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FLEURS DE RUINE – Patrick Modiano
- Par ervian
- Le 07/12/2013
- Dans Patrick MODIANO
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N°703 - Décembre 2013.
FLEURS DE RUINE – Patrick Modiano – Le Seuil (1991)
Le 24 avril 1933, un jeune couple, Urbain et Gisèle T. se sont suicidés dans leur appartement parisien après une équipée nocturne dans la quartier de Montparnasse. C'était des gens sans histoire et leur geste reste un mystère pour les enquêteurs puisque sa seule explication réside dans quelques mots griffonnés à la hâte « Ma femme s'est tuée. Nous étions ivres, je me tue. Ne cherchez pas... ». C'est le début d'un roman dans le style de Simenon, une « orgie tragique » que la narrateur va s'efforcer d’éclaircir... trente ans après ! Il ne va d'ailleurs pas tardé à croire que cet épisode a croisé sa propre histoire. Oui, mais ici nous sommes dans une fiction de Modiano et rien n'y est comme ailleurs puisque non seulement nous n'en saurons pas davantage et le mystère restera entier malgré les hésitations et les appels à témoins, mais d'interrogations en rebondissements, le narrateur va aller à la rencontre de son passé, de sa jeunesse et d'errances parisiennes en rencontres insolites, de noms avalés par le temps en silhouettes fantomatiques, il va s'interroger sur le passé un peu glauque de son propre père, Albert, juif italien, raflé par la Gestapo en 1943 et libéré par un membre de « la bande de la rue Lauriston » de triste mémoire. Ici et comme toujours l'auteur-narrateur poursuit sa traditionnelle quête d'identité, sa recherche personnelle comme si tout ses romans se résumaient à un seul et même livre. Enfant délaissé par ses parents, il est livré à lui-même, s'enfuit du collègue où il est enfermé, est recueilli par une Danoise un peu mystérieuse, croise des personnages insolites à travers qui il recherche comme toujours le visage de ce père insaisissable.
Il conte cette histoire en évoquant sa liaison avec Jacqueline, une jeune femme avec qui il vivait jadis assez chichement une vie hasardeuse et itinérante d’hôtels en cafés de quartier entre Paris et Vienne. Ce que je retiens aussi c'est cette phrase tissée avec une grande économie de mots, un style à minima.
Ici aussi sa magie opère dès le début et c'est une remarque que je me fais à chaque fois, dès la première phrase d'un de ses romans, je me sens happé par un texte qui pourtant n'a rien de grandiloquent, bien au contraire, mais dont les mots m’entraînent jusqu'à la fin, sans que l'ennui viennent s’insinuer dans ma lecture, avec cette envie d'en savoir davantage même si, finalement, je suis un peu perdu dans tout cela.
Reste, un peu comme à chaque fois, le titre et son aspect mystérieux. Là non plus il ne faut pas trop chercher à comprendre et se laisser porter par cette sorte de mirage qui, en ce qui me concerne, se manifeste encore. Le titre est comme le texte, il procède d'une alchimie et si nous en cherchons la signification, nous n'aurons que cette phrase aussi énigmatique que cette aventure un peu folle qui aurait pu être écrite dans « l'écume des jours » de Boris Vian « J'ai senti une pression au creux de ma poitrine, une fleur dont les pétales s’agrandissaient et me faisaient suffoquer ».
Indépendamment de tous les commentaires qui peuvent être faits sur un roman de Modiano, je souhaite avant tout privilégier un thème qu'est celui de l'écriture. « J’échafaudais toutes les hypothèses concernant Philippe de Pacheco dont je ne connaissais même pas le visage... sans en avoir pleinement conscience, je commençais mon premier livre ». Cette histoire qui émigre de personnage en personnage donne au narrateur l'envie d'écrire un roman qui se construit de lui-même, presque malgré lui. Cette remarque pourrait paraître anodine mais elle éveille chez moi un commentaire. En effet, malgré l'histoire qu'il nous raconte et malgré ses digressions nombreuses et coutumières, Modiano avoue sans vraiment vouloir le faire le rôle que joue pour lui l'écriture. Chacun de ses romans est une quête de son père qu'il déguise sous des identités différentes. Compte tenu de la personnalité complexe et du halo de mystère qui entoure ce dernier, cela provoque chez lui une sorte de névrose obsédante qu'il combat avec des mots. J'ai personnellement pu m'apercevoir du pouvoir de ces mots par rapport à une situation tragique. C'est d'autant plus étonnant qu'il n'y a rien de plus fragile, de plus banal aussi que de tracer des phraes sur une feuille blanche. Cet exercice qui est aussi une épreuve a un pouvoir de libération insoupçonné. Nommer les choses bouleverse, mettre des mots sur ses maux, surtout s'ils sont écrits extériorise la souffrance, l’exorcise. Toute l’œuvre de Modiano est emprunte de cela. Il m'apparaît que l'univers du roman est pour lui différent de ce qu'il peut être pour les autres romanciers. Ceux-là nous racontent une histoire alors que pour lui chaque ouvrage est une quête intime ce qui rejoint la remarque de Léon-Paul Fargue selon laquelle on ne guérit jamais de son enfance.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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VESTIAIRE DE L'ENFANCE – Patrick Modiano
- Par ervian
- Le 05/12/2013
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N°702 - Décembre 2013.
VESTIAIRE DE L'ENFANCE – Patrick Modiano – Gallimard (1989)
Comme toujours chez Modiano, il y a cette petite musique des mots un peu nostalgique, un peu obsédante, une histoire qui n'en est pas vraiment une, tout juste une tranche de vie d'un personnage perdu dans le cadastre du monde.
Ici, le narrateur est Français et vaguement romancier mais a changé de nom pour échapper peut-être à un passé dérangeant. Il travaille comme feuilletoniste quelque part entre Tanger et Tétouan, en tout cas en Afrique du Nord où l’on parle espagnol et un peu toutes les langues. Il est l'auteur d’un improbable feuilleton « Les aventures de Louis XVII » où l'auteur imagine que le fils de Louis XVI n'a pas été exécuté mais s'est établi planteur à la Jamaïque. Il se propose de livrer son histoire à d’hypothétiques auditeurs de ce texte qu'on imagine interminable, plein de rebondissements et sans aucun intérêt. Cette lecture est confiée à Caros Sirvent, un speaker à la voix feutrée qu'il aime écouter à l'extérieur, au café Rosal par exemple où on boit cette eau minérale au goût un peu bizarre. Cela lui rapporte un peu d'argent et surtout il a l'impression de ne pas être tout à fait oisif, d'autant que la chaleur qui règne dans les studios et aussi à l'extérieur n'invite guère à une activité débordante. C'est que le thème qu'il a choisi le touche parce qu'il est question de la « survie des personnes disparues, l'espoir de retrouver un jour ceux qu'on a perdu dans le passé ».
Au Rosal, il croise le regard d'une jeune femme, Marie, qu'il croit reconnaître pour l'avoir déjà vue quelque part sans savoir où, la retrouve au studio puisqu'elle cherche du travail. A coté de son appartement vit un vieil homme, un érudit qui fait chaque jour ses mouvements de gymnastique mais dont la vue l'indispose. Il l'appelle volontiers « l'insecte ». Entre le narrateur et cette jeune femme qui pourrait être sa fille se déroule un dialogue un peu surréaliste ou la timidité le dispute à l'envie de séduire tout comme est déroutante cette étrange filature décidée par testament par une vieille maîtresse Américaine richissime qui, après sa mort a chargé quelqu'un de le surveiller sans raisons apparentes.
Chaque épisode de cette vie en pointillés lui rappelle un moment de sa jeunesse, de sa vie à Paris et dans sa tête comme dans son souvenir tout se mélange, le passé comme le présent, la chambre d'un hôtel minable et le vieux blouson de daim qu'il portait quand il était enfant et qui semblait essentiel à sa mère, bien plus important en tout cas que le vaudeville dans lequel elle jouait devant une salle vide. Tout lui revient de ce décor parisien que, malgré l'exil temporaire sous le soleil d'Afrique, il n'a pas oublié et surtout ces « quartiers aux loges de théâtre tendues de velours râpé » ni ces estaminets tristes aux banquettes de moleskine rouge. Son désarroi doit être bien grand pour que, depuis cette Afrique du Nord perdue il décide de lancer sur les ondes un avis de recherche à propos « d'une corbeille de fruits oubliée sur la banquette d'un car » vingt ans plus tôt à Paris !
Dans son souvenir, Marie se confond avec Rose-Marie qu'il a connue enfant et qui aurait pu être sa mère, deux jeunes femmes à la vie libérée, l'une appartenant au présent et l'autre au passé, deux visages bien présents, obsédants même mais qui s'inscrivent dans une sorte de silence. Cela procède de la quête perpétuelle de cet écrivain qui avouait au cours d'un entretient « Ma recherche perpétuelle de quelque chose de perdu, la quête d'un passé brouillé qu'on ne peut élucider, l'enfance brusquement cassée, tout participe d'une même névrose qui est devenu mon état d'esprit »
J'ai retrouvé avec plaisir l'univers un peu trouble de Modiano fait d'intemporalité, de lutte pour ne pas perdre ses souvenirs intimes et parisiens, pour exister peut-être dans ce monde, pour mener une recherche proustienne, une quête un peu névrotique du passé, une impression de solitude, d'abandon, de vide, un besoin d'identité qu'on retrouve dans chacun de ses romans. Cet homme qui cherche dans cet improbable lieu retiré du monde à oublier sa jeunesse parisienne n'y parvient cependant pas. Elle revient au hasard d'une impression, d'une sensation malgré cette volonté de disparaître, de se retirer du monde. Ce roman est construit un peu, mais un peu seulement, comme un roman policier dont on ne connaîtrait pas l’énigme et dont le narrateur aurait beaucoup de points communs avec l'auteur. Le suspense est entretenu par diverses digressions qui, parfois, peuvent sembler inutiles ou, à tout le moins superflues. Au bout du compte, le lecteur attentif peut parfaitement être un peu perdu, mais à mon sens, peu importe, l'intérêt des romans de Modiano procède de cette impression de relative perte de repères, une sorte d'abolition des choses ordinaires [« Tout se confondait par un phénomène de surimpression - oui tout se confondait et devenait d'une si pure et si implacable transparence... la transparence du temps, aurait dit Carlos Sirvent »].
Le texte tisse une sorte de halo mystérieux fait de quête de la mémoire autant qu'une situation un peu surréelle, ces visages de femmes fuyants, cette filature sans autre raison qu'une disposition testamentaire assez incompréhensible. Ici, le dépaysement né d'une mise en scène exotique n'est qu'une illusion, les souvenirs du narrateur-auteur reprennent vite le dessus. Tout ce décor est tissé d'une manière artificielle et laisse place à des souvenirs personnels précis et des détails autobiographiques, mais aussi à une vie qu'il réinvente à partir d'eux.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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NOCES DE NEIGE – Gaëlle Josse
- Par ervian
- Le 02/12/2013
- Dans Gaëlle Josse
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N°701 - Décembre 2013.
NOCES DE NEIGE – Gaëlle Josse - Éditions Autrement.
Ce sont deux vies de femmes qui par delà le temps se croisent.
Nous sommes en mars 1881, Anna Alexandrovna, fille d'un grand-duc russe quitte Nice où elle a passé l'hiver pour rejoindre Saint-Pétersbourg. Elle s'ennuie dans ces réceptions où il faut danser et faire bonne figure pour trouver un bon parti et dans cette famille où il faut jouer du piano et faire de l'aquarelle. Sa seule passion c'est les chevaux et, pour ce qui concerne les garçons, c'est Dimitri, un jeune aristocrate, qu'elle espère épouser un jour. Son voyage va durer cinq longues journées par le train. Pourtant ce périple lui plaît bien à cause du voyage, des pays traversés...Ce qui lui plaît moins c'est de retrouver sa famille qui, sous des dehors nobles cache des vérités bien peu avouables, l'infidélité de sa mère, les frasques de son père, le secret de son frère qui pourrait bien lui coûter sa carrière et peut-être davantage.
En mars 2012 c'est Irina, jeune Russe qui fait le voyage en sens inverse pour aller rejoindre en deux jours seulement et toujours par le tain, Enzo, un inconnu pour qui elle a tout abandonné. Il l'a invitée pour un mois et lui a même offert son billet, l'argent de son passeport. Son nom autant que la Riviera française qu'elle ne connaît pas la font rêver. Et puis il y a peut-être des projets de mariage puisqu'elle a rencontré Enzo sur un site spécialisé qu'internet simplifie et embellit. Les jeunes filles slaves sont à la mode, elle rêve, cela ne coûte rien, même si toutes ces annonces ressemblent peu ou prou à de l'arnaque ! Elle ne veut pas y penser puisque qu'Enzo représente pour elle un avenir et peut-être le bonheur même si elle ne sait pas grand chose de lui et qu'il n'est pour elle finalement qu'un être quelque peu virtuel. Elle sait qu'elle s'avance vers l'inconnu et cela lui fait peur autant qu'elle doute d'elle-même et la déception est peut-être au bout du chemin malgré l'empressement d'Enzo. Ce serait pourtant une occasion unique d'échapper à la misère, une chance à ne pas laisser passer avec cet homme qui l'attend au bout du quai, à Nice. Et puis elle a mauvaise conscience parce qu'elle lui a menti sur son parcours, oh, un pieux mensonge, rien de bien important. Elle est serveuse dans un self à la sortie du métro mais elle a préféré lui dire qu'elle à travaillé au Café Pouchkine, oui, celui de la chanson de Bécaud ! Elle a un peu honte de se faire épouser par Enzo qui n'est peut-être qu'un pauvre imbécile incapable de séduire une femme. Pour elle aussi le voyage est agréable, quoique que plus populaire et ce malgré les attentions de Sergueï, le chef de bord, sans doute un peu amoureux d'elle. Ce genre de relations entraîne la confidence et parfois plus, mais les rencontres qu'on fait dans les trains sont souvent sans lendemain.
Tout oppose ces deux jeunes filles, l'une est aussi pauvre et prolétaire que l'autre est riche et aristocrate et si Anna n'a presque plus rien à attendre de la vie, Irina, elle puise son bonheur dans le rêve. Elles se protègent, l'une avec cet avenir tissé dans un imaginaire un peu trop séduisant, l'autre avec son rang, son nom et la certitude que tout est tracé d'avance. Ni l'une ni l'autre ne sont vraiment belles comme on imagine les femmes slaves mais c'est là un détail. L'une et l'autre sont emprisonnées dans une sorte d'hypocrisie qui les gêne. Le temps, l' époque aussi les séparent, chacun imprimant en elles sa marque comme un intaille mais l'univers clos du train suscite le souvenir, aiguise la mémoire ce qui parfois fait naître des regrets. Il favorise aussi la découverte qui peut parfois se transformer en déconvenue que la jalousie exacerbe. Bien sûr, Irina n'a jamais entendu parler d'Anna et elles resterons à jamais étrangères l'une à l'autre. Je ne suis pas sûr que ce voyage effectué avec plus de cent trente années de différence et en sens inverse, les rapproche tellement. Certes, nous faisons tous des rêves improbables, nous avons tous dans le secret de notre âme bâti des châteaux de cartes qu'un coup de vent hasardeux a balayé, nous avons tous un jour ou l'autre fait prévaloir notre part de vanité en l'habillant de fantasmes un peu fous. La réalité a été la plus forte et nous avons refermé les bras sur le vide, avec en prime le temps qui passe, qui ride la peau et donne des bleus à l'âme, des espoirs déçus, des regrets, des remords.
Gaëlle Josse sais raconter une histoire, surtout que le microcosme du train avec tout les fantasmes qu'il suscite s'y prête admirablement. Je n'ai cependant pas été enthousiasmé par le style. Ce n'est pas mal écrit, certes mais sans plus et j'ai lu ce récit davantage par curiosité de lecteur, pour connaître l'épilogue, que par réel intérêt pour l'intrigue. J’avoue que ces portraits croisés, complétés à la fin par celui de Philippe Barberi qui lui m'a réellement ému, m'ont laissé une impression bizarre, pas vraiment mauvaise mais un peu artificielle.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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L'OCCUPATION DES SOLS - Jean Echenoz
- Par ervian
- Le 01/12/2013
- Dans Jean ECHENOZ
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N°700 - Décembre 2013.
L'OCCUPATION DES SOLS - Jean Echenoz – Éditions de Minuit.[1988]
D'emblée ce titre aux accents administratifs surprend. Cela sent le permis de construire et pourquoi pas les tractations plus ou moins avouables pour obtenir une dérogation voire un passe-droit et ainsi s'enrichir. Ce qui surprend aussi c'est le peu d'épaisseur de ce volume (22 pages) qui peut être baptisé de « Nouvelle ». Pour autant, dans mon opinion, ce récit ne peut être ravalé au rang d'une simple histoire racontée au lecteur pour meubler rapidement une soirée.
Le texte met en scène le Père Fabre et son fils Paul. La mère, Sylvie, est morte dans l'incendie de leur appartement et d'elle il ne reste rien, ni photos, ni objets lui ayant appartenu. Cela aussi peut surprendre mais pourquoi pas ? Le père et le fils sont partis habiter ailleurs, un appartement dont on s’aperçoit très vite que c'est une demeure de transition. Le père tente, mais en vain, de faire revivre avec des mots cette figure tutélaire pour Paul [« Le soir après le dîner, Fabre parlait à Paul de sa mère...Comme on ne possédait plus de représentation de Sylvie Fabre, il s'épuisait à vouloir la décrire toujours plus exactement. »].
Pourtant, sur le quai de Valmy, il y a un portait en pied de Sylvie de quinze mètres de haut. Elle figure en effet sur une fresque publicitaire, sur le mur d'un vieil immeuble, en robe bleue décolletée, vantant un parfum. Elle a posé quelques années avant la naissance de Paul alors qu'elle était mannequin. Ensemble ils y vont régulièrement comme pour un pèlerinage mais cela bouleverse le père [« Regarde un peu ta mère, s’énervait Fabre, que ce spectacle mettait en larmes, en rut »] Le fils revient parfois seul en secret pour voir l'unique représentation de Sylvie. Puis le temps fait son œuvre et l'image commence petit à petit à se dégrader [« Sylvie Fabre luttait cependant contre son effacement personnel, bravant l'érosion éolienne de toute la force de ses deux dimensions »] et ce qui a sûrement été une curiosité est progressivement oublié. Pire peut-être on envisage une construction mitoyenne qui va masquer complètement la fresque. Petit à petit les murs montent, mangeant l’image maternelle.
N'y tenant plus Fabre décide de louer un appartement dans l'immeuble en construction qui jouxte la fresque de Sylvie, exactement sous ses yeux [« Selon ses calculs il dormait contre le sourire, suspendu à ses lèvres comme dans un hamac »]. Dès lors, le père entreprend de convaincre son fils de gratter, c'est à dire de détruite les matériaux de construction neufs pour atteindre et surtout garder pour lui seul le regard de sa femme. Ce faisant et dans la poussière de plâtre, « il commence à faire terriblement chaud ».
Au-delà de l'histoire, cet épisode raconté avec le style caractéristique d'Echenoz où je persiste à voir de la poésie, entraîne un questionnement. Tout d'abord et compte tenu des circonstances bien particulières, ce mur devient un lieu de souvenir, un peu comme une tombe de substitution [bizarrement, il ne leur vient pas à l'idée de le photographier puisqu'aussi bien ils ne possèdent plus d'images de Sylvie et que le caractère public de cette fresque publicitaire lui confère un aspect nécessairement transitoire qu'ils ne peuvent maîtriser]. Son aspect religieux bien que non exprimé est souligné par la couleur bleue « mariale » et Sylvie est ainsi idéalisée et ce malgré le côté publicitaire et la présence du décolleté profond. Cette image a bien dû interpeller les gens de la rue mais maintenant, après tout ce temps, elle a fait partie du paysage urbain et ils n'y prêtent même plus attention ; elle va disparaître sans même qu'ils s'en aperçoivent. Au pied de l'immeuble, il y avait une animation dans le petit square, on y promenait son chien ou on y amenait ses enfants puis, petit à petit, les choses changent, évoluent, se dissolvent dans le décor. Au pied de cette construction on va creuser les fondations d'un autre bâtiment et graduellement, un peu comme dans la mémoire, les images disparaissent. Pour autant, le père et le fils s'en considèrent comme les gardiens et les visites sont une sorte de culte qu'ils lui rendent. C'est un peu leur acte de mémoire à eux, leur culte à l'absente tant il est vrai qu'un être disparu n'est pas mort tant que quelqu’un pense encore à lui. Il y a aussi cette allégorie de la fresque qui perdure pendant quelques temps. La mémoire est donc intacte, entretenue par des visites régulières, puis, petit à petit, au rythme des démolitions et des ravalements successifs effectués autour de l'image de Sylvie, elle se délite. Puis c'est le creusement des fondations du futur immeuble et l'édification de ses murs. J'y vois la marche du temps et la dégradation progressive au souvenir. C'est aussi une illustration du travail de deuil qui est parfois impossible à faire mais je choisis aussi d'y voir une démarche proustienne de recherche du temps perdu. D'autre part le père comme le fils doivent se reconstruire après la disparition de Sylvie, cette fresque les y aidait et sa disparition signe le début de l'oubli possible qu'ils décident de combattre à leur manière.
Le choix que le père fait de retrouver le sourire de Sylvie en détruisant le mur de son appartement neuf génère de la fatigue et de la chaleur [« On gratte, on gratte et puis très vite on respire mal, on sue, il commence à faire terriblement chaud »] . Ce n'est pas sans rappeler celle de l'incendie qui coûta la vie à Sylvie et qui supprima tous les objets qui lui étaient familiers.
Ce que je retiens aussi de ce récit c'est que l'auteur reste un écrivain de Paris, un témoin de territoire qui aime y mettre en scène des fictions.
Personnellement, je poursuis avec plaisir la découverte de l’œuvre d'Echenoz.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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14 - Jean Echenoz
- Par ervian
- Le 26/11/2013
- Dans Jean ECHENOZ
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N°699 Novembre 2013.
14 - Jean Echenoz – Éditions de Minuit.
Nous sommes en août 1914 dans un paysage de Vendée et c'est la mobilisation générale. Selon l'image d’Épinal depuis longtemps établie l'engouement pour la guerre est général, même si, n'étant pas de cette génération j'ai toujours eu un peu de mal à y croire. Il faut dire que, pour qu'ils partent « la fleur au fusil », on avait mis les hommes en condition : « Cela n'allait pas durer longtemps, l'Allemagne sera vaincue, nous sommes les plus forts, Vous serez de retour pour Noël... » Dans ces conditions on ne pouvait qu'être optimistes ! Parmi les hommes qui partent, il y a Anthime, Charles, deux frères qui ne se ressemblent pas mais qui appartiennent à une famille de notables qui dirige l'usine locale de chaussures Borne-Seze. Quand Anthime a volontiers des copains dans le peuple, Charles détonne avec ses airs supérieurs. Avec Padioleau, Bossis et Arcenel tous sont incorporés le même jour, dans le même régiment qui part pour les Ardennes. Il y a aussi ceux qui restent. Blanche Borne, une jeune fille tout à fait comme il faut est de ceux-là. Elle est la fille unique du directeur de l'usine. Elle les attendra l'un et l'autre. Rapidement il apparaît qu'elle est enceinte des œuvres de Charles et pour lui éviter de se faire tuer au front où les choses se gâtent, il est muté, par protection dans l'aviation naissante mais trouve la mort rapidement. Anthime quant à lui reçoit le baptême du feu sans y avoir été vraiment préparé, encouragé par une anachronique batterie- fanfare dépêchée au milieu des combats. Ses lettres à Blanche dépeignent une situation catastrophique, des blessés, des morts, le froid, les tranchées, les poux, les rats, la neige, la mitraille, les bombardements, les charges meurtrières...
A l'arrière on s'organise et les femmes prennent la place des hommes. Blanche met au monde Juliette. Elle prend le nom de sa mère, Charles, non marié avec elle est déjà mort. Anthime lui s'adapte aux circonstances qui ne sont guère brillantes. Il faut dire qu'il s'est toujours fait à tout. Pourtant, dans les tranchées le chaos s’installe et avec lui la peur des obus, de l’explosion des sapes, la mort aveugle qui rode, la putréfaction des cadavres, la boue, le terrain gagné et reperdu... Restent les autres compagnons d'infortune, ceux des Vendéens qui ont été incorporés en même temps que lui. Ils s'étaient un peu perdu de vue au hasard des opérations mais leur amitié militaire leur avait permis de supporter la guerre. Certains avait été tués ou manquaient à l'appel et Arcenel, après un moment d'absence s'éloigne vers l'arrière. Repris il sera considéré comme déserteur et fusillé pour l'exemple. Il s'adapte à tout cet Anthime, même au pire puisque, après deux ans de combat, il perd son bras droit emporté par un éclat d'obus. Cette blessure providentielle fait de lui certes un invalide mais surtout un démobilisé. Pour lui la guerre est finie, il peut rentrer chez lui et retrouver Blanche en deuil. Par hasard, il retrouve Padioleau qui a perdu la vue à cause des gaz. Ils parleront ensemble de cette guerre meurtrière qui n'en finit pas mais finiront par s'ennuyer à ces évocations.
Anthime qui souffrait de son bras absent et qui ne pouvait plus guère effectuer son travail de comptable se voit intégré à la place de Charles, au collège de direction de l'entreprise. Les commandes de guerre profitent largement à cette usine de chaussures qui travaille pour l'armée mais qui en profite pour livrer des brodequins d'une piètre qualité ce qui attire l'attention des militaires et provoque un procès qu'il faudra aller défendre au tribunal de commerce de Paris. Pour faire bonne mesure on prend des sanctions et c'est bien entendu le lampiste qui prend, contre un belle indemnités cependant. Blanche sera déléguée au procès pour représenter et défendre l'entreprise. Anthime bien entendu l'accompagne. Elle deviendra sa femme et la mère de son fils prénommé Charles.
Il s'agit du 15° roman de Jean Echenoz qui n’est pas un inconnu pour cette revue (La Feuille Volante n°408, 412, 413...) rompt ici avec sa série de romans biographiques, « Ravel » consacré à Maurice Ravel (2006) (La Feuille Volante n°425), « Courir » qui parlait du coureur Émile Zatopeck, ( 2008) (La Feuille Volante n°407), « Des éclairs » qui évoquait le physicien Nicolas Tesla (2010) (La Feuille Volante n°492). Il ne parle pas du déroulement des opérations militaires, ce n’est pas une de ces grandes fresques historiques auxquelles on nous a habitués mais a trouvé son prétexte à partir de carnets de guerre découverts dans sa famille. Ce texte assez court rend compte de détails de la vie de poilus, des hommes de base dans les tranchées au quotidien d'une manière à la fois émouvante et simple. Il le fait avec son habituel style qu'il teinte d'un certain humour bien que le sujet ne s'y prête guère. Quant à l'épilogue, il ne surprendra sans doute personne.
Je n'ai pas été déçu par ce dernier roman qui se lit très facilement. Ce fut, comme d'habitude, un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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EDWARD HOPPER – Entractes – Alain Cueff
- Par ervian
- Le 23/11/2013
- Dans Peinture
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N°698 Novembre 2013.
EDWARD HOPPER – Entractes – Alain Cueff – Flammarion.
Je poursuis avec cet ouvrage mon approche passionnée de l’œuvre d'Edward Hopper (1882-1967) tant sa peinture exerce sur moi, comme sur beaucoup sans doute, une étrange attraction.
Alain Cueff reprend bien volontiers les idées développées depuis longtemps à propos du peintre américain [solitude, mélancolie, aliénation,...] mais invite son lecteur à regarder ses tableaux sous un autre angle, les commentant en fonction de son vécu personnel et des influences qu'il a pu subir, prenant comme fil d'Ariane chronologique certains d'entre eux. Il parvient à la conclusion que si ces idées sont certes justes, il faut en chercher la raison autant dans sa psychologie personnelle, dans ses illusions de jeunesse où il espérait que l'impressionnisme qui l'avait tant influencé lors de son séjour en France serait accueilli favorablement dans son pays, que dans les événements extérieurs que connaît son pays. En effet, Cueff prétend que le regard vide des personnages peut parfaitement aussi s'expliquer par le revers du « rêve américain » qui ne serait qu'un leurre. La crise économique née de 1929, les émeutes, le chômage ont mis à mal ce concept. De plus le francophile qu'il est s'alarme de l’attentisme de l'Amérique face à la montée du nazisme en Europe. Ses personnages prennent, sous son pinceau, conscience de la précarité de leur vie, il serait donc le peintre de « l’existentialisme américain » bien avant qu'en France cette philosophie soit développée.
D'emblée, l'importance de la lumière est soulignée dans l’œuvre de Hopper. Il en fera, à la fin le thème unique de ses tableaux. Il s'attachera également à peindre des personnages dont la mélancolie est visible. Ils sont à son image, lui-même étant quelqu'un de timide, réservé, peu souriant, puritain et aimant la lecture. Sa confession baptiste explique sûrement le côté dépouillé de ses toiles. On a dit de lui qu'il peignait ce qu'il voyait, ce qu'il connaissait le mieux, qu'il tirait son inspiration du quotidien. C'est sans doute vrai, mais sa vision était probablement sélective puisqu'il habitait New-York, a représenté des maisons à l'architecture victorienne mais n'a jamais peint de gratte-ciels. Cette ville qu'il aimait et où il a pratiquement toujours résidé fourmille de vie alors que ses tableaux sont vides de présence humaine et que ses personnages sont immobiles et silencieux. Même si, comme de Chirico et Magritte, il a une prédilection pour les paysages urbains déserts, l'auteur note le côté inquiétant des personnages représentés, leur immobilisme et le silence qui les entoure. C'est un peu comme s'il étaient des mannequins sans vie, des êtres désincarnés au regard vide, dans une expression d'attente, souvent plongés dans la lecture. C'est une constante de la peinture de Hopper que ce vide, que cette solitude. Ces deux thèmes viendront d'ailleurs en conclusion de son œuvre. Les paysages eux-mêmes n'inspirent pas au spectateur quelque chose de reposant comme ils pourraient le faire et là aussi il ressent cette même impression de vacuité.
Hopper est un contemplatif et ne s'intéresse qu'aux paysages suburbains d'une grande banalité. Il semble saisir l'instant dans son immédiateté, représentant ce qu'il voit mais à travers le prisme de son regard plein de solitude. Il prétendait d'ailleurs un peu bizarrement « n'avoir d'autre ambition que de peindre la lumière du soleil sur les murs d'une maison ». Le soleil est effectivement souvent présent dans ses toiles, éclaire les personnages, mais il n'est jamais visible de face, ce sont toujours ses effets que le peintre donne à voir, un peu comme s'il hésitait, s'il n'osait pas. Pourtant ce soleil éclaire mais ne réchauffe pas, ses toiles restant froides
Cueff propose à chacun de se laisser porter par les tableaux de Hopper, de se laisser inspirer par eux. Il retient l'un des plus emblématiques, « Les oiseaux de nuit » et note que des hommes de lettres ont obéi à une invite créatrice[J'ai personnellement retenu « L'arrière saison » de Philippe Besson – La Feuille Volante n° 604]. Je pense en effet, sans vraiment me l’expliquer, que Hopper interpelle chacun d'entre nous au point de nous inciter intimement à poursuivre pour nous seuls le prétexte de son tableau, de lui donner une suite personnelle.[Il semblerait que le tableau lui-même ait été peint après la lecture d'une nouvelle d'Hemingway, bien que Hopper ait prétendu le contraire].
Hopper n'a été vraiment connu qu'à partir de 1925, date à laquelle il commence à vivre de sa peinture. Auparavant il a été illustrateur, dessinateur d'affiches publicitaires et pour le cinéma et il ne fait aucun doute que cette période qu'on peut qualifier d'initiatique a été pour lui une sorte d'apprentissage qui va, par la suite, influencer son style réaliste. Tout n'a cependant pas été simple pour lui. Même s'il ne vend son premier tableau qu'en 1913 et qu'il commence à participer à des expositions collectives qui ne lui valent que de l'indifférence de la part de la critique, il doute, cherche sa voie et s'oriente même un temps vers la gravure et vers l'aquarelle. Il est en quelque sorte « coincé » entre l'invention de la photographie qu'il n'aime guère et l'évolution de la peinture vers le cubisme, l'abstrait, le surréalisme qui invitent davantage le spectateur au rêve et à l'imaginaire. Malgré sa relative réussite en gravure il revient cependant vers la peinture en privilégiant le nu féminin ce qui peut signifier chez lui à un désir sexuel latent, obsessionnel et refoulé. Jusqu’à la fin de sa vie il représentera des femmes nues ou vêtues au point qu'on a pu le qualifier de voyeur pudique. En observant les personnages féminins de ses tableaux, on ne peut qu'être frappé par leurs formes généreuses et sculpturales qui marquent un caractère sexuel évident. Les femmes (même si son épouse en est l'unique modèle, ainsi métamorphosée sur chaque toile) qu'il peint semblent attendre quelque chose, mieux, l'espérer. Le fait qu'il peignent des femmes dans cette sorte d'expectative peut parfaitement être la transcription personnelle et inversée de son attente à lui. Il n'est pas illogique de penser que cela peut être le « grand amour ». Hopper a toujours été un solitaire, on lui connaît peu de liaisons amoureuses et son union avec « Jo » a été plus un mariage, d’ailleurs tardif (il est dans la quarantaine), de raison qu'un amour passionné. Tout les oppose et cela ne peut qu'enfanter des disputes conjugales, une incommunicabilité définitive entre eux, un silence oppressant. « Jo » se révèle en effet être une épouse jalouse qui peint elle-même de moins en moins et compense sans doute par la tenue d'un journal intime tout comme son mari pratique la peinture. Ces deux activités peuvent être interprétées comme un refuge, pire peut-être, comme les deux faces d'une même souffrance ! Cueff note d'ailleurs que ce n'est pas le moindre des paradoxes que Hopper ait voulu peindre apparemment des tableaux impersonnels alors qu'en réalité ils sont le reflet de sa propre vie, entretiennent aussi une énigme qui reste entière.
