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A PROPOS DE MARIE DARRIEUSSECQ.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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A PROPOS DE MARIE DARRIEUSSECQ.
Dans un précédent numéro de la Feuille Volante (N°209) j’ai livré mon sentiment sur une remarque de Marie Darrieussecq à propos du lecteur de ses romans. Je ne retire rien de ce que j’ai écrit mais dans cet article j’avouais ne pas connaître l'œuvre récente de cet écrivain. Je l’ai donc abordée à travers deux romans »Le mal de mer » et « La naissance des fantômes ».
Je crois savoir que la critique n’est pas tendre avec elle mais cette revue existe pour que soit exprimé mon avis et non pour qu’elle soit le reflet de celui des autres. De ces deux romans dont le style d’écriture m’a surpris je dirai simplement que, malgré une lecture attentive je n’ai pas réussi à entrer dans l’univers de l’auteur... et que je le regrette.
Je ne comprends pas non plus la remarque laudative de François Nourrisier « Darrieussecq atteint un raffinement dans le style »
©Hervé GAUTIER
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DES CRIMES INSIGNIFIANTS - Alvaro Pombo- Editions Gallimard.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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DES CRIMES INSIGNIFIANTS - Alvaro Pombo- Editions Gallimard.
Il se trouve que je suis amateur de romans policiers. Ce titre, du moins en apparence, m’a donné à penser que ce livre pouvait en être un. Je l’ai donc lu. Malheureusement, tel n’était pas le cas.
Sans déflorer l’intrigue, qui m’a paru par ailleurs bien laborieuse, l’histoire relate, dans le climat surchauffé de Madrid, les relations ambiguës d’Ortega, un ancien romancier qui a perdu le goût d’écrire et qui s’est reconverti dans un travail de bureau autant que dans la solitude et Quiros, un jeune homme, un peu éphèbe, actuellement en chômage et qui semble apprécier sa situation d’oisif.
Celui-ci nous est dépeint comme un profiteur « qui vit des femmes », c’est à dire de sa mère, veuve, qui le loge et pourvoit à son entretient quotidien et Cristina, sa fiancée qui subvient à ses besoins et surtout à ses caprices.
Au contact de Quiros, Ortega semble reprendre goût à l’écriture à moins qu’il ne découvre en lui des fantasmes inavouables et des désirs inassouvis. Le futur remariage de sa mère et l’attitude de Cristina qui commence à trouver que cette situation a assez duré rapprochent Quiros d’Ortega qui apparemment supporte mal ce bouleversement de sa vie.
J’avais voulu en savoir plus sur cet écrivain inconnu de moi mais qui avait l’avantage, à mes yeux important, d’être espagnol. Je dois avouer que j’ai été un peu déçu.
© Herve GAUTIER
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A PROPOS DE FRANCISCO COLOANE - Editions Phébus
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- Le 01/04/2009
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A PROPOS DE FRANCISCO COLOANE - Editions Phébus
Décidément, les écrivains sud-américains ne cessent de m’étonner.
L’intérêt que je porte au talent d’Alvaro Mutis m’a tout naturellement dirigé vers Francisco Coloane, romancier et nouvelliste Chilien, dont Mutis révéla l'œuvre au public français.
Qu’il évoque les paysages envoûtants de la Patagonie dans ses nouvelles (le Golfe des Peines) ou l’histoire tourmentée du peuple indien Ona (le Guanaco) ou le destin des Alakalufs, il n’abandonne jamais longtemps la mer, ses marins, les tempêtes meurtrières du Grand Sud, ses navires (Le Dernier Mousse), ses naufrages.
C’est toujours un peu de sa biographie qu’il nous livre à travers les récits qu’il fait et les personnages qu’il campe, souvent pauvres et sans famille. Ils ne craignent pas d’affronter la souffrance et souvent la mort dans les paysages inhospitaliers mais aussi grandioses des Canaux de Patagonie, du Cap Horn ou de la Terre de Feu
Il y a sûrement un peu de son père dans le Capitaine Albarran (Le Sillage de la Baleine). Ses personnages ont quelque chose d’attachant puisque, à travers eux, m’a-t-il semblé, c’est à une recherche de l’homme à laquelle il se livre même si la condition humaine dont il est question ici est celle de la souffrance et de la mort.
C’est là un romancier authentique dont les mots ne peuvent laisser le lecteur indifférent. Ils puisent sans doute leur force dans les tempêtes, le froid et l’évocation des mystères du monde de la mer et de sa beauté inhumaine. Elle est présente à chaque ligne dans son œuvre. C’est vrai qu’il a sacrifié aussi aux légendes des vaisseaux fantômes, au décor des bars et des bordels dont chaque port est indissociable et à toute une mythologie de monstres marins dont les baleines qu’on pêche ici prennent les traits. Mais ce qu’il peint aussi c’est les dures conditions de vie des marins, véritables forçats de cette mer ingrate à laquelle pourtant ils se donnent pour échapper à la misère d’une terre stérile.
Il y a aussi cette quête que chaque homme mène et qui est sa raison de vivre, que ce soit celle du frère disparu (Le dernier mousse) ou celui du père inconnu (Le Sillage de la Baleine), le gain ou la femme à qui l’on rêve et dont on a, un jour, croisé le sourire.
L’auteur nous rappelle que nous ne sommes que de passage sur terre, que la vie ne se résume pas forcément à une somme de moments heureux et que l’homme est fragile, vulnérable face aux éléments.
Avec » Le Sillage de la Baleine », l’auteur signe ici un texte non seulement émouvant et parfois même bouleversant mais sûrement un moment fort de son œuvre. Dès lors, je ne m’étonne pas qu’Alvaro Mutis, le créateur du personnage de Maqroll El Gaviero, marin mythique, dont j’ai abondamment parlé dans cette chronique ait été sensible à l’écriture de Coloane.
Neruda lui-même nota que « Pour embrasser Coloane, il faut avoir des bras longs comme des rivières ».
© Hervé GAUTIER
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DEUX OU TROIS CHOSES SUR LES NOUVELLES DE DANIEL BOULANGER.
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- Le 01/04/2009
- Dans Daniel BOULANGER
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N°224
Mai 2000
DEUX OU TROIS CHOSES SUR LES NOUVELLES DE DANIEL BOULANGER.
C’est effectivement à la visite d’une galerie de portraits que nous convie Daniel Boulanger. Chacune de ses nouvelles est une invitation à entrer dans une histoire, à évoquer, parfois à effleurer, par pudeur sans doute, une parcelle de la vie d’un personnage, entre fiction et réalité.
Par le miracle de l’écriture, véritable alchimie chaque fois renouvelée, l’auteur nous convie à pénétrer le jardin secret d’un être, veuf esseulé, aristocrate original, célibataire par vocation, vieux couples pour qui l’amour n’existe plus, amants et maîtresses, vieilles filles et hommes en quête de l’âme sœur, marginaux, fantasques… Bref tous les protagonistes du théâtre de la vie dont il est le spectateur attentif et qu’il nous donne à voir pour notre plus grand plaisir.
Tous ces êtres passent devant lui, soit en gardant secrète leur existence soit en vidant leur sac « Où traînent de pauvres monnaies dont nous ne savons et nous ne saurons jamais le cours. » comme il le dit si joliment.
C’est une évocation à chaque fois recommencée, une sorte de kaléidoscope de héros ordinaires que dès l’abord on pourrait regarder comme falots et sans importance mais qui sous sa plume prennent une dimension non seulement humaine mais exceptionnelle. On y lit souvent la solitude et le désarroi, la détresse parfois. Vous les auriez cru sans histoire et c’est précisément le contraire qui se produit.
La lecture de ses textes, par leur dimension à la fois poétique, humoristique, émouvante, attendrissante, ouvre les yeux du lecteur sur un univers insoupçonné et qui le laisse le plus souvent émerveillé par le pouvoir d’évocation et de dépaysement de cet auteur qui, à chaque fois m’enchante.
Son humour, son style ont cette légèreté discrète et chaleureuse qui vous font aimé un livre, sa faconde, son culte du mot juste et son sens de la formule révèlent un spectateur vigilant de la condition humaine. En effet, bien peu de décors lui échappent et il sait mettre en scène ces individus pour les rendre attachants.
Auteur prolixe, il sait à merveille disséquer les désordres intérieurs, la quête humaine du bonheur et évoquer la honte, la désapprobation publique qu’un être peut rencontrer dans sa vie. Les replis de l’âme lui sont à ce point connus qu’il les évoque, à la manière d’un orfèvre capable non seulement d’écouter et de voir sans être voyeur mais aussi de restituer pour son lecteur cette approche, par bien des côtés extraordinaire.
Les pulsions, les passions, l’aspect transitoire et temporaire de la vie humaine nourrissent chacune de ses nouvelles. Il n’occulte rien de ce qui fait la vie, l’amour et bien entendu la mort. Il sait rendre l’écume de ces jours et parfois de ces nuits, ces moments qu’il nous peint avidement, heureux ou tragiques, ces miettes de vie, ces copeaux d’existence, ces moments banals ou étranges, déclinés entre fantasmes et certitudes. Les zones d’ombres et de lumière alternent dans des parcelles d’être, entre amours et violence, jouissance de la vie et attirance vers le néant. Les rôles qu’il distribue sont divers, avec peut-être une prédilection pour les femmes d’âge, extravagantes ou veuves de militaires, parfois désirables… Les histoires qu’il raconte s’inscrivent entre foucade et fidélité, passions et passe-temps, souvenirs et regrets…
Tout cela en fait un écrivain d’exception, une sorte de médiateur entre les divinités de l’inspiration et notre pauvre condition de lecteur.
© Hervé GAUTIER.
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Le MIROITIER - Daniel BOULANGER – Editions GALLIMARD..
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Daniel BOULANGER
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N°222
Avril 2000
Le MIROITIER - Daniel BOULANGER – Editions GALLIMARD..
Au moment où un grand éditeur choisit de republier des nouvelles de Daniel Boulanger, il m’a paru intéressant de me replonger dans son œuvre.
J’ai déjà dit dans cette chronique que la valeur d’un livre ne saurait, à mes yeux, résider dans sa seule nouveauté. Son existence, sa permanence sont une invite constante à le découvrir. Bref, j’ai donc choisi Le Miroitier.
C’est là une histoire d’amour comme il en existe tant dans les ouvrages de fiction dont notre auteur place le déroulement à Aussoy sur Orbe, une ville qu’il serait sans doute difficile à situer sur une carte de géographie. Il y fait vivre tout un petit peuple de personnages originaux, insolites, furtifs parfois mais toujours attachants, une véritable galerie de portraits qu’il serait vain d’épeler ici. Le lecteur en découvrira tout le charme, la truculence parfois comme il notera, au fil des pages, l’histoire et les histoires de cette petite ville, au demeurant bien semblable à toutes les autres.
Mais, le titre semble l’indiquer, ce qui est intéressant c’est moins l’environnement de cette agglomération que le personnage principal, Lucien Médard, miroitier de son état qui vit son commerce plus qu’il n’en vit. C’est, en fait, un véritable office, presque une institution. C’est avec lui que Grazina, sa femme, ex-danseuse de Cracovie a choisi la liberté. Elle donne des cours de danse, fait tourner quelques têtes, mais son côté exotique en fait l’âme de cette improbable bourgade.
C’est vrai que Médard, à l’hypothétique lignée a un sens tout particulier du commerce qu’il tient. Vend-on des miroirs si l’on a pas un sens particulier de la vie, sans limite, sans contrainte ? Tient-il des objets qu’il vend un don particulier de voyance ? Allez savoir ! Mais quand même, la complicité avec les miroirs n’est pas quelque chose de banal. Ce simple instrument ne renvoie-t-il pas deux images en une seule, une réelle et une virtuelle dont on nous dit qu’elle se forme derrière la plaque de verre. Ah, l’optique a décidément des mystères délicieux et la virtualité dont on nous rebat maintenant les oreilles à tout propos a toujours eu pour moi un attrait tout particulier !
Et puis rappelons que les poètes ont toujours voulu le traverser. La glace est une surface lisse à laquelle il est bien juste de prêter des pouvoirs magiques. Après tout le miroir ne réfléchit pas seulement notre propre image, mais aussi nos défauts, nos lâchetés, nos renoncements… Il n’est pas seulement pour les alouettes ou pour Narcisse et à travers lui tout est beau, l’image bien souvent plus que l’original ! Et puis l’Orbe qui baigne cette incertaine localité, n’est-elle pas, elle aussi un miroir pour les Aussoyens ?
Il y a aussi une dimension intemporelle ici, à la manière de ce Médard qui annonce toujours l’heure qu’il est à l’autre bout du monde plutôt que de soucier du temps qui s’égrène chez lui. Quand la pendule sonne à l’ église des Pénitents, il feint de l’ignorer et communique, Dieu sait pourquoi, sautant par dessus les fuseaux horaires, ce que marque la montre d’un Chinois ou d’un Américain !
Dans cette foule d’ individus, il y a quand même la bonne conscience du lieu, Basile, sorte de Diogène qui vit en complicité avec un cheval. C’est une sorte de mélange de philosophe, dispensateur de bon sens et un fervent admirateur de Bacchus.
Mais peut-être que tout cela est faux, à l’image des fantasmes du miroitier. Après tout peu importe « Le mensonge sert parfois de canne » et l’important est que cela fasse rêver le lecteur.
Ne vous privez pas d’entrer dans l’univers de ce roman écrit comme une nouvelle, avec son humour au ras des mots. Ce qui compte en ce bas monde, c’est le merveilleux !
© Hervé GAUTIER.
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LE CHATEAU DE LA LETTRE CODEE - Javier TOMEO - Edition Christian Bourgois.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Javier TOMEO
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N°83 - Octobre 1991.
LE CHATEAU DE LA LETTRE CODEE - Javier TOMEO - Edition Christian Bourgois.
Si, livre en mains, vous prenez la peine de lire les quelques lignes de présentation qui emportent souvent la décision du lecteur dubitatif, vous ne manquerez pas de remarquer que la traductrice de cet ouvrage l’annonce comme un roman formidable. Je partage, pour ma part complètement cet avis tant le flot de mots qu’on peut y lire entraîne le lecteur presque malgré lui dans le sillage du marquis en une multitude de situations pour la remise d’une hypothétique lettre dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est bizarre (codée!) à un comte qui ne l’est pas moins, par son domestique de qui il attend un dévouement aussi aveugle qu’anachronique.
Il a l’obligeance de l’avertir de tout ce qu’il risque dans cette entreprise, de tout ce qu’il doit éviter de faire et de dire pour ne pas encourir les foudres du dangereux comte.
Cette lettre, loin d’être un message n’est qu’un prétexte puisqu’elle est incompréhensible et indéchiffrable, c’est à dire le contraire d’une missive qui se respecte. Sous couvert d’expliquer l’inexplicable, l’auteur qui par ailleurs observe la désuète unité de temps, de lieu et d’action (ou d’inaction) cultive admirablement la digression, et, dans une espèce de fatrasie surréaliste où les fadaises le disputent aux poncifs promène le lecteur dans une sorte de soulerie de mots (salutaires souleries de mots qui valent bien, je vous en réponds les libations vinicoles!)
Ce long monologue du marquis, naufragé volontaire de la société pendant vingt années derrière les murs de son drôle de château est entrecoupé de silences circonstanciés (ou seulement évoqués) du valet. Il consiste en une sorte d’évocations plus illogiques les unes que les autres, émaillées de propos oiseux sur les insectes et les batraciens, des proverbes et autres apostilles mais cache sûrement le poids très fort de la solitude à moins que ce soit le plaisir de se laisser aller, devant la page blanche, aux délices de l’écriture automatique guidée par une imagination fantasque. Il se pourrait même que le château n’existe pas plus que la lettre... Il resterait au moins le livre, unique et bien différent de ce qu’on a l’habitude de lire. Cela vaut son pesant d’humour et au moins c’est original.
© Hervé GAUTIER
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MON PERE- Film de José GIOVANNI ET Bertrand TAVERNIER
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans cinéma français
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N° 246–Juin 2003
MON PERE- Film de José GIOVANNI ET Bertrand TAVERNIER
France 3 - lundi 5 mai 2003.
« La Feuille Volante » célèbre cette année son 24° anniversaire.
Ce n’est pas sa vocation première, puisqu’elle est destinée à donner son avis (qu’on ne lui demande d’ailleurs pas) sur la littérature et la poésie françaises, pourtant, cette fois, c’est un film qui a retenu mon attention, mais pas n’importe lequel !
J’avais déjà signé un article sur l’excellent roman de José Giovanni (La feuille Volante n° 204 de mars 1999) « Il avait dans le cœur des jardins introuvables » où l’auteur parle de son père avec un amour plein de remords, comme si les deux hommes avaient passé leur vie à se côtoyer sans jamais se comprendre, se rencontrer, sans peut-être vouloir le faire vraiment…
Le film s’inspire de ce roman autobiographique, mais c’est avant tout une création axée sur le rôle d’un homme en faveur de son fils parce que sa vie est menacée !
Tout se résume en une quête d’un père, Joe, Corse pauvre qui partit, avant la 1° guerre mondiale pour l’Amérique « avec quelques pièces d’or portées dans une ceinture, à même la peau », un jeu de cartes et une envie de réussir à tout prix dans ce pays où tous les rêves étaient possibles. De retour en France, on nous fait comprendre qu’il a été très absent, qu’il a donné à ses fils le mauvais exemple dans la fréquentation des prostituées, des tripots et du « milieu », un homme, en tout cas qui ne s’est pas occupé d‘eux comme il aurait dû le faire. Il les a précipités, probablement sans le vouloir, mais en ne faisant rien pour l’empêcher, dans la vie facile mais dangereuse que leur offrait Santos, leur oncle, un truand maudit pourtant par ce père.
L’aîné perdra la vie dans une entreprise aventureuse ourdie par cet oncle qui les trahira, une rixe meurtrière d’où Manu, le cadet, sortira en vie mais condamné par une justice qui voyait plus en lui un coupable idéal qu’un véritable assassin qu’il n’était pas. Il fallait que quelqu’un paie pour la vie des victimes, ce serait donc lui qu’on avait choisi. La guillotine trancherait sa vie puisque, à l’époque, cela se faisait encore ainsi. C’est vrai que dans cette après-guerre on était peu sourcilleux sur la présomption d’innocence et bien plus désireux de faire « des exemples »
On entraperçoit le personnage de la mère qui, à travers la recherche d’une improbable martingale, veut retrouver cette richesse qui avait été la leur autrefois et dont elle conservait le souvenir dans quelques photographies un peu jaunies. Malgré tout, là aussi il y a un échec, tempéré sans doute par les paroles d’une cartomancienne qui lui avait prédit la réussite d’un de ses enfants. Pour elle, pas de doute possible, ce sera sa fille, douée pour les arts ! Certes, cette femme incarne la famille face à un père plus occupé ailleurs, elle symbolise sa permanence puisque c’est elle que Joe charge de faire connaître à Manu, maintenant détenu dans le quartier des condamnés à mort, le résultat de ses tractations. C’est que le père a trouvé dans ce nouveau combat qu’il mène dans l’ombre pour la libération de son dernier fils, le vrai sens de sa vie. C’est un peu comme une revanche, un pardon qu’il sollicite, un rachat sans doute… Mais les relations avec son fils sont toujours aussi tendues.
Comme il ne peut lui parler sans que leur incompréhension n’éclate de nouveau, Joe devient un habitué du café qui fait face à la prison de la Santé opportunément appelé « Ici mieux qu’en face. » Il y rencontre les surveillants qui lui donnent des nouvelles de Manu (Rufus est émouvant dans le rôle de ce gardien, marié à une femme aveugle et qui entretient avec les détenus une quasi-sympathie - un condamné à mort propose même de donner ses yeux pour son épouse !) devient presque leur ami. Il y apprend les coutumes de la prison, comme celle de faire laver le couloir du secteur des condamnés à mort quand ce n’est pas le jour réglementaire, ce qui signifie qu’il va y avoir une exécution, ce qui amplifie encore l’angoisse de Joe parce que son fils y est présent et que c’est peut-être son tour !
Il y a même une atmosphère de compassion qui se tisse entre les détenus et ces hommes, obligés de faire leur travail pour ne pas perdre leur emploi, une justice un peu trop prompte à condamner et ce père qui se bat pour la vie de son fils.
On ne prononce pas le mot « maton », au contraire, les détenus respectent ces surveillants qui les gardent mais qui doivent souvent travailler à l’extérieur pour élever leurs enfants, tel cet homme reconnu par un prisonnier repris et qui avait vu un de ces gardiens qui devait, pour survivre et élever Sa nombreuse famille… cirer les chaussures en pleine rue !
Joe œuvrera seul, dans l’ombre et à l’insu de son fils, ira même jusqu’à implorer la pitié des parents des victimes pourtant dans l’attente de l’exécution. Il obtiendra, par avocats et personnalités interposées que le Président Vincent Auriol commue la peine en détention à perpétuité. Il avait probablement dans le cœur ces jardins introuvables, ce père qui n’hésita pas à mettre en gage son bridge en or pour payer les frais d’avocats chargés de trouver un improbable vice de procédure et ainsi faire casser un jugement ou faire reporter la date de l’exécution ou à passer des nuits sous la pluie pour émouvoir une mère et arracher son pardon ! Puis ce seront les remises de peine et toujours ces rendez-vous au café en face de la prison pour y quêter des nouvelles de son fils.
Sous l’impulsion discrète mais obstinée de cet homme enfin dans son rôle de père, un élan de solidarité se crée en faveur de Manu…
Parce que son avocat avait remarqué que Manu tenait un journal et avait un goût pour l’écriture, il lui conseille de relater son séjour en prison. Son roman « Le trou » sera un succès. Dès lors une nouvelle vie commence pour lui et pour son père un espoir possible de libération même s’il reste de plus en plus en marge. C’est lors d’une séance de signature que les gardiens lui révèlent l’action de Joe en sa faveur, ses attentes au café, ses espoirs déçus parfois… C’est une révélation pour Manu qui recherche son père dans l’assistance mais ne le trouve pas. Seul le spectateur voit disparaître sa lourde silhouette poursuivie par ce fils désormais célèbre et libre, mais l’ultime rencontre ne se fait pas, comme un rendez-vous perpétuellement manqué entre ce père et lui ! (Bruno Cremer campe le personnage de Joe avec son talent habituel) Ce combat l’avait tellement épuisé qu’il mourut avant la réhabilitation de ce fils qu’il avait si activement contribué à faire libérer.
Sa vie pouvait dès lors se terminer. Il ne servait plus à rien et c’est sans doute le sens de cet ultime appel de Manu, soudain revenu à la réalité qui va devoir vivre comme avant certes, mais cette fois avec une manière de remords et le sentiment d’une dette imprescriptible envers un homme désormais absent pour toujours. Il lui adresse, en même temps que ce film un pathétique « A Bientôt ! »
Le roman avait su m’émouvoir, le film a ravivé cette émotion qui met en lumière ces relations parfois difficiles entre les membres d’une même famille surtout quand la vie de l’un de ses membres est en jeu. Et qu’il est toujours temps de racheter un manquement, une faute...
NB : a mon avis le film méritait plus de deux 7 à la cote de télé 7 jours.
Diffusion gratuite – correspondance privée.
© Hervé GAUTIER Revenir au début http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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Quelques réflexions personnelles sur l’œuvre de Patricia CORNWELL.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Patricia CORNWELL.
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N° 243–Septembre 2002
Quelques réflexions personnelles sur l’œuvre de Patricia CORNWELL.
Je n’ai pas honte de l’avouer, en ce qui me concerne, la première lecture d’un auteur inconnu se fait souvent à partir d’un amical conseil, d’un article de presse ou tout simplement d’un livre pris, parfois au hasard, sur les rayonnages d’une bibliothèque !
De telles méthodes ont leurs insuffisances et bien souvent leurs limites et si au bout de cinquante pages l’intérêt n’est pas au rendez-vous, j’abandonne.
Je ne sais pas comment le nom de Patricia Cornwell a suscité mon attention, mais ce qui est certain c’est que le roman policier, aussi bien en ce qui concerne l’écriture que la lecture, prend de plus en plus de place dans ma vie et dans mes loisirs… Je ne m’en plains pas !
Au-delà de l’auteur, dont la biographie révèle une réelle réussite d’écrivain et une générosité notable d’autant plus appréciable qu’elle sait rester discrète, pour le progrès de la médecine légale et donc de la justice, il y a les personnages, les histoires…
Tout d’abord je dois dire que ses romans sont servis par une remarquable traduction française, car, s’agissant d’un texte original écrit en américain, il est injuste d’oublier le nom du traducteur (ou de la traductrice) c’est à dire celui qui rend l’ouvrage lisible en français et contribue largement à son succès.
L’héroïne principale, le docteur Kay Scarpetta, d’origine italienne comme son nom l’indique est médecin légiste qui prend d’ailleurs des allures de policiers. La vie du personnage se nourrit des expériences professionnelles et personnelles de l’auteur puisque Patricia Cornwell a été, outre chroniqueur judiciaire, informaticienne à l’institut médico-légal de Richmond (Virginie) où elle noue des liens d’amitié avec le docteur Marcella Fierro, directrice de la morgue, ce qui donnera naissance, sans doute malgré elle, au personnage de Kay Scarpetta. Richmond sera bien entendu le lieu géographique de la plupart de ses romans.
Avec ses collègues, dont l’inséparable capitaine Marino, un peu macho et entretenant avec la bière des liens étroits, elle mène inlassablement ses enquêtes qui l’entraînent parfois à l’autre bout des Etats-Unis.
Ici le rythme est rapide et fascinant à la fois et Kay risque sa vie dans chaque enquête. Elle y perdra même l’homme de sa vie dont la mort continue de l’obséder. Mais elle fait face malgré les chausse-trappes que lui tendent les tueurs désireux de l’éliminer physiquement ainsi que les brimades de sa hiérarchie, le monde macho de la police…
Elle a des relations intimes avec Benton Wesley, un « profileur » du FBI. Elle partage sa vie par intermittente et ses sentiments pour lui montrent combien un auteur peut se révéler dans une de ses œuvres (« Combustion »). Un roman policier n’est pas seulement le récit d’histoires sordides où la mort est présente à chaque page. Dans les cas des œuvres de Patricia Cornwell, j’ai ressentis, personnellement du moins, une forte charge émotionnelle au moment notamment où elle décrit avec moult détails l’atrocité d’un meurtre autant que les différentes sentiments qui habitent Kay Scarpetta quand elle disperse les cendres de son amant sur une plage selon la volonté du défunt. On met toujours un peu de soi dans son écriture et l’œuvre en témoigne !
Pete Marino, omniprésent à ses côtés tel un ange gardien, respectueux cependant de sa vie privée est un peu son double inversé, mais j’aime surtout qu’elle soit cette mère de substitution pour sa nièce, la fragile Lucy, agent du FBI, surdouée, homosexuelle, mais toujours un peu en marge de cette société qu’elle contribue à défendre mais qui la rejette parce qu’elle est une femme œuvrant dans un monde essentiellement masculin.
