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la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Pelles et râteaux

     

     

     

     

    N°540 – Septembre 2011

    PELLES ET RÂTEAUX – Christophe Duchâtelet – Calmann-Lévy.

     

     

    D'emblée, le titre évoque davantage un traité de jardinage ou une aimable fiction familiale autour des jeux de plage ou des bacs à sable. A lire le sous-titre, « stratégies d'un séducteur », on pense plutôt à la chanson de Dutronc, voire de Nougaro et on s'attend aux habituelles remarques sur le sujet, pas vraiment originales et qui ont beaucoup servi... Et ce d'autant que la dédicace « Aux copines » ne laisse pas longtemps planer de doute.

    Qu'avons-nous ? Mathieu, la trentaine, tout juste séparé de Clara, la mère de Luna. Comme il se doit de nos jours, cette séparation s'est faite sans heurt « On a rompu en douceur. Sans déchirement. Du travail de pro » Normal, on est moderne ou on ne l'est pas ! Dans la vie, il exerce le dur métier de « nègre », c'est à dire « d'écrivain fantôme » et même s'il fait remarquer que Jésus lui-même « a sous-traité à distance ses écrits grâce aux évangélistes » le lecteur sent bien que le compte n'y est pas, qu'il fait ce métier un peu par défaut comme la plupart d'entre nous, qu'il voudrait bien écrire enfin sous son propre nom, que d'ailleurs, il n'aime guère ni les écrivains ni son éditeur. Il n'empêche, la réalité rattrape notre héros, sous la forme d'un réfrigérateur vide, de menus sans grande originalité et qui brillent surtout par leur répétition, d'une vie maintenant dédiée aux tâches ménagères et quotidiennes qu'il laissait volontiers à son épouse, à la solitude plus ou moins imposée par les événements et à l'abstinence sexuelle tout juste interrompue par quelques conquêtes... Et par le « droit de visite », c'est à dire celui de voir sa fille « un week-end sur deux » suivant l'expression et de l'emmener se divertir au square le plus proche, au bac à sable précisément.

    Mathieu se veut séducteur et ne néglige rien de son apparence physique, de sa réalité psychologique pour sortir de cette situation de « célibataire anonyme »...La drague à des raisons que la raison ne connait pas, pour paraphraser une citation célèbre ! Il y a bien Fadela, étudiante tunisienne qui rêve de changer le monde et qui veut régler leur compte aux islamistes intégristes de son pays. Pourtant l'idéalisme, ce n'est pas son truc à Mathieu et puis c'est sans doute un peu trop compliqué !

     

    Par hasard, au Parc Monceau, il rencontre Isabelle, la belle maman de Maximilien, qu'il rêve, évidemment de mettre dans son lit, ou d'aller dans le sien. Mais voilà, elle est mariée. Ce qui peut encore le sauver, ou plus exactement sauver son projet avec elle, c'est qu'elle se pique d'écrire un roman et qu'elle compte bien sur lui pour en être le premier lecteur et même la collaborateur, quitte à partager avec lui la vedette d'un futur succès littéraire. Elle lui offre même de l'argent, ce qui égare un peu l'érotisme potentiel de leurs relations. Et puis, dans ce domaine si les hommes proposent, ce sont les femmes qui disposent (air connu). Mais voilà, leurs rencontres sont perpétuellement polluées par la silhouette à la fois inquiétante et mystérieuse d'un homme à la cravate fuchsia dont il ne sait exactement qui il est. De plus, le mari d'Isabelle ne goûte pas les velléités littéraires de son épouse. Cela peut toujours cacher quelque chose. Et puis, Isabelle n'est pas toute seule dans le tableau de chasse potentiel de Mathieu, la simple vue d'une paire de fesses féminines à la piscine le met dans tous ses états, il voudrait bien avoir son tour dans la lit de sa voisine du dessus qui collectionne les amants et Éléonore, l'intellectuelle de service ne le laisse pas indifférent ! Il y a comme cela des conquêtes sans lendemain, des tentatives avortées, des fantasmes refoulés, des histoires d'amour qui finissent mal, c'est à dire qu'elles ne sont suivies d'aucune conclusion, comme on dit, ou alors éphémères ou durables. Alors, pourquoi pas ériger le célibat en œuvre d'art ?

     

    J'ai bien aimé l'humour de l'auteur autant que sa façon d'écrire, spontanée et sans artifices littéraires ni effets de style, érotique parfois, et moderne à souhait. Cela change un peu ! Même si son donjuanisme peut paraître un peu poussé à l'excès et s'apparente à de la frime.

    Il fait une allusion appuyée à la  « Revue Perpendiculaire » qu'il a créée et animée, ce qui est bien normal mais n'apporte rien à son voyage autobiographique de père-célibataire-séducteur-névrosé-obsédé sexuel insatisfait. Il met en perspective la détresse masculine d'après séparation dans l'épisode du groupe de parole où chacun se libère de ses obsessions, de ses souffrances et peut-être de ses fantasmes, entre la peur des licenciements professionnels et la conquête du bonheur, de l'épanouissement personnel. Il a eu le courage de mettre en scène la séparation du côté paternel, le sujet étant bien souvent traité et présenté sous l'angle maternel. C'est une manière de prendre conscience du problème qui est réel et aussi peut-être une tentative de faire évoluer les mentalités, de poser la question de la sexualité qui est, elle aussi, une question brulante pour chacun. L'occasion d'en rire en tout cas (au lieu peut-être d'avoir à en pleurer)! Et cet humour là, cette arme contre l'adversité, j'aime bien !

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • TIRÉ Á PART - Un film de Bernard Rapp

     

     

    L A F E U I L L E V O L A N T E

    La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,

    elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

    N°539 – Août 2011

    TIRÉ Á PART – Un film de Bernard Rapp (1996)

    (diffusé le samedi 27 aout 2011 sur la chaine Ciné Polar)

     

    Cette histoire est celle d'une subtile vengeance. Nicolas Fabri [Daniel Mesguich], un obscur auteur français qui ne brillait pas jusqu'à présent par son talent, apporte à son ami, l'éditeur anglais Sir Edward Lamb [Terence Stamp], un manuscrit que l'auteur lui présente comme exceptionnel. Connaissant le style et le peu d'intérêt qu'offrent traditionnellement les œuvres de Fabri, Lamb entame sa lecture sans grande illusion mais rapidement il prend un intérêt nouveau pour cette découverte. Non seulement le style est différent mais l'histoire qu'il est en train de lire ne lui est pas étrangère. Fabri y décrit par le menu une histoire d' amour qui a mal tourné et qui s'est conclue, en Tunisie, quelques dizaines d'années auparavant, par le suicide inexpliqué de Farida, une femme qu'Edward avait passionnément aimée. Cette mort avait été por lui, perndant toutes ces années, une énigme obsédante. Pourtant, il fait de la publicité à son protégé mais devant la suffisance de Fabri qui commence à parler de prix littéraire pour son roman, Lamb va profiter de ses relations non seulement pour en proposer la publication par un grand éditeur français, mais aussi, par l'intermédiaire d'une ancienne maîtresse de Fabri devenue critique littéraire très en vue, pour susciter l'intérêt des milieux culturels et artistiques parisiens et ainsi obtenir le prestigieux Goncourt. Dans le même temps, et tout en restant dans l'ombre, Lamb va monter de toutes pièces un scénario attestant sans aucun doute possible la réalité d'un plagiat. Malgré toute sa suffisance Fabri n'y résistera pas.

     

    Sans le savoir Fabri se jette dans la gueule du loup sans se douter qu'il permet à Lamb de mettre en place une vengeance d'autant plus forte qu'elle attend depuis longtemps. Il tient entre ses mains la confession de cet homme responsable de ses amours malheureuses avec cette femme mais surtout Fabri lui déclare que sans cette épisode il n'aurait pas pu écrire ce roman. Dans le même temps le spectateur comprend que c'est précisément cet événement qui a déterminé Lamb à cesser d'écrire. C'est donc à une sorte de jeu de miroirs que ce texte se livre. Ainsi, l'apparition de la fille de la morte qui lui ressemble et porte le même prénom qu'elle et le suicide de cette femme victime d'un viol qui répondra à celui de Fabri qui en a été l'auteur. Lamb qui apparemment fait montre d'un calme très britannique face à la fatuité et à la cupidité de Fabri, est en réalité un bourreau intraitable, animé de la nécessité du châtiment, mais qui veut néanmoins conserver un strict anonymat dans ce processus.

     

    Il s'agit là d'une adaptation inspirée du roman de Jean-Jacques Fiechter. J'ai aimé l'ambiance toute britannique de l'intrigue autant que le développement machiavélique de cette intrigue et l'intensité de la rancune accumulée depuis si longtemps.

    Ce film est le premier long métrage de Bernard Rapp, disparu en 2006. On le connaissait comme un journaliste de talent, animateur d'émissions à succès comme « l'assiette anglaise » ou « Jamais sans mon livre », d'homme de culture et il convient, à l'occasion de ce film, de se souvenir de lui. 

     

    Hervé GAUTIER – Août 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     


     

     

     

     

  • LE CRIME DE L'HÔTEL SAINT-FLORENTIN – Jean-François PAROT

     

    N°538 – Août 2011

    LE CRIME DE L'HÔTEL SAINT-FLORENTIN – Jean-François PAROT JC LATTES

     

     

    Nous sommes en 1774 et Louis XV vient de mourir. Jean Le Noir vient de succéder à Sartine en qualité de Lieutenant général de police. Nicolas Le Floch, marquis de Ranreuil est toujours commissaire au Châtelet et doit donc s'adapter à son nouveau patron qui se méfie de lui, ce qui l'inquiète quelque peu. De plus ses collègues voient d'un assez mauvais œil qu'il ait les faveurs de Louis XVI comme il avait auparavant celles de Louis XV. Il craint une pause dans sa carrière, une disgrâce peut-être ?

     

    Le Duc de la Vrillières, M. de Saint-Florentin, ministre de la Maison du Roi le charge pourtant d'éclaircir un meurtre qui a eu lieu dans son hôtel particulier. Une femme de chambre a été égorgée d'une bien curieuse manière tandis que le maître d'hôtel, Léon Missery, est retrouvé blessé à ses côtés. Il va donc enquêter dans cette maison où il sent une hostilité de tous, en compagnie de son fidèle Bourdeau et de Guillaume Semacgus, chirurgien de marine. Comme toujours ses investigations vont révéler des faits curieux, la victime, Marguerite Pindron, était parée de bijoux et de vêtements bien au-dessus de sa condition, auparavant elle avait menée une vie pour le moins dissolue et entretenait des relations amoureuses avec le maître d'hôtel, lequel n'était pas vraiment en odeur de sainteté... Il va révéler la présence d'un autre amant qui a laissé des traces de sang, un trafic de chandelles, la présence d'un espion anglais, des témoignages contradictoires...

     

    Pour autant, les intrigues de cour vont bon train et chacun cherche à retrouver sa place auprès du nouveau roi. Ainsi Nicolas est-il sollicité par Le Noir pour éclaircir une histoire d'épidémie de charbon qui décime les bovins et menace l'approvisionnement de la capitale. Sartine, nouveau secrétaire d'État à la Marine, dont il reste l'ami mais qui ne perd rien de ses anciennes attributions de policier, le met en garde contre le duc de Vrillières. Nicolas, souhaitant ménager ses appuis mais restant quand même un zélé serviteur de l'État et du roi va enquêter tout en tenant compte de tout ce qui lui a été dit. Cela l'amènera chez les marchands de bestiaux autant que dans la maison de filles de St Michel, un couvent où vit retirée une parente du maître d'hôtel, il subira un attentat contre sa personne, devra également enquêter sur d'autres meurtres, connaîtra les horreurs de Bicêtre et les lieux de débauches fréquentés par des aristocrates souvent intouchables... Il découvrira que l'objet qui a tué les deux victimes ne peut-être qu'une « main d'argent », prothèse que porte le duc de Vrillière mais qu'il prétend avoir perdu...

     

    Comme toujours, j'ai apprécié ce Paris du XVIII° siècle, les recettes de cuisine et les remarques pertinentes sur la qualité des vins autant que le suspense parcimonieusement distillé jusqu'à la fin, la pratique jubilatoire de la langue française, la richesse du vocabulaire qui transforment chaque roman de Jean-François Parot en un bon moment de lecture.

     

    Hervé GAUTIER – Août 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ENQUETE SUR LA DISPARITION D'EMILIE BRUNET – Antoine Bello

     



    N°521 – Mai 2011.

    ENQUETE SUR LA DISPARITION D'EMILIE BRUNET – Antoine Bello – Gallimard.

     

     

    L'intrigue, condition indispensable à tout bon roman policier, est simple, à tout le moins en apparence. Comme l'indique le titre, Émilie Brunet, une des femmes les plus riches du pays, a disparu. Là où cela se complique, c'est que sa disparition coïncide avec celle de Stéphane Roget, professeur de Yoga, mais aussi amant d'Émilie et que Claude Brunet, son mari, connaissait leur liaison ! C'est même lui qui avertit la police en l'absence de son épouse. On sent déjà le vaudeville et ce d'autant plus que ce brillant professeur d'université s'octroyait largement des libertés de Don Juan ! Bien évidemment, ce dernier est suspecté et même quelque peu molesté lors d'une garde à vue musclée par un inspecteur zélé, partisan des méthodes expéditives, qui sans doute sont classiques et ont fait depuis longtemps la preuve de leur efficacité. Pourtant, dans son cas, cela amène notre suspect à l'infirmerie et certainement pas aux aveux. L'ennui c'est que Brunet est neurologue, professeur de sciences cognitives... mais ne se souvient de rien !

     

    Achille Dunot, détective de son état, compatit à ce qui pourrait être regardé comme une opportunité intéressante pour Brunet, et ce d'autant plus qu'il souffre lui aussi d'une amnésie chronique dite « antérograde ». Il ne peut, en effet, imprimer dans sa mémoire ses souvenirs immédiats. Chargé de l'enquête sur la disparition d'Émilie Brunet, notre détective s'en tient à la rédaction d'un journal relatant les différentes phases de ses investigations. Chaque matin il tente, grâce à sa chronique de se remémorer ce qu'il a fait la veille. Pourtant, cet adepte d'Agatha Christie à qui il fait constamment référence devient, petit à petit et sans presque s'en rendre compte le héros d'un roman policier dont il est aussi l'auteur.

     

    Le médecin est dans une bien étrange posture puisque tout l'accuse. Il a, en effet a plusieurs mobiles, et notamment financier... et aucun alibi ! Pour aggraver son cas, il fait constamment l'apologie du crime parfait, donnant à penser au détective qu'il n'est pas étranger à la disparition de son épouse. Il a d'ailleurs pour ce concept une véritable fascination. De par ses études sur le cerveau humain, il est parfaitement capable de compartimenter et de domestiquer sa propre mémoire. Il joue même avec Dunot en lui proposant d'écrire lui aussi ses propres sentiments sur cette affaire et de les livrer à l'enquêteur, tout en gardant, bien entendu, la maîtrise de cette situation. Dunot suspecte Brunet d'être coupable de ce double meurtre et ce dernier n'ignore rien des soupçons qui pèsent sur lui. Ainsi assiste-t-on à un chassé-croisé entre les deux hommes, le policier cherchant à s'identifier au médecin à travers son témoignage écrit et ainsi le confondre, le médecin s'obstinant à rester à l'hôpital, et donc à ne pas fuir, refusant puis acceptant de livrer ses écrits au policier pour mieux l'abuser par ses développements intellectuels et universitaires. Il sollicite même la justice pour être innocenté le plus vite possible, histoire de bénéficier de « la chose jugée ». Une sorte d'amitié naît même de cet échange, ce qui fausse un peu les choses.

     

    Les personnages peuvent paraître peu originaux : un flic violent et borné, une domestique puritaine, tout droit sortie d'un roman d'Agatha Christie, un universitaire prétentieux et brillant, une étudiante fascinée par son professeur avec qui elle a, bien entendu, eu une liaison, et dans tout cela le mythe du crime parfait et le contexte un peu facile de l'amnésie. D'autre part les références souvent trop érudites sur l'œuvre d'Agatha Christie (mais aussi d'Edgar Poe et d'Alfred Hitchcock) donnent lieu à des longueurs quelque peu inutiles et tournent carrément à l'exégèse de ses romans et au panégyrique d'Hercule Poirot. Au point qu'on en oublie l'intrigue ! Le lecteur reste sur sa faim puisque cette sorte de mise en abyme (un roman dans le roman) ne conclut rien, n'explique rien, laisse en suspens toutes les questions que le lecteur s'est posées. C'est un peu dommage, la présentation du récit sous forme de journal dont Dunot caviarde certaines lignes pour tenter de circonvenir le médecin est intéressante. C'est un roman bien écrit, agréable à lire et au suspense savamment entretenu jusqu'à la fin, mais franchement, je m'attendais à autre chose !

     

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE FANTOME DE LA RUE ROYALE – Jean-François PAROT

     

    N°537 – Août 2011.

    LE FANTOME DE LA RUE ROYALE – Jean-François PAROT – JC Lattès.

    Les enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet.

     

    Paris, le 30 mai 1770, c'est le mariage du dauphin et Louis XV veut que la fête se termine par un feu d'artifice sur la place qui porte son nom. Malheureusement les explosions provoquent un incendie et la panique s'empare de la foule venue en masse assister à ce spectacle. On relèvera des centaines de morts et de blessés. Nicolas Le Floch, marquis de Ranreuil, commissaire de police au Châtelet obtient de Sartine, grand amateur de perruques et actuel Lieutenant général de la police, le droit d'enquêter sur cette affaire où des erreurs ont été commises en matière de maintient de l'ordre, d'autant plus que cette responsabilité incombait à la compagnie des gardes de Paris. Durant son enquête, notre commissaire découvre le cadavre d'une jeune femme d'une vingtaine d'années tenant fermement dans sa main une perle noire. De plus, l'examen post mortem révèle qu'elle n'a pas été écrasée comme les autres victimes mais étranglée ! A l'évidence on a mêlé sa dépouille à celles des autres cadavres pour masquer ce qui est en réalité un assassinat. Tel est le point de départ de cette passionnante enquête policière menée dans ce Paris du siècle des Lumières où le lecteur aime à se perdre et à se retrouver. Il y rencontre les gardes de la ville aux nouveaux uniformes chamarrés qui montrent plus que de l'opposition à la police officielle, Sartine contre qui des libelles circulent dans la cité, tout un peuple de « mouches » et de domestiques, le fidèle adjoint Pierre Bourdeau, Sanson, le bourreau qui fait aussi office de légiste et Guillaume Semacgus, chirurgien de marine qui assistent le commissaire... Le lecteur y croise le quotidien des gens du peuple, des cabarets et des maisons de plaisirs mais aussi les intrigues de Cour...

     

    Les investigations du marquis vont le mener rue Royale, chez Charles Galaine, un maître pelletier chez qui vivait cette jeune femme, sa nièce, Élodie. Il loge chez lui, sur ordre du roi qui l'apprécie et à qui il fera personnellement ses rapports. Cette résidence forcée va l'amener à découvrir tout un décor où l'hypocrisie le dispute aux réalités les plus sordides. Témoins ce Naganda, personnage ambigu, indien Micmac au visage tatoué, fils de chef d'une tribu alliée à la France en terre d'Amérique, ancien élève des jésuites qui use d'un langage châtié et cite Saint-Jean en latin et Racine en français. Lui aussi loge chez Galaine, mais dans une soupente. Son personnages et ce qui lui arrive sont de nature à jeter sur lui les doutes les plus fondés. Il deviendra plus tard un espion du roi dans les territoires d'Amérique tenus par les Anglais, mais pour l'heure il fait partie des suspects. Notre commissaire va découvrir bien pire, une servante qui cache sa future maternité et qui, de lévitations en révélations [en état de transe elle parle allemand et latin avec la voix des morts et révèle à Le Floch des détails sur sa vie qui ne sont connus que de lui seul] donnera toutes les marques d'une possession du démon, au point que l'archevêque de Paris soi-même va dépêcher un exorciste auprès d'elle. Semacgus qui ne croit ni aux fantômes ni au diable, rappelle le marquis à plus de rationalité et préfère à tout cela la manifestation de l'hystérie. Une telle procédure qui évoque le Moyen-Age n'a pas sa place au siècle de Voltaire et des encyclopédiste, mais pour Le Floch qui a reçu une éducation de qualité chez les bons pères, il en va aussi de l'ordre public dont il est le garant. Quant à Élodie, elle n'était pas exactement la jeune fille rangée qu'il avait imaginé, des personnages sont escamotés, d'autres disparaissent pour réapparaitre, un attentat est perpétré par les gardes de la ville contre un ancien procureur mais visait en réalité notre commissaire, un monstre au visage blanc est évoqué, un reçu est découvert dans la maison de Galaine et qui date du jour du drame, un testament caché et retrouvé par hasard par une enfant qui en sait probablement plus qu'elle ne veut en dire. Comme si tout cela ne suffisait pas il y a un infanticide, une faillite annoncée, des dettes de jeu et des vêtements mis en gage, des chantages, des amours contrariées, un procès un peu long où notre commissaire prend des accents de procureur... Mais la vérité finit par éclater ...

     

    Jean-François Parot dessine peu à peu pour le lecteur la personnalité et l'histoire parfois intime de son héros mais aussi se livre avec bonheur à des descriptions évocatrices [ Je retiens particulièrement l'épisode de l'exorcisme et aussi le portait de l'archevêque de Paris dont les états d'âmes transparaissent sous les mots]. J'aime bien le texte de ce récit, l'érudition de son auteur, les notes qui suivent les chapitres...

     

    Je continue avec bonheur et passion à découvrir l'œuvre de cet auteur qui sert si bien notre belle langue française, replonge son lecteur dans le contexte de ce siècle des Lumières, le dépayse agréablement et distille un suspense de bon aloi jusqu'à la fin. C'est à chaque fois un bon moment de lecture.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • L'HONNEUR DE SARTINE – Jean-François PAROT –

     

     

     



    N°536 – Août 2011.

    L'HONNEUR DE SARTINE – Jean-François PAROT – JC Lattès.

     

    Nous sommes en 1780, à Paris, sous le règne de Louis XVI, M. Edme de Chamberlin, ancien contrôleur général de la Marine, vient de mourir. Celui-ci, susceptible de détenir des archives intéressant la Couronne, Nicolas le Floch, commissaire de police au Châtelet, se présente au domicile de M. Jacques Bougard de Ravillois, fermier général et oncle par alliance du défunt qui résidait chez lui. Comme rien n'échappe au policier, il constate que Chamberlin a été assassiné, écrasé par la baldaquin de son lit préalablement scié. Poursuivant ses investigations, le Floch va de surprise en surprise : testament volé, documents disparus qui pourraient être compromettants pour les affaires de l'État, codicille caché dans un meuble à secrets puis découvert, objets précieux subtilisés, billes qui ne seraient pas exactement des agates en verre... Il y a aussi cette absence d'échelle qui aurait permis de scier la courtine et ainsi de perpétrer le meurtre ... La poursuite de l'enquête mène notre commissaire et son inspecteur, le fidèle Bourdeau, successivement chez M. La Borde, fermier général et ancien premier valet du roi et M. Saint-James, ancien trésorier des colonies, et nombre de gens avec qui le défunt étaient en affaires, parfois un peu louches. Tout cela le mène à Gabriel de Sartine, ministre de la Marine... Comme il se doit, s'agissant de personnages importants, on demande à Le Floch d'être des plus discrets !

     

    Sartine, était pour la cabale une cible de choix et représentait pour Necker, directeur général des finances, un grand dépensier puisqu'il voulait moderniser la flotte ... Mais il semble que les documents disparus avaient une grande importance d'autant que le défunt lui-même y voyait, selon certains témoins, une assurance pour l'avenir. Ils porteraient atteinte à l'honneur du ministre, opération financières consenties au profit de la Marine, dispositions secrètes ? Sartine semble beaucoup tenir à ces documents et ce d'autant plus qu'il envoie un homme à lui pour les récupérer, sait s'attacher des espions...Vient se greffer une histoire de vases chinois également disparus dans des conditions énigmatiques mais dont un exemplaire au moins réapparait, proposé à un collectionneur, Tiburce, le fidèle valet de Chamberlin, également assassiné dans les conditions bizarres ... Bref, une affaire banale au départ qui prend une ampleur inattendue sur fond de guerre contre les Anglais pour la libération du peuple américain, de secrets, d'espionnages, de rebondissements inattendus, de contre-temps regrettables, de chantages dangereux, des rébus, avec en plus une tentative de meurtre sur la personne du commissaire, des problèmes familiaux le concernant, des dettes de jeu, des haines familiales et les apparences hypocrites qui veulent donner le change, des secrets d'alcôves, des trahisons, des adultères et un intérêt royal pour cette affaire dont Louis XVI se tient régulièrement informé ...

    L'enquête policière trouvera sa conclusion, mais le jeu politique prendra le dessus, avec la perfidie habituelle et sa volonté de puissance et de nuisance qui s'exerce souvent contre les plus fidèles serviteurs de l'État.

     

    Le livre aura toujours pour moi une supériorité sur les séries télévisées ou sur les films, si bien réalisés soient-ils. Je ne connaissais pas les œuvres de Jean-François Parot. Je dois dire que j'ai apprécié de me retrouver dans ce Paris du XVIII° siècle, dans le quotidien du peuple autant que les intrigues de cour. J'ai goûté cette histoire policière passionnante du début à la fin, distillée dans un texte emprunt d'un vocabulaire riche et parfois délicieusement suranné, avec des phrases ciselées avec bonheur, des expressions qui valent leur pesant d'histoire. J'ai bien aimé aussi les propos sur le vin, les recettes culinaires qui émaillent le récit et l'apparition épisodique mais bienvenue de la chatte Mouchette, sans oublier le chien Pluton qui gagne ici ses galons de limier.

     

    Un texte fort plaisant et bien écrit, un bon moment de lecture et un agréable dépaysement que je souhaite renouveler.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LA PASSION LIPPI – Sophie Chauveau

     

     

     



    N°535 – Juillet 2011.

    LA PASSION LIPPI – Sophie Chauveau – Folio.

     

    Nous sommes le 2 février 1414 et Cosme de Médicis règne sur Florence, la ville des fleurs, cette cité de Toscane au doux nom de femme qui rayonne déjà sur l'Europe entière. Ce prince puissant aime s'habiller simplement mais aime aussi s'entourer d'artistes. En ce jour, sa route va croiser celle d'un enfant qui dans une ruelle de la ville sculpte la poussière. C'est Filippo Lippi , un inconnu, un orphelin qui, il le vérifie tout de suite, excelle dans la peinture, sans jamais l'avoir apprise. Cosme le confie donc à celui qu'on appellera plus tard Fra Angélico, pour un apprentissage qui va durer six ans et pendant lesquels l'enfant sera confié aux bons soins des Carmes. Il n'aura donc plus à mendier ! Dans ce couvent, il se révèle pieux, son maître fait de lui un bon peintre, mais le séminariste se révèle aussi assidu au bordel ! C'est que son ordre n'est pas strict et il est le protégé de Cosme ! Il aime la peinture au point qu'il vole les couleurs... mais c'est pour décorer le lupanar où il a ses habitudes. Il est pauvre et peintre mais ressemble à un ange, c'est sans doute ce qui fait de lui le favori des prostituées chez qui il se réfugie volontiers, mais cela ne l'empêche pas de prononcer ses vœux. Il sera donc Fra Filippo Lippi, mais en apparence seulement.

     

    Pourtant, soumission, abnégation, abstinence, pauvreté et charité sont exactement le contraire de ce qu'il est et de ce qu'il veut devenir demain. Il mentira donc toute sa vie et comme apparemment Dieu a agrée ses vœux, il sera un homme avant d'être un serviteur de Jésus. Il est sensible à la beauté des femmes et professe volontiers que si Dieu a créé le plaisir c'est qu'il a été voulu par Lui et donc qu'il est divin. Il se vautre dans le stupre et fait désormais fructifier son talent un peu dans les chapelles... mais surtout en décorant les lupanars ! C'est certes incompatible avec son état, et cela indispose son protecteur, mais il peint si bien !

     

    Celui qui, en bon élève, avait copié ses maîtres veut maintenant leur voler leur talent et leur style. Ses condisciples Masaccio et Masolino l'ont beaucoup influencé, en peinture seulement. Il aime tellement les prostituées qu'il prête leurs traits et leur beauté à la vierge Marie, un comble !

     

    Le destin de Lippi épouse celui de Cosme son protecteur mais son âpreté au gain fait de lui un habile négociateur de ses œuvres puisqu'il a fini par découvrir son propre style et qu'il est désormais regardé comme « grand peintre ». Son talent artistique, son parti-pris de faire payer ses clients pour sa prestation intellectuelle, sa promotion dans la hiérarchie ecclésiastique, suscitent pas mal d'inimitiés mais une banale histoire de contrat non rempli lui vaut la prison et le supplice de l'estrapade qui peut compromettre son avenir en lui brisant les mains. Heureusement il s'en sort mais c'est pour mieux retomber dans ses vices ! Florence est, comme Venise, une république qui fonctionne grâce à la délation. Dans la Sérénissime, c'est la « Boca del leone » qui recueille les dénonciations. Ici c'est la « Tambulazione » qui veille et fait de lui un exilé. Lui qui fréquentait volontiers les prostituées vient de tomber éperdument amoureux d'une nonne vierge, Lucrezia Buti, qu'il prend comme modèle de Madone... et qu'il va engrosser et dont il veut garder l'enfant. C'est un peu le remake de l'Annonciation. Il n'y aura que le pape, sur intervention de Cosme, son éternel protecteur, pour les relever de leurs vœux, faire d'eux des laïcs à condition qu'ils se marient et élèvent chrétiennement leur enfant. Après quelques périodes de sécheresse, les commandes affluent, ce qui lui permet d'élever dignement sa famille et de l'agrandir, sans oublier cependant de retomber dans ses vieux démons du vice, de la débauche. Il aura pour élève Botticelli.

    Il vit de son art, c'est un artiste reconnu et non plus un simple artisan, protégé des Médicis, Cosme et maintenant son fils Pierre. Heureusement pour lui, Filippino, son fils aîné a des dispositions pour la peinture. A la mort de son père, c'est lui qui terminera les fresques de la cathédrale de Spolète.

