Articles de hervegautier
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De pierre et d'os
- Par hervegautier
- Le 04/02/2020
- Dans Bérengère Cournut
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N° 1426 - Février 2020.
De pierre et d'os - Bérengère Cournut - Le Tripode.
Prix du roman FNAC 2019.
Sur la banquise qui se fracture et la sépare de sa famille, la jeune Uqsuralik est livrée à elle-même et va devoir survivre seule dans l'univers désertique arctique.
La pierre et l'os, ce sont les matériaux rudimentaires qui servent à édifier les maisons d'hiver sur la terre ferme du pays des Inuits et qui se différencient des igloos faits de glace et donc plus temporaires. C'est aussi le nom de cette femme, "la femme de pierre". C'est peut-être une déformation de mon esprit, mais j'ai lu ce roman comme une fable qui m'a fait penser au Petit Prince de Saint-Exupery, à cause du désert, du renard blanc insaisissable, de la solitude, de l'espace, du temps qui paraît ne plus compter...
Au-delà de l'histoire qui nous est racontée, celle de l'errance de cette jeune fille qui sait cependant comment survivre dans cette terre désolée et dangereuse, l'auteure nous donne une foule de renseignements sur ce peuple, sa façon de vivre au contact de la nature, les dangers qu'il doit affronter au quotidien, la chasse, la pêche qui leur assurent la subsistance et que les Inuits doivent posséder à la perfection sauf à être considérés comme des êtres secondaires, les habitudes culinaires et leur signification, les paroles rituelles qu'on doit prononcer afin de remercier l'animal qu'on vient de tuer pour assurer la survie, leur mode de vie solidaire et communautaire face à la solitude fatale, le nécessaire partage de la nourriture, la manière de vivre la famille, de la faire perdurer quand l'un des membres du couple disparaît, les habitudes sexuelles sans tabou, leurs croyances dans un au-delà et les rites qu'il faut observer pour favoriser ce voyage, la foi dans les amulettes rituelles et la poursuite incessante du gibier... De tout cela émane une étrange force des mots et leurs mimes s'inspirent de la chasse et de la pêche mais évoquent aussi la souffrance, la maladie que combat mystérieusement le chamanisme, la force occulte des esprits que les vivants respectent et parfois craignent, les prédictions...Pour ces peuplades qui ne connaissent l’écriture que sous la forme de notations syllabiques, la transmission des croyances et des expériences est principalement orale et passent par le chant qui exprime leurs joies, leurs peines, leurs espoirs. Le parcours de cette jeune fille qui va devenir un vrai chasseur-pêcheur, c'est à dire un être que ses semblables vont accepter pour ce qu'elle est mais aussi une femme et une mère au gré de ses rencontres, a quelque chose d'initiatique, une quête d'identité, un cheminement de vie. Ce que je retiens aussi c'est la mort constamment en embuscade dans ce quotidien hostile et qui réclame son tribut de vies humaines, l'habitude de donner le prénom d'un mort à un nouveau-né comme une permanence de la vie ou un gage d'immortalité. C'est depuis ce paradis des Inuits que Uqsuralik nous parle après son long parcours terrestre, constate avec le temps l'invasion des Blancs qui, comme des colonisateurs, veulent imposer à son peuple devenu objet de curiosité et d'études, de nouvelles croyances, une façon différente de vivre les choses, la leur! Elle pose sur ce nouveau monde un regard circonspect, amusé même et se pose, telle une statue invisible mais bien présente, en veilleuse pour l'avenir. Une façon de garantir ce qui fait la spécificité et la liberté des Inuits.
L'écriture de ce roman est claire musicale avec une grande intensité poétique.
Il y a eu certes pour l'auteure la fascination de l'Arctique, les messages des explorateurs laissés comme des traces à suivre mais ce que je retiens aussi c'est le prétexte de ce roman, la découverte fortuite de sculptures inuits en os, en ivoire et en pierre, minuscules témoignages à la fois puissants et simples de la créativité d'un peuple qui, imperceptiblement, a appelé l’écriture romanesque, comme une sorte d'hommage à la vie, à la femme qui la transmet et au combat que cela implique pour durer dans ce monde hostile.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com
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Casimiro Rolex
- Par hervegautier
- Le 03/02/2020
- Dans Franco di Mare
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N° 1424 - Janvier 2020.
Casimiro Rolex - Franco di Mare - Éditions Cairo
Cette histoire se déroule à Naples, une ville mythique où, dit-on, on peut être vivant le matin et mort le soir. Elle parle Casimiro Loconto, plus connu sous le nom de "Casimiro Rolex" qui, avec son ami Gennaro et son scooter vole les montres de luxe aux touristes. C'est un napolitain, un minable voleur mais qui vit une existence amère, à la limite du crime et de la survivance, entre le bien et le mal, entre la vie et la mort. Il ne peut changer pour un travail plus rentable et régulier parce que la "saison" des Rolex ne dure que l'été. Il ne reste plus que les vieux et les retraités, mais ce n'est pas intéressant. Il ne peut pas non plus devenir comme ce voleur de Tonino'o Zar qui se ballade en Mercedes avec une femme merveilleuse.
Avec son frère Tonino qui a fait tous les métiers mais qui est actuellement au chômage, ils ont décidé de devenir voleurs de sacs et de valises dans les trains et particulièrement dans le " Naples-Milan". Mais tout n'est pas aussi simple et il y rencontrent des hommes encore plus tordus qu'eux et ils doivent bien se rendre à l'évidence que l'équipe de petits truands qu'ils font ensemble n'est pas très efficace. Casimiro est un peu vantard et même carrément bluffeur pour ne pas perdre la face devant son frère et devant les autres, mais il est vraiment un scélérat. Ces deux compères réussissent à cacher la réalité, inventant une histoire extraordinaire où ils ont eu un comportement de héros, Rien que cela! Mais Casimiro est marié et il aime sa femme et sa famille, cherchant pour eux le meilleur. Pour autant c'est un pauvre malchanceux et à la fin les choses ne vont pas à son avantage. Le métier qu'ils ont choisi est dangereux parce que, à force de jouer avec le feu on finit par se brûler.
C'est le troisième roman de cet auteur, mais nous sommes encore loin de l'atmosphère de Bauci, cette petite cité imaginaire de la côte Amalfitaine que l'auteur met en scène dans ses livres suivants.
J'ai lu avec plaisir ce petit roman en italien parce que, à ma connaissance il n'y a pas de traduction française mais aussi parce que c'est une belle langue.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Fières d'être cheminotes
- Par hervegautier
- Le 30/01/2020
- Dans Michelle Guillot-Denise Thémines
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N° 1425 - Janvier 2020.
Fières d'être cheminotes. Michelle Guillot - Denise Thémines - Éditeur Ateliers Henry Douglet.
Je remercie des éditions "Ateliers Henry Douglet" de m'avoir fait découvrir ce livre.
Même si les choses changent de nos jours, être cheminot, à la moitié du siècle dernier, c'était principalement un monde d'hommes où les femmes étaient rares, souvent cantonnées dans les bureaux. Le train pour les "roulants" était une fierté, comme leur métier, et lorsque que, au hasard de leurs voyages, ils rencontraient un collègue inconnu, leurs conversations étaient bien entendu consacrées au rail. A l'époque, travailler aux "Chemins de fer" était une référence même si les mutations supposaient des déménagements, les machines à vapeur avaient une sorte d'aura de puissance mystérieuse, les voitures, même celles inconfortables de 3° Classe ou les "Michelines" des omnibus, étaient le symbole du voyage, du départ et et le train était un moyen de transport fort prisé et pratique. Le travail terminé, les agents se croisaient souvent dans les jardins où à "l'économat" qui leur étaient réservés. Ces images ont un écho particulier dans ma mémoire intime.
Michelle Guillot évoque sa vie personnelle et familiale, avec ses bons et ses mauvais moments, et surtout son parcours au sein de ce service public qui était la vitrine du pays puisque, fille d'un agent SNCF, il était naturel qu'elle embrassât elle aussi cette carrière. Elle y décrit ses craintes du début, ses efforts d'adaptation, les différentes phases de son avancement qui l'a promue à un poste d'encadrement, fonction bien souvent réservée aux hommes, une fierté, l'atmosphère de travail qui régnait au sein des services... Il y a beaucoup de détails techniques et de routine administrative, des listes de tâches, des précisions réglementaires, des organigrammes hiérarchiques, des évolutions vers la modernité et la communication, autant d'explications un peu rébarbatives pour le profane, mais qui ont valeur de témoignage puisque ce texte a reçu en 2018 un premier prix interne dans la catégorie "Mémoire". A cette époque, être cheminot signifiait appartenir à une grande famille que fédérait le magazine "La vie du rail" et qui pour elle correspondit à la découverte et aux plaisirs de l'écriture. Le style est spontané, précis, anecdotique, sans fioriture littéraire.
Le travail de Denise Thémines est un peu différent, plus court, mais distingué lui aussi par le même Prix, mais dans la catégorie "Récits". Si la plus grande partie de la carrière de Michelle Guillot s'est déroulée en province, celle de Denise Thémines a été parisienne et commence après mai 68. Si elle ressent la même appréhension compréhensible de départ, elle note l’originalité de ses collègues les plus folkloriques, profite des moments d'inaction pour lire, découvre petit à petit ce "monde parallèle", ses avantages sociaux, son côté machiste aussi. Le ton est donc un peu différent. Toutes les deux évoquent leur carrière et surtout leur attachement à cette entreprise à laquelle elles rendent un hommage reconnaissant, toutes les deux ont donné un nouveau sens à leur vie à travers l'écriture.
Il s'agit donc d'un recueil collectif qui donne la parole à deux femmes, par ailleurs distinguées par le même prix. Il paraît au moment où, hasard du calendrier peut-être, ce "régime spécial" est remis en cause au nom de la réforme des retraites, ce qui a provoqué grèves et paralysies dans le pays. Les conditions de travail ont changé, l'ambiance aussi et il a été souhaité que ce changement soit relaté à travers le vécu "autobiographique" des cheminots auquel différentes associations professionnelles sont attentives et qui a fait l'objet en 2018 du concours "SNCF 80 ans"qui couronna ces deux témoignages. Cela correspond également à l'état d'esprit de cet éditeur et de sa collection "Une vie, une voix".
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com
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Mes vies de chats
- Par hervegautier
- Le 27/01/2020
- Dans Jean-Noël Blanc
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N° 1423 - Janvier 2020.
Mes vies de chats- Jean-Noël Blanc - Édition Écriture.
Je remercie Babelio et les Éditions "Écritures" de m'avoir permis de découvrir ce livre.
Parler de la complicité entre l'écrivain et son chat est une évidence L'animal favorise l'écriture par l'apaisement de ses ronronnements et de ses longues périodes de sommeil, joue avec le stylo un peu comme s'il voulait attraper les mots qui s’accumulent sur la feuille blanche, intrigue aussi par ses neufs vies et le culte divin dont il faisait jadis l'objet chez les Egyptiens. Si d'aventure notre homme préfère le clavier d'un ordinateur, il est bien rare que son animal favori ne vienne pas le troubler, ne serait-ce que pour marquer son opposition à la modernité, à cause sans doute du drôle d'engin qu'on nomme "souris" et qui sans doute le déconcerte, sa préférence allant à l'odeur de l'encre, à la douceur du papier et à la quiétude de la pièce où, bien entendu, il ne peut être que l'invitant puisqu'il est chez lui!
Qu'il soit pedigree ou de gouttière, un chat ne laisse jamais indifférent à qui sait lui prêter attention, ne tolère rien qui remette en cause ses prérogatives et même partage avec l'homme nombre de caractéristiques, notamment celle d'être passionné et mortel, ce qui nous le rend plus attachant encore et tisse souvent avec lui de véritables histoires d'amour. Le chat est comme tous les animaux de compagnie, une "bête à chagrin" selon le dicton populaire puisque l'homme a en principe plus de chance de lui survivre et c'est pour cela que le perdre c'est perdre un véritable compagnon.
Qu'il soit adepte des indépendantes escapades nocturnes où le temps n'existe plus ou casanier voire pantouflard, friand de douces caresses, il retombe sur ses pattes et nous surprend toujours. On peut avoir avec lui des conversations mystérieuses faites de clignements d'yeux ou de miaulements plaintifs, de caresses langoureuses ou de coups de tête affectueux, de toilette méticuleuse et de patte passée sur l'oreille pour, dit-on, annoncer la pluie, il est bien souvent le dépositaire de nos secrets les plus intimes et tout cela signe une complicité chaque jour renouvelée. Notre auteur qui a une préférence pour les chats, on s'en serait douté, n'en célèbre pas moins la fidélité du chien et convoque volontiers hommes de lettres et célébrités, l'histoire, la géographie et la sociologie pour célébrer la complicité de l'homme avec ces animaux.
L'auteur, dans un style simple et spontané refait à l'envers le chemin de cette cohabitation, activant sa mémoire qui pourtant ne retient pas tout, égrenant des anecdotes où il note des attitudes, l'élégance, la personnalité et la pertinence des connaissances de chacun de ces félins qui ont croisé sa vie, en n'omettant rien de ce qui a fait cette existence commune, pas toujours idyllique mais toujours passionnée. C'est dans l'esprit du livre mais je dois dire que cette énumération s'est révélée à la longue assez fastidieuse et ce nonobstant si toutes mes lectures, et celle-ci en particulier, sont ponctuées de massages de pattes et de ronrons affectueux.
Lui qui a souvent écrit pour les enfants nous offre ici des témoignages où bien des adultes amoureux des chats se retrouveront.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com
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Le commissaire Bordelli
- Par hervegautier
- Le 24/01/2020
- Dans Marco Vichi
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N° 1422 - Janvier 2020.
Le commissaire Bordelli - Marco Vichi - Éditions Philippe Rey.
Traduit de l'italien par Nathalie Bauer.
Nous sommes à Florence en 1963, cette belle ville qui porte un nom de femme. Le commissaire Bordelli, 53 ans, un policier encore tourmenté jusque dans ses rêves par ses combats contre les nazis pendant la deuxième guerre mondiale est appelé, dans cette ville plombée par la chaleur, à la suite du décès d'une vieille dame riche, apparemment victime d'une crise d'asthme. L'affaire paraît simple mais son œil de policier décèle des détails qui l'amène à ouvrir une enquête et ce d'autant que l'héritage est juteux. Il est entouré de Piras, un jeune sarde qui vient d'intégrer la police.
Au début l'enquête piétine, s'égare et si j'ai trouvé pas mal de longueurs, je n'ai pas non plus été très convaincu par l'intrigue où le bluff a une grande place.
La personnalité de Bordelli est intéressante. Il n'est pas insensible à la beauté des femmes, vit seul dans l'attente de la rencontre d'un hypothétique compagne qu'il ne voit pas venir. Il jette sur le monde qui l'entoure un regard à la fois désabusé et mélancolique, a de plus en plus de mal à distinguer le bien du mal, fréquente plus volontiers Rosa, une ancienne prostituée et Botta un petit délinquant que ses autres collègues et se console avec la cuisine roborative et l'alcool et le tabac. Cet homme me parait digne d'intérêt et j'aime son côté non conventionnel.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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La nuit, le jour et toutes les autres nuits
- Par hervegautier
- Le 22/01/2020
- Dans Michel Audiard
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La Feuille Volante n° 1420– Janvier 2020.
La nuit, le jour et toutes les autres nuits - Michel Audiard- Denoël
Je suis comme la plupart des Français, fan des dialogues de Michel Audiard (1920-1985), de sa verve faubourienne , de ses saillies d'anthologie, des ses aphorismes définitifs que l'on grave dans sa mémoire et qui témoignent de son amour des bonnes choses de la vie et des mots, de son attachement à ses copains, à ses artistes fétiches, de son appétit de l'instant. Il a certes gardé un peu de sa gouaille, on ne reconnaîtrait plus le dialoguiste des "Tontons flingueurs"sans cela et il se laisserait même aller, à l'invite de la musique de Django Reinhardt et de Stéphane Grappelli, à quelque chose qui pourrait bien ressembler à des "Mémoires". Sous sa plume de noctambule parisien pendant l’Occupation, on croise des figures emblématiques et hautes en couleurs, des demi-mondaines qui ont su se partager entre les occupants et les Alliés, des prostituées mais aussi des pauvres filles pour qui la Libération a été synonyme d'opprobre et sur qui les résistants de la dernière heure et ceux qui ont su tourner leur veste au bon moment se sont acharnés, un beau panel de l'espèce humaine. Puis il emprunte la douce pente du souvenir, celui de l'enfance de ses espoirs fous en l'avenir et ses égarements, celui du succès du cinéma et de l'écriture, convoque les femmes, leurs mensonges et leur fantasmes, les hommes aussi et leurs envies, leurs traîtrises, leurs compromissions... L'époque troublée de la guerre était favorable à ce genre d'éclosions! Ainsi revisite-t-il, à l'aune de sa souvenance blottie au fond des jours et des nuits, des fantômes qui peuplent encore ses pensées malgré l'effacement du temps. Il conte avec humour ses amours furtifs autant que ses rencontres amicales et durables avec une certaine nostalgie, évoque ceux qui ne sont plus là pour lui donner la réplique. Qu'on ne s'y trompe pas, derrière le parolier génial et irrévérent, il y a un Audiard inattendu, un écrivain authentique et cultivé chez qui Louis-Ferdinand Céline a laissé son empreinte indélébile. Comme lui, il promène sur le monde un regard désabusé que ces années de vie lui ont inspiré, compte ses morts et exprime sans fioriture et dans son style si particulier, sa déception de l'espèce humaine.
Il a 57 ans quand il écrit ce livre, après une vie qu'on peut assurément supposer bien vécue mais j'y vois aussi une sorte d'indifférence au présent, la fatigue, le désenchantement, même s'il ne réussit pas à ce départir de ce style décidément inimitable. C'est perceptible, à mon avis dans un paragraphe du début de ce livre qui peut passer inaperçu et dont il reprendra plusieurs fois l'idée au détour d'une phrase. Il y évoque, avec une grande économie de mots, la mort de son fils quelques mois auparavant, dans un accident de voiture. Du coup on oublie le Audiard traditionnel, avec son clope, sa casquette et ses bons mots qui soudain ne pèsent rien face à la mort, au regard de cet instant qui vous oblige, inversant le cours normal des choses, à aller à l'enterrement de votre enfant, à reconsidérer votre approche des choses et des vaines croyances religieuses. Pour autant, dans le contexte très particulier de ce deuil impossible à faire, je m'interroge sur le réel effet cathartique de l'écriture. Dès lors il m'apparaît que le titre prend tout son sens, la nuit, le jour pour évoquer la vie et le temps qui passent et qui ne laissent sur lui que le frêle sceau de leur ombre, et toutes les autres nuits, dans l'insomnie, la solitude et les cauchemars, pour pleurer ce fils disparu. C'est bien la solitude que je retiens de ce livre improprement appelé "roman", la nostalgie du passé autant que l'impuissance à retenir le temps, à retricoter les événements à l'envers. C'est étonnant et assez inattendu de la part d'un homme qu'on imagine volontiers autrement parce qu'on croit le connaître à l'aune de l'image qu'il donne mais, qui porte en lui, comme nous tous, la marque de "l'humaine condition", comme l'a si bien dit Montaigne.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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La Mère Lapipe dans son bistrot
- Par hervegautier
- Le 18/01/2020
- Dans Pierrick Bourgault
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La Feuille Volante n° 1421– Janvier 2020.
La Mère Lapipe dans son bistrot - Pierrick Bourgault - Éditeur "Les ateliers Henry Dougier" .
Tout d'abord je remercie "les ateliers Henry Dougier" de m'avoir fait découvrir cet ouvrage.
Qu'on se comprenne bien, il n'est pas question ici d'un café à la mode que viennent hanter les intellectuels où l'on consomme des boissons hors de prix, ou d'un établissement que la loi nomme pompeusement "débit de boissons", mais simplement d'un "Café du coin"(avec une majuscule), nom commercial qui n'a rien d'original mais qui a au moins l'avantage de le situer dans la géographie locale, un troquet où des hommes et des femmes (eh oui!) refont le monde sans tabou devant un ballon de rouge au comptoir. On peut même "y apporter son panier" comme on disait dans le temps, les tarifs y sont concurrentiels et les tournées généreuses. La patronne, la mère Jeannine, la mémoire du quartier, surnommée amicalement "la mère Lapipe, (mais ne nous égarons pas), à cause de son addiction à la bouffarde dont le tabac lui éraille la voix, préside au cérémonial quotidien de cet estaminet. Son vocabulaire louvoie entre de délicieux néologismes poétiques et la gouaille de forains et n'aurait pas déplu à Michel Audiard. Cette arrière-grand-mère de 77 ans qui certes est officiellement en retraite mais maintient son commerce pour le plaisir, celui de ses clients et, en ce qui la concerne, comme un dérivatif personnel, est un de ces personnages insolites que les touristes de passage au Mans viennent parfois photographier. Ici on y va de son commentaire sur la cuisine, sur le temps qu'il fait et le temps qui passe, ce qui donne lieu à des phrases d'anthologie version "brèves de comptoir"où se conjuguent bon sens et mauvaise foi, le tout sous le regard autoritaire de Jeannine qui garde la main sur la clientèle et sur l'autorisation d'entrer... et tant pis pour le chiffre d'affaires! La liberté de parole s'y pratique sans tabou, à condition toutefois de s'y adonner avec humanité et de ne pas fanfaronner sur sa réussite sociale ni sur sa richesse et ça peut même dégénérer en propos graveleux. Toutes les générations, toutes les couches sociales y sont admises et parfois l'esprit critique est vif à propos des faits de société ou des petits détails de la vie, on y disserte des smartphones comme des "Gilets jaunes", on y tape le carton ou on y garde les enfants et quand le dernier client a du vague à l'âme, le zinc de ce microcosme se transforme en cabinet de psy parce qu'ici c’est un poste-frontière entre deux mondes et il s'y passe toujours quelque chose, on parle, on se confie, un vrai club privé, ouvert même la nuit et qui ne dit pas son nom, l'exact contraire de notre société qui chaque jour un peu plus se déshumanise car on y boit certes, mais jamais seul! On n'y applique pas vraiment la législation anti-tabac et le lieu baigne toujours dans dans le nuage bleu de l'herbe à Nicot, mais seulement de cette herbe là! Il y a de la tendresse chez Jeannine autant que du franc-parler et même si les réseaux sociaux sont muets sur son adresse, il est toujours possible de la trouver en demandant. Les écrans de tout poil y sont bannis mais les infos, les ragots aussi, sont fournis par les clients qui sont aussi des amis. Si on respecte les règles non écrites de ce café on y est très vite accepté et reconnu et le lieu conserve comme des reliques les photos de clients vivants ou morts et les cartes postales de leurs vacances.
L'auteur, qui est aussi photographe et journaliste, porte témoignage de ce genre d'endroit qu'on redécouvre actuellement comme un lieu convivial, exprime une sorte de plaidoirie pour le maintient de ces établissements que la législation a longtemps voulu supprimer au nom de la lutte antialcoolique. Il le fait avec humour et nostalgie mais aussi empathie, en conservant les clichés et le langage populaire qui ont cours entre ces murs, en évoquant Jeanne, dernière représentante d'un petit commerce qui lentement disparaît, tué par la modernité autant que par les tracasseries administratives et la nécessaire rentabilité, et contre quoi le poids des mots ne pourra rien. Leur disparition désertifie le centre des villes et des villages, témoigne de l'évolution d'une société qui détruit ses fondements traditionnels et même la nécessaire cohésion sociale.