Il y a deux styles sinon deux manières d’écrire chez Patricia Cornwell. Bien sûr, il n’y a pas de roman policier sans crime et sans atrocités. C’est là le parti pris de l’auteur qui puise largement dans son expérience glanée en médecine légale, mais il ne faut pas oublier que la mort fait partie de la vie et que notre société est aussi composée de criminels, de sadiques, de psychopathes. C’est donc cette face cachée que Patricia Cornwell nous donne à voir… et elle le fait non seulement avec talent mais aussi avec des précisions scientifiques et un goût du détail qui rendent, même pour un non initié comme moi, l’histoire d’autant plus crédible et intéressante.
Il n’en existe pas moins deux séries de personnages-phares : Kay Scarpetta qui vit imprime sa marque dans onze roman. Elle y côtoie Marino, Benton et sa nièce Lucy. A mon avis ce sont de loin les plus intéressants ; puis il y a une seconde série d’où tous ces personnages sont absents. Ce sont les romans les plus récents. Les chefs de la police locale sont des femmes telles Judy Hammer (« L’île aux chiens »-« La griffe du Sud ») ou Virginia West (« La ville des frelons »). Dans cette série émerge un personnage masculin qui sans doute prendra de l’importance dans son œuvre à venir, c’est celui d’Andy Brazil, ex-journaliste de talent devenu policier.
Patricia Cornwell entraîne son lecteur dans une série d’aventures passionnantes qui révèlent autant les bas fonds de la société américaine que la cupidité la cruauté des hommes, quand ils sont des criminels, mais aussi l’humanité des êtres dits « normaux ».
L’auteur est de son temps et l’informatique, inévitable, incontournable de nos jours, tient une grande place dans son œuvre. Internet aussi, évidemment et c’est souvent à cause de ce vecteur que le docteur Scarpetta et ses autres personnages sont entraînés, presque malgré eux dans des enquêtes où le macabre le dispute à l’horreur ! Il est vrai que nous sommes loin des fictions lentes et lénifiantes aux trop heureuses conclusions !
Elle décrit sans complaisance la vie de son temps, de Richmond, cette ville de Virginie qu’on pourrait croire assoupie, mais aussi de cette société américaine, avec ses travers, son quotidien, cette « américan way of life », rêve pour certains, cauchemar pour d’autres, minée par le racisme, la drogue, la corruption, l’omniprésence des armes, le profit, la réussite, la situation centrale des Etats-Unis dans le monde, son goût pour le pouvoir ! Cette société qui a souvent attiré les hommes du monde entier parce que c’est un espace de liberté mais elle masque à peine son autre visage d’insécurité et de violence, d’injustice aussi !
Elle a du se battre pour faire reconnaître son talent et ce n’est pas là la moindre de ses qualités personnelles, même si maintenant on lui rend justice par l’attribution de prix prestigieux tels que le « Edgar Poe Award » ; l’ « Anthony Award », le « Macavity Award », le « Dagger Award ». »
La France, pays de la culture, n’a pas non plus été en reste qui lui a accordé le « Prix du roman d’aventure » (1992) qui récompensait, pour la première fois une Américaine/
Je serai pourtant toujours attentif à cet écrivain dont la notoriété dépasse largement et heureusement les frontières de son pays.
© Hervé GAUTIER. http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
P.-S. Patricia Cornwell a notamment publié « Postmortem » (1992) – « Mémoire mortes » (1993) – « Et il ne restera que poussières… » (1994) – « Une peine d’exception (1994) » - « La séquence des corps » (1995) – « Une mort sans nom » (1996) –« Mort en eaux troubles » (1997) – « Mordoc » (1998) – « Combustion » (1999) – « Cadavre X » (2000) – « Le dossier Benton » (2001) – « La ville des frelons » (1998) – « La griffe du sud » (1999) – « L’île des chiens » ( 2002)
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POUR NE PAS OUBLIER MARJAN.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans MARJAN
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N°213
Novembre 1999
POUR NE PAS OUBLIER MARJAN.
Cela fait plus d’une année qu’il nous a quittés. Dans les revues que je reçois, ses poèmes se font rares, inexistants même. Dans Niort, sa ville qu’il n’a jamais quittée, que reste-il vraiment ? Son nom sur une plaque de rue, une exposition prévue de longue date qui tarde à être organisée et qu’on repousse de plus en plus, son nom qui peu à peu s’efface… Il aimait la vie et se battait contre la mort en une lutte dérisoire que son cœur fatigué rythmait de ses essoufflements. Nous sommes tous mortels, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas grand chose qu’une pensée furtive pour ceux qui ne sont plus mais grâce à la vigilance des vivants, ils ne sont pas tout à fait morts. C’est là un hommage fugace, presque inutile, car chacun a ses préoccupations, dit-on !
Que reste-t-il de lui? Des milliers de poèmes disséminés aux quatre vents des revues qui le publiaient et auxquelles il participait. Le simple fait de voir son nom au sommaire d’une publication française ou étrangère l’enchantait. C’était son côté adolescent qui s’émerveillait de tout, qui croyait tant à la force de l’amitié, qui savait être généreux même si parfois cela laissait place à la déception. Qu’importe, il continuait à écrire, à publier les autres surtout dans une sorte d’incompréhensible action de vulgarisation qu’il tenait sans doute de son ancien métier d’imprimeur.
Il faisait partie de cette grande confrérie des brasseurs de mots, des sculpteurs de vent que sont les poètes. Il était de ceux qui, inlassablement noircissent des pages blanches, pour se prouver sans doute qu’ils existent, pour le craquement de la plume ou le feulement de la mine sur le papier ou assurément pour répondre à cette implacable inspiration qui, lorsque parfois elle trouble leur nuit ou leur tranquillité et qu’ils y répondent transforme quelques instants de leur vie en moments d’exception.
Il était à la fois tout cela et bien davantage encore, parce que l’écriture est pauvre quand il s’agit d’évoquer pleinement un homme tel que lui. Je ne le fais pas uniquement au nom de cette grande amitié qui nous unissait, mais aussi, sans doute, parce que dans ma vie le devoir de mémoire a pris, ces dernières années une dimension personnelle. La mort, il est vrai, marque notre condition humaine de son sceau définitif. De son vivant, il était aussi attentif à la trace laissée par ses amis disparus.
Son humour était une arme contre la mort, et malgré ce combat perdu d’avance, je puis témoigner qu’il l’a bien moquée, comme si tout cela n’était malgré tout qu’une vaste comédie, que notre passage sur terre n’était qu’un moment sans grande importance mais que tout homme a cependant le devoir de marquer le plus honorablement possible et pendant lequel il faut impérativement être soi-même !
Ce dont je voudrais me souvenir aussi, c’est de son combat en faveur des petites gens dont il faisait partie. Il savait toutes les souffrances endurées par les pauvres, par cette classe ouvrière dont il était issu et dont il a si bien parlé. C’était, il est vrai plutôt celle des années 30-40 que celle des 35 heures et de l’informatique, mais il faut lui rendre cet hommage qu’il avait su, lui, se souvenir de ses origines et y avait puisé une grande partie de son inspiration.
Je n’oublierai pas non plus le défenseur des droits de l’homme, de ceux qui sont emprisonnés pour leurs idées. Là aussi était son combat. Il était un humaniste, libertaire, attentif aux autres, en perpétuelle révolte contre la misère et l’injustice. Il ne se rangeait jamais du côté du plus fort.
Depuis plus d’un an, nul ne reçoit plus le Bouc des Deux-Sèvres dont il avait fait revue fétiche. Elle avait des défauts, certes (tout est perfectible en ce monde !), mais elle existait et beaucoup lui rendaient hommage et célébraient le formidable optimisme de son unique et désintéressé animateur. C’est qu’il était seul et s’entendait bien avec lui-même. Il en avait toujours été ainsi au cours de son impressionnant parcours d’éditeur et d’animateur de revues.
Il avait accueilli, surtout au sein des Feuillets Poétiques et Littéraires de nombreux auteurs, des célèbres comme des inconnus et il a été à l’origine de vocations d’écrivains par ses seuls encouragements. C’est que le mot exclusion, surtout quand il s’appliquait à l’écriture et à la créativité des autres ne faisait pas partie de son dictionnaire.
Voilà donc ces quelques mots dérisoires tracés en sa mémoire et confiés à ce réseau internet dont je n’appréhende pas bien les ramifications mais qui justifie encore plus aujourd’hui le nom de cette Feuille Volante.
©Hervé GAUTIER
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Quelques mots sur Camilo-José CELA.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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N° 239 – Avril 2002
Quelques mots sur Camilo-José CELA.
Ce que je veux retenir de cet écrivain espagnol, ce n’est pas sa vie, au demeurant assez peu connue qui s’est déroulée en grande partie sous la dictature franquiste qu’il a, par ailleurs, servie, ce n’est pas son Prix Nobel de littérature non plus, pas sa mort survenue récemment mais peut-être son style découvert à travers deux ouvrages « La famille de Pascal Duarte » mais surtout « La ruche ».
C’est une opinion personnelle et sans doute assez peu partagée, mais il me semble que son style est bien peu espagnol, ou, à tout le moins reflète bien l’époque dans laquelle a vécu CELA. Il me paraît être parfaitement le reflet de cette dictature fasciste qui fut pendant longtemps le quotidien de l’Espagne.
On ne peut, certes pas se limiter à la lecture de deux ouvrages, ma si « La famille de Pascal Duarte » qui relate la vie d’un condamné à mort et évoque avec force la fatalité et le destin qui pèse sur l’homme, « La Ruche » est sans doute son livre le plus important, j’entends par-là le plus révélateur de ce qui fait la spécificité de cet écrivain. Ici, il procède par petites touches, comme un tableau pointilliste ou comme une mosaïque qui finalement fait une grande fresque. Chaque paragraphe est un élément du décor qui, pris isolément est, en quelque sorte sans importance, mais qui, réuni aux autres devient l’élément indivisible d’un tout qui fait le roman. Le style, volontairement plat et sans relief ajoute à cet ambiance.
Nous le savons, l’action de « la ruche » se passe à Madrid en 1942. Elle respecte la classique unité de temps et de lieu. Quant à celle d’action, c’est un peu une impression d’inaction que ressent le lecteur parce que c’est là une somme d’histoires sans importance, mettant en scène des gens sans importance, en apparence du moins. C’est pourtant le quotidien ordinaire qui est ici décrit avec ses bassesses, ses rencontres, ses anecdotes, ses amours et ses fortunes qui se font et se défont, le temps qui passe… C’est au spectacle de la simple condition humaine dans tout ce qu’elle a de plus simple que nous convie l’écrivain à travers la peinture d’une multitude de personnages(L’éditeur remarque qu’ils sont en réalité au nombre de 348, certains sont réels, d’autres imaginaires). C’est pourtant dans le café de Dona Rosa que commence l’ouvrage, cet établissement si prisé des Espagnols qu’il symbolise la cité. Dans la ville grouillent des êtres vivants qui naissent vivent et meurent. Les personnages sont en réalité de « pauvres types » qui regardent passer le temps en sirotant une consommation chez Dona Rosa.
Le temps est en effet le deuxième élément de cette écriture. Il est à la fois fatalité, régularité inexorable et révélateur de la monotonie de l’existence humaine. Que sommes-nous au regard de l’éternité, qu’est notre vie sinon un misérable souffle ? Il passe pour chacun, sinon de la même manière, à tout le moins avec finalement le même rythme, le jour, la nuit et cela recommence, pour tout le monde pareil…
Il peut cependant être dégagé trois idées. C’est tout d’abord un roman collectif, comme l’indique d’ailleurs le titre lui-même, comme si la vie était réduite à sa seule dimension biologique, sans idéal, une sorte d’existence primitive !
La vie est donc inerte, fermée, absurde, étouffante, c’est là la deuxième idée.
La troisième idée est sans doute le sexe. Cela peut paraître étonnant dans cette période, dans ce pays où ce tabou est roi, ou la religion commande tout et le pouvoir politique asservit le peuple, ses aspirations, sa culture. Le sexe ici est à peine évoqué, à travers un mariage arrangé, la prostitué qui se vend pour manger, la jeune fille qui doit rester vierge pour son mari qui sera nécessairement le seul homme officiel de sa vie, mais aussi, à mots couverts l’adultère, le mensonge.
« Ils mentent, ceux qui veulent déguiser la vie à l’aide du masque grimaçant de la littérature » écrit Camilo-José CELA dans une note lors de la première édition tout en laissant au lecteur le soin d’apposer sur son livre l’étiquette qu’il jugera bon.
Dans une deuxième note publiée quatre ans après, il précise que « La Ruche » est un cri dans le désert, ce cri n’est pas tellement strident ni trop déchirant ».
Camilo-José CELA n’est pas l’égal en littérature d’un Garcia-Lorca, d’un Unamuno, d’un Antonio Marchado, ou d’un José Ortega y Gasset. La guerre civile et l’exil avaient anéanti les grands intellectuels de ce pays. C’était bien un désert culturel qui y régnait et le mérite de Camilo-José CELA est de s’être fait l’écho de cet « existentialisme noire » qui avait cours, alors en Espagne. Pour ma part, je choisis d’y voir une peinture sinon pessimiste à tout le moins réaliste de la vie à cette époque.
Il n’est cependant pas inutile de rappeler que, photographie de la société de ce temps, ce livre n’a pu être édité en Espagne, à tout le moins au début. La première édition fut argentine, la deuxième mexicaine. C’était peut-être là le signe d’une société qui ne voulait pas voir ses réalités en face !
©Hervé GAUTIERhttp://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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LE MONSTRE – Gaston Cherau -Geste Editions.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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N°282 – Octobre 2007
LE MONSTRE – Gaston Cherau -Geste Editions.
C'est un récit peu connu d'un écrivain injustement oublié que je viens de lire.
Dire que Gaston Cherau est « le puisatier de l'âme » comme l'écrit excellemment le préfacier est une évidence qui ira se dévoilant tout au long de cette nouvelle comme d'ailleurs dans toute son œuvre et dans toute cette carrière d'écrivain à laquelle il semblait voué de toute éternité.
L'auteur nous livre donc cette histoire pas si simple que cela, « avec recueillement... sans rechercher à expliquer les actes... sans essayer d'en tirer des enseignements ». Peut-être, mais il s'est fait ici non pas tant le témoin d'un fait de société rurale d'un autre âge, mais, à mon sens, le narrateur plein de compassion devant une réaction inhumaine qui est pourtant le fait d'êtres humains. L'homme vivant en société est prompt à jeter l'anathème sur tout ce qui n'est pas normal, c'est à dire conforme à ce qui se fait, aux bonnes mœurs, à la morale, à la loi, à la bienséance. Cette assemblée a érigé des coutumes, mais aussi des non-dits, des hypocrisies, des tolérances... La vie en commun impose ses entraves à la liberté individuelle qui en génère une autre, plus collective et dont tout le monde profite: l'ordre social. Mais là, il ne s'agit pas de cela. C'est tout bonnement l'histoire d'un enfant, François, qui paie pour une faute qu'il n'a pas commise, qu'on a déclaré pour cela et pour cela seulement, exclu du groupe, et donc d'une certaine façon qu'on considère comme « maudit ». Devant cet oukase, il ne peut que s'incliner, se créer un monde à lui, solitaire. Les réactions grégaires font le reste. On y rajoute un peu de méchanceté, un peu de haine aveugle, un peu d'incompréhension et de volonté de chacun d'apporter sa pierre à cet édifice patiemment édifié et qu'il faudrait pourtant jeter à bas.
Cette lecture est pleine d'enseignements d'autant qu'elle est livrée telle quelle, sans commentaire. C'est une invitation, par delà les faits relatés, à observer autour de nous, car Gaston Cherau fut non seulement le peintre de la société de son temps, paysanne ou citadine, mais aussi celui de la condition humaine. Il s'agit ici d'évoquer le désarroi d'un être que tous rejettent sans qu'il lui soit jamais possible de racheter une faute qui n'est pas sienne et qui lui est constamment reprochée. Je choisis d'y voir l'image de la « tâche originelle » dont notre notre éducation judéo-chrétienne est si friande, une sorte de culpabilité qu'on ne comprend pas bien, mais dont on nous rebat constamment les oreilles, comme s'il convenait de nous faire admettre cela comme une évidence inhérente à notre condition d'homme et qui doit constamment demeurer présente à notre esprit, pour mieux asservir notre volonté. Chacun se croit obligé, par sa malveillance, de lui faire payer ce qu'il considère comme une tare. Toute sa vie, ce François sera relégué au second plan, comme s'il n'existait pas, ne trouvant d'amour que chez sa mère, elle-même mise à l'écart par les siens et qui poussera à l'extrême cet attachement pour son fils.
Il y a l'épisode de la mare, le refus de la mère, également victime, de se donner la mort, malgré la nouvelle malédiction qui pèse sur elle et qui n'est pas sans rappeler la première. Elle veut quand même, et malgré tout, rester en vie parce qu'elle est le seul rempart pour protéger son fils. François se met à sa recherche jusqu'au fond de ce cloaque parce qu'il est uni à elle non seulement par cet amour charnel qu'il ne peut connaître avec d'autres femmes mais aussi parce qu'ils partagent le même destin funeste.
J'observe aussi que ce François est mis au monde dans une étable, par une mère qui accouche seule, comme ce fut le cas pour le Christ. Je note aussi l'attitude du curé qui, certes n'a pu avaliser un avortement ou un infanticide, donne quand même au nouveau-né le sacrement de baptême, mais en catimini, comme si Dieu lui-même se mettait de la partie.
Et puis, il y a l'épilogue, la fuite, avec pour seule boussole le hasard, avec l'issue fatale qu'on suppose. Cette mort qui fait parti de la condition humaine revient souvent dans l'œuvre de Gaston Cherau.
Y a-t-il quelque chose de Cherau dans cette nouvelle? Indubitablement oui. Les relations difficiles qu'il a eues avec son père, le mal-être qui en est résulté, sa décision de devenir fonctionnaire des Contributions Directes et avec elle le départ de ce Poitou, alors qu'il était probablement destiné à reprendre la direction de l'industrie familiale, la figure de la mère aimante qui est ici célébrée...
Cherau est également un magnifique écrivain, un créateur talentueux qui, avec des mots simples mais choisis, évoque pour son lecteur, paysages et situations. La scène électrique de la grange par temps d'orage, l'odeur de la balle pendant les battages, l'accouchement solitaire aux petites heures de l'aube mais aussi la quiétude retrouvée qui baignait la ferme du Chebroux après le départ de ceux qu'on aurait voulu ne jamais avoir connus.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2007.
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QUELQUES MOTS SUR GASTON CHERAU [1872-1937].
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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N°280 – Septembre 2007
QUELQUES MOTS SUR GASTON CHERAU [1872-1937].
Il est des écrivains injustement oubliés que le hasard, par le biais de publications ou d'études pertinentes, fait découvrir aux lecteurs curieux. Gaston Cherau est de ceux-là. Le résumer en quelques mots tient de la gageure. Chantre de la province ou plutôt de deux provinces, le Poitou et le Berry [Champi-Tortu, Valentine Pacquault, le flambeau des Riffault]qu'il connut grâce à ses origines familiales, mais aussi des rivages atlantiques [La saison balnéaire de M. Thébault, Le Vent du destin], il le fut sans conteste, tout comme il fut celui de la nature[Le grelet de Marius, L'ombre du Maître, La maison de Patrice Perrier]. Bien que citadin, il ne goûta guère les villes de province, leur décor et surtout leurs habitants qu'il vilipenda. Il resta ancré dans cette terre nourricière de son œuvre dont l'eau est puisée à la source de l'enfance.
Il eut le courage de quitter un emploi sûr de fonctionnaire qui ne convenait ni à son talent littéraire ni à ses aspirations pour embrasser celui, plus risqué, de vivre de sa plume. Il fut donc journaliste, conférencier, chroniqueur, écrivain... Ce n'est pas là la moindre de ses qualités mais bien lui en prit et la notoriété vint heureusement couronner une œuvre aux multiples facettes, riche, mais malheureusement inachevée.
Certaines des ses œuvres sont empruntes d'un humour où parfois venait s'insinuer quelques diatribes comme, dans « Monseigneur voyage »[un roman délicieusement anticlérical et délicatement iconoclaste], qu'il qualifia lui-même de « péché de jeunesse » mais qu'il ne renia pas. Il fut cependant un extraordinaire témoin de son temps, peignant à l'envi la société des hommes dans laquelle il vivait. Il fut le contempteur amusé des travers humains[Les grandes époques de M. Thebault,La saison balnéaire de M. Thébault ] Il savait être à la fois critique de la société des villes[Champi-Tortu, Valentine Pacquault] et de celle des campagnes[Le flambeau des Riffault]. ll fut un écrivain qui a su analyser la psychologie de ses personnages, leur prêter plus qu'une vie littéraire[la prison de verre]. Pourtant, c'est de la condition humaine qu'il fut le témoin. Son oeuvre en est le miroir sans concessions. Parmi l'activité dévolue aux hommes dans la société dans laquelle ils vivaient, la politique était un apanage masculin. Dans « L'enfant du pays », il exprime clairement son mépris pour ce milieu.
La société qu'il avait choisi d'observer et de peindre est faite d'hommes, mais aussi de femmes. Gaston Cherau, qui fut « ce brillant analyste » du cœur féminin n'oublia pas ces dernières qu'il évoque à travers un panel de personnages, de la domestique à la femme mariée à qui il réserve un rôle plus particulièrement quotidien et ménager mais aussi dévolu à l'éducation des enfants, à la transmission de la vie et à qui la religion servait bien souvent de refuge. Il fut, là aussi, le témoin de son époque. A travers différentes figures, il leur prêta même une sorte de folie destructrice [Le grelet de Marius, le vent des destin] mais su aussi aborder le thème difficile à son époque de la sexualité[ Valentine Pacquault,la prison de verre,La maison de Patrice Perrier].
Il sut aussi cultiver l'amitié, celle qui n'est ni oublieuse ni intéressée. Quand il fut académicien Goncourt, il milita pour la reconnaissance de jeunes talents et Ernest Perrochon, alors peu connu, obtint le prestigieux prix littéraire grâce notamment à son appui discret. Il favorisa l'élection à cette académie de Georges Courteline et de Roland Dorgeles et plus tard, comme directeur littérraire aux éditions Ferenczi, il attira Colette et Maurice Genevoix. Lors d'une recontre impromptue avec ce dernier, alors presque inconnu, Gaston Cherau décida spontanément de retarder la publication de son roman « Celui du bois Jacqueline », de la même inspiration et empruntant le même décor solognot que « Raboliot » alors à l'état de manuscrit, de Genevoix. Il souhaitait en effet que sa notoriété ne fît pas de l'ombre à ce jeune auteur dont il appréciait l'oeuvre naissante. Nous étions en 1925 et Maurice Genevoix obtint, cette année-la, le Prix Goncourt pour son roman.
Écrire! On oublie un peu vite que cela ne consiste pas seulement à aligner des mots qui font des phrases, des chapitres et des livres. Gaston Cherau est de ces écrivains qui rappellent par leur style même qu'écrire c'est susciter cette délicate alchimie au terme de laquelle il se produit chez l'auteur quelque chose où le travail le dispute à l'inspiration et chez le lecteur un intérêt pour le récit, pour la manière dont il est relaté et qui le pousse à lire, jusqu'à la fin! Cette même chose, à la fois simple et compliquée, et somme toute assez incompréhensible, Gaston Cherau l'exprime à sa manière « Avec deux mots placés au bon endroit...tout prendra aussitôt de la vie. On se trouvera là où l' écrivain aura voulu vous faire venir et l'on ne sera pas comme spectateur-on y sera comme un acteur même du drame ou de la comédie ». Comme chez bien d'autres écrivains de son époque, je retiens de lui ce ciseleur de la phrase, cet artisan du verbe qui savait si bien, par l'usage qu'il en faisait, servir notre si belle langue française!
Je n'ai pas l'intention de me livrer à une exégèse de l'œuvre de Gaston Cherau. D'autres l'ont fait mieux que je ne saurais le faire, mais ce que je souhaite garder de lui, c'est certes l'image d'un écrivain capable d'intéresser et d'émouvoir son lecteur, mais il n'y a pas que cela. A l' heure où l'homme n'est plus qu'un numéro dans une société qui lui demande essentiellement d'être performant, rentable et parfois l'incite largement à la délation et à l'élimination de ses semblables devenus concurrents, je veux retenir de lui l'empreinte de l'humaniste pétri d'humanité et de modestie, en un mot quelqu'un de bien. Un critique contemporain [Serge Barraux] ne s'y est d'ailleurs pas trompé disant de lui qu'il a été « dédaigneux de toutes réclames parce qu'il trouvait dans la noblesse de son art les hautes satisfactions dont peu savent se contenter au pays des Lettres »
© Hervé GAUTIER - Septembre 2007.
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VIVRE POUR LA RACONTER - Gabriel Garcia MÁRQUEZ-Editions Grasset.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Gabriel Garcia Màrquez
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N°263 - Novembre 2006
VIVRE POUR LA RACONTER – Gabriel Garcίa MÁRQUEZ– Editions Grasset.
(traduit de l’espagnol par Annie Morvan)
J’ai déjà écrit dans cette chronique à plusieurs reprises combien j’apprécie l’écriture de Gabriel Garcia Marquez. Je n’ai aucune mérite puisque son talent a été largement récompensé, mais quand même ! Jusque là, il était un romancier dont je célébrais les qualités et notamment celles qui consistaient à débuter son texte par une première phrase apparemment anodine et, à partir de celle-ci, de dérouler toute une fiction de plusieurs centaines de pages pour la plus grande joie de son lecteur passionné, déçu simplement par le mot « fin ». Ici, c’est la même chose et ce qui débute le récit « Ma mère me demanda de l’accompagner pour vendre la maison » vous entraîne pendant six cents pages sans que l’ennui ne s’insinue dans votre lecture. Pourtant ce n’est pas exactement un roman, plutôt une autobiographie, comme l’indique le titre, encore qu’avec lui, il faille se méfier, puisque tout est prétexte à l’écriture et que l’exercice dans lequel il excelle est, avant tout, de raconter une histoire, fût-ce celle de sa propre vie !
A partir d’un voyage effectué avec sa mère dans le but hypothétique de la vente de la maison de son enfance, ses souvenirs remontent de la terre natale comme l’eau d’une source. C’est aussi l’occasion pour lui de nous indiquer qu’à cette époque de sa vie il était étudiant, puis journaliste « dans un hebdomadaire indépendant et à l’avenir incertain », de nous faire découvrir avec quelque effroi, le parcours initiatique qui fut le sien sur le chemin de ce merveilleux état qui, à défaut d’être un métier, est sans doute la plus extraordinaire des raisons de justifier son passage sur terre : être écrivain !
