la feuille volante

Laurent Mauvignier

  • Dans la foule

    N°1749 – Mai 2023

     

    Dans la foule – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Les faits sont connus de tous puisqu’ils se sont inscrits, en ce 29 mai 1985, dans la mémoire collective. Nous sommes au stade du Heysel à Bruxelles pour le match de football entre la Juventus de Turin et Liverpool. Avant le commencement de la rencontre, les hooligans anglais envahissent la tribune des Italiens. La bousculade fait 39 morts et plus de 400 blessés.

    Laurent Mauvignier s’empare de cet épisode pas très glorieux pour le football mais révélateur de nos sociétés et met en scène des personnages venus de France, de Grande Bretagne, d’Italie et de Belgique qui vont se croiser et prendre la parole en monologues. Tana et Francesco, des Italiens, sont en voyage de noces, de passage à Bruxelles et ne veulent pas manquer la rencontre. Lui sera tué en protégeant sa femme qui ensuite perdra pied dans l’alcool, la drogue, le sexe... Gabriel et Virginie sont belges et veulent assister au spectacle mais se font voler leurs billets par Jeff et Tino, des Français opportunistes et roublards qui seront blessés mais s’en sortiront, Goeff accompagne ses frères, Dough et Huggie, deux brutes, supporters de Liverpool. Trois ans plus tard Jeff et Tino, rongés par le remords, veulent retrouver Tana en Italie. Aucun des survivants n’est sorti indemne de ce désastre.

    Ce triste épisode met en évidence le mouvement hooligans qui a bouleversé durablement les stades et il a fallu du temps aux autorités pour réagir et prendre des mesures pour le faire cesser. J’observe que cette volonté gratuite de détruire n’est pas du tout éteinte et que notre société actuelle en est fortement affectée. Ce qui aurait dû être un moment convivial, une communion autour d’une rencontre sportive a été gâté par la violence que porte en lui chaque être humain qui ainsi révèle sa vraie image et qui peut se réveiller à tout moment, surtout quand cela est amplifié par le phénomène d’hystérie collective. La foule a en effet ce pouvoir de modifier fondamentalement les réactions individuelles. La mort peut frapper sans préavis, quand on s’y attend le moins. Je ne suis pas bien sûr non plus que cela soit en passe de se calmer quand on assiste aux agressions en tout genre, à toutes occasions et dans tous les milieux dont notre époque est le théâtre. Le principe du « vivre ensemble », de la solidarité, qui sont louables, me semblent de plus en plus réduits à l’état de concept dans la mesure où chacun considère de plus en plus que tout lui est permis.

    Je ne suis pas fan de football mais il faut bien noter que les autorités ont laissé jouer le « match du siècle »(1-0 pour Turin) malgré le drame, sans doute pour des raisons bassement financières. L’argent a continué à pourrir ce sport surtout si on considère l’attribution de la dernière coupe du monde… au Quatar. Je ne suis pas bien sûr non plus que les valeurs dont on nous rebattu les oreilles pendant des décennies sortent renforcées de cette collusion politico-financière (et pas seulement).

    Dans ce texte à plusieurs voix, chaque personnage prend la parole, dévoilant sa personnalité, ses états d’âme, ses regrets, ses remords, ses obsessions, ses délires. L’écriture est volontairement hachée pour souligner l’horreur du drame. D’ordinaire, découvrir un roman de Mauvignier est pour moi un bon moment. Ici, j’ai eu un peu de mal à le suivre. Pourtant, à mes yeux, le rôle de l’écrivain, et de l’artiste en général, est aussi d’être le miroir de son époque.

  • Loin d'eux

    N°1745 – Mai 2023

     

    Loin d’eux– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Il est communément admis que si, pour un couple, la venue d’un enfant peut éventuellement être le couronnement de leur amour, il n’en reste pas moins qu’on n’a pas d’enfants pour soi, c’est à dire que, la période de jeunesse passée, même si elle a été heureuse, ils partent faire leur vie ailleurs. Luc ne se sentait pas bien chez ses parents, ne voulait pas leur ressembler, ne supportait plus la vie avec eux, trop seul, trop incompris, il voulait autre chose. Il a donc quitté la province pour un travail et une vie à Paris, loin d’eux. Au sein de sa famille, son absence pesante était seulement adoucie par quelques courriers rédigés en termes convenus, des communications téléphoniques, des visites rapides… Cela aurait pu être une histoire banale sur les relations, souvent difficiles, parents-enfants, comme on en rencontre dans toutes les familles. Cela aurait pu s’arranger avec un mariage, la naissance de petits-enfants et un nouvel intérêt pour la vie et pour l’avenir, mais les choses se sont déroulées autrement. Pour Céline, sa cousine avec qui il a eu une longue complicité, c’est un peu différent. Elle s’est mariée tôt, a fondé une entreprise avec son mari mais ce dernier est mort dans un accident et tout a basculé pour elle. Elle est partie avec un inconnu, qui le restera pour sa famille, vers une autre vie, un autre espoir, mais sans grande conviction.

    Avec une intense écriture, c’est l’évocation de la mort qui est ici déclinée à travers ces deux personnages. La Camarde s’est insinuée entre les pages de leur deux livres, en arrachant la dernière pour Luc et pour Céline en creusant un vide qu’elle cherchera à combler sans jamais y parvenir, inversant ainsi le cours normal des choses et des deuils. Un désastre pour elle, une délivrance pour lui. La mort, on vit sans vraiment y penser et quand elle se manifeste chez les autres on se félicite qu’elle nous ait épargnés. Certes Céline survit au décès de son mari et refait sa vie, mais elle choisit une forme de fuite avec un inconnu pour exorciser son chagrin. C’est simplement pour nous rappeler les termes de notre pauvre condition humaine, c’est à dire que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie, qu’elle peut nous être enlevée quand nous nous y attendons le moins et sans le moindre préavis. Pour Luc et son option qu’on sent venir tout au long de ce court texte, il exprime définitivement un refus, un échec. Tous les deux ont fait le constat que la vie ne les aimait pas et qu’ils ne l’aimaient pas non plus. Leur choix et plus spécialement celui de Luc, s’est exprimé sans tenir compte de ceux qui restent, qui ne méritaient pas cette épreuve et qui vont porter ce poids toute leur vie, avec leurs interrogations inévitables, leur refus d’y croire, la certitude que le monde autour d’eux s’effondre, leur incontournable culpabilisation, la certitude grandissante de n’avoir pas fait ou pas dit ce qu’il fallait quand il le fallait. Ils auront beau verser des larmes, se dire qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu, que la vie continue, que le temps aplanira leur peine, se convaincre que les morts revivent dans la mémoire des vivants, se raccrocher aux souvenirs, aux photos pour artificiellement faire revivre le disparu, tout cela sera dérisoire face à la réalité, au vide, à l’absence. Même l’affirmation de la religion sur la résurrection se révèle artificielle. Ce qui restera de cette épreuve c’est la solitude, les remords, tout juste atténués par de bienveillantes présences amies, porteuses de mots ou de silences.