Cette démarche littéraire et personnelle de Pierrick Bourgault, qui a passé son enfance dans la café de son grand-père, correspond bien à l'esprit de cette collection ("une vie, une voix") qui souhaite rendre compte de la société contemporaine et des vies ordinaires. Elle a déjà retenu l'attention de cette chronique et j'y serai particulièrement attentif.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Les gratitudes
- Par hervegautier
- Le 08/01/2020
- Dans Delphine de Vigan
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La Feuille Volante n° 1419– Janvier 2020.
LES GRATITUDES - Delphine de Vigan - Éditions Jean Claude Lattès.
Ce roman tourne autour de trois personnages, Michka, une vieille dame sans famille, sensible et cultivée, qui ne peut plus rester seule et doit aller en maison de retraite, Marie, sa jeune voisine qui lui fait des visites et Jérôme l'orthophoniste qui s'occupe d'elle dans ce nouvel établissement. Ces derniers, plus jeunes, vont prendre la vieille dame en amitié et la soutenir malgré les forces qui viennent à lui manquer, sa mémoire qui flanche, son raisonnement qui défaille, les mots qui se déforment ou se dérobent dans sa bouche, les vieux souvenirs qui reviennent, incrustés dans la tête. Ils ont eux-mêmes leur croix à porter mais l'oublient face au désarroi de Michka, ses peurs fantasmées que la solitude suscite pour le présent et pour l'avenir immédiat dans cet établissement. Leurs témoignages et leur discours se succèdent et s'entrecroisent.
C'est un roman d'autant plus bouleversant que, dans notre société occidentale qui rejette ses seniors et prône la jeunesse, la beauté et la performance mais qui nous promet de vivre plus que centenaires, exister longtemps en se voyant ainsi perdre ce que nous avons été, ce que nous avons aimé de nous-mêmes sans que nous y puissions rien, souvent loin de la famille, dans la solitude et les douleurs, n'est guère encourageant. Oui, comme le dit l'auteure, "Vieillir c'est apprendre à perdre" et nous avons sûrement du mal à imaginer cela pour nous-mêmes, même si nous avons ce triste spectacle sous nos propres yeux en la personne de nos ainés! On en a beaucoup parlé, elle a fait beaucoup écrire. Elle est bien souvent confite dans l'isolement, les souvenirs et les remords, avec son cortège de renoncements et d’accommodements avec le quotidien mais elle reste une période désolante parce que vouée à l'impuissance. Elle nous rend philosophes et même fatalistes et stoïques par l'acceptation des choses qu'on ne peut éviter et l'abnégation, elle est l'ultime étape avant l'hallali et le grand saut dans l'inconnu parce que nous sommes tous mortels et que nous ne pourrons pas nous dérober à ce rendez-vous fatal. Si la camarde vient sur la pointe des pieds, en épargnant souffrances et agonie, on qualifie la mort de "belle", comme si elle pouvait l'être.
Nous devons tous des remerciements à tous ceux qui, ayant croisé notre route, nous ont porté de l'intérêt et de l'attention, ont cherché à atténuer nos fragilités et nos failles. C'est particulièrement vrai pour cette vieille dame qui creuse sa mémoire pour se souvenir de ceux qui, pendant la guerre, ont pris des risques pour la recueillir parce que cacher des juifs était passible de mort. Ses parents eux-mêmes ne sont pas revenus des camps. Elle au moins, grâce à la bienveillance de Jérôme, connaît la joie de pouvoir leur témoigner sa gratitude. Eux aussi, à leur manière, dans une rencontre éphémère pendant laquelle ils évoquent son parcours, adoptent son langage approximatif et c'est aussi une façon de la remercier d'avoir été là, d'avoir croisé leur chemin ...
J'ai retrouvé avec intérêt et émotion la démarche de Delphine de Vigan qui, une nouvelle fois et dans la droite ligne de ses romans précédents, porte un regard attentif sur notre société, sur les sentiments humains, sur les difficultés de la vie et les injustices qu'elle nous impose
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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L'homme aux cercles bleus
- Par hervegautier
- Le 01/01/2020
- Dans Fred VARGAS
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La Feuille Volante n° 1418– Janvier 2020.
L'homme aux cercles bleus - Fred Vargas - Édition Viviane Hamy. (paru en 1991)
Il s'agit du premier roman de cette auteure où apparaît le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg qui vient de prendre son nouveau poste parisien. Depuis plusieurs mois, dans Paris, des cercles tracés à la craie bleue et comportant en leur centre des objets hétéroclites, du genre pomme d’arrosoir ou briquet, sont retrouvés sur les trottoirs accompagnés d'une phrase énigmatique mais écrite avec grand soin "Victor, mauvais sort, que fais-tu dehors". Cela amuse certains mais le commissaire qui fonctionne à l'instinct et y voit plutôt les prémices d'une catastrophe. Son adjoint, l'inspecteur Danglard, alcoolique militant mais avant tout rationnel, lui, n'y voit que la marque d'une originalité fantasque jusqu'à ce qu'on trouve au centre d'un de ces cercles le corps d'une femme égorgée suivi d'autres cadavres.
En marge de cette enquête, le lecteur est le témoin des états d'âme du commissaire au sujet des femmes qu'il croise. A travers ce duo de flic, l'un flegmatique et assez marginal dans sa manière d'agir et de mener son enquête et l'autre ivrogne mais néanmoins encyclopédique, l'étude des autres personnage est intéressante et on la retrouvera dans les suivants de la série
Le roman commence par une rencontre improbable entre un bel aveugle, Charles Reyer et Mathilde, Surnommée "La reine Mathilde", une océanographe célèbre, spécialiste des poissons qui se fait fort de découvrir ce maniaque et donc souhaite devenir l'auxiliaire d'Adamsberg. L'idée du départ m'a paru intéressante et même si le style est agréable et facile à lire et l'épilogue original, de trop nombreuses longueurs brisent un peu le rythme de la lecture.
Ce roman policier est le premier d'une longue série dont cette chronique s'est déjà fait l'écho, je continuerai néanmoins et avec plaisir d'explorer l'univers créatif de cette auteure.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Solo al vivo
- Par hervegautier
- Le 27/12/2019
- Dans Paolo Conte
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N°371– Octobre 2009
SOLO AL VIVO – Un disque de Gianmaria TESTA.
Décidément ces chanteurs italiens sont des enchanteurs.
Cette chronique s'est déjà fait l'écho de la poésie et des chansons de Paolo Conte, cette fois je ne manquerai pas l'occasion d'évoquer un auteur-compositeur-interprète que le hasard m'a permis de découvrir et dont le talent ne peut laisser indifférent d'autant qu'il a une parenté avec le crooneur piémontais, une parenté musicale et même physique. Sa rencontre à travers les chansons de ce disque constitue des moments précieux. Le personnage a quelque chose d'attachant, imaginez un chef de gare qui un jour choisit d'abandonner sa situation, ce qui est déjà extraordinaire parce que sous toutes les latitudes le Chemin de Fer est quelque chose d'autre qu'un simple métier et les cheminots des gens qui ont de leurs fonctions une certaine idée. Voilà, il a pris un jour sa décision , au lieu de voir chaque jour des gens monter dans des trains, il allait, grâce au son de sa voix et des accents de sa guitare, les faire voyager.
La langue italienne est déjà, à elle seule une musique et personnellement je n'aime rien tant que d'entendre parler des Italiens entre eux... même si je ne comprends pas ce qu'ils disent. Mais en plus, la voix de Testa a quelque chose de rocailleux, d'envoutant, peut-être parce qu'elle n'est pas mélodieuse, qu'elle est très mélancolique et un peu sourde comme voilée par un brouillard de montagne, parce qu'elle a des accents d'une authenticité un peu oubliée.
Ce disque est le septième dans sa discographie. C'est le résultat d'un concert en solo donné à l'auditorium de Rome, le 3 mai 2008, qui n'était pas destiné, à l'origine, à devenir un disque mais à la suite d'un miracle comme il s'en produit parfois, la complicité poétique qui s'est tissée entre le chanteur et son public, a transformé la vingtaine de morceaux tirés de ses précédents albums en moment d'exception.. On pourra en retenir le thème douloureux de la migration [Rital] ou celui du quotidien éphémère [Al mercato di porta Pallazzo ], mais chacun de ses textes de chanson qui sont autant de poèmes distille cette atmosphère où se conjuguent réel et imaginaire.
L'amour n'est pas absent de son répertoire, (comment pourrait-il en être autrement?)[come al cielo gli aeroplani], la sensibilité, la poésie délicate non plus qui tresse si belles images [« Et si jamais, comme par hasard, te cherchaient d'autres mains et d'autres mains dessinaient d'autres empreintes sur toi »]. Comme lui, l'univers des femmes et de l'amour qu'elles inspirent, parfois comme de simples passantes, qui croisent votre regard et disparaissent sans même se retourner, m'émeut.
Son côté poète me plait bien aussi parce qu'il sait que le temps passe, que la vie est un bref moment [« Oui la vie est un instant et nous passe sur les pieds et puis, tout devient souvenirs »], son aspect fragile, éphémère souligné par la simple conjugaison des mots à peine chantés et des arpèges de son instrument, comme une flamme qui vacille dans un courant d'air.
Les textes ont quelque chose de surréaliste, d'agréablement mystérieux qui pourtant ne m'est guère étranger.
Je lis sur le livret qui accompagne son disque que chacun de ses concerts s'accompagne d'un verre de vin et d'une cigarette. Enfin quelqu'un qui ne cache rien de ses envies, de ses origines populaires, pas un de ces intellectuels au discours abscons qui veulent être originaux et pour cela n'hésitent pas à jouer une comédie ridicule !
Et puis j'aime bien sa manière de vivre les choses « Les gens comme moi commencent par batailler tout seuls avec une guitare. Jusqu'à ce que le bois en perde son vernis et que les doigts se creusent de cordes- Ainsi avons -nous décidé, Paola et moi,de laisser une trace d'un jour de mai à Rome ». Je suis heureux d'avoir été au rendez-vous dont il parle, l'empreinte en reste vive!
©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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Reste avec moi
- Par hervegautier
- Le 26/12/2019
- Dans Ayòbámi Adébáyò
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La Feuille Volante n° 1417– Décembre 2019.
Reste avec moi - Ayòbámi Adébáyò - Éditions Charleston.
Traduit de l'anglais par Josette Chicheportiche.
Ce titre qui est la traduction française d'un prénom africain résonne comme une incantation, une prière et il faut attendre la fin pour savoir qui la prononcera. Ce roman est l'histoire de deux frères, l'un qui a réussi et l'autre non, mais aussi celle d'un amour malheureux entre deux époux avec tout le poids implacable du destin et la nécessité de l'acceptation de soi-même.
Nous sommes dans le Nigeria des années 1980, ses tensions et ses changements politiques, avec l'insécurité qui règne dans ce pays. Dans ce contexte, l'histoire d'amour entre Yejide et Akin leur rencontre l'université, leur mariage, les premiers temps de leur union paraissent être une sorte de havre de paix. Pas si sûr cependant. Ces deux jeunes gens ont reçu une éducation moderne européenne, sont catholiques, ont chacun une activité professionnelle, mais ils sont d'origine africaine et ne peuvent ignorer le poids des traditions, des coutumes, des croyances fétichistes de ce pays. Il y a dans ce couple une opposition constante entre ces deux cultures. Pour Yejide, il y a certes l'envie de ces enfants qui viendront couronner leur amour mais surtout l'obligation qu'elle a de donner des héritiers à son mari et à sa famille puisque la tradition veut que celui qui en a possède le monde. Elle doit donc être enceinte et pour cela ne recule devant aucune consultation de médecins spécialistes, aucun traitement, jusqu'à la sorcellerie et ses étranges potions. Pourtant quatre ans après son mariage, malgré une longue et douloureuse attente de maternité, elle n'est toujours pas gravide et la solution que trouve Akin, sans toutefois en parler à son épouse, est des plus étonnantes, alors même qu'au départ on a l'impression que tout se passe en dehors de lui. Cela résonne autant comme une preuve d'amour pour son épouse que comme une soumission aux traditions familiales africaines.
Il y a plusieurs manières de lire ce roman. Il est fait de beaucoup d'analepses et d'un discours croisé entre Yejide et d'Akin liés au départ par un authentique amour. Lui, c'est un jeune homme bien sous tout rapport qui ferait tout pour son épouse et sa famille, mais la démarche qu'elle accepte spontanément de la part de son beau-frère, Akin, un joueur alcoolique sans envergure qui trompe sa femme et se soucie peu de sa famille, c'est à dire l'exact contraire de son propre frère, est révélatrice. C'est pourtant avec lui qu'elle choisit de tromper son mari et de trouver du plaisir dans cette relation adultère renouvelée. Elle en conçoit certes de la culpabilité judéo-chrétienne, surtout lorsqu'elle tombe enceinte de cet amant, et ces deux premiers enfants, atteints d'une maladie génétique qui entraînera leur mort est ressenti comme une punition divine notamment à travers l'histoire locale de "l'arbre iroko". Face a une telle situation, elle en appelle à Dieu, pas celui de le jungle mais celui de son baptême mais le destin est implacable pour elle qui déroule sa malédiction comme une sanction. Face à cela, le problème de la rédemption est posé ainsi que celui du pardon.
Au fur et à mesure de cette liaison un peu surréaliste, les relations entre les protagonistes évoluent faites de violence, de non-dits, d'hypocrisie, de mensonges, de remords, de honte, de mépris. Cela nous rappelle que nous ne sommes que les modestes usufruitiers de notre propre vie, que les choses humaines sont fragiles, que l'amour est une chose consomptible et ne dure pas toujours. Ce roman, qu'on peut parfaitement lire comme un témoignage davantage que comme une fiction, est réaliste en ce qu'il évoque l'obligation horrible faite aux parents d'aller aux obsèques de leurs enfants mais aussi en ce qu'il brise aussi la trop facile image d’Épinal de l'homme qui abandonne sa famille et son épouse et en tout ce qu'on ressent comme injustice et solitude au moment de cette séparation. Dans le cas de Yejide on peut aisément opposer sa recherche égoïste du plaisir à la bienveillance de son mari. Il l'est cependant un peu moins à la fin qui ressemble à un "happy end" un peu trop convenu. Ce roman a aussi une dimension documentaire puisque non seulement il explore les langues et mythologies vernaculaires, mais également les coutumes et autres rituels ainsi qu'en attestent les nombreuses notes de bas de page.
Je ne suis vraiment entré dans ce roman que très tardivement, vers la moitié, mais à partir de ce moment, il a constitué pour moi un texte captivant et bien écrit.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Toi, mon chat
- Par hervegautier
- Le 22/12/2019
- Dans Dominique Brisson, Pascale Belle de Berre
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La Feuille Volante n° 1416– Décembre 2019.
Toi, mon chat - Dominique Brisson, Pascale Belle de Berre - Éditions Cour toujours.
Tout d'abord, je remercie Babelio et les éditions "Cours toujours" de m'avoir fait découvrir cet ouvrage de Dominique Brisson pour les textes et Pascale Belle de Berre pour les pastels. C'est vraiment un beau livre.
L'univers du chat, ses réactions parfois étranges, la phobie que parfois il inspire, son indépendance, la musique de ses ronronnements m'ont toujours fasciné. Il a, dit-on, neuf vies, les Égyptiens le célébraient comme un dieu et il a bien souvent inspiré les peintres et surtout les poètes et ce même si on a parfois péjorativement moqué sa maigreur, sa peur de l'eau froide ou simplement parlé de l'éventualité de le fouetter. Il est, et ce depuis des siècles, un auxiliaire efficace dans la lutte contre les rongeurs et le "Roman de Renard" nous présente un Tibert convainquant tandis que Garfield est croqué en philosophe gourmand quelque peu égoïste et paresseux. Le chat n'est donc pas seulement un simple animal de compagnie, c'est un véritable compagnon, un complice qui ne laisse évidemment pas indifférents ceux qui vivent avec lui et qui habitent chez lui parce qu'il devient vite évident qu'il investit jusqu'à la propre maison de ceux qui l'ont recueilli.
J'ai donc décidé de m'approprier ces trente récits à la lumière des moments d'exception passés avec mon compagnon. Il a sa propre manière de s'exprimer qui dépasse les miaulements traditionnels qu'on lui attribue. Ils sont souvent plaintifs, toujours expressifs, vont de l'itératif commandement à la supplication, il sait y faire et obtient toujours ce qu'il veut. Il adopte très vite un langage cabalistique que sa gestuelle corporelle précise et que l'émail de ses yeux soulignent. Pour peu qu'on y prête attention on peut avoir avec lui des conversations silencieuses faites de clignements de paupières, de rauquements de gorge, de coups de tête et de frottements sur les jambes... Je ne sais pas quoi en penser, toujours est-il qu'il affectionne souvent les rayonnages de la bibliothèque et suis sûr qu'il est sensible à l'odeur de l'encre, à la fragrance du papier et pourquoi pas à la musique des mots, parce qu'évidemment il sait lire et pénètre facilement dans l'univers créatif d'un auteur. Ce n'est quand même pas parce que c'est un animal à poil qu'il n'est pas sensible aux gens de plume ! Il tente même d'attraper mon stylo quand je hasarde des mots pour ce modeste commentaire. C'est peut-être une tentative de donner son avis, une manière de contestation, après tout il a lui aussi son mot à dire puisqu'il s'agit de lui. Et puis le farniente, ça il connaît, au soleil d'été ou près du radiateur l'hiver. Il y a les courses effrénées dans le jardin, les explorations jalouses de son territoire, l'heure du repas qu'il ne manque jamais même si sa gourmandise lui fait souvent renouveler cette séquence mais j'ai pu voir qu'il a une pendule dans la tête et s'adapte mieux que moi aux ridicules changements d'heure que la loi nous impose, à nous pauvres humains! Tout cela procède du mystère qui l'entoure et de la fascination qu'il inspire.
Parmi ces témoignages, beaucoup sont anecdotiques mais révèlent autant l'indépendance du chat que son attachement à son maître. J'ai une particulière tendresse pour Édito, cette chatte journaliste qui s'est installée dans un salle de rédaction d'un quotidien. Cela me rappelle qu'il y a quelques années un chat s'est installé dans la mairie de la ville de Niort, cette cité tant décriée par Houellebecq, on se demande bien pourquoi. L'article de presse qui lui a été consacré détaillait son quotidien et l'attachement du personnel mais ne précisait pas s'il assistait aux séances du conseil municipal ni si le maire lui prêtait un oreille attentive. J'ai été sensible aussi à l'histoire de Limoges, cette chatte fidèle dont son maître se sépare pendant trois ans et qui finalement vient mourir dans ses bras.
L'animal est tellement tout cela et tellement d'autres choses encore qu'il me reste à découvrir parce que, évidemment chaque chat est unique, toujours prompt à étonner. D'ailleurs mon compagnon s'agite et jette des regard désespérés vers la porte et la nuit. Il a sûrement un rendez-vous mais là, c'est une autre paire de pattes!
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Vigile
- Par hervegautier
- Le 21/12/2019
- Dans Hyam Zaytoun
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La Feuille Volante n° 1415– Décembre 2019.
VIGILE - Hyam Zaytoun - Le tripode.
L'histoire et simple et simplement mais dramatiquement racontée, celle d'une femme qui va voir mourir son compagnon victime d'un infarctus. Son éventuel retour à la vie ne se fera pas sans remises en question. Certes cela rapproche les membres d'une parentèle, les amis proches mais n'efface pas la douleur, l'incompréhension, le sentiment d'injustice, la ridicule culpabilité judéo-chrétienne d'être en vie face à la mort probable de l'autre, cette volonté impossible d'échanger sa vie contre la sienne, de vouloir souffrir à sa place. On s'accroche à n'importe quoi pour se rassurer, on s'imagine que la mort fera une exception parce qu'il ne peut en être autrement, on refait le chemin à l'envers en se demandant ce qu'on a fait de mal ou pire en regrettant ce qu'on a fait de parfaite bonne foi pour en arriver là, on envisage un futur veuvage, les enfants orphelins et la difficulté de les élever dignement. Cela illustre une nouvelle fois la fragilité des choses humaines, l'injustice des malheurs qui nous frappent. Cela nous rappelle que nous ne sommes que les modestes usufruitiers de notre vie.
J'ai, bien entendu, été bouleversé par ce récit, comment peut-on ne pas l'être? Évoquer la douleur est toujours un exercice délicat. Je ne sais pas s'il s'agit d'un récit véridique ou si nous sommes dans une pure fiction, mais en tout cas j'ai eu beaucoup de mal à y croire. Que cette femme choisisse de soutenir son compagnon dans cette épreuve, qu'elle soit sa "vigile" est plausible. Je veux bien que les miracles existent mais malgré moi j'ai toujours des doutes dans ce genre de situation où la Camarde rappelle brutalement sa présence et l'imminence de son action. En occident, nous faisons semblant de vivre comme si nous n'étions pas mortels, or nous le sommes tous et nous avons un rendez-vous auquel nous ne pourrons pas nous dérober. Je ne sais si c'est par une sorte de réaction mais, en outre, celui qui va mourir est idéalisé, est paré par ceux qui l'entourent de toutes les qualités qu'on lui contestait souvent de son vivant et chacun y va de cette sorte d'oraison funèbre censée retracer son parcours sur terre comme un somme de belles actions dont lui seul était capable!
Je veux bien que l'amour entre les êtres existe celle qui nous est décrite entre cet homme et cette femme me paraît un peu trop idyllique. Notre époque, peut-être plus que les autres, est révélatrice d'une autre réalité, les divorces sont de plus en plus nombreux et les mariages et l'hypocrisie qui va avec éclatent maintenant même à l'heure de la retraite, quand on s'est sacrifié, qu'on a eu la patience d'attendre que les enfants soient grands et soient partis d'un foyer rendu invivable par l'intempérance d'un des époux, laquelle ne correspond pas forcément à l'image d’Épinal du père inconstant. Je veux bien que la mémoire ait des défaillance et qu'on ne privilégie que l'instant présent où la mort est en embuscade, mais c'est oublier les réalité du couple, des inévitables frictions, des mensonges, des trahisons et peut-être pire, tout cela en contradiction avec les vœux et les promesses du départ.
Ce court roman qui se lit d'une traite est certes bien et sobrement écrit, l'auteur a su transmettre une intensité dramatique certaine, mais je n'y ai pas cru. Et tant pis si mon commentaire va a l'encontre de louanges générales.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Oxymort
- Par hervegautier
- Le 17/12/2019
- Dans Franck Bouysse
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La Feuille Volante n° 1414– Décembre 2019.
Oxymort - Franck Bouysse - Geste.
Le livre refermé, une première citation me revient "Les Tueurs sont les nègres des honnêtes gens, ils réalisent leurs fantasmes". Ce roman qui n'est pas un polar, la présence de l'officier de police étant des plus anecdotiques, son enquête pratiquement inexistante, celle du sang non plus, mais c' est bel et bien un thriller avec l'idée prégnante de la mort et où le suspense est distillé jusqu'à la fin. D'emblée nous voyons un homme enfermé et menotté dans une cave humide, qui ne s'explique pas sa présence dans ce lieu et dont la vie est menacée. Le seul moyen qu'il trouve pour tenter d'expliquer cette situation est de refaire le chemin à l'envers, de remonter le cours du temps. Au fil des pages, son histoire s'éclaircit, il est professeur de SVT, a croisé la vie de Lilly, une jolie doctorante dont maintenant il partage la vie et qui a signalé sa disparition à la police. Son souvenir lui permettra de supporter les sévices de sa détention.
