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Articles de hervegautier

  • Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.

     

    Je voudrais aujourd'hui, même si INFO-POESIE ne paraît plus, faire partager une étude qui y a été publiée et qui concerne le poème majeur qu'est Jean ROUSSELOT (1913-2004)

     

    N°12

    Février 1986

     

    Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.

     

     

    Info-poèsie publie un numéro spécial consacré à Jean Rousselot.

     

    Sang, tel est bien le maître-mot de la poésie de Jean Rousselot, mais le sang de la mort et de la maladie devient celui de la naissance, de la renaissance, de la fertilité, mieux, il est le flot bouillonnant, la sève de la vie de l'homme-arbre. Sous sa plume, c'est aussi la source de l'énergie et du désir. Associé au feu, il devient synonyme de vitalité et de chaleur humaine, il est le nectar sacré, source de vie, rempart contre la fuite du temps, facteur d'éternité et c'est tout naturellement que le message chrétien passe à travers « le sang versé » qui génère la vie éternelle. Ainsi, la quête poétique devient-elle quête du Graal et la filiation avec Guillaume Appolinaire, réalité.

     

    Le sang est aussi symbole de filiation entre le poète et le peuple, ce qui amène Rousselot à revendiquer des origines populaires dont il est fier à juste titre, mais cela va plus loin, elle pousse ses racines dans la grande famille des poètes.

    A partir de cette image du sang, l'auteur s'intéresse à celui qui court sous la peau, mais aussi sous la terre, sous l'écorce, celui qui irrigue tous les mondes cachés, ce qui évoque la fascination des profondeurs. De cette quête passionnée naît le thème du voyage, du mouvement, de l'errance mais aussi celui du paradis perdu d'où le poète est exclus. La douleur apparaît aussi qui fait de la poésie de Rousselot une écriture d'un corps en lutte pour la vie.

     

    Évoquant le décor froid et noir de son enfance poitevine où les choses s'établissaient dans une dureté à laquelle il n'était pas possible d'échapper avec la force des mots, Rousselot se présente à nous comme un poète tragique. C'est toute la condition humaine qui est ici évoquée. Une déchirure en résulte qui est non seulement intérieure, voire intime, mais également qui prend sa source dans les événements de la deuxième guerre mondiale. Dès lors son rêve, son idéal s'effondrent. Avec « L'homme au milieu du monde », Rousselot s'éveille à la perception des autres. Il ressentira certes l'écrasement, mais luttera avec espoir au nom des hommes et avec eux : il deviendra unanimiste. De là une volonté de ne pas se renfermer sur soi-même, de sourire à la vie, aux femmes... Il témoignera et participera de ce fait au monde des vivants.

     

    Ce désir d'union s'établit en deux symboles, celui du pain et celui du feu. L'union devient partage et addition des forces, termes qui se conjuguent et se complètent pour s'épanouir dans une image de la femme chargée de vie et d'espoir.

     

    Le poème est le devoir du poète. Il puise son existence aux racines mêmes de la vie, mais le langage porte en lui l'incommunicabilité qui rend la démarche difficile. Pourtant le poète est un veilleur générant des ferments d'avenir, les « grains de l'écriture ». Face aux réalité et aux contingences de l'humaine condition les mots se dressent, ils sont des outils des instruments dont le poète joue mais qui sont aussi parfois autant de pièges. Ils doivent, pour être vrais, puiser leur signification au cœur du vécu sous peine de n'être que du vent. Le langage est remis en question et habillé de doute car l'écriture n'est pas linéaire : il y a des moments de sécheresse, d'abattement... Cependant la poésie colle à la peau , s'insinue, revient à la charge, s'impose au point de trahir l'auteur qui pourtant ne peut vivre sans elle. Il doit donc jouer son rôle avec humilité puisque, au bout du compte la mort sera la plus forte et l'indifférence accueillera son cri pourtant vital. La poésie est engagement au service de l'homme, même dans ses plus subtiles contradictions. La créativité de Rousselot est liée à la vie mais a su évoluer au rythme de l'homme, s'organiser en termes précis, clairs, riches mais aussi simples voire populaires.

     

    Il y a, pour lui, une deuxième raison de vivre: c'est la femme. Ce sont plutôt des femmes plurielles qu'il aperçoit dans la rue au hasard d'une rencontre fugace. De leur visage qui se dissipe dans la foule, il reste une image érotique que le poète sacralise, mais quand elles deviennent inaccessibles, le charme se rompt et elles redeviennent chair, c'est à dire promises à la mort. Il les traite alors avec ironie, voire mépris, révélant ce mélange d'attirance et de crainte qu'il éprouve devant elles.

     

    La femme est pourtant associée au feu libérateur, à la chaleur, à la mère, recherchée à travers la femme aimée et elle devient médiatrice entre l'homme et le monde. La passion amoureuse devient éclatement, libération, et fait pièce au quotidien, au trépas... Des comparaisons reviennent, ce sont le pain, le lait, mais aussi le feu et l'eau, images paradoxales qui évoquent la pureté. Vierge et nue, la femme est assimilée à l'oiseau qui hante le monde des airs. Elle devient synthèse de l'univers et l'homme doit s'unir à elle car elle est le siège de découvertes nouvelles, de richesses à partager. Cette source n'est jamais tarie et, à partir d'elle, la communication est de règle: la femme devient la compagne absolue, intime, à un point tel que la parole est désormais inutile. La séparation d'avec elle est dès lors insupportable, la femme supplante l'homme jusqu'à devenir fascination, objet érotique et désir de vassalisation à sa personne. Aussi la mort ne pèse-t-elle plus rien si elle prend en même l'homme et la femme!

     

    A partir de la cinquantaine Jean Rousselot évoque l'outrage du temps. Cela se sent au niveau des mots et la mort est de plus en plus pesante. L'auteur lui oppose l'humour, la dérision, la colère, l'impuissance aussi, mais l'accepte stoïquement. Le poète est habité par la détresse est « Hors d'eau » est une sorte de journal de bords où il n'en réaffirme pas moins sa présence au monde, dans un monde ou pourtant rien n'est stable, qui s'inscrit entre le passé et l'avenir qui certes inspire la lucidité mais impose une remise en cause continuelle .

     

    Le message de Rousselot est donc l'expression de l'homme et le désir constant de changer le monde.

     

     

    © Hervé GAUTIER. - Février 1986.

     

    Cette étude très documentée, émaillée de dessins de Jean Rousselot lui-même est due à Joël Gueno et a été publiée dans Info-Poésie.

  • LA FEMME SOUS L'HORIZON - Yan QUEFFELEC

     

    N°46

    Juillet 1990

     

     

     

    LA FEMME SOUS L’HORIZON – Yan QUEFFELEC – Editions Juillard.

     

     

    J’avais encore en mémoire le climat qui baignait « Noces barbares » ont la lecture remontait pourtant à quelques mois quand ce roman s’offrit à ma curiosité. Le destin de ce petit garçon, né d’un viol collectif, rejeté par sa mère, aimé gauchement par un père qui n’était pas le sien et qui trouve refuge dans une épave m’a rappelé celui de Tina, née elle aussi par hasard avec une cicatrice énigmatique sur le visage et qui cherche le secret de sa naissance dans le silence gêné de ses proches et les figures du tarot. Son sang, son visage, son âme, elle les doit à sa mère, exilée elle aussi dans la vie, avec pour quotidien la haine et la violence de cette famille bizarre, aux vagues racines russes, jetée là dans un coin de France. Il y a nombre de points communs entre ces deux enfants, héros de deux romans, je devrais dire de deux tragédies ou la mort est le seul gagnant.

     

    Comme toujours, les personnages sont fascinants. Carmilla, la Roumaine, belle, fuyant, indéfinissable, Vladimir, ce Russe qui ne connaît de son pays que les icônes et les souvenirs macabres de Zinnaïde, cette mère abusive qui règne sur une maison-épave, Lev qui vit dans son ombre, Zénia, attirée par le plaisir et par le néant parce que la vie est pour elle un fardeau, Misha, victime de sa passion pour Tina, ballotté au gré des sautes d’humeur de cette femme qui ne sera jamais vraiment à lui. Tous sont englués dans la trame d’un destin où le bonheur n’a aucun droit de cité. Tous s’accrochent à la vie, mais la mort veille qui aura le dernier mot et viendra les prendre en traître.

     

    La vie n’est pour eux qu’une perpétuelle recherche du bonheur autant qu’une fuite éperdue devant lui, à l’image de ce feu omniprésent qui réchauffe et détruit, donne indifféremment la vie ou la mort. C’est une lutte incessante, comme un jeu à travers la séduction, la violence, les passions, les obsessions et la nostalgie, avec, à contre-jour la fascination de la mort, cette délivrance potentielle qui s’étale comme l’image virtuelle d’un visage reflété par un miroir.

     

    Jusqu’à la dernière ligne, le lecteur passionné espère que tout cela n’est qu’un rêve et que la vie gagnera parce que dans les épreuves on puise aussi des raisons d’exister.

     

    Mais, le livre refermé, il reste les personnages, leur destin, et cette impression assez indéfinissable qui se dégage d’un texte tressé avec un incontestable talent.

     

     

    © Hervé GAUTIER.

     

  • LE CIEL EST IMMENSE - Marie-Sabine Roger.

     

    N°440– Juillet 2010

    LE CIEL EST IMMENSE – Marie-Sabine Roger. Éditions Le Relié.

     

    Après « La tête en friche », je m'étais promis de pousser un peu plus loin la découverte de cet auteur dont l'œuvre, par ailleurs, se déclinait autour des enfants.

     

    « Je ne m'en vais pas contre quelqu'un ni malgré moi, je m'en vais, c'est tout, c'est un choix... C'est déjà trop de dire adieu lorsqu'on s'en va » C'est ainsi que la narratrice, une femme de 60 ans commence(presque) ce récit. Elle a choisi un petit hôtel au bord de la mer, à la morte saison, pour évoquer la fin d'une histoire, comme un ultime refuge, comme un point final face à l'immensité. Avec elle, elle emporte ses souvenirs, comme autant de trésors dont on veut se munir pour affronter une épreuve. C'est donc sur une plage de nulle part, en dehors de la saison touristique, qu'elle choisit de se retrouver face à elle-même. Dans ce décor un peu désolé, c'est la solitude et la tristesse qui surnagent, avec, au bout du chemin la mort volontaire. Un cadre idéal pour « boucler la boucle, en finir ».

     

    C'est que la vie a été un peu ingrate pour elle, c'est ce qu'elle pense en tout cas peut-être parce qu'elle est toujours passée à côté du « grand amour » ou qu'elle a manqué le rendez-vous avec son fils, mais en réalité rien que que très normal en ce qui concerne les épreuves, les deuils, les chagrins, rien de plus que ce que la condition humaine, la chance ou le hasard imposent à chacun individuellement. Pourtant, c'est une «  fêlure » qui l'a amenée au bord de l'océan, un homme de rencontre, aimé, mais d'un amour différent, pas charnel, pas jouissif, pas sensoriel mais comme un plaisir serein et tranquille, un désir en demi-teinte et silencieux « Nous n'avons jamais fait l'amour ensemble » avoue-t-elle! Un peu comme si les relations sexuelles entre eux étaient interdites, taboues ou impossibles! Cette cassure, cet échec ajoutés aux autres ont provoqué chez elle non seulement un chagrin mais un détachement face à la vie, un désamour de soi, une indifférence au monde extérieur, le repli sur soi, une profonde dépression à 59 ans!

     

    Dès lors, c'est la ronde des médicaments compliqués et dangereux et si on en abuse, si on les mélange, c'est le coma et la mort. C'est un vide immense qu'on ressent sans pour autant avoir envie de se raccrocher à une ordonnance ou à une boîte de pilules. Dormir! le sommeil vécu comme un palliatif ou un cautère et le sommeil est un autre monde ou des difficultés se gomment, s'apaisent. Pourtant au réveil les choses sont là, dans leur réalité, leur cruauté et cet amour qu'on avait voulu d'autant plus fort qu'il serait sûrement le dernier s'en allait et avec lui l'envie de vivre.

     

    Face à l'immensité de cette plage qui n'est pas sans rappeler le désert, apparaît un adolescent « comme un Petit Prince qui aurait un peu grandi » et, comme dans un autre roman célèbre, un dialogue un peu surréaliste va s'engager entre cette femme au bord du suicide et cet être sorti de nulle part. Comme un bon génie, il va lui demander de lui parler d'elle sous forme de quatre choses qui pourraient la résumer, une sorte d'obligation de se confier autant qu'une occasion de refaire le chemin à l'envers parce qu'il a compris très vite que ce paysage du bord de mer serait le dernier pour elle. A travers ces rencontres épisodiques, elle va donc revenir progressivement à la vie. A travers cet exercice, elle va aller à la rencontre de ses souvenirs, de ses amours et ainsi se rendre compte qu'elle n'a pas été aussi malheureuse qu'elle veut bien se le dire. C'est autant une acceptation de soi, de la vieillesse, de la condition humaine.

     

    J'avais bien aimé « La Tête en friche », j'avoue qu'ici, si j'ai pu retrouver cette ambiance un peu délétère de la dépression, si j'ai goûté le style, les phrases courtes et fluides, j'ai rapidement décroché, lisant cependant jusqu'à la fin davantage par curiosité que par intérêt pour l'histoire, sans y entrer véritablement ... Peut-être parce qu'elle évoque trop St Ex?

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • LA TÊTE EN FRICHE - Marie-Sabine Roger


     

     

    N°439– Juillet 2010

    LA TÊTE EN FRICHE – Marie-Sabine Roger. Éditions La Brune

    Qu'est ce qui m'a accroché d'emblée dans ce livre, le ton peut-être? Il n'est pourtant pas littéraire et même volontiers gouailleur. L'histoire peut-être, celle de Germain Chazes, 45 ans, pas vraiment attachant au début, un géant inculte voué aux petits boulots de manutentionnaire qui vit dans une caravane au fond du jardin de sa mère et s'amuse à compter les pigeons ou à écrire son nom sur le monument aux morts, à parler de Dieu comme si c'était un copain... C'est un poivrot qui raconte les épisodes de sa vie à ses copains de zinc qui se moquent de lui, ne comprend pas toujours tout, un mal aimé comme il y en a tant, abandonné par son père, délaissé par sa mère... C'est aussi celle de Margueritte (avec deux t) Escoffier, cette petite vieille de 85 ans, pensionnaire de la maison de retraite des « Peupliers », cultivée, discrète, qui n'aime ni le scrabble ni les lotos, qui préfère rester assise sur un banc dans un jardin public et qui passe son temps à nourrir les oiseaux, à les compter, elle aussi! C'est peut-être la seule chose qu'ils aient en commun, alors ils se rencontrent, ils parlent, se découvrent l'un l'autre une sorte de complicité.

    Ainsi ce Germain, qui est aussi le narrateur, apprend, grâce à elle, des choses qui, dans sa vie lui étaient complètement étrangères jusqu'ici, le sens des mots, leur nouveauté, leur beauté[« Les mots, ce sont des boites de conserve qui servent à ranger les pensées, pour mieux les présenter aux autres et leur faire l'article. »]...

    Lui qui n'avait été qu'un aimable cancre presque illettré, que tous ses copains prennent pour un imbécile, c'est cette vieille dame qui va réussir à lui faire prendre goût à la connaissance [ « apprendre à réfléchir, ça revient à donner des lunettes à un myope »] aux livres par la lecture à haute voix, qui va meubler sa « tête en friche » au point de lui faire changer son vocabulaire. Il va découvrir Albert Camus, Romain Gary, Sepulveda et le dictionnaire qu'elle va lui offrir parce que lui-même lui avait fait cadeau d'un petit chat sculpté dans un morceau de bois. Il ne baisera plus Annette, sa copine, mais lui fera l'amour... c'est quand même autre chose!

    Margueritte va devenir sa vraie grand-mère, non seulement en l'intéressant aux mots et aux livres qu'il ne comprend pas toujours bien mais parce que elle s'installe dans sa vie à en devenir omniprésente et même indispensable[« Margueritte, elle prenait de la place, même sans être là »].

    C'est l'histoire d'une rencontre improbable, d'une amitié entre deux êtres qui n'avaient aucune chance de se croiser, d'un échange, d'un apprentissage, d'une invitation au respect de soi et des autres[« Vous êtes quelqu'un de très bien, Germain »lui dit Margueritte], d'une tendresse réciproque, de l'acceptation de la vieillesse, de la maladie, de la mort qui font partie de la condition humaine, d'une révélation aussi, celle de cet homme mal dégrossi, un peu cabossé par la vie, que cette vielle dame, qui l'appelle « Monsieur » au début, va petit à petit amener à se découvrir lui-même, à bouleverser sa propre vie, à lui donner un sens. C'est une histoire pleine d'émotion [« Un jour, en comptant les pigeons, on tombe par coïncidence sur une grand-mère vacante et on finit avec la peste, les Jivaro et ce pauvre monsieur Gary qui pleure encore sur sa mère »] . C'est que ce Germain, même s'il parle mal, a des remarques pertinentes et pas si naïves que cela qui parviennent parfois à convaincre Margueritte par son bon sens. [« Cette fille, elle me rend dingue... c'est pire qu'un aimant. Aimant, ça doit venir du verbe aimer peut-être? »]

    J'ai goûté la poésie qui se dégage de ces dialogues à la fois simples et authentiques parce que sincères, simplement.[« Margueritte... sa vie, elle doit avoir un goût de confiture...La mienne , elle a un goût de gerbe, et je vous parle pas des fleurs »].

    C'est un roman vraiment surprenant, c'est sans doute pour cela qu'il m'a beaucoup plu. Allez savoir!

    Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • PARIS-LA ROCHELLE - Le samedi 17 juillet 2010. Bernard Giraudeau.

     

    N°438– Juillet 2010

    PARIS-LA ROCHELLE – Le samedi 17 juillet 2010. Bernard Giraudeau.

     

    Comme tout le monde aujourd'hui, j'apprends la mort de Bernard Giraudeau dans un hôpital parisien.

     

    Je n'ai pas l'intention de me livrer à un article nécrologique, d'autres le feront mieux que moi, et je n'ai vraiment pas la tête à cela. Je suis quand même satisfait que sa disparition ne passe pas inaperçue et qu'un hommage lui soit rendu. Ce n'est peut-être pas grand chose, mais quand même, le parcours de cet homme a quelque chose d'exceptionnel et de discret à la fois, de multiforme aussi...

     

    Il ne suffit pas d'être né à La Rochelle pour aimer la mer, mais quand même, l'écume des vagues et le rythme de la houle coulent dans les veines de ceux qui sont nés et ont vécu dans un port et ce n'est sans doute pas un hasard si c'est dans la marine qu'il s'est engagé à 16 ans et si son œuvre d'écrivain est tournée vers le grand large, si la Royale l'a accueilli aussi comme écrivain de la marine. On avait d'ailleurs fait allusion à son nom lors du dernier défilé du 14 juillet.

     

    Je ne m'étendrais pas sur son parcours de comédien, de réalisateur, de voyageur, de séducteur même, mais je retiendrai plus volontiers son talent d'écrivain. Cette revue s'en est d'ailleurs fait modestement l'écho [n°316 - 373].

    Vraiment, j'ai bien aimé ce parcours, le succès populaire qu'il a rencontré, sa modestie aussi puisqu'il n'oubliait jamais de rappeler que, s'il était célèbre, et il n'y avait qu'à voir la foule qui se pressait à la signature de ses livres, il n'était pas de ces intellectuels prétentieux qui mettent en avant leur réussite. Il rappelait, à l'occasion qu'il n'avait pas fréquenté l'université ni fait de hautes études...

    Ce que je retiens aussi, c'est son combat contre la maladie dont il avait choisi de parler simplement parce que cela pouvait aider ceux qui comme lui luttent contre le mal. Dans une civilisation qui occulte la souffrance et la mort, qui classe tout de suite et qui marginalise celui qui n'est pas dans la norme, il avait pris la décision de parler, et il fallait pour cela un certain courage! C'est vrai que le contact avec le public était pour lui une thérapie. Donner et recevoir...

    Pourtant, quand je l'avais rencontré, ici à Niort, à l'automne dernier pour la sortie de son dernier livre, j'avais pensé que sa lutte contre la maladie était peut-être gagnée. De cette rencontre furtive il reste une dédicace, un visage de femme à peine esquissé qui l'accompagne et un souvenir devenu soudain plus précieux. Il avait parlé pendant plusieurs heures avec un public chaleureux qui était manifestement heureux de le rencontrer, de l'entendre parler, de le voir... Chacun avait noté non seulement le plaisir qu'il avait d'être là mais aussi la qualité de ce moment de partage... et sa bonne santé apparente.

     

    La mort est une chose inéluctable, nous le savons tous, mais dans nos sociétés occidentales elle est cependant taboue et nous vivons comme si elle n'existait pas, comme si elle ne devait jamais arriver. Quand elle survient, par surprise ou parce qu'elle est annoncée, elle nous bouleverse. C'est à chaque fois pareil! Mais je le dis, cette disparition me touche profondément non pas seulement parce nous partagions le fait d'être nés le même jour au même endroit, mais parce que j'étais et je resterai admiratif du chemin parcouru et de l'exemple donné. C'était un beau parcours et quelqu'un de bien!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • LE CONGRES - Jean-Guy Soumy

     

    N°437– Juillet 2010

    LE CONGRES – Jean-Guy Soumy – Éditions Robert Laffont.

     

    Le titre paraissait dès l'abord un peu rébarbatif. D'après le dictionnaire, un congrès c'est une réunion de personnes qui se rassemblent pour échanger leurs idées ou se communiquer leurs études. Pourtant, la couverture du livre ne laisse aucun doute, il s 'agit d'une autre chose!

     

    Cette histoire peu banale, dont le héros est aussi le narrateur, commence en 1684. Guillaume Vallade, fils d'un riche bâtisseur du Roi et membre de cette confrérie, reçoit chez lui, en Limousin, des fuyards Huguenots qu'il accompagne jusqu'à la côte charentaise en vue de leur départ en Angleterre. Parmi eux, Esther, une jeune femme mariée dont il tombe amoureux mais qui lui demande de rejoindre sa sœur, Jehane, qui est restée en France parce qu'elle a abjuré et qui deviendra son épouse. Cependant, le père de Guillaume avait prévu de marier son fils avec une fille élevée dans sa corporation mais ne peut s'opposer à cette union. Cela lui déplait fortement et Louise, sa belle-sœur, qui espère évincer Guillaume au profit de son propre fils, va l'accuser d'impuissance. Il a en effet été gravement blessé au bas ventre et Jehane, victime des dragonnades, a été violée par la soldatesque et leur union n'a toujours pas produit d'enfant après plus d'une année. Seul un homme impuissant pouvait convoler avec un femme déshonorée!

     

    Il y a donc un procès, précédé d'un interrogatoire et d'un examen intime où les juges ecclésiastiques posent des questions insidieuses où l'ironie le dispute à la concupiscence et à la curiosité malsaine, sous couvert, bien entendu du respect hypocrite de la légalité. Ces mêmes juges feront preuve d'un voyeurisme irrespectueux et lubrique pendant l'épreuve du « Congrès ». Le père de Guillaume, mourant et sous l'influence de sa bru et de l'Église ne veut pas s'y opposer et abandonne son fils à la honte. De plus, Guillaume et Jehane, réfugiés près de Versailles, sont l'objet de pamphlets publics, perdant du même coup leur honneur et leur respectabilité. Ils sont de plus en plus considérés comme la proie pour ce tribunal ecclésiastique. Le procès ne s'étant pas déroulé en leur faveur, ils devront apporter la preuve contraire en se soumettant à l'épreuve du Congrès: Les époux devront montrer devant une assemblée de médecins, de juges, de courtisans, de prêtres et la parentèle de la belle-sœur, qu'ils sont capables de relations sexuelles. Ils devront devant eux simplement faire l'amour! Guillaume doit donc « Dresser, pénétrer, mouiller », selon les termes de la procédure pour honorer publiquement Jehane! Une matrone devra se prononcer sur la consommation réelle de cette union manquant bien peu d'intimité et qui s'apparente à une mascarade judiciaire, un véritable viol public, une séance de pornographie sacrée... On imagine facilement l'issue de cette phase.

     

    C'est vrai que la narration est un peu déroutante parce qu'elle mêle les époques et que Guillaume s'adresse à un loup, comme pour le prendre à témoin, ce qui hache un peu le récit. Mais ce que je retiens c'est le style fluide et poétique de ce roman facile à lire, découpé en courts chapitres et qui ne tombe heureusement pas dans le glauque (au contraire, la relation de l'épreuve du Congrès est faite avec beaucoup de retenue et de pudeur) comme cela pourrait se faire mais qui dénonce l'obscurantisme d'une époque où l'Église était toute puissante et le pouvoir du roi absolu.

     

    La toile de fond de cette intrigue reste les querelles religieuses entre protestants et catholiques, mais aussi l'intolérance, la cruauté et la haine entre les hommes. Nous sommes à la veille de la révocation de l'édit de Nantes. C'est, certes, une fiction, mais elle s'appuie sur des recherches historiques et cette procédure dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle était inquisitoriale et dégradante, existait bel et bien dans l'ancien droit. Elle apparaissait dans différents dictionnaires et traités juridiques et fut supprimée. Le tribunal ecclésiastique pouvait, en effet, se reconnaître compétent pour juger d'une telle affaire parce qu'il y avait remise en cause des liens sacrés du mariage et de l'obligation morale faite aux époux de procréer. En cas d'échec, l'impuissance du mari était avérée et le mariage était irrémédiablement annulé.

     

    C'est aussi le procès de la convoitise familiale qui ne recule devant rien pour parvenir à ses fins puisque Guillaume est l'héritier de la charge paternelle dans la construction du château de Versailles.

     

    Ce roman nous donne à voir (en est-il besoin cependant) une facette de la condition humaine, celle qui ne recule devant rien pour humilier et de détruire un homme au nom d'intérêts bassement matériels ou de vengeance personnelle même si ces attaques viennent de la famille dont on nous dit à l'envi qu'elle est une valeur sûre, une force, une grandeur, un refuge!

     

    Cela a été pour moi un bon moment de lecture, même s'il a été bouleversant.

     

     

     

     

     

     

      

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

  • UN ROMAN DE QUARTIER - Francisco González LEDESMA

     

    N°436– Juillet 2010

    UN ROMAN DE QUARTIER – Francisco González LEDESMA – Éditions L'Atalante.

     Traduit de l'espagnol par Christophe Josse.

     

    Je voudrais bien le rencontrer ce Mendez, un inspecteur de police à deux doigts de la retraite, choisi par son commissaire pour élucider une affaire un peu ténébreuse au seul motif qu'il dispose de temps libre.

     

    L'affaire, justement, est une vengeance. Dans les années 1970, lors d'un hold-up, un garçon de trois ans est tué par erreur et, de nos jours, à Barcelone, un des deux braqueurs est assassiné dans un vieil immeuble promis à la démolition. Craignant le subir le même sort que son complice, le truand survivant va tenter de supprimer celui qu'il prend pour le vengeur, c'est à dire le père de l'enfant : David Miralles. Ce qui m'a intéressé aussi, c'est le combat intime de cet homme désespéré qui exorcise comme il peut la mort prématurée de son fils au point de lui réinventer une vie au quotidien, une forme différente de vengeance... Il se trouve que ce Miralles, garde du corps de son état et donc titulaire d'un port d'arme, n'est pas, selon le rapport de balistique, le responsable de cette exécution. Mendez le sait, mais pas le tueur et la course-poursuite qui va être menée passe par la fréquentation d'un avocat bizarre et la consultation de petites annonces coquines, d'autres rencontres insolites...

     

    Il y a bien d'autres histoires dans ce récit, celle des relations qu'entretient Miralles avec une ancienne prostituée devenue son assistante, Eva, celle de cette vieille maquerelle barcelonaise, Ruth, devenue marquise et des rapports difficiles qu'elle entretient avec une de ses anciennes pensionnaires, Mabel, qui maintenant est chargée de s'occuper d'elle. Dans cette cohabitation difficile où la mort rode à chaque instant, le règlement de compte le dispute à la méchanceté et même au sadisme.

