la feuille volante

Articles de hervegautier

  • L'EMPREINTE DU DIABLE – Arthur Upfield

    N°636– Mars 2013.

    L'EMPREINTE DU DIABLE – Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Parce que le "Chalet du Panorama" offre le calme d'une belle pension dans l'état du Victoria, l'inspecteur Bony s'y rend pour une courte période de vacances. Est-ce lui qui attire les ennuis, en tout cas on découvre au matin le cadavre en robe de chambre de M. Grumann, un autre pensionnaire. Le même jour, l'officier de police local venu faire les premières constations est assassiné par un homme qui se prétend l'ami de M. Grumann et qui, après son forfait, prend la fuite. Cela fait un peu beaucoup et surtout que ce n'est pas une bonne publicité pour cette petite pension réputée calme et dirigée par Mlle Jade.

    En réalité, si Bony est sur place, c'est moins pour prendre des vacances que pour surveiller, et ce pour une fois pour le compte de l'armée, ce M. Grumann qui en réalité est un général allemand, officiellement mort à la fin de la 2° guerre mondiale, et qui détient des secrets militaires. Pour corser le tout, les bagages de ce général ont disparu et celui qui l'a assassiné, Marcus, s'avère être un dangereux trafiquant de drogue international. Bony évoque même à son sujet un auteur de romans policiers local.

    A la suite de péripéties, notre limier finit par récupérer ce que détenait l'ex officier allemand sous forme de micro-films. Sa mission officielle est donc terminée. Bony reste cependant un policier et bien qu'il n'en soit pas chargé et qu'il ne soit pas dans sa circonscription, souhaite éclaircir le mystère de la mort de ce général. Dans ce but, il revient au chalet terminer ses "vacances" tant le séjour lui est agréable, à moins que ce ne soit le charme de son hôtesse ! Le battage fait autour de ce double meurtre a attiré d'autres pensionnaires et, avec la collaboration active de Bisker, un homme à tout faire du chalet, il entreprend des recherches qui tournent autour d'empreintes laissées par un homme qui chausse... du 46 et qu'il soupçonne d'être pour quelque chose dans le meurtre de Grumann. Les empreintes laissées sur la pelouse sont attribuées ... au diable, tant elles sont étranges.

    Pour autant Bony ne perd pas de vue son idée et son histoire de chaussures devient presque obsédante au point qu'il observe maintenant tous ceux qu'il croise... et la dimension de leurs pieds ! Je ne parle même pas des traces qu'ils laissent sur le sol en se déplaçant puisque ce détail n'échappe pas au demi-aborigène qu'il est aussi. Au cours de ses investigations, il apprend que Clarence Bagshott, l'écrivain local, par ailleurs bien bizarre dans son comportement et dans son histoire, chausse du 46 !

    Tout cela finira par s’éclaircir, mais laborieusement quand même et les explications fournies ramène le lecteur à la Seconde Guerre mondiale et ses activités d'espionnage.

    Comme toujours, j'ai trouvé ce roman passionnant du début à la fin non seulement à cause du suspense lentement distillé mais je n'ai pas été insensible non plus aux descriptions des paysages..

    © Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CRIME AU SOMMET – Arthur Upfield

    N°635– Mars 2013.

    CRIME AU SOMMET – Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Cinq mois plus tôt, deux randonneuses ont disparu dans les montagnes australiennes du Grampians et le jeune inspecteur Price, parti à leur recherche, a été retrouvé mort, tué par balle. Napoléon Bonaparte, alias Bony, inspecteur de police de son état, va donc mener son enquête mais, pour protéger sa vie se fait passer pour John Parkes un éleveur modeste d'une autre région qui prend des vacances pour la première fois de sa vie. Il descend bien entendu dans l’hôtel de Baden Park, là où les deux jeunes filles ont été vues avant leur disparition.

    L’hôtel est à peu près désert à cette période de l'année et Bony y rencontre le patron, Jim Simpson et sa sœur, le père de ces derniers, infirme, alcoolique et un peu malveillant qui parle un peu trop au goût de ses enfants et notamment d'un cadavre qui serait dans le cellier. Le policier y rencontre aussi un perroquet bien bavard et quelque peu irrespectueux. L'esprit toujours en éveil de Bony ne manque pas d'être impressionné par le patron, Jim, et sa curieuse habitude de jouer de l'orgue mais surtout de porter des vêtements élégants, de rouler dans une voiture luxueuse, ce qui est plutôt surprenant dans ce coin perdu. Toujours à l’affût, il sympathise avec le père du patron qui lui parle d'un employé, Ted O'Brien, viré parce qu'il fréquentait d'un peu trop près le cellier, mais seulement après la disparition des deux jeunes filles. Il a été remplacé par Glen Shraron, un américain, accessoirement lanceur de couteaux.

    Bony ne manque pas de mener discrètement des investigations dans les alentours de l'établissement mais le vieux Simpson se révèle plus matois et hâbleur qu'il ne l'aurait cru. Le policier remarque cependant qu'il existe des contradictions et même des zones d'ombre dans le rapport d'enquête et ne laisse d'être intrigué par les voisins de l'hôtel mais aussi par Jim qu'il découvre vantard et menteur et par son employé américain. Apparemment tous les deux s'intéressent à lui et notre policier subodore un trafic de moutons, de pierres précieuses et s'interroge sur la raison de cette clôture qui protège la propriété des voisins de l'hôtel. Puis les choses s'accélèrent et Bony doit quitter l'hôtel en catastrophe, prié de déguerpir par le patron lui-même. L'enquête que Bony a entamée ayant ainsi quelque peu été contrariée, il n'est pas homme à se laisser décourager et, pour mener à bien sa mission, il opéra une transformation au terme de laquelle, en se fondant dans la nature, il renouera en quelque sorte avec ses gènes. Il est en effet un métis qui a vécu dans sa jeunesse chez les aborigènes du bush et sait parfaitement maîtriser une telle situation. Il sera secondé par la chance qui lui procurera un allié inattendu, vivra bien des rebondissements et parviendra à reconstituer le cheminement criminel et, bien entendu, par mener à bien sa mission qui est de libérer les deux jeunes filles.

    Bony est vaniteux, très conscient de sa supériorité qu'il tient d'un mélange de logique occidentale et de bon-sens aborigène, mais cela ne le rend pas antipathique pour autant. Je note cependant que dans ce roman, il est mis en présence d'un cadavre, ce qui suffit à la déstabiliser durablement. C'est sans doute très étonnant dans le cas d'un inspecteur de police de sa qualité mais, sur le plan de l'écriture, j'ai particulièrement apprécié l'évocation de cette scène autant que la description des paysages grandioses. J'ai goûté ce roman qui se lit facilement grâce au style agréable, au découpage en courts chapitres et à la subtile distillation du suspense. En outre, je ne dirai jamais assez l’importance de la traduction qui, ici offre un texte fluide et un grand confort de lecture. L'intrigue, même si elle évoque à la fin un trésor de guerre et prend donc une dimension internationale, a au moins l'avantage de solliciter l’imagination du lecteur.

    Je suis volontiers entrer de plain-pied dans l'univers de cet auteur que je ne connaissais pas. Je ne regrette pas !

    © Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MEANDRE DU FOU – Arthur Upfield

    N°634– Mars 2013.

    LE MEANDRE DU FOU – Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Une maison isolée, au centre d'une grande propriété dédiée à l'élevage des ovins, celle de Madden, est construite sur le méandre d'un fleuve maintenant à sec à cette saison. Nous sommes dans la région de Quennsland (Australie). Cette maison est habitée par Bill Lush, le second mari de Mme Madden, ancien ouvrier devenu éleveur par son mariage, par sa femme et par Jill, 19 ans, sa belle-fille.

    Un soir où Bill rentre soûl comme à son habitude, un drame se joue dans cette maison et Mme Madden meurt le lendemain des mauvais traitements qui lui ont été infligés par son mari pour une sordide question d'argent. Le lendemain, Bill est introuvable, ce qui inquiète les autorités. L'inspecteur Napoléon Bonaparte, Bonny pour ses amis qui sont nombreux, et qui se préparait à partir en vacances se charge lui-même de cette enquête. John Lucas, le gendarme local sera son adjoint. Il y a peu d'indices, la porte d'entrée, neuve, a été remplacée en catastophe par une plus ancienne puis brûlée, à la demande de sa mère pour éviter le scandale. Jill avait tiré dans sa direction avec sa carabine pour éloigner Bill qui commençait à la défoncer avec une hache et menaçait ses occupantes. De plus, il y a un trou dans le plafond qui correspond au calibre de l'arme de Jill et c'est à peu près tout. Bony envisage toutes les hypothèses depuis le fuite de Lush ou un banal accident jusqu'à son assassinat par Jill qui a d'ailleurs pas mal de raisons pour cela. Au cours de son enquête il apprend à mieux la connaître ce qui tranche avec son impression première.

    D'autre part, ses investigations lui apprennent que Lush était un sale type que beaucoup aimeraient voir mort, ce qui multiplie les suspects. Il n'en manque pas parmi tous ceux, trimardeurs ou gens du coin, tous avec un casier judiciaire plus ou moins chargé, qui, le soir de la disparition de Bill, étaient dans le coin. Malheureusement pour lui, le mobile lui échappe et semble même inexistant. Bony s'installe donc dans cette maison dans l'attente éventuelle venue de Bill qu'il veut arrêter pour le meurtre de sa femme puis dans celle des voisins, les Cosgrove. Dehors la crue du fleuve menace et la pluie s'est mise à tomber. Tout cela va faire disparaître les rares traces qui subsistent encore. Le temps presse donc d'autant que le lit du fleuve, maintenant plein d'eau, entrave son enquête. Elle prend un tour nouveau par la découverte du corps de Bill atteint d'un balle mortelle mais qui cependant pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses.

    Décidément, je le trouve bien ce Bony ! C'est une sorte d'Hercule Poirot qui prend son temps pour démêler le nœud gordien d'une enquête compliquée, fait bon marché de la procédure et des règlements, méprise la hiérarchie. Bref, c'est un enquêter un peu atypique, qui agit à son rythme et selon ses méthodes, accepte de se remettre en question et combat autant les évidences que ses inclinations naturelles. Il est têtu, tenace et même, à l'occasion un peu joueur. Ici le lecteur sent qu'il aime bien Jill et qu'il la soupçonne fortement d'être la meurtrière de son beau-père. L'important est que tout cela débouche sur une réponse satisfaisante. Malheureusement ici, son allié traditionnel qu'est le temps lui fait faux bon et il n'aura pas trop de son talent, de sa capacité de déduction et surtout de son indéfectible chance pour conclure.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA MAISON MALEFIQUE - Arthur Upfield



    N°633– Mars 2013.

    LA MAISON MALEFIQUE - Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Étrange affaire dont le titre rappelle un peu un "Agatha Christie" pour le non-moins étrange inspecteur Napoléon Bonaparte, Bony pour les amis, qui s'est volontairement chargé de cette enquête. De quoi s'agit-il donc ? On a retrouvé, flottant sur l'étendue d'eau qui entoure la magnifique maison des Answerth, le cadavre étranglé de la mère, 69 ans, seconde épouse de Jacob Answerth qui s'est lui-même suicidé d'une balle dans la tête, il y a quelques années alors que sa situation financière était prospère et qu'il n'avait aucune raison particulière pour cela. Ce n'est pas la première mort suspecte constatée dans le coin puisque un boucher du nom de Ed Carlow a subi le même sort quelques mois auparavant et il y aura même, durant l'enquête, une tentative avortée suivie d'un autre meurtre.

    Dans la maison-île vivent les trois héritiers de cette famille : Mary, 44 ans, la terreur de la maison, aussi hommasse et violente que Janet, sa sœur de 41 ans est douce et artiste, et Morice, 27 ans, leur demi-frère, attardé mental mais athlétique et demeuré en enfance. Avec eux vivent deux employés, le cuisinier et ancien chef des gardiens de troupeaux, Albert Blaze et Mrs Leeper, également cuisinière et dédiée à la bonne tenue de cette grande maison. Elle a cependant a été infirmière en chef dans un hôpital psychiatrique et rêve d'ouvrir son propre établissement.

    Il reste donc à notre fin limier, venu tout exprès de Brisbane (Australie), à enquêter et découvrir l'origine de la fortune, semble-t-il douteuse de Ed Carlow qui aurait peut-être un rapport avec le meurtre de Mrs Answerth d'autant que cette famille s'est enrichie pendant des générations en massacrant les aborigènes, spoliant les gens et détruisant la nature. Il y sera aidé par ses origines puisqu'il est un métis australien, élevé dans une tribu du bush qu'il connaît bien et qu'il partage avec ces peuplades l'amour de la nature. Il témoigne d'une bonne dose de pragmatisme, use de psychologie, de patience, de méthode, met en œuvre des idées originales qui, à ses yeux, justifient un meurtre et recherche inlassablement dans le passé, dans les secrets de famille, ce qui peut l'expliquer. Il a décidément beaucoup de flair et cela ne s'applique pas uniquement à sa capacité de déduction et à son sens des réalités.

    Il se moque de la hiérarchie, de la bureaucratie et de la "politique du résultat", assemble patiemment tous les morceaux du puzzle, remettant sans cesse en question les évidences et les apparences. Il obtient souvent des renseignements là où d'autres échouent. Il en conçoit même une certaine suffisance, ce qui ne le rend pas antipathique pour autant.

    Reste cette "Maison Maléfique" où règne une atmosphère étrange. Elle tire son surnom du malheur qui s'accroche à elle et à ses habitants ou peut-être à cause de "l'os pointé" par les aborigènes sur ceux qui les ont exterminés, une sorte de malédiction dont l'eau qui entoure ce manoir n'est que la marque visible...

    J'ai trouvé ce roman passionnant du début à la fin, le suspense y étant lentement distillé au rythme des investigations de cet inspecteur décidément attachant.

    J'avoue que je ne connaissais pas Arthur Upfield [1888-1964], reconnu comme le père du polar ethnologique et qui est un auteur prolifique puisqu'il a publié 33 romans. J'ai apprécié l'ambiance de ce roman, la manière tout en nuances de procéder de Bony autant que le dépaysement né des évocations poétiques de ces paysages. Cet ouvrage est pour moi l’invitation à explorer davantage l'univers de cet auteur.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE TEMPS DE GRÂCE- Maria Judite de Carvalho

    N°632– Mars 2013.

    LE TEMPS DE GRÂCE- Maria Judite de Carvalho - Éditons de la Différence.

    Traduit du portugais par Simone Biberfeld.

    Mateus Silva revient 25 ans après dans la maison de son enfance, au bord de la mer, dans le but de la vendre puisqu'il a besoin d'argent. Cet argent, ce n'est pas pour lui qui vit de peu comme un simple employé de bureau qu'il est, mais pour sa compagne, Alberta, gravement malade et qui va mourir. Elle a toute sa vie voulu voir l'Acropole et souhaiterait réaliser ce vœux. La vente de la maison de son compagnon est uniquement destinée à cela. Mateus, quant à lui, ne met aucun regret dans cette transaction, c'est plutôt pour lui une occasion de tourner la page de son enfance et sans cette circonstance il ne l’aurait probablement pas fait. Pourtant, sans le savoir, il va réveiller des fantômes.

    Il va donc rencontrer José Osorio, l'ancien voisin de ses parents, propriétaire d'une petite usine et d'immeubles de rapport, qui s'est porté acquéreur de la bâtisse. Il est aussi le père de Jorge qu'on appelait amicalement Ginho, l'ami d'enfance de Mateus, son complice de jeux. Il est maintenant médecin à Lisbonne et va faire un riche mariage qui fera de lui un notable, exactement le contraire de Mateus. Ses parents sont évidemment fiers de lui, beaucoup plus que de leur fille, Natalia née bien après et qui ne survit que grâce aux subsides de ses parents.

    Mateus retrouve aussi Mercês, la mère de Ginho et donc l'épouse de José. Cette femme l'a fait rêver quand elle était jeune tant elle était belle. Elle n'a pas fait rêver que lui d'ailleurs, son père a été son amant ce qui a provoqué la séparation des parents de Mateus, la fuite de ce père inconstant et sa mort à l'étranger quelques années plus tard. Sa mère s'est installée comme modiste et survécu péniblement à Lisbonne avec son fils. Puisque ses deux parents sont morts maintenant depuis longtemps et qu'il ne viendra jamais habiter ici, Mateus se sent capable de vendre cette maison et aussi peut-être de se débarrasser de ses mauvais souvenirs.

    De cette foucade de son épouse, José n'a peut-être rien su ou a fait semblant de ne rien voir. Pour éviter le scandale ou parce qu'un divorce nuit aux affaires, il a gardé cette femme, la mère de ses enfants, malgré ses autres aventures amoureuses. Autrement dit, il a préféré le cocuage à la solitude mais elle a considéré que sa beauté méritait bien l'hommage de bien d'autres hommes. Leur vie s'est organisée ainsi, dans le mensonge et l'hypocrisie et l'entrevue qu'ils ont avec Mateus à propos de cette transaction est emprunte de ces mêmes non-dits.

    Maintenant le temps a passé, la maison de famille est bien délabrée à force d'avoir été fermée pendant si longtemps et José sent qu'il fera une bonne affaire en l'achetant. Il sait qu'elle est bradée et songe même à la démolir. Ginho ne sera jamais plus le complice de Mateus et ils n'auraient sans doute plus rien à se dire s'ils se rencontraient, quant à Mercês, elle a vieilli et sa légendaire beauté s'est fanée.

    Mateus n'est pas heureux dans sa vie, ni dans son bureau de Lisbonne où il n'est qu'un banal employé sans envergure, ni à la maison avec Alberta dont il s’accommode de la présence faute de pouvoir faire autrement. Il ne l’aime guère mais veut lui faire l'ultime cadeau de ce voyage dont elle a toujours rêvé. Il sait cependant qu'elle n'en aura pas le temps. Il se console en se disant que bientôt, quand sa compagne sera morte, il sera seul et c'est sans doute ce qu'il attend parce que, malgré les circonstances, il ne conçoit pas sa vie différemment. Libre et adulte enfin, il sera probablement heureux mais il y a fort à parier que la vie qui l'attend ne sera pas vraiment différente de celle qu'il mène actuellement. Puis viendra son tour d'entrer dans la mort, parce que la condition humaine est ainsi faite et que nous sommes tous mortels. Quant à l’isolement connaissent les différents personnages de ce roman et malgré toutes les formes qu'il peut prendre dans chacune de leur vie, Maria Judite de Carvalho semble nous dire qu'il est inné et baigné par l’égoïsme. Doit-on y voir une apologie de la solitude ? Peut-être. Mateus vit avec une femme qu'il n'aime plus, parce qu'"amour" ne rime pas avec "toujours" et que tout s'use. Nous ne savons rien d'elle mais elle aussi a pu exercer son libre-arbitre dans le passé. Il ne l'a probablement jamais aimée mais a tenté avec elle une liaison pour faire semblant de vivre... En vain et il n'attend que sa mort pour être enfin lui-même même si ce n'est pas vraiment différent d'avant. Mercês ne vit maintenant plus que dans le souvenir de ses foucades amoureuses passées, Ginho est lointain, plus passionné par son métier que par sa mère qui a trahi son mari et ses enfants et Natalia est complètement désorientée. José n'est plus maintenant intéressé que par l'argent. Il est un fait que, dans cette vie, si on ne veut pas être trahi, mieux vaut vivre seul !

    Je suis entré dans ce récit non seulement peut-être parce qu'il m'a semblé qu'il incarnait l'âme lusitanienne, cette sorte de saudade si caractéristique mais aussi, et peut-être surtout parce qu'il est le reflet de bien des vies. Le livre refermé, il me reste une sorte de mélancolie que je ne refuse pas pour moi-même et que j'aime tant retrouver chez Fernando Pessoa dont cette chronique s’est souvent fait l'écho.

    Je ne connaissais pas Maria Judite de Carvalho [1921-1998] avant d'avoir lu ce bref roman. Le style n'est guère orignal et l'écriture est plutôt minimaliste mais pas désagréable à lire. Quant au sujet traité, il est existentiel et même un peu angoissant, mais finalement est le reflet de la vie.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • MADRID, CETTE ANNEE-LA- Daniel Chavarría

    N°631– Février 2013.

    MADRID, CETTE ANNEE-LA- Daniel Chavarría.

    Traduit de l'espagnol par Hélène Gisbert.

    Nous avons tous dans notre mémoire des souvenirs qui y sommeillent ou qui y macèrent suivant qu'ils sont bons ou mauvais. Même pour nous, il n'est pas aisé d'y mettre des mots, de les exprimer pour les exorciser, les apaiser et ainsi de nous en libérer, pour qu'ils aillent rejoindre la cohorte des choses qui font notre expérience de cette vie. Cela peut prendre la forme d'un simple aveu intime ou d'une confession publique mais l'émotion est toujours là puisqu'une telle démarche, quelle que forme qu'elle prenne n'est jamais anodine.

    La lecture de la quatrième de couverture nous apprend que ce récit est une histoire vraie que Chavarría choisit de faire partager à son lecteur sous la forme d'une fiction avec toutes les modifications que cela implique. Après presque quarante années de silence, il exhume une vision que, même marié et père de famille, il n'est jamais parvenu à oublier. C'était en 1953, il n'était pas très riche, avait alors dix neuf ans, l'âge de tous les possibles, et il avait résolu de quitter sa famille en Uruguay pour aller vivre en Europe et y apprendre l'art, le théâtre... Il s'embarqua donc sur un transatlantique où il rencontra une femme, Gaby, dont il tomba instantanément amoureux. Elle était tellement belle que cette vision tint pour lui de l'apparition Malheureusement, même si elle voyageait seule, elle était mariée et heureuse en amour. Pour corser le tout, lui, bien que précoce à bien des égards, était naturellement timide. Il se dit qu'un bateau qui effectue ainsi une aussi longue traversée est un microcosme où tout est possible, mais la passade qu'il espérait ne se réalise pas. Accostant en Espagne, il improvise pour palier son manque d'argent, se fait guide au musée du Prado, mais cette femme qu'il suit toujours autant par admiration que dans le fol espoir de partager son lit se révèle enceinte, mais pas de son mari. Pour autant, touché par cette histoire, il décide de l'aider mais elle se résout à rejoindre Kurt, le père de son enfant, en Allemagne. Devant un tel revirement de situation, Daniel choisit le voyage pour se guérir de cette femme mais finit par rencontrer Kurt et prend conscience que Gaby n'est rien d'autre qu'une manipulatrice capable des plus horribles mensonges. Du coup, l'image idyllique du début en prend un sérieux coup.

    J'ai entamé la lecture de ce livre à cause de la vie de Daniel Chavarría (né en 1933 en Uruguay) qui est un véritable roman. Effet, avant de devenir écrivain et professeur de littérature classique à l'université de La Havanne, il a fait beaucoup de métiers et même vécu des expériences uniques qui l'ont profondément marqué. Pour autant, j'ai été déçu par ce roman qui se veut le compte-rendu de cette "aventure", peut-être à cause du style sans recherche, des revirements un peu trop invraisemblables ou peut-être de cette histoire qui promettait d'être passionnante au début et qui, pour moi, s'est révélée décevante. Qu'il ait voulu faire de cette tranche de vie un roman ne me gêne pas, mais le résultat m'a paru peu probant.

    Ce que je retiens cependant, c'est que cette amour impossible entre Gaby et Daniel se transforme, avec le temps et les cheveux blancs en une amitié durable. Même si je ne suis pas entré dans cette histoire, je retiens que la création littéraire est une force qui transforme et apaise, que les mots sont un extraordinaire baume.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Michael Edwards

    N°629– Février 2013.

    Quelques mots sur Michael Edwards.

    Entre les frasques franco-russes de Gérard Depardieu, les velléités politico-promotionnelles de Ségolène Royal, la viande de cheval qui devient du bœuf et l’hypothétique redressement de nos finances publiques, un fait important est sûrement passé inaperçu : c'est l'élection à L’Académie française de Michael Edwards.

    Ce n'est pas la première fois que notre académie ouvre ses portes à un écrivain étranger d'expression française. Elle avait déjà honoré d'une élection Marguerite Yourcenar en 1980. Cette année, Michael Edwards, né en 1938 près de Londres est en effet citoyen britannique mais bénéficie de la double nationalité. Docteur de l'université de Cambridge, il est l’auteur de plusieurs essais sur Shakespeare. Marié à une française, il enseigne dans de prestigieux établissements tels que notamment le Collège de France et l’École Normale supérieure de la rue l'Ulm. Il a choisi de décliner une grande partie de son œuvre littéraire dans notre langue.

    Après une thèse sur Racine, dans les années 60, il enseigne la littérature française à l'université de Warwick et se lie avec des poètes anglais et français, ce qui lui permet d'avoir une vision personnelle sur ces deux expressions poétiques.

    Le 21 février dernier, il a été élu au fauteuil de Jean Dutour (fauteuil 31). C'était la troisième fois qu'il se présentait.

    Il est également poète et critique littéraire, témoin d'exception de la culture anglaise et française, à la fois spécialiste de Shakespeare, de T.S Eliot mais aussi de Baudelaire, de Racine ou d'Yves Bonnefoy.

    Il a cette extraordinaire faculté de s'émerveiller de l'instant et du lieu, même les plus anodins, comme savent le faire les poètes face au spectacle du monde, en exacte opposition avec la vision traditionnelle du l'habitant de "la tour d'ivoire", enfermé dans ses pensées et dans son monde intérieur. Il jette sur le spectacle de la vie un regard à la fois neuf et étonné, aussi attentif à la vision des beautés de Paris qu'à la moindre des choses du quotidien. Dans une société où tout va trop vite et surtout de travers, où les choses s'apprécient de plus en plus à l'aune de leur valeur commerciale et financière, c'est plutôt rassurant de l'entendre parler de culture et de littérature.

    "La vie est un rêve dont il faut sans cesse se réveiller" rappelle-t-il, une invitation à le suivre dans l'enchantement permanent qui est le sien, dans sa démarche de l'observation des choses. Il le dit aussi simplement que cela en évoquant"Le bonheur d'être ici".

    Écrivain à la fois de langue française et anglaise, il n'en est pas pour autant un traducteur puisqu' aussi bien, lorsque, ayant écrit un poème en anglais, la version française qu'il en donne est non pas une traduction mais une véritable création nouvelle.

    Bien entendu, cette chronique restera passionnément attentive à l’œuvre de Michael Edwards.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE LIVRE DE L'INTRANQUILLITE – Fernando Pessoa

    N°624– Février 2013.

    LE LIVRE DE L'INTRANQUILLITE – Fernando Pessoa - Christian Bourgois Editeur

    Il s'agit d'une œuvre posthume de l'écrivain portugais Fernando Pessoa [1888-1935], attribuée par lui-même à Bernardo Soares un « semi-hétéronyme », c'est à dire un des nombreux doubles de l'auteur qui incarnent autant de facettes de sa personnalité. Pessoa n'a en effet presque jamais signé ses œuvres de son vrai nom mais il est cependant reconnu comme un des plus grands écrivains portugais alors même que son nom signifie « personne ».

    C'est un recueil de réflexions, de pensées, de poèmes en prose écrits de 1913 à 1935, de manière anarchique, sur des feuilles éparses, suivant son habitude et enfouies dans une malle. Il est considéré comme le chef-d’œuvre de son auteur. Il met en scène Bernardo Soares qui est un modeste employé de bureau dans un magasin de tissus, sans la moindre ambition et qui fait ce qu'il peut pour ne pas se faire remarquer. Il n'a ni famille ni attache, vit petitement et se fonde humblement dans le décor de son quotidien. C'est une véritable« Autobiographie sans événements ». Comme Pessoa, il a mal à sa vie, la refuse ou fait au moins ce qu'il peut pour ne pas s'adapter. L'écriture étant une formidable manière de s'en évader, il en fait une chronique ce qui donne un texte à la fois lucide et désespéré. Pourtant il note avec un certain paradoxe « J'ai toujours évité, avec horreur, d'être compris ».

    Bernardo Soares est sans doute le personnage qui se rapproche le plus de Pessoa parmi ses nombreux « doubles » puisque la vie de l'auteur se résume à presque rien. Il est, quant à lui, un poète introverti, anxieux et discret, écrivant à la fois en portugais et en anglais, qui a passé la presque totalité de sa vie à Lisbonne comme rédacteur et traducteur chez différents transitaires maritimes. Pourtant d'autres hétéronymes de Pessoa tels Alberto Careiro, le sage-païen, son exact contraire, Ricardo Reis, un épicurien stoïcien et le sensationiste et moderniste Alvaro de Campo se différencient largement de lui. Masques ou miroirs, la question mérite d'être posée puisque Pessoa vit en fait une autre existence qui lui convient mieux. C'est à la fois un rêveur et un idéaliste

    Le mot lui-même d' « intranquillité » qui pourrait être assimilé à l'inquiétude ou plus précisément à la difficulté d'être, est un néologisme, même s'il a été auparavant employé par le poète Henri Michaux.

    Il s'agit ici de textes qui dénoncent le désenchantement du monde et une affirmation que la vie n'est rien sans l'art qui ainsi lui donne un sens. J'y ai lu une profonde tristesse, une sensation aiguë de solitude qu'il combat grâce au sommeil, à l'idée du voyage, mais d'un voyage immobile, au rêve ["Je ne suis pas seulement un rêveur, je suis exclusivement une rêveur"] et aussi à l'alcool, une impression de temps suspendu tant sa vie est banale et sans relief, comme lui- même [ "C'est une saoulerie de n'être rien et la volonté est un seau qu'on a renversé au passage dans la cour, d'un geste indolent du pied"].tant son quotidien qui se résume à la fenêtre de sa chambre, à ce bureau de la rue des Douradores, à ce quartier et à cette ville, est monotone, banal, sans relief.

    C'est aussi un journal intime au quotidien, avec de nombreuses réminiscences d'enfance, tenu tout au long de sa vie où l'auteur analyse les nombreuses facettes de cet « hétéronyme », cette « prolifération de soi-même » qui existe en chacun de nous. Cela donne, sous la forme de pensées décousues mais dans une prose somptueuse et poétique, une analyse de l'existence quotidienne au bureau, douloureuse et parfois étonnamment douce. Cette somme de réflexions, de remarques, de prise de conscience de soi-même et parfois d'élans lyriques est presque une biographie de Pessoa écrite par Soares. Pourtant on peut aussi le considérer comme un récit, mais qui aurait la particularité d'être impossible à raconter ! De cette relation du quotidien sourd un ennui, la saudade, tout à fait caractéristique de l'âme lusitanienne. De plus, dans cet ouvrage, Pessoa entretient avec la ville de Lisbonne une relation toute particulière un peu comme le fait James Joyce avec Dublin.