    Chacun des deux parents, Jean et Marthe, prend alternativement la parole, de même que Gilbert et Geneviève, ses oncle et tante et que Céline, sa cousine. Lui aussi s’exprime mais ce sont des monologues et tous racontent leurs interrogations, leurs difficultés, leur bonne foi, leur solitude, leur impuissance, leur désarroi.

    Ce que j’attends d’un romancier c’est, entre autre d’être le miroir de son temps mais aussi de notre condition humaine dont la mort fait partie, même si l’image qu’il nous renvoie est cruelle, simplement parce que la vie est ainsi quand elle choisit ses victimes.

     

     

     

  • Tout mon amour

    N°1744 – Mai 2023

     

    Tout mon amour– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Ici il s’agit d’une pièce de théâtre assez particulière , à la mise en scène dépouillée, faite de peu de décor, de jeux de lumières avec une prédilection pour le noir, la couleur du costume du père, celle de la mère au début mais aussi un jeu sur la symbolique des vêtements de chacun et notamment le rouge vif, celui des robes de la mère et de la fille, de son cosmétique. Les dialogues sont hésitants, parfois faits de non-dits, de silences et de soliloques, comme ce qu’ils avaient à dire était impossible à formuler, la progression de l’intrigue est assez lente de l’intrigue, les personnages sans nom, juste individualisés par leur place dans la famille (le père, la mère...qu’une seule lettre résume). Seule la fille a un prénom, Élisa. Ils semblent s’ignorer entre eux et quand ils se parlent, les dialogues sont peu apaisés, parfois violents, parce que ce qu’ils évoquent appartient à un lourd passé que personne ne peut oublier, les vivants parlent aux morts, les absents imposent leur présence, leur attitude les uns par rapport aux autres indique les qualité de leurs relations personnelles entre eux, leurs oppositions. Certains semblent régler des comptes qu’ils n’ont pas su solder de leur vivant. Cette pièce est la première de Laurent Mauvignier qui nous avait habitué dans ses différents romans à une écriture plus fluide et poétique.

    Le Grand-père vient d’être enterré, son fils (Le père) a assisté aux obsèques avec son épouse (La mère) en l’absence de leur fils (Le fils) et d’un oncle qu’on ne verra pas. Tous ont envie d’expédier les formalités de la succession peut-être pour vendre la maison qui porte en elle trop de souvenirs. Intervient une fille Elsa dont on découvre qu’elle a disparu dans un bois dix ans plus tôt. S’engage entre eux une conversation hachée, faite de regrets, de remords, de souvenirs mal digérés, de querelles non réglées, de colères rentrées où l’urgence le dispute à l’hésitation, ou attendre devient la règle. La maison de famille qui sert d’ environnement et qui, petit à petit devient elle-même un personnage.

    Je ne sais pas si j’ai bien compris mais Elsa qui revient et que la mère ne veut pas voir, pose le problème. C’est une petite fille de six ans, c’est à dire innocente et incapable de réagir face aux décisions des adultes qu’on a éloigné de sa famille parce qu’elle y était devenue un élément indésirable et parce qu’on voulait favoriser le fils qu’ainsi on surprotège. C’est la mère, castratrice et dominatrice qui est responsable de tout cela parce qu’elle en a décidé ainsi et qui déplore l’évolution de ce fils qui un jour tombera sous l’influence d’une jeune-fille qui le soustraira à son influence.

    L’auteur nous replonge dans les vieilles querelles de famille, la solitude, le fossé entre parents et enfants, le favoritisme au sein d’une même famille qui crée des injustices dans la fratrie, la culpabilité, les secrets enfouis au fond de la mémoire, les souvenirs oubliés mais qui peu à peu reviennent, ressassés à devenir obsessionnels, une volonté de se faire mal pour mieux goûter une forme peut-être illusoire de rédemption. L’opposition entre la mère et Elsa est constante et on sent un désir de vengeance chez cette dernière, tandis que la mère, responsable de tout cela, cherche à se donner de bonnes raisons d’avoir agi ainsi et même se pose en victime. La fuite de cette maison chargée de souvenirs malsains est une façon de les nier.

     

  • Tout mon amour

    N°1744 – Mai 2023

     

    Tout mon amour– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Ici il s’agit d’une pièce de théâtre assez particulière , à la mise en scène dépouillée, faite de peu de décor, de jeux de lumières avec une prédilection pour le noir, la couleur du costume du père, celle de la mère au début mais aussi un jeu sur la symbolique des vêtements de chacun et notamment le rouge vif, celui des robes de la mère et de la fille, de son cosmétique. Les dialogues sont hésitants, parfois faits de non-dits, de silences et de soliloques, comme ce qu’ils avaient à dire était impossible à formuler, la progression de l’intrigue est assez lente de l’intrigue, les personnages sans nom, juste individualisés par leur place dans la famille (le père, la mère...qu’une seule lettre résume). Seule la fille a un prénom, Élisa. Ils semblent s’ignorer entre eux et quand ils se parlent, les dialogues sont peu apaisés, parfois violents, parce que ce qu’ils évoquent appartient à un lourd passé que personne ne peut oublier, les vivants parlent aux morts, les absents imposent leur présence, leur attitude les uns par rapport aux autres indique les qualité de leurs relations personnelles entre eux, leurs oppositions. Certains semblent régler des comptes qu’ils n’ont pas su solder de leur vivant. Cette pièce est la première de Laurent Mauvignier qui nous avait habitué dans ses différents romans à une écriture plus fluide et poétique.