Ce livre passionnant éclaire d'un jour nouveau la démarche créative de Hopper et contribue à lever une partie du voile sur un style réaliste (ou néo-réaliste) étrangement attractif et moderne à la fois, qui est le reflet de son siècle autant que de sa vie et de sa personnalité.
Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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HOPPER (Métamorphoses du réel)– Rolf Günter Renner
- Par ervian
- Le 22/11/2013
- Dans Peinture
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N°696 Novembre 2013.
HOPPER (Métamorphoses du réel)– Rolf Günter Renner- Éditions Taschen.
Dans mon opinion, Edward Hopper (1882-1967) a toujours incarné la peinture américaine de son temps, peignant des scènes de la vie quotidienne des classes moyennes avec un grand réalisme, une certaine mélancolie voire une aliénation. Il ressort de ses toiles une solitude des personnages autant que des paysages représentés, une ambiance un peu froide, secrète, silencieuse, presque désincarnée, à la fois étrangère et bizarrement familière. Cette esthétique est ambiguë mais dans l’histoire de l'art Hopper incarne cet « individualisme américain » qu'on retrouvera chez Johnson Pollock dans un registre évidemment différent. Il n'a été connu que tardivement, à peu près vers 1925, mais à partir de cette date il a été reconnu comme un artiste américain majeur et non plus comme un peintre ordinaire. Si Hopper a pratiquement toute sa vie habité modestement à New-York, à exception de vacances au Cap Cod, il a très tôt effectué des voyages en Europe et notamment en France d'où il a rapporté une inspiration très forte de l'Impressionnisme et aussi de Rembrandt. On peut distinguer au moins deux périodes dans son œuvre, d'abord l'impressionnisme héritée de l'Europe puis le réalisme qui le caractérise et qui fait sa véritable originalité ainsi qu'un double aspect, celui de polarité entre culture et nature d'une part et d'autre part un travail très poussé sur l'ombre et la lumière. Tout au long de sa vie il a insisté sur cette étude de la lumière, du soleil, donnant, à la fin, une impression de vide à ses toiles.
Il est certes un peintre réaliste, mais Renner nous invite à dépasser cet aspect purement visuel pour nous intéresser à une approche plus intimiste qu'il ne faut cependant pas négliger, une lecture codée de chaque toile qui donne à travers la posture des personnages, les paysages représentés mais aussi le jeu des ombres et de la lumière une véritable explication de la psychologie du peintre, un peu comme si, au paysage extérieur, correspondait son état d'esprit intérieur. Il transporte dans sa peinture ses perceptions intimes, ses obsessions.
Certes, il emprunte à l'Europe un peu de son romantisme qu'on peut déceler chez Magritte et chez Munch. De sa période parisienne il rapporte des paysages urbains bien dans le style du XIX° siècle français, mais progressivement et sans rupture marquée l'expressionnisme s'installe, les décors deviennent géométriques, droits, sans fioriture, maisons au style épuré, encadrements de fenêtres qui ouvrent sur l'extérieur d'où on découvre un paysage naturel ou parfois aussi le vide. Déjà, dans certains tableaux, il suggérait le vent par le simple mouvement d'un rideau. Le culte du détail s'affirme et Hopper jouant sur les ombres et sur la lumière souligne la perspective. La nature est parfois choisie mais elle est représentée dépouillée, réduite à quelques arbres, des collines, une maison isolée, une route, une voie de chemin de fer, un passage à niveau ... Les villes aussi sont mises en scène, ce sont le plus souvent des rues dénuées de présence humaine, des vitrines très éclairées, des stations-service, des panneaux publicitaires, des façades le plus souvent traitées dans une palette sombre avec cependant un grand souci du détail. Il incarne la marque indélébile de la civilisation dans laquelle il vit, du temps qui est le sien. Les intérieurs sont souvent impersonnels, halls ou chambres d'hôtels ou de maison, bureaux, cinémas, compartiments de train... Là aussi la couleur dominante est foncée et triste, contraste souvent avec un violent éclairage. Hopper est cependant très attaché aux symboles de cette civilisation américaine, il incarne le « symbolisme narratif » et l'ambiance qui se dégage de certains tableaux ne sont pas sans rappeler le traumatisme de la grande dépression des années 30.
Les personnages sont beaucoup plus intéressants et Hopper s'y attarde plus volontiers. Il ressort des scènes représentées une solitude un peu dérangeante. Au début de sa carrière, celle qui est plus volontiers tournée vers l'impressionnisme, on peut voir une parenté avec Degas et privilégier dans la toile un moment heureux que notre imagination peut éventuellement prolonger. Rapidement, il diverge cependant représentant des personnages figés. Quand il choisit des femmes pour modèle, il les présente souvent habillées mais parfois nues. Dans les deux cas, elles sont souvent sensuelles, leur corps a quelque chose de provoquant, elles évoquent un désir refoulé du peintre, incarnent une obsession qui jouxte le voyeurisme, qui évoque un désir refoulé. On peut y voir un désir charnel latent et il faut se souvenir que Hopper est de confession baptiste et donc puritain comme les Américains de son temps. Souvent ces femmes lisent ou attendent mais il y a une sorte d'ennui, de désespoir dans cette posture, une impression d’abandon, comme si elles espéraient quelque chose qui pourrait ressembler à l'amour ou la mort mais avec un grand détachement cependant. Le seul mouvement perceptible est suscité par le vent qui soulève un rideaux, une vague qui ondule... Quand elles sont représentées en présence d'autres personnages, il se dégage d'elles une sensation de solitude, pire de déréliction, d'abandon, de torpeur, d'apathie comme si elles étaient étrangères à la scène dans laquelle elles figurent. Il est possible que, sous les multiples visages de ces femmes c'est son épouse qu'il peint, mais cette représentation évoque davantage la séparation que la communauté tant les relations que Hopper avait avec son épouse « Jo » étaient conflictuelles. Souvent les personnages regardent vers l'extérieur mais leurs yeux sont vides. Les hommes eux-même portent sur leur visage ce détachement ; Ils sont pensifs et renfermés sur eux-mêmes. L'impression d'ensemble est qu'ils sont muets et quand un dialogue est suscité par le peintre il en ressort une impression malsaine de tension à l’intérieur du couple semblable sans doute à ses difficultés personnelles. Quand ils les représentent en société, Hopper les figure souvent dans des zones de transit, halls ou chambres d'hôtel, bars. Ils suggère sans vraiment le montrer, une invitation au plaisir, mais une invitation seulement.
Ses toiles sont à l'exacte image de sa vie, sans grands bouleversements, sans grands bonheurs non plus, sans moments d'exception, sans rupture importante, seulement brouillée par une mésentente conjugale constante renforcée par le fait que son épouse « Jo » est certes son premier critique mais est aussi peintre elle-même mais qui choisit d'abandonner progressivement cette activité. On peut aisément imaginer que pour Hopper sa peinture constitue un refuge, enfante une création constante, mais ce havre est parlant !
C'est un livre très pédagogique et bien illustré, plein d'explications techniques, pertinentes et passionnantes, en phase avec la vie de Hopper, personnage discret et sans doute malheureux dans son couple mais aussi attentif aux événements extérieurs.
Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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ROMAN DE GARE – Un film de Claude LELOUCH
- Par ervian
- Le 20/11/2013
- Dans cinéma français
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N°380– Novembre 2009
ROMAN DE GARE – Un film de Claude LELOUCH [2007]. Diffusé le 25/11/2009 20H40 sur Cinéma club.
Je ne suis pas vraiment cinéphile, pas non plus amateur des films de Claude Lelouch, mais là, j'ai été bluffé par le scénario qui juxtapose les histoires sans aucun lien apparent entre elles mais qui finissent par tisser une trame policière où le spectateur lui-même se perd, croit se retrouver pour, encore une fois s'égarer, entre fantasmes, fausses-piste, retournements, mises en abymes, certitudes et remises en question...
Cela commence par la comparution aux « quais des Orfèvres » de Judith Ralitzer [Fanny Ardant], séductrice mais aussi auteur à succès, interrogée par un policier sur la mort suspecte de son mari. Le décor est donc planté.
Puis, flash back avec l'annonce à la radio d'une évasion de la prison de la santé d'un dangereux criminel [sa lente descente le long d'un mur de pierre, accroché à des draps noués a quelque chose de merveilleusement désuet]. Puis la caméra s'attarde dans le huis clos d'une voiture sur un couple qui, bien qu'en route pour une demande en mariage, se déchire et finit par se séparer sur une aire d'autoroute. La femme, Huguette[Audrey Dana], plus ou moins coiffeuse et un peu midinette, qui y est abandonnée rencontre par hasard une sorte de magicien, Pierre Laclos/Louis [Dominique Pinon] dont le spectateur craint qu'il ne s'agisse de l'évadé de la prison. On imagine facilement entre eux une idylle et l'issue macabre de celle-ci . Mais rien de tout cela n'arrive. Pourtant, l'individu un peu louche laisse planer un doute sur son véritable métier [Professeur de Lettres dans un lycée de banlieue, secrétaire de Judith Ralitzer, son nègre peut-être?], sa véritable identité, d'autant que l'annonce de l'évasion reste toujours présente. La rencontre, au bord de la route, avec la maréchaussée, relance le suspense, vite dissipé cependant par Huguette.
Celle-ci, plus ou moins en rupture avec ses parents et qui souhaitait leur présenter l'homme qui allait enfin partager sa vie, demande à l'inconnu qui accepte, de jouer ce rôle pour cette famille un peu atypique et quelque peu soupçonneuse. La certitude du spectateur qu'il est bien en présence d'un tueur est renforcée quand ce dernier passe de longues heures solitaires au bord d'un torrent en quête de truites avec la fille d'Huguette qui vit chez ses grands-parents. Mais là non plus rien de ce qu'il avait pu imaginer ne se passe.
Une autre histoire se déroule sous ses yeux, un professeur de Lettres d'un lycée de banlieue a soudain quitté femme et enfants pour disparaître et fatalement le spectateur pense au compagnon temporaire d'Huguette. Florence [Michèle Bernier], l'épouse ainsi délaissée finit par tomber amoureuse du commissaire qui, précisément, au début du film, est en train d'interroger la romancière.
L'énigmatique Pierre Laclos se retrouve sur la yacht de la romancière à Cannes, le spectateur découvre qu'il est, depuis sept ans son secrétaire et surtout le véritable auteur de tous les livres à succès de Judith Ralitzer, qu'il est en train d'écrire à nouveau pour elle un roman qu'il veut pourtant garder pour lui, qu'elle est en train de le mystifier, qu'il s'en rend compte et souhaite mettre fin à cette collaboration avant d'être, lui aussi, victime de la meurtrière romancière. Quand il disparaît, en vue des côtes, et qu'il ne réapparait pas pendant un an, Judith est, en public lors d'une émission de télévision, accusée par Huguette de n'être pas l'auteur de ses livres et par le policier d'être la meurtrière de son secrétaire, comme elle l'est peut-être de son mari.
Tout rentre dans l'ordre et la fin, si l'on peut dire, est à la mesure de ce drame qui tient le spectateur en haleine tout au long du film.
Claude Lelouch a signé ce film d'un pseudonyme [Hervé Picard], laissant croire à l'existence d'un nouveau réalisateur. Cela n'est pas sans rappeler l'aventure littéraire d'Émile Ajard, alias Romain Gary, qui mystifia tout le monde au point d'obtenir, par cet artifice, une deuxième fois le prestigieux Prix Goncourt]. J'aime bien qu'on brouille ainsi les cartes pour remettre les choses à leur vraie place, qu'on les bouscule et qu'on s'affirme, surtout quand le talent est au rendez-vous.
J'avais modérément aimé sa filmographie, je suis, par cette œuvre qui n'a rien d'un banal roman de gare, réconcilié avec lui.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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UNE JOURNEE PARTICULIERE – Un film d'Etorre Scola
- Par ervian
- Le 20/11/2013
- Dans Cinéma italien
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N°697 Novembre 2013.
UNE JOURNEE PARTICULIERE – Un film d'Etorre Scola.[1977]
OCS géants – Lundi 18 novembre 2013 - 20H40.
Rarement le cinéma dont l'apanage est le déplacement, des grands espaces, le mouvement, aura respecté à ce point les règles du théâtre classique, unités de lieu, de temps et d'action.
Nous sommes le 8 Mai 1938 et c'est la rencontre entre Mussolini et Hitler à Rome. La guerre n'est pas encore là mais on la sent monter, presque toute l'Italie est fasciste et embrigadée derrière son leader. En ce jour tous les Romains se pressent à cette cérémonie qui va mettre en exergue la puissance du pays et acter cette union qui anéantira plus tard ces deux puissances avec en prime les exclusions, les lois raciales et les délires guerriers. Voila pour l'extérieur.
Le spectateur est comme invité dans l’appartement d'Antonietta (Sophia Loren), une jeune romaine dont le mari est un petit fonctionnaire fasciste. Elle est mère de six enfants, vieillie prématurément par les maternités successives et le travail domestique et semble heureuse malgré tout. Elle n'ira pas à la manifestation patriotique comme son mari et ses enfants, tous revêtus de leur uniforme, tout comme d'ailleurs tous les habitants de l'immeuble. Elle restera habillée d'un sarrau et vaquera à ses occupations ménagères pendant ce temps. Elle aurait bien voulu pourtant accompagner sa famille puisqu'elle a pour le Duce une vénération particulière, elle qui, en un seul regard furtif de Mussolini, au milieu de la foule, a un jour ressenti toute la séduction de ce dernier. Tous désertent en effet l'immeuble à l'appel des haut-parleurs qui diffuseront pendant tout le film des chants patriotiques, de la musique militaire et des annonces célébrant l'amitié germano-italienne. Pas tous les habitants de l'immeuble cependant puisque la concierge reste pour remplir son rôle de gardienne. L'immeuble s'y prête d'ailleurs puisqu'il est tellement exigu qu'elle peut surveiller chaque locataire depuis sa fenêtre. On imagine qu'elle s'acquitte de son rôle avec zèle et même un certain plaisir puisqu'elle sait tout de tous. (Quand Gabrielle est entré chez Antonietta, elle le sait) On a donc l'impression que cette journée sera ordinaire, sans relief pour personne en dehors du déploiement militaire dont on n'entend que des échos.
Puis la caméra nous révèle l'existence d'une autre personne, un homme seul, Gabriele (Marcello Mastroianni) écrivant à son bureau, dont on ne sait pas forcément au départ qu'il habite le même immeuble. Ce n'est que la fuite momentanée du mainate d'Antonietta que ce détail nous est révélé, cette dernière allant frapper à sa porte pour atteindre l'oiseau posé sur le rebord d'une fenêtre. L'oiseau remis dans sa cage, la relation entre cet homme et cette femme dont à priori rien ne prédisposait à se rencontrer peut commencer. Les deux personnages tomberont petit à petit leur masque, elle lui révélant qu'elle supporte un mari volage qui va la quitter bientôt pour une autre femme plus instruite qu'elle et assumant des maternités répétées et voulues par cet homme dans le seul but de plaire au régime, lui commençant par se faire passer pour un animateur de la radio pour finalement lui avouer un travail minable de plumitif et son licenciement pour homosexualité. Ils finiront, à l’initiative d' Antonietta, par avoir une relation intime que Gabiele n'aura pas le courage de lui refuser. Si elle rend Antonietta heureuse temporairement, elle laisse Gabriele songeur et finalement malheureux mais faire l'amour avec lui a été une fête quand ce n'est plus qu'un devoir avec son mari.
Ce film m'a ému, non pas tant parce que les deux acteurs principaux sont mis en scène à contre-emploi, Sophia Loren incarnant une femme vieillie, introvertie et timide et Mastrioanni un homosexuel désespéré, pas non plus parce que le film met en évidence deux solitudes qui ne se seront rencontrées que l'espace d'une journée et ne se croiseront jamais plus, pas davantage parce que l'homosexualité est réprimée par le fascisme d'une manière odieuse et inadmissible puisqu'elle ne représente pas une menace pour le régime mais pour bien autre chose. Ce n'est même pas la mélancolie qui ressort de ces images en noir et blanc, le décor triste d'un appartement sans luxe ou d'une terrasse où sèche du linge usagé. Ce n'est pas non plus le malheur que traîne chacun des deux acteurs jusque sur leur visage et leur intense tristesse quand Gabriele est emmené en exil et qu'Antonietta qui sait ce que le régime lui réserve le voit partir. On peut à ce moment-là penser que les choses vont reprendre leur cours normal, qu' Antonietta va continuer à obéir aux ordres de son mari, « le jour comme la nuit », que l'appartement de Gabriele sera occupé par un autre fonctionnaire du régime... Ce qui me frappe c'est qu'à ce moment-là précisément, ces deux êtres si dissemblables, elle qui est si inféodée au fascisme qu'elle accepte son rôle de femme soumise à son mari, uniquement destinée à mettre des enfants au monde, lui qui, un peu malgré lui, fait allégeance au Duce qui glorifie l'homme viril et exclut les marginaux, ont l'intuition de la mort, l'acceptent comme une délivrance, Antonietta parce qu'elle est persuadée qu'elle ne rencontrera plus jamais l'amour, Gabriele parce qu'il part pour un voyage qui sera sans doute sans retour.
Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LE VOYAGE A ROME- Alberto MORAVIA
- Par ervian
- Le 17/11/2013
- Dans Alberto Moravia
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N°57
Avril 1991
LE VOYAGE A ROME- Alberto MORAVIA – Editions Flamarion.
C’est tout l’univers psychologique de Moravia qu’on retrouve dans ce livre où les acteurs agissent les uns par rapport aux autres, au gré de leurs fantasmes.
Étrange personnage que ce jeune homme de 20 ans qui se dit poète sans jamais avoir rien écrit mais qui cherche celui qui aurait bien pu le faire à sa place, croit l’avoir trouvé et fait siens ses propres vers par des citations répétées.
Il revient après 15 ans de séparation retrouver son père mais croise le fantôme d’une mère nymphomane, morte quelques années plus tôt.
Comme toujours, les acteurs sont croqués par petites touches successives, toutes en nuances, parfois en demi-teinte, mais le roman tout entier est baigné par la vision, à la fois fugace et insistante d’un jeune enfant surprenant sa mère avec son amant au point qu’il désire toute sa vie être cet homme par une pulsion mi-incestueuse mi-exorciste.
Par une sorte de transfert, il projette sur toutes les femmes l’objet de sa quête et la mort de cette mère devient un obstacle obsédant.
L’histoire se déroule à Rome dans une sorte de jeu où l’amour et la séduction le disputent à l’hésitation.
© Hervé GAUTIER.
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LE MORT AUX QUATRE TOMBEAUX – Peter MAY
- Par ervian
- Le 15/11/2013
- Dans Peter May
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N°695 Novembre 2013.
LE MORT AUX QUATRE TOMBEAUX – Peter MAY- Éditions du Rouergue.
Traduit de l'anglais par Ariane Bataille.
Il faut se méfier des défis qu'on relève sous l'empire de alcool surtout si les partenaires sont le chef de la police de Cahors et le Préfet du Lot. Enzo Macleod, ancien légiste de la police écossaise, domicilié en France et professeur de biologie à l'université s'est en effet engagé à élucider les sept crimes non élucidés dont il est question dans le livre du journaliste Roger Raffin. Celui de Jacques Gaillard est l'un d'eux. Il a disparu depuis 10 ans ans sans laisser la moindre trace sauf un crâne qui s'est avéré être le sien, un stéthoscope, un fémur, un pendentif avec une abeille en or, une coquille St Jacques et une médaille de l'Ordre de la Libération, le tout enfermé dans une malle, elle-même murée dans les catacombes parisiens. Cette affaire énigmatique n'a pas trouvé de solution malgré les efforts de la police. C'est à partir de cet inventaire à la Prévert qu'Enzo va mener son enquête d'autant plus que ce Gaillard est lui aussi une énigme autant que la mise en scène de sa mort : on a en effet retrouvé son sang mêlé à celui d'une tête de porc disposée sur les marches d'un église parisienne où il venait prier. Brillant élève de l'Ena, il fut conseiller du Premier Ministre mais surtout spécialiste du cinéma et star de la télévision.
Les indices relevés mènent Enzo de Toulouse à Paris, à Metz, à Auxerre et même dans les caves de Champagne et à chaque fois une autre malle contenant des morceaux du corps démembré de Gaillard, toujours accompagnés d'objets bizarres qui sont autant de réponses aux interrogations d'Enzo … mais aussi autant de nouvelles questions. Ce sont des pièces d'un puzzle macabre. Ainsi, en peu de temps, c'est à dire lors de sa première découverte, un simple professeur de biologie a réussi à découvrir ce que la police n'avait pas pu révéler en une décennie. Cela bien sûr relance l'enquête et on prie Macleod, en haut-lieu, de cesser ses investigations, invitation à la quelle il n'entend, bien entendu, pas obéir. En bon Écossais, il rappelle que, depuis des siècles les Anglais ont voulu leur faire entendre raison, en pure perte ! Et ce même si on attente à sa vie, si on menace de lui supprimer son poste d’enseignant ou si on précède à une garde à vue au 36 quai des Orfèvres ! Il ira de découvertes en découvertes.
Il ne se doutait pas en acceptant ce pari un peu ridicule où tout cela allait le mener et les difficultés qu'il allait rencontrer. Les cadavres se multiplient autour de lui sans pour autant éclaircir le mystère de la mort de Gaillard. A force d'investigations dans ce qui est aussi une sorte de jeu de piste un peu macabre, il lui paraît évident que la victime a été tuée par un groupe d’étudiants de l'Ena où il était professeur. En outre, il doit explorer, il est vrai grâce à internet et en compagnie de Nicole, une jeune et charmante étudiante, l'histoire de son pays d'adoption à laquelle il est complètement étranger. En revanche il serait plutôt fan de la gastronomie française... et des jolies femmes ! A ce propos, il devait bien se prendre pour un séducteur mais il aurait bien dû le savoir, il faut aussi se méfier des femmes surtout quand elles sont jolies et qu'elles ont quelque chose à cacher... En tout cas lui, dans cette affaire un peu « ténébreuse » n’aura quand même pas tout perdu !
J'ai trouvé intéressant qu'à l'occasion d'une fiction policière qui d’ordinaire ne s'y prête pas, l'auteur donne des renseignements historiques sur une personne ou sur un lieu. J'avais bien aimé « L’île au chasseur d'oiseaux »[la Feuille Volante n° 511]. J'ai apprécié ce roman même si la profusion un peu fastidieuse de détails et d'indices, censée entretenir le suspense, égare un peu le lecteur.
Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LE MEPRIS – Alberto Moravia
- Par ervian
- Le 12/11/2013
- Dans Alberto Moravia
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N°694 Novembre 2013.
LE MEPRIS – Alberto Moravia- Flammarion (1955).
Traduit de l'italien par Claude Poncet.
Le sujet de ce roman est celui du mariage d'un homme d'une trentaine d'année, Richard, un peu désargenté mais surtout fan de théâtre qui accepte pour vivre d'être scénariste de cinéma et d’Émilie ancienne dactylo et maintenant femme au foyer. Les deux premières années de cette union sont heureuses. Au départ, c'est un peu la vie de bohème mais la situation de Richard s'améliore vite avec de nouveaux projets de scénarios et le couple achète un appartement, une voiture... Peu à peu, il prend conscience qu’Émilie ne l'aime plus et cela le bouleverse puisqu'il n'a rien fait pour cela. Même si ce travail déplaît à Richard, l'éloigne de son épouse, il lui permet d'éponger les dettes du ménage. Petit à petit, le malaise qu'il vit au sein de son couple affecte son travail. Dès lors la question est simple : doit-il quitter Émilie ou abandonner son emploi pour la garder, est-ce l'absence d'enfant qui provoque cette atmosphère toxique ? Richard entame un dialogue mais ne parvient qu'à une affirmation de cette dernière : Émilie l'aime et veut qu'il garde son emploi, c'est à tout le moins ce qu'elle lui dit. Richard devrait être rassuré mais, imperceptiblement, il sent qu'elle lui ment, il l'interroge encore et de guerre lasse, à force de questions qui sont un peu une forme de harcèlement, son épouse lui avoue qu'elle ne l'aime plus, qu'elle le méprise et qu'elle veut le quitter sans pour autant mettre ce projet à exécution. Le lecteur ne peut pas ne pas supposer un adultère d’Émilie, mais il n'en est rien. Elle se révèle par ailleurs incapable de formuler la raison de ce désamour nouveau, toute l'écriture du roman étant basée sur le raisonnement de Richard, sur sa quête, sur ses interrogations. Dès lors, ils mènent deux vies parallèles et l'ambiance au sein du couple est délétère mais, des motivations d’Émilie, de ses aspirations et des raisons qui la pousse à agir ainsi envers Richard, nous ne saurons rien puisque tout se passe, comme une longue introspection, dans la tête du mari délaissé. D'autre part, Émilie nous est présentée comme une femme d'intérieur assez effacée, d'une éducation un peu sommaire face à un mari artiste et créateur. Moravia souligne par là le fossé qui existe entre les époux qui se sont mariés par amour sans considération de leurs aspirations réciproques. Une fois l'amour disparu, il ne reste plus rien que le vide et le mépris de la part d’Émilie.
Plus tard, Battista, le producteur, propose à Richard d'écrire un scénario sur le thème d'Ulysse. Il souhaite que son travail s'approche le plus possible de la poésie d'Homère parce que ce concept plaira au public alors que Rheingold, le metteur en scène, un Allemand proche de Freud, considère, au contraire Ulysse « comme un homme qui appréhende de revenir auprès de sa femme » et voit dans cette œuvre moins une expédition guerrière vers Troie et un voyage de retour de dix ans que le drame intérieur d'un homme qui souhaite fuir son épouse. Il soutient d'ailleurs que le roi d'Ithaque est parti en guerre moins pour délivrer Hélène que pour fuir son foyer, parce qu'il ne s'entendait plus avec son épouse Pénélope. Les deux visions s'affrontent donc et Richard, coincé entre eux, va devoir choisir mais le producteur qui n'aime guère la psychologie entend bien faire prévaloir son avis au seul motif que c'est lui qui finance le film. Cette ambiance de travail n'est guère favorable à la création d'autant que ce que vit Richard dans son couple s'apparente peu ou prou au scénario prôné par l'Allemand. Cette situation est soulignée par le procédé de mise en abyme. Ces quatre personnages se retrouvent à Capri dans la propriété de Battista et l'affaire se complique puisque qu’Émilie n'est pas insensible au charme de ce dernier et quitte son mari. Dès lors, Richard, trop prudent, trop servile peut-être puisqu'il dépend financièrement de Battista, se révèle incapable de vraiment réagir face à lui. Il ressemble ainsi un peu à cet Ulysse du scénario de Rheingold alors qu’Émilie campe sans le savoir, le personnage de Pénélope. Le metteur en scène ne se prive d'ailleurs pas de lui faire remarquer sa lâcheté par rapport à Battista, mais à mots couverts, en usant de la métaphore grecque, en interprétant le comportement d'Ulysse. Il lui suggère de faire comme lui, d'éliminer le prétendant de sa femme c'est à dire le producteur. Richard s'y refuse[« En substance, j'étais l'homme civilisé qui dans une situation de caractère primitif, en face d'une faute contre l'honneur, se refuse au geste du coup de couteau, l'homme civilisé qui raisonne même en face des choses sacrées ou réputées telles »] et au lieu de cela Richard songe à se suicider sans pour autant mettre son projet à exécution. Émilie quant à elle finit par formuler enfin une explication à son attitude au sein du couple : Richard n'est pas un homme puisqu'elle suppose que, pour consolider sa situation financière, Richard a poussé sa femme dans les bras de Battista. Elle le méprise donc à cause de cela, même s'il n'en est rien. Son mépris serait donc né d'une méprise.
J'ai relu avec plaisir ce roman découvert, comme bien d'autres ouvrages du même auteur il y a bien des années. Il est l'occasion pour Moravia de se livrer à ce qu'il aime, c'est à dire à une fine analyse psychologique de ses personnages autant qu'à un essai brillant sur le manque d'amour au sein d'un couple. Il nous rappelle que tomber amoureux illumine la routine de ceux qui croisent Eros, mais il ajoute tout aussitôt que ce sentiment appartient aux choses humaines c'est à dire qu'il s'use, que ceux qui le font rimer avec « toujours » sont des menteurs ou des inconscients et qu'on peut facilement oublier ce sentiment par intérêt. J'ai apprécié l'écriture, la poésie des descriptions (notamment celles des paysages de Capri), la finesse des observations. Cela dit quel peut être le message de Moravia ? Voulait-il opposer l'intellectuel qu'est Richard à Battista présenté comme un être « primitif » juste préoccupé par des questions matérielles. Il désire Émilie, a les moyens de sa conquête et ne voit pas pourquoi elle se refuserait. De son côté, cette dernière qui n'aime plus son mari et le lui fait savoir se comporte moins comme une victime que comme une sorte de proie consentante, l'arbitre ou le butin de cette lutte entre deux hommes que tout oppose. Elle a peut-être aussi l'occasion de changer de statut social et entend ne pas s'en priver.
Ce roman est connu surtout depuis que Jean-Luc Godard en fit une adaptation cinématographique en 1963 avec Michel Piccoli et Brigitte Bardot. Moravia reste pour moi un écrivain majeur, sans doute un peu oublié. En effet le lit-on encore de nos jours ?
Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LE GRAND EXIL
- Par ervian
- Le 09/11/2013
- Dans Franck Pavloff
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N°693– Novembre 2013.
LE GRAND EXIL – Franck Pavloff- Le Livre de Poche.
Dans ce roman qui se situe à Baňos de Agua Santa en Équateur les personnages qui s 'y croisent sont porteurs de symbole. Lucia tout d'abord, militante alter-mondialiste qui a fui sa famille mexicaine s’apparente à la liberté qu'elle offre aux émigrants sans rien leur demander en leur faisant passer la frontière vers les USA par les voie des airs en ULM et grâce à des relais à l'étranger. Elle tente ainsi de s'opposer aux passeurs avides d'argent, aux prêteurs sur hypothèques qui rackettent les candidats à l'exil. Elle se cache sur les flanc du volcan, bravant le danger et attend désespérément un moteur qui ne vient pas. Il y a aussi Tchaka, un gringo comme ont dit la-bas. On ne sait guère qui il est et ne cherche guère à se lier. Il est un mystère à lui tout seul et observe son environnement c'est à dire le volcan et son éventuelle irruption. Il s'est fait embaucher comme jardinier et cultive les orchidées avec amour. Lui ce serait plutôt la terre qu'il incarne. C'est aussi un poète qui sait parler avec des mots choisis et pendant des heures de l'éternelle histoire des fleurs, des abeilles, de la fécondation et de l'éventuelle découverte d'un hybride encore inconnu. Son employeur est un riche propriétaire de l'hacienda, Don Rodriguo, admirateur de sa famille, de sa lignée, sourd aux avertissements de Tchaka et qui préfère s'en remettre à la mère de Dieu et à sa protection. Enfin il y a Selmo, l'équatorien qui emmène les touristes voir les baleines en pleine mer tout en rêvant à Moby Dick et à la « Rayada » tout juste entraperçue. Il se retrouvera un peu malgré lui embarqué dans le projet un peu fou de Lucia. En toile de fond le volcan Tungurahua gronde et menace. On préfère faire confiance à la Vierge et à ses miracles, à la boisson aussi !
De son côté Tchaka réussit à convaincre Don Rodrigo de lui confier Manuelito, son petit-fils afin qu'il échappe à la mort. Il représente la vie qui continue.