Des personnages viennent s'intercaler, des collègues de travail telle Suzanne surnommée par Louis "Mlle Bovary", Hubert, son voisin qui est bien entendu amoureux-fou d'elle, Muriel, une élève du lycée où il enseigne qui a fait une tentative de suicide. C'est elle qui a défini le terme "oxymore" a l'invite du sujet de devoir proposé par Suzanne " Est-ce qu'un silence peut-être assourdissant?" Ce silence qui a peut-être présidé au geste dramatique de l'adolescente a pour reflet l'amour surréaliste qui motive les actes désespérés mais meurtriers du tortionnaire-ravisseur de Louis. C'est un travers de l'espèce humaine qui amène ceux qui sont possédés par des fantasmes pervers à des actes insensés. C'est ce même silence qui règne dans la cave dans laquelle il est enfermé, ce même silence qu'on observe pour soi-même quand on remonte le temps et que ce voyage à l'envers dans son propre parcours nous donne parfois le vertige à force d'interrogations, ce silence aussi qui enveloppe les amours impossibles qu'on garde perpétuellement pour soi et qui n'aboutiront jamais, le silence de la mort dont l'image hante tout ce roman.
Au delà du jeu de mots que contient le titre de ce roman (oxymore- oxymort") et même si j'ai eu un peu de mal a entrer dans cette intrigue, j'ai apprécié la qualité de l'écriture, l'ambiance bien loin de celle des romans de ce genre, le suspens qui tient en haleine le lecteur... C'est un roman qui se lit rapidement.
C'est un roman qui tranche sur l'habituel registre de l'auteur.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Celle qui attend
- Par hervegautier
- Le 09/12/2019
- Dans Camille Zabka
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La Feuille Volante n° 1413– Décembre 2019.
Celle qui attend - Camille Zabka - L'inconoclaste.
Alexandre Rivière, gérant d'une société de voiturier est jugé pour une infraction routière avec délit de fuite ce qui lui vaut d'être incarcéré à Fleury-Mérogis. Il fait ainsi connaissance avec un système judiciaire implacable mais aussi avec l'ambiance carcérale, les détenus violents, les surveillants dépassés et parfois provocants, les riches et les VIP qui bénéficient d'un régime de faveur, les erreurs de l’administration, la promiscuité, l'abandon, l'ennui, le "cantinage", la drogue, le mitard ... Le travail est pour lui un havre de tranquillité qui lui permet de s'éloigner pendant quelques heures de ce quotidien délétère. Tout cela l'aide à supporter cette ambiance malsaine de la prison qui pour lui a duré 107 jours. Il ne réussit à tenir que grâce aux lettres qu'il écrit à sa femme, Pénélope, sage-femme, et Pamina sa fille, 3 ans, toutes les deux parties en Allemagne, sans doute pour le travail, et au courrier qu'il reçoit d'elles, même s'il n'y est fait que de discrètes allusions, sauf une fois, vers la fin, où son épouse remet les choses à leur vraie place pour sa fille et pour elle et on peut supposer le pire pour lui à sa sortie. D'ailleurs, le titre de ce roman est au singulier mais je l'aurais personnellement mieux compris au pluriel puisque cette attente concerne Pénélope et Pamina. La drogue qu'il finit par adopter ravive sa mémoire, le met en face de lui-même, ce qui augmente son désespoir. C'est que ce roman ne parle que d'Alexandre, de son enfance difficile de garçon abandonné puis adopté et mal aimé, de ses échecs, de son quotidien dangereux en oubliant celles qui l'attendent, pour qui cette situation a quelque chose d'insupportable et d'injuste.
Lui qui n'avait jamais lu un livre de sa vie, s’intéresse à la bibliothèque de la prison. La lecture est pour lui une façon de s'évader et de résister à l'ambiance délétère des lieux, d'autant qu'il est noir et ne peut échapper au racisme. J'observe que le fait de lire et surtout d'écrire, plus particulièrement à sa fille, une lettre par jour, le sort de ce marasme qui est son quotidien. On imagine aussi qu'il n'a jamais autant écrit de sa vie, ce qui fait sans doute de lui un détenu qui sort de l’ordinaire, au moins pour cette raison. Cela illustre à mes yeux et d'une certaine façon, l'effet cathartique de l'écriture qui semble avoir fonctionné pour lui.
Ce roman qui est le premier de cette auteur, est inspiré d'une histoire vraie et dédié à la petite Pamina. Les missives envoyées par Alexandre à sa fille ont été cousues ensemble par Pénélope dans une sorte de livre pour que leur fille se souvienne de ce qu'à vécu son père.
Je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis que très peu entré dans ce roman pourtant bouleversant de vérité et écrit simplement.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Né d'aucune femme
- Par hervegautier
- Le 04/12/2019
- Dans Franck Bouysse
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La Feuille Volante n° 1412– Décembre 2019.
Né d'aucune femme - Franck Bouysse - La manufacture du livre.
Le titre d'abord est surprenant, paradoxale même, mais ce roman est à la fois bouleversant et passionnant à cause du mystère qui entoure cette histoire un peu compliquée, à laquelle on a du mal à croire tant elle est sordide et hors de notre temps, encombrée de cadavres à la mort parfois atroce, mais qui pourtant me paraît plausible compte tenu du contexte, simplement parce qu'elle met en scène des êtres humains dans tout ce qu'ils ont de maléfique, c'est à dire bien souvent l'ordinaire de l'espèce humaine qu'on cache sous des apparences hypocrites du secret et du mensonge. Tout ce déroule sous l'égide de Gabriel, ce vieux curé de campagne qui se transforme en enquêteur volontaire et déterminé à cause d'une révélation de confessionnal et qui réussit à obtenir la vérité sur une énigmatique histoire de disparition d'un enfant, de séquestration arbitraire d'une femme, grâce à quelques pages manuscrites de cahiers dissimulés sous la robe d'un cadavre qu'il doit bénir et d'une mystérieuse tache de naissance.
Au delà de de l’écheveau obscur de ce récit, de ses personnages parfois inhumains, il y a ce contexte de pauvreté qui projette le lecteur dans l'univers de Maupassant, quand des parents vendent leur enfant, surtout leur fille, et ne supportent plus le remords et parfois la folie qui accompagnent leur choix. C'est aussi cette attitude des hommes qui, parce qu'ils ont de l'argent ou du pouvoir, se croient autorisés à tout, depuis le mépris et la trahison de leurs semblables, jusqu'à leur élimination physique. On n'échappe pas non plus à l'obsession de la transmission de la vie comme une obligation humaine et son pendant, la mort comme un rendez-vous qui nous est donné sans que nous en connaissions ni la date ni les circonstances, en même temps que le premier souffle de notre vie. Ce que j'ai retenu c'est la force du destin qui s'impose à chacun, ces êtres concentrés dans un même lieu géographique qui se croisent et s'ignorent au cours du temps, du désespoir face à l'impuissance, à la lâcheté, à la complicité malsaine, à la misère, à l'injustice et à la souffrance dont la mort est la seule échappatoire, la seule délivrance.
J'ai aussi été interpellé par le personnage de Rose et par sa démarche personnelle au regard de l'écriture, même si j'ai eu un peu de mal à admettre qu'une jeune fille sans grande instruction se mette ainsi spontanément à confier sa propre histoire à la feuille blanche, mais après tout pourquoi pas, c'est ce qui la rattache à la vie parce que ses mots sont avant tout des cris ("écrire ou plutôt écrier" dit-elle) face à son quotidien d'esclave, son amour impossible avec Edmond, l'enfermement dans sa propre condition et la mort qui, à chaque page transpire avec sa certitude d'impunité. Grâce à l'écriture et à l'imagination, Rose se laisse aller au fantasme autour de cette histoire d'amour avorté, sort de sa claustration de quatorze années grâce aux mots, même si elle finit par douter de leur véritable force. Malgré nous, ils finissent par s'enraciner dans notre esprit au point de se transformer en passions d'autant plus nocives qu'elles ne verront jamais le jour. Je m'interroge toujours sur l'effet cathartique de l'écriture. C'est un avis personnel, mais il me paraît étonnant pour un auteur de pouvoir écrire une telle histoire en la puisant dans sa seule imagination. Il doit bien y avoir quelque part, malgré le brouillage des pistes et la cruauté du récit, une approche très personnelle de cette histoire. La réflexion sur la vie aussi m'a interpellé en ce qu'elle est différente du message forcément religieux porté par le curé. C'est celle du néant de l'avant-naissance puis à nouveau de celui de l'après-mort, avec cette parenthèse douloureuse et incompréhensible, un véritable cadeau empoisonné qu'est la vie, à la fois l'image du choix des autres qui nous est imposé et la mission parfois impossible d'en tirer bénéfice, avec l'aide de Dieu, si toutefois on y croit ou si on la chance de le rencontrer et l'interdiction morale du suicide.
J'ai découvert, un peu par hasard, l’œuvre de Franck Bouysse, notamment à travers "Grossir le ciel"(FV n°1104). J'ai retrouvé avec plaisir le style juste, précis, respectueux des mots, de leur musique, de leur charge émotionnelle et poétique et des personnages jusque dans leur façon différente de s'exprimer et d'exister. C'est un roman que j'ai lu sans désemparer tant il est captivant et émouvant. Ce fut là aussi un bon moment de lecture.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Le tango de la vieille garde
- Par hervegautier
- Le 22/11/2019
- Dans Arturo PEREZ-REVERTE
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La Feuille Volante n° 1411– Novembre 2019.
Le tango de la vieille garde - Arturo Perez-Reverte - Seuil.
Traduit de l'espagnol par François Maspero.
Ce roman tourne autour de deux personnages qui vont se croiser plusieurs fois dans leur vie à partir de 1928. Au début, Max Costa a été danseur mondain dans les cabarets et les transatlantiques de luxe, autant dire un bellâtre suffisant, chasseur de femmes fortunées et qui danse merveilleusement le tango. Bien sûr, il ne sera jamais, malgré las apparences parfois trompeuses, qu'un petit voleur minable, un monte-en-l'air perceur de coffres-forts, un frimeur qui vivote de larcins. Mecha Inzunza est la très riche épouse d'un compositeur célèbre, devenue plus tard la mère d'un jeune joueur d’échecs prometteur qui est venu à Sorrente pour disputer une partie contre un Russe. Nous sommes alors en Italie dans les années 60 et Mecha et Max se retrouvent par hasard et c'est l'occasion pour eux, malgré les cheveux gris, la tavelure des mains et les désillusions de la vie, d'évoquer leur parcours respectif, de vivre une dernière aventure. Il y a dans leurs propos des relents de mémoire mais aussi de la lassitude à cause de la fuite du temps et de ses aléas. Si pour elle l'existence a été agréable, sensuelle et même jouissive, pour lui, ce fut l'itinéraire aventureux d'un gigolo sans le sou, parfois flamboyante mais surtout celle d'un fourbe opportuniste.
Chacun joue une sorte de partition hypocrite à demi-mots, avec des regrets et des souvenirs de leurs amours torrides mais épisodiques, vouées aux circonstances. Ils ne se sont pas oubliés mutuellement même s'ils ont été séparés et le hasard les a déjà réunis par deux fois, à Buenos Aires en 1928 où Max accompagne Meche et son mari, désireux de s'encanailler dans les bas-fonds de cette ville, puis à Nice, dix ans plus tard autour de lettres compromettantes à propos du coup d’État de Franco et d'un livre sur les échecs. Leurs relations amoureuses ont été comme une partie perpétuellement ajournée, des amours en pointillés, contrariées par les circonstances de la vie de chacun d'eux mais aussi par l'Histoire. Meche trouve Max fascinant, se sert de lui à l'occasion et son désir physique le dispute à la méfiance qu'elle a de lui, de ses trahisons, parce qu'il reste à ses yeux un petit malfrat cynique. Ils n'appartiennent pas au même monde et ils ne feront que se croiser, ce qui donne la leur rencontres une ambiance un peu malsaine. Lui ce n'est pas autre chose qu'un profiteur ingrat qui n'existe que grâce aux femmes qui sont capables de tromper leur mari pour lui et qui lui-même les trahira et les oubliera. Il a cependant ses propres failles que les évènements révéleront, comme la vie de Meche, différente et peut-être plus frivole, mettra en évidence la part sombre d'elle-même, fera de lui une victime, le juste retour des choses en quelques sortes. Les rapports entre Max et Meche sont étranges depuis leur rencontre fortuite, entre désir physique et véritable amour mais ce qui compte le plus pour lui, malgré la mélancolie, est de rester en vie avec la tentation de revivre pour un moment ses folles années maintenant révolues.
Il y a des descriptions très réalistes et parfois érotiques, une ambiance de tango et un suspense que j'ai particulièrement appréciés mais aussi, et malheureusement, quelques longueurs notamment autour des échecs. Cette évocation nous réserve pas mal d'analepses où le bluff côtoie la trahison. Tout le monde ment dans cette histoire un peu compliquée, mais c'est aussi une caractéristique de la nature humaine.
Je sais que c'est un roman avec des femmes splendides, de la classe, des bonnes manières, des salons avec leur ambiance, la fumée de tabac et le reflet de leurs miroirs, et je me suis laissé gagné, au fil des pages, par cette atmosphère surannée mais captivante qui transporte le lecteur dans des lieux et des périodes révolues. Ça a été, comme d'habitude, un bon moment de lecture.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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Il caffè dei miracoli
- Par hervegautier
- Le 16/11/2019
- Dans Franco di Mare
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La Feuille Volante n° 1410– Novembre 2019.
Il caffè dei miracoli - Franco di Mare - Rizzoli
Nous revoilà à Bauci, ce village imaginaire sur la cote amalfitaine.
On vient d'ériger, sur la place de l'église, juste devant la porte de l'édifice religieux, une statue en marbre du sculpteur Fernando Botero, à la fois plantureuse et surtout nue et ce quelques jours avant la fête de la sainte locale, sainte Euphasie, avec la procession qui, en présence de l'évêque, passera évidemment devant cette statue et son immense derrière. C'est "la Maja tropical" en hommage à Goya. Le tout évidemment avec l'assentiment du maire, Rocco Carillo et dans le cadre du Festival de l'art de cette année. Il n'en faut pas plus pour mettre hors de lui le curé, Don Enzo, qui exige son enlèvement. Il n'en est évidemment pas question puisque, pour le maire, c'est un geste politique qu'il partage d'ailleurs avec David Ferrigno, un professeur d'art qui doit tout au maire et qui veut faire de lui son conseiller culturel et donner à sa ville un intérêt supplémentaire. On envisage tout, depuis son enlèvement, trop coûteux, son déplacement de façon à lui faire tourner le dos à l'église pour que les fidèles qui en sortent ne voient pas sa nudité, son enveloppement façon Christo comme le suggère Elvira Neri, une belle femme célibataire qui travaille à Rome comme chef de la division des biens culturels et dont tous les hommes sont amoureux. Cette statue c'est, comme on dit, un hommage à Goya, l'auteur de la "Maja desnuda" qui ainsi deviendrait la "Maja vestida". Après tout Bilbao, petite ville espagnole a bien été transformée et connue mondialement grâce au musée Guggenhiem! Pourquoi pas à Bauci? C'est une idée qui plaît bien au maire et qui l'arrangerait politiquement et le rendrait célèbre. il pourrait même devenir sénateur! Ce serait simple si l'opposition locale ne risquait de faire capoter le projet parce que son chef a depuis longtemps un différent personnel avec le maire. On pourrait même faire financer ce musée par la communauté européenne comme le suggère Elvira Neri.
Les discussions entre le curé et le maire rappellent celle de Don Camillo et de Pepone et, pour corser le tout, on vient de trouver un petit bébé abandonné au pied de la statue. Il y avait déjà le café du village où s'étaient produit des miracles, la présence de cette enfant mystérieuse ravive cette idée.
Cette histoire, c'est avant tout une histoire de femmes, la statue d'abord, mais aussi Elvira, Carmelina, Doll et sa petite fille, et aussi la signora Ballarin, mais là c'est une autre histoire... Dans ce village tout le monde se connaît et tout se sait, surtout dans ce café! Apparemment c'est un roman léger et distrayant, sans prétention mais il est aussi le miroir de l'espèce humaine avec sa multitude de personnages, leurs faiblesses, leurs fantasmes, leurs petitesses.
J'ai bien aimé ce roman, plus intéressant à mon avis que "il toerema del babà" du même auteur. Je l'ai lu en italien parce que, à ma connaissance, il n'y a pas de traduction. Je l'ai même lu parfois à haute voix, ce qui, pour moi qui suis Français et amoureux de cette langue, m'a permis d'en goûter la musicalité.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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soif
- Par hervegautier
- Le 13/11/2019
- Dans Amélie Nothomb
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La Feuille Volante n° 1409– Novembre 2019.
Soif - Amélie Nothomb - Albin Michel
Amélie Nothomb sort son habituel roman annuel, malheureusement pour elle non couronné par le prestigieux Prix Goncourt, et choisit pour sujet la vie de Jésus dont on nous a rebattu les oreilles depuis des siècles, rien de bien original! J’observe d'ailleurs que c'est généralement un sujet de vieux auteurs qui veulent ainsi recommander leur âme à un éventuel dieu et assurer leur Salut. Même si j'aborde toujours les romans de notre auteure avec beaucoup de circonspection, je me suis donc dit que nous allions assister à un nouvel évangile apocryphe selon Amélie et je le déplorais par avance car je ne goûte guère le prosélytisme même en dehors des didactiques mais ennuyeux textes religieux. Eh bien, à ma grande surprise, il y a ici une liberté iconoclaste et même humoristique qui ne m'a pas déplu. Elle commence son récit en nous présentant Jésus qui est le narrateur de sa propre existence, d'où le texte à la première personne, la veille de son exécution, quand tout le monde l'a trahi, y compris les bénéficiaires de ses miracles et qu'il doit affronter flagellations, injures et affres de la mort et qu'il se souvient de sa courte vie. Il se montre, non comme un dieu mais comme un homme, certes doué de pouvoirs magiques, mais comme un être avec ses fêlures, ses défauts, et qui est amoureux de Marie-Madeleine à la suite d'un "coup de foudre" réciproque et ne s'est pas privé pas de sexe avec elle! Il évoque en vrac, le mysticisme, le sommeil, Dieu, l'incarnation, la figure de Judas, le pardon... mais il ne me paraît guère convaincant et même un peu déroutant, affirme qu'il a choisi pour y naître ce pays désertique et brûlant et file la métaphore de la soif, sans doute pour justifier le titre de ce roman. Il prétend même qu'il se sert de cette soif pour faire échec à sa douleur de supplicié, cette soif qui sera étanchée par un compatissant soldat romain. Il reprend souvent le thème de l'eau, l'applique à Marie-Madeleine, à Dieu, à la religion, à l'amour; là aussi, j'ai eu un peu de mal à le suivre. De même quand il est question de l'après-mort. Je n'imagine pas un tel Christ et je me plais à imaginer que c'est Amélie Nothomb qui parle par sa voix, surtout quand elle se laisse allée à des explications sémantiques.
Mon éducation religieuse, surtout dans sa version catholique, m'a donné, avec le temps et la réflexion, l'occasion de faire de ce culte une lecture différente que celle distillée par les dogmes et les mystères et j'ai pu vérifier que notre auteure partage certaines de mes critiques personnelles. Certes, Jésus accepte avec fatalisme la crucifixion puisque tel est le destin auquel il ne peut se dérober, certes il est seul face à sa Passion mais semble être d'une grande lucidité malgré tout puisqu’il y a dans son attitude un petit côté masochiste. Il souffre certes et va mourir mais cela ne l'empêche pas de raisonner. Pire peut-être, il remet en question l'amour de soi, inexistant dans son cas, et qui ne peut justifier l'amour de l'humanité, s'en prend à Dieu le Père qui a fait l'erreur de sacrifier son propre fils, s'en veut lui-même de lui avoir obéis jusqu’au bout, ce qui a fait de sa vie un échec et met même en doute le sens de son amour pour le monde et sa mort pour l’expiation des péchés des hommes, ceux du passé mais surtout de ceux à venir! Il déplore qu'on se souvienne de lui, de son sacrifice et qu'on en profite pour fonder une religion. Il va même jusqu'à inverser la culpabilisation qu'on nous a inculquée en s'accusant lui-même de ce qui peut-être regarder comme un culte de la personnalité. Il remet même en cause ses propres paroles rapportées par les évangélistes, décrit une mort bien différente, et une mater dolorosa rajeunie et moins souffrante, un enfer qui n'existe pas, à tout le moins dans sa version évangélique. C'est, me semble-t-il, une version bien lointaine de celle du catéchisme mais néanmoins possible dans la cadre de sa liberté d'écrivain .
Je ne connais pas l'auteur personnellement mais j'imagine que ses origines nobles l'ont liée au catholicisme avec lequel elle prend ici ses distances. Parmi tous les romans déjà lus de cette auteure, je trouve celui-ci surprenant, c'est pourtant "le livre de sa vie", avoue-t-elle. Comme d’habitude, j'ai apprécié le style classique et clair de notre auteure qui rend la lecture de ce court ouvrage agréable et rapide, mais ça n'a pas vraiment suffi à emporter mon adhésion à cette œuvre, comme souvent!
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Le joueur d'échecs
- Par hervegautier
- Le 07/11/2019
- Dans Stefan Zweig
- 2 commentaires
La Feuille Volante n° 1407– Novembre 2019.
Le joueur d'échecs - Stefan Zweig - Éditions Payot et Rivages.
Traduit de l'allemand par Jean Torrent.
Sur un paquebot qui va de New-York à Buenos Aires, se joue une série de parties d'échecs. Cette nouvelle met en scène le narrateur dont nous ne saurons rien, Mirko Czentovic, un être inculte, médiocre et arrogant qui a la particularité d'être un génie devant un échiquier en y jouant automatiquement et d'instinct, une sorte d'autiste, et qui, la partie gagnée, de redevenir ce qu'il est, un quidam vulgaire, ignare et sans intérêt mais qui est, depuis l'âge de vingt ans, champion du monde d'échecs. Le troisième personnage est un autrichien mystérieux, MB, qui accepte de jouer avec lui alors qu'il n'a pas touché un échiquier depuis plus de vingt ans. Il rencontre Czentovic par hasard lors de la traversée. La première partie est réputée nulle, il gagne la deuxième mais perd la troisième d'une manière assez bizarre, une sorte de démission volontaire, un peu comme s'il était victime d'une hallucination, s'il jouait une autre partie que celle qu'il était en train de disputer.