    Certains commentateurs ont parlé à propos de cet ouvrage de "littérature de limbes". J'ai vraiment eu l'impression que Pessoa a vécu sa vie comme un calvaire et anticipe son entrée dans le néant dans pour autant le craindre. Pour lui, il me semble que la vie elle-même était un lieu de souffrance où elle s’apparentait à une mort lente. Les limbes sont un espace assez confus et flou qui nous est proposé par les catholiques. Ils se situent après la mort, aux marges de l'enfer pour des âmes qui en seront libérées pour finalement entrer au Paradis, une sorte de purgatoire en quelque sorte. C'est aussi un endroit où séjournent les enfants non baptisés qui ne peuvent accéder au Paradis mais ne méritent pas pour autant l'enfer. C'est là un débat théologique qui devait échapper à Pessoa. L'auteur, conscient de lui-même n'est ni vraiment vivant ni complètement mort, juste de passage ici-bas, mais semble indifférent à son existence, à sa promotion professionnelle en se concentrant sur ses propres aspirations dont il est une sorte de contemplatif ironique. Il sait ce qu'il souhaiterait en ce monde pour lui-même mais, dans le même temps, à conscience qu'il ne parviendra pas à l'obtenir. Ce narcissisme enfante une certaine jouissance intime d'explorer son propre labyrinthe, d'analyser les arcanes de son "Moi", tout en ayant une parfaite conscience de soi et d'être l'illustration consciente de la parole de Rimbaud "Je est un autre". Paradoxalement peut-être, dans ce processus, l’humilité le dispute à la désespérance et Pessoa-Soares choisit une vie grise et sans relief. Il y a aussi de la lucidité dans tout cela et s'il choisit la solitude, le célibat, comme une sorte de sacerdoce, c'est pour mieux y développer sa réflexion sur le monde tout en en restant en retrait. C'est quand même l'ouvrage d'un philosophe, d'un penseur mais aussi et surtout d'un érudit.

    A la lecture de ce texte, j'ai l'impression qu'il y a aussi du regret dans ces lignes ["Je gis ma vie"], une extrême conscience de l'échec [« Je suis l'enfant douloureux malmené par la vie »] au point de confier au papier puis à sa malle, autant dire au néant, toutes les réflexions que lui inspire ce quotidien sans joie ["Et je contemple avec dégoût, à travers les grilles qui masquent les fenêtres de l'arrière-boutique, les ordures de tout un chacun qui s'entassent, sous la pluie, dans cette cour minable qu'est ma vie"]. Pourtant il y révèle un curieux rapport à l'écriture qui n'est pas dénué d'un sens de l'esthétisme ["J'écris parce que c'est là le but ultime, le raffinement suprême, le raffinement viscéralement illogique de mon art de cultiver les états d'âme"]. Manifestement, il compense ce manque avec le rêve et l'imaginaire.

    Il est vrai que l'analyse de cette œuvre de Pessoa ne peut se faire valablement dans ce court article.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • FABRIQUÉ A NIORT - MÉMOIRES OUVRIÈRES (W2).

    N°628– Février 2013.

    FABRIQUÉ A NIORT - MÉMOIRES OUVRIÈRES (W2).

    Spectacle du vendredi 15 février 2013 par la Compagnie des Hommes.

    Je ne suis niortais que d'adoption, je n'ai donc aucune racine ici et pas non plus de famille. J'y suis venu un peu par hasard parce que le travail m'y a amené, il y a bien longtemps et j'y suis resté au mépris d'une promotion qui m'en eût éloigné, pour la qualité de vie notamment... et je ne le regrette pas.

    Il y a cependant ici une chose qui m'a frappé et même un peu désolé, c'est l'oubli du passé ouvrier de cette ville. Avant d'y poser mes valises, son nom était pour moi associé à l'angélique et aussi à celui de grandes entreprises qui dépassaient largement le cadre local, c'était Brivin, Marot, Rougier, la chamoiserie... Il y avait, certes, et ce depuis la Libération, les mutuelles d'assurance et, plus tard le secteur bancaire qui s'y étaient développé ce qui permettait à Niort non seulement de limiter la pollution inhérente à la production industrielle mais aussi de générer un niveau de vie et un environnement exceptionnels dont évidemment personne ne se plaignait. On en parlait alors comme d'une "planète", comme "d'une ville à la campagne", c'est à dire comme d'un endroit un particulier, un lieu unique... mais, quand on n'était pas de la région, il était difficile de la situer sur la carte de France.

    Niort est donc devenue une ville de "cols blancs" sauf qu'il n'y a finalement pas très longtemps, il y a eu ici un contexte industriel bien implanté mais qu'on s'est dépêché d'oublier, de laisser se dégrader jusqu'à la disparition, sans que la gouvernance locale, pourtant d’obédience socialiste, s'en soit beaucoup ému. Il est vrai que, du point de vue politique, le secteur tertiaire génère moins de mouvements sociaux que le secteur industriel et les heurts sont moins violents. Cette ville s'est donc progressivement enfoncée dans une torpeur qui lui a fait perdre, sans qu'on en parle vraiment, les Transports Brivin, les usines Rougier et différents ateliers de confections et il a fallu, il y a quelques années, la fermeture de la Camif et la dimension médiatique qu'on y a donné pour qu'on prenne conscience véritablement que Niort est une ville comme les autres et que les licenciements et le chômage y existent aussi.

    On a du mal actuellement à s'imaginer que cette ville, au XIX° et dans la première moitié du XX° siècle a été industrielle. Il existait ici une forte implantation d'ateliers d'imprimeurs; on y produisait des voitures automobiles, des cycles, des chaussures, des trieurs pour l'agriculture, on y transformait le bois et, bien entendu, et ce depuis longtemps, la chamoiserie faisait vivre toute une population d'ouvriers et de gantières... Pour autant, quand on fait des recherches sur ce thème, on a beaucoup de mal à trouver, même au musée ou dans les bibliothèques, des traces de ce passé laborieux. C'est étonnant car, si on veut bien s'en souvenir, nos parents ou nos grands-parents ont bien souvent été ouvriers ou paysans même dans cette ville ou le secteur tertiaire est désormais roi.

    Il était donc urgent de remettre à l'honneur la mémoire ouvrière. Elle nous a été restituée à travers le témoignage de travailleurs maintenant à la retraite qui sont venus nous parler de leur métier, qui nous ont dit combien le travail manuel apportait une valeur ajoutée à la matière, que, grâce à lui, elle devient un objet, un élément qui s'intègre dans un produit destiné à faciliter la vie de l'homme. Ils nous ont montré leurs outils, nous ont parlé de l'amour qu'ils portaient à leurs fonctions, nous ont raconté leur histoire individuelle, leur parcours, la nécessité, parfois, de s'adapter à un nouveau métier ou d'affronter le chômage. Ils n'ont pas manqué de mentionner la nécessité de gagner son pain, la dureté de leur labeur, les relations difficiles avec la hiérarchie et les inévitables "petits chefs", les conflits sociaux, les cadences et le rendement... Mais j'ai aussi entendu le message de cette femme qui a évoqué ses parents travaillant aux usines Rougier. Elle nous a parlé de son père pour qui son métier à l'usine "était toute sa vie" et pour qui la retraite avec son inactivité a été fatale. Elle a évoqué Roger Rougier, cet emblématique patron niortais que ses ouvriers appelaient presque amicalement "Monsieur Roger". Il les connaissait tous individuellement et les respectait parce que, bien souvent, ils avaient été à l'école ensemble. Il savait qu'il leur devait la richesse de son entreprise et avait à cœur de les récompenser. A sa mort, ils lui ont rendu un hommage digne et émouvant. C'est vrai que "les trente glorieuses" ont correspondu à une période de plein emploi, que le patronat a toujours été tenté par la paternalisme mais, à travers ce témoignage, il m'a semblé qu'à l'époque on respectait encore l'ouvrier en tant que personne humaine quand, actuellement, la déshumanisation et le mépris sont la règle et qu'on n'hésite plus, au nom de le rentabilité, à licencier, à précipiter au chômage, dans la précarité et parfois même dans la rue des hommes et des femmes qui ne demanderaient qu'à travailler et à vivre normalement.

    Ce qui m'a frappé c'est que cette parole ainsi redonnée à des gens qu'on entend jamais en dehors des revendications salariales ou des grèves a été spontanée, authentique. Certes, il y a eu une mise en scène minimale pour les besoins de ce qui était malgré tout un spectacle et qu'il fallait bien organiser, mais rien n'était vraiment récité. Ces gens n'ont pas délivré leur message comme l'auraient fait des comédiens professionnels et c'est ce qui m'a plu.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • CELINE – Henri Godard

    N°598– Novembre 2012.

    CELINE – Henri Godard- Gallimard.

    Louis-Ferdinand Céline [1894-1961] est parmi les hommes de lettres quelqu'un qui, cinquante ans après sa mort, fait encore parler de lui. De son vivant déjà, il avait, par ses écrits et par ses prises de positions politiques, déchaîné les passions.

    Grâce à cette biographie fort richement documentée, le lecteur suit le parcours quelque peu hors du commun de Ferdinand Destouches depuis sa naissance à Courbevoie jusqu'au passage Choiseul où sa mère tient une boutique de mode. Il quitte l'école après le certificat d'études, devient apprenti puis s'engage dans l'armée à la veille de la guerre. Promu maréchal des Logis et grièvement blessé,il est décoré par Joffre. Cette blessure fait de lui la figure emblématique du héros combattant. Il est réformé, part travailler en Angleterre au consulat de France puis en Afrique. Rentré en France en 1917, il participe en Bretagne à une campagne de prévention contre la tuberculose qui réveille en lui la vocation de médecin. Il passe son baccalauréat puis fait ses études de médecine[sa thèse consacrée à « la vie est l’œuvre de Philippe-Ignace Sommelweis » est considérée comme sa première œuvre littéraire] qui le conduisent à la SDN comme médecin hygiéniste. Il exerce ensuite comme médecin de dispensaire à Bezons dans la région parisienne mais continue d'être romancier et voyage beaucoup. A partir des années 1930, Céline devient violemment antisémite et publie des pamphlets en ce sens, ce qui le conduira à épouser la cause allemande pendant la guerre. A la Libération il prendra le chemin de l'exil, suivant le gouvernement de Vichy, à Sigmaringen d'abord puis au Danemark où il est emprisonné. Il est ensuite condamné puis amnistié par les tribunaux français [ce qui était reproché à Céline était moins des actes que des opinions, certes tranchées et parfois violemment exprimées, mais toutes à l'image du personnage] et s’installe à Meudon comme médecin mais surtout comme un véritable ermite, tout en continuant à écrire et à publier ce qui restera toute sa vie sa raison d'être. Il y mourra en 1961.

    Son œuvre est indissociable de sa vie, de son parcours et de ses opinions politiques. Du point de vue strictement littéraire, il a indubitablement incarné une révolution, renouvelant le style romanesque traditionnel, y instillant des sonorités et des rythmes empruntés au langage parlé et à l'argot. Il doit sans doute cet aspect de son écriture à sa grand-mère maternelle à qui il rendra hommage en faisant de son prénom son nom de plume. Ses phrases semées de ponctuations exclamatives et suspensives cherchent à provoquer l'émotion et la réaction... et y parviennent. Son œuvre est un cri pessimiste poussé face à la nature humaine qu'il exècre et même si parfois il y mêle de l'humour et de la tendresse, il reste marqué par un désespoir définitif et une volonté de choquer. Il reste un pamphlétaire, un polémiste, un marginal, un homme révolté, ambigu, contradictoire parfois, paranoïaque même, un homme écorché-vif, outrancier voire injurieux et parfois ordurier dans ses propos, un auteur qui se définit lui-même comme «  paradoxale, burlesque, effervescent ». Il ne laissera jamais indifférent !

    Dans « Voyage au bout de la nuit », roman pour lequel il est probablement le plus connu, il narre, à travers le personnage de Ferdinand Bardamu, son expérience de la Première Guerre mondiale et développe des thèmes qu’il reprendra plus tard dans son œuvre. Ce livre manquera de peu le prix Goncourt mais obtiendra le Renaudot en 1932. D'autres romans soulèveront réactions et passions tout au long de sa vie et feront de lui à la fois un tabou et un écrivain d'exception.

    Si Céline est à l'évidence un grand auteur et un poète, il reste marqué du point de vue politique par un antisémitisme incontestable hérité à la fois de son père et de son époque et il se servira de sa notoriété pour affirmer cette opposition avec détermination et violence. Il ira même jusqu'à tenir des propos ignobles et des condamnations tonitruantes. Cette phobie du juif tourne carrément à la folie puisqu'il étend cette judéité à tous ceux qu'il n'aime pas … Et ils sont nombreux ! Avec Robert Brasillach et Pierre Drieu La Rochelle qui eux ont connu un sort différent, il a été parmi les écrivains maudits de la Libération. Condamné, il a cependant été amnistié et a ainsi pu rentrer en France. Il reste quand même un personnage controversé et par bien des côtés contradictoire. Son parcours a été un long chemin et un long combat. Ce que j'ai trouvé personnellement le plus émouvant, ce sont les derniers chapitres consacrés à sa fin de vie, à la fois pitoyable et définitivement solitaire même si, à cette période, il a semblé sortir d'un long purgatoire.

    L'auteur de cette biographie passionnante du début à la fin nous le présente sous ses différentes facettes, comme un adepte de la pornographie, ce qui n'est pas essentiel, comme l’auteur de ballets qui met la danse au centre de sa vie, un amoureux des animaux, de son chat Bébert, compagnon d'infortune au Danemark puis de ses chiens à Meudon, et, ce qui est sans doute pour le plus inattendu, comme un séducteur qui ne pouvait se passer des femmes !

    L'auteur Henri Godard, professeur de littérature à la Sorbonne et spécialiste de l’œuvre célinienne est également, dans la bibliothèque de la Pléiade, l'éditeur de Céline. Ce livre est l'occasion de faire connaissance de cet écrivain majeur du XX° siècle et de lire ou de relire ses nombreux romans.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • 22O VOLTS – Joseph Incardona

    N°588– Juillet 2012.

    22O VOLTS Joseph Incardona – Fayard Noir.

    Le roman policier, le polar comme on dit avec une certaine condescendance ou même un certain mépris, qu'on lit de préférence sur une plage ensoleillée, passe volontiers pour de la sous-littérature. Je ne partage pas cette analyse puisque, mon improbable lecteur peut en attester, cette feuille consacre volontiers nombre de chroniques à ce genre littéraire. J'ai peut-être eu de la chance mais celui-ci m'a surpris. Si on en juge par la 4° de couverture comme par le nom de la collection (Fayard Noir), on peut le ranger dans cette catégorie. L'auteur met en scène Ramon Hill, la quarantaine satisfaite, qui après des années de vaches maigres, est maintenant un auteur à succès. Il en a d’ailleurs tous les signes extérieurs et connaît maintenant un bonheur sans ombre : belle maison, grosse voiture, éditeur attentif à tout ce qu'il écrit, agent littéraire, argent facile, beaux enfants, et surtout une femme qu'il aime à la folie et dont il ne peut pas se passer...

    Ce roman s'ouvre sur une période de sécheresse toujours redoutée par l'écrivain. Ramon peine à terminer son dernier roman et son épouse, Margot, une journaliste très en vue, pense qu'un séjour en amoureux dans le chalet de de ses parents peut enlever à son mari cette anxiété passagère, d'autant que son éditeur s'impatiente. Après tout l'air de la montagne leur fera du bien à tous les deux et favorisera sûrement l'inspiration de son mari ! Je me suis dit au début que cela allait être une sorte de développement sur la panne créatrice, sur le défi de la page blanche, sur l'impossibilité d'écrire autre chose que des banalités décevantes face à l'urgence. C'est là un débat éternel et intéressant mais quelque peu rébarbatif pour les non-initiés. Et puis faire tout un livre là-dessus n'est pas vraiment du domaine du polar.

    Oui mais voilà, le hasard d'un lavabo bouché, un roman d'un autre auteur retrouvé dans cette maison où à priori il n'a rien à y faire, une réparation électrique hasardeuse qui provoque un malaise de Ramon (d'où le titre du livre) et surtout une absence un peu prolongée pour des raisons professionnelles de Margot, vont faire basculer cette situation. Un matin, il se réveille auprès du corps de sa femme, morte ! Il se soupçonne d'être l'auteur de cet acte... dans son sommeil ! A moins que ce ne soit une réaction longtemps refoulée, allez savoir ! Si cette électrocution sans gravité réveille chez lui une boulimie d'écriture, ce qui est plutôt bien pour lui puisqu’il achève enfin son roman, elle n'en suscite pas moins à la fois un vieux souvenir d'enfance, une pulsion irrésistible et surtout des doutes puisque cette solitude temporaire l'a amené à réfléchir sur l'attitude de Margot. Certes, il l'aime passionnément, il a avec elle des relations érotiques torrides, bref, elle est la femme de sa vie, la compagne des mauvais jours, la mère de ses enfants... mais il reste un écrivain, c'est à dire quelqu'un qui observe l'espèce humaine, en connaît les grandeurs mais surtout les bassesses, les compromissions, les trahisons. Il sait que, même s'il en fait partie, elle est infréquentable et que les serments d'amour ne pèsent pas bien lourds face à la turpitude que nous portons tous en nous. Bien évidemment au début il tente de se faire une raison, de chasser toutes ces idées noires de son esprit mais plus il réfléchit plus les évidences se dressent devant lui. Ce n'est plus de l'imagination, c'est carrément des certitudes ! Et puis il est en présence du cadavre de sa femme et il va, bien évidemment, être soupçonné de ce meurtre. Il n'a pas trop de toute son expérience de romancier pour éliminer le corps, brouiller les pistes même si au passage il devient effectivement un authentique criminel et approche à peu près le « crime parfait ».

    Bien sûr il devra faire face à la police, à ce jeune lieutenant méfiant, à son beau-père qui ne l'a jamais aimé, le traite volontiers « d'écrivain de salles d'attente » et qui laisse éclater sa colère, à ce paysan matois et pas si naïf que cela et à tous ceux avec qui il était proche. Il aura le fin mot de tout cela, réglera ses comptes, récupérera ses enfants et reprendra le cours aussi normal que possible de sa vie, digérera cette trahison d'autant plus inacceptable qu'elle reposait aussi sur un mensonge supplémentaire, finira par ce dire qu'il s'était trompé avant de l'avoir été, que l'amour l'avait rendu aveugle au point de n'avoir rien vu (air connu), qu'il vaut mieux vivre seul que mal accompagné (air connu également), qu'il va retrouver sa liberté et peut-être refaire sa vie, que son parcours littéraire sera, le lecteur peut à son tour l’imaginer, plein de succès … Contrairement aux dernières lignes de la 4° de couverture, je ne suis pas sûr que cette histoire d'amour se termine si mal, finalement.

    J'avoue bien volontiers que j'ai pris ce livre au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque sans rien connaître de cet auteur, et que, même si j'ai peu prisé le style très « polar » de ce roman, j'ai été tenu en haleine jusqu'à la fin. En définitive, je ne regrette pas.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles

    N°472– Novembre 2010.

    LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles – Jack London - Phébus Libretto.

     

    Le seul nom de Jack London évoque l'aventure, la nature, la liberté.

     

    Dans la première nouvelle, qui est plutôt un court roman et qui donne son nom au recueil, un vieillard qui fut jadis professeur évoque pour ses petits-enfants sauvages et illettrés ce qu'était, soixante ans plus tôt la vie en 2013, date de l'apparition de la peste écarlate, ainsi nommée parce qu'elle colore le visage en rouge. Elle décima la population de la terre et réduisit les humains pourtant civilisés et cultivés, à l'état d'êtres égoïstes, défendant le seul bien qui leur reste : leur vie ! Nous sommes donc en 2073 et l'ex-professeur Smith raconte ce qu'était la société civilisée et organisée et comment, épargné par la pandémie, il a survécu dans ce monde hostile redevenu sauvage où les opprimés d'alors ont réussi à s'affirmer grâce à leur brutalité et à prendre le pas sur leurs oppresseurs d'avant. Ses petits-enfants ne peuvent se figurer ce qu'il décrit pour eux mais il place son espoir dans les livres et la clé de lecture qui permet de les déchiffrer. Il a caché le tout dans une grotte et espère que l'espèce humaine retrouvera, grâce à cela, sa splendeur passée.

    La seconde nouvelle, intitulée « Le dieu rouge » évoque la croyance d'une tribu sauvage en un dieu extraterrestre matérialisé par une sphère rouge qui émet un son. Un blanc, perdu dans la forêt, tente de percer ce mystère qui ne peut s'expliquer qu'au prix de la vie.

    La troisième intitulée « Qui croit aux fantômes ?» met en scène deux rationalistes qui se sont donnés rendez-vous dans une maison hantée. Ils vont se trouver « possédés » par deux fantômes qui reviennent pour disputer une partie d'échecs dont leur vie dépendra.

    « Mille morts » parle d'un fils de famille parti sur les mers et récupéré par un navire commandé par son père. Ce dernier va se servir de ce fils pour mener à bien des expériences où la mort est suivie de résurrections successives. Mais le fils ne saurait, jusqu'au bout être son cobaye.

    L'auteur change de registre avec« la seconde jeunesse du major Rathbone » où il analyse, sur le mode humoristique, les conséquences des tentatives de rajeunissement du corps et de l'esprit d'un vieillard. Il faudra quand même compter avec Déborah, son ancien amour de jeunesse qui, elle aussi, bénéficia de cette expérience.

     

    L'architecture d'un recueil de nouvelles n'est pas chose facile. Avec celui-ci, paru en 1912, Jack London (1876-1916) passe du registre tragique à l'humour, au moins en apparences. Avec la première nouvelle, publiée peu de temps avant sa mort, il semble nous avertir d'une possible fin du monde, provoquée par la maladie. Songeait-il à la Grande Guerre qui allait bouleverser le monde? Peut-être? Encore qu'il nous confie que les survivants restent capables de le reconstruire au moyen des livres refaire et de la connaissance que le Professeur Smith a sauvegardés. Il explore ici un registre plus mystérieux voire apocalyptique, jouant à la fois sur le fantasme de la fin du monde, de la mort, de l'éventuelle résurrection, l'anéantissement de la vie et la responsabilité humaine dans ce cataclysme ?

     

    Avec la se seconde nouvelle, c'est clairement l'angoisse de la mort et une certaine désespérance qui transparaissent ici. La couleur rouge rappelle celle de la peste du premier texte et les mots évoquent une certaine perfection des formes et des sons, comme quelque chose qu'on découvre enfin après l'avoir tant recherché. Ce qui est ici suggéré c'est à la fois l'attrait de l'inconnu et la fascination et l'acception de la mort, une sorte de sérénité devant elle, le terme du parcours qui fut le sien durant sa vie et que l'écriture magnifia. Même la présence de Balatta n'y fera rien. Il la repoussera faisant prévaloir Thanatos sur Eros. Rappelons-nous que ce texte a été écrit quelques mois avant sa disparition.

    Avec les deux autres textes, il semble présenter les choses sous un angle différent, peut-être plus léger? Voire. Celui où il évoque la présence de fantômes et qu'il écrivit à dix-neuf ans, doit sans doute beaucoup à Edgar Poe dont il fut le lecteur attentif. C'est la fascination de l'étrange qui habite la condition humaine avec son cortège de névroses, de perversions, de dérèglements... la mère de l'auteur était une spirite convaincue et celui qui fut son père et qui les abandonna tous les deux, versait lui aussi dans l'ésotérisme. Voulut-il régler ainsi, par l'écriture et l'imaginaire, ses comptes personnels avec eux? Quand il choisit le thème des expériences sur l'humain, sur le vivant, on songe à un médecin fou mais le registre ici est le fantastique. Derrière des considérations techniques difficiles à suivre, il évoque des expériences un peu déjantées qui procurent la mort mais aussi qui redonnent la vie. C'est certes de la pure fiction, mais c'est aussi une autre forme de réflexion sur la mort. N'oublions pas que Jack London est avant tout un athée, lecteur de Marx et que donc l'idée de Dieu est absente de ces textes.

    On peut aussi y voir une forme de victoire de l'homme sur les événements qui pèsent sur sa vie, le triomphe du pessimisme, du défaitisme. Au dernier moment il réagit et fait prévaloir sa liberté. Le héros de « Mille morts » s'échappe, le vieux major redevenu jeune convole avec son amour de jeunesse,

     

    Avec ce recueil, Jack London qui fut un auteur prolifique de plus de 50 livres qui, pour la plupart évoquent l'aventure explore ici un registre différent. Encore une fois, sa vie personnelle ses expérience ont nourri son écriture, mais celle-ci a joué pour lui un rôle d'exorcisme, mais c'est aussi le sien!

     

     

     

  • BARRIO FLORES – Philippe Claudel

    N°627– Février 2013.

    BARRIO FLORES – Philippe Claudel – Éditions La Dragonne.

    Dès la première ligne, l'auteur donne le ton : « Les habitants du Barrio Flores sont passés dans le monde et le monde ne les a pas remarqués. ». Pourtant lui choisit de porter sur eux un regard plein de tendresse et les photos en noir et blanc de Jean-Michel Marchetti leur donnent un relief tout particulier.

    Le décor, une sorte de bidonville plein de soleil, de vie, de misère mais aussi de sourires, à l’écart d'une grande ville probablement située dans une Amérique hispanique où Juanito, un jeune enfant de huit ans confié à Pepe Andillano, a écrit cette « Petite chronique des oubliés » qui est plus qu'un hommage.à ses habitants Pour ce vieil homme à la jambe raide mais qui gagnait sa vie en jouant au billard, il sera « petite musique » parce qu'il est « plus léger qu'un violon et plus rieur qu’une flûte ». Ensemble ils rêvaient de partir sur le pont d'un navire, pas pour faire le tour du monde, mais « juste une bordée, le temps de dormir une nuit ou deux sur le pont du plus grand des paquebots... et, au matin ce sera l'Amérique, New-York ou Babylone, en tout cas un pays formidable où les bons joueurs de billard sont nommés généraux et où les jambes mortes peuvent ressusciter ». C'est à travers ses yeux que le lecteur découvre cet univers un peu à l'écart. Il était certes fait des traditionnels personnages incontournables, les putains, les cocus, les femmes infidèles mais il y avait surtout Flores Nubia, une petite fille espiègle et belle qui aimait tant jouer à la marelle et dont Juanito était évidemment amoureux. Il lui offrait « des bouquets de rien, des rubans défraîchis, des heures admirables ». Pourtant cette jeunesse insouciante a prématurément été interrompue et Flores est devenue silencieuse, vieille et absente mais elle a continué de hanter les rêves du garçon.

    Juanito avait une petite sœur, si jeune qu'on n'avait pas eu le temps de lui donner un nom. Elle accompagnait son frère pour mendier dans le quartiers des riches parce qu'elle faisait pitié et qu'ainsi ils rapportaient de l'argent. Pourtant « son cœur qui se précipitait de vivre en quelques mois une vie entière » s'était arrêté.

    Parmi ces habitants il y avait aussi Garrancho Mindo, « Petite tête simple » dont tout le monde se moquait, qui parlait à son âne et voulait l'épouser. Ce décor ne serait pas complet sans le cireur de chaussures, mais celui-là non seulement faisait reluire les souliers de ses clients mais servait surtout d'écrivain public. Tout le monde lui faisait confiance pour rédiger des lettres importantes ou futiles, des lettres d'affaires ou d'amour, sur du papier à en-tête d'une entreprise d'engrais qui avait fait faillite depuis longtemps. On les encadrait même sans jamais les envoyer et ainsi elles faisaient partie du paysage. Sauf que leur auteur ne savait pas plus lire et écrire que ses clients du quartier et qu'il se contentait de reproduire dans ses missives les mots des annonces publicitaires qui s'étalaient sur les murs autour de lui ! Plus tard, Juanito devenu grand et instruit parce qu'il avait appris à lire dans les livres et non plus dans les flaques d'eau et dans les étoiles comme au Barrio, a vu la supercherie mais l'a gardée pour lui et a su reconnaître dans cet homme « un grand poète », en tout cas un de ceux qui ont suscité chez lui cette envie d'écrire à son tour [« C'est sans doute grâce à lui que m'est venue aussi à moi l’idée d'écrire, de caresser les mots, de dire des histoires »].

    Il y avait aussi le « docteur » ainsi appelé parce qu'il avait un jour « confessé » pendant trois heures un vrai médecin dépressif et qu'il avait décrété qu'il en savait autant que lui au terme de cette discussion. Il recevait ses patients, vêtu d'une blouse qui avait jadis été blanche, ne guérissait personne parce que ses remèdes tenaient uniquement de l'improvisation, mais tout le monde y croyait et le respectait.

    Il y a dans ce « Barrio Flores » toute la poésie de « café de l'excelsior » qui m'avait tant plu (La Feuille Volante n° 620). Ce n'est pas exactement un roman, peut-être un recueil de nouvelles, une galerie de portraits, une chronique de ce quartier rebaptisé par l'auteur du nom de cette petite fille, un amour de jeunesse, celui qu'on n'oublie jamais.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE BUREAU DES OBJETS TROUVES – Siegfried Lenz

    N°626– Février 2013.

    LE BUREAU DES OBJETS TROUVES – Siegfried Lenz1 – Robert Laffonf.

    Traduit de l'allemand par Frédéric Weinmann.

    Henry Neff, 24 ans, se présente au bureau des objets trouvés d'une gare allemande (« Là où nulle part au monde(on ne rencontre) autant de contrition, d'angoisse et de mea-culpa »).

    S'il fait cela, ce n'est pas parce qu'il a égaré un objet comme on pourrait s'y attendre mais il vient y prendre son poste et surtout souhaite faire une longue carrière dans cet emploi subalterne alors qu'un poste plus important s'offre à lui dans le négoce familial. Pourquoi cette voie de garage pour un homme jeune et plein d'avenir ? C'est qu'il est un peu marginal, cet Henry et avoue volontiers une passion pour le hockey et pour les marque-pages ! Pire peut-être, il semble avoir choisi cet emploi aux « objets trouvés » pour satisfaire son imagination débordante, un peu comme si c'était là sa seule motivation. Chaque propriétaire met un point d'honneur à récupérer des objets anodins, irremplaçables pour eux, un peu comme si toute leur vie y était contenue et en dépendait. Lui considère que ces objets improbables venus de nulle part qui se retrouvent ici à titre temporaire sont certes autant de tranches de vie appartenant à des inconnus mais aussi autant d’invitations à une mise en situation qui satisfait son imaginaire. Il devient le metteur en scène de saynètes parfois un peu surréalistes.

    Au travail, il cohabite avec des collègues aussi différents que Paula, une femme encore jeune qui souffre que son mari la délaisse et qu'il cherche à consoler, ou qu' Albert, un vieux garçon tout entier dévoué à son vieux père.

    Son travail l'amène à rencontrer Fédor Lagutin, un mathématicien universitaire russe avec qui il devient ami. Ce dernier ne laisse indifférentes ni Barbara, la sœur d'Henry qui travaille dans la florissante entreprise familiale ni même sa mère. Les deux femmes apprécient autant la discrétion de l'homme que sa manière de parler la langue allemande dont il maîtrise parfaitement les nuances. Cette manière d'être est, en plus des mathématiques, son oasis à lui.

    Henry et d'ailleurs son ami Fédor, un peu perdus dans leur monde respectif, semblent apprécier la tranquillité, pourtant la bulle dans laquelle s'était volontairement enfermé Henry se fissure sous les coups du quotidien: A l'extérieur, il est agressé par une bande de motards, il voudrait bien, en séduisant Paula, sortir de sa routine ou s'enfermer dans un autre univers, mais cette femme qui l'aime bien et l'apprécie comme collègue ne veut pas en faire son amant parce qu'elle sait qu'une passade ne débouche sur rien et lui préfère la vie rassurante de femme mariée, moins délétère à ses yeux que celle de femme adultère. Au travail, Albert, trop vieux, est mis au chômage malgré les initiatives généreuses d'Henry. Fédor, quant à lui, quitte l'Allemagne devant les scènes de racisme ordinaire et Barbara est désespérée par la fuite de Fédor.

