la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Blanc

    N°1858– Avril 2024.

     

    Blanc – Sylvain Tesson – Gallimard.

     

    Sylvain Tesson est un incorrigible arpenteur de territoires. Déjà, après un accident stupide qui faillit lui coûter la vie, il avait pris la décision de traverser la France à pied, de la Méditerranée à la Manche, par les chemins de traverse. Ici c’est plutôt une sorte de défi que lui lance son ami, le guide de haute montagne Daniel Du Lac de Fougères de traverser les Alpes à ski, de Menton à Trieste, la montagne entre deux mers, le grand blanc entre deux nuances de bleu. Pour ce périple de quatre vingt cinq jours, un peu bousculé par l’épidémie de covid et qui s’est étiré sur quatre hivers de 2018 à 2021, ils ont été accompagnés de Philippe Rémonville. C’était sans doute un peu fou, mais après tout pourquoi pas ? En tout cas il n’était pas seul.

    De passages de cols en refuges, d’escalades en descentes en rappel ou à ski dans des températures en-dessous de 0, Sylvain Tesson nous narre par le menu et à la façon d’’Hemingway, cette expédition fragmentée. Il use pour cela du passé simple qui évoque une action définitivement passée, un peu comme s’il avait tourné définitivement la page de cette épopée. C’est les noces de la plume et du piolet avec poésie, souvenirs personnels et même une petite dose d’humour. Rimbaud est souvent cité à cause du voyage, mais il n’est pas le seul, même si les citations, par leur nombre un peu trop important, n’apportent que peu de choses à l’écriture de qualité de l’auteur. Les aphorismes qu’il égrène tout au long du texte ont souvent des résonances originales.

    Le voyage lent est un parti-pris au siècle de la vitesse. Je le ressens comme une fuite du monde contemporain, un retour sur soi-même, une recherche intime, une thérapie peut-être face à la mélancolie. Nous savons cependant que voyager n’est pas guérir son âme. Le blanc, associé à la neige est un symbole, la couleur transitoire de l’eau qui n’en comporte pas, sa forme solide que le froid entretient et que la douceur dissoudra, elle évoque le néant, le vide, une sorte de pays assez indistinct où les reliefs sont gommés, les aspérités dissoutes pour mieux cacher les difficultés, le ravin synonymie de mort. Il répond pour l’écrivain à la page blanche mais cela ne semble pas affecter notre auteur. Pourtant, le livre refermé, en dehors du plaisir de lire sa belle écriture, était-ce la répétition de ce mouvement ascendant et descendant et les chiffres qui le caractérisent, cet effort quotidien répétitif avec la crainte de l’avalanche et du danger, je ne suis que peu entré dans ce voyage, mais cela doit tenir à moi.

     

     

     

  • Le mystère de l'île au Cochons

    N°1856 – Avril 2024.

     

    Le mystère de l’île aux Cochons- Michel Izard – Paulsen.

     

    Le titre suggère un roman policier et pourtant il n’en est rien et une énigme demeure... Ce petit coin de France au nom étrange, perdu au milieu de l’océan indien qui se décline en un chapelets d’îles désolées, inhospitalières et glacées, sans habitants permanents autres que des scientifiques en transit et des milliers de manchots royaux qui posent problème. On a constaté que cette communauté animale, jadis la plus importante au monde, avait perdu plus de 90 % de sa population. Telle est l’objet de cette expédition scientifique de cinq jours en terres australes dans des conditions spartiates, de ces investigations d‘une poignée de scientifiques. En sa qualité de grand reporter, Michel Izard, accompagné de Bertrand Lachat cameraman, couvrira l’évènement.

    C’est un compte rendu de voyage, entrecoupé d’extraits de journaux de bord et de récits d’autres navigateurs historiques ou anonymes, marins cartographes et découvreurs, amoureux des voyages au long cours ou cupides chasseurs de baleines ou d’éléphants de mer, qui ont exploré ces contrées désolées et y ont parfois fait naufrage. On ne peut pas ne pas évoquer Baudelaire « Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent pour partir, cœurs légers semblables aux ballons, de leur fatalité jamais ils ne s’écartent, et sans savoir pourquoi, ils disent toujours Allons ! » Ce voyage est raconté par le menu, rencontres et découvertes improbables, compte rendu de séjour, d’explorations et de prélèvements, avec heureusement des cartes et des photos pour permettre au lecteur de s’y retrouver dans ces terres australes.

    Le livre se savoure non seulement à cause des descriptions précises, des images, avec un grand souci du détail et de précisions techniques, poétiques parfois, mais aussi de sa riche documentation historique et des témoignages de journaux de bord des navigateurs qui tissent l’histoire pourtant maigre de ces lieux où l’homme est absent et presque intrus. C’est que ces îles du Grand Sud fascinent par leur nom nom même qui évoque les 40° rugissants, les écueils, les tempêtes, les paysages solitaires, juste peuplés d’une faune sauvage, d’une maigre flore, de paysages volcaniques et dépouillés. Avec lui on voyage dans l’espace et dans le temps et on ne peut pas ne pas évoquer Baudelaire, à cause sans doute de l’albatros mythique mais aussi tout simplement le voyage lui-même qui transforme un être banal en marin, le temps d’une campagne de pêche ou d’un périple au long cours, à la suite d’Alvaro Mutis ou de Bernard Giraudeau. Le dépaysement est assuré, même si cette île n’encourage pas vraiment le tourisme mais ces paysages répondent souvent à un rêve de gosse « Pour l’enfant amoureux de cartes et d’estampes, l’univers n’a d’égal que son vaste appétit ». Quand il quitte l’île Michel Izard a une drôle d’impression, celle de l’abandonner ou pire peut-être d’y abandonner quelque chose de lui-même tant la magie du lieu, ajouté au mystère qui entoure ces côtes désolées continue d’exercer son étrange pouvoir.

     

    Je ne suis qu’un modeste téléspectateur de TF1 mais j’apprécie toujours les reportages de Michel Izard. C’est d’abord une voix, à la fois posée et économe en mots mais pas en émotions et les chroniques qu’il nous propose n’ont rien à voir avec la façon journalistique traditionnelle de ses confrères. Avec lui, même si le sujet est banal, et il l’est rarement, le spectateur entre à sa suite dans un monde différent, poétique et parfois un peu mystérieux qui se révèle au fil des mots et des images, avec cette envie de nous faire voir les choses sous un jour différent et qui outrepasse la réalité du quotidien. C’est toujours un plaisir que je partage avec lui, une émotion qui sans cela n’eut jamais été ressentie ni même révélée.

     

     

     

  • Ecrire

    N°1855 – Mars 2024.

     

    Écrire - Marguerite Duras. Gallimard.

     

    C’est un livre, le dernier, publié en 1993, dans lequel Marguerite Duras au crépuscule de sa propre vie, revient sur son activité et son rôle d’écrivain, sur cette action d’écrire, une réflexion sur sa spécificité, sur la genèse et la nécessité pour elle de l’écrit.

    J’ai toujours lu Duras avec en tête cette citation de l’Amant « Je n'ai jamais écrit, croyant le faire, je n'ai jamais aimé, croyant aimer, je n'ai jamais rien fait que d'attendre devant la porte fermée ». Ici elle note «  Écrire, c’était la seule chose qui peuplait ma vie et qui m’enchantait… L’écriture ne m’a jamais quittée »  C’était donc à la fois paradoxal et intéressant qu’elle s’explique sur ce qui a été toute sa vie. Elle égrène donc une série de remarques qui accompagnent, selon elle, la création d’un texte, l’importance du silence, la nécessité de s’écouter soi-même parce qu’écrire c’est se parler, c’est une sorte de soliloque même si la composition d’un livre peut durer des années. Écrire, comme elle le dit, c’est parler mais aussi rester silencieux, c’est « hurler sans bruit », pratiquer une sorte de non-écriture faite de non-dits, de révoltes muettes. La solitude aussi est essentielle. Elle peut être de deux natures, non seulement la solitude, physique et même morale qui résulte d’une souffrance ou d’une volonté délibérée, mais aussi la confrontation individuelle et intime face à la page blanche qui est ainsi le témoin privilégié de l’expression de la pensée, du message. Pourtant la présence d’amis, d’amants, lui est indispensable. C’est aussi un paradoxe car c’est dans le silence et la solitude que le créateur, conçoit, donne vie à ses personnages. Il a avec eux une relation privilégiée faite de volonté de les guider mais aussi il y a, de leur part, des velléités de liberté. La qualité d’un livre vient aussi de cette lutte intime entre eux. Elle insiste sur les lieux choisis dans lesquels peut éclore l’écriture. Il lui faut une maison et personne autour d’elle, des images et des sons lointains de la campagne ou de la mer et c’est dans un lieu d’exception et son environnement immédiat, son parc, ses arbres, sa lumière, dans cette sorte de microcosme ainsi crée et coupé du monde extérieur qu’elle s’enferme volontairement et que naîtra le livre qu’elle porte en elle, un peu comme un accouchement. Il lui faut des rituels, la quiétude de la nuit, la présence d’un amants, peut-être l’alcool comme un autre paradoxe qui l’aide sans doute non seulement à supporter la vie mais aussi à faire sortir les mots du néant, à apprivoiser son inspiration, c’est à dire qui lui permet d’écrire mais, autre contradiction, c’est avec l’écriture qu’elle combat ce fléau. Il lui faut tout cela parce que le souffle créatif est exigeant, capricieux aussi et on se doit d’y être attentif et même disponible, parce que si on ne cède pas à la sollicitation nocturne des mots, des images, tout cela est happé par le néant et une telle vibration ne se représentera plus. C’est un combat contre soi-même parce qu’on écrit toujours pour exorciser une douleur intime, c’est aussi une folie parce qu’on n’est jamais sûr du résultat et qu’il y a des chances pour que cela ne serve à rien

    Une telle réflexion sur soi-même pleine de contradictions, cette sorte de confession, s’agissant d’un écrivain de la stature de Marguerite Duras, est important pour chacun d’entre nous et spécialement pour ceux (et celles) qui ont fait de l’écriture un des centres d’intérêt importants de leur vie. A titre personnel, j’ai toujours respecté les livres et ceux qui les écrivent parce que cette démarche n’est jamais innocente. Derrière les mots il y a un travail, des souffrances, de l’espoir et plus souvent du désespoir, un témoignage pour échapper à l’oubli, à la mort . Cela mérite le respect et de l’attention même si je ne partage rien de leur voyage.

     

     

     

  • Dernières nouvelles du front

    N°1854 – Mars 2024.

     

    Dernières nouvelles du front – Philippe Volard – l’Harmattan.

     

    L’auteur est médecin urgentiste et ça se sent dans son écriture, dans les thèmes qu’il aborde. C’est la douleur, celle de la maladie qui mange peu à peu la vie, celle qui suit l’accident, dans les débris de tôle et de verre, avec le sang et la chair à vif, celle qu’on ne peut plus supporter parce que sa propre vie est trop lourde à porter, celle que le praticien impuissant voit grandir chez son patient à qui la camarde tend ses bras décharnés, la sienne aussi, plus intime, de ne pouvoir plus rien faire pour retenir la vie, celle qui accompagne ses gardes démesurément longues et éprouvantes que le café peine parfois à adoucir. C’est aussi être confronté à la violence de la rue, aux ravages de l’alcool, de la drogue, de l’incompréhension entre les gens, de leur désespoir, de leur volonté de destruction suicidaire. Il faut beaucoup d’abnégation aux soignants pour soulager toute cette souffrance et ceux qui sont l’objet de leurs soins veulent vite disparaître parce qu’il a fallu attendre longtemps son tour et que la vie reprenne son cours pour peut-être une nouvelle chance. Un médecin, de part sa fonction, doit faire accepter la souffrance et la mort avec pour tout moyen les mots, entre empathie et distance indispensable et pour toute cuirasse sa blouse blanche et son titre de docteur. Il y a la vie ordinaire, banale qui, en une fraction de seconde, quand on s’y attend le moins, bascule vers le néant avec son cortège de souffrances, comme un point de passage obligé. La guérison peut être au rendez-vous mais la mort n’est jamais très loin dans le microcosme des urgences. A l’extérieur, ce sont les copains, les rencontres, ces moments futiles autour d’une bière ou d‘une vodka, à évoquer le temps qui passe, les choses de la vie et les souvenirs qu’on égrène avec leurs joies, leurs regrets, leurs remords, ces moments aussi où on frôle le danger au point d’envisager son propre saut dans le néant avec cette intuition que mourir est peut-être une choses simple.

    Nous sommes mortels mais sous nos latitudes nous choisissons de vivre sans penser à la mort, un peu comme si elle n’existait pas, au point que souvent elle survient à notre grand étonnement. La mort frappe sans logique, malgré les efforts pour retenir la vie, malgré les larmes et il faut accepter son verdict parce que telle est notre condition humaine.

    Recueil de nouvelles courtes qui constitue de premier ouvrage publié de Philippe Volard, annoncé bizarrement sur la couverture comme un roman, agréable à lire, avec des accents poétiques parfois malgré les angoisses et thème traité. C’est une plongée dans notre quotidien de plus en plus violent qui parle de souffrance, de demande de soins autant que de compréhension qui remet en cause le vivre ensemble autant que toutes les affirmations lénifiantes sur notre passage sur terre, c’est aussi une façon d’attirer l’attention sur les urgentistes, leur devoir, leur volonté de sauver, leurs difficultés.

     

     

     

     

  • La couleur des choses

    N°1853 – Mars 2024.

     

    La couleur des choses – Martin Panchaud – ça et là.

     

    Il y en a comme cela qui sont nés sous une mauvaise étoile. C’est un peu le cas de Simon, un jeune anglais de 14 ans, pas vraiment gâté par la nature, pas parce qu’il est gros, pas parce qu’il est tombé dans une famille aux fins de mois difficiles où sa mère vivote comme elle peut en faisant des gâteaux pour les autres mais un peu parce que son père qui ne pense qu’aux courses y consacre tout son argent. Comme si cela ne suffisait pas il est en butte aux harcèlements de ses copains de quartier qui lui imposent tout un tas de corvées et d’humiliations pour le plaisir de s’affirmer. Un peu par hasard, il croise une diseuse de bonne aventure qui lui dévoile un avenir immédiat un peu inattendu en lui dévoilant les chevaux gagnants de la prestigieuse course du Royal Ascot. Tenté par l’aventure, il dévalise les économies de son père et gagne le gros lot, 16 millions de livres quand même, largement de quoi voir venir et surtout d’avoir l’impression que ses ennuis touchent à leur fin. Que nenni ! D’abord parce qu’il est mineur et ne peut toucher son argent qu’avec la signature d’un de ses parents mais surtout parce qu’il est maintenant une proie facile, que sa mère agressée tombe dans un coma profond et que son père disparaît et surtout qu’il ne manque pas de gens bien intentionnés pour vouloir s’approprier son ticket gagnant. A cette occasion au moins apprend-t-il à mieux connaître la nature humaine ! Et comme si cela ne suffisait pas il tombe dans une sorte de maelstrom où des révélations inattendues vont lui être faites qui vont bouleverser sa vie alors qu’il ne perd pas de vue son projet de sauver sa mère hospitalisée. Cette quête va durer sept longues années, le temps de devenir majeur et de croiser une baleine dont on se demande ce qu’elle vient faire dans cette histoire et qui va l’aider à se tirer du mauvais pas dans lequel cette fabuleuse somme d’argent gagnée l’a précipité. L’épilogue ne ressemble pas vraiment pour lui à un « happy end » sauf si on considère que si l’argent ne fait pas forcément le bonheur, il peut peut-être y contribuer.

