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UNE NUIT A POMPEI - Alain JAUBERT
- Par ervian
- Le 20/08/2009
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N°364– Aout 2009
UNE NUIT A POMPEI - Alain JAUBERT – Gallimard.
Des la première page, le ton érotique est donné par la description d'une femme nue, même s'il s'agit d'une statue, celle d'Aphrodite callipyge, quand même! Qu'elle se trouve au musée de Naples fait ressurgir des souvenirs intimes au narrateur. D'ailleurs le titre et la ville antique de Pompéi où les mœurs étaient plus que libres ne laissaient que peu de doutes sur le thème du récit. L'exergue non plus d'ailleurs qui reproduit une inscription lue sur les murs de la ville « Nous habitons ici. Que les dieux nous rendent heureux ». La référence à la nuit et la présence tutélaire du Vésuve ont, elles aussi, une charge sensuelle particulière, la mort qui menace la vie comme le temps émousse le désir et les performances. Après tout, tant mieux me suis-je, cela pourra être un moment agréable dans notre époque qui se veut de plus en plus moralisatrice.
Naples sera donc ce fil d'Ariane et l'auteur évoque à la fois son dépucelage, en Italie à l'âge de 18 ans puis, plus tard, alors qu'il est adulte, exactement sexagénaire nous conte des jeux amoureux dans ces ruines romaines en compagnie de deux femmes, une star de cinéma anglaise à peu près du même âge que l'auteur et une archéologue italienne beaucoup plus jeune, spécialiste des graffitis érotiques de l'antiquité romaine. Une nuit d'été, chaude à tous les sens du terme, évidemment! Le narrateur n'est pas avare de descriptions évocatrices, celles de la plastique féminine autant que les mosaïques gardées dans des cabinets secrets de la cité pompéienne, cachées à la vue de nos sociétés pudibondes mais où les anciens ne dissimulaient rien de leur appétit pour la vie et pour les plaisirs de l'amour. L'auteur se complait en descriptions où il est question de la prostitution masculine et féminine, la pédérastie étant une composante de plaisir des Romains et il n'oublie pas non plus les illustrations locales mettant en scène des ménades, satyres et des phones ... avec force détails anatomiques. Le tout est parsemé de citations latines assez gaillarde puisées pour la plupart sur les murs de Pompéi. Tout est donc réuni pour construire cette ambiance d'art de vivre à la romaine, de jouir du moment présent, et pas seulement à cause du climat!
Pendant cette nuit unique, les personnages qui ne peuvent évidemment pas se livrer constamment à des jeux sexuels, se racontent des histoires, mais toujours sur le même thème, avec, à la fin une évocation du Marquis de Sade qui paraît un peu incontournable. L'archéologue donnent des précisions « culturelles »... Mais aussi les deux femmes présentes se livrent-elle à une sorte de concours anatomique ce qui ramène le lecteur à la description de la Vénus Callipyge du début.
Alors, est-ce une évocation du mariage de l'art, de la vie et de l'obscène, de la jeunesse évanouie, de la vieillesse et de ses regrets, un moment libertin ou un hymne à la beauté des femmes, opposition entre notre civilisation plus réservée, plus censurée, mais aussi plus obsédée par le sexe et celle des Romains plus volontiers débridée et libre? Un amour de la vie et une fascination de la mort? Une opposition entre Eros et Thanatos?Est-ce l'illusion prêtée par le roman par rapport à la réalité de l'auteur? L'imagination débordante de ce dernier ou ses propos hâbleurs? Le tout ensemble peut-être!
Du style, je dirai simplement qu'il est plaisant à lire, bien écrit ... mais j'ai eu un peu de mal à aller au bout, certains passages étant un peu longs et fastidieux, parce que trop « anecdotiques ».
©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA BIBLIOTHÈQUE - Jean LIBIS
- Par ervian
- Le 19/08/2009
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N°363– Aout 2009
LA BIBLIOTHÈQUE - Jean LIBIS – Éditions du Rocher.
Cela commence plutôt bien, cela parle d'une bibliothèque, un lieu que j'apprécie tout particulièrement, d'une période sabbatique obtenue par l'auteur pour procéder à quelques recherches devant accoucher d'un travail universitaires célébrant la beauté des femmes dans l'histoire de l'art, ce qui est un vaste et passionnant programme... Ce roman avait donc tout pour le séduire.
Pourtant, il s'ensuit une relation par le menu du quotidien de ce qui se passe dans et à l'extérieur de cette bibliothèque, le personnage de Mlle Simonetta, sorte de cerbère qu'on imagine bien dans ces lieux, faisant tout, sachant tout, supervisant tout, avec la certitude qu'elle est indispensable à la bonne marche de l'établissement et que sans elle on va droit vers le chaos, M. Paul manutentionnaire besogneux, sérieux, crépusculaire et poussiéreux, le ramassage d'escargots envahisseurs de pelouses, de description de poissons apathiques habitant un aquarium... Ses travaux amènent notre auteur à examiner divers documents dont le « dictionnaire de théologie » traitant, en 28 volumes indigestes et décourageants de la concupiscence, des interrogations théologiques, de la localisation géographique des limbes... Rien de bien séduisant et en tout cas bien loin du sujet. Et ce d'autant que cela se complique par la consultation des écrits anciens sur les préoccupations théologiques d'après-mort, les chants liturgiques, les angoisses judéo-chrétiennes que suscite le jugement dernier, avec en prime la vie un peu agitée d'un docte jésuite, son goût immodéré pour la casuistique, les mortifications purificatoires, les anathèmes définitifs, les tentations qu'on doit fuir, mais aussi les écrivains classiques et néanmoins latinisants, leurs syllogismes, leurs interrogations sur le sexe des anges et les tourmentes de la chair ...
Par le miracle de la mémoire, et de ce père jésuite, surgit l'évocation de l'enfance, de l'adolescence boutonneuse et gauche, de l'éveil à la vie et des premiers émois amoureux, l'apparition d'une jeune fille diaphane, Cécilia, et la fugace vision d'une partie de son corps, un sein, d'ordinaire jalousement caché. Nous avons tous bien connu ces fantasmes, ils s'incrustent dans notre inconscient et, bien qu'on s'en défende, ne nous lâchent pas de toute notre vie. Nous y voilà donc, et cette évocation nous rapproche du sujet d'autant que cet appas féminin va prendre une proportion inattendue et pour tout dire extravagante.
Une lettre parfumée à laquelle il n'a pas répondu prend, vingt plus tard une importance surréaliste, l'érotisme reprend sa place, l'imagination déborde... Une rencontre fortuite, l'homonymie d'un prénom et c'est tout un mécanisme qui se met en place, d'autant que le hasard s'en mêle par le truchement d'une traduction latine laborieuse.
Mais la vie cruelle et quotidienne reprend ses droits, parfois inflexibles et inattendus et vous ramène sur une terre que vous n'auriez jamais dû quitter, même si, heureusement « il y a dans une vie deux ou trois événements extraordinaires »
Et les recherches universitaires dans tout cela. Rien, je dirai heureusement, si on veut bien me le permettre, tant pis pour la thèse, tant mieux pour le lecteur!
J'ai bien aimé ce roman que j'ai lu d'un trait avec curiosité. Le style est fluide, évocateur, les phrases agréablement humoristiques et chantournées, pleines de citations bienvenues et pertinentes.
©
Hervé GAUTIER – Aout 2009.Hervé GAUTIER – Aout 2009.
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POUR NE PAS OUBLIER PAUL BAUDENON.
- Par ervian
- Le 18/08/2009
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N°362– Aout 2009
POUR NE PAS OUBLIER PAUL BAUDENON.
En feuilletant cette « feuille volante » déjà ancienne, je retrouve un article daté de Juin 1986, quand cette revue ne portait pas encore ce nom mais existait. Il était consacré à Paul Baudenon.
Je le reproduis ici en mémoire de lui notamment parce que j'ai pu voir qu'il est présenté parfois comme un écrivain primesautier et qu'il me semble que cela ne correspondait pas tout à fait au personnage.
Après sa mort, j'ai eu une correspondance avec sa veuve, Claire, qui même en l'absence de son cher mari, signait encore « Claire et Paul Baudenon », marquant ainsi son attachement au compagnon de toute sa vie. Ce détail m'a toujours ému.
A propos de « Vers l'estuaire » de Paul BAUDENON [n° 6 -Juin 1986]
Le n°134 des « Feuillet poétiques et Littéraires » de Marjan commençait ainsi « Dans la nuit du 6 au 7 février 1983 notre ami Paul Baudenon est mort »
Cet homme ne ferait donc plus partager sa sensibilité proposée depuis bien des années par ses recueils et ses poèmes inédits dont les « Feuillets » ont été le témoin.
De lui, j'appréciais l'humour et la manière originale d'appréhender les événements les plus anodins de la vie, la façon de les voir, de les traiter, d'en rendre compte. « L'annonce faite au mari » m'avait donné envie de recréer cette pièce... Grâce à ses poèmes, je goûtais le regard complice qu'il posait sur les femmes et l'amour qu'elles pouvaient lui inspirer... J'avais noté combien l'officier et le voyageur qu'il avait été, était attaché à sa terre « Tout bonheur d'homme est son champ » confie-t-il dans « Cantilènes et Fulmicoton », combien, malgré les apparences qui auraient pu être trompeuses il devait aimer se retirer en lui-même « Mon refuge est mon silence, ce clôt d'âme où nul ne paît » et combien le beau langage devait lui plaire, lui qui le maniait si bien « Au carrefour des collines les mots dansent à pieds nus, mais l'écho ne restitue que l'écorce des syllabes ».
Il devait bien y avoir quelque part un philosophe qui sommeillait en lui [« Les cinq bols » in Cantilènes et Fulmicoton] avec toujours sous sa plume la présence de la mort qui semblait l'obséder. Cette mort, il l'avait côtoyée en Indochine, mais il a su se souvenir de ses copains, mais aussi de ces inconnus pour qui il avait plus que de la sympathie et qui ont laissé leur vie dans cette terre de guerre et d'exil « Les oubliés n'ont pas de plaques, ni quais, ni boulevards, ni rues, ils sont tombés dans les attaques, ils ont fait foc, ils ont fait flaques, ils sont nuls et non avenues ». Il leur rend un hommage posthume dans un style où se lit une extrême sensibilité [« Les oubliés » in Cantilènes et Fulmicoton]. Il remet les choses à leur vraie place [« Les colombes » in Vers l'estuaire] où tous ces morts revivent dans sa mémoire là où dans celle des autres hommes, ils n'ont pas même laissé l'ombre d'un souvenir « La mémoire un temps s'acharne et sanglote puis le chagrin tourne au vague oremus. Le haut-fait passé devient anecdote, le bon, le méchant, l'humble et le despote ne sont bientôt plus qu'un regain d'azote dans un peu d'humus ».
Il y a aussi cette mort qu'ils évoque pour lui-même dans ce poème qui donne son titre à l'hommage que Claire Baudenon a voulu rendre à son mari, « Vers l'estuaire ».
Dans ce livre, j'ai retrouvé l'amour que ce pêcheur-poète portait à l'Isle, sa rivière, à qui il s'identifie et qui prend l'allure d'une personne, d'une confidente, d'une borne chaque fois ajoutée à ses voyages. Elle est son décor mais aussi l'invite à nous faire partager son humour de bon aloi, son jeu sur les mots, témoin d'une plaisante jovialité. Devant ce décor rustique, il se met à égrener ses souvenirs d'enfance, à nous prendre à témoin de son bon sens...
Parfois primesautier mais jamais licencieux, le style devient ironique, alerte, saute par-dessus les tabous en tout genre, entame les plus solides idées reçues et la belle humeur reste de règle. Témoin le préambule de « la vasque d'émail » où il donne la parole, en mots choisis, à un banal ustensile de toilette : Le bidet. Sans donner dans le facile, voire le facétieux, il conte l'histoire de cet instrument sans gloire dont le seul office est de nettoyer et de « noyer des copeaux d'amour », comme il le dit si bien!
Nous entrons de plain-pied dans l'imaginaire avec « Les Sirènes » où l'auteur recrée la légende de ces femmes-poissons, filles « du pollen gaspillé des hommes » et « des œufs de poissons femelles ».
La deuxième partie de ce livre me parle davantage, peut-être parce qu'elle est écrite dans une prose poétique évocatrice. Le style ductile atteste le sérieux de l'homme qui était aussi une scientifique. Il souhaitait sans doute marquer par le texte un jalon de sa vie dans ces « terres pures ».
Il ne fut certes pas le seul à voir ces paysages, à rencontrer ces hommes, mais il a su rendre pour le lecteur attentif les impressions qui furent les siennes lors de ses rencontres d'exception. Le créateur et l'humaniste se débattaient sous l'uniforme... Ces paysages grandioses et exotiques on exacerbé en lui non seulement l'envie d'écrire pour lui-même, mais aussi celle de donner à voir, et je ne peux pas ne pas songer à un autre poète, Victor Ségalen, qui définissait ainsi la poésie « Voir le monde et, l'ayant vu, dire sa vision ».
Marjan, dans les « Feuillet poétiques et littéraires » dont je parlais au début, caractérisait son ami Paul Baudenon : Amour, humour et humanisme. J'y ajouterai simplement une extrême sensibilité.
©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE VOYAGE DE M. RAMINET - Daniel Rocher
- Par ervian
- Le 18/08/2009
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N°361– Aout 2009
LE VOYAGE DE M. RAMINET – Daniel Rocher – Éditions du Serpent à plumes..
D'emblée, au simple nom de ce qui devait être le héros de ce roman, j'ai craint le pire [Félix Raminet – Rat, minet, Félix le chat]. A la lecture des premières pages, je n'ai pas été plus motivé. Jugez plutôt : M. Raminet donc, tout juste retraité, célibataire, soixante six ans, un homme rangé « petit, rond, chauve, lustré, excité »... La faculté de droit où il a enseigné toute sa vie n'incite pas beaucoup aux extravagances, d'ailleurs il vient juste d'obtenir son permis de conduire! Il s'achète une voiture et fonce vers St Malo, où il souhaite finir ses jours ...à 90 km à l'heure, évidemment, mais sur l'autoroute. On imagine l'attitude des autres conducteurs!
Non seulement notre Raminet vit en dehors du temps [ce qui est plutôt étonnant de la part d'un professeur de droit civil], mais encore il semble en permanence à côté de la plaque [même quand il rêve on s'attend à croiser Alice dans son Pays des Merveilles], naïf et même franchement dépassé avec ses manières d'un autre âge [parfois fréquentes chez les vieux enseignants], mais quand il rencontre une jeune, jolie et blonde étudiante américaine, Jane, auto-stoppeuse de surcroît, au franc-parler et au comportement libéré, qu'il emmène avec lui à St Malo et qui le surnomme Pussy [c'est facile – poussah eût peut-être été possible], on se met franchement à craindre pour lui. Quand elle lui révèle qu'elle parcourt le monde et prépare une thèse sur la timidité masculine, on se dit que cela ne pouvait pas mieux tomber et que la hasard fait décidément bien les choses.
Il fait d'improbables rencontres, parfois sordides, parfois hautes en couleurs mais n'échappe pas [heureusement pour lui] à ce que d'aucuns imagineront être son destin immédiat. Une réelle et authentique complicité s'installe entre la jeune fille et lui et les circonstances de ce livre rendent ces deux personnages attachants. S'ensuivent des situations aussi scabreuses qu' ambigües qui sont dans le droit fil de l'humour du début.
Je ne sais pas pourquoi, mais au-delà de l'aspect distrayant du récit et malgré des discussions qui sont émaillées de philosophie existentielle du genre « Qui sommes-nous, d'où venons-nous, où allons-nous? », parfois passionnantes mais souvent superficielles et oiseuses, je retiendrai plus volontiers le personnage solitaire qu'est M.Raminet. Il aime à parler philosophie avec Jane [« Ce que les occidentaux appellent « philosophie » c'est la mise en commun de leurs langages pour se poser les mêmes questions. Mais plus les interrogations sont nombreuses plus les réponses sont rares »]et on sent qu'elle aime être avec lui, même si les thèmes abordés sont vieux comme le monde, la vie, l'amour, la mort. Il insiste sur la solitude qui a bien souvent fait partie de sa vie, mais aussi sur sa personne qu'il juge médiocre et ridicule tant sa vie se résume à peu de choses, la solitude, la peur, le quotidien et cela me paraît lui donner une autre dimension...
J'ai bien aimé le style d'écriture, alerte et enjoué, souligné par des tournures de phrases précieusement brodées et inspirées par une sincère urbanité quand elles sortent de la bouche de M. Raminet. J'ai aussi apprécié le sens consommé de la formule pour le commentaire et les descriptions où la poésie n'est heureusement pas absente [« Il pleuvait, la ville économisait ses bruits. L'air était doux comme un buvard offert à l'invasion silencieuse de la nuit »]. Les situations sont parfois un peu forcées, prévues et même prévisibles, mais qu'importe. L'humour et même la cocasserie sont évidemment au rendez-vous, mais je n'omettrai pas de privilégier la scène finale. Le tout m'a procuré un bon moment de lecture.
Au moins là, M. Raminet est le type de personnage qui n'échappe pas à son auteur, encore que....
©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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ETHER - Franck RESPLANDY
- Par ervian
- Le 17/08/2009
- Dans Franck RESPLANDY
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N°360– Aout 2009
ETHER – Franck RESPLANDY - Plon.
Tout s'articule autour de deux personnages sans nom. Elle est infirmière dans un hôpital d'un ancien secteur minier du Nord, dans un service de soins palliatifs et vit seule dans une maison vouée à démolition. Elle est en instance de divorce, catholique, d'origine polonaise et fille unique d'un mineur emporté par la silicose. Lui est photographe, parisien, simplement de passage parce qu'il s'intéresse aux vestiges des puits de mine qu'il souhaite photographier. Par hasard, ils se rencontrent dans l'hôpital où elle travaille parce qu'il vient y faire soigner une blessure superficielle. Elle n'est pas insensible à son charme, il lui confie son projet et elle lui propose de lui montrer des vieilles photos qu'elle possède. C'est le départ de cette intrigue passionnante où toutes les convenances sont balayées.
Elle lui propose de la retrouver chez elle , il la viole et disparaît. Pourtant elle n'a pas résisté, ne s'est pas débattue, s'est en quelque sorte laissée faire passivement. A partir de ce moment tout le scénario se noue, elle cherche à le revoir, le retrouve et naît entre eux une sorte de complicité et, en ce qui la concerne, d'abandon complet qui lui fait aimer la jouissance qu'elle éprouve à l'acte d'amour qu'elle avait oublié depuis longtemps. Sa vie faite auparavant de pudicité, de réserve, d'abnégation, de dévouement, de quotidien sans surprise va être bouleversée par cet homme dont elle sait qu'il peut être dangereux mais à qui elle s'attache presque désespérément. Cette folle passion va faire ressurgir en elle des souvenirs douloureux de son enfance autant qu'elle va l'entrainer dans un maelström de soumission amoureuse. Cette relation qui a commencé dans la violence devient peu à peu tendre et elle ne refuse pas l'avenir avec lui, affiche leur relation au point de vouloir la rendre publique, se projette dans un avenir commun... Le lecteur devine aisément que s'il y trouve une passade, elle au contraire y redécouvre le plaisir charnel et l'antidote à sa solitude. Elle se prête à son jeu et les photos, de documentaires qu'elles devaient être au départ, se transforment en clichés érotiques d'elle-même, comme accompagnant son envie d'être autrement de changer soudain de vie et de peau, de tirer un trait définitif sur ce passé gris qu'elle veut oublier.
Elle finit par craindre que cette histoire passionnée ne se résume qu'aux relations sexuelles qu'elle aime, certes, mais qui ne sont que ponctuelles alors qu'elle souhaiterait voir cette tocade se muer en amour durable et réciproque.
Cela ne va pas sans dérapage, sans gamberge de sa part à elle et le moindre incident, la moindre absence, le moindre contre-temps donne au récit un tour un peu pathétique. Même si certaines situations peuvent être convenues et peut-être déjà lues, la fin est à la mesure de cette ambiance patiemment tissée.
C'est cependant un roman sombre et quand même inquiétant, surtout à la fin, dérangeant parfois et la folie n'est jamais très loin. Le décor des corons ajoute à cette impression d'ensemble. Le titre évoque l'hôpital, la douleur qui sont son quotidien avant la rencontre mais aussi en termes poétiques il évoque le ciel, la félicité, une sorte d'état euphorique et anesthésique prêté par un liquide pharmaceutique.
Dans un style fluide, fort agréable émaillés parfois d'images érotiques mais jamais déplacées, l'auteur accompagne son lecteur passionné au bout de son voyage,sans que l'ennui s'insinue dans sa démarche.
Les citations de chansons en italien, qui me rappellent beaucoup le style un peu nostalgique de Paolo Conte, ajoutent à cet atmosphère lentement distillée par l'auteur.
©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LACRIMOSA - Régis JAUFFRET
- Par ervian
- Le 15/08/2009
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N°359– Aout 2009
LACRIMOSA – Régis JAUFFRET - Gallimard.
Décidément, je joue de malchance avec mes lectures de l'été. J'ai fait ce que j'ai pu, mais je ne suis pas parvenu à entrer dans l'univers de ce roman, au vrai assez étrange qui emprunte son titre du « requiem ». C'est un échange épistolaire entre l'auteur et sa jeune amie, Charlotte, qui vient de se suicider et qui retrace des épisodes de leur vie commune. D'ailleurs par un subterfuge, elle lui répond par delà sa propre mort en l'insultant, le traitant d'écrivassier, de charognard et d'escroc! A priori l'idée n'était pas mauvaise et un dialogue surréaliste entre un vivant et une morte, qui, chacun à leur manière se disent des choses qu'ils n'ont jamais oser se reprocher de leur vivant, pourquoi pas?
Nous sommes dans un roman, les personnages sont donc fictifs, c'est sans doute pourquoi l'auteur affuble la jeune femme d'une parentèle improbable. Je veux bien qu'on parle légèrement du suicide qui est un sujet grave surtout quand il touche les jeunes, mais je ne vois pas très bien l'intérêt d'introduire dans le récit le personnage assez burlesque du philosophe nommé Gaston Kiwi autant que l'énigmatique du docteur Hippocampe Dupré dont la particularité est de vivre avec un panda géant, Mazda. Il va donner à Charlotte une sorte de seconde chance de remonter le temps et ainsi d'échapper à la mort.[?]
Écrire quelque chose sur quelqu'un qui vient de mourir est une manière salutaire de le faire revivre et favorise probablement le deuil. Pourtant, dans la même volonté de fiction un peu délirante, l'auteur donne la parole à la morte qui se rebiffe quand il parle d'elle, quand il évoque une liaison qu'elle aurait eu lors de vacances à Djerba... Elle lui déclare qu'elle l'a aimé, mais je ne suis pas bien sûr de l'authenticité de sa déclaration, mais n'oublie pas de l'insulter copieusement. Là l'imagination de l'auteur se déchaîne...
J'ai toujours été passionné par les personnages de roman, qui sont fictifs par essence et par la vie qu'il peuvent avoir dans le cours du roman et disons-le de la liberté qu'ils prennent eux-mêmes par rapport à l'auteur. Ici il semble n'en être rien et le narrateur manipule complètement Charlotte qui semble consentir à se processus et même l'admettre « Quand on meurt on devient imaginaire ». Ne deviendrait-elle un personnage fictif qu'une fois morte? Cela, qui aurait pu être une piste intéressante dans le domaine de la création me semble tourner au dialogue de sourd! J'ai pensé que cela pouvait être une exploration intime de l'éternité, surtout qu'il est fait mention d'internet et de l'informatique qui, surtout pour moi, comportent autant de mystères que l'au-delà. Mais bon...
Le style, haché parfois, n'a pas non plus retenu mon intérêt [Je ne m'explique pas ce que l'alternance du vouvoiement et du tutoiement ajoute dans l'échange épistolaire] au point que je me demande, le livre refermé, si mon goût en la matière est encore sûr, si c'est moi qui ait manqué un épisode ou si les choses ont changé sans que je m'en aperçoive, sans que j'en ai été informé. Je ne goûte ni les traits d'humour ni la relation par force détails inutiles de l'évocation rétroactive de leurs vies au quotidien ni même la trivialité qui émaille les dialogues. Il me semble pourtant que l'originalité en littérature ne réside pas dans l'à peu près, le banal, voire le ridicule. L'ensemble m'a paru fade et même assez glauque. Il y a bien des aphorismes que l'auteur tente de faire admettre, mais cela tombe à plat. Tout cela fait que j'ai bien regretté ce moment passé même si je le redis comme à chaque fois, j'ai pu passer à coté de ce livre.
« Étonne-moi, Jean » disait Serge Diaghilev à Jean Cocteau. On peut effectivement admettre que l'étonnement soit le motif de l'intérêt pour une œuvre de création. Ici, je n'ai pas été été étonné favorablement et je ne suis pas prêt à m'enthousiasmer pour un tel roman. Est-ce une tendance actuelle dans la littérature française que d'écrire mal et l'originalité réside-t-elle dans l'a peu près des mots et des phrases autant que dans le désintérêt que l'auteur instille dans son texte?
Franchement, la lecture laborieuse de ce roman ne m'incite pas à lire une autre œuvre de Régis Jauffret.
© Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA POSSIBILITÉ D'UNE ILE - Michel HOUELLEBECQ
- Par ervian
- Le 12/08/2009
- Dans Michel HOUELLEBECQ
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N°358– Aout 2009
LA POSSIBILITÉ D'UNE ILE – Michel HOUELLEBECQ - Fayard.
Michel Houellebecq fait partie des écrivains que je lis parce qu'on en parle et que je ne veux pas délibérément ignorer ce qu'il fait, mais, franchement, dans ses livres, je ne retrouve pas ce qui doit être à mes yeux la justification de chaque lecture : le plaisir.
Pourtant, je suis plutôt favorable à ceux qui, d'une manière ou d'une autre cherchent à faire évoluer les choses, au cas particulier la littérature, dans un sens moins conventionnel. Mais là, je ne comprends pas et ce d'autant plus que j'entends dire qu'il s'agit d'un écrivain incontournable. Alors pourquoi? Cela réside-t-il dans le thème de ce livre à succès? J'ai donc tenté de comprendre. Il s'agirait d'un récit dont l'action se passe à la fois maintenant et dans le futur que l'auteur déroule à travers la vie de Daniel, héros antipathique, misogyne mais obsédé par le sexe. Pour souligner la course du temps, l'auteur annote ses chapitres de Daniel 1 à Daniel 25...les derniers étant le résultat de clonage de l'original par la secte des Elohimites dont le but apparent est d'échapper au temps , à ses dérives consuméristes.[Daniel 25 commentant largement la vie de Daniel 1] et de promettre la vie éternelle à ses adeptes.
Je me suis vite lassé de son style pas vraiment à mon goût, de l'histoire aussi, un peu longue et décousue, pleine de citations volontairement provocantes où l'auteur se veut avant tout avant tout le contestataire de la société contemporaine. Même si la critique peut parfois être constructive et pourquoi pas intéressante, je comprends mal qu'on en fasse ainsi le sujet d'un roman... Enfin pas écrit de cette façon. Je l'ai ressenti comme si, dans cet ouvrage, il souhaitait traiter des thèmes personnels et effectivement actuels et laisser le soin à ses lecteurs d'en débattre, en n'oubliant pas de parsemer ses paragraphes d'une coloration sexuelle et parfois même pornographique. Cela ne me gêne pas à priori, même si je choisis d'y lire une sorte d'impossibilité ainsi exorcisée, mais à la fin, cela devient un peu obsessionnel! Aborder pèle-mêle Dieu, le racisme, le clonage, les relations sociales basées sur l'argent et la réussite, les liaison difficiles qu'il a avec les femmes[son amour pour elles est à la fois passionné et irréalisable à cause sans doute de l'érosion du désir], le phénomène sectaire... sont certes des thèmes qui reflètent l'image de notre société pas si brillante que cela, et les traiter à sa manière, c'est à dire avec un mélange de cynisme et de provocation ne me gêne pas, au contraire. Le fait que l'opinion publique ait si vite réagi est sans doute un signe. Se sentir mal dans cette société au point d'en éprouver de la mélancolie et même « une apathie languide et finalement mortelle » de désirer un ailleurs baudelairien incarné par les sectes, «Il existe au milieu du temps la possibilité d'une île », au point d'en arriver au suicide me parait pourtant actuel et ,pourquoi pas défendable, même si tout cela n'est pas vraiment original.