    Le Grand-père vient d’être enterré, son fils (Le père) a assisté aux obsèques avec son épouse (La mère) en l’absence de leur fils (Le fils) et d’un oncle qu’on ne verra pas. Tous ont envie d’expédier les formalités de la succession peut-être pour vendre la maison qui porte en elle trop de souvenirs. Intervient une fille Elsa dont on découvre qu’elle a disparu dans un bois dix ans plus tôt. S’engage entre eux une conversation hachée, faite de regrets, de remords, de souvenirs mal digérés, de querelles non réglées, de colères rentrées où l’urgence le dispute à l’hésitation, ou attendre devient la règle. La maison de famille qui sert d’ environnement et qui, petit à petit devient elle-même un personnage.

    Je ne sais pas si j’ai bien compris mais Elsa qui revient et que la mère ne veut pas voir, pose le problème. C’est une petite fille de six ans, c’est à dire innocente et incapable de réagir face aux décisions des adultes qu’on a éloigné de sa famille parce qu’elle y était devenue un élément indésirable et parce qu’on voulait favoriser le fils qu’ainsi on surprotège. C’est la mère, castratrice et dominatrice qui est responsable de tout cela parce qu’elle en a décidé ainsi et qui déplore l’évolution de ce fils qui un jour tombera sous l’influence d’une jeune-fille qui le soustraira à son influence.

    L’auteur nous replonge dans les vieilles querelles de famille, la solitude, le fossé entre parents et enfants, le favoritisme au sein d’une même famille qui crée des injustices dans la fratrie, la culpabilité, les secrets enfouis au fond de la mémoire, les souvenirs oubliés mais qui peu à peu reviennent, ressassés à devenir obsessionnels, une volonté de se faire mal pour mieux goûter une forme peut-être illusoire de rédemption. L’opposition entre la mère et Elsa est constante et on sent un désir de vengeance chez cette dernière, tandis que la mère, responsable de tout cela, cherche à se donner de bonnes raisons d’avoir agi ainsi et même se pose en victime. La fuite de cette maison chargée de souvenirs malsains est une façon de les nier.

     

  • Le lien

    N°1743 – Mai 2023

     

    Le lien– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    J’apprécie le style de Laurent Mauvignier et le lire est toujours un plaisir.

    C’est un dialogue entre « Elle » et « Lui », une manière de faire le point sur leurs relations au cours de leur vie. Lui est parti il y a trente ans photographier le monde et user de sa liberté et elle est restée dans la chambre, leur chambre, de cette maison isolée dans la campagne, avec sa crainte du danger et seulement des courriers pour l’apaiser. Il s’aimaient sans doute au début mais le fait de passer leur vie ensemble, de voir ce lien originel se détendre et s’altérer en même temps que les forces de leur corps, les a découragés. Constater que partager le même quotidien routinier pendant des années révèle plus que tous les grands discours les failles et les faiblesses de l’autre, son vrai visage, au point qu’on finit par se dire qu’on s’est trompé… c’est une réalité à laquelle ils ont choisi d’échapper ! Il est parti pour ne pas passer à côté de sa vie, pour ne pas avoir, en fin de parcours, à se dire qu’il n’a pas tenté de faire ce qu’il voulait réellement réaliser, pour n’avoir pas de regrets. Et elle l’a regardé s’éloigner par manque de courage ou peut-être pour jouer, avec une certaine vanité, le rôle de celle qui attend, la victime passive ou la gardienne orgueilleuse des lieux ? Il l’a quittée parce qu’il s’ennuyait, par crainte de l’usure du couple qui s’ouvre souvent sur l’indifférence voire la haine, la séparation, mais cette longue absence ressemble aussi à une fuite. Il lui envoyait ses carnets de voyage et ses clichés et elle les archivait, mais la maladie qui l’assaille et la mort qui s’annonce lui interdisent désormais ce travail et c’est pour cela qu’il revient. Il veut réaliser avec elle un livre sur ses errances, des images et des mots quasi clandestins qui voudraient changer un monde immuable dans ses violences et ses injustices.

    A-t-elle accepté cette situation, ce quasi veuvage, cette solitude par amour ou parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement? Ça n’a pas été ni pour l’un ni pour l’autre une période chaste, « il faut bien que le corps exulte » dit la chanson, il y a eu des moments de rapides étreintes avec d’autres partenaires où on ne recherche que le plaisir au détriment du bonheur et évidemment de l’amour, et lui y a même ajouté quelques litres d’alcool parce que cela collait bien avec son personnage d’aventurier. Elle a accepté de passer pour une marginale, une séductrice, un briseuse de ménages et a assumé cette image dans cette contrée perdue. Ils auraient pu faire un enfant qui est aussi un gage d’amour pour conforter ce lien entre eux, mais ils s’en sont dispensés, peut-être par sécurité. Il est certes parti au loin mais a emporté avec lui les senteurs et les couleurs du jardin, la chaleur de la pierre et, bien sûr, son visage à elle, mais il parti quand même et dans un geste égoïste où j’ai du mal à voir de l’amour pour elle. Il revient parce qu’elle est malade et qu’elle va mourir c’est à dire qu’il veut garder d’elle une dernière image. Tous les deux ont choisi leur vie, leur recherche d’une forme de bonheur, l’un sans l’autre, avec cette sorte d’assurance de pouvoir se retrouver ensemble si son entreprise était par trop altérée par les découragements et les échecs. Pendant ces retrouvailles qui seront sans doute courtes, ils égrènent les bonnes raisons d’avoir agit ainsi, un peu comme pour se justifier l’un l’autre, comme une confession qui n’exclut évidemment pas la culpabilité. Mais quand même, trente ans ça fait long ! Il a beau dire qu’il ne l’a jamais oubliée, que c’était elle qu’il retrouvait dans le visage des autres femmes, ça me paraît un peu artificiel ! A la fin, elle prétend être heureuse parce qu’elle va mourir c’est à dire qu’elle va enfin être libérée de ses remords, de ce sentiment de gâchis, de ces déceptions, de ces moments de solitudes et de craintes accumulés pendant ses trente années, c’est vraiment tout ce qui lui reste.