     

    Ce que je retiens surtout c'est le cadre, cette ville catalane dont le seul nom fait rêver parce qu'il est associé à la Guerre Civile espagnole, à la contestation permanente, à une certaine idée de la liberté, au combat pour la vie, parce que là plus qu'ailleurs un art créatif s'y est développé et que dans ces quartiers chauds existe un certain art de vivre qu'on ne rencontre sans doute qu'ici! C'est le véritable personnage de ce roman. C'est l'occasion pour l'auteur d'exprimer la nostalgie d'un temps où les bourgeois venaient au Barrio Chino pour boire un verre ou s'encanailler avec des filles... La spéculation immobilière a eu peu à peu raison des bars, des bordels et des ruelles qui faisaient le charme de cette ville. Ces quartiers que connait bien notre inspecteur sont en train de mourir comme le suscite la 4° de couverture...

    C'est aussi une peinture de la société barcelonaise faite de violence mais aussi des portraits de femmes dont l'auteur est l'admirateur inconditionnel qui luttent avec dignité dans un monde cruel.

     

    Ce qui me plait bien, c'est surtout ce personnage de Ricardo Mendez, fonctionnaire de police un peu marginal, légèrement alcoolique et désabusé par la vie, qui fait son métier d'une manière efficace mais parfois discutable, un homme un peu frustre qui n'a pas vraiment le sens des convenances. Le style administratif et règlementaire de ses rapports, sa vie dans des pensions minables, ses déjeuners dans des bouibouis à la limite de l'insalubrité, son mépris pour l'avancement et pour sa hiérarchie retiennent mon attention et mon intérêt. Ses investigations ont cette particularité d'être pour le moins bizarres et originales, mais cela marche. On y rencontre d'anciennes putes, des proxénètes sur le retour, de vielles maquerelles rangées qui égrènent leurs souvenirs, ou d'autres êtres cabossés par la vie, bref toute une société interlope qui va si bien à ce quartier... Cet être familier des livres autant que de l'alcool bon marché (« Mendez vida son orujo du terroir, qui avait certainement voyagé à dos d'homme depuis la Galice en suivant la route des églises romanes ») , méprisé des femmes autant que de ses supérieurs[« Je ne suis qu'un chat de gouttière, admit Mendez, il n'est pas inutile de me le rappeler de temps en temps. »], aime sa ville et ce quartier où il a grandi et qu'il ne quitte pratiquement jamais, même s'il est promis à la démolition, ces rues qui sont sa véritable école... Sa qualité de policier se caractérise davantage par l'indépendance et la justice que par la soumission à la procédure, à la hiérarchie ou au plan de carrière, mais peut lui chaut. Il est « un vieux serpent » et avoue lui-même que sa « vie est toujours un désastre absolu » .

     

    J'ai apprécié aussi le suspense, ce texte humoristique, le style alerte, un peu gouailleur et aussi ce sens de la formule [« Dans ce monde mécanisé, il ne reste que deux gâteries faites exclusivement à la main : le havane et la branlette »]qui sied si bien au roman noir autant qu'à son héros, le climat de ce récit où on rencontre que modérément ce qui peuple ordinairement, et à toutes les pages, les œuvres de ce registre : le sexe, la violence et le sang.

     

    Cette première lecture favorisée par le hasard m'engage à en connaître davantage.

    Et puis c'est vrai que je voudrais bien le rencontrer ce Mendez, et tant pis s'il est un personnage fictif comme tous les héros de romans, mais quand même, il me plaît bien!!

     

     

     

     

      

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • PATIENCE DE LA BLESSURE - Dominique Sampiero

     

    N°434– Juin 2010

    PATIENCE DE LA BLESSURE – Dominique Sampiero – Éditions Lettres Vives.

     

    Au risque de me répéter, je mentionnerai volontiers le beau travail de l'éditeur dont j'ai déjà parlé dans un précédent article (La Feuille Volante n° 414). Je ne le lasserai pas de redire que le livre est avant tout un bel objet. On y goûte d'abord la fragrance de l'encre et la texture du papier n'échappe pas au plaisir du toucher. Et quand il faut, avant d'entamer la lecture, couper les pages pour révéler le texte, c'est un geste qui non seulement me rappelle mon enfance mais c'est aussi un supplément de plaisir à l'heure où on nous parle du livre électronique, dématérialisé... et sans doute inévitable à terme. Ce plaisir sensuel est d'autant plus apprécié que le texte du livre est poétique.

     

    Quand l'écriture surgit-elle du néant? Quand les mots se forment-ils dans la tête avant d'être tracés sur la feuille blanche? Qu'est ce qui préside à leur formation dans les limbes de l'imagination, de l'émotion ou de la souffrance? Celui qui tient le crayon peut-il, lui-même expliquer ce phénomène dont il pourra parler un peu si on l'en prie mais qui, s'il y réfléchit, finira de toute manière par lui échapper puisque qu'il est à la fois l'auteur du texte qu'il signe et aussi l'objet attentif de cette inspiration qui lui dicte ses phrases mais peut tout aussi bien le quitter définitivement? Qu'est ce qui fait courir la main sur le papier et qui le laisse aussi sans voix, lui, le poète, l'écrivain qui parfois reste sec devant la page désespérément vierge parce que l'heure n'est pas venue ou qu'il a négligé de répondre à l'appel intime des mots? Pourquoi est-ce la quiétude de la nuit ou l'agitation du jour qui favorisent la création ou simplement le sourire d'une femme, la beauté d'un paysage, la parole naïve d'un enfant?

     

    L'écriture est une alchimie et les mots se bousculent ou se dérobent, tissent des images ou n'enfantent que du néant. Le hasard a sa part dans cette démarche et il faut demeurer attentif à la moindre chose pour être capable de déceler l'émotion qu'elle porte en elle « Il suffit de croiser un visage de tige basse, de verger qui pleure au fond des yeux, de fumée sur les étangs, pour vaciller à son tour ». Faut-il inviter l'encre violette de l'école, l'enfance et sa cicatrice d'absence « habitée d'ombre plus large(s) que des soleils », de souvenirs enfuis ? Faut-il regarder le présent ou fermer les yeux sur le vide? Faut-il forcer les mots(« des mots trop grands pour moi », « abattre un à un les arbres de (la) phrase, obstacles à la ligne nue de la mort »)? Faut-il convoquer la « mémoire d'aube ou de crépuscule », « une mémoire minuscule, à la fois singulière et large, une sorte de mémoire de ciel, tantôt floue, tantôt précise »? Faut-il écouter cette blessure(« La brûlure jaillit en essaim de mots »), la confronter à la couleur des mots ou à la beauté d'une femme pour un éventuel apaisement ou pour en entretenir la réalité (« La mémoire ce matin est toute ma blessure »)? Est-il mieux de caresser la perspective de la mort ou d'attendre la nuit, sa vacuité, son calme, son énergie(« Comment ouvrir la nuit, la désherber sous la neige et prendre en elle des forces »), son vide aussi? Faut-il aussi admettre l'imperfection subie quand l'écriture, comme toute action créatrice, tend vers l'absolu et refuse l'ébauche mais laisse la place au non-aboutissement (« Non, le livre ne s'achève jamais, il ouvre une attente pleine de soleils et d'images cueillies dans leur fragilité ») ? Faut-il être attentif à l'échec (« Le mouvement des phrases épouse le doux séisme de sa noirceur »), favoriser le silence (« Il faut cesser d'écrire. Ou alors parler de cette stagnation qui pousse les feuilles mortes à encombrer l'épaule du chemin »)? Faut-il parler de la survivance face au poids du passé, de la « parole absente »? Faut-il privilégier l'inaction (« J'ai le droit de ne rien faire, pire, de faire le Rien ») ou l'imaginaire « invisible et friable », favoriser la patience, la confidence à l'autre (« je voudrais dire à l'autre mon chemin trouble, au bord du jour, et qu'exister est une eau bue par le vide ») ou le vertige des sens face à la nature.

     

    L'écriture génère l'écriture (« J'avance péniblement dans une histoire qui...m'écarquille, déclenche une hémorragie de mots, de phrases »), elle est un merveilleux moyen d'exorciser la solitude ( « Ma bouche crache l'invisible des prières et des anges. Une sorte de croyance redresse mon corps. Pour me murer en elle, j'écris » « Écrire est une présence entre se lever et se coucher »)

     

    A travers un texte fragmenté mais intensément poétique, plein de couleurs, de mouvements et de douleurs aussi, où reviennent des images d'eau, des obsessions de flaques (le mot revient une quinzaine de fois dans ce recueil, il est probablement significatif), d'éclaboussures de lumière, l'auteur nous propose son parcours au milieu des choses, des gens, de la solitude...

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com


















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  • AMOUR, PROZAC ET AUTRES CURIOSITÉS - Lucía Etxebarría

     

    N°433– Juin 2010

    AMOUR, PROZAC ET AUTRES CURIOSITÉS – Lucía Etxebarría - Denoël.

    (traduit de l'espagnol par Marianne Millon)

     

    La découverte d'un auteur inconnu est toujours un moment fort pour moi et quand celui-ci est espagnol, mon appétit de lire en est augmenté. J'ai donc pris ce roman, un peu au hasard d'autant que la 4° de couverture était plutôt engageante. A l'en croire, le public de la péninsule l'avait accueilli comme « le roman d'une génération ».

     

    Au vrai, cela commençait plutôt bien, je veux dire sur le ton de l'humour qui nous fait supporter bien des choses dans notre pauvre vie. D'abord Cristina, 24 ans, serveuse après avoir travaillé quelques temps dans un bureau, elle est un peu le vilain petit canard de cette famille Gaena... Elle n'arrive pas à se remettre d'avoir été larguée par son petit copain irlandais.. Quand, pour compenser ce manque, elle ne s'envoie pas en l'air avec des amants de passage, elle se met à songer à son enfance où s'entremêlent les regrets d'être une fille, une religiosité surréaliste, la fuite du père, ses débuts difficiles dans le monde du travail, et à ses autres sœurs auxquelles elle ne parle presque plus. Son problème principal semble être son taux de testostérone qui, par ailleurs justifie, pense-t-elle, sa propension à s'envoyer en l'air. Rosa, 30 ans, distante, froide, rationnelle, condescendante, suffisante, cadre supérieur consciente de ses responsabilités, de ses compétences, elle a réussi dans un monde d'hommes. Pourtant elle est seule dans son bel appartement, dans sa puissante voiture, avec ses tailleurs à la mode! Elle a perdu sa virginité comme on passe un examen... par nécessité! Ana, 32 ans. Elle a tout ce qu'une mère de famille et maîtresse de maison sérieuse, maniérée, bourgeoise peut désirer, un mari beau et brillant, un enfant adorable, une maison, une domestique... mais elle est fatiguée de vivre au quotidien parmi les marques de lessives et n'a même plus la force de faire le ménage ou de ranger ses placards. Elle sait tout de l'orgasme... mais par ouï-dire seulement et a dû la perte de sa virginité à un quasi-viol. Autant dire que la roulette de la génétique les a faites complètement différentes au physique comme au moral, mais leur mère ne voit rien de la détresse de ses filles!

     

    Pourtant, elles ont en commun une sorte de mal de vivre que chacune combat à sa manière puisqu'elles dépriment tant qu'elle le peuvent: Cristina carbure à l'ecstasy, à l'alcool, on peut dire qu'elle est aussi un peu nymphomane (« j'ai besoin d'une queue entre les jambes » avoue-t-elle), Rosa a jeté son dévolu sur le Prozac et autres anxiolytiques, quant à Anna, ce sont les somnifères qu'elle affectionne... chacune sa panacée dans ce monde déshumanisé!

     

    Dans ces « paradis artificiels », il me semble qu'il est surtout question d'amour, ou plus exactement de sexe. Pour Cristina, c'est un usage abusif et obsessionnel, peut-être à cause de la fuite du père, peut-être aussi parce qu'elle passe son temps à vouloir être aimée par des gens qui ne font même pas attention à elle (thème connu), pour Rosa c'est plutôt une absence cruelle tandis que pour Anna, ce serait plutôt la routine... avec des regrets et des remords.

     

    Dans une sorte de catalogue alphabétique, l'auteur nous décline toute les facettes du mal-être commun à ces trois sœurs ainsi que leur parcours, leurs expériences, leurs apprentissages . Elle y parle d'un univers qui est aussi le nôtre, pourquoi pas! L'auteur le fait sur le ton de l'humour et dans un style volontiers enlevé qui s'attache le lecteur, plus attentif sans doute à l'anecdote qu'à la détresse que peu à peu elle instille dans sa description. C'est pourtant vers la fin que ce récit est carrément émouvant. Jusque là, la narratrice s'était surtout appesantie sur le cas de Cristina, mais sur un mode léger. Dans les dernières pages elle rappelle tout le désarroi de cette «jeune fille de bonne famille recyclée», en perpétuelle recherche d'un amour impossible, qui a 16 ans a fait une tentative de suicide et qui maintenant glisse vers l'héroïne. Le discours humoristique du début cède la place à l'horreur quand elle évoque l'épreuve de la seringue, la douleur de l'injection et la mort par overdose de son copain Santiago. A ce moment Cristina prend une autre dimension, elle goûte soudain « la chance d'être encore en vie. C'est un immense cadeau », mais n'a plus personne à qui se raccrocher et sûrement pas à sa mère que la vie a meurtri elle aussi, mais d'une autre manière et qui a toujours été absente.

    Elle prend alors une résolution « Tant que je serai là, j'irai de l'avant », rappelle que la femme n'est pas comme la Bible le prétend sous la dépendance de l'homme, mais puise dans la Kabbale des exemples de femmes fortes ( Déborah, Athalie, Judith, Betsabée, Esther...) qui elles aussi ont su faire face... Alors, le message des bonnes sœurs qui a perturbé son enfance, il valait mieux l'oublier! Elle choisit de retenir l'exemple de Lilith, femme créée , selon la tradition rabbinique avant Ève et faite d'un peu de boue. Elle est l'égal d'Adam et sa compagne et non sous sa dépendance. Quant à ses sœurs, elles ont, elles aussi, décidé de réagir, Ana demande le divorce(et finira sans doute par l'obtenir) sans donner de raison et se voit internée dans un asile d'aliénés, Rosa s'accepte enfin comme elle est, à cause peut-être d'une chanson obsédante qu'elle entend au téléphone et qui lui rappelle son enfance. Bref, ces trois sœurs se retrouvent autour de la déchéance de l'une d'entre elles, se reparlent même si elles choisissent de rejeter leur mère. Une sorte de happy-end en quelque sorte, un message d'espoir dans cette société qui peu à peu a perdu tous ses repères!

     

    C'est vrai qu'au départ, j'ai lu ce livre avec les yeux d'un lecteur que l'humour amusait un peu malgré un style oral et sans véritable recherche littéraire. J'ai même connu une certaine lassitude mais j'ai poursuivi jusqu'au bout, partagé entre la curiosité et la volonté d'en finir pour pouvoir en parler et me dire que j'avais au moins lu un ouvrage de cet auteur. J'ai été ému à la fin et je n'ai pas regretté ma persévérance en me disant que sans cela je serais sans doute passé à côté de quelque chose et que cela aurait été dommage.

     

    Alors, roman d'une génération, sûrement! Sous couvert d'un certain humour, c'est en réalité une photographie sans fard de notre société, avec ses travers, ses dérives, un espoir... Peut-être?

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA BÊTE QUI MEURT - Philip Roth

     

    N°432– Juin 2010

    LA BÊTE QUI MEURT – Philip Roth - Gallimard.

     

    David Kepesh, 62 ans, professeur d'université, critique littéraire à la radio et à la télévision mais aussi séducteur impénitent va tomber amoureux d'une de ses étudiantes, Consuela Castillo, une jeune femme de 24 ans d'origine cubaine. D'évidence, ils n'appartiennent pas au même monde. Cette situation, sans être originale n'a rien d'exceptionnel, sauf que cet homme vieillissant va transformer, malgré lui sans doute et à cause de son âge, cette passion en véritable culte à la beauté, à la jeunesse, à la grâce féminine. Au début, leurs relations ont quelque chose de culturel et Consuela n'est pas exactement une étudiante comme les autres, ni d'ailleurs une femme puisqu'elle incarne pour lui la beauté par excellence. Lui qui a connu moult femmes et aussi la révolution sexuelle des années 60 aux USA, est en admiration béate devant ses seins. Là où cela devient du délire c'est lorsqu'il va jusqu'à se prosterner devant elle, contempler et même déguster son flux menstruel...

     

    Bien entendu, malgré le fait qu'il ne soit jamais attaché à la moindre conquête féminine, il va connaître les affres de la jalousie et la peur de la perte, de la séparation qui pourtant va intervenir. Huit ans plus tard, après que les deux amants se furent perdus de vue, c'est à nouveau Consuela qui fait irruption dans sa vie, mais pas dans le même registre! Si elle est encore la belle jeune femme qu'il a connue et follement aimée, elle porte en elle désormais et dans ce qu'il a plus apprécié chez elle, la souffrance et la mort!

     

    Ce bouleversement survenu dans la vie de David va provoquer la confidence, un long monologue (tout le récit se décline sur ce ton, il a alors soixante dix ans et parle avec nostalgie de cette femme à un témoin dont nous ne connaîtrons même pas le nom) où le vieil homme se livre sans fard, avec parfois des détails crus, dérangeants même (épisode des règles par exemple, mais pas seulement). Parfois aussi, il se laisse aller à des développements que son expérience lui inspire, sur l'adultère par exemple, ce qui n'est franchement pas le plus intéressant!

     

    L'auteur qui prend volontiers et comme toujours la place de son personnage reprend ses thèmes favoris, la vieillesse, la maladie, la mort, la fuite du temps, les années qu'on ne rattrape pas, l'homme qui, parvenu à la fin de sa vie, va faire le grand saut dans le néant, inexorable, inévitable pour chacun d'entre nous. Il n'oublie cependant pas la femme, peut-être la seule consolation de l'homme dans ce monde où tout est perdu d'avance. Consuela qu'il évoque en poses érotiques et même pornographiques est pour lui, en quelque sorte une ultime conquête qu'il n'oubliera cependant pas malgré le temps, la séparation, la souffrance... Chez lui c'est un peu Éros qui danse avec Thanatos. D'ailleurs est-ce une danse ou un combat?

     

    Je connais mal l'univers de l'auteur, mais cela pourrait passer pour quelque chose de monothématique, à tendance obsessionnelle même, mais au fond, non. Il y a le sexe qui est omniprésent dans ce livre, c'est incontestable (avoir une obsession pour la beauté des femmes me paraît être plutôt un bon signe et il me semble que l'auteur se pose ici en contradiction avec le puritanisme américain et anglo-saxon en général), mais cela me paraît surtout être une méditation de bon aloi sur la condition humaine dans tout ce qu'elle a de plus transitoire. L'auteur va analyser, disséquer même l'univers sensuel des femmes, ce que leur beauté, leur corps, leur jeunesse suscitent chez un homme vieillissant, l'émotion, l'attachement, l'attirance, le désir, les subtils rapports de domination, de soumission, de séduction et de capitulation...

     

    Je pense que je vais continuer à explorer le monde de cet auteur qui nous donne à voir une image de cette condition humaine que nous partageons tous.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • L'HÔTE - Guadaluppe Nettel

     

    N°395– Février 2010.

    L'HÔTE – Guadaluppe Nettel – Actes Sud.

     

    Ana est habitée par une « Chose » qui fait partie d'elle depuis l'enfance. Elle vit avec elle, ou plus exactement est en elle depuis toujours, elle ne la voit pas mais elle la sent et celle-ci se sert d'elle, s'en nourrit presque, jusqu'à à en devenir insupportable. La chose grandissait en effet en elle « comme une chrysalide »;

     

    Durant l'enfance, elle a été sa compagne-complice ce qui meubla la solitude de la fillette. Seul son frère, Diego, échappait à son emprise, mais plus tard ses réactions furent inattendues, dévastatrices au point de s'attaquer à ce frère lui-même... et l'anéantir, le vider de sa propre substance! C'est à tout le moins l'explication qu'Ana donna à la mort prématurée de son frère, associant le sang de ses premières règles à celui qui accompagnait la mort de Diego. Parfois la chose alternait entre accalmie et violence, parfois se manifestait sous la forme d'une petite voix mais avant la mort de ce frère aimé, il semble que la « chose » a laissé sur son bras une sorte de cicatrice qui évoque le braille. Alors, message codé ou annonce de mauvaise augure, rite cabalistique ou volonté de voir un mystère à déchiffrer? Ce fut pour elle l'occasion d'entrer dans le monde des aveugles, pourquoi pas en devenant lectrice dans un institut pour non-voyants? Ce serait une façon bien originale et sûrement efficace pour Ana de se débarrasser de cette « chose » qui devenait de plus en plus un parasite, de l'exorciser en quelque sorte par une sorte de transfert, comme si l'hépatite dont elle souffrit un temps lui aurait permis de partager sa souffrance avec cet « hôte » encombrant?

    Pourtant, à force d'explorer le monde souterrain des aveugles, de les fréquenter jusque dans leur quotidien, à la fois dans cet établissement qui l'emploie mais surtout dans un monde interlope fait de rencontres improbables, de mendicité, de handicap et de vie cachée dans le métro mexicain, véritable cloaque où pourtant elle finit par se mouvoir presque naturellement, elle finit par décrypter le message sur le bras de son frère!

     

    Alors, manifestation d'un dédoublement de personnalité dont nous souffrons tous sans bien nous en rendre compte, peur intrinsèque à l'enfance de voir disparaître des êtres que nous aimons face à l'inconscience des adultes qui préfèrent transformer la mort en tabou, habitude prise dès les premières années de vivre avec autre chose qui fait que les adultes, et parfois nous-mêmes, craignons pour notre santé mentale, volonté de se recréer un monde différent de celui dans lequel nous vivons, sentiment de culpabilité ou désir de voir dans autre chose le responsable de ses propres malheurs, phobie irraisonnée de cette enfance qui pourtant s'en va, mythomanie dévorante qui confine parfois à la folie, itinéraire intime qui consiste à se libérer définitivement d'une obsession? Qui sait!

     

    J'avoue que j'ai lu ce livre avec une certaine circonspection, partagé entre intérêt et curiosité... Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais cet ouvrage, malgré les éloges que j'ai pu en lire par ailleurs m'a laissé une impression bizarre, non par le sujet traité qui me parlerait peut-être, mais par la manière de l'aborder, entre fiction et réalité.

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.

  • PLUS TARD TU COMPRENDRAS – Jérôme CLÉMENT

     

    N°397– Février 2010

    PLUS TARD TU COMPRENDRAS – Jérôme CLÉMENT - GRASSET.

     

    Je ne savais rien du film quand j'ai parcouru la 4° de couverture de ce livre pris par hasard sur le rayonnage d'une bibliothèque. Je me suis dit que ce serait encore un énième ouvrage sur la Shoah. Je n'ai pas de sympathie particulière pour les bourreaux nazis, mais je dois dire que cette abondante littérature finit, à la longue, par m'insupporter. Le style pourtant m'a accroché dès le départ, l'histoire aussi puisqu'il ne s'agissait pas de ce que j'avais cru dès l'abord, mais d'un itinéraire intime et à rebours, une sorte de volonté de comprendre des choses qui étaient restées en suspens depuis si longtemps. D'ailleurs aux questionnements souvent exprimés, la réponse de Raymonde, la mère, revenait toujours, énigmatique et simple « Plus tard, tu comprendras », remettant à plus tard une explication qu'on cherchait à éviter. C'est que la silhouette de cette mère, maintenant morte, est présente durant toute cette quête « Qui est cette femme qui m'a aimé et que j'aime et qui m'a donné la vie? » . L'auteur, alors qu'il vend ce qui a appartenu à sa mère, choisit donc de faire revivre ses souvenirs, de refaire à l'envers, l'itinéraire de cette femme, Raymonde Clément née Gornick, juive russe, mariée à un Français catholique, que la guerre , le nazisme et la vie ont broyée. C'est un peu comme une photo qui se révèle petit à petit, à travers des lettres jaunies, des objets disparates, un appartement vide, il retrouve par bribes l'histoire de cette famille, son père, l'arrestation sur dénonciation, la déportation et la mort de certains des membres du côté maternel, la vie de cette femme, ses fiançailles, son mariage, son entrée dans une famille hostile, sa vie difficile puis son divorce, son remariage... A travers elle, il retrouve aussi quelques fantômes qui ont peuplés sa vie d'enfant et d'adolescent et qui maintenant ont disparu, happés par la mort dans les camps de concentration...Raymonde avait décidé d'enfouir tout cela dans les placards de l'oubli, éludant les questions de ce fils un peu trop curieux qui maintenant refait le chemin à l'envers.

    L'auteur ne cache rien de sa démarche, il écrit à la première personne et indique qu'il s'agit d'une autobiographie, une manière de s'approprier, enfin, sa part de judaïté, lui qui a été élevé comme un français catholique avec la complicité silencieuse de sa mère qui voulait protéger Jérôme par son silence.

     

    Ce livre m'a ému par sa sincérité, par son authenticité, mais ce que je retiens également, c'est la démarche secondaire de l'auteur qui, ayant écrit ce qu'il portait en lui, a dû, par la suite et parce que les sollicitations tendaient à l'écriture d'un film, se réapproprier son histoire et se cacher, en quelque sorte, derrière un autre personnage, à la fois lui-même et différent de lui, accepter d'être incarné par un autre, et que sa mère ait une autre apparence, un autre visage, troquer le « je » par le « il »... Ce travail aussi m'intéresse parce qu'il est différent et semblable à la fois. « Maintenant, je sais » n'est pas seulement la suite de l'évocation, cela en est le complément, une sorte déchirement aussi, sans doute parce que s'il n'est assurément pas facile de se livrer devant une page blanche, il est probablement aussi difficile, après avoir fait cette démarche intime, de charger une autre personne d'incarner celui qu'on est et ceux qu'on a aimés. C'est une chose que de faire vivre un personnage de papier, c'est sûrement une autre chose que de le voir évoluer sur un écran, de le présenter au spectateur pour le lui faire accepter, transmettre à travers lui des émotions, des sentiments, des interrogations, revoir autrement qu'en imagination des scènes difficiles... et surtout ne pas le trahir! Dans la première partie de sa démarche l'auteur à imaginé à partir de documents, maintenant il faut donner à tout cela une apparence, une vérité, une mémoire.

    ©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN HOMME- Philip Roth

     

    N°430– Juin 2010

    UN HOMME- Philip Roth – Gallimard.

     

    L'histoire commence dans un petit cimetière juif un peu délabré où un homme va être enterré. Cette petite cérémonie réunit sa fille, née d'un second mariage qui l'adore et qui prononce quelques mots sur sa tombe, mais aussi deux fils, nés d'une première union houleuse, qui le méprisent parce qu'il a abandonné leur mère, son frère aîné, une infirmière qui s'était occupé de lui avant son décès et quelques collègues... Cet enterrement n'a cependant rien d'exceptionnel, juste quelques poignées de terre jetées sur le cercueil, quelques paroles puisées dans le chagrin et le souvenir mais aussi des marques d'indifférence, de soulagement, de rancœur même...

     

    Par une classique analepse, l'auteur va retracer la vie de cet homme, dont nous ne connaîtrons pas le nom. Enfant de santé fragile, il avait été l'objet des soins attentifs de ses parents. Il est devenu un homme torturé par des affections cardio-vasculaires mais il envie et même déteste ce frère aîné, à cause de sa bonne santé... Il ne reprit pas la profession de son père, bijoutier juif, mais devint un publicitaire célèbre puis s'est mis à la peinture pendant ces années de retraite. Ses trois mariages se soldèrent par autant de divorces entrecoupés de quelques liaisons amoureuses ...

     

    C'est une vie banale qui nous est ainsi livrée par le narrateur comme s'il nous prenait à témoin, celle d'un homme ordinaire, pleine de poncifs, de désillusions, de frustrations, avec son lot de joies, d'épreuves, d'amours et de rêves brisés, d'erreurs, de prises de conscience que les choses changent, que le temps perdu ne se rattrape pas... Lui qui fut un amant ardent, il connaît maintenant la perte du désir, l'impossibilité de séduire ..., Roth reprend devant nous, à l'occasion de cette histoire, tous les truismes habituels loin des préoccupations intellectuelles et philosophiques, avec la hantise ordinaire à tout humain, celle de la vieillesse, de la solitude, de la mort. Cet homme n'attend rien d'un hypothétique autre monde ou d'une vie éternelle, les choses s'arrêtent avec celle-ci, et tant pis si toute cette agitation n'a servi à rien et ne débouche que sur le néant.