J'admets que tout cela est argumenté, avec de nombreuses références pertinentes et j'espère que la critique de l'Islam, déjà abordée dans « Plateforme » et ses propos qui lui ont valu un procès ne finiront pas par provoquer une fatwa? Cela ne lui déplairait sans doute pas puisqu'on parlerait de lui. Il me semble que ce qu'il cherche est avant tout à être un phénomène médiatique avant d'être un auteur ... et d'espérer qu'il finira par le devenir malgré tout. C'est peut-être l'unique but recherché et si c'est le cas, cela me paraît un peu dommage. La littérature me paraît mériter autre chose.
J'admets être peut-être passé à côté de quelque chose, à cause du style sans doute qui me paraît terne, pauvre et sans véritable intérêt, incapable en tout cas d'accrocher ma curiosité, [Après tout je revendique toujours ma qualité de simple lecteur] mais j'ai quand même du mal à m'enthousiasmer pour l'œuvre de Houllebecq. Il est vrai que je ne fais pas partie de ses inconditionnels et que, à la suite de cette lecture, on ne comptera assurément pas dans leurs rangs.
©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA FIANCEE JUIVE - Jean ROUAUD
- Par ervian
- Le 07/08/2009
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N°357– Aout 2009
LA FIANCEE JUIVE – Jean ROUAUD - Gallimard.
J'ouvre toujours un recueil de nouvelles avec intérêt et même parfois avec une certaine appréhension. Je pense toujours que, sauf à ce qu'un thème commun existe entre les textes qui le composent, il est parfois difficile à l'auteur de colliger des récits qui n'ont souvent les uns avec les autres que la parenté qu'il veut bien lui donner. Chez Rouaud, c'est un peu différent. Il nous avait jusqu'à présent habitués à des romans où il avait choisi d'évoquer ses souvenirs personnels à travers l'histoire de sa famille. Il poursuit donc cette quête de mémoire, évoquant la mort de son père « s'affalant brutalement dans la salle de bains sous on ne sait quelle corruption de l'organisme, sans crier gare, à quarante et un an, le lendemain de Noël», le courage de sa mère devenue veuve. Il le fait, cette fois un peu différemment, comme une longue lettre que l'auteur adresse à sa fiancée juive, et qui se termine par une série de poèmes chantés. Il lui avoue, presque sur le ton de la confidence, des souvenirs de jeunesse comme on se raconte à une femme à qui on va confier sa vie, pour la vie. On ne voit qu'elle, elle est unique et occupe l'espace « Ailleurs, c'est comme un grand désert si n'y est pas ma belle Nadja ». Ce blues amoureux qui a quelque chose de triste et de joyeux à la fois est « compacté » dans un CD qui accompagne le recueil.
A travers neuf « chapitres » d'inspiration autobiographique, c'est aussi une atmosphère [eh oui!] d'un temps pas si lointain pourtant tissée à force de mots tressés comme si, à l'échoppe rudimentaire et bretonne des sœurs Calvaire répondait « la crèche à journaux » qui fut aussi le gagne-pain de l'auteur, dans le XIX° arrondissement parisien. C'est que, avant d'obtenir ce prix littéraire prestigieux, opportun et, pour une fois, bien conforme à l'esprit de ses fondateurs, il a dû attendre, espérer, faire autre chose, désespérer aussi en rédigeant des articles sans intérêt pour un journal régional, mais continuer à écrire dans l'ombre sans se décourager, parce que, nous le savons aussi, l'écriture est avant tout un plaisir solitaire, en attendant son heure qui, heureusement, à fini par venir. Il n'en finit pas de puiser dans cette histoire familiale dont il et maintenant à la fois l'échotier et le chantre, le sauveur de mémoire, se positionnant, lui, le vivant, et de livre en livre, parmi tous ces morts. Cela mérite bien une remarque personnelle en forme de critique qui rappelle à tous les candidats au succès une dure réalité « Le monde de l'édition... ne publie pas de nouvelles... à moins d'avoir déjà un nom... ». Et, nous l'oublions pas que « l'écriture est une pensée qui pleure », et il y a bien de quoi pleurer aussi quand des professionnels passent à côté de tant de talents!
Mais revenons à l'écriture qui, nous la savons aussi prend sa source dans l'enfance et les terres qui l'ont portée « En fait de lieu, il n'y en a qu'un, c'est celui de l'enfance » et lui de dérouler l'écheveau de ses souvenirs personnels que non seulement le temps [non, on n'y échappe pas!] n'a pas effacé, mais au contraire a embelli et enrichi. Pour lui, ce lieu n'a pourtant rien d'extraordinaire« Vous parlez d'un trésor ...Campbon, Loire inférieure, ...un bourg à peu près à mi-chemin entre Nantes et St Nazaire... », ses études chez les frères non plus où la liberté restait à la porte de l'établissement, à part peut-être ce maitre d'école en soutane qui a éveillé sa curiosité, ses étés de vacances où on s'ennuyait ferme...
Entre simplicité des mots et complexité de la vie, il égrène ses souvenirs qui sont l'occasion d'en faire ressurgir d'autres, les nôtres, pas si éloignés des siens cependant.
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Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
Hervé GAUTIER – Aout 2009.
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LES MAINS NUES - Simoneta GREGGIO.
- Par ervian
- Le 05/08/2009
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N°356– Aout 2009
LES MAINS NUES – Simoneta GREGGIO– Stock.
J'aime bien les artistes italiens, les différents articles de cette revue en attestent. J'ai donc lu ce roman, dont je ne connais pas l'auteure et dont j'apprends qu'il est écrit directement en français, avec une curiosité favorable, d'autant que le style narratif se teinte parfois d'une agréable poésie.
L'histoire, puisqu'il faut bien commencer ainsi, est celle d'un retour brutal d'un passé qu'Emma aurait sans doute souhaité révolu « Je me vois à travers les années, une série de poupées russes, la plus petite, toute neuve, loin dans le temps, la dernière encore debout dans son vernis écaillé ». Emma, donc, 43 ans, célibataire, vétérinaire de campagne, à la vie rude, solitaire mais sexuellement libérée et ne vivant que pour son travail, reçoit un soir la visite de Giovanni, bientôt 15 ans, en rupture avec sa famille et dont elle a jadis connu les parents, Raphaël et Micol, partageant avec eux quelques années d'une jeunesse qu'elle aimerait mieux oublier.
Avec cet adolescent, c'est donc son passé qui lui revient en pleine figure et, calée dans son quotidien solitaire et laborieux, Emma souhaiterait que Giovanni parte au plus vite, mais il n'en fait rien et s'installe entre eux une relation ambiguë qui se transforme rapidement en liaison amoureuse. A cause de l'âge des deux amants, cela devient tabou, Giovanni n'est plus un enfant mais pas encore adulte, il y a donc détournement de mineur et la chose, bien sûr se termine devant les tribunaux. Le juge cherchera à comprendre et pour cela fouillera dans le fameux passé qu'on aurait souhaité définitivement enfoui.
C'est que, avant le mariage de Raphaël, Emma et lui ont été amants, qu'il avait voulu renouer leurs relations intimes longtemps après son mariage mais qu'elle avait refusé puis sans doute accepté et cette visite de Gioavanni c'est un peu, sans qu'il le sache, comme souffler sur de vieilles braises mal éteintes, raviver des souvenirs qu'on voudrait à jamais effacés.
Et puis, la liaison révélée, il y a ce déferlement médiatique, les journalistes charognards qui se croient tout permis au nom de l'information mais qui sont surtout avides de scoop et pour cela n'hésitent pas à dire et à écrire n'importe quoi, à bousculer quiconque pourra s'opposer à ce qu'ils fassent « leur métier ». D'autant qu'à la campagne, une femme vivant seule, sans enfant et sans homme à ses côtés, cela inquiète[« Non, les braves gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » chante Brassens] ! Il a y aussi cette vindicte populaire allumée par la presse pour faire vendre du papier, et qui se croit obligée de se nourrir du scandale et de recouvrir d'opprobre au nom d'une morale désuète ce qui n'est après tout qu'une aventure amoureuse dont ceux qui la dénoncent rêveraient peut-être pour eux-mêmes sans oser se l'avouer. C'est ici un tabou qui a été bousculé, une vengeance ainsi vidée qu'Emma assume, un témoignage émouvant sur la solitude et sur la déconvenue amoureuse d'une jeune femme qui voit son amour de jeunesse lui échapper. Raphaël ne s'est-il pas vu forcer la main par la fausse promesse de Micol d'un enfant à naître, ce Giovanni justement qui, après toutes ces années revient auprès d'Emma, comme pour lui donner enfin l'amour qu'elle n'avait pas eu avec Raphaël? C'est l'expression d'une vengeance entre deux femmes amoureuses du même homme, comme si une justice immanente existait, différente bien sûr de la justice des hommes qui passe et peut-être apaise?
Mais, heureusement, à la fin, les choses reprennent leur vraie place, l'espace s'emplit de gestes quotidiens à l'image de cette nature si joliment évoquée.
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Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
Hervé GAUTIER – Aout 2009.
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LA FEMME PROMISE - Jean ROUAUD
- Par ervian
- Le 04/08/2009
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N°355 – Août 2009.
LA FEMME PROMISE - Jean ROUAUD – Éditions Gallimard (2009)
Jean Rouaud n'est pas un inconnu pour cette revue [voir La Feuille Volante n° 55, 215, 217, 219] puisque son œuvre y a déjà fait l'objet de commentaires et de présentations. Sans ce prix Goncourt, pour une fois bienvenu, il eût continué à végéter dans un anonymat kioskier en se désolant que son talent ne soit pas reconnu.
Je l'ai donc rencontré à nouveau, toujours un peu par hasard, par le truchement d'un rayonnage de bibliothèque, dans la catégorie nouveautés. J'avais, à l'époque de mes premiers articles, souligné une phrase un peu longue, parfois difficile à suivre. Je l'ai retrouvé ici, avec en plus des dialogues un peu abruptes qui m'ont un peu rebuté au début, mais s'y sont ajouté, avec bonheur, l'humour, l'art des descriptions où la précision le dispute à la poésie, et même une certaine gouaille...
C'est vrai qu'ils sont attachants ces personnages. Lui, Daniel, chercheur en physique nucléaire qui se retrouve vêtu seulement de sa combinaison d'homme-grenouille parce qu'un indélicat lui a dérobé sa voiture où il avait toutes ces affaires alors qu'il plongeait. Elle, Mariana, artiste de retour des États-Unis, a connu la même mésaventure, avec accessoirement la destruction de ses créations, mais dans sa maison de famille, dans ce bourg de Basse-Normandie. Pour cause de déclaration administrative, ces deux personnes se retrouvent à la gendarmerie locale. Ce pourrait être le départ d'une idylle, d'autant que le titre du roman le suggère fortement et que cette Mme Moineau fait ce qu'elle peut pour cela. Pourtant tout cela est un peu laborieux, à tout le moins au début, et cette rencontre fortuite est plutôt le prétexte à un retour dans le passé, chacun à sa manière. Pour lui une enfance orpheline peuplée d'un grand-père réparateur de cycles, bougon et sourd et d'une grand-mère comateuse à qui pourtant il raconte ses journées, pour elle, un histoire familiale encombrée de l'antisémitisme et de la collaboration de son grand-père pendant la guerre, de l'effacement de sa grand-mère, et un père qui fuit le monde dans la contemplation des grottes préhistoriques. Lui, plaqué par sa femme qui ne lui a laissé que ce qu'il porte sur lui, elle, victime d'un cambriolage ont en commun une sorte de dépouillement. Pourtant, cette rencontre qui aurait pu être le prétexte d'une histoire à l'eau de rose comme on en a tant lu, a quelque chose de miraculeux, comme si un tableau volé puis retrouvé, et qui maintenant était mis à sa vraie place, signifiait que leur deux vies antérieures allaient définitivement prendre fin, que la nouvelle pouvait avoir son vrai sens, comme si ce dénuement temporaire qui les avait rapproché était porteur de sens et d'avenir! C'est que cette toile interrompue qui représente sa grand-mère va parler, au sens vrai du terme, pour ajouter une touche féérique au récit. C'est un peu comme si son inachèvement qui répondait aux esquisses des grottes dans lesquelles le fils de cette femme cherchait à fuir le monde, allait à la fois délivrer Mariana de son passé, lui offrir une nouvelle généalogie et éclairer son avenir. Il en résultera une œuvre d'art finale, compréhensible seulement par les initiés, la marque d'un fardeau abandonné, celle aussi d'une liberté et d'un amour retrouvés.
Dans la galerie des personnages, je n'aurai garde d'oublier l'auteur, qui lui aussi fait force digressions sur lui-même, sur l'art [« Tout art est régressif »],sur sa manière de voir les choses, commente parfois longuement les rebondissements et les atermoiements, se révèle même facétieux, sans doute pour emporter la conviction de son lecteur, mais surtout remplit les blancs de ce récit [dont il est aussi l'auteur] quand celui-ci lui en laisse le loisir, un peu comme si nous avions affaire à une création au second degré.[ « L'auteur a son interprétation, qui en profite évidemment pour combler les manques du récit , comme un restaurateur de fresque endommagée »]. Il fera même plus que cela et, par le miracle conjugué de l'imagination et de la création littéraire, donnera un petit coup de pouce au destin pour que cette rencontre se transforme en autre chose qu'une brève rencontre parce que le premier regard est déterminant « C'est très mystérieux ce qui se joue au premier regard, cette apparition soudaine de l'autre qui n'existait pas quelques secondes avant, et qui s'impose aussitôt comme une évidence massive, comme s'il venait se nicher exactement dans les formes de l'attente » et qu'il ne convient pas que cette histoire se termine mal. C'est là le fait du hasard, la fantaisie de l'auteur, la vie intime et la liberté des personnages...? Allez savoir!
J'ajouterai que, dans la galerie de portraits qui caractérise les romans de Jean Rouaud, il y a toujours des personnages qui passeraient presque inaperçus mais que l'auteur s'ingénie à représenter avec force détails comme ces peintres qui, dans un coin de leur toile figurent des détails picturaux avec autant de soins que le thème principal et entendent qu'on y porte la même d'attention. C'est moins le cas des Moineau qui sont davantage le prétexte d'un retour dans le passé sur fond d'histoire, à partir d'anecdotes ou de coupures de presse, que le personnage du clochard ou de Jack Kérouac, ou de la grand-mère du portait inachevé, mais pourtant si précisément décrit.
Il y a certes l'amour prévisible entre Daniel et Mariana, mais ce que je retiens aussi ce sont les rapports entre elle et ce père qui a choisi de s'enterrer vivant pour étudier les fresques des grottes paléolithiques, comme s'il avait voulu effacer de sa mémoire la trace de son père à lui, collaborateur et profiteur, rompre avec l'opprobre de ses origines. Il y a entre eux plus qu'une complicité, une souffrance partagée que l'auteur, encore lui, choisit, à la fin, d'effacer.
Alors, réflexion à la fois mélancolique et ironique sur le poids de l'histoire sur chacune de nos vies autant que sur la création artistique[« Une œuvre d'art c'est comme un lien informatique, cliquez et entrez dans une autre dimension qui est constitutive de la précédente »], survenue de l'amour dans une vie qui ne l'espérait même plus. Peut-être?
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PLATEFORME - Michel HOUELLEBECQ
- Par ervian
- Le 31/07/2009
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N°354 – Août 2009.
PLATEFORME - Michel HOUELLEBECQ – Éditions Flammarion.
Il y a des auteurs que je lis pour le plaisir et d'autres que j'aborde parce que leur notoriété les a précédé et qu'il convient de savoir qui ils sont... J'ai donc lu Plateforme!
L'histoire commençait bien, si je puis dire « Mon père est mort il y a un an. Je ne crois pas cette théorie selon laquelle on devient réellement adulte à la mort de ses parents. On ne devient jamais réellement adulte ». Je ne sais pas pourquoi, mais ces premières phrases laissaient présager des relations difficiles entre générations ou des développements personnels sur la vie. C'est classique mais souvent intéressant parce que l'écrivain y apporte sa vision du monde, son vécu... D'ailleurs il précise aussitôt « Il avait profité de la vie, le vieux salaud, il s'était démerdé comme un chef... ». On apprend ensuite que le père a été assassiné, qu'une enquête est en cours, que l'auteur est fonctionnaire, célibataire, la quarantaine et part pour la Thaïlande, sans doute pour se changer les idées... mais on s'aperçoit très vite qu'il est sensible à la beauté des femmes, ce qui n'est pas blâmable, loin de là! Au fil des pages, et même rapidement, le lecteur se rend compte que toute sa vie se résume au sexe et et que cela devient même mono-thématique à tendance obsessionnelle, avec des détails érotiques qui ne ressortent pas exactement de la description littéraire. On comprend bien, dès lors, que cette destination n'a pas été choisie par hasard et qu'on va avoir droit aux incontournables. D'ailleurs cela ne tarde pas « Moi aussi on m'a massé le dos, mais la fille a terminé par les couilles » intervins-je sans conviction ».
Il y a aussi, dans le groupe de touristes, ces improbables dialogues entre membres d'un séjour, ses inévitables fantasmes, ces rencontres parfois sans lendemain...On y fait la connaissance d'individus médiocres qui cherchent avant tout à se mettre en valeur, mais aussi des partenaires d'un été. Classique là aussi! Il finit par croiser Valérie, une femme sensuelle avec qui il décide de vivre à son retour à Paris et à qui il suggère de redynamiser une chaine d'hôtels-club qui périclite. « Propose un club où les gens puissent baiser...il doit forcément se passer quelque chose pour que les occidentaux n'arrivent plus à coucher ensemble ». C'est vrai après tout et on peut parfaitement accorder foi à cette phrase « S'il n'y avait pas de temps en temps un peu de sexe, en quoi consisterait la vie » et puis « Les gens ont besoin de sexe c'est tout, seulement ils n'osent pas l'avouer »... Cela fonctionne, au début, parce que la demande est forte et Valérie et lui envisagent de tout quitter pour s'installer en Thaïlande pour officialiser une entreprise de tourisme sexuel... Et puis tout bascule à cause d'un attentat islamique où sa compagne trouve la mort. Celle qui était « une exception radieuse » ne sera plus désormais qu'un remords de plus dans sa vie qui, on le sent bien, va chavirer...
L'auteur qui, à l'occasion, prononce des aphorismes qui peuvent faire débat, dénonce le tourisme sexuel avec provocation, la déliquescence du monde occidental, mais aussi donne son avis sur l'islam, pose un regard critique sur les Allemands [« Plus que tout autre peuple, ils connaissent le désir de leur propre anéantissement... Leur compagnie pourtant est apaisante et triste »]...
J'ai donc lu ce livre, pas vraiment bien écrit à mon goût, jusqu'au bout, davantage comme un roman érotique, c'est à dire sans passion, sans réel intérêt, pour pouvoir me dire que j'avais déjà lu quelque chose de Houllebecq et ne pas être tenté de porter sur lui un jugement à priori qui ne me serait dicté que par des critiques extérieures. Pourtant, je dois bien avouer que mon attention n'a été attirée que dans les dernières pages, quand l'auteur jette un regard désabusé sur cette vie qui n'a plus d'intérêt pour lui parce que la femme qui la justifiait n'est plus là et qu'il est condamné définitivement à vivre sans elle « Vieillir, ce n'est déjà pas très drôle, mais vieillir seul, c'est pire ». Avec elle et grâce à elle, sa petite vie parisienne et quotidienne avait soudain pris des couleurs, à cause du sexe, sans doute, mais pas seulement [Elle (Valérie) faisait partie de ces êtres qui sont capables de dédier leur vie au bonheur de quelqu'un, d'en faire très directement leur but. Ce phénomène reste un mystère... Si je n'ai rien compris à l'amour, à quoi me sert d'avoir compris le reste? »].
Alors, peut-être pour entretenir le souvenir, revenir à une vie plus conventionnelle il revient en Thaïlande, mais seul, sans illusion, pour exorciser sa douleur [ « Il est probable que je ne comprendrai jamais réellement l'Asie, et ça n'a d'ailleurs pas beaucoup d'importance. On peut habiter le monde sans le comprendre, il suffit de pouvoir en obtenir de la nourriture, des caresses et de l'amour ».
Il prend conscience de lui-même [« J'aurai été un individu médiocre, sous tous ses aspects »]. Dès lors la mort peut venir et l'attend sans vraiment la craindre parce qu'elle est l'issue normale de ce passage sur terre qui maintenant n'a plus d'intérêt pour lui [« On ne vient pas à Pattaya pour refaire sa vie mais pour la terminer dans des conditions acceptables » et l'écriture est peut-être un exorcisme... ou peut-être pas!
Un roman qui ne prend sa réelle épaisseur qu'à la fin et qui me laisse une impression mitigée, une sorte de malaise.
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Hervé GAUTIER – Août 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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La méthode Werber
- Par ervian
- Le 28/07/2009
- Dans Bernard Werber
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N°353– Juillet 2009.
La méthode Werber – Article de Jacques Drillon – Le Nouvel Observateur n°2331 du 9 au 15/7/2009 p 89.
Dans la série « Nous vivons une époque formidable », mon attention a été attirée par l'article de Jacques Drillon. Bernard Werber qui n'est pas un inconnu pour cette revue [La Feuille Volante n° 317 – Octobre 2008] avait convié 400 de ses lecteurs à L'institut Océanographique de Paris pour un « atelier d'écriture ».
Personnellement, j'ai toujours pensé [en le vérifiant] qu'une telle activité [l'atelier d'écriture] ressemblait beaucoup à une arnaque et qu'il fallait se garder de tomber dans le panneau. Cela avait pour effet, sinon pour but, d'apprendre aux « stagiaires » ce qu'ils savaient déjà faire, tout en les ponctionnant largement au passage... avec leur consentement et leur satisfaction et surtout en leur donnant l'impression qu'ils sont meilleurs « écrivants », sinon écrivains, qu'avant leur passage dans cet atelier!
C'est peut-être un signe des temps, la preuve que la crise n'est pas pour tout le monde, mais, n'ayant pas été invité et surtout ayant des moyens limités [25 euros quand même pour participer à la séance!], je n'y ai pas assisté et je me suis donc contenté des propos du journaliste.
Si j'en juge d'après le texte du Nouvel Observateur, cette intervention du maître s'est transformée en une opération de promotion personnelle pour un écrivain à succès qui n'en n'a pas vraiment besoin, l'occasion de pratiquer l'autosatisfaction, sorte d'explication de texte de l'auteur lui-même sur ses propres ouvrages, un sondage « in situ » sur l'œuvre... Après tout c'est de bonne guerre, même si les questions posées par Werber, si elles l'ont effectivement été telles qu'elles sont relatées, ne font pas vraiment preuve d'un sens accompli de l'expression française!
Vient en suite l'objet de la rencontre. Au moins l'auteur met en garde son auditoire et indique que si l'écriture est un plaisir, ce n'est pas une chose facile parce que le travail fait aussi partie du processus[Pourtant, je me m'explique pas sa remarque précisant « l'écriture est un métier de feignant »!], que, même si on est convaincu de son propre talent , le succès ne sera pas forcément au rendez-vous. Il rappelle avec raison que si l'écriture peut être jubilatoire, le livre est souvent un univers douloureux, même si la folie, et même l'audace, font un peu partie du décor et que l'observation du quotidien est finalement une bonne école, que l'inspiration réserve parfois de bonnes surprises à l'auteur lui-même parce que l'imagination reste la plus forte face à la feuille blanche.
Ce sont là beaucoup de banalités, distillées pour un prix manifestement exorbitant, alors que la meilleurs façon d'écrire, c'est certes de s'entrainer à le faire, mais surtout de lire les bons auteurs!
En revanche, je ne m'explique pas que l'auteur des « Fourmis » puisse affirmer que « tout roman peut se résumer à une blague » et je ne suis pas bien sûr que les participants aient été capables, avec de tels conseils, d'écrire ensuite leur propre best-seller!
Je suis pour autant d'accord avec Jacques Drillon, une telle intervention à quelque chose d'édifiant!
© Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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L'ULTIME SECRET - Bernard WERBER
- Par ervian
- Le 28/07/2009
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N°317 – Octobre 2008
L'ULTIME SECRET - Bernard WERBER [Editions Albin Michel].
J'avoue que je ne connaissais pas Bernard Werber avant la lecture de ce roman.
Samuel Fincher, neuropsychiatre, spécialiste du cerveau, vient de battre aux échecs « Deep Blue IV », un puissant ordinateur. De ce fait, il est sacré champion du monde. Le soir même, il est retrouvé mort dans sa villa d'Antibes et sa fiancée, Natacha Andersen, un top modèle danois d'une grande beauté, s'accuse de l'avoir tué... en faisant l'amour avec lui. C'est la danse macabre d'Eros et de Thanatos. Quand même, mourir entre les cuisses d'une jolie femme, peut-on espérer plus beau trépas, d'autant que l'enquête établit formellement que c'est un orgasme hors du commun qui a tué Fincher. Peut-on donc réellement mourir de plaisir?
Deux journalistes Lucrece Nemrod et Isidore Katzenberg se lancent dans ce qu'ils considèrent comme une affaire criminelle, un véritable assassinat, même si cela a toutes les apparences d'un accident, quand même pas si banal que cela! Leurs investigations les conduit dans une clinique ou un homme, Jean Louis Martin, victime d'un grave accident, choisit de continuer à vivre malgré un handicap définitif. Dans cet asile hors du quotidien où travaillait Samuel Fincher, ceux qu'on appelle « les fous » sont utilisés pour leurs talents particuliers. Martin entre volontairement dans cette dialectique et se fait en quelque sorte le complice de son médecin.
D'autre part, la personnalité de Fincher, épicurien convaincu et militant, et surtout son métier orientent ces enquêteurs vers le rôle que joue le cerveau humain dans la vie de chaque homme. Cela se vérifie dans la mémoire, certes, mais aussi dans les différentes formes de motivation qui inspirent chacun de nos actes. Cette problématique ainsi posée devient un axe de recherche intéressant, quoique un peu redondant.
Bien entendu ces deux histoires se croisent et s'entremêlent sur fond d'exploration du cerveau humain et de référence à la mythologie grecque et cela débouche, après de longues tergiversations littéraires et surtout policières, sur ce fameux secret qui pourrait révolutionner l'humanité. Ce roman nous fait toucher du doigt ce que nous savons déjà : que le cerveau recèle encore une foule de mystères.
Si j'ai accroché à l'histoire pleine de rebondissements et, il faut bien l'avouer, un peu abracadabrante au point d'en être parfois déroutante voire lassante, je dirai volontiers que le style est commun et sans grande recherche, ce qui, à mon avis, dessert le roman. En outre, le livre est plein d'explications scientifiques qui ressemblent trop à une compilation de données techniques un peu ennuyeuses à lire. Elles sont probablement indispensables, aux yeux de l'auteur, à la compréhension de cette fiction, mais j'avoue que cela m'a semblé quelque peu indigeste. Le journaliste scientifique prend ici le pas sur le romancier et cela me semble dommage. L'intrigue démarre lentement, laborieusement et c'est, à mes yeux, un artifice pour s'attacher le lecteur. Bref, j'ai peiné à lire ce livre, ce qui ne m'encourage pas à poursuivre la découverte de cet auteur.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2008. http://hervegautier.e-monsite.com
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LES DERNIERS JOURS DE CHARLES BAUDELAIRE - Bernard-Henri LEVY
- Par ervian
- Le 28/07/2009
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N°352– Juillet 2009.