     

    J’ai eu un peu de mal au début à entrer dans cette histoire, peut-être à cause d’un manque relative d’originalité dans le scénario, mais plus sûrement parce que la présentation différait quelque peu de ce à quoi je m’attendais. Ce livre est classé parmi les BD mais les vignettes, les bulles et la présentation traditionnelle du « neuvième art » manquaient. A leur place ce sont des images vues de haut, un peu comme si le lecteur surplombait cette aventure, les personnages à ce point stylisés qu’il ne sont matérialisés que par de petits cercles colorés d’où Les expressions, notamment du visage et du corps sont absentes. Il y a même des explications techniques, pleines de détails inutiles qui égarent le lecteur. Et pourtant, plus rapidement que je ne l’aurait pensé, je suis entré dans cette histoire un peu rocambolesque et pas vraiment drôle.

    Alors avons nous affaire à une révolution de la BD . Pourquoi pas ? Les choses, dans ce domaine aussi sont susceptibles d’évolution.

     

     

     

     

  • Orphy aux enfers

    N°1852 – Mars 2024.

     

    Orfi aux enfers – Dino Buzzati – Actes Sud BD.

    Traduit de l’italien par Charlotte Lataillade ;

     

    En 1969, soit 3 ans avant la mort de Buzzati, un éditeur italien publia cette œuvre des années 60 dans laquelle il revisitait le mythe d’Orphée et d’Eurydice. Il y avait dans cette démarche créative quelque chose d’original, voire de symbolique puisque l’auteur, également journaliste avait choisi la bande dessinée, lui qui, toute sa vie avait publié poésie, nouvelles et romans et dont le nom est définitivement associé au « Désert des Tartares ». Œuvre inattendue , publiée sous le titre « Poema a fumetti » qui met en lumière un autre facette de son talent, celui de dessinateur et de peintre , pas toujours privilégiée par les éditeurs. Était-il en avance avec ses « dessins romancés », ses « romans illustrés »puisque, actuellement le « roman graphique » connaît un grand essor ? Il considérait en effet que écriture et dessins étaient complémentaires puisqu’elles servaient à raconter une histoire et que cette formule avait un effet attractif pour les catégories populaires pas forcément attirées par le texte uniquement écrit. C’était même assez courageux dans la mesure où la bande dessinée, dont il était par ailleurs un grand lecteur, n’avait pas l’attrait qu’elle a actuellement. Son dessin s’inspire tout à la fois de Giorgio de Chirico mais aussi des surréalistes comme Magritte, Dali ou Tanguy, des photos de Man Ray, du Pop Art d’Andy Warhol.

    Le mythe grec d’Orphée raconte l’histoire de ce jeune musicien qui enchante tous ceux qui l’écoutent et d’Eurydice, sa femme qui meurt le jour de ses noces. Il la poursuit jusque dans les Enfers mais, oubliant sa promesse, il se retourne et Eurydice qui le suit est définitivement happée par la mort. Buzzati revisite donc ce mythe mais dans la forme seulement puisqu’il le situe à Milan, une ville qu’il connaît bien et notamment à  « via Saterna », qui peut-être n’existe pas, mais qu’il considère comme l’accès aux Enfers. Orphée devient Orphy, un chanteur pop qui rappelle les Beatles et Eurydice devenue Eura incarne ces adolescentes en transe devant leurs idoles. La relation graphique qu’il en fait est très personnelle et justifie le titre initial de « La dolce morte », la mort douce. La lire est remplacée par une guitare et Orfi, poursuivant l’ombre d’Eura, guidé par un « diable gardien » chante pour les défunts, en vain !

    Le message délivré est-il la vanité des choses de ce monde et la réalité de la condition humaine? Pourquoi pas.

     

     

  • Le vice consul

    N°1851 – Mars 2024.

     

    Le vice-consul – Marguerite Duras- Gallimard.

     

    Ce roman est raconté par un narrateur anonyme et par l’écrivain Peter Morgan mais c’est avant tout une galerie de portraits. Nous sommes à Calcutta en 1930 au début de la mousson et l’ombre d’une mendiante plane sur tout ce récit. Cela correspond à un épisode obsédant dont Marguerite Duras a été le témoin dans sa jeunesse, la vente de son enfants par une femme trop pauvre pour le nourrir. La mendiante se mêle aux lépreux de Calcutta où se termine son long et misérable voyage à pied.

    Le vice-consul ensuite, c’est à dire le consul en second , Jean-Marc de H., individu solitaire, précédemment en poste à Lahore, déplacé à Calcutta dans l’attente d’une nouvelle affectation. Cette mesure, de nature disciplinaire, lui a été imposée pour avoir ouvert le feu sans raison sur des lépreux dans les jardins de Shalimar. Il a reconnu les faits mais ne les explique pas. L’ambassadeur Stretter est en charge de ce dossier difficile que défend sans grandes convictions Charles Rossett.

    Personnage mystérieux que ce vice-consul, esseulé certes mais surtout différent des autres européens dans cette région de l’Asie. Il parle beaucoup, surtout quand il est saoul et prétend être vierge, c’est à dire que malgré ses quarante ans il n’a jamais touché une femme. Il est surtout fasciné par Anne-Marie Stretter, l’épouse de l’ambassadeur de France. Je me suis demandé pourquoi cette femme était à ce point fascinante. Plus jeune que son mari qui était conciliant, elle le suivait dans ses différents postes et sa situation d’épouse lui donnait une aura particulière qui s’ajoutait à sa beauté et à son maintient qui la faisaient être le point de mire de tous les hommes. Ils la regardaient avec l’envie de la posséder parce que c’est souvent ainsi que réagissent les mâles. Ils le faisaient d’autant plus aisément que sa réputation la précédait, celle d’une femme qui, lorsqu’elle croisait un homme jeune et inconnu, n’avait de cesse que de le mettre dans son lit pour une unique étreinte, une femme libre face à un mari complaisant et résigné, écrivain frustré qui a cessé d’écrire sur les injonctions de son épouse, désireuse sans doute qu’il ne lui vole pas la vedette, d’autant que ses rides commencent à se voir sous le fard et que, l’ennui s’insinue dans sa vie malgré ses toquades et les réceptions arrosées de l’ambassade. Il a obéi parce qu’il est désireux de la garder auprès de lui pour le rassurer. C’est la deuxième femme de ce roman et elle entretient cette cour autour d’elle. Cela la flatte d’être ainsi entourée d’hommes. C’est donc de cette femme que le vice-consul a entraperçue de loin au début et dont il est épris mais une bonne dose de timidité le fait se tenir loin d’elle qui attendrait sûrement autre chose à l’exception d’une danse. Il s’en tiendra au fantasme qu’elle lui inspire, en souffrira sans pouvoir faire autrement et pourtant il a une réelle attirance pour elle. Pour ma part je le tiens pour un personnage relativement secondaire contrairement à ce que le titre laisserait à penser. Il est, administrativement un agent secondaire ce qui répond à son rôle auprès d’Anne-Marie. Pour moi le vrai personnage de ce roman est Anne-Marie Stretter, à la fois complexe et contradictoire qui est entourée d’une sorte de halo de mystère puisqu’à son sujet on ne sait pas autre chose que des on-dits..

    Charles Rossett est un jeune fonctionnaire nouvellement arrivé et qui, évidemment fait partie des adorateurs d’Anne-Marie et deviendra comme d’autres peut-être un de ses éphémères amants ? De cela nous ne sauront rien tout comme de cette sordide affaire qui a valu au vice-consul son déplacement à Calcutta. Il devrait sans doute y avoir une enquête judiciaire mais on n’en parle même pas. Tout cela m’a laissé un peu sur ma faim tout comme le style que je ne goûte guère. C’est sans doute l’émanation des thèmes chers au « Nouveau roman » qui a voulu remettre en cause les bases traditionnelles du roman classique.

  • Le premier homme

    N°1849 – Mars 2024.

     

    Le premier homme – Albert Camus- Gallimard.

     

    C’est à la fois le type même du roman autobiographique qui met cependant en scène un personnage, apparemment différent de l’auteur et une œuvre inachevée qui laisse le lecteur sur des interrogations et des regrets pour ce qu’il ne lira pas.

    Cela commence par la visite de Jacques Cormery 40 ans, sur la tombe de son père mort à 19 ans en 1914 sur le front de la Marne et la prise de conscience que cet homme est définitivement plus jeune que lui (Albert Camus à fait cette visite sur la tombe de son père, Lucien, mort en 1914). Jacques grandit dans une famille pauvre, sans père, avec pour compagne de chaque jour la misère. Les membres de ce foyer sont analphabètes et c’est grâce à son instituteur qui lui donne des cours particuliers gratuits pour lui permettre d’obtenir l’examen des bourses, qu’il peut accéder au lycée, aux études qui sans cela lui auraient été interdites, et devenir l’écrivain nobélisé (Albert Camus, après son prix, dira toute la reconnaissance qu’il a à son vieil instituteur) alors qu’il était destiné à gagner sa vie. C’est avec lui que les livres entrent pour la première fois dans ce logement où personne ne sait lire.

    Ce manuscrit aurait peut-être été à l’origine d’une saga familiale, d’une grande fresque littéraire qui, compte tenu de son parcours personnel, ne pouvait être que passionnant. Ce texte, Albert Camus le portait en lui depuis longtemps et on le retrouva dans ses bagages lors de son accident mortel en 1960. Après la révolte de « La peste » et l’absurde de « L’étranger », au-delà de ses prises de positions philosophiques et politiques, il souhaitait rendre hommage à sa famille et à ceux qu’il aimait. Il ne sera publié qu’en 1994 par sa fille après un travail minutieux de déchiffrement. Il est divisé en deux parties, « la recherche du père », très travaillée et une deuxième « le fils ou le premier homme », qu’il n’a pas eu le temps d’approfondir. Il y a la beauté de la phrase, la pertinence des remarques, du témoignage, la beauté des paysages de ce pays qui était le sien et la volonté d’y vivre avec les arabes malgré les différences sociales entretenues. Les souvenirs de son enfance algérienne émaillent ce livre, les senteurs les descriptions de son quartier pauvre où Français et arabes vivaient en bonne intelligence, son premier salaire parce que sa grand-mère tyrannique avait exigé qu’il travaillât pendant les vacances d’été pour soulager la misère de ce foyer, ses rares loisirs, la plage et le foot dont il est un ardent adepte, ses premiers émois amoureux, la maladie, mais aussi du début des hostilités, les attentats, les souffrances, le désespoir, la présence de l’armée dans les rues, les atrocités, l’éternelle lutte de l’homme contre ses semblables... Ce qui m’a aussi ému ce sont ces mots illisibles qui gardent pour toujours leur mystère, mais aussi les annexes, des bouts de phrases, des idées à jamais suspendues dans le néant. Il y aurait mis des mots, délivré un message, une analyse claire. Il aurait créé des personnages, leur aurait insufflé une vie de papier jusqu’à être dépassé par eux, par leur liberté d’agir. Il aurait fait l’historique minutieux de ce pays confisqué par la France qui réserva ses terres les plus stériles et hostiles aux chômeurs et aux révolutionnaires de 1848, jetés dans l’Histoire et dans ce pays qu’ils mirent en valeur, Il aurait parlé de l’Algérie son pays qu’il aimait, qui aspirait à sa liberté légitime et aux déchirements inévitables provoqués par cette lutte. Il aurait approfondi ce mystère de lui-même, de celui qui était « obscur à soi-même ». Il aurait écrit pour lutter contre l’oubli parce que l’écriture est le plus sûr moyen de lutter contre l’amnésie qui caractérise tant la nature humaine. De même qu il a évoqué son père, cet inconnu, il aurait écrit pour sa mère qui parlait peu et ne savait pas lire, peut-être la seule femme qu’il ait jamais aimée, il aurait parlé de la vie et surtout de la mort qui nous attend tous sans que nous sachions ni quand ni comment elle viendra à nous…

    Je retiens aussi ces quelques mots jetés sur le papier, figurant en annexe et que je choisis de lire comme prémonitoires «  Le livre doit être inachevé ».

     

     

  • La vie matérielle

    N°1848 – Mars 2024.

     

    La vie matérielle – Marguerite Duras- Gallimard.

     

    La quatrième de couverture m’interpelle. L’auteure nous présente ce livre comme n’en étant pas un. D’ordinaire, quand je choisis un ouvrage, j’aime qu’il ait du sens, mais après tout pourquoi pas et j’aime aussi beaucoup être étonné.

    Au fil de ma lecture je m’aperçois que Marguerite Duras nous parle surtout d’elle à travers un texte confié à Jérôme Beaujour. Pourquoi pas et nombre d’écrivains de renom tels que Philippe Besson, Patrick Modiano, Annie Ernaux, ces deux derniers nobélisés, n’ont pas fait autre chose. Le danger est bien évidemment le solipsisme de l’ écrivain, mais bien peu ont échappé à ce travers. J’ai donc lu ce livre qui n’en est pas un, cette « vie matérielle », cet « aller et retour entre moi et moi, entre vous et moi-même » comme elle le dit elle-même.

    L’ouvrage refermé, il m’a semblé que je venait de lire un amalgame de textes courts qui correspondent à des moments de sa vie, de ses réflexions, une sorte de journal si on veut le caractériser ainsi et qui emprunte à ce mode d’expression informatif son style brut sans beaucoup de recherches littéraires. Un peu en vrac, elle nous parle donc d’elle, de ses livres, le l’alcool, de l’Indochine, de la douleur, de la mort, de la solitude, de l’écriture et de des paradoxes de cet exercice, de l’inspiration et de ses manifestations, de l’intimité qui existe entre un auteur et les personnages qu’il a crées et qu’un lecteur, même attentif ne pourra jamais connaître. Elle évoque le souvenir des ses amours, de ses amants, dont évidemment Yann Andréa, de ses films, des maisons où elle a habité, de sa mère, des écrivains qu’elle a connus et d’autres qu’elle a admirés, des hommes et des femmes, du désir, du fantasme, de sa folie aussi. J’ai eu l’impression qu’elle voulait tout dire d’elle, ne rien cacher, un peu comme si elle ressentait ce besoin de se confier… ou de parler d’elle tout simplement, comme s’il était nécessaire que son lecteur soit informé de tout ce qui la concerne, jusque dans les moindres détails … ou peut-être une volonté d’ajouter un titre supplémentaire à sa bibliographie personnelle…

    Je ne suis pas un admirateur inconditionnel de Marguerite Duras mais je la lis par curiosité, pour pouvoir m’en faire une idée parce qu’elle fait partie du paysage littéraire.