C'est un roman engagé que signe ici Franck Pavloff puisqu'il choisit de parler des plus défavorisés, dénonçant les conditions de vie misérables des Équatoriens et des pièges dans lesquels il tombent pour échapper à la misère. Récit écrit sur fond d'émigration dans la crainte de la dénonciation , de l'échec, de la mort. C'est aussi l'histoire d'un pays dont les habitants ne vivent que pour cet exil dangereux et de ceux qui restent en tentant d'y survivre. J'ai apprécié les descriptions poétiques qui émaillent ce récit.
Le lien avec le titre est bien l'exil, celui de ceux qui vont devoir quitter leur pays pour un monde sensé être meilleur, celui de ceux qui vont devoir fuir le volcan pour sauver leur vie, celui aussi, tout intérieur, qui existe en chacun de nous.
© Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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VITA DI MORAVIA- Alberto Moravia – Alain Elkam
- Par ervian
- Le 07/11/2013
- Dans Alberto Moravia
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N°87
Décembre 1991
VITA DI MORAVIA- Alberto Moravia – Alain Elkam – Editions Christian Bourgois.
Son nom est associé au roman psychologique dont le cadre était l’Italie. Il était donc essentiellement un romancier, mais il accepte ici de lever un coin du voile sous lequel il se cachait jusqu’alors puisque aussi bien il avait toujours défendu le droit à la vie privée pour l’écrivain.
Ce long entretien avec Alain Elkam, s’il est, par certains côtés un peu décousu à cause de la technique « demandes-réponses », n’en révèle pas moins l’homme. Né au début du siècle dans une famille bourgeoise aisée, il fait très tôt connaissance avec la souffrance. Moravia est en effet atteint d’une tuberculose osseuse qui fera de lui un habitué du sanatorium. Il est, de ce fait, un enfant solitaire et devient, à cause de cela sans doute, un écrivain. Il a d’ailleurs toujours voulu être ainsi, vivant en son adolescence pour la seule littérature, avec pour référence Dostoïevski et les surréalistes.
Il était un sentimental mais, paradoxalement grand amateur de femmes à qui il semble avoir donné, dans la première partie de sa vie plus d’importance qu’aux événements qu’il traversait. Il était cependant foncièrement antifasciste. On trouve d’ailleurs un peu de cette atmosphère dans ses romans…Les femmes ont beaucoup compté dans sa vie, qu’elles aient été pour lui épouse, maîtresses ou simplement passades. D’Elsa Morante, il disait qu’elle était « plus passionnelle que sensuelle ». En fait, il l’aimait sans en être amoureux.
Ce livre est l’occasion pour Moravia de donner des explications sur sa manière de concevoir le roman, la technique, la langue, le style, l’écriture. Il répète que l’écrivain est un homme sensible, et que de cette sensibilité excessive naît l’art. Elle aurait pu tout aussi le détruire, mais elle a fait de lui un créateur exceptionnel qui était conscient de cet équilibre autant que de l’illumination d’où est née son inspiration…
Il évoque les hommes de Lettres qu’il a croisés, les vertus du voyage … Ce livre est aussi l’occasion de découvrir l’homme public, le journaliste, l’homme politique, député européen, qui jette sur le monde qui l’entoure un regard original, conscient des réalités quotidiennes et des dangers qui menacent la planète.
Il évoque la vieillesse, la notoriété, le succès, la mort, cette mort qui ne lui faisait pas vraiment peur, mais qui vint le prendre à la sortie de ce livre !
© Hervé GAUTIER.
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L'EMPLOYÉ – Guillermo Saccomanno
- Par ervian
- Le 07/11/2013
- Dans Guillermo Saccomanno
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N°691– Novembre 2013.
L'EMPLOYÉ – Guillermo Saccomanno- Éditions l'Asphalte.
Traduit de l'espagnol (argentin) par Michèle Guillemond.
Nous sommes dans une ville inconnue et lui, c'est un employé sans nom (il sera nommé ainsi pendant le roman), autant dire un quidam. Avec lui il y a un « collègue » et une « secrétaire », tous gouvernés par un « chef ». Nous sommes donc en plein anonymat et dans un bureau d'une entreprise elle-même innomée. Au dehors, la ville non plus n'a pas de nom. Il y tombe des pluies acides, l'atmosphère est polluée, le réchauffement de la planète y est ressenti durement, la révolte gronde, les attentats sont quotidiens et l'armée y fait régner un ordre tyrannique et meurtrier. On ne peut pas ne pas penser aux scènes quotidiennes durant la dictature militaire d'Argentine.
Le travail au sein de cette entreprise est non seulement déprimant, inintéressant, déshumanisé mais aussi soumis à l'arbitraire, aux impératifs de rendement et aux conditions de travail draconiennes. Le contrôle y est permanent, mené par une hiérarchie tatillonne et inhumaine. Chacun peut perdre sa place sans préavis et sans raison. Cela donne des scènes insoutenables où les suicides ne sont pas rares. « L'employé » tente tant bien que mal de se maintenir à son poste en évitant de faire des vagues. Il est un collaborateur docile et même servile. Cet emploi est son gagne-pain et sans lui il ne pourrait plus assurer une vie décente à sa famille. Il travaille avec un « collègue » dont il ne sait rien mais le hasard va l'inciter à le connaître un peu mieux jusqu'à entrer dans une certaine forme d'intimité avec lui... Puis il va disparaître un matin sans qu'on sache ni comment ni pourquoi !
« L'employé » reste souvent tard le soir, bien après l'horaire légal, bravant la nuit et ses dangers. C'est moins par flagornerie que par une certaine nécessité. Il est marié à une matrone qui le domine, l'humilie sans qu'il puisse vraiment réagir et qui règne tyranniquement sur une marmaille hurlante et quémandeuse. Il lui arrive même de rentrer dans la nuit sans éveiller les soupçons de son épouse. Dans sa vie il n'y a plus de place que pour le rêve et ce rêve, il l'a sous les yeux. Il travaille avec « la secrétaire », une jolie femme apparemment célibataire, ce qui ne manque pas de le faire follement fantasmer d'autant plus qu'il s'aperçoit très tôt qu'elle a avec le « chef », par ailleurs marié et père de famille, une liaison peu discrète. Amoureux de cette femme, il devient évidemment jaloux de ce « chef » mais ne peut ni ne veut interrompre leurs jeux érotiques qui ont lieu pendant les heures de travail au sein même de l'entreprise. Il ronge son frein et enrage contre cet homme qui profite de sa situation et pousse son avantage. Par chance pour lui, cette jeune femme aux mœurs légères et libérées accepte ses avances autant qu'elle répond aux assiduités du « chef ». Après tout, pour elle, il y va du maintien de son emploi, des avantages financiers ou somptuaires et peut-être l'octroi d'une promotion. Pourtant, « l'employé » se retrouve dans son lit à son grand étonnement.. Cela fait de lui un autre homme, soudain capable de tout, même des pires choses, même les plus inavouables, pour un peu de considération de ses supérieurs ou pour porter à l'occasion préjudice à autrui. Bouleversé par sa nouvelle vie, il lui avoue son amour et apprend qu'elle est enceinte, mais d'un autre, probablement du « chef » mais il est tout prêt à passer outre et à s'enfuir avec elle. Elle ne répond guère à ses avances que par des passades avec d'autres partenaires. Pourtant cet « autre » lui-même, son double qu'il voit dans le reflet des vitrines des magasins l’écœure et l’inquiète. Il a l'intuition de sa propre déchéance, de sa solitude, de son désespoir.
C'est un texte déprimant mais poétique parfois, une sorte de roman baroque qui distille une ambiance surréaliste. Pour autant j'ai apprécié l'ambiance des bureaux où règne non pas la bonne humeur comme on pourrait le souhaiter mais en permanence l'espionnage, la trahison, le clabaudage, la flagornerie, la délation. Le monde du travail n'est pas idyllique et il est bon de le rappeler, même dans une fiction. Il est l'image de la société individualiste et égoïste !En revanche j'ai peu goûté les scène de flagellations collectives très sud-américaines, les passages où la culpabilisation le dispute à l'horreur et tout cela sous l'égide de la religion. C'est un roman sombre sur la société, le travail et même l'amour .
Une fois le livre refermé, il reste une impression de malaise tant le texte est réaliste. Je l'ai lu dans la version française mais la traduction qui en est faite est particulièrement évocatrice. Je me suis cru dans un de ces romans d'anticipation écrits notamment au cours du XX° siècle. Ils donnaient à voir un futur étrange et inquiétant. Au mieux nous nous disions que c'était une fantaisie d'auteur, au pire que cela pouvait avoir l'effet d'un avertissement, mais, même s'ils retenaient l'attention, nous n'y croyions pas, cela ne pouvait pas nous arriver. C'était de la fiction, rien de plus ! A quoi assistons-nous aujourd'hui ? Nous vivons dans une société à ce point écartelée que la vie des hommes ne vaut plus rien et qu'on peut se débarrasser d'un être humain sans ménagement au nom de la rentabilité ou simplement de l'arbitraire. Les informations quotidiennes sont pleines de cette violence gratuite et de cette délinquance sans limite. Ce n'est pas pour être passéiste et regretter « le bon vieux temps » qui n'a sûrement jamais existé que dans l'imagination et les regrets mais il est un fait que toutes les valeurs qu'on nous a enseignées et qui étaient les piliers de notre société s'effondrent les unes après les autres. C'est le règne de l’égoïsme, de l’indifférence, la famille n'a plus l'importance qu'elle avait, l'amour entre les hommes et les femmes laisse place au mensonge, à la trahison, aux marchandages, les églises se vident, la vie elle-même n'est plus respectée et la société tente de survivre en écrasant l'autre devenu un obstacle. Quand « L'employé » voit son reflet dans la vitrine des magasins, l'image qu'il perçoit l'inquiète et n'est pas si virtuelle que cela. Ce roman, même s'il nous est présenté sous des dehors volontairement violents et inacceptables est la copie conforme de la société dans laquelle nous vivons actuellement où la solitude et l’ingratitude sont la règle. L'espèce humaine n'est décidément pas fréquentable et ce n'est pas les actions humanitaires effectives mais de plus en plus rares qui la rachète.
© Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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BLOOD TIES – Un film de Guillaume Canet.
- Par ervian
- Le 05/11/2013
- Dans Guillaume Canet
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N°692– Novembre 2013.
BLOOD TIES – Un film de Guillaume Canet.
Nous sommes à New-York en 1974 . Chris, la cinquantaine sort d'une longue peine de prison pour un meurtre. Son frère, Franck, plus jeune, vient le chercher mais ne se sent pas très à l'aise, évidement lui est policier et son frère est un assassin. Il y a autre chose : les deux frères ne se connaissent pratiquement pas, ont eu des vies parallèles et même rivales et ce depuis l'enfance ; Le père, Léon qui avait une préférence pour Chris malgré la prison qu’il a connue très tôt, a fait ce qu'il a pu pour élever ses trois enfants mais le départ de leur mère a déséquilibré cette famille qui aurait pu être heureuse.
Quand Chris sort de prison, il reprend contact avec sa famille, avec Franck évidemment mais aussi avec son père malade et avec sa sœur qui voudrait bien reconstituer cette famille déchirée. Il reproche à son frère de ne pas être venu le voir pendant toutes ces années d'incarcération et lui ne peut que lui opposer son métier de policier, ce qui est évidemment une mauvaise raison. Les deux frères auraient dû être complices au cours de leur adolescence mais un minable cambriolage qui s'est terminé par l'arrestation de Chris les a définitivement séparés, Franck l'ayant trahi au dernier moment. C'est pour Chris le départ d'un long parcours dans la délinquance. Il ne cessera de fréquenter les tribunaux.
Pourtant, à sa sortie de prison, Franck héberge son frère, l'aide à renouer les relations avec ses enfants et son ex-femme, Monica, lui trouve un travail pour justifier sa réinsertion, mais c'est un emploi précaire, mal payé, peu valorisant. Et puis on se méfie de cet ancien taulard qui perd patience et joue même de malchance dans sa volonté de se réadapter. Chris fait preuve apparemment de bonne volonté, rencontre Nathalie avec qui une nouvelle vie rangée devient possible. Pourtant, ses anciens amis le contactent et, bien entendu, il replonge. Ce sera le départ d'une série de braquages qui feront de lui un homme riche mais toujours un marginal. Pire peut-être, il monte une affaire de prostitution dans laquelle Monica se retrouve promue mère-maquerelle et trafiquante de drogue. Elle sera dénoncée et la police remontera jusqu'à Chris.
De son côté Franck qui est pourtant un bon flic, doit affronter ses collègues et sa hiérarchie : On le soupçonne de jouer un double jeu surtout quand il croit reconnaître Chris qu'il blesse dans un casse qui tourne mal. Il rompt définitivement les liens avec son frère et préfère quitter la police. Ni la mort de leur père, ni les fêtes de famille sous l'égide de leur sœur ne parviennent à ressouder ce « lien du sang » définitivement rompu entre les deux frères. C'est vrai qu'ils sont bien différents. Chris a pour les femmes l'aura du mauvais garçon et n'a aucun mal à conquérir Nathalie. Franck, lui, n'a rien d'un Don Juan, a toujours été un garçon timide, réservé mais aussi un peu gauche avec les femmes. Il aggrave même son cas en renouant avec Vanessa, une ancienne amie mais qui est azussi la compagne d'Anthony Scarfo, un malfrat violent que Franck a jadis arrêté et fait jeter en prison. Quand ce dernier sort, il harcèle le policier et sa compagne et menace de tuer Franck.
Le « lien du sang » sera renoué à la fin, mais avec celui de Scarfo que Chris, malgré le fait que la police le recherche n'hésite pas, dans la gare de « Grand Central », à tuer Scarfo pour protéger son frère et ainsi lui sauver la vie. En agissant ainsi, il sacrifie son propre avenir. Bien entendu il retournera en prison pour longtemps alors qu'on peut imaginer que Franck, réhabilité par le geste de son frère, pourra réintégrer la police et être heureux avec Vanessa.
Même s'il s'agit d'un remake du film de Jacques Maillot « Les liens du sang » de 2008, le thème du film jouant sur l'opposition au sein d'une même famille entre un flic et un voyou me semble pertinente. D'autre part la distribution est somptueuse et le jeu des acteurs convainquant.
© Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LE GRAND CŒUR – Jean-Christophe RUFIN
- Par ervian
- Le 04/11/2013
- Dans Jean-Christophe RUFIN
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N°690– Novembre 2013.
LE GRAND CŒUR – Jean-Christophe RUFIN - GALLIMARD.
Réfugié dans l’île de Chio en Grèce, Jacques Cœur[1395-1456] tente d'échapper à ses poursuivants envoyés, pense-t-il, par le roi de France Charles VII qu'il a pourtant servi. Il sent sa mort prochaine et rédige ses « Mémoires » pour la postérité. Il revient sur les différentes périodes de sa vie qui ont fait successivement de lui le fils sans grand avenir d'un modeste pelletier de Bourges, un maître de monnaie, un commerçant avisé, un prisonnier, un banquier, un armateur puis l'Argentier du roi et l'homme le plus riche de France. Une ascension sociale sans précédent pour lui mais il est maintenant un homme traqué qui craint pour sa vie.
C'est vrai qu'il l'a servi ce « Petit roi de Bourges » comme on l'appelait par dérision tant son autorité était mince, qu'il lui a permis par son argent d'achever cette interminable « guerre de 100 ans »(avec l'aide de Jeanne d'Arc), ramenant ainsi la paix sur le territoire mais surtout réformant et agrandissant le royaume, le faisant sortir de la féodalité en l'ouvrant à l'Orient et à son commerce, faisant passer ses sujets du Moyen-Age à la Renaissance, contribuant à l’émergence de la classe bourgeoise, fortunée et pourvoyeuse d'impôts, écartant les nobles et réduisant les pouvoirs de l’Église. Jacques Cœur n'y fut évidemment pas pour rien, conseilla habilement le roi, assainit les finances du royaume, développa le commerce international. Sachant reconnaître sa valeur, Charles VII fit sa fortune en favorisant son activité commerciale, en le nommant collecteur de la gabelle, en l’anoblissant et en l'instituant son principal conseiller. Lui qui était plutôt humble et discret se fit pourtant bâtir à Bourges, sa ville natale, un palais à la fois image de sa nouvelle puissance et de cette transition inspirée de l'Italie, médiéval sur une façade et renaissance sur l'autre mais qu'il n'habita pas. Ce bâtiment lui ressemblait bien lui qui était un véritable Janus, un homme aux deux visages, multipliant les contradictions mais parvenant toujours à faire prévaloir ses intérêts, aimant la proximité du pouvoir autant que la vie avec les gens du peuple. Tout comme le roi d'ailleurs puisque ces deux êtres se ressemblaient un peu tant dans leur personnalité que dans leur parcours ! Cela se vérifia quand le roi rencontra Agnès Sorel qui fut sa maîtresse et à qui il fit de somptueux cadeaux. Elle sera la meilleure cliente de Jacques Cœur et peut-être davantage puisque ce dernier, même s'il était amoureux de son épouse n'était pour autant pas insensible aux charmes des autres femmes. Jean-Christophe Rufin nous dit cependant qu'ils ne furent pas amants mais seulement confidents, presque frère et sœur. [« Je te connais aussi bien que je me connais moi-même. Nous sommes deux morceaux d'une étoile qui s'est brisée en tombant un jour sur la terre. » lui dit-elle]. Ils s'épaulèrent l'un l'autre face aux trahisons qui sont une constante de l'espèce humaine et aux intrigues de cour où ils risquaient leur position, leur situation et peut-être leur vie. Si Agnès fut supplantée par une autre femme, c'est sa fortune qui valu à Jacques Cœur sa défaveur puisqu’il était devenu, à cause des guerres menées contre les Anglais pour reconquérir le domaine royal, le créancier du roi lui-même, ce qui n'était guère souhaitable. On pense aux déboires du surintendant Fouquet plus tard.
La mort d'Agnès signe le début de la disgrâce de Jacques, à la fois abandonné par le roi et jalousé par les courtisans pour sa trop grande fortune qu'ils rêvent de se partager. Accusé de crimes imaginaires et de malversations on l'arrête. Il dut subir un long procès et lui qui avait été puissant mais qui maintenant n'était plus rien put mesurer le poids de la solitude autant que celui de l'acharnement inspiré par la haine et la jalousie de ceux qui l'attaquaient dans le seul espoir d'en tirer profit. A l’opprobre et au déshonneur on ajouta la torture qui, selon les procédures de l'époque fournissait des aveux d'un meilleur aloi que ceux obtenus sous l’empire de la peur. Il avoua tout ce qu'on voulait ce qui eut pour effet de sauver sa vie mais de confisquer ses biens, ce qui était le véritable but de l'opération. Puis vint l'humiliation de « l'amende honorable » et un long procès truqué au terme duquel il fut jeté en prison mais parvint à s'en échapper pour se mettre au service du pape Calixte III ; Lui aussi put vérifier cette adage des anciens romains qui voulait que « la roche tarpéienne est proche du Capitole ». Il se réfugia sur l’île de Chio où il mourut .
J'ai déjà dit dans cette chronique combien j'apprécie les œuvres où l'histoire rejoint la fiction sans qu'on sache vraiment où s’arrête l'une et où commence l'autre. Faire revivre des personnages qui ont marqué notre histoire ou notre culture, leur faire « un mausolée de mots », « un tombeau romanesque » comme il le dit si bien, pour leur rendre un hommage mérité ou les tirer de l'oubli qui recouvre tout, est à mon sens, la marque des grands écrivains, des humanistes. Avec de nombreuses analepses, un texte riche, poétique, bien documenté et agréable à lire, Jean-Christophe Rufin, avec un sens consommé du suspens, raconte la vie passionnante de cet homme qui, parti de rien devint rapidement l'homme le plus riche de France. Mais il ne se contente pas de rapporter des faits historiques, il prête à Jacques Cœur des sentiments et des réflexions qui lui sont personnels. Dans une postface, il avoue même qu'il s'est tellement coulé dans la peau de son héro [« Je ne sais ce qu'il penserait d'un tel portrait et sans doute me ressemble-t-il plus qu'à lui »] qu'il en est, en quelque sorte, devenu le jumeau. Je ne connais de sa biographie que ce que les médias en ont dit : Il est certes comme lui né à Bourges, comme lui il a été un voyageur passionné et anticonformiste, un homme de pouvoir aussi. Malgré la différence d'époque et de contexte, leurs deux parcours sont peut-être semblables, partis de rien, ils ont connus la réussite professionnelle et la consécration personnelle. Dans les différents postes qu'il a occupés, Rufin a sûrement, lui aussi, éprouvé le pouvoir de l'argent, la cupidité de ses semblables, la compromission et la corruption, connu la solitude et toutes les bassesses dont l'espèce humaine est seule capable. Peut-il pour autant dire avec Jacques Cœur « Je peux mourir, car j'ai vécu. Et j'ai connu la liberté » ?
J'avais déjà apprécié l'oeuvre de Jean-Christophe Rufin (La Feuille Volante n°313 à propos de « Rouge Brésil »). Cette ouvrage a de nouveau été pour moi un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LA STRADA – Un film de Federico Fellini.
- Par ervian
- Le 30/10/2013
- Dans Cinéma italien
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N°689– Octobre 2013.
LA STRADA – Un film de Federico Fellini.
(Mardi 28 octobre 2013 – 20H50 – Arte)
Je n'ai vraiment aucun mérite à vanter ce film devenu célèbre dès sa sortie en 1954 et qui l'est encore aujourd'hui, même dans sa version noir et blanc, mais quand tout s'effondre dans notre pauvre pays, quand, au sommet de l’État on sent plus qu'un flottement et que l'économie, l'emploi, la paix sociale et donc la démocratie sont durablement ébranlés, il est plus que réconfortant d'oublier un moment ces tristes réalités avec un roman ou un film de qualité.
Ce film donc met en scène dans une Italie d'après-guerre un minable petit cirque forain qui circule au hasard des villes et des campagnes en présentant devant de rares spectateurs un unique numéro de force. Il est composé au départ d'un homme costaud, ivrogne et rustre, Zampano (Anthony Quinn), qui, pour quelques sous achète à sa mère trop pauvre, une jeune fille un peu attardée, Gelsomina (Giuiletta Masina, épouse de Fellini) qu'il intègre à son « spectacle ». Elle est naïve et innocente et son regard seul porte toute la détresse du monde. Elle incarne la sensibilité, l'humanité [scène de l'enfant malade mais aussi la faculté qu'elle a de s'émerveille d'un simple caillou] mais tout cela fait d'elle une proie facile. Elle aime cette vie d'artiste et cherche à lui plaire avec obstination mais lui la traite comme une bonne sans lui accorder la moindre attention. Elle n'est ni belle ni vraiment drôle dans le numéro de clown, mais s'attache à cette vie qui la fait voyager et peut-être sortir peu ou prou de la misère. Elle tentera de partir, envisagera de répondre aux sollicitations de la jeune religieuse ou du cirque ambulant mais finalement choisira l'errance et le voyage avec ce compagnon d'infortune. Lassé d'elle, il finira par l'abandonner au bord d'une route et quelques années plus tard ce ne seront que les quelques notes langoureuses qu'elle réussissait à sortir d'une pauvre trompette qui lui rappelleront qu'elle a existé mais qu'elle est morte.
Un autre personnage est également attachant, celui du funambule, « le fou », joué par Richard Basehart qui importune constamment Zampano. Dans cet univers tragique il incarne la bonne humeur, le sourire, l'avenir, un rayon de soleil dans ce tableau déprimant et peut-être l'amour qu'il éprouve pour la jeune fille qu'il est le seul à vraiment comprendre. Sa mort sous les les coups de Zampano, annoncée par le bris de sa montre, anticipe celle de Gelsomina qui elle est seulement évoquée à travers les mots d'une femme qui étend son linge ; elles soulignent la solitude de Zampano. Si on le souhaite, on peut voir dans la dernière image du film où Zampano qui se sait coupable du meurtre du « fou » regarde désespérément le ciel après l'annonce de la mort de Gelsomina, une sorte de contrition ce qui donnerait à ce film une dimension chrétienne tout comme le funambule, personnage aérien, est figuré avec des ailes d'ange. Zampano lui pourrait incarner tout ce que l'humanité porte en elle de mauvais face à l’innocence, à la candeur des deux autres personnages ! Pourquoi pas ?
Jusque là, Anthony Quinn n'avait eu que des rôles secondaires. En lui offrant d'interpréter le personnage principal, certes antipathique et violent de ce chef-d’œuvre, Fellini a fait de lui un acteur majeur qu'on retrouvera souvent au cinéma notamment dans « Zorba le Grec » mais aussi dans « Viva Zapata ! » ou dans « La vie passionnée de Vincent Van Gogh ». Le personnage qu'il campe est révoltant mais tranche sur les deux autres qui ne peuvent pas ne pas bouleverser le spectateur par leur authenticité et par leur mort. En tout cas aucun d'eux ne laisse indifférent.
Fellini a puisé dans sa vie les thèmes de ses films. Il y a dans certains d'entre eux (Amarcord, Fellini Roma, Huit et demi...) des connotations nettement autobiographiques. « La Strada » incarne sans doute son enfance en Émilie-Romagne où de petits cirques parcouraient cette province. C'était une des rares distractions de cette époque. Avec la symbolique de la route (La strada) qu'on retrouve notamment chez Kérouac (La Feuille Volante n° 579) c'est la liberté que Fellini choisit de privilégier. Liberté dans sa vie peut-être mais surtout dans sa créativité cinématographique qui était foisonnante puisque l'une de va pas sans l'autre et que son génie débordant se conjuguait mal avec avec les entraves.
A ce scénario néoréaliste sur le vide de l'existence s'attache évidemment une musique inédite. Elle est signée Nino Rota et reste présente dans nos mémoires. Cette mélodie simple, populaire et réellement intemporelle ne peut qu'émouvoir celui qui l'entend. Ce compositeur est demeuré fidèle à Fellini, composant notamment pour la « Dolce Vita », « Huit et demi » ou « Amarcord », s'adaptant à chaque fois à l'univers très particulier de Fellini[1920-1993] fait de foisonnement des thèmes, de fantasmes, de rêve mêlé à la réalité mais aussi de personnages souvent difformes ou contrefaits, aux visages parfois tourmentés, des femmes aux corps plantureux, le tout contribuant à une écriture cinématographique étonnamment originale.
Pour cela, Fellini, authentique fabriquant de rêve, imaginatif plein de sensibilité tient définitivement une place à part dans l'histoire du 7° art.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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C'ETAIT TOUS LES JOURS TEMPETE – Jérôme GARCIN
- Par ervian
- Le 28/10/2013
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N°688– Octobre 2013.
C'ETAIT TOUS LES JOURS TEMPETE – Jérôme GARCIN – Gallimard.
Qui est ce Marie-Jean Hérault de Séchelles[1759-1794] qui va mourir à 35 ans, sous le couperet de la Révolution et qui le sait ? Quoiqu'il en soit, il écrit depuis sa prison parisienne une lettre enflammée à sa dernière maîtresse, Mme de Sainte-Armaranthe, pour lui redire son amour passionné. Il s'y confesse et ce qu'il dit le décrit comme un jouisseur passant du lit des soubrettes à celui des dames de la Cour (Et peut-être de la Reine?) en n'oubliant pas la cellule des moniales et les nombreuses chambres où officient les prostituées. Selon ses dires, Mme de Sainte-Armaranthe aurait eu le pouvoir de corriger chez lui« Une orgueilleuse frivolité où passait, dans le mépris des autres, le dégoût de [lui]». Désormais sans avenir, il s'accroche à son passé « comme [à son] dernier trésor ».
La Révolution qu'il a pourtant servie avec zèle, par ambition et par opportunisme, va l'exécuter, mais il poursuivait un but qui maintenant lui échappe. II faut croire que l'imminence du supplice favorise le repentir puisqu'il lui avoue une de ses tromperies, nombreuses sans doute, s'accuse d'être orgueilleux, hypocrite et machiavélique avoue la certitude qu'il mourrait jeune et insatisfait, lui qui voulait surtout réussir, et vite ! Ainsi il fit de bonne heure ce qu'il fallait pour être célèbre et se révéla, sous l'ancien régime, perfide voire manœuvrier, flagorneur et prétentieux à l'occasion, et dut beaucoup de sa bonne fortune aux femmes. Avocat Général au Parlement à à peine 30 ans (ce qui ne l’empêcha pas de participer à la prise de la Bastille ni de s'insurger contre les conséquences de la nuit du 4 août sur son patrimoine personnel), il fut un homme d'influence, de pouvoir sinon de lettres mais il fut surtout un homme d'alcôves ce qui n'était pas la moindre de ses contradictions. Il devient en effet député républicain de Paris et même président de l'Assemblée, rédacteur de la Déclaration des Droits de l'homme, vota la mort de roi et même celle de Marie-Antoinette qui fut sa protectrice. Il avait en effet cette étonnante faculté de vouloir faire du mal à ceux qui lui voulaient du bien ! Lui dont la noblesse remontait à 1390 fut, sous le Révolution qu'il servit avec cynisme et dans l'horreur, le bourreau de l'aristocratie à laquelle pourtant il appartenait, trahissant ainsi sa caste et ses origines au nom de son ambition. Il fut peut-être plein d'illusions révolutionnaires [« Et pourtant, malgré mes postures et mes impostures, mes petits calculs et mes grandes prétentions, mes infimes courages et mes vraies lâchetés, mes enfantillages, mes contradictions, mes foucades, j'y ai cru à cette Révolution, cette folie, cette effrayante et magnifique machine conçue par des mains anonymes pour fabriquer du progrès »] mais reste le complice des assassinats perpétrés par la Terreur. Pourtant ce talentueux jeune homme, trop brillant sans doute pour les temps si troublés de la Terreur, trop arriviste et probablement trop oublieux de ses origines finit par être suspect et sûrement davantage jalousé. Il n'allait pas tarder à tomber dans le piège tendu avec, au bout du chemin l'inquiétante ombre de la guillotine. Lui qui avait baigné dans la culture classique, qui avait été l'élève des oratoriens oublia peut-être un des préceptes qui lui fut enseigné selon lequel « La roche Tarpéienne est proche du Capitole ».
Dans une ultime correspondance toujours adressée à Mme de Sainte-Amaranthe, Marie-Jean Hérault s'estime victime d'une injustice, fait l'amère constatation de l’ingratitude humaine autant que de sa lâcheté. La proximité de la mort réveille en lui des souvenirs amoureux et poétiques à l'endroit de sa maîtresse [« Ce sont des pelures de l'amour » écrit-il, parlant des crocus qu'elle avait cueillis et qui avaient séché entre les pages de son livre]. Sentant venir la mort et le couperet, il devient fataliste un peu comme si, mourir jeune était soudain devenu une chose acceptable. Il ne recevra évidemment aucune réponse à sa longue lettre mais elle parviendra à sa destinataire sans qu'il le sache. Cette dernière, sans pouvoir lui répondre puisqu'il est déjà mort, en écrivant à sa fille, fait écho à cet amour que son amant vient de lui déclarer autant qu'elle répond à la missive qu’Émilie fit jadis parvenir à Hérault. Ces deux correspondances croisées illustrent sans doute cet amour partagé puisque dans cette confession où il se décrit pour elle sans complaisance est ressentie par cette femme « comme un ultime gage d'amour » qu'elle gardera « dans le tiroir central de (son) bonheur-du-jour en marqueterie, celui où (elle) range tous (ses) regrets et qui sent l'orange ».
Jérôme Garcin nous offre aussi des évocations équestres à la fois techniques et esthétiques, explore avec ce livre où la fiction rejoint l'histoire une vie qui aurait pu être brillante mais qui fut brutalement interrompue. Marie-Jean Hérault de Séchelles ne fut pas le seul, en cette période troublée, à renier ses origines et à contribuer de bonne foi ou pour sauver sa vie au changement de la société, pour autant, je ne sais pas pourquoi, j'ai du mal à éprouver de la sympathie pour lui. J'imagine que s'il avait vécu, il aurait sans doute repris sa vie de Don Juan, aurait oublié Mme de Sainte-Amaranthe, aurait joué un rôle politique où le cynisme l'eût disputé à l'arrivisme. Mais son destin s'est arrêté brutalement, le sort (ou Dieu, selon qu'on y croit ou pas) lui a été contraire, son parcours a pris une autre voie, s'est heurtée à l’échafaud de la Terreur. Reste l'histoire de cette passion amoureuse qui peut nous émouvoir ou nous révolter. Elle illustre la condition humaine qui fait de nous les usufruitiers de notre propre vie.
Depuis quelques temps j'explore et découvre avec plaisir l’œuvre de Jérôme Garcin. C'est toujours agréable de lire un de ses romans qui allient le bien écrire, la poésie à des touches d'humour subtil. C'est pour moi un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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BLEUS HORIZONS – Jérôme GARCIN
- Par ervian
- Le 23/10/2013
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N°687– Octobre 2013.