Il est rassurant de lire sous sa plume des conseils qu’on lui donna et qu’il n’oublia pas de mettre en pratique, de « continuer à écrire, ne fût-ce que pour [sa] santé mentale » et de « ne jamais montrer à personne le brouillon qu’[il] est entrain d’écrire »
Pour le plaisir de son lecteur, il remonte le moindre rameau de son arbre généalogique en révélant tous les travers de cette société quelque peu clanique, à la fois intolérante et pétrie de principes surannés, avec un sens de la formule qui n’appartient qu’à lui « Ce préjugé atavique, dont les séquelles subsistent encore aujourd’hui, a fait de nous une vaste fratrie composée de vieilles filles et d’hommes débraguettés avec toute une ribambelle d’enfants semés dans les rues ». Il nous invite à parcourir les arcanes de ces histoires intimes où les enfants légitimes côtoient les bâtards, où les amours tumultueuses et passionnées de ses parents le disputent aux querelles d’honneur, aux improbables aveux et aux rebondissements inattendus dans un contexte de principes moraux, d’interdits religieux et de retournements de fortune !
Dans cette quête de souvenirs, les fantasmes font bien souvent place à la réalité idyllique, parce que, chez lui aussi la mémoire enjolive les moindres faits, les sublime et y instille un arrière-goût de nostalgie. Il nous invite avec un humour consommé, à parcourir cette enfance, à la fois dissipée et innocente, rapidement désabusée et pourtant amusée, à l’image de l’enfant qu’il était et qui ouvrait sur le monde ses grands yeux étonnés, comme le montre la photo de la couverture. Elle s’est déroulée sous l’égide, sinon sous la bienveillance complice, de son grand-père, ex-colonel dans l’armée révolutionnaire, d’une mère aimante et généreuse, d’un père éternel rêveur un peu volage, de la pauvreté, de la chance … L’auteur y déroule avec humour une vie où son histoire personnelle, faite de lectures, de femmes, d’alcool, d’amitiés, de rencontres dans des bars, des bordels, des salles de rédaction, se confond parfois avec celle de son propre pays. Ce livre montre à quel point sa propre existence nourrit une œuvre littéraire hors du commun.
Lire un livre de Gabriel Garcia Marques c’est tout simplement passer un moment merveilleux et j’appliquerai volontiers à cet ouvrage la remarque qu’il fait lui-même « Je n’ai jamais oublié qu’on ne devait lire que les livres qui nous obligent à les relire ».
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DOUZE CONTES VAGABONDS - GABRIEL GARCIA MARQUEZ - GRASSET.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Gabriel Garcia Màrquez
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N°269 – Février 2007
DOUZE CONTES VAGABONDS – GABRIEL GARCIA MARQUEZ – GRASSET.
De ces douze contes vagabonds, je ne dirai rien, sinon qu'ils sont à l'image des textes que Marquez écrits avec un talent et un humour qui ne se démentent pas et qui tiennent en haleine le lecteur dont la curiosité demeure en éveil, de la première à la dernière ligne. Son écriture jubilatoire m'a toujours enchanté. Depuis sa création, cette chronique s'est d'ailleurs fait l'écho de l'œuvre du Prix Nobel, et ce n'est pas maintenant que je vais changer d'avis! Je noterai quand même que beaucoup de ses contes se terminent par la mort ou l'évoquent, mais celle-ci n'est pas triste, n'inspire pas la crainte et n'est pas tabou comme en occident. Au Mexique où vit l'auteur, la mort est joyeuse, elle est une fête lorsque les disparus reviennent visiter les vivants qui leur font fête et célèbrent ainsi leur mémoire. Ils accompagnent les hommes au quotidien...
On lit rarement les prologues. Celui-ci est intéressant. L'auteur y évoque le processus de l'écriture, au vrai, une véritable alchimie avec ses biffures, ses ratures, ses épluchures de gomme, ses hésitations, ses archivages minutieux, ses incertitudes d'avenir... Il parle aussi du plaisir d'écrire, car c'en est un, malgré l'impérieuse nécessité de la correction, l'implacable dictature de l'inspiration, la disponibilité obligatoire de l'auteur devenu son esclave volontaire, la nécessité du travail toujours recommencé“[au]plaisir d'écrire, le plus intime et le plus solitaire qui soit, et si l'on ne passe pas le restant de ses jours à corriger le livre c'est parce qu'il faut s'imposer, pour le terminer, la même implacable rigueur que pour le commencer”. Il rappelle lui-même, comme une sorte de consolation “qu'on apprécie un bon écrivain à ce qu'il déchire plus qu'à ce qu'il publie”. Et lui de parler de l'incessant vagabondage de ces contes “entre [son] bureau et sa corbeille”, soulignant ses doutes, ses renoncements, son travail toujours recommencé. Son recueil tire de là son titre, sans doute?
Dans ce contexte du temps qui passe, de la mémoire qu'un écrit conserve des lieux et des personnages évoqués alors que l'auteur lui-même en est oublieux, Marquez note “Les souvenirs réels me paraissaient des fantômes de la mémoire tandis que les faux souvenirs étaient si convaincants qu'ils avaient supplanté la réalité. Si bien qu'il m'était impossible de discerner la frontière entre la désillusion et la nostalgie”. Remettre sur le métier un texte en se disant qu'il sera meilleur plus tard, cela joue des tours et il note non sans humour “ Je n'ai jamais relu aucun de mes livres par crainte de me repentir de les avoir écrits”. C'est que, il l'avoue lui-même, les douze contes qui composent ce recueil ont été écrits au long de dix huit années. Certains ont connu des fortune diverses, mais Marquez insiste, ne serait-ce, dit-il, qu'à l'usage des enfants qui veulent devenir écrivains,”Qu'ils sachent...combien le vice de l'écriture est insatiable et abrasif”. Dont acte, car il sait de quoi il parle!
Les idées viennent au créateur par des voies détournées et souvent inattendues, à travers le voyage ou l'immobilité, l'éveil ou le songe, mais ce qu'il sait en revanche, et il est le seul à le savoir, c'est qu'il ne doit pas les laisser s'évanouir dans l'oubli, il doit obligatoirement les travailler, les exploiter, les faire grandir... Et ce d'autant plus qu'elles lui ont été offertes gracieusement, mais en même temps avec la conviction intime qu'il est en quelque sorte le débiteur de cette voix mystérieuse que d'aucuns habillent de divinité, mais à la disposition de laquelle il doit se mettre sans même discuter, sous peine de n'en être plus jamais le sujet... Abandonner une bonne idée peut être un signe d'humilité, mais la prudence oblige parfois à l'archivage. On ne sait jamais! C'est vrai que l'écrivain, si célèbre soit-il, se doit d'être humble devant le phénomène même de l'écriture. Il n'ignore pas, en effet, qu'il reste totalement dépendant de cette vibration extraordinaire dont il a fait son métier, et ce malgré toute sa culture, tout son travail, toute son expérience et toute sa sensibilité... Même pour l' écrivain, l'écriture reste un mystère! L'état d' écrivain a ses grandeurs, mais aussi ses servitudes!
L'auteur est aussi un témoin, non seulement de sa propre personnalité, de son propre talent, mais aussi, et peut-être surtout, de son temps, du peuple dont il fait partie, de la culture qu'il incarne, de la condition humaine.
Ces contes procurent un moment unique de lecture, mais j'apprécie aussi la préface, elle rappelle des vérités sur le matériau même du livre, l'écriture!
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QUELQUES MOTS SUR GABRIEL GARCIA MARQUEZ [à travers trois livres]
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Gabriel Garcia Màrquez
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N°298– Avril 2008
QUELQUES MOTS SUR GABRIEL GARCIA MARQUEZ [à travers trois livres]
Je ne sais pas ce qui motive cette lecture effrénée de Marquez, sans doute l'inflation de ce qui se publie actuellement qui n'implique malheureusement pas la qualité de l'écriture et qui m'entraîne insensiblement à lire et à relire les bons auteurs, en tout cas ceux qui ont la particularité de m'étonner. Marquez est de ceux-là et les lecteurs de cette chronique savent l'intérêt jamais démenti que je lui porte. Il est un des rares qui peut raconter une histoire à partir de trois mots anodins en apparence mais qui captive son lecteur pendant plusieurs centaines de pages sans que l'ennui s'insinue dans la lecture. Le seul nom de Marquez retient mon attention. Plus sans doute que les autres auteurs, il s'empare de la réalité, que cela soit de sa propre vie ou de l'histoire, se l'approprie et en fait une fiction merveilleuse.
Par exemple « Pas de lettre pour le colonel »[Editions Grasset] raconte l'histoire, sur fond de misère et d'improbables tribulations autour d'un coq de combat, d'un ancien combattant péruvien, colonel à 20 ans, qui attend désespérément, depuis de trop nombreuses années une pension d'ancien combattant qui ne viendra jamais, à cause du perpétuel changement de gouvernement, des restrictions budgétaires et surtout de l'oubli général...
Dans le style du journaliste qu'il a été, Marquez évoque dans « Journal d'un enlèvement »[Editions Grasset] cette période délétère de l'histoire de la Colombie émaillée d'enlèvements, d'assassinats politiques, de terrorisme, d'attentats, de guerrilla, de corruption sur fonds de lutte contre les narco-trafiquants du cartel de Medellin, les complexités du pouvoir politique, des descentes meurtrières de police. Ce n'est pas à proprement parler un livre dans le droit fil des romans quelque peu baroques de Marquez. Ici, le registre est plus sobre pour évoquer l'angoisse, les espoirs des otages et de leurs familles. Ce livre pourtant publié en 1997 est malheureusement d'actualité puisqu'il évoque une triste habitude de la Colombie de pratiquer l'enlèvement.
Avec « Le général dans son labyrinthe »[Editions Grasset] , je note que ce roman est dédié à Alvaro Mutis dont il a été longuement question dans cette chronique depuis sa création.] Marquez renoue avec son style teinté d'humour subtil que des formules laconiques soulignent à l'envi. Mêlant fiction et réalité, Il s'empare du personnage à ce moment précis et narre le dernier voyage du général Bolivar, héros de l'Amérique Andine, qui ayant quitté le pouvoir, part pour un exil sans retour et renoue avec ses souvenirs guerriers et glorieux, avec celui des femmes qui partagèrent fugacement sa vie. Il jette un regard désabusé sur ce que fut sa vie, mais aussi sur l'ingratitude de ses contemporains et sur la condition humaine, le sens de cette vie qui s'achève.. C'est que, après tant d'année à guerroyer contre les Espagnols, il entame, en compagnie de son hamac et de son fidèle serviteur, son dernier voyage, celui qui le conduira à la mort. C'est un récit à la fois émouvant et épique des quatorze derniers jours d' « El Liberador » qui voyait ainsi s'achever cette vie labyrinthique qui aurait pu être celle d'un paisible propriétaire mais que le destin a fait basculer. J'y vois l'hommage d'un Colombien illustre à un compatriote qui ne l'est pas moins.
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Deux écrivains sud américains – Gabriel Garcia MARQUES – Alvaro MUTIS
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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Je ferai à peu près la même remarque à propos de l’excellent roman d’Alvaro Mutis « Un bel morir » (GRASSET) qui retrace la vie aventureuse de Maqroll El Gaviero avec un art consommé de la narration.
Ce personnage qui mène une existence folle et amoureuse sur tous les endroits malfamés du globe a tous les attributs du marin qu’il est. Pourquoi cependant est-il venu se perdre dans ce coin de la Cordillères et est-il devenu le complice un peu involontaire de trafiquants d’armes ? Pourquoi est-il innocenté par un militaire et va-t-il mourir dans les marais à la barre d’une mauvaise embarcation, un peu comme quelqu’un qui choisir de mettre un terme à un voyage trop long et fatigant, aux confins de la terre et des eaux, où on ne distingue pas vraiment l’un de l’autre.
Il a donc posé son sac d’aventurier avec le souvenir de toutes les femmes qu’il a aimées.
Il est de la race des héros mythiques qui n’en finissent pas de mourir et de ressusciter (n’a-t-il pas deux noms ?) et que personne, surtout pas l’auteur lui-même, ne peut ni ne doit tuer, même d’un coup de plume !.
© Hervé GAUTIER.
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Deux écrivains sud américains – Gabriel Garcia MARQUES – Alvaro MUTIS
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Gabriel Garcia Màrquez
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N°75
Août 1991
Deux écrivains sud américains – Gabriel Garcia MARQUES – Alvaro MUTIS
Je n’ai vraiment aucun mérite à conseiller la lecture de « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marques.
On ne se lassera pas de lire ce roman où le style n’a d’égal que les invraisemblables mais passionnantes aventures qu’il raconte. J’avoue, comme à chaque fois que j’ouvre un de ses livres que je prends le même plaisir à goûter son exceptionnel talent qui accapare le lecteur dès la première phrase et l’abandonne, un peu désorienté à la dernière en l’ayant entraîné dans un autre univers où le temps semble battre à un rythme différent du nôtre et où le destin des acteurs de cette grande épopée se déroule dans un microcosme à l’abri du reste du monde.
Dans cette saga où les personnages paraissent vivre à la dérive dans une marginalité délirante, le quotidien le dispute au merveilleux avec toujours cette verve poétique si attachante.
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L'OGRE - Jacques CHESSEX - Grasset [Prix Goncourt 1973]
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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N°320– Novembre 2008
L'OGRE – Jacques CHESSEX – Grasset [Prix Goncourt 1973]
Automne 1972, Jean Calmet, la quarantaine, célibataire, professeur de latin au lycée de Lausanne assiste, en compagnie de ses frères et sœurs et de sa mère, aux obsèques de son père, « le Docteur » Paul Calmet. C'était une force de la nature, aimant son travail, le vin, les servantes d'auberge et allant même jusqu'à dépuceler la jeune fille que son fils courtisait avec une gauche tendresse. Un « personnage » mais surtout le type même du tyran familial! Devant lui chacun a réagi à sa manière. La mère qui a vécu dans son ombre, soumise effacée et veule. La vie de Jean « aurait été une autre vie si elle s'était révoltée ». Il lui en veut de son attitude démissionnaire. Elle n'a été toute sa vie, face à ce mari abusif «[qu'] une espèce de vielle souris effacée et terrifiée ».Ses frères Étienne, l'ingénieur agronome avait fui cette famille et Simon, l'instituteur « le préféré de [la] mère » s'intéressait aux oiseaux, Hélène était devenu infirmière et Anne courait le monde et changeait souvent d'amants. Face à eux Jean, le cadet, avait choisi l'enseignement du latin. Il est un professeur aimé de ses élèves. Ils avaient tous quitté cette famille assassine, mais lui était resté, sans oser réagir, à la disposition de ce père qui l'avait tué à petit feu.
De cet homme craint, aimé bizarrement, admiré, mais surtout honni, il ne reste plus que des cendres enfermées dans une urne que la famille va aller déposer dans un columbarium. Jean n'a pas tué son père comme il l'aurait voulu, mais ce dernier n'est plus rien. Le temps paraît suspendu et chaque instant consacré au choix des gestes est relaté avec une lenteur maladive et obsédante, noyé dans un faux chagrin de circonstance. Le mouvement qui présidait à l'action paternelle quotidienne trouve son « double-opposé » dans la description minutieuse de toutes des phases de la cérémonie! Il y a l'absence du père et avec elle une sorte de libération. Tout va enfin devenir possible, les réconciliations, les retrouvailles, tout ce temps perdu qu'on va enfin pouvoir gommer! La vie, en effet, continue, comme on dit, et avec elle le temps qui s'écoule, la beauté des femmes, la nature qui renaît, les cours qui reprennent. L'auteur distille cette certitude à travers des descriptions poétiques, lumière et émotions, ombres et images douces, amours volées avec cette « fille aux chat », nom donné par lui à cette jeune fille, étudiante aux Beaux-Arts, dont il devient l'amant maladroit et impuissant et qui le plongea tout de suite « dans la joie mystérieuse et folle de Dionysos ». Cette image pose question par l'interprétation que le lecteur peut en donner. Ce n'est pas ici le Bacchus latin, dieu du vin de la vigne et de ses excès, mais le dieu grec, errant, de nulle part et de partout, né « de la cuisse de Jupiter [Zeus]» qui avait une place importante dans le rituel de la mort et de la renaissance. Il était lui, Jean Calmet, le fils modeste et égaré de ce Zeus tout-puissant, fils de son père, fils du « docteur »...
L'épisode du café où Jean sort de ses gonds dans le seul espoir d'exorciser la présence latente de ce père mort qui pourtant l'obsède toujours, le dévore, est révélatrice. Même les exercices érotiques de Thérèse, sa partenaire ne suffisent pas à le guérir de ses obsessions! Il ne trouve son plaisir que dans la masturbation solitaire! L'entrevue chez le Directeur Grapp n'arrange rien. Il est un peu le substitut de son géniteur envahissant dont il évoque d'ailleurs la figure et qui lui parle comme un père! Pourtant il se réfugie auprès d'une prostituée, cette Pernette- Denise, elle -même porteuse de l'image du père, « féminin de Dionysos, la sœur, la fille, la compagne exaltée du divin! ». Cette substitution du Directeur prend toute sa mesure lors de la révolte des élèves qui révèle encore une fois la figure de Grapp, autoritaire, dominateur, colérique, comme le docteur Paul Calmet!
Pourtant l'ombre tutélaire du géniteur continue à planer sur Jean. Sa vie entière lui revient à la figure, cette vie torturée par ce père qui n'a même pas respecté ses envies gauches d'adolescent, qui n'a pas su comprendre ses interrogations et ses craintes de l'avenir, qui l'a humilié. Loin de constituer une libération, la mort du père accentue au contraire l'emprise malsaine qu'il avait sur Jean. Son pouvoir s'aggrave au point d'être plus présent, plus dévorant que lorsqu'il était vivant. Il redevient cet « ogre » qu'il n'a jamais cessé d'être. Cette mort est comme un nouveau rendez-vous où ce père, plus présent qu'avant qui a toujours fagocité l'existence même de ce fils. A chaque instant de la vie de Jean, son père a été présent au mois en pensées, au point qu'il a annihilé chez ce fils toute la joie qu'il pouvait tirer de son quotidien. Que ce soit ses amours avec cette étudiante des Beaux-Arts, Thérèse, qui pourrait être sa fille, la maladie et la mort d'une de ses élèves, la rencontre fortuite d'un hérisson un soir d'été, ou la cérémonie prémonitoire du rasage, tout cela semble enveloppé par le regard du père omniprésent.
A l'occasion d'une rencontre et d'un dialogue un peu surréalistes avec un chat, Jean prend conscience de sa propre mort, de son néant. L'auteur nous dit qu'il prend malgré tout conscience de son inexistence personnelle, de son défaut d'appétit de la vie et ce malgré la disparition de ce père enfin mort. Cette remarque est particulièrement affirmée dans l'épisode sans joie qu'il vit avec la prostituée.
La jalousie que Jean ressent à la liaison de Thérèse et d'un de ses élèves ne suffit pas à le faire changer face à la vie, bien au contraire. Il revit, en quelque sorte et mutatis mutandis, l'échec qu'il a eu au temps de son adolescence avec cette jeune fille qui lui préféra son père. Cette relation révèle son impuissance et souligne encore davantage sa volonté de se sous-estimer, de se rabaisser à ses propres yeux. Il est l'archétype de celui qui ne s'aime pas! Sa mère elle-même ne peut rien face à son mal de vivre.
Les femmes apparaissent comme pouvant être l'antidote à cette omniprésence du père mort mais finalement se révèlent incapables, même par l'amour qu'elles veulent lui donner, ou par leur seule présence, d'exorciser cette absence de goût pour la vie! « Je suis donc fait pour souffrir » se répète-t-il comme en se complaisant dans cette affirmation, craignant peut-être que son père ne revienne pour l'anéantir tout à fait!
Il ne peut effectivement plus réagir même face au manipulateur nazi auquel il ne peut même pas résister au point d'insulter son ami juif. Lâcheté ou désespérance, signe de décrépitude? Il se sent peu à peu happé par la mort sans pouvoir ou sans vouloir y résister, un peu comme si ce père décédé pesait encore sur son fils
Comme j'ai eu souvent l'occasion de l'écrire dans cette chronique, la valeur d'un livre ne réside pas dans sa récente publication ni même dans les prix et distinctions qui lui ont été attribués. Seule la permanence du message qu'il renferme m'intéresse.
Hervé GAUTIER – Novembre 2008.http://hervegautier.e-monsite.com
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RECIT D’UN NAUFRAGE – Gabriel Garcia MARQUEZ – Editions Grasset.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Gabriel Garcia Màrquez
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N°158
Juin 1993
RECIT D’UN NAUFRAGE – Gabriel Garcia MARQUEZ – Editions Grasset.
Il s’agit d’une histoire contée par un marin, un de ces hommes en perpétuelle errance qui ont choisi la mer pour fuir ou chercher quelque chose sans trop savoir ce que c’est.
Le décor : la mer des Caraïbes qui a vu tant de navires disparaître et où le mystère s’épaissit à chaque naufrage.
Le récit : après l’accident d’un destroyer de la Marine colombienne, l’histoire d’un homme qui se débat et survit sur un radeau à la faim, à la soif, à la peur, aux hallucinations, avec l’espoir de croiser un avion ou un bateau.
Comme je l’ai déjà dit dans cette chronique, Gabriel Garcia MARQUEZ est un de ces écrivains qui prennent et passionnent leur lecteur dès la première ligne et ne l’abandonnent qu’à la fin du roman, grisé de dépaysement et toujours un peu déçu que le récit soit déjà terminé.
En outre, il est de ces écrivains sud-américains dont le style possède cette musique, cette odeur, et cette chose intraduisible qui fait dire au lecteur qu’il a passionnément aimé un livre.
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ET SI C'ÉTAIT VRAI - Marc LEVY - Robert LAFFONT.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Marc LEVY
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ET SI C'ÉTAIT VRAI – Marc LEVY - Robert LAFFONT.
Que reste-il, le livre refermé? Une histoire d'amour surréaliste entre un homme bien réel, normalement constitué et le fantôme d'une femme médecin, décédée quelques mois auparavant dans un accident de voiture mais dont le corps continue de vivre dans une chambre d'hôpital, dans un coma dépassé, un projet rocambolesque d'enlèvement de ce corps avec la complicité active du « fantôme », une enquête policière à peine esquissée et déjà bouclée avec l'aide inattendue d'un policier aux portes de la retraite, et, à la fin, un « happy end » un peu facile!
Je veux bien que l'intrigue se passe aux États-Unis, pays de toutes les extravagances, je veux bien que la fiction soit, par définition, un récit imaginaire où l'auteur fait naître l'intérêt de son lecteur par la qualité de son écriture, l'art de distiller le suspense jusqu'à la dernière ligne... J'aime ce genre littéraire pour cela! Je veux bien que cela soit le prétexte à un hymne à la vie, à l'amour, au merveilleux, mais aussi évoque la mort, la souffrance, le souvenir, l'absence insupportable de ceux qu'on a aimés et qu'on ne reverra plus... Ce sont là des choses qui ont trait à la condition humaine et qui parlent à chacun d'entre nous, mais quand même!
Je n'ai pas aimé ce livre, ce qui y est décrit me paraît trop artificiel et sans réel intérêt malgré la phrase engageante de la 4° de couverture, répétée dans le roman : « Ce que j'ai à vous dire n'est pas facile à entendre, impossible à admettre, mais si vous voulez bien écouter mon histoire, si vous voulez bien me faire confiance, alors peut-être vous finirez par me croire et c'est important car vous êtes, sans le savoir, la seule personne au monde avec qui je puisse partager ce secret. »
© Hervé GAUTIER – Janvier 2008.
http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg -
DEUX ROMANS DE GABRIEL GARCIA MARQUEZ.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Gabriel Garcia Màrquez
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N°146
Février 1993
DEUX ROMANS DE GABRIEL GARCIA MARQUEZ.
J’ai déjà écrit dans cette chronique que la récente publication d’un livre n’était pas le seul critère d’intérêt pour le lecteur. L’ouvrage reste permanent et garde en lui sa part de rêve et de dépaysement. Il n’attend que l’amateur.
*
Ainsi ces deux ouvrages de Gabriel Garcia Marquez, La Mala hora tout d’abord qui a pour décor un petit village de Colombie écrasé de chaleur où s’abattent parfois des orages tropicaux qui balayent tout sur leur passage et transforment le fleuve tout proche en un impétueux torrent de boue. Il ne s’y passe rien sinon que dans ses rues et entre les murs de ses maisons enfle une rumeur qui se nourrit d’affiches anonymes apposées nuitamment... Elles apportent au village son lot d’incertitudes et de doutes…
César Montero tue un matin l’amant de sa femme. Dès lors vont entrer en scène pendant dix sept jours le Maire, torturé par une rage de dents, le Père Angel, absorbé par les devoirs de sa charge… Cependant le temps semble s’écouler avec la lenteur qui sied à ces latitudes, mais ces cieux tourmentés ont aussi connu, il n’y a pas si longtemps la guerre civile avec ses querelles politiques , ses assassinats. L’absence de légitimité des gouvernants le dispute à la soif de revanche des opposants.
Pourtant, on affirme bien haut que les choses ont changé, et ce, malgré les affiches qui ne révèlent rien qu’on ne connaissent déjà. Cependant les passions finiront par se déchaîner et la terreur reprendra comme avant.
*
Le second ouvrage, qui est aussi le premier de Garcia Marquez met l’accent sur un thème qui lui est cher, celui de la solitude. Des feuilles dans la bourrasque rassemble au début trois personnages autour d’un cercueil. Chacun donne libre cours à ses pensées. Ils évoquent le mort, un médecin qui vient de se pendre, un homme que tout le village exécrait parce qu’il avait un jour refusé de soigner des blessés et qui depuis vivait reclus chez lui.
A cause d’une promesse l’un des personnages, un vieux colonel, va l’enterrer pour qu’il ne soit pas la proie des vautours. Il le fera malgré la haine du village de Macondo, jadis enrichi par une société bananière et qui maintenant n’est plus que l’ombre de lui-même…
Cette impression de solitude est accentuée par les monologues entrecroisés des différents personnages. Le décor de ce roman, autant que le thème qui y est traité préfigurent déjà l’œuvre de Garcia Marquez.
Ces deux romans sont publiés chez Grasset.
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ONITSHA - Jean Marie Gustave LE CLEZIO - Gallimard
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Jean Marie Gustave LE CLEZIO
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N°318– Novembre 2008
ONITSHA – Jean Marie Gustave LE CLEZIO – Gallimard.
J'ai un peu honte de l'avouer, mais, jusqu'à la lecture de ce livre, je n'étais pas parvenu à entrer dans l'univers et le voyage de Jean Marie LE CLEZIO. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir plusieurs fois essayé!
C'est un peu fastidieux de résumer l'histoire, pourtant c'est celle d'un jeune garçon de douze ans, Fintan, qui, en 1948, part pour l'Afrique, en compagnie de sa mère Maou, rejoindre à Onitsha son père qu'il ne connaît pas. Ce sera en même temps que la rencontre avec son géniteur, la découverte de ce continent également inconnu de lui comme il l'est de sa propre mère et qui va se révéler à eux. Fintan va en Afrique parce que son père le lui demande « Je suis Geoffrey Allen, je suis ton père, viens avec moi à Onitsha ». Cette phrase est comme un leitmotiv dans ce roman. Il accomplit ce voyage de France jusqu'en Afrique en compagnie de sa mère, comme un parcours initiatique en mer, sur un vieux bateau, parenthèse nécessaire à cette transition entre deux mondes mais aussi, pour le jeune garçon de douze ans, cette envie d'écrire qui naît en lui et croît à mesure que lui même grandit. « Un long voyage », tel est le titre de ce récit qu'il entame en même temps que que sa progression vers le port fluvial d'Onitsha sur le fleuve Niger. C'est une écriture naïve, naissante et un peu gauche, mais c'est là une manière de se délivrer d'une solitude née de l'enfance qu'il quitte en même temps qu'il abandonne la France. L'énigme ici s'habille d'un possible parallèle entre l'auteur et Fintan.
