer quelques longueurs, j’ai quand eu plaisir à lire cet essai fort bien écrit.

     

    Tout cela est bel et bon (si je puis dire), et je me suis senti concerné, tant il est vrai que le lecteur aime d’autant plus un livre qu’il s’y retrouve peu ou prou. Eh bien oui, j’ai moi aussi été gaucher et on s’est ingénié à me « guérir » avec d’ailleurs une belle et constante volonté, on y est parvenu et moi je suis devenu « un gaucher contrarié » ce qui a provoqué un bégaiement qui a meurtri toute la jeunesse et notamment ma scolarité. Je m’en suis guéri plus tard grâce au théâtre mais je bute encore sur certains mots. Mais, à mon âge ça n’a plus beaucoup d’importance (c’est l’âge de passer « l’arme à gauche »?) et comme je n’ai jamais vraiment fait les choses comme tout le monde et que je ne suis en outre pas vraiment chanceux, je ne me suis pas contenté d’être gaucher, j’ai en plus et depuis toujours « deux mains gauches », mais ça c’est une autre histoire !

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

     

     

  • Kennedy et moi

    La Feuille Volante n° 1480 – Juillet 2020.

     

    Kennedy et moiJean-Paul Dubois – Éditions du Seuil.

     

    Le titre fait un peu illusion. De Kennedy il n’est question qu’à travers une montre que le président américain aurait porté lors de son assassinat et que Samuel Polaris, écrivain, la quarantaine perturbée, veut forcer son psy qui la possède à lui donner. Samuel a été un écrivain flamboyant, habitué des plateaux de télé et qui, à l’époque, faisait largement vivre sa femme et ses trois enfants. Puis il a cessé d’écrire pour devenir « un auteur sympathique mais secondaire » autant dire qu’on l’a oublié et dans ce domaine il ne faut pas être absence longtemps de l’avant-scène. Est-il victime d’une période de sécheresse, du syndrome de la « page blanche » ou d’un soudain accès de paresse ? En réalité cette époque de sa vie correspond à traumatisme intime qui fait de lui un homme qui vit au jour le jour, dans une grande indifférence au regard de sa famille au point de laisser son épouse, Anna, orthophoniste, le soin de « faire bouillir la marmite ». Pire peut-être, il regarde ses trois enfants comme des étrangers qu’il souhaite peu ou prou voir partir de la maison. Pourtant il est amoureux de sa femme, l’a toujours été et aime surtout la regarder nue, lui faire l’amour et bien entendu il ne l’a jamais trompée. En revanche Anna, par lassitude, parce que cela se fait après quelques années de mariage, pour se singulariser, parce qu’elle ne l’aime pas, qu’elle est adepte du mensonge ou simplement nymphomane, s’est choisi un amant, un collègue de travail, autant dire le premier venu, un homme assez quelconque et surtout pleutre qui ne craint qu’une chose : que son épouse apprenne sa toquade et demande de divorce. Ils se voient uniquement pour le sexe, pour le plaisir, à moins que ce ne soit pour braver l’interdit, mais aucun d’eux ne voudrait de l‘autre pour époux. Pourtant Anna poursuit cette passade et finit par comprendre que Samuel s’en est aperçu depuis longtemps mais laisse faire. Ainsi entre eux un silence hypocrite s’est installé en même temps qu’un jeu malsain, Anna s’interrogeant sur la réaction éventuelle de Samuel et ce dernier fait perdurer une sorte de situation délétère. Samuel outre sa posture négative s’achète un colt ce qui ne laisse aucun doute sur ses intentions, mord gravement son dentiste qui n’est pour rien dans sa situation au seul motif qu’il lui a mal soigné une dent, fait une fixation sur la montre présidentielle, prend plaisir à déstabiliser le presque fiancé de sa fille aînée et méprise sa femme. Anna quant à elle décide de prendre un bain de mer à la fin de l’hiver, nage loin de la plage dans l’eau glacée à la recherche évidente de la noyade et ne doit la vie sauve qu’à un véliplanchiste courageux, sans pour autant que son mari s’inquiète. D’ailleurs cela fait quelque temps, qu’il s’image dans la peau d’un veuf ! Il y a donc une sorte d’équilibre malsain qui perdure dans leur couple sans que la parole ne puisse vraiment venir y donner une solution.