BLEUS HORIZONS – Jérôme GARCIN - Gallimard
Jean de la Ville de Miremont, 28 ans, employé à la Préfecture de la Seine, était-il l'exacte illustration de cette image d’Épinal qui a montré les militaires, conscrits pour la plupart, partir au combat la fleur au fusil, persuadés qu'ils seraient de retour à Noël ? Se considérait-il, de part ses origines aristocratiques ou de sa confession chrétienne comme comptable de l'intégrité du territoire national ou le défenseur des valeurs patriotiques ? Devait-il à son côté poète des idéaux inatteignables ? Lui qui avait été réformé à cause d'une santé fragile insista pour s'engager, « pour la seule durée des hostilités ». Avait-il eu la prémonition de sa mort ? Il fut tué au tout début du conflit, en novembre 1914 au « Chemin des Dames » !
Le prétexte de ce roman est le témoignage reconstitué et réécrit par Jérôme Garcin de l'amitié exceptionnelle de Louis Gémon, (1885-1942), obscur poète selon ses propres dires et de Jean de la Ville de Miremont (1886-1914) poète et romancier prometteur fauché en pleine jeunesse dans sa tranchée presque sous les yeux de son ami. Cette amitié basée principalement sur l'amour de la littérature débuta à Libourne lors de leur incorporation puis s'affirma dans les tranchées, autant dire qu'elle fut de courte mais intense. Après la mort de Jean de La Ville, Gémon s'attacha , pendant toute sa vie, avec abnégation et admiration, à faire connaître l’œuvre de son ami. Il le fit certes au nom du devoir de mémoire pour l'arracher à l'indifférence et à l'oubli mais aussi pour le faire revivre, pour que son écriture qu'il jugeait indispensable à la littérature fût connue de tous, lui dont l'existence avait été si injustement et si violemment interrompue. Il insista longtemps pour que cette œuvre fût publiée chez Grasset, sut motiver François Mauriac qui fut l'ami de Jean et qui signa une préface et Gabriel Fauré qui mit quelques-uns de ses poèmes en musique, notamment « Vaisseaux, nous vous aurons aimés » mais surtout il sacrifia sa vie professionnelle, son bonheur conjugal et sa propre existence à cette mission parce que son ami avait fait de lui, au fond de sa tranchée, son véritable exécuteur testamentaire littéraire (Jean avait laissé à Louis un recueil de poèmes, « L'horizon chimérique » pour qu'il le publie si d'aventure il mourrait avant lui). En effet, Gémon qui était aussi un auteur, s'effaça constamment devant Jean, vécut en présence de ce fantôme au point qu'il accepta que sa compagne le quitte, lassée de cette quête qu’elle jugea impossible (« J’ai cru que je survivais à Jean, mais la vérité, c’est que je me suis tué pour lui. Je lui ai tout sacrifié, au point d’en oublier de respirer. Je n’ai pas réussi à écrire parce que je passais mon temps à le relire. J’ai préféré son passé à mon avenir. Il a été mon jumeau de guerre, mon double idéal, et je ne suis jamais parvenu à en faire le deuil. ») . Il le fit aussi sans doute pour exorciser cette culpabilité d'avoir survécu à l'enfer de la guerre lui qui, grièvement blessé, en revint, estropié mais vivant.
Garcin imagine que la mère de Jean sollicite Louis Gémon pour lui parler des derniers moments de son fils. Il donne donc la parole à Louis qui, à travers les vers de Jean, livre les impressions que la guerre puis le quotidien lui inspirent, recréant, en parallèle, une histoire personnelle de cet homme dont on ne sait pratiquement rien. Louis se remémore l'été 1914 où l'ombre du conflit planait sur le pays, ces jeunes Français qui voulaient faire la guerre comme un passage initiatique ; elle serait courte et évidemment victorieuse et Jean n'échappa pas à cette fascination pour le combat. La réalité fut bien différente mais pendant que des jeunes gens souffraient et mourraient dans des conditions atroces, à l'arrière on festoyait et d'autres, plus riches ou plus débrouillards échappaient à leur devoir.
Je retiens, à titre personnel les premiers mots de ce roman. Parlant de la mère de Jean, le narrateur, Louis Gémon, note « Elle attendait de moi que je l'encourage à porter plainte non pas contre l'armée mais contre le destin... Croyait-elle vraiment intimider Dieu, et faire condamner, pour la mort de son garçon, le juge suprême ?» De part son engagement religieux elle avait fidèlement servi et aimé ce Dieu qui lui avait enlevé son dernier fils encore vivant. Ces quelques mots me paraissent tout à fait sujets à remise en cause profonde des convictions religieuses et même de la foi des êtres humains en une divinité qu'on nous présente comme bonne et compatissante. Cette « vérité » qui a valeur de dogme, existe autant que les choses humaines sont normales, c'est à dire qu'elles ne sont en rien bousculées par les événements, mais aller à l’enterrement de ses enfants remet forcément en cause tout ce qu'on nous a affirmé. La révolte qu'on peut éprouver contre le destin, c'est à dire contre Dieu, est à la fois légitime et parfaitement inutile, c'est à dire finalement tellement frustrante que la foi en souffre forcément au point de disparaître et qu'on se raccroche à ce qu'on trouve pour ne pas sombrer.
Ce n'est pas la première fois que cette revue s’intéresse à l’œuvre romanesque de Jérôme Garcin [La Feuille Volante n°447 et 450]. Sa démarche est cette fois particulièrement bienvenue en ce qu'elle contribue à tirer de l'oubli quelqu'un d'exceptionnel dont le destin a été malheureusement brisé mais aussi un poète qui a si bien servi notre langue et notre culture.
J'ai lu ce roman sobrement écrit et plein de sensibilité avec une réelle émotion en pensant aussi, comme nous y invite l'auteur, à tous ceux qui ont accompagné Jean dans la mort et qui auraient pu avoir une vie après cette guerre. Il y a certes Louis Pergaud, Alain Fournier et Charles Peguy dont on se souvient mais il y a aussi les anonymes qu'on s'est empressé d'oublier et dont le souvenir ne perdure sur terre qu'à travers un nom gravé sur un monument ou une croix de bois ...
© Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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OPIUM POPPY – Hubert Haddad
- Par ervian
- Le 21/10/2013
- Dans Hubert Haddad
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N°686– Octobre 2013.
OPIUM POPPY – Hubert Haddad - Folio
A la lecture de la 4° de couverture, je me suis dit que j'allais encore avoir droit à la sempiternelle histoire d'un drame de l'émigration avec l'aventure mouvementée d'un petit garçon afghan récupéré par des groupes islamiques qui ont fait de lui un martyr potentiel en lui promettant le paradis d'Allah et ses « houris », fasciné par le Coran, manipulé par des religieux avec en prime la Charia et le Djihad, attiré par l'occident et son assurance d'échapper à la misère grâce aux trafics en tous genres.
Il y a quand même un peu de cela dans ce roman qui retrace le parcours d'Alam, le jeune afghan. Pour lui comme Yuko le Kosovar, pour Poppy, et pour Diwani la Toutsi, la vie est un désastre, un échec synonyme de souffrances. Ils sont côtoyé les atrocités de la guerre, la violence, la barbarie, la mort au point que ne connaissant pas autre chose, ils se l'approprient comme une règle unique de survie. Alam l’Évanoui, ainsi surnommé parce qu'il n'a pas supporté la circoncision, est né dans les montagnes afghanes et, à part l'amour furtif et vite étouffé qu'il a éprouvé pour Malalaï , n'a connu autour de lui que le sang et les larmes dans les luttes que se livrent les chefs rebelles et l'armée régulière, les trafiquants de pavots et les talibans intégristes. Il a même dû tuer son frère que pourtant il admirait et à qui il emprunte le prénom. Enrôlé de force dans un camp de terroristes, il doit tuer pour lui-même ne pas être tué et surtout il doit obéir aveuglément et sans discuter à ses chefs. Grièvement blessé par ceux-là mêmes qu'il sert, il est recueilli et soigné dans un camp de réfugiés d'où il s'enfuit. Il arrive à Paris après un long parcours cahoteux mais pourtant, aux pays des Droits de l'Homme, il sera un clandestin et « privé d'identité autant que de ressources » n'aura d'autres choix que de retrouver en banlieue parisienne des dealers étrangers, des drogués, des petites frappes et sa condition d'enfant esclave, indigent et toujours combattant qui regarde de loin le confort et la richesse auxquels il n'aura jamais droit de ceux qui veulent l'ignorer.
Poppy, c'est la fleur de pavot, l’opium qui fait tout oublier et qui tue. C'est aussi la petite junkie, protégée de Yuko qui n'en finit pas de mourir sous les coups de la drogue que retrouve Alam en banlieue. Elle assistera à ses derniers moments car la mort qui l'a épargné dans les montagnes d'Afghanistan est venu le cueillir en France. Il n'a jamais cessé d'être un enfant-soldat.
Il y a dans ce texte poétique des mots qui s'entrechoquent et chantent entre eux, même quand l'auteur choisit d'évoquer un paysage sordide de banlieue où la désolation des usines désaffectée et squattées le dispute à la solitude des barres d'immeubles des citées désœuvrées et livrées aux caïds. C’est un beau texte, émouvant, qui se lit d'un trait, à la fois tragique et percutant. Il se veut une leçon, une prise de conscience, une occasion de réfléchir sur l’innocence de cette enfance volée par la guerre, sur l'absence d’accueil que L'Europe leur réserve. Cette indifférence qui n'est sans doute pas valorisante est un signe des temps. C'est probablement de l’égoïsme mais le quotidien même en occident est lui aussi plein d'enseignements, pas forcément compatible avec l’accueil et la charité qu'on attend de lui. Se protéger contre la drogue qui hypothèque sa jeunesse et mine les fondements de la société est aussi un devoir pour la collectivité.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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JE TE RETROUVERAI – John Irving
- Par ervian
- Le 14/10/2013
- Dans John Irving
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N°685– Octobre 2013.
JE TE RETROUVERAI – John Irving – Le seuil
Traduit de l'américain par José Kamoum et Gibert Cohen-Solal.
C'est une histoire à la fois simple et banale et même un peu triste que celle de cette famille monoparentale. Alice Stronach, écossaise, fille d'un tatoueur d'Aberdeen, tombe amoureuse de William Burns. Bien entendu elle tombe enceinte et bien entendu il l'abandonne. Son destin est donc d'élever seule son fils Jack. Ce qui l'est peut-être moins c'est qu'elle décide de poursuivre ce séducteur qui, bien entendu brouille les pistes. Quand elle arrive quelque part croyant le trouver, il est déjà parti et cela dure et le monde est vaste ! De Toronto, il s'embarque pour l'Europe. Ce William n'est pas seulement un séducteur impénitent, il est aussi un talentueux organiste mais qui profite de son passage dans une paroisse pour séduire les jeunes filles de la chorale. Il a aussi pris l'habitude de se faire tatouer des notes de musiques dans toutes les villes où il passe. Autant dire que son corps entier est une véritable partition ! Or, il se trouve qu'Alice à appris de son père, le métier de tatoueur. Elle même est tellement douée dans cet art qu'elle a acquis le surnom de « Fille de la persévérance ». Tatoueuse, elle espère donc retrouver son amant fugueur à la faveur des habitudes de ce dernier.
Tout juste âgé de quatre ans, Jack l'accompagna dans ses recherches. Elle débuta ses investigations par un port de la Baltique puis chercha dans ceux de la mer du Nord mais malheureusement, de chambre d’hôtel en chambre d'hôtel, elle perdit la trace de William. Elle ne lésina pourtant pas sur les recherches, hantant les bars en quête de clients pour ses tatouages, les paroisses et parfois les quartiers chauds pour retrouver la trace du père de son fils . Sa spécialité semble être les fleurs... et les cœurs brisés. Toutes les femmes qui l'avaient connu disaient à Jack combien il ressemblait à son père. Ainsi, même si sa mère ne lui en parlait jamais, l'enfant l’avait toujours à l’esprit. Après une vaine recherche, Alice et son fils reviennent à Toronto où Jack, à cause de son jeune âge, va intégrer une institution réservée aux filles, Saint-Hilda. Ainsi le jeune garçon va-t-il se retrouver « dans cet océan de filles » et bien entendu parmi elles, certaines ont connu son père et elles se demandent si décidément le fils ne va marcher sur les traces de son père. Il n'est pas le seul garçon à Saint-Hilda mais la cohabitation avec des filles surtout plus grandes que lui ne va pas sans problèmes d'autant que l'aspect confessionnel de cet établissement n'arrange rien dans l'esprit de l'enfant. Une pensionnaire plus âgée, Emma Oastler, va donc faire son éducation sexuelle ce qui sera pour lui le prélude à bien d'autres conquêtes féminines surtout chez les femmes plus âgées que lui.
Alice était bien jeune pour avoir un enfant qu'elle n'a peut-être pas désiré. Elle s'y prend d'ailleurs très mal pour l'élever puisqu’elle ne lui parle jamais de son père et ainsi l'éloigne de ce dernier qu'inconsciemment il cherche à connaître et à imiter et ce d'autant plus que toutes les femmes qui ont connu son géniteur s'ingénient à leur trouver des point communs. Ce faisant et sans qu'elle le veuille, les relations mère-fils se dégradent. Elles ne s'amélioreront pas avec le temps et la mort d'Alice viendra mettre fin à ce dialogue manqué. Jack va donc s'attacher à Emma qui va se révéler être une meilleure mère qu'Alice mais ne pourra cependant pas la remplacer. Leurs relations qui ont duré dix années seront des plus ambiguës, entre érotisme amoureux et protection maternelle puisque Emma n'a jamais été véritablement sa maîtresse. La mort d'Emma sera ressentie par Jack comme un vide immense. Pourtant, elle fait ce qu'elle peut pour le défendre devant l'adversité, l'épisode de Mrs Marchado est significatif et si cette dernière l'initie effectivement aux joies de l'amour elle n'en abuse pas moins de lui. Ainsi, privé de père, Jack va-t-il se détacher peu à peu de sa mère qui, par ailleurs, a une vie sexuelle très libre. Il est un peu perdu dans cette famille atypique aussi bien regrette-t-il de quitter Saint-Hilda quand sa mère le décide. Il sera envoyé dans une école pour garçons dans le Maine où il trouve enfin sa place.
Devenu adulte, il a le plus grand mal à envisager une relation durable avec une femme, le mariage et la paternité sont deux mots qui ne font pas partie de son vocabulaire, en ce sens qu'il craint de ressembler à ce père qui l'a abandonné. Pourtant la gent féminine l'apprécie particulièrement. C'est peut-être pour cela qu'il multiplie les conquêtes féminines et donc ressemble de plus en plus à William. Alice a bien fait ce qu'elle pouvait pour l'élever dignement mais ses efforts n'ont pas été couronnés de succès. Pour autant, les recherches personnelles de Jack lui permettent de faire la part des choses sur son père autant que sur sa mère. Pour autant, cette vie mouvementée l'oblige à entamer une psychothérapie pour tenter de se reconstruire ; Féru de théâtre, il deviendra quand même un star d'Hollywood, avec Oscar à la clé, mais dans les rôles de travestis uniquement ce qui est sans doute la conséquence de son manque de repères aussi bien maternel que paternel.
La quête de Jack finit par être récompensée, il retrouve son père et aussi sa demi-sœur qu'il ne connaissait pas.
L'aspect autobiographique de ce roman, le onzième de John Irving n'est pas contestable. l'auteur est né hors mariage et sa mère a toujours refusé de lui parler de son père ce qui a provoqué chez lui un traumatisme que l'écriture lui a sans doute permis d'exorciser. Il ne retrouvera cet homme qu'après la mort de ce dernier alors que lui-même était âgé d'une soixantaine d'années.
L’auteur est sans doute un spécialiste du tatouage puisque, tout au long de ce texte, il donne des détails techniques sur cet art et sur ceux qui y ont recours. Il n'oublie pas non plus la lutte dont il a été un ardent pratiquant non plus d'ailleurs que de l'érotisme. Irving a de l’imagination, fait volontiers dans le détail parfois inutile, a la plume facile, évoque beaucoup de personnages furtifs et pratique beaucoup (trop) les rebondissements dans ce texte. Cela donne un roman de près de neuf cents pages parfois assez indigeste et à mon sens trop long, que j'ai eu bien du mal à suivre et dans l'univers duquel j'ai eu beaucoup de difficultés à entrer. Je ne suis pas très sûr de vouloir en lire un autre.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LA MORT A VENISE – Thomas MANN
- Par ervian
- Le 09/10/2013
- Dans Thomas MANN
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N°684– Octobre 2013.
LA MORT A VENISE – Thomas MANN- Fayard.
Il est des endroits sur terre où, parce qu'ils sont plus fascinants que les autres, un être humain souhaite y rencontrer la mort. Ici ce n'est pas tout à fait cela. Cette nouvelle, publiée en 1912 est, comme bien des ouvrages de Thomas Mann, inspirée par sa biographie. L'auteur fit effectivement un voyage à Venise au milieu de l'année 1911 et commença à écrire ce texte.
Le célèbre écrivain munichois, reconnu et anobli, Gustav Aschenbach, la cinquantaine, est pris d'une soudaine envie de voyager. « Il lui fallait une détente, un peu d'imprévu, de flânerie, l'air du large qui lui rafraîchirait le sang, pour que l'été fût supportable et donnât des fruits. Il voyagerait donc...Une nuit en wagon-lit, et un farniente de trois ou quatre semaines dans quelques stations cosmopolites du riant Midi». Le voilà donc parti. Quand Aschenbach est sur la bateau qui l'amène à Venise, une sombre embarcation qui déjà appelle le thème de la mort, il est scandalisé par le spectacle d'un vieux-beau qui cache comme il peut son âge et sa décrépitude. Pour lui l'image de la vieillesse annonce la mort. L'homme fait ce qu'il peut pour cacher son état et cela énerve plutôt Aschenbach. Partout, l'idée de la mort est suggérée, jusque dans la couleur noire des gondoles vénitiennes. Quand il monte dans l'une d'elles qui l'amène à l'hôtel, il souhaite que ce voyage ne se termine jamais, ce qui est aussi l’image de l'éternité et du néant. La sérénissime elle-même n'a rien d’attrayant pour lui, le temps est maussade et l'odeur de la lagune est fétide. Lors d'un précédent séjour, il avait déjà eu cette sensation bizarre et avait quitté précipitamment la cité des doges. A peine arrivé à Venise, il songe donc à repartir à cause de la chaleur pesante et l'odeur répugnante des ruelles quand, dans son hôtel, il croise le regard d'un jeune adolescent polonais de quatorze ans, Tadzio, dont la beauté le bouleverse. Malgré cela, il n'abandonne pas son projet de départ mais un concours de circonstances l'y fait renoncer. Il prend conscience que, grâce à ce contre-temps il décide inconsciemment de rester à cause du jeune homme. Dès lors, il n'a plus d'yeux que pour son éphèbe dont il est follement amoureux et qui, lui semble-t-il, devient peu à peu son complice. Dès lors il est repris du désir d'écrire et c'est Eros qui lui souffle les mots. Il suit Tadzio de loin dans Venise sans vraiment l'aborder.
La saison touristique se termine et une odeur de phénol se répand dans les rues que les autorités justifient par le sirocco et la lourde température coutumière à cette période de l'année. En réalité un étrange mal, le choléra asiatique, s’installe dans la cité et l'épidémie s'étend malgré le silence des services officiels et une décision de quarantaine qui tarde. L’angoisse étreint Aschenbach que ce dernier combat en voulant retrouver un semblant de jeunesse peut-être pour séduire le jeune homme. L’écrivain meurt en contemplant une dernière fois l'objet de son amour.
Ce texte , d'inspiration romantique, est écrit dans une langue très riche et truffée d'allusions empruntées à la mythologie grecque où Éros et Thanatos tiennent une grande place. C'est une histoire de mort et de désir de mort, de passion comme désordre de la vie, inspirée par le dernier amour de Goethe qui, à soixante dix ans, tomba amoureux d'une jeune fille. L'auteur des « Souffrances du jeune Werther » fascinait Mann tout comme il fut bouleversé par la mort du compositeur Gustav Mahler intervenue quelques temps avant son voyage à Venise. L'influence dionysiaque de Nietzsche, une autre référence de Mann, est également présente dans cette nouvelle dont Luchino Visconti a tiré un film « Morte a Venezia » en 1971. On a beaucoup dit que cette nouvelle qui est inspirée par un fait réel, correspond à la révélation de l'homosexualité latente de l'auteur.
La seconde nouvelle intitulée « Tristan » met en scène un écrivain esthète, Detlev Spinell qui n'a jamais connu le succès et s'est retiré dans une sorte de sanatorium à Einsfried situé dans un univers montagneux et glacé . Il est l'archétype de l’égoïste capable seulement de détruire ce qu'il y a de beau autour de lui. Il y rencontre Gabriele Klöterjahn dont il s'éprend. Cette femme, maladive mais très belle va sans doute mourir de tuberculose mais ne répond pas à son amour. Elle vit dans l'ombre de son mari, prospère commerçant et attaché à sa réussite. Spinell, écrivain raté dont le travail essentiel consiste à expédier des lettres qui ne reçoivent généralement pas de réponse, se révèle superficiel face à cette femme. Il est même carrément pitoyable face au mari à qui il écrit à propos de son épouse. Cette atmosphère est un peu surréaliste et le monde qui est ici évoqué semble être déjà loin de la vie. Cette nouvelle de 1903 met en scène Spinell qui incarne la spiritualité esthétique opposée à la bourgeoisie utile représenté par l'époux de Gabriele, thème qu'on retrouvera dans« La montagne magique »(1924), œuvre bien plus célèbre de Mann qui reçut le Prix Nobel de Littérature en 1929. C'est aussi le thème de Tristan et Iseult, qui fut traité par Richard Wagner, celui de l'amour malheureux qui conduit à la mort.
La troisième nouvelle intitulée « Le chemin du cimetière » met en scène Lobgott Piepsam, un veuf qui a perdu également ses trois enfants, qui a été licencié de son travail et qui n'a pas été épargné par la vie au point que face à cette malchance et malgré sa volonté de résister moralement à l'adversité, il a perdu toute relation sociale. Il en a conçu une sorte de mépris de lui-même qui l'a conduit à devenir alcoolique. Cette nouvelle dont le titre est significatif, le présente sur le chemin du cimetière où il va fleurir les tombes de ses défunts. Puis tout à coup, parce qu'il est doublé par un cycliste, un jeune homme présenté comme « la vie triomphante face au marginal solitaire". Il se met à l'insulter sans raison, comme s'il le tenait pour responsable de tous ses malheurs. Alors, coup de folie, manifestation tangible de sa soûlerie ou envie soudaine et longtemps refoulée de désigner quelqu'un comme bouc émissaire ? Si cette dernière explication prévalait, elle me paraît bien humaine cependant.
La mort mais aussi la jalousie, la vengeance contre une destiné contraire ou un amour impossible sont les thèmes centraux de ce recueil.
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LES PAYS – Marie-Hélène LAFON-
- Par ervian
- Le 06/10/2013
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N°683– Octobre 2013.
LES PAYS – Marie-Hélène LAFON- Éditions Buchet Chastel.
Pour un agriculteur, on disait plutôt un cultivateur ou un paysan, même si on n'était pas exposant, aller au salon de l'agriculture, même pour trois ou quatre jours, était toujours un événement, surtout si on venait du Cantal. On aimait marcher dans les allées, regarder et toucher les bêtes même si elles faisaient partie de son quotidien. Ce n'était pas comme ces parisiens qui ne connaissent que le lait en briques et la viande découpée en barquette au supermarché. C'était aussi l'occasion d'aller à la Capitale, de voir Paris. Pour cela on sollicitait les amis ou la famille et comme tout bons provinciaux on a toujours un cousin qui habite la banlieue et qui pilote les nouveaux-venus dans cette ville où ils ont l'impression d'être dans un pays étranger, presque sur une autre planète.
Ainsi commence l’histoire de Claire qui y faisait ainsi ses premiers pas. Plusieurs années plus tard, bac avec mention en poche, elle y reviendra, mais comme étudiante à la Sorbonne parce que le métier de paysan, entre les négociations de Bruxelles et les difficultés grandissantes de l'agriculture de montagne, c'était terminé. Le père le disait d'ailleurs à la fin des repas de famille « On finissait, on était les derniers » même si cette génération d'agriculteurs ont inauguré le confort des machines qui facilitent le travail. Voilà donc Claire, étudiante parisienne en hypokhâgne qui découvre le milieu universitaire avec à la fois la crainte des mandarins méprisant la piétaille estudiantine et une sorte d'admiration pour M. Jaffre, un professeur pas vraiment dans le moule et même un peu rebelle. Elle ne s'y sent pas tout à fait à sa place, peut-être parce qu'elle est fille de paysan et qu'elle y côtoie d'autres étudiants qui remettent leurs pas dans ceux de leur père dans des humanités qu'on fait ainsi de génération en génération. Étudiante besogneuse, effacée mais appliquée, elle ne fréquente guère les autres, se contente de regarder de plus ou moins loin les plus brillants, les plus emblématiques ou les plus flamboyants, et de travailler. Elle leur préfère des « pays », des compatriotes, même si, comme Alain, ils sont magasiniers à la Sorbonne, dédiés à la manutention de livres qu'ils ne lisent pas et dont ils ne comprendraient peut-être pas le texte. Elle vit à Paris mais craint surtout de ne pas être reçue ce qui équivaudrait pour elle à la suppression de sa bourse sans laquelle elle devrait renoncer aux études. Elle travaille dur et les mois d'été, elle les passe derrière le guichet d'une banque pour un supplément d'argent qui lui permettra de s'offrir des vêtements qui la feront un peu plus ressembler à une parisienne. D'ailleurs, elle ne retourne que très rarement en Auvergne, vit pratiquement une existence citadine, de plus en plus étrangère à son pays et ne reçoit des nouvelles de la famille que par la poste.
Cet intermède estival et bancaire est certes alimentaire mais lui permet surtout d'observer un autre monde, celui du travail, de s'y faire accepter autant par son entregent, sa discrétion que par sa disponibilité mais surtout d'envisager autre chose, une carrière dans la Fonction Publique que lui permettront ses futurs diplômes, avec avantages sociaux et sécurité d'emploi. Cet entracte laborieux lui permet cependant de goûter les conversations oiseuses et sans grand intérêt qui généralement y ont cours, basées plus ou moins sur le quotidien des employés de l'agence et de leur histoire personnelle, de rencontrer tout un aréopage de collègues originaux ou parfaitement inintéressants qui d’ordinaire peuplent le monde du travail... et de jouir de sa position d’intérimaire très temporaire.
Nous la retrouvons à quarante ans, un peu vieillie, divorcée sans enfant, professeur à Paris, sa ville désormais où elle vit avec métro, trains et appartement sans ascenseur, mais qui passe ses vacances en Auvergne, dans son pays. Ce sont ses deux « terriers », ses deux refuges. Elle est maintenant une vraie parisienne qui reçoit annuellement chez elle sa famille, son neveu et son père, comme un rituel. Elle les initie aux nouvelles technologies, leur montre les avantages du confort moderne, de la vie à Paris, les traîne dans les musées auxquels ce père terrien ne parvient pas à s'intéresser. Le temps a passé pour elle comme pour les autres avec son cortège de souvenirs et de regrets d'enfance avec des objets arrachés au passé comme autant de jalons générateurs de mémoire qu'on garde jalousement et qui rappellent le pays quitté, comme déserté, « pour faire sa vie ». Un gouffre s'est creusé entre elle et cette famille au point qu'ils appartiennent maintenant à deux mondes différents qui ne se comprennent peut-être plus . Une bonne illustration de la phrase d'Eugène Delacroix mise en exergue de cet ouvrage «Nous ne possédons réellement rien ; tout nous traverse »
Il y a beaucoup de Marie-Hélène Lafon dans cette Claire, son départ d'Auvergne, son parcours universitaire, sa vie professionnelle et peut-être familiale ; c'est sans doute vrai mais il reste que ce départ de son « pays », de son décor d'enfance pour un autre univers auquel on doit impérativement s'adapter est, sans aucun doute, commun à tous et que nous tous pouvons, le transposant et au-delà de l'histoire, nous l'approprier.
Dans une précédente chronique (La Feuille Volante n°671 à propos de « MO »), j'avais dit mon sentiment à propos du style que je trouvais trop haché, trop minimaliste, simplifié à l’extrême et à mon sens trop peu agréable à lire pour un lecteur peu averti comme moi. Je ne l'ai heureusement pas retrouvé ici, bien au contraire. La phrase est, dans ce roman, plus ample même si elle est un peu longue, plus précise, plus poétique parfois, plus colorée, impertinente quelquefois, illuminée à l'occasion de mots vernaculaires (Le vent de neige se dit en Auvergne « écire » ou « burle ») et fort agréablement enlevée avec ce rien d'humour qui vous la fait relire rien que pour le plaisir. J'ai donc lu ce livre avec délectation, un peu à cause de l'histoire, un peu à cause de la musique et de la justesse des mots, de l'odeur des lieux, de la suavité des paysages décrits et peut-être aussi de la nostalgie qu'il distille. Et puis j'apprécie toujours quand un auteur m'emmène avec lui pour un bon moment de lecture et surtout quand il sert, avec sa plume, notre si belle langue française.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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ANGES DECHUS – Gunnar Staalesen
- Par ervian
- Le 04/10/2013
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N°682– Octobre 2013.
ANGES DECHUS – Gunnar Staalesen- Gaia
Depuis que feu le service militaire a disparu, il ne reste plus que les rencontres d'anciens camarades de classe pour parler du bon vieux temps. Pour cela, il n'est rien de tel que des enterrements pour se retrouver, même si c'est autour d'un cercueil qu'on évoque les bons moments. Jan Petter Olsen vient de mourir, tombé d'un échafaudage, un banal accident du travail et c'est l'occasion pour Varg Veum, policier privé norvégien, de retrouver ses vieux copains, ceux avec qui il peut parler de sa jeunesse, des années d'insouciance, l'occasion aussi de se pencher sur le parcours personnel et professionnel de chacun et bien entendu du groupe de rock, « les Harpers » qui, à cette époque ont connu un vif succès et dont faisait parti le défunt. Varg, quant à lui était en marge des « Harpers », en était juste un admirateur qui les suivait.
La cérémonie terminée c'est dans les bars de Bergen que se poursuit leurs conversations d'autant qu'elles évoquent aussi leurs amours passées. Jakob, ancien membre de des « Harpers » demande à Varg de retrouver sa femme, Rebecca, qui vient de le quitter. C'est délicat pour lui puisque cette Rebecca est l'ancienne amie d'enfance de Varg que, bien sûr, il n'a pas oubliée, même si l'amour qu'il lui portait n'était pas vraiment partagé et qu'entre eux il n'y a jamais rien eu que de très chaste. Si, à l'époque il lui avait parlé, sa vie aurait sans doute pris une autre route ! C'est l'occasion pour Varg d'aller au devant de ses illusions perdues, de rencontrer les fantômes qu'il croyait oubliés. Apparemment elle est partie avec Johnny Solheim, le chanteur de l'ancien groupe mais rien n'est sûr, cette Rebecca paraît être une nomade de l'amour. Au fur et à mesure de ses recherches, notre « privé » constate que deux des anciens membres du groupe sont déjà morts, mais pas de vieillesse, et Johnny, objet des recherches de Varg est retrouvé poignardé en pleine rue. Pourtant, les choses se compliquent un peu puisque Jan Petter Olsen qui vient de mourir n'était pas membre des « Harpers ». Seul Jakob survit... pour combien de temps ? C'est d'autant plus inquiétant que Johnny, avant de mourir avait reçu un message explicite qui donnait à penser à une suite fatale, une série de quatre images d'anges dont deux était déjà rayés (Harpers veut dire anges en norvégien). De plus, il s'interroge sur ce qui a bien pu provoquer, à l'époque, son éclatement mystérieux, c'était en 1975, exactement le 16 octobre, onze ans avant !
Apparemment c'était une histoire de filles, Johnny avec Rebeca, déjà, et Jakob avec Anita , même si c'est un peu plus compliqué et apparemment la gent féminine tournait beaucoup autour des « Harpers » ! Ce n'était pas la même époque, on vivait plus librement, et le groupe avait des fans féminines prêtes à tout. Quant à Anita, elle semble avoir beaucoup contribué à l'éclatement du groupe, sa vie amoureuse était à l'époque sans entrave, son mariage avec Johnny battait de l'aile... Cette année 1975 a sonné comme celle des anges déchus. Elle a été le début de la fin pour le groupe mais aussi l'explication de bien des événements.
