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la feuille volante

Articles de hervegautier

  • LE FLUTISTE INVISIBLE - Philippe LABRO

    N°673– Août 2013.

    LE FLUTISTE INVISIBLE - Philippe LABRO – Gallimard.

    Philippe Labro est un romancier remarquable, nous le savons tous, mais là , contrairement à ce qui est écrit sur la couverture, il ne s'agit pas d'un roman mais d'un recueil de trois nouvelles. En effet, si l'auteur se révèle être un conteur passionnant, un bon serviteur de notre si belle langue française, ces trois histoires n'ont pas de lien entre elles, elles sont indépendantes les unes des autres, à tout le moins sur le plan de la narration. Ce sont des situations romanesques puisées dans son expérience personnelle, dans l'imaginaire ou dans le simple témoignage. Le texte est bien écrit, littéraire par conséquent mais ce sont des nouvelles, ce qui n'enlève rien à ses qualités, bien au contraire.

    L'auteur nous livre son vécu dans « La ligne de mire ». Appelé en Algérie durant la guerre, il travaille comme journaliste et figure sur une liste de condamnés à mort par l'OAS. Celui qui est chargé de l'exécuter, et alors qu'il n'avait aucune chance de le manquer, hésite, ne presse pas la détente et lui laisse la vie sauve et ce sans aucune raison. Plus tard il le rencontre alors qu'il est devenu une personnalité connue et lui révèle cet épisode de son existence passée, dans le secret espoir que cela figurera dans un de ses livres. Dans « Bye Bye Blackbird », il raconte l'expérience sexuelle d'un jeune étudiant pauvre avec jeune fille riche sur un transatlantique qui les amène à New-York. Cet épisode est relaté à l'occasion de la rencontre fortuite avec un homme qui siffle un vieil air oublié. Avec « Le regard de Toma » c'est l’histoire d'un jeune juif qui, parqué avec sa famille dans un entrepôt, se plaint du froid. Sa mère finit par se laisser convaincre de chercher un endroit moins inconfortable. Le lendemain, leurs compagnons d'infortune restés à leur place sont tous transférés à Auschwitz où il sont exécutés, mais eux sont protégés par leur nouvelle « cachette ». Ils finissent par être découverts et entassés dans des wagons plombés, promis à une funeste fin mais, par une sorte de miracle, un besoin soudain de main-d’œuvre ou la décision d'un obscur fonctionnaire nazi, ce train fait machine arrière et les débarque à Vienne, leur sauvant ainsi la vie. Par la suite, dix ans plus tard, c'est lui qui, grâce à un sorte d'instinct de survie, sauve la vie d'un homme avec qui il s'évade d'un camps russe.

    Ce titre assez énigmatique est emprunté à une citation d'Albert Einstein qui est d'ailleurs reproduite en exergue et qui évoque Dieu si on est croyant, le destin, le hasard, la chance si on ne l'est pas. Einstein avait en effet avec Dieu des relations bizarres, soit il en rejetait jusqu'à son existence, soit au contraire il évoquait ce « flûtiste invisible » qui, pour chaque être joue une étrange partition, à la fois mystérieuse et incontournable. L'expression est peut-être poétique mais depuis la nuit des temps les Romains croyaient que les Parques tenaient ainsi dans leurs mains les fils de la vie de chaque mortel. Les Grecs les appelaient les Moires.

    A titre personnel, moi qui ne crois plus en rien et sûrement pas a ce que le catéchisme nous a enseigné, je suis fasciné par le hasard qui gouverne nos vies sans que nous voulions bien souvent l'admettre. Nous l’appelons chance, destin, la fatalité mais il n'a pas manqué de philosophes pour nous rappeler que nous sommes libres de nos décisions, que chaque homme a son « libre arbitre » et qu'il est capable de décider de sa vie. Je ne parle pas de la religion catholique qui nous enseigne que Dieu sait tout, même ce que librement nous allons décider, entretenant en cela une immense ambiguïté. Selon que nous sommes croyants ou pas, nous pouvons admettre « le doigt de Dieu » dans nos vies et il reste que bien des choses qui nous arrivent interviennent malgré nous, sans que nous y puissions rien. Cet élément inconnu, ce cas fortuit et de force majeure, cet événement imprévisible et irrésistible existe malgré nous et nos le subissons.

    C'est donc, par delà la forme, roman ou nouvelles, un sujet passionnant que soulève Philippe Labro à travers ces histoires et qui fait débat. Il se contente de lancer cette réflexion passionnante de nature philosophique mais, bien entendu sans y apporter de réponse autre qu'un texte littéraire agréable à lire.

    A la fin du livre, l’auteur tente une sorte de définition de la sagesse humaine face aux événements de la vie qui, surtout dans le cas du « regard de Tomas » met en évidence la relativité des choses qui gouvernent nos vies. Il y a toujours deux vérités, deux réponses à chaque question comme le rappelle l'écrivain Michael Chrirston.

    Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

















  • LITURGIE - Marie-Hélène Lafon

    N°672– Août 2013.

    LITURGIE - Marie-Hélène Lafon – Éditions Buchet Chastel.

    La nouvelle est un art difficile et bien plus difficile encore est l'intitulé d'un recueil.

    La liturgie est un culte, un cérémonial, un ensemble de codes, de gestes extérieurs qui règlent une cérémonie religieuse. Il y a bien dans ces nouvelles cet aspect liturgique. Dans la première qui donne son titre au recueil, le lavement du dos du père par ses filles tient du rituel codifié qu'il ne viendrait à l'idée de personne de transgresser ces habitudes. Le père trône dans cette maison qui est la sienne, où il est le maître où on le respecte et de lui tout dépend, jusqu'à la vie de ses filles. Il y a un côté religieux dans ces ablutions dominicales qui rappellent un peu le lavement des pieds de l’Évangile et l'annonce de sa mort prochaine donne à cette scène traditionnelle une dimension particulière.

    La mort qui s'accompagne d'ordinaire d'une liturgie religieuse ou laïque est évoquée quand Germaine, la « fiancée » de ce pauvre Alphonse choisit, de se suicider par honte d'avoir été violée par un rustaud et ainsi de ne plus pouvoir le regarder en face. La mort aussi de Roland, par pendaison comme celle de Germaine, un rituel quasi-immuable à la campagne quand la vie n'est plus supportable. La mort encore évoquée pour le jour des défunts dans « La fleur surnaturelle ». Elle se double ici du rituel annuel et incontournable de la visite des cimetières.

    Jeanne, parce qu'elle est différente des autres membres de la famille attachés à la terre et ne vivant que pour elle, parce qu'elle a choisi d'être institutrice et célibataire dans un monde où il faut impérativement pour une femme « faire maison », c'est à dire se marier, avoir des enfants de préférence dans le village, rompt un peu cette liturgie laïque et contadine. Elle y sacrifie cependant, mais à sa manière, quand elle choisit un homme. Elle est vierge et lui porte soutane mais, même si cette passade ne peut perdurer, elle la vit quand même comme quelque chose d'exceptionnel : faire l'amour avec un jeune ecclésiastique tient un peu du rituel. C'est sans doute plus excitant et érotiquement différent. Elle continue de se singulariser lorsque, sa foucade terminée, elle devint kleptomane pour le seul plaisir de transgresser encore une fois l'interdit. Le « modus operandi » du délit est une sorte de cérémonial.

    Liturgie encore quand le narrateur, témoin privilégié de ces tranches de vies rurales, raconte les familles engoncées dans leurs conflits internes où l'indifférence et parfois la haine tiennent lieu de ciment. Ici, on peut avoir des maîtresses ou des amants, seul compte l'argent et surtout on ne divorce pas, on attend la mort, quand on ne la provoque pas. Liturgie toujours quand il faut impérativement quelqu'un parmi la descendance pour reprendre les terres, la boutique ou l'atelier. Que cela lui plaise ou non, celui qui est choisi doit de plier à la tradition, à cette sorte de liturgie. Et si d'aventure les mariages entre cousins des générations précédentes produisent des attardés mentaux, il faut les cacher, les dissimuler aux yeux des autres mais surtout en profiter, les exploiter puisque, bien entendu, ils ne se défendent pas. Si de pauvres filles de ferme ont succombé sous les assauts de garçons avinés et violents, qu'elles tombent enceinte, il faut impérativement les marginaliser, les désigner à la vindicte populaire, les spolier, elles-aussi.

    Liturgie encore que ces grandes lessives au lavoir communal où tout se sait, où se distribuent les critiques et les clabaudages.

    Je ne connaissais pas Marie-Hélène Lafon avant d'avoir, par hasard, pris un de ses livres sur les rayonnages d'une bibliothèque. J'ai commencé par lire « Mo » (La Feuille Volante n°671) mais le style haché et minimaliste m'a déplu. Cela semble être la caractéristique littéraire de l'auteur et c'est évidemment respectable. Ici, j'ai trouvé l'écriture plus fluide et poétique, assurément plus agréable à lire et donc pour moi un bon moment de lecture. J'observe que « Mo » est paru en 2005 et « Liturgie »date de 2002. Elle a donc abandonné le style de ce recueil de nouvelles au profit d'une façon plus épurée. Personnellement je le regrette mais j'apprécie qu'elle soit une talentueuse raconteuse d'histoires.

    Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com















     

  • MO – Marie-Hélène Lafon

    N°671– Août 2013.

    MO – Marie-Hélène Lafon – Éditions Buchet Chastel.

    Mo, c'est le prénom simplifié de ce dernier fils qui s'occupe de « la mère »[elle sera nommée comme cela durant tout le roman comme on parlera « du père » décédé quelques années auparavant]. C'est une abréviation parce qu'un autre fils Mohamed (en entier) est mort à l'âge de 13 ans, renversé par une voiture, mais Mo n'est pas là pour le remplacer. Pourtant il s'occupe seul de sa mère tyrannique, abusive et jalouse qui demeure toute la journée dans l'appartement parce qu'elle a des difficultés pour se déplacer. Il le fait de son mieux, faisant le ménage, en observant un certain rituel de chaque jour [« Le jeudi était le jour des pieds »] parce que c'est un bon fils, soigneux et attentif mais surtout parce que les autres enfants sont partis de la maison et lui ont laissé ce soin. Sa mère ne l'aime guère et ses autres frères profitent un peu de l'argent que Mo rapporte à sa mère, mais finalement tout cela lui est bien égal. Il travaille dans un centre commercial et on le cantonne à une tâche subalterne parce qu'il ne peut pas faire autre chose. Cela l'occupe et il a l'impression de servir à quelque chose. Il vit un peu dans son monde, avec ce travail sans intérêt, cette mère à demi impotente, cet appartement où il s'ennuie. Il voit quand même qu'autour de lui il y la violence, le mensonge, la trahison, la famille qui se délite surtout depuis la mort du père. Il a conscience de cela mais n'y peut rien et vit au jour le jour sans trop se poser de question en écoutant Ali, dit Jo, le vigile, lui parler de Dieu, mais de celui des Chrétiens. De là où il est, il voit Maria, une Portugaise plus jeune que lui qui est vendeuse dans une boulangerie. C'est une fille sérieuse, travailleuse, propre, appliquée et surtout célibataire. Elle est donc l'objet de tous ces fantasmes. C'est que Mo n'en est pas à son coup d'essai avec les femmes de la cité où il habitent. Elles l'aiment bien dans le quartier il a même des aventures avec certaines d'entre elles. Dès l'école où il ne fit pas vraiment des étincelles, il avait déjà du succès. En réalité, il est un peu mythomane, est sensible à la beauté du corps féminin, sans doute comme chacun d'entre nous. En réalité, à la trentaine, il est un véritable séducteur mais quand il rencontre Maria, il n'y a plus qu'elle qui compte à ses yeux. C'est une jeune fille indépendante qui vit sa vie sans entrave, aussi libre qu'il est naïf .

    Il la séduit, quitte de plus en plus souvent l'appartement au grand dam de sa mère et de ses frères, finit par vouloir se construire quelque chose avec elle. Ils ont leur vie, leur jardin secret, leurs projets. Le lecteur imagine une fin heureuse, mais c'est oublier le titre et la division en quatorze stations comme le Chemin de Croix du Christ. Comme pour lui cela doit mal se terminer. Maria en eut-elle assez de Mo, a-elle choisi de lui faire de la peine en dénonçant ses fautes d'orthographe, elle qui écrivait sans en faire ? A-t-elle prononcé ces quelques mots anodins sans y penser, à cause de la fatigue ou simplement pour le taquiner ? Mo a perdu la tête, a changé de peau, est devenu un autre, abandonnant soudain ce qu'il était, tout ce à quoi il était attaché, et en premier lieu à Maria qui a peut-être fait une simple gaffe innocente en mentionnant les difficultés de son ami en français ? A travers les psalmodies du numéro de téléphone de son frère à qui il pense soudain ou la récitation quasi mécanique des ex-voto qu'il a sous les yeux, Mo pénètre dans un univers peut-être inconnu ou enfoui depuis longtemps en lui et qui va favoriser sinon provoquer son geste fatal, signature d'un retard mental ou d'une obscure maladie psychiatrique que la jeune fille n'a sans doute pas pu déceler, ou une de ces actions qu'on regrette après qu'elle sont perpétrées, une pulsion soudaine, imprévisible et inexplicable. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai envie de prolonger l'histoire, j'imagine Mo devant la Cour d'Assises, prostré dans le box des accusés, n'osant pas regarder la famille de Maria, incapable d’expliquer son geste qui a brutalement interrompu la vie de cette jeune fille qui ne demandait qu'à vivre !

    J'avoue que ce roman m'a étonné. L'écriture tout d'abord est hachée, monocorde, minimaliste, peu facile à lire, simplifiée à l’extrême sans recherche, sans beaucoup d'images. C'est un parti-pris que je respecte même si je le goûte peu. Ce roman met en scène un jeune homme d'origine maghrébine apparemment mécréant mais qu'on s'attendrait, pourquoi pas, à voir se rapprocher d'une mosquée. Au contraire, il multiplie les références catholiques jusque dans son quotidien. Quand il voit Maria servir les clients à la boulangerie, elle lui rappelle une scène de l’Évangile. Son prénom lui-même n'est pas sans rappeler celui de la mère du Christ et Mo, qui a 33 ans comme Jésus à l'âge de sa mort écoute avec admiration Ali qui a choisi Jo, comme Joseph, évoquer pour lui le Dieu des Chrétiens, la passion du Christ, sa résurrection. Mo la met en balance avec la mort d'un de ses frères. La construction du roman lui-même est divisé en quatorze stations comme une Passion christique et c'est en quelque sorte sous l'égide de Notre Dame de la Garde qu'il met un terme définitif à sa liaison amoureuse, d'ailleurs sans beaucoup d'explications. Je choisis d'y voir la marque d'un trouble mental qui habite probablement Mo depuis le début de sa vie et qui éclate ici, un choix surréaliste qu'il fait : la mort plutôt que le bonheur !

    Je ne connaissais pas Marie-Hélène Lafon. Je pense que je vais quand même poursuivre la lecture de ses œuvres.

    Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com















  • L'HERBE DES NUITS – Patrick Modiano

    N°670– Août 2013.

    L'HERBE DES NUITS – Patrick Modiano - Gallimard.

    Quand je lis un roman de Patrick Modiano, j'ai l'impression qu'il ne cesse d'explorer le temps, d'en fixer les moments avec des mots pour leur conférer une sorte de pérennité. Ici, c'est le quartier parisien de Montparnasse qu'il fait revivre en même temps que les années passées et j'ai le sentiment que, bien que parlant de lui, il évoque un personnage étranger à lui-même, en transit dans Paris, vivant à l'hôtel, c'est à dire sans attache précise, solitaire, pas exactement libre de ses mouvements mais pas non plus entravé par quoi que ce soit, plutôt livré à lui-même, fréquentant les cafés comme uniques lieux de rendez-vous, à la fois publics et déserts, un peu comme s'il circulait dans sa propre vie comme un étranger de passage, comme un marginal vivant d'expédients pour assurer son quotidien.

    Ce quartier de prédilection était à l'époque promis à la démolition, comme un pan de sa propre vie qui s'écroule et qui laissera place à quelque chose de plus moderne, de plus nouveau. Pourtant, il est porteur de souvenirs qui vont s'évanouir si on n'y prend garde, si on ne prend en note tout cela comme on garde la mémoire de rencontres. Les personnages de Modiano ont toujours ce côté inquiétant, insaisissable, mystérieux, sont toujours sur le qui-vive, portent souvent un nom qui n'est même pas le leur, vivent une vie parallèle, bien souvent cachée. Le temps autour d'eux est humide, sombre, la lumière blafarde, les choses et les gens indistincts. Des rencontres lui reviennent à la mémoire et les noms que portaient ses interlocuteurs lui évoquent des images, des visages, un parfum, des odeurs mais tout cela d'une manière pas très précise. C'est un peu comme si ces personnages étaient des sortes de fantômes dont seuls quelques détails de leur apparence sont notés furtivement, un vague reflet, une silhouette qui passe et disparaît, quelques paroles prononcées qui tombent dans la vide de la nuit, aussi mystérieuses que le silence qui les entoure.

    « Il me semble aujourd’hui que je vivais une autre vie à l’intérieur de ma vie quotidienne. Ou plus exactement, que cette autre vie était reliée à celle assez terne de tous les jours et lui donnait une phosphorescence et un mystère qu'elle n'avait pas en réalité ». Jean, le narrateur, vaguement écrivain, avoue que le présent lui était relativement indifférent et il se consacrait à l’époque à des recherches à Paris sur les traces de Jeanne Duval, Christian Corbière, Gérard de Nerval, Restif de la Bretonne... Un simple carnet noir qui ne le quitte jamais est le témoin de ses aventures ou de ses rendez-vous d'il y a vingt ans qu'il y consigne d'un mot. Ses notes sont ainsi l'invite à remonter le temps, à raviver le souvenir à partir d'un nom, d'un visage, d'un événement dont il n'était à l’époque qu'un simple « spectateur nocturne » qui posait sur eux son regard absent, dans le seul but de ne pas déranger. En consultant ce carnet, il reprend conscience de cette vie antérieure aujourd'hui révolue où il fréquentait les cafés, plutôt les bistrots populaires qui restaient à l'époque ouverts toute la nuit, en aimait le zinc morne, les consommateurs tristes qui s'y accoudaient, qui parlaient fort pour s'affirmer ou gardaient un silence aviné, la lumière crue des néons, l'odeur douceâtre des lieux. A l'époque il était jeune, hantait le Quartier Latin, traînait sa vie un peu au hasard des rencontres. Rien n'avait vraiment d'importance et les gens rencontrés n'ont pas vraiment laissé de trace dans sa vie, juste une impression fugace, sauf peut-être une femme, Dannie. Pour elle il remonte le temps, se souvient de cette tranche de vie avec elle entre les cafés de nuit, son courrier reçu en poste restante, un quotidien de hasard vécu en pointillés faits de silences, de lumières laissées allumées dans un appartement ou dans une autre vie, quelque part... Le lecteur ne sait pas exactement quelles relations il avait avec elle, mais à l'invite des autres membres exclusivement masculins du groupe, tout aussi mystérieux qu'elle, il faisait « profil bas ». Ces hommes sont des marginaux, plus ou moins opposants politiques marocains réfugiés en France mais surveillés par la police. On lui parle de « double jeu », « d'engrenage », « d'argent », de « sale histoire » de « faux papiers » puis de « services spéciaux marocains » et enfin de meurtre... C'est, à l'époque le Paris interlope des années 60 qui, en pleine guerre d'Algérie est inquiétant mais ce sont maintenant des quartiers détruits qu'il arpente à l'aide de sa mémoire. C'est que le narrateur finit par prendre conscience qu'il a été mêlé malgré lui à une affaire criminelle (l'affaire Ben Barka pourtant jamais citée) et en fouillant dans ses souvenirs, en les recoupant avec l'aide d'un dossier abandonné de la Mondaine, cherche à recomposer ce passé.

    Le livre refermé, je me demande toujours ce qui m'attire dans les romans de Modiano, le style sûrement, la musique, l'ambiance mystérieuse et parfois un peu glauque voire clandestine, le flou et la précision du détail, la mélancolie, l'univers onirique à ce point détaché de la réalité qui doit beaucoup à l'oubli et sans doute encore plus à la mémoire.

    J'aime en tout cas, et ce depuis longtemps, cet univers unique et envoûtant de Patrick Modiano où l'on se perd sans vraiment avoir envie de se retrouver, où le charme agit à chaque phrase, où la quête n'est pas une recherche mais une sorte de dérive sans véritable but, à la fois éthérée et perpétuellement recommencée.

    Comme les autres ce roman aussi m'a enchanté.

    Ce qui m'étonne toujours chez Modiano c'est que devant la feuille blanche il s'exprime avec aisance et poésie mais que, lors d'une interview il a tant de mal à parler, laissant à ses bras et à ses mains le soin d'exprimer ce qu'il ne dit qu'avec beaucoup d'hésitations au point que, simple spectateur, on en souffre pour lui.

    © Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com















  • AURAIS-JE ETE RESISTANT OU BOURREAU ? – Pierre Bayard

    N°668– Août 2013.

    AURAIS-JE ETE RESISTANT OU BOURREAU ? – Pierre Bayard - Les Éditions de Minuit.

    Pour les gens de ma génération qui n'ont pas fait la guerre mais qui en ont entendu parler [beaucoup par ceux qui l'ont connu de loin, peu par ceux qui ont été d'authentiques héros], je me suis souvent demandé quel aurait été mon comportement pendant cette période troublée. Sauf bouleversement dans ma vie, je n'aurais certes pas été un délateur mais sûrement pas non plus un résistant héroïque, tout juste un tiède, comme la plupart des Français de l'époque. Mais le destin nous joue parfois de ces tours ! Je me suis dit que ce livre pouvait peut-être m’aider à clarifier mon propre questionnement.

    L'auteur, né en 1954, tente de répondre à cette question en remontant le temps et en imaginant fictivement qu'il se trouve dans la situation de son père à la même époque parce qu'il a avec lui une similitude culturelle, des aspirations et un parcours communs. Il imagine donc une uchronie et se demande quelle aurait été son action dans ce contexte historique. Il a donc, fictivement, 18 ans en 1940, et élève d’hypokhâgne fuyant Paris se retrouve dans le sud de la France. Pour l'aider dans sa démarche d'analyse et de création, il convoque Louis Malle et Patrick Modiano pour le film « Lacombe Lucien », Daniel Cordier pour son engagement de Résistant, Stanley Milgram pour son expérience, Romain Gary pour ses romans et bien d'autres figures qui ont brillé par leur exemple...

    C'est un texte dense, documenté, logique aussi dans son raisonnement, écrit par un universitaire et un psychanalyste qu'est Pierre Bayard et qui alterne entre fiction et démonstration. L'auteur y démonte les mécanismes qui amènent chaque homme face à une crise, soit à l'ignorer par peur, soit à s'engager pour y faire échec, soit à aider ceux qui en pâtissent. Il dissèque la « personnalité potentielle » que nous portons tous en nous et qui nous révèle, dans un tel contexte exceptionnel, tels que nous sommes réellement,même si l'image que nous donnons de nous-mêmes est peu flatteuse, fait la part du hasard, prend en compte les contraintes intérieures qui poussent les êtres à agir ou au contraire à s'abstenir, depuis les désaccords idéologiques et politiques jusqu'à l'indignation et l'empathie en passant par la soumission à l'autorité, le devoir d’obéissance aux ordres ou au contraire le devoir moral de refuser de les exécuter, le risque encouru par ceux qui osent sortir du rang et, au nom de leur conscience, de se singulariser. Il remet en cause au passage bien des idées reçues sur l'engagement personnel et sur les actions qui en découlent, détaille la nature de l'intervention du « bourreau » dans la « solution finale », le génocide rwandais ou la dictature sanguinaire de Pol Pot, analyse finement ce qu'il appelle « la personnalité altruiste ».

    Quand il choisit de revenir à la fiction et de se mettre en situation de choisir entre De Gaulle et Pétain, il note son dégoût du régime de Vichy, son indignation face à ses agissements, sa sympathie pour les juifs mais aussi son incapacité à agir dans l'instant par peur de la dénonciation, de la torture et de la mort. Il est en effet peu indulgent avec lui, estimant que s'il avait vécu à cette époque, il aurait tenté de survivre dans la tourmente politique du régime de Vichy et aurait poursuivi ses études pour assurer son avenir en refusant l'action de résistance. Il se trouve quand même des excuses que le lecteur voudra bien admettre au nom de la peur ressentie. Les élèves de l’École Normale avaient pour ordre à l'époque de se tenir en dehors de toute action politique, même si en tant qu'institution, cet établissement ne partageait pas les idées du Maréchal. S'ils le faisaient c'était l'exclusion c'est à dire pour lui l'anéantissement d'années d'effort, l'effondrement d'un rêve familial, l'impossibilité d'entrer dans la Fonction Publique et donc de gagner sa vie, de fonder une famille comme il le souhaitait. Tout cela allait à l'encontre de l'exemple donné par de Sousa Mendes, ce consul du Portugal qui, en dépit d'une interdiction formelle de son pays, délivra, en juin 1940, plus de 30 000 visas à des juifs leur permettant ainsi de sauver leur vie, c'est à dire qu'il accepta délibérément de sortir du cadre existant pour n'agir que selon sa conscience. C'est, au sens de l'auteur, faire prévaloir la liberté simplement parce qu'on accepte de s'abstraire des contraintes mentales imposées, c'est aussi une manière de créativité puisqu'on invente ainsi une forme d'action qui est sans modèle préétabli. Ce n'est plus seulement un acte de résistance, c'est l'exploration d'une voie nouvelle qui met en évidence le concept de liberté, une véritable réinvention de soi. En ce qui le concerne, il avoue qu'il n'a pas ce courage et voit ici la raison de son défaut d'action. Il avoue quand même, malgré tout ce qu'il a dit auparavant et qui est de nature philosophique et altruiste que pour nombre de jeunes leur entrée personnelle en Résistance n'a pas été motivée par les rafles de juifs mais par l'institution du STO en février 1943 ! Pour lui c'est une véritable bifurcation qui le détermine grâce à des certificats médicaux à se faire affecter à la bibliothèque de l’École et attendre ainsi la Libération. Il parvient quand même à se dire que c'est là une forme de désobéissance et qu'il peut ainsi aider ceux qui ont fait le choix de la Résistance alors que son père n'a pu échapper au travail obligatoire en Allemagne.

    Parmi tous ceux qu'il énumère et qui sont entrés en résistance, beaucoup sont croyants et s'estiment inspirés par Dieu. L'auteur qui, à l'inverse de son père, avoue être agnostique, ne peut justifier sa forme d'engagement, si faible soit-elle, par sa foi. Pour autant il admet que la démarche de ceux qui se sont engagés à résister, est de l'ordre du mystère et qu'il y a en nous un autre « moi ».

    C'est donc un livre passionnant, agréable à lire, une fiction croisée avec un témoignage authentique qui donne l'occasion d'une réflexion sur l'éthique, d'un questionnement intime et peut-être d'une remise en cause personnelle.

    © Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com











  • DES INCONNUES – Patrick Modiano

    N°667– Juillet 2013.

    DES INCONNUES – Patrick Modiano - Gallimard.

    C'est un recueil de trois nouvelles qui mettent en scène trois jeunes femmes qui espèrent beaucoup de la vie. Elles nous livrent à la première personne une tranche de leur vie pas vraiment excitante. Le hasard sert leur envie de réussite et, de la province où elles végètent, le voyage leur permet de satisfaire leurs espoirs ou leurs illusions. Comme l'auteur, leur jeunesse ou leur adolescence sont quelque peu perturbées par des parents qui les oublient ou les abandonnent à leur sort. Ici, il n'y a pas de grands destins mais au contraire des existences assez quelconques, leurs vies est une sorte d'errance organisée autour de projets où gravitent des personnages assez fantomatiques et qui passent sans laisser de véritable empreinte. Elles se meuvent dans une sorte de brouillard, une manière de cauchemar qu'elles vivent en pointillés, un ennui qui se nourrit lui-même de leur quotidien, un vide qui serait presque attachant. Ce sont de petites provinciales inconnues et qui le resteront mais qui se ressemblent toutes. Elles débarquent dans la Capitale ou dans un lieu qui leur est étranger mais elles n'ont rien d'un héro de Balzac. Elles se laissent porter par le quotidien, entraîner par le hasard, à la recherche de quelque chose, le travail, l'amour, la compagnie des autres, une rencontre avec soi-même ou peut-être simplement une manière de tromper leur ennui.

    Les personnages sont, comme souvent chez Modiano, des être mystérieux dont on ne connaît même pas le véritable nom, soit ils sont anonymes soit ils se cachent sous l'identité d'un autre et lorsqu'ils parlent, cela sonne faux.

    La première inconnue, une dactylo lyonnaise, après avoir été refusée comme mannequin dans une maison de couture, prend le train pour Paris, est séduite par un homme dont elle ne connaît même pas le nom. La deuxième décide de ne pas rejoindre sa triste pension d'Annecy, devient dame de compagnie, baby-sitter puis meurtrière pour ne pas être violée. La troisième arrive de Londres pour s'installer à Paris. Elle est récupérée par une secte pour laquelle elle est une proie facile.

    Ces histoires se déroulent dans les années 60, les trente glorieuses, et nous présentent des jeunes filles tout juste sorties de l'adolescence, dont on croit volontiers qu'elles recherchent un mari ou au moins des aventures, même si elles sont sans lendemain. En tout cas ce qui ressort de ces récits c'est assurément la solitude de chacun au milieu de la foule, une sorte d’indifférence aux autres, une manière de déprime, du fatalisme ou de désespérance. Pour elles la vie est triste et sans intérêt. Chacune de ces nouvelles est gouvernée le délitement de la cellule familiale, une fuite du père ou de la mère un peu comme ce qu'a vécu Modiano, des souvenirs d'enfance ni vraiment bons ni vraiment mauvais, un sentiment de fuite permanente, un voyage potentiel dans le futur ou le conditionnel, la fascination de l'interdit, l'illusion de la liberté philosophique, le choix entre la vie et la mort , le tout sur fond de guerre d'Algérie ou de souvenirs de la seconde guerre mondiale.