    Dans une société qui apprécie les êtres à l'aune de leur rentabilité, leur richesse, leur potentialité, ce livre est consacré aux « perdants », non pas tant à ceux qui ont perdus un objet, mais surtout à ceux, comme Henry, qui refusent cette logique de la société, ceux qui préfèrent être des rêveurs et surtout pas des décideurs, ceux qui refusent la promotion parce que cette finalité ne leur convient pas, qui préfèrent rester à l'écart de tout cela pour être tout simplement seuls et libres, c'est à dire en marge des exigences sociales. Ce roman consacre cette impossibilité en mettant en évidence la réalité quotidienne faite d'intolérance, d'incompréhension, de haine, d'hostilités, de logique financière, une manière de rappeler que si une forme de vie marginale est possible, elle se heurte à tous ceux qui ne la comprennent pas ou simplement ne l'admettent pas.

    Il est aussi question de ceux qui agressent les autres, les plus faibles, ceux-là même qui ont choisi une forme marginale de vie. Ces provocateurs portent la méchanceté en eux, la matérialise avec violence et lâcheté sous la forme d'un racisme ordinaire ou de l'ostracisme, pour se prouver qu'ils sont les plus forts ou simplement qu'ils existent.

    Le romancier nous raconte une histoire, lui aussi se réfugie dans sa bulle et recrée un monde qu'il offre au lecteur, libre à lui de le recevoir ou pas. Ce roman peut être considéré comme une simple fiction, mais en réalité tout cela est bien banal, c'est un simple miroir de notre quotidien. Combien sommes-nous à avoir voulu vivre dans de belles certitudes, à avoir voulu nous draper dans l'assurance que les choses ne changeront jamais, qu'elle sont le gage d'une vie selon notre cœur... Puis un jour tout s'effondre brusquement à l'occasion d'un rien, mais ce rien est révélateur d'un changement définitif. Combien sommes-nous à refuser l'autre parce que simplement il est différent ?

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

    1Siegfried Lenz, né en 1926, est l'un des écrivains allemands les plus connus. Il est l'auteur de romans et de nouvelles et a obtenu le Prix Goethe en 1999.

  • LE SIXIEME HOMME – Monica Kristensen

    N°625– Février 2013.

    LE SIXIEME HOMME – Monica Kristensen - Gaïa Polar.

    Traduit du norvégien par Loup-Marelle Besançon.

    L'archipel norvégien du Svalbard est situé dans la partie la plus septentrionale de l'Europe, à la jonction des océans Arctique et Atlantique. Il est plongé pendant une grande partie de l'année dans la nuit polaire et nous sommes en hiver ! Cette période autant que la situation géographique de ces îles sont de nature à modifier le comportement de ceux qui n'en sont pas originaires. A Longyearbyen, la minuscule capitale, il ne se passe jamais rien dans cette ville plus habituée aux ténèbres glacées et à l'arrivée soudaine des ours polaires dont les chemins migratoires passent par là. Pour la police locale, la routine administrative est constituée des petits trafics des marins-pêcheurs, des méfaits de l'alcoolisme, des mésententes conjugales ou des magouilles des contrebandiers dans une ville qui vit exclusivement de la mine de charbon. C'est un microcosme où tout le monde se connaît et bien entendu tout le monde s'épie de sorte que le secret ici n'a que peu de place. Un sorte d'univers clos !

    Il est donc difficile d'imaginer que cette petite cité puisse cacher un criminel aussi bien croit plus volontiers à un accident toujours possible quand, au jardin d'enfants, d'ordinaire bien surveillé, la petite Ella Olsen, cinq ans, a disparu. Au départ on ne s'affole pas trop puisque les enfants jouent souvent à se cacher et puis cela ne viendrait à l'idée de personne d'enlever un enfant ici ! Il n'empêche, c'est quand même un problème pour la police locale dont le petit effectif va être mobilisé pour la retrouver. L'ennui c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'indices, seulement des traces de pas dans la neige qui mènent à la mine. Rapidement l’enquête s'oriente vers le père, Steinar Olsen, ingénieur récemment arrivé à la mine et qui, lui aussi disparaît à son tour. Son ménage bat un peu de l'aile, des projets de divorce sont même évoqués ; il est un peu trop porté sur la bouteille et il aurait parfaitement pu venir chercher sa fille pour affoler son épouse. Quant à lui, son nouveau travail n'est guère satisfaisant et on parle même de le licencier quelques mois après son embauche.

    L'hypothèse d'un ravisseur se fait jour peu à peu ou celle d'un voyeur qui offrait volontiers des bonbons aux enfants. Bref, la police nage en plein mystère et les trois policiers de l'île seront vite rejoints par un renfort venu du continent. Peu à peu des secrets se révèlent, des adultères, des lettres anonymes avec menace de mort...

    A la mine où Steinar Olsen a été embauché son arrivée n'est pas passée inaperçue et les deux mineurs qui l'ont accueilli, et dont il deviendra plus tard le complice, l'initient au mystère des lieux, lui parlant notamment de ce sixième homme « qui suit les gueules noires au fond de la mine », une sorte de fantôme né dans cette atmosphère confinée et mystérieuse qui tisse des légendes. On se demande qui il est et on le confond volontiers avec le voyeur du jardin d'enfants.

    Dans une ambiance un peu irréelle faite de tempêtes glacées, de navigations parmi les icebergs, de chasses aux rennes et de drames intimes, le dépaysement joue complètement. Il faut cependant un parcours un peu chaotique d'Olsen avec sa fille, un incendie mystérieux sur un parking, la mort accidentelle de l'ingénieur, une vengeance de femme qui tourne mal et une série d'accidents miniers pour que cette histoire de fantôme, ce sixième homme caché à la fois au fond de la mine et dans les rues désertes, et qu'on soupçonne de rapt, débouche sur une fin heureuse.

    Monica Kristensen qui est aussi glaciologue, connaît bien cette région pour y avoir séjourné pendant six années. Avec un art consomme du suspens, elle fait partager à son lecteur la beauté des paysages autant que la dure vie des mineur du Spitberg. C'est donc autant un roman policier qu'un ouvrage documentaire sur cette région.

    Cet volume appartient à une série de polars se déroulant au Svalbard.

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    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE RAPPORT DE BRODECK – Philippe Claudel

    N°623– Janvier 2013.

    LE RAPPORT DE BRODECK – Philippe Claudel - Stock

    Prix Goncourt des Lycéens 2007 ;

    C'est une bien curieuse histoire que celle de ce Brodeck. C'est un enfante trouvé, un enfant de la guerre, recueilli dans un village perdu en montagne par Fédorine, une vielle femme. Lui, c'est plutôt quelqu’un d'ouvert mais, même s'il est arrivé ici très jeune, il restera pour les gens d'ici un étranger, quelqu'un de peu d'importance. Pourtant on lui offrira des études au cours desquelles il rencontrera Emélia qu'il épousera et qui lui donnera la petite Poupchette. Elle est sa raison de vivre bien qu'elle soit née du viol de sa femme par des soldats. Il deviendra même un fonctionnaire chargé de rédiger des rapports sur la nature. Ses travaux n’intéressent personne mais lui permettent de survivre avec sa famille grâce à ses maigres appointements. Il n'a jamais été accepté au sein de ce microcosme villageois au point d'être livré par eux à l'ennemi, pendant la seconde guerre mondiale. Quand on leur a demandé de « purifier » le village, c'est à dire de dénoncer les indésirables, c'est son nom et celui d'un simple d'esprit qui ont été donnés. Pourtant il résistera à la déportation, aux humiliations et à la malnutrition grâce au seul espoir de retrouver Emélia. Quand il est revenu au village, son épouse n'est plus la même, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même, brisée par un viol d'où naîtra une petite fille que pourtant Brodeck adore.

    Quand il est revenu, à la fin de le guerre, un autre étranger, aussitôt baptisé « l'Autre », est arrivé au village. Il est délicat, cultivé, parle peu et a un réel talent de dessinateur. On l'observe comme une bête curieuse, tellement différent des autres habitants frustes de ce village. On commence par l'accueillir en grande pompe pour éviter de dire qu'on se méfie de lui mais rapidement on le marginalise, on l'ignore. Pas rancunier cependant, il décide de donner une petite fête pour remercier le village de l'avoir accueilli. Lors de cette fête, il expose les portraits des villageois qu'il a réalisés mais ceux-ci les trouvent tellement réalistes et surtout tellement mystérieux qu'ils les supposent accusateurs et s'en prennent à lui, déchirent ses cartons et tuent son cheval et son âne qu'il considérait comme des personnes. Ces portraits étaient comme des miroirs qui révélaient la face cachée de chacun. Certains y ont vu une allusion à peine voilée aux faits qui s'étaient déroulés pendant la guerre, le viol et le meurtre de trois jeunes filles, étrangères elles aussi, l'aventure fatale de Cathor, un villageois qui avait refusé de livrer un vieux fusil, et qui a été décapité devant tout le village ; c'est cet événement qui avait motivé la dénonciation et la déportation de Brodeck. Mais au lieu de quitter le village, « l'Autre » y erre pendant trois jours en criant sa souffrance. Il finira par en mourir au terme d'une sorte d’assassinat collectif. Ainsi, sous le masque de la respectabilité, de la bienséance et de l'hypocrisie, les habitants de ce village perdu sont-il devenus des meurtriers, révélant ainsi leur véritable image.

    Un soir, Brodeck se rend au village pour acheter du beurre et se voit, lui le petit fonctionnaire sans importance, chargé de relater ces faits, c'est à dire d'en faire un rapport écrit. Il devient donc leur « scribe » pour que « celui qui lira le rapport comprenne et pardonne ». Obéissant, il s'exécutera, mais en réalité il n'y croit pas et les villageois non plus. Effectivement, le rapport une fois rédigé et lu par le maire est jeté au feu au motif que le passé appartient à la mort et qu'il faut aller de l'avant au nom de la vie.

    A la suite de cela Brodeck décide de quitter enfin le village avec femme et enfant.

    C'est étonnant le roman, les personnages tissent leur histoire et le lecteur en est le témoin, s'y identifie ou pas. Moi, je me suis senti très proche de ce Brodeck. Il est l'image de l'homme de bonne volonté aux prises avec les autres qui lui veulent du mal, gratuitement, pour se prouver sans doute qu'ils existent et qu'ils ont de l'importance. Il est assailli par la malchance mais tente de s'en sortir. Le malheur s'acharne sur lui sans qu'il y puisse rien et ne peut opposer à cela que sa seule vie minuscule et sans intérêt. Il est l'éternel guignon mais aussi le souffre-douleur de tous ces petits potentats qui certes le tiennent pour rien, ce dont il est persuadé, mais qui se croient tout permis. Ce roman est dérangeant parce qu'il traite de l’intolérance, de la noirceur de l'âme humaine, de la trahison, rappelle que la race des hommes n'est pas fréquentable, que « l'enfer c'est les autres »...et que tout cela est le quotidien de chacun d'entre nous. Le récit, même s'il est une fiction, est aussi là pour montrer les choses dans toute leur cruauté et l'eau de rose n'est pas ce qui l'irrigue forcément. Et d'ailleurs, ce Brodeck se révèle aussi mauvais que ceux qui l'ont persécuté, et la relation qu'il fait des événements dans son rapport entraîne une confession intime dont il ne sort pas grandi.

    Un autre personnage ne m'a pas laissé indifférent, c'est le curé Peiper, un vieil ivrogne qui ne croit même plus en Dieu mais accepte, pour quelques bigotes, de rejouer inlassablement la même comédie du rituel religieux. Il ne trouve sa consolation que dans le vin qui l'aide à oublier toutes les fautes des villageois qu'au nom de Dieu il pardonne, mais aussi la folie destructrice des hommes, leur volonté de trahir avec la bonne conscience de ceux qui veulent se persuader qu'ils agissent justement. A cause de lui, de son message religieux d'un autre âge et des vieilles croyances populaires qui puisent leur existence dans une peur ancestrale, « l'Autre » prend une dimension diabolique qui justifie son élimination. Il symbolise lui aussi la solitude, la peur de l'homme face à ce qui ne lui ressemble pas, face à la mort aussi après laquelle il n'y a rien, ni paradis ni enfer, rien que le néant et que Dieu n'est peu-être rien d'autre que l’inspirateur des bassesses humaines.

    C'est aussi un ouvrage sur la culpabilité « Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien ». Ce sont les premiers mots du narrateur, comme une excuse de tout ce qui va suivre et que va apprendre le lecteur. Pour tous ces gens qui le méprisent, il ne sera qu’un scribe, qu'un témoin, celui qu’ils ont chargé d'écrire ce meurtre dans son fameux rapport parce, ayant fait des études, il est seul à pouvoir le faire. Ils pensent sans doute qu'ils trouveront dans ses mots le pardon, pour ce qu'ils ont fait mais, devant son travail de tabellion méthodique, seules les flammes sont une réponse, comme si les phrases faisaient peur aux villageois, les désignant comme coupables pour l'avenir, pour l'Histoire peut-être ? Une des fonctions de l'écriture est de fixer le passé, d'en être la mémoire pour, peut-être, faire naître une certaine forme de compréhension voire de pardon. Ici, le rapport de Brodeck révèle la perfidie humaine et aux yeux du maire manque son but ce qui motive sa destruction. [« Il est temps d'oublier Brodeck, les hommes ont besoin d’oublier »]

    J'ai déjà dit dans cette chronique que j'apprécie le style de Philippe Claudel, fluide et agréable à lire, plus spécialement peut-être dans les descriptions où l'attention portée aux détails les rend plus vraies encore. Même si ce roman est quelque peu dérangeant, il a représenté pour moi un bon moment de lecture.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • J'ABANDONNE – Philippe Claudel

    N°622– Janvier 2013.

    J'ABANDONNE – Philippe Claudel - Éditions Balland.

    L'auteur met en scène un homme simple, encore jeune mais veuf qui s'occupe comme il peut de sa fille de quelques mois. Pour vivre, il travaille à l'hôpital, mais par dans n'importe quel service. L'hypocrisie administrative lui donne le titre de psychologue mais, même si, pour exercer son emploi il faut une bonne dose de psychologie : Il est chargé d'annoncer aux familles la mort d'un proche à la suite d'un accident et d'obtenir leur accord pour prélever sur le cadavre des organes nécessaires à la vie des vivants. C'est sans doute pour cela qu'on les appelle « les hyènes », du nom de ces charognards qui attendent la mort de leurs proies pour se repaître de leurs restes.

    Il a besoin de ce travail pour s'occuper de sa fille puisqu'elle n'a plus que lui au monde. Elle est toute sa vie et il voudrait qu'elle reste le plus longtemps possible dans le doux cocon de l'enfance ! Il la confie pourtant à cette baby-sitter un peu déjantée pour qui la vie se limite aux rave-parties, au piercing, à la drogue... Dans une société secouée par les difficultés économiques, avoir un travail de fonctionnaire, c'est à dire ne pas craindre le licenciement et le chômage est une sécurité à laquelle on tient. Après tout, même si, comme la plupart des gens, il n'a pas vraiment choisi ce métier, il est quand même plus sûr de le garder. Mais il vit mal ses fonctions et chaque chose dans son environnement, les mendiants dans la rue, les affiches publicitaires agressives, tout le bouleverse et son métier « lui fait mal ». Il est de plus en plus fragilisé par les événements et ce n'est pas ceux qui font son quotidien à l'hôpital qui vont lui rendre le moral.

    Pourtant il n'est pas laid et pas non plus indifférent aux femmes. Il pourrait refaire sa vie, comme on dit, mais il perd de plus en plus les pédales et met en parallèle sa vie à lui et celle de cette femme encore jeune, veuve, qui vient de perdre la fille unique de 17 ans. Comme le dit son collègue, il prend peut-être trop sur lui. Apparemment, en ce qui concerne celui qui travaille avec lui, il est loin de tout cela. Il prend cet emploi comme un gagne-pain, loin des états d'âme. Il est même, d'une certain façon, très professionnel, c'est à dire froid et insensible dans l'exécution de sa tâche. Et puis, du côté personnel, il est plutôt superficiel, ne s'encombre pas de détails, pour lui son univers c'est les matchs de foot, les conversations salaces, les apparences hypocrites et la machine à café. C'est à peu près tout.

    Et puis tout d'un coup, parce qu'il est en face de cette femme qui pleure, cette femme qui a perdu sa fille qu'elle ne reverra plus, qui est tout d'un coup l’image de tout ceux qui ont perdu un proche, il pète les plombs, porte le deuil de tous les morts, en veut à son collège d'être aussi primaire et obnubilé par ce sale métier, veut se donner la mort, revit à son tour le moment où on lui a annoncé qu'un drame s'était produit lors de la naissance de sa fille et qu'il fallait qu'il vienne à la clinique.... Celui qui lui a annoncé cela faisait le même métier que lui. La vie sera peut-être la plus forte ?

    Comme pour beaucoup d'écrivains, j'ai rencontré Philippe Claudel par hasard. Après tout la publication, les librairies et les bibliothèques sont faites pour cela. J'apprécie chez lui le style fluide qui m'engage à poursuivre mon parcours de lecteur, même si ici je n’ai pas vraiment ressenti du plaisir à cette lecture, à cause du thème choisi peut-être ?.

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES AMES GRISES – Philippe Claudel

     

    N°621– Janvier 2013.

    LES AMES GRISES – Philippe Claudel - Éditions Stock.

    (Prix Renaudot 2003)

    Nous sommes en 1917 dans un petite ville de province, assez loin du front pour que la guerre ne la dérange pas, assez près quand même pour qu'elle se rappelle à ses habitants à cause du son du canon et des convois de soldats qui vont vers la mort.

    Ce microcosme est bouleversé par la mort d'une gamine de 10 ans, surnommée « Belle de jour », une des trois filles de Bourrache, le patron de l'auberge, découverte assassinée dans l'eau froide du canal, derrière le château du Procureur Destinat. Ce magistrat solitaire, veuf, notable et grand bourgeois est austère et même un peu bizarre, comme coupé de la réalité qu'il régentait partiellement à cause de son métier, envoyant avec un grand détachement les assassins à l'échafaud. Le tribunal était aussi hanté par le juge Mierck, vicieux et cynique, craint autant à cause de ses fonctions que de l’insensibilité avec laquelle il les exerçait. Il est secondé par son acolyte, le colonel Matziev, sorti de nulle part aussi inquiétant que dérangeant.

    Or ces deux hommes, ces deux magistrats aussi dissemblables l'un de l'autre se haïssaient comme il était difficile de se haïr. La proximité des lieux du crime avec le château du procureur, un témoignage qui l'accable mais qui cependant est vite écarté par le juge vont pourtant lui donner l'occasion de mettre de côté ses rancœurs et d'épargner son collègue. Ils ne s'aiment gère mais appartiennent au même monde, celui des notables, des défenseurs de la loi et de l'Ordre Public. La guerre est là, heureusement, et deux pauvres déserteurs égarés dans cette petite ville vont être des bouc-émissaires idéals. On leur fait avouer n'importe quoi et « l'affaire » qui bouleversa cette petite ville, est officiellement close.

    Le narrateur, qui est aussi un modeste policier, remonte le temps à propos de cette « affaire » bien mystérieuse dont il tente de dénouer les fils bien qu'elle soit close. Il croise les âmes grises de ses habitants qui veulent oublier.et nous raconte aussi une autre mort mystérieuse, celle de cette jolie institutrice venue au cœur du conflit enseigner dans cette petite ville. Il nous parle de sa pauvre vie à lui, celle d'un planqué dispensé de guerre mais qui pleure sa femme. Il se classe volontiers dans le camp des salaud, les « justes » sont ceux qui sont au front et qui se battent pour leur Patrie. Il n'est pas l'un d'eux, et pas seulement à cause de cette guerre qu'il n'a pas faite.

    Après la mort du Procureur, torturé par le mystère de l'assassinat de « Belle de Jour » autant que par la justice qui n'a pas été correctement rendue, il choisit de narrer pour lui-même les faits, noircissant des cahiers qui lui font peut-être mieux accepter les choses et son âme à lui, tout aussi grise que celle des autres, tout en notant « C'est douloureux d'écrire, je m'en rends compte depuis des mois que je m'y suis mis. Ça fait mal à la main, et à l'âme ». Pourtant, il est admis que l'écriture est libératrice mais l'épilogue montre que dans son cas, il ne peut rien en être.

    Tout au long de ce roman qui n'est pas un « policier » à proprement parlé, j'ai été séduit autant pas l'écriture fluide et agréable à lire de son auteur autant que par le suspens savamment entretenu jusqu'à la fin.

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE CAFE DE L'EXCELSIOR – Philippe Claudel

     

    N°620– Janvier 2013.

    LE CAFE DE L'EXCELSIOR – Philippe Claudel- Éditions La Dragonne.

    Photographie de Jean-Michel Marchetti.

    Le bistro, en France, c'est une institution, presque un élément de culture populaire, en tout cas quelque chose dont on ne pourrait plus se passer et qui doit bien receler un peu de cet art de vivre que le monde entier nous envie. Celui du narrateur qui, à l'époque était encore enfant, ce n'était pas un café à la mode, il s'en fallait de beaucoup. C'était tout juste un estaminet un peu crasseux d'une banlieue ouvrière, près d'un canal. Il était tenu par son grand-père qui trônait, hiératique, derrière son zinc, versant des apéros et des verres de rouge, donnant la réplique aux clients habitués. C'était toujours les mêmes qui venaient là : le facteur, inénarrable fonctionnaire, Marcepie le chauffeur de bus qui devait consommer autant l’alcool que son véhicule de carburant. Il soliloquait comme le font les solitaires et les malheureux sur terre, et les autres piliers de comptoir qui fréquentaient ce débit de boissons au vague nom latin. On aurait presque imaginé autre chose au seul énoncé de ce titre qui impliquait presque le luxe. Ils s'y retrouvaient pour échapper au quotidien, à la routine, à l’éternelle ire d'une épouse ou simplement pour refaire le monde à coups de conversations qui ne risquaient pas de bouleverser les théories philosophiques. Tout cela tenait de l'habitude, du rituel, en tout cas de l'incontournable rendez-vous que personne parmi sa clientèle n'aurait osé manquer sauf à constituer une irréparable faute de lèse-patron.

    Ce lieu était évidement exclusivement dédié aux hommes, et pas n'importe lesquels. Il fallait, pour y être admis avoir au moins ses quatre quartiers d'alcoolisme, et d'un alcoolisme militant évidemment, qui se voyait évidemment sur le visage (« la vie se lit sur l'usure d'un visage »), sur les gestes alentis avec lesquels on se portait réciproquement la santé. C'était toute une congrégation d'habitués à qui il ne serait pas venu à l'idée de bouleverser en quoi que ce soit l’ordonnancement des choses de cet antre où le temps passait avec « la lenteur d'un goutte à goutte », où l'apéro se consommait dès neuf heures du matin, dans le plus grand respect de la sieste méridienne du patron. On y tapait le carton, on y bouffait du curé, on appréciait en connaisseur la panier de girolles ou le gibier, évidemment de braconnage qui venait à s'y trouver, on y commentait le cours des choses de l'extérieur, et c'était tous les jours pareil. En bleus de chauffe les jours de la semaine ou dans leur unique costume du dimanche qui datait de leur mariage et qui fleurait bon la naphtaline, ils se retrouvaient dans ce décor un peu crasseux mais si coutumier qu'ils y seraient venus les yeux fermés. Ils y prenaient leur ration d’alcool et de gros rouge sans laquelle leur vie n'était pas concevable. Bien entendu, quand une femme s'y aventurait, par accident évidement, elle était poliment mais fermement reconduite à la porte. Il ne fallait pas mélanger les genres et surtout pas se tromper de lieu !

    Ce bistro faisait aussi cantine, mais pour les clients seulement et le vieil homme confectionnait pour eux et, évidemment pour son petit fils, sa « corbeille d'eau douce », un infâme salmigondis de poissons et de légumes dont la couleur n'avait rien d'engageant mais qu'on consommait avec délectation (« cette affreuse soupe couleur de boue »). C'était en tout cas l'occasion de se rappeler son enfance d'école buissonnière !

    Le dimanche, après la messe, ce grand-père accompagnait le narrateur le long du canal où il lui offrait une glace. Ils taquinaient le poisson et regardaient les péniches qui, pour l'enfant, avaient des ventres pleins de rêves et de voyages. L’aïeul lui parlait de ses parents, morts ensemble trois auparavant parce que la vie leur avait soudain semblé invivable. Le petit orphelin s'était ainsi retrouvé ici parce que vieillard était la seule famille qui lui restait.

    Puis un jour tout cela s'est arrêté pour le narrateur parce que l'administration toute puissante avait décidé, dans son intérêt évidemment, que ce décor, ce microcosme n'étaient pas bon pour lui. Ce furent des familles d’accueil qui le tinrent éloigné longtemps de cet morceau d'enfance, avec seulement quelques lettres difficilement écrites de ce grand-père vieillissant. Puis, plus rien parce que le temps passe et que l'humaine condition reprend ses droits...

    Tel est ce court roman émouvant, poétique et fort bien écrit, qui fut pour moi, certes un bon moment de lecture mais aussi un saut dans cette période dont on ne guérit jamais : l'enfance !

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • CE QUE SAVAIT JENNIE – Gérard Mordillat

     

    N°618– Janvier 2013.

    CE QUE SAVAIT JENNIE – Gérard Mordillat- Calmann-Lévy

    C'est un titre un peu énigmatique qui fait référence à un roman d'Henry James [1843-1916], écrivain américain, considéré comme le maître du roman et de la nouvelle, auteur de « Ce que savais Maisie ». Cette œuvre retrace le parcours un peu chaotique d'une petite fille qui, âgée de trois ans, doit faire face au divorce de ses parents et se « partager » entre eux par une résidence alternée. Cette situation se révèle rapidement délétère puisqu'elle ne tarde pas à s'apercevoir qu’elle sert d'espionne autant que de souffre-douleur à chaque des deux ex-conjoints qui se servent d'elle pour assouvir leur haine réciproque. Pire peut-être, elle est complètement délaissée. Ce roman a été adapté au cinéma par Édouard Molinaro (1995).

    Ici,Jennie, à qui on peut bien redonner la majuscule de son prénom apparemment escamotée dans le titre, est la fille d'Olga, sa mère, qui refuse obstinément de lu révélé le nom de son père. A seize ans, elle vit avec elle dans une maison faite de bric et de broc, et pas tout à fait terminée, située entre l'aéroport de Roissy et une ligne de chemin de fer, autant dire au milieu de nulle part. Ici habite également Mike, le compagnon un peu marginal de sa mère et leurs deux filles, Malorie et Saïda. L'histoire commence par un repas de famille bien arrosé où s'égrènent des idées reçues dignes du café du commerce et des propos salaces. Elle se termine par la mort accidentelle de Mike, ce qui fait d'Olga une femme seule, vite rejointe par Slimane et par la naissance d'Hakim. Voilà donc Olga, mère de quatre enfants qui se repose sur Jennie, l’aînée, pour les soins apportés à ses frère et sœurs. Elle joue en effet auprès d'eux, et spécialement auprès de Malorie, le rôle efficace d'une véritable « petite mère ».

    Tout aurait pu être bien dans cette vie si la mort n'avait encore frappé, emportant Olga et Slimane dans un accident et dispersant les enfants de foyers en familles d’accueil. Jennie est alors âgée de seize ans trouve cela profondément injuste.

    Sept ans ont passé, Jennie a alors vingt trois ans. Après une longue période de galère, elle entreprend à travers la France de retrouver ses frère et sœurs parce que leur mère leur avait promis, avant de mourir, de les emmener voir la mer à Étretat. Elle en profite pour régler ses comptes avec tous ceux qui l'ont trahie ou abandonnée et qui, à ses yeux, sont responsables de l’éclatement de sa famille.

    Dans sa quête, elle va de déconvenues en désespoirs, croise Quincy, un acteur de cinéma qui ne veut plus l'être et qui, lui aussi à des comptes à régler avec les ex-employeurs de sa mère qui, l'ayant injustement licenciée, l'ont acculée au suicide. Sa quête qui le fera basculer dans le crime, lui sera fatale.

    Mais, revenons a ce roman d'Henry James qui ne fait pas qu'inspirer le titre du livre de Gérard Mordillat. C'est l'ouvrage de référence de Jennie « Maisie était pour Jennie une œuvre vers laquelle se tourner en toutes circonstances de la vie pour y trouver conseils, réconfort et amitié » et puisque sa vie à elle n'est faite que de galères, elle puise dans ce livre sa consolation. Mieux « (elle) avait besoin … de mots, tant de mots lui manquaient pour exprimer l'étendue de son chagrin, de sa colère. ». D'ailleurs, ce roman « c'était son livre qu'elle lisait et relisait ». Elle se l'approprie au point d'en souligner des passages, de le décorer de dessins personnels, de l'annoter.

    C'est donc un roman sur l'injustice qui frappe sans cesse Jennie au cours de sa courte vie et on imagine qu'elle est bel et bien née sous une mauvaise étoile qui la poursuivra. Injustice de ne pas avoir connu son père (Elle l'entrapercevra cependant sur une photo), injustice d'être ballottée par le sort qui lui est contraire, injustice de cette loi qui s'impose à elle et lui interdit, à cause de son jeune âge, de s’occuper de ses frère et sœurs alors qu'elle souhaitait ardemment le faire, injustice d'être elle-même promenée de familles en familles, injustice de voir Saïda et Hakim, devenus Sophie et Olivier récupérés au titre de l'adoption ; injustice aussi parce qu'elle est exclue du bonheur auquel chaque être a droit sur terre. C'est aussi un roman sur la mort qui la suit de près et accompagne ses pas, cette mort qui a toujours le dernier mot et qui ne capitule ni devant l'amour ni devant le désespoir.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • La dactylographe de Mr James – Michel Heyns

     

    N°619– Janvier 2013.

    La dactylographe de Mr James – Michel Heyns- Éditions Philippe Rey.

    Traduit de l'anglais (Afrique du sud) par Françoise Adelstain

    Le grand écrivain américain Henry James (1843-1916) engagea en 1907 Theodora Bosanquet (1880-1961) en qualité de secrétaire. Elle le restera jusqu'à la mort de l'écrivain. Son travail consistait à taper à la machine sous la dictée de James. Elle ne se contenta pas de ce travail assez ingrat et écrivit elle-même « Henry James à l'ouvrage »(1924) où elle porte témoignage à la fois de l'homme et de l'écrivain. D'autre part elle publia également son journal ce qui fit d'elle un auteur reconnu.

    L'auteur, Michel Heyns, s'empare de cette relation professionnelle authentique pour faire de Theodora, rebaptisée Frieda Worth, alors âgée de 23 ans, un personnage de roman. Tel est le prétexte de ce récit bien documenté, fort bien écrit, plein d'humour délicat, de descriptions agréables, d'analyses psychologiques. Il est en tout cas fort bien traduit (notamment avec un grand souci du mot juste) qui mêle la fiction à la réalité, créant lui-même pour les besoins de son récit des faits qui n'ont pas existé où qu'il déplace dans le temps et dans l'espace, s'inspirant de théories qui nourrissent son écriture, comme il s'en explique dans une note à la fin de l'ouvrage. Le texte distille une musique qui plonge le lecteur dans une ambiance surannée et un dépaysement agréable.