C'est que de cette Afrique, chacun de ces trois personnages, rêve différemment. Pour Maou, il ne s'agira pas de cette vision un peu romantique qu'elle pouvait en avoir, mais elle se révèle à elle à travers des odeurs âcres, une nature sauvage et hostile, une société cruelle, raciale et torturée par la colonisation anglaise, dévorante, insaisissable parfois, loin de son rêve d'européenne. C'est pourtant dans un lieu différent de l'Europe qu'elle vit désormais et on imagine facilement que cela ne lui déplaît pas. Maou est amoureuse de son mari qu'elle part rejoindre, mais c'est aussi une femme énigmatique secrète et envoûtante que les autres hommes regardent avec envie.
Pour Geoffrey, ce pays, c'est d'abord son métier à « l'United Africa », mais c'est aussi et peut-être surtout une géographie aux multiples légendes, celle de Méroë, ce royaume mythique qui aurait été fondé ici par Arsinoë une reine noire égyptienne, descendante des pharaons et qui le hante. Il partira pourtant d'Onitsha mais gardera jusqu'à sa mort l'obsession de cette quête « Puis la lumière décroît, l'ombre entre dans la petite chambre, recouvre le visage de l'homme qui va mourir, scelle pour toujours ses paupières. Le sable du désert a recouvert les ossements du peuple d'Arsinoë. La route de Méroë n'a pas de fin »
Il y a d'autres personnages non moins intéressants et quelque peu énigmatiques. Sabine Rodes, anglais marginal mais qui ne fréquente pas ses congénères, qui a l'intuition de l'effondrement de l'empire colonial et qui mourra avec lui. Son vrai nom n'est révélé qu'à la fin et il est peut-être le vrai père de Fintan. Il y a aussi Oya, pauvre fille sourde et muette, dans qui Geoffroy veut voir l'incarnation d'une reine noire...
Il y a peut-être un autre personnage plus impalpable, l'Afrique qui se révèle à Fintan avec tout son décor, son atmosphère hors du temps à travers la pauvreté des africains réduits en esclavage. Pour lui cependant, elle est une terre de liberté et de grands espaces que Sabines Rodes lui fera découvrir.
L'atmosphère générale du livre m'a parut apaisante, malgré le thème, à cause du style sans doute, à la fois dépouillé et simple, mais aussi narratif poétique et musical. Il vise simplement à ce que l'auteur soit compris de son lecteur. L'histoire est simple. Elle est donnée à voir au lecteur. Pourtant il s'agit, m'a t-il semblé, d'une révolte profonde dont a voulu parler Le CLEZIO.
© Hervé GAUTIER – Novembre 2008.http://hervegautier.e-monsite.com
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LONGTEMPS JE ME SUIS COUCHE DE BONNE HEURE - Jean-Pierre GATTEGNO
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Jean-Pierre GATTEGNO
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N°315 – Octobre 2008
LONGTEMPS JE ME SUIS COUCHE DE BONNE HEURE – Jean-Pierre GATTEGNO [Acte Sud].
Cela n'a l'air de rien, mais cet ouvrage illustre à sa manière très personnelle l'attrait, l'intérêt que peut susciter la première phrase d'un livre. Le quidam la lit, puis, sans raison, sans savoir pourquoi, il est happé par ce peu de mots, puis poursuit avec la deuxième ... et se surprend à pousser sa lecture jusqu'à la fin sans que l'ennui s'insinue dans sa démarche, transformant le moment consacré à la lecture, que d'aucuns regardent comme un perte de temps, en un moment de pur plaisir.
Cette chronique s'est souvent fait l'écho de ces auteurs qui captent à ce point un individu que le hasard met en présence de leur livre, le transforment presque aussitôt en témoin passionné de leur voyage, lui prêtent cette merveilleuse ivresse des mots, bref en font un lecteur attentif, enthousiasmé par le récit et presque déçu d'arriver, sans s'en rendre compte, à la fin de ce roman qui lui a procuré tant d'agréments qu'il ne sait lui-même comment l'exprimer et se contente de dire que cela lui a plu. Cette grande économie de mots cache souvent une foule d'impressions à jamais inexprimées comme si c'était déflorer le livre que d'indiquer en quoi il a été à ce point attachant. C'est comme le fil d'un écheveau qu'on tire et qui se déroule en apportant à son curieux amateur un soudain intérêt.
Ainsi Jean-Pierre Gattegno prend-il pour titre de son roman la première phrase mythique d'un roman de Marcel Proust. C'est plutôt une bonne illustration, sauf qu'en ce qui me concerne, je n'ai jamais pu lire l'auteur de « Du Côté de chez Swann »!
Il y a l'histoire, celle d'un petit truand minable, Sébastien Ponchelet, que la prison met en présence d'un détenu cultivé et amateur d'art, voleur de tableau... et grand lecteur. Pendant sa liberté conditionnelle il travaille chez un éditeur parisien, mais son emploi de manutentionnaire rend sa vie terne. Pourtant, il va croiser dans le métro une femme à qui la lecture prête un regard pétillant et un manuscrit raturé et annoté qui va bouleverser sa vie et le faire pénétrer dans l'univers des livres. Cette femme, pourtant personnage furtif de ce récit, me semble avoir un vraie épaisseur avec sa beauté énigmatique, son indifférence feinte, sa compréhension de Sébastien. Je retiens une de ses phrases « Voilà, je préfère l'amour des livres, même quand ils sont mauvais, il y a toujours quelque chose qui les sauve... ». Elle est le prétexte à l'évocation d'un autre monde qui jouxte celui de l'édition, de l'écriture, comme Sébastien peut l'être de la peinture également évoqué à travers une foule de tableaux... et avec son pendant, celui du faux.
Même s'il ne lit pas ce manuscrit comme un passionné, ces quelques mots vont être pour lui le point de départ d'une réflexion, d'un questionnement introspectif. Les annotations et les corrections apposées successivement en marge d'un manuscrit ou d'un livre sont l'illustration d'une sorte de partition silencieuse, une discussion secrète dans un improbable huis clos entre deux personnes qui ne se connaissent pas et qui ne se rencontrerons jamais.
Il y a aussi le style, direct et sans fioriture qui rend ce texte attachant.
Cela rejoint un peu la remarque de Jean-Marie Le Cléziot, Prix Nobel de littérature 2008 qui, nouvellement couronné, conseillait simplement au reste du monde de continuer à lire des romans. Celui-ci fait partie de ces ouvrages qui sont autant de moments jubilatoires dont il serait dommage de se priver.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2008. http://hervegautier.e-monsite.com
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PATMOS et autres poèmes – LORAND GASPAR – Collection Poésie Gallimard.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Loran Gaspard
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N°250 – Juin 2004
PATMOS et autres poèmes – LORAND GASPAR – Collection Poésie Gallimard.
J’ai toujours plaisir à célébrer l’anniversaire de cette modeste revue par la lecture d’un écrivain d’exception. Lorand Gaspar avait déjà accompagné le 23°, il sera donc le prétexte au 25°, et je ne peux que m’en réjouir.
Comment le dire ? J’ai abordé ce livre comme un objet tout d’abord posé sur ma table, en le regardant, le tournant, le prenant en mains avant de l’ouvrir parce le moment de goûter son message n’était probablement pas encore venu. Mais quand le temps de cette communion intime avec le recueil s’est manifesté, il m’a fallu pouvoir abandonner toutes choses et me lancer, porté par cette musique et ce mystère parce que c’était maintenant et que l’instant d’après ce serait trop tard !
Il faut peut-être entrer dans cet univers fait de fragrances, de sons, de couleurs par la porte des mots parce qu’il y a une douceur mystérieuse dans cette écriture, dans l’apaisant mouvement du langage qui berce l’âme, la subtile lueur d’une image simplement tissée dans la clarté de l’instant singulier qui est celui où le souffle de l’inspiration révèle sa force et la prête à celui qui est digne de la recevoir pour la transmettre à son tour par l’alchimie de notre si belle langue française aux autres êtres humains !
C’est le miracle de la vie qui à chaque vers est célébré dans ce livre, c’est l'appel à une lecture neuve, à l’image de cette écriture libérée des entraves, habile à décrypter les pulsations de la nature dont le poète retisse lentement la réalité. Fragilité est ici écrit en lettres majuscules parce que l’auteur de « Sol Absolu » sait et nous rappelle que tout ici-bas est transitoire mais que peu d’hommes en prennent conscience. Sous sa plume, chaque son est une musique et les ongles grattent la portée invisible des cordes instrumentales pour en tirer quelque chose, plainte ou douce lumière, qu’importe. Seul le message compte ! C’est la vie qui gagne parce qu’elle est permanence, parce qu’il sait regarder, écouter et sentir, s’arrêter et perdre son regard dans l’immensité de la mer et du ciel, qu’il sait tomber sous le charme de l’imprévu. !
L’auteur est bien un veilleur, un vigile attentif des lieux, sais les dire, les célébrer simplement qu’ils aient pour nom Patmos, Sidi Bou Saïd, Judée, Mer Rouge ou Saint Rémy du Val… C’est toujours le monde, celui de la Création dont il parle avec simplicité et respect. Face à lui, il sait être pudique, secret et assurément humble. Il sollicite les cinq sens avec en plus peut-être cet art des contrastes qui fait ressortir la vraie beauté des choses, l’usage de l’oxymore, l’opposition entre noir et blanc, froidure et chaleur, clarté et obscurité, le jour et la nuit l’occident et la Chine « à l’âme inoubliée ».
Cet attachement à une maison dont les fondations ( « les amarres » s’enfoncent dans le sable ou la pierre n’est pas moins important car elle est un refuge, un espace qui favorise le repli sur soi pour mieux renaître à cette permanence de la vie. Elle est aussi un jalon, une borne, une sorte d’auberge du silence où se manifeste, ici plus qu’ailleurs sans doute les vibrations qu’il convient de quérir. Ici on porte témoignage, un témoignage intime de sensations et de sentiments en prenant soin de dire les choses, mais aussi en gardant secrètement des parcelles de ces mêmes choses parce qu’elles doivent rester inavouées et temporairement retenues, peut-être aussi parce qu’elles sont indicibles, parce que les mots ne sont pas encore prêts qui les exprimeront complètement. Ce long mûrissement auquel se prête le poète ne peut qu’enfanter des textes qui s’inscrivent dans la durée, dans le temps et dans la mémoire.
Il y a une manière originale de nommer sobrement les choses, la lecture s’offrant simplement avec les nuances du poème en n’oubliant pas que la parole est délicate mais aussi source de vie, née entre deux néants, du silence d’avant et d’après les mots, simples vibrations dans l’air ou traces sur le papier, mais qui pourtant devient pérenne. Il compose son texte comme un peintre son tableau pointilliste, par petites touches, jouant sur les contraires, avec une prédilection peut-être pour le blanc aérien face au noir de l’encre mystérieux et inconnu. Les gris qui gardent la mémoire des formes sont revisités, éclaircis, imprimés fugacement sur les murs chaulés, empreints d’un silence chaud. Les différentes gammes de bleu se déclinent entre mer et ciel, jusqu’à la fumée vaporeuse et odorante de l’encens, du « bleu écaillé d’une barque » ou des « gris-bleus et des verts délavés » qui évoquent pour lui des variations musicales de Debussy.
Il y a l’eau, celle de la mer, celle de la pluie, élément liquide extraordinairement lustral, fluide et matinal qui lave même le regard. La rosée où se lavent les mots, l’eau de mer « où le silence aussi s’entend » sur laquelle le pêcheur, « danseur ébloui sur une nappe de frémissements translucides » semble marcher, à la fois transparente de près et bleue de loin qui accompagne le bruit sec et répété du ressac qui meurt et renaît dans un mouvement d’écume ; cette clarté m’évoque la page blanche, à la fois vide et invite à la création, l’eau de la rosée, celle du torrent dont les eaux «emportent les mots (qu’il) cherche », celle du baptême qui « jaillit des jardins nocturnes du corps », celle de la source dans ce qu’elle a de virginal et de frais, née de la terre elle va vers la mer après ses noces avec la terre et les pierres, eau durcie en cristaux de neige, eau des sanglots, celle qui « tremble dans l’œil » aussi…
L’art de l’hypotypose qui donne à voir une scène par la seule force évocatrice des écrits est présent chaque page avec aussi ce sens de l’image poétique. Il parle de « poignée d’écume » de « tout le rayonnement de midi moulu dans une poussière d’eau » d’ « une lame d’acier cru » ou de la « vendange du raisin de mer » « l’abîme muet du toucher », « la rugine du matin », les « Sons brodés par la nuit » ou des « grappes de pensées »… Il prête au lecteur attentif des visions fugaces, de brefs moments de vie, d’éphémères images d’un lieu avec juste ce qu’il faut de senteurs et de couleurs pour que la trame de la scène effleure l’imaginaire. C’est une sublimation de l’instant poétique dans ce qu’il a d’immédiat, d ‘unique et de bouleversant. Il y a dans ce moment tout chargé de mystères, malgré, ou peut-être à cause de son aspect quotidien et presque banal mais Ô combien précieux pour qui sait en discerner la richesse, une sorte de dimension à la fois bienvenue et impalpable un peu comme les calligrammes chinois tracés à mainlevée par Wang Mo. Il y a quelque chose d’intemporel aussi dans ces poèmes parce que la vie est unique et que les pierres du désert éclatés en sable par le gel, étaient, il y a bien longtemps, des montagnes. Dire les choses avec une grande économie de mots est bien l’apanage de notre auteur parce que les paysages prêtés au « regard » du lecteur possèdent aussi ce dépouillement !
Il célèbre en la nommant « la pure jouissance d’être », ce « mystère d’être là » devant « l’agrafe d’or d’un feu », percevoir « le pain très blanc d’un cri » profiter du « goût exquis du rouget grillé aux herbes sur braise », regarder « l’irruption des martinets ivres d’un festin joyeux absorbés totalement par l’exercice de vivre ». Il y a une sensualité de bon aloi dans cette écriture, cette « étrange saveur de chair nue », ce « geste qui touche un instant le sombre jardin du corps ». Cet amour de la vie est aussi puisé aux « pépites » de l’enfance insouciante et innocente mais aussi tourmentée par les embûches du parcours à venir. Ce monde est là, face à soi qui attend d’être conquis, qui s’offre à la marque unique qu’on voudra bien y imprimer.
Le livre refermé reste sertie dans l’âme du lecteur, et pour longtemps, cette marque poétique tissée de mer et de désert, de terre d’eau et d’air. Elle enchante par sa spontanéité, sa fraîcheur, sa claire densité, son humilité aussi.
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QUELQUES RÉFLEXIONS PERSONNELLES SUR Lorand GASPAR.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans Loran Gaspard
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N° 241 – Juin 2002
QUELQUES RÉFLEXIONS PERSONNELLES SUR Lorand GASPAR.
C’est donc avec un écrivain d’exception que je célébrerai cette année le 23° anniversaire de cette « Feuille Volante », devenue, au fil des années et par le fait des choses, non plus une revue mais une simple note de lecture personnelle. Qu’importe ! Seuls comptent le plaisir de lire, d’apprendre, de rêver, les rencontres littéraires qu’il m’est donné de faire et je me dois, simplement parce que j’en ai décidé ainsi, d’en rendre compte ici, même si cela consiste à avitailler ma seule mémoire !
Je dois à ma vérité intime d’avouer ici, à ma grande honte, que Lorand Gaspar était pour moi un inconnu jusqu’à ce que mon regard croise quelques-uns de ses ouvrages sur les rayons d’une bibliothèque. Il se passe toujours de ces petits miracles qui me font ainsi découvrir ainsi des grandes voix de la littérature. Son nom ne me disant rien, j’ai eu l’intuition que « Carnets de Jérusalem » et « Journaux de voyages » n’allaient pas me laisser indifférent. J’ai toujours été un voyageur immobile et les livres ont été, de tout temps ma seule évasion. Mes origines charentaises ne se manifestent pas seulement dans le port des pantoufles du même nom ! Je suis casanier et je n’y peux rien !
Et pourtant, ce médecin né en Transylvanie orientale partira très tôt servir dans les hôpitaux français de Jérusalem et de Bethléem. Il deviendra amoureux de ce Proche -Orient et des peuples qui l’habitent, de leur histoire chaotique. Ce sera « carnets de Jérusalem » ! Que me reste-t-il, le livre refermé de la relation de cette mission humanitaire. Un mélange étonnant, fascinant même, de curiosité, de dépaysement face à la beauté de ces paysages évoqués avec des mots simples, la solitude, le désert, l’aventure humaine transitoire et merveilleuse surtout quand elle est animée par la passion ! Sous sa plume, c’est une leçon d’histoire, non pas celle donnée par un professeur du haut de sa chaire, mais celle d’un humaniste qui refait le parcours historique de cette « Terre Sainte » qui paradoxalement a toujours été le théâtre de conflits et, où, peut-être plus qu’ailleurs sans doute le sang des hommes n’a cessé de couler et coule encore de nos jours ! C’est un peu comme si cette terre d’Islam qui est aussi juive et chrétienne et où devrait régner la tolérance et la paix a été vouée de tout temps à la mort, au combat, à la haine et au refus de l’autre…
L’auteur se transforme en véritable guide, faisant découvrir à son lecteur attentif tout ce qu’un touriste nécessairement pressé ne voit pas, cherchant jusque dans l’étymologie les détail de la géographie. Il n’oublie pas non plus de parler des religions, de la faunes, de la flore, de l’architectures et des légendes… Et tout cela avec une poésie simple qui sourd des mots eux-mêmes et qui va si bien à ces régions où le temps ne compte pas, où les références du monde dit civilisé semblent se dissoudre dans ces paysages grandioses et arides. Ses mots sont les jalons d’un voyage initiatique, personnel et intérieur qui bouleverse le lecteur ! Moi qui n’ai jamais connu l’appel du désert, la beauté de ses paysages je dois avouer mon envoûtement « Il y a souvent sur ces pistes non tracées, dans cette navigation minérale à l’estime, un moment où de fil en aiguille les choses se compliquent, s’embrouillent. Une piste perdue non retrouvée, un puits pourri, un vent de sable tenace, les défaillances du véhicule quand on en est pourvu ; la moindre erreur, l’incident le plus anodin en apparence peut en entraîner d’autres. Sentiment d’être pris dans un enchaînement rigoureux, implacable. Le dépouillement, la désolation, la solitude découvrent la totalité de leur visage où le plus anodin de leur visage dont on ne percevait que la grandeur issue de notre imagination. L’immensité n’est plus de l’ordre de la beauté, elle n’est pas cette « grandeur » que l’on contemple. Tout devient terriblement concret, un réel auquel on ne peut plus se sentir extérieur et qui est l’élan même du mouvement, limité par d’autres, de notre vie »
Cette étrange alchimie de l’écriture qui sera toujours pour moi un mystère se double de photos en noir et blanc, malgré ou peut-être à cause de la lumière qui règne dans ces contrées, également signées de l’auteur. Elles sont à l’égal du texte, pleines de talent de simplicité, de spiritualité même ! L’auteur nous rappelle que la nature humaine est complexe. A à la fois ange et démon, l’homme est capable du pire comme du meilleur, capable de tuer comme de soigner ses semblables au péril de sa propre vie avec la même foi et la même énergie, capable à la fois de créer les choses les plus magnifiques et de perpétrer les plus cruels massacres. Celui qui était allé là-bas dans un but humanitaire devient un messager de paix, de tolérance, d’amour, comme si cette terre avait le pouvoir de transcender les hommes, de les rendre tout à la fois poètes, bons…
Dans « Journaux de voyages », il redevient cet arpenteur vigilant de la terre, gourmand de ses couleurs, de ses bruits, comme fasciné par le spectacle qu’elle lui donne, que ce soit en Afrique, en Asie ou ailleurs, simplement parce qu’il choisit sa destination, ses haltes qu’il décrit pour son lecteur en un long et délicat poème. Il use d’une langue aussi recherchée que les paysage qu’il traverse sans oublier de lui rappeler que malgré toute cette beauté qu’il y a la mort au bout du chemin parce que telle est la condition de l’homme.
Quel genre d’être est-il, lui qui choisit des contrées où le temps ne compte pas, ne s’écoule pas a même rythme, où le nom des villes invitent à eux seuls au voyage, au dépaysement : Boukhara, Khîva, Samarcande où le passé se mêle au présent, où la poésie doucement chaude et intemporelle revendique sa place parce qu’il ne peut sans doute en être autrement. Il donne un autre univers à offrir en partage, une autre planète qui est pourtant la nôtre mais qui ne peut intéresser le voyageur pressé. Pour lui, c’est une autre image de ce monde qu’il veut évoquer, plus vraie peut-être et authentique, celle qui reprend possession de la pulsation de la vie, des choses simples, des gestes économes, des paroles rares mais pourtant riches de sens.
La route de la soie est revisitée au pas lent des chameaux quand les avions survolent le monde à des vitesses supersoniques, que l’argent est roi que seule la réussite compte. C’est aussi l’Afrique avec son désert envoûtant ses habitants sur qui la civilisation, comme on dit semble n’avoir aucune prise…
Dans ce livre, l’homme reprend presque subrepticement sa place qu’il n’aurait, au vrai, jamais dû quitter, mais ainsi va le monde, le progrès comme on dit ! Dans ces contrées, l’auteur lui redonne sa vraie dimension, le replace dans des paysages qui vivent au rythme du soleil et des prières, lui font retrouver la respect de l’autre, de son environnement, de Dieu peu-être si on veut le voir ainsi
©Hervé GAUTIERhttp://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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ROUGE BRESIL - Jean-Christophe RUFIN [Gallimard]
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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N°313 – Septembre 2008
ROUGE BRESIL – Jean-Christophe RUFIN [Gallimard].
Nous sommes sous la Renaissance, en 1555, et le Chevalier de Malte Nicolas Durand de Villegagnon commande une expédition à destination du Brésil, et plus précisément pour la baie de Rio de Janeiro alors sauvage et inexplorée, afin d'y implanter une nouvelle colonie française face aux Portugais, mais aussi pour gagner des âmes, c'est à dire évangéliser les indiens qui peuplent ce qu'on appelle la « France Antarctique ». C'est donc à une authentique épopée, malheureusement avortée et oubliée de l'histoire de France, que l'auteur nous convie, comme en d'autres temps Jean de Lery ou André Thevet.
C'est à travers les yeux de deux orphelins, Juste et Colombe, embarqués dans cette expédition pour servir d'interprètes auprès des tribus indiennes, mais qui eux, sont à l'improbable recherche d'un père dont leur mémoire conserve le souvenir et peut-être la légende, que ce récit nous est offert. L'auteur y réalise un véritable travail anthropologique mais aussi théologique dans la querelle qui oppose catholiques et réformés et montre comment les hommes peuvent faire prévaloir ce qui les divise contre ce qui devrait les réunir et combien les passions peuvent les changer irrémédiablement. Jugez plutôt, Villegagnon, tout pétri de christianisme et de culture antique, de chevalerie, d'humanisme tolérant va être transformé par ce voyage initiatique en acteur convaincu de la répression contre les protestants, faisant de cet épisode, avec quelques années d'avance, une répétition générale des guerres de religion qui déchireront la France.
Ce récit nous donne à voir des paysages luxuriants de cette France des Tropiques, un peuple d'indiens, les Tupinanbas[ou Tupis], anthropophages certes, mais qui participent, par leur mode de vie, à la fois sensuel et sans tabous, à une vision d'un paradis terrestre perdu et soudain retrouvé. C'est un hymne à la nature, à la liberté, un appel au bonheur depuis longtemps oublié ou étouffé par les sociétés européennes, deux conceptions de l'humanité, colonisatrice, libératrice, mais finalement meurtrière des Européens, harmonieuse, naturelle et attirante des indiens. Le mythe du « bon sauvage » sera repris plus tard au Siècle des Lumières.
Le titre, « Rouge Brésil » m'évoque, certes, un bois précieux, mais surtout le sang, la violence aveugle de la guerre du côté des Européens, l'anthropophagie traditionnelle au côté des indiens [l'auteur se livre à une intéressante déclinaison de ce concept vu du côté des blancs qui ont embrassé la cause des Tupis], mais aussi la passion pour ces contrées, les histoires d'amour contrariées ou qui se terminent bien ... Voilà pour l'histoire, mais il n'y a pas que cela.
Les personnages, en réalité une véritable galerie de portraits, qui servent de guides au lecteur attentif sont à la fois l'image de la condition humaine dans tout ce qu'elle a de plus répugnant, mais aussi de plus attachant. L'auteur en fait une évocation où le réalisme et parfois le grotesque le dispute à l'émotion
Je voudrais une nouvelle fois dans cette chronique, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire à propos d'autres auteurs, mentionner non seulement le récit qui nous est conté et qui nous entraîne dans un autre univers [l'aspect documentaire et documenté d'un récit est important pour le lecteur qui, à cette occasion apprend quelque chose, surtout ici où cet épisode est complètement occulté par l'Histoire], mais aussi, et peut-être surtout le style aux accents parfois voltairiens. Je veux redire ici que le bon usage de notre si belle langue française transforme le moment consacré à la lecture en une période de pur plaisir. Un humour subtil qui doit beaucoup à la litote, le dispute aux descriptions poétiques, le délicat emploi de la syntaxe, la richesse du vocabulaire, précis juste et recherché qui puise sa rareté, et donc son précieux sens, dans des termes qui empruntent beaucoup à un passé désormais révolu et donc inconnu. C'est déjà un voyage au pays des mots qui est lui-même un dépaysement prisé du témoin attentif. Il procède de cet enchantement que tout lecteur souhaite trouver dans un livre.
J'ai lu ce roman avec délectation. Mon improbable lecteur ne manquera pas de m'objecter que je n'ai, pour cela aucun mérite, ce livre ayant, accessoirement, été couronné en 2001, par le prestigieux « Prix Goncourt ». C'est vrai, mais il voudra bien cependant considérer que ce n'est assurément pas cela qui a retenu mon attention autant qu'il pourra observer que, cette chronique étant avant tout marquée du sceau de la liberté et de l'absence de compromission de quelque nature que ce soit, j'y exerce un droit à la libre parole qui en fait le fondement. Ainsi ne me suis-je jamais gêné de donner des avis qui vont parfois à contre-courant de la mode ou de la pensée de plus en plus unique, même si, souvent, une distinction a accompagné la sortie de l'oeuvre commentée. C'est que, indépendamment de son talent littéraire, le parcours de Jean Christophe Rufin est déjà original. Pensez donc, médecin humanitaire, ce qui est soi n'est pas banal, puisqu'il traduit au quotidien l'action difficile de celui qui a vocation de guérir ou de soulager la souffrance, c'est à dire de mettre à la disposition des plus démunis sa faculté de les soigner, mais aussi voyageur-témoin, et on sait combien cela est de nature à nourrir la créativité de celui qui porte en lui cette merveilleuse faculté non seulement d'attester ce qu'il voit, mais aussi de créer un récit de fiction et, à cette occasion, de faire chanter les mots. Cette musique est toujours agréable à mes oreilles. Puis vint ce prix qui a heureusement contribué à distinguer celui qui menait une carrière de réflexion et d'action, puis cette nomination comme ambassadeur de France et, plus récemment, son élection à l'Académie Française. C'est là un cheminement tout à fait remarquable, un engagement personnel qui atteste à la fois de sa créativité littéraire, du regard qu'il porte sur le monde, du témoignage qu'il entend apporter à l'évolution des mentalités. « Rouge Brésil » procède de cette démarche.