    Le ton de ces nouvelles est caractéristique de Modiano, une musique un peu triste et nostalgique, à l'image sans doute de ce qu'est la vie, mais que j'ai toujours bien aimée.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ACCIDENT NOCTURNE – Patrick Modiano

    N°666– Juillet 2013.

    ACCIDENT NOCTURNE – Patrick Modiano - Gallimard.

    Un banal accident de la circulation, à Paris, de nuit alors que le narrateur a presque 21 ans : Il est renversé par une voiture, une fiat couleur vert d'eau, conduite par une femme légèrement blessée au visage et titubante, Jacqueline Beausergent qu'il ne connaît pas mais dont le visage lui rappelle quand même quelque chose. Pourtant, cet accident lui en évoque un autre intervenu plus tôt dans sa vie, mais celui d'aujourd'hui est entouré de mystères avec cet accompagnateur taiseux, l’important somme d'argent qu'on lui remet, la feuille qu'on lui fait signer , l'invitation pressante qui lui est faite par l'homme d'oublier cet épisode... A force d'y réfléchir, il se dit que « Cet accident de la nuit dernière n'était pas le fait du hasard. Il marquait une cassure … Il s'était produit à temps pour me permettre de prendre un nouveau départ dans la vie ». C'est que cette femme lui en rappelle une autre qu'il lui faut absolument la retrouver. Ainsi fouille-t-il dans sa mémoire et il y retrouve son enfance et de son adolescence parisiennes, l'image de son père un peu floue et fuyante, des personnages qui ressemblent un peu au narrateur, mystérieux et transparents, pleins de paradoxes et de secrets... A l'occasion de de ce retour sur soi, des figures de femmes émergent, fugaces maîtresses ou passantes diaphanes et inaccessibles. Parfois elles sont un nom, une silhouette, un visage à peine reconnu, tout juste esquissé avec un flot de paroles ou de longs silences.

    Reste cette femme, Jacqueline Beausergent, les circonstances de cet accident, l'odeur d'éther de l'anesthésie, la sensation qu'on a d'être entre la vie et la mort, entre douleur et sommeil. Elle renvoie le narrateur à son enfance, quinze ans plus tôt, cet accident presque semblable avec une femme jeune en contre-champ... Ses recherches, vaines au départ, ressemblent un peu à une intrigue policière en trompe-l’œil, laissant au lecteur la soin d'imaginer la fin.

    J'ai retrouvé avec plaisir le style de Modiano, musique douce et légèrement mélancolique dont les notes accompagnent le lecteur dans les arcanes de la mémoire, une sorte d'invitation à l'exploration intime, une autre version de « à la recherche du temps perdu » où se croisent des fantômes dans une déambulation à la fois physique et mentale qui baigne dans le clair-obscur. J'aime bien la façon qu'il a d'évoquer le décor où vivent ses personnages, insistant tout à la fois sur l'ambiance générale du lieu et sur un détail anodin, tissant des images parfois un peu irréelles ou inquiétantes. C'est Paris, ses rues, sa pluie et son brouillard d'hiver, la nuit [« La nuit, dans les rues, j'avais l'impression de vivre une seconde vie plus captivante que l'autre ou, tout simplement de la rêver »]. C'est aussi la mémoire qui mélange le temps et les lieux, les événements aussi, entre souvenir et oubli.

    Ce roman est tout à fait dans la veine de l’œuvre modianienne. On sent le narrateur perdu moins dans Paris que dans sa propre vie [Il se présente,vêtu pauvrement, vivant seul, dans une simple chambre d'hôtel], à la recherche de cette femme mais aussi d'une façon plus secrète de sa propre identité à travers l'exploration de sa mémoire [« Très tôt peut-être, même avant la période de l'adolescence, j'avais eu le sentiment que je n'étais issu de rien ». « Quelle structure familiale avez-vous connue ? J’avais répondu : aucune ». « Il y avait peut-être toute une partie de ma vie que je ne connaissais pas, un fond solide sur sables mouvants. Et je comptais sur la Fiat couleur vert d'eau et sur sa conductrice pour me le faire découvrir »]. Il y a, tout au long de ce roman, un climat mystérieux qui reprend ce thème. L'attitude du narrateur reste énigmatique, la personnalité de Jacqueline Beausergent pose question quant à celle de Solières-Morawki, elle est carrément opaque. A la naïveté du narrateur, j'ai eu envie d'opposer une sorte de crapulerie des deux autres personnages.

    Un autre thème récurrent est celui du père. Ici, il est juste évoqué à travers des rencontres furtives avec son fils, mais ce personnage à bien des égards mystérieux reste pour le narrateur une énigme, un personnage insaisissable. Il est présenté comme un homme avec qui il a des rendez-vous dans des cafés avant de disparaître complètement et non comme un père attentif à la vie de son enfant. La seule chose qu'il tient de son géniteur est un carnet d'adresses qu'il lui a dérobé et qui va lui permettre de mener à bien sa quête.

    Comme toujours, ce roman a été un bon moment de lecture.

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  • SOUS L'OEIL DE DIEU – Jerome Charyn

    N°665– Juillet 2013.

    SOUS L'OEIL DE DIEU – Jerome Charyn - Mercure de France

    Traduit de l'anglais par Marc Chenetier.

    J'ai l'impression que ceux qui, comme moi, abordent pour la première fois un roman de Jerome Charyn, sont un peu perdus. La 4° de couverture indique qu'on ne résume pas un tel roman, mais quand même ! Heureusement que cette 4° de couv. conseille de se laisser entraîner là où le comique côtoie le tragique, je ne sais pas mais j'ai quand même essayé.

    Le commissaire Isaac Sidel a été chef de la police de New-York, puis maire de cette ville et le voilà maintenant en passe de devenir vice-Président des États-Unis, ou peut-être plus ! Cependant, il est plus populaire que J.Mickael Storm c'est à dire le Président démocrate lui-même et cela évidemment pose un problème et suscite des jalousies. C'est sans doute pour cela qu'on cherche à éliminer celui qu'il est connu sous le nom de «  Monsieur Sidel » mais aussi« le Citoyen » ou « le Gros Type » et sans doute aussi pourquoi celui-ci ne quitte jamais son Glock. Il est vrai qu'il à la détente facile, peut-être autant que la larme. Il est vrai qu'il reste avant tout un flic et le restera, même si d'autres fonctions lui incombent. « L’œil de Dieu », est le nom que s'est donné le tueur chargé de cette besogne, mais, heureusement, Dieu est sans doute avec Sidel, puisqu'il échappe à la mort. Il ne perd pourtant rien pour attendre puisqu'il est toujours une cible, entre la protection des agents du FBI, ceux de la CIA, de la police de New-York et l'ancien président républicain Calder Cottonwood, encore en poste pour quelques semaines et pour qui tous les coups sont permis. Il entend bien exploiter les informations qu'ils détient sur J.Mikael Storm, ancien gauchiste, ancien joueur de base-ball mais surtout mouillé dans des scandales financiers. Le Nouveau Président est tellement effacé qu'on songe de plus en plus à Sidel pour prendre sa place.

    De plus il y a toujours un certain délai entre l'élection et l'installation de l'élu à la Maison Blanche et c'est justement ces quelques semaines que choisit Sidel pour se singulariser. Et pas n'importe comment : il tombe follement amoureux d'Inez, alias Trudy Winckleman qui a un passé un peu louche et deux enfants qu'Isaac veut adopter. Cela ne va évidemment pas arranger sa carrière politique nouvelle et pas non plus le parti démocrate. Peu importe, il s'installera auprès d'elle à l'Ansonia, un hôtel de Manhattan cher à son cœur, au même endroit où habite David Pearl, ex-lieutenant d'Arnold Rothstein, banquier mais aussi un caïd new-yorkais. Le cadre, c'est New-York, la « grosse pomme », « la ville qui ne dort jamais », une ville mythique, mais j'y ai plutôt vu une ville ou règne la pègre et la corruption. Le Bronx va être rasé pour y construire un complexe militaro-industriel. Là aussi il y a un enjeu que ne veut pas manqué Sidel.

    Aux côtés de Stidel, il y a aussi Mariana, douze ans, la fille du futur Président, accroc aux petit gâteaux au beurre et aux épices et qui ne laisse personne indifférent.

    Je crois que je suis passé complètement à côté de cette histoire rocambolesque et déjantée, aux multiples personnages. Elle ne m'a pas vraiment passionné, mais j'ai continué à lire, pour voir.

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  • UN HOMME ORDINAIRE – Yves Simon

    N°664– Juillet 2013.

    UN HOMME ORDINAIRE – Yves Simon – Nil Éditions

    J'ai toujours été interpellé par un des rôles qu'on fait jouer à l'écriture, surtout quand elle prend la forme d'un texte que le destinataire ne pourra lire puisqu'il n'est plus là. Les mots que j'ai lus dans cette évocation sont remplis de l'amour d'un fils pour son père après la mort de ce dernier, mais il m'a semblé à la fois tardif et plein de remords, comme si ce garçon était passé à côté de quelqu'un et que maintenant il le regrettait. J'ai lu entre les lignes que cela n'a pas dû être facile ni pour l'un ni pour l'autre (« Et tu filais dans la chambre comme un chien qui reconnaît, au ton de la voix aimée, qu’elle vient de le blesser »). L'auteur s'interroge sur la nature même du père et sur la supposée fonction d'exemple qu'il est censé incarner (« Je n'ai jamais souhaité te ressembler...Tu ne fus pas mon modèle », « J'avoue que j'ai honte. Honte d'avoir parfois eu honte de toi devant mes camarades de classe. » « Tu étais le symbole flagrant de cette condition blessante que je me mis à détester » « Je n'ai jamais rien su de tes désirs, ni ceux du présent ni ceux de l'avenir »). Cet homme l'a sûrement aimé, mais à sa manière, comme au sortir de la guerre on concevait la famille, pas forcément chaleureuse mais unie et consolidée par les épreuves parce qu'on ne divorçait pas aussi facilement que maintenant, parce que les choses et les relations entre personnes étaient sans doute différentes.

    C'est à travers lui que l’auteur, enfant unique de ce couple, choisit d'évoquer vingt ans de sa vie. L'enfance vosgienne dans une famille prolétaire, son père cheminot, poseur de voies c'est à dire travailleur au bas de l'échelle sociale et professionnelle, une mère serveuse puis infirmière. Quelques photos un peu jaunies attestent cette période pas vraiment malheureuse mais difficile, un accordéon puis une guitare en cadeau pour l'initiation, un incontournable Teppaz et le juke-box du café d'à côté qui qui font découvrir une autre musique que celle du bal-musette, les jupes des filles dont l'internat le priva, la lecture puis l'écriture comme le symbole d'une évasion, d'une vocation. A l'époque on fondait plus facilement un groupe de rock qu'on ne devenait écrivain, c'est donc ce qu'il fit, et, comme tout adolescent, il se démarqua de sa famille. Son père n'était pas absent mais plutôt étranger à ce parcours musical même s'il se passait sur des scènes de sous-préfecture.

    Pour son père, c'était un autre monde, une autre planète. Il était bien ordinaire cet homme, André, qui était son père et qu'un cancer terrassa. Il lui a tout pardonné, son côté bourru, ses silences sur lui-même, ses trous de mémoire, ses stations au café d'où il revenait parfois enivré, ses accès d'autorité, sa condition de travailleur pauvre, les malentendus et les maladresses qui éloignèrent le père et son fils parce plus le temps passait plus l'un et l'autre évoluaient dans deux mondes différents. Pourtant il y eut bien des moments de complicité mais inexorablement ces deux êtres se séparèrent parce que c'était dans l'ordre des choses et que les enfants expriment une sorte d'incompréhension, de contestation, voire de rébellion par rapport à leurs parents, pour peut-être mieux les comprendre ensuite et probablement revenir de leurs erreurs.

    La vie ne fait de cadeau à personne et chacun y fait ce qu'il peut. André y fut «  de ceux qui n'exigent rien parce que, depuis toujours, ils ont accepté que leur vie soit ainsi : un combat perdu d'avance.», un être qui ne laisserait jamais de trace après son passage sur terre... Yves lui laissera des mots et de la musique qui se sont imprimés dans la mémoire collective et c'est quand même grâce à ce père qui fit ce qu'il put pour son fils, même maladroitement (« Tu fus le faiseur de miracles qu'il me fallait pour que je puisse m'envoler »).

    Yves Simon avait déjà beaucoup écrit sur sa mère. Ce récit, en fait une longue lettre qui se lit facilement, vient-il réparer une omission longtemps entretenue par l'incompréhension familiale ? Je ne peux croire qu'il s'agit là d'un oubli involontaire. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai eu du mal à lire ici un véritable hommage à ce père disparu. J'y ai vu plutôt une sorte de témoignage un peu tardif d'un fils intellectuel qui avait, pendant ses années d'enfance et d'adolescence supporté et peut-être un peu méprisé un père ouvrier et qui, à l'âge adulte rattrape avec honte et culpabilité cette attitude. Pendant ces vingt ans, il me semble qu'il y a eu plus que le cancer du larynx qui a tué André !

    C'est la première fois que je lis cet auteur. Ce fut un moment agréable de lecture plein de nostalgie, de poésie et de remords. Ce que je retiens aussi c'est la phrase en exergue de Louis Ferdinand Céline qui s'y connaissait et qui doit bien s'appliquer à cet André qui n'a jamais dû être heureux : « La plupart des gens ne meurent qu'au dernier moment ; d'autres commencent à s'y prendre vingt ans à l'avance. Ce sont les malheureux sur terre. »

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  • LES ROMANCIERES AMERICAINES

    N°662– Juillet 2013.

    LES ROMANCIERES AMERICAINES – Le Magazine Littéraire n° 532 -Juin 2013.

    Je fais partie de ceux, nombreux sans doute, pour qui la littérature américaine est surtout un univers d'hommes. Certes il y avait Harriet Beecher Stone [« La case de l'oncle Tom »51852)] et Margaret Mitchell [«  Autant en emporte le vent »(1937)] mais elles faisaient en quelque sorte figure d'exception. Le dossier du Magazine Littéraire fait une liste non exhaustive de femmes de lettres qui ont enrichi par leur créativité et leur diversité la culture d'Outre-atlantique. Certaines sont nées au XIX° siècle telles Edith Wharton (1862-1937), traduite en français et dont un roman, « Le temps de l'innocence » a été porté à l'écran par Martin Scorsese aussi classique que Gertud Stein (1874-1946) était une adepte du modernisme, célébrant à la fois Matisse et Picasso. Toutes deux ont vécu en France, ont admiré Proust et Henry James mais se sont superbement ignorées. Dorothy Parker (1893-1967) poète, romancière et critique qui se caractérisait par un esprit aiguisé et subtil, rendra compte de la littérature américaine de son temps. Cela lui vaudra aussi d'être victime du maccarthysme. Hitchcock fit de Patricia Hightsmith (1921-1995), et un peu malgré elle, un auteur de roman policier à succès (« L'inconnu du Nord-Express »). C'est le cinéma qui a aussi apporté la célébrité à Annie Proulx (née en 1935) avec « Le secret de Brokeback mountain », une nouvelle portée à l'écran en 2005, mais c'est William Faulkner qui adouba Willa Carther (1873-1947) malheureusement mal connue en France. Nombre de ses romans ont pour cadre les grandes plaines des États-Unis.

    Moins paisible est sans doute, sinon l’œuvre, à tout le moins la vie de la sulfureuse Anaïs Nin (1903-1977) dont le « Journal », commencé à l'âge de 11 ans explore certes le « moi », mais surtout l'érotisme, hésitant parfois entre diariste et fiction, rend compte de sa vie privée très riche en rencontres et en liaisons amoureuses.

    Avec Eudora Welty (1909-2001), c'est le sud qui est mis en scène. Célèbre pour ses romans (Prix Pulitzer 1975 pour « La Fille de l'optimiste »), mais aussi pour ses nouvelles, elle s'interroge sur la vie, sur la mort, sur le racisme et toutes les formes de violences qu’elle associe au Mississipi notamment pendant la période de la « Grande Dépression ». Avec Kay Gibbons ( née en 1960) c'est toujours le sud dont elle est un peu la mémoire qui revient sous sa plume. Ces deux auteurs écrivent un peu dans l'ombre de William Faulkner. Carson McCullers (1917-1957) incarne aussi ce sud avec son racisme, sa géographie, son climat mouvementé mais aussi la solitude de cette société très compartimentée et, la lutte qu'elle mena contre la maladie qui l'emporta. Ses romans sont volontiers provocateurs. Chez Flanery O'Connors(1925-1964) qui elle aussi était minée par la maladie, c'est la Géorgie qui est mise en scène dans une œuvre réduite mais lucide avec un style lapidaire, caustique et une violence contenue. Elle est considérée comme une voix importante de la littérature américaine.

    Avec Alison Lurie (née en 1926), à la fois prix Pulitzer 1984 et Prix Fémina étranger 1988, écrivain et universitaire, c'est le nord qui est évoqué dans ses romans, avec des personnages petits, ambitieux mais timorés. Elle se moque volontiers des enseignants et des écrivains dont elle fait partie. Le tableau serait incomplet s'il ne comportait aussi la figure de Toni Morrison (née en 1931), afro-américaine qui, à son tour traque les fantômes de l’esclavage. Insoumise et volontiers provocatrice elles est reconnue comme un écrivain national bien qu'elle se sente exclue de cette société majoritairement blanche et gouvernée par des hommes. Son style est cinglant, décrit la misère des noirs du début du XX° siècle et le ségrégationnisme américain tout en explorant les registres du merveilleux, du fantastique et de l’irrationnel. Son œuvre a été couronnée par le prix Pulitzer en 1988 et le Prix Nobel en 1993. Louise Erdrich (née en 1954) quant a elle est d'origine indienne et est souvent comparée à Toni Morrison. Elle parle de la spoliation des indiens, de leur perte d'identité et de leur culture, de l’alcool. Elle est d'une profonde tendresse et son style est alternativement dramatique et humoristique. Joan Didion (née en 1934) est davantage journaliste que romancière et ses œuvres n'ont reçu Outre-Atlantique qu'une consécration tardive. A 78 Ans elle fait pourtant autorité, incarnant véritablement l'écrivain californien. Elle se concentre sur l'observation d'elle-même, de l'Amérique et de ses habitants. A titre personnel son introspection porte aussi sur les deuils qu'elle a subi à la suite de la mort de son mari et de celle de sa fille. Elle parle de la solitude, de la maladie, de la mort à venir, raconte sa vie, ses périodes dépressives qui ont fait suite à des phases plus fastes. Face à ses épreuves, l'écriture est pour elle une sorte de baume contre l'adversité. C'est à peu près la même démarche à laquelle se livre Joyce Carol Oates (née en 1938). Brillante universitaire et écrivain à succès, elle aussi parle d'elle, de sa vie, des faites divers mais il lui semble difficile de connaître ceux qui l'entourent et qui sont pour elle une énigme angoissante. Elle parle de l'enfance malheureuse, de la séduction exercée par les adultes, de l'échec conjugal mais aussi peint l'Amérique de l'ouest sans ménagement et sans rien cacher de la violence, de l'alcool, de la drogue, de la sexualité, des trafics... Pour elle aussi, l'écriture est un bouclier. Enfin Susan Minot (née en 1956) est surtout scénariste et n' a écrit que 4 romans. Elle obtenu le Prix Fémina étranger en 1987 mais n'a rien publié depuis 2003. Elle a choisi d'évoquer des scènes familiales dans la Nouvelle-Angleterre fortement teintées d'autobiographie entre révoltes soumissions, affrontements, jalousies et joies simples. Les personnages, surtout celui du père et de la mère sont caractéristiques mais le portrait qu'elle fait de la famille symbolise toutes les familles du monde.

    Il s’agit d'un catalogue certes incomplet, d'un tableau rapidement brossé tant les femmes de lettres sont nombreuses Outre-atlantique. Leurs romans ont été couronnés notamment par le prestigieux prix Pulitzer mais pas seulement et le rayonnement de leurs œuvres a largement dépassé les frontières du pays. Ce numéro du Magazine Littéraire fait sur cette question un point intéressant et suscite l'intérêt du lecteur.

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  • L'ENFER - DANTE.

    N°663– Juillet 2013.

    L'ENFER - DANTE.

    Dante (1265-1321) fait partie de ces célèbres auteurs dont on ne retient même pas le nom de famille (Alighieri), un peu comme pour Rousseau pour qui on privilégiait le prénom (je me souviens que certains de mes professeurs de français l'appelaient parfois Jean-Jacques) sans doute par affection parce qu'ils ont exprimé quelque chose de profondément humain.

    De sa trilogie, « La divine Comédie », considérée à juste titre comme l'un des chefs-d’œuvre de la littérature, on ne retient bien souvent que « l'enfer », prenant sans doute en compte qu'il existe bien, mais ici-bas, au quotidien et en tout cas davantage que le « Paradis ». Cette œuvre commencée en 1306 est bien celle de sa vie mais on oublie aussi qu'il est l'auteur de différents traités (« De vulgaris eloquantia », » « Il convivo », « De Monarchia »). C'est, pour l'époque, une manière très originale et novatrice d'écrire puisque l'auteur se met lui-même en scène. De plus Dante écrit en langue toscane (et non pas en latin comme c'est l'usage à l'époque), c'est à dire en italien, un voyage initiatique au cours duquel il va rencontrer diverses personnalités appartenant à l'histoire, au mythe ou des contemporains de l'auteur. C'est aussi une œuvre monumentale et chrétienne, une réflexion sur la vie et sur la mort où se mélangent l'imaginaire, les allégories et l'histoire. Cela dure pendant toute la semaine sainte de l'année 1300. En compagnie de Virgile il passe les 9 cercles de l'enfer, les 7 gradins du purgatoire puis accèdent aux 9 sphères du paradis où Virgile ne pourra accéder puisque, mort avant l'avènement du Christ, il n'a pu être sauvé par Lui. C'est en revanche sa muse, Beatrice Portinari, qui va lui ouvrir les portes du Paradis où elle est déjà et le guider dans « l'empyrée », lui offrant le salut en compagnie de Saint Bernard.

    Mais revenons à « L'Enfer ». Il est la première des trois parties de la « Divine Comédie » et comporte 34 chants subdivisé en tercets. Quand Lucifer fut précipité par Dieu sur la terre, sa chute forma une sorte d'entonnoir qui est l'enfer et la masse ainsi déplacée s'érigea en montagne créant le purgatoire. L'enfer est donc au centre de la terre, le domaine de Lucifer et comporte un lac gelé, le cocyte. La structure de l'enfer est composée de 9 cercles (trois fois trois qui est un nombre sacré) et plus on descend plus on s'éloigne de Dieu et plus grand est le poids des péchés. A chaque cercle de l'enfer correspond un vice.

    Au début, Dante lui-même, égaré dans une forêt obscure, image du vice, tente de gravir une colline lumineuse, incarnation de la vertu . Une panthère, un lion et une louve qui sont le symbole du mal s'opposent à son passage et il rencontre Virgile qui l'invite à visiter le monde des morts. Il sera sont guide pour l'enfer et le Purgatoire. Béatrice, elle, lui montera le Paradis. Ils arrivent ensemble aux portes de l'Enfer où on peut lire cette phrase peut encourageante « Abandonnez toute espérance, vous qui entrez. », franchissent l'Achéron et Dante s'évanouit. Ensuite ils parcourent le 1° cercle, les Limbes, où sont les âmes qui n'ont pas reçu le baptême comme Virgile et comme Homère. Dans ce cercle Dante rencontre d'autres grands hommes. Dans le deuxième cercle est réservé aux « pécheurs de la chair », le troisième aux gourmands, le quatrième aux avares et aux prodigues, le cinquième où se trouvent les eaux su Styx aux colériques, aux rancuniers, aux mélancoliques puis Virgile et son compagnon arrivent à la cité de Dité. Dans le sixième il rencontre les hérétiques puis dans le septième, divisé en trois girons, ce sont les violents qui y sont enfermés et tourmentés. Le huitième, appelé aussi Malesfosse est divisé en dix fossés concentriques, les bolges. On y rencontre les prévaricateurs, les hypocrites, les devins, les sorciers, les voleurs. Le neuvième cercle est réservé aux traîtres.

    Dante peint ce lieu où se retrouve tout le mal de la terre et où sont châtiés ceux qui l'ont pratiqué. C'est le voyage d'un vivant parmi les morts, le témoignage d'un homme à qui Dieu a permis, par l'entremise d'un poète, d'entrevoir le monde d'après la mort. C'est donc un récit directement inspiré de la théologie du Moyen-Age, l'œuvre propitiatoire d'un pécheur quand on sait l'emprise de l’Église sur ses fidèles et la peur qu'inspirait la mort et les éternels tourments de l'enfer. C'est un récit à la fois épique et lyrique, révélateur d'une certaine forme de vérité, didactique aussi qui s'inspire largement de Virgile et d'Homère mais où chacun peut y aller de son commentaire. On ne s'en est d'ailleurs pas privé, faisant dire à Dante ce qu'il n'a probablement jamais voulu dire. On y a vu aussi et ce n'est probablement pas faux, une sorte manière de régler ses comptes notamment contre la ville de Florence qui l'a vu naître mais qui l'a exilé et où il ne repose même pas actuellement.

    On peut s'interroger sur le terme « Comédie » qui n'est pas vraiment opportun dans la cas d' « l'Enfer ». C'est que, à l'époque, tout poème dont la conclusion était heureuse méritait ce nom, ce qui est le cas puisqu'il s'achève sur le Paradis, quant au terme « Divine », le thème seul le justifie amplement.

    Cette lecture a pour moi quelque chose d'exceptionnel surtout lorsque, en regard de la traduction française est également écrit le texte en italien : c'est une musique.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LE MEILLEUR DE NOS FILS – Donna Leon

    N°659– Juillet 2013.

    LE MEILLEUR DE NOS FILS – Donna Leon - Calman-Lévy.

    Traduit de l'anglais par William Olivier Desmond

    A l'académie militaire San Martino à Venise, un jeune cadet, Ernesto Moro, vient de se suicider. Dès le début de l'enquête, le commissaire Brunetti ne croit pas à cette version. Le jeune homme était en bonne santé, ne présentait aucun signe dépressif, autant de bonnes raisons pour que notre policier remette en doute ce qui, de plus en plus, passe pour la thèse officielle. Il ne tarde pas à s’apercevoir que cette école est en fait réservée aux enfants de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie du pays, d'ailleurs, la victime était le fils du Dottor Fernando Moro, un éminent oncologue qui s'était fait élire parlementaire. Il avait marqué son passage dans la vie politique italienne par ses enquêtes sur les hôpitaux publics et surtout par une grande probité, ce qui est plutôt rare dans ce domaine. Il avait ensuite démissionné de son poste de député d'une manière un peu brutale et inattendue pour reprendre une clientèle privée. Les investigations de Brunetti révèlent que les époux Moro vivaient séparément depuis de nombreuses années et qu'il y avait des périodes inexpliquées dans la vie de la mère qui d'ailleurs reste introuvable.

    Il ne faut pas longtemps au commissaire pour convaincre le vice-questeur Patta, son supérieur hiérarchique, de creuser un peu son idée sur le suicide douteux d'Ernesto Moro. En effet, conclure un peu vite son enquête sur cette cause officielle de décès risquerait d'amener l'ex-député à attaquer le possible classement sans suite de cette affaire, ce qui, aux yeux de Patta, toujours aussi timoré, serait inadmissible puisque cela ternirait l'image de la police vénitienne qu'il dirige. Pourtant, il n'est pas non plus question de trop chercher les causes de ce suicide puisque cela va immanquablement amené la police à enquêter sur la vie privée du Dottor Moro qui est aussi un notable dont Patta souhaite la protection. Telle est donc l'enjeu de ce récit.

    La vie de ce couple est une énigme. Les époux Moro travaillent séparément et leur séparation est intervenue bizarrement à la suite d'un accident de chasse dont a été victime la mère, Frederica à Sienne, deux ans plus tôt. On lui a tiré dessus mais la chose est pratiquement passée inaperçue à l'époque. Ils le sont pas officiellement divorcés, ni l'un ni l'autre ne paraît avoir de liaison, mais ils ne communiquent entre eux que par avocats interposés. Brunetti rencontre l'un et l'autre, séparément bien sûr. Avec Madame, le commissaire veut revenir sur son accident qui effectivement pose encore des interrogations restées sans suite pour la victime. En ce qui concerne le suicide de son fils, elle est formelle, cela ne peut être vrai. Brunetti à la chance d'avoir sa secrétaire, Elletra, qui est une mine de renseignement obtenus d'ailleurs un peu trop facilement, mais également son épouse Paola qui connaît bien des potins de Venise. Elle lui révèle que l'école de San Martino n'a rien de militaire, mais est au contraire un repère de jeunes snobs de la bonne société qu'on entretient dans la certitude de leur supériorité.

    Les investigations de Brunetti le conduisent à mettre en évidence pas mal de zones d'ombre dans ce dossier, aussi bien des informations contradictoires sur les faits qui se sont déroulés dans l'école avant le suicide, la rétention d'informations de la part des cadres, la menace sur les cadets, le viol d'une jeune fille dans l'enceinte de l'académie militaire quelques temps auparavant mais dont l'information a très tôt été supprimée des journaux, la vie pas si séparée que cela des Moro, la certitude que l'accident de chasse dont avait été victime Frederica Moro n'était pas un accident et que sa vie était peut-être encore menacée, qu'ils avaient une fille, Valentina, bizarrement absente, que la mère du Dottor a été victime d'un accident de la circulation. Il parvient à expliquer que, durant ses fonctions de parlementaire, Fernando Moro s'était notamment intéressé d'un peu trop près aux contrats d'approvisionnement de l'armée, mettant en évidence prévarications et favoritisme, le tout aux dépends du Trésor Public, c'est à dire du contribuable. Bien entendu, le vice-questeur Patta, toujours désireux de donner de la police, mais surtout de lui-même, une image favorable aux notables locaux, souhaite que la thèse du suicide d' Ernesto soit favorisée et bien entendu l'affaire classée. Pourtant, elle évolue vers la mise en cause de plusieurs cadets et à cette occasion des noms de famille de notables pourraient être révélés et peut-être salis.