    Sous la forme d'un récit chronologique qui va de novembre 1907 à juillet 1909, le narrateur décrit une époque où la femme est un citoyen de seconde zone dans un monde d'hommes mais où se développent cependant des mouvements d'émancipation. Frieda, jeune femme cultivée, discrète et vive d'esprit, promise à un avenir de mère de famille traditionnelle, cherche cependant à s'émanciper par le travail. Elle est toute disposée à se mettre au service de M. James avec compétence et réserve, même si elle considère que, pour gagner sa vie, elle mérite mieux que cet emploi subalterne. Elle s'installe donc à Ry, petite ville guindée du Sussex et s’acquitte de sa tâche. Il s'agit de préparer une édition complète, corrigée et commentée de l’œuvre de James. Dans cette maison de « Lamb house » vivent, autour de M. James des domestiques discrets, des invités parfois exubérants et extravagants et même le chien Max qui complète agréablement le tableau. Frieda y rencontre a romancière américaine Edith Warthon (1862-1937), Morton Fullerton, journaliste américain, correspondant du Times à Paris, amant de cette dernière et ami de M. James. Avec lui elle noue une relation cordiale et respectueuse au début, la promesse d'une future vie commune et même une relation amoureuse même si cette dernière, par sa rapidité, est quelque peu en contradiction avec le puritanisme de l'époque. En réalité c'est plutôt un marché autour de lettres jugées compromettantes pour lui qu'elle est chargée de récupérer, même si pour cela, et contrairement à l'éducation qu'elle a reçue de sa mère, elle doit trahir le naïf M. James. Elle le fera par amour mais le déroulement des événements lui révélera le cynisme de M. Fullerton et finalement orientera sa vie future.

    De son propre aveu, l'auteur précise qu'il prend des libertés avec la personnalité de Miss Worth, encore qu'on peut aisément imaginer qu'elle ait pu obéir à l'invitation de M. James de profiter de la vie[« Profitez de la vie autant que vous le pouvez, c'est une erreur de ne pas le faire ». Ce qui est sûr en revanche c'est que Theodora Bosanquet a eu après la mort de M. James des communications avec lui par le biais du spiritisme, ce qui, en quelques sorte prolongea la fonction de dactylographe de cette dernière. L'auteur la rend également réceptive à la télépathie pratiquée, par l’intermédiaire de sa Remington, avec le même M. Fullerton ! Cela peut paraître un peu fantaisiste mais Heynz a choisi de rendre compte, par ce biais de l'intérêt que portait Thoedora Bosanquet aux phénomènes paranormaux. En réalité, Frieda prend de plus en plus d'importance au sein même de cette famille puisque, au départ, on considérait qu'une simple dactylographe ne fournissait qu'une prestation, n'était pas obligée de comprendre ce qu'elle tapait et n'était que le simple prolongement de sa machine. Au fur et à mesure du récit, et notamment à l'invitation de la nièce de M. James, elle s'impose également, loin des esprits frappeurs, des guéridons et autres séances d'invocation, comme une sorte de médium entre cette dernière et une tante décédée. Sa machine va donc devenir une sorte d'instrument de « l'écriture automatique » et Frieda un truchement indispensable dans ce phénomène. Aux yeux de M. James, elle prend aussi une autre dimension qui décide de sa vie future. En revanche, elle ne va pas tardé à s'apercevoir de la duplicité, de l'hypocrisie et de la trahison qui animent les différents membres de ce microcosme comme toutes les sociétés humaines qui en sont friandes. M. James, lui, semble à part, comme dans une bulle, uniquement préoccupé par son écriture.

    Ainsi l'auteur en profite-t-il pour parler de la mort, de la vie, de la notoriété, de la renonciation, en les relativisant (« La vie nous trahit, seul l'art ne déçoit pas »). Dans ce lieu un peu à part, le lecteur voit peu à peu apparaître des thèmes consacrés aux suffragettes et au spiritisme et aux techniques nouvelles, traduisant des préoccupations en vogue à l'époque victorienne mais aussi des comparaisons entre l'ancien et le nouveau monde, William James, le frère d'Henry résidant avec sa famille aux États-Unis.

    Miss Worth est donc le témoin privilégié d'un monde auquel elle n'appartenait pas au début mais qu'elle parvient cependant à maîtriser. La scène finale, dans le brasier qui se consume est révélatrice et Frieda n'est plus un simple secrétaire, elle devient l'égal de James face à la vie. C'est un peu comme s'il lui passait un relais de l'écriture. Quant à Heyns, sans tomber dans le plagiat, il rend fort bien l'ambiance des œuvres de James. L'hommage qu'ainsi il lui rend est de qualité.

    J'avoue volontiers que, malgré quelques remarques sur la vraisemblance de certains épisodes, ce roman m'a procuré un bon moment de lecture.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ACCESSIBLE A CERTAINE MELANCOLIE– Patrick Besson

     

    N°617– Janvier 2013.

    ACCESSIBLE A CERTAINE MELANCOLIE– Patrick Besson- Albin Michel

     

    Milan Canovas est un séducteur qui a dépassé la quarantaine. Son nom est d'ailleurs, à quelques lettres près, celui de Giacomo Casanova. Comme notre Vénitien, il va de femme en femme, les séduit, couche avec elles puis les abandonne au gré de son humeur ou de ses autres conquêtes. Après tout, un authentique Don Juan ne fait pas autre chose, ne vit pas autrement. Il est correspondant de guerre ce qui ajoute sans doute à son aura pour ses compagnes d'une nuit ou de quelques jours. Certes, il est marié et père de famille mais cela ne l'empêche pas de pratiquer le nomadisme amoureux que facilite grandement son métier itinérant.

     

    Présentement, il est marié à Brigitte avec qui il a un enfant et qui est enceinte, de lui doit-on préciser, et qu'il passe son temps à quitter tout en gardant toujours son adresse et son numéro de téléphone, au cas où... Mais dans le même temps il y a Rose, une étudiante au nez refait par Anne, une chirurgienne dont il devient aussi l'amant bien qu'elle soit elle-aussi mariée et mère de famille et qui choisit de tout abandonner pour le suivre malgré ses autres maîtresses ! Il multiplie les passades et où qu'il aille, une femme l'attend pour coucher avec lui, qu'il soit en France ou à l'étranger ! Il hait les repas de famille et la famille elle-même et ses enfants n'ont que peu d'importance pour lui. J'ai eu l'impression que ce qu'il aime dans cette vie se résume à la jouissance qu'il ressent avec une femme, mais à condition d'en changer rapidement, et à condition aussi que le moment soit piquant, érotique, exceptionnel ! On pourrait être tenté de dire « Tout ça pour ça » mais, après tout , cela peut parfaitement représenter un art de vivre qui en vaut un autre !

     

    Face à cette envie de jouir, on a l'impression que tout le reste est une somme d'épiphénomènes, tout le reste comme le cancer de Brigitte ou l'agression sur sa personne et avec arme à feu d'une de ses anciennes maîtresses. A Norbert, Le philosophe-ami, il avoue « Je crois que je n'ai plus de sentiment, plus aucune humanité...Il me semble que j'ai simplement besoin d'elle(de sa maîtresse), un besoin atroce, comme celui de la vache pour le brin d'herbe ».

    Ce roman est donc l’histoire quelque peu échevelée de tous ses amours, ce qui pourrait sembler anodine ou intéressante, mais que le style du texte ne m'a pas beaucoup encouragé à poursuivre ma lecture. Le livre a bien failli me tomber des mains plusieurs fois, mais j'ai poursuivi, ne serait-ce que pour avoir la clé de ce roman dont le titre est quelque peu énigmatique. Ce n'est pas simple de trouver un intitulé à un récit et je me suis interrogé sur la signification d'icelui. C'est sans doute ce qui m'a motivé ?

     

    Pourtant, j'ai ressenti autre chose, une sorte de musique mélancolique née d'une vie certes aux antipodes de la routine mais quand même, baignée par un ennui. Cela vient-il de la fuite du temps soulignée par le calendrier des événements passés que l'auteur égrène avec une certaine nostalgie. Peut-être ? J'ai eu l'impression que cette vie était à ce point difficile qu’il attendait de la femme, c'est à dire de toutes celles qui croisaient sa vie, qu'elle soit une sorte de révélateur qui le transformerait, qui serait capable de faire de lui ce qu'il est en réalité. C'est un peu comme s'il déplorait le spectacle de lui-même, celui d'un être imparfait et en devenir. « Il attendait de rencontrer une femme qui lui donnerait forme humaine, c'est à dire divine... Il fallait que quelqu'un le sorte de cette prison... Chaque femme pouvait être ce sauveur...Il n'aimait pas les femmes, ils croyait en elles. Il était sûr que l'une d'entre elles le sauverait .Il voulait la trouver avant de mourir. » Cela vient-il qu'entre les lignes il y a la réalité de la mort qui nous attend tous et que les humains qui nous entourent ne suffisent pas à nous faire oublier. Peut-être ? Pourtant, la camarde peut parfaitement être regardée comme un sauveur et son coup de faux un acte de libération. J'avoue que ce message me séduit assez et que Milan peut parfaitement vouloir jouir sans entrave avant cette échéance. Peut-être ressent-il une sorte de mal de vivre, né de impossibilité de se fixer et qu’il l'exorcise par la conquête des femmes qui résume pour lui à un simple acte sexuel, comme un dérivatif pourtant voué à l'échec et qui porte en lui le suivant ? Peut-être ?

     

    Il reste que j'ai beaucoup moins accroché à ce roman. Les précédents (Belle-sœur, Saint-Sépulcre ! La feuille volante n° 615 et 616) m'avaient davantage plu.

     

     

     

  • SAINT-SEPULCRE !– Patrick Besson

     

    N°616– Janvier 2013.

    SAINT-SEPULCRE !– Patrick Besson- Fayard

     

    Nous sommes à Paris au XIII° siècle, sous le règne de Louis IX. Un écolier, Richart Perpin, fils de bourgeois, paresseux, pas mal soiffard et surtout jouisseur doit rendre un devoir sur la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon, lors de la 1°croisade en 1099. Le sujet ne l’inspirant guère il en confie la rédaction à un vieux jongleur érudit de ses amis, Bénodet, lui-même ami de Ruteboeuf, contre quelques pintes de vin. En fréquentant de concert les tavernes et les bordels, ils tombent ensemble amoureux d'une jeune prostituée palestinienne, Edelinne, qui avait été enlevée à un sultan puis vendue à une maquerelle par un ancien templier aveugle, Gile d'Avèze. Cependant la jeune fille s'est enfuie du bordel où elle travaillait et Richart comme Bénodet partent à sa recherche dans un Paris pittoresque. Après 20 ans à guerroyer en Terre Sainte, ce chevalier, malade et vieux, veut revenir en Picardie où il est né et, pour ce faire, use de ce stratagème efficace pour soutirer de l'argent à différentes tenancières afin d'assurer sa subsistance.

    Reste le devoir qui doit être rendu ; Bénodet pense que c'est trop bête de s'en tenir à la véritable histoire de Godefroy et voudrait que cela soit sa grande œuvre. Il choisit donc d'y ajouter le récit fictif d'un de ses compagnons, pourtant bien différent de l'Avoué du Saint-Sépulcre, un chevalier qu'il nomme … Luc d'Avèze. Il n'a rien d'un être preux puisqu'il est exclus des Templiers à cause de ses péchés mortels et des transgressions aux règles de l'ordre. En fait, pour son récit fictif, Bénodet s'inspire de la vie du véritable homme de guerre et compagnon de Godefroy de Bouillon, sous le contrôle littéraire avisé de Ruteboeuf. Cet ouvrage une fois achevé, et qui vaudra le bûcher à Bénodet tant il est blasphématoire, portera finalement la signature du jongleur et le titre de « Saint-Sépulcre », le cri de guerre de Godefroy !  Il devra d'ailleurs sa mise en prison puis plus tard sa condamnation, à la trahison de son fils aîné, Jude. Il sera cependant sauvé du supplice par le mariage qu'il contracte avec Ysabel, la sœur laide mais surtout vierge de Richart, conformément à une vieille loi médiévale.

    Comme si cela ne suffisait pas dans la liste déjà bien fournie de leurs aventures, Richart qui a abandonné son idée d'entrer dans les ordres et même ses projets de carrière juridique s'embarque pour la Terre sainte à la suite de Louis IX. Il est accompagné comme son ombre de Bénodet et d'Ysabel.

     

    Notre auteur émaille son texte d'aphorismes bien sentis qui sont autant de remarques pertinentes sur la société des hommes[« Pourquoi dominons-nous les autres? Pour pouvoir les aimer »], sur l'existence terrestre [« La vie est un tel malheur que la mort ne saurait être un malheur plus grand »], sur la religion [« Bizarre qu'on dise la messe dans la langue des Romains quI ont crucifié Jésus. », « Les messes,se dit-il, c'est le contraire du sexe : elles sont toutes les mêmes alors qu'on ne fait jamais deux fois l'amour d'une façon identique »], sur la charité et ceux qui la pratiquent:[« A Ceux qui la font la charité spectaculaire rapporte tellement plus qu'elle ne leur coûte puisqu'elle ne leur coûte rien. »] , sur les femmes [« Pourquoi les femmes qu'on aime sont-elles fraîches quand il fait chaud, chaudes quand il fait frais ?»] avec toujours le sens de la formule teintée d'humour [« Il la pénétra comme nous entrons dans une église le jour de nos noces. »]...

     

    L'auteur manie à merveille l'Histoire et la fiction. Grâce à un texte remarquablement documenté, il promène son lecteur dans une société médiévale colorée, vivante et authentique où on voit Dieu et le diable partout, où la conduite chrétienne du roi, le futur Saint Louis, qui invite les pauvres à sa table et rend la justice sous un chêne, voisine avec celle plus que marginale et contestable de nos deux compères bien plus volontiers inspirés par le vice et le blasphème, comme d'ailleurs celle de la plupart de leurs contemporains. C'est vrai qu'à l'époque on honorait Dieu un peu par obligation et on partait pour la Palestine pour diverses raisons : délivrer le tombeau du Christ, expier ses péchés, échapper à quelqu’un ou à quelque chose, faire la guerre ou simplement s'enrichir !

     

    C'est à un véritable roman picaresque, à grands renforts de mises en abyme, que Patrick Besson invite son lecteur. Les gens changent d'identité et de fonctions, meurent apparemment puis refont surface comme par miracle, voyagent dans le temps et dans l'espace, se découvrent des parentés incestueuses ou adultérines, les vies se croisent et s'entrechoquent, les destins se font et se défont, les paternités y sont douteuses et les filiations illégitimes et consanguines … Un véritable dépaysement !

     

    Dans un style truculent, peu académique parfois, mais qu'importe, son récit rocambolesque donne l'occasion à Patrick Besson de se livrer, sous couvert de l'évocation de cette période, à une peinture de l'humanité, une humanité qui n'a pas changé, ne changera jamais et n'a pas grand chose d'humain. Il y a l'amour qu'on fait pour le plaisir et celui qu'on n'a pas donné par égoïsme, par manque de temps ou par oubli, la trahison, l'envie de tuer, la passion pour Dieu pour l'argent pour les femmes ou pour le vice... Face à cela, il invoque notre envie légitime de mourir, non seulement parce que c'est la fin normale de la vie mais aussi parce que c'est une délivrance.

     

    Un bon moment de lecture en tout cas.

     

     

     

     

  • BELLE-SOEUR – Patrick Besson

     

    N°615– Décembre 2012.

    BELLE-SOEUR – Patrick Besson- Fayard

     

    Une famille presque ordinaire à Marolles-en-Brie que nous présente le narrateur, Gilles, l'aîné, la quarantaine : une mère Catherine Verbier, veuve d'un mari décédé tôt et remplacé par Savario, un italien retraité, féru d'actualités et de sport, mais à la télévision seulement. Il avait pris la place du père dans cette famille bizarrement recomposée où les époux ne s'aimaient guère et se contentaient de se supporter. Il faut dire que tout les opposait, lui le pharmacien rondouillard et insignifiant et elle la dentiste flamboyante et séduisante. Ils n'allaient vraiment pas bien ensemble. Dans cette famille un peu hétéroclite il y aussi Fabien, le fils préféré, célèbre acteur de cinéma, alcoolique militant et toxico actif, pas très net donc, mais en couple avec Annabel, une attachée de presse parisienne qui aime surtout les vieux messieurs mais a fait une exception pour son compagnon. Leurs amours sont chaotiques et survivent tant bien que mal face aux conquêtes aussi flamboyantes qu'éphémères de Fabien. Ils passent leur temps à se séparer et à se rabibocher même si elle est amoureuse de lui mais lui pas vraiment d'elle.

     

    Le narrateur, Gilles, est journaliste, délaissé par sa mère et positivement amoureux d'Annabel, la fiancée de son frère qui risque ainsi de devenir sa belle-sœur alors qu'il préférerait qu'elle devînt son épouse. Pourtant ses louables tentatives en ce sens sont plus ou moins vouées à l'échec. Souffler sa petite-amie à son frère dont il est jaloux serait un bon moyen de se venger de lui. Il se rabat, si on peut dire, sur Sophie qui arrive dans sa vie, moins pour lui-même que pour se rapprocher de Fabien dont elle est fan et surtout éperdument amoureuse et qui n'attend qu'une occasion pour coucher avec lui. Tel est l'intrigue de ce roman où le lecteur ne tarde pas à s'apercevoir qu'il s'agit d'un chassé-croisé amoureux, d'une histoire de ménage à quatre, avec ses tromperies, ses mensonges, ses abandons, ses retrouvailles, ses grossesses croisées et ses incertitudes sur la paternité réelle, tout cela sur fond de « people », de « Je t'aime, moi non plus », de recherches ADN de querelles familiales, et tout ceci entre frères ! Les mères sont ici sûres d'une chose c'est qu'elles ont chacune un fils, Tom et Jean, mais pour le père... ?  Ce vaudeville aurait pu être plaisant s'il ne s'était terminé par la mort accidentelle de Fabien dont Gilles se demande s'il ne s’agit pas d'un suicide et qui éloigne Anabel définitivement de lui puisqu'il épouse finalement Sophie qu'il n'aime pas.

     

    Cet événement fait resurgir de vieilles questions occultées par des années de silence, de non-dits, de sauvegarde des apparences pour la paix des ménages et des consciences. Quant à Savario, il est purement et simplement congédié. On n'avait pas tardé à s'apercevoir qu'il était surtout un opportuniste et un profiteur, c'est à dire un surnuméraire dans cette drôle de famille où il n'avait pas sa place. Gilles est rejeté sans appel par sa mère qui l'estime responsable de tout et accrédite cette idée auprès des siens, d'autant plus que cela lui permet d'occulter sa propre culpabilité. Marolles deviendra, autour d'elle une véritable maison de famille mais uniquement peuplée de femmes et de deux enfants à l'identité génétique incertaine. Une manière de dire peut-être que la vie a gagné mais Gilles restera malgré le paria, le malheureux, définitivement séparé d'Anabel désormais inaccessible. On imagine pourtant les habitudes qui se figent, les choses définitivement gravées dans le marbre de ce microcosme et la hiérarchie familiale dont Gilles est désormais exclu, le culte du mort perpétué par ces femmes qui l'ont aimé et qui ne cesseront de le faire jusqu'à la fin, pour des raisons différentes.

     

    Je ne connaissais pas Patrick Besson. Avec ce roman, je n'ai pas passé un mauvais moment de lecture puisque je suis allé au bout de ce livre. Il y a bien des bons mots, des remarques pertinentes [ j'en choisis une, et pas au hasard :« La mort a quelque chose de gai : on est délivré de la vie »], des effets de phrases plutôt bienvenus et parfois même un peu humoristiques [« Ce qu'Anabel n'aimait pas chez Fabien, c'était qu'elle l'aimait ; ce qu'elle aimait chez moi, c'était qu'elle ne m'aimait pas »]. Le style et l'histoire m'ont pourtant modérément passionné même si des détails qui émaillent le récit et n'y ajoutent vraiment rien pourraient parfaitement être passés sous silence. La liste des courses avec le prix de chaque produit, le détail des menus, le score des matches de tennis, l'énumération des cafés, restaurants parisiens, des boutiques à la mode avec leurs adresses , etc... pas vraiment attrayant pour la pauvre provincial que je suis. Cela ressemble à de la publicité pas forcément gratuite, dessert le texte et indispose le lecteur. Il faut savoir ce que l'on veut !

     

    Que reste-t-il, le livre refermé, de cette histoire un peu embrouillée et compliquée où l'amour vrai croise les coucheries d'un soir ? Cette question qui se pose à chaque fois que je termine un ouvrage et justifie, peut-être, cette chronique. Je dois à l’honnêteté de dire que quelque chose m'agaçait sans que je sache très bien quoi et qui m'invitait à passer à autre chose . J'ai continué ma lecture cependant ne serait-ce que pour connaître l'épilogue. Cette histoire de gens qui poursuivent un but sans pouvoir l’atteindre, qui ne s'aiment pas sans en connaître eux-même la véritable raison, qui accréditent définitivement une idée et s'y accrochent au point qu'elle devient pour tout le monde une certitude, qui se séparent et qui, pour se consoler sans doute en épousent d'autres, m'a rappelé quelque chose qui ressemble à la société des hommes, à la condition humaine, à la peur de la solitude, à la vie.

     

     

     

     

     

  • UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson

     

    N°614– Décembre 2012.

    UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson- Juillard

    Depuis que j'ai croisé l’œuvre de Philippe Besson sur les étagères d'une bibliothèque et que cette chronique s'est fait l'écho de pratiquement la totalité de ce qu'il a publié, j'avoue bien volontiers que c’est la première fois que j'ai tant hésité à poursuivre la lecture d'un de ses livres. Il m'est même, à plusieurs reprises tombé des mains et je dois sans doute à son style fluide et agréable à lire, à sa phrase simple, précise et faite de mots sans prétention d'avoir poursuivi ma lecture. Peut-être aussi parce que cette histoire se déroule sous le soleil d'automne, à Florence, cette merveilleuse ville toscane qui porte un nom de femme ?

    Pourtant, cette histoire est un peu déconcertante. Sur les rives de l'Arno, en contre-bas du Ponte Santa Trinita, on a découvert au matin le cadavre d'un jeune homme, Luca Salieri, 29 ans. Accident, suicide ou meurtre ? Cette cité est celle des énigmes et, par conséquent, le cadre était plutôt bien choisi. Le lecteur s'attend donc à lire un roman policier, mais ce n'en est pas vraiment un, puisque le narrateur n’est autre... que le cadavre lui-même ! C'est lui d'ailleurs qui raconte la découverte de son corps, les questions que ne manquent pas de se poser les enquêteurs en pareil cas, l'autopsie, l'enterrement et j'en passe. Il n'est d'ailleurs pas avare de détails [« Voici que les vers s'attaquent à l'armature, que les asticots prospèrent, que la vermine accourt pour se nourrir de ma viande en décomposition, que des larves s'extirpent de mes orbites creusées. »]. C'est lui aussi qui donne la clé de l'énigme. Bien entendu, il parle à la première personne tout comme les deux autres personnages principaux, Anna Morante, sa compagne et Leo Bertina, un petit prostitué un peu minable qui officie dans le quartier de la gare. Ils interviennent directement et alternativement dans le récit, dévoilant petit à petit leur rôle dans cette affaire et surtout dans la vie de Lucas. A Anna, Luca réservait le mensonge et à Leo le silence. Ces deux portraits croisés vont petit à petit éclairer cette énigme, révélant le rôle personnel qu'ils ont pu y jouer et aussi la personnalité de Luca. Au fil des pages l'intrigue policière s'estompe peu à peu pour disparaître complètement par le biais d'une banale décision administrative. A sa place, Besson y substitue une histoire d'amour mais pas exactement celle à laquelle on pouvait s'attendre. Anna formait avec Luca un couple et un mariage était envisagé. A ce titre et puisque c'est elle qui a signalé sa disparition, elle est interrogée par la police mais prend petit à petit conscience des pointillés et des petits mystères qui existaient entre eux. Elle les supportait cependant par attachement et peut-être par amour pour Luca mais les investigations policières vont progressivement les éclairer et les expliquer. A côté de cette relation quasi-amoureuse, le lecteur assiste à la révélation d'une véritable liaison entre Luca et Leo qui met en évidence une hypocrisie familiale. Pourtant c'est Luca lui-même qui les réuni autour de son cercueil « Anna, Leo, de grâce, soyez assurés que j'emporte votre image avec moi ».

    Les autres intervenants secondaires, ses parents notamment, sont juste évoqués, comme des étrangers.

    C'est un peu comme si un mort-vivant nous raconterait ce qu'il « voit » à l'extérieur et ce qui lui passe par la tête, égrenant ses souvenirs et ses remords . Il le fait sur le ton léger de la vie, sans aucune angoisse de la mort, avec détachement et même soulagement d'avoir été enfin, par le hasard, débarrassé d'un fardeau. Il avait dû espérer quelque chose de cette existence qu'il n'a cependant pas obtenu d'elle, une sorte d'impossibilité à mener ce ménage impossible, ce trio qui ne pouvait que déboucher sur le scandale ou sur le néant. Il prend cette aventure avec un certain fatalisme et même de l'humour. Il est vrai qu'on peut toujours rire de tout, même des événements les plus inattendus et que c'est une arme efficace, même contre les tragédies... Pourtant Lucas avait tout pour être heureux, une bonne famille bourgeoise, une compagne jeune, jolie et aimante et ce Leo qu'il semblait avoir bien connu. Il incarnait pourtant sa face cachée, son aspiration vers autre chose, sa fêlure aussi, une autre vie impossible à réaliser. Philippe Besson cite d'ailleurs plusieurs fois Cesare Pavese, écrivain italien, auteur entre autre du « Métier de vivre » qui se suicidera.

    J'observe que Luca est mort jeune et que pour l'éternité il gardera les traits lisses de son visage, la souplesse de son corps, personne ne le verra vieillir et lui ne sentira pas ses os se déformer et ses yeux s'éteindre. C'est le thème de la jeunesse et de beauté des corps qui revient encore une fois sous la plume de Besson, allié aussi à l'obsession de la mort. Certes il y a l'homosexualité présentée ici comme la part d'ombre de Luca mais ce que je retiens aussi c'est l'hypocrisie, la trahison qu'il pointe du doigt et qui caractérisent tant l'espèce humaine et la rend définitivement détestable.

    Au début j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'univers de ce roman. J'ai persisté dans sa lecture et je ne le regrette pas.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SE RESOUDRE AUX ADIEUX – Philippe Besson

     

    N°613– Décembre 2012.

    SE RESOUDRE AUX ADIEUX – Philippe Besson - Juillard

    Il y a quelque chose de pathétique dans cette série de lettres que Louise adresse à Clément, l'homme qu'elle aime et qui l'a quittée. Elle les lui envoie cependant et sait que, bien qu'elle note son adresse au dos de l'enveloppe, il ne les lira pas, pire peut-être, reconnaissant son écriture, il les détruira avant de les ouvrir. Ce sont autant de bouteilles jetées à la mer puisqu'elle a choisi de mettre entre ce Clément et elle l'espace d'un océan, une étendue d'eau, celle de Cuba, de New-York ou de Venise. Elle ne peut en effet se résoudre à oublier cet homme et évoque les lieux d'où elle écrit ses missives, de Venise, de New-York et, évidemment de Paris, égrenant pour lui les bons et les mauvais moments.

    C'est donc un roman sur le chagrin amoureux d’une femme abandonnée qui a choisi de s'isoler du monde dans un endroit où personne ne pourra la localiser bien que, paradoxe, elle précise son adresse pour Clément. Seule Jeanne, son amie sait où elle est mais elle a promis le silence. Elle les égrène avec des chansons de Barbara ou d'Aznavour, comme un fil d'Ariane. Elle sait pourtant que ses mots sont sans espoir et que Clément restera avec Claire, celle avec qui il forme un couple officiel sinon légitime. «  Tu dois te demander ce que je cherche en t'écrivant . Rien  La réponse est rien. ». Il y a quand même des ressentiments dans ces lettres, pire, elles ne sont faites que de cela, entre humiliation de l'adultère, de la trahison et rancune de l'échec, entre fantasmes et faux espoirs.

    Pourtant il y a cet acte d’écriture qui, comme le note pertinemment l'auteur peut parfaitement cacher les choses [« L'écriture est un travestissement si on le désire »] Elle demande du courage cependant. J'ai déjà dit dans cette chronique, et spécialement à propos de cet auteur, le rôle apaisant de l'écriture. On sent que Louise est meurtrie par l'abandon de Clément, d'autant qu'il s'accompagne de sa part d'hypocrisies et de lâchetés ordinaires. Je trouve personnellement des vertus à l'écriture, même si je ne sais pas l'expliquer et je n'y vois pas, comme pour les médicaments, de contre-indications ou de l’accoutumance, mais ce n’est pas là un défaut, au contraire. C'est pourtant le seul moyen qu'elle a trouvé pour exorciser cette absence mais son soliloque tourne court. On imagine Clément déchirant les enveloppes avant que de les lire, indifférent aux états d'âme amoureux de son expéditrice. Cette écriture reste cependant celle « du souvenir du bonheur ». De même le voyage, le dépaysement avec leur lot d’aventures, de hasards, de découvertes, de passades peut-être restent un ersatz et la compagnie de Clément pendant ce périple est une fiction entretenue artificiellement. Même si les foucades sont possibles, Louise ne cherche plus à séduire et poursuit inlassablement ses souvenirs qui ressemblent de plus en plus à des remords. Je ne suis pas sûr que ce dépaysement aide à la guérison, bien que Louise semble ressentir un mieux-être et entame une sorte de convalescence au fur et à mesure qu'elle se rapproche de Paris et de ses racines françaises. Bien qu'elle s’interroge «  Guérit-on jamais des hommes qui nous quittent ? », elle sait que lorsqu'elle rentrera chez elle, elle ne trouvera pas de traces de Clément ni dans sa boite aux lettres ni sur son répondeur. Elle espère encore mais cette tranquillité est trompeuse, artificielle.

    Louise reconnaît une chose qui n’est pas facile à admettre : Elle est inapte au bonheur. Face au désarroi de l'abandon, elle fait prévaloir la vie sur la mort, fait confiance au travail, au temps qui passe et qui sans doute efface tout, aux toquades possibles qu'elle considère comme une victoire facile, éphémère et parfois refusée. Savoir qu'elle peut encore plaire est une futilité, certes, mais une consolation qui se matérialise à la fin, dans une nouvelle vie.

    Dans d'autres chroniques consacrées à Philippe Besson j'ai eu l'occasion de vanter ses qualités de conteur. Sans les minimiser cette fois, je n'ai pas trouvé dans ce roman le souffle ordinaire que je goûte dans ses autres ouvrages. Seul son style, comme toujours, m'a plu mais la présentation sous forme de lettres unilatérales m'a paru un peu fastidieuse.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • RETOUR PARMI LES HOMMES – Philippe Besson

     

    N°612– Décembre 2012.

