Articles de hervegautier
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Nouvelles italiennes d'aujoud'hui
- Par hervegautier
- Le 25/08/2019
- Dans Collectif
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La Feuille Volante n° 1376 – Août 2019.
Nouvelles italiennes d'aujourd'hui (Novelle italiane di oggi) - Pocket.(édition bilingue)
Textes choisis et traduits de l'italien par Éliane Deschamps-Pria.
Ce sont huit textes d'auteurs italiens célèbres qui ont été choisis pour composer ce recueil. Collationner ainsi des nouvelles de différentes signatures et écrites à des moments différents n'est pas une chose facile, même si cet ouvrage veut incarner un moment de la créativité de nos amis transalpins. La " lettre d'amour" de Dino Buzatti est écrite par un homme, passionnément amoureux d'une femme et qu'il s’apprête à l'épouser. Je ne suis plus vraiment accoutumé à écrire des lettres d'amour, ni même à en recevoir, mais il me semble que celle-ci, par bien des côtés, ne ressemble pas vraiment à ce à quoi je m'attendais, même si cet homme tente de trouver des mots enflammés pour imaginer leur avenir commun. En revanche, je suis bien entré, sans jeu de mots, dans l'univers crée par Alberto Moravia et son tableau changeant. La nouvelle d'Italo Calvino ne m'a pas convaincu, même si la Sicile, son ambiance, son contexte violent et son climat ensoleillé, évoqués par Leonardo Sciascia et Luigi Pirandello, a pour moi eu un aspect dépaysant et bienvenu.
Chaque nouvelle est précédée d'une introduction qui énonce les caractéristiques de chaque écrivain, elle est accompagnée de précisions grammaticales et linguistiques et, à la fin, un dictionnaire des mots utilisés dans les textes avec la référence de la page où ils figurent. Cela donne à cet ouvrage bilingue une dimension pédagogique certaine et qui ne manquera pas d'être appréciée par tous ceux qui veulent se familiariser avec cette merveilleuse langue qu'est l'italien.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Trois nouvelles
- Par hervegautier
- Le 23/08/2019
- Dans Luigi Pirandello
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La Feuille Volante n° 1375 – Août 2019.
Trois nouvelles (Tre novelle) - Luigi Pirandello. Pocket.(édition bilingue)
Traduit de l'italien par Aurore Mennella.
On connaît surtout Luigi Pirandello comme dramaturge et romancier, mais cet écrivain italien (1867-1936), Prix Nobel de littérature en 1934 est aussi l'auteur de nombreuses nouvelles et cette édition bilingue a choisi trois d'entre elles intitulées" La première sortie du veuf", "Première nuit" et "Avec d'autres yeux" . Elles ont déjà été publiées dans des revues et des recueils précédents.
Sélectionner trois nouvelles parmi toutes celles qu'il a écrites n'a sans doute pas été chose facile, pour autant elles me paraissent bien incarner l'auteur. Il y a sans doute beaucoup de Pirandello dans ce pauvre homme de la première nouvelle qui perd sa femme à qui il avait juré fidélité par delà la mort et qui, de guerre lasse, accepte de sortir à l'extérieur pour renouer avec la vie. Quand elle était encore vivante cette épouse harcelait ce pauvre homme comme, sans doute, Madame Pirandello, jalouse et malade, tracassait son mari. Probablement aussi cette nouvelle évoque-t-elle la redécouverte de l'amour pour un homme d'âge mûr comme l'auteur qui, devenu directeur de théâtre, tomba éperdument amoureux d'une de ses comédiennes, évidemment plus jeune que lui. Ici, la femme est certes une épouse dont on peut être amoureux, mais c'est surtout une maîtresse de maison, un soutien pour son époux, souvent vieux et veuf et donc censé être sage et prévenant, et dont elle adoucira les jours. Le mariage devient le refuge des jeunes filles pauvres, un des moyens, avec l'émigration, de les faire sortir de leur condition misérable, même si le revenu et la fortune de leur nouveau mari est illusoire. Cette idée de la pauvreté revient constamment dans cette Italie et l'auteur lui-même, au début en tout cas, vivote de son salaire de professeur et l'entreprise familiale de son père connaît un grave revers de fortune. Ces femmes n'ont bien souvent à offrir que leur corps, et évidemment leur virginité, et surtout leur force de travail, ce qui fait d'elles davantage des domestiques que de vraies épouses, celles qui porteront et élèveront les enfants à venir et s’occuperont de ceux du précédent mariage de leur nouveau mari. A l'époque, il y avait aussi le poids des convenances, de la coutume et sûrement aussi de la religion qui voulaient qu'on ne se remariât pas après la mort du conjoint, qu'on lui restât fidèle par-delà la mort. Dans la deuxième nouvelle, le souvenir des disparus devient même obsédant et dans la troisième, le thème de l'amour revient sous sa plume, amour trahi par l'adultère mais aussi sublimé par la mémoire et jamais oublié. Bien entendu la souffrance et aussi la jalousie accompagnent cet amour impossible. Pirandello ne manque pas non plus d'évoquer la gaucherie des hommes devant leur jeune promise, la peur de la jeune épousée innocente que la nuit de noces terrorise, la crainte de quitter ses parents pour vivre avec un homme dont souvent elle ignore tout, la bienveillance des autres femmes qui voient dans le mariage une chance pour la jeune femme et celles qui, peut-être jalouses, se révèlent autoritaires comme elles le seront toute leur vie.
A la lecture de ces trois nouvelles, j'ai ressenti une impression de grande solitude des personnages, qu'ils soient hommes ou femmes, face à cette vie qui n'est qu'une comédie triste et illusoire qu'ils apprivoisent comme ils peuvent. Il y a un certain dégoût de cette existence qui nécessite de la part de chacun, si toutefois il en a conscience, une mise en scène obligatoire et incontournable qui permet uniquement de supporter ce qui n'est finalement qu'une somme d'épreuves. Il y a sûrement un peu de lui-même dans ces trois textes mais, la qualité de l'écriture, de la traduction en fait une photographie de l'Italie rurale et pauvre de ce début du XX° siècle et de Pirandello non seulement un témoin de son temps mais aussi un observateur attentif et pertinent de l'espèce humaine.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Livre(s) de l'inquiétude
- Par hervegautier
- Le 22/08/2019
- Dans Fernando PESSOA
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La Feuille Volante n° 1374 – Août 2019.
Livre(s) de l'inquiétude - Fernando Pessoa.
Traduit du portugais par Marie-Hélène Piwnik.
Nous connaissions déjà "Le livre de l'intranquillité "(paru en 1990) de Fernando Pessoa mais que l'auteur avait attribué lui-même à Bernardo Soares, un hétéronyme, c'est à dire un des nombreux doubles de lui-même puisqu’il n'a que très rarement signé ses œuvres de son propre nom et qu'il n'a pratiquement pas connu la notoriété de son vivant. Voici cet ouvrage qui inclut les œuvres inédites du Baron de Teive et de Vicente Guedes à celles de Bernardo Soares, chacun de ces "auteurs" vivant en quelque sorte sa propre vie et écrivant dans son propre style. Ces textes ont été réunis par Térésa Rita Lopez, universitaire portugaise spécialiste de l’œuvre de Pessoa. C'est le résultat d'un travail difficile puisque l’œuvre de l'écrivain Lisboète était non seulement composée de feuilles éparses mais aussi parce que l'édition française de 1990 limitait le texte au seul Bernardo Soares ("Livro do desassossego" por Bernardo Soares). C'est un triptyque, un soliloque à trois voix, une sorte de miroir qui nous renvoie une image virtuelle de Pessoa, caché de l'autre côté de la glace, une façon bien personnelle de se faire l'écho de ce qu'il est, de ce qu'il voit et de ce qu'il ressent. Dans cette version, d'ailleurs un peu différente du"Livre de l'intranquillité" on retrouve cette impression de l'impossibilité de trouver la quiétude dans ce monde, une sorte de trouble permanent, un désagrément, un mal de vivre.
Toute sa vie Pessoa s'est ingénié à brouiller les pistes puisqu'il n'a presque jamais publié de son vivant, laissant le soin à ses contemporains, après sa mort, d'explorer la multitude de textes déposés (27000) par ses soins dans une malle sous forme de feuilles séparées et attribuées à de nombreux auteurs, comme autant de petits cailloux destinés à un jeu de piste. C'est une manière pour lui d'explorer son "moi" multiple et complexe autant que de demander à son lecteur éventuel de ne pas chercher à le comprendre. Vicente Guedes est un être décadent et désargenté, une sorte d'intellectuel de la pensée, un modeste employé de commerce, un penseur impénitent qui aime à analyser ses rêves dans un style recherché mais parfois un peu trop intellectuel, le baron de Teive est un aristocrate stoïcien que le suicide fascine et pour qui l'action est un paradoxe et qui s'exprime dans un style austère, quant à Bernardo Soares, aide-comptable employé de bureau comme lui, c'est un éternel promeneur solitaire, arpentant les rues de Lisbonne ou regardant de sa fenêtre les gens passer dans la rue et qui en parle avec une certaine ironie à laquelle il mêle des remarques personnelles désabusées sur sa vie au quotidien; j'avoue de cet hétéronyme à ma préférence à cause de sa vision des choses de l'existence et la manière qu'il a de l'exprimer. Je ne suis pas un spécialiste, mais à chaque fois que je lis Pessoa, il me semble que pour lui l'écriture, et cette forme particulière qui consiste à prêter son talent à un autre en s’effaçant derrière lui et en s'excusant presque d'exister, est pour lui une sorte d'antidote à sa vie de subalterne anonyme. Par le rêve jusques et y compris s'il ne mène nulle part ou n'enfante que des chimères et surtout par l’écriture, les mots qu'il trace sur le papier, il se réfugie dans un monde imaginaire, tisse autour de lui et pour lui seul, un univers différent, habite même un autre corps et un autre destin, ce qui l'aide (peut-être) à supporter cette succession de jours qu'il passe pour gagner sa vie dans un sombre bureau. C'est sans doute aussi une forme exprimée personnellement de cette "saudade" qui fait tellement partie de l'esprit lusitanien et que le poète Luis de Camões a défini comme "Un bonheur hors du monde", l'expression d'un manque de quelque chose autant qu'un espoir d'autre chose qui par ailleurs peut-être assez indéfini, une sorte de référence à un passé révolu qu'on voudrait bien voir revivre... C'est étonnant de voir cet homme discret qui, après sa mort sera considéré comme un des plus grands écrivains portugais, confier à des feuilles volantes, c'est à dire un support bien fragile, le cheminement de sa pensée complexe, vivre simplement en ne recherchant pas la notoriété et la consécration comme c'est souvent le cas chez les membres de l'espèce humaine et spécialement chez ceux qui font œuvre de création.
Ce sont donc trois facettes judicieusement révélées de Pessoa lui-même, une autobiographie en trois temps, un journal intime en trois moments à la fois complémentaires et cohérents, où la solitude et l’inaptitude à vivre se lisent à chaque ligne.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Une saison de nuits
- Par hervegautier
- Le 21/08/2019
- Dans Joan Didion
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La Feuille Volante n° 1373 – Août 2019.
Une saison de nuits – Joan Didion - Grasset.
Traduit de l'anglais par Philippe Garnier.
C'est le premier roman paru en 1963 de cette auteure américaine née en 1934.
Nous sommes dans les années 1960, une banale histoire sentimentale, un trio presque ordinaire doublé, il est vrai d'un meurtre, ce qui l'est moins. Everett Mac Clellan, le mari, tue l'amant de sa femme Lilly
L'auteure remonte le temps pour nous présenter l'histoire de chacun de ces deux époux avant leur rencontre. Pour Lilly, c'était la Californie avec ses parents qui vivaient d'une grande exploitation agricole dans l'esprit des pionniers américains, la douceur de vivre mais aussi pour elle, l'ennui. Pour Everett, c'est la culture du houblon qui monopolise son attention. C'est un peu de l'histoire de l'Amérique qui est évoquée ici, avec les fantasmes qu'elle suscite, la fièvre de la "ruée vers l'or," l'illusion de l' "el dorado", mais la réalité a changé, des mutations s'opèrent dans la société et face à cela ce couple tente d' exister maladroitement dans ce "rêve américain".
Entre 1938 et 1959 deux enfants naissent, Julie et Knight mais ce n'est pas cela qui ressoude les deux époux dont les relations sont empreintes de non-dits et d'incompréhensions, si bien qu'Everett part pour la guerre qui fait rage en Europe. C'est une sorte de fuite avec au bout peut-être la mort, une manière d'échapper à cette cohabitation devenue un peu trop lourde malgré les apparences. En son absence Lilly le trompe, avorte, s'enfonce doucement dans la dépression et la solitude qu'elle partage d'ailleurs avec sa belle-sœur Martha et ce malgré la présence de Ryder Channing qui rôde autour des deux femmes. Cet homme deviendra l'amant de Lilly et Everett, de retour de la guerre, malgré son couple à la dérive, refuse le divorce et trouvera une autre solution plus radicale. C'est effectivement un coup de feu qui débute ce roman, suivi d'un long analepse, puis un autre qui le conclut, comme la seule solution à cette union manquée que l'adultère de Lilly n'a fait que compliquer. Malgré les années passées Lilly entend toujours ces deux coups de feu qui obsèdent sa mémoire et qui sonnent le glas de tout ce qu'elle a perdu par sa faute, même si cet échec était inscrit en creux dans sa vie bien avant eux La douceur de la Californie n'y fait rien pas plus d'ailleurs que la vaine recherche de la jouissance avec des amants de passage.
Il y a certes le contexte américain qui donne à ce roman un décor tout à la fois grandiose et utopique mais je retiens surtout l'histoire de ce couple qui ressemble à un château de cartes édifié dans un courant d'air, de cet homme attaché à sa famille mais à qui tout échappe sans qu'il y puisse rien et de cette femme qui ne l'aime pas et qui finalement se croit autorisée à tout détruire autour d'elle. Ils se sont unis en faisant semblant de croire qu'ils étaient faits l'un pour l'autre et que c'est un hasard bienveillant qui les a fait se rencontrer parce qu'il ne pouvait pas en être autrement. Comme dans bien des ménages la réalité s'impose qui est bien différente, avec l'usure du temps et l'espoir que chacun peut inverser le cours des choses, un gâchis presque ordinaire dans un rêve social devenu cauchemar, la dramatique histoire d'un homme et d'une femme qui n'auraient sans doute jamais dû se rencontrer, se marier et fonder une famille. Si Everett aimait sa femme, cet amour n'était pas partagé et Lilly n'avait aucun état d'âme à rechercher ailleurs ce qu'elle avait chez elle et ruiner ainsi les espoirs d'un homme qui ne méritait pas cette trahison.
Je ne suis rentré que très tardivement dans ce roman et malgré cette histoire bien écrite et malheureusement bien proche de la réalité quotidienne, à l'exception peut-être des deux coups de feu, je garde de cette lecture une impression mitigée.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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La mort d'Ivan Illitch
- Par hervegautier
- Le 01/08/2019
- Dans Tolstoï
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La Feuille Volante n° 1372 – Août 2019.
La mort d'Ivan Illitch – Léon Tolstoï - Le livre de poche.
Les trois textes réunis dans ce recueils "La mort d'Ivan Illitch - Maître et serviteur- Trois morts" ont été publiés à des dates différentes, dans de revues différentes et ont été accueillis favorablement par les cercles littéraires et par le public.
Dès lors qu'il prend conscience de sa vie, la mort devient pour l'homme une source de préoccupations et de questions que les religions ne résolvent qu'autant qu'on y croit. Elle est l'image de notre peur et notre impuissance face à elle et se vouloir immortel, même dans un éventuel autre monde est à la fois une absurdité et un leurre savamment entretenus. Cette immortalité peut même parfois être supposée ou simplement espérée en ce monde, au nom même de la vie, alors qu'en tant qu'humain nous sommes tous assujettis à cette même condition de mortels. c'est un peu ce que pense Illitch au début, peut-être pour se assurer. Le temps qui passe, le vieillissement, la souffrance et la douleur en font partie, sont, surtout à son époque, les prémices du trépas et c'est un éternel questionnement de savoir s'il faut révéler au malade son état ou l'entretenir dans l'illusion et le mensonge de la guérison. On cache la réalité de sa santé à l'épouse de Dmitrievich et Ivan Illich supplie qu'on lui dise la vérité sur son état qu'il sent bien aller en se dégradant et il perçoit la camarde qui rôde. Cet Illich, semble-t-il inspiré par un personnage réel, après avoir connu une vie matrimoniale assez quelconque mais une réussite professionnelle brillante, se débat dans les affres de l'agonie, sent qu'elle va l'emporter, porte sur sa vie un dernier regard. La mort est un passage vers le néant, le même que celui qui existait avant notre naissance, la simple fin de notre parcours terrestre et ce magistrat semble l'accepter sans la moindre peur, comme une délivrance. Ce thème est particulièrement présent dans l’œuvre de Tolstoï (1828-1910) et il a sûrement exprimé dans le personnage d'Ivan Illictch ses propres cruelles obsessions puisque, nous le savons, l'écriture a aussi une fonction cathartique, mais je ne peux pas ne pas penser qu'un écrivain ne veuille pas, après sa disparition, laisser une trace grâce à ses œuvres qui lui survivront. Notre auteur a connu cette réalité très tôt dans sa vie, dans sa famille, puisque, à son époque, la médecine était balbutiante. La mort c'est aussi l'heure du bilan, l'exacte forme du "jugement dernier" où, face à soi-même et sans complaisance on se met en scène dans cette "parabole des talents" de l’Évangile. Qu'a été notre vie, à quoi ou à qui a-t-elle servi, qu'en avons-nous fait? c'est sans doute le sens de ce dialogue entre le magistrat et"la voix de l'âme". Cette nouvelle est un peu longue et un peu ennuyeuse, notamment dans tout ce qui concerne la vie professionnelle et matrimoniale du personnage. En revanche son appréhension de la mort est intéressante.
Avec "Maître et serviteur" nous avons le récit d'un voyage mouvementé au cours de l'hiver russe ainsi qu'une étude de caractères, Vassili est un riche négociant, orgueilleux et fourbe qui exploite et méprise Nikita, son valet qui lui a un caractère enjoué et résigné et ne songe qu'à servir son maître. Vassili fera quand même dans ses derniers moments preuve d'une humanité assez inattendue de sa part et qui ressemble un peu à une rédemption. Il est question des relations maître-serviteur, de la valeur de l'argent et seulement à la fin de la mort des deux hommes avec pour Nikita une sorte de consolation, une délivrance avec l'espoir d'un monde meilleur. Les évocations et les descriptions sont émouvantes et on sent bien de la part de l’auteur la volonté de mettre en exergue les qualités des paysans russes. De ces trois nouvelles c'est de loin celle qui a ma préférence.
Avec "Trois morts" c'est le début de la carrière littéraire de Tolstoï et ce thème de la mort sera repris plus tard avec "La mort d'Ivan IIlitch". aussi et peut-être seulement la fin de l'homme qui est traitée. En réalité ce sont trois morts bizarres qui sont évoquées ici, celle d'une femme, d'un paysan et d'un arbre. La dame refuse sa maladie et s'entête à faire un long voyage vers l'Italie en quête de la guérison. Elle ment devant la mort comme elle l'a fait toute sa vie. Elle est chrétienne mais il semble que le christianisme ne l'aide pas au moment fatal. Cette mort est mise en perspective avec celle d'un paysan qui lui accepte son sort et meurt en paix. Il donne même ses bottes en échange d'une pierre tombale qu'il n'aura pas et qui sera remplacée par une simple croix. Celle de l'arbre qui est abattu pour confectionner cette croix, une fin naturelle, un peu comme celle des humains! C'est le lien que personnellement je vois avec les deux autres.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Les inséparables
- Par hervegautier
- Le 30/07/2019
- Dans Marie Nimier
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La Feuille Volante n° 1371 – Juillet 2019.
Les inséparables – Marie Nimier - Gallimard.
Léa et Marie sont dissemblables mais inséparables et la romancière évoque cette amitié qui remonte à l'enfance. Léa est autant extravertie et fougueuse que Marie est timide et réservée. Pourtant on songe à Montaigne parlant de La Boétie "parce que c'était lui, parce que c 'était moi" dit-il, et tout est dit! La narratrice, Marie, vit à Paris avec sa mère et Léa avec une mère inexistante et un beau-père, John Palmer, un américain qui fait ce qu'il peut pour elle. Les deux amies ont une vie très libre et Léa se signale très tôt par une intelligence hors du commun mais qui n'est pas reconnue. Elle se cherche elle-même dans cette famille déchirée et pour se singulariser ou peut-être se venger, elle quitte l'école et plonge dans les dérives de la drogue, de la marginalité, de la délinquance, de la prostitution. Elle connaît les désintoxications, les assistances sociales, les centres de réinsertion, les hôpitaux psychiatriques, la prison mais aussi les amours éphémères. Pourtant, pour contrebalancer tout cela il y a les poèmes d’Antonin Artaud, les romans de Boris Vian... Léa c'est la fascination de l'anti-normalité et peut-être aussi une certaine volonté de tangenter les frontières de la mort. Compte tenu de la nouvelle vie de Léa, l'amitié fusionnelle des deux jeunes filles se craquelle et Marie n'a de ses nouvelles que par intermittence, lui pardonnant tout par avance au nom de cette complicité d'enfance, au point de s'effacer elle-même. L'auteure évoque par le menu les détails de cette connivence ainsi que la déchéance de Léa qui elle-même reste un mystère qui s'épaissit d'ailleurs à mesure que son amie s'enfonce dans la prostitution et les explications qu'elle en donne, citant Rimbaud, Aragon et même Saint Augustin, ne sont pas convaincantes. Cela me rappelle un passage d'un roman de Paul Auster rencontrant à Paris une prostituée qui lui cita des poèmes de Baudelaire. Là je n'y ai pas cru.
Nous savons tous que l'amitié est une belle chose surtout quand elle n'est pas trahie même si les événements incitent fortement les deux amies à prendre leurs distances l'une envers l'autre. Elle est comme les choses de cette vie qui est notre condition, elle s'use et disparaît parce qu'elle appartient simplement aux choses humaines. Je ne sais pas pourquoi, je ne suis que très peu entré dans l'évocation de cette connivence. En revanche, Marie Nimier ne peut pas ne pas parler des pères, même si, elle le dit elle-même, "ça vient comme un cheveu sur la soupe". Elle fait de Léa une mère célibataire dont le père de son enfant est mort. Elle vit des passades et trempe dans le trafic de stupéfiants et le vol... Avec ses "activités", elle en vient à abandonner son fils aux bons soins de ses grand-parents mais pense toujours à lui, espère pour lui le meilleur. Le père, c'est chez l'auteure un thème, récurrent et un peu comme dans "les Confidences" où, parlant des autres elle ne peut s'empêcher de parler d'elle et des rapports assez inexistants et difficiles qu'elle a eus avec le sien, l'écrivain Roger Nimier. Elle évoque celui de Léa absent de sa vie au point de "vivre dans la même ville que fille et ne pas chercher à la rencontrer" mais aussi de l'indifférence qu'elle ressentait pour lui, préférant son beau-père à ce géniteur lointain. La quête du père reste un leitmotiv chez Marie Nimier, jusque, pour Léa, dans sa vie de prostituée et son choix d'un souteneur, présenté plus comme un père que comme un véritable mac. Quant à l'amour qui liait cet homme à sa mère, elle en parle comme quelque chose qui a fini par s'user et disparaître, comme si la conception de Léa n'avait été qu'un accident que cet homme voulait oublier. Cette évocation en filigranes s'arrête très vite et je pense que c'est dommage autant pour l'auteure que pour le lecteur, attentif au cheminement créatif de Marie Nimier qui me paraît vouloir explorer pour elle-même ce thème, mais cela s'arrête vite, sollicitant pourtant sur la fin du roman sa liberté d'écrivain. Cette quête du père revient dans le traumatisme définitif qui s'impose pendant toute sa vie et la pourrit. Cette analyse introspective me paraît plus importante et n'intervient que dans les dernières pages, notant que cette recherche du fantôme paternel était commune à Marie et à Léa. Il y a certes cette histoire d'amitié qu'elle relate comme une antidote à quelque chose et qui prend la forme d'un roman, avec tout ce qu'un tel ouvrage suppose de vérité et de fiction et qui doit avoir une fin, le triomphe de l'imagination de celui qui tient la plume ou celui beaucoup plus simple de la vie qui continue. Là aussi je m'attendais à autre chose et cela résonne pour moi comme une sorte d'impasse. Il reste que cette relation au père me parait quelque chose dont l'auteure a du mal à parler et je suis resté sur ma faim. Je n'ai pas toujours aimé ce qu'elle écrit mais je crois que le prochain roman que je lirai d'elle sera "La reine du silence", pas parce qu'elle a eu pour ce roman le prix Médicis en 2004 mais peut-être pour avoir son approche personnelle sur les rapports qu'elle a eus avec son géniteur. Bref ce roman, pourtant bien écrit, ne m'a intéressé que dans les dernières pages.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Borgo vecchio
- Par hervegautier
- Le 23/07/2019
- Dans Giosuè Calaciura
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La Feuille Volante n° 1369 – Juillet 2019.
Borgo vecchio – Giosuè Calaciura – Les éditions Noir sur Blanc.
Traduit de l’italien par Lise Chapuis.
Borgo Vecchio, un vieux bourg de Sicile, un quartier de Palerme où, comme partout, tout le monde se connaît.
C’est le domaine de trois compères, trois enfants, Mimmo, le fils de Giovanni, le charcutier aigrefin, Cristofaro dont le père saoul lui administre chaque soir une raclée qui finira un jour par le tuer, Celeste, la fille disgracieuse de Carmela, la belle prostituée qui bouleverse les hommes et allume les passions par sa seule beauté et qui, pour se faire pardonner sa condition de pécheresse, voue un culte à la Madone jusque dans sa manière de faire l’amour, Totò l’insaisissable voleur maffieu qui terrorise les femmes riches du quartier où la police ne pénètre même plus. C’est que Minno est un sentimental, il parle volontiers à Nanà, un cheval qu’a acheté son père pour les courses clandestines qu’il gagne et dont le garçon s’occupe. Ils deviendront complices. Il attend aussi, dans l’odeur du pain chaud qui envahit Borgo Vecchio que Celestre dont il est amoureux soit seule sur le balcon de la chambre de sa mère aux persiennes fermées, parce qu’ainsi elle n’est pas le témoin de ses ébats luxurieux. Rien ne tarit cet amour, ni la misère quotidienne, ni le sirocco, ni les inondations du quartier qu’on attribue à une colère divine et bien sûr pas le temps qui passe. Par amitié pour Cristofaro, Mimmo va faire avec Totò un pari fou qui le délivrera peut-être de son calvaire quotidien et qui le transforme, lui le petit voleur, en un citoyen respecté de ce borgo vecchio. Cette description du quartier n’a d’égal que celle de la bataille que livrent ses habitants contre les forces de l’ordre et qui tend à accréditer l’idée qu’on est bien là dans une zone de non-droit où tout est permis, avec, en sus, la bénédiction de son curé, ou la façon sensuelle qu’a l’auteur d’évoquer la beauté de Carmela. C’est toute la vie au quotidien de ce petit village écrasé de soleil, de senteurs, de couleurs et de violence où la pauvreté fait tellement partie du décor qu’elle en devient invisible, qui se déroule sous les yeux du lecteur, avec en contre-point les cérémonies religieuses rituelles et l’ambiance de superstition, indissociables de cette Italie catholique.
Puis cette histoire prend la forme d’une fable qui s’épanouit dans les confidences que fait Nanà à Mimmo, dans le trajet « enchanté » de cette balle policière qui atteint son but comme on conclut une histoire par une fin morale, même si elle est triste, parce qu’on finissait même par avoir de la sympathie pour une petite frappe qui rentrait enfin dans le droit chemin. Puis, la vie reprends son rythme, avec ces périodes inscrites dans la mémoire collective, comme des moments de son histoire. L’épilogue aussi tient de la fable, une sorte de « happy end » que l’auteur laisse à chacun le soin d’imaginer, dans le sillage du ferry qui s’éloigne des rumeurs de la ville et dans le hurlement des sirènes, un avenir immédiat pour Mimmo et Celeste qui sans doute ne se quitteront plus et passeront ensemble une vie qui sera probablement comme celle de leurs parents avant eux, ni mieux ni plus belle et que le hasard, la liberté où les événements extérieurs se chargeront de sculpter pour eux, mais en tout cas loin, très loin de ce « Borgo vecchio »
L’auteur, entre humour et réalisme nous fait partager l’itinéraire de ces trois enfants qui pénètrent brutalement dans le monde des adultes, avec la trahison, l’hypocrisie, la souffrance, l’omertà, la misère et la mort qui rode, à l’image de ce dicton qu’on entend à Naples où nul n’est sûr d’être vivant à la fin de la journée.
J’ai particulièrement apprécié le déroulé du récit décliné alternativement dans l’intense émotion, le délire des mots, le style poétique et la qualité de la traduction qui rend bien l’exubérance de cette si belle et si musicale langue qu’est l’italien.
Je remercie des éditions Noir sur Blanc et Babelio de m’avoir fait découvrir ce roman.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Down by law
- Par hervegautier
- Le 22/07/2019
- Dans Cinéma américain
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La Feuille Volante n° 1370 – Juillet 2019.
Down by law – Jim Jarmusch
On pourrait traduire ce titre par « sous le coup de la loi ».
Ce sont trois hommes qui se retrouvent dans la même cellule d’une prison de Louisiane, Jack, un proxénète minable, Zack un DJ que sa copine a largué et qui se retrouve à la rue. Tous les deux sont maintenant derrière les barreaux parce qu’ils ont été piégés par plus malin qu’eux. L’ambiance, on s’en doute est tellement pourrie qu’ils finissent par se battre. On imagine la suite...quand arrive un troisième larron, Roberto (dit Bob), un émigré italien qui apprend laborieusement l’anglais en notant sur un petit carnet des mots et des expressions qu’il veut retenir. Quand il passe la porte du cachot, il fait ce qu’il peut pour se faire accepter par ses deux nouveaux compagnons, mais, malgré l’humour et l’entrain qu’il veut introduire dans ce lieu plutôt rébarbatif, on sent que ce n’est pas gagné. Bien sûr, un semblant de dialogue se noue notamment autour de cigarettes dont Roberto qui n’en a pas, prétend qu’elle lui fera passer un hoquet qu’il simule grossièrement. On se pose des questions réciproques et bien sûr Jack et Zack se prétendent innocents des crimes dont on les accuse. Roberto au contraire leur raconte qu’il est un authentique meurtrier et pour qu’ils comprennent bien, il leur sert une histoire abracadabrante au terme de laquelle lui, un maigrelet face à ces deux colosses, a effectivement tué un homme… avec une boule de billard américain, « la 8 » précise-t-il, la pire puisque, évidemment elle est noire. Nos deux amis gobent-ils cette fable grotesque toujours est-il que notre Italien passe maintenant à leurs yeux pour un vrai dur, eux qui finalement n’ont été victimes que de leur cupidité. Toujours est-il que l’ambiance entre eux se détend et qu’ils finissent par l’accepter. S’en suivent des parties de cartes interminables, intéressées par des cigarettes qu’ils n’ont pas le droit de fumer et pendant lesquelles, bien entendu Roberto ne manque pas de tricher puisqu’il l’a avoué à ses codétenus. Ils ont l’air de s’entendre parfaitement mais quand les autres se morfondent et se livrent à un improbable décompte de leurs jours de taule, Roberto dessine sur le mur une fenêtre comme symbole de liberté, cite des poèmes de Walt Whitman et de Robert Frost, ce qui laisse les autres pantois, entre interrogations et admiration, se demandant de qui il peut bien s’agir.
C’est un peu difficile au début, mais Roberto parvient à transformer l’atmosphère de ce lieu en quelque chose de jouissif. C’est lui aussi qui prétend trouver, dans la cour de promenade, un moyen d’évasion et qui insuffle à ses compagnons d’infortune l’esprit d’une cavale possible alors que Jack et Zack trouvent l’entreprise des plus hasardeuses. On ne s’évade en effet pas comme cela d’une prison américaine ! Pourtant, sans qu’on sache effectivement comment ils s’y prennent, ils finissent par se retrouver dehors, Roberto, plus faible, courant derrière ses deux compères.
C’est un long métrage qui date de 1986 et qui n’est sans doute pas le plus connu dans la filmographie de Jim Jarmusch et le fait d’être tourné en noir et blanc lui confère un côté vintage. C’est aussi plein d’invraisemblances, l’évasion, la cavale dans le bayou sans carte ni boussole, avec pour seule impression de recherches l’aboiement lointain de chiens, les serpents et les crocodiles qui fourmillent dans cet endroit mais qu’on aperçoit même pas, cet improbable lapin que Roberto parvient à capturer et à cuire en s’excusant de ne pas l’avoir cuisiné selon la traditionnelle recette de sa grand-mère, la façon miraculeuse dont il s’en sortent et se retrouvent devant une auberge au milieu de nulle part, tenue par une jolie Italienne pas du tout apeurée par ces prisonniers surgissant de la nuit et dont Robertro tombe évidemment amoureux et décide de rester avec elle quand les autres partent à l’aventure. C’est un « Happy end » un peu gros et qui d’ordinaire ne me plaît guère, mais ce Roberto réussit à mettre de la joie dans les situations les plus tragiques et les plus absurdes et on tombe évidemment sous son charme. L’entendre parler américain avec l’accent toscan est aussi un plaisir.
Ces trois lascars correspondent bien à l’archétype de l’anti-héros décalé, qu’affectionne Jarmusch. Il est aussi acteur et musicien mais c’est surtout un cinéaste original et farouchement indépendant qui est l’auteur des scénarios de tous ses films, s’amuse à détourner les codes comme dans « Dead man » et a briser les traditions hollywoodiennes (« Stranger than paradise ») en privilégiant le « road movie » et les personnages marginaux, authentiques et solitaires avec récemment une incursion dans le cinéma d’épouvante qui est aussi une critique de la société américaine (The Dead don’t die).
J’ai découvert ce metteur en scène par hasard, je ne le regrette pas et je suivrai bien volontiers le déroulement de son œuvre future.
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Je suis un homme
- Par hervegautier
- Le 20/07/2019
- Dans Marie Nimier
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La Feuille Volante n° 1368 – Juillet 2019.
Je suis un homme – Marie Nimier – Gallimard.