    Sa vie n'aura donc été qu'un vaste gâchis qu'il a lui-même tressé, remettant en cause ce qu'il avait pourtant patiemment construit. Dans notre société, il est sûrement une sorte de parangon, lui dont la réussite professionnelle a été avérée, dont la vie familiale a été un savant mélange d'adultères, de mensonges, d'hypocrisies et de complicités malsaines et même coupables, d'humiliations imposées aux siens, comme si son existence ne se résumait qu'à une recherche effrénée de la jouissance sexuelle, du plaisir animal à tout prix, dût-il lui sacrifier la stabilité de sa famille, sa respectabilité, la vie et l'amour de ses enfants... Après tout il doit être comme un homme, cet être qui est en permanence habité par la folie de tout détruire autour de lui pour un peu de ce plaisir quêté dans une rencontre avec une inconnue!

     

    Face à ces renoncements successifs, il lui reste la peinture que pratique comme une sorte d'exorcisme ce Don Juan insatiable, toujours à la recherche de femmes qui lui procureront du plaisir, mais qui, à présent, ne peut plus que les suivre du regard en fantasmant sur leur corps, en espérant qu'elles lui feront l'aumône d'une étreinte. Quant au maniement du pinceau, cet exercice artistique devient lassant et il n'en retire plus rien...

     

    C'est un récit un peu mélancolique, un rien désabusé, un peu tragique aussi si on estime que vivre de la naissance à la mort en acceptant de n'être plus ce qu'on a été, est aussi participer à une sorte de tragédie. C'est assurément dramatique aussi d'accepter sans peur la réalité de la mort, cet inévitable saut dans le néant, parce que, quand on a goûté à la vie, on ne peut la quitter sans regret ni terreur.

     

    Le titre anglais (evryman : n'importe quel homme) résume assez bien le but de l'auteur; il s'agit de la vie de chacun d'entre nous qui est esquissée ici. Ce n'est donc pas exactement une fiction, mais la copie plus ou moins conforme dans sa diversité du parcours de chacun d'entre nous sur cette terre.

     

    Le style est dépouillé et atteint son but, celui de nous donner à voir « cet homme » sans nom, (et cela doit aussi valoir pour les femmes?), un véritable quidam, un être ordinaire dont on nous raconte la vie également ordinaire, celui de nous faire partager, avec cet art consommé du conteur, son passage sur terre plein de fougue mais finalement aussi plein de désillusions et de bassesses.

    Une véritable image de la condition humaine!

     

     

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • SI RIEN NE BOUGE- Hélène GAUDY

     

    N°431– Juin 2010

    SI RIEN NE BOUGE- Hélène GAUDY – Éditions La Brune.

     

    Une maison de vacances qui ne sert que quelques semaines par an, sur une île méditerranéenne avec pinède, piscine, la mer en contrebas, la maison des voisins... La même chose tous les ans depuis des années...

     

    Le père, Samuel et la mère Lise ont invité Sabine (16 ans) à tenir compagnie à leur fille unique Nina, (14 ans). Le lecteur se dit que jusque là, il n'y a rien de bien original pour une période de vacances, sauf que, rapidement, cette Sabine pose un problème. Les parents qui l'ont conviée à les accompagner se disent qu'ils ne savent rien de cette jeune fille dont le père est mort et dont la mère n'a pas vraiment donné l'impression de l'être lors d'une rencontre précédente. Son milieu social est différent du leur et cela se sent rapidement jusque dans les gestes les plus anodins du quotidien... Peu importe après tout, en vacances, les choses sont entre parenthèses, la vie est différente. Et puis il ne faut pas s'en faire et se poser des questions n'est pas vraiment de mise. C'est après tout un beau geste que fait cette famille aisée pour une adolescente moins favorisée...

     

    Nina a avec ses parents des relations ordinaires, une petite complicité avec son père et avec sa mère parfois quelques difficultés, bref une famille ordinaire qui vit en autarcie. L'amitié souhaitée entre Nina et Sabine n'est cependant pas au rendez-vous. Les deux jeunes filles sont trop différentes Nina, qui est «  un enfant de vieux », est plus jeune, réservée, timide et même craintive tandis que Sabine est plus fruste, rebelle, libérée, peut-être plus expérimentée et avertie, plus âgée, plus perfide, plus « femme » en un mot. Elle se révèle même dominatrice, initiatrice ... De plus, elle ne semble faire aucun effort pour remercier les parents de Nina de cet intermède estival, ce qui, bien entendu perturbe un peu cette famille conventionnelle... Ces deux adolescentes semblent vivre cette période chacune à son rythme, à sa manière, sans réelle complicité...

     

    Se succèdent des images de vacances adolescentes, le soleil, le farniente, un feu d'artifice et la rencontre de garçons. Toni forme avec Sabine un couple d'occasion et Alban, le fils des voisins retrouve Nina. On songe à des amourette de vacances, pourquoi pas? Le drame final, davantage suscité que décrit, ne me fait pas changer d'avis, l'ennui a beaucoup accompagné ma lecture. Le livre refermé, je suis assez circonspect!

     

    Je suis peut-être passé à côté de quelque chose mais je ne suis pas sûr de partager les termes un peu laudatifs que révèle la 4° de couverture. L'écriture, simple et sans artifice, un peu brute parfois, ne m'a pas convaincu. Ce roman reste une sorte d'énigme pour moi, tout comme le titre puisé dans les paroles d'une chanson «  Regarde las-bas, au bout de mon doigt, si rien ne bouge, le ciel devient rouge ».

     

    A la lecture de cette œuvre, je n'ai pas vraiment eu envie de poursuivre la découverte de cet auteur.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • COLONIE- Frédérique Clémençon

     

    COLONIE- Frédérique Clémençon – Les Éditions de Minuit.

     

    Léonce n'est plus ce petit garçon de huit ans, secret et craintif, qui a vu partir son père, cédant aux attraits de la vie coloniale, un jour d'hiver, Il s'imaginait y faire facilement fortune, sur les traces de Brazza ou de Stanley, c'est à tout le moins ce que lui avait promis Toinet, le notaire, comme il lui avait certifié qu'il reviendrait bientôt, fortune faite, évidemment puisqu'il ne pouvait en être autrement... Léonce vit maintenant, soixante ans après, avec sa vielle mère, dans cette grande maison triste coincée maintenant entre la rivière et la route nationale et les nouveaux lotissements... C'est mieux pour elle que la maison de retraite, autant dire le mouroir, mais quand même, cela aurait pu être autrement!

     

    Aux yeux de son père, l'enfant n'était pas autre chose qu'un petit être insignifiant, transparent, qui ne méritait même pas qu'on s'intéressât à lui qui serait donc mis en pension, pour l'endurcir et le préparer à la vie... Le père est donc parti, seul, abandonnant sa femme qu'il n'aimait pas vraiment, son poste de directeur à l'usine de son beau-père, ses beaux-parents qui avaient fait sa fortune et avec qui il vivait dans cette maison pourtant agréable et ce décor de province qu'il ne supportait plus... Il avait fait des promesse de réussite et renouvelait souvent par lettre son intention de les faire tous venir en Afrique, auprès de lui, mais...

     

    Léonce est vieux maintenant, mais il évoque la façon dont son père est arrivé, un peu par hasard dans cette maison, accompagné et invité par celui qui allait être son grand-père. Il se remémore la façon un peu cavalière et sans grande élégance, avec laquelle il s'est établi dans cette famille et en a séduit la fille. Ce mariage s'est donc fait, à cause de la promesse d'un enfant à naître, Léonce, mais il n'a jamais été heureux! Son père s'est révélé être une sorte d'écornifleur, mais aussi un ingrat, abandonnant tout ce petit monde pour entreprendre cette aventure africaine, parce que dans les années 192O il y avait ce rêve suscité par l'Empire français et les encouragements du notaire Toinet qui lui prêta aussi quelque argent. Mais cette escapade exotique a rapidement tourné au cauchemar et les rêves d'aventure et de réussite sociale de ce père se sont vite transformés en quotidien bureaucratique, pratiques douteuses et risques inconsidérés qui finirent par lui couter la vie. Pour Léonce et sa mère, ce fut aussi la ruine...

     

    C'est donc l'histoire d'une fuite, d'une recherche vaine de quelque chose d'inaccessible, faite de souvenirs tristes, dans un décor décrépis face à la réussite des autres... L'épilogue surprend un peu.

     

    J'ai lu ce roman jusqu'à la fin, un peu par goût, un peu par curiosité. Le style en est agréable mais Frédérique Clémençon fait des phrases un peu longues, ce qui ne favorise pas la lecture.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • GABRIEL GARCIA MÁRQUES - UNE VIE- Gérald Martin

     

    N°428– Mai 2010

    GABRIEL GARCĺA MÁRQUES – UNE VIE- Gérald Martin -Grasset.

     

    Cette chronique qui s'est si souvent fait l'écho des romans de García Márques ne pouvait rester muette à la sortie d'un livre sur sa biographie. C'est cependant un quasi-paradoxe d'écrire la biographie d'un auteur dont l'œuvre est toute entière inspirée par sa propre vie autant d'ailleurs que par la réalité qui l'entoure.

     

    Né en Colombie en 1927,(et non pas en 1917 comme on peut le lire dès la 1° ligne de l'avant-propos, mais cette coquille n'entache en rien le travail de cet universitaire britannique qui met en perspective la vie de l'auteur et son œuvre ), il est l'ainé de onze enfants et porte l'espoir de toute sa famille. Prix Nobel de littérature en 1982, homme de gauche engagé, volontiers défenseur des grandes causes, il est le plus connu, le plus populaire et le plus emblématique romancier du continent sud américain et chacun des grands de ce monde recherche son amitié. Sa généalogie labyrinthique, largement évoquée dans « Cent ans de solitude »(son livre le plus important) et dans toute son œuvre, irrigue son écriture tout comme son enfance dont gardera une durable nostalgie. Elle se déroule sur fond de guerre civile, de troubles sociaux, de corruption politique, de filiation illégitime, de bouleversements familiaux... Il sera fortement marqué par son grand-père maternel, le colonel Nicolas Ricardo Márques Mejila, sa grand-mère Tranquilina, ses parents, une mère effacée et un père volage et aventurier et son village d'enfance, Aracataca devenu Macondo ...

    Le petit Gabito entame un chemin difficile avec en contre-point la maladie, des études parfois laborieuses, ses premiers émois amoureux, une ascension sociale nécessaire, un éveil à l'étude de la littérature, la manifestation d'un talent précoce, des aventures sentimentales souvent épiques... Gabriel se révèle cependant angoissé, hypersensible, hypocondriaque, bref kafkaïen...

    Son père, avec qui il s'entendait assez mal, estimait que la littérature était une chose mineure, son fils fera donc du droit pour être avocat mais n'oubliera jamais son penchant pour l'écriture. Il poursuivra cependant ses études, mais avec une grande irrégularité et un grand amateurisme et l'assassinat de l'avocat libéral Gaitan sera pour lui révélateur. Il choisira de prendre ses distances avec le droit, et de gagner sa vie dans le journalisme. Il est à l'époque un garçon maigre timide et désargenté et affirme une vocation déjà connue d'écrivain mais aussi un engagement politique dans un contexte de luttes partisanes faites de violence et de corruption. Ses articles, notamment sur le glissement de terrain de Médellin et sur le naufrage d'un destroyer de la marine colombienne le mettent en position de délicatesse avec le pouvoir politique et c'est le départ pour l'Europe, vécu comme un exil volontaire et professionnel. A Rome, Paris, en Allemagne de l'Est, à Cuba, à New-York, à Mexico où il fut reporter et critique de film avec plus ou moins de bonheur, il connut des difficultés d'écriture mais surtout financières. Il devient « Gabo » et lui qui au départ ne gagnait pas sa vie même comme journaliste va crouler sous les honneurs et la reconnaissance, la fortune avec la consécration littéraire.

     

    Ses romans sont certes inspirés par sa vie, par son enfance, mais il mêle toujours à la fiction, l'histoire, les superstitions, les tabous et le folklore de son pays et de tout le continent sud-américain. Il ne manque jamais de dénoncer les inégalité sociales et de prendre parti pour les plus démunis ce qui fait de son œuvre non seulement un extraordinaire moment de lecture mais aussi le plaidoyer social d'un grand témoin de son temps. Son écriture flamboyante, son humour, son imagination débordante et cet extraordinaire talent de conteur et de narrateur révèlent l'âme de la Colombie. C'est véritablement son pays qui a fait de lui l'auteur que nous connaissons. Pourtant, il a fini par prendre ses distances avec lui!

    C'est donc un destin d'écrivain qui est présenté ici mais aussi l'illustration d'un paradoxe: comment concilier une vie littéraire, politique et personnelle avec tant de notoriété? C'est que, avec le temps, il s'est largement impliqué dans la politique, est devenu thuriféraire des gouvernants qui avaient sa sympathie, jusqu'à être sans doute dépassé par cet engagement. Mais cet homme au « réalisme magique » cache cependant un sentiment de solitude qui irriguera sans aucun doute son écriture, tout comme l'amour et le sexe d'ailleurs! A ce propos, malgré cette société dont il fait évidemment partie où les hommes ont volontiers des relations avec les prostituées ou des aventures avec des femmes mariées, il ne cessera, malgré sa vie privée mouvementée, de penser à Mercedes, pourtant plus jeune que lui, qu'il a demandée en mariage quand elle avait 9 ans, et qu'il épousera!

    Il est maintenant un vieil homme luttant contre la maladie qui devient de plus en plus amnésique, un paradoxe de plus pour un écrivain qui a fait de la mémoire le thème central de son œuvre. Même s'il attend la mort, se perd un peu dans son propre labyrinthe, il a déjà l'acquit l'immortalité.

     

    C'est, sous un titre sobre, un travail monumental, qui n'est cependant pas une hagiographie, et qui est présenté pédagogiquement sous une forme chronologique par son biographe « officiel ». C'est aussi une bonne idée d'avoir enrichi le livre de cartes de géographie, d'arbres généalogiques et de notes.

     

    Je ne peux que saluer la sortie de ce livre, fruit de dix-sept années de travail assidu et constant, une version cependant courte selon Martin (Ce livre comporte plus de 650 pages avec les notes alors que l'autre, « longue », sera publiée plus tard en compte 2000!), qui nous montre un être à plusieurs faces, à la fois narcissique et tourmenté, mystérieux et parfois empêtré dans ses contradictions, à l'occasion flagorneur et manipulateur, mais conscient de sa notoriété... L'auteur fait un analyse pertinente de l'œuvre de Márques et replace sa vie dans le contexte des événements politiques auxquels il n'est pas resté indifférent.

    Mais, prenons garde, Márques a avoué à son biographe, sans doute en guise d'avertissement, « Tout le monde a trois vies, une vie publique, une vie privée et une vie secrète! ». Cet ouvrage nous aide un peu à comprendre cette dernière!

     

    C'est en tout cas un hommage majeur à un homme et à un écrivain exceptionnel.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • L'AMOUR EST UN FLEUVE DE SIBÉRIE - Jean-Pierre Milovanoff

     

    N°427– Mai 2010

    L'AMOUR EST UN FLEUVE DE SIBÉRIE – Jean-Pierre Milovanoff -Grasset.

     

    Qu'est ce qui pose question à un homme, Silvio, qui est le fils d'une mère célibataire, dont «  le regard suggère l'étreinte et l'amour flou comme une absinthe », et qui n'a jamais connu son père? Le fait qu'elle ait tenu seule et pendant longtemps un café-hôtel au bord de la méditerranée et qu'elle ait été entourée d'hommes et de clients rajoute au mystère. Ce petit garçon féru de baby-foot et de blues a grandi, il est devenu le gardien du camping municipal et se souvient que, avant que l'hôtel ne soit démoli pour laisser la place à un port de plaisance, il était heureux avec cette femme comme on l'est, en principe, au cours de son enfance!

     

    Était-ce ce pauvre play-boy un peu camé de Johnnie Wood qui cachait son vrai nom français de Jonas Dubois sous des accoutrements ringards, des voitures excentriques, des airs de guitariste, un accent de l'Alabama, une voix de canard en caoutchouc? Un véritable mensonge, un minable chanteur, riche cependant, déguisé en mauvaise bête de scène... Il finit par disparaître en laissant au garçon un vélo moteur et le goût des disques de blues!

    Était-ce ce yachtman approximatif, taiseux, mystificateur, un peu pochard, un peu artiste aussi, qui attendait la marée et un gouvernail neuf pour appareiller mais pour qui la mer était toujours désespérément basse et la manœuvre remise à plus tard? Il finit par s'installer dans le lit et dans la vie de sa mère. Il n'était à l'origine qu'un skipper, convoyeur du bateau des autres, à l'occasion vantard animateur de croisières pour riches désœuvrés (« Un mensonge libre de droit n'est-il pas le plus court chemin vers la vérité?»),

    Et puis il y a ce Milianoff que ce garçon interpelle « On se connaît depuis longtemps, Vous fréquentiez le café-hôtel de la Bélugue. Ma mère vous réservait toujours sa meilleure chambre ». C'est peut-être lui aussi, cet improbable géniteur, ou un confident à qui cet ancien petit garçon confie cette impossible mission de recherche en paternité?

     

    En tout cas, c'est le début d'un retour vers le passé, mélancolique comme le blues qu'il affectionne et que le lecteur partage, pour cet homme qui rêve l'hiver entre les bungalows vides et la côte venteuse, à cette enfance évanouie, envolée. Il n'est qu'une ombre, qu'un quidam sans importance, mais il se perd dans ses souvenirs, ceux qu'on enjolive évidemment... Et puis il y a ce qui reste, peu de choses en réalité, pas mal de fantasmes, des occasions manquées, des regrets et des remords, des fausses vérités, tout cela tressé en phrases sobres, spontanées, simples... Elles évoquent la vie, la folie, le bonheur, la souffrance, les chagrins, l'amour, la mort, la futilité de l'existence... c'est à dire ce qui est le parcours de tout homme ici-bas, avec des moments plus ou moins forts cependant!

     

    Cette quête de filiation, c'est sans compter avec les coups de foudre, les rencontres amoureuses sans lendemain, l'envie soudaine de changer de vie pour une passade ou une passion, le hasard qui est souvent malicieux et parfois pernicieux, les occasions qu'il ne faut pas laisser passer... C'est faire abstraction de cette volonté de voir partout ce géniteur, de l'imaginer grand, beau, intelligent alors qu'il n'est peut-être que le premier venu, un simple amant de passage, vite envolé. C'est le refus de voir la réalité, le quotidien vide de sens et d'horizon, c'est délibérément prendre le parti de l'imagination qui barbouille tout de bleu, qui repeint le monde aux couleurs qu'on aurait soi-même choisies, c'est la volonté de croire à tout cela, même si on sait que ce n'est pas vrai!

     

    J'ai bien aimé les accents mélancoliques de ce texte au style fluide et parfois envoutant, agréablement poétique en tout cas. Je l'ai lu presque d'un trait, en goûtant toute l'émotion qui s'en dégage et qui ne peut pas ne pas captiver le lecteur attentif.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SANS ENTRAVES ET SANS TEMPS MORTS - Cécile Guilbert

     

    N°426– Mai 2010

    SANS ENTRAVES ET SANS TEMPS MORTS – Cécile Guilbert - Gallimard.

     

    Le titre est déjà tout un programme dans une société qui aspire à davantage de liberté, qui est possédée par la vitesse obligatoire d'exécution de tâches alors que l'espèce humaine est encline à la paresse, à la nonchalance...

     

    La 4° de couverture m'en dit un peu plus qui cherche à caractériser l'écrivain contemporain et qui propose comme définition «  un corps capable de se déplacer à travers le temps sur un maximum de théâtres d'opérations en trouvant partout matière à penser », autant dire quelqu'un à qui rien n'est étranger, qui promène sur le monde passé et présent un regard curieux et surtout critique, et il faut dire que notre pauvre monde se prête bien à cet exercice! Et des écrivains cités dans ce livre, il n'en manque pas!

    A première vue, c'est une sorte de mosaïque de 50 textes déjà parus dans diverses revues, embrassant l'avis de l'auteur(e) sur les époques, les genres, les cultures... et surtout la littérature. Tout cela est bel et bon, mais qu'y a t-il de commun entre une réflexion menée sur le luxe, les vêtements noirs [elle en profite pour nous confier son goût immodéré pour cette couleur appliquée au porte-jarretelles], son témoignage pour Jean-Luc Godard, l'urbanisation contemporaine, l'histoire du rock ou la cruauté de Johnathan Swift? Et de nous avertir «  contrairement au préjugé courant, les mots, servent pas à décrire la réalité, mais à créer du réel ». C'est une approche originale du phénomène de l'écriture et une piste finalement pas si inintéressante par laquelle on peut aborder la littérature.

     

    Auteur(e) de romans, elle ne pouvait pas ne pas consacrer une partie de sa réflexion au langage qui est notre commun moyen d'expression et surtout le matériau de prédilection des « gens de lettres ». Elle note que chacun possède ses mots ou plus exactement en fait un usage personnel, ce qui complique un peu les choses puisque, par définition, ils sont une convention. Elle croit bon de préciser également que « la plupart des livres actuels sont écrits comme on cause ... pour aboutir à une absence de pensée quasi aphasique», ce qui n'est pas faux. Et de fustiger, pour illustrer ce propos, Houllebecq et Beigbeder, ce qui n'est pas pour déplaire à l'auteur de cette chronique! Elle dénonce le roman actuel, pas vraiment romanesque, trop autobiographique, trop standard ou trop impersonnel, c'est selon. Elle pointe du doigt le mélange des genres, comme le passé s'oppose à l'avenir ou quelque chose comme cela. Elle défend aussi ceux qui font partie de sa bibliothèque personnelle, Artaud, Chamford, Rimbaud, Sade, Céline, les appellent en quelque sorte à la rescousse, et là c'est plutôt bien. Elle réhabilite aussi des écrivains oubliés, des icônes actuelles, ce qui n'est pas mal non plus.

     

    J'ai lu cet essai jusqu'au bout en appréciant peut-être davantage le ton que le style. Le livre est dense par la diversité des articles et des sujets traités. J'avoue bien volontiers que j'étais sceptique au départ puisque ma curiosité va plutôt vers la fiction. Le livre refermé, j'y vois un regard qui m'a paru pertinent, même si on peut toujours dire que la critique est facile. Elle a au moins le mérite d'être exprimée, de remettre en cause les choses les plus convenues et les plus consacrées par notre société prompte à la louange en faveur de ceux qu'elle a consacrés et ainsi d'ouvrir un débat. Je dois avouer que j'ai apprécié aussi l'érudition, le goût de la polémique, la sensualité et la liberté de parole qui justifie le titre, surtout si elle se fait libertaire et libertine, ce que je ne peux pas ne pas apprécier. C'est une invite à la lecture, à la fréquentation de notre belle langue française, et je ne pouvais pas en faire l'économie, d'autant qu'elle mène une large réflexion sur la littérature.

     

    Cette invitation à jouir, dont il est question sur la 4° de couverture me paraît, évidemment de bon aloi. On la peut résumer en quelques mots: beauté, luxe, liberté, volupté, amour, vie... et la liste n'est pas exhaustive, reste ouverte à toutes les déclinaisons, et là aussi, c'est sans entraves et sans temps morts!

     

    J'avoue que je ne connaissais pas Cécile Guilbert. Ce livre sera peut-être l'occasion de poursuivre cette découverte, quoique j'y préférerais sans doute son écriture romanesque, mais davantage pour faire « un petit bout de chemin » avec elle et apprécier, par la lecture, le plaisir évident qu'elle a d'écrire. Il est gourmand, jubilatoire...

    Je préfère toujours cette approche à celle que la « presse spécialisée », trop souvent laudative, conseille pour le seul motif qu'un jury littéraire aura consacré un de ses ouvrages.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • RAVEL - Jean ECHENOZ

     

    N°425– Mai 2010

    RAVEL – Jean ECHENOZ - Éditions de Minuit.

     

    D'emblée, l'auteur donne le ton de ce roman biographique consacré à Ravel: «  Il lui reste aujourd'hui, pile, dix ans à vivre ».

     

    Dans la première partie de cette œuvre, il nous le présente comme un obsédé vestimentaire, insomniaque, impénitent fumeur de gauloises malgré une tuberculose oubliée, un artiste qui habitue son entourage à ses caprices de star et ses sautes d'humeur, un égocentrique, plus préoccupé par sa personne et par le luxe que par sa musique, distrait, oublieux des convenances mondaines. Pourtant, il n'aime rien tant que de parler d'autre chose que de partitions et de composition, apprécie les manifestions populaires, surtout quand elles se déroulent dans son pays basque natal ou en Espagne. Il part pour les États-Unis en transatlantique pour ce qui sera une tournée triomphale... Nous sommes en décembre 1927, il a 52 ans.

     

    Echenoz nous le présente au quotidien, sur le bateau sur lequel il travers l'Atlantique, dans les trains qui lui font sillonner l'Amérique, dans sa grande maison bizarre, « drôlement foutue, structurée comme un quartier de Brie », entouré d'amis, de cigarettes, d'alcool. Il y a son « Boléro » qui a tant fait pour sa notoriété, toutes ces orchestrations prévues et abandonnées parfois sans raison, sa rencontre et ses relations un peu houleuses avec le pianiste manchot Paul Wittgenstein d'où naitra « Le concerto pour la main gauche », ses nombreuses tournées internationales. Auparavant, l'auteur a évoqué la participation de Ravel à la Grande Guerre ... Mais surtout il semble s'ennuyer, témoigner de l'indifférence autant à ceux qui le critiquent qu'à ceux qui applaudissent à ses succès et se pressent aux manifestations organisées en son honneur. Peu à peu il devient irascible...

     

    Pour ce qui me concerne, seule la deuxième partie m'a ému, peut-être parce que c'est la chronique d'une fin annoncée et que la maladie neurologique dont il souffre et qui va petit à petit lui faire perdre le sens des choses les plus quotidiennes, est pathétique. Non seulement la mémoire lui fait défaut, mais il ne souvient même plus qui il est, se révèle incapable d'écrire, de travailler... Cela ne diffère cependant pas de celle des autres hommes atteints comme lui d'un telle dégénérescence. Le spectacle de la déchéance est toujours dramatique

     

    Avec une une foule de détails sur sa vie, sur son quotidien, Echenoz nous montre un Ravel secret, angoissé et sans fard, à cent lieues de ce qu'on peut imaginer. On pourra toujours dire que nous avons affaire à un névrosé, un malade du détail, il nous est dépeint dans son intimité : c'est presque un homme ordinaire, peut-être, et c'est sans doute étonnant, parce qu'il est aussi question de sa solitude. Il semble préférer les brèves rencontres et la fréquentation des bordels. Pourquoi pas après tout! Quant à l'amour qu'il semble n'avoir jamais trouvé, il juge que « ce sentiment ne s'élève jamais au-delà du licencieux » et tous les efforts de son entourage pour le marier resteront vains. Pourtant, il a des femmes autour de lui, mais ce sont des admiratrices avec qui il n'a pas d'intimité. Peut-être n'a-t-il pas trouvé de femmes à sa mesure, peut-être lui font-elles peur ou ne l'aiment-elles pas comme il le voudrait? C'est bien cela que je retendrai volontiers, malgré ses proches qui font montre d'une infinie patience, malgré son public qui lui témoigne sans cesse de l'admiration et de l'attachement, malgré les foules qui l'acclament... N'est-il pas un célèbre musicien? C'est quand même un homme seul face à la vie comme il le sera, comme chacun de nous, face à la mort.

     

    Echenoz nous livre ici un travail d'archiviste, collationnant les témoignages de ses intimes ou imaginant (un peu peut-être?) ce qu'à pu être sa vie au jour le jour et jusqu'à la fin. A mon sens, il le fait dans un style neutre, comme quelqu'un qui raconte simplement une histoire. Je n'ai pas retrouvé ici le ton que j'ai parfois apprécié dans ses autres romans et je le regrette. Si ce livre ne m'avait apporté une foule de détails sur la fin de vie de Ravel, je m'y serais presque ennuyé et cela me paraît indigne de quelqu'un qui a obtenu un prix prestigieux!

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • LE MAÎTRE DE LA-TOUR-DU-PIN - Jan Laurens Siesling

     

    N°424– Mai 2010

    LE MAÎTRE DE LA-TOUR-DU-PIN – Jan Laurens Siesling - Éditions « Le temps qu'il fait. »

     

    Cette histoire, celle de la vie d'un peintre anonyme, a quelque chose de captivant peut-être justement parce que son nom n'est pas resté attaché au triptyque qu'il a réalisé lors de son passage dans cette ville. D'après lui, il a tout fait pour rester inconnu, ne laissant pour trace que cette œuvre, et c'est sans doute pour cela qu'il a attiré mon attention. Il n'a pas signé mais a seulement prêté ses traits, selon l'auteur, à un personnage secondaire, voire surnuméraire du tableau.