    RETOUR PARMI LES HOMMES – Philippe Besson - Juillard

    A la fin de « En l'absence des hommes » (La Feuille Volante n° 609) , Vincent de l’Étoile, meurtri par la mort d'Arthur était parti vers des contrées lointaines, une fuite pour adoucir ce deuil. Ainsi était-il parti, entre Afrique et Amérique, sur terre comme sur mer, avec pour seules boussoles le hasard et la liberté, loin de Paris et de ses 16 ans, de son éducation aristocratique, entre fantasmes et réalités, entre « bateau ivre » et aventures exotiques et même inattendues. En vain ! C'est une autre version de « l'homme aux semelles de vent » chère à Rimbaud, mais voyager, nous le savons, n'est pas guérit son âme. Cette période sabbatique de sept années est symbolique, elle répond sans doute aux sept jours pendant lesquels il avait vécu un amour parfait avec Arthur. A lui qu'il n'a toujours pas oublié, il parle par de-là la mort, évoquant cette semaine d'amour. Ce jeune homme qui aime les garçons mais ne laisse pas les femmes indifférentes a connu des aventures amoureuses fugaces mais sans lendemain. Il a choisi de rester fidèle à un mort !

    De Marcel Proust, il n'a eu que des nouvelles partielles, il a su qu'il avait connu la gloire, la consécration littéraire puis ce fut la mort après une courte agonie...Il revient donc chez lui pour apprendre que sa mère lointaine et hautaine l'a fait recherché et que son père est mort de son absence. Ce n’est cependant pas le retour du fils prodigue mais un accueil froid, plein de reproches. Blanche, leur gouvernante et la mère-célibataire d'Arthur s'en est allée et on a perdu sa trace. Madame de l’Étoile a choisi de s'engoncer dans un monde immobile et sans doute d'y attendre la mort et Vincent découvre un Paris qui a changé, qui veut oublier la guerre et qui s’abrutit dans les plaisirs un peu comme si ce XX° siècle tout neuf avait débuté en 1918. Lui reste malgré tout un jeune aristocrate qui remarque « Je suis né trop tard ou pas dans le bon pays » ;

    Vincent rencontre Raymond Radiguet, un jeune homme au talent précoce et plein d'avenir qui lui fait connaître Cocteau. Malgré son très jeune âge, il est déjà l'auteur de deux romans au parfum de scandale. Il le suit dans dans une sorte de folle équipée parisienne où le lecteur ne sait pas trop s'il s'y perd ou s'il s'y reconstruit. Dans ce tourbillon il rencontre des peintres, des écrivains...Il se remémore sa relation chaste et platonique avec Proust et en mène une autre avec Raymond qui aurait pu être torride mais ne l'est pas. Si l'auteur d' « A l'ombre des Jeunes filles en fleurs » se penchait sur le passé , Radiguet lui incarne l'avenir. Il est attiré par lui mais, malgré ses vingt ans Raymond meurt brutalement d'une fièvre typhoïde. Au cours de leur brève relation, il avait évoqué une noyade à laquelle il avait échappé de justesse notant avec prémonition «  C' aurait été une mort épatante. Tellement plus originale que le suicide ou la vieillesse ». Il ajoute même «  Et puis sait-on si on aura le temps de tout faire ? Mieux vaut commencer tôt » et Vincent rapproche cette remarque de sa propre existence «  Moi qui me suis contenté de fuir, d'errer sans but précis, moi qui n'ai rien commencé, rien terminé, moi qui ne suis qu'un ballon de carnaval arrimé à la main d'un enfant distrait.»

    Ainsi, autour de Vincent, ce n'est que la mort qui rode et le temps qui passe. Lui survit à tout cela, entre questionnement et culpabilité. Il note quand même dans l'ultime phrase de ce roman « Les morts me rendent la vie ». A n'en pas douter Vincent a gagné en maturité et choisit de s'éloigner de la mort.

    J'avoue que j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'univers de ce roman, seule la fin a retenu mon intérêt. Malgré tout et comme toujours le style de Besson m'a plu.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson

     

    N°611– Décembre 2012.

    LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson - Juillard

     

    Sous la forme d'un journal intime, Isabelle, sœur d'Arthur Rimbaud, relate par le menu les derniers moments de son frère à partir de son retour en France . Nous sommes en 1890 et il n'a plus que quelques mois à vivre. A l'issue d'un séjour de 10 ans en Afrique où il voulait faire fortune, il revient se faire soigner une tumeur au genou qu'il a contractée là-bas mais on l'ampute à l’hôpital de Marseille. Elle se souvient d'Arthur, cet élève précoce et brillant sans doute promis à un bel avenir, cet adolescent insoumis épris de liberté et de voyages qui très tôt fuit cette ferme pour être ce garçon aux semelles de vent. C'est que, dans la famille, les hommes ont la bougeotte, comme le père, le capitaine Rimbaud qui abandonna les siens, comme Frédéric maintenant définitivement banni.

     

    Arthur a 35 ans, il a perdu toute la fougue révolutionnaire de son adolescence, son talent de poète aussi et s'il pratique encore l'écriture c'est pour s’enquérir de ses affaires avec ses associés restés en Afrique. La correspondance qu'il entretient cependant avec Isabelle et qui annonce sa venue dérange par son exclusivité et le tour personnel qu'elle prend. Il revient cependant dans cette maison où sa mère le considère comme une charge, lui, l'estropié qui ne pourra rien faire. C'est que, dans cette famille, les femmes sont solides, travailleuses et dures au mal et il n'y a jamais vraiment eu sa place malgré quelques rapide séjours. Isabelle est heureuse de le revoir, elle l'attend, se met à sa disposition quasi exclusive pour que ce séjour parmi les siens qu'elle suppose temporaire, lui soit le moins dur possible. C'est elle qui l'a accueilli, soigné, supporté ses blasphèmes et ses critiques, qui lui a parlé, qui l'a absout par avance pour tous ses débordements, qui l'a protégé contre la froideur de sa mère, contre la curiosité malsaine des paysans venus le voir comme une bête curieuse. C'est elle aussi qui l’accompagnera dans son dernier voyage vers la mort et qui reviendra avec son cercueil. Il meurt en novembre 1891 à 37 ans, avec ses rêves inaccomplis, son avenir à jamais brisé. Isabelle est attachée à sa mère à qui pourtant elle ne trouve aucune excuse, plus par devoir que par amour, cette femme indifférente, pingre, froide et autoritaire, figure tutélaire de cette famille désarticulée et déjà visitée par la mort puisque Vitalie, une autre fille est déjà morte.

     

    Isabelle est une femme de devoir puisqu’elle s'est assigné celui de sauver cet homme diminué qui souffre autant dans son corps que dans son cœur. Elle le connaît, se souvient de son appétit pour les plaisirs terrestres, sa gourmandise du monde, sa liaison scandaleuse avec Verlaine, sait son penchant homosexuel et comprend très vite que s'il veut rejoindre Aden, c'est moins pour faire perdurer son aventure exotique ou faire une hypothétique fortune que pour rejoindre Djami, un jeune abyssin qui fut son amant. Il n'incarne pas seulement la souffrance, c'est aussi un homme tourmenté. Ce qu'elle veut, en tenant ce journal c'est certes faire perdurer la mémoire de son frère sans cependant la salir face à cette société bien pensante et hypocrite. Elle se sacrifie pour Arthur comme elle restera soumise et fidèle à sa mère. Elle est cette vieille fille, vierge, perpétuellement vêtue de deuil, trop bigote et maintenant trop laide pour espérer se marier (Elle épousera cependant Paterne Berrichon en 1897) . C'est un peu comme si elle était l'épouse de substitution d'Arthur. Elle avait mis beaucoup d’espoir dans ce frère qui lui est revenu quelqu'un trop longtemps absent et qui lui échappe. Tout au plus réussira-t-elle à sauver l'âme de ce mécréant!

     

    Il y a dans ce roman des thèmes chers à Besson, celui de l'homosexualité mais aussi celui des liens fraternels qui justifient tout (déjà rencontrés dans « son frère »), celui de la famille destinée à s'éteindre faute de descendants, celui de la mort aussi. Ici aussi un vivant écrit pour un disparu, pour que son souvenir ne se perde pas, pour que les traces qu'il a laissées sur terre ne soient pas trop tôt effacées, pour qu'on garde une place pour lui dans la mémoire face à une espèce humaine oublieuse par essence ou par habitude. Les mots abolissent ainsi le temps, font échec à l'amnésie.

     

    Je suis assez fasciné par la faculté qu'a l'écrivain, de raconter une histoire même fictive, de refaire le monde, de recomposer pour son lecteur l'histoire d'un personnage, de lui prêter des sentiments , des fantasmes et des phobies, face à la feuille blanche.

     

    Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique le style fluide de l'auteur me procure, comme toujours, un bon moment de lecture.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SON FRERE – Philippe Besson

     

    N°610– Décembre 2012.

    SON FRERE – Philippe Besson - Juillard

    Lucas Andrieu, le narrateur, va raconter, sous la forme d'un journal, avec cependant des analepses, les derniers moments de son frère, Thomas, atteint d'une incurable maladie du sang. Il le mêle, dans la relation qu'il en fait, à l'ambiance déshumanisée des hôpitaux, les tâtonnements des médecins, leur apparent détachement, les soins douloureux et parfois barbares aux souvenirs communs qu'il a avec ce frère qui va mourir. Il replace ces scènes à St Clément des Baleines, à l’extrême pointe de l’île de Ré où, selon une légende non vérifiée, des cétacés venaient mourir. Ici aussi se trouve leur maison de vacances, blanche, aux volets verts avec le ciel bleu et la sable fin, une vraie carte postale d'été. Face au silence obligé du début, à des parents très absents, incompréhensifs et impuissants, à Claire « aux yeux clairs »,  « la femme des petits matins, la femme embrassée sur le pas des portes », la compagne de Thomas qui choisit la fuite, Lucas va prendre l'énorme charge de cette douleur et de cette épreuve. Lui, l’aîné, le complice, accompagnera son frère jusqu'à la mort.[« C'est auprès de moi que chacun vient exprimer son angoisse, sa détresse. Pour la énième fois de ma vie, je joue le rôle du substitut de Thomas »]. Pourtant, la mort a déjà frappé cette famille ordinaire avec la non-naissance de Clément. Ce décès annoncé ne fait que raviver la douleur, le deuil, l'impuissance...

    Ils ont peu de différence d'âge et se ressemblent physiquement comme des jumeaux mais leurs parents ont toujours préféré Thomas plus expansif, plus amoureux de la vie. Lucas, lui est solitaire et mélancolique. Pourtant, entre eux, il n'y a jamais eu de concurrence. Ils sont jeunes, ont la vie devant eux et des rêves plein la tête, mais l'un d'eux va mourir. La camarde va s'acharner sur lui, lentement, avec des périodes d'apparente rémission, dans un contexte apaisant des vacances à la mer, une sorte de dernier salut à la vie, dans le souvenir lumineux de ce qu'elle fut pour eux. Ils sont différents cependant puisque Lucas est homosexuel et que Thomas aime les femmes, mais cette différence renforce cependant leur fraternité, comme la maladie de Thomas l'affermira.

    C'est un épisode de sa vie amoureuse et passionnée qui va revenir dans une histoire contée par un vieux pêcheur rétais et confirmée aussi, à la fin, par Thomas, la négation d'une paternité à venir, la fuite face aux responsabilités, la mort, déjà, comme une fatalité, dans les eaux bleues du pertuis [« On ne va pas contre la volonté de l'océan »]. Il choisira symboliquement le même trépas plutôt que sur un lit d’hôpital. J'y vois quelque chose comme une dette que Thomas aurait contractée et qu'il va maintenant payer un peu comme si ses souffrances lancinantes répondaient à celles de cette jeune fille désespérée qui a choisi de quitter la vie quelques années auparavant parce qu'elle ne supportait pas la lâcheté. Pire peut-être, c'est une faute qu'il expie.

    Au début des investigations les médecins, inquisiteurs, l'interrogent sur d'éventuels rapports sexuels non protégés. On songe au sida pourtant vite écarté, regardé comme une malédiction mais aussi une forme de châtiment. Pour autant, on sent que la maladie est considérée comme une punition. N'a -t-on pas longtemps soutenu que la souffrance était rédemptrice ?

    C'est une page qui se tourne, la fin de quelque chose, non seulement cette tranche de vie s'achève mais cette transition est associée à la mort du frère, un autre lui-même (« Cette mort prévisible, attendue, causera pourtant, à n'en pas douter, un cataclysme. Elle rejaillira sur nos existences. Elle les modifiera, leur fera prendre une direction imprévue »). Pourtant Thomas, cet amoureux de la vie accepte l'échéance au point de s'occuper lui-même de sa propre sépulture.

    Comme souvent dans les romans de Besson, la mort revient comme un thème récurrent, la marque de la condition humaine, l’homosexualité aussi avec, comme en contre-point, une descendance qui ne sera plus assurée pour cette famille un peu désunie. Ici j'y vois aussi une volonté délibérée de ne pas donner dans le pathos malgré les termes techniques, l’épilogue annoncé, les questions posées, le lent cheminement vers la mort « Au fond, cette mort sera-t-elle autre chose qu'un long et lent suicide consenti ?  ».

    Comme toujours aussi, ce roman a été pour moi un bon moment de lecture grâce au style fluide et agréable de l'auteur.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson

     

    N°604– Décembre 2012.

    L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson – Juillard.

    Une histoire simple : Un soir de septembre un peu orageux, au cap Cod dans l'état du Massachusetts aux États-Unis, un bar, « chez Phillies », donnant sur les falaises d'où se jettent parfois des désespérés. Ben, un barman ordinaire et discret, une cliente, Louise Cooper, 35 ans qui attend Norman. C'est une habituée de cet établissement. Elle sirote un Martini blanc simplement parce qu'elle aime davantage la forme du contenant que le contenu. Elle est auteur dramatique à succès et porte ce soir-là une robe rouge comme ses lèvres. Cette couleur sied aux femmes belles et de caractère, et c'est effectivement ce qu'elle est. Célibataire, elle mène une vie libre et choisit ses amants. Entre Ben et elle, c'est une longue histoire d'amitié et de complicité silencieuse, exactement depuis qu'il a pris son service chez Phillies, il y a longtemps et d'ailleurs il connaît toutes ses pièces. Pour elle, il n'est pas qu'un simple serveur et pour lui elle est plus qu'une habituée.

    Un homme arrive, Stephen Touwnsen, un client ordinaire en apparence. Il est avocat d'affaires à Boston, marié à Rachel et père de famille. Ben le connaît aussi et, bien entendu Louise puisqu'ils ont eu ensemble une longue liaison parfois orageuse mais surtout passionnée qui s'est terminée il y a cinq ans par l'apparition entre eux de Rachel qui s'est glissée dans sa vie et dans son lit. Stephen s'était donc marié avec sa nouvelle conquête qui lui offrait le calme même s'il formait avec Louise « un beau couple » comme dirait Ben. Pourtant, pendant toutes ces années de séparation, il n'a pas cessé de penser à elle, bien que cette dernière lui ait interdit de chercher à la revoir. Une page s'était donc tournée pour eux, et Louise avait décrété le silence sur ce souvenir. C'est une femme forte et, après la douleur de la séparation, elle a puisé dans l'écriture une nouvelle raison d'exister en créant des pièces inspirées de cet échec. On ne dira jamais assez l’extraordinaire pouvoir exorciste des mots !

    Stéphen savait qu'en passant la porte de ce bar, il la trouverait ici et il lui annonce sa séparation d'avec Rachel. En l'apprenant Louise savoure une sorte de victoire mais pourtant elle s'en moque puisqu'elle attend un homme qui pourtant tarde à venir parce que, pour elle, il va quitter son épouse. Maintenant entre eux s'installe une sorte de silence gêné que Ben respecte et scrute, l'air de rien. Dans ce coin de bar, il règne entre des deux ex-amants une atmosphère surréaliste à cause de ce mutisme que chacun veut briser sans exactement savoir comment faire. Dans leur for intérieur, ils pensent à leur passé commun, à leurs souvenirs, à leurs erreurs aussi tout en laissant à l'autre l'initiative d'interrompre ce silence. Quand elle comprend que Norman ne viendra pas la rejoindre et donc qu'il renonce à elle, tout redevient possible entre Louise et Stephen puisqu'ils sont libres tous les deux et qu'ils n'ont cessé de s'aimer. Peu à peu le silence se lézarde comme un vieux mur et la solitude de ces deux êtres s'estompe, le respect revient à travers des regard muets « Ils s'observent avec tendresse, avec une sorte de gratitude. C'est un regard comme une reconnaissance de dettes. Un regard comme un pardon aussi , pour la douleur ou pour le manque. Un regard comme un regret enfin, de ce qui a été, de ce qui aurait pu être ». Ben, constamment en retrait dans ce café du bout du monde veut rester le figurant discret de ce psychodrame mais en connaît tous les ressorts.

    Il y a dans ce roman une musique, une ambiance qui est bien rendue par la fluidité du style. Le texte, agréablement écrit, sans artifice, poétique dans les descriptions, se lit bien et avec plaisir. Il est réaliste et précis comme la peinture d'Hoppert. Les phrases sont comme des touches de couleur dont l'ensemble forme un tableau.

    Il y a une analyse fine des sentiments de ces protagonistes, une étude psychologique pertinente qui peu à peu emporte l'assentiment du lecteur. Dans ce huit-clos, l'auteur le prend à témoin en lui dévoilant, dans une analyse précise, l'histoire intime de Louis et de Stephen, sans omettre les lâchetés ni les remords.

    A la lecture de ce roman, je mesure le rôle du romancier, celui de raconter une histoire, celle de cette femme en robe rouge du tableau de Hoppert. Elle n'est qu'un personnage peint sur une toile que les visiteurs du musée ne verront peut-être pas. L'auteur lui invente une tranche de vie qui n'est sans doute qu'une fiction sortie de son imagination ou de l'émotion qu'il a ressentie devant ce tableau et qui porte son écriture.

    J'avoue que j'ai toujours été bouleversé par les rencontres d'hommes et de femmes qui, dans le passé ont eu des relations intimes, une vie commune et qui, longtemps après leur séparation, se retrouvent presque par hasard. Leur dialogue est plein de non-dits et les mots peinent à venir à cause sans doute des chagrins, des petites bassesses dont on se souvient et qu'on n'a pas pardonnés, par l'envie aussi qu'ils ont de recommencer leur histoire.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • QUAND LES BROCHETS FONT COURIR LES CARPES – Jean-Louis DEBRE - Editions FAYARD NOIR

     

    N°305 – Juillet 2008

     

    QUAND LES BROCHETS FONT COURIR LES CARPES – Jean-Louis DEBRE - Editions FAYARD NOIR.

     

    D'ordinaire je prise peu les écrits des hommes politiques, mais la perspective de lire un roman policier autant que la citation de Talleyrand à laquelle cet ouvrage emprunte son titre était quand même une incitation à la lecture. Et puis ce n'était pas de grandes idées généreuses brassées à longueur de pages, dans le seul but d'appâter l'électeur... avec la ferme intention de ne jamais les mettre en pratique!

     

    Il s'agit d'une fiction, quand même largement inspirée par la vie politique immédiate où les personnalités politiques de gauche se retrouvent, au nom de l'ouverture et de la rupture, dans un gouvernement de droite, à des postes ministériels. D'emblée le narrateur se présente, écrivain égaré dans l'éducation nationale, sans doute pour des raisons alimentaires, on sent bien qu'il n'a pas grand chose à y faire et s'en échappera à la première occasion. Il croise donc, dans les jardins du Palais-Royal, une femme énigmatique et envoûtante qui, dans le grand chamboulement politique qui suit les élections présidentielles, devient Secrétaire d'État, malgré son passé gauchisant, lui offre ses services et, à la suite de circonstances qui ne se rencontrent que dans les romans, devient son chef de Cabinet, son confident, son mentor... J'aime leurs relations en demi-teinte, à la fois quasi amoureuses et empreintes de respect mais aussi hostiles et mystérieuses parfois.

     

    Tout pourrait aller pour le mieux pour cette jeune femme si elle n'était soudain rattrapée par son passé. Jeune militante gauchiste, elle a rêvé de détruire cette société bourgeoise que, ministre, elle souhaite maintenant consolider pour affermir sa position et satisfaire ses ambitions. Mais ses anciens amis veillent sur cet avancement et comptent bien profiter d'une situation unique, usant sans vergogne du chantage, de la délation, de l'intimidation, des manipulations, de la trahison, de l'infiltration, pour faire avancer leurs idées. Et tant pis si, accessoirement, il y a enrichissement personnel, magouille et trafics en tous genres...

     

    Dès lors, ce chef de cabinet, dont le rôle était au départ d'écrire des discours, devient une pièce maîtresse de ce puzzle où « sa » ministre se débat, entre ses anciennes convictions, sa volonté d'avenir et les turpitudes ambiantes. Il pénètre sans s'en apercevoir dans un univers qui lui était inconnu, bien loin de celui du modeste enseignant qu'il était jusqu'alors. C'est que, trop candide, trop honnête ou trop respectueux de la vérité, il cherche à protéger « sa »  ministre, mène sa propre enquête, se révèle un fin limier mais aussi et peut-être surtout, une victime. Mais voilà, les menaces se précisent et la déstabilisent, des morts suspectes viennent compliquer une situation délétère où elle semble se noyer. Finalement, les choses et les protagonistes de cette intrigue reprendront leur vraie place, mais lui, de plus en plus étranger à tout cela sent la situation lui échapper, tandis qu'à l'extérieur les choses suivent leurs cours normal. Non décidément ce monde n'est pas fait pour lui!

     

    L'occasion est trop belle pour l'auteur de se livrer à une critique sans complaisance du microcosme qu'il connaît bien, surtout l' Assemblée Nationale évidemment, les petites et les grosses ficelles du métier de d'homme politique faites d'alliances, d'influences et de retournements, de palinodies parfois, d'esquisser des silhouettes et des personnages, de distiller des aphorismes bien sentis, mais aussi, et peut-être surtout, de dénoncer les petits travers, les illusions et compromissions propres à la condition humaine. L'auteur se pose en spectateur privilégié de l'ambiance actuelle, exceptionnelle et paradoxale dans l'histoire politique de notre pays, mais aussi de cette volonté éternelle qu'à l'homme de prendre le pouvoir pour assurer sa promotion personnelle, même si pour cela il doit trahir ses convictions... Et on sent bien qu'il est à son affaire!

     

    C'est un roman passionnant qui se lit facilement, bien documenté, surtout en matière d'investigations policières et plein d'annotations culturelles où se lit tout l'amour que l'auteur porte à Paris. On sent aussi tout le plaisir que l'auteur prend à l'écriture. Il tient son lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne!

     

     

    © Hervé GAUTIER – juillet 2008.http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson

     

    N°609– Décembre 2012.

    EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson - Juillard

    Nous sommes en 1916 à Paris, un jeune aristocrate de 16 ans, Vincent de l’Étoile fait, dans un salon, la rencontre de Marcel Proust (pourtant jamais nommé), alors homme de lettres reconnu, de trente ans son aîné. Avec le temps, il partage avec lui une amitié sincère qui ira jusqu'à la confidence. Pour Vincent, il y a certes la réputation que va lui faire le tout-Paris : fréquenter Proust est sulfureux et il le sait mais bien des choses les rapprochent, notamment l’adoration de leur mère. Proust pourtant rectifie «  Nous n'appartenons pas à la même vie mais je crois que ce n'est grave pour aucun de nous deux ». Au fil de leurs rencontres, des liens quasi-filiaux se créent entre Vincent et Marcel qui se confient l'un à l'autre. Vincent ne souffre pas vraiment du manque de son père mort et Marcel, asthmatique et porté sur la littérature, a senti très tôt qu'il allait décevoir le sien puisqu'il était professeur de médecin et que le frère de Marcel sera chirurgien.

    Il y a aussi Arthur Valès, jeune instituteur de 21 ans qui est fils naturel de la gouvernante des parents de Vincent, autant dire une domestique. Il est actuellement dans la boue des tranchées à Verdun. Entre les deux jeunes hommes il y a très tôt une attirance physique, durant sept jours (le chiffre symbolique d'une création) de permission, ils vont s'unir charnellement, se promettant un amour perpétuel.

    « En l'absence des hommes » est donc le récit de cette courte liaison amoureuse entre deux garçons, sur fond de guerre et avec le regard bienveillant et protecteur de Marcel. Proust nous est présenté comme un mondain, un dilettante qui souhaite s'opposer aux Allemands par la participation à des dîners et des fêtes parisiennes alors qu'Arthur est sous les balles et les obus. Puis, les confidences et la confiance se faisant plus précises, Vincent va avouer à Marcel son attirance pour Arthur. On s’attendrait qu'il y ait des tentatives de séduction de la part de Proust face à un jeune adolescent qui partage son penchant homosexuel. Il n'en est rien, au contraire puisqu'il conseille son jeune ami, le met en garde contre la société qui bannit et punit durement cette aversion, lui parle de l'amour qui est synonyme de souffrance, de désespoir, le met en garde contre « les emballements du cœur », lui rappelle qu'il a toute la vie devant lui, que la mort peut venir contrecarrer ses projets mais s'enthousiasme pour ce pur amour qui lui a sans doute été refusé.

    Arthur retournera dans ses tranchées et fera partager à Vincent cette guerre atroce et meurtrière qui le fauchera. Leurs lettres sont à la fois pudiques et sensuelles et on peut cependant se demander comment, ce qui mettait en évidence une liaison condamnée par la loi, ait pu échapper à la censure militaire. Cette correspondance dont la dernière arrivera trop tard est le pendant de celle que s'adressent mutuellement Vincent et Marcel, absent momentanément de Paris. Il y a entre eux aussi une dimension d'aveu, de conseils aussi d'un ami plus âgé, presque de relations père-fils, une relation platonique en tout cas.

    Le personnage de la mère d'Arthur est émouvant,  « cette femme de quarante ans qui en paraît soixante » et qui a dû subir toute sa vie l'opprobre de la « fille-mère ». Elle prend la dimension d'une Piéta( La mère est là...) Au début, les paroles qu'elle échange avec Vincent sont convenues, presque de circonstances et leur rencontre est surtout faite de silences. Mais rapidement et malgré la subordination qui existe entre eux, elle se confie à lui, lui avoue qu'elle avait compris tout de suite l’attachement qui le liait à son fils, lui révèle son parcours douloureux et misérable, le secret de la filiation d'Arthur, la découverte de sa sexualité, le silence mutuel qui a entouré cette prise de conscience, la certitude que l'autre savait sans jamais en avoir parlé, la révélation de l'amour que son fils portait à Vincent …

    Il y aussi de longues digressions sur la mort, sur l'absence et le gâchis, l'inconcevable et l'inexplicable quand il s'agit d'un enfant, même si on a prié un improbable dieu que cela n'arrive jamais ! Le souvenir laissé par un être se mesure à l'aune de ceux qui, après sa disparition penseront encore à lui.

    Je retiens aussi une analyse très fine de l'écriture que l'auteur met dans bouche de Marcel et aussi pour Besson l'occasion de dire toute l'admiration qu'il a pour l'auteur de « A la recherche du temps perdu ». Lors de leurs échanges, Marcel confesse à son ami l’importance qu'à l'écriture pour lui, « Si je n'écrivais pas, je crois bien que je serais mort ». De même il met en parallèle l'écriture et la paternité, lui qui n'est pas censé avoir d'enfant. Ses livres seront ce qui lui survivra et quand Vincent lui demande pour qui il écrit, il répond « J'écris pour mes disparus ». L’épilogue que l'auteur imagine est cependant originale et inattendue !

    Vincent et Arthur n'ont pas eu le temps d'être malheureux ensemble. Leur amour est donc intact et dès lors ravalé au rang de souvenir douloureux, un vide que la fuite seule peut combler.

    Je vais sans doute écrire une absurdité mais, si j’apprécie la démarche proustienne du temps qu'on abolie par le travail de la mémoire, je ne goûte guère son style, sa phrase interminable et compliquée. Je lui préfère et de loin le style fluide et musical de Besson mais j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette chronique.

    Ce roman publie en 2003 était le premier de Philippe Besson. Il fut salué par la critique comme une révélation.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA TRAHISON DE THOMAS SPENCER – Philippe Besson

     

    N°608– Décembre 2012.

    LA TRAHISON DE THOMAS SPENCER – Philippe Besson - Juillard

    Le décor tout d'abord : les bords de ce fleuve-frontière, le Mississipi, des maisons isolées, des routes, des champs puis au début, la période bénie de l'enfance pour deux garçons Thomas Spencer et Paul Bruder, bref un récit de Marc Twain dans un tableau d'Edward Hopper !

    Ils sont nés tous les deux le jour de l'explosion d'Hiroshima mais n’appartiennent pas à la même famille, ils ont donc jumeaux de hasard, vivent dans la même petite ville de Natchez, ont des distractions d'enfants de leur âge mais dans un contexte familial différent. Si Paul a une famille ordinaire, Thomas lui n'a pas de père, c'est à dire qu'il a quitté sa mère en apprenant qu'elle était enceinte. Ils partagent pour autant l'idée d'absence puisque Paul a perdu son frère aîné à la guerre de Corée. C'est sans doute ce qui les a rapprochés. Ils ont quand même brûlé cette enfance insouciante au bord du fleuve, dans l'ombre parfois inquiétante d'adultes, la réalité du racisme, et au rythme de l'histoire du pays et de la trace laissée par ses célébrités. Il y a eu une attirance réciproque entre eux, des expériences féminines plus ou moins sérieuses, plus ou moins gauches, toujours un peu frustrantes et fantasmées qui se terminèrent bien souvent par une fuite, un refus, des regrets et un sentiment curieux qui va du désespoir, de la solitude, de l'abandon à l'envie irrésistible de recommencer tout en étant capable de rire de tout, même de ses échecs. Pour Thomas comme pour Paul, elles se sont succédé sans pour autant que l'un face de l'ombre à l'autre.

    Puis ils se sont séparés, Thomas parti pour l'université et Paul appelé à succéder à ses parents dans l'épicerie familiale de Natchez. Claire MacMullen apparaît qui s'installe avec Paul. Tout semble dès lors figé dans un sud indolent et traditionnel. Le retour de Thomas pour un petit emploi de bibliothécaire ne change rien à l’ordonnancement des choses qui s'établissent dans une routine quotidienne pesante. Tout aurait pu être ainsi immobile jusqu’à la fin mais Paul, en bon américain, choisit de s'engager pour aller au Vietnam combattre le communisme, laissant Claire à la garde de son ami !

    Qu'est ce donc que cette trahison et n'y en a-t-il pas plus d'une en réalité ? Est-ce celle d'un jeune fils égoïste qui refuse à sa mère célibataire et qui vit seule « l’autorisation » de refaire sa vie avec un autre homme ? Est-ce le même qui, parti à la recherche de son père naturel, choisit lâchement de fuir la rencontre avec lui ? Est-ce toujours lui qui, devenu adulte, laisse glisser son désir vers une femme qui en principe ne lui est pas destinée et qui ainsi transgresse une amitié, une complicité de toujours, plus qu'une fratrie de hasard ? Est-il possible, dans ces circonstances d'accuser la fatalité, les circonstances, un improbable amour alors qu'on ne devrait parler que d'une attirance charnelle, que d'une volonté partagée de profiter de l'instant dans le secret et même dans l'absurde.