Dès la première ligne, Marie Nimier y va de son aphorisme « L’enfance n’existe pas » qu’elle met dans la bouche d’Alexis qui va, à la première personne, dérouler son histoire. Nombre d’écrivains se sont penchés sur cette période de la vie des hommes et en ont tiré des conclusions forcément différentes, mais peu importe. Alexis est un peu la honte de cette famille désarticulée par la fuite du père. Le garçon qui est l’aîné des deux fils de ce couple va grandir dans l’ombre des femmes, de sa mère d’abord puis ensuite des différentes filles qu’il va croiser et dont il va admirer la beauté mais surtout la faculté qu’elles ont de jouir plusieurs fois, ce dont il n’est pas capable. De là à en faire un jeune homme insatisfait il n’y a qu’un pas que notre auteure franchit allégrement. Revenons à Alexis, il est beau et se croit irrésistible. Il fantasme beaucoup sur Delphine, une fille rencontrée au lycée et qu’il retrouve quelques années après, fonde avec elle une entreprise à la limite de l’escroquerie, couche et se marie avec une autre fille, Zoe, tout en pensant à celle qu’il ne peut atteindre et surtout posséder. Le lecteur, à travers les différentes tranches de vie du personnage principal de ce roman, ne tarde pas à s’apercevoir que cet Alexis n’est pas autre chose qu’un sale type obsédé par le sexe, dans la peau de qui Marie Nimier tente de se glisser en détaillant à l’envi, dans un catalogue érotique, la façon dont ce jeune homme s’y prend pour jouir et faire jouir ses partenaires et ce malgré le contraste initié dans ce roman dans le personne de Zoé comparée à « La jeune fille à la perle » de Vermeer et le fait qu’elle tient un journal intime. Cet Alex ne parvient même pas à être sympathique à la fin, malgré les circonstances, lui pour qui « être un homme » se traduisait uniquement en baisant et qui maintenant prend conscience que sa fragilité fait aussi partie de la condition humaine.
La littérature érotique, voire pornographique a sûrement ses adeptes et je respecte à la fois ceux qui l’écrivent et ceux qui la lisent, mais ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. J’admets que, pour un écrivain, faire dans ce « registre » est vendeur mais s’y livrer avec la complicité avec un grand éditeur ne me paraît pas très sérieux. J’en déduis que, comme beaucoup d’autres, Marie Nimier est un écrivain capable du pire comme du meilleur et, le livre refermé, mais cependant lu jusqu’à la fin, je n’ai pas vraiment eu l’impression d’avoir lu le meilleur, en me demandant ce qu’il reste de mon appétence à poursuivre plus avant son univers créatif
Le hasard, encore lui, m’a fait croiser sur les rayonnages de la bibliothèque « les confidences ». J’avais été séduit par l’originalité de ce récit et j’avais eu envie d’explorer un peu plus avant sa bibliographie. Avec ce roman, notre auteure change complètement de registre, avec un style quelque peu désagréable et qui tranche largement sur celui que j’avais apprécié auparavant. C’est son droit mais c’est dommage et j’en suis déçu.
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Muses
- Par hervegautier
- Le 18/07/2019
- Dans Olivia Costantino
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La Feuille Volante n° 1367 – Juillet 2019.
Muses – Olivia Costantino – Éditions La Tengente.
Les trois nouvelles qui forment ce recueil sont un monologue intérieur, une sorte de soliloque de personnages qui prend en compte la solitude au terme d’un parcours personnel. Ce vieil homme qu’est devenu le personnage du premier récit a beaucoup aimé les femmes mais il n’est plus ce que nos amis italiens appellent un « donnaiollo ». Il mesure maintenant le temps passé, la vieillesse qui s’invite dans son quotidien et il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il a certes toujours une attirance pour les femmes, surtout les jeunes, mais ces dernières se détournent de lui et il en souffre. Il envie ses copains qui sont morts jeunes parce qu’ainsi ils n’ont pas connu la décrépitude de la vieillesse. Sent-il la présence d’une femme, même vieille, auprès de lui, sans la voir son imagination se déclenche, dérape et ça le fait bander. Il tombe amoureux facilement. C’est à l’aune de cet exercice d’imagination qu’on mesure toute l’étendue et le poids de sa solitude. Jadis il a été un séducteur et aussi quelqu’un d’important socialement mais maintenant il n’est plus rien, ne vit qu’a travers ses souvenirs, n’a plus que son imagination. Les femmes ne sont pour lui que des fantômes, des objets de fantasmes et il attend la mort. Heureusement pour lui tout n’est peut-être pas perdu.
La deuxième nouvelle est d’une autre nature mais illustre aussi la solitude, celle de l’écrivain devant la page blanche. L’écriture comme toute manifestation créatrice est complexe, une véritable énigme. Elle se manifeste comme un besoin mais cesse de l’être sans raison apparente. On peut tenter d’en explorer le phénomène, mais rien n’est sûr. Ici notre écrivain a débuté son parcours à la mort de sa mère, en a été lé déclencheur mais c’est le départ de son épouse qui a interrompu le phénomène qui reprendra sans crier gare, peut-être à la suite d’une rencontre improbable avec un marginal, parce que l’écriture tient de l’alchimie.
Amalia est une petite fille qui a été opérée du cœur et qui attend son cinquième anniversaire. Ses parents sont séparés et en plus de sa douleur physique elle souffre de cette séparation. Elle voit bien ce qui se passe dans le monde des adultes et comprend bien qu’on l’abandonne un peu. Elle explore ses souvenirs d’enfants et tresse des rêves pour l’avenir. En alternance, sa mère écrit sa solitude à elle malgré la perspective d’un autre amour. Elle confesse sa solitude mais aussi une forme de culpabilité définitive pour avoir abandonné égoïstement sa fille. Elle le fait avec des mots de grande personne qui font écho à ceux de sa fille qui n’est qu’une enfant.
Attendre l’autre c’est avouer qu’on est seul, que celui qu’on attend ne viendra peut-être pas. On l’espère comme une sorte de panacée mais l’expérience montre souvent qu’il représente aussi, surtout s’il est proche, la trahison, la destruction de sorte que cette solitude peut aussi être une qualité de vie. Sartre disait « l’enfer c’est les autres » et on peut donner à cet aphorisme une explication philosophique mais le sens commun lui préfère la formule plus basique « On est mieux seul que mal accompagné ». La solitude est souvent présentée comme un fléau de notre société et contre lequel il faut se battre mais la vie en couple, vécu comme un remède, se résume souvent, après quelques années de vie commune, a deux solitudes juxtaposées ou chacun accumule les secrets que l’autre évidemment ne partage pas.
Quant à l’écrivain, la page blanche est pour lui autant un défi qu’une invitation et les meilleures créations artistiques naissent souvent dans le silence et la solitude.
Dans la troisième nouvelle il est question de douleur et, malgré l’hôpital et les soignants qui entourent et soulage Amélia, elle est seule face à sa souffrance. Elle a aussi ‘intuition de la mort et quoiqu’on en dise là aussi, face à la Camarde on est seul.
Je ne suis que très peu entré dans l’univers de ces trois nouvelles pourtant pertinentes dans leur présentation.
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The hours
- Par hervegautier
- Le 17/07/2019
- Dans Michael Cunningham
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La Feuille Volante n° 1366 – Juillet 2019.
The hours – Michael Cunningham -Harrap’s
Ce roman a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 2002 (scénario de David Hare) à la distribution prestigieuse (Nicole Kidman, Julianne Moore, Meryl Streep) et couronnée par de nombreux prix.
Trois femmes, trois époques, trois destins avec comme fil d’Ariane le roman de Virginia Woolf « Mrs Dalloway » dont le thème et des scènes reviennent dans le roman de Cunnigham et également dans le film. Le roman et le film donnent à voir une journée de ces trois femmes et non une véritable histoire, une sorte de déambulation dans le quotidien de chacune d’entre elles, dans leurs souvenirs et dans l’intimité de leur psychologie. Virginia Woolf elle-même, illustre romancière du début de XX° siècle, entamant son roman « Mrs Dalloway » qui sera un succès littéraire, lutte contre la folie et succombe au suicide laissant une lettre à son mari le remerciant du bonheur qu’il lui a donné. Laura Brown est une mère américaine au foyer dans les années 50, enceinte de son second enfant et qui, ayant lu le roman de Virginia Woolf, souffre elle-aussi de mal-être face à un mari débordant de bonheur. Seul son jeune fils Richard comprend sa détresse mais cette femme, tentée sans doute par la mort, quitte sa famille dans l’espoir d’une autre vie. Clarissa Vaughan, éditrice new-yorkaise du début du XXI° siècle, malgré sa vie en couple lesbien, s’occupe depuis des années de Richard, son ancien amant qui vient d’avoir un prix littéraire prestigieux mais qui est malade du sida. Il est le fils que Laura a abandonné quelques années auparavant, mais il choisit de se suicider avant la réception que Clarissa a organisé pour son prix. Des trois femmes, c’est elle qui incarne le mieux Mrs Dalloway, l’héroïne de Virginia Woolf.
L’histoire terminée, il reste une ambiance délétère avec des interrogations sur la vie à travers le symbole des fleurs, sur la mort, sur la solitude, sur le bonheur dont les hommes ont une bonne fois décrété qu’il existait et donc qu’ils y avaient droit au cours de leur existence, sans se soucier si cela était possible. Elle est ainsi cette vie et on doit l’aimer telle qu’elle est, mais je ne suis pas sûr de partager cette affirmation. Richard, abandonné par sa mère, quitté par Clarissa puis par son ami gay, deviendra écrivain, c’est à dire créera dans son roman et sans doute dans l’ensemble de son œuvre, une ambiance harmonieuse qu’il n’a jamais connue et qui se manifeste sans doute par ces voix qu’il entend, qui le rassurent ou lui font peur, à moins que ces expériences malheureuses ne nourrissent sa créativité. Nous savons tous que la fiction est là notamment pour gommer les imperfections de notre pauvre monde ou pour nous les faire accepter. A ses yeux rien ne peut remplacer l’enfance que cette femme lui a volé, pas davantage la vie en couple dont il n’a eu qu’un mauvais exemple et surtout pas le succès qui a peut-être un peu tardé dans son cas. Laura qui s’ennuie dans un quotidien ménager s’imagine que son bonheur est dans la fuite mais confessera à la fin à Clarissa qu’elle rencontre, qu’elle ne l’a pas trouvé. Elle avait rêvé d’une autre destin et en avait assez de se sacrifier pour une famille qu’elle ne désirait peut-être pas, que les circonstances ou les convenances sociales lui ont imposées et qui n’était pour elle qu’un mensonge. Mais elle s’est crue autorisée égoïstement à briser cette réalité sans se soucier des autres membres de sa famille! Clarissa s’est sacrifiée pour Richard, par amour ou parce qu’elle a cru en son talent, mais il ne veut pas de son sacrifice. Virginia s’ennuie ferme loin de Londres et sa consécration littéraire ne lui suffit pas et, n’ayant pas réussi, malgré l’amour que lui porte son mari à s’accepter elle-même et à s’épanouir, choisit sa mort. Seule Laura a préféré la vie sans se soucier de ceux qu’elle a abandonnés mais on imagine ce qu’à été son existence, coupée de sa famille et maintenant chargée de cette culpabilité qui ne la quittera plus. Car c’est bien la mort qui plane sur ce drame. Elle est omniprésente dans l’enterrement d’un oiseau comme dans la défenestration de Richard ou la conclusion choisie par Virginia, dans l’hospitalisation de la voisine de Laura qu’on imagine atteinte d’un cancer. Elle est simplement la fin de notre parcours individuel, une délivrance peut-être et imaginer autre chose après est un mirage.
Cette fiction, au-delà de l’impression un peu malsaine qui s’en dégage, me paraît être une image bien réelle de cette vie qui est imposée à chacun, à charge pour lui d’en faire quelque chose d’honorable pour la collectivité dont il fait partie, en se débrouillant avec le hasard, avec son destin s’il existe, la malchance qui peut le frapper, le poids de son atavisme, les avanies que les autres, et particulièrement ses proches peuvent lui imposer, tout en faisant semblant, avec une bonne dose d’hypocrisie toujours renouvelée, de croire que la liberté individuelle existe réellement et autorise tout, que notre vie nous appartient, que le bonheur est possible, que la solitude est un poids que la vie en couple et l’amour qui devrait aller avec, ne guérissent pas, que la vie est belle…
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Le petit monde de Don Camillo
- Par hervegautier
- Le 14/07/2019
- Dans Giovanni Guareschi
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La Feuille Volante n° 1365 – Juillet 2019.
Le petit monde de Don Camillo – Giovani Guareschi – Éditions du Seuil.
Traduit de l’italien par Gennie Lucioni.
Parler d’un roman qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique et qui a enchanté plusieurs générations n’a rien d’original. Fernandel (Don Camillo) le curé du Brescello, un village de la plaine du Pô et Gino Cervi (Pepone), son maire communiste, ces deux personnages hauts en couleur, vont animer la vie publique de cette période de l’immédiate après-guerre dans ce petit coin perdu d’Italie. Cela dépasse la traditionnelle opposition entre le clergé et les laïcs, la droite et la gauche, le parti dit du progrès et celui de la réaction parce que l’amitié de Pepone et Don Camillo remonte à la guerre, au maquis, sans qu’on sache très bien contre qui ils se battaient, les fascistes ou les alliés, mais peu importe. Don Camillo n’est pas un chef politique, n’est pas membre de l’opposition municipale mais se consacre à ses ouailles, de préférence de droite mais n’oublie jamais de s’occuper de tous les pauvres et de fustiger l’égoïsme des riches sur qui il fait peser sa férule, tout comme le maire fait marcher ses troupes à la baguette. C’est un jeu de pouvoir et quand les « rouges » s’en prennent à lui publiquement, il n’hésite pas à faire le coup de poing. Pourtant, s’il arrive à nos deux compères d’en venir aux mains, mais uniquement à huis clos, c’est toujours dans les règles et sans haine car les comptes se règlent ainsi entre eux, quand ce n’est pas avec des mots, à l’abri des regards, dans la cuisine de Pepone ou dans le presbytère, mais ils restent amis quoi qu’il en soit. Si l’un d’eux est dans la difficulté, l’autre s’empresse de venir l’aider, mais toujours discrètement et souvent de nuit et si les « rouges » bouffent en permanence du curé et boudent l’office, ils viennent en groupe et nuitamment à l’église pour faire leur dévotions. Ils y a bien quelques petits « coups bas » mais le plus étonnant c’est que dans ce village où tout le monde se connaît, il n’y a jamais de témoins pour les constater, mais personne n’est dupe. On fustige publiquement Moscou et le pape, mais en sous-main on s’entraide et il serait inconcevable qu’il en fût autrement. Pepone fait ce qu’il veut dans sa commune et le Parti est loin, mais Don Camillo est surveillé en permanence par le Christ du Maître-autel avec qui il converse volontiers et qui lui rappelle, souvent avec humour, les préceptes de l’Évangile que la mauvaise foi chronique de son ministre lui fait trop souvent oublier. C’est un peu la voix de sa conscience qu’il cherche malicieusement à contourner mais toujours avec respect et soumission parce que le curé n’oublie jamais son devoir d’obéissance. Tout est permis, les coups de bâton comme les petites avanies et c’est plus facile pour Don Camillo qui est instruit de se moquer du maire qui a boudé l’école mais quand il s’agit de l’aider à passer son certificat d’études, le curé est là pour le secourir... mais sans oublier l’intérêt de la paroisse ni les réparations indispensables pour le clocher de l’église. Comme partout, si les hommes s’occupent de politique, les femmes, surtout en Italie, se tournent vers Dieu et Don Camillo a là des alliées qu’incarne l’épouse de Pepone. Bien sûr ce dernier donne publiquement de la voix et se fait respecter par ses troupes, mais c’est souvent l’épouse qui a le dernier mot et impose ses vues à ce mari un peu retors. Bien sûr tout cela n’est pas exempt de message politique, l’auteur cherchant à tourner en dérision de poids du parti communiste. L’air de rien, et même si tout cela est un peu exagéré, c’est l’image qui est donnée est celle de l‘espèce humaine, capable du pire comme du meilleur, mais ici, scénario et aussi ambiance dédiée au rire obligent, on choisit le meilleur, le plus cocasse, le plus aimable.
Ce roman, qui sera suivi de beaucoup d’autres, toujours consacrés à Don Camillo et à Pepone qui verront leurs aventures les porter parfois au dehors de ce petit village mais toujours y revenir par attachement mais aussi par nostalgie, a fait l’objet d’une adaptation cinématographique de Julien Duvivier au succès jamais démenti. L’image de Don Camillo est à ce point attaché à la personne de Gino Cervi et surtout de Fernandel que les tournages suivants qui se sont faits sans eux n’ont pas eu le succès escompté, les spectateurs ne reconnaissant pas leurs acteurs favoris, que des pastiches ont été menés, par Fernandel lui-même dans « le mouton à cinq pattes », que des campagnes publicitaires, notamment pour les pâtes, ont crée le personnage de « Don Patillo » qui évoquait l’ombre du comédien déjà disparu et l’ont ressuscité. Le pape François l’ a même cité en exemple, prenant comme modèle ce brave curé de campagne qui n’est qu’un personnage de fiction. La ville de Brescello a immortalisé ces deux citoyens emblématiques en les statufiant en bronze, l’un à la porte de la mairie, l’autre sur le parvis de l’église. Peut-on imaginer plus belle consécration ?
A titre personnel, je dois dire que, même aujourd’hui où les comiques abondent, Fernandel reste quelqu’un qui, par son physique et son jeu d’acteur, m’a toujours fait rire.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Les confidences
- Par hervegautier
- Le 12/07/2019
- Dans Marie Nimier
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La Feuille Volante n° 1364 – Juillet 2019.
Les confidences – Marie Nimier – Gallimard.
L’univers créatif d’un écrivain s’inscrit soit dans la fiction, soit dans l’autobiographie. La fiction est du domaine de l’imaginaire qui, soit fonctionne et emmène son lecteur consentant dans un ailleurs inattendu, soit dérape complètement, le dépaysement n’est pas au rendez-vous et on passe complètement à côté. Avec l’autobiographie, l’auteur puise dans sa propre vie la nourriture de son œuvre et cela peut tourner facilement au solipsisme. Restent les témoignages des autres. Ici ils sont recueillis anonymement par l’auteure et forment 48 petits récits. A la suite d’une séries de petites annonces judicieusement placées, la population d’une ville est informée qu’une romancière recueillera des « confidences » intimes de ceux qui le souhaitent en vue de la rédaction éventuelle d’une œuvre. Pour que l’anonymat soit respecté, les interventions se feront sur un site dédié ou sur rendez-vous dans un appartement meublé très sommairement et prêté par la mairie où, pour préserver l’anonymat, la femme écoutera, les yeux bandés, le récit des intervenants qui se présenteront. L’idée est plutôt originale et Marie Nimier n’intervient pas directement, se contentant d’être « La reine du silence » en écoutant dans la solitude du lieu et au hasard ceux qui lui parlent soit d’une blessure d’enfance, d’un traumatisme assez profond pour qu’il leur pourrisse la vie, soit évoquent des mots qui leur ont échappés ou qu’ils n’ont pas su ou pas oser dire au bon moment, des obsessions, des regrets, des remords, des mensonges, des fantasmes, des échecs non assumés, des obs intimes qu’on ne confie que dans l’anonymat, de petits affronts ou de grandes trahisons qu’on ne pardonnera ou ne se pardonnera jamais, des amours avortées, jamais oubliées, toujours regrettées, autant d’étapes ordinaires dans leur vie, autant de moments de cet écume des jours qui parfois provoquent le vertige quand on les évoque et qui donnent la mesure du temps qui passe. Cette expérience, qui n’est pour elle pas sans danger, peut provoquer des rencontres inattendues ou improbables, la plupart de ces gens ordinaires livrent avec une grande économie de mots une parcelle de leur existence, des choses simples mais qui les obsèdent parce nous avons tous notre croix à porter. Parfois on s’excuse pour le dérangement, parfois il se trouve des gens pour tourner en dérision cette expérimentation qui pourtant déplace des patients d’un jour qui la vivent comme un appel au secours ou une bouteille lancée à la mer. Cela tient, si l’on veut, de la confession qui allège l’âme, mais sans la dimension religieuse du pardon divin. Cette ouverture sur un autre monde met aussi en évidence pour elle la réalité de son impuissance, de sa désolation de son malaise face à une brûlante, à une détresse.
Qu’en reste-t-il pour les intervenants ? Nous n’en savons que peu de choses puisqu’il n’y a que peu de commentaires de la part de l’auteure, cette dernière faisant confiance à sa mémoire se contentant d’un rôle de scribe qui ne juge personne. Sont-ils apaisés, satisfaits de s’être débarrasser d’une obsession, contents d‘avoir rencontrer un auteur connu, même s’ils ne repartent pas avec un de ses ouvrages dédicacé et fiers peut-être de l’éventuel espoir de se retrouver dans un futur roman et ainsi d’ avoir contribué ne serait-ce qu’un peu, à la création d’une œuvre d’art ? Parviennent-ils réellement à se délivrer par la parole d’autant plus anonyme que celle qui la recueille a les yeux bandés? Après un drame il est d’usage de consulter un psychiatre ou de mettre en place des cellules psychologiques pour aider ceux qui ont été traumatisés à se libérer. C’est un peu la même démarche sauf qu’ici, le traumatisme peut remonter à des années et gangrener la vie de celui qu’il hante. Ces gens viennent spontanément se confier à cette femme dont ils ignorent tout, ce qui donne la mesure de la condition humaine mais surtout celle de la solitude de la société dans laquelle nous vivons. Cela peut tenir du soliloque et la puissance cathartique des mots peut agir comme une soupape de sûreté qui sauvegarde la vie ou la rend plus acceptable malgré la honte, le dégoût ou le mépris de soi.
Les interventions dont elle a eu connaissance étaient pour la plupart orales mais c’est une confession écrite, emprisonnée dans un cahier à spirale, gouvernée par la présence tutélaire paternelle et dont nous ne saurons rien, et d’autant plus étrange qu’elle est agressive et assortie d’une proposition inattendue qui, pour elle, va bouleverser l’ordre des choses. Dès lors l’auteure ne se contente pas de rendre compte de toutes ces témoignages anonymes, elle y va aussi de sa propre confidence, comme portée par tout ce qu’elle vient d’entendre et évoque son père, l’écrivain Roger Nimier, mort à l’âge de 36 ans alors qu’elle n’est elle-même qu’une enfant de 5 ans. Elle en parle comme d’un absent définitivement silencieux, une énigme, évoque le vide que sa disparition brutale a creusé en elle, comme d’un étranger aussi. Il est celui qu’on attend mais qui ne viendra pas. Dès lors l’écriture pour elle reprend sa fonction exploratrice du souvenir, s’impose comme un exorcisme à la fois créateur et libérateur. Peut-être ou peut-être pas !
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Riquet à la houppe
- Par hervegautier
- Le 10/07/2019
- Dans Amélie Nothomb
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La Feuille Volante n° 1363 – Juillet 2019.
Riquet à la houppe – Amélie Nothomb – Albin Michel.
Quand j’ai pris ce roman d’Amélie Nothomb sur les rayonnages de la bibliothèque, j’avais en mémoire le conte de Perrault qui racontait l’histoire d’un jeune prince dont l’esprit cachait la laideur et d’une jeune princesse peu douée mais fort belle mais dont on ne remarquait pas la beauté. Les fées qui avaient présidé à leur naissance les firent se rencontrer, chacun donnant à l’autre ce qui lui manquait, et bien entendu ils se marièrent... Comme dans tous les contes pour enfants, c’est surtout une morale pour adultes qu’il faut rechercher et là je me suis demandé ce qu’elle allait bien pouvoir en tirer. Elle reprend donc le thème et crée le personnage de Deodat, un jeune homme, ornithologue de son état, laid et même contrefait mais fort doué et surtout qui plaît aux femmes et qui finit par rencontrer Trémière une beauté un peu niaise et bien entendu ils finirent par vivre ensemble mais sans se marier parce que maintenant cela ne se fait plus beaucoup. Même si c’est un peu long à venir et même un peu laborieux, nous assistons au triomphe de l’amour et l’honneur est donc sauf et l’esprit du conte respecté.
C’est une sorte de réécriture de « la belle et la bête » mais je dois dire que je me suis un peu perdu dans les arcanes des aventures séparées des deux tourtereaux avant leur rencontre en me demandant où notre auteure voulait en venir d’autant que la conclusion se fait un peu attendre. D’aucuns appellent cela le suspens et je ne suis pas sûr de l’avoir vraiment goûté. Certes ils ont eu des aventures avant de se rencontrer (surtout Deodat) mais ils ont surtout en commun de susciter les jalousies et une sorte de solitude que leur amour efface comme par enchantement comme il gomme chez eux et entre eux la laideur et la sottise. Notre auteur s’approprie ce conte pour en donner une version personnelle d’où le happy end n’est pas exclu, même si j’ai toujours déploré cette manière d’épilogue un peu trop facile et souvent si éloignée de la réalité. C’est vrai qu’ici ce dénouement est attendu et peut-être aussi souhaité tant l’enfance de nos deux personnages a été difficile surtout à l’école (spécialement sur la cour de récréation) qui, bien loin des clichés convenus, nous donne souvent un avant-goût de ce qui nous attend dans notre vie future. Pourtant Amélie Nothomb, qui porte peut-être en elle une part de romantisme, explique à la fin que la plupart des œuvres inspirées par ce courant littéraire se terminent souvent tragiquement. J’observe quand même que, malgré cet amour fou ils prirent la précaution de ne pas passer à la mairie, se laissant sans doute le choix de se séparer quand ce bel amour se sera émoussé et que le quotidien sera passé par là. C’est sans doute une sage précaution, une prise en compte de la réalité des choses humaines parce que c’est comme cela, « amour » ne rime avec « toujours » que pour les idéalistes où ceux qui préfèrent les illusions ou la vie dans un monde imaginaire. Là aussi la trahison et le mensonge font partie du décor, mais c’est un autre sujet !
Le livre refermé j’avoue avoir apprécié cette version sous la plume d’Amélie Nothomb parce que c’est bien écrit, ironique, fantasque même, richement documenté, d’une lecture facile et rapide. Je le précise ici volontiers parce que, depuis que je lis ses ouvrages, il m’est souvent arrivé de m’ennuyer et de marquer ma déception, de dénoncer les critiques souvent dithyrambiques qui accompagnent la sortie de ses romans, voire de déplorer que l’auteure cherche surtout à marquer de son empreinte les rentrées littéraires successives.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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La femme au miroir
- Par hervegautier
- Le 08/07/2019
- Dans Eric-Emmanuel Schmitt.
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La Feuille Volante n° 1361 – Juillet 2019.
La femme au miroir – Eric- Emmanuel Schmitt – Albin Michel.
Il s’agit du destin de trois femmes vivant à des périodes et dans des pays différents et qui refusent mariage et maternité, c’est à dire le sort traditionnel qui leur est réservé dans une société gouvernée par les hommes. Anne est une jeune fille flamande modeste de la Renaissance qui s’enfuit le jour de ses noces pour se retirer dans un béguinage qui à cette époque est une communauté non religieuse de femmes qui refusent la domination des hommes. Hanna et une aristocrate autrichienne du début du XX° siècle qui a épousé un homme charmant mais que se sent de moins en moins à sa place dans son milieu et qui devient psychiatre grâce à Freud. Anny est une actrice américaine très hollywoodienne qui, de nos jours, tourne des films à succès et collectionne les amants dans une vie tourbillonnante où s’invitent la drogue, l’alcool et le sexe. Qu’ont-elles en commun ? A priori rien sauf qu’au cours du roman chacune d’elles qui se sent différente des autres femmes de sa génération et de sa condition va faire usage de sa liberté. Elles sont toutes trois orphelines mais aussi et peut-être surtout elles ont grandi avec l’objectif inconscient de devenir ce que leur époque voulait qu‘elles soient. Un jour, en se regardant dans un miroir, elles prennent conscience que la vie qui va être la leur ne leur convient pas et elles vont librement en choisir une autre, à rebours de leur temps et ainsi non seulement se découvrir elles-mêmes mais surtout se réaliser, s’émanciper. Elles se rejoignent cependant grâce à un livre écrit par Hanna sur la vie d’Anne et que découvre un peu par hasard Anny. Cela peut paraître artificiel mais j’ai toujours été fasciné par le fait que les idées et les faits ainsi relatés avec des mots, confiés au fragile support du papier, passent ainsi la barrière des siècles.
Anna est la victime de l’église catholique qui au cours de son histoire multiplia les erreurs et les crimes au nom de l’Évangile qu’elle prétendait défendre et dont elle se recommandait. Cette femme prônait la communion avec la nature et les animaux dans une époque exagérément religieuse où on accusait facilement, d’hérésie et de sorcellerie et où le feu purifiait tout. Hanna est idolâtrée par un mari, certes amoureux d’elle, mais qui veut surtout avoir une descendance alors qu’elle même n’est pas sûr de vouloir être mère mais s’enthousiasme pour la découverte de l’orgasme à travers une foule d’amants de passage. La vie d’Anny se résume en frivolités ne voyant les hommes que comme des chevaliers servants et surtout comme des pourvoyeurs de plaisirs. Ce sont trois femmes qui décident de briser l’image que leur psyché leur renvoie d’elles-mêmes et de passer de l’autre côté pour découvrir la nature, la réalité de l’image virtuelle, différence de l’image réelle renvoyée par leur miroir.
L’auteur veut-il nous parler de la culpabilité, celle d’Anne pour sa vanité ou sa foi angélique, celle d’Hanna pour n’avoir pas pu avoir d’enfant ou peut-être refuser d’enfanter ou peut-être préférer le plaisir sexuel aux joies supposées de la maternité, celle d’Anny pour la recherche effrénée de la jouissance ? Je ne sais pas mais il y a toujours un embryon, même inconscient, de culpabilité à ne pas vivre comme les autres, mais cela ne dure pas bien longtemps et ces trois femmes ont choisi la liberté. A travers elles, si différentes, l’auteur choisit de nous parler des arcanes de la condition humaine. E-E Schmitt introduit une sorte de dédoublement de la personnalité chez ces trois femmes, comme si l’image qu’elles donnaient d’elles à l’extérieur ne leur correspondait pas, que la mort pour elles n’était pas une désolation, juste un passage et peut-être même une délivrance, qu’elles ont été victimes de la violence de leur temps. C’est vrai pour Anne et Hanna mais pour Anny, comédienne, ce dédoublement est facile puisque cela fait partie de son métier, même s’il y a en elle quelque chose de plus profond, de plus authentique, une sorte d’alchimie qui, à travers un rôle et un livre, fait qu’elle ressemble aux deux autres. Pourtant, si je peux entrer dans la démarche d’Anne se cherchant à travers la nature et Hanna convoquant la sexualité pour explorer l’inconscient, j’ai en revanche un eu de mal à comprendre celle d’Anny, trop artificielle et superficielle à mes yeux et je ne suis pas sûr de suivre l’auteur sur la thématique de fin, liée d’ailleurs à Anny. Ainsi, de ces trois portraits magistraux de femmes, je mettrai à part celui d’Anny. Si la recherche de la liberté me paraît authentique chez Anne et chez Hanna, j’ai ressenti l’actrice américaine en retrait par rapport à cette démarche.
Il reste que lire Eric-Emmanuel Schmitt est toujours pour moi un bon moment et ce roman n’a pas échappé à la règle. ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Les intellectuels français et la guerre d'Espagne
- Par hervegautier
- Le 05/07/2019
- Dans Pierre-Frédéric Charpentier
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La Feuille Volante n° 1360 – Juillet 2019.
Les intellectuels français et la guerre d’Espagne – Une guerre civile par procuration (1936-1939) - Pierre-Frédéric Charpentier – Éditions du Félin
Tout d’abord je remercie les éditions du Félin et Babelio de m’avoir fait parvenir cet ouvrage.
L’avènement de la II° république espagnole en 1931 a surpris tout le monde et provoqué le départ d’Alphonse XIII qui ne devait jamais plus revenir. L’instauration de réformes sociales et économiques dans un pays pauvre, archaïque, gouverné depuis longtemps par le conservatisme terrien, tenu par l’Église catholique et l’armée ne pouvait que bouleverser le paysage politique et provoquer des troubles redoutés par la bourgeoisie. A la suite des élections de 1936 favorables à la gauche, la rébellion militaire, partie du Maroc espagnol, ne pouvait que susciter un espoir de retour à l’ordre dans les classes dirigeantes traditionnelles.
Plus que tout autre conflit, la Guerre Civile espagnole a été une tragédie qui a déterminé des hommes et des femmes étrangers, c’est à dire non-espagnols, à s’engager du côté des républicains, pour la défense de la liberté. Même si à l’origine la dimension religieuse n’existait pas, les fascistes l’ont vécu comme une « guerre sainte », une croisade contre le communisme, menée par un général rebelle, Franco, considéré comme un homme providentiel, lui qui au départ était plutôt en retrait, et qu’ils voyaient maintenant comme le sauveur de l’occident, bref un combat manichéen du bien contre le mal. Des liens culturels et historiques unissent la France et l’Espagne depuis longtemps et ces trois longues années vont être l’occasion pour les intellectuels français engagés et dont la notoriété internationale est grande, de nourrir un débat autours de ce conflit aux rebondissements multiples. De leur côté, des journalistes comme Antoine de Saint-Exupéry ou Bertrand de Jouvenel et des photographes de guerre comme Robert Capa et Gerda Taro qui paieront un lourd tribut à cette guerre, apporteront leurs reportages et photos qui ainsi témoigneront de l’intensité des combats de ce conflit atypique et meurtrier où interviendront les avions du côté nationaliste et les femmes du côté républicain. Ainsi, articles de presse, poèmes, romans, films illustreront-ils la polémique qui opposera les deux camps. Certains à gauche, et ils seront nombreux dans les rangs républicains, combattront personnellement dans le conflit comme André Malraux, René Char, la philosophe Simone Weil, tandis qu’à droite, mais avec la seule force des mots, l’Action Française, avec Robert Brasillac, Léon Daudet ou Charles Maurras condamnera « la vague rouge ». Par ailleurs le franquisme qui s’est plus tard recommandé du christianisme, malgré le fait que Franco commandait des troupes marocaines, perpétrait des massacres, ce qui mit mal à l’aise des écrivains comme François Mauriac ou Georges Bernanos et pas mal de catholiques qui pourtant lui étaient culturellement favorables. Le camp républicain n’a pas été en reste qui a montré des déchirements notamment à cause de la politique de non-intervention voulue par Léon Blum ainsi que des oppositions et des tensions internes. Bien entendu les pacifistes se sont fait entendre et, dans les deux camps, cette guerre sans prisonniers (ils sont fusillés, leurs corps brûlés ou enfouis dans des fosses communes), et la terreur « blanche » ou « rouge » qui l’a caractérisée, ont enfanté des exactions et des massacres horribles de populations civiles, montrant un rare mépris pour la vie humaine. De chaque côté des intellectuels se sont exprimés non seulement avec des discours et des écrits mais également avec la radio qui a fait florès chez les franquistes et le cinéma qui a triomphé du côté républicain. Ces derniers modes d’expression montreront des populations civiles, à Guernica et à Madrid notamment, durement bombardées surtout par l’aviation nationaliste. Nous sommes donc pour eux en présence d’une véritable guerre par procuration qui déborde largement des frontières ibériques, faisant de la France et de l’Afrique du Nord une base arrière de ce conflit. Ces intellectuels continueront à se manifester en faveur des réfugiés espagnols après la retirada mais une autre guerre se profile, mondiale celle-là et la guerre civile espagnole sera vite oubliée.