Il est difficile de ne pas voir, dans cette courte nouvelle posthume des connotations avec l'auteur, sa vie ayant largement nourri son œuvre. Zweig pratiquait les échecs en amateur et on pourrait y voir un exemple d'addiction au jeu ou plus sûrement une illustration d'une forme particulière de violence. Le personnage intéressant ici, c'est MB, un avocat autrichien exilé, un peu comme l'auteur qui a passé sa vie à fuir les nazis qui avaient destiné aux flammes ses différents livres, qui a parcouru le monde pour débarquer en Amérique du sud, à ses yeux, terre de liberté et de tolérance. Ainsi, à la suite d'une rencontre avec le narrateur, MB accepte de lever le voile sur sa vie. Il raconte comment il a été l'objet d'internement de la part de la Gestapo, mais pas dans un camp de concentration comme on pourrait s'y attendre mais dans une chambre d’hôtel, maintenu au secret. Par hasard, il tombe sur un traité d'échecs et apprend par cœur les combinaisons des grands maîtres au point de jouer dans sa chambre contre lui-même avec un échiquier de fortune et des pièces faites de miettes de pain. Remarquons au passage le lien fait entre le pain nécessaire à la vie et ce jeu reconstitué qui va prendre pour lui une importance capitale. Jusque là, sa solitude et le silences étaient tels qu'il allait devenir fou et aurait presque préféré être astreint au travail et à la promiscuité des camps, ce qui lui aurait occupé l'esprit. Dès lors qu'il trouve ce livre, il reprend confiance, exerce son esprit puisque ce jeu, à l'inverse des autres, ne fait pas appel au hasard mais à la technique, mais c'est de courte durée. Certes il s'exerce au point d'être fasciné par les échecs et, à force de jouer mentalement contre lui-même, il devient son propre bourreau puisqu'il ne pense qu'à cela, ce qui rend sa solitude destructrice. Il tente de pallier la folie en se remémorant des articles du Code Civil ou des œuvres littéraires, ce qui peut être interprété comme le fait que la culture puisse faire échec à la barbarie. Là aussi c'est une sorte d'impasse puisque il perd ainsi le sens des réalités et il ne voit d'autres issues que la fuite. MB bénéficie heureusement de l'aide d'un médecin qui le sort de cette détention et de cette spirale infernale, mais il garde quand même des marques indélébiles de sa détention et des violences qu'il a subies en perdant la troisième partie contre Czentovic. Pour Zweig, qui pensait trouver au Brésil la paix intérieure, cette fuite débouche sur le suicide.
Il y a une excellente analyse de ce que peut-être cette forme subtile de violence qui est loin d'être théorique puisqu’elle sert encore quand on veut se débarrasser de quelqu'un, mais cette nouvelle illustre, à mon avis, l'effet cathartique de l'écriture (ou de la parole), mais, comme je l'ai toujours pensé, ce pouvoir a ses propres limites et ne saurait guérir de ses obsessions un être tourmenté comme Zweig qui n'a pas pu ne pas connaître les théories de Freud dont il prononce l'éloge funèbre. Une telle histoire ne peut rester sans explication et l'interruption de la partie par MB à l'invitation du narrateur, sa volonté de se retirer du jeu, appellent, à mon sens, celle de la vie devenue insupportable à notre auteur et donc de son suicide.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Eva, une aventure de Lorenzo Falco
- Par hervegautier
- Le 03/11/2019
- Dans Arturo PEREZ-REVERTE
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La Feuille Volante n° 1407– Novembre 2019.
Eva - Une aventure de Lorenzo Falcó - Arturo Perez-Reverte - Seuil.
Traduit de l'espagnol par Gabriel Iaculli.
Je remercie Babelio et les éditions Seuil de m’avoir fait découvrir ce roman.
Lorenzo Falcó est un ancien trafiquant d'armes reconverti en agent secret de la République espagnole et travaillant maintenant pour Franco. Autant dire que seul l'argent compte pour lui et que ce ne sont pas les scrupules qui l'étouffent. Il correspond à l’image traditionnelle de l'espion de cette époque, dans la force de l'âge, costume bien taillé, chapeau, trench-coat, browning, alcool, cigarettes, faux passeports et évidemment des femmes, mariées ou non, belles, désirables et consentantes qu'il n'apprécie que dans son lit, image d’Épinal, pas vraiment dans l'air du temps. Son rôle est clair, s'assurer d'un cargo républicain, le Mount Castle, transportant l'or de la banque d'Espagne à destination de la Russie afin qu'il échappe aux nationalistes en cas de victoire. Le bâtiment est réfugié dans le port de Tanger et les franquistes entendent bien s'approprier sa cargaison pour financer la guerre civile. Il est bien entendu surveillé par deux destroyers espagnols des deux camps et fait l'objet de nombreuses tractations internationales. Bien sûr cette mission n'est pas sans risques et elle est émaillée de pas mal de luttes sanglantes, de rebondissements et de cadavres. La ville est un nid d'espions et d'assassins et l'argent achète tout, même peut-être le capitaine du navire républicain résolu à faire son devoir face à un autre capitaine, nationaliste celui-là, tout aussi déterminé à l'envoyer par le fond dans les eaux internationales s'il résiste à l’arraisonnement. Il y a de belles femmes avec parfois leur lot d'érotisme, de vieux loups de mer à la peau tannée, des tapis verts, des tueurs à gage, des nuits blanches, des cigarettes américaines, de l'excellent whisky, du kif, des exaltés qui voient dans cette guerre civile une occasion de vivre leur passion de tueurs ou leurs illusions politiques, des bagarres de bouges, des putes, des inconnus qui changent de noms, des aventuriers qu'aucune trahison n'arrête, des exécutions sommaires que les circonstances exigent... Mais le plus gênant pour Falcó c'est que Eva Neretva , une Russe communiste à qui il a naguère sauvé la vie et qui lui a rendu la pareille et qui est à bord du Mount Castle. Cela va évidemment compliquer sa tâche d'autant que chacun des deux capitaines, celui du cargo républicain et celui du destroyer nationaliste, sont déterminés à faire leur devoir. Eva n'est pas vraiment son genre de femme, certes il l'a aimée et continue de la désirer, mais elle reste pour lui une énigme, quelqu'un qu'on ne peut manipuler ni acheter. Animée par la foi communiste, c'est une idéaliste, pleine d'illusions sur Staline et son régime dictatorial et capable de se sacrifier elle-même, ou de tuer Falcó si on lui en donne l'ordre. Lui, au contraire, est imperméable à tout engagement idéologique, véritable mercenaire travaillant pour le plus offrant. Il y a donc entre entre eux un jeu macabre, une sorte de danse entre Eros et Thanatos!
Le roman se lit bien et même rapidement, est agréablement écrit avec de belles descriptions parfois pleine de sensibilité et de belles nuances, avec beaucoup de réalisme dans le récit des affrontements, entre coups de feu et de couteau, ce qui rend cet ouvrage passionnant jusqu'à la fin. Le suspens est au rendez-vous dans le décor de cette ville neutre, cosmopolite et mystérieuses où chacun est à la solde d'un autre, voire de plusieurs, où la survie d'un espion est gravement menacée à chaque instant et où la vie de chacun ne tient qu'à un fil, avec en toile de fond ce cargo et sa cargaison d'or, les protagonistes de cette histoire, entre obéissance aux ordres et réalisme. Je n'attendais pas Perez-Reverte dans ce registre par rapport à ce que j'ai déjà lu de lui. J'avoue que je suis un peu partagé à propos du personnage de Falcó que je trouve un peu trop caricatural et ses aventures un peu trop conventionnelles dans le cadre de ce genre de roman auquel il est vrai je suis assez peu habitué. Il a peut-être de beaux yeux gris, les cheveux brillantinés et un charme ravageur de beau gosse, je le trouve quand même un peu trop "donnaiollo" comme disent nos amis Italiens, mais ce fut quand même un bon moment de lecture.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Les loyautés
- Par hervegautier
- Le 31/10/2019
- Dans Delphine de Vigan
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La Feuille Volante n° 1406– Novembre 2019.
Les loyautés - Delphine de Vigan - JC Lattès.
D'emblée, en bon pédagogue, Delphine de Vigan prend soin de définir la loyauté avant de l'illustrer par son propos et aussi d'y mettre la marque du pluriel, "des liens invisibles qui nous attachent aux autres", des promesses que nous nous sommes faites dans le secret de nous-mêmes, des "fidélités silencieuses" et invisibles qui nous viennent parfois de l'enfance et auxquelles nous sommes tenus parce que en avons décidé ainsi. Cela nous sert de boussole, d'énergie et parfois même nous rongent et nous détruit. C'est une mise en scène de quatre personnes, deux adultes, Cécile et Hélène et deux adolescents, Théo, 12/13 ans, enfant de parents divorcés et aussi devenus ennemis, écartelé par la garde alternée et désarmé devant l'apathie de son père, seul et au chômage en fin de droits. Mathis, son ami inséparable vit dans une famille où la mère Cécile et son mari sont ensemble mais mènent des vies séparées et pleines de découvertes parfois nauséabondes, ce qui perturbe la vie de leur fils. Cécile n'approuve pas cette relation entre les deux adolescents et se trouve impuissante face au désarroi de son fils et Hélène, l’enseignante du collège où sont scolarisés les deux élèves à l'intuition qu'ils sont sur une pente dangereuse et tente de faire quelque chose pour Théo parfois gauchement et même d'une façon qui outrepasse ses fonctions. Lui-même s'avance dangereusement vers la mort mais voudrait faire quelque chose pour son père qui lui aussi s'enfonce chaque jour davantage dans une sorte de néant. Ces quatre personnages sont enchaînés par des liens et leur destin va se croiser. Les garçons sont fragiles, les pères inexistants chacun à leur manière et les mères vivent cette période difficilement et surtout dans une grande solitude au quotidien. Hélène puise dans son enfance déchirée une sorte d'obligation de sauver Théo.
Sur le plan de la forme Cécile et Hélène parlent à la première personne tandis que Mathis et Théo sont l'objet de narrations alternées de la part des deux femmes. C'est une évocation de cette difficulté d'être un adolescent aujourd'hui, même si cette période qui est une transition entre l'enfance et l'âge pré-adulte est toujours difficile pour ceux qui la vivent comme pour ceux qui les côtoient d'autant que le contexte familial et social a changé par rapport à celui des générations précédentes et s'inscrit aujourd'hui dans un contexte de famille éclatées. Certes les relations entre les membres d'une même famille n'a jamais été une chose simple et même si auparavant il y avait beaucoup d'hypocrisie et pas mal de déviances, au moins les apparences étaient sauves avec un semblant d'unité et de stabilité. Le mariage suppose aussi une loyauté dans le couple, bien souvent oubliée, cela implique que chaque membre ne peut plus se croire tout permis, est tenu à une fidélité et une sorte d'abnégation de soi-même. La multiplication des divorces n'a rien réglé parce que dans ce contexte, c'est trop souvent les enfants qui paient les erreurs de leurs parents et ils en portent la marque toute leur vie. J'ai lu dans ce roman la désagrégation des famille à l'heure où des hommes et des femmes se jurent fidélité pour la vie et, à la première occasion, au mépris de leurs propres enfants et de leurs obligations de parents, font éclater leur foyer et deviennent des ennemis irréconciliables. L'amour est une chose consomptible comme toutes les choses de notre vie et ne fait que dissimuler un temps les zones sombres de chacun de nous. La solitude qui résulte souvent de cet éclatement du couple mais peut aussi perdurer dans son maintient surtout quand il est artificiel. Ici Cécile soliloque ce qui est un signe de souffrance au sein même de son couple et cela vient de son enfance. Face à cela, Hélène veut sauver Théo et pour cela outrepasse ses fonctions d'enseignante au point d'en être réprimandée professionnellement et lui, de son côté veut sortir son père, honni par sa mère, de sa déchéance programmée.
Dans la continuité des"Heures souterraines" ou de "No et moi" Delphine de Vigan se livre ici une interrogation sur notre monde contemporain, fragilisé par des violences invisibles, sur nos engagements personnels face qui nous font grandir mais aussi nous enferment.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Lulu fille de marin
- Par hervegautier
- Le 28/10/2019
- Dans Alissa Wenz
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La Feuille Volante n° 1405– Octobre 2019.
Lulu, fille de marin - Alissa Wenz - Ateliers Henry Dougier.
Je remercie les "Ateliers Henry Dougier" de m'avoir permis de découvrir ce roman.
Cette maison d'édition relativement récente (2014) souhaite, à travers ses publications, "raconter" la société contemporaine en donnant notamment la parole à ceux qui ne l'ont jamais, en les écoutant parler de leur région, de leur métier, de leur mémoire...
C'est bien dans cet esprit que Lucienne, que tout le monde appelle Lulu, prend la parole. Elle est aujourd'hui une arrière grand-mère de quatre-vingt-dix ans qui vit toujours en Bretagne, près de la mer et sa petite-fille aime lui faire des visites et l'entendre parler de sa vie, de son père, Joseph, capitaine de terre-neuvas, de son mari, André, aviateur, des hommes qu'elle a passé son temps à attendre en craignant pour leur vie. C'est une de ces visites aussi impromptue que naturelle qui nous est ici relatée. C'est qu'elle parle volontiers notre Lulu, comme si elle voulait transmettre à cette jeune femme son histoire personnelle, celle de son enfance bretonne, de l'école, du deuil de sa grande sœur morte à l'âge de sept ans, de la dure vie à la campagne au début XX° siècle, surtout en l'absence du père en mer une grande partie de l'année, de la 2° guerre, de l'Occupation, des dénonciations, des bombardements, des rationnements, de la pauvreté et de la vie difficile dans ce petit coin de Bretagne, de ses espoirs, de ses regrets. Plus tard, elle a été une jolie jeune fille, espiègle et malicieuse sur qui le garçons se retournaient, ceux qui l'ont courtisée et ceux qu'elle a éconduits, ceux qui l'ont emmenée au bal. Elle parle des fiançailles et des mariages aussi rapides qu'imprévisibles qui unissaient deux êtres qui se connaissaient à peine, de la condition féminine, figée et non destinée à changer en ce début de XX° siècle, des choix irréversibles, des rêves d'amour qui s'envolent vite, du poids des traditions qui aliènent la liberté, de l'empreinte très forte de l’Église, du premier vote des femmes, de ses enfants. Elle nous invite dans son univers avec ses vieux souvenirs qui ne s'effacent pas et qu'on regrette toute sa vie, la nostalgie, ses photos jaunies qui représentent tous ces morts désormais absents.
Tout cela est dit par cette vieille femme dont on a du mal à imaginer les rides malgré l'âge, et transcrit par Allisa Wenz, sa petite fille, avec la spontanéité du témoignage, sans recherche de vocabulaire ni d'effet de style, ce qui correspond bien au but de l'éditeur. Lulu a survécu à tous ceux qu'elle a connus sans qu'elle ait rien fait pour cela, parce que son destin sans doute était ainsi tracé. Elle se retourne sur son parcours parce que sa petite-fille l'y invite par sa seule présence, mais on sent dans ses propos un certain fatalisme et j'y vois personnellement des regrets, peut-être de ses jeunes années, comme un rendez-vous manqué, parce qu'à cette époque elle pouvait encore espérer de belles choses que la vie lui a cependant refusées. Maintenant la page est tournée, elle regarde le temps qui passe en songeant à sa propre mort, elle a fait ce qu'elle a pu, honnêtement, simplement, elle n'a plus sa place dans le monde actuel qu'elle ressent comme un danger pour ses proches, elle ne le comprends pas, même si elle aurait bien aimé, plus jeune, lui emprunter un peu de la liberté qu'il offre aujourd'hui.
Je me suis demandé tout au long de cette lecture si Lulu avait conscience que son chemin, somme toute bien ordinaire et sans doute conforme à celui des femmes de sa génération, prenait la dimension d'une trace qu'elle laisserait après sa mort pour ceux qui la suive, si elle ne ressentait pas une sorte d'obligation de parler, de dire ce qu'elle gardait pour elle depuis si longtemps, par pudeur peut-être, avant qu'il ne soit trop tard ? Ce n'est pas un texte littéraire, travaillé et peaufiné mais simplement un témoignage et je suis entré de plain-pied dans ce morceau de vie.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
La Feuille Volante n° 1405– Octobre 2019.
Lulu, fille de marin - Alissa Wenz - Ateliers Henry Dougier.
Je remercie les "Ateliers Henry Dougier" de m'avoir permis de découvrir ce roman.
Cette maison d'édition relativement récente (2014) souhaite, à travers ses publications, "raconter" la société contemporaine en donnant notamment la parole à ceux qui ne l'ont jamais, en les écoutant parler de leur région, de leur métier, de leur mémoire...
C'est bien dans cet esprit que Lucienne, que tout le monde appelle Lulu, prend la parole. Elle est aujourd'hui une arrière grand-mère de quatre-vingt-dix ans qui vit toujours en Bretagne, près de la mer et sa petite-fille aime lui faire des visites et l'entendre parler de sa vie, de son père, Joseph, capitaine de terre-neuvas, de son mari, André, aviateur, des hommes qu'elle a passé son temps à attendre en craignant pour leur vie. C'est une de ces visites aussi impromptue que naturelle qui nous est ici relatée. C'est qu'elle parle volontiers notre Lulu, comme si elle voulait transmettre à cette jeune femme son histoire personnelle, celle de son enfance bretonne, de l'école, du deuil de sa grande sœur morte à l'âge de sept ans, de la dure vie à la campagne au début XX° siècle, surtout en l'absence du père en mer une grande partie de l'année, de la 2° guerre, de l'Occupation, des dénonciations, des bombardements, des rationnements, de la pauvreté et de la vie difficile dans ce petit coin de Bretagne, de ses espoirs, de ses regrets. Plus tard, elle a été une jolie jeune fille, espiègle et malicieuse sur qui le garçons se retournaient, ceux qui l'ont courtisée et ceux qu'elle a éconduits, ceux qui l'ont emmenée au bal. Elle parle des fiançailles et des mariages aussi rapides qu'imprévisibles qui unissaient deux êtres qui se connaissaient à peine, de la condition féminine, figée et non destinée à changer en ce début de XX° siècle, des choix irréversibles, des rêves d'amour qui s'envolent vite, du poids des traditions qui aliènent la liberté, de l'empreinte très forte de l’Église, du premier vote des femmes, de ses enfants. Elle nous invite dans son univers avec ses vieux souvenirs qui ne s'effacent pas et qu'on regrette toute sa vie, la nostalgie, ses photos jaunies qui représentent tous ces morts désormais absents.
Tout cela est dit par cette vieille femme dont on a du mal à imaginer les rides malgré l'âge, et transcrit par Allisa Wenz, sa petite fille, avec la spontanéité du témoignage, sans recherche de vocabulaire ni d'effet de style, ce qui correspond bien au but de l'éditeur. Lulu a survécu à tous ceux qu'elle a connus sans qu'elle ait rien fait pour cela, parce que son destin sans doute était ainsi tracé. Elle se retourne sur son parcours parce que sa petite-fille l'y invite par sa seule présence, mais on sent dans ses propos un certain fatalisme et j'y vois personnellement des regrets, peut-être de ses jeunes années, comme un rendez-vous manqué, parce qu'à cette époque elle pouvait encore espérer de belles choses que la vie lui a cependant refusées. Maintenant la page est tournée, elle regarde le temps qui passe en songeant à sa propre mort, elle a fait ce qu'elle a pu, honnêtement, simplement, elle n'a plus sa place dans le monde actuel qu'elle ressent comme un danger pour ses proches, elle ne le comprends pas, même si elle aurait bien aimé, plus jeune, lui emprunter un peu de la liberté qu'il offre aujourd'hui.
Je me suis demandé tout au long de cette lecture si Lulu avait conscience que son chemin, somme toute bien ordinaire et sans doute conforme à celui des femmes de sa génération, prenait la dimension d'une trace qu'elle laisserait après sa mort pour ceux qui la suive, si elle ne ressentait pas une sorte d'obligation de parler, de dire ce qu'elle gardait pour elle depuis si longtemps, par pudeur peut-être, avant qu'il ne soit trop tard ? Ce n'est pas un texte littéraire, travaillé et peaufiné mais simplement un témoignage et je suis entré de plain-pied dans ce morceau de vie.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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La trahison des Jacobins
- Par hervegautier
- Le 26/10/2019
- Dans Jean-Christophe Portes
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La Feuille Volante n° 1404– Octobre 2019.
LA TRAHISON DES JACOBINS - Jean-Christophe Portes - City Éditions.
Cet été 1792 est étouffant mais aussi et surtout bouleversant pour le lieutenant de gendarmerie Victor Dauterive qui apprend la disparition et peut-être la mort de Joseph, son petit serviteur orphelin qu'il espérait adopter et éduquer. Il n'a pu voir le corps et des rumeurs courent sur le trafic d'enfants qui serviraient à la prostitution. Il va donc s'employer à le retrouver. D'autre part, le député Charpier, un Jacobin, va le charger d'élucider la mort étrange d'un policier qui s'intéressait à un juge corrompu, Dossonville, proche de Danton et probablement actif dans le trafic des assignats en vue de détruire financièrement la Révolution. Victor qui le soupçonne d'être responsable de la mort de Joseph accepte donc d'autant plus facilement cette mission. Pour cela, il sait qu'il devra prendre ses distances et éventuellement trahir La Fayette à qui pourtant il doit tout. Mais cette époque est celle des trahisons, celle du roi qui a fui à Varennes et dont on demande la déchéance mais que l'Assemblée dominée par la Jacobins refuse, celle de La Fayette qu'on soupçonne d'attendre les troupes autrichiennes venues envahir Paris, celle des révolutionnaires eux-mêmes, celle de Danton, personnage populaire mais ambigu qui se dit du côté du peuple mais qu'on suspecte d'être aussi favorable à la Couronne, celles des partis politiques pour la conquête du pouvoir, le tout dans une atmosphère de guerre civile, d'un monde qui bascule et déchire les familles, où chacun complote et surveille son voisin, où la mort rôde à chaque coin de rue... Les investigations et les pérégrinations périlleuses de Victor permettront au lecteur d'arpenter les vieilles rues de Paris, mais aussi les bas-fonds, révélant que la Révolution n'a rien changé à la corruption de la société de l'Ancien Régime. Ces temps troublés ont favorisé l’émergence de tous les travers et des folles ambitions parfois meurtrières de l'espèce humaine, au point que les idées philosophiques qui avaient présidé à l'avènement de la Révolution ont été vite oubliées. Cette prise de conscience est d'autant plus douloureuses pour lui qui, enthousiaste et confiant face à ce changement de société, avait renié ses origines nobles. Il sait que l'Histoire s'écrit sous ses yeux, que les luttes politiques réclament chaque jour davantage leur lot de morts, que la vie ne tient qu'à un fil dans la confusion et la cruauté des combats et dans la recherche de documents secrets et compromettants, que l'idéal qui l'avait habité se dissout petit à petit mais qu'il doit y resté fidèle malgré les atermoiements, les trahisons, les lâchetés, les bouleversements de situations.
J'aime lire les romans de Jean-Christophe Portes parce que, non seulement il replace son lecteur dans le contexte mouvementé de l'époque, place des personnages fictifs, souvent inspirés d’authentiques révolutionnaires, au sein de l'Histoire que cependant il respecte, les fait se rencontrer et parfois s'affronter, évoque notamment la belle Olympe de Gouges dont Victor est secrètement amoureux (il n'est pas indifférent à la beauté des femmes) et qui met sa fougue et son courage au service de son ami, brosse le portait de l’énigmatique et inquiétant Rétif de la Bretonne. A travers la figure d'Olympe de Gouges qui eut une vie faite de combats et de libertés, l'auteur rappelle son rôle dans la lutte des femmes pour la reconnaissance de leurs droits. Tout cela ne viendra que bien plus tard. Son roman est très documenté (il cite et commente ses sources en fin d'ouvrage), émaillé de descriptions poétiques, de détails sur le mode de vie, de recettes de cuisine et se fait le miroir de la nature humaine. Je remercie des Éditions City de m'avoir fait découvrir ce nouveau roman que le style de Jean-Christophe Portes et ses recherches historiques ont rendu, comme toujours, passionnant. Il s’inscrit dans la continuité de l’œuvre de notre auteur.