    Je n’ai peut-être rien compris mais j’ai lu dans ce dialogue deux formes de déréliction, d’échec, deux évidences face à la vie qui est unique et qu’on choisit.

     

     

  • Autour du monde

    N°1738 – Avril 2023

     

    Autour du monde – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Avec ce titre à la Blaise Cendras, l’auteur nous entraîne dans des fragments de vie de quatorze personnages repartis dans divers pays du monde qui n’ont aucun lien entre eux, ne se connaissent même pas et qui n’ont que pour point commun que le tsunami de Fukushima du 22 mars 2011 qui porte la mort en lui, c’est assez dire la fragilité de la vie face à la puissance destructrice de la nature.

    Ces personnages sont toujours en mouvement, comme pris dans une sorte de maelström d’une société vide de sens, uniformisée, sans aucune originalité surtout caractérisée par la solitude malgré l’agitation, les expériences individuelles, l’amour et la guerre, un peu comme si chacune de ces séquences se résumait à une sorte de carte postale comme les images qui accompagnent chaque récit. J’ai eu un peu de mal a entrer dans cette lecture, certes on passe d’un univers à l’autre, de la Russie à l’Afrique, de New York à Paris, les histoires sont différentes et n’ont aucun point commun, tout comme les personnages qui les font vivre, le seul lien étant la catastrophe du Japon. On peut peut-être regretter de ne pas en savoir davantage sur tous ceux qui nous sont ainsi présentés l’espace de quelques pages puisqu’ils s’effacent ainsi trop rapidement aux yeux du lecteur. C’est sans doute l’effet recherché par l’auteur qui, au départ avait souhaité évoquer un jardin public avec des gens qui s’y croisent avec chacun son histoire, sa tranche de vie, ses expériences, tout en commentant l’actualité parfois cruelle comme un fait divers, le monde prenant la place du simple square.

    Mon allusion à Cendrars n’était pas fortuite puisque il a lui-même indiqué que ce qui importait à ses yeux c’était moins le voyage qu’il relatait dans « La prose du transsibérien » que ce que le lecteur pouvait éprouver à sa lecture, ce qui rejoint la phrase de Nicolas Bouvier notée en exergue « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait »

    Comme toujours le style est fluide et agréable à lire, les transitions entre les histoires sont subtiles et le miroir dans lequel se reflète le monde, sans concession.

     

  • Des hommes

    N°1736 – Avril 2023

     

    Des hommes – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Peut-on oublier la guerre, celle qu’on a faite à vingt ans sans vraiment le vouloir.

    Le narrateur qui est le cousin de Bernard, du même pays et de la même classe que lui, évoque l’histoire personnelle de ce dernier, la conscription des années 60 qui a arraché à leur terroir boueux qu’ils n’avaient jamais quitté des jeunes gens à peine sortis de l’adolescence pour les précipiter dans la guerre du djebel. Il raconte le traumatisme subi par ces petits gars de la campagne qui découvrent certes un pays, un climat et des gens qu’il ne connaissent pas, apprennent l’ennui et les corvées des longues journées de caserne mais surtout le dégoût de la violence perpétrée contre les populations civiles, l’horreur des combats et des exécutions, la trahison, la peur du danger, des attentats et de la mort, au bled comme en ville, le devoir de tuer si on ne veut pas perdre la vie, la trouille qu’on appelle aussi le courage. Ils doivent défendre le territoire parce que là aussi c’est la France. Libéré après de longs mois Bernard revient en métropole, rompt avec sa famille, tente de refaire sa vie loin d’elle, avec femme et enfants mais revient longtemps après dans son village comme SDF alcoolique et marginal. Les vielles histoires de famille reviennent longtemps après avec des conséquences inattendues et une banale fête d’anniversaire va faire ressurgir tout ce passé qu’on croyait oublié.

    Cette guerre d’Algérie que l’auteur n’a évidemment pas faite revient dans son œuvre comme un leitmotiv oppressant et accompagne la figure muette de son père. Cela a traumatisé toute une génération de jeunes gens envoyés là-bas et dont certains ne sont jamais revenus, et tout cela pour rien, pour un pays perdu d’où ont été expulsés tant de « pieds-noirs » trahis par les hommes politiques, on a sacrifié des harkis qui avaient pourtant fait le choix de la France, trompé ceux des arabes qui avaient combattu pour la France et qui ne seraient jamais Français, déconsidéré l’armée française dont certains membres se sont rebellés parce qu’ils se sont considérés comme trahis et parce qu’elle a commis la-bas les mêmes crimes dont les nazis s’étaient rendus coupables pendant la 2° guerre mondiale en métropole, répondant aux massacres de l’autre camp, cette même armée qui refusa, parce que les ordres étaient ainsi, de protéger les Français contre les massacres perpétrés par les Algériens. Pour ces jeunes gens, le service militaire effectué dans ces conditions est plus qu’un rite traditionnel de passage vers l’âge adulte, c’est une blessure indélébile pour ces jeunes devenus des hommes. Leur longue absence a parfois fait basculer leurs projets les plus intimes. Il reste de vieilles photos jaunies, des visages oubliés, l’espoir de la quille libératrice, des odeurs, de rares permissions, du soleil, de sales souvenirs liés à la mort dont il ne parle pas, un fort sentiment de révolte contre les ordres donnés qu’il faut exécuter, la culpabilité d‘avoir survécu que toutes les vaines prières n’effaceront jamais, une page qui trouble même le sommeil et qu’on ne tournera vraiment jamais parce qu’on ne peux même pas en parler, qu’on camoufle mal sous de folkloriques banquets d’associations d’anciens d’AFN, de médicaments ou d’alcool.

    Le style est volontairement haché, brut, des phrases parfois inachevées, déstructurées où les silences le disputent à avalanche des mots, comme s’ils avaient été trop longtemps tus...