     

  • Histoire de Jérusalem

    N°1847 – Mars 2024.

     

    Histoire de Jérusalem – Vincent Lemire- Christophe Gaultier – Marie Galopin - Les Arènes BD.

     

    C’est l’épopée, racontée par un olivier, d’une petite bourgade, fondée il y a 4000 ans, presque dépourvue d’eau et à l’écart de tout qui, après avoir subi des dominations étrangères multiples et violentes va devenir une ville de légende, lieu géométrique de l’imaginaire humain et des fantasmes religieux. Ville Sainte où les religions, polythéistes mais surtout monothéistes, vont se tolérer puis s’affronter, capitale discutée d’une terre ancestrale retrouvée et contestée par ses voisins qui, depuis la naissance d’Israël en 1948 n’a engendré que la guerre, les attentats, le terrorisme, l’annexion sauvage de territoires, la volonté mutuelle de destruction alors qu’elle aurait dû être vouée à la tolérance, à la paix et à la cohabitation mutuelle. La politique, les croyances religieuses, l’incompréhension, le constant recours à la domination violence en font une ville constamment sous tension où tout est possible.

    C’est un un peu une gageure de s’attaquer à un tel sujet mais ce livre est à la fois riche d’enseignements et de remarques d’autant qu’ils sont exprimés par un olivier, arbre qui à la fois défit le temps, symbolise la paix et apporte la richesse. Les références y sont nombreuses et justifient l’argumentaire développé. Le fait d’avoir choisi la BD colorée le rend plus attractif qu’un texte simplement imprimé et lui donne une dimension pédagogique incontestable ; Le dessin est tout à fait expressif.

     

  • Dix heures et demie du soir en été

    N°1846 – Mars 2024.

     

    Dix heures et demie du soir en été – Marguerite Duras – Gallimard.

     

    Pierre, Maria, leur fille Judith et Claire, l’amie du couple sont en route pour l‘Espagne à destination de Madrid. En chemin ils font halte dans une petite ville à cause de la chaleur. Au bar de l’hôtel où ils sont descendus, il n’est question que du crime qui vient d’être commis : Rodrigo Palestra a tué sa femme en même temps que Tony Perez et a disparu. On comprends très vite qu’il s’agit d’un crime passionnel parce que la femme de Rodrigo n’était pas ce qu’on appelle un modèle de fidélité et de vertu. Maria écoute cette histoire pendant l’orage tout en sirotant de la manzanilla. On ne tarde pas à apprendre que Pierre et Claire sont amants et que Maria connaît cette liaison. Jusque là il n’y a pas vraiment d’originalité. Était-ce la nuit, la pluie chaude de l’orage, les verres d’alcool, Maria croit reconnaître la forme d’un corps sur le toit en face de l’hôtel et s’imagine que c’est celui du meurtrier. Demain il sera trop tard et il sera pris . Dès lors elle qui ne dort pas se met en tête de le sauver des patrouilles qui le cherchent, de l’aimer peut-être ? Un adultère avéré contre un autre fantasmé. Elle erre dans la ville, l’aide à en sortir.

    j’ai apprécié les descriptions, les effets de l’alcool sur Maria, les étapes de son inconscience, de son rêve fou, de sa complicité complexe avec Pierre et Claire, de la chaleur, de son attirance pour l’inconnu, le danger, de la fin d’une histoire d’amour et de la prise de conscience d’une autre inconsciemment refusée et peut-être déjà ancienne, vouée sans doute elle aussi à l’échec, parce que les choses ne sont pas immuables, Pour le reste...

  • L' amante anglaise

    N°1845 – Mars 2024.

     

    L’amante anglaise – Marguerite Duras – Gallimard.

     

    Le roman s’inspire d’une histoire vraie malgré tout assez classique, une femme qui assassine son mari. Ce qui l’est moins c’est qu’elle le dépèce et précipite les restes dans les trains du haut d’un viaduc. Ici le ce thème est un peu transformé et tourne autour de trois personnages, Claire Lalanne qui assassine sa cousine Marie-Thérèse Bousquet, une sourde et muette qui sert de domestique au couple qu’elle forme avec son mari, Pierre, et à l’insu de ce dernier.

    D’emblée Claire se dénonce comme l’assassin et est donc arrêtée. On sait donc depuis le début qui a tué, reste à savoir pourquoi. Le roman cherche une réponse à cette question à travers trois entrevues. Un tiers, journaliste ou plus sûrement policier, interroge Robert Lamy, le patron du bistrot de Viorne, le village où vivent les Lalanne, sur les relations du couple avec Marie-Thérèse. Un autre entretien a lieu entre ce tiers et Pierre cherchant à cerner la personnalité de Claire qu’il considérait comme une folle et d’expliquer son geste, un troisième se fait avec Claire. De ces trois investigations il ne ressort vraiment rien si ce n’est une relation amoureuse ancienne et passionnée entre Claire et un homme et qu’elle regrette.

     

    Je ne me suis pas passionnée pour ce roman, tout entier dialogué. Ce que je retiens c’est l’échec du mariage qui débouche sur la solitude des époux et la folie de Claire. Je n’ai pas compris le titre non plus, si ce n’est le jeu de mots (la menthe anglaise – l’amante anglaise !)

     

  • C'est tout

    N°1844 – Mars 2024.

     

    C’est tout– Marguerite Duras – P.O.L.

     

    Ce petit livre assez déroutant est dédié à Yan Andrea qui fut son dernier compagnon. C’est un ensemble de textes datés d’octobre 1994 à août 1995 rédigés en partie à son domicile parisien, en partie à Neauphle-le-château. C’est soit un dialogue entre Marguerite Duras et Yan Andrea Steiner avec une alternance de vouvoiement et de tutoiement, et un monologue un peu décousu. Au cours de leurs échanges, elle mentionne son prochain livre où elle parle « d’un homme de 25 ans tout au plus, c’est un homme très beau ». « Vous devenez beau, je vous regarde, vous êtes Yan Andrea Steiner ». Elle parle de la beauté de ses mains et c’est un détail auquel elle paraît particulièrement sensible et qui revient notamment dans « L’amant de la Chine du Nord ». Il s’agit probablement de lui puisqu’elle lui consacre effectivement un livre « Yan Andrea Steiner »

    Ce que je retiens c’est la déclaration d’amour qu’elle fait à cet homme, un écrivain plus jeune qu’elle, malgré ou peut-être à cause de leur trente-huit ans de différence. « J’ai voulu vous dire que je vous aimais. Le crier, c’est tout » un peu comme si, comme le suggère le titre, tout était dit ainsi. Elle souhaite sa présence auprès d’elle « J’espère te voir à la fin de l’après-midi », une présence sensuelle qui n’a rien de platonique « Donne-moi ta bouche », « Caressez-moi, venez dans mon visage avec moi, vite, venez »,  « Viens dans mon visage », comme s’il y avait urgence. Il est sa source d’inspiration « Tout a été écris par toi, par ce corps que tu as » Avec un regret cependant « Ne pas pouvoir être comme toi, c’est un truc que je regrette ». Il sera son dernier amant et c’est lui qu’elle chargera de son « testament littéraire ». Son œuvre est en effet une préoccupation pour elle et la trace qu’elle laissera, même si apparemment elle s’en défend « Vanité des vanités;Tout est poursuite du vent », « C’est moi la poursuite du vent ».

    L’écriture fait essentiellement partie de sa vie non seulement parce que c’est son métier mais parce qu’elle ne pourrait pas vivre pleinement sans elle « Quand j’écris je suis de la même folie que dans la vie », « Écrire c’est à la fois se taire et parler » malgré tout, malgré la solitude « Je suis seule », la souffrance, les larmes. C’est qu’à travers Yan elle mesure pour elle le temps passé et l’imminence de la mort qu’elle attend et qu’elle craint. Elle se raccroche à ses courtes lettres comme si les mots tracés sur le papier étaient entre eux un lien, un baume «  Viens dans ce papier blanc, avec moi » , elle sent l’imminence de la mort et décédera le 3 mars 1996. Elle fait allusion à son roman « La maladie de la mort », elle note « Je suis au bord de la date fatale » et tout au long de ce recueil cette crainte devient lancinante. Elle y mêle ses souvenirs de Chine, de ses amants, un peu comme si, à l’approche de la mort toute sa vie revenait à sa mémoire.

    La mort est une obsession pour elle mais ce que je retiens c’est l’amour qui la lie à Yan Andrea où se mêlent sensualité, écriture, passion, solitude et influences artistiques réciproques. .

     

  • C'est tout

    N°1844 – Mars 2024.

     

    C’est tout– Marguerite Duras – P.O.L.

     

    Ce petit livre assez déroutant est dédié à Yan Andrea qui fut son dernier compagnon. C’est un ensemble de textes datés d’octobre 1994 à août 1995 rédigés en partie à son domicile parisien, en partie à Neauphle-le-château. C’est soit un dialogue entre Marguerite Duras et Yan Andrea Steiner avec une alternance de vouvoiement et de tutoiement, et un monologue un peu décousu. Au cours de leurs échanges, elle mentionne son prochain livre où elle parle « d’un homme de 25 ans tout au plus, c’est un homme très beau ». « Vous devenez beau, je vous regarde, vous êtes Yan Andrea Steiner ». Elle parle de la beauté de ses mains et c’est un détail auquel elle paraît particulièrement sensible et qui revient notamment dans « L’amant de la Chine du Nord ». Il s’agit probablement de lui puisqu’elle lui consacre effectivement un livre « Yan Andrea Steiner »

    Ce que je retiens c’est la déclaration d’amour qu’elle fait à cet homme, un écrivain plus jeune qu’elle, malgré ou peut-être à cause de leur trente-huit ans de différence. « J’ai voulu vous dire que je vous aimais. Le crier, c’est tout » un peu comme si, comme le suggère le titre, tout était dit ainsi. Elle souhaite sa présence auprès d’elle « J’espère te voir à la fin de l’après-midi », une présence sensuelle qui n’a rien de platonique « Donne-moi ta bouche », « Caressez-moi, venez dans mon visage avec moi, vite, venez »,  « Viens dans mon visage », comme s’il y avait urgence. Il est sa source d’inspiration « Tout a été écris par toi, par ce corps que tu as » Avec un regret cependant « Ne pas pouvoir être comme toi, c’est un truc que je regrette ». Il sera son dernier amant et c’est lui qu’elle chargera de son « testament littéraire ». Son œuvre est en effet une préoccupation pour elle et la trace qu’elle laissera, même si apparemment elle s’en défend « Vanité des vanités;Tout est poursuite du vent », « C’est moi la poursuite du vent ».

    L’écriture fait essentiellement partie de sa vie non seulement parce que c’est son métier mais parce qu’elle ne pourrait pas vivre pleinement sans elle « Quand j’écris je suis de la même folie que dans la vie », « Écrire c’est à la fois se taire et parler » malgré tout, malgré la solitude « Je suis seule », la souffrance, les larmes. C’est qu’à travers Yan elle mesure pour elle le temps passé et l’imminence de la mort qu’elle attend et qu’elle craint. Elle se raccroche à ses courtes lettres comme si les mots tracés sur le papier étaient entre eux un lien, un baume «  Viens dans ce papier blanc, avec moi » , elle sent l’imminence de la mort et décédera le 3 mars 1996. Elle fait allusion à son roman « La maladie de la mort », elle note « Je suis au bord de la date fatale » et tout au long de ce recueil cette crainte devient lancinante. Elle y mêle ses souvenirs de Chine, de ses amants, un peu comme si, à l’approche de la mort toute sa vie revenait à sa mémoire.

    La mort est une obsession pour elle mais ce que je retiens c’est l’amour qui la lie à Yan Andrea où se mêlent sensualité, écriture, passion, solitude et influences artistiques réciproques. .

     

  • L'amant de la Chine du nord

    N°1842 – Mars 2024.

     

    L’amant de la Chine du Nord– Marguerite Duras – Gallimard.

     

    Ce roman aurait été écrit en 1991 par Marguerite Duras après l’adaptation cinématographique qu’elle juge décevante par jean-Jacques Annaud de « L’amant » qui lui valut le prix Goncourt en 1984 et un succès mondial. C’est donc en quelque sorte une sorte de rectification qui apporte des précisions en vue d’un éventuel autre film avec des annotations précises pour sa réalisation.

    Après de longues années passées, quand la vie avait repris son cours, il y avait eu cette communication téléphonique, ces quelques mots lointains de cet amant pleins de regrets, d’amour pour elle, cet oubli impossible . Ainsi veut-elle évoquer sa première histoire d’amour, celle qu’on n’oublie jamais. Ce sera « L’amant », le film d’un autre, puis ce livre. Elle est « l’enfant » et lui n’a pas de nom, sans doute pour insister sur l’aspect transitoire de cette aventure.

     

    Elle se rend à Saïgon pour ses études et relate sa rencontre avec le Chinois élégant et plus vieux qu’elle, sur le bac qui traverse le Mékong, elle se décrit comme une jeune fille de seize ans, pauvre mais insolente, qui a des relations difficiles avec sa mère, un peu délaissée par elle. Il y a ce « coup de foudre » du Chinois qui la voit pour la première fois, l’accompagne dans sa belle voiture, la séduction rapide qui les amène dans sa garçonnière mais cela ne se résume pas à une longue aventure amoureuse et sensuelle. C’est le début de leur histoire et du désir réciproque qui les animent et qu’ils s’avouent. On apprend cette liaison parce évidemment tout se sait mais il n’y a pas de scandale parce que la mère est appréciée, reconnue par tous comme une bonne institutrice, généreuse, humaine. Il y a une grande complicité et une tolérance autour de cette relation autant au lycée qu’à la pension. Elle manque les cours et découche pour rester avec lui et il y a autour de cette relation une grande tolérance, voire une forme de complicité. Elle se confie à Hélène, une élève de la pension pour qui elle nourrit une passion amoureuse.