LES DERNIERS JOURS DE CHARLES BAUDELAIRE – Bernard-Henri LEVY – GRASSET[1988].
Le genre roman attaché au nom et à la personnalité de Baudelaire ne pouvait qu'attirer mon attention.
Nous sommes en 1866, en Belgique où Baudelaire a entamé, depuis 1864, une tournée de conférences. BHL s'attache ici à imaginer ce qu'ont été les derniers jours du poète qui, torturé par la syphilis, est logé à l'hôtel bruxellois du Grand Miroir. Baudelaire est malade, a perdu l'usage de la parole et de l'écriture. Nous ne savons évidemment rien sur cette période, ce qui permet au romancier d'imaginer ce que le poète aurait pu dire et penser pendant ce temps qui précède sa mort. Pour cela, et ainsi qu'il l'avait fait pour « Le diable en tête », il confie cette rédaction à un narrateur dont il nous dit, d'ailleurs tardivement [pas avant la page 227] qu'il a un peu plus de 22 ans, qu'il est un fils de famille, qu'il est svelte, déjà opiomane... assez effacé donc, mais dont le rôle se révèle décisif à la fin. Pour que le portrait soit complet, l'auteur a recours en alternance, à différentes autres voix, celle de sa logeuse, Mme Lepage, de son éditeur Poulet-Mallasis, de la propre mère de Baudelaire, le photographe Charles Neyt, et, bien sûr Jeanne Duval... Chacun à sa manière et avec ses mots évoque le poète et choisit de mettre en lumière des épisodes de sa vie. Mais revenons au narrateur [qui me paraît avoir quelques ressemblances avec BHL] qui devient le secrétaire du poète et du malentendu qui est esquissé sur la tentation de s' approprier l'œuvre du maître [« Pauvre Belgique »] au motif qu'il l'a recueillie de sa bouche. Il rend compte d'un parcours intéressant dans l'imaginaire du l'auteur des « Paradis artificiels » et dans ce qui sera son lot toute sa vie : la solitude, la souffrance, l'écriture!
Choisir Baudelaire comme un héros de roman me paraît judicieux. Cela sied au personnage qui a toujours été un marginal, à la fois ennemi de son siècle et des conventions sociales en général [symbolisé par « la bande à Hugo »et dans le refus du remariage de sa mère], mais aussi abandonné de tous dans cette vie un peu lamentable qu'il traine en Belgique entre fréquentation des bordels et rejet du monde. Fixer ce « récit » à la fin de la vie de l'auteur des « Fleurs du Mal » suggère pour le lecteur une sorte de bilan avec, en contre-point, la mort qui pointe le bout de son linceul mais aussi des retours en arrière inévitables et avec eux les regrets et les remords, des relents d'une mémoire sélective, les paradis artificiels, le naufrage aussi perceptible dans cet abandon de son corps.
Chaque roman est une création, une somme de supputations qui, certes ici s'appuient sur des données historiques et documentaires, mais nous livre aussi un personnage recomposé au gré « pages blanches » ou des zones d'ombre qui existent dans la biographie du modèle. Ce dernier n'a évidemment pas été choisi par hasard par l'auteur qui lui prête peu ou prou ses propres réflexions son temps. Une complicité existe donc entre eux [on songe bien sûr au mot de Flaubert « Mme Bovary, c'est moi »] et Lévy, même s'il peut s'en défendre, habite son personnage. Il y a là une sorte de fantasme qui trahit [heureusement] le parti-pris de l'auteur, son art personnel du roman qui reste une fiction c'est à dire un voyage dans l'imaginaire intime avec ses données, ses contradictions parfois, mais dont le lecteur reste le seul juge. C'est aussi l'occasion pour BHL de donner son opinion [et pas forcément celle de Baudelaire] sur le panorama culturel de l'époque du poète, mais aussi sur la religion et les tourments d'un prêtre défroqué, sur l'écriture, sur la notoriété...ce qui donne des formules personnelles en forme d'aphorismes.
Alors, roman? A mon sens oui, évidemment, mais aussi le résultat d'une documentation sérieuse et complète sur un sujet qu'il connaît et maîtrise parfaitement [même si parfois on sent un peu trop l'universitaire] mais l'occasion de faire parler de lui, déjà!
© Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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L'AUTOMNE A PÉKIN - Boris VIAN
- Par ervian
- Le 17/07/2009
- Dans Boris VIAN
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N°351– Juillet 2009.
L'AUTOMNE A PÉKIN – Boris VIAN.
A l'heure où chacun rend hommage à Michael Jackson, je ne voudrais pas laisser passer le cinquantenaire de la mort de Boris Vian [1920-1959] sans évoquer cet écrivain qui a illuminé mon adolescence. Je ne veux pas me livrer à une étude exhaustive de l'homme et de l'œuvre, d'autres l'on fait brillamment avant moi et ces quelques lignes n'ont évidemment pas cette prétention.
Oublié pendant longtemps des manuels scolaires, délibérément écarté des anthologies de la littérature française , Vian n'en a pas moins déroulé son voyage dans l'absurde et la dérision, dans un décor qu'il tissait page après page et qui emporte encore aujourd'hui l'attention de son lecteur devenu au fil des chapitres un véritable complice.
Je ne vais pas reprendre à mon compte tout ce qui a été dit et écrit sur le divin Boris, mais dans toute cette œuvre protéiforme et souvent imprévue, faite de mots mais aussi de notes de musique, de projets fous et parfois suicidaires, il a marqué d'une trace indélébile son passage sur terre et dans la littérature. Il y a un roman pour lequel j'ai une tendresse particulière, c'est « l'automne à Pékin ». Étonnant, ce récit qui ne se passe ni en automne ni à Pékin où l'on trouve, comme ailleurs dans son œuvre, des précisions sémantiques inattendues et parfois bizarrement techniques, des créations improbables de mots qui voisinent avec des délires créatifs que ni l'ingénieur ni le pataphysicien n'eussent évidemment renié.
Dans cette fiction, je retiens la jubilation de son auteur au simple niveau des mots et cela est d'autant plus important à mes yeux qu'il entraine souvent son lecteur dans cet univers qu'il a lui-même construit et où il invite chacun à le suivre en lui laissant le soin et la liberté d'apporter à ce qu'il lit sa propre explication. C'est que notre auteur, sous des dehors incongrus, malicieux et décalés jette sur notre société et sur les gens qui la composent un œil réellement critique. Pourquoi, par exemple, la ligne de chemin de fer qui doit traverser l'immense désert d'Exopotamie doit-elle impérativement passer au beau milieu de l'unique hôtel qui s'y trouve? Allez comprendre la différence, s'il y en a une, qu'il y a entre la « ligne de foi » et la ligne de chemin de fer, mais admettez quand même qu'elles sont sans doute complémentaires et que leur rencontre [travail humain et matériel contre pensées profondes] sont parfois à l'origine de catastrophes qu'on pourrait éviter!
Absurde ou dérisoire, la réponse appartient à chacun mais n'est pas sans rappeler [déjà] les décisions prises par d'autres et qui gèrent notre quotidien. Ce qui fait que Vian est proche de son lecteur, ce n'est pas qu'il parle comme lui, au contraire, mais c'est qu'il l'étonne, qu'il l'entraine dans un microcosme qu'il doit connaître déjà puisqu'il y entre de plain pied , qu'il y a déjà ses marques et où il se reconnaît. Et puis, cultiver le dérisoire dans un monde sérieux est plutôt salutaire!
Il ne faudrait pas oublier que le monde de Vian est romanesque et même s'il ne peut s'empêcher de régler quelques comptes personnels, il y parle d'amour et de mort, comme dans tous les romans. La femme qui inspire le sentiment amoureux présente plusieurs visages évocateurs[Rochelle, Lavande, Cuivre...], et comme dans la vraie vie, les amours sont souvent malheureuses. Certaines sont liées à la mort, comme celle de Choé dans « l'écume des Jours » que le professeur Mangemanche ne peut oublier parce que, sans doute, les héros de Vian s'usaient à vivre, comme si la vie était une maladie qu'on soigne difficilement, qui mange inexorablement nos jours et nous fait souffrir...
Il ne faut pas rester au seul niveau des mots, au jeu sur les phrases, aux calembours humoristiques qui peuvent résulter d'une lecture en surface, « l'automne à Pékin », comme « l'écume des jours » sont des œuvres qui empruntent beaucoup à l'angoisse, au mal de vivre qui nous visitent tous un jour ou l'autre.
Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou m'en féliciter, mais je souscris pleinement à la remarque de Raymond Queneau « L'automne à Pékin est une œuvre difficile et méconnue ».
© Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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PARFUM DE FEMME - film de Dino RISI (1974).
- Par ervian
- Le 10/07/2009
- Dans Cinéma italien
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N°350– Juillet 2009.
PARFUM DE FEMME – film de Dino RISI (1974).
Mercredi 8 juillet 2009 – Cinéma Classic.
L'histoire de ce film, devenu un classique, est connue. Fausto, un ancien capitaine de cavalerie devenu aveugle et manchot à la suite de la malencontreuse manipulation d'une grenade, n'a jamais cessé d'être un grand amateur de femmes. Il refuse son infirmité, la cache sous une agressivité constante et ne devine plus la présence des femmes qu'à la fragrance de leur parfum. Il doit se rendre à Naples et Giovanni [rebaptisé par lui et un peu par dérision Chichio], un jeune militaire du contingent, est chargé de l'accompagner et de le guider jusqu'à sa destination. Le jeune homme est certes impressionné par son supérieur, non seulement par l'argent qui dépense et gaspille mais par la comédie qu'il joue pour masquer aux autres et peut-être à lui-même ce handicap qui pourrit sa vie. C'est vrai qu'il est en constante opposition aux autres, à sa vieille tante chez qui il vit et trouve dans ce jeune soldat un bouc émissaire idéal sur qui il va reporter toute cette violence contenue faite d'insultes et parfois de coups... qui, au départ il file doux mais finit rapidement par se rebeller, à sa façon. Il découvre dans ses affaires une photo de femme et un pistolet, deux choses qui, pour un aveugle, sont parfaitement inutiles.
C'est qu'il a un rendez-vous mystérieux à Naples pour abattre un homme, ainsi qu'il le révèle au jeune homme incrédule. On le retrouve dans cette ville, chez Vincenzo, un lieutenant, aveugle lui aussi, et il y retrouve Sara, une jeune fille qui a toujours été amoureuse de lui. On sent bien qu'il la désire puisqu'il ne peut résister à une femme, mais la repousse cependant. Il y a dans leurs relations une sorte de résumé en filigranes de sa vie devenue insupportable, puisqu'il se considère lui-même, et malgré l'image qu'il veut donner de lui, comme un homme fini, une véritable épave! Il est à la fois drôle et cruel!
Il festoie avec Vincenzo dont on suppose qu'il est l'ami, mais c'est en fait lui qu'il est venu tuer pour une raison obscure, mais le manque.
J'avoue que j'aime beaucoup le cinéma italien de cette époque, ce personnage en particulier, à la fois homme et monstre, qui le sait, qui est sans demi-mesure, qui refuse l'aide et l'amour authentique que lui offre Sara, lui préfère, mais en apparence seulement, la jouissance qu'il peut trouver en compagnie des autres femmes [« Le sexe, les cuisses, de belles fesses : voilà la seule religion, la seule idée politique, la vraie patrie de l'homme »], qui joue ce rôle suicidaire presque jusqu'à la fin, mais finira par accepter le bras de cette femme qui ne voit que lui et sans doute par s'appuyer définitivement sur elle parce qu'il comprend sans doute tout l'aspect délirant du personnage qu'il s'est lui-même crée, parce qu'il ne peut jouer jusqu'au bout ce jeu de la solitude qui va le précipiter dans la mort. C'est que Fausto est devenu solitaire, marginal du fait de son état. Il sait que cela est définitif et débouchera forcément sur le néant, mais il tente, une dernière fois fois peut-être, de se jeter dans l'alcool et le plaisir, mais cela semble être sans issue. Il croît à peine un prêtre de ses amis qui lui affirme que le salut de son âme passe par cette infirmité quotidienne.
Il me semble que le parcours qu'il réalise en train de Turin où il habite à Naples en passant par Gênes et Rome [deux villes que tout oppose], en compagnie de Gioanni, est allégorique et préfigure celui qui va lui faire admettre que Sara et l'amour authentique qu'elle lui porte, sont sa seule planche de salut en ce monde et qu'il n'y en a pas d'autre. A la fin, il s'en remet à elle, et à elle seule, pour cheminer dans une nature hostile dans laquelle il ne pourra se débrouiller seul. C'est un peu comme s'il acceptait enfin ce qu'il avait toujours refusé jusqu'à présent, la pitié!
Il y a dans ce film une émotion réelle, une violence, une douceur et un réalisme qui ne peuvent me laisser indifférent, le tout servi par un jeu d'acteurs exceptionnels, Victorio Gassman, évidemment, mais aussi Allsendro Momo [Giovanni] et Agostina Belli[Sara].
©
Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
Hervé GAUTIER – Juillet 2009.
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L'EAU GRISE - François NOURISSIER
- Par ervian
- Le 06/07/2009
- Dans François NOURISIER
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N°349– Juillet 2009.
L'EAU GRISE – François NOURISSIER – GALLIMARD.
Je relis rarement un roman je ne saurais dire pourquoi, peut-être par crainte de ne pas retrouver , lors d'une nouvelle lecture, le plaisir que la découverte m'avait donné. Pourtant, j'ai fait une exception pour « l'eau grise » que j'avais lu il y a quelques années et qui m'avait inspiré quelques pages.
Il s'agit un roman de jeunesse, écrit en 1950 par François Nourissier et publié à l'époque chez Plon. L'auteur avait « entre vingt deux et vingt quatre ans, [était]un bon jeune homme, marié tôt, chrétien, père d'un garçon né deux mois avant que ne parût ce roman... » Dans l'édition de Gallimard, publiée en 1986, l'auteur fait précédé ce texte d'une longue préface où il évoque ce premier livre, sa vie d'alors, le début de ce qui sera sa long parcours littéraire... Comme il s'agissait d'un livre sur le mariage, dont le titre avait été emprunté à une citation de Jacques Chardonne, il le lui fit tout naturellement parvenir. Cela lui ouvrit certes les portes d'une carrière mais le catalogua comme un homme de droite alors que ses aspirations le menaient plus volontiers de l'autre côté de l'échiquier politique. L'itinéraire de l'auteur d' « Epithalame » passait aussi par la Libération et l'occupation allemande.
Dans ce long préambule, il fait donc le point sur ses lectures, ses inévitables influences littéraires, son itinéraire personnel. Il indique aussi qu'il se livra, lors de la publication chez Gallimard, à une relecture de ce premier roman avec un œil nécessairement critique [ ma relecture à moi trouve peut-être sa raison dans ses confidences à lui ?] de la part du notable des Lettres qu'il était devenu. Trente cinq ans séparaient ces deux publications, ce qui laisse le champ libre à l'examen, mais aussi à l'introspection, le chemin parcouru, les résultats, la place dans la société et parmi ses pairs, les avis inévitablement formulés, ceux des thuriféraires comme ceux des critiques malveillants. De tout cela que restait-il et qu'est-ce que l'avenir lui réservait?
Il s'agit bien d'un livre sur le mariage. Un homme [Philippe], une femme [Élisabeth], mariés tôt comme cela se faisait dans l'immédiat après-guerre, avec tous les fantasmes qui s'attachaient à cette union, mais que tout sépare malgré le destin [ou le hasard] qui les a unis, s'abîment petit à petit dans un quotidien matrimonial ou chaque geste devient banal et déprimant. L'amour, qui a sans doute existé entre eux, s'est peu à peu dissout dans le subtil acide des habitudes, et l'usure des choses [l'écume des jours aurait dit Boris Vian] a fini par avoir raison des certitudes les mieux établies, menant Philippe à cette évidence désormais inéluctable qu'Élisabeth et lui « n'avaient plus partie liée, qu'ils n'avaient jamais eu partie liée, qu'ils n'étaient plus que des étrangers ».C'est donc un mariage sans passion qui réunit ces deux êtres qui maintenant se débattent dans cette « eau grise » où le lit est commun mais les rêves différents, les aspirations aussi! Et l'auteur de confier « la nuit de l'homme et de la femme s'accomplit...Jusqu'au plus profond des jours, les vérités secrètes de la nuit porteront cependant leur fermentation. Élisabeth et Philippe, peureux, les dénonceront comme des mensonges, pour mieux les exorciser ».
Dès lors le décor est planté et l'absence d'enfant favorise peut-être entre eux la venue d'un troisième personnage, Gésa, plus âgé et étranger, ce qui suffit à lui conférer une sorte d'aura aux yeux d'Élisabeth. Et Philippe, face à cette situation nouvelle semble laisser faire « Élisabeth pouvait bien cesser de l'aimer, aimer Gésa, se donner à lui et le suivre, Philippe ne s'interposerait pas entre cette nouvelle femme et l'ancienne Élisabeth ». Pourtant, il cogite, constate combien les choses ont pu changer sans qu'il s'en aperçoive, à cause de lui peut-être? Il n'est plus le maître du jeu comme il le pensait, refuse cependant l'évidence, n'envisage pas que sa femme puisse le tromper puisque lui-même s'en juge incapable, se cabre sur des idées qui pour lui sont définitives et qui ont nom fidélité,amour, vertu, stabilité du mariage mais aussi hypocrisie, conventions sociales, apparences ... autant d'équilibres que vient compromettre la présence de Gésa! Autrement dit, il refuse la réalité en se jouant une comédie d'autant plus dérisoire qu'elle débouche sur le vide de la jalousie.
Le suicide manqué de Gésa semble devoir révéler à Philippe toute l'intrigue de ce drame matrimonial, mais lui y fait figure de victime consentante, incapable et peut-être non désireux de voir la vérité en face « Se trompait-il? Était-il trompé? Philippe n'en savait rien et pensait que c'était bien ainsi. Il aimait accepter. Il aimait que la vie accomplît ses promesses , sans nulle extravagance ».
Je trouve l'analyse de la vie de couple bien menée. Même si dans les années 50 on accordait au mariage des mystères et surtout des vertus de longévité et de solidité qui étaient censées le faire résister aux plus fortes tempêtes, même si, à l'époque c'était plutôt au mari qu'on attribuait la faculté de tromper son conjoint et non le contraire. Ainsi, malgré les nombreuses années qui se sont écoulées, le changement des mentalités, des usages et du mode de vie, ce texte n'a pas vieilli. L'analyse qui y est faite du mariage et de la vie commune entre époux me paraît bien actuelle, pertinente et même un peu désabusée, même si elle peut, encore aujourd'hui paraître quelque peu anachronique chez un écrivain de vingt ans.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE GARDIEN DES RUINES - François Nourissier
- Par ervian
- Le 06/07/2009
- Dans François NOURISIER
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N°142
Janvier 1993
LE GARDIEN DES RUINES – François Nourissier – Editions Grasset.
Lire un roman de François Nourissier est toujours pour moi un moment fort. Il est, en effet, l’un des rares auteurs que je choisis sur son seul nom plutôt que sur le titre d’un ouvrage. Comme d’habitude, je n’ai pas été déçu.
Par l’histoire, tout d’abord, celle d’Albin Fargeau, médecin généraliste à Paris dont l’auteur relate le quotidien. Ce récit est l’occasion de revenir en arrière, de revoir sa vie, ses amours éphémères, ses rencontres, sa guerre, de l’oflag en 1940 à la Libération de Paris, ses fiançailles, hésitantes et timides avec Clémence, son mariage conventionnel avec elle, sa vie ordinaire et son couple raté, son fils à côté de qui il est perpétuellement passé, sa liaison mièvre avec Véra, sa maîtresse, ses rares passades, sa belle-famille qui ne l’a jamais vraiment adopté…
C’est aussi, pour Nourissier, l’occasion d’évoquer des personnages hauts en couleurs : Henri Fargeau, Les Goult de Juzy, Vergadin et combien d’autres …
Pourtant, malgré son côté velléitaire, indolent et conventionnel, Albin Fargeau est un personnage attachant, peut-être parce qu’il est perpétuellement floué, jusqu’à la complicité. Nous le voyons évoluer de 1939 à 1990 et la petite histoire se frotte à la grande. C’est un peu comme si Albin Fargeau, l’air de rien, nous livrait lui-même ses secrets, ses fantasmes, les valeurs traditionnelles auxquelles il est attaché…
Mais, rapidement, il vieillit, perd de la vitesse, se laisse facilement(trop peut-être ?) rattraper par un siècle qui marche plus vite que lui.
Après la mort de sa femme, la séparation d’avec sa maîtresse et l’ultime tentative de rencontre avec son fils unique, il choisit lui-même de se retirer à Maussade, dans une maison de retraite. Lui qui rêvait de ressembler à ses grands modèles passera pour « le gardien de quelques ruines qu’il tente de faire visiter . »
Ce qui m’intéresse chez Nourissier, c’est qu’il traite de thèmes qui lui sont chers : l’incompréhension entre père et fils, mais surtout une réflexion toujours renouvelée sur le mariage. Il gratifie à cette occasion son lecteurs de formules lapidaires (presque des apophtegmes) qui méritent réflexion : « Ce n’est pas le silence qui préserve les couples, c’est la sourde oreille. » « Les couples tiennent par politesse, comme les vieilles coques de bateaux par la peinture. »
Il glisse entre les lèves de ses personnages quelques aphorismes bien sentis sur la condition humaine : « Tous les destins avec le temps rapetissent. ». « A quoi ça tient un homme? A presque rien : Quelques silence, quelques hontes ravalées, quelques comédies. Tout cela tient debout par miracle. Tu fous le pied dedans, le bonhomme s’effondre. »
Il prête à Albin Fargeau (A moins qu’il ne laisse aller sa plume pour son propre compte ?) des analyses politiques et historiques tranchantes : « En 38… En 40 …En 54…En 62 … nous sommes de terribles plaqueurs. ». « Sans la foi, le folklore réactionnaire n’est que dandysme et simagrées ». « Des politiciens en France, ça doit baiser, l’électeur aime cela »…
Il n’oublie pas non plus la condition humaine : « Le suicide est au bout de toute réflexion un peu sérieuse sur la maladie ». « La vielle peur laisse un répit, sur le tard, aux amers et aux vaincus . »
En fait, à l’occasion de cette incursion dans les secrets de l’âme et de la parentèle de Fargeau, le lecteur attentif assiste à cette tranche de vie qui s’écoule, non vers la mort de l’intéressé, mais, le mal-vivre aidant, vers la déchéance et l’indifférence à sa propre vie. « Je suis devenu le gardien d’un musée que nul ne veut plus visiter. Je fais de la retape à la porte de l’indifférence générale ».
L’envie de vivre va même jusqu’à disparaître : « Le désir s’arrête comme le vent, la pluie, comme une source s’arrête de couler. ».Il fut, un temps, tenté de jouer encore cette comédie qu’est l’existence, mais la pensée (l’envie ?) de l’autodestruction l’a effleuré : « Si Clémence meurt, je serai libre de me détruire sans scrupules ».
J’ai lu ce roman comme le récit d’un homme qui jette sur cette vie qui fut la sienne et qui ne l’a jamais vraiment passionné, le regard d’un philosophe désabusé, d’un homme qui a voulu « sauver les apparences », quelqu’un qui est ici-bas de passage et le sait, mais aussi quelqu’un qui est las parce qu’il est seul et que toute sa vie n’a été qu’une solitude grise tout juste émaillée de quelques timides coups de soleil.
Si j’ai aimé ce roman (et aussi beaucoup d‘autres du même auteur), c’est aussi pour la qualité du texte, et pour l’usage juste et précis de notre belle langue française. Ils ne sont pas si nombreux, les écrivains actuellement publiés qui peuvent se targuer d’être les gardiens de notre langage ? Son humour n’a d’égal que sa faconde, et quand il décrit un paysage, c’est un plaisir… Il tient jusqu’au bout son lecteur en haleine.
© Hervé GAUTIER.
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EXPOSITION EXCEPTIONNELLE AU MUSÉE DU DONJON DE NIORT.
- Par ervian
- Le 03/07/2009
- Dans Peinture
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N°348– Juillet 2009
EXPOSITION EXCEPTIONNELLE AU MUSÉE DU DONJON DE NIORT.
[Vernissage du mardi 30/6/2009 – Exposition Juillet-Août 2009]
Renseignements 05 49 78 72 04 – musees@agglo-niort.fr
Je ne pouvais laisser passer un tel événement, dans une ville où l'intérêt du plus grand nombre ne va pas naturellement vers la culture, sans en porter témoignage.
C'est que le patrimoine niortais vient de s'enrichir de 48 tableaux et dessins de maîtres actuellement exposés au musée du Donjon. Il s'agit d'œuvres de Miro, de Raoul Dufy, de Marie Laurencin, de Suzanne Valadon, de Léonard Foujita, Georges Mathieu, d'Aristide Caillaud, de Jean Claude Chauray...
Cela n'a été rendu possible que grâce à une donation de Mme Jeanne Christine Ouvrard [1926-2008], récemment décédée. Elle avait, tout au long de sa vie et grâce à sa fortune personnelle, constitué une collection d'œuvres d'art, qu'elle avait décidé de léguer, à sa mort, et eu égard à ses attaches poitevines, à la ville de Niort. Elle était d'ailleurs cousine avec le comédien Jean Richard, lui-même niortais.
Mais il a aussi fallu aussi un autre miracle, celui de la rencontre de la vielle dame avec Daniel Courant, actuel Conservateur Adjoint du musée d'Agesci à Niort à qui nous devons d'avoir finalisé cette donation. Cela n'a pas été simple, demanda pas mal de temps, connut de nombreux rebondissements et même quelques périodes de découragement, mais le résultat est là, maintenant sous nos yeux. Elle avait cependant assorti ce legs d'une condition, que ces œuvres soient effectivement mises en valeur et ne terminent pas dans d'obscures réserves. C'est non seulement le cas dès maintenant, et quand cette exposition quittera le Donjon, c'est à dire à la fin de l'été, elle trouvera tout naturellement sa place dans notre beau musée Bernard d'Agesci.
Parmi ces œuvres figurent quelques toiles du peintre russe Abraham Mintchine [Kiev 1898- Paris 1931] pour qui elle s'enthousiasma. Celui qu'on appela « l'ange perdu du Montparnasse », membre de l'École de Paris, et dont « la peinture s'exalte dans les rouges qui semblent être de rubis, du sang coagulé, des velours lacérés, des cerises piétinées ou bien des couchers de soleil » [selon le mot de Giovani Testori], fut un artiste extrêmement prolifique. Il connut quand même, à la fin de sa courte vie, la reconnaissance, ne vécut que 5 ans en France mais « sa peinture demeure comme un cri sorti de l'âme, un cri déchirant, à la fois slave, juif et éternel, une association active entre la poésie, la peinture, et le rêve de Mintchine qui trouve aujourd'hui le juste écho au plus profond de nous même. »[Sylvie Buisson-Juin 2000].
Il fit l'objet de nombreux articles. On peut notamment lire sous la plume de Giovani Testori [1981]« Si le génie désespéré de Soutine déflagra dans un ciel parisien comme un hurlement pour rejoindre des sommets que bien peu égalèrent, il conviendra bien d'écrire que, sur le versant d'un déchirement pour ainsi dire serein, Mintchine, sur plus d'une toile, le dépassa. ». Boris Poplavski notait, dès 1931 « Tout chez lui vit, bouge, respire, comme s'il libérait tous les esprits et tous les anges enfermés dans les objets.».