     

     

  • Ce que j'appelle oubli

    N°1735 – Avril 2023

     

    Ce que j’appelle oubli– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Cela paraît à peine croyable tant les choses sont simples. Un jeune marginal entre dans un supermarché se dirige vers une gondole de bières, prend une canette, la boit, quatre vigiles interviennent, le traînent dans un local de stockage à l’abri des regards, le frappent et le tuent, pour une simple bière volée! On se croirait revenu au Moyen-âge. C’est un simple « fait divers » comme on dit, c’est à dire un événement que la presse locale mentionne à peine en quelques lignes maigres en fin de journal entre les développements d‘une guerre lointaine qui fait rage et bouleverse des vies innocentes et les misérables tergiversations clownesques de politicards véreux, une anecdote authentique qui s’est produite à Lyon en décembre 2009 qui serait passée inaperçue si elle n’avait inspiré ce récit.

    Le narrateur remet la victime au centre du récit, s’adresse à son frère pour lui raconter ce qu’il n’a pas vu, pour évoquer ce qu’il ne pourra plus vivre avec lui, décrit les quatre vigiles qui maintenant vont devoir répondre devant la justice d’un assassinat qui n’aurait jamais dû avoir lieu, tant l’enjeu était dérisoire. Ils se sont mal défendus, ont évidemment menti, ont protesté de leur absence de volonté de tuer, ont invoqué enchaînement absurde des événements... Ils n’en sont pas moins devenus des assassins, responsables d’un meurtre gratuit et injustifiable, que rien, pas même le paiement de leur dette à la société, comme on dit, n’effacera, que rien ne pourra jamais justifier, ni la nécessité, ni la légitime défense, ni l’ostracisme, ni une improbable conscience professionnelle. Cela leur collera à la peau toute leur existence, avoir sans aucune raison pris une vie, avoir à ce point outrepassé leurs fonctions, imposer une sanction définitive à un être humain. On pourra dire tout ce qu’on voudra, que nous sommes mortels, simples usufruitiers d’une vie qui peut nous être enlevée à tout moment sans préavis, que ce pauvre jeune homme s’est trouvé là au mauvais moment, au mauvais endroit, que l’espèce humaine est capable du pire comme du meilleur mais bien souvent du pire, mais cet homme qui vivait, faisait l’amour, respirait, ne le fera plus et maintenant n’est plus qu’un cadavre voué à l’oubli. Ces vigiles devront affronter les tribunaux et surtout la violence des prisons, légale celle-là, qui aura au moins l’avantage pour eux, si on peut dire, de les maintenir en vie alors que leur victime elle ne vieillira pas.

    Ce geste est révélateur de ceux qui sont dépositaires d’une parcelle même infime de l’autorité et se croient autorisés à en abuser, une image banale mais pourtant quotidienne qui s’inscrit dans une société de plus en plus en manque de repères, où la violence est devenue tellement banale qu’elle n’étonne même plus, où un nombre exponentiel d’individus ordinaires ne rêvent que d’en découdre et pour cela ne reculent devant rien pour s’affirmer, se prouver qu’ils existent.

    J’ai déjà dit dans cette chronique que j’apprécie Laurent Mauvignier non pas tant pour le longueur de ses phrases (ces 61 pages ne sont qu’une seule et même phrase) mais notamment parce qu’il est, ce que devrait être un écrivain, c’est à dire le reflet de son temps, jusques et y compris si celui-ci, n’est pas reluisant.

     

     

  • continuer

    N°1734 – Avril 2023

     

    Continuer – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Sibylle Ossokyne, fille d’émigrés russes, la quarantaine fragile, dont l‘avenir était prometteur mais s’est transformé en un lamentable échec, voyage à cheval avec son fils Samuel dans les montagnes du Kirghizistan, c’est à dire au milieu de nulle part. Ils ne sont pas là par hasard. Elle, mère divorcée et seule, élevant difficilement son fils adolescent, a considéré que cette expérience ne pouvait-être qu’être bénéfique pour son enfant unique en décrochage scolaire, en rupture familiale et au bord de la délinquance, qui estime que tout lui est permis, excès comme rébellions, avec préjugés racistes, dominateurs, homophobes ... Elle a pensé que ce voyage, en bousculant les choses de leur vie au point de les mettre en danger, serait libérateur pour tous les deux et serait en tout cas pour Samuel plus bénéfique qu’un séjour dans un pensionnat catholique comme le suggère son père. A chaque fois que ce dernier apparaît il réveille les tensions et catalyse les oppositions, ce qui est néfaste pour le fils et sa mère. Samuel ne voit pas l’intérêt de cette chevauchée, se rebiffe contre cette forme de fuite, contre ce itinéraire qui se veut initiatique et qui sera peut-être celui de la dernière chance. Le regard qu’il porte sur sa mère fait montre d’une profonde incompréhension qui s’affirmera au cours du voyage. Sibylle tient une sorte de journal intime, un carnet noir sur lequel elle note ses impressions au jour le jour, une sorte de bouée à laquelle elle s’accroche. Cela deviendra peut-être un roman comme elle aime en écrire ou peut-être rien.

    Depuis Sénèque nous savons que voyager n’est pas guérir son âme. Cet itinéraire incertain voulu par Sibylle dans ce pays étranger apparaît à son fils comme un parcours cahoteux et incertain comme une fuite inutile, antidote de la peur en général et surtout dangereux parce qu’il est révélateur d’un malaise profond qui touche à son éducation. Non seulement le divorce de ses parents l’a privé d’un père qui, même s’il n’est qu’un être égoïste, lâche et menteur, absent de la vie de son fils n’en fait pas moins partie de leur famille, valeur traditionnelle mais qui a été détruite par ses soins. De plus l’exemple que Sibylle lui a donné se révèle néfaste, elle qui est depuis longtemps familière de l’échec à titre personnel et en matière d’éducation de sin fils en particulier. Cette posture au regard de ce fiasco constant fera naître une forme de culpabilité qui se retournera contre elle. Cette étrange épopée restera en suspens avec peut-être un espoir rendu fragile par l’avenir toujours incertain.