Les investigations de Varg l'amènent à connaître des membres de la police, le Commissaire Dankert Muus et son adjoint Ellingsen, Vadheim et Jensen... et de tâter des geôles locales puisqu'il était le dernier à avoir vu Johnny vivant. Ses recherches bousculent un peu le passé de ses anciens amis, dépoussièrent leur personnalité et leur amitié de façade, ce qui n'est jamais sans mauvaises surprises. Il est vrai qu'il patine un peu notre « privé » mais il a bien du mal à faire parler des gens qui veulent avant tout oublier cette période de leur vie. Silences, non-dits, choses inavouables, mensonges, adultères, viol, inceste, trahisons, rivalités amoureuses, vies brisées, vengeance, fascinations réciproques mais aussi haines et violence entre personnages, forment la trame de ce roman. Et tout cela sur fond de période de Noël, de normalité et d’apparences trompeuses qui dégoûtent Varg. Il y a là sans doute de quoi noyer ce chagrin là dans l'alcool. On se raccroche à ce qu'on peut face à une vie qui ne vous fait pas de cadeaux. S'y ajoute un discours religieux surannée et en aucune façon apaisant sauf pour ceux qui en sont convaincus d'avance, le contraire en tout cas d'un traditionnel message d'espoir qu'on est en droit d'attendre de cette institution. Ce qui importe au Pasteur Berge Brevick à la fois pathétique et hypocrite, c'est, comme au plus beau temps du Moyen-Age, qu'une âme soit sauvée ! Les hommes sont bien des anges déchus mais assurément l'espèce humaine n'est guère fréquentable, un roman de la désespérance ou peut-être de la réalité !
C'est un roman un peu glauque et pessimiste que j'ai lu jusqu'à la fin, partagé entre l'envie de connaître la fin et étonné par les nombreux rebondissements qui entretiennent le suspense. La fin quant à elle ne surprend guère et est bien dans le droit fil de ce récit, pas tellement fictif.
Je suis moi-même un peu versé dans la nostalgie et j'avoue que ce roman en est chargé, notamment avec des souvenirs d'enfance, des moments perdus ou gaspillés qu'on ne peut rattraper et qu'on regrette, avec le souvenir des Beatles, d'Elvis Presley et de James Dean, ce qui n'est pas pour me déplaire, même si cela ne me rajeunit pas !.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LULU FEMME NUE – Étienne Davodeau
- Par ervian
- Le 30/09/2013
- Dans Étienne Davodeau
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LULU FEMME NUE – Étienne Davodeau – Futuropolis (B.D.)
Les lecteurs friands de bandes dessinées pornographiques vont être déçus, le titre, même s'il invite aux fantasmes ne cache rien d'autre qu'une banale histoire, une tranche de vie d'une femme de quarante ans, mariée, mère de famille qui, après une longue période de chômage de plus de quinze années décide de se rendre à un entretien d'embauche à quelques dizaines de kilomètres de chez elle. Bien sûr, sans diplôme ni qualification, cela tourne court mais au lieu de rentrer directement chez elle, elle décide de s'octroyer une journée de liberté. Elle croise la route de Solange, une VRP qui l'invite à parler d'elle, ce qu'elle n'a encore jamais fait. C'est bien la première fois que quelqu'un s'intéresse à elle dont la vie, jusque là, se résumait à pas grand chose « J'ai parfois l'impression d'être presque une extension de la gazinière et du lave-linge », « ma vie ne me plaît pas, il ne se passe rien » avoue-telle. Poursuivant son projet de liberté temporaire, Lulu demande à Solange de l'emmener avec elle. Elle se retrouve donc au bord de la mer, en octobre, errant entre jetée et plage ou au hasard des rues, seule mais surtout ne cherchant pas à prévoir l’instant d’après, libre, apaisée, calme.
Elle s'est simplement contentée d'annoncer par téléphone à sa famille et à Cécile, son amie, sa petite escapade temporaire sans qu'elle sache vraiment combien de temps elle va durer. Chez elle, on s'inquiète, son mari, Tanguy, un être frustre, pas très fin et alcoolique qui commence à noyer son ennui dans la bière, ses deux fils, Morgane, sa fille de seize ans. Xavier, le mari de Cécile part à la recherche de Lulu. Pendant ce temps, notre aventurière rencontre Charles et en tombe amoureuse, décide de vivre avec lui quelques jours même s'il se révèle être un ancien taulard flanqué de ses deux frères, sorte de pieds nickelés marginaux, mais sympathiques et attachants. Xavier puis, à sa suite Margot et ses frères retrouvent Lulu mais décident de la laisser vivre cette passade. Elle repart donc à l'aventure, sur la route, sans argent et rencontre Marthe, une veuve solitaire mais philosophe qui lui offre son amitié et ses rillettes périmées contre la relation de son histoire et de ses journées désœuvrées. C'est un échange à la hauteur de cette histoire échevelée et même parfois un peu surréaliste mais peu importe, nous sommes dans une fiction, restons-y ! La vie s'écoule ainsi jusqu'à leur rencontre avec Virginie, une jeune serveuse de bar un peu paumée et exploitée par sa patronne. Un temps elle semble marcher avec ses deux comparses et veut tout envoyer par dessus les moulins mais finalement préfère son travail mal payé et précaire. Finalement tout rentrera dans l'ordre mais pas exactement comme avant, quand Lulu ne vivait que pour les autres.
Ce que je retiens de cette fable qui n'est peut-être pas si fictive que cela, c'est qu'elle est une illustration de ce « démon de midi » qui intervient dans chacune de nos vies, souvent sans prévenir et les illumine ou les pourrit, c'est selon. J'ai apprécié également l'humour subtil du texte et des dessins, le suspens qui irrigue tout ce récit puisque, au fil de cette lecture on ne peut pas ne pas penser que Lulu est morte à la suite de cette foucade. C'est en effet Xavier qui, au cours d'une nuit entre copains et à l'aide de bières, d'interrogations et d'états d'âme fait la relation de cette aventure de Lulu. Cela ressemble à une veillée funèbre. Ce n'en est pas une, quoique !
J'observe aussi que c'est la parole qui a pris le dessus sur le gris de la vie de Lulu et de Marthe. La couleur justement, elle varie entre la grisaille et le sépia, le bleu étant réservé au ciel et à la mer, symbole de cette liberté que le bord de la mer souligne et que Lulu attendait peut-être depuis longtemps sans oser sauter le pas. Pendant ces dix neuf jours qu'a duré son escapade, cette femme pas vraiment belle, mal habillée et pas sexy du tout a été elle-même pour finalement revenir au bercail entre enfants, mari et quotidien ménager. En fait de nudité, elle est beaucoup plus morale que physique et on imagine la vie future de Lulu, même dans son quotidien familial qui ne sera plus vraiment pareil après cette fugue.
Je ne suis pas familier des bandes dessinées mais là, j'ai bien aimé et cela a consisté pour moi en un bon moment le lecture, plein d'émotion, de tendresse, d'humanité.
© Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Quelques mots sur John Irving
- Par ervian
- Le 29/09/2013
- Dans John Irving
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N°678– Septembre 2013.
Quelques mots sur John Irving
A la suite de la lecture du numéro spécial du Magazine littéraire d'août 2013 consacré aux « 10 grandes voix de la littérature étrangère », j'ai choisis parmi ces écrivains la figure de John Irving.
Ce romancier et scénariste américain est né en Mars 1942. Sa naissance a été pour lui et pendant de nombreuses années une sorte d’interrogation qui a nourri son œuvre romanesque. L'un de ses roman « Je te retrouverai » est marqué par ce thème et beaucoup d'autres mettent en scène des femmes seules qui élèvent leurs enfants. Sa mère, Helen Winslow, descendante d'une des plus vieilles familles de Nouvelle-Angleterre, l'a mis au monde hors mariage, refusant obstinément de lui révéler le nom de son père. Il ne connaîtra que très tardivement le nom de son géniteur lorsque celui-ci sera mort. Plus tard, elle se mariera avec avec Colin Irving, un professeur d'une prestigieuse université et il donnera son nom à son beau-fils. Il fit des études à l' Exter Academy mais y fut un étudiant médiocre à cause d’une dyslexie diagnostiquée tardivement et obtint son diplôme de littérature. Il fut cependant un lutteur passionné et talentueux ce qui lui permit de compenser , dans ce pays où le sport est roi, une scolarité difficile. Il obtint ensuite une bourse, partit pour l'Autriche.
Sa carrière littéraire démarra à 26 ans avec la publication d'un premier roman « Liberté pour les ours » mais le succès ne fut pas au rendez-vous. « L'épopée du buveur d'eau » et « Un mariage poids moyen » connurent le même sort mais ce ne fut que son quatrième roman, « Le monde selon Garp » qui fut un best-seller international porté à l'écran en 1982 par Georges Roy Hill. Cet ouvrage le fit littéralement sortir de l'anonymat.
A partir de 1985, il publia des romans diversement accueillis par la critique mais où l'influence de Charles Dickens se fait sentir. Il confesse lui-même ne pas avoir été attiré par les grands noms de littérature américaine comme Faulkner, Fitzgerald ou Hemingway. « Le XIX° siècle m'a toujours parlé » ou « J'avoue que je suis un écrivain du XIX° siècle » ; C'est aussi un écrivain engagé, militant pour la tolérance, le respect des différences notamment en faveur des minorité sexuelles, comme dans « A moi seul bien des personnages », son dernier roman. Ses romans sont souvent volontiers polémiques et sont porteurs de débats. Il est aussi un adepte des romans longs, faisant porter ses intrigues souvent sur l'adolescence et le passage à la vie d'adulte.
Il reste un exceptionnel raconteur d'histoires qui passionne son lecteur et ne le libère qu'une fois le livre refermé.
© Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LA NUIT TOMBEE – Antoine Choplin
- Par ervian
- Le 28/09/2013
- Dans Antoine CHOPLIN
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N°680– Septembre 2013.
LA NUIT TOMBEE – Antoine Choplin – Éditions la Fosse aux ours.
Prix du roman France Télévision 2012.
Gouri est écrivain public à Kiev où il vit avec Térésa sa femme et leur fille Kesnia. ll revient à moto pour la première fois depuis deux ans dans le région contaminée de Tchernobyl interdite au tout habitant. Pourtant, avant de se retrouver dans la zone interdite il traverse des villages ou de rares être humains vivent encore et qui ont choisi de rester pour braver l'interdit ou simplement parce qu'ils n'avaient pas ailleurs à aller, au mépris de la souffrance et de la mort.
C’est que ces lieux ont été pour lui synonymes de bonheur familial jusqu'à l'explosion de la centrale et il a été contraint de les quitter. S'il a été épargné par la catastrophe, cela n'a pas été le cas de sa fille Ksénia contaminée par la radioactivité. S'il est là, c'est parce qu'il s'est assigné une mission : récupérer la porte décorée par leur fille de leur ancien appartement, à Pripiat. Pour cela il lui faut entrer dans la zone interdite malgré l'interdit, les soldats qui contrôlent et les trafiquants qui pilent tout, mais avant de pousser plus loin, il rencontre ses anciens amis, Iakov, Vera, Kouzma qui survivent comme ils peuvent, irradiés et malades. Avec eux, il évoque le passé, ceux qui ont choisi de se dévouer sans aucune protection pour tenter d'enrayer la catastrophe, ceux qu'on a appelés « les liquidateurs » et qui, pour la plupart sont morts, ces maisons enfouies par les bulldozers, ces champs qu'il a fallu décaper et traiter, ces villes désormais désertes et surtout ce silence, ce vide, ce monde désormais interdit. On évoque cet avant-goût de l’apocalypse en buvant de la vodka comme pour exorciser ces événements et ce présent qui est une hypothèque sur l'avenir et en mangeant des produits contaminés, comme par défit. Gouri a sa façon à lui de réagir, depuis la catastrophe, il a composé un poème par jour « comme un petit crachat de ma salive à moi dans le grand feu, et se sera comme ça tous les jours que Dieu me donnera. »
L'art serait-t-il le dernier rempart contre la souffrance et la mort, la barbarie, contre ce réacteur qui menace toute l'Europe, qui reste comme une insulte à l'humanité. Le nom de Tchernobyl n'est jamais cité comme si ce livre était celui d'un retour, celui d'un poète, d'un écrivain public qui a été « liquidateur » mais ne trouve rien de mieux que les mots pour réagir face à l'horreur et à la mort, « oui mai c'est déjà pas mal » note-t-il... Il y a aussi une une dimension poétique dans ce livre. Iakov, cet ami qui va mourir et qui le sait demande à Gouri le poète de l'aider à écrire, une ultime fois, une lettre d'amour à sa femme pour la remercier d'avoir été à ses côtés, quelque chose qu'elle aimera lire, qui lui fera du bien quand il ne sera plus là ! Il faut que cela soit écrit de sa main, par lui, comme si cela venait de lui, même si ce ne sont pas exactement ses mots. Cette complicité entre un homme qui va mourir et un autre qui va rester en vie se manifeste donc à travers des mots, de la poésie, la seule chose qui vraiment incarne la vie... Et puis il y a les poèmes de Gouri qui disent avec une grande économie de mots tout ce que cet épisode a eu de monstrueux et qui porte encore en lui sa dimension de mort. « La bête n'a pas d'odeur et ses griffes muettes zèbrent l'inconnu de nos ventres. D'entre ses mâchoires de guivre jaillissent des hurlements des venins de silence qui s’élancent vers les étoiles et ouvrent des plaies dans le noir des nuits. Nus voilà pareil à la ramure des arbres dignes et ne bruissant qu'à peine transpercés pourtant de mille épées à la secrète incandescence ».
© Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Décès d'Alvaro Mutis
- Par ervian
- Le 27/09/2013
- Dans Alvaro Mutis
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N°679– Septembre 2013.
Décès d'Alvaro Mutis
J'apprends le décès d'Alvaro Mutis survenu le 22 septembre dernier au Mexique où il vivait. Il avait 90 ans.
Les habitués de ce site, les lecteurs de cette chronique qui date maintenant d'une trentaine d'années ne peuvent ignorer l'intérêt que j'ai très tôt porté à l’œuvre du poète et romancier colombien. La Feuille volante en a largement gardé la mémoire [N°75 ,100, 163...] et je veux ici rendre hommage au talent de cet auteur même si je n'en ai jamais été qu'un simple lecteur anonyme mais passionné.
Il était l'ami de Gabriel Garcia Marquès qui avait su discerner chez lui un remarquable talent de conteur, « L'un de nos plus grands écrivains » avait dit le lui le Prix Nobel ! Il y avait entre eux une sorte de complicité littéraire puisque que Marquès avouait volontiers « Il y a une part importante d'Alvaro dans presque tous mes livres. ». En France Bernard Clavel avait dit de lui « Mutis est un enchanteur ».
Né en 1923 à Bogota, il avait habité en Belgique où son père était diplomate. Il y resta jusqu'à la mort de ce dernier en 1932. Il revint en Colombie pour s'y marier et y exercer des fonctions d'animateur radio et de chroniqueur littéraire. Il orienta ensuite sa carrière dans le domaine de la publicité puis des relations publiques auprès de société pétrolières, d'aviation ou d'assurances. Il fut un temps inquiété pour une affaire de malversation financière qui l'obligea à s'exiler au Mexique où il fut incarcéré. Ensuite il parcourut le monde pour vendre des films pour l'industrie cinématographique américaine. Ses fonctions lui permirent de voyager et ainsi sans doute de concevoir la figure emblématique de son œuvre, celle de Maqroll El Gaviero, Maqueroll le Gabier. Avant cela, il y eut des romans, des poèmes qui n'ont peut-être pas rencontré un vif succès mais dont Otavio Paz n’a pas manqué, dès 1959, de souligner l’intérêt parlant de leur auteur comme d' « Un poète dont la mission consiste à convoquer les vieux pouvoirs, faire revivre la liturgie verbale, dire la parole de vie. » .
Le voyage est au cœur de son œuvre et je voudrais revenir sur le personnage de Maqroll qui l'incarne. Héritier de la marine à voile, le gabier est celui qui, juché en haut du plus haut mât du navire, veille à la manœuvre mais aussi à la marche du bâtiment. La vigie c'est lui, il est le veilleur, celui qui ne dort pas, qui observe. La figure de Maqroll apparaît dès 1953 dans un recueil de poèmes publié plus tard en France sous forme de traduction et intitulé « Les éléments du désastre ». Elle ne quittera plus son œuvre au point qu'on pouvait dire que l'auteur et Maqroll marchaient d'un même pas, mais si c'était au bord de l'abîme que ce pauvre monde incarne. Ce Maqroll n'est rien d'autre qu'un modeste membre d'équipage souvent attaché à un rafiot brinquebalant qui se traîne sur les mers ou sur les fleuves. Il ne pose que très rarement sac à terre mais quand cela lui arrive, le continent lui réserve aussi des surprises souvent pas très bonnes. C'est sans doute pour cela qu'il est notoirement incapable de se fixer quelque part ! Et dans ce sac justement il y a ce qu'on ne s'attend pas à trouver, ce sont souvent des livres rares et précieux qu'il relit jusqu'à satiété. C'est que cet homme, s'il a, à sa manière, des « semelles de vent » est cultivé, c'est un honnête homme qui vous parle volontiers de la guerre de succession d'Espagne, de celles de Vendée, cite par cœur Chateaubriand et tient Louis Ferdinand Céline pour le meilleur auteur français.
Il y a aussi son double, Abdul Bashur, son grand ami, presque son frère. Lui, issu d'une famille d'armateurs levantins est un idéaliste. Il symbolise l'amitié à laquelle Maqroll est par dessus tout attaché. Dans « Abdul Bashur, rêveur de navire », il poursuit cette idée un peu folle de découvrir un navire aux lignes parfaites et, pour se faire, n’hésite pas à rencontrer les personnages les plus louches. "J'ai appris désormais à tirer des rêves jamais réalisés de solides raisons de continuer à vivre et je m'y suis habitué." avoue-t-il. Il y a aussi sa mort, annoncée et prévisible qui fait de sa vie une improbable quête, le rapprochant de son ami Maqroll dont l'existence a été une perpétuelle errance sur les mers. J'ai toujours aimé ce personnage, anti-héros par excellence et « son absence de goût et de projets d'avenirs » et surtout sa prodigieuse aptitude à se mettre dans des situations inextricables qui tournent souvent au fiasco.
Maqroll est aussi fidèle en amitié comme cellE qui le lie au peintre Alejandro Obregon dans « Le dernier visage » ou à Sverre Jensen dans « le rendez-vous de Bergen ».
Maqroll est avant tout un réaliste, une sorte d'Ulysse en perpétuelle errance qui jette cependant sur l'humanité un regard de plus en plus désabusé :« Les hommes changent si peu, continuent d’être perpétuellement eux-mêmes au point qu’il n’existe qu’une seule histoire d’amour depuis la nuit des temps qui se répète à l’infini sans perdre sa terrible simplicité, son irrémédiable infortune. ». Sur la vie aussi dont il nous rappelle qu'elle est transitoire, que nous n'en sommes que les usufruitiers et qu'elle s'arrêtera un jour, souvent sans crier gare, que le but de l'existence sur terre n'est pas forcément la réussite sociale. La Camarde hante l’œuvre de Mutis[« Chaque poème un pas vers la mort/ une fausse monnaie de secours/ un tir à blanc dans la nuit.» in « Les éléments du désastre], elle n'est pas morbide pour autant et même si elle est simple, voire simpliste, j'aime que ce soit ce Maqroll qui me le rappelle à l'envi.
L'amour justement qui fait tellement partie de sa vie qu'il est aussi une perpétuelle quête. Il s'incarne dans des femmes à la fois aimante et énigmatiques qui ont nom Illona, Antonea, Flor Estevez et combien d'autres. Elles sont incontournables de ce personnage de marin qui a une femme dans chaque port mais aussi une insondable solitude, vivant l'amour davantage comme des passades que comme des passions avec cette insatiable envie de départ parce que pour lui le voyage est aussi une fuite. Chacune de ces femmes est à la fois sa maîtresse, sa mère, sa compagne, son amie, son double, bref une nécessaire compagnie qu'il quitte cependant, obéissant à l'appel du large.
C'est vrai que ce Maqroll est aussi un amateur d'alcool, un épicurien et Mutis ne manque jamais l'occasion de glisser dans son texte la recette d'un cocktail. Ses aventures tiennent en haleine son lecteur devenu complice jusqu'à la dernière page du roman.
Ce que je retiens de Mutis, c'est qu'il est un extraordinaire conteur, un magicien des mots. A titre personnel, je l'ai toujours considéré comme un écrivain d'exception par cela sans doute qu'il prend son lecteur dès la première ligne d'un roman et ne l'abandonne qu'à la fin sans que l'ennui ait, à aucun moment, pollué sa lecture. Ils ne sont pas nombreux ceux à propos de qui j'ai pu écrire cela ! C'est à cela sans doute qu'on reconnaît un authentique écrivain !
L'ensemble de son œuvre fut couronné par divers prix en Colombie mais aussi en France [Prix Médicis étranger en 1989 pour « Les neiges de l'Amiral », Prix Roger-Cailloix en 1993] et en Espagne « Prix Prince des Asturies », « Prix Reine Sophie » en 1997 puis « Prix Cervantes » en 2001]. Certaines de ses œuvres comme « La mansion de Araucaima » et « Ilona vient avec la pluie » ont été adaptés par le cinéma colombien en 1986 et 1996.
© Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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CHRONIQUE D'HIVER – Paul Auster
- Par ervian
- Le 25/09/2013
- Dans Paul AUSTER
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N°661– Juillet 2013.
CHRONIQUE D'HIVER – Paul Auster – Actes Sud.
Traduit de l'américain par Pierre Furlan.
Ce n'est pas la première fois que Paul Auster écrit un roman autobiographique. Il a déjà publié des ouvrages qu'on peut regrouper sous ce vocable [« Invention de la solitude » – « Le diable par la queue » – « Le carnet rouge »], mais, peut-on vraiment parler d’autobiographie puisque, de son propre aveu, quand il écrit, sous sa plume, elle le dispute à la fiction, comme une tentation en quelque sorte.
Ce qui frappe le plus, dès l'abord, c'est l'emploi de la deuxième personne. D'ordinaire soit l'auteur emploie le « Je », soit il se cache sous les traits d'un personnage qu'il met en scène comme un peintre réalise un « trompe-l’œil ». Le tutoiement est sans doute ici une incitation au partage avec le lecteur, comme s'il y avait un autre témoin qui s'adressait à l'écrivain, qui lui racontait sa propre histoire. Mais cet artifice, car c'en est un, est-il vraiment nécessaire voire indispensable pour que le lecteur s'approprie ainsi un texte ? Les souvenirs personnels que l’auteur égrène sont-ils de nature à faire ressortir du néant ceux du lecteur ? Certes, Montaigne rappelait que tout homme porte en lui la marque de la condition humaine et nous la partageons donc tous. Quand Auster paie son écho au sexe, à l'enfance, aux premiers émois amoureux de l'école maternelle, à ses premières tentatives d’adolescent maladroit, quand il nous parle du quotidien, de ses sensations, de ses impressions, qu'il évoque ses propres peurs devant la mort, celle de sa mère qui préfigure la sienne, la vieillesse qui vient, les agressions que son propre corps a subi, cela peut parfaitement réveiller quelque chose en nous ! La mort, justement, elle est présente en filigranes dans tout ce texte mais c'est bien naturel puisqu'elle est le terme normal de la vie, même s'il s'émeut de sa survenue dans toutes les existences qu'ils évoque. C'est sans doute là une vaste question et il est légitime qu'un auteur souhaite entrer en communion avec celui qui le lit, lui montrer que finalement il n'est pas vraiment différent ! J'ai plutôt eu l’impression que cela fonctionnait bien et le texte m'a vraiment, par moment, donné l’impression de se dérouler sur le ton de la confidence. Je ne sais si cela tient à moi mais au fil de ma lecture, j'ai eu le sentiment, bien que ma vie soit fondamentalement différente, que quelqu'un s'adressait à moi, me parlait de quelque chose que je connaissais. Cette complicité avec son lecteur a sans doute ses limites puisqu'il avoue lui-même« qu'il est bénéfique pour la santé mentale d'un écrivain de ne pas savoir ce qu'on dit de lui. ». C'est un rappel à la réalité, une découverte pour moi qui ait largement et depuis longtemps pris la liberté de commenter son œuvre mais je reste persuadé qu'un écrivain est attaché à l'image qu'il donne à ses lecteurs. Parfois aussi, j'ai eu la certitude qu'il en faisait un peu trop notamment quand il nous parle de la prostituée parisienne qui, après son office, citait Baudelaire ! En outre, la liste exhaustive de ses différentes résidences, aux États-Unis où en France ne font que mesurer le temps et son parcours dans ce monde et à mon sens n'ajoutent rien d'autre.
Dans ce récit, il est beaucoup question du corps, du froid, de la faim, et ce qu'Auster décrit peut parfaitement éveiller en nous des réminiscences. Pour un créateur, la vie reste le moteur de l'écriture et il y puise souvent ses meilleurs pages, que celles-ci lui soient inspirées par le bonheur ou la misère la plus noire. Il ne manque pas d'auteurs pour célébrer l'instant exceptionnel et disséquer ce que ce moment unique révèle pour lui. Les sentiments qu'ils expriment leur sont éminemment personnels, n’appartiennent qu'à eux. Parfois aussi, ces moments intimes vont au-delà du souhait de l'auteur. Ce dernier nous raconte une histoire qui peut nous passionner ou nous laisser de glace. Si le lecteur est aussi un artiste ou simplement s'il entre dans le texte au point de le faire sien simplement parce qu'il est évocateur, cette appropriation peut se muer en intérêt particulier pour l'écrit, se transformer en recréation... La plupart du temps cela se fait dans le plus strict secret mais pour un auteur, transformer une vie, l'embellir, la bouleverser, et ce dans le plus strict anonymat, reste sans doute pour lui, s'il est un authentique créateur, un but ultime dont cependant il ne connaîtra jamais le résultat.
La crise économique, la société telle que nous la connaissons, de plus en plus déshumanisée et peut-être éloignée de la culture peuvent considérer le roman ou l'art en général comme inutiles. Il n'en reste pas moins que cela résulte du travail de son auteur. Que cela suscite à ce point l'émotion de quelqu'un qui, l'instant d’avant ne connaissait pas l'existence de l’œuvre, illustre le formidable pouvoir des mots, des idées des images et des sons. Pourtant, à titre personnel, ce que je recherche dans un texte écrit par un étranger ce n'est pas tant de retrouver mes propres souvenirs que de profiter de son style, d'apprécier une belle description, d'entrer dans l'histoire, d'affermir ma propre culture, de prendre une leçon d'écriture, de goûter un dépaysement salutaire, d'approfondir un thème de réflexion...
Ici, Paul Auster raconte sa propre histoire, mais il le fait d'une manière désordonnée, sans le moindre souci de la chronologie. Au début d'une page il peut avoir 5 ans et à la phrase d'après il en a 50. Ce n'est guère dérangeant. A cet égard, le titre « Chronique d'hiver » est révélateur. Le récit s'ouvre sur l'hiver new-yorkais fait de glace, de neige, de vent et de tempêtes. Les éléments qui se déchaînent sont peut-être le moteur de son inspiration. Elle ne prévient pas, se manifeste de la manière la plus inattendue et quand l'impulsion de l'écriture est donnée, la faculté créatrice se déclenche et ne s'achèvera que lorsque les mots l'auront épuisé. Dans ce thème, je vois personnellement la marque du temps qui s'impose à l'auteur. Né en 1947, il a 66 ans, ce n'est pas très vieux mais ce n'est plus vraiment la jeunesse et l'hiver est ici synonyme de la dernière phase de la vie. Écrire est le métier de l'écrivain et le temps pèse sur lui davantage sans doute que sur le commun des mortels puisqu'il a quelque chose à dire et qu'il souhaite le faire rapidement « Parle tout de suite avant qu'il ne soit trop tard » est-il écrit au début, parce que le livre qu'il vient de commencer doit impérativement être terminé et ce qu'il porte en lui être exprimé, de peur d'être, comme chacun d'entre nous happé par la mort qui frappe sans prévenir. La camarde signifie pour l'écrivain plus que pour tout autre le silence.
Finalement, le livre refermé, il me reste personnellement une impression plutôt bonne comme celle déjà éprouvée lors de mes lectures précédentes, pas vraiment enthousiaste cependant, un moment le lecture agréable dû au style de l'auteur ou au talent du traducteur, une sorte de sentiment de complicité que je ne saurais moi-même pas très bien caractériser ni expliquer, quelque chose d'humain, de personnel, de nostalgique.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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BERTHE MORISOT- Le secret de la femme en noir – Dominique BONA
- Par ervian
- Le 25/08/2013
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N°677– Août 2013.
BERTHE MORISOT- Le secret de la femme en noir – Dominique BONA- GRASSET.
Tout a commencé par un tableau d’Édouard Manet, celui d'une femme, en noir avec un bouquet de violettes sur la poitrine pour seul bijou. Cette femme c'est Berthe Morisot et c'est un mystère. Elle est peintre elle-même, appartenant au groupe des Impressionnistes, et apparaît déjà sur de nombreux tableaux de Manet, c'est une grande bourgeoise, de bonne éducation, pas un modèle professionnel. Son père, ancien préfet est membre de la Cour des Comptes et sa mère, par une filiation compliquée, est la petite-nièce du peintre Fragonard. Elle n'a donc pas, selon la légende des peintres, une vie maudite. L'école des Beaux-Arts est fermée aux femmes, Guichard, un peintre ami lui ouvre ainsi qu'à sa sœur Edma les portes du Louvre où elles peuvent ainsi copier les maîtres. Là, elles rencontrent d'autres peintres mais ce qui intéresse le plus Berthe, ce sont les paysages.
Elles sont admises dans la bonne société, dans le grand monde des arts et de la politique et Berthe rencontre Manet dont les toiles font scandale. Les deux sœurs travaillent avec talent mais Berthe s'impose et le peintre qui la prend souvent pour modèle a tendance à intervenir sur ses toiles, ce qui lui déplaît fort. Avec le temps Berthe qui a subi l'influence de son maître réussit à substituer les couleurs claires à la palette noire de Manet.
A trente ans elle est encore célibataire et doit résister aux sollicitations de sa famille qui souhaite la voir mariée, mère de famille et se détourner de la peinture. La guerre de 70 ne la tire pas de son ennui, elle s'impose un mutisme face à la Commune et alors que la guerre civile fait rage dans Paris elle est dégoûtée de ses semblables. Elle ne vit que pour la peinture et bientôt pour l'aquarelle ! A la fin des hostilités, elle retrouve Manet et souhaite poser pour lui. Les différents prétendants qui se pressent autour d'elle sont éconduits, soit par elle, soit, comme Puvis de Chavannes, par la famille. A trente trois ans, elle finit par jeter son dévolu sur Eugène Manet, le frère sans grand talent et de petite fortune d’Édouard dont elle devient la belle-sœur. Dès lors Berthe s'épanouit, n'est plus anorexique comme avant mais cesse d'être le modèle d’Édouard qui peindra dorénavant des femmes inconnues, sensuelles et nues. Non seulement la vie conjugale ne la comble pas, elle n'est pas heureuse malgré ses voyages et sa vie paisible mais encore sa peinture ne reflète pas exactement ce qu'elle est : c'est une passionnée et une combative et elle se présente comme une femme détachée de tout. Dans l’intimité de son couple, Eugène, conventionnel, jaloux, valétudinaire ne semble pas être l'homme qu'il lui faut pour mener correctement sa carrière. Pourtant, il la respecte en tant qu'artiste et lui qui peint également s'efface volontiers devant elle. C'est un brave homme, dévoué et sincère sur qui elle peut compter. Sa décision est prise et même si elle se heurte à l'ironie maternelle, Berthe a trouvé sa voie, elle sera peintre professionnelle mais, tournant le dos à l'Académie, choisit la liberté de peindre en rejoignant le groupe des Impressionnistes où elle est la seule femme.
Elle expose au salon de 1874 où la critique se moque de ce courant nouveau. Elle devient donc avec ces indépendants une marginale de la peinture. Elle va cependant suivre cette voie malgré tout le monde ; c'est que cette femme est un mystère. Elle est parfaitement intégrée à ce groupe qui gagne en nombre et en originalité mais vend peu.
C'est au moment du pire déchaînement médiatique contre les Impressionnistes qu'elle met au monde sa fille Julie. Cette naissance la comble de bonheur et l'apaise. Sa fille reçoit une éducation bourgeoise et sa mère a soin de s’entourer de peintres et d'écrivains. Un attachement profond l'unit à Julie mais celle-ci aura toujours un peu de la mélancolie de sa mère. Même éreintées par la critique et par la presse, des expositions se succèdent et tant pis si ce mouvement souhaite bousculer le bourgeois friand de réalisme, tant pis si on confond un peu contestation et révolution (la Commune n'est pas si loin), Berthe s'impose ! Elle fait d'ailleurs des émules féminines, et, artistiquement s'éloigne un peu de Manet mais se rapproche de Monet. Autour des Impressionnistes, le groupe s'étoffe, Renoir, Degas, Monet, Sisley, Pissaro...