La mort de Jean-François Parot a laissé un vide dans le domaine du roman policier historique. Sans vouloir faire la moindre comparaison entre ces deux auteurs, la période n'étant pas exactement la même, mais avec, depuis quelques années déjà, la création du lieutenant Dauterive et ses investigations menées au temps de la Révolution, Jean-Christophe Portes s'impose comme son successeur naturel et j'ai personnellement toujours plaisir à lire ses romans.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Un hiver à Paris
- Par hervegautier
- Le 22/10/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1401– Octobre 2019.
Un hiver à Paris - Jean-Philippe Blondel- Buchet-Chastel.
C'est l'histoire d'un malentendu. Victor, un garçon de province issu d'une famille d'un milieu populaire, vient à Paris pour ses études en classe préparatoire et découvre la solitude. Il se rapproche de Matthieu, un autre provincial avec qui il n'a que des conversations aussi épisodiques qu'anodines. A la suite de l'humiliation d'un professeur, il se suicide et Victor, qui passait à tort pour son ami, se trouve soudain entouré par les autres étudiants et même par certains professeurs, sa vie change, un peu comme s'il endossait différents costumes, comme s'il se construisait lui-même ou se découvrait. Ça lui donne une popularité ainsi qu'une vie sociale à laquelle il n'était pas habitué. Cette attitude assez inattendue est sans doute de nature à leur permettre de compenser celle que Victor n'avait pas eu du vivant de Matthieu et qu'il représente maintenant. Elle l'est en effet parce que, généralement, en de telles circonstances, on cherche souvent à éviter les proches du défunt. Victor et le père de Matthieu finiront par se rencontrer, tissant ainsi une relation artificielle entre eux, une sorte de fausse parenté face à une lourde épreuve.
Étonnant ce roman, pris un peu par hasard sur les rayonnages de la bibliothèque, à cause du seul nom de son auteur découvert récemment et dont le talent me plaît bien. Au-delà de l'histoire ce qui m'interpelle, c'est le peu de vie de Matthieu que l'auteur nous confie et surtout les circonstances de sa mort. Il nous rappelle que nous vivons chacun de nos jours sans penser à la mort pourtant inéluctable, que la vie est fragile, qu'on nous la présente souvent comme quelque chose passionnante et de solide, mais qui n'est en réalité qu'un équilibre instable qui ne dure que par hasard, par chance, par la destiné, selon sa propre croyance, et qui peut être brisée à tout moment. Nous vivons en société et ceux qui nous entourent, et parfois même les plus intimes, se croient autorisés à briser cette équation à plusieurs inconnues pour le plaisir, pour se prouver qu'ils existent et qu'ils ont du pouvoir... C'est ainsi devenu une sorte de règle dans ce jeu de massacre dont on voit assez mal le véritable intérêt. Nous ne sommes que les pâles usufruitiers de notre vie et il nous est possible d'en briser le court en partant avec notre secret, laissant ceux qui restent dans la culpabilité, les questions ou les certitudes. Étonnant aussi ce roman par la pertinence des remarques sur le deuil, sur la façon de le vivre, de l'apprivoiser, sur cette manière de devoir mener sa vie dans la compétition permanente, dans la façon de jouer un rôle qui ne nous correspond pas mais que nous jouons quand même, comme une règle imposée qu'on finit par accepter et même par imposer aux autres. Je l'ai apprécié comme un miroir de cette espèce humaine à laquelle nous appartenons tous et l'image qu'il nous renvoie n'est guère flatteuse et ne sera jamais rachetée ni par les abbés Pierre ni les Charles de Foucault.
D'ordinaire, quand un roman me plaît, j'en suis passionnément l'histoire, il m'arrive même de le commenter plus ou moins longuement. Je me dis alors que je suis entré dans l'univers de ce livre, que je l'ai aimé. Ici c'est différent, j'ai été happé dès les première lignes et plus je tournais les pages plus l’intensité de ma lecture grandissait, au point d'être étonné moi-même de la vitesse avec laquelle j'avançais. On dit ce que l'on veut du travail de l'écrivain, entre la fiction et l'autobiographie qui nourrit son œuvre et où parfois il trouve lui-même des réponses à ses propres questions restées en suspens. Sans rien connaître de l'auteur, j'ai eu le sentiment que Blondel devait porter en lui quelque chose d'intimement lié à ses mots (et à ses maux) et que, peut-être, l'écriture a joué pour lui un rôle d'exorcisme. Il y a beaucoup d'allusions aux futurs romans à écrire et ce n'est pas, cette fois-ci m'a-t-il semblé, un simple effet de style. Je n'oublie pas qu'il est non seulement le spectateur privilégié de sa propre vie et en nourrit son œuvre mais qu'il est aussi enseignant et que ses élèves doivent constituer un terrain d'observations exceptionnelles pour lui.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Les gardiennes du silence
- Par hervegautier
- Le 21/10/2019
- Dans Sophie Endelys
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La Feuille Volante n° 1403– Octobre 2019.
LES GARDIENNES DU SILENCE - Sophie Endelys - Les Presses de la Cité.
Pour des raisons assez vagues, Chloé, tire sur Jefffrey, son mari et le laisse pour mort, mais s'enfuit de Fécamp dans l'île quelque peu mystérieuse de Heldenskøn, quelque part entre la Manche et la Mer du Nord. Cette fuite est un quasi aveu et ne manquera a pas d’intriguer les enquêteurs, mais son choix n'est pas fait par hasard, cette île est celle où son père a vécu jusqu'à l'âge de vingt ans et où sa tante s'est noyée. Elle conserve religieusement le tapuscrit paternel d'un roman à succès, mais son choix de cette île est motivé également par un manuscrit ancien qu'elle a découvert dans les archives familiales et qui évoque l'historique un peu confus de ce petit territoire. Ce document est en effet un palimpseste, un parchemin qui, après grattage, a reçu un autre texte a demi-effacé par le temps où l'usage d'une encre invisible et le chevauchement des mots rendent le déchiffrage difficile, même pour Chloé qui est archiviste-bibliographe. Au fur et à mesure de l'étude de ce grimoire, elle s'aperçoit qu'il relate les Mémoires d'un artisan contemporain de Gutemberg mais aussi évoque précisément cette île et son passé quelque peu obscur. Elle découvre l'existence de ces monastères secrets dont un, celui des femmes, les Blanches, a pour règle la clôture et le silence et pour fonction la conservation d'une bibliothèque souterraine. Les livres qui depuis l'invention de l'imprimerie retracent tout le savoir et la connaissance humaine y sont conservés et veillés par ces vestales rendues muettes pour plus de discrétion. Cela parait être une légende qui évidemment a quelques fondements de vérité, mais qui excite sa curiosité. Être la fille d'un célèbre écrivain ayant résidé sur cette île lui ouvre bien des portes et elle s’aperçoit que son grimoire mystérieux et le roman de son père sont liés, en apprend davantage sur l'histoire de sa famille, de la sienne propre, de son mari, de l'intérêt qu'il porte à ce document et de la société bien étrange qu'il préside. Autour de ses investigations se multiplient les cadavres, les cambriolages, les disparitions, les révélations, les non-dits, les mensonges, et plus elle avance dans ses recherches plus le mystère s’épaissit; elle entend parler d'eugénisme, de loge, de secte, d'ésotérisme, de nazisme, de société secrète, de l'Atlantide, constate qu'une personne officiellement morte depuis des années est bien vivantes... Elle sera aidée dans ses recherches par Grégoire son logeur sur l'île et qui ne tarde pas, évidemment, à devenir son amant, mais comme rien n'est jamais simple, celle qui se pensait veuve ne l'est pas tout à fait puisque Jeffrey qu'elle croyait mort revient avec les secrets qu'il porte. A la suite de longues et patientes recherches qui parfois débouchent sur des impasses, une enquête policière avortée et parfois approximative, l'étau se resserre inexorablement sur Chloé, bouleversant sa vie et des personnages aussi abscons que les faits, révèlent leur véritable visage.
En dehors de de cette histoire un peu échevelée, le lecteur est-il invité à s'interroger sur le devenir des livres, surtout à l'heure des tablettes de la numérisation et d'internet. Ont-ils leur propre destin comme il est écrit sur la 4° de couverture?
Je remercie Les éditions des Presses de la Cité et Babelio qui m’ont permis de découvrir ce livre et cette auteure que je ne connaissais pas. Le cheminement est assez compliqué et labyrinthique, fait de pas mal d’analepses et d'évocations mystérieuses qui peuvent à la longue dérouter le lecteur. Le style est agréable à lire, l'érudition de l'auteure, son imagination, le contexte assez dépaysant et l'architecture de l'ouvrage le rendent attrayant et j'y suis entré au début avec une certaine excitation et même une franche curiosité, mais finalement, le livre refermé, je ne sais pas trop quoi penser de cette histoire abracadabrantesque et de sa fin en forme de "happy end", et je ne suis même pas sûr d'en avoir compris le message.
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Le fort
- Par hervegautier
- Le 19/10/2019
- Dans Yves Letort
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Le fort - Yves Letort - Éditions l'arbre vengeur.
La guerre est terminée depuis longtemps dans ces contrées perdues, mais les anciennes fortifications aux marches du pays, même si elles ne servent plus guère, doivent être entretenues et inspectées. C'est la tâche assignée au jeune lieutenant Quernand dans une région prise à l'ennemi quelques dix années plus tôt et cette mission est d'autant plus indispensable que le précédant commandant du fort, le lieutenant Selen, a disparu sans qu'on sache très bien s'il est mort ou s'il a déserté. Quernand se rend donc sur place et constate l'état de délabrement des installations militaires autant que le relâchement de la discipline dans les rangs de la maigre troupe commandée par un simple caporal.
Il règne tout au long de ce court récit, une atmosphère d'ennui mélancolique dû non seulement à la pauvreté et à la désolation de la région, à la vétusté des lieux et à l'apparence passivité des habitants mais peut être aussi à une sorte de prise de conscience par cet officier de l'inutilité et du dérisoire de la mission qui lui a été confiée et qui dure. Il s'en rend d'ailleurs compte lors d'une conversation échangée avec un officier de l'autre armée qu'il rencontre sur le fleuve.
J'ai eu un peu l'impression, toutes choses égales par ailleurs, de me retrouver dans le roman de Dino Buzzati, "Le désert des Tartares" et pas seulement à cause du pays imaginaire et de son décor décrit ici avec une grande minutie, un style un peu froid et détaché, et un vocabulaire un peu trop technique. Certes Quernand n'est pas le capitaine Drogo de Buzzati, mais s'il incarne les illusions d'un début de carrière, on peut interpréter l'absence de Selen, même si aucune raison n'en est donnée, comme étant la conséquence de fourvoiements et des erreurs égrenés tout au long d'une vie. Son fantôme plane sur tout ce roman. Dans ces contrées, pendant cette guerre maintenant oubliée, on a attendu et presque espéré les combats, mais rien n'est venu que des escarmouches et des bombardements lointains, et Quernand aussi a espéré livrer des batailles, un peu comme ce qu'a vainement attendu notre capitaine. La déréliction qui accompagne ces deux personnages est palpable et on assistes à la lente descente solitaire de Quernand vers une mort prochaine et qui semble lui être indifférente et libératrice tant cette mission ressemble de plus en plus à un abandon.
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Le théorème du baba
- Par hervegautier
- Le 17/10/2019
- Dans Franco di Mare
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La Feuille Volante n° 1397– Octobre 2019.
Il torema del babà (le théorème du baba) - Franco di Mare - Rizzoli.
Nous sommes à Bauci, une ville imaginaire de la côte amalfitaine et Procolo Jovine tient, sur la place centrale, "Le Liborio", un restaurant célèbre pour toutes ses recettes traditionnelles locales depuis les spaghettis agrémentés à l'infini comme les aiment les Italiens, l'aubergine à la parmesane, jusqu'au baba. Nous sommes peu de temps avant Noël et Procolo va se surpasser pour cette occasion en s'inspirant des recettes de grand-mère, en respectant scrupuleusement la tradition et les ingrédients authentiques. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si, de l'autre coté de la place, là où il y avait avant une parfumerie, n'était venu s'installer un chef qui pratique la cuisine moléculaire, et ce avec la bénédiction du maire. Il n'en faut pas plus pour mettre la pagaille dans ce petit microcosme et ce d'autant plus que cet individu, Jacopo Taddei, un milanais, la cinquantaine conquérante, est non seulement beau à faire tourner la tête des femmes, spécialement celle de Rosa la belle épouse de Procolo, mais est aussi renommé pour ses exploits culinaires inventifs qui l'ont rendu célèbre à la télévision. Il a même le front d'ouvrir son établissement "Experience", juste en face de celui de Procolo et promet "des voyages émotionnels dans la cuisine". La guerre est donc déclarée.
J'ai bien aimé ce roman qui, sous couvert de relater une histoire apparemment simple et bien ordinaire soulève bien des questions. La cuisine, même traditionnelle, reste une expérience de chimie et de physique que, même Procolo, ne peut nier mais, non seulement la venue d'un étranger est de nature à bouleverser cette petite ville, mais, avoir la mauvaise idée de promouvoir un cuisine moléculaire est vraiment ce qu'il ne faut pas faire, évidemment selon Procolo. Il va sans dire qu'on va chercher à l'éliminer par tous les moyens. C'est, certes une occasion de réfléchir sur la venue d'un étranger avec des idées nouvelles dans ce petit coin d'Italie, sur la peur du changement et des différences, sur la tolérance, mais c'est aussi l'occasion pour l'auteur de croquer d'autres personnages hauts en couleurs comme le prêtre sénégalais Don Assane, le conseiller Ludovico Percuoco, le professeur Alceste Buon et bien entendu Rosa, qui sont autant de miroir de l'espèce humaine. C'est en tout cas à Procolo que revient la conclusion de cette plaisante histoire.
C'est un agréable roman écrit avec ironie et simplicité, léger et agréable à lire, lu en italien pour la beauté de la langue mais aussi parce qu'il n'existe pas à ma connaissance de traduction. Je dois dire que cette écriture a bien facilité ma lecture, malgré quelques expressions napolitaines. Ce roman déborde de recettes de cuisine, ce qui est bien normal mais aussi de sentences pleines de sagesse.
Je ne connaissais pas Franco di Mare, journaliste à la RAI mais aussi animateur de télévision. Il est l'auteur de nombreux livre
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Félix et la source invisible
- Par hervegautier
- Le 16/10/2019
- Dans Eric-Emmanuel Schmitt.
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La Feuille Volante n° 1400– Octobre 2019.
Félix et la source invisible - Eric-Emmanuel Schmitt - Albin Michel.
Après tout, cela a marché une fois et cette certitude a même prévalu au point de devenir le fondement d'une religion, alors Faty, la mère sénégalaise de Félix, a fait croire à son fils de 12 ans qu'elle l'avait conçu avec le Saint-Esprit. Comme l'enfant n'a jamais connu son père ça arrangeait bien les choses, et puis on ne doute jamais de la parole de sa mère! Mais cette femme ne va pas bien et Félix va toute faire pour la sauver. Voila le départ d'une fable philosophique un peu naïve, qui a pour cadre un bistrot de Belleville et qui met en scène, dans une situation administrative abracadabrantesque des personnages hauts en couleur et même parfois un peu excessifs, Robert Larousse ainsi surnommé parce qu'il apprend le dictionnaire par cœur, l'énigmatique Eurasienne Mademoiselle Tran, l'oncle Bamba, flambeur et manipulateur mais finalement inattendu, Madame Simone, la prostituée transsexuelle... Ils font parfois rire à cause de leurs postures mais bien plus souvent donnent à réfléchir pour ce qu'ils sont parce que, comme à son habitude, notre auteur en profite pour aborder des sujets sérieux, l'animisme, la nécessaire compréhension des autres au-delà des apparences, mais aussi la quête désespérée de ce petit garçon pour sauver sa mère qui s'enfonce chaque jour dans le mutisme,la démence, la mort. Il découvrira le vrai nom de son père mais surtout ses propres racines et son histoire.
Certes l'Afrique se prête à cette histoire à la fois tragique et merveilleuse, magique et pleine de sorcellerie, même si elle aussi catalyse cette volonté constante de tous les hommes, quelles que soient leur couleur ou leur histoire, pour l’intolérance, la violence, la destruction. Comme dans toute fable il y a une morale, toujours un peu naïve et malgré tout de nature à égarer quelque peu les gens sous couvert d'une fonction didactique qui peut se révéler contestable, une invitation à dépasser les apparences pour un juste retour des choses et même un trop facile "happy end" qui ne se produit jamais dans la vraie vie, avec peut-être une dimension écologique du retour à la nature et du respect qui lui est dû, bien dans l'air du temps. Cela vient peut-être de moi mais je n'a que très peu suivi la démarche de l’auteur dans sa volonté de voir Paris comme un paysage africain .
Dans cette série romanesque qui va de "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran", à "Oscar et la dame en rose", l'auteur nous invite dans le "Cycle de l'invisible" qui est avant tout une recherche du sens de la vie mais qui s'inscrit aussi dans la spiritualité. Ici c'est l'animisme qu'il donne à méditer et son style clair et poétique transforme son message humaniste en un bon moment de lecture.
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La colloc
- Par hervegautier
- Le 13/10/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1399– Octobre 2019.
La colloc - Jean-Philippe Blondel Acte sud Junior.
Pour éviter l'internat ou les trajets frileux et matutinaux dans un car scolaire rural, habiter en ville et en collocation peut-être la solution surtout quand la grand-mère a eu la bonne idée de mourir et de léguer son appartement à deux pas du lycée. Romain, le petit-fils littéraire habitera donc avec Rémy, le geek un peu obnubilé par l'informatique et les manuels scolaires de math et Maxime le génial "beau gosse", un trio un peu hétéroclite qui se veut pourtant "flamboyant" comme cette expérience inédite pour eux et qui entend bien profiter de cette nouvelle liberté, qu'on imagine riche en indépendance, en rencontres et premières vraies histoires d'amour, loin de la houlette des parents. Mais quand on a seize ans, c'est sans compter sur les corvées domestiques, la cuisine surgelée et les suggestions et les concessions en tout genre et, bien entendu, tout ne se passe pas comme prévu et laissera des traces dans la vie de chacun.
J'ai découvert Jean-Philippe Blondel assez récemment et j'ai apprécié les romans que j'ai lus. Pour autant, ce livre ne m'a pas passionné même si j'ai eu plaisir à apprécié le style d'écriture. Il m'a procuré une lecture rapide mais cependant sans grand intérêt.
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la parole contraire
- Par hervegautier
- Le 12/10/2019
- Dans Erri De Luca
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La Feuille Volante n° 1398– Octobre 2019.
La parole contraire - Erri de Luca - Gallimard.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
Le 19 octobre 2015, Erri de Luca est ressorti libre du Tribunal de Turin où il était poursuivi pour "incitation à la délinquance", c'est à dire qu'il s'opposait au percement du tunnel ferroviaire du TGV sous les Alpes entre Lyon et Turin. En effet, les juges ont estimé que "le délit n'était pas constitué". Il avait en effet fait campagne sur ce thème, soutenant le mouvement "NO TAV (no al treno ad alta velocità) mettant en avant le nécessaire sabotage pour éviter des travaux nuisibles et inutiles à ses yeux, du point de vue écologique et environnemental. Dans ce court livre édité au mois d'avril 2015, c'est à dire antérieur au jugement, il justifie sa position face à un procès qui est fait à ses paroles.
Il se revendique lecteur de Borges, de Georges Orwell et avoue que leurs œuvres et leur parcours ont changé sa vie, il se dit conscient des injustices faites aux plus faibles et aux révoltés, se dit révolutionnaire et veut, à son tour, comme Pasolini, être un incitateur de prise de conscience des préjudices fait au plus grand nombre. Il met sa notoriété d'écrivain au service de ce combat. Selon lui, un intellectuel se doit de porter une contestation, "la parole contraire", face à la pensée unique, à l'opinion dominante, c'est à dire inciter autrui à réagir autrement et ce au nom de la liberté d'expression garantie par la constitution italienne. Il se défend d'avoir "inciter au sabotage" les travaux de ce tunnel, combat le terme"incitation" autant que "saboter" avec d'ailleurs l'habileté d'un exégète, conteste la force réelle de sa parole, se proclame en règle avec sa conscience et sa responsabilité d'écrivain, se dit fier d'avoir apporté sa pierre au nécessaire changement de la société et d'avoir exercé sa propre liberté. accepte même une éventuelle condamnation pénale, refuse par avance le sursis qui ne s'applique que lorsqu'on ne récidive pas, parce que, évidemment, il n'est pas dans son intention de se taire!
Dans ce livre qui est une sorte de plaidoirie, l'auteur abandonne son traditionnel style pur et poétique qui et son originalité et que j'ai toujours apprécié. Je ne connais de cette affaire que le peu que la presse française en a dit, qui a d'ailleurs mis l'accent sur la mise en examen de l'auteur. D'une manière générale je ne partage pas toutes les idées rebelles et parfois prosélytes d'Erri de Luca, mais j'ai toujours été admiratif de son parcours bien en phase avec elles, de la défense de ses convictions, de son devoir de parole en tant qu'écrivain et, évidemment de sa manière d'écrire.
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Accorder
- Par hervegautier
- Le 07/10/2019
- Dans Guillevic
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La Feuille Volante n° 1396– Octobre 2019.
Accorder - Guillevic - Gallimard.
Ce recueil, publié en 2013, c'est à dire 16 ans après le mort du poète, est la suite de "Relier" paru en 2007. Il a été établi par sa veuve, Lucie Albertini-Guillevic qui présente ces textes écrits entre 1933 et 1996 et qui sont ici publiés mais évoque surtout de leur auteur, explique sa sensibilité et sa démarche d'écriture,rappelle que pour lui, la poésie était une "aventure colossale" à laquelle il avait consacré sa vie et donc assurément pas "une chose rassurante mais au contraire une sorte d'obligation à ce point contraignante à laquelle il ne pouvait ni ne voulait se dérober. L'écriture pour lui n'a donc pas été un simple passe-temps, comme ce qu'elle a pu être le cas pour d'autres écrivains, mais quelque chose de vital pour lui. En outre il s'est toujours situé dans l'instant présent, c'est à dire ce qu'il voit et ce qu'il entend, et n'a pas célébré le passé, pourtant inéluctable qui est souvent le moteur de la créativité. Le présent dépend certes du passé mais le temps actuel, celui qui est le sien, implique aussi le futur et nous mène inexorablement à la mort face à laquelle l'art ne peut rien. Il est quand même permis de penser que si l'homme est effectivement mortel, la trace qu'il peut éventuellement laisser à travers l'art est susceptible de lui survivre. Ce recueil peut en être la preuve.