Ce livre passionnant, largement émaillé de témoignages, rend compte d’une manière synthétique et pédagogique de la complexité de ce conflit, des exactions perpétrées, des contradictions, des atrocités dans les deux camps. 2019 correspondant au 80°anniversaire de la fin de cette guerre civile qui a ébranlé bien des certitudes et provoqué de nombreuses prises de position passionnées. Ce livre, qui se lit comme un roman, est une réflexion sur l’attitude des penseurs, journalistes et écrivains engagés face à cette guerre.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Notre vie dans les forêts
- Par hervegautier
- Le 26/06/2019
- Dans MARIE DARRIEUSSECQ.
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La Feuille Volante n° 1359 – Juin 2019.
Notre vie dans la forêt – Marie Darrieussecq – P.O.L
Le concept de dystopie, une utopie qui a mal tourné, avec tout ce que cela peut impliquer pour un romancier, et le titre qui laissait entrevoir un roman écologique bien dans l’air du temps, étaient de nature à retenir mon attention, susciter mon intérêt et ma lecture.
Pourtant je n’ai pas compris grand chose à ce roman, à ces moitiés qui sont les réservoir d’organes, à ces robots qui contrôlent tout, à cette Viviane qui s’appelle aussi Marie, tout comme sa « moitié » qui fuient dans la forêt et tentent d’y survivre avec d’autres congénères. C’est un peu comme un retour aux sources puisque la vie, au début, s’est déroulée et développée dans la forêt. Elle rédige une sorte de journal sur sa vie de maintenant et de celle d’avant quand elle était psy. Elle souhaite que ce manuscrit lui survive, ce qui est bien le rôle de l’écriture puisque nous sommes tous mortels et simplement de passage dans ce monde. Il est donc bien légitime de vouloir y laisser une trace. Je n’ai guère vibré à cette histoire de « cliqueur », bref je ne suis pas du tout entré dans cette fiction qui s’est vite révélée pour moi sans le moindre intérêt et le livre a failli me tomber des mains plusieurs fois.
Les romans fantastiques et avant-gardistes, fort nombreux, qui parlent d’une société future, plus ou moins déshumanisée sont, a priori intéressants parce qu’ils décrivent quelque chose qui peut parfaitement nous menacer ou nous bénéficier et, bien souvent, ne sont qu’une anticipation de notre vie à venir. Certains se sont même révélés étrangement prémonitoires mais l’homme a parfois joué aux apprentis sorciers en se persuadant, ou faisant semblant d’y croire, qu’il participait à l’évolution et au progrès de l’humanité. On met en avant les soins apportés à l’homme et la nécessaire sécurisation de sa vie face à la violence du quotidien pour y trouver une justification. C’est aussi un terrain d’exception pour la fiction et l’imagination créative d’un romancier. L’auteure mène sa réflexion et semble attirer notre attention sur les méfaits de la science et sur les problèmes éthiques du clonage, des réservoirs d’organes en vue de leur implantation sur les êtres humains malades, de la robotisation, des OGM, de la pollution et des multiples agressions dont nous faisons et feront l’objet et les questions que cela ne manquera pas de poser au fur et à mesure du progrès. Les transplantations pourtant actuellement fortement suscitées par les pouvoirs publics peuvent parfaitement ouvrir un débat sur un allongement immodéré de la vie comme on nous le promet pour les décennies à venir, une sorte de négation de la mort qui pourtant fait partie de la condition humaine... Tout cela est gentiment angoissant, glaçant même et peut faire débat d’autant qu’on peut parfaitement imaginer que ce progrès sera réservé à ceux qui en auront les moyens et forcément pas à tout le monde. Pour autant je n’ai pas accroché.
Le style est brut et parfois abrupt, haché, avec beaucoup de digressions et la narratrice s’adresse directement au lecteur comme pour le mettre en garde sur les dérives du monde qui le menace. Quand même ça doit tenir à moi mais je suis passé complètement à côté de ce roman tant l’ennui et le désintérêt étaient grands pour moi. Ça me fait toujours plus ou moins le même effet avec les romans de Marie Darrieussecq que j’ai lus. Elle est une auteure que je lis davantage pour pouvoir en parler parce qu’elle est médiatisée et pouvoir ainsi me faire une idée de son œuvre, mais ma lecture est souvent sans grand intérêt. Malgré tout, malgré mon incompréhension, je me dis que, pauvre de moi, j’ai dû encore une fois passer sans le savoir à côté d’un chef d’œuvre. Bref, une déception, un peu comme à chaque fois !
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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Le coeur converti
- Par hervegautier
- Le 20/06/2019
- Dans Stefan Hertmans
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La Feuille Volante n° 1358 – Juin 2019.
Cœur converti – Stefan Hertmans – Gallimard.
Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin.
Au début du XI° siècle, à l’ère des croisades, Vigdis, une belle jeune fille de la bonne bourgeoisie rouennaise catholique, noble par sa mère, se convertit au judaïsme par amour pour David, étudiant à Rouen, le fils du grand rabbin de Narbonne. Elle devient donc Hamoutal. Elle a envie de liberté et rejette la vie rangée qui lui est promise et suit donc David. C’est une remise en question radicale en ce haut Moyen-Age, une percée dans l’inconnu et le danger. Ils fuiront ensemble jusqu’à Narbonne entre les pogroms, le lancement de la 1° croisade par Urbain II, et les conflits internes dans les régions traversées. Ils doivent se méfier de tout le monde, déjouer les pièges et braver les dangers. Le père de Vigdis ne l’entend pas de cette oreille et demande aux croisés de la rattraper. Les deux amants doivent donc les éviter autant que possible et ne pas éveiller l’attention des personnes rencontrées en chemin, mais David est assassiné à Monieux, en Provence, où ils se sont réfugiés et ses deux enfants enlevés par les croisés. Vigdis va dès lors devenir un fuyarde à leur recherche et ses pérégrinations l’amèneront jusqu’au Caire en passant par la Sicile. Telle est l’histoire de la fille chrétienne d’un viking qui devient la belle-fille d’un grand rabbin du sud de la France puis plus tard l’épouse d’un juif important du Caire. Le narrateur qui fait, mais en voiture puis en bateau, quelques siècles plus tard ce chemin d’errance, communique au lecteur les périls rencontrés par les deux amants puis plus tard par Vigdis seule guidée par l’espoir de retrouver ses enfants.
Tout ce récit part d’un authentique document historique, notant l’existence de cette femme et de son choix exceptionnel pour l’époque, évidemment romancé, découvert par l’auteur dans les archives du village de Monieux où il réside et où, mille ans plus tôt a été perpétré un pogrom consécutif à l’esprit de la croisade. En effet, par ces massacres, il convenait de punir les juifs d’avoir condamné le Christ et aussi les châtier pour leurs richesses. Plusieurs siècles plus tard, il a suivi cette femme jusqu’en Égypte où l’auteur a découvert un document attestant du périple d’une jeune noble normande. Son long travail de recherche s’est doublé d’une démarche d’empathie à son égard, d’une belle érudition et d’un style somptueux.
Je suis bouleversé par cette preuve d’amour de Vigdis envers David ; il m’est difficile d’imaginer que cela est possible. Sa dangereuse pérégrination me rappelle que l’aventure humaine est mystérieuse, longue pour certains et brève pour d’autres et ce sans aucune raison et que l’explication qu’on peut y donner se perd entre hasard, chance et destin sans qu’on soit capable d’en démêler les fils. Ce roman évoque aussi l’antisémitisme qui est la forme la plus ancienne du racisme, solidement ancré dans l’espèce humaine. Je me suis toujours demandé pourquoi ce sont les juifs, un communauté tranquille, qui étaient à l’époque l’objet de ces tueries et de cette haine. Certains d’entre eux étaient des banquiers et en les tuant on tuait aussi leurs créances mais il y avait chez eux aussi des pauvres qui n’échappaient pas pour autant au massacre. Au Moyen-Age l’emprise de l’Église catholique était telle qu’elle gouvernait les institutions et les consciences, manipulait l’opinion, et il lui a été facile de susciter cette détestation des juifs qu’elle considérait comme les meurtriers du Christ. Elle était surtout l’incarnation de l’intolérance, voyait la marque du diable partout et la justice expéditive qu’elle exerçait ou suscitait sans aucun discernement ne jurait que par le bûcher. L’esprit de la charité chrétienne et de l’Évangile était bien loin de ses actes. C’est peut-être cela aussi, avec également l’indulgence plénière, qui a motivé les chevaliers à partir en croisade délivrer le tombeau du Christ, encore que, auparavant, les occidentaux vivaient sur les terres d’Orient en relative paix avec les musulmans et les croisades n’ont pas atteint leur but, certaines s’arrêtant en chemin pour tuer et piller les villes, notamment Constantinople. Elles se sont révélées, non comme un pèlerinage armé, mais comme des opérations militaires dont l’époque était coutumière et qui s’inscrivaient dans le cadre de la lutte défensive contre l’expansion arabe en occident. On pourrait penser que les choses ont aujourd’hui changé, que les mentalités ont évolué avec le temps mais aux pogroms du Moyen-Age a succédé la Shoah et les attaques actuelles contre les juifs prouvent que ce vieux fond d’antisémitisme est bien ancré dans nos civilisations.
J’ai bien aimé ce roman, cette fresque historique est particulièrement émouvante.
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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Le crime du comte Neville
- Par hervegautier
- Le 14/06/2019
- Dans Amélie Nothomb
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La Feuille Volante n° 1357 – Juin 2019.
Le crime du Comte Neville – Amélie Nothomb – Albin Michel
A la suite de la prédiction d’une voyant , le comte Henri Neville, noble ruiné, apprend qu’il va tuer prochainement un de ses invités. Drôle de nouvelle, pourtant, il va bien organiser en son château et pour la dernière fois pour cause de vente de l’immeuble, une garden-party. C’est que pour lui recevoir est tout un art qu’il cultive depuis longtemps. Par ailleurs il a passé sa vie à défendre son château ce qui lui a coûté fort cher et il s’est sacrifié pour assurer tout au long de sa vie ses fameuses réceptions mensuelles auxquelles il n’a jamais voulu déroger. Il a toujours été superstitieux et ajoute foi aux propos de cette pythonisse, se demandant qui il pourrait bien élire pour ce genre de sacrifice.
Sérieuse, sa fille est une adepte des fugues comme son père au même âge, elle est mélancolique et n’aime guère la vie et ce qu’elle lui propose est pour le moins surréaliste même dans le cadre d’une fiction.
J’avoue que je me suis un peu ennuyé aux considérations de l’auteure sur la noblesse et l’art d’élever les enfants de l’aristocratie autant que de son mode de vie. Les références mythologiques grecques mises dans la bouche de Sérieuse qui tente de convaincre son père ne m’ont pas non plus enthousiasmé, pas plus d’ailleurs que les commentaires sur la culpabilité. Le titre donnait à penser qu’il pouvait s’agir d’un roman policier mais ce n’est pas le cas. C’est un roman sans souffle, sans suspens, sans véritable histoire. L’épilogue quant à lui tient de la fable, du mauvais conte de fée, du « happy-end », de la chute facile et sans intérêt, une certaine façon de se moquer de son lecteur et de bâcler une histoire déjà difficilement crédible.
Est-ce une manière de régler ses comptes personnels avec la noblesse, de nous rappeler son goût pour le champagne ou de participer à la rentrée littéraire (celle de 2015)?Tout ça me laisse froid. Bref une perte de temps, une déception, une invitation à ne pas renouveler cette expérience de lecture
Le seul avantage de ce roman est qu’il est court et se lit facilement malgré des dialogues sans relief.
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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L'ami de jeunesse
- Par hervegautier
- Le 11/06/2019
- Dans Antoine Sénanque
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La Feuille Volante n° 1356 – Juin 2019.
L’ami de jeunesse – Antoine Sénanque – Grasset.
Il y a beaucoup s
de similitudes dans ce roman d’Antoine Sénanque avec celui que j’ai lu (« Étienne regrette »-La Feuille Volante n° 1353). Le personnage principal, ici Antoine, la cinquantaine, est un psychiatre avec cabinet et clientèle aussi fidèle que sa femme Élisabeth ne l’est pas et qui a, avec sa famille des liens assez distendus. Comme Étienne du roman précédent, il est aussi peu fan de sa vie qui s’égrène inexorablement, qu’il subit et il ne s’épanouit pas dans son métier, pire peut-être, il n’y croit plus. Il soigne son état dépressif par l’alcool et les médicaments. Il a un ami, Félix, qu’il qualifie de meilleur (j’ai toujours une interrogation sur ce qualificatif tant l’espèce humaine est friande de trahisons et d’inconstance, quant au lien, l’ancienneté ne fait rien à l’affaire), restaurateur de son état, menteur, jouisseur et fourbe, aussi épicurien que l’était Denis Larbeau dans l’autre livre. Il n’y a rien d’étonnant que, blasé comme il est, Antoine ait envie de changer de vie. Il veut devenir prof d’histoire, pour cela passer une licence et surtout entraîner dans cette aventure le pauvre Félix qui n’est guère enthousiaste. Cet ami de jeunesse l’accompagne dans toutes ces entreprises, même les plus hasardeuses et le soutient, bien qu’il soit son exact contraire, ce qui se vérifie encore une fois en matière de femmes comme de succès universitaires! Pour Antoine c’est non seulement une remise en question mais surtout une perte importante de revenu. Cet aparté intellectuel lui donne l’occasion de régler quelques comptes avec l’université et son univers kafkaïen, mais aussi avec sa famille, son frère aîné, chômeur professionnel qui vit à ses crochets. Puis ça part très vite sur autre chose, le latin et sa grammaire, les enfants, l’hôpital, la médecine, Venise, Dieu, les femmes… Les aphorisme de Sénanque sont savoureux, comme si de tout cela, de sa vie, Antoine en avait un peu marre, comme s’il réglait ainsi d’ultimes comptes.
J’ai peu lu Sénanque mais ce que je retiens de lui c’est une analyse pertinente de l’espèce humaine, présentée comme il convient sous l’angle d’un humour parfois acerbe. Quand j’ai ouvert ce roman, je ne comprenais pas pourquoi Antoine avait choisi de se remettre ainsi en question par l’obtention d’une improbable licence d’histoire. Ce n’est que vers le milieu du roman que l’explication m’est clairement apparue. J’imagine que jusque là, la vie conjugale l’a si peu comblé, que dans son inconscient, et bien qu’il affirme le contraire et veuille peut-être se le cacher à lui-même en faisant semblant de croire aux serments amoureux perpétuels, il avait l’intuition de la trahison et du mensonge qui l’entouraient. Sa réaction était plutôt inattendue pour son entourage mais elle pouvait vouloir signifier qu’il était libre d’être autre chose qu’un pourvoyeur de deniers, qu’il avait lui aussi le droit de faire ce qu’il voulait, mais dans le respect de la morale et des bonnes mœurs. Cela a pu échapper au psychiatre qu’il est, mais comme nous le savons ce sont les cordonniers les plus mal chaussés. Après la surprise, les questions viennent et avec elles l’humiliation, la certitude de s’être trompé bien avant de l’avoir été, la déconvenue, la prise de conscience de l’erreur, des illusions et la culpabilisation d’y avoir succombé. Que lui reste-t-il ? La vengeance dans l’imitation de la séduction, la fréquentation plus assidue du cocktail alcool-médicaments qu’il pratique déjà, une aspiration vers la solitude, facteur de joie et de bonheur ou une plongée analytico-psychiatrique dans son passé pour connaître les racines de son mal conjugal. Pourquoi pas avec Charlotte ?
Il est beaucoup question de l’amour dans ce roman. C’est, nous le savons, une chose consomptible et transitoire, mais dans ce contexte les habitudes, les illusions passées, la peur de l’avenir et de la solitude prennent le relai et on s’accommode de tout, jusqu’à faire semblant, entre compromis et compromissions. Au début on s’embarque dans le mariage avec des certitudes optimistes et qui se révèlent plus ou moins rapidement surréalistes et dont l’abandon obligatoire est d’autant difficile à accepter qu’on est bien obligé d’admettre d’en avoir été le premier responsable. Pourtant Antoine a peur du changement, des femmes, de l’avenir, il est dépendant, culpabilisé, angoissé et ne choisira pas. C’est peut-être dans sa nature mais Élisabeth, par son choix, a brisé quelque chose et cette brisure est définitive. Elle a révélé son vrai visage et le naturel est revenu au galop, même s’il a été suivi plus tard de résipiscences, de retour et de remords. Les choses s’établiront ainsi, dans l’hypocrisie et les habitudes parce que c’est aussi comme cela que vit l’espèce humaine à laquelle nous appartenons tous, et nous n’y pouvons rien.
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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Bleu de Delft
- Par hervegautier
- Le 07/06/2019
- Dans Simone van der Vlugt
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La Feuille Volante n° 1355 – Juin 2019.
Bleu de Delft – Simone van der Vlugt - 10/18.
Traduit de néerlandais par Guillaume Deneufbourg.
Catrijn est une jeune veuve qui quitte son village natal après la mort suspecte de son mari. Ce fut un mariage bref mais malheureux et l’important héritage qu’elle fait entraîne ragots et soupçons de meurtre de la part de sa belle-famille. Elle a toujours rêvé de vivre en ville et arrive à Amsterdam où elle trouve une place d’intendante dans une riche famille patricienne, membre de la compagnie des Indes. Elle a toujours été passionnée par la peinture et aide la maîtresse de maison à parfaire son apprentissage mais les circonstances de la mort de son mari lui reviennent sous la forme d’un chantage auquel bizarrement elle accepte de se soumettre sans broncher. Cet épisode de sa vie la poursuivra sans trêve sous l’apparence de Jacob, son ancien valet de ferme à la solde de la famille de son défunt mari, avec toute la culpabilité que cela entraîne et le châtiment divin que cela implique pour elle. Ce personnage est ambigu, il accepte de la surveiller, la fait chanter, la rançonne mais ne manque jamais de lui dire son attachement alors, au fil de ses apparitions, on se demande quel est exactement le jeu qu’il joue. Cela évoque à Catrijn l’ombre du gibet et motive sa constante volonté de disparaître. Cet homme est pour elle comme une présence obsédante pour sa réussite professionnelle et son bonheur personnel, une menace omniprésente aussi, intéressé qu’il est par son argent. Elle n’a plus qu’à quitter Amsterdam et cette fuite s’accompagne de la chance d’une rencontre, d’ailleurs assez éphémère avec Vermeer, un peintre encore inconnu, puis plus tard avec Rembrand. Elle est admise dans une faïencerie où elle terminera sa formation et mettra au point le fameux « Bleu » qui a fera la fortune de la ville et de sa famille.
J’ai un peu de mal à imaginer qu’au XVII° siècle une jeune femme, même si c’est un personnage ayant réellement existé, puisse ainsi voyager seule, s’affranchissant aussi facilement des contraintes sociales et parvienne à se faire une place dans une société gouvernée par les hommes. Je la trouve quand même très chanceuse, peut-être un peu trop, pour que son histoire soit vraiment crédible, et l’ambiance religieuse de l’époque ramène cela à une protection divine. J’ai notamment trouvé que son voyage de retour vers Delft, à pied, seule et enceinte, dans une région où a sévi la peste, est un peu surréaliste! C’est aussi une séductrice, une gourgandine et une femme certes travailleuse, mais qui sait ce qu’elle veut, ce qu’elle vaut et surtout que rien n’arrête. Elle ne perd jamais de vue son intérêt. J’ai noté un important travail de documentation sur les coutumes de l’époque, les techniques de la faïencerie et l’inévitable peste, cette maladie mystérieuse qui était surtout considérée comme un châtiment divin et qu’on soignait bizarrement. Elle tuait à peu près la moitié de la population et épargnait l’autre moitié et on ne manquait pas à l’époque d’y voir la main de Dieu ! On n’avait à l’époque aucun traitement sérieux si ce n’est les recherches du chirurgien français Guy de Chauliac (1298-1368) et les différents essais empiriques en usage dans certaines régions (à Niort on la combattait avec l’angélique). Catrijn, qui use d’une thérapie étonnante mais apparemment efficace pour l’éviter ou la guérir, fait évidemment partie des survivants ; elle prend des risques inconsidérés face à l’épidémie et échappe à la mort alors qu’autour d’elle les disparitions se multiplient.
Je ne connaissais pas cette auteure et j’ai lu avec plaisir ce roman fort bien écrit et qui s’attache son lecteur jusqu’à la fin sans que l’ennui s’insinue dans sa lecture, même si cette histoire, qui met en scène certains personnages réels insérés dans un contexte historique, m’a paru par moments un peu trop romancée. Je veux bien que nous soyons dans une fiction mais les aventures de Catrijn pour être passionnantes m’ont semblé être trop dans l’irréalité.
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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Tropique du Brésil
- Par hervegautier
- Le 06/06/2019
- Dans Jacques Secondi
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La Feuille Volante n° 1350 – Mai 2019.
Tropique du Brésil – Jacques Secondi – Éditions François Bourin.
Je remercie les éditions François Bourin de m'avoir fait découvrir cet auteur dont c'est apparemment le premier roman.
C'est le récit d'Emmanuel, ce journaliste français qui attend sa carte de résident permanent au Brésil, non pour des raisons fiscales comme on pourrait le croire, mais simplement par amour de ce pays. Durant la nuit qui précède, il repense à ce qu'a été son parcours depuis que les hasards d'un reportage l'ont amené ici en 1990 même si, au cours de toutes ces années, les choses ont bien changé. Au début il avait découvert le pays avec les yeux émerveillés de celui qui croit avoir trouvé dans ce village de bord de mer le but de son voyage. Son nom « Trancoso »(Tranquille) était pour lui une promesse de dépaysement. Il était tombé amoureux du climat tropical, de cet art de vivre fait de sieste, de farniente où le seul meuble important était le hamac, du fatalisme de ses habitants qui vivent dans l'instant sans trop se soucier de l'avenir, de cette langue chantante, des jolies femmes aussi, même si leurs appas n'étaient pas exactement les mêmes que sous nos latitudes occidentales, de la sexualité débridée, du sens de la fête arrosée, du rythme de la samba, de la nourriture (dont il livre beaucoup de recettes), bref de tout ce qui fait ce pays. Il y avait certes rencontré des autochtones mais, à l'époque de son arrivée il y avait aussi des hippies attardés, des voyageurs bohèmes égarés qui avaient décidé de passer ici le reste de leur vie. Cette carte postale a été un peu bousculée quand l'unique route de terre qui menait au village a été goudronnée, amenant avec elle un tourisme commercial et une urbanisation sauvage et qu'il a pris conscience du côté folklorique brésilien fait d'infrastructures d'un réseau routier approximatif, souvent défaillant et parfois dangereux, du goût un peu trop prononcé de ses habitants pour la musique à tue-tête, des cabines de téléphone public capricieuses, de l'obsession de ses habitants pour une propreté quasiment étasunienne avec cette hantise de traquer les puanteurs fétides et de masquer ses propres odeurs corporelles par un usage immodéré pour les parfums.
Mais la réalité est tout autre aujourd'hui dans la mégalopole de São Paulo, et l'évocation humoristique voire idyllique de cet immense pays ne suffit pas à masquer une forme d'intolérance à tout ce qui est différent, notamment les homosexuels qui, dans d'autres démocraties sont acceptés sans aucune difficulté, le gouffre qui existe entre riches et humbles, la pauvreté des favelas, les agressions parfois meurtrières dans les rues, l'insécurité croissante avec usage d'armes à feu, de rackets et d'enlèvements, le trafic de drogue, la corruption. Si la 4° de couverture rappelle que l'auteur apprécie le mot brésilien « relaxar » pour souligner ce mode de vie détendue, la lecture de ce roman y oppose facilement le verbe « favelizar » (composé à partir de « favela ») qu'on peut traduire par le processus de dégradation d'un quartier, le verbe « bobear » qui signifie flâner, une activité banale sous nos latitudes mais qui est ici des plus déconseillées pour un touriste étranger signalé par la couleur plus claire de sa peau. Il reste que marcher dans la rue vous expose à être pris entre le feu de la police militaire et celui des criminels en tout genre qui peuplent les villes, ce qui n'est pas vraiment engageant. Et ce pour ne rien dire du kidnapping, de l'attaque du domicile privé ou de l'invasion d'un lieu public suivi de délestage de ses occupants sous la menace des armes. Là, le verbe « arrastrar » (ramasser ) prend tout son sens.
Je ne sais si l'intention de l'auteur était originellement de faire l'éloge du pays, mais la lecture de cet ouvrage que j'ai du mal à qualifier de « roman » qui est généralement réservé à la fiction, ne m'engage guère à en faire ma prochaine destination touristique. J'ai lu ce livre plutôt comme un reportage aux allures de mises en garde malgré l'amour qu'il déclare au Brésil. Cela correspond d'ailleurs à différentes observations déjà entendues dans mon entourage et ce même l'insécurité grandit chaque jour dans nos sociétés occidentales menacées par le terrorisme islamiste et les luttes politiques qui dégénèrent, avec de plus en plus de policiers et de militaires dans les rues de Paris pour protéger les populations. Ce n'est cependant pas sans une pointe d'humour que l'auteur confie qu'il préfère le Brésil où là au moins il ne s'ennuie pas et pour lequel malgré tout a fait son choix.
Cela dit le « roman » est bien écrit, plein d'expressions portugaises et de détails du quotidien, avec cet humour de bon aloi qui, à l'aide des mots choisis, vous invite au sourire, malgré tout !
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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Etat d'ivresse
- Par hervegautier
- Le 04/06/2019
- Dans Denis Michelis
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La Feuille Volante n° 1354 – Juin 2019.
État d’ivresse – Denis Michelis – Les éditions Noir sur Blanc.
Le mariage, à l’inverse de l’engagement religieux, n’est pas vraiment une vocation. On le choisit plutôt par tradition, par habitude, par peur de la solitude, parce qu’il est censé correspondre à la recherche légitime du bonheur auquel tout homme a droit ou simplement pour se reproduire selon les règles de la société ou en faisant semblant de croire que cela obéit à une volonté divine. Pourtant, il se révèle souvent rapidement comme une déconvenue pour une foule de raisons. On en sort officiellement par le divorce, de plus en plus sollicité, ou plus hypocritement par des fréquentations extérieures, l’exercice de passions ou de passe-temps qui vous éloignent de votre famille et bien souvent par l’adultère. Bien des unions perdurent pourtant artificiellement pour des raisons religieuses, morales ou financières et ne sont que de petits arrangements avec la réalité. Pour cette mère de famille qui ne nous est connues que par le vocable abusif de « maman » tant elle est éloignée de ses devoirs de mère et d’épouse, c’est l’alcool et on se demande comment et peut-être aussi pourquoi elle en est arrivée là. Elle est en permanence saoule, dans un état de dépendance, comme sous perfusion constante, incapable de résister, comme protégée en permanence par l’intervention d’un Bacchus qui chez les Romains était le sauveur des ivrognes.
Cette boisson, pourtant parfaitement légale, est un fléau et assurément une destructrice de la cellule familiale d’où le père est perpétuellement absent et où le Fils, Tristan, fuit le foyer. Autour de cette femme c’est une sorte de désolation que la fréquentation de la bouteille n’arrange guère. Ses amis, ses voisines la fuient et elle-même néglige non seulement son ménage mais aussi son travail de rédactrice dans un grand magazine ce qui, à terme, ne peut que se terminer assez mal. Elle y est d’ailleurs assez peu à sa place puisque pour elle les mots se dérobent de plus en plus et que cette publication de psychologie est censée inviter ses lecteurs à s’épanouir ! Elle a du mal à vivre la crise adolescence de Tristan à cause des absences chroniques du père qui les organise avec méthode. Elle se joue un peu la comédie, celle de la grande journaliste qu’elle n’est pas, celle que l’épouse et la mère de famille qu’elle n’est plus. Elle n’est pas dans le besoin, a tout le confort qu’une femme peut désirer, une famille, un emploi, une maison mais elle fait le vide autour d’elle et bien entendu l’épilogue n’a rien d’étonnant. Elle observe sa voisine méchamment, se console toujours avec l’alcool, les médicaments et on imagine ce que peut donner ce genre de cocktail. Elle en déduit que tout le monde est contre elle, y compris son mari qui sans doute n’en peut plus de vivre avec une alcoolique et envisage des solutions, pas si étonnantes que cela cependant. Je n’ai pas senti beaucoup d’empathie pour elle et ce texte m’a même un peu agacé. j’en ai cependant poursuivi la lecture pour connaître un épilogue, il est vrai parfaitement prévisible.
Le texte, assez décousu, qui se déroule dans une sorte de huis-clos sur une semaine ou à peu près, est écrit alternativement à la première personne qui trahit les états d’âme de cette femme, ses mensonges, ses phobies, ses plaintes, sa paranoïa, sa schizophrénie, mais aussi qui rend compte aussi des rares dialogues qu’elle a avec le peu de personnes qui l’entourent. Il y a aussi cette petite voix intérieure, peut-être celle de sa conscience qui tente de la remettre sur le droit chemin, vainement !
J’ai lu dans ce roman le malaise d’un couple, qui n’aurait peut-être jamais dû se former, son basculement, sa destruction progressive mais aussi une sorte de tentative de mise en évidence de l’égalité hommes/femmes autant qu’une manière de s’attaquer à une sorte de tabou si longtemps entretenu, l’alcoolisme étant depuis longtemps réservé aux hommes et la femme, cantonnée au foyer, avait le rôle moralisateur d’épouse soumise et de mère de famille attentive. Quant à l’épilogue, au vrai bien peu original même si, en pareil cas, c’est toujours le même scénario où l’évidence vous saute enfin aux yeux après, il est vrai, s’être installée face à vous, souvent pendant longtemps, sans que vous l’ayez ne serait-ce qu’envisagée ou peut-être simplement voulu la voir.
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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Etienne regrette
- Par hervegautier
- Le 02/06/2019
- Dans Antoine Sénanque
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La Feuille Volante n° 1353 – Juin 2019.
Étienne regrette – Antoine Sénanque – Grasset
Étienne Fusain, 54 ans, professeur hypocondriaque de philosophie à St Denis, a la désagréable surprise de voir graver sur son pupitre de la salle de cours « Fusain est un con ». Au vrai, c’est plutôt banal et qui n’a jamais été traité ainsi par ses semblables ? Sauf que lui le prend très mal parce que ça vient d’un de ses élèves, un anonyme qui le restera et, à force d’y réfléchir et de se torturer l’esprit, il constate finalement que la philosophie, que pourtant il enseigne et qui est censée être la science de la sagesse, ne lui sert à rien. Il ne peut s’en ouvrir à ses collègues parce qu’aucun n’est vraiment un ami digne de cette confidence et côté famille ce n’est guère mieux. Pourtant, avec le temps qui guérit tout, ce genre d’affront intime s’effacera après une parenthèse dans son quotidien convenu et ordinaire.
Son quotidien, et d’ailleurs celui de son ami d’enfance, Denis Larbeau, célibataire, plus épicurien que lui, médecin légiste et écrivain manqué (ce détail revient dans les deux romans que j’ai lus de cet auteur et d’ailleurs beaucoup de personnages plus furtifs, ont cette caractéristique), est bien morne alors pourquoi faire une fixation sur ce graffiti. Au vrai, c’est une insulte banale, sans recherche, et celui qui en est l’auteur manque cruellement d’imagination et d’originalité, pourtant c’est un signal que Fusain attendait depuis longtemps, sans même le savoir, pour changer de vie, une vie trop tranquille et insipide, faite de beaucoup de routine, de renoncements, de regrets. Il quitte donc sa femme, se fait porter pâle au collège… pour aller vivre chez Larbeau. Finalement il reste 43 jours absent de son domicile puis retrouve sa femme et ses secrets à elle aussi et bien entendu, il garde les siens. A bien y regarder, ce personnage est plus intéressant qu’il y paraît. Apparemment il a la famille en horreur, la sienne d’abord (il n’a apparemment avec sa femme et sa fille que des liens très distendus) et avec sa belle-famille c’est encore pire ( je ne sais pas qui a qualifié de « beau » ce lien juridique rarement affectif avec des gens avec qui on n’a souvent rien à voir). Il est capable de tomber amoureux d’une silhouette furtive de femme et de tout remettre en question pour Lily, une amourette d’adolescence non oubliée et retrouvée un peu par hasard, il attache à l’amitié et spécialement celle qui prend ses racines dans la jeunesse, une valeur qui dépasse le temps et l’efface peut-être… Au fil des pages il est devenu un personnage attachant.
Il est beaucoup question de mort et de suicide, mais sur un mode léger. Pour la mort c’est normal, nous sommes tous mortels et c’est présenté comme la fin normale de la vie. Il en parle sans plus de fioriture et hors des fantasmes et des peurs habituels, comme une fatalité incontournable mais pas larmoyante, sans regret pas vraiment heureuse mais en tout cas pas malheureuse. L’auteur s’en sert même d’une certaine façon pour arranger les choses de cette fiction à travers les propos de son ami Larbeau dont le métier de légiste la lui fait côtoyer. Pour le suicide c’est autre chose, c’est une décision qui en principe bouleverse le cours des choses et qui pose une multitude de questions, pour son auteur et pour ceux qui restent… Au cas particulier de Fusain on subodore un traumatisme trop présent et qui pourrit son quotidien.
L’auteur fait honneur à sa qualité de médecin, à son érudition et enveloppe tout cela dans un style enlevé, plein d’un humour subtil et pertinent ; cela justifie de nombreuses diversions qu’apparemment il affectionne. Dans ces courts chapitres j’ai ressenti une sorte de solitude individuelle de chacun des acteurs de ce roman, une sorte de malaise qui leur colle à la peau, mais que l’amitié et peut-être aussi cet intermède amoureux, parviennent cependant à cautériser.
C’est le deuxième roman que je lis de cet auteur et si le premier (« Salut Marie ») m’avait laissé une impression plutôt insipide, celui-là, au contraire m’a paru plein d’intérêt. Je crois même que je l’ai apprécié nonobstant la fin, un peu trop en forme de « happy end » mais finalement pas si invraisemblable que cela. Ce fut pour moi un bon moment de lecture. Quant aux regrets d’Étienne je les imagine...
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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Salut Marie
- Par hervegautier
- Le 31/05/2019
- Dans Antoine Sénanque
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La Feuille Volante n° 1352 – Mai 2019.
