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la feuille volante

Articles de hervegautier

  • CUTTER

     

    N°946– Août 2015

     

    CUTTER – Yves Ravey Les éditions de Minuit.

     

    Le titre évoque un instrument commun mais qu'on redoute de saisir à cause de son tranchant si on n'est pas un vrai travailleur manuel ou un bricoleur confirmé. Il sert pourtant un peu à tout, même à des fonction inattendues comme l'atteste le premier chapitre.

     

    L'institut de surveillance a placé Lucky et sa sœur Lilli au service des Kaltenmuller, Lucky étant chargé du jardin et sa sœur du ménage sous la responsabilité de leur oncle Pithivier. D'emblée il est question d'argent qu'on aurait dérobé à M. Kaltenmuller mais on le retrouve asphyxié dans son garage, au volant de sa voiture, le moteur tournant au ralenti. Lucky est un pauvre garçon qu'on prend pour un débile mais c'est observateur et il a de la mémoire. Pour autant on voudrait lui faire dire des choses qu'il n'a pas vues et proférer des affirmations inexactes qui auraient pour effet d'égarer l'enquête judiciaire confiée à Saul, un inspecteur de police un peu marginal mais qui a sa petite idée sur la question. En effet, il ne croit guère à ce qui, au départ, est présenté comme un suicide. Lucky est le seul témoin de toute cette enquête, il ment parfois pour respecter une promesse mais souhaite surtout revoir la sœur qui a disparu.

     

    A vrai dire cette histoire est un peu confuse, avec cette Mme Kaltenmuller, belle et aguicheuse qui reçoit chez elle des photographes de mode pour qui elle pose, cette mise en scène avec des bouteilles de whisky, cette montre en or de M. Kaltenmuller qu'on a prise sur son cadavre, qui disparaît puis et est retrouvée, ces deux billets d'avion pour Capri achetés par M.Kaltenmuller qui, paraît-il voulait voyager avec sa femme, mais l'inspecteur n'en est pas très sûr et, par dessus tout ça, une forte somme d’argent qu'on retrouve dans un boîte à sucre, probablement celle qui avait été dérobée. Bien entendu on n'oubliera pas le ou les amants, le chantage, les photos de un, et cet oncle qui est décidément un bien sale type.

     

    Cette enquête me paraît un peu trop vite menée, les choses disparues un peu trop vite retrouvées. Quant au style, je le trouve encore une fois trop sec, trop dépouillé, même s'il se veut en accord avec une histoire dans laquelle je ne suis pas du tout entré.

     

    Hervé GAUTIER – Août 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ENLEVEMENT AVEC RANÇON

     

    N°945– Août 2015

     

    ENLEVEMENT AVEC RANÇON – Yves Ravey Les éditions de Minuit.

     

    Max et Jerry sont frères et en se sont pas revus depuis des années. Jerry est parti en Afghanistan et Max est resté au pays comme comptable dans une entreprise locale d’emboutissage. Ils se retrouvent autour d'un projet un peu fou : l'enlèvement de Samantha la fille du patron de Max qui ne répond pas aux avances de ce dernier. La première remarque qui vient à l'esprit est sans doute que ce n'était pas la peine, pour Jerry, de revenir d'un pays aussi lointain pour cela, d'autant que les rapports entre les deux frères sont tendus comme ils l'ont toujours été. Qu'importe, l'affaire est mise sur pied mais le lecteur s'aperçoit très vite que le projet un peu romantique d'enlever la jeune fille passe carrément au second plan puisqu'il s'agit certes d'un rapt, mais avec rançon !

     

    Dans ce roman qui est plutôt un polar, on va de rebondissements en surprises et on finit par se demander qui va duper l'autre. Quand même l'action se déroule par soubresauts et on a l'impression que parfois, l’amateurisme s'insinue un peu dans ce qui nous est présenté comme un coup de maître. C'est donc l'histoire d'une trahison qui tourne mal et on ne s'attend pas au dénouement qui révèle Max sous son véritable visage alors que son frère qu'on imagine aguerri par des années de combat se fait lamentablement piéger.

     

    Comme toujours le style est minimaliste avec une grande économie de mots mais qui, parfois, on se demande d'ailleurs pourquoi, s'attarde sur une description apparemment anodine, telle cette évocation de la dentelle des œufs frits.

     

    Parlant du style d'Yves Ravet, on a coutume d'évoquer l'atmosphère de ses romans digne de Simenon. J’avoue que je souscrirai volontiers à cette affirmation tant, malgré un style assez sec, il y a outre un souci du détail, une sorte d'ambiance pesante mais non violente, avec une dimension d'analyse psychologique des personnages que j'aime à retrouver chez l'auteur belge.

     

    Je note aussi cette relation difficile entre membres d'une même famille, que cela soit du côté des deux frères que du côté de Samantha avec son père. J'avais d'ailleurs fait la même remarque lors d'un précédente chronique (La feuille volante n°944 à propos du « drap »). J'avais mis l'accent sur l'absence du père ressentie par le narrateur comme une obsession. Ici, la chose est différente mais cette difficile relation entre une fille et son père me paraît être une constante dans l’œuvre d'Yves Ravet.

     

    Je découvre volontiers les romans de cet auteur qui me paraît tout à fait digne d’intérêt.

     

    Hervé GAUTIER – Août 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE DRAP

     

    N°944– Août 2015

     

    LE DRAP – Yves Ravey Les éditions de Minuit.

     

    Dans ce livre, le narrateur, bizarrement baptisé Lindbergh, comme l'aviateur, évoque les derniers mois de son père, Roger Carrosa. C'est le genre d'homme qui n'a jamais été malade, qui a toujours travaillé et qui ne connaît pas l'arrêt-maladie. Il laisse cela aux parasites qui se font embaucher pour profiter du protecteur système de santé. Pour lui le travail c'est une valeur. Il l'a pratiqué toute sa vie, d'abord comme serrurier, comme son père, où l'atmosphère d'atelier était nocive, puis plus tard à l’imprimerie où il s'était fait recruter et où il a respiré des vapeurs de plomb. C'était dangereux mais l'habitude lui tenait lieu de protection. Il en fallait d'autre pour le terrasser. Il avait même peint l'intérieur d'une cuve au pistolet sans masque, pour rendre service sans doute. C'est aussi pour cela qu'il a accepté de prendre le chien du directeur du personnel parti en vacances. Il ne sait pas dire non, il est toujours disponible. Et puis les copains c'est sacré quand ils lui doivent quelque chose, il attend leur bon vouloir, parfois longtemps et ne réclame jamais. On peut appeler cela de la naïveté ou peut-être autrement mais pour lui c'est normal. Il prend le médecin de haut qui parle d'analyses, de médicaments, d'hospitalisation. Pensez, c'est la première fois de sa vie ! C'est le genre d'homme à n'être jamais malade.

    A son épouse qui a toujours vécu dans son ombre, il reproche de chercher du travail, on ne sait jamais, si les choses tournaient mal. De tout temps, un homme a toujours « fait vivre son épouse » comme on disait, et ce n'est pas maintenant que cela va changer. La tradition, toujours, et une femme, c'est fait pour rester à la maison ! Elle voudrait bien que tout cela change, mais elle se soumet. Elle a toujours obéi à son mari, surtout quand ce dernier a accepté, à la demande de son père, de reprendre la serrurerie familiale. II pouvait aller travailler à l'usine, ils auraient vécu en ville et cela aurait été autre chose, une autre vie...Il a des plaisirs bien simples, la pêche dans le Doubs, l’harmonie municipale dans laquelle il joue du saxophone et le PMU qui ne distille pour lui qu'un espoir illusoire.

    La camarde a été la plus forte, elle l'est toujours. Avec lui, elle y a mis les formes, a annoncé sa venue, cela a duré 6 mois puis ce fut le cérémonial de la mise en bière, de la toilette, de l'enterrement. Pour partir dans l'autre monde sa femme a tenu à ce qu'il soit bien vêtu, comme il ne l'a d’ailleurs jamais été, avec costume, chemise blanche et chaussures cirées, décoration de prisonnier de guerre et médaille de l'harmonie municipale. Là aussi, la tradition. Puis ce fut son tour à elle, peu de temps après parce qu'ayant toujours vécu avec lui, elle ne pouvait lui survivre longtemps ;

     

    J'ai récemment croisé les romans d'Yves Ravet que je ne connaissais pas. La grande économie de mots, le minimalisme dans les descriptions et les évocations qui le caractérisent, la brièveté de ses romans, m'interpellent. Ce n'est pas que je n'aime pas, mais cela tranche sur ce que j'ai l’habitude de lire ; j'aime les écritures plus fluides mais il m’apparaît que cette manière d'écrire colle bien à ce dont il parle. Il n'est pas nécessaire d'employer de grands mots pour évoquer des situations quotidiennes. En effet, cette histoire est banale, mais, je ne m'explique pas pourquoi, elle m'a ému par sa simplicité, par son caractère humain, suranné peut-être ? Elle évoque des clichés d'un autre temps, des valeurs familiales qui, si elles sont contestées aujourd'hui, ont inspiré, à tort ou à raison, la vie de nos aïeuls. Le thème c'est évidemment le père, son absence, mais aussi la brièveté de la vie, son côté quotidien, dérisoire.

     

    Hervé GAUTIER – Août 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA FILLE DE MON MEILLEUR AMI

     

    N°943– Juillet 2015

     

    LA FILLE DE MON MEILLEUR AMI – Yves Ravey Les éditions de Minuit.

     

    Au départ, on le trouve plutôt sympathique ce William Bonnet à qui son meilleur ami a demandé, sur son lit de mort, de veiller sur sa fille Mathilde, à la santé mentale précaire et qu'il n'a pas revue depuis longtemps. C'est le genre de promesse qu'on fait, contraint et forcé à cause des circonstances, qu'on regrette peut-être ensuite mais qu'on a l’obligation morale de tenir. Il s'acquitte donc de cette tâche un peu à contre-cœur mais découvre vite que Mathilde est perturbée et imprévisible, qu'elle a eu un fils, Roméo, qui lui a été enlevé par décision de justice et qu'elle souhaite revoir grâce à lui. Cet enfant vit chez son père, Anthony, marié à Sheila qui considère Roméo comme son fils.

     

    Même quand il commence à exhiber de fausses cartes pour manéger une entrevue entre Mathilde et Roméo, on se dit que, même si c'est un peu cavalier et à la limite de la légalité, la fin justifie les moyens et qu'après tout William est un type bien, fidèle en amitié et à la parole donnée.

    Quand il commence à coucher avec Mathilde, profitant ainsi de sa beauté et peut-être de ses failles et de sa position dans cette affaire, quand sa carte de crédit refuse de fonctionner et qu'il se révèle être un maître-chanteur, un manipulateur, un escroc, un voleur et un être parfaitement cynique, on se dit que la sympathie du départ était peut-être mal placée.

     

    Je ne sais pas pourquoi, l'action a beau se dérouler dans l'Essonne, les descriptions dépouillées qui sont faites du décor, la narration un peu sèche et linéaire, le drugstore, le snack-bar, les milk-shakes, le serveur fatigué, la station-service, le motel avec derrière un terrain vague, l'orage qui gronde et ce qui arrive a cet homme et de cette femme qui me semblent cernés par l'ennui, m'ont évoqué les tableaux du peintre américain Edward Hopper. J'ai même eu de la compassion pour eux, surtout pour la fragilité de Mathilde. Pourtant, quand l'action se précipite, je suis sortis précipitamment du tableau, surtout à cause de ce William, dangereusement séducteur... Mais on sent quand même venir l'épilogue même si celui-ci satisfait la morale, heureusement...

     

    L'auteur procède par petites touches qui distillent une atmosphère tendue tout en dévoilant l'intrigue petit à petit. Elles entretiennent le suspense jusqu'à la fin dans ce court roman écrit à la première personne.

     

    Le style, qui au départ m'a paru impersonnel, sobre, économe en mots, un peu comme celui qu'on rencontre dans un roman noir en me semble pas déplacé dans ce contexte et caractérise l'auteur.

     

    Je ne connaissais pas les romans d'Yves avant que le hasard ne mette celui-ci Sous mes yeux. Sans être vraiment conquis, je pense que je poursuivrai ma découverte de cet écrivain.

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES ROUART - De l'impressionnisme au réalisme magique.

    N°942– Juillet 2015

     

    LES ROUART – Dominique BONA Gallimard.

    De l'impressionnisme au réalisme magique.

     

    En écrivant « Deux Sœurs »(la Feuille Volante n°823) Dominique Bona nous avait déjà permis d'entrer dans la biographie d'Yvonne et de Christine Lerolle, filles d'Henry Lerolle, qui avaient épousé Eugène et Louis Rouart, fils d'Henri Rouard, ingénieur, capitaine d'industrie, riche collectionneur et peintre impressionniste lui-même. En 2004, il y avait eu une exposition consacrée à la famille Rouart et la presse avait même qualifié ses membres de «Médicis français » pour insister sur leur importance en matière d'art. Un autre livre était paru en 2012 sur le même thème, repris par Dominique Bona dans son ouvrage précité.

    Comme le note pertinemment l'auteur, l'art aujourd'hui est indissociable du tapage médiatique et du succès commercial, or, si les Rouart sont restés à ce point méconnus, c'est qu'ils ont tout fait pour rester dans l'ombre. L'art était pour eux « une aventure toute intérieure, secrète et fervente », quelque chose de quasi-mystique ! Henri Rouart [1833-1921]était l'ami de Degas qui fit de lui nombre de portraits, mais l'ingénieux polytechnicien qu'il était cachait un peintre de talent, élève de Corot, et un collectionneur à la fois curieux, visionnaire et enthousiaste. Il aimait non seulement les classiques mais surtout les impressionnistes que son époque méprisait et ses choix artistiques ont fait l'admiration de Paul Valéry, d'autant plus sans doute que, dans cette impressionnante collection de toiles, les siennes ne figuraient pas. Il a certes financé les différentes expositions mais y a aussi, modestement, participé. Il est un peintre de la nature où le vert et la lumière dominent. Ses délicates aquarelles sont aussi l'expression de son talent.

    Ernest Rouart [1874-1942], le troisième fils d'Henri, aurait pu être l'héritier industriel de son père mais il préféra la peinture. Docile élève de Degas, il y a dans ses toiles une minutie des formes et des couleurs, comme une émotion et une tristesse contenues. Il pratiqua avec un égal bonheur l'art du pastel et de l'eau-forte. Il épousa la fille de Berthe Morisot et, comme son père, se consacra à la peinture des autres.

    Augustin Rouart [1907-1997], petit-fils d'Henri et neveu d'Ernest, choisit, tout en restant dans la peinture, de s'affranchir des modèles familiaux en revenant à un style figuratif à contre-courant où le dessin et les couleurs douces dominent. Il ignora les expositions et les galeries autant que les courants artistiques de son temps pour ne se consacrer qu'à son art, ce qui ne fait cependant pas de lui un peintre maudit.

    Ce furent donc trois générations de collectionneurs-mécènes et d'artistes peintres originaux et indépendants, « des créateurs à part… à la fois classiques... et inclassables » comme le dit Dominique Bona, que l'écrivain Dominique Rouart, de la quatrième génération viendra compléter de son talent.

     

    C'est un ouvrage richement documenté et illustré dont a pris l'initiative Dominique Bona. Il permet, par les reproductions qu'il contient, de connaître et de distinguer chacun des trois artistes. Elle monter ici, une nouvelle fois son attachement à la peinture. Son texte toujours aussi cultivé et agréable à lire, servi par une écriture fluide, est complété par celui de Paul Valéry à propos d'Henri Rouart, de l'académicien Frédérique Vitoux à propos d'Augustin Rouart, de Léon-Paul Fargue à propos d'Ernest Rouart.

     

    Comme le rappelle l'académicienne « Pour les Rouart, l'art ne se nourrit pas d'une ambition sociale ou mondaine, et ne peut être l'instrument d'une gloire personnelle ».

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Querelle autour d'un petit cochon itilianissime à San Salvario

    N°940– Juillet 2015

     

    Querelle autour d'un petit cochon itilianissime à San Salvario – Amara Lakhous – Actes Sud.

    Traduit de l'italien par Élise Gruau.

     

    C'est l'histoire d'un journaliste italien, Enzo, qui devrait être à Turin en train de faire son métier mais qui est à Marseille avec une jeune et jolie finlandaise, Taïna, avec qui il espère bien coucher. Il reçoit un appel téléphonique de son rédacteur en chef l’informant que quatre albanais ont été assassinés selon le même « modus operandi ». Pour ne pas lui avouer son escapade marseillaise il invente toute une histoire abracadabrante selon laquelle ces meurtres ne seraient qu'un début dans la lutte à mort que se livrent les clans roumains et albanais et bien sûr ce scoop se retrouve en « une » du journal. Sauf que, quand on commence à mentir d'une façon aussi grossière, c'est rare si cela en se retourne pas contre le menteur. L'histoire s'emballe donc et pour faire bonne mesure on évoque une (ou plusieurs) « gorge profonde » et le « Watergate », le tout sur fond d'immigration, de fantasmes médiatiques. C'est l'occasion pour l'auteur de se livrer à une critique du journalisme autant que de la société italienne qui s'est constituée avant tout d'immigration intérieure, les Italiens du Sud remontant vers le nord pour y chercher du travail.

     

    Et le cochon dans tout cela ? Il se prénomme Gino, il est supporter de la Juventus (eh oui) et c'est l'animal de compagnie de Joseph, un immigré nigérian du quartier populaire de San Salvario où habite Enzo et qui attend de recevoir sa famille au titre du rapprochement. Jusque là rien à redire, sauf qu'une main anonyme a décidé de lâcher le goret dans la mosquée du quartier et de filmer la scène, histoire d'y mettre un peu d'animation. Tout le monde s'y met pour protester mais Joseph qui jure n'y être pour rien, reste cloîtré dans son appartement avec Gino et ne fait confiance qu'à Enzo, rebaptisé « conciliateur », pour débrouiller tout cela. Mais voila, nous sommes en Italie et dans ce pays, il y a un personnage incontournable, « la Mamma » et Enzo en a une lui aussi, évidemment, qui l'appelle quotidiennement au téléphone depuis la Calabre où elle vit, autant dire du bout du monde ! Objectif de tout cela : marier enfin son fils de 37 ans. Et pour faciliter son projet, elle a des espionnes qui lui rendent des comptes précis au quotidien, jusque dans les moindres détails.

     

    Ces trois moments semblent étrangers les uns par rapport aux autres Que nenni ! Nous sommes en Italie, je crois l'avoir précisé déjà, et que serait ce pays sans le foot-bal, la cuisine, la chanson, la mafia et ses « repentis » et bien entendu l'amour. Quant au quartier de San Salvario, il est le carrefour de pas mal d'ethnies et de religions et cette histoire de cochos va miner la paix sociale.

     

    C’est aussi pour l'auteur, d'origine algérienne mais Italien d'adoption, de critiquer cette société italienne qui s'est faite elle-même d'apport de différentes provinces de ce pays sur lequel lorgnent, maintenant les immigrés de toutes nationalités.

     

    C'est ironique, plaisant à lire [la traduction y a sans doute sa part], parfois même cynique, il y a dans ce texte toute la comédie italienne contemporaine que nous aimons. Je trouve cependant l'épilogue un peu décevant.

     

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES YEUX NOIRS

    N°941– Juillet 2015

     

    LES YEUX NOIRS – Dominique BONA JC Lattès.

     

    Tout commence par la découverte fortuite par l'auteure de photographies pornographiques du début du XX° siècle dont l'une d'elles représente l'épouse d'Henri de Régnier, une des filles du poète José-Maria de Heredia. Découverte déconcertante et inattendue donc mais peut-être pas tant que cela.

     

    L'auteur des « Trophées » avait trois filles, Hélène, Marie et Louise qui ne se ressemblaient pas mais dont la « grande affaire » de leur vie fut l'amour ; elles choisirent exclusivement des poètes. Elles ont exercé leur passion avec liberté mais derrière la paravent des convenances de leur temps. Devaient-elles cela à leurs origines cubaines ou à la couleur envoûtante de leurs yeux ? Elles ont en tout cas fait rêver nombre d'hommes célèbres mais si chez les Heredia, c'est luxe, calme et volupté mais c'est aussi un peu l'ennui pour elles et la ruine qui les menace tous fait qu'elles ne pourront pas avoir de dot, ce qui compromet leur mariage. Leur beauté en tiendra lieu cependant. Les trois sœurs vivent dans cette ambiance mondaine, parisienne, virevoltante du début du XX° siècle, une vie frivole, passionnée, amoureuse. Devant la déconfiture financière, Mme de Heredia pousse au mariage de ses filles mais ces unions plus marquées par l'intérêt que par l'amour seront cahoteuses, ce qui est un paradoxe pour ces jeunes filles rêveuses et sensuelles. Elles combleront ce vide en ayant des amants que parfois elles se disputèrent ou se partagèrent, c'est mieux que le suicide ou la folie et surtout moins définitif. Qu'importe Marie épousera Henri de Régnier, un beau parti qui ne lui donnera cependant ni bonheur ni plaisir, Pierre Louÿs sera son amant préféré, toléré par le mari (il ne sera pas le seul, loin s'en faut) mais épousera Louise et Maurice Maindron un riche intellectuel-aventurier épousera Hélène.

    Le modèle nu des photos c'est Marie et le photographe passionné, c'est Pierre qui est aussi à l'occasion un auteur de romans pornographiques que lui inspire sa propre vie. Marie renoue avec un talent de son enfance, la poésie mais, fille et femme de poète elle veut être connue pour elle-même et prend un nom d'homme qui a appartenu à un de ses ancêtres : Gérard d'Houville. Elle ajoutera à la poésie une œuvre romanesque qui se nourrit de sa propre vie. Quand Marie prendra pour amant Henry Bernstein elle fera scandale en s’affichant avec un juif (on est foncièrement antisémite dans sa famille) mais il est aussi un homme de théâtre. Louise délaissée par son mari en pleine déconfiture financière et créatrice vivote et Hélène devient rapidement veuve, elle se remariera avec un homme de lettres ; elle sera sûrement la plus sage et la plus rangée des trois sœurs. De cette fratrie Marie est la plus mutine, la plus amoureuse, la plus scandaleuse aussi. Elle tombe facilement amoureuse et ses amants nombreux ont parfois des noms célèbres mais son mari, éperdument amoureux d'elle, ferme les yeux. Des trois elle vivra le plus longtemps, survivant à son époux, à son fils Pierre de Régnier, à ses amants. C'est pourtant Louise qui divorcera, procédure rarissime pour l'époque ; ce sera pour les deux époux une délivrance. Elle se remariera mais on murmure que les filles Heredia ne portent pas bonheur aux hommes ... la maladie, la solitude et la mort s’abattront sur elles et sur leur entourage. Ces trois sœurs ont vécu dans l'ombre d'hommes célèbres, père, maris, amants mais ont cherché leur épanouissement personnel dans un société austère. Leur vie a assurément été un authentique roman d'amour.

     

    Dominique Bona excelle encore une fois dans cette évocation avec, comme d'habitude, une prédilection pour les portraits qu'elle brosse avec un grand souci du détail. Son écriture est toujours aussi belle et fluide et je reste admiratif, à chaque fois que je lis une biographie écrite par elle devant son méticuleux et cultivé travail d'archiviste. Le texte qui en résulte et qui fourmille de précisions est toujours passionnant. Elle avait déjà enthousiasmé ses lecteurs avec notamment des biographies de femmes célèbres (Berthe Morissot, Camille Claudel, Clara Malraux ...) Elle renoue ici avec cet exercice et reste à mes yeux un ardent défenseur de la langue et de la culture françaises, ce qui n'est pas anormal pour une académicienne !

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SE SOUVENIR DES BEAUX LENDEMAINS

    N°939– Juillet 2015

     

    SE SOUVENIR DES BEAUX LENDEMAINS - Nicolas CarteronGrannonio.

     

    Nilse, ou si l'on préfère Charles Pillier pour l’État-Civil, est une star internationale de la chanson à qui tout semble sourire. Comme souvent, c'est un personnage suffisant, narcissique, égoïste, capricieux… Le succès lui a fait oublier sa vie antérieure. Dans Paris désert, il découvre sur un banc, par les hasards du « Cross-Booking » un livre qui lui est dédié personnellement et dont l'auteure inconnue, et qui semble être une femme, lui propose soit de jeter ce livre soit de la découvrir. Il choisit d'en savoir plus mais cette invitation va bouleverser sa vie et va lui faire remonter le passé, entre illusions, compromissions, trahisons, amours et amitiés perdues, succès et certitude qu'il est l'objet d'une vengeance. C'est en fait un jeu de piste laborieux et un peu cruel où chaque chapitre est précédé d'une énigme qui cache un lieu où Nilse doit se rendre pour en savoir davantage et passer au suivant. Cette pérégrination va compromettre sa carrière où le succès ne tient qu'à un fil, il le sait mais la curiosité est la plus forte. Elle l’entraînera dans de nombreux pays d'Europe et dans des lieux où s'est déroulée son enfance et où chacun lui réserve une surprise.

     

    Le succès est grisant surtout pour celui qui a tout sacrifié pour l'obtenir et qui l'a espéré longtemps. Sans qu'il le sache, quand Charles est devenu Nilse, il a fait le sacrifice de sa liberté personnelle, il en prend maintenant conscience. Il appartient à Herbert, son producteur, qui entend bien rentabiliser l’investissement qu'il a fait avec lui. Il ne peut même pas chanter ses propres compositions, quant à sa liberté d’aller de de venir, elle est conditionnée par les décisions qu'Herbert prend pour lui. Et puis il a cette mystérieuse Louise, un amour de jeunesse jamais oublié mais délaissé pour obtenir le succès tant espéré. A travers ce roman découvert sur ce banc, elle entend le remettre dans le droit chemin et Charles lui obéit, tiraillé entre son avenir et son passé. Depuis qu'il est célèbre, il se croit autorisé à régenter les affaires d'une famille qu'il a pourtant abandonnée, s'opposer à tout ce qui ne lui plaît pas, entre volonté de faire exploser les choses longtemps tues, les secrets jalousement gardés, les caprices d'une star, culpabilité et pardon pour ne pas tout perdre, face à la mort et au temps qui passe. L'épilogue m'a quand même un peu déçu et je m'attendais à autre chose dans cette histoire d'amour, mais je n'oublie pas que nous sommes dans une fiction. S'agissant d'une star, le titre du roman « Même les étoiles s'éteignent » qui est le titre d'une éventuelle chanson qu'il écrira peut-être, était une indication sur l'épilogue et sur la vanité des choses de ce monde, leur coté transitoire et fragile que résume assez bien la phrase du poète « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse ni son cœur... ».

     

    A l'aide de nombreux analepses, l'auteur déroule cette histoire un peu rocambolesque mais qui dépeint bien le parcours de Nilse et des compromissions dont il doit faire preuve s'il veut rester sur le devant de la scène. L'intrigue est intéressante. La 4° de couverture pose une question « Un livre a-t-il déjà changé votre vie ? ». J'ai choisi de poser la question autrement, de voir ce roman comme un défi de l'auteur lui-même. Est-il capable de faire lui aussi de grands sacrifices pour obtenir et cultiver le succès ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?

     

    J'avoue que jusqu'à présent je ne connaissais pas Nicolas Carteron. Je n'en ai entendu parler que par les lectrices de Babelio apparemment enthousiastes. C'était suffisant pour aborder le roman de ce jeune auteur sans doute plein d'avenir et qui m'a procuré une lecture agréable. Il a sans doute tout ce qu'il faut pour réussir dans cette partie si on en juge par tout ce qui se publie chaque année !

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE VOYANT

    N°938– Juillet 2015

     

    LE VOYANT - Jérôme GarcinGallimard.