Il a lui-même nommé "l'expérience Guillevic" ce qui a été un long combat contre lui-même, inscrit dans le présent, avec le constant désir de communiquer avec les autres et ce tout au long de ces soixante-six années de création. Pour cela sa seule arme était les mots, mais des mots secrets, ce qui ne correspondaient pas à son "état social" de fonctionnaire, parce que ce qu'il portait en lui l'obligeait à écrire, que c'était vital pour lui et qu'il n'était vraiment lui-même que devant la page blanche solitaire. Cela tenait plus de l'obligation que du désir et il est possible de penser que l’écriture pour lui était une sorte de thérapie qui lui permettait de supporter le quotidien. Cette sécurité d'emploi était certes pour lui une garantie de sérénité et de détachement au service de sa liberté d'écrire mais, dans le même temps, son état de poète supposait qu'ils se mît à la disposition de cette force étrange que le contraignait à tracer des mots sur la feuille vierge, à la fois aimant et défi. S'y dérober eût été pour lui une perte définitive de créativité parce que ce qui naît sous la plume dans ces moments d'exception ne revient pas si on néglige de le transcrire, même si pour cela il faut bousculer un peu sa vie, ses habitudes, son confort passager. Cela tient de l'intime et suppose évidemment un certain secret face à une vie sociale incontournable, un "périscope" comme il le disait lui-même qui lui permettait de faire semblant de sortir de ses "labyrinthes" créatifs, d'être un fonctionnaire et un citoyen comme les autres alors que, lorsqu'il était au centre de son jardin secret, il était tout autre. Ces "labyrinthes" étaient, comme il le dit lui-même, le domaine de ces eaux souterraines, de cette mer intérieure dans lesquelles il nageait et qui lui conféraient un rapport passionnel aux choses. Le concept du secret s'appliquait non seulement à l'image qu'il donnait de lui, puisque je ne suis pas sûr que la caractéristique de poète ait été véritablement prisée dans le contexte administratif dans lequel il exerçait son activité professionnelle, mais aussi aux poèmes qu'il écrivait. Il devait se protéger lui-même, non seulement en gardant le secret sur sa qualité de poète, pour mieux continuer à vivre "cette épopée" personnelle de créateur, mais ce secret s'exerçait également contre lui dans la mesure où, sous l'emprise de l'inspiration, celui qui tient la plume et se laisse porter par cet élan ne sait pas forcément où il va. En outre, ce concept du secret s'appliquait aussi sans doute à ses poèmes, cette partie de la littérature, pour être un intéressant reflet de son auteur et du monde, n'a que très rarement passionné le grand public en dehors de son illustration dans la chanson et ce d'autant plus que Guillevic a écrit ses textes au plus fort du mouvement surréaliste avec lequel il n'avait rien de commun.
Ce recueil est dans le droit fil d'autres publication parues depuis la mort du poète et qui lui ont rendu hommage. Elles ont parfois associé gravures et peintures aux poèmes dont certains étaient inédits. Les précisions de Lucie Albertini Guillevic me paraissent importantes et éclairent la démarche du poète et de son écriture. ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Une tête de nuage
- Par hervegautier
- Le 05/10/2019
- Dans Erri De Luca
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La Feuille Volante n° 1395– Octobre 2019.
Une tête de nuage - Erri de Luca - Gallimard.
Traduit de l'italien par Daniel Valin.
Erri de Luca, en attentif lecteur de la Bible, reprend à son compte l'histoire de Joseph et de Marie, enceinte d'un autre homme avant le mariage mais que ce dernier épouse quand même bravant la loi, la coutume et la médisance. L'enfant naîtra mais à Bethléem d'où est originaire Joseph puisque les Romains ont décidé un recensement et Joseph le fera enregistré comme son propre fils, ce qui le met dans la lignée du roi David (et donc d’Abraham) par son père. Pourtant, avec le temps et dans l'intimité de la famille, il se sent un étranger pour cet enfant. Évidemment, tout y est, l'étable où est né Jésus, fils unique du couple, les bergers, les rois mages et leurs présents, la circoncision à Jérusalem, le massacre des enfants décidé par le roi Hérode, la fuite en Égypte pour y échapper. L'auteur s'approprie en l'enjolivant, cette histoire qu'on nous rabâche depuis plus de 2000 ans.
il s'agit d'un dialogue un peu naïf quand même entre Marie et Joseph, qu'un narrateur commente et illustre notamment de précisions historiques et sémantiques sur les Écritures, sur la symbolique de la langue hébraïque. L'auteur en profite pour parler, à travers cette histoire et notamment de cette fuite en Égypte, du problème très actuel des émigrés qui lui tient à cœur. Il est question d'un long et dangereux parcours, de l'exil, de poste-frontière, de permis de séjour, demande d'asile politique et des débats que cela engendre, de main-d’œuvre indispensable, de visa.... A travers ce texte de Luca réaffirme que les hommes sont tous frères et à ce titre se doivent aide et assistance.
Il soulève de problème de la ressemblance de Jésus avec son vrai père puisque Joseph n'est pas son géniteur. Il le résout par la voix de l'enfant lui-même lors de sa visite au temple de Jérusalem 12 ans plus tard puisqu'il se dit lui-même fils de Joseph et de Marie et qu'il n'y avait pas lieu de lui attribuer une filiation avec un savant des générations passées. C'est là une façon poétique de détourner la question (allusion à Jésus qui aurait "une tête de nuage", changeante comme eux, concept abandonné par lui-même quand il se proclame fils de l'humanité), mais peu importe. Jésus vit avec ses parents mais Joseph prophétise son départ, sa mort prochaine. L'auteur évoque rapidement des épisodes de l’Évangile, qu'Il est capable de faire des miracles, qu'Il est le fils de Dieu, capable de donner la répliques aux vieux docteurs de la loi parce qu'Il la connaissait sans jamais l'avoir apprise, de chasser les marchands du temple, ce qui a été interprété par les Romains comme le début d'une insurrection. Un parcours de trois ans, une pérégrination un peu bohème, avec des fortunes diverses, à travers la Palestine, en évitant soigneusement l'occupant, ses parents regrettant de le voir partir, comme tous les parents du monde, qui se déroule conformément aux Écritures et se termine en haut du Golgotha. La mort et bien sûr évoquée, celle que Jésus a bravée par la résurrection qu'Il promet à ses fidèles et qui transcende la vie terrestre et sa volonté de puissance et l'auteur y va de son exégèse de certaines paroles divines un peu obscures mais éclairées par les prophètes. Sa parole fut mal comprise dans un pays occupé, Il ne fut pas agressif pour l'occupant mais Il fut adulé pour le bien qu'il faisait.
J'ai lu attentivement ce texte notamment pour le confronter à ce qu'on m'a appris. Sur le plan des mots, je n'ai pas retrouvé la poésie familière dans les romans de de Luca, même si son style est toujours aussi agréable à lire. J'ai plutôt ressenti cela comme une forme de prosélytisme que je ne condamne évidemment pas puisque c'est bien le droit de l'auteur, grand lecteur de la Bible, de faire partager ses convictions, comme d'autres l'ont fait avant lui. Cet enseignement est parfaitement respectable même s'il a été contesté souvent avec force. Il ne m'a cependant pas convaincu puisque, en fonction de sa foi, de ses croyances ou du simple appel à la raison,chacun peut faire une lecture différente des mêmes faits. Il profite également de ce texte pour attirer l'attention sur le sort des émigrés qui lui tient à cœur (voir son récit "Se i delfini venissero in aiuto"), ce qui est parfaitement son droit. Au moins m'a-t-il intéressé par l'étendue de son érudition.
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Le tour de l'oie
- Par hervegautier
- Le 03/10/2019
- Dans Erri De Luca
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La Feuille Volante n° 1393 – Octobre 2019.
Le tour de l'oie - Erri de Luca - Gallimard.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
Dans l'histoire de Pinocchio que lit le narrateur, Geppetto est un vieux menuisier solitaire qui fabrique une marionnette en bois qui se révèle facétieuse et qui part vivre sa vie loin de son créateur. Ici, de Luca se crée un fils virtuel et empreinte à Carlo Collodi son univers créatif, la sciure et l'odeur du bois pour l'un, un soir d'orage à la lueur d'une bougie et d'un feu de cheminée pour l'autre, le tronc d'un arbre pour l'un, le papier pour l'autre, deux supports qui partagent cependant la même nature. Il va lui raconter sa vie un peu comme le ferait un père en n'oubliant pas la figure du sien et l'ombre de sa mère. Ainsi retrouve-t-on les phases de l'existence que notre auteur a déjà égrenées dans ses autres romans, son enfance napolitaine, sa vie aventureuse d'ouvrier pauvre, son engagement pour un monde meilleur, sa démarche religieuse d'écrivain, son amour des mots, de l'italien, le dialecte napolitain, sa solitude, sa soif de liberté, la montagne... Il parle des femmes qu'il a connues mais qui ne lui ont pas donné d'enfant. Il ne le fait pas comme un séducteur mais seulement comme un témoin de passage, intimidé par leur beauté et qui aurait voulu ce fils que la vie lui a refusé. Cela commence par un monologue qui laisse vite sa place à un dialogue à bâton rompus sans concessions entre l'auteur et ce fantôme imaginaire devenu adulte, non né d'une femme, qui prend peu à peu de l’épaisseur au point de provoquer une confession et presque une confrontation entre eux, un peu comme si de Luca lui-même prenait la place de ce fils virtuel, désireux de s'expliquer devant le spectre de son propre père.
Le titre un peu énigmatique évoque le jeu de l'oie, un thème souvent employé par les écrivains, un parcours labyrinthique aléatoire, continuellement recommencé et plein de pièges et de risques qui ressemble à la vie, qu'on confie au hasard des dés et qui est une sorte de prison. Il file la métaphore de ce jeu pour l'appliquer à son existence, pénible et hasardeuse. Il a refusé une situation classique, lui préférant un itinéraire engagé, communiste, anarchiste. Ces options sont la plupart du temps l'apanage de la jeunesse mais voici un fils, né dans une famille bourgeoise attentive à son éducation, promis à de plus hautes fonctions, qui troque cet avenir contre une vie nomade de manœuvre subalterne. Quelle a été la raison qui a bouleversé sa vie au point de partir loin des siens de cette manière? Il confesse qu'il a été un fils ingrat, attiré par cet appel du départ et de la liberté, qui maintenant rend hommage à ses parents disparus, et notamment à son père qui lui a transmis l'amour des livres... Peut-être a-t-il souffert d'un manque de tendresse durant sa jeunesse? Il est certes dans l'ordre des choses que les enfants quittent leurs parents pour faire leur vie parfois loin d'eux, il y a certes eu une prise de conscience politique, mais cela suffit-il à expliquer cette rupture ? Plus que tous les autres ce roman autobiographique sonne comme quelque chose de différent d'une fiction à laquelle Erri de Luca nous a habitués. Alors, fantasme du passé, poids des années qui ne reviendront plus, peur pour les jeunes à qui il souhaite léguer quelque chose de l'ordre de l'engagement personnel et humanitaire par l'exemple, invitation à être soi-même en dehors de tout déterminisme social, méthode promue par l'auteur comme une action par la révolte politique en faveur des plus défavorisés? L'auteur semble connaître une sorte d'apaisement que lui confèrent l'écriture et une certaine notoriété qu'il met d'ailleurs au service de ses combats, la fréquentation de la montagne et des livres, les saintes écritures en particulier, mais il règne dans ce roman un parfum de nostalgie, de mélancolie, de lassitude peut-être, une manière de réveil de la mémoire du passé qui souvent donne le vertige et fait devenir fataliste, une impression de vide, de regret de n'avoir pas eu d'enfants à qui transmettre son message ou passer un témoin. Cela ressemble à une sorte de bilan de sa vie d'écrivain, de militant, de lecteur, de solitaire, de croyant, de révolté, d'humaniste...
Le plaisir que j'ai à lire de Luca est cette fois encore renouvelé et j'ai apprécié comme toujours son style simple poétique, lumineux, bien servi par une traduction fidèle.
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Terraqué
- Par hervegautier
- Le 29/09/2019
- Dans Guillevic
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La Feuille Volante n° 1392 – Septembre 2019.
Terraqué - Guillevic - Gallimard.
C'est le premier recueil de poèmes qui a révélé Guillevic (1907-1997). Nous sommes en 1942 et parait, cette même année "Le Parti pris des choses " de Francis Ponge qui procède de la même inspiration. La poésie de Guillevic, qui ne signera toute sa vie littéraire que de son seul nom, comme un pseudonyme, s’intéresse aux choses les plus simples, les plus banales les plus quotidiennes. Ainsi parle-t-il de l'armoire, de la chaise, de la pomme, des rochers, de l'odeur de l'humus, de l'épaisseur des choses, mais des choses de pauvres comme il l'a été dans son enfance... Son titre évoque la terre et l'eau et renvoie à sa Bretagne natale où il est enraciné, où la mer et la lande s'unissent dans le souffle du vent, la bancheur de l'écume, la densité de la terre... Les mots qu'il emploie, la musique qu'on y entend évoquent cette communion. Dans l'art poétique de Guillevic, les mots simples font corps avec l'homme, lui sont indispensables, non seulement pour s'exprimer mais aussi pour exister un peu comme si grâce à eux il s'intégrait au monde, en combattait l’exclusion et, comme si, avec eux, il défiait la mort dans une sorte de voyage initiatique. Il est vraiment le poète à la fois secret et solitaire des paysages qu'il décrit, ce qui n'est pas sans constituer un contraste avec sa carrière au sein de l'administration fiscale. Cela peut paraître un paradoxe mais j'y vois personnellement l'avantage d'avoir été protégé des hasards de l'emploi en même temps que de vivre son écriture comme un refuge.
Jusque là, c'est à dire depuis les années 30, l'écriture était pour lui une activité solitaire qui lui faisait peut-être supporter cette vie qui était devant lui et qui ne l'avait, jusque là, pas beaucoup favorisé. Après cette attente, publier devient pour lui, comme pour tout auteur, un espoir de reconnaissance même si c'est la grande époque du surréalisme, et qu'il ne s'inscrit pas dans ce mouvement créatif. Il sera pourtant accepté par Eluard et critiqué par d'autres mais ne déviera pas de son parti pris poétique et, à partir de ce recueil, il sera reconnu comme un poète et marquera de son empreinte majeure le mouvement poétique du XX° siècle. Ce ne sont pas des poèmes classiques respectant les règles de la prosodie mais au contraire des pièces écrites comme au rythme de l'inspiration qui elle-même procède de la simple vision des choses, et des gens qui l'entourent.
Ce titre évoque aussi, phonétiquement, le mot "traqué" parce nous sommes sous l'Occupation et que sa compagne Colomba à qui sont dédiés quelques poèmes, doit fuir à cause de l'étoile jaune qu'elle porte.
J'aime les livres neufs ou anciens, les toucher, les effeuiller, les sentir. L'édition de ce recueil date de 1942 et c'est la date de publication du livre que je viens de lire. Je ne regrette pas ces temps de guerre que je n'ai, heureusement pas connus, mais à cette époque les brochures neuves n'étaient pas massicotées et pour les lire il fallait en couper les pages avec une lame. Le support était plus brut que maintenant et au terme de cet exercice de découpage, chaque page laissait ainsi un peu d'elle-même sur la suivante, une sorte de barbe de papier, de cicatrice... Ce n'est pas grand chose, ça n'existe plus aujourd'hui, mais j'aime bien cette marque du temps!
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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La mise à nu
- Par hervegautier
- Le 28/09/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1391 – Septembre 2019.
La mise à nu - Jean-Philippe Blondel - Buchet-Chastel.
Avec l'âge, les épreuves, on finit par se laisser bercer par le quotidien, par prendre conscience du temps qui passe, des souvenirs qui s'accumulent et de la mémoire qui s'efface, par devenir fataliste... Louis Claret est un professeur vieillissant, au pas d'une retraite à laquelle il pense sans joie et qui sera pour lui baignée de solitude, ses filles parties ailleurs vivre leur vie et une épouse dont il est divorcé depuis quelques années. Leur séparation s'est faite à l'amiable, sans heurt ni haine. Ils se rencontrent même par intermittence et leurs rapports sont cordiaux mais détachés. Ils ont mis fin à leur mariage parce qu'ils ont admis qu'entre eux n'existaient plus ni l'envie, ni la séduction ni l'amour et que le temps avait fait son œuvre et érodé leur vie. Elle a trouvé un nouveau compagnon et lui est resté seul. Dans son souvenir il reste encore l'ambiance des salles de cours de son début de carrière, les photos de classe et la figure émergente de quelques lycéens à qui leurs professeurs prédisent un avenir brillant. Claret retrouve par hasard un ancien élève, Alexandre Laudin, jadis très discret, devenu un artiste peintre mondialement connu, qui a choisi sa ville natale pour accrocher ses tableaux et l'a invité personnellement à ce vernissage. Cette rencontre n'est pas anodine et correspond sans doute pour chacun d'eux, après bien des hésitations, à un tournant dans leur vie respective.
Le livre refermé, je m'interroge sur la nature quelque peu ambiguë de cette rencontre entre Alexandre dont le parcours artistique est fulgurant et Louis qui a toujours voulu être discret. Il est resté modestement à Troyes où il a enseigné pendant toute sa carrière. Leurs retrouvailles n'est pas exempte d'une certaine forme de séduction entre eux, comme si elle se manifestait pour Alexandre après des années de refoulement. Est-ce une manière de revanche de l'ancien élève effacé et ignoré face à son professeur qui n'a pas su déceler en lui ce potentiel? Est-ce une façon originale pour le disciple de se positionner par rapport au maître, d'affirmer que toute chose arrive à son heure et qu'il ne faut jamais désespérer de quelqu'un, que la réussite personnelle n'est avant tout qu'une réalisation de soi-même, que la chance existe aussi et peut parfois moduler les événements pour favoriser l’émergence du message qu'on porte en soi et ainsi donner toute la mesure de son talent? Est-ce l'actualisation de désirs longtemps refoulés de Louis pour qui la solitude est devenue une seconde nature, et qui se matérialisent à travers une série de toiles qu'Alexandre souhaite réaliser de son ancien professeur nu, la nudité étant un prétexte autant qu'une condition et qui s'accompagne pour Louis d'une prise de conscience de ses propres fêlures? Est-ce pour lui une certaine forme de manifestation du temps qui passe, le refus de vieillir et une quête éphémère de sa jeunesse enfuie? Est-ce un cheminement à travers les arcanes de la mémoire, avec tout ce qu'elle suppose de vertige, pour tenter de fixer les instants majeurs d'une vie par ailleurs plutôt terne? Est-ce une page supplémentaire qui se tourne, une parenthèse dans la vie de chacun qui en révèle les fragilités?
C'est une fiction ou peut-être une projection dans le temps, l'auteur, professeur d'anglais qui est né dans les années 60 imagine peut-être ce que serait sa vie future ou la fin de sa carrière enseignant et de ce qu'il pourrait éprouver face à un de ses anciens élèves qui aurait connu une réussit fulgurante, entre fierté et humilité. Je ne perds jamais de vue que l'imagination est pour le romancier un extraordinaire moteur de sa création et que l’écriture a une formidable fonction d'exorcisme.
J'ai découvert cet écrivain il y a peu et ici comme dans tous ces autres romans, j'ai apprécié son style simple qui m'a procuré une lecture à la fois rapide et agréable. J'ai également retrouvé avec plaisir ce qui émane de ces pages, cette ambiance nostalgique et finalement très humaine, non exempte d'une certaine souffrance.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Écrits intimes
- Par hervegautier
- Le 25/09/2019
- Dans Guillevic
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La Feuille Volante n° 1390 – Septembre 2019.
Écrits intimes - Guillevic - L'atelier contemporain.
Tout d'abord je remercie Babelio et l'Atelier contemporain de m'avoir permis de découvrir ce livre.
Il se présente en trois parties, illustrées par des photos de documents originaux, "Carnet du Val de Grâce"(7 janvier 1929-23 janvier 1930), "Cahiers"(9 août 1935-1°septembre 1935), et "Lieux communs"(1935-1938), édition établie et présentée par M. Michael Brophy, professeur de littérature française à l'University Collège de Dublin et complétée par une note biographique de Mme Lucie Albertini-Guillevic.
L'itinéraire d'Eugène Guillevic (1907-1997) qui toute sa vie d'écrivain poète ne signa que de son seul nom, comme un pseudonyme, est particulier. Sa vie se déroulera entre l'Alsace et la Bretagne qui sera pour lui une grande source d'inspiration. Celui qui est reconnu comme un poète majeur du XX° siècle passa sa vie professionnelle dans les bureaux de l’administration de l'Enregistrement en Alsace puis au ministère parisien des Finances et des Affaires économiques, ce qui lui a sans doute et peut-être paradoxalement, permis d'écrire, détaché des contraintes quotidiennes. Il ne fut vraiment connu qu'à partir de 1942 et la publication de "Terraqué"(ce titre évoque la terre et l'eau, mais aussi peut être compris par sa contraction en "traqué", à cause de la période de l'Occupation). Ici, il s'agit de carnets, de cahiers, de feuilles volantes, une sorte de journal intime rédigé d'une manière discontinue sur une période d'une dizaine d'années où il recueille des ébauches jetées sur le papier (des imprimés administratifs ou un simple cahier d'écolier) de 1929 à 1938 et qui précèdent les poèmes qu'il publiera, alors qu'il n'est encore qu'un inconnu. Ce ne sont pas encore des poèmes (à part quelques-uns et quelques esquisses), ils viendront plus tard, mais des notes très personnelles qui le révèlent comme un écorché vif qui se découvre lui-même et sont le fruit de réflexions intimes et solitaires, parfois inspirées par une humeur changeante, des commentaires sur l'écriture, sur la poésie et sur l'art, des critiques aussi de sa propre créativité, prémices de l’œuvre littéraire qui fera sa notoriété. Ce sont des instantanés ("sous la dictée fuyant de l'instant", comme le dit si joliment Michael Brophy) discontinus d'une grande spontanéité ou la retouche n'a pas sa place, des annotations brutes, des émotions, des réflexions intimes, des prises de conscience, des découvertes de soi-même où la panique le dispute à la lucidité voire à l'humilité, le vertige à la fuite, l'impuissance à l'angoisse, l'espoir au doute. Homme cultivé, il considère la lecture comme une source de méditation et de création, même si ces auteurs n'ont pas sa préférence, se fait critique d'art à propos de la peinture, de la littérature, parle de la prosodie, de l'inspiration, de son écriture, du véritable sens de la poésie selon lui, a même des positions assez tranchées sur certains écrivains, avoue l'influence de Rilke (il se définit lui-même comme un poète "germanique"), de Rimbaud, explicite les fondements de son art poétique personnel et révèle par petites touches sa future voix. Mais il se veut avant tout poète, aspirant certes à la célébrité, mais critique vis à vis de lui-même, solitaire, mais attentif à l'amitié, confesse son amour de Dieu qu'il invoque face à un monde ingrat où il se sent perdu, abandonné mais aussi pour une jeune fille mais ce dernier semble lointain, réservé (il ne nomme même pas l'élue de son cœur), platonique. 1929 semble être une année faste en matière de réflexions et annotations et correspond à une hospitalisation au "Val de Grâce" pendant laquelle il se sent délaissé, ne trouvant son salut que dans la création poétique simple, loin des contraintes classiques, mais nécessaire. ("Il importe seul de créer"), constatant le pouvoir apaisant des mots ("Les mots me font du bien - oui"). Dans "Lieux communs", plus court et ramassé, il formule un certain nombre d'aphorismes qui résultent d'une réflexion intellectuelle enrichie de gloses et d'exemples, sur la poésie, élargit sur le roman et l'art en général. Il se livre à un commentaire selon une logique scientifique, dissertant notamment sur le roman, sa nature par rapport au temps, à sa notion personnelle de l'esthétique, à sa vision de la fiction et même au lecteur.