    Au-delà de cette histoire un peu déjantée ce que je retiens c’est l’attitude de Samuel quand il prend conscience de son cocuage que rien de sa part ne justifie, qu’il s’aperçoit que son épouse lui ment, se moque de lui en permanence et qu’il ne peut lui faire aucune confiance, autrement dit que son amour pour elle n’est pas payé de retour et qu’il s’est trompé en l’épousant. Alors, déçu d’elle-même autant que de sa naïveté, il envoie tout par-dessus les moulins et adopte une attitude excentrique et asociale, à la limite de l’acceptable, comme il aurait pu se mettre à boire, à se droguer ou simplement à se suicider… C’est un homme malheureux, révolté par l’injustice qu’il vit au quotidien que nous avons sous les yeux et qui réagit d’une manière désordonnée et spontanée, sans aucune considération sociale. Il est seul et cette solitude lui est à la fois insupportable et indifférente.

    Certes les choses évoluent en sa faveur, certes il les laissera en l’état, mais le mal est fait qui laissera des traces indélébiles dans sa vie et il sait maintenant de quoi est capable Anna et quoiqu’elle puisse faire pour revenir à résipiscence, quelque gage de fidélité qu’elle donne, à l’occasion son naturel reviendra au galop. Elle sait aussi que son corps est une assurance de rester auprès de lui mais il est tellement détruit qu’il n’envisage même pas un éventuel divorce et restera quand même avec sa femme. Mais il n’oubliera rien !

    Je découvre petit à petit cet auteur à travers ses romans et j’ai un plaisir certain à collationner ses obsessions, la nature , la solitude, les progrès de la vieillesse, le sexe, la beauté des femmes, cette espèce de certitude de n’être pas ici, sur cette terre, à sa place, d’être quelque chose comme le bouc émissaire, celui qui, en permanence est victime de cette injustice d’autant plus inacceptable qu’elle vous est infligée par des proches. J’ai apprécié comme toujours le style fluide et l’humour de Jean-Paul Dubois parce qu’il vaut mieux rire (ou sourire) de tout, c’est souvent ce qui nous reste face à l’adversité.

    Cela dit, plus je le lis plus je m’interroge sur l’effet cathartique de l’écriture.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

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  • La succession

    La Feuille Volante n° 1479 – Juin 2020.

     

    La successionJean-Paul Dubois – Éditions de l’Olivier.

     

    Le mot « succession » est synonyme de transmission de biens suite à un décès. C’est effectivement ce qui arrive à Paul Katrakilis, jeune médecin qui a préféré à sa sortie de la faculté la pelote basque à la médecine pour laquelle il n’était pas fait et pour cela s’est exilé en Floride où il vivote de sa passion en compagnie de son chien. Il veut sans doute tourner la page de son enfance plutôt chanceuse à défaut d’avoir été véritablement heureuse. Mais si on assimile volontiers les États-Unis au rêve américain, il finit par admettre qu’il s’agit pour lui d’un cauchemar et la France redevient son horizon à la mort de son père. Il est le fils d’Adrian, généraliste à Toulouse et l’unique héritier d’une lignée de trois praticiens dont le grand-père qui fut, dit-on, l’un des médecins de Staline. Il hérite effectivement de cette grande maison et peu ou prou de sa clientèle, tant la mémoire de son père était vivante et sa disparition regrettée. Les Katrakilis ne sont décidément pas une famille comme les autres puisque chacun des membres qu’il a connus est enveloppé d’une sorte de mystère qui tient autant du mythe que du mensonge et le père qui vient de disparaître s’est suicidé dans des conditions aussi mystérieuses que rocambolesques. Paul, évoquant la famille d’Ernest Hemingway, craint d’avoir hérité de ces gènes mortifères puisque sa mère, son oncle et son grand-père ont choisi aux aussi l’autodestruction. C’est cela aussi qu’il fuit en partant pour la Floride. La succession qu’il recueille ne se limite pas à la maison, et les petits carnets qu’il découvre et que son père tenait comme un journal intime, vont non seulement contribuer à lui révéler la vrai nature de cet homme dont il n’avait que des images fuyantes et surtout vont bouleverser sa vie. Par respect pour sa mémoire, parce que la souffrance de ses patients devient pour lui insupportable comme elle l’était pour son père, et peut-être aussi parce que c’est sa nature, il acceptera, comme le faisait Adrian, « d’aider » ses patients au mépris de la loi, du serment, de la pratique médicale, de la morale. Cela aussi fait partie de sa succession.