     

     

    Tel est donc le fabuleux parcours de Lippi, tout à la fois voyou, ivrogne, libertin, jouisseur et peintre génial (1406-1469) que l'auteur, en quatre saisons, évoque magistralement pour son lecteur. Elle le plonge dans l'ambiance de ce siècle d'exception, dit de « la première renaissance » où cohabitent la ferveur religieuse et la débauche, la beauté et la trahison. C'est passionnant !

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LA BARONNE MEURT A CINQ HEURES – Frédéric Lenormand

     

    N°534 – Juillet 2011.

    LA BARONNE MEURT A CINQ HEURES – Frédéric Lenormand – JC Lattès.

    Prix Arsène Lupin 2011.

     

    Pauvre Voltaire, en cet été 1731, voilà que meurt M. de Maison qui était son protecteur. Notre écrivain qui n'est jamais aussi bien chez lui que chez les autres, se met en quête d'un nouveau mécène qu'il trouve en la personne de la baronne Fontaine-Martel qui a le bon goût de l'héberger et de le nourrir pendant près de deux années. Las, cette dernière meurt sauvagement assassinée et aux yeux de René Herault, lieutenant général de police, Voltaire, philosophe controversé, fait figure de suspect idéal. Il va donc devoir se défendre en cherchant à qui profite le crime ! Pourtant, on imagine mal notre philosophe en auxiliaire de la maréchaussée, mais, ce défenseur du bon droit et de la liberté est surtout attentif à la sienne. Il va mener sa propre enquête non seulement parce qu'il ne souhaite pas retourner à la rue, et encore moins à la Bastille, mais aussi parce qu'il espère tirer quelque bénéfice des dernières volontés de la défunte. C'est donc à une chasse au testament plus ou moins falsifié qu'il va consacrer son temps et son énergie. L'estime qu'a de sa propre personne cet « empêcheur de penser en rond » l'amène à supposer qu'on en veut aussi à sa vie et ce d'autant plus qu'il est l'ennemi de tout ce qui porte soutane, jésuites et jansénistes.

     

    Dans sa quête, il sera aidé brillamment par Mme du Châtelet, femme de sciences et d'esprit, délaissée par un mari qui préfère les champs de bataille, et présentement enceinte jusqu'aux oreilles. Ses qualités ne seront pas de trop pour affronter tous ces héritiers avides, ces abbés ridicules, ces spadassins aux mystérieux codes, ces assassins qui « connaissent la musique »... et pour tenir tête à cet écrivain, certes génial, mais un peu trop envahissant. Heureusement son intuition féminine prendra le pas sur la philosophie et nos deux limiers feront, à cette occasion, de surprenantes découvertes sur la nature humaine et sur l'hypocrisie qui va avec, la volonté de s'enrichir et les secrets d'alcôves !

     

    Estimant qu'une enquête est quand même comparable à un raisonnement philosophique, et ne perdant pas de vue son intérêt personnel, notre homme mène donc des investigations attentives en même temps qu'une activité littéraire et mondaine en n'oubliant pas d'échapper à la censure et de lorgner vers l'Académie. Malheureusement pour lui, tout le monde prend Ériphyle, la tragédie qu'il est en train d'écrire et dont il ne cesse de parler, pour une maladie de peau ! Mais, éternel valétudinaire à l'article de la mort malgré ses trente neuf ans, il n'omet pas non plus d'exploiter ceux qui ont l'imprudence de faire appel à ses qualités de comédien-usurier, ce qui, à ses yeux, n'est pas incompatible !

     

    Je ne dirai jamais assez le plaisir que j'ai à lire Frédéric Lenormand [Cette chronique lui a déjà consacré de nombreux articles depuis quelques années]. J'aime son humour [J'ai beaucoup ri pendant ces trois cents pages], son érudition rigoureuse, sa maîtrise jubilatoire de la langue française, sa délicate pratique de la syntaxe, ses saillies aussi inattendues que pertinentes. Il est vrai que le sujet, Voltaire, dont il est un éminent spécialiste, s'y prête particulièrement. L'auteur des « Lettres philosophiques anglaises » avait déjà été mis en scène par Lenormand dans « La jeune fille et le philosophe » [La feuille volante n° 240]. L'auteur ne se contente pas d'être l'heureux chroniqueur des enquêtes du « juge Ti », il est aussi un grand connaisseur du XVIII° siècle. A ce titre, il promène son lecteur dans les rues de ce Paris hivernal qui n'est pas toujours celui des philosophes et y fait déambuler notre « propagateur d'idées impies » d'autant plus volontiers que sa liberté est en jeu.

     

    Avec de courts chapitres au style alerte, annoncés d'une manière quasiment théâtrale, Lenormand s'attache l'attention de son lecteur dont il suscite l'intérêt dès la première ligne de ce roman sans que l'ennui s'insinue dans sa lecture. Il le régale de la silhouette de Voltaire autant que de son esprit et lui prête des propos et des attitudes que n'eût pas désavoués l'auteur de « Candide »

     

    Comme je l'ai souvent écrit, un roman de Frédéric Lenormand est pour moi un bon moment de lecture et, comme toujours...j'attends le prochain.

     

     

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    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LA MAISON OÙ JE SUIS MORT AUTREFOIS – Keigo Higashino

     

     

    N°533– Juillet 2011.

     

    LA MAISON OÙ JE SUIS MORT AUTREFOISKeigo Higashino – Actes Sud.

    Traduit du japonais par Yukata Makino.



     Le narrateur, un universitaire japonais, n'avait plus de nouvelles de son ex-petite amie, Sayaka, mariée à un homme d'affaires qui s'absente beaucoup. Même la maternité n'a pas suffi à la faire aller mieux puisque qu'elle maltraite sa fille de trois ans qui a été confiée à la garde de ses beaux-parents. Son enfance à elle a été un cauchemar dont elle ne garde pas de bons souvenirs. Elle n'apparaît guère dans les albums de sa famille avant l'âge de cinq ans, et elle ne sourit jamais sur les photos ! Après la mort de son père, elle découvre dans le sac de pêche de ce dernier une clé à tête de lion et une carte annotée d'indications bizarres, conduisant à une maison de montagne, isolée et située près d'un lac. Accompagnée du narrateur, elle décide de la retrouver pour l'explorer.

    Après avoir longtemps cherché et hésité, ils finissent par découvrir la maison et par y entrer à l'aide de la clé, mais par une porte du sous-sol seulement. Étrange détail, cette maison, maintenant complètement abandonnée et fermée et dont les habitants de la région ne connaissent même pas l'existence, semble avoir été habitée par une famille. La porte d'entrée est verrouillée, toutes les pendules sont arrêtées à 11h10 et la vie semble s'y être arrêtée précipitamment 23 ans plus tôt ! C'est un peu comme si le temps avait interrompu son cours ! De plus, sans être vide, cette demeure n'a ni télévision, ni téléphone, ni appareils ménagers, ni calendrier, ni même d'électricité... La famille qui habitait là se composait d'un couple avec un garçon, le petit Yusuke qui tenait un journal intime que nos détectives découvrent. L'enfant, apparemment bon élève, y notait qu'il recevait des jouets d'un homme, ce qui semblait indisposer son père et y faisait mention d'une certaine Mme Otai, d'une petite fille et d'un chat, Chami ! Puis son père mourut et un autre homme vint prendre sa place...

    Le journal du garçon recèle des détails troublants qui vont servir de fil d'Ariane pour recomposer ce passé un peu confus. Il s'interrompt brusquement mais des lettres retrouvées vont poser plus de questions qu'elles n'apportent de réponses ! Sayaka qui au départ n'a aucun souvenir de cette maisons finit par ressentir une impression de déjà vu, et va retricoté sa propre histoire à travers de petits détails comme un rideau vert, un vase, une porte qui apparemment n 'existe plus et un coffre-fort. C'est Sayaka qui en découvrira la combinaison, mais son contenu épaissit le mystère !

    J'ai toujours pensé que ce n'est pas parce qu'un roman se fonde sur des énigmes qu'il doit être violent et même sanglant. Ici l'intérêt de ce récit noir est tout en nuances. Le thème de la mémoire perdue puis retrouvée est bien exploité et avec lui celui de l'enfance disparue. La complicité née d'une ancienne histoire d'amour entre le narrateur, incrédule au départ et Sayaka, anéantie par la vie, fera, petit à petit, éclater la vérité.

    A l'invite du narrateur et de cette aventure hors du commun, le lecteur échafaude diverses hypothèses, suit les péripéties de ce récit dont le style, volontairement sobre et dépouillé et la construction bien menée distillent le suspense jusqu'à la fin. De plus, ce roman a le mérite de se dérouler dans le calme et la vraisemblance. Passionnant !

    Jusqu'à présent je n'avais jamais lu de romans policiers japonais. Je n 'ai pas été déçu.

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2011.

     

  • NI A VENDRE NI A LOUER – Un film de Pascal Rabaté.

     

    N°532– Juillet 2011.

    NI A VENDRE NI A LOUER Un film de Pascal Rabaté.

     

    Il est des œuvres dont on parle beaucoup à leur sortie, qu'on rattache à une parenté parfois prestigieuse ou originale mais qui, au bout du compte, sans vraiment décevoir, laissent un goût d'autant plus amer qu'on s'attendait à mieux.

     

    Qu'avons nous ? Une petite station balnéaire un peu quelconque de Loire-Atlantique où vont se retrouver, l'espace d'un week-end des personnages aussi hétéroclites que cette période des vacances peut mettre en situation : un couple de retraités qui regagne sa maisonnette en bord de mer, deux familles qui campent, un supermarché vide dont les codes-barres sont le seul intérêt, un couple de punk avec chiens, un enterrement, un cadre en mosaïque à demi terminé par le défunt, une histoire de cerf-volant perdu qui provoque un adultère, un épisode sado-maso dans une chambre d'hôtel, un lapin à contre-emploi, deux golfeurs un peu imposteurs et, pour finir un spectacle franchement minable où un chanteur nous répète que « les vacances à la mer, c'est super ! ». Le tout sans vraiment de dialogue, avec seulement des bruits de fond ou des onomatopées et sur une musique entrainante et épisodique. C'est donc une mosaïque de personnages qui ne se rencontrent pratiquement pas, une succession de saynètes indépendantes les unes des autres où les gags fleurissent sans, à mon sens, jamais convaincre vraiment.

     

    Le décor, les personnages, le scénario (s'il y en a un), l'absence de dialogue (ce qui n'en fait pas pour autant un film muet), évoquent Jacques Tati[« Les vacances de M. Hulot » (1953)]. C'est sans doute pour cela qu'on a qualifié ce film de génial, même si de son vivant Jacques Tati n'a pas vraiment convaincu dans ce domaine et qu'on a attendu qu'il soit mort pour s'intéresser à son œuvre cinématographique et pour lui trouver du génie ! Tati s'était approprié un phénomène récent, les vacances populaires, l'avait traité avec cet humour décalé qui faisait son originalité. Mais ici, il me semble que, malgré une touche de tendresse, les gags sont parfois un peu trop forcés et caricaturaux, parfois un peu trop répétitifs aussi. Le comique existe pourtant, c'est indéniable, mais c'est plutôt une succession de cartes postales animées, burlesques et dérisoires, mais sans la poésie que la spectateur était en droit d'attendre eu égard à la filiation annoncée de ce film. Pascal Rabaté se différencie de Tati en ce sens qu'il actualise son message par la prise en compte de l'échangisme, genre amour de vacances, le phénomène sado-maso, le camp de nudistes ou l'homosexualité punk. Pourtant je m'attendais à une sorte de fresque sociologique, une peinture de la société française comme aimait à le faire l'auteur de « Mon oncle ». Seule peut-être l'émotion prévaut autour de la mort de l'époux ou de la prise en compte un peu furtive de la fuite du temps à travers le dessin de la petite fille qui a grandi et qui est maintenant devenue une femme.

     

    Le film est cependant servi par un choix d'artistes dont le talent n'est pas assez mis en valeur par le parti-pris de l'absence de dialogue. On pouvait s'attendre à ce que le comique, voire l'émotion, naissent de de l'expression ou de la seule situation. C'était une volonté louable, mais cela ne fonctionne pas toujours, malheureusement. J'ai assisté à une sorte d'exercice de style un peu décevant et sans réel rythme où le comique que j'aime tant chez Tati n'était pas vraiment au rendez-vous.

      ©Hervé GAUTIER – juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SUTTREE – Cormac Mac Carthy

     

    N°531– Juillet 2011.

    SUTTREE Cormac Mac Carthy – Actes Sud

    Traduit de l'américain par Guillemette Belleteste et Isabelle Reinharez.

     

    Il est des romans qui possèdent en eux un souffle émotionnel unique. Suttree est de ceux-là. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si son auteur a mis vingt ans à l'écrire en puisant dans sa vie personnelle. C'est le propre des écrits à ce point intimes que d'être laborieux, comme si les mots ne voulaient pas sortir alors que l'auteur porte en lui, dans sa chair et dans sa vie, les morceaux de cette histoire.

     

    Nous sommes dans le sud des États-Unis pendant les années 50. Cornélius Suttree vient de sortir de prison et tente comme il peut de survivre sur les bords de la rivière Tennessee en pêchant. Il mène dans la banlieue de Knoxville une vie de marginal sur une péniche délabrée. Il a tourné le dos à sa famille, à sa femme et à son fils. Pour cette raison, elle le considère comme un raté, un moins que rien. Le roman s'ouvre sur une sorte de poème en prose où les mots s'entrechoquent en altérations surréalistes. Pour en goûter toute la musique, il faut le lire à haute voix. Il s'adresse à un inconnu, au lecteur peut-être, comme une sorte d'avertissement et dessine un décor un peu glauque mais surtout réaliste [« Nous voici arrivés dans un monde au cœur du monde »]. Pour que son interlocuteur comprenne bien, il poursuit par une scène assez sordide où on sort un noyé de l'eau, un suicidé ! Tout le reste de ce long roman sera baigné par une sorte de souffle épique où la mort, la souffrance, la violence et la pauvreté sont omniprésentes. Mac Carthy, tout au long de ce texte, alterne avec bonheur les passages poétiques et les scènes d'un réalisme cru et pathétique qui décrivent les bas-fonds et leur faune désespérée. Suttree donne l'impression d'être victime de sa vie, un paria, et, à travers diverses analepses, l'auteur nous le présente comme soumis à une malédiction qui pèserait sur lui, comme cet épisode de la mort de son fils aux obsèques de qui il ne peut assister que de loin.

     

    A travers une histoire initiatique, Mac Carthy donne à voir, et sans aucune concession, la descente aux enfers puis la relative renaissance de Suttree et à travers lui la vie des laissés-pour-compte de cette Amérique profonde qui est bien loin du rêve américain. Suttree, comme les personnages de « La Route » (La Feuille Volante  n° 530) poursuit un chemin ou plutôt erre dans un décor hostile. La rivière Tennesse fonctionne comme une sorte de miroir qui renvoie une image de la vie de cette ville mais aussi celle de l'âme de ce personnage un peu étrange. lI y a de la compassion dans ces évocations de déshérités, dans cette lumière qui baigne ces scènes sans compromis où la misère voisine avec la violence. Les autres personnages de ce roman ne sont pas en reste, à la fois décalés et sordides, dans ce tableau. De décor dans lequel évolue Suttree donne asile à tout une faune de marginaux, ivrognes, chômeurs ou repris de justice, putains... Son histoire est celle d'un désespéré, un de ces blessés de la vie qui, pour se consoler, fréquente les prostituées, les sorcières et les diseuses de bonne aventure, des femmes qui peuvent lui faire croire, l'espace d'un instant, que la vie est non pas exactement belle mais viable, malgré les épreuves. C'est quelqu'un qui ne se suicidera pas, peut-être à cause de l'espoir un peu fou de voir les choses s'arranger, que la chance puisse lui sourire enfin, avec alcool et patience. Ces êtres supportent la vie avec abnégation et fatalisme et leur stoïcisme plonge ses racines dans les replis insondables du mystère. Autour de lui il y a la mort, omniprésente qui le guette et il le sait, mais il poursuit son chemin. Il supplie même Dieu de le délivrer de ce fardeau qu'est sa vie. Le thème du parcours cahoteux est récurrent dans ce livre. Il est spectateur de sa vie comme de celle des autres qu'il croise comme on croise des fantômes, un peu comme si tout cela n'était qu'une vision, un décor de théâtre, mais un décor agressif. Quand il rencontre l'amour, qu'une femme lui fait l'hospitalité de son corps et qu'il peut envisager l'avenir sous un meilleur jour, la mort est forcement au bout du parcours. Tout cela fait de lui un malheureux définitif. Il y a aussi un retour vers l'enfance, le paradis perdu comme dans « La Route » et avec lui la mesure de la fuite inexorable du temps, la misère, la marginalité, la mort. La mort, signe indélébile de la condition humaine est encore présente dans la disparition de Wanda, l'amante de Suttee, écrasée par un effondrement. La solitude aussi, autre pendant le cette « humaine condition » dont chaque être porte en lui la marque comme le disait si bien Montaigne, A la fin, il y a une sorte d'apaisement, de nouvelle vie possible pour Suttree...

     

    Comme dans tous les romans de Mac Carthy, on peut voir une symbolique religieuse. Suttree m'évoque tous ces prophètes que Yahweh a abandonné pour les éprouver. Le printemps pluvieux fait inexorablement penser au déluge et son fragile esquif à l'arche de Noé voguant sur une tempête liquide. La typhoïde (l'évocation du délire est fantastique) qui lui vaut l'extrême-onction fournit une sorte de transition vers une vie meilleure. Pourtant, son approche de Dieu n'a rien de religieu .

     

    Je reste fasciné par le souffle poétique de ce long roman, par son réalisme pathétique. Ils doivent sans doute beaucoup à une traduction somptueuse. L'univers de l'auteur, sa démarche d'écriture entre gouaille populaire et authentique poésie, tissent pour le lecteur, un attachement et même une sorte de complicité. L'image qu'il donne de l'homme nous est familière, soit que nous la connaissions, soit que nous la déplorions, mais elle est réelle.

     

      ©Hervé GAUTIER – juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • LA ROUTE – Cormac Mac Carthy

     

    N°530– Juillet 2011.

    LA ROUTE Cormac Mac Carthy – Éditions de l'olivier. [Prix Pulitzer 2007]

    Traduit de l'américain par François Hirsch.

     

    Le décor est dantesque, un spectacle de fin du monde ou plus exactement un monde détruit en presque totalité par quelque chose comme une explosion nucléaire ou un cataclysme qui auraient anéanti une grande partie de la planète. Dans ce décor apocalyptique où tout est réduit en cendres encore fumantes, où les seuls humains qui restent sont devenus anthropophages, un père et son fils cheminent sans vouloir s'arrêter dans le froid et la nuit. Ils n'ont pas de nom, comme pour signifier que ce monde est à ce point déshumanisé. L'auteur les appelle respectivement « l'homme » et «  le petit ». Ce dernier est un enfant de cinq ou six ans qui pose sans cesse des questions inquiétantes sur les gens qui les entourent ou qu'ils rencontrent au gré de leurs pérégrinations. Ils sont devenus de véritables bêtes. Nos voyageurs n'ont pour seul bagage qu'un caddy de supermarché qui contient toute leurs richesses de survie, couvertures et nourriture. Un sac à dos recevra ce contenu en fin de parcours. Un révolver leur sert de protection illusoire.

     

    Doit-on voir là la métaphore d'un paradis perdu [« Autrefois il y avait des truites de torrents dans les montagnes... Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. »], d'un monde qui est le nôtre et qui court inévitablement à sa perte, du retour de l'homme à l'état sauvage, de l'instinct de survie, de l'abandon de tout ce qui a fait l'humanité et l'humanisme, du retour de la barbarie, de sa solitude ? Les personnages qu'ils rencontrent dans cette fuite sont eux aussi en recherche de quelque choses. Eux aussi marchent vers un lieu différent mais qui est censé leur servir de refuge. Ils sont souvent hostiles et fantomatiques, en instance de mort, ou simplement des cadavres. Je note que malgré tout, l'homme et l'enfant marchent sans désemparer vers une destination inconnue, au sud, mais qui semble les attirer inexorablement. Quand ils atteignent la mer, ils errent dans un paysage désolé et hostile dans lequel « l'homme » finira par perdre la vie parce que la maladie le mine. Peut-on y voir une explication sombre et désespérée qui serait par exemple celle de l'inutilité d'une action inutilement répétée, une sorte de mythe de Sisyphe, [la route est forcément un horizon sans fin], l'image de la condition humaine qui est promise à la souffrance et à la mort ? Le père est malade et l'enfant, dénutri, au bord de l'épuisement et, apparemment, cette marche inexorable dure depuis longtemps et a des chances de se poursuivre... Jusqu'à quand ? L'homme mourra mais ce ne sera cependant pas une mort violente, simplement un sorte de passage, comme s'il se dissolvait dans ce décor macabre. A la fin, l'enfant, livré à lui-même trouvera un autre homme et sa femme qui lui serviront de parents, ce sera pour lui, comme un nouveau départ. Il n'oubliera cependant pas celui qui fut son père et qui le guida. Doit-on y voir la marque de l'espoir, d'une certaine confiance en quelque chose qui pourrait ressembler à une divinité, à un improbable salut ? Les deux protagonistes « portent le feu », sont des « gentils », comme le couple qui recueillera l'enfant mais le monde autour d'eux est peuplé de « méchants ». On songe, évidemment que la mort est au bout de ce chemin, même si l'enfant peut, en lui-même, incarner le renouveau, un espoir pour cette humanité en perdition, le relais qu'un père passe à son fils. C'est un livre hautement symbolique sur la vie humaine, transitoire, qui porte en elle à la fois la destruction et la transmission.

     

    J'ai choisi d'y voir l'évocation, certes romancée et habillée différemment, de notre monde au quotidien voué à la réussite personnelle, à la destruction par l'homme de son prochain au mépris de tout ce qu'on a pu nous dire sur sa supposée grandeur ! J'ai toujours cru que les hommes sont les destructeurs de la planète qu'ils habitent et qui pourtant est irremplaçable et unique. Ils sont eux-mêmes les plus grands prédateurs de leur espèce et ce ne sont pas des entreprises individuelles louables mais promises à l'échec qui peut racheter leurs méfaits.

    De ce roman initiatique, je retiens aussi la chaine humaine et la vie qui se transmet de génération en génération.

     

    Les dernières lignes se veulent porteuse d'espoir, mêlant Dieu au souvenir de ce père qui a guéri son fils et l'a amené vers l'âge adulte. [« Il essayait de parler de Dieu, mais le mieux c'était de parler de son père et il lui parlait vraiment et il n'oubliait pas. La femme disait que c'était bien. Elle disait que le souffle de Dieu était encore le souffle de son père bien qu'il passe d'une créature humaine à une autre au fil des temps éternels. »] Je ne suis donc pas sûr qu'il s'agisse réellement d'un roman de science-fiction, bien au contraire !

     

    J'avoue que j'ai été très décontenancé par cette écriture volontairement sèche et brève dans les dialogues et très économe dans les descriptions autant que par l'histoire elle-même. C'est pourtant un livre fascinant ou l'auteur s'attache son lecteur jusqu'à la fin.

     

      ©Hervé GAUTIER – juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE PAS DE L'ADIEU – Giovanni Arpino

     

    N°529– Juillet 2011.

    LE PAS DE L'ADIEU Giovanni Arpino [1985] – Belfond.

    Traduit de l'italien par Nathalie Bauer.

     

    Nous sommes à Turin par une fin d'été étouffante d'un dimanche après-midi. Le rituel est toujours le même. Le vieux professeur Giovanni Bertola reçoit la visite de son ancien élève, Carlo Meroni, déjà vieux garçon, à cause ou malgré la quarantaine. Ensemble ils parlent à bâton rompu des mathématiques, de la science, de la marche du monde, de la vanité des choses, de la vieillesse, des femmes... Ou plus exactement, c'est bien souvent le vieil homme qui parle. Puis c'est l'immuable partie d'échecs que le vieillard perd toujours. Ainsi se passent les dimanches sous la houlette de deux vieilles demoiselles, les sœurs Rubino, férues de respectabilité, de musique classique et de propreté, et accessoirement logeuses, depuis de nombreuses années du vieux professeur. Ici, on ne déroge jamais aux habitudes, comme les évanouissements temporaires du professeur que celui-ci vit comme l'antichambre de la mort à cause de son artériosclérose. C'est que c'est bien de mort qu'il s'agit puisque Bertola se plaint d'être encore en vie et ne cesse d'invoquer « Mme Requiem ». Meroni désire ardemment assassiner le vieillard lors d'une de ses « évaporations » mais recule toujours. Bref, on est ainsi depuis longtemps, dans cet état attentiste ou rien ne se produit de ce qui est espéré... et le vieil homme encourage son disciple à le faire passer dans l'au-delà puisqu'il se sait condamné. Ce sont les termes du pacte conclu entre eux.

     

    Voilà que dans cet océan d'habitudes surannées qui sentent fort le moisi derrière la cire et l'absence de poussière et qu'il ne faut surtout pas bousculer, apparaît Ginetta, nièce des vieilles filles. Cela ne fut pas pour déplaire au vieillard « sa silhouette lui apparut comme une minuscule et joyeuse virgule tombée sur la page du quotidien ». Elle apporte dans cette atmosphère grise « un éclair blanc » et voilà que le vieil homme se découvre des souvenirs de jeune Don Juan qu'il n'avait peut-être jamais été. La jeune femme est mal élevée mais sensuelle, pleine de vie et sa spontanéité bouscule la logique mathématique de Meroni . Dès lors, Bertola qui l'encourage à se marier, à profiter de la vie, voit dans la jeune fille une maîtresse possible pour le jeune homme. Effectivement, elle le deviendra mais Bertola disparaitra dans la nuit et des idées de suicide ou les prémices de la maladie d'Alzheimer s'emparent de ses proches. Sans vouloir se l'avouer ils pensent que cela solutionnerait la situation. Pourtant des rapports particuliers se font jour entre le vieil homme et la jeune femme qui saura ce qu'il faut faire.

    Il ne faudrait pas oublier non plus parmi les personnages secondaires, Nino Zarra, un pizzaïolo au grand cœur avide de connaissances.

     

    Je ne connaissais Giovanni Arpino (1927-1987) qu 'à travers un film éponyme adapté par Dino Risi d'un de ses romans (Parfum de femme – La Feuille Volante n° 350). Je n'ai pas été déçu. Malgré le thème axé sur la mort, ce roman n'est pas triste. Bien écrit, bien traduit, le style humoristique et poétique rend la lecture agréable et même captivante. Mais il reste que, malheureusement, cet écrivain, romancier, nouvelliste, journaliste est inconnu en France.

     

      ©Hervé GAUTIER – juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

  • DERRIERE LE DOS DE DIEU – Lorand Gaspar

     

    N°527 – Juin 2011.

    DERRIERE LE DOS DE DIEU – Lorand Gaspar – Gallimard.

     

    Cela fait quelques années que cette chronique s'intéresse à la poésie de Lorand Gaspar (La Feuille Volante n° 241 – 250). Comme à chaque fois, j'ai retrouvé avec plaisir ce verbe fluide, cette musique des mots qui tire sa légèreté de sa simplicité même. C'est un hymne à la vie qui est un miracle renouvelé chaque matin au réveil, une vibration unique qui se transmet malgré la fuite du temps, un creuset où gîte la mémoire des choses et des gens, une imperceptible légèreté [« Tu ne veux être rien qu'une chose pensante et fluide, comme une musique qui passe entre les rochers »]. C'est la célébration d'un corps fragile qui vient de naître, beauté de l'instant immédiat et fugace [« la clarté lumineuse d'être là, de toucher l'infini où se déploient les choses qui meurent »).

     

    La poésie de Gaspar est faite du plaisir de l'instant [« Bonheur de cette eau déliant les marbres dissolvant la figure lisible un instant dans la bruissante chapelle d'écume »] d'opposition qui se manifeste au simple niveau des mots. Ici, « braise » et « cendre » répondent à « semences », « l'eau » à « la pierre », deux éléments apparemment contradictoires, l'un symbolisant la fin et l'autre le commencement de quelque chose, la transmission de la vie, l'un usant l'autre du frottement de ses molécules, canalisant l'autre au rythme du froissement de ses plis. L'obscurité appelle la lumière[« Je ramasse un tas de pensées sombres pour allumer un feu » « Je vois toujours et encore que suis lumière et nuit les deux me disent l'absence totale de toute certitude de ma pensée. »], la chaleur s'oppose à la froidure, le connu à l'inconnu, le continu au fini, l'endormissement au réveil... Gaspar s'approprie les mots, précieux, rares, techniques et mélangés parfois pour tresser aux yeux du lecteur attentif une évocation fugace, touche sensible et délicate et qui lève pour lui un coin du voile sur ce monde extérieur qu'il oppose à celui, intérieur, de la connaissance et de la pensée ou celui plus secret qu'on trouve sous le scalpel du chirurgien, les roches répondant au corps [« Sahara, tissus de roches et de corps »].

     

    L'eau, source de vie, a dans sa démarche poétique, une importance essentielle. Qu'elle soit évoquée sous la forme boueuse de l'Euphrate, de la rosée perlée du matin, ou d'un torrent dévalant une pente, elle reste un élément vital et purificateur de la pensée mais aussi la source de la vie.

     

    Sa poésie fait penser aux moments fugaces de la nuit qui s'habillent d'instants précieux et qu'il faut saisir de la main et du crayon, cadeau que fait l'inspiration dans la quiétude nocturne et l'endormissement [« Cuisson d'images et de mots, les mêmes bruits d'eau, de feuilles et de voix dans le silence absolu où s'enracinent mes pensées »], poésie lumineuse associée à la musique [« Comme s'il y avait un blé du souffle dans la meule des pierres »], à la peinture, au vol léger d'une hirondelle ou aux délicates volutes d'un pinceau chinois [« écriture d'herbe du pinceau chinois »], en opposition au monde extérieur fait de téléphones portables, d'agitations vaines et de colonnes de chiffres. Le séjour sur terre est fait de vitesse et de recherche du profit. Le poète est « un arpenteur de déserts, de roches et de cerveaux » et ce monde mercantile et superficiel, ce « maelström des coureurs » n'est pas le sien [« plus envie de cette vie terne, rigide, cousue d'avance, sérieuse... »]. Il lui oppose la solitude du désert, celle de l'écriture, de la pensée... Cette solitude est son lot face à lui-même, aux mots, au silence propice à la réflexion[« j'ai besoin du silence qu'ils(les mots) font pour entendre ma pensée »], à la création[« Je ne peux rien entreprendre sans risque au fond...]. Sa poésie est un hymne au présent, à l'instant [« mon seul avenir est l'instant présent »], pourtant, il a conscience des limites à la fois de la connaissance, de la vie et du monde [« je regarde longuement la nuit écoute ce qu'on appelle le silence »].