     

    Jacques Lusseyran (1924-1971) est un élève de huit ans comme les autres et, à la suite d'un accident stupide, une bousculade qui précède la récréation, il perd l'usage de ses yeux. Sa vie aurait pu en être bouleversée mais ce garçon qui porte en lui des qualités exceptionnelles va, au contraire, puiser dans cette infirmité une force peu commune puisqu'il refuse d'y voir un handicap. La guerre le surprend en pleine adolescence. Il est alors élève à Louis-le-Grand mais la loi en vigueur sous Vichy interdit aux handicapés les concours de la fonction publique. Il voit ainsi son rêve d'enseignant s'effondrer mais cela fait de lui un Résistant chargé du recrutement au sein du mouvement « Défense de la France ». Cela peut paraître paradoxale mais il perçoit, dans la façon de serrer une main, la détermination d'un candidat au combat. Sans qu'il y soit pour rien, c'est pourtant un de ces postulants qui enverra tout son réseau à Buchenvald. Il a à l'époque 20 ans et ne verra rien de l'horreur des camps mais la sentira et, pire peut-être, l'imaginera. Interprète et placé dans la block des invalides, il échappera ainsi aux mauvais traitements et survivra, laissant une œuvre reprise en Allemagne et aux États-Unis, mais pas en France où il sera un auteur sans éditeurs et donc sans lecteurs. On préférait en effet le rescapé à l’écrivain. Pourtant, à son retour du camp, il n'eut droit à rien, ni pension, ni la moindre reconnaissance, sauf la Légion d'honneur et, la loi de Pétain qui interdisait la fonction publique aux invalides n'ayant pas été abrogée, il vit s'évanouir un nouvelle fois son rêve d'enseigner. Un profond traumatisme mental s'ensuivit qui bouleversa sa vie et il rechercha vainement une voie de secours qu'il trouva peut-être dans les sectes ésotériques, dans ses nombreuses aventures féminines et un poste de professeur d'université… aux États-Unis ! Pour lui écrire et aimer étaient synonymes de la vraie vie. A sa mort accidentelle sur une route de France, il avait 47 ans

     

    Paradoxalement peut-être, cette lumière qu'il avait perdue, il la retrouvait en lui-même et sa nuit était pour lui une véritable clarté. Lui qui refusa toujours une canne blanche et usa très tôt d'une machine à écrire ordinaire sut être un chef, et plus tard un professeur, charismatique autant qu'un inspirateur dans ce combat pour la liberté. Il portait en lui un message d'espoir pour tous les aveugles de tous les temps puisque, ainsi, son handicap était pour lui une occasion de « voir autrement ». Paradoxalement, son expérience de Buchenvald lui a redonné le goût de vivre. Son exemple, son œuvre sont sûrement de ceux qui sauvent tous les hommes en perdition et pas seulement ceux qui souffrent de cécité. Il a eu, comme le dit l'auteur « la grande clairvoyance des non-voyants ».

     

    Cette chronique a souvent rendu hommage à Jérôme Garcin pour les écrivains et les hommes oubliés qu'il a sortis de l'ombre. Il l'a toujours fait avec humanité et générosité, en mettant au service de cette « résurrection » sa belle et fluide écriture autant que son travail de méticuleux archiviste. C'est donc un double plaisir à chaque fois que de le lire. C'est un fait, la France qui est, comme l'on lit « le pays de culture », méprise souvent en les oubliant ceux à qui le destin n'a pas donné assez de temps pour s'exprimer. La postérité est parfois ingrate dans la reconnaissance qu'elle distille avec parcimonie et parfois même avec rancœur, décidant, pour des raisons bien souvent futiles de précipiter des êtres exceptionnels dans les bas-fonds de l'oubli en les chargeant au passage de cette injustice qu'est le rejet et qui caractérise l'espèce humaine. Jacques Lusseyran fut de ceux-là qui servirent et honorèrent leur pays par leur action, par leur talent, par leur humanisme. Il puisa sa force dans ce qui aurait pu être une occasion de désolation et de découragement et le portrait émouvant qu'en fait l'auteur ne peut que forcer le respect. Il fait partie de ces hommes et de ces femmes qui se sont levés face à l'occupant, qui n'ont pas voulu « être du côté du plus fort » mais dont les noms ont malheureusement été oubliés

    J'ai personnellement toujours été à la fois bouleversé, révolté et interrogatif face à la mort d'un être jeune. Certes, il n'a pas eu le temps de s'exprimer complètement, et en ce sens c'est un gâchis, mais aussi il ne s'est pas vu vieillir, n'a pas eu le temps de voir ses forces décliner, son enthousiasme se dissoudre.

     

    Après « Pour Jean Prévost »(prix Médicis 1994) où l'auteur nous parle d'un autre écrivain-Résistant mort les armes à la main au pied du Vercors, Jérôme Garcin signe ici un portrait sans concession et une émouvante évocation d’un homme exceptionnel injustement oublié.

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • PETRONILLE

     

    N°937– Juillet 2015

     

    PETRONILLE - Amélie NOTHOMB – Albin Michel.

     

    Ça commence par un aphorisme sur l'ivresse [« L'ivresse ne s'improvise pas. Elle relève de l'art qui exige don et souci. Boire au hasard ne mène nulle part ».] Pourquoi pas et après tout, je me suis dit que c'était plutôt un bon début puisque cet état favorise dit-on la créativité et stimule l'inspiration chez certains auteurs. D'ailleurs Amélie Nothomb y va de ses confidences sur le sujet qu'elle semble bien connaître : elle aime le champagne et nous livre sa méthode, non pas forcément pour l'apprécier mais pour s'étourdir avec, un long jeûne de 36 heures étant, selon elle, nécessaire pour s'en griser et connaître une véritable transe, un état quasi-chamanique. Après tout ! Puisqu'elle en est aux confidences, elle nous narre la rencontre qu'elle a faite au cours d'une dédicace avec Pétronille Fanton, une jeune lectrice un peu fantasque avec qui elle correspondait. Cela devait sans doute se passer au début de sa carrière d'écrivain car il m'apparaît que plus un auteur gagne en notoriété, plus il délaisse ses lecteurs à qui pourtant il doit la vente de ses livres. Or il se trouve que cette jeune fille, que sa correspondance lui faisait imaginer comme une vieille femme, se révèle non seulement être d'une couche sociale différente de la sienne mais aussi être un jeune écrivain qui va de révéler par la suite comme talentueux. Une sorte de complicité, voire une amitié va naître entre ces deux jeunes femmes que pourtant bien des choses opposent. Elles semblent cependant avoir pour point commun un goût assez immodéré pour le champagne. Cela tombe plutôt bien puisque Amélie ne peut consommer ce divin breuvage qu'en bonne compagnie ; Pétronille va devenir sa « convigne » qui partage sa boisson préférée, comme le compagnon partage le pain. Ainsi va naître ce roman éponyme qu'on pourrait nommer « les pérégrinations alcooliques de deux jeunes femmes » Elles ne se quittent plus et vont même arpenter ensemble bien des lieux connus, mais toujours une flûte à la main, ce qui nous vaut un catalogue de marques prestigieuses, la publicité étant sans doute gratuite. Ces deux « pochtronnes » s'entendent si bien que lorsque les critiques ne sont pas à la hauteur du talent qu'elles pensaient avoir mis dans leurs livres respectifs, c'est tout naturellement et de conserve dans le champagne qu'elles noient leur déconvenue. Cette addiction pour le breuvage cher à Dom Pérignon entraîne sous sa plume bien des remarques. J'y préfère celles qu'elle décline sur le monde des lettres, des auteurs et surtout des éditeurs, pas toujours capables de reconnaître « sur pièce » un vrai talent. Celui de Pétronille dont elle se fait la marraine (c'est plutôt bien de sa part de se servir de sa notoriété) n'étant pas accepté comme tel.

    Il semblerait que, selon l'aveu de l'auteure elle-même, le personnage de Pétronille lui aurait été inspiré par Stéphanie Hochet, romancière, essayiste et journaliste. Elle reprend en effet nombre des titres de cette auteure en les modifiant quelque peu[« La distribution des ombres » de Stéphanie Hochet devient chez Amélie « La distribution des lumières »]. Là aussi c'est plutôt bien de sa part de faire la promotion d'une consœur qui pourrait bien devenir éventuellement une concurrente. Quant à l'épilogue, je le trouve décevant.

     

    Je ne suis que très peu entré dans cette narration, dans cette mise en scène coutumière de la vie de l'auteure et comme d'habitude depuis que je lis Amélie Nothomb, je ne lui trouve qu'une qualité de style agréable et donc facile à lire. Pour le reste son côté égocentrique, il est vrai commun à bien des auteurs, m'agace un peu. Encore une fois elle ne peux que parler d'elle, de ses livres… Je lis quand même ses romans puisqu'elle est un auteur connu, reconnu et prolixe (c'est son 23° roman) dont je ne peux parler qu'en les connaissant. Après tout la lecture et la littérature font partie de mes passions et j'aurais tort de m'en priver même si, au cas particulier, le plaisir n'est pas vraiment au rendez-vous. Je fais cependant toujours la même remarque, je n'ai peut-être encore une fois rien compris et suis passé à côté d'un chef-d’œuvre surtout si je me réfère aux avis laudatifs de la presse spécialisée et de ses nombreux lecteurs. Tant pis pour moi, mais je continuerai quand même à explorer son œuvre ne serait-ce que pour voir si, par hasard, je ne changerais pas d'avis !

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN BONHEUR SI FRAGILE

    N°936– Juillet 2015

     

    UN BONHEUR SI FRAGILE (I - L'engagement) - Michel David- Kennes Éditions.

     

    Nous sommes en avril 1901 à Saint Paul des Prés (Québec), paroisse rurale et catholique où la vie est rythmée par les saisons, animée par des vertus d'entraide, de travail, de piété et encadrée par un clergé tout-puissant. Comme partout il y a une fille en âge de se marier, Corine Joyal, qui attend Laurent Boisvert son fiancé. Ils finiront par se marier et elle vérifiera à ses dépends que le mariage est une loterie où elle n'a pas forcément gagné puisqu’ils ne se ressemblent pas vraiment. Elle est aussi généreuse, travailleuse et sensible qu'il est dépensier, fainéant et porté sur l'alcool et les femmes… En entrant dans cette nouvelle famille, elle doit non seulement faire face aux faiblesses de son mari que pourtant elle aime mais aussi à son beau-père, autoritaire et pingre. Volontaire, elle s'opposera fermement à lui devant qui tout le monde avait l’habitude de plier, en obtenant notamment un poste d’institutrice temporaire malgré sa qualité de femme mariée. Elle satisfera à ses fonctions et bousculera la tradition qui voulait qu'une telle enseignante soit célibataire et qu'un homme marié fasse « vivre sa femme ». Elle saura aussi s'élever contre les mauvaises habitudes de Laurent et s'imposer comme la maîtresse de maison, même en l'absence de ce dernier, parti travailler pendant l'hiver sur un chantier lointain. Elle fera l'admiration de tous en gérant au mieux le peu d'argent du ménage dont elle dispose. Bien sûr, elle tombera enceinte et le curé en manquera pas de lui rappeler que les enfants sont un don de Dieu selon le discours admis à cette époque. C'est Lui qui donne la vie mais c'est aussi lui qui l'enlève aux hommes mais le dogme religieux a soin d'habiller cela avec « les sacrements de l’Église », « la résurrection » et « la vie éternelle ».

     

    Cette histoire qui est aussi une histoire d'amour en pointillés entre Corine et Laurent, se passe dans un contexte général d'opposition politique entre deux partis à l'intérieur d'un village pour une querelle de clocher (au sens propre comme figuré) qui va secouer ce microcosme pendant une année entière, sur fond de futures élections, de trahisons anciennes et de luttes d'influence, avec, à la clé, une histoire de gros sous et d'omniprésence du clergé local. C'est un roman qui dépeint non seulement la société de l'époque avec son organisation, ses coutumes, son système fiscal, ses rituels religieux mais aussi le respects dû aux autres. Corinne fait une place au « quêteux » et accueille spontanément chez elle le grand-père de son mari en le sortant de l’hospice malgré ses faibles moyens. Je remarque aussi que, si le climat est rude, l'ambiance dans le village est chaleureuse et très marquée par la solidarité entre voisins et entre générations. L'auteur croque des personnages attachants tout en évoquant la rudesse du quotidien et en plongeant son lecteur dans la vie de ce Québec du début du XX° siècle. J'ai apprécié le premier volume de cette saga non seulement parce qu'il y est question de nos chers Québécois mais aussi parce que j'ai goûté des expressions vernaculaires savoureuses telles que « Faire le train », « Attendre la visites des sauvages », « Manger les vitres », « Cogner des clous », « Se faire parler dans le casque »... et je ne parle pas des jurons ! J'y ai même mentalement ajouté l'accent que nous Français aimons tant de la part de nos cousins de « La Belle Province ». En tout cas cette saga mérite bien le titre de « roman du terroir ».

     

    Quand j'ai reçu ce premier tome de la part de Babélio et des éditions Kennes que je remercie chaleureusement, je me suis dis qu'un ouvrage d'une telle épaisseur (527 pages) allait me procurer une lecture laborieuse et peut-être ennuyeuse. Que nenni ! J'ai eu plaisir à le lire non seulement parce qu'il est un témoignage bien vivant de ce passé révolu, mais aussi parce qu'il est bien écrit et s'attache son lecteur jusqu'à la fin. Certes, ce peuple m'est étranger par bien des points, les choses ont changé depuis plus d'un siècle, la société s'est modifiée mais, même s'il y aura toujours des fâcheux, des égoïstes, des profiteurs, des parasites, des récalcitrants incapables de s'adapter à la vie en société, j'ai trouvé cette histoire pleine d’une entraide de bon aloi mais je ne suis pas bien sûr que cette dernière ait encore cours de nos jours.

     

    Je ne connaissais pas l’œuvre de Michel David, décédé en 2010. J'ai apprécié ce roman même si le sens de certaines expressions m'a quelque peu échappé, un glossaire eût sans doute été utile pour le lecteur peu averti que je suis. Il m'a cependant procuré un agréable moment de lecture.

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • NAGER

    N°935– Juillet 2015

     

    NAGER - Richard Texier- Gallimard.

     

    Je ne connaissais Richard Texier que pour ce qu'il avait fait pour le bicentenaire de la Révolution française et des réalisations conservées dans la ville de Niort, je savais que c'était quelqu’un qui avait réussi et qui poursuivait un parcours où on se découvre tous les jours, où on devient ce qu'on est depuis toujours. C'est pourtant par hasard que j'ai pris sur les rayonnages de la bibliothèque municipale un livre écrit par lui mais qui n'est pas un roman. C'est un parcours de mémoire, un récit où se mêlent des réminiscences de son enfance et une réflexion sur sa création artistique qu'elle nourrit.

     

    C'est donc à une découverte de l'artiste et de son œuvre que ce livre invite. Elle commence par l'évocation de son enfance maraîchine, ses vacances vendéennes, convoque les personnages qui les ont peuplées, avec toujours l'omniprésence de l'eau mêlée à la douceur du climat et à la chaude ambiance familiale. Le Marais Poitevin n'était pas encore cette terre pour touristes quand on fait pour eux naître des feux-follets à la surface de l'onde, mais un endroit un peu mystérieux où la terre et l'eau se conjuguent, où la vie fourmille, où le travail était dur et ingrat. Le lecteur attentif apprend, un peu étonné qu'il doit sa future activité de sculpteur... à la traite d'une vache et celle de peintre à un bidon renversé où le lait se mêle à l'eau d'une conche ! Plus tard se sera sa scolarité à Niort, la découverte de ce talent qu'il portait en lui et qui fut décelé par une institutrice attentive et cultivé passionnément auprès d’artistes locaux qui surent l'encourager. Il deviendra le centre de sa vie.

     

    II analyse ce qui plus tard a sous-tendu son art, la côte atlantique avec les vagues, la saveur salée de l'écume, les secrets de l'estran, la violence des tempêtes, les frondaisons du marais mouillé mais aussi sa curiosité des choses, le contact avec la créativité des autres, se qualifiant lui-même de « chasseur d'éblouissements ». Le goût d'un simple fruit évoque pour lui son passé et cette démarche proustienne lui fait apprécier l'instant présent, une fête autant pour le palais que pour l'esprit, le quotidien banal qu'il célèbre, alors que l'homme est plus volontiers occupé à amasser des richesses [« Nous sommes devenus des barbares sans destin, travaillant à remplir nos cassettes personnelles d'or et de matière morte »]. A ses yeux, l'artiste est dépositaire de la beauté du monde et se doit de l'exprimer simplement et hors de toute chapelle [« Un artiste peut-il tenter, depuis la modeste place où il se trouve, de rendre compte de la magie qu'une simple poire peut convoquer ? Peut-il dire le mystère d'une manière non dogmatique et non religieuse ? Il me fallait essayer »] Cette démarche m'évoque celle de Victor Ségalen quand il définissait l'écriture, « Voir le monde et l'ayant vu, dire sa vision », et lui d'ajouter « l'enjeu de ma recherche est de rendre visible le prodige qui nous entoure ».; Il explore également les chemins de l'imaginaire et de leur mystère, ajoutant parfois une touche sibylline aux titres de ses propres tableaux. Son côté surréaliste ressort quand il parle d'Yves Tanguy et de son tableau « Jour de lenteur » [j''écris cet article face à une reproduction de cette œuvre] qu'il reconnaît comme le principe fondateur de sa peinture parce qu'à ses yeux c'est son enfance qui ainsi émerge. Il dit aussi sa vision du monde, parle du chaos et du cosmos (chaosmos), du grand livre de l'univers, de l'astrologie, de la mécanique terrestre qu'il réinterprète sur certaines de ses toiles où le pinceau n'est pas toujours le seul instrument de sa création mais n'oublie pas cette terre qui est pour lui une source d’inspiration. Cette observation du monde, cette connaissance de son histoire avec ses soubresauts et ses hésitations lui inspirent des aphorismes parfois bien sentis entre démonstrations et réflexions. Sa peinture s'inscrit dans cette énergie cosmique qui, parce que certains supports ne tolèrent pas les retouches, les repentirs, confère à son œuvre spontanéité et authenticité et lui donne une véritable fonction de médiation dans ce monde protéiforme qui l'entoure, en équilibre instable sur le vide. C'est aussi l'occasion de délivrer un message écologiste de sauvegarde de notre planète, pour notre propre vie et celle des générations futures. Parfaitement au fait des réalités quotidiennes, il note opportunément que l'écologie politique a échoué à nous en faire prendre conscience, et voit dans l'art « un moyen valide de réveiller les esprits en créant des œuvres qui affirment la splendeur du monde ».

     

    Mais revenons au titre de cet ouvrage. Pour lui, il faut plonger (et nager) dans l'eau noire de la « Grande Rigole » maraîchine pour atteindre la source de l'imaginaire [« Plonger pour revenir en arrière, retourner vers l'origine, rejoindre symboliquement la matrice, le liquide chaud d'avant la naissance, le temps de la sphère maternelle et protectrice »]. Il invite le lecteur, dans un compte à rebours virtuel, à redécouvrir la puissance créatrice du monde, liant entre eux le pouvoir de l'imaginaire et celui de l'univers. Développant cette idée, il rappelle que chacun d'entre nous possède en lui une potentialité créatrice. Elle a son siège dans le cerveau, véritable « terra incognita » , siège de la créativité selon les surréalistes, mais dont l'étude pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Il en vient à la question de l’inspiration, du travail de création qui « malaxe un magma intérieur, difficile et résistant ».  Qu'on ne s'y trompe pas, créer est un combat, une bataille intérieure que livre l'artiste contre lui-même et contre l''instant fugace d'où naît l’œuvre d'art. On est loin de ce qu fait dire au profane que l'art est évident et procède d'une grande facilité. Faire une œuvre artistique est le résultat d'une alchimie où le cerveau à sa part mais qui laisse aussi place à l'inconnu. Ce phénomène que nous partageons tous peu ou prou, ressemble à une magie, une logique interne qui a son siège dans l'enfance. De cette logique l'artiste tire sa singularité puisqu'il l'observe et donne à voir l'idée qu'il s'en est faite même si au départ il n'en avait pas la moindre notion et que cette représentation s'est peu à peu tissée dans le labyrinthe de son imaginaire secret. Le résultat peut être chaotique pour le commun des mortels qui a parfaitement le droit souverain de le juger, il n'en est pas moins quelque chose d'unique qui ressemble à une vision primordiale, une tache microscopique dans le vide sidéral, le commencement de quelque chose qui, à travers la forme et la couleur va imposer sa présence, son existence, sa permanence magnétique.

     

    Son écriture se décline, à mon avis sous deux formes ou en deux temps si on préfère. Quand Texier évoque son parcours artistique et professionnel, c'est une une évocation de ceux qu'il a croisés et qui ont parfois accompagné voire nourri sa créativité. Je lui préfère personnellement le sortilège du marais quand l'enfance permet de découvrir ce lieu étrange plein de bruits et de silences. J'y retrouve les accents du poète Léon-Georges Godeau pour qui les conches étaient tout autant une invitation à la pêche qu'à la magie des mots qu'il tressait si bien. Oui, cette ouvrage est pour moi une découverte enthousiasmante. Richard Texier fait ici montre d'une belle et savante écriture, apaisante comme les bords de la Sèvre, à la fois poétique et pleine de réflexion.

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • EMMAÜS

    N°934– Juillet 2015

     

    EMMAÜS - Alessandro Baricco- Gallimard.

    Traduit de l'italien par Lise Caillat.

     

    Dans ce roman sans doute plus que dans les nombreux autres qu'il a écrits, Alessandro Baricco s'implique personnellement. Comme les garçons dont il parle, lui aussi jouait de la guitare à la messe dominicale même s'il est maintenant devenu athée, lui aussi avait cette action humanitaire auprès des malades, mais, selon son propre aveu, il était un jeune homme beaucoup plus introverti que les quatre dont parle son ouvrage et il ne faut pas prendre ici la notion d'autobiographie au pied de la lettre. C'est en effet leur histoire que conte ce roman, celle de quatre garçons, dont l'un envisage de devenir prêtre, de la bourgeoisie turinoise catholique qui vont être fascinés, comme une apparition, par la beauté intemporelle d'une jeune fille, prénommée « Andre », aristocrate, libre et même libertine, adepte des frasques sexuels et qui offrait largement ses faveurs les plus débridées aux hommes. Leurs convictions religieuses, leurs pratiques pieuses, ne vont pas tarder à être remises en question d'autant que, hypnotisée par la mort, la jeune fille mettra fin à ses jours pendant cette adolescence houleuse. Cela sera, à leurs yeux, une sorte d’involontaire rite de passage vers l'âge adulte, une occasion unique de sortir de cette période protégée, pleine d'illusions sur la religion et sur la vie. Pour autant, cet abandon de la foi et de l'enfance, pour violente qu'il soit, leur fait découvrir des choses d'une grande beauté, une sorte de message à peine voilé pour nous montrer que les choses ne sont pas aussi manichéennes qu'elles peuvent paraître. Être adolescent et croyant correspond à une période fascinante et c'est sans doute un privilège que de la vivre (il m'est possible personnellement d'attester cela) pour autant toute remise en question est salutaire, même si elle peut correspondre à un abandon définitif de la foi et une possible vie sans Dieu. A cette période naissent souvent les vocations les plus altruistes voire les plus folles, témoin cette volonté affichée d'arracher Andre à sa perversité en proposant à sa mère la contribution de certains de ces garçons... avec l'aide de Dieu et de la foi. Dans ce parcours, on abandonne un peu de cette hypocrisie, de ce culte du secret qui sont l'apanage de la condition humaine, on peut aussi perdre ses illusions et sa foi religieuse à moins qu'elles en s'affermissent définitivement. On y gagne peut-être une autre notion des choses, une perception de la vie plus terre à terre, moins poétique, avec la violence, le vice, la maladie, la drogue, le suicide, le meurtre. C'est vrai aussi que chacun d'entre nous a bien dû avoir son enfance illuminée par un être, fille ou garçon, qui nous a émerveillé au point d'être pour nous un modèle inconsciemment inconditionnel. Andre fut ainsi pour tous ceux qui la côtoyaient. Si tous les quatre en sont amoureux, elle fut pour deux d'entre eux le symbole de l'amour, l'initiation à l'acte sexuel, avec pour résultat une paternité future non désirée, culpabilisante, problématique et bien trop précoce. Elle était à la fois l'image du péché et sa sanction. Il n'y a pas de date précise dans ce roman, peut-être parce que l'auteur, né en 1958, veut garder de sa jeunesse une vision mythique après qu'elle fut sans doute mystique.

    Le style de Baricco, sans doute servi par une traduction fidèle, est précis, réaliste, attachant et sincère dans l'analyse qu'il fait de l’âme adolescente et de son parcours vers la réalité avec ses vices et ses déviances qui accompagnent et entraînent la perte de la foi qui agissait jusque là comme une sorte d'anesthésie. Cela a sans doute été son parcours personnel et ce roman est en cela à la fois sincère et respectable. C'est en effet plus facile de prêcher doctement des certitudes venues d'ailleurs qu'on peut parfaitement faire semblant d'adopter, c'est en revanche plus difficile de remettre en question une foi inculquée pendant toute l'enfance à grands coups de messes et de séances de catéchisme. Ce parcours laisse toujours des traces, il est pavé de certitudes abandonnées, de croyances définitivement délaissées, avec un arrière-goût de mystification passée et des bourrages de crâne avortés dans un but souvent bien étranger à cette religion que des prêtres qui en valent pas mieux que nous mettent en avant. Ils se disent investis de fonctions et de connaissances divines et se proclament représentants sur terre d'un dieu lointain et à qui le dogme et la doctrine prêtent, en fonction des circonstances et de l'histoire, des visages différents et auxquels il faut absolument faire acte d’obéissance servile. Si on en bénéficie pas naturellement du don de Dieu qu'est la foi, on est instamment prié de croire et de proclamer cette croyance jusque et y compris si elle n'est que de façade.

    Le titre fait référence à l’Évangile qui relate cet épisode où les disciples qui ne reconnurent que tardivement le Christ qui, après sa résurrection, chemina avec eux tout en parlant des récents événements de sa passion et de sa mort sur la croix. On donne à cela l'interprétation que l'on veut, entre la vulnérabilité de la foi humaine, le doute qui la fragilise et ce don surnaturel qu’elle représente pour certains d'entre nous pris au hasard et qui décident d'y consacrer leur vie. A lire certaines pages de ce livre, je n'ai pas toujours eu l'impression de parcourir un roman mais quelque chose qui ressemble à une mise au point personnelle de l'auteur par rapport à la religion, à son enfance, une sorte de page qui s'est tournée dans la douleur, peut-être un peu malgré lui.

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SUITE 121

    N°933– Juillet 2015

     

    SUITE 121 - Igor et Boccère – Volume 1 - Dynamite.

     

    Qu'on ne s'y trompe pas, il s'agit d'une bande dessinée pour adultes avec tout ce que cela implique. Mais après tout pourquoi pas, je réponds parfaitement aux critères exigés pour cette lecture. Cela fait longtemps que cette chronique ne demande qu'à se diversifier loin de l'hypocrisie qui baigne généralement nos sociétés judéo-chrétiennes et ce même si j'ai cliqué sans trop savoir sur la liste offerte par Babelio dans la cadre de « Masse critique ». L'érotisme, le sexe, font partie de la vie et s'en offusquer c'est aussi faire montre d'un puritanisme qui n'a plus court aujourd'hui quand les mentalités évoluent et qu'on accepte enfin de regarder en face les réalités existantes. Hier encore on les cachait sous un voile qui se voulait pudique mais que les spectateurs ainsi frustrés brûlaient de soulever. L'homosexualité, la prostitution, l'adultère, les pratiques sexuelles débridées et les perversions du même ordre ont toujours existé et la littérature érotomane, les gravures et tableaux licencieux s'en sont fait l'écho jusque chez les auteurs les plus classiques et les plus sérieux qui ont parfois tâté des tribunaux pour cela. Cacher, au nom de la morale ou des bonnes mœurs, ce qui est un phénomène de société, même si cela peut se défendre sur le plan de l'éducation, ne change rien à la réalité. Il me semble d’ailleurs que de tels ouvrages ne laissent jamais vraiment le lecteur indifférent et ce thème, quand il est traité dans un ouvrage lui assure des ventes importantes. Et puis, qui n'a pas, souvent en cachette, feuilleté une revue pornographique ou visionné une séquence grivoise sur internet ? Dès lors, que la Bande dessinée prennent en compte cela, je ne vois pas pourquoi personnellement je m'en offusquerais.