     

    Au début du XVI°siècle, un peintre, accompagnée de sa chère Madeleine, de retour d'Italie, tombe gravement malade à La Tour du Pin où il est soigné par les religieuses de l'Hôtel-Dieu. Il lie connaissance avec l'abbesse, à qui il trouve quelque charme, qui lui commande un triptyque pour la salle des malades. Cependant, lui qui ne jure que par la Saint Suaire, devra exécuter un travail avec pour thème la piété de Notre-Dame et la crucifixion. En reconnaissance des soins apportés par les nonnes, il accepte de réaliser ce travail, d'autant plus volontiers que l'évêque de Vienne donne son accord tout en lui demandant de rédiger un texte retraçant son expérience dans le domaine de la peinture. Ce sera donc pour lui l'occasion de remonter le temps, de faire revivre son enfance dans le Brabant où il entre en apprentissage chez le maître de Kalkar où il découvre l'œuvre de Hubert de Eyck. Puis, après la mort de son père, c'est le départ et la rencontre à Alkmaar avec des peintres de renom. Puis ce sera Bruges, Gand, la découverte des peintres qui ont fait la renommée de cette école. Grâce à ses voyages, il fait le point sur ses connaissances (« la manière flamande n'est qu'une manière parmi d'autres »), les remet peu ou prou en question mais est reçu maître, à son tour, à Alkmaar. Puis, c'est à nouveau le départ pour Anvers, puis Aix La Chapelle, Cologne... et l'Italie, berceau de tous les arts. Il y améliorera son style au contact des maîtres transalpins.

     

    Pour autant, ce travail d'écriture, en marge de de celui de peintre, devra, à la demande même du prélat, être en accord avec la morale chrétienne, ce qui est peut-être un peu frustrant, mais qu'importe. Seul son triptyque compte et il le réalisera, à la fin à ses propres frais, autant en remerciement de sa guérison qu'en l'honneur de cet abbesse un peu énigmatique. C'est une manière aussi d'accompagner dans la mort sa chère compagne autant que pour soulager les souffrances des malades accueillis dans cet établissement.

     

    C'est là un ouvrage attachant écrit en français par cet auteur néerlandais, dans une langue dépouillée et agréable à lire, un livre bien documenté, agréablement érudit. L'auteur fait ici honneur à sa formation d'historien de l'art, de critique aussi. Dans cette biographie imaginaire mais parfaitement crédible, l'auteur s'identifie à cet inconnu, endosse la personnalité de cet artiste, nous fait partager ses remarques sur les femmes, sur la mort, ses révoltes, ses rêves, ses états d'âme.

    Il plonge son lecteur dans l'atmosphère de ce siècle renaissant, baigné de religiosité un peu naïve mais surtout dans une expérience humaine unique, celle de laisser une œuvre d'art après soi, tout en étant suffisamment humble pour ne pas la signer et même pour en assumer les frais.

     

    C'est à la fois un bon moment de lecture autant que l'évocation d'une époque et de son empreinte artistique.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
















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  • LA VAGUE - Todd STRASSER - Éditions Jean-Claude Gawsewitch.

     

    N°423– Mai 2010

    LA VAGUE – Todd STRASSER - Éditions Jean-Claude Gawsewitch.

     

    C'est un récit assez déconcertant, encore que, inspiré par une histoire qui s'est réellement déroulée dans un lycée américain dans les années 70. Imaginez un professeur d'histoire qui, pour faire comprendre à ses élèves idéologie nazie et leur faire toucher du doigt l'horreur de ses crimes, leur passe un film sur les camps d'extermination. C'est pour eux une révélation en même temps qu'une occasion de poser des questions sur la réalité de ces faits mais aussi sur la raison de la passivité de la population allemande, de son hypocrisie, l'inertie des juifs face à la mort. Çà, c'est pour le programme scolaire.

     

    Dans le même temps, il se heurte, en tant qu'enseignant, aux difficultés liées à l'indiscipline, à l'absentéisme, au manque de sérieux des élèves qui règne dans sa classe quand ce n'est pas également dans les activités extra scolaires. Mis à part les rares bons élèves, l'atmosphère de son cours se résume à une sorte de léthargie. Il s'aperçoit en outre qu'il n'est pas vraiment capable de répondre à toutes les questions des élèves d'une manière satisfaisante. Pour remédier à cet état de chose quelque peu délétère autant que dans un but pédagogique, il prend l'initiative, s'inspirant de la doctrine nazie, d'inscrire au tableau « La force par la discipline », et d'expliquer que la discipline entraine la réussite, le pouvoir... Lui, qui d'ordinaire avait beaucoup de peine à capter leur attention, fut étonné du résultat. Cela au début pouvait passer pour un nouveau jeu mais les potaches, ordinairement peu passionnés par ses cours et un tantinet indisciplinés, se changèrent en soldats obéissants, respectueux de leur professeur, et arborant une tenue correcte!

     

    Et le professeur de constater «  On aurait dit qu'ils n'attendaient que cela depuis toujours ». Puis, il affina la notion parlant de « communauté », de l'esprit d'équipe qui devait prendre la pas sur l'individualisme... Puis, pour que les choses soient plus parlantes, il fait adopter un symbole, « la vague », qu'il compléta par un salut, un slogan, des meetings, le culte du chef, le tout dans un contexte de discipline librement acceptée et même réclamée! L'instinct grégaire gagna petit à petit chaque élève et, presque naturellement on finit par encourager la délation, l'autorégulation du groupe en vue de l'action, l'informatisation, le prosélytisme, l'obsession de l'ordre et du résultat, l'esprit de compétition autant que l'absence d'esprit critique, l'endoctrinement systématique... L'illustration se fait plus précise quand un élève juif est agressé par un membre du groupe. Mais ce message ne passe pas auprès de tous cependant. Une réaction s'organise, ce qui est rassurant. L'épilogue l'est également.

     

    Cette expérience fait évidemment débat. Doit-on voir dans ce qui n'était à l'origine qu'un jeu ou l'illustration du cours, un mode d'éducation dont l'histoire nous a enseigné les conséquences et les méfaits, une manipulation, un réel besoin de transformation, une contagion, une expérience qui tourne rapidement au drame et menace de déborder tout le monde, une propagation de la peur et de la passivité du groupe devant la force, l'attitude du professeur, partagé entre la griserie du pouvoir et la peur d'être dépassé par le phénomène?

     

    Cela a beau s'appuyer sur des faits réels, j'avoue bien volontiers que j'ai été, au début, partagé entre la peur et le scepticisme. On a beau se dire que tout cela ne peut pas se reproduire, il ne faut pas perdre de vue ce qu'est la condition humaine, avec ses grandeurs mais aussi ses turpitudes, sa volonté de domination autant que celle de se réfugier sous la houlette d'un chef providentiel qui dictera sa loi, la tentation du totalitarisme...

     

    J'ai lu jusqu'à la fin ce récit en me demandant la part de fiction et de réalité. Ce n'est pourtant pas un chef-d'œuvre d'écriture. Le texte adopte le ton d'un témoignage sec, au phrasé simple et direct, ce qui permet un abord facile. Il a cependant eu un réel succès en Allemagne ainsi que le film qui en a été tiré (Réalisé par Denis Gensel – sorti en 2008).

     

    Il y a quand même quelque chose d'effrayant dans ce témoignage.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • JE M'ATTACHE TRÈS FACILEMENT - Hervé LE TELLIER

     

    N°421– Avril 2010

    JE M'ATTACHE TRÈS FACILEMENT – Hervé LE TELLIER - Éditions Mille et une nuits.

     

    Avant de commencer un roman, je lis toujours l'exergue qui en fait partie. Ici, j'apprends que l'ouvrage emprunte son titre à une citation de Romain Gary. L'intérêt que je porte depuis longtemps à cet auteur m'incite à ouvrir le livre avec confiance. Et puis, cette expression me ressemble tellement que c'est sans doute bon signe. Moi aussi, je m'attache très facilement, mais laissons cela!

     

    L'histoire qu'il faut bien raconter, est banale si tant est qu'une histoire d'amour puisse l'être. Nous savons tous qu'elle est au contraire unique. L'homme, c'est « notre héros » et la femme « notre héroïne », cela me paraît un peu désincarné, j'aurais sans doute préféré des êtres nominatifs, mais laissons cela! Il a la cinquantaine, c'est donc « un homme mûr »(j'apprécie l'euphémisme qui cache un début de vieillesse avec ses rides, ses bourrelets et sa calvitie) qui pense encore qu'il est capable de séduction... et elle a vingt ans de moins que lui. « Notre héroïne » est donc jolie, elle est «  grande, élancée, possède de charmants petits seins ». Je n'aurais jamais imaginé qu'une telle maîtresse fût laide et repoussante. Bien sûr, « notre héros » en est follement amoureux. Comment pourrait-il en être autrement? On n'est cependant pas très sûr que la réciproque soit encore vraie, même si le plaisir est encore au rendez-vous de leurs étreintes. Mais laissons cela!

     

    Notre homme a décidé de rejoindre cette femme en Écosse où elle est partie voir sa mère, mais sans pour autant y avoir été invité. Le rendez-vous de ce qui ressemble de plus en plus à une rupture, est fixé à l'embranchement de deux routes. C'est un symbole évident, mais laissons cela! Pourtant notre héros n'abandonne rien au hasard, il téléphone, prend l'avion, réserve pour lui seul une chambre d'hôtel, loue une automobile. C'est là que le lecteur, que le narrateur prend constamment à témoin, se rend compte que le titre est un jeu de mots, puisqu'il apprend que « notre héroïne » ne s'attache pas facilement, comprenez qu'elle ne boucle pas automatiquement sa ceinture de sécurité en voiture. Là aussi la polysémie est soit bienvenue, soit facile, c'est selon.

    Ce même lecteur comprend aussi très facilement que la tendresse ne fait plus partie du jeu et que l'espoir, pour lui, n'est plus permis puisque la décision de « notre héroïne » est apparemment sans appel, à cause sans doute de la lassitude, de l'usure des choses, d'une autre passade ou d'une autre passion. Mais laissons cela! Puis c'est le retour à Paris, non sans avoir fait un détour par le beau visage d'une autre femme plus jeune, mais tout aussi inaccessible pour « notre héros », la solitude qui revient et avec elle la vieillesse qui se fait plus pesante. Même s'il veut se jouer la comédie de la jeunesse et de l'avenir, il repense à Romain Gary.

     

    C'est donc une histoire comme tant d'autres, une page qui se tourne, une tentative de

    ravaudage sentimental et... un désastre annoncé!

     

    Je suis pourtant volontiers attentif aux manifestations de l'Oulipo dont l'auteur fait partie mais j'ai très modérément aimé le style haché de cette histoire pourtant courte.

     

    J'ai quand même préféré « assez parlé d'amour »du même auteur.[La Feuille Volante n°419]

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE CAHIER DE CAMILLE - Jean-François POCENTEK

     

     

    N°420– Avril 2010

    LE CAHIER DE CAMILLE – Jean-François POCENTEK – Plein Chant.

     

    Décidément, j'aime bien cette écriture, je la trouve poétique, mais pas seulement. Elle est évocatrice de ce paysage un peu désolé des terrils et des personnages «Ces hommes aux poumons mangés (qui) toussaient et crachaient la haine de leur ouvrage passé ...qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur coron »...

    Camille, 70 ans, attend la mort, boit de la bière et ouvre son cahier pour cet anniversaire. Il y décrit sa maison, prise dans la courbe d'une rivière tout près de la Belgique, pleine d'humidité et d'araignées et habitée par ses parents, son père, mineur, « (qui) n'était pas fier de son métier mais ne savait faire que cela ». Par tradition parce que ici, comme ailleurs aussi sans doute, on apprend le métier de son père sans se poser de question, il était destiné à la mine. Sa mère refusait pour son fils cette chose inévitable, mais la Compagnie a eu le dessus parce qu'elle seule commande et donne à chacun « le logement, le travail, les sous et les soins ». C'était sans doute dans l'ordre des choses.

    Avant, il y a eu l'école, c'était bien l'école, avec la récréation, les plumes Sergent-Major, les ardoises et l'encre violette « comme une aurore trop rare ou un crépuscule oublié », les livres couverts...

    Ce cahier, c'est pour parler de la mine (« mais un cahier ce n'est pas si vaste »), pourtant c'est toute une vie rythmée par le travail , les grèves, un long chemin de 43 ans de noir, de chaud, d'humidité, de honte et d'humiliations aussi parce que le monde du travail est sans pitié, 43 ans pour atteindre la retraite!

    Voilà, à 55 ans c'est la liberté, et avec elle celle d'écrire ses souvenirs, de marcher qui est un luxe quand, toute sa vie, on a rampé dans des boyaux de mine étroits où le « dos tente de soulever les mille mètres de croute terrestre qui le tiennent prisonnier des sous à gagner », luxe de respirer, d'exister, de profiter de cette « matutinale liberté d'homme maintenant de terre et de campagne, je pisse n'importe où avec l'innocence du pur ».

    Mais la mine se rappelle à son mauvais souvenir « Elle est là encore, cette putain de mine, elle est là dans mes poumons et ... je crache de la boue, je crache mon gavage de poussière et ... ça brille comme un diamant noir ou parfois des rubis fulgurants ». Il est urgent de porter témoignage et de noircir ce cahier de souvenirs, des siens comme de ceux des autres, comme le charbon a noirci sa vie « Je marchais à nouveau, là sur le quadrillage bleu léger que m'offrait chaque page. Des carreaux pour le bonheur, d'autres pour le malheur, une mosaïque d'amour, de mort et d'indifférence ». Mais le vrai témoignage, c'est celui de sa propre vie qu'il confie à la page blanche « Ce soir je me mets au centre de la page, je me glisse entre les petits carreaux, je me cache derrière la ficelle blanche qui empêche ma vie de s'éparpiller ». Pourtant, cette nouvelle vie, celle de la retraite, celle de la liberté, cette dernière longueur, il la parcourra seul, comme il a vécu sa vie entière et son enfance quand sa seule distraction était « d'aller au bout du jardin » qui « était la limite, la fenêtre de notre monde ». A 70 ans, Camille, par amour des chiffres ronds, décide de mettre un terme à cette équipée du souvenir, pour ne pas aller à l'hôpital qui réclame sa charretée de morts qui ont momentanément échappé à la mine. Alors, une dernière fois, une dernière bière, un dernier morceau de lapin, un dernier café et, s'étant apprêté comme quelqu'un qui « a traversé la vie en ayant peur de déranger », il écrit l'épilogue sur ce dernier cahier qui succède à tant d'autres , usés et flétris, parce que celle qu'il attend, qu'il a toujours attendue n'est pas là. Il va tracer les derniers mots qui feront escorte à une vie banale qui maintenant s'en va « Moi qui ai tant aimé écrire, je dis à mon cahier que je ne peux emporter. La fin de l'histoire y est écrite ».

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ASSEZ PARLÉ D'AMOUR - Hervé Le Tellier

     

    L A F E U I L L E V O L A N T E

    La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,

    elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

    N°375– Octobre 2009

    ELDORADO – Laurent GAUDE- Actes Sud.

    Ce sont deux portraits croisés que nous livre l'auteur.

    L'un, Soleiman, un Soudanais, va faire jusqu'aux barbelés de Ceuta, un chemin cahoteux vers l' Europe, son Eldorado, un monde qui, pourtant, ne veut pas de lui. Comme ses compagnons d'infortune, il porte le devenir de toute une famille et espère trouver là-bas du travail mais, il le sait, tous ne parviendront pas au bout de ce chemin. Il est comme les autres clandestins la proie de passeurs sans scrupule et de tous ceux qui font commerce de leur espoir, et lui qui était digne et fier au départ va se découvrir, tout au long de ce voyage, solitaire, égoïste, voleur... Sa vie et son projet en dépendent et son aventure est celle du chacun pour soi nonobstant la présence de Boubakar. Il ira pourtant jusqu'au bout de ce rêve.

    L'autre, celui du commandant Salvador Piracci qui protège depuis 20 ans les frontières de l'Europe sur les côtes de Sicile à la barre de sa frégate[« Vous êtes là pour garder les portes de la citadelle, vous êtes la muraille de l'Europe » lui a -t-on dit]. Son rôle consiste à repousser le flot toujours plus grand des candidats à l'exil qui viennent chercher en occident une autre vie, mais aussi à sauver de la mort ces malheureux abandonnés en pleine mer, sur des embarcations de fortune. Quand ils les aura ramenés à terre et remis aux autorités, ils seront renvoyés dans leur pays d'origine et la ronde recommencera. Nous avons tous dans un coin de notre mémoire leur image qu'un journal télévisé nous a, au moins une fois, donné à voir...

    Ce métier ne lui plaît guère mais, jusque là, il s'en est accommodé même s'il croisait, sans vouloir rien faire pour eux, le regard désespéré de ces hommes. Il décide pourtant de réagir à la suite de sa rencontre avec une femme rescapée d'une cruelle traversée et dont l'histoire l'émeut. Il va donc assumer ses contradictions et pour cela il quitte tout, au point de n'être plus personne, de n'avoir même plus d'identité et fait le chemin inverse de celui de Soleiman qu'il ne connaît pas, à la recherche, lui aussi, d'une autre forme d'Eldorado. Il endossera en quelque sorte le destin de ceux qu'il pourchassait!

    Lui aussi connaîtra des épreuves dans cette improbable quête et la fable, parce que c'en est une, réunira à la fin, ces deux hommes, sous l'égide de Massambalo, le dieu des émigrés et d'un collier de perles vertes, comme un talisman, comme un témoin que l'un passe à l'autre sans presque le toucher. Au bout du compte chacun trouvera ce qu'il cherche.

    C'est donc une histoire très actuelle que nous conte l'auteur dans un style agréable et fluide. Le livre refermé, j'ai pourtant un sentiment bizarre, quelque chose comme une sorte de malaise, de tristesse parce que les grandes et généreuses idées cèdent le pas devant les réalités [ On se souvient de Michel Rocard, alors Premier ministre, déclarant à la tribune de l'assemblée Nationale que la France ne pouvait prendre toute la misère du monde], mais aussi d'incrédulité au regard de l'attitude de Piracci et du dénuement qu'il a choisi. C'est une histoire qui emprunte à l'actualité son scénario, le commandant est certes seul au monde et sa liberté est entière, mais je ne suis pas sûr de la réponse qu'il apporte soit appropriée. Il me paraît que c'est plutôt une fuite, un aveu d'impuissance, quelque chose de peu constructif en tout cas!

    Soleiman est allé jusqu'au bout de son rêve, mais il me paraît que Piracci n'est pas parvenu au bout de sa révolte et le hasard a mis fin à une quête qui aurait pu avoir un épilogue différent! Au cours de cette histoire, tous les deux se sont découverts différents de ce qu'ils croyaient être et leur rencontre est véritablement improbable.

    Devant le problème éternel des pays riches qui, malgré les discours politiques officiels, se protègent des pays pauvres l'hypocrisie reste la réponse constante. Si Soleiman aura à coup sûr des imitateurs, je ne suis pas sûr que Piracci fasse des émules.

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com









    N°419– Avril 2010

    ASSEZ PARLÉ D'AMOUR – Hervé Le Tellier – Jean Claude LATTÈS.

    Ce titre était un peu engageant, après tout, les romans sont pleins d'histoires d'amour mais c'est aussi la dernière phrase du dernier chapitre qui revient ainsi comme un leitmotiv. Pourtant, le livre refermé, il apparaît que c'est une sorte d'antiphrase ironique puisqu'on pouvait penser qu'il n'y serait pas question d'amour, alors que, au contraire, c'est le thème unique de cet ouvrage où il n'est question que de cela! En réalité on se trompe, on se ment, on se quitte, on se croise et on tisse beaucoup d'histoires d'amour dans ce roman.

    Ce qui frappe d'abord c'est le temps bref (trois mois d'un automne plutôt chaud)pendant lequel se déroule ce récit. Le panel des personnages va de l'écrivain, à l'avocate célèbre, de l'analyste au scientifique connus... bref des intellectuels, mais aussi des notables parisiens, à l'abri des soucis d'argent, satisfaits d'eux-mêmes, comme il se doit. C'est surtout deux destins de femmes mariées, Anna et Louise, la quarantaine, mères de famille et heureuses. Elles se ressemblent sans se connaître et vont vivre deux amours semblables. Anna, pédopsychiatre mariée à un chirurgien,Stan, va croiser la route de Yves, l'écrivain et Louise, l'avocate, mariée à un scientifique, Romain, celle de Thomas qui est aussi l'analyste d'Anna. Thomas deviendra l'amant de Louise et Yves celui d'Anna. Ces deux passions adultères se recoupent donc avec pour toile de fond les maris auxquels elles n'ont pourtant rien à reprocher, qui sont amoureux d'elles et qui les protègent. Ils sont sans doute seulement les victimes de cette usure des choses, de cette envie d'ailleurs de leur épouse mais assurément ne méritaient pas cette épreuve... Quand ils finiront par comprendre ils en seront malheureux et peut-être aussi honteux [« Bien, dit Romain, pour résumer, je suis marié, nous avons des enfants, ma femme a rencontré un autre homme... Je suis très malheureux ». « Stan s'engloutit dans ce lent tourbillon qui le ramène soudain vers Anna, vers la pensée noire du corps nu d'Anna sous celui d'un autre, et l'image qui surgit le broie »].

    Pourtant elles se demandent si cet amant qui débarque dans leur quotidien et le bouleverse pourra être le nouvel homme de leur vie, avec toute la remise en cause que cela entraîne inévitablement. Ce sont, bien sûr des  liaisons potentiellement dangereuses puisqu'elles bousculent les certitudes établies, l'ordre des choses et ne laissent pas place, en apparence, à cette culpabilité judéo-chrétienne qui nous entoure. Tout cela est un peu compliqué d'autant que dans cette affaire il ne faut pas oublier les enfants. Ils ont toute leur place dans ce récit, même s'ils restent un peu en retrait. Le Tellier ne leur donne la parole qu'à la fin, notamment avec la métaphore d'Alice [« Oui, songe Anna, le Chat a raison, quand on ne sait pas où aller, le chemin n'a pas d'importance »].

    Louise et Anna, comme Thomas et Yves se croisent,(sans oublier les rencontres inévitable entre les amants et les maris cocus) Ce n'est peut-être pas si artificiel que cela et cela caractérise les personnages, pas si fictifs cependant. J'ai toujours plaisir à voir comment ils réagissent par rapport à l'auteur, j'aime imaginer l'usage qu'ils font de leur liberté... Yves, l'écrivain est un peu le double de Le Tellier et réagit probablement comme un auteur, surtout quand il écrit, pour les 40 ans d'Anna, un livre qui sera comme un cadeau et dont il sera évidemment question d'amour. Ce « livre dans le livre », c'est plus qu'une manière de mise en abyme, c'est une véritable trouvaille pleine d'émotions, de souvenirs.

    L'auteur s'interroge et interpelle son lecteur: A un âge où la vie semble définitivement tracée, où les choses sont établies, l'amour peut-il venir frapper, même sous la forme du « coup de foudre »qui autorise les folies, les espoirs, les remises en question, parce que le corps change, que le temps a passé et qu'on ne le rattrape pas, qu'on croit s'être trompé dans son choix d'avant, et que, pour cela on est capable de tout briser et de tout recommencer, malgré les convenances sociales, la honte, la culpabilité, les enfants qui nous jugeront plus tard... Avec aussi la certitude que l'être qui vous a préféré à un autre peut parfaitement remettre en cause, avec le temps, le choix qu'il a fait de vous!

    Il est aussi question de judéité dans ce récit mais aussi de dominos abkhases( et ce n'est pas un hasard tant les règles en sont compliquées mais Anna suggérera à Yves de substituer le titre initial prévu pour son livre « Tu parles d'amour dans ton livre...Alors met simplement « amour »), d'interrogations sur le langage, de la cryptobiose des tartigrades, des iguanes marins des Galapagos, de jalousie, d'hommage (celui que l'auteur rend à l'écrivain Edouard Levé qui s'est tué), de mort et de chagrin et de deuil.

    C'est vrai que c'est bien écrit, le style est fluide et agréable, avec un jeu sur les mots, où l'auteur joue sur l'ambiguïté du langage, les quiproquos, les lapsus(« fais-le pas » et « fais le pas »), parle, dans son roman, constamment d'amour,«  cette chose qu'on donne sans la posséder », une occasion unique pour Le Tellier, qui, un peu comme au théâtre, fait apparaître les personnage deux par deux, pour que, alternativement, ils se donnent la réplique. Leur rencontre a toujours quelque chose d'intime. Le contexte oulipien caractéristique ajoute de l'intérêt à tout cela !

    Une autre problématique se pose à l'auteur, celle de rencontrer son public. Avec ce roman, Il est permis de penser que oui!

    Je continuerai à suivre la démarche littéraire de cet auteur, son analyse de ces « vertiges de l'amour » m'a bien plu.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • CONTES FAROUCHES - Neel DOFF

     

    N°418– Avril 2010

    CONTES FAROUCHES – Neel DOFF[1858- 1942]– Plein Chant.

     

    Ils sont bien nommés, ces « contes farouches », sauvages, barbares, violents, cruels, implacables, timides aussi. Ils incarnent la misère qu'a connue l'auteure surtout au cours de son enfance et elle tenta probablement de l' exorciser ainsi, par lécriture. Au cours de longues nouvelles, au début, c'est le quotidien du XIX° siècle en pays flamand qu'elle fait revivre pour son lecteur. Mais elle choisit un sous-prolétariat caractéristique.

     

    Les hommes y sont présentés comme des êtres vulgaires et violents, les garçons comme maladroits, timides ou malchanceux, les femmes sont souvent des victimes, vouées aux maternités répétées, à la domesticité ou à la prostitution et l'âpreté de la vie sert toujours de décor.

    Ce ne sont que des nouvelles, c'est à dire des œuvres de fiction, mais il est difficile de ne pas y voir une touche auto-biographique. Comme la narratrice du « Grelotteux », elle appartient à une famille de neuf enfants dont les parents sont présentés comme de braves gens irresponsables, aime lire et fait acte de révolte contre le sens des choses qui gouvernent sa vie. Comme elle, elle baigne dans une extrême pauvreté dans le froid et la faim et suit ses parents dans leurs déplacements successifs de la Hollande à la Belgique, pour échapper à la misère. Elle parle de la prison qu'a connu un de ses frères, de la maladie et de la mort. Après de petits emplois de domestiques, elle finit par poser pour un peintre qu'elle impressionne par son intelligence sa culture et son jugement, ce qui tranche avec ses origines modestes. Elle servira de modèle à d'autres artistes ce qui assurera en quelque sorte sa promotion sociale et lui permettra d'échapper à sa condition.

     

    Plus tard, elle se fixe dans la région de Bruxelles et, n'oubliant rien de son passé, choisit de défendre les ouvriers et les plus pauvres en s'engageant dans l'action politique et le socialisme. C'est dans ce contexte qu'elle rencontre son premier mari qui était journaliste puis, une fois veuve, le second qui était avocat. Elle se fixe ensuite à Anvers et commence à écrire, en français, langue portant apprise tardivement, un premier livre largement autobiographique « Jour de famine et de détresse » où elle raconte la triste histoire de Keetje, fillette pauvre qui doit se prostituer pour nourrir ses frères et sœurs. [Il semble cependant qu'elle prétendra ne pas être passée, elle-même, par cet état de prostitution, mais après tout peu nous importe] . D'autres suivront, toujours inspirés par des faits réels et peuplés de personnages qu'elle a effectivement rencontrés.

     

    Sa langue et son style sont d'une grande limpidité, d'une lucidité étonnante. Elle emploie un vocabulaire précis mais non précieux et surtout sans aucune prétention intellectuelle. Son témoignage qui fait montre d'un grand réalisme et d'une particulière authenticité est bouleversant et l'a parfois fait comparée à Émile Zola. Son personnage et son œuvre ont fait l'objet de nombreuses études.

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ASSISE DEVANT LA MER - Pierre Silvain - Éditions Verdier.

     

     

    N°416 – Avril 2010

    ASSISE DEVANT LA MER - Pierre Silvain – Éditions Verdier.

     

    Gaston Bachelard écrit quelque part que l'enfance subsiste en nous toute la vie.