    Cette affaire, faite de menaces, de couardise, de renoncements, d'erreurs, de faux-témoignages, de mensonges, de révélations embarrassantes, de mises en cause, de mises en scène se termine. Brunetti qui est policer mais aussi père d'un garçon de l'âge de la victime n'a cessé de penser à ce jeune cadet mort trop tôt en songeant que cela pourrait bien lui arriver à lui aussi.

    Brunetti est un bon enquêteur mais il est, dans cette affaire secondée efficacement par Elletra, la secrétaire, qui lui obtient des renseignements avec plus de facilité qu'un fin limier.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • MORT EN TERRE ETRANGERE – Donna Leon

    N°658– Juillet 2013.

    MORT EN TERRE ETRANGERE – Donna Leon - Calman-Lévy.

    Traduit de l'anglais par William Olivier Desmond

    Un cadavre vient d'être découvert aux petites heures du matin, apparemment poignardé et flottant dans les eaux noires d'un canal à Venise. Le commissaire Guido Brunetti se charge naturellement de cette affaire. Très vite il s'aperçoit que la victime est un Américain, plus exactement le sergent Foster de la base de Vicence. Il lui faudra donc travailler avec une armée étrangère ce qui ne lui facilitera pas les choses. Elles sont d'ailleurs suffisamment compliquées comme cela au quotidien avec son supérieur hiérarchique, le vice-questeur Patta qui n'est jamais aussi satisfait que lorsqu'il ne se passe rien à Venise puisque toutes les formes de délinquance, et particulièrement un crime de sang, sont synonymes de baisse de la fréquentation touristique dans la ville. Il faut dire que ce hiérarque est le type même du chef de service incompétent, ignare, profiteur à l'occasion, autant dire inutile, mais imbu de lui-même, de sa supposée importance et dont on se demande comment il a bien pu faire pour parvenir à ce poste.

    Un peu macho quand même ce Brunetti quand il s'étonne de la présence des femmes, surtout officier et médecin, dans l'armée américaine, franchement italien aussi quand il oublie ses fonctions officielles de policier pour faire dans la combinazione, Vénitien avant tout quand il éprouve le besoin de décrire sa ville aux étrangers en sa compagnie ; il faut dire que la Sérénissime ne laisse personne indifférent. Il est amoureux de son épouse et attentif à sa famille mais ne dédaigne pas, à l'occasion, la compagnie des femmes, même si elles portent l'uniforme. Pourtant, il reste les réactions bizarres de cette femme, le capitaine médecin Peters et supérieur hiérarchique de Foster au service de la santé publique quand elle le voit à la morgue et qu'elle apprend la manière dont il a été assassiné. C'est peut être assez pour que le commissaire la soupçonne, ce qui ne simplifiera pas l'enquête de la police italienne ! Au début, tout paraît lisse dans la vie de Foster, mais une visite dans son appartement révèle la présence de cocaïne et une possible relation intime avec cette supérieure. Ainsi que pouvait bien justifier le meurtre de ce militaire, le vol, la vengeance, la jalousie ou une simple agression de rue ? Pourtant, les jours suivants révèlent la mort par overdose du capitaine Peters alors que cette dernière n'était pas toxicomane ! Autant dire que, malgré les ordres de sa hiérarchie, Brunetti a bien l'intention de poursuivre son enquête originelle.

    Le vice-questeur, toujours aussi flagorneur, timoré mais surtout désireux de ne pas faire de vagues préfère traiter cette affaire comme une agression de rue qui aurait mal tourné et commande au commissaire de se consacrer à un cambriolage survenu dans un palais du Grand Canal appartenant à un important industriel milanais de l'armement. Au moins, comme cela, il se fera bien voir d'un important notable. Ainsi Brunetti abandonne-t-il cette affaire, officiellement seulement puisque contrairement aux apparences, il pense que ces deux enquêtes pourraient bien être liées. En effet, notre commissaire ne tarde pas à mettre à jour un trafic de déchets avec création de décharges sauvages à cause de la corruption des hommes politiques, du laisser-aller des autorités italiennes face aux Américains notamment en matière d'écologie, des différentes réglementations à l'intérieur des pays de la communauté européenne et de l'ombre de la Mafia.

    Je ne connaissais pas cette auteure au nom à consonance européenne, née dans le New-Jersey mais qui a choisi la cité des doges pour lieu de résidence permanente. En revanche la série télévisée allemande qui a contribué au succès des enquêtes de son commissaire fétiche m'a encouragé à lire les vrais romans. Je n'en suis pas déçu, le voyage extraordinaire dans cette cité mythique autant que l'intrigue policière, malgré quelques longueurs, ont été pour moi l'occasion d'un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • L'ANNEE DU VOLCAN – Jean-François PAROT



    N°657– Juillet 2013.

    L'ANNEE DU VOLCAN – Jean-François PAROT – JC LATTES.

    Nous sommes en Juillet 1783 et le vicomte de Trabard vient de mourir, tué en pleine nuit par son cheval, Bucéphale. Ce nom avait déjà été porté par le destrier d'Alexandre mais si ce cheval avait peur de son ombre, il semblerait bien que la monture du vicomte ait craint les pétards jetés dans son box nuitamment, ce qui pour le commissaire Le Floch est sans aucun doute le signe d'un assassinat camouflé en accident. D’autant que le cheval est présenté comme une bête fougueuse alors qu'il n'en n'est rien ! Quant au vicomte, pour être noble il n'en était pas moins quelqu’un de peu recommandable dont on n'aurait bien pu vouloir se débarrasser. Le vicomte et la vicomtesse vivent sous le même toit mais mènent deux vies bien séparées ce qui pourrait bien être une explication à cette mort mystérieuse, les domestiques, sous couvert de la fidélité à leurs maîtres, cachent des informations à nos policiers, les appartements de M. de Trabard ont été fouillés bien avant l'arrivée de la police et les nombreux détails qui s'accumulent lors de leurs recherches contribuent à épaissir le mystère qui entoure cette affaire et posent bien plus de questions qu'ils n'apportent de réponses. Le plus étonnant est sans doute que la reine qui fait mander Nicolas le Floch pour enquêter, entend être tenue exclusivement et personnellement informée des développements de ses investigations. Un cas de conscience pour notre « commissaire aux affaires extraordinaires » qui rend compte d'habitude au Roi lequel lui accorde toute sa confiance et à qui il est tout dévoué ! Autour du marquis de Ranreuil, ses amis le mettent en garde : cette affaire est grave et pourrait entraîner sa disgrâce, et pour faire pression sur lui, on le menace même de révélations sur sa vie privée !

    Il est aidé par son fidèle et efficace Bourdeau, toujours aussi critique au regard de la Cour. Il est ici l'expression d'un peuple qui gronde et auquel il appartient, même si ses fonctions policières l'amènent à protéger la royauté ! Certains de ses propos prennent dans ce récit une dimension prémonitoire. Plus les investigations avancent autour du vicomte de Trabard , plus le secret s'étend, d'autant que cette époque est troublée, que le roi a de moins en moins de pouvoirs, que les bases de la société se délitent, que des scandales éclatent, que l’État est en faillite à cause notamment des dettes faramineuses de la reine dans le remboursement desquelles le vicomte aurait pu jouer un rôle peu catholique, que le peuple fait de plus en plus entendre sa voix et ses revendications, menaçant l'ordre public, que circulent des pamphlets et des libelles, bref une atmosphère de fin de règne qu'un policier intègre ne peut que redouter ! Tout s'y met, même la terre qui ne cesse de trembler et ce volcan islandais qui répand ses vapeurs nocives jusque sur le royaume de France !

    Lors des investigations de Le Floch, le lecteur croise une franc-maçonnerie de plus en plus influente, l’énigmatique comte de Cagliostro, Restif de le Bretonne toujours aussi inattendu et insaisissable, l'ombre de Sartine, ancien ministre retiré des affaires mais toujours attentif aux choses de l’État, des faux-monnayeurs, des trafics en tout genre, des spéculations immobilières de la part d’ordres religieux qui ont pourtant fait vœux de pauvreté, des coteries où la galanterie le dispute à la corruption et à la volonté de nuire...

    Cette enquête est passionnante du début à la fin. Elle nous entraîne sous le règne de Louis XVI et nous dirige dans ce Paris du XVIII°siècle plein de mystères. Comme toujours je note les recettes de cuisine qui émaillent le récit, si détaillées et goûteuses que le lecteur a l'impression d'être invité parmi le commensaux. Comme toujours le texte est érudit et on y gagne toujours quelque chose qui ressemble à la connaissance de cette période passionnante et des gens qui y vivaient, petits ou grands !

    Un détail, et non des moindres cependant : je veux redire ici combien j'apprécie le style de Jean-François Parot, riche en tournures et en vocabulaire un peu surannés mais ô combien musicaux et distingués. C'est d'autant plus important à mes yeux qu'il est devenu presque banal d'écorcher au quotidien notre belle langue jusque dans les « sms » et que nombre de professionnels de la parole et de l'écrit qui sont censés en faire un usage correct ne cherchent même plus à la respecter. C'est plus fort que moi, mais j'aime qu'on serve correctement le français et c'est toujours pour moi un plaisir de lire de tels romans.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LE BONHEUR D'ETRE ICI – Michael Edwards

    N°655– Juillet 2013.

    LE BONHEUR D'ETRE ICI – Michael Edwards - Fayard.

    Le titre et l'objet de la réflexion de l'auteur s'articulent autour d'une citation de Claudel [« Le bonheur d'être ici »] et une autre de Baudelaire [« N'importe où hors du monde »]. Ainsi donc, le bonheur qui est l'objet légitime de la recherche de tout être humain [« Le bonheur nous hante, comme un beau souvenir ou un rêve, comme une perte et une promesse » nous dit-il en commençant son propos] est-il une utopie dans un monde déchiré par les guerres, les injustices, les luttes fratricides, la famine, les deuils... Le malheur y est donc omniprésent. L'auteur nous invite simplement, non à espérer autre chose dans une hypothétique autre vie ou un improbable ailleurs, mais à porter un regard attentif sur le réel, à nous concentrer sur émerveillement de l'instant, le spectacle du quotidien peut en effet légitimement nous inviter à suivre l'invitation de Baudelaire. A ses yeux, même la religion qui promet ce bonheur, mais dans un autre monde seulement, est blâmable. Pour lui, au contraire c'est le « ici et maintenant » qui doit retenir notre attention et monopoliser notre faculté de nous émouvoir, parce que cet instant est unique. Cela n'a rien d'intellectuel ni de méditatif dans sa démarche mais c'est au contraire une invite à une prise de conscience simplement humaine.

    Pourtant, la citation du très catholique Claudel fait référence à Dieu et à sa création mais ce qu'en retient Edwards c'est moins l'infini de l’œuvre divine que le « fini » du monde que nous avons sous les yeux. Ainsi le bonheur terrestre ne peut procéder de la foi chrétienne mais résulte surtout de l'attention que nous portons à notre entourage immédiat. Edwards suggère même que le christianisme « s'offre comme la possibilité d'avoir la vie et de l'avoir avec plus d'abondance », alors qu'on pouvait légitimement penser qu'il privilégiait le bonheur dans l'au-delà et non pas ici-bas. Être ici et maintenant peut parfaitement nous enchanter et le parti-pris de Baudelaire pourrait être tentant [« Enfer ou Ciel qu'importe, au fond de l 'inconnu pour trouver du nouveau »]. L'auteur met en prescriptive ces deux sensibilités, ces deux « impulsions » pour en tirer une sorte de leçon de vie, « pour rendre compte tant des merveilles que du malheur inépuisable du monde », pour que le bonheur se nourrisse du malheur pour rayonner et s'imposer à nous.

    C'est là une apparente contradiction qu'aux yeux de Michael Edwars, la poésie aurait pour mission de réduire, d'anéantir[« Et toute la littérature, toutes les formes d'art.. ont pour domaine, au fond, le bonheur, la recherche d'un avenir favorable »]. Il n'en veut pour preuve que l'émerveillement de Rousseau après son accident malheureux ou l'enfer de Dante où l'auteur, décrivant les épreuves des damnés éprouve du bonheur au simple souvenir du monde réel. Dès lors le poète n'est pas cet homme enfermé dans sa « tour d'ivoire », seulement occupé par ses pensées intérieures et désireux de se refaire son propre monde. Il est au contraire celui qui regarde le monde, y est sensible, garde sa faculté de s’étonner des choses les plus communes, les plus quotidiennes. Il est un voyageur du réel tel que Witman le concevait, c'est à dire, une sorte de témoin, un quêteur de Dieu, mais d'une sorte de Dieu profane détaché de tout rituel, de tout contexte de religiosité surannée et encombrée de lieux saints.;

    Ce thème de réflexion sur la poésie et sur l'art se nourrit aussi des écrits de Rousseau, de Witman, de Dante, de Proust, de la Bible et plus spécialement de l'ecclésiaste qu'il nous invite à relire [il nous invite à dépasser ce à quoi elle est souvent réduite « Vanité des vanités, tout n'est que vanité »]. Il note qu'en littérature, le malheur fait davantage recette que le bonheur et que dans la Divine Comédie, c'est toujours de « l'enfer » dont on parle. Michael Edwards fait aussi appelle à la musique de Haendel et la peinture de Manet pour finalement évoquer ce que peut être l'extase du passant sur le Pont des Arts. Dans toute œuvre d'art, c'est l'instant qui est célébré, dans toute sa simplicité et donc toute sa beauté. Chez les impressionnistes, il retrouve le plaisir de l'instant, figé sous le pinceau de l'artiste. Ce mouvement est à la fois une manière différente de peindre et une volonté de rendre compte d'un certain art de vivre puisque la plupart de leurs tableaux est associé à des lieux de distraction ou de farniente ;

    C'est donc un ouvrage riche, plein de sensibilité, de culture, de poésie mais surtout un hymne au réel, au quotidien que l'auteur propose à notre réflexion pour sortir d'un monde où chaque jour nous invite au contraire à la déprime, à la désolation. Un très beau texte donc, un brillant travail universitaire, un thème de réflexion intéressant, même s'il semble à priori paradoxale et parfois un peu trop érudit pour le commun des mortels, mais peu importe, ce livre résulte des cours que l'auteur donne au collège de France où il enseigne... même si, à titre personnel, je ne partage pas son point de vue.

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  • RIVAGE MOBILE – Michael Edwards

    N°656– Juillet 2013.

    RIVAGE MOBILE – Michael Edwards - Arfuyen.

    C'est un cas bien intéressant que celui-là puisque l'auteur écrit des poèmes directement en anglais et les traduit en français. Ce recueil est donc une édition bilingue. Cette « opération » n'est, en elle-même pas banale mais, sous la plume de l'auteur, c'est moins une traduction qu'une véritable recréation [« A travailler le poème français, à observer sa façon autre de faire résonner et de changer le moi, le monde, je suis venu aussi, parfois, à modifier ou à récrire entièrement le poème anglais » confesse-t-il]. On a beaucoup associé le mot « trahison » au mot « traduction » surtout quand ce travail est effectué par un tiers, si complice soit-il avec l'auteur. Dans la traduction, non seulement les mots se dérobent parfois, leur sens prend des chemins détournés, mais la personnalité et celle de son traducteur sont nécessairement différentes, les sensibilités parfois éloignées... Effectivement les langues sont dissemblables mais aussi les règles de prosodies ne sont pas les mêmes. Ici, tout cela n'existe pas puisque Michael Edwards écrit en français sous la forme libre et prend prétexte d'un des des poèmes qu'il a personnellement écrit en anglais, sa langue maternelle, pour le repenser et et le récrire en français. C'est ainsi par exemple que le texte intitulé « Gravestone », p66-67, exprimé en anglais avec une grande économie de mots, une remarquable concision, donne en français « Pierre tombale », un poème beaucoup plus long, plus poétique, une vrai réflexion sur la mort, sur la condition humaine, une occasion aussi de « jouer » sur les mots (Humour, Humus, Humble). Dans ce recueil on mesure plus aisément les avantages de cette double culture de l'auteur.

    Dès lors, les mots prennent un sens nouveau, différent, enrichi peut-être, paradoxale parfois en passant d'une langue à l'autre[ dans le poème « On meaning », « Du sens » en français », le tilleul anglais devient le platane plus dans le décor français, le message a une autre ampleur, le texte une autre dimension, le rythme un autre balancement à cause des allitérations et de l'enjambement. N'oublions pas que la langue anglaise est accentuée et que le français l'est beaucoup moins ce qui se traduit pas une musique forcément transformée. C'est d'autant plus sensible quand le lecteur lit à haute voix ces textes dans les deux versions, ce qui n'est pas sans instiller une sorte d'étrangeté due sans doute aux techniques poétiques différentes ou à un univers pourtant familier mais finalement dessiné autrement [le poème, « Lines », p76-77 qui en français est traduit par « Du vers », me semble à ce propos significatif ].

    Un simple déménagement devient sous sa plume une maison qui bouge [« Moving house » p 8 et suivantes], comme les êtres, avec à la fois l'idée du vide, du changement, de la transition, l'image de la vanité des choses humaines, le parallèle avec les êtres qui l'ont habitée. A travers les mots, il y a un hymne à l'instant, à la fois fugace, unique et perpétuellement reproduit [« La mer par la force électrique du clair de lune frissonne... Le phare folle girouette du rivage ferme les yeux...Les oiseaux illuminés de la ville vont leur cage, et dresse la carte des longues courbes de la terre sous un soleil qui tourne le monde dans sa tête »p.23] , une vision éphémère et porteuse d'émotion et d'amour [« Des murmures descendent sur ton livre ouvert par une odeur de pomme...Le jardin respire le vent caresse tes feuilles, ta robe »p.63]. Je ne puis m'empêcher de faire le rapprochement avec « Le bonheur d'être ici », thème qui est cher à l'auteur. Il l'habite par le spectacle du réel et c'est pour lui l’invitation à un moment d'exception dont il faut jouir simplement. Écouter, voir, maintenir tous ses sens en éveil pour la richesse de l'instant et la célébration de la vie dans ce qu'elle a d'éphémère et d'éternel. [« La pierre et la jeune fille »p.33], telle est sans doute la leçon de ces poèmes.

    Le texte poétique, sans doute plus que celui écrit en prose, se prête davantage à l'interprétation personnelle, s'ouvre à la sensibilité intime du lecteur, laisse libre cours à son imagination.[« Nous entendions une autre voix qui n'était pas la votre seulement mais le son humain, votre voix véritable, arrivant vers nous d'un monde plus lointain. » in « The voice » p.68-69]. Si nous y prêtons attention, les mots se chargent de sens pour célébrer simplement la pierre, l'eau, les feuilles, le vent, la lumière parce que tout cela vit en eux et par eux.

    Nous sommes au quotidien entourés d'images parfois agressives et de paroles « orales » qui ne le sont pas moins. Pour ma part, je suis toujours étonné par l'univers des mots écrits, apaisants et ouverts à l'interprétation personnelle que sont les poèmes. Un recueil de ces textes peut paraître anachronique, voire inutile dans cette société tournée vers le rendement, l'efficacité entendue sur le seul plan économique, il n'en est pas moins, à mes yeux, un moment d'exception, un jalon, l'occasion de voir le monde autrement.

    La lecture attentive de cette poésie a été pour moi l'occasion de renouer avec ce qui a été la raison d'être initiale de cette revue.

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  • LE RETOUR DU PROFESSEUR DE DANSE – Henning MANKELL

    N°654– Juillet 2013.

    LE RETOUR DU PROFESSEUR DE DANSE – Henning MANKELL – SEUIL Policiers. Traduit du suédois par Anna Gibson.

    Nous sommes en décembre 1945 en Allemagne, Donald Davenport arrive d'Angleterre pour y effectuer un travail bien particulier. Il s'agit d'exécuter par pendaison des criminels nazis. Il est le bourreau officiel.

    Puis nous changeons brusquement d'époque et de lieu puisque nous sommes en Suède en 1999. Un jeune policier de 37 ans qui vient d'appendre qu'il est atteint d'un cancer, Stephan Lindman, vient d'être informé de l'assassinat d'un de ses anciens collègues, Herbert Molin, qui avait pris sa retraite dans un coin retiré et boisé du nord du pays. Il vivait seul dans une grande maison isolée et y menait une vie retirée mais énigmatique. Arrivé sur place et malgré une enquête officielle dont il est bien entendu exclus, Lindman, en bon policier, tente d'en savoir davantage. Il établit très vite que si Molin se cachait ici, c'était par peur, que ce meurtre n'est pas le fait d'un rôdeur mais au contraire ressemble à une véritable exécution, précédée d'ailleurs de tortures, que l'homme qu'il croyait connaître se révèle être un véritable étranger pour lui. Le modus operandi est en effet des plus bizarres et fait référence à une passion de la victime... pour le tango ! Intrigué, Lindman, qui aide maintenant ses collègues, pousse plus loin ses investigations et se pose de plus en plus de questions à propos de Molin. Le fait qu'il ait changé de nom, de profession, que ses enfants se soient définitivement détournés de lui, qu'il ait, pendant la guerre, adhéré au parti nazi au point de porter l'uniforme de la waffen SS et qu'il soit resté convaincu par cette idéologie jusqu'à la fin de sa vie, que son voisin soit par la suite lui aussi exécuté d'une manière apparemment rituelle, le fait aussi que Molin ait sciemment cherché à effacer les traces de son passé, contribuent grandement à épaissir le mystère qui l'entoure. Notre policier patine encore davantage quand, dans sa quête, il rencontre un vieux portraitiste admirateur d'Hitler, une femme, voisine de Molin, qui partage ses convictions politiques et s'accuse d'un meurtre qu'elle n'a apparemment pas pu commettre, peut-être pour protéger quelqu'un, la disparition énigmatique d’un chien qui pourrait bien avoir une signification précise dans son enquête, la rencontre avec la fille de Molin qui elle aussi semble vouloir cacher bien des choses la concernant, des ombres qui rôdent autour de lui, un vieil avocat qui se veut amnésique, des suspects de plus en plus nombreux et insaisissables et une révélation inattendue sur son propre père à l'occasion d'une incursion dans un appartement qui fait de lui un véritable cambrioleur... Cela fait beaucoup pour quelqu'un qui venait simplement dans ce coin reculé du pays pour assister aux obsèques d'un ancien collègue !

    Parallèlement, le lecteur fait connaissance d'Aaron Silberstein qui lui aussi a changé de nom pour adopter le mode de vie argentin et dont l'ombre mystérieuse plane sur tout ce récit. Il porte en lui la vengeance et l'accomplira quoi qu'ils arrive.

    Ce roman palpitant du début à la fin, avec en toile de fond un pan d'histoire controversé de la Suède et la survivance éventuelle de l’idéologie nationale- socialiste, des personnages qui changent d'identité, une enquête qui se complique de chapitre en chapitre par des rebondissements inattendus et des pistes en forme d'impasses, ne met pas, pour une fois en scène le commissaire Kurt Wallander. Cela n'en a pas moins été pour moi un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LA LIONNE BLANCHE – Henning MANKELL

    N°653– Juin 2013.

    LA LIONNE BLANCHE – Henning MANKELL – SEUIL Policiers.

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

    Nous sommes en avril 1992 et une jeune mère de famille, agent immobilier, Louise Åkerblom a disparu. C'est son mari qui vient en faire la déclaration au commissaire Wallander. D'emblée, celui-ci subodore une disparition peu commune qui n'a rien à voir avec une passade amoureuse. C'est là une de ses intuitions coutumières. Le couple était heureux, méthodiste de confession, très croyant et pratiquant au sein d'une petite communauté religieuse. Les recherches aussitôt entreprises orientent les policiers vers l'explosion d'une maison inhabitée et isolée. Dans les décombres, on retrouve les débris d'un poste émetteur, des restes épars d'un revolver uniquement fabriqué en Afrique du Sud et un doigt humain... noir ! A priori rien à voir avec la disparition de Louise qui est cependant retrouvée assassinée au fond d'un puits d'une ferme abandonnée. C'est évidemment Kurt Wallander qui est chargé de cette affaire au demeurant assez obscure.

    La chute du mur de Berlin et la disparition de l'ex-URSS ont éparpillé dans le monde entier des agents du KGB qui, contre la promesse d'une nouvelle vie et d'un passeport, sont prêts à tout. Le meurtre est une de leurs spécialités et Konovalenko en fait partie. La démocratie suédoise reste pour eux un refuge. A peu près à cette époque, en Afrique du Sud, une organisation criminelle favorable au maintien de l'apartheid projette d'assassiner une personnalité politique de premier plan. Konovalenko qui souhaite se réfugier en Afrique du Sud pour y changer de vie, lui offre de familiariser un tueur professionnel sud-africain noir, Victor Mabasha, avec de nouvelles armes mises au point en Union soviétique et pour cela le fait venir en Suède. L'affaire tourne mal cependant, une femme est assassinée par hasard et Mabasha s'évanouit dans la nature, après avoir perdu un doigt.

    Sur place, en Afrique du Sud, l'insécurité grandit, la tension monte, et , au sommet de l’État, on sent que quelque chose va se passer qui ressemble à un attentat. Frédéric de Klerk, alors président de la République et désireux de mettre fin à l'apartheid fait figure de victime potentielle mais Nelson Mandela, enfin sorti de prison, porte les espoirs du peuple noir. L'Afrique du Sud est encore gouvernée par une minorité blanche et la perspective d'un changement politique en faveur des Noirs fait craindre une guerre civile, une vengeance collective et une répression sanglante.

    Ces deux affaires n'ont rien à voir l'une avec l'autre au départ. Wallander est chargé du meurtre de Louise Åkerblom, mais ses investigations l'amènent à Stockholm où un jeune policier vient d'être tué au cours d'une opération. Encore une fois l'intuition de Wallander lui dit qu'il y a sans doute un lien entre ces affaires. C'est donc le début d'une histoire un peu compliquée avec des complications, des débordements, des erreurs qui égarent un peu le lecteur. La toile de fond est constituée par l'Afrique du Sud où notre commissaire n'a jamais mis les pieds, la silhouette de deux personnalités d'exception que sont Nelson Mandela et Frederick de Clerk et la marche inexorable de l'Histoire dans ce pays.

    Au cours de ce roman, le lecteur n'est pas à l'abri de ses surprises et les rebondissements du scénario vont l'étonner autant sur le plan du dépaysement géographique que sur l'attitude de Wallander. Il perdra un temps tout sens de la raison et même des réalités en n'écoutant que son devoir de policier pour mener à bien une mission qui, petit à petit le dépasse. Malgré lui sa fille Linda sera impliquée dans cette enquête et lui sera un peu malgré lui l'acteur médiatique de cette affaire qui se déroule dans la petite ville d'Ystad, d'ordinaire tranquille. Il devient le meurtrier d'un homme et ce geste, même accompli en état de légitime défense, le transforme complètement au point qu'il est lui-même recherché comme un authentique criminel. L'auteur nous montre ici un Wallander vieillissant qui doute à la fois de lui-même et de sa mission de policier, qui culpabilise à cause de la mort d'un homme dont il s'estime responsable. Cela provoque chez lui une grave dépression dont il aura sans doute du mal à se remettre d'autant qu'il est seul après un divorce difficile et qu'il a du mal à renouer avec une femme.

    J'ai rencontré cet auteur par hasard et je dois dire que l'écriture de ce roman, et probablement sa traduction (je ne lis pas le suédois dans le texte) distillent le suspense jusqu'à la fin pour le plus grand plaisir du lecteur attentif et passionné.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LA FAILLE SOUTERRAINE – Henning Mankell

    N°652– Juin 2013.

    LA FAILLE SOUTERRAINE – Henning Mankell – Policiers SEUIL

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

    Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'ai eu très tôt une passion pour les romans policiers. Bizarrement, j'ai toujours été moins attiré par l'histoire, l'énigme policière, que par le roman lui-même et surtout les personnages. Ces derniers m'ont toujours paru beaucoup intéressants par leur personnalité, leur psychologie, leur façon d'agir, la qualité de leur raisonnement, leur histoire personnelle même.

    Dans ce volume qui est en fait un recueil de cinq nouvelles plus ou moins longues, dont l'action se situe avant les titres déjà parus, l'auteur nous présente les débuts dans la police de Kurt Wallander, déjà héro d'une série que la télévision a popularisé et que le succès littéraire a consacré. Dans « Le coup de couteau », nous sommes en 1969, il est encore jeune gardien en uniforme de 22 ans qui va intégrer la criminelle à Malmö, autant dire qu'il apprend son nouveau métier. Il rencontre Mona qu'il épousera et avec qui il aura une fille, Linda, a déjà des relations houleuses avec son père qui n'a jamais admis son engagement dans la police. Son côté un peu perdu me plaît bien, il n'est guère un amoureux flamboyant, est plutôt en retard à ses rendez-vous, n'est pas vraiment le Don Juan irrésistible que nombre de films du même genre nous ont donné à voir... Le personnage se révèle éminemment humain et réfléchit avant d'agir mais fait des erreurs, écoute son intuition, son entêtement et son désir de s'abstraire des procédures réglementaires, de privilégier les enquêtes parallèles, marquent déjà le futur inspecteur. Je n'ai jamais goûté les feuilletons américains du même tonneau où l'hémoglobine coule à chaque scène parce qu'un américain est avant tout un cow-boy qui sait faire honneur à la tradition et l'usage systématique de son arme.