     

    De quoi s'agit-il ? Cette BD érotique fait suite à « chambre 121 » des mêmes auteurs, où un réceptionniste d’hôtel était sollicité par sa patronne, moyennant des primes sans grands risques, pour répondre aux exigences « gourmandes » de ses clientes, autant dire un job, certes fatigant mais au moins plus agréable et lucratif que de travailler dans la poussière d'un bureau ou sur un chantier pour un salaire de misère. Ici, si j'en crois la 4° de couverture, cette chambre 121 n'existe plus, l’hôtel est fermé et cet homme, sans doute épuisé, est parti vers d'autres horizons. C''est pour autant le même thème qui est repris mais dans un contexte différent, dans le cadre d'une luxueuse suite. Mme Ermandine Saint Lys de Ronzière est un jeune veuve parisienne dont le nom seul attire la sympathie des membres féminines d'un comité paroissial de bienfaisance. On imagine celles qui en font partie, confites dans l'eau bénite et les patenôtres, loin en tous cas de ce que les lecteurs vont découvrir au fil des pages. Cette veuve, quelque peu « joyeuse »et riche et qui entendait que sa vie fût désormais vouée à la satisfaction de ses passions, embauche en effet Anton, le narrateur, comme valet, mais pas exactement de pied à moins que ce ne soit pour que sa cliente prenne le sien en sa compagnie. Elle est en effet adepte de la masturbation et compte sur son employé pour mettre dans un peu de sel dans cette recherche toute personnelle du plaisir. Ainsi cette BD ne manque-t-elle pas de jeux érotiques, lesbianisme, sodomies, cunnilingus et autres fellations où le narrateur paie largement de sa personne et justifie son salaire qu'on imagine important et surtout agréablement gagné.

     

    Après tout ici je n'ai vu que des scènes pornographiques sans violence, avec parfois de l’imagination, des scènes de perversions de tous ordres, certes mais des relations librement consenties entre adultes avertis, loin de la pédophilie que nul ne saurait soutenir. Je ne voudrais pas passer pour un obsédé, mais depuis que j'écris des romans et des nouvelles, je n'ai cessé de célébrer les femmes, leur corps, leurs yeux, leur beauté, leur sensualité.Je l'ai fait, certes avec des mots et d'une manière moins crue mais elles restent pour moi l'incarnation de l'émotion esthétique. Ici c'est différent, le graphisme est précis, ne laisse jamais le lecteur sur sa faim et nourrit assurément ses obsessions les plus secrètes. L'imagination des auteurs est libertine, joue sur les fantasmes humains et foule gaillardement les interdits ordinaires et convenus, avertissant que l'ouvrage offre un catalogue de 10 sketches érotiques, ce qui peut nourrir l’imagination des plus inhibés. Pour autant les scènes sont répétitives et peut-être un peu lassantes à la fin.

     

    J'avoue que je ne connaissais pas ces auteurs. J'ai abordé cette œuvre sans tabou, dans le cadre du « contrat » passé avec Babelio et malgré mon peu d'habitude de ce genre artistique dont je poursuivrai peut-être la découverte.

     

    Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • HOMERE. ILIADE

     

    N°932– Juillet 2015

     

    HOMERE. ILIADE - Alessandro Baricco – Albin Michel.

    Traduit le l'italien par Françoise Brun.

     

    Le thème de l’Iliade, la vraie, celle d'Homère, c'est la fin de l'histoire de la guerre de Troie, un siège qui a duré 10 ans et qui a opposé les Grecs aux Troyens. Ce sont les Grecs qui l'emportent grâce à Achille qui tue Hector en combat singulier. Dans cette aventure les dieux interviennent directement dans le conflit. L’œuvre est composée de 24 chants soit 15337 hexamètres dactyliques. Du temps de mes lointaines Humanités, la lecture de ce genre de texte était réservée à ceux, déjà rares, qui se consacraient à l'étude du grec. Les traductions disponibles étaient très scolaires et collaient au texte orignal, elles étaient empruntes de lyrisme et de mythologie, bref c'était réservé à une élite. Le but de Baricco était de rendre accessible ce texte en vue d'une lecture publique, en l'expurgeant de tout ce qui pouvait rebuter un auditoire moderne, notamment les interventions divines et en y donnant une traduction moins « classique », plus laïque, plus contemporaine, bref de la rendre lisible.

     

    A travers le théâtre classique et les textes littéraires, nous avons été bercés pendant nos études par ces personnages grecs et latins qui retraçaient à leur manière l'histoire de Rome et d’Athènes. La véritable Iliade d'Homère se termine par la mort d'Hector et ses funérailles mais ne parle guère du fameux « cheval de Troie » dont l'image est passé dans notre langage quotidien et dont Virgile parlera plus tard. Alessandro Baricco récupère cette séquence et l'intègre dans son texte. Pourquoi pas puisqu'il s'agit en quelque sorte d'une recréation.

     

    A l'origine, « la belle Hélène », épouse du roi de Sparte mais ,selon la mythologie fille de Zeus et de Léna, est enlevée par Pâris, prince troyen. Cet événement est la cause de « la guerre de Troie » entre les Grecs et les Troyens. Ce texte parle des derniers des cinquante et un jours de la dernière année de cette guerre à travers les personnages d'Homère qui plantent en quelque sorte le décor. Même si, au cas particulier les femmes incarnent le désir de paix, il parle surtout de la guerre, cette activité dont les hommes n'ont jamais pu se passer, de cette violence qu'ils portent en eux et qui s'exprime dans ces actes et ce depuis la nuit des temps. Elle leur confère la gloire et une forme d'immortalité parce que la mémoire collective, reliée par l'écrit (et par l'art en général) s'en mêle, célébrant l’héroïsme. Et c'est un peu comme si elle devenait quelque chose de beau, de nécessaire même, parce que l'histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Nous ne valons guère mieux aujourd'hui et nos sociétés, censées défendre la paix et s'en réclamer sont bien fragiles face à cette violence potentielle.

     

    Sur le plan de la forme, le texte est effectivement débarrassé de ses afféteries classiques et autres images quelque peu ampoulées. La lecture n'en est que facilitée.

     

     

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SANS SANG

     

    N°931– Juin 2015

     

    SANS SANG - Alessandro Baricco – Albin Michel.

    Traduit le l'italien par Françoise Brun.

     

    Apparemment il y a eu une guerre dont nous ne saurons rien, mais peu importe. Celle-ci est terminée mais elle a laissé des traces. Comme à la suite de tout conflit, il y a des rancœurs et des règlements de compte pour venger quelqu’un ou récupérer quelque chose. Ainsi Salinas trouve enfin Manuel Roca, médecin devenu tortionnaire, caché dans une ferme isolée avec ses deux enfants dont sa fille Nina encore petite. Elle échappera au massacre, épargnée par Tito pourtant chargé de la tuer elle aussi comme il a tué son père. C'est ce genre d'événement qui marque définitivement une vie.

    Dans ce court roman divisé en deux parties on peut voir l'allégorie de la vengeance et de son contraire, le pardon. En effet, pourquoi Nina adulte, animée par la volonté de venger la mort de son père choisit-elle de sauver la vie de Tito ? Le fait-elle pour acquitter une dette personnelle où par volonté d'oublier le passé fangeux de son père ? Le titre prend alors tout son sens. Je suis toujours frappé par cette évidence : Nos sociétés ont toujours été habitées par la violence qui est une caractéristique inhérente à l'homme. Quand elle a trop secoué le monde on réclame la paix, surtout après un conflit long et meurtrier mais dans le même temps et un peu contradictoirement on met en avant la nécessité de l'oubli qui est aussi une grande particularité de l'humanité. Généralement cela marche et il ne manque pas de gens pour endosser cette doctrine officielle qui bien souvent enfante des liens et des amitiés un peu surréalistes… Jusqu'à la prochaine fois parce que l'esprit revanchard existe et avec lui toute cette fureur parfois longtemps contenue. Cela n'empêche nullement les rancunes individuelles et les règlements de compte. En revanche, il y a des gens qui refusent cette invitation à l'oubli et qui restent figés dans le passé. Pour cela aussi, on fait appel à la mémoire collective, à la nécessaire expiation des exactions commises pendant ce conflit et qui en temps ordinaire serait du ressort des tribunaux.. Ici Nina choisit non seulement de laisser la vie sauve à Tito alors qu'au cours du récit on a vraiment l'impression, et lui aussi d'ailleurs, qu'elle vient pour le tuer, mais fait pour lui un geste assez inattendu. On peut se demander pourquoi. Ce dénouement me laisse quelque peu perplexe, sans doute à cause de la notion personnelle que j'ai du pardon mais ce roman ne lève pas cette ambiguïté qu'il a créée. En réalité, l'épilogue reste à mon avis en suspension et offre au lecteur le soin d'imaginer la suite.

    Je redis ici que j'ai apprécié la sobriété du texte, servi par une traduction qui ne le trahit pas. Cela correspond certes au style de l'auteur mais peut-être aussi à l’esprit de ce roman. La volonté d'oublier, d'anéantir le passé ne se produit qu'au terme d'un temps nécessairement long et d’une volonté intime, certes silencieuse mais aussi contenue et peut-être animée de fatalisme ou d'un désir d'apaisement. Nina tient Tito à sa merci mais l'épargne, non sans lui avoir asséner des vérités…Le contexte du billet de loterie que l'homme vend à cette femme n'est sans doute pas innocent et procède de la fable, avec la chance en contre-champ qui semble servir Tito qui vraiment en s'y attendait pas. Ils se rencontrent bien des années plus tard, alors qu'il est très vieux et elle plus très jeune mais encore belle, se reconnaissent et pour qu'il n'y ait pas d'erreurs possibles parlent ensemble de leur passé commun mais sur un mode alternativement apaisé et agressif. Dès lors tout devient possible, même le pire et le hasard qui bien souvent gouverne nos vies peut favoriser les choses, ou pas ! Nina porte en elle des cicatrices indélébiles mais n'a rien oublié puisqu’elle est vraisemblablement à l'origine de l’élimination des autres assassins de son père. On la sent donc aussi déterminée à passer à l'acte que l'homme en face d'elle est prêt à mourir… et portant rien ne se passe comme on peu l'imaginer

    Alors, une leçon d'humanité, de tolérance, de pardon … Pourquoi pas ?

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • NOVECENTO

     

    N°930– Juin 2015

     

    NOVECENTO - Alessandro Baricco - Feltrinelli.

     

    C'est une bien étrange histoire que celle de Novecento, de son vrai nom, si l'on peut dire, Dany Boodman TD Lemon Novecento, puisque ce patronyme lui a été donné par le marin qui l'a trouvé à bord du paquebot « Virginian » sur lequel il est né. On ne sait d'où il vient, il a été déposé là par les émigrants qui voulaient venir en Amérique, ou par des gens riches des premières classes, allez savoir, bref par des gens qui ne voulaient pas de lui ! Le plus étonnant dans cette histoire elle-même étonnante c'est que Novecento n’existe pas officiellement pour l’État-Civil puisqu'il n'est jamais descendu de ce bateau et qu'il n'a jamais été déclaré par personne. Il a grandi sur ce navire et puis un jour, sans jamais avoir jamais appris il s'est assis devant le piano du bord, le même sur lequel il avait été déposé, dans sa boite en carton et s’est mis à jouer, comme cela, d'instinct, sans jamais avoir appris la musique, comme s'il était familier des quatre vingt huit touches de cet instrument… Et le résultat a été extraordinaire. Ceux qui l'écoutaient convenaient qu'ils n'avaient jamais entendu une telle musique, un telle qualité de jazz. Même le flamboyant Jelly Roll Morton, le grand pianiste, l'inventeur du jazz, comme il le disait lui-même, et qui va se mesurer à lui ne pourra l'égaler. Et lui qui joue souvent pour les passagers de troisième classe, gratuitement bien sûr, ne veut pas quitter ce navire et sa vie se déroule toujours sur mer, sa musique ressemble aux rythme des vagues…

     

    Novecento est un génie de la musique, mais comme beaucoup de génies il est seul, un peu perdu même dans le microcosme du paquebot et ne veut surtout pas en sortir. Toute sa vie en sera faite que de traversées maritimes. Voir la terre, peut-être, mais de loin, toujours à l'abri du bastingage comme s'il avait le mal de terre, comme d'autre ont le mal de mer ! Alors ? Peur de vivre, d'affronter les autres, les difficultés, peut-être, c'est en tout cas une sorte d'existence passionnée avec la musique pour seule raison en évitant au maximum les contacts avec les passagers hors mis son ami, et tout cela sur ce bateau qui lui aussi vieillit et qu'il accompagne jusqu'à la fin.

     

    C'est un monologue, confié au lecteur par l'ami de Novecento, Tim Tonney, un trompettiste fasciné par ce musicien hors norme, une sorte de long poème, une fable un peu fantastique, lue à haute voix comme le préconise l'auteur et en italien pour goûter encore davantage la musicalité de cette langue

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Chaque femme est un roman

    N°929– Juin 2015

     

    Chaque femme est un roman - Alexandre Jardin - Grasset.

     

    Le titre ne pouvait que m'attirer comme m’attirent le femmes dont je ne suis que l'admirateur lointain et jamais le complice. Il n'empêche, chaque femme est unique et, plus que les hommes, chacune porte en elle quelque chose d’irremplaçable « un tremplin vers le fabuleux » selon l'auteur de ce roman. Ce n'est certes pas valorisant pour moi mais, maladivement timide, je ne suis pas un « donnaiolo » comme disent les Italiens qui s'y connaissent en matière de séduction. C'est peut-être à cause de cela que j'ai ouvert ce livre, en me disant que j’apprendrai sûrement quelque chose, même si, en cette matière sans doute plus que dans d'autres, il ne manque pas de matamores pour se vanter de ce qu'ils n'ont pas fait. Nous sommes dans un roman, c'est à dire dans un monde parallèle où tout n'est pas forcément comme dans la vraie vie, alors restons-y.

     

    J'ai retrouvé ici, et avec plaisir, le verve de cet auteur que j'apprécie. Je veux bien que nous soyons dans un roman (en fait une succession de nouvelles mais cela ne change rien) où il faut enjoliver les choses, mais je n'ai été que très modérément convaincu par les histoires racontées. Je sais que les séducteurs existent, que leur vie, (et leurs exploits) sont avérés et que notre littérature s'est nourrie de leur exemple vrai ou inventé. Le don Juan est le personnage idéal, celui que tout homme rêve d'être, celui à qui tout réussi et dont toutes les femmes songent avec envie. Sauf que bien souvent cela n'existe pas ou peu. J'aime bien les rodomontades d'Alexandre Jardin, ses hâbleries, son style jubilatoire, mais franchement je me suis un peu ennuyé à la lecture parfois fastidieuse de ce catalogue de conquêtes avouées, surtout qu'il a la manière de laisser penser que tout cela n'est que la face visible de l'iceberg. A croire qu'il n'y a eu pour lui que le sexe dans la vie. Ce n'est pas que j'en sois jaloux, sûrement pas, mais cette énumération de femmes qu'il a glissées dans son lit, ce catalogue d'amoureuses qui apparemment n'attendaient que lui pour jouir d'une toquade m'a un peu agacé. Je veux bien qu'il puisse être l’héritier d'un atavisme familial, mais quand même ! C'est certes bien écrit et je l'apprécie pour cela mais pour le reste, j'ai complètement décroché. Et puis il y a toujours cette tentation d'en rajouter un peu avec peut-être le risque d'en faire trop. Parfois il avoue que tout cela n'est que fantasme et je reste confondu entre la nécessité du rêve que nous portons en nous (et qui s'applique surtout à la conquête de femmes), cette volonté d'être un autre, ne serait-ce qu'une fois et cette nécessité pour l'écrivain de surfer sur la vague de l'inspiration, de la titiller, de la violenter même, de transformer la réalité toujours un peu morne en un moment forcément érotique, contempteur de la morale et des bonnes mœurs où je vois une manière talentueuse de se démarquer du quotidien. Quant aux autres histoires d'amour improbables et toujours merveilleuses, je veux bien les croire puisque le hasard, les hommes (et les femmes surtout) ont assez de talent pour bousculer un peu le monde. Au fond, lui-même ne dit pas autre chose « Je resterai toujours un farceur, méfiant à l'égard du fumet des mots... Au fond, je ne fais confiance qu'au réel. Il ne faut pas croire aux livres. ». Je veux bien que la folie existe, qu'elle puisse croiser le talent, mais de là, pour un lecteur (une lectrice?) à entrer de plain-pied dans une fiction et y croire aussi dur que la réalité, je ne suis plus très sûr. Et puis j'ai toujours été interrogatif devant la rencontre d'un homme et d'une femme et me suis toujours demandé comment cela se conclurait, par un salut amical et un éloignement sans que rien en se soit passé ou par une histoire d'amour pas forcément durable. Ce recueil de nouvelles m'a un peu paru être un festival de vanités, encore eut-il, mais à la fin seulement, l’honnêteté de confesser les blessures qui ont laminé son ego.

    C'est bizarre, mais dans cette longue liste de femmes, j'ai été beaucoup plus sensible à celles avec qui il n'a pas couché (sa mère, son éditrice(?), sa prof de maths, une amie lesbienne…) qui furent pour lui autant de boussoles plutôt que des exutoires, des guides plutôt que des thuriféraires aveuglées et des admiratrices enamourées. Là, à mon avis, il a été convaincant. Quand il propose de rire de tout au lieu sans doute d'avoir à en pleurer, tant le monde extérieur et quotidien est triste et déprimant, là, je le suis volontiers, même si j'ai peu d'aptitudes pour cela.

     

    Après tout, le titre le laissait penser, qu'est ce que le roman sinon le domaine de l’imaginaire, même s'il enfante parfois une réalité excitante, et je dois avouer que moi aussi, souvent je me laisse tenter, tant le monde qui m'entoure est décevant.

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DES GENS TRES BIEN

    N°928– Juin 2015

     

    DES GENS TRES BIEN - Alexandre Jardin - Grasset.

     

    Est-il de secret mieux gardé qu'un secret de famille, un événement, une personnalité qui resteront inconnus des descendants au seul motif que de cela, au sein de la parentèle « on en parle pas » surtout si on doit rattacher tout cela aux heures sombres de notre histoire nationale ! Dès la première phrase il n'y a pas d’ambiguïtés « Mon grand-père, Jean Jardin, dit le Nain jaune, fut, du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, le principal collaborateur du plus collabo des hommes d’État français : Pierre ­Laval, chef du gouvernement du maréchal Pétain. Le matin de la rafle du Vél' d'Hiv, le 16 juillet 1942, il était donc son directeur de cabinet ; son double. Ses yeux, son flair, sa bouche, sa main. Pour ne pas dire sa conscience.» . Il y avait bien eu de la part de Pascal Jardin, le fils de Jean, une tentative d'éclaircissement et ce fut « La guerre à Neuf ans »(1971) qui fit un peu trembler son père. La publication du« Nain Jaune » (1978) donnait du même père un portrait plus édulcoré, accommodant et attachant, qui n'avait pas paru convaincant au petit-fils, Alexandre qui voit là un « tour de passe-passe insoutenable » et qui en remet une couche, pas vraiment dans le même sens. Malgré l'attachement qu'il a pour sa propre famille, Alexandre, apporte des précisions que l'auteur du « Nain Jaune » ne pouvait ignorer. Il prend peu à peu conscience de ces réalités, lui qui à quinze ans admirait aussi son grand-père sans rien connaître de son passé vichyssois. Taire de tels faits ne sert à rien sauf si ce mutisme qui ainsi perdure devient un poids trop lourd à porter. L'espèce humaine n'est pas composée que de brillants modèles et prendre le risque d'explorer son propre univers familial, de secouer l'arbre généalogique, expose à bien des désillusions. Quand il a choisi de parler de son père, Pascal Jardin dit « le Zubial », Alexandre l'a fait sur le registre du fils meurtri par la mort prématurée d'un être excentrique, solaire et dont il ne se remet pas. Pour Jean, le grand-père c'est autre chose. On n'est responsable que de soi-même et surtout pas de sa parentèle. Les frasques dont la famille Jardin fut familière, celles de sa grand-mère dite « l'Arquebuse », l'épouse de Jean, de son père et de sa mère ont été mises sur le compte d'un art de vivre plutôt marginal mais présentées par Alexandre sur le registre de la légèreté et de l'adultère. Cela il pouvait parfaitement l'accepter. En revanche, le parcours de Jean était nauséabond, homme de l'ombre et de la collaboration, celui de la rafle du Vel d'Hiv qu'il ne pouvait ignorer, et ce malgré la légende tissée par lui-même de son vivant. Cette rafle l'obsède tellement qu'il va jusqu'à mettre en garde son grand-père contre cette « fracture dans sa vie » dans une scène improbable et surréaliste. En écrivant ce livre l'auteur dit « vouloir purger son ADN », pour lui, pour ses enfants, cesser de vivre dans la cécité. Pourquoi pas après tout ? Mais est-ce bien certain puisqu'on camoufle souvent sous des motivations familiales feintes des préoccupations personnelles et on peut parfaitement imaginer que des familles qui portent un nom de « collabo » notoire souhaitent vivre normalement au nom de l'oubli et de la non-responsabilités des erreurs d'un aïeul. Personnellement, j'ai toujours combattu cette culpabilité qui veut qu'on batte sa coulpe au nom de je ne sais quelle pseudo-morale judéo-chrétienne et qu'on s'accuse de tout les malheurs, surtout quand on n'y est pour rien. Je ne perds pas de vue non plus que cette culpabilité affichée fait partie du discours convenu de tout héritier du catholicisme, même s'il n'en a pas conscience ou s'il le refuse.

     

    Cette période de notre histoire, pas si lointaine d'ailleurs, a révélé des hommes peu scrupuleux qui, sans cela eussent connu l'anonymat. D'autre part le monde des hommes politiques, fait de tractations, de compromissions, de trahisons, des ces petits et grands arrangements avec la réalité et la vie, se conjugue assez mal avec la mémoire, se cache souvent sous la mauvaise foi, et sous la vérité « officielle », gravée dans le marbre et qu'il ne convient pas de bousculer. Non seulement Jean échappa adroitement à la purge de la Libération puisque, prudent, il avait eu soin d'expurger les archives du moindre bordereau portant sa signature, connut une carrière de financier occulte des partis politiques, droite et gauche confondues, de la IV° et de la V° Républiques mais mourut dans l'impunité en 1976, non sans avoir habillement préparé une éventuelle défense jusque dans les moindres détails. Elle ne servit cependant pas. Il ne fut pas le seul et ces « grands commis de l’État », ces Talleyrand, ces funambules qui en firent autant, eux qui eurent le talent et la chance de servir plusieurs régimes parce qu'on avait opportunément fait disparaître les archives et qu'on avait choisi de recouvrir certaines de leurs actions du voile d'un silence complice. Le livre révèle d'ailleurs des vérités connues depuis longtemps mais adroitement occultées, sur nombre d'hommes politiques célèbres et qui ont habillement survécu à cette page noire de notre histoire... et sont devenus des ministres gaullistes. Il était possible de soutenir que Jean Jardin ait été un fonctionnaire intègre et loyal au pouvoir politique, qu'il ne savait rien de la destination des trains de la mort non plus que du sort de ceux qui y étaient transportés, bref faisait partie des « gens très bien » de cette époque mais son poste de directeur de cabinet de l'omnipotent Laval ne peut soutenir cette affirmation. L'auteur conclut un peu malgré lui que, compte tenu des préoccupations quotidiennes et alimentaires d'alors, le rafle du Vel d'Hiv ait pu passer inaperçue. Il est vrai aussi que suivant l'époque, l'idée qu'on se fait du bien, même de parfaite bonne foi, est fluctuante et changeante en fonction des événements. Il note que l'entourage des gens qui ont connu cette « éminence grise » tentèrent, même longtemps après sa mort, de le dédouaner de l'antisémitisme de règle à l'époque, de présenter le nazisme comme un idéal auquel on pouvait adhérer sans avoir pour autant le sentiment du péché. En attaquant le grand-père, (« génétiquement catholique, il fut ce qu'on appelle une conscience dérangée par une morale exigeante »), qui n'était sans doute pas exempt de tout soupçon dans son passé vichyssois, et sans vouloir remettre en cause sa démarche courageuse, n'en fait-il un peu trop dans l'exploration de la boue fangeuse de sa généalogie ? C'est en tout cas courageux de faire une telle démarche forcément contestée dans son lignage. Éprouve-t-il un besoin de repentance très à la mode ou le rachat d'une part d’ombre qu'il ne pouvait garder pour lui ? Il est écrivain et, à ce titre on peut penser qu'il a trouvé là, sur le registre de « famille je vous hais » toujours payant, un thème récurrent et juteux. Il est en effet légitime d'avoir des comptes à régler avec sa propre famille, au moins le fait-il sans le masque du roman où s'agitent souvent des personnages cachés. Les mots sont son matériau et pour lui aussi l'écriture peut avoir un effet cathartique. Je ne suis pourtant pas fan des romans d'amour ni les fictions à l'eau de rose mais je ne déteste pas non plus l'authentique s'il est servi par le talent. Qu'il sorte d'un long déni familial ne me gène, au contraire ! Je suis donc prêt à suivre Alexandre Jardin sur ce terrain, lui qui portait sans doute ce passé comme un poids et le camouflait comme il le pouvait, confessant : « J'ai appris à paraître gai. A siffloter pour échapper au chagrin. Jusqu'à en écrire des romans gonflés d'optimisme ». J'ai peut-être tort mais je choisis de le créditer de la bonne foi. 

     

    J'ai, depuis longtemps écrit dans cette chronique, le plaisir que j'ai à lire Alexandre Jardin pour sa verve, son humour, ses rodomontades, pour son talent d'écrivain. Il m'est arrivé cependant, n'ayant rien d'un thuriféraire, de mâtiner ces éloges à propos d'un de ses romans en particulier. La lecture de ce livre, même si elle m'a rendu un peu dubitatif, m'invite à découvrir une face caché de cet écrivain et sa démarche courageuse ne fera pas de moi un contempteur de plus dans la polémique qu'il a allumée. Après tout Alexandre Jardin a parfaitement le droit de changer de registre surtout si sa démarche lui permet de se libérer un peu du poids d'un passé peut-être trop lourd à porter. J'ai donc lu ce récit passionnant de bout en bout, le texte à au moins l'avantage d'être bien écrit même si le ton est forcément différent de celui des autres romans. Il m'a permis de connaître un peu mieux l’écrivain et de découvrir que toutes ces fanfaronnades cachaient en réalité quelqu'un d'angoissé par ce passé familial. Je n'ignore certes pas que c'est le propre du créateur artistique que de cacher sous des dehors différents ce qu'on ne veut pas voir ou pas avouer. Je le confesse bien volontiers que je n'avais pas saisi cela à la lecture du « Zèbre » que j'avais bien aimé, mais je lui sais quand même gré d'avoir en quelque sorte fendu l'armure et de faire acte, non de repentance(il n'y est pour rien) mais de vérité. Il tire d'ailleurs pour lui-même et pour son lecteur la leçon de ces « gens très bien », nazis, vichyssois qui se présentaient pourtant sous des dehors respectables que cachaient une réalité moins reluisante. Est-ce par hasard, par amour ou inconsciemment en réaction contre ce passé qu'il a choisi sa deuxième femme dont les origines ont quelques marques de judéité d'ailleurs contradictoires (« Les gènes d'une grand-mère dont les papiers d’identité affichaient le tampon rouge JUIF et ceux d'un père prénommé Philippe (comme Pétain) né en 1942 … à Vichy ») ? Il met aussi en garde contre l'islamisme qui actuellement mine nos sociétés occidentales, s'engage personnellement dans le monde associatif en prônant la lecture, ce qui est une autre manière de bousculer un peu les choses.

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Le Zubial

    N°927– Juin 2015

     

    Le Zubial - Alexandre Jardin - Gallimard.

     

    Alexandre Jardin poursuit son travail autobiographique. Ce nom bizarre, ce sobriquet, c'est celui de Pascal Jardin, donné par ses enfants. « C'était son nom de père comme d'autres ont un nom de scène »[nous ne saurons cependant pas la véritable signification, le sens caché de cette appellation familiale, mais après tout peu importe].