Salut Marie – Antoine Sénanque – Grasset
A lire le titre et la 4° de couverture, on a le choix entre le début d’une prière classique mais revisitée sur le mode osé et des salutations adressées à une femme. Pierre Mourange, vétérinaire de son état, veuf, 51 ans, hypocondriaque, écrivain manqué, catholique non pratiquant, a vu la Vierge lui apparaître, silencieuse, le 1° avril 2008 et même si la date ne fait pas très sérieux, il y croit mais cela l'inquiète. Il y a des précédents et, en principe, ensuite, on entre dans les ordres ce qu’il ne semble pas avoir envie de faire. Il s’en tirera avec un pèlerinage à Lourdes, à cause de son apparition sans doute, mais après une réflexion un peu lente et fumeuse sur la religion qu’il ne pratique pas, sur Dieu, sur l’au-delà... Du coup des questions l'assaillent. Pourquoi lui? Est-ce une hallucination? Qu'est ce que cela signifie? Ne ce serait pas plutôt mauvais signe, genre peur de la mort pour lui ou rappelle de celle de son épouse et de l’amour qu’il lui portait… La conversation avec un prêtre et la fréquentation de psychiatres ne sont n'est pas vraiment de nature à le rassurer, pas plus que les examens médicaux, ou alors cela traduit-il simplement son besoin d’une femme. Lui, qui était plutôt solitaire depuis dix ans et la disparition de son épouse, devient d’un coup, pour toutes les grenouilles de bénitier de la paroisse, un véritable faiseur de miracles et un intercesseur. Puis, on s’égare un peu dans sa vie familiale et sentimentale d’ailleurs plutôt tristes et on revient à ses apparitions, parce qu’il y en a une autre, à l’occasion d’une rencontre avec Mariette, un diminutif de Marie, une veuve convertie aux médecines douces, aux soins palliatifs pour animaux et à la recherche spirituelle et qui ne lui est pas indifférente. Mine de rien, s’insère dans sa vie. Il n’en faut pas plus pour semer le doute dans son esprit !
Cette apparition embarrasse l’Église qui l’accueille avec scepticisme comme jadis elle les recherchait activement, et cela fait naître plus de doutes que de certitudes. Tout au plus y voit-elle une occasion de prosélytisme en invitant Pierre a plus d’humilité, de culpabilité et surtout à davantage de pratique religieuse en lui rappelant les dogmes, les mystères, les évidences qui ne le sont pas pour lui, pauvre mécréant. L’auteur en profite pour glisser quelques remarques de bon sens au sujet de cette religion qui ne peuvent pas ne pas avoir au moins effleuré tous ceux qui n’en sont pas des inconditionnels et personnellement je trouve cela plutôt bien.
Au début, cela menaçait d’être intéressant dans une période où les apparitions divines sont de plus en plus rares, que les églises se vident et que la hiérarchie catholique est quelque peu bousculée et que, dans d'autres religions, dieu se manifeste davantage, même si ce message inspire autour de lui meurtres et dévastations. Au lieu de cela le lecteur est plongé dans la vie familiale et sentimentale pas vraiment passionnante du narrateur, est amené à connaître pas mal de digressions loufoques que j’ai eu du mal à rapprocher du thème de ce roman, il est informé de ses états d’âme, de son évolution intérieure. Quant aux apparitions, on peut toujours y voir une occasion de réflexion même si la mort, le deuil, la dépression, l’envie de spiritualité, les relations familiales difficiles, sont aussi suscités.
Ça tient sans doute à moi qui n’ai sans doute pas compris grand-chose peut-être parce que quand je lis un roman qui évoque cette religion, j’ai tendance à vouloir passer à autre chose mais le livre a bien souvent failli me tomber des mains. J’en ai poursuivi la lecture je me demande encore pourquoi. Pourtant cela se lit bien, le style est fluide, un tantinet caustique avec pas mal d’humour. Par les temps qui courent il vaut mieux rire de tout ! Ce qui finalement m’a plu le plus dans ce roman, c’est l’exergue « A Quinila, parce qu’elle est bien jolie ». Les écrivains devraient toujours dédier leur roman à une jolie femme !
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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Colette et les siennes
- Par hervegautier
- Le 26/05/2019
- Dans Dominique BONA
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La Feuille Volante n° 1351 – Mai 2019.
Colette et les siennes – Dominique Bona – Grasset.
Ce livre est moins une biographie de Colette (1873-1954) comme Dominique Bona les affectionne, qu'une évocation de cette écrivain anticonformiste qui, à l’âge de 41 ans, d'août 1914 à 1916, alors que les hommes et particulièrement son cher mari, Henry de Jouvenel, sont au front, choisit, pour fuir la solitude, de s'entourer chez elle à Paris, à l’orée du Bois de Boulogne, de ses amies, la comédienne Marguerite Moreno (1871-1948), la journaliste Annie de Pène (1871-1918) et la danseuse de cabaret Musidora (1889-1957). L'auteure pourtant en profite pour revisiter la vie de ces quatre femmes, même au-delà de cette période, et particulièrement celle de Colette. Ce chalet parisien prend des allures de phalanstère et c'est pour elles un refuge, un univers. Ce sont des femmes au destin différent et pourtant commun tant elles étaient prédestinées à se rencontrer, qui ont une histoire personnelle mouvementée et pleine de secrets et ont, chacune à sa manière, déjà affirmé leur liberté et leur originalité par des choix personnels, même à une époque où les femmes étaient sous la tutelle des hommes. Cette liberté, à la fois amoureuse, sociale et artistique, elles l'ont payé cher plus tard par des revers de fortune et une grande solitude intime malgré leurs liens très forts et le silence qui faisait aussi partie de leurs échanges. Elles vivaient et étaient elles-mêmes dans ce microcosme en prenant bien soin de ne pas ressembler aux hommes et à tirer un trait qu'elles voulaient aussi définitif que possible sur leur vie d'avant comme en témoigne sans doute l'usage d'un pseudonyme. Scandaleuse, Colette l'avait été sur les scènes de music-hall ou de cabarets, comme elle l’a été ensuite dans ses choix matrimoniaux, ses amours saphiques et quasi incestueux ; elle se voulait indépendante dans ce chalet dédié aux femmes mais c'est un homme qu'elle attendait et qu'elle allait même rejoindre sur le front à Verdun, son mari Henry de Jouvenel. La guerre qui faisait rage obligea ces femmes à trouver des sources de revenu ce que chacune a fait, en se consacrant qui à l’écriture, qui au journalisme, qui au théâtre et au cinéma mais avec des fortunes diverses et à partir de 1916, le chalet ne sera plus pour chacune d’entre elles qu’un beau souvenir et le début d’une nouvelle vie faite de voyages, de liberté, d’aventures. La guerre a été une épreuve pour Colette qui retrouva Henry à la fin du conflit, mais cet homme volage lui échappait de plus en plus et, alors qu’elle aurait voulu lui appartenir et le garder pour elle, elle souhaitait en même temps une grande liberté pour elle-même. Elle craignait surtout la solitude, ce qui est paradoxale pour un écrivain qui en principe la cultive comme le terreau de l’écriture. Plus inattendu peut-être, pour faire échec à son isolement, elle alla même jusqu’à entretenir des relations amicales… avec les anciennes maîtresses successives de son mari ! Elle renoua avec les mondanités pour soutenir la carrière politique d’Henry et son appétit de vie l’a fait basculer dans des amours de contrebande que la morale bien souvent réprouva, surtout à cette époque. Colette connut des revers dans ces passades qu’elles auraient voulues pérennes, sa vie fut une longue recherche du bonheur émaillée de fuites, de passions, de ruptures, de trahisons, de renaissances, de divorces. A part Annie de Pène, fauchée par la grippe espagnole après la Grande Guerre, ces femmes, après cette parenthèse amicale commune, ont correspondu, se sont croisées, faisant en quelque sorte perdurer, malgré le temps, les liens tissés dans leur phalanstère. Colette reste un écrivain qui échappe aux étiquettes et ses romans se sont nourris de ses passions, de ses engagements personnels, de sa vie amoureuse par ce fameux effet miroir, cet aspect de l’écriture, à la fois prémonitoire et cathartique, cette alchimie mystérieuse et si profondément humaine qui font les bons auteurs.
De même qu'on ne s'improvise pas romancier, on n'écrit pas des biographies par hasard, surtout quand, on est un auteur de fiction du talent de Dominique Bona et il est sans doute dommage qu’elle ne se consacre plus au roman comme elle l’a fait au début de sa « carrière ». Dans son précédant ouvrage (« Mes vies secrètes ») elle a confié que le biographe s'efface volontairement derrière l'écrivain dont elle a choisi de parler, mais il m'a toujours semblé que, à travers un parcours qui n'est pas le sien, même si elle garde autour de sa personne un secret de bon aloi, elle évoquait, en creux, un peu de ses passions personnelles, de ses aspirations intimes. Cet ouvrage est évidemment fort bien écrit et passionnant comme elle en a habitué ses lecteurs et c'est devenu un lieu commun que de souligner autant la fluidité du style que la richesse et la précision documentaires, jusque dans le détail, d'une biographie écrite par l’académicienne. Elle est évidemment tenue par le déroulement des événements qu’elle évoque et qui rythment la vie des personnages qui sont l’objet de son étude mais elle ne se contente pas d'énoncer des faits, elle s'approprie la vie de ses sujets, tente de les comprendre, en excuse parfois les excès, en essayant de percer peut-être leurs secrets intimes mais elle respecte surtout ce que l'histoire ne révèle pas, en s'interdisant de fantasmer sur l'inconnu. Ici, elle nous fait partager l'univers de Colette, son amour de la liberté, son papier bleu, son encre couleur d'azur, ses mots profondément humains où les cinq sens sont sollicités qui nous transmettent son sourire, sa joie de vivre malgré les épreuves que la vie lui a envoyées.
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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compromis
- Par hervegautier
- Le 12/05/2019
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n° 1349 – Mai 2019.
Compromis – Philippe Claudel – Stock.
Denis, la trentaine, comédien raté à tête patibulaire, veut vendre son vieil appartement et pour signer le compromis de vente, a demandé à son ami Martin, dramaturge sans succès, d'être présent pour rassurer l'acheteur. La conversation débute entre eux au sujet du débat Giscard-Mitterand avant les élections présidentielles de 1981 et les espoirs qu'elles suscitent, se poursuit sur eux-mêmes, sur leur métier, leurs petits travers, leurs difficultés et bien sûr leurs échecs. Avant l'arrivée de Duval, l'acquéreur, Martin passe l'appartement au peigne fin et donne son avis à Denis, sans lui faire beaucoup de cadeaux. En réalité, avant même que commence la visite des lieux, c'est à un véritable duel entre les deux « amis » auquel nous assistons, un de ces règlements de compte entre deux authentiques losers, deux « bobos » de gauche, où l'on déterre des vengeances accumulées et des haines recuites, et quand Duval arrive cela ne fait qu'empirer au point que ce dernier se demande ce qu'il est venu faire là. Quant à être rassuré, c'est autre chose ! Duval semble, au début, entrer dans ce jeu un peu bizarre et même prendre plaisir à cet étrange échange, mais cela ne dure qu'un temps et le lecteur n'est pas au bout de ses surprises …
Ici, Phillipe Claudel abandonne la poésie et l'émotion que j'ai tant appréciées dans certains de ses différents romans mais ne se départit pas d'un certain regard critique jeté autour de lui sur la société des hommes. Dans cette sorte de mise en abyme, c'est l'amitié, même vieille, qui en prend pour son grade et l'auteur, du moins en apparences, donne un coup de grâce à ces liens qu'on prétend artificiellement indestructibles. On se dit des vérités, on s'accuse mutuellement. A cette occasion il ne manque pas de dénoncer l'hypocrisie en général qui habille beaucoup de nos actes et pendant qu'il y est, le mariage, l'amour, y passent aussi sans oublier la solitude, le mensonge, l'imaginaire, le monde des écrivains, celui de l'édition (« Beaucoup d'immenses génies ont d'ailleurs un jour renoncé à publier. Toute publication engendre d'insupportables malentendus ») et même celui du public pourtant indispensable à qui fait profession d'écrire et qu'il traite bizarrement(« Le public, de roman ou de théâtre, est généralement idiot. »). Il n'oublie personne et logiquement ce pauvre Duval, franchement déstabilisé, a droit lui aussi aux critiques. Au long de cette histoire, d'ailleurs brève mais intensément électrique, le terme « compromis », d'emblée dédié à une vente immobilière, prend un tout autre sens et on se demande si tout cela ne parle pas tout simplement du quotidien, de la vie et surtout de la politique, de celle de Mitterrand en particulier.
C'est jubilatoire , humoristique mais aussi grinçant tant les protagonistes sont changeants et il n'y a pas que ce pauvre Duval qui est malmené, le lecteur-spectateur l'est également, les romans de Claudel ont toujours un petit côté dérangeant.
D'ordinaire, je suis peu friand de la lecture de pièces de théâtre, préférant de loin les voir mises en scène. Ici, les détails notés entre les phases du dialogue donnent une petite idée du jeu des acteurs et on imagine Pierre Arditi, Michel Leeb et Stéphane Pézerat se donnant la réplique avec gourmandise. Cette pièce a été créée en Janvier 2019 au « Théâtre des Nouveautés » dans une mise en scène de Bernard Murat.
©Hervé Gautier.
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Trouble
- Par hervegautier
- Le 10/05/2019
- Dans Jeroen Olyslaegers
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La Feuille Volante n° 1348 – Mai 2019.
Trouble – Jeroen Olyslaegers – Stock.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Wilfried Wils revient sur son passé et se raconte, dans un long monologue, à son arrière-petit-fils qu'il ne peut pas voir. Quand il commence son récit, il a 22 ans à Anvers et les nazis occupent le pays. Il a l'âge d'être envoyé en Allemagne au titre du « Service du travail obligatoire » et, pour y échapper, entre dans la police comme auxiliaire. En France ses contemporains ont plutôt rejoint la Résistance, le maquis. Dans ces fonctions il connaît une situation plutôt ambiguë puisqu'il doit traquer ceux qui, comme lui, fuient le STO. De plus Anvers est la ville des diamantaires où les Allemands procèdent à des rafles et des déportations et d'un côté son collègue Lode le met en relation avec des résistants qui viennent en aide à des Juifs et de l'autre, son ancien professeur devenu son mentor, surnommé Barbiche teigneuse, le présente à des collaborateurs. Ainsi est-il, témoin et acteur, ballotté entre antisémitisme, collaboration avec l'occupant, dénonciations et résistance au cours de cette période trouble mais sans jamais pouvoir ou vouloir prendre parti pour un camp ou pour un autre, acceptant sans trop réfléchir les missions qui lui sont confiées avec pour seul objectif survivre. Il a en effet contact notamment avec le boucher traficoteur dont il finit par épouser la fille, Yvette. Il est effectivement mal à l'aise dans son uniforme de policier notamment parce qu'il écrit des poèmes sous le pseudo d' « Angelo », sa voix intérieure, sa part d'ombre. Ce personnage n'est pas là par hasard puisque, lorsqu'il avait 5 ans, Wilfried a été victime d'une méningite, est resté longtemps dans le coma et à son réveil il a dû tout réapprendre et a fini par penser que ses parents le trompaient sur sa propre identité. Ainsi imagine-t-il Angelo, poète à la fois violent et passionné, rêvant pour lui d'un destin littéraire qu'il ne connaîtra pas, quand Wilfried reste lui dans la normalité, une illustration manichéenne de sa personnalité, une dualité troublante dans cette période. La publication de ses poèmes se fera après-guerre, mais sous le titre de « confession d'un comédien » sous le pseudo d'Angelo, Wilfried, lui, restant policier.
Il y a aussi un contexte familial particulier et difficile puisque que sa famille l' abandonné, car si lui est plus que « trouble » dans son attitude, sa tante elle choisit de profiter pleinement de la présence de l'ennemi. Il y a aussi lui l'idée prégnante de la mort, celle de son fils, de sa petite-fille, dévastée par son attitude, puis de sa femme. Pourquoi écrit-on ses mémoires ? Pour nourrir son œuvre quand on est écrivain, pour laisser une trace après sa mort pour sa descendance, pour faire le bilan de sa vie, se justifier aussi et c'est sans doute ce que veux faire Wilfried quand il destine cette confession à son arrière-petit-fils parce que, dans un telle démarche, surtout si elle est spontanée, il y a toujours la contrition et la recherche de la rédemption. Il a survécu à cette période orageuse au terme de nombre de compromissions personnelles et souhaite s'expliquer pour laisser sans doute une bonne image de lui. Il est difficile au lecteur de prendre parti. Je ne suis pas très sûr qu'il soit cependant sincère dans sa démarche puisque, écrasé par la culpabilité, il ne lui reste plus que cela, avant sa propre mort, pour justifier sa conduite. Pour ceux qui n'ont pas connu la Deuxième guerre mondiale, il est difficile de juger objectivement ceux qui ont chaque jour dû survivre, parfois au prix d'abandons, de machinations, de compromissions, de trahisons, autant de situations dont on n'est pas fier après coup mais qui ont permis de sauver sa propre vie. Cela nous revoie à l'éternelle question qu'on ne peut pas ne pas se poser. « Qu'aurais-je fait si j'avais vécu à ce moment-là ? » que je me suis souvent posée. J'aurais probablement fait comme la plupart des gens de cette époque, j'aurais cherché à survivre pour moi-même et pour ma famille en évitant de jouer les héros, une attitude de tiède qui n'a rien de bien glorieux. La dualité du personnage qui a traversé cette vie en solitaire est intéressante puisqu'elle nous concerne tous. En outre cette période se prête particulièrement bien à l'étude de l'espèce humaine qui trouve dans ces événements matière à révéler sa véritable nature, bien loin de ce que tous les propos lénifiants qu'on nous a souvent assénés. Elle est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, à l'image des salauds ordinaires qui pullulaient sous l'Occupation. Cette fiction évoque aussi l'histoire de la Belgique face à l'occupation allemande et notre littérature nationale a également trouvé là matière à réflexion et à écriture.
Sur le plan de la forme, j'ai noté beaucoup de longueurs, des faits et des personnages multiples, ce qui m'a un peu rebuté.
©Hervé Gautier.
La Feuille Volante n° 1348 – Mai 2019.
Trouble – Jeroen Olyslaegers – Stock.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Wilfried Wils revient sur son passé et se raconte, dans un long monologue, à son arrière-petit-fils qu'il ne peut pas voir. Quand il commence son récit, il a 22 ans à Anvers et les nazis occupent le pays. Il a l'âge d'être envoyé en Allemagne au titre du « Service du travail obligatoire » et, pour y échapper, entre dans la police comme auxiliaire. En France ses contemporains ont plutôt rejoint la Résistance, le maquis. Dans ces fonctions il connaît une situation plutôt ambiguë puisqu'il doit traquer ceux qui, comme lui, fuient le STO. De plus Anvers est la ville des diamantaires où les Allemands procèdent à des rafles et des déportations et d'un côté son collègue Lode le met en relation avec des résistants qui viennent en aide à des Juifs et de l'autre, son ancien professeur devenu son mentor, surnommé Barbiche teigneuse, le présente à des collaborateurs. Ainsi est-il, témoin et acteur, ballotté entre antisémitisme, collaboration avec l'occupant, dénonciations et résistance au cours de cette période trouble mais sans jamais pouvoir ou vouloir prendre parti pour un camp ou pour un autre, acceptant sans trop réfléchir les missions qui lui sont confiées avec pour seul objectif survivre. Il a en effet contact notamment avec le boucher traficoteur dont il finit par épouser la fille, Yvette. Il est effectivement mal à l'aise dans son uniforme de policier notamment parce qu'il écrit des poèmes sous le pseudo d' « Angelo », sa voix intérieure, sa part d'ombre. Ce personnage n'est pas là par hasard puisque, lorsqu'il avait 5 ans, Wilfried a été victime d'une méningite, est resté longtemps dans le coma et à son réveil il a dû tout réapprendre et a fini par penser que ses parents le trompaient sur sa propre identité. Ainsi imagine-t-il Angelo, poète à la fois violent et passionné, rêvant pour lui d'un destin littéraire qu'il ne connaîtra pas, quand Wilfried reste lui dans la normalité, une illustration manichéenne de sa personnalité, une dualité troublante dans cette période. La publication de ses poèmes se fera après-guerre, mais sous le titre de « confession d'un comédien » sous le pseudo d'Angelo, Wilfried, lui, restant policier.
Il y a aussi un contexte familial particulier et difficile puisque que sa famille l' abandonné, car si lui est plus que « trouble » dans son attitude, sa tante elle choisit de profiter pleinement de la présence de l'ennemi. Il y a aussi lui l'idée prégnante de la mort, celle de son fils, de sa petite-fille, dévastée par son attitude, puis de sa femme. Pourquoi écrit-on ses mémoires ? Pour nourrir son œuvre quand on est écrivain, pour laisser une trace après sa mort pour sa descendance, pour faire le bilan de sa vie, se justifier aussi et c'est sans doute ce que veux faire Wilfried quand il destine cette confession à son arrière-petit-fils parce que, dans un telle démarche, surtout si elle est spontanée, il y a toujours la contrition et la recherche de la rédemption. Il a survécu à cette période orageuse au terme de nombre de compromissions personnelles et souhaite s'expliquer pour laisser sans doute une bonne image de lui. Il est difficile au lecteur de prendre parti. Je ne suis pas très sûr qu'il soit cependant sincère dans sa démarche puisque, écrasé par la culpabilité, il ne lui reste plus que cela, avant sa propre mort, pour justifier sa conduite. Pour ceux qui n'ont pas connu la Deuxième guerre mondiale, il est difficile de juger objectivement ceux qui ont chaque jour dû survivre, parfois au prix d'abandons, de machinations, de compromissions, de trahisons, autant de situations dont on n'est pas fier après coup mais qui ont permis de sauver sa propre vie. Cela nous revoie à l'éternelle question qu'on ne peut pas ne pas se poser. « Qu'aurais-je fait si j'avais vécu à ce moment-là ? » que je me suis souvent posée. J'aurais probablement fait comme la plupart des gens de cette époque, j'aurais cherché à survivre pour moi-même et pour ma famille en évitant de jouer les héros, une attitude de tiède qui n'a rien de bien glorieux. La dualité du personnage qui a traversé cette vie en solitaire est intéressante puisqu'elle nous concerne tous. En outre cette période se prête particulièrement bien à l'étude de l'espèce humaine qui trouve dans ces événements matière à révéler sa véritable nature, bien loin de ce que tous les propos lénifiants qu'on nous a souvent assénés. Elle est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, à l'image des salauds ordinaires qui pullulaient sous l'Occupation. Cette fiction évoque aussi l'histoire de la Belgique face à l'occupation allemande et notre littérature nationale a également trouvé là matière à réflexion et à écriture.
Sur le plan de la forme, j'ai noté beaucoup de longueurs, des faits et des personnages multiples, ce qui m'a un peu rebuté.
©Hervé Gautier.
La Feuille Volante n° 1348 – Mai 2019.
Trouble – Jeroen Olyslaegers – Stock.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Wilfried Wils revient sur son passé et se raconte, dans un long monologue, à son arrière-petit-fils qu'il ne peut pas voir. Quand il commence son récit, il a 22 ans à Anvers et les nazis occupent le pays. Il a l'âge d'être envoyé en Allemagne au titre du « Service du travail obligatoire » et, pour y échapper, entre dans la police comme auxiliaire. En France ses contemporains ont plutôt rejoint la Résistance, le maquis. Dans ces fonctions il connaît une situation plutôt ambiguë puisqu'il doit traquer ceux qui, comme lui, fuient le STO. De plus Anvers est la ville des diamantaires où les Allemands procèdent à des rafles et des déportations et d'un côté son collègue Lode le met en relation avec des résistants qui viennent en aide à des Juifs et de l'autre, son ancien professeur devenu son mentor, surnommé Barbiche teigneuse, le présente à des collaborateurs. Ainsi est-il, témoin et acteur, ballotté entre antisémitisme, collaboration avec l'occupant, dénonciations et résistance au cours de cette période trouble mais sans jamais pouvoir ou vouloir prendre parti pour un camp ou pour un autre, acceptant sans trop réfléchir les missions qui lui sont confiées avec pour seul objectif survivre. Il a en effet contact notamment avec le boucher traficoteur dont il finit par épouser la fille, Yvette. Il est effectivement mal à l'aise dans son uniforme de policier notamment parce qu'il écrit des poèmes sous le pseudo d' « Angelo », sa voix intérieure, sa part d'ombre. Ce personnage n'est pas là par hasard puisque, lorsqu'il avait 5 ans, Wilfried a été victime d'une méningite, est resté longtemps dans le coma et à son réveil il a dû tout réapprendre et a fini par penser que ses parents le trompaient sur sa propre identité. Ainsi imagine-t-il Angelo, poète à la fois violent et passionné, rêvant pour lui d'un destin littéraire qu'il ne connaîtra pas, quand Wilfried reste lui dans la normalité, une illustration manichéenne de sa personnalité, une dualité troublante dans cette période. La publication de ses poèmes se fera après-guerre, mais sous le titre de « confession d'un comédien » sous le pseudo d'Angelo, Wilfried, lui, restant policier.
Il y a aussi un contexte familial particulier et difficile puisque que sa famille l' abandonné, car si lui est plus que « trouble » dans son attitude, sa tante elle choisit de profiter pleinement de la présence de l'ennemi. Il y a aussi lui l'idée prégnante de la mort, celle de son fils, de sa petite-fille, dévastée par son attitude, puis de sa femme. Pourquoi écrit-on ses mémoires ? Pour nourrir son œuvre quand on est écrivain, pour laisser une trace après sa mort pour sa descendance, pour faire le bilan de sa vie, se justifier aussi et c'est sans doute ce que veux faire Wilfried quand il destine cette confession à son arrière-petit-fils parce que, dans un telle démarche, surtout si elle est spontanée, il y a toujours la contrition et la recherche de la rédemption. Il a survécu à cette période orageuse au terme de nombre de compromissions personnelles et souhaite s'expliquer pour laisser sans doute une bonne image de lui. Il est difficile au lecteur de prendre parti. Je ne suis pas très sûr qu'il soit cependant sincère dans sa démarche puisque, écrasé par la culpabilité, il ne lui reste plus que cela, avant sa propre mort, pour justifier sa conduite. Pour ceux qui n'ont pas connu la Deuxième guerre mondiale, il est difficile de juger objectivement ceux qui ont chaque jour dû survivre, parfois au prix d'abandons, de machinations, de compromissions, de trahisons, autant de situations dont on n'est pas fier après coup mais qui ont permis de sauver sa propre vie. Cela nous revoie à l'éternelle question qu'on ne peut pas ne pas se poser. « Qu'aurais-je fait si j'avais vécu à ce moment-là ? » que je me suis souvent posée. J'aurais probablement fait comme la plupart des gens de cette époque, j'aurais cherché à survivre pour moi-même et pour ma famille en évitant de jouer les héros, une attitude de tiède qui n'a rien de bien glorieux. La dualité du personnage qui a traversé cette vie en solitaire est intéressante puisqu'elle nous concerne tous. En outre cette période se prête particulièrement bien à l'étude de l'espèce humaine qui trouve dans ces événements matière à révéler sa véritable nature, bien loin de ce que tous les propos lénifiants qu'on nous a souvent assénés. Elle est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, à l'image des salauds ordinaires qui pullulaient sous l'Occupation. Cette fiction évoque aussi l'histoire de la Belgique face à l'occupation allemande et notre littérature nationale a également trouvé là matière à réflexion et à écriture.
Sur le plan de la forme, j'ai noté beaucoup de longueurs, des faits et des personnages multiples, ce qui m'a un peu rebuté.
©Hervé Gautier.
La Feuille Volante n° 1348 – Mai 2019.
Trouble – Jeroen Olyslaegers – Stock.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Wilfried Wils revient sur son passé et se raconte, dans un long monologue, à son arrière-petit-fils qu'il ne peut pas voir. Quand il commence son récit, il a 22 ans à Anvers et les nazis occupent le pays. Il a l'âge d'être envoyé en Allemagne au titre du « Service du travail obligatoire » et, pour y échapper, entre dans la police comme auxiliaire. En France ses contemporains ont plutôt rejoint la Résistance, le maquis. Dans ces fonctions il connaît une situation plutôt ambiguë puisqu'il doit traquer ceux qui, comme lui, fuient le STO. De plus Anvers est la ville des diamantaires où les Allemands procèdent à des rafles et des déportations et d'un côté son collègue Lode le met en relation avec des résistants qui viennent en aide à des Juifs et de l'autre, son ancien professeur devenu son mentor, surnommé Barbiche teigneuse, le présente à des collaborateurs. Ainsi est-il, témoin et acteur, ballotté entre antisémitisme, collaboration avec l'occupant, dénonciations et résistance au cours de cette période trouble mais sans jamais pouvoir ou vouloir prendre parti pour un camp ou pour un autre, acceptant sans trop réfléchir les missions qui lui sont confiées avec pour seul objectif survivre. Il a en effet contact notamment avec le boucher traficoteur dont il finit par épouser la fille, Yvette. Il est effectivement mal à l'aise dans son uniforme de policier notamment parce qu'il écrit des poèmes sous le pseudo d' « Angelo », sa voix intérieure, sa part d'ombre. Ce personnage n'est pas là par hasard puisque, lorsqu'il avait 5 ans, Wilfried a été victime d'une méningite, est resté longtemps dans le coma et à son réveil il a dû tout réapprendre et a fini par penser que ses parents le trompaient sur sa propre identité. Ainsi imagine-t-il Angelo, poète à la fois violent et passionné, rêvant pour lui d'un destin littéraire qu'il ne connaîtra pas, quand Wilfried reste lui dans la normalité, une illustration manichéenne de sa personnalité, une dualité troublante dans cette période. La publication de ses poèmes se fera après-guerre, mais sous le titre de « confession d'un comédien » sous le pseudo d'Angelo, Wilfried, lui, restant policier.
Il y a aussi un contexte familial particulier et difficile puisque que sa famille l' abandonné, car si lui est plus que « trouble » dans son attitude, sa tante elle choisit de profiter pleinement de la présence de l'ennemi. Il y a aussi lui l'idée prégnante de la mort, celle de son fils, de sa petite-fille, dévastée par son attitude, puis de sa femme. Pourquoi écrit-on ses mémoires ? Pour nourrir son œuvre quand on est écrivain, pour laisser une trace après sa mort pour sa descendance, pour faire le bilan de sa vie, se justifier aussi et c'est sans doute ce que veux faire Wilfried quand il destine cette confession à son arrière-petit-fils parce que, dans un telle démarche, surtout si elle est spontanée, il y a toujours la contrition et la recherche de la rédemption. Il a survécu à cette période orageuse au terme de nombre de compromissions personnelles et souhaite s'expliquer pour laisser sans doute une bonne image de lui. Il est difficile au lecteur de prendre parti. Je ne suis pas très sûr qu'il soit cependant sincère dans sa démarche puisque, écrasé par la culpabilité, il ne lui reste plus que cela, avant sa propre mort, pour justifier sa conduite. Pour ceux qui n'ont pas connu la Deuxième guerre mondiale, il est difficile de juger objectivement ceux qui ont chaque jour dû survivre, parfois au prix d'abandons, de machinations, de compromissions, de trahisons, autant de situations dont on n'est pas fier après coup mais qui ont permis de sauver sa propre vie. Cela nous revoie à l'éternelle question qu'on ne peut pas ne pas se poser. « Qu'aurais-je fait si j'avais vécu à ce moment-là ? » que je me suis souvent posée. J'aurais probablement fait comme la plupart des gens de cette époque, j'aurais cherché à survivre pour moi-même et pour ma famille en évitant de jouer les héros, une attitude de tiède qui n'a rien de bien glorieux. La dualité du personnage qui a traversé cette vie en solitaire est intéressante puisqu'elle nous concerne tous. En outre cette période se prête particulièrement bien à l'étude de l'espèce humaine qui trouve dans ces événements matière à révéler sa véritable nature, bien loin de ce que tous les propos lénifiants qu'on nous a souvent assénés. Elle est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, à l'image des salauds ordinaires qui pullulaient sous l'Occupation. Cette fiction évoque aussi l'histoire de la Belgique face à l'occupation allemande et notre littérature nationale a également trouvé là matière à réflexion et à écriture.
Sur le plan de la forme, j'ai noté beaucoup de longueurs, des faits et des personnages multiples, ce qui m'a un peu rebuté.
©Hervé Gautier.
La Feuille Volante n° 1348 – Mai 2019.
Trouble – Jeroen Olyslaegers – Stock.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Wilfried Wils revient sur son passé et se raconte, dans un long monologue, à son arrière-petit-fils qu'il ne peut pas voir. Quand il commence son récit, il a 22 ans à Anvers et les nazis occupent le pays. Il a l'âge d'être envoyé en Allemagne au titre du « Service du travail obligatoire » et, pour y échapper, entre dans la police comme auxiliaire. En France ses contemporains ont plutôt rejoint la Résistance, le maquis. Dans ces fonctions il connaît une situation plutôt ambiguë puisqu'il doit traquer ceux qui, comme lui, fuient le STO. De plus Anvers est la ville des diamantaires où les Allemands procèdent à des rafles et des déportations et d'un côté son collègue Lode le met en relation avec des résistants qui viennent en aide à des Juifs et de l'autre, son ancien professeur devenu son mentor, surnommé Barbiche teigneuse, le présente à des collaborateurs. Ainsi est-il, témoin et acteur, ballotté entre antisémitisme, collaboration avec l'occupant, dénonciations et résistance au cours de cette période trouble mais sans jamais pouvoir ou vouloir prendre parti pour un camp ou pour un autre, acceptant sans trop réfléchir les missions qui lui sont confiées avec pour seul objectif survivre. Il a en effet contact notamment avec le boucher traficoteur dont il finit par épouser la fille, Yvette. Il est effectivement mal à l'aise dans son uniforme de policier notamment parce qu'il écrit des poèmes sous le pseudo d' « Angelo », sa voix intérieure, sa part d'ombre. Ce personnage n'est pas là par hasard puisque, lorsqu'il avait 5 ans, Wilfried a été victime d'une méningite, est resté longtemps dans le coma et à son réveil il a dû tout réapprendre et a fini par penser que ses parents le trompaient sur sa propre identité. Ainsi imagine-t-il Angelo, poète à la fois violent et passionné, rêvant pour lui d'un destin littéraire qu'il ne connaîtra pas, quand Wilfried reste lui dans la normalité, une illustration manichéenne de sa personnalité, une dualité troublante dans cette période. La publication de ses poèmes se fera après-guerre, mais sous le titre de « confession d'un comédien » sous le pseudo d'Angelo, Wilfried, lui, restant policier.