     

    Ce récit est celui d'un homme qui évoque cette enfance marocaine à travers le figure de sa mère et de l'amour exclusif qu'il lui porte, avec, en contre-point, la silhouette du père qu'elle rejoint sur cette terre africaine où ils vont s'établir. Il la revoit assise sur une plage, apparemment oublieuse de l'enfant qui l'accompagne, il se remémore l'image du père, mais seulement à travers ses silences, ses absences et ses étreintes d'époux. Il incarne le travail de la terre, il est « ce revenant de l'aube qui, environné d'un silence de tombe à peine froissé, n'est déjà plus là », autant dire un fantôme qu'accompagne cependant le visage tourmenté de Samuel Beckett auquel son fils l'identifie. Il choisit de se souvenir de lui à travers des épisodes de sa vie, sa guerre dans le Rif, son mariage à trente ans, sa nouvelle vie dans une ferme d'Afrique du Nord, de l'histoire et de l'amour de ce pays, de la ferme isolée devenue dangereuse, des attentats aveugles, de la terre que l'on fuit à cause de l'indépendance, pour rester en vie et des tombes qu'on abandonne, la mort du père devenu désœuvré et le veuvage de la mère. Il parlera aussi de la grande guerre, mais c'est comme si l'histoire du monde autour de lui ne comptait pas au regard de la sienne. Parce que c'est elle, Angèle, qu'il revoit, petite fille dans un village du Limousin. Il ne voit qu'elle, à la fois femme et mère, étrangère et familière qui alterne tendresse, attention et détachement. Il tente de profiter de ses moments de complicité et d'intimité avec elle. Le narrateur, qui finit à la fin par décliner son récit à la première personne, lui donnant ainsi un tour plus personnel, refait à l'envers la vie de ses parents avant sa naissance autant qu'il évoque la sienne, en Allemagne, loin de cette mère qu'il adorait.

     

    Bien qu'il ne soit pas un enfant unique de ce couple [deux autres sont restés en France et un autre frère naîtra emporté par le croup], le narrateur donne l'impression d'être seul face à cette mère qu'il nous présente au début, assise face à l'océan. Elle regarde au loin vers l'horizon et semble absente. Il semble que le temps ne compte pas dans ces instants faits de détachement et de complicité et cette image silencieuse de la vie, évoque celle de cette même femme, face à la fenêtre de sa cuisine, qui entre silencieusement dans la mort. Il choisit de cristalliser son souvenir sur la figure maternelle toujours présente à son esprit malgré les nombreuses années écoulées depuis sa disparition.

     

    Avec de nombreuses analepses[« le temps bouleversant du ressouvenir »], l'auteur, juste avant sa mort en 2009, nous fait revivre cette période de l'enfance, à la fois tendre et tourmentée, grâce à une écriture poétique et fascinante. La langue qu'il emploie pour son cette évocation de l'amour filial donne pour son lecteur un texte bouleversant, un véritable poème ne prose. Cet écrivain qui a été toute sa vie d'une grande discrétion offre là une œuvre ultime, comme un message destiné autant à l'au-delà qu'à l'humanité du présent et de l'avenir. Son écriture précieuse et simple reste, pour notre plus grand plaisir.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2010 http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

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  • LES MANGEURS DE POMMES DE TERRE - Jean-François Pocentek

     

    N°417 – Avril 2010

    LES MANGEURS DE POMMES DE TERRE - Jean-François Pocentek – Plein chant.

    Malheureusement, j'ai commencé à lire l'œuvre de Pocenteck à l'envers, mais je finirai bien par m'y retrouver. Ce récit en annonce d'autres qui feront sans doute partie de ma bibliothèque personnelle ou imaginaire.

    Le titre évoque d'emblée un tableau de Vincent Van Gogh. D'ailleurs, le décor, c'est un peu cela, le Nord de la France et ses corons, une famille de mineurs et un petit garçon qui nous livre ses souvenirs, des dimanches interminables au rituel immuable, le costume un peu raide, la cravate à élastique, le repas dans la salle à manger, la visite du grand-père, ses encouragements pour l'école parce que ainsi l'enfant échappera à la mine [« à chaque rencontre avec mon grand-père, il m'a embrassé le front et donné une pièce »], l'hiver, la chambre sans chauffage, le café au lait avec des tartines épaisses, la toilette sur l'évier... L'école publique, les culottes courtes, les jeux guerriers de la cour de récréation qui permettaient tous les possibles et s'inspiraient des bandes dessinées, le tableau noir, l'encre violette, les cours de morale, les plumes Sergent-Major avec ses pleins et ses déliés, les amitiés et les brouilles entre camarades...

    C'était aussi la mort, parce qu'un enterrement est toujours une occasion de rassembler une famille dispersée dont les membres ne se connaissent plus, on promet de se revoir, mais pas pour une occasion funèbre et on oublie vite... C'est l'horloge qu'on arrête et les miroirs qu'on voile, le cortège des visites, la casquette à la main, l'accompagnement du cercueil, la visite annuelle de la Toussaint au cimetière avec ses incontournables pots de chrysanthème et son souvenir ravivé une fois l'an. Mais aujourd'hui l'enfant a grandi, habite ailleurs dans un pays de pâture, la mine s'est arrêtée et le chevalement rouille. Il ne reste que les souvenirs, ceux du triumvirat, maire, curé et instituteur, mais le premier est maintenant plus attentif à sa carrière politique qu'au bien-être de ses concitoyens, les vocations sacerdotales se font plus rares, seul le maître d'école perdure encore... Le décor est complété par l'inévitable bistrot où tous les hommes se retrouvent, et même parfois quelques femmes...

    Il y a aussi la figure des gens qui peuplaient ce microcosme, ils sont comme des fantômes avec leur cortège de remords et de nostalgie parce que, contrairement au contes de l'enfance, le monde n'est pas beau, les turpitudes existent, les hommes et les femmes sont loin d'être semblables au portait idyllique des fables.

    L'évocation se poursuit en Bretagne là ou le narrateur se réfugie parce que le souvenir est trop fort, pour y faire d'autres rencontres ou des retrouvailles amicales renouvelées. C'est toujours aussi poétique et nostalgique, et cela me plait bien comme l'allégorie de fin qui conjugue une belle image de femme et un air de violoncelle.

    Je reste attentif au parcours créatif de cet auteur. Il m'intéresse.

    © Hervé GAUTIER – Avril 2010

    http://hervegautier.e-monsite.com

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  • APNÉES - Antoine CHOPLIN

     

    N°415 – Avril 2010

    APNÉES - Antoine CHOPLIN – Éditions La fosse aux ours.

     

    Il doit bien y avoir sur notre pauvre terre des zones inconnues du cadastre international, non répertoriées sur les cartes routières, ignorées des guides touristiques. Une telle éventualité est sans doute redoutée des automobilistes égarés mais doit être une opportunité intéressante si ce conducteur est attentif aux phénomènes paranormaux.

     

    Plan-les-Ouates, le nom sonne déjà comme un mystère dans sa musicalité, même si on a de bonnes raisons de penser que cette localité existe effectivement et se trouve près du lac de Genève. Assurément, cela invite à la réflexion, à la circonspection même... Voilà que notre narrateur, Arène Margay, friand de lexicographie et adepte par ailleurs de l'apnée qu'il se proposait de pratiquer justement ce jour, y tombe en panne de voiture. La Suisse est pourtant un pays où tout paraît prévu, répertorié, organisé, sans surprise, mais bon, pourquoi pas?

    Le temps de réparer, une visite de la ville s'impose donc d'autant qu'elle s'inscrit dans le domaine du temps obligatoirement perdu, qu'on ne compte plus et que le printemps qui s'annonce, après sans doute un long hiver, va rendre agréable. La flânerie est donc de rigueur! Comme il se doit, dans un tel lieu, ce parcours ne peut qu'être confié au hasard et suivre un marcheur semble être une bonne méthode, et quand ce guide improvisé est une jolie femme, cela ne peut mieux tomber... Dès lors, toutes les illusions sont possibles, les visuelles comme les auditives, donnant asile à l'extraordinaire, au fantastique... Apparemment, celle qu'il a prise, à son insu, pour guide dans cette ville de nulle part s'y dirige elle aussi avec une boussole aléatoire et le fait qu'elle possède un appareil photo et choisisse de fixer l'image d'Arsène sur la pellicule fait naître chez notre homme une multitude de fantasmes. D'autant que de suivant, il devient suivi et qu'un dialogue s'engage, vite transformé en balade commune et peut-être complice. Les présentations se font, elle s'appelle Marine Duchamp, lui avoue qu'elle est amnésique suite à un accident de voiture... De là à imaginer un monde approximatif où les références vitales ordinaires n'ont plus court, il n'y a qu'un pas et respirer devient incongru. Arsène pousse son avantage, profite de cette défaillance de mémoire pour lui faire croire abusivement qu'ils sont été amants et finit par être pris à son propre jeu.

     

    Derrière l'histoire, j'observe que le texte se décline à la première personne, l'emploi du « je », dans le contexte de ce qui est une sorte de fable, peut apparaître comme une personnalisation à outrance, laissant par ailleurs la place à l'humour, à la liberté d'écriture et de création. Cela s'annonçait bien pourtant, avec cette mise en scène où le lecteur pouvait tout imaginer, mais la chute ne me paraît pas être à la hauteur de ce qui aurait pu être un récit singulier...

     

    Et l'apnée dans tout cela? Est-ce la même ivresse qu'on ressent autant à se priver d'oxygène qu'à se souler de mots, un moment de quasi folie que seule la fiction permet et que s'accorde un auteur-narrateur pour s'évader du monde, une panne qui est peut-être plus qu'une allégorie pour justifier le plaisir de suivre une inconnue, d'entamer avec elle une passade ou une passion? Est-ce une action expiatoire pour avoir joué et s'être laissé emporté par son désir? Est-ce une volonté de se couper du monde? Le baiser qu'elle choisit de lui donner est-il lui aussi, à sa manière, une forme allégorique de l'apnée?

     

    Pour ce qui est du vocabulaire, le lecteur friand de mots rares et d'usage inhabituel est servi. Il pourra aisément les mâcher, les déguster avec gourmandise à la suite de ce narrateur et de son appétit de langage. Je ne suis pas bien sûr cependant que cette débauche sémantique s'attache durablement le lecteur, d'autant que, dans le même temps, la rigueur syntaxique, pour sa part, n'est pas toujours observée, surtout dans les dialogues entre Arsène et Marine. Je ne suis pas bien sûr non plus, à titre personnel, de partager l'enthousiasme exprimé dans la 4° de couverture du narrateur et de sa passion pour le lexicologie. Ce récit est sûrement un exercice de style intéressant, une occasion passionnante de laisser libre cours à la musique des mots, voire à une démonstration d'érudition, mais, au fil des pages, les phrases emphatiques, voire amphigouriques ont fini par me lasser, par m'ennuyer même...

     

    Comme toujours, le hasard a guidé mon choix et j'ai conscience d'être peut-être passé à côté de quelque chose, mais je ne suis pas bien sûr de vouloir accompagner cet auteur dans un parcours créatif qui, d'emblée, me plaisait bien.

     

     

     © Hervé GAUTIER – Avril 2010

    http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

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  • L'ECLUSE DES INUTILES - Jean-François Pocentek

     

    L A F E U I L L E V O L A N T E

    La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,

    elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

     

     

    N°414 – Avril 2010

    L'ÉCLUSE DES INUTILES - Jean-François Pocentek – Éditions Lettres vives.

     

    D'abord il y a le livre, un objet qu'on tient dans ses mains mais dont il faut couper les pages avant de les lire; cette opération un peu nostalgique laisse toujours des barbes de papier sur la tranche. Au coin de chaque feuillet qui a échappé à la lame on trouve même un peu du suivant et cela rappelle l'enfance, donne l'image d'une certaine imperfection qui me plait bien quand tout aujourd'hui tend vers l'excellence... On peut donc entamer la lecture!

    Le titre ensuite dans lequel figure le mot « inutiles » qui résonne bizarrement dans cette société où chacun doit être efficace et surtout étaler sa réussite sans quoi elle n'a aucune valeur!

    Le décor enfin, celui du Nord de la France en novembre, un canal très ordinaire, une eau sombre avec une écluse et quatre maisons perdues. On y accède à pied et dans l'une d'elle, celle de Mathilde, on vient y partager un repas en l'honneur d'on ne sait quoi, la mort d'une chienne ou la venue de la suivante. Images d'un temps immobile, de gens plus ou moins exclus de cette société parce qu'ils sont sans travail ou infirmes, sorte de « bernard l'ermite » occupant des coquilles vides qui passent dans cette vie et finissent par mourir parce que là est la condition de tous les hommes. Que ce soit Marceau, l'ancien maître de forge, Marcial l'infirme, Marthe, Mathilde, l'enfant immobile ou le narrateur, simple employé d'un bureau d'objets trouvés près de la gare, ils sont tous porteurs d'un message, ont tous une histoire à raconter, mais le font en silence et c'est pour cela qu'ils partagent ce repas, peut-être aussi parce qu'ils se ressemblent tous, qu'ils sont tous des anonymes.

    C'est une sorte de rituel autours de la cuisinière à charbon qu'on ferme avec des cercles de fonte, du tabac à fumer qu'on roule entre ses gros doigts, des odeurs domestiques, le son d'un carillon, les arômes du café, les silences et l'économie des mots qu'on prononce en hommage aux morts, le vin qu'on boit dans des verres entrechoqués... On y évoque le passage sur terre de ceux qui ne font plus partie des vivants mais qui « ont marqué la mémoire des lieux », ont aimé cette vie parce qu'elle est un bien unique auquel on s'accroche parfois désespérément. A la fin de ce repas, on avance vers le canal, comme on mènerait une procession, pour aider à la digestion ou voir le paysage...

    Puis on se quitte parce que c'est la règle et que le temps a ses exigences, avec en prime le chagrin, l'eau dans les yeux, mâtinés si on veut y croire, par l'espoir d'un retour, d'une nouvelle rencontre, avec le rituel des embrassades, des accolades, des serrements de mains et des paroles. Et puis le temps change, les maisons sont détruites, les gens meurent ou disparaissent ...

     

    Je ne sais pas pourquoi, peut-être à cause de ma vieille attirance pour la poésie, pour la musique des mots, pour l'ambiance que distille ce texte, mais j'ai bien aimé ce livre et j'ai eu envie de tourner les pages de ce qui n'est peut-être pas un roman. J'y ai entendu une sorte de musique un peu triste mais aussi très douce, un monde différent devant lequel on passe parfois sans le voir tant il est ordinaire. Il est question de l'éclusier, parce que l'écluse justifie sa présence [il parle aussi à la première personne, comme le narrateur] il est présent et absent à la fois, à contre-champ, à contre-jour, à la fois gardien de ce petit bout de planète, veilleur, guetteur... Comme les autres personnages il ressemble à des fantômes. Ils parlent de la petitesse du monde qui les entoure et dont il ne font même plus partie. C'est que le peuple du canal est fait de « ramasseurs de trésor », de  « cueilleurs de grenouilles », de « coupeurs de queues de rat » autant de membres d'une communauté qui s'identifie au canal, à son chemin, à ce paysage lui-même!

     

    Et puis il y a les mots qu'on porte en soi, parfois longtemps et qui finissent par sortir un beau jour ou une belle nuit, sans crier gare, parce que c'est l'heure, parce qu'ils en ont décidé ainsi. Les gens pressés appellent cela l'inspiration, mais on n'est pas forcé d'acquiescer à leurs allégations. Pourtant ces mots sont maintenant emprisonnés dans un livre, imprimés sur des pages qu'ils noircissent, à jamais exprimés pour des lecteurs innombrables, passionnés ou indifférents, c'est selon!

     

     

     © Hervé GAUTIER – Avril 2010

    http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

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  • CHEROKEE – Jean Echenoz

     

    N°413 – Avril 2010

    CHEROKEE – Jean Echenoz – Éditions de Minuit.

     

    Décidément, je lis l'œuvre d'Echenoz à rebours puisque ce roman date de 1983. Le hasard sans doute?


    Si j'en crois la 4° de couverture, Georges Chave est le type même du quidam. Il vit en solitaire à Paris et meuble son temps comme il peut entre la fréquentation des bars et des aventures sans lendemain. Il aime les disques de jazz et l'un d'eux lui manque, cherokee, qu'on lui a dérobé voici dix ans. Jusque là rien de notable et Véronique surgit dans sa vie, ce qui la bouleverse un peu, mais ce qui ne dure qu'un temps puisqu'elle le quitte rapidement. Puis c'est la figure d'une autre femme qui elle aussi disparaît de sa vie, mais il décide, sans raison apparente de la poursuivre. Non seulement cette fuite va l'amener jusqu'en mer du Nord et dans le sud de la France, mais il ne sera pas le seul à mener des investigations pour la retrouver et sa quête se fera en compagnie d'autres protagonistes... Voilà en peu de mots l'intrigue, le décor...


    Raconter un roman a toujours quelque chose de frustrant. Certes, il y a l'histoire, mais celle-ci n'a rien de passionnant. Est-ce un jeu de piste? C'est un peu déconcertant. Comme souvent dans les romans d'Echenoz, le personnage principal retient mon attention surtout à cause du peu d'originalité qui se dégage de lui-même. Cette sorte d'anti-héros m'intéresse toujours et je guette volontiers ses réactions, ses agissements. Les relations un peu ambiguës et assurément fugaces qu'il a avec les femmes m'interpellent. Est-ce de la timidité, de l'indifférence ou simplement parce qu'elles ne lui trouvent rien d'original ou d'attachant? Pourtant il semble qu'il émane de lui une sorte de séduction, au moins au début, mais peut-être épuisent-elles rapidement les joies de sa compagnie? Pour lui les femmes sont lointaines, pas vraiment inaccessibles, plutôt éphémères et de passage et il semble en poursuivre constamment le fantôme, comme une sorte d'indien(un cherokee?) qui suit patiemment une piste. Il me paraît obsédé par leur beauté, ce qui est plutôt un signe rassurant. Il me semble un peu perdu dans un monde pas vraiment fait pour lui, dans lequel il survit en confiant au hasard le soin de l'étonner. Mais l'étonnement est rarement au rendez-vous! Cette solitude qui se dégage du personnage, le mal de vivre qu'il distille sans doute un peu malgré lui est-il exorcisé dans l'écriture?

    Pourtant cette écriture a quelque chose d'attachant, il s'en dégage une sorte de musique un peu triste, avec une grande précision descriptive, une richesse dans le choix des mots et un sens humoristique de la formule qui étonne plus qu'elle n'amuse. Il en résulte parfois des description surréalistes dignes de Lewis Carroll, avec toujours pour toile de fond la ville de Paris en même temps qu'une sorte d'errance révélatrice.


    C'est aussi un roman policier au décor un peu nauséabond, aux enquêteurs approximatifs du cabinet Benedetti, aux flics bizarres flanqués d'un indicateur qui ne l'est pas moins et la présence d'une secte d'illuminés. Ces aventures abracadabrantes semblent, comme souvent chez Echenoz, ne jamais vouloir se terminer.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2010

     

     

     

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  • NOUS TROIS - Jean Echenoz

     

     

    N°412 – Avril 2010

    NOUS TROIS – Jean Echenoz – Éditions de Minuit .

     

    Je poursuis, par une sorte d'intérêt que je ne m'explique pas très bien moi-même, la lecture de l'œuvre d'Echenoz. D'emblée le titre semble évoquer une relation vaudevillesque, pourquoi pas?


     

    Cette histoire commence par un récit à la première personne, un peu anonyme quand même, et il y est question de technique. Puis ensuite on comprend, parce que le texte se décline sous la forme d'un récit, qu'entre en scène Louis Meyer, polytechnicien, astigmate, la cinquantaine...homme infidèle, solitaire et divorcé de Victoria Salvador, une femme avec qui il a eu pourtant une relation de lune de miel. Lui, c'est le type même du quidam. Il s'apprête à partir seul en vacance au bord de la mer chez une amie. Sur l'autoroute, l'incendie d'une voiture qu'il suit lui fait rencontrer une femme qu'il surnomme Mercedes, du nom de sa voiture, parce qu'elle lui parle peu et qu'il accompagne à Marseille[Il serait sans doute intéressant d'analyser ce mutisme qu'on retrouve dans d'autres romans, de même d'ailleurs que la relation qu'il a avec les femmes en général...]. Là un tremblement de terre intervient qui détruit une partie de le cité. Ensuite il est contacté par un collègue pour tester un vaisseau spatial destiné à prévoir les séismes. Le voilà donc soumis à un entrainement intensif qu'on imagine aisément et qui n'est vraiment plus de son âge. A cette occasion, il retrouve Mercedes d'une manière un peu surréaliste dans le cadre de ce ce projet un peu fou de fusée en orbite... Là cela devient de la science-fiction. Pourquoi pas?


     

    C'est un peu comme si l'histoire n'était là que comme un prétexte, presque sans importance. En réalité, l'impression du début est fausse. La relation tripartite dont il s'agit ici s'établit plutôt entre le narrateur, le personnage principal et le lecteur, ce qui bouscule un peu les bases traditionnelles du roman. Pourquoi pas? A moins qu'il faille voir dans cette tierce personne, cette voix étrangère qui intervient à la fin, une sorte de dédoublement de la personnalité de ce Louis Meyer, une sorte de soliloque intérieur ou la volonté de l'auteur de s'insinuer dans le récit?

    Faire intervenir le lecteur n'est peut-être pas une mauvaise initiative, explorer de nouvelles pistes sur le thème de la création littéraire aussi...Mais les narrateurs semblent se succéder presque à l'infini sans qu'on sache très bien ce qui justifie une telle démultiplication. La technique du flash-back est intéressante mais des personnages apparaissent pour disparaître définitivement ensuite et le lecteur est amené à se demander s'ils sont pas là par la seule force de l' imagination débordante de l'auteur, pour compléter un décor changeant... Est-ce pour brouiller les pistes, pour accentuer l'aspect labyrinthique d'un récit où pour mystifier ce lecteur à qui, pourtant, il semble donner quelque importance? Est-ce pour exprimer une sorte de désespérance, de mal de vivre, de solitude? Est-ce pour étonner dans un monde où rien n'est plus vraiment surprenant? Ce questionnement reste entier pour moi et je me demande si je ne suis pas passé complètement à côté de quelque chose.


     

    De plus, la façon d'écrire me paraît un peu déconcertante, pourtant j'ai poursuivi jusqu'à la fin. Ce qui, au départ, me semblait une intéressante initiative, une tentative pleine de promesses finit par lasser quelque peu et m'a laissé pensif et même interloqué, plus vraiment passionné par l'expérience et au bord de l'ennui, ne poursuivant ma lecture que pour savoir si la fin de ce roman sera aussi échevelé que ses improbables développements.


     

    Il semble qu'Echenoz se rattache au « nouveau roman ». Cette manière d'écrire est sans doute l'illustration de la remarque un peu déconcertante de Robbe-Grillet « Nos romans n'ont pour but ni de faire vivre des personnages ni de raconter des histoires ».

     

     © Hervé GAUTIER – Avril 2010

     

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  • JE M'EN VAIS - Jean Echenoz

     

     

    N°411 – Avril 2010

    JE M'EN VAIS – Jean Echenoz [Prix Goncourt 1999]– Éditions de Minuit .

     

    Le titre peut étonner, le laconisme de l'expression est révélateur... d'autant que cette petite phrase commence et termine ce roman! Félix Ferrer, bel homme, galériste parisien passionné, quinquagénaire et cardiaque, décide, après un léger infarctus, de quitter sa femme, Suzanne qui lui portait sur les nerfs depuis trop longtemps! Cela ne l'empêche pas, à l'invite de son assistant, Delahaye, de partir pour l'Arctique, à la recherche d'une hypothétique épave vieille de 4O ans dont le contenu pourrait bien redresser ses finances vacillantes, et de collectionner les aventures amoureuses, ce qui est quelque peu incompatible avec sa santé!

     

    De rebondissements en mésaventures, ce roman devient un authentique policier à partir du moment ou son assistant meurt, que les objets d'art retrouvés dans l'épave sont volés, qu'intervient ce mystérieux Baumgartner dont on n'apprend à la fin qui il est réellement et l'inspecteur Supin. Et tout semble s'arranger avec la découverte des objets dérobés, l'argent qui revient, la vie plus facile de Ferrer avec évidemment un plus bel appartement et une nouvelle femme! Un happy-end qu'on ne voit sans doute que dans les romans!

     

    Le style d'Echenoz proche de l'oralité, quasiment familier et plein d'interactions entre le narrateur et le lecteur continue de me surprendre et de m'intéresser. Mais l'auteur reste, en quelque sorte à côté de son récit et des personnages qui le peuplent, qui sont décrits parfois avec force détails, se présentant davantage comme un témoin que comme le maître du jeu, tissant avec son « liseur » une manière de complicité, laissant peut-être au hasard la conduite des opérations ou à chacun une plus grande liberté d'expression? De plus, ce parti-pris de style permet d'alterner les points de vue de l'auteur et des personnages et l'absence de guillemets de brouiller un peu plus les cartes.

     

    L'histoire qu'il raconte est faite d'une fuite perpétuelle, d'une juxtaposition de solitudes ce qui n'est finalement que la prise en compte de la condition humaine, d'une constante envie de fuir à la fois sur le plan de la géographie que sur celui de l'appétit personnel de changement comme l'indique le titre. Cela m'apparaît comme étant aussi une quête, à la fois de l'âme-sœur, de la compagne idéale apparemment introuvable, (Les femmes évoquées sont présentées davantage comme des conquêtes passagères que comme de vraies complices et la seule qui aurait pu l'être, son épouse, il la quitte. De plus celles qu'il rencontre parlent peu ou pas du tout ce qui les fait ressembler à des fantômes de passage), d'un idéal peut-être matérialisé par la recherche de cette épave lointaine, dans un monde fait d'argent, d'hypocrisie, d'instants fugaces et qui finalement nous rapprochent de la mort.

    Pour autant, l'aspect policier me paraît un peu facile, peut-être pas assez travaillé pour maintenir jusqu'à la fin l'intérêt. Je dirai presque que le livre refermé, j'emporte avec moi une certaine déception peut-être parce que l'attribution de ce prix prestigieux m'avait donné à penser qu'il ne pouvait s'agir que d'un roman digne d'intérêt.

    Était-ce aussi à cause de la forme de ce qu'on appelle le nouveau-roman?

     © Hervé GAUTIER – Avril 2010

     

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  • THÉ VERT ET ARSENIC – Frédéric LENORMAND

     

    N°410 – Avril 2010

    THÉ VERT ET ARSENIC – Frédéric LENORMAND – Éditions fayard .

     

    Nous savions le juge Ti expert dans l'art difficile de rendre la justice et de traquer le criminel, mais depuis ce mois d'avril de l'année 670, sous la dynastie des Tang, voilà que notre magistrat se voit confier la noble tâche de « Commissaire du thé », bien qu'il n'eût postulé pour rien de tel et qu'il n'eût pour cela aucune compétence particulière exceptée peut-être celle d'aimer cette boisson. En effet, il existait une tradition, « le tribut du thé », qui voulait que les habitants des régions de production aient l'honneur et le privilège d'offrir à l'empereur le fruit de leur travail pour saluer l'arrivée du printemps. Bien entendu, il fallait que cela se passe sous le contrôle d'un fonctionnaire intègre et compétent. On fit donc tout naturellement appel à Ti pour superviser la cueillette, le traitement, l'emballage et le transport du précieux thé, sauf qu'au cas particulier non seulement il n'y connaissait rien, mais en plus il n'avait aucune envie de se rendre dans cette province éloignée. Pour aiguiser son zèle, on lui fit observer que si cette mission extraordinaire était correctement remplie ce qui, au demeurant, semblait facile, bien qu'elle fût fort différente de celles qui d'ordinaire sollicitaient sa compétence et son talent, il bénéficierait d'un avancement rapide, sinon... Bref, il ne pouvait pas faire autrement!

    En bon serviteur de l'État, autant qu'en fonctionnaire attentif au déroulement de sa carrière, il obéit donc, d'autant qu'il ne tarda pas à comprendre que sa véritable mission, dans la riche ville de Xifu où il était chargé de se rendre, était moins d'y présider à la mise en œuvre du fameux tribut que de contrôler l'immense richesse personnelle de son gouverneur dont le train de vie fastueux déplaisait à l'empereur lui-même! C'était là une mission à sa mesure qu'il accepta donc, non sans se faire accompagner d'une de ses épouses. D'ordinaire, c'était plutôt Dame Lin, sa Première, qui assistait efficacement son époux, mais là ce sera Dame Tsao, sa Troisième, qui se proposa de l'accompagner. On sait combien ses épouses ont d'influence sur notre sous-préfet et là encore la présence de cette compagne se fera sentir sur cette mission qui promettait de se révéler délicate.