© Hervé GAUTIER - Septembre 2008.
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CE PEU DE BRUITS - Philippe JACCOTTET - Editions Gallimard.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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N°303 – Juin 2008
CE PEU DE BRUITS – Philippe JACCOTTET - Editions Gallimard.
Ce titre au pluriel n'est peut-être pas autre chose qu'une prise de conscience de la vanité des choses de cette vie, la certitude que, qui que nous soyons, nous ne sommes rien au regard du monde, de sa permanence et de sa durée. Nous faisons ici-bas un bout de chemin, si peu de choses, avec si peu de bruit et de si peu d'importance, même le chuintement des mots, des gestes et des couleurs...
Quand on perçoit le bout du chemin et qu'on a l'intuition de cette fin que nous redoutons tous sans vouloir se l'avouer, qu'il n'y a peut-être plus rien à dire, et chaque mot se résume peut-être à un murmure, alors on cherche ailleurs, dans les visages et les livres des autres,comme on use d'une boussole, ce qu'on ne peut plus dire, ce qu'on n'a peut-être pas oser faire? Je salue quand même la culture autant que l'humilité de l'auteur!
Philippe Jaccotet parle d'un monde qui s'en va, de ce « cœur presque fantôme » ou « plutôt du cœur [qui s'éloigne] de mauvais gré ». Je choisis d'y voir un fatalisme mal assuré, un amour de la vie contrarié et rien, pas même les paroles « mal maîtrisées, mal agencées... répétitives » ne pourraient valablement accompagner le voyageur devenu « une ombre de ruisseau ». Tout ce qu'on a pu vivre de vrai et de fort durant cette existence est insignifiant au regard « du mystère de la pérennité du monde avec cet espoir insensé de l'existence d'un autre monde, un au-delà incertain et hypothétique ». Son écriture est dénuée d'artifice, comme si ses mots, eux non plus, ne voulaient pas faire de bruit, les couleurs s'estompent peu à peu, comme la vie, il confie à l'écriture son intuition de n'avoir été qu'un quidam, un moment rapide de l'espace-temps jusqu'à l'infini mais à l'intérieur d'une vie d'homme lisse et sans histoire. Il parle simplement d'une chose simple, mais que pourtant, pour des raisons obscures et inavouées nous rejetons tous, la mort ou plus précisément le passage de la vie à la mort. Elle est inévitable et nous fait peur [Victor Hugo parlait du « noir verrou de la porte humaine »] d'autant que ce passage s'effectue le plus souvent dans la plus extrême solitude. L'homme, ce rien, face à lui-même, à ce qu'il a été, a conscience de ce qu'il laisse derrière lui [« Combien il est difficile d'arriver à renoncer à ce monde »] parce que dans le monde occidental la mort reste tabou. Il parle de « ce fond noir au dessus et au-dessous, du même vide » sur lequel poussent le désespoir, le regret violent de cette vie qui s'en va, le néant qui s'approche, qui attire comme un aimant, une impression de « fête qui s'achève », avec pour seul bagage la force des mots.
Ce n'est pas le silence, juste quelques paroles chuchotées, mots écrits dans l'intimité de la nuit peut-être, de l'inspiration assurément, destinés à lui seul mais néanmoins partagés. C'est qu'il est question d'une idée obsédante du trépas. De cela on ne parle pas d'ordinaire, même pour soi ou alors à demi mots parce que, même si elle est inévitable, qu'elle porte la marque de la condition humaine, on la redoute même si on s'en défend. C'est d'abord la mort d'amis dont la disparition laisse sans voix, parce que la maladie torture la fin de vie et que l'épreuve ajoute à l'épreuve, mais que le poète parvient quand même à évoquer à la force des mots, la mort de sa chatte même « une petite âme aux chaussons de fourrure, peu de chose, mais quand même », animal familier de l'écrivain situé comme lui entre deux mondes, pas tout à fait de l'un, jamais vraiment de l'autre. Leur silence se complète et se comprennent dans cet équilibre chaque instant remis en question. La mort, qui qu'elle frappe, révolte toujours parce qu'elle est la fin de quelque chose que nous connaissons et le commencement hypothétique d'autre chose, avec cette immense interrogation d'un autre monde dont certains affirment qu'il est une réalité forte et intraduisible et que d'autres nient non moins farouchement. Devant cette simple mais terrible interrogation, il y a l'homme et l'écrivain qui n'a pour la combattre que l'arme de ses mots, défense dérisoire et combat perdu d'avance mais un combat juste, légitime et honorable qui tire son importante nécessité du le seul fait qu'il est désespéré.
L'auteur se rattache à la beauté des choses, de la terre si souvent chantée, de la nature, des choses belles faites pour l'homme, au chuchotement de l'inspiration, cette voix venue on ne sait d'où et qui vous frappe ou plutôt qui se manifeste à vous dans le silence ou l'immatérialité de l'instant. Il en naît parfois un chef-d’œuvre ou parfois rien d'autre que du vent mais un vent qui vient d'un ailleurs insoupçonné et qui s'impose par sa seule force sa seule existence, s'installe et s'offre à tous comme le cadeau définitif et irréel de la vie « poème comme un reflet qui ne s'éteindra pas fatalement avec nous ».
Cette écriture a cette fluidité simple qu'il puise sûrement dans la transparence de cette nature qui s'offre à ses yeux . A l'inverse de la prose qui est souvent précise, le poème lui reste sur le seuil des choses en ce qu'il offre au lecteur attentif un supplément d'inspiration pour lequel il prolonge pour lui et peut-être à son seul usage l'instant d'émotion de l'auteur, se l'approprie, le poursuit et le prolonge;
© Hervé GAUTIER – juin 2008.
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CHANSONS DES MAL-AIMANTS - Sylvie GERMAIN - GALLIMARD.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
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N°311– Août 2008
CHANSONS DES MAL-AIMANTS – Sylvie GERMAIN – GALLIMARD.
Que reste-t-il d'une lecture une fois le livre refermé? Des impressions, un avis qu'on a parfois du mal à exprimer avec des mots, un climat qu'on a ressenti ou habité pendant des dizaines de pages...
Ce roman m'a laissé un goût étrange. J'avais pourtant déjà lu Sylvie Germain il y a quelques années avec « l'enfant méduse » [La Feuille Volante n° 75 d'août 1991]. Je n'avais pas eu envie de poursuivre la lecture de cette auteure. Ce roman m'a conforté dans mon impression première qu'un mot pourrait parfaitement caractériser : bizarre! Il y a l'histoire, bringuebalante, décousue, comme la vie de cette petite fille, crachée au monde par des parents qui ne voulaient pas d'elle, abandonnée au gré du hasard qui gouverne nos vies plus bien plus que nous voulons bien l'admettre et qui lui permet, très jeune, de croiser la condition humaine dans ce qu'elle a de plus repoussant, la méchanceté, le crime, l'exclusion, la mort. Cela vous mûrit avant l'âge une petite fille en lui volant son enfance, et déjà elle prend la mesure de ce que sera son existence d'adulte, celle d'une paria à qui la folie et l'ivresse sont interdites. Et de noter « Je m'attendais à tout de la part du monde... La capacité de folie, de nuisance, le substrat de cruauté tapis en chaque être humain me semblaient si énormes que je sourcillais à peine quand tel ou telle passait à l'acte »
Toute la magie de cet épisode de vie se résume à peu de choses : une grammaire latine, une bible, la partition d'un opéra, un masque, le galet d'un gave, autant de petits détails glanés au hasard de jours sans joie. En prime, il y a une virginité perdue, la recherche d'un amour impossible à travers des étreintes sauvages de lupanar, la prégnance des yeux de ce Frédéric, vagabond-dévoreur de passion, la fatalité de l'exemple qu'on reproduit, la bâtardise à venir pour un enfant pas vraiment voulu, l'avortement puis la certitude d'une stérilité future, la poursuite du temps à travers la mutilation des horloges, une façon comme une autre d'apprivoiser la mort qui nous attend tous.
Je ne suis pas parvenu à entrer dans son voyage labyrinthique, peut-être à cause du style, peut-être à cause du récit, sorte de patchwork d'une vie dont les étranges morceaux s'entrechoquent. Trop de morts, peut-être une désagréable impression de tourner en rond, avec de trop fréquents retours en arrière, sorte de passerelles improbables entre les rognures de cet habit d'arlequin devenu trop grand, avec, en contrepoint, toute la souffrance du monde, de ce monde paraît-il si beau, de ce Dieu si bon, à ce qu'on nous a dit. Je n'ai pas bien saisi ce sourd combat « entre la compassion et la révolte » non plus que les digressions sur St Bernadette et sur d'improbables visions oniriques et colorées.
Ce retour à cette enfance contrariée, ce besoin viscéral de remettre ses pas dans les siens propres, un peu effacés cependant par le temps et les épreuves me renvoie à la solitude, la même que dans « l'enfant méduse ». Elle est pourtant puissamment évoquée à la fin avec cette mort consentie de Martin, pas vraiment un suicide mais un retour à l'état de néant qui nous attend tous, avec en plus une absence de sépulture, une négation de toute trace de vie, chair et os digérés comme si le corps et donc le souffle, n'avaient jamais existé, laissant aux bons soins des rapaces montagnards la charge de tout faire disparaître. « Porté disparu », la formule à quelque chose où se mêle le doute et le vide, comme quelqu'un qui s'étant échappé de cette existence en fraude, finira par mériter sa mort officielle, à l'ancienneté, faute d'avoir voulu un trépas officiellement reconnu, sorte de pied de nez à ce rien qui nous va si bien. J'ai apprécié cette complaisance dans la solitude et dans la douleur intime, sorte de « saudade » qui caractérise si bien l'âme portugaise.
Vers la fin, mais vers la fin seulement, j'ai habité ce roman faisant miens les mots de l'auteure qui ne sont pas dénués de poésie « le progressif détachement que je sens s'opérer en moi, ce discret oubli de moi-même qui me vient au contact de cette terre rugueuse, de cet air limpide et dru, de cette eau toujours glacée, partout jaillissante, ruisselante, fracassée d'écume ou sculptée par le gel en hiver, et de ces bêtes lentes sans fin sonnaillant pour mieux rehausser le silence »
© Hervé GAUTIER – Août 2008.http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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Sheller en solitaire.
- Par ervian
- Le 01/04/2009
- Dans chansons françaises.
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N°257 Août 2006
Sheller en solitaire.
Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises dans cette chronique, la valeur d’une publication ne réside pas uniquement dans sa nouveauté. Ce disque a été réalisé en public en 1991 par Wiliam Sheller et reprend de nombreuses chansons restées dans ma mémoire.
C’est quand même plus fort que moi, j’aime ces mots poétiques auxquels s’accrochent les notes claires d’un piano solitaire et complice. Ils font revivre l’enfance, difficile, nostalgique, la famille qui n’est peut-être pas celle qu’on avait espérée, qui ne correspondait pas tout à fait aux clichés admis « Dans cette famille où les gens voulaient toujours tout remettre en cause », où la quête de l’autre est forte, interrogative, s’apparente à de l’amour ou à quelque chose qui y ressemble « Et quand t’étais là, je ne savais rien dire, tu ne voyais même pas ce que ça voulait dire, quelqu’un qui tient ton regard aussi fort ». Chacun s’y s’affirme dans un rapport de force qui sera plus tard la règle d’un jeu adulte « Fallait savoir passer devant mes frères qui jugent et s’interposent »[Basket Ball]. L’enfance est un bien transitoire où l’on engrange des secrets étranges qu’on est seul à connaître. Ils forment les souvenirs d’un monde à venir, en seront les rêves, les fantasmes, les remords aussi… « Le goût usé d’un souvenir de jeunesse qu’on tire d’une machine à cachous » [Petit comme un caillou] J’ai choisi d’y lire le tumulte, l’angoisse, la peur du lendemain, de la mort peut-être, de l’absence assurément, de l’incompréhension, à cause de la différence d’âge, de l’éducation qu’on doit accepter, des choses qu’on doit faire parce qu’elles se font, et que c’est ainsi« Nicolas, il veut pas qu’on l’embête, tout ce qu’il a dans la tête c’est qu’ il veut rentrer chez lui, j’veux pas rester icii ».[Nicolas]
Mais bientôt, l’adolescent se libère, prend sa vie à pleins bras, la vit avec le hasard pour boussole, pour carte, l’image fluctuante des nuages, respiration blanche sur le fond bleu du ciel, avec des rêves et des projets plein la tête, parce qu’on l’a lâché seul, en lui recommandant de se débrouiller « On m’a bandé les yeux avant que j’ai vu le chemin, on n’a jamais dit viens, on m’a dit va où tu veux »… Alors pourquoi pas ici ? [Un endroit pour vivre]. Avec en soi, chevillé à l’âme, la certitude de n’être pas grand chose dans cette grande comédie d’une société qu’on n’a pas choisie et dans laquelle on se débat « Je suis un homme de peu, je suis le fils de rien, on m’a bandé les yeux avant que j’ai vu le chemin ».[Un endroit pour vivre] avec aussi cette solitude qui fait partie du jeu, qu’on aime ou qu’on apprivoise, qu’on exorcise un peu « je courre à côté d’un train qu’on m’a donné au passage, de bonheur … j’me sens toujours tout seul »[J’courre tout seul]. Il y a ceux qui réussissent et qu’on aime pour cela, qu’on envie, et les autres qui poussent des chimères sans consistance, parce que les mots sont du vent, ne bâtissent que des châteaux de sable, friables et éphémères. C’est qu’ils ne sentent pas bien « dans ce mal foutu monde » où ils n’ont pas leur place. Leurs histoires d’avenir « ne tiennent pas debout », alors, on les voue à la désespérance.
Il y a les jeunes filles qui deviendront femmes, aimantes ou indifférentes. Pour l’adolescent solitaire, elles vivent dans un autre monde, inaccessible, et les rêves deviennent fous « moi je ne vois rien, je suis fier, et je suis fou de vous … elle s’en fout »[fier et fou de vous] « Est-ce tu sais que j’taime en pagaille, c’est comme un mal de vivre à la débraille » [Les mots qui te viennent tout bas]. Il en reste toujours un peu de ces timidités maladives qui laissent une grande place à la chance « J’attendais toujours là debout, dans ce dernier coin qui me reste, que tu reviennes un jour passer devant chez nous » [Petit comme un cailloux ]. Parfois on peut aussi choisir de se trouver là, simple spectateur d’un décor « Les filles de l’aurore… elles ont autour du corps de l’amour et de l’or que l’on peut jouer au dés ». On pense, avec raison peut-être, qu’on y restera toujours un peu étranger, alors on tresse des mots qui sont longtemps restés au fond de sa gorge, qui n’ont jamais pu être dits ; on les écrit, dans le silence de la page blanche et du crissement de la plume sur la feuille. Les phrases, qui parfois sont des vers, sont jetées au vent, au hasard, ou jalousement conservées dans les replis de l’âme, pour qu’elles ne soient pas perdues. Elles sont à l’image de la folie qu’on porte en soi, l’autre face de nous-même ! Mots-messages, confiés au vent comme une bouteille livrée aux vagues, avec cet espoir fou qu’ils seront reçus et compris. Ce ne sont plus de simple vibrations mais de véritables déclarations intimes « Jusqu’à chanter des mots où tu te reconnaîtras » [Un endroit pour vivre]
La figure de la femme est présente, certes un peu idéalisée, un peu enivrante aussi. Elle accompagne cette vie, l’embellit peut-être. Sa conquête devient une quête intime et perpétuelle « J’ai gardé un mirage dans un drôle de cage, comme savent construire les fous… je t’ai cherchée partout » [Les miroirs dans la boue]
Quand même, la recherche du bonheur qu’on n’a pas connu est légitime, parce qu’on n’a qu’une vie, parce qu’on l’a juste entr’aperçu, comme une vision furtive, à travers les yeux des autres avec cette intuition prégnante, que ces joies existent mais ne sont pas pour soi [Je voudrais être un homme heureux] Alors on aborde ce monde et les gens qui le peuplent avec retenue, avec crainte, parce que cette quête reste empreinte de mystères, de doutes, parce l’amour procède de cette étrange alchimie où l’inconnu le dispute à l’espoir… « Et moi j’te connais à peine, mais ce s’rait une veine qu’on s’en aille un peu comme eux, on pourrait se faire, sans qu’sa gêne, de la place pour deux » [un homme heureux]
La solitude de William Sheller n’est pas seulement celle du musicien face à son instrument, ses doigts effleurant parfois les touches noires et blanches, parfois les frappant littéralement. Mots et notes trahissent cet isolement, cet abandon, que la poésie distille. Il y a dans la musique et dans ce compagnonnage avec son piano quelque chose de doux et de violent à la fois. Avec ses mots poétiques, cela donne quelque chose de bien, un dépaysement, une complicité, un climat ...
© Hervé GAUTIERhttp://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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LA TERRASSE DE LUCREZIA - Félicien Marceau - Editions Gallimard.
- Par ervian
- Le 31/03/2009
- Dans Félicien Marceau -
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N°161
Juillet 1993
LA TERRASSE DE LUCREZIA – Félicien Marceau – Editions Gallimard.
Décidément, j’ai une préférence marquée, parmi tout ce qui se publie actuellement pour les écrivains qui ont de l’humour, surtout quand celui-ci est sensible dans les mots, dans l’ordonnance du propos, bref dans le style.
Quand un roman est composé de phrases qu’il a plaisir à lire pour la simple raison qu’il les trouve belles, qu’elles sonnent juste et qu’elles sont frappées au coin du bon sens, c’est que le lecteur y trouve son agrément, que l’intérêt l’a accompagné dans chaque ligne e sa démarche de lecture ;
Des phrases où les choses sont suggérées plutôt qu’elles ne sont dites, avec cette fantaisie savamment instillée dans les mots dont le choix lu-même et un ravissement, des phrases dont on ne découvre la réelle musicalité qu’en les lisant à haute voix, des phrases enfin qui font dire que leur auteur sert notre belle langue française par le seul usage correct qu’il en fait. Dès lors la lecture devient un moment d’exception…
Lucrezia « était une de ces femmes dont on dirait que leur seule présence suffit à combler le présent, dont on dirait qu’elles n’ont aucun besoin de souvenirs et qu’elles les ont, une fois pour toutes jetés dans un puits. » C’est que cette femme jeune et belle qui arrive comme gardienne d’un immeuble cossu de la banlieue de Rome va, par sa seule existence, son seul sourire, révolutionner les habitudes de ce microcosme où, d’ordinaire, la coutume voulait que les co-propriétaires n’échangeassent entre eux que des politesses convenues et des attitudes mondaines …Mieux, elle va les faire se rencontrer, exister les uns par rapport aux autres, bref, servir de catalyseur à la vie intérieure de cette vieille bâtisse qui sans elle aurait été morne, sans joie, sans âme.
Au long de ce roman dont l’histoire va durer une vingtaine d’années et verra Lucrezia s’imposer, tirer parti avec quelque impertinence de toutes les circonstances et finalement établir elle-même ses propres enfants, Félicien Marceau note pour son lecteur des remarques personnelles sur la vie romaine. Rome « est une ville qui n’intimide pas » selon lui, et c’est dans ce décor qu’il va faire évoluer Lucrézia et son inextinguible appétit de liberté.
En fait, il flotte autour de cette femme un halo d’amour, d’amitié, d’ indépendance…
Ce serait sans doute assez pour que lecteur y trouve son plaisir mais l’auteur ajoute nombre d’appoggiatures et de maximes en forme d’apophtegmes du genre « L’esprit humain est si roué qu’il lui arrive de faire d’une interdiction une liberté et d’une impossibilité un moyen de défense. » « Il naviguait avec bonheur entre ces deux plaisirs, celui de frôler la tentation et celui de savoir que cela n’irait pas plus loin. » Autant de remarques qui prennent leur vie dans le regard mi-amusé mi-sérieux de quelqu’un qui s’est beaucoup penché sur la condition humaine, ses travers, ses hypocrisies, ses fantasmes…
Dans ce livre Félicien Marceau évoque « la mauvaise passe que connaissent tous les écrivains, les journées entières où rien ne vient, où on n’écrit pas une phrase, une réplique sans en voir la lourdeur et la niaiserie. »
Je n’ai pas assisté, bien sûr, à la naissance de ce roman, je n’en ai été que le lecteur attentif et passionné mais je gage que lors de sa conception l’auteur, l’auteur n’a pas connu pareille période néfaste.
© Hervé GAUTIER.
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LE TEMPS DE GRACE - Maria Judite de Carvalho - Editions de la Différence.
- Par ervian
- Le 31/03/2009
- Dans Maria Judite de Carvalho
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N°228
Juillet 2000
LE TEMPS DE GRACE – Maria Judite de Carvalho – Editions de la Différence.
Qu’est ce qui fait qu’un homme, Mateus Silva, sur terre temporairement comme nous tous, mais perpétuellement en transit partout où il passe et continuellement en regret, aspire à vivre seul alors qu’on nous rebat les oreilles avec un bonheur qui ne peut se vivre qu’à deux ?
Il n’a jamais accepté les compromis que chaque homme doit faire avec la vie, ces petits arrangements qui la font, sinon belle, à tout le moins plus supportable. Il vit avec ses remords, ses deuils. Il n’a jamais réussi et ne réussira jamais, parce qu’il n’a pas le sens des choses ni des bonnes transactions, parce qu’il accepte sans broncher les petitesses d’un emploi subalterne, parce qu’il regrette sa mère, son père absent et volage, parti mourir au-delà des mers…
De son enfance, il garde des images merveilleuses et irréelles, un peu comme celles d’un paradis définitivement perdu qu’on ne retrouvera jamais. Il en conserve aussi un diminutif de son nom, comme s’il n’était pas actuellement la même personne…
S’il vend la maison de ses parents, désormais sienne, mais vide, déserte depuis longtemps et presque devenue étrangère pour lui, c’est moins pour gagner de l’argent que pour se forcer à tourner une page dans sa vie.
Il évoque son camarade Ginho qui a réussi, lui, et qui fera sûrement un beau et surtout un riche mariage. Il revoie Dona Mercês, la mère de son ami, dont jadis la beauté le faisait rêver et sûrement aussi un peu fantasmer. Elle est désormais laide, vieille et a choisi d’oublier le temps où la moralité ne guidait pas sa vie et où elle était la maîtresse de son père. C’est peut-être à cause d’elle qu’il était parti et que son épouse était morte d’avoir été abandonnée ?
Osorio, le mari de Dona Mercês, lui, se contente de gagner de l’argent et ne s’occupe pas du reste. La vie pour lui n’est pas autre chose que cela, faire des affaires…
Mateus a une femme, Alberta, torturée par la maladie et qui veut voir l’Acropole avant de mourir. Elle est entrée dans sa vie presque par hasard et la quittera comme par effraction.
Après cela ce sera la solitude mais sûrement pas la vie avec Natalia, la fille de Dona Mercês. Au début le lecteur peut supposer qu'elle est sa demi-sœur, celle qui serait née des amours illicites de Mercês et de son père mais il n’en est rien. Il la laissera cependant s’éloigner alors que tout était possible entre eux, une passade comme une vie plus stable qui aurait pu faire de lui le beau-frère de Ginho et lui assurer un avenir plus sûr…
Nous ne sommes sur terre que de passage. Le temps s’écoule inexorablement et inscrit sa marque sur notre corps et creuse des rides sur notre visage… C’est là une des contingences de la condition humaine : nous vieillissons, mais s’il fallait recommencer sa vie, il y a fort à parier que nous ferions les mêmes choix !
© Hervé GAUTIER.
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JEUX DE MAUX - David Lodge [traduit de l'anglais par Michel Courtois-Fourcy] - Rivages.
- Par ervian
- Le 31/03/2009
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N°330– Mars 2009
JEUX DE MAUX – David Lodge [traduit de l'anglais par Michel Courtois-Fourcy] - Rivages.
L'actualité de l'Église brésilienne avec ses excommunications aussi anachroniques que révoltantes, l'attitude d'un Pape, ancien Grand Inquisiteur, oublieux du message de l'Évangile dont il est pourtant porteur, et qui soulève un tollé de protestations jusque dans les rangs de la hiérarchie épiscopale française, défraient actuellement la chronique. Nous vivons vraiment une époque formidable! Le hasard fait que j'ouvre le roman de David Lodge, qu'il monopolise mon attention et que je le lis avec avec plaisir, avec gourmandise même. Non, ce livre écrit en 1980 n'a pas vieilli, bien au contraire!
Voilà un ouvrage qui parle, avec un humour de bon aloi, d'une « religion », le catholicisme, qu'on nous a fait passer pour la seule possible, parce que la seule vraie et incontournable en occident, mais qui a assurément provoqué, au moins chez les jeunes gens des années 50, fantasmes, terreurs intimes, renoncements, scrupules et sacrifices en tous genres qu' adultes ils ont largement eu le temps de regretter. Il parle de l'hypocrisie, des tabous qu'elle a engendrés, des culpabilisations qu'elle a entretenues dans les jeunes esprits autour de la masturbation féminine et masculine, de la virginité et de la manière de s'en débarrasser, de la jouissance sexuelle et de la découverte du plaisir qui étaient forcément bannis, mais aussi de la nature de Dieu, au passage un peu écornée, de la confession, de la transsubstantiation, de la communion, la peur de l'enfer [et de la dépression nerveuse qui pouvait aller avec], bref de l'Église, de ses rituels et de ses pompes largement entretenus par des générations de parents et une hiérarchie catholique attentive... Autant de thèmes qui ont interrogé, torturé, bouleversé les jeunes d'alors au point que certains d'entre eux [de plus en plus nombreux si j'en crois les statistiques], émettent des doutes sur le message, oublient le chemins des églises... ou se tournent vers d'autres religions!
C'est vrai, j'ai lu ce livre avec plaisir. Il dénonce sur un mode plaisant et parfois badin, mais jamais caricatural, l'impact pesant de l'Église face à l'éveil d'adolescents à la vie et les embûches variés que la hiérarchie catholique a su y mettre au nom de la morale, des bonnes mœurs et surtout de l'organisation figée d' une société puritaine et autoritaire dont elle a toujours été l'alliée intéressée et que les jeunes fidèles, plus contestataires, ont su remettre en question quand ils sont devenus adultes. L'immobilisme dogmatique de l'Église catholique face aux grandes interrogations de l'humanité, de la procréation, du respect de la vie, de la contraception, du plein épanouissement de la sexualité individuelle reste une question d'actualité. Nous le voyons bien actuellement.