     

    Sous la plume de son fils, Alexandre, il prend la dimension non de la statue de commandeur qui aurait tout aussi bien pu être la sienne mais au contraire la figure tutélaire d'un extravagant au sens plein du terme, familier de la démesure, du bizarre, de l'insensé. Pour nous en convaincre, l'auteur énumère force exemples où ce père de famille joue sa vie, et celle des siens, sur un coup de tête devant une table de casino, en conduisant à 140 à l'heure sur une route départementale les yeux fermés ou devant une femme qu’il entend conquérir. Ce fut, semble-t-il un amant d''exception et sans doute bien au-dessus de tout ce que le monde peut compter de Don Juan et de Casanova puisque, 16 ans après sa mort et chaque année, la plupart de ses anciennes maîtresses se réunissaient, autour de son épouse pour une messe en sa mémoire dans une église parisienne ou cette main anonyme qui, chaque année, à la date anniversaire de sa mort, fleurit sa tombe. C'est l'apanage de ceux qui ont fait rêver les vivants (les vivantes) que de pouvoir le faire même après leur mort ! Il avait en effet une attirance pour les femmes, celles des autres en particulier, mais aussi la sienne qui lui donna quatre héritiers. Il la trompa certes abondamment mais ne la quitta jamais et, selon Alexandre, elle ne fut pas non plus en reste mais demeura à ses côtés parce qu’elle avait sans doute compris la vraie nature de cet homme et eu le tact de en pas s'en offusquer. La liberté qu'elle réclamait pour elle était en quelque sorte la réponse de celle qu'elle lui consentait. Il voulait être cet éternel amant comme d'autres veulent rester enfants. Il était capable de faire n'importe quoi pour passer d'une maîtresse qu'il abandonnait ensuite, à une autre tout aussi inconnue parce que sa vie c'était avant tout séduire les femmes qui ne demandaient que cela. L'une d'elles croisait-elle son regard, il commettait ainsi n'importe quelle excentricité pour attirer son attention, la séduire et faire de ces instants une fête. Quant à elles, qu'elles soient riches ou modestes, aristocrates, bourgeoises, plébéiennes ou simples prostituées, cela leur laissait des souvenirs qui parfois les faisaient pleurer. Leurs larmes étaient autant d'hommage à cet homme qui ne pouvait pas laisser ceux (et surtout celles) qui le croisaient indifférents. II ne craignait pas, de son vivant, de bousculer toutes les convenances et même tous les tabous pour entrer dans le lit d'un femme, surtout si elle était mariée ou se livrer, en présence de sa famille aux pires absurdités qui eussent pu contrarier durablement son unité, son existence et sa pérennité. Si on en croit l'auteur, il avait l'art de se mettre dans des situations où l'irrationnel le disputait à l'excès ! Personnage solaire, il ne se trouvait bien qu'avec le gens qui partageaient sa nature exceptionnelle. Il est présenté en effet comme un homme qui avait la liberté chevillée au corps, comme d’ailleurs le talent qui ne s’arrêtait pas à l’écriture de romans ou de scénarios de films même si la mémoire collective n'a pas vraiment retenu son nom. Cet étonnant amoureux de la vie a voulu, comme souvent les gens de sa carrure, la consommer par les deux bouts ce qui le précipita plus vite que les autres dans l'au-delà mais aussi dans l'oubli. Il eut, comme le dit son fils « élégance de mourir jeune »(46 ans), trait d'humour qui cache mal son chagrin de son fils de l'avoir perdu à 15 ans, en pleine adolescence. Au moins cet homme eut-il la chance de ne pas se voir vieillir. Mourir jeune, même si cela bouleverse et révolte ceux qui l'aiment et lui survivent presque malgré eux, a au moins l'avantage pour le principal intéressé de le faire entrer de plain pied dans la légende familiale qui parfois déborde sur l'extérieur. Cela fige aussi définitivement les rapports père-fils parfois difficiles et ouvre largement la porte à l’imagination, aux fantasmes. Quoi d’étonnant dans ses conditions que le fils veuille marcher sur les traces de son père et la truculence de son style, dont j'ai souvent parlé dans cette chronique et qui fait, à mes yeux, l'intérêt de ses livres, en est la marque. Il tire sans doute cela de ces histoires, le plus souvent apocryphes, que Pascal leur racontait. Elles attestaient de cette imagination féconde qui fut la sienne, qui transformait la réalité la plus banale en moment d'exception, la repeignait en bleu en la semant de strass, pourvu qu'elle brille ! Pourquoi le faisait-il ? Sans doute pour être original, pour se singulariser et suivre la pente naturelle de sa personnalité qui le poussait à l'excès en tout, pour être différent des gens qui répètent à l'envi que « la vie est belle » sans être capable vraiment s'en persuader ! Elle ne l’était peut-être pas assez pour lui puisqu'il la titilla en permanence en lui donnant le corps des femmes pour décor. C'était sûrement bien autre chose qu'une simple démarche de jouisseur, peut-être une manière d'affirmer qu'on recherche quelque chose qu'on ne trouvera probablement pas mais qui assurément existe dans la complexité et dans la diversité de la vie et qu'il est urgent de la rechercher. Différer son entrée dans l'âge adulte en se lovant dans le giron chaud de l'enfance était probablement son plus urgent souci. Cette quête vaut bien la peine qu'on la mène tant il est vrai qu'elle est elle-même porteuse d'autre chose qu'on peut parfois appeler « merveilleux ». Portait-il en lui des blessures à ce point profondes qu'il ne concevait sa propre existence que comme un cautère qu'il s’appliquait lui-même chaque jour, et d'autant plus intime qu’elles étaient secrètes et qu'il éprouvait le besoin de les cacher sous le masque de l'excentricité et que seule la mort put guérir ?

     

    Pourtant c'est une lourde hérédité pour Alexandre qui paraît-il lui ressemble physiquement. Ressembler à ce père qui lui-même avait moins les gênes de son géniteur, « le nain-jaune », politicard notoire, que de sa mère, est pour Alexandre à la fois du grand art et une véritable gageure tant la fascination que son père exerce sur lui est exceptionnelle. Porte-t-il les mêmes plaies que lui ? Plus que les extravagances copiées sur lui, l'écriture de romans, avec cette verve si particulière, est sans doute la réponse à cette question. Encore que ! Comptable des facéties de son « zèbre » de père,il énumère ces faits au rythme de son entrée progressive dans la vie (J'ai 7 ans, il fait ceci, j'ai 8 ans, il fait cela…) comme d'autres évoquent les paires de claques reçues en manière d'éducation...

     

    Je sors de la lecture de ce roman émerveillé en me demandant quand même si tout cela est vrai. Il faut préciser que le Zubial lui-même avait érigé le mensonge à la hauteur d'une institution. Pourquoi pas après tout, même si la fiction et l'attachement d'Alexandre Jardin à la mémoire de son père autorisent bien quelques débordements de la réalité. J'ai lu ce roman avec une passion sans doute aussi grande que celle que l'auteur a mis à l'écrire.

     

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Autobiographie d'un amour

    N°926– Juin 2015

     

    Autobiographie d'un amour - Alexandre Jardin - Gallimard.

     

    Ceux qui font rimer amour avec toujours sont des menteurs ou des inconscients qui se réfugient dans la rêve pour exorciser leur cauchemar. N'en déplaise aux mauvais poètes amateurs de vers de mirliton, l'amour, c'est comme le reste, cela s'use et cela disparaît, surtout quand c'est consacré par le mariage. Quel que soit le parcours, le résultat est toujours le même, l'échec, qu'on camoufle parfois sous les traits des apparences, de l'hypocrisie quand tout cela ne se termine pas par l’adultère ou par la fuite ce qui n'est pas vraiment différent. Si cela ne se termine pas par le divorce, comme c'est de lus en plus le cas, on fait durer les choses et c'est souvent pour une question de convenances ou d'opportunité. Quand on se marie on est plein d'illusions et on regarde l'avenir et surtout l'autre avec des lunettes déformantes mais cette union ne tarde pas à s’effriter et sa solidité est celle d'un château de cartes dans un courant d'air. Ce n'est pas Alexandre Rivière qui dira le contraire, lui qui constate, après 7 années de vie commune et deux enfants, que son mariage va à vau-l'eau. Le fait que le couple habite les Nouvelles-Hébrides ne donne qu'une note exotique à la chose mais n'y change rien et cette région battue par le vent des cyclones et sujette aux séismes jouerait plutôt le rôle de miroir pour ce couple.

    Alexandre choisit la fuite, adoptant la traditionnelle lâcheté masculine, mais il le fait après avoir lu une manière de journal intime tenu par Jeanne, sa femme, depuis le début de leur union. Il y fait des découvertes le concernant mais constate la fidélité de cette épouse qui préfère l'écriture à la tromperie. Personnellement, et après l'avoir longtemps cru, je ne suis plus très sûr de l'effet cathartique de l'écriture et s'il suffisait de confier à la page blanche ses souffrances intimes pour en être délivré, cela se saurait. D’ailleurs Jeanne envisageait de se suicider, ce qui est aussi un abandon, mais le départ d'Alexandre l'en dissuade définitivement. Intervient, on en sait pas trop comment, Octave, le frère jumeaux d'Alexandre qui, au lieu de s'installer dans la vie de Jeanne la fuit ostensiblement au contraire, à tout le moins au début. Dans le contexte de l'absence toujours aussi mystérieuse d'Alexandre, l'auteur joue un moment sur la gémellité pour jeter le trouble dans l'esprit de Jeanne et appuie même le trait par un certain nombre de faits troublants pour la jeune femme, suscitant même de la part d'Octave une série de questions déroutantes voire indiscrètes (même si les questions indiscrètes n'existent pas et que seules les réponses le sont).

    Cela m'a semblé un peu trop facile, artificiel même, dans un contexte tropical et romanesque d'autant qu'il prête à Jeanne, femme sensuelle et désirable, restée trop longtemps seule et confrontée à l'énigme de l'abandon de son mari, cette envie d'être séduite par cet homme. Elle reste malgré tout amoureuse d'Alexandre et se sent irrésistiblement attirée par son frère qui en est la copie conforme. L'auteur donne à Octave le rôle péremptoire basé sur une compréhension un peu trop grande de la situation de sa belle-sœur (alors qu'on peut supposer qu'il l'a fort peu connue auparavant), et ce d'autant plus facilement qu'il joue sur leur ressemblance en bien des points. Sa position d'enseignant, surtout vis à vis de ses neveux, facilite les choses et on sent bien que l'auteur épuise ce thème facile, un peu trop peut-être. Il est présenté sous les traits d'un être suffisant, doctoral, pédant qui se sert apparemment de son refus de la séduction mais le lecteur n'est pas dupe de son marivaudage et attend l'épilogue qui ne saurait être différent de ce qu'il subodore. Ce jeu sur la gemellarité jette le trouble dans l'esprit de Jeanne et aussi du lecteur. Un point positif peut-être ? Grâce à lui elle s'acceptera davantage, s'aimera peut-être ? Mais est-ce vraiment Octave ?

    Jardin se laisse entraîné dans les arcanes du raisonnement, de la pédagogie, de la connaissance affichée de l'espèce humaine en générale et du couple en particulier. Je me suis un peu perdu dans les ratiocinations d'Octave-Jardin. C'est, certes pertinent mais j'ai eu un peu de mal à suivre l'auteur dans sa rhétorique. C'est sans doute dû à moi, à mon expérience (malheureuse) mais je ne suis pas très sûr qu'on puisse réellement raviver un amour perdu par de tels artifices. Pourtant, je le crois de bonne foi comme l'atteste son ultime chapitre consacré à ses « remerciements » mais je n'ai pas retrouvé dans ce roman sa verve habituelle qui me paît tant chez lui, et cela je le regrette.

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SOIE

     

    N°925– Juin 2015

     

    SOIE Alessandro Baricco – La scala.

     

    L'histoire commence en 1840 quand Baldabiou décide d'implanter à Lavilledieu une usine de filature de soie ce qui permettra à cette ville de se développer. En 1860 une épidémie de pébrine tue les vers à soie. Quelques années auparavant, cet homme avait demandé à Hervé Joncour, le fils du maire de Lavilledieu, d'aller tous les ans chercher des œufs jusqu'en Égypte et en Syrie mais à cause de cette épidémie il n'y a plus qu'une destination possible : Le Japon qui, à cette époque, est au bout du monde ou plus exactement « la fin du monde » mais où l’exportation des vers à soie est interdite. Il entre donc en contact avec Hara Kei, un homme énigmatique éperdument amoureux de sa maîtresse au charme de qui Hervé n'est évidemment pas insensible. Au vrai c'est une banale histoire d'amour, celle d'un étranger qui tombe amoureux d'une femme déjà liée à un homme, puissant qui plus est. Il accomplira au pays du soleil levant plusieurs voyages, pour les vers à soie, certes, mais pas seulement. Bien sûr cet Hervé est marié et bien sûr il va tromper cette épouse fidèle qui est restée à l'attendre en France parce qu'ils a simplement croisé le regard de cette femme d'autant plus énigmatique qu'il n'était pas forme orientale. Grâce à elle il va revivre. C'est souvent comme cela, c'est toujours le mari qui endosse ce rôle et jamais le contraire, comme si le contraire n'existait pas. Comme toujours l'amour se conjugue ici avec la mort, celle de son épouse mais aussi celle de cette maîtresse mystérieuse, auteur d'un billet. La guerre s'invite aussi dans cette histoire puisque dans ces périodes troublées, des destins se font et se défont. Quant à la richesse promise aux habitants de Lavilledieu, elle se révèle être une illusion

     

    J'ai lu ce roman (qui est plutôt une nouvelle) en italien, par goût de cette langue que je découvre petit à petit avec plaisir à travers la musique des mots, avec un peu de mal quand même. C'est pour moi une belle occasion d'approcher cette langue cousine qui m'a toujours attiré. Les mots italiens sont sensuels, poétiques, évoquent la finesse de la soie, celle de la peau des femmes, la beauté des paysages... Pourtant si la poésie a été au rendez-vous de cette lecture, l'histoire ne m'a pas passionné, elle est plutôt classique. C'est un peu une leçon sur le thème ordinaire propre à la condition humaine, une histoire d'amour impossible et la nostalgie qui va avec. Hélène, la femme d’Hervé est peut-être et même sûrement l'auteur de la lettre reçue par lui et traduite par la maquerelle, peu importe après tout. On peut vouloir être un personnage qu'on ne sera jamais et elle le lui fait savoir de cette manière en lui avouant qu'elle est aussi au courant de tout. Cette façon de le dire peut aussi être une manière de formuler son amour : c'est parfaitement humain.

     

    Le scénario est lent, parfois répétitif mais je garde dans l'oreille la musique et la poésie de la langue italienne.

     

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • JOYEUX NOEL

     

    N°924– Juin 2015

     

    JOYEUX NOEL Alexandre JardinGrasset.

     

    Après les révélations sulfureuses sur sa famille et spécialement sur son grand-père, Jean Jardin, directeur de cabinet de Pierre Laval, qui faisait l'objet d'un encensement familial mais que son petit-fils a osé démasquer (Des gens très bien, publié en 2011), l'auteur nous revient avec l'histoire d'une autre lignée, celle de Norma Diskredapl qui, encouragée par l’initiative « jardinesque », lui confie, lors d'une rencontre dans une librairie nantaise sa saga familiale personnelle. C'est l'histoire d'un « clan turbulent » nommé Diskredapl (impensable en breton) sur plusieurs générations qui s'est installé sur une île bretonne depuis le XIX° siècle mais qui est l'héritière d'une banque suisse. Un tel contexte ne pouvait échapper à la sagacité de notre auteur, familier des extravagants de tout poil. Il sera donc le témoin et le scribe de cette aventure aussi rocambolesque que fantasque. Les différentes histoires dont il se fait l'écho ne pouvaient pas ne pas influer sur lui-même puisque à la fin de son opus il va jusqu'à parler de lui, mais d'une manière plus précise que ne le font les écrivains qui d'ordinaire se cachent sous un masque. On peut même penser que ce parcours dans la vie des autres l'a carrément bouleversé puisqu'il se met à parler de ses revenus, à publier sa feuille d'impôts, sa photo « nu » et « habillé », son bulletin de vote (sans son adresse quand même). Comprenne qui pourra !

     

    En fait, et bien que cela ne paraisse pas évident dès l'abord, ces deux romans sont liés puisque, selon ses dires, les Français lui ont su gré de dévoiler ainsi la part sombre de sa famille en leur en parlant. Ainsi, à son exemple, ils pouvaient maintenant parler des mystères de la leur. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'utilité de révéler des secrets de famille si lourds à porter soient-ils. Un esprit chagrin verra sûrement là une source d'inspiration qui sera aussi une source non négligeable de revenus. Ce n'est pas si sûr cependant et même si celui qui tient la plume est toujours tenté de relater l'histoire à son profit, j'ai toujours vu une sorte de catharsis dans l'écriture même si maintenant, je ne suis plus très sûr, pour l'avoir pratiquer moi-même, que cela soit forcément efficace. Salir sa famille, où plus exactement révéler ses secrets si jalousement gardés au nom de l'hypocrisie qui veut que de cela « on en parle pas » ne change rien à la réalité qui bien souvent rattrape ceux qui souhaitent la voir disparaître derrière le temps qui passe et qui génère, là aussi, une sorte de prescription. Et puis, secouer l'arbre généalogique ne rapporte pas toujours le succès même à un écrivain connu ! L'espèce humaine dont nous faisons tous partie est pleine de contradictions et de vices et si la religion a inventé la confession, quelque forme qu'elle prenne, c'est sans doute pour quelque chose. J'ai toujours été personnellement étonné quand, lorsque quelqu'un meurt, eût-il été de son vivant le pire des êtres, il se trouve transformé par sa mort même, en une sorte de saint sans reproche que le sens populaire transcrit dans cette formule sans appel à force d'avoir été répétée « Ce sont les meilleurs qui s'en vont », donnant à penser que ceux qui restent ne valent pas cher ! Et puis pourquoi parler ainsi de quelqu’un qui ne peut plus se défendre ? Toute vérité n'est pas bonne à dire, il faut sauver les apparences, cela aussi la sagesse populaire nous l'enseigne, alors à quoi bon ? Cette absolution, générale post-mortem, c'est un peu ce qu'on voudrait donner à ce pauvre Félicien qu'on enterre en ce jour de janvier 2004, oui, à moins que Norma ne vienne y mettre son grain de sel, c'est presque normal, en Bretagne. Et puisque le ton est donné, le roman se décline et il y en a pour tout le monde et tout y passe, les mensonges, les adultères, les trahisons, les lâchetés, la collaboration...la liste est longue et bien entendu non exhaustive. Ce faisant, elle va non seulement s'attirer les foudres de cette famille qu'elle a déstabilisée durablement en écaillant le vernis pourtant si laborieusement lissé mais elle va aussi réveiller toute cette parentèle et avec elle les secrets et les non-dits qu'elle maintenait bien jalousement cachés mais authentifiés par Maëlle, actuellement bistrotière mais qui a passé sa jeunesse comme peu discrète « demoiselle du téléphone », c'est à dire bien avant l'automatique. Ne parlons pas du curé, dépositaire de tous les péchés de l'île, et heureusement tenu au secret, mais lui aussi est « un pauvre pécheur ». C'est vrai que tout le monde s'y met lors de cette réunion de famille à Noël 7 ans plus tard et franchement, dans le domaine de la confession intime, ce n'est pas triste, d'autant que c'est contagieux !

     

    J'ai retrouvé avec plaisir la verve et le style jubilatoire que j'avais tant apprécié chez cet auteur, notamment dans « Le Zèbre »(mais pas seulement). Son verbe est comme toujours truculent et je l'ai suivi volontiers dans les arcanes de cette famille vraiment pas comme les autres dont il nous présente les membres dès l'abord avec une certaine facétie[je note que la généalogie qui accompagne le roman est bien pratique]. La présence d'un policier et d'une enquête judiciaire en cours, la réapparition d'un des membres du clan disparu mystérieusement quelques dizaines d'années plus tôt, une série de lettres dilatoires donnent à ce roman une dimension policière qu'un suspens entretient adroitement.

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ROBERT DES NOMS PROPRES

    N°923– Juin 2015

     

    ROBERT DES NOMS PROPRES Amélie Nothomb – Albin Michel.

     

    L'idée exprimée dans la 4° de couverture n'était pas mauvaise : faire la biographie de son propre assassin, après tout puisque nous sommes dans une fiction restons y. Je me suis dit que même si je n'avais pas pour les romans d'Amélie Nothomb beaucoup d'attirance ni beaucoup d'intérêt, cela valait peut-être la peine. J'ai donc lu l'histoire de cette jeune fille au prénom étrange, « Plectrude » (pourquoi pas après tout, l'auteure fait souvent dans l'originalité quand il s’agit de baptiser ses personnages). Le lecteur suit donc par le menu son enfance, son parcours scolaire cahoteux, sa passion pour la danse, la beauté de son regard, son attirance pour la mort, ses parents éphémères, l'aura qui émane d'elle l'admiration et l'envie qu'elle suscite, surtout pour ses parents de substitution, son amitié unique pour Roselyne, ses émois amoureux pour Mathieu… L'auteur précise que notre Plectrude a surtout un attirance pour ce qui est nouveau, surtout quand, dans sa classe, cette nouveauté ressemble à un beau garçon. Jusque là rien de bien original.

     

    J'ai noté quelques aphorismes bien sentis mais, en revanche je n’ai que très modérément goûté l'humour supposé des réponses de la jeune fille qui passe pour un génie dans sa classe alors que rien ne le laisse supposer. Et d'ailleurs elle interrompt prématurément ses études secondaires et entre, comme elle en a toujours rêvé, à l'école de l'Opéra. Elle réalise l'idéal de sa mère qui en est ravie. La jeune fille sort brutalement de l'enfance à travers cette discipline librement consentie de la maigreur, ce rite initiatique fait d'elle une anorexique avec des carences alimentaires inévitables. Elle risque donc sa vie pour le plaisir de danser mais se brise une jambe. Cette fracture lui fait prendre conscience de son exclusion du monde extérieur mais sa carrière est définitivement arrêtée et sa mère qui vivait sa réussite par substitution tombe gravement malade du fait de sa défection. L'auteure en profite pour critiquer la dictature imposée aux « petits rats » par l'école et la culpabilisation qui va avec. Elle fait peut-être appel à sa propre expérience mais, à la longue, cela devient lassant. C'est vrai que le thème était intéressant, devoir renoncer à ce qu'on pense être son destin sans pouvoir faire autrement, voir soudain tout se liguer contre soi pour faire échec à ce qu'on voulait faire de sa vie… A ce compte là, on est prêt à n'importe quoi et surtout à entreprendre ce qu'on avait tout particulièrement évité jusque là. A cette occasion tout explose et sa mère dépitée lui révèle tout, l'assassinat de son père, le suicide de sa mère… Pour une adolescente qui ainsi perd tout, c'est tragique et l’instinct de mort s'insinue en elle avec ce décompte macabre qui correspond à un compte à rebours personnel. Le thème de la « reproduction du modèle » était intéressant mais juste effleuré ici. Il y a aussi ce retour à la vie, la découverte du théâtre, de la chanson et l'envie d'enfant qui, paraît-il, habite les femmes. C'est plutôt rassurant ! Je veux bien que le hasard fasse bien les choses, qu'on soit, pourquoi pas, dans un conte de fées et que l'auteur reste maître de son histoire, mais le happy-end, avec cette possibilité d'être heureux dans l'âge adulte, m'a toujours parut un peu artificiel et bien loin de la réalité.

     

    Mais la 4° de couverture dans tout cela et surtout cette idée de l'assassin ? J'avais eu l'impression d'entamer un roman policier ou quelque chose de ce genre mais à la moitié du livre j'en étais encore à l'histoire assez banale d'une jeune fille à laquelle je m'intéressais en me faisant violence à chaque page, motivé par un épilogue qui m’étonnerait peut-être, à moins que cela ne soit le temps pluvieux qui me maintenait en compagnie de ce roman. Robert ? C'est le nom d'un dictionnaire mais c'est aussi celui d'une chanteuse dont l'auteure est la parolière. C'est en tout cas le pseudonyme choisi par Plectrude, revenue à la vie, pour sa carrière d'artiste. En tant que modeste auteur, j'ai toujours été fasciné par la rencontre d'un écrivain avec un de ses personnages et des relations qui peuvent en découler. Après tout là aussi nous sommes dans une fiction et ce thème aurait pu être utilement développé. L'étrange proposition que résulte de cette entrevue et qui génère l'épilogue ne m'a pas non plus convaincu

     

    Je n'ai peut-être rien compris et ,je suis encore une fois passé à côté d'un chef d’œuvre, mais franchement je ne suis pas entré dans ce roman. A mon sens il y avait pourtant des thèmes intéressants qui auraient pu être développés. Jusqu'à il y a peu, je ne connaissais pas Amélie Nothomb et son nom était pour moi lié à un phénomène littéraire prolifique (un roman par an). J'ai donc voulu en savoir davantage et m'y suis intéressé sans à priori. Je fais encore une fois le constat du désintérêt que je ressens quasiment à chaque fois que je referme un de ses romans pourtant lus avec les meilleurs intentions du monde. Je poursuis donc ma lecture, davantage pour pouvoir en parler que pour le plaisir de lire qu'elle me procure. Mais après tout, être écrivain c'est aussi se mettre en situation d'être jugé par la premier lecteur venu… et je suis celui-là !

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • La Rochelle 1939-1945

    N°922– Juin 2015

     

    La Rochelle 1939-1945 - Musée des Beaux-Arts de La Rochelle – Geste Éditions.

    Sous la direction d'Annick Notter, conservatrice en chef et Nicole Proux, historienne.

     

    A l'occasion du soixante-dixième anniversaire de la Libération de la ville, le musée des Beaux-arts de La Rochelle publie cet ouvrage richement illustré et documenté qui accompagne une exposition organisée dans ses locaux du 7 mai au 9 novembre 2015. Il s'agit d'un ouvrage collectif qui retrace ces six années de guerre et d'occupation.

     

    Après l'armistice du 22 juin 1940, La Rochelle qui est une ville commerçante et industrielle active se retrouve en « zone occupée » puis en « zone interdite », est déclarée « ville ouverte ». Les Rochelais vécurent ces six années de tourmente dans la réserve, l'attentisme et la survie malgré les privations, l'afflux des réfugiés, les évacuations et les pénuries de tous ordres. Ceci n’exclut ni les actes de collaboration et de délation ni ceux de résistance et de sabotage. L'ouvrage rend hommage à celles et ceux qui se sont engagés dans ces actions d'opposition à l'occupant, qui ont donné leur vie pour que la ville soit à nouveau libre. Le maire Léonce Vieljeux (1865-1944) en fut la figure emblématique. Nombre de voies urbaines et portuaires rochelaises portent leur nom ce qui contribue à perpétuer leur mémoire.

     

    La répression allemande et vichyssoise n'a épargné, ici comme ailleurs ni les juifs, ni les communistes ni les francs-maçons. La Garde Civique et plus tard la Milice, soutenues par des organisations pétainistes, furent de zélés collaborateurs des autorités allemandes. Les communistes qui entrèrent en résistance notamment après la rupture du pacte germano-soviétique (1941), furent particulièrement pourchassés par l’occupant. Les FTP, qui ont payé un lourd tribu, se montrèrent particulièrement agressifs mais le PCF, eu égard à son organisation interne, et malgré les coups portés par l'occupant, a été particulièrement efficace dans cette lutte. Dans la ville, la Résistance s’organisa dans la clandestinité, parfois sous couvert d’associations sportives mais pas seulement, vers l'action, le renseignement, le sabotage ou la propagande anti-nazie ce qui déclencha une vague d'arrestations et de répression de la part des Allemands. Ici comme ailleurs, dénonciations, déportations, tortures, exécutions sommaires furent l'ordinaire de la barbarie nazie... Comme partout, le maquis a connu un regain de recrutement à partir du début de l'année 1942 et de l'instauration du STO par le régime de Vichy, même si, à partir de cette période, les réseaux de résistance rochelais ont été décimés.

     

    La pêche rochelaise a été lourdement handicapée non seulement par les mesures restrictives imposées à la profession(restrictions de carburant, prélèvements sur les prises) mais aussi par les mines et la destruction de bateaux par la marine allemande et la réquisition de chalutiers transformés en garde-côtes ou en navires de guerre auxiliaires. L'importance stratégique de La Pallice, port en eaux profondes et élément important du Mur de l'Atlantique, incite les Allemands à y implanter des infrastructures militaires(base sous-marine, construction de batteries côtières, mines...) qui seront la cible des bombardements alliés, épargnant cependant miraculeusement la vieille ville. En effet, même si la France n'était plus officiellement en guerre la position géographique de La Rochelle la désignait naturellement comme un objectif militaire.