     

    L'appel du voyage est fort, un voyage sans but, au hasard, mais le paysage qui fut longtemps le sien est désolé, désertique, sec et pauvre mais éblouissant de soleil et de clarté. Il est le reflet d'une âme solitaire face au monde qu'il veut célébrer [« vois, disait la voix, comme tout est mort, désolé-en moi-même je pensais: « j'entends creuser le silence »]

     

    L'écriture est une étrange alchimie qui révèle et cache les replis de l'âme [«L'œil, le cerveau, les couleurs de l'âme, esprit et corps sans ligne de partage, jouent de tous leurs doigts, de toute leur chimie, d'idées et d'images sur les eaux ... »]. C'est une manière d'émerveillement devant la vie qui se décline en cellules nerveuses, en évocations... Le médecin n'est jamais très loin qui parle du cerveau, des neurones, des quasars et marie ainsi avec bonheur science et poésie. Il nomme d'ailleurs ces textes des « Neuropoèmes ». Dans « l'Approche de la Parole » (Gallimard 2004) Lorand Gaspar avait par ailleurs exprimé cela comme une évidence puisqu'il les rattache toutes les deux à la vie. La poésie la constate et la célèbre, la science l'explique et la maintient. De sorte qu'en parlant des neurones qui sont l'organe de la connaissance, de la mémoire, il parle aussi de la vie

     

    C'est que ce monde est transitoire, l'homme finalement peu de chose face au destin, à l'amour [« encore et encore s'ouvrir chaque jour et chaque nuit à la pensée claire de l'amour »] et à la vie qui continue [« Un coquille de noix sur un torrent, voilà ce que je suis »]. Ces textes semblent être un monologue intérieur ou un dialogue avec un être sans visage, une femme peut-être, à qui il s'adresse sur le registre de la mémoire et des sentiments [« Essaye essaye encore d'aimer vraiment d'aimer assez... »]. Le temps s'écoule inexorablement et avec lui la vie dans son lent mais incontournable chemin vers la mort que, fataliste, il faut accepter [« Je suis juste un peu d'air qui passe... »] comme il faut aussi admettre une grande humilité face à l'écriture [« J'apprends à n'être qu'un peu d'air qui passe dans une forêt de couteaux » « Trouver les mots pour essayer de dire. Écrire quelque chose qu'on appelle un poème sachant qu'on ne sait pas ce que c'est » ], à la connaissance [« Il n'y a pas de plafond, il n'y a pas de fond... tout ce que nous croyons savoir... ce n'est pas grand chose »] , au monde [« Trois cailloux dans ma poche ramassés près de la mer...je pense en les touchant au désir d'aller dans l'inconnu »], au corps qui est promis à la destruction, à la mémoire qui s'envole sur les épaules du temps [« J 'oublie le passé et me concentre sur l'instant dénudé de connaissance et riche de sensations »]. C'est donc, et peut-être bizarrement s'agissant d'un poète majeur, une grande modestie qui transparait dans son écriture autant que devant le spectacle de la vie.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

  • 31° anniversaire de « la Feuille Volante » et « Le rendez-vous de St Pezenne »

     

     

         

    N°528 – Juin 2011.

     

    31° anniversaire de « la Feuille Volante » et « Le rendez-vous de St Pezenne » - Éditions du Petit Pavé.

     

    Depuis de nombreuses années, j'ai pris l'habitude de signaler à mon hypothétique lecteur la date anniversaire de cette revue devenue « blog », tout en étant étonné d'être encore là. Trente et un ans de parution, cela ne me rajeunit pas et marque ainsi le temps qui passe inexorablement. Cet anniversaire est un non-événement et je serai sans doute le seul à en parler. Cela fait en effet longtemps que j'ai choisi de commenter les œuvres des autres, leurs poèmes, leurs romans ... parce que la lecture est pour moi un plaisir. Mais celui de l'écriture n'est jamais très loin et j'ai souvent envie d'exprimer avec des mots ce que j'ai pensé d' un livre que je viens de refermer, non seulement pour en laisser une trace dans ma mémoire, mais aussi pour le faire éventuellement partager. Il en va de même pour les films, les émissions de télévision, les pièces de théâtre... Je le fais seulement parce que cela m'a plu, m'a ému, mais surtout parce que personne ne me demande rien. Et ce, même si mon avis de simple lecteur, de simple témoin [je ne serai jamais que cela], est indifférent aux personnes qui me lisent... Je ne regrette pas ce choix, il m'a apporté la joie d'échanges épistolaires, la désillusion de quelques déconvenues aussi, mais peu importe !

     

    Alors, pour la première fois et sûrement pour la dernière, et parce que c'est aussi le but de cette revue, je vais parler de mes livres puisque personne n'en n'a rien dit [j'aurais pu le faire sous couvert d'un pseudonyme mais j'aime mieux que les choses soient claires]. Ce n'est pourtant pas dans mes habitudes de parler de moi et c'est un exercice dans lequel je n'excelle pas vraiment. Je vais donc faire une exception.

    Tout d'abord ces livres ne sont pas si nombreux parce que j'ai toujours fait prévaloir le plaisir d'écrire à cette auto-flatterie de l'ego qui consiste à avoir son nom sur la couverture d'un ouvrage et ainsi de pouvoir se dire « écrivain ». Et d'ailleurs, j'ai toujours banni ce mot de mon vocabulaire, préférant, pour moi-même seulement, celui « d'écrivassier » dont j'assume et même revendique l'aspect péjoratif.

     

    Je dois dire aussi que l'édition n'a jamais été vraiment une fin en soi, à tout le moins pour moi. Cela explique sans doute le petit nombre de parutions... Et puis, l'âge venant, la retraite aussi, j'ai fini par me décider. Soyons juste, plus jeune et plein d'illusions, il m'est bien arrivé de chercher dans le domaine de l'édition quelqu'un qui me ferait confiance. Ce fut vainement ! Faute de chance, de parrainage, de connaissance du milieu, de talent peut-être ? J'ai donc renoncé, sans pour autant cesser d'écrire, au contraire ! Mes tiroirs sont maintenant pleins de nouvelles, de romans (saga, romans à énigme, poèmes) et, cela me surprend parfois, la recherche d'un éditeur reprend le dessus, mais pour un temps seulement !

     

    Puis internet est arrivé qui m'a permis de mieux faire connaître cette revue, « la Feuille Volante » et d'avoir accès à une liste plus complète d'éditeurs. C'est vrai aussi que, malgré mes démarches, si je n'ai jamais pu intéresser un grand éditeur parisien, ma quête en province ne m'a guère été plus favorable. Pourtant, l'un d'eux (Éditions du Petit Pavé – St Jean des Mauvrets - 49320 Brissac-Quincé www.petitpave.fr) m'a fait confiance une fois et a renouvelé l'expérience cette année. Ce n'est pas (encore ?) la notoriété, mais je lui sais gré de m'avoir non seulement tiré de l'anonymat, mais surtout de m'avoir incité à écrire encore davantage, à faire partager mon écriture. Tout en faisant honnêtement et professionnellement son travail d'éditeur, c'est à dire de « découvreur », il privilégie le livre imprimé, aime qu'il soit d'abord un bel objet. J'ai déjà dit dans cette chronique mon attachement à la forme traditionnelle du livre, l'odeur de l'encre, le grain du papier, le plaisir du toucher ...Et puis ces rencontres, aux solstices d'hiver et d'été où se tissent des liens amicaux dans la « douceur angevine »... Il n'est bien entendu pas le seul à faire ce choix, mais actuellement, avec la politique de profit, de rentabilité, un auteur inconnu ne peut raisonnablement pas espérer que ses écrits soient publiés autrement qu'à ses frais, ce qui est bien souvent pour lui, rédhibitoire. Il faut rappeler une évidence, l'auteur n'est rien sans son éditeur, ils partagent ensemble cette grande aventure qu'est l'écriture et la publication d'un livre.

     

    Après « Un été niortais » paru en 2008, c'est « Le rendez-vous de St Pezenne » qui introduit, à partir de cette année, le cycle des « enquêtes du commissaire Martineau ». Beaucoup d'autres romans de la même inspiration restent encore inédits.

     

    Ce ne sont pas des polars au sens commun du terme, mais des romans à énigme, c'est à dire des fictions policières écrites comme un roman. Je mêle à l'enquête classique sur un meurtre, des descriptions de la ville de Niort (Deux-Sèvres), des évocations, mais aussi de l'histoire locale et parfois des légendes, le Poitou étant une terre à la fois mystérieuse et mythique. Dans ces textes, point de violence, de sexe ou de sang, rien que des démarches psychologiques, des investigations parfois hasardeuses, rien qu'une histoire imaginée et que j'essaie de restituer aussi agréablement que possible. Je suis en effet un lecteur impénitent et je cherche toujours à faire que mes livres soient, pour ceux qui me consacrent un peu de leur temps et aussi de leur argent, un bon moment de lecture !

     

    C'est vrai que je l'aime bien ce commissaire Martineau. C'est un solitaire qui fonctionne à l'intuition, parfois aux fulgurances, mais c'est plus rare. Il est aussi chanceux. Il ne boit que de l'eau minérale ( à condition qu'elle soit d'une bonne année !), roule dans une vieille 4 L et parle volontiers à son chat avec qui il a des conversations le plus souvent silencieuses mais quand même enrichissantes. Il s'est domicilié un peu par hasard à Niort après une longue errance administrative sur le territoire national consécutive à un divorce qu'il n'a jamais vraiment accepté. Il est amoureux des femmes, mais de leur beauté seulement parce que, même s'il voudrait bien que les choses fussent différentes, il reste un solitaire. C'est pour moi aussi l'occasion de faire découvrir à mon lecteur une ville finalement peu connue, dont je ne suis pourtant pas originaire, mais qui, à mes yeux, cache un intérêt certain, pas mal de belles choses. Chaque roman n'est pas pour autant un guide touristique mais un prétexte à une balade niortaise (ou dans les environs – ici le quartier de St Pezenne est à la fois pittoresque et plein de surprises), une découverte, par petites touches, à la fois de la ville, de son histoire, de la culture qu'elle porte.

     

    Il y a d'autres choses, bien sûr, une longue saga, des nouvelles, des poèmes et d'autres romans à énigme, et puis cette « chronique » qui n'en finit pas parce que j'aime dire aux auteurs que je ne connais pas et que je ne verrai jamais tout le plaisir que j'ai eu à les lire.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com



     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     



  • LE ROMAN DE TOLSTOï – Vladimir Fédorovski

     

    N°526 – Juin 2011.

    LE ROMAN DE TOLSTOï Vladimir Fédorovski – Éditions du Rocher.

     

    Au départ, il y une passion de Vladimir Fédorosvovski pour Léon Tolstoï (1828-1910), l'auteur de «  Guerre et paix » et surtout de «  Anna Karénine », l'écrivain emblématique de la Russie éternelle. Ses livres seront des compagnons pour un séjour diplomatique africain de l'auteur, mais aussi tout au long de sa vie.

     

    L'auteur nous fait découvrir le jeune Léon, né en 1828 dans une grande famille d'aristocrates qui avait marqué l'histoire de la Russie tsariste. Une enfance passée à la campagne, malheureusement bouleversée par la mort de ses parents l'amène à Moscou où il découvre les prémices de sa personnalité : l'ambivalence entre l'individualisme qu'il porte en lui et son attirance pour l'universalité. Toute sa vie future sera conditionnée par une prise de conscience de cette période de l'enfance « heureuse époque perdue sans retour ». Durant son adolescence, il fréquente le lycée puis l'université mais est un étudiant irrégulier et hésitant, plus attiré vers la liberté et par l'indépendance et quitte les études sans diplôme. Il revient vers son domaine dont il est désormais le maître, tente de l'administrer mais y renonce. Il a la volonté d'être meilleur en tout, de se marier, de préférence avec une femme riche pour se ranger, est un temps désireux d'un poste dans l'administration mais abandonne ce projet ... « le comte Tolstoï » est surtout désireux de jeter sa gourme dans les plaisirs, la débauche, se laisse happer par la vie facile, le jeu, les femmes, et l'abstinence qu'il tente quand même d'observer lui pèse. Derrière la façade de l'aristocrate mondain et valétudinaire, il tente de dissimuler un tempérament « infatigable », amoureux, sensuel, charnel. Malgré tout la quête du bonheur reste un idéal[il ne l'atteindra que plus tard grâce au mariage], malgré son esprit indépendant, l'armée l'attire un moment, mais il revient du Caucase et de la Crimée avec une aversion pour les combats, un intérêt profond pour la nature humaine... et des notes et des personnages pour ses futurs romans. De l'armée où il sert comme officier, il laisse libre-court à son esprit indépendant et jouisseur, mais en revient désabusé bien qu' admiratif pour l'abnégation du simple soldat. A la religion dogmatique encombrée de rituels inutiles il préfère un christianisme primitif.

     

    Et pourtant, resté fidèle à la nature, à « sa terre », à sa patrie, pétri du message du siècle des Lumières français, il ressent un désir d'écrire qui ne le quittera plus. Écrire devient le vrai sens de sa vie mais, même s'il chérit la langue française, il reste Russe dans l'âme et souhaite que son pays soit reconnu comme un guide parmi les autres nations. Pourtant, après quelques hésitations, ce « dandy déchaîné », ce « vieux sot édenté » finit par quitter l'armée pour se consacrer aux Lettres, par voyager et après beaucoup d'hésitations, par prendre femme, malgré la différence d'âge avec sa jeune épouse, Sophie ! Elle deviendra vite la maîtresse des lieux autant que du vieux comte, pour quarante huit ans de bonheur, et de nombreuses maternités. C'est à ce moment que Tolstoï écrivit ses chefs-d'œuvre, s'affirma comme un immense écrivain.

     

    Lui-même se pose en prophète, en guide, sur cette terre d'exception située à la croisée des chemins et des influences. Il se veut précurseur mais quand ses idées prennent corps il regimbe à suivre le cours des choses qu'il à lui-même suscitées. Même s'il a longtemps succombé à l'appel de la chair et du jeu, il reste un être pétri de spiritualité, marqué par la volonté d'affranchir ses serfs et de partager ses terres. La vieillesse venant, il devint philosophe, philanthrope et chercha à se rapprocher de Dieu à cause peut-être de la culpabilité qu'il ressentait à cause de sa vie, de ses passions, de ses débauches...

     

    A l'occasion du centenaire de sa mort et s'appuyant sur des archives inédites et sur le « journal »de Tolstoï, Vlamidir Fédorovsky retrace la vie de cet écrivain emblématique de la Russie éternelle. Il évoque l'homme, tiraillé entre sensualité, érotisme et spiritualité, montre sa face cachée à la fois insolite et intime. Il ne manque pas non plus, malgré toute l'admiration qu'il peut avoir pour ce géant de la littérature russe et cet humaniste, d'exercer son droit de critique et de noter quelques remarques personnelles qui remettent les choses à leur vraie place, même si elles écornent un peu la légende. Il note, avec humour parfois, pour le lecteur non initié à l'âme russe, tout ce qu'un geste apparemment anodin peut cacher comme signification.

     

    Avec de courts chapitres enrichis d'illustrations et abondamment documentés, un texte limpide, directement écrit en français, dans un style fluide, précis et poétique, notre auteur fait de Tolstoï, personnage bien réel, un véritable héros romanesque, passionnant et passionné. Malgré la complexité de l'homme, fait d'oppositions et de contradictions, Vladimir Fédorowski réussit à nous le rendre attachant. Je ne suis qu'un simple lecteur, mais j'ai été enthousiasmé par ce portrait sans concession.

     

    Je connaissais Vladimir Fédorovski de réputation pour son rôle diplomatique et politique, notamment dans la « Pérestroïka ». Je le savais écrivain, amoureux de la langue et de la culture françaises, mais je n'avais jamais rien lu de lui. Avec le magistral « roman » sur Léon Tolstoï, je n'ai pas été déçu.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

  • LA TOUR DE GUET – Anna Maria Matute

     

    N°525 – Juin 2011.

    LA TOUR DE GUET – Anna Maria Matute – Éditions Phébus.

     Traduit de l'espagnol par Michelle Lévy-Provençal.

     

    C'est une ambiance du haut Moyen-Age que visite ce roman avec des personnages tels que le père du narrateur, « petit féodal très pauvre » mais surtout aux mœurs frustes et vicieuses. Le décor n'est pas en reste avec ces donjons inconfortables, ces hivers rigoureux, ces forêts mystérieuses, ces loups hurlants, ces buchers expiatoires où l'on brûle des sorcières, ces combats brutaux, ces marias peuplés de dragons ... L'ambiance aussi, témoin le récit de la mort de la baronne Mohl.

     

    C'est que ce texte commence quand le narrateur est encore un enfant, laid et abandonné par ses parents, fils d'un pauvre vassal inculte et brutal et d'une mère qui ne s'occupe pas de lui et termine sa vie dans un couvent et que ses frères maltraitent. Pour parfaire son éducation de chevalier qu'il a commencé seul, lui qui n'est encore qu'un enfant, se rend, comme ses trois frères avant lui, au château du suzerain de son père, le baron Mohl, un puissant et riche seigneur et tombe amoureux de l'énigmatique châtelaine qu'il surnomme l'ogresse. Là il apprend non seulement l'art de se battre, de manier l'épieu et l'épée mais aussi les bonnes manières, la lecture la musique et les bonnes manières. Là il vit dans un milieu plus raffiné, plus cultivé que dans la maison délabrée de son père, mais ses frères sont là qui l'observent, menaçants...

     

    Pourtant, son avis sur le baron change vite quand il apprend par une indiscrétion de soldat que le château abrite aussi de jeunes éphèbes et de tendre jeunes filles pour le plaisir du maître des lieux. Il comprend que son hôte n'est pas aussi vertueux qu'il l'avait supposé mais qu'il est au contraire injuste, sanguinaire et sadique, capable de tuer avec raffinement son jeune amant et de le livrer aux chiens !

    Le grand fleuve qui baigne ce pays inconnu est une frontière au-delà de laquelle s'étend la steppe inhospitalière

     

    Je ne suis que très modérément entré dans l'univers de ce roman déroutant, épique et fantasmagorique. L'auteur, Anna Maria Mature m'était inconnue malgré sa notoriété et l'importance de son œuvre couronnée du prestigieux prix Cervantes en 2010. C'est, certes un roman initiatique sur l'éducation d'un jeune chevalier, fort bien écrit, baroque et dépaysant. Le lecteur y retrouve des questions éternelles comme la place de l'homme dans le monde, le regard d'un humain porté sur l'espèce à laquelle il appartient et à laquelle il ressemble, l'idéal de puissance et de domination... C'est un roman de la découverte de soi, de la quête du bien et du mal, du passage de l'enfance à l'âge adulte, de la perte de l'innocence, de la solitude, de la prise de conscience de la complexité de ce monde et de l'angoisse d'y vivre. Finalement, le monde décrit ici n'est pas très différent de celui dans lequel nous vivons aujourd'hui et les paroles du narrateur sont parfaitement transposables « Je me promis de ne jamais plus participer à une vie qui n'étais pas ma vie, me mêler et me confondre à une race qui subsiste et gravit à force de coups, de ruses, de renoncements, de désespoirs, de haine, d'amour et de mort. »

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • MOURIR A GRENADE – Rémi Huppert

     

    N°524 – Juin 2011.

    MOURIR A GRENADE – Rémi Huppert – Éditions du Petit Pavé.

     

    Nous sommes en 1990 et Enrique, le narrateur alors professeur de lettres à Provins revient à Viznar, son village natal situé près de Grenade, pour y mourir peut-être ? Il se sait en effet condamné et a voulu revenir une ultime fois, lui l'enfant exilé, fils de républicain espagnol qui, à huit ans, a dû fuir son pays en compagnie de sa mère pour se réfugier en France. Il était déjà revenu dans cette ville en 1975 pour y rencontrer le reste de sa famille juste après la mort de Franco. Pendant les quelques semaines qu'il avait passées ici, il avait redécouvert un pays qu'il n'avait pas connu avec ses croyances d'un autre âge, ses coutumes. Il était devenu le précepteur de Juan, un adolescent, fils d'une famille d'aristocrates, et, malgré les différences sociales et politiques, une amitié s'était créée entre eux. Il avait fait découvrir à ce garçon, non seulement les lettres françaises mais aussi une Grenade inconnue, le Sacro Monte, le quartier populaire d'Albaïncin, la zarzuela, les marionnettes, les beautés du flamenco, la dureté de la musique, la danse qui porte en elle-même attirance, rejet et séduction.... c'est à dire toutes les richesses culturelles de cette ville qui, jusqu'ici, lui étaient inconnues. Il fut pour lui une sorte de père de substitution qui lui apprit aussi la vie [« Je lui fis cadeau du temps ». « Il y a du temps pour tout... Tout est là, rêver, être soi-même même pour ne rien faire, rêver le jour de façon consentie, rêver pour concevoir et imaginer »] que ses parents trop engoncés dans le traditionalisme n'avaient pas pu lui enseigner. Enrique lui apprit la tolérance, l'acceptation des différences de l'autre même s'il est lié à soi par le sang, la fierté et l'humilité, l'obéissance aussi ...

    Tout opposait l'élève et le professeur mais Juan avait en horreur sa propre famille patricienne qui ne pense qu'à s'enrichir, dominer et paraître. C'est sans doute ce rejet qui attira l'enfant vers cet adulte. Pourtant la rumeur autant que la malveillance ont raison de ces rencontres studieuses qui sont remplacées, sur ordre paternel, par un enseignement plus classique, mais loin de Grenade. Ces leçons autant que leur amitié nourriront plus tard le parcours créateur de Juan qui obtiendra en France un prix littéraire prestigieux.

     

    Enrique avait aussi rencontré Chica, une jeune fille sourde et muette dont les mains maniaient si bien l'aiguille [« Seules ses mains sculptaient l'espace avec détermination, et, à travers un ballet fascinant de gestes expressifs, saccadés et directs, elle renvoyait le miroir de son âme d'enfant impuissant à parler. »]. Il devint son ami et Juan apprit à la connaître et à l'aimer comme sa sœur. Le hasard de la vie fit que Chica, perdue dans la montagne au cours d'une promenade y est morte, peut-être à cause de son attirance pour les chevaux sauvages. Le mystère de sa disparition ajoute à l'aura de cette jeune infirme qui n'avait peut-être pas sa place dans ce monde ? Il avoue pourtant que Juan comme Chica lui ont été indispensables [« C'est grâce à ces deux adolescents que je me suis réconcilié avec la vie après un cortège d'épreuves et de déboires... Les quelques idées qui sont miennes se sont solidifiée à leur contact. »]

    Lui qui ne s'était pas marié, rencontre Carmen, sa logeuse à Grenade, une femme lumineuse marquée par la vie. C'est peut-être cela et leurs deux solitudes qui les ont réunis pour un amour véritable ?

     

    Pourtant Enrique n'était pas de ces exilés suffisants qui reviennent au pays pour impressionner leur auditoire et faire état de leur réussite. Lui, même s'il est l'héritier de deux cultures, vient au-devant de son enfance, de ses souvenirs heureux, de la vie de ce petit village qui semblait hors du temps, de l'image de sa mère, modeste commerçante, de son père, simple ouvrier conquis par les idées de la république qui fut arrêté pour cela puis choisit de s'engager dans l'armée pour les défendre. Sa famille ne le reverra pas...

     

    Avec l'exactitude de l'historien, l'auteur retrace à grands traits l'histoire de cette guerre civile qui, par les massacres perpétrés des deux côtés, ensanglanta l'Espagne et prépara la deuxième Guerre Mondiale. Il évoque les combats, la palinodie des notables qui choisirent le franquisme, la délation, le soutien que la population apporta aux insurgés, la répression, la terreur, les mauvais traitements infligés à la population ouvrière par la Garde Civile, les « paseos », les massacres, les exécutions sommaires, le ralliement de l'église catholique aux nationalistes... Pourtant, cette paisible bourgade devient, pour des raisons stratégiques, un poste avancé des franquistes. Puis ce fut la fuite de Grenade vers Barcelone puis vers les camps de concentration français sous la surveillance des troupes coloniales, les mauvais traitements, les injustices et les trahisons, la mort de ce petit frère qui repose sous le sable d'Argelès...

    Vient ensuite une longue errance dans ce pays qui ne voulait pas d'eux, le courage de sa mère et la volonté d'Enrique, son parcours exemplaire, l'aide des autres Espagnols émigrés, celui, fraternel et humaniste de la franc-maçonnerie et le retour à la foi chrétienne.

     

    Grenade et la guerre civile sont indissociables de Frederico Garcia Lorca, le poète assassiné par les franquistes. Sa figure tutélaire plane sur ce livre, comme le font celles du Gongora et de Manuel des Falla. Pourtant, en 1990, le narrateur constate que prévalent l'indifférence et l'hypocrisie des survivants qui ainsi choisissent d'oublier leur attitude d'alors. Cette terre grenadine sera pour Enrique qui meurt en 1991, son linceul comme elle a reçu, anonymement, la dépouille du poète andalou.

     

    A l'aide de nombreux analepses, l'auteur retrace pour son lecteur l'histoire de cette famille obligée de fuir à cause de la guerre et du parcours personnel et intime de ce personnage, de ses interrogations, de sa maladie et de sa réflexion sur la vie et sur la mort. C'est aussi un hymne à cette ville andalouse, creuset de populations et de cultures différentes [« Grenade a éveillé l'enfant qui dormait en moi, l'enfant rieur et l'enfant songeur, celui qui parle aux arbres et aux pierres et qui sait les écouter »]

     

    L'écriture de Rémi Huppert est fluide, ses descriptions poétiques suscitent senteurs, couleurs, formes et saveurs; elles font de ce livre émouvant et fort un agréable moment de lecture.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • LE RETOUR DE JIM LAMAR – Lionel Salaün

     



    N°523 – Juin 2011.

    LE RETOUR DE JIM LAMAR – Lionel Salaün – Éditions Liana Levi.

     

    « Il y a quand même une chose que tu dois savoir. Il y a trois sortes de gars qui sont revenus de là-bas: les vivants, les morts et les morts-vivants ! Et quelque chose me dit que Jim Lamar fait partie de la troisième catégorie... ». Celui à qui s'adressent ces paroles, c'est le jeune Billy qui est aussi le narrateur de ce récit et celui dont il est question, c'est Jim Lamar, parti contre son gré faire la guerre au Vietnam puis rentré, quand personne ne l'attendait plus, dans la maison de ses parents après la mort de ces derniers... mais treize ans après la fin du conflit ! Quant à la bâtisse, elle n'est plus qu'une quasi-ruine puisque les habitants de Stanford, une petite ville perdue du Missouri, se sont appliqués à la vandaliser. Bien entendu, il n'est plus qu'un étranger, un paria et chacun se met à le détester, sauf Billy.

     

    Pour l'enfant que le narrateur est encore, ce Lamar, après avoir été un fantôme absent, est une sorte de mythe. L'homme ressemble davantage à un géant qu'à un gringalet. Il est resté longtemps absent au point qu'on l'a cru mort et ceux qui ont fait la guerre et y ont survécu ont cette sorte d'aura qui les font distinguer du commun des mortels.

     

    A l'occasion d'un banal accident, Billy va faire la connaissance de Jim et cette rencontre va changer son quotidien fait de choses sans importance, d'une existence pauvre et solitaire au sein d'une famille banale et même un peu fruste. Rapidement leurs relations vont devenir différentes quand le jeune garçon découvre que derrière cet homme qu'il imaginait comme un baroudeur inculte se cachait un amateur de poésie, un être sensible, nanti de diplômes acquis depuis son retour du Vietnam. L'aura de cet homme va se transformer en complicité, le garçon trouvant en Jim une sorte de père de substitution que ne lui avait pas apporté sa famille, l'homme découvrant avec ce garçon un auditoire d'exception parmi cette communauté un peu sauvage qui le rejette. Jim lui parle de la guerre, de ses horreurs, de la fraternité d'arme, de l'héroïsme qui est un vain mot, de la chance qui choisit au hasard, comme la mort, mais aussi du racisme qui divise l'Amérique jusque dans l'armée, de ces noirs qui défendent un pays qui ne les reconnaît même pas... Il évoque l'attente de ceux qui restent, le vide laissé par un fils ou un mari silencieux depuis trop longtemps, l'espoir mêlé de crainte face à la mort, l'oubli.... Il lui parle, de cette espèce humaine égoïste, hypocrite et mauvaise et le personnage de son oncle Homer, branche pourrie de son arbre généalogique, est là pour illustrer ses propos.

     

    Ce vétéran lui parle aussi du respect de la parole donnée, ce serment fait entre quatre soldats : si l'un d'eux survit, il devra aller prendre contact avec la famille des autres pour leur annoncer leur mort. Jim est le seul survivant du groupe, s'acquitte de sa triste tâche et fait prévaloir la vie au point qu'il en oublie ses propres parents qui meurent de chagrin à force de l'attendre.

     

    J'ai lu ce roman avec plaisir du début à la fin. Il est écrit simplement, avec humour et poésie parfois. Avec en toile de fond le Mississipi, c'est un roman sur la tolérance, l'acceptation de l'autre et de ses différences, sur l'espèce humaine qui bien souvent est dénuée d'humanité.

     

     

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • L'HIVER DES LIONS – Jan Costin Wagner

     



    N°522 – Juin 2011.

    L'HIVER DES LIONS – Jan Costin Wagner – Éditions Jacqueline Chambon.

    Traduit de l'allemand par Marie-Claude Auger

     

    L'intrigue, se passe en Finlande, entre Noël et le 31 décembre.

    Le Commissaire Kimmo Joentaa est de garde et l'ambiance mi-festive mi-indolente à cause des fêtes de fin d'année gagne les locaux du commissariat de Turku à quelques deux cents kilomètres d'Helsinki. De toute manière, il sait qu'il passera la soirée de Noël seul puisque, depuis la mort de son épouse, Sana, il n'a plus vraiment le goût de vivre. La soirée est pourtant agitée et Larissa, c'est à tout le moins le nom qu'avoue cette jeune prostituée à l'imagination féconde, entre dans sa vie un peu par hasard et ne paraît guère disposée à en sortir.