    Ils ne font pas que s’aimer, ils parlent d’eux librement, rient ensemble, se racontent leur histoire, évoquent l’avenir quand ils seront séparés. Ils le savent parce qu’en Chine il y a des traditions autour du mariage. Son amant est fiancé à une jeune fille plus jeune, ailleurs et qu’il doit épouser sinon il perd sa généreuse dot et son père le déshérite, et puis un Chinois n’épouse pas une blanche. Elle devra repartir pour la France qu’elle ne connaît pas, tourner la page. Leur amour est sans lendemain, mais ils s’aiment. Dès lors les relations prennent un tour nouveau. Il y a des rencontres cordiales du Chinois avec la mère, ensemble ils parlent de l’amour qu’il porte à sa fille, de la souffrance et de la solitude qu’il ressent face à l’impasse de cette relation et que les larmes partagées, souvent versées, n’adoucissent pas, la peur pour la fille de tomber enceinte de son amant autant que l’espoir un peu fou d’avoir un enfant de lui pour peser sur:leur histoire, la prise en compte de la sordide misère de la famille, la volonté du Chinois de l’aider sans l’humilier, des projets d’aide financières pour le rapatriement. Et ce malgré le fils aîné plus intéressé que jamais. I ,

     

    Donc beaucoup de différences par rapport au film qui n’était qu’une adaptation du roman, lui-même riche en nuances. Il y a l’ambiance, l’étude des personnages, les relations qui se tissent entre eux .Elle décrit l’atmosphère familiale dans cette école française au sud de l’Indochine en 1930. Le père est mort, sa figure est à peine esquissée, la mère, perturbée, désabusée, désespérée vivote comme elle peut, se méfie de son fils aîné Pierre, son préféré, imprévisible, cupide, voleur, profiteur et même violent et qu’elle songe à faire rapatrier. La préférence de la fille va à Paulo, l’autre fils plus jeune mais aussi à Thanh, le chauffeur dévoué à qui ce livre est dédié. Elle l’aime d’un amour authentique, impossible aussi. Tous sont plus ou moins destinés à terme à quitter ce décor .

    Il y a toujours cette obsession de la mort qui me paraît prégnante dans ses romans, comme une fatalité parce que nous sommes mortels mais aussi une attirance face aux échecs de la vie, comme si elle devenait insupportable, parce qu’on ne peut pas revenir en arrière. Face à cet amour authentique et sans issue elle est la seule solution. La figure du père mort est lointaine, la mère préférerait que son fils aîné ne soit plus là mais son départ vers la métropole est pour elle un peu sa mort. Elle l’aime mais il met en péril le fragile équilibre de cette famille. Le Chinois voudrait bien que son père meurt...Le roman se termine sur le suicide d’un jeune passager, en haute mer.

    Ce que je retiens dans ce livre c’est la volonté d’écrire ce pan de son histoire personnelle, parce qu’écrire c’est témoigner, c’est aussi  un bonheur fou parce que la poésie y est mêlée, c’est à la fois un plaisir, une souffrance, une nécessité, peut-être une absurdité mais c’est aussi une victoire sur la mort.

     

    J’ai longtemps, à titre personnel, nourri, une sorte de rejet de l’œuvre de Marguerite Duras. Cette relecture attentive me la présente sous un jour différent qui n’exclut cependant pas certaines incompréhensions.

     

     

  • Moderato cantabile

    N°1842 – Février 2024.

     

    Moderato cantabile – Marguerite Duras – Les éditions de Minuit.

     

    « Moderato cantabile » (Chantant et modéré), c’est l’annotation musicale qui figure sur la partition que le jeune fils d’Anne Desbaresdes travaille pendant les cours privés de piano que lui dispense Mlle Giraud. L’enfant, malgré son grand talent s’obstine à ne pas comprendre le sens de cette note parce qu’il n’aime pas jouer. Il est toujours accompagné par sa mère, l’épouse du directeur des « Fonderies de la Côte » qu’on aperçoit dans ce quartier du port. Elle mène une vie bourgeoise et désœuvrée dans un secteur résidentiel à l’autre bout de la ville et vient à pied. L’appartement de Mlle Giraud est situé dans un immeuble au bas duquel il y a un café fréquenté par les ouvriers et les marins. Il fait beau et les fenêtres sont ouvertes. Lors d’une séance on entend un cri venant de l’estaminet, une femme vient d’y être assassinée et l’homme, son amant, qui l’a tuée est allongé sur elle. Il est embarqué par la police. Le lendemain Anne revient dans ce café après le cours et y rencontre un inconnu, Chauvin, qui la connaît ainsi que la maison où elle vit. Ils parlent du crime et l’inconnu prétend savoir la raison qui a déterminé la victime à demander à son assassin de la tuer. Apparemment cela intéresse Anne qui reviendra souvent rencontrer Chauvin avec qui elle se met à boire. Je m’attendais à une intrigue policière qui, sous la plume d’un grand écrivain, n’aurait pas manqué d’intérêt, mais ça s’arrête là.

    Plus ils se rencontrent, plus Chauvin tient à Anne des propos personnels voire intimes sur sa maison, ses souvenirs, sa vie. On comprend qu’il a été ouvrier aux Fonderies et peut-être davantage. Il se rapproche d’elle, elle rentre de plus en plus tard chez elle sans que son mari, bizarrement absent, ne s’en offusque. Un soir où elle doit donner une réception chez elle, elle y arrive en retard et complètement ivre. Le lendemain elle retrouve Chauvin et apparemment choisit, malgré son appréhension, de quitter sa vie facile, de partir avec lui , simple passade ou décision définitive ? Cette toquade me paraît vouée à l’échec.

    J’avoue avoir été un peu frustré par cette lecture, non que le style en soit désagréable bien au contraire, les phrases sont d’une lecture facile, mais je m’attendais à autre chose, une intrigue policière ou un roman psychologique autour de cette relation adultère... Il y a certes cette addiction de Duras à alcool qui peut favoriser l’inspiration mais peut être aussi la marque d’une certaine désespérance face à la vie, cette angoisse de la mort qui la hante depuis le décès de son père trahit peut-être une obsession plus intime, la solitude des personnages… Je ne vois rien là de chantant et de modéré.

    Je connais mal le mouvement du «nouveau roman » dont a fait partie Marguerite Duras. Ce court texte en est sûrement une illustration.

    Je souhaite noter ici une impression souvent suscitée par la lecture des romans de Duras. J’aime beaucoup l’ambiance qui se dégage des tableaux d’Edward Hopper et je la retrouve souvent sous sa plume. C’est au moins une compensation.

     

  • L'amour

    N°1841 – Février 2024.

     

    L’amour – Marguerite Duras – Gallimard.

     

    Le titre est déjà tout un programme, c’est un thème classique qui a nourri l’œuvre d’ écrivains et de poètes depuis la nuit des temps. Il faut cependant se méfier des certitudes. Duras plante le décor sur une plage à marée basse. Un homme est debout, immobile sur un chemin de planches et il regarde la mer, un autre, plus éloigné marche au hasard sur le sable et, sur la gauche une femme est assise, les yeux fermés. On ne peut pas faire plus minimaliste comme décor, énigmatique aussi puisque la ville porte le nom de S.Thala, une ville où la lumière semble s’arrêter. Ils se croisent, se parlent, on finit par comprendre qu’ils se connaissent, qu’ils ont une histoire en commun et que la femme est enceinte. On imagine un triangle amoureux dans une chronologie assez confuse et une absence d’action.

    J’avais déjà lu ce roman il y a de nombreuses années et je n’avais pas aimé à cause du style décousu qui ne me plaît guère et du scenario dont le sens m’avait échappé. Cette relecture ne m’a pas fait changer d’avis. Le livre refermé j’ai eu l’impression d’assister au tournage d’un film surréaliste dont les scènes et les dialogues sont réduits à une grande simplicité avec économie de mots et de gestes. La séquence du début me semble répondre à celle de la fin, avec, entre les deux un rêve que fait la femme. Comme dans un rêve les images se succèdent sans aucune logique. Il est question d’un hall d’hôtel, d’enfants, de prison, d’incendies dans la ville, de murs dont le nombre augmente, d’une lettre jamais envoyée… La constante idée de la mort me paraît en revanche pouvoir s’expliquer par le décès de son père et le vide qu’il a laissé. De même les incendies dans la ville peuvent faire référence à tout ce sa famille a perdu à l’occasion de sa succession et notamment sa maison de Duras destinés aux enfants d’un premier mariage. Quant à l’amour, je n’ai pas bien compris. J’ai consulté Lacan dont je ne suis pas spécialiste qui lie l’amour au hasard (Il écrit la mourre et non l’amour). Si je suis assez d’accord sur la réalité et sur le jeu de mots, ça n’éclaire pas beaucoup mes questionnements sur ce roman.

    Je ne suis pas entré dans cette histoire et j’ai vraiment la désagréable impression d’être passé à côté de quelque chose.

     

     

  • L'été 80

    N°1840 – Février 2024.

     

    L’été 80 – Marguerite Duras – Les éditions de Minuit.

     

    A l’invitation de Serge July, alors rédacteur en chef au journal Libération, l’auteure s’engage à rédiger une chronique au cours des mois de juin à août 1980. Après avoir hésité et devant l’insuccès de ses films et son absence de projets, elle accepte ce qui est pour elle une sorte de défit puisque July précise qu’il ne voulait pas qu’elle soit politique mais s’inscrive dans une actualité parallèle. Pour un écrivain qui n’est pas journaliste une telle proposition ne pouvait que la séduire mais son hésitation tenait au fait que l’acte d’écrire est forcément différent pour un chroniqueur et pour un romancier mais surtout peut-être que ses articles, imprimés sur « du papier d’un jour », soient lus puis jetés avec le journal lui déplaisait. Elle avait déjà écrit dans « L’illustration » à son retour d’Indochine et cela lui avait peut-être déplu de voir ses textes ainsi détruits après lecture. Elle a peut-être considéré qu’un texte dû à un écrivain méritait mieux que le destin éphémère d’un quotidien jetable et qu’il ne devait pas être perdu. Elle préféra donc la forme classique du livre et porta son manuscrit complet comportant dix articles aux Éditions de Minuit qui l’éditèrent en 1981, ajoutant du même coup un élément supplémentaire à sa bibliographie personnelle. Je me suis demandé si cette proposition n’arrivait pas à point nommé dans un parcours où l’écriture est une épreuve toujours recommencée. Écrire a toujours fait partie de sa vie mais c’est une discipline exigeante où l’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous et qu’un hasard peut opportunément provoquer. C’est un long travail, parfois ingrat, souvent une souffrance et demande de la disponibilité. C’est aussi un besoin vital parce que, en tant qu’écrivain elle ne peut vivre, exister, sans écrire. Cela fait partie de son être. C’est un phénomène étrange que l’écriture, soit elle s’impose à l’écrivain, s’invite à travers sa solitude ou à l’occasion d’une rencontre, soit elle se dérobe à lui, parfois sans raison, parfois parce que les évènements extérieurs sont si révoltants ou si enthousiasmants que cela devient impossible et la page blanche impose son vide. Pourtant l’écriture transcende la mort et c’est un peu une victoire contre elle. Sans lire non plus, parce que les deux actes sont complémentaires et, devant le spectacle de la mer elle lit le livre dont elle nous dit qu’il n’est pas terminé. Alors je l’imagine dans sa maison de Trouville-sur-mer, tout simplement.

    Il y a bien quelques allusions à l’actualité avec des remarques personnelles sur certains chefs d’État, des allusions historiques rapprochées de l’actualité, des mentions d’évènements alternativement rapportés soit comme des faits importants à ses yeux parce que la mort en fait partie, soit comme de simples faits divers et des considérations sur la vie, la banale marche du temps, le quotidien, les espoirs suscités, les pensées personnelles et politiques qu’elle exprime, Elle décrit le spectacle autour d’elle à travers les yeux de David, un enfant en colonie de vacances et cette évocation devient un conte où la Camarde n’est pas absente. Mais l’été c’est les vacances, le soleil, la plage avec ses planches et ses parasols, les estivants, les cerfs-volants, les enfants, le bruit de l’écume du flux et du reflux, la saveur salée des vagues, les rues vides écrasées de chaleur, les pétroliers au large du Havre ...C’est très différent de son Indochine natale, ce n’est pas la même lumière. Ce n’est pas vraiment un monde parallèle mais c’est plutôt une période entre deux parenthèses qu’on refermera à la fin de l’été.

    Ce livres est dédié à Yann Andréa qui fut son dernier compagnon. A la fin du recueil, elle évoque à demi-mots la présence d’un amant auprès d’elle, peut-être lui  ou peut-être pas?

     

    Quand j’ouvre un livre de Marguerite Duras, je le fais toujours avec une appréhension mêlée de méfiance, je ne sais pas trop pourquoi, à cause du style sans doute. Je n’ai pas eu cette impression à la lecture de ce court recueil choisi au hasard. Peut-être une invitation à lire différemment ?

     

     

     

  • Sarah, Suzanne et l'écrivain

    N°1839 – Février 2024.

     

    Sarah, Suzanne et l’écrivain – Eric Reinhardt – Gallimard.

     

    Sarah, architecte, deux enfants, mariée depuis vingt ans est en pleine crise de la quarantaine. De plus on vient de lui découvrir un cancer du sein et elle est en rémission. Elle se sent délaissée par son mari qui s’isole dans une cave de la maison. Elle veut se recentrer sur elle-même, vend ses parts dans le cabinet qu’elle possède et veut devenir sculpteur. Jusqu’à présent elle ne portait pas d’intérêt à l’argent mais elle s’aperçoit que son mari possède la majorité dans le patrimoine familial à son détriment . Il y a explications, promesses de réajustement de la part de son mari, mais rien ne change. Elle décide donc de vivre ailleurs pour provoquer une réaction qui là aussi se retourne contre elle, ses enfants étant adolescents. Sarah s’aperçoit que son départ l’a fait sortir de la vie de cette famille aussi sûrement que si elle était morte de son cancer. Consciente qu’elle n’est plus à sa place dans ce microcosme, elle confie donc l’histoire de sa vie à un écrivain qu’elle apprécie et qui la fait devenir Suzanne, une femme de papier un peu différente d’elle mais qui est en réalité son double. Cette dernière se heurte aux éditeurs qui refusent le manuscrit de son roman ce qui est pour l’écrivain une manière de mêler sa propre vie et de jouer de son côté sa propre partition créatrice se mêlant à ce chassé-croisé entre la fiction et la réalité. Par un jeu de miroirs, le texte passe de Sarah à Suzanne, révélant le travail de création de l’écrivain, un étrange triangle qui est cependant un peu perturbant pour le lecteur qui peut s’y perdre. J’ai personnellement déploré certaines longueurs et ressenti une désagréable impression de décousu par l’absence de transitions entre le personnages des deux femmes .

    Cette construction est originale non seulement avec la technique de mise en abyme mais également avec ce jeu entre réalité et imaginaire qui semble avoir déjà été employé par lui précédemment. J’ai lu ce roman comme celui de l’usure des choses, dans le mariage en particulier quand on prend conscience, le délire amoureux passé, du vrai visage de son conjoint. La lassitude qui en résulte peut s’avérer désastreuse ou s’inscrire dans l’indifférence avec la préservation de ses intérêts personnels et la recherche individuelle d’un centre d’intérêt pour se protéger ou se libérer des contraintes conjugales. C’est une forme de fuite assez inévitable après des années de vie commune. Sarah veut contraindre son mari à changer de comportement face aux violences psychologiques qu’il lui inflige mais je ne suis pas bien sûr que la solution imaginée par Sarah soit une thérapie efficace puisqu’elle l’approche des rive de la folie.L’épilogue m’a un peu rassuré.

  • lA MALADIE DE LA MORT

     

    N°806 – Septembre 2014.

     

    LA MALADIE DE LA MORT - Marguerite DURAS - Les éditions de Minuit.