A travers plusieurs personnages et leur vie sexuelle et familiale parfois difficile et en tout cas rendue avec force détails parfois amusants, l'auteur règle ses compte avec l'Église catholique, ses dogmes et ses interdits absurdes qui déstabilisent inutilement les individus. Cette atmosphère un peu délétère entretenue par elle au regard du péché, dont on nous rappelle à l'envi qu'il s'agit, en ce qui nous concerne d'un état permanent, n'est peut-être pas autre chose que la peur de l'enfer, la nécessaire obéissance aveugle aux paroles de Pape et leurs inévitables interprétations à la fois variées, hypocrites et partisanes qui nourrissent cet état de choses avec lequel chacun finit, un jour ou l'autre, par prendre ses distances.
L'auteur prend soin de rappeler qu'il nous raconte une histoire, que nous sommes ici dans une fiction, que les personnages ne sont pas réels[bizarrement, il s'adresse directement à son lecteur et prend même congé de lui à la fin], mais le contexte dans lequel il les fait évoluer leur donne une virtualité bien actuelle! Il prend des références historiques citant abondamment l'encyclique « Humanae Vitae » ou le concile Vatican II... Il a cependant soin, et c'est sans doute nécessaire, de nous rappeler que ce n'est pas un roman comique. Dont acte!
La société qui nous est proposée est anglaise, un petit groupe d'étudiants catholiques dont il suit le parcours, mais la transposition est aisée et même bénéfique car si cette église est universelle, comme on nous en a largement rebattu les oreilles, la réaction que peut faire naître son enseignement et son exemple ne l'est pas moins.
Finalement l'auteur paraît appeler de ses vœux une église libérale, mais les événements actuels ne semblent pas aller dans ce sens et nous donnent à penser qu'il peut s'armer de patience!
Hervé GAUTIER – Mars 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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NOUS ALLIONS VERS LES BEAUX JOURS – Patrick CAUVIN – Editions J.C.LATTES.- RUE DES BONS ENFANTS – Patrick CAUVIN – Editions Albin MICHEL.
- Par ervian
- Le 31/03/2009
- Dans Patrick CAUVIN
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N°67
Juin 1991
NOUS ALLIONS VERS LES BEAUX JOURS – Patrick CAUVIN – Editions J.C.LATTES.
Au début, c’est un livre plein d’images d’enfance, de l’enfance universelle commune à tous, faite de pleins et de déliés, de lourds cartables, de caniveaux, de séances de cinéma et de premiers rendez-vous.
Pour Paul Lévin, c’est l’amour du théâtre, la magie des personnages qu’on joue… Pour Victoria Shémin, la caméra c’est toute sa vie, tout son rêve… Elle sera actrice.
En toile de fond, il y a l’atmosphère, le climat, celui de la guerre qui menace, qui éclate et s’installe, avec en prime l’étoile jaune, les camps où cet homme et cette femme qui vivaient en France, loin l’un de l’autre, sans se connaître se rencontreront. Ils sont juifs, et parce qu’ils sont acteurs professionnels on leur fait jouer un rôle dans un mauvais film de propagande destiné à prouver à la postérité que l’Allemagne nazie avait une conduite humaine vis à vis des populations civiles juives déportées. Pour eux c’est un sursis face à la mort, quelques jours à gagner sur la vie. C’est dans ce camps qu’ils vont se rencontrer, s’aimer, savoir qu’ils sont faits l’un pour l’autre depuis le début, savoir qu’ils peuvent, par la seule force de leur amour, de leur espoir en la vie administrer une superbe gifle à la face de leurs tortionnaires. De fait, la description de leurs souffrances est émaillée d’instants d’imaginaires folies, d’humour irréel pour conjurer la réalité.
Le camp, c’est à dire la souffrance, le mensonge et la mort va réunir cet homme et cette femme car pour que le subterfuge ne soit jamais dévoilé et que reste pour les générations à venir et pour l’Histoire cette image du « Juif heureux » dans l’Allemagne nazie, tous les acteurs de ce film seront exécutés…
C’est un livre bouleversant, à lire et à relire à l’heure où l’actualité remet en cause la réalité historique du génocide juif et où l’intolérance et le racisme refont cruellement surface.
RUE DES BONS ENFANTS – Patrick CAUVIN – Editions Albin MICHEL.
Comme dans une ancienne chanson de Bécaud, il y a des senteurs, des couleurs, la magie du Midi… « l’accent qui se promène et qui n’en finit pas… », avec, bien entendu, l’absinthe, les bars, les quartiers chauds, les soldats de la Coloniale, les voyous et les truands. Cette carte postale, c’est Marseille en 1922, avec ses légionnaires, ses marins en partance, son port, la porte du Moyen-Orient, de l’Afrique et du monde, le ventre des bateaux pleins de rêves, ceux de Marius, ses quais qui sentent bon la marée et le goudron frais, ses poissons qui vous apportent l’air du large, le soleil des dockers, les entrepôts, l’univers d’une enfance dans un port…
Le temps passe, le pastis remplace l’absinthe mais les filles restent avec leurs souteneurs et leurs quartiers réservés. Le cinéma se met à parler et Pascal et Séraphine qu’un regard d’enfant avait uni et auquel ils resteront fidèles se mettent à grandir eux aussi.
Avec une gouaille entrecoupée de moments de poésie forte, d’images belles et fraîches, Patrick Cauvin nous raconte à la fois l’histoire d’une ville et la saga d’un homme et d’une femme que tout sépare mais qui finissent par se retrouver malgré les vicissitudes de la vie. L’amour veille qui les réunira malgré la guerre, les ruptures, les risques, la collaboration et la Résistance, les trafics et les bombardements.
Il reste le soleil, le soleil qui brille sur cette ville éternelle et sur cette « rue des bons enfants » où chacun se retrouve comme dans un refuge pour un conseil ou un rendez-vous.
© Hervé GAUTIER
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LES BOULEVARDS DE CEINTURE- Patrick MODIANO – Editions Gallimard.
- Par ervian
- Le 31/03/2009
- Dans Patrick MODIANO
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LES BOULEVARDS DE CEINTURE- Patrick MODIANO – Editions Gallimard.
Le récit évoque la quête du père par son fils et les relations floues qu’ont ensemble deux êtres à un moment précis de leur histoire. Flous aussi les personnages qui gravitent autour d’eux, floue l’époque, flou le milieu dans lequel ils évoluent, floues aussi leurs activités…
Le lecteur est invité à pénétrer dans ce microcosme le temps d’un roman, comme on regarde une photo-souvenir.
Le fils part à la redécouverte d’un père surgi dans sa vie quand il était adolescent et qui bizarrement voulut le tuer… Depuis, dix années ont passé et le pardon a recouvert « cet épisode douloureux ». Ce père énigmatique qui étrangement ne le reconnaît pas, apparaît puis disparaît. Pourtant le chemin que fait son fils pour aller à sa rencontre s’inscrit dans une démarche d’amour filial exempte d’arrière-pensées. Leurs relations sont des plus distantes, agrémentées d’un voussoiement anachronique, comme deux étrangers…
Le fils fera ce qu’il pourra, mais en vain. Il manque d’attache, de références et les souvenirs qu’il a avec cet homme sont trop vagues ou trop mauvais.
Il y a dans ce livre, comme toujours chez Patrick Modiano une atmosphère caractéristique que j’aime retrouver à chaque fois.
© Hervé GAUTIER.
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QUARTIER PERDU – Patrick MODIANO – Editions Gallimard..Une Jeunesse – Patrick MODIANO – Editions France-Loisirs
- Par ervian
- Le 31/03/2009
- Dans Patrick MODIANO
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QUARTIER PERDU – Patrick MODIANO – Editions Gallimard..
« C’est une grande folie, presque toujours châtiée de revenir sur les lieux de sa jeunesse et de vouloir revivre à 40 ans ce qu’on a aimé et dont on a fortement joui à 20 ». Cette phrase d’Albert Camus trouve dans ce roman son illustration puisque Jean Dekker, Français, devenu Ambrose Guise, citoyen britannique et auteur de romans policiers, choisit, à l’occasion d’un rendez-vous d’affaire de revenir à Paris, à la rencontre de son passé.
Comme toujours chez Modiano, il y a cette quête de soi-même, de ses racines, de ses souvenirs, de son identité… Ambrose Guise va croiser des fantômes d’amis disparus, de relations trop vites oubliées, de femmes aimées ou désirées…
La vie nocturne, l’ambiance crépusculaire ajoutent au caractère secret de ce roman. Dans un Paris que l’été vide de ses habitants et qui n’est plus peuplé que de touristes étrangers en transit, la touffeur de Juillet fait prévaloir la nuit et sa fraîcheur.
Mais, avant tout, le narrateur remet vingt ans après ses pas dans les siens propres, à la rencontre de ce qu’a été sa jeunesse, c’est à dire d’une époque révolue qui jamais ne pourra revivre, ni à travers les notes d’une chanson, ni dans des lieux désormais hantés par des ombres.
Le passé s’impose pourtant à lui comme une obsession parce que vingt ans auparavant il a dû fuir Paris et sa jeunesse à cause d’un crime. Sa vie a basculé. Ce fut une autre existence, un autre nom, un autre pays, une situation brillante comme homme de plume ce qui précisément l’incite à remonter le temps qui désormais fait partie de ses souvenirs.
Une Jeunesse – Patrick MODIANO – Editions France-Loisirs
D’emblée, le singulier se conjugue avec le pluriel, puisqu’il s’agit de deux jeunesses. Celle de Louis, que le lecteur rencontre au sortir du service militaire. Il est accompagné de Brossier, sorte de voyageur de commerce rencontré au hasard d’un café à St Lô, celle d’Odile, jeune fille qu’un certain Bellune, chargé de découvrir, pour une maison de disques d’éphémères talents, rencontrera par hasard, alors qu’elle était bien la dernière personne qui pouvait attirer son attention…
Odile devient donc chanteuse par hasard, mais Bellune ne supporte pas la rencontre avec son passé et choisit… Louis devient vaguement salarié de Brossier.
Dans un Paris qui autour des personnages semble vide, ces deux êtres que rien ne prédisposait à se rencontrer vont faire connaissance, précisément au buffet de la Gare St Lazare, là où les gens partent, arrivent, transitent… L’univers dans lequel évoluent Louis et Odile paraît flou, surréaliste même. Leur situation est bizarre, comme sont étranges ceux qui les entourent… et ce qui leur arrive.
A chaque fois le passé ressurgit à l’invite des paroles d’une chanson, de la fragrance d’un parfum, des couleurs d’une carte postale. C’est toujours cette ambiance surannée (et originale) qui ressort de ce roman. C’est aussi l’occasion de replonger dans le passé, pour Louis surtout, personnage central qui recherche désespérément la trace de ses parents, de son père coureur cycliste, de sa mère danseuse de cabaret, tous deux happés par une mort accidentelle.
Pourtant, la jeunesse qui, pour la plupart d’entre nous correspond à une période d’insouciance et de joie reste pour Louis (et peut-être pour l’auteur ?) un paradoxe tout entier contenu dans la dernière phrase du roman : « Quelque chose dont il se demanda plus tard si ce n’était pas tout simplement sa jeunesse, quelque chose qui lui avait pesé jusque là se détachait de lui comme un morceau de rocher tombe lentement vers la mer et disparaît dans une gerbe d’écume. »
L’écriture serait-elle pour Patrick Modiano une catharsis, un extraordinaire exorcisme ?
© Hervé GAUTIER.
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COMME UN ROMAN - Daniel PENNAC - Editions FERYANE - BP 314 78003 VERSAILLES.
- Par ervian
- Le 30/03/2009
- Dans Daniel PENNAC
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NOVEMBRE 1999
N° 214
COMME UN ROMAN - Daniel PENNAC - Editions FERYANE - BP 314 78003 VERSAILLES.
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Cela va peut-être faire plaisir à Daniel Pennac, j’ai lu son livre, son « témoignage » puisqu’il appelle cela ainsi. Cela tombe bien puisqu’il y est question de... la lecture!
Ce qu’il dit est intéressant et de bon sens, mais, qu’il me pardonne, ce n’est pas nouveau. L’étude comparée des mérites du livre et de la télévision par exemple. Quand j’étais au collège, il y a de cela bien des années, nous étions invités à comparer plutôt ceux du roman et du cinéma. Dans notre dissertation, lue et corrigée par un professeur « vieille France », il valait mieux, si nous voulions avoir une bonne note, préférer le livre à la facilité du film. Nous le savions et sans être outre mesure flagorneurs, cela nous permettait d’obtenir de lui une bonne note. Elle avait l’avantage de remonter la moyenne mensuelle!
Il reprend donc tout depuis le début, depuis notre histoire personnelle (et collective) avec la lecture. C’est tout d’abord l’enfance et les histoires lues ou racontées par les parents avant de s’endormir, l’adolescence où on lit en cachette sous les couvertures... (je ne suis pas très sûr qu’actuellement la lecture donne lieu à ce genre de débordement. Cela c’était pour les générations précédentes!), l’âge adulte où les relations qu’on peut avoir avec le livre sont, soit passionnées, soit carrément distantes voire oublieuses.
L’auteur en profite pour rendre un hommage appuyé à Georges Perros, poète mais aussi professeur qui a su transmettre à ses élèves le goût de la lecture et donc du savoir. Il nous parle aussi de ces improbables professeurs de Français qui savent faire passer le message... Pour ma part, et je ne suis sans doute pas le seul, tous ceux qui se sont invités pendant le cours de mes études m’en ont carrément dégoûté. Cela s’est arrangé plus tard mais je dois bien dire que ce n’est pas grâce à ceux que je continue d’appeler « mes maîtres » que je dois d’aimer la lecture et peut-être aussi l’écriture.
Daniel Pennac se livre dans cet ouvrage à une analyse très fine de ce phénomène, détaillant les droits inaliénables et imprescriptibles du lecteur par rapport au livre et à son auteur. Celui de lire, de s’arrêter, de ne pas reprendre, de sauter des pages, celui de contester et de commenter (J’en suis heureux puisque je le pratique depuis plus de vingt ans dans cette chronique), ce que refusent, à tort pourtant, bien des auteurs, celui de se taire quand l’indifférence est la plus forte et rejoint la déception, celui de relire aussi pour un supplément d’enchantement, celui de faire un choix puisque là aussi la liberté existe et qu’un auteur qu’on juge mauvais peut à la fois être dénoncé comme tel et soigneusement évité!
C’est une véritable charte du lecteur qui nous est ici détaillée.
Il nous rappelle opportunément puisque, paraît-il, la lecture est en diminution actuellement, qu’elle est avant tout un espace de liberté et un plaisir dont chacun aurait bien tort de se priver.
©Hervé GAUTIER
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CHAGRIN D'ECOLE – Daniel PENNAC - Editions Gallimard.
- Par ervian
- Le 30/03/2009
- Dans Daniel PENNAC
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N°304 – Juillet 2008
CHAGRIN D'ECOLE – Daniel PENNAC - Editions Gallimard.
Quand une amie m'a confié ce livre en m'en recommandant la lecture, le titre m'a enthousiasmé. Enfin, me suis-je dit, quelqu'un qui va parler du déplaisir d'être en classe, qui va exprimer tout le désarroi de ces potaches qu'on inscrit, parce que c'est obligatoire, dans une école ou un collège où ils n'ont rien à faire et où ils s'ennuient à longueur d'années scolaires et qu'ils n'aspirent qu'à quitter! Et quand l'amie à ajouté qu'il y était question de la « cancrerie », je ne pouvais qu'être intéressé, parce que, moi-même des chagrins (au pluriel) d'école, j'en ai!
C'est donc avec un évident intérêt que j'ai ouvert le livre parce que, pendant de nombreuses années, j'ai été, moi aussi cet élève du fond de la classe qui collectionnait punitions et mauvaises notes et qui n'était capable de produire que de piètres bulletins de notes que ne rachetaient ni la gymnastique ni la musique. Enfin, me suis-je dit, quelqu'un qui ne va pas me faire rougir de mes authentiques quartiers de « cancritude ». C'est que j'en ai traîné pendant de si nombreuses années de ces pâtés sur mes cahiers d'écolier, de ces doigts éclaboussés d'encre, de ces annotations peu flatteuses et à l'encre rouge en marge de mes copies, de ces punitions pour un devoir mal fait...! Quelqu'un qui n'a pas honte de commencer ses phrases par « Donc, j'étais un mauvais élève », quelqu'un qui ose donner dans quelque chose qui ressemble à la solidarité des cancres, qui me rappelle Prévert et ses élèves dissipés qui préféraient la fenêtre ouverte au tableau noir. Quelqu'un qui dissèque avec bonheur celui que des générations de professeurs ont sciemment délaissé, l'abandonnant à son ignorance à son absence d'avenir, dénonçant quand même ces petites avanies, ces vengeances, ces flagorneries, ces coupables compromissions aussi mais également sa solitude, sa honte secrète. Alors après des années des bahut largement agrémentées de colles, de renvois au point que le département est soudain trop petit, on se décourage et face à l'échec irrécupérable, à ce naufrage qu'on pense définitif on se met à songer à l'armée [engagez-vous qu'ils disaient!], à un meilleur établissement, on trouve des excuses et parmi elles l'inévitable complot des professeurs... et du désespoir des parents. Enfin quelqu'un qui ose parler d'autre chose que de la réussite sociale, financière, personnelle dont les médias se font si souvent l'écho, bref de ceux qui ont réussi et qui laissent complaisamment parler d'eux, de leurs diplômes, de leurs titres, de leurs décorations...
Je me suis vite aperçu que l'auteur, également professeur, parle aussi, longuement et parfois sans complaisance, de son vécu professionnel, des élèves qu'il a eus, de l'expérience qu'il a bien dû, lui aussi, répéter dans sa classe, quand, du pupitre du potache il est passé à l'estrade de l'enseignant. Et lui de connaître à son tour les affres des cours bâclés ou des paroles prononcées devant une assemblée d'élèves dont l'apathie n'a d'égal que leur intérêt pour la fuite du temps et dont l'aspiration va plutôt vers les distractions du week-end à venir que vers Voltaire ou Diderot!
Voilà qu'il se met à parler de la classe, de la technique, de la maîtrise de ses élèves, de l'ambiance délétère qu'on rencontre parfois dans les classes... Puis viennent les considérations sur l'école, les programmes qui évoluent, les temps qui changent, les grandes idées qui restent, l'échec et sa permanence, le niveau qui baisse et les bases qui manquent, la société qui change... Et voilà que le prof reprend le dessus sur l'écrivain et surtout sur l'ancien cancre, fait sa leçon de grammaire, décortique le texte et son vocabulaire, en profite pour glisser des aphorismes et des remises en cause sur le corps enseignant lui-même, parle de sa méthode personnelle pour amener les plus réticents à s'intéresser à l'école. Puis vient l'inévitable apprentissage « par coeur », ses mérites et ses faiblesses, débat depuis longtemps mené et jamais convainquant! Le lecteur entend parler non plus du cancre que fut l'auteur, mais du professeur-écrivain qui a réussi et qui est parvenu à s'extraire de sa condition de cancre, grâce, dit-il, à la maturité et à quelques maîtres plus charismatiques ou pédagogues que les autres!
Franchement, il m'a semblé qu'on était loin du sujet, loin en tout cas de ce qui avait motivé mon appétit de lecture.
© Hervé GAUTIER – juillet 2008.http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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POUR VOS CADEAUX - Jean ROUAUD - Editions FERYANE-BP 314 78003 VERSAILLES.
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NOVEMBRE 1999
N° 215
POUR VOS CADEAUX - Jean ROUAUD - Editions FERYANE-BP 314 78003 VERSAILLES.
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C’est vrai qu’ils sont rares les écrivains qui savent m’émouvoir. Jean Rouaud est de ceux là.
Et pourtant je n’aime pas beaucoup son style fait de phrases à n’en plus finir et dont j’ai du mal, parfois, à suivre le cours. Je goûte peu leur longueur excessive, leurs apartés... Cependant, je dois bien reconnaître que c’est un texte qui gagne à être lu à haute voix. On en apprécie davantage les nuances, l’humour, le sens de la formule qui font dire que, quand même c’est bien écrit!
Il reste cependant l’émotion, à cause de cette ambiance lentement tissée, cette histoire qui vous prend aux tripes à force d’être simple, presque banale, mais qui devient passionnante par le miracle de l’écriture.
Jean Rouaud à choisi de nous faire partager celle de sa parentèle, d’évoquer le passage sur terre de gens qui ne sont plus, mais dont, grâce à lui, le souvenir demeure.
Mais qu’y a-t-il de plus ordinaire que l’histoire de cette famille avec ses secrets, ses moments d’orgueil, ses soupçons et ces instants de joie? Les personnages, certains falots, d’autres écrasants par leur présence même sont évoqués ici à leur tour. Le lecteur à l’impression de les avoir croisés, connus! Il devient, malgré lui le témoin des grands moments de leur vie, complice de leurs actions, compatit à leurs malheurs et à leurs peines.
L’auteur a choisi celui de sa mère qu’il fait revivre au long de ces pages. C’est vrai que son vécu est simple, celui d’une épouse de commerçant en porcelaine d’un gros bourg du département de Loire Inférieure qui n’était pas encore Atlantique. Elle devient brutalement veuve à l’aube de la quarantaine et doit faire face au quotidien de trois enfants désormais à sa seule charge. Elle doit reprendre le commerce à son compte. Le lecteur partage son désarroi, son calvaire devant la solitude, le silence et les responsabilités auxquelles elle n’était pas préparée. Du même coup elle devient gardienne du foyer, chef de famille, chef d’entreprise, prend la place de ce mari dont elle devient le double malgré sa silhouette fragile.
C’est qu’elle doit faire tout cela malgré son envie inextinguible de rejoindre son époux dans la mort... Elle porte ostensiblement son deuil au point de faire teindre en noir la totalité de sa garde-robe qui jadis fut plus colorée et refuse tout ce qui peut ressembler à une nouvelle vie, avec un autre homme par exemple. C’est que la fidélité pour elle s’entend dans la mort comme dans la vie.
L’auteur nous décrit sa laborieuse remontée vers le monde des vivants pour pénétrer de nombreuses années plus tard, de l’autre côté de la vie aussi simplement qu’elle avait vécu, presque en silence.
Cette mort est omniprésente autours des personnages de Jean Rouaud qui nous rappelle d’ailleurs que lorsqu’il prend la plume pour évoquer cette mère, elle a déjà plongé dans le néant de l’au-delà : « Elle ne lira pas ces lignes, la petite silhouette ombreuse... »
Sa vaste démarche d’écriture ressemble à un long travail de deuil, comme si chaque livre consacré à un des membres de cette famille n’avait d’autre but que d’éponger ses larmes, d’exorciser son chagrin au rythme des mots. C’est un peu comme l’exploration d’un cimetière dont chaque tombe est le prétexte à un roman, une sorte de saga dont chaque livre compléterait le puzzle.
Jean Rouaud a été révélé par le Prix Goncourt qu’il obtint en 1990. Je m’en suis félicité au moment de cette distinction (La Feuille Volante n°55). Ce prix a souvent laissé un goût amer à ceux qui ont été ainsi distingués. Je suis heureux que, en ce qui le concerne, les jurés ne se soient pas fourvoyés.
©Hervé GAUTIER
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DES HOMMES ILLUSTRES - Jean ROUAUD - Editions de Minuit.
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Janvier 2000
N° 219
DES HOMMES ILLUSTRES - Jean ROUAUD - Editions de Minuit.
Qu’est ce qui pousse Jean Rouaud à parler de ce père, mort , c’est à dire somme toute encore jeune, mais dont la disparition entraîna celle de sa tante et du grand-père maternel, comme si la voie qu’il avait tracée vers le trépas devait impérativement être suivie par les membres de son immédiate parentèle.
Il est, et peut-être uniquement pour son fils qui en retrace la vie, puisant dans les souvenirs de famille et les improbables archives, un « homme illustre ». Mais ces hommes illustres-là, nous en avons beaucoup connus sans qu’ils laissent dans la mémoire collective la moindre trace de leur passage sur terre.
Ce genre de héros ne peut qu’avoir un caractère familial, à tout le moins si on veut bien gommer ce qu’il aurait fait de mal ou de moins bien.
Ce récit sélectif ne me gêne pas, un homme reste un homme avec ses défauts et on n’en voudra pas à un fils de célébrer la mémoire de ce père tôt disparu. D’autant que les événements de la 2° Guerre mondiale aidant, on perçoit mieux les destins qui s’entrecroisent, ceux qui sont promis rapidement à la mort et ceux qui doivent y échapper parce qu’ils ont une mission à accomplir, une lignée à engendrer!
Il n’est pas forcément facile de parler des siens, entre zones d’ombre et volonté de rendre hommage pour les faire en quelque sorte échapper à la mort. Que sait-il vraiment de ce père? Apparemment il n’a de lui que l’image d’un perpétuel absent, un être que la mort a prématurément arraché à l’affection des siens, d’un jeune homme qui a dû, comme beaucoup d’entre nous sans doute étouffer ses aspirations, composer avec son talent et ses ambitions pour s’engouffrer dans cette société où il fallait bien gagner sa vie, d’un homme qui se dévoile au hasard de la correspondance d’étrangers ou de témoignage d’amis qui l’ont connu.
A-t-il rempli sa mission, ce fils qu’un roman et un prix ont rendu célèbre, de le faire revivre de cette vie étrange qu’ont les personnages de roman, de le faire sortir de cet anonymat de la mort, de lui redonner une image comme en ont les êtres qui ont un temps fait partie de l’humanité?
Voilà donc, avec ce roman qui n’en est pas vraiment un puisqu’il est surtout et presque exclusivement autobiographique, une nouvelle invitation à visiter l’arbre généalogique des Rouaud, et cette branche-là porte le nom de Joseph, « le grand Joseph » dont il nous conte par le menu une large tranche de vie.
Jusque là, le lecteur attentif et amateur de Jean Rouaud ne savait que peu de choses de ce père, tout juste une évocation mise dans la bouche posthume de sa mère dans « Pour vos cadeaux ». Nous le voyons, jeune d’abord, puis ensuite marié, père de famille, voyageur de commerce comme on disait alors, sillonnant la Bretagne au volant d’une voiture qu’il ne changeait après qu’elle eut passé la barre fatidique des cent mille kilomètres pendant que sous couvert du remembrement on en assassinait le cadastre.
C’est presque un portait intime que ce fils donne de son père. Nous le voyons collectionner les vieilles pierres qu’il destine à l’édification d’une improbable construction, sorte de Facteur Cheval à qui la mort n’aurait pas permis de mener à bien ses projets architecturaux, nous le devinons bon père de famille, attentif au bien-être des siens et pour cela ne ménageant pas sa peine. Breton, peut-être, mais pas fervent catholique, concédant seulement à sa vieille bigote de tante une confession annuelle et une participation active aux cérémonies de la Fête-Dieu puisque sa présence à la messe dominicale était des plus raccourcies...
Il faut dire que l’auteur ne se prive pas de se laisser aller à son penchant pour l’humour. J’ai parfois bien ri en lisant Jean Rouaud qui n’est pas un auteur triste malgré ce qu’on pourrait croire!