     

    Cela ne fait que commencer puisque, le matin suivant, Kimmo apprend que Patrick Laukkanen, le médecin légiste, vient d'être assassiné. Bizarrement, il apparaît que les coups de couteau mortels, « portés au hasard sur presque tout le buste » ont été donnés sous le coup de la colère. Une enquête est donc ouverte.

     

    Un meurtre semblable est commis à Helsinki. Même mode opératoire, même absence de mobile. Cette fois, la victime est Harri Mäkelä, un fabricant de mannequins pour le cinéma. Le commissaire devine très vite que le seul lien existant entre ces deux crimes est le fait que les deux hommes ont participé à un talk-show télévisé, très suivi dans tout le pays. C'est l'émission de l'animateur Hämäläinen intitulée « Les maîtres de la vie et de la mort » et la prestation des deux hommes y a été particulièrement remarquée. Bien entendu on y a parlé de catastrophes mortels ou de crimes. Il se pourrait donc que le meurtrier s'en prenne systématiquement à ceux qui passent dans cette émission. Dès lors et si ce raisonnement est exact, l'animateur est en danger de mort ! Effectivement, il est l'objet d'une agression au couteau, mais moins violente, il n'y succombe pas. Le visionnage de l'enregistrement de l'émission n'apporte aucune information si ce n'est la bonne humeur générale dans le public alors que le thème ne s'y prête guère. La police est dans une sorte d'impasse. C'est alors que Joentaa a une idée. Il se pourrait que le coupable se trouve dans le public invité à l'émission et aussi parmi les victimes survivantes d'un accident spectaculaire d'avion ou de train et qui aurait transformé son deuil « en agression irrationnelle ». Cela paraît plausible bien que son supérieur estime que « les idées de Kimmo sont toujours saugrenues ». Faute de mieux, l'enquête explore cette piste, s'égare un peu pour finalement s'orienter, un peu par hasard, sur une femme dont l'attitude pendant l'émission télévisée a tranché sur l'ambiance générale. Son passé est systématiquement et laborieusement épluché...

     

    Je dois dire que ce roman m'a bien plu au départ, mais rapidement, peut-être à cause de diversions, j'ai un peu lâché le fil du récit. Je n'ai pas été très convaincu non plus par le personnage du commissaire qui ne cesse de s'excuser (de quoi ?), ni d'ailleurs par la présence de Larissa. Je n'ai pas vraiment adhéré à l'épilogue non plus. Le texte est pourtant agréable à lire, avec des passages poétiques notamment des descriptions hivernales inconnues sous nos latitudes et un suspense entretenu jusqu'à la fin.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • ENQUETE SUR LA DISPARITION D'EMILIE BRUNET – Antoine Bello

      

     

     

     

     



    N°521 – Mai 2011.

    ENQUETE SUR LA DISPARITION D'EMILIE BRUNET – Antoine Bello – Gallimard.

     

     

    L'intrigue, condition indispensable à tout bon roman policier, est simple, à tout le moins en apparence. Comme l'indique le titre, Émilie Brunet, une des femmes les plus riches du pays, a disparu. Là où cela se complique, c'est que sa disparition coïncide avec celle de Stéphane Roget, professeur de Yoga, mais aussi amant d'Émilie et que Claude Brunet, son mari, connaissait leur liaison ! C'est même lui qui avertit la police en l'absence de son épouse. On sent déjà le vaudeville et ce d'autant plus que ce brillant professeur d'université s'octroyait largement des libertés de Don Juan ! Bien évidemment, ce dernier est suspecté et même quelque peu molesté lors d'une garde à vue musclée par un inspecteur zélé, partisan des méthodes expéditives, qui sans doute sont classiques et ont fait depuis longtemps la preuve de leur efficacité. Pourtant, dans son cas, cela amène notre suspect à l'infirmerie et certainement pas aux aveux. L'ennui c'est que Brunet est neurologue, professeur de sciences cognitives... mais ne se souvient de rien !

     

    Achille Dunot, détective de son état, compatit à ce qui pourrait être regardé comme une opportunité intéressante pour Brunet, et ce d'autant plus qu'il souffre lui aussi d'une amnésie chronique dite « antérograde ». Il ne peut, en effet, imprimer dans sa mémoire ses souvenirs immédiats. Chargé de l'enquête sur la disparition d'Émilie Brunet, notre détective s'en tient à la rédaction d'un journal relatant les différentes phases de ses investigations. Chaque matin il tente, grâce à sa chronique de se remémorer ce qu'il a fait la veille. Pourtant, cet adepte d'Agatha Christie à qui il fait constamment référence devient, petit à petit et sans presque s'en rendre compte le héros d'un roman policier dont il est aussi l'auteur.

     

    Le médecin est dans une bien étrange posture puisque tout l'accuse. Il a, en effet a plusieurs mobiles, et notamment financier... et aucun alibi ! Pour aggraver son cas, il fait constamment l'apologie du crime parfait, donnant à penser au détective qu'il n'est pas étranger à la disparition de son épouse. Il a d'ailleurs pour ce concept une véritable fascination. De part ses études sur le cerveau humain, il est parfaitement capable de compartimenter et de domestiquer sa propre mémoire. Il joue même avec Dunot en lui proposant d'écrire lui aussi ses propres sentiments sur cette affaire et de les livrer à l'enquêteur, tout en gardant, bien entendu, la maîtrise de cette situation. Dunot suspecte Brunet d'être coupable de ce double meurtre et ce dernier n'ignore rien des soupçons qui pèsent sur lui. Ainsi assiste-t-on à un chassé-croisé entre les deux hommes, le policier cherchant à s'identifier au médecin à travers son témoignage écrit et ainsi le confondre, le médecin s'obstinant à rester à l'hôpital, et donc à ne pas fuir, refusant puis acceptant de livrer ses écrits au policier pour mieux l'abuser par ses développements intellectuels et universitaires. Il sollicite même la justice pour être innocenté le plus vite possible, histoire de bénéficier de « la chose jugée ». Une sorte d'amitiés naît même de cet échange, ce qui fausse un peu les choses.

     

    Les personnages peuvent paraître peu originaux : un flic violent et borné, une domestique puritaine, tout droit sortie d'un roman d'Agatha Christie, un universitaire prétentieux et brillant, une étudiante fascinée par son professeur avec qui elle a, bien entendu, eu une liaison, et dans tout cela le mythe du crime parfait et le contexte un peu facile de l'amnésie. D'autre part les références souvent trop érudites sur l'œuvre d'Agatha Christie (mais aussi d'Edgar Poe et d'Alfred Hitchcock) donnent lieu à des longueurs quelque peu inutiles et tournent carrément à l'exégèse de ses romans et au panégyrique d'Hercule Poirot. Au point qu'on en oublie l'intrigue ! Le lecteur reste sur sa faim puisque cette sorte de mise en abyme (un roman dans le roman) ne conclut rien, n'explique rien, laisse en suspens toutes les questions que le lecteur s'est posées. C'est un peu dommage, la présentation du récit sous forme de journal dont Dunot caviarde certaines lignes pour tenter de circonvenir le médecin est intéressante. C'est un roman bien écrit, agréable à lire et au suspense savamment entretenu jusqu'à la fin, mais franchement, je m'attendais à autre chose !

     

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     

     

  • L'EVANGILE SELON JESUS-CHRIST – José Saramago

     

     

     

     


     

    N°520 – Mai 2011.

    L'EVANGILE SELON JESUS-CHRIST – José Saramago – Le Seuil.

    Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.

     

    À lire la 4° de couverture, et ayant déjà lu Saramago, je m'attendais à ce que ce texte prenne des allures blasphématoires. En effet, nous avions déjà la Vulgate, les évangiles apocryphes, rien de l'empêchait donc, en qualité d'homme de plume, de livrer une version très personnelle de cette histoire. En effet, l'Évangile n'a pas, comme dans d'autres religions, été dicté par Dieu, mais ce sont des hommes qui, ayant connu le Christ et ayant entendu son enseignement, ont décidé de le transcrire à l'intention de toute l'humanité. Certes Saramago n'a pas connu Jésus, mais il en a beaucoup entendu parler dans un Portugal catholique. Il avait donc le droit de nous livrer sa version. Après tout notre auteur est un homme de lettres doué d'imagination...

     

    Pourtant, ce texte est écrit par un narrateur anonyme (et non par Jésus lui-même comme pourrait le laisser penser le titre – Il s'agit ici véritablement d'un évangile selon Saramago) qui s'approprie à sa manière l'histoire de Jésus, la replaçant dans un contexte historique, décrivant avec une grande érudition le temple de Jérusalem avant sa destruction, citant les différentes phases du rituel juif pour un lecteur dont les cinq sens sont sollicités. Il évoque Hérode comme un roi malade et sanguinaire qui craignait pour son pouvoir à cause des Écritures et qui perpétra ce que nous connaissons sous le nom du « Massacres des saints innocents » à l'occasion d'un recensement imposé par les Romains. Certes, l'auteur prend des libertés avec le texte classique en nous présentant l'annonciation formulée non par l'archange Gabriel, mais par un simple mendiant [Marie ne saura que plus tard la vraie filiation divine de son fils et le lecteur pourra s'interroger sur la nature véritable de ce mendiant]. Il nous présente-il Joseph comme un charpentier un peu rustre, peu habitué aux mondanités, coupé du monde à cause de son métier d'artisan, mais respectueux des anciens et des rituels religieux, comme un bon père aussi, soucieux de sa famille et de son premier-né.

    Vers la onzième année de Jésus, l'auteur décrit une révolte nationaliste fomentée par un certain Judas de Galilée. Après tout, cela est une réaction normale dans un pays occupé par une puissance étrangère. Joseph, père maintenant de neuf enfants reste aux yeux de Saramago un traitre à la cause des Juifs. En effet, il l'accuse d'avoir été le témoin de l'ordre assassin d' Hérode et de ne pas en avoir averti les autres, portant en quelque sorte la responsabilité de l'assassinat des enfants de Bethléem. De plus, il fait de lui un martyr innocent, exécuté par erreur pour un délit qu'il n'avait pas commis. Face à cette mort injuste, son fils Jésus va se sentir coupable tout comme il est poursuivi par la responsabilité qu'il estime porter dans l'assassinat de ces enfants tués par Hérode au moment de sa naissance. Il en viendra à interroger les docteurs de la loi dans le temple de Jérusalem sur ce thème.

     

    Puis, Jésus part de chez lui, se fait berger en Judée, abandonne son métier de charpentier et rencontre Pasteur, un pâtre non juif, qui lui enseigne ses nouvelles fonctions autant qu'il lui sert de père. Jésus est révolté par la vie que les hommes suppriment parfois au nom de Dieu, rompt avec sa famille qu'il rencontre par hasard, se révolte contre le dogme et les rites religieux sacrificiels, s'interroge sur la vraie nature des gens qui croisent sa route, jusqu'à confondre sciemment Dieu et Satan [« J'ai compris que lorsque l'un et l'autre sont d'accord, on ne peut pas distinguer un ange du Seigneur d'un ange de Satan ». « Je vais vous conduire jusqu'à la rive pour que tous puissent enfin voir Dieu et le Diable comme ils sont. Ils verront comme ils s'entendent bien, comme ils se ressemblent »]. Saramago nous le présente comme un garçon de quinze ans, très averti du judaïsme, déjà un homme, qui a tout compris de la condition humaine et qui ressent, dans le désert, l'appel de Dieu auquel il ne peut se soustraire. Désormais, il sera l'élu, celui qui a vu Dieu (mais aussi celui qui a rencontré le Diable). Il sera obligé d'aller au devant d'un destin qu'il ne souhaitait pas mais qu'il finit par accepter, celui du Fils de Dieu devant mourir sur la croix pour racheter les péchés des hommes. Sauf qu'il voit dans cette destiné, une volonté divine qui utilise ce fils pour étendre sa domination sur le monde en ne lui laissant pas le choix. Dieu est présenté comme une puissance sanguinaire qui ne recule devant rien pour s'imposer aux hommes à qui il demande un lourd tribu en vie humaines à travers les martyrs, les guerres, l'inquisition [" Alors le diable dit, il faut être Dieu pour aimer autant le sang »]. Il est vrai que l'histoire de l'Église catholique est là pour illustrer ce propos. Il pose donc en ces termes le problème de la liberté et celui de la révolte, mais face à Dieu, cette insoumission est impossible.

     

    Saramango donne à Jésus une véritable dimension humaine dans sa révolte comme dans sa vie, un homme qui ne peut résister notamment à l'appel de la chair. Marie-Madeleine le déniaise et vit avec lui une authentique histoire d'amour ( son personnage est particulièrement bien rendu ). Celle qui était à l'origine une prostituée change de vie pour être sa compagne fidèle et complice au quotidien. Jésus est présenté comme un nomade solitaire, intelligent et vif d'esprit, pauvre et sympathique qui, par ses miracles aide les hommes à vivre, tout en leur rappelant qu'il n'y est pour rien et que c'est le Seigneur dont il est véritablement le fils qui parle par sa voix. Il reste un être tourmenté, partagé entre Dieu et Satan et les Juifs autour de lui le prennent pour un être d'exception, un mage, le Messie des Écritures ou celui qui pourrait bien libérer la terre d'Israël du joug romain. Les apôtres et les disciples ne viendront qu'ensuite et le suivront. Même si Saramago bouleverse un peu l'ordre et le contexte des miracles de l'Évangile, choisit de mettre en exergue un fait plutôt qu'un autre ou la personnalité d'un apôtre ou d'un personnage, même s'il fait de Marie une mère incrédule, loin en tout cas du dogme de la virginité puisqu'elle une vie sexuelle normale et féconde avec son mari, il ne donne pas à voir un Jésus antipathique, bien au contraire. Il le présente comme une victime de son destin implacable, un instrument de la domination divine sur le monde. C'est à Dieu le père qu'il s'en prend.

     

    On le voit bien ici, c'est davantage une fiction romanesque qu'un véritable évangile qui, en d'autres temps lui aurait valu le bucher [Je dois quand même avouer que le dialogue entre Dieu et le Diable à quelque chose de naïf et de peu convainquant]. A la suite de l'édition des « versets sataniques » Salman Rushdie a été victime d'une fatwa et dut se cacher pour sauver sa vie. Après la publication de ce roman en 1991, et devant la réaction violente de l'église catholique portugaise, Saramago dut s'exiler aux Canaries où il mourût en 2010.

     

    J'entends que sa démarche soit romanesque, que son droit à la recréation lui soit reconnu ( comment ne le serait-il pas ? Martin Scorsese reprenant « La dernière tentation du Christ » de Nikos Kazantzakis avait fait de même ...). Je ne suis pas attaché au texte du Nouveau Testament, je ne suis peut-être qu'un vulgaire mécréant sans importance et promis au feu de l'enfer, mais cette grande fresque largement sacrilège, pourtant bien écrite (bien traduite, malgré une disposition des dialogues un peu difficile à suivre) avec des moments agréablement poétiques, m'a un peu gêné sans que je sache vraiment pourquoi.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE DIEU MANCHOT – José Saramago

     

    N°519 – Mai 2011.

    LE DIEU MANCHOT – José Saramago – Albin Michel.

    Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.

     

    Nous sommes au XVIII° siècle au Portugal sous le règne de Jean V dit « le Magnanime » (1706-1750). Ce roi fait le serment à Dieu de lui élever un couvent dans la ville de Mafrat contre la promesse d'un héritier légitime. L'infante Maria Barbara naîtra peu après. Ce projet vaniteux et quelque peu pharaonien devra rivaliser avec St Pierre de Rome devient possible grâce à l'or du Brésil.

     

    Ce texte met en scène Balthazar Mateus, dit Sept Soleils, un soldat portugais que la guerre a rendu manchot de la main gauche, mendiant et vagabond et Blimunda, une sorte de sorcière qui a le pouvoir de lire dans les âmes de ses contemporains. Ensemble, ils forment un couple symbolique mais surtout illégitime, condamné par l'Église mais pas par le Père jésuite Bartolomeu de Gusmão (1685-1724), un génial et authentique inventeur qui a conçu la « Passarole », une machine au mécanisme compliqué à base de boules d'ambre, d'aimants, de chaleur du soleil, de voiles, de sphères contenant des volontés humaines et... de grâce de Dieu ! En principe, elle doit s'élever « en vertu d'attraction contraire à la chute des corps graves ». C'est lui d'ailleurs qui révèle à Balthazar que Dieu est, comme lui, manchot de la main gauche [« Je suis le seul à le dire mais Dieu n'a pas de main gauche puisque c'est à sa droite que s'asseyent les élus... Personne de s'assied à la gauche de Dieu, c'est le vide, le néant, l'absence d'où il résulte que Dieu est manchot. »] et qui baptise sa compagne du nom de « Sept-Lunes ».

    Cette femme révèle à son compagnon des vérités religieuses qui vont à l'encontre de l'enseignement catholique [ « Les saints n'ont pas été sauvés...personne n'est sauvé et personne n'est damné... Le péché n'existe pas, seuls existent la vie et la mort »]. Ensemble, ils secondent le jésuite dans la construction de cette machine qui volera effectivement devant le roi en 1710 (et donc bien avant la montgolfière) mais dont le projet, quelque peu dangereux sera abandonné. (La relation romancée du premier vol de cette machine tel que l'imagine Saramago est particulièrement savoureuse).

     

    Baltahazar et Blimunda vivent sans doute dans le péché, mais le moine en fait encore un bien plus grand qui est de vouloir voler, c'est à dire de vouloir aller contre les choses établies par Dieu et ainsi vouloir l'offenser. Ainsi le prêtre est inquiet parce que l'inquisition veille et craint autant pour sa vie que pour son invention. D'ailleurs la mère de Blimunda est morte sur le bucher du Saint Office pour sorcellerie.

     

    C'est aussi l'occasion pour l'auteur de nous conter, à travers les yeux de Balthazar, l'histoire de ces opprimés qui construisent le monastère de Mafrat. Ce chantier sera une hécatombe pour les ouvriers chargés de sa construction, recrutés et traités comme de véritables esclaves. A dix sept ans, Maria Barbara part du Portugal pour devenir reine d'Espagne mais le monastère qu'on va consacrer n'est même pas encore terminé.

     

    Publié en 1982, ce roman épique promène le lecteur dans une Lisbonne baroque faite de richesses des découvertes, de dévotions religieuses, d'autodafés, de fornications adultères, de luttes d'influence, de sorcières, d'alchimie, d'inquisiteurs, de nobles, de toute une population interlope, d'un petit peuple qu'on sacrifie pour l'édification de ce monastère, de mortifications religieuses inutiles, avec, en toile de fond, le clavecin de Domenico Scarlati... C'est une histoire d'amour, une fable blasphématoire autant qu'un roman historique qui replonge le lecteur dans cette société lusitanienne du XVIII d'avant le tremblement de terre de 1755.

     

    En dépit de phrases longues et difficiles à suivre parfois, à cause de la ponctuation et des dialogues disposés bizarrement, l'auteur, dans un style luxuriant, poétique, jubilatoire et complice, transporte littéralement son lecteur dans une ambiance dépaysante et particulière qui le fascine.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • CAIN- José Saramago

     

     

     

     


     

    N°518 – Mai 2011.

    CAĪN – José Saramago – Le Seuil.

    Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.

     

    Après « L'Évangile selon Jésus-Christ », sorti en 1992, où José Saramago (1922-2010) présente Jésus perdant sa virginité avec Marie-Madeleine, l'auteur récidive dans ses attaques contre Dieu avec ce roman. A l'évidence, il a, sinon l'envie de créer la polémique, à tout le moins celle de vider avec Lui un lourd contentieux. Alors que nombre d'écrivains ont célébré le Créateur ou ont choisi, au contraire de l'ignorer, Saramago le dénonce comme « un dieu cruel, envieux et insupportable qui n'existe que dans notre tête ». Quand il parle de Lui, il évite soigneusement la majuscule qui d'ordinaire orne son nom et choisit dans ce roman de présenter le meurtre d'Abel par son frère Caïn non comme le disent les Écritures à cause de l'envie mais bien plutôt à cause de l'injustice de Dieu. Il dépeint Caïn, pourtant présenté comme le premier meurtrier, comme un être bon et amoureux de la vie mais qui, s'étant rebellé contre l'arbitraire divin, est méprisé par Dieu. Ainsi le seul coupable de la mort d'Abel ce n'est pas Caïn mais Dieu. « Qui donc es-tu pour mettre à l'épreuve ce que tu as crée ? » lui dit Caïn.

     

    Dès lors il est condamné à errer (juif errant !)sur la terre, succombe aux charmes de Lilith qui est à la fois la maîtresse d'une ville, l'épouse de Noé et l'amante des hommes de passage. Il aime la vie, est le témoin impuissant des grands événements de « l'Histoire Sainte ». C'est lui qui arrête le bras d'Abraham sacrifiant son fils unique à Dieu, c'est lui qui voit la tour de Babel et ce qu'il en résulte pour les hommes, qui assiste à la mort des innocents de Sodome, au bras vengeur de Moïse tuant les adorateurs du veau d'or, sans oublier des souffrances pour lesquelles Dieu s'allie à Satan pour tourmenter Job. C'est une sorte de roman philosophique voltairien, un conte plaisant, écrit et traduit sur un mode jubilatoire qui revisite les saintes écritures en s'adressant directement au lecteur. Caïn est présenté comme une sorte de Candide qui se promène dans le temps sur le dos d'un âne. Ensemble, et par le miracle de l'écriture, ils traversent le « présent-futur » ou « le présent-alternatif » mais aussi visitent le passé. Dieu est toujours présenté comme un dictateur sanguinaire, jaloux, manipulateur, rancunier et injuste qui fait un choix parmi les hommes. Déjà dans « Le Dieu manchot » Saramago avait posé le problème de l'injustice : un roi décide d'offrir à Dieu un monastère pour le remercier de lui avoir donné un fils mais cette construction occasionne la mort de nombreux innocents. Il pose le problème de la coexistence entre les hommes et Dieu, entre les puissants et les humbles.

     

    C'est, d'évidence, un combat de la créature contre son créateur à travers la personnalité d'un être que la Bible, toujours manichéenne, a présenté comme quelqu'un de mauvais. L'Évangile prendra plus tard ce relais, notamment avec Judas. Caïn ose interroger Dieu et s'opposer à lui ! Prendre parti pour un désavoué, un réprouvé est toujours un défi intéressant, d'autant que c'est un prix Nobel de littérature qui fait ce choix. Combattre la soumission à une divinité qui est le socle de toute religion peut paraître iconoclaste. Cela n'en est pas moins la marque de cet homme engagé qui a, tout au long de sa vie, choisi d'être « politiquement incorrect », d'être en quelque sorte rebelle aux idées reçues et même à l'ordre établi, surtout contre l'Église . Depuis toujours, il a choisi son camp, celui des opprimés. On se souvient de ses positions pro-palestiniennes qui lui ont valu beaucoup de critiques au Portugal qu'il a été obligé de quitter, en Europe et dans le monde.

     

    Il ne pose pas pour autant le problème de la foi (s'adressant à Dieu il n'en nie pas l'existence mais remet en cause la bonté qui est censée le caractériser) qui est personnelle à chacun mais celui de la transcendance de Dieu et de la résignation humaine. Il est lui-même un écrivain dont le rôle est de raconter des histoires (Il précise qu'il est « un simple rapporteur d'histoires antiques »). Il considère que la Bible est un livre d'histoire emprunt de violence et qu'il peut parfaitement réécrire à sa manière en le désacralisant. Il m'apparaît que c'est un écrivain qui n'accepte pas le compromis et qui a choisi de se rebeller contre ce que l'humanité dans son ensemble considère comme une évidence : la soumission aveugle et consentante à une sorte de destin dicté par Dieu avec tout ce qu'il a d' injuste et d'irrationnel. Il me semble que, dans la mesure où l'on reste soi-même, où l'on assume ses choix, surtout s'ils vont à l'encontre de ceux du plus grand nombre, de ceux dictés par les institutions, on est parfaitement respectable. La peur de la mort, celle de l'enfer, de la damnation éternelle dont on nous a si abondamment parlé dans nos sociétés tant marquées par le judéo-christianisme, n'ont pas de prise sur lui. Il affirme ses convictions et en accepte les conséquences et je ne vois pas au nom de quoi il devrait se taire. Son style est remarquable, humoristique et toujours plaisant pour le lecteur. Il a fait valoir son talent comme le dit la parabole et je ne vois pas ce qui justifierait son silence. Et tant pis si d'aucuns ont pu voir dans ce texte une fable blasphématoire !

     

    Cela dit, même s'il a dû s'exiler en Espagne à cause sans doute de l'Église catholique qui n'a pas supporter ses écrits et ses prises de position, il n'en reste pas moins qu'il est le seul écrivain de langue portugaise à avoir obtenu le prix Nobel de littérature (1998), et, à ce titre, son pays en est fier. Heureusement !

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

  • L’EMPIRE D’UN HOMME – Ramon Sender

     

    N°299– Mai 2008



    L’EMPIRE D’UN HOMME – Ramon Sender – Éditions Actes Sud

    Roman traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

     

     

     

    C’est d’une bien «ténébreuse affaire » dont nous parle Sender. Dans une petite contrée espagnole on retrouve un homme disparu depuis bientôt quinze années à cause d’un pressentiment inexpliqué, et qui vivait solitaire dans la montagne. Tout porte à croire qu’il s’agit de Sabino, pauvre hère qui serait mort assassiné depuis longtemps mais dont on n’a jamais retrouvé le cadavre. De ce meurtre on a accusé Juan et Vicente dont les aveux ont été obtenus avec zèle par le brigadier de la Garde Civile locale et avec des méthodes héritées de l'inquisition.

     

    L’instruction quelque peu courtelinesque le dispute à l’imagination de l’avocat de la défense pour expliquer les circonstances de cette affaire. Les deux prévenus ont fini par avouer tout et n’importe quoi, pourvu qu’on les laisse en paix. Ils sont donc devenus deux assassins et ont fait pour cela quinze années de prison. Tout cela sur fond politique où, dans un petit village, les Libéraux s’opposent aux Conservateurs, dans une lutte d’influence où l'Église prend ses marques, s’allie à la force, pourvu que les apparences soient sauves, l’ordre public sauvegardé, et la religion maintenue dans son autorité morale.

     

    Mais voilà, ce Sabino, mort depuis quinze ans, refait son apparition à la surprise générale au point qu’on se demande s’il ne s’agit pas de son fantôme et les femmes, mères ou épouses, laissent leur empreinte dans ce drame fait de fantasmes populaires et de croyances d’un autre âge au point que de vieilles querelles, où l’honneur familial et la moralité sont mis en cause, vont se réveiller et trouveront leur épilogue « sur le pré ».

     

    Je remarque qu’à l’heure où l’on revient enfin à une compréhension et un apprentissage plus traditionnel de la grammaire française, ce texte est restitué en français avec un grand respect de la concordance des temps chère aux Espagnols

  • LE ROI ET LA REINE – Ramón Sender

     

     

     

     

    N°517 – Avril 2011.

    LE ROI ET LA REINE – Ramón Sender – Éditions Attila.

    Traduit de l'espagnol par Emmanue Roblès

     

    Ce roman qui a l'origine avait été publié en 1955, fait l'objet d'une réédition, enrichie de dessins d'Anne Careil.

     

    Cette histoire commence d'une manière assez inattendue. La jeune Duchesse d'Arlanza est complètement nue dans la piscine de son palais madrilène. Entre Romulo, son jardinier, mais elle néglige de se couvrir le corps au seul motif qu'il n'est qu'un simple domestique et surtout pas « un homme ». Le lecteur mesure ainsi, dès les premières lignes le ton de ce roman, l'image d'une société espagnole d'un autre âge. Le lendemain, le 13 juillet 1936, José Calvo Sotelo, chef du parti anarchiste est assassiné. C'est le point de départ du soulèvement franquiste et le début de la sanglante guerre civile qui va déchirer le pays.

     

    Le mari de la duchesse, officier d'artillerie dans le rang des nationalistes rejoint son poste mais retrouve son épouse nuitamment dans leur demeure où la duchesse s'est cachée. Après la réquisition de son château par les républicains et la nomination de Romulo comme gardien des lieux, le duc est livré et tué. La duchesse, pétrie de convictions surannées, semble étrangère aux bouleversements du dehors, continue de regarder son jardinier comme un domestique, de se recommander à Dieu et d'attendre l'intervention du roi Alfonse XIII. Les visites nocturnes du duc qu'il prend pour un autre amant, rendent Romulo jaloux. Ainsi cet homme du peuple, devient-il, par hasard et compte tenu des circonstances, l'égal de ses anciens maîtres, du moins le pense-t-il ! Cependant, compte tenu de l'amour qu'il croit porter à la duchesse, il se met en devoir de la protéger, même contre les « rouges » dont il fait pourtant officiellement partie. Avec sa complicité, elle reste cloîtrée dans le donjon du château sans que les miliciens en sachent rien et lui bénéficie d'une grande liberté à l'intérieur de ces lieux dont il a la charge. Il joue pourtant un double jeu et choisit, par amour pour cette femme, un camp auquel il n'appartiendra cependant jamais. Il accepte par avance de prendre sur lui l'assassinat du capitaine républicain dans lequel il n'est pour rien pour sa seule raison que la duchesse le lui demande. Il fait d'ailleurs disparaître le corps pour qu'elle ne soit pas inquiétée. Quand il sent qu'elle peut le dénoncer en échange d'un sauf-conduit qui la sauvera, il accepte ce sacrifice et attend patiemment la mort. C'est aussi cette même mort qu'il va chercher au front en s'engageant, un peu comme si elle devait le délivrer de cette emprise qu'a sur lui la duchesse tout aussi bien qu'elle allait l'élever au-dessus de sa condition.

     

    Pourtant, c'est un peu comme si les événements extérieurs étaient presque secondaires au regard des relations quelque peu ambiguës qui s'établissent en lui (le roi) et elle (le reine). Elles sont faites de fantasmes et de mort, d'attente et de fuite, de fols espoirs et de projets surréalistes... C'est, dans ce microcosme, un huis clos, qui figure une sorte d'unité de lieu, que se déroule ce combat inégal. Le personnage de la duchesse, qui est à ce point immatériel qu'elle ne porte même pas de prénom, est à la fois fantasque, détaché de la réalité, ambigu aussi. Quand son mari meurt, elle se donne à Estéban, un Donjuan cynique et égoïste qu'elle a pourtant toujours regardé comme « le Diable » alors qu'elle songe plutôt à se servir de Romulo comme d'un instrument. Elle est, pour ce dernier, un « rêve », une illusion inaccessible et, quand elle s'enfuie, Romulo se répète à l'envi « Elle m'attend quelque part ».