La santé de son mari se détériore et et autour d'elle c'est bientôt une véritable hécatombe. Elle devient veuve à 51 ans et reprend ses habits de deuil si chers à Manet. Dès lors elle ne trouve sa consolation que dans la peinture, regarde l'avenir autant pour elle que pour Julie, se fait même le défenseur des femmes. Elle qui n'a que très peu peint les hommes se met maintenant à représenter des jeunes filles étrangères, la jeunesse comme un paradis perdu !
Julie peint désormais et son style rappelle celui de Manet. Berthe meurt à 54 ans en 1895 .
L'auteur revient sur le titre de ce livre. Berthe Morisot était faite d'ombres et de silences qu'elle aimait. Elle posa pour Édouard Manet mais épousa son frère qui était un homme discret et sans relief. A sa mort on retrouva une importante correspondance avec les impressionnistes et les amis mais seulement quatre courtes lettres d’Édouard Manet lui étaient adressées. D'autre part rien ne permet d'affirmer qu'elle correspondit avec lui. Dominique Bona y voit une énigme, suppose une liaison entre eux, une correspondance secrète détruite peut-être avant de mourir par elle-même, pour effacer, pour purifier ce qui ne pouvait être avoué ? Entre la tristesse et le vertige qu'elle croit percevoir dans les yeux de Berthe, elle laisse le lecteur dans l'expectative. Il y a sans doute pour elle une sorte de frustration à ne pas lever un coin de ce voile qui restera à jamais une interrogation.
C'est un roman bien construit, agréable à lire, une biographie fouillée et précise que, comme à son habitude, nous livre Dominique Bona. Elle choisit de nous présenter une femme d'exception, rebelle à sa manière dans le domaine de la peinture, éprise de liberté, toujours insatisfaite et perfectionniste, ténébreuse et silencieuse qui a, par son talent, marqué son temps et l'histoire de la peinture. Elle la réhabilite donc et en profite pour donner sur la peinture de Berthe mais aussi sur celle des impressionnistes un avis éclairé qui s'étend d'ailleurs à l’œuvre des écrivains qui ont entouré le groupe.
© Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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BARBE BLEUE – Amélie Nothomb
- Par ervian
- Le 22/08/2013
- Dans Amélie Nothomb
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N°676– Août 2013.
BARBE BLEUE – Amélie Nothomb – Albin Michel
Drôle d’histoire que celle de Saturnine Puissant, une jeune Belge de 25 ans un peu désargentée qui, venue enseigner au Louvre, cherche de quoi se loger. Elle répond à une petite annonce pour une colocation et rencontre le propriétaire, Dom Emilio Nibal y Milcar, un aristocrate espagnol, un « Grand d'Espagne » selon son propre aveu, qui accepte de lui louer pour un prix dérisoire une chambre dans son hôtel particulier parisien, avec la disposition de la domesticité, du chauffeur... Une occasion a ne pas laisser passer ! Le contrat de location précise qu'elle ne doit pas entrer dans la « chambre noire » qui lui sert à développer ses photos, alors même que celle-ci n'est pas fermée à clé. Elle remarque que les huit précédentes colocataires étaient des femmes et qu'elles ont disparu.
C'est que cet Espagnol est bizarre. Séducteur impénitent, fort imbu de lui-même, il est exilé en France mais ne sort pas de chez lui. Noble, il souhaite que cela se sache, richissime, il adore l'or qu'il possède apparemment à profusion, se déclare royaliste, catholique dogmatique, pratiquant jusqu'à l’extrême, cite la Bible à l'envi, fanatique de la Sainte Inquisition, il pratique volontairement le « trafic des indulgences », celui-là même qui est à l'origine du luthéranisme, en couvrant son confesseur d'or en échange de son absolution ! Rien à voir avec jeune femme libérée et moderne qu'il demande d'emblée en mariage, qu'il couvre de cadeaux et dont il satisfait les moindres caprices. Il l'invite à sa table à tout propos. Saturnine ne s'en laisse pas conter, argumente, finasse, se moque de lui, lui porte volontiers la contradiction jusqu'à l'impertinence, le provoque, prétend qu'elle ne tombera pas dans le panneau de la transgression de l'interdit pour ce qui concerne la « Chambre noire » parce que, elle en est sûre, il a assassiné les huit précédentes colocataires pour le même motif bizarre... et elle ne sera pas la neuvième ! A son amour, elle répond volontiers par des vacheries.
Apparemment les autres femmes ont peur de lui et pourtant il considère que la femme est la colocataire idéale, qu'il a aimé toutes les précédentes, mais elles sont disparu ! A Saturnine qu'il associe à l'or et au champagne de grandes marques, il offre une jupe qu'il a lui-même fabriquée, faite de riches tissus et d'une doublure d'un jaune particulier et mystérieux, et qui, lorsqu'elle la porte lui fait l'effet d'une étreinte amoureuse. Bien qu'elle considère Emilio comme un dangereux malade mental, elle ne tarde pas à tomber amoureuse de lui. Reste cependant les photos, au nombre de huit, apparemment cachées, la chambre noire, et qui ne représentent que des femmes mortes, l'occasion pour elle de mener une sorte d'enquête qui n'en est cependant pas une. Elle s'installe au contraire dans cette sorte d’ambiguïté où elle ne sera pas tuée puisqu'il lui a avoué son secret et qu'elle peut donc demeurer à ses côtés en tant que sa colocataire. Emilio la photographie elle aussi, mais à l'inverse des autres victimes, elle est bien vivante.
C'est une fable plaisante, facile à lire, bien écrite, pas dénuée du tout d'intérêt et de culture et qui évoque à la fois Henri VIII d'Angleterre (Barbe Bleue) pour l'amour des femmes et leur assassinat et la Fée Mélusine pour la transgression de l'interdit, une sorte de roman à énigme où, encore une fois, Éros dans avec Thanatos.
J'avoue que le nom d'Amélie Nothomb ne m'était pas inconnu mais je n'avais rien lu d'elle auparavant. Je l'ai découverte pour la première fois, autant par curiosité que par envie de lire un auteur connu et médiatisé.
© Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Camille et Paul – La passion Claudel – Dominique Bona
- Par ervian
- Le 19/08/2013
- Dans Dominique BONA
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N°675– Août 2013.
Camille et Paul – La passion Claudel – Dominique Bona - Grasset
Camille et Paul ont été élevés dans une famille austère aux marches de la Champagne où tout signe d'originalité était exclu. La mère, femme au foyer, effacée mais belliqueuse et revêche, le père, receveur de l'Enregistrement, foncièrement laïc espéraient que leurs enfants embrasseraient des carrières plus sûres que celles dévolues à l'art. C'est pourtant lui qui favorisa le penchant de sa fille pour la sculpture et celle de son fils pour les Lettres comme il encouragea la pratique du piano pour Louise son autre fille. C'est lui aussi qui préconisera leur éducation à Paris, à ses yeux plus formatrice. Ce sera Louis-le-Grand pour Paul et un célèbre atelier de sculpture pour sa sœur. Si la Capitale éblouit la jeune fille, lui ouvre ses portes et la vie de bohème, Paul s'y ennuie et ne songe qu'à la quitter. De cette période Paul exècre le côté laïc très en vogue à l'époque autant que les Lettres trop classiques ou trop positivistes à son goût. Camille avait beau être plus âgée de 4 ans que son frère, il y eut entre eux un rapport fusionnel exceptionnel. Ils ne peuvent se passer l'un de l'autre, il ne peuvent rien faire l'un sans l'autre mais la sœur aînée domine son frère. [L'auteur fait d’ailleurs un parallèle intéressant entre Chateaubriand et Claudel]. En société où ils n'ont d'ailleurs leur place ni l'un ni l'autre ils se font remarquer, lui par son air renfrogné, elle par son franc-parler. Ils n’aimeront jamais les mondanités. Ils sont aussi travailleurs et volontaires l'un que l'autre: quand Camille décide d'aller travailler chez Rodin, Paul refuse de préparer Normale Supérieure et opte pour une carrière diplomatique, tout cela contre l'avis parental ! Aussi bien lui qu'elle obéiront à l'appel de leur art . Lorsque Camille rencontre Rodin, il est son aîné de 24 ans, pourtant bien des choses les rapprochent et pas seulement l'amour de la sculpture. De cela, Paul en souffre « Il n'est plus le seul homme de sa vie ». Plus elle se rapprochera de Rodin, plus elle s'éloignera de lui mais Paul restera toujours obsédé par cette sœur, jusque dans son œuvre.
Camille vit avec Rodin une liaison passionnée que la morale bourgeoise et bien entendu sa famille condamnent et ce d'autant plus que son amant a une vie matrimoniale avec une autre femme et refuse de l'épouser. Elle travaille dans son atelier, mais cela n'en fait pas pour autant l’imitatrice de Rodin ; elle reste une artiste solitaire et originale qui doit beaucoup au Maître mais les deux sculpteurs s'enrichissent mutuellement dans leurs créations respectives. Paul et Rodin avaient beaucoup d’affinités, notamment culturelles, mais jaloux de l’homme qui lui vole sa sœur, il lui porte une haine tenace. Pour autant, sans oser l'avouer, il aura sa part dans le malheur futur de Camille. De son côté il est bouleversé par la poésie de Rimbaud et par la révélation de Dieu à Notre-Dame de Paris. Dès lors, devenu un adorateur de la Vierge, sa sœur est regardée comme une pécheresse. Pourtant il gardera longtemps secrète sa conversion comme Camille cachera sa liaison avec Rodin.
Est-ce sa volonté de partir loin, son attirance vers la mer ou la nécessité de mettre de la distance entre sa sœur et lui, il choisit la carrière diplomatique qui très jeune l'envoie en Amérique du Nord puis en Chine où il passera quinze années. Il ne cessera pas pour autant d'écrire ni surtout de correspondre avec Camille qu'il revoit à chacun de ses séjours en France. La vie de Camille s’éclaircit quand, lassée de ses atermoiements, elle quitte Rodin. A 30 ans, elle est désormais libre et pauvre malgré une certaine notoriété mais se sent incomprise. De son côté, à 32 ans Paul, en dehors de son métier de Consul de France se consacre à la religion et à l'écriture. Il est vierge mais cette vie monacale va être bouleversée par Rosie, une femme mariée et mère de famille qu'il rencontre sur un bateau en partance pour la Chine. C'est une séductrice dont il tombe éperdument amoureux et qui lui donnera une fille mais le quittera. Sa vie, même loin de Paris, sera aussi scandaleuse que celle de sa sœur. D'autres femmes viendront mais Rosie restera son grand amour perdu, une source de culpabilité aussi pour le chrétien qu'il est. Ainsi le frère et la sœur puisent-ils dans leur vie sentimentale leur inspiration créatrice et dans son œuvre littéraire, Paul campera des femmes indomptables et libres qui trahissent. Contre le suicide ou la folie, Paul choisit le mariage...de raison, un viatique plutôt qu'une vocation.
De son côté, Camille à 40 ans est déjà une vieille femme solitaire, orgueilleuse mais terrorisée, poursuivie par les ennuis, qui croit au complot, présente de plus en plus un délire paranoïaque. Quand elle se met à détruire ses œuvres, et surtout après la mort de son père en 1913, sa mère qui ne l'a jamais aimée et sa famille (et par conséquent Paul) la font interner. Quelques mois après une campagne de presse dénonce sa « séquestration » par sa famille dans un asile d'aliénés. Pendant ce temps, Paul va de poste en poste à l'étranger, est nommé ambassadeur, connaît une grande notoriété littéraire... et oublie sa sœur qui, consciente de son état d'enfermement restera incarcérée pendant 30 années sans amis ni beaucoup de lettres et de visites de sa famille selon le vœu maternel. Elle mourra à 80 ans. Paul est devenu un paterfamilias entouré d'une nombreuses descendance, thuriféraire de Pétain puis de De Gaulle, tenté un temps par la politique, soucieux de faire reconnaître son œuvre, et enfin élu à l'Académie française. Il verra Camille avant qu'elle ne meure dans la solitude et le plus grand dénuement et ressentira « cet amer regret de l'avoir abandonnée ».
Ce furent deux êtres qui se ressemblaient, qui se comprenaient, mais l'un croyait au ciel et l'autre n'y croyait pas pour paraphraser Aragon, deux tempéraments sensibles, passionnés mais fragiles, deux génies, deux destins différents cependant, l'un voué à la notoriété, l'autre à l'oubli [« Moi j'ai abouti à quelque chose. Elle n'a abouti à rien... L'échec a flétri son existence. » confesse-t-il]. L'auteure fait pertinemment remarquer, nonobstant l'admiration qu'elle peut avoir pour l'écrivain, que dans les relations que Paul eut avec sa sœur, l'idéal chrétien qui gouverna la vie de l'auteur du « Soulier de satin » fut quelque peu oublié par ce dernier. Voulut-il se protéger ou cela fut-il la marque d'un sentiment de culpabilité ? C'est là une contradiction qui mérite d’être soulevée.
Selon son habitude, Dominique Bona se livre à une enquête passionnante et détaillée sur ces deux personnages [Depuis que je lis ses œuvres, j'ai toujours été étonné non seulement par son style agréable à lire mais aussi par la précision de son travail et par sa grande culture].Si elle rend hommage à Paul et nous le montre sous un jour nouveau, pour moi assez inattendu par rapport à son image officielle, elle évoque aussi avec tendresse l'image de Camille, la tire assurément de l'oubli. Il y eut à la fin du XX° siècle et au début de celui-ci un mouvement de réhabilitation de Camille tant par la littérature, le théâtre, les expositions que par le cinéma. Selon le mot d'Eugène Blot, qui fut un admirateur et un soutien actif du sculpteur, il permit de « tout remettre en place ». Ce livre aussi y contribue.
© Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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L'ANNONCE - Marie-Hélène LAFON
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- Le 16/08/2013
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N°674– Août 2013.
L'ANNONCE - Marie-Hélène LAFON – Éditions Buchet-Chastel.
Ce roman raconte une histoire d'amour entre Paul, un paysan du Cantal de quarante-six ans et Annette, la mère de trente-sept ans du petit Éric, onze ans, qui elle vit dans le Nord. Cette rencontre a été provoquée par une petite annonce de Paul à qui la solitude du célibat pesait. Annette y a répondu après avoir quitté son mari, Didier, alcoolique et souvent pensionnaire de la maison d'arrêt, le père de son enfant, parce que la vie avec lui était devenue impossible. Elle n'a aucun métier en dehors de l'usine et de la caisse des grandes surfaces et voit là une opportunité de tout recommencer, loin de chez elle, de ses racines. Ils se sont rencontrés à Nevers, au buffet de la gare parce que c'était à mi-chemin. Pour eux, c'était toute une expédition, nécessaire cependant pour un premier contact après les photos et les communications téléphoniques. Leur vie antérieure a été d'une grande banalité, à la ferme comme à la ville et chacun souhaite que cette « union » soit bénéfique pour tous. Ils sont venus à ce rendez-vous avec leurs vieilles plaies, sans les montrer cependant, pour ne pas apeurer l'autre. Ils ont en commun des cicatrices mal refermées et des espoirs un peu fous pour cet avenir encore un peu incertain à cause de la crainte de l'inconnu. Cette rencontre sera suivie d'une autre où on fera plus ample connaissance, on s'apprivoisera et on apprendra à mieux se connaître, à s'accepter... Paul, cet homme rude l'a prenait elle et son fils et parlait d' emménagements dans la ferme pour mieux accueillir sa nouvelle famille .
Un telle situation est toujours une remise en question profonde des gens qui la vivent. Éric qui sans doute ne peut qu'en être bénéficiaire, se tait, observe, cherche à s'adapter, en silence. On a déjà prévu sa scolarisation au collège, son intégration dans le voisinage des autres fermes. Paul qui ne souhaite pas avoir un enfant avec Annette pense peut-être accueillir ce garçon, en faire peut-être son héritier si cela est possible. La mère d'Annette vient lui faire une visite ponctuelle ne serait-ce que pour se rendre compte des conséquences du choix de sa fille. Il y a aussi la parentèle de Paul, ses oncles, propriétaires fonciers restés célibataires, sa sœur, Nicole, plus jeune de dix-huit mois, elle aussi célibataire et sans enfant. Ils voient d'un mauvais œil que Paul qui a été malheureux en amour et souhaite forcer un peu le destin ait introduit dans leur clan et sans leur demander leur avis cette femme qui ne sera toujours qu'une intruse. Annette est évidemment attendue au tournant, se sait observée, passe chaque jour son examen sous le regard amusé, critique et parfois méchant des autres de qui, elle le sait, elle ne recevra aucune aide ni aucun conseil. Paul de son côté fait tout pour lui faciliter la vie, notamment dans le domaine ménager puisque avant, dans le Nord, elle avait le confort. C'est vrai que ces nouveaux arrivants apportent du sang neuf dans cette fratrie engoncée dans des traditions et des habitudes, un peu de jeunesse aussi qui serait capable, l'air de rien de creuser son sillon, de bousculer un peu les choses, sans les brusquer cependant. Annette et Éric surent se faire accepter même si ce ne fut pas sans peine, l'enfant, malgré son nom polonais, par sa discrétion, son application scolaire, l'amour qu'il portait aux bêtes, les vaches et surtout la chienne Lola, la mère par son travail, son sens de l'économie, sa présence.
Le roman reste un peu en suspens. On ne sait pas si cette union se terminera par un mariage entre Paul et Annette mais peu importe mais il ne coûte rien au lecteur d'imaginer une fin heureuse à cette tentative.
Au-delà de l'histoire, je retiens aussi une galerie de portraits bien campés tel celui de Mimi Caté, par exemple, cette maîtresse-femme qui ne laissait personne indifférent, mais aussi des scènes de la vie à la campagne auvergnate, la longue évocation des gens et des corps spécialement celui de Paul, de ses mains de travailleur en particulier.
Dans un précédent numéro (La Feuille Volante n°671), j'ai dit combien le style haché et minimaliste de l'auteure me déplaisait. Je ne l'ai pas retrouvé ici et, bien au contraire, j'ai apprécié sa fluidité, la poésie qui coule des mots et aussi l'humour parfois acerbe mais bien senti et subtil qui accompagne l'évocation d'un personnage ou d'une situation. J'ai aussi aimé un grand réalisme dans l'analyse des circonstances, celle de cette femme qui a tout quitté pour suivre un inconnu simplement parce qu'il est agriculteur et qu'elle pense que c 'est un vrai métier, celle de cet homme qui veut tout faire pour que cette tentative leur soit favorable, même s'il doit pour cela bousculer un peu sa propre famille. J'ai aimé les subtiles nuances dans les descriptions, dans les évocations en demi-teinte. Cela témoigne d'un réel amour des mots auquel le lecteur attentif et de plus en plus passionné ne peut être indifférent.
Cela a été pour moi un plaisir de lire ce roman, une histoire certes simple et même banale mais qui, sous la plume de Marie-Hélène Lafon a été réellement captivante jusqu'à la fin.
Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LE FLUTISTE INVISIBLE - Philippe LABRO
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- Le 15/08/2013
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N°673– Août 2013.
LE FLUTISTE INVISIBLE - Philippe LABRO – Gallimard.
Philippe Labro est un romancier remarquable, nous le savons tous, mais là , contrairement à ce qui est écrit sur la couverture, il ne s'agit pas d'un roman mais d'un recueil de trois nouvelles. En effet, si l'auteur se révèle être un conteur passionnant, un bon serviteur de notre si belle langue française, ces trois histoires n'ont pas de lien entre elles, elles sont indépendantes les unes des autres, à tout le moins sur le plan de la narration. Ce sont des situations romanesques puisées dans son expérience personnelle, dans l'imaginaire ou dans le simple témoignage. Le texte est bien écrit, littéraire par conséquent mais ce sont des nouvelles, ce qui n'enlève rien à ses qualités, bien au contraire.
L'auteur nous livre son vécu dans « La ligne de mire ». Appelé en Algérie durant la guerre, il travaille comme journaliste et figure sur une liste de condamnés à mort par l'OAS. Celui qui est chargé de l'exécuter, et alors qu'il n'avait aucune chance de le manquer, hésite, ne presse pas la détente et lui laisse la vie sauve et ce sans aucune raison. Plus tard il le rencontre alors qu'il est devenu une personnalité connue et lui révèle cet épisode de son existence passée, dans le secret espoir que cela figurera dans un de ses livres. Dans « Bye Bye Blackbird », il raconte l'expérience sexuelle d'un jeune étudiant pauvre avec jeune fille riche sur un transatlantique qui les amène à New-York. Cet épisode est relaté à l'occasion de la rencontre fortuite avec un homme qui siffle un vieil air oublié. Avec « Le regard de Toma » c'est l’histoire d'un jeune juif qui, parqué avec sa famille dans un entrepôt, se plaint du froid. Sa mère finit par se laisser convaincre de chercher un endroit moins inconfortable. Le lendemain, leurs compagnons d'infortune restés à leur place sont tous transférés à Auschwitz où il sont exécutés, mais eux sont protégés par leur nouvelle « cachette ». Ils finissent par être découverts et entassés dans des wagons plombés, promis à une funeste fin mais, par une sorte de miracle, un besoin soudain de main-d’œuvre ou la décision d'un obscur fonctionnaire nazi, ce train fait machine arrière et les débarque à Vienne, leur sauvant ainsi la vie. Par la suite, dix ans plus tard, c'est lui qui, grâce à un sorte d'instinct de survie, sauve la vie d'un homme avec qui il s'évade d'un camps russe.
Ce titre assez énigmatique est emprunté à une citation d'Albert Einstein qui est d'ailleurs reproduite en exergue et qui évoque Dieu si on est croyant, le destin, le hasard, la chance si on ne l'est pas. Einstein avait en effet avec Dieu des relations bizarres, soit il en rejetait jusqu'à son existence, soit au contraire il évoquait ce « flûtiste invisible » qui, pour chaque être joue une étrange partition, à la fois mystérieuse et incontournable. L'expression est peut-être poétique mais depuis la nuit des temps les Romains croyaient que les Parques tenaient ainsi dans leurs mains les fils de la vie de chaque mortel. Les Grecs les appelaient les Moires.
A titre personnel, moi qui ne crois plus en rien et sûrement pas a ce que le catéchisme nous a enseigné, je suis fasciné par le hasard qui gouverne nos vies sans que nous voulions bien souvent l'admettre. Nous l’appelons chance, destin, la fatalité mais il n'a pas manqué de philosophes pour nous rappeler que nous sommes libres de nos décisions, que chaque homme a son « libre arbitre » et qu'il est capable de décider de sa vie. Je ne parle pas de la religion catholique qui nous enseigne que Dieu sait tout, même ce que librement nous allons décider, entretenant en cela une immense ambiguïté. Selon que nous sommes croyants ou pas, nous pouvons admettre « le doigt de Dieu » dans nos vies et il reste que bien des choses qui nous arrivent interviennent malgré nous, sans que nous y puissions rien. Cet élément inconnu, ce cas fortuit et de force majeure, cet événement imprévisible et irrésistible existe malgré nous et nos le subissons.
C'est donc, par delà la forme, roman ou nouvelles, un sujet passionnant que soulève Philippe Labro à travers ces histoires et qui fait débat. Il se contente de lancer cette réflexion passionnante de nature philosophique mais, bien entendu sans y apporter de réponse autre qu'un texte littéraire agréable à lire.
A la fin du livre, l’auteur tente une sorte de définition de la sagesse humaine face aux événements de la vie qui, surtout dans le cas du « regard de Tomas » met en évidence la relativité des choses qui gouvernent nos vies. Il y a toujours deux vérités, deux réponses à chaque question comme le rappelle l'écrivain Michael Chrirston.
Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LITURGIE - Marie-Hélène Lafon
- Par ervian
- Le 09/08/2013
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N°672– Août 2013.
LITURGIE - Marie-Hélène Lafon – Éditions Buchet Chastel.
La nouvelle est un art difficile et bien plus difficile encore est l'intitulé d'un recueil.
La liturgie est un culte, un cérémonial, un ensemble de codes, de gestes extérieurs qui règlent une cérémonie religieuse. Il y a bien dans ces nouvelles cet aspect liturgique. Dans la première qui donne son titre au recueil, le lavement du dos du père par ses filles tient du rituel codifié qu'il ne viendrait à l'idée de personne de transgresser ces habitudes. Le père trône dans cette maison qui est la sienne, où il est le maître où on le respecte et de lui tout dépend, jusqu'à la vie de ses filles. Il y a un côté religieux dans ces ablutions dominicales qui rappellent un peu le lavement des pieds de l’Évangile et l'annonce de sa mort prochaine donne à cette scène traditionnelle une dimension particulière.
La mort qui s'accompagne d'ordinaire d'une liturgie religieuse ou laïque est évoquée quand Germaine, la « fiancée » de ce pauvre Alphonse choisit, de se suicider par honte d'avoir été violée par un rustaud et ainsi de ne plus pouvoir le regarder en face. La mort aussi de Roland, par pendaison comme celle de Germaine, un rituel quasi-immuable à la campagne quand la vie n'est plus supportable. La mort encore évoquée pour le jour des défunts dans « La fleur surnaturelle ». Elle se double ici du rituel annuel et incontournable de la visite des cimetières.
Jeanne, parce qu'elle est différente des autres membres de la famille attachés à la terre et ne vivant que pour elle, parce qu'elle a choisi d'être institutrice et célibataire dans un monde où il faut impérativement pour une femme « faire maison », c'est à dire se marier, avoir des enfants de préférence dans le village, rompt un peu cette liturgie laïque et contadine. Elle y sacrifie cependant, mais à sa manière, quand elle choisit un homme. Elle est vierge et lui porte soutane mais, même si cette passade ne peut perdurer, elle la vit quand même comme quelque chose d'exceptionnel : faire l'amour avec un jeune ecclésiastique tient un peu du rituel. C'est sans doute plus excitant et érotiquement différent. Elle continue de se singulariser lorsque, sa foucade terminée, elle devint kleptomane pour le seul plaisir de transgresser encore une fois l'interdit. Le « modus operandi » du délit est une sorte de cérémonial.
Liturgie encore quand le narrateur, témoin privilégié de ces tranches de vies rurales, raconte les familles engoncées dans leurs conflits internes où l'indifférence et parfois la haine tiennent lieu de ciment. Ici, on peut avoir des maîtresses ou des amants, seul compte l'argent et surtout on ne divorce pas, on attend la mort, quand on ne la provoque pas. Liturgie toujours quand il faut impérativement quelqu'un parmi la descendance pour reprendre les terres, la boutique ou l'atelier. Que cela lui plaise ou non, celui qui est choisi doit de plier à la tradition, à cette sorte de liturgie. Et si d'aventure les mariages entre cousins des générations précédentes produisent des attardés mentaux, il faut les cacher, les dissimuler aux yeux des autres mais surtout en profiter, les exploiter puisque, bien entendu, ils ne se défendent pas. Si de pauvres filles de ferme ont succombé sous les assauts de garçons avinés et violents, qu'elles tombent enceinte, il faut impérativement les marginaliser, les désigner à la vindicte populaire, les spolier, elles-aussi.
Liturgie encore que ces grandes lessives au lavoir communal où tout se sait, où se distribuent les critiques et les clabaudages.
Je ne connaissais pas Marie-Hélène Lafon avant d'avoir, par hasard, pris un de ses livres sur les rayonnages d'une bibliothèque. J'ai commencé par lire « Mo » (La Feuille Volante n°671) mais le style haché et minimaliste m'a déplu. Cela semble être la caractéristique littéraire de l'auteur et c'est évidemment respectable. Ici, j'ai trouvé l'écriture plus fluide et poétique, assurément plus agréable à lire et donc pour moi un bon moment de lecture. J'observe que « Mo » est paru en 2005 et « Liturgie »date de 2002. Elle a donc abandonné le style de ce recueil de nouvelles au profit d'une façon plus épurée. Personnellement je le regrette mais j'apprécie qu'elle soit une talentueuse raconteuse d'histoires.
Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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MO – Marie-Hélène Lafon
- Par ervian
- Le 06/08/2013
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N°671– Août 2013.
MO – Marie-Hélène Lafon – Éditions Buchet Chastel.
Mo, c'est le prénom simplifié de ce dernier fils qui s'occupe de « la mère »[elle sera nommée comme cela durant tout le roman comme on parlera « du père » décédé quelques années auparavant]. C'est une abréviation parce qu'un autre fils Mohamed (en entier) est mort à l'âge de 13 ans, renversé par une voiture, mais Mo n'est pas là pour le remplacer. Pourtant il s'occupe seul de sa mère tyrannique, abusive et jalouse qui demeure toute la journée dans l'appartement parce qu'elle a des difficultés pour se déplacer. Il le fait de son mieux, faisant le ménage, en observant un certain rituel de chaque jour [« Le jeudi était le jour des pieds »] parce que c'est un bon fils, soigneux et attentif mais surtout parce que les autres enfants sont partis de la maison et lui ont laissé ce soin. Sa mère ne l'aime guère et ses autres frères profitent un peu de l'argent que Mo rapporte à sa mère, mais finalement tout cela lui est bien égal. Il travaille dans un centre commercial et on le cantonne à une tâche subalterne parce qu'il ne peut pas faire autre chose. Cela l'occupe et il a l'impression de servir à quelque chose. Il vit un peu dans son monde, avec ce travail sans intérêt, cette mère à demi impotente, cet appartement où il s'ennuie. Il voit quand même qu'autour de lui il y la violence, le mensonge, la trahison, la famille qui se délite surtout depuis la mort du père. Il a conscience de cela mais n'y peut rien et vit au jour le jour sans trop se poser de question en écoutant Ali, dit Jo, le vigile, lui parler de Dieu, mais de celui des Chrétiens. De là où il est, il voit Maria, une Portugaise plus jeune que lui qui est vendeuse dans une boulangerie. C'est une fille sérieuse, travailleuse, propre, appliquée et surtout célibataire. Elle est donc l'objet de tous ces fantasmes. C'est que Mo n'en est pas à son coup d'essai avec les femmes de la cité où il habitent. Elles l'aiment bien dans le quartier il a même des aventures avec certaines d'entre elles. Dès l'école où il ne fit pas vraiment des étincelles, il avait déjà du succès. En réalité, il est un peu mythomane, est sensible à la beauté du corps féminin, sans doute comme chacun d'entre nous. En réalité, à la trentaine, il est un véritable séducteur mais quand il rencontre Maria, il n'y a plus qu'elle qui compte à ses yeux. C'est une jeune fille indépendante qui vit sa vie sans entrave, aussi libre qu'il est naïf .
Il la séduit, quitte de plus en plus souvent l'appartement au grand dam de sa mère et de ses frères, finit par vouloir se construire quelque chose avec elle. Ils ont leur vie, leur jardin secret, leurs projets. Le lecteur imagine une fin heureuse, mais c'est oublier le titre et la division en quatorze stations comme le Chemin de Croix du Christ. Comme pour lui cela doit mal se terminer. Maria en eut-elle assez de Mo, a-elle choisi de lui faire de la peine en dénonçant ses fautes d'orthographe, elle qui écrivait sans en faire ? A-t-elle prononcé ces quelques mots anodins sans y penser, à cause de la fatigue ou simplement pour le taquiner ? Mo a perdu la tête, a changé de peau, est devenu un autre, abandonnant soudain ce qu'il était, tout ce à quoi il était attaché, et en premier lieu à Maria qui a peut-être fait une simple gaffe innocente en mentionnant les difficultés de son ami en français ? A travers les psalmodies du numéro de téléphone de son frère à qui il pense soudain ou la récitation quasi mécanique des ex-voto qu'il a sous les yeux, Mo pénètre dans un univers peut-être inconnu ou enfoui depuis longtemps en lui et qui va favoriser sinon provoquer son geste fatal, signature d'un retard mental ou d'une obscure maladie psychiatrique que la jeune fille n'a sans doute pas pu déceler, ou une de ces actions qu'on regrette après qu'elle sont perpétrées, une pulsion soudaine, imprévisible et inexplicable. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai envie de prolonger l'histoire, j'imagine Mo devant la Cour d'Assises, prostré dans le box des accusés, n'osant pas regarder la famille de Maria, incapable d’expliquer son geste qui a brutalement interrompu la vie de cette jeune fille qui ne demandait qu'à vivre !
J'avoue que ce roman m'a étonné. L'écriture tout d'abord est hachée, monocorde, minimaliste, peu facile à lire, simplifiée à l’extrême sans recherche, sans beaucoup d'images. C'est un parti-pris que je respecte même si je le goûte peu. Ce roman met en scène un jeune homme d'origine maghrébine apparemment mécréant mais qu'on s'attendrait, pourquoi pas, à voir se rapprocher d'une mosquée. Au contraire, il multiplie les références catholiques jusque dans son quotidien. Quand il voit Maria servir les clients à la boulangerie, elle lui rappelle une scène de l’Évangile. Son prénom lui-même n'est pas sans rappeler celui de la mère du Christ et Mo, qui a 33 ans comme Jésus à l'âge de sa mort écoute avec admiration Ali qui a choisi Jo, comme Joseph, évoquer pour lui le Dieu des Chrétiens, la passion du Christ, sa résurrection. Mo la met en balance avec la mort d'un de ses frères. La construction du roman lui-même est divisé en quatorze stations comme une Passion christique et c'est en quelque sorte sous l'égide de Notre Dame de la Garde qu'il met un terme définitif à sa liaison amoureuse, d'ailleurs sans beaucoup d'explications. Je choisis d'y voir la marque d'un trouble mental qui habite probablement Mo depuis le début de sa vie et qui éclate ici, un choix surréaliste qu'il fait : la mort plutôt que le bonheur !