     

    C'est une sorte de drame intime qui se déroule dans une chambre d'hôtel au bord de la mer entre une femme apparemment payée pour être là, pour se soumettre et un homme, incapable d'aimer et qui lui dicte ses volontés. Dans cette relation à la fois simple et compliquée il y a des rites. Tous les soirs, la femme arrive, se couche nue dans le lit de l'homme et elle s'endort. L'homme la regarde dormir. Ils parlent peu et cette absence de dialogue semble être aussi une règle édictée par l'homme à moins qu'il n'aime que le silence. Il lui arrive de lui faire l'amour mais apparemment c'est sans joie, un peu par hasard et quand la jouissance est au rendez-vous pour elle, il ne veut pas qu'elle le montre ni même qu'elle y fasse allusion. Ils ne savent rien l'un de l'autre et veulent continuer ainsi et l'absence de nom souligne cette notion impersonnelle. Il arrive à cet homme de ne pas la toucher, de la laisser dormir, de la regarder de loin et de pleurer. Il pleure sur lui, sur son incapacité à aimer les autres et les femmes en particulier. Apparemment cette femme n'est pas une prostituée, ou alors nous avons affaire à quelqu’un d’intellectuellement supérieur, mais cette relation est cependant tarifée ce qui ne manque pas d’ambiguïté. Je peux imaginer que cet homme invite cette femme à venir le rejoindre pour assouvir une passion autre que charnelle qui peut parfaitement être de nature fantasmatique ou purement intellectuelle. Quant à elle, l'auteur semble lui conférer un rôle « thérapeutique ». Elle aurait un diagnostique naturel : non seulement elle lui révèle qu'il est atteint de la maladie de la mort parce qu'il lui est impossible d'aimer mais aussi qu'elle a accepté de venir auprès de lui pour l'en délivrer. Cette maladie est mortelle « en ceci que celui qui en est atteint ne sait pas qu'il est porteur d'elle, de la mort. Et en ceci aussi qu'il serait mort sans vie au préalable à la quelle mourir, sans connaissance aucune de mourir à aucune vie » ».  Veut-elle nous dire que la vie est une maladie mortelle ? Nous le savions déjà !

     

    L'homme semble en effet être dans un état psychologique catastrophique et tente sans doute de s'en sortir par cette expérience qui paraît promise à l'échec mais qui est assurément la dernière avant sa mort qu'on peut entrevoir. Il me semble d’ailleurs que les draps dans lesquels repose la femme peuvent signifier une sorte de linceul, le sommeil peut-être regardé comme l'antichambre de la mort, les pleurs répétés de l’homme, évoquer le chagrin inspiré par une perte irrémédiable, la lumière à l'intérieur de la chambre évoquer pourquoi pas la lueur d'un tombeau. J'observe que la mer est noire mais sans majuscule, ce qui peut signifier qu'on est au bord de n'importe quel océan mais surtout que la couleur choisie veut rappeler le deuil. L'élément liquide quant à lui peut évoquer le passage vers autre chose, vers un autre monde que les mythologies ont souvent repris à leur compte. Ainsi l'idée de la mort est-elle incarnée alternativement par l'homme et par la femme mais à un certain moment il désire la tuer parce qu'elle incarne la vie, une vie qu'il ne peut atteindre ou qui se refuse obstinément à lui ! Les indications scéniques de la fin du roman peuvent être ainsi interprétées.

     

    Une partie du texte est écrit au conditionnel surtout quand il s'agit de la femme, de sa conduite face à l'homme. L'auteur y mêle également le présent et interpelle son lecteur, le mettant à la place de l'homme. J'ai eu beaucoup de mal à sentir ce rôle. Quant à la rédaction, elle est hachée, difficilement lisible et ne procure pas, à mon avis une lecture agréable.

     

    Je concède qu'il y a parfois des moments poétiques, surtout quand l'homme regarde avec crainte la nudité de la femme [« Vous regardez cette forme, vous en découvrez en même temps la puissance infernale, l'abominable fragilité, la faiblesse, la force invincible de la faiblesse sans égale »] mais son regard se fait obsessionnel quand il pose avec insistance ses yeux son son sexe et sur ses seins, ce qui trahit une sorte de refoulement. Cela se transforme évidemment en images érotiques mais avec une notion d'impossibilité. D'ailleurs il lui avoue qu'il n'a jamais regardé, désiré ni possédé ni bien sûr aimé une femme avant elle. Elle est en quelque sorte en elle-même une prise de conscience du mal que l'homme porte en lui et quand cela est formulé par elle, la chambre s'éclaire. A partir de ce moment, il y a entre eux une sorte d'échange, d'explication autour du concept de l'amour [« Vous demandez comment le sentiment d'aimer pourrait subvenir. Elle vous répond : peut-être d'une faille soudaine dans la logique de l'univers. Elle dit : par exemple d'une erreur. Elle dit : jamais d'un vouloir »]. Cela étant dit, elle disparaît sans espoir de retour, ne laissant qu'une empreinte froide dans les draps, mais le ciel pour l'homme s'éclaircit comme si le passage de cette femme dans sa vie, y compris dans sa dimension sensuelle et érotique, avait été une révélation et même une libération, une sorte de retour à la vie.

     

    J'avoue que je n'ai jamais beaucoup aimé Marguerite Duras. J'ai toujours refusé de lui trouver du talent au seul motif que la presse spécialisée avait été soudain laudative, surtout après son prix Goncourt. Les romans successifs que j'ai lus d'elle m'ont laissé indifférent, tout comme celui-ci. Je n'ai peut-être rien compris, je suis peut-être passé à côté d'un chef-d’œuvre mais, même s'il peut m'arriver à moi aussi d'être dans un état un peu second, j'avoue qu'une lecture attentive de ce roman ne m'a pas procuré la moindre émotion. Était-ce une étude sur le fantasme masculin, le désir inassouvi, l'impossibilité de conquérir une femme, de la posséder autrement qu'en la payant, un rappel de la supériorité sensuelle et esthétique voire intellectuelle de la femme ? Peut-être ! Si c'était pour nous rappeler que nous sommes mortels, ce n'était pas la peine d'en faire tant. Si c'est pour nous dire qu'elle sentait sur elle l'ombre de la Camarde, là c'est parfaitement respectable, mais ce roman m'a laissé, un peu comme à chaque fois, un goût d'inachevé, de vide, de malaise. C'était sans doute son but ?

  • L'amant

    N°1838 – Février 2024.

     

    L’amant – Marguerite Duras – Les éditions de Minuit.

    Prix Goncourt 1984.

     

    On a beaucoup parlé de ce roman au moment de sa publication et surtout de son prix Goncourt. J’avais gardé de ce live le souvenir d’une histoire d’amour entre une jolie jeune-fille blanche et un Chinois plus riche et plus vieux qu’elle dans l’Indochine coloniale française. Elle recherche avec lui le plaisir puis part pour la France.

    Cette relecture, quarante ans après, m’a fait voir les choses sous un autre angle, celui d’une fille qui s’oppose en permanence à sa mère qui préfère son frère aîné pourtant plus arrogant et irrespectueux. Le portrait qu’elle en fait le révèle malhonnête, détestable, hypocrite, profiteur et malgré cette réalité leur mère le porte au pinacle. Cette différence flagrante faite entre elle et lui la révolte et l’incite à se libérer de l’emprise maternelle. L’empressement avec lequel elle cède à cet homme rencontré par hasard trouve sans doute en partie son explication. Il me semble que cet aspect du roman avait été quelque peu gommé au moment de sa publication au profit de l’histoire d’amour.

    La famille de modestes instituteurs vit dans la gêne, et cette jeune fille voit dans cette liaison qui va durer un an et demi non seulement l’occasion de découvrir les plaisirs de la chair, de transgresser un interdit, de bousculer un tabou mais également de s’émanciper de cette cellule familiale pleine de haine où elle se sent à l’étroit. Adolescente, elle a longtemps rêvé des hommes que son jeune et joli corps ne laissaient pas indifférents et aussi des femmes qui voulaient séduire et à qui elle voulait ressembler. Elle évoque d’ailleurs des figures de féminines qu’elle a croisées et qui l’ont fascinée. Sa mère avec qui elle a des relations difficiles la destine aux mathématiques alors qu’elle a déjà l’intuition que sa vie sera tournée vers l’écriture ce qui est loin d’emporter l’accord maternel.

    La rencontre avec cet homme qui sera toujours dénommé comme « l’amant ou le Chinois de Cholen » se fait sur le bac qui traverse le Mékong pour aller au collège français de Saïgon. Plus tard c’est aussi ce fleuve qu’elle doit traverser pour la rejoindre dans sa garçonnière. Il y a quelque chose d’initiatique dans ce trajet, une habitude vers le plaisir qu’elle recherche, le passage rituel vers sa nouvelle vie de femme. S’il tombe instantanément amoureux d’elle et si apparemment il le reste malgré les années, il me semble que cet amour n’est pas vraiment partagé par elle qui voit dans cet événement une occasion de connaître ce à quoi elle a toujours rêvé et qui lui manque cruellement, la jouissance, l’amour, l’argent, la reconnaissance. Rapidement la jeune fille devient la maîtresse du Chinois et pour lui elle brave le règlement du collège, elle ment à sa mère, abandonne ses traditionnels vêtements élimés et retaillés pour d’autres plus voyants, mais leur relations a quelque chose d’étrange, faite de silences, de timidité, de tristesse, de larmes, de regrets, de retenues autant que d’élans amoureux. Si c’est pour elle sa première expérience sexuelle, lui au contraire a déjà connu beaucoup de femmes et elle prend conscience qu’elle fait partie de ses nombreuses conquêtes, rien de plus. Il y a entre eux une sorte de trouble né sans doute de leur défaut d’avenir ensemble puisqu’ils savent qu’ils ne pourrons jamais se marier et que cette passade sera sans lendemain. Il obéira à l’injonction paternelle de l’oublier et elle partira pour la France. L’idée de la mort est en permanence présente dans ce texte et tout ceci donne à ce roman une dimension bien différente de ce que le film de Jean-Jacques Annaud avait donné à voir. Marguerite Duras publiera en 1991 « L’amant de la Chine du nord », sorte de texte complémentaire à « L’amant ».

    C’est aussi un livre largement autobiographique où le temps se dilate. Les souvenirs se superposent, compliquant la compréhension. Elle y évoque non seulement des événements antérieurs à cette rencontre mais surtout des détails qui ont suivi son retour en France. Le ton est bien différent surtout quand se mêlent son histoire à celle de sa mère, triste et tragique.

    Marguerite Duras a laissé dans notre littérature une empreinte beaucoup prégnante que nombre de prix Goncourt. Cette relecture ne m’a pas vraiment convaincu à cause du style quelque peu décousu avec pas mal d’analepses et de digressions.

     

     

     

     

     

  • Marjan ne fait pas le bonheur

    N°2

    Janvier 1980

     

     

    MARJAN ne fait pas le bonheur.

     

     

    « L’esprit fait rire aux éclats des millions de lecteurs, l’humour n’a jamais fait sourire que quelques-uns », s’exclame Jacques Steinberg.

     

    Marjan, qu’un récent livre scolaire classe parmi les humoristes noirs nous propose encore son voyage dans l’exotisme de son inspiration. Il promène sur la réalité des choses la sensibilité du poète et les mots de l’humoriste. Par exemple, voici « Le quatuor » :

     

    « N’attendant pas la moindre manne

    des salles sans mélomane

    le pauvre quatuor à quatuor à cordes

    s’exhibe en forêt

    devant la foule des dimanches.

    Le pauvre quatuor à cordes

    Se balance lentement

    En haut e quatre branches. »

     

    Il raille, joue sur les mots, fustige et se dérobe :

     

    « Il débuta dans la nature

    comme vulgaire tireur d’oiseaux

    de bon au mauvais augure.

    Ayant de l’ambition

    Il prêta attention

    Aux hauts personnages.

    En les prenant pour cibles

    Il devint tireur d’élites… »

     

    Pour enfin voir les choses en face et revenir à une réalité plus ordinaire sans pour autant se départir de cet humour parfois grinçant :

     

    « La doctoresse au profil de reine

    va venir examiner nos veines.

    Préparons-nous à l’accueillir, et, à son intention ?

    Ouvrons en une… »

     

    Écrire, c’est un peu comme il le dit lui-même « ausculter l’humanité, d’accord, mais c’est d’abord s’ausculter soi-même ». N’est ce pas là un extraordinaire aveu ?

     

    Au vrai, l’humour ne se définit pas facilement et Marjan pose et résout cette équation étrange dont l’inconnu est notre sourire… et nos questions !

     

  • Triste tigre

    N°1837 – Février 2024.

     

    Triste tigre – Neige Sinno – P.O.L.

    Prix Femina 2023

     

    De sept à dix-sept ans, dans les années 90, Neige a été violée par son beau-père, elle a porté plainte à dix-huit. Il a avoué, il a été jugé et condamné.

    C’est une confession, une réflexion sur l’inceste, une révolte, mais aussi un texte hybride où l’auteur s‘exprime à la première personne et s’adresse directement au lecteur qu’elle invite à prendre son témoignage avec précaution. Ce n’est en effet ni un récit, ni une fiction, c’est une sorte demande faite au lecteur de se mettre dans sa tête de victime. C’est aussi, un témoignage en forme d’avertissement pour informer et protéger tous les enfants ainsi abusés.

    Elle avoue que très tôt elle a eu l’intuition qu’écrire serait « le centre de sa vie ». Ce livre est aussi une réflexion sur l’écriture, la possibilité et l’impossibilité de l’exercer, l’indispensable temps de la maturation des mots. C’est plutôt sur cet aspect des choses que va ma réflexion. Elle décrit, avec parfois des détails assez sordides, les différentes phases de cette agression et analyse alternativement ce qui se passe dans sa tête et dans celle de son violeur, prenant comme références des ouvrages littéraires, des citations, d’autres exemples de bourreaux, de pervers ; sans négliger ce long et difficile examen, je me suis intéressé davantage à la thérapie qu’elle a choisie pour tenter de se libérer de cette opprobre. Très tôt, à travers un journal intime, d’ailleurs offert par son beau-père, elle a confié au papier ce qu’était son calvaire, mais elle l’a rapidement brûlé. Trente années plus tard, parce que cette forme d’écriture nécessite le temps du recul et du mûrissement, elle a écrit ce livre pour tenter une nouvelle fois de mettre des mots sur ses maux mais aussi de faire enfin éclater son dégoût trop longtemps contenu, en cherchant un sauvetage éventuel dans la littérature. Ce sont les quelques phrases laconiques de la quatrième de couverture où elle confie cet échec qui m’ont décidé à lire ce livre. Les mots, la littérature et l’art en général sont considérés comme une forme d’exorcisme d’un mal-être pour ceux qui peuvent s’exprimer ainsi. Ils se créent une sorte de bulle qu’ils espèrent salvatrice. Pourtant, il arrive souvent que cette démarche incertaine soit si aléatoire qu’elle s’accompagne de l’usage de paradis artificiels et que leur quête débouche sur le suicide. La posture artistique entreprise est donc vaine pour celui qui l’a mise en œuvre, même si elle enfante des chefs- d’œuvres légués à l’humanité. C’est une idée reçue, véhiculée par les médias ou généralement admise dans l’opinion que les mots libèrent. Je n’ai pas vraiment eu ce sentiment ici et j’ai d’ailleurs toujours prétendu le contraire.