     

    Las! Sous la dynastie des Tang, le crime et l'art de vivre étaient inséparables et notre mandarin ne tarda pas à retrouver ses anciens réflexes d'enquêteur. L'occasion lui en fut donnée dans la ville dans laquelle il venait d'arriver pour remplir son office. Est-ce par calcul ou par hasard, sa route croisait souvent celle d'anciens malfrats ou de vrais marginaux qu'il savait fort à propos recruter temporairement pour l'aider dans sa tâche. Ici, ce fut Loa Cheng, faux ermite taoïste, authentique opportuniste et spécialiste de l'eau et du thé qui accepta de le seconder. La suite des événements le révélera sous son vrai jour.

     

    L'esprit de Ti est toujours en éveil et le fait le plus anodin cache souvent un agissement délictueux qui ne saurait échapper à la sagacité de notre magistrat qui agit, avec la complicité de son acolyte mais aussi de son épouse, selon sa méthode habituelle faite de logique, de pragmatisme et de prudence. Partout où il passe notre mandarin semble déclencher les crimes à moins que ceux-ci soient monnaie-courante dans l'empire (et peut-être dans la condition humaine?). Toujours est-il qu'à son arrivée, il est confronté à un meurtre d'autant plus compliqué qu'il a été sciemment camouflé en suicide et qu'il ne tarde pas à comprendre que non seulement qu'il s'agit d'un empoisonnement criminel mais aussi que sa résolution passe par l'élucidation de précédents assassinats où le thé a une place primordiale. Il fera appel, pour la circonstance, autant à la chance qu'à sa culture, à son flegme et à son esprit de déduction. Il mènera à bien sa mission « extraordinaire » permettant à l'empereur de toucher son traditionnel tribut et accessoirement de saluer le printemps mais surtout il repartira de cette bonne ville de Xifu avec la certitude d'avoir remis un peu d'ordre dans l'ordonnancement des choses, de sérénité dans cette citée et peut-être dans l'esprit des gens!

     

    L'eau a souvent présidé aux enquêtes de Ti (Le château du lac Tchou-An – La Feuille Volante n° 308 – Le mystère du jardin chinois – La Feuille Volante n°325). Le thé est évidemment une boisson qui en nécessite et notre magistrat va retrouver ce breuvage qui aurait cependant pu lui couter la vie.

     

    J'ai fait la connaissance, (si je puis dire) du juge Ti il y a quelques mois et j'avoue très humblement avoir eu, en présence du « phénix de l'administration impériale », comme il aime à s'entendre appeler, des moments de lecture agréables autant qu'une bonne occasion d'en savoir d'avantage sur les us, les coutumes, les différentes religions, les procédures judiciaires et pénales dont certaines sont dignes du Moyen-Age, le panthéon des divinités qui présidaient aux destinées des pauvres mortels d'alors...

     

    Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire abondamment dans cette chronique, le choix de Frédéric Lenormand de nous faire partager sa grande connaissance de cette civilisation, de son histoire et de le faire d'une manière agréable, pédagogique et dans un style jubilatoire, n'est pas étranger à mon attachement à ce magistrat d'exception qui fut aussi un authentique personnage historique. Auparavant, un écrivain hollandais, Robert Van Gulik (1910-1967), l'avait déjà fait revivre pour le grand public. J'avoue préférer la version de Frédéric Lenormand qui peint notre mandarin d'une manière plus latine, plus humoristique. Il prête à Ti sa manière personnelle de voir les choses et de les présenter, mais cette « recréation » n'est pas gênante, au contraire. L'image qu'il en donne est celle d'un magistrat sérieux et intègre (imagine-t-on un haut-fonctionnaire autrement?), cultivé et professionnel, mais qui jette sur le spectacle du monde qui l'entoure un regard tour à tour amusé, sceptique et désabusé.

     

    La présentation en courts chapitres, les éventuels plans ainsi que quelques mots introductifs sont de nature à permettre au lecteur de suivre efficacement le déroulement de l'enquête. Chacun de ses romans est un moment agréable de dépaysement et l'entretien, Ô combien volontaire pour ce qui me concerne, de ce vice impuni qu'est la lecture.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2010.

     

     

     

     

     

     

     

  • LES GRANDES BLONDES – Jean ECHENOZ

     

     

     

    N°409 – Mars 2010

    LES GRANDES BLONDES – Jean ECHENOZ – Éditions de Minuit .

     

    Jean Ricardou définit ainsi « le nouveau roman » : « le roman n'est plus l'écriture d'une aventure, mais l'aventure d'une écriture. ». C'est probablement pertinent puisque dès la première phrase le lecteur, entre de plain pied dans la fiction, en effet « vous êtes Paul Salvador », le héros de ce roman, et « vous cherchez quelqu'un » ... mais, quelques mots plus tard, il apprend que « vous n'êtes pas Paul Salvador », précise plus loin Echenoz. Alors le lecteur qui s'attendait à jouer un rôle personnel dans cette aventure, revient à la réalité. C'est l'auteur qui décide, et lui seul, comme d'habitude!

    Qui est donc ce Paul Salvador? Un producteur de télévision qui envisage une émission sur « les grandes blondes », type de femmes qui font fantasmer les hommes depuis toujours et pour ce faire il souhaite donner la parole à Gloire Abgrall, alias Gloria Stella, ex-star du show-biz qui, après quelques années de succès et des démêlés judiciaires pour avoir poussé dans la cage d'ascenseur un de ses amants, a complètement disparu du décor. Pour ce faire et remettre sur le devant de la scène des artistes disparus, sur le thème « Que sont-ils devenus? » il fait appel à Jouve, lequel embauchera Kaztner, Personnettaz et Bocarra pour la retrouver. Au terme de vaines tribulations qui vont conduire ces derniers de Paris, en Bretagne, en Inde puis en Australie, il deviendra évident que Salvador en arrive à la conclusion que pour participer à cette émission, il n'est pas forcément nécessaire d'être grande... et blonde et que, pour lui, le concept de la blondeur est relatif et même très subjectif! Et d'ailleurs, cette émission ne pourra avoir lieu pour la seule raison que Gloire Abgrall ... est insaisissable, imprévisible et dangereuse (elle a une propension assez grande à pousser les gens dans le vide) et ce qu'elle veut surtout, c'est qu'on la laisse tranquille!

    Et le lecteur dans tout cela qui croyait au départ jouer un rôle? Eh bien il doit se contenter de lire et de suivre cette histoire un peu rocambolesque où apparaissent sporadiquement des personnages assez improbables, un loup de mer, un policier pas net et des mafieux indiens sans parler évidemment de Béliard, un homuncule de trente centimètres de haut perché sur son épaule, omnipotent et toujours là quand il faut (mais qui s'efface à la fin, tout un symbole!), que Gloire est la seule à voir et qui mène avec elle des dialogues surréalistes. J'avoue qu'il me plaît bien ce Béliard, il incarne les mauvais penchants que chacun porte en lui, une sorte de diable, un « directeur de mauvaise conscience ». On le retrouvera, mais sous des traits différents dans d'autres romans, Il y a aussi Lagrange, avocat de son état, et bien d'autres !

    L'étonnant chez Echenoz, outre une manière d'écrire attachante et même jubilatoire [ j'aime bien son sens de la formule - « Une voix de parachute en vrille » « Un lapin frémissant et charnu braquait son œil opaque vers le court terme » «(le jour) déclinait dans un rose de nautile, de fraises à la crème et de glaïeuls »... ], c'est qu'il crée des personnages avec un grand soin du détail, et qu'il les fait disparaître ensuite définitivement, aussi vite qu'ils sont apparus. L'auteur certes raconte une histoire, et le fait à la troisième personne, mais, de temps en temps, sans qu'on sache très bien pourquoi, il interpelle ses personnages, se fait leur complice aussi facilement qu'il les escamote. On a l'impression qu'Echenoz change constamment de casquette, fait et défait, au gré de son humeur, les destins, les situations les plus extravagantes dans lesquelles se dépatouillent ses pauvres protagonistes, un véritable jeu de piste, où, je dois l'avouer, je me suis, moi aussi, un peu perdu.... C'est sans doute une façon de faire éclater les bases du roman traditionnel. Pourquoi pas?

    De quoi laisser le lecteur, pourtant sollicité au départ semble-t-il, sur une faim que la fin justement, même si elle est distillée sous la forme d'un happy-end, est un peu déconcertante, peut-être un peu trop convenue, classique ou prévisible? Ce lecteur, justement, pourrait se dire « tout ça pour ça! » Quand même, ce doit être cela, un roman. Voyager à l'invite de l'auteur, à l'intérieur d'un décor dépaysant, rencontrer des personnages sans les connaître, en les abandonnant, un peu triste de les quitter le livre une fois refermé, avec l'impression d'avoir passé un bon moment, d'avoir bien aimé l'histoire, de ne pas regretter le temps passé qui n'est pas, évidemment, du temps perdu, en ce disant qu'à l'occasion on referait bien quelques pas avec cet auteur.

    L'écriture, qui est toujours une alchimie, fonctionne ici parfaitement et le style d'Echevoz, plein d'humour et de subtilités, de jeux de mots et d'ambiguïtés, me plait bien.

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     


     

  • AU PIANO – Jean ECHENOZ

     

    N°408 – Mars 2010

    AU PIANO – Jean ECHENOZ – Éditions de Minuit .

     

    C'est l'histoire d'un homme, Max Delmarc, pianiste de concert, un peu alcoolique, qui vit dans son monde parisien, éternel amoureux des femmes mais un peu timide, un peu gauche dans ses attitudes, du genre admirateur plus que complice et qui préfère laisser au hasard le soin d'organiser les rencontres avec elles. Il va mourir dans 22 jours de mort violente, mais, bien entendu, ne le sait pas encore. Il est accompagné, presque comme son ombre par Berni, sorte de factotum, d'acolyte qui veille sur lui et le suit partout, Parisy, son imprésario, un parfait imbécile qui ne pense qu'à l'argent et ne connaît rien à la musique. Puis il y a les femmes, Alice, tout d'abord, sa sœur qui vit avec lui, à côté de lui. Ces deux êtres s'ignorent mais se croisent. Puis il y a les autres femmes, Rose, sorte de beauté intemporelle idéalisée, un amour tout ce qu'il y a de plus platonique, à qui il pense toujours bien qu'elle appartienne à un passé vieux de trente ans, et donc au souvenir, et qu'il croit voir partout (Rose, pour lui, c'est une véritable obsession au point qu'il la poursuit dans le métro, mais elle reste une ombre), et « la femme au chien » qu'il n'ose vraiment aborder.

     

    La mort annoncée de Max se produit à la sortie d'un gala de bienfaisance, elle est violente. A partir de ce moment, par le biais d'une sorte de mise en abyme, il se retrouve dans une clinique bizarre, le Centre, où il rencontre un certain Béliard, une sorte de double de Berni. Là, il rencontre Doris Day avec qui il passe une torride nuit d'amour et Dean Martin. Tous deux semblent ne pas vouloir se souvenir de leur vie terrestre. On peut y voir une allégorie du purgatoire puisqu'ici on ne reste pas longtemps et on attend d'être envoyé soit au parc (le paradis?) soit en section urbaine (l'enfer qui n'est autre que la terre). Il revient donc sur terre, mais on lui interdit de rencontrer quiconque faisait partie de sa vie d'avant. Il passe par l'Amérique du sud pour rejoindre Paris où il change complètement de peau comme on abandonne un costume devenu trop petit mais enfreint quelque peu les consignes de Béliard qui lui-même prend quelques libertés avec la règle. A la fin, ce n'est pas Max mais Béliard qui part avec Rose devenue bien réelle, mais qui est pour un autre!

     

    L'auteur se fait à la fois le narrateur et le complice d'un Max qui finalement a passé sa vie à se laisser porter par les événements.

     

    J'aime bien l'humour et le phrasé de Echenoz qui, même s'il n'est pas vraiment académique, distille une sorte de musique autant qu'un univers à la fois quotidien, banal mais néanmoins original. Son écriture est fluide, avec un grand souci du détail et il maintient l'intérêt de son lecteur jusqu'à la fin, d'autant qu'on a l'impression que cette histoire, entre fantasme et virtualité, ne se terminera jamais. Il entraine son lecteur dans un autre univers pas si désagréable que cela, au-delà de la mort si on veut le voir ainsi, et cette version de l'enfer n'est finalement pas si effrayante que cela. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'elle est attrayante, mais assurément je la préfère à celle de l'Évangile. En tout cas, il enlève à la mort sa dimension de tabou.

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • COURIR – Jean ECHENOZ

     

     

     

    N°407 – Mars 2010

    COURIR – Jean ECHENOZ – Éditions de Minuit .

     

    Courir, verbe transitif et intransitif dont la grammaire nous enseigne qu'il est du troisième groupe. C'est pourtant ce petit mot apparemment banal qui va résumer la vie d'Émile, dont le lecteur va finir par s'apercevoir qu'il s'agit du champion de course de fond tchécoslovaque Émile Zatopek. C'est, au départ, un parfait quidam cet Émile qui commence une vie sans grand avenir comme simple ouvrier dans une usine de chaussures. Par hasard, il devient coureur à pied, s'invente une méthode personnelle et malgré un style peu académique et fort peu esthétique, il finit par s'imposer dans les stades de son pays, puis à l'étranger, glanant toutes les médailles et tous les titres, pulvérisant tous les records. Il rend célèbre sa silhouette de « terrassier », de pantin détraqué, à la foulée saccadée, aux gestes heurtés, au visage grimaçant de douleur, au mauvais et très peu photogénique rictus. Il semble ne pas être affecté par l'effort pourtant surhumain qu'il supporte, gagne tout, est devenu une véritable légende vivante mais aussi une énigme pour le corps médical. Il est maintenant « la locomotive tchèque » et semble invincible!

     

    Il ne fait rien comme tout le monde, dit-on, et pourtant, ce petit homme devenu un grand champion international ressemble à un quidam quand il n'est plus sur une cendrée. Pour faciliter son ascension, il s'est engagé dans l'armée qui a évidemment favorisé sa promotion et à l'époque flamboyante du communisme, il devient un outil de propagande sans qu'on sache vraiment s'il en est dupe où s'il choisit de se taire pour mieux assurer sa situation. Quand on lui refuse un visa pour aller courir à l'étranger de peur qu'il ne cède aux sirènes du capitalisme, quand, dans la presse communiste, on déforme ses propos favorables à l'occident, quand on le maintient derrière le rideau de fer, quand on le présente comme l'icône du régime, il accepte sans rien dire. Il atteindra la gloire mais se laissera pourtant charmer puis dépasser par les mutations politiques nées du Printemps de Prague pour terminer comme comme terrassier après avoir été manutentionnaire dans une mine d'uranium, archiviste puis éboueur. Fataliste, il finit par se dire qu'il ne méritait sans doute pas mieux que ces emplois subalternes.

     

    C'est, tout au moins ce que l'auteur lui fait dire. Pourtant, il semble exister entre Echenoz et Zatopek un courant de sympathie. Il s'approprie l'histoire de son héros, le tutoie, l'encourage comme un vieux camarade complice, le dépeint comme un optimiste, comme un « brave type », ce qu'il était sûrement, se met parfois à sa place, lui prêtant des états d'âme, des préoccupations, ce qui distingue cet ouvrage d'un biographie classique.

     

    Il est un grand champion, mais l'auteur, sans le dire aborde, sous l'expression « cocktail Zatopek » pour justifier sa résistance et son étonnante fraîcheur en fin de course, ce mélange de levure et de glucose. Cela sera plus tard connu sous le nom de dopage et les nageuses est-allemandes révèleront malgré elles cette habitude des autorités sportives des pays communistes quand elles montreront des modifications morphologiques définitives. C'est vrai que rien n'est sûr, mais quand même!

     

    Dans un style volontairement simple qui me plait bien Echenoz évoque avec un mélange de réalisme et d'émotion cette grande figure de l'athlétisme mondial.

     

    Cela m'a donné envie de poursuivre ma découverte de l'œuvre de cet auteur qui, je l'avoue, m'était inconnu jusqu'à ce jour.

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LA FEUILLE VOLANTE A TRENTE ANS.

     

    N° 406 – MARS 2010

     

    LA FEUILLE VOLANTE A TRENTE ANS.


    Trente ans, cette seule durée m'étonne autant qu'elle me donne le vertige, à cause sans doute du temps qui passe et de la mémoire qui s'envole... Qui m'aurait dit qu'en 1980, quand Marjan [décédé en 1998] m'a proposé de créer cette revue, elle durerait aussi longtemps? Trente ans, période pendant laquelle se construit un droit, celui de propriété, ce que les juristes, gens avisés s'il en est, consacrent comme un droit acquis par le simple exercice de quelque chose à condition que cela soit public, paisible et de bonne foi, ce qui pour moi ne pose évidemment aucune difficulté [Cette revue est déclarée conformément à la loi]. Mais ici ce sont des mots jetés au vent pour donner seulement mon avis de simple lecteur, qualité que je revendique avant tout, sur la démarche créatrice des autres, même, et surtout, si on ne me demande rien!


    Pourtant, si elle n'a suscité que beaucoup d'indifférence, cette chronique, devenue blog, m'a permis de nouer des correspondances amicales qui sont des moments précieux d'échange et de partage. S'il fallait un justificatif à cette revue, il serait là même si elle a aussi une fonction personnelle, fixer avec des mots ce que j'ai pensé intimement, d'un roman, d'une manifestation culturelle ou de fixer une émotion suscitée par un événement ... A titre personnel, je déplore en outre que la grande presse spécialisée ait un peu trop tendance à célébrer d'une manière laudative la publication d'un roman au seul motif que son auteur est connu, reconnu ou fait partie de ce qu'on appelle désormais les « people »!


    Elle n'a pourtant jamais eu d'abonnés et n'en aura jamais, elle restera donc indépendante et c'est, à mes yeux, essentiel. Parmi les nombreux auteurs dont j'ai parlé, je n'en ai jamais rencontré aucun et nos rapports, quand ils ont existé, se sont limités à des échanges épistolaires. Pour la plupart, ils ont été brefs et se sont limités à une correspondance de courtoisie, vite interrompue il est vrai sans que j'en connaisse la raison, mais qu'importe, je conçois parfaitement qu'il puisse exister une certaine condescendance pour une petite revue qui n'a, en réalité, ni importance ni véritable impact!


    Je pourrais aussi m'interroger sur l'intérêt suscité par cette chronique, tant il est vrai que le nombre de visiteurs n'est pas si important, encore que plusieurs d'entre eux n'y viennent que par hasard. Je dois cependant avouer que son hébergement sur un site [merci à e-monsite] facilite sa diffusion.[Au départ, elle ne circulait que dans mon courrier et dans celui, plus abondant, de Marjan, ce qui, malgré tout restait confidentiel]. Si je glissais vers la peopolisation ou la pornographie j'enregistrerais probablement davantage de connections, mais je ne risque pas et changer de cap et le compteur installé sur ce site n'a pour moi qu'une fonction indicative. Quant à son aspect visuel, chacun peut constater qu'elle ne brille pas par son agressivité, sans musique ni beaucoup de photos, juste du texte! C'est d'un choix délibéré que je lui donne une apparence « modeste », avec parfois des insuffisances dont je suis bien conscient. Qu'elle reste confidentielle me plaît bien et je sais aussi d'expérience que la notoriété est par essence volatile! J'ai seulement voulu faire figurer en page d'accueil et en souvenir le logo, dessiné et gracieusement offert par Arfoll , collaborateur et ami de Bernard Drupt lorsque celui-ci était rédacteur en chef de « La Revue indépendante ». Ce bandeau fut longtemps le symbole de cette revue.


    Au petit jeu du « j'aime, j'aime pas » qui en est un peu le fondement, qu'ai-je à gagner? Rien évidemment et cette revue qui, au départ n'était qu'une simple chronique poétique et l'est restée longtemps, s'est ouverte, avec le temps, à la littérature, au cinéma parfois, parce que mes lectures ont toujours été orientées vers la fiction et que les manifestations culturelles en général retiennent davantage mon attention. Pour ce qui est de la lecture, elle n'est alimentée que par mes goût littéraires, l'attirance que j'ai pour la créativité d'un auteur ou tout simplement le hasard qui me conduit de plus en plus souvent devant les rayonnages de la bibliothèque municipale. Cela me permet la « fréquentation » d'écrivains qui, sans cela, me resteraient à jamais étrangers. Je ne reçois en effet que très rarement de livres en service de presse, ce qui, accessoirement me permet une certaine indépendance.


    Cette chronique est aussi pour moi l'occasion de rendre un hommage (discret) à ceux qui servent notre belle langue française surtout au moment où elle perd de plus en plus de terrain dans notre langage quotidien et aussi à l'étranger. En cette semaine où nous célébrons la francophonie, j'attache du prix à encore exister.


    Ma passion pour la lecture, ce vice impuni de Valéry Larbaud, m'incite à lire complètement un ouvrage, à y prendre du plaisir si c'est possible, à donner mon avis personnel, et non à me contenter de recopier servilement ce que je peux lire à ce sujet. Cela peut paraître étonnant, mais cette chronique a aussi une fonction personnelle, celle de me rappeler que j'ai lu un ouvrage et de consigner pour moi-même ce que j'en ai pensé. Avec elle, je me prouve que j'existe, que mon esprit est encore en éveil (pour combien de temps?)et ce n'est déjà pas si mal! Comme je suis seul à le faire vivre et que je m'entend pas trop mal avec moi, elle dure... Jusqu'à quand? Elle continuera à paraître à son rythme, c'est à dire avec la régularité du hasard, et mourra probablement comme elle est née... en silence. En tout cas, elle perdurera aussi longtemps que je l'aurai décidé.


    Pourtant cette revue n'a aucune prétention, et surtout pas celle d'embrasser la culture contemporaine, ses courants, ses écoles, ses polémiques. Je ne fonctionne qu'au « coup de cœur », qu'à l'intérêt qu'a suscité pour moi un auteur, un roman ou une manifestation et j'entends bien continuer ainsi! Je précise ici que je ne me targue pas de la qualité de « critique littéraire » dont on m'a parfois affublé et que le classement statistique de ce blog semble exiger. Je ne suis qu'un simple échotier de la culture, un simple lecteur et je continue de penser que quiconque écrit un livre et choisit de le publier se met lui-même en situation d'être jugé par le premier venu... et je suis celui-là!

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.


     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LA VÉRITÉ SUR MARIE – Jean-Philippe TOUSSAINT

     

     

     

    N°405 – Mars 2010

    LA VÉRITÉ SUR MARIE – Jean-Philippe TOUSSAINT – Éditions de Minuit .

     

    Cela commence plutôt bien «  Plus tard, en repensant aux heures sombres de cette nuit caniculaires, je me suis rendu compte que nous avions fait l'amour au même moment, Marie et moi, mais pas ensemble ». Je me suis dit qu'avec cette première phrase, j'étais en présence d'un écrivain comme je les aime, de ceux qui captent l'attention, de leur lecteur dès le début du roman et qui ne l'abandonnent qu'à la fin, sans que l'ennui se soit installé dans la lecture.

    On comprend vite aussi que l'histoire parallèle de ces deux ex-amants (Le narrateur et Marie) qui se retrouvent par hasard dans la touffeur d'une nuit d'été autour d'un mort, va vite devenir passionnante. Ils avaient vécu ensemble de nombreuses années dans ce petit appartement maintenant occupé par Marie puis s'étaient séparés, voici six ans, parce qu'ils en avaient décidé ainsi et ils vivaient une vie sentimentale indépendamment l'un de l'autre. Pourtant, parce que son dernier amant, Jean-Christophe de Ganay, trouve chez elle la mort par crise cardiaque, Marie appelle le narrateur au secours. Ce dernier, malgré la présence d'une autre femme dans son lit cette nuit-là, accourt vers son ancienne maîtresse. Dès lors, les choses reviennent à leur vraie place, celle qui avait été bousculée quelques années avant. C'est, entre eux, la même valse-hésitation entre l'envie, le rejet, la tentative d'étreintes et la volonté de fuite et Marie se remet à «  détester passionnément » le narrateur, comme avant.

    Les évocations de cette nuit d'orage ne sont pas sans rappeler les relations tendues qui président à leurs retrouvailles comme elles existaient auparavant et la fuite effrénée d'un cheval, dont est propriétaire Jean Christophe de Ganay, sur le tarmac d'un aéroport ajoute à cette impression un peu délétère. Les éléments se répondent d'ailleurs comme cette nuit parisienne et caniculaire où l'orage couve, celle de l'île d'Elbe partagée jadis par le narrateur et Marie où le feu frappa aussi. La crise cardiaque c'est aussi une forme de foudre et Marie est aussi déroutante qu'un cheval désemparé et perdu, comme l'est le narrateur sans doute quand il s'éloigne de la présence de cette maîtresse de plus en plus incontournable.

     

    Il y a aussi la silhouette énigmatique de Jean-Christophe (ou Jean-Baptiste de G.), le dernier amant de Marie, homme d'affaires et propriétaire d'un pur-sang. De cet homme on ne sait rien mais, petit à petit, il se révèle au lecteur. Entre les rares certitudes de la vie de cet homme, le narrateur tente d'en savoir davantage, et ce qu'il ne sait pas, il l'imagine et comble les blancs! Sa mort prématurée et énigmatique épaissit le mystère autour de lui. Pourtant, même si on en apprend un peu sur lui au cours du récit, il n'en reste pas moins un personnage secondaire, presque inexistant au regard des relations qui existent toujours entre le narrateur et Marie, deux éternels amants. Ce qui original aussi dans ces retrouvailles c'est que le narrateur joue alternativement le rôle de l'amant de Marie et celui de l'écrivain,

     

    Le titre « La vérité sur Marie » porte en lui-même sa charge de suspens. Son simple énoncé implique qu'on ne sait pas tout d'elle ou que ce que l'on sait est faux. Si j'en juge par la 4° de couverture, ce roman serait « le prolongement » de « Faire l'amour »(2002) et « Fuir » (Prix Médicis 2005). Malheureusement pour moi, j'aborde ici et pour la première fois cet auteur sans avoir lu ses précédents romans.

     

    Pour autant, j'ai apprécié le style, évocateur et plein de descriptions poético-érotiques, j'ai aimé ces relations parfois tendues parfois complices et sensuelles des deux personnages qui deviennent petit à petit les uniques protagonistes de ce récit.

     

    Quelle est donc, le livre refermé, cette vérité sur Marie? J'y ai lu l'incarnation d'un amour à la fois sensuel et distant, irréel et peut-être impossible qu'elle distille pour un narrateur très épris d'elle. Cela illustre sans doute une des facettes de la conditions humaine, l'éternelle hésitation entre « être et ne pas être », entre amour et désamour.

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE PROFESSEUR DE SCÉNARIO – Luc Dellisse

     

     

     

    N°404 – Mars 2010

    LE PROFESSEUR DE SCÉNARIO – Luc Dellisse – Impressions nouvelles .

     

    Ce doit être un roman autobiographique puisque le personnage principal porte le même nom que l'auteur. Comme lui il est professeur de cinéma, mais à Genève, pas à la Sorbonne (peu importe). Tout au long du récit, il nous parle (à la première personne) des problèmes d'un enseignant, de ces demi-couloirs, de l'intendance, de la photocopieuse, des crédits, des réunions, des relations avec ses collègues, des prises de pouvoir à l'intérieur du microcosme professionnel, du charme et de la beauté de ses étudiantes... Pas vraiment passionnant! Le milieu universitaire est feutré et clos, comme il se doit et le décor de la ville est tranquille comme le sont généralement les cités de la Confédération Helvétique. Tout cela menace d'être ennuyeux et finit bien par l'être, sauf peut-être quand il instille une énigme policière avec un suicide présenté comme un acte de contrition pour un assassinat et peut-être une malversation perpétrés par un de ses collègues. Quand il aborde ses amours, c'est un peu plus original, pas vraiment intéressant quand même, parfois un peu érotique, mais chacun son parcours, ses conquêtes féminines, ses fantasmes!