    Avec le déroulement des récits, nous le voyons vieillir, il monte en grade, devient commissaire et est affecté en Ystad, se montre de plus en plus dépressif, à cause des meurtres sanglants dont il a à connaître dans le cadre de ses enquêtes mais aussi sans doute de sa vie affective qui part à la dérive. Il combat cela par l'alcool et ce n'est sans doute pas ce qu'il fait de mieux. Dans « La mort d'un photographe », sa femme a obtenu une séparation amiable, ne vit plus avec lui et supportait sans doute mal son travail de policier comme c'est le cas de la plupart des épouses de flics. Seule Linda, leur fille, maintient encore un semblant de lien dans leur couple. Kurt se sent seul parce qu'elle lui manque, lui échappe aussi et il mesure sur lui-même le temps qui passe, la vieillesse qui arrive. Dans « La pyramide », il est définitivement divorcé et un peu paumé, Linda, alors âgée de 19 ans, cherche sa voie et lui tente sans grande conviction une liaison avec une autre femme mais sent bien que cela ne marchera pas. Il a de la vie une autre vision mais a, lui aussi, été rattrapé par elle, a subi ses leçons. La mélancolie qui en résulte lui donne un côté humain qui le fait ressembler au commun des mortels, une sorte d'anti-héros en quelque sorte, un policier qui fait passer son métier avant tout, un homme de bonne volonté.

    Même s'il y a autour de lui une équipe de policiers chevronnés, il reste un homme seul d'où émane une certaine mélancolie et qui est aussi doué pour passer à côté de son propre bonheur. Il incarne à lui seul ce qu'il est convenu d'appeler « l'inquiétude suédoise » et enquête bien souvent sur des solitaires comme lui, victimes ou auteurs.

    Cela dit, le suspense est savamment distillé au cours des récits et jusqu'à la fin, le style est agréable à lire. C'est à chaque fois un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LES POISSONS NE FERMENT PAS LES YEUX – Erri de Luca -

    N°651– Juin 2013.

    LES POISSONS NE FERMENT PAS LES YEUX – Erri de Luca - Gallimard.

    Traduit de l'italien par Danièle Valin.

    Dès l'abord, la quatrième de couverture a quelque chose d'attirant pour moi « A travers l'écriture, je m'approche de moi-même d'il y a cinquante ans, pour un jubilé personnel. L'âge de 10 ans ne m'a pas porté à écrire, jusqu'à aujourd'hui. ».

    Le narrateur passe donc ses étés, et spécialement celui de ses 10 ans, sur l'île d'Ischia en face de Naples avec sa mère. C'est un gamin qui est un peu taiseux [« "C'était ma spécialité rester silencieux" ], qui reste à l'écart des autres garçons de son âge, qui vit cette année avec des livres, la solitude de la nage, de la déambulation dans les ruelles du village, l'observation des gens et des choses, l'aide ponctuelle apportée à un pêcheur. Le monde des adultes le fascine et il croit le comprendre. Cette année sera aussi celle de la rencontre d'une fillette sur la plage, sans doute aussi solitaire et discrète que lui. Avec elle il engage la conversation parce qu'elle lui ressemble et ressent bien sûr les premiers frissons du désir. Elle incarne aussi la future femme, celle à qu'on aborde avec timidité parce qu'elle est vraiment différente des garçons que parfois elle regarde de haut. Lui est timide et tombe évidemment amoureux d'elle, n'a d'yeux que pour elle, lui obéit aveuglement. Tout cela n'est pas du goût des gamins de son âge qui le tabassent autant pour s'affirmer à leurs propres yeux que, peut-être pour prendre sa place auprès de la fille. Le plus étonnant est qu'il ne se défend pas, qu'il se laisse faire comme si les coups reçus dans ce contexte si particulier avaient valeur d’initiation [«  A dix ans, je croyais à la vérité des coups. L'irréparable me semblait utile. » ] Il accepte d'autant plus volontiers cette épreuve que, malgré son visage ensanglanté, il refuse de dénoncer ses agresseurs. Pendant ce temps, son amie, elle, conçoit un plan qui la révèle féminine dans sa soif de justice et d'équité. C'est par elle qu'il entrera dans ce monde des adultes.

    On pensera ce qu'on voudra de ce récit de sa vie. J'y vois volontiers la relation faite par l'adulte qu'il est devenu d'une période de sa vie où il a hâte de grandir, où il est pressé de se débarrasser de cette phase comme d'une mue devenue encombrante [« L'enfance se termine officiellement quand on ajoute un zéro aux années … mais il ne se passe rien, on est dans le même corps de mioche emprunté des étés précédents, troublé à l'intérieur et calme à l'extérieur."]. Pénétrer le monde des adultes à travers la violence, la soif de justice et l'amour, autant de pôles et de moments forts de leur vie qu'il voit encore de loin mais qu'il aspire à connaître le plus vite possible. Pourtant, il reste attaché à cette île, symbole de liberté et de beauté de la nature qui garde encore dans le repli des vagues et du sable des parcelles d'enfance. Cette année-là, il comprend le véritable sens du verbe « aimer », apprend d'elle le baiser pendant lequel il faut fermer les yeux et non les garder ouverts comme les poissons.

    Cinquante ans après, l'auteur devenu homme de lettres se souvient de l'année de ses 10 an avec émotion et nostalgie, accepte de la regarder en face comme, lorsqu'on est enfant, on cherche, presque par défit, à garder les yeux ouverts sous l'eau. Après viendront les épreuves inhérentes à ce monde des adultes tant convoité. Pour lui ce seront des dissensions avec sa famille, les douloureuses années d'après-guerre, le monde du travail et celui de l'engagement en politique, l'entrée en littérature. Cette année de ses dix ans, il la voit aujourd'hui non seulement comme une année de transition, mais peut-être comme une période un peu surréaliste pendant laquelle à la fois il hésite à sauter le pas, à envie de se laisser porter par les événements extérieurs, qu'ils soit violents ou au contraire pleins des frissons et des promesses du premier amour, une période comme suspendue dans le temps. Il n'a cependant pas retenu le nom de cette fillette qui lui a fait oublié l'enfance mais se souvient de son visage, de ses yeux. Ils l'ont durablement bouleversé. Il aurait pu lui donner un prénom inventé, l'imagination admet cet artifice, mais il préfère ce relatif anonymat, lui rendant hommage comme à un fantôme, choisissant de l'évoquer à la seule force des mots dans ce qu'elle a de plus fort dans son souvenir, la regardant les yeux grands ouverts.

    Ce texte, fort bien écrit et traduit m'a, comme toujours, laissé l'impression d'un bon moment poétique de lecture [«  Maintenant encore, dans les nuits allongées en plain air, je sens le poids de l'air dans ma respiration et une acupuncture d’étoiles sur ma peau »]. J'ai assez dit dans cette chronique tout le bien que je pensais le d'auteur pour ne pas changer d'avis. J'ai lu ce court texte avec plaisir, lentement, comme il convient à un roman autobiographique que De Luca aime offrir à son lecteur attentif devenu un peu son confident.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • L'OUBLI EST LA RUSE DU DIABLE – Max Gallo

    N°650– Juin 2013.

    L'OUBLI EST LA RUSE DU DIABLE – Max Gallo- XO Éditions.

    En cette trente troisième année d’existence de « La Feuille Volante », j'écris ici avec plaisir, puisqu'il s'agit d'un ouvrage de Max Gallo, ce qui en sera probablement un des derniers articles.

    Cette autobiographie, puisque c'en est une, dédiée comme il se doit à la mémoire des siens, s'ouvre sur la citation de Rigord, un moine de l'abbaye de St Denis en 1207 qui nous rappelle que seuls meurent et vont en enfer ceux que les vivants oublient. C'est une tentation bien grande, surtout quand on a réussi, de retracer son itinéraire intime pour sa famille ; son cas a évidemment valeur d'exemple pour la communauté. Que Max Gallo s'attelle à ce travail a au moins l'avantage d'offrir au lecteur un témoignage sans fard puisqu'il prend la peine de nous parler de lui-même, enfin ! Il nous avait habitués aux vastes fresques historiques, à l'évocation des grands hommes et même à des fictions remarquables mais il se cachait habilement derrière sa plume alerte. Ici, à plus de 80 ans, après une impressionnante bibliographie, il accepte de se livrer simplement et son écriture devient pour lui catharsis. Fils d'ouvrier immigré italien, il ne pouvait qu'être promis à un métier manuel ; il sera agrégé d'histoire, député de Nice, sa ville natale, ministre de François Mitterrand, éditeur, écrivain à succès, académicien... Une véritable ascension sociale, un authentique destin, un pur produit de la République qu'on aime donner en exemple, une vraie volonté de s'affranchir d'un certain déterminisme social [« Et pourquoi pas d'Académie française? » lui avait répondu un Haut-fonctionnaire à qui il venait d'avouer son ambition pour l'agrégation et pour l'écriture, lui le modeste salarié, fils d'un immigré italien]. Un beau parcours en tout cas ! Cela autoriserait sans doute que l'auteur fît son propre panégyrique, sculptât sa propre statue, devînt son propre thuriféraire ! Eh bien pas du tout et même au contraire.

    Ce fut une enfance heureuse dans une famille prolétaire où on parlait encore l'italien, entre une mère attentive et parfois un peu abusive et un père animé d'idées révolutionnaires, au milieu d'un racisme ordinaire, mais marquée par une extraordinaire volonté d'être français. Il mêle à son quotidien des moments de la grande histoire, la guerre, l'occupation, la Libération, fait vivre dans son récit des quidams qui jettent à leur tour un regard critique sur leur temps. Fils d'ouvrier, on le destinait naturellement au cambouis et à la sueur mais il y préféra l'odeur des livres et l'amour de l'étude. Avec une écriture simple, sans fioriture, fluide et agréable à lire, Max Gallo déroule sa vie pour son lecteur devenu confident, raconte ses illusions, ses échecs, ses envies, ses éveils, ses prises de conscience, ses convictions, son parcours politique loin du dogmatisme et de l'ambition calculatrice, sa volonté de ne jamais rien tenir pour acquis. Son mariage fut un échec et se termina par une séparation dont il se remit mal. Il n'oublie pas ses fêlures et ses failles, les événements qui bouleversèrent sa vie... Quand pour lui le succès commençait à se manifester, qu'il se construisait peut-être des châteaux en Espagne, qu'il était tout disposé à se laisser griser par le succès, aveugler par la réussite, dévorer par l’égoïsme, sa fille Mathilde se suicide. Elle avait 17 ans ! Il est impossible de vraiment survivre à un tel événement, on y perd souvent sa vie, sa raison, sa foi et pas mal de ses certitudes. Il trouva sans doute dans cette mort qui aurait pu l’anéantir et au-delà de cette culpabilisation judéo-chrétienne, une raison supplémentaire de poursuivre une vie prometteuse. L'abondance et la richesse de ses œuvres sont sans doute un hommage à cette jeune fille morte, l'écriture, une thérapie dans ce qui devenait de jour en jour un mal de vivre de plus en plus prégnant.

    J'ai souvent dit dans cette chronique combien j'aime lire les biographies. Celle-ci, peut-être plus intime que les autres m'a passionné. J'ai découvert un homme qui, malgré sa réussite, ne cache rien de ses fragilités ni de ses contradictions et le fait simplement, mène son chemin en gardant à l'esprit autant l'exemple de sa parentèle modeste que les maximes de grands penseurs, avec cette belle et émouvante écriture que j'ai toujours appréciée. J'aime aussi qu'il ne soit pas naïf et porte sur la politique, sur la gauche en particulier et même sur l'espèce humaine, un regard critique et sans indulgence.

    Max Gallo qui, avec ses mots rend hommages à ses morts, sa fille, sa mère, son père, craint peut-être qu'on l'oublie après sa disparition. Homme de lettres qui la pratique si heureusement et qui a si bien servi notre belle langue, il sait mieux que personne que l'écriture est un extraordinaire support de la mémoire, plus sûr en tout cas que l'habit vert d'Immortel qu'il porte désormais. Dans son cas, il n'y a donc aucun danger.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO

    N°649– Mai 2013.

    LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO - Éditions Jacob-Duvernet

    Mise en images Jérôme Pecnard.

    Plus que l'écrivain-pilote, l'officier combattant mort dans des circonstances obscures, le séducteur, l'homme qui a toujours eu la nostalgie de son enfance, Antoine de Saint-Exupéry reste, dans la mémoire collective, le "Petit Prince", cet éternel enfant, héros de ce roman merveilleux qui continue de nous parler, suscite encore de bons moments de lecture, de nombreux commentaires, des citations et des développements bien des années après sa mort. Rares sont en effet les écrivains qui, une fois disparus, survivent à ce point à leur œuvre. Il n'a jamais porté l'habit vert du Quai Conti mais reste un authentique "immortel". Ce livre, traduit dans le monde entier, figure à coup sûr dans toutes les bibliothèques.

    Cela me plaît bien que ce soit ce Petit Prince, habitant de l'improbable astéroïde B 612, cet enfant rieur aux cheveux d'or ébouriffés qui ne répond pas quand on l'interroge et qui un jour rencontra un pilote perdu dans le Sahara en lui demandant de lui dessiner un mouton, qui serve de fils d'Ariane au lecteur puisque son visage ouvre chacun des chapitres et qu'il raconte Saint-Ex. On dira sans doute que c'est là un livre supplémentaire consacré à Saint-Exupéry, peut-être, et après ! C'est avant tout un hommage et c'est ce que je choisis de retenir surtout parce que celui-ci puise sa sève principalement dans les citations personnelles de l'auteur tirées de ses livres ou de sa correspondance.

    On pense ce qu'on veut de son enfance, mais elle conditionne la vie future d'un homme. La sienne, malgré la mort prématurée de son père, a été merveilleuse, une "planète" en dehors du temps, une sorte de cocon protecteur et douillet avec sa mère, ses frère et sœurs, une maison, une famille, autant de havres, de jalons auxquels se raccrocher. Des photos en noir et blanc ou couleur sépia attestent de cette période. Elles disent le bonheur, les odeurs, les saveurs de cette enfance qu'Antoine n'oubliera jamais. Il adorait sa mère et même loin d'elle, dans les périodes troublées de sa vie, il se raccrochera par la pensée ou par les missives à cette famille, au pays de son enfance. Lui qui était né avec le siècle n'était pas vraiment pressé d’affronter la vraie vie et voler était sans doute le moyen qu'il avait trouvé pour échapper au quotidien ordinaire des hommes ordinaires. D'ailleurs son existence n'aura de véritable sens qu'à travers l'avion. Voler reste son but pourtant dès 1923, un accident d'avion, au Bourget, l’immobilise. Plus tard, des raids d'aventurier se terminent en crashs et en fractures qui auraient pu être mortelles, que se soit au Guatemala ou en Lybie. Pourtant, il n'a pas toujours été pilote, a dû s'étioler dans un bureau comme comptable, sur les routes de France comme représentant ou comme grand reporter en URSS, à New-York, en Asie, en Espagne pendant la Guerre Civile à "L'intransigeant" ou à "Paris-Soir". De cette période, après la rupture de ses fiançailles, il s'étourdit dans les bars parisiens, s'ennuie dans des hôtels de préfecture, ou recherche la compagnie des femmes de passage. D'elles il attend qu'elles apaisent sa solitude, ses angoisses. Ce sont sa mère qu'il admire et adore, sa sœur, ses cousines, ses amantes, sa première fiancée, Louise de Vilmorin, puis sa femme, Consuelo, une jeune veuve salvadorienne qu'il épouse à 30 ans malgré la désapprobation de sa famille. Ce seront 12 années d'amour, de séparations, de ruptures, de retrouvailles. La solitude sera sera son lot pendant toutes ces années où il se cherche. Il l'exorcise comme il peut et principalement par l'écriture, des missives adressées à sa parentèle et à ses amis, des nouvelles et bientôt des romans où le pilote et l'écrivain se mêlent et se conjuguent. C'est que, grâce à l'aventure de aéropostale, il vole enfin, à travers montagnes et océans, croise Mermoz et Guillaumet avec qui il se lie d'amitié, vit enfin avec le vent, les étoiles, les sables du désert, le dangers des territoires insoumis. A cette époque, le pilote est seul aux commandes de son appareil; cela suscite pour lui la méditation sur le sens de la vie, de la mort, de l'immensité des territoires survolés et la solitude, toujours, qu'il ressent dans les montagnes glacées ou l'aridité du désert, le danger aussi qu'il voit dans les accidents et la mort de ses amis...C'est cette même action qu'il retrouve pendant la 2°guerre mondiale. Et il écrit tout cela. Ce sera "Courrier sud"(1929), "Vol de Nuit"(1931) pour lequel il obtiendra le Prix Femina, "Terre des hommes" (1939- Grand prix du roman de l'Académie Française). Pourtant, cette complicité avec les grands espaces et l'ivresse du vol ne font qu'accentuer chez lui la sensation désespérante de solitude qui semble lui coller à la peau. Seuls les mots, leur musique et l'exorcisme de l'écriture parvient à l'en sortir.

    Parti pour New-York, dans l'espoir de susciter l'entrée en guerre des États-Unis, il y reste deux ans. Il est las-bas un auteur à succès mais son pays est occupé. Il rejoint l'Afrique du Nord. Ce sera "Pilote de guerre" (1942) et "Le Petit Prince"(1943). Lui qui avait cent motifs de réforme, revient pour défendre son pays, lui qui avait si souvent côtoyé la mort, dans sa famille proche, dans son métier de pilote, dans le cercle de ses amis, abandonne son corps à la mer, au néant, comme le Petit Prince qui s'en va ["J'aurais l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai"] . On a beaucoup glosé sur sa disparition, en Méditerranée, au large de la Provence, en juillet 1944, au terme d'une mission photographique après qu'il eut, une ultime fois, survolé la maison de son enfance et ses souvenirs. C'est un peu comme si la solitude et la désespérance le rejoignaient, définitivement.

    J'aime lire et relire Saint-Ex, un écrivain d'exception qui a honoré la langue française, un homme torturé par un mal de vivre et le désespoir, qui était de son enfance comme on est d'un pays, qui en a porté en lui toute la magie, tous les mystères.

    © Hervé GAUTIER - Mai 2013 -

    Sur l'avion de Saint-Ex, voir la Feuille Volante n°225 - Mai 2000.









  • CLARA MALRAUX - Dominique BONA

    N°648– Mai 2013.

    CLARA MALRAUX - Dominique BONA - Grasset

    Drôle de destin que celui de Clara Goldshmidt, née à Paris en 1897 mais de nationalité allemande puisque son père, originaire de Basse-Saxe ne sera naturalisé qu’en 1905. Même si chez elle on parle allemand, c'est la France pour les valeurs humanistes qu'elle porte que son père a choisi. Les parents de Clara forment un couple très uni et surtout très amoureux. Clara a deux frères dont l'un est son aîné. Cette appartenance à deux cultures sera pour elle un déchirement quand la Première mondiale éclatera d'autant plus qu'une partie de sa famille est restée en Allemagne. Quant à elle, elle n'apprendra que bien plus tard ses origines juives mais elle est française et élevée dans la grande bourgeoisie parisienne.

    La généalogie d'André Malraux est moins reluisante, plus populaire, sa mère tenant une épicerie à Bondy. Né en 1901, il passe son enfance entre sa mère, sa grand-mère et sa tante, son père ayant quitté le domicile quand André avait 4 ans. Lui aussi a des origines flamandes mais comme Clara, il est résolument Français. Quand ils se rencontrent, en 1921, ils n'ont pourtant rien en commun si ce n'est peut-être cette envie d'écrire qui ne s'est pas encore manifestée. Tous les deux veulent échapper à leur condition, elle qui est une jeune fille bourgeoise et riche et lui un dandy frivole et pauvre, qui lui cache ses origines sociales. Malraux a toute sa vie sera un mystificateur qui a lui-même tissé sa propre légende. Pour autant, ils semblent faits l'un pour l'autre et en octobre 1921 ils se marient avec cependant la promesse de divorcer six mois après ! Elle a 24 ans et lui est encore mineur, n'a pas de métier mais n'envisage pas le moindre emploi. Pourtant, parvenus à l'échéance qu'ils s'étaient eux-mêmes fixée, les époux qui se vouvoient toujours préfèrent consacrer l'argent que leur coûterait un éventuel divorce à voyager. En réalité, ils sont si bien ensemble qu'ils choisissent d'y rester. Si André s'impose par ses qualités intellectuelles, Clara reste quelque peu en retrait mais pousse son mari à partir avec elle pour Anghor. L’exotisme et le voyage les habitent tous les deux mais c'est aussi les trésors de temples kmers qui les attirent et qu'ils comptent bien s'approprier par le pillage. En réalité, ce voyage un peu hasardeux et dangereux porte en lui les prémices de "La voix Royale", qui paraîtra plus tard. Clara, elle, s’émerveille de la beauté des lieux et ce sera pour elle aussi la véritable naissance de l'écriture. Pour le couple, la mise à sac des temples leur vaut une inculpation, un non-lieu pour elle qui rentre en France sans le moindre sou, rompt avec sa famille et découvre la complicité modeste mais chaleureuse de sa belle-famille pourtant jusque là soigneusement cachée par André et un procès pour lui. Elle s'attache à réunir un comité de soutien qui compte les plus grandes signatures littéraires de son temps. La cour de Phnom Penh  condamne André à 8 mois de prison avec sursis. Il rentre en France et peut recommencer à vivre.

    En France, André se révèle ingrat, déjà, et Clara lui avoue un adultère qui le laisse désemparé. Il se souviendra plus tard de cette trahison, en l'imitant. C'est le début d'une longue série d’infidélités qui auront raison de ce couple mais c'est quand même Clara qui en prit l'initiative. La drogue entre dans leur vie en même temps que la gêne mais André songe à repartir pour l'Indochine avec des rêves journalistiques. Ce journal, baptisé "L'indochine" qui deviendra "L'indochine enchaînée" se veut altruiste, progressiste social, pro-annamite, tourné vers les plus défavorisés, bref d'opposition. Il s'oppose en effet à l’administration coloniale toute puissante et corrompue, dérange, est volontiers polémique et on le stigmatise comme bolchevique dans ce pays en plein bouillonnements politiques et ce bien qu'André ne soit pas communiste. Lui y écrit mais Clara reste dans l'ombre. Le journal crée en Juin 1925 n'aura que 49 numéros et fin décembre de la même année, les Malraux repartent pour la France avec une certitude : ils seront écrivains mais, sans qu'elle le sache, c'est la fin du grand amour de Clara. De cette aventure asiatique naîtront nombre de personnages de roman pour André. Il publie "La tentation de l'occident" qu'il dédie à Clara. D'autres viendront qui l'introduiront dans le monde des Lettres et lui donneront le succès mais Clara restera dans l'ombre sans qu'André, maintenant directeur artistique chez Gallimard, ne songe à lui donner sa chance. En 1933, ni la naissance de leur fille Florence, ni le prix Goncourt d'André pour "La Condition humaine" où Clara apparaît sous les traits de May, ne peuvent parvenir à ressouder un couple qui se délite dans l'adultère.

    Puis vient la politique, à gauche, pour Clara et André. Elle l'accompagnera, comme elle le fit en Espagne, en 1936, aux côtés des Républicains mais restera toujours dans l'ombre alors que lui s’affirme comme un remarquable orateur et aussi comme un organisateur charismatique. La guerre civile espagnole marquera pour eux la fin de leur amour, André rencontrant Josette Clotis qui lui donnera plus tard deux fils. Clara se retrouve donc seule "privée de lui", ce qui aiguise son talent littéraire.

    En 1939, André qui avait été réformé, alors âgé de 40 ans, s'engage comme simple soldat, est fait prisonnier, s'évade, se réfugie dans le sud de la France. Ce n'est qu'en 1944, sur le tard, qu'il devient, dans la Résistance, le "colonel Berger" entraîneur d'hommes et combattant courageux. A la mort de Josette, Clara pense retrouver André, mais ils divorcent en 1947 après 26 ans d'un mariage cahoteux. Clara garde son nom et sa fille Florence. Désormais seule, elle survit mal, a gardé son âme de gauche mais publie difficilement 4 romans autobiographiques dont aucun n'est dédié à André dont il est pourtant le héros secret. Son ex-mari, reconnu maintenant comme un écrivain, publié de son vivant dans La Pléiade, éphémère ministre de de Gaulle en 1946 et qui a abandonné son idéal révolutionnaire, ne l'aide pas dans son entreprise littéraire. Ses livres se vendent mal. Elle rencontre Jean Duvignaud, professeur de Lettres et aspirant écrivain qui a 24 ans de moins qu'elle. Elle vivra avec lui une idylle de 13 années et le soutiendra dans dans son activité d'écriture. Pourtant en elle l'empreinte de Malraux n'est pas effacée. Ce dernier, veuf, se remarie en 1948 avec sa belle-sœur Madeleine, déjà mère d'un fils. Le voila donc avec 3 garçons mais les relations familiales sont difficiles, comme elles le sont avec Florence, sa fille. Pour André la vie est opulente alors que pour Clara c'est la gêne. Pourtant, la mort de ses deux fils, la séparation d'avec Madeleine, entraînent André dans une phase difficile. Quand il choisit de renier ses idées progressistes et de s'établir dans l'ordre et les contradictions gaullistes, Clara tente de rétablir la vérité à son sujet mais l'aura du ministre est trop forte et l’indifférence d'André trop pesante. Pourtant elle ne renie rien de ce qui a été sa vie et son combat, milite, écrit, publie...Mai 68 revivifie ses ardeurs révolutionnaires mais quand à la suite du référendum de 1969, de Gaulle s'éloigne du pouvoir, Malraux démissionne. Désormais seul, il renoue avec une ancienne maîtresse, Louise de Vilmorin, puis, à la mort de celle-ci, sa nièce Sophie se rapproche de lui. Elle sera sa dernière compagne. Il s'éteint en 1976 à l'âge de 75 ans. Lui qui avait toujours ignoré Clara depuis leur divorce ne l'oublie pas dans son testament. Celle qui avait toujours été effacée, dans l'ombre d'André, s'affirme par l'écriture, les voyages, les interviews. Pour tous elle redevient Mme Malraux et à la mort d'André sa vie à elle prend tout son sens et la libère. Elle meurt paisiblement 1982

    Ce couple que Dominique Bona nous présente comme mythique à cause de la passion qui a présidé à ses débuts n'a pas échappé à la routine, au délitement, au déchirement. Il a néanmoins était fécond, original, porteur de créations artistiques et de prises de positions politiques. C'est à dire le contraire de l'ennui.

    J'ai lu passionnément cette biographie où il est souvent question d'André. Pour autant, Dominique Bona y rend hommage à Clara, magnifiquement.

    © Hervé GAUTIER - Mai 2013 -









  • LES VIEUX GARCONS DE BROKEN HILL- Arthur UPFIELD

    N°647– Mai 2013.

    LES VIEUX GARCONS DE BROKEN HILL- Arthur UPFIELD - 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Décidément, l'inspecteur Napoléon Bonaparte qui préfère de loin qu'on l'appelle Bony, aime parler de lui comme étant le meilleur flic d'Australie. C'est un peu vrai puisque, une fois encore il doit quitter sa circonscription du Queensland pour venir élucider, pendant 15 jours, en Nouvelle-Galles du Sud un double assassinat au cyanure que la police locale peinait à résoudre. Ce délai peut paraître court, mais notre policier, sûr de lui, se fait entière confiance pour mener à bien cette mission dont il "consent" à s'occuper. Il n'envisage même pas l'ombre d'un échec. Unique, il l'est à plus d'un titre et entend une nouvelle fois être à la hauteur de sa réputation. Pour plus d'efficacité, il œuvrera encore une fois incognito et donc sous un faux nom dans cette ville de Broken Hill, petite ville minière calme et prospère. Il se met donc à la disposition du chef de la police locale, le commissaire Pavier, qui favorisera ses recherches en lui adjoignant le personnel commandé par le sergent Crome.

    Lors de la précédente enquête menée par l'inspecteur Stillman venu de Sidney, ce dernier avait, dans son rapport, pointé les insuffisances du sergent, rudoyer quelque peu les témoins et même laissé dans son sillage un mauvaise image, mais sans pour autant élucider l'affaire. Cet inspecteur était à l'évidence incompétent mais avait le talent de rejeter ses propres carences sur les autres comme cela se voit souvent dans le monde du travail en pareilles circonstances. Les choses se présentent donc mal pour tout le monde, mais Bony s'attache d'abord à rassurer le sergent. Pour autant les deux meurtres sont apparemment sans mobile, sans témoins, les deux victimes n'ont aucun lieu de parenté et aucun point commun entre elles si ce n'est qu'ils sont tous les célibataires, âgés, bien en chair et mangeant salement, des vieux garçons donc ! Une affaire comme il les aime : compliquée !

    Pourtant, il y a urgence car les deux meurtres pourraient bien être suivis d'autres tout aussi mystérieux. Effectivement, d'autres crimes sont perpétrés, un autre par empoisonnement au cyanure et un dernier sur la personne de la secrétaire du commissaire, poignardée. Heureusement Bony, bien qu'il n'ait aucune parenté avec Socrate et qu'il soit conscient de la fragilité des témoignages, a une façon très personnelle de s'adjoindre l'aide de la population et même de la presse locale, ainsi que d'accoucher les esprits et sa maïeutique se révèle bigrement efficace.