En janvier 1930, la galerie Zak organisa une grande exposition consacrée aux peintres russes où Mintchine eut évidemment sa place. La revue Tchisla, créée cette même année et qui accorda une large place aux manifestations de l'école de Paris, salua le talent de Mintchine qui mourut, le 25 avril 1931 d'une rupture d'anévrisme. Au Salon des Indépendants de l'année suivante, figurèrent dix toiles du peintre disparu ainsi que dans l'exposition consacrée au « Visage humain » organisée par Tchisla. Dans l'article qu'il donna à cette revue, le critique Maximilien Gauthier nota « Même dans ses toiles les moins fantastiques, il parvient à créer une atmosphère qui amène à méditer sur les mystères qui nous entourent » n'hésitant pas à prophétiser « Dans l'histoire de l'École de Paris, le nom de Mintchine devra figurer aux côtés de ceux de Modigliani, Chagall et Soutine ».
Giovani Testori, dans le Corriere della Serra [1981] célébrait le talent de Mintchine en ces termes « Que celui qui aime la peinture aille donc voir de quels miracles fut capable notre « errant »[j'ai plus d'une fois appelé de cette manière les exilés russes réfugiés à Paris]. Une stupéfaction qui ne cessera jamais de croître et de s'élargir, l'arrêtera devant ses toiles, grandes et petites, comme si finalement quelqu'un lui récapitulait en face la puissance miraculeuse d'une peinture qui ne demande rien à elle-même, sinon de révéler sa propre entité qui est précisément ce battement, cet or, cette étendue inoubliable, cette lumière exaltante ».
Mme Hélène Ménégaldo, Professeur de littérature russe à l'université de Poitiers, présente à ce vernissage niortais, a retracé l'itinéraire de ce peintre d'exception.
Actuellement la galerie Di Veroli [Paris 8°] s'est spécialisée dans l'œuvre de ce peintre qu'elle a largement contribué à faire connaître. Massimo Di Veroli, son directeur, qui était également présent lors du vernissage niortais, organise régulièrement des expositions et réalise activement la catalogage de ses œuvres qui, par ailleurs sont conservées dans les musées du monde entier [France, Italie, Suisse, Russie, États-Unis, Israël...].
Cette rencontre fut personnellement une révélation pleine d'émotions et assurément une invitation à davantage de découvertes.
Je suis en outre très heureux de savoir que le musée de Niort devient désormais, eu égard à l'importance de cette donation, un centre européen de référence pour l'œuvre de Mintchine.
©
Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
Hervé GAUTIER – Juillet 2009.
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DIALOGUE AVEC MON JARDINIER - Comédie dramatique de Jean Becker
- Par ervian
- Le 24/06/2009
- Dans cinéma français
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N°347– Juin 2009
DIALOGUE AVEC MON JARDINIER – Comédie dramatique de Jean Becker – Mardi 23/6/2009 – Cinéma Premier..
Ce film, un peu perdu dans une programmation tardive, aurait pu passer inaperçu. Il a pourtant retenu mon attention.
Le titre un peu banal n'a pourtant rien d'original. De quoi s'agit-il? C'est la rencontre fortuite de deux anciens camarades d'école qui s'étaient perdus de vue, l'un, incarné par Daniel Auteuil, fils d'un notable, devenu lui-même artiste-peintre connu et reconnu, qui revient dans la maison de son enfance parce que la séparation d'avec sa femme va bientôt déboucher sur un divorce qu'il refuse mais qui devient de jour en jour plus incontournable, l'autre, incarné par Jean Pierre Darroussin, fils d'ouvrier devenu cheminot par nécessité, qui occupe sa récente retraite en faisant son jardin. Rien que de très banal au départ.
Ils vont se reconnaître et l'ancien cheminot va proposer ses services à ce camarade pour aménager son jardin en friche depuis bien longtemps.
Tout oppose ces deux hommes : leur parcours, l'un a refusé de reprendre la pharmacie paternelle pour devenir artiste et l'autre opte, pour un emploi aux Chemins de Fer, mais comme poseur de voies, c'est à dire le métier le plus dur et le plus mal payé. Il y mène une carrière obscure et difficile, mais son métier c'est toute sa vie. Il a toujours vécu en HLM alors que son camarade a acquit des biens immobiliers en rapport avec sa situation.
Il ya aussi les femmes, en arrière plan. L'ancien cheminot parle de son épouse comme d'une icône, lointaine et respectable, une perception un peu décalée et hors du temps quand l'artiste, davantage dans son époque, opte pour des mœurs libérées. L'un est amoureux de son épouse et l'autre la quitte, certes à regrets, mais s'avoue incapable, malgré sa qualité de peintre, de se souvenir de la couleur de ses yeux! L'un respecte les femmes et l'autre y voit, malgré son âge, une quête de plaisir.
L'un va toujours en vacances au même endroit depuis des années et l'autre voyage au gré de ses expositions. L'un cite Bonnard, parle de la couleur, de la lumière quand l'autre lui répond « calendrier des Postes, Chromos ou tapisserie de supermarché ».
L'un se bat pour la vie et l'autre choisit de s'empoisonner avec des paradis artificiels. L'un n'a qu'un vélomoteur et n'a toute sa vie été qu'un ouvrier quand l'autre est habitué aux vernissages et aux encombrements de la capitale...
Pourtant, ce film est pleins de sensibilité. Il va se tisser au fil de ces rencontres et de ces dialogues une complicité entre ces deux hommes au point qu'ils ne vont plus s'appeler par un pseudonyme choisi par eux et qui évoque leurs fonctions [Dujardin et Dupinceau] et le mode de vie de l'artiste va être complètement transformé par l'ancien ouvrier qui va même, à la fin, influencer son style malgré ses manières un peu frustres.
Et puis il y a la mort, abordée ici tantôt sur le mode humoristique tantôt sur le mode tragique. Elle finira par avoir raison de l'ancien cheminot qui l'a pourtant plusieurs fois repoussée et qui, comme un ultime hommage lui demande de peindre quelque chose qui lui ressemble. Ce sera le style de son ami pour l'avenir, à la fois différent de ce qu'il faisait avant et surtout à cent lieues de ce que le snobisme consacre en matière d'art [j'ai toujours été personnellement plus curieux des commentaires critiques sur l'art moderne que de cet art lui-même. Trouver les mots pour expliquer ce qui ne tombe pas sous le sens commun m'a toujours paru un exploit bien plus intéressant que l'acte de création lui-même, surtout quand je ne le comprends pas]. Je vois dans cette démarche non seulement une évolution créatrice intéressante d'un artiste qui se remet en question et accepte de faire évoluer sa démarche vers davantage de sincérité et de simplicité mais surtout une sorte d'acte de mémoire envers cet homme attachant par son authenticité.
Ce fut donc un bon moment et ce film aurait mérité une programmation plus en vue dans la soirée.
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TRAITE D'ATHÉOLOGIE - Michel ONFRAY
- Par ervian
- Le 23/06/2009
- Dans ESSAI - BIOGRAPHIE
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TRAITE D'ATHÉOLOGIE – Michel ONFRAY - GRASSET.
J'ai beau tenter de m'abstraire de ce christianisme qui a quelque peu bouleversé mon enfance, il continue de répandre ses méfaits dans notre société qui, même si elle ne veut pas l'avouer, garde une profonde empreinte judéo-chrétienne. L'ouvrage d'Onfray, aussi savant que polémique, bien écrit avec humour, documenté, pertinent et impertinent parfois, était donc pour moi l'occasion de faire le point sur ce qui restait de mes croyances intimes, nourries d'ailleurs par une littérature humaniste. Je l'ai donc lu avec attention, y cherchant, le cas échéant, une justification de mes certitudes ou de mes abandons.
Il s'agit donc de parler de la présence de dieu, sous quelque forme que ce soit, dans notre société. Veut-on l'en chasser, il finit toujours par revenir. C'est que les hommes, mortels par essence, occultent, à tout le moins en occident, cette issue normale de la vie qu'est la mort. Il en résulte une peur exploitée savamment par les tenants de toutes les religions, qui, sous forme d'un nécessaire salut dans un au-delà qu'ils affirment réel, se croient autorisés à peser sur notre vie terrestre qui n'est que transitoire. Pour cela, ils nient l'intelligence, la pensée, la réflexion, édictent tabous et interdits, des règles morales dont le respect serait le sésame pour l'accès à ce paradis... Sans quoi, ce sont les feux de l'enfer qui nous attendent, pour l'éternité![une autre peur]! Ainsi assiste-on au retour du religieux dans notre vie et avec lui toute une série de négations, dont celle du corps, celui de la femme [nécessairement inférieure à l'homme par essence] en particulier, de la jouissance qu'il procure et qui serait un obstacle dans ce parcours obligatoire vers dieu. Il convient donc, pour le combattre, d'adopter une attitude hédoniste où l'esthétisme tient une grande place. Pourquoi pas?
De plus, l'homme a besoin de se sentir protégé. Quoi de plus normal que d'inventer une divinité qui jouera ce rôle? A cela, l'auteur oppose une définition de l'athéisme, démystifiant les monothéismes chrétien, juif ou musulman, démontant cette fiction de dieu, en en « déconstruisant » l'idée, sans cependant privilégier le nihilisme, simplement parce l'empreinte religieuse est présente jusque dans notre pensée et dans nos réactions. Que ces religions, qui ne sont finalement que des entreprises humaines, soient néfastes, je veux bien l'admettre, l'histoire est là pour nous en apporter une preuve surabondante [leurs déviances ne sont depuis longtemps plus à démontrer], et ne pas croire en ces religions reviendrait à ne pas croire en dieu, à être athée! Mais qu'en est-il de dieu puisque l'auteur entend nous montrer qu'il n'existe pas, ou qu'il serait mort? Lui aussi serait une création humaine liée à tous nos fantasmes et d'autant plus « crédible » qu'il est immatériel et donc au nom de qui ses représentants peuvent facilement parler! Cela je veux bien le croire. D'ailleurs l'auteur en appelle à des auteurs incontestés pour étayer son discours. Il démontre d'une manière surabondante que Jésus n'a pas existé en tant que personne physique unique, pointe du doigt des contradictions historiques flagrantes, indique que ses apôtres n'ont guère été les témoins de son existence humaine, que la chrétienté se réfère à la Vulgate, rejetant délibérément les écrits apocryphes, que St Paul n'était pas autre chose qu'un ignare frustré, que la chrétienté à fait beaucoup de ravages [et continue à en faire]au nom d'un Évangile dont elle a oublié le message de paix et d'amour, en s'alliant notamment avec tous les pouvoirs terrestres, que la littérature monothéiste est dogmatique, assez approximative et finalement fortement sujette à caution. Bref que tout cela n'est qu'une joyeuse compilation de textes disparates, incohérents, contradictoires et sans grande unité mais que les religions qui s'y réfèrent prennent pour unique boussole et dont chacun s'arrange à sa guise.
Pire peut-être, ces religions qui proclament la paix adorent la guerre et la mort et la justifient bien souvent, sans souci de la contradiction... et les fidèles suivent aveuglément sans mettre en doute cet enseignement! Et il ne réserve pas seulement ses remarques et critiques au seul christianisme, il y associe Judaïsme et islam qui, à se yeux, ne valent pas mieux sur le plan de l'enseignement.
Face à ce déferlement de démonstrations et de vérités, l'auteur milite pour une laïcité post-chrétienne... mais il avertit, elle s'appuie aussi sur l'éthique judéo-chrétienne et ne cherche à en modifier que la forme, l'aspect visible. La pensée laïque conserve un fond de christianisme, il faut donc la dépasser. L'égalité prônée par la république ne serait pas suffisante et peut-être même néfaste en ce qu'elle invite au relativisme qui uniformise tout. Selon l'auteur, il faut « promouvoir une laïcité post-chrétienne, à savoir athée, militante et radicalement opposée à tout choix de société entre le judéo-christianisme occidental et l'islam qui le combat » et de conclure « Aux rabbins, aux prêtres, aux imams, ayatollahs et autres mollahs, je persiste à préférer le philosophe ».
Cette invitation à ne plus croire en dieu m'intéressait d'emblée, cela me paraissait un thème de réflexion parfaitement humain. L'étude documentée des trois religions monothéistes m'a paru convaincante, encore qu'appliquée au raisonnement logique, leur discours toujours prosélyte ne résiste pas bien longtemps. Cependant la préférence donnée à la philosophie, comme remplacement efficace à des croyances aussi brillamment combattues ne me convainc pas davantage. Je dois cependant noter qu'elle a au moins l'avantage de ne pas jouer sur l'existence d'un monde après la mort et de fonder son enseignement sur cette hypothèse.
Ce livre ne fera de moi ni un athée convaincu ni [ sûrement pas] un chrétien militant!
©Hervé GAUTIER – Juin 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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DÉSOBÉIR : Aristide de Sousa Mendes
- Par ervian
- Le 13/06/2009
- Dans Emissions de télévision et de radio
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N°345– Juin 2009
DÉSOBÉIR : Aristide de Sousa Mendes – Téléfilm de Joël Santoni - France 2 vendredi 12 juin 2009 – 20H35.
La sélection du programme pour une soirée de télévision du vendredi soir se fait souvent au hasard. C'est vrai qu'il fait partie de notre vie beaucoup plus que nous voulons bien l'admettre, mais c'est là un autre débat. Me voilà donc devant mon écran avec le choix entre des émission de variété plus ou moins enthousiasmantes, des séries télévisées et des débats...Le hasard a décidé pour moi. Heureusement!
« Désobéir ». Le titre lui-même est tout un programme. Ce mot évoque à la fois des relents d'enfance et de tentations d'adultes, mais là, le scénario est différent. L'action d'abord: la France de 1940 face à la défaite militaire, à l'exode des populations civiles, à la perte de ses repères culturels, religieux, civiques, patriotiques, à la peur du nazisme qui déferle sur le sol national et précipite l'Europe dans le chaos. Dans ce genre de circonstances, l'individualisme, l'égoïsme, la lâcheté... ressortent plus forts encore que dans le quotidien ordinaire et chacun est prompt à faire prévaloir son propre intérêt, sa propre survie sur ce qu'en d'autres temps on nomme, avec quelque emphase « l'intérêt général ». Face à ces circonstances exceptionnelles, on fait facilement taire des aspirations auxquelles, en d'autres circonstances peut-être [ou peut-être pas], on aurait prêter une oreille attentive. Après tout l'attention portée à sa propre personne est une cause recevable.
Le personnage ensuite. Aristide de Sousa Mendes, consul de 1° classe du Portugal à Bordeaux campé par Bernard le Coq [décidément omniprésent sur notre petit écran en cette période] est bouleversant de sincérité même si cela, par moment, frise un peu l'angélisme. Il représente son pays, certes dirigé par un dictateur, Salazar, mais neutre au regard du conflit mondial. Du coup, toute la population susceptible d'être exterminée par les nazis [Juifs, républicains espagnols, communistes, réfugiés... Ceux qu'on appelait « les indésirables »], souhaite obtenir un visa pour le Portugal. Devant le consulat de Bordeaux, comme ailleurs en France, on fait la queue pour obtenir ce précieux sésame pour la liberté, pour la vie aussi!
Les sympathies de Salazar pour le nazisme inclinent celui-ci à interdire à sa représentation diplomatique à l'étranger de délivrer ces fameux visas. Le cas de conscience de Mendes de Sousa est simple, au moins dans sa formulation, lui, le chrétien, l'humaniste, mais aussi le haut fonctionnaire, représentant d'un Etat auquel il doit, bien entendu, une obéissance sans réserve, peut-il passer outre la circulaire (circulaire n°14) qui lui enjoint de refuser l'accès de son pays à ces pauvres gens et ainsi de les précipiter dans la mort alors que sa conscience l'oblige à désobéir à des ordres qui ne sont pas certes illégaux, mais immoraux et inhumains? Après tout il est payé pour obéir, pour être loyal... c'est ce que lui rappelle son premier secrétaire [Roger Sousa est convainquant et émouvant dans son rôle de fonctionnaire, fidèle au début, et qui finit par se laisser convaincre par l'humanisme du Consul]. Après tout, il appartient à une grande lignée de l'aristocratie portugaise, il est diplomate, père d'une nombreuse famille aux soins de laquelle il veille jalousement et pourrait faire prévaloir la fidélité à son pays. Il pourrait aussi mettre en sommeil cette morale chrétienne qui lui sert de boussole mais qui, par ailleurs, ne lui provoque aucun état d'âme quand il fréquente une maîtresse qui va lui donner un enfant. Il pourrait parfaitement camper sur cette position assez hypocritement confortable et décider de faire ce à quoi il a dédié sa vie d'agent de l'État et obéir aux ordres sans se poser toutes ces questions que les circonstances font naître.
Ainsi, après une rencontre [peut-être imaginaire] avec un rabbin avec qui il disserte longuement sur le message de paix contenu dans le Talmud et l'Évangile, et après une réflexion personnelle qui fait blanchir prématurément ses cheveux [on imagine ainsi la violente tempête sous ce crâne], il décide pour lui-même, mais aussi pour sa famille [parce qu'après tout il n'engage pas que lui dans cette affaire et on conçoit facilement que Salazar ne restera pas indifférent à cet acte de sédition] d'être en accord avec sa conscience. Pourtant il pouvait légitimement penser que ce dictateur, par l'éducation chrétienne qu'il a reçue, ne pouvait que partager son engagement.
Après avoir délivrer des visas en pleine connaissance de cause, il rentre chez lui , au Portugal, bien décidé à affronter, peut-être un peu trop inconsciemment, la justice de son pays. Il se bat pour faire reconnaître sa bonne foi, rappelle que son attitude ne lui a été inspirée que par l'idéal chrétien dont se recommande aussi Salazar et que, de toute manière, son action était parfaitement conforme à la constitution de son pays. Le dictateur souhaite au contraire que ce procès n'ait qu'un caractère administratif, mettant l'accent sur la seule désobéissance et non pas ce pour quoi il a désobéi. Le jugement rendu prend en compte les aspirations humanistes du Consul et lui est, d'une certaine façon, favorable, mais, c'est oublier que le chef d'un état totalitaire ne peut admettre la désobéissance. Par ordre suprême, Il est donc radié à vie de toute fonction publique, privé de ressources et condamné à une mort à petit feu, lui et sa nombreuse descendance. Il n'est donc plus qu'un fantôme qui attend la mort et qui n'est même pas autorisé, comme il le souhaite, à s'expliquer devant le chef, pour plaider sa cause. Pendant des années il devra supporter des attentes vexatoires dans ces antichambres du palais présidentiel et finira par mourir, abandonné de tous, inconnu, ruiné et oublié. Il faudra attendre le retour laborieux à la démocratie pour que sa mémoire soit réhabilitée. Ce film y contribue heureusement!
Cela n'empêchera pas Salazar, à la fin de la guerre, de se prévaloir de son rôle dans l'accueil des Juifs fuyant le régime nazi, volant ainsi à Mendes de Sousa son engagement humanitaire et chrétien.
Ils furent nombreux ces hommes et ces fonctionnaires, à cette époque notamment, qui ont dû choisir entre ce à quoi les obligeaient leurs fonctions et ce que leur dictait leur cœur et ainsi donner un autre sens à leur « devoir ». Cette chronique [La Feuille Volante n° 323 – Février 2009] s'est fait l'écho de l'hommage rendu à l'un d'entre eux, également oublié de l'histoire décidément un peu trop sélective et parfois même amnésique.
Je trouve plutôt bien que ce soit le Service Public, dont on souhaite apparemment la disparition actuellement, qui soit à l'origine de cette réhabilitation.
©Hervé GAUTIER – Juin 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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SEPT CAVALIERS QUITTERENT LA VILLE AU CREPUSCULE - Jean Raspail
- Par ervian
- Le 08/06/2009
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N°229
Septembre 2000
SEPT CAVALIERS QUITTERENT LA VILLE AU CREPUSCULE – Jean Raspail – Editions Robert LAFFONT.
Cela commence, l’auteur me le pardonnera sûrement, d’une manière banale « Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule, face au soleil couchant, par la porte de l’ouest qui n’était plus gardée ».
Et pourtant, cette simple phrase m’a dès l’abord accroché, m’invitant à en savoir davantage et m’a abandonné deux cent pages plus tard à la fois surpris et passionné d’avoir été le témoin de cette chevauchée.
Dès les premières pages, le décor est planté, un pouvoir vieillissant qui ne tient son autorité que d’un passé révolu. L’auteur la nomme du titre énigmatique de « Margrave héréditaire ». Son ombre plane sur le texte comme plus tard celui de sa fille Myriam après la mort de son père.
Tout le pays semble désorganisé, ses habitants paraissent avoir fuit un ennemie invisible ou avoir été décimée par quelque mal étrange… Seuls quelques fidèles entourent le souverain. Il fallait donc aller voir la raison de toute cette déchéance. La ville dont ils partent a, comme tout le pays a été prospère, mais il ne reste rien de cette grandeur.
Ce voyage pour le moins étrange conduira la petite troupe vers Sépharée, sorte de poste frontière au nord de cette étendue mal définie, un ailleurs assez indistinct.
Puisqu’il s’agit d’un voyage, il y a donc une géographie, mais cela n’a vraiment qu’une importance secondaire. Elle est nécessairement vaste, presque comme un continent, ravagée par une épidémie inexpliquée ou une invasion dont nous ne devinons les ennemis que presque par hasard.
Des personnages qu’on pourrait appeler « résistants » apparaissent et disparaissent comme des elfes ce qui ajoute à ce textes tourmenté un supplément de mystère
Les personnages que le « Margrave » charge d’aller porter un message dont on se demande si cela a véritablement de l’importance sont aussi énigmatiques que différents.
Il y a là Silve de Pikkenendorf, un colonel-comte major sans armée mais qui commande cette petite troupe, l’évêque Osmond Van Beck, coadjuteur de la ville, sachant à l’occasion manier le pistolet avec vitesse et précision , le lieutenant Richard Trancrède, jeune officier et cavalier fougueux, Le brigadier Vassili, cavalier et homme d’action qui ne connaît pas la peur, Abaï, fin palefrenier et chasseur attentif , le cadet Stanislas Vénier, expert en discipline militaire mais aussi amateur de femmes , le cornette Maxime Bazin du Bourg, artilleur et féru de la poésie de Wilhelm Kostroswitzky , plus connu chez nous sous le nom de Guillaume Apollinaire. Ses vers accompagneront cette armée fantôme. Sa disparition déjà ancienne ajoutera au mystère de cette histoire.
J’ai aimé ce récit conté à travers l’histoire du retard hypothétique d’un train qu’on n’aperçoit qu’à la fin, comme en filigrane, pour rappeler au lecteur qu’il est bien dans un monde où la fiction est reine, mais aussi qu’il n ‘est plus très sûr de ce qu’il vient de lire.
Pourtant, reste le décor, des grands espaces remarquablement évoqués, apocalyptiques parfois et surtout les personnages dont deux seulement atteindront le terme de leur mission. Ils iront soit vers la mort, soit s’arrêteront en chemin , mais au cours de ce voyage initiatique, chacun ira à la rencontre de lui-même.
Telle a donc été ma lecture personnelle de ce livre où la folie à sa place, mêlée à un réalisme parfois criant de vérité et où se mêlent souvenirs et fantasmes.
© Hervé GAUTIER
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VIE SECRETE - Pascal QUIGNARD - Gallimard.
- Par ervian
- Le 08/06/2009
- Dans Pascal QUIGNARD
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N°344– Juin 2009
VIE SECRETE – Pascal QUIGNARD – Gallimard.
Pascal Quignard est un écrivain dont j'avais beaucoup entendu parler en termes élogieux. A ce titre, je ne pouvais que m'intéresser à son œuvre.
Comme beaucoup parmi les auteurs dont j'ai ressenti le besoin de parler ici, je dois au hasard d'une bibliothèque publique la rencontre avec ses écrits. Les lecteurs de cette chronique peuvent aisément vérifier ce point.
Au départ, cela m'a paru un peu déconcertant, le sort ne s'était peut-être pas montré très pertinent! Je ne comprenais pas bien le sens de l'histoire racontée, le style me semblait haché, trop désarticulé parfois, l'érudition de l'universitaire, qu'en d'autre temps il m'est arrivé d'apprécier, s'imposait souvent sans que cela, à mon sens, n'apportât rien à la qualité du récit. Bref, il n'était pas de ces auteurs qui, dès la première ligne, s'emparent de l'intérêt de leur lecteur et ne l'abandonnent qu'à la fin, sans que l'ennui se soit insinué dans ce moment de complicité qui existe entre deux êtres qui ne se connaîtront jamais, mais dont l'un enchante l'autre, dans ce qui sera une relation à jamais secrète. Il était véritablement tout cela, mais, sans que je sache exactement pourquoi, je poursuivais la découverte de cette œuvre, par curiosité sans doute, et bien que je n'ignore rien de sa notoriété, je me demandais à côté de quoi j'avais bien pu passer pour n'être pas entrer dans cet univers. Il était de ces écrivains reconnus dont je continuais, malgré toute ma bonne volonté, à être étranger à sa démarche créatrice. Après tout j'assumais ici ma qualité de simple lecteur.
Le hasard m'a désigné « Vie secrète ». J'y retrouvais ce que j'avais, à tort peut-être, déploré dans les autres ouvrages. Pour le décor, la cote amalfitaine et pour le prétexte, l'amour, les femmes, la passion qu'on éprouvent pour elles. Cela, je pouvais le comprendre et l'admettre. Il y a, certes, la marque de l'universitaire, expliquant les mots, amour en particulier, faisant, comme à chaque fois, montre d'une grande érudition, avec force références à la culture gréco-latine, mais il y a aussi celle de l'expérience, la fascination, sublimées en aphorismes plus ou moins idéalisés, du désir analysé d'une façon peut-être un peu trop intellectuelle, du secret qui doit, selon lui entourer les relations amoureuses...
Pourtant, au fil du récit, tout cela m'a paru un peu trop désexualisé, un peu trop éloigné de l'humain et de la spontanéité. Même la nudité dont il est question et qui est indissociable de l'amour physique me paraît, sous sa plume, être un concept lointain. L'analyse est pertinente, sans doute, travaillée et fouillée, mais je ne suis pas parvenu, encore une fois, à entrer dans sa démarche créatrice. Je suis donc resté à la porte de cet univers, en me disant que j'y demeurerai longtemps encore étranger, et ce d'autant plus que la curiosité qui avait un temps animé ma démarche s'est peu à peu changée en lassitude. En outre, et c'est pour moi important, la lecture de ce texte n'a pas été, ce que j'exige qu'elle soit, un moment de plaisir.
Il reste un sentiment d'inachevé qui me dérange. Il tient probablement beaucoup çà de moi, mais Pascal Quignard reste de ces écrivains que j'ai du mal à comprendre et à apprécier.
Hervé GAUTIER – Juin 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LES TABLETTES DE BUIS D'APRONENIA AVITIA - Pascal QUIGNARD
- Par ervian
- Le 31/05/2009
- Dans Pascal QUIGNARD
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N°343– Juin 2009
LES TABLETTES DE BUIS D'APRONENIA AVITIA – Pascal QUIGNARD – Gallimard.
Sans trop savoir pourquoi, et bien que l'intérêt n'ait pas vraiment réussi à motiver ma lecture, je poursuis l'exploration de l'œuvre de cet auteur avec un peu de curiosité quand même. Bizarrement elle s'applique davantage aux connaissances érudites de l'auteur qu'à sa démarche littéraire et créatrice elle-même. Ici c'est particulièrement flagrant puisqu'il nous choisit de porter à notre connaissance une somme d'écrits qui n'a rien de littéraire, retrouvés et publiés cependant dans une édition française de 1604, c'est à dire bien longtemps après qu'ils furent rédigés.
Puisqu'il faut bien en passer par là, voilà le thème de ce récit.