     

    Pour le reste c'est une succession de scènes existentielles sans grand intérêt, un itinéraire quotidien dans un univers un peu clos d'une ville suisse où l'auteur se voit nommé à cause d'une thèse sur Guitry. Il porte sur le monde qui l'entoure un regard sans complaisance comme si l'auteur voulait brouiller les pistes, égarer son lecteur au nom de la fiction, sûrement pas pour s'en moquer, mais sans doute pour créer un univers dans lequel j'ai eu beaucoup de mal à entrer. A-t-il voulu régler quelques comptes? A-t-il voulu poser des questions sur la fonction d'écrivain par rapport à celle de scénariste, sur la portée littéraire du scénario? A-t-il souhaité analyser le principe de liberté de création au regard des contraintes existantes et parfois inévitables? Si c'est le cas, cette réflexion, voire cette remise en question ne peut que nourrir efficacement sa démarche créatrice et son activité d'écrivain est sans doute complémentaire de celle d'enseignant de scénarios qui sont aussi des fictions. Voit-il, comme le dit la 4° de couverture, le scénario, non comme la seule écriture d'un film, mais comme l'art de diriger sa vie? C'est sans doute une philosophie de vie qui en vaut bien une autre et il n'a peut-être pas tort de voir ainsi « les choses de la vie », mais pourtant il m'a semblé que les références avec le cinéma sont ici plutôt ténues. Tout au long du roman, il file une sorte de métaphore, en forme de partie d'échecs en plein air, comme à contre-jour. A la fin, il en donne en quelque sorte la clé «  Mon scénario aussi était un jeu d'échecs ». C'était assurément une autobiographie, sans grande complaisance cependant puisqu'il avoue n'avoir pas donné de son héros une image « exagérément positive », fasciné par le sexe et ayant des rapports ambigus avec l'argent ce qui « jette le doute sur son honorabilité ». Il précise que « dissimuler la moindre bribe de vérité pour ne pas ternir son image équivaudrait à renoncer à écrire », ce qui est une marque de sincérité.

     

    C'est vrai que je me suis un peu forcé pour mener ma lecture à terme, par curiosité sans doute, en me demandant si je finirai par être étonné. Il est bien parfois question de copie égarées, de portefeuille volé, mais tout cela se retrouve à la fin. Autant d'énigmes qui n'en sont pas vraiment!

     

    Il semble que ce soit une suite, le troisième volet d'une autobiographie imaginaire ( « l'invention du scénario », « L'atelier du scénariste ») et je suis pourtant volontiers attentif à sa démarche quand il déclare « Je suis absent en chair et en os des moindres circonstances romanesques de ce livre... ainsi ai-je pu l'écrire en toute objectivité ». Je suis en effet toujours aussi curieux des relations privilégiées qui existent entre un auteur et ses personnages.

     

    Même si j'ai eu un peu de mal à entrer dans cet univers romanesque (ce scénario?), le style et peut-être lui seul, a soutenu mon effort. Le texte est bien écrit, agréablement poétique par moment, avec un certain humour, une ironie bienvenue, un sens de la formule même et agréable à lire.

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • ET MAINTENANT DANSEZ - Andrés BARBA

     

    N°403 – Mars 2010

    ET MAINTENANT DANSEZ – Andrés BARBA – Bourgois Éditeur.

     

    Les personnages tout d'abord. Inès la mère qui autrefois a été belle, Pablo, le mari, ancien employé de Chemins de Fer espagnols dont l'emploi était toute sa vie. Il voue une affection attachante à son épouse qui n'est pourtant plus que l'ombre d'elle-même, Santiago, le fils préféré, qui a de plus en plus honte de ses parents mais qui prend conscience qu'il est incapable d'aimer une autre femme que sa mère, Barbara, la fille, 40 ans, qui a souffert d'être un peu mise à l'écart et qui s'aperçoit que sa vie d'épouse et de mère de famille devient de jour en jour plus morne. Elle se découvre des penchants homosexuels pour Eléna, son employée de maison. Il y a aussi Béatriz, la petite sœur anormale, morte à trois mois. Personne ne parvient vraiment à faire le deuil de ce fantôme.

     

    Inés, mère jadis sévère et un peu bigote, à presque soixante dix ans, perd la tête et s'enfonce de jour en jour dans les affres de la vieillesse et de la sénilité. Elle perd de plus en plus la mémoire, oublie jusqu'aux prénoms de ses proches, agit d'une manière désordonnée dans les gestes les plus quotidiens, perd jusqu'au sens du langage. Pablo prend conscience que sa femme est condamnée, se révèle maladroit, coupé de la réalité depuis son départ en retraite, et paradoxalement, dépendant de sa femme. Chacun, à cette occasion, se remet en question, s'interroge sur lui-même, sur son avenir, sous l'ombre tutélaire d'Ines qui n'est déjà plus là mais qui reste étonnamment présente, même si chacun pense à sa mort prochaine... Il en résulte une ambiance angoissante.

     

    Ce roman sans grands dialogues, sans beaucoup de descriptions non plus, offre le ton assez pathétique des monologues intérieurs (sauf celui d'Inès qui n'existe pas). C'est aussi une série un peu délétère de portraits juxtaposés, avec seulement entre eux des liens artificiels. Je ne suis pas bien d'accord avec la quatrième de couverture qui annonce un texte « sans pitié ni misérabilisme ». Je serais plutôt de l'avis contraire (Les évocations d'Inés et de sa maladie sont affligeantes, les réflexions de Pablo sont un mélange de craintes, de fausse complicité et de navrante subordination, il y a une sorte de diabolisation de la beauté féminine, de la nudité, du plaisir sexuel, une volonté de transformer tout cela en tabou, l'impression un peu bizarre que chacun d'eux n'est pour l'autre qu'un étranger ).

     

    Il me paraît que ce roman un peu lugubre donne à voir des personnages malgré tout un peu lisses, sans grand relief et incrustés dans le quotidien. Il marque un bouleversement réel des choses, une tentative peut-être manquée de briser des interdits et de formuler des non-dits, une peinture sans concession d'êtres face à leurs contradictions, une sorte de lente agonie d'un foyer jadis stable qui maintenant part à vau l'eau, une évocation de l'impossibilité pour les enfants, Barbara et Santiago, de s'unir à leur tour sous l'égide de l'amour, la consécration de la solitude. C'est un roman de la défaite face à la vie, l'image un peu délétère de la vieillesse, de la mort annoncée et de la triste condition humaine.

     

    Ces quatre mouvements me paraissent peu convaincants et je ne suis pas bien sûr de vouloir poursuivre la lecture de l'œuvre de ce jeune auteur.

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LIBERTÉ – Un film de Tony Gatlif.

     

     

    N°402 – Mars 2010

    LIBERTÉ – Un film de Tony Gatlif.

     

    Tout commence par une image poétique et tragique à la fois, un camp de concentration et une musique jetée au vent et produite par des cordes de guitare qui vibrent au rythme des barbelés. Le ton est donné.

     

    La deuxième image est celle d'un campement de gitans en marche dans une forêt à la recherche d'un hypothétique fantôme qui leur fait peur. Ce n'est en fait qu'un petit garçon qui veut se joindre à eux pour échapper à l'orphelinat. Lui aussi a choisi la liberté, celle de ceux qui ne sont de nulle part et qui n'ont comme boussole que le vent. Cette famille tsigane s'installe provisoirement dans un village pour les vendanges, comme tous les ans. Pour autant, on commence à comprendre que les choses ont changé, qu'ils se méfient. On aperçoit la silhouette de soldats allemands qu'ils semblent fuir. Pourtant, dans ce village, ils ont leurs habitudes, qu'ils y connaissent des gens qu'ils respectent, comme ce Pentecôte qu'ils accueillent au début en ami. Pourtant, c'est la guerre et même si cela n'est la « leur guerre », elle est là et a changé les mentalités et surtout les hommes. Pentecôte qui était auparavant leur ami est devenu un « collabo », à la solde de la milice et des SS, désireux avant tout de les spolier du peu qu'ils ont et de servir ses propres intérêts. A partir de ce moment les choses s'enclenchent et de fuites en persécutions et internements dans un camp, le spectateur les prend forcément en sympathie. Ils sont les faibles dont les plus forts vont avoir raison, la mort va s'imposer, même s'il elle n'est suscitée qu'à travers l'assassinat de Taloche.

     

    Dans ce film sans véritable scénario, fait seulement de scènes juxtaposées, Gatlif choisit de célébrer le besoin de liberté [Taloche, décidément en décalage complet avec notre société qui libère l'eau en ouvrant largement les robinets – C'est dans l'eau de la rivière qu'il trouvera la mort, symbole d'une véritable libération mais aussi de la volonté d'anéantissement des Allemands] qui colle aux « semelles de vent » des Tsiganes. A l'occasion, l'auteur souhaite revenir aussi sur les idées reçues et fortement ancrées dans l'inconscient collectif qui font d'eux des « voleurs de poules » [L'épisode où les gens du village viennent les chercher et les paient pour jouer devant leurs poules qui ne veulent plus pondre, est révélateur]. Il les montrent comme des gens qui refusent définitivement d'intégrer notre société sédentaire, scolarisée, obéissante..., comme des gens qu'on souhaite surtout voir s'installer ailleurs [Même s'ils jouent dans les bals de campagne, apparemment à la satisfaction de tous, ils n'en sont pas moins l'objet de l'hostilité des villageois, même s'ils partagent, peu ou prou, les mêmes peurs, les mêmes superstitions]

    Gatlif n'oublie personne et rappelle, à sa manière, qu'ils n'ont pas été les seuls à être persécutés par les Allemands [l'épisode où Taloche, malgré son côté hurluberlu et comique, découvre à la sortie d'un tunnel ferroviaire une montre juive, remet les choses dans leur contexte]. Hitler ne s'en est pas pris seulement aux Juifs, mais aussi à tous ceux qui n'avaient pas l'heur de lui plaire [communistes, résistants, opposants politiques, homosexuels...]. Il rend également hommage à ceux qui ont gardé leur humanité, le maire du village qui vient les chercher dans le camp et les sauve provisoirement par un subterfuge juridique, l'instructrice qui est aussi une résistante, le personnage incarné par Rufus qui leur fournit du travail et de la nourriture. Ils sont eux aussi, à leur manière, des « Justes parmi les justes » mais cette distinction n'existe pas chez les Tsiganes. Il n'y a pas eu chez eux, comme chez les Juifs, d'écrivains et des éditeurs pour porter témoignage de cette extermination.

     

    Ce film est donc bienvenu par l'authenticité de ses personnages et par le témoignage qu'il porte, non seulement sur la différence [et donc sur la tolérance qu'elle entraîne de la part d'une société qui se dit civilisée], mais surtout sur le massacre, avec la complicité de l'État français, de ce peuple victime, lui aussi, de la folie meurtrière des nazis.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • L' INVISIBLE – Pascal JANOVJAK

     

     

    N°401 – Mars 2010

    L' INVISIBLE – Pascal JANOVJAK – Éditions Buchet – Chastel.

     

    C'est un peu notre histoire à tous, au moins au début. Tous nous aurions voulu faire autre autre chose, être quelqu'un d'autre... Et puis il y a les hasards de la vie qui vous donnent parfois à penser que vous n'avez pas forcément fait le bon choix...

    Le narrateur est avocat au Luxembourg, trente cinq ans et travaille dans un cabinet important. Sur sa situation professionnelle, il n'y a rien à dire, son salaire est très acceptable et il est compétent. On peut donc penser qu'il a réussi, malgré un âge relativement jeune. Pourtant il aurait voulu être artiste-peintre, mais c'était plus hasardeux, le droit c'était plus simple et il avait hâte de quitter Paris pour la tranquillité du Grand-Duché.

    En réalité, il manque d'ambition et, côté personnel, c'est un solitaire, un timide, un malchanceux et le résultat de tout cela n'est guère brillant : pas d'amis, pas d'amour, malgré son attirance pour les femmes en générale et pour son assistante en particulier, seulement quelques passades rapidement passées, un embonpoint naissant, pas mal de spleen, les mains moites et la prise de conscience de sa médiocrité, de son anonymat! C'est vraiment le désert dans sa vie.

    A cause de cela sans doute et à l'occasion d'un voyage d'affaires un peu laborieux, il se rend compte qu'il est invisible. Là, cela devient intéressant et le personnage prend un côté original qui le différencie du commun des mortels auquel il ressemblait si bien. Et pourtant, chacun d'entre nous est un fantôme, perdu dans la foule, mais lui, sans avoir souhaité ce nouvel état, connaissait enfin ce qui lui avait toujours été interdit avant : il était heureux et surtout libre, transparent, un véritable courant d'air!

     

    Dès lors, une nouvelle vie s'offre à lui et il endosse une nouvelle personnalité. Son nouveau pouvoir lui révèle des possibilités insoupçonnées, des audaces dont, dans sa vie antérieure il n'aurait pas eu le début du commencement d'une intention. Il en profite même pour régler quelques comptes, devenir voyeur, espiègle, coquin et même un peu voleur. Son regard sur les femmes, jadis timide et hésitant, devient sensuel et parfois inquisiteur. Tout cela l'entraine dans un voyage improbable, peut-être initiatique dont le lecteur se demande s'il a réellement eu lieu, mais après nous sommes dans une fiction! Finalement les choses reviennent à leur vraie place et reprennent leur cours. Pas exactement cependant et cette période entre parenthèses lui permet une réflexion salutaire, un nouveau regard sur les choses et les gens, sur la société avec tous les travers que nous lui connaissons.

     

    C'est vrai qu'on ne peut pas ne pas songer à H.G. Wells et à Marcel Aymé.

    Le roman est bien écrit, avec un humour qui sait s'attacher le lecteur. Le style est léger, presque primesautier. J'ai lu ce récit jusqu'à la fin avec plaisir, mais j'ai été un peu déçu par l'épilogue, je m'attendais à autre chose. Qu'importe! Mais j'ai bien aimé la réalité évoquée à une époque où seule compte la réussite professionnelle, les apparences et où chacun s'attache à faire prévaloir le paraître sur l'être, l'égoïsme, l'artifice, le plaisir immédiat. Sa volonté initiale de devenir peintre trouve, à la fin, une heureuse issue.

    © Hervé GAUTIER – Mars 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE SYNDROME D'ULYSSE - Santiago GAMBOA

     

    N°400– Février 2010.

    LE SYNDROME D'ULYSSE – Santiago GAMBOA - Métailié.

     

    J'ai, avec la lecture des relations bizarres et quand je choisis un livre, c'est parfois à cause de sa notoriété, parce qu'il faut l'avoir lu pour pouvoir en parler[c'est un peu l'objet de cette chronique], mais souvent, c'est le hasard qui guide mon choix. Il fait bien ou mal les choses, c'est selon!

    Pourquoi ai-je choisi ce roman? A cause de James Joyce, peut-être ou de mon chat qui porte le même nom que le héros grec à cause de l'habitude que nous avons prise de baptiser nos animaux de compagnie de noms dont le première lettre varie en fonction de l'année? Ou peut-être de l'attirance irraisonnée que le ressens toujours pour les auteurs hispaniques? Allez savoir!

    L'histoire m'a pourtant paru, au début un peu fastidieuse, mais je ne sais pas pourquoi, je m'y suis accroché. Cela ne m'intéressait pourtant pas beaucoup d'en savoir davantage sur cet Esteban, jeune colombien venu à Paris dans l'espoir d'étudier en Sorbonne et celui un peu plus fou de devenir écrivain. Comme c'était prévisible, lui qui ne rêvait que de salons littéraires et de prix prestigieux, n'a connu que la pluie, le froid, la promiscuité... et la plonge dans un restaurant parisien!

    Je n'avais pas non plus de réelles sympathies pour ce marocain qui lui aussi nourrissait des fantasmes de réussites universitaires françaises mais son parcours s'est révélé le même! Suivent d'autres rencontres avec des Sud-américains, des Roumains, qui livrent tous, à la première personne, une récit proche de l'oralité fait de solitude et de désarroi, comme celle de Jung, le Coréen, réfugié et travailleur précaire, des aventures avec des femmes plus ou moins prostituées aussi. Cela m'a semblé être comme une succession de récits reliés artificiellement entre eux, souhaitant sans doute nous rappeler la dure condition des travailleurs émigrés. Je ne dis pas que ce n'est pas émouvant et une piqure de rappel ne fait jamais de mal surtout dans un pays qui proclame bien haut ses valeurs humanistes et républicaines, mais ne respecte même pas ses propres citoyens nationaux. Mais quand même! C'est d'autant moins original que le récit dévie rapidement vers l'homosexualité et vers des évocations érotiques voire pornographiques, sans doute pour être dans un contexte plus actuel, vers la drogue et l'alcool aussi, sans oublier de remuer des poncifs un peu usés.

    Pour faire intellectuel, l'auteur note constamment des références culturelles, ce que je n'ai, personnellement, pas trouvé très convaincant.

    J'ai cherché ce qu'est réellement le syndrome d'Ulysse, peut-être pour m'expliquer le titre de ce roman dont je suivais les méandres avec difficultés. Il s'agit de retracer le parcours d'un individu qui, sans être sujet à des pressions psychologiques, peut se trouver capter par un autre ou un groupe d'autres au point qu'il en perde tout sens critique et qu'il soit même incapable de se remettre lui-même en cause. C'est aussi le stress ressenti par un émigré qui arrive dans un pays étranger et le ressent comme hostile. Loin de moi de vouloir minimiser un tel message, mais je suis vite lassé, même si ce récit suscite une grande solitude et se termine par le suicide. Quant à l'écriture, présentée comme une libération dans ce contexte difficile, pourquoi pas? Nous savons tous qu'elle est une vertu et une manière de se recréer un monde différent et plus conforme à nos vues.

     

    Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais je n'ai pas vraiment été enthousiasmé par cet auteur dont je ne souhaite pas poursuivre la découverte.

     

    J'avoue que je me suis beaucoup ennuyé à la lecture de ce livre, pas vraiment (et même pas du tout) bien écrit, ni passionnant ni attachant. Cela n'a pas correspondu à ce que j'attends d'un roman, celui d'être un moment d'exception et de plaisir, à la découverte d'un auteur et de son univers.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE SARI VERT – Ananda DEVI

     

    N°399– Février 2010.

    LE SARI VERT – Ananda DEVI – Gallimard.

     

    Nous sommes dans l'île Maurice et un vieux médecin, le Docteur Bissam est à l'agonie. Il est veillé par sa fille, Kitty, et sa petite-fille, Malika. On imagine facilement qu'il aurait souhaité partir en paix, mais son existence entière a été faite de haine, de violences... Le fait-elle exprès (avant qu'il ne soit trop tard?), mais sa fille va réveiller, dans le huis-clos de cette chambre mortuaire et dans l'esprit de ce pauvre nécromant, des images oubliées depuis longtemps. C'est qu'elle veut apprendre de sa bouche comment sa mère, l'épouse du docteur, est morte. Elle veut savoir ce que fut sa vie et elle ne va pas tarder à apprendre qu'elle a été placée sous le signe du mépris, des insultes, des coups... qui peuvent parfois conduire au crime. Même si le récit est fait principalement à la première personne, par ce « Dokter-Dieu », on n'imagine pas, pour une foule de bonnes raisons, qu'il ait pu être aussi un tyran familial. Pourtant, avec la voix qu'on imagine chevrotante d'un mourant, il va justifier son attitude, celle de toute une vie. Pour un plat brûlé, il frappe pour la première fois son épouse et évoque le sourire que lui faisait sa lèvre fendue. «  La violence est une grâce » finit-il par déclarer!

     

    La violence (à la lumière du dernier mot de cet ouvrage étonnant à plus d'un titre) est donc au cœur de ce roman, celle d'un homme qui bat son épouse et plus tard sa fille, parce qu'il n'aime guère les femmes, mais aussi la violence verbale du monologue de cet homme qui revoit le cours d'une vie où il n'a pu se dispenser de rendre malheureux son entourage. Sous sa plume, à la fois cruelle misogyne et lucide, le narrateur entraine son lecteur dans la monstruosité ordinaire d'un homme mesquin, une sorte de « Père-Dieu » qui a d'autant plus facilement humilié cette épouse, morte jeune, qu'il en était profondément épris, qu'il désirait ardemment la posséder, la dominer, mais cette femme choisit, comme acte de résistance, de se réfugier dans le silence. Il étend son pouvoir sur elle puis sur sa fille, mais on sent bien que sa petite fille lui échappe. Le lecteur comprend bien aussi que ces deux femmes ne le laisseront pas en paix tant qu'il ne leur sera pas révélé les circonstances de la mort prématurée de cette épouse, même s'il cherche à louvoyer avec la vérité et ses peurs, celles de la nuit et celles du passé.

     

    C'est peut-être difficile à dire, mais il m'a semblé que ce livre était une sorte de dernier cri poussé avant la mort même si « l'honnêteté de penser est désormais un crime », on sent qu'il a envie de tout braver et de libérer enfin sa conscience, même si ces mots sont pleins de méchanceté, de haine et de volonté de se disculper. C'est que la mort est à chaque ligne, celle de son épouse mais aussi celle de leur fils qui n'a pas vécu, celle du mari de Kitty, de tous ceux qu'il a soignés et qui n'ont pas résisté, de la sienne à venir...Certes, ce qu'il dit dérange, mais j'ai eu l'impression d'une libération par les mots, un besoin de justifications, une catharsis... même si le monologue se transforme, petit à petit en dialogue, certes difficile et même délétère entre « ses » femmes et lui.

     

    A la fin, cet homme finit par mourir et la parole est rendue aux femmes qui lui assènent leur vérité afin que l'équilibre des choses soit en quelque sorte rétabli. Il l'est, d'une certaine façon à la fin, quasi-fictivement, puisqu'elles se retrouvent devant le corps du docteur, désormais privé de vie, et célèbrent en une sorte de fête macabre, une manière de libération, le point final de leurs blessures

     

    Le sari, vêtement de femme de l'île Maurice qui évoque tout à la fois la grâce, la féminité, la légèreté, va devenir sous la main de Bissam, un véritable carcan et même un linceul. Il apparaît au début dans un rêve, une sorte de fantôme que le narrateur poursuit, allégorie de la vie passée avec son épouse, puis de la mort.

     

    Le livre refermé, je retire une impression dérangeante, malsaine. Cette histoire de vie et de mort, de culpabilité et de pardon, de honte et de faute, d'amour et de haine, d'ange et de démon, de solitude et de compassion, de grandeur et de déchéance, de tendresse et de lâcheté, de poésie et de vulgarité, d'émotions et de dégoûts résonne comme les deux pans opposé d'un discours d'où la pertinence et la lucidité ne sont pourtant pas absentes.

     

    Le style est envoûtant jusqu'à la fin et j'ai un peu de mal à admettre que tous ces mots aient pu naître sous la plume d'une femme.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • TROIS FEMMES PUISSANTES – Marie Ndiaye

     

    N°398– Février 2010.

    TROIS FEMMES PUISSANTES – Marie Ndiaye – Gallimard (Prix Goncourt 2009).

     

    Que ce soit Norah, cette avocate qui vit en France et qui est amenée à rejoindre en Afrique un père égocentrique pour débrouiller une triste affaire de meurtre familial, Fanta, compagne d'un professeur de Lettres de Dakar qui doit quitter ce pays pour suivre son mari en France à la suite d'une expulsion du collège où il travaillait, mais qui se révèle incapable de lui procurer la vie dont elle a rêvé ou Khady Demba, jeune veuve africaine et pauvre en mal d'enfant qui veut rejoindre une cousine en France et pour cela se prostitue dans une ville du désert, elles nous sont présentées comme des femmes qui luttent pour leur dignité. C'est en ce sens, au dire même de l'auteur, qu'elles sont puissantes.

     

    J'avoue avoir lu ce livre parce qu'il a été sous le feu de l'actualité à cause de ce prestigieux prix littéraire, mais je n'en ai pas retiré grand chose de ces trois histoires. La première et la troisième m'ont paru un peu dignes d'intérêt, mais la seconde, la plus longue, s'est révélée ennuyeuse. Je ne l'ai pas bien comprise. Il est effet beaucoup question de Rudy Descas, le compagnon de Fanta, de ses états d'âme, de ses indispositions physiques passagères, de ses phobies, de sa propre histoire mouvementée et tourmentée par celle de son père meurtrier, quelques années plus tôt, de son associé à Dakar, de ses impossibilités de se réaliser dans un nouveau métier qui ne lui convient pas. Là, sa compagne est singulièrement absente et le récit qui, Dieu sait pourquoi, oscille et hésite entre le personnage de sa mère, tourmentée par des préoccupations religieuses d'un autre âge, par son rôle éventuel dans la mort par suicide de son mari incarcéré à Dakar à la suite de l'assassinat de son associé, et celui du sculpteur Gauquelan qu'il soupçonne de lui avoir dérobé son image, des craintes au sujet de la fidélité de cette épouse, décidément bien absente de ce récit. Peut-être y a-t-il une allégorie, une métaphore, entre les attaques répétées d'une buse et les anges que sa mère voit partout? Cet animal illustre-t-il la difficulté que rencontre Rudy avec le monde extérieur qu'il perçoit comme hostile et répond-il aux corbeaux du troisième récit? Quand à la dernière évocation, il semble y avoir un cousinage entre Fanta et Khady.

     

    Le troisième témoignage donne à voir une veuve africaine rejetée par sa propre famille parce qu'elle n'a pu avoir d'enfant, ravalée au rang d'une domestique, avec la sensation de n'être rien en ce monde au point d'entrer dans un mutisme presque permanent et de devoir partir pour L'Europe.

    C'est certes un témoignage sur la femme africaine, ses désillusions au regard de ses rêves d'occident. Il y a peut-être une sorte d'unité entre ces trois récits, le lieu (la ville de Dakar et la prison de Reubeuss) que bizarrement les hommes semblent se partager (on peut supposer que le père de Nora a repris le village vacances que celui de Rudy avait voulu créer – A la mort mystérieuse de la seconde épouse du père de Nora, semble répondre l'assassinat de l'associé du père de Rudy et les pulsions meurtrières de celui-ci et la mort non moins mystérieuse et brutale du mari de Kadhy – A l'impossibilité de s'adapter à son nouveau métier, semble répondre, pour Rudy, la volonté destructrice qu'il a déployée jadis, face à l'agression de ses élèves et qui a motivé son renvoi du collègue où il enseignait - Attachement impossible à son propre fils et sentiment de culpabilité de du père par rapport à son enfant auquel répondent ses interrogations, ses états d'âme à lui par rapport à son propre père?).

     

    Je n'ai pas vraiment senti la « puissance » de ces femmes, leur volonté de s'opposer à leur quotidien. J'ai plutôt été interpelé par la mort, omniprésente, comme un leitmotiv, comme la solution d'une existence impossible ou la source de celle-ci. Peut-être le dernier récit, plus fort en intensité émotionnelle, m' a-t-il interpelé mais il m'apparait que Khady subit son sort, la trahison de son compagnon, plus qu'elle ne réagit face à sa condition.

     

    C'est étonnant, mais j'ai lu ces récits, davantage intéressé par le dénouement de chacun d'eux et lien qui pouvaient exister entre eux mais la longueur démesurée de la plupart de phrases et les nombreuses péripéties du récit qui, à mon avis n'apportent rien à l'ensemble, m'ont vite découragé.

    Seul, peut-être, le dépaysement a retenu mon attention mais je n'adhère guère au concert de louanges qui a accompagné ce prix.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • MA GRAND-MÈRE AVAIT LES MÊMES – Philippe DELERM

     

    N°396– Février 2010.

    MA GRAND-MÈRE AVAIT LES MÊMES – Philippe DELERM – Feryane éditeur.

     Philippe Delerm n'est pas un inconnu pour cette revue (la Feuille Volante n°268).

     J'ai donc abordé cette lecture avec un a priori favorable. Le titre en lui-même sonne comme une remarque existentielle, pas vraiment un compliment, plutôt une réflexion désabusée qui insiste sur la banalités de choses qui pourtant se voulaient originales!

     D'emblée, j'ai été conquis par le style, bien dans l'esprit de cet ouvrage qui n'est ni un roman ni un essai mais une somme de réflexions sur la condition humaine à travers des expressions de tous les jours qui reviennent dans notre bouche et qui résument la perception que nous avons du monde qui nous entoure. Du monde et surtout des êtres, nos semblables que nous sommes amenés, parfois malgré nous ou parfois non, à juger d'un mot, comme si cela devait faire date dans notre jurisprudence personnelle, tant il est vrai que nous sommes tous prompts à la critique! Nous nous arrogeons le droit de poser nos yeux sur la vie d'autrui comme si cela nous regardait et comme si cela pouvait arranger les choses, en oubliant, bien sûr, qu'il en va de même pour nous, que nous sommes nous aussi un centre d'intérêt pour autrui ou une occasion de parler! Juger les autres n'a jamais fait avancer les choses. Tout y passe, notre voisin comme la façon qu'ont les hommes politiques de gouverner le monde et donc notre vie, mais aussi le foot, le gaspillage...