C’est pourtant le registre de l’émotion qu’il choisit pour évoquer l’agonie de son père avec cette étrange et surprenante façon de s’adresser directement à son lecteur comme pour faire partager sa peine.
La phrase est longue, parfois difficile à suivre. Dite à haute voix, elle rend rapidement l’élocution haletante, mais cela ne suffit pas, à mes yeux à classer Jean Rouaud parmi les auteurs difficiles à lire.
© Hervé GAUTIER
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LE MONDE A PEU PRES - Jean ROUAUD - Editions de Minuit.
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- Le 30/03/2009
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NOVEMBRE 1999
N° 217
LE MONDE A PEU PRES - Jean ROUAUD - Editions de Minuit.
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Il y a des écrivains qui m’attirent et la simple lecture de leur nom inscrit sur le dos d’un livre offert sur les rayonnages de la bibliothèque municipale suffit à guider mon choix. Le hasard (peut-être pas ?) m’avait guidé vers la travée « R ». »Le monde à peu près » de Jean Rouaud ferait donc partie de mon prochain emprunt. C’est vrai que le Prix Goncourt était passé par là quelques années plus tôt et que j’avais, parfois avec retard, suivi cet écrivain, avec un évident plaisir.
Le titre ne me disait rien. Tout au plus me suis-je dit que son auteur continuerait d’y exploiter ses deuils, de faire découvrir les branches de son arbre généalogique ou de se mettre en scène lui-même, ce qui, il est vrai m’avait toujours plu.
J’avais encore en mémoire sa propre histoire, celle de sa famille et ses souffrances. Après tout, se raconter soi-même, y rajouter juste ce qu’il faut de merveilleux est une source inépuisable de création.
N’était le style, parfois un peu compliqué et la phrase longue à suivre pour un lecteur moyen comme moi, j’aimais bien. Le texte me réservait quelques surprises. Le titre tout d’abord, dont je ne tardais pas à m’apercevoir qu’il évoquait pour Rouaud, la perception floue qui est celle des myopes. Cela cachait sûrement quelque chose. Allez savoir puisqu’il évoque son enfance, non seulement celle du collège de St Cosme, où il nous détaille à l’envi les brimades de ceux qu’on appelait, on se demande bien pourquoi « Les Bons Pères ». Elève plus besogneux que brillant et à l’occasion, familier des mauvaises notes, il dénonce les humiliations dont il a été l’objet de la part des professeurs.
C’est vrai que l’enfance n’a d’intérêt que lorsqu’on l’a quittée. Elle est source de regrets parce que c’est la période de l’insouciance, du merveilleux, de la découverte... Malheureusement pour Rouaud, un lendemain de Noël le voit devenir orphelin de père et toute sa vie bascule. Comment pourrait-il en être autrement puisque désormais il va apprendre à vivre sans cet absent ce qui lui reste d’enfance.
Il évoque, malgré son deuil et avec un humour qui va se nicher jusque dans les formules ses années de collège, ses improbables amours d’enfant, sa vie de collégien pauvre, avec, en fond de scène, le personnage de sa mère, à peine esquissé, que le lecteur retrouvera plus tard plus précisément dessiné dans « Pour vos cadeaux ».
A mon sens, ici, plus que le deuil de son père, il s’agit de celui de son enfance et de son adolescence. Depuis le collège jusqu’à la faculté, il détaille son parcours avec cependant le détachement de celui qui n’a du monde qui l’entoure qu’une vision approximative. Il participe, à sa manière, au grand mouvement où on refait le monde, on croit que tout est possible, qu’on est tout près à voir, dans la survenance de chaque événement, un commencement d’exécution de cette entreprise...Il faut dire que la mode était, à l’époque à la contestation, à l’espoir de jours meilleurs, à la révolution populaire, bref à l’utopie! Pourtant, la déception existe, et pas seulement pour les autres. C’est sans doute ce qui a corroboré sa détermination originelle face au monde qui l’entoure : choisir de ne pas le voir!
Quand même, le regard flou et apparemment vide qu’il promène constamment autour de lui ne l’empêche pas de distinguer avec une étonnante netteté le sourire de Théo, une élégante étudiante aux longs cheveux bruns qu’il croise un jour sur son chemin. Il s’est vite trouvé des points communs avec elle. Comme lui, orpheline de père, elle s’intéresse à ses écrits, une improbable fiction qui se veut un prolongement de la vie de Rimbaud. Dans le genre flou, là aussi, c’était réussi!
Comme lui, Théo a le don des larmes qui se rencontre surtout chez ceux qui ont, très tôt connu le malheur. On pensera ce qu’on voudra, mais la chance qui ne sourit pas qu’aux audacieux n’oublie pas non plus les timides. De confidents on devient intimes, d’amis on devient amants sans presque s’en apercevoir. L’époque voulait cela qui prônait la liberté, surtout dans les moeurs. Cette rencontre et cette éphémère étreinte se terminent aussi vite qu’elles ont commencé, avec pour lui un chagrin d’amour, des souvenirs et surtout des regrets.
C’est vrai que j’ai goûté son humour et son verbe truculent, ses aphorismes bien sentis, mais, au-delà des apparences, dans la série des deuils dont il est désormais le spécialiste patenté, c’est celui de son enfance et de son adolescence que l’auteur nous livre ici.
© Hervé GAUTIER
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LES CHAMPS D'HONNEUR - Jean ROUAUD - Editions de Minuit - Prix Goncourt 1990.
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MARS 1991
N° 55
LES CHAMPS D’HONNEUR - Jean ROUAUD - Editions de Minuit - Prix Goncourt 1990.
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Dans ma quête incessante de bonnes lectures j’ai découvert, grâce, il est vrai, à l’Académie Goncourt, le roman de Jean Rouhaud. Je n’ai, bien sûr, aucun mérite à louer cet ouvrage déjà couronné par ce prix prestigieux, mais je m’en félicite cependant car mon lecteur m’accordera que je n’ai pas toujours partagé le choix de ce jury... Tant s’en faut! De plus, pour une fois qu’un jeune auteur est couronné pour son roman et que le prix ne va pas au traditionnel « Galligrasseuil », je pense que cela mérite une mention particulière.
Au-delà de l’histoire racontée, ce qui a retenu jusqu’au bout mon intérêt c’est, ligne après ligne, le style à la fois précis et volubile de l’auteur où l’humour subtil s’insinue sans cesse. Il peint parfois un sourire complice sur les lèvres de son lecteur, l’amène sûrement jusqu’au bout du récit avec l’envie d’en savoir plus.
C’est vrai qu’à juste titre, on commençait à déplorer que notre époque perde le goût de l’écriture, que cette dernière n’était pas seulement une succession de mots articulés en phrases qui, à mesure devenaient des chapitres et finissaient par faire un livre. Il devait bien y avoir quelque part des gens (des écrivains au sens vrai du terme) qui possédaient en eux un talent pour faire que ces mots qu’ils écrivaient ne soient pas seulement des signes. Il devait bien y avoir des magiciens qui pouvaient tenir en haleine leur lecteur par la seule force de leur écriture parce qu’elle était éminemment simple, poétique et subtile à la fois, et transformait la lecture dont on craint de plus en plus la disparition, en une partie de plaisir, une jouissance même!
C’est vrai que ce roman est de ceux qui font que l’envie qu’on porte en soi de lire redevient elle-même, et que ce texte qui évoque si joliment les gens simples et humbles nous parle à lui seul. Bien que la progression de la phrase soit parfois difficile à suivre (c’est son style et il n’est point désagréable), il procède par petites touches successives et significatives pour évoquer les lieux et les hommes.
Je l’ai dit sa phrase est largement émaillée d’humour, de drôlerie même, mais il reste cependant, le livre refermé, une atmosphère bizarrement triste, propre à ces gens qui n’ont pas d’histoire et dont l’auteur choisit de nous raconter la vie. Dans l’existence de cette famille, point de rencontre au sommet avec de grands personnages, point d’actions d’éclat! Rien que du quotidien avec ses joies, ses peines, ses sourires et ce petit côté amer que nous connaissons tous.
L’émotion qui baigne tout ce livre éclate à la fin, ce qui explique le titre. Jean Rouaud a des mots simples pour évoquer « La Grande Guerre » qui reste dans l’inconscient collectif la plus cruelle et la plus dévastatrice, que l’homme s’est promis de ne plus recommencer mais qui reste cependant un modèle qu’on répète malgré tout à chaque fois à force de vouloir l’éviter.
La guerre reste la guerre et les gens simples qu’il évoque en ont payé le prix tout comme ils ont versé leur écot au temps qui fuit et qu’on mesure à l’aune des enterrements et des souvenirs.
©Hervé GAUTIER
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THE BEST OF PAOLO CONTE.
- Par ervian
- Le 30/03/2009
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N°265 – Janvier 2007
THE BEST OF PAOLO CONTE.
Paolo Conte, c’est d’abord la musique, une musique caractéristique avec sa voix rocailleuse et profonde comme les vallées et les montagnes de son Piedmont natal. Son parti pris pour le jazz ne se dément pas dans ce disque[ Sotto le stelle del jazz – Happy feet].
Les chansons sont traditionnelles et ont fait depuis longtemps son succès [Gelato al limon, via con me, Azzurro…], accompagnées au « piano forte » égrenant ses notes enivrantes et toujours avec cette couleur entraînante et dépaysante que prête le jazz et son rythme « Nouvelle Orléans »[Gong-oh]. Je n’oublierai pas non plus la Milonga qui ne l’a jamais laissé indifférent [Alle prese con una verde milonga ]
A mes yeux, un disque, c’est comme un recueil de poèmes ou les textes ne sont pas choisis au hasard mais entendent faire passer quelque chose qu’il faut lire et découvrir avec sa propre sensibilité sous les notes et sous les mots.
C’est la recherche de la femme, son double, son complément, une étrangère peut-être [Via con me - Elisir] mais aussi quelqu’un qui se situe à la lisière de l’incompréhension et de la complicité, la critique [Sparring Partner], la trahison et l’abandon peut-être, la solitude sûrement [Azzzurro] avec aussi un brin de nostalgie [Ho ballato di tutto], quelque chose comme un amour impossible et un regret du temps qui passe laissant derrière lui la cicatrice des souvenirs.
C’est peut-être une vue de mon esprit, mais je choisis d’y voir une forme de révolte contre la solitude, le temps qui passe et avec lui toute chose, même les plus intimement et amoureusement vécues [Gelato al limon] parce que l’amour peut n’être qu’une passade, qu’une foucade et ne durer que le temps d’une glace au citron, d’une journée à la mer, que la vie transitoire et contingente n’est finalement qu’une comédie, qu’une illusion et qu’il n’en restera rien quand elle aura été rejointe par la mort.
Cette évocation d’Hemingway, que je tiens personnellement comme le plus grand écrivain américain et assurément un témoin et un acteur de son temps, ne peut me laisser indifférent. Elle est à la fois un hommage à sa vie mais passe sous silence sa recherche constante de la mort qu’il finit par trouver dans le suicide. Je fais confiance à Conte pour tresser les mots dans une suite annoncée « Peut-être un jour, m’exprimerai-je mieux ? », dit-il à la fin de sa courte chanson.
Cette existence, ce passage sur terre, n’est pas un long fleuve tranquille, cela nous le savions déjà, le doute et la déprime en font partie et l’image juste évoquée du « Mocambo » et son arrière goût d’échec vient nous le rappeler[Gli impermeabili]. Là, le rythme change, comme pour souligner cette différence d’approche.
Je retiens aussi cette image fugace de cinéma, celle des journaux qui s’envolent [Bartali ], cette enfance à jamais enfuie et si bien invoquée à travers les images de Gênes, une ville et une chanson qui se confondent sous ses doigts et dans sa voix et qui reste pour moi un poème émouvant, un vrai chef-d’œuvre [Genova ].
Son écriture m’a toujours paru délicieusement surréaliste[Gong-Oh – Sparring-partner…] et évocatrice de cette écume des jours qui nous envahit et parfois nous submerge. Paroles écartelées qui répondent à une musique parfois désarticulée où le musicien et le poète se confondent et se rejoignent pour un moment d’exception.
Pour que le tableau soit complet, il lui ajoute une note de dérisoire [Quadrille] et aussi un soupçon de légèreté[ Happy feet]
Ce qui manque dans ce disque apparemment enregistré en studio, c’est le public, son public qui accompagne si bien chacun de ses passages sur scène et qui sait lui témoigner son attachement et son admiration… mais c’est quand même un bon moment.
© Hervé GAUTIER http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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Paolo CONTE
- Par ervian
- Le 30/03/2009
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N°253 – Mai 2006
Paolo CONTE
Cela fait longtemps que sa voix rauque habite ma mémoire.
Le hasard qui gouverne notre vie, la guide et parfois l’éclaire, m’a donné à découvrir ces derniers mois, les paroles de ses chansons et sa musique.
Je suis un amoureux du jazz, un béotien amoureux, sans aucune connaissance artistique, musicale ou technique, mais cette musique m’émeut, me fait marquer le tempo et me transporte, malgré moi, sans un ailleurs indistinct dont les arcanes me sont à la fois complètement inconnues et agréablement enivrantes. Cette musique qui illumine mon quotidien, sans que je sache vraiment ce qui m’y attache, sans que je comprenne pourquoi, moi qui suis incapable de sortir un son agréable d’un instrument de musique et pour qui le solfège reste une écriture illisible, un langage étrange et surtout incompréhensible… Je n’ai pas non plus ces connaissances qui font reconnaître un morceau aux meilleurs aficianados. Non, rien de tout cela, mais j’aime simplement la façon très particulière dont Paolo Conte distille le jazz, son jazz ! Je ne l’ai jamais entendu ailleurs que sur disques mais je comprends pourquoi des foules se déplacent pour l’écouter !
Et pourtant, le rythme que je retiens et qui me parle chez cet artiste, c’est moins le jazz que la musique mélancolique alliée à des paroles qui ne le sont pas moins et qui me plaisent peut-être davantage encore. Elles semblent écrites alternativement avec une encre diabolique, pleine de délire et de liberté au regard des règles académiques, parfois joyeuses, parfois tristes. Les notes semées sur son « piano forte » prennent une couleur plus sombre et nostalgique qui me plaît. Je choisis d’y lire les états d’âme d’un écorché vif par la vie, d’un poète aux amours impossibles qui poursuit inlassablement des chimères qui toujours lui échappent, des fantasmes distillés à travers l’image fugace des femmes entraperçues. Cela ressemble à une quête de quelque chose d’indistinct, situé ailleurs, loin de ces paysages gris et pluvieux d’un quotidien bien ordinaire qu’il barbouille de bleu, mais cette couche de mauvaise peinture ne tient jamais bien longtemps.
Il me semble parfois incompris, parfois délaissé par les femmes qu’il recherche et dont il poursuit l’ombre jusque dans le souvenir comme seuls savent le faire les êtres timides qui s’en remettent au hasard, à la chance qui souvent les déçoivent. C’est comme s’il habillait sa détresse de mots, comme des incantations, comme si ces phrases subitement démembrées et juste suscitées, renouvelaient cette impression première, avec une grande économie de paroles, comme si elles ne voulaient pas venir se poser sur la blancheur de la page ? Il me semble un poète égaré dans un monde qui pourtant l’enchante, avec une lourde valise encombrante. Elle est pleine de désirs inassouvis, de regrets, de remords, de fantasmes, de souvenirs, d’échecs mal vécus, avec la nostalgie de cette enfance comme un pays définitivement quitté sans espoir de retour, mais qui laisse à la bouche un goût d’orangeade, ou de glace au citron, une journée à la mer ou une soirée au cinéma.
Il me semble chercher quelque chose d’inaccessible et sait que sa quête est sans issue. Ses paroles sont parfois à peine chantées, comme si elles exprimaient une plainte qui imprime à l’âme quelque chose comme une empreinte en creux.
Cette nostalgie qui sourd de ses notes autant que de ses mots me plaît bien parce que tout cela est dit plutôt que chanté en italien qui est la langue de la musique, avec en filigranes l’intuition de l’aspect définitivement dérisoire et transitoire des choses et de la vie. S’il rie parfois, c’est pour éviter d’avoir à pleurer sur tout cela !
© Hervé GAUTIER http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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Paolo CONTE - « Elegia ».
- Par ervian
- Le 30/03/2009
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N°254 – Juin 2006
Paolo CONTE - « Elegia ».
(traduction française des textes par Doriana Founier)
Je ne pouvais pas trouver meilleure compagnie pour le 26° anniversaire de cette petite revue qui survit comme elle peut, garde ses marques et son indépendance, avec cette volonté un peu folle qui est la mienne et qui m’étonne toujours, de trouver en elle une véritable raison d’exister.
Dans un précédent numéro, je disais tout le bien que je pensais de Paolo Conte, je vais donc développer en insistant moins sur le jazz qui pourtant le plaît bien que sur la mélancolie qu’il distille dans cet album chanté en italien. C’est non seulement une langue musicale mais également un langage qui se prête à la nostalgie, une sorte de « saudade » portugaise que la voix rocailleuse du chanteur piémontais souligne en l’accompagnant au piano forte.
Il y a, certes, cette « musique rouillée, noirâtre, teinte à chaud de brume-métropole » (Elégia) qui va bien avec ces « ténèbres magnifiques », avec cette quête impossible d’un chemin dans l’obscurité et le brouillard de cette vie décevante où même une maison chinoise peinte en bleu ne peut constituer une réponse, un havre de paix, où le hasard tient lieu de gouvernail, de boussole au milieu des étoiles, des villes étrangères et du temps qui s’en va. « Qui sait, qui sait, le navire passera, qui sait si là quelqu’un y montera… » (Qui sait !)
Tout n’est qu’un décor, celui de la cité et des gens qui s’agitent, pressés par le temps qui fuit. Ils courent avec lui et après lui pour un peu plus d’argent, de considération, de reconnaissance… Et pourtant ce temps-voleur ( je traduirai peut-être « ladron » par voleur au lieu de larron, parce que le temps dérobe toujours quelque chose aux hommes, des moments de bonheur, leur jeunesse ou leurs illusions) est transitoire, fuyant ; il porte et enfante la musique qui elle aussi s’enfuit. Les notes s’envolent, se dissolvent dans l’air, se perdent dans la mémoire. Le temps assassin brûle tout sur son passage et Conte, sans doute, malgré son talent, son sourire et sa voix ne pèse pas lourd face aux rires moqueurs des femmes « Ne ris pas, ne ris pas, serre-moi, serre-moi, parle-moi, embrasse-moi (Ne ris pas) – « Je ne suis qu’un poisson à frire, je suis né pour perdre, ma silhouette vacille et va… J’étais un livre à lire… et tu n’as su qu’en sourire » (Bamboolah).
Il y a cette quête que j’imagine, moi, à jamais inassouvie, celle de l’amour impossible et inaccessible, parce que le véritable message qu’on porte en soi reste une énigme difficile à déchiffrer parce que ceux qu’on aime passeront éternellement à côté, parce que tout cela finit par donner le vertige et on avoue avec lui « Moi, je ne vole pas haut…je sens que ma vie va devenir un film, oui, mais, je l’ai déjà vu ce film, et je ne l’aime pas » (Sandwich man). C’est un jeu souvent cruel, parfois envoûtant, quelquefois décevant. Il en reste une sorte d’aura, mais aussi des interrogations « tu avais jeté un charme autour de toi, toi, qu’est ce tu es pour moi ? »(Elégie), l’envie de tourner avec lui une page de sa vie lue et relue cent fois « je laisse à mon enfance sensibilité et candeur… Je venais d’une vallée où le ciel s’assombrit dans la moiteur » (Elégie). Il a joué un rôle de clown-équilibriste maladroit de surcroît et qui recherche désespérément un peu de tendresse « Ne ris pas… nous sommes des anges ensorcelés par une allégresse infinie … serre-moi, parle-moi, embrasse-moi » (Ne ris pas). C’est effectivement un être incompris, égaré dans un monde auquel il est étranger, avec des espoirs fous, comme un trésor dérisoire « je ne suis même pas du pays, j’ai une valise en carton… mais il y a dedans un bandonéon. »(Le royaume du tango), comme l’évocation de Frisco, ville étrusque… « chic et ambitieuse, comme un sofa de cretonne »(Frisco).
Les mots de Conte viennent quand on ne les attend pas !
Il y a aussi les regrets que nous inspire la vie qui passe et qui s’en va, le temps qui s’enfuit en laissant en nous une empreinte indélébile comme celle que laisse un mal, avec sa douleur et ses souvenirs en signant d’une cicatrice, marque plus claire sur une peau hâlée par l’existence, vivante, mais qu’on porte en soi et qui se rappelle constamment à notre mémoire comme une trace qui ne disparaîtra qu’avec nous. C’est une sorte de quête impossible, de quelque chose qui n’existe que dans notre imaginaire, dans nos rêves inaccessibles « Tu es à la recherche d’un chemin… tu cherches la maison chinoise peinte en bleu », « tu me demandes le chemin, mais la maison chinoise, tu ne la trouveras pas. »(La maison chinoise). Il y a le hasard, l’éternelle interrogation sur les choses de la vie et qui peuvent la faire basculer « qui sait, qui sait, le navire passera, qui sait, si là, quelqu’un y montera » (Qui sait)).
Je n’oublierai pas non plus les couleurs et leur opposition, celles de bleu, de l’indigo, symbole de la lumière et celles de la nuit, de la brume et de l’indistinct, du temps marron. Cela me paraît être le symbole parlant d’un contraste omniprésent au quotidien, bien plus qu’un artifice de vocabulaire, que de simples images…
Conte est le personnage qui se situe à équidistance entre le dérisoire (« oui, mais moi, avec ma veste neuve, je ne travaille pas dans le music-hall. C’est là l’unique vérité… alors[ les gens] se vexent et puis t’oublient et la route continue »(La vieille veste neuve), l’humilité « Bamboula, je suis un poisson à frire… je suis fou de toi, inutile de te le dire mais c’est plus fort que moi… je suis né pour perdre, ma silhouette vacille et va »(Bamboolah), le doute « Qui sait, qui sait, le navire passera » (Qui sait) « peut-être tu ne m’aimeras pas, tu me rencontreras, tu souriras, mais tu ne m’aimeras pas »(Très loin), l’inconnu cher à Baudelaire et l’indistinct « Loin, très loin, c’est là que je veux me rendre dans les bras d’un musique qui arrêterait de parler, forte et pétomane, écrite par le diable, outrage manifeste au monde civilisé »(Très loin). Les paroles semblent comme éclatées, nées d’un douloureux accouchement sur la virginité de la page. S’exprimer est un acte respectable parce qu’il est authentique !
Alors, face à ce combat, il est tentant de se laisser aller. L’écriture est un exutoire, mais pas seulement et la tentation est grande de l’inconnu qu’on dessine soi-même parce que l’image que ce monde nous donne de lui est pleine de contradictions, d’hypocrisies et d’incertitudes et que tout cela devient rapidement insupportable. Alors, on rêve à ce pays étrange « là-bas, là-bas, est ce que sont des personnages ou des rêves, oui, là-bas… ou est ce que ce sont des pensées perdues dans l’immensité obscure »(Qui sait). Il y a le sommeil qui ressemble tant à la mort qui est une délivrance « sommeil lointain…fais –moi voler de montagne en montagne, sans plus penser, sans rien comprendre, sommeil patriarche merveilleux, archaïque plongeon dans l’eau sombre… poudre de riz dans l’air qui vibre de charme magique… tu es une mandarine parfumée et sacrée, sommeil de nuages, sommeil de coupole, sommeil géant, sommeil éléphant »(Sommeil éléphant). Il permet toutes les libertés, toutes les audaces !
Oui, chez Paolo Conte, la musique est envoûtante et parfois merveilleusement désarticulée mais il y a aussi les paroles, écartelées elles-aussi, celles du poète, amoureux et désespéré, écorché-vif et fragile. De la vraie poésie, comme je l’aime !
© Hervé GAUTIER . http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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Paolo CONTE - « Concerti » (1985) « Arena di Verona » (2005).
- Par ervian
- Le 30/03/2009
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N°255 Juillet 2006
Paolo CONTE - « Concerti » (1985) « Arena di Verona » (2005).
Ce qui reste, en tout cas pour moi, d’un concert de Paolo Conte, c’est une impression, celle que me donne le musicien, parce que, avant tout Paolo Conte, c’est une musique, un style, un rythme, bref une originalité.
Cette musique simple et émouvante, mariage heureux entre le saxophone et le piano [Parigi - La topolino amarante – Hemingway], clavier aux touches d’ébène et d’ivoire, de la couleur des notes de la portée, bois vernis du piano, miroir au tain sombre qui renvoie l’image virtuelle des doigts qui le caressent et en tirent alternativement des plaintes mélancoliques[Madeleine] ou un jazz entraînant[Boogie – La vecchia giacca nuova] accompagné par un orchestre talentueux et complice. La note bleue, « la blue-note », reste une quête qui plaît à mon oreille et qui, comme chaque recherche à cette dimension de hasard et d’exercice, de satisfaction et de remise en question. Il y a aussi cet instrument (à vent – à bouche ?) dont je ne connais pas le nom et dont il joue avec gourmandise. Les sons nasillards qui en sortent sont la prolongation de sa voix rocailleuse et envoûtante. Le public ne s’y trompe pas qui l’applaudit et certaines de ces chansons, « Come di », « Un gelato al limon », « via con me », font maintenant partie du patrimoine italien. C’est un chanteur populaire au point que ses meilleurs enregistrements sont ceux qui sont réalisés en concert. Malgré la barrière de la langue, il y a quelque chose qui passe entre le public et lui, comme un fluide et la communion entre eux est complète. C’est que sa voix est unique, basse et un peu rauque. Elle va bien à son style.
Il y a aussi les mots dont la musique non plus ne m’est pas indifférente. Ils procurent un supplément d’âme et d’images à l’auditeur attentif. Il joue sur l’opposition des couleurs alternativement sombres et claires [Il y a dans son écriture une symbolique forte, une opposition poétique. Je ferai probablement un jour cette étude] .
Il y a tout un travail d’écriture sur les allitérations, même s’il est vrai que l’italien est une langue chantante par elle-même. Elle est dit-on, faite pour parler aux femmes, mais Paolo Conte nous parle des femmes avec émotion, talent et amour. Les mots sont évocateurs, en demi-teinte, suggestifs et le souvenir des moments souvent amoureux est à chaque fois fortement tissé (Parigi). Le non-dit suscité est très présent.
Je suis réceptif à cette intention constante de marquer sa différence, de souligner son originalité, sa révolte contre les choses établies, rejetées peut-être ? Je sais que mon hypothétique lecteur va encore se dire que je suis un amoureux impénitent de la mélancolie, parce que l’amour existe mais n’est pas aussi bleu qu’on le voudrait (Bamboolah), pas aussi heureux non plus [« l’amour c’est comme le vent du nord qui balaye les jardins et ruine les rêves de récolte » - Ce n’est pas de moi, mais toujours trouvé ces mots pleins de bon sens et de beauté], parce que la vie est brève, que le hasard existe (Chissa) qui l’embellit ou la noircit, en tout cas il lui imprime sa marque plus souvent que nous voulons bien l’admettre, qu’elle peut être simple mais aussi autre chose, que la mort existe qui vient tout gâcher, que nous sommes mortels avant tout, que la solitude faut aussi partie du quotidien malgré les rencontres, que les souvenirs embellissent l’existence!