    Le suspense est savamment entretenu jusqu'à la fin (le titre est déjà une mise en bouche) avec peut-être certaines longueurs notamment dans le catalogue des nombreuses conquêtes féminines de Thomas qui n'est peut-être là que pour annoncer l'épilogue et en souligner le désastre. Paul, devenu l'ombre de lui-même, abandonné et trahi par la femme qu'il aime, ne trouve d'issue que dans la mort qui est une délivrance. Elle est l'ultime étape de la vie, la seule consolation valable face à la désespérance parce qu'après il n'y a rien que le néant. C'est, certes, l'histoire d’une trahison qu'on aurait tendance à qualifier « d’ordinaire » tant les choses humaines finissent par être banales. Moi, je choisis d'y voir une sorte de message, celui de ne faire confiance à personne, de ne croire rien de ce qui est proclamé ou écrit surtout quand tout cela est solennel et juré, que l'espèce humaine est définitivement infréquentable, et que nous en faisons tous partie. Cette histoire met en évidence ce côté obscur de Thomas, et cela nous concerne tous.

    Ce récit est celui de Thomas, le narrateur. Il le fait pour le lecteur sur le ton de la confidence.

    Tout semble écrit depuis le début, comme la marque d'un inexorable destin. Je sais bien que nous sommes dans une fiction, que l'auteur nous raconte une histoire et j'ai dit dans cette chronique à plusieurs reprises combien cela me plaisait, comme j'y trouvais de l'intérêt et du plaisir. Il y a peut-être ici, comme dans tout récit imaginé une part de vérité que l'auteur choisit de déguiser à sa convenance, mais j’ai quand même ressenti dans cette histoire une sorte de libération par l'écriture. On ne dira jamais assez l'action cathartique des mots et Besson en est, à mes yeux, un exemple flagrant d'autant qu'il sait, dans le même temps, passionner son lecteur et lui faire partager à la fois les espoirs, les angoisses et les passions des personnages.

    L'écriture pourrait parfaitement être considérée comme une confession camouflée qui demanderait, non pas au lecteur mais à la propre conscience de l'écrivain, une impossible rédemption au seul motif que la faute a été confessée, même à la feuille blanche. Je ne suis pas sûr que l'accusation devant un improbable dieu ou son représentant qui, comme le soutiennent les religions judéo-chrétiennes allège l'âme et permet surtout de recommencer, mais, à coup sûr ici, cela produit une œuvre d'exception animée d'un souffle authentique.

    J'ai rencontré cet auteur par hasard à cause de mon intérêt pour le peintre américain Edward Hopper dont il avait si bien parlé. J'ai plaisir à lire chacun de ses romans et j'apprécie son style fluide et agréable à lire, son sens à la fois de la simplicité et de la musicalité de la phrase.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN INSTANT D'ABANDON – Philippe Besson

     

    N°606– Décembre 2012.

    UN INSTANT D'ABANDON – Philippe Besson – Juillard.

    Falmouth, un petit port de pêche en Cornouailles perdu sur les côtes anglaises avec ses falaises,  « là où la terre abdique », ses marins-pêcheurs, ses pubs, ses touristes à la saison, presque un paysage de carte postale... Un matin de novembre, un homme, Thomas Sheppard, descend du train pour y revenir simplement parce qu'il est ici chez lui, il y possède d'ailleurs une maison. Rien que de très banal jusqu'à présent. Son absence a été longue mais il constate que rien n'a changé.

    Cet homme pourtant sait qu'il ne devrait pas revenir, qu'il n'y est pas le bienvenu, pas seulement parce que son absence a été longue mais surtout parce qu'il est parti sous l’opprobre général. Pourtant, il n'a plus nulle part où aller bien qu'il se sente ici plus que jamais un étranger. A Falmouth, les hommes sont des marins pleins de préjugés, durs à la tâche et renfrognés, les femmes restent traditionnellement au foyer, mettent au monde le enfants, les éduquent...

    Cette venue est pour lui l'occasion de faire un retour en arrière. Il se revoit marié avec Marianne, sa jeune épouse, leur fils, ce jeune garçon de huit ans avec qui il est un jour parti en mer malgré les recommandations de prudence de la météo et qui est revenu sans lui. Ce fut une faute que la mort de cet enfant et il fut condamné à cinq ans d'emprisonnement pour cela. Bien sûr, chacun y est allé de son témoignage accablant, son épouse Marianne a porté plainte contre lui avant de le quitter. Il ne s'est pas défendu, est allé au devant de la condamnation, a purgé sa peine dans l'indifférence générale mais maintenant qu'il a payé sa dette à la société, comme on dit, il devrait pouvoir exercer son droit à la liberté et la liberté c'est chez lui, à Falmouth ! Bien sûr, quand il se montre dans les rues chacun se souvient de l'affaire et l'évite. On va même jusqu'à lui faire parvenir une lettre anonyme lui signifiant qu'il doit partir, qu'on ne lui a rien pardonné, qui est ici indésirable. Personne n'a eu d'égard pour ce père qui a perdu son fils et on a retenu contre lui l'infanticide même s'il n'était pas intentionnel, on l'a qualifié de  monstre, d'assassin .

    Il ne trouve que Rajiv, un commerçant pakistanais à qui il se confie parce que lui veut bien écouter son histoire et qu’elle n'est sans doute pas sans similitude avec la sienne propre. Il trouve aussi une oreille attentive en la personne d'un jeune femme, Betty Callaghan, pas très belle et qui veut bien de lui. A elle aussi il parle. Il lui raconte l'enfermement carcéral, les viols et l'indifférence des gardiens, évoque l'énigmatique figure de Luke, mais aussi la grande vacuité de sa vie maintenant, avec les fantômes du passé.

    De ces monologues il ressort que si Thomas ne s'est pas défendu au procès, c'est qu'il avait eu la certitude qu'il ne pouvait être le père de son fils à cause d'une stérilité définitive et que l'enfant est mort simplement par accident et non à la suite d'une faute de ce père imprudent. Il n'était pas vraiment prêt à la paternité et considérait cet enfant comme un encombrement, bien avant qu'il n'apprenne qu'il ne pouvait en être le père. Autant dire que son mariage, basé sur un mensonge, une tromperie, ne pouvait pas être heureux. Et pourtant la mort de cet enfant l'a libéré de cette paternité impossible et du traquenard dans lequel l'avait attiré son épouse.

    Il avait cru trouver une oreille attentive et aimante en la personne de Betty, mais il ne tarde pas à s’apercevoir que sa compassion était intéressée et qu'elle recherchait un père pour son enfant. La nouvelle vie dont il pouvait jouir désormais lui semble inaccessible et il préfère y renoncer, au seul motif « qu'il attend quelqu'un ». Effectivement il partira de Falmouth sans se retourner, laissant ses habitants sur une sorte de victoire que sa fuite matérialise.

    L’auteur bat en brèche les idées reçues. Pour les habitants de cette petite ville, Thomas est définitivement coupable de meurtre et la prison ne le lavera jamais de cette faute. C'est un peu comme une confession qui met du temps à s’effectuer, à cause de la douleur de l'aveu, malgré la bienveillance de Rajiv et de Betty qui ici, font fonction de prêtre, comme si la culpabilité était la plus forte. Pourtant, il sait que à Falmouth la rédemption n'existe pas malgré les années de prison, malgré la vie qui peut recommencer et l'effort qu'il fait de revenir dans un milieu hostile.

    Thomas est aussi la victime des femmes, de Marianne d'abord qui lui fait endosser une paternité qui n'est pas la sienne, de Betty ensuite qui ne le rejette pas dans le seul but de donner un père à son fils. Il choisit à la fin de partir avec Luke, officialisant une relation homosexuelle née en prison qui ne peut, bien entendu se dérouler au grand jour à Falmouth, surtout compte tenu du passé de Thomas. Le lecteur se prend à former des vœux pour que cette relation entre deux hommes soit durable et sincère. Thomas est réellement différent des autres habitants, c'est pourquoi il quitte cette ville. L'homosexualité qui n'est ici qu’évoquée est une image, le bonheur n'existerait-il qu'avec quelqu'un qui nous ressemble ? Est-ce à dire que les hommes et les femmes n'ont que peu de choses en commun sinon le calcul et l'arrangement et ne se rencontrent que pour procréer ou pour le plaisir ? Ensuite chacun reprend son bagage d’égoïsme et ne recule devant rien pour éliminer l'autre quand il devient encombrant ? Est à dire que l'espèce humaine est définitivement infréquentable ? J'avoue que cette idée que je partage volontiers m'a habité tout au long de ce roman. Cet « instant d’abandon » n'est-il là que pour révéler la part d'ombre de Thomas ?

    L'image du fils est révélatrice, un peu comme un être (c'est à dire la paternité, la descendance) qui lui est interdit puisque le premier meurt accidentellement et qu'il refuse le second. Face à chacun d'eux il y a une fuite, évidente dans le second cas puisqu'il refuse cette nouvelle vie mais qui n'est pas moins pertinente dans le premier. En effet, c'est la mort de cet enfant qui libère Thomas de son enfermement dans un mariage raté même si pour cela il doit le payer de quelques années de prison et d'une condamnation définitive des habitants de Falmouth.

    Comme à chaque fois, Philippe Besson s'approprie son lecteur par la qualité de son style, la musique de sa phrase. Il révèle avec une progression bienvenue les différente phases de ce qu'ont été les épreuves subies par Thomas et maintient l'intérêt du récit jusqu'à la fin. Comme toujours ce roman a été un bon moment de lecture ;

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN HOMME ACCIDENTEL – Philippe Besson

     

    N°605– Décembre 2012.

    UN HOMME ACCIDENTEL – Philippe Besson – Juillard.

    Ce livre commence comme un roman policier. Il en a d'ailleurs tous les attributs : il y bien un meurtre, l’enquête d'un jeune lieutenant dont on connaît l'histoire, la vie intime et familiale. Il y a les rebondissements qui en font le suspens, une victime, une énigme , un coupable, des aveux et même une sanction pour que la morale soit sauve... Le style est celui d'un tel roman, avec des images adéquates (Il parle du « parfum rance de la routine »)mais bien écrit surtout et c'est ce qui compte aussi pour moi, les chapitres sont courts qui apportent leur lot d'informations au compte-gouttes. Et pourtant, ce n'en est pas un !

    Nous sommes à Los Angeles dans les années 1990, la cité des stars, et plus exactement à Beverly Hills et, pour le jeune lieutenant marié à une belle Italienne et bientôt père de famille, ce n'est pas vraiment une affectation dangereuse puisque la police ne fait pour ainsi dire ici que de l'administration, presque de la figuration au milieu des caméras de surveillance des villas, des gardes du corps, des agents de sécurité. Tout un univers policé de belles voitures, de luxueuses villas avec piscine et pelouse impeccables, de gens vieillissants amateurs de tranquillité. Il y a bien de l'alcool, de la drogue et de la prostitution parce que c'est inévitable mais c'est dans d'autres quartiers, ceux des bas-fonds, pas dans cette atmosphère indolente et ouatée. Justement, un petit malfrat, Billy Greenfiels vient d'y être assassiné. C'est un petit dealer sans envergure, accessoirement prostitué et c'est notre jeune lieutenant, le narrateur, qui est de garde et qui est chargé de l'enquête.

    Cela se présente sous les meilleurs auspices puisque se révèle rapidement un nom, celui de Jack Bell, un acteur de cinéma connu au parcours pourtant cahoteux mais aux succès artistiques prometteurs. Lui aussi habite une de ces belles maisons du quartier. Notre policier fait consciencieusement son métier et la première rencontre du policier et de la star tient des séries-télé du genre, avec ses non-dits, ses informations distillées parcimonieusement, ses hypocrisies et ses revirements. Pour le meurtre cependant, pas de témoins, les voisins n'ont rien vu ni rien entendu et c'est, au début, l'habituel festival d'approximations, de contradictions et de lieux communs : Bref, pas de quoi faire progresser une enquête qui menace de s'enliser dans un univers de travelos, de proxénètes, de voyous, de blacks et de chicanos. Pourtant c'est là que, pour le policier, les ennuis commencent.

    Ce Jack Bell se révèle être un manipulateur, un mystificateur qui, peu à peu échappe au lieutenant. Du point de vue policier, au début, c'est un échec mais il révèle les contractions et surtout la part d'ombre de l'officier. Elle n'échappe pas à son adjoint Mac Gill qui cependant reste en retrait, par solidarité professionnelle sans doute. C'est à partir de ce moment que le roman prend un tour inattendu, que notre narrateur est emporté dans une sorte de maelström qui va le bousculer, le compromettre et le broyer, que les masques tombent et que la passion qu'on attendait pas s’installe dans le cours normal des choses et les bouscule, dans le silence et le secret. On voudrait bien que tout cela s'arrête parce que c'est inexplicable, imprévisible, irrésistible, mais c'est justement pour cela que cela continue, jusqu'à la fin.

    Certes, tout cela n'est qu'un accident, sous le regard de ses proches qui vont peu à peu s’éloigner de lui, certes on étouffera cette affaire parce qu'elle dessert l'image de la police dans cet univers civilisé, certes la page sera tournée mais pas les regrets, les remords et les souvenirs. Certes le vrai coupable est puni, tout redevient normal et les humains reprennent leurs occupations, les événements leur cours qu'ils n’auraient jamais dû quitter, mais il reste le protagoniste de cette ténébreuse affaire, deux tombes , la mort pour ces deux vies et l'oubli qui bientôt recouvrira tout cela.

    Comme à chaque fois j'ai apprécié le style fluide et précis de l'auteur, l'analyse psychologique fine des sentiments et des replis de l'âme qui caractérise les romans de Philippe Besson.

    Cet ouvrage a été pour moi un bon moment de lecture.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • RUE DES VOLEURS

     

    N°603– Décembre 2012.

    RUE DES VOLEURS – Mathias Enard.

    Lakhar est un jeune adolescent marocain qui vit à Tanger. Sans travail mais à l'abri de sa famille, il rêve à l'Europe en regardant partir les ferries pour l'Espagne toute proche. Tanger est maintenant une ville comme les autres, plus cette métropole mythique et mystérieuse, refuge des bordels et de tous les trafics qui a tant fait fantasmer les hommes. En compagnie de son copain Bassam, un garçon de son âge influençable et un peu balourd, il passe ses journées « à mater l'étrangère surtout quand elles mettent des shorts et des jupes courtes ». Les jeunes filles sont vraiment son problème et on le découvre un jour nu en compagnie de sa cousine Meryem ce qui lui vaut d'être banni par son père et de se retrouver à la rue tandis que sa cousine est envoyée dans le Rif loin de lui. Enceinte, elle décédera des suites d'une hémorragie. Son fantôme sera son compagnon obsédant. Plus tard ce sera Judit, une jeune catalane, étudiante et enfant des beaux quartiers de qui il tombe éperdument amoureux. Rentrée dans son pays, elle cherche une raison d'exister à travers la contestation, se détache peu à peu de lui, atteinte par l'ennui, la dépression, le désintérêt pour les choses de cette vie et bien sûr pour lui. En fait tout les oppose.

    Désœuvré et sans un dirham, Bassam lui conseille de fréquenter la Mosquée là où chaque musulman peut trouver des réponses à ses questions. Il y rencontre surtout Cheikh Nourédine, un beau parleur un peu bellâtre qui, contre un petit salaire et un logement minable, fait de lui un libraire religieux, avec promesse de prier et d'étudier le Coran, lui qui n'avait jamais été qu'un mécréant. Malheureusement pour lui, il se trouve embrigadé dans un « Groupe pour la diffusion de la pensée coranique » et ne tarde pas à s'apercevoir qu'il s'agit d'un mouvement islamique. Bassam lui aussi subit l'enseignement religieux et parce qu'il disparaît tout à coup, Lakhar croit qu'il est parmi les auteurs de l'attentat de Marrakech de la place Jamaâ el-Fna et qu'il a aussi assassiné un homme à Tanger. De nouveau à la rue après l’incendie de sa librairie et la disparition des membres du « Groupe » il se retrouve à travailler dans la saisie informatique, une véritable arnaque qui ne l'enrichit guère. Il parvient ensuite à être embauché sur un ferry comme homme de peine mais il reste bloqué à Algésiras, son bateau étant saisi. Plus tard il travaille sans être payé dans une entreprise de pompes funèbres dont le patron se suicide mais même s'il a un pied en Europe, il reste un clandestin qu'on exploite facilement

    Sur fond d'actualité brûlante de l'Europe, de la France et de l'Espagne, de la libération des pays arabes, le professeur qu'est Enard initie son lecteur à la beauté de l'arabe littéraire autant qu'à la civilisation et à l'Islam. Cela ne l'empêche pas d'asséner quelques aphorismes bien sentis sur nos civilisations occidentales riches, égoïstes et fragiles.

    Le livre est divisé en trois parties, trois véritables prisons pour Lakhar, celle tout d'abord de la religion, puis celle du travail précaire et parallèle auquel chaque émigré illégal est destiné, un véritable esclavage. Enfin Barcelone, sa nouvelle prison où il se réfugie pour échapper à la police pour qui il est coupable d'avoir tué et volé son dernier employeur, puis plus généralement l'Europe qui, pour lui aussi fonctionne comme un miroir aux alouettes dans lequel, bien entendu il se fait prendre. Le destin le précipitera cependant dans une autre !

    Les dialogues sont un peu abrupts au début mais le texte devient avec le temps plus profond, plus dense. Ce récit, décliné par Lakhar lui-même, nous révèle dans un style qui va de l'humour à l'émotion en passant par le réalisme un regard bizarrement pertinent, même si c'est celui d'un émigré finalement différent de celui que nous pouvons imaginer. Il est polyglotte, cultivé et plein de ressources pour sortir de sa condition, même si la chance ne l'accompagne pas forcément. Il juge notre société occidentale riche et fragile, hypocrite et moralisatrice, l'oppose aux pays arabes désireux de se libérer des dictatures qui les oppressent ; Les démocraties européennes quant à elles sont jugées trop opulentes et indolentes pour envisager des révolutions refondatrices.

    J'ai apprécié le style agréable à lire, réaliste et poétique dans les descriptions, l'air de Barcelone, cette ville exceptionnelle et mythique, qui est distillé dans ces pages, ce « quartier des Voleurs » qui donne son titre au roman où Lakhar se réfugie, une sorte de havre où se rencontrent alcooliques, prostituées, macros, drogués, tout un peuple interlope, entre cour des miracles et quart monde, que les touristes viennent regarder et photographier comme des bêtes curieuses.

    Je retiens aussi la première phrase de ce roman que nous livre Lakhar, ce jugement bien senti sur l'humanité qui résonne comme un avertissement «  Les hommes sont des chiens, ils se frottent les uns aux autres dans la misère, ils se roulent dans la crasse sans pouvoir en sortir, se lèchent le poil et le sexe à longueur de journée, allongés dans la poussière prêt à tout pour le bout de barbaque ou l'os qu'on voudra bien leur lancer, et moi, tout comme eux, je suis un être humain, donc un détritus vicieux esclave de ses instincts, un chien, un chien qui mord quand il a peur et cherche les caresses ».

    Après « L'alcool et la nostalgie »[La Feuille Volante n°548) et « Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants » (La Feuille Volante n°477) que j'avais bien aimés, ce roman a retenu mon attention jusqu'à la fin et a été l'occasion d'un bon moment de lecture.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur James Joyce (1882-1941)

     

    N°602– Décembre 2012.

    Quelques mots sur James Joyce (1882-1941).

     

    James Joyce est l'un des écrivains les plus emblématiques du XX° siècle,à la fois romancier, nouvelliste et poète et j'avoue bien volontiers que dans ma bibliothèque idéale, il tient une place de choix.

     

    Il est l'aîné d'une famille catholique de douze enfants dont deux mourront en bas âge. Sa mère, née Mary Jane Murray est une jeune femme douce qui ne vit que pour son foyer et ses enfants. Son père, collecteur d'impôts, s'adonne régulièrement à la boisson ce qui fera rapidement péricliter les biens familiaux.

    Dès 1888, il entre chez les jésuites qui reconnaissent en lui un élève très doué. Il en sort pourtant quatre ans plus tard, son père ne pouvant plus payer ses études. Il l'inscrit chez les frères de la doctrine chrétienne mais le Belveder Collège de Dublin tenu par les jésuites accueille gratuitement James et son frère Stanislaus. Il semblerait que ce « cadeau » fait par le directeur de l'école ait eu pour but de faire entrer James dans l'ordre des jésuites mais il refuse. Cependant il commet une composition favorable à Byron qui est jugée hérétique. Il entre donc en conflit avec son école et aussi avec le catholicisme en devenant agnostique. En 1991, Charles Parnell, homme politique irlandais, figure du nationalisme, qui convaincu d'adultère, meurt abandonné de tous et James en fait le symbole du héros trahi par la multitude. Ce thème reviendra souvent dans son œuvre. Cette tragédie fera de lui un écrivain antinationaliste, anticlérical et antiféministe.

    En 1898, il entre à l'University College de Dublin pour y étudier les lettres et les langues et à partir de cette date s'implique dans la lecture, l'écriture et la participation active dans les activités littéraires de cette université. En 1903 le voilà à Paris pour étudier la médecine mais où il dilapide le peu d'argent qu'il possède en beuveries. Après la mort de sa mère, il gagne petitement sa vie en écrivant, en enseignant et même en chantant. Il se fait même pion, comme Stephen dans Ulysse. A l'âge de 22 ans, il commence la rédaction d'un long roman, tombe amoureux de Nora Barnacle alors femme de chambre et part avec elle pour Trieste où l'école Berlitz lui offre un poste d'enseignant mais à la suite d'un malentendu se retrouve à Pula dans l'actuelle Croatie. Il n'y reste qu'une année et s'installe à Trieste où il enseigne l'anglais pendant 10 ans. Giorgo , son fils né en 1905 et c'est à cette période qu'il commence à souffrir de problèmes oculaires graves qui finiront par le rendre presque aveugle.

    En 1906, il part pour Rome où il a obtenu un poste d'employé de banque mais ni l'emploi ni la ville ne lui plaisent et il retourne à Trieste en 1907, date de naissance de sa fille Lucia qui deviendra schizophrène. Il publie son premier livre de poèmes, Chamber Music. En 1909 le voici à Dublin où il publie Gens de Dublin, un recueil de nouvelles qui est une photographie ironique et parfois cruelle des habitants de sa ville natale. Suivent des allers et retours entre Trieste et Dublin où il est un temps représentant pour les propriétaires de cinémas, il repart pour l'Italie où il donne des conférences et rédige des articles pour les journaux. En 1915, il doit quitter Trieste où il avait envisagé de se faire importateur de tweed et s'installe à Zurich où il enseigne. Sa notoriété littéraire grandit ce qui lui permet de recevoir des dons en argent et de rencontrer un mécène en la personne de l'éditrice féministe anglaise Harriet Shaw Weaver qui le soutiendra jusqu'à sa mort ce qui lui permettra de soigner sa cécité grandissante et la schizophrénie de sa fille. En 1920, il s’installe à Paris où il restera pendant 20 ans, y rencontrant des écrivains français de renom comme Marcel Proust ou Valéry Larbaud. C'est ici qu'un an plus tard il termine Ulysse qui est considéré comme son chef-d’œuvre, Ce roman qui établit sa notoriété. En 1939, il quitte Paris à cause de l'occupation allemande. Il meurt à Zurich en janvier 1941.

     

    Son œuvre est le reflet de sa vie personnelle, ainsi le personnage de sa propre mère se retrouve sous les traits de Mme Dédalus dans « Ulysse ». Quand la famille s'installe à Bray près de Dublin et qu'il tombe amoureux de sa voisine, la jeune Eillen, ce détail se retrouve dans « Portrait de l'artiste en jeune homme » (Dédalus ). Léopold Bloom et Buck Mulligam, tous deux personnages d'Ulysse sont directement inspirés d'hommes que Joyce a croisés dans sa vie. Son œuvre s'inscrit dans la ville de Dublin qu'il voit davantage comme une citée idéale, mystique et allégorique bien qu'il ait passé la plus grande partie de son existence nomade à l'étranger. Cette ville où pourtant il est né et qu'il et en scène dans « Ulysse », il la renie et la fuit pour se réfugier transitoirement ailleurs sans pouvoir s'y poser durablement, à part peut-être à Paris, ville ô combien symbolique d'une vie de « la belle époque ». Sa vie est un véritable labyrinthe et ce n'est pas un hasard s'il choisit le nom de « Dédalus », Dédale, architecte de la prison du Minotaure.

    Sa propre existence est un voyage, une véritable prison dont il ne pourra se libérer que par l’ivresse, par l'écriture et dont la seule issue sera la mort (Il évoque ce thème dans la dernière nouvelle des « gens de Dubin » et dans « Finnegans Wake »), à la fois redoutée et désirée. Dans « Finnegans Wake », le dernier ouvrage de Joyce (il n'a plus que quelques mois à vivre, sa santé est de plus en plus fragile et il est presque aveugle et sa fille est devenue folle), la mort est présente comme dans une sorte de rêve oùToute son existence sera un exil et il sera lui-même un déraciné, un éternel réfugié toujours en partance. Quand la guerre éclate dans un pays, il le quitte pour la neutralité de la Suisse et lorsque l'Irlande combat l'Angleterre, il s'exile. C'est pourtant lui que la littérature reconnaît comme le plus emblématique des écrivains irlandais. Il aura en revanche l'attribut de cette errance : l'indépendance et la liberté, celle de refaire le monde et d'abolir le temps, celle aussi de triturer la phrase, les mots et l'histoire même en y instillant du rêve, en imprimant au texte sa marque, originale et parfois inattendue au point de détruire le langage en le réinventant. L'effet produit est à la fois poétique et inquiétant.

     

    Il a été cet écrivain aux yeux qui, avec le temps se sont des plus en plus éteints, comme si le regard qu'il jetait sur l'expérieur lui échappait, un idéaliste détaché de ce monde où pourtant il survit difficilement, un esprit brillant, un intellectuel polyglotte, un des écrivains les plus commentés. Ses romans sont des labyrinthes pleins d'allusions littéraires et mythologiques ce qui rend la lecture parfois difficile et qu'il faut parfois faire au deuxième degré. Chez Joyce, il ne faut pas craindre les symboles, les allégories et la lecture entre les lignes.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • KETALA – Fatou Diome

     

    N°601– Novembre 2012.

    KETALA – Fatou Diome - Flamarion.

    Le livre refermé que m'en reste-t-il ? Au vrai une somme d'impressions bizarres, à la fois agréables, futiles, instructives et finalement émouvantes.

    Cela n'a pas été simple, ce roman a bien failli souvent me tomber des mains et j'ai eu envie de l'abandonner en cours de lecture. La mise en scène qui pouvait paraître originale m'avait un peu agacé : Sous les latitudes africaines, une assemblée d'objets ayant appartenu à une femme, Mémoria, tiennent une sorte de conférence au sommet avant d'être sans doute dispersés. Ils en profitent pour évoquer la vie de leur propriétaire. « Objets inanimés avez-vous donc une âme? » s'interroge le poète... mais là c'est carrément en tribunal que s'érigent ces choses. Ils le font d'ailleurs sous la présidence d'un masque qui dirige et inspire des débats et on se demande si ce choix de l'auteure se porte sur lui parce qu'il domine cette assemblée de part sa positon élevée ou s' il a été choisi pour le symbole de l'hypocrisie qu'il représente. Son office est en effet de cacher le visage (la personnalité) de celui qui parle, la réalité des choses en faisant valoir le paraître au détriment de l'être. Après tout, pourrait-on dire, le grand Jean de La Fontaine, en s'inspirant d'Esope et des autres n'a pas agit différemment en faisant parler des animaux pour singer et critiquer les choses humaines et personne n'a rien trouvé à y redire.

    Bref, voilà donc un dialogue qui s'installe entre les meubles dont Mémoria s'est servi, un véritable débat entre une assiette, un ordinateur, un vieux collier de perles, une statue, un canapé... un véritable inventaire à la Prévert ! Tout ce petit monde parle de concert mais personne, et surtout pas les hommes qui les entourent et les voient ne peut les entendre dialoguer. Ils échangent en toute liberté leurs sensations, leurs sentiments et leurs souvenirs où leur propriétaire est présente. C'est qu'ils ont une bonne raison pour cela, Mémoria vient de mourir et c'est eux qui s'érigent en gardiens de sa mémoire. La tradition africaine et islamique veulent qu'à la mort de quelqu'un on se partage ses biens, c'est le Kétala qui donne son titre à cet ouvrage, selon des règles précises et codifiées à la fois par la religion et par la coutume. Avec cette mémoire ainsi évoquée par ces objets, le lecteur revoit ainsi la vie courte de cette jeune femme naïve qui arriva vierge au mariage et qui se vit, au terme de tractations familiales convenues et ancestrales, confiée à un homme, Maklou, qu'elle ne connaît pas, dans le seul but d'être une épouse soumise et qui perpétuera la descendance. Pourtant, malgré sa beauté, elle est délaissée par cet époux qui fait d'elle une créature éplorée à qui il a volé son bonheur tout neuf. Comme toute jeune fille devenant une épouse et malgré la tradition d'un mariage arrangé entre des parents pourtant présentés comme évolués, elle se bâtit un avenir de foyer et de maternité, bref tout ce qui est l’attribut de la femme africaine et même des femmes en général. Sauf que le mari, qu’elle ne connaissait effectivement pas lui échappe très tôt. Elle ne comprend pas le fait qu'elle ne puisse pas le séduire, le garder auprès d'elle, mais elle ne tarde pas à prendre la mesure de la réalité. Le cocuage inattendu et surtout brutal, la trahison d'une amitié autant que l'erreur sur la véritable nature de son époux font vite partie de sa nouvelle vie et la bouleverse durablement à plus d'un titre.

    Les époux partent cependant pour la France où Maklou a encore des contacts dans l'espoir que le dépaysement arrangera un peu les choses. Strasbourg s'offre donc à eux avec une vie facile et ce d'autant plus de lui ne peut résister à ses démons. Partir vivre en France pour un couple d'Africains est une bénédiction pour les membres de leur famille restés au pays. Pour eux ils sont l'assurance de mandats réguliers qui sont davantage un dû qu'une libéralité à leur profit. Là aussi la tradition est respectée.

    Pourtant, l'envie que Mémoria a de faire durer artificiellement son couple ne résistera pas aux événements qui, bien entendu, débouchent sur une séparation des époux et une vie malheureusement en marge de la société et de la morale pour elle. Elle y trouvera tout à la fois un moyen de subsistance qui lui permettra de vivre et de continuer ses mandats, de cacher la réalité à sa famille mais aussi d'obtenir des autres hommes l'amour que lui refuse son mari.

    Si la tradition de l'Islam est respectée, celle judéo-chrétienne de la faute ne l'est pas moins puisque Mémoria est punie par où elle a péché. Elle va contracter une maladie sexuellement transmissible qui va l'emporter et son mari, sans doute rongé par la culpabilité ou désireux lui aussi de sauver les apparences la ramènera sur la terre africaine où elle sera ensevelie. Le remords pourtant aura raison de la tradition qui veut qu’un veuf, surtout jeune, épouse une des sœurs sans enfant de sa défunte femme et que les objets qui lui ont appartenu soient disséminés dans la parentèle. Maklou refusera d'observer ces prescriptions, gardera tout ce qui a appartenu à son épouse et ne se remariera pas... pour d'autres raisons.