    Dans cette petite ville, Bony rencontre aussi Jimmy Nimmo, dit le Casseur, une veille connaissance, un petit malfrat et un cambrioleur notoire, retiré à Broken Hill parce qu'il est tombé amoureux d'une femme qu'il souhaite épouser mais celle-ci n'y consentira que s'il rentre dans le rang et obtient un emploi régulier dans une mine. Pour lui qui est un as dans sa spécialité, c'est presque une déchéance. Tout l'art de Bony sera de le recruter pour que, encore une fois, il mette en œuvre ses talents... mais exclusivement au service de la Police !. Notre inspecteur déploie donc ses talents d'enquêteur, à la satisfaction de ses collègues, de la hiérarchie locale et même de la population qui ne regrette pas le sinistre inspecteur Stillman. Bony, avec son traditionnel thé et ses cigarettes horriblement mal roulées, traîne derrière lui une réputation de mauvais flic, non parce qu'il échoue dans ses enquêtes, mais bien au contraire parce qu'il n'est que trop indépendant voire marginal et que ses méthodes sont des plus originales et peut-être un peu en marge de la procédure légale. Il n'est pas dans le moule, ce qui lui vaut régulièrement d'être licencié de son poste... pour y être immédiatement réintégré !. Cette fois encore, il n'échappe pas aux bassesses dont le monde du travail est si friand et qui met régulièrement en scène les incompétents, les flagorneurs et les arrivistes, ces défauts se retrouvant souvent dans les mêmes personnes. Sur ordre de sa hiérarchie, il va être dessaisi du dossier qu'il avait pourtant bien contribué à faire évoluer dans le sens de la vérité. C'est Stillman qui n'a guère digéré son échec précédent qui débarque à nouveau dans l'affaire mais Bony n'entend pas en rester là. Un peu comme à chaque fois, et au dernier moment, les choses reviennent à leur vraie place, pour le plus grand plaisir du lecteur, même si cette fois épilogue est un peu inattendu.

    © Hervé GAUTIER - Mai 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • GALA - Dominique BONA

    N°646– Mai 2013.

    GALA - Dominique BONA - Flammarion [1995]

    Qui était donc cette femme qui fut l'égérie d'un poète et de deux peintres? Quand elle entre en scène, elle s'appelle encore Elena Dimitrievna Diakonovane, elle a reçu une bonne éducation en Russie où elle est née en 1894. C'est une jeune fille de 18 ans qui, après avoir parcouru toute l'Europe de l'Est, débarque dans un sanatorium suisse où elle vient soigner une tuberculose. Elle va y rencontrer, Paul-Eugène Grindel, le fils d'une famille bourgeoise, plus tourné vers la poésie que vers une carrière traditionnelle, malade lui aussi, et en tombe éperdument amoureuse. Il deviendra, grâce à elle, Paul Eluard et elle adopte le pseudonyme de Gala qu'elle gardera toute sa vie. Elle n'est peut-être pas très belle mais est une véritable présence fascinante, sait ce qu'elle veut, et malgré leur jeune âge, la famille de Paul qui se méfie de cette étrangère, la guerre, l'avenir incertain de son fiancé, elle l'épouse en février 1917. Le conflit mondial favorise la rencontre de Paul avec Louis Aragon, Philippe Soupault et André Breton puis, la paix revenue, c'est le mouvement Dada et ses excentricités artistiques qui leur révéla l'existence de Max Ernst vers qui Gala se sent irrémédiablement attirée, avec une certaine complicité tolérante du côté de Paul. Gala a 27 ans et son nouvel amant, sensiblement du même âge qu’elle, vient s'installer chez eux et va même vivre à leurs crochets. Ainsi commence un "ménage à trois" que Paul ne condamne pas mais dont il souffre quand même. Ni lui ni elle n'en sortiront indemnes et cela durera, plus ou moins en pointillés, jusqu'à ce qu'arrive un peintre catalan inconnu, Salvador Dalí. Nous sommes en 1929. Là aussi ce sera le coup de foudre. Pourtant tout les opposent, elle a 10 ans de plus que lui, c'est un inconnu sans fortune mais ils vivront ensemble une passion exubérante, sauvagement pauvre au début et s'épouseront en 1934. Dalí est maladivement timide mais aussi excentrique, facétieux, original, fantaisiste, débordant de créativité... Elle sera son unique modèle, sa source principale d’inspiration et l'icône qu'il célébrera comme une véritable idole jusqu'à sa mort en 1982. Elle restera aux côtés de Dalí, toujours dans l'ombre, l'assistera, le soignera, l'encouragera, l'accompagnera dans ses déplacement internationaux et mondains qui conditionnent sa notoriété et le mécénat qu'elle va susciter. Elle sera non seulement son épouse attentive mais aussi la gestionnaire de sa fortune, son agent artistique, efficace et discret. En réalité, ils se ressemblent beaucoup et sont avant tout individualistes. Politiquement, le groupe des surréalistes dont il fait partie est tourné vers le communisme mais Dalí, sans doute par provocation au début, fait devant ses membres l'apologie d'Hitler, comme il se tournera plus tard vers Franco. De plus, il fréquente les puissants et les riches et n'a cure du peuple. La rupture ne pouvait qu'être consommée, mais Gala sera toujours avec lui et dans l'ombre lui tiendra la main. Il le sait et ne peut plus se passer d'elle et quand après différentes manières de penser et de vivre il devient mystique, il la divinisera dans ses tableaux.

    C'est étonnant mais l'amour que lui porte Paul Eluard est sans borne et aussi assez original. Certes, elle le trompe, et lui ne manque pas de l’imiter, mais pour autant, et bien que les amants connus de Gala soient à ce point différents de Paul, ce dernier non seulement les accepte mais leur porte de l'intérêt et même une certaine forme d'amitié, un peu comme si seul comptait à ses yeux le bonheur de sa femme qu'il n'était plus capable de lui procurer. Paul sera même bienveillant avec Dalí quand il fera, avec Gala, ses premiers pas dans le monde et quand les surréalistes l’expulseront de leur groupe. Il restera amoureux d'elle jusqu'à la fin, malgré tous les bouleversements de sa vie et leur divorce prononcé en 1930 après 15 ans d'un mariage mouvementé. Cet ouvrage consacré à Gala est en réalité non pas une mais trois biographies, la sienne mais aussi celles de Paul Eluard et de Dalí à qui elle fut si intimement liée. Si on en croit Dominique Bona, il semblerait que Gala, bien que dévoreuse d'hommes, ait recherché la virginité originelle chez Eluard et Dalí et ait poursuivi ses amours de contrebande, avec une prédilection pour les hommes plus jeunes qu'elle, et ce même pendant son union pourtant hautement amoureuse avec Salvador Dalí. Lui aussi ferma les yeux sur ses écarts, pourvu qu’elle reste avec lui !

    Gala est volontaire, tenace, passionnée, mais aussi coquette, dépensière, valétudinaire, mélancolique, tourmentée et volontairement solitaire. Elle a peu d'amis et ceux qui la connaissent, notamment au sein du groupe des surréalistes, l'affublent de sobriquets peu sympathiques. L’avenir la fait rêver mais le mariage, la maternité, la vie rangée d'une femme mariée la déçoivent. Par peur de manquer, mais aussi par addiction au jeu, elle devient responsable du galvaudage du talent de son mari. Contrairement à l'anagramme inventé par Breton, "Avida dollars" ne s'applique pas à Dalí mais à Gala ! Puis tout cela dérape et, au nom de l'argent, la signature de Dalí ne s'appose plus sur des tableaux mais sur des bijoux, des parfums. Gala, pourtant attentive à la gestion de la fortune de son génial époux ne contrôle plus rien et ce sont des feuilles blanches en nombre incalculable qu'il signe. Elles serviront de support à autant de faux qui porteront atteinte à son crédit sur la marché de l'art. Dès lors, les secrétaires se succèdent et une cour se forme autour du couple, vivant des richesses qu'il génère. On a pu voir en elle une aventurière calculatrice, séductrice et avide d'argent qui sait rester dans l'ombre mais tirer le meilleur parti des hommes qu'elle croise, qu'elle séduit et dont elle favorise l'ascension. Étrange destin que celui de cette femme énigmatique et apparemment froide qui a su par son charme s'attacher des hommes d'exception qui en furent éperdument amoureux. Si elle est une intellectuelle, elle n'est cependant pas une artiste mais saura révéler chez tous les hommes dont elle fut la compagne, un élan créatif exceptionnel. Ils ont tous laissé dans le domaine de l'art une marque pérenne. Sans elle, ils ne se seraient assurément pas révélés au monde et seraient restés anonymes. Gala vieillie et malade meurt en 1982. Son mari lui survivra 7 ans mais c'est un fantôme qui s'éteint en 1989. Les deux époux ne sont même pas enterrés ensemble !

    Comme toujours dans ses biographies, Dominique Bona est précise, très documentée, donne des détails et ses remarques personnelles, ses analyses et ses citations sont pertinentes. Cette chronique s'en est peu fait l'écho, mais j'aime lire les biographies, surtout, comme c'est le cas ici, quand elle sont denses et passionnantes. Grâce à son style fluide et poétique (notamment quand elle décrit des paysages catalans que ses origines familiales lui rendent sans doute plus attractifs), à ses courts chapitres, elle s'attache son lecteur attentif jusqu'à la fin. C'est donc un récit passionnant que nous livre l'auteur d'"Argentina" et nous fait découvrir la personnalité exceptionnelle de cette femme. Personnellement, j'avais des idées toutes faites sur Gala qui restait pour moi bien mystérieuse, la lecture de cet ouvrage m'a donné d'elle une image plus précise et surtout plus lumineuse.

    © Hervé GAUTIER - Mai 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA MORT D'UN TRIMARDEUR - Arthur Upfield

    N°645– Avril 2013.

    LA MORT D'UN TRIMARDEUR - Arthur Upfield - 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    La muraille de Chine n'existe pas uniquement dans l'Empire du Milieu. Elle est présente au sud-est de la Nouvelle Galles du Sud, en Australie, mais c'est une formation géologique naturelle. C'est à l'ombre de celle-ci qu'a été retrouvé mort un gardien de troupeaux. Ce crime, parce que c'en est un, a attiré ici l’inspecteur Napoléon Bonaparte, dit Bony, qui laisse dire avec une certain détachement qu'il est le meilleur flic du pays, et ce d'autant plus que la police locale a quelque peu peiné dans le déroulement de l'enquête. Il ne conçoit sa présence sur place que dans la mesure où une affaire est comme il les aime : compliquée ! Selon sa bonne habitude, et pour être plus efficace dans ses investigations, il évite de se recommander de sa qualité de policier, se fond dans la population en buvant de petits verres de gnôle au bar et en fumant des cigarettes effroyablement mal roulées. Ici, il se fera passer pour un ouvrier agricole qui cherche du travail. Les policiers locaux sont tellement abusés par sa mise en scène qu'ils l'enferment au poste, mais pour quelques temps seulement. Pour faire bonne mesure et pour donner le change à la population, il va même jusqu'à se faire condamner par le tribunal local à une peine de principe cependant. Sa présence tombe plutôt bien puisqu'on vient de découvrir, après une autre mort fort suspecte, dans la même cabane que précédemment, un deuxième cadavre, celui d'un trimardeur, apparemment sans rapport avec le premier mais les constations du médecin légiste concluent à un meurtre déguisé en suicide : tout à fait une affaire pour Bony qui va ainsi profiter de son stratagème pour enquêter plus librement et recueillir les commentaires de la population.

    Bony est un homme avisé et un policier intelligent et surtout atypique qui s'en tient rarement aux évidences et sait tout aussi bien lire dans "le grand livre de la brousse" que de faire parler les moindres indices. Ici, c'est un banal jeu de morpion qui retient son attention mais lui y voit bien autre chose qui pourrait bien fournir une explication à cette série de meurtres. Bizarrement peut-être, il a une philosophie assez originale au regard du crime et prétend que le mal ne triomphe jamais. Il est vrai que, selon ses dires, il n'a jamais connu l'échec ! Il sait aussi, de part son expérience et sa faculté de déduction, que ce double meurtre est forcément le fait d'un habitant de ce village et a déjà, grâce à la chance ou, comme il le dit, à la Providence, compris les grands traits de son caractère. Il sait aussi que lui, Napoléon Bonaparte, n'est pas le seul à pouvoir changer de nom et d’apparences et que les plus flagrantes sont parfois trompeuses. Il n'y a en effet pas que les policiers d'élite qui peuvent se cacher derrière une fausse identité. La société peut, elle aussi, offrir aux criminels un décor dans lequel ils peuvent aisément disparaître et ainsi se dérober à la vigilance de tous. Mais cela non plus n'a pas échappé à Bony !

    Il est par ailleurs certain que notre inspecteur n'a aucune parenté avec Don Quichotte, mais cette histoire de moulins à vent le tracasse d'autant que la fille du sergent qui l'a accueilli, c'est à dire qui a été de connivence avec lui pour son incarcération, a été enlevée et laissée pour morte dans la cabane où les victimes ont été retrouvées. Tout cela complique un peu cette enquête qui traîne en longueur mais finalement, et comme à l'accoutumée notre fin limier parviendra a expliquer tout cela et à confondre le coupable.

    La lecture d'un roman d'Upfield est toujours pour moi un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Dominique Bona, nouvelle académicienne.

    N°644– Avril 2013.

    Quelques mots sur Dominique Bona, nouvelle académicienne.

    Dans la période de crise économique que nous vivons actuellement, qui se double d'ailleurs d'une chute spectaculaire de confiance envers nos gouvernants et même envers les institutions, il est des informations qui peuvent parfaitement passer inaperçues. La politique intérieure, les soubresauts du Parlement, les débordements infantiles des membres de la Représentation Nationale, les mensonges éhontés d'un ministre de la République pourtant reconnu pour sa compétence, sa fuite digne d'un ennemi public puis son retour sur le devant de la scène en une lamentable et piteuse prestation judéo-chrétienne, le commentaire des matchs de foot et d'un attentat aux États-Unis, ont largement occulté l’élection de Dominique Bona à l’Académie Française.

    Je trouve, pour ma part, face à l'atmosphère de déliquescence actuelle, plutôt réconfortant que la culture nous réserve encore des nouvelles de cette nature. Le fait que les pensionnaires du Quai de Conti fassent de Dominique Bona une immortelle, qu'ils permettent ainsi aux femmes d'y être plus largement représentées [elle sera la 8° femme et y siéger) instillent d'une certaine manière une dimension plus jeune (elle sera la benjamine de cette vénérable institution) reste pour moi un excellente nouvelle. Je note d'ailleurs qu'elle a été élue, le 18/4/2013 au fauteuil n° 33, celui de Michel Mohrt [1914-2011] qui fut aussi celui de Voltaire ! Elle a obtenu au premier tour de scrutin, 15 voix sur 29 contre 8 à Philippe Meyer. Il y avait 10 candidats pour ce fauteuil.

    Née en 1953 à Perpignan, Dominique Bona est la fille d'Arthur Conte, homme politique, écrivain et PDG de l'ORTF. Elle est agrégée de Lettres Modernes a exercé en tant que journaliste à France-Inter et à France-Culture mais aussi au Figaro littéraire et au Journal du dimanche comme critique littéraire. Son oeuvre romanesque a été couronnée de multiples fois, notamment par le Prix Renaudot en 1998 pour "Le manuscrit de Port Ébène" et le Prix interallié en 1992 pour "Malika". Elle siège également comme membre du jury du Prix Renaudot depuis 1999. Pour autant, elle n'a pas négligé les biographies s'intéressant notamment à Stéphan Zweig, Romain Gary, Gala, Clara Malraux, Berthe Morisot...

    J'avais, depuis de nombreuses années suivi et commenté certaines de ses œuvres [La Feuille Volante n° 24 (Argentina)-150(Malika)-203(Le manuscrit de Port Ebène) notamment]. J'avais aussi été particulièrement sensible à la qualité de son ouvrage sur Roman Gary, par ailleurs couronné par l'Académie Française.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MONSTRE DU LAC FROME - Arthur Upfield

    N°643– Avril 2013.

    LE MONSTRE DU LAC FROME - Arthur Upfield 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Dans une exploitation du sud de l'Australie, près du lac Frome, un visiteur, Éric Maidstone, s'était présenté comme professeur en vacances et passionné de photographie. Il souhaitait réaliser un reportage sur les animaux de la région, le lac lui-même et les puits artésiens qui entourent l'exploitation de Quinambie. Cette dernière est située du côté de la clôture qui sert de protection contre les chiens sauvages et aussi sur la frontière qui sépare trois états de l'Australie méridionale. Pendant son temps de vacances il souhaitait habiter temporairement la maison du lac Frome, c'est à dire loin de tout. Pourtant, l'éloignement, le désert, n'étaient pas les seuls problèmes puisque les aborigènes parlaient d'un monstre qui hantait les lieux, un chameau meurtrier, mais ce n'était peut-être qu'une légende ! Les autochtones le craignaient parce que, disait-on, il s'attaquait à tout ce qui ressemblait à un homme. On suivit les traces de Maidstone qui devinrent de moins en moins visibles et on retrouva son cadavre percé d'une balle. Cette mort ne pouvait donc accréditer la fable du chameau mais il s'agissait bien d'un crime !

    L'inspecteur Napoléon Bonaparte qui souhaite surtout se faire appelé Bony, fut donc chargé de cette enquête, mais, pour être plus efficace dans la recherche des indices, et pour mieux pénétrer ce milieu des travailleurs de la clôture, il va se faire embaucher comme l'un d'eux, mais sous le nom de Ed Bonnay, c'est à dire cacher sa fonction de policier. S'il s'était annoncé de cette manière il aurait été repoussé voire éliminé parce que, il s'en rend vite compte, les flics ne sont pas les bienvenus dans cette région d’Australie. Pour autant, l'affaire se présente mal, pas d'indices, pas de mobile et évidemment pas de témoins mais c'est là une enquête difficile, comme Bony les affectionne, d'autant que la police locale n'était pas vraiment parvenue à l'élucider.

    Il a beau être à moitié aborigène, savoir lire les traces laissées sur le sable, connaître les légendes et les coutumes des autochtones, il n'est pas forcement accepté dans ce milieu très fermé de ces hommes durs à la tâche, souvent marginaux, plus ou moins repris de justice et surtout friands de leur liberté. Il a beau s'être fait passer pour un travailleur, ceux qui redoutent la présence des étrangers le soupçonnent de n'être pas exactement ce qu'il prétend être. Bony n'oublie pas non plus que les aborigènes sont un peuple mystérieux qui pratiquent des rites magiques comme la technique de "l'os pointé" qui est chez eux une véritable condamnation à mort et d'autres aussi comme notamment la transmission de pensée que les blancs ont depuis longtemps oubliée. Il se peut que le professeur ait vu ou fait quelque chose de contraire à leurs traditions pour avoir mérité la mort mais la présence d'une balle n'est pas vraiment dans leur culture. Et puis le désert rend fou ceux qui y restent trop longtemps !

    Fidèle à ses habitudes, et surtout après avoir réfléchi posément, longuement et observé les choses et les gens, Bony en arrive à la conclusion logique que les aborigènes savent qui a tué le professeur, mais n'en diront rien puisqu’ils détiennent un secret. Il craint aussi pour sa vie puisqu'il pourrait bien, lui aussi être leur prochaine victime mais, heureusement sait comment se libérer de leur emprise. Il sait aussi que la mort de Maidstone peut n'être qu'un simple accident puisqu'on ne lui a rien volé et que son matériel est intact, mais la région désertique favorise également le vol de bétail qui est fréquent mais difficile à empêcher.

    Tel est le thème de ce roman d'Arthur Upfield, passionnant, dépaysant, fort bien écrit et chargé en suspens, comme toujours ! J'ai découvert cet auteur il y a peu et j'avoue ne rien regretter. La lecture d'un de ses romans est à chaque fois une découverte ainsi qu'en atteste les nombreux articles que cette revue lui a consacrés.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA LOI DE LA TRIBU - Arthur Upfield

    N°642– Avril 2013.

    LA LOI DE LA TRIBU - Arthur Upfield 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Nous sommes dans le nord de l'Australie, à la frontière du désert. Dans "le lit de Lucifer" , c'est à dire dans un cratère creusé dans la bush par un météorite voilà de nombreuses années, on vient de retrouver le cadavre d'un homme blanc, un étranger. Bien entendu, l'inspecteur Napoléon Bonaparte, autrement dit Bony, est désigné par le gouvernement fédéral pour faire toute la lumière sur cette affaire criminelle. Pourtant aucun étranger n'a été signalé dans les exploitations les plus proches et le mystère s'épaissit avec le silence qui entoure cette affaire. La seule hypothèse avancée est qu’il serait tombé d'un avion, mais elle ne tient pas et le policier devra déterminer ce qu'il faisait avant sa mort et surtout la raison pour laquelle cet homme a pu pénétrer le territoire de la tribu sans que personne ne s'en rende compte. Bony est un sang-mêlé et à ce titre connaît bien les aborigènes et les noirs sauvages du désert et il sait donc que cet homme n'a pu traverser la région sans que les autochtones le sachent. Tout son talent va donc être de leur faire dire ce qu’ils savent, interpréter leur silence, lire les traces laissées sur le sable du désert... et il est sûrement le seul à pouvoir le faire.

    Dans ce roman, les relations parfois difficiles entre les communautés, blancs et aborigènes, sont juste esquissées. Ici, la ferme où se passe l'intrigue est tenue par un couple de blancs et les aborigènes semblent avoir du mal à les accepter. De plus, au cours du récit, le lecteur a un peu l'impression que la recherche de la vérité à propos de ce cadavre est parfois un peu oubliée .

    Dans ce récit, notre inspecteur donne toute sa mesure de la connaissance du pays profond, des tribus, de leurs lois, de leurs légendes, de leurs coutumes et de leurs habitudes autant qu'il se révèle un fin connaisseur de la psychologie des blancs et un audacieux joueur de poker puisque sa démarche d'enquêteur inclue aussi le pari. Bony démêle donc ce mystérieux meurtre et détermine sans difficulté les auteurs de ce crime lié à la politique expansionniste des pays voisins. Sans oublier bien sûr "l'amour qui fait marcher les étoiles et le soleil".

    Arthur Upfield quant à lui, établit une nouvelle fois, qu'il est le talentueux auteur de romans policiers ethnologiques. Il distille jusqu'à la fin le suspens avec des descriptions poétiques toujours appréciées.

    D'ordinaire, j'aime bien les romans d'Arthur Upfield mais ici, je dois avouer que le dénouement m'a un peu déçu. Cependant je reste attentif à l'atmosphère si particulière des romans d'Upfield.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA BRANCHE COUPEE - Arthur Upfield

    N°641– Avril 2013.

    LA BRANCHE COUPEE - Arthur Upfield - 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Cela fait trois années que la sécheresse sévit dans cette région désolée de la Nouvelle Galles du sud. Les Downer père et fils tentent d'y survivre avec un troupeau de plus en plus diminué et songent même à cesser leur activité d'éleveurs. En rentrant chez eux, après leur traditionnelle soûlerie annuelle, ils trouvent un inconnu mort et constate que leur employé, Carl Brandt a disparu. Rapidement, il apparaît que la première victime est Dickson, un prisonnier évadé et et Brandt a, lui aussi, été retrouvé mort apparemment assassiné. Devant ce double meurtre, Bony se perd en conjectures d'autant que les circonstances et les indices qu'il constate épaississent le mystère qui les entoure. Il doit faire appel à sa connaissance du terrain autant qu'à celle des hommes. En cela il est aidé, si on peut dire, par les toiles peintes par Robin Pointer, une jeune fille voisine des Downer qui souhaite épouser Eric, le fils, et aussi l'aider dans son combat contre la sécheresse. L'observation et surtout la compréhension de son art lui seront d'un grand secours dans la conclusion de son enquête. Comme l'endroit est quasiment désert, l'inspecteur Bony va s'installer chez Les Pointer et observer les lieux.

    Comme nous sommes en Australie, il y a aussi des aborigènes qui campent à proximité des habitations des éleveurs. Ils sont censés détenir le secret de la pluie et donc du renouveau de la région et c'est effectivement ce qui se produit. La pluie en tombant va aussi révéler des traces que la poussière du désert cachait jusqu'à présent. Bony n’oublie pas qu'il est un aussi sang-mêlé et donc qu'il détient au moins une partie de la clé de ce mystère dans la mesure où il peut lire dans la psychologie de ce peuple auquel il appartient. Il en connaît les rites et les coutumes et sait interpréter utilement un détail qui se révèle essentiel mais à côté duquel un enquêteur blanc passerait sans le voir. Mais il sait aussi lire, bien mieux qu'un blanc, dans le grand livre de la Brousse et comprendre ce peuple que les colons ont un peu trop tendance à considérer comme de arriérés ou des primitifs. Il est aussi réceptif à l'esprit des lieux, et apparemment, il est bien le seul. Héritier de deux cultures, il sait comprendre les éleveurs, leur psychologie, leurs aspirations, leur fierté aussi, le sens du moindre de leurs gestes. Comme le fait dire l'auteur à l'un des personnages, Bony est réellement quelqu'un qui est "hors du commun", un policier capable de démêler efficacement les fils compliqués d'une affaire criminelle.

    Cela donne encore une fois un roman fort bien écrit [les descriptions poétiques ont toujours retenu mon attention surtout quand elles s'inscrivent dans le cadre d'un roman policier], plein de rebondissements et qui tient, dans un dépaysement complet son lecteur en haleine jusqu'à la fin. Je n'oublierai pas non plus l'amour sans lequel aucun bon roman n'est possible. Comme nous le révèle la 4° de couverture reprenant un article de presse : "On commence à lire et, doucement, le récit tisse autour de vous une aura paisible, le bonheur dans la lecture"..

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Arthur Upfield (1888- 1964)

    N°640– Avril 2013.

    Quelques mots sur Arthur Upfield (1888- 1964)

    Drôle d'existence que celle d'Arthur Upfield. Né dans un milieu bourgeois aisé d'Angleterre, mais ayant échoué dans ses études, il est envoyé par ses parents en Australie à l'âge de 19 ans. Là, il découvre l'île-continent, les grands espaces et la vie sauvage. Pendant dix années, coupé de ses racines familiales il va voyager dans le pays et pour subsister, exerce divers petits métiers comme trappeur, manœuvre, chercheur d'or. Cela lui permet de se familiariser avec la culture aborigène, ce qui lui servira par la suite...En 1914 il part pour la guerre, combat en France et en Égypte et se marie. Il revient en Australie à la fin du conflit mondial.

    Alors qu'il était cuisinier en Nouvelle-Galles du Sud, il rencontre Tracker Léon, un métis avec qui, quelques années auparavant, il avait sillonné la côte. L'histoire de cet homme a quelque chose d'original : Fils d'un colon blanc et d'une aborigène exclue de sa tribu, il a fini par trouver un emploi dans la police du Queensland. Il est ainsi l'héritier de deux cultures mais a parfaitement assimiler l'apport occidental au point d'avoir une véritable passion pour la lecture. Au moment de se quitter, les deux hommes échangent des livres et Arthur hérite d'une biographie de l'empereur Napoléon 1°. Upfield qui avait déjà fait des débuts littéraires sans succès sut, à ce moment-là quel serait son véritable métier : Il deviendra écrivain ! D'après la biographie d'Upfield que sa compagne publia après sa mort, le personnage de l'inspecteur Bony lui a été inspiré par un authentique pisteur rattaché à la police et qu'il aurait rencontré lors de ses errances. Ainsi est né, probablement vers 1929, son personnage emblématique nommé Napoléon Bonaparte qui se fait appeler par tous Bony même s'il est en réalité la synthèse de différents aborigènes qu'il a rencontrés au cours de sa vie errante. Avec le publication de ses premières enquêtes en 1928, le succès est au rendez-vous.

    Tout l'art d'Upfield réside dans l’intrication étroite entre fiction et réalité. En 1931, Upfield avait écrit un roman "Les Sables de Windee". Il avait en effet travaillé long d'une clôture anti-lapins qui protégeait les champs de blé de ce prédateur. Son travail consistait à l'inspecter à cheval. Autour de cette expérience, Upfield avait imaginé un roman où on ferait disparaître un cadavre sans laisser de trace et un éleveur itinérant s'en servit pour perpétrer un crime. Cet épisode assura à Upfield une relative notoriété.

    Il tenta de vivre de sa plume, devint journaliste, ses romans policiers étant publiés sous forme de feuilletons. Ce n'est qu'en 1943 et après son divorce et la publication de ses romands aux États-Unis qu'il connut réellement la notoriété et une relative aisance financière. Ensuite, de retour en Australie, il devint scientifique et se consacra à l'exploration du nord et de l’ouest de l'île. Il se retira en Nouvelle-Galles du Sud où il mourut en 1964.

    Il est un personnage qui apparaît dans la plupart de ses romans à partir de 1920; c'est l'inspecteur Napoléon Bonaparte qui préfère qu'on l'appelle Bony. C'est certes un personnage de fiction mais il doit son existence à un ou plusieurs policiers bien réels et mérite de figurer parmi les grands détectives. tels que Sherlock Holmes, Hercule Poirot et le juge Ti [Mon lecteur pourra se référer au nombreux articles de cette revue au sujet de ce dernier enquêteur emblématique].

    Upfield a écrit une trentaines de romans qui sont publiés en langue française.

    Écrire des romans policiers et bel et bon mais l’originalité d'Upfield réside sûrement dans le fait qu'il a su tirer partie de son expérience pour mettre en œuvre un style policier particulier basé sur l’ethnologie. En effet, Bony qui est un sang-mêlé, ne manque jamais de faire référence à ses origines aborigènes et de s'en servir dans ses enquêtes.

    Des écrivains ont salué l'apport d'Upfiel à la littérature policière et l'Américain Tony Hillerman [1925-2008] a reconnu avoir été inspiré par l'Australien notamment par son travail sur l'ethnologie.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • BONY ET LA BANDE A KELLY - Arthur Upfield

    N°639– Avril 2013.