L'auteur commence par une présentation de la vie d'Apronénia. C'est une riche patricienne romaine, née en 343, mariée deux fois, veuve deux fois et qui eut sept enfants qui lui ont survécu. Elle a vécu jusqu'à l'age de 71 ans, est l'auteur de deux sortes de lettres, d'une part les « epistolae » [des lettres] et les « buxi ». Quignard choisit de ne s'intéresser qu'aux buxi qui sont des tablettes de buis sur lesquelles les anciens notaient au jour le jour les événements de leurs vies quotidienne. Apronenia n'en fait pas autre chose et s'en sert elle-même comme une sorte d'éphéméride ou d'agenda sur lequel elle note scrupuleusement ses achats, ses sorties d'argent, son état de santé. En cela, ce n'est pas une œuvre littéraire puisqu'elle se contente de notations personnelles sans aucune connotation créatrice. Nous ne sommes pas non plus en présence du document d'un diariste. Ce n'est même pas une chronique puisqu'elle ne fait aucune mention des événements de son temps puisque l'Empire dans lequel elle vit est en train de s'effondrer sous les coups de barbares et le pouvoir chrétien s'y affirme chaque jour davantage... et pendant que tout se délite autour d'elle, elle confie à ce support qui a plus de chance de passer l'épreuve du temps, son goût pour les richesses [Elle compte souvent les sacs d'or qui semblent constituer les intérêts de son argent], le plaisir qu'elle éprouve à regarder les barques qui flottent sur le Tibre , la vue des esclaves, la consultation des auspices, le nombre de fois qu'elle fait l'amour aux cours de la nuit, un accouchement malheureux...
Il s'agit d'une traduction et Quignard est un universitaire érudit. C'est aussi un écrivain heureusement reconnu dont la valeur ne peut être mise en cause. Je m'interroge donc sur la raison pour laquelle il a choisi de commenter des documents si apparemment banals. Je l'imagine mal ne tentant pas de se substituer à cette femme, subtilement bien entendu, en évoquant une capitale de l'Empire en la sublimant. Je remarque qu'aux notes d'Apronénia, si laconiques et bassement quotidiennes se mêlent des écrits à la rédaction plus longue et travaillée où sont évoqués la vie, l'amour, la mort, mais en des termes éminemment plus littéraires. Il y est fait mention des relations entre hommes et femmes, souvent après qu'il ont fait l'amour ensemble [« j'aime le sommeil lourd d'un homme qui a joui »], il y a des allusions au désir, au plaisir, celui que procure le vin, le jeu et aussi et peut-être surtout celui du sexe, l'ennui et la puanteur, tout ce qui fait la vie... Face à cela, il y a l'enthousiasme de l'enfance et le vide et même l'abîme de la vieillesse, le néant de la mort et avec elle l'absence de vie éternelle ainsi que l'enseigne la religion chrétienne qui peu à peu gagne des adeptes.
Il est difficile au lecteur de ne pas voir, derrière l'ombre d'Apronénia, la silhouette de l'auteur lui-même qui heureusement pallie le peu d'intérêt qu'auraient ces annotations anodines.
Je reste, pour ma part, attentif à la démarche créatrice de cet auteur, même si ce que je lis n'emporte pas vraiment un intérêt aussi enthousiaste que ce que mon lecteur a pu constater dans cette chronique à la rencontre de certains autres écrivains.
©
Hervé GAUTIER – Juin 2009.
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L'ENFANT AU VISAGE COULEUR DE MORT - TERRASSE A ROME - Pascal QUIGNARD .
- Par ervian
- Le 29/05/2009
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N°342– Mai 2009
L'ENFANT AU VISAGE COULEUR DE MORT – Pascal QUIGNARD – Galilée.
C'est une sorte de récit d'un narrateur sans visage et qui évoque des temps reculés...
D'emblée le thème de l'adieu s'impose sous la forme du départ d'un père, une fuite vers l'inconnu, comme une nécessité et avec elle celui de l'attente, de l'espoir d'un hypothétique retour qui se peint sous les traits d'un enfant, une sorte d'adieu à la vie.
Il est assorti d'un interdit paternel, celui de ne jamais lire de livre, ce qui projette ce enfant dans la solitude d'une haute tour. Bizarrement, ce tabou est transgressé par la complicité de la mère et cet accès à la connaissance répand autour de l'enfant la mort pour tous ceux qui l'approchent parce ses traits ont ce pouvoir mortifère. Cela aggrave sa solitude et il sème le malheur autour de lui.
L'improbable retour du père, son absence, renvoient au thème de la mort. Celui de l'impossibilité définitive de s 'unir à quelqu'un, à cause sans doute de cette destiné funeste née probablement du l'interdit transgressé.
La fable se termine avec le thème des couches [de vie?] dont on se défait petit à petit pour accéder à à une autre existence, même si celle-ci débouche, elle-aussi, sur la mort parce qu'elle est le terme inévitable de toute aventure humaine.
Le visage du fils, transformé par la femme, se change en page d'un livre lumineux et ses yeux se posant sur sa mère la tue également, comme une punition...C'est l'histoire d'une chute définitive!
Écrivain énigmatique d'un récit qui ne l'est pas moins, ce conte philosophique me semble délivrer un message incertain, en tout cas qui m'échappe.
Pourtant, je continue, sans trop savoir pourquoi, et peut-être sans comprendre, avec ma seule curiosité naturelle, à lire l' œuvre de Pascal Quignard.
TERRASSE A ROME - Pascal QUIGNARD .
Étrange histoire que celle qui nous est contée ici, celle de l'amour contrarié d'un jeune graveur du XVII° siècle, Meaume, qui, victime d'une jalousie, reçoit au visage de l'acide qui le défigure. Ainsi perd-t-il sa belle et doit-il vivre dans l'ombre [« Les hommes désespérés vivent dans les angles »] et dans la fuite, partout en Europe, jusqu'en Italie. Dès lors, seul le souvenir de cette jeune fille demeure dans sa mémoire et devient vite une obsession. Elle va bientôt se résumer à un être immatériel, une image, l'objet d'un désir désormais inassouvi, un rêve.
Avec cette biographie fictive, curieusement hachée dans sa présentation narrative, l'auteur glisse des détails historiques, techniques, des traits d'érudition mais aussi des images érotiques dont il est l'auteur et qui circulent sous le manteau. C'est pour lui l'occasion de parler de la malchance définitive de la laideur, ce qui contraint Meaume à vivre constamment en retrait et même parfois dans l'obscurité. Le chagrin d'amour du début de sa vie, l'impossibilité d'être heureux avec la femme dont il est amoureux, [Bizarrement il doit sa laideur à de l'acide dont il se sert pour exercer son talent de graveur et qui aurait pu lui apporter la fortune et donc l'amour] seront le grand désespoir de la vie de cet homme. Tout se résumerait donc aux apparences qui lui procurent tant de souffrances.
Ce texte non plus ne m'a pas enthousiasmé. Je n'entre décidément pas dans l'univers de cet auteur.
Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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VILLA AMALIA – Pascal QUIGNARD
- Par ervian
- Le 29/05/2009
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N°341– Mai 2009
VILLA AMALIA – Pascal QUIGNARD – Gallimard.
Au début, le titre sonnait bien, cela évoquait pour moi une maison de vacances, le farniente, le soleil, l'océan...
L'histoire commençait bien, elle aussi. Une femme, Anne Hiden (ou Eliane), la cinquantaine, (on l'imagine belle, cultivée), mariée à Thomas, rencontre par hasard, un ami d'enfance, Georges Roehl qui souffre de solitude. Est-ce cette rencontre ou la découverte fortuite de son mari embrassant une autre femme, elle décide de vendre sa maison, ses meubles, de quitter cet homme volage, son travail, d'oublier son passé et, à la suite d'une courte errance destinée surtout à brouiller les pistes, d'aller à la rencontre de l'avenir, en Italie! Elle y tombe amoureuse d'une maison sur la falaise, sur l'île d'Ischia au large de Naples, que Amalia, la propriétaire, accepte de lui louer. Ce n'est qu'un vieille maison de pêcheur, taillée dans la lave du volcan, inhabitée depuis des années, le contraire d'une maison de villégiature. Dans sa quête d'une vie nouvelle, elle tombe un peu amoureuse du médecin, le Docteur Radnitzky, qui l'a soignée pour une mauvaise chute, mais surtout s'attache à sa fille dont elle devient, un peu, une mère de substitution. Las la petite meurt.
Il y a, bien entendu, le thème du hasard qui pèse sur notre vie bien davantage que nous ne voulons l'admettre, celui du changement auquel chaque être aspire mais qu'il redoute. Il y a celui de l'eau, l'océan de Bretagne, l'Yonne de ce petit village énigmatique de Teilly, ou celui de la méditerranée. Il incarne la non-immuabilité des choses, l'envie qu'on a de les faire changer, de changer avec elles, et l'euphorie qu'on ressent à ce saut dans l'inconnu, de la liberté nouvelle qu'il suscite, ce paradis incarné par cette île de la mer Tyrrhénienne . Ses furies destructrices sont aussi un symbole puissant qui n'est pas étranger à ce roman. Changer sa vie au point de ne pas vouloir se retourner, de ne pas pouvoir soi-même se reconnaître, pour expier absurdement une faute qu'on n'a pas commise, parce que l'existence qu'on a eue jusqu'à présent devient soudain sans intérêt. Fuir, pour se prouver qu'on existe, fuir comme on se débarrasse d'une peau devenue soudain vieille et sèche [d'une mue?], parce qu'on a une envie urgente de construire autre chose, parce que l'être qu'on avait choisi et à qui on avait confié sa vie, son amour, s'est soudain, comme une révélation, montré indigne de tout cela, qu'il faut tourner la page d'une manière urgente, parce que la vie n'attend pas et que le temps passe, parce que quelque chose d'autre [une maison] a soudain pris en soi, la place du reste et qu'elle devient le centre du monde.
Le thème de l'enfance retrouvée aussi me parle, celui de la solitude qui persiste malgré les apparences trompeuses. Celui de la mort aussi, et avec elle le chagrin, la douleur et l'absence, le gâchis... Celui de la vieillesse où, plus seul que jamais, on attend la Camarde avec une curiosité mêlée de crainte, se demandant chaque matin si ce jour sera celui du grand saut dans l'inconnu et le néant, avec les regrets, les remords, les souvenirs...
Puis intervient la troisième partie qui m'a intrigué. D'emblée le « je » laisse supposer un narrateur qui tranche (brutalement) sur ce qui précède. En outre, Ann Hidden, qui tout à l'heure, était évoquée à travers son histoire personnelle, se trouve en contact direct avec ce dernier. Puis intervient Juliette qui semble être la compagne du narrateur, le quitte pour vivre avec Ann. Ensemble elles ont une vie de couple amoureux avec, comme en contrejour, la présence épisodique de Léna, puis d'autres, plus fantomatiques comme Amado, Léo, Charles... En plus, il y a le retour de ce père disparu depuis des dizaines d'années et qui choisi de revenir après le décès de la mère d'Ann, des moments fugaces, soulignés par un style épuré, économe en mots, qui évoque les moments-confetti de la vie de cette femme perpétuellement en mouvements, comme s'il ne lui était plus possible, après toutes ces années de certitudes immobiles, de se poser définitivement.
L'histoire m'a intéressé, au moins au début, j'y ai apprécié le thème de la fuite, de la remise en cause des acquis, celui du dépouillement de soi-même qui peut être assimilé à une seconde naissance. En revanche, au fil des pages, malgré quelques descriptions poétiques mais malheureusement trop furtives, malgré aussi l'évocation de la musique, de la naissance de la création artistique, le style haché [qui n'est peut-être pas sans rappeler le thème du dépouillement] s'est révélé, pour moi, ennuyeux, comme une véritable négation du langage , les dialogues bruts, à en être désagréables, parfois trop vagues, parfois trop précis, bizarrement et même inutilement anecdotiques, comme s'il y avait plusieurs moments dans la rédaction, plusieurs mouvements dans le même texte, ont également étouffé l'intérêt du début. Il y a des morceaux de récits, comme jetés au gré des chapitres, que j'ai eu du mal à relier entre eux et qui compliquent la narration sans toutefois l'enrichir.
Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA STRATÉGIE DU BOUFFON - Serge LENTZ- Robert LAFFONT.
- Par ervian
- Le 23/05/2009
- Dans Serge LENTZ
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N°340– Mai 2009
LA STRATÉGIE DU BOUFFON – Serge LENTZ- Robert LAFFONT.
Cela pourrait être une histoire banale de celui qui veut réussir à tout prix, ou, à tout le moins, celle de quelqu'un qui est poussé sur ce chemin cahoteux par une mère ambitieuse et riche et qui voit dans son fils l'incarnation de ce qu'elle n'a pas pu faire elle-même. Quoi d'étonnant puisque nous sommes au Moyen-Age, que l'ascension sociale est réservée aux hommes et que pour la réaliser quand on n'est pas d'un haute noblesse, il vaut mieux en passer par l'Église! Nicolas d'Ausone, jeune fils de Marguerite, qui a aussi hérité de sa mère une ambition démesurée, va, bien entendu, marcher dans le jeu maternel, d'autant que notre homme est fort beau, fort brillant, fort débauché, ce qui n'est pas incompatible, surtout à l'époque, pour un homme d'église, et peu regardant sur la manière de parvenir à ses fins. Autant dire machiavélique! Tout cela n'est cependant pas très catholique mais cela lui réussit assez bien puisque le voilà évêque... à l'âge de 23 ans, mais « in partibus infédilium », c'est à dire sans diocèse! Il voit déjà pour lui la pourpre cardinalice et pourquoi pas le trône de Saint Pierre! Las, pour avoir voulu trop vite arriver au sommet, il commet une erreur et choisit de parier sur le mauvais cardinal lors du conclave de 1458. Cette erreur de jugement va lui valoir la réclusion dans un monastère, au milieu de nulle part, dans un coin désolé des Cévennes que sa qualité de SDF [comprenez, « sans diocèse fixe »] le désigne naturellement pour convertir le petit peuple qui en a bien besoin, mais où ni le luxe ni la luxure qu'il affectionne tant n'ont droit de cité. Pour sortir de cette disgrâce et revenir en cour, c'est à dire à Rome, il lui faudra déployer des trésors d'une « stratégie » où le mensonge, la trahison et l'hypocrisie tiennent le haut du pavé. Bouffon, il l'était déjà, à sa manière, mais pour sortir de ce mauvais pas où le destin l'a mené, il va se retrouver dans la situation du funambule de foire, en équilibre sur un fil au-dessus du vide avec le risque de tomber, c'est à dire d'être moqué, mais aussi avec l'opportunité de rebondir, c'est à dire de recommencer en remportant les acclamations de la foule.
A force d'attente, d'expérience et aussi de modération qu'impose l'âge, il finira par retourner la situation en sa faveur et parvenir enfin au but que lui avait fixé sa mère. Rome qui s'était refusée à lui vingt ans plus tôt finit par s'ouvrir à ses desseins!
Il fait, heureusement, la rencontre de deux personnages qui vont l'accompagner, Jean Muret, son serviteur, qui le suit comme son ombre, il est une sorte de témoin privilégié et attentif de ce parcours, un commentateur avisé mais qui sait également faire son chemin, et Marin, pour le moment revêtu de la robe de moine, un peu soldat, un peu médecin cependant, rablaisien assurément, ami de tous les plaisirs terrestres, généreux et charitable, doté d'une belle voix et de beaucoup de charisme qui, tout en gardant son franc-parler et sa vraie personnalité, finira par servir, un peu malgré lui, les ambitions de Nicolas. Ensemble ils pratiquent le jeu d'échecs, ce qui est révélateur de leurs relations!
Ce livre expose des idées contradictoires sur Dieu, celle traditionnelle d'une divinité vengeresse, lointaine et tyrannique qu'on ne sert que dans la crainte, incarnée par la règle des moines de la vallée Borgne et la hiérarchie catholique et celle plus festive et attractive, basée sur la joie de vivre, représentée par Marin. La sainte Église ne sort pas grandie de ce livre.
Il illustre aussi cette malheureuse idée qu'ont les hommes de vouloir à toutes forces « réussir » dans cette vie, comme si cela était indispensable, et pour cela, sont capables de toutes les vilénies.
Nous connaissons tous le Moyen-Age pour avoir été le théâtre de troubles dont l'Église, quoique que catholique et porteuse de valeurs généreuses, hautement affirmées par ses soins, n'en a pas moins suscité hérésies, schismes, commerce des indulgences, affres de l'inquisition... et volonté de domination sur le peuple! Puissance plus temporelle que jamais, le Vatican suscitait des ambitions humaines qui, pour être satisfaites, entraînaient trahisons et magouilles ce qui n'est pas sans évoquer une constante de la triste condition humaine, rappeler également toutes les époques et rendre donc ce livre très actuel.
J'aime bien l'écriture quand elle est fluide et pertinente, comme c'est le cas ici. J'apprécie aussi quand le style est humoristique, voire impertinent, les personnages truculents et l'intrigue pleine de rebondissements picaresques. Tout cela tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin!
Je ne connaissais pas Serge Lentz avant que le hasard ne me mette en contact avec ce roman. Je n'ai pas été déçu!
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OÙ EN ÉTAIS-JE ? - Philippe BEAUSSANT
- Par ervian
- Le 20/05/2009
- Dans Philippe BEAUSSANT
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N°339– Mai 2009
OÙ EN ÉTAIS-JE ? – Philippe BEAUSSANT - FAYARD.
Quand on fait la présentation d'un roman, il est d'usage d'en dévoiler [un peu] l'intrigue. Ici ce n'est pas facile puisqu'il l'y en a pas, enfin presque.
L'auteur raconte certes une histoire, regarde par sa fenêtre, dit ce qu'il voit, écoute son imagination et laisse aller sa main sur la feuille blanche. C'est pour lui l'occasion de prendre son lecteur à témoin pour lui expliquer sa démarche d'écriture, le départ de l'inspiration qu'il faut écouter et qui intervient quand on s'y attend le moins, comment tout cela naît, si cela se fait tout seul ou non [« Voilà, cher lecteur, comment peut naître un roman, une phrase suffit »], le plaisir qu'il éprouve à cet exercice, avec le choix gourmand qu'il fait des mots, justes et sonnant bien, de l'architecture des phrases, pour que le témoin des scènes rapportées les voit et devienne au moins un spectateur et peut-être son complice, parce que notre langue française est belle et qu'il faut l'utiliser correctement... Il indique que tout cela n'est pas quelque chose de facile, qu'écrire c'est un peu se soumettre à cette dictature des mots [qu'on ne s'y trompe pas, il est bien ce « tâcheron de la plume »], parce qu'il faut être disponible, attentif à tout, capable de se laisser entraîner dans d'improbables contrées à l'invite de son imagination.
Il rend compte de ce qu'il voit, les lieux et les personnages, les sensations, mais aussitôt, sa culture, son érudition prennent en quelque sorte, le relais malgré lui, lui soufflent d'autres situations, d'autres figures venues d'autres romans ou de tableaux. Alors, puisqu'il a décidé de se laisser embarqué dans une folle équipée, il mélange tout, les paysages, les époques, et convie le lecteur dans sa démarche intime, et un geste banal devient aussitôt un invitation au voyage dans le temps, dans l'espace!
Les hommes et les femmes du quotidien, ceux qu'il voit de cette fenêtre, qui ont les deux pieds sur cette terre d'aujourd'hui, et même parfois dedans, qui s'agitent et qui parlent à leur manière, il les transposent sous Louis XIV, invente des dialogues précieux, une transaction un peu surréaliste, une histoire de fontaine et de roi qui veut, seul, en boire l'eau, y glisse les fantasmes que peut susciter une jolie voisine ou se fait le témoin privilégié de la tournée journalière de la boulangère ou de l'arrivée, plus impromptue et fugace, de l'héritier d'un immeuble vacant depuis longtemps... Bref, il met tout ce petit monde en scène, en perspective, comme on dit, il lui insuffle la vie, lui prête des sentiments, des défauts, des qualités ou plus exactement le laisse vivre, former des projets, parce que, maintenant, tous sont autonomes et échappent complètement à leur créateur qui se contente de les regarder... M. Mitard, M. Boussard, Mlle Leroux, habitants de ce petit village, deviennent des acteurs de cette fiction intime qui est partie d'un écrivain qui voudrait bien qu'on le laisse tranquille quand il se met au travail, qui est assis face à sa fenêtre, devant sa feuille blanche, dans ce petit village de nulle part, avec devant lui quatre maisons et , plus loin, la route de Provins, de Château-Thierry...
Alors oui, parfois il y revient dans ce décor, fait un peu le point, comme lorsqu'on sort d'un rêve et qu'on tente de faire la part de la réalité et du songe et qu'il se demande si tout cela est vrai. Mais c'est qu'il n'est plus seul comme devant sa feuille, il a avec lui son lecteur, parce que, bien sûr ce dernier, même s'il a été un peu décontenancé au départ, est devenu au fil des pages le témoin attentif de tout cela et s'est engagé dans ce voyage. Parfois, cette pause entraine l'auteur plus loin qu'il n'aurait voulu et un visage de femme croisé au hasard de la vie est à nouveau l'invite d'une création, parce que les yeux des femmes ont ce pouvoir de faire rêver. Les choses sont bien plus complexe, et cette Justine qu'il avait seulement imaginée, cette femme immatérielle, peut soudain prendre corps et exister réellement, devenir Claire!
Mais l'histoire déraille, [fiction ou réalité?] et il n'est plus question de ratiocinations sur l'écriture, sur l'architecture des phrases, le choix des mots, quand l'ordre immuable des choses qu'on avait imaginé est bouleversé et qu'on a le sentiment confus d'avoir tout deviné avant les autres.
L'écriture, ce n'est pas une sinécure mais on peut même dire que c'est une alchimie, et la question vaut bien d'être posée, au moins par l'auteur « Un romancier, est-ce qu'il invente ou est-ce qu'il raconte ? ».
Alors le lecteur attentif et complice peut, lui aussi, dire avec l'auteur« Où en étais-je? ».
© Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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UN NOM DE TORERO - Luis SEPULVEDA
- Par ervian
- Le 17/05/2009
- Dans Luis Sepulveda
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N°338– Mai 2009
UN NOM DE TORERO – Luis SEPULVEDA– Éditions MėtaIlliė. - Traduit de l'espagnol par François Maspero.
Nous le savons, le domaine du romancier c'est la fiction. Drôle de nom pour caractériser un récit, une histoire qui est racontée au lecteur, avec un début, un développement et une fin où s'entremêle réalité et imaginaire , où les personnages existent et croisent dans un décor dû au seul pouvoir de l'auteur, mais qui, parfois, se laisse déborder par la vie qu'il leur insuffle. Le milieu de prédilection de Sepulveda, c'est le voyage et le monde qui lui offre sa vaste étendue, mais c'est aussi l'histoire immédiate de l'humanité qui se confond avec sa propre expérience, ses propres pérégrinations, ses désillusions aussi...
L'histoire donc. Elle met en scène deux hommes, Juan Belmonte, ancien guérillero de toutes les guerres perdues d'Amérique Latine et Frank Galinsky, ex membre de la Stasi qui sont engagés par des parties adverses pour retrouver un mystérieux trésor composé de 63 pièces d'or appartenant à la collection du « Croissant de Lune Errant » originellement dérobé par les SS. L'histoire a pesé sur ces deux hommes qui ont dû revenir sur leur idéaux politiques et qui, pour mener à bien leur mission doivent se livrer à un duel sanglant en Patagonie. Belmonte, qui porte un nom de torero, le même que celui d'Hemingway, est mandaté par « la Lloyde Hanséatique » qui a sur lui un moyen de pression idéal : soit il mène à bien sa mission, soit il perd Véronica, sa seule raison de vivre, brisée par la torture.
Comme son titre ne l'indique pas, il s'agit d'un roman noir [le couleur de la couverture le laissait cependant penser], un véritable duel sanglant sur fond de désillusions, mais de désillusion politiques, celle de la démocratie chilienne assassinée par Pinochet, celle des idéaux communistes trahis par Staline, celle aussi des espoirs déçus de la réunification allemande.
Il y a le personnage de Véronica, absent, muet, autiste, mais incroyablement présent, une sorte d'obsession de la mort, de la souffrance, de la nuit dans lequel elle survit, de l'exil, du mal de ce pays envoûtant qu'est la Patagonie, comme il le dit, la Terre de Feu est un pays de légendes, de trésors cachés. Il est fascinant par son climat, ses paysages, sa solitude. Il y a aussi la figure de Belmonte, perdant définitif dans cette société où il ne se reconnaît plus, qui a manifestement évolué sans lui et qui le laisse, lui, au bord du chemin sans possibilité de lui tendre une main secourable. C'est un roman de la réconciliation impossible d'un homme avec son pays qui veut surtout oublier ce qui fut la dictature de Pinochet, le roman d'un éternel exilé, un roman d'amour aussi...
Sepulveda fait ici un travail de remise en cause personnel, de confidences faites à son lecteur. Il est un fameux conteur dont cette chronique n'a pas manqué de célébrer le talent. J'y ai dit le plaisir que j'ai éprouvé à la lecture de certains de ses romans. Ici, j'ai retrouvé tout ce qui fait l'intérêt traditionnel que suscite d'ordinaire ses récits. Cependant, et je ne saurais dire pourquoi, j'ai moins accroché à ce roman, et je me suis un peu forcé à lire jusqu'à la fin, parce que c'est lui!
© Hervé GAUTIER – Avril 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LES FRÈRES ROMANCE - Jean COLOMBIER
- Par ervian
- Le 02/05/2009
- Dans Jean COLOMBIER
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Juin 1991
n° 65
LES FRÈRES ROMANCE – Jean COLOMBIER - Éditions Calman-Lévy.
Tout commence par un défi ridicule, une course de poids lourds sur une nationale pour prouver, ou se prouver, qu'on est le plus fort... Les choses s'enchaînent, s'aggravent, comme une sorte de vendetta au terme de laquelle il faut monter qu'on est un homme simplement parce qu'on ne laisse pas un affront impuni. Ce qui n'était qu'un jeu devient un drame, la justice s'en mêle, avec, au bout du compte, le tribunal et la prison à cause d'un mauvais coup.
Je dois dire que je n'ai pas, dès l'abord, accroché à ce texte qui pourtant ne ménageait pas les descriptions poétiques et évocatrices d'un terroir agréable. Pourtant, les personnages se sont imposés peu à peu... Les deux frères Romance, qu'on disait inséparables, et qui n'avaient l'un pour l'autre aucun secret, malgré leur différence d'âge, sont une manière de jumeaux dont la complicité est exacerbée par la disparition précoce de leurs parents. L'aîné, Alain, après avoir espéré autre chose, se retrouve marié et transporteur chez son beau-père. Sa femme qui ne fait partie de sa vie que d'une manière épisodique, attend une maternité qui ne vient pas. Julien, élevé par Clairon, leur grand-père, c'est celui qui a réussi et dont l'avenir est plein de promesses, une brillante carrière d'ingénieur... C'est pourtant lui que la justice condamne pour avoir voulu venger son frère aîné, cet Alain, dont la lâcheté éclate un soir sur un parking, entre routiers.
L'incarcération de Julien sera, pendant dix huit mois, avec la complicité de tout un village du Limousin, cachée à Clairon, qui n'aurait pas supportée cette épreuve. Un hypothétique stage aux États-Unis servira d'alibi... Et pourtant, la complicité qu'on suppose entre les deux frères, se dégrade, se lézarde, avec l'apparition de Louise, l'amie inconnue de Julien qui, bien entendu, finit par devenir la maîtresse d'Alain, autre lâcheté, d'autant plus grande de cette liaison se déroule pendant l'incarcération du frère. Elle creuse encore plus profondément le fossé qui sépare les deux hommes.