    Ce n’est pas seulement une rébellion contre cet homme sans nom. Au procès son beau-père a avoué, ce qui était peut-être une forme d‘expiation mais aussi une stratégie pour peser sur le jury populaire des Assises. La justice est certes passée, il a payé sa dette à la société, cinq ans avec les réductions de peine pour bonne conduite. Ce livre est donc aussi une critique du système pénale et pénitentiaire et la réclusion de son parâtre n’a rien changé pour elle puisque, au terme de sa peine cet homme a refait sa vie, libre et parfaitement capable de recommencer. Quant à elle, cette sanction a donc été sans effet puisqu’elle a tout perdu et portera cela toute sa vie avec la solitude le poids de cette enfance volée.

    II y a certes eu des prix qui ont récompensé cet ouvrage, consacrant sa démarche courageuse et lui ouvrant les portes d’une carrière littéraire renouvelée et prometteuse, mais qu’en est-il de ce livre? Le titre évoque un poème de William Blake et l’auteure dessine un être, son beau-père, au début présenté comme quelqu’un avec « des bons côtés » mais dont l’auteure, au fil de la narration, dévoile le vrai visage, celui d’un prédateur qu’elle souhaite rendre triste par la publication de ce livre, la révélation de sa vraie nature. C’est aussi peut-être une sorte de revanche, une justice personnelle contre le tribunal qui a ses yeux a failli. Les mots prennent leur source dans l’autobiographie mais avec une forte empreinte émotionnelle. Cela induit une écriture apparemment anarchique dans l’architecture du texte mais qui génère une lecture rapide et fluide. C’est difficile d’aborder le thème de l’inceste, longtemps tabou, dans le cadre de la famille qui est un des piliers traditionnels de notre société et qui est censée porter nos valeurs sociales, éducatives, morales, religieuses et qu’on est naturellement porté à la défendre. Pourtant, c’est bien en son sein que se développent d’abord les mensonges les hypocrisies et les trahisons qui ont souvent pour effet, sinon pour but, de détruire l’un de ses membres, évidemment plus vulnérable, surtout s’il s’agit d’un enfant. Elle dénonce également tous ceux dont c’était pourtant le rôle qui n’ont pas su ou pas voulu voir ce qui lui arrivait et la protéger. A ses yeux leur culpabilité éventuelle et de principe n’est pas suffisante.

     

    Un livre est souvent porteur d’un message. Celui-ci ne se contente pas de raconter une histoire, il est un témoignage pour tous les enfants devenus grands qui ont à subir un traumatisme, de nature sexuel ou autre qui peut s’exprimer comme la domination d’un puissant sur un vulnérable, qui a été de nature à leur voler leur enfance. La solitude et la tristesse qui en résulte a de grandes chances de les poursuivre toute leur vie. La lecture d’un tel livre est forcément subjective et ne laisse pas indifférents tous ceux, et ils sont nombreux, qui ont subi une blessure semblable ou différente dans leur enfance.

     

     

     

  • Les jardins d'Allah

     

    N°1836 – Février 2024.

     

    Les jardins d’Allah – Sylvain Tesson- Phébus.

     

    Arpenteur impénitent de notre vaste monde, Sylvain Tesson, avec ce recueil de quatorze courtes nouvelles se tourne naturellement vers les terres lointaines au-delà de notre horizon, celles de l’Orient, de l’Inde. En fin connaisseur de l’espèce humaine il retisse avec sa plume un univers où l’homme est prompt à voir dans les manifestations du quotidien le plus banal le doigt de Dieu qui intervient dans la vie des pauvres hommes qui le vénèrent. Ainsi s’interroge-t-il, l’air de rien, sur leur crédulité et sur l’absurdité de leur conduite quand celle-ci se met à prendre une dimension religieuse et ainsi à oublier l’élémentaire raison qui devrait gouverner chacun de nos actes. C’est d’autant plus facile qu’une religion est avant tout une somme d’interdits qui sont censés vous procurer une vie éternelle dans « un monde meilleur » dont nul n’est jamais revenu pour en attester la véracité. D’autre part l’imagination humaine est sans limites et quand, pilotée par quelque mystique illuminé ou par un clergé besogneux et intéressé, elle s’aventure dans le domaine religieux, c’est carrément du délire. On voit des miracles partout, des manifestations divines dans les moindres détails de notre vie, ce qui atteste sans le moindre doute l’existence de divinités supérieures auxquelles il convient de croire et qui évidemment méritent notre respect et notre culte sans condition. On y ajoute un peu de mystère, une histoire qui sort du commun, qu’on répète inlassablement depuis des siècles, en y rajoutant éventuellement de temps en temps une petite couche, et le tour est joué. Si d’aventure quelqu’un à l’outrecuidance de remettre tout cela en cause au nom d’une révélation contraire ou d’un simple raisonnement, on le voue aux gémonies et on le fait taire de la plus simple des manières. Les religions ont pour raison d’être l’amélioration individuelle de chacun par l’observation des vertus, la prière, la discipline, l’abstinence, le sacrifice mais elles maintiennent également les différences sociales entre les hommes et évitent que ces inégalités consacrées par la société ne soient bousculées par une éventuelle émancipation. Les différentes confessions, portées au rang de croyances à la fois obligatoires, inattendues et surréalistes, existent entre autre pour canaliser les pulsions humaines dans ce qu’elles ont de criminelles.et ainsi de les modérer voire de les annihiler. Cette fonction morale est louable à condition qu’elle ne soit dévoyée par ceux-là mêmes qui la revendiquent et sont chargés par leur statut de la mettre en œuvre. Le prosélytisme, le fanatisme, la guerre sainte, le djihad, le terrorisme ne sont jamais très loin qui autorisent la violence et la mort alors qu’on s’attend plutôt à de la tolérance. Quant à l’amour physique qui attire un être vers un autre, il vaut mieux ne pas y penser surtout si cette attirance va à l’encontre des principes religieux.

    L’auteur, avec le sens subtil d’une dérision de bon aloi, multiplie les exemples tirés de ses connaissances théologiques pour nous faire toucher du doigt les contradictions de ces croyances qu’une foi millénaire et une soumission doctrinale inconditionnelle ont incrusté dans l’esprit des fidèles qui n’ont jamais mieux mérité leur nom. Cela peut porter le nom de blasphème qui est heureusement autorisé dans notre république démocratique et laïque. Il ne lui est pas difficile de mettre ainsi en œuvre par l’exemple cette volonté de caricature et ni l’islam ni l’hindouisme ni le bouddhisme ni le judaïsme n’échappent à sa fougue humoristique que j’ai appréciée tout au long de ce recueil. De là à dire que toutes les religions se valent !

    Est-ce par prudence ou par conviction personnelle qu’il se limite à une critique des religions ultramarines. Ce recueil qui parle également des ravages du temps, phobies qui ravagent le quotidien des humains et ruinent leurs rêves et leurs espoirs, la destiné implacable qui vous poursuit et annihile tous vos efforts pour la contrer. On peut l’attribuer à une hypothétique divinité, à un hasard malheureux ou à la malchance si on en a envie et je partage avec l’auteur la certitude que, lorsque vous voulez absolument éviter quelque chose, les événements viennent obligatoirement contrarier tous vos efforts et vous obtenez le résultat inverse de celui recherché (Tu finiras brûlé) .

     

     

  • Les contemplées

    N°1835 – Février 2024.

     

    Les contemplées – Pauline Hillier -La manufacture du livre.

     

    Pour avoir manifesté, en Tunisie, en faveur d’Amina Sbouï, une jeune militante tunisienne, accusée d’avoir accrocher une banderole féministe sur les murs d’un cimetière, et surtout de l’avoir fait « seins nus » aux côtés des Femen dans un pays musulman, Pauline Hillier, une jeune française est arrêtée. Nous sommes en 2013 et cette jeune femme de 26 ans à l’époque est une militante féministe. Elle est incarcérée à la Manouba, « La mangeuse de femmes » selon l’auteure, une sordide prison à Tunis avec pour seul livre en sa possession « Les Contemplations » de Victor Hugo et deux autres femens dont elle ne parle pas. La description qu’elle fait de la vie ici, monotone, routinière, avec sa hiérarchie, sa discipline, ses délations, donne toute la mesure des bassesses dont la nature humaine est capable mais aussi, à travers l’histoire de chacune, celle d’avant leur incarcération et celle qui les a amenées ici, le mépris, les humiliations, la violence qu’elles doivent subir de la part des hommes jusqu’au sein de leur propre famille et en fait le sordide catalogue.

    Au départ elle n’est pas vraiment acceptée par les autres détenues parce que son acte de manifester va à l’encontre de leur culture. Pourtant cette promiscuité, le fait qu’elle soit étrangère, font naître une solidarité, une fraternité de partage qui s’organise à son profit autour de ses dons de voyante supposés, elle prend conscience du quotidien fait de ce livre une sorte de d’acte militant à sa manière. Cette crédulité inattendue dans ce don imaginaire lui confère une position privilégiée et lui donne accès d’une manière parfois inattendue à ces femmes qu’elles soient détenues ou surveillantes

    L’auteur présente ce livre comme un roman, une fiction. J’y ai plutôt vu un témoignage autobiographique dont le style brut n’a rien de romanesque. Le texte a mûri pendant cinq années, sa vie a changé depuis, mais elle a choisi de manifester son soutien à ces femmes musulmanes, souvent accusées sans preuve, sur simple dénonciation, parfois sur des ragots, de porter témoignage de leur condition dans une société patriarcale qui leur est défavorable et dans cette prison, de les remercier aussi pour la leçon d’humanité qu’elles lui ont donnée.

     

     

  • Déserter

    N°1834 – Février 2024.

     

    Déserter – Mathias Enard – Actes sud.

     

    Ce roman, c’est d’abord un titre, laconique, sibyllin, une sorte d’invitation à la désobéissance, une envie de bouleverser les choses établies, la fidélité, l’engagement qu’on finit par trahir et par fuir. Deux histoires s’y entremêlent sans apparemment aucun lien entre elles. On retrouve cette démarche initiale dans la première évocation, celle d’un soldat anonyme qui quitte une guerre inconnue, parcourant prudemment à pied un paysage méditerranéen pour rejoindre une vieille bergerie délabrée et vide, perdue dans la montagne, berceau de son enfance, où il sait que personne ne viendra l’y chercher. Sur lui il porte les traces des combats, un treillis puant, des galoches usées, pleines de merde et de sang, un fusil, un sac… Une femme viendra qui le connaît et le craint et tout son passé refait surface, celui de l’enfance, de la guerre aussi.

    C’est un personnage fictif, tout comme l’est celui de la seconde histoire, ce mathématicien et poète allemand, antifasciste, Paul Heudeber, rescapé d’un camp de concentration, auteur des « Conjectures de Buchenwald ». Ces deux histoires se juxtaposent sans qu’il soit possible, à tout le moins au début, d’en saisir Les points communs. Paul, génie des mathématiques, après la chute du Mur et l’effondrement du rêve communiste, a choisi de demeurer en Allemagne de l’est par fidélité à son idéal et ce, bien qu’il soit amoureux fou de Maja qui elle a choisi de vivre à l’ouest et d’y faire une carrière politique différente. Leur amour, sa fidélité à l’utopie marxiste, l’existence de leur fille Irina ne changent rien à sa détermination. Nous sommes le 10 septembre 2001, sur un lac près de Berlin et un congrès a choisi de rendre hommage à sa mémoire et à son œuvre où les poèmes se mêlent aux raisonnements mathématiques. Maja est aussi une figure, elle à qui ses mots s’adressent malgré la distance, c’est une militante du féminise avant la lettre, une mère célibataire, une femme libre a la fois désirable et respectable.

     

    Mathias Enard est un érudit qui s’est longtemps penché sur l’orient et cela se sent dans son œuvre autant que dans son parcours personnel. Il affectionne le rythme syncopé par l’alternance des phrases courtes et d’autres parfois démesurées. Il serait intéressant de pouvoir percer le mystère de cette architecture assez inattendue où le lecteur se perd parfois. Il alterne les descriptions, les évocations et le narrateur interpelle les personnages mais aussi leur laisse la parole tout en adressant à Dieu des prières alternativement propitiatoires et jaculatoires. La poésie est omniprésente dans le récit consacré au soldat et seulement épisodique et sous forme de poèmes ou de mots d’amour dans celui des lettres échangées jadis entre Paul et Maja. Ces deux histoires s’entremêlent pourtant ; le thème du père est très présent dans le témoignage d’Irina et d’une façon plus estompée dans celui du soldat mais ce qui s’impose à mon esprit c’est aussi l’obsession de la solitude et de la mort. Dans ces deux récits il y a la guerre, lointaine mais bien réelle d’une part, plus larvée dans un contexte de lutte idéologique et politique d’autres part, l’auteur lui-même, sorte de troisième personnage s’inscrivant aussi dans ce contexte à raison de son parcours personnel dans un orient où les conflits sont permanents. Même l’occident n’échappe pas à la violence, l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center à New-York, puis plus tard l’invasion de l’Ukraine par la Russie rajoutent de la barbarie dans un monde qui en regorge déjà. Cette irruption de violence vient contredire ce que capitalisme triomphant nous avait fait croire et qui s’effondre dans le fracas du 11 septembre, comme est interrompu le colloque sur Paul Heudeber. De même l’invasion de l’Ukraine rappelle à notre génération qui n’avait pas connu de guerre que l’homme porte en lui ses propres germes de destruction.

     

    Mais revenons au titre, tous les personnages ont déserté leur milieu pour y échapper, parce que déserter c’est fuir, abandonner. Irina a toujours eu conscience du modèle écrasant et inaccessible pour elle que sont ses parents et a voulu y échapper par la distance mise entre elle et eux. Pourtant ce parangon maternel est entamé par la révélation par Pawley, un ami américain du couple, que Maja s’est accordé avec lui, il y a longtemps, une parenthèse amoureuse, tout juste ravivée lors de ce congrès, un détail qu’il veut révéler à Irina avant de mourir. L’image si forte de cette mère est aussi ébréchée par l’aveu fait à son amant d’avoir trahi Paul en ne le préservant pas de son arrestation par la Gestapo. Paul Heudeber a fui le monde réel parfois bien contradictoire pour celui des mathématiques et on laisse planer l’éventualité d’un suicide au sujet de sa mort, justifiée peut-être par sa prise de conscience des trahisons qui l’ont entouré et qu’il ne méritait pas. Les vérités « officielles » qu’on entretient sur les êtres, surtout après leur mort, ne sont que des apparences, des mensonges. La femme qui accompagne le déserteur fuit ce monde qui l’a vomie et déshonorée et lui cherche à échapper à la violence de la guerre et peut-être un peu lui-même parce que ce conflit lui a révélé sa propre image qui lui fait horreur. Il rachète cependant son passé fangeux par son attitude digne face à sa prisonnière, donnant ainsi une dimension humaine, voire religieuse à ce récit.