    BONY ET LA BANDE A KELLY - Arthur Upfield - 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Dans une région connue sous le nom de Cork Valley, en Nouvelle-Galles du Sud, les autorités ont depuis longtemps constaté nombre d'activités illicites sans pour autant pouvoir y mettre de l'ordre. Cette vallée toute entière dédiée aux clans irlandais vivait donc en vase clos et entendait bien continuer ainsi. Aussi bien était-elle soumise, par ses habitants eux-mêmes, au contrôle constant de tous les intrus qui étaient systématiquement soupçonnés de venir troubler leurs petits trafics. Cette communauté était foncièrement attachée à sa liberté et aux idéaux de ses ancêtres, se rebellait en permanence contre le monde politique et administratif composé à leurs yeux de profiteurs et de parasites. Le refus des taxes était leur manière à eux d'y manifester leur opposition. Il y avait eu différentes disparitions et notamment le meurtre d'un contrôleur des contributions qui traquait la production et le trafic d'alcool clandestin et les fraudes aux redevances de télévision. Il s'était fait passer pour un géologue. L'inspecteur Bony fut donc désigné pour enquêter mais à sa manière, c'est à dire en immersion complète dans ce milieu et sans lien avec l'extérieur. Pour cela et surtout pour se faire accepter dans cette vallée habitée par des Irlandais, les Kelly et les Conway, il se fait passer pour Nat Bonney, un voleur de chevaux en fuite et réussit à se faire engager comme ramasseur de pommes de terre dans une ferme habitée par les Conway, retors à tout ce qui est légal et spécialement aux impôts et taxes. Bien que loin du bush qu'il connaît bien, Bony parvient à se faire accepter par cette communauté et c'est plutôt favorable au succès de sa mission.

    Il joue même tellement bien son rôle, il entretient tellement régulièrement l'illusion qu'il est un voleur de chevaux en délicatesse avec la loi et la police qu'il est carrément adopté par les Conway et qu'il est regardé comme l'un des leurs, bien qu'il ne soit pas Irlandais. Son entreprise de séduction auprès des différents membres de cette communauté est telle qu'il participe volontairement à des activités de contrebande pour mieux donner le change. De fait, personne ne semble se méfier de lui d'autant qu'il a donné à plusieurs reprises des marques d'attachement à ces Irlandais. Son enquête ne peut que profiter de cette ambiance de confiance.

    Le 1° juillet approchait et cette date anniversaire célébrée par la communauté allait aussi attirer du monde dans cette vallée. Cette fête qui devait durer 3 jours retraçait la disparition de "la bande à Ned Kelly" en 1880. Elle avait été exterminée dans le "Glenrowan hotel" par la police à la suite d'une erreur 'appréciation, mais c'était d'autant plus inacceptable pour eux que ces policiers étaient d'origine irlandaise ! Certes, Bony se sentait bien au sein de cette communauté, mais, en bon policier, ne perdait pas de vue sa mission : faire toute la lumière sur la disparition du contrôleur des contributions. Les préparatifs de la fête allaient immanquablement relâcher quelque peu l'attention, l'alcool délier les langues et favoriser les confidences et donc les investigations de Bony. Malheureusement pour les Irlandais, l'histoire bégaie .

    Je suis toujours attentif aux enquêtes de Bony, à la fois bien menées, bien écrites et ménageant le suspens jusqu'à la fin, mais là, j'avoue que ce roman manque un peu de souffle et s'égare un peu dans des détails un peu inutiles.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Tenessee Williams[1911-1983]

    N°638– Avril 2013.

    Quelques mots sur Tenessee Williams[1911-1983]

    Mort oublié dans une chambre d'hôtel new yorkais , Tennessee Williams est un écrivain américain, auteur de nombreuses pièces de théâtre dont la plupart ont été portées à l'écran. Il a également écrit des romans, des poèmes et des nouvelles mais il est plus spécialement connu en tant que dramaturge. Connu, ce n'est pas si sûr puisque si les films qui ont été réalisés à partir de son œuvre, qui ont fait le tour du monde et dont les titres restent dans la mémoire collective ["Une chatte sur un toit brûlant", "Soudain, l'été dernier", "Un tramway nommé désir", "La nuit de l’iguane"], son nom est bien souvent passé sous silence au profit de metteurs en scène célèbres [ Richard Brooks, Joseph Mankiewicz, Elia Kazan] et surtout d'acteurs [Élisabeth Taylor, Katherine Hepburn, Vivian Leigh, Paul Newman, Marlon Brando, Burt Lancaster ]. Il doit sa notoriété au cinéma mais, paradoxalement peut-être, il déclarait volontiers qu'il n'aimait guère les adaptations cinématographiques de ses œuvres.

    En France, il a été évoqué dans la très belle chanson [paroles et musique] de Michel Berger interprétée par la voix cassée et pour une fois mélancolique de Johnny Hallyday. Pourtant, si on ne prête pas attention aux paroles pourtant explicites, beaucoup de nos contemporains ont tendance à n'y voir qu'une allusion... à un état des États-Unis !

    Thomas Lainer Williams [son surnom de Tennessee ne viendra que plus tard en hommage à son sud natal] est né dans l’État du Mississippi. Il passe son enfance avec sa mère et sa sœur Rose chez ses grands parents maternels. Son père, alcoolique et joueur et qu'il déteste, est le plus souvent absent . Thomas tombe gravement malade à l'âge de 5 ans et commence à écrire sous les encouragements de sa sœur. En 1928, il est alors adolescent, il effectue avec son grand-père maternel qu'il adore un voyage en Europe. Pendant ce périple il prend conscience de son homosexualité [Déjà son père l’appelait "Miss Nancy" parce que, rescapé d'une diphtérie, il était chouchouté par sa mère] mais aussi de sa vocation d'écrivain. En 1937, après que la schizophrénie de Rose ait été diagnostiquée et qu'elle eut subi une lobotomie qui l'a laissée très diminuée, il rompt avec sa famille, part pour New-York où il exerce divers petits métiers qui lui laissent du temps pour écrire. En 1943, à l'entrée en guerre des États-Unis, il est réformé pour homosexualité, alcoolisme et troubles nerveux et cardiaques. Il tente alors sa chance à Hollywood comme adaptateur de romans chez MGM à laquelle il propose une de ses œuvres où il met en scène sa mère et sa sœur. C'est un échec. Il réécrit ce texte qui devint une pièce autobiographique, "La ménagerie de verre" qui, montée à New-York, aura un succès inattendu et consacrera sa notoriété. Il a alors 34 ans. Puis suivront une vingtaine de pièces, toutes montée à Broadway. Ce sera, en 1948 "Un tramway nommé désir" que met en scène Elia Kazan et qui consacrera un nouvel acteur, Marlon Brando. Cette œuvre sera adaptée en France par Jean Cocteau. Avec ce film en 1948 puis avec "Une chatte sur un toit brûlant" en 1955 il remporte par deux fois le Prix Pulitzer.

    Son œuvre met en scène des personnages marginaux, écorchés-vifs, frustrés, fragiles, solitaires et en butte contre la société comme il l'était lui-même. Ses personnages sont souvent coincés entre la réalité et leurs illusions["Cette force qui nous pousse vers l'infini y a un peu d'amour avec tellement d'envie, si peu d'amour avec tellement de bruit"] leurs fantasmes sexuels["Un tramway nommé désir"], leur mémoire ["La ménagerie de verre"] "l'inconscience de leurs désirs.["Cette volonté de prolonger la nuit, ce désir fou de vivre une autre vie, ce rêve en nous avec ses mots à lui"].

    Ses pièces de théâtre font toutes référence à sa biographie et il y parle bien entendu de l'homosexualité, mais à mots couverts ("Une chatte sur un toit brûlant"). Tennessee Williams était homosexuel, pourtant, les personnages de ses pièces ne le sont pas ouvertement, ou ils sont morts avant le lever de rideau. Il est vrai qu'il ne fallait pas choquer la très puritaine Amérique des années 50. Il semblerait même qu'il n'aurait pas été favorable à un militantisme homosexuel. Pourtant, il n'affichera sa préférence sexuelle qu'à la fin de sa vie, menant une relation longue avec Franck Merlo. Sa mort en 1963 le laissera définitivement meurtri, s'adonnant sans frein à l'alcool et à la drogue. Pourtant, il est un fait que toute la vie de Williams a été vouée à tous le excès. Michel Berger évoque très bien cela " Le corps en fièvre et le corps démoli, avec cette formidable envie de vie". Il lui survivra cependant mais il s'éteindra à New-York en 1983 dans un relatif anonymat. .["Comme une étoile qui s'éteint dans la nuit, à l'heure où d'autre s'aiment à la folie, sans aucun éclat et sans un bruit, sans un seul amour et sans un seul ami, ainsi disparut Tennessee"].

    Il a, comme chacun d'entre nous, fait son parcours original et douloureux sur terre. Son œuvre en a gardé la mémoire, témoigne de ses espoirs, de ses fantasmes, de ses peurs, de ses échecs ["Cette volonté de prolonger la nuit, ce désir fou de vivre une autre vie, ce rêve en nous avec ses mots à lui." "A certaines heures de la nuit, quand le cœur de la ville s'est endormi, il flotte un sentiment comme une envie"]. Il reste, aux États-Unis en tout cas, un auteur majeur.

    On ne peut, évidemment, limiter l'évocation d'un écrivain aussi considérable que Tennessee Williams aux paroles d'une chansons si belle soit-elle, mais j'ai voulu, dans ce court article lui rendre ce modeste hommage, en prélude peut-être au trentième anniversaire de sa mort, cette année.

    Montaigne l'a dit autrement mais cette chanson garde son empreinte, celle de la condition humaine qui nous est commune " On a tous en nous quelque chose de Tennessee".

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • THE MELBOURNE CUP MYSTERY – Arthur Upfield

    N°637– Mars 2013.

    THE MELBOURNE CUP MYSTERY – Arthur Upfield - Éditions de l'Aube.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Le festival de course de printemps d'Australie est un événement international en matière de courses de pur-sang. La coupe de Melbourne en est le moment le plus attendu et les courses de chevaux font partie intégrante de la culture australienne. Ce roman connu sous le nom du "Pari fou à la course de Melbourne" met en scène deux amis, Roy Masters et Dick Cusack, qui sont amoureux de la même femme, la belle Diana Ross. Diana est non seulement jeune et jolie, mais elle est aussi l'héritière d'une immense fortune bâtie sur le commerce avec la Chine. Cette dernière, ne voulant choisir entre eux, avoue leur préférer un homme exceptionnel comme un constructeur de ponts ou un homme politique célèbre. Or l'un est éleveur et l'autre commerçant. Elles leur laisse cependant une chance infime : elle épousera celui des deux dont le cheval gagnera la Melbourne Cup. Tout cela est bel et bon, mais si ses deux prétendants sont effectivement propriétaires, ils ne possèdent que des chevaux de fiacre. Pour ne pas paraître ridicules, ils acceptent donc tout en se disant que la solution de leur problème réside peut-être dans le dopage de leurs champions, mais ils ont du mal à accepter cette éventualité. Malheureusement il y a un troisième larron, l'argentin José Alvery, un homme riche et beau qui va concourir pour Diana dans les mêmes conditions que Dick et Roy, sauf que son cheval à lui est un crack ! Pour autant rien n'est sûr et la jeune femme laisse planer un doute quant à son éventuel mariage que son tuteur ne souhaite pourtant pas pour des raison affectives.

    Pourtant, ce qui n'est qu'un pari ridicule va prendre des proportions inattendues, le cheval de Roy est victime d'un dopage criminel visant à le détruire et il y a même une tentative nocturne de même nature dans les jours qui suivent. Alvery, quant à lui, semble en savoir beaucoup sur Diana. A mesure que le cheval de Roy s'améliore grâce à son jockey et menace de gagner, les ennuis continuent. Le jour de la Melbourne Cup, les événements se précipitent, des chevaux de Roy et de Dick sont tués et de vielles histoires qu'on croyaient oubliées depuis longtemps refont surface mais aussi des questions d'intérêt et de gros sous où la pègre a, bien entendu, sa place.

    Je ne sais pas pourquoi mais le thème du départ, à savoir ce pari dont une femme était, de sa propre volonté, l'enjeu ne m'a pas accroché. Je le trouvais un peu artificiel. D'autre part, la première partie du roman qui tourne autour de l’entraînement des chevaux de courses et des inévitables trafics qui s'ensuivent m'a un peu rebuté. Ce n'est que vers la fin que ce roman prend sa véritable dimension policière et donc aussi son intérêt, même si le happy-end amoureux, toujours un peu convenu, m'a aussi un peu déçu.

    Ce roman a été inspiré par la mort, en 1932, de Phar Lap, un des plus célèbres chevaux de course australien, à la suite de l'absorption d'une grande quantité d'arsenic. En 1930, il avait remporté la Melbourne Cup et on tira sur lui sans que la police puisse identifier le coupable. Ce roman date de 1933 et fut écrit pour être publié en feuilleton et ne fut édité en France qu'en 1996, soit trente ans après la mort de son auteur. A cette époque Upfield était employé comme rédacteur au journal "The Herald", à Melbourne et avait déjà commencé à publier quelques romans dont "Les sables de Windee" qui lui avait, un peu malgré lui, apporté la notoriété puisqu'un meurtrier s'était inspiré de cette œuvre policière.

    "The Melbourne Cup mystery" est le premier roman d'Arthur Upfield que je lis où Bony, l'emblématique inspecteur Napoléon Bonaparte, n'est pas mis en scène. J'avoue que j'aime mieux l'ambiance du bush, que je ne connais cependant pas, et la personnalité singulière de ce policier. Il reste que l'écriture de Upfield est originale et sa manière de distiller le suspense est unique.

    © Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'EMPREINTE DU DIABLE – Arthur Upfield

    N°636– Mars 2013.

    L'EMPREINTE DU DIABLE – Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Parce que le "Chalet du Panorama" offre le calme d'une belle pension dans l'état du Victoria, l'inspecteur Bony s'y rend pour une courte période de vacances. Est-ce lui qui attire les ennuis, en tout cas on découvre au matin le cadavre en robe de chambre de M. Grumann, un autre pensionnaire. Le même jour, l'officier de police local venu faire les premières constations est assassiné par un homme qui se prétend l'ami de M. Grumann et qui, après son forfait, prend la fuite. Cela fait un peu beaucoup et surtout que ce n'est pas une bonne publicité pour cette petite pension réputée calme et dirigée par Mlle Jade.

    En réalité, si Bony est sur place, c'est moins pour prendre des vacances que pour surveiller, et ce pour une fois pour le compte de l'armée, ce M. Grumann qui en réalité est un général allemand, officiellement mort à la fin de la 2° guerre mondiale, et qui détient des secrets militaires. Pour corser le tout, les bagages de ce général ont disparu et celui qui l'a assassiné, Marcus, s'avère être un dangereux trafiquant de drogue international. Bony évoque même à son sujet un auteur de romans policiers local.

    A la suite de péripéties, notre limier finit par récupérer ce que détenait l'ex officier allemand sous forme de micro-films. Sa mission officielle est donc terminée. Bony reste cependant un policier et bien qu'il n'en soit pas chargé et qu'il ne soit pas dans sa circonscription, souhaite éclaircir le mystère de la mort de ce général. Dans ce but, il revient au chalet terminer ses "vacances" tant le séjour lui est agréable, à moins que ce ne soit le charme de son hôtesse ! Le battage fait autour de ce double meurtre a attiré d'autres pensionnaires et, avec la collaboration active de Bisker, un homme à tout faire du chalet, il entreprend des recherches qui tournent autour d'empreintes laissées par un homme qui chausse... du 46 et qu'il soupçonne d'être pour quelque chose dans le meurtre de Grumann. Les empreintes laissées sur la pelouse sont attribuées ... au diable, tant elles sont étranges.

    Pour autant Bony ne perd pas de vue son idée et son histoire de chaussures devient presque obsédante au point qu'il observe maintenant tous ceux qu'il croise... et la dimension de leurs pieds ! Je ne parle même pas des traces qu'ils laissent sur le sol en se déplaçant puisque ce détail n'échappe pas au demi-aborigène qu'il est aussi. Au cours de ses investigations, il apprend que Clarence Bagshott, l'écrivain local, par ailleurs bien bizarre dans son comportement et dans son histoire, chausse du 46 !

    Tout cela finira par s’éclaircir, mais laborieusement quand même et les explications fournies ramène le lecteur à la Seconde Guerre mondiale et ses activités d'espionnage.

    Comme toujours, j'ai trouvé ce roman passionnant du début à la fin non seulement à cause du suspense lentement distillé mais je n'ai pas été insensible non plus aux descriptions des paysages..

    © Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CRIME AU SOMMET – Arthur Upfield

    N°635– Mars 2013.

    CRIME AU SOMMET – Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Cinq mois plus tôt, deux randonneuses ont disparu dans les montagnes australiennes du Grampians et le jeune inspecteur Price, parti à leur recherche, a été retrouvé mort, tué par balle. Napoléon Bonaparte, alias Bony, inspecteur de police de son état, va donc mener son enquête mais, pour protéger sa vie se fait passer pour John Parkes un éleveur modeste d'une autre région qui prend des vacances pour la première fois de sa vie. Il descend bien entendu dans l’hôtel de Baden Park, là où les deux jeunes filles ont été vues avant leur disparition.

    L’hôtel est à peu près désert à cette période de l'année et Bony y rencontre le patron, Jim Simpson et sa sœur, le père de ces derniers, infirme, alcoolique et un peu malveillant qui parle un peu trop au goût de ses enfants et notamment d'un cadavre qui serait dans le cellier. Le policier y rencontre aussi un perroquet bien bavard et quelque peu irrespectueux. L'esprit toujours en éveil de Bony ne manque pas d'être impressionné par le patron, Jim, et sa curieuse habitude de jouer de l'orgue mais surtout de porter des vêtements élégants, de rouler dans une voiture luxueuse, ce qui est plutôt surprenant dans ce coin perdu. Toujours à l’affût, il sympathise avec le père du patron qui lui parle d'un employé, Ted O'Brien, viré parce qu'il fréquentait d'un peu trop près le cellier, mais seulement après la disparition des deux jeunes filles. Il a été remplacé par Glen Shraron, un américain, accessoirement lanceur de couteaux.

    Bony ne manque pas de mener discrètement des investigations dans les alentours de l'établissement mais le vieux Simpson se révèle plus matois et hâbleur qu'il ne l'aurait cru. Le policier remarque cependant qu'il existe des contradictions et même des zones d'ombre dans le rapport d'enquête et ne laisse d'être intrigué par les voisins de l'hôtel mais aussi par Jim qu'il découvre vantard et menteur et par son employé américain. Apparemment tous les deux s'intéressent à lui et notre policier subodore un trafic de moutons, de pierres précieuses et s'interroge sur la raison de cette clôture qui protège la propriété des voisins de l'hôtel. Puis les choses s'accélèrent et Bony doit quitter l'hôtel en catastrophe, prié de déguerpir par le patron lui-même. L'enquête que Bony a entamée ayant ainsi quelque peu été contrariée, il n'est pas homme à se laisser décourager et, pour mener à bien sa mission, il opéra une transformation au terme de laquelle, en se fondant dans la nature, il renouera en quelque sorte avec ses gènes. Il est en effet un métis qui a vécu dans sa jeunesse chez les aborigènes du bush et sait parfaitement maîtriser une telle situation. Il sera secondé par la chance qui lui procurera un allié inattendu, vivra bien des rebondissements et parviendra à reconstituer le cheminement criminel et, bien entendu, par mener à bien sa mission qui est de libérer les deux jeunes filles.

    Bony est vaniteux, très conscient de sa supériorité qu'il tient d'un mélange de logique occidentale et de bon-sens aborigène, mais cela ne le rend pas antipathique pour autant. Je note cependant que dans ce roman, il est mis en présence d'un cadavre, ce qui suffit à la déstabiliser durablement. C'est sans doute très étonnant dans le cas d'un inspecteur de police de sa qualité mais, sur le plan de l'écriture, j'ai particulièrement apprécié l'évocation de cette scène autant que la description des paysages grandioses. J'ai goûté ce roman qui se lit facilement grâce au style agréable, au découpage en courts chapitres et à la subtile distillation du suspense. En outre, je ne dirai jamais assez l’importance de la traduction qui, ici offre un texte fluide et un grand confort de lecture. L'intrigue, même si elle évoque à la fin un trésor de guerre et prend donc une dimension internationale, a au moins l'avantage de solliciter l’imagination du lecteur.

    Je suis volontiers entrer de plain-pied dans l'univers de cet auteur que je ne connaissais pas. Je ne regrette pas !

    © Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MEANDRE DU FOU – Arthur Upfield

    N°634– Mars 2013.

    LE MEANDRE DU FOU – Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Une maison isolée, au centre d'une grande propriété dédiée à l'élevage des ovins, celle de Madden, est construite sur le méandre d'un fleuve maintenant à sec à cette saison. Nous sommes dans la région de Quennsland (Australie). Cette maison est habitée par Bill Lush, le second mari de Mme Madden, ancien ouvrier devenu éleveur par son mariage, par sa femme et par Jill, 19 ans, sa belle-fille.

    Un soir où Bill rentre soûl comme à son habitude, un drame se joue dans cette maison et Mme Madden meurt le lendemain des mauvais traitements qui lui ont été infligés par son mari pour une sordide question d'argent. Le lendemain, Bill est introuvable, ce qui inquiète les autorités. L'inspecteur Napoléon Bonaparte, Bonny pour ses amis qui sont nombreux, et qui se préparait à partir en vacances se charge lui-même de cette enquête. John Lucas, le gendarme local sera son adjoint. Il y a peu d'indices, la porte d'entrée, neuve, a été remplacée en catastophe par une plus ancienne puis brûlée, à la demande de sa mère pour éviter le scandale. Jill avait tiré dans sa direction avec sa carabine pour éloigner Bill qui commençait à la défoncer avec une hache et menaçait ses occupantes. De plus, il y a un trou dans le plafond qui correspond au calibre de l'arme de Jill et c'est à peu près tout. Bony envisage toutes les hypothèses depuis le fuite de Lush ou un banal accident jusqu'à son assassinat par Jill qui a d'ailleurs pas mal de raisons pour cela. Au cours de son enquête il apprend à mieux la connaître ce qui tranche avec son impression première.

    D'autre part, ses investigations lui apprennent que Lush était un sale type que beaucoup aimeraient voir mort, ce qui multiplie les suspects. Il n'en manque pas parmi tous ceux, trimardeurs ou gens du coin, tous avec un casier judiciaire plus ou moins chargé, qui, le soir de la disparition de Bill, étaient dans le coin. Malheureusement pour lui, le mobile lui échappe et semble même inexistant. Bony s'installe donc dans cette maison dans l'attente éventuelle venue de Bill qu'il veut arrêter pour le meurtre de sa femme puis dans celle des voisins, les Cosgrove. Dehors la crue du fleuve menace et la pluie s'est mise à tomber. Tout cela va faire disparaître les rares traces qui subsistent encore. Le temps presse donc d'autant que le lit du fleuve, maintenant plein d'eau, entrave son enquête. Elle prend un tour nouveau par la découverte du corps de Bill atteint d'un balle mortelle mais qui cependant pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses.

    Décidément, je le trouve bien ce Bony ! C'est une sorte d'Hercule Poirot qui prend son temps pour démêler le nœud gordien d'une enquête compliquée, fait bon marché de la procédure et des règlements, méprise la hiérarchie. Bref, c'est un enquêter un peu atypique, qui agit à son rythme et selon ses méthodes, accepte de se remettre en question et combat autant les évidences que ses inclinations naturelles. Il est têtu, tenace et même, à l'occasion un peu joueur. Ici le lecteur sent qu'il aime bien Jill et qu'il la soupçonne fortement d'être la meurtrière de son beau-père. L'important est que tout cela débouche sur une réponse satisfaisante. Malheureusement ici, son allié traditionnel qu'est le temps lui fait faux bon et il n'aura pas trop de son talent, de sa capacité de déduction et surtout de son indéfectible chance pour conclure.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA MAISON MALEFIQUE - Arthur Upfield



    N°633– Mars 2013.

    LA MAISON MALEFIQUE - Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Étrange affaire dont le titre rappelle un peu un "Agatha Christie" pour le non-moins étrange inspecteur Napoléon Bonaparte, Bony pour les amis, qui s'est volontairement chargé de cette enquête. De quoi s'agit-il donc ? On a retrouvé, flottant sur l'étendue d'eau qui entoure la magnifique maison des Answerth, le cadavre étranglé de la mère, 69 ans, seconde épouse de Jacob Answerth qui s'est lui-même suicidé d'une balle dans la tête, il y a quelques années alors que sa situation financière était prospère et qu'il n'avait aucune raison particulière pour cela. Ce n'est pas la première mort suspecte constatée dans le coin puisque un boucher du nom de Ed Carlow a subi le même sort quelques mois auparavant et il y aura même, durant l'enquête, une tentative avortée suivie d'un autre meurtre.

    Dans la maison-île vivent les trois héritiers de cette famille : Mary, 44 ans, la terreur de la maison, aussi hommasse et violente que Janet, sa sœur de 41 ans est douce et artiste, et Morice, 27 ans, leur demi-frère, attardé mental mais athlétique et demeuré en enfance. Avec eux vivent deux employés, le cuisinier et ancien chef des gardiens de troupeaux, Albert Blaze et Mrs Leeper, également cuisinière et dédiée à la bonne tenue de cette grande maison. Elle a cependant a été infirmière en chef dans un hôpital psychiatrique et rêve d'ouvrir son propre établissement.

    Il reste donc à notre fin limier, venu tout exprès de Brisbane (Australie), à enquêter et découvrir l'origine de la fortune, semble-t-il douteuse de Ed Carlow qui aurait peut-être un rapport avec le meurtre de Mrs Answerth d'autant que cette famille s'est enrichie pendant des générations en massacrant les aborigènes, spoliant les gens et détruisant la nature. Il y sera aidé par ses origines puisqu'il est un métis australien, élevé dans une tribu du bush qu'il connaît bien et qu'il partage avec ces peuplades l'amour de la nature. Il témoigne d'une bonne dose de pragmatisme, use de psychologie, de patience, de méthode, met en œuvre des idées originales qui, à ses yeux, justifient un meurtre et recherche inlassablement dans le passé, dans les secrets de famille, ce qui peut l'expliquer. Il a décidément beaucoup de flair et cela ne s'applique pas uniquement à sa capacité de déduction et à son sens des réalités.

    Il se moque de la hiérarchie, de la bureaucratie et de la "politique du résultat", assemble patiemment tous les morceaux du puzzle, remettant sans cesse en question les évidences et les apparences. Il obtient souvent des renseignements là où d'autres échouent. Il en conçoit même une certaine suffisance, ce qui ne le rend pas antipathique pour autant.

    Reste cette "Maison Maléfique" où règne une atmosphère étrange. Elle tire son surnom du malheur qui s'accroche à elle et à ses habitants ou peut-être à cause de "l'os pointé" par les aborigènes sur ceux qui les ont exterminés, une sorte de malédiction dont l'eau qui entoure ce manoir n'est que la marque visible...

    J'ai trouvé ce roman passionnant du début à la fin, le suspense y étant lentement distillé au rythme des investigations de cet inspecteur décidément attachant.

    J'avoue que je ne connaissais pas Arthur Upfield [1888-1964], reconnu comme le père du polar ethnologique et qui est un auteur prolifique puisqu'il a publié 33 romans. J'ai apprécié l'ambiance de ce roman, la manière tout en nuances de procéder de Bony autant que le dépaysement né des évocations poétiques de ces paysages. Cet ouvrage est pour moi l’invitation à explorer davantage l'univers de cet auteur.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE TEMPS DE GRÂCE- Maria Judite de Carvalho

    N°632– Mars 2013.

    LE TEMPS DE GRÂCE- Maria Judite de Carvalho - Éditons de la Différence.

    Traduit du portugais par Simone Biberfeld.

    Mateus Silva revient 25 ans après dans la maison de son enfance, au bord de la mer, dans le but de la vendre puisqu'il a besoin d'argent. Cet argent, ce n'est pas pour lui qui vit de peu comme un simple employé de bureau qu'il est, mais pour sa compagne, Alberta, gravement malade et qui va mourir. Elle a toute sa vie voulu voir l'Acropole et souhaiterait réaliser ce vœux. La vente de la maison de son compagnon est uniquement destinée à cela. Mateus, quant à lui, ne met aucun regret dans cette transaction, c'est plutôt pour lui une occasion de tourner la page de son enfance et sans cette circonstance il ne l’aurait probablement pas fait. Pourtant, sans le savoir, il va réveiller des fantômes.

    Il va donc rencontrer José Osorio, l'ancien voisin de ses parents, propriétaire d'une petite usine et d'immeubles de rapport, qui s'est porté acquéreur de la bâtisse. Il est aussi le père de Jorge qu'on appelait amicalement Ginho, l'ami d'enfance de Mateus, son complice de jeux. Il est maintenant médecin à Lisbonne et va faire un riche mariage qui fera de lui un notable, exactement le contraire de Mateus. Ses parents sont évidemment fiers de lui, beaucoup plus que de leur fille, Natalia née bien après et qui ne survit que grâce aux subsides de ses parents.

    Mateus retrouve aussi Mercês, la mère de Ginho et donc l'épouse de José. Cette femme l'a fait rêver quand elle était jeune tant elle était belle. Elle n'a pas fait rêver que lui d'ailleurs, son père a été son amant ce qui a provoqué la séparation des parents de Mateus, la fuite de ce père inconstant et sa mort à l'étranger quelques années plus tard. Sa mère s'est installée comme modiste et survécu péniblement à Lisbonne avec son fils. Puisque ses deux parents sont morts maintenant depuis longtemps et qu'il ne viendra jamais habiter ici, Mateus se sent capable de vendre cette maison et aussi peut-être de se débarrasser de ses mauvais souvenirs.