     

    Comme je l’ai déjà mentionné, je sais gré à l’auteur d’être le miroir de son temps, de parler de la solitude qui gangrène nos sociétés jusque dans nos propres familles dans les relations parents-adolescents par essence difficiles et l’incompréhension qui va avec à cause de la différence de génération, de l’hypocrisie qui gouverne nos vies et la bonne conscience qui en découle, de la volonté de bien faire et de l’échec qui souvent en résulte, de dénoncer l’espèce humaine qui n’est pas fréquentable, ce que nous savons puisque nous en faisons tous partie, Elle est minée par l’individualisme, la violence, la haine… De plus, j’aurais toujours un intérêt particulier pour l’étude des personnages par rapport à l’écrivain, pour leur itinéraire interne qui s’opposent à celui qui tient le stylo, qui imposent leur personnalité et l’amènent là où ils le souhaitent. Comme dans la vraie vie les personnages de roman ont une existence propre, une liberté qu’ils entendent faire valoir. Comme dans la vraie vie des choses leur réussissent mais surtout leur échappent … J’aime le style de Laurent Mauvignier, à la fois précis, poétique dans les descriptions, pertinent dans les arguments, un texte qu’on suit passionnément jusqu’au bout. Je note également la performance de l’auteur qui a réussi à nous faire rêver de grands espaces… sans quitter sa feuille blanche, sans quitter son bureau.

     

    Alors continuer à écrire comme acte de résilience contre les multiples agressions que cette vie nous réserve, même si ce ne sont que des mots qui ne font qu’attester des échecs qu’elle nous réserv pourquoi pas, mais pas seulement, continuer parce que la vie est là, pleine de surprises et de projets...Peut-être ?

  • Ceux d'à côté

    N°1733 – Avril 2023

     

    Ceux d’à côté – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Tout d’abord il y a deux femmes qui alternativement prennent la parole sous forme de monologue, Catherine et Claire qui sont voisines de palier et amies. Catherine prépare un concours de chant et assure la surveillance d’une cantine scolaire, c’est à dire qu’il ne lui arrive rien, qu’elle n’attend plus rien de sa vie et s’y ennuie. Elle sait qu’elle ne sera jamais une grande chanteuse mais elle trompe sa tristesse en attirant des hommes chez elle pour une étreinte rapide et sans lendemain. Claire au contraire a un homme dans la sienne, Sylvain, mais elle est violée par un inconnu dans son appartement et même si dans ce vieil immeuble on perçoit chaque bruit venu de l’appartement voisin, Catherine, un casque sur les oreilles et qui s’exerçait au chant, n’a rien entendu. Elle culpabilise pour cela autant que pour le silence qui a suivi le départ de son amie, hospitalisée et qui laisse son appartement désormais vide.

    Claire parle à Catherine qui se rend compte que les mots de son amie, censés la soulager, sont pour elle une sorte de nourriture dont elle se repaît puisque ce récit vient combler le vide de son existence. Elle en conçoit une honte intérieure mais aussi une sorte de jalousie et même l’espoir que quelque chose de semblable lui arrive enfin à elle. Après tout l’auteur de ce crime n’a pas été arrêté et peut parfaitement revenir et elle imagine même qu’elle le croise sans ressentir aucune crainte. La perspective de son concours ne suffit même plus à la motiver et c’est l’ennui qui baigne maintenant toute sa vie. Ce sont donc deux solitudes qui se font face.

    L’auteur y ajoute une troisième, celle du violeur qui confie, lui aussi sous forme de monologue, son mal de vivre, sa difficulté de parler aux autres, de se regarder lui-même dans une glace à cause des pulsions sexuelles qu’il ne peut refréner, même par la marche, de se supporter lui-même et d’avoir détruit cette femme. Il est bourrelé de remords, repense à elle constamment, veut même la revoir pour vérifier qu’elle est encore en vie et songe à sa propre mort comme à une délivrance. Pourtant c’est vers Catherine qu’il se sent attiré...

    C’est un roman sur la solitude, sur le vide. Nous vivons dans un siècle de la communication, des brassages de populations où plus qu’avant, des rencontres parfois improbables sont possibles. Et pourtant l’ isolement s’impose de plus en plus, un peu comme un constant contraire à cette apparente réalité, à l’image de l’être humain qui est lui-même un paradoxe entre volonté et impossibilité.

  • Seuls

    N°1731 – Avril 2023

     

    Seuls – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Un soir Pauline appelle Tony pour qu’il vienne la chercher à l’aéroport. Lui qui vit seul d’un travail qu’il n’aime pas, veut y voir un signe du destin qui va précipiter les choses et faire revenir vers lui cette jeune fille devenue femme qu’il connaît depuis l’enfance et à qui il n’a jamais cessé de penser depuis qu’ils étaient étudiants ensemble. A cette époque ils partageaient un appartement en colocataires et il n’y avait entre eux qu’une solide amitié, une vie de frère et sœur. Puis elle est partie longtemps à l’étranger avec un homme, abandonnant tout. Avec son accord elle s’installera chez lui le temps de trouver un appartement. Pendant quelques temps ils vivront donc ensemble, comme ils l’ont déjà fait jadis, et pour les yeux des autres seront comme un couple d’amoureux, singeant une vie de couple. Ce mensonge le ravit et il voudrait que cela dure toujours, qu’elle reste enfin avec lui, devienne amoureuse de lui. Il revit au point d’envisager de quitter son travail, de reprendre ses études... Pourtant, tout les a toujours séparé, elle était toujours très courtisée et lui était un garçon complexé, sentimental, idéaliste, timide et qui rêvait d’un « grand amour » et elle était sensuelle, libre et aimait l’amour physique. Rien n’a changé entre eux mais la réapparition inattendue de Pauline réveille pour Tony cet amour refoulé qu’il a toujours éprouvé pour elle sans oser le lui avouer et sans même qu’elle-même s’en aperçoive. Maintenant, c’est un peu comme s’il voulait rattraper le temps perdu et il transforme son appartement pour que Pauline s’y sente bien et peut-être y reste, une démarche pourtant vouée à l’échec Leur relation est révélatrice de la complexité de l’être humain qui trahit à la fois son besoin d’être aimé et la crainte de l’être, l’illustration de l’attirance et de la répulsion des êtres entre eux. Mais Pauline se lasse vite de cette monotonie, de cette routine banale de Tony devenu vieux garçon à force de l’attendre et disparaît à nouveau et s’installe avec Guillaume, plongeant Tony dans un désespoir dévastateur qui provoque sa disparition brutale dont le père cherche l’explication auprès de Pauline.