     

    Mathias Enard a confié, dans une interview qu’il avait mis longtemps a écrire ce roman, comme s’il l’avait porté en lui sans pouvoir en tracer les lignes. Cela rajoute pour moi au mystère de l’écriture qui n’est pas qu’une histoire qu’un auteur raconte à son lecteur, c’est le résultat d’une quête, d’une souffrance autant qu’un exorcisme, une longue impossibilité autant qu’une obligation urgente. Le livre refermé j’ai le sentiment de n’avoir pas tout compris ou d’avoir reçu quelque chose qui ne correspond pas forcément à ce que l’auteur voulait dire mais de me l’être approprié comme une vérité personnelle. Nous fuyons tous une forme de réalité qui peut s’avérer parfois intimement obsédante au point de ne pas vouloir nous l’avouer à nous-mêmes, de ne pas pouvoir y mettre des mots.

     

     

     

  • Sur les chemins noirs

    N°1833 – Février 2024.

     

    Sur Les chemins noirs – Sylvain Tesson- Gallimard.

     

    D’abord la chute d’un toit, le coma, l’hôpital, avec de graves séquelles sur son corps, puis le vœu un peu fou de traverser la France à pied s’il s’en sort, un peu comme ces combattants qui au plus fort des combats jurent d’entrer en religion s’ils survivent. Pour ce voyage, l’auteur privilégie cependant les sentiers abandonnés qui lui permettent de voir le pays sous un jour différent, un trajet de Nice à l’extrême pointe du Cotentin, trois mois de marche solitaire, parfois entrecoupée par un accompagnement amical, dans le rougeoiement de l’automne. Ce seront « les chemins noirs » mais aussi une manière originale de mener sa rééducation, de renouer avec la vie sauvage, l’aventure, la liberté, un œil sur la carte IGN, l’autre sur les pages d’un livre, une balade intellectuelle mais aussi une bonne manière de conjurer la perte de poids qui est une des obsessions de notre société actuelle, de parfaire sa condition physique. Ce mode de vie itinérant est pour lui l’occasion de renouer avec la marche et la nature, la vie simple, bucolique et marginale, de sortir des sentiers battus de la civilisation, un vrai défi, une renaissance après avoir frôlé la mort. Sa « longue marche » au milieu de spectacles changeants, loin des villes, de leur bruit et de leur goudron, lui donne à voir des villages fantômes, des maisons fermées, désertées, des fermes abandonnées, des lieux déserts mais hérissés d’interdictions placardées, des chemins qui disparaissent des cartes, mangés petit à petit par les agriculteurs qui les intègrent à leurs parcelles cultivables et on songe à ce que Gaston Couté disait déjà des « mangeux d’terre ». Son cheminement à la fois attentif et passionné lui fait communier avec le silence, la lenteur, suscite en bloc des questions simples qui dérouteraient les énarques décideurs, lui donne à voir une nature détériorée par la folie des hommes, par les aberrations de la gestion comptable qui favorisent l’économie au détriment de l’écologie, une agriculture devenue industrie, les méfaits de la mondialisation et de notre addiction aux nouvelles technologies qui nous masque, par écrans interposés, la simple beauté des choses et colonise notre propre vie au quotidien.

    Parcourir ainsi cette géographie rurale l’invite à revisiter l’histoire désormais sacrifiée au nom de la modernité des lieux parcourus, à réfléchir sur le présent et à méditer sur un avenir jugé quelque peu incertain.

    J’ai aimé ce trajet, vécu sans doute comme le prolongement de quelque chose. J’en ai apprécié le style fluide et poétique, riche de descriptions et j’ai presque eu envie de reprendre à mon compte cet art du voyage à pied, moi dont les origines charentaises me font goûter le port de ces pantoufles confortables et préférer l’été. Que reste-t-il de ce périple transversal que seule l’eau, tolérée par la faculté, est venue irriguer, le vin, symbole et richesse des régions traversées lui étant interdit ? Des souvenirs journellement engrangés, des images lyriques confiées à la page blanche, les bivouacs nocturnes entre feu de camp et sommeil de belle étoile où les repas semblaient accessoires, bref un livre plein de remarques en forme d’aphorismes et de citations d’intellectuels.

    Sylvain tesson ne laisse pas indifférent, suscite même la polémique par ses écrits et son impact dans l’opinion. Pour moi je retiens ce livre qui fut une belle découverte..

  • Une vie

    N°1832 – Février 2024.

     

    Une vie – Guy de Maupassant – Librio.

     

    Jeanne, 17 ans, la fille unique du baron et de la baronne Le Pertuis des Vauds sort du couvent où elle recevait une éducation chrétienne comme c’était l’usage à l’époque dans la noblesse. Ses parents organise sa vie dans leur château normand en espérant bien la marier et avoir ainsi une descendance. Un peu par hasard, elle rencontre le vicomte Julien de Lamarre et ils se marient rapidement . De l’amour elle ne connaissait que celui que chantent naïvement les poètes dans leurs quatrains mais, petit à petit, elle prend conscience du vrai visage de ceux qui l’entourent, gouverné par l’hypocrisie, le mensonge, la trahison, l’adultère, une autre vision des choses, inattendue pour elle, ce qui est bien souvent l’ordinaire de la famille et du mariage. Son mari se révèle un être pingre, autoritaire, volage, sa mère moins vertueuse qu’elle ne l’aurait pensé... Ainsi se tourne-t-elle vers l’église et Dieu comme une compensation ce qui n’est pas sans accentuer le sentiment de solitude qui peu à peu envahit sa vie.

     

    Maupassant bien qu’il ait mené une vie parisienne quelque peu libertine aimait revenir dans sa Normandie. Il y retrouvait ses racines et son décor. Il se souvient du séjour qu’il fit dans un établissement confessionnel d’Yvetot, et dont il fut exclus pour écrits licencieux à travers la figure de deux curés. L’un d’eux, l’abbé Picot, vieux, tolérant et débonnaire semble avoir sa préférence, l’autre, l’abbé Tolbiac, jeune, mystique autoritaire et inquisiteur souhaite moraliser cette paroisse rurale. Il ne plaît guère à l’auteur qui qui donne de lui une image déplorable et règle ainsi quelques comptes avec l’Église.

     

    Que penser de cette vie qui ne fut jamais heureuse et dont il est difficile d’imaginer qu’elle ne tient que de la fiction ? Que le malheur s’acharne sur certains êtres alors qu’il en épargne d’autres, qu’il existe des mariages, arrangés ou non, dont l’amour est absent ou qu’il déserte rapidement, qu’il ne faut pas longtemps pour que le conjoint qu’on croyait connaître se révèle sous son vrai jour à travers l’hypocrisie, la trahison, l’adultère, la violence, que les enfants ingrats pour qui on se sacrifie désertent le foyer ou font simplement leur vie ailleurs, que le destin funeste mène ainsi son cours dans une vie où les apparences se révèlent trompeuses et où le fatalisme finit par l’emporter malgré la vie qui naît et l’avenir qu’on croit pouvoir maîtriser, tout cela est une réalité contre laquelle nul ne peut rien,

     

    En digne héritier littéraire de Flaubert et de Zola, Maupassant nous offre de belles descriptions de la nature, de la campagne, du bord de mer, de la montagne… Il se révèle aussi être un témoin de son temps mais aussi un fin observateur de la nature humaine dans tout ce qu’elle a de détestable, de perfide.

     

  • La sage-femme du roi

    N°1831 – Février 2024.

     

    La sage-femme du roi - Adeline Laffite – Hervé Duphot – Delcourt/Mirages (BD)

     

    Se souvient-on aujourd’hui d’Angélique du Coudray (1712-1794) ? Pourtant, en plein XVIII° siècle, elle a révolutionné l’accouchement qui était réservé, surtout en milieu rural, aux matrones qui, sans la moindre formation, mettaient en danger la vie de la mère et de l’enfant à chaque naissance. Elle était née dans une famille de médecins mais cet art lui était interdit puisqu’il n’était pas question qu’une femme examinât un homme ! Elle est donc devenue matrone-jurée de Paris mais, par la connaissance de l’anatomie féminine, les bonnes pratiques qu’elle fut autorisée à enseigner partout en France, malgré, au début, l’opposition des chirurgiens qu’elle concurrençait, elle réussit à enrayer la mortalité infantile et maternelle. Pour cela elle se fit pédagogue en rédigeant un « Abrégé des accouchements » qu’elle compléta, à cause de l’illettrisme rural par un mannequin de tissus reproduisant l’anatomie de la femme. Si Louis XV fut reconnaissant en lui accordant un brevet et une pension, la Révolution fut plus pingre et elle mourut dans le dénuement et la solitude.

     

    Cette BD, remarquable tant par le texte que par le graphisme est un acte de mémoire bienvenu non seulement parce qu’il remet en lumière l’action et le courage d’une femme mais aussi parce qu’on lui doit la sauvegarde de la vie des parturientes et de leurs enfants.

  • Flagrand Déni

    N°1829 – Février 2024.

     

    Flagrant déni -- Hélène Machelon – Le dilettante.

     

    Juliette, 17ans, lycéenne brillante et promise à un bel avenir, va accoucher aux urgences alors qu’elle croit à une appendicite et cherche à rabrouer sa mère qui n’avait rien vu et à convaincre le médecin qu’il se trompe. Pourtant la réalité s ‘impose avec ce nouveau-né que Juliette refuse et voué d’emblée à l’adoption. Elle n’en veut pas et parle déjà de lui comme « l’autre ». C’est davantage que le « Baby Blues » puisqu’elle l’imagine mort ou envisage le suicide, entre honte et culpabilité. Ses parents eux-mêmes n’en reviennent pas de n’avoir rien vu mais sont prêts à accueillir ce petit garçon qui leur rappelle tant ce fils que la mort leur a pris, la mère de Juliette, autoritaire et envahissante parce qu’elle l’a décidé, son père parce qu’il a pris l’habitude d’acquiescer aux volontés de son épouse, ne serait-ce que pour avoir la paix. Le couple fera face à l’opprobre de l’incontournable rumeur publique et à l’expérience du regard des autres, de leurs commentaires, mais accusera le coup. Sa sœur Chloé qui ne lui ressemble pas retrouve sa place, elle qui a été constamment marginalisée dans une famille qui ne vit que pour Juliette.

     

    Je ne suis pas spécialiste, mais que Juliette ait succombé à un homme de quinze ans son aîné, un avocat chez qui elle travaillait temporairement et qui a disparu une fois que sa paternité lui a été révélée et la refuse, cela je l’admets, mais qu’il l’ait fait pour échapper au « détournement de mineur », lui qui ne pouvait ignorer ni la loi ni même la date de naissance de son employée, j’en suis moins sûr. D’autre part que Juliette n’ait pas pris la précaution des préservatifs, de la pilule, de l’avortement, qu’elle n’ait rien vu de sa grossesse, là j’ai plus de mal. Que cette grossesse prématurée soit la transition un peu violente vers la vie d’adulte cela en revanche me paraît logique.

    Au risque de choquer, je dirai que je ne suis pas entré dans cette histoire et ses différents moments parfois difficiles dont chaque chapitre annonce l’épilogue sur le thème du corps. Elle ressemble trop à l’image d’Épinal qu’on pouvait aisément imaginer dès le début à cause de l’instinct maternel, l’attention soutenue de ses parents et de l’ entourage. On sent trop le « happy end » à l’heure où, avoir un enfant toute seule est, pour une femme, devenu une normalité alors qu’auparavant elle était une flétrissure.

    Je ne suis pas entré dans cette histoire mais je l’ai lue jusqu’au bout non seulement parce que ce roman est en lice pour un prix littéraire mais surtout par respect pour le travail de l’auteure. Écrire ce n’est pas aligner des mots et tresser des phrases, c’est une épreuve livrée au lecteur anonyme et qui mérite au moins son attention même si elle n’est pas forcément un exorcisme.

     

     

     

     

     

  • Chroniques

    N°1830 – Février 2024.

     

    Chroniques – Guy de Maupassant – 10/18.

     

    Cette édition nous rappelle que Maupassant (1850-1893), avant d’être connu comme nouvelliste et romancier travailla comme chroniqueur pour des journaux, « Le Gaulois » et « Gil Blas », « L’écho de Paris », « Le Figaro ». Pourtant il prisait peu cette activité, liée à ses yeux à la fois à l’appartenance à un quotidien et à la nécessité d’une écriture trop hâtive, c’est sans doute le besoin argent qui l’y poussa. Il avait à peu près 30 ans et son séjour dans les différents ministères, dont certains bénévoles, lui firent sentir cette obligation de gagner sa vie. Finit-il par s’ennuyer à faire des écritures administratives bien éloignées de son talent naturel, admit-il que ce mode d’expression journalistique n’était pas incompatible avec son travail d’écrivain, se laissa-il convaincre par le directeur du « Gaulois » qui vit dans le succès de « Boule de Suif » (1880) la révélation d’un auteur plein d’avenir, il leur livra, de 1876 à 1891 plus de deux cent cinquante articles, parfois signés sous un pseudonyme, articulés en différents thèmes ; Société et politique, mœurs, flâneries et voyages, lettres et arts. Cela n’est pas sans rappeler son œuvre littéraire et certaines chroniques, par le style et le sujet traité, ressemblent beaucoup à ses fameuses nouvelles qui elles-même s’inspirent du quotidien, ce qui fait de lui un témoin privilégié de son temps en même temps qu’un fin observateur de l’espèce humaine.

  • Pierre et Jean

    N°1828 – Février 2024.

     

    Pierre et Jean - Guy de Maupassant – Garnier.

     

    M. et Mme Roland sont d’anciens modestes boutiquiers parisiens retirés au Havre avec leurs deux grands fils encore célibataires et non installés à leur compte. L’aîné, Pierre est médecin et Jean est avocat. Ils mènent ensemble une vie paisible. Il y a toujours eu entre les deux frères qui ne se ressemblaient pas physiquement une rivalité, la mère ayant une préférence pour Jean qui lui s’intéresse de plus en plus à leur voisine, Mme Rosémilly, une jeune et jolie veuve qui ne lui est pas indifférente. Cette jalousie entre les deux frères devient exacerbée au moment d’un testament rédigé au profit exclusif de Jean et qui fait de lui l’héritier d’une fortune au décès de Maréchal, un ancien ami parisien de la famille. Un doute, d’ailleurs suscité par d’autres proches, commence à s’insinuer dans la tête de Pierre au sujet de la fidélité de sa mère et l’auteur, avec un art consommé du suspense, détaille tout ce qui se passe dans sa tête, entre doute et recherches objectives de ses interrogations. La décision qu’il prendra pour son avenir personnel est révélatrice de ses questions refoulées ou restées sans réponse. C’est une étude psychologique de personnages, dans un quasi-contexte d’investigations policières qui tourne qu’autour de Pierre qui est le seul de la famille à hésiter alors que Jean prépare son mariage avec Mme Rosemilly.. De leur côté la mère reste tout d’abord en retrait puis finit par se confesser à Jean qui est bouleversé par ses aveux, Il ne regardera plus sa mère de la même façon mais son égoïsme naturel reprendra le dessus et, en voyant son frère s’éloigner, c’est un peu comme si la page se tournait pour lui, son avenir est assuré. Seul M. Roland continuera à vivre sur sa petite planète sa vie d’imbécile heureux sans rien soupçonner de l’infidélité de son épouse. C’est d’ailleurs là un trait commun à tous les cocus. Il y a peut-être une sorte de répétition entre l’attitude passée de Maréchal et celle actuelle de Mme Rosémilly, chacun des deux désirant quelque chose qu’il a fini par obtenir à force ténacité et cela explique la décision finale de Pierre, désabusé devant la vraie image de sa mère qui lui est ainsi révélée, celle d’une femme adultère.