    De cette foucade de son épouse, José n'a peut-être rien su ou a fait semblant de ne rien voir. Pour éviter le scandale ou parce qu'un divorce nuit aux affaires, il a gardé cette femme, la mère de ses enfants, malgré ses autres aventures amoureuses. Autrement dit, il a préféré le cocuage à la solitude mais elle a considéré que sa beauté méritait bien l'hommage de bien d'autres hommes. Leur vie s'est organisée ainsi, dans le mensonge et l'hypocrisie et l'entrevue qu'ils ont avec Mateus à propos de cette transaction est emprunte de ces mêmes non-dits.

    Maintenant le temps a passé, la maison de famille est bien délabrée à force d'avoir été fermée pendant si longtemps et José sent qu'il fera une bonne affaire en l'achetant. Il sait qu'elle est bradée et songe même à la démolir. Ginho ne sera jamais plus le complice de Mateus et ils n'auraient sans doute plus rien à se dire s'ils se rencontraient, quant à Mercês, elle a vieilli et sa légendaire beauté s'est fanée.

    Mateus n'est pas heureux dans sa vie, ni dans son bureau de Lisbonne où il n'est qu'un banal employé sans envergure, ni à la maison avec Alberta dont il s’accommode de la présence faute de pouvoir faire autrement. Il ne l’aime guère mais veut lui faire l'ultime cadeau de ce voyage dont elle a toujours rêvé. Il sait cependant qu'elle n'en aura pas le temps. Il se console en se disant que bientôt, quand sa compagne sera morte, il sera seul et c'est sans doute ce qu'il attend parce que, malgré les circonstances, il ne conçoit pas sa vie différemment. Libre et adulte enfin, il sera probablement heureux mais il y a fort à parier que la vie qui l'attend ne sera pas vraiment différente de celle qu'il mène actuellement. Puis viendra son tour d'entrer dans la mort, parce que la condition humaine est ainsi faite et que nous sommes tous mortels. Quant à l’isolement connaissent les différents personnages de ce roman et malgré toutes les formes qu'il peut prendre dans chacune de leur vie, Maria Judite de Carvalho semble nous dire qu'il est inné et baigné par l’égoïsme. Doit-on y voir une apologie de la solitude ? Peut-être. Mateus vit avec une femme qu'il n'aime plus, parce qu'"amour" ne rime pas avec "toujours" et que tout s'use. Nous ne savons rien d'elle mais elle aussi a pu exercer son libre-arbitre dans le passé. Il ne l'a probablement jamais aimée mais a tenté avec elle une liaison pour faire semblant de vivre... En vain et il n'attend que sa mort pour être enfin lui-même même si ce n'est pas vraiment différent d'avant. Mercês ne vit maintenant plus que dans le souvenir de ses foucades amoureuses passées, Ginho est lointain, plus passionné par son métier que par sa mère qui a trahi son mari et ses enfants et Natalia est complètement désorientée. José n'est plus maintenant intéressé que par l'argent. Il est un fait que, dans cette vie, si on ne veut pas être trahi, mieux vaut vivre seul !

    Je suis entré dans ce récit non seulement peut-être parce qu'il m'a semblé qu'il incarnait l'âme lusitanienne, cette sorte de saudade si caractéristique mais aussi, et peut-être surtout parce qu'il est le reflet de bien des vies. Le livre refermé, il me reste une sorte de mélancolie que je ne refuse pas pour moi-même et que j'aime tant retrouver chez Fernando Pessoa dont cette chronique s’est souvent fait l'écho.

    Je ne connaissais pas Maria Judite de Carvalho [1921-1998] avant d'avoir lu ce bref roman. Le style n'est guère orignal et l'écriture est plutôt minimaliste mais pas désagréable à lire. Quant au sujet traité, il est existentiel et même un peu angoissant, mais finalement est le reflet de la vie.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • MADRID, CETTE ANNEE-LA- Daniel Chavarría

    N°631– Février 2013.

    MADRID, CETTE ANNEE-LA- Daniel Chavarría.

    Traduit de l'espagnol par Hélène Gisbert.

    Nous avons tous dans notre mémoire des souvenirs qui y sommeillent ou qui y macèrent suivant qu'ils sont bons ou mauvais. Même pour nous, il n'est pas aisé d'y mettre des mots, de les exprimer pour les exorciser, les apaiser et ainsi de nous en libérer, pour qu'ils aillent rejoindre la cohorte des choses qui font notre expérience de cette vie. Cela peut prendre la forme d'un simple aveu intime ou d'une confession publique mais l'émotion est toujours là puisqu'une telle démarche, quelle que forme qu'elle prenne n'est jamais anodine.

    La lecture de la quatrième de couverture nous apprend que ce récit est une histoire vraie que Chavarría choisit de faire partager à son lecteur sous la forme d'une fiction avec toutes les modifications que cela implique. Après presque quarante années de silence, il exhume une vision que, même marié et père de famille, il n'est jamais parvenu à oublier. C'était en 1953, il n'était pas très riche, avait alors dix neuf ans, l'âge de tous les possibles, et il avait résolu de quitter sa famille en Uruguay pour aller vivre en Europe et y apprendre l'art, le théâtre... Il s'embarqua donc sur un transatlantique où il rencontra une femme, Gaby, dont il tomba instantanément amoureux. Elle était tellement belle que cette vision tint pour lui de l'apparition Malheureusement, même si elle voyageait seule, elle était mariée et heureuse en amour. Pour corser le tout, lui, bien que précoce à bien des égards, était naturellement timide. Il se dit qu'un bateau qui effectue ainsi une aussi longue traversée est un microcosme où tout est possible, mais la passade qu'il espérait ne se réalise pas. Accostant en Espagne, il improvise pour palier son manque d'argent, se fait guide au musée du Prado, mais cette femme qu'il suit toujours autant par admiration que dans le fol espoir de partager son lit se révèle enceinte, mais pas de son mari. Pour autant, touché par cette histoire, il décide de l'aider mais elle se résout à rejoindre Kurt, le père de son enfant, en Allemagne. Devant un tel revirement de situation, Daniel choisit le voyage pour se guérir de cette femme mais finit par rencontrer Kurt et prend conscience que Gaby n'est rien d'autre qu'une manipulatrice capable des plus horribles mensonges. Du coup, l'image idyllique du début en prend un sérieux coup.

    J'ai entamé la lecture de ce livre à cause de la vie de Daniel Chavarría (né en 1933 en Uruguay) qui est un véritable roman. Effet, avant de devenir écrivain et professeur de littérature classique à l'université de La Havanne, il a fait beaucoup de métiers et même vécu des expériences uniques qui l'ont profondément marqué. Pour autant, j'ai été déçu par ce roman qui se veut le compte-rendu de cette "aventure", peut-être à cause du style sans recherche, des revirements un peu trop invraisemblables ou peut-être de cette histoire qui promettait d'être passionnante au début et qui, pour moi, s'est révélée décevante. Qu'il ait voulu faire de cette tranche de vie un roman ne me gêne pas, mais le résultat m'a paru peu probant.

    Ce que je retiens cependant, c'est que cette amour impossible entre Gaby et Daniel se transforme, avec le temps et les cheveux blancs en une amitié durable. Même si je ne suis pas entré dans cette histoire, je retiens que la création littéraire est une force qui transforme et apaise, que les mots sont un extraordinaire baume.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Michael Edwards

    N°629– Février 2013.

    Quelques mots sur Michael Edwards.

    Entre les frasques franco-russes de Gérard Depardieu, les velléités politico-promotionnelles de Ségolène Royal, la viande de cheval qui devient du bœuf et l’hypothétique redressement de nos finances publiques, un fait important est sûrement passé inaperçu : c'est l'élection à L’Académie française de Michael Edwards.

    Ce n'est pas la première fois que notre académie ouvre ses portes à un écrivain étranger d'expression française. Elle avait déjà honoré d'une élection Marguerite Yourcenar en 1980. Cette année, Michael Edwards, né en 1938 près de Londres est en effet citoyen britannique mais bénéficie de la double nationalité. Docteur de l'université de Cambridge, il est l’auteur de plusieurs essais sur Shakespeare. Marié à une française, il enseigne dans de prestigieux établissements tels que notamment le Collège de France et l’École Normale supérieure de la rue l'Ulm. Il a choisi de décliner une grande partie de son œuvre littéraire dans notre langue.

    Après une thèse sur Racine, dans les années 60, il enseigne la littérature française à l'université de Warwick et se lie avec des poètes anglais et français, ce qui lui permet d'avoir une vision personnelle sur ces deux expressions poétiques.

    Le 21 février dernier, il a été élu au fauteuil de Jean Dutour (fauteuil 31). C'était la troisième fois qu'il se présentait.

    Il est également poète et critique littéraire, témoin d'exception de la culture anglaise et française, à la fois spécialiste de Shakespeare, de T.S Eliot mais aussi de Baudelaire, de Racine ou d'Yves Bonnefoy.

    Il a cette extraordinaire faculté de s'émerveiller de l'instant et du lieu, même les plus anodins, comme savent le faire les poètes face au spectacle du monde, en exacte opposition avec la vision traditionnelle du l'habitant de "la tour d'ivoire", enfermé dans ses pensées et dans son monde intérieur. Il jette sur le spectacle de la vie un regard à la fois neuf et étonné, aussi attentif à la vision des beautés de Paris qu'à la moindre des choses du quotidien. Dans une société où tout va trop vite et surtout de travers, où les choses s'apprécient de plus en plus à l'aune de leur valeur commerciale et financière, c'est plutôt rassurant de l'entendre parler de culture et de littérature.

    "La vie est un rêve dont il faut sans cesse se réveiller" rappelle-t-il, une invitation à le suivre dans l'enchantement permanent qui est le sien, dans sa démarche de l'observation des choses. Il le dit aussi simplement que cela en évoquant"Le bonheur d'être ici".

    Écrivain à la fois de langue française et anglaise, il n'en est pas pour autant un traducteur puisqu' aussi bien, lorsque, ayant écrit un poème en anglais, la version française qu'il en donne est non pas une traduction mais une véritable création nouvelle.

    Bien entendu, cette chronique restera passionnément attentive à l’œuvre de Michael Edwards.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE LIVRE DE L'INTRANQUILLITE – Fernando Pessoa

    N°624– Février 2013.

    LE LIVRE DE L'INTRANQUILLITE – Fernando Pessoa - Christian Bourgois Editeur

    Il s'agit d'une œuvre posthume de l'écrivain portugais Fernando Pessoa [1888-1935], attribuée par lui-même à Bernardo Soares un « semi-hétéronyme », c'est à dire un des nombreux doubles de l'auteur qui incarnent autant de facettes de sa personnalité. Pessoa n'a en effet presque jamais signé ses œuvres de son vrai nom mais il est cependant reconnu comme un des plus grands écrivains portugais alors même que son nom signifie « personne ».

    C'est un recueil de réflexions, de pensées, de poèmes en prose écrits de 1913 à 1935, de manière anarchique, sur des feuilles éparses, suivant son habitude et enfouies dans une malle. Il est considéré comme le chef-d’œuvre de son auteur. Il met en scène Bernardo Soares qui est un modeste employé de bureau dans un magasin de tissus, sans la moindre ambition et qui fait ce qu'il peut pour ne pas se faire remarquer. Il n'a ni famille ni attache, vit petitement et se fonde humblement dans le décor de son quotidien. C'est une véritable« Autobiographie sans événements ». Comme Pessoa, il a mal à sa vie, la refuse ou fait au moins ce qu'il peut pour ne pas s'adapter. L'écriture étant une formidable manière de s'en évader, il en fait une chronique ce qui donne un texte à la fois lucide et désespéré. Pourtant il note avec un certain paradoxe « J'ai toujours évité, avec horreur, d'être compris ».

    Bernardo Soares est sans doute le personnage qui se rapproche le plus de Pessoa parmi ses nombreux « doubles » puisque la vie de l'auteur se résume à presque rien. Il est, quant à lui, un poète introverti, anxieux et discret, écrivant à la fois en portugais et en anglais, qui a passé la presque totalité de sa vie à Lisbonne comme rédacteur et traducteur chez différents transitaires maritimes. Pourtant d'autres hétéronymes de Pessoa tels Alberto Careiro, le sage-païen, son exact contraire, Ricardo Reis, un épicurien stoïcien et le sensationiste et moderniste Alvaro de Campo se différencient largement de lui. Masques ou miroirs, la question mérite d'être posée puisque Pessoa vit en fait une autre existence qui lui convient mieux. C'est à la fois un rêveur et un idéaliste

    Le mot lui-même d' « intranquillité » qui pourrait être assimilé à l'inquiétude ou plus précisément à la difficulté d'être, est un néologisme, même s'il a été auparavant employé par le poète Henri Michaux.

    Il s'agit ici de textes qui dénoncent le désenchantement du monde et une affirmation que la vie n'est rien sans l'art qui ainsi lui donne un sens. J'y ai lu une profonde tristesse, une sensation aiguë de solitude qu'il combat grâce au sommeil, à l'idée du voyage, mais d'un voyage immobile, au rêve ["Je ne suis pas seulement un rêveur, je suis exclusivement une rêveur"] et aussi à l'alcool, une impression de temps suspendu tant sa vie est banale et sans relief, comme lui- même [ "C'est une saoulerie de n'être rien et la volonté est un seau qu'on a renversé au passage dans la cour, d'un geste indolent du pied"].tant son quotidien qui se résume à la fenêtre de sa chambre, à ce bureau de la rue des Douradores, à ce quartier et à cette ville, est monotone, banal, sans relief.

    C'est aussi un journal intime au quotidien, avec de nombreuses réminiscences d'enfance, tenu tout au long de sa vie où l'auteur analyse les nombreuses facettes de cet « hétéronyme », cette « prolifération de soi-même » qui existe en chacun de nous. Cela donne, sous la forme de pensées décousues mais dans une prose somptueuse et poétique, une analyse de l'existence quotidienne au bureau, douloureuse et parfois étonnamment douce. Cette somme de réflexions, de remarques, de prise de conscience de soi-même et parfois d'élans lyriques est presque une biographie de Pessoa écrite par Soares. Pourtant on peut aussi le considérer comme un récit, mais qui aurait la particularité d'être impossible à raconter ! De cette relation du quotidien sourd un ennui, la saudade, tout à fait caractéristique de l'âme lusitanienne. De plus, dans cet ouvrage, Pessoa entretient avec la ville de Lisbonne une relation toute particulière un peu comme le fait James Joyce avec Dublin.

    Certains commentateurs ont parlé à propos de cet ouvrage de "littérature de limbes". J'ai vraiment eu l'impression que Pessoa a vécu sa vie comme un calvaire et anticipe son entrée dans le néant dans pour autant le craindre. Pour lui, il me semble que la vie elle-même était un lieu de souffrance où elle s’apparentait à une mort lente. Les limbes sont un espace assez confus et flou qui nous est proposé par les catholiques. Ils se situent après la mort, aux marges de l'enfer pour des âmes qui en seront libérées pour finalement entrer au Paradis, une sorte de purgatoire en quelque sorte. C'est aussi un endroit où séjournent les enfants non baptisés qui ne peuvent accéder au Paradis mais ne méritent pas pour autant l'enfer. C'est là un débat théologique qui devait échapper à Pessoa. L'auteur, conscient de lui-même n'est ni vraiment vivant ni complètement mort, juste de passage ici-bas, mais semble indifférent à son existence, à sa promotion professionnelle en se concentrant sur ses propres aspirations dont il est une sorte de contemplatif ironique. Il sait ce qu'il souhaiterait en ce monde pour lui-même mais, dans le même temps, à conscience qu'il ne parviendra pas à l'obtenir. Ce narcissisme enfante une certaine jouissance intime d'explorer son propre labyrinthe, d'analyser les arcanes de son "Moi", tout en ayant une parfaite conscience de soi et d'être l'illustration consciente de la parole de Rimbaud "Je est un autre". Paradoxalement peut-être, dans ce processus, l’humilité le dispute à la désespérance et Pessoa-Soares choisit une vie grise et sans relief. Il y a aussi de la lucidité dans tout cela et s'il choisit la solitude, le célibat, comme une sorte de sacerdoce, c'est pour mieux y développer sa réflexion sur le monde tout en en restant en retrait. C'est quand même l'ouvrage d'un philosophe, d'un penseur mais aussi et surtout d'un érudit.

    A la lecture de ce texte, j'ai l'impression qu'il y a aussi du regret dans ces lignes ["Je gis ma vie"], une extrême conscience de l'échec [« Je suis l'enfant douloureux malmené par la vie »] au point de confier au papier puis à sa malle, autant dire au néant, toutes les réflexions que lui inspire ce quotidien sans joie ["Et je contemple avec dégoût, à travers les grilles qui masquent les fenêtres de l'arrière-boutique, les ordures de tout un chacun qui s'entassent, sous la pluie, dans cette cour minable qu'est ma vie"]. Pourtant il y révèle un curieux rapport à l'écriture qui n'est pas dénué d'un sens de l'esthétisme ["J'écris parce que c'est là le but ultime, le raffinement suprême, le raffinement viscéralement illogique de mon art de cultiver les états d'âme"]. Manifestement, il compense ce manque avec le rêve et l'imaginaire.

    Il est vrai que l'analyse de cette œuvre de Pessoa ne peut se faire valablement dans ce court article.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • FABRIQUÉ A NIORT - MÉMOIRES OUVRIÈRES (W2).

    N°628– Février 2013.

    FABRIQUÉ A NIORT - MÉMOIRES OUVRIÈRES (W2).

    Spectacle du vendredi 15 février 2013 par la Compagnie des Hommes.

    Je ne suis niortais que d'adoption, je n'ai donc aucune racine ici et pas non plus de famille. J'y suis venu un peu par hasard parce que le travail m'y a amené, il y a bien longtemps et j'y suis resté au mépris d'une promotion qui m'en eût éloigné, pour la qualité de vie notamment... et je ne le regrette pas.

    Il y a cependant ici une chose qui m'a frappé et même un peu désolé, c'est l'oubli du passé ouvrier de cette ville. Avant d'y poser mes valises, son nom était pour moi associé à l'angélique et aussi à celui de grandes entreprises qui dépassaient largement le cadre local, c'était Brivin, Marot, Rougier, la chamoiserie... Il y avait, certes, et ce depuis la Libération, les mutuelles d'assurance et, plus tard le secteur bancaire qui s'y étaient développé ce qui permettait à Niort non seulement de limiter la pollution inhérente à la production industrielle mais aussi de générer un niveau de vie et un environnement exceptionnels dont évidemment personne ne se plaignait. On en parlait alors comme d'une "planète", comme "d'une ville à la campagne", c'est à dire comme d'un endroit un particulier, un lieu unique... mais, quand on n'était pas de la région, il était difficile de la situer sur la carte de France.

    Niort est donc devenue une ville de "cols blancs" sauf qu'il n'y a finalement pas très longtemps, il y a eu ici un contexte industriel bien implanté mais qu'on s'est dépêché d'oublier, de laisser se dégrader jusqu'à la disparition, sans que la gouvernance locale, pourtant d’obédience socialiste, s'en soit beaucoup ému. Il est vrai que, du point de vue politique, le secteur tertiaire génère moins de mouvements sociaux que le secteur industriel et les heurts sont moins violents. Cette ville s'est donc progressivement enfoncée dans une torpeur qui lui a fait perdre, sans qu'on en parle vraiment, les Transports Brivin, les usines Rougier et différents ateliers de confections et il a fallu, il y a quelques années, la fermeture de la Camif et la dimension médiatique qu'on y a donné pour qu'on prenne conscience véritablement que Niort est une ville comme les autres et que les licenciements et le chômage y existent aussi.

    On a du mal actuellement à s'imaginer que cette ville, au XIX° et dans la première moitié du XX° siècle a été industrielle. Il existait ici une forte implantation d'ateliers d'imprimeurs; on y produisait des voitures automobiles, des cycles, des chaussures, des trieurs pour l'agriculture, on y transformait le bois et, bien entendu, et ce depuis longtemps, la chamoiserie faisait vivre toute une population d'ouvriers et de gantières... Pour autant, quand on fait des recherches sur ce thème, on a beaucoup de mal à trouver, même au musée ou dans les bibliothèques, des traces de ce passé laborieux. C'est étonnant car, si on veut bien s'en souvenir, nos parents ou nos grands-parents ont bien souvent été ouvriers ou paysans même dans cette ville ou le secteur tertiaire est désormais roi.

    Il était donc urgent de remettre à l'honneur la mémoire ouvrière. Elle nous a été restituée à travers le témoignage de travailleurs maintenant à la retraite qui sont venus nous parler de leur métier, qui nous ont dit combien le travail manuel apportait une valeur ajoutée à la matière, que, grâce à lui, elle devient un objet, un élément qui s'intègre dans un produit destiné à faciliter la vie de l'homme. Ils nous ont montré leurs outils, nous ont parlé de l'amour qu'ils portaient à leurs fonctions, nous ont raconté leur histoire individuelle, leur parcours, la nécessité, parfois, de s'adapter à un nouveau métier ou d'affronter le chômage. Ils n'ont pas manqué de mentionner la nécessité de gagner son pain, la dureté de leur labeur, les relations difficiles avec la hiérarchie et les inévitables "petits chefs", les conflits sociaux, les cadences et le rendement... Mais j'ai aussi entendu le message de cette femme qui a évoqué ses parents travaillant aux usines Rougier. Elle nous a parlé de son père pour qui son métier à l'usine "était toute sa vie" et pour qui la retraite avec son inactivité a été fatale. Elle a évoqué Roger Rougier, cet emblématique patron niortais que ses ouvriers appelaient presque amicalement "Monsieur Roger". Il les connaissait tous individuellement et les respectait parce que, bien souvent, ils avaient été à l'école ensemble. Il savait qu'il leur devait la richesse de son entreprise et avait à cœur de les récompenser. A sa mort, ils lui ont rendu un hommage digne et émouvant. C'est vrai que "les trente glorieuses" ont correspondu à une période de plein emploi, que le patronat a toujours été tenté par la paternalisme mais, à travers ce témoignage, il m'a semblé qu'à l'époque on respectait encore l'ouvrier en tant que personne humaine quand, actuellement, la déshumanisation et le mépris sont la règle et qu'on n'hésite plus, au nom de le rentabilité, à licencier, à précipiter au chômage, dans la précarité et parfois même dans la rue des hommes et des femmes qui ne demanderaient qu'à travailler et à vivre normalement.

    Ce qui m'a frappé c'est que cette parole ainsi redonnée à des gens qu'on entend jamais en dehors des revendications salariales ou des grèves a été spontanée, authentique. Certes, il y a eu une mise en scène minimale pour les besoins de ce qui était malgré tout un spectacle et qu'il fallait bien organiser, mais rien n'était vraiment récité. Ces gens n'ont pas délivré leur message comme l'auraient fait des comédiens professionnels et c'est ce qui m'a plu.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • CELINE – Henri Godard

    N°598– Novembre 2012.

    CELINE – Henri Godard- Gallimard.

    Louis-Ferdinand Céline [1894-1961] est parmi les hommes de lettres quelqu'un qui, cinquante ans après sa mort, fait encore parler de lui. De son vivant déjà, il avait, par ses écrits et par ses prises de positions politiques, déchaîné les passions.

    Grâce à cette biographie fort richement documentée, le lecteur suit le parcours quelque peu hors du commun de Ferdinand Destouches depuis sa naissance à Courbevoie jusqu'au passage Choiseul où sa mère tient une boutique de mode. Il quitte l'école après le certificat d'études, devient apprenti puis s'engage dans l'armée à la veille de la guerre. Promu maréchal des Logis et grièvement blessé,il est décoré par Joffre. Cette blessure fait de lui la figure emblématique du héros combattant. Il est réformé, part travailler en Angleterre au consulat de France puis en Afrique. Rentré en France en 1917, il participe en Bretagne à une campagne de prévention contre la tuberculose qui réveille en lui la vocation de médecin. Il passe son baccalauréat puis fait ses études de médecine[sa thèse consacrée à « la vie est l’œuvre de Philippe-Ignace Sommelweis » est considérée comme sa première œuvre littéraire] qui le conduisent à la SDN comme médecin hygiéniste. Il exerce ensuite comme médecin de dispensaire à Bezons dans la région parisienne mais continue d'être romancier et voyage beaucoup. A partir des années 1930, Céline devient violemment antisémite et publie des pamphlets en ce sens, ce qui le conduira à épouser la cause allemande pendant la guerre. A la Libération il prendra le chemin de l'exil, suivant le gouvernement de Vichy, à Sigmaringen d'abord puis au Danemark où il est emprisonné. Il est ensuite condamné puis amnistié par les tribunaux français [ce qui était reproché à Céline était moins des actes que des opinions, certes tranchées et parfois violemment exprimées, mais toutes à l'image du personnage] et s’installe à Meudon comme médecin mais surtout comme un véritable ermite, tout en continuant à écrire et à publier ce qui restera toute sa vie sa raison d'être. Il y mourra en 1961.

    Son œuvre est indissociable de sa vie, de son parcours et de ses opinions politiques. Du point de vue strictement littéraire, il a indubitablement incarné une révolution, renouvelant le style romanesque traditionnel, y instillant des sonorités et des rythmes empruntés au langage parlé et à l'argot. Il doit sans doute cet aspect de son écriture à sa grand-mère maternelle à qui il rendra hommage en faisant de son prénom son nom de plume. Ses phrases semées de ponctuations exclamatives et suspensives cherchent à provoquer l'émotion et la réaction... et y parviennent. Son œuvre est un cri pessimiste poussé face à la nature humaine qu'il exècre et même si parfois il y mêle de l'humour et de la tendresse, il reste marqué par un désespoir définitif et une volonté de choquer. Il reste un pamphlétaire, un polémiste, un marginal, un homme révolté, ambigu, contradictoire parfois, paranoïaque même, un homme écorché-vif, outrancier voire injurieux et parfois ordurier dans ses propos, un auteur qui se définit lui-même comme «  paradoxale, burlesque, effervescent ». Il ne laissera jamais indifférent !

    Dans « Voyage au bout de la nuit », roman pour lequel il est probablement le plus connu, il narre, à travers le personnage de Ferdinand Bardamu, son expérience de la Première Guerre mondiale et développe des thèmes qu’il reprendra plus tard dans son œuvre. Ce livre manquera de peu le prix Goncourt mais obtiendra le Renaudot en 1932. D'autres romans soulèveront réactions et passions tout au long de sa vie et feront de lui à la fois un tabou et un écrivain d'exception.

    Si Céline est à l'évidence un grand auteur et un poète, il reste marqué du point de vue politique par un antisémitisme incontestable hérité à la fois de son père et de son époque et il se servira de sa notoriété pour affirmer cette opposition avec détermination et violence. Il ira même jusqu'à tenir des propos ignobles et des condamnations tonitruantes. Cette phobie du juif tourne carrément à la folie puisqu'il étend cette judéité à tous ceux qu'il n'aime pas … Et ils sont nombreux ! Avec Robert Brasillach et Pierre Drieu La Rochelle qui eux ont connu un sort différent, il a été parmi les écrivains maudits de la Libération. Condamné, il a cependant été amnistié et a ainsi pu rentrer en France. Il reste quand même un personnage controversé et par bien des côtés contradictoire. Son parcours a été un long chemin et un long combat. Ce que j'ai trouvé personnellement le plus émouvant, ce sont les derniers chapitres consacrés à sa fin de vie, à la fois pitoyable et définitivement solitaire même si, à cette période, il a semblé sortir d'un long purgatoire.

    L'auteur de cette biographie passionnante du début à la fin nous le présente sous ses différentes facettes, comme un adepte de la pornographie, ce qui n'est pas essentiel, comme l’auteur de ballets qui met la danse au centre de sa vie, un amoureux des animaux, de son chat Bébert, compagnon d'infortune au Danemark puis de ses chiens à Meudon, et, ce qui est sans doute pour le plus inattendu, comme un séducteur qui ne pouvait se passer des femmes !

    L'auteur Henri Godard, professeur de littérature à la Sorbonne et spécialiste de l’œuvre célinienne est également, dans la bibliothèque de la Pléiade, l'éditeur de Céline. Ce livre est l'occasion de faire connaissance de cet écrivain majeur du XX° siècle et de lire ou de relire ses nombreux romans.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • 22O VOLTS – Joseph Incardona

    N°588– Juillet 2012.

    22O VOLTS Joseph Incardona – Fayard Noir.

    Le roman policier, le polar comme on dit avec une certaine condescendance ou même un certain mépris, qu'on lit de préférence sur une plage ensoleillée, passe volontiers pour de la sous-littérature. Je ne partage pas cette analyse puisque, mon improbable lecteur peut en attester, cette feuille consacre volontiers nombre de chroniques à ce genre littéraire. J'ai peut-être eu de la chance mais celui-ci m'a surpris. Si on en juge par la 4° de couverture comme par le nom de la collection (Fayard Noir), on peut le ranger dans cette catégorie. L'auteur met en scène Ramon Hill, la quarantaine satisfaite, qui après des années de vaches maigres, est maintenant un auteur à succès. Il en a d’ailleurs tous les signes extérieurs et connaît maintenant un bonheur sans ombre : belle maison, grosse voiture, éditeur attentif à tout ce qu'il écrit, agent littéraire, argent facile, beaux enfants, et surtout une femme qu'il aime à la folie et dont il ne peut pas se passer...

    Ce roman s'ouvre sur une période de sécheresse toujours redoutée par l'écrivain. Ramon peine à terminer son dernier roman et son épouse, Margot, une journaliste très en vue, pense qu'un séjour en amoureux dans le chalet de de ses parents peut enlever à son mari cette anxiété passagère, d'autant que son éditeur s'impatiente. Après tout l'air de la montagne leur fera du bien à tous les deux et favorisera sûrement l'inspiration de son mari ! Je me suis dit au début que cela allait être une sorte de développement sur la panne créatrice, sur le défi de la page blanche, sur l'impossibilité d'écrire autre chose que des banalités décevantes face à l'urgence. C'est là un débat éternel et intéressant mais quelque peu rébarbatif pour les non-initiés. Et puis faire tout un livre là-dessus n'est pas vraiment du domaine du polar.