     

    C'est une espèce de jeu de miroirs, une valse-hésitation entre eux, un drame où les dialogues sont réduits au minimum et où s'opposent deux êtres à la personnalité différente, un maître et un esclave. Et pourtant la duchesse ne cesse de descendre des étages à l'intérieur du donjon où elle s'est réfugiée, alors que son jardinier tente de prendre de l 'ascendant sur cette femme qui l'impressionne. Il ne ressent aucune peine pour la mort de son épouse tuée dans un bombardement fasciste et accepte même que la duchesse revête ses vêtements pour passer inaperçue dans sa fuite.

     

    Il y a aussi des personnages secondaires, Elena, le nain qui bizarrement porte un nom de femme qui mène un combat contre les rats, comme Romulo le fait contre lui-même. Il peut représenter un danger pour le jardinier mais dès lors qu'il sent que la duchesse est morte, il cesse de le craindre. Esteban qui est seulement évoqué représente le côté bestial et érotique de l'amour, Romulo incarnant son aspect idéalisé. Cette idéalisation est fondée sur la vision fugitive de la nudité féminine, complète au départ puis limitée à un bout de sein à la fin. Les marionnettes ont un rôle révélateur dans ce récit, celui peut-être du chœur dans le théâtre grec, celui assurément de l'espèce humaine qu'elles représentent. Chaque marionnette est un homme qu'on peut aisément manipuler et c'est à l'une d'elle que l'auteur laisse le dernier mot : « acta est fabula » !

     

    Ce texte est illustré de dessins dus à Anne Careil qui soulignent bien le thème traité : la danse d'Eros avec Thanatos !

     

    Je continuerai à m'intéresser à cet auteur qui avait déjà retenu mon attention [la feuille volante n° 299 -Mai 2008]

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LES CLES DE SAINT PIERRE – Roger Peyrefitte

     



    N°515 – Avril 2011.

    LES CLES DE SAINT PIERRE – Roger Peyrefitte - Flammarion.

     

    Mon hypothétique lecteur se souviendra peut-être que cet auteur avait déjà retenu mon attention pour un roman quelque peu iconoclaste de la même veine que celui-ci et qui avait donné lieu à un échange épistolaire éphémère avec Roger Peyrefitte. [La Feuille Volante n° 37 de janvier 1990 à propos de « La soutane rouge »]. Des lectures toujours aussi délicieuses précédèrent et suivirent celle de cette intrigue « policière » vaticane. Comme je l'ai déjà écrit dans cette chronique, la nouveauté n'est pas le seul critère de la valeur d'un livre, tant s'en faut, surtout quand il s'agit de l'œuvre d'un auteur majeur. Ce roman, publié en 1955 (c'est la date de mon édition qui est si vieille que j'ai même dû en couper les pages et Dieu sait combien j'aime séparer les feuillets d'un livre avant de le lire !), me paraît illustrer parfaitement cette manière de voir d'autant qu'il ne me semble pas que l'œuvre de notre auteur soit rééditée.

     

    Quand il fut publié, ce roman fit scandale parce que François Mauriac avait condamné ce livre qui présentait Pie XII comme un homosexuel. [Je dois dire que cette lecture m'a laissé dubitatif sur ce point]. Peyrefitte avait répondu par une lettre ouverte dénonçant la tartuferie de son détracteur...et sa possible homosexualité (il semblerait d'ailleurs que Peyrefitte ait été quelque peu visionnaire puisque, actuellement, la question de l'homosexualité de Mauriac est officiellement abordée).

     

    L'histoire qui sert de prétexte à ce roman est par ailleurs bien simple : un jeune séminariste français, l'abbé Victor Mas, séjourne pour une année à Rome chez le vieux cardinal-chapelain Belloro, dont il devient le secrétaire, pour parfaire sa formation. Pour corser un peu le récit, l'auteur fait intervenir une jeune et belle Romaine, Paola, nièce du chapelain. L'auteur ajoute « un valet de chambre cynique » qui ne manque pas de faire des remarques parfois croustillantes à l'intention du jeune ecclésiastique.

     

    Ce roman est surtout l'occasion de mettre en exergue l'érudition de son auteur. Les choses de la religion catholique ne lui sont pas étrangères au point qu'il livre à son lecteur un inventaire complet (et savoureux) des richesses vaticanes, de l'histoire des saints et de leurs pouvoirs, évoque « le saint prépuce » et les querelles byzantines qu'il a suscité, se fait l'écho des pouvoirs supposés des médailles votives, du chapelet, du scapulaire et des eaux miraculeuses vantés par chaque ordre religieux... On sent bien sa volonté de railler un peu le Vatican dont il connaît bien les travers, témoin cette savoureuse relation de la canonisation de Pie X. Il n'oublie pas non plus son anticléricalisme coutumier et sa volonté de pourfendre l'hypocrisie. Son humour, ses bons mots sont irrésistibles et il laisse libre cours à sa verve dont ses fidèles lecteurs sont friands. Il s'en donne d'ailleurs à cœur-joie sur ce thème, maniant le calembour et donnant à penser que l'argent tient une grande place dans cette Église qui est bien loin des pauvres et du message de l'Évangile. « Les clés de Saint Pierre ouvrent les portes du ciel, mais il faut graisser la serrure », « Le Vatican doit louvoyer sans cesse entre le temporel et le spirituel  pour ne pas les compromettre l'un par l'autre. Certains le disent dénué de courage, d'autres dénué de scrupules.», « Les clés de St Pierre sont les clés de la caisse »... Il écorne au passage les jésuites, « La soutane des jésuites étant sans boutons, elle se retourne plus vite ». Il s'établit entre le vieux prélat et le jeune séminariste un dialogue un peu surréaliste pour le profane à propos des symboles, des reliques miraculeuses, de leur multiplication inquiétante, de leur extravagance parfois, du rituel un peu compliqué des cérémonie religieuses ainsi que sur l'efficacité des indulgences et la manière de les gagner. Elles pleuvent maintenant gracieusement sur les fidèles d'aujourd'hui alors qu'elles furent l'objet, dans le passé de sordides transactions. Quant aux canonisations, elles ne seraient pas, selon lui, exactement et uniquement affaire de mérite ...

    Entre eux, deux conceptions de l'Église s'affrontent. D'un côté le prélat prétend que « seule l'Église de Rome a le sens de l'universel », affirmant par là sa prééminence et sa supériorité tandis que son jeune confrère plaide volontiers en faveur des prêtres-ouvriers et une conception plus moderne, plus française peut-être et ouverte sur le monde...

    La présence de la nièce du cardinal, Paola, ajoute à la confusion du séminariste. Comme on peut s'y attendre, l'abbé succombera, parce que la chasteté n'est attachée qu'aux ordres majeurs qu'il n'a pas encore reçus, que la femme est considérée par l'Église comme une tentatrice, et que Victor n'est qu'un homme, beau de surcroît ! Il en oubliera pour un temps la théologie, le dogme, la discipline... ce qui ne sera pas sans lui poser de cas de conscience. Paola finira même par mettre notre jeune prêtre en demeure de choisir entre elle et Dieu ! Heureusement les choses reviendront à leur vraie place...

     

    Peyrefitte ne serait pas lui-même s'il ne parlait de la pédérastie de certains membres du clergé, même si notre abbé y reste complètement imperméable, s'il ne se faisait l'écho des ragots et des mesquineries qu'il prête aux prélats et aux ordres religieux et qui sont loin de la charité chrétienne. On sent  bien que l'auteur, ancien élève des jésuites, est à son affaire dans le domaine des comptes qu'il entend régler avec l'Église. Que ce soit la chasteté « C'est Saint Paul qui a plongé le christianisme dans cette continence furieuse pour se venger de n'avoir pu lui-même l'observer », la foi « la foi du charbonnier exige au moins du charbon », le rituel exagérément symbolique ou le prétendu pouvoir des amulettes religieuses qui confine à la superstition. Et pour être plus convainquant, il mêle adroitement les personnages fictifs aux personnages réels au point que le lecteur reste dans une heureuse confusion. Ce roman est aussi l'occasion d'un parcours jubilatoire dans la Rome catholique.

     

    Il reste que Roger Peyrefitte, quel que soit ce qu'il était par ailleurs au regard d'une morale d'un autre âge, a été un grand serviteur de la langue française par la richesse de son vocabulaire, par la distinction de son style, par son érudition, par la pertinence et aussi l'impertinence de ses propos. Il sont certes un peu malveillants et emprunts d'un parti-pris indubitable, mais après tout, cela fait son charme.

    Pour moi, lire un de ses romans a toujours été, de la première à la dernière page (il y en a quand même 436 !) un bon moment de lecture.

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LES GENS DU HUIT MAI (et d'autres quartiers du monde) - Jean-François POCENTEK

     

    N°516 – Avril 2011.

    LES GENS DU HUIT MAI (et d'autres quartiers du monde) - Jean-François POCENTEK – Éditions la contre-allée.

     

    Comprenez, « les gens de la place du 8 mai 1945», une date qui marque la fin de la deuxième guerre mondiale et qui s'inscrit probablement en lettres blanches sur fond d'émail bleu de la commune d'Aulnoye-Aymerie (Nord). Ce sont eux qui ont inspiré cet ouvrage à l'auteur qui préfère parler d'une « création » à partir de témoignages collationnés entre octobre 2008 et mars 2009, lors d'une « résidence » dans cette commune. C'est donc à la fois un livre de souvenirs, à la fois intimes et collectifs, des lambeaux d'enfance avec des images qu'on n'oublie pas « J'allais lui raconter tous les genoux écorchés, les chaises posées sur le devant des portes, les fils à linge décrochés quand le charbon arrivait... », un retour aussi dans un décor familier mais presque fantomatique « Les parpaings ont commencé de clore les yeux et la bouche des maisons des en-allés, pour que d'autres, en mal de logement, ne puissent venir y prendre refuge ».

     

    Dans ce « pays d'enfance » qui « a des allures de terre sacrée » on évoque des jeux où parfois on endosse la panoplie d'un personnage ( Un-deux-trois Cho-co-lat-Meu-nier – Zorro, Thierry la Fronde...), l'arrivée (tard, au bloc Havret) de la télé en noir et blanc qu'on allait voir chez un voisin ou qui marquait un moment de la journée. « Trois bouts de musiquette et la boite à nostalgie se remet en route ». Tout n'est cependant pas idyllique et là comme ailleurs « le sublime a dû côtoyer le grotesque comme le rire tutoyait les larmes ».

     

    A travers les souvenirs des habitants, on remonte à l'après-guerre des bidonvilles, de l'entre-aide, de la solidarité, de la débrouille. On vivait simplement « oui, c'était une autre époque, Ginette... », puis c'est l'arrivée du confort avec le déménagement au bloc Havret, la rencontre d'anciens et de nouveaux voisins, un monde qui se recompose, comme avant. Et quand on quitte ce paysage pour quelques rares jours de vacances, ce n'est jamais pour longtemps !

     

    Le Nord, c'est l'accent qui chuinte, la baraque à frites, l'usine, les jardins-ouvriers, la Sambre, le canal et les péniches qui passent, la messe du dimanche, la lutte des classes, l'école pour le enfants, le cimetière où l'on parle aux morts... Le Nord, c'est la pluie, le ciel bas, mais aussi une terre de migrants venus du soleil, Arabes ou Italiens, à cause du travail qui apportent avec eux leurs coutumes. Sylvie ne sait plus si, ici, place du 8 mai, elle a vécu les meilleures ou les pires années de sa vie, parce qu'il y avait le soutien des autres mais aussi la violence, la drogue qui l'ont rendue peureuse et méfiante. « Qui a menti Nordine ? Personne. » et tout se brouille avec l'alcool, la combat syndical, les fins de mois difficiles, le licenciement, le chômage et les maigres allocations, la révolte contre les injustices, le mal de vivre qu'on essaie d'oublier « Mais ce n'est pas peine de trop touiller ce qui est du jus saumâtre ».

    Sur cette place, il y a aussi une bibliothèque où l'on vient lire, emprunter des livres ou des disques, faire « provision de rêve » ou faire des rencontres pour le simple plaisir de voir des gens ou des silhouettes de femmes. On y parle de soi, on vient y faire partager un peu de sa vie, les joies, les peines, les doutes, les deuils... . Il y a ceux qui restent et ceux qui chaussent leurs « semelles de vent » parce que l'appel de l'ailleurs est le plus fort... et qui reviennent ! Ce n'est pourtant pas un lieu idyllique et la violence, parfois gratuite, s'y exprime aussi. Ici on lit les auteurs au hasard ou en respectant l'ordre alphabétique, c'est selon, mais il y a aussi les conseils et le sourire de « la dame aux livres »...

    Ce lieu va être « déconstruit » (pas démolis) mais malgré ce qu'en dit l'auteur il y a toujours un peu de tristesse dans ce mot, même si ce qui viendra sera plus moderne, plus fonctionnel...

     

    J'ai rencontré les textes de Pocentek par hasard sur les rayons d'un bibliothèque publique. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire (La feuille volante n° 414- 417- 420- 421) j'ai bien aimé cette belle écriture qui est le témoin de « semaines de collectage de paroles d'habitants », elle parle simplement de ces tranches de vie, des gens, de leurs malheurs et de leurs moments de bonheurs, leurs souvenirs, leurs secrets. J'aime cette petite musique des mots, cette nostalgie douce que j'ai retrouvées ici avec autant de plaisir.

     

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LE MARIN A L'ANCRE - Bernard Giraudeau

     



    N°514 – Avril 2011.

    LE MARIN A L'ANCRE – Bernard Giraudeau – Métailié.

     

    D'abord l'histoire sans laquelle un roman n'en est probablement pas un. Deux personnages principaux, l'un d'eux, Roland est tétraplégique, « ancré » sur un fauteuil roulant, sa « galère à roulettes » et Bernard a été ce marin de dix-sept ans, sur la Jeanne d'Arc, naviguant sur les mers du globe, puis est devenu comédien, réalisateur... Pour lui il sera « témoin »... Entre eux, des lettres écrites par Bernard pour Roland, pendant dix années... Il y raconte ses souvenirs, ses aventures, une sorte de voyage par procuration dans les ports et sur les lieux de tournage, dans des pays lointains que son ami ne verra jamais, qu'il ne connaîtra que par la force de ses mots... Il lui offre avec pudeur des paysages magnifiques, comme ceux des cartes postales mais aussi des images de ports parfois crasseux, avec leurs relents de graisse et d'alcool et de vomissures. Il lui livre aussi ses réflexions personnelles sur la vie, sur ceux qu'il croise, note que l'homme n'est pas aussi bon que les philosophes du Siècle des Lumières ont voulu nous le faire croire, met ses pas dans ceux de René Caillié, de Pierre Loti, de Francisco Colloane ou d'Antoine de Saint-Exupery. Il mêle dans son récit ses souvenirs de jeune matelot embarqué, d'élève de l'école des mécaniciens de la marine à St Mandrier où à quinze ans les rêves d'enfant s'effondrent dans des odeurs de cuisine, d'équipages ou de salles des machines, que naissent les fantasmes et les fanfaronnades d'une adolescence à peine entamée... Il y ajoute ses expériences d'homme, d'écrivain-voyageur, retrace la découverte des femmes et de leur fragrance, celle de lui-même aussi, de son destin qui peu à peu se tisse, une chronique à la fois nomade et intime, livrée à travers un texte parfois intensément poétique, parfois trivial, brut et sans artifice... Cela aussi j'aime bien !

     

    Des femmes, il dit « qu'elles naviguent dans le vent comme l'algue sur l'océan, (qu') elles bougent comme la houle », mais sous chaque mot qui les évoque, je choisis de voir leur beauté à laquelle nul ne peut être indifférent. Il parle simplement de « la douceur des femmes du sud », des vahinés de Gauguin, des femmes à la peau ambrée et en paréos bleus des Marquises, des filles de Manille dont «( les) rires s'éparpillent sur la pierre chaude », de cette irréelle et sensuelle dame de Balboa dont un quartier-maître de la Jeanne fut l'éphémère amant, de cet Iva «  qui avait du satin au creux des cuisses »... Il parle aussi des bordels tristes, des étreintes fugaces et sans joie, des prostituées qui se vendent aux marins en escale pour manger parce que la misère est leur quotidien. Il évoque tout aussi bien ces épouses adultères qui trompent leur conjoint pour un peu de jouissance, pour le plaisir d'enfreindre l'interdit ou de cultiver la trahison. Pour cet interlocuteur lointain resté à terre, il se fait tour à tour guide, témoin d'exception, érudit, historien même, respectueux des coutumes et des traditions, mais aussi simple étranger de passage quelque fois pressé de partir, pour qu'à l'immobilité de l'un réponde le mouvement de l'autre. C'est la marque d'une amitié tissée à travers des mots confiés au papier messager, l'ambiance des ports, de La Rochelle à Dakar de Diego Suarès à Marseille ou Valparaiso, autant de lieux mythiques où le dépaysement le dispute à l'invitation au voyage, où l'écriture de l'auteur suscite l'émotion et l'imaginaire du lecteur. Bernard et Roland voulait partir ensemble aux Marquises. Ils n'en ont pas eu le temps, Roland qui n'a connu que l'île de Ré et les pertuis a été rejoint par la mort en décembre 1997, a « décidé de voyager libre comme un papillon du silence ».

     

    Ce roman a été publié en 2001 et a sans doute consacré la naissance d'un auteur. Il fut suivi d'autres qui ne laissèrent pas cette revue indifférente (La Feuille Volante n°316 - 373) Pour moi, simple lecteur, je ne considérerai jamais que la valeur d'un livre réside dans sa seule nouveauté, il reste un témoignage pérenne. Au delà de ce premier ouvrage, du regard bleu de l'acteur et de son charisme, de sa lutte désespérée contre la souffrance et contre la mort, de son témoignage et de l'émotion qui a suivi sa disparition brutale (La Feuille Volante n° 438), Bernard Giraudeau avait ce talent d'écrivain qui, de livre en livre, allait s'affirmant. Je ne me lasserai jamais de dire que la mort est un gâchis et, si elle ne l'avait pas fauché, il serait assurément devenu un écrivain majeur, apprécié à la fois pour son message et pour la façon originale qu'il avait de l'exprimer. Sa démarche créatrice n'était pas différente de celle formulée par Victor Segalen, un autre marin-écrivain, [« Voir le monde et, l'ayant vu, dire sa vision »], de redessiner pour son lecteur un décor, de l'y inviter et de susciter le rêve.

     

    J'ai lu ce livre comme je l'aurais fait d'un roman d'Alvaro Mutis, d'Henri de Monfreid ou de Jack London. J'ai suivi Bernard dans le désert et sur les mers, j'ai imaginé le sac de l'éternel errant, du marin perpétuellement en partance, moi qui ne suis qu'un terrien pantouflard ! [je dois probablement à mes origines charentaises le goût du port des chaussons du même nom ].

    J'ai surtout lu ce roman avec émotion à cause du message, certes mais aussi parce que celui qui en a tracé les lignes a maintenant rejoint le néant, que son destin s'est soudain brisé et qu'il n'écrira plus.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

  • LE TESTAMENT D'OLYMPE – Chantal Thomas

     

     

     

     



    N°513 – Mars 2011.

    LE TESTAMENT D'OLYMPE – Chantal Thomas – Le Seuil.

     

     

    La narratrice, Apolline, une jeune bordelaise du XVIII° siècle, vit dans une famille nourrie de catholicisme dont elle nous narre le quotidien. Elle ne comprend pas tout à fait le déroulement des choses qui l'entourent, pleines de religiosité, de peurs, de fantasmes, de non-dits, d'hypocrisie, de disette. Son père, bourgeois paresseux et inconséquent a jadis jouit d'une grande aisance, mais son impéritie a précipité sa maison dans la misère « Pour mon père, l'idée de besoin était abominable. Il ne se sentait pas concerné par notre problème de subsistance. A ses yeux, la vie matérielle n'était abjection ». Pire peut-être, il justifie son aversion pour le travail par des textes sacrés censés le conforter dans son attitude. La famille ne survit que grâce à la charité.

    Sa mère vit dans l'ombre de cet époux indolent et se contente, en plus d'assurer difficilement l'ordinaire, de faire des enfants dont beaucoup sont morts. Il ne lui reste que quatre filles. L'une d'elles, Ursule, la plus délurée, la plus belle aussi, comprend vite que son avenir n'est pas au sein de cette famille et disparaît. A cette époque Louis XV vient de survivre à un attentat et la guerre de 7 ans s'éternise. Apolline, quant à elle, est mise dans un couvent et ses deux sœurs restent au foyer pour aider leur mère... Pour la narratrice, St Marie de la Miséricorde est dorénavant son univers. On ne sort de là que pour se marier avec un inconnu ou prendre définitivement le voile, mais pour elle, bien qu'elle croie en Dieu, ces deux alternatives sont inacceptables puisque une seule chose compte : l'étude. Elle devient donc préceptrice. Son destin est sans doute d'être instable puisque elle finit par quitter cette place qui, au vrai ne lui plaisait guère. Elle débarque à Paris où elle retrouve Ursule mourante et dans le plus complet dénuement.

     

    Grâce à des cahiers manuscrits cousus dans un sac qu'elle lui laisse, son unique héritage (son testament), elle apprend ce que fut la vie de cette sœur, partie à l'âge de quatorze ans du foyer familial, devenue Olympe, et qui a vécu dans le luxe, la richesse, le succès et choyée par le roi. Par chance, Olympe qui n'était alors qu'Ursule a pu faire partie de l'entourage du Maréchal-Duc de Richelieu, le petit-neveu du cardinal, « le roi d'Aquitaine », comme on l'appelait, tout puissant dans son fief mais simple courtisan à Versailles. Il l'emmène avec lui à Paris, l'entretient sans pour autant la toucher. Elle se construit des « châteaux en Espagne », rêve d'être une actrice de théâtre, entre dans le monde, même si c'est par la petite porte, se sent capable de tout pourvu qu'elle ne retombe pas dans la pauvreté d'où elle vient, pourvu qu'elle rompe définitivement avec son passé et sa condition !

    Faute d'être la maîtresse du duc, elle devient sa confidente mais la réalité est toute autre. Cet homme n'est plus que l'ombre vieillissante de lui-même, un être valétudinaire, triste et seul sous le masque du libertinage, hâbleur mais désespéré, prenant du plaisir à compromettre ses maîtresses et à les abandonner ensuite. Ce qu'elle ne sait pas c'est qu'elle est une proie, une carte dans les mains du duc qui, en disgrâce à la cour, souhaite l'offrir au roi, jeune et vierge, se serait-ce que pour reconquérir les faveurs royales. Elle entre donc dans l'intimité du roi qui la déflore et l'entretient, mais ce n'est pas la cour qu'elle connaît, mais le « Parc aux cerfs » de Passy, maison isolée, prison dorée où le roi vient la retrouver de temps en temps. Elle sera l'objet d'intrigues, de jalousies. Elle ne verra le château royal que de loin, ne sera qu'une putain de plus dans la vie du souverain. Aveuglée autant par l'amour qu'elle portait au roi que par sa volonté d'officialiser son union avec lui et d'en recueillir les fruits, elle en était devenue naïve. Reste la Pompadour dont le roi ne peut se passer. Olympe elle, rêve de supplanter cette maitresse et de faire son entrée à la cour. Pour cela, quoi de plus sûr que de donner à ce roi déjà vieux, un enfant. Ce fut un garçon, Louis Aimé, mais comme les autres rejetons du roi conçus hors mariage, il resta un bâtard, et elle une clandestine. Elle voyait en cet enfant un prince promis au plus brillant avenir mais non seulement Louis XV refuse de le reconnaître et le fait enlever, mais il constitue une dot à Olympe, la marie à un barbon de l'Aubrac sans héritier et surtout sans richesse. Autant dire qu'elle est vendue ! Dans cette province reculée, froide et déserte, elle se morfond, apprend que son fils est mort et finalement tente de revoir son roi. A Paris elle apprend qu'elle est interdite de séjour. La misère à laquelle elle avait voulu échapper à Bordeaux la rattrape définitivement.

     

    C'est donc l'histoire de deux destins opposés, celui d'Apolline qui croit en Dieu et en sa grâce et celui d'Ursule devenue Olympe, une aventurière ambitieuse qui croit en sa beauté et grâce à elle en la possibilité d'échapper à sa condition, mais qui échoue. Son exemple illustre bien l'impossible liberté des femmes, le destin des filles sans fortune qui, à l'époque, connaissaient l'enfermement, quelle que soit la forme qu'il pouvait prendre. Ce siècle des lumières étaient bien souvent pour elles celui des ombres. Ces deux choix de vie débouchent sur deux échecs : Apolline, même si elle ne l'avoue pas, est déçue par Dieu et sa malheureuse sœur l'est par les hommes !J'y ai lu aussi, outre la tragédie de la condition féminine, l'irrésistible envie que suscitent les femmes ...

     

    Grâce à ce roman que j'ai lu d'une seule traite tant il est passionnant et agréablement écrit, le lecteur entre dans l'intimité de Louis XV et de sa famille. Il voit non pas un monarque puissant mais un homme, libertin à ses heures, cynique parfois, mélancolique, crépusculaire et dévot, craignant la mort, l'enfer, méprisant le dauphin et la reine, adorant la Pompadour et les femmes.

    Le style est fluide et recherché, le choix des mots, leur rareté, leur charge érotique et leur poésie aussi m'ont enchanté. Le texte est un savant mélange de création et de riche érudition. J'ai apprécié l'ambiance, le dépaysement, l'étude des caractères et des situations qui font se juxtaposer l'ambition d'une femme et la petitesse et la lâcheté des hommes que cependant on nomme grands,) mais qui ne sont que des êtres humains bien ordinaires.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • CHIEN DU HEAUME – Justine Niogret – Mnémos éditions.

     

     

    N°512 – Mars 2011.

    CHIEN DU HEAUME – Justine Niogret – Mnémos édition.

     

     

    Nous sommes au Moyen-Age et Chien de Heaume est le nom d'une jeune femme, pas vraiment belle et même plutôt laide, devenue mercenaire par amour de la liberté. Elle n'échappe pas aux clichés convenus et n'est pas la dernière pour tuer et semer la terreur autour d'elle. En réalité, le lecteur apprend très tôt que l'objet de sa véritable motivation est seulement... son nom, qu'elle dit avoir perdu depuis son enfance. Elle n'a pour richesse qu'un médaillon et ses armes et plus spécialement une hache sur laquelle apparaît un décor de serpent. Elle les tient de son père et sa hache est semblable à celle que possède le Chevalier Sanglier mais ce dernier ne sait pas la renseigner. Pourtant elle est détentrice d'un secret. Elle a vu mourir son père dans un combat simulé qu'il avait lui-même provoqué avec sa fille. Ainsi, il a voulu l'initier à l'art de la lutte, comme un rite de passage, lui transmettre un savoir qui garantirait sa vie dans un monde hostile. Il a aussi choisi sa mort, volontairement, en préférant la hache qu'il allait lui léguer parce que la vie lui était devenue insupportable. Il a voulu entrer dans le néant en intronisant sa fille à une existence qu'il menait lui-même, celle d'un mercenaire, avide de sang et de batailles et qui serait dorénavant la sienne !

     

    Dans sa quête qui la mène de château en château, elle va croiser des personnages tels qu'on se les imagine, batailleurs, violents, durs, à cent lieux de l'amour courtois et des troubadours. Le seigneur Bruec, le chevalier Sanglier, est l'un d'eux et une amitié va naître qui les aidera à se découvrir l'un l'autre.

     

    L'auteur se livre ici à une véritable reconstitution historique où se mêle l'imaginaire. Elle transporte le lecteur dans un autre temps, une autre ambiance, dans un climat glacial, une terre inhospitalière, des châteaux froids et sombres. Rien ne manque dans ce décor que les mots accompagnent, les campagnes désolées et brumeuses, les paysans pauvres et superstitieux, les famines, les forêts mystérieuses qui abritent des enfants-fées et des necrebestes, les combats sans merci, les légendes et les monastères perdus, les champs de bataille et les animaux fabuleux, les morts violentes, l'exil, l'errance, la magie... En revanche, il n'y a pas d'érotisme comme on pourrait s'y attendre, même pas d'amours entre Chien et Sanglier, le peu d'appas de l'héroïne ne les suscite pas. Il y a en revanche beaucoup de sang et de violence.

     

    Le narrateur qui est en fait un conteur, comme au Moyen-Age, raconte cette histoire, intervient parfois dans le récit pour une explication. Elle nous averti d'ailleurs « Les conteurs sont une race étrange... leur langue ne sait jamais se taire. On les aime... mais on les craint ... Eux peuvent couper les âmes avec un seul mot... (Ils) sont à la frontière de notre monde et de l'autre, celui où dorment merveilles et monstres et de là vient tout leur pouvoir. ».

     

    Chien de Heaume est un personnage tourmenté, solitaire, désespéré même. Sa quête se décline à travers divers personnages qu'elle rencontre, du chevalier Sanglier à Orains et au forgeron Rehegir et le temps qui passe s'égrène à travers les saisons. On songe un peu à un personnage d'un BD « fantasie » (suivant la définition officielle : genre situé à la croisée du merveilleux et du fantastique qui prend ses sources dans l'histoire, les mythe, les contes et la science-fiction ») comme la couverture le suscite.

     

    Le livre se lit rapidement et l'intrigue est passionnante. On a cependant l'impression qu'elle pourrait ainsi durer plus longtemps. Le thème de la quête, très en vogue à cette époque, entretient le suspense même si le lecteur reste un peu sur sa faim et si on peut déplorer le côté un peu trop gore.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • L'ILE DES CHASSEURS D'OISEAUX – Peter May

     

    N°511 – Mars 2011.

    L'ILE DES CHASSEURS D'OISEAUX – Peter May – Rouergue noir.

    Traduit de l'anglais par Jean-René Dastugue.