Je ne connaissais pas Marie-Hélène Lafon. Je pense que je vais quand même poursuivre la lecture de ses œuvres.
Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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L'HERBE DES NUITS – Patrick Modiano
- Par ervian
- Le 05/08/2013
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N°670– Août 2013.
L'HERBE DES NUITS – Patrick Modiano - Gallimard.
Quand je lis un roman de Patrick Modiano, j'ai l'impression qu'il ne cesse d'explorer le temps, d'en fixer les moments avec des mots pour leur conférer une sorte de pérennité. Ici, c'est le quartier parisien de Montparnasse qu'il fait revivre en même temps que les années passées et j'ai le sentiment que, bien que parlant de lui, il évoque un personnage étranger à lui-même, en transit dans Paris, vivant à l'hôtel, c'est à dire sans attache précise, solitaire, pas exactement libre de ses mouvements mais pas non plus entravé par quoi que ce soit, plutôt livré à lui-même, fréquentant les cafés comme uniques lieux de rendez-vous, à la fois publics et déserts, un peu comme s'il circulait dans sa propre vie comme un étranger de passage, comme un marginal vivant d'expédients pour assurer son quotidien.
Ce quartier de prédilection était à l'époque promis à la démolition, comme un pan de sa propre vie qui s'écroule et qui laissera place à quelque chose de plus moderne, de plus nouveau. Pourtant, il est porteur de souvenirs qui vont s'évanouir si on n'y prend garde, si on ne prend en note tout cela comme on garde la mémoire de rencontres. Les personnages de Modiano ont toujours ce côté inquiétant, insaisissable, mystérieux, sont toujours sur le qui-vive, portent souvent un nom qui n'est même pas le leur, vivent une vie parallèle, bien souvent cachée. Le temps autour d'eux est humide, sombre, la lumière blafarde, les choses et les gens indistincts. Des rencontres lui reviennent à la mémoire et les noms que portaient ses interlocuteurs lui évoquent des images, des visages, un parfum, des odeurs mais tout cela d'une manière pas très précise. C'est un peu comme si ces personnages étaient des sortes de fantômes dont seuls quelques détails de leur apparence sont notés furtivement, un vague reflet, une silhouette qui passe et disparaît, quelques paroles prononcées qui tombent dans la vide de la nuit, aussi mystérieuses que le silence qui les entoure.
« Il me semble aujourd’hui que je vivais une autre vie à l’intérieur de ma vie quotidienne. Ou plus exactement, que cette autre vie était reliée à celle assez terne de tous les jours et lui donnait une phosphorescence et un mystère qu'elle n'avait pas en réalité ». Jean, le narrateur, vaguement écrivain, avoue que le présent lui était relativement indifférent et il se consacrait à l’époque à des recherches à Paris sur les traces de Jeanne Duval, Christian Corbière, Gérard de Nerval, Restif de la Bretonne... Un simple carnet noir qui ne le quitte jamais est le témoin de ses aventures ou de ses rendez-vous d'il y a vingt ans qu'il y consigne d'un mot. Ses notes sont ainsi l'invite à remonter le temps, à raviver le souvenir à partir d'un nom, d'un visage, d'un événement dont il n'était à l’époque qu'un simple « spectateur nocturne » qui posait sur eux son regard absent, dans le seul but de ne pas déranger. En consultant ce carnet, il reprend conscience de cette vie antérieure aujourd'hui révolue où il fréquentait les cafés, plutôt les bistrots populaires qui restaient à l'époque ouverts toute la nuit, en aimait le zinc morne, les consommateurs tristes qui s'y accoudaient, qui parlaient fort pour s'affirmer ou gardaient un silence aviné, la lumière crue des néons, l'odeur douceâtre des lieux. A l'époque il était jeune, hantait le Quartier Latin, traînait sa vie un peu au hasard des rencontres. Rien n'avait vraiment d'importance et les gens rencontrés n'ont pas vraiment laissé de trace dans sa vie, juste une impression fugace, sauf peut-être une femme, Dannie. Pour elle il remonte le temps, se souvient de cette tranche de vie avec elle entre les cafés de nuit, son courrier reçu en poste restante, un quotidien de hasard vécu en pointillés faits de silences, de lumières laissées allumées dans un appartement ou dans une autre vie, quelque part... Le lecteur ne sait pas exactement quelles relations il avait avec elle, mais à l'invite des autres membres exclusivement masculins du groupe, tout aussi mystérieux qu'elle, il faisait « profil bas ». Ces hommes sont des marginaux, plus ou moins opposants politiques marocains réfugiés en France mais surveillés par la police. On lui parle de « double jeu », « d'engrenage », « d'argent », de « sale histoire » de « faux papiers » puis de « services spéciaux marocains » et enfin de meurtre... C'est, à l'époque le Paris interlope des années 60 qui, en pleine guerre d'Algérie est inquiétant mais ce sont maintenant des quartiers détruits qu'il arpente à l'aide de sa mémoire. C'est que le narrateur finit par prendre conscience qu'il a été mêlé malgré lui à une affaire criminelle (l'affaire Ben Barka pourtant jamais citée) et en fouillant dans ses souvenirs, en les recoupant avec l'aide d'un dossier abandonné de la Mondaine, cherche à recomposer ce passé.
Le livre refermé, je me demande toujours ce qui m'attire dans les romans de Modiano, le style sûrement, la musique, l'ambiance mystérieuse et parfois un peu glauque voire clandestine, le flou et la précision du détail, la mélancolie, l'univers onirique à ce point détaché de la réalité qui doit beaucoup à l'oubli et sans doute encore plus à la mémoire.
J'aime en tout cas, et ce depuis longtemps, cet univers unique et envoûtant de Patrick Modiano où l'on se perd sans vraiment avoir envie de se retrouver, où le charme agit à chaque phrase, où la quête n'est pas une recherche mais une sorte de dérive sans véritable but, à la fois éthérée et perpétuellement recommencée.
Comme les autres ce roman aussi m'a enchanté.
Ce qui m'étonne toujours chez Modiano c'est que devant la feuille blanche il s'exprime avec aisance et poésie mais que, lors d'une interview il a tant de mal à parler, laissant à ses bras et à ses mains le soin d'exprimer ce qu'il ne dit qu'avec beaucoup d'hésitations au point que, simple spectateur, on en souffre pour lui.
© Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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AURAIS-JE ETE RESISTANT OU BOURREAU ? – Pierre Bayard
- Par ervian
- Le 01/08/2013
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N°668– Août 2013.
AURAIS-JE ETE RESISTANT OU BOURREAU ? – Pierre Bayard - Les Éditions de Minuit.
Pour les gens de ma génération qui n'ont pas fait la guerre mais qui en ont entendu parler [beaucoup par ceux qui l'ont connu de loin, peu par ceux qui ont été d'authentiques héros], je me suis souvent demandé quel aurait été mon comportement pendant cette période troublée. Sauf bouleversement dans ma vie, je n'aurais certes pas été un délateur mais sûrement pas non plus un résistant héroïque, tout juste un tiède, comme la plupart des Français de l'époque. Mais le destin nous joue parfois de ces tours ! Je me suis dit que ce livre pouvait peut-être m’aider à clarifier mon propre questionnement.
L'auteur, né en 1954, tente de répondre à cette question en remontant le temps et en imaginant fictivement qu'il se trouve dans la situation de son père à la même époque parce qu'il a avec lui une similitude culturelle, des aspirations et un parcours communs. Il imagine donc une uchronie et se demande quelle aurait été son action dans ce contexte historique. Il a donc, fictivement, 18 ans en 1940, et élève d’hypokhâgne fuyant Paris se retrouve dans le sud de la France. Pour l'aider dans sa démarche d'analyse et de création, il convoque Louis Malle et Patrick Modiano pour le film « Lacombe Lucien », Daniel Cordier pour son engagement de Résistant, Stanley Milgram pour son expérience, Romain Gary pour ses romans et bien d'autres figures qui ont brillé par leur exemple...
C'est un texte dense, documenté, logique aussi dans son raisonnement, écrit par un universitaire et un psychanalyste qu'est Pierre Bayard et qui alterne entre fiction et démonstration. L'auteur y démonte les mécanismes qui amènent chaque homme face à une crise, soit à l'ignorer par peur, soit à s'engager pour y faire échec, soit à aider ceux qui en pâtissent. Il dissèque la « personnalité potentielle » que nous portons tous en nous et qui nous révèle, dans un tel contexte exceptionnel, tels que nous sommes réellement,même si l'image que nous donnons de nous-mêmes est peu flatteuse, fait la part du hasard, prend en compte les contraintes intérieures qui poussent les êtres à agir ou au contraire à s'abstenir, depuis les désaccords idéologiques et politiques jusqu'à l'indignation et l'empathie en passant par la soumission à l'autorité, le devoir d’obéissance aux ordres ou au contraire le devoir moral de refuser de les exécuter, le risque encouru par ceux qui osent sortir du rang et, au nom de leur conscience, de se singulariser. Il remet en cause au passage bien des idées reçues sur l'engagement personnel et sur les actions qui en découlent, détaille la nature de l'intervention du « bourreau » dans la « solution finale », le génocide rwandais ou la dictature sanguinaire de Pol Pot, analyse finement ce qu'il appelle « la personnalité altruiste ».
Quand il choisit de revenir à la fiction et de se mettre en situation de choisir entre De Gaulle et Pétain, il note son dégoût du régime de Vichy, son indignation face à ses agissements, sa sympathie pour les juifs mais aussi son incapacité à agir dans l'instant par peur de la dénonciation, de la torture et de la mort. Il est en effet peu indulgent avec lui, estimant que s'il avait vécu à cette époque, il aurait tenté de survivre dans la tourmente politique du régime de Vichy et aurait poursuivi ses études pour assurer son avenir en refusant l'action de résistance. Il se trouve quand même des excuses que le lecteur voudra bien admettre au nom de la peur ressentie. Les élèves de l’École Normale avaient pour ordre à l'époque de se tenir en dehors de toute action politique, même si en tant qu'institution, cet établissement ne partageait pas les idées du Maréchal. S'ils le faisaient c'était l'exclusion c'est à dire pour lui l'anéantissement d'années d'effort, l'effondrement d'un rêve familial, l'impossibilité d'entrer dans la Fonction Publique et donc de gagner sa vie, de fonder une famille comme il le souhaitait. Tout cela allait à l'encontre de l'exemple donné par de Sousa Mendes, ce consul du Portugal qui, en dépit d'une interdiction formelle de son pays, délivra, en juin 1940, plus de 30 000 visas à des juifs leur permettant ainsi de sauver leur vie, c'est à dire qu'il accepta délibérément de sortir du cadre existant pour n'agir que selon sa conscience. C'est, au sens de l'auteur, faire prévaloir la liberté simplement parce qu'on accepte de s'abstraire des contraintes mentales imposées, c'est aussi une manière de créativité puisqu'on invente ainsi une forme d'action qui est sans modèle préétabli. Ce n'est plus seulement un acte de résistance, c'est l'exploration d'une voie nouvelle qui met en évidence le concept de liberté, une véritable réinvention de soi. En ce qui le concerne, il avoue qu'il n'a pas ce courage et voit ici la raison de son défaut d'action. Il avoue quand même, malgré tout ce qu'il a dit auparavant et qui est de nature philosophique et altruiste que pour nombre de jeunes leur entrée personnelle en Résistance n'a pas été motivée par les rafles de juifs mais par l'institution du STO en février 1943 ! Pour lui c'est une véritable bifurcation qui le détermine grâce à des certificats médicaux à se faire affecter à la bibliothèque de l’École et attendre ainsi la Libération. Il parvient quand même à se dire que c'est là une forme de désobéissance et qu'il peut ainsi aider ceux qui ont fait le choix de la Résistance alors que son père n'a pu échapper au travail obligatoire en Allemagne.
Parmi tous ceux qu'il énumère et qui sont entrés en résistance, beaucoup sont croyants et s'estiment inspirés par Dieu. L'auteur qui, à l'inverse de son père, avoue être agnostique, ne peut justifier sa forme d'engagement, si faible soit-elle, par sa foi. Pour autant il admet que la démarche de ceux qui se sont engagés à résister, est de l'ordre du mystère et qu'il y a en nous un autre « moi ».
C'est donc un livre passionnant, agréable à lire, une fiction croisée avec un témoignage authentique qui donne l'occasion d'une réflexion sur l'éthique, d'un questionnement intime et peut-être d'une remise en cause personnelle.
© Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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DES INCONNUES – Patrick Modiano
- Par ervian
- Le 29/07/2013
- Dans Patrick MODIANO
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N°667– Juillet 2013.
DES INCONNUES – Patrick Modiano - Gallimard.
C'est un recueil de trois nouvelles qui mettent en scène trois jeunes femmes qui espèrent beaucoup de la vie. Elles nous livrent à la première personne une tranche de leur vie pas vraiment excitante. Le hasard sert leur envie de réussite et, de la province où elles végètent, le voyage leur permet de satisfaire leurs espoirs ou leurs illusions. Comme l'auteur, leur jeunesse ou leur adolescence sont quelque peu perturbées par des parents qui les oublient ou les abandonnent à leur sort. Ici, il n'y a pas de grands destins mais au contraire des existences assez quelconques, leurs vies est une sorte d'errance organisée autour de projets où gravitent des personnages assez fantomatiques et qui passent sans laisser de véritable empreinte. Elles se meuvent dans une sorte de brouillard, une manière de cauchemar qu'elles vivent en pointillés, un ennui qui se nourrit lui-même de leur quotidien, un vide qui serait presque attachant. Ce sont de petites provinciales inconnues et qui le resteront mais qui se ressemblent toutes. Elles débarquent dans la Capitale ou dans un lieu qui leur est étranger mais elles n'ont rien d'un héro de Balzac. Elles se laissent porter par le quotidien, entraîner par le hasard, à la recherche de quelque chose, le travail, l'amour, la compagnie des autres, une rencontre avec soi-même ou peut-être simplement une manière de tromper leur ennui.
Les personnages sont, comme souvent chez Modiano, des être mystérieux dont on ne connaît même pas le véritable nom, soit ils sont anonymes soit ils se cachent sous l'identité d'un autre et lorsqu'ils parlent, cela sonne faux.
La première inconnue, une dactylo lyonnaise, après avoir été refusée comme mannequin dans une maison de couture, prend le train pour Paris, est séduite par un homme dont elle ne connaît même pas le nom. La deuxième décide de ne pas rejoindre sa triste pension d'Annecy, devient dame de compagnie, baby-sitter puis meurtrière pour ne pas être violée. La troisième arrive de Londres pour s'installer à Paris. Elle est récupérée par une secte pour laquelle elle est une proie facile.
Ces histoires se déroulent dans les années 60, les trente glorieuses, et nous présentent des jeunes filles tout juste sorties de l'adolescence, dont on croit volontiers qu'elles recherchent un mari ou au moins des aventures, même si elles sont sans lendemain. En tout cas ce qui ressort de ces récits c'est assurément la solitude de chacun au milieu de la foule, une sorte d’indifférence aux autres, une manière de déprime, du fatalisme ou de désespérance. Pour elles la vie est triste et sans intérêt. Chacune de ces nouvelles est gouvernée le délitement de la cellule familiale, une fuite du père ou de la mère un peu comme ce qu'a vécu Modiano, des souvenirs d'enfance ni vraiment bons ni vraiment mauvais, un sentiment de fuite permanente, un voyage potentiel dans le futur ou le conditionnel, la fascination de l'interdit, l'illusion de la liberté philosophique, le choix entre la vie et la mort , le tout sur fond de guerre d'Algérie ou de souvenirs de la seconde guerre mondiale.
Le ton de ces nouvelles est caractéristique de Modiano, une musique un peu triste et nostalgique, à l'image sans doute de ce qu'est la vie, mais que j'ai toujours bien aimée.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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ACCIDENT NOCTURNE – Patrick Modiano
- Par ervian
- Le 28/07/2013
- Dans Patrick MODIANO
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N°666– Juillet 2013.
ACCIDENT NOCTURNE – Patrick Modiano - Gallimard.
Un banal accident de la circulation, à Paris, de nuit alors que le narrateur a presque 21 ans : Il est renversé par une voiture, une fiat couleur vert d'eau, conduite par une femme légèrement blessée au visage et titubante, Jacqueline Beausergent qu'il ne connaît pas mais dont le visage lui rappelle quand même quelque chose. Pourtant, cet accident lui en évoque un autre intervenu plus tôt dans sa vie, mais celui d'aujourd'hui est entouré de mystères avec cet accompagnateur taiseux, l’important somme d'argent qu'on lui remet, la feuille qu'on lui fait signer , l'invitation pressante qui lui est faite par l'homme d'oublier cet épisode... A force d'y réfléchir, il se dit que « Cet accident de la nuit dernière n'était pas le fait du hasard. Il marquait une cassure … Il s'était produit à temps pour me permettre de prendre un nouveau départ dans la vie ». C'est que cette femme lui en rappelle une autre qu'il lui faut absolument la retrouver. Ainsi fouille-t-il dans sa mémoire et il y retrouve son enfance et de son adolescence parisiennes, l'image de son père un peu floue et fuyante, des personnages qui ressemblent un peu au narrateur, mystérieux et transparents, pleins de paradoxes et de secrets... A l'occasion de de ce retour sur soi, des figures de femmes émergent, fugaces maîtresses ou passantes diaphanes et inaccessibles. Parfois elles sont un nom, une silhouette, un visage à peine reconnu, tout juste esquissé avec un flot de paroles ou de longs silences.
Reste cette femme, Jacqueline Beausergent, les circonstances de cet accident, l'odeur d'éther de l'anesthésie, la sensation qu'on a d'être entre la vie et la mort, entre douleur et sommeil. Elle renvoie le narrateur à son enfance, quinze ans plus tôt, cet accident presque semblable avec une femme jeune en contre-champ... Ses recherches, vaines au départ, ressemblent un peu à une intrigue policière en trompe-l’œil, laissant au lecteur la soin d'imaginer la fin.
J'ai retrouvé avec plaisir le style de Modiano, musique douce et légèrement mélancolique dont les notes accompagnent le lecteur dans les arcanes de la mémoire, une sorte d'invitation à l'exploration intime, une autre version de « à la recherche du temps perdu » où se croisent des fantômes dans une déambulation à la fois physique et mentale qui baigne dans le clair-obscur. J'aime bien la façon qu'il a d'évoquer le décor où vivent ses personnages, insistant tout à la fois sur l'ambiance générale du lieu et sur un détail anodin, tissant des images parfois un peu irréelles ou inquiétantes. C'est Paris, ses rues, sa pluie et son brouillard d'hiver, la nuit [« La nuit, dans les rues, j'avais l'impression de vivre une seconde vie plus captivante que l'autre ou, tout simplement de la rêver »]. C'est aussi la mémoire qui mélange le temps et les lieux, les événements aussi, entre souvenir et oubli.
Ce roman est tout à fait dans la veine de l’œuvre modianienne. On sent le narrateur perdu moins dans Paris que dans sa propre vie [Il se présente,vêtu pauvrement, vivant seul, dans une simple chambre d'hôtel], à la recherche de cette femme mais aussi d'une façon plus secrète de sa propre identité à travers l'exploration de sa mémoire [« Très tôt peut-être, même avant la période de l'adolescence, j'avais eu le sentiment que je n'étais issu de rien ». « Quelle structure familiale avez-vous connue ? J’avais répondu : aucune ». « Il y avait peut-être toute une partie de ma vie que je ne connaissais pas, un fond solide sur sables mouvants. Et je comptais sur la Fiat couleur vert d'eau et sur sa conductrice pour me le faire découvrir »]. Il y a, tout au long de ce roman, un climat mystérieux qui reprend ce thème. L'attitude du narrateur reste énigmatique, la personnalité de Jacqueline Beausergent pose question quant à celle de Solières-Morawki, elle est carrément opaque. A la naïveté du narrateur, j'ai eu envie d'opposer une sorte de crapulerie des deux autres personnages.
Un autre thème récurrent est celui du père. Ici, il est juste évoqué à travers des rencontres furtives avec son fils, mais ce personnage à bien des égards mystérieux reste pour le narrateur une énigme, un personnage insaisissable. Il est présenté comme un homme avec qui il a des rendez-vous dans des cafés avant de disparaître complètement et non comme un père attentif à la vie de son enfant. La seule chose qu'il tient de son géniteur est un carnet d'adresses qu'il lui a dérobé et qui va lui permettre de mener à bien sa quête.
Comme toujours, ce roman a été un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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SOUS L'OEIL DE DIEU – Jerome Charyn
- Par ervian
- Le 27/07/2013
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N°665– Juillet 2013.
SOUS L'OEIL DE DIEU – Jerome Charyn - Mercure de France
Traduit de l'anglais par Marc Chenetier.
J'ai l'impression que ceux qui, comme moi, abordent pour la première fois un roman de Jerome Charyn, sont un peu perdus. La 4° de couverture indique qu'on ne résume pas un tel roman, mais quand même ! Heureusement que cette 4° de couv. conseille de se laisser entraîner là où le comique côtoie le tragique, je ne sais pas mais j'ai quand même essayé.
Le commissaire Isaac Sidel a été chef de la police de New-York, puis maire de cette ville et le voilà maintenant en passe de devenir vice-Président des États-Unis, ou peut-être plus ! Cependant, il est plus populaire que J.Mickael Storm c'est à dire le Président démocrate lui-même et cela évidemment pose un problème et suscite des jalousies. C'est sans doute pour cela qu'on cherche à éliminer celui qu'il est connu sous le nom de « Monsieur Sidel » mais aussi« le Citoyen » ou « le Gros Type » et sans doute aussi pourquoi celui-ci ne quitte jamais son Glock. Il est vrai qu'il à la détente facile, peut-être autant que la larme. Il est vrai qu'il reste avant tout un flic et le restera, même si d'autres fonctions lui incombent. « L’œil de Dieu », est le nom que s'est donné le tueur chargé de cette besogne, mais, heureusement, Dieu est sans doute avec Sidel, puisqu'il échappe à la mort. Il ne perd pourtant rien pour attendre puisqu'il est toujours une cible, entre la protection des agents du FBI, ceux de la CIA, de la police de New-York et l'ancien président républicain Calder Cottonwood, encore en poste pour quelques semaines et pour qui tous les coups sont permis. Il entend bien exploiter les informations qu'ils détient sur J.Mikael Storm, ancien gauchiste, ancien joueur de base-ball mais surtout mouillé dans des scandales financiers. Le Nouveau Président est tellement effacé qu'on songe de plus en plus à Sidel pour prendre sa place.
De plus il y a toujours un certain délai entre l'élection et l'installation de l'élu à la Maison Blanche et c'est justement ces quelques semaines que choisit Sidel pour se singulariser. Et pas n'importe comment : il tombe follement amoureux d'Inez, alias Trudy Winckleman qui a un passé un peu louche et deux enfants qu'Isaac veut adopter. Cela ne va évidemment pas arranger sa carrière politique nouvelle et pas non plus le parti démocrate. Peu importe, il s'installera auprès d'elle à l'Ansonia, un hôtel de Manhattan cher à son cœur, au même endroit où habite David Pearl, ex-lieutenant d'Arnold Rothstein, banquier mais aussi un caïd new-yorkais. Le cadre, c'est New-York, la « grosse pomme », « la ville qui ne dort jamais », une ville mythique, mais j'y ai plutôt vu une ville ou règne la pègre et la corruption. Le Bronx va être rasé pour y construire un complexe militaro-industriel. Là aussi il y a un enjeu que ne veut pas manqué Sidel.
Aux côtés de Stidel, il y a aussi Mariana, douze ans, la fille du futur Président, accroc aux petit gâteaux au beurre et aux épices et qui ne laisse personne indifférent.
Je crois que je suis passé complètement à côté de cette histoire rocambolesque et déjantée, aux multiples personnages. Elle ne m'a pas vraiment passionné, mais j'ai continué à lire, pour voir.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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UN HOMME ORDINAIRE – Yves Simon
- Par ervian
- Le 25/07/2013
- Dans Yves SIMON
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N°664– Juillet 2013.
UN HOMME ORDINAIRE – Yves Simon – Nil Éditions
J'ai toujours été interpellé par un des rôles qu'on fait jouer à l'écriture, surtout quand elle prend la forme d'un texte que le destinataire ne pourra lire puisqu'il n'est plus là. Les mots que j'ai lus dans cette évocation sont remplis de l'amour d'un fils pour son père après la mort de ce dernier, mais il m'a semblé à la fois tardif et plein de remords, comme si ce garçon était passé à côté de quelqu'un et que maintenant il le regrettait. J'ai lu entre les lignes que cela n'a pas dû être facile ni pour l'un ni pour l'autre (« Et tu filais dans la chambre comme un chien qui reconnaît, au ton de la voix aimée, qu’elle vient de le blesser »). L'auteur s'interroge sur la nature même du père et sur la supposée fonction d'exemple qu'il est censé incarner (« Je n'ai jamais souhaité te ressembler...Tu ne fus pas mon modèle », « J'avoue que j'ai honte. Honte d'avoir parfois eu honte de toi devant mes camarades de classe. » « Tu étais le symbole flagrant de cette condition blessante que je me mis à détester » « Je n'ai jamais rien su de tes désirs, ni ceux du présent ni ceux de l'avenir »). Cet homme l'a sûrement aimé, mais à sa manière, comme au sortir de la guerre on concevait la famille, pas forcément chaleureuse mais unie et consolidée par les épreuves parce qu'on ne divorçait pas aussi facilement que maintenant, parce que les choses et les relations entre personnes étaient sans doute différentes.
C'est à travers lui que l’auteur, enfant unique de ce couple, choisit d'évoquer vingt ans de sa vie. L'enfance vosgienne dans une famille prolétaire, son père cheminot, poseur de voies c'est à dire travailleur au bas de l'échelle sociale et professionnelle, une mère serveuse puis infirmière. Quelques photos un peu jaunies attestent cette période pas vraiment malheureuse mais difficile, un accordéon puis une guitare en cadeau pour l'initiation, un incontournable Teppaz et le juke-box du café d'à côté qui qui font découvrir une autre musique que celle du bal-musette, les jupes des filles dont l'internat le priva, la lecture puis l'écriture comme le symbole d'une évasion, d'une vocation. A l'époque on fondait plus facilement un groupe de rock qu'on ne devenait écrivain, c'est donc ce qu'il fit, et, comme tout adolescent, il se démarqua de sa famille. Son père n'était pas absent mais plutôt étranger à ce parcours musical même s'il se passait sur des scènes de sous-préfecture.
Pour son père, c'était un autre monde, une autre planète. Il était bien ordinaire cet homme, André, qui était son père et qu'un cancer terrassa. Il lui a tout pardonné, son côté bourru, ses silences sur lui-même, ses trous de mémoire, ses stations au café d'où il revenait parfois enivré, ses accès d'autorité, sa condition de travailleur pauvre, les malentendus et les maladresses qui éloignèrent le père et son fils parce plus le temps passait plus l'un et l'autre évoluaient dans deux mondes différents. Pourtant il y eut bien des moments de complicité mais inexorablement ces deux êtres se séparèrent parce que c'était dans l'ordre des choses et que les enfants expriment une sorte d'incompréhension, de contestation, voire de rébellion par rapport à leurs parents, pour peut-être mieux les comprendre ensuite et probablement revenir de leurs erreurs.
La vie ne fait de cadeau à personne et chacun y fait ce qu'il peut. André y fut « de ceux qui n'exigent rien parce que, depuis toujours, ils ont accepté que leur vie soit ainsi : un combat perdu d'avance.», un être qui ne laisserait jamais de trace après son passage sur terre... Yves lui laissera des mots et de la musique qui se sont imprimés dans la mémoire collective et c'est quand même grâce à ce père qui fit ce qu'il put pour son fils, même maladroitement (« Tu fus le faiseur de miracles qu'il me fallait pour que je puisse m'envoler »).
Yves Simon avait déjà beaucoup écrit sur sa mère. Ce récit, en fait une longue lettre qui se lit facilement, vient-il réparer une omission longtemps entretenue par l'incompréhension familiale ? Je ne peux croire qu'il s'agit là d'un oubli involontaire. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai eu du mal à lire ici un véritable hommage à ce père disparu. J'y ai vu plutôt une sorte de témoignage un peu tardif d'un fils intellectuel qui avait, pendant ses années d'enfance et d'adolescence supporté et peut-être un peu méprisé un père ouvrier et qui, à l'âge adulte rattrape avec honte et culpabilité cette attitude. Pendant ces vingt ans, il me semble qu'il y a eu plus que le cancer du larynx qui a tué André !
C'est la première fois que je lis cet auteur. Ce fut un moment agréable de lecture plein de nostalgie, de poésie et de remords. Ce que je retiens aussi c'est la phrase en exergue de Louis Ferdinand Céline qui s'y connaissait et qui doit bien s'appliquer à cet André qui n'a jamais dû être heureux : « La plupart des gens ne meurent qu'au dernier moment ; d'autres commencent à s'y prendre vingt ans à l'avance. Ce sont les malheureux sur terre. »
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LES ROMANCIERES AMERICAINES
- Par ervian
- Le 20/07/2013
- Dans Littérature américaine
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N°662– Juillet 2013.
LES ROMANCIERES AMERICAINES – Le Magazine Littéraire n° 532 -Juin 2013.
Je fais partie de ceux, nombreux sans doute, pour qui la littérature américaine est surtout un univers d'hommes. Certes il y avait Harriet Beecher Stone [« La case de l'oncle Tom »51852)] et Margaret Mitchell [« Autant en emporte le vent »(1937)] mais elles faisaient en quelque sorte figure d'exception. Le dossier du Magazine Littéraire fait une liste non exhaustive de femmes de lettres qui ont enrichi par leur créativité et leur diversité la culture d'Outre-atlantique. Certaines sont nées au XIX° siècle telles Edith Wharton (1862-1937), traduite en français et dont un roman, « Le temps de l'innocence » a été porté à l'écran par Martin Scorsese aussi classique que Gertud Stein (1874-1946) était une adepte du modernisme, célébrant à la fois Matisse et Picasso. Toutes deux ont vécu en France, ont admiré Proust et Henry James mais se sont superbement ignorées. Dorothy Parker (1893-1967) poète, romancière et critique qui se caractérisait par un esprit aiguisé et subtil, rendra compte de la littérature américaine de son temps. Cela lui vaudra aussi d'être victime du maccarthysme. Hitchcock fit de Patricia Hightsmith (1921-1995), et un peu malgré elle, un auteur de roman policier à succès (« L'inconnu du Nord-Express »). C'est le cinéma qui a aussi apporté la célébrité à Annie Proulx (née en 1935) avec « Le secret de Brokeback mountain », une nouvelle portée à l'écran en 2005, mais c'est William Faulkner qui adouba Willa Carther (1873-1947) malheureusement mal connue en France. Nombre de ses romans ont pour cadre les grandes plaines des États-Unis.
Moins paisible est sans doute, sinon l’œuvre, à tout le moins la vie de la sulfureuse Anaïs Nin (1903-1977) dont le « Journal », commencé à l'âge de 11 ans explore certes le « moi », mais surtout l'érotisme, hésitant parfois entre diariste et fiction, rend compte de sa vie privée très riche en rencontres et en liaisons amoureuses.
Avec Eudora Welty (1909-2001), c'est le sud qui est mis en scène. Célèbre pour ses romans (Prix Pulitzer 1975 pour « La Fille de l'optimiste »), mais aussi pour ses nouvelles, elle s'interroge sur la vie, sur la mort, sur le racisme et toutes les formes de violences qu’elle associe au Mississipi notamment pendant la période de la « Grande Dépression ». Avec Kay Gibbons ( née en 1960) c'est toujours le sud dont elle est un peu la mémoire qui revient sous sa plume. Ces deux auteurs écrivent un peu dans l'ombre de William Faulkner. Carson McCullers (1917-1957) incarne aussi ce sud avec son racisme, sa géographie, son climat mouvementé mais aussi la solitude de cette société très compartimentée et, la lutte qu'elle mena contre la maladie qui l'emporta. Ses romans sont volontiers provocateurs. Chez Flanery O'Connors(1925-1964) qui elle aussi était minée par la maladie, c'est la Géorgie qui est mise en scène dans une œuvre réduite mais lucide avec un style lapidaire, caustique et une violence contenue. Elle est considérée comme une voix importante de la littérature américaine.