     

    La Rochelle doit être attractive puisque, avec celui de l'Aunis, elle subit là le septième siège de son histoire mais ce sont des Allemands qui sont retranchés dans la ville rebaptisée « poche »(septembre 1944-mai 1945). Cette ville doit bien être « bénie des dieux » comme a pu le dire plus tard un édile, puisque, malgré sa situation maritime et économique, elle a été épargnée alors que d'autres, dans la même configuration, ont été rasées et ce d'autant plus que sa position de « poche » allemande à la fin d'un conflit dont il n'était pas possible de douter de l'issue, l'exposait à des barouds d'honneur, des règlements de compte et autres débordements qui eussent pu l'endommager durablement. Les troupes allemandes cantonnées à La Rochelle étaient importantes tandis que les résistants (FFI), pourtant peu armés et mal équipés étaient cependant déterminés et combattifs. D'ailleurs, à la fin de la guerre, les Allemands avaient programmé la destruction de la ville mais en aucune façon une reddition et le général de Gaulle lui-même prévoyait qu'une action armée accompagnât la libération de la ville. Il a fallu toute l'humanité et toute la diplomatie du capitaine de Vaisseau Hubert Meyer, du vice-Amiral Ernst Shirlitz et du concours de la Suède pour négocier une trêve, assurer le ravitaillement des Rochelais demeurés dans la ville pour éviter les bombardements alliés comme à Royan, et surtout que cet épisode ne se transforme pas en un bain de sang avec d'inévitables destructions. Par ailleurs, à cette période les Rochelais ont fait preuve de solidarité et de compréhension : la ville était sous administration vichyssoise et allemande mais encerclée par les FFI sur un territoire divisé en zones d'influence, à un moment où la victoire des alliés était en marche. Ce siège, réglementé par une convention pourtant controversée et quasiment secrète, dura six mois relativement paisibles alors que le reste de l'Europe était un vaste champ de bataille. Même si les Allemands étaient craints, ils n'en étaient pas moins considérés, eux aussi, comme des prisonniers. Cette situation un peu surréaliste a donné lieu à des manifestations cocasses où la paix a cependant été privilégiée et sauvegardée. Ainsi, il n'était pas rare que, dans un même lieu, des Miliciens, des Allemands et des Résistants en armes cohabitent sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré, le but de chacun étant de gagner du temps. Le 8 mai 1945 la ville fut libérée par des troupes françaises (zouaves et spahis) épaulées par les FFI, sous les yeux d'un occupant, apparemment soulagé, les soldats allemands désarmés étant considérés comme prisonniers de guerre dans des conditions honorables. Ce fut la dernière ville à être libérées(8 mai 1945) sur le territoire.

     

    J'ai découvert ce livre passionnant grâce à Babelio et à Geste Éditions que je remercie chaleureusement. Il m'a permis, à titre personnel, de compléter ma connaissance de l'histoire de cette cité qui m'est chère à plus d'un titre. En effet, quelque soit l'endroit où j'habite temporairement, je me revendique définitivement comme Rochelais.

     

    La ville de La Rochelle a encore une fois mérité son surnom de « belle et rebelle ». Elle a connu au cours de son histoire bien des bouleversements. Cet ouvrage a pour but de ne pas oublier cette période pourtant pas si lointaine et surtout ceux qui se sont sacrifiés et envers qui les générations suivantes ont une dette imprescriptible. Il met en exergue l’héroïsme des Rochelais autant que leur vie quotidienne et les heures sombres qu'ils ont vécu à travers des textes, des photographies et documents d'époque.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE COEUR COUSU-

    N°921– Juin 2015

    LE COEUR COUSU- Carole Martinez Gallimard.

     

    C'est un conte triste, long, cruel, que l'histoire de cette jeune fille, comme le sont généralement tous les contes si on veut bien en prendre conscience. Un peu comme une histoire qu'on se raconte de génération en génération. Il n'a pourtant rien de merveilleux puisqu'il parle de solitude, de souffrance, de la quête de l'amour et du bonheur longtemps menée, en vain ! C’est Soledad, une de ses filles, qui confie cette histoire au lecteur.

     

    Frasquita Carasco passe pour une sorcière dans ce petit village misérable où elle habite. Il est situé au sud d'une Espagne traditionnelle, pauvre, rurale, catholique, soumise aux propriétaires terriens et à l’Église, qui craint la Garde Civile et les militaires, qui croit aux miracles, aux sortilèges et aux processions. Comme toutes les filles, elle brode et coud. Son éducation est confiée à sa mère et dès ses premières règles elle entre avec elle dans un univers fait de rituels mystérieux et de prières. Elle lui confie un coffre qui se transmet de mère en fille depuis la nuit des temps, avec l'ordre de ne pas l'ouvrir avant 9 mois. Cette attente révélera un don de guérir les blessures aussi facilement qu'elle transforme le moindre chiffon en somptueuse robe brodée. Ses enfants recevront eux aussi un talent particulier mais jouée et perdue par son mari elle sera réduite à l'errance dans cette Andalousie où traîne la mort. Elle mettra à profit son talent de couturière pour « recoudre » les hommes ! Ses enfants la suivront mais le don surnaturel reçu par chacun d'eux contribuera à les exclure en raison de cette étrange mais pourtant coutumière réaction propre à l’espèce humaine qui est de tout détruire autour d'elle et qui la conduit à se séparer de ceux qui sont à l'origine de son mieux-être ou qui peuvent y contribuer.

     

    C'est donc une longue fable entre magie et réalité qui met en scène des femmes à qui le destin a confié une mission salvatrice et presque divine de gardienne de la vie alors que les hommes sont présentés comme des rustres, notamment son mari qui perd sa fortune et sa femme au jeu. C'est une saga sur trois générations qui met en évidence les travers de l'espèce humaine, l’égoïsme, la lâcheté, la trahison, le mensonge... qui, comme nous le savons puisque nous en faisons partie, n'est pas fréquentable, mais pas seulement. A travers le personnage de Frasquita, ce sont les femmes qui sont à l'honneur mais elles le sont symboliquement dans le contexte de cette révolte paysanne que le roman évoque. Elle n'est pas sans rappeler les événements qui présidèrent à l’instauration de la république puis à cette Guerre Civile qui plus tard ensanglanta l'Espagne. Là aussi ce fut une femme, « la Pasionaria », qui inspira cette révolution et j'imagine bien que l'auteur (Carole Marinez) doit bien avoir dans sa famille une parenté avec ceux de 1936. Ce texte évoque, à mes yeux l'utopie de cette révolte qui devait notamment déboucher sur une réforme agraire que le franquisme étouffa pour longtemps, mais aussi la peur de la mort, de la violence, la volonté de rentrer dans le rang. C'est un Catalan, Salvador, qui mène cette révolution mais il en pourra rien contre l'assassinat de cette liberté toute neuve. Il y a certes le merveilleux d'une fable à travers le don de Frasquita et celui de ses enfants qui font preuve d'une étonnante maturité, à travers le ton poétique de ce long texte mais j'y ai vu peut-être autre chose, cette quête d'un bonheur impossible, la fuite de cette femme en robe de noces, sans homme, tirant seule ses enfants dans une charrette misérable à travers un pays ravagé par la violence. Cette fuite les conduira jusqu'en Algérie mais elle ne sera jamais vraiment heureuse et cherchera désespérément un amour impossible. Chacun de nous courre après une chose ou en fuit une autre, seul dans un monde hostile. Ce genre de parcours nous révèle à nous-mêmes. Frasquita et ses enfants à cause de leur différence se distinguent du reste de la population. Ils sont accueillis ou rejetés par elle au gré des vents et des événements. Tout ce qu'elle brode devient ensorcelé et son pouvoir se transmet à sa progéniture.

     

    J'ai récemment lu « Du domaine des murmures »du même auteur. J'ai retrouvé ici son style agréablement ciselé, poétique, ce souffle épique, lyrique et envoûtant qui consacre son talent de conteuse.

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DU DOMAINE DES MURMURES

     

    N°920– Juin 2015

     

    DU DOMAINE DES MURMURES- Carole Martinez Gallimard.

     

    Au Moyen-Age, quand on est fille de seigneur, jeune, vierge, belle et richement dotée on est destinée au mariage pour assurer la descendance d'une noble lignée. Tel est le destin d'Esclarmonde que son père a promise à Lothaire de Montfaucon, même si celui-ci est plus connu pour croiser le fer et trousser les jeunes paysannes de son fief que pour déclamer des poèmes d'amour. Avec lui on est loin du raffinement de la fine amor des troubadours mais le père de la jeune fille a cédé à ce mariage arrangé à cause notamment de sa situation de vassal dans la société féodale. Elle sera donc « un pudique récipient de grossesses successives » et si son époux meurt elle devra recommencer en s'abandonner au plus offrant. Las, si elle aimerait obéir à son père et faire ainsi son devoir, elle refuse le mariage et avec lui la vie qui l'attend. Son seul refuge est dans le Christ à qui elle offre sa vie et se laisse emmurée vivante comme cela se faisait à l'époque. Ce faisant cette fille unique trahit son père aimant qui avait pourtant payé un lourd tribut à la vie. Devenue béguine vouée à la prière, au jeûne et à l'adoration, elle contribue par son exemple à changer Lothaire en honnête homme paisible, à insuffler un peu d'humanité autour d'elle, à inspirer à chacun son devoir de chrétien : Une sainte est née, mais Dieu lui réserve un tout autre destin qui va nourrir l'atmosphère mystique tissée autour d'elle !

     

    Malgré sa réclusion, elle va répandre ses bienfaits sur le fief de son père, disputant à la Camarde les vies dont elle entendait disposer, affirmer le rôle spirituel attaché à sa personne, aidée, il est vrai par les événements et par l'ambiance religieuse de l'époque tout entière attentive aux miracles et à l'écoute de ceux qui entendaient en interpréter le sens. Malgré elle aussi, elle assistera à cet inévitable commerce des « marchands du temple » qui prospérait sur la crédulité populaire face aux manifestations divines ou supposées telles et saura motiver chacun de ses proches pour qu'il participe au grand mouvement des croisades vers la Terre Sainte. Par la pensée et à travers les yeux de son père elle vécut elle-même cette incroyable épopée où les vivants se mêlaient aux morts, une entreprise un peu folle menée par les hommes pour aller délivrer le tombeau du Christ et obtenir le pardon de leurs péchés quand d'autres n'y voyaient qu'une occasion de guerroyer et de s'enrichir. La foi cheminait aux côtés de l'envie et l'échec à été le lot de ces combattants. Sur cette terre étrangère où elle l'avait envoyé, elle accompagna son père jusque dans la mort. Bien que recluse, elle fera entendre sa voix, goûtant cette emprise et ce pouvoir qu'elle avait sur les gens tout en gardant cette humilité chrétienne et ce regard étonné porté chaque jour sur les choses qui l'entourent. Elle insufflera à chacun l'énergie pour survivre dans un environnement hostile et ainsi découvrir sa voie.

     

    C'est un roman remarquablement écrit, envoûtant, d'une réelle intensité poétique et nourri de merveilleux. Il communique au lecteur la mysticité et l'extase de cette jeune fille autant que l’intensité de sa souffrance et que le tragique de son destin. L'auteure nous fait partager à travers une imagination féconde un univers onirique fait de chair et spiritualité qu'incarne bien cette période où l'on croyait autant à Dieu qu'aux fées, aux fantômes, aux sortilèges et aux lutins. C'est aussi un remarquable ouvrage traitant du pouvoir des femmes sur les hommes au Moyen-Age, une époque où pourtant elles n'étaient regardées que comme l'instrument de la descendance et de la servilité. Esclarmonde n'est pas sans rappeler la figure authentique de Juette célébrée par Clara Dupond-Monod dans son livre « La passion selon Juette (La Feuille Volante nº 906) Elle est le symbole de celles qui ont eu le courage d'être elles-mêmes. J'ai personnellement retrouvé avec plaisir, à travers le réelle talent de conteuse de Carole Martinez, l'ambiance de ce siècle qui reste pour moi à la fois fascinant et mystérieux. Ce moment de lecture épique fut un dépaysement bienvenu

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA TELEVISION-

    N°919– Juin 2015

     

    LA TELEVISION- Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Le narrateur raconte qu'il a passé un été à Berlin, seul (son épouse et son enfant étaient en Italie) en compagnie d'un téléviseur qu'il ne regardait qu'avec modération au point qu'il était tout à fait capable de s'en passer. A quarante ans, il ne faisait rien en dehors des fonctions vitales, de la lecture et du sport. Rien, c'est beaucoup dire puisque, historien d'art, il avait choisi de mener à bien une étude du Titien Vecellio ( dit Le Titien, 1488-1576), c'est à dire un vaste essai, remis d'année en année, et financé par une fondation privée, sur la relation entre les arts et le pouvoir politique. Pour cela il avait abandonné son poste à l'université, s’était rendu au Augsbourg où le peintre y avait rencontré Charles Quint. En effet, le narrateur entendait fonder son étude sur « l'épisode du pinceau »(apocryphe sans doute mais repris dans une nouvelle d'Alfred de Musset) au terme duquel l’empereur se serait baissé pour ramasser le pinceau tombé des mains du peintre.

     

    Devant l'ampleur de la tâche, il prend soudain conscience que la télévision est anesthésiante et décide de s'en passer. En effet, il considère que la télévision n'impose chaque jour rien d'autre que des illusions de la réalité auxquelles il faut impérativement résister. Cela donne une série d'aphorismes, parfois assez inattendus sur le sujet.[« Or, c'est pourtant comme cela qu'il faudrait regarder activement la télévision : les yeux fermés ». ] Il livre à son lecteur un tas de petites anecdotes qui émaillent sa vie de célibataire berlinois temoraire. Il croit apercevoir un cambrioleur, s'occupe des plantes de ses voisins partis en vacances, croise l'image furtive d'une femme nue dans l'immeuble d'en face, se promène au gré de ses envies dans la ville ou se baigne nu dans un lac, autant d'épiphénomènes où domine le farniente, il est vrai entrecoupés de vagues recherches à la bibliothèque qui le distraient de son travail, ce qui n'occasionne chez lui aucun état d'âme particulier. Un peu cossard quand même ! Et puis pas très constant dans sa démarche, puisque l'interdiction qu'il s'est lui-même posée de ne pas regarder la télévision ne vaut, à ses yeux, que dans son microcosme personnel. Quand il est à l'extérieur de son appartement, cela en compte plus. Parfois au hasard des émissions, il croise des images de femmes qui le font toujours un peu fantasmer. Il ne peut d'ailleurs pas croiser l'une d'elles dans la rue sans être ému. Ces moments de furtif plaisir oculaire donnent d'ailleurs lieu de sa part à des évocations délicieusement sensuelles qu'il corrige parfois en posant ses yeux sur un téléviseur allumé, comme pour se punir lui-même.

     

    Et son travail dans tout cela ? Il trouve toujours une bonne raison pour le remettre à plus tard, la piscine ou un musée par exemple, d'autant qu'il trouve toujours quelque chose de plus intéressant, qui monopolise son attention et qui donne lieu à de longues réflexions et à des descriptions aussi précises que pertinentes. Il lui arrive même de croiser un portrait de Charles Quint qui devrait lui rappeler son but initial mais que nenni ! Après tout, l'idée de cette étude, vieille de 4 ans déjà, pourra bien attendre encore un peu !

     

    Ce roman est en fait une balade dans Berlin l'été ainsi qu'une réflexion humoristique écrite avec sa jubilation coutumière sur la télévision et son emprise sur ceux qui la regarde. Il le fait naturellement en n'oubliant pas de s'attarder sur le petit détail anodin qui aurait échappé au commun des écrivains et auquel il donne, on se demande bien pourquoi, une importance soudain démesurée mais sans pour autant que son lecteur ait l'impression de l'inutilité. Quant au téléviseur, Il se résout à le traiter par le mépris, c'est à dire à le regarder, même avec une certaine insistance, mais sans l'allumer !

     

    En tout cas cela m'a procuré, malgré des phrases toujours aussi longues, une lecture jubilatoire. Faute sans doute de mener à son terme son travail universitaire, l'auteur a au moins accouché de ce roman ; ce n'est déjà pas si mal.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • AUTOPORTRAIT (à l'étranger)

     

    N°918– Juin 2015

     

    AUTOPORTRAIT (à l'étranger)- Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Pour un écrivain volontiers égocentriste, l'autoportrait (à l'étranger ou pas) paraît être une chose facile et ce d'autant plus que dans tout ce que Toussaint écrit il y a toujours une (grande) part de lui-même et ce nonobstant le fait qu'il prend la précaution de se cacher derrière le masque d'un personnage.

     

    Cette série de portraits qui sont autant de nouvelles où il tient une place centrale, se passe donc à l'étranger, c'est à dire qu'ils se croque lui-même à l'occasion de voyages qu'il fait hors des frontières de la Belgique, aux frais des institutions pour participer à un colloque d'écrivains ou pour son propre agrément. Ainsi entraîne-t-il son lecteur de Tokyo à Hanoï, partage la vedette avec Tahar Ben Jelloun ou Olivier Rolin et même Jane Birkin à qui des écrivains vietnamiens venus écouter l'auteur réclament une chanson et dont on se demande ce qu'elle peut bien faire dans un tel aréopage. Les voyages ouvrent l'esprit, réservent parfois des surprises comme à Sfax où il est accueilli par un universitaire attentif, mais par une assemblée de 10 personnes seulement ! Il ne cache rien à son lecteur, évoque des érections spontanées à l'approche de Sousse, même si cette situation est pour le moins étonnante alors qu'une visite en principe chaude dans une boite de strip-tease japonaise lui cause une réelle répulsion. Étonnante aussi, cette victoire dans un championnat de de pétanque au cap Corse présentée comme « le plus beau jour de sa vie » !(Je veux bien que cela prenne des allures de finale de Coupe Davis, mais quand même). Il ne cache rien de ses douleurs lombaires ni de sa perte de repères spatio-temporels, ses manques de mémoire et autres petits problèmes liés à sa charge de père de famille ou de l'envie qu'a Madeleine, sa femme, de repeindre tout ce qui passe à sa portée.

     

    Chacun des moments de sa vie, même les plus anodins, est prétexte à cet autoportrait égocentrique, qu'il rencontre une admiratrice nippone ou qu'il se révèle d'une grande cruauté en achetant de la charcuterie dans la boutique d'une malheureuse commerçante allemande. Rien à voir en tout cas avec l'ennui d'un guide touristique, ce qu'on pouvait légitimement redouter puisque que, notamment Carthage le laisse complètement indifférent.

     

    J'aime bien Jean-Philippe Toussaint dont je continue à découvrir l’œuvre de livre en livre, mais en dehors de l’aspect anecdotique riche en fignolages comme à son habitude, cette petite musique nostalgique que j'aime à retrouver chez lui et cet humour si caractéristique qui qui puise une partie de sa réalité dans l'inflation des mots et le culte immodéré du détail, je crois avoir lu plus intéressant sous sa plume et je me suis un peu ennuyé à l'énoncé de ces petites anecdotes, certes bien écrites (les phrases sont comme d'habitude d'une longueur quasi proustienne) mais qui se caractérisent cependant par un aspect insignifiant incontestable.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Et tu n'es pas revenu-

    N°917– Juin 2015

     

    Et tu n'es pas revenu- Marceline Loridan-IvensGrasset.

    Avec Judith Perrignon, journaliste et écrivain.

     

    Ce témoignage est un long monologue face à un absent bien présent, une longue lettre d'amour, rédigée à la première personne, d'une fille à son père disparu dans la tempête de la Shoah et qui s'articule autour de deux prophéties avec la mort pour toile de fond. D'une part celle de ce père, Salomon, qui, en sa compagnie au camp de Drancy et avant leur séparation lui dit qu'elle survivrait parce qu'elle est jeune alors que lui périrait et d'autre part cette phrase prémonitoire de son frère Michel qui déclara qu'il mourrait quand il aurait l'âge que son père avait à sa disparition. Il se suicida effectivement, tout comme sa sœur Henriette. Même pour eux qui n'avaient pas connu la déportation, la mort fut la plus forte. Marceline, elle, a survécu à l'horreur des camps, aux voyages en wagons à bestiaux avec la peur, la faim, le froid, la maladie. Une fois revenue à la vie elle tentera elle aussi de se suicider tant la vie lui était devenue insupportable. Elle est revenue quand sa famille attendait son père et non pas elle, portant le poids de la culpabilité de n’avoir pu échanger sa vie contre la sienne, de devoir vivre avec le souvenir ineffaçable de cette souffrance, de cette vie qu'elle a choisi de faire prévaloir dans les camps alors qu'il lui était facile de s'approcher des barbelés électrifiés et de trouver ainsi une mort rapide, la culpabilité d'être encore là quand tant d'autres sont morts simplement parce qu'ils étaient juifs. Quand les camps furent libérés par les Russes et les Américains l'incertitude plana encore dans l’affrontement à venir des deux blocs transformant cette libération en une future guerre froide. Longtemps Marceline espéra que son père avait réussi à échapper à la mort d'où qu'elle vienne, qu'il avait réussi à marcher au devant de ses libérateurs et se raccrocha faute de mieux à cet espoir tissé par les témoignages incertains des survivants. L'absence de sépulture, de lieu de recueillement, le vide face à ses derniers moments, à ses dernières paroles prend une dimension inacceptable.

     

    Au moment de leur séparation Marceline n'a que quinze ans et ce n'est que soixante dix ans plus tard qu'elle trouve enfin la force de tracer ces lignes qu'elle porte en elle depuis si longtemps, un peu comme si elle voulait racheter l'oubli involontaire des derniers mots que son père lui a écrits dans le camp, sur ce pauvre bout de papier qu'elle perdit. En effet, à la fin de la guerre, il fallait impérativement oublier et ne penser qu'à l’avenir. On pense inévitablement à Jorge Semprun (« l'écriture ou la vie ») où ceux qui avaient connu les camps ont préféré le silence de peur de n'être pas crus tant ce qu'on y pratiquait était indigne de l'espèce humaine. Le silence valait mieux que l'immédiat inexprimable. Je ne sais pas encore aujourd'hui, à titre personnel, si l'écriture est véritablement une catharsis comme on le dit souvent. Il fallait que les rescapés oublient, reprennent une vie normale, comme si cela leur était possible. Pourtant quand elle a vécu cette période des camps elle n'était plus une femme mais une « sale juive » qu'il fallait éliminer, c'est à dire rien du tout. Revenue au monde, Marceline se révéla incapable de vivre devant une telle incompréhension. Là au moins l'auteure porte témoignage de sa souffrance, de celle des autres, de celle de ce père trop tôt disparu. Sa mère qui sembla être loin de tout cela au point qu'elle se remaria presque en catimini une fois la disparition de Salomon devenue officielle, l'incita à oublier, demanda à sa fille si, dans les camps, elle n'avait pas été violée. Cette préoccupation la tracassa bien plus que le reste puisque ainsi Marceline était toujours vierge et pouvait donc se marier pure. A ses yeux, il importait qu'elle endossât le rôle de mère et qu'ainsi les enfants qu'elle aurait remplaceraient les morts un peu comme si les vivants à venir pouvaient combler les vides laissés dans les familles par les absents. Pourtant Marceline a choisi de ne pas avoir d'enfant sans doute pour ne pas transmettre la vie après une telle épreuve ou parce que, pour elle, la guerre ne sera jamais terminée, parce qu'elle a eu beaucoup trop de mal à se supporter elle-même après tant d'épreuves, un peu comme si elle avait, à Bergen-Belsen ou a Birkenau, consommé en une fois toute son envie de vivre. Elle se maria cependant, peut-être pour faire oublier son nom de famille parce que l'antisémitisme était fort après-guerre (ne l'est-il pas toujours?) et par deux fois, son nom gardant la trace de ces deux unions même si maintenant elle y ajoute son nom de naissance (« née Rozenberg »), un parcours à la fois intime et public, révélateur de son attachement à ce père absent

     

    Elle porte témoignage aussi bien de la solidarité qui peut exister dans la souffrance face à la barbarie mais parle aussi de la conduite digne des animaux que la peur de la mort peut inspirer aux hommes. Est-ce en réaction contre cela qu'elle a choisi plus tard de soutenir la création de l'état d’Israël et de militer en valeur des nations qui aspiraient à l'indépendance ? Ne pouvant plus rien faire pour elle, elle voulait être utile aux autres, utopie ou espoir de changer le monde ?

     

    L'auteur rappelle les détails de cette sombre période de notre histoire commune, les dénonciations entre Français, les arrestations de juifs par la milice et les rafles perpétrées par la police française dont les autorités allemandes elles-mêmes reconnurent le rôle déterminant. Sans son concours efficace beaucoup de juifs eussent été épargnés. [On a accordé à la police parisienne le port de la fourragère aux couleurs de la Légion d'Honneur pour son ralliement tardif à la Résistance lors de la Libération de Paris en oubliant un peu vite qu'elle fut un auxiliaire zélé de la Gestapo pendant l'Occupation]

     

    Cette longue lettre écrite dans un style volontairement dépouillé d'une fille à ce père mort, ce travail de mémoire avant qu'il ne soit trop tard, est bouleversant, il met en évidence un travers de l’espèce humaine volontiers amnésique et aussi un peu hypocrite, l'abandon de juifs par la France, pourtant pays des droits de l'homme et de la liberté où ils pouvaient se croire en sécurité mais où on ne voulait plus d'eux. En veut-on encore aujourd'hui face à l'obscurantisme plus que jamais vivant et devant lequel illusions et convictions en pèsent plus très lourd.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CHANGER LA VIE

     

    N°916– Juin 2015

     

    CHANGER LA VIE- Antoine AudouardGallimard.

     

    Le titre lui-même est tout un programme… un programme politique plus exactement. Cela sent la campagne électorale, les promesses du même nom et les désillusions qui vont avec. Mais cela c'est pour plus tard, quand la réalité s'est imposée avec ses évidences et surtout la révélation de l’incompétence de ceux qui ont mis en avant ce genre de slogan dans l'unique but d'être élus et qui se sont dépêchés de faire le contraire de ce qu'ils avaient promis, tout en faisant, au nom des réalités économiques, un bras d'honneur à ceux qui ont eu l'insouciance de voter pour eux simplement parce qu'ils les ont cru (un ancien président de la République n'a-t-il pas affirmer sans vergogne que les promesses électorales n'engageaient que ceux qui les croyaient ?). C'est facile de faire naître de l’espoir chez les plus défavorisés en leur faisant miroiter des changements dont on sait parfaitement qu'ils n'auront pas lieu puisque, même si on fait semblant de croire à la démocratie, on sait aussi que la trahison fait partie du jeu et que ceux qui sont déçus peuvent être regardés comme des « dommages collatéraux » sans grande importance.

     

    Mais revenons à ce roman qui se rattache quand même un peu à ce message politique. André Garnier et François Chaban ont vingt ans, l'âge des illusions et des grands espoirs, cela tombait plutôt bien puisque nous étions en 1981 après l'élection de François Mitterrand. La fête du 10 mai avec le poing et la rose incarnait ces espoirs et c'est donc tout naturellement qu'ils y ont participé comme ils avaient milité auparavant chez les révolutionnaires, enfin ceux qui vantaient les bienfaits de la révolution permanente, même si pour eux à l'époque, elle était surtout sexuelle et pleine d'inhibitions. Pour André c'était les filles, tandis que les garçons attiraient plutôt François tout comme l'alcool, la réaction contre son milieu familial et sa vocation de haut-fonctionnaire avec Sciences-Po et l'ENA en ligne de:mire. New-York pouvait être un rêve pour André et un vaccin définitif contre le capitalisme pour François, les voilà donc partis pour cette « ville qui ne dort jamais » d'autant plus volontiers qu'ils y étaient invités et qu'ils caressaient l'espoir d'y rencontrer Bob Dylan ou Loo Reed. Ce ne fut pas exactement ce qui se produisit mais pour eux le changement s'était maintenant (air connu) et ils pouvaient légitimement se répéter à l'envi les paroles de cette chanson éponyme attachée définitivement à Liza Minneli et Franck Sinatra (« If I can make it there, I'll make it anywhere, it's up to you New-York, New York – Si je peux réussir las-bas, je peux réussir partout - Ça dépend de toi, New-York, New-York ). François y pouvait librement suivre ses penchants homosexuels malgré le SIDA et André arrivait avec son prestige de « french lover ». Il ne tarda pas à s'initier aux subtilités du base-ball et surtout a révéler un talent littéraire de « nègre » commencé quelques mois plus tôt à Paris en recueillant et rédigeant, à la demande de Logan, son nouvel employeur américain, les souvenirs de Jenny Swhartz, une résistante française et une virtuose du piano qui perdit l'usage de ses mains sous la torture des nazis. Du coup, cette petite maison d'édition qui vivotait prit, grâce à lui, un essor inattendu et tous les espoirs lui étaient désormais permis. Le charme d'André continua d'opérer puisque la vieille dame, objet de son attention, devint la confidente des bides sentimentaux de ce dernier. Je ne dévoilerai évidemment pas l'épilogue de ce roman passionnant, émouvant de nostalgie parfois et cultivé, émaillé autant de citations poétiques d'auteurs français que de références américaines (ce n'est pas incompatible) mais le temps passe et avec lui les espoirs et les illusions parce que, là comme ailleurs, ainsi va le monde et on abandonne toujours quelque chose de ses fantasmes les plus fous comme le poète l'a si justement dit (« Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force ni sa faiblesse ni son cœur... »)

     

    C'est sans doute la désillusion qui, à priori, me faisait regarder ce roman d'une manière suspecte me disant que j'avais des chances d'y trouver tout ce dont j'avais été frustré par des générations d'hommes politiques aussi idéalistes que menteurs, surtout ceux qui avaient habillé leurs propos et leurs projets d'une dimension sociale pourtant vite démentie. Il serait le miroir de mon innocence coupable et je n'allais pas apprécier... Après des années de gestion conservatrice calamiteuse, l'élection d'un président socialiste ne pouvait être qu'une bonne nouvelle. Pourtant ce slogan politique prometteur devint une arnaque ordinaire, le souvenir de ce qui aurait pu être une vraie révolution mais qui ne l'a pas été. C'est vrai que, au fil des pages, je me suis mis à bien l'aimer ce Dédé, qui, au lieu de flamber comme c'est l'apanage des jeunes (et des moins jeunes aussi parfois), a, sur un mode humoristique de bon aloi, confié à son lecteur combien sa vie (sexuelle, étudiante, professionnelle de « nègre » et le reste) était synonyme d'échec. Cela m'a rappelé quelque chose, mon côté naïf, malchanceux et loser ! J’avoue que je suis entré d'emblée dans cette univers créatif et jubilatoire, dévorant avec avidité les chapitres de ce roman voué à la fois à l'apprentissage et à la désillusion. Le style est fluide et délicatement humoristique, je n'ai même pas été gêné par les barbarismes ni par l'usage du franglais et de l'américain. J'avoue n'avoir pas toujours suivi les références musicales qui parsèment ce roman mais j'ai bien aimé la présentation qui en est faite au premier chapitre.