Il y a aussi un contexte familial particulier et difficile puisque que sa famille l' abandonné, car si lui est plus que « trouble » dans son attitude, sa tante elle choisit de profiter pleinement de la présence de l'ennemi. Il y a aussi lui l'idée prégnante de la mort, celle de son fils, de sa petite-fille, dévastée par son attitude, puis de sa femme. Pourquoi écrit-on ses mémoires ? Pour nourrir son œuvre quand on est écrivain, pour laisser une trace après sa mort pour sa descendance, pour faire le bilan de sa vie, se justifier aussi et c'est sans doute ce que veux faire Wilfried quand il destine cette confession à son arrière-petit-fils parce que, dans un telle démarche, surtout si elle est spontanée, il y a toujours la contrition et la recherche de la rédemption. Il a survécu à cette période orageuse au terme de nombre de compromissions personnelles et souhaite s'expliquer pour laisser sans doute une bonne image de lui. Il est difficile au lecteur de prendre parti. Je ne suis pas très sûr qu'il soit cependant sincère dans sa démarche puisque, écrasé par la culpabilité, il ne lui reste plus que cela, avant sa propre mort, pour justifier sa conduite. Pour ceux qui n'ont pas connu la Deuxième guerre mondiale, il est difficile de juger objectivement ceux qui ont chaque jour dû survivre, parfois au prix d'abandons, de machinations, de compromissions, de trahisons, autant de situations dont on n'est pas fier après coup mais qui ont permis de sauver sa propre vie. Cela nous revoie à l'éternelle question qu'on ne peut pas ne pas se poser. « Qu'aurais-je fait si j'avais vécu à ce moment-là ? » que je me suis souvent posée. J'aurais probablement fait comme la plupart des gens de cette époque, j'aurais cherché à survivre pour moi-même et pour ma famille en évitant de jouer les héros, une attitude de tiède qui n'a rien de bien glorieux. La dualité du personnage qui a traversé cette vie en solitaire est intéressante puisqu'elle nous concerne tous. En outre cette période se prête particulièrement bien à l'étude de l'espèce humaine qui trouve dans ces événements matière à révéler sa véritable nature, bien loin de ce que tous les propos lénifiants qu'on nous a souvent assénés. Elle est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, à l'image des salauds ordinaires qui pullulaient sous l'Occupation. Cette fiction évoque aussi l'histoire de la Belgique face à l'occupation allemande et notre littérature nationale a également trouvé là matière à réflexion et à écriture.
Sur le plan de la forme, j'ai noté beaucoup de longueurs, des faits et des personnages multiples, ce qui m'a un peu rebuté.
©Hervé Gautier.
La Feuille Volante n° 1348 – Mai 2019.
Trouble – Jeroen Olyslaegers – Stock.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Wilfried Wils revient sur son passé et se raconte, dans un long monologue, à son arrière-petit-fils qu'il ne peut pas voir. Quand il commence son récit, il a 22 ans à Anvers et les nazis occupent le pays. Il a l'âge d'être envoyé en Allemagne au titre du « Service du travail obligatoire » et, pour y échapper, entre dans la police comme auxiliaire. En France ses contemporains ont plutôt rejoint la Résistance, le maquis. Dans ces fonctions il connaît une situation plutôt ambiguë puisqu'il doit traquer ceux qui, comme lui, fuient le STO. De plus Anvers est la ville des diamantaires où les Allemands procèdent à des rafles et des déportations et d'un côté son collègue Lode le met en relation avec des résistants qui viennent en aide à des Juifs et de l'autre, son ancien professeur devenu son mentor, surnommé Barbiche teigneuse, le présente à des collaborateurs. Ainsi est-il, témoin et acteur, ballotté entre antisémitisme, collaboration avec l'occupant, dénonciations et résistance au cours de cette période trouble mais sans jamais pouvoir ou vouloir prendre parti pour un camp ou pour un autre, acceptant sans trop réfléchir les missions qui lui sont confiées avec pour seul objectif survivre. Il a en effet contact notamment avec le boucher traficoteur dont il finit par épouser la fille, Yvette. Il est effectivement mal à l'aise dans son uniforme de policier notamment parce qu'il écrit des poèmes sous le pseudo d' « Angelo », sa voix intérieure, sa part d'ombre. Ce personnage n'est pas là par hasard puisque, lorsqu'il avait 5 ans, Wilfried a été victime d'une méningite, est resté longtemps dans le coma et à son réveil il a dû tout réapprendre et a fini par penser que ses parents le trompaient sur sa propre identité. Ainsi imagine-t-il Angelo, poète à la fois violent et passionné, rêvant pour lui d'un destin littéraire qu'il ne connaîtra pas, quand Wilfried reste lui dans la normalité, une illustration manichéenne de sa personnalité, une dualité troublante dans cette période. La publication de ses poèmes se fera après-guerre, mais sous le titre de « confession d'un comédien » sous le pseudo d'Angelo, Wilfried, lui, restant policier.
Il y a aussi un contexte familial particulier et difficile puisque que sa famille l' abandonné, car si lui est plus que « trouble » dans son attitude, sa tante elle choisit de profiter pleinement de la présence de l'ennemi. Il y a aussi lui l'idée prégnante de la mort, celle de son fils, de sa petite-fille, dévastée par son attitude, puis de sa femme. Pourquoi écrit-on ses mémoires ? Pour nourrir son œuvre quand on est écrivain, pour laisser une trace après sa mort pour sa descendance, pour faire le bilan de sa vie, se justifier aussi et c'est sans doute ce que veux faire Wilfried quand il destine cette confession à son arrière-petit-fils parce que, dans un telle démarche, surtout si elle est spontanée, il y a toujours la contrition et la recherche de la rédemption. Il a survécu à cette période orageuse au terme de nombre de compromissions personnelles et souhaite s'expliquer pour laisser sans doute une bonne image de lui. Il est difficile au lecteur de prendre parti. Je ne suis pas très sûr qu'il soit cependant sincère dans sa démarche puisque, écrasé par la culpabilité, il ne lui reste plus que cela, avant sa propre mort, pour justifier sa conduite. Pour ceux qui n'ont pas connu la Deuxième guerre mondiale, il est difficile de juger objectivement ceux qui ont chaque jour dû survivre, parfois au prix d'abandons, de machinations, de compromissions, de trahisons, autant de situations dont on n'est pas fier après coup mais qui ont permis de sauver sa propre vie. Cela nous revoie à l'éternelle question qu'on ne peut pas ne pas se poser. « Qu'aurais-je fait si j'avais vécu à ce moment-là ? » que je me suis souvent posée. J'aurais probablement fait comme la plupart des gens de cette époque, j'aurais cherché à survivre pour moi-même et pour ma famille en évitant de jouer les héros, une attitude de tiède qui n'a rien de bien glorieux. La dualité du personnage qui a traversé cette vie en solitaire est intéressante puisqu'elle nous concerne tous. En outre cette période se prête particulièrement bien à l'étude de l'espèce humaine qui trouve dans ces événements matière à révéler sa véritable nature, bien loin de ce que tous les propos lénifiants qu'on nous a souvent assénés. Elle est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, à l'image des salauds ordinaires qui pullulaient sous l'Occupation. Cette fiction évoque aussi l'histoire de la Belgique face à l'occupation allemande et notre littérature nationale a également trouvé là matière à réflexion et à écriture.
Sur le plan de la forme, j'ai noté beaucoup de longueurs, des faits et des personnages multiples, ce qui m'a un peu rebuté.
©Hervé Gautier.
La Feuille Volante n° 1348 – Mai 2019.
Trouble – Jeroen Olyslaegers – Stock.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Wilfried Wils revient sur son passé et se raconte, dans un long monologue, à son arrière-petit-fils qu'il ne peut pas voir. Quand il commence son récit, il a 22 ans à Anvers et les nazis occupent le pays. Il a l'âge d'être envoyé en Allemagne au titre du « Service du travail obligatoire » et, pour y échapper, entre dans la police comme auxiliaire. En France ses contemporains ont plutôt rejoint la Résistance, le maquis. Dans ces fonctions il connaît une situation plutôt ambiguë puisqu'il doit traquer ceux qui, comme lui, fuient le STO. De plus Anvers est la ville des diamantaires où les Allemands procèdent à des rafles et des déportations et d'un côté son collègue Lode le met en relation avec des résistants qui viennent en aide à des Juifs et de l'autre, son ancien professeur devenu son mentor, surnommé Barbiche teigneuse, le présente à des collaborateurs. Ainsi est-il, témoin et acteur, ballotté entre antisémitisme, collaboration avec l'occupant, dénonciations et résistance au cours de cette période trouble mais sans jamais pouvoir ou vouloir prendre parti pour un camp ou pour un autre, acceptant sans trop réfléchir les missions qui lui sont confiées avec pour seul objectif survivre. Il a en effet contact notamment avec le boucher traficoteur dont il finit par épouser la fille, Yvette. Il est effectivement mal à l'aise dans son uniforme de policier notamment parce qu'il écrit des poèmes sous le pseudo d' « Angelo », sa voix intérieure, sa part d'ombre. Ce personnage n'est pas là par hasard puisque, lorsqu'il avait 5 ans, Wilfried a été victime d'une méningite, est resté longtemps dans le coma et à son réveil il a dû tout réapprendre et a fini par penser que ses parents le trompaient sur sa propre identité. Ainsi imagine-t-il Angelo, poète à la fois violent et passionné, rêvant pour lui d'un destin littéraire qu'il ne connaîtra pas, quand Wilfried reste lui dans la normalité, une illustration manichéenne de sa personnalité, une dualité troublante dans cette période. La publication de ses poèmes se fera après-guerre, mais sous le titre de « confession d'un comédien » sous le pseudo d'Angelo, Wilfried, lui, restant policier.
Il y a aussi un contexte familial particulier et difficile puisque que sa famille l' abandonné, car si lui est plus que « trouble » dans son attitude, sa tante elle choisit de profiter pleinement de la présence de l'ennemi. Il y a aussi lui l'idée prégnante de la mort, celle de son fils, de sa petite-fille, dévastée par son attitude, puis de sa femme. Pourquoi écrit-on ses mémoires ? Pour nourrir son œuvre quand on est écrivain, pour laisser une trace après sa mort pour sa descendance, pour faire le bilan de sa vie, se justifier aussi et c'est sans doute ce que veux faire Wilfried quand il destine cette confession à son arrière-petit-fils parce que, dans un telle démarche, surtout si elle est spontanée, il y a toujours la contrition et la recherche de la rédemption. Il a survécu à cette période orageuse au terme de nombre de compromissions personnelles et souhaite s'expliquer pour laisser sans doute une bonne image de lui. Il est difficile au lecteur de prendre parti. Je ne suis pas très sûr qu'il soit cependant sincère dans sa démarche puisque, écrasé par la culpabilité, il ne lui reste plus que cela, avant sa propre mort, pour justifier sa conduite. Pour ceux qui n'ont pas connu la Deuxième guerre mondiale, il est difficile de juger objectivement ceux qui ont chaque jour dû survivre, parfois au prix d'abandons, de machinations, de compromissions, de trahisons, autant de situations dont on n'est pas fier après coup mais qui ont permis de sauver sa propre vie. Cela nous revoie à l'éternelle question qu'on ne peut pas ne pas se poser. « Qu'aurais-je fait si j'avais vécu à ce moment-là ? » que je me suis souvent posée. J'aurais probablement fait comme la plupart des gens de cette époque, j'aurais cherché à survivre pour moi-même et pour ma famille en évitant de jouer les héros, une attitude de tiède qui n'a rien de bien glorieux. La dualité du personnage qui a traversé cette vie en solitaire est intéressante puisqu'elle nous concerne tous. En outre cette période se prête particulièrement bien à l'étude de l'espèce humaine qui trouve dans ces événements matière à révéler sa véritable nature, bien loin de ce que tous les propos lénifiants qu'on nous a souvent assénés. Elle est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, à l'image des salauds ordinaires qui pullulaient sous l'Occupation. Cette fiction évoque aussi l'histoire de la Belgique face à l'occupation allemande et notre littérature nationale a également trouvé là matière à réflexion et à écriture.
Sur le plan de la forme, j'ai noté beaucoup de longueurs, des faits et des personnages multiples, ce qui m'a un peu rebuté.
©Hervé Gautier.
La Feuille Volante n° 1348 – Mai 2019.
Trouble – Jeroen Olyslaegers – Stock.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Wilfried Wils revient sur son passé et se raconte, dans un long monologue, à son arrière-petit-fils qu'il ne peut pas voir. Quand il commence son récit, il a 22 ans à Anvers et les nazis occupent le pays. Il a l'âge d'être envoyé en Allemagne au titre du « Service du travail obligatoire » et, pour y échapper, entre dans la police comme auxiliaire. En France ses contemporains ont plutôt rejoint la Résistance, le maquis. Dans ces fonctions il connaît une situation plutôt ambiguë puisqu'il doit traquer ceux qui, comme lui, fuient le STO. De plus Anvers est la ville des diamantaires où les Allemands procèdent à des rafles et des déportations et d'un côté son collègue Lode le met en relation avec des résistants qui viennent en aide à des Juifs et de l'autre, son ancien professeur devenu son mentor, surnommé Barbiche teigneuse, le présente à des collaborateurs. Ainsi est-il, témoin et acteur, ballotté entre antisémitisme, collaboration avec l'occupant, dénonciations et résistance au cours de cette période trouble mais sans jamais pouvoir ou vouloir prendre parti pour un camp ou pour un autre, acceptant sans trop réfléchir les missions qui lui sont confiées avec pour seul objectif survivre. Il a en effet contact notamment avec le boucher traficoteur dont il finit par épouser la fille, Yvette. Il est effectivement mal à l'aise dans son uniforme de policier notamment parce qu'il écrit des poèmes sous le pseudo d' « Angelo », sa voix intérieure, sa part d'ombre. Ce personnage n'est pas là par hasard puisque, lorsqu'il avait 5 ans, Wilfried a été victime d'une méningite, est resté longtemps dans le coma et à son réveil il a dû tout réapprendre et a fini par penser que ses parents le trompaient sur sa propre identité. Ainsi imagine-t-il Angelo, poète à la fois violent et passionné, rêvant pour lui d'un destin littéraire qu'il ne connaîtra pas, quand Wilfried reste lui dans la normalité, une illustration manichéenne de sa personnalité, une dualité troublante dans cette période. La publication de ses poèmes se fera après-guerre, mais sous le titre de « confession d'un comédien » sous le pseudo d'Angelo, Wilfried, lui, restant policier.
Il y a aussi un contexte familial particulier et difficile puisque que sa famille l' abandonné, car si lui est plus que « trouble » dans son attitude, sa tante elle choisit de profiter pleinement de la présence de l'ennemi. Il y a aussi lui l'idée prégnante de la mort, celle de son fils, de sa petite-fille, dévastée par son attitude, puis de sa femme. Pourquoi écrit-on ses mémoires ? Pour nourrir son œuvre quand on est écrivain, pour laisser une trace après sa mort pour sa descendance, pour faire le bilan de sa vie, se justifier aussi et c'est sans doute ce que veux faire Wilfried quand il destine cette confession à son arrière-petit-fils parce que, dans un telle démarche, surtout si elle est spontanée, il y a toujours la contrition et la recherche de la rédemption. Il a survécu à cette période orageuse au terme de nombre de compromissions personnelles et souhaite s'expliquer pour laisser sans doute une bonne image de lui. Il est difficile au lecteur de prendre parti. Je ne suis pas très sûr qu'il soit cependant sincère dans sa démarche puisque, écrasé par la culpabilité, il ne lui reste plus que cela, avant sa propre mort, pour justifier sa conduite. Pour ceux qui n'ont pas connu la Deuxième guerre mondiale, il est difficile de juger objectivement ceux qui ont chaque jour dû survivre, parfois au prix d'abandons, de machinations, de compromissions, de trahisons, autant de situations dont on n'est pas fier après coup mais qui ont permis de sauver sa propre vie. Cela nous revoie à l'éternelle question qu'on ne peut pas ne pas se poser. « Qu'aurais-je fait si j'avais vécu à ce moment-là ? » que je me suis souvent posée. J'aurais probablement fait comme la plupart des gens de cette époque, j'aurais cherché à survivre pour moi-même et pour ma famille en évitant de jouer les héros, une attitude de tiède qui n'a rien de bien glorieux. La dualité du personnage qui a traversé cette vie en solitaire est intéressante puisqu'elle nous concerne tous. En outre cette période se prête particulièrement bien à l'étude de l'espèce humaine qui trouve dans ces événements matière à révéler sa véritable nature, bien loin de ce que tous les propos lénifiants qu'on nous a souvent assénés. Elle est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, à l'image des salauds ordinaires qui pullulaient sous l'Occupation. Cette fiction évoque aussi l'histoire de la Belgique face à l'occupation allemande et notre littérature nationale a également trouvé là matière à réflexion et à écriture.
Sur le plan de la forme, j'ai noté beaucoup de longueurs, des faits et des personnages multiples, ce qui m'a un peu rebuté.
©Hervé Gautier.
La Feuille Volante n° 1348 – Mai 2019.
Trouble – Jeroen Olyslaegers – Stock.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Wilfried Wils revient sur son passé et se raconte, dans un long monologue, à son arrière-petit-fils qu'il ne peut pas voir. Quand il commence son récit, il a 22 ans à Anvers et les nazis occupent le pays. Il a l'âge d'être envoyé en Allemagne au titre du « Service du travail obligatoire » et, pour y échapper, entre dans la police comme auxiliaire. En France ses contemporains ont plutôt rejoint la Résistance, le maquis. Dans ces fonctions il connaît une situation plutôt ambiguë puisqu'il doit traquer ceux qui, comme lui, fuient le STO. De plus Anvers est la ville des diamantaires où les Allemands procèdent à des rafles et des déportations et d'un côté son collègue Lode le met en relation avec des résistants qui viennent en aide à des Juifs et de l'autre, son ancien professeur devenu son mentor, surnommé Barbiche teigneuse, le présente à des collaborateurs. Ainsi est-il, témoin et acteur, ballotté entre antisémitisme, collaboration avec l'occupant, dénonciations et résistance au cours de cette période trouble mais sans jamais pouvoir ou vouloir prendre parti pour un camp ou pour un autre, acceptant sans trop réfléchir les missions qui lui sont confiées avec pour seul objectif survivre. Il a en effet contact notamment avec le boucher traficoteur dont il finit par épouser la fille, Yvette. Il est effectivement mal à l'aise dans son uniforme de policier notamment parce qu'il écrit des poèmes sous le pseudo d' « Angelo », sa voix intérieure, sa part d'ombre. Ce personnage n'est pas là par hasard puisque, lorsqu'il avait 5 ans, Wilfried a été victime d'une méningite, est resté longtemps dans le coma et à son réveil il a dû tout réapprendre et a fini par penser que ses parents le trompaient sur sa propre identité. Ainsi imagine-t-il Angelo, poète à la fois violent et passionné, rêvant pour lui d'un destin littéraire qu'il ne connaîtra pas, quand Wilfried reste lui dans la normalité, une illustration manichéenne de sa personnalité, une dualité troublante dans cette période. La publication de ses poèmes se fera après-guerre, mais sous le titre de « confession d'un comédien » sous le pseudo d'Angelo, Wilfried, lui, restant policier.
Il y a aussi un contexte familial particulier et difficile puisque que sa famille l' abandonné, car si lui est plus que « trouble » dans son attitude, sa tante elle choisit de profiter pleinement de la présence de l'ennemi. Il y a aussi lui l'idée prégnante de la mort, celle de son fils, de sa petite-fille, dévastée par son attitude, puis de sa femme. Pourquoi écrit-on ses mémoires ? Pour nourrir son œuvre quand on est écrivain, pour laisser une trace après sa mort pour sa descendance, pour faire le bilan de sa vie, se justifier aussi et c'est sans doute ce que veux faire Wilfried quand il destine cette confession à son arrière-petit-fils parce que, dans un telle démarche, surtout si elle est spontanée, il y a toujours la contrition et la recherche de la rédemption. Il a survécu à cette période orageuse au terme de nombre de compromissions personnelles et souhaite s'expliquer pour laisser sans doute une bonne image de lui. Il est difficile au lecteur de prendre parti. Je ne suis pas très sûr qu'il soit cependant sincère dans sa démarche puisque, écrasé par la culpabilité, il ne lui reste plus que cela, avant sa propre mort, pour justifier sa conduite. Pour ceux qui n'ont pas connu la Deuxième guerre mondiale, il est difficile de juger objectivement ceux qui ont chaque jour dû survivre, parfois au prix d'abandons, de machinations, de compromissions, de trahisons, autant de situations dont on n'est pas fier après coup mais qui ont permis de sauver sa propre vie. Cela nous revoie à l'éternelle question qu'on ne peut pas ne pas se poser. « Qu'aurais-je fait si j'avais vécu à ce moment-là ? » que je me suis souvent posée. J'aurais probablement fait comme la plupart des gens de cette époque, j'aurais cherché à survivre pour moi-même et pour ma famille en évitant de jouer les héros, une attitude de tiède qui n'a rien de bien glorieux. La dualité du personnage qui a traversé cette vie en solitaire est intéressante puisqu'elle nous concerne tous. En outre cette période se prête particulièrement bien à l'étude de l'espèce humaine qui trouve dans ces événements matière à révéler sa véritable nature, bien loin de ce que tous les propos lénifiants qu'on nous a souvent assénés. Elle est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, à l'image des salauds ordinaires qui pullulaient sous l'Occupation. Cette fiction évoque aussi l'histoire de la Belgique face à l'occupation allemande et notre littérature nationale a également trouvé là matière à réflexion et à écriture.
Sur le plan de la forme, j'ai noté beaucoup de longueurs, des faits et des personnages multiples, ce qui m'a un peu rebuté.
Ton histoire. Mon histoire
- Par hervegautier
- Le 05/05/2019
- Dans Connie Palmen
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La Feuille Volante n° 1347 – Mai 2019.
Ton histoire. Mon histoire – Connie Palmen – Actes Sud
Traduit du néerlandais par Arlette Ounanian.
C'est un roman inspiré par la vie de Sylvia Plath (1932-1963), écrivain et poétesse américaine et Ted Hughes (1930-1998) poète et écrivain anglais, leur bref mariage et leurs relations difficiles. C'est Ted qui prend la parole et évoque tout d'abord leur rencontre, à la fois violente et sensuelle. Lui c'est un idéaliste réservé qui croyait au destin, un séducteur, mais à cette période, un étudiant pauvre, un poète « sans nom ni renom ». Elle, c'est une belle étudiante, exubérante et inattendue qui croit en son avenir de femme de lettres. Il découvre cette jeune fille, sa tentative de suicide avant de le connaître, sa volonté de se mettre en danger, de disparaître, ce qui est une façon de faire planer sur sa vie l'ombre inquiétante de la camarde. Il y a tout au long de ce roman une atmosphère malsaine, ésotérique avec la pratique de la divination, de l'hypnose avec Sylvia comme objet et également l'usage du ouija, la présence oppressante de la part d'ombre que chacun d'eux porte inconsciemment et qui se révèle destructrice, avec le constant rappel du concept de la séparation, de la mort suivie d'une hypothétique renaissance. Après leur mariage, ils voyagent en Europe, dans Paris occupé par les nazis et en Espagne où le décor de mort violente est symbolisée par la tauromachie, puis en Amérique, ce qui, malgré leur appétit de voyage et de grands espaces ressemble à un exil. Ce climat un peu délétère laisse place à l'écriture, mais seulement en contrepoint, comme si elle était accessoire, alors qu'ils sont tous les deux écrivains. En outre semble s'installer entre eux une atmosphère de secret et leur mariage est d'emblée mis sous l'égide du non-dit, du mensonge et de la dissimulation de la vérité, de méfiance, de lourds silences. Leur amour fou du début s'habille très vite des soupçons de Sylvia et d'une jalousie maladive de sa part, d'attirance supposée de Ted pour les jeunes et belles étudiantes, puis, plus tard, des relents d'adultère, Sylvia voyant dans toutes les femmes que rencontrait son mari, une possible rivale. Lui, de son côté, sans doute accablé par Sylvia, répond facilement aux étourdissements libérateurs de l'amour.
Sylvia a un lourd passé névrotique avec une incompréhension et un désamour de ses parents, le fantôme envahissant d'un père traumatisé par la guerre, une mère abusive puis, plus tard, après son mariage, le côté agressif de sa belle-sœur. Elle a sans doute pensé que sa rencontre avec Ted puis leur union serait une solution, un exorcisme, mais elle a été obligée de se rendre à l'évidence qu'il n'en était rien. Elle voudrait être une épouse attentive, peut-être une future bonne mère de famille mais elle voit bien qu'elle n'est guère douée pour cela et les événements semblent lui donner raison. Lorsque que leur deux enfants naîtront, elle ne sera pas vraiment à la hauteur de son rôle de mère. De plus elle est un génial poète et le sait, veut pratiquer son art avec passion et recherche légitimement le succès qui ne vient pas alors que Ted connaît dans ce domaine une relative réussite ce qui induit un atmosphère délétère dans ce ménage de créateurs littéraires qui ont ainsi tendance à se détruire alors qu'ils devraient s'épauler. Elle en conçoit une improbable cabale dirigée contre elle et s'y accroche, nourrissant ainsi une réelle paranoïa. Son état mental lui interdit même pendant longtemps de tomber enceinte, ce qui pour elle a des accents d'échec et entretient ses pulsions destructrices. L'amour réel que Ted éprouve pour Sylvia engendre une situation assez surréaliste. Chacun d'un cherche sa propre voix poétique mais elle est jalouse des succès de son mari et il en résulte une attitude nocive et lui se laisse manipulé. Pire peut-être, les angoisses et les obsessions de son épouse deviennent les siennes propres au point que Ted finit par ne vivre que par elle et pour elle. Leur vision idyllique du mariage s'estompe peu à peu et, face à cela, une démarche psychiatrique s'impose pour Sylvia et, dans ce contexte de paroles, son mari se retrouve facilement au centre de ses accusations avec toute la culpabilité incontournable, sa position au sein du couple s'en trouve affectée et le suicide de Sylvia le met définitivement pour le monde extérieur dans le rôle du coupable. Le retour sur le passé, inévitable dans ce genre de thérapie, ne fait qu'aggraver les choses et l’écriture ne joue même plus pour elle son rôle cathartique. Au terme de ce processus Sylvia devient une véritable inconnue pour son mari, une femme insaisissable, victime de ses vieux démons, de ses obsessions, qui, malgré leurs efforts pour rendre plus douce la vie, malgré la présence des enfants et l'atmosphère commun de créativité, à cause des infidélités de son mari, s'avance inexorablement vers la mort tandis que Ted connaît enfin une notoriété dont elle est exclue.
Ce roman met en scène fictivement Ted qui écrit à la première personne et qui ainsi nous donne sa vision unilatérale des choses sans que son épouse puisse prendre vraiment la parole. Il y confesse lui-même, comme une quête de rédemption, son attirance pour d'autres femmes, comme pour se libérer du carcan de sa vie conjugale pourtant brève mais de tout temps vouée à l'échec et ne pouvait avoir pour Sylvia qu'une issue fatale, présentée comme une sorte de sacrifice fait à un amour impossible, à la vie et aux illusions qu'elle engendre.
J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce roman fort bien écrit et poétique qui, à titre personnel, a nourri ma réflexion sur le mariage, sur l'amour qui devrait y présider et qui finalement n'est pas autre chose qu'une frêle illusion, sur l'espèce humaine et ses incroyables légèretés, ses faiblesses et ses hypocrisies entretenues, sur la fragilité de la vie...
©Hervé Gautier.
Dieu-Denis ou le divin poulet
- Par hervegautier
- Le 02/05/2019
- Dans Alexis Legayet
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La Feuille Volante n° 1339 – Mars 2019
Dieu-Denis ou le divin poulet – Alexis Legayet – Éditions François Bourin.
Tout d'abord je remercie les éditions François Bourin de m'avoir permis de découvrir ce livre.
Franck est réveillé un matin au chant du coq, c'est à dire tôt, et lui de pester contre l'animal et de songer à la recette du « coq au vin ». Oui mais voilà, nous sommes dans un pays où tuer les animaux, et donc les gallinacés, est interdit par la loi. Cette interdiction va même jusqu'à les considérer comme des êtres humains, leur mort célébrée avec obsèques et décorum religieux. C'est que, trente ans plus tôt se serait déroulé au sein du Marais poitevin, un remake de l'annonciation, mais limité au monde de la basse-cour ! Croyez-le ou non, Dieu lui-même se serait réincarné en coq et aurait choisi la France pour descendre parmi nous à cause de l'emblème national, sans doute, comme si une fois n'avait pas suffi, même si ça avait un peu mal tourné il y a plus de deux mille ans! Et puis, à part l'intermède de Saint François d'Assise, il n'y a pas d'allusions aux animaux dans les évangiles. Un poussin naquit donc qu'on appela Denis (d'où le titre Dieu-Denis), dans la foulée on refit la Sainte famille, mais version poulailler, et sa mission fut donc de sauver les bêtes comme jadis Jésus sauva les hommes. Restait à se faire connaître, mais nous sommes au XXI° siècle et internet Facebook et You-tube furent sollicités par notre nouveau Messie qui réussit à recruter des apôtres pour porter sa parole, sans oublier les réseaux sociaux, le culte des sondages, les débats télévisés et la complicité flagorneuse des médias. KFC, cette firme qui fait de l'argent sur le massacre de la volaille, fut donc une cible toute trouvée, le message de la filiation divine entre les hommes et les poulets, martelé et avec lui le concept d'égalité et de cannibalisme. Comme il se doit, on nous rejoua, à la manière cocotière, le message et les épisodes évangéliques avec la mort du coq sacrifié non pas sur une croix mais sur une broche puis cuisiné et sa résurrection annoncée par e-mail ! Un tel scénario ne pouvait laisser indifférente la toujours prosélyte Église catholique qui intégra au dogme l'incarnation de Dieu en poulet et se rebaptisa « Dieudenique », avec découvertes de reliques et évolution du message religieux, dans le seul but de reconquérir des fidèles égarés.
Cette nouvelle façon de vivre les choses de la cuisine, dans notre culture largement tournée vers le culinaire, provoqua un mouvement d'idées en faveur des véganes au point que l'ordre public en a été un temps menacé, les spécificités gastronomiques régionales françaises niées, l'économie désorganisée et que les politiques, dans leur traditionnelle chasse aux voix, ne manquèrent pas de s'approprier, On revisita encore une fois la sempiternelle querelle des anciens et des modernes qui déboucha sur une révolution métaphysique juridique et écologiste ! Cette histoire un peu échevelée se termine comme dans un roman policier.
Ma culture et mon éducation ont fait que j'ai abordé ce roman comme une fable philosophique un peu loufoque, une plaisante parabole, mais peut-être pas autant que cela. J'en ai fait une lecture particulière au moment où la religion catholique est contestée à cause des graves manquements de ses ministres du culte et de leur hiérarchie. Elle a tellement mal rempli son rôle que non seulement la plupart des gens s'en détournent, que les églises se vident, que les apostasies se multiplient et, pire sans doute, qu'elle laisse la place à d'autres confessions qui, pour certaines, nous obligent à vivre dans la crainte du terrorisme religieux. Je ne parle pas du monde politique qui, à des fins électorales, est prêt à tout pour engranger des voix. Alors face à cette vie qui est de moins en moins passionnante, il faut rire de tout et pourquoi pas de la religion traditionnelle dont l'enseignement ne doit pas être bien sérieux puisqu'il n'est même pas observé par ceux-là même qui ont la charge de le faire respecter, et dont les dogmes, bien souvent ravalés au rang de « mystères », heurtent pour le moins la raison. Je l'ai donc lu comme une remise en cause du message religieux qui est surtout fondé sur la croyance aveugle dans des affirmations sans le moindre fondement logique, pour la seule raison que cette aspiration vers le sacré est inhérente à l'espèce humaine. Je n'insisterai pas sur la venue du Messie, sorte de parousie tant attendue, l’émergence d'un nouveau dieu parmi tant d'autres. Après tout, la contestation, très en vogue par les temps qui courent, peut également s'appliquer dans ce domaine. En outre, cet ouvrage, sous des dehors humoristiques, nous invite, l'air de rien, à repenser notre rapport aux animaux, ne pas les considérer comme de la nourriture potentielle, ce qui est bien dans l'air du temps actuellement, comme des objets de curiosité ou de massacres ainsi que l'occasion d'une réflexion générale sur notre société, non sans éviter ses traditionnelles contradictions et aussi sur l'espèce humaine. Avec ces quelques pas en absurdie, j'ai songé à l'univers d'Alfred Jarry à celui de Boris Vian, ou peut-être à ce qui menace notre pauvre monde !
©H.L.
Sérotonine
- Par hervegautier
- Le 30/04/2019
- Dans Michel HOUELLEBECQ
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La Feuille Volante n° 1346 – Avril 2019.
Sérotonine – Michel Houellebecq - Flammarion.
Florent-Claude Labrouste est un presque quinquagénaire déprimé, légèrement obsédé sexuel, porté sur la bouteille et de son propre aveu un « loser », un décadent, un raté ! Il n'a pas vraiment la volonté de réagir sauf à prendre un médicament, le Captorix, censé libérer rapidement dans son corps la sérotonine qu'on peut assimiler à l'hormone du bonheur, sauf qu'il entraîne pour lui une forme d'impuissance sexuelle et de perte de libido ce qui ne l'arrange pas du tout. Il a perdu bêtement l'amour de Camille, une femme avec qui il aurait bien aimé se marier, la recherche dans toutes celles qu'il croisent et vit avec une Japonaise avec qui il s'ennuie. De plus, ni cette compagne très temporaire qui n'est pas vraiment fidèle, ni son travail sans intérêt et qu'il abandonne, ni même son médicament, ne parviennent à le guérir de sa déréliction, de ses obsessions et à lui donner des raisons de vivre pleinement. Aussi bien, réfractaire au suicide, choisit-il de partir, c'est à dire fuir une société qui ne lui convient pas, et de se fuir aussi lui-même, ce qui est à ses yeux l'unique solution. A travers son seul ami Aymeric, éleveur de vaches normandes, il constate la décrépitude de la paysannerie face à l'industrialisation au productivisme, ce qui n'améliore pas sa vision de la société qu'il rapproche forcément de la sienne propre. La prise de son médicament ne guérit pas sa dépression chronique qu'il soignerait volontiers par une activité sexuelle débridée, mais cela lui est devenu impossible et il ne peut que ressasser ses souvenirs ! C'est un peu comme s'il tournait en rond sans jamais pouvoir trouver une sortie. Alors il poursuit dans chacune des femmes qu'il séduit l'impossible rencontre avec Camille, pour lui définitivement disparue, une copulation animale sans retenue avec une inconnue et ne conçoit une femme que dans son lit. Il y a cette attente désespérée de la sensualité à travers la figure féminine. Cette demande de nature sexuelle peut passer pour une obsession dévastatrice mais cela fait aussi partie de la vie d'un homme et j'ai eu le sentiment que, pour lui, le sexe (avec une préférence marquée pour la fellation) est plus une antidote à sa solitude qu'une exploration renouvelée des mystérieux couloirs du plaisir et à chaque fois qu'il rencontre une femme, sa première idée est de coucher avec elle. A sa situation pour le moins délétère, il oppose la figure de Camille qu'il espère retrouver et l'amour fou et exclusif de ses parents, unis jusque dans la mort, et ce souvenir l'obsède. Les aphorismes qu'il choisi d'asséner à son lecteur au sujet de l'amour ont au moins l'avantage de le porter à réfléchir et d'ouvrir le débat.
C'est bien connu, Houellebecq est à la fois cynique, désabusé, grossier, mais je dois bien avouer que le constat qu'il fait d'une société en pleine déliquescence et vouée aux dérives de la productivité est inquiétant. C'est le roman des « espérances déçues », face aux affirmations lénifiantes et abusives qui prétendent que la vie est belle et j'ai personnellement beaucoup de mal à donner tort à notre auteur dans son appréciation des choses et si nous regardons autour de nous, force est bien de constater qu'il n'y a pas beaucoup de raisons de se réjouir. Il nous dépeint une société très actuelle, déshumanisée, où chacun vit en ignorant l'autre, et cette attitude délétère affecte même le couple qui pourrait passer comme l'ultime recours. On devient misanthrope pour moins que cela ! J'ai ressenti une atmosphère de fin de vie dans ce roman, un peu comme si la désespérance était telle pour cet homme qu'il valait mieux, tout bien réfléchi, quitter ce monde même si ce départ s'accompagne de regrets, Camille n'était plus pour lui qu'un fantôme inaccessible et que sa vie n'avait été finalement qu'un cheminement laborieux et inutile. Je n'ai cependant pas compris cet ultime référence à Dieu comme maître de notre destin individuel.