    J'avoue que j'ai eu du mal à entrer dans l'univers de ce roman, un peu agacé aussi par la volonté de l'auteure d’introduire au cours du récit et à la faveur de la naïveté supposée des objets-acteurs des définitions puisées dans les figures de la rhétorique littéraire. J'avoue aussi que je me suis laissé émouvoir par la destiné hors du commun de Mémoria, par le chagrin qui accompagne la mort de cette jeune femme qui aurait mérité un autre sort, mais le happy-end facile et convenu qui, bien souvent conclue les romans ne me convient pas. Ce genre de fin est souvent bien éloignée de la réalité de la vie des hommes. Je regrette aussi la dernière phrase « Lorsque que quelqu'un meurt, nul ne se soucie de la tristesse des meubles ». Là aussi, j’attendais autre chose, à la mesure notamment de l'émotion ressentie à la suite de cette histoire.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Le chapeau de Mitterrand – Antoine Laurain

     

    N°599– Novembre 2012.

    Le chapeau de Mitterrand – Antoine Laurain- Flammarion.

    Le hasard fait bien plus souvent partie de notre vie que nous voulons bien l'admettre. Prenez par exemple une soirée de novembre 1986, un lieu, une brasserie parisienne et un homme, Daniel, un parfait quidam qui s'offre un délice gustatif en solitaire. Quoi de plus banal ? Ce qui l'est peut-être moins est qu'il voit s'installer à la table voisine François Mitterrand, le Président de la République soi-même qui vient, lui aussi, avec deux collaborateurs, faire une petite pause dîner. Au début, Daniel n'en croit pas ses yeux, regarde, écoute et surtout fantasme, le Président n’est pas un homme du commun, surtout celui-là, même si ce dernier ne fait pas de cas des autres commensaux. Las, le charme prend fin et Mitterrand finit par quitter les lieux, mais en oubliant son célèbre chapeau. Après avoir hésité, Daniel s'en empare. Cela tombe bien, il est à sa taille ! Et ce larcin va changer sa vie comme si ce couvre-chef présidentiel avait des pouvoirs surnaturels bénéfiques pour qui le porte. Sauf qu'il le perd à son tour et que, passant de mains en mains et de tête en tête, cet accessoire des hommes d'âge, devenu entre-temps anonyme, va donner à tous ceux qui vont le coiffer l'audace de sortir de la routine quotidienne où ils étaient quelque peu engoncés et qu'ils avaient peur de rompre, une « force tranquille » en quelque sorte ! A travers tous ceux qui en ont été les possesseurs successifs, de la secrétaire en mal de rupture amoureuse et d'inspiration artistique, au « nez » dépressif pour cause et sécheresse créative, en passant par un aristocrate classique et légèrement guindé qui va soudain avoir le courage de rompre avec son milieu, ce feutre noir va voyager, au mois dans l'imagination de l'auteur, de Paris à Venise pour le plus grand plaisir du lecteur.

    Tout au long de cette fiction bien écrite, agréable à lire et pleine d'humour, l'auteur promène son lecteur dans la société française des années 1980 autant qu'il l'invite à visiter une galerie de célèbres portraits. Ce qu'on a du mal à nommer « un simple galure » va donc faire partie de la vie d'humains que le destin ou le hasard vont choisir, à moins bien sûr qu'il ne soit lui-même animé de sa propre liberté et choisisse ses temporaires inventeurs. Cela se termine par une évocation un peu énigmatique et émouvante de François Mitterrand, présent en filigranes dans tout ce récit.

    J'ai bien aimé cette fable peut-être parce qu'elle met en évidence un des fantasmes secrets de tout être humain, celui de vouloir que les choses se réalisent parce simplement il le souhaite. Il laisse aller son imagination et se laisse porter par elle. Elle le transforme et le fait sortir de sa médiocrité. Bien sûr cela ne marche jamais et chacun se retrouve face à ma petitesse ordinaire et son morne quotidien qu'il a, l’espace d'un instant, tenté d'enjoliver. C'est une illustration de cette facette de la condition humaine qui m'a bien plu.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Amour – Un film de Michael Haneke

     

    N°597– Octobre 2012.

    Amour – Un film de Michael Haneke- Palme d'Or à Cannes 2012.

     

    Ce film dont il faut évoquer brièvement l'intrigue tourne auteur de deux personnages. C'est une histoire simple, presque banale de fin de vie, celle d'Anne ( Emmanuelle Rivas) et de Georges (Jean-Louis Trintignant), deux octogénaires qui mènent une vie tranquille de retraités. On les voit au début assister à un concert d'un des élèves d'Anne, ancienne professeur de musique classique. La musique justement, celle de Schubert, de Beethoven, de Bach, les tableaux accrochés aux murs et les livres qui tapissent les bibliothèques, tout indique que nous sommes ici chez des gens aisés et cultivés. Puis soudain, Anne a une attaque qui la laisse paralysée du côté droit. Courageusement elle s'adapte à sa nouvelle situation comme on fait face à l'adversité. La vie s'organise autour de son infirmité nouvelle et Georges l'accompagne patiemment, s'improvise infirmier, accompagnateur de vie, homme au foyer de cette femme qui peu à peu va perdre toutes ses facultés pour ne plus mener qu'une vie végétative et aphasique et entrer de plain-pied dans l'agonie. Il le fait avec courage, abnégation et même héroïsme au point de se charger seul, contre les médecins, les soignants et l'inévitable bon sens qui commanderait qu'il se déchargeât un peu du poids de plus en plus lourd qu'elle représente. Pour cela, il n'a que son impuissance grandissante face à cette situation qui se complique de jour en jour et même si elle fait l'admiration des gens autour de lui et l'inquiétude légitime mais à ses yeux inutile de sa fille Eva (Isabelle Huppert), il veut continuer à cacher aux autres cette réalité et peut-être se la cacher à lui-même.

     

    Le couple attend la mort et Georges fait preuve de résignation [« ça va aller de mal en pis et puis ce sera fini »] , mais pas de désespérance, elle ne viendra qu'à la fin parce qu'il n'y a pas autre chose à faire, entre photos jaunies et souvenirs qui peu à peu s'effacent, un huis-clos qui se déroule dans une sorte d'unité de lieu de leur appartement qui jadis était plein de vie mais qui peu à peu se vide.

     

    Il n'y a pas de voyeurisme dans ces scènes quotidiennes, tout juste un compte rendu exact de ce qu'est le rôle que Georges a choisi depuis le début et qui va petit à petit le dépasser, un compte à rebours aussi ! A mesure que les facultés d'Anne disparaissent, qu'elle entre progressivement dans la mort, on le voit lui, si plein de bonne volonté au départ, perdre pied au point de la gifler parce qu'elle refuse de s'alimenter, battre en retraite pour ne plus dormir que dans un petite chambre loin d'elle au point que, sa propre déchéance à lui va être suscitée pour le spectateur par la résurrection symbolique de son épouse et qu'il va prendre une dimension quasi spectrale. On voit leurs rides, leurs corps affaiblis, leurs cheveux, blancs et ternes pour elle qu'un reste de coquetterie veut masquer, épars et hirsutes pour lui qui marquent, comme la barbe qu'il néglige de raser chaque jour, le désintérêt qu'il porte à sa propre personne pour ne plus se consacrer qu'à Anne. Il respecte la parole donnée de ne pas ne pas l’envoyer à l'hôpital puis, plus tard, dans l'inévitable maison de retraite qui serait pour elle comme un mouroir puisqu'elle serait séparée de Georges.

     

    Le jeu des acteurs et bouleversant de vérité et ce film nous rappelle une évidence, celle que nous sommes tous mortels, que tout à une fin et que la vieillesse est une déchéance. Le cinéma d'ordinaire se fait plus volontiers l'écho de la beauté, de la jeunesse, de la réussite, de la sensualité... La palette d'Haneke est grande et talentueuse. On sent qu'il ne craint pas de déranger, de bouleverser les codes et les idées reçues et, pour cela d'être, peut-être, désagréable au spectateur qui attend volontiers un « happy end ». J'aime personnellement qu'on ne cache rien, qu'on ne donne pas une image idyllique de cette société qui ne le mérite pas et qu'on en montre les travers et les failles. Dans ce film intimiste et plein de sensibilité, c'est la mort qui nous est montrée parce qu'elle est non seulement la fin de la vie et que, même si elle a été taboue pendant toute notre existence, si on a vécu sans y penser comme il convient dans nos sociétés occidentales, elle guette chacun d'entre nous et nous surprend au moment où nous y pensons le moins. Qu'on le veuille ou non, la condition humaine est ainsi faite et les règles de notre société paraissent immuables. Quelles que soient les fonctions qu'on y ait exercé, quand la retraite sonne on n'est plus rien et quand la mort nous frappe on est oublié définitivement.

     

    Je retiens aussi de ce film une écriture cinématographique originale portée par des acteurs d'exception. Elle est à la fois intense, juste et économe en mots, comporte des plans parfois longs et silencieux, une bande sonore faite ici opportunément de musique classique, des scènes plus suscitées qu'effectivement montrées, des bruits apparemment anodins, tel celui du robinet qui coule constamment et qui brusquement s'arrête, suggérant un rebondissement.

     

    L’amour existe certes, mais il y a quand même quelque chose d'irréel dans cette œuvre. Cet homme et cette femme s'aiment d'un amour authentique et fidèle que traduisent des regard et les gestes tendres du début. Ils se sont choisis pour partager les joies et maintenant ils connaissent les peines mais leur complicité est complète. Ils aimaient la vie ensemble parce qu'elle ne pouvait être que commune et elle a été longue [« C'est beau la vie , si longtemps »]. Je crains que cela ne reflètent cependant pas la réalité quand un mariage sur deux se termine actuellement par un divorce et que cela affecte, et c'est nouveau, les seniors. Même si les couples qui restent ensemble le font pour des questions de morale, de religion, de convenances ou de finances, ce choix cache bien souvent une vie où l'hypocrisie le dispute à l'indifférence ou pire encore. Ils se terminent parfois par une séparation que le concept moderne de « famille recomposée » peine à masquer. Quand Eva, à la vie sentimentale agitée, donne de ses nouvelles à ses parents, on a du mal à imaginer que lorsqu'elle sera vieille à son tour, elle connaîtra pareille complicité avec son mari. Mais c'est sans doute un autre débat ? Quand elle apparaît pour s'émouvoir de la maladie évolutive d'Anne, il est difficile de voir dans ses larmes autre chose qu'une posture de circonstance. Elle disparaîtra bientôt pour laisser la place à Georges qui ira au bout de sa démarche, seul, comme il le souhaite.

     

    Ce film qui est un jalon supplémentaire dans la démarche d'Haneke est le onzième long métrage et le deuxième couronné par une prestigieuse palme d'or à Cannes. Il est bouleversant à bien des titres. Il est en tout cas une invite à la prise de conscience, un rappel des réalités de cette vie, il lève un tabou dont on se demande bien pourquoi il est, dans notre société, si savamment entretenu.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Le siège de La Rochelle – François de Vaux de Foletier

     

    N°596– Octobre 2012.

    Le siège de La Rochelle – François de Vaux de Foletier - Éditions Pyré Monde.

    Dans une de ses chansons, Georges Brassens vilipende « Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Nous avons tous cette particularité d'avoir vu le jour sur un point de cette terre et nous n'y sommes pour rien. Cet endroit, matérialisé souvent par le nom d'une ville, génère pour nous soit de la honte, de l'indifférence, de la fierté ou un attachement irrationnel.

    Pour moi, je suis né à La Rochelle à une période où cette ville était certes un port de pêche important et une ville industrieuse mais qu'il était difficile au commun des mortels de situer la carte de France. La cité était petite, pas très peuplée, grise et sortait difficilement de la guerre. Les hasards de la vie ont fait que je n'y ai grandi que par intermittence et que j’ai dû la quitter bien malgré moi. Pour autant j'ai toujours une authentique et indéfectible passion pour elle. Elle est, comme on dit « Belle et rebelle », farouchement attachée à son image de liberté, chargée d'histoire et, pour beaucoup de Rochelais, elle reste souvent une inconnue. Si maintenant son nom est attaché aux tours de son port, aux Francofolies ou évoque la porte de l'île de Ré, la ville a longtemps été associée à un fameux siège, celui qui est connu comme « le grand siège » de 1628 qui a failli la rayer de la carte. Ce n'était ni le premier ni le dernier puisque, dans son histoire on en compte officiellement cinq, ce qui est assez dire qu'elle a toujours été convoitée. Il s'est matérialisé notamment par la construction d'une digue qui barrait la rade et empêchait les huguenots rochelais de sortir du port et les Anglais venus de l'extérieur de leur porter secours. La construction du port des Minimes en a un peu gommé les traces mais elle reste visible à marée basse et une tour qui porte le nom et les couleurs du Cardinal de Richelieu qui la fit édifier en signale l'ancienne position.

    C'est que nous sommes sous Louis XIII, un roi qui veut étendre son autorité absolue sur tout son royaume. Il est aidé en cela par le Cardinal de Richelieu, un brillant ministre animé d'un génie dominateur et d'une volonté farouche de servir son roi. Depuis Aliénor d'Aquitaine et son mariage avec Henri II Plantagenet, roi d'Angleterre, la ville de La Rochelle a été anglaise mais aussi a bénéficié de libertés et de prérogatives qui iront s'affirmant au fil du temps. Sa position privilégiée sur la côte atlantique autant que l'esprit d'entreprise et le sens du commerce de ses habitants en ont fait une cité prospère qui, non seulement affirma sa richesse mais aussi a toujours été réceptive aux idées nouvelles et notamment celles de la Réforme. L’enseignement de Calvin s'y répandit rapidement et Henri IV qui l'aimait beaucoup en fit une place forte du protestantisme, autant dire un véritable « État dans l’État » incompatible avec la volonté royale de Louis XIII. La Rochelle était aussi l'illustration de la lutte entre catholiques et protestants qui avait longtemps gangrené la France. Ainsi, ce roi « très chrétien » et même dévot ne pouvait admettre de voir la foi catholique ainsi bafouée dans son royaume. Il fallait donc impérativement empêcher les protestants de se répandre sur le territoire. De plus, à l'époque, la ville battait monnaie, avait sa propre flotte, sa propre armée, son administration municipale élue, ses tribunaux et avant d'y entrer et de recevoir symboliquement les clés de la ville, les rois devaient jurer de respecter ses libertés et privilèges. C'était sans doute la seule ville dans tout le royaume a bénéficier de telles pratiques que l'absolutisme royal ne pouvait tolérer.

    Les Anglais, officiellement pour des raisons religieuses mais surtout dans l'intention à peine voilée de déstabiliser le royaume de France et de rentrer peut-être en possession de leur ancien province, d'y faire prospérer le commerce, avaient juré de défendre les huguenots de La Rochelle. Ce fut donc certes pour des raisons religieuses mais aussi et surtout pour des raisons politiques et économiques que le roi mobilisa toute une armée pour réduire cette cité. Quand les troupes royales assiégèrent cette ville, si bien défendue par deux ceintures de remparts et qu'il n'était donc nullement question d'attaquer, les Anglais ne menèrent pas moins de trois expéditions navales pour parvenir à leurs fins. Le blocus terrestre étant ainsi mis en place, il ne restait que la mer qu'on barra de cette fameuse digue. Ce ne fut pas aisé parce que les difficultés techniques et la force des tempêtes s'y opposèrent. De plus, et peut-être paradoxalement, les Rochelais qui combattaient Louis XIII sur le terrain, étaient profondément attachés au roi et ne voyaient dans les Anglais qu'un moyen de se libérer de l'encerclement qui les étouffait de plus en plus. L'auteur [François de Vaux de Foletier-1893-1988, historien, ancien archiviste départemental de la Charente-Maritime qui a bien heureusement donné son nom à une rue du quartier des Minimes] ne manque d'ailleurs pas de signaler la situation très complexe de cette période faite de ralliements de circonstances, de conversions opportunes et de fidélités solides telle celle de Jean de Saint-Bonnet de Toiras qui s'illustra lors de ce conflit et restera toute sa vie un fidèle et loyal serviteur de Louis XIII et un ardent soutient dans la lutte contre les huguenots..., alors qu'il était lui-même protestant ! Pour autant, les assiégés qui ne pouvaient plus compter sur les troupes protestantes du sud de la France ne tardèrent pas à s'apercevoir des atermoiements des Anglais, lesquels, finalement ne leur furent d'aucun secours. En Angleterre, ce conflit, voulu en grande partie par le duc de Buckingham, était en effet fort impopulaire et l'incapacité anglaise se révéla durement pour le Rochelais. Dès lors, malgré l'intransigeance du maire Jean Guiton, il ne leur resta plus que la reddition.

    Le siège dura plus d'un an, d’août 1627 à octobre 1628 et laissa la ville exsangue, ravagée par la maladie et la mort. Louis XIII pardonna aux Rochelais, rétablit le culte catholique, ordonna la destruction des remparts, sauf ceux qui donnaient sur la mer, bannit pour quelques mois seulement les meneurs mais surtout eut soin de retirer à la cité tous ces privilèges et libertés qui faisaient jadis sa spécificité. La Rochelle redevint une cité comme les autres dans le royaume de France.

    Constamment réédité depuis 1931, ce livre passionnant et fort abondamment documenté remet cet épisode dans le contexte politique de l'époque, tant sur le plan intérieur qu'international, explique dans le détail ce que fut ce siège, ce qui le motiva et les suites qu'il eut pour cette ville. Cette période qui est en effet souvent évoquée n'a que très rarement été aussi bien étudiée.

    C'est en tout cas un document de référence pour l'histoire de cette cité.

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Rafaël ALBERTI [1902-1999].

     

    N°595– Octobre 2012.

    Quelques mots sur Rafaël ALBERTI [1902-1999].

     

    Cet homme qui est reconnu comme un poète espagnol majeur, membre de la « Génération de 27 »[ Ce mouvement littéraire espagnol composé majoritairement de poètes est né entre 1923 et 1927 et a disparu au moment de la Guerre Civile. Il a voulu faire la synthèse entre la poésie traditionnelle espagnole inspirée par le gongorisme et l'avant-garde esthétique européenne de l'époque illustrée notamment par le surréalisme en la faisant évoluer du classicisme vers un langage plus libre et esthétiquement plus pur] se destinait originellement à la peinture.

     

    D'origine italienne par ses deux grands-pères, Rafaël, cinquième enfant d'une famille qui en compta six, naît et grandit à Santa Maria, un petit port près de Cadix. Il reçut une éducation bourgeoise, religieuse et classique mais s’ennuya fort chez les jésuites qu'il quitta au bout de 4 ans. La mer restera un grand thème de son inspiration.

    Alors qu'il était encore adolescent, la famille s'installa à Madrid où il put s'initier à la peinture au musée du Prado. Pourtant, à la mort de son père, en 1920, il se mit à écrire. Sa santé fragile affirma cette nouvelle vocation et son premier recueil « Marinero en tierra » reçoit le Prix national de littérature. Publiée en 1925, cette œuvre lui permet d’entamer une longue et fructueuse amitié avec la poète Juan Ramon Jimenez, chef de file de la « génération de 27 ». En 1927, il est au nombre des jeunes poètes, dont Frederico Garcia Lorca, qui se réunissent pour célébrer le tricentenaire de la mort du poète baroque espagnol, Luis de Gongora.

     

    Rapidement, le gongorisme, en vogue à l'époque, laisse dans son écriture la place au surréalisme ce qui l'amène à rencontrer d'autres poètes. En 1930, il épouse Maria Terésa Leon avec qui il se consacre au théâtre. Il adhère également au parti communiste. Il présente notamment une pièce « Firmin Galàn » à la gloire d'un jeune capitaine républicain, fusillé en 1930 pour avoir soulevé la garnison de Jaca contre le pouvoir royal. Cette œuvre inaugure la nouvelle orientation de son écriture, résolument tournée vers les luttes sociales. En 1931, la seconde république est proclamée en Espagne. Il participe à la guerre civile mais à partir de 1939 s’exile en France (où il rencontre le poète chilien Pablo Neruda), en Argentine, en Italie. Après la mort de Franco il rentre en Espagne en 1977 où il meurt en 1999.

    Au pied de l'avion qui le ramena dans sa patrie il eut cette phrase qui définit bien l'esprit de transition démocratique entre l'ancienne et la nouvelle Espagne : « J'ai quitté l'Espagne avec la poing fermé et je retourne avec la main ouverte en signe de concorde entre tous les Espagnols. »

     

    La première phase de son œuvre (1925-1927) s'inscrit dans la tradition de la poésie espagnole. Il y exprime la contemplation de la nature et l'expression des sentiments. Il sacrifie ensuite au gongorisme (1928), précieux et métaphorique, emprunt d'une métrique lourde pour finalement se consacrer au surréalisme et à une versification libre. Là, son vers se peuple d'images et parfois de violence. Bizarrement, ce cycle se referme sur une œuvre consacrée aux grands comiques du cinéma muet (« Yo era un tonto y lo que he visto me a hecho dos tontos » 1929). Ensuite vient la poésie politique inspirée du marxisme révolutionnaire à partir de l'avènement de la seconde république. L'exil (1939-1977) inaugure une écriture empreinte de nostalgie.

     

    En France, ses poèmes ont été popularisés par le chanteur Paco Ibanez (notamment « A galopar » ou « Ballade de celui qui ne connut jamais Grenade »).

     

    Rafaël Alberti reste, malgré ses années d'exil, un poète représentatif de son temps et de son pays.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES INVITES DE MON PERE – un film d’Anne le Ny

     

    N°594– Septembre 2012.

    LES INVITES DE MON PERE – un film d’Anne le Ny [2009].

    France 2. Dimanche 7 octobre 2012 – 20H45.

     

    C'est plus fort que moi, je ne suis pas un cinéphile averti, tant s'en faut, mais j'aime que le cinéma soit le reflet de la réalité qui nous entoure et dont nous faisons partie. Un des thèmes qui est ici évoqué, celui des sans-papiers, est de plus en plus une composante de notre paysage social et mérite bien qu'on s'y attache.

     

    Lucien Paumelle [Michel Aumont] est un médecin à la retraite,80 ans, veuf, ancien résistant et engagé dans l'action humanitaire où son nom est une référence. Il passe sa vieillesse active à défendre ceux que la société a exclus ou qu'elle rejette parce qu'ils sont étrangers et ce malgré le code pénal. C'est effectivement un thème bien actuel et traité par ailleurs au cinéma, valorisant pour un citoyen français et bien digne du message humaniste et généreux de notre pays. Rien à dire donc ou plutôt on ne peut qu'être admiratifs devant l'engagement de cet homme que la retraite n'a pas diminué.

    Il a deux enfants maintenant mariés ou en couple, la quarantaine plus ou moins avancée. Arnaud [Fabrice Luchini], son fils, cynique, avocat d'affaires qui a toutes les marques de la réussite sociale, cabinet florissant, grosse berline, appartement de standing, riche train de vie... Il a épousé une femme qui n'a pas fait d'études comme lui. Ce n'est pas tout à fait l'image du père qu'il nous renvoie. Ensemble, ils ont deux enfants un peu conventionnels. Babette [Karine Viard], la fille de Lucien, est un obscur médecin généraliste dans ce qu'on suppose être un dispensaire de quartier. Elle aussi est digne de son père non seulement parce qu'elle est médecin au service des autres, qu'elle a toujours vécu dans son ombre, mais aussi parce que, comme son frère, elle n'est pas installée et ne voue pas à l'argent un culte effréné.

    Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si Lucien, sous couvert d'aider Tatiana, une jeune et jolie Moldave, réfugiée en France avec sa fille et désireuse de s'y établir avec des papiers en règle, ne s'était mis en tête de l'épouser malgré une différence d'âge digne du théâtre de Molière, le comique en moins, en réalisant un « mariage blanc ». Après tout, pourrait-on penser, c'est plutôt, pour cet homme, le couronnement de toute une vie d'engagement humanitaire. Que nenni, tout cela c'est de la frime, Lucien est vraiment amoureux de Tatiana et ce mariage a plutôt la couleur du viagra et met la vie de Lucien en danger ! Il se retrouve d’ailleurs à l'hôpital et on finit par se dire que c'est pour lui le dernier acte. Il est réellement amoureux de cette femme, non seulement lui trouve du travail pour aider à la régularisation de sa situation mais invite ses propres enfants à renoncer à leur futur héritage... pour en faire profiter Tatiana !

    Le spectateur reste sans voix devant le personnage de cette étrangère qu' Arnaud qualifie de « pute » et qui poursuit inexorablement son but sans qu'on sache si elle œuvre pour sa fille ou pour elle-même. On la voit déterminée et sans gêne devant les enfants de Lucien, détachée de lui, raciste [déjà], désireuse que sa fille fréquente la meilleure école où il n'y a pas de noirs ni d'arabes ! On imagine aussi qu'elle a bien pu vouloir avancer l'échéance du décès de Lucien pour disposer plus vite de ses biens en se trompant dans ses médicaments.

    Ce fait est pour autant déterminant et fonctionne comme un déclencheur. Arnaud et Babette qui jusque là semblaient assister, quelque peu indifférents, voire complices, aux extravagances de leur père prennent soudain conscience qu'il peut mourir par la main de cette jeune intrigante. C'est pourtant l'épouse d'Arnaud qui réagit au nom de la parentèle en dénonçant ces manœuvres à la Préfecture et fait ainsi échouer les projets de Lucien. Certes, cette manœuvre a, aux yeux de Babette et d'Arnaud, des relents de pétainisme mais, après cette dénonciation, ils y souscrivent cependant. Tatiana repartira dans son pays avec sa fille. Fin de l'épisode ! Pourtant, devant le résultat de cette action et malgré la satisfaction qu'ils ont de voir leur père revenir à une vie plus normale, ils se laissent aller à une sorte de culpabilisation pour avoir contrecarré ses projets matrimoniaux.

     

    Pour autant, ce thème ne me semble pas être le seul traité par ce film. C'est que cet événement a des répercussions au sein de la famille apparemment unie, avec, en filigranes, le fantôme de la mère. Arnaud se rappelle qu'étudiant, son père lui a coupé les vivres, sans doute parce qu'il refusait de faire ce qu'il lui demandait et que Babette, qui a toujours joué le rôle de la fille effacée et comme il faut, non seulement n'a pas défendu son frère mais encore s'est réjoui de cette situation et en a même profité. On imagine même que les liens entre le frère et la sœur ne sont pas aussi forts qu'il y paraît. Voila aussi que l'intermède amoureux de Lucien provoque celui de Babette qui, après avoir supporté pendant des années son compagnon s'envoie ne l'air avec un collègue de travail, apparemment plus jeune qu'elle et avec qui, finalement, elle choisit de vivre. C’est bien son tour de se lâcher un peu, d'autant qu'elle connaît enfin l'orgasme !

     

    Les choses semblent rentrer dans l'ordre à l'occasion d'un week-end, quelques mois plus tard. Arnaud rejoint son père désormais assagi aux côtés d'une retraitée bretonne et végétarienne. L'image qu'il donne correspond davantage à celle d'un retraité paisible qu'à l'épisode précédent de son mariage manqué et peut-être maintenant oublié, même s'il s'ennuie en regardant la mer à cause du thé vert au gingembre et du pain au varech !Pire, il s'emmerde et on l'imagine déjà un pied dans la tombe après avoir tourné définitivement la page de sa vie antérieure !

     

    Je ne suis pas sûr d'avoir assisté à une comédie puisque c'est la catégorie dans laquelle ce film est classé par la critique. Certes on peut rire de tout et les répliques sont parfois drôles [« C'est un acte militant... mais il y a des actes militants qui sont plus agréables à regarder que d'autres », « non seulement il m'a pourri mon enfance mais il me vole ma crise de la cinquantaine », « En fait la blonde trop jeune c'est à ton âge qu'on se fait ce trip, pas au sien »] mais les nombreux thèmes traités ici ne s'y prêtent guère, celui de la vieillesse et de la solitude, de la remise ne question des choses établies et de l’image que donnent les gens, de l'utopisme de gauche, de l’adolescence contestataire et généreuse, de la famille qui éclate, de la mort qu'on perçoit au loin... Seul le jeu des acteurs qui se résume à un trio (Karine Viard, Michel Aumont, Fabrice Luchini) peut prêter à sourire tant il est juste et parfois humoristique. Je ne suis pas bien sûr pour autant que le happy-end qui clôt ce film soit toujours au rendez-vous dans la vraie vie !

     

    Après « Ceux qui restent » Anne de Ny nous offre ci une nouvelle peinture de la société. J'ai bien aimé.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE PRIX A PAYER – un film d'Alexandra Leclère

     

    N°593– Septembre 2012.

    LE PRIX A PAYER – un film d'Alexandra Leclère [2007].

    TF1 Dimanche 23 septembre 2012 – 20H50.

     

    Je poursuis l'intérêt que je porte à l’œuvre cinématographique d'Alexandra Leclère. La Feuille Volante en a déjà été le témoin à propos des « Sœurs fâchées » (FV n° 554 de février 2012) et de « Maman » (FV n°577 de mai 2012) et j'avoue bien sincèrement que je suis très attentif à ce mode d'expression intimiste du cinéma.

     

    Ici, Alexandra Leclère s'attaque aux problèmes de couple. C'est sans doute peu original mais cela fait parti de la vie et mérite bien qu'on y prête un peu d'attention. Jean-Pierre Ménard [Christian Clavier], homme d'affaires riche et ayant réussi, est marié à une femme, jolie mais dépensière, Odile, [Natahlie Bayle] mais il est malheureux en ménage : c'est qu'elle a décidé depuis quelques temps de faire chambre à part et donc de se refuser à lui. Sur le conseil de Richard, son chauffeur macho et frustré [Gérard Lanvin] à qui il avoue son infortune, il lui supprime sa carte de crédit et son chéquier afin de la ramener vers lui. Il lui exprime les termes d'un marché qui a l'avantage de l'économie de mots et de la simplicité « Pas de cul, pas de fric » ! Avec une telle formule, le terme « devoir conjugal » prend tout son sens. De son côté, Richard vit avec Caroline[Géraldine Pailhas] qui poursuit un rêve inaccessible auquel il est étranger. Voici pour le décor.

     

    J'ai trouvé ce film un tantinet caricatural où d'un côté les femmes sont présentées comme des êtres libres qui s'adaptent à l'évolution de leur situation mais sont quand même dépendantes de l'argent de leur compagnon considéré comme un pourvoyeur d'euros, et de l'autre les hommes, pour qui l'argent qu'ils gagnent paie tout mais qui se sentent désemparés quand elles disparaissent. J'avoue que, malgré tout, j'ai du mal à entrer dans ce schéma un peu trop simpliste où les femmes sont maîtresses d'un jeu où l'argent est roi et achète les consciences et les postures,. Elles semblent assumer leur existence à travers lui, qu'elles se le procure à travers le travail ou les épisodes vaudevillesques. C'est plus fort que moi, je ne peux pas ne pas donner à la dernière réplique du film qu'Odile adresse à Jean-Pierre [« Tu comptes beaucoup pour moi »] une signification... comptable !