     

    Jean-Paul Dubois est un écrivain que je découvre et cela me plaît bien. C’est un conteur hors pair qui sait toujours embarquer son lecteur dans des histoires qui ne sont peut-être pas toujours des fictions mais qu’il fait partager grâce à son style fluide, ses images délicieusement sensuelles, son humour subtil qui me procurent à chaque fois un dépaysement et un plaisir de lire un texte bien écrit, bien documenté, plein de sensibilité et d’humanisme, avec parfois un vocabulaire technique digne d’un médecin spécialiste et irrigué par une érudition encyclopédique. Chacun de ses livres n’est pas seulement une histoire racontée, c’est aussi l’occasion pour l’auteur d’exprimer ses convictions à travers le personnage de Paul, son attirance pour la beauté des femmes, sa fascination pour Ingvid, une femme qui pourrait être sa mère et avec qui il vit un amour impossible, celui qui fait jouir mais aussi qui fait souffrir, l’amitié longue et fidèle qui le lie à Epifanio, le parti-pris en faveur des plus défavorisés et des malheureux, des désespérés, le respect des autres, sa façon de porter un regard désabusé sur cette société, la complicité quasi humaine avec son chien, compagnon d’infortune, la solitude, son attirance vers la mort, à 44 ans !

     

    Qu’est ce qui fait qu’un livre pris au hasard sur les rayonnages d’une bibliothèque ou lu volontairement à cause du nom de son auteur plaît à un lecteur ? L’histoire racontée, le style, le juste usage des mots, la beauté des images, le dépaysement, une complicité qui restera à jamais secrète mais que l’ambiance du texte fait que le lecteur se retrouve en pays connu. Le livre refermé qui appartient autant à celui qui l’a écrit qu’à celui qui l’a lu, il est est permis de s’interroger sur les raisons qui ont poussé Paul à en finir, mais non de les expliquer. Nous ne sommes que les usufruitiers d’une vie qui peut nous être enlevée à tout moment mais, en même temps, dans une sorte de paradoxe, nous pouvons aussi en disposer volontairement comme le fait Paul et avant lui sa parentèle. Liberté ou destin, allez savoir ! Il y a peut-être les gènes, le taux anormal de fer dans l’organisme ainsi qu’on l’a dit pour Hemingway ou une lassitude générale. Je ne suis pas spécialiste de ces détails scientifiques, en revanche la prise de conscience de l’impossibilité définitive d’être heureux en ce monde où on ne trouve décidément pas sa place peut sans doute expliquer ce geste fatal. En s’infligeant à lui-même cette mort aussi spectaculaire qu’avait été cette d’Adrian, il se libère de la solitude, de ses fantômes trop présents, de ses remords, de ses obsessions comme il épargnait jadis la souffrance à ceux qui le lui demandaient. C’est ça aussi sa succession.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

     

     

  • Une vie française

    La Feuille Volante n° 1478– Juin 2020.

     

    Une vie française Jean-Paul Dubois – Éditions de l’Olivier.