Guillevic vit au plus fort moment du surréalisme mais ne succombe pas à ses sirènes, il préfère tourner son regard vers les choses simples et modestes, vers la nature qui l'inspireront et incarneront son style si personnel. Cet ouvrage qui publie des pages soigneusement conservées par l'auteur lui-même, montre que loin de naître poète, Guilevic l'est devenu, progressivement à force de maîtrise de soi, de réflexions sur la vie, sur la mort, sur la création artistique et il fera du poème son seul vrai moyen d’expression.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Et rester vivant
- Par hervegautier
- Le 22/09/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1389 – Septembre 2019.
ET RESTER VIVANT- Jean-Philippe Blondel - Éditions Buchet Chastel.
Le narrateur, vingt deux ans, se réveille d'une opération des dents de sagesse pour apprendre que son père vient de mourir dans un accident de voiture. Il a déjà perdu sa mère et son frère dans des circonstances analogues et Laure, son amie, vient de le quitter pour Samuel, pourtant son "meilleur ami". Le voilà seul au monde, enfin pas tout à fait puisque que Laure reste à ses côtés avec Samuel pour l'aider à surmonter cette épreuve. Mais est-ce vraiment une épreuve puisqu'il dit être enfin débarrassé de la présence pesante et violente de son père? Il est désormais libre et riche, à cause de l'héritage paternel et, alors qu'il aurait dû le réinvestir dans quelque chose de durable, il emmène ses amis en Californie à cause d'une chanson de Lloyd Cole qui parle de Morro Bay, une petite ville de cet état, et c'est l'été. Il veut, avec eux, vivre son rêve américain au volant d'une grosse voiture, mais ce qui dans sa tête devait être un vrai "road movie" à la manière de Jack Kerouac, se transforme vite en une errance dans l'ouest américain. Ce sera les motels inconfortables, les déserts, les grands espaces puis Las Vegas et son décor intemporel de jeu, le Mexique... Le trio qu'ils forment n'en n'est pas vraiment un, entre attachement et attirance. Laure qui était la petite amie du narrateur depuis l’adolescence est maintenant celle de Samuel, mais leurs relations sont équivoques, et leur présence aux côtés du narrateur est censée l'aider à favoriser sa résilience.
J'ai bien aimé ce personnage du narrateur, ses réflexions sur sa famille, sur ses parents sur son frère et les mystères et les incompréhensions qui vont avec, sa fuite vers un but irréel, sa volonté de se raccrocher désespérément à des êtres qui pourtant lui sont relativement étrangers, sa quête de quelque chose d'assez incertain qui semble se dessiner devant lui où disparaître à sa vue après s'être révélé, à l’image du désert qu'il aborde comme un jalon dans sa course surréaliste, la certitude que ces rêves ne s'accompliront jamais. Il gardera l'empreinte de tout cela, fixera peut-être avec des mots l'émotion ou l'espoir d'un instant, confiera à la page blanche les traits d'une silhouette ou le fantasme d'une passade qui n'a pas existé... Morroy Bay, un lieu si loin de la France, choisi parce qu'un chanteur l'évoque avec des mots où sont accrochés des notes de guitare, une sorte d'Eldorado inconnu qui se dérobe comme un mirage, une intuition de fin du monde qui peut arriver maintenant mais qui l’indiffère. Il y a tout ce qu'il voulait faire, dans cette vie, tous ces châteaux en Espagne qui fleurissent et s'épanouissent dans nos têtes, mais tout cela ne se fera pas et contribuera à ne faire naître que des regrets et des remords. Dans ce bout du monde enfin atteint, à où la terre s'arrête et où commence l'océan, l'envie de vivre revient parce que ce but, même un peu fou, est atteint et que demain redevient possible, qu'on a quand même envie de nouveau de prendre sa part dans ce grand combat perdu d’avance parce qu'il est humain et que tout ce qui est humain est transitoire et voué à la destruction. Face à cette mort annoncée il reste l'écriture, un exorcisme possible, des mots confiés au fragile support du papier. Écrire pour aider à supporter la vie, pour rester vivant, ou rester vivant pour écrire?
C'est un roman simplement autobiographique, avec tout ce que cela implique dans le ton, dans l'écriture et pas seulement en raison de l'emploi de la première personne. Même si ce dont il parle semble irréel, l’accumulation des deuils, ses espoirs dont on comprend vite qu'ils seront sans lendemain, c'est son histoire personnelle qu'il livre au lecteur et j'ai ressenti une sorte d'attachement personnel rare avec ces mots, une sorte de communauté d'expérience et d'intentions... et peut-être aussi d'échec, le fait de se sentir perdu dans ce monde, de n'y être pas vraiment à sa place. Pour cela, pour le style, pour l'ambiance et sans doute pour beaucoup d'autres choses dont je n'ai même pas conscience, ce roman a été pour moi un bon moment de lecture.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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06h41
- Par hervegautier
- Le 21/09/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1388 – Septembre 2019.
06H41- Jean-Philippe Blondel - Éditions Buchet Chastel.
Le titre sonne comme un indicateur des chemins de Fer. Ça tombe bien, me suis-je dit, j'ai passé une partie de ma jeunesse dans les trains et je les ai toujours considérés comme un lieu privilégié propice aux rêves et aux rencontres. Cécile Duffaut, 47 ans, chef d'entreprises, mariée à Luc qu'elle va rejoindre, prend effectivement ce train qui la mène de Troyes à Paris. Dans le compartiment à côté d'elle une place est libre où vient s'installer par le plus grands des hasards Philippe Leduc. Ils sont été amants il y a vingt sept ans et leur liaison a été orageuse et éphémère; ce voyage menace donc d'être difficile, entre rancœur et embarras, quatre-vingt dix minutes d'un trajet lourd et silencieux de part et d'autre. Chacun reconnaît l'autre mais tout au long de ce voyage n'en laisse rien paraître parce que cette passade a laissé trop de mauvaises traces que cette rencontre vient raviver. Ils mènent chacun une introspection personnelle faite de souvenirs malsains qui donnent la mesure du temps passé et aussi le vertige, à l'aune des amitiés et des amours de passage et qu'on prend ainsi conscience du vieillissement des corps et des esprits. Au rythme de son autocritique, chacun se remémore les phases de cette amourette qui aurait pu être une belle histoire mais ne l'a pas été, son épilogue destructeur, se rappelle avec une étonnante précision les erreurs, les mots blessants, les petits détails assassins qui l'ont accompagnée, rejoue un scénario surréaliste où tout pourrait être différent, refait le chemin à l'envers,et, malgré le temps, tisse un espoir un peu fou. On mesure les conséquences que cette aventure amoureuse a pu avoir sur leur deux parcours, on constate le poids trop lourd du passé et peut-être aussi l’impossibilité du présent. Ils n'échangeront que quelques paroles convenues, une politesse de façade comme volée au silence qu'ils ont décidé d'établir entre eux au terme d'un accord tacite, un peu comme si les paroles qu'ils auraient voulu échanger et qui leur ont été soufflées par leur mémoire qui revient, leur resteront dans la gorge. Il n'y aura que de vagues allusions, que des banalités sans suite même si le dénouement laisse planer un doute qui m'a paru quelque peu artificiel et plein d'interrogations pour un avenir très éventuel auquel il m'a été difficile de croire cependant. C'est donc une sorte de drame intime et secret entre deux personnages coincés dans un espace volontairement exigu et que les circonstances amènent à se pencher sur leur délétère passé commun, une sorte d'unité de temps, de lieu... et d’inaction, une réflexion sur l'amour qui ne dure pas toujours, comme on le dit trop souvent, suivi peut-être d'une plongée hasardeuse dans l'avenir. Allez savoir !
Je suis d'autant plus facilement entré dans ce roman que j'ai souvent imaginé une telle situation provoquée par le hasard. L'auteur se l'approprie et l'installe dans des circonstances où l'hypocrisie et le secret prévalent et prospèrent, avec une conclusion cependant un peu décevante à mon goût .
J'ai découvert Jean-Philippe Blondel par hasard et j'aime la nostalgie qui se dégage de ses romans, cette ambiance un peu surannée et en demi-teinte qui les baigne. C'est bien et simplement écrit et l'auteur touche son lecteur. Cela a beau être une fiction, j'ai été favorablement intéressé par les postures de chaque personnage et l'analyse de leurs sentiments, de leurs états d'âme.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Accès direct à la plage.
- Par hervegautier
- Le 20/09/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1387 – Septembre 2019.
Accès direct à la plage - Jean-Philippe Blondel - Éditions Delphine Montaland.
Ce court roman qui ressemble plutôt à un recueil de nouvelles se décline à la fois dans le temps et dans l'espace, mais comme son titre l'indique, aux abords de la plage. Le lecteur est ainsi entraîné de la Bretagne à la Méditerranée et aux côtes de la Manche, de 1972 à 2002 à travers de petites aventures de vacances vécues par Philippe, Vincent, Maud, Eva...
On n'échappe pas à l'ambiance estivale vue par les adolescents, le père, la mère de famille, les voisins, une galerie de portraits un peu stéréotypés où chacun des intervenants conte pendant cette période, à la première personne, comme sur le ton de la confidence, son expérience, une tranche de sa vie, avec ses malheurs, ses rencontres, ses amours éphémères, ses envies, ses fantasmes, ses espoirs, ses déceptions. On n'échappe pas non plus à l'incompréhension et à l'opposition entre les générations, au sein même de la famille qui pourtant a été un repère et qui maintenant devient un lieu insupportable qu'on aspire à quitter, à la peur des adolescents de devenir comme leurs parents... On a droit aux propos de racisme ou de l'homophobie ordinaires, aux vannes à deux balles des pères plus ou moins avinés et aux discussions de chiffons des mères, avec des vieux souvenirs qui reviennent, obsédants, des regrets du temps passé, la certitude "que c'était mieux avant", des remarques désabusées sur le monde et cet amour auquel on a cru un temps et qui s'est envolé définitivement pour laisser place à la routine, à la jalousie, au mensonge... On s'étonne parfois de ce qu'a été notre vie qu'on voyait bien autrement au départ et qui sait imposée à nous, petit à petit, insidieusement, sans presque qu'on s'en rende compte. Peu à peu on voit apparaître des liens qui existent entre les différents personnages, de toutes origines et de tous âge, banals ou originaux, ce qu'on ne soupçonnait pas au début. Il faut quand même revenir un peu en arrière pour les renouer entre eux.
En face de tout cela il y a cette envie d'écrire pour ne rien oublier, pour créer quelque chose d'original à partir de cela, pour exorciser un passé plein d'insatisfactions, ou peut-être, pour un jeune auteur qui rêve de venir écrivain, ce désir de se lancer dans un monde inconnu tout en se heurtant au paradoxe de l'écriture, celui de vouloir s'exprimer et de ne pas pouvoir le faire pleinement.
On a l'impression de connaître tous ceux qui ainsi se livrent parce que, plus ou moins, on leur a ressemblé pendant quelques temps à ce moment de l'année qui est le symbole de la fête, du farniente du soleil et où souvent tout se révèle.
C'est le premier roman de Jean-Philippe Blondel. Ce livre se lit vite, sa lecture n'est pas désagréable, son style ordinaire, mais j'avoue m'être un peu ennuyé vers la fin
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Le garde-barrière
- Par hervegautier
- Le 18/09/2019
- Dans Andrea Camilleri
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La Feuille Volante n° 1386 – Septembre 2019.
Le garde-barrière - Andrea Camillieri - Fayard.
Traduit de l'italien par Dominique Vittoz.
Ce roman nous ramène dans l'Italie fasciste du début de la Seconde guerre mondiale en Sicile. Nino, garde barrière et son épouse Minica vivent en bordure de la voie ferrée avec espoir d'enfant et gain inespéré à la loterie. Cela pourrait être le bonheur quand, en l'absence de son mari, Minica est violée et laissée pour morte, perd son bébé et ne pourra plus avoir d'enfant. Elle s'en remets mais le temps qui passe ne fait rien à l'affaire, sa stérilité devenant à ce point obsédante qu'elle se prend pour un arbre, veut s'enraciner dans le terre de leur jardin et porter des fruits. Son mari entre dans son jeu et fait ce qu'il peut pour l'aider à guérir de son obsession quand le hasard, l'imagination de Camillieri ou peut-être la Providence, après tout nous sommes en terre italienne, vient gommer ce qui aurait pu être des vies visitées par le malheur, même si l'épilogue tient un peu trop facilement du "happy end".
Malgré le contexte, la vie, l'amour mais aussi la mort sur fond de guerre et de malheur, la tendresse, l'humour, l’espérance, bref, l'ordinaire de l'espèce humaine constituent la trame de ce court texte. C'est un roman à la langue truculente, pleine de néologismes et d'expressions siciliennes, mélange d’italien et de dialecte local, ce qui a sans doute été pour la traductrice un défi d'importance qu'il convient ici de saluer. Il se lit bien et même rapidement et a été pour moi un bon moment de lecture.
Ce n'est peut-être pas le roman le plus connu de Camilleri (1925-2019), peut-être pas le meilleur non plus, mais cet auteur sicilien de romans policiers, récemment décédé au mois de juillet de cette année, connu notamment en France par la série télévisée qui a popularisé le commissaire Montalbano, a laissé ce dernier orphelin et les amateurs de ses romans bien tristes.
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Mariages de saison
- Par hervegautier
- Le 17/09/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1385 – Septembre 2019.
Mariages de saison - Jean-Philippe Blondel - Buchet-Chastel.
Ah le mariage! Même à l'heure du PACS et de l'union libre, il reste malgré tout une institution solide, avec passage devant Monsieur le Maire et devant le curé souvent peu convainquant dans ses propos, avec fête et folklore pas toujours du meilleur goût. C'est en tout cas ce qui fait vivre temporairement en plus de son poste à mi-temps d'assistant d'éducation, Corentin, en rupture d'université qui rêve de cinéma et qui, l'espace de la saison, retrouve son parrain Yvan pour cet emploi temporaire de vidéaste de mariage. Il filme cette cérémonie qui, en principe est "le plus beau jour" de la vie des mariés et il assiste aussi au bonheur, aux sourires, à la fête mais aussi aux dérapages inévitables de cette journée. Une copie de tout cela finit dans ses archives personnelles mais c'est aussi une occasion, quand on les regarde bien des années après de mesurer le temps passé avec son poids de nostalgie et de regrets. Il a vingt sept ans, il est en couple avec Aurore et ce travail serait bien capable de lui donner des idées d'avenir, mais c'est un autre histoire ... Pourtant, quand il croise une inconnue qui lui sourit, il pense toujours, soit qu'il a un ticket avec elle, soit qu'il est victime d'une erreur sur la personne... en privilégiant bien souvent la deuxième solution! C'est qu'il réservé, même un peu timide et hésitant et se contente , faute de mieux, du bonheur des autres en se demandant quand viendra son tour.
Vidéaste de mariage, c'est une fonction assez ingrate, filmer chacun sans oublier personne, se faire discret mais ne rien omettre des grands et des petits moments de cette journée forcément mémorable en en gommant les excès et qui est destinée à rester dans les mémoires. On regardera ces souvenirs bien des années plus tard... C'est aussi une position privilégiée pour observer la nature humaine et, parce qu'il est non seulement derrière la caméra, il lui arrive de recueillir, tel un confesseur ou un psychanalyste, des confidences privilégiées, des serments d'amour d'une femme à destination de son futur époux , le tout gravé sur CD, une sorte de cadeau qui ne durera sans doute lui aussi que "ce que dure les roses, l'espace d'un matin" comme aurait dit Malherbe, mais c'est l’image même de la vie. Cet expérience est une bonne idée que Corentin applique à sa mère, à son père, à son parrain, à son meilleur ami et ce qu'il entend est révélateur.
Il me plaît bien ce Corentin. Il survit comme il peut dans une société qui ne lui plaît pas, où il ne trouve pas sa place. Il voudrait bien s'y insérer, par le mariage qu'il filme pour les autres, mais cela s'avère difficile. C'est un idéaliste un incompris, plus ou moins méprisé par les autres, particulièrement par les femmes. Je ne sais si ce thème du mariage, qui en principe est festif, inspire l'auteur, mais j'ai retrouvé, non d'ailleurs sans un certain plaisir, l'ambiance un peu nostalgique, l'analyse des sentiments humains, à la fois complexes et sensibles, le regard critique posé sur la nature humaine que j'avais appréciés dans un précédent ouvrage qui m'avait révélé son existence. Je m'étais promis d'explorer plus avant son univers créatif et je dois dire que je ne suis pas déçu. Le style est agréable à lire et m'a procuré un bon moment de lecture.
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Biographie de la faim
- Par hervegautier
- Le 14/09/2019
- Dans Amélie Nothomb
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La Feuille Volante n° 1384 – Septembre 2019.
Biographie de la faim - Amélie Nothomb - Albin Michel.
L'auteure commence par une évocation de l'archipel océanien des Vanuatu où, selon elle, on ne connaît pas à faim simplement parce la nature pourvoit aux besoins des hommes, pour conclure (provisoirement) par l’affirmation "la faim c'est moi". D'emblée cela m'a un peu étonné de sa part même si je n'ai personnellement que peu de repaires dans sa vie publique! L'histoire des peuples est intimement liée à la nourriture et à la nécessite de s'en procurer, mais quand même, je ne voyais d'emblée pas le lien avec elle, fille d'ambassadeur, pas vraiment à ranger dans la catégorie des nécessiteux. Suivent un certain nombre d'informations autobiographiques au terme desquelles elle avoue aimer le sucre, le chocolat , les spéculoos, l'alcool puis l'eau. Que cette boulimie se transforme en anorexie à l'adolescence est sans doute un un point de passage obligé face au corps qui se transforme et à la volonté qu'on a de le combattre, d'autant qu'à cet âge, face à la vie qui s'annonce et qui souvent fait peur, on a parfois envie de mourir (de faim). Heureusement ce passage n'est que transitoire et Amélie compense en se lançant dans la lecture d'une manière effrénée qui est un excellent apprentissage de l'écriture. De plus ses différent lieux ds résidence au Japon, en Chine, au Bangladesh puis aux États-Unis, au rythme des mutations de son diplomate de père, l'ouvre aux cultures et aux richesses du monde, suscitent chez elle une appétence de connaissances. Son envie d'écrire vient sans doute de ce faisceau d'événements et c'est là une "faim" que j'apprécie surtout quand elle se teinte d'humour. Plus que tout cela, c'est je crois, du Japon dont elle est affamée, plus plus tard de l'occident et de sa vie facile (le spectacle de la pauvreté et de la saleté de la Chine et du Bangladesh la révulse). Elle aime aussi être entourée de belles personnes, ce qui est plutôt une marque de bon goût. Ce que je retiens c'est qu'elle a surtout un appétit certain pour la reconnaissance d'elle-même et de sa beauté, de son intelligence, un être à qui tout est dû, qui est fait pour régner sur les autres parce qu'elle inspire l'amour et l’obéissance d’autrui... Et, dans ce but, comme on n'est jamais si bien servi que par soi-même, elle pratique volontiers l'auto-encensement. Cette faim lui procure une forme de plaisir et ainsi je comprends mieux sa formule du début et le titre de son roman. Sa biographie se confond avec cette avidité pour la notoriété! Après tout, l'autosuffisance est une belle chose, surtout quand on s'aime à ce point et sa réussite littéraire est spéctaculaire.
C'est le treizième roman d'Amélie Nothomb publié en 2004 pour être présente à la rentrée littéraire de ladite année . Elle respecte ainsi régulièrement à cette tradition sans doute pour exister et ne pas être oubliée de ses lecteurs. Elle fait certes ce qu'elle veut et satisfait ainsi à son métier d'écrivain, mais cette régularité n'enfante pas pour autant des chefs d’œuvre. Heureusement que ce roman, comme tous les autres d'ailleurs, se lit vite et s'oublie tout aussi vite, tant j'ai eu beaucoup de mal à entrer dedans. Pourtant j'apprécie toujours autant sa manière d'écrire, fluide agréable. J'ai lu ce roman pour pouvoir m'en faire une idée et en parler, mais l’appétit n'a pas été pour moi au rendez-vous. Les éléments de sa biographie qu'elle livre à ses lecteurs sont sans doute, pour ses "fans", de la première importance, mais j'avoue y avoir été assez imperméable malgré l'humour qu'elle y met parfois avec un certain bonheur.
Sans jeu de mots un peu facile, cette fois encore je suis resté sur ma faim.
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Un minuscule inventaire
- Par hervegautier
- Le 12/09/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1383 – Septembre 2019.
Un minuscule inventaire - Jean-Philippe Blondel - Robert Laffont.
Il me plaît bien cet Antoine, marié, père de famille, vaguement prof d'anglais qui vient de voir sa femme partir avec son dernier amant. Eh oui, ça n'arrive pas qu'aux autres et prétendre que l'amour dure toujours est une aimable plaisanterie... mais c'est devenu tellement banal! Bientôt ce sera le divorce, la garde alternée des enfants et toutes les joyeusetés que cette situation implique. Il se sent à la fois oppressé, se demandant ce qu'il avait fait pour mériter cela, mais sourd aussi en lui un sentiment de liberté puisqu'il tourne la page, au moins les choses seront plus claires! Pourtant, et sans doute un peu paradoxalement, je l'ai senti comme une victime plus que comme un acteur des événements de son existence passée et je ne suis pas bien sûr qu'il fasse un usage qui aille dans le sens de la vie et de cette liberté toute neuve. Il m'a en effet semblé que ce qui surnageait de toutes ces situations passées comme de celles qui lui arrivent actuellement, c'est la mélancolie et surtout la solitude, celle d'avant et celle d'après la parenthèse du mariage, un peu comme s'il en avait toujours été ainsi malgré les apparences. J'ai ressenti aussi un certains fatalisme chez lui, l'attitude de celui qui préfère se laisser porter par les circonstances plutôt que de tenter de peser sur elles.
Il a bien fallu trier et partager les objets oubliés qui révélèrent leur pesant de nostalgie et Antoine souhaite faire table rase de tout cela en participant à un vide-grenier. Ainsi, retrouve-t-il au hasard des cartons qui se remplissent, une couverture de laine jaune, un cendrier en métal doré, un bob rayé bleu et blanc, véritable inventaire à la Prévert qui partira à l'encan pour quelques euros vite dépensés comme s'il ne fallait rien garder de ce passé. Au fur et à mesure des souvenirs lui reviennent qui plus ou moins lui donnent le vertige, des images furtives, des amours éphémères, des tentatives de liaisons hésitantes et souvent foireuses, des amitiés qui se sont diluées dans le temps qui passe, des visions d'enfance et d'adolescence, des apprentissages plus ou moins avortés, des émotions clandestines nées du regard d'une belle passante, des phases de son couple qui peu à peu se délite... On a droit à pas mal d'analepses, des moments d'une vie un peu triste et presque banale, des espoirs et des déceptions...
L'idée est plutôt bonne, surtout avec le destin que l'auteur assigne à chacun de ces objets après leur vente à un inconnu, une manière de boucler la boucle. Le style simple et agréable m'a procuré une lecture aisée, mais de trop nombreuses longueurs égarent et lassent un peu le lecteur. J'ai eu de la sympathie pour Antoine pour ce qu'il voulait faire et pour ce que il fait, pour ce qui lui était arrivé aussi, pour cette ballade douce-amère dans les pans de sa vie et ce sentiment ne m'a pas quitté tout au long de ma lecture en demi-teinte cependant.