Ce que je retiens aussi, ce sont ces images fugaces de cinéma, des journaux qui s’envolent, une glace au citron offerte à une femme, le thème de l’eau toujours récurrent, celui de la mer, de la pluie ou d’une douche chaude, celui de la ville avec ses bruits de vie, celui d’une journée passée à la mer, pour l’unique plaisir de rester seul à regarder autour de soi, de figer le temps sur le papier glacé d’une photographie… Ces paroles ne sont pas un simple habillage des notes, elles sont porteuses d’un véritable message, mélancolique (Il nostro Amico Angionilo), allégoriques (Diavolo Rosso) même si elles sont parfois déconcertantes, surréalistes même, comme s’il voulait garder ses mots pour ne pas les perdre (Hemingway) et insistent sur la mémoire des moments amoureux (Parigi), sur la dérision (La vecchia giacca nuova- La topolino amarante). Elle fait aussi partie de la vie, heureusement, et l’humour aide bien souvent à la supporter, surtout quand le poids du passé, des souvenirs est trop fort.
© Hervé GAUTIER http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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PAULA – Isabel ALLENDE – FAYARD.
- Par ervian
- Le 30/03/2009
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N°275 – Juillet 2007
PAULA – Isabel ALLENDE – FAYARD.
(traduction Pierre Guillaumin)
Avec ce livre, le lecteur replonge dans la généalogie de la famille Allende et dans l'extraordinaire plaisir ressenti à la lecture d'histoires que l'auteur excelle à raconter, mais, cette fois, ce texte est destiné à sa fille qui ne l'entend peut-être pas puisqu'elle est plongée dans un coma prolongé. Porphyrie, nom barbare qui évoque une roche rouge comme de sang! C'est le nom de cette maladie contre laquelle lutte sa fille Paula alors âgée de vingt neuf ans, mais maladie rare et qui n'intéresse personne. Sa mère l'accompagnera donc avec sa présence, ses mots, ses messages d'amour, ses soins...
Pourtant, la lecture de ce livre m'a laissé une impression bien différente du précédent [la FV n°274] Le contexte est certes éloigné de « La maison aux esprits » et le style forcément moins jubilatoire, plus ordinaire, même quand elle évoquent les personnages de sa vie et sa vie elle-même avec son cortège de conquêtes amoureuses, ses périodes de déprime, ses échecs, ses contradictions, la genèse de ses l:ivres dont elle veut parler à sa fille. Mais il y a autre chose, une sorte de malaise que j'ai ressenti tout au long de ce livre. J'ai eu l'impression, fugace d'abord, puis qui s'est affermie à mesure que je tournais les pages, que ce monologue ressemblait un peu à quelque chose comme une relation qui n'avait existé qu'en pointillé entre une mère et sa fille et que, celle-ci étant au pas de la mort, celle-là voulait rattraper le temps perdu, lui dire tout en bloc alors que toutes ces choses auraient pu être distillées patiemment, avec complicité, avec un rythme différent peut-être?
Puisque la mère redoutait la mort de sa fille, j'attendais peut-être inconsciemment qu'elle retraçât sa courte existence à elle pour garder le souvenir de son passage sur terre, mais rien. Il y a bien cette tentative « Tu veux que je te parle de la période de ton enfance... », mais rien sinon l'histoire immédiate du Chili avec les figures de Salvador Allende et de Pablo Néruda, symboles d'une démocratie assassinée... et la vie de sa mère « quarante neuf ans à toute vitesse... » sans autre but que « la poursuite d'objectifs aujourd'hui oubliés » et donc sans importance. Du temps perdu qu'on ne rattrape jamais! Elle le dit d'ailleurs elle-même « Cette fille qui est ma fille, qui est-elle? » ou encore « Ma fille m'a donné l'occasion de regarder en moi, de découvrir des espaces intérieurs vides, obscurs, étrangement paisibles que je n'avais pas encore explorés ».
Je verrais plutôt dans ce témoignage l'illustration d'une des fonctions de l'écriture, celle qui exorcise la douleur de voir ainsi sa fille en souffrance et qui, peu à peu quitte ce monde sur la pointe des pieds, et de l'idée obsédante de devoir aller à l'enterrement de son enfant, d'être désormais seul, orphelin de lui, si l'on peut dire, et donc sans aucun avenir, proclamer aux autres qui soudain choisissent d'oublier jusqu'à votre présence parce que vous n'êtes plus dans la norme, que la mort est un injuste gâchis surtout quand elle emporte un être jeune!
Il y a probablement une autre fonction insoupçonnée de l'écriture qui est celle de la miséricorde après la confession. C'est bien cela aussi, ce livre résonne pour moi non comme un récit mais comme des explications qu'on donne à sa fille dont la vie s'en va. l'auteur se justifie, apporte des réponses aux questions qu'elle suscite elle-même, affirme sans ménagement, cherchant dans tout cela une explication extralucide ou une révélation puisée dans le langage du tarot ou dans les arcanes des songes.
Perdre un enfant est la pire épreuve qui soit, non seulement parce qu'on est seul à affronter cette tourmente, parce que le temps n'a rien d'apaisant, au contraire, et parce que cette douleur ne s'éteindra qu'avec sa propre mort! Le seul baume, dans ce triste bouleversement est l'accompagnement des siens, même si chacun vit cette épreuve à sa manière et comme il le peut. La parole aussi est apaisante et l'écriture procède de cette démarche. Cette forme de création permet l'évasion autant que l'exorcisme et les arcanes de l'inspiration produisent parfois des effets inattendus, étranges, déroutants pour celui-là même qui est censé en être l'auteur, parce que les livres sont un univers douloureux mais parfois s'écrivent tout seuls, quand nous nous y attendons le moins, parce qu'on le porte en soi depuis longtemps et qu'ils choisissent de naître tout seuls, insufflant à leur auteur un peu d'humilité. Il y a aussi ce tourbillon de l'histoire qu'on raconte mais qu'en réalité se compose elle-même au fur et à mesure que l'écriture s'en fait le témoin.
Cette épreuve nous rappelle que, selon les mots d'Aragon « rien n'est jamais acquis à l'homme », que la mort frappe au moment où nous nous y attendons le moins, que c'est une des facettes de la condition humaine contre laquelle nous ne pouvons lutter. Alors, on se raccroche à tout ce qui peut être un point d'ancrage dans cette vie devenue soudain insupportable. On se dit que son souvenir ne nous quittera jamais, qu'il sera plus présent en nous que s'il était vivant... Ce genre d'épreuve transforment à jamais ceux qui la traversent. Elle suscite les choses les plus étranges où se manifeste à la fois l'inconscient, les croyances, la certitude d'avoir des réponses à ses questionnements les plus fous! Il y a aussi cette improbable volonté de voir dans le hasard qui gouverne nos vies, des signes auxquels on veut à toute force être attentif et dans lesquels on veut lire des significations...
Il y a aussi ce rythme permanent et cyclique de la vie, comme si les événements étaient traçés à l'avance, les choses à jamais figées, l'inutile bataille perdue d'avance contre la mort et l'impossible troc de sa propre vie contre celle de celui qui va mourir!
C'est pourtant un livre que j'ai lu avec passion, presque sans désemparer. Ce qui m'a le plus ému, c'est sans doute l'épilogue, la description des gestes et événements, comme en filigranes, qui accompagnent le départ de Paula pour une autre dimension. Paradoxalement peut-être, je ne l'ai pas ressenti comme quelque chose de triste mais plutôt comme un apaisement, avec tous les fantômes des parents disparus, les figures diaphanes des vivants présents ou absents!
© Hervé GAUTIER - juillet 2007
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PAOLO CONTE - Monique MALFATTO – Poésie et Chansons - Seghers.
- Par ervian
- Le 30/03/2009
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N°260- Novembre 2006
PAOLO CONTE - Monique MALFATTO – Poésie et Chansons - Seghers.
Il est des artistes, des créateurs, qui, par hasard, un jour, nous bouleversent par leur talent, leur façon de s’exprimer ou simplement par tout autre chose qui fait qu’on s’intéresse à ce qu’ils font et aussi à ce qu’ils sont, pour l’unique raison que cela éclaire leur œuvre. Il est des livres qui lèvent des coins du voile dont les vrais auteurs se recouvrent, parce que leur vie, et donc leur œuvre, sont autre chose que ce qui doit être jeté en pâture aux médias, parce que cela est dans l’air du temps et répond à une demande des lecteurs avides … Celui de Monique Malfatto est de ceux-là. Je l’ai lu avec passion parce qu’il éclaire la poésie de Paolo Conte, en donne des clés de lecture, parce que, moi aussi, je suis sous le charme de ce chanteur-poète, à la fois secret et chantre de la condition humaine, avec ses joies, ses peines, l’implacable poids de ses contingences et le temps qui inexorablement s’enfuit !
C’est un ouvrage captivant, trop bref peut-être et qui mériterait une suite. Grâce à lui, le lecteur attentif en sait davantage sur cet homme mystérieux et solitaire, à la fois baroque et réservé, catalogué comme crooner, séducteur peut-être, dont on ne retient souvent que le timbre si particulier de sa voix. Je l’avoue volontiers, ses chansons sont longtemps restées dans ma mémoire, à cause peut-être de l’harmonie naturelle d’une langue que je ne comprenais pourtant pas, à cause du son rocailleux de sa voix, des notes distillées par son « piano forte » qui elles aussi faisaient partie de mes souvenirs. Ces traces étaient restées, fortes et ténues à la fois. Je ne suis qu’un pauvre amateur, mais Paolo Conte n’était pour moi qu’un chanteur, qu’un musicien dédié au jazz des années d’avant-guerre, aux rythmes sud-américains, à la mélancolie de certaines de ses chansons…
Ses textes traduits m’ont donné accès à cet univers si particulier, baigné à la fois de surréalisme et de quotidien, d’imaginaire créatif et de souvenirs personnels. Ils tissent un paysage secret et connu pourtant de chacun d’entre nous. D’une certaine façon ses mots agissent à la manière d’un révélateur, nous font découvrir ce que nous connaissons déjà, un effet-miroir en quelque sorte. Cette poésie, si loin de la prosodie, nous est donc, paradoxalement peut-être, parfaitement intelligible parce qu’elle porte en elle des moments de notre propre vie. Il met des mots et des notes sur une expérience personnelle, une idée, et c’est à chacun de nous qu’il s’adresse.
Ses textes nous donnent un supplément de rêve autant parce qu’ils nous renvoient une image intime de nous-mêmes, entre nostalgie, mélancolie, solitude, déprime parfois et instants de folie, de fantasmes ou d’extrême bonheur. Chez lui, le dérisoire, l’humour, le disputent aux souvenirs d’enfance, aux silhouettes de femmes … la vie, tout simplement avec son cortège de doutes, d’échecs mal digérés, d’histoires d’amour jamais oubliées…
Chez lui, point de polémique et d’engagement politique ou religieux. Il y a ailleurs des terrains pour cela et l’art souvent y perd !
Un des grands mérites de ce livre est de donner la parole à Paolo Conte. Il nous raconte sa vie, son enfance à Asti, son attachement viscéral à sa terre natale, son parcours, ses passions, ses moments de galère, son amour du dessin, sa volonté d’être marginal, loin du show-biz et de son monde impitoyable, ses difficultés avec l’écriture, la souffrance face à la page blanche... C’est une manière de se livrer, mais avec tout ce qu’il faut de retenue, de droit au jardin-secret et de volonté de démystifier l’homme public qu’il est devenu autant malgré lui que de part sa propre volonté. Comme si tout cela était arrivé parce qu’il porte en lui des paroles que chacun attend, avec ce détachement et cet étonnement de celui qui enfante des chefs-d’œuvre sans vraiment s’en rendre compte. Ses spectacles, et les disques qui en gardent la trace, sont le témoin de cette complicité qu’il a avec un public international pour qui la langue n’est pas un obstacle, comme si, les mots et leur musique suffisaient à la compréhension du message naturellement universel et profondément humain. Qui prétendra dès lors que la chanson est un art mineur ? Elle permet au contraire de toucher le plus grand nombre de gens dans un siècle à la fois consacré à la communication et à l’abandon des valeurs culturelles traditionnelles et élitistes. Paradoxe peut-être chez cet homme qui confie volontiers sa timidité, qui s’exprime, son écriture en fait foi, toujours avec retenue et « Hésitation ».
Il y a de la désespérance chez lui, parce qu’il est le témoin du passage de l’homme [et de la femme] sur terre, de l’aspect à la fois difficile et douloureux mais aussi sensuel de la vie, de la crainte de la mort... Un mot incarne cela à mes yeux, « le Mocambo », symbole de l’incompréhension, de la solitude, de l’échec malgré une réelle volonté, toujours contrecarrée, d’être autrement.
Paolo Conte symbolise l’Italie au point que certaines de ses chansons font du patrimoine national. Ce ne sont pas des « chansonnettes » comme on a pu le croire au début mais véritablement une invitation à la réflexion mais aussi au rêve. Dans ce livre, il confie son attachement à La France, elle le lui rend bien !
C’est aussi, et c’est bien, un livre qui offre des chansons traduites en français par Monique Malfatto avec un grand sens de la complicité. Elle précise « traduire les textes de Paolo Conte, ce n’est pas traduire en français, un texte italien. C’est traduire Paolo Conte ».
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PAOLO CONTE LIVE
- Par ervian
- Le 30/03/2009
- Dans Paolo Conte
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N°258 - Septembre 2006
PAOLO CONTE LIVE.
(traduction des textes – Monique Malfato – Valter Unfer)
Comme j’ai souvent eu l’occasion de l’écrire dans cette revue, la nouveauté n’est pas le seul intérêt d’une publication. Cet aphorisme personnel trouve ici, encore une fois, son illustration puisque ce disque résulte d’un enregistrement public au « Montréal Spectrum » le 30 avril 1988. D’ailleurs peu importe la date, restent les chansons, la musique et les textes qui n’ont pas vieilli et révèlent l’artiste.
La musique tout d’abord. Le rythme sud-américain dépayse l’auditeur attentif, l’entraîne dans les pas d’un tango qu’on imagine argentin, cette danse énigmatique distillée par son « piano forte » mais aussi par le génial et complice saxophoniste qu’est Antonio Marangolo.
Cette danse, aux origines controversées nous est revenue après avoir été réinventée dans les quartiers populaires de Buenos Aires et fait écho à « la milonga », chère à Conte, mais en est légèrement différente. A l’origine, elle permettait aux hommes venus faire fortune en Argentine de se mettre en valeur face aux femmes en nombre plus limité. Très rythmée, mais aussi érotique, ses pas et figures tiennent l’homme et la femme enlacés dans une sorte de lutte où la sensualité le dispute à la pudeur, la communion des corps à la tristesse de la mélodie. La danse reste un exercice difficile ou « le hasard est léger comme un léopard(où) les figures ont mille nuances », elle laisse parfois place à la rumba qui « est seulement une allégresse de tango »[Dancing]
Les textes de chansons illustrent parfaitement cette atmosphère. Ils mettent en scène, comme toujours un homme et une femme qui, malgré toute l’intimité qui peut exister entre eux semblent demeurer étrangers l’un envers l’autre « Au rythme obscur d’une danse… la femme accueille ses souvenirs, même les plus bêtes et les plus balourds », comme si la danse avait ce pouvoir particulier de susciter le souvenir furtif de ses amants passés, des moments exaltants aussi bien que des erreurs, comme si le tango portait en lui cette contrition « Il y a en elle une sorte de ciel, un vol qui justifie et pardonne toute une vie friponne »[Blue tango]. L’homme, lui, reste secret « Je suis toujours un peu distrait, plus seul et dissimulé »[Dancing]. Leur relation reste intime « Dis-moi plutôt, auras-tu un peu de temps à me dédier dans cette nuit bleue ? » « retrouve-moi, repêche-moi, tire-moi au sort » [Bleu nuit], « Une seconde, je te prie, passe une main comme ça… au-dessus de mes livides… »[Les imperméables] « Mais quelles mains, quelles belles mains, fais-les encore parler avec moi »[Bleu nuit],pourtant, les sentiments existent aussi, embellis par la mémoire « Elle est belle, je sais, le temps a passé mais je l’ai toujours dans la peau… » même s’ils sont empreints d’interdits et d’impossibilités « Mon amour pour elle guidera ses pas dans la joie et la douleur… ce sont des sentiments de contrebande » [Mexico et nuages]. L’homme et la femme, dans les textes de Conte se livrent toujours à une quête sensuelle « Il y a des yeux qui se cherchent, il y a des lèvres qui se regardent…il y a des jambes qui s’effleurent et des tentations qui se parlent »[Aguaplano], leur monde sont différents mais parfaitement complémentaires cependant. Les interrogations font partie du jeu de la séduction comme l’attente et l’envie d’immoralité « Que me donnes-tu, où m’emmènes-tu, me plairas-tu, me comprendras-tu ?… Donne-moi un sandwich et un peu d’indécence [Come me vuoi]. C’est une constante intéressante dans sa démarche créatrice où il y a une dimension de dépaysement mais aussi de volonté de « décalage » comme le montre cette référence quasi constante aux bains et à la musique turcs puisqu’elle est pleine « d’enchantements, de détonations, de pétards » [Come me vuoi » .
Cette fois, c’est en l’Amérique du sud qu’il convie l’auditeur, témoin privilégié de son voyage. Elle constitue, avec la méso-amérique un véritable continent plein de mystères et d’attirance, plein de musique, d’un art de vivre si différent de celui des Européens. Cela va de l’ « altiplano » à l’aspect grandiose et dépouillé, dont l’auteur se limite malheureusement à nous indiquer que « Dieu habite là, à deux pas », au climat tropical qui dispense une lumière « comme un suaire »[Amérique du sud], au décor comme « une arche entre le calme et la tempête »[Amérique du Sud].
Ce disque entraîne l’auditeur attentif dans un autre monde fait de la musique et des mots de Conte. Un enchantement, comme toujours !
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LA MAISON AUX ESPRITS – Isabel ALLENDE – FAYARD.
- Par ervian
- Le 30/03/2009
- Dans Isabel ALLENDE
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N°274 – Juin 2007
LA MAISON AUX ESPRITS – Isabel ALLENDE – FAYARD.
(traduction Claude et Carmen Durand)
Je le confesse bien volontiers, avant ce livre, je ne connaissais pas Isabelle Allende, mais mon irrésistible passion pour les écrivains sud-américains m'a tout naturellement entraîné vers elle. J'ai lu son livre avec gourmandise et intérêt, je n'ai pas été déçu! Faire des comparaisons, évoquer d'autres écrivains qu'on juge “cousins” à la lecture d'un roman est toujours un exercice à haut risque, parce que, sans renier l'apport de ses pairs, même s'il s'agit d'un premier roman[publié en 1994], l'auteur veut toujours être lui-même. La quatrième de couverture sacrifie à ce qu'on peut considérer comme une tradition. Eh bien, que mon improbable lecteur me pardonne, tout au long de la lecture de cet ouvrage, j'ai pensé à Gabriel Garcia Marquez! Ici, j'ai retrouvé sa verve intarissable, son sens du détail où l'humour le dispute à la précision du verbe.
Comme lui, elle a ce don de l'écriture qui prend le lecteur au début du récit par une phrase courte et apparemment anodine, ici “Barrabas arriva dans la famille par voie maritime, nota la petite Clara de son écriture délicate”, et l'abandonne quelques cinq cents pages plus tard, émerveillé par ce qu'il vient de lire, étonné d'avoir pu être tenu en haleine par un récit rendu passionnant autant par un style jubilaitoire que par le sens consommé de la relation d'une histoire où jamais l'ennui ne s'insinue dans sa lecture, ou le réalisme le disputre au burelesque et parfois au tragique, et surtout un peu triste que cela s'arrête!
Je dois également souligner que la traduction n'est pas être étrangère à cette complicité heureuse qui se tisse entre l'auteur et son lecteur.
Isabelle Allende nous invite donc dans cette famille dont elle nous présente chaque membre à travers l'histoire de sa vie et les arcanes de son destin; elle le fait comme un témoin qui rassemble ses souvenirs pour les confier au papier, mais laisse Esteban Trueba, le grand-père qui va mourir, exprimer à la première personne et brièvement, ses états d'âme et ses remords.
Il y a, certes, l'humour qui marque les choses, ce petit arrangement avec l'existence qui permet de s'en moquer. Elle paraît ainsi moins dure, plus acceptable, moins invivable. Il y a, aussi le compte rendu fait au lecteur autant qu'à soi même par l'auteur, l'histoire qui arrache un sourire intérieur en se disant que « voilà au moins quelqu'un qui écrit bien »... Mais quand même, il faut aller au-delà et bien des scène rapportées ne prêtent pas à sourire, bien au contraire. Le talent de l'écrivain force l'attention parce qu'elle rend compte de la réalité de la vie, qu'elle choississe de décrire un paysage désolé, la condition du petit peuple ou l'édification d'une fortune, la décrépitude d'une personne en fin de vie. C'est que l'histoire de cette famille, racontée sur trois générations se confond avec l'histoire de ce pays d'Amérique latine jamais nommé, mais que le lecteur identifiera facilement, surtout à la fin parce qu'il évoque désormais la démocratie assassinée, mais aussi parce que le nom de l'auteur y est également et définitivement associé. Elle y plante le décor, dans cette maison labyrinthique dite « du coin », elle est un peu une unité de lieu comme l'est aussi celle des « Trois Maria ». Esteban Trueba y traverse le temps, y bousculent les événements, les épousent en fonction de ses intérêts ou de ses convictions, entouré de ses bâtards, de ceux qu'ils appelle pompeusement « ses gens », de flagorneurs et surtout de femmes. Car les véritables personnages de ce roman sont des femmes, Rosa la belle qu'il ne put épouser, Clara la clairvoyante qui la remplaça, Blanca sa fille et Alba sa petite-fille, et même secondairement les soeurs Mora, Férula et Transito Solo... Chacune d'elles imprime sa marque, pèse sur ce qui fait la trame de cette histoire. Certaines d'entre elles ont des dons pananormaux et, invoquant les esprits des morts, les font réapparaître et lisent l'avenir dans leurs rêves. C'est à Alba, sa petite fille et non à un mâle, qu'il passe en quelque sorte le relais et la responsabilité de transmettre la vie et de faire perdurer la dynastie qu'il a fondée. C'est le souvenir de son épouse morte qu'il invoque avant lui-même de remettre son âme à la mort. Pourtant, au risque d'étonner mon lecteur, je dirai cependant que cette histoire est assez banale. Toutes les familles comptent dans leur sein des êtres uniques qui emplissent l'espace autour d'eux et parfois écrasent ceux qui vivent dans leur ombre. Ici, l'art de la romancière transcende les événements qu'elle rapporte, met en scène les personnages pour le plus grand plaisir du lecteur.
Dans un roman, on prend la mesure du temps et de l'usure des choses, de la dimensions des personnages, de leur côté dérisoire et parfois ridicule. Le lecteur attentif comprend que le monde y est petit et que la vengence qui anime les êtres finit toujours par déverser son fiel, il assiste à la réalisation de cette fresque sans fard de la condition humaine, de ses grandeurs, de ses facettes cachées, pitoyables ou secrètes parfois, de sa force mais aussi de ses fragilités... comme dans toutes les sagas, il y a ceux qui réussissent et ceux qui lamentablement échouent, ceux qui s'adonnent aux plaisirs de la vie et qui lui brûlent des cierges, ceux qui préfèrent parler à Dieu et Lui offrir encens et prières, ceux qui veulent tout changer et ceux qui jettent sur elle le regard désabusé du spectateur blasé que rien n'étonne plus, ceux qui choississent de n'être rien qu'eux-mêmes... Au cours de ses chapîtres on célébre la vie mais la Camarde pousse son linceul... Par le miracle à chaque fois renouvellé des mots, les morts ressucitent et les souvenirs se débarrassent de leurs scories de malheur, s'habillent d'une douce patine.
La vie, l'amour, la mort, ces thèmes éternels peuplent les romans depuis que l'écriture a été instituée comme support de la mémoire, des fantasmes et de l'imagination, comme moyen d'exprimer ses joies et d'exorciser ses peines, parce que, malgré les apparence, le livre est un univers douloureux où l'auteur modèle à l'envi d'évanescentes aquarelles, des esquisses sombres ou des dessins couleur sépia.
© Hervé GAUTIER - juin 2007
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QUELQUES MOTS SUR JULIEN GRACQ [1910-2007].
- Par ervian
- Le 30/03/2009
- Dans JULIEN GRACQ
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N°289– Janvier 2008
QUELQUES MOTS SUR JULIEN GRACQ [1910-2007].
Je ne veux pas ajouter aux compliments que la presse et des intellectuels ont formulés à l'occasion du décès de Julien Gracq.
C'était un homme secret qui fuyait volontiers micros et caméras, le contraire d'un homme moderne, exactement ce qu'il ne faut pas faire actuellement si on veut briller de ce halo pourtant blafard mais tant souhaité, dans cette société où tout n'est que superficialité et apparences! Ce que je retiens de lui, essentiellement à travers deux livres, « Le Rivage des Syrtes » et « Le Balcon en forêt », c'est d'abord une écriture fluide qui servait si bien notre belle langue française. Elle a bien besoin, et plus que jamais aujourd'hui, de ces chantres à la fois discrets et inspirés qui savent lui rendre l'hommage qu'elle mérite et créer, à travers les mots, un complicité avec le lecteur attentif. J'ai apprécié cette musique délicate distillée à travers le léger feulement des mots, la précision des descriptions, la richesse du vocabulaire, la délicatesse des décors qu'il suscitait. Il y a dans sa créativité littéraire quelque chose d'insaisissable, d'attachant, à l'image de l'aspirant Grange qui, au début de cette « drôle de guerre » garde une portion de territoire sans savoir exactement ce qu'il fait là, ou Aldo, affecté à la surveillance d'une côte ennemie, qui donne au lecteur une sorte de vertige du néant.
Il est vrai que cet écrivain discret avait été quelque peu oublié ces dernières années. Peut-être ne lui avait on jamais pardonné d'avoir refusé le Prix Goncourt obtenu pour « Le Rivage des Syrtes » en 1951, d'avoir aussi dénoncer toute sa vie la comédie littéraire que chaque auteur se doit probablement de jouer, cette sorte de suffisance intellectuelle, qu'il convient d'afficher quand on est un écrivain consacré, d'avoir été simplement, si je puis dire, un professeur de géographie, agrégé quand même, d'avoir fait une carrière modeste d'enseignant, de n'avoir jamais fréquenté les salons parisiens, leur préférant sa retraite de St Florent le Vieil, d'avoir choisi un éditeur peu connu, mais qui a su lui faire confiance au bon moment, au lieu des « éditeurs prestigieux » ou prétendus tels, dont l'un d'eux pourtant refusa la manuscrit du futur prix Goncourt, d'avoir suscité malgré lui la jalousie pour être, de son vivant, entré à « La Pléiade »? Allez savoir!