Avec Alison Lurie (née en 1926), à la fois prix Pulitzer 1984 et Prix Fémina étranger 1988, écrivain et universitaire, c'est le nord qui est évoqué dans ses romans, avec des personnages petits, ambitieux mais timorés. Elle se moque volontiers des enseignants et des écrivains dont elle fait partie. Le tableau serait incomplet s'il ne comportait aussi la figure de Toni Morrison (née en 1931), afro-américaine qui, à son tour traque les fantômes de l’esclavage. Insoumise et volontiers provocatrice elles est reconnue comme un écrivain national bien qu'elle se sente exclue de cette société majoritairement blanche et gouvernée par des hommes. Son style est cinglant, décrit la misère des noirs du début du XX° siècle et le ségrégationnisme américain tout en explorant les registres du merveilleux, du fantastique et de l’irrationnel. Son œuvre a été couronnée par le prix Pulitzer en 1988 et le Prix Nobel en 1993. Louise Erdrich (née en 1954) quant a elle est d'origine indienne et est souvent comparée à Toni Morrison. Elle parle de la spoliation des indiens, de leur perte d'identité et de leur culture, de l’alcool. Elle est d'une profonde tendresse et son style est alternativement dramatique et humoristique. Joan Didion (née en 1934) est davantage journaliste que romancière et ses œuvres n'ont reçu Outre-Atlantique qu'une consécration tardive. A 78 Ans elle fait pourtant autorité, incarnant véritablement l'écrivain californien. Elle se concentre sur l'observation d'elle-même, de l'Amérique et de ses habitants. A titre personnel son introspection porte aussi sur les deuils qu'elle a subi à la suite de la mort de son mari et de celle de sa fille. Elle parle de la solitude, de la maladie, de la mort à venir, raconte sa vie, ses périodes dépressives qui ont fait suite à des phases plus fastes. Face à ses épreuves, l'écriture est pour elle une sorte de baume contre l'adversité. C'est à peu près la même démarche à laquelle se livre Joyce Carol Oates (née en 1938). Brillante universitaire et écrivain à succès, elle aussi parle d'elle, de sa vie, des faites divers mais il lui semble difficile de connaître ceux qui l'entourent et qui sont pour elle une énigme angoissante. Elle parle de l'enfance malheureuse, de la séduction exercée par les adultes, de l'échec conjugal mais aussi peint l'Amérique de l'ouest sans ménagement et sans rien cacher de la violence, de l'alcool, de la drogue, de la sexualité, des trafics... Pour elle aussi, l'écriture est un bouclier. Enfin Susan Minot (née en 1956) est surtout scénariste et n' a écrit que 4 romans. Elle obtenu le Prix Fémina étranger en 1987 mais n'a rien publié depuis 2003. Elle a choisi d'évoquer des scènes familiales dans la Nouvelle-Angleterre fortement teintées d'autobiographie entre révoltes soumissions, affrontements, jalousies et joies simples. Les personnages, surtout celui du père et de la mère sont caractéristiques mais le portrait qu'elle fait de la famille symbolise toutes les familles du monde.
Il s’agit d'un catalogue certes incomplet, d'un tableau rapidement brossé tant les femmes de lettres sont nombreuses Outre-atlantique. Leurs romans ont été couronnés notamment par le prestigieux prix Pulitzer mais pas seulement et le rayonnement de leurs œuvres a largement dépassé les frontières du pays. Ce numéro du Magazine Littéraire fait sur cette question un point intéressant et suscite l'intérêt du lecteur.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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L'ENFER - DANTE.
- Par ervian
- Le 18/07/2013
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N°663– Juillet 2013.
L'ENFER - DANTE.
Dante (1265-1321) fait partie de ces célèbres auteurs dont on ne retient même pas le nom de famille (Alighieri), un peu comme pour Rousseau pour qui on privilégiait le prénom (je me souviens que certains de mes professeurs de français l'appelaient parfois Jean-Jacques) sans doute par affection parce qu'ils ont exprimé quelque chose de profondément humain.
De sa trilogie, « La divine Comédie », considérée à juste titre comme l'un des chefs-d’œuvre de la littérature, on ne retient bien souvent que « l'enfer », prenant sans doute en compte qu'il existe bien, mais ici-bas, au quotidien et en tout cas davantage que le « Paradis ». Cette œuvre commencée en 1306 est bien celle de sa vie mais on oublie aussi qu'il est l'auteur de différents traités (« De vulgaris eloquantia », » « Il convivo », « De Monarchia »). C'est, pour l'époque, une manière très originale et novatrice d'écrire puisque l'auteur se met lui-même en scène. De plus Dante écrit en langue toscane (et non pas en latin comme c'est l'usage à l'époque), c'est à dire en italien, un voyage initiatique au cours duquel il va rencontrer diverses personnalités appartenant à l'histoire, au mythe ou des contemporains de l'auteur. C'est aussi une œuvre monumentale et chrétienne, une réflexion sur la vie et sur la mort où se mélangent l'imaginaire, les allégories et l'histoire. Cela dure pendant toute la semaine sainte de l'année 1300. En compagnie de Virgile il passe les 9 cercles de l'enfer, les 7 gradins du purgatoire puis accèdent aux 9 sphères du paradis où Virgile ne pourra accéder puisque, mort avant l'avènement du Christ, il n'a pu être sauvé par Lui. C'est en revanche sa muse, Beatrice Portinari, qui va lui ouvrir les portes du Paradis où elle est déjà et le guider dans « l'empyrée », lui offrant le salut en compagnie de Saint Bernard.
Mais revenons à « L'Enfer ». Il est la première des trois parties de la « Divine Comédie » et comporte 34 chants subdivisé en tercets. Quand Lucifer fut précipité par Dieu sur la terre, sa chute forma une sorte d'entonnoir qui est l'enfer et la masse ainsi déplacée s'érigea en montagne créant le purgatoire. L'enfer est donc au centre de la terre, le domaine de Lucifer et comporte un lac gelé, le cocyte. La structure de l'enfer est composée de 9 cercles (trois fois trois qui est un nombre sacré) et plus on descend plus on s'éloigne de Dieu et plus grand est le poids des péchés. A chaque cercle de l'enfer correspond un vice.
Au début, Dante lui-même, égaré dans une forêt obscure, image du vice, tente de gravir une colline lumineuse, incarnation de la vertu . Une panthère, un lion et une louve qui sont le symbole du mal s'opposent à son passage et il rencontre Virgile qui l'invite à visiter le monde des morts. Il sera sont guide pour l'enfer et le Purgatoire. Béatrice, elle, lui montera le Paradis. Ils arrivent ensemble aux portes de l'Enfer où on peut lire cette phrase peut encourageante « Abandonnez toute espérance, vous qui entrez. », franchissent l'Achéron et Dante s'évanouit. Ensuite ils parcourent le 1° cercle, les Limbes, où sont les âmes qui n'ont pas reçu le baptême comme Virgile et comme Homère. Dans ce cercle Dante rencontre d'autres grands hommes. Dans le deuxième cercle est réservé aux « pécheurs de la chair », le troisième aux gourmands, le quatrième aux avares et aux prodigues, le cinquième où se trouvent les eaux su Styx aux colériques, aux rancuniers, aux mélancoliques puis Virgile et son compagnon arrivent à la cité de Dité. Dans le sixième il rencontre les hérétiques puis dans le septième, divisé en trois girons, ce sont les violents qui y sont enfermés et tourmentés. Le huitième, appelé aussi Malesfosse est divisé en dix fossés concentriques, les bolges. On y rencontre les prévaricateurs, les hypocrites, les devins, les sorciers, les voleurs. Le neuvième cercle est réservé aux traîtres.
Dante peint ce lieu où se retrouve tout le mal de la terre et où sont châtiés ceux qui l'ont pratiqué. C'est le voyage d'un vivant parmi les morts, le témoignage d'un homme à qui Dieu a permis, par l'entremise d'un poète, d'entrevoir le monde d'après la mort. C'est donc un récit directement inspiré de la théologie du Moyen-Age, l'œuvre propitiatoire d'un pécheur quand on sait l'emprise de l’Église sur ses fidèles et la peur qu'inspirait la mort et les éternels tourments de l'enfer. C'est un récit à la fois épique et lyrique, révélateur d'une certaine forme de vérité, didactique aussi qui s'inspire largement de Virgile et d'Homère mais où chacun peut y aller de son commentaire. On ne s'en est d'ailleurs pas privé, faisant dire à Dante ce qu'il n'a probablement jamais voulu dire. On y a vu aussi et ce n'est probablement pas faux, une sorte manière de régler ses comptes notamment contre la ville de Florence qui l'a vu naître mais qui l'a exilé et où il ne repose même pas actuellement.
On peut s'interroger sur le terme « Comédie » qui n'est pas vraiment opportun dans la cas d' « l'Enfer ». C'est que, à l'époque, tout poème dont la conclusion était heureuse méritait ce nom, ce qui est le cas puisqu'il s'achève sur le Paradis, quant au terme « Divine », le thème seul le justifie amplement.
Cette lecture a pour moi quelque chose d'exceptionnel surtout lorsque, en regard de la traduction française est également écrit le texte en italien : c'est une musique.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LE MEILLEUR DE NOS FILS – Donna Leon
- Par ervian
- Le 14/07/2013
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N°659– Juillet 2013.
LE MEILLEUR DE NOS FILS – Donna Leon - Calman-Lévy.
Traduit de l'anglais par William Olivier Desmond
A l'académie militaire San Martino à Venise, un jeune cadet, Ernesto Moro, vient de se suicider. Dès le début de l'enquête, le commissaire Brunetti ne croit pas à cette version. Le jeune homme était en bonne santé, ne présentait aucun signe dépressif, autant de bonnes raisons pour que notre policier remette en doute ce qui, de plus en plus, passe pour la thèse officielle. Il ne tarde pas à s’apercevoir que cette école est en fait réservée aux enfants de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie du pays, d'ailleurs, la victime était le fils du Dottor Fernando Moro, un éminent oncologue qui s'était fait élire parlementaire. Il avait marqué son passage dans la vie politique italienne par ses enquêtes sur les hôpitaux publics et surtout par une grande probité, ce qui est plutôt rare dans ce domaine. Il avait ensuite démissionné de son poste de député d'une manière un peu brutale et inattendue pour reprendre une clientèle privée. Les investigations de Brunetti révèlent que les époux Moro vivaient séparément depuis de nombreuses années et qu'il y avait des périodes inexpliquées dans la vie de la mère qui d'ailleurs reste introuvable.
Il ne faut pas longtemps au commissaire pour convaincre le vice-questeur Patta, son supérieur hiérarchique, de creuser un peu son idée sur le suicide douteux d'Ernesto Moro. En effet, conclure un peu vite son enquête sur cette cause officielle de décès risquerait d'amener l'ex-député à attaquer le possible classement sans suite de cette affaire, ce qui, aux yeux de Patta, toujours aussi timoré, serait inadmissible puisque cela ternirait l'image de la police vénitienne qu'il dirige. Pourtant, il n'est pas non plus question de trop chercher les causes de ce suicide puisque cela va immanquablement amené la police à enquêter sur la vie privée du Dottor Moro qui est aussi un notable dont Patta souhaite la protection. Telle est donc l'enjeu de ce récit.
La vie de ce couple est une énigme. Les époux Moro travaillent séparément et leur séparation est intervenue bizarrement à la suite d'un accident de chasse dont a été victime la mère, Frederica à Sienne, deux ans plus tôt. On lui a tiré dessus mais la chose est pratiquement passée inaperçue à l'époque. Ils le sont pas officiellement divorcés, ni l'un ni l'autre ne paraît avoir de liaison, mais ils ne communiquent entre eux que par avocats interposés. Brunetti rencontre l'un et l'autre, séparément bien sûr. Avec Madame, le commissaire veut revenir sur son accident qui effectivement pose encore des interrogations restées sans suite pour la victime. En ce qui concerne le suicide de son fils, elle est formelle, cela ne peut être vrai. Brunetti à la chance d'avoir sa secrétaire, Elletra, qui est une mine de renseignement obtenus d'ailleurs un peu trop facilement, mais également son épouse Paola qui connaît bien des potins de Venise. Elle lui révèle que l'école de San Martino n'a rien de militaire, mais est au contraire un repère de jeunes snobs de la bonne société qu'on entretient dans la certitude de leur supériorité.
Les investigations de Brunetti le conduisent à mettre en évidence pas mal de zones d'ombre dans ce dossier, aussi bien des informations contradictoires sur les faits qui se sont déroulés dans l'école avant le suicide, la rétention d'informations de la part des cadres, la menace sur les cadets, le viol d'une jeune fille dans l'enceinte de l'académie militaire quelques temps auparavant mais dont l'information a très tôt été supprimée des journaux, la vie pas si séparée que cela des Moro, la certitude que l'accident de chasse dont avait été victime Frederica Moro n'était pas un accident et que sa vie était peut-être encore menacée, qu'ils avaient une fille, Valentina, bizarrement absente, que la mère du Dottor a été victime d'un accident de la circulation. Il parvient à expliquer que, durant ses fonctions de parlementaire, Fernando Moro s'était notamment intéressé d'un peu trop près aux contrats d'approvisionnement de l'armée, mettant en évidence prévarications et favoritisme, le tout aux dépends du Trésor Public, c'est à dire du contribuable. Bien entendu, le vice-questeur Patta, toujours désireux de donner de la police, mais surtout de lui-même, une image favorable aux notables locaux, souhaite que la thèse du suicide d' Ernesto soit favorisée et bien entendu l'affaire classée. Pourtant, elle évolue vers la mise en cause de plusieurs cadets et à cette occasion des noms de famille de notables pourraient être révélés et peut-être salis.
Cette affaire, faite de menaces, de couardise, de renoncements, d'erreurs, de faux-témoignages, de mensonges, de révélations embarrassantes, de mises en cause, de mises en scène se termine. Brunetti qui est policer mais aussi père d'un garçon de l'âge de la victime n'a cessé de penser à ce jeune cadet mort trop tôt en songeant que cela pourrait bien lui arriver à lui aussi.
Brunetti est un bon enquêteur mais il est, dans cette affaire secondée efficacement par Elletra, la secrétaire, qui lui obtient des renseignements avec plus de facilité qu'un fin limier.
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MORT EN TERRE ETRANGERE – Donna Leon
- Par ervian
- Le 12/07/2013
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N°658– Juillet 2013.
MORT EN TERRE ETRANGERE – Donna Leon - Calman-Lévy.
Traduit de l'anglais par William Olivier Desmond
Un cadavre vient d'être découvert aux petites heures du matin, apparemment poignardé et flottant dans les eaux noires d'un canal à Venise. Le commissaire Guido Brunetti se charge naturellement de cette affaire. Très vite il s'aperçoit que la victime est un Américain, plus exactement le sergent Foster de la base de Vicence. Il lui faudra donc travailler avec une armée étrangère ce qui ne lui facilitera pas les choses. Elles sont d'ailleurs suffisamment compliquées comme cela au quotidien avec son supérieur hiérarchique, le vice-questeur Patta qui n'est jamais aussi satisfait que lorsqu'il ne se passe rien à Venise puisque toutes les formes de délinquance, et particulièrement un crime de sang, sont synonymes de baisse de la fréquentation touristique dans la ville. Il faut dire que ce hiérarque est le type même du chef de service incompétent, ignare, profiteur à l'occasion, autant dire inutile, mais imbu de lui-même, de sa supposée importance et dont on se demande comment il a bien pu faire pour parvenir à ce poste.
Un peu macho quand même ce Brunetti quand il s'étonne de la présence des femmes, surtout officier et médecin, dans l'armée américaine, franchement italien aussi quand il oublie ses fonctions officielles de policier pour faire dans la combinazione, Vénitien avant tout quand il éprouve le besoin de décrire sa ville aux étrangers en sa compagnie ; il faut dire que la Sérénissime ne laisse personne indifférent. Il est amoureux de son épouse et attentif à sa famille mais ne dédaigne pas, à l'occasion, la compagnie des femmes, même si elles portent l'uniforme. Pourtant, il reste les réactions bizarres de cette femme, le capitaine médecin Peters et supérieur hiérarchique de Foster au service de la santé publique quand elle le voit à la morgue et qu'elle apprend la manière dont il a été assassiné. C'est peut être assez pour que le commissaire la soupçonne, ce qui ne simplifiera pas l'enquête de la police italienne ! Au début, tout paraît lisse dans la vie de Foster, mais une visite dans son appartement révèle la présence de cocaïne et une possible relation intime avec cette supérieure. Ainsi que pouvait bien justifier le meurtre de ce militaire, le vol, la vengeance, la jalousie ou une simple agression de rue ? Pourtant, les jours suivants révèlent la mort par overdose du capitaine Peters alors que cette dernière n'était pas toxicomane ! Autant dire que, malgré les ordres de sa hiérarchie, Brunetti a bien l'intention de poursuivre son enquête originelle.
Le vice-questeur, toujours aussi flagorneur, timoré mais surtout désireux de ne pas faire de vagues préfère traiter cette affaire comme une agression de rue qui aurait mal tourné et commande au commissaire de se consacrer à un cambriolage survenu dans un palais du Grand Canal appartenant à un important industriel milanais de l'armement. Au moins, comme cela, il se fera bien voir d'un important notable. Ainsi Brunetti abandonne-t-il cette affaire, officiellement seulement puisque contrairement aux apparences, il pense que ces deux enquêtes pourraient bien être liées. En effet, notre commissaire ne tarde pas à mettre à jour un trafic de déchets avec création de décharges sauvages à cause de la corruption des hommes politiques, du laisser-aller des autorités italiennes face aux Américains notamment en matière d'écologie, des différentes réglementations à l'intérieur des pays de la communauté européenne et de l'ombre de la Mafia.
Je ne connaissais pas cette auteure au nom à consonance européenne, née dans le New-Jersey mais qui a choisi la cité des doges pour lieu de résidence permanente. En revanche la série télévisée allemande qui a contribué au succès des enquêtes de son commissaire fétiche m'a encouragé à lire les vrais romans. Je n'en suis pas déçu, le voyage extraordinaire dans cette cité mythique autant que l'intrigue policière, malgré quelques longueurs, ont été pour moi l'occasion d'un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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L'ANNEE DU VOLCAN – Jean-François PAROT
- Par ervian
- Le 09/07/2013
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N°657– Juillet 2013.
L'ANNEE DU VOLCAN – Jean-François PAROT – JC LATTES.
Nous sommes en Juillet 1783 et le vicomte de Trabard vient de mourir, tué en pleine nuit par son cheval, Bucéphale. Ce nom avait déjà été porté par le destrier d'Alexandre mais si ce cheval avait peur de son ombre, il semblerait bien que la monture du vicomte ait craint les pétards jetés dans son box nuitamment, ce qui pour le commissaire Le Floch est sans aucun doute le signe d'un assassinat camouflé en accident. D’autant que le cheval est présenté comme une bête fougueuse alors qu'il n'en n'est rien ! Quant au vicomte, pour être noble il n'en était pas moins quelqu’un de peu recommandable dont on n'aurait bien pu vouloir se débarrasser. Le vicomte et la vicomtesse vivent sous le même toit mais mènent deux vies bien séparées ce qui pourrait bien être une explication à cette mort mystérieuse, les domestiques, sous couvert de la fidélité à leurs maîtres, cachent des informations à nos policiers, les appartements de M. de Trabard ont été fouillés bien avant l'arrivée de la police et les nombreux détails qui s'accumulent lors de leurs recherches contribuent à épaissir le mystère qui entoure cette affaire et posent bien plus de questions qu'ils n'apportent de réponses. Le plus étonnant est sans doute que la reine qui fait mander Nicolas le Floch pour enquêter, entend être tenue exclusivement et personnellement informée des développements de ses investigations. Un cas de conscience pour notre « commissaire aux affaires extraordinaires » qui rend compte d'habitude au Roi lequel lui accorde toute sa confiance et à qui il est tout dévoué ! Autour du marquis de Ranreuil, ses amis le mettent en garde : cette affaire est grave et pourrait entraîner sa disgrâce, et pour faire pression sur lui, on le menace même de révélations sur sa vie privée !
Il est aidé par son fidèle et efficace Bourdeau, toujours aussi critique au regard de la Cour. Il est ici l'expression d'un peuple qui gronde et auquel il appartient, même si ses fonctions policières l'amènent à protéger la royauté ! Certains de ses propos prennent dans ce récit une dimension prémonitoire. Plus les investigations avancent autour du vicomte de Trabard , plus le secret s'étend, d'autant que cette époque est troublée, que le roi a de moins en moins de pouvoirs, que les bases de la société se délitent, que des scandales éclatent, que l’État est en faillite à cause notamment des dettes faramineuses de la reine dans le remboursement desquelles le vicomte aurait pu jouer un rôle peu catholique, que le peuple fait de plus en plus entendre sa voix et ses revendications, menaçant l'ordre public, que circulent des pamphlets et des libelles, bref une atmosphère de fin de règne qu'un policier intègre ne peut que redouter ! Tout s'y met, même la terre qui ne cesse de trembler et ce volcan islandais qui répand ses vapeurs nocives jusque sur le royaume de France !
Lors des investigations de Le Floch, le lecteur croise une franc-maçonnerie de plus en plus influente, l’énigmatique comte de Cagliostro, Restif de le Bretonne toujours aussi inattendu et insaisissable, l'ombre de Sartine, ancien ministre retiré des affaires mais toujours attentif aux choses de l’État, des faux-monnayeurs, des trafics en tout genre, des spéculations immobilières de la part d’ordres religieux qui ont pourtant fait vœux de pauvreté, des coteries où la galanterie le dispute à la corruption et à la volonté de nuire...
Cette enquête est passionnante du début à la fin. Elle nous entraîne sous le règne de Louis XVI et nous dirige dans ce Paris du XVIII°siècle plein de mystères. Comme toujours je note les recettes de cuisine qui émaillent le récit, si détaillées et goûteuses que le lecteur a l'impression d'être invité parmi le commensaux. Comme toujours le texte est érudit et on y gagne toujours quelque chose qui ressemble à la connaissance de cette période passionnante et des gens qui y vivaient, petits ou grands !
Un détail, et non des moindres cependant : je veux redire ici combien j'apprécie le style de Jean-François Parot, riche en tournures et en vocabulaire un peu surannés mais ô combien musicaux et distingués. C'est d'autant plus important à mes yeux qu'il est devenu presque banal d'écorcher au quotidien notre belle langue jusque dans les « sms » et que nombre de professionnels de la parole et de l'écrit qui sont censés en faire un usage correct ne cherchent même plus à la respecter. C'est plus fort que moi, mais j'aime qu'on serve correctement le français et c'est toujours pour moi un plaisir de lire de tels romans.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LE BONHEUR D'ETRE ICI – Michael Edwards
- Par ervian
- Le 06/07/2013
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N°655– Juillet 2013.
LE BONHEUR D'ETRE ICI – Michael Edwards - Fayard.
Le titre et l'objet de la réflexion de l'auteur s'articulent autour d'une citation de Claudel [« Le bonheur d'être ici »] et une autre de Baudelaire [« N'importe où hors du monde »]. Ainsi donc, le bonheur qui est l'objet légitime de la recherche de tout être humain [« Le bonheur nous hante, comme un beau souvenir ou un rêve, comme une perte et une promesse » nous dit-il en commençant son propos] est-il une utopie dans un monde déchiré par les guerres, les injustices, les luttes fratricides, la famine, les deuils... Le malheur y est donc omniprésent. L'auteur nous invite simplement, non à espérer autre chose dans une hypothétique autre vie ou un improbable ailleurs, mais à porter un regard attentif sur le réel, à nous concentrer sur émerveillement de l'instant, le spectacle du quotidien peut en effet légitimement nous inviter à suivre l'invitation de Baudelaire. A ses yeux, même la religion qui promet ce bonheur, mais dans un autre monde seulement, est blâmable. Pour lui, au contraire c'est le « ici et maintenant » qui doit retenir notre attention et monopoliser notre faculté de nous émouvoir, parce que cet instant est unique. Cela n'a rien d'intellectuel ni de méditatif dans sa démarche mais c'est au contraire une invite à une prise de conscience simplement humaine.
Pourtant, la citation du très catholique Claudel fait référence à Dieu et à sa création mais ce qu'en retient Edwards c'est moins l'infini de l’œuvre divine que le « fini » du monde que nous avons sous les yeux. Ainsi le bonheur terrestre ne peut procéder de la foi chrétienne mais résulte surtout de l'attention que nous portons à notre entourage immédiat. Edwards suggère même que le christianisme « s'offre comme la possibilité d'avoir la vie et de l'avoir avec plus d'abondance », alors qu'on pouvait légitimement penser qu'il privilégiait le bonheur dans l'au-delà et non pas ici-bas. Être ici et maintenant peut parfaitement nous enchanter et le parti-pris de Baudelaire pourrait être tentant [« Enfer ou Ciel qu'importe, au fond de l 'inconnu pour trouver du nouveau »]. L'auteur met en prescriptive ces deux sensibilités, ces deux « impulsions » pour en tirer une sorte de leçon de vie, « pour rendre compte tant des merveilles que du malheur inépuisable du monde », pour que le bonheur se nourrisse du malheur pour rayonner et s'imposer à nous.
C'est là une apparente contradiction qu'aux yeux de Michael Edwars, la poésie aurait pour mission de réduire, d'anéantir[« Et toute la littérature, toutes les formes d'art.. ont pour domaine, au fond, le bonheur, la recherche d'un avenir favorable »]. Il n'en veut pour preuve que l'émerveillement de Rousseau après son accident malheureux ou l'enfer de Dante où l'auteur, décrivant les épreuves des damnés éprouve du bonheur au simple souvenir du monde réel. Dès lors le poète n'est pas cet homme enfermé dans sa « tour d'ivoire », seulement occupé par ses pensées intérieures et désireux de se refaire son propre monde. Il est au contraire celui qui regarde le monde, y est sensible, garde sa faculté de s’étonner des choses les plus communes, les plus quotidiennes. Il est un voyageur du réel tel que Witman le concevait, c'est à dire, une sorte de témoin, un quêteur de Dieu, mais d'une sorte de Dieu profane détaché de tout rituel, de tout contexte de religiosité surannée et encombrée de lieux saints.;
Ce thème de réflexion sur la poésie et sur l'art se nourrit aussi des écrits de Rousseau, de Witman, de Dante, de Proust, de la Bible et plus spécialement de l'ecclésiaste qu'il nous invite à relire [il nous invite à dépasser ce à quoi elle est souvent réduite « Vanité des vanités, tout n'est que vanité »]. Il note qu'en littérature, le malheur fait davantage recette que le bonheur et que dans la Divine Comédie, c'est toujours de « l'enfer » dont on parle. Michael Edwards fait aussi appelle à la musique de Haendel et la peinture de Manet pour finalement évoquer ce que peut être l'extase du passant sur le Pont des Arts. Dans toute œuvre d'art, c'est l'instant qui est célébré, dans toute sa simplicité et donc toute sa beauté. Chez les impressionnistes, il retrouve le plaisir de l'instant, figé sous le pinceau de l'artiste. Ce mouvement est à la fois une manière différente de peindre et une volonté de rendre compte d'un certain art de vivre puisque la plupart de leurs tableaux est associé à des lieux de distraction ou de farniente ;
C'est donc un ouvrage riche, plein de sensibilité, de culture, de poésie mais surtout un hymne au réel, au quotidien que l'auteur propose à notre réflexion pour sortir d'un monde où chaque jour nous invite au contraire à la déprime, à la désolation. Un très beau texte donc, un brillant travail universitaire, un thème de réflexion intéressant, même s'il semble à priori paradoxale et parfois un peu trop érudit pour le commun des mortels, mais peu importe, ce livre résulte des cours que l'auteur donne au collège de France où il enseigne... même si, à titre personnel, je ne partage pas son point de vue.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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RIVAGE MOBILE – Michael Edwards
- Par ervian
- Le 05/07/2013
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N°656– Juillet 2013.
RIVAGE MOBILE – Michael Edwards - Arfuyen.
C'est un cas bien intéressant que celui-là puisque l'auteur écrit des poèmes directement en anglais et les traduit en français. Ce recueil est donc une édition bilingue. Cette « opération » n'est, en elle-même pas banale mais, sous la plume de l'auteur, c'est moins une traduction qu'une véritable recréation [« A travailler le poème français, à observer sa façon autre de faire résonner et de changer le moi, le monde, je suis venu aussi, parfois, à modifier ou à récrire entièrement le poème anglais » confesse-t-il]. On a beaucoup associé le mot « trahison » au mot « traduction » surtout quand ce travail est effectué par un tiers, si complice soit-il avec l'auteur. Dans la traduction, non seulement les mots se dérobent parfois, leur sens prend des chemins détournés, mais la personnalité et celle de son traducteur sont nécessairement différentes, les sensibilités parfois éloignées... Effectivement les langues sont dissemblables mais aussi les règles de prosodies ne sont pas les mêmes. Ici, tout cela n'existe pas puisque Michael Edwards écrit en français sous la forme libre et prend prétexte d'un des des poèmes qu'il a personnellement écrit en anglais, sa langue maternelle, pour le repenser et et le récrire en français. C'est ainsi par exemple que le texte intitulé « Gravestone », p66-67, exprimé en anglais avec une grande économie de mots, une remarquable concision, donne en français « Pierre tombale », un poème beaucoup plus long, plus poétique, une vrai réflexion sur la mort, sur la condition humaine, une occasion aussi de « jouer » sur les mots (Humour, Humus, Humble). Dans ce recueil on mesure plus aisément les avantages de cette double culture de l'auteur.
Dès lors, les mots prennent un sens nouveau, différent, enrichi peut-être, paradoxale parfois en passant d'une langue à l'autre[ dans le poème « On meaning », « Du sens » en français », le tilleul anglais devient le platane plus dans le décor français, le message a une autre ampleur, le texte une autre dimension, le rythme un autre balancement à cause des allitérations et de l'enjambement. N'oublions pas que la langue anglaise est accentuée et que le français l'est beaucoup moins ce qui se traduit pas une musique forcément transformée. C'est d'autant plus sensible quand le lecteur lit à haute voix ces textes dans les deux versions, ce qui n'est pas sans instiller une sorte d'étrangeté due sans doute aux techniques poétiques différentes ou à un univers pourtant familier mais finalement dessiné autrement [le poème, « Lines », p76-77 qui en français est traduit par « Du vers », me semble à ce propos significatif ].
Un simple déménagement devient sous sa plume une maison qui bouge [« Moving house » p 8 et suivantes], comme les êtres, avec à la fois l'idée du vide, du changement, de la transition, l'image de la vanité des choses humaines, le parallèle avec les êtres qui l'ont habitée. A travers les mots, il y a un hymne à l'instant, à la fois fugace, unique et perpétuellement reproduit [« La mer par la force électrique du clair de lune frissonne... Le phare folle girouette du rivage ferme les yeux...Les oiseaux illuminés de la ville vont leur cage, et dresse la carte des longues courbes de la terre sous un soleil qui tourne le monde dans sa tête »p.23] , une vision éphémère et porteuse d'émotion et d'amour [« Des murmures descendent sur ton livre ouvert par une odeur de pomme...Le jardin respire le vent caresse tes feuilles, ta robe »p.63]. Je ne puis m'empêcher de faire le rapprochement avec « Le bonheur d'être ici », thème qui est cher à l'auteur. Il l'habite par le spectacle du réel et c'est pour lui l’invitation à un moment d'exception dont il faut jouir simplement. Écouter, voir, maintenir tous ses sens en éveil pour la richesse de l'instant et la célébration de la vie dans ce qu'elle a d'éphémère et d'éternel. [« La pierre et la jeune fille »p.33], telle est sans doute la leçon de ces poèmes.
Le texte poétique, sans doute plus que celui écrit en prose, se prête davantage à l'interprétation personnelle, s'ouvre à la sensibilité intime du lecteur, laisse libre cours à son imagination.[« Nous entendions une autre voix qui n'était pas la votre seulement mais le son humain, votre voix véritable, arrivant vers nous d'un monde plus lointain. » in « The voice » p.68-69]. Si nous y prêtons attention, les mots se chargent de sens pour célébrer simplement la pierre, l'eau, les feuilles, le vent, la lumière parce que tout cela vit en eux et par eux.
Nous sommes au quotidien entourés d'images parfois agressives et de paroles « orales » qui ne le sont pas moins. Pour ma part, je suis toujours étonné par l'univers des mots écrits, apaisants et ouverts à l'interprétation personnelle que sont les poèmes. Un recueil de ces textes peut paraître anachronique, voire inutile dans cette société tournée vers le rendement, l'efficacité entendue sur le seul plan économique, il n'en est pas moins, à mes yeux, un moment d'exception, un jalon, l'occasion de voir le monde autrement.
La lecture attentive de cette poésie a été pour moi l'occasion de renouer avec ce qui a été la raison d'être initiale de cette revue.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com