     

    Jusqu'à ce que Babelio et les éditions Gallimard m'envoient ce roman, ce dont je les remercie chaleureusement, j’ignorais tout de l’œuvre d'Antoine Audouard, je ne suis pas déçu de cette découverte qui sera sans doute suivie d'autres, je l'espère.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA SALLE DE BAIN

    N°915– Mai 2015

     

    LA SALLE DE BAIN- Jean-Philippe TOUSSAINT – Les éditions de Minuit.

     

    Le narrateur, 27 ans, vaguement universitaire, semble éprouver du plaisir à garder la salle de bain comme on garde la chambre quand on est malade, mais apparemment il n'est pas malade ! Dans son appartement où il vit avec Edmondsson, sa femme, la vie se déroule au jour le jour et où nous assistons, avec un luxe de détails et même une certaine lenteur au dépeçage de poulpes de la part de Polonais venus en réalité pour repeindre la cuisine ! Sans qu'on sache pourquoi, il reçoit une lettre de l’ambassade d'Autriche. Puis, dans une deuxième partie, le lecteur finit par comprendre que le narrateur se retrouve à Venise où il part précipitamment et s’installe dans un hôtel où il passe son temps à jouer au fléchettes et où sa femme le rejoint. Il est là sans but précis. Ils forment un couple assez bizarre et l'ambiance qui se dégage de leurs relations est étonnante un peu comme ils étaient des étrangers incapables cependant de vivre loin l'un de l'autre mais qui s'ignorent quand ils sont ensemble, un peu comme un vieux couple ! A Paris, ils semblent s'aimer mais quand son épouse le rejoint à Venise où il était impatient de la retrouver, ce qu'on peut aisément comprendre, c'est pour mener deux vies séparées pendant toute la journée, farniente et jeu de fléchettes pour lui, visites culturelles pour elle. Il se passe quelques temps et sans raison particulière, elle repart pour Paris tandis que lui demeure dans la Sérénissime alors qu'il aurait toutes les raisons de la quitter puisqu'il a contracté une sinusite. Il choisit même de s'y faire soigner dans un hôpital dont il peut sortir aussi aisément que s'il y était à l'hôtel. On se demande bien ce qui le retient à Venise, et ce n'est sûrement ni le tourisme ni son métier (historien?) et, sans être spécialiste, c'est sans doute la dernière ville où il faut séjourner quand on a une sinusite, surtout quand on n'a rien a y faire de particulier. Donc une succession de sketches où si la salle de bain ne joue pas forcément le rôle central mais n'en n'est pas moins présente au début et à la fin du récit et symbolise sans doute toute l’aberration de cette situation.

     

    Le personnage lui-même reste une énigme, à la fois hypocondriaque, inattendu et surpris lui-même de se trouver dans la position dans laquelle il se trouve. Il raconte son histoire, qui est aussi une histoire d'amour, mais sans aucune passion et même avec un certain détachement. De tout cela il ressort une idée de vide, soulignée par la présentation du texte en paragraphes numérotés qui n'ont parfois rien à voir les uns avec les autres

     

    Je ne sais toujours pas quoi penser des romans de Toussaint en général et de celui-ci en particulier. En tout cas, il distille une petite musique quotidienne qui est le reflet de nos vies et cela me plaît, je m'y retrouve même si je m'y perds un peu mais je dois avouer qu'elle est quand même captivante quoiqu'un peu absurde.

     

    Je n'ai que très récemment croisé les romans de cet auteur. Après une période d'étonnement sans doute légitime, j'avoue que je suis entré complètement dans cet univers où il en se passe rien, ou le hasard tient une grande place et sert de boussole à des personnages qui ont l'épaisseur du quotidien et de l'éphémère et sont même un peu étrangers à ce monde, un peu comme moi peut-être ? De plus les relations entre les gens me paraissent bien rendues, aussi hypocrites et temporaires que dans la vie courante.

     

    C'est le premier roman publié de Jean-Philippe Toussaint paru en 1985. A sa sortie, alors qu'il était complètement inconnu, la critique a parlé de « Nouveau »nouveau roman à cause de l'originalité de son expression et a présenté son auteur comme un révolutionnaire de l'art romanesque. Il est assurément un auteur inclassable, plus sûrement intéressé à s’attacher son lecteur par les situations décalées du texte et sa qualité de rédaction que par le thème général volontairement déroutant et qu'on peine à comprendre. Paradoxalement peut-être ce fut pour moi un agréable moment de lecture.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'APPAREIL PHOTO

    N°914– Mai 2015

     

    L'APPAREIL PHOTO- Jean-Philippe TOUSSAINT – Les éditions de Minuit.

     

    J'aborde actuellement les romans de Jean-Philippe Toussaint. J'en retiens une impression bizarre comme une succession de scènes sans forcément de rapport les unes avec les autres, une sorte de récit où il ne se passe rien d'important, une somme d'actions décrites dans le détail avec des mots agréables à lire mais sans davantage de cohérence. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est question de vide, mais presque, un peu comme si le narrateur se laissait porter par les événements de sa vie courante sans vouloir réagir, s'abandonnant au hasard, supportant et assumant l'absurde de cette situation. Cette vacuité qui ne me gêne pas puisqu'elle peut être regardée comme l'image de notre vie à tous, superficielle, banale, joue une petite musique mélancolique assez agréable quand même.

     

    Ici le prétexte du début est une séries de leçons de conduite (pourquoi pas?) qu'il se propose de suivre dans une école puis, rapidement, le narrateur, dont on ne sait pas grand-chose (mais peu importe) nous invite, sur le ton de la confidence à partager le début d'une liaison avec la secrétaire de cette officine. L'action est lente, s'égare dans l'évocation d'un passé plus ou moins immédiat. Cette lenteur est soulignée par des phrases démesurément longues et même délicatement festonnées. Cette histoire un peu incertaine va devenir une histoire d'amour sans qu'on sache très bien la part qu'y prend le hasard et celle de la volonté individuelle. La jeune femme , Pascale, qui est aussi peu réactive que lui face à sa propre vie va le laisser s'installer dans son existence, lui laisser en quelque sorte jouer le rôle du père face à son jeune fils dont le véritable géniteur a préféré un divorce dont elle se remet mal. Elle disparaît néanmoins à la fin du roman et donne l'impression d'avoir quitté la vie du narrateur aussi facilement qu'elle y entrée. C'est étonnant de la part de cet homme qui ne semble pas être un Don Juan, d'avoir réussi à séduire aussi facilement cette femme mais on peut douter de cet amour partagé puisque, si lui semble beaucoup l'aimer, elle en revanche donne l'image d'une dormeuse apathique quand elle est avec lui !

     

    Au cours de ce récit, le narrateur en profite, on se demande bien pourquoi, pour nous décrire avec un luxe de détails, l’achat d'un paquet de chips qu'il va ensuite consommer dans les toilettes tout en laissant son esprit vagabonder au gré de ses pensées, les moments anodins d'une leçon de conduite, la constitution volontairement lente de son dossier, la délicieuse et intemporelle aventure autour de l'achat d'une bouteille de gaz…

    Le style n'est pas désagréable, bien au contraire puisqu'il adopte le rythme et surtout le ton de la confidence, de l’ironie parfois et même du burlesque

     

    Quid de l'appareil photo dans tout cela ? Eh bien c'est le narrateur lui-même qui le trouvera dans le ferry qui le ramène d'Angleterre et il en profitera pour fixer sur la pellicule des instants fugaces de sa vie, autant dire qu'il va servir à photographier le néant. C'est sans doute un peu le message que veut nous délivrer l'auteur puisque, lorsque les clichés seront développés, ils ne représenteront que ce que le propriétaire précédent avait choisi de photographier. Les scènes que le narrateur avait voulu immortaliser n'ont laissé aucune trace !

     

    Je distingue quand même deux parties d’inégale longueur dans ce roman. Si la légèreté semble baigner la première, le ton se fait plus grave dans la seconde, la pensée du narrateur devient profonde et prend le pas sur l'anecdote quotidienne et banale du début. J'y vois personnellement une certaine marque de désespoir, de solitude, une difficulté d'être, le narrateur semblant vivre dans un microcosme personnel.

     

    Alors, autodérision de la part d'un quidam qui ne laissera aucune trace de son passage sur terre? Peut-être mais cet homme me paraît à moi tout particulièrement sympathique, à cause d'une éventuelle parenté entre nous peut-être ? En tout cas, j'ai bien aimé autant l'histoire (ou l'absence d'histoire) que le style, à la fois subtil, simple, mélancolique et poétique. C’est un « roman minimaliste » et même infinitésimal suivant l'expression choisie par la critique, une sorte de manière de s’inscrire entre deux mondes, entre deux infinis, et c'est peut-être là que se trouve l'inspiration créatrice, allez savoir ?.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'INOUBLI

    N°913– Mai 2015

     

    L'INOUBLI (suivi d'un épilogue)- Bernard Ruhaud – L'escampette Éditions.

     

    Quand quelqu'un est mort qu'on a passionnément aimé, il est tentant de le faire revivre avec des mots quand on est écrivain. Ceux qui ne le sont pas doivent se contenter de pensées furtives, de conversations quand ils trouvent quelqu'un à qui parler, de photos… C'est tentant et c'est apaisant parce qu'on ne dira jamais assez l'extraordinaire pouvoir des mots écrits et conserver le souvenir de quelqu'un pour les générations futures est une bonne chose quand on connaît la grande faculté d'oublier qui caractérise l'espèce humaine. Et puis, même au sein d'une famille, le temps passant, les visages s'estompent et, quoiqu'on en dise la mémoire fait défaut. C’est vrai aussi qu'un être n'est vraiment mort que lorsque personne ne parle plus de lui, de son passage sur terre. Dès lors, garder le souvenir d'un être peut paraître une gageure, surtout si cette personne, comme c'est le cas de la plupart d'entre nous, n'a pas eu d'histoire autre que son parcours personnel.

     

    Écrire, C’est une façon de faire le deuil (je n'aime pas le terme « travail de deuil ») même si ce n'est pas aisé à réaliser. Mettre des mots sur une vie s'avère beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît mais tant que l'exercice n'a pas été tenté, pas réalisé, on en ressent le besoin et on ne connaît pas vraiment le repos. Aussi bien quand on parvient à formaliser cette mémoire, l'apaisement est il devenu possible mais pas forcément cependant. En fouillant dans le passé on peut trouver des manques, des failles chez soi, comme chez celui à qui on souhaite rendre hommage. On peut être amené, allant à sa rencontre, à lever des voiles du secret patiemment tissés et jalousement entretenus sa vie durant, d'aller au-devant de révélations, de gommer des zones d'ombre... La tentation est donc grande d'idéaliser celui dont on a choisi de parler et d'autant plus qu'il est mort jeune. A travers cet exercice d'écriture, on fait revivre le défunt , on se remémore ce qu'il a fait dans les plus petits détails.

     

    Ici, c’est « Mado », sa mère que l'auteur à choisi d'évoquer. Il note que son vrai prénom, Madeleine, a été donnée à une descendante qui ne l'a pas connue, ainsi, par cet artifice revit-elle d'une certaine façon ; une vie dans une autre vie…C'est tentant d’imaginer qu'une fille plus jeune, d'une autre génération, pourrait avoir quelque chose de commun avec elle que la génétique pourrait lui avoir légué, outre ce prénom. L’auteur refait à l'envers le chemin bref qui fut celui de Mado sur terre. Il recompose ce décor fait de misère, de dur travail, de faim, de solitude, de peur, de luttes sociales pour plus d'égalités. Au détour d'une phrase, il m’apparaît qu'il ressent peut-être un peu de culpabilité pour s'être éloigné d'elle, d'avoir tutoyé la mort quand elle était encore vivante et d'avoir laissé faire les choses(ou peut-être de n'avoir pu faire autrement), laissant prescrire la concession temporaire et vider sa tombe. Il n'y a dès lors plus de lieu de recueillement et ce court roman fait office de tombeau puisqu'il en reste plus rien. Ce n'est même pas sûr puisqu'il note « Au fond, on ne fait jamais son deuil »

     

    J'avais pris, comme souvent, ce petit volume sur le rayonnage de la bibliothèque municipale car c'est souvent le hasard qui guide mes choix littéraires. Le titre m'avait accroché et le livre une fois refermé, j'ai comme toujours rédigé cette chronique pour me souvenir de l'avoir lu. J'avais même l'intention de me livrer à des développements et des commentaires personnels sur l'oubli et sur le deuil parce que, chez moi aussi, la mort à frappé d'une manière que je juge injuste, mais ce n'était pas le sujet. L'épilogue pourtant a retenu mon attention d'une façon particulière, il avait auparavant été publié sous le titre « Terminus Tasdon-La Rochelle » et cela ne pouvait me laisser indifférent, cette ville, ce quartier qui ont fait partie de ma vie sont profondément ancrés dans mon souvenir. Que quelqu'un d'autre en parle avec des mots simples et émouvants qui ne font pas appel à la culture officielle qui a transformé cette ville en autre chose qu'elle est vraiment, fait revivre en moi une partie de ma vie qui maintenant s'étire vers le terminus. Parler d'un défunt est une chose louable et ce n'est sûrement pas moi qui dirait le contraire, mais cet épilogue aussi m'a bien plu, m'a touché.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • PEPLUM

     

    N°912– Mai 2015

     

    PEPLUM - Amélie Nothomb – Albin Michel.

     

    Une jeune romancière est amenée à l’hôpital pour une opération bénigne. Au réveil elle se retrouve non pas dans une chambre mais dans une basilique où elle dialogue avec Celsius, un scientifique qui lui explique qu’elle n'est plus en 1995 comme avant l'intervention … mais en 2580 ! Il s'ensuit une conversation un peu surréaliste entre eux au cours de laquelle il lui explique les changements intervenus au quotidien sur l'énergie, le régime politique, la façon de s'habiller, les auteurs littéraires et philosophiques, mais aussi sur la coïncidence qui a présidé à l'ensevelissement de Pompéi sous les cendres du Vésuve, une cité fastueuse, pour mieux la transmettre intacte aux archéologues ! L'idée est un peu loufoque, pas tant que cela sans doute puisque Celsius entend la reprendre à son compte pour préserver une parcelle de ce territoire du Sud qui a disparu, comme souvenir en quelque sorte.

     

    La jeune romancière dont il est question est présentée sous les initiales d'A.N. Je veux bien qu'écrire, même des choses apparemment un peu surréalistes, est pour un écrivain, une tentation trop grande de parler de lui mais quand même ! Ce narcissisme, cet égotisme me dérangent un peu. C'est vrai que c'est une tentation louable de vouloir se projeter dans l'avenir comme il en est une sans doute de vouloir modifier le passé, mais franchement j'ai eu du mal à prendre ce roman au sérieux. Sur le plan de la forme, il m’apparaît que cela peut se résumer à une joute verbale gratuite alternativement moralisatrice, drôle, dense, pertinente, agaçante et même un peu lassante, oiseuse même. Ce long dialogue tantôt agressif tantôt lénifiant finit par fatiguer. Je ne suis pas spécialiste mais prétendre que la destruction de Pompéi serait non pas une catastrophe naturelle mais…un phénomène issu de la volonté humaine me paraît quelque peu bizarre. On apprend bien d'autres choses aussi tordues au cours de ce trop long dialogue. On nous assène également des poncifs sur le bien et le mal, sur la moralité mais cela n’apporte pas grand-chose, à tout le moins à mon avis.

     

    Amélie Nothomb est un écrivain inventif à l'imagination débordante ce qui est plutôt bien et qu'elle ait choisi la science-fiction en me gêne pas à priori. J'avoue que j'ai apprécié le système politique qui supprime les états, cela évite sans doute les guerres et autres incidents diplomatiques: il n'y a plus que les Ponantais et les Levantins, le mariage ne se conclut plus que par bail de 3 ans, les actes de la vie courante sont simplifiés à l’extrême, les problèmes d'alimentation n'existent plus …A côté de cela la suppression du Sud parce qu'il est peuplé de pauvres fait appel à des souvenirs inquiétants

     

    J'ajoute que, lorsque je lis un roman, j'apprécie d'apprendre quelque chose en matière de culture et éventuellement de vocabulaire. Cela ne me gêne en rien et c'est même plutôt bien pour moi. Certains écrivains ont, en plus de leur talent littéraire, celui de glisser dans leur texte des informations passionnantes et qui, l'air de rien, complètent l'histoire qu'ils nous racontent ou la démonstration qu'ils sont en train de faire. Cela ajoute à l'intérêt de ce qu'ils écrivent. Depuis que je lis Amélie Nothomb, j'ai, au contraire, cette désagréable impression qu'elle fait plutôt dans le pédantisme et c’est franchement désagréable.

     

    Comme toujours, le style est fluide et procure une lecture facile même si , le livre refermé, j'ai vraiment eu l'impression de m'être ennuyé à cet exercice.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UNE FORME DE VIE

    N°911– Mai 2015

     

    UNE FORME DE VIE- Amélie Nothomb – Albin Michel.

     

    Au départ de ce roman, une improbable lettre d'un lecteur à laquelle l'auteur choisit de répondre (c'est rare mais ça arrive). Elle a été écrite par un soldat de 2° classe américain lors de la deuxième guerre d'Irak qui lui demande de le comprendre. On pourrait s'attendre à de longues litanies sur ce conflit, sur les combats, mais pas du tout, il l'entretient sur… son obésité ! Surtout qu'il la cultive, malgré une certaine forme de culpabilité, comme une rébellion contre l'armée et qu'à titre personnel il la vit comme une sorte de dédoublement de sa personne. Ainsi commence un échange de correspondance qui nourrira (sans mauvais jeu de mots) la créativité de l'auteure et son intérêt pour cet homme.

     

    C'est un roman sur les relations épistolaires qui peuvent exister entre un écrivain et ses lecteurs et c'est vrai que pour un tel exercice il faut au moins être deux, à condition bien sûr que l'auteure accepte de s'y prêter, ce qui, à mon sens, reste une hypothèse d'école. Pour faire plus vrai, elle se met elle-même en scène et invente ce militaire, Melvin Marpple qui, bien sûr a pris l'initiative de ces missives. Au départ on sent le désespoir dans les mots du soldat puis rapidement Amélie Nothomb lui propose de faire du Body-Art, de devenir un artiste de sa propre graisse, c'est à dire de faire de son défaut un avantage. Cette idée transforme sa vie, lui donne un sens. Cet état d'obèse devient une protestation contre l’intervention américaine en Irak, une sorte « d'art engagé ». Puis cette entreprise s'emballe, il faut à Melvin, comme à tout artiste, une notoriété ; un galeriste belge accepte, à la demande d'Amélie, d’assurer la publicité de cet acte créatif et la supercherie est révélée, malgré elle.

     

    Suivent des aventures un peu rocambolesques où le lecteur tombe un peu des nues mais qui mettent en valeur l’imagination créatrice de l’auteure ainsi que l'atteste l'épilogue. Il y a beaucoup de développements sur l'écriture, sur la souffrance qui peut la motiver pour un auteur, le rapport entre l'écrivain et son lecteur, les avantages de leur rencontre éventuelle …J'ai surtout senti dans ce roman une occasion pour l'auteure de parler d'elle, de se présenter comme quelqu'un d'affable, d'attentif à l'autre, ce qu'elle est peut-être, même si dans cette affaire elle est un peu naïve (ne le sommes-nous pas tous parfois ?). Elle admet cependant avoir été bernée et pour finir se croit investie de pouvoirs miraculeux. En revanche, la supercherie révélée, la personnalité de Melvin devient émouvante. Elle montre un être désemparé, seul et abandonné de tous, perdu dans une société qui ne veut plus de lui, mais qui a cependant la force de sortir de cette condition ne serait-ce que pendant un moment. Sa vie d'errance s'est transformée en une addiction pour l'ordinateur et la nourriture au point qu'elle est devenue aussi insupportable que celle qu'il avait auparavant. Je trouve que la démarche de Melvin, qui est un mensonge, est finalement salvatrice pour lui. Il a l'intelligence de mettre Amélie Nothom à contribution à cause d'un de ses personnages, c'est à dire quelqu’un de fictif qui, par ce truchement prendrait vie. Ainsi a-t-il, peut-être un peu malgré lui habité ce personnage du militaire qu'il n'a pas pu être, la réaction positive de l'auteur l'ayant en quelque sorte adoubé, lui redonnant une dignité, « une forme de vie ».

     

    Ce que je retiens aussi c'est le plaisir qu'on peut avoir (c'est mon cas) de recevoir et d'écrire une lettre rédigée à la main sur du papier avec de l'encre, qu'on glisse dans une enveloppe et qu'on poste même si actuellement internet permet à la fois la rapidité et l'efficacité de l'échange, au point que cet exercice d'écriture à la main est ravalé au rang d'une antiquité !

     

    Cela peut sembler être un texte à deux voix mais en réalité le lecteur en est le témoin privilégié, presque de confident. Pourtant je n'ai pas vraiment accroché, un peu comme dans tous les romans d'Amélie Nothomb, que je lis davantage pour ne pas ignorer le phénomène littéraire qu'elle représente et m'en faire une idée que par réel intérêt. Comme toujours j'ai trouvé cela bien écrit, cela m'a procuré une lecture agréable et surtout rapide.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • NUE.

    N°910– Mai 2015

     

    NUE. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Marie est styliste, a de la haute couture une idée très personnelle qui se résume à un concept de robe « sans couture », autant dire une gageure qui se décline sous la forme d'une robe de miel où le corps d'un mannequin entièrement nue est recouvert de miel et suivi par un essaim d’abeilles ! Tel devait être le clou du défilé de mode qu'elle organisait à Tokyo. C'était assurément plus original que la plus extravagante création de Jean-Paul Gaultier ! Cela n’allait pas sans des difficultés de tous ordres mais cela était bien le cadet des soucis de cette femme excentrique dont la spécialité avait déjà défrayé la chronique du métier et bousculer quelque peu les standards de la mode. Pourtant, ce qui promettait d'être un succès tourne au dernier moment au fiasco. L'épisode suivant nous transporte à Paris après que le narrateur et Marie, qui ont été amants pendant deux semaines à l’île d’Elbe où elle possède une maison, viennent de se séparer. Lui qui est éperdument amoureux d’elle, attend désespérément qu'elle l'appelle. Elle le fait au bout de deux mois, jouant sans doute sur son impatience et sur sa solitude mais pour le convier à l'enterrement de Maurizio, le gardien de la maison italienne… Le reste emporte le lecteur dans un tourbillon de souvenirs où Marie, femme d'affaires, créatrice et femme du monde est avant tout imprévisible et traîne derrière elle ce pauvre homme qui voudrait bien reprendre avec elle des relations amoureuses.

     

    Depuis que j'explore l'univers de Jean-Philippe Toussaint, je trouve beaucoup de symboles que je suis pas pour autant capable de déchiffrer, tout au plus se posent-ils en interrogations. Ici, j'y vois plutôt une somme de contraires. Chez Marie, en effet, il y a beaucoup de larmes qui lui viennent facilement mais qui sont tout aussitôt suivies de rires, tout aussi inattendus. Cette antinomie se retrouve dans l'évocation de la vie et de la mort et c'est à propos de l'enterrement de Maurizio qu'elle choisit d'annoncer au narrateur qu'elle est enceinte et pas comme elle l'avait l'avait prévu à l'origine. Paradoxale aussi me paraît être l'attitude de Marie, ses silences qui s'opposent à des intentions de dire, d'annoncer quelque chose d’important mais qui ne débouchent que sur le néant ou en tout cas sur rien d'autre que sur un mutisme que le narrateur lui-même peine à interpréter. Les dialogues échangés entre le narrateur et Marie semblent être menés avec une grande économie de mots, comme si l'essentiel était réduit à quelques paroles suffisantes toutefois pour exprimer sa pensée. Contraste aussi dans l'emploi alterné de l’italien et de français dans certains échanges. Cette différence se retrouve aussi dans l'histoire amoureuse des deux personnages principaux, lui épris d'elle qui semble être étrangère à son attention. Entre eux se succèdent ruptures et reprises d'une liaison qui se voudrait durable mais qui connaît des interruptions imprévues. Il y a aussi les figures qui parsèment ce roman. Marie est évidemment la principale qui fait l'objet de toutes les attentions du narrateur, des évocations de sa vie passée. Elle parle à peine et c'est un long monologue du narrateur qui remplit les pages de ce récit, un peu comme s'il prenait le lecteur à témoin de l'amour qu'il éprouve pour elle et des états d'âme qui sont les siens face à son attitude parfois ambiguë. Il apparaît pourtant comme un personnage légèrement en retrait face à elle, mais d'autres, comme Jean-Christophe de G, juste entr’aperçu et Guiseppe ne sont que des ombres fugitives.

     

    Peut-être suis-passé complètement à côté, mais c'est toujours la même chose avec Toussaint, cette histoire d'amour-désamour qui ne me déplaît pas puisque c'est fort bien écrit, poétique parfois et que cela procure une lecture agréable et facile, mais qui me laisse toujours une sensation bizarre, d’ailleurs assez indéfinissable, d'un récit assez décousu, fait de scènes juxtaposées mais qui finalement est assez entraînant.

     

    C'est le quatrième et dernier volet qui clôt les épisodes de la vie de Marie Madeleine Marguerite de Montalte que l'auteur résume au seul prénom de Marie (Après « Fuir », « La vérité sur Marie » et « Faire l'amour ») .

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FUIR.

    N°909– Mai 2015

     

    FUIR. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    Au début, le lecteur apprend que le narrateur doit se rendre à Shanghai pour le compte de Marie, son ex-amie pour ce qui peut être un transfert d’argent ou le paiement d’une transaction. Dès l’aéroport, il rencontre Zhang Xiangzhy, un chinois énigmatique qui va l'accompagner tout au long de ce roman et plus sûrement le surveiller sans qu'on sache vraiment pourquoi. D'ailleurs il lui offre un téléphone portable d'assez bas de gamme. Il croise aussi un belle chinoise, Li Qi, dont on nous dit qu'elle a sans doute été l'amante de Zhang mais qui n'est pas insensible au charme du narrateur, à moins bien sûr que cela en soit pour renforcer la surveillance que ces deux personnages exercent sur lui. Ainsi, ce qui peut ressembler à une passade se tisse petit à petit entre eux dans un train mais toujours Zhang veille ! Pendant son séjour, il apprend la mort du père de Marie. Arrivés à Pékin, l’hôtel qui les accueille révèle une liaison entre Zhang et Li alors que le narrateur dort seul dans sa chambre ! Tout cela est fort ambigu, d'autant que le narrateur semble invité par Zhang qui se charge de tout mais toujours ce dernier discute les prix, cherche à marchander, ce qui est étonnant compte tenu de l'importance de la somme qui lui a été remise à l'aéroport par le narrateur. En fait, tout au long de ce roman, il y a une atmosphère de mystère (la surveillance constante du narrateur y compris par le biais de la jolie Li Qi, la visite au garage et le départ à moto, la fuite du bowling, à trois sur cette moto, la traversée de lieux divers et surtout assez fantomatiques sans qu'on sache vraiment si la police est à leurs trousses, le vrai contenu du sac que Zhang garde précieusement contre lui notamment pendant cette fuite éperdue, dissimulation dudit sac dans un plafond par Zhang qui ordonne au narrateur de prendre un taxi pour rentrer…). Dans la troisième partie du roman, le narrateur se rend à l'île d'Elbe pour l’enterrement du père de Marie qu'il retrouve sur place. Pour autant, ils ne se parlent pas et il part en plein milieu de la cérémonie, sans raison apparente. Puis elle le cherche, le retrouve et entre eux débute une relation charnelle mais qui s’interrompt très vite comme si cela était devenu impossible entre eux. Tout cela se passe en silence et Marie part nager. Il cherche à la rejoindre, ne la trouve pas et on sent la panique légitime qui l'envahit. Après quelques instant, il la trouve et elle s'effondre dans ses bras, en pleurs.