Ce roman m'apparaît être celui de la trahison où chacun rencontre son propre personnage, celui qui sommeille en lui et contre qui il n'a pas envie de se battre. Alain révèle la solitude du routier, une solitude qu'il redoute, mais dans laquelle il se complaît, parce qu'il avait vu sa vie autrement et que celle-ci l'entraîne dans une décision presque maladive autant que dans un tourbillon dans lequel il se sent mal. Il finit par s'y couler comme dans une peau trop étroite. Au tribunal, le témoignage d'Alain aurait pu sauver son frère, mais il garde le silence sur l'humiliation qu'il a subie et que Julien a voulu venger. Le silence puisé soit dans l'ignorance de la vérité, soit dans la volonté de ne pas révéler les faits tels qu'ils se sont passés restera pesant jusqu'à la fin.
La vie d'Alain est peuplée de fantasmes qu'il cherche à apprivoiser par la fréquentation de la mort, comme si les absoutes qu'il recherche pouvaient remplacer celle de ses parents trop tôt disparus. Cette idée de la mort est trop présente pour ne pas éclater à la fin, dans le fracas d'un accident et la dislocation du corps de Louise... Un suicide libérateur. La vie continuera, mais ce drame ne pourra être happé par l'oubli.
J'ai lu dans ce livre une étude de caractères fort bien menée, surtout celui d'Alain qui aurait pu jouer le rôle du père pour son frère mais que les évènements révèlent comme quelqu'un qui fuit les responsabilités, celui qui trahit et qui se retrouve seul... à cause de lui. Il ne suffit pas de dominer la route du haut d'un " quarante tonnes " pour être maître de sa vie. On ne peut être longtemps son propre illusionniste.
Je l'ai dit, je n'ai pas, d'emblée, été conquis par ce texte. J'ai continué cependant, peut-être conduit dans ma lecture par le fil ténu de l'intérêt. Je n'ai pas été déçu.
© Hervé GAUTIER.- Juin 1991.
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ALABAMA SONG - Gilles LEROY
- Par ervian
- Le 29/04/2009
- Dans Gilles LEROY
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N°337– Avril 2009
ALABAMA SONG – Gilles LEROY– Mercure de France. [Prix Goncourt 2007]
Scott Filtzgerald est un écrivain que je n'aime pas ou plus exactement dans l'univers littéraire de qui je ne suis jamais parvenu à entrer.
Pour autant ici, il s'agit de Zelda, son épouse dont l'auteur nous offre une biographie tout en nous avertissant qu'il s'agit d'une fiction. On s'y perd un peu, d'autant que pour ceux qui connaissent le parcours de l'écrivain américain et de son épouse, les similitudes biographiques sont troublantes, je dirai qu'il n'y a même que cela. Entendons-nous bien, cela ne me gêne pas, c'est même plutôt bien trouvé et bien rendu. Ces deux êtres que tout oppose, ces improbables adolescents en réaction contre leur milieu qui se rencontrent, finissent par s'aimer, par se marier, par écrire [surtout lui], par connaître le succès puis la déchéance et l'oubli, c'est bien eux, même s'il leur est prêté des sentiments, des amours et des situations qui, pour être possibles n'en sont pas moins l'objet de supputations. L'auteur se glisse dans la peau de Zelda,au point de rédiger le texte à la première personne, la fait parler et confier au lecteur ses joies, ses peines, ses angoisses et notamment celle d'être phagocytée par un mari contre qui elle doit lutter...Nous sommes là dans le domaine de la création, inspirée par des faits réels et ce n'est quand même pas moi qui vais trouver à redire. C'est d'ailleurs un thème original qui mérite bien qu'on s'y attarde et qui est de nature à être le prétexte d'une réflexion. D'autre part, évoquer ces deux vies marquées par le sceau de la démesure, de l'excès, de l'autodestruction, c'était plutôt un bon sujet!
Que Zelda ait été la source d'inspiration de Scott, son pigmalion mais aussi que leur couple ait connu l'amour, la haine la déchéance, c'est là le parcours véridique d'un créateur et de son épouse qui faisaient ensemble plus qu'un ménage traditionnel que les parents de cette femme auraient sans doute rêvé pour leur fille.
Qu'elle ait trouvé la mort dans un incendie accidentel, c'est à dire de la manière (un peu différente quand même) dont on éliminait les sorcières, les folles, les rebelles, c'est plutôt une fin à sa mesure et qui lui ressemble. Que l'auteur puisse dire d'elle qu'elle ne pouvait périr dans les flammes parce qu'elle était une salamandre : c'est magique et c'est même d'une certaine manière un hommage, qu'il suppose qu'elle ait été assommée par les médicaments et que, donc, elle n'ait pas été consciente et que le sommeil l'ait fait passer directement de la léthargie à la mort, pourquoi pas?.
Qu'elle ressemblât à ces ciels d'Alabama, orageux, impétueux, diluviens, porteurs de mort aussi, puis ensuite bleus d'azur, cela c'était bien elle. Que ce récit emprunte son titre à une chanson des Doors est plutôt bienvenu... à cause des paroles.
Pourtant, il y a quelque chose qui me gêne dans ce récit que j'ai pourtant lu avec gourmandise et attention, quelque chose qui tient sans doute à la façon peu conventionnelle dont le texte est écrit. Il est peu convenu et volontairement provocateur, ce qui n'est pas pour me déplaire. Ce n'est pas non plus les allers et retours dans le temps qui tressent petit à petit une atmosphère un peu malsaine en tout cas tout à fait propice à cette ambiance qui a baigné cette union pendant toute sa durée. Ce n'est pas non plus ce dernier chapitre plus actuel où l'auteur apparaît peut-être en filigranes, peut-être à contre-jour. Il y est question de cette impossibilité d'écrire parce que l'autre, l'amant, l'interdit. Cette lutte, c'est un peu celle de Zelda contre Scott?
©
Hervé GAUTIER – Avril 2009.
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LE MONDE DU BOUT DU MONDE - Luis SEPULVEDA
- Par ervian
- Le 27/04/2009
- Dans Luis Sepulveda
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N°336– Avril 2009
LE MONDE DU BOUT DU MONDE – Luis SEPULVEDA– Métailié.
(Traduit de l'espagnol par François Maspero)
Dans ce récit se mêlent des bribes d'enfance d'un garçon de 16 ans qui vient passer ses vacances d'été à bord d'un baleinier des les eaux désolées des canaux de Patagonie parce qu'il a lu « Moby Dick » mais aussi les romans de Francisco Coloane, et le combat écologique en faveur des baleines de ce même garçon qui, ayant grandi, s'engage au côté de « Greenpeace » contre la pêche industrielle japonaise d'un bateau-usine dont on cherche à cacher l'existence et l'activité, et le soutient de ceux qui ont choisi de mener ce combat..
C'est donc un roman militant qui veut porter témoignage.
Comme à son habitude, l'auteur se livre à l'évocation de personnages hauts en couleurs comme le capitaine Nielssen, sculpté par l'aventure et la vie en mer, fils d'un marin danois et d'une indienne Ona, qui veut finir sa vie ici, malgré le climat rude, dans ce décor sauvage « parce que ces milliers d'îles, d'îlots et de rochers sont ce qu'il y a de plus proche du moment de la création ». C'est l'occasion pour lui de dénoncer aussi l'extermination par les Chiliens des minorités indiennes qui peuplaient originellement ce pays devenu terre d'émigration.
Il rappelle le génocide oublié de ces peuples de la mer maintenant disparus, la déforestation de la Cordillère, les ravages des Japonais, la corruption des militaires au pouvoir au Chili qui ont encouragé et fait perdurer cette œuvre de destruction, les trafics en tous genres et l'absence de contrôles et de sanctions qui qui favorisent cette politique... Il rompt le silence sur la surexploitation de la mer dans ces contrées, le massacre aveugle de la faune par les Japonais mais également à l'époque (nous sommes en 1984) par les États-Unis, la Russie et l'Europe.
C'est aussi un texte qui évoque ces vaisseaux-fantômes qui font partie de la mythologie nationale, qui décrit les paysages grandioses du sud du Chili où les récifs écorchent la mer et les tempêtes sèment la mort, ces récits de piraterie où la légende se mêle à l'histoire, cette fable (mais en est-ce une vraiment) ou les baleines et les dauphins se défendent eux-mêmes contre les pêcheurs criminels venus les exterminer.
Je ne sais pas pourquoi mais, malgré les images et les évocations poétiques qui émaillent ce livre, ce qui est aussi un manifeste écologique m'a moins plu que ceux que j'ai déjà lus.
©
Hervé GAUTIER – Avril 2009.
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LE NEVEU D'AMERIQUE - Luis SEPULVEDA- Métailié.
- Par ervian
- Le 22/04/2009
- Dans Luis Sepulveda
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N°335– Avril 2009
LE NEVEU D'AMERIQUE – Luis SEPULVEDA– Métailié.
(Traduit de l'espagnol par François Gaudry)
Cela commence par un geste iconoclaste, où l'anticléricalisme le dispute à l'anarchisme, d'un petit garçon qui, à l'invite de son grand-père, va pisser sur la porte d'une église de Santiago, tout aussitôt suivi, à propos d'un livre à lire, par une promesse de voyage, à un grand voyage, celui d'aller dans un village d'Andalousie d'où est originaire sa famille et peut-être aussi d'en faire un qui ne mènera nulle part! Nulle part, oui, peut-être mais avec pas mal d'étapes dont le point de départ obligé se situe dans un pays, le Chili, qui a accueilli jadis sa parentèle comme des émigrants, mais qui maintenant le rejette à cause de Pinochet , de ses exactions, de ses exécutions...
Dans ce récit autobiographique, l'auteur entraine son lecteur dans un périple picaresque qui le conduira des geôles chiliennes à la Terre de Feu, à travers toute l'Amérique Latine, dans un itinéraire compliqué, hésitant et en pointillés qui ressemble à une fuite, un exil, une quête de quelque chose d'indistinct. Son but initial, c'est la liberté, mais pour lui, les détours se multiplient, l'entrainent toujours plus loin, mais c'est pour revenir sur cette terre sud américaine qui est la sienne. C'est aussi un parcours initiatique de l'aventure d'un infatigable voyageur à qui il arrive les choses les plus incroyables depuis l'atmosphère fétide des prisons jusqu'aux paysages grandioses de la Patagonie en passant par des projets avortés où la bonne fortune n'a d'égal que le refus de se fixer définitivement, où la volonté de bouger s'apparente vraiment à la conjugaison du verbe « partir. ».. à tous les temps!
C'est pour lui l'occasion de rencontres d'exception d'hommes et de femmes que seul le voyage permet de croiser, des gens qui vivent leur vie sans entraves, des gens au grand cœur, insoumis, anarchistes qui ont en commun ce goût de la liberté et le refus d'obéir à l'ordre établi, une certaine attirance pour le bonheur, quel que soit le prix qu'il faut payer pour cela « Sur cette terre nous mentons pour être heureux. Mais personne ici ne confond mensonge et duperie »; C'est toute une galerie de portraits qui défile devant nous.
Et l'écrivain n'est jamais très loin qui, mêlant légende et réalité, fait la chronique de tout cela, autant pour en conserver la mémoire intime que pour, grâce à son imagination autant qu'à son souvenir, enthousiasmer son lecteur ainsi transformé en passager clandestin, caché entre les pages du livre, témoin silencieux de ce parcours .
Il n'oublie pas de nous faire partager la beauté de ces paysages grandioses des terres australes auxquels répond ce village andalous écrasé de soleil où il a ses racines lointaines et qui est le terme de cette pérégrination, le respect de cette promesse qui, en quelque sorte, le fait revenir « au point de départ du long voyage entrepris par (son) grand-père », lui, « le neveu d'Amérique » qui ainsi est revenu.
Le style est humoristique et alerte, captivant, comme bien souvent celui des écrivains sud-américains, et Sepulveda, en merveilleux conteur, entraine son lecteur presque malgré lui dans le sillage dépaysant de ces contrées autant que dans les méandres de ses aventures d'éternel nomade.
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Hervé GAUTIER – Avril 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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RENDEZ-VOUS D'AMOUR DANS UN PAYS EN GUERRE - Luis SEPULVEDA
- Par ervian
- Le 20/04/2009
- Dans Luis Sepulveda
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N°334– Avril 2009
RENDEZ-VOUS D'AMOUR DANS UN PAYS EN GUERRE – Luis SEPULVEDA– Métailié.
(Traduit de l'espagnol par François Gaudry)
Je ne dirai jamais assez l'attachement que j'ai pour les écrivains sud-américains, d'expression espagnole en particulier, et, en général, pour l'atmosphère d'exception que tissent les nouvelles.
J'ai aussi plaisir à célébrer le 29° anniversaire de cette revue en compagnie d' un écrivain d'exception.
Ici, Luis Sepulveda, dont cette chronique a déjà mentionné l'œuvre, revient avec un recueil de 27 nouvelles où le style est fluide, précis, simple, poétique, érotique aussi parfois et où l'auteur s'attache son lecteur jusqu'à la fin.
Il y est question de ces rendez-vous manqués qu'on a, au cours de sa propre vie, avec soi-même, avec les autres, avec l'amour, l'amitié, avec le temps... Ce sont autant d'actes manqués, de situations qu'on regrette amèrement plus tard mais pour lesquelles on n'est pas forcément pour quelque chose, des moments où la malchance nous accable ou nous paralyse, bloque en nous des mots qu'on n'ose pas dire, de gestes pourtant simples que la timidité nous interdit de faire, qui compromettent à jamais notre vie, la recouvrent de ces remords dont on ne peut se débarrasser et qu'on traine toute son existence.
Que ce soit ces femmes qu'on n'a pas pu aimer, qui nous ont échappé, ces paysages de bout du monde comme seule la Terre de feu en offre, ces fantasmes d'une enfance qui s'en va sans retour, ces peines jamais éteintes, ces envies jamais vraiment assouvies, le mystères des autres, celui qu'ils ont ou celui qu'on leur prête, leur charme, leur charisme, tout cela laisse des traces indélébiles dans notre âme, avec, en plus une cicatrice invisible, intime mais bien réelle, que nous sommes seuls à connaître et qui nous torturent. Il y a aussi ces moments anodins d'une vie, sublimés par l'écriture, ces petites parcelles d'existence qui, sans elle, s'évanouiraient dans l'oubli, des instants d'une conscience ou d'une absence que le quotidien, la routine et l'usure des jours rendraient transparentes, ces souvenirs qui vous reviennent en pleine figure à propos de rien et qui soulignent nos renoncements, nos compromissions parfois, ce hasard néfaste qui s'attache à nos pas et qui fait de nous, sans que nous y puissions rien, une victime expiatoire de quelque chose que nous ne maitrisons pas, parce que d'autres êtres se sont insinués dans notre vie, s'y sont installés et pèsent de tout leur poids sur notre destin, cette envie légitime que tout cela change dans un autre sens, que cesse cette chape d'incompréhension, de mystères qui nous étreignent et qui finissent par faire de notre vie quelque chose d'insupportable au point que nous ne pouvons plus nous débarrasser de nos obsessions, de nos phobies, de nos paris fous sur l'avenir immédiat. Ce sont bien ces mots dérisoires qui résument notre histoire, notre cheminement sur cette terre, nos souvenirs, nos repentirs impossibles, tous ces non-dits, ces qui pro quo, des possibles devenus maintenant impossibles... Notre histoire personnelle, que l'Histoire ignore parce que nous ne sommes pour elle que des numéros et des êtres sans importance, fait foi de ce parcours qui n'est bien souvent pas sans faute, nous, nous le savons! C'est aussi ces amours chimériques ou usés durablement par le quotidien et qui n'auront jamais plus le lustre d'antan, à jamais enfouis, détruits, parce qu'il n'y a plus rien à dire, plus rien à faire, bref qu'on n'est plus rien et qu'on n'est plus bons qu'à attendre la mort, parce qu'elle, au moins, elle voudra bien de nous, ces amours si improbables que seul la fuite est la solution et avec elle l'oubli, la quête des ombres qui envahissent notre inconscient, ces amours qui nous font croire à nous-mêmes que nous sommes uniques et exceptionnels, ces amours qui nous tombent dessus sans crier gare à cause d'un simple regard, ces amours qui se font urgentes quand la mort rode, que la vie se fait avare de son temps ou fréquente un peu trop le danger, l'indifférence, le dégoût de soi-même, et que l'ennui de l'autre devient soudain insoutenable et qu'on a envie d'autre chose.
Les choses changent pour chacun, d'entre nous, génèrent l'exil, le bonheur ou quelque chose d'indicible que parfois nous ne voulons ni voir ni exprimer parce que ainsi cela perdrait de sa substance et peut-être nous détruirait, ferait renaître en nous le désespoir et nous obligerait à vivre avec l'absence de quelqu'un ou de quelque chose.
Parfois pourtant, on entraperçoit, l'espace d'une fraction de seconde, le bien fondé de cette existence qui est autre chose que la somme des jours sans joie qui constituent notre quotidien, et on admet que tout cela justifie cette attente parfois angoissée et paie largement nos désespérances.
© Hervé GAUTIER
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LE CHIEN TCHECHENE - Michel MAISONNEUVE- Gaïa.
- Par ervian
- Le 20/04/2009
- Dans Michel MAISONNEUVE-
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N°333– Avril 2009
LE CHIEN TCHECHENE – Michel MAISONNEUVE– Gaïa.
D'emblée le style m'a paru déconcertant, pas vraiment ce à quoi je m'attendais! Après tout un polar, c'est un polar, me suis-je dit, alors allons-y! Il m'est apparu que ce n'était pas vraiment mal écrit, pas vraiment bien non plus malgré les aphorismes poétiques d'Omar Khayyâm, de Lao-Tseu ou de Georges Brassens, mais pas non plus vraiment passionnant! Il est vrai que j'attache beaucoup d'importance à l'écriture. Je n'y peux rien. C'est comme cela. Là, j'ai été déçu. Le style est franchement celui du polar et cela me dérange un peu. Cela crée une atmosphère pas vraiment dérangeante, un peu curieuse et qui m'a déplu. Je sais que chaque livre est un monde à part, mais celui-là ne m'a pas enthousiasmé. Même les formules qui se veulent caractéristiques et peut-être percutantes ou humoristiques ne m'ont pas emballé.
L'histoire ensuite. Elle m'a paru un peu compliquée. Cela commence par les obsèques, à Marseille, d'une veille dame suivies par seulement trois personnes dont son chien. Mémé Oumaraq est morte assassinée après une séance de torture, et son appartement a été mis à sac, alors qu'elle ne possède rien. Ce n'est donc pas un crime crapuleux, mais peut-être pas un acte gratuit non plus! Puis d'autres personnages un peu bizarres, Dachi El Ahmed, son voisin féru de poésie persane, enseignant et médiateur des cités, Nestor Patipoulos, veuf et ancien ébéniste et son histoire d'urne mortuaire contenant les cendre de son épouse, sa fille Léda, rousse et attirante, puis d'autres encore comme Hocine, petit caïd de banlieue, toujours friand d'un mauvais coup, très sourcilleux sur la question de son territoire, ou d'anciens malfrats de la pègre, l'Apache, en réalité Raoul Babinetti devenu « nuage d'acier », ancien truand, qui vit dans un tipi planté sur un toit en terrasse, mais n'oublit pas son ancien état et le P 38 qui va avec. Il est bien entendu frère de sang de Dachi puisque c'est un indien ou qu'il se considère comme tel, des alcoolos et une intellectuelle... Et en filigranes une BMW grise en embuscade avec des Russes comme passagers qui poursuivent Dachi, Nestor et le chien, une histoire de plan du Caucase, de carte postale rédigée en tchétchène et, au loin, une guerre un peu oubliée, là-bas en Tchétchénie.
Tout y est pourtant dans ce décor marseillais, les cartes, l'anisette, le vieux port, les truands, les cités...
Reste l'énigme du chien, Hassan, un beagle, cadeau du fils de la vielle dame assassinée, un fils, combattant là-bas, qui portait le même nom que le chien, une énigme à lui tout seul, le moteur de toute cette histoire. Il est tchétchène comme la vielle dame et son fils, tatoué et possède une puce, entendez une puce électronique sous la peau, ce qui sera la source de toute cette intrigue.
J'ai eu l'impression que l'auteur souhaitait entrainer son lecteur dans une galerie de portraits, dans des rencontres rocambolesques et dans des aventures qui ne le sont pas moins. Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais je ne suis pas entré vraiment dans ce voyage, dans cette histoire où l'écriture n'est pas une musique et où l'intrigue est un peu déconcertante.
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Hervé GAUTIER – Avril 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D’AMOUR - Luis SEPULVEDA - Editions Métaillé.
- Par ervian
- Le 20/04/2009
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N° 166 - Septembre 1993.
LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D’AMOUR - Luis SEPULVEDA - Editions Métaillé.
Je dois avoir un faible pour les écrivains sud-américains mais ce roman de Sepulveda parvenu entre mes mains par hasard m’a, comme à chaque fois, procuré ce dépaysement un peu surréaliste d’une contrée perdue au bord d’un fleuve, unique voie de communication qui la relie à la civilisation. Il apporte à ce village nouvelles et vivres, et, bien entendu il émerge de ce petit peuple de « peones » et de « jivaros » des personnalités fortes qui s’imposent par leur seule présence.
El Idilio, petit village de l’Equateur est situé dans la forêt au bord du fleuve. Antonio José Bolivar Proano y vit ou plutôt y survit dans une solitude tout juste égayée par la lecture laborieuse de romans qui parle de l’amour, le vrai, celui qui fait souffrir... C’est sa manière à lui d’oublier qu’il vieillit. Il a tout abandonné, sauf peut-être la chasse qu’il va reprendre une ultime fois contre un ocelot qui menace le village. Il n’aura pas trop de toute la science que lui ont enseigné jadis les indiens Shuars pour déjouer ses pièges et en venir à bout. Mais le combat qu’il livre contre la bête est sans haine, un peu comme le dernier avant de basculer dans la mort. Il tue le fauve pour réparer les erreurs et la barbarie des hommes qu’il hait définitivement mais surtout pour protéger ce petit coin de terre où il a choisi de mourir.
© Hervé GAUTIER
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DICTIONNAIRE DES MOTS RARES ET PRECIEUX
- Par ervian
- Le 13/04/2009
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DICTIONNAIRE DES MOTS RARES ET PRECIEUX - Domaine français- dirigé par Jean Claude Zylberstein - Collection 10/18.
J'ai peu l'habitude de donner mon avis sur un dictionnaire, mais celui-ci me paraît original et mérite l'attention du "lecteur". C'est en effet un ouvrage que j'ai consulté avidement, autant pour enrichir mon vocabulaire que pour goûter les délices de notre langue et ce d'autant plus volontiers que nous perdons chaque jour malgré nous et par le non-usage des mots français au profit de termes étrangers que notre langage assimile aussitôt. Certes, c'est bien puisque notre langue ainsi évolue (c'est en cela qu'elle est une langue vivante) grâce aux apports extérieurs.
J'ai toujours été frappé par le fait qu'à chaque édition d'un dictionnaire, celui-ci fait la même épaisseur que le précédent alors qu'il comporte des ajouts de mots. Pour cela il est évident qu'il faut en sacrifier d'autres et que ces derniers ne peuvent être que des mots anciens, c'est à dire rares et relativement peu usités. Le plus souvent les mots rajoutés sont nés du "franglais", ce qui est bien triste mais je crois me souvenir avoir entendu de la bouche d'un éditeur que le rôle d'un dictionnaire est actuellement non pas tant de conserver la langue dans sa pureté originelle que d'en expliquer les mots nouveaux pour qu'ils soient compris de tous, même si pour cela il faut consentir à des sacrifices.
Cet ouvrage me paraît donc venir utilement combler le vide ainsi creusé par les éditions successives des dictionnaires.
Et puis il y a le plaisir d'apprendre et de découvrir. Qu'est-ce donc qu'étriver, qu'une gradine, qu'un moisement, qu'une panneresse ou qu'un récibion? Tous ces mots venus d'un passé lointain, souvent technique ont conservé, par cela même qu'ils n'ont pas été mâtinés une fraîcheur et une musique dont il serait dommage de se priver.
Ne vaut-il pas mieux préférer le mot juste à une périphrase peu élégante? Par exemple "Echampir" pour dire imiter le relief des objets en en soulignant les contours ou "dévoler" pour indiquer qu'on a fait de mauvaises affaires. C'est peut-être quelque peu désuet mais ô combien évocateur même si cela peut paraître pédant!
C'est vrai que "la richesse de notre langue fait qu'un grand nombre de mots nous sont pratiquement inconnus" mais il est également vrai de constater que "notre langage est en perpétuel mouvement, soumis sans cesse au flux et au reflux qui tour à tour masquent et découvrent tel ou tel secteur."
En tout cas, pour ma part, je suis disposé à poursuivre avec plaisir ce merveilleux voyage au pays des mots qui sont aussi le véhicule de la poésie.
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JE M'APPELLE VICTOR - Film de Guy Jacques.
- Par ervian
- Le 13/04/2009
- Dans cinéma français
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N°169
Octobre 1993
JE M’APPELLE VICTOR – Film de Guy Jacques.
Pendant près de deux heures, le spectateur, pour peu qu’il emboîte de pas de l’auteur, partage la vie, ou plus exactement l’univers de Basile, ce petit garçon de onze ans, amoureux de Cécile, une jeune fille plus âgée que lui et qu’il tente de séduire en lui faisant croire qu’il est réincarné et qu’ainsi il a connu son arrière-grand-père, le nain kleptomane…
En réalité, il puise dans les souvenirs d’une vieille dame, Rose, qui vit recluse dans son microcosme, au premier étage de la maison des grands-parents du garçon à Wassy.
Malgré les apparences, Rose n’a pas vieilli, car sa vie à elle s’est arrêtée au moment où, en pleine guerre de 14-18 sa mère devait venir la chercher et a trouvé la mort dans la petite gare de Wassy sans que Rose en sache rien. Depuis, clouée sur un fauteuil roulant à cause de l’autre guerre, elle vit avec cet espoir fou de revoir sa mère, mais aussi avec le souvenir de ce Victor, un coureur automobile qui lui aussi a disparu, qui était son compagnon et avec qui elle devait faire sa vie.
En fait, le personnage fascinant de Rose est en prise directe sur Basile au point qu’il s’identifie à Victor, qu’il prend sa place. Il n’a de cesse d’entraîner sa jeune amie dans «l’’île aux amoureux » à cause d’une légende instillée dans l’esprit de l’enfant par Rose elle-même.
Dans ce récit initiatique, il y a plus qu’une histoire, il y a une invitation au rêve, à l’amour, au merveilleux. Il y a ceux qui y sont déjà, Rose, qui n’en sortira que par la mort, ceux qui veulent y entrer, qui en entrouvre la porte, comme Basile mais qui souffre de ne pas entraîner celle qu’il aime dans sa démarche, parce que cet amour d’enfant est impossible, ceux qui resteront sur le seuil comme Cécile qui regrettera jusqu’aux larmes de ne pas sauter le pas parce qu’elle est consciente de l’impossibilité de cet amour, ceux qui sont ailleurs, dans un autre monde, différent mais tout aussi idyllique et qui n’en sorte que de temps en temps, le vieux Chef de Gare qui n’est plus là que pour lever les barrières et regarder passer des trains qui ne s’arrêtent plus mais qui reconstitue pour lui seul dans la gare désormais vide tout un réseau de train électrique, le grand-père de Basile, un ancien légionnaire qui n’a jamais vraiment quitté le Tonkin et qui en recrée le décor, ceux enfin qui sont étrangers à tout cela, le compagnon de Cécile, plus intéressé par la moto et les copains. Il est en dehors du monde de cette émouvante histoire, tout comme Luce, la grand-mère de Basile, bourrelée de remords. Elle n’y vit physiquement que dans les exagérations de son mari. Elle est fait une femme malheureuse, dominée par Rose qui lui est supérieure et qui l’écrase, l’étouffe…
Outre les excentricités des personnages, il y a l’atmosphère de ce film où le présent se mêle au passé par le truchement de la réincarnation feinte de Basile, et pourtant le spectateur ne sait jamais où s’arrête l’un et où commence l’autre, tant le fantastique et présent à chaque moment fort, au point que les souvenirs de Rose, véritables prétextes de ce récit resurgissent à l’occasion des larcins que le nain voleur avait cachés dans sa maison et qui réapparaissent comme par hasard !