    Oui mais voilà, le hasard d'un lavabo bouché, un roman d'un autre auteur retrouvé dans cette maison où à priori il n'a rien à y faire, une réparation électrique hasardeuse qui provoque un malaise de Ramon (d'où le titre du livre) et surtout une absence un peu prolongée pour des raisons professionnelles de Margot, vont faire basculer cette situation. Un matin, il se réveille auprès du corps de sa femme, morte ! Il se soupçonne d'être l'auteur de cet acte... dans son sommeil ! A moins que ce ne soit une réaction longtemps refoulée, allez savoir ! Si cette électrocution sans gravité réveille chez lui une boulimie d'écriture, ce qui est plutôt bien pour lui puisqu’il achève enfin son roman, elle n'en suscite pas moins à la fois un vieux souvenir d'enfance, une pulsion irrésistible et surtout des doutes puisque cette solitude temporaire l'a amené à réfléchir sur l'attitude de Margot. Certes, il l'aime passionnément, il a avec elle des relations érotiques torrides, bref, elle est la femme de sa vie, la compagne des mauvais jours, la mère de ses enfants... mais il reste un écrivain, c'est à dire quelqu'un qui observe l'espèce humaine, en connaît les grandeurs mais surtout les bassesses, les compromissions, les trahisons. Il sait que, même s'il en fait partie, elle est infréquentable et que les serments d'amour ne pèsent pas bien lourds face à la turpitude que nous portons tous en nous. Bien évidemment au début il tente de se faire une raison, de chasser toutes ces idées noires de son esprit mais plus il réfléchit plus les évidences se dressent devant lui. Ce n'est plus de l'imagination, c'est carrément des certitudes ! Et puis il est en présence du cadavre de sa femme et il va, bien évidemment, être soupçonné de ce meurtre. Il n'a pas trop de toute son expérience de romancier pour éliminer le corps, brouiller les pistes même si au passage il devient effectivement un authentique criminel et approche à peu près le « crime parfait ».

    Bien sûr il devra faire face à la police, à ce jeune lieutenant méfiant, à son beau-père qui ne l'a jamais aimé, le traite volontiers « d'écrivain de salles d'attente » et qui laisse éclater sa colère, à ce paysan matois et pas si naïf que cela et à tous ceux avec qui il était proche. Il aura le fin mot de tout cela, réglera ses comptes, récupérera ses enfants et reprendra le cours aussi normal que possible de sa vie, digérera cette trahison d'autant plus inacceptable qu'elle reposait aussi sur un mensonge supplémentaire, finira par ce dire qu'il s'était trompé avant de l'avoir été, que l'amour l'avait rendu aveugle au point de n'avoir rien vu (air connu), qu'il vaut mieux vivre seul que mal accompagné (air connu également), qu'il va retrouver sa liberté et peut-être refaire sa vie, que son parcours littéraire sera, le lecteur peut à son tour l’imaginer, plein de succès … Contrairement aux dernières lignes de la 4° de couverture, je ne suis pas sûr que cette histoire d'amour se termine si mal, finalement.

    J'avoue bien volontiers que j'ai pris ce livre au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque sans rien connaître de cet auteur, et que, même si j'ai peu prisé le style très « polar » de ce roman, j'ai été tenu en haleine jusqu'à la fin. En définitive, je ne regrette pas.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles

    N°472– Novembre 2010.

    LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles – Jack London - Phébus Libretto.

     

    Le seul nom de Jack London évoque l'aventure, la nature, la liberté.

     

    Dans la première nouvelle, qui est plutôt un court roman et qui donne son nom au recueil, un vieillard qui fut jadis professeur évoque pour ses petits-enfants sauvages et illettrés ce qu'était, soixante ans plus tôt la vie en 2013, date de l'apparition de la peste écarlate, ainsi nommée parce qu'elle colore le visage en rouge. Elle décima la population de la terre et réduisit les humains pourtant civilisés et cultivés, à l'état d'êtres égoïstes, défendant le seul bien qui leur reste : leur vie ! Nous sommes donc en 2073 et l'ex-professeur Smith raconte ce qu'était la société civilisée et organisée et comment, épargné par la pandémie, il a survécu dans ce monde hostile redevenu sauvage où les opprimés d'alors ont réussi à s'affirmer grâce à leur brutalité et à prendre le pas sur leurs oppresseurs d'avant. Ses petits-enfants ne peuvent se figurer ce qu'il décrit pour eux mais il place son espoir dans les livres et la clé de lecture qui permet de les déchiffrer. Il a caché le tout dans une grotte et espère que l'espèce humaine retrouvera, grâce à cela, sa splendeur passée.

    La seconde nouvelle, intitulée « Le dieu rouge » évoque la croyance d'une tribu sauvage en un dieu extraterrestre matérialisé par une sphère rouge qui émet un son. Un blanc, perdu dans la forêt, tente de percer ce mystère qui ne peut s'expliquer qu'au prix de la vie.

    La troisième intitulée « Qui croit aux fantômes ?» met en scène deux rationalistes qui se sont donnés rendez-vous dans une maison hantée. Ils vont se trouver « possédés » par deux fantômes qui reviennent pour disputer une partie d'échecs dont leur vie dépendra.

    « Mille morts » parle d'un fils de famille parti sur les mers et récupéré par un navire commandé par son père. Ce dernier va se servir de ce fils pour mener à bien des expériences où la mort est suivie de résurrections successives. Mais le fils ne saurait, jusqu'au bout être son cobaye.

    L'auteur change de registre avec« la seconde jeunesse du major Rathbone » où il analyse, sur le mode humoristique, les conséquences des tentatives de rajeunissement du corps et de l'esprit d'un vieillard. Il faudra quand même compter avec Déborah, son ancien amour de jeunesse qui, elle aussi, bénéficia de cette expérience.

     

    L'architecture d'un recueil de nouvelles n'est pas chose facile. Avec celui-ci, paru en 1912, Jack London (1876-1916) passe du registre tragique à l'humour, au moins en apparences. Avec la première nouvelle, publiée peu de temps avant sa mort, il semble nous avertir d'une possible fin du monde, provoquée par la maladie. Songeait-il à la Grande Guerre qui allait bouleverser le monde? Peut-être? Encore qu'il nous confie que les survivants restent capables de le reconstruire au moyen des livres refaire et de la connaissance que le Professeur Smith a sauvegardés. Il explore ici un registre plus mystérieux voire apocalyptique, jouant à la fois sur le fantasme de la fin du monde, de la mort, de l'éventuelle résurrection, l'anéantissement de la vie et la responsabilité humaine dans ce cataclysme ?

     

    Avec la se seconde nouvelle, c'est clairement l'angoisse de la mort et une certaine désespérance qui transparaissent ici. La couleur rouge rappelle celle de la peste du premier texte et les mots évoquent une certaine perfection des formes et des sons, comme quelque chose qu'on découvre enfin après l'avoir tant recherché. Ce qui est ici suggéré c'est à la fois l'attrait de l'inconnu et la fascination et l'acception de la mort, une sorte de sérénité devant elle, le terme du parcours qui fut le sien durant sa vie et que l'écriture magnifia. Même la présence de Balatta n'y fera rien. Il la repoussera faisant prévaloir Thanatos sur Eros. Rappelons-nous que ce texte a été écrit quelques mois avant sa disparition.

    Avec les deux autres textes, il semble présenter les choses sous un angle différent, peut-être plus léger? Voire. Celui où il évoque la présence de fantômes et qu'il écrivit à dix-neuf ans, doit sans doute beaucoup à Edgar Poe dont il fut le lecteur attentif. C'est la fascination de l'étrange qui habite la condition humaine avec son cortège de névroses, de perversions, de dérèglements... la mère de l'auteur était une spirite convaincue et celui qui fut son père et qui les abandonna tous les deux, versait lui aussi dans l'ésotérisme. Voulut-il régler ainsi, par l'écriture et l'imaginaire, ses comptes personnels avec eux? Quand il choisit le thème des expériences sur l'humain, sur le vivant, on songe à un médecin fou mais le registre ici est le fantastique. Derrière des considérations techniques difficiles à suivre, il évoque des expériences un peu déjantées qui procurent la mort mais aussi qui redonnent la vie. C'est certes de la pure fiction, mais c'est aussi une autre forme de réflexion sur la mort. N'oublions pas que Jack London est avant tout un athée, lecteur de Marx et que donc l'idée de Dieu est absente de ces textes.

    On peut aussi y voir une forme de victoire de l'homme sur les événements qui pèsent sur sa vie, le triomphe du pessimisme, du défaitisme. Au dernier moment il réagit et fait prévaloir sa liberté. Le héros de « Mille morts » s'échappe, le vieux major redevenu jeune convole avec son amour de jeunesse,

     

    Avec ce recueil, Jack London qui fut un auteur prolifique de plus de 50 livres qui, pour la plupart évoquent l'aventure explore ici un registre différent. Encore une fois, sa vie personnelle ses expérience ont nourri son écriture, mais celle-ci a joué pour lui un rôle d'exorcisme, mais c'est aussi le sien!

     

     

     

  • BARRIO FLORES – Philippe Claudel

    N°627– Février 2013.

    BARRIO FLORES – Philippe Claudel – Éditions La Dragonne.

    Dès la première ligne, l'auteur donne le ton : « Les habitants du Barrio Flores sont passés dans le monde et le monde ne les a pas remarqués. ». Pourtant lui choisit de porter sur eux un regard plein de tendresse et les photos en noir et blanc de Jean-Michel Marchetti leur donnent un relief tout particulier.

    Le décor, une sorte de bidonville plein de soleil, de vie, de misère mais aussi de sourires, à l’écart d'une grande ville probablement située dans une Amérique hispanique où Juanito, un jeune enfant de huit ans confié à Pepe Andillano, a écrit cette « Petite chronique des oubliés » qui est plus qu'un hommage.à ses habitants Pour ce vieil homme à la jambe raide mais qui gagnait sa vie en jouant au billard, il sera « petite musique » parce qu'il est « plus léger qu'un violon et plus rieur qu’une flûte ». Ensemble ils rêvaient de partir sur le pont d'un navire, pas pour faire le tour du monde, mais « juste une bordée, le temps de dormir une nuit ou deux sur le pont du plus grand des paquebots... et, au matin ce sera l'Amérique, New-York ou Babylone, en tout cas un pays formidable où les bons joueurs de billard sont nommés généraux et où les jambes mortes peuvent ressusciter ». C'est à travers ses yeux que le lecteur découvre cet univers un peu à l'écart. Il était certes fait des traditionnels personnages incontournables, les putains, les cocus, les femmes infidèles mais il y avait surtout Flores Nubia, une petite fille espiègle et belle qui aimait tant jouer à la marelle et dont Juanito était évidemment amoureux. Il lui offrait « des bouquets de rien, des rubans défraîchis, des heures admirables ». Pourtant cette jeunesse insouciante a prématurément été interrompue et Flores est devenue silencieuse, vieille et absente mais elle a continué de hanter les rêves du garçon.

    Juanito avait une petite sœur, si jeune qu'on n'avait pas eu le temps de lui donner un nom. Elle accompagnait son frère pour mendier dans le quartiers des riches parce qu'elle faisait pitié et qu'ainsi ils rapportaient de l'argent. Pourtant « son cœur qui se précipitait de vivre en quelques mois une vie entière » s'était arrêté.

    Parmi ces habitants il y avait aussi Garrancho Mindo, « Petite tête simple » dont tout le monde se moquait, qui parlait à son âne et voulait l'épouser. Ce décor ne serait pas complet sans le cireur de chaussures, mais celui-là non seulement faisait reluire les souliers de ses clients mais servait surtout d'écrivain public. Tout le monde lui faisait confiance pour rédiger des lettres importantes ou futiles, des lettres d'affaires ou d'amour, sur du papier à en-tête d'une entreprise d'engrais qui avait fait faillite depuis longtemps. On les encadrait même sans jamais les envoyer et ainsi elles faisaient partie du paysage. Sauf que leur auteur ne savait pas plus lire et écrire que ses clients du quartier et qu'il se contentait de reproduire dans ses missives les mots des annonces publicitaires qui s'étalaient sur les murs autour de lui ! Plus tard, Juanito devenu grand et instruit parce qu'il avait appris à lire dans les livres et non plus dans les flaques d'eau et dans les étoiles comme au Barrio, a vu la supercherie mais l'a gardée pour lui et a su reconnaître dans cet homme « un grand poète », en tout cas un de ceux qui ont suscité chez lui cette envie d'écrire à son tour [« C'est sans doute grâce à lui que m'est venue aussi à moi l’idée d'écrire, de caresser les mots, de dire des histoires »].

    Il y avait aussi le « docteur » ainsi appelé parce qu'il avait un jour « confessé » pendant trois heures un vrai médecin dépressif et qu'il avait décrété qu'il en savait autant que lui au terme de cette discussion. Il recevait ses patients, vêtu d'une blouse qui avait jadis été blanche, ne guérissait personne parce que ses remèdes tenaient uniquement de l'improvisation, mais tout le monde y croyait et le respectait.

    Il y a dans ce « Barrio Flores » toute la poésie de « café de l'excelsior » qui m'avait tant plu (La Feuille Volante n° 620). Ce n'est pas exactement un roman, peut-être un recueil de nouvelles, une galerie de portraits, une chronique de ce quartier rebaptisé par l'auteur du nom de cette petite fille, un amour de jeunesse, celui qu'on n'oublie jamais.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE BUREAU DES OBJETS TROUVES – Siegfried Lenz

    N°626– Février 2013.

    LE BUREAU DES OBJETS TROUVES – Siegfried Lenz1 – Robert Laffonf.

    Traduit de l'allemand par Frédéric Weinmann.

    Henry Neff, 24 ans, se présente au bureau des objets trouvés d'une gare allemande (« Là où nulle part au monde(on ne rencontre) autant de contrition, d'angoisse et de mea-culpa »).

    S'il fait cela, ce n'est pas parce qu'il a égaré un objet comme on pourrait s'y attendre mais il vient y prendre son poste et surtout souhaite faire une longue carrière dans cet emploi subalterne alors qu'un poste plus important s'offre à lui dans le négoce familial. Pourquoi cette voie de garage pour un homme jeune et plein d'avenir ? C'est qu'il est un peu marginal, cet Henry et avoue volontiers une passion pour le hockey et pour les marque-pages ! Pire peut-être, il semble avoir choisi cet emploi aux « objets trouvés » pour satisfaire son imagination débordante, un peu comme si c'était là sa seule motivation. Chaque propriétaire met un point d'honneur à récupérer des objets anodins, irremplaçables pour eux, un peu comme si toute leur vie y était contenue et en dépendait. Lui considère que ces objets improbables venus de nulle part qui se retrouvent ici à titre temporaire sont certes autant de tranches de vie appartenant à des inconnus mais aussi autant d’invitations à une mise en situation qui satisfait son imaginaire. Il devient le metteur en scène de saynètes parfois un peu surréalistes.

    Au travail, il cohabite avec des collègues aussi différents que Paula, une femme encore jeune qui souffre que son mari la délaisse et qu'il cherche à consoler, ou qu' Albert, un vieux garçon tout entier dévoué à son vieux père.

    Son travail l'amène à rencontrer Fédor Lagutin, un mathématicien universitaire russe avec qui il devient ami. Ce dernier ne laisse indifférentes ni Barbara, la sœur d'Henry qui travaille dans la florissante entreprise familiale ni même sa mère. Les deux femmes apprécient autant la discrétion de l'homme que sa manière de parler la langue allemande dont il maîtrise parfaitement les nuances. Cette manière d'être est, en plus des mathématiques, son oasis à lui.

    Henry et d'ailleurs son ami Fédor, un peu perdus dans leur monde respectif, semblent apprécier la tranquillité, pourtant la bulle dans laquelle s'était volontairement enfermé Henry se fissure sous les coups du quotidien: A l'extérieur, il est agressé par une bande de motards, il voudrait bien, en séduisant Paula, sortir de sa routine ou s'enfermer dans un autre univers, mais cette femme qui l'aime bien et l'apprécie comme collègue ne veut pas en faire son amant parce qu'elle sait qu'une passade ne débouche sur rien et lui préfère la vie rassurante de femme mariée, moins délétère à ses yeux que celle de femme adultère. Au travail, Albert, trop vieux, est mis au chômage malgré les initiatives généreuses d'Henry. Fédor, quant à lui, quitte l'Allemagne devant les scènes de racisme ordinaire et Barbara est désespérée par la fuite de Fédor.

    Dans une société qui apprécie les êtres à l'aune de leur rentabilité, leur richesse, leur potentialité, ce livre est consacré aux « perdants », non pas tant à ceux qui ont perdus un objet, mais surtout à ceux, comme Henry, qui refusent cette logique de la société, ceux qui préfèrent être des rêveurs et surtout pas des décideurs, ceux qui refusent la promotion parce que cette finalité ne leur convient pas, qui préfèrent rester à l'écart de tout cela pour être tout simplement seuls et libres, c'est à dire en marge des exigences sociales. Ce roman consacre cette impossibilité en mettant en évidence la réalité quotidienne faite d'intolérance, d'incompréhension, de haine, d'hostilités, de logique financière, une manière de rappeler que si une forme de vie marginale est possible, elle se heurte à tous ceux qui ne la comprennent pas ou simplement ne l'admettent pas.

    Il est aussi question de ceux qui agressent les autres, les plus faibles, ceux-là même qui ont choisi une forme marginale de vie. Ces provocateurs portent la méchanceté en eux, la matérialise avec violence et lâcheté sous la forme d'un racisme ordinaire ou de l'ostracisme, pour se prouver qu'ils sont les plus forts ou simplement qu'ils existent.

    Le romancier nous raconte une histoire, lui aussi se réfugie dans sa bulle et recrée un monde qu'il offre au lecteur, libre à lui de le recevoir ou pas. Ce roman peut être considéré comme une simple fiction, mais en réalité tout cela est bien banal, c'est un simple miroir de notre quotidien. Combien sommes-nous à avoir voulu vivre dans de belles certitudes, à avoir voulu nous draper dans l'assurance que les choses ne changeront jamais, qu'elle sont le gage d'une vie selon notre cœur... Puis un jour tout s'effondre brusquement à l'occasion d'un rien, mais ce rien est révélateur d'un changement définitif. Combien sommes-nous à refuser l'autre parce que simplement il est différent ?

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

    1Siegfried Lenz, né en 1926, est l'un des écrivains allemands les plus connus. Il est l'auteur de romans et de nouvelles et a obtenu le Prix Goethe en 1999.

  • LE SIXIEME HOMME – Monica Kristensen

    N°625– Février 2013.

    LE SIXIEME HOMME – Monica Kristensen - Gaïa Polar.

    Traduit du norvégien par Loup-Marelle Besançon.

    L'archipel norvégien du Svalbard est situé dans la partie la plus septentrionale de l'Europe, à la jonction des océans Arctique et Atlantique. Il est plongé pendant une grande partie de l'année dans la nuit polaire et nous sommes en hiver ! Cette période autant que la situation géographique de ces îles sont de nature à modifier le comportement de ceux qui n'en sont pas originaires. A Longyearbyen, la minuscule capitale, il ne se passe jamais rien dans cette ville plus habituée aux ténèbres glacées et à l'arrivée soudaine des ours polaires dont les chemins migratoires passent par là. Pour la police locale, la routine administrative est constituée des petits trafics des marins-pêcheurs, des méfaits de l'alcoolisme, des mésententes conjugales ou des magouilles des contrebandiers dans une ville qui vit exclusivement de la mine de charbon. C'est un microcosme où tout le monde se connaît et bien entendu tout le monde s'épie de sorte que le secret ici n'a que peu de place. Un sorte d'univers clos !

    Il est donc difficile d'imaginer que cette petite cité puisse cacher un criminel aussi bien croit plus volontiers à un accident toujours possible quand, au jardin d'enfants, d'ordinaire bien surveillé, la petite Ella Olsen, cinq ans, a disparu. Au départ on ne s'affole pas trop puisque les enfants jouent souvent à se cacher et puis cela ne viendrait à l'idée de personne d'enlever un enfant ici ! Il n'empêche, c'est quand même un problème pour la police locale dont le petit effectif va être mobilisé pour la retrouver. L'ennui c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'indices, seulement des traces de pas dans la neige qui mènent à la mine. Rapidement l’enquête s'oriente vers le père, Steinar Olsen, ingénieur récemment arrivé à la mine et qui, lui aussi disparaît à son tour. Son ménage bat un peu de l'aile, des projets de divorce sont même évoqués ; il est un peu trop porté sur la bouteille et il aurait parfaitement pu venir chercher sa fille pour affoler son épouse. Quant à lui, son nouveau travail n'est guère satisfaisant et on parle même de le licencier quelques mois après son embauche.

    L'hypothèse d'un ravisseur se fait jour peu à peu ou celle d'un voyeur qui offrait volontiers des bonbons aux enfants. Bref, la police nage en plein mystère et les trois policiers de l'île seront vite rejoints par un renfort venu du continent. Peu à peu des secrets se révèlent, des adultères, des lettres anonymes avec menace de mort...

    A la mine où Steinar Olsen a été embauché son arrivée n'est pas passée inaperçue et les deux mineurs qui l'ont accueilli, et dont il deviendra plus tard le complice, l'initient au mystère des lieux, lui parlant notamment de ce sixième homme « qui suit les gueules noires au fond de la mine », une sorte de fantôme né dans cette atmosphère confinée et mystérieuse qui tisse des légendes. On se demande qui il est et on le confond volontiers avec le voyeur du jardin d'enfants.

    Dans une ambiance un peu irréelle faite de tempêtes glacées, de navigations parmi les icebergs, de chasses aux rennes et de drames intimes, le dépaysement joue complètement. Il faut cependant un parcours un peu chaotique d'Olsen avec sa fille, un incendie mystérieux sur un parking, la mort accidentelle de l'ingénieur, une vengeance de femme qui tourne mal et une série d'accidents miniers pour que cette histoire de fantôme, ce sixième homme caché à la fois au fond de la mine et dans les rues désertes, et qu'on soupçonne de rapt, débouche sur une fin heureuse.

    Monica Kristensen qui est aussi glaciologue, connaît bien cette région pour y avoir séjourné pendant six années. Avec un art consomme du suspens, elle fait partager à son lecteur la beauté des paysages autant que la dure vie des mineur du Spitberg. C'est donc autant un roman policier qu'un ouvrage documentaire sur cette région.

    Cet volume appartient à une série de polars se déroulant au Svalbard.

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    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE RAPPORT DE BRODECK – Philippe Claudel

    N°623– Janvier 2013.

    LE RAPPORT DE BRODECK – Philippe Claudel - Stock

    Prix Goncourt des Lycéens 2007 ;

    C'est une bien curieuse histoire que celle de ce Brodeck. C'est un enfante trouvé, un enfant de la guerre, recueilli dans un village perdu en montagne par Fédorine, une vielle femme. Lui, c'est plutôt quelqu’un d'ouvert mais, même s'il est arrivé ici très jeune, il restera pour les gens d'ici un étranger, quelqu'un de peu d'importance. Pourtant on lui offrira des études au cours desquelles il rencontrera Emélia qu'il épousera et qui lui donnera la petite Poupchette. Elle est sa raison de vivre bien qu'elle soit née du viol de sa femme par des soldats. Il deviendra même un fonctionnaire chargé de rédiger des rapports sur la nature. Ses travaux n’intéressent personne mais lui permettent de survivre avec sa famille grâce à ses maigres appointements. Il n'a jamais été accepté au sein de ce microcosme villageois au point d'être livré par eux à l'ennemi, pendant la seconde guerre mondiale. Quand on leur a demandé de « purifier » le village, c'est à dire de dénoncer les indésirables, c'est son nom et celui d'un simple d'esprit qui ont été donnés. Pourtant il résistera à la déportation, aux humiliations et à la malnutrition grâce au seul espoir de retrouver Emélia. Quand il est revenu au village, son épouse n'est plus la même, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même, brisée par un viol d'où naîtra une petite fille que pourtant Brodeck adore.

    Quand il est revenu, à la fin de le guerre, un autre étranger, aussitôt baptisé « l'Autre », est arrivé au village. Il est délicat, cultivé, parle peu et a un réel talent de dessinateur. On l'observe comme une bête curieuse, tellement différent des autres habitants frustes de ce village. On commence par l'accueillir en grande pompe pour éviter de dire qu'on se méfie de lui mais rapidement on le marginalise, on l'ignore. Pas rancunier cependant, il décide de donner une petite fête pour remercier le village de l'avoir accueilli. Lors de cette fête, il expose les portraits des villageois qu'il a réalisés mais ceux-ci les trouvent tellement réalistes et surtout tellement mystérieux qu'ils les supposent accusateurs et s'en prennent à lui, déchirent ses cartons et tuent son cheval et son âne qu'il considérait comme des personnes. Ces portraits étaient comme des miroirs qui révélaient la face cachée de chacun. Certains y ont vu une allusion à peine voilée aux faits qui s'étaient déroulés pendant la guerre, le viol et le meurtre de trois jeunes filles, étrangères elles aussi, l'aventure fatale de Cathor, un villageois qui avait refusé de livrer un vieux fusil, et qui a été décapité devant tout le village ; c'est cet événement qui avait motivé la dénonciation et la déportation de Brodeck. Mais au lieu de quitter le village, « l'Autre » y erre pendant trois jours en criant sa souffrance. Il finira par en mourir au terme d'une sorte d’assassinat collectif. Ainsi, sous le masque de la respectabilité, de la bienséance et de l'hypocrisie, les habitants de ce village perdu sont-il devenus des meurtriers, révélant ainsi leur véritable image.

    Un soir, Brodeck se rend au village pour acheter du beurre et se voit, lui le petit fonctionnaire sans importance, chargé de relater ces faits, c'est à dire d'en faire un rapport écrit. Il devient donc leur « scribe » pour que « celui qui lira le rapport comprenne et pardonne ». Obéissant, il s'exécutera, mais en réalité il n'y croit pas et les villageois non plus. Effectivement, le rapport une fois rédigé et lu par le maire est jeté au feu au motif que le passé appartient à la mort et qu'il faut aller de l'avant au nom de la vie.

    A la suite de cela Brodeck décide de quitter enfin le village avec femme et enfant.

    C'est étonnant le roman, les personnages tissent leur histoire et le lecteur en est le témoin, s'y identifie ou pas. Moi, je me suis senti très proche de ce Brodeck. Il est l'image de l'homme de bonne volonté aux prises avec les autres qui lui veulent du mal, gratuitement, pour se prouver sans doute qu'ils existent et qu'ils ont de l'importance. Il est assailli par la malchance mais tente de s'en sortir. Le malheur s'acharne sur lui sans qu'il y puisse rien et ne peut opposer à cela que sa seule vie minuscule et sans intérêt. Il est l'éternel guignon mais aussi le souffre-douleur de tous ces petits potentats qui certes le tiennent pour rien, ce dont il est persuadé, mais qui se croient tout permis. Ce roman est dérangeant parce qu'il traite de l’intolérance, de la noirceur de l'âme humaine, de la trahison, rappelle que la race des hommes n'est pas fréquentable, que « l'enfer c'est les autres »...et que tout cela est le quotidien de chacun d'entre nous. Le récit, même s'il est une fiction, est aussi là pour montrer les choses dans toute leur cruauté et l'eau de rose n'est pas ce qui l'irrigue forcément. Et d'ailleurs, ce Brodeck se révèle aussi mauvais que ceux qui l'ont persécuté, et la relation qu'il fait des événements dans son rapport entraîne une confession intime dont il ne sort pas grandi.

    Un autre personnage ne m'a pas laissé indifférent, c'est le curé Peiper, un vieil ivrogne qui ne croit même plus en Dieu mais accepte, pour quelques bigotes, de rejouer inlassablement la même comédie du rituel religieux. Il ne trouve sa consolation que dans le vin qui l'aide à oublier toutes les fautes des villageois qu'au nom de Dieu il pardonne, mais aussi la folie destructrice des hommes, leur volonté de trahir avec la bonne conscience de ceux qui veulent se persuader qu'ils agissent justement. A cause de lui, de son message religieux d'un autre âge et des vieilles croyances populaires qui puisent leur existence dans une peur ancestrale, « l'Autre » prend une dimension diabolique qui justifie son élimination. Il symbolise lui aussi la solitude, la peur de l'homme face à ce qui ne lui ressemble pas, face à la mort aussi après laquelle il n'y a rien, ni paradis ni enfer, rien que le néant et que Dieu n'est peu-être rien d'autre que l’inspirateur des bassesses humaines.

    C'est aussi un ouvrage sur la culpabilité « Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien ». Ce sont les premiers mots du narrateur, comme une excuse de tout ce qui va suivre et que va apprendre le lecteur. Pour tous ces gens qui le méprisent, il ne sera qu’un scribe, qu'un témoin, celui qu’ils ont chargé d'écrire ce meurtre dans son fameux rapport parce, ayant fait des études, il est seul à pouvoir le faire. Ils pensent sans doute qu'ils trouveront dans ses mots le pardon, pour ce qu'ils ont fait mais, devant son travail de tabellion méthodique, seules les flammes sont une réponse, comme si les phrases faisaient peur aux villageois, les désignant comme coupables pour l'avenir, pour l'Histoire peut-être ? Une des fonctions de l'écriture est de fixer le passé, d'en être la mémoire pour, peut-être, faire naître une certaine forme de compréhension voire de pardon. Ici, le rapport de Brodeck révèle la perfidie humaine et aux yeux du maire manque son but ce qui motive sa destruction. [« Il est temps d'oublier Brodeck, les hommes ont besoin d’oublier »]

    J'ai déjà dit dans cette chronique que j'apprécie le style de Philippe Claudel, fluide et agréable à lire, plus spécialement peut-être dans les descriptions où l'attention portée aux détails les rend plus vraies encore. Même si ce roman est quelque peu dérangeant, il a représenté pour moi un bon moment de lecture.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com