     

    Au-delà de ce résumé un peu fastidieux mais nécessaire dans le cas d'un roman de Jean-Philippe Toussaint tant ils sont toujours assez obscurs et surtout inattendus, j'ai tenté de m'interroger sur ce que je venais de lire. Le voyage est omniprésent dans cette œuvre, ce qui est une fuite comme semble l'indiquer le titre, mais fuir quoi ou qui dans la cadre de ce rythme effréné où tous les moyens de transports possibles sont sollicités ? Est-ce l'image de notre société marquée par ce « mouvement perpétuel » que seule la mort interrompra ou une volonté de l'auteur de ne pas rester en place ? Quelle est la relation entre la Chine et l’île d'Elbe, entre ce transfert d'argent et le décès du père de Marie ? Celle qui est un peu « l'arlésienne » pendant toute la partie « chinoise » du roman révèle sa présence à la fin, mais elle est une sorte « d'apparition » fuyante, pleurante et silencieuse. Que signifie la présence quasi constante du téléphone portable qui accompagne les protagonistes en Chine ? Est-ce l'image de la surveillance continue qu'on entend exercer sur le narrateur et surtout pourquoi ? Quant à lui, il est d'une passivité étonnante que je ne me suis pas expliquée, un peu comme s'il était le spectateur de ce qui lui arrive, mais un spectateur qui se laisse étonnamment diriger sans rien demander. Qui est derrière tout cela ? Marie peut-être, restée en France, mais quel est son véritable rôle dans cette affaire ? Pourquoi cette rupture de rythme entre l'épisode chinois et celui de l’île d’Elbe. Pourquoi Marie oppose-t-elle, comme d'ailleurs dans d'autres romans, des pleurs aux sollicitations du narrateur ? Il y a certes une sorte de souffrance de ces deux êtres, un peu comme si l'absence de l'autre était aussi insupportable que sa présence, comme s'il s'agissait d'une histoire d'amour qui ne pouvait pas finir sans avoir peut-être jamais commencé vraiment.

    Ce roman pose effectivement beaucoup de questions qui, pour moi, restent sans réponse. Et pourtant, même si dans celui-ci, les événements relatés peuvent se poursuivre à l’infini, il y a une sorte d'alchimie qui me retient au texte. Non seulement c'est bien écrit, avec des descriptions précises et évocatrices, poétiques même parfois mais malgré moi, j'ai toujours envie d'en savoir plus, sans que je sache vraiment pourquoi. Le livre refermé j'ai donc toujours un sentiment mitigé comme celui qui reste sur sa faim mais aussi en ayant des difficultés à me remémorer ce que je viens de lire, à en comprendre le thème.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FAIRE L'AMOUR.

     

    N°908– Mai 2015

     

    FAIRE L'AMOUR. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

     

    La première phrase ne peut passer inaperçue « J'avais fait remplir un flacon d'acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi, avec l'idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu'un… ou dans sa gueule à elle, dans son visage, en pleurs depuis quelques semaines ». Le ton est donné, celui de la violence contenue, de l'envie de faire mal, pas vraiment en accord avec le titre. C'est en effet le récit d'un amour qui n'existe plus, qui a duré 7 ans, avec au début des choses que l'on dit qui ont déjà été dites par des milliards d'autres gens et pourtant, nous savons tous que faire rimer amour avec toujours, c'est pour les mauvais poètes et surtout cela n'a rien de vrai, sinon cela se saurait ! Alors quand on a pris conscience que cette union ou que cette aventure n'avait que trop duré et qu'on devait unilatéralement y mettre fin, les idées les plus folles nous traversent la tête et parfois s'y installent, ainsi cette bouteille d'acide. On est loin des serments du début et même il y a urgence !

     

    Les voilà donc à Tokyo, elle pour présenter sa collection de robes dont on se demande si le défilé va finalement avoir lieu, et lui pour accompagner Marie. C'est sans doute la ville choisie pour cette rupture un peu comme si, si elle en se produisait pas dans un lieu extraordinaire, il lui eut manqué quelque chose pour être définitive.

     

    Il y a certes des scènes chaudement érotiques ( ce qui donne sans doute son titre à ce roman?) qui ne m'ont pas laissé indifférent, Marie devant être une belle femme sensuelle, mais cela ne laissait pas vraiment présager la fin de cette liaison. J'avoue que j'ai un peu perdu le fil de cette histoire, entre un tremblement de terre et une escapade du narrateur à Kyoto chez son ami Bernard.

     

    Je n'ai sans doute rien compris, mais il me semble que contrairement à ce qui était dit dans les premières pages, je n'ai pas vraiment eu l'impression qu'il voulait se débarrasser de Marie. Dès lors, je n'ai pas bien compris la présence du flacon d'acide qui ne le quitte pas. Il doit d'ailleurs y avoir une symbolique particulière dans le fait de vider le contenu de cette bouteille sur une fleur fragile après en avoir menacé un inconnu. Cela ouvre largement la porte à nombre d'interprétations mais j'avoue que j'y ai été très imperméable !

     

    J'avais déjà lu des œuvres de Jean-Philippe Toussaint (La Feuille Volante n º 405 et 879) Dans l'une d'elle (« La vérité sur Marie »), il était déjà question d'une Marie, comme ici. C'est sans doute la même puisqu'il semble qu'avec « Fuir » nous sommes en présence d’une trilogie. Elle doit sans doute incarner pour l'auteur l'éternel féminin ou est-elle la figure d'une femme qui sans cesse est destinée à lui échapper, entre amour et désamour entre volonté de faire durer une liaison qui, il le sait, part à vau-l'eau et va se terminer?

     

    Le style est fluide et le roman se lit facilement même si l'histoire en m'a pas vraiment emballé , après tout lire la fin d'un amour, d'une rupture n'est pas enthousiasmant.

     

    En tout cas je reste sur une impression bizarre, un peu la même à chaque fois que je lis un roman de Jean-Philippe Toussaint.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SARA LA NOIRE

    N°907– Mai 2015

    SARA LA NOIRE. Gianni Pirozzi– Rivage Noir.

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    Guillermo est gitan par sa mère. Sept ans plus tôt, il a promis à Sénégas, le patriarche de la communauté des gens du voyage d'Aigues-Mortes de retrouver l’assassin de ses deux filles. A la suite d'une promotion, à a été muté dans la région parisienne mais n'a pas oublié sa promesse. On lui a affecté une affaire de suicide, un certain Martinez vient de se jeter du quatrième étage. C'est aussi un Martinez qui a assassiné dans le sud de la France les deux petites gitanes, son affaire d'il y a sept ans qu'il n'avait cependant pas oubliée refait donc surface.

    Ce n'est pourtant pas un sentimental, plutôt un marginal entre deux mondes ce flic puisqu'il est pisté par l'IGS pour trafic de drogue et proxénétisme. Il se permet même de faire attendre les collègues venus l'interroger. Il a été marié mais la pension alimentaire pour se deux filles n'est pas vraiment son problème puisqu'il est avec Hazfia, une jeune marocaine, jadis contrainte au mariage et qui maintenant s'adonne à la drogue et à la prostitution. Son ex-mari poursuit également le policier. En outre, il a sous sa coupe une communauté de femmes battues qu'il contraint à la prostitution.

    Djibril est une petite frappe, tout juste sorti de prison, un dealer qui pour se faire une place dans le milieu a accepté de faire la peau à Guillermo. Voilà donc notre policier poursuivi à son tour alors qu'il est en charge d'une affaire d’incendie qui sonne comme un règlement de compte.

    A l'aide de fréquents analepses l'auteur revient sur cette promesse. A la fin c'est un peu agaçant. C'est pourtant un livre qui se lit vite, heureusement. Je n'ai pas goûté le style très polar, pas plus que l'intrigue. Autant dire que je me suis ennuyé. En effet qu'un flic soit amoureux d'une prostituée et qu'il soit accessoirement dealer, même si dans la vraie vie cela peut être rare, c'est sans doute possible, qu'il y ait des ripoux dans la police qui arrondissent leur fins de mois dans l'illégalité, je ne suis pas spécialiste mais, connaissant un peu l'espèce humaine, je veux bien l'admettre. Ce thème a fait les beaux jours de la littérature policière, ce n'est donc pas très original.

    Et le lien avec Sara la Noire, cette sainte vénérée par la communauté gitane aux Saintes-Maries-de-la-Mer ? Simplement parce que Guillermo, d'origine gitane, se recueille volontiers devant elle dont il a un oratoire à son domicile, quand il a des périodes de doute. Cela va quand même assez mal avec sa personnalité de ripoux, dealer et proxénète… mais il est vrai que je en suis pas spécialiste !

    Ce roman est un remake d'une nouvelle de Marc Villard (« Entrée du diable à Barbes-ville ») ce qui était un intérêt supplémentaire pour moi. J'ai quand même poursuivi ma lecture pour voir si ma curiosité serait enfin titillée et également pour me faire une idée de l'univers de cet auteur que je ne connaissais pas mais dont je n'ai pas vraiment envie de poursuivre la découverte de l’œuvre.

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  • LA PASSION SELON JUETTE .

    N°906– Mai 2015

    LA PASSION SELON JUETTE . Clara DUPOND-MONOD - GRASSET.

    Juette à 13 ans et apprend à coudre parce qu'à cet âge, en pleine période médiévale, on se marie quand on est une fille. Son univers c'est cette petite ville belge de Huy où son père est un riche et influent collecteur d’impôts épiscopaux. Jusqu'à présent elle se conforme aux prescriptions de l’Église, prie, respecte des parents, reste renfermée sur elle-même, menue et farouche. Elle aime les belles et naïves légendes de chevaliers, même si, dans le cas de Lancelot et de Guenièvre ou de Tristan et Iseult, elles parlent d'adultère, c'est à dire de péché, sent son corps grandir mais n'est pas encore une femme, elle le sait. Elle va quand même devoir se marier et donc procréer parce qu'à cette époque c'est le rôle de la femme. Cela fera des vies et des âmes sur lesquelles l’Église, puissance spirituelle mais aussi temporelle, pourra régner. Pourtant, elle se méfie du regard des hommes mais cependant ne parle qu'à un seul d'entre eux, un moine séculier, Hugues de Floreffe, que ses parents apprécient. Il est son confident et son guide dans la foi, différent des autres prêtres qui sont volontiers corrompus et indignes de leur charge. Malgré leur amitié pure mais parfois un peu équivoque dans les mots, malgré son aide et son exemple, il reste partagé entre sa volonté de la soutenir et son obéissance aux dogmes de la religion et à la règle de son ordre. Ainsi, malgré son jeune âge Juette pose des questions embarrassantes pour son entourage, porte sur le monde qui l'entoure un regard étonné qui rapidement devient critique , a le courage de dire « non »  à l’Église qui, à ses yeux, n'a rien à voir avec Dieu qu'elle craint et vénère et à Qui elle souhaite vouer sa vie, redoute les hommes « avides »... Pourtant cela ne l'empêche pas d'être mariée de force à 13 ans avec un homme qui a l'âge d'être son père et qu'elle n'aime pas… et d'être veuve cinq ans plus tard. Cela contribue largement a modifier sa perception du monde et l'invite à ne plus se plier servilement au rôle qui lui était dévolu dans la société. C'est une révélation, une invitation et même une vocation. Dès lors, elle qui n'aimait guère la vie conjugale, est libre mais va mettre cette liberté en accord avec elle-même, avec ses idées révoltées alors que son père songeait déjà à lui donner un autre mari. Elle se sépare de ses biens, se consacre aux lépreux mais sans entrer dans les ordres, c’est à dire sans se soumettre à une règle d’obéissance aveugle qui entamerait sa liberté, réorganise le petit aréopage de femmes qui ont pris le même engagement qu'elle, se porte à leur tête. Ce faisant, elle s'attire les foudres de cette Église qui entend tout régenter et l'accuse d'hérésie parce qu'elle remet en cause de concept même de soumission.

    De son vivant on vantait son exemple et après sa mort elle fit l'objet d'une véritable vénération et donna naissance à des vocations de femmes semblable à la sienne. On la qualifie volontiers de « Sainte laïque » mais l’Église s'est bien gardée d'ouvrir pour elle un procès en canonisation simplement parce qu'elle n’aime guère ceux qui, certes appliquent le message de l’Évangile, mais le font hors de sa férule.

    Avec ce texte à deux voix, deux monologues intérieurs, l’auteure nous fait partager l'ambiance foisonnante du Moyen-Age autant que le paysage intérieur de cette jeune femme et les états d'âme de Hugues. Ce livre est le témoignage romancé de la vie d'Ivette (ou Juette) de Huy (1158-1228) qui fut transcrite par le moine Hugues de Floreffe et que Georges Duby fit revivre dans son ouvrage « Dames du XII° siècle ». A son tour et dans sa manière délicate et nuancée, Clara Dupond-Monod évoque cette femme d'exception. Juette illustre, comme d'autres, cette réaction contre une Église corrompue et un clergé vicieux, proclame son engagement (« le dévouement sans le serment, la religion sans le clergé, la foi au service des autres »), incarne ce courant médiéval de remise en cause des institutions religieuses qui a donné naissance à l'hérésie cathare, l'a fait sortir de l'anonymat et a fait d'elle quelqu’un d’étonnamment moderne, libre, indépendante, capable de mener seule sa vie mais dans un but altruiste.

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  • DERAPAGES

    N°905– Mai 2015

    DERAPAGES . Danielle Thiéry - Versilio.

    Tout d'abord une information comme les médias en diffusent chaque jour au point d'en devenir banale : on a découvert un corps sur la plage de Berck et la police hésite entre accident de baignade et acte criminel. Edwige Marion, commissaire parisien, à qui on attribué l'affaire de préférence aux policiers locaux, enquête sur place et l'autopsie révèle que la victime est une femme entre 50 et 60 ans mais qui a les apparences d'une enfant ! A cette occasion, Edwige a au moins l'occasion de retrouver Olivier Martin, le médecin légiste qu'elle a connu dans une autre vie. Au cours de cette enquête, d'anciens couples se reformeront ainsi, d'autres liens se tisseront… Au même moment, elle récupère sa fille adoptive, Nina, choquée, mutique et couverte d'un sang qui n'est pas le sien et qui a mystérieusement voyagé depuis Londres en Eurostar. Elle vivait chez sa sœur aînée qui, avec son mari, Sasha Azonov, spécialiste du génome humain, ont disparu.

    Au même moment à Paris, une femme, Jennifer, est victime d'un accrochage avec sa voiture et on lui vole son bébé de 4 mois en le remplaçant par une jeune fille à l’apparence d'un vieillard, lui conseillant de ne pas appeler la police. Elle a l’impression d'être tombée dans un traquenard d'autant plus surréaliste que, lorsque la télévision a révélé le visage du cadavre de Berck, elle a eu la certitude de la connaître ! Son mari, un autre Sasha a également disparu !

    A priori, il n'y a pas de lien entre ce qui peut être un assassinat et cet enlèvement d'enfant, non plus d’ailleurs qu’entre ces différentes disparitions. Tel est le point de départ d'une enquête où le mystère s'épaissit à chaque page, avec des cadavres qui disparaissent, des pièces à conviction qui sont subtilisées, des accidents, des voitures qui brûlent, une façon d’opérer de la part des voyous vraiment peu commune et qui s’apparente à des pratiques mafieuses, une mystérieuse boucle d'oreille, une friche industrielle déserte, des investigations hasardeuses qui ne débouchent sur rien de concret et qui procurent davantage d'interrogations que de certitudes, des enlèvements, des disparitions, un imbroglio de sociétés-écrans à l'international, des recherches bien mystérieuses sur la génétique… Bref une histoire un peu compliquée, sur fond d'ADN, où la manifestation de la vérité devient de plus en plus problématique et qui met en scène la recherche de l'éternelle jeunesse, celle de la notoriété et de l’appât du gain, du refus de la mort, si chères à la condition humaine sans pour autant qu'on se soucie des conséquences. On ne nous épargne pas non plus l'espionnage systématique d'autant que la DGSI est partie prenante dans cette affaire, les coïncidences troublantes et les divers rebondissements qui, pour la commissaire et son équipe s'accumulent et où le lecteur se perd un peu d'autant qu'il voyage constamment de Paris(l'incontournable 36 quai des Orfèvres, mais pas seulement) à Nanterre, à Saint-Denis, en Russie…, à la recherche de cet énigmatique Sasha aux multiples visages et à l'accent slave. On n'échappe pas non plus au traditionnel alcoolisme des policiers, à leur langage argotique, à l'évocation très « british » du collègue anglais du commissaire Marion, aux inévitables marques de condescendance hiérarchique entre collègues, à l'incontournable enterrement d'un policier mort en service et des paroles creuses qu'on peut dire devant son cercueil !

    Les chapitres sont courts et se lisent facilement, comme ceux d'un thriller. Le texte fourmille de détails, de remarques sur fond de guerre des services, de manipulations diverses, d'antagonismes police-justice, de blocages de la part de la hiérarchie attachée aux faits et imperméable aux élucubrations des psy et autres nouveaux venus, des lourdeurs administratives, des inévitables« dérapages » en marge de la procédure et donc de la légalité, les obstructions des ambassades, toutes choses qui ne peuvent émaner que d'un policier ; Danielle Thiéry fait ici honneur à son ancien métier de commissaire divisionnaire. J'ai eu un peu de mal au début à entrer dans cette histoire embrouillée, mais je dois dire que, au fil des pages, l'auteure s'attache son lecteur avec un réel sens du suspense et j'ai vraiment eu envie de connaître l'épilogue. Je ne suis pas un spécialiste de la générique mais j'ai apprécié les informations que comporte ce roman autant que le parti-pris de l'intrigue qui transforme les humains esclaves ou en cobayes. Cela montre le sérieux de sa documentation et la pertinence du scénario. Quant à Nina, la fille du commissaire, elle entre à cette occasion dans l'âge adulte par la grande porte mais veut, de toutes ses forces, garder ses illusions d’adolescent. J'ai fait allusion tout à l'heure au passé professionnel de l'auteure. J'espère, comme l'indique la note de fin, que cette affaire est effectivement née dans son imagination féconde et n'est pas inspirée par la réalité.

    J'avoue que je ne connaissais pas cette auteure jusqu'à ce que les éditions Versilio m'envoient cet ouvrage, ce dont je les remercie. Quoiqu'il en soit, je n'ai pas été déçu par ce moment de lecture et j'ai bien envie d'explorer le reste de l’œuvre de Danielle Thiéry.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA FOLIE DU ROI MARC

    N°904– Mai 2015

    LA FOLIE DU ROI MARC .Clara Dupont-Monod – Grasset.

    Clara Dupont-Monod s'approprie un thème vieux comme le monde, celui de l'amour impossible puisqu'il a déjà ses mythes, celui de Roméo et Juliette, de Cyrano et de Roxane, d’Héloïse et d’Abélard… Elle choisit comme sujet de son roman la relation amoureuse de Tristan et Iseut conservée par la tradition orale bretonne et qui été largement illustrée au Moyen-Age, notamment par Chrétien de Troye. Tristan a été recueilli et élevé comme son fils par son oncle Marc, roi de Cornouailles. Pour avoir un héritier direct, le souverain doit se marier et il choisit Iseut, une princesse irlandaise que va chercher Tristan. Les deux jeunes gens tombent amoureux l'un de l'autre après avoir bu par erreur un philtre mais malgré celai, Iseut épouse Marc tout en étant l'amante de Tristan. La légende celte conclut cet amour impossible par la séparation et la mort des deux amants. Ici l'auteur revisite cette histoire mais du point de vue de Marc seulement. Il est présenté comme un mari trompé deux fois, non seulement par une femme infidèle mais aussi par un neveu traître qui pourtant lui doit tout. Il s'ensuit un long monologue pendant lequel il confesse l'amour qu'il porte à son épouse, les attentions qu'il a pour elle. Aveuglé par sa beauté, il ne voit rien du manège des deux amants mais alerté par ses barons finit par se rendre à l'évidence et bannit Tristan et Yseut lui revient.

    Avec une réelle dimension émotionnelle, l'auteur nous fait partager la naïveté de Marc, son ignorance de ce qui se trame derrière son dos, la confiance aveugle qu'il lui fait, puis son désarroi quand il prend conscience de son erreur. Il est pourtant fou amoureux d'Iseut qui le délaisse au profit de son amant, elle qui n'a aucune considération pour lui, pour son autorité royale. On la sent silencieuse, indifférente à l’humiliation qu'elle lui impose, ajoutant au plaisir que lui procure son amant celui de rabaisser son époux et ce d'autant qu'elle sait qu'il ne fera rien contre elle. Pour donner le change ou faire durer son calvaire, elle a auprès de lui et en public un rôle passif, équivoque même, entre les ragots et la jalousie de la cour, tandis que Tristan reste tapi dans l'ombre, attendant son heure. Se sent-elle autorisée à agir ainsi contre son époux qu'elle n'aime pas, est-ce l'effet du philtre ou de son égoïsme ? Face à cette liaison adultère, Marc n'oppose au début que sa tristesse, sa volonté de supporter l’opprobre par amour pour cette femme en se demandant ce qu'il a bien pu faire pour mériter cela. Puis il la méprise pour finalement admettre que cette situation délétère le détruit. Il tergiverse, réagit comme un mari trompé mais aussi comme un roi qui décrète une vengeance à la mesure de la faute. Finalement la légende reprend son cours...

    Loin de se moquer d'une situation qui d'ordinaire suscite la raillerie, surtout quand on n'est pas concerné, le lecteur communie à la peine de cet homme trahi par sa femme. L'auteure choisit de lui donner la parole, de le tirer de l'oubli alors que le mythe choisit de conter ce qui n'est pas autre chose qu'un adultère, débarrassé d'ailleurs de toute culpabilité. Elle le présente comme un homme qui se croyait sans doute protégé par son amour pour sa femme ou par son autorité royale et qui se voit soudain ravalé à la position d'un simple humain. Elle analyse les différentes phases par lesquels passe un homme victime de la trahison, surtout quand celle-ci vient de quelqu’un qu'on aime, tant il est vrai qu'on n'est vraiment trahi que par les siens. Puis son malheur le fait peu à peu entrer dans la folie, il doute de ce qu'il a vu, finit par se persuader que c'est une illusion, que son épouse lui est fidèle, que tout cela n'est qu'un cauchemar. Cette malheureuse histoire fait de lui un lâche, un pauvre homme, un faible qui ne sait même pas tenir sa femme qui admet tout et ce d'autant plus qu'il lui semble que Dieu est complice des amants.

    Ce thème hérité du Moyen-Age peut sembler suranné aujourd'hui où les idées autour du mariage et des relations amoureuses sont différentes. Certes le contexte est autre mais ce que je retiens c'est le malheur de Marc, ses états d'âme à propos de l'adultère de sa femme. Cela c'est universel et très humain et même si les choses ont pu changer, les idées évoluer et se libéraliser, la peine, le chagrin restent les mêmes face à une telle trahison.

    C’est un thème vieux comme le monde, souvent repris dans les légendes médiévales. Les relations amoureuses entre les hommes et les femmes ont toujours nourri les création artistiques et en particulier celles des écrivains. Ici, le texte est servi par la belle plume de Clara Dupond-Monod. Son style est pathétique, simple, dépouillé, poétique, parfois mais un peu redondant quand même à certains moments. Je continue cependant d'explorer avec plaisir l’œuvre de cette auteure.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Don Quichotte 

    N°903– Mai 2015

    Don Quichotte . Miguel de Cervantes

    Je viens de relire Don Quichotte, œuvre qu'il est inutile de résumer puisque depuis sa parution on l'a abondamment commentée. Je me suis seulement demandé si cet étrange roman n'était pas toujours d'actualité et si la folie n'était pas un refuge bienvenu surtout dans une société si marquée par la réussite, l'argent, la recherche de la notoriété, du profit, des apparences et si, face à cela qui ne me convient décidément pas, il ne valait mieux pas vivre dans un monde parallèle, si marginal soit-il, pour ne pas vivre selon les critères sus-nommés.

    N'est-il pas en effet rassurant de poursuivre des « châteaux en Espagne » (sans mauvais jeu de mots) c'est à dire des choses qui n'ont aucune chance de se produire, ne serait-ce que pour nous aider à vivre dans cette vallée de larmes qu'est la vie. D'aucuns nommeront cela fantasmes, oui, et après ! Poursuivre un rêve, de préférence un peu fou, qu'on peut aussi nommer ambition personnelle n'est-ce pas un peu faire le même parcours que notre pauvre chevalier ? Comme lui on peut toujours rêver de faire quelque chose de notre pauvre vie , de marquer notre passage sur terre et ne jamais y parvenir tant sont nombreux ceux qui ont décidé de nous en empêcher, de nous trahir jusque dans notre immédiat entourage. Il en va de même quand notre pauvre ami décide de faire une confiance aveugle à ceux qu'il rencontre. Dans notre monde où la trahison est presque érigée en règle du jeu, nous savons tous, pour l'avoir expérimenté que s'en remettre ainsi aux autres est une attitude bien risquée. Quant à vouloir à toute force s'improviser redresseur de torts, même si cela témoigne d'une grandeur d'âme, cela ne peut vous attirer bien souvent que des ennuis. L'actualité est riche de ces expériences avortées.

    En ce qui concerne la promesse que fait Don Quichotte à Sancho Panza de lui confier le gouvernement d'une île imaginaire, cela me rappelle, toutes choses égales par ailleurs, Don Quichotte n'étant pas susceptible de mauvaise foi, les promesses électorales dont nos élus ne sont pas avares mais qui ont la particularité de ne jamais voir le jour. Un ancien président de la République n'a-t-il pas dit qu'elles n'engageaient que ceux qui les croyaient ? Sauf que dans le cas des politiques il n'y a ni la naïveté ni l'idéalisme du Chevalier à la triste figure.

    Quant à se battre contre les moulins, il nous est sans doute arrivé de nombreuses fois dans notre vie de le faire à notre tour sans forcément que l'issue soit semblable à celle qu'a connue notre pauvre chevalier. Cet épisode qu'on retient volontiers, malgré toutes les autres aventures de notre héro, est emblématique et il est évidemment facile de s'en moquer. Pour autant, n'a-t-on jamais fait, sous influence, des choses qui plus tard, la période d'émotion passée, ont heurté notre propre raison et notre propre logique ? Bien malin sans doute qui pourrait affirmer le contraire.

    Idéaliser une femme comme le fait Don Quichotte en lui donnant les attributs de la belle Dulcine de Toboso, cela aussi nous l'avons tous fait, et pas forcément pour notre bonheur. Au moins notre chevalier en va-t-il pas jusqu'au mariage, reste-t-il dans son monde et n'est-il pas confronté à la trahison, au mensonge, à l'adultère qui sont souvent les conséquences de cet aveuglement.

    Est-ce que cette manière de s'improviser chevalier errant à une période où ils n'existaient plus n'était pas finalement une marque d'originalité, une volonté de se démarquer face à l'instinct grégaire qui veut que chacun ressemble à son voisin ou plus sûrement à des personnages connus ? Plongé dans une société qu'il réprouve et désireux de s'en démarquer, il sera quand même rejoint par ceux qui la font et qui ne manqueront pas de saisir l'occasion d'abuser de sa naïveté et ce malgré la voix de la raison de son bon Sancho qui, à l'occasion, en profite même un peu lui aussi. Et d’ailleurs n'avons-nous pas nous-mêmes parfois saisi de pareilles opportunités au détriment d'êtres plus fragiles pour les mystifier encore davantage.