    De ce roman au titre évocateur il ressort une grande solitude, une fragilité, celle du père qu’on sent tourmenté, désemparé face à ses souvenirs de guerre, qui s’aperçoit bien tard qu’il est passé à côté de ce fils sans avoir cherché à le connaître et peut-être à l’ aider, celle de Tony, ballotté par les événements qui s’imposent à lui mais aussi celle de Pauline, incapable de se fixer et qui ne pense qu’à elle. C’est un peu comme si, hautaine, indifférente, volontiers arrogante, elle vivait à ses côtés sans le voir, comme s’il était un témoin transparent, impuissant face aux aventures amoureuse de cette femme. J’ai même eu l’impression qu’elle jouait avec lui, avec sa candeur, avec sa timidité et prenait un certain plaisir à détruire tous les espoirs fous que Tony avait tressés et auxquels il s’accrochait désespérément. Ce sont à l’évidence deux êtres qui ne se ressemblent pas, qui ne sont pas faits l’un pour l’autre mais que la vie a réuni pour mieux les séparer et pour qui la vie commune eût été impossible, de toute manière.

    Cette impression de solitude est renforcé par l’absence de dialogues, le style est fluide, poétique parfois, agréable à lire malgré des phrases un peu longues.

    Je redis ici que j’apprécie cet auteur pour la qualité de son style, à la fois simple et précis mais aussi pour les thèmes de réflexion qu’il choisis pour nourrir son œuvre.

     

  • Apprendre à finir

    N°1730 – Avril 2023

     

    Apprendre à finir – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    La voix de ce monologue c’est celle d’une femme blessée dont le mari, après un accident de voiture, est paralysé et revient chez lui après une hospitalisation. C’est un couple déjà vieux, la fille aînée est mariée et deux adolescents sont encore au foyer. Elle lui a fait de la place dans leur petite maison, s’occupe de lui avec une attention de tous les instants, avec dévouement et amour et se consacre principalement à lui. Elle sait qu’il remarchera mais qu’il faudra du temps, elle accepte cela avec abnégation mais cette perspective lui permet de faire des projets de voyages avec lui, accepte d’aller faire des ménages pour rendre cela possible, l’immobilisation de son mari compromettant l’équilibre financier du ménage. C’est un peu comme si elle récupérait cet homme, certes diminué, mais qui revenait au foyer, comme si elle cherchait à oublier ce qu’avait été leur vie d’avant l’accident, faite d’invectives, d’insultes, d’hostilités et même de coups de sa part à elle et dont leurs enfants meurtris, désemparés et dégoûtés de leurs parents, avaient été les témoins, comme si cette tranche de vie n’avait jamais existé, comme si cette ambiance délétère était imaginaire, comme si cet homme au passé un peu secret, fait de souffrances dues à la guerre, de doutes et de chômage n’était pas allé chercher dans d’autres bras un bonheur qu’il savait impossible chez lui, comme si elle n’avait jamais été jalouse et agressive. Elle était trompée, le savait et l’acceptait, impuissante à s’opposer à cet adultère.

    Maintenant, pour elle c’est une véritable renaissance, avec une volonté de chaque instant de lui témoigner son amour par de petits gestes dévoués du quotidien et, après avoir été désespérée, agressive même, elle revit de l’avoir retrouvé et ce d’autant plus qu’il est coincé chez lui. Elle veut donc lui faire oublier cette maîtresse, cherchant intimement les raisons de cet abandon, en éprouvant même de la culpabilité, se présentant comme une épouse attentive, patiente, absolutoire, tentant d’apprendre à finir cette histoire d’amour de contrebande pour en recommencer une autre avec lui et effacer cette passade, de se poser en garante de la famille. Pourtant tout avait bien commencé entre eux, mais dégénéra très vite, imperceptiblement, sous les coups du quotidien. Elle se présente comme une femme courageuse, patiente, honnête, pleine de sollicitudes face aux erreurs passées de ce mari qui grâce à elle aujourd’hui revit. C’est un peu comme si elle choisissait d’oublier ses rancœurs, sa soif de vengeance, l’ éventualité  d’une reprise de cette relation adultère, pour un retour à une vie de famille apaisée, pour que les choses rentrent dans l’ordre, reviennent à une place qu’elles n’auraient jamais dû quitter et peut-être un nouvel amour avec lui.

    Lui n’a rien de contrit, de repentant, au contraire, il est bizarrement silencieux comme s’il opposait à ses bons soins une attitude bizarrement indifférente voire négative. C’est à peine s’il prend la parole, se félicite de ses progrès, se réapproprie son entourage, son quartier. Il n’est pas douteux qu’il a de la chance d’être ainsi cocooné, d’être chez lui, avec sa femme aux petits soins. Il vit peut-être mal, comme un reproche , une honte ou une vengeance intime cette sollicitude face à son adultère passé.

    Son attitude à elle est peut-être inspirée par l’amour mais j‘y vois une forme d’égoïsme, une manière de se protéger elle-même mais aussi peut-être une opportunité, une dernière chance qu’il ne faut pas laisser passer pour une meilleure qualité de vie commune. Elle envisage même de lui pardonner, d’oublier son orgueil et sa résignation passée et de lutter dans les plus petits gestes du quotidien dans ce seul but et invite même un de ses fils à adopter son attitude. Toute cette posture est évidemment méritoire et porteuse d’avenir pour eux mais j’avoue aussi que je partage ses doutes pour l’avenir, inopportunité des voyages qui les eût réunit, la menace de la reprise de cette relation extraconjugale parce que, malgré tous ses efforts pour paraître plus jeune et plus désirable, l’ombre de l’autre femme qui l’obsède.