Il y a en effet un autre personnage, peut-être plus en retrait mais non moins important qu'est Aymeric. Lui aussi c'est un idéaliste qui a cru à son rêve parce qu'il était partagé par son épouse. Mais celle-ci, déçue, est partie avec un autre homme se tricoter un avenir différent parce qu'Aymeric s'est fait trop d'illusions et n'a rien vu venir, aveuglé qu'il était par ses certitudes définitives, sur l'amour notamment. Il tente de se guérir de cet échec par l'alcool et la drogue mais ce sera une impasse pour cet homme désespéré qui songe sans doute à la mort comme une solution potentielle. Dans « La carte et le territoire » le thème de la mort est abordé sous la forme d'un crime énigmatique. Ici Aymeric me paraît avoir choisi une forme de suicide lent et progressif qui sied bien à son état dépressif mais quand il décide de conclure dans un geste définitif on ne sait pas vraiment s'il faut l'imputer à sa situation personnelle ou pour la cause qu'il prétend défendre. Si Florent-Claude partage son état d'esprit, il m'a semblé que, lui, au contraire a choisi d'attendre la mort qui est inéluctable comme nous le savons, mais dans une sorte de fatalisme, avec cependant une lueur d'espoir (qui peut prendre les traits de Camille), un peu comme s'il avait choisi de survivre malgré tout, au cas où pour lui les choses changeraient enfin ou peut-être comme s'il s'imposait de rester en vie pour expier cette perte coupable de l'être aimé !
Son style, à l'humour parfois grinçant, est sans doute fort éloigné de celui qu'on attend d'un écrivain traditionnel couronné par le prix Goncourt, mais c'est son style et je crois que nous avons déjà connu cela au cours de notre histoire littéraire. La littérature s'enrichit aussi de cette manière et évolue à travers ces auteurs qui, pour certains, y ont laissé leur nom. D’ailleurs, même s'il est un peu mono-thématique à tendance obsessionnelle, nonobstant quelques longueurs et des détails parfois techniques bien inutiles (je me suis demandé si l'accumulation de détails apparemment anodins ne cachait pas un mal-être profond), je ne me suis pas du tout ennuyé à la lecture de ce roman et je l'ai même lu avec attention et passion.
J'ai déjà eu l'occasion de commenter les œuvres de Houellebec dans cette chronique et je n'ai pas toujours été ému par ses romans. Ici, malgré le style que je ne goûte pas toujours, je suis bien obligé d'admettre qu'il porte sur notre monde un regard, certes désabusé mais plein de bon sens. On ne demande pas forcément à un auteur de créer, grâce à son imagination un monde différent, qui nous éloigne un temps de notre quotidien, et, refuser de voir dans le miroir d'un livre l'image peu flatteuse de notre société, n'est guère raisonnable. Après tout un écrivain se doit aussi d'être reflet de son époque, que son œuvre se nourrisse de son expérience est plutôt une bonne chose et cela tisse son originalité et son authenticité. Qu'il ait choisi de puiser dans son état dépressif pour parler du déclin et de la désespérance de l'homme occidental, dans un décor banal et morne, me paraît être une photographie assez bonne de notre société. La référence à Thomas Mann, à la fin, me paraît significative. Le fait qu'il le fasse dans un langage simple et pourquoi pas cru, rend son témoignage accessible à tous ses lecteurs. Il me semble d'ailleurs que la tristesse qui ressort de tout cela est soulignée par une succession de séquences, comme juxtaposées (épisode de l'Allemand pédophile, manifestations paysannes vouées à l'échec, séances de tir, désintérêt constant et croissant pour l'actualité quotidienne, variation sur la chatte des femmes…) et qui n'ont rien à voir les unes avec les autres. L'auteur est toujours aussi labyrinthique dans sa démarche d’écriture, mais j'ai souvent goûté chez les autres écrivains ce rythme de création pour ne pas l'apprécier chez lui. Il ne peut pas non plus se dispenser d'aphorismes définitifs souvent pertinents, et après tout cela aussi fait son charme.
Je passerai sur la polémique initiée en quelques mots par l'auteur au sujet de la ville de Niort qu'il dénigre au début de son roman. Cette cité, qu'on a toujours eu du mal à situer sur le cadastre national, a, peut-être grâce à lui, connu un afflux de personnes qui ont pu vérifier que son appréciation négative ne correspond heureusement à rien.
©Hervé Gautier.
La grande muraille
- Par hervegautier
- Le 25/04/2019
- Dans Claude Michelet
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La Feuille Volante n° 1345 – Avril 2019.
La Grande Muraille – Claude Michelet. Pocket.
Il n'y a rien de telle qu'une succession pour jeter la zizanie dans une famille. Firmin vient d'hériter de son oncle et tuteur une vaste pièce de terre au détriment de ses autres cousins Émile, Edmond et Leonie. Cette parcelle avait beau n’être qu'une grande étendue incultivable où tout le monde, depuis des années déverse son surplus de pierre, Émile souhaite la lui racheter, ne serait-ce que parce qu'il estime que cela fait partie de son héritage naturel et non de celui de Firmin. Chacun au village conseille à ce dernier d'abandonner cette parcelle simplement parce qu'elle ne lui rapportera jamais rien et qu'il se fatiguera en pure perte mais lui, Firmin qui est célibataire et qui n'a rien d'autre qu'une pauvre maison, décide de la cultiver autant pour embêter son cousin que pour tenter quelque chose d'insensé : faire pousser des arbres fruitiers dans ce désert minéral. Il utilisera les pierre pour délimiter sa propriété en érigeant un mur. Résultat au village tout le monde le prend pour un fou !
La Grande guerre arrive et Firmin retrouve son cousin Edmond dans les tranchées où ils survivent ensemble dans la boue, la mitraille et les rats… Revenu au village il reprend la construction de sa muraille et les arbres et la vigne qu'il a plantés se mettent à donner des fruits parce que sous la pierre il y avait de la terre fertile qui, travaillée et amendée, s'est révélée productive. C'est devenu sa passion, son unique raison de vivre et peut-être un signe du destin qui a fait de lui le propriétaire de ce qu'il n'aurait jamais imaginé pouvoir posséder, à moins bien sûr qu'il n'ait décidé de faire la nique, par delà la mort, à cet oncle qui avait bien conscience de lui faire ainsi un cadeau empoisonné ! Le rempart qu'il érige est ici plus qu'un symbole. Ça dépasse l'obligation légale de se clore. Il y a la volonté de se protéger contre la jalousie, voire de la nourrir, de ceux qui le prenaient pour un fou et qui seront bien obligés de constater la réussite de la persévérance et de l'effort. C'est en effet une constante chez les hommes d'envier, et même de détester, ceux qui réussissent là où d'aucuns ne veulent même pas s'engager. C'est le culte de l'effort, du travail bien fait qui s'inscrit dans un terroir rural, une sorte de manière de s'approprier cette terre ingrate au départ en l'apprivoisant. Après tout, ce pauvre orphelin, qui était sans doute différent des autres de la fratrie, recueilli par un oncle qui en a fait son héritier, aurait pu vendre cette terre stérile à son cousin ou simplement la laisser en l'état de broussaille caillouteuse, mais il a préféré la cultiver pour affirmer son côté rebelle et montrer qu'après avoir défendu son pays dans les tranchés il allait poursuivre différemment son effort. L’œuvre de Michelet s'inscrit d'ailleurs en grande partie dans l'amour et le travail de la terre et de la condition des petits agriculteurs face à la modernité.
Ce récit m'a rappelé le roman de Jean Giono « L'homme qui plantait des arbres » (La Feuille Volante n° 1124). Certes le style est différent mais néanmoins fort agréable à lire, mais l'histoire est à peu près la même. C'est un peu une parabole où un homme seul décide de se battre pour son idée, même si le projet est fou et que chacun tente d'y faire échec. C'est à la fois absurde, utopique mais c'est le sens qu'il donne à sa vie. Il y a cependant une différence importante à mes yeux. Celui de Giono s'inscrit dans un contexte laïc. Il s'agit d'un homme pauvre qui décide s'ensemencer avec des glands une étendue désertique qui ne lui appartient pas et qui deviendra une forêt. Ici Michelet met sa fiction dans le contexte sociologique de l'époque, celle de l'appartenance au catholicisme où l'église était, plus que la Mairie sans doute, le centre du village. Son cousin Edmond devient prêtre et après la guerre qu'il a faite avec Firmin, il revient comme curé de leur village, son cousin devenant son sacristain, son enfant de chœur, même s'il n'est pas très catholique ! Edmond n'a aucun intérêt à posséder du bien sur terre et donc à le transmettre, c'est ici l'alliance non plus du « sabre et du goupillon » qui a petit à petit vidé nos églises, mais celle au contraire de l'effort humain que le clergé populaire accompagne et soutient, de la dimension religieuse de l'action de l'homme sur terre, ce qui évoque pour moi la figure de son père Edmond Michelet.
Il y a chez Firmin cette volonté de s'affirmer face aux autres tout en se coupant du monde, de fuir ses semblables, qui d'ailleurs le lui rendent bien, à l'exception d'Edmond devenu curé, une amitié finalement assez atypique. Il puise sa joie dans la nature généreuse, dans le travail bien fait et cela lui suffit.
C'est le premier roman de Michelet que je lis et il m'a bien plu.
©Hervé Gautier.
Taxi Curaçao
- Par hervegautier
- Le 21/04/2019
- Dans Stefan Brijs
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La Feuille Volante n° 1344 – Avril 2019.
Taxi Curaçao– Stefan Brijs – Éditions Héloïse d'Ormesson.
Traduit du néerlandais (Belgique) par Daniel Cunin.
Max Tromp , 12 ans, n'est pas peu fier de débarquer, un matin de 1961 dans la classe du Frère Daniel à Barber (Caraïbes néerlandaises), dans la Dodge Matador rutilante conduite par son père, Roy, chauffeur de taxi. On ne peut pas ne pas la remarquer tant la misère fait partie de ce lieu. Pourtant les relations entre eux sont difficiles et la famille s'est désunie à cause du père menteur et volage. Max est un élève brillant et se voit bien devenir instituteur. Le Frèr Daniel, qui est noir et originaire de ce pays, obtiendra pour lui une bourse qui lui permettra de poursuivre ses études, mais s'il représente un espoir pour cette famille, le père, Roy, en est toujours absent. Oui, mais voilà, comme lui comme pour les autres le destin lui sera contraire et quand son père tombe malade, revient au foyer qu'il avait abandonné, Max n'a d'autre choix que d'abandonner ses études et devenir à son tour chauffeur de taxi avec la vieille Dodge Matador, en renonçant à son rêve de devenir instituteur. Les années passent, Max, épouse Lucia qui lui donne un fils, Sonny, sur qui repose l'espoir familial de sortir de cette condition précaire qu'ont aggravé les émeutes ouvrières de 1969 qui ont embrasé l'île de Curaçao. On appelle cela les promesses de la vie, qui pourtant n'en fait aucune, et l'imagination est toujours féconde quand il s'agit de son propre avenir. Malheureusement la réalisation de ces fantasmes est rarement au rendez-vous et Max n'échappe pas à cette règle.
C'est le Frère Daniel qui prête sa voix à cette saga pleine de rebondissements et d'anecdotes de la famille Tromp, sur trois générations. L'auteur évoque la place des femmes dans cette société, le destin de ces îles pourtant paradisiaques qui ont été la proie de la colonisation et qui, sous couvert d'une politique d'émancipation des populations locales n'a finalement engendré que pauvreté, corruption, exclusion et évidemment racisme. Il y a aussi une étude sociologique, celle de la société des noirs parfaitement résumée par l'exergue, les femmes qui travaillent et les hommes qui friment, avec, au sein de cette famille, les mensonges de Roy mais aussi de Max au sujet de l'argent et la culpabilité ressentie sincèrement par ce dernier. A travers Frère Daniel, c'est l'action de l’Église et la sienne propre et surtout l'abnégation de ses missionnaires qui est ici mise en avant, leur sens du combat aux cotés des plus démunis même si la révolte des noirs est aveugle, s'exprime dans le cadre général de la colonisation, de la haine du « blanc » et frappe ainsi ceux qui les ont toujours défendus. Il y a aussi une réflexion sur le phénomène colonial, cette attitude de mépris de la classe dirigeante blanche qui maintient les noirs dans un état d'infériorité en raison d'une supposée supériorité mais aussi la recherche du profit au détriment des populations locales. Le plus étonnant est de Frère Daniel, malgré ses origines et peut-être un peu malgré lui-même, a contribué à faire entrer les noirs dans un moule fabriqué par les colons pour mieux les dominer. Il prend conscience de cela et culpabilise à un point tel qu'il décide de troquer sa soutane pour des vêtements civils, ce qui est plus qu'un symbole. Avec la troisième génération de Tromp, l'auteur introduit l'argent facile, le trafic de drogue et ses dangers, le destin de Max, et on imagine ce que sera la vie future de Sonny.
Il y a aussi cette étude de personnages, Roy est un être détestable, hâbleur, menteur, égoïste et Max est plein de bonne volonté, fait ce qu'il peut pour les siens avec un sens aigu du sacrifice, mais est poursuivi par un destin tragique qui s'acharne sur lui. Sa vie aurait pu être belle mais ne l'a pas été.
Cette saga est évoquée par le Frère Daniel, cet homme d’Église bienveillant et peut-être un peu trop idéaliste voire utopique face aux populations qu'il entend protéger, qui est fidèle à ses vœux est malgré tout d'un engagement religieux et personnel inébranlable. Non seulement il a fait de la défense de Max et de sa famille un des buts de sa vie mais cette action individuelle s'inscrit dans une sorte de recherche de rédemption personnelle. En toile de fond, il y a cette voiture vieillissante, qui, comme lui, est le témoin de la déchéance de cette famille.
Le style est quelconque, pas vraiment attirant, entrecoupé d'expressions locales évoquant des coutumes, des croyances et des superstitions, de phrases en anglais, mais le message au contraire est important.
©Hervé Gautier.
Mes vies secrètes
- Par hervegautier
- Le 16/04/2019
- Dans Dominique BONA
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La Feuille Volante n° 1343 – Avril 2019.
Mes vies secrètes – Dominique Bona – Gallimard.
Qu'est ce qui fait qu'on devient biographe, c'est à dire qu'on s'intéresse à la vie des autres ? Dominique Bona s'attache à expliquer ce qui lui a fait délaisser la fiction pour ce genre littéraire. Pour elle « Les racines du Ciel » de Romain Gary fut un véritable coup de foudre, ce qui l'invita à percer les nombreux mystères de cet écrivain hors norme. Ce sera un peu la même fulgurance devant le portrait de Berthe Morisot par Manet, et cette envie d'en savoir plus. Puis ce furent la tragédie de Camille Claudel, la passion de Paul Valéry. Avec Pierre Louys (prononcer Louy, sans l's) et Henry de Régnier, elle nous révèle des choses inattendues, bien loin des informations scolaires du Lagarde et Michard, ouvrage qui, bien avant wikipédia, a sauvé des générations de potaches désespérés devant les feuilles blanches de leurs dissertations. Puis il y eut Berthe Morisot, Clara Malraux, Colette, Gala, Stefan Zweig…
La biographie est un art difficile puisque le biographe est tenu par les épisodes historiques de la vie de son sujet, ne peut y déroger, ce qui peut être quelque peu frustrant pour l'écrivain de fiction que Dominique Bona est aussi. Dans ce travail, notre auteure entre dans la vie des autres, se l'approprie, la dissèque, cherche à expliquer certains détails tout en s'interdisant la curiosité malsaine, le voyeurisme face aux secrets de famille, l'imagination, l’uchronie, les jugements définitifs. C'est aussi un travail épuisant de documentation, et pas seulement celui d'un rat de bibliothèque et d'éplucheur d'archives. Il faut aussi s’imprégner des lieux où ils ont vécu ceux dont on a choisi de parler, de rencontrer ceux qui ont partagé leur vie, parce que leur œuvre en est évidemment pénétrée. Il faut pour cela beaucoup de constance et la déception est parfois au rendez-vous parce que c'est aussi un art en désuétude. J'observe qu'elle aborde son travail de recherche à travers les désordres amoureux qui ont émaillé la vie de ceux dont elle a choisi de parler. L'amour, et avec lui la sensualité et l'érotisme, ses dérèglements, la passion et la folie qu'il engendre, est, en effet, et plus que tout les autres sans doute, un élément révélateur dans la vie d'un être humain. Tous ces auteurs, bien que consacrés par le monde des Belles-Lettres, ont ainsi perdu leur vernis littéraire et, face à une muse, sont redevenus des êtres humains ordinaires. Ainsi, en parlant des passions amoureuses des autres, en essayant de les expliquer, voire d'en percer le mystère et les paradoxes, il en résulte une sorte d'intimité entre l'auteur et son sujet avec toute l'humilité et le respect qu'on doit à un personnage hors du commun. De plus on s'apaise et peut-être on se comprend mieux soi-même, l'écriture pouvant, au cas particulier avoir un effet miroir, voire être une source de courage face aux vicissitudes de sa propre vie. Ainsi c'est l'occasion pour elle de se livrer, avec malgré tout de la parcimonie, comme du bout de la plume, à des détails sur sa vie à elle, mais elle le fait avec retenue, sur le ton de la confidence, en demi-teinte et c'est très bien ainsi parce qu'un écrivain, biographe de surcroît, reste un être humain, avec ses passions, ses fêlures, ses remords, ses secrets... Ainsi éclaire-t-elle le titre (au pluriel) de cet ouvrage qui m'avait au départ quelque peu intrigué, même si elle parle à la première personne.
On n'est pas non plus écrivain par hasard. Il y a certes la formation, l'envie et la capacité d'écrire mais il y a aussi ce qui sous-tend cette démarche, une sorte de manque, de vide qu'on compense avec les mots et l'imaginaire et qui tient du fantasme autant que de cette volonté d'explorer des contrées inconnues de l'inconscient, de découvrir l'autre, fut-il fictif, et bien souvent soi-même à travers lui, de lutter contre les forces obscures et parfois contradictoires de la création et de s'étonner parfois du résultat. Créer et faire vivre un personnage inventé n'est pas une mince affaire. On peut certes s'inspirer du réel, s'écouter soi-même au point de susciter des ressemblances ou le repeindre aux couleurs de sa volonté mais finalement la liberté du personnage est la plus forte et l'épilogue parfois différent de ce qu'on imaginait au départ. Écrire tient de l'alchimie, c'est un mystère qui se nourrit lui-même et un auteur ne ressort jamais indemne de l'écriture de son livre. C'est, malgré les apparences une activité épuisante mais l'activité de biographe qu'elle semble préférer tant le nombre de ses biographies dépasse celui de ses fictions, reste quelque peu frustrant. Attirée sans doute par le style de ses écrivains préférés, elle a voulu en savoir plus sur eux, les comprendre mieux ainsi que leur œuvre. Elle veut surtout s'attacher à l'écrivain vrai plutôt que de se laisser aller à l’imagination qui est toujours une tentation sans perdre cependant de vue qu'écrire une biographie c'est aussi, un peu, une voie royale pour parler de soi.
J'ai commencé à lire Dominique Bona il y a bien des années et l'ai suivie avec plaisir dans son parcours littéraire, jusqu'à la consécration suprême qui a fait d'elle une « immortelle ». Ses vies qu'elle qualifie de secrètes tiennent de la sienne sur laquelle elle lève un peu le voile, mais, ne seraient-elles pas aussi celles qu'elle a prêtées aux héros de ses propres romans ou celles de ceux dont elle a écrit la biographie ? En tout cas, c'est passionnant.
©Hervé Gautier.
Frederica Ber
- Par hervegautier
- Le 09/04/2019
- Dans Mark Greene
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La Feuille Volante n° 1342 – Avril 2019
Frederica Ber – Mark Greene – Bernard Grasset.
A Paris, un homme ordinaire dont nous ne saurons même pas le nom, le narrateur, mène une vie solitaire sans grand intérêt. Un matin, en lisant le journal, il apprend qu'en Italie, dans le massif des Dolomites, on a retrouvé deux personnes mortes, un homme et une femme, attachés l'un à l'autre, au pied d'une muraille rocheuse abrupte. Elle, Phaedra, était d'origine écossaise et lui, Umberto, Italien, architectes tous les deux à Rome. Le fait qu'ils soient ainsi liés entre eux conduit la police à soupçonner un crime rituel, un assassinat, ou un suicide, mais suspecte également une randonneuse qui a été aperçue avec eux et qui a disparu. Son nom est seulement révélé, Frederica Bersaglieri, sans aucune photo ni aucune autre précision. Or ce parisien croit se souvenir que ce nom correspond à une femme qu'il a connue vingt ans auparavant et dont le souvenir s'est incrusté dans sa mémoire, comme une trace indélébile, malgré le temps passé. Elle avait à l'époque une vingtaine d'années, c'était l'été et elle l'avait invité, l'avait en quelque sorte dragué et lui s'était laissé faire, innocemment, presque naïvement, profitant de l'instant présent en se demandant où tout cela allait le conduire (Bersaglieri veut dire tirailleurs en italien!). Ensemble ils avaient bu du vin dans les petits troquets de la capitale ou sur les grands boulevard, exploré les boutiques des bouquinistes et les vieilles brocantes, tutoyé le vide, passé ensemble une nuit sage à la belle étoile sur les toits de Paris, mangé des croissants chauds à l'aube ... mais il n'y a pas eu entre eux de rapports charnels. Il a eu soudain une envie folle de la retrouver. Il y avait quelque chose d'énigmatique chez cette femme, son côté intrépide, espiègle, dirigiste qui avait un temps bousculé sa vie de reclus volontaire. Puis, après une semaine, elle avait disparu. Pour le narrateur, cette femme était évanescente mais aussi une sorte d'invitation à sortir de sa routine esseulée. Parce que le souvenir qu'elle lui a laissé est encore vivace et que les circonstances de la mort de ce couple reste un mystère, il imagine ce qu'aurait pu être sa rencontre avec Phaedra puis avec Umberto dans la montagne italienne, il procède a ce même type de transfert, comme si Frédérica était, pour chacun d'entre eux, une invitation à une nouvelle vie. Tout a son souvenir, et persuadé qu'il s'agit de la même personne, le narrateur explore internet, les reportages, la presse italienne pour en savoir davantage sur cette femme inconnue, savoir si elle a survécu dans cet univers montagneux, si c'est bien elle qui fut son fantôme, vingt auparavant, mais il s'agit malgré tout d'un fait divers, vite gommé par l'actualité internationale
Nous sommes dans une fiction et il est loisible à l'auteur d'en tisser les contours. Il y intègre les rencontres, dues au hasard, à une éventuelle destiné et qui décident parfois d'une vie avec bonheur ou drame. Ici celle du narrateur et de Frederica mais aussi celle qu'il imagine entre cette jeune femme hypothétique et ce couple d’architectes. Il y a beaucoup de développements sur ce thème. Elles sont parfois de simples entrevues éphémères, aléatoires ou au contraire pérennes et le roman se décline en différentes analepses. Les unes correspondent à la réalité, s’inscrivent dans Paris, ses coins secrets, ses squares, ses rues pleines de gens pressés et les autres qui ne sont que le fruit de l'imagination de l'auteur entraînent le lecteur en Italie. Cela j'ai bien aimé à cause du dépaysement. J'ai apprécié aussi que cette semaine d'été se décline sous le sceau d'une amitié un peu bizarre qui ne se termine pas banalement dans un lit, avec descriptions érotiques, plaisirs, déceptions, illusions, serments qu'on jettera aux orties le moment d'exaltation passé. Cela on ne l'a que trop lu. Les relations entre un homme et une femme qui ne se concluent pas par une passade m'ont toujours étonné. L'auteur dessine les apparences d'une sorte de roman policier et en tire le fil imaginaire, mettant en situation Frederica et Phaedra puis Umberto qui se retrouvent, mais je n'ai pas pu m’empêcher d'y voir quelques longueurs, toujours désagréables pour le lecteur. En revanche le regard que porte Frederica sur les choses et sur les gens, prend une dimension différente, inattendue, mystérieuse. Quand elle part pour l'Italie, le narrateur se sent encore plus seul et, pour la retrouver accomplit des gestes rituels un peu fous qui évoquent leurs rencontres dans les rues et les quartiers parisiens, comme une supplique au hasard, comme si cela suffisait à la faire réapparaître. Ce que je retiens aussi c'est la grande solitude de cet homme, comme une réaction au monde extérieur où il n'a pas sa place et qui gardait intact, dans sa mémoire, l'épisode estival avec Frederica.
J'ai pris ce livre que le hasard m'avait désigné sur les rayonnages d'une bibliothèque, comme c'est souvent le cas. Au début je l'ai lu avec curiosité et même un certain plaisir à cause du style fluide et des images poétiques agréables, mais l'épilogue m'a un peu déçu, sans que je sache vraiment pourquoi. M'attendais-je à autre chose, une autre fin était-elle possible nonobstant le contexte de la fiction, l'auteur m'avait-il emmené si loin que j'imaginais autre chose, entre réalité, fantasme, poids du passé, regrets de la vie et attirance vers la mort, nostalgie et solitude… ?
©H.L.
Douze nouvelles
- Par hervegautier
- Le 02/04/2019
- Dans DINO BUZZATI
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La Feuille Volante n° 1341 – Avril 2019
Douze nouvelles (Dodici raconti) – Dino Buzzati – Pocket.
Édition bilingue français - italien traduction et annotations par Christiane et Mario Cochi
De son métier de journaliste qu'il exerça avec passion de 1928 au « Corriere della sera » à Milan, à sa mort, Dino Buzzati (1906- 1972) a gardé le goût de l'écriture et de l'observation. Il excelle à retracer pour ses lecteurs les petits faits qui font la vie de chacun de nous en y donnant toute l'importance nécessaire pour transformer, en quelques paragraphes, la banalité d'une vie en une véritable histoire exceptionnelle (Ça n'est jamais fini).
Cela ne va pas sans une incursion dans une certaine étrangeté, -(l'ubiquiste - Trois histoires de Vénétie) (Délicatesse : Le meurtrier de sa femme, condamné à mort et qui va être exécuté, se voit invité à réfléchir sur la mort et sur l'au-delà, une manière plus douce en tout cas d'exécuter la sentence), voire l'insolite(Cendrillon), la cruauté bien humaine. L'humour, un peu noir cependant n'est pas non plus oublié (l'honneur du nom) ni la réflexion sur l'instinct grégaire, l'absence d'originalité des hommes et leur volonté de se noyer dans la masse (Chez le médecin). Buzzati est aussi, j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans cette chronique, un fin observateur de l'espèce humaine, de ses aspirations et de ses obsessions. A travers une enfant, il aborde l'injustice (l'oeuf), avec « La vieille voiture » il dévoile un étrange dialogue entre un vieux véhicule et son propriétaire qui veut s'en débarrasser, mais en lui cachant ses intentions. On a droit à un échange autour de la nostalgie, du vieillissement, de l'inutilité... J'y ai vu aussi une incursion dans l'univers des remords (comme dans « La magicienne ») et de la solitude. Il doit être bien seul cet homme pour ainsi dialoguer avec sa machine avec laquelle il a eu une longue complicité. Il m’apparaît que ce texte, écrit sans doute dans la première moitié du XX° siècle, est très actuel ; on a jamais été autant connecté, on n'a jamais autant dialogué sur les réseaux sociaux notamment… et on est toujours aussi seul ! Avec « le petit papillon » c'est la lutte entre les hommes qui veulent prendre la place des autres pour leur ego, leur carrière, leur réussite sociale. Une caractéristique bien actuelle et qui ne risque pas de changer !
A lire la nouvelle intitulée « l'héléphantiasis » on peut aisément penser qu'il s'agit là d'une vision déjantée et bien improbable du monde. Que nenni, et j'y vois personnellement, certes une fiction, mais pas si éloignée que cela de notre société qui se lance à corps perdu dans le progrès en privilégiant son aspect pratique, sans se soucier des conséquences catastrophiques qu'il peut entraîner sur notre vie. Le silence qui envahit le paradis perdu de l'homme dans cette nouvelle, ressemble à s'y méprendre à celui qui de plus en plus existe dans nos campagnes où l'usage intensif des insecticides agricoles contribue à la disparition des oiseaux et donc au silence. La bizarre volonté de l'homme de détruire son environnement pourtant indispensable à sa vie est une constante plutôt inquiétante.
Le rôle de l'écrivain, même dans le cas du roman et de la nouvelle qui sont des fictions, n'est pas uniquement de distraire son lecteur. Il est de lui faire prendre conscience, à travers des postures parfois puisées dans l'absurde, des diverses facettes de la condition humaine dont nous portons tous la marque et j'ai toujours plaisir à lire Buzzati qui tient fort bien ce rôle.
Ce sont des textes courts qui vont à l'essentiel, comme doivent être écrites les nouvelles.
Cette présentation bilingue annotée de précisions grammaticales est pratique pour qui apprend l’italien.
©H.L.
Mamie Luger
- Par hervegautier
- Le 01/04/2019
- Dans Benoît Philippon
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La Feuille Volante n° 1340 – Avril 2019
Mamie Luger – Benoît Philippon- Éditions Equinox-Les Arènes
Imaginez un peu Berthe, une vieille de 102 ans, ridée et édentée, avec sonotone et arthrite, genre Ma Dalton ou Calamity Jane, qui vient, dès potron-minet, de tirer sur son notaire de voisin à la 22 long rifle et qui a fait face, arme à la main, aux forces de l'ordre au fin fond du Cantal. Au commissariat, devant l'inspecteur Ventura qu'elle s'évertue a appeler Lino alors qu'il se prénomme André, elle ne s'en laisse pas conter et entreprend même d'enrichir le vocabulaire du susdit, mais pas vraiment dans la langue châtiée de Jean d'Ormesson ! Non seulement elle a envoyé son voisin à l’hôpital mais elle a aussi couvert la fuite d'assassins qui maintenant sont en cavale. Rapidement son interrogatoire, accessoirement un peu surréaliste et pas mal folklorique dans le cadre d'une procédure policière, glisse vers la biographie mouvementée de sa famille et de la sienne propre et on s'aperçoit que plus elle parle, plus elle aggrave son cas. Sa vie n'a pas vraiment été un long fleuve tranquille et si elle a été une belle femme fort avenante, elle en a bien profité avec les hommes. Pour l'heure, elle boit sec, a la détente chatouilleuse, l'homicide facile et la langue bien pendue, quant à son surnom de « Mamie Luger » , il lui vient d'une mésaventure de la 2° guerre qui a mal tourné surtout pour un soldat allemand. Berthe a beau être une tueuse en série, il passe entre l'inspecteur et elle une sorte de courant de sympathie bien incompatible avec une garde à vue réglementaire. Il faut dire que ses aveux qui ressemblent plutôt à une confession ont été des plus précis, justifiant autant la longévité exceptionnelle de Berthe que son surnom. Elle a même tendance à confondre instruction judiciaire et divan du psychanalyste et c'est sans doute cette incursion dans le passé, qui bien souvent donne le vertige, à moins que ça ne soit sa volonté de se décharger avant de mourir d'un poids trop lourd à porter pendant trop longtemps, qui provoquent chez elle un malaise. C'est plutôt dommage parce que, dans le même temps, une perquisition se déroule chez elle et ce que trouvent les policiers est plutôt époustouflant. Le suspense est donc au rendez-vous et le lecteur découvre les faits, au rythme des nombreux analepses de ce roman. Et puis cette volonté de tout avouer, ce qui la conduira à une lourde condamnation, n'est-elle pas aussi une envie de tout simplement en finir ?
C'est qu'elle sait ce qu'elle veut, Berthe et quand elle a décidé de trucider un homme, il ne perd rien pour attendre et elle met toujours ses projets à exécution, surtout ceux-là ! Si elle a commis ces assassinats presque naturellement, c'est avec la bonne conscience de celle qui agit pour son bien. Elle n'était pas vraiment préparée à cette épreuve policière puisque, dans le cadre de cette procédure où l'on peut parfaitement garder le silence, elle est à la fois prolixe de détails et convaincante au point que Ventura lui donnerait presque raison d'avoir perpétrer cette hécatombe d'hommes et l'ambiance de ce bureau d’interrogatoire n'a vraiment rien d'agressif. Heureusement il y a l'enquête qui se rappelle à lui et le maintient dans le rôle de gardien de la loi. On le sent quand même un peu partagé entre la volonté de révéler la vérité dans cette affaire et la compréhension qu'il éprouve pour cette vielle femme finalement pas si antipathique que cela, son empathie le disputant à son envie de connaître la fin de cette histoire. Son attitude envers elle et les dialogues quelque peu emprunts de familiarités qu'ils échangent, détonnent un peu sur l'ambiance qu'on s'attend à rencontrer dans un tel contexte.
Elle devait bien avoir un problème avec les hommes pour les traiter ainsi ou bien, après avoir ainsi satisfait son désir de vengeance, s'attachait-elle à faire prévaloir hypocritement les apparences trompeuses, donnant d'elle l'image d'une vieille dame bien tranquille. C'est un paradoxe, elle ne peut se passer des hommes mais s'en lasse vite, prenant conscience, mais un peu tard, qu'elle a fait une erreur, funeste cependant, surtout pour ses éphémères partenaires. C'est sans doute sa manière à elle de rétablir l'égalité des sexes !
Quand j'ai ouvert ce livre, je m'attendais, à cause sans doute de sa couverture ou de son titre, à un polar classique. Or ce n'en est pas un, nonobstant le nombre des victimes de Berthe. Je lui ai trouvé un côté attachant, émouvant, sensuel parfois, tant les choses qui y sont dites le sont non seulement avec une écriture fluide et plaisante à lire, bien éloignée de celle employée traditionnellement dans ce genre romanesque, mais aussi parce que cela parle de la vie ordinaire avec ses joies, ses peines, ses projets avortés, ses remords, mais aussi du racisme, de l'intolérance, de l'amour impossible, du destin implacable, autant de thèmes devant lesquels l'humour, pourtant bien présent au fil des pages, devient soudain dérisoire. Oui, pour tout cela, j'ai bien aimé ce roman.
©H.L.
La vérité sur l'affaire Harry Quebert
- Par hervegautier
- Le 30/03/2019
- Dans Joël Dicker
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La Feuille Volante n° 1338 – Mars 2019
La vérité sur l'affaire Harry Quebert – Joël Dicker – Éditions de Fallois/L'Age d'Homme.