     

    Le décor est celui de l'île Lewis au nord de l'Écosse. C'est l'île natale de l'inspecteur Fin Macleod qu'il a quittée voilà bien des années. Il fallait bien faire quelque chose, entrer dans la vie active puisqu'il avait abandonné ses études et était sans diplôme. Alors la police, pourquoi pas ? Il avait donc été affecté à Edimbourg et y poursuivait sa carrière. Il se serait bien passé de ce retour au pays mais l'ordinateur ou le hasard l'ont désigné pour cette mission à cause des similitudes entre un meurtre qui s'était déroulé sur cette île et une affaire dont il s'était occupé antérieurement à Edimbourg. Mais c'est un autre monde que cette contrée perdue entre un ciel plombé et un décor lunaire. Il est fait de landes battues par les vents et les embruns, on s'y chauffe à la tourbe, on y pratique le sabbat chrétien, on y parle encore le gaélique et les pubs sont la seule distraction... Pas la seule cependant car il existe une coutume barbare qui consiste à escalader des falaises d'un caillou perdu au large pour y tuer des poussins de fous de Bassan qui y nichent... C'est une tradition, une sorte de rite de passage, unique et incontournable, surtout pour les jeunes.

     

    Oui, il s'en serait bien passé et pas seulement pour ce triste décor. Il vient, dans un accident de la circulation de perdre son fis unique, Robbie, ce qui fait de lui un être définitivement à part. On ne se remet jamais d'une telle épreuve, entre silence et larmes, révolte et culpabilité, regrets et absence... Et chacun l'évite par respect, par crainte d'évoquer cette épreuve, par incompréhension, par volonté de se protéger d'un malheur qui peut arriver à chacun d'entre nous. Cela fait de lui un homme seul, tenté peut-être de rejoindre dans la mort ce fils qu'il ne reverra plus. Parce que, même si une vie qui lui est chère s'est arrêtée, la sienne poursuit son cours. Elle est devenue soudain un fardeau plus lourd chaque jour, un chemin de croix au quotidien. Face à cela, il y le deuil qu'on vit toujours seul et qu'on ne fait jamais complètement, les cautères qu'on invente pour nous aider à supporter le quotidien maintenant hanté par le fantôme d'un enfant qu'on ne verra pas vieillir, qui n'aura pas lui-même d'enfants. Le travail est l'un d'eux. Il permet de penser à autre chose, de s'occuper un peu l'esprit, de faire semblant, même si cela n'est et ne sera jamais qu'un décor fragile, une sorte de château de cartes édifié dans un courant d'air... Il part donc pour son île malgré son chagrin, l'attitude compassée de ses collègues et son épouse, Monna, qui lui déclare que s'il part, elle ne sera plus là à son retour...

     

    Fin revient aussi sur les traces de son enfance. Il y retrouve évidemment ceux qui étaient ses copains alors, ceux qui sont restés au pays. Au premier de ceux-ci, Ange, le chef d'une bande dont le policier a fait jadis partie. C'est lui qui a été assassiné selon le même « modus operandi » que dans l'affaire dont l'inspecteur s'est occupé à Edimbourg. Cet Ange était un homme tyrannique, cruel, alcoolique, dealer, magouilleur, bagarreur et même fortement soupçonné de viol et convaincu d'avoir agressé un défenseur des oiseaux... Il ne manquait pas d'ennemis qui voulaient sa mort, mais pourtant, il pouvait être attachant, amical... Et c'est lui, Fin, qui est chargé de retrouver son assassin, c'est lui qui est à la fois un enfant du pays mais aussi un policier, le représentant de l'ordre, qui devra dénouer les fils de cette histoire compliquée, percer les secrets qui unissent ces gens qu'il connait. Dans ce coin perdu des Hébrides, il va aller, un peu malgré lui, au devant des souvenirs personnels et pas toujours bons qu'il a avec chacun. En quittant l'île, il avait choisi de les oublier et avec eux son cortège de regrets, de remords... A l'occasion de cette enquête, c'est aussi son passé, la mort accidentelle de ses parents qui lui reviennent en pleine figure ! Tout cela ne va pas faciliter son enquête d'autant que ceux qu'il interroge ont déjà déposé auprès de la police locale.

     

    Il retrouve tous ses copains mais surtout Artair dont le père, M. Maccines, a perdu la vie en sauvant celle de Fin lors d'une expédition contre les oiseaux. Il a épousé Marsaili, le premier amour de Fin, celui qu'on n'oublie pas. Il la rencontre à nouveau, se demande si elle pense encore à lui, fait connaissance de son fils qui porte le même prénom que lui, sympathise avec lui, refait à l'envers un chemin qu'il croyait définitivement oublié, se demande dans son for intérieur si ce garçon n'a pas quelque chose de lui, une parenté jusque là inconnue... Cela aussi risque de bouleverser les choses établies depuis tant d'années... Mais le temps a passé, les choses se sont figées dans un quotidien apparemment immuable, irréversible, violent aussi... Cette enquête remettra en cause bien des vérités établies, bien des certitudes et il faudra que Fin accepte d'entendre et d'admettre ce qui n'était pas pour lui des évidences, qu'il aille au devant de lui-même, assume ses souvenirs personnels, ses attachements, ses certitudes ... Pourtant, iI n'est pas venu là par hasard mais est victime d'un règlement de compte personnel, manipulé par le tueur qui s'apprêtait à nouveau à tuer...

     

    Il est bien des gens pour affirmer que la littérature policière tient un rang mineur dans la création littéraire qu'on écrirait volontiers avec une majuscule. Pourtant si le roman policier plait, c'est sans doute parce qu'il endosse un tas de fantasmes humains. L'écriture en est parfois moins étudiée, moins ciselée, plus populaire, on y met souvent du sexe, de la violence, du sang, probablement pour marquer la différence avec des fictions plus intellectuelles... J'ai toujours pensé que, plus que d'autres forme d'arts peut-être, la fiction policière nous rappelle que nous sommes mortels, que les hommes ne sont ni aussi bons ni aussi humains que des générations de philosophes ont tenté de nous le faire croire. Elle est, au moins autant que les autres, et malgré le fait qu'on la relègue volontiers au rang de lecture estivale, le miroir de la condition humaine.

     

    Dans un style agréable à lire, plein d'émotions et d'évocations de ce coin de terre un peu perdu et désolé, l'auteur, malgré de nombreuses digressions, retient l'attention de son lecteur jusqu'à la fin, avec un sens consommé du suspense.

    Ce roman a été pour moi un bon moment de lecture.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LE COIFFEUR DE CHATEAUBRIAND – Adrien Goetz

     

    N°510 – Mars 2011.

    LE COIFFEUR DE CHATEAUBRIAND – Adrien Goetz – Grasset.

     

    Nous sommes à Paris au milieu du XIX° siècle. Chateaubriand à 72 ans et Adolphe Pâques, son coiffeur seulement 24 ! L'écrivain menacé d'une calvitie totale veut constamment ressembler au portrait de sa jeunesse, immortalisé par Girodet, dans les ruines de Rome, les cheveux aux vent ! C'est, pour notre figaro, un véritable défi, autant dire la quadrature du cercle !

    C'est que, malgré la différence d'âge et de condition, il existe entre les deux hommes bien des affinités. François René de Chateaubriand, écrivain reconnu par tous, ancien diplomate, Pair de France est un homme célèbre qui ne veut pas vieillir. Adolphe Pâques non seulement admire son client mais aussi, sans oser le lui avouer, connaît par cœur des pages entières de ses œuvres et conserve pieusement, comme des reliques, toutes les mèches de ses cheveux. Il y a donc entre eux plus qu'une relation professionnelle et Adolphe voue à René une véritable admiration. Adolphe est donc à la fois un grand témoin, une sorte de confident et un homme de l'ombre [« Nous sommes plus efficaces que des avocats, nous dénouons les problèmes comme les chignons, nous démêlons, nous passons les appartements au peigne fin. »]. Il a aussi le privilège de le voir au naturel dès le matin, mal rasé et ébouriffé, et a la lourde tâche de masquer les outrages du temps. D'autant que, arrive dans sa vie une jeune mulâtre, Sophie de Kerdal, venue de Saint-Malo. Elle ne peut laisser indifférent le vieux séducteur qui a aussi consacré sa vie aux femmes. Elle ne donne pourtant pas l'image traditionnelle de la femme romantique. Elle incarne non seulement la beauté, mais aussi la liberté, la culture, l'exotisme, mais s'habille en homme, ce qui est, pour l'époque, peu commun... En fait c'est un personnage fictif mais qui correspond à toutes ces femmes enamourées qui écrivaient au Malouin. C'est aussi pour sauver d'autres apparences qu'il organise leurs rencontres... chez son coiffeur.

    A ses derniers cheveux correspondent les derniers feux de ce symbole du Romantisme qui, après avoir passionnément aimé la vie ne veut pas mourir. Sophie ne se contente pas de séduire le vieillard et de disparaître [fut-elle son dernier amour ? S'enfuit-elle en sa compagnie à Venise ?], elle révèle la vraie personnalité du coiffeur, son côté caché, jaloux, un peu espion, ses velléités meurtrières aussi pour un écrivain tant admiré et qu'il finit par haïr.

     

    On pouvait craindre un récit austère des dernières années de vie de l'auteur d' « Atala », celles-ci ayant été dédiées à la maladie, à la religion, à la nostalgie et à l'édification de sa nécessaire statue pour la postérité sous la forme de la rédaction peaufinée et toujours en gestation des « Mémoires d'Outre-tombe »... Il n'en est rien cependant. C'est une plaisante narration, fort bien écrite, bien documentée, pleine d'humour, de sensibilité et de subtilités. Goetz en professeur passionné nous fait découvrir le secret de cette société dont les actionnaires avaient investi dans la publication des « Mémoires d'Outre-tombe » pour toucher des dividendes... après sa mort. Chateaubriand, à la fois matois et craint pour les éventuelles révélations qu'il pourrait y faire, n'était guère pressé [« Il fallait organiser l'attente, et malgré tout, vivre le plus longtemps possible. Chateaubriand voulait jouir du spectacle. C'était Charles Quint dans son monastère suivant son propre enterrement derrière un pilier. »].

    On y voit Mme Céleste de Chateaubriand révélant des secrets de la famille de son époux, sur sa noblesse et surtout sur sa fortune. Elle nous confie que les œuvres de son époux sont pour elle illisibles et même soporifiques.

     

    Adrien Goetz ressuscite cet authentique coiffeur qui durant huit années et jusqu'à la mort de Chateaubriand fut aussi son confident. Ce fut un homme obscur mais il restitua des moments de ce grand homme tant vénéré de son vivant. Il a lui-même réalisé un tableau représentant la chambre natale de l'écrivain avec les cheveux du vicomte, mais aussi laissé des mémoires publiés en 1872.

     

    Je ne connaissais pas cet écrivain révélé par hasard. Je continuerai d'explorer son imaginaire, son érudition, la magie de son écriture.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE JOUR AVANT LE BONHEUR – Erri de LUCA

     

    N°509 – Mars 2011.

    LE JOUR AVANT LE BONHEUR – Erri de LUCA – Gallimard.

    Traduit de l'italien par Danièle Valin.

     

    Tout commence par un match de foot improvisé dans une cour d'immeuble à Naples après la guerre, un ballon égaré sur le balcon du premier étage et un enfant qui le récupère. Le garçon découvre la phobie des fantômes, le mystère des cachettes et des trafics autant que la vision fugace d'une fille derrière la vitre du 3° étage, Anna. Il ne la reverra que quelques années plus tard !

    A l'occasion de l'épisode du ballon perdu, il découvre une cachette qui a servi à un juif pendant la deuxième guerre. Don Gaetano lui parle constamment de cette période, de l'histoire de cette ville... Il lui révèle le don qu'il a de deviner les pensées des gens qui l'entourent. Cela achève de faire de lui un personnage d'exception, capable d'accompagner l'accession de l'enfant vers l'âge adulte.

    Ce garçon, orphelin à la suite d'un drame sentimental, recueilli par une mère adoptive qu'il ne voit jamais, vit grâce à Don Gaetano, le concierge, homme simple et généreux qui se charge de lui. Il est son modèle. Il a quitté, il y a bien longtemps le séminaire pour l'amour d'une femme, s'est exilé en Argentine pour revenir à Naples. Ce garçon, qui est aussi le narrateur vit librement, attiré autant par la rue que par l'école et par les livres. Le soleil, le sang, la mer, sont le quotidien de ce décor. Là il apprend à lire à écrire, acquiert les rudiments d'un métier, rend des services et reçoit de Don Gaetano tout ce qu'un père peut donner à son fils, même s'il n'est pas le sien. Il favorise sa découverte du corps des femmes, le pousse vers cette veuve qui fera son éducation sexuelle. C'est aussi lui qui lui révèle le secret de sa filiation. Il était le fils de personne, il devient donc, grâce à lui « le fils de quelqu'un » !

     

    Quand Anna revient, des années après, Don Gaetano est encore là pour aider le garçon devenu adulte et l'incite à la rencontrer. Avec elle il connaîtra les émois, les tourments et les plaisirs de l'amour, le bonheur ! C'est un peu comme si, tout son parcours d'avant n'avait existé que pour cette rencontre. Il devra aussi affronter, dans une bagarre mortelle l'ami de cet Anna et c'est encore Don Gaetano qui fournira au garçon devenu un homme à la suite de cet épisode initiatique, l'opportunité d'une fuite vers l'Amérique du Sud et avec elle l'espoir d'une nouvelle vie...Là aussi le sang et le soleil servent de lien à ce passage.

     

    Je suis toujours étonné par la démarche d'écriture de De Luca. Le terme roman, c'est à dire fiction, ne s'applique peut-être pas exactement dans son cas tant il égrène ses souvenirs personnels de son enfance à Naples. C'est en fait une autre tranche de sa vie, de son enfance, qu'il nous offre dans cette ville d'exception qui a toujours fait rêver le monde entier [« Naples est une ville espagnole, elle se trouve en Italie par erreur »]. Il égrène les moments parcellaires de son histoire, la chaleur, les différents quartiers, le Vésuve, les détails du décor [« Le soleil tapait contre les vitres des derniers étages et faisait gicler des ricochets jusqu'à terre. Les vitres de Naples se passaient le soleil entre elles. »] et finalement lui donne le rôle de personnage principal. Il mêle à ce récit la marque d'une imagination féconde qui transporte le lecteur.

     

    Il ne manque jamais un détail, une évocation poétique : « C'était une journée pour les lézard sortis de dessous les pierres et qui se consolaient au soleil. Après les claques de la tramontane, le sirocco apportait ses caresses. ». Ce roman rappelle à bien des égards « Montedidio » (la Feuille volante n°456). Sa dimension initiatique, que la trajectoire hasardeuse d'un ballon de foot-ball provoque, passe ici aussi par une femme.

     

    J'aime décidément beaucoup la prose de De Luca, le décor qu'il plante, son style dépouillé, poétique et sa démarche d'écriture. C'est à la fois un enchantement et un dépaysement.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

  • LE FRONT RUSSE – Jean-Claude Lalumière

     

     

    N°508 – Février 2011.

    LE FRONT RUSSE – Jean-Claude Lalumière – Le Dillettante .

     

    L'auteur d'abord qui est aussi le narrateur. Il se nomme Lalumière, un nom qu'on imagine davantage être celui d'un personnage de roman et qui se prête évidemment au calembour facile. Il y a aussi une histoire, celle d'un enfant unique d'une famille bourgeoise et provinciale aimant à la fois l'ordre, le profit, la réussite sociale, le paraître et ayant la phobie de l'imprévu et de l'homosexualité. «  Eh oui, petit, tout cela c'est pour ton bien et tu me remercieras plus tard ! » [air connu].

    Pour un malheureux bambin qui ne pense qu'à l'évasion, au voyage et à la liberté, c'est plutôt mal parti !

     

    Bref, après une enfance trop vite passée et peut-être aussi quelque peu perturbée, il faut songer à entrer dans la vie active. Pour lui, les Affaires Étrangères, cela sonne plutôt bien et puis cela correspond à ses rêves d'atlas, ses fantasmes de terres lointaines et ses mirages de missions ultramarines... Réussir un concours c'est bien, mais si on est reçu dans les derniers, il vaut mieux faire une croix sur ses espoirs de nomination prestigieuse, ses idées reçues et faire une place au désenchantement voire à l'abandon de ses illusions, se faire au gris dominant de la Fonction Publique qui n'affecte pas seulement le décor vestimentaire, renoncer définitivement aux ors de la République et aux décors d'huissiers à chaine que la fonction avait pu, un temps, lui faire miroiter. Il ne sera pas nommé au « Quai d'Orsay » mais dans un sombre bureau de la banlieue coincé entre une bretelle d'autoroute et une voie de chemin de fer ! Et comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, on l'affecte à l'antenne du ministère qui a en charge les « Pays en voie de création - section Europe de l'Est et Sibérie », que le jargon administratif appelle « le Front russe », euphémisme qui désigne un service où personne ne veut aller, où rien ne se passe, où le moindre chose prend soudain des allures de révolution... Bref une version bureaucratique mais bien réelle du « goulag » ! Pour un jeune homme plein d'illusions et surtout d'ambition, c'est un départ un peu compromis. Il déchante d'ailleurs très vite : [« J'avais l'impression d'être seul, on ne peut plus seul »] se dit-il, réaliste. Même un voyage professionnel ne parvient pas à assouvir ses rêves de dépaysement [« j'avais l'impression d'être loin sans être ailleurs. Ma frustration était immense » ] note-t-il, un tantinet blasé.

     

    Si le monde du travail est sans pitié, il est aussi plein d'enseignements. Là il rencontre des gens improbables, Boutineau, le chef de Section qui affectionne le parler et les usages militaires, à la fois atypique et inconscient, voire incompétent, mais aussi de femmes dont la présence dans un bureau est une bénédiction, mais en apparence seulement ! C'est Aline, [« Elle portait un maquillage juste assez marqué pour attirer l'œil plein de convoitise de l'homme en mal de tendresse sans atteindre l'outrancière vulgarité qui aurait suscité des pensées inavouables chez ce même homme, voir un sifflement d'admiration. »]. Elle sera pour lui une maîtresse éphémère, qui se révèlera rancunière, jalouse et même méchante au point que les vacances en sa compagnie deviennent une épreuve [« Je vis venir la fin des vacances avec la lenteur d'un courrier transmis par la voie hiérarchique »]. Elle est, à n'en pas douter, promise assurément à un avenir de vieille fille ! C'est aussi Arlette [« Elle avait un air blafard et valétudinaire sous des cheveux mi-longs et filasses qui n'étaient pas sans rappeler un balai espagnol retourné, des lunettes rondes dont les verres très larges, trop sans doute, étaient légèrement fumés et dissimulait ses cernes ainsi que, tel un accessoires de carnaval, un bon tiers de son visage. »] aux accoutrements couturiers personnels et incertains ... et quelques autres qu'on a aussi mis au placard.

     

    Il ne tarde pas à s'apercevoir du rythme de travail dans cette unité administrative un peu oubliée, de son côté parcellaire voire inutile, des redondances, des décisions prises mais jamais appliquées, du respect aveugle voire flagorneur due à une hiérarchie tatillonne et consciente de son importance, des coutumes qui y sont en usage, des hypocrisies et des tabous qu'il faut respecter... [« Rire avec modération à la blague du chef est un précepte à garder à l'esprit si l'on veut survivre en milieu administratif. Il faut toujours rire à la blague du chef. Mais ce rire doit cependant être modéré si on ne veut pas passer pour un lèche-bottes auprès de ses collègues. C'est un dosage difficile, un équilibre malaisé lorsqu'on débute, mais, bien vite, on acquiert ces automatismes. »]. Tout juste débarqué de sa province, il est aussi en butte à la suffisance de ses collègues parisiens qui tiennent leur importance de leur ancienneté dans ce ministère autant du nombre d'années passées dans la capitale, supériorité indéniable et qui ne supporte pas la contestation !

     

    Après s'être promis de ne pas y rester toute sa vie, il tentera quelque chose pour donner un nouveau souffle à sa carrière mais c'est sans compter avec les petitesses et les bassesses médiocres et mesquines qui émaillent le quotidien d'un bureau. Il finira par se résigner, par rentrer dans un moule pour lequel il n'était pas fait, à se plier au train-train administratif et à s'en accommoder [« Je vis et il ne se passe rien. »].

     

    L'auteur en profite même pour glisser quelques remarques sur la vie en générale. [« J'ai parfois eu l'impression qu'élever un enfant c'était lui transmettre des problèmes qu'il parviendrait peut-être à résoudre un jour, avec un peu de chance. »], et sur l'amour en particulier [« L'expérience de l'amour, c'est aussi l'expérience du néant »]. Ses parents pourtant si attentifs mais bien trop conventionnels à son goût de jeune homme n'échappent à la règle. Malgré sa volonté d'être différent, il s'achemine vers une solitude imposée et égoïste, à cent lieues de ce qu'il imaginait pour lui-même. On peut même penser qu'il finira par leur ressembler !

     

    Ce n'est pas pour autant un livre noir, au contraire c'est même une peinture très juste de cet univers quotidien qu'on a du mal à qualifier de moderne. Le narrateur, mélangeant peut-être son isolement personnel à celui de son travail, y voit pour ce qui le concerne une défaite [« L'histoire d'une vie c'est toujours l'histoire d'un échec »].

     

    En tout cas, malgré quelques longueurs, j'ai bien aimé son humour doux-amer et de bon aloi, son style jubilatoire, et ce regard mi-désabusé mi-amusé, assurément fataliste, qu'il promène sur ce monde. Avec ce livre qui se lit facilement, j'ai passé un bon moment et j'ai même carrément ri de bon cœur, grâce à une galerie de portraits et des situations à la fois authentiques et burlesques que ni Courteline ni Kafka n'auraient reniées.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     


     

  • MATCH POINT - Un film de Woody Allen

     

     

     

     

     

     

     

     

    N°507 – Février 2011.

    MATCH POINT – Un film de Woody Allen – France 2 – Dimanche 20/02/2011 – 20H35.

     

    Woody Allen est assurément un fin observateur des choses de la vie, un illustrateur inspiré et génial des noirceurs de l'âme humaine mais aussi un maître du suspense .

     

    Qu'avons nous ici, oh, quelque chose de banal ! En Angleterre, de nos jours, un jeune professeur de tennis, Chris Wilton (Jonathan Rhys Meyer), issu d'un milieu modeste, passablement désargenté mais passionné d'opéra et de peinture, se fait embaucher dans un club huppé pour riches désœuvrés. Grâce à sa passion pour la musique, il se lie d'amitié avec Tom Hewet (Matthew Goode) qu'il a la charge d'entraîner. Le hasard fait bien les choses puisque, sans rien faire et sans presque le vouloir, il va conquérir la sœur de Tom, Chloé, et l'épouser. Puisque c'est un garçon bien sous tous rapports, qu'il est discret, cultivé, bien élevé, il va plaire à la famille, à sa belle-mère d'abord puis à son beau-père que les affaires et la spéculation ont enrichi. Il va le faire passer du statut de simple professeur de tennis à celui de collaborateur, favorisant son ascension sociale, son salaire, la vie devenue soudain plus facile. Il veut à la fois partager avec Chris son goût pour la musique et les arts et le faire sortir de la position subalterne dans laquelle la vie l'avait mise. Il va même jusqu'à lui offrir une formation dans une école de commerce ce qui fait de lui un cadre supérieur compétent et apprécié de ses collègues, gomme volontiers, au nom de la volatilité du marché, ses erreurs d'investissements, pardonne ses décisions hasardeuses... et les finance sans lui adresser le moindre reproche. Le voilà donc parfaitement intégré dans cette famille qui ne lui demande... qu'un héritier !

     

    Quand il rencontre Tom, ce dernier est fiancé à Nola, une américaine belle et sensuelle mais une actrice ratée qui peine à s'imposer dans son métier. Comme Chris, elle vient d'un milieu modeste mais elle s'est toujours promis de tout faire pour y échapper. Ses fiançailles arrivent à point nommé pour satisfaire son ambition. Elle en fait sans doute un peu trop et sa future belle-famille, surtout sa future belle-mère, la rejette au point que Tom finit par convoler avec une autre. Le temps passe et Nola revient à Londres où elle vivote et rencontre à nouveau Chris. Ce qui n'avait été qu'une passade du temps de ses fiançailles avec Tom devient une liaison torride. Chris trompe sa femme, apprend à vivre dans le mensonge et, bien entendu, Chloé ne se rend compte de rien et lui qui ne peut, malgré ses efforts, avoir un enfant avec sa femme met Nola enceinte. Certes, la situation devient compliquée mais cela se rencontre souvent dans les couples illégitimes. Face à cela Chris tergiverse, ment aussi facilement à Nola qu'il mentait à Chloé, cherche à gagner du temps, propose de l'argent pour avorter, cherche à se dérober devant ses nouvelles responsabilités... Mais rien n'y fait, Nola entent garder son enfant et même profiter de cette situation pour parvenir enfin à sortir de sa condition modeste. Pour lui, son laborieux et méticuleux travail d'acquisition de la notabilité va s'effondrer tout d'un coup s'il choisit la vie avec sa maîtresse. Au lieu de quitter sa femme qui a enfin réussi à avoir un enfant de lui et de renoncer du même coup à sa situation confortable, à sa vie dorée, à sa sécurité, il tue Nola (et son enfant), camoufle ce crime en assassinant la voisine et en faisant croire à un cambriolage qui a mal tourné. Le quartier se prête d'ailleurs à la délinquance habituelle autour de la drogue. Cet homme riche, établi, devient donc un vulgaire assassin !

     

    Là où Woody Allen est remarquable, c'est qu'il se fait le témoin de cette situation, mais pas dans un scénario moralisateur où la justice triomphe, le meurtrier est condamné et l'ordre public est sauf ! Dans ce cas de figure notre esprit de midinette ou notre vieux fond judéo-chrétien en sortiraient satisfaits. Mais pas du tout ! Avec l'aide du hasard (ou de la chance !) l'impunité de Chris va être établie. A l'image du début, où la caméra montre une balle de tennis qui heurte le filet et tombe d'un côté ou de l'autre, donnant ou refusant le point, répond celle de la fin où Chris, ayant dérobé l'alliance de la vielle dame qu'il vient de tuer, lance le bijou dans la Tamise. Il heurte une rambarde mais tombe sur le quai. Non seulement cela ne servira pas de preuve contre lui, comme on pourrait le penser, mais au contraire se révélera favorable dans l'enquête qui le met en cause dans le meurtre de Nola. La chance, toujours elle, fait intervenir des événements similaires quelques jours après et l'alliance trouvée dans les poches de l'assassin disculpe définitivement Chris qu'un policier, plus inspiré que les autres, était persuadé de pouvoir faire condamner.

     

    Alors, satire sociale : certainement ! Mais ce qui me paraît bien vu dans ce film c'est que, le temps passant, Chris va complètement occulter ses fautes, s'en accommoder et vivre sans aucune difficulté avec. La petite fable de la fin, où il est fictivement en présence du fantôme des deux femmes qu'il a assassinées quelques temps plus tôt en est la preuve. A Nola, il dit que c'est mieux ainsi, qu'il ne pouvait pas faire autrement et qu'elle devait disparaître. A la vieille voisine qui se plaint de n'être pour rien dans ce différend, il déclare qu'elle n'est qu'un dommage collatéral et que pour lui tout est rentré dans l'ordre. Ce drame est une illustration brillante de « l'amour et du hasard » mais aussi d'un des nombreux travers de l'homme qui n'est ni aussi bon ni aussi généreux que des générations de philosophes ont bien voulu nous l'affirmer. On finit toujours par vivre, même confortablement, avec une faute, si grave soit-elle. On la cache, on la justifie, on s'en accommode, quitte à chercher des responsabilités chez la victime elle-même. Plus le temps passe plus on accumule les bonnes raisons qui nous ont fait agir ainsi. On imagine très bien que Chris vivra longtemps en oubliant tout simplement ses crimes puisque la chance l'a favorisé.

     

    C'est aussi un clin d'œil à ce que cette famille attendait de Chris : être le géniteur d'une descendance en opposant opportunément cette parole de Sophocle « Échapper à la naissance est sans doute la plus grande des chances » à l'image de l'enfant tant désiré, enfin né.

     

    Ce n'est peut-être pas ce qu'on pouvait attendre mais c'est malheureusement ce qui se produit souvent dans la vraie vie et l'hypocrisie, l'amnésie, la bienséance et le culte du paraître font le reste. Quant aux malheureux qui ont été les victimes, on peut peut toujours dire d'eux « qu'ils se sont trouvés là, au mauvais endroit au mauvais moment ».

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • IL NE FAUT PAS MOURIR DEUX FOIS – Francisco Gonzales Ledesma

     

    L A F E U I L L E V O L A N T E

    La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,

    elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

     

    N°505 – Février 2011.

    IL NE FAUT PAS MOURIR DEUX FOIS – Francisco Gonzales Ledesma* – L'Atalante.

    Traduit de l'espagnol par Christophe Josse.

     

    Le début est un peu déroutant. Trois histoires apparemment indépendantes les unes des autres qui se déroulent quand même dans la ville mythique de Barcelone. Elle est le véritable personnage central de tous les romans de Ledesma.

    Gabri qui sort de prison vient se recueillir sur la tombe de sa femme quand on lui propose de tuer un inconnu. Une vieille maquerelle, Dalia, qui loue une adolescente trisomique aux assauts sexuels de notables locaux. Un mariage qui se transforme en tuerie, les deux futurs époux ayant fait le projet de s'assassiner l'un l'autre...

     

    Le pauvre inspecteur Méndez, toujours aussi marginal, indiscipliné, alcoolique et désœuvré, va s'intéresser à toute cette délinquance malgré une hiérarchie qui ne l'aime guère et qui ne lui fait même plus confiance. Et d'ailleurs on ne lui confie même pas cette enquête ! Il est, selon ses propres termes « un policier à la manque que personne ne croit, un policier des rues ». Son patron a l'apparence de Monterde, commissaire principal, impénitent fumeur de havanes et accessoirement fort sensible aux charmes des femmes, de ses collègues féminines en particulier. Il a, à l'endroit de son inspecteur une formule peu académique pour s'adresser à lui (« Putain Méndez ») mais son subordonné reste égal à lui-même, prenant des initiatives toujours à la limite de la légalité. Il reste, malgré son âge un élément de valeur que, pour une fois, son administration songe à récompenser !

     

    Gabri est un dur qui a décapité celui qui a violé son épouse, Elisa, morte en couches et tué en prison l'assassin d'une fillette. L'homme qu'on lui demande de d'exécuter se révèle être une femme, Greda, enceinte qui plus est des œuvres de son ex-patron, qui ainsi souhaite se débarrasser d'un double problème qui risque de lui coûter sa place et son riche mariage. Son beaux-père qui ne l'aime guère rêve de le voir disparaître. L'ex-taulard est cousu de dettes mais c'est quand même un type bien et propose à Greda de s'enfuir.