Mais est-ce vraiment par hasard que Rose choisit de quitter son décor et sa vie parce que Basile, son complice, est venu lui annoncer «l’arrivée » de sa mère ?
Chacun des personnages vit dans un monde qu’il s’est construit parce que, pour lui, peu ou prou, il reste un peu de cet esprit d’enfance magique, merveilleux, poétique, mélancolique aussi. Bref, un film à la réelle personnalité, plein de rigueur et d’émotion.
© Hervé GAUTIER.
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FLEUR DE SEL ET FLAQUE DE SANG SUR RE LA BLANCHE - Roman - Robert BENE.
- Par ervian
- Le 11/04/2009
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N°251 – Février 2006
FLEUR DE SEL ET FLAQUE DE SANG SUR RE LA BLANCHE – Roman - Robert BENE.
Editions De BOREE.
D’emblée, le décor est planté, celui de l’Ile de Ré (avec une majuscule, s’il vous plaît) comme l’appellent les Rhétais mais aussi les Rochelais, ceux du continent tout proche, comme s’il n’y en avait qu’une sur ce littoral qui pourtant en est riche ! « Toute la journée de la veille, la pluie était tombée, fine et continue, et Marcelline n’avait pas vu âme qui vive dans le chemin de la Grande Vasouse longeant le Moulin des Rapaces… Seuls quelques vieux goélands qui connaissaient bien la vieille dame, étaient venus rompre sa solitude et quémander bruyamment quelques croûtons de pain sous sa fenêtre ». La couleur locale non plus n’est pas en reste, révélée à travers les mots d’une langue vernaculaire « Roger Leman fit glisser sa lourde pelle sur la surface de la vasière, afin d’enlever les salicornes et d’étaler les « bossis » sur lesquels poussaient quelques maigres obiones »…
Nous sommes bien sur « Ré la blanche », avec ses maisons basses, ses marais salants, ses embruns, ses tas de sel scintillants…
Comme la couverture l’indique, il s’agit d’un roman d’où la poésie n’est jamais bien loin et illumine les descriptions. Ecoutez plutôt « Ce matin, le soleil trop exubérant dès son lever, avait très vite fait place à un épais brouillard qui maintenant enveloppait tout le marais de sa couverture cotonneuse. Des milliers de perles étincelantes et tremblotantes s’accrochaient aux toiles d’araignées suspendues aux fines branches des buissons de tamaris et aux longues herbes salées des bosses des marais » ou encore « De son long « Simoussi » de Bois, il retirait, d’un geste léger de dentellière tirant son aiguillée de fil, la fleur de sel que le soleil généreux des jours précédents avait miraculeusement générée de la mince couche d’eau de mer étalée dans les petits damiers colorés de rose des « œillets » saunants »
Le style est aussi emprunt d’un argot contemporain avec ce sens de la formule imagée qui ne peut laisser le lecteur indifférent « [les frères Baillon], deux marginaux dont la matière grise mijotait en permanence dans les vapeurs d’alcool. » ou encore « Le flot de paroles que l’alcool avait déclenché chez ce petit homme, pas vert comme un martien, ni noir comme une cuisinière, mais rouge comme un homme que la passion emporte » ou « Tiens donc, un cadavre, comme ça, devant ta porte ? Il est arrivé tout seul. C’est vrai que c’était peu de temps avant Noël »,ou encore « Il était facile de deviner que celui-ci pataugeait dans un épais brouillard éthylique qui le laissa muet »…
Ce qui est mis en scène ici, c’est tout un petit monde où les voisins ne se parlent plus, excepté pour s’invectiver ou se menacer pour des histoires de succession, de filiations putatives incertaines et improbables, de conflits d’intérêts, d’usage de droits coutumiers à cause desquels les vivants se pourrissent la vie et qui font le folklore, sinon la fortune, des études de notaires. Toutes ces péripéties font aussi naître dans les têtes des protagonistes des idées de vengeance où on remâche sa haine des autres et de la terre entière, ses médisances, ses clabaudages, ses fantasmes et ses rancunes. On en vient parfois à souhaiter la mort d’un parent où d’un voisin pour un héritage désiré, qui tarde à venir et qu’on voudrait bien précipiter ! C’est l’univers des basses représailles exercées au quotidien, des vielles rancœurs, de la flagornerie intéressée témoignée aux gens riches, ceux de la ville, les « Parisiens » [« Pour lui tous les touristes étaient des Parisiens »], ces touristes avec leur argent qui transforment les vieilles ruines en résidences secondaires luxueuses, leurs questions naïves et condescendantes. On les méprise, on les attend, on les envie…La galerie de portraits n’est pas en reste : C’est deux mondes qui se juxtaposent sans vraiment se comprendre et se connaître. Leurs relations, jamais exemptes d’arrière-pensées, ne sont qu’éphémères et épisodiques.
C’est une peinture de la condition humaine, avec ce sens du raccourci dans la phrase où se lisent l’attente et l’espoir fou vite déçu « Après avoir longtemps attendu le prince charmant, Raymonde passa deux ans de sa jeunesse à attendre le facteur tout en faisant du crochet. », les rêves de possession « Tous deux avaient compensé leur manque d’amour par un amour démesuré de l’argent et n’étaient possédés que par un seul désir, celui de posséder », tout ce qui fait la vie avec des habitants de ce petit coin de terre et de sable, coincé entre le ciel et l’eau, ses hasards, ses surprises …
Ce sont des parents qui ne pensent, à défaut de son bonheur, qu’au mariage de leur fille, de préférence avec un bon parti, parce que cela se fait, parce qu’on ne reste pas vieille fille, à cause du qu’en dira-ton ou de convenances d’un autre âge, une histoire pleine de désamours ou d’amours contrariées ou dissoutes par l’usure du temps… Tout cela fait naître de drôles d’idées dans les têtes… Je vous rassure, l’amour fou, le plus inattendu et donc le plus merveilleux existe aussi, heureusement !
C’est aussi une intrigue policière dont je ne saurais dévoiler les arcanes, à la fois surprenantes et déroutantes, comme il se doit, et qui participe aussi de l’intérêt du livre.
C’est donc avant tout un roman, écrit comme tel et qui se lit d’un trait, avec juste ce qu’il faut de situations énigmatiques et pleines de suspense, de rebondissements, de retournements, qui, jusqu’à la fin, tient le lecteur attentif en haleine.
© Hervé GAUTIER
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SERIE NOIRE SUR RÉ LA BLANCHE - Robert BÉNÉ - auto-édition.
- Par ervian
- Le 11/04/2009
- Dans Robert BENE
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N° 248–août 2003
SERIE NOIRE SUR RÉ LA BLANCHE – Robert BÉNÉ - auto-édition.
Il paraît qu’un roman policier ne se lit bien qu’en vacances. C’est donc pendant l’été que j’ai lu ce livre amicalement offert. J’y ai retrouvé avec plaisir cette île de mon enfance quand elle n’était pas encore reliée par un pont au « continent », qu’on y accédait encore par la noria des bacs (« l’Amiral Duperré » entre autres), qu’elle était encore typique, qu’on pouvait courir en liberté parmi les vignes sauvages, ramasser des poireaux et des asperges qui poussaient simplement dans le sable et jouer dans les restes de blockhaus allemands de la dernière guerre… C’était un autre temps, comme ont dit, celui de la jeunesse, de l’insouciance… « Ré la blanche », elle l’était par la couleur de ses tas de sel, du sable de ses plages et de la façades de ses maisons blanches aux contrevents verts, éclaboussées de soleil.
A l’époque, il y avait déjà des roses trémières, mais aussi des ânes en culottes à carreaux, des femmes en quichenottes et des bateaux de pêche qui rentraient le soir au port avec leur marée fraîche. Oui, c’était un autre temps que les aquarelles de Suire ont immortalisé et les touristes déjà y venaient pour l’été, mais il y avait davantage de « villages de toile » que de résidences secondaires hors de prix.
De La Rochelle toute proche on venait pour passer une journée ou un après-midi et on se sentait chez soi sur l’île de Ré. Maintenant, elle est de plus en plus la banlieue d’un Paris chic. C’est comme cela, les temps ont changé !
L’auteur, lui, choisit cette île des années 1970 … Nostalgie peut-être, mais moi j’aime bien !
Mais revenons sur ce roman dont on devine avant même de l’avoir ouvert, à cause du titre et de la couleur de la couverture, qu’il va être noir. Ah ça, pour l’être, il l’est ! Pas moins de douze meurtres et deux suicides en un mois dans ce petit village de La Noue ; c’est presque surréaliste ! Le policier fera son travail…mais il n’en sortira pas indemne !
En tout cas cela suffit à faire réquisitionner le pauvre commissaire Paulhac qui, à dix huit mois de la retraite vient prendre un mois de vacances dans la maison familiale avec son fils, Pierre, lui aussi un futur policier. Il fait déjà des projets pour son avenir, lui qui a si difficilement gravi les échelons pour devenir ce qu’il est !
Au vrai, tout commence avec une évasion du pénitencier de Saint Martin de Ré et le Service Public et le devoir n’attendant pas, de vacancier tout juste débarqué à La Noue, le commissaire se retrouve réquisitionné d’office pour mener l’enquête, mais seul ! C’est qu’on soupçonne le fuyard d’être aussi un dangereux assassin ! Heureusement son fils est là qui propose à son père de l’aider et qui va ainsi pouvoir exercer son talent de futur limier. Ses méthodes sont différentes (là aussi, un autre temps !), mais qu’importe, seul le résultat compte, alors ils font équipe, mais les assassinats se multiplient.
Bien sûr, il ne faut jamais déflorer l’intrigue d’un roman policier, et, cher lecteur de cette vieille revue, ne comptez pas sur moi pour le faire !
En tout cas, ce roman est l’occasion pour l’auteur non seulement d’évoquer des paysages de l’île de Ré, si poétique et si belle, mais aussi de brosser toute une galerie de portraits. C’est que le fonctionnaire de police retrouve pour ses vacances rétaises ses copains d’école comme ce brave « Père Milou », un peu voyeur, un peu vicieux qui rend, pourquoi pas, un culte appuyé à Bacchus, mais pas méchant pour deux sous ! C’est une figure locale comme les aiment ceux qui viennent se dépayser ici. Il fait en quelque sorte partie du paysage.
Il y a les commerçants soucieux de l’ordre public et estival, générateur de chiffre d’affaires qui n’hésitent pas à flatter le commissaire pour mieux le trahir ensuite (Là, les temps ne sont pas prêts de changer et la condition humaine est toujours égale à elle-même), même si celui-ci fait ce qu’il peut, parmi ces milliers d’estivants, pour démasquer le coupable.
C’est aussi cet ancien marin, véritable bête de guerre qui fait peur à tout le monde. C’est un coupable idéal !
Il y a aussi Odette, l’épouse du copain d’enfance de son fils que celui-ci a laissé se marier avec un autre, par timidité sans doute ? C’est que Pierre est un idéaliste et entoure tout ce qu’il voit, les femmes comme son île de Ré d’un halo de pureté ! Chacun sa manière de voir les choses !
Il y a aussi le Maire, parvenu et suffisant, qui tient avant tout à la tranquillité estivale de ses administrés et des vacanciers, mais surtout à sa position de notable, à ses mandats électoraux et à son avenir politique. Le commissaire qui le connaît bien l’invective « Quand on était en classe, tu étais un petit con, maintenant que tu es dans la politique, tu es une belle ordure ». On ne peut être plus clair et tout est dit en peu de mots ! Lui n’hésitera pas à écraser tout le monde pour se maintenir là où il est et la vieille camaraderie qu’il avait avec le commissaire ne pèse pas lourd quand il s’agit de sauver la face. Il pratique aussi la palinodie avec un regrettable talent !
Heureusement que l’auteur prend la précaution de préciser que « Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé … » On ne sait jamais, il y en a qui pourrait se reconnaître !
Lisez donc ce roman, vous n’en serez probablement pas déçu, même si cet été un peu trop meurtrier a, cette année-là et par le miracle de l’imaginaire, ensanglanté la blancheur de « Ré ».
Diffusion gratuite – correspondance privée.
© Hervé GAUTIER
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1492 - Les aventures de Juan Calbezón de Castille - Homero ARIDJIS.
- Par ervian
- Le 11/04/2009
- Dans Homero ARIDJIS.
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N°270 – Mars 2007
1492 – Les aventures de Juan Calbezón de Castille – Homero ARIDJIS.
Décidément, les écrivains sud et meso américains me passionnent par leurs écrits. Cette chronique s'est d'ailleurs souvent fait l'écho de leurs œuvres. Ce n'est pas la lecture de ce roman qui me fera changer d'avis!
Ainsi, de la première à la dernière ligne de ces chapitres, l'auteur entraîne son lecteur passionné sur les pas de Juan Calbezón de Castille à travers cette Espagne du XIV°-XV° siècle dévorée par la Sainte Inquisition. A l'aide de documents historiques et d'une imagination de bon aloi, Homero Aridjis nous restitue sur le mode picaresque cette société parfois interlope et qui tient de la Cour des Miracles mais aussi aristocratique et religieuse au point qu'on a l'impression de la voir vivre sous nos yeux. Juan Calbezón est notre guide, mais aussi Pero Meňique, Isabel de la Vega... Nous traversons avec eux la Castille, L'Aragon, l'Andalousie... C'est un tableau de cette société médiévale qui m'a toujours éblouie avec son désir de spiritualité, son appétit de vie charnelle, son bouillonnement d'idées nouvelles, mais aussi ses débordements et sa fascination pour la mort. C'est l'Espagne où trois religions cohabitent en bonne intelligence, Islam, Chrétienté et Judaïsme, au point qu'elle est montrée comme exemple de la tolérance. Et puis soudain, sans doute parce que la reconquête du pays sur les Maures est une obligation morale, mais surtout parce que l'antisémitisme de l'Église catholique couvait depuis trop longtemps, par cupidité aussi, tout cela s'est effondré comme un vulgaire château de cartes. Au nom du Christ qui inspira et prêcha le message d'amour de l'Évangile au point de mourir pour cela, les rois, connus pourtant pour être “catholiques”, et leur alliée un peu trop zélée, la hiérarchie catholique, vont s'arroger le droit de chasser les Juifs d'Espagne et, bien entendu, de confisquer tous leurs biens. Ainsi émerge la triste figure de Tomás de Torquemada, grand inquisiteur, assoiffé du sang des juifs et des convertis, accusés de tous les maux et voués à la torture et finalement au bûcher. L'auteur nous brosse avec talent toute cette société jadis tolérante et respectueuse des valeurs religieuses qui se transforme et compte dans ses rangs des faux témoins capables de précipiter leur propre voisin dans la mort, des flagorneurs, des délateurs qui, pour complaire au pouvoir et pour se faire valoir ne ménagent ni la trahison ni la volonté de détruire... c'est une nouvelle illustration du “juif errant”, dont le destin est d'être chassé de partout, toléré nulle part...
L'idée utopique de Christophe Colomb termine le livre et avec elle un formidable espoir...
Il y a, certes ce récit passionnant, mais je choisis d'y voir un témoignage de la condition humaine, pas si éloigné que cela de notre histoire contemporaine, la dénonciation d'une facette de cet Homme dont on dit volontiers qu'il est humain, voire humaniste, mais qui porte en lui le germe de la mort.
© Hervé GAUTIER - Mars 2007
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LE GRAND VOYAGE -Jorge SEMPRUN - Editions GALLIMARD.
- Par ervian
- Le 11/04/2009
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N°236
Décembre 2001
LE GRAND VOYAGE – Jorge SEMPRUN - – Editions GALLIMARD.
Je suis particulièrement satisfait de célébrer la 21° anniversaire de « La Feuille Volante » en évoquant un roman de Jorge SEMPRUN.
Je me pose souvent la question de ce qui peut motiver un lecteur d’aller au bout de ce parcours qu’il fait avec l’auteur d’un livre, ce qui fait naître en lui l’intérêt pour le texte, l’envie d’en savoir davantage, le plaisir qu’il prend à vouloir poursuivre l’histoire racontée, de partager avec cet être inconnu qui se cache derrière ses mots le moment privilégié de la lecture qui, malgré le temps, la distance et le nécessaire détachement, continue jusqu’au dernier mot de l’ouvrage d’entretenir cette complicité mutuelle.
Depuis les années déjà nombreuses que j’entretiens « ce vice impuni » qu’est la lecture, je n’ai toujours pas pu répondre à cette question, mais la passion pour les écrivains et leur œuvre reste intacte en moi, surtout quand j’ai la chance de croiser quelqu’un d’authentique.
De ce livre, maintenant refermé, il me reste un sentiment fort de quelqu’un qui veut témoigner, non pas tant comme un « devoir de mémoire » mais comme un jalon dans sa propre vie dont nous savons qu’elle n’a pas été quelconque !
Ce voyage, ici qualifié de « grand », c’est la relation faite par un témoin, communiste espagnol de surcroît, de ce qu’à été sa vie dans cette période trouble de notre histoire nationale qu’a été l’Occupation, la pudeur dans le récit tout juste esquissé de ce qu’a été son action dans la Résistance en faveur de notre pays qui avait pourtant si mal reçu les Républicains espagnols vaincus qui fuyaient l’Espagne, Franco, le fascisme et la mort !
C’est aussi le trajet, dans des wagons à bestiaux de ce qu’il a vu, des ces hommes parqués comme des bêtes, dans le froid, la faim et la souffrance, entassés dans des trains de marchandises qui mourraient parfois avant d’être arrivés, qui ne savaient même pas vers quelle destination les emmenait ce convoi, apparemment hésitant entre aiguillages et voies de garage, pendant que ceux qu’il transportait continuaient à mourir, comme si la mort était soudain devenue banale, sans importance.
Il y avait ces petits riens, ces paroles qu’on échangeait malgré le peu d’aisance que permettait l’entassement des hommes debout des jours durant, ballottés par le crissement des roues et le halètement de la locomotive, ces actions parfois vaines mais pourtant tentées pour sauver une vie, dans ces wagons où la mort faisait aussi partie des passagers… Elle prélevait sa dîme dans le convoi des hommes rassemblés là parce qu’ils étaient juifs, résistants ou avaient eu simplement le malheur d’avoir été pris dans une rafle.
Il y avait aussi ces retours en arrière, proustiens, du narrateur, ancien étudiant au lycée Henri IV qui aimait tant la philosophie et le grec … Il faisait lui aussi partie du voyage. Ce train de la souffrance, lent et régulier comme sait parfois être la vie elle-même, mène tout son monde vers la mort. Ils ne le savent pas encore, regardant comme ils le peuvent le paysage à travers l’ouverture grillagée d’un wagon. Ils traversent l’Est de la France, parce que le pays est vaincu, parce qu’ils ont voulu résister à l’envahisseur, parce qu’ils ont eu un sursaut de « vouloir vivre » dans cette France abattue qu’ils ont refusée, face à ceux qui ont choisi un autre camp…
Ils vont vers la mort du camp de Buchenwald, le froid, la neige, les SS et leurs chiens… Ils vont à la rencontre de tout ce dont l’homme, qui est pourtant, dit-on, la forme la plus élaborée de la création est capable en matière de bestialité, d’horreur, de tout ce qui est la négation de l’humanisme et de la culture, de la simple humanité aussi. Il y a l’épaisseur des mots dans leur simplicité même, l’émotion qu’ils inspirent au lecteur attentif… Il y a le spectacle de ces hommes guettés par la mort, ces enfants qu’on massacre pour le simple plaisir de tuer, dans la neige, dans la nuit noire de l’hiver, des projecteurs, des cris des soldats…
Dans ce camp qu’il évoquera plus tard dans « L’écriture ou la vie », indiquant qu’il privilégiait la vie à l’horreur de ce souvenir, il passera deux années qui brûleront sa vie comme si on appliquait un fer rouge sur sa peau. Il y parle pourtant de ce morceau d’Allemagne qu’aima Goethe que les nazis transformèrent en une fabrique de mort. Il y évoque ces hommes qui périssent en fumée sous les yeux apparemment apaisés, ignorants ou volontairement aveugles des habitants de Weimar, cette ville si paisible qu’une éphémère république abrita.
C’est un texte tellement présent qu’on voudrait que la mort ne fût pas au rendez-vous de ce voyage sans retour vers les camps où tant d’hommes et de femmes périrent parce qu’ils ne correspondaient pas au modèle allemand, parce qu’ils étaient livrés à la volonté de tuer de leurs geôliers.
De ce fait, L’auteur devient le gardien de la mémoire, le grand et peut-être l’unique témoin qui osera parler pour que d’autres se souviennent, pour que les générations futures n’ignorent rien de ce qui s’est passé, parce qu’il reste toujours un homme pour décrire l’horreur et qu’il a le devoir d’authentifier les faits qu’il rapporte, d’être celui qui dira ce qui a endeuillé notre XX° siècle dans cette Europe qui fut jadis celle des Lumières, d’être l’avitailleur de cette mémoire collective qu’on voudrait pourtant endormir.
© Hervé GAUTIER. http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
(Pour ce livre d’exception Jorge SEMPRUN a obtenu le prix Formentor et le Prix littéraire de la Résistance)
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L'ECRITURE OU LA VIE - Jorge SEMPRUN- Editions Gallimard.
- Par ervian
- Le 11/04/2009
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N°232
Décembre 2000
L’ECRITURE OU LA VIE - Jorge SEMPRUN- Editions Gallimard.
D’emblée, le titre du livre m’a déconcerté.
Pouvait-on concevoir qu’on opposât l’écriture à la vie, cet acte qui, par excellence est synonyme d’existence ?
J’ai donc lu ce récit, attentif à une explication de ce qui me semblait être un paradoxe.
Le texte révèle une partie de la vie de l’auteur et plus précisément son séjour au camp de concentration de Buchenwald où il fut enfermé comme prisonnier politique, les rencontres qu’il a pu y faire, les expériences qu’il en a retirées.
A l’époque, jeune étudiant communiste Espagnol mais vivant en France, il pensait que l’écriture qu’il pratiquait lui-même dans la poésie pouvait exorciser la mort. Il s’est aperçu qu’elle y renvoyait ! En réalité il était un véritable apatride, ni Français ni Espagnol, mais un communiste convaincu, un être qui est passé à travers la mort où plus exactement que la mort a traversé et quand en avril 1945, les troupes du général Patton ont libéré le camp, c’est un peu comme s’il ne restait de lui que les yeux, des yeux hagards qui ne parvenaient plus à croire à la fin de cet enfer, à la vie enfin redevenue possible, libre, loin des hurlements des SS, des mauvais traitements, des fours crématoires… Ces yeux qui jadis avaient eu plaisir à regarder les femmes, ses yeux aussi qui faisaient son charme, résumaient ce qu’il était à cette époque, dans ce camp soudain tranquille, mais que les oiseaux eux-mêmes avaient abandonné à cause de cette insupportable odeur de chair humaine brûlée qui retombait sur le camp en une sorte de suie !
Son séjour dans ce camp où tant de camarades et d’amis ont trouvé la mort a été pour lui une période entre parenthèses que l’écriture lui a permis (peut-être ?) d’exorciser. En tout cas, quand il en parle, il dit « Une autre vie plus tard », comme si la première s’était arrêtée à son entrée dans ce camp, à l’oubli de son nom au profit d’un numéro matricule (44904), qu’il n’était devenu rien d’autre qu’une ombre, le contraire d’un homme !
Pourtant dans ce camp où l’on torturait, où l’on travaillait jusqu’à l’épuisement, où l’on souffrait, il se passait des choses étranges comme ses réunions dans le local des contagieux où les Allemands ne mettaient pas les pieds par peur de la maladie, dans ce local des latrines aussi où l’on parlait de philosophie, de littérature et de liberté…
C’est un paradoxe, mais Buchenwald était proche de la ville de Weimar qui fut le siège d’une éphémère république mais surtout la ville où Goethe aimait venir trouver l’inspiration. Faut-il rappeler que les nazis tortionnaires faisaient aussi pousser des fleurs dans les camps d’extermination !
Même parti de ce camp maudit, il traînait derrière lui en quelque sorte la mort comme son ombre. Rien, pas même un corps de femme « la certitude apaisante de sa beauté ne m’avait distrait de ma douleur, rien d’autre que la mort, bien entendu. »
C’est donc une sorte de renvoi à la condition humaine, celle d’un être qui doit perpétuellement souffrir parce que son destin en a décidé ainsi, parce qu’il aura toujours dans sa mémoire les squelettes ambulants, un peu comme des sculptures de Giacometti, ces morts vivants, ces hommes à jamais disparus dans la fumées des crématoires, cette propension qu’a l’homme à être cruel pour l’autre quand il y va de sa survie ou parfois de son plaisir sadique, à mettre en relief « cette région cruciale de l’âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité » comme le dit Malraux.
C’est que la fraternité, il l’a rencontrée à Buchenwald quand le communiste allemand prisonnier qui l’a enregistré à son arrivée, lui ayant demandé son métier et s’étant entendu répondre « étudiant » (Studden) a pourtant inscrit sur sa fiche « Stukatten » ce qui correspond à peu près à décorateur. Dans ce camp, il valait mieux être un bon ouvrier qu’un intellectuel ! Celui qui avait fait cette faute d’orthographe l’avait fait exprès, par fraternité communiste. Longtemps après il s’est souvenu du regard de cet homme dont l’engagement politique valait au moins qu’il se trompât pour sauver un frère. Au surplus, la pratique courante de l’allemand permit à Semprun de travailler dans un bureau, de comptabiliser les entrées et les sorties, les morts surtout, c’est à dire de pouvoir survivre relativement loin de ces mauvais traitements…
Dès lors, sourd un sentiment de culpabilité qu’il n’éprouve cependant pas, celui d’être revenu de l’enfer grâce à un mot vraisemblablement intentionnellement mal orthographié. Il s’interroge bien au contraire sur la chance qu’il avait eue d’avoir croisé cet Allemand, d’avoir été sur la route d’un communiste comme lui qui avait eu l’intention de faire ce qu’il pouvait pour lui sauver la vie, d’être, si l’on peut dire, au bon moment, au bon endroit. « La chance ne s’apprend pas, on l’a », a dit Blaise Cendrars.
Il y a donc, à ce moment-là, pour lui de l’estime, malgré tout ce qu’il pensera plus tard de l’idéologie communiste, de ses déviances, de ses dérives et de ses crimes semblables à ceux des nazis (Buchenwald deviendra après la guerre un camp d’internement russe),à ce moment précis, entre ces deux hommes c’est le respect qui prévaut, au nom d’un idéal individuel, d’un engagement personnel, malgré le silence sur les atrocités, le pacte-germano-soviétique qui tournera au conflit… Il éprouve le besoin de préciser « J’ai toujours respecter plus tard la part d’ombre, d’horreur existentielle abominable, même si le respect ne vaut pas pardon et encore moins oubli. »
Et puis, il y a la neige, cette neige omniprésente du temps de son séjour à Buchenwald comme pendant le temps de sa liberté, cette neige qui recouvrait Weimar comme le souvenir, comme les reproches intimes que l’on peut se faire à soi-même. Ce manteau blanc uniformise tout, les images comme les sons, purifie aussi les formes en en gommant les contours. Cette neige qui l’accompagne jusque dans son sommeil comme une obsession lui rappelant la souffrance et la mort.