C'est bien d'être un écrivain à succès dont le premier roman a bien marché, d'habiter New-York et d'être reconnu dans la rue, bref, d'avoir du succès. C'est ce qui est arrivé au jeune Marcus Goldman et bien entendu son éditeur attend le suivant, sauf que, cela fait un an que notre ami n'a rien écrit, pire, il ne se sent plus capable d'aligner des mots, on appelle ça la crise de la page blanche et ça n'arrive pas qu'aux autres. Il y a donc urgence et il se tourne vers son ami, Harry Quebert, 68 ans, grand romancier américain et ancien professeur d'université dont il a été l'étudiant, qui vit à Aurora, une ville imaginaire que l’auteur situe dans le New Hampshire. Au même moment, Quebert, 34 ans au moment des faits, est poursuivi et incarcéré pour le meurtre d'une jeune fille, Nola Kellergan, 15 ans à l'époque, fille de pasteur, avec qui il avait une liaison secrète et qui a disparu trente trois ans plus tôt sans qu'on ait retrouvé son corps, ainsi d'ailleurs que de l’assassinat de Deborah Cooper, la femme qui avait donné l'alarme. A l'époque il avait été soupçonné, mais faute de preuves n'avait pas été inquiété, l'enquête s'était égarée entre témoignages contradictoires et accusations gratuites et l'affaire avait été classée. La découverte récente des restes de Nola, enterrés dans son jardin, accompagnés du manuscrit d'un roman à succès de Harry et d'une mention manuscrite, a rouvert cette enquête en pleine élection présidentielle de 2008, et tout l'accuse. Avec de nombreux analepses, le lecteur voyage dans le temps, entre 1975 et 2008 et mesure combien Harry était amoureux fou de Nola. Bien entendu Goldman n'est pas policier et même si on le lui déconseille fortement, il va tout faire, en compagnie d'un ancien flic qui partage son avis, pour démontrer l'innocence de son ami. Malgré les intimidations, Marcus enquête et ses investigations révéleront des secrets sordides de cette petite ville apparemment tranquille, la présence d'un autre homme auprès de Nola et de circonstances troublantes qui ont entouré son décès. D'un autre côté, l'éditeur de Marcus, le talonne et le menace même d'un procès s'il n'écrit rien. Il est toujours à l'affût d'un succès et donc d'une bonne affaire financière et lui suggère de raconter cette histoire et ainsi de relancer sa carrière. Tel est le point de départ de ce roman qui ne doit rien à la plume et à l'inspiration de Marcus qui n'en sera que le scribe. C'est un véritable thriller à l'américaine, mais aussi une sorte de mise en abyme qui nous fait participer directement à l'écriture du roman.
C'est donc un authentique polar avec tout le suspense qui va avec, Dicker tenant son lecteur en haleine jusqu'à la fin, démontant chaque accusation, apportant un éclairage nouveau, et ce pas seulement à cause de la longueur de ce livre (656 pages), ce qui pour moi est rarement un encouragement à la lecture. L'auteur en profite pour parler de l'écriture et des écrivains, mais aussi pour régler ses comptes avec les éditeurs en évoquant les conditions de travail qu'ils imposent à leurs auteurs, avec le plagiat, la justice, la politique, les médias qui déforment tout pour faire un scoop et vendre du papier, l'hypocrisie et le mensonge qui, sous toutes ses formes est inhérent à la condition humaine, spécialement dans les villes américaines puritaines de la côte est. Entre les secrets de la famille rigoriste de Nola, son père démissionnaire et sa mère abusive, l'amour fou d'Harry pour cette jeune fille mystérieuse, cet homme un peu trop romantique, victime d'une sorte de démon de midi, qui tente d'écrire pour elle un livre sur l'amour impossible et une adolescente qui veut avant tout se faire épouser malgré la différence d'âge et le scandale, qui cultive les apparences nécessairement trompeuses pour parvenir à ses fins, sa duplicité qui va jusqu'à la manipulation, la perversité et la séduction d'autres hommes, son suicide manqué, les jalousies que cet amour suscite, ce roman se tisse par petites touches. Trente trois années ont passé mais les passions, les haines et la volonté de cacher la vérité sont intactes et pour nos deux enquêteurs se profile de plus en plus le syndrome du crime parfait. Les investigations de Marcus et de son compère mettent en évidence des zones d'ombre, des contradictions et des insuffisances dans l'enquête originale et provoquent les aveux longtemps cachés de ceux qui l'ont menée, la révélation de faits nouveaux, de relations inattendues et parfois difficiles entre les habitants de cette petite ville, la mise en cause de nouvelles personnes, la révélation de la duplicité de cette jeune fille dont la véritable personnalité est bien éloignée de l'image qu'elle a voulu en donner, le mensonge longtemps entretenu, le poids des remords, l'ambition démesurée... L'épilogue à la fois inattendu et émouvant qui qui parle d'un homme poursuivi par un malheureux destin...
J'ai abordé ce roman sur les conseils d'une lectrice et aussi à cause de sa couverture reproduisant une toile d' Edward Hopper qui est un de mes peintres préférés et qui s'inspira aussi de ces paysages. Je l'ai lu avec plaisir, certes comme un policier bien écrit, mais aussi et peut-être surtout comme une étude de l'espèce humaine, ses passions, ses comportements sordides, sa désespérance.
©H.L.
Mariage contre nature
- Par hervegautier
- Le 22/03/2019
- Dans Motoya Yukiko
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La Feuille Volante n° 1337 – Mars2019
Mariage contre nature – Motoya Yukiko – Éditions Philippe Picquier. [Prix Akutagawa 2016]
Traduit du japonais par Myram Dartois-Ako.
San est mariée depuis quatre ans. Elle a quitté son emploi de bureau pour épouser un homme tellement transparent que nous ne saurons même pas son prénom, mais la vie domestique l'ennuie un peu d'autant qu'elle n'a pas d'enfant et que le salaire de son conjoint est suffisant pour la dispenser de travailler à l'extérieur. J'ai eu l'impression qu'elle avait épousé cet homme non pas par amour mais par opportunité, l'important revenu de ce dernier lui permettant d'être une femme au foyer. Quand elle est seule avec lui, il a une addiction pour la télévision, l'oisiveté… et aussi pour le whisky-soda ! Sa vie est telle qu'elle dit elle-même être comme en apesanteur. San qui se cherche des activités ménagères fait un jour le tri de ses photos dans son ordinateur, découvre que son mari et elle se ressemblent et trouve cela inquiétant tant ils sont apparemment dissemblables ! Pourtant le nez et les yeux de son mari ont des velléités migratoires sur son visage ! Il lui semble légitime de s'interroger, d'autant que ses relations de couple, hormis peut-être les séances intimes de simulacre de la reproduction, sans véritable plaisir pour elle, sont plutôt en panne. Peu semble lui importer cependant puisque, de ce point de vue, et avant de connaître cet homme, elle avait un rôle plutôt passif avec ses autres partenaires éphémères, au point que non seulement elle n'en a gardé que peu de souvenirs mais surtout qu'elle se sentait menacée par eux. Aussi bien mettait-elle rapidement fin à leur liaison. A l'intérieur de son couple, il n'y a rien de vraiment nouveau et c'est un peu comme si elle se faisait manger, c'est à dire détruire, par son mari. San ne doit pas avoir beaucoup d'attachement pour cet homme puisque, quand elle parle de lui, elle le nomme comme « la chose qui est censée être mon mari », ce qui, après quatre années de mariage, est quand même révélateur. Elle en vient même à se demander si elle ne regretterait pas davantage la mort de son chat que celle de son époux !
San doit être une belle femme puisque son mari a quitté son ex, qui ressemblait à une pin-up ou à une actrice de cinéma, pour l'épouser. D'évidence elle s'ennuie avec lui mais je note qu'elle est suffisamment loyale à son époux pour ne pas le tromper. L'adultère se pratique pour moins que cela ! Lui-même semble vivre à côté d'elle sans vraiment lui accorder de l'importance. Ce concept de ressemblance entre époux est récurrent puisqu'il revient à propos d'un autre couple marié depuis beaucoup plus longtemps. Le plus étonnant est que, sans vraiment l'expliquer autrement que par un long congé de maladie de son mari, San constate que, dans son couple, les rôles se sont inversés, elle s'étant mise à la télévision... et au whisky soda et lui aux tâches ménagères en prenant toutes les charges de son épouse. Est-ce à dire que dans le mariage on perd sa personnalité au point de ressembler à l'autre ? La ressemblance supposée entre ces deux époux irait-elle jusque là ?
Je n'ai pas une culture nippone, je ne connais pas la symbolique de la pivoine dans ce pays et franchement, même s'il y a un côté poétique à l'épilogue, il m'a un peu échappé. J'y verrais plutôt l'image de l'abandon voire de la destruction physique de cet homme. San a-t-elle un réel problème avec les hommes dont, avant son mariage, elle se débarrassait rapidement, rôle qu'elle reprend avec son mari dans une métamorphose poétique. Veut-elle nous signifier qu'il vaut mieux vivre seul que de supporter un conjoint insupportable et ainsi fuir le mariage ? A travers ce court roman un peu étrange, veut-elle nous signifier que cette union était, comme l'indique le titre, contre nature?
Motoya Yukiko, qui est une jeune auteure (née en 1979), nous montre les défauts du couple, le peu d'attirance qu'elle a pour le mariage et l'amour semble être, pour l'instant, son thème de prédilection favori. Au vrai, c'est un sujet classique d'autant que, allez savoir pourquoi et sous toutes les latitudes, les hommes et les femmes semblent vouloir s'inventer la vocation du mariage comme un passage obligé dans leur vie, alors que manifestement, vu le nombre grandissant de divorces, ce serait plutôt un échec.
Ce thème fait partie des préoccupations humaines et a toujours été un sujet de réflexion pour les hommes et les femmes et de création pour les artistes. Il est certes intéressant et cette histoire l'illustre à sa manière assez particulière, même si chacun de nous a forcément une idée précise sur la question.
Ce roman a obtenu le prix Akutagawa qui est le plus prestigieux du Japon. Là je me dis que compte tenu de la distinction, je n'ai effectivement rien compris et que je suis passé à côté d'un chef-d’œuvre nonobstant la fin poétique et sûrement métaphysique de cet ouvrage.
©H.L.
Quand Dieu boxait en amateur
- Par hervegautier
- Le 21/03/2019
- Dans Guy Boley
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La Feuille Volante n° 1309
Quand Dieu boxait en amateur – Guy Boley – Bernard Grasset.
C'est souvent le cas pour un écrivain, le décès d'un proche est, par l'émotion qu'il suscite, par la naissance du besoin qu'il y a de mettre des mots sur le parcours de celui que la vie vient d'abandonner, par la nécessité d'être le complice de la trace que malgré lui il laissera, l'occasion de confier à la feuille blanche une somme de souvenirs diffus et confus au début, mais qui, avec le temps, s'organisent presque d'eux-mêmes. C'est en tout cas une action contre l'oubli qui est le propre de l'espèce humaine. Cet hommage de la mémoire se porte ici, pour l'auteur, sur son père, René Boley. C'est souvent une figure tutélaire, un exemple pour un fils qui, après un parcours cahoteux et surtout protéiforme, devient romancier et choisit de relater tout ce que son existence et parfois celle des autres lui ont apporté de richesses intérieures et d'échecs. C'est, dans l'Est rural de la France, la jeunesse de cet homme qui est d'abord évoquée, une vie d'orphelin, avec une mère pauvre et revêche, qu'un précoce veuvage a rendu acariâtre et méchante, pour qui le travail seul compte et qui se méfie des livres. C'est un garçon qui n'a pas pu faire d'études, mais qui est pourtant amoureux des mots et des livres et qui est vite confronté au travail manuel et à la boxe, pour l'endurcir et le préparer aux futurs épreuves de l'existence.
Comme cela arrive souvent, René rencontre Pierrot, aussi timide, malingre et intellectuel qu'il est fort et bricoleur, une authentique amitié que les livres souderont. Pour Pierre ce sera la Bible en passant par toutes les mythologies, alors que René aura une fasciation pour les mots inusités et rares du Dictionnaire Larousse ! L'un deviendra forgeron et l'autre prêtre ! L'âge adulte les réunira mais pas la religion qui sera toute la vie de Pierrot que son ami, même s'il continue à le tutoyer, ne pourra plus nommer désormais que « Père Abbé », à cause de la fonction, de la soutane ou de je ne sais quelle raison ! René pratiquera la boxe au point de devenir champion de France dans la catégorie amateur mais ne goûtera du catholicisme ni les rites ni les pompes, découvrira l 'opérette mais surtout le théâtre, ce qui couronnera cette histoire d'amitié et donnera tout son sens à ce titre de roman quelque peu abscons. Le temps passe et les temps changent et même si René n'entend rien au christianisme, c'est pourtant Pierrot qui va lui offrir un rôle de vedette, une sorte de carrière de comédien local, certes amateur, quand, jusque là, on ne lui avait offert que des rôles obscurs ou de figuration. Mais le personnage qu'il doit incarner ne souffre pas la médiocrité et sa force physique, sa beauté, sa notoriété de boxeur ne sauraient tenir lieu de talent. Être bon sur un ring ou dans une forge n'implique pas de l'être sur les planches ! A force de travail, de répétitions, il finira par habiter le personnage, par littéralement l'incarner.
Jusqu'à ce moment du roman, fortement inspiré par la biographie de cet homme, j'avais trouvé les choses intéressantes, non seulement par son parcours mais aussi par la façon qu'à l'auteur de le raconter. Il y a les épreuves, les résiliences, les déchéances, les abandons, les démissions, rien que de très normal après tout puisque, contrairement à ce qu'on nous dit, cette vie n'est pas si belle, Il faut que chacun se réalise, tente sa chance, fasse son parcours, comme on dit et les enfants qu'on a ne sont pas destinés à nous appartenir. J'ai eu le sentiment que l'auteur a écrit ce roman non comme un acte de mémoire comme il semble vouloir le dire au début, mais comme un véritable acte de contrition laïc et surtout éminemment personnel, s'excusant face au vide du néant où vont tous les morts, de tout ce qu'il n'avait pas su faire ou su dire du vivant de ce père, de tout ce qu'il a pu faire contre lui. On ressemble toujours à quelqu'un, à un géniteur proche ou à un lointain ancêtre, la roulette de la génétique a des initiatives parfois étonnantes ! J'ai fini par me dire que l'auteur, en choisissant de rendre hommage à son père, voulait finalement parler de lui, de sa lente descente vers l'alcool, expliquant que la déchéance de René, pas forcément due uniquement à l'âge, était un peu la sienne, comme s'il se livrait ici à une confession intime à l'absolution hasardeuse. L'écriture a-t-elle ce pouvoir ? Je n'en suis pas bien sûr et même si Guy Bolet puise dans cette histoire finalement authentiquement émouvante la matière d'un roman, s'il souhaite exorciser avec les mots si fascinants pour René des erreurs, des douleurs et des malheurs, c'est aussi un peu pour lui qu'il le fait
C'est écrit dans un style spontané, presque populaire, avec cependant des moments émouvants et même poétiques, surtout dans ses évocations et descriptions, avec un sens de la formule où se mêlent, l'air de rien, l'humour, le dérisoire, la sensibilité, l'irrévérence et la tendresse, une façon d'écrire qui à la fois fascine par son côté simple et impertinent, mais qu'on a tendance à rejeter parce que, instinctivement, et sans peut être se l'avouer ni savoir pourquoi, on attend autre chose d'un écrivain.
C'est le hasard d'une bibliothèque qui m'a fait connaître cet auteur. Alors, pour les mots, pour les images, pour le ton et la démarche d'écriture, oui, j'ai bien aimé ce livre.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
Fils du feu
- Par hervegautier
- Le 21/03/2019
- Dans Guy Boley
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La Feuille Volante n° 1336 – Mars2019
Fils du feu – Guy Bolet – Grasset.
J'ai fait connaissance avec cet auteur un peu par hasard, à l'occasion de la lecture de son roman « Quand Dieu boxait en amateur » (La Feuille Volante n° 1309). J'avais trouvé cela fort bien et j'avais eu envie de faire un bout de chemin avec lui.
Ici aussi, il refait le chemin de la mémoire. Il parle de son enfance du côté de Besançon, dans les années 1950 auprès de ses parents, un père forgeron (d'où le titre), une mère lavandière mais aussi de Jacky, l'ouvrier de la forge, de sa grand-mère, grande tueuse de grenouilles devant l’Éternel, des voisins, M. Lucien époux de Fernande, et Marguerite-des-oiseaux surnommée mystérieusement ainsi malgré son « cul de jument comtoise ». Il a grandi au milieu de l'odeur de la lessive, des senteurs d'eau de toilette de Lucien, des flammes de l'atelier et de la fumée blanche des locomotives parce leur maison jouxtait le dépôt. Une vie entre l'univers des hommes et le monde des femmes. Il nous confie ses craintes des cours de récréation face aux plus grands, son habitude de se réfugier dans les latrines malodorantes, mais c'est aussi dans ce lieu insane qu'il prend conscience des choses de ce monde, de la réalité du ventre des femmes sur lequel, enfant, il fantasme un peu, y voit l'origine du monde (on songe ici au tableau de Courbet, mais avec plus de pudeur, de retenue à cause de son âge). Nous sortons tous du ventre d'une femme, lui comme son petit frère qui, quelques années après sa naissance, a été happé par la mort, ce qui a non seulement bouleversé cette famille mais a donné à chacun une idée précise de ce que sont l'absence, le vide, l'injustice, l'abandon, tout ce qui rend les vivants fous et les morts trop présents. Personne, et surtout pas les prêtres au discours surréaliste fait de concepts aussi fumeux que le ciel, la vie éternelle, la résurrection des morts, ne pourra jamais apaiser le chagrin né de la mort d'un enfant. Ils ne seront jamais convaincants sur ce point ; on ne met pas un enfant au monde pour aller à son enterrement, face à cela, l'amour supposé de Dieu pour les hommes passe pour une cruelle billevesée et l'enfer prend soudain une réalité bien terrestre. Cette mort rappelle celle du fils de Marguerite. Elle est tellement dans le déni qu'elle l'attend toujours pour déjeuner, une assiette à la main, bien des années après sa disparition. Mais voilà, le temps continue sa course, indifférent à la douleur des hommes, censé seulement l'aplanir, l'apaiser, mais cela n'est qu'une fiction ridicule qu'on habille de mots lénifiants et d'apparences trompeuses. Il n'y a que la mort de ceux qui les ressentent pour éteindre cette douleur et ce deuil qui dès lors fait partie de leur vie, jusqu'à la fin.
Le progrès s'installe, qu'on a baptisé plus tard du nom des « Trente glorieuses », la forge s'est éteinte, le père est devenu représentant de commerce, la mère et la grand-mère se sont fondues dans une sorte de religiosité ridicule, faite de prières, de visites au cimetière avec fleurs et bondieuseries, et lui, le narrateur, a fini par enfiler une armure et revêtir un masque, c'est à dire adopter le mensonge et l'hypocrisie qui est une manière de supporter la vie, de l'exorciser.
Une telle mort détruit une famille plus sûrement qu'elle ne la soude à cause de la culpabilité judéo-chrétienne qui vous pourrit la vie autant que cette volonté bien humaine de tout détruire autour de soi, peut-être pour conjurer quelque faute antérieure. Il s'ensuit une fuite en avant ou un repli sur soi-même pour tenter d'oublier, une valse-hésitation fait d'engagements et de renoncements sans aucune raison, mais tout cela est vain. Sa mère s'enfonce dans le déni en mimant artificiellement la vie évanouie à jamais mais entretenue par elle, ce qui, vu de l'extérieur, prend toutes les apparences de la folie. La psychiatrie, autre réponse proposée face à cette détresse, sera tout aussi inefficace. Elle se met à vivre de l'autre côté du miroir, dans un mode virtuel, tricoté pour elle et par elle et qui finalement lui convient. Cette bizarre propension à recréer un espace parallèle où s'entrechoque réalité et imaginaire, s'étend à ce fils bien vivant, le narrateur, mais qui par les hasards de la vie n'aura jamais de descendance. Il peint parce que sa sensibilité se manifeste ainsi faute sans doute de pouvoir s'extérioriser autrement, et, malgré lui ces thèmes de la mort, de la folie et de l'enfance reviennent sous son pinceau comme une obsession qui jamais ne pourra se révéler pleinement mais l’obsédera jusqu'à sa mort. Il en va de même de l'écriture qui, parce qu'elle résulte d'une alchimie intérieure, est souvent une tentative avortée, un exorcisme manqué, éternellement recommencé mais qui parfois, et peut-être bizarrement, atteint son but...
Je n'ai pas été déçu par ce deuxième roman lu avec passion et émotion. J'ai bien aimé cette plongée proustienne dans le temps et la façon qu'a cet auteur de nous la faire partager. J'ai apprécié la prolixité de ce discours souvent révolté, parfois poétique mais toujours authentique. Je crois que je serai attentif à son parcours.
©H.L.
Ces rêves qu'on piétine
- Par hervegautier
- Le 19/03/2019
- Dans Sébastien Spitzer
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La Feuille Volante n° 1335 – Mai 2019
Ces rêves qu'on piétine – Sébastien Spitzer- Éditions de l'Observatoire.
Tout d'abord je remercie Babelio et les éditions de l'Observatoire de m'avoir fait découvrir ce roman.
Ce livre s'ouvre sur un concert, le dernier qui sera donné à Berlin et les notes de l'orchestre le disputent au bruit des orgues de Staline tirées aux portes de la capitale du Reich. C'est la fin des rêves de la grande Allemagne. Magda est la reine de cette ultime moment parce qu'elle est non seulement une fort belle femme mais elle est aussi l'épouse de Joseph Goebbels, le ministre de la propagande. C'est dans ce genre de circonstances, quand tout s'effondre autour de soi et qu'on sent la fin, qu'on refait le chemin parcouru jusque là. Dans le bunker berlinois d'Hitler, qui sera bientôt son tombeau et celui de ses enfants, elle se revoit jeune fille pauvre mais heureuse, puis mariée à un homme riche et influent dont elle divorcera. Elle sera fascinée par le nazisme et par ce petit homme boiteux qui parle si bien et qu'elle finira par épouser. Il est pourtant bien dépourvu des caractéristiques aryennes exigées par le nouveau pouvoir, mais cela lui importe peu après tout, ce qui compte pour elle c'est de faire partie des puissants du régime, de satisfaire ses ambitions. Magda est le type de femme qui n'aime qu'elle-même et qui sait jouer de sa séduction, qui accepte les nombreux adultères de son mari pour arriver à ses fins. Ses rêves à elle ont été satisfaits puisqu'elle est « la première dame du Reich » et un modèle pour tous. Elle a seulement un attachement pour Harold, un fils qu'elle a eu d'un premier mariage à qui elle écrit une dernière lettre pleine d'espoirs dans le nazisme mais n'hésitera pas à assassiner ses six enfants dans une sorte de rituel avant de se donner la mort avec son mari. Elle a réussi à cacher ses origines juives comme l'ont fait beaucoup de dignitaires du III° Reich.
L'auteur s'approprie l'Histoire, y mêle de la fiction, imagine que le père de Magda, Richard Friedländer, prisonnier à Buchenwald où il sera exécuté, lui écrit des lettres pour lui demander de l'aide. On a du mal à imaginer que ces lettres ont pu lui parvenir et même quitter le camp et, de fait, c'est une invention de Spitzer. Le vrai Friedländer, qui n'était d'ailleurs que son père adoptif, s'était effectivement occupé d'elle, enfant, et avait eu, à son égard, toutes les attentions d'un père. Il est mort sans laisser de traces, comme la plupart d'entre nous. Compte tenu de la personnalité de Magda, on peut parfaitement imaginer que, si ces lettres eussent existé et eussent été portées à sa connaissance, elle les eût ignorées parce que simplement cela eût détruit un fragile édifice qu'elle avait mis tant de temps et de compromissions à édifier. Cela aussi eût piétiné ses rêves.
Il avait des rêves lui aussi, ce pauvre M. Friedländer, des rêves de libération et de vie normale, mais ils ont été foulés par les bottes des SS, comme toutes les victimes de la Shoah persécutés et tués pour la seule raison qu'ils étaient juifs.
Il n'est pas besoin de faire appel à la fiction pour illustrer cette caractéristique de l'espèce humaine, capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire. C'est l’égoïsme qui s'exerce jusques et y compris contre les membres de sa propre famille quand ils sont une gêne pour ses propres intérêts immédiats et contre lesquels on n'hésite pas à pratiquer l'oubli, le mensonge, la trahison voire l'élimination. C'est peut-être difficile à admettre, cela va à l'encontre de toutes les affirmations lénifiantes qu'on a pu nous asséner depuis des lustres, mais c'est une réalité que ne rachètent pas tous les abbé Pierre et tous les Coluche du monde. Nous ne pouvons l'ignorer parce que simplement, nous faisons, nous tous, partie de cette espèce humaine.
En parallèle, on assiste aux derniers moments des prisonniers des camps assassinés par les SS puis à la fuite désespérée de ceux qui, un temps, échappent à la mort puis succombent, pour se focaliser sur Fela, cette femme violée dans le camp, favorite du commandant qu'elle présente comme le père d'Ava, sa fille. Quand tant d'autres bébés étaient assassinés dès leur naissance, cette pauvre petite enfant née dans le camp, sans père et sans nom, croisera par les hasards de la vie Lee Meyer, une belle correspondante de guerre pour « Vogue » et qui révélera cette histoire, « avatar » d'une authentique mannequin, Lee Miller, amie intime de Man Ray et de Picasso et photographe de guerre dont les clichés porteront témoignage des atrocités de Dachau.
L'auteur rappelle également que de grandes entreprises allemandes, actuellement prospères et cotées en bourse et qui produisent encore aujourd'hui des articles de luxe qui sont l'emblème de la réussite sociale de ceux qui les possèdent, ont fait leur fortune sous le III° Reich.
J'ai bien aimé ce livre, même s'il est glaçant, pour le message qu'il délivre, mais aussi parce qu'il est bien écrit, bien documenté.
©H.L.
L'envol du moineau
- Par hervegautier
- Le 16/03/2019
- Dans Amy Belding Brown
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La Feuille Volante n° 1334 – Mai 2019
L'envol du moineau – Amy Belding Brown – Cherche midi éditeur.
Traduit de l'anglais par Cindy Colin Kapen.
Tout d'abord je remercie Babelio et les éditions du Cherche midi de m'avoir fait parvenir ce roman.
Ce livre est la véritable histoire, certes romancée, de Mary Rowlandson, cette anglaise, mère de trois enfants élevés selon les préceptes de la Bible, épouse pieuse et loyale qui a vécu sur la côte est de ce qui n'était pas encore les États-Unis, en 1672. Cette contrée est en guerre contre les indiens qui défendent leur territoire, c'est donc dans une atmosphère de conflit sanglant que ce déroule cette fiction. Avec l'hiver, les indiens massacrent cette communauté et Mary est capturée, a la vie sauve, mais est néanmoins transformée en esclave, tout comme le sont les noirs qui servent sa communauté, ce qui pour elle inverse brutalement les rôles. Elle ne peut y voir que la volonté de Dieu en qui elle met son espoir de libération, avec la prière et la soumission à sa volonté. Pourtant elle est secourue par une famille indienne dont elle est la servante et qui se révèle alternativement bienveillante et brutale avec elle, et elle doit supporter l'humeur changeante de sa maîtresse. Elle marche avec ses ravisseurs à travers une nature hostile et glacée, travaille comme une bête de somme ou reste parfois oisive, mais jamais sans surveillance, comme une prisonnière qu'elle est. Souvent elle craint la mort, redoute le viol mais Mary, même esclave, sera respectée dans son intégrité physique et maintenue en vie alors que d'autres anglais sont massacrés. Pourtant elle adopte facilement le mode de vie de ces « sauvages » même si, au regard de sa foi, c'est un péché. L'instinct de survie de cette femme est exceptionnel, tout comme sa volonté de recouvrer sa liberté originelle, de retrouver ses enfants et son mari, avec il est vrai , une bonne dose de chance. Elle doit en effet sa survivance au fait qu'elle est l'épouse du pasteur, qu'elle a les cheveux roux, ce qui plaît bien aux Indiens, qu'elle est probablement belle et surtout qu'elle sait coudre des vêtements et tricoter des bas. Son attachement à la vie est humain comme l'est aussi le chagrin dû à la perte de sa fille, le sentiment d'abandon et d'injustice qu'elle ressent mais elle garde foi en Dieu. Elle fait preuve d'un grand sens de l'adaptation, apprend même leur langue, correspond avec eux, certains d'entre eux parlant anglais, est attentive à leurs rituels, à leur culture au point de devenir une vraie indienne, même si elle ne sera jamais vraiment acceptée au sein de cette tribu. Elle prend conscience que sa vie parmi les Indiens est plus libre et égalitaire que celle qu'elle menait dans sa communauté anglaise d'origine et, bien qu'attachée aux indiens, la réintégrera, mais à contrecœur.
A la lumière d'une transaction un peu sordide mais finalement maîtrisée par Mary, elle s'aperçoit qu'elle n'aime pas son mari mais qu'elle lui est soumise par principe comme sa condition de femme l'exige et pour cela elle accepte de renoncer à l'amour qu'elle éprouve pour un indien. Auparavant, elle avait vécu, comme les autres femmes de la communauté sous la dépendance des hommes sans avoir voix au chapitre et les préceptes de la religion gouvernaient cette société où elle n'avait qu'un rôle mineur essentiellement consacré à la famille et au foyer. Elle s’aperçoit en effet que le christianisme est une entrave et que ses dogmes, ses rituels, ses interdits, ses mensonges élevés au rang de révélations divines génèrent une rigidité puritaine et une morale étouffante. Elle a toujours vécu sous l'autorité de son mari comme le commande le protestantisme qui est omniprésent dans la vie quotidienne de cette communauté venue d'Angleterre. L’intolérance, l'esprit culpabilité par rapport au sempiternel péché des hommes sont tels que tous les événements néfastes qui interviennent sont considérés comme des châtiments divins que la prière et le soumission à Dieu sont seules capables d'exorciser. Mary se rend compte petit à petit que le puritanisme dans lequel elle vit et qui lui est imposé est incompatible avec la vraie vie, même si elle ne peut renier ni sa foi ni sa religion.
Tout ce roman baigne dans une sorte de mysticisme où toutes les choses de la vie de cette communauté anglaise est inspirée par la volonté de Dieu et par sa parole. Pourtant quand Mary souhaite arriver à ses fins, elle n'hésite pas à s'approprier cette croyance. Hypocrisie ou conviction ? Elle ne fait en cela qu'adopter l'attitude des autorités de la communautés qui enveloppent leurs décisions dans la volonté divine. Son mari, Joseph, fait de même quant il prétend s'occuper des affaires du Seigneur et pour cela déserte sa famille toutes les nuits ! Face à cela l'auteure ne magnifie pas pour autant la société indienne et on est loin du mythe du « bon sauvage » cher aux philosophes des Lumières mais on ne peut pas ne pas ressentir un sentiment d'injustice faite non seulement aux Indiens par les Anglais mais aussi aux femmes par cette société par trop austère. Elle s'aperçoit très vite également que sa captivité chez les indiens fait d'elle un personnage controversé, mais surtout qui suscite la jalousie de son mari qui voit ainsi son autorité diminuer, l'envie de savoir et surtout les ragots et les médisances des autres membres de sa communauté.
L'allégorie commence avec un moineau que les enfants de Mary ont maintenu longtemps en cage et qu'ils libèrent face à la violence indienne. C'est à travers le chant et l'image de cet oiseau qu'elle se remémore sa vie passée et apprécie la fuite du temps. Elle est associée par l'auteur à l'image de la liberté que Mary n'a jamais connue ailleurs que chez les indiens. Quand ils sont vaincus et qu'elle a obtenu en secret la grâce de celui qu'elle aime au prix d'un travail d'écriture dont s'est inspirée Amy Belding Brown pour son roman, il lui est signifié qu'elle doit reprendre son rôle traditionnel d'épouse dévouée et même si sa vie se transforme par un second mariage à la suite de la mort brutale de Joseph.
Au-delà de l'histoire passionnante et fort bien écrite, j'ai choisi de lire une sorte de roman philosophique où la vie sauvage est évoquée à travers la violence mais aussi à travers la nature, j'y ai lu une critique de l'espèce humaine capable du meilleur mais surtout du pire, une diatribe contre cette société engluée dans une religion qui complique inutilement les choses de cette vie qui l'est déjà bien assez.
©H.L.
Grâce à Dieu
- Par hervegautier
- Le 10/03/2019
- Dans cinéma français
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La Feuille Volante n° 1332 – Mai 2019
Grâce à Dieu – Scenario de François Ozon. (Grand prix du Jury – Berlinale 2019)
Je ne sais si, comme on le dit, « nous vivons une époque formidable », mais au moins la société, après avoir été longtemps apathique et avoir accepté sans beaucoup broncher tout et n'importe quoi a décidé maintenant de se réveiller et de contester ce qu'auparavant elle prenait pour argent comptant. C'est vrai en matière politique, fiscale, sociologique, culturelle … Et pourquoi pas en matière religieuse ? Un tel mouvement me paraît être une bonne chose et nourrit la démocratie autant que le concept d'humanité.
Je ne veux ni faire le résumé d'un film qui retrace l'histoire des victimes et dont la sortie en salles a défrayé la chronique au point de faire l'objet de deux instances judiciaires préalables, ni remettre en cause la présomption d'innocence du Père Preynat qui a d'ailleurs avoué les fautes qui lui sont reprochées, ni même jeter l’opprobre sur cet ecclésiastique qui a broyé la vie de centaines d'adolescents. Je me suis toujours demandé comment il était possible que des hommes à qui les meilleurs parents du monde confiaient leurs enfants au seul motif qu'ils étaient religieux et donc dépositaires de valeurs morales et chrétiennes et, en outre, représentants proclamés d'une divinité à laquelle notre culture judéo-chrétienne nous a amenés à croire quasi automatiquement à travers des rituels devenus traditionnels (messe du dimanche, baptême, communion, enterrement...), comment ces hommes dont le discours apaisant était traditionnellement recherché dans l'adversité, à qui chacun faisait une pleine confiance, sans doute à cause de ce qu'ils représentaient, ont pu ainsi en abuser pour perpétrer ces sévices sur des enfants naïfs et incapables de se défendre en réclamant de plus leur silence? Il ne fait pas de doute que l'hypocrisie qui est une des tristes caractéristiques de notre société s'est à nouveau manifestée à l'occasion de cette affaire. Dans le film, les adultes ont bien entendu été avertis des agissements du prêtre mais bien peu ont réagi. Beaucoup ont préféré ne rien voir, sans doute parce que, venant d'un homme de Dieu ce qui leur était révélé ne pouvait qu'être inconcevable. Ou ils ont préféré ne pas faire de vagues par crainte du scandale ou peut-être par peur de l'enfer, ce concept si longtemps agité comme un épouvantail par l’Église elle-même, à supposer qu'il existe ailleurs que sur terre. Que dire de la hiérarchie catholique qui non seulement a préféré ignorer les interrogations de ceux qui ont eu le courage de les formuler, mais n'a pris aucune sanction contre les fautifs, couvrant non seulement leurs agissements mais les déplaçant dans le seul but d'éviter un scandale tout en les laissant œuvrer au contact d'enfants? J'observe que lorsque l’Église consent, souvent au terme d'un longue réflexion, nourrie par la polémique ou le scandale, à reconnaître ses erreurs, elle ne fait que demander pardon, comme si cela suffisait à entraîner l'oubli des victimes. Il y aurait beaucoup à dire à ce propos sur ce qui a principalement un caractère religieux, mais il suppose, de part et d'autre, à travers la confession et la contrition, une démarche sincère, difficile dans ce contexte. Il est en outre bien facile de se retrancher derrière la prescription comme on le voit dans le film, le cardinal ayant ce mot malheureux qui pourtant est révélateur, ou même derrière la prière, pour tenter une nouvelle diversion et les circonstances de cette affaire qui n'emprunte rien à la fiction, sont bien de nature à s'interroger sur la foi chrétienne comme il est suggéré à la fin.