     

    Près de la maison de Dalia, Haliz, un type un peu mystérieux et ancien souteneur est tué. Cela n'arrange pas les petites affaires de l'ex-tenancière qui voit fuir sa clientèle puisque que Méndez veille. Il se rend vite compte que la clientèle tourne autour de trois hommes, un conducteur de porsche 911, un type au nœud papillon, au regard de mort et Barrerra, un gros toujours vêtu de noir, vicieux et collectionneur de poupées gonflables. Tous des pédophiles... mais Méndez observe... Cela n'empêche pas une autre victime d'être exécutée ce qui oriente l'enquête vers le terrorisme et le péril islamique.

     

    Heureusement, Méndez ne lâche jamais une proie ni une idée. Sa mémoire infaillible, un véritable disque dur, doit autant à son ancienneté dans le métier que dans les fréquentations pas toujours très catholiques qui ont été les siennes, l'aide beaucoup dans sa traque. Il s'ensuit des développements improbables, des aventures parfois sanglantes, bref une parcours labyrinthique qui sied si bien à la littérature policière.

    J'ai bien aimé le personnage de Méndez décidément très attachant et son admiration pour la beauté des femmes. Ce récit décliné en chapitres courts et relatés dans un vocabulaire parfois poétique et émouvant mais surtout truculent ne m'a pas laissé indifférent. Il tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin et ce roman lui donne l'occasion de formuler des aphorismes bien sentis sur la nature humaine et des réflexions de bons sens sur la marche du monde. Je retiens la traduction qui est pour beaucoup dans l'attachement du lecteur au texte du roman.

     

    Je ne connaissais pas cet écrivain espagnol, son sens de la formule et son admiration inconditionnelle pour les charmes féminins. Il m'a été révélé par hasard (la Feuille Volante n° 436) et je ne regrette pas.

     

     

     

    * Écrivain et journaliste espagnol, né à Barcelone en 1927.

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

  • LIBERO – Film italien de et avec Kim Rossi Stuart.

     

     

    N°502 – Février 2011.

    LIBERO – Film italien de et avec Kim Rossi Stuart.

    Arte – 3 février 2011 - 20H40.

     

    Il est des films qu'on découvre par hasard lors d'une soirée télé où rien n'est prévu. On zappe et on s'arrête sans savoir pourquoi sur un long métrage, à cause du titre ou des quelques mots de la critique qui l'accompagne... et on se laisse happer par l'histoire. Pour moi, cela a été le cas de « Libero », avec, peut-être cet accent d'Italie qui pourtant ne doit rien au foot-ball.

     

    J'ai bien aimé ce film qui avait toute les chances d'échapper à mon attention [Kin Rossi Stuart m'était complètement inconnu, et je ne suis pas un cinéphile averti]. L'histoire pourrait être banale, en cette fin de XX° siècle en Italie : une famille mono parentale, avec à sa tête Renato, un caméraman un peu paumé mais qui parvient tant bien que mal à maintenir un équilibre précaire dans cette famille secouée par les départs répétés de son épouse. C'est pourtant un père aimant, à la fois colérique et touchant, qui fait ce qu'il peut pour assurer à chacun plus que le nécessaire et que ses enfants adorent. Il cache autant que possible les errances amoureuses de Stefania qui pourtant débarque un soir, désireuse de réintégrer le domicile conjugal. Pour cela elle supplie tout le monde, fait à tous des promesses de fidélité qu'elle ne tiendra pas. Renato, peu convaincu finit par plier cependant, Viloa, la fille un peu naïve y croie mais Tommi, un préadolescent écorché-vif à qui l'inconduite de sa mère n'a pas échappé ne se fait guère d'illusions.

    Tout reprend donc comme avant, en apparence seulement, mais Stefania, immature jusque dans l'éducation de sa progéniture en fait beaucoup trop pour être crédible. Elle manie l'hypocrisie autant que l'amnésie mais finit par céder aux sirènes de l'adultère.

     

    Le spectateur voit ce film à travers les yeux de Tommi [Alessandro Morace, à la fois émouvant et incarnant parfaitement cet enfant que les événements font grandir trop vite]. Certes, sa sœur fait ce qu'elle peut pour tenir auprès de lui le rôle de la mère absente, mais on le sent comme étranger à ses efforts. C'est lui qui regarde le monde des grands, de loin, parfois à la jumelle, mais toujours solitaire. On le voit marcher dangereusement au bord du toit, escalader les murs... et regarder le vide avec une certaine attirance. C'est surtout sur lui que pèse cette situation délétère et qui l'empêche de vivre son enfance comme les autres. En classe, il est maladivement timide devant les filles et se rapproche de l'élève rendu muet par un drame familial, un peu comme celui qu'il connaît chez lui. Cet épisode accentue encore davantage sa solitude. Avec son camarade de l'immeuble où il habite, il ne peut, malgré une invitation, partager avec lui des vacances à la neige, comme si ce genre de joies familiales lui étaient définitivement interdites. On imagine ce que sera sa vie d'adulte ensuite ! C'est lui qui rappelle à sa mère que lors d'une de ses maladies infantiles elle était encore une fois absente ! C'est lui qui fait remarquer à son père que Stefania ne perdra jamais ses mauvaises habitudes. C'est lui aussi que pressent le prochain départ de sa mère quand il la voit discuter avec un homme lors du vernissage de l'exposition. Il réagit comme il le peut, au passage en chagrinant son père qui pourtant était attentif à ses performances sportives, en délaissant la piscine pour le foot-ball. C'est aussi sur lui, sans doute parce qu'il est le plus faible, que s'abat l'ire paternelle.

     

    On imagine le calvaire de cet homme qui maintient un semblant de vie familiale mais à qui le quotidien se charge de rappeler en permanence qu'il a choisi la mauvais personne pour partager sa vie. Tant qu'il n'acceptera pas un éventuel divorce (et probablement ne il fera-t-il pas ne serait-ce que pour ne pas traumatiser durablement ses enfants), il connaîtra cet opprobre. Ce film passe sur cette chaine au moment où on parle des ravages occasionnés par la séparation des parents sur la vie de leurs enfants.

     

    Ce film est émouvant et bien en phase avec la société actuelle. La psychologie des personnages est dessinée toute en finesse et d'une manière juste et épurée, ce qui tranche peut-être avec l'idée qu'on se fait du cinéma italien traditionnel, exubérant et démonstratif. Je veux retenir la dernière image du film, celle où Renato accède enfin à l'envie qu'a Tommi de jouer au foot-ball, lui conférant sa vraie place au sein de cette famille déchirée, lui rendant son sourire : « Anche libero va bene » !

     

     

     

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • L'armée des cendres – José Pablo Feinmann

     

     

    N°501 – Février 2011.

    L'armée des cendres – José Pablo Feinmann – Abin Michel.

    Traduit de l'espagnol par Hélène Visotsky.

     

    Découvrir un écrivain inconnu à travers un premier livre a toujours quelque chose de fascinant. J'ai donc abordé ce récit avec tout l'attachement que je porte d'ordinaire aux auteurs sud-américains.

    Nous sommes en 1828 à Buenos Aires et le lieutenant Julian Quesada vient de tuer en duel le docteur Nicasio Costa, père du lieutenant Juan Ramon Costa. On imagine ce militaire familier de cette « procédure » à cause de son côté hâbleur ou de son attirance pour les femmes. Quesada a en effet tenu des propos diffamants sur l'officier Costa, l'accusant de lâcheté devant l'ennemi. Une telle issue implique que Quesada quitte la ville. On lui confie donc une étrange mission qui consiste à remettre une lettre au Colonel Andrade qui tient garnison dans le sud lointain. Pour cela, il lui faut traverser le désert en compagnie d'un pisteur. Il arrive à destination mais le colonel se révèle être un homme étrange, héros de la guerre d'indépendance au passé militaire glorieux mais aussi un être insaisissable qui, malgré l'importance du pli qui lui est destiné refuse, pendant quelques jours de recevoir le lieutenant.

    Finalement, il décide de partir en guerre contre les insoumis, quitte le fort avec un détachement dont fait partie Quesada, poursuit d'une manière étrange un ennemi invisible qui finit quand même par l'attaquer. Est-ce le désert, cette étrange et labyrinthique traque ponctuée d'assassinats ou ses années de luttes émaillées de défaites et d'incarcérations qui dérangent l'esprit du colonel?

    Celui-ci agit d'une manière si démente que le lieutenant Quesada le démet de ses fonctions et prend le commandement. Il remettra l'officier supérieur aux instances militaires de la capitale qui l'interneront dans un asile où il va rapidement mourir. Attaché à son chef, Quesada l'enterre dans le désert. Il rencontre le Lieutenant Juan Ramon Costa, retour d'une longue campagne au Brésil qui, apprenant les circonstances de la mort de son père, provoque Quesada en duel. Ce dernier y trouvera une mort qu'il recherchait depuis longtemps. Voilà à peu près la trame de ce roman.

     

    J'avoue que cet ouvrage m'a laissé un peu dubitatif, pas vraiment passionné par l'histoire racontée. Tout au plus la personnalité du colonel-fou m'a-t-elle fait, un moment, penser à Don Donquichotte. Pour le reste, la langue (la traduction) donne à voir des paysages parfois grandioses et c'est peut-être la seule chose que je retiens !

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LES FUNAMBULES – Antoine Bello

     

    N°498– Janvier 2011.

    LES FUNAMBULES – Antoine Bello– Gallimard.

     

     

    L'art de la nouvelle est difficile, celui de concocter un recueil qui ait une unité l'est encore davantage. Pour l'auteur, il s'agit de capter l'attention de son lecteur avec des textes assez brefs, une action resserrée avec un minimum de personnages et une fin souvent inattendue. Elle favorise une lecture « d'une traite » censée procurer au lecteur un souvenir plus pérenne que le roman nécessaire plus long. Elle est soit réaliste soit fantastique. De plus, le recueil de ces textes se caractérise, en principe par une unité de ton. Baudelaire fait prévaloir une nouvelle courte à un plus longue précisément pour sauvegarder cet effet.

    Est-ce cette préoccupation qui anima l'auteur dans la dernière nouvelle intitulée « l'année Zu » ? Il s'agit de l'histoire d'un romancier dont le premier roman est composé de 6 pages soit 1400 mots. Il y parle d'un jeune garçon qui s'intéresse aux rats de son quartier parisien au point de tenter de percer le secret de leurs dialogues et de devenir lui-même cet animal. Suivent d'autres œuvres qui ont pour caractéristique de s'inscrire dans « le minimalisme » qui part du principe simple que, puisque la plupart des mots sont galvaudés et donc dévalués, il est plus simple de s'exprimer par des mots rigoureusement pesés, en privilégiant l'ellipse et la ponctuation. Poussant au bout ce raisonnement, Zu pensa qu'il pouvait résumer un roman en un mot, le dernier ! Ainsi, au fur et à mesure des publications, Zu s'attacha-t-il à réduire progressivement le nombre des mots employés, sa dernière nouvelle n'en comptant que 14 et que sa trilogie pouvant être rassemblée en 4 pages !

    Que dire de l'histoire de Soltino, ce funambule qui marche rapidement et sans aucune hésitation sur une corde, sans balancier, au mépris du vide et qui n'a de cesse d'améliorer sa précédente performance ? Il dit lui-même que ce qui l'intéresse n'est ni le succès ni l'argent mais d' « aller voir ce qu'il y avait au bout ». Sa quête le mène de plus en plus loin, jusque sur le toit du monde et à la mort.

    L'histoire de l'exégète Fiodor Sadanov n'est pas moins étonnante. Il a consacré sa vie à étudier tout ce qui a été écrit autour d'Igor Kribolski [coupures de presse, extraits d'études, de journaux intimes...], joueur de quilles russe de l'ancienne URSS. Si son enfance a été quelque peu perturbée, sa vie a été celle d'un sportif de haut niveau choyé par le régime, celle aussi d'un simple citoyen qui ne voulu jamais s'engager en politique. Le commentateur a néanmoins réussi à extraire des écrits de Kribolski, des messages subliminaux de nature contestataire en bouleversant complètement la structures des phrases.

     

    Que penser du sculpteur de mannequins Kreuzer dont la laideur fait peur. C'est pour cela sans doute qu'il poursuit la beauté dans son œuvre, chacune de ses sculptures étant l'ébauche de la suivante. Toute la longue série des « manikin » commencée en 1938 devra se terminer par le n°100 qui représente le summum de sa démarche artistique et au bout du compte son corps lui-même devient du bois !

     

    Quant à l'histoire qui nous projette en 2058 de ce cosmonaute américain, Jim Mute (au nom prédestiné), qui accepte de faire partie du programme spatial d'exploration de la planète Jupiter tout en sachant pertinemment qu'il n'en reviendra jamais. Dans une société qui a besoin de martyrs, Il se sacrifie pour la grandeur de son pays et les détracteurs de ce projets finissent par se taire.

     

    A travers ces témoignages, Antoine Bello transporte son lecteur dans une sorte de monde parallèle où il est permis de se demander si ces fictions n'ont pas été des réalités tant les références « historiques » sont précises. A l'occasion de ces destins quelque peu hors du commun, l'auteur nous invite à la recherche de la perfection sous toutes ses formes et parfois des plus inattendues. Cette quête fait d'eux des « funambules » qui marchent au-dessus du vide de leur existence. Ils la dépassent, la transcendent, l'oublient pour aller au bout de leur idéal. Il le formule avec ces mots « Arrive un moment où les intérêt d'un astronaute et ceux de son employeur se rejoignent et se confondent. Alors la vie d'un homme devient un paramètre modélisable, en l'occurrence, important, mais non essentiel ».

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • La ligne de partage – Nicholas EVANS

     

    N°496– Janvier 2011.

    La ligne de partage – Nicholas EVANS- Albin Michel.

    Traduit de l'américain par Françoise du Sorbier.

     

     

    Le roman s'ouvre sur la découverte par deux skieurs du cadavre d'une jeune fille emprisonné dans la glace à « Goat Creek ». Les recherches, difficiles au début, révèlent son identité: il s'agit d'Abbie Cooper recherchée par le FBI.

     

    Ainsi débute une histoire aux multiples rebondissements que le lecteur va découvrir grâce à la rétrospective. Derrière ce titre un peu sibyllin, il faut entendre « la ligne de partage des eaux » Cette histoire commence en effet il y a quelques années dans un hôtel de l'état de Montana aux États-Unis. En réalité cet établissement est un ranch, nommé « la Ligne » qui reçoit des hôtes et qui est situé « au sommet d'une vallée tortueuse ». A cet endroit précis, la rivière se divise en deux. D'un côté « Lost Creek », dont « l'existence est aléatoire » et de l'autre « Miller's Creek » dont le cours est impétueux. De chaque côté de cette colline, le paysage est bien différent et le filet d'eau d »une rivière ne donne vie qu'à une végétation maigre tandis que l'autre permet une flore luxuriante. Dans ce ranch, plusieurs familles se retrouvent chaque été. Sarah et Benjamin Cooper, les parents d'Abbie et de Josh, Les Bradstock, les Delroy. Apparemment ces couples sont satisfaits de se retrouver chaque année avec leurs enfants et Abbie, encore adolescente, s'imaginait que ses parents étaient heureux de vivre ensemble. Effectivement, leur vie est simple et normale, mais ils n'ont pas échappé à l'usure du couple, au temps qui passe, à l'envie de l'inconnu... Abbie vit sa vie d'adolescente et profite de ses amours de vacances en même temps qu'elle tombe amoureuse de la nature sauvage du Montana où habite Ty.

     

    C'est dans ce décor que Benjamin, que tout le monde appelle Ben, tombe amoureux, six mois auparavant, de Eve Kinsella ce qui acheva l'histoire du couple qu'il formait avec Sarah. Les deux époux se séparent ce qui bouleverse Abbie, mais laisse apparemment indifférent son frère Josh. Est-ce pour cela que la jeune fille devenue étudiante, se passionne au rythme de ses rencontres et de ses aventures amoureuses, pour l'écologie, pour la contestation et même pour la révolution ? Elle rencontre Ty, le jeune fils d'un couple d'agriculteurs dont la propriété est ravagée par des forages de gaz. Elle prend conscience des choses, s'engage dans le militantisme et la défense de la nature, s'émancipe en même temps qu'elle finit par admettre, malgré sa révolte, la séparation de ses parents incapables d'êtres heureux ensemble. Ce qui est vécu par elle comme un échec [a-t-on le droit, quand on a fondé une famille, de la sacrifier au nom d'un nouvel amour ?] est pour son père un nouveau départ. Avec Eve « il se sent revivre » tandis qu'Abbie bascule petit à petit dans un monde marginal qui menace de la broyer. Elle participe, au côté de Rolf, devenu son mentor mais aussi son amant à un incendie criminel contre ceux qui s'enrichissent en détruisant la nature. Ce malheureux épisode se solde par la mort d'un homme. Abbie et Rolf sont donc recherchés par la police. Il mènent ensemble une vie de traqués, un peu comme Bonny et Clyde. En fait Abbie est victime du syndrome de Patti Hearst (syndrome de Stokholm) : Une jeune femme, issue d'un milieu aisé tombe, à l'occasion d'une période difficile de sa vie, sous l'influence d'un homme charismatique, plus âgé qu'elle. Il parvient à la convaincre que le système d'éducation sous lequel elle a vécu jusqu'à présent est pervers et il l'entraîne dans une vie où le crime est à la fois une obligation morale et une nécessité romanesque. Elle devient donc une « eco-terrorisme » poursuivie. Sa fuite éperdue et son désir de se livrer à la police lui font à nouveau croiser la route de Ty qui fut un temps inquiété comme éventuel complice d'Abbie. L'idylle avec Rolf tourne court malgré la future maternité d'Abbie et le piège se referme sur elle.

     

    A travers cette histoire se mêlent le traumatisme du Worl Trade Center, les préoccupations écologiques et un drame familial. Les Cooper se déchirent sous les yeux de leurs deux enfants qui tentent comme ils peuvent de se raccrocher à leur vie et d'y donner un sens. Même si Sarah et Ben réussissent à refaire leur vie chacun de leur côté, même si Josh, muri par cette épreuve, parvient à s'insérer dans la société, il reste que l'éclatement du couple me semble responsable de la dérive d'Abbie et de sa fin tragique. La question de la responsabilité reste posée [autant que celle de la culpabilité !] et du hasard qui met les gens en situation et pèse sur leur choix. Je ne partage que très difficilement l'apaisement de l'épilogue et je doute que chacun puisse, après un pareil malheur, retrouver le bonheur perdu. En ce sens le roman me paraît un peu superficiel et semble privilégier une manière de « happy end » qui ne m'a guère convaincu.

     

    Malgré quelques longueurs et de nombreux personnages, parfois furtifs, l'auteur, grâce à des descriptions poétiques des grands espaces américains et un suspens savamment entretenu, tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • La femme du V° – Douglas Kennedy

     

    N°495– Janvier 2011.

    La femme du V° – Douglas Kennedy- Belfond.

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Nous sommes quelques jours avant Noël dans un Paris un peu glauque où Harry Ricks vient de débarquer. Il y a quelques mois, il était encore enseignant dans une université américaine et vivait aux État-Unis avec sa femme et sa fille. Désargenté, en instance de divorce et radié à vie de l'université à cause d'une aventure amoureuse et tragique avec une étudiante, il arrive à Paris avec pas mal d'illusions. Il les a pourtant perdues définitivement quand il a appris que son épouse filait le parfait amour avec le doyen de la faculté dont il a été expulsé. Paris représente pour lui un nouveau départ et reste, dans son esprit, la ville de tous les fantasmes d'autant qu' il habite « rue du Paradis »! Il se retrouve pourtant au fin fond du X° arrondissement, dans une chambre de bonne lugubre. Ici, il a vraiment la certitude « d'être tombé plus bas que terre ». Les toilettes sont d'une propreté plus que discutable. C'est là un obsessionnel leitmotiv qui me paraît révélateur.

     

    Il ne trouve son salut que dans l'écriture d'un roman, dans un travail un peu mystérieux mais bien payé de veilleur de nuit, dans la fréquentation des cinémas, celle d'un cybercafé... et surtout celle d'une faune interlope. Jusqu'au jour où il rencontre un peu par hasard une hongroise d'âge mûr, un peu mystérieuse, Margit, dont il tombe, bien entendu, amoureux. Leurs relations deviennent rapidement torrides et chacun raconte son histoire. La sienne est tragique et ils se retrouvent chez elle, dans le V° arrondissement de Paris. Si elle accepte de le rencontrer régulièrement, elle y met cependant une condition bizarre mais sine qua non qu'il accepte : Elle ne le verra que tous les trois jours de cinq heures à huit heures ! Caprice ou nécessité ? Pourtant cette liaison « lui donne l'illusion d'échapper à la banalité de sa vie ». Harry saura par la suite que ce « contrat » est pour lui à la fois vital... et viager ! Il respectera cependant cet « accord » et ne cherchera pas à repartir pour les États-Unis, malgré la présence de sa fille. Margit alterne passion et réserve, souffle le chaud et le froid, paraît en savoir beaucoup sur lui, pilote sa vie et parfois celle des autres. Elle est pour lui un véritable ange gardien.

     

    Dans le même temps, Harry est l'objet d'un chantage, il est soupçonné de meurtre, se rend compte qu'il est constamment surveillé, se retrouve carrément dans un monde parallèle qui lui échappe mais qui semble lui envoyer des messages, se demande en quoi consiste exactement son travail et qui est ce « M. Monde »[une référence à Siménon qui figure aussi en exergue du roman] que viennent voir nuitamment ses visiteurs mystérieux, s'interroge sur tout les « événements » qui l'entourent et dont il est le témoin, sur cette femme-fantôme décidément bien énigmatique.

     

    J'ai bien aimé les évocations érotiques de Kennedy.[je ne lis pas encore cet auteur dans le texte mais je pense que le traducteur ne trahit pas l'auteur] autant que l'alternance des expressions crues violentes ... En revanche, je ne suis pas sûr d'avoir apprécié ses développements et digressions parfois pénibles sur la culpabilité très judéo-chrétienne, même si c'est là un thème récurrent dans son œuvre. En cela il est un digne Américain puritain et austère qui pourtant dénonce cette société manichéenne que, apparemment, il n'aime guère. Pourtant, cette histoire de quatrième dimension, cette Margit fantôme qui apparaît et disparaît opportunément au gré des besoins du roman et sait prévoir l'avenir me paraît un peu forcé. Pour accréditer cette idée, l'auteur oppose intuition et raison... Je veux bien que nous soyons dans une fiction, mais quand même, recourir dans un polar aux forces surnaturelles ![A moins que Paris soit pour Dougal Kennedy un lieu à ce point magique et envoutant que rien n'y est comme ailleurs ?- Alors, la femme du V° arrondissement ou celle de la 5° dimension ?]

     

    J'ai goûté avec plaisir ses remarques sur le mariage raté de Harry et sur les circonstances qui l'ont fait capoter, sur la petitesse et la mesquinerie des personnages mis en scène. C'est apparemment un thème qui lui est cher et dont il parle souvent avec gourmandise. En cela il est le témoin de son temps qui est aussi celui des divorces et des échecs matrimoniaux, de l'hypocrisie mais aussi de la vengeance. Il paraphrase opportunément Alexandre Dumas quand ce dernier prétend que les chaines du mariage sont si lourdes à porter qu'il faut parfois s'y mettre à plusieurs !

     

    Il faut y voir aussi le regard sans concession d'un étranger sur Paris qu'il connaît bien et sur la France. Kennedy a simplement voulu nous dire que ce n'est pas une ville aussi belle que cela, que la liberté n'y est pas aussi complète, qu'on et bien loin du Paris d'Hemingway, des artistes, et de celui de Gershwin.

     

    C'est un roman plein de suspens et un polar très noir, une sorte de texte gigogne, un peu trop surnaturel quand même mais qui tient en haleine son lecteur jusqu'à la fin.

     

    Ce livre illustre une nouvelle fois une de ses phrases «  Dans mes livres, je rôde toujours autour de l'idée que chaque homme est très doué pour construire sa propre prison, le mariage étant la prison la plus commune. Le couple, rongé par le sentiment confus de culpabilité est l'un de mes thèmes obsessionnels »

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

  • Piège nuptial – Douglas Kennedy

     

    N°494– Janvier 2011.

    Piège nuptial – Douglas Kennedy- Belfond.

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Nick, le narrateur, est journaliste en poste dans la province américaine du Maine. Fasciné par l'Australie, il décide de tout plaquer pour y aller. Curieux, il se dit que Darwin, au nord du continent, serait un point départ opportun pour une exploration.

     

    Après une rencontre avec un « révérend », ministre du culte et apparemment seul adepte de « l'Église apostolique de la foi inconditionnelle » à qui il achète son minibus Volkswagen, il se lance sur la route en solitaire. Après avoir percuté nuitamment un kangourou, il fait la connaissance, par le plus grands des hasards, d'Angie, belle plante autochtone qui se présente à lui comme une jeune vierge. Les présentations faites et fier de sa bonne fortune, Nick ne tarde pas à s'apercevoir que sa conquête ne correspond pas tout à fait à l'image qu'elle voulait donner d'elle. Amatrice de bière, de bagarre et dévoreuse d'hommes, elle n'a pas vraiment les manières d'une blanche pucelle. Pourtant, elle sera sa compagne de route puisque Nick a choisi de descendre vers le sud.

     

    Nick n'est pas vraiment un tombeur mais il profite de la compagnie d'Angie. Un peu malgré lui, les choses évoluent et il se réveille en plein désert, au milieu de nulle part et apprend qu'il a demandé la main d'Angie à son père et que cela a été suivi aussitôt d'une cérémonie nuptiale. Bref, il se retrouve marié malgré lui d'autant plus qu'il aurait donné son consentement après avoir été préalablement drogué. Il est « l'amerloque » un peu paumé qui va faire connaissance de sa nouvelle belle-famille, des gens complètement déjantés, que les événements qu'il apprendra plus tard, ont amené ici, dans une ville fantôme, rayée de la carte à la suite de l'incendie d'une mine d'amiante. Ils ont fondé ici une communauté familiale alcoolique, violente et marginale qui, pour éviter la consanguinité, recherche activement des mâles qui feraient office de géniteurs. Sans le savoir Nick s'est donc retrouvé pris au piège, mais il s'est refermé sur lui ... en plein désert ! Pour un célibataire explorateur, c'est un comble ! Il a beau n'être qu'un étranger, il représente une opportunité que les membres de ce clan ne veulent surtout pas laisser s'échapper. Il apprend d'ailleurs que ses prédécesseurs qui s'y sont aussi essayés ont tous connu un destin tragique !

     

    Il fait véritablement connaissance de sa femme (elle se révèle « aussi tendre qu'un demi de mêlée »), de sa belle famille aux habitudes néandertaliennes et apprend du même coup qu'Angie est enceinte. Tant bien que mal il essaie de s'adapter à sa nouvelle situation de captif tout en songeant à fuir ce microcosme désert et oublié. Malheureusement pour lui, on a pris soin de lui confisquer son passeport et son argent, ce qui compromet encore davantage ses velléités de départ.

     

    Il s'aperçoit vite que la seule façon de s'en sortir est de donner le change et pour faire davantage illusion il simule la dépression qu'il soigne comme il peut malgré les dangers que cela représente puisqu'il s'aperçoit qu'il est soumis à une surveillance constante. Il fait cependant la connaissance de la seule personne qui n'a pas été contaminée par ce clan. Il s'agit de Krystal qui se trouve être sa belle-sœur, institutrice de cette ville fantôme, animée elle aussi de velléités de fuite. Avec elle, il met au point un plan laborieux mais qui malheureusement tournera mal pour elle.

     

    J'ai bien aimé ce roman au style, certes peu académique et même argotique mais quand même un peu drôle. Le texte qui se lit facilement entraîne le lecteur passionné dans une aventure ou le suspense et le dépaysement sont garantis.

     

    Avec ce roman un peu cauchemardesque par moments, paru précédemment sous le titre « Cul-de-sac », Kennedy poursuit sa quête du bonheur impossible comme il l'avait fait avec « Quitter ce monde »(la feuille volante n° 485 ) Ces personnages se débattent comme ils peuvent dans des mariages improbables. J'aime assez cette peinture originale de la condition humaine et son style est toujours aussi attachant.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Thriller – Iegor Gran

     

    N°493– Janvier 2011.

    Thriller – Iegor Gran- P.O.L.

     

    Norman Mayfield est maintenant professeur d'économie à l'université de Berkeley. Il ne songe qu'à une chose : résoudre l'équation de l'économie sociale. Suzanne est son épouse « qui serait jeune dans sa tête... mais qui fait bien ses quarante six balais, peut-être même davantage. » Ils forment ensemble un couple classique et un peu superficiel d'Américains. Avec le temps (vingt ans de vie commune) ils se sont installés dans la routine, il est content de lui mais elle s'ennuie un peu malgré son emploi, toutes les marques extérieures de cette réussite et elle lui reproche une certaine forme d'immobilisme. Pour palier cette situation qu'elle juge délétère, elle prend un amant en la personne de Lorch, « le doyen... un peu soporifique ... qui s'accroche à son poste comme à son cardiogramme », et cela fait dix ans que cela dure ! Au cours du récit, il sera présenté comme un vieux-beau, infatué de lui-même, divorcé, tombeurs de ses étudiantes et fervent lecteur du Kama Sutra. C'est pourtant lui que choisit Suzanne, mariée et mère de famille, pour s'encanailler. Ils se plaisent réciproquement, deviennent amants et vivent une liaison régulière et enflammée sans que Norman ne se doute de rien, passionné qu'il est par son travail et ses recherches.

    Le tableau se complète par La Fayette, un ami de Norman et Syd, l'adolescent féru d'informatique et enfant du couple.

     

    Cette histoire commence par une salade au saumon consommée chez Norman et le rappel d'un épisode oublié de la vie de ce dernier. Il aurait dérobé un portefeuille à un clochard, ce qui, pour un professeur d'université n'est guère reluisant. Il prétend ne pas s'en souvenir et d'ailleurs, au cours de cette fiction, la mémoire semblera lui manquer douloureusement. L'épilogue en donnera la raison. Dans le même temps, une femme blonde est étranglée sur un terrain vague près de chez les Mayfield.