Pourtant, quelques cinquante années plus tard, il revint dans cet ancien camp nazi qui fut aussi un camp stalinien après la guerre. La nature y avait reverdi, les arbres repoussé, mais il apprit que cette végétation croissait sur des restes humains, ces cadavres enterrés sur place dans des fosses communes comme si tout cela pouvait être oublié.
Dès lors, l’écrivain qu’il est se doit de témoigner, ne serait-ce qu’au non du « devoir de mémoire » et donc d’écrire. Pour se pose de nouveau le problème du titre de ce récit « l’écriture ou la vie », comme si, encore une fois l’une excluait l’autre. J’ai donc lu ce livre avec toujours en tête cette question pour laquelle je voulais trouver une réponse. Décidément cet homme, et plus précisément son parcours m’étonnaient. Républicain espagnol, résistant français, communiste convaincu et brillant intellectuel, il avait survécu à tout ce que l’homme avait pu enfanter de mauvais, de dangereux, de mortel pour lui-même, et plus exactement pour ses semblables, mais trouvait quand même les mots pour nous parler de la beauté des femmes, de la grandeur de l’homme, de sa culture. En parlant de Maurice Halbachs, de Diego Morales et de combien d’autres inconnus sans nom ni visage, il a porté témoignage. Donc l’écriture est quand même bien la vie ! Et puis il évoqué si bien les poètes, René Char, Vallejo, Primo Lévi que je ne comprends toujours pas cette oppositions entre l’écriture et la vie. J’ai cherché des bribes d’explications dans ce témoignage « l’écriture m’a rendu de nouveau vulnérable aux affres de la mémoire » et si je comprends bien, il avait choisi de vivre en étouffant les mots qu’il portait en lui, parce ces mots le renvoyaient à la mémoire c’est à dire à la mort.
A le lire, ce projet de livre a été maintes fois abandonné « (il) était devenu un autre, pour rester en vie », comme si l’écriture le renvoyait à une part de lui-même qu’il voulait oublier, à cause d’une culpabilité peut-être d’avoir échapper à tout cela, au point de porter en lui cet ouvrage pendant des années et que sa volonté de vivre était telle qu’il ne pouvait pas revenir en arrière sans ouvrir la « boîte de Pandore » de la mémoire et de retrouver la mort…
Et pourtant, il l’a fait et devant son parcours, on ne peut qu’être admiratif et respectueux. Je tiens pour évident qu’un homme qui ne transige pas, qui a le courage d’aller jusqu’au bout de ses idées sans tergiverser, malgré les contradictions d’un système dont il n’est pas personnellement responsable, mérite, à tout le moins notre estime !
Il a donc porté témoignage et ce document est précieux non seulement pour ce qu’il dit mais surtout peut-être pour l’itinéraire qui fut le sien a été sincère, rigoureux… Mais je ne peux pas rappeler le mot de Malraux « Ecrire, c’est arracher quelque chose à la mort ».
© Hervé GAUTIER.
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Pierre LOTI l'enchanteur - Christian GENET -Daniel HERVE - La Caillerie Gémozac.
- Par ervian
- Le 07/04/2009
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N°28
Avril 1989
Pierre LOTI l'enchanteur – Christian GENET -Daniel HERVE – La Caillerie – Gémozac.
Il s'agit d'un livre-souvenir qui évoque la vie et l'œuvre de Pierre Loti, officier le marine, académicien, découvreur du monde et défenseur de sa Saintonge natale, de sa patrie et aussi de la Turquie qu'il chérissait. Esprit brillant et cultivé qui a cherché à marquer son temps, amant délicat qui fut aussi un personnage fantasque et étonnant.
A travers cette évocation à la fois riche et pleine d'émotions, Loti m'apparaît comme un homme qui, à travers ses voyages et ses expériences a cherché un bonheur qui lui paraissait inaccessible, mais aussi une foi religieuse qui l'a mené du protestantisme à la méditation de l'Inde en passant par les murailles de Jérusalem et à la Trappe. Là aussi la déception semble avoir été au rendez-vous!
Ce qu'il y a de merveilleux chez Loti, c'est que chacun de ses voyages était une invite à la création d'un roman ou d'articles de presse , d'un dépaysement évocateur et en tout cas d'une merveilleuse œuvre d'art.
S'il fallait privilégier un aspect des facettes multiples de Loti que ce livre nous donne à voir, je choisirai évidemment la créateur de cette « maison enchantée » de Rochefort/mer, à la fois bateau immobile au ventre plein de rêves et haut lieu du souvenir jalousement entretenu. Là plus qu'ailleurs, le visiteur, à l'invite de ce merveilleux écrivain, peut rêver, venir à la rencontre de l'auteur et de l'homme mais aussi du voyageur qui a fixé là ses racines, n'oubliant pas de faire de chacune de ces pièces le témoin privilégié du charme d'un pays. Ainsi a-t-il réalisé une sorte de synthèse entre son œuvre littéraire et lui-même. Cette maison est un lieu d'exception qui garde le souvenir d'un rivage, d'une contrée, tout comme le sont d'ailleurs ses romans... Dans cette maison, jadis lieu de fêtes où se succédèrent tant de grands esprits, Loti aplanissait par la magie de son imagination à la fois le temps et l'espace, créant en ce lieu vraiment privilégié un microcosme à la fois féérique et secret , à l'image même de l'homme et de l'écrivain. Familier des Princes et des grands de ce monde, il ne dédaignait pas de choisir ses amis parmi de simples matelots de son équipage et beaucoup de ses chef-d'œuvre furent inspirés par eux.
Cet homme extravagant, fantasque, cultivé, raffiné, m'apparaît aussi parfois comme déconcertant. Ce qui me frappe le plus dans cette somme de documents où les photos de Loti sont nombreuses , c'est le visage de l'homme avec, au bord des yeux cette tristesse et cette mélancolie. Il semblait chercher dans au-delà imaginaire un bonheur introuvable . Il m'apparaît qu'il puisait là une part de son inspiration résumé par cette adage qu'il avait fait sien « Mon mal, j'enchante ».
© Hervé GAUTIER.
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LE ROMAN D’UN SPAHI – Pierre LOTI.
- Par ervian
- Le 07/04/2009
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N°221
Avril 2000
LE ROMAN D’UN SPAHI – Pierre LOTI.
Je ne sais ce qui ne fit choisir dans ma bibliothèque un roman pourtant déjà lu de Pierre Loti. Le hasard peut-être à moins que ce ne soit l’intérêt que je porte depuis de nombreuses années à l’écrivain rochefortais qui enchanta ma jeunesse et mon adolescence. Ses romans reflètent son attraits pour les voyages et pour un certain art de vivre, à l’image de cette « maison enchantée » blottie au milieu de cette petite ville charentaise qu’il serait bon de redécouvrir.
C’est vrai qu’actuellement Rochefort /mer reprend de l’attrait notamment à cause de la construction de « l’Hermione », bateau qui amena Lafayette aux Amériques. La télévision nous rend compte régulièrement de l’avancement de ces travaux. Loti su se battre pour sa ville natale et usa de son autorité pour qu’elle ne sombre pas dans l’oubli, qu’elle conserve son port militaire, son arsenal, son importance. Bien sûr il y avait la source thermale, les bégonias et plus tard le Film de Jacques Demy, « Les demoiselles de Rochefort », la résurrection de la « Corderie Royale »…
Comme son œuvre, cette maison est le miroir de son itinéraire, de ses passions, de ses amours. C’est à la fois un bateau immobile au ventre plein de rêves et un haut lieu du souvenir jalousement gardé. C’est la synthèse de sa vie personnelle, amoureuse, littéraire, aventureuse... On y retrouve les différentes facettes de la personnalité de l’homme public et l’intimité de l’être tourmenté. Là plus qu’ailleurs le visiteur est incité au rêve, à la complicité avec son hôte invisible mais bien présent .Chaque pièce est un jalon de la vie de ce personnage d’exception, grand marin et écrivain de talent. Il fut à son époque un personnage contesté, moqué même, honni peut-être, mais c’est oublier un peu vite le patriote, l’officier de marine, l’académicien, l’amoureux, l’humaniste, l’homme libre, tour à tour fantasque, déconcertant mais toujours d’une culture et d’un raffinement étonnants…
Mais revenons à ce livre.
Il s’inscrit, bien sûr dans l’histoire immédiate de la France coloniale avec tout ce qu’elle avait d’exotique, de dépaysant, de guerrier aussi. Comme toujours les descriptions y sont évocatrices, chatoyantes et l’émotion y est toujours présente.
Comme avec « Pêcheurs d’Islande » ou « Ramuncho », Loti a toujours su me passionner, me faire pleurer aussi. Ici, il choisit de peindre de nouveau une facette de la condition humaine, celle de Jean, fils d’un paysan pauvre des Cévennes, arraché à sa terre natale pour un service militaire de cinq années. Le hasard et peut-être aussi l’amour du cheval lui fit choisir les spahis et l’Afrique accueillit cette tranche de vie qu’il allait passer entre ses amours locales et le souvenir d’une « promise » qui au pays l’attendait. Chez Loti, rares sont les « happy ends » rassurants. Il choisit de nous dire les choses telles qu’elles sont, dans leur simplicité, dans leur cruauté aussi. La séparation, la mort font partie de la vie d’un homme et il est vrai que le bonheur n’est pas toujours aux rendez-vous de nos quêtes, que nous ne sommes ici que de passage…. Loti l’a rappelé naturellement, peut-être mieux que les autres . Il est cet écrivain de l’humanité comme d’autres le sont de la négritude ou de la condition ouvrière…
Il a délivré son message avec talent et avec cœur, avec aussi cette plaie invisible qu’il portait en lui et que, comme tout créateur authentique il passa sa vie à exorciser. Elle transparaissait sans doute dans son visage mélancolique et dans la tristesse qu’il portait au bord de ses yeux. Il y puisait sûrement une partie de son inspiration et sa quête du bonheur lui fit dire simplement « Mon mal, j’enchante ».
© H.G.
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MON FRERE YVES – Pierre LOTI.
- Par ervian
- Le 07/04/2009
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N°230
Septembre 2000
MON FRERE YVES – Pierre LOTI.
Malgré une succession d’événements douloureux qui ont définitivement endeuillé ma famille et dont rien ne parviendra jamais à atténuer la douleur, j’ai décidé, néanmoins de continuer, à tout le moins pendant quelques temps, la publication de « La Feuille Volante ». Cette revue qui a vingt ans cette année et qui était naguère publiée sur papier l’est maintenant sur Internet. Elle est peu lue, je le sais, mais je précise que je ne recherche cependant pas à travers elle une quelconque notoriété. Je continue donc à la rédiger pour d’autres raisons que je ne saurais moi-même expliquer.
Je n’ai pas la fatuité de penser que cette modeste chronique intéresse beaucoup de lecteurs, mais je choisis de durer, peut-être pour renforcer pour moi-même l’idée que j’existe pour autre chose qu’une vie bassement quotidienne, de continuer, malgré les événements à commenter un livre simplement parce que celui-ci m’a plu et d’inviter un éventuel lecteur à partager mon plaisir.
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J’ai choisi aujourd’hui un ouvrage de Pierre Loti pour moult raisons dont la première est que j’aime son œuvre en général, autant pour elle-même que pour la personnalité de son auteur
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Ce roman est « Mon frère Yves » publié avec succès en 1883 . A cette époque , il était déjà connu comme écrivain mais exerçait le métier d’officier de marine .
Il s’agit d’un roman et les faits qui y sont rapportés ne font pas référence à un épisode peu connu de sa vie où son frère aîné, Gustave Viaud, chirurgien de marine, victime du choléra durant une mission en Cochinchine est mort et a été immergé dans le Golfe du Bengale par 6°11 de latitude Nord et 84°48 de longitude ouest.
Comme on le sait l’auteur est né à Rochefort en Charente Maritime le 14 Janvier 1850 ,mais c’est en Bretagne que se déroule cette histoire qui n’est cependant pas exactement une fiction. Ecrivain déjà célèbre, il décrit avec humanité mais aussi avec réalisme un monde de gens simples et pauvres auquel il n’appartient cependant pas, des familles harcelées par la misère, une Bretagne rurale, dévote, travailleuse…
Parmi ces gens Yves Kermadec qui a choisi comme beaucoup de Bretons la mer et ses dangers. Il sera donc dans la « Royale » , mais comme simple matelot, c’est à dire qu’il sera voué aux tâches les plus rudes, les plus ingrates, les plus périlleuses. Il les accomplira cependant avec discipline
Quand il est en mer, il est dur à la tâche et fait son métier, mais quand une escale lui fait toucher terre, il redevient querelleur, buveur, laissant volontiers sa maigre solde dans les bouges où il est souvent laissé pour mort.
Il n’y a pas de lien de parenté entre Loti et lui, bien qu’il apparaisse lui-même comme un personnage de sa propre œuvre et soit le parrain du fils d’Yves Kermadec. Une grande amitié est née entre ces deux hommes. Cette « filiation »se fit un soir de confidence où l’officier qu’il était mais qui avait tu son grade, avait rencontré la mère déjà vieille d’Yves Kermadec qui lui avait raconté sa pauvre condition de femme de marin perdu par l’alcool et que la mort avait prématurément emporté. Des treize enfants qu’il lui avait laissé à élever, les garçons s’étaient faits marins, un peu forbans, déserteurs parfois.
Pour Yves c’était différent et cette pauvre femme fit promettre à Loti dont elle avait senti qu’il était différent des autres hommes de lui faire un serment. L’auteur à cette phrase merveilleuse et émouvante « Le regard anxieux et profond fixé sur moi me causait une impression étrange. C’était pourtant vrai que toutes les mères, quelle que soit la distance qui les séparent, ont, à certaines heures des expressions pareilles. Maintenant il me semblait que la mère d’Yves avait quelque chose de la mienne » et il ajoute « [je] jure de veiller sur lui toute ma vie comme [s’il] était mon frère ».
Dès lors Pierre Loti décrit leurs séparations et leurs retrouvailles au gré des affectations sur différents bâtiments, mais malgré ses grandes qualités d’homme et de marin, Yves retombait toujours, attiré par les cabarets et les bouges. « A cet instant il était irresponsable, il cédait à ses influences lointaines et mystérieuses qui lui venaient de son sang. Il subissait la loi de l’hérédité de toute une famille, de toute une race ».
Pierre Loti évoque la vie de ce marin, de cet homme humble qui finit par tenir la résolution qu’il avait prise de ne plus boire, de changer de vie, de se marier, d’avoir un enfant dont l’auteur sera le parrain, d’être un homme comme les autres dont la hiérarchie reconnaîtra cependant les mérites. C’est vrai que l’officier de marine Pierre Loti l’a protégé, a obtenu que certaines sanctions soient atténuées, l’a fait nommé « second »… Ces deux hommes que tout séparaient seront donc devenus frères au nom du respect de la parole donnée, un soir à une vieille dame.
Dans chaque roman, il y a l’histoire qui nous est racontée, mais il y a aussi la manière de le faire, le style. Ici aussi j’ai retrouvé des descriptions et des évocations aux accents de Zola, et je pense que Loti, déjà célèbre était bien modeste en écrivant à Alphonse Daudet à qui il dédia ce livre « Voici une petite histoire que je veux vous dédier, acceptez-la avec mon affection. ».
Je trouve en tout cas que cet écrivain majeur qu’est Pierre Loti a été trop longtemps injustement oublié. Son œuvre mérite davantage d’attention et le cent cinquantième anniversaire de sa naissance qui tombe cette année en est sans aucun doute l’occasion.
© Hervé GAUTIER.
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TROIS CHEVAUX- Erri DE LUCA – Edtions Gallimard.
- Par ervian
- Le 07/04/2009
- Dans Erri De Luca
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N°261- Novembre 2006
TROIS CHEVAUX- Erri DE LUCA – Edtions Gallimard.
Traduit de l’italien par Danièle Valin.
Je vais probablement étonner mon lecteur, mais j’ai goûté ce livre comme on goûte un long poème, un long poème sans rime mais avec des images, un rythme propre, lancinant et entraînant à la fois, avec parfois une tentation non réprimée d’en lire des passages à haute voix. Il est vrai qu’un roman vaut par l’histoire qu’il conte, mais aussi par les mots qui servent le récit, par leur musique, comme douce mélodie. Je ne sais si cela tient au texte italien ou à la traduction, mais c’est ainsi. Je pense aussi que lorsqu’une femme traduit un tel texte, le résultat ne peut qu’être plus harmonieux...
Le style est dépouillé, sans fioriture, il sonne bien et mérite assurément d’être dit…
L’histoire résonne comme une fable, la rencontre d’un émigré italien avec des femmes, la sienne d’abord, Dvora, qui l’attire en Argentine. Il y rencontre l’amour et la dictature militaire, la vie et la mort, l’engagement dans la clandestinité et le combat pour la liberté, dans un pays qui n’est pas le sien… C’est une danse autour du souvenir de cette femme qu’il a aimée et qui est morte sans sépulture, sans un endroit pour se recueillir, pour évoquer son souvenir, l’image qu’elle lui a laissée … Le sort qu’on lui a réservé était le même pour tous les opposants, jetée en mer d’un hélicoptère, les mains liées, pour ne pas laisser de trace, avec pour unique linceul l’eau glacée de l’océan… Pour cela, l’homme n’a que sa mémoire et quand il se rend au Malouines pour fuir ce pays maudit, le ressac de la mer fait resurgir en lui la vie de cette femme qu’il a aimée.
C’est aussi un jeu de la séduction entre cet homme devenu jardinier solitaire et Làila, jeune femme « qui va avec les hommes pour de l’argent », danse de mort autour d’un souvenir et d’un projet également morbide. Leur amour est la fois sensuel et pur, en décalage à cause de la différence d’âge, celui de l’homme revient comme un leitmotiv à travers son histoire personnelle, souligne la fuite du temps… Trois chevaux, le temps de leur vie équivaut, dit-on à celle d’un homme… et lui en a déjà enterré deux ! La mort viendra, par hasard ou à son heure, mais elle viendra, c’est la condition humaine ! Le goût de la mort est présent à chaque page, c’est une fuite, un parcours qui va du sud au nord « par la panse de l’équateur »
En contre-point, presque à contre-jour, il y a la personne d’un homme, Sélim, ouvrier africain égaré en occident mais qui n’a pas perdu le souvenir de sa terre dont il parle avec poésie ; Il évoque l’Afrique où l’on marche nus-pieds, où l’on bâtit des cases avec de la terre et de « l’eau du ciel »[« Nos maisons sont faites de pluie, ce sont des nuages plutôt que des maisons ». Il lit l’horoscope dans les cendres du bois, cueille des bouquets de mimosas ou de thym en fleurs pour les vendre, mais aussi parce qu’ils sentent bon et ont la couleur du ciel, de la nature et du soleil. Musulman, il « prie à chaque adieu du jour » ;
Cette fable peut se terminer ainsi « C’est ce que doivent faire les livres, porter une personne et non pas se faire porter par elle, décharger la journée sur son dos, ne pas ajouter leurs propres grammes de papier sur ses vertèbres. »
© Hervé GAUTIER. http://hervegautier.e-monsite.com
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TU, MIO -Erri DE LUCA - EDITIONS RIVAGES
- Par ervian
- Le 07/04/2009
- Dans Erri De Luca
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N°267 – Février 2007
TU, MIO -Erri DE LUCA – EDITIONS RIVAGES
D'emblée le titre fait entrer le lecteur dans le décor (Tu, mio: Toi, mien), exprimé en italien, la langue qui parle si bien de l'amour! L'auteur complète le tableau, la mer Tyrrhénienne, une île près de Capri, l'été, les vacances, les filles étrangères, les parties de pêche au large... Tout est rassemblé pour que l'auteur entraine dans son sillage de légèreté son lecteur-témoin!
Et pourtant, tout n'est pas si superficiel qu'il y paraît. Face à lui, il y a le monde des adultes qu'il regarde de loin. La deuxième guerre mondiale n'est pas très éloignée et on l'évoque autour de lui par le souvenir, les paroles retenues, empreintes de secret, d'impuissances individuelles, de petites trahisons aussi... L'adolescent est curieux de cette période et de ces événements. C'est sa manière à lui d'aborder cette époque qu'il n'a pas connue, comme il recherche instinctivement la compagnie de camarades plus âgés et même des adultes, marquant ainsi son empressement à sortir de cette adolescence comme on se débarrasse d'une mue devenue encombrante. Le quotidien est aussi évoqué à l'occasion de la présence des libérateurs américains à Naples parce que c'est une ville agréable mais où il règne “la contrebande, le marché noir, tout le commerce des dollars”. Cette ville est pour ces soldats étrangers “le plus vaste bordel de la Méditerranée... une ville offerte, les cuisses écartées aux marins”. Puis le décor se réduit à l'île et à quelques personnages. Il y a la complicité de Nicola, un pêcheur, un peu un modèle qui lui enseigne l'art d'attraper du poisson et de comprendre la mer à laquelle il est attaché, comme il l'est aussi à la terre. Lui c'est presque un grand frère qui a aussi fait la guerre et en a retiré un goût âcre, mais il n'est pas un véritable confident. Il y a aussi son oncle, un peu le double d'un père absent, comme dans “Une fois, un jour”, mais c'est un homme qui “avait la bonne quarantaine [qui] plaisait aux femmes et savait leur faire comprendre qu'elles lui plaisaient”, il y a Daniel, le cousin, de quatre ans son aîné. C'est une sorte de latin-lover un peu superficiel, mais c'est par son entremise qu'il va se faire accepter par le groupe de garçon et de filles plus âgés, un véritable passeur dans cet épisode de sa vie! Avec eux, il est à cheval entre deux mondes, celui de d'adolescence où on est toujours attaché à la famille, à ses valeurs traditionnelles de respect, de travail et celui qu'il aperçoit avec envie, celui des adultes dont il fera bientôt partie mais où il hésite à entrer.
Le récit évoque aussi une jeune fille, Caia, au nom venu d'ailleurs qui offre à tous sa liberté, son insolence, sa maturité et parfois sa révolte, mais révèle son origine juive à l'auteur, tout juste âgé de seize ans. Bien sûr, ce dernier en tombe amoureux, comme on le fait à l'adolescence, c'est à dire avec toute la pudeur qui sied à cet âge et aux années cinquante pendant lesquelles se déroule ce récit. C'est par Caia, une jeune fille, presqu' une femme, qu'il va finalement passer d'un monde à l'autre, dans une atmosphère de liberté, d'euphorie et aussi par l'apprentissage du chagrin né de la séparation et de l'absence. Un amour de vacances est par définition éphémère et chargé de regrets.
L'épisode où il se fait mordre par une murène juste pêchée est révélateur. C'est une sorte de passage initiatique du néophyte qui découvre douloureusement un des secrets du métier de pêcheur. La blessure est soignée par Nicola et la cicatrice laissée sur sa main est en quelque sorte exorcisée par Caia “Elle touchait la surface d'une douleur, une prise nette capable de la raviver comme de l'adoucir”. C'est la jeune fille qui l'entraine avec elle dans le monde des adultes.
Il va y avoir un processus intime d'appropriation réciproque entre le narrateur et Caia. ¨Peu lui importe son passé amoureux fait de passades réelles ou supposées. Par petites touches, leur complicité va aller s'affirmant. Le nom de la jeune fille va être transformé par lui et pour lui seul, lui va hériter d'un surnom, mais pas n'importe lequel, celui de “tate”, papa en yiddish, et mieux encore, il va lui rappeler son père disparu dans la mort. Il va même se réaliser une sorte de transfert, comme une sorte de prise en compte de la tendresse que son géniteur n'a pas eu le temps de lui prodiguer, comme une facette des rapports complexes qui peuvent exister entre un père et sa fille Elle le lui avoue sans embage“ Ce n'est pas la première fois que je sens quelque chose de mon père en toi”, parce qu'elle retrouve, ou veut à toutes forces retrouver en lui les gestes et la présence paternelle. C'est un peu comme si cette jeune fille prenait possession du narrateur avec la complicité de ce dernier “ Non Hàiele, je ne veux pas être laissé en paix par toi. J'ignore ce qui m'arrive depuis peu, depuis que je te connais, mais c'est une plénitude”. Elle en fait son “vieux chevalier” et lui marche dans ce jeu où la retenue et peut-être la timidité le dispute à la volonté de grandir par et pour elle. “Tu m'as appelé tate, tatele, du nom que tu as aimé le plus au monde. Que m'importe d'avoir raté tes baisers longs comme un plongeon? Moi, j'étais là pour baiser ton front, te donner le bras, t'acheter de la barbe à papa, porter ta valise”. Tout cela va crescendo au point de faire sienne la haine qu'elle porte soudain, à cause de quelques couplets de chants SS, à ce groupe de touristes allemands, responsables à ses yeux de la mort de sa famille. Jusqu'au bout, le jeune homme s'approprie ce besoin de vengeance, comme si son passé à elle, devenait le sien!
Il y a aussi le retour sur terre, le départ nécessaire, parce que le temps passe, que les choses changent, qu'il faut continuer à vivre... il voit partir la bateau qui emporte Caia et attend le sirocco qui sera pour lui le signal du départ vers le quotidien, vers un monde qui aura changé pour lui grâce à cet été. Ce concept du temps qui passe et aussi celui du temps qui change se retrouve dans “Une fois, un jour” à travers des photos un peu jaunies, des souvenirs qui reviennent, l'enfance qui disparaît et le corps qui grandit...
Ce roman qui puise ses racines dans le passé et l'intimité de personnages appelle une précision de l'auteur lui-même mais qui est postérieure à cette œuvre. Il écrit que “Au moment ou l'on décrit ces personnes, on les rencontre à nouveau et puis on ne prend définitivement congé, parce que l'écriture donne un congé définitif au temps passé : au moment où on les retrouve, on échange un dernier salut. L'écriture rentre dans la catégorie des meilleures rencontres” [Essais de réponse].
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LE TRAIN IMMOBILE - Frédérick TRISTAN - Balland Editeur
- Par ervian
- Le 07/04/2009
- Dans Frédérick TRISTAN
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N°210
Août 1999
LE TRAIN IMMOBILE - Frédérick TRISTAN - Balland Editeur
Il est des livres étonnants qui, une fois refermés laissent au lecteur une impression indistincte, non qu’il fût inexprimable mais qu’il n’est pas aisé de formuler avec des mots. Ce roman est de ceux-là qui allient la magie d’un train suranné à l’image de la Sérénissime République! Ah Guillaume Apollinaire a bien raison de craindre d’un jour un train n’émeuve plus!
Un train donc, et dans la nuit comme il se doit. Il est peuplé de fantômes endormis, emmitouflés sous des pelisses. Au milieu d’eux un jeune homme fume pour se donner l’illusion de la chaleur. Il est rejoint par un vieil homme qui se présente comme un aristocrate italien à qui on donnerait bien deux ou trois cents ans tant son verbe est riche et ses histoires inattendues. Rien de la vie ne semble lui être étranger et il fait pour son jeune compagnon le catalogue de ses plaisirs de ses vives et de ses passions qu’il tire autant de sa pelisse usée que de son imagination. C’est bien un personnage comme on aimerait en rencontrer, hors du temps et du commun mais à la fois énigmatique, inquiétant, diabolique peut-être?
Et puis il y a cette évocation de Venise, entraperçue sur le pont d’un vapeur qui se découvre au spectateur à travers les lambeaux du brouillard. Étrange spectacle que ces palais qui s’effondrent comme tombe la neige, que ces personnages qui semblent jouer une sinistre comédie pour pénétrer dans une sorte de mort annoncée! Tout cela n’est sans doute rien d’autre qu’un décor, sorte de rêve à demi-éveillé où surgit de nouveau notre aristocrate italien... mais déjà un train attend sur le quai d’en face...
Ce roman est bien digne de la devise de la collection « Quand le plaisir de lire rejoint le plaisir d’écrire. De courts textes. De grands écrivains »