     

    J'ai trouvé le jeu des acteurs tout à fait dans le ton du film et conforme à son côté grand-guignol. A mon avis, la distribution sauve même le scénario. Cela aurait pu être drôle surtout lorsque Caroline avoue que dans sa vie l'écriture tient un grande place et correspond à ses aspirations profondes et que Jean-Pierre lui rétorque que sa femme aussi a des dispositions dans ce domaine, mais uniquement pour rédiger les chèques ! Pourtant, et malgré les apparences, je ne suis pas bien sûr d'avoir assisté à une « comédie », puisque j'y ai vu une illustration supplémentaire de la difficile cohabitation entre hommes et femmes et des épreuves qui émaillent inévitablement une vie de couple. On peut certes rire de tout mais ce genre d'épreuves laissent quand même des traces. Même l'épisode de la passade ratée avec un inconnu (Patrick Chesnais) ne me semble pas crédible. Je ne suis pas sûr non plus qu'Odile, à ce point dégoûtée de son mari, puisse répondre simplement à un admirateur enamouré qui lui déclare qu'elle est « très belle », qu'elle est seulement... « très mariée »  et qu'elle choisisse de revenir dans le giron familial ! Compte tenu de l'ambiance délétère qui règne au sein de ce couple, la fidélité de Jean-Pierre qui est ainsi artificiellement maintenue, ne me semble pas de mise. On imagine facilement qu'au lieu de se livrer à ce petit larcin misérable, il puisse préférer des amours de contrebande... D'autre part je conçois mal qu'une jolie femme en pleine possession de sa féminité, fasse l'impasse sur une vie sexuelle que son charme et sa beauté incitent naturellement à la séduction. Qu'elle se refuse à son mari pour des raisons obscures ou futiles, passe encore, qu'au moins elle satisfasse un ou plusieurs amants, l'abstinence qui est ici suscitée me semble quelque peu irréaliste !

     

    Jusque là je dois dire que j'avais apprécié le regard qu'Alexandra Leclère portait sur la société dont le cinéma peut être le miroir. Le thème choisi avait l'avantage de concerner le plus grand nombre d'entre nous qui n'ignorons pas que les relations entre les hommes et les femmes sont complexes, faites beaucoup plus de tensions, de haine et d'hypocrisie que d'amour et d'attachement. Ce qui est valable au début du mariage laisse rapidement la place à une atmosphère pesante où la passion se délite rapidement. Tous ceux qui ont contracté mariage l'ont fait par amour, pour faire comme tout le monde, par intérêt, par convenance, pour changer de vie ... mais on oublie un peu vite que, comme le spirituel, cela suppose une vocation. Après tout, on n'a pas trouvé mieux, depuis que le monde existe pour perpétuer la race et organiser les rapports entre les êtres. La morale, la philosophie, la religion, le droit ont tenté d'y mettre leur patte pour que cela ait des apparences correctes, présentables voire attirantes. Oui, mais, si on part du principe que l'amour existe, il rime rarement avec « toujours » et rapidement les choses prennent un autre visage moins avouable, fait de duplicités, de trahisons, d'infidélités... Le contrat de départ ne manque pas d'être écorné et presque naturellement c'est le divorce qui intervient, avec son lot de désillusions, de remords, de remises en question parfois impossible à surmonter, de vies brisées... On peut aussi admettre que les époux fassent perdurer artificiellement ce lien tout en vivant leur vie chacun de leur côté, en faisant prévaloir leur intérêt. Certes l'argent est roi et gouverne le monde, nous le savions déjà, mais de là à en faire l'enjeu de l'épanouissement sexuel d'un des conjoints, je trouve cela un peu fort. Ce problème de testostérone et de machisme me paraît un peu surfait. Je ne suis peut-être que très peu averti des choses de ce monde ou l'auteur a peut-être voulu être originale, mais il me semble que l'issue d'une telle situation intimement nuisible peut facilement être différente et déboucher sur une autre situation que celle proposée par le film. Cela aussi fait partie de cette règle du jeu et il n'est quand même pas rare que, dans le mariage, il y ait ce genre d'accident...

     

    J'ai donc été un peu déçu par ce film mais j'y ai retrouvé des thèmes traités dans « les sœurs fâchées »... et j'attends le suivant.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • HISTOIRE DE LA ROCHELLE – Sous la direction de Marcel Delafosse (†).

     

    N°592– Août 2012.

    HISTOIRE DE LA ROCHELLE – Sous la direction de Marcel Delafosse ().

    Éditions Privat.

    Cet ouvrage collectif publié en 2002 est une nouvelle édition reprise, complétée et augmentée d'un ancien ouvrage portant le même titre, chez le même éditeur dans la collection « Pays et villes de France » publié en 1985.

    Les rédacteurs sont professeurs d'Université (Robert Favreau, Etienne Trocmé), maître de recherche au CNRS (Louis Pérouas), conservateurs (Olga de Sainte-Affrique, Marcel Delafosse(†). C'est assez dire que le document qui est ainsi livré au lecteur est un ouvrage de référence sur l'histoire de cette ville d'exception depuis sa fondation jusqu'à la période contemporaine.

    Cette « ville bénie des dieux » n'est principalement connue actuellement que par le festival des « Francofolies » et par les tours emblématiques de son port. Sans vouloir minimiser ces références très médiatiques, ce livre nous fait entrer dans les arcanes de l'histoire riche et palpitante de cette cité qui, au départ n'était qu'un modeste village de pêcheurs entouré de marais. A partir de l'an mil, et sans doute un peu par hasard, il se transforme en une cité qui ne cessera de grandir, de s'affirmer tout au long de sa vie pour devenir une des toutes premières villes de la côte atlantique.

    Grâce à cet ouvrage extrêmement bien documenté et pédagogiquement présenté, nous voyons cette cité, depuis sa création vivre et évoluer. Elle a été tour à tour anglaise, grâce à Aliénor d'Aquitaine, française à partir de 1224, puis à nouveau anglaise à la suite du traité de Brétigny de 1360 mais a toujours marqué son attachement à la couronne de France à laquelle elle est à nouveau rattachée en 1372.

    mais a toujours marqué son attachement à la couronne de France. Au début elle a abrité nombre de congrégations religieuses puis est devenue protestante et même une place forte, pour redevenir ensuite catholique surtout à partir de la fin du siège.

    Le XVII° siècle correspondit à l'essor colonial, celui du commerce et de la « course » qui enrichirent la ville et la dotèrent d'une architecture riche et originale. Lui succéda le XVIII°siècle pendant lequel le catholicisme revint en force, s'établit dans la ville et avec lui l'esprit de tolérance prôné par le siècle des Lumières qui a permis la cohabitation entre les deux communautés. Il en résulta l’émergence d'une nouvelle forme de société axée notamment sur la culture et un nouvel art de vivre ensemble.

    La Révolution a été à La Rochelle singulièrement modérée, loin de l’agitation parisienne. Quant au XIX° siècle, il fut « trop calme » selon l'expression des auteurs, mais le dynamisme inhérent à cette ville s'est à nouveau manifesté à la fin de cette période. La ville a consolidé son port de pêche, s'est installée dans l'industrialisation puis à nouveau dans le commerce international. Lorsque les crises successives eurent atténué ces activités, ce furent la culture, le savoir et le tourisme qui émergèrent et s'installèrent durablement.

    Très tôt la cité a dû sa richesse à son port d'où partaient le sel et le vin de l'Aunis. Puis des navires ont été armés, destinés au négoce avec les pays du nord, l'Afrique et les colonies ultramarines puis les Amériques, au commerce « en droiture » et «  triangulaire », enrichissant considérablement La Rochelle et en ont fait une cité longtemps convoitée. Si la perte du Canada et le révocation de l’Édit de Nantes, les guerres l'ont affaiblie, elles ne l'ont pas anéantie. Son activité commerciale a connu des périodes fastes de grande prospérité mais elle a aussi frôlé la ruine, on l'a même menacée de destruction, mais ses habitants ont toujours su comment la faire perdurer dans une paix relative favorable au commerce et à la vie en société. Autour notamment de ses édiles, elle a su relever les nombreux défis économiques sociaux qui se sont présentés, a su affirmer sa spécificité, son originalité, son sens de l’innovation, son amour de la liberté qui font d'elle, et définitivement, une cité « belle et rebelle ».

    Elle a donné à la France nombre de savants, juristes, militaires de haut rang, marins, écrivains et artistes. Son architecture urbaine exceptionnelle, son climat, sa douceur de vivre, ses attraits ont toujours fait d'elle une ville peuplée, attrayante, tolérante, véritable creuset, riche de diversités sociales et culturelle. On peut probablement regretter que Le Corbusier n'ait pas pu y donner toute la mesure de son talent mais Eugène Fromentin aurait aujourd’hui du mal à reconnaître « sa pauvre province », dans cette cité faite de pierre blanche et de toits ocres, bien différente de cette « vieille cité huguenote, grave, discrète avec ces maisons d'un luxe sévère aux façades sombres ».

    L'histoire nous enseigne les grandes évolutions des idées et peuples. C'est une discipline indispensable dans le vaste domaine de la connaissance et de la culture. J'ai personnellement, et depuis toujours, une passion pour cette ville et un tel ouvrage ne peut que me conforter dans mes certitudes.

    ©Hervé GAUTIER – Août 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA VIE EST BELLE – Un film de et avec Roberto Benigni

     

    N°591– Août 2012.

    LA VIE EST BELLE – Un film de et avec Roberto Benigni- 1997.

    [Cine + famiz – Mercredi 1° août 20h40.]

    Nous sommes en 1938 en Italie. Ce film met en scène Guido (Roberto Benigni), un serveur juif-italien excentrique, plein de joie de vivre, un peu dragueur et gaffeur qui souhaite ouvrir une librairie et passe son temps à deviner des rébus que lui propose un client de l'hôtel où il travaille. Il est d'autant plus extravagant qu'il tombe amoureux de Dora (Nicoletta Braschi), une jeune institutrice et cherche toutes les occasions de se faire remarquer. C'est plutôt mal engagé pour lui puisqu'elle est fiancée à un notable fasciste, mais Guido finit par l'épouser et à avoir avec elle un petit garçon, Giosué (Giorgio Cantarini). Malheureusement le régime de Mussolini persécute les juifs et, quelques années plus tard toute la famille est envoyée dans un camp d'extermination. Resté avec son fils, Guido va lui faire croire que tout ce qu'il voit n'est qu'un jeu où il faut accumuler des points pour gagner le premier prix qui est un vrai char d'assaut.

    Il est convenu de dire que ce film est une fable, une sorte de conte pour enfant. Benigni lui-même l'a prétendu. Il n'y a en effet rien de vraiment réaliste dans ce décor. Dans Arrezo où il habite, Guido semble étranger à la traque des juifs et ce film n'a rien de rigoureusement historique. Le camp est tout à fait fictif et Giosué a beau se cacher, on a du mal à croire à la réalité de ce que l'on voit. Malgré le travail forcé des prisonniers, le camp semble quelque peu surréaliste et tout ce qu'on sait de l'univers concentrationnaire ne se retrouve pas ici.[« Et si tout cela n'était qu'un rêve »]. Au début la magie opère dans les yeux de l'enfant qui croit l'histoire que son père lui raconte même si, à un certain moment il est le témoin d'une révélation sur le véritable but des nazis qui est l'élimination des juifs. Pourtant, Giosué semble avoir tout compris mais continue de faire semblant, même si cette histoire de char d'assaut qu'il avait fini par oublier, se transforme, à son grand étonnement, en réalité par la libération du camp par les troupes américaines. Guido lui-même se prend au jeu, surtout quand il s'improvise traducteur de l'allemand qu'il ne parle pas et quand il découvre le monceau d'ossements, il est complètement ébahi et semble prendre enfin conscience de l'évidence. Même la mort de Guido ne parvient pas à être triste parce qu'on songe, malgré nous peut-être à celle d'un clown de cirque à laquelle on ne croit pas et non à celle d'un déporté juif.

    Benigni donne ici toute sa mesure. Il réussit à nous faire sourire sur le thème de la mort, sur celui de l’extermination des êtres humains par d'autres hommes, sur celui de la Shoah. L'auteur semble nous dire que l'humour sauve de tout, même des pires choses, que c'est une bonne manière de résister à la noirceur, à l'oppression. Non seulement ce n'est pas faux puisque l'humour juif existe mais il a bien dû aider ce peuple dans son long combat pour l'existence.

    J'y ai vu une fabuleuse histoire d'amour, celle de Guido et de Dora : Il fait tout pour la conquérir et elle qui n'est pas juive exige de suivre son mari et son fils dans le train de déportés. Malgré la séparation du camp, Guido lui fait constamment des signes qu'elle comprend et il mourra en tentant de la retrouver. C'est un peu comme si lui aussi cherchait à se jouer une comédie et à se convaincre que tout ce camp n'est qu'un décor et qu'il va la rejoindre. C'est aussi une histoire d'amour d'un père pour son fils à qui il cherche à cacher la vérité. Même si ce film est tragique par le thème traité, par l’éclatement de cette famille qui ne demandait qu'à être heureuse et par la mort qui rôde, il ne faut pas oublier que ces faits, même s'ils sont imaginaires, même s'ils sont présentés avec humour et surréalité, peuvent parfaitement se reproduire de nos jours et le nazisme peut prendre des formes inattendues mais bien réelles.

    De nombreux prix qui ont couronné ce film (César du meilleur film étranger – Oscar du meilleur film étranger – Oscar du meilleur acteur pour Roberto Benigni – Oscar de la meilleure musique de film)... Pour ma part, une fois l'écran devenu noir j'ai eu la certitude d'avoir assisté à une histoire poétique et pleine d'émotion.

    ©Hervé GAUTIER – Août 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • DOMINIQUE

     

    N°590– Juillet 2012.

    DOMINIQUE – Eugène Fromentin (1863).

    Ce roman est une sorte de récit-gigogne où le narrateur raconte comment il fait la connaissance, un peu par hasard, de Dominique de Bray avec qui il sympathise. Son nouvel ami, apprenant le suicide manqué d'Olivier d'Orsel avec qui il fit ses études, remonte le temps et narre à son tour son histoire personnelle en évoquant son enfance aux « Trembles », un domaine campagne où il étudie sous la direction d'Augustin, son précepteur, pour ensuite partir pour le collège où il rencontre Olivier. Dominique ne tarde pas à rencontrer une des deux cousines de ce dernier, Madeleine et, bien sûr, en tombe amoureux. Malheureusement il s'aperçoit qu'elle est promise à un autre, M. de Nièvres. Au moment du récit, Dominique et marié, père de deux beaux enfants, à la tête de son domaine et de sa commune, bref il semble heureux, en apparence seulement.

    On peut aisément classer ce texte d'Eugène Fromentin , né à La Rochelle en 1820 et mort à St Maurice (faubourg de La Rochelle) en 1876, parmi les romantiques. C'est d'ailleurs l'unique roman de cet auteur, connu davantage comme peintre, critique d'art (« Les Maître d’autrefois ») et chroniqueur de ses propres voyages (« Un été dans le Sahara »(1854) et « Une année dans le Sahel »(1857). Il est admis que « Dominique » est un texte autobiographique puisque, au cours de ses études, Eugène tomba amoureux de Jenny-Caroline Chessé, une jeune fille de 17 ans, une voisine, mais cet amour fut sans suite puisqu'elle épousa Béraud, un modeste fonctionnaire de La Rochelle. Quand elle mourut à l'âge de 28 ans, il en fut bouleversé. En réalité, ce roman prit forme dans sa tête à l'âge de 22 ans et Fromentin attendit quinze années pour y mettre le point final, pour s'en libérer peut-être ? Dans ce texte, plein de sensibilités et d'émotions, Eugène Fromentin se livre à une analyse des sentiments amoureux de Dominique autant qu'à ses états d'âme tourmentés par la désillusion et la mélancolie dues à un amour déçu. En effet, le narrateur confesse « assister à sa vie comme un spectacle donné par un autre ». En, fait, il s'y ennuie. De plus, Dominique, amoureux d'une femme qui lui échappe souffrira et devra renoncer à sa passion. Madeleine qu'il aime profondément, sans le savoir au début, puis passionnément sans être payé de retour autrement que par une sincère amitié et une estime constante voit cette jeune fille devenue Mme de Nièvres lui échapper complètement [« Madeleine était perdue pour moi et je l'aimais »]. Quand il était en sa présence, cela tenait pour lui d'une apparition, d'un moment de félicité et il ne savait pas, compte tenu de ses sentiments, s'il était « torturé ou ravi », ce qui n'était pas sans provoquer chez lui des maladresses. Il est tellement déçu qu'il en vient à se mépriser lui-même[« En me démontrant que je n'étais rien, tout ce que j'ai fait m'a donné la mesure de ceux qui sont quelque chose »]. L'auteur précise même les choses plus avant « Tout homme porte en lui plusieurs morts ».

    Mais ce récit est aussi un hymne à la nature, à la chasse, à la terre qui fait ici figure, pour Dominique, de remède à ce mal d'amour dont il souffre. Le roman s'ouvre sur la présentation de Dominique en propriétaire foncier bienveillant, vigneron amoureux de sa terre, maire généreux et aimé de tous. Fromentin parsème son récit de descriptions picturales et poétiques, scènes champêtres ou paysages maritimes qui évoquent en lui le peintre influencé par Eugène Delacroix. On peut d'ailleurs aisément les mettre en perspective avec la psychologie du personnage principal. Dominique est obsédé par ce passé au point de se complaire dans l'évocation de cette vie qui semble s'être déroulée hors du temps et peut-être malgré lui et dans laquelle on sent qu'il ne s'est pas épanoui. Dominique a renoncé à tout, à une carrière littéraire prometteuse, à un rôle politique important, se cantonnant à un rôle de notable de province, à cause de cet amour contrarié. C'est un peu l'histoire d'un échec, une vie où il s'ennuie d'autant que Madeleine, sans céder en rien à cet amour impossible a parfois des attitudes équivoques. ll y a du « bovarysme » dans ce roman et Fromentin dissèque avec la précision d'un chirurgien l'âme de ce malheureux, ses pudeurs, ses hésitations, son insatisfaction, sa timidité maladive[«Je la fuyais. L'idée de lever les yeux sur elle était un trait d'audace »], son penchant pour la solitude.

    Olivier ne revanche se voue à l'hédonisme, mais lui aussi, dans un autre registre rate tout, jusqu'à sa mort. Pourtant, tout oppose ces deux amis puisque Julie, sa deuxième cousine, est amoureuse de lui mais il ne l'aime pas. L'amitié qui lie les deux hommes fait d'Olivier le témoin privilégié des tourments de Dominique qu'il tente d'apaiser, mais en vain. Seul Augustin, le précepteur de Dominique, semble se tirer d'affaire et vit un amour heureux.

    George Sand à qui ce texte est dédié ne s'est pas trompée sur le talent de son auteur, non plus d'ailleurs que Sainte-Beuve qui salua lui aussi ce créateur polyvalent.

    Eugène Fromentin est un écrivain injustement oublié à qui le Rochelais ont consacré un monument, une rue et un lycée de leur si belle ville mais qui, malheureusement n'est plus guère lu aujourd'hui [Je remarque que certaines éditions de ce roman sont illustrées de délicates aquarelles de Louis Suire ou d'eaux-fortes colorées de Henri Jourdain]. Au risque de paraître ringard et amoureux des choses surannées et dépassées à notre époque, je dis que j'ai aimé ce livre non seulement pour la pertinente analyse des sentiments, pour la peinture précise du caractère de chaque personnage, pour la description des lieux dignes du peinte qu'il était. Je note cependant que, malgré les temps qui changent, les choses qui évoluent, comme on dit, nous portons tous en nous une part de désillusions, des regrets, des remords, des illusions définitivement perdues ... Ce roman en est illustration, ce qui fait de lui une œuvre authentique, même si la manière d'exprimer les choses a un peu changé.

    Ce qui m'a fait aimer ce roman c'est peut-être avant tout parce qu'il est bien écrit. C'est toujours un plaisir pour moi de lire un texte d'un serviteur si attentif de notre belle langue française.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA ROCHELLE, fille de la mer – Christian Errath, Raymond Silar

     

    N°589– Juillet 2012.

    LA ROCHELLE, fille de la mer – Christian Errath, Raymond Silar - Geste Éditions.

    Dans mon imaginaire personnel, il est des villes dont le nom seul évoque le voyage, l'exceptionnel, un attachement à la fois irrationnel et définitif. La Rochelle est de celles-là. Son nom sonne comme celui d'un rocher solide face à l'océan, elle évoque mon enfance et pas mal de souvenirs. Pour l'extérieur elle reste attachée aux paroles d'une chanson (« Les filles de La Rochelle »), au douloureux siège de Richelieu, à ses emblématiques tours, aux 4 sergents qui y furent emprisonnés. Jadis la reine Aliénor en fit le port de l'Aquitaine et lui accorda le privilège de « franche commune ». Elle fut ensuite dédiée aux expéditions lointaines, au commerce triangulaire, puis à celui des produits du pays, sel, vins puis plus tard céréales, à la pêche à la morue, à celle de haute mer et à celle des coureaux. Aujourd'hui elle est le symbole de la culture et de l'université, de la plaisance, des loisirs, de l'écologie, des Francofolies, de la porte vers l'île de Ré, d'un art de vivre différent, mais elle a toujours été tournée vers la mer...

    Avec le texte érudit à l'humour subtil de Raymond Silar et les photographies pleines de cette lumière océane de Christian Errath, le lecteur se promène à la fois dans l'histoire et dans le présent de cette cité « bénie des dieux », créée, dit-on, par la fée Mélusine, mariée à l'Atlantique. Avec ces auteurs, le lecteur découvre « La grande aventure rochelaise » que ses différents musées évoquent et que sa pierre blanche conserve. Ses habitants ont su relever les défis de l'histoire, s'adapter aux changements structurels qui ont accompagné son parcours. Autrefois blottie derrière ses remparts, elle a su « prendre le vent des conquêtes nouvelles » et faire œuvre d'imagination dans bien des domaines ce qui a fait d'elle un véritable modèle. Cette ville à la fois « Belle et rebelle », conquise sur la mer a été successivement depuis Aliénor d'Aquitaine, anglaise puis française, catholique avec la présence des Templiers, des Carmes, des Jésuites et des Oratoriens... puis, évidemment, protestante, en paix et en guerre, peuplée à la fois d'ouvriers et de riches notables commerçants et armateurs. Elle garde les traces architecturales du temps, entre ses célèbres arcades, ses maisons à colombage, ses hôtels particuliers et ses bâtiments de style renaissance ou du XVIII° siècle. Une cité maritime où se mêlent tous les styles et toutes les influences, avec bonheur !

    Depuis le hameau de Cougnes qui a été à l'origine de sa fondation, elle a été tour à tour place forte en guerre et ville de paix, a su s'opposer au pouvoir central si celui-ci devenait trop pesant mais aussi se montrer loyale à ce même pouvoir quand il le fallait. La devise de ses armes,« Servabor rectore deo »(guidé par Dieu, je serai sauvé), même si elle prête à diverses interprétations, illustre bien son attitude. Elle a abrité des célébrités, savants, voyageurs, artistes, peintres, écrivains, philosophes, avocats, inventeurs, marins mais aussi des hommes au caractère bien affirmé, notamment parmi ses édiles nommés ici depuis 1199. Les Rochelais ont dû se battre pour conserver le privilège d'élire leur maire et ce d'autant plus qu'ils devaient cette singularité à Aliénor, une Duchesse-Reine en plein Moyen-Age ! Ils ont payé un lourd tribut lors des luttes qui ont jalonné l'histoire de cette cité mais la vie, la liberté et l'indépendance ont toujours prévalu ce qui la rend extraordinairement attractive.

    La Rochelle a toujours exercé une véritable fascination sur ceux qui l'ont approchée, a suscité des créations artistiques et des innovations parfois audacieuses de tous ordres, bref n'a laissé personne indifférent, a toujours insufflé à ses habitants autant qu'aux touristes de passage sa vitalité, son originalité, son souffle chaleureux.

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • TANGO POUR UNE ROSE – Laura Pariani

     

    N°587– Juillet 2012.

    TANGO POUR UNE ROSE Laura Pariani – Flammarion.

    Traduit de l'italien par Dominique Vittoz

    Le tango, c'est l'Argentine où Antoine de Saint-Exupéry a rencontré sa femme Consuelo, la rose c'est celle du Petit Prince dont l'enfant est éperdument amoureux et dont il est responsable sur cette drôle de planète, c'est elle puisqu'elle est présente dans ce roman. C'est aussi une référence aux mémoires de Consuelo intitulée « Mémoire de la rose ». Voilà donc pour le titre.

    Ce récit fictif est celui imaginé par l'auteur qui met ainsi en scène les derniers moments de l'aviateur-écrivain, sa dernière lettre à Consuelo où il lui redit son amour avec, en sourdine, les notes tout autant imaginées d'un ultime tango.

    Je l'ai lu avec ce souvenir que ne me quitte jamais de cet enfant mystérieux venu à la rencontre de cet aviateur tombé en panne dans le désert, avec aussi cette photo de John Phillips où l'on voit, pour la dernière fois le visage inquiet de St Ex qui s'envole vers la mort, crainte ou fascination ? Ce sont, peut-être pas forcément fictivement, une somme de réflexions personnelles sur le passage vers le néant, mêlées à des souvenirs de sa vie un peu cahoteuse, faite d'accidents d'avion et de voyages lointains, de son enfance heureuse malgré la disparition soudaine de son père et d'un de ses frères, un parcours d'homme, partagé entre l'écriture et l'avion, l'amour de la vie et les errances amoureuses et cette attirance vers la mort dont la guerre lui offrira l'opportunité. Disparu dans des conditions énigmatiques, il deviendra encore davantage un mythe, celui d'un homme devenu écrivain un peu par hasard mais qui fait chanter les mots, qui fait rêver son lecteur et réveille en lui les contours évanouis de l'enfance, les découvertes de l'aventure.

    L'auteur lui prête des conversations philosophiques avec un indien ou un mécanicien. On y parle de la fuite du temps, de l'incontournable mort, de l'aspect transitoire de la vie, des plaisirs éphémères, de la volonté de laisser une trace derrière soi. En contrepoint il y a cet air lancinant du tango, cette danse à la fois langoureuse et sensuelle, rythmée et énigmatique aussi où l'homme et la femme jouent une partition personnelle sur le thème de la séduction, de la possession, de la fuite mais aussi du hasard, de l'improvisation, du mystère, du symbole, entre tendresse et agressivité.

    C'est une fable inspirée à la fois par St Ex (rebaptisé Tonio) et par Dante où l'aviateur écrirait à Consuelo une lettre qui n'arrivera jamais, où le Ligthning P38 qui lui servira de cercueil est remplacé par un autocar mais où les balles meurtrières viennent quand même interrompre ce parcours terrestres à son heure comme si d'invisibles Parques officiaient, avec en arrière plan les paysages de son enfance aperçus une dernière fois. En ce 31 juillet 1944, St Ex est parti rejoindre Le Petit Prince rencontré un jour dans le désert, entre les pages d'un livre ou pendant une longue période de géniale inspiration.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • TOMBEAU DES ANGES

      

    N°586– Juillet 2012.

    TOMBEAU DES ANGES Gilles Ortlieb – Gallimard

    Le titre a ce côté énigmatique des romans policiers, mais le texte a d'emblée un goût un peu humoristique qui plante un décor coutumier d'un paysage urbain avec, en arrière-plan des friches industrielles aux relents de pollution. Le lecteur ne tarde cependant pas à s'apercevoir que les anges en question n'ont pas des noms paradisiaques. Ils se nomment « Florange, Erzange, Serémange, Knutane, Illange, Nilvange, Alfrange ». Pour qui suit un peu l'actualité, on comprend tout de suite que ce n'est pas un paradis qui est ici suscité mais bien cette région sinistrée de la Lorraine. Elle avait pourtant été florissante à l'ère industrielle, avait produit du fer, devait ses infrastructures à des capitaines d'industrie. Longtemps elle avait offert un spectacle de haut-fourneaux en activité, des cheminées d'usines et des sirènes qui appelaient au changement de poste, des bistrots incontournables qui ne désemplissaient pas. Bref une région qui vivait Des noms résonnaient dans ce décor et ils n'étaient pas si anciens que cela «  Usinor, Sollac, Sacilor, Sidelor, Lorfonte, Unimétal, Arcelor. »

    A l'invite du narrateur, le lecteur se balade dans les rues désormais désertes où tout rappelle la mine, celle qui faisait vivre tout le monde ici, un peuple de prolétaires de toutes nationalités amenés ici par la guerre ou la nécessité, établis depuis des générations et qui ne voulaient surtout pas quitter cette région. Ce n'est pas qu'on y vivait bien mais il y avait du travail. Maintenant le décor est brut, peu engageant et le chômage gangrène la population. Le tombeau des anges se décline en liquidations, fermetures, cessations d'activité … Puis on affine le paysage de magasins aux rideaux définitivement fermés, aux salles de cinéma en faillite ou aux rares cafés survivants qui offrent une triste devanture de cette région qui porte encore la marque de l'histoire dans des inscriptions à demi-effacées qui attestent de l'occupation allemande de l'entre-deux-guerres. L'air est sans doute plus respirable qu'avant, mais le paysage se ferme petit à petit, la mémoire ouvrière de la mine ne se vit qu'à travers les commentaires d'un guide pour rares touristes de passage, tout un savoir-faire, des techniques, un vocabulaire désormais passés aux oubliettes de la productivité.

    C'est une sorte de pèlerinage qu'effectue le narrateur dont on suppose que l'enfance s'est déroulée ici. Maintenant c'est un peuple de retraités, de chômeurs sans grands moyens, victimes de la crise économique, des gens désœuvrés qui cherchent à faire passer le temps dans des bistrots à demi-désertés entre apéro, loto, lecture de journaux et prévisions météo, le tout dans un décor urbain à répétition et déprimant, des usines fermées, des commerces abandonnés, des maisons à vendre qui ne trouveront jamais preneur, un paysage spectral avec « Un vent aigre soufflant depuis les hauteurs pour se perdre dans une plaine incolore », des cours d'eau pollués, des mines qu'on évoque comme on visite un musée, un passé révolu mais qu'on refuse de voir disparaître. Faute d'activité l'usine est encore là, comme un squelette inutile coincé entre passé et présent... « Dans ces villes en « ange » arpentées avec assiduité, il ne s'agit plus depuis longtemps d'organismes en train de s'étioler ou de lentement mourir, mais bien de l'apparence que peuvent prendre ou ont prise les corps défunts. Car ce ne sont plus des blessures à vif que l'on a sous les yeux, comme ce pouvait être le cas il y a un quart de siècle... mais des plaies plus ou moins adroitement refermées, des paysages cicatrisés de force et donc pacifiés. ». Ce qui amène l'auteur à poser cette question : « Que reste-t-il lorsqu'il ne reste plus rien, lorsque tout ou presque a disparu ? »

    le style au départ est alerte, humoristique même et invite à voir le bon côté des choses, faute de pouvoir faire autrement. Il cache mal une profonde détresse et une absence de gens dans les rues. Ces villes vivaient jadis mais ne sont plus que des ombres. Je n'ai pas vraiment été enthousiasmé par ce récit qui évoque un paysage où je n'ai pas vraiment envie d'aller. De plus, je n'ai pas toujours suivi le fil conducteur de ce récit notamment dans la reproduction de la correspondance qui s'étage de 1947 à 1970. Elle marque le quotidien des gens de cette période, l'évolution des choses, leur changement, mais dans le sens du chômage, de l'abandon, pas vraiment du maintien de la vie...

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com