    Quant à la méditation sur la vanité des choses, cela vaut bien tous les messages philosophiques ! Cette histoire sur la relativité des choses humaines est bienvenue. L'homme est naturellement porté vers la puissance, le pouvoir, la richesse. Le fait d'être important un jour et le lendemain n’être plus rien est très actuel et carrément éternel, les Romains ne disaient pas autre chose parlant de la Roche Tarpéienne si proche du Capitole.

    Quant à cette période un peu folle qui voit Don Quichotte, hidalgo paisible, se transformer en chevalier errant, c'est sans doute aussi la jouissance intérieure que nous ressentons tous quand le hasard nous prête ce « quart d'heure de gloire » si agréable qui nous fait sortir, forcément provisoirement, de la condition de quidam.

    En réalité ce roman, derrière des apparences volontiers critiques voire comiques, me paraît camper à travers Don Quichotte un personnage emblématique de la condition humaine. Ce faisant, Miguel Cervantes a évoqué, comme le feront plus tard Shakespeare, Molière, Victor Hugo ou Céline une part de nous-mêmes.

    Une des causes de la folie de Don Quichotte est la lecture effrénée des romans de chevalerie qui lui auraient asséché la cervelle. La lecture aurait donc des effets néfastes sur le cerveau. C'est vrai que même si la chevalerie n'est pas vraiment ma tasse de thé, j'aime bien les romans. Ils me procurent un dépaysement bienvenu et d'autant plus apprécié que mon quotidien se révèle de jour en jour plus délétère. Et je dois avouer que « ce vice impuni » me taraude depuis bien longtemps, cette chronique en est notamment le témoin. Pourtant, je ne me sens pas menacé. Quoique !

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE ROI DISAIT QUE J'ETAIS DIABLE

    N°902– Mai 2015

    LE ROI DISAIT QUE J'ETAIS DIABLE – Clara Dupond-Monod - Grasset.

    On parle beaucoup des femmes en politique, surtout pour déplorer leur absence. Pourtant s'il est une figure qui a marqué son temps, c'est bien celle d'Aliénor d'Aquitaine… Et nous étions en plein Moyen-Age ! On a beaucoup parlé du mariage, glosé sur les qualités respectives que doivent avoir les époux pour que leur union soit heureuse mais franchement là tout opposait Aliénor à Louis VII qu'on avait tiré du couvent parce que son aîné avant eu le mauvais goût de mourir. Elle aimait la vie et l'amour et lui était confit dans l'eau bénite et les patenôtres, vivait dans l'ombre de l'abbé Suger, elle était riche, belle et ambitieuse et lui pauvre et hésitant, maladroit, elle était cultivée, aimait la poésie et les poètes de sa langue d'Oc et lui était triste, austère, naïf, s’abîmait en prières, enfin ils étaient tellement différents que ce mariage de royal cousinage, donc arrangé, ne pouvait que capoter, ce qui n'a pas manqué de se produire... et il fut annulé ! Son rapide remariage avec Henri II Plantagenet fit d'elle la reine d'Angleterre mais cette union et l'apport qu'elle fit de son fief français portera en germe les causes de la « Guerre de cent ans ». Elle aura une vie mouvementée sur le plan personnel et politique ce qui fit d'elle un personnage hors norme, donc particulièrement passionnant.

    Avec un réel talent de conteur, l'auteure promène son lecteur dans ce Paris médiéval, certes pas très ragoutant, mais on y croise des coutumes, des jeux de l'époque et le dépaysement est total. Avec ce texte à deux voix, face à un roi hésitant, amoureux et jaloux mais qui a la piété d'un moine, elle évoque Aliénor qui découvre son nouveau royaume, elle qui vient d'un sud doux et ensoleillé aimera pourtant cette cité et surtout son peuple. Ce qu'elle aime moins ce sont ceux qui gravitent autour du roi, des flagorneurs, des courtisans qui en lorgnent les miettes. Elle vilipende Adélaïde, la reine-mère que son fils finit par éloigner de lui, le zélé abbé Suger, ils sont avides de pouvoir et elle constate que son mari n'est vraiment pas fait pour elle. Au long des chapitres on découvre une Aliénor belle et rebelle, désireuse de réformer le royaume pour le bien du peuple, qui n'aura de cesse de cultiver sa différence, sa personnalité, sa liberté. Elle sera un modèle pour les femmes et peuplera les rêves des hommes, en sera parfois leur cauchemar. Elle ne tardera pas à affirmer son pouvoir sur le roi et obtenir qu'elle soit une reine sans partage même si son rôle est avant tout d'assurer la dynastie et donc de se sacrifier. Elle ne donnera à Louis que deux filles mais sa descendance sera prestigieuse, elle sera notamment la grand-mère de Saint Louis. On lui prête des aventures amoureuses, on tisse contre elle « une légende noire », on moque son appétit d'Orient, mais de tout cela elle n'a cure. Elle veut modeler un roi à son image, l’incite à guerroyer, à s’opposer au pape qui l'excommunie, un comble pour ce roi dévot, mais sa participation à la deuxième croisade, pourtant calamiteuse, fera oublier tout cela. C'est Raymond de Poitiers, l'oncle d'Aliénor qui conclut ces quinze années de règne français de sa nièce qui auraient pu être heureuses mais qui en l'ont pas été. Elle n'en a cependant pas fini avec la vie.

    Ce texte est une fiction autour de la personne de cette reine dont la vie laisse des zones d'ombre que l'imagination du romancier peut combler. C'est donc un parti-pris mais j'ai eu plaisir retrouver sous ses traits ceux de Mélusine, cette fée mythique si ancrée dans le terroir du Poitou. C’est curieux comme les deux femmes se ressemblent, l'une bien réelle et l'autre qui appartient à la légende au point peut-être de confondre leurs destinées.

    le style est alerte, aux accents poétiques parfois, entre épopée et tragédie, entrecoupé de textes de Marcabru, de Rudel et de Guillaume de Poitiers son grand-père, connu sous le nom de Guillaume le Troubadour. C'est vraiment un plaisir que de parcourir la vie de cette femme d'exception.

    Je ne connaissais pas cette auteure dont j'ai bien envie de découvrir l’œuvre.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • PAYS PERDU

     

    N°901– Mai 2015

     

    PAYS PERDU – Pierre Jourde – L'esprit des péninsules.

     

    Parce que son frère vient d'hériter d'un lointain cousin, Joseph, il revient avec le narrateur dans ce village perdu du Cantal pour prendre possession de son héritage, au vrai pas grand chose une fois que toutes les vieilleries auront été brûlées et les lieux nettoyés de tout ce que ce vieux célibataire avait, tout au long de sa vie, amassé. C'est aussi l'occasion d'apprendre la mort de Lucie, une jeune fille du village, torturée depuis longtemps par la maladie et d'aller à ses obsèques.

     

    Ce roman qui se déroule sur deux jours retrace la vie des habitants d'un petit village du Cantal, Lussaud, où l'auteur a ses origines. C'est effectivement un pays perdu, un petit village de quelques familles dont le nombre va diminuant, où la route qui y mène se termine en cul-de-sac. A l'occasion de cet enterrement où il va revoir des voisins et des parents éloignés, des souvenirs d'enfance vont lui revenir et il va décrire ce terroir tel qu'il le voit, comme si l'écrivain qu'il est, portait cela en lui depuis bien longtemps. Sous sa plume, les paysages sont bucoliques et décrits poétiquement mais le village lui-même et ses habitants sont marqués, comme bien souvent ailleurs, par la solitude, l'alcoolisme, le suicide, le handicap mental qui résulte souvent des conséquences d'un alcoolisme militant et des mariages consanguins depuis plusieurs générations. Il évoque les incontournables vieux garçons, restés célibataires pour n'avoir jamais croisé de femme, la haine des clans, entretenue d'années en années, née d'une faute grave ou d'une broutille mal interprétée et qu'on avait même fini par oublier, mais qui est vouée à une impossible réconciliation. Il parle des inévitables adultères que tout le monde connaît mais qu’il faut taire, des ragots, de la cohabitation des générations sous un même toit, de la traditionnelle obéissance aux anciens, des rituels comme les verres de vin et d’apéritifs qu'on partage, les parties de belote, la lecture du journal, la mise à mort annuelle du cochon, la vie simple, austère, dure, de la saleté des fermes, de l’hygiène plus que relative au quotidien, de la rudesse du climat d'hiver, des villages quasi-déserts aux cimetières plus peuplés que les maisons. Il n'oublie pas non plus les fantasmes entretenus de tout temps, celui du trésor caché, des hypothétiques louis d'or enfouis dans les matelas mais qu'on en retrouve jamais. D'ailleurs le narrateur lui-même y succombe, les cherchant sans l'avouer, dans le fatras du cousin Joseph. De tout cela il parle sans complaisance et sans détour, décrivant le village tel qu'il est. Il se souvient de son enfance passée au village, revoit ceux qui sont encore là et qui suivront le cercueil et ceux qui ne viendront pas. Cet enterrement lui rappelle son père, sa vie, sa tombe...Il se laisse aller à des considérations personnelles sur la mort, la souffrance, les larmes qu'il exprime avec les mots de l'écrivain.

     

    Ce texte évoque la disparition progressive et définitive d'une certaine forme de société paysanne qui désormais appartient au passé ou qui est promise à une mort prochaine et dont l'auteur a voulu porter témoignage. Même si ce n'est pas exactement un hommage, le dire, surtout de la manière dont a choisi l'auteur, n'a rien de déplacé et ne manifeste aucune volonté de dénigrer quiconque, même si ce n'était pas tout à fait ce qu'attendaient ces habitants. Malheureusement, ce livre qui est avant tout une œuvre d'art, une œuvre de l'esprit, n'a pas atteint son but, bien au contraire puisqu'une incompréhension s'est installée en même temps qu'un malaise. Ce qui, au départ ne devait être qu'une nouvelle relatant la mort d'une jeune fille s'est petit à petit transformé en roman à l'invite des souvenirs de l'auteur. Dans ce microcosme où tout se sait mais où tout doit rester secret jusqu’au sein des familles, il a osé briser le tabou du silence en évoquant les gens et leur histoire, même si les noms ont été changés. Ceux qui se sont reconnus ne l'ont pas supporté, l'ont accusé de « violer » ce village et sous couvert de parler d'eux s'est mêlé de ce qui ne le regardait pas, a révélé tout cela tout cela au grand jour. Dire des vérités, révélé des informations est devenu à leurs yeux inconcevable même si l'auteur y a inclus lui-même sa propre histoire, celle d'une lointaine filiation adultérine.

     

    Pierre Jourde n'est pas un inconnu pour cette revue et la lecture de « La première pierre » m'avait ému (La Feuille Volante n°708). Il se trouve que les personnages dont parle l'auteur ont considéré que ce dernier, même s'il était originaire de ce village et même s'il était écrivain, n'avait pas le droit de parler des vivants et des morts, c'est à dire d'eux. Une polémique est donc née et, après la parution du livre, lorsqu'il est revenu, comme chaque été pour les vacances dans ce village où il possède encore une maison de famille, il a été agressé et la chose s'est terminée comme de juste devant le tribunal. C'est un peu comme si, puisqu'il était parti du village, qu'il avait embrassé une autre vie que celle de gratter la terre, qu'il avait choisi de vivre différemment des gens d'ici, qu'il était devenu universitaire et écrivain, il était maintenant considéré comme un étranger dont peu ou prou on était jaloux. Georges Brassens ne dit pas autre chose « Non les gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » ce à quoi Pierre Vassiliu lui répond « Ça emmerde les gens quand on vit pas comme eux ».

     

    Ce que je retiens pour ma part et en dehors de cette polémique stérile (d'autant qu'il y a « chose jugée »), c'est l'écriture poétique de cet auteur, les descriptions méticuleuses et particulièrement réalistes des paysages et des gens. A titre personnel, j'ai entendu la même petite musique agréable que celle dont le poète Georges-Léon Godeau faisait entendre dans ses écrits. Je pense aussi qu'il ne peut y avoir d'art, d'inspiration, sans la nourriture de l'esprit qu'est le réel et qu'un écrivain choisisse d'irriguer son œuvre avec ses souvenirs et son environnement n'a rien de scandaleux. Au nom de quoi les peintres, les musiciens, les écrivains n'auraient-ils pas le droit de puiser leur créativité dans la réalité qui les entoure. Il me semble d’ailleurs que cela a déjà été fait, et avec talent, et notre belle littérature est riche de ces écrits dont notre culture, à juste titre, s’enorgueillit. Et puis n'a-t-on pas beaucoup parlé récemment de la liberté d’expression qui est si chère à notre démocratie et à notre modèle social ? Il y a, bien évidemment, l'indispensable respect de l'autre mais, sans vouloir entrer dans le débat, je n'ai vu dans ce texte aucune allusion tendant à porter préjudice à ceux qui sont ici décrits ni la moindre la moindre intention de leur nuire. Si ce qu'ils ont lu correspond à la réalité et que cette réalité les indispose, qui y peut quelque chose ?

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'INCENDIE

    N°900– Mai 2015

    L'INCENDIE – Antoine Choplin – Hubert Mingarelli – La Fosse aux ours.

    Deux hommes qui se sont connus dans le passé et qui se sont revus à l'occasion de l’enterrement du père de l'un d'eux entament une correspondance. Jovan habite Belgrade et travaille aux archives d'un institut de musicologie et Pavle habite un port de l'Argentine et travaille dans une scierie. La cérémonie passée, ils décident d'entreprendre une correspondance. C'est à cet échange épistolaire qu'est convié le lecteur.

    Au commencement, les lettres sont brèves, presque timides mais rapidement ce qui pouvait passer pour une correspondance de circonstances qui n'avait aucune chance de perdurer bien longtemps, s'étoffe, les lettres s'allongent et évoquent des souvenirs précis du conflit en ex-Yougoslavie auquel ils ont ensemble participé. Pourtant elles sont écrites avec une grande économie de mots, comme si ce qui motivait réellement cette correspondance devait cependant rester secret. On y apprend l'existence d'une maison désormais en ruines à Ostrovo, la présence d'un troisième soldat, Branimir, et d'une femme, l'occupante de cette maison. Dès lors le lecteur entre de plain-pied dans les souvenirs, mais ils resurgissent presque malgré soi et on aurait bien voulu les oublier à jamais au point que leur simple évocation suffit à interrompre momentanément cet échange, tant le malaise qu'ils ont réveillé est grand. C'est un peu comme si Jovan voulait se débarrasser de « ses sales pensées » en les écrivant à son ami par dessus l'océan, mais elles s'incrustent malgré sa volonté de parler d'autre chose.

    Cette correspondance est assez étrange. Non seulement elle évoque un souvenir que nos deux épistoliers auraient voulu oublier, mais c'est un peu comme s'ils souhaitaient se faire mal ou remuer avec cependant un certain courage les vieux démons et, par ce biais, obtenir une forme de rédemption, cette correspondance n'étant pas autre chose qu'une véritable confession. L'absolution devait sans doute venir de cette évocation elle-même et de la réponse de l'autre, de sa compréhension, de son acquiescement, ou peut-être du chemin fait à moitié par chacun d'eux ? Cette volonté de revivre le passé en évitant de voir le monde non comme il est mais comme on voudrait qu'il soit, de pratiquer face aux difficultés la politique de l'autruche, l'envie que tout cela n'ait été qu'un simple cauchemar ou simplement que tout cela n'ait jamais existé, c'est sans doute l'attitude de Pavle qui a pris l’initiative de cette évocation que Jovan fait semblant de ne pas comprendre, au moins au début. Il y a une montée de l'intensité à travers les phrases échangées, mais aussi une sorte de paradoxe dans cet échange. Jovan et Pavle remuent un passé fangeux mais, à la fin de chaque lettre, ils font échange d'amabilités et de vœux qui sont en contradiction avec les paroles partagées, les non-dits qu'ils font semblant d'ignorer, des souvenirs qu'ils voudraient définitivement effacer.

    Je me suis toujours demandé si on pouvait se libérer par l'écriture, si le fait de mettre des mots sur des maux pouvait les adoucir, exorciser des peurs, des deuils, des remords. J'ai longtemps cru à l’effet cathartique du discours, j'en suis beaucoup moins sûr maintenant. Je ne suis pas sûr non plus que cet échange de lettres qui s'étale sur environ un an contribue à rapprocher ces deux hommes et à entretenir leur amitié, je pense au contraire que chacun gardera ce souvenir comme une plaie ouverte en refusant d'en parler et que ces lettres n'ont finalement fait que raviver une douleur bien inutilement. Cela m'évoque aussi le souvenir qui s'effrite avec le temps. Non seulement la mémoire humaine est naturellement défaillante et ce d'autant plus qu'on veut occulter celles de nos actions qui ne nous ont pas vraiment grandi. Ce roman, parce qu'on peut dire que c'en est un, est original dans la manière dont il est conçu. Il aurait parfaitement pu être écrit par un seul auteur mais il a été réalisé à quatre mains. Sa singularité réside en effet dans le fait que les deux écrivains ont respecté le rythme de la correspondance, l'un attendant la réponse de l'autre pour, à son tour prendre, la plume. C'est une invitation à la réflexion qui n'est pas inutile et également un bon moment de lecture .

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'INCENDIE

    N°900– Mai 2015

    L'INCENDIE – Antoine Choplin – Hubert Mingarelli – La Fosse aux ours.

    Deux hommes qui se sont connus dans le passé et qui se sont revus à l'occasion de l’enterrement du père de l'un d'eux entament une correspondance. Jovan habite Belgrade et travaille aux archives d'un institut de musicologie et Pavle habite un port de l'Argentine et travaille dans une scierie. La cérémonie passée, ils décident d'entreprendre une correspondance. C'est à cet échange épistolaire qu'est convié le lecteur.

    Au commencement, les lettres sont brèves, presque timides mais rapidement ce qui pouvait passer pour une correspondance de circonstances qui n'avait aucune chance de perdurer bien longtemps, s'étoffe, les lettres s'allongent et évoquent des souvenirs précis du conflit en ex-Yougoslavie auquel ils ont ensemble participé. Pourtant elles sont écrites avec une grande économie de mots, comme si ce qui motivait réellement cette correspondance devait cependant rester secret. On y apprend l'existence d'une maison désormais en ruines à Ostrovo, la présence d'un troisième soldat, Branimir, et d'une femme, l'occupante de cette maison. Dès lors le lecteur entre de plain-pied dans les souvenirs, mais ils resurgissent presque malgré soi et on aurait bien voulu les oublier à jamais au point que leur simple évocation suffit à interrompre momentanément cet échange, tant le malaise qu'ils ont réveillé est grand. C'est un peu comme si Jovan voulait se débarrasser de « ses sales pensées » en les écrivant à son ami par dessus l'océan, mais elles s'incrustent malgré sa volonté de parler d'autre chose.

    Cette correspondance est assez étrange. Non seulement elle évoque un souvenir que nos deux épistoliers auraient voulu oublier, mais c'est un peu comme s'ils souhaitaient se faire mal ou remuer avec cependant un certain courage les vieux démons et, par ce biais, obtenir une forme de rédemption, cette correspondance n'étant pas autre chose qu'une véritable confession. L'absolution devait sans doute venir de cette évocation elle-même et de la réponse de l'autre, de sa compréhension, de son acquiescement, ou peut-être du chemin fait à moitié par chacun d'eux ? Cette volonté de revivre le passé en évitant de voir le monde non comme il est mais comme on voudrait qu'il soit, de pratiquer face aux difficultés la politique de l'autruche, l'envie que tout cela n'ait été qu'un simple cauchemar ou simplement que tout cela n'ait jamais existé, c'est sans doute l'attitude de Pavle qui a pris l’initiative de cette évocation que Jovan fait semblant de ne pas comprendre, au moins au début. Il y a une montée de l'intensité à travers les phrases échangées, mais aussi une sorte de paradoxe dans cet échange. Jovan et Pavle remuent un passé fangeux mais, à la fin de chaque lettre, ils font échange d'amabilités et de vœux qui sont en contradiction avec les paroles partagées, les non-dits qu'ils font semblant d'ignorer, des souvenirs qu'ils voudraient définitivement effacer.

    Je me suis toujours demandé si on pouvait se libérer par l'écriture, si le fait de mettre des mots sur des maux pouvait les adoucir, exorciser des peurs, des deuils, des remords. J'ai longtemps cru à l’effet cathartique du discours, j'en suis beaucoup moins sûr maintenant. Je ne suis pas sûr non plus que cet échange de lettres qui s'étale sur environ un an contribue à rapprocher ces deux hommes et à entretenir leur amitié, je pense au contraire que chacun gardera ce souvenir comme une plaie ouverte en refusant d'en parler et que ces lettres n'ont finalement fait que raviver une douleur bien inutilement. Cela m'évoque aussi le souvenir qui s'effrite avec le temps. Non seulement la mémoire humaine est naturellement défaillante et ce d'autant plus qu'on veut occulter celles de nos actions qui ne nous ont pas vraiment grandi. Ce roman, parce qu'on peut dire que c'en est un, est original dans la manière dont il est conçu. Il aurait parfaitement pu être écrit par un seul auteur mais il a été réalisé à quatre mains. Sa singularité réside en effet dans le fait que les deux écrivains ont respecté le rythme de la correspondance, l'un attendant la réponse de l'autre pour, à son tour prendre, la plume. C'est une invitation à la réflexion qui n'est pas inutile et également un bon moment de lecture .

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN ETE 63

    N°899– Mai 2015

    UN ETE 63 Tracy Guzeman – Flammarion.

    Traduit de l'anglais par Simone Davy

    Natalie et Alice Kessler sont sœurs mais sont bien différentes. La première, l'aînée est aussi têtue et manipulatrice que la seconde est rêveuse, poète et attentive à la nature. Pendant l'été de l'année 1963, Alice, qui est la plus belle des deux, tombe amoureuse de Thomas Bayber, un jeune peintre alors complètement inconnu.

    Quarante ans plus tard Thomas, devenu célèbre, est maintenant un artiste mondialement reconnu dont l’œuvre a été étudiée et commentée, mais depuis 20 ans il traverse une crise de création, n'a plus touché un pinceau, vit en marge de la société et tente de se détruire à petit feu ; il est d’ailleurs très malade. A son ami Dennis Finch, historien d'art et critique qui lui est toujours resté fidèle, il propose un de ses tableaux resté inconnu qu'il veut vendre par l’intermédiaire de Stephen Jameson, un ancien expert en perte de vitesse qui travaille actuellement dans une officine de ventes aux enchères. Ce tableau représente « les sœurs Kessler » mais il est incomplet puisque l'orignal est un triptyque dont les deux autres panneaux ont été offerts à Alice et à Natalie et ont disparu. Va donc s'engager une recherche de ces deux éléments, confiée à Finch et à Jameson par Thomas lui-même qui, en posant ainsi le problème, se révèle machiavélique car le lecteur ne tarde pas à se rendre compte que cette quête n'est qu'un prétexte et que ce que l'auteur souhaite retrouver c'est la trace des deux sœurs et ce dans un but bien précis. Dès lors c'est à une véritable enquête policière que nous assistons.

    Dans l'univers protecteur de l'enfance, les deux sœurs étaient très liées et n'imaginaient pas que ce lien puisse un jour être distendu. Pourtant le hasard, la destiné, la vie, selon le nom qu'on veut bien donner, allaient se charger de faire changer ces choses qu'elles croyaient immuables. Non seulement elles ont croisé la fuite du temps, la maladie et la mort mais des événements sont intervenus qui allaient révéler définitivement les personnalités, mettre chacun dans un rôle qui, avec le temps se figera. Non seulement une rivalité va naître entre Alice et Natalie mais la position de chacune d'elles par rapport à l'autre va devenir progressivement une domination puis une véritable haine, avec tout son cortège de non-dits, de mensonges, de dissimulations, de secrets que la mort de Natalie dévoilera brutalement. A l’aide de nombreux analepses l'auteur remonte le temps pour révéler le parcours d'Alice et de Natalie depuis cet été 63, pour analyser les relations de plus en plus difficiles entre elles, évoquer les rencontres qui vont bouleverser le cours de leur existence, l'aînée prenant le pas définitivement sur la cadette. Dès lors, par la force des choses et avec une certaine énergie d'ailleurs assez inattendue de sa part, Alice qui avait toujours vécu dans l'ombre de sa sœur à cause de la maladie, tente de prendre en mains sa vie, entre étonnement et culpabilité, d'en explorer les recoins et les failles, jusque là savamment occultés, avec, il est vrai l'aide attentive de Phinneaus. Le voyage qu'elle fait volontairement seule à destination de Santa Fe depuis le Tennessee est révélateur ainsi que sa volonté d’aller au devant de révélations, fussent-elles destructrices.

    Au fur et à mesure du récit, le lecteur découvre non seulement tout ce que cette histoire de tableau cachait mais aussi la personnalité de chacun des personnages principaux, leur refus des choses, par égoïsme ou fuite de leurs responsabilités, leur jalousie, leur abnégation, leur joie de vivre et leur confiance en l'avenir aussi avec, en toile de fond, cette dernière chance qu'il fallait saisir avant que la mort n'anéantisse tout. Thomas avait volontairement brouillé les pistes, ajoutant l’image toujours présente de l'oiseau, symbole de liberté, mais aussi avait joué sur la lumière du portrait central et des panneaux adjacents, signifiant par là un message bien précis. Ce que vont découvrir nos deux enquêteurs va bouleverser bien des vies, bousculer des certitudes établies, révéler le vrai visage de ceux qu'on croyait connaître, faire en sorte que le but recherché soit finalement atteint.

    J'ai découvert Tracy Guzeman que je ne connaissais pas avant le que les éditions Flammarion en m'envoient ce roman, ce dont je les remercie. J'observe que dans cet ouvrage les personnages, Thomas Bayber, Stephen Jameson sont inhibés, torturés comme si l'art était une malédiction au lieu d'être un bienfait. Alice se complaît dans sa maladie qui fait d'elle une assistée et sa sœur une ombre protectrice un peu envahissante, tandis que Finch poursuit avec sa défunte épouse un dialogue surréaliste. Ce roman où les destins s'entremêlent, est compliqué à l'envi mais avec talent. C'est, en tout cas une belle étude de caractères.

    Le style est agréable à lire, les descriptions précises et évocatrices même si on rencontre des notations techniques sur la peinture un peu fastidieuses et des longueurs parfois déroutantes en apparences... Mais tout cela n’occulte pas le bon moment de lecture que fut ce roman.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • PARAPLUIES

    N°898– Avril 2015

    PARAPLUIES – Christine Eddie - Éditions Héloïse d'Ormesson.

    Matteo, le compagnon de Béatrice est parti en pleine nuit sans la moindre explication, Du coup, cette jeune québécoise de 40 ans se retrouve en charge de sa « belle-mère » Francesca, qui ne parle qu'italien et se branche en permanence sur la télévision et plus particulièrement sur « télé-achats ». Et en plus, il s'est mis à pleuvoir ! La pauvre Béatrice n'a pour se consoler qu'un travail de correctrice dans une société qui édite des catalogues et la recherche méthodique de son éventuelle remplaçante et ce d'autant qu'elle a trouvé sous le lit conjugal un indice sous la forme d'une petite culotte qui en lui appartient pas . Pour corser le tout, Francesca fait une chute et doit aller à l’hôpital.

    Au début cela m'a paru être une banale histoire d'adultère d'autant que Béatrice entreprend de trouver l'intruse parmi, pourquoi pas, les étudiantes dont Matteo à la charge à l'université. C'est pourtant le prétexte à une histoire où l'imagination de Béatrice le dispute à sa sensibilité et ce d'autant plus que le hasard des rencontres va venir compliquer un peu les choses. Des gens qui ne se parlaient pas ou qui ne se connaissaient pas vont se croiser et des amitiés vont naître, des liens vont se tisser puisque, finalement leurs vies se révéleront complémentaires. Chacun vient avec son vécu, ses espoirs, ses rêves parfois trop grands, sa tendresse, ses illusions, ses cicatrices et sa solitude au point qu'on oublie presque complètement ce Matteo absent dont l'ombre plane pourtant sur tout le roman. Cela donne une ambiance particulière, pas vraiment dérangeante et même plutôt favorable à quelque chose de nouveau et d'assez inattendu.

    Cela donne lieu à des portraits de femmes attachants, émouvants même et l'humour avec lequel le texte est écrit masque un peu son côté dramatique.

    Le roman est bien écrit, agréable à lire et le style alerte m'a bien plu. J'avoue que je ne connaissais pas cette auteur québécoise que je retrouverai volontiers dans un prochain roman.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com