Je ne galéjerai pas non plus sur la parole du Christ rapportée notamment par saint Matthieu (Mat XIX – 13-15) où il est question des enfants, ce serait bien trop facile, mais de l’Évangile que l’Église catholique a oublié pendant des centaines d'années, quand elle ne l'a pas noyé sous des flots de sang en s'alliant au pouvoir politique, que reste-t-il ? Pourquoi s'étonne-t-on que les églises soient vides comme elles ne l'ont jamais été et, quand elles se remplissent, c'est pour un témoignage public, un mariage, un enterrement – cette dernière cérémonie étant de plus en plus confiée à des laïcs – qui a davantage une signification sociale, amicale, voire politique que religieuse. Cette institution a-t-elle à ce point manqué son but et trahi ceux qui lui faisaient confiance ?
Certes, tous les prêtres ne sont pas pédophiles et nous en avons tous connus qui ont été ou sont encore un exemple d'abnégation et de moralité, respectueux de leurs vœux et de leur engagement sacerdotal. Un tel phénomène n'est pas du seul fait des organisations confessionnelles catholiques et affecte aussi d'autres corporations, mais ces dénonciations au sein de l’Église, notamment dans le clergé américain, ont entraîné des démissions et des mesures drastiques en vue d'assainir ce problème. Même si l’Église catholique a été longtemps un pilier de notre société et ses prêtres des références respectées, la révélation de ce scandale qui enfin éclate ne va sûrement pas arranger l'anticléricalisme viscéral des Français. Que va-t-il rester de tout cela, au moment où notre monde connaît une vraie crise des vocations religieuses, si le pape, comme il en a le courage qu'il faut saluer, s'attelle à ce problème au point d'organiser au Vatican un colloque sur ce sujet et d'exiger que toute la lumière soit faite sur cette question, que les coupables soient sanctionnés par la justice des hommes et que lui-même commence à défroquer des cardinaux convaincus de pédophilie ? Si cette démarche va a son terme et qu'il est réellement fait quelque chose pour assainir cette situation délétère, l’Église ne peut en sortir que grandie mais il est permis d'émettre des doutes compte tenu de l'ampleur que cela risque de prendre et je crains que l'effectif du clergé en soit durablement affecté et qu'il ne reste plus grand monde pour exercer ce ministère ! Quant au pape, pourra-t-il ou voudra-t-il mener à bien la mission qu'il s'est fixée face à la toute puissante curie romaine?
La parole se libère actuellement et sans haine, notamment dans l’Église et on voit à la télévision des reportages concernant des religieuses violées par des prêtres et on dénonce même la pratique d'avortements connue du Vatican, ce qui est un comble au regard du message religieux et des commandements de Dieu dont l’Église est garante. Ces révélations sont sidérantes.
H.L.
Nique ta mère la mort
- Par hervegautier
- Le 09/03/2019
- Dans Marion Lecoq
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La Feuille Volante n° 1333 – Mai 2019
Nique ta mère la mort – Marion Lecoq – Ateliers Henry Dougier éditeur.
Tout d'abord je remercie Babelio et les éditions « Ateliers Henry Dougier » de m'avoir fait parvenir ce roman.
Le narrateur est militaire, il part souvent, pour plusieurs mois, pour des « opérations extérieures » et la mort, bien entendu, il connaît puisqu'il la côtoie et même la tutoie. Cela fait quinze ans qu'il est dans l'armée et il aime ça. Quand il n'est pas en campagne, il aime marcher dans la montagne. C'est un solitaire, un peu sauvage, mal aimé par la vie, féru de mécanique mais obnubilé par le bruit des hélicoptères qui lui rappellent la guerre et ses destructions. Ce bruit l'obsède. Il est célibataire, récemment sorti d'une liaison tumultueuse, mais pourtant dans son quotidien, il y a deux femmes, une vieille, handicapée et malade, Annette, qui est sa voisine et une plus jeune, Nadège, qu'il rencontre un peu par hasard et qui ne lui est pas indifférente au point que partir à nouveau n'a plus le même attrait qu'avant. Ces deux femmes ont elles aussi leur croix à porter, Annette, c'est la maladie et Nadège c'est la solitude. Elles ont été cabossées par la vie comme l'a été son copain FX qui veut tellement disparaître que son prénom se limite à ces deux lettres. Le narrateur lui-même n'a même pas de prénom et je l'imagine animé de la même volonté de transparence. Je le sens tellement détruit intérieurement qu'il n'a aucune volonté d'avancement. Le décor autour d'eux est fait de casernes, de HLM, de friches industrielles peuplées d'ombres de migrants, pas vraiment de quoi s'extasier !
Comme tout le monde, il a des souvenirs d'enfance, un frère aîné, mort avant lui, dont le sourire, toujours présent à sa mémoire, le hante. Il voudrait en parler mais, auprès de sa mère, ce sujet est tabou, surtout qu'il a choisit de risquer sa propre vie avec le métier des armes, une manière de se révolter peut-être ? Quand il croise Nadège, elle et lui donnent cette impression de vouloir être heureux ensemble, de vouloir faire échec à cette sorte de malédiction qui les poursuit l'un et l'autre depuis longtemps. Une histoire d'amour est forcément unique, mais ne dure jamais bien longtemps. Un jour ou l'autre, l'un des deux y introduira le mensonge, l'adultère, la violence qui la feront éclater et si elle perdure ce ne sera que sous des apparences hypocrites comme c'est sans doute le cas de son copain Léo. Face à l'avenir, notre imagination est sans borne, elle s'habille d'illusions que nous prenons pour des promesses et auxquelles nous croyons très fort. Bien entendu la désillusion est au rendez-vous et avec elle la déprime quand ce n'est pas pire encore. On peut croire à l'histoire d'amour naissante entre le narrateur et Nadège, on peut quand même penser qu'elle connaître le sort de celles des autres !
La couverture a un petit côté original: cet homme qui se balance sous un l'hélicoptère en vol, a quelque chose d'insolite. Le titre m'évoque un groupe de rap français, un genre de musique que je ne goûte guère. C'est peut-être aussi un cri de révolte, mais après tout la contestation est plutôt saine. On peut y voir une forme de rébellion tranquille, une façon de rire de tout qui est une façon de supporter cette vie ! Je me suis dit que ce roman allait peut-être apporter quelque chose d'autre puisque l'objectif de cette jeune maison d'édition est de « raconter », de briser les murs et les clichés en donnant la parole à des témoins souvent invisibles. Il y a l'histoire qui nous est donnée à lire et dans laquelle je ne suis pas vraiment entré malgré toute mon attention. Y est accolé le terme « Mort » ! Alors, se révolter contre la mort, pourquoi pas, mais cela me paraît être perdu d'avance. Nous sommes tous mortels, nous sommes nés et donc nous mourrons et depuis que le monde existe, les artistes, les philosophes ont réfléchi à cette fatalité. C'est un thème éternel qui fait sens, mais aussi une issue redoutée pour les uns et une délivrance pour les autres, puisque cette vie n'est pas toujours aussi belle qu'on veut bien nous le dire. Nous sommes tous les usufruitiers de notre propre vie qui peut nous être enlevée sans préavis et ce même si, dans nos sociétés occidentales, nous avons choisi de vivre sans penser à cette échéance pourtant inéluctable.
La présentation en courts chapitres facilite la progression dans l'histoire mais l'écriture, directe et sans recherche, qui s'apparente davantage à la conversation ne m'a pas vraiment accroché.
Je n'ai peut-être rien compris au message, je suis peut-être passé à côté d'un chef-d’œuvre mais j'ai eu un peu de mal avec ce roman.
H.L.
Une vie de Gala
- Par hervegautier
- Le 07/03/2019
- Dans Dominique BONA
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La Feuille Volante n° 1331 – Mars 2019 .
Une vie de Gala – Dominique Bona – Flammarion. (2018)
Elle était originaire de Kazan où, dit-on, les femmes se caractérisent par leur grande beauté, pourtant elle n'était ni jolie ni belle ni attirante, mais elle devait bien avoir un côté fascinant et peut-être même ensorceleur pour avoir séduit et surtout inspiré deux artistes majeurs de sa générations, le poète Eluard et le peintre Dali. Elle venait de Russie, portait un nom imprononçable mais elle a surtout été connue sous son surnom éternel de Gala, ce qui ajoute à son mystère, puisque, si elle a été leur muse, elle ne s'est jamais vraiment laissée aller aux confidences sur elle-même. Elle était cultivée mais pas créatrice et l'art était cependant son domaine ce qui ajoute à son côté énigmatique. Elle n'a ni écrit ni peint mais a été le témoin des excentricités de dadaïsme et des délires créateurs du surréalisme. C'est cependant en ce jeune homme de 22 ans, Eugène Grindel, inconnu, rencontré dans un sanatorium, qu'elle croit et qu'elle épouse et c'est le même, dix ans plus tard, qu'elle abandonne alors qu'il est devenu Eluard un poète reconnu et ce pour vivre, même mariée, avec un peintre espagnol à ses débuts, de dix ans plus jeune qu'elle et prétendument homosexuel. Bizarrement Eluard qui est très amoureux d'elle ferme les yeux sur ses amours de contrebande et même les favorise, la laissant voyager seule et vivre sous leur toit avec un autre poète, Max Ernst qui devient vite son amant.
Celle qui a pratiquement abandonné Cécile, la fille qu'elle a eue avec Paul Eluard, sera une mère pour lui. Sur ces deux artistes vulnérables et fragiles elle a exercé l'autorité maternelle d'une femme solide, en même temps qu'elle a été leur énergie, leur raison de vivre et de créer. Elle a été passionnée par les hommes qu'elle a aimés mais, indomptable, a été détestée des autres. Eluard l'a chantée en femme, elle fut une maîtresse pour Max Ernst qui la transfigure en créature surnaturelle mais elle fut pour Dali une véritable béquille et il la peignit sous tout les angles, nue, habillée et surtout sublimée, parfois même sanctifiée. Elle a réveillé ses fantasmes les plus secrets. Il est un être marginal, incontrôlable mais à la pauvreté du début succède très vite la richesse avec la notoriété. Follement amoureuse au commencement de leur relation Gala s'est vite révélée en femme d'affaires avisée, sachant gérer l'immense fortune de son mari mais aussi en profiter. Le surnom « d'Avida dollar » dont on a affublé Dali, c'est en fait elle qui le mérite. Comme dans tous les couples il y a eu des orages, des séparations, la maladie et ce couple mythique s'est lentement délité pour une fin triste.
Dominique Bona renoue avec sa passion de la biographie. Elle récidive même puisque elle était déjà l'auteure d'un livre sur le même thème publié en 1995 (La Feuille Volante n° 646). A croire que le personnage de Gala la fascine. Je ne connais évidemment pas cette académicienne que j'ai cependant lue avec beaucoup de plaisir depuis des années, mais cette discipline est bien entendu difficile puisque que celui qui écrit est tenu par l'histoire de celui qui est son sujet, cependant notre auteure a choisi ici, comme ailleurs, d'aborder ce travail à travers les désordres amoureux qui ont émaillé la vie dont il s'agit. L'amour et ses bouleversements sont en effet des révélateurs plus grands que tout ce qu'on peut réaliser pendant son passage sur terre. Je suis persuadé qu'en parlant des passions amoureuses des autres on s'apaise et se comprend mieux soi-même, on sort du carcan de la statue du commandeur pour pénétrer la sensibilité de l'être humain que celui dont on parle était avant tout. Il y a certes la vérité historique des faits rapportés qu'elle respecte scrupuleusement en s’interdisant tout débordement dans la fiction, mais il convient surtout de ne pas juger, et au contraire de tenter de comprendre le caractère intime de la personne évoquée. C'est ce que fait très bien Dominique Bona qui sait, comme à chaque fois, communiquer à son lecteur tout l' enthousiasme qui est la sien pour son personnage à travers une riche documentation de lettres et de photographies.
Nous ne faisons qu'un bref passage sur terre qui restera, pour la plus grande majorité d'entre nous sans la moindre trace (on se souvient plus facilement de la vie des criminels que du parcours mener anonymement par le commun des mortels). Je suis toujours fasciné par le destin de certains d'entre eux qui, parfois malgré eux, suivent leur route ou tracent honorablement leur sillon au point qu'ils éveillent la curiosité et l'intérêt d'écrivains qui souhaitent leur rendre hommage par leurs écrits .
Minuit dans le jardin du manoir
- Par hervegautier
- Le 03/03/2019
- Dans Jean-Christophe Portes
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La Feuille Volante n° 1330
Minuit dans le jardin du manoir -Jean-Christophe Portes – Éditions du masque.
C'est vraiment pas de chance pour ce jeune homme pressé d'aller se coucher et qui avait traversé le parc du manoir normand de Caudebec comme on prend un raccourci. Il s'était trouvé nez à nez avec une tête coupée, fichée sur un pieu, les orbites et la bouche pleine de pièces d'or qui se révéleront plus tard être des florins du XV° siècle. Dans cette vieille bâtisse vivent Denis Florin, jeune et célibataire mais un peu renfermé sur lui-même, notaire de son état, bien plus passionné par la bataille de Marignan qu'il reconstitue en soldats de plomb que par son métier, et Colette, sa grand-mère, 85 ans, baronne, un peu folle et friande d'énigmes, donc imprévisible. Bien entendu, la séquence de la tête coupée vient troubler la quiétude des lieux et on se perd en conjectures entre crime rituel, secte satanique, terrorisme, d'autant que Colette a subitement disparu sans laisser de trace et que deux cadavres sont été retrouvés exécutés à l'arme blanche à proximité du manoir. Les réseaux sociaux ne tardent pas à être au courant, attirant une faune de curieux et de journalistes comme la jolie mais marginale Nadget Bakhtaoui et, bien entendu le séduisant lieutenant Trividec du SRPJ de Rouen assisté de Bénédicte. Cette enquête qui aurait pu rester confidentielle devient médiatique avec des compagnies de CRS autour du manoir, une visite ministérielle et des caméras de télévision. Pour la discrétion, c'était plutôt raté ! Tel est le point de départ d'une affaire où on ne tarde pas à apprendre que la grand-mère était immensément riche, que Denis est expert en maniement d'épées anciennes, ce qui le fait passer du statut de modeste notaire de province à celui de « tueur fou », ce qui est bien plus vendeur médiatiquement parlant mais constitue un véritablement bouleversement dans sa vie. Recherché par Trividec, il entame en compagnie de la jolie journaliste une cavale qui les conduit en Espagne, sur les hypothétiques traces de Colette. Il y apprend qu'il est recherché pour le meurtre d'un professeur d'histoire ancienne de l'université de Mexico qui serait l'homme à la tête coupée. On est en plein délire kafkaïen ! Nadget quant à elle ne recule devant rien pour un scoop et propose au policier qui accepte un reportage sur lui qui pourrait bien relancer sa carrière, tentant ainsi d'établir une sorte de complicité malsaine entre eux.
Il y a de nombreux analepses historiques évoquant Cortes au Mexique, la bataille de Marignan, des épisodes de la conquête de l'Amérique par les Espagnols et les exactions qui y ont été perpétrées sans oublier l' intervention d'un mystérieux argentin qui n'est pas argentin, exécution d'un énigmatique Serbe tueur de la mafia...
Le mystère s'épaissit autour de cette disparition de Colette qui pourrait bien être un enlèvement, mais sans demande de rançon toutefois, une course poursuite en Espagne trahie par les téléphones portables et autres cartes bancaires, un hypothétique trésor enfoui dans le manoir de Caudebec, une victime qui serait l'héritier direct d'un roi Aztèque mort au XVI° siècle à la suite des sévices infligés par Cortès, un capitaine corsaire malchanceux, un homme d'affaires violent, déterminé mais aussi un véritable truand, un code secret à tiroirs laissé par un explorateur allemand, un notaire pas si falot que ça, une grand-mère pas si folle et qui cache bien son jeu, une légende autour de sa fortune et des aventures haletantes et un peu abracadabrantesques et compliquées aux rebondissements de dernière minute qui remettent tout en question, des secrets d’État, pas mal de fantasmes et de mystifications, la fièvre de l'or qui s'empare des hommes, des ascendances lointaines et des ancêtres qu'on veut venger et bien entendu pas mal de morts…
L'écriture est fluide, le suspense savamment entretenu jusqu'à la fin, avec, de temps à autres, des traits d'humour. L'auteur n'a pas oublié sa passion pour la recherche historique qu'il s'est appropriée et qu'il a intégrée à son travail de création. C'est aussi comme cela que j'aime les romans policiers.
Jean-Christophe Portes, journaliste et réalisateur, s'est déjà signalé à l'attention des lecteurs et de cette chronique par un remarquable travail de romancier-historien pour sa série « Les enquêtes de Victor Dauterive », qui se déroule sous le Révolution et compte à ce jour quatre épisodes [« L'espion des Tuileries », « La disparue de Saint-Maur », « L'affaire de l'homme à l'escarpin », « L'affaire des corps sans tête »]. Il est également le co-auteur , avec le docteur Colette Brull-Ulman, d'un livre, «Les enfants du dernier salut », évoquant un réseau de sauvetage d'enfants juifs à partir de l'hôpital Rothschild pendant la Seconde guerre mondiale. Cet ouvrage a reçu le prix « Plume libre » en 2019.
Ici il choisit le registre du thriller contemporain, élargissant ainsi son panel d'écriture. J'ai beaucoup apprécié.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
Un certain Paul Darrigrand
- Par hervegautier
- Le 01/03/2019
- Dans Philippe Besson
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La Feuille Volante n° 1328
Un certain Paul Darrigrand – Philippe Besson – Julliard.
Philippe Besson puise dans ses souvenirs biographiques pour nourrir ses romans et cultiver sa différence. Comme c'est souvent le cas, il narre, ici à l'occasion d'une photo retrouvée par hasard, une rencontre qui a marqué sa vie, celle d'un jeune homme, Paul Darrigrand, légèrement plus vieux que lui, rencontré au cours d'une période de formation universitaire à Bordeaux, l'auteur a alors une vingtaine d'années. Sauf que ce Paul est marié, souhaite avoir un enfant avec Isabelle, pense à son avenir et à celui de sa famille alors que l'auteur est plus insouciant, fait prévaloir le présent. C'est donc un peu compliqué et entre eux, c'est une sorte de valse hésitation où la séduction le dispute à l'indifférence, l'envie à la retenue. Au départ, le désir est du côté de Philippe, le narrateur, alors que Paul donne l'impression de vouloir le fuir et quand ils se rencontrent en présence de sa femme on sent Paul gêné. Puis ce sont les regards qui trahissent la tentation, la peur de soi-même, l'attente de l'autre, le plaisir de l'étreinte, la complicité, les instants volés, les paroles étouffées, la honte aussi. Leur relation est faite de silences, de questions non posées, d'interrogations sans réponses immédiates. Elle existe dans le secret, entre le simple adultère et la vraie histoire d'amour ou la banale toquade, avec cette culpabilisation et l'hypocrisie à l'endroit d'Isabelle, amoureuse et honnête mais trompée et bafouée sans avoir mérité ni cette trahison ni cette humiliation. La solitude, le temps qui passe, l'absence de Paul rompent le silence avec, en contre-point cette femme dont on ne sait pas si elle leur tend un piège, si elle est naïve ou si sa complicité amicale avec Philippe est réelle. Il analyse avec des mots la nature de leur relation, entre doutes et passion, clandestinité et volonté de s'afficher, avec une interrogation sur la sexualité de Paul, cette alternance potentielle entre les deux sexes, cette ambivalence et le choix des femmes pour la tranquillité et la normalité. L'auteur multiplie des confidences érotiques avec images, odeurs et sentiments.
Quand il aborde le chapitre de sa maladie, il le fait avec un certain suspense mais qui, au bout du compte devient un peu trop long et même fastidieux. De plus, j'avoue avoir peu goûté l'épilogue, n'y avoir pas vraiment cru tant il est vrai qu'une telle trahison laisse des traces et que la brisure qu'elle provoque est définitive et sans véritable pardon possible malgré la confession de Paul, son désir de sauver son couple.
Notre auteur avoue sa sensibilité d'alors, sa volonté de la refréner, et la conscience qu'il a que tout cela finit par exploser en donnant autant de romans. Il y a donc chez lui une lente maturation de l'écriture, un mûrissement volontairement contenu dans le temps. Il confie aussi que chacun de ses livres est une sorte de dialogue avec des disparus puisque, dans les années 80, le sida faisait des ravages dans la communautés gay. Il dissèque le mécanisme de l'écriture, ses velléités, ses insuffisances, ses impasses. Cette mise au point du processus de la création romanesque m'a paru extrêmement intéressant. C'est aussi un paradoxe de son écriture que de se livrer avec précision à l'expression et à la dissection des sentiments intimes et en même temps confesser son impossibilité de les transcrire totalement avec des mots. Sur ce chapitre, il en profite même pour évoquer et expliciter certains de ses romans antérieurs, donner des précisions sur leur construction, sur son travail d'imagination...
A l'occasion de la sortie de ce livre, je voudrais faire une remarque personnelle. Comme toujours j'ai pris un vif intérêt à ce roman comme à l'ensemble de son œuvre. Nul n'ignore qu'à compter d'août 2018 Philippe Besson a été nommé au poste de consul général de France à Los Angeles et que cette décision fait actuellement l'objet d'un recours devant le Conseil d’État dont notre auteur a décidé d'attendre l'arrêt. Ce n'est pas la première fois que le pouvoir politique nomme ainsi un homme de lettres à un poste de représentation diplomatique. Confier ainsi à quelqu'un qui a honoré son pays en servant sa culture le soin de le représenter à l'étranger est un choix qui se défend parfaitement. D'autre part, donner à sa vie ou à sa carrière professionnelle un nouveau souffle en forme de défi personnel est un choix intéressant quand l'opportunité ainsi se manifeste. Notre auteur l'a, je crois, d'ailleurs déjà fait. Ainsi n'y a -t-il rien à dire sur le principe de cette promotion et de son acceptation. En revanche, je ne peux pas ne pas penser qu'une telle nomination intervient après la publication de son récit « Un personnage de roman »(publié en septembre 2017) consacré à la campagne électorale d'Emmanuel Macron. Que Besson soit fasciné par le personnage ne me gêne pas, qu'il quitte à cette occasion le costume de romancier pour revêtir celui de chroniqueur politique est parfaitement son droit, mais comme je l'avais exprimé dans le commentaire publié à la sortie de ce livre, j'avais craint qu'il puisse y avoir une dimension de flagornerie, annonciatrice peut-être de prébendes. C'est apparemment le cas. Sans entamer mon avis sur les grandes qualités littéraires du romancier, cela me gêne un peu, mais après tout qui suis-je pour m'exprimer sur cette polémique ?
Je ne peux pas ne pas me souvenir cependant que, à ma connaissance, le dernier romancier qui a occupé ce poste prestigieux était Romain Gary.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
Montaigne. encore un essai!
- Par hervegautier
- Le 27/02/2019
- Dans Jean Eimer - Christian Gasset
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La Feuille Volante n° 1329
Montaigne. Encore un essai ! - Jean Eimer - illustrations Christian Gasset – Cairn Éditions.
L'auteur imagine que le fantôme de Montaigne revisite son propre château, y voit passer des touristes pressés et même Joséphine Baker, s'amuse d'une pile de vieux journaux le «Midi olympique » consacrés au rugby (d'où le titre sans doute) et même une biographie qui lui est consacrée et qu'il a bien entendu transportée avec lui dans sa bibliothèque pour la lire, toujours aussi étonné des pensées qu'on lui prête, des épisodes de sa vie qu'on prétend connaître puisqu'il est désormais convenu que tout Montaigne est dans ses « Essais », par ailleurs fort sujets à la glose à cause des nombreux non-dits et des nombreuses éditions. Il est vrai, comme il le rappelle l'air de rien, qu'il est l'écrivain le plus étudié et le plus commenté sur terre ! Il en profite donc pour promener sur le monde et sur le temps un regard malicieux et prendre directement la parole, donnant un avis qu'on imagine autorisé sur sa naissance quelque peu mystérieuse, sur le doute relatif à la paternité de son géniteur, sur son français, bien éloigné de celui de maintenant qui empruntait autant au gascon qu'au latin, sa langue maternelle par décision paternelle, sur son père attentif mais censeur et sur sa mère indifférente et lointaine. Un peu pour contredire les nombreux commentateurs autant que pour fixer les choses, il rappelle les origines paternelles de sa famille enrichie par le négoce puis son anoblissement. Plus observateur précis de son temps que véritablement historien, il est même un peu mauvaise langue, et en relate la chronique pourtant assez troublée et cruelle, sur un ton badin, avec une prédilection pour la critique des gouvernants et même de la justice, dénonçant la vénalité des magistrats, l'iniquité des jugements, la torture comme mode d'aveu, le jargon judiciaire incompréhensible du peuple, la religion... On même dit de lui, mais bien plus tard, qu'il y avait dans ce magistrat catholique, « un perpétuel protestant » ! On comprend dès lors qu'une telle liberté de parole ne favorisa pas son avancement dans un métier qu'il quitta au bout de treize années d'un travail peu passionnant qu'il compensa par les voyages et le libertinage.
Pendant qu'il y est il donne des détails sur son physique, sur son enfance, sa vie scolaire à Bordeaux puis étudiante à Paris où il se révèle dépensier et licencieux, amoureux de la vie et des femmes, évoque sa rencontre avec Étienne de la Boétie, le mystère, encore un, de leurs relations et l'importance que cet homme a eu dans sa vie , dans sa réflexion et dans son écriture puisque les « Essais » ne parurent qu'après la mort de son ami. Les femmes, justement ! Elles ont été un soulagement pour lui à la mort de La Boétie, favorisant son apprentissage du deuil, sous l'égide du sexe ! Elles ont beaucoup compté dans sa vie et pas seulement pour les passades. Paradoxalement il commence par sa mère, quelque peu volage au point qu'un doute subsiste sur l'identité de son géniteur. Il épaissit le mystère autour d'elle en rappelant ses origines juives espagnoles, sa conversion au christianisme, à une époque où brûler les hérétiques était monnaie courante. Elle n'eut pourtant rien d'une mère juive protectrice et attentive puisque la présence de Montaigne devait lui rappeler son infidélité. Elle survécut cependant à toute sa famille. Le mariage arrangé par le père de Montaigne apaisa ce dernier qui y vit une marque de résipiscence ; l'épouse, il est vrai était belle, richement dotée et bonne gestionnaire, même si Montaigne avait, à l'endroit de cette institution, quelques réticences et les propos à la fois acerbes et pertinents qu'il tint tendent à prouver qu'il ne fut pas vraiment heureux avec elle. Seule une fille Léonor, survivante de cinq autres, mortes au berceau, lui survécut. Il faut y ajouter Marie de Gournay, sa « fille d'alliance », cette jeune « fan » qui s'attacha à faire connaître les « essais » et à les publier.
Sa démission de la magistrature le laissait disponible pour le voyage, la chose publique qu'il entendait servir et l'écriture. Cela fit de lui un maire de Bordeaux, un diplomate de l'ombre entre protestants et catholiques, et même un espion, le tout dans une période troublée, et surtout l'auteur des « Essais ». A leur propos, le fantôme de Montaigne, être forcément intemporel, ne peut pas ne pas constater que son œuvre qui a mis vingt ans et plusieurs éditions à atteindre sa forme définitive, n'est plus lue en France de nos jours, même si elle fait pourtant l'objet de thèses universitaires dans le monde entier. L'école qui les a mis à ses programmes n'a contribué qu'à en détourner des générations d'élèves, notamment à cause de la langue qui fait trop appel aux études classiques plus vraiment en vogue actuellement. Alors faut-il les traduire en français actuel ? La musique des mots en pâtirait sans doute mais l’œuvre serait lue à l'instar de Don Quichotte, réécrit en espagnol contemporain. Le spectre peut-il au moins se contenter, Montaigne ne laisse personne indifférent et après plus de cinq siècles, c'est quand même exceptionnel.
j'ai bien aimé le ton sur lequel tout cela est dit, et bien dit, avec humour et à-propos, mais aussi pour la qualité de la documentation, et je n'oublierai pas non plus les illustrations, non moins jubilatoires. Au moins ce livre a-t-il eu l'avantage de me réconcilier avec un auteur, à la fois libertin et mystérieux, que des années d'études m'avaient rendu un peu trop rébarbatif et de peut-être m'inviter à une relecture.
Je remercie Babelio et les éditions Cairn de m'avoir permis de découvrir ce livre et de profiter des remarques et états d'âme de cet intemporel ectoplasme.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
La grande roue
- Par hervegautier
- Le 23/02/2019
- Dans Diane Peylin
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La Feuille Volante n° 1327
La grande roue – Diane Peylin – Les escales - domaine français.
Diaghilev disait à Jean Cocteau « Étonne-moi, Jean » et j'avoue que j'ai été étonné par ce roman original dans son architecture. Comme nombre de lecteurs sans doute, je l'ai entamé comme la présentation dans les années 80 de quatre destinées, celle d'Emma, de David, de Nathan, de Tess. Au départ je me suis senti un peu perdu dans ce récit labyrinthique et cette ambiance un peu lourde en me demandant bien, au fil de ma lecture, le lien qui pouvait exister entre ces personnages, inspirés autant par Frantz Kafka que par David Lynch et pour qui je ne pouvais pas ne pas avoir de l'empathie. J'ai eu l'impression de quatre longues nouvelles parallèles, indépendantes les unes des autres, mais l'auteure, petit à petit et avec une bonne dose de suspense et d'absurde, mélange et emboîte tous les morceaux de ce puzzle.
Emma, dix-neuf ans, est en apparence une poupée rousse. Après avoir rencontré Marc au pied de la grande roue, elle vit avec lui « le grand amour », abandonne tout pour lui, ils sont amoureux mais Emma ressent douloureusement son enfance qui revient et la hante. On peut perdre la tête pour quelqu'un, tout lui sacrifier, bâtir avec lui une histoire d'amour qu'on imaginait pouvoir durer toute une vie… Malheureusement nous savons tous que cela n'existe que dans les romans à l'eau de rose et les difficultés quotidiennes, le mensonge, la trahison, l'adultère viendront, parfois assez vite, brouiller ces illusions. Bien entendu, l’attitude violente de Marc est répréhensible et ne saurait se justifier. Il souffle le chaud et le froid d'une manière incompréhensible même si au bout du compte, par amour ou par crainte elle accepte tout de lui, jusqu'à un certain point cependant. David vient de trouver une place d'ouvrier saisonnier dans la montagne, même s'il n'est pas vraiment taillé pour ce métier dur, s'interroge sur lui-même, sur sa différence. Nathan fait face à un commissaire de police pointilleux et dépressif pour une affaire qui dure depuis dix-neuf ans, la disparition mystérieuse de sa mère pour laquelle il cherche la vérité mais qui empêche ce fils de faire son travail de deuil. Lui aussi est hanté par ses souvenirs. J'ai eu un peu de mal à entrer dans son histoire et à croire à l'existence de cette enquête qui dure si longtemps et qui, d'ordinaire serait classée sans suite faute d'éléments et de preuves et qui ne perdure que par la volonté de ce policier qui refuse étonnamment de tourner la page. Tess est une belle femme en robe rouge qui erre dans la ville, comme un zombie, blessée dans sa chair, dans son corps, mais son errance est aussi une fuite. Quatre personnages tourmentés poursuivis par leurs chimères ou qui tentent d'y échapper, ce qui est qui est peu ou prou le parcours de chacun d'entre nous. Ils survivent dans cette vie qu'ils auraient voulue différente mais qui s'impose à eux dans sa réalité avec le souvenir du passé, comme des flashs, les obsessions, les échecs du présent, un avenir que se bouche chaque jour un peu plus, des fantasmes, une recherche de soi-même… Ce sont des tranches de leur vie qui se déclinent en courts chapitres.
En revanche, le personnage, du commissaire Field qui n'est ici que secondaire, m'a interpellé. C'est le type même du flic idéaliste, entré dans la police par hasard parce qu'il fallait bien vivre, bien qu'il eût imaginé sa vie autrement. A force d'enquêter et de rencontrer l'espèce humaine dans ce qu'elle a de plus sordide, il a dérivé dans l'alcoolisme pour supporter son métier et peut-être cette vie et ses échecs personnels.
J'ai lu ce roman à travers les symboles qu'il porte. J'ai distingué le concept de nudité qui revient dans la plupart des personnages, une nudité qui apparaît après une longue réflexion, un long cheminement intérieur, un peu comme si chaque personnage perdait petit à petit ses illusions sur le monde qui l'entoure et qu'il avait un temps repeint en bleu. La nudité est un symbole face à la mort et à la naissance, à la renaissance, dans la recherche de sa personnalité, de sa nouvelle identité. Il se confond un peu avec celui de l'eau dans le cas d'Emma et de son personnage protéiforme.
Il y a aussi le concept de peur qu'on refuse mais qui impose sa présence, peur de l'autre et de soi-même et dont seule la mort libérera. C'est aussi la peur qui nous fait hésiter, reporter à plus tard une décision. Toute sa vie Emma subit les violences et les humiliations de son époux, dans l'espoir impossible d'une amélioration pour elle-même, pour protéger ses enfants, peut-être (Ici Rose disparaît cependant) au point qu'elle aspire à n'être personne, à ne laisser aucune trace parce que les blessures de la vie vous isolent du monde. Son échec conjugal évoque celui de Jacqueline Sauvage qui a un temps défrayé la chronique. L'auteure nous rappelle à la fin une réalité, des femmes chaque jour souffrent et meurent sous les coups de leur conjoint ou de leur compagnon, même si, dans une moindre mesure, l'inverse est également vrai. Que je sache la volonté de nuire à l'autre, de l'humilier, de le faire disparaître est unanimement partagée et ne se limite pas à des coups portés de la part du plus fort sur une plus faible. Cela en dit long sur l'espèce humaine, sur les grandes idées que des générations de philosophes ont affirmé sur l'homme, sur son importance, sur sa valeur…
Ce roman qui est le cinquième de cette auteure se lit rapidement malgré son architecture surprenante. L'écriture est fluide, avec des moments poétiques et cela a été pour moi un agréable moment de dépaysement et de découverte.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com