     

    Jouant sur cette amnésie que le lecteur peut supposer feinte, Lorch, désireux sans doute de justifier sa propre turpitude, fait naître dans l'esprit de Suzanne l'existence d'une passade entre une étudiante et son mari. Non seulement elle y croit, mais soupçonne Norman d'être l'auteur du crime du terrain vague. L'installation de caméras de surveillance dans l'enceinte de l'université, présentée un temps comme devant établir la faute de Norman, se révèle être un leurre mais fait, un temps, illusion. Désireuse sans doute de masquer son adultère, Suzanne apparaît comme une mythomane un peu déjantée, accusant son mari du crime du terrain vague, sans doute pour mieux d'en débarrasser. Tout cela trouvera son explication à la fin même si l'épilogue est à la fois surprenant et un brin artificiel.

     

    Le style peu académique, incisif et caustique, plein d'apartés que je préfère appeler longueurs, ne sert pas le suspense qui est censé baigner le récit. Quant aux notes de bas de page relatives à l'économie, elles n'apportent rien de pertinent ni d'intéressant pour un lecteur ordinaire. L'intervention du narrateur baptisé « le psychopathe » vient seulement compliquer les choses mais sûrement pas rendre le récit plus passionnant. Quant à l'existence du « journaliste bidonneur » et du docteur Lane...

     

    Finalement tout rentrera dans l'ordre, Norman, après une opération au cerveau, retournera à ses travaux (sa tumeur au cerveau lui occasionnait des pertes de mémoire), Suzanne mettra fin à son aventure amoureuse en se consacrant à sa famille et à son mari, Lorch prendra enfin sa retraite et Cyd s'installera dans la société de consommation. Tout sera « pour le mieux dans le meilleurs des mondes » en quelque sorte. Ou, pour parler plus simplement : beaucoup de bruit pour rien !

     

    Je ne connaissais pas cet auteur. Ce n'est pas avec ce roman, qui sans doute se veut drôle, que je continuerai à le lire.

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Des éclairs – Jean Etchenoz

     

    N°492– Janvier 2011.

    Des éclairs – Jean Etchenoz*- Éditions de minuit.

     

    C'est un roman surprenant que nous offre ici Echenoz. Il l'est par son sujet. C'est certes une fiction, l'histoire de Gregor, mais elle s'inspire largement de celle bien réelle de Nikola Tesla (1856-1943), né selon la tradition un jour d'orage en Croatie. Sa vie sera donc placée sous le signe des éclairs et de l'électricité. Il sera lui-même brillant comme l'éclair, rapide et éphémère dans ses conceptions comme dans ses réalisations. C'est le type même de « l'ingénieux ingénieur » comme dirait Boris Vian à qui rien n'est vraiment étranger et dont la vie entière sera consacrée à des découvertes scientifiques et ce pour le bien de l'humanité. Comme de nombreux génies, il est ombrageux, peu sympathique, méprisant pour ses collaborateurs, excentrique, capricieux, invivable, susceptible, défauts qui feront de lui un célibataire définitif et un misanthrope convaincu . Il est aussi extrêmement nerveux, fragile, obsédé par la propreté, constamment en train de compter (avec une prédilection pour les multiples de trois !)avec la volonté constante de débusquer les microbes qu'il craint par dessus tout.

     

    Malheureusement, il est obnubilé par ses découvertes au point de négliger ses propres intérêts personnels, de négliger l'argent qu'il dépense sans compter ce qui fait rapidement de cet homme qui vit constamment à crédit, un endetté permanent. S'il avait une passion pour les comptes, c'était plutôt celle du dénombrement des choses ou des gens, pas celui de l'argent, ce qui n'est pas pour arranger ses affaires !

     

    A l'époque, il fallait les USA à ce talent inventif, d'autant qu'en Europe, il commençait à devenir encombrant, gênant à cause de sa supériorité et de l'avance qu'il avait sur son temps. C'est donc dans ce pays neuf qu'il se rend à l'âge de 28 ans. Il y déploie tout son génie inventif, remplaçant après un combat difficile le courant continu peu pratique, dangereux et peu fiable par le courant alternatif moins couteux dont il développe des applications qui lui sont tout aussitôt volées par ses contemporains malgré une quantité impressionnante de brevets déposés. C'est le cas de la radio (attribuée à tort à Marconi) du radar (conçu par lui dès 1900, il ne sera réalisé que pendant la 2°guerre mondiale par les Alliés) l'automatisme sous toutes ses formes, les rayons X, les robots et même les rudiments de l'informatique. Las, nombres de ses inventions seront attribuées à d'autres ! Ce qui le caractérise aussi c'est la vitesse, celle du raisonnement, de la conception mais rarement de la réalisation qu'il laissera aux autres ou dont les autres s'empareront.

     

    Pourtant toute sa vie sera consacrée à rendre plus facile celle des autres et de leur procurer de l'énergie gratuite, ce qui n'est guère du goût des financiers. Il voulait aussi éviter les guerres et procurer au monde une harmonie générale ce qui était quelque peu utopique. De son vivant il ne dédaignait pas le grand spectacle mais toujours pour mettre en valeur cette électricité qu'il considérait comme devant améliorer le sort de l'humanité. Excentrique, il concevait parfois des inventions irréalisables voire inutiles, trop en avance sur son temps il en proposait parfois qui ne virent le jour que tardivement. Il devint même suspect quand il pensa engager un dialogue avec les extraterrestres, et, négligeant la compagnie des hommes quand il se passionna pour les pigeons ou quand il conçu le « rayon de la mort ».

     

    Nikola Tesla est présenté, peut-être par le miracle de la création littéraire comme un rêveur un peu déconnecté de la réalité, fuyant ses semblables mais aussi aimant les étonner, un altruiste frustré et un scientifique génial spolié de ses découvertes, un bel homme mais un amoureux perpétuellement timide et incapable d'exprimer ses sentiments.

    Après un parcours à la fois brillant et controversé, il mourut à New-York, incompris, ruiné, seul et complètement oublié à l'âge de 86 ans !

     

    Original, ce roman l'est aussi de part le style d'écriture, à la fois emprunt d'un humour de bon aloi et carrément dans l'oralité. C'est en effet sur un ton confidentiel et presque complice qu'il s'adresse au lecteur... et qu'il le tient en haleine jusqu'à la fin. J'ai bien aimé ce changement de ton par rapport aux autres romans que j'ai lus. Je l'ai trouvé plus personnel, plus intimiste peut-être ?

    Et puis, il ne faut pas manquer de saluer le travail de documentation scientifique réalisé par l'auteur. Ce livre à beau être un roman, il n'en est pas moins largement inspiré de la vie de ce savant-fou qui, finalement, nous est bien sympathique. Ce n'est pas à proprement parlé une biographie qui est un exercice difficile et parfois ingrat. Le parti pris de la fiction modifie sans doute un peu l'image du modèle mais le résultat est pertinent.

     

    Après « Ravel » et « Courir » (consacré  à Émile Zatopek), Echenoz clôt brillamment avec ce roman sa «  trilogie des trois vies ». Il a fort opportunément fait revivre sous l'angle de la fiction cet homme peu connu en France mais dont la vie est un véritable roman.

     

     

    *Prix Goncourt 1999 pour « Je m'en vais ».

     

    L'œuvre de Jean Echenoz est largement évoquée dans cette chronique.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Six jours, six mois – Karine Tuil

     

    N°491– Janvier 2011.

    Six jours, six mois – Karine Tuil- Grasset

     

     «  J'ai décidé de raconter cette histoire par ambition personnelle, je rêve de voir mon nom imprimé sur la couverture d'un livre. De l'orgueil, bien sûr, mais chacun à droit à son heure de gloire, non ». D'emblée, le lecteur ne peut donc l'ignorer, il va avoir affaire à un déballage de linge sale, mais pas n'importe lequel, celui qu'on cache dans une grande famille de cette Allemagne industrielle de l'après-deuxième-guerre, triomphante, écrasante, clanique. Le délateur, Karl Fritz, soixante-dix-huit ans, homme de confiance de la famille Kant depuis deux générations, quelqu'un qui avait fini par faire partie de ce clan. Il leur est tellement dévoué qu'il accepte de renoncer à l'amour d'une femme pour continuer de demeurer avec eux. Pourtant, après une vie de bons et loyaux services, il est mis à la porte sans ménagement.

     

    Au départ, Juliana Kant, fille du grand patron de la firme automobile K&S et son héritière. Elle est donc riche et puissante mais aussi une jolie femme. Elle est mariée depuis plusieurs années avec Chris Bruner, mais leur vie s'étiole et devient ennuyeuse. Alors, quoi de mieux que de tromper ce mari trop occupé à sa réussite. Ce n'est guère original sauf que cette passade va bouleverser sa vie. Herb Braun, l'amant d'occasion se présente comme un photographe, mais c'est surtout un aventurier, un gigolo. Il la séduit, la subjugue et la fascine sans grands efforts. Mais Braun poursuit un but bien différent. Il réussit à filmer leurs ébats amoureux avec sa maîtresse et la menace de tout révéler à la presse. L'affaire tourne court et Braun est emprisonné ce qui sauvegarde la morale de cette histoire et aussi un peu l'argent. Pour autant, celui qui était l'homme de confiance des Kant, suspecté de complicité dans cette affaire, est licencié brutalement et, par vengeance, s'apprête à révéler les dessous de cette scandaleuse affaire. Le père de Braun aurait été, durant la guerre, exploité par la famille Kant. Le but de tout ce scandale ne serait donc pas l'argent, mais le nécessaire châtiment et le rachat des fautes de cette famille.

     

    C'est l'occasion pour l'auteur de revisiter l' arbre généalogique des Kant, leur attitude complice et coupable avec l'Allemagne nazie, leur fortune basée sur la main d'œuvre gratuite fournie par les camps de concentration, leur compromissions dans la lutte contre les juifs jusque dans leur famille, la sauvegarde accordée par les alliés vainqueurs au nom de la richesse et de la prospérité. C'est que l'histoire de cette famille se confond avec celle de l'Allemagne du 3° Reich à qui elle doit en grande partie sa richesse et son influence. C'est une famille à la fois recomposée et décomposée. Le grand-père de Juliana, nazi notoire, a échappé au Tribunal de Nuremberg malgré la part active qu'il avait prise dans la politique de guerre nazie et Magda, qui fut sa première épouse se remaria avec Geobbels. Juliana a complètement renié son père adoptif au seul motif qu'il était juif. Le père de Braun a-t-il été véritablement déporté dans un camp de concentration ?

    C'est aussi l'histoire d'une vengeance qui dépasse largement un banale histoire de coucherie et de maître-chanteur. L'auteur pose une question qui est le fondement de la culpabilité judéo-chrétienne : les fils sont-ils responsables des fautes de leur père. Le pardon est-il possible ? Qu'en est-il de l'amour-fou et du désir qui bravent tous les interdits et tous les tabous ? A-t-on le droit de trahir ceux qu'on aime et de faire prévaloir son propre intérêt ? Que reste-t-il de la famille et de l'image du père quand on choisit de la détruire à ce point ? Quel est le poids de la solitude de Juliana Kant, véritable héroïne de ce livre ? Un femme, si belle soit-elle, peut-elle être aimée ?

     

    Sur le ton mi-confidentiel mi-agressif de celui qui souhaite créer le scandale, mais au compte-goutte seulement, celui qui fut l'homme de confiance de cette famille distille, sur le mode de la revanche, l'histoire d'une saga.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

  • Un garçon parfait – Alain Claude Sulzer

     

    N°490– Janvier 2011.

    Un garçon parfait – Alain Claude Sulzer- Editions Jacqueline Chambon.

    Traduit de l'allemand par Johannes Honigmann

     

     

    En ce mois de Septembre 1966, Ernest vient de recevoir une lettre postée de New-York par son ami Jacob Meier qu'il n'a pas revu depuis 1936. Pourtant, il tarde à ouvrir l'enveloppe comme s'il savait ce qu'elle contenait. C'est que cette missive, qui en réalité est un appel au secours, va faire revivre un passé qu'il voulait oublier.

     

    Ernest est un homme qui passe parfaitement inaperçu. Serveur attentif et effacé, il mène une vie personnelle indépendante, solitaire et anonyme. Employé depuis de nombreuses années dans le restaurant d'un palace suisse à Giessbach, il est très professionnel au point qu'il résiste sans le vouloir vraiment à tous les licenciements. En ce sens, c'est un garçon parfait. Il est le témoin muet des relations parfois adultères qui se nouent entre les clients comme celle d'une de ses cousines, mariée à un industriel français, qui file le parfait amour, et ce pendant presque vingt ans, avec son amant anglais. Ils se retrouvent régulièrement dans cet hôtel et Ernest est leur messager secret.

     

    En 1935 Jacob a fait irruption dans sa vie professionnelle puisqu'il a été chargé de sa formation. Il a fait de lui un employé à son image, un garçon parfait lui aussi ! Il a conçu pour lui une passion amoureuse à la fois violente et exclusive mais sa liaison avec lui a été brutalement interrompue par une passade de Jacob avec un client de l'hôtel, le célèbre écrivain allemand Julius Klinger. Sur fond de montée de nazisme et de guerre mondiale qui couve, les deux hommes partent pour les États-Unis, en compagnie de la famille du poète. Officiellement, il sera son serviteur, situation qui masquera leurs véritable relation. Pourtant Jacob n'a jamais oublié complètement Ernest. Dès lors il se tisse entre Jacob et l'écrivain une relation complexe de dominant à dominé et même de prostitué à client et l'attitude de Jacob est davantage dictée par son propre intérêt que par l'amour qu'il prétend porter à son protecteur. En réalité Julius est subjugué par la beauté et la jeunesse de son amant alors qu'il est, lui, en réalité vieux et dépendant.

     

    Cette lettre de Jacob, envoyée trente ans après sa fuite, est donc l'occasion pour Ernest de revivre des souvenirs qu'ils souhaitaient rayer de sa mémoire. Elle est suivie d'une autre qu'il finit par ouvrir et qui lui demande de reprendre contact avec Klinger revenu en Suisse. Après bien des hésitations, il s'exécute et prend contact avec l'écrivain. En réalité ce que lui révèle celui-ci le bouleverse durablement. Non seulement Jacob ne l'a pas oublié, mais il s'est longtemps servi de lui ou plus exactement de son souvenir, pour dominer encore plus Julius. Troublé par ce qu'il a appris et dans le seul but de venir en aide à son ancien ami, Ernest se transforme en maître-chanteur, menaçant de révéler à la presse à scandale l'homosexualité de l'écrivain, devenu entre-temps un citoyen fort respectable. Il n'est cependant pas au bout de ses surprises et la fin du roman révèle les rapports complexes qui existent dans la famille de l'écrivain et le rôle réel que Jacob y joue.

     

    Le style de Sulzer parvient à tisser cette ambiance impersonnelle et lisse qu'on imagine faire partie du patrimoine de la Suisse. Le lecteur ressent parfaitement la nature des rapports qui existent entre les clients et les employés de cet hôtel ainsi qu'entre les différents personnages de cette fiction.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Le temps vieillit vite – Antonio Tabucchi

     

    N°488– Janvier 2011.

    Le temps vieillit vite – Antonio Tabucchi- Gallimard.

    Traduit de l'italien par Bernard Comment.

     

    « En allait-il donc ainsi ? Le temps était-il de l'air qu'elle avait laissé sortir par un petit trou minuscule dont elle ne s'était pas rendu compte ? Mais où était le trou ? Elle ne réunissait pas à le voir.». Le ton est donné des les premières pages et l'auteur s'interroge sur ce qui fait si intimement partie de la condition humaine, le temps et surtout la conscience qu'en a l'homme.

     

    A travers neuf récits, Tabucchi illustre son propos à l'occasion de tranches de vie de personnages aussi différents qu'un ex-agent secret jadis chargé de la surveillance et qui, désormais désœuvré, déambule dans Berlin en pensant à la femme qu'il a aimée mais qui l'a trahi ou que celui d'une vielle femme qui, à l'hôpital, tente de faire revivre ses souvenirs pour son jeune neveu. Chacun de leur discours révèle une expérience différente. C'est une variation sur un thème du temps qui passe inexorablement et qui ne laisse dans notre souvenir que des bribes qu'on retrouve à l'occasion d'un exercice de mémoire. Il nous permet de mesurer son action autant que l'impact qu'il laisse sur nous-mêmes, sans que nous y puissions rien. Ce thème philosophique qui sera toujours une obsession majeure pour l'humanité est à la fois, pour soi, un aveu d'impuissance car il coule malgré nous et nous ne pouvons le retenir en même temps qu'une impossibilité de partager la vie des autres ainsi résumée dans leurs souvenirs. On écoute l'histoire d'autrui, mais, si passionnante soit-elle, elle nous est étrangère. C'est un peu comme si, l'impact du temps étant le même pour chacun d'entre nous, nous en avions une perception différente. Nous avons beau être tous contemporains, nous vivons les mêmes choses différemment, avec un autre rythme, avec une autre intensité, une autre intimité. Il y aurait donc, face au temps « officiel » autant de manières de le vivre que d'individus.

     

    C'est aussi un questionnement pour les philosophes. Le temps est-il un cercle et un éternel recommencement ? A-t-il une trajectoire rectiligne et disparait-il après son passage ? S'écoule-t-il comme un fleuve dont il aurait la consistance physique ou a-t-il la subtile nature du rêve, de l'air ? Les traces qu'il laisse en nous sont-elles fiables et notre mémoire fidèle ? Quelle est la valeur du souvenir face aux incertitudes et aux doutes que l'action du temps sème derrière lui ? Le temps guérit-il vraiment les blessures de la vie par l'oubli ou, au contraire entretient-il les douleurs, les deuils par l'action répétée de l'exercice du souvenir. Peut-on faire obstacle à son action destructrice en gravant la pierre ou en écrivant des mots sur un support de papier ? Quelles sont les formes que le temps peut prendre, laisse-t-il la place à la nostalgie ? L'amnésie n'est-elle pas la réponse à nos compromissions, à nos contradictions, à nos trahisons ordinaires, à nos renoncements qui sont aussi la marque de la condition humaine ?

     

    C'est une méditation sur les différentes formes que prend le temps, sur la vieillesse, sur la vie qui aurait pu être belle mais qui a pris un autre chemin à cause de soi et parfois malgré soi. Elle reste « la plus belle chose du monde », comme le dit cette petite fille meurtrie par la maladie. C'est une réflexion sur l'enfance disparue dans dialogue un peu surréaliste entre cette petite fille qui tient de propos d'adulte et ce vieil homme qui veut deviner l'avenir dans la forme des nuages. C'est une forme de folie qu'il oppose à cette fuite inexorable du temps (« C'est un cirrus, un très beau cirrus enfant qui bientôt sera englouti par le ciel »). Elle parle aussi, en filigrane de la mort à venir, de la trace que chacun d'entre nous laisse après son passage, de la fragilité de la vie.(« L'air, pensa-t-il, la vie est faite d'air, un souffle et c'est parti, du reste nous non plus ne sommes rien d'autre qu'un souffle, une respiration, puis, un jour, la respiration cesse et la machine s'arrête. »)

     

    Chaque nouvelle est une fable où la vie trouve son justificatif, s'il en fallait un. Mais c'est aussi l'évidence qu'elle ne pèse rien au regard de la collectivité, des régimes politiques totalitaires, de la pensée unique. Le passé ne laisse qu'une empreinte ténue qui s'efface aussi sûrement qu'un dessin qu'on trace sur le sable face à la marée montante. La mémoire individuelle elle-même est malléable «  ils prétendent t'astiquer la mémoire comme un miroir, voilà le but, la faire fonctionner non pas comme elle veut elle mais comme ils le veulent eux, qu'elle n'obéisse plus à elle-même, à sa nature... et eux, les grands docteurs, ils veulent la trigonométriser. »

     

    Je choisis de voir dans ce livre plein de poésie l'expression d'une révolte à la fois contre l'intolérance, la cruauté des hommes et contre notre condition humaine. Comment imaginer que l'auteur qui a passionnément aimé l'œuvre de Fernando Pessoa et s'est si violemment opposé à Berlusconi [ce livre est paru en France avant de l'être en Italie pour la raison que Tabucchi s'est opposé politiquement au pouvoir dans son pays !] puisse ne serait-ce qu'admettre le moindre obstacle à la liberté et à la vie ? On pourra peut-être objecter que c'est un combat perdu d'avance mais ce sont ces luttes qui font la grandeur de ceux qui les mène, surtout s'ils le font avec talent !

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Elles vivaient d'espoir – Claudie Hunzinger

     

    N°488– Décembre 2010.

    Elles vivaient d'espoir – Claudie Hunzinger- Grasset.

     

    Au départ, un cahier de toile vert-amande entre les mains de la narratrice qui va ainsi remonter le temps. Il contient des lettres recopiées, écrites jadis par Emma, sa mère. Elle en retrouvera d'autres qu'elle va « visiter comme les pièces d'une maison abandonnée ». Elle trouvera aussi des photos où des personnages figés sur papier glacé regardent l'objectif et l'hypothétique spectateur pour l'éternité, toute une histoire en pointillés de deux femmes qu'elle va faire revivre...

     

    Ces cahiers commencent à la Toussaint 1927. Emma, née en 1906, fille et petite-fille d'instituteur de la Côte d'Or sort de l'adolescence et veut entrer dans la vie par la grande porte qui ouvre sur l'émancipation, la liberté, le savoir... Thérèse, née en 1908, fille elle aussi d'instituteur fait la connaissance d'Emma à Nancy. Elles ne se ressemblent pas, Emma est littéraire, amoureuse de la vie et Thérèse est scientifique, plutôt réservée et souffreteuse, « l'une émettait la lumière, l'autre la contenait ». Elles préparent ensemble le concours de Normale Supérieure qu'Emma réussit mais pas Thérèse. L'une sera professeur de lettres modernes à Mende et l'autre surveillante à Felletin, ce qui lui permet de travailler le concours d'entrée. A partir de ce moment, elles ne cesseront de s'écrire, de se voir...avec, comme en toile de fond des hommes, Pierre de Villeneuve mais surtout Karl, étudiant communiste, juif allemand qui fuit son pays mais pourtant y retourne avec dans ses bagages un amour tout neuf pour Emma.

     

    Entre Emma et Thérèse naît un amour fou et définitif. Emma jouit pleinement de sa liberté, alternant une passion vertigineuse pour Marcelle et une aventure passionnée avec François, un homme marié et établi, qui est différent d'elle mais dont elle espère un enfant(« Oui, cet homme est moins cultivé que moi et la société me l'interdit... Ce que je cherche c'est ma propre force, ma force en face de lui, de la société »). Peu lui chaut l'opinion des autres et elle est prête à tous les compromis pour assouvir ses passions même les plus passagères ( « Je trouve plus honorable d'être au ban de la société qu'en ses trônes d'honneur ».) Elle semble ne pas pouvoir choisir mais n'oublie pourtant pas Thérèse avec qui elle veut vivre de toutes manières et quoi qu'il lui en coûte (« l'amour, lui, le nôtre n'est pas un événement, c'est un chant continu »). Emma qui puise dans la littérature ses propres des références comme si elles lui servaient de justificatif, recherche la jouissance de l'instant, le plaisir que ressent son corps (« Je ne suis coupable, Thérèse, que de trahisons momentanées »).Thérèse, elle, travaille pour le but qu'elle s'est fixée, échoue pourtant toujours. Mais déjà le nazisme monte en Allemagne et la guerre couve. Karl est de retour en France et lui fait prendre conscience de la nécessité de l'action politique ! Emma réfléchit, vient d'avoir trente ans et ne sait quoi penser «  Ce n'était pas non plus le mariage qui lui manquait. Mais elle ne savait pas quoi faire d'elle. Elle se disait que les prisons conjugales sont aussi redoutables que les prisons politiques. Mais que la solitude aussi est une prison ». Face à cette contradiction, celle qui aime passionnément une femme va se marier avec un homme, Marcel, rencontré par hasard. Il ne lui ressemble pas, il est alsacien, chef d'entreprise, veuf avec deux enfants mais, à ce moment de sa vie, quand la guerre menace, elle ressent, comme le dit Gide « l'impérieuse obligation d'être heureu(se). ».

     

    La guerre va donc la séparer de Thérèse qui, mutée en Bretagne en tant que professeur de Sciences va se jeter dans la lutte politique, embrasser le communisme et la Résistance. Elle ne la reverra plus !

     

    L'écriture qui épouse si bien le rythme intime des bouleversement humains reprend en 1940, à la naissance de la narratrice. Un autre cahier de toile, rouge comme l'enfer, débute, suivi d'un autre, et d'autres photos.... Emma devenue mère de famille nombreuse dans une Alsace redevenue allemande, écrit pour elle-même. Malgré son idéal et ses convictions, elle choisit, à la suite de son mari, l'idéologie nazie ! ( elle parle elle-même de « l'âme féminine toujours en mal d'un maître »). Celle qui aimait tant la vie et la liberté lui sera soumise, par amour, par dépit peut-être, comme si elle avait épuisé cette formidable envie de brûler sa vie. Il y aura des silences et des écrits personnels, comme pour exorciser cette brisure ! « J'écris pour donner abri aux fantômes » dira-t-elle.

     

    Thérèse qui refusait tous les pouvoirs, surtout celui d'un homme, sera arrêtée, torturée, massacrée, mais ne parlera pas. Elle ira rejoindre « le terrible cortège » des ombres qu'évoquera Malraux et un établissement scolaire portera plus tard son nom !

     

    De toutes les lettres qu'il lui ont été envoyée, Emma n'a conservé que celles des femmes. Celles des hommes qui furent éperdument amoureux d'elle ne trouvèrent pas leur place dans ses cahiers. Seule une signature masculine s'y rencontre, celle qui lui annonce la fin tragique de Thérèse.

     

    J'ai aimé ce livre qui tire son titre d'un vers de Paul Eluard. Le style est empreint de sensibilité, de sobriété et de tragédie. L'écriture est pleine d'émotion, comme seule en est capable une fille qui recherche sa mère dans ses passions, ses contradictions, ses renoncements.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     



     

     

     

     

     

     

  • Un cabinet d'amateur – Georges Perec

     

    N°487– Décembre 2010.

    Un cabinet d'amateur  – Georges Perec - Balland.

     

    Les familiers de Perec pourraient probablement émettre des doutes au seul énoncé du titre de ce roman, se demandant où l'auteur de « La vie mode d'emploi » voulait bien les emmener une fois encore. L'exergue puisée chez  Jules Verne donnait à penser qu'il allait s'agir de tableaux, mais attention, notre auteur à la fois érudit et génial provocateur n'aime rien tant que d'embarquer son lecteur dans un univers où lui seul possède la clé ! Il ne faut pas non plus perdre de vue sa parenté plus que naturelle avec Boris Vian qui, lui aussi excellait dans cet exercice. Il convient donc d'aborder ce livre avec circonspection, mais surtout en évitant de trop faire montre de préjugés puisque, bien qu'il s'agisse d'un roman, c'est à dire d'une fiction, il recèle des détails techniques, historiques et érudits qui font qu'il ne peut être autre chose que véridique !

     

    Si on en croit Perec, « Un cabinet d'amateur » est une toile du peintre américain d'origine allemande, Henrich Kürz. Elle fut exposée pour la première fois en 1913 à Pittsburg en Pensylvanie (USA), mais passa quasiment inaperçue à cause de la présence, ce jour-là, de critiques célèbres et de collectionneurs illustres parmi lesquels Hermann Raffke, riche amateur d'art. L'exposition fut néanmoins un franc succès pour les autres artistes. On s'intéressa à partir de ce moment-là d'un peu plus près au tableau de Kürz notamment à cause de la notice, par ailleurs anonyme, du catalogue. Grâce à une description grandement laudative, on apprit qu'elle représentait Raffke lui-même, entouré des tableaux de sa collection. Dès lors on se passionna pour ce peintre inconnu. Ainsi organisa-t-on, la semaine suivante, une présentation de l'œuvre dans une pièce qui reprenait la topographie exacte des lieux décrits dans le tableau de Kürz.

     

    En réalité, Perec, s'est inspiré d'une tradition picturale ancienne pratiquée notamment par le peintre flamand du XVII° Guillaume Van Haecht. Dans une série de mises en abymes, il emmène son lecteur où il veut, c'est à dire dans une sorte de maelström où la mise en scène le dispute au culte du plus petit détail et où le faux, qui est toujours possible en peinture, voisine avec les informations les plus crédibles, s'appuyant notamment sur des articles de la presse spécialisée de l'époque. Cela est rappelé par le papier d'un critique dont le thème était «  Toute œuvre est le miroir d'une autre », ce qui constitue un terrain de réflexion intéressant en matière d'art et l'occasion d'une mise en perspective passionnante ! Il mettait l'acte de peindre le « cabinet d'amateur » dans une sorte de jeu de miroirs comme une « dynamique réflexive » au terme de laquelle l'œuvre d'un artiste nourrit et inspire celle des autres.

    Comme toujours, j'ai bien aimé, même si, je dois l'avouer, je me suis laissé un peu emporter, en me demandant où Perec voulait bien en venir, avec l'énoncé de cette liste un peu longue et très technique qui ressemble, pendant de nombreuses pages, davantage à un catalogue de vente à l'usage d'un commissaire-priseur ou d'acheteurs potentiels ! L'effet labyrinthique, bien dans l'esprit de la philosophie pataphysicienne, est justement obtenu par la rédaction de l'index de la deuxième vente initiée après la mort de Raffke. Les précisions techniques apportées par l'auteur en font un documents crédible et, de page en page, Perec réussit à convaincre son lecteur qu'il a entre les mains la description d'une collection authentique et qui d'ailleurs fait référence en matière d'art. Un véritable effet de trompe-l'œil où le spectateur est à la fois mystifié et séduit par ce qu'il perçoit.

    Il faut attendre la dernière ligne du dernier paragraphe de cette « histoire d'un tableau » pour en avoir le fin-mot, c'est à dire le mot de la fin.

     

    La circonspection du début était donc parfaitement justifiée autant d'ailleurs que la référence à Vian puisque, à l'occasion de ce roman, il me souvient de l'exergue de « L'écume des jours » ainsi rédigée « Cette histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre. Sa réalisation matérielle proprement dite consiste essentiellement en une projection de la réalité, en atmosphère biaise et chauffée, sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion. On le voit, c'est un procédé avouable s'il en fut.»

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com



     

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