Paradoxalement peut-être j'ai envie de faire quelques pas dans l'univers créatif de cet auteur inconnu de moi jusqu’à aujourd'hui.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Le sabotage amoureux
- Par hervegautier
- Le 10/09/2019
- Dans Amélie Nothomb
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La Feuille Volante n° 1382 – Septembre 2019.
Le sabotage amoureux - Amélie Nothomb - Albin Michel.
C'est un roman autobiographique d'Amélie Nothomb. Elle passe en effet en Chine une période de 5 à 8 ans (1972 à 1975) où son père est nommé ambassadeur de Belgique. Elle a auparavant habité au Japon où son père était également en poste et elle regrette ce pays parce que Pékin est laid, sale et surveillé.
Pour l'enfant qu'elle est à cette époque le monde se divise en deux, celui des adultes qu'elle regarde et celui des enfants dans lequel elle vit en toute liberté. Ils se juxtaposent mais ne se mélangent pas. Je n'ai pas compris grand chose à cette histoire de guerre entre enfants européens du ghetto et encore moins de la paix qu'ils signèrent. A moins que cela ne soit un prélude à ce dont les hommes raffolent depuis toujours ou alors que cela soit à rapprocher du regard que porte les enfants sur le monde des grands qui les entoure et où ils ne voient que des choses différentes, à la fois violentes comme dans la réalité et merveilleuses comme dans les contes qu'ils entendent. C'est sans doute aussi pour cela que la petite Amélie prétend posséder et monter un cheval alors qu'il ne s'agit ... que d'un vélo. Pourquoi pas après tout et il ne coûte rien au lecteur d'entrer de plain-pied dans son univers et se laisser porter par cet amour qu'éprouve subitement la narratrice pour Elena, une Italienne de six ans, la très belle mais très indifférente, fille d'un diplomate. Cette petite fille est même un peu cruelle et inaccessible et cela augure mal de sa vie de femme adulte. Cet amour né du premier regard suscite chez Amélie une volonté d'attirer son attention mais cela tombe à plat et elle avoue elle-même que cette expérience lui a fait découvrir en même temps "éblouissement, amour, altruisme et humiliation". Elle vit en effet dans l’illusion de l'enfance, de son imaginaire chevaleresque et médiéval, éprouve pour Elena une véritable fascination. La petite Amélie fait ici l’apprentissage de l'amour, pas celui des adultes qui est bien différent, sensuel, hypocrite et éphémère, mais c'est un sentiment sans arrière-pensée, pur, absolu, parfait, seulement inspiré par la beauté et qui s'exprime dans la seule volonté d'être avec Elena, de la regarder, de lui obéir aveuglément, de monopoliser son attention, son intérêt. Il s'agit bien d'un sabotage, c'est à dire d'une destruction volontaire, mais par Amélie elle-même, presque un sabordage. Il est bien question ici d'un premier amour d'enfant qui lui aussi préfigure celui des adultes, avec sans doute le plaisir, les illusions, mais surtout la souffrance qui va avec.
Il s'agit du deuxième roman d’Amélie Nothomb paru en 1993. il retrace par le menu une sorte de voyage dans l'enfance, un parcours initiatique avec ses compassions, son merveilleux, son exaltation, ses projets, mais aussi ses folies, sa naïveté, ses fantasmes, sa culture du secret, ses espoirs forcément déçus, ses trahisons, ses violences, ses déceptions, un peu comme si elle voulait retarder son entrée dans l'autre monde, celui des adultes, celui de la vraie vie où tout est compromis voire compromissions. J’observe quand même que, même si elle évoque l'univers de l'enfance, elle met parfois dans sa propre bouche d'enfant des remarques d'adultes.
Ce livre est court comme le seront ceux qui suivront et ce n'est pas pour me déplaire quoique j'apprécie le style simple mais classique de l'auteure, ce qui pour moi en facilite la lecture. Cela dit je l'ai peu accompagnée dans son voyage et, à certains moments, j'ai eu le sentiment que des passages n'étaient pas destinés à autre chose qu'à meubler et à nourrir des longueurs toujours fastidieuses pour le lecteur.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Le voyage d'hiver
- Par hervegautier
- Le 07/09/2019
- Dans Amélie Nothomb
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La Feuille Volante n° 1381 – Septembre 2019.
Le voyage d'hiver - Amélie Nothomb - Albin Michel.
L'histoire de ce roman est banale et aussi tarabiscotée que les deux personnages principaux : Zoïle est amoureux d'Astrolabe mais l'amour de cet homme ayant été déçu, ce dernier ne trouve rien de mieux que de faire exploser un avion en le précipitant sur la Tour Eiffel et évidemment de trouver lui-même la mort à cette occasion. C'est une manière de se venger contre cet amour impossible et aussi sans doute contre le monde entier puisque les innocents qui vont ainsi payer de leur vie son geste insensé, n'y sont pour rien. Cette déception amoureuse lui a tellement fait détester l'espèce humaine dont il fait évidemment partie qu'une destruction s'impose et que son simple suicide devient insuffisant. Et puis il lui faut du spectaculaire. Auparavant, il prend soin d'écrire la raison de son acte, précisant que cela n'a rien à voir avec le terrorisme, une sorte de testament où il tente de justifier son geste. Cet écrit est d'ailleurs peut-être inutile parce qu'il n'y a que peu de chance qu'on le retrouve après son geste désespéré. Amélie Nothomb met en scène cet homme qui, à la première personne, raconte par le menu les circonstances rocambolesques de sa rencontre avec Astrolabe, une assistante de vie et surtout d'écriture d'Aliénor, une auteur à succès mais surtout une retardée mentale dont la présence à la fois inquisitrice et dérangeante hypothèque leurs rencontres amoureuses devenues ainsi surréalistes et finalement impossibles. Pire peut-être, ce qui aurait pu être une belle histoire d'amour transforme Astrolabe en véritable castratrice , ce qui n'est point du goût de Zoïle qui prend même soin de détailler son projet. C'est un peu délirant, pour ne rien dire du "modus operandi" complètement absurde.
C'est encore le hasard qui a guidé mon choix de lecture et Amélie Nothomb, comme chaque année (nous sommes en 2009) au moment de la rentrée littéraire, publie son roman annuel, histoire de ne pas se faire oublier de ses lecteurs, de faire entendre sa voix ou de mériter sa qualification "d'écrivain prolixe". Je ne suis pas du tout entré dans ce roman, pour moi vraiment peu convainquant et surtout pas dans cette manœuvre grossière, dans ce "voyage d'hiver" imaginé par Zoïle qui n'a rien à voir en tout cas avec Franz Schubert. Ce livre est certes bien écrit comme toujours et je dois bien admettre que c'est un plaisir de lire Amélie Nothomb, non pas tant pour l'histoire qu'elle raconte que de la manière dont elle la raconte. De plus cet ouvrage se lit rapidement, ce qui n'est pas la moindre de ses qualités. Elle ne manque jamais d'y glisser sa grande érudition, des aphorisme et ses remarques personnelles pleines d'un bons sens et d'un humour de bon aloi, mais c'est moins cela qui me gêne que les nombreuses digressions et longueurs qui maillent le texte et parfois égarent un peu le lecteur. Quant à prétendre "qu'il n'y a pas d'échec amoureux ", tant mieux pour elle si elle fait ainsi appel à son expérience personnelle pour affirmer cela!
J'ai dû écrire dans cette chronique qu'Amélie Nothomb était capable du pire comme du meilleur. Ici je n'ai pas vraiment eu l'impression de lire le meilleur. Bref un roman bien quelconque à mes yeux !
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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De l'inconvénient d'être né
- Par hervegautier
- Le 06/09/2019
- Dans Emile Cioran
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La Feuille Volante n° 1380 – Septembre 2019.
De l’inconvénient d'être né - Emil Cioran - Gallimard
Ce titre rappelle un truisme que nous avons tous, un jour ou l'autre exprimé : Nous n'avons pas choisi de naître et Cioran y voit même un inconvénient! C'est un recueil d'aphorismes lancés comme des gifles, selon l'expression même de l'auteur, des pensées brutes, des sortes de fulgurances pleines de désespoir mais aussi de réalisme, de nihilisme, de scepticisme et même d'humour. Il choisit donc de nous parler de la naissance, hasard, accident ou fruit de la volonté amoureuse d'un homme et d'une femme, le fait d'être né, c'est à dire d'être là, sur terre, responsable de sa propre vie, n'interdit pas de s'interroger sur son sens, entre destin et liberté, sur la durée et la qualité de notre passage sur terre, de la valeur de notre action pendant cette période, du traumatisme de la douleur qu'elle imposera à chacun, de la certitude de la mort.
Ainsi, de part sa naissance, Cioran a -t-il été précipité en ce monde, avec en prime une prise de conscience précise de sa condition qu'aggravent de fréquentes périodes d'insomnie pendant lesquelles il est amené, presque malgré lui, à réfléchir sur lui-même et à constater que loin de vivre cette vie, il la subit et à travers elle "il se subit". Quoi détonnant à ce que, détestant la vie, il déteste l'homme et affirme sa misanthropie entretenue par la certitude qu'il refuse la contradiction. Autant dire qu'un tel état d'esprit fait de lui un solitaire qui ne connaît pas l’amitié, ou très peu. Il pourrait d'ailleurs faire sien cet aphorisme de Sartes "L'enfer c'est les autres". Il est juste de dire qu'il s'applique à lui-même ce pessimisme définitif , se regardant sans concession dans le miroir de lui-même, refusant les illusions qui peuvent adoucir la vie. Cioran est un écrivain, et, à ce titre il se doit d'écrire, c'est à dire faire connaître sa pensée et publiant, il est bien obligé de prendre en compte ses lecteurs qui sont aussi des "autres" et sa volonté d'inaction face à ce monde honni est assez peu compatible avec son métier de penseur. Tout au plus rêve-t-il de refuser d'écrire sans pour autant le faire! Portant un regard critique sur ce monde et sur les hommes qui l'habitent, il ne peut refuser de voir leur volonté destructrice qui se manifeste dans les guerres qui émaillent l'Histoire. Son engagement fasciste de jeunesse est oublié, sans doute un peu vite,
Celui qui passa une grande partie de sa vie dans une mansarde parisienne, qui refusa les prix littéraires et la notoriété, face à cette prise de conscience, prône l'inaction, le refus de l'ambition, le renoncement aux choses et le détachement en général, regardant l'échec comme un bien et son passage sur terre comme une chose inévitable, subie par lui, mais nullement une source de bonheur. Dans ce contexte, il est légitime de se demander comment il se positionne par rapport à Dieu, lui, le fils d'un pope orthodoxe, et le disciple de Nietzsche. Face à cette vie qui ne lui convient pas, il admet cependant que Dieu a longtemps été une solution pour l'homme, peut-être d'autant plus plausible et recevable qu'elle est facile, mais il modère son propos aussitôt précisant qu'un tel sujet provoque chez lui à la fois un doute sur la pérennité des croyances humaines mais surtout, en ce qui le concerne, un déchirement entre le besoin vital de croire en un dieu et le rejet de toute religion.
Dans une époque où il convient de se mettre soi-même en valeur, et de porter sur le mode une vision idyllique, la prise de conscience de Cioran, sa façon de l'exprimer, illustrée par son propre exemple, et ce malgré les contradictions inévitables qui ont quelque chose de rassurant, le désespoir de Cioran n'est certes pas forcément communicatif, mais il a l'avantage d'attirer l'attention du commun des mortels sur les poncifs un peu faciles et lénifiants distillés à longueur d'années par tous les pouvoirs y compris politiques. Cela doit bien correspondre à quelque chose, toutes égales par ailleurs, puisque j'observe que des écrivains comme Louis-Ferdinand Céline ou plus près de nous Houellebecq et peut-être aussi Fernando Pessoa ont , peu ou prou, pris en compte cette manière de voir les choses.
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Les prénoms épicènes
- Par hervegautier
- Le 01/09/2019
- Dans Amélie Nothomb
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La Feuille Volante n° 1379 – Septembre 2019.
LES PRÉNOMS EPICÈNES - Amélie Nothomb - Albin Michel
En prenant ce livre sur les rayonnages de ma bibliothèque préférée, je me suis dit que j'allais encore lire le traditionnel roman qu'Amélie Nothomb publié chaque année pour la rentrée littéraire (celle ce 2018). J'ai pensé en moi-même que j'allais encore m’ennuyer à sa lecture, un peu comme d'habitude. Je dois à la vérité de dire qu'il n'en n'a rien été. Outre le titre un peu original, les parents de la jeune Epicène Guillaune, Dominique et Claude, portent ce genre de prénoms qui se donnent autant aux filles qu'aux garçons (épicènes) et de plus ils ont donné ce prénom à leur fille en l'honneur de l'écrivain anglais Ben Jonson, un contemporain de Shakespeare.
Je passe sur l'histoire d'amour de Dominique et Claude, sur la spectaculaire réussite sociale de ce dernier. Renfermée au début du mariage, Dominique s'affirme à la quarantaine et entre vraiment dans la société parisienne guindée et suffisante pour soutenir l'ascension de son mari à mesure que le niveau de vie du couple augmentait, privant au passage leur fille d'une sincère amitié d'enfance devenue encombrante. Si les relations mère-fille sont acceptables, elles se révèlent vite détestables avec le père uniquement occupé par le chiffre d'affaires de sa société et son entrée dans les cercles très fermés de "la rive gauche", ce que Dominique facilite avec succès. A cette occasion l'auteure excelle à rendre l'ambiance pesante et artificielle des réceptions mondaines parisiennes. Nous avons aussi droit à la crise d'adolescence de la jeune fille que des dons exceptionnels et un caractère entier isolent du reste de ses congénères.
Au fur et à mesure des pages tout s'éclaire, on comprend facilement qui est Claude, bien différent de celui du début, menteur, manipulateur, déterminé, égoïste, arriviste, dominateur, qui est aussi Dominique qui découvre petit à petit le rôle qu'on lui a fait jouer, sa réaction face à cette prise de conscience et la métamorphose d’Épicène.
je retiens que les relations entre les gens, hommes et femmes, sont bien loin de l'image idyllique qu'on en donne souvent dans le mariage, que la réussite sociale reste un critère éphémère et discutable, que l'amour, s'il existe vraiment, est consomptible et parfois même illusoire et laisse la place aux calculs, aux apparences, à la recherche d'intérêt, à l'indifférence, à la haine, à la trahison, à l’adultère... Les relations entre Épicène et son père, prennent un tour dramatique qui bien souvent, dans la vraie vie, s'arrêtent aux simples intentions. L'auteure introduit une réflexion autour de la justice immanente qui frapperait ceux qui ont semé l'iniquité et la souffrance autour d'eux, de la dernière image qu'ils veulent laisser face à la camarde, comme une ultime et dérisoire manière de venir à résipiscence, de la possibilité qu'ils ont, une dernière fois, de cacher définitivement, en les emportant dans leur tombe, par honte ou par facilité, des vérités qui un jour peut-être éclateront, de la légitimité de la vengeance souhaitée qui fonctionne ou non, de la jouissance intime qu'ils peuvent ressentir face à leurs victimes et de leur attitude face à des actes commis spontanément ou avec préméditation, mais aussi de la culpabilité éventuellement ressentie face à une action que le Code pénal et la morale condamnent...
Contrairement à ce que j'ai souvent dit dans cette chronique, j'ai ici pris plaisir à cette lecture parce que le roman est bien construit et, comme d'habitude, bien écrit et surtout parce qu'il aborde des questions qui dépassent l'histoire d'un simple roman, même si je ne suis pas très sûr que que les faits tels qu'ils sont relatés correspondent toujours à la réalité, notamment sur cette fameuse justice immanente ou sur le hasard qui favorisent la vengeance. Après tout, nous sommes dans un roman et l'auteure qui tient la plume est maîtresse du jeu. Je ne connais pas la biographie de l'auteure mais, au long de cette lecture, je n'ai pu me départir d'une impression qui me soufflait qu'un tel texte devait peut-être avoir quelques connotations autobiographiques.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Chaos calme
- Par hervegautier
- Le 31/08/2019
- Dans Sandro Veronesi
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La Feuille Volante n° 1378 – Août 2019.
CHAOS CALME - Sandro Veronesi - Bernard Grasset
Traduit de l'italien par Dominique Vittoz
Pietro et son frère sauvent deux femmes de la noyade et Pietro s'étonne que non seulement celle qu'il a sauvée lui a donné l'impression qu'elle voulait mourir, qu'un homme inconnu l'a dissuadé d'intervenir et aussi que personne ne le remercie pour son geste. Il apprendra bien plus tard les circonstances particulières de ce sauvetage et les conséquences qu'il aura pour lui mais gardera de ce moment un souvenir érotique particulier. Quand il rentre chez lui il trouve sa compagne morte d'une rupture d'anévrisme, c'est à dire au moment même où il sauvait cette inconnue. Il y a de quoi culpabiliser mais, dans les jours qui suivent, il constate que, bien qu'il aimait sa femme, il ne souffre pas, se sent bien et passe son temps à attendre Claudia, sa fille de dix ans, devant son école milanaise, une sorte obsession qui lui fait oublier d'aller au bureau où il est directeur d'une chaîne TV où pourtant une fusion menace l'avenir de chacun. Il vit ainsi dans une sorte de "chaos calme" qui lui sert de protection, une sorte de bulle où il s'enferme et chacun vient vers lui, malgré son deuil, pour se confier en tombant le masque que la comédie sociale impose à tous ceux qui souhaitent la jouer et ils se révèlent tels qu'ils sont en réalité. La perspective du changement radical dans leur travail y est pour beaucoup. Pour ce qui le concerne, il prend conscience qu'il a jusque là négligé l'éducation de Claudia, souhaite rattraper le temps perdu et mener une existence complètement différente de celle d'avant. Parmi ceux qui viennent parler avec lui, sa voiture étant transformée en une sorte de confessionnal, il y a son frère, un couturier un peu perdu dans la fumée des paradis artificiels, Marta, sa belle-sœur un peu nymphomane et dont l’équilibre mental est un peu affecté ou ses collèges de travail vivant mal leur prochain licenciement et même son supérieur. Il refait son chemin à l'envers et, assis sur un banc, derrière le volant de sa voiture à l’arrêt, à la piscine ou au gymnase avec Claudia, il observe autrement la vie, les gens qui passent, une femme sexy qui promène son chien ou les habitants de ce quartier et prend des décisions définitives pour la sienne. Une façon de tourner la page...
Je suis partagé à propos de ce livre bien écrit et qui se lit agréablement malgré quelques longueurs et de nombreuses digressions, notamment religieuses. Quand on a dû subir un profond bouleversement, notre réaction peut parfois nous surprendre entre la révolte, l'envie de l'autodestruction, les larmes, les apparences qu'on veut sauvegarder, les messages subliminaux qu'on s'invente pour se rassurer. Ici Pietro a peut-être auparavant négligé sa famille au profit de sa carrière et quand l'une s'effondre et que l'autre menace de le faire, il se met à relativiser les choses et se raccroche à ce qui lui reste au point de refuser tout ce après quoi auparavant il courrait. Pourtant, dans ce roman où le rêve se mêle à la réalité, l'ironie à l’analyse psychologique et aux réflexions sur la vie, Pietro ne se contente pas de rester assis sur son banc et quand il retrouve cette femme inconnue qu'il a sauvée de la noyade, le chaos prend une tout autre dimension et le calme est bien loin. A ce moment Éros prend la place de Thanatos et le titre en forme d'oxymore ne se justifie plus.
Malgré la longueur (505 pages) je ne suis pas vraiment entré dans ce roman qui se termine en forme de fable, d'invitation à changer de vie, à aller de l'avant, et cet intermède de trois mois pendant lequel il est resté toute la journée devant l'école de sa fille a été transitoire, un peu comme s'il a été un début d’exorcisme de son deuil. Il avait pris seul cette décision un peu folle mais c'est sa fille qui le fait redescendre sur terre où il sera peut-être moins important mais un homme nouveau, responsable de cette enfant qui n'a plus que lui.
Ce roman a été largement primé en Italie et en France et porté à l'écran en 2008 avec Nanni Moretti dans le rôle de Pietro.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Antéchrista
- Par hervegautier
- Le 26/08/2019
- Dans Amélie Nothomb
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La Feuille Volante n° 1377 – Août 2019.
Antéchista - Amélie Nothomb - Albin Michel.
Ce roman est l'histoire de deux adolescentes de seize ans qui font des études universitaires à Bruxelles et qui se rencontrent. L'une, Blanche, dont les parents sont enseignants, est studieuse, repliée sur elle-même, timide, solitaire et n'a jamais vraiment eu d'amis et l'autre, Christa, vient d'un milieu plus défavorisé, doit travailler pour payer ses études, mais croque la vie à pleines dents, est entourée de garçons ensorcelés par elle . Entre les deux jeunes-filles qu'un gouffre sépare, les relations sont inexistantes au départ mais c'est Blanche qui se rapproche de Christa parce que cette dernière exerce sur elle une sorte de fasciation et elle arrive à séduire même les parents de Blanche au point de s'insinuer dans leur vie. Les relations entre elles sont bonnes et même un peu ambiguës au début, ce qui trouble un peu Blanche dont la vie rangée est petit à petit complètement bouleversée et les habitudes les plus ordinaires remises en question. D’idylliques au début, les choses s'enveniment rapidement, comme dans toutes les relations amicales ou amoureuses, se muent même en un véritable duel et Blanche prend conscience que sa nouvelle amie est en fait une véritable manipulatrice mythomane et devient pour elle "Antéchrista". Après bien des rebondissements et des déconvenues, les choses reprennent leur vraie place et tout rentre dans l'ordre, refermant cette parenthèse.
Ce roman fait partie de ceux que l'auteure publie chaque année au moment de la rentrée littéraire, histoire de continuer à exister, ce qui fait d'elle un auteur prolixe. Je l'ai dit dans cette chronique, je lis depuis longtemps Amélie Nothomb, non pas tant par attachement intellectuel ou par goût pour son univers créatif, mais pour être capable de m'en faire une idée et de pouvoir en parler parce qu'elle fait partie du paysage culturel. Il m'est bien souvent arrivé d'exprimer ma déconvenue à propos de la lecture de certains de ses romans et de noter que leur plus grand intérêt est, outre qu'ils sont bien écrits (j'exprimerai quand même une restriction ici : j'ai trouvé que la périphrase "les auteurs de les jours" pour désigner ses parents était un peu trop répétitive et peut-être surannée mais cela n'enlève rien à l'ensemble du texte), qu'ils se lisent rapidement et qu'au moins cette auteure ne laisse pas indifférent.
Ici, je me suis laissé embarqué dans cette relation entre ces deux jeunes filles et l'évolution du regard de Blanche sur Christa, de fasciné et passionné au début, il devient petit à petit critique déplorant une ambiance qui devient malsaine. C'est une étude intéressante sur adolescence ses fascinations, ses questionnements, ses frustrations, sur la faculté de nuire de nos proches aussi... En revanche je m'interroge sur la facilité avec laquelle les parents de Blanche ont laissé Christa s'insinuer dans leur famille, se sont laissés manipuler par elle, ont fini par prendre fait et cause pour cette étrangère au détriment de leur propre fille! Je ne dirai pas que cette histoire me parait artificielle, mais l'épilogue m'a semblé un peu trop prévisible et peut-être convenu comme souvent dans les romans d'Amélie Nothomb. Cela commence bien, c'est même parfois attachant comme ici, mais la fin est souvent un peu décevante.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com