     

    L’histoire de la vie de Paul Blick, le narrateur, commence, alors qu’il n’a que huit ans avec l’annonce de la mort de son frère aîné qui planera sur toute sa vie, pourtant tout le roman se déroule au rythme des présidents successifs de la V° République et, de fait, tous ses apprentissages d’adolescent et ses actions d’homme mûr ont pour arrière-plan des slogans politiques, des moments de la vie publique et des soubresauts du quotidien et de l’Histoire, un peu comme si sa propre vie se confondait avec celle de la nation, mais de loin seulement. Je ne peux que lui donner raison et j’ai retrouvé, sans réel plaisir, des épisodes de la vie publique que l’auteur a connus et qui m’appartiennent aussi, parce que ce passé immédiat ne m’a jamais tellement passionné et surtout parce que je n’ai que très peu d’affinités avec les hommes politiques de tout bord, devenus de véritables parasites hypocrites surtout désireux de profiter des avantages du pouvoir en faisant semblant de croire qu’ainsi tout leur est permis, tout en n’oubliant pas de nous tenir des propos lénifiants voire culpabilisants. Il ne se prive d’ailleurs pas pour donner son avis de vaguement gauchiste sur ceux qui nous ont gouvernés au sein de cette république monarchique, comme d’ailleurs sur l’espèce humaine en général et même sur les religions et sur Dieu. Ses remarques m’ont paru bien pertinentes !

    Même si son parcours est un peu déjanté, je dois avouer que je l’ai suivi avec un état d’esprit à la fois dubitatif et enthousiaste. Il est vrai que je découvre son univers créatif et que son roman « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » m’a ému par son humanité. C’est bien écrit, le style est alerte et fluide, les descriptions sont poétiques, parfois délicieusement sensuelles ou joliment fantasmatiques avec cette constante fascination pour la beauté des femmes et j’aime toujours autant qu’un auteur serve avec talent notre si belle langue française. Il le fait même avec un subtil humour primesautier qui peut donner à penser qu’il a vécu autant dans la tourmente libératrice et libertaire de 68 que plus tard dans ses années de maturité, « une époque formidable » qui l’a autorisé néanmoins à endosser l’improbable fonction de père de famille, sans pour autant faire une croix sur les plaisirs de la vie, les caprices d’enfant gâté et la douce insouciance. Il déroule son parcours, ses tentatives entre enthousiasme et désillusions au sein des familles qu’il a côtoyées où des gens qui ne se ressemblent pas s’unissent, se jurent fidélité, se déchirent, se trahissent, se séparent et recommencent une nouvelle vie, c’est à dire l’ordinaire de bien des couples, entre désamour et ennui, le grand amour des débuts qui se mue en adultère comme solution de remplacement et la mort qui vient parfois à point nommé pour remettre les choses à leur vraie place. Et pendant ce temps la vie suit son cours avec son cortège de regrets et de remords, de maladies et de deuils, les enfants grandissent et partent, éternel recommencement, la solitude et la vieillesse s’installent malgré le déni et ceux qu’on croyait connaître révèlent brutalement leurs fragilités, leurs lâchetés mais surtout leurs zones d’ombre ...

    La mort d’un enfant est une suprême injustice qu’aucune religion ne peut ni justifier ni apaiser et pourrit définitivement la vie des survivants. Pour Paul, malgré une vie excentrique et outrageusement chanceuse, se dessine en contre-point le fantôme de ce frère trop tôt disparu. Cette atmosphère de bouleversement intime, de chagrin, de déréliction baigne cependant durablement ce roman et même si, comme on dit, le temps fait son œuvre, la résilience peinera toujours à le cicatriser. Il y a d’ailleurs beaucoup de décès dans les romans de notre auteur, sans doute une façon de nous rappeler que la vie n’est pas si belle qu’on le dit, que rien n’est définitif et que nous ne sommes que les modestes usufruitiers de notre propre vie qui peut nous être enlevée à tout instant.

    Le titre a quelque chose de pompeux propre à décourager le lecteur par son côté doctoral, mais le livre refermé, la vie de Paul qui a le plus souvent été agréable se termine en rappelant notre pauvre « condition humaine », celle de n’être qu’un mortel de passage, vite oublié et qui parfois aspire au néant.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

     

  • Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

    La Feuille Volante n° 1477 – Juin 2020.