    Le livre refermé, ce roman me laisse pourtant quelque peu perplexe par les sujets qu’ il soulève, l’amour entre les êtres qui est fragile, le pardon qui est malgré tout difficile, l’oubli, les compromis voire les compromissions, les mensonges qu’on se fait à soi-même pour enjoliver le présent, la honte d’avoir été trompé et aussi de s’être tromper soi-même, d’avoir vu sa confiance trahie et son impuissance à réagir, de connaître les regrets et les remords, les doutes qui empoisonnent le présent et hypothèquent l’avenir, l’hypocrisie qui force à ne rien voir ou à tout supporter, le sentiment d’injustice de voir comment a été récompensé chaque moment d’abnégation passée, la certitude qu’on est plus rien pour celui qu’on a choisi et sa volonté de tourner la page, de passer à autre chose, l’évidence d’être partagé entre la crainte de son départ définitif et la volonté qu’il parte pour que les choses soient enfin claires, que tout ce qu’on avait imaginé s’effondre, la certitude que leur passé destructeur sera toujours le plus fort.

     

    J’apprécie cet auteur pour son style à la fois simple, dénué d’artifices littéraires, parfois brusque, plein d ‘émotions mais aussi pour les thèmes humains qu’il a choisis et qu’il traite à la fois avec humanité et humilité. C’est toujours pour moi un bon moment de lecture mais aussi de réflexion.

     

     

     

  • Histoires de la nuit

    N°1728 – Mars 2023

     

    Histoires de la nuit - Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    D’emblée, le décor est planté, un hameau de trois maisons au nom mystérieux et inquiétant au milieu de nulle part, une maison vide, la deuxième occupée par Christine, une artiste-peintre retirée des mondanités qui s’est réfugiée là pour finir ses jours, Patrice Bergogne, un agriculteur bourru qui a toujours vécu ici, c’est un brave homme, un peu naïf mais surtout amoureux de son épouse la belle Marion qui travaille dans la ville d’à côté, Ida leur jeune fille à qui Christine sert de Tatie. Tout est modeste et désert ici et les lettres anonymes de menace déposées chez l’artiste prennent soudain une dimension énigmatique, viennent troubler la paix de ce microcosme rural et précèdent une visite qui se révèle vite indésirable.

    C’est aussi l’histoire de ce couple mal assorti qu’observe Christine, où l’amour a laissé place à la routine et où les époux s’éloignent l’un de l’autre à cause de l’usure inévitable du couple, avec leurs petits accrocs ordinaires et les petites libertés qu’on s’octroie dans le secret. Ida qui adore ses parents grandit dans cette famille et se réfugie dans ces « histoires de la nuit », un livre plein d’aventures à la fois effrayantes et merveilleuses qui nourrissent ses rêves. Cela aurait pu durer comme cela pendant des années sans même qu’on voit le temps passer, mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille, avec ses bouleversements qui interviennent quand on s’y attend le moins, avec cette volonté de croire que tout est possible et que peuvent prévaloir l’oubli, la bonne foi, la justice, le bon droit contre l’opportunisme et la trahison, contre les envieux, les destructeurs qui se croient tout permis parce qu’ils ont une parcelle de pouvoir et qu’ils entendent en abuser ou contre ceux qui ont choisi d’évoquer un passé aux souvenirs délétères. C’est compter sans le hasard qui fait partie de la vie bien plus qu’on ne veut l’admettre, sans le passé qui vient soudain présenter sa créance qu’on croyait oubliée, avec le silence qui n’est qu’un bouclier dérisoire contre des turpitudes longtemps cachées, avec son lot de rancœurs et sa volonté de vengeance contre toutes les injustices qu’on nous a imposées, le poids d’une enfance assassinée, ses ressentiments contre la vie que d’autres nous ont obligés à subir avec suffisance et arrogance parce que les comptes se règlent toujours d’une façon ou d’une autre. On peut avoir la naïveté d’inventer un passé banal à ceux qu’on a choisi pour les siens et avec qui on a résolu de lier sa propre vie, ou de ne pas trop chercher à connaître le déroulé de périodes où on n’était pas, la réalité revient toujours pour remettre les choses à leur vraie place, elle nous ouvre les yeux qu’on avait malencontreusement maintenus fermés. Leur vrai image s’impose alors à nous dans toute sa rudesse, dans toute sa cruauté, les ressentiments longtemps tus éclatent dans le déroulement brutal des événements, les zones d’ombre apparaissent enfin, nous révélant l’étendue de notre erreur et de leur hypocrisie. Le pardon est désormais impossible tant les choses ont été si longuement et sciemment cachées. C’est un peu tout cela qu’Ida découvre lors de cette soirée qui qui se voulait festive mais qui la fait soudain sortir de son univers protégé de l’enfance, lui révélant autrement que dans ses contes du soir le monde des adultes, leur violence, leurs mensonges, leurs non-dits, leur volonté de domination, leurs aspirations à la liberté et leur image qui soudain se délite. Le visage convenu de Marion s’efface au rythme des mots prononcés, son image se gomme peu à peu en révélant une autre bien moins idyllique, des comptes se règlent entre frères mais Patrice non plus n’est pas en reste et il ne sort pas indemne de tout cela.

     

    Malgré des phrases un peu longues, ce roman est agréable à lire, avec une écriture à la fois brute et fluide, un luxe de détails et de précisions, une architecture subtile ce qui maintient l’attention et l’intérêt du lecteur jusqu’à la fin. A travers un récit aux multiples rebondissements, l’auteur nous présente une analyse psychologique à la fois fine et brutale, une galerie de portraits d’où la nature humaine ne ressort pas grandie parce que l’habiller de vertus et de bons sentiments est une erreur. Les situations qu’il nous donne à voir sont pertinentes et révélatrices d’une volonté de mystification, de violence, de secret qui caractérise les êtres humains noyés dans une société qui a perdu ses repères traditionnels et c’est aussi le rôle de l’écrivain que d’être un miroir de son temps et de l’humanité. J’ai aimé ce roman où s’insinue une intrigue si habillement menée qu’elle tient le lecteur en haleine , distillant dans un huis-clos pesant un suspense de bon aloi.