    C'est vrai qu'elles sont banales les choses de tous les jours, c'est rien de le dire surtout quand cette caractéristique s'exprime en phrases convenues, presque des clichés, des truismes des petites phrases usitées à en être usées qui soulignent le temps, celui qu'il fait et celui qui passe. On n'y prête même plus attention parce que « le travail », parce que « la famille », parce que « les obligations »... et puis on choisit de tout oublier « parce que le présent est toujours fait de comédie et de tragédie », on laisse filer tout en profitant, parfois, pour oublier, parce que le temps est source de souvenirs, mélancoliques, douloureux, rarement heureux! Tout cela est une question de fidélité, aux autres et surtout à soi parce qu'à l'heure de la toilette l'image que nous renvoie chaque matin le miroir se doit d'être honorable, à moins qu'on choisisse de s'en moquer. Quand on est vieux on se veut « encore jeune » et les générations montantes doutent du futur et envient les retraités! On n'oublient pas les rituels, ceux du marché dominical, même s'il y fait froid, que c'est incommode et plus cher qu'ailleurs. On se justifie avec de bonnes raisons, celle du dialogue avec le commerçant, de la rencontre de copains et de l'appétitif sur le zinc...

    L'auteur décrit en effet des instants familiers, caractérise des moments saisis dans notre quotidien, sur le marché, dans la rue ou simplement dans notre famille. Ce ne sont que des mots, des expressions toutes faites, des phrases usitées à en être usées ( mais les mots de s'usent pas comme des vêtements, on dirait au contraire qu'ils se régénèrent, se revitalisent par un usage excessif) que nous sollicitons pour expliquer une situation , souvent dans un résumé étonnamment bref. Le temps! Voilà bien le sujet. C'est avant tout celui qu'il fait, la météo que chacun se targue de deviner pour le lendemain ou de regretter parce que, maintenant, il n'y a plus de saison et que le réchauffement de la planète menace la vie. Ah, cette météo, si elle n'existait pas! Elle permet à chacun de se mettre en valeur, de faire état de son expérience personnelle qui, bien entendu, est meilleure que celle de son voisin!

    Surtout, me semble-t-il, c'est le temps qui passe qui est évoqué. Sur lui, personne n'a de prise et cet aspect des choses fait tellement partie de la condition humaine qu'il vaut mieux oublier. Nous ne sommes ici que de passage, nous ne sommes pas éternels. Cela aussi fait partie de ces petites phrases récurrentes qu'on emploie comme à regret, un rien philosophe, ou qu'on évite de trop évoquer parce qu'elles deviennent tabou et insistent sur l'aspect transitoire de notre vie! Elles évoquent le passé comme une période pas vraiment mieux que maintenant, mais qu'on regrette parce qu'à l'époque on était plus jeune, on avait la vie devant soi et le temps n'avait pas encore laissé son empreinte dans notre âme et dans notre vie. C'est aussi notre présent qui est évoqué ici, dans nos gestes quotidiens et automatiques, ce qui donne à l'auteur une extraordinaire occasion d'en parler et d'y réfléchir, de disséquer ce qu'il croit être nos raisons profondes d'agir ainsi et les remarques personnelles que cela lui inspire. L'air de rien, il nous parle de nous, de nos petites lâchetés, de notre aptitude à la flatterie, voire à la flagornerie, de nos petits arrangements avec le quotidien, de notre refus de nous remettre en question, de ces non-dits, voire de ces hypocrisies de chaque jour qui envahissent notre vie, de nos compromis qui se changent souvent en compromissions, de nos centres d'intérêt qu'on voudrait définitifs mais qui sont souvent remplacés par d'autres, davantage de circonstance... Nous nous nourrissons avec gourmandise de superficialité parce que l'époque est ainsi. Nous exprimons nos révoltes autant que nos plaisirs intimes et furtifs.

    A travers mille petites phrases de la vie de tous les jours, l'auteur redessine cette hypocrisie, voire cette muflerie qui fait notre quotidien et dont nous nous contentons à bon compte, qui cache ce que tout le monde voit mais affecte d'ignorer, ces non-dits qui gomment artificiellement les différences et clivages sociaux. C'est la société humaine qui se reflète dans son langage comme dans un miroir et évoque ces mille arrangements avec la solitude, la condition humaine, les bassesses et les lâchetés qui font notre quotidien, cette volonté de faire prévaloir le paraître sur l'être parce que c'est ainsi depuis que le monde est monde et que personne ne changera rien à cette comédie, parce que la flatterie, voire la flagornerie fait partie du jeu, parce que les compromis se changent souvent en compromissions, parce que c'est ainsi tout simplement, malgré les images et les visages furtifs de ceux qu'on aurait bien voulu voir s'attarder un peu, mais voilà!

     Ces petits fragments de langage, commentés avec humour et rendus savoureux par l'auteur sont autant d'occasion de se les rapproprier avec émotion, même si, l'air de rien, il nous rappelle que nous ne sommes ici que de passage, que tout ce qui est humain a une fin et que ce n'est peut-être pas si grave que cela après tout puisqu'il nous redonne les goût des mots, pas ceux intellectuels de la littérature, mais au contraire ceux de tous les jours et de tout le monde! Le temps passe, oui, et après? Ces mots c'est, comme le dit l'auteur « un salut à la vie qui se plaint de la vie ».

    Alors, insoutenable légèreté de l'être? Pourquoi pas. Il reste que j'ai bien aimé ce moment de lecture.

    Le sous-titre « les dessous affriolants des petites phrases » me paraît tout à fait justifié.

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

    N° 396 – Février 2010

     

    MA GRAND-MÈRE AVAIT LES MÊMES – Philippe DELERM

    Philippe DELERM n'est pas un inconnu pour cette revue (La Feuille Volante n° 268).

    J'ai donc abordé cette lecture avec un a priori favorable. Le titre en lui-même sonne comme une remarque existentielle, pas vraiment un compliment, plutôt une réflexion désabusée qui insiste sur la banalités de choses qui pourtant se voulaient originales!

    D'emblée, j'ai été conquis par le style, bien dans l'esprit de cet ouvrage qui n'est ni un roman ni un essai mais une somme de réflexions sur la condition humaine à travers des expressions de tous les jours qui reviennent dans notre bouche et qui résument la perception que nous avons du monde qui nous entoure. Du monde et surtout des êtres, nos semblables que nous sommes amenés, parfois malgré nous ou parfois non, à juger d'un mot, comme si cela devait faire date dans notre jurisprudence personnelle tant il est vrai que nous sommes tous prompts à la critique! Nous nous arrogeons le droit de poser nos yeux sur la vie d'autrui comme si cela nous regardait et comme si cela pouvait arranger les choses, en oubliant, bien sûr, qu'il en va de même pour nous, que nous sommes, nous aussi un centre d'intérêt pour autrui, ou une occasion de parler! Juger les autres n'a jamais fait avancer les choses. Tout y passe, notre voisin comme la façon qu'ont nos hommes politiques de gouverner le monde et donc notre vie, mais aussi le foot, le gaspillage...

    C'est vrai qu'elles sont banales les choses de tous les jours, c'est rien de le dire surtout quand cette caractéristique s'exprime en phrases convenues, presque des clichés, des truismes des petites phrases usitées à en être usées qui soulignent le temps, celui qu'il fait et celui qui passe. On n'y prête même plus attention parce que « le travail », parce que « la famille », parce que « les obligations »... et puis on choisit de tout oublier « parce que le présent est toujours fait de comédie et de tragédie », on laisse filer tout en profitant, parfois, pour oublier, parce que le temps est source de souvenirs, mélancoliques, douloureux, rarement heureux! Tout cela est une question de fidélité, aux autres et surtout à soi parce qu'à l'heure de la toilette l'image que nous renvoie chaque matin le miroir se doit d'être honorable, à moins qu'on choisisse de s'en moquer. Quand on est vieux on se veut « encore jeune » et les générations montantes doutent du futur et envient les retraités! On n'oublie pas les rituels, ceux du marché dominical, même s'il y fait froid, que c'est incommode et plus cher qu'ailleurs. On se justifie avec de bonnes raisons, celle du dialogue avec le commerçant, de la rencontre de copains et de l'appétitif sur le zinc...

    L'auteur décrit en effet des instants familiers, caractérise des moments saisis dans notre quotidien, sur un marché, dans la rue ou simplement dans l'intimité de notre famille. Ce ne sont que des mots, des expressions toutes faites, des phrases usitées et même usées ( mais les mots ne s'usent pas comme des vêtements, on dirait au contraire qu'ils se régénèrent, se revitalisent par un usage excessif ) que nous sollicitons pour expliquer une situation, souvent dans un résumé étonnamment bref. Le temps! Voilà bien le sujet. C'est avant tout celui qu'il fait, la météo que chacun se targue de deviner pour le lendemain ou de regretter parce que maintenant, il n'y a plus de saisons et que le réchauffement de la planète menace la vie. Ah, cette météo si elle n'existait pas! Elle permet à chacun de se mettre en valeur, de faire état de son expérience personnelle, qui, bien entendu, est meilleure de celle de son voisin! Surtout, me semble-t-il, c'est le temps qui passe qui est ici évoqué. Sur lui personne n'a de prise et cet aspect des choses fait tellement partie de la condition humaine qu'il vaut mieux l'oublier. Nous ne sommes ici que de passage, nous ne sommes pas éternels. Cela aussi fait partie de ces petites phrases récurrentes qu'on emploie comme à regret, un rien philosophe, ou qu'on évitent pourtant de trop évoquer parce qu'elles deviennent tabou et insistent sur l'aspect transitoire de notre vie! Elles évoquent le passé, comme une période pas vraiment mieux que maintenant mais qu'on regrette parce qu'à l'époque on était plus jeune, on avait la vie devant soi et le temps n'avait pas encore laissé son empreinte dans notre âme et dans notre vie. C'est aussi notre présent qui est évoqué ici, dans nos gestes quotidiens et automatiques ce qui donne à l'auteur une extraordinaire occasion d'en parler et d'y réfléchir, de disséquer ce qu'il croit être nos raisons profondes d'agir ainsi et les remarques personnelles que cela lui inspire. L'air de rien, il nous parle de nous, de nos petites lâchetés, de notre aptitude à la flatterie, voire à la flagornerie, de nos petits arrangements avec le quotidien, de notre refus de nous remettre en question, de ces non-dits, voire de ces hypocrisies qui chaque jour envahissent notre vie, de nos compromis qui se changent souvent en compromissions, de nos centres d'intérêt qu'on voudrait définitifs mais qui sont aussitôt remplacés par d'autres, davantage de circonstance... Nous nous nourrissons avec gourmandise de superficialité parce que l'époque est ainsi exprimons notre révolte autant que nos plaisirs intimes et furtifs

    A travers mille petites phrases de la vie de tous les jours, l'auteur redessine cette hypocrisie, voire cette muflerie qui fait notre quotidien et dont nous nous contentons à bon compte, qui cache ce que tout le monde voit mais affecte d'ignorer, ces non-dits qui gomment artificiellement les différences et clivages sociaux. C'est la société humaine qui se reflète dans son langage comme dans un miroir et évoque ces mille arrangements avec la solitude, la condition humaine, les bassesses et les lâchetés qui font notre quotidien, cette volonté de faire prévaloir le paraître sur l'être parce que c'est ainsi depuis que le monde est monde et que personne n'y changera rien, parce que parce que c'est ainsi tout simplement, malgré les images et les visages furtifs de ceux qu'on aurait bien voulu voir s'attarder un peu, mais voilà!

    Ces petits fragments de langage, commentés avec humour et rendus savoureux par l'auteur sont autant d'occasion de se les approprier de nouveau avec émotion, même si, l'air de rien, il nous rappelle que nous ne sommes ici que de passage, que tout ce qui est humain a une fin et que ce n'est peut-être pas si grave que cela après tout puisqu'il nous redonne les goût des mots, pas ceux intellectuels de la littérature, mais au contraire ceux de tous les jours et de tout le monde! Le temps passe, oui, et après? Ces mots c'est, comme le dit l'auteur « un salut à la vie qui se plaint de la vie »

    Alors, insoutenable légèreté de l'être? Pourquoi pas. Il reste que j'ai bien aimé ce moment de lecture.

    Le sous-titre « les dessous affriolants des petites phrases » me paraît tout à fait justifié.

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.





     

     

  • LA PREMIERE GORGEE DE BIERE - Philipe DELERM – EDITIONS L'ARPENTEUR

     

    N°268 – Février 2007

     

    LA PREMIERE GORGEE DE BIERE – Philipe DELERM – EDITIONS L'ARPENTEUR

    L'auteur et moi sommes de la même génération, alors, forcément, nous avons quelque chose en commun, au moins l'époque. Peut-être pas autant que cela, parce que moi, je suis un provincial, version France profonde, et j'ai toujours voulu cultiver cela, alors “Les loukoums chez l'Arabe” et “Le trottoir roulant de la station Monparnasse”, cela m'est un peu inconnu, quoique...

    le reste en revanche, m'a beaucoup parlé, je veux dire que cela a fait renaître en moi des souvenirs d'enfance. C'est paradoxale peut-être puisque “La première gorgée de bière”, “Prendre un porto” ou le grog des jours de fièvre étaient, à cette époque, plutôt interdits et le secret tenait lieu de plaisir, mais quand même...

     

    Je me souviens des sorties de la messes dominicales qui ne se terminaient jamais sans le passage obligé dans l'odeur chaude d'une pâtisserie, dans le choix de ces douceurs de fins de repas et du cérémonial qui entourait cet achat. L'odeur des pommes qui embaumaient la cave, les fruits qui offraient leur chair ferme et blanche à l'appétit du gourmand, tout cela appelle une ambiance campagnarde qui me parle. A l'époque où on ne peut plus se déplacer qu'assis au volant d'une voiture, le frottement d'une dynamo sur le pneu d'un vélo m'a rappelé un moyen de transport dont j'ai beaucoup usé dans ma jeunesse. Il était presque un plaisir quand rouler la nuit était interdit et que la première bicyclette ne comportait même pas d'éclairage autant pour dissuader son jeune utilisateur que pour marquer la différence avec les adultes. Pour moi non plus “Le petit frr frr rassurant semble n'avoir jamais cessé” et avec lui l'onglet de l'hiver, le bruit de la chaîne et le plaisir de se déplacer autrement qu'à pied...Moi aussi, je me souviens des inhalations qui vous laissaient le visage moite et les poumons dilatés de chaleur et de camphre, mais aussi l'huile de foie de morue et les cataplasmes brûlants... Cela faisait partie de ces maladies de la petite enfance qu'il était presque obligatoire d'avoir eues parce qu'elles étaient regardées comme un vaccin pour le reste de la vie. Elles avaient au moins l'avantage de maintenir dans la moiteur du lit, le petit malade qui bien souvent avait recours à des artifices pour y demeurer plus longtemps et surtout elles dispensaient d'école...Il y avait bien les sirops amers, les médicaments en ampoules...

     

    Mon enfance à moi, c'est aussi les trains, les omnibus, les michelines bicolores aux couleurs délavées et même les wagons inconfortables et malodorants de 3° classe... Les express et les rapides de 1°classe étaient un luxe auquel je n'ai jamais eu droit. Moi, mon enfance, c'était aussi la ouate blanche d'une locomotive à charbon qui m'enveloppait quand je passais sur le pont de chemin de fer, les bains de mer solitaires sur une plage déserte de septembre ou des boules de glace “vanille-fraise” dans des cornets craquants, des hivers en culotte courte et des étés étouffants d'espadrilles à semelles de corde, dans la bruyante ambiance de la caravane du tour de France.

     

    Le dimanche soir a toujours eu quelque chose de triste et la rentrée des classes sentait les vêtements neufs, les chaussures qu'il faudrait briser en récréation ou en promenade, les cahiers dont les pages blanches à la portée bleue seraient bientôt remplis de mots copiés avec des pleins et des déliés d'encre violette et la complicité obligatoire des plumes “sergent-major”, des notes rouges du maître d'école mais aussi des taches en forme de larmes...

     

     

    Et puis, il y cette ambiance, ce climat distillé par les textes. Ils m'évoquent, par la simplicité des mots et la saveurs des phrases, les poèmes de Léon-Georges Godeau qui sont gravés dans ma mémoire. Leur nostalgie m'enveloppe et m'envoûte, le passé revit autant que m'émerveillent ces moments évoqués ici, même s'ils ne sont pas tout à fait miens. Ce sont des instants certes pleins de banalité mais qui font le quotidien de chacun d'entre nous et éveillent nos souvenirs, avec aussi ce sens de la formule de l'auteur, comme une morale définitive “Mouiller ses espadrilles c'est connaître l'amère volupté d'un naufrage complet”, “L'odeur des pommes est douloureuse. C'est celle d'une vie plus forte, d'une lenteur qu'on ne mérite plus”...

     

    Ce ne sont peut-être que des mots, du vent, diront certains, mais moi j'aime bien!

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2007

  • L'HÔTE – Guadaluppe Nettel

     

    N°395– Février 2010.

    L'HÔTE – Guadaluppe Nettel – Actes Sud.

     

    Ana est habitée par une « Chose » qui fait partie d'elle depuis l'enfance. Elle vit avec elle, ou plus exactement est en elle depuis toujours, elle ne la voit pas mais elle la sent et celle-ci se sert d'elle, s'en nourrit presque, jusqu'à à en devenir insupportable. La chose grandissait en effet en elle « comme une chrysalide »;

     

    Durant l'enfance, elle a été sa compagne-complice ce qui meubla la solitude de la fillette. Seul son frère, Diego, échappait à son emprise, mais plus tard ses réactions furent inattendues, dévastatrices au point de s'attaquer à ce frère lui-même... et l'anéantir, le vider de sa propre substance! C'est à tout le moins l'explication qu'Ana donna à la mort prématurée de son frère, associant le sang de ses premières règles à celui qui accompagnait la mort de Diego. Parfois la chose alternait entre accalmie et violence, parfois se manifestait sous la forme d'une petite voix mais avant la mort de ce frère aimé, il semble que la « chose » a laissé sur son bras une sorte de cicatrice qui évoque le braille. Alors, message codé ou annonce de mauvaise augure, rite cabalistique ou volonté de voir un mystère à déchiffrer? Ce fut pour elle l'occasion d'entrer dans le monde des aveugles, pourquoi pas en devenant lectrice dans un institut pour non-voyants? Ce serait une façon bien originale et sûrement efficace pour Ana de se débarrasser de cette « chose » qui devenait de plus en plus un parasite, de l'exorciser en quelque sorte par une sorte de transfert, comme si l'hépatite dont elle souffrit un temps lui aurait permis de partager sa souffrance avec cet « hôte » encombrant?

    Pourtant, à force d'explorer le monde souterrain des aveugles, de les fréquenter jusque dans leur quotidien, à la fois dans cet établissement qui l'emploie mais surtout dans un monde interlope fait de rencontres improbables, de mendicité, de handicap et de vie cachée dans le métro mexicain, véritable cloaque où pourtant elle finit par se mouvoir presque naturellement, elle finit par décrypter le message sur le bras de son frère!

     

    Alors, manifestation d'un dédoublement de personnalité dont nous souffrons tous sans bien nous en rendre compte, peur intrinsèque à l'enfance de voir disparaître des êtres que nous aimons face à l'inconscience des adultes qui préfèrent transformer la mort en tabou, habitude prise dès les premières années de vivre avec autre chose qui fait que les adultes, et parfois nous-mêmes, craignons pour notre santé mentale, volonté de se recréer un monde différent de celui dans lequel nous vivons, sentiment de culpabilité ou désir de voir dans autre chose le responsable de ses propres malheurs, phobie irraisonnée de cette enfance qui pourtant s'en va, mythomanie dévorante qui confine parfois à la folie, itinéraire intime qui consiste à se libérer définitivement d'une obsession? Qui sait!

     

    J'avoue que j'ai lu ce livre avec une certaine circonspection, partagé entre intérêt et curiosité... Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais cet ouvrage, malgré les éloges que j'ai pu en lire par ailleurs m'a laissé une impression bizarre, non par le sujet traité qui me parlerait peut-être, mais par la manière de l'aborder, entre fiction et réalité.

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.

  • DOUZE TYRANS MINUSCULES - Frédéric LENORMAND

     

    N°393– Janvier 2010.

    DOUZE TYRANS MINUSCULES – Frédéric LENORMAND - FAYARD.

     

    Le hasard a fait que je me suis replongé, grâce à Max Gallo, dans l'univers de la Révolution française (La Feuille Volante n° 391 et 392). Cette période m'a toujours fasciné, non pas à cause de l'insécurité qui y régnait, mais parce que dans les temps troublés de notre histoire et à l'occasion de ce genre d'événements, de grands destins se révèlent... mais également des petits! J'ai toujours été impressionné par la personnalité de ceux, rares il est vrai, qui oublient leur intérêt personnel pour se mettre au service d'une grande cause qui les dépasse et souvent les brise... et par les autres, moins fréquentables mais plus nombreux, qui profitent de cette période pour découvrir leurs petitesses et leurs lâchetés qui, en temps ordinaire, n'auraient eu qu'en écho mineur. La délation, l'oppression, l'asservissement, voire le massacre, restent une occasion unique pour ces êtres sans importance de se distinguer, de se grandir à leurs propres yeux, de se faire redouter aussi. Ils sont conscients qu'ils représentent une fraction de l'autorité, infime certes mais bien réelle, et ils vont en profiter pour nuire ou s'enrichir, pour s'imposer aussi et ce d'autant plus facilement qu'ils se sentent protégés par les événements et par leurs fonctions. L'autorité et le commandement sont des ivresses inhérentes à la condition humaine! De la surveillance du peuple dépend l'ordre public sans lequel il n'y a pas de bonne gouvernance, la délation est une méthode simple mais efficace, la police sert tous les régimes sans distinction, mais que dire de ceux qui exercent ce métier sans discernement ni morale, qui abusent de leurs fonctions et se laissent corrompre?

     

    L'auteur, infatigable et précis archiviste, nous les présente: ce sont, à l'origine, de petits commerçants, des artisans, des clercs, un poète même, que les événements, leurs convictions politiques, et parfois le chômage, décidèrent à devenir policiers et dont il nous restitue avec une grande minutie les actes et les abus. Cette période troublée va les faire passer de l'ombre à la lumière et, de la petite administration locale où ils firent leurs premières armes, ils eurent pour fonction d'encadrer la capitale et accédèrent même à des fonctions d'administrateurs de la police. A travers leurs agissements, le lecteur revisite les grands moments de cette période, la prise de la Bastille, la mort du roi et les massacres perpétrés par les révolutionnaires... Ces douze petits chefs vont jouer un rôle actif au cours de cette Terreur, mais, en cette période trouble, on ne leur demanda pas d'être des professionnels compétents avec une éthique et un savoir-faire, au contraire, certains même étaient pour la plupart quasiment analphabètes et se contentaient de signer, mais surtout ils n'étaient contrôlés véritablement par personne, la corruption étant assez répandue, n'avaient pas de hiérarchie, la guillotine se chargeant d'éliminer les concurrents les plus gênants. Autant dire que leurs fonctions les invitaient aux pires excès auxquels, bien sûr, ils ne manquèrent pas de se livrer.

     

    Il faut croire qu'il y a une justice, ou que la société des hommes finit toujours par faire prévaloir le bon droit, et nos douze policiers, sans qu'ils s'en rendent compte, grisés sans doute par l'époque, leurs succès, leur opportunisme ou leur impunité temporaire finirent peu ou prou là où il avaient envoyé tant de leurs concitoyens, en prison et pour certains à la mort. Rares sont ceux qui survécurent. Ils périrent par où ils avaient pécher et furent accusés puis convaincus de corruption.

    C'est un des drames de la condition humaine que de se croire irremplaçable et les illusions qu'on se fait sur soi-même sont bien pires que toute les légendes patiemment tissées par les autres, la prétention n'étant jamais loin de la naïveté. En réalité, les pouvoirs qu'ils avaient étaient illusoires et ils n'étaient que des pions entre les mains des politiques qui n'hésitèrent pas à se débarrasser d'eux quand ils furent devenus encombrants. Peu ou pas préparés à leurs fonctions qui ne furent que « de circonstances », ces hommes n'eurent pas même l'idée d'exercer sur leur quotidien le minimum de raisonnement qui leur eût inspiré de la modération ou de la circonspection.

     

    Ce livre en évoque un autre, paru également sous la plume du même auteur, « La pension Belhomme » [La Feuille Volante n°328], remarquable ouvrage qui parle de ces établissements, à mi-chemin entre la maison de santé et la prison, que la Révolution favorisa et que nos policiers contribuèrent à remplir. J'avoue que j'ai un faible pour ce genre d' ouvrages historiques, surtout quand Lenormand les signe.

     

    Je l'ai déjà abondamment écrit dans cette chronique, j'aime bien le style de Frédéric Lenormand. Il est plaisant à lire, jubilatoire et instructif. Il se livre ici à une histoire de la police sous le Terreur, inédite jusque là, puisque l'Histoire officielle a bien plus volontiers retenu le parcours des grands noms qui l'illustrèrent alors qu'elle à rejeté dans l'anecdote les actions des sans grade.

    Il est de ces auteurs, pas si nombreux, qui vous font aimer l'Histoire parce qu'il nous la raconte plaisamment.

    Chacun de ses ouvrages est toujours un bon moment de lecture dont je ne veux pas me priver!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (Aux armes citoyens- 1793-1799) Max GALLO

     

    N°392– Janvier 2010.

    LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (Aux armes citoyens- 1793-1799) Max GALLO – XO Éditions.

     

    C'est un peu comme si la mort de Louis XVI avait donné le départ d'une vague d'exécutions entre révolutionnaires. Les royalistes veulent venger la mort du Roi et rétablir la monarchie, les émeutes de la faim et de la misère attisent pillages et meurtres et, à l'extérieur, c'est la première coalition qui menace la République. Les espoirs de paix et de bonheur suscités par la Révolution tardent à se concrétiser. On défend la propriété privée, on stigmatise les possédants, le prix des denrées monte, la monnaie se dévalue et la peur de l'étranger va croissante. La misère s'installe durablement et avec elle l'insécurité. La Vendée se soulève au nom de Dieu, pour le Roi et avec le soutien des aristocrates. La guerre se développe à l'intérieur comme à l'extérieur du pays et la trahison menace la Révolution. C'est la Terreur qui oppose les révolutionnaires les uns contres les autres, la haine est partout le peuple en souffre, et il a faim.

     

    On assassine Marie-Antoinette, mais Marat trouve la mort sous le couteau de Charlotte Corday, les passions révolutionnaires se déchaînent, les procès redoublent, les massacres sont quotidiens, on tue au nom de Dieu et de la liberté, on prône la Vertu et l'Être suprême mais on foule aux pieds les grands principes de la Révolution, le pouvoir est divisé, incapable de gouverner, le coup d'État politique est permanent qui un jour porte un homme au pouvoir et le lendemain à la guillotine. L'insurrection est décrétée, et «  la loi des suspects » encourage la délation, les citoyens deviennent des fanatiques, ivres du « sang des hommes » qui coule comme un long fleuve à Paris, en Vendée et dans tout le pays malgré les appels à la clémence.

     

    Tout le monde a peur de la dictature. Des hommes disparaissent et d'autres se révèlent qui imprimeront leur marque à l'histoire. La machine à tuer s'est emballée mais après la mort de Robespierre, elle semble être apaisée.

    Pourtant l'opinion publique s'inquiète devant la montée du chômage, une nouvelle société apparaît, plus frivole, plus riche, plus contestataire que les vieux révolutionnaires. Aux frontières, la France n'est plus menacée et l'insurrection vendéenne a trouvé une issue. Une époque s'achève et une autre commence mais des troubles éclatent toujours et le peuple espère un homme providentiel, un sauveur. Napoléon Bonaparte attend patiemment son heure! Ses victoires militaires l'ont rendu populaire dans l'armée puis dans l'opinion et face à la montée des royalistes, à la corruption et à l'enrichissement des Directeurs, au fossé qui chaque jour se creuse entre le peuple et les dirigeants et qu'il ne peut ignorer, il apparaît comme un homme nouveau, ambitieux et déterminé à qui le pouvoir ne peut pas échapper. Il saura saisir sa chance, manipuler les hommes et les événements de manière à assumer son destin personnel.

     

    Comme dans le premier volume, l'auteur nous montre, sous la forme d'une grande fresque, cette période mouvementée et autodestructrice. Il le fait en donnant la parole à un homme du peuple, le libraire parisien, Ruault, qui survit presque miraculeusement à ce chaos de mort. Il est un témoin d'exception pour le lecteur.

     

    Comme toujours, sous la plume de Max Gallo, l'Histoire, c'est passionnant!

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com