     

    Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon Jean-Paul Dubois – Éditions de l’Olivier. (Prix Goncourt 2019).

     

    Une église ensablée au nord du Danemark, un père, pasteur protestant qui vient s’établir par amour dans le sud de la France, perd la foi, et qui, après son divorce, part exercer son désormais hypocrite mais talentueux ministère à l’autre bout du monde où il perdra son âme, une mère qui hérite d’une salle d’ « art et d’essai » qu’elle transforme par opportunisme commercial en temple du cinéma porno, refait sa vie et choisit sa mort, le bouleversement sociale et culturel de 1968 et, au milieu de tout cela, Paul Hansen, fils unique de ce couple éclaté qui tente d’exister comme un homme qui se noie. Comme souvent, ceux qui, comme lui, sont nés sous une mauvaise étoile, sont les oubliés de l’amour, les habitués de la solitude, pensent trouver la solution dans un métier de hasard ou le mariage, comme on joue au poker, en se disant qu’on a aussi droit au bonheur, que c’est toujours les mêmes qui s’en sortent, mais un tel destin pourri vous lâche rarement en cours de route et le sien, malgré toute sa bonne volonté, s’acharne sur lui. Même sa femme, mi-algonquine mi-irlandaise ne peut inverser pour lui le cours funeste des choses et quand on est comme Paul on attire la malveillance des autres qui justifient ainsi leurs actes malsains dans l’illusion qu’ils ont d’une importance artificielle et se croient autorisés à la faire prévaloir. On suscite ainsi toute la colère du monde, on fait office malgré soi de bouc émissaire et comme si cela ne suffisait pas c’est la mort qui en rajoute une couche en se chargeant de faire le vide autour de lui. Las il se retrouve dans une prison québécoise pour une agression vengeresse provoquée par des années de frustrations recuites et d’abnégation silencieuse, une façon de réagir violemment contre l’adversité et ceux qui en sont les complices. En compagnie de son codétenu, un « Hell Angels »amoureux des motos, attachant, fragile et même protecteur, il évoque comme une sorte d’évasion cathartique son parcours cahoteux, celui de sa famille qui ne l’est pas moins, comme un long chemin de croix.

     

    Le titre ressemble à un truisme mais c’est un roman passionnant et émouvant, bien documenté sur le Québec (et pas seulement), son histoire tourmentée, sa géographie, ses habitants qui sont nos cousins longtemps oubliés. J’ai goûté avec plaisir ce style qui sert si bien notre belle langue française, j’ai apprécié cet humour subtil parce qu’il faut bien rire de tout et que c’est souvent la seule façon qu’on a d’accepter la fatalité. J’ai aimé les descriptions poétiques, les remarques pertinentes sur l’espèce humaine, son incompréhensible habitude, pour supporter son parcours dans ce monde, de s’en remettre à un dieu pourtant bien absent, son inexplicable foi dans l’avenir surtout quand tout se dérobe, les remarques sur les sociétés reconnues pour leur attractivité, sur les a priori qu’on tisse et qu’on entretient sur ses semblables. J’y ai aussi lu une sorte de désespérance sournoise mais qui, paradoxalement, vous pousse à vous maintenir quand même en vie, une impossibilité définitive de réaliser ses rêves, le poids du destin qui vous étouffe et vous détruit, quoique vous fassiez, bref une réflexion sur cette condition d’homme quasi ordinaire, mais aussi sur cette nature humaine, capable du pire comme du meilleur mais bien souvent du pire, un exemple à cent lieues de cette réussite obligatoire dans cette société policée dont on ne rebat un peu trop les oreilles.

     

    Le livre refermé on ne peut qu’avoir de l’empathie pour cet homme que le destin et la mesquinerie des hommes accablent. C’est l’image même de notre société.

     

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsiteN° 1423 - Janvier 2020.