    Que penser de cette histoire pas si fictive que cela ? Que tout finit par se savoir un jour, que la vérité finit toujours par éclater, qu’il ne faut jamais se fier à ce qu’on voit, que l’hypocrisie et le mensonge se révèlent souvent au moment où on les attend le moins, que tout cela n’est qu’un épiphénomène dans la vie d’un couple ? Tout cela est l’image d’une nature humaine décidément bien loin de l’idéal bourgeois.

    Dans ce roman qui date de 1887 on sent dans le style de Maupassant, plus peut-être que dans ses nombreuses nouvelles et particulièrement dans les descriptions, l’empreinte de Zola qui fut son modèle de même que Flaubert. Cela fait de lui un écrivain naturaliste et réaliste. Il est aussi possible de déceler dans la personnalité de Pierre des connotations personnelles, le père de l’auteur, homme volage, se sépara de son épouse et on prétendit même, cependant sans preuves formelles, qu’il est le fils naturel de Flaubert. A travers Pierre l’auteur semble dire son amour pour les mères et son mépris pour les femmes infidèle ou vénales ;

    Une autre originalité de cette œuvre est que Maupassant lui-même est l’auteur de la préface de son livre où il révèle sa vision du roman en général.

    C’est le quatrième roman de Maupassant, mais pas le seul, plus célèbre cependant pour ses contes et nouvelles. Il fut écrit sans désemparer en un été. C’est, dans une langue toujours belle, une étude pertinente de l’espèce humaine qui ne limite pas à son époque. 

     

     

  • La petite Roque

    N°1827 – Février 2024.

     

    La petite Roque - Guy de Maupassant – Le livre de poche

     

    Ce sont neuf contes où notre auteur évoque la nature humaine, ses passions, ses failles, ses remords. Avec « La petite Roque » qui donne son titre au recueil, il met l’accent sur la culpabilité qui pourrit la vie d’un homme au point qu’il se donne la mort pour ne pas connaître l’opprobre des tribunaux. Dans les textes qui suivent, Maupassant analyse les passions amoureuses, surtout chez les femmes, entre volonté de séduction, de possession et envie de succomber à des yeux trop bleus ou à un bel uniforme, de profiter de l’occasion, du moment furtif, du vertige de l’illusion, celles qui bouleversent une vie ou la pourrissent par les regrets qu’elles portent en elles, celles qui donnent des amours malheureuses à la suite de l’égarement d’un instant, celles qui suscitent les humiliations infligées pour un plaisir furtif, celles qui bafouent la fidélité conjugale pourtant jurée, celles qui finalement enfantent la solitude, les souffrances, les rides et la résignations, que le temps qui passe, avec l’oubli et la tristesse, ne guérit pas. Au bout du compte, la désillusion est tellement grande que souvent, soit par dépit, soit par obligation, ceux qui auparavant mordaient la vie à pleines dents éprouvent le besoin de se retirer de ce monde si décevant, gouverné bien souvent par des conventions qui vont à l’encontre des sentiments.

    Témoin de son temps aussi, il évoque ces pauvres filles, des servantes, séduites et abandonnées, souvent enceintes, victimes des hommes à une époque où les moyens contraceptifs étaient inexistants et qui doivent se battre seules. De cette évocation de la condition humaine, je retire, un peu comme à chaque fois, une impression de solitude chez les différents personnages.

     

    Je note que nombre de ces contes ont pour cadre soit le terroir normand qui était familier à Maupassant, plus volontiers lié sous sa plume au travail, à la misère, aux relations sociales très marquées, aux enfants, souvent illégitimes, aux curés de campagne, au patois, à l’argent durement gagné, à la roublardise, au climat humide, soit le Midi de la France où il fit quelques séjours et qui apparemment lui laissèrent des bonnes impressions et souvenirs et qu’il associe à la richesse, au beau langage, à l’insouciance, aux rencontres mondaines, au célibat, aux rentes confortables, aux mariages arrangés, à la lumière chaude et sans l’ombre d’une soutane…

     

    C’est toujours un plaisir pour moi de lire Maupassant, tant son style est à la fois simple et poétique.

  • La faiseuse d'étoiles

    N°1826 – Janvier 2024.

     

    La faiseuse d’étoiles - Mélissa Da Costa – Le livre de poche.

     

    Antoine de Saint-Exupéry écrit quelque part dans son œuvre « Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants, mais peu d'entre elles s'en souviennent ». C’est un peu cette pensée qui m’a accompagné pendant la lecture de cette longue nouvelle offerte par l’auteure à l’Unicef pour soutenir son action. Le livre refermé, je suis encore partagé entre la parenthèse de l’enfance avec sa magie, ses merveilles et la réalité de la vie avec ses rythmes inévitables, incontournables.

    Le sujet est à la fois simple et complexe. Au moment où il va devenir père, Arthur choisit de remonter quelques années en arrière. Il a 5 ans et pour lui cacher sa maladie de sa mère, celle-ci lui fait croire que bientôt elle partira dans la planète glacée d’Uranus et son décor irréel, et quand elle y sera, elle lui enverra des signes et des lettres pleines de magie, elle sera pour lui « une faiseuse d’étoiles ». Arthur marche à fond dans cette histoire. Il est un peu « le Petit Prince » de St Ex à l’envers, qui entend parler d’une planète qui n’est pas la sienne mais où sa mère va habiter, ce qui est à la fois une façon de jouer sur son innocence et pour elle une manière d’adoucir ses souffrances. Avec ce mensonge bien naïf entretenu par sa famille, il ne voit rien de son mal ni de l’issue fatale de cette situation. On a bien sûr un peu de mal à y croire, à cause de ce qu’il peut entendre dans son école ou dans son entourage, mais pour lui Uranus c’est un peu l’image laïque du paradis, un pays où la mort n’existe pas, un peu comme le disait Peguy « La mort n’est rien, je suis simplement passé dans la pièce à côté ». Forcément tout ce décor finit par s’effondrer avec les doutes d’Arthur, son entrée dans « l’âge de raison » et il prend conscience brutalement de la réalité avec toute la révolte qu’on imagine. Devenu adulte, on le retrouve à l’hôpital pour soutenir l’accouchement de son épouse mais il s’interdit cette affabulation pour sa fille qui va naître, un peu comme s’il refusait pour elle et en bloc l’enchantement de l’enfance. En même temps, après toutes ces années, c’est un peu comme si cette naissance allait réparer enfin la perte de sa mère, une vie contre une autre en quelque sorte, une façon de lui rendre hommage à travers le prénom qu’il va donner à son bébé.

     

    Tout d’abord j’y ai vu un conte pour enfant avec son décor merveilleux et poétique qu’aiment à tisser et à entretenir ses parents puis, au fil des pages, s’est insinué quelque chose de pathétique parce que la vie c’est une réalité brute, c’est à dire autre chose qu’une jolie fable et personne ne peut y échapper. Pourtant les lettres écrites par sa mère avant de disparaître devaient accompagner son fils jusqu’à son baccalauréat ce qui était carrément du domaine de l’impossible. Ce que je retiens aussi c’est le pouvoir des mots, celui qui, parfois, sert à conjurer la réalité, à l’adoucir, à l’accepter.

  • Veiller sur elle

    N°1825 – Janvier 2024.

     

    Veiller sur elle - Jean-Baptiste Andréa - L’iconoclaste.

    Prix Goncourt 2024.

     

    Qu’est ce qui provoque chez un humain le choix du monastère : le mysticisme, la volonté de se couper du monde, la nécessité de se cacher… ? Cela a été le choix de Michelangerlo Vitaliani, dit Mimo qui va rendre son dernier souffle dans une abbaye et surtout près de sa dernière œuvre qu’il laisse comme un testament. Il fut un garçon pauvre et peu favorisé par la vie qu’on a ignoré, méprisé mais qui a réussi à imposer très jeune son extraordinaire talent de sculpteur. Sa vie a été un long combat contre sa condition même si elle a emprunté des détours parfois marginaux, même s’il a un temps croisé le fascisme de Mussolini et l’ombre du Vatican. Le hasard lui a fait rencontrer Viola Orsini, une aristocrate rebelle et imprévisible, héritière d’une famille riche et prestigieuse mais qui a vu en ce jeune homme socialement différent d’elle, une sorte de double dont elle ne pouvait se passer, une sorte de caprice du destin. Si son parcours a parfois été plus en phase avec celui d’une jeune fille de son rang et malgré les différences de classe, ils se sont très jeunes juré fidélité dans le petit village où ils vivaient, sans que jamais une vie commune ni des relations charnelles ne viennent altérer cette promesse. Un amour vrai comme celui qui ne se réalise jamais, un amour que se portent deux êtres également capables de se détester.

    Ce roman est la saga de leur deux familles déclinée sur la première moitié du XX° siècle mais aussi de leur deux parcours, cahoteux mais toujours animés par leurs rêves communs et par cet amour platonique, avec en contre-point l’histoire bouleversée de cette période.

    L‘auteur, avec ce quatrième roman, se révèle être un talentueux conteur grâce à une écriture fluide et poétique. J’ai lu ce long texte (près de 600 pages) avec le plaisir de la découverte et de la curiosité d’un lecteur attentif et passionné.

    J’ai déjà dit dans cette chronique que, à mon humble avis quelques romans couronnés par le prix Goncourt ne le méritaient pas. Ce n’est évidemment pas le cas de cet roman magistral, plein de senteurs d’orangers et du soleil de l’Italie

  • Demain les ombres

    N°1822 – Janvier 2024.

     

    Demain les ombres- Noëlle Michel – Le bruit du monde.

     

    Deux genres d’humains, deux époques, l’une, primitive, vivant dans un monde hostile et sauvage, composée de chasseurs-cueilleurs, genre Néandertal, avec leurs peurs et leurs légendes. Ils vivent en clans, avec la nature et grâce à elle, redoutent les dangers mystérieux des Confins. L’autre est contemporaine ou presque avec sa vie polluée et standardisée de citadins, ses interdits et ses fantasmes … Évidemment il n’y a aucune raison pour qu’elles se rencontrent. Pourtant les expériences génétiques ont conduit à créer, à partir de fragments d’ADN de néandertaliens, des individus issus de clonage, les Néans. Pour les préserver de nos maladies et autre virus, on les a mis dans des réserves sécurisées. L’intention est louable sauf que ces endroits qui devaient être réservés à la science sont devenus… des parcs d’attraction. De là à transformer cela en émission de télé-réalité dont notre société est si curieuse, il n’y a qu’un pas, franchi d’ailleurs allégrement tout en recherchant constamment l’incontournable audimat, avec un œil sur les réseaux sociaux et sur les sondages.

     

    C’est un roman de science-fiction dont je ne suis pas vraiment friand mais que j’ai lu jusqu’à la fin parce que le style est assez agréable mais surtout parce que ce roman est en lice pour un prix littéraire.

     

  • Le docteur Héraclius Gloss

    N°1824 – Janvier 2024.

     

    Le docteur Héraclius Gloss– Guy de Maupassant – Librio.

     

    Ce sont bien trois histoires de fou que nous conte ici Maupassant.

    Ce docteur Gloss qui se pare d’un titre universitaire qu’il n’a sûrement pas s’imagine que le monde dont il recherche l’explication entre absolu et éclectisme, répond au principe de la métempsychose, passe ses journées et parfois ses nuits à lire, prétend que sa naissance remonte à l’an 184 de l’ère chrétienne, croit être la réincarnation de Pythagore lui-même ! Et ce n’est pas tout, cet « homme de Mars » venu de de la planète du même nom et qui en parle avec faconde, et cet autre dont les meubles disparaissent puis réapparaissent comme par enchantement.

    En tout cas ils terminent tous dans un asile d’aliénés !

     

    Ce sont bien trois textes, peut-être pas parmi les plus connus du répertoire de notre auteur, qui sont peut-être le fruit de son imagination débordante, peut-être la conséquences d’un atavisme familial mais plus sûrement celui des ravages de la syphilis dont il mourra à l’âge de 43 ans.

    Il reste qu’à titre personnel ce n’est pas dans ce registre que je le préfère mais bien plutôt dans celui du nouvelliste, témoin de son temps.

  • Une partie de campagne

    N°1823 – Janvier 2024.

     

    Une partie de campagne – Guy de Maupassant – Librio.

     

    Nous retrouvons ici ce qui est chez Maupassant un thème recrurent : l’élément liquide. Dans la première nouvelle qui donne son titre au recueil c’est la Seine et le canotage comme à d’autres occasions c’est la mer que ses origines normandes lui firent très tôt découvrir. Quand il arriva à Paris, ce furent les alentours aquatiques de la Capitale, ses canots, ses parties de pêche, ses guinguettes avec leurs ombres et leurs lumières qui monopolisèrent ses émotions ,ses loisirs et donc ses nouvelles. Qu’elle soit salée ou douce, l’eau, étale ou agitée de tempêtes, elle est omniprésente dans son œuvre et si la mer a une dimension dangereuse mais cependant rassurante par le mouvement des marées, le fleuve est inquiétant et sournois par sa couleur et sa lenteur. La transposition de ses deux interprétations dans ses textes se traduit en thèmes masculins et féminins. Elle est souvent associée à la mort. D’une certaine manière, il accompagne avec sa plume les couleurs des impressionnistes, Courbet puis évidemment de Renoir.

     

    Maupassant eut beau mener une vie parisienne quelque peu mouvementée, il resta attaché à son terroir normand et à ce titre s’en fit le témoin. Dans son œuvre il est souvent question des servantes qui triment quasiment gratuitement pour de riches fermiers, tombent enceintes, mettent leur enfant en nourrice ou s’en débarrassent, ou parfois se donnent la mort de n’en plus pouvoir, des garçons de ferme qui les engrossent puis disparaissent, des maîtres qui après les avoir mises enceintes cherchent désespérément un mari qui se charge d’elle. Ce sont des questions d ‘héritage, de terres, de bêtes et chacun est attentif à son avantage, mais aussi des récoltes, du cycle des saisons, de l’alcool qui fait oublier ou rend violent, des amours malheureuses, de la mort et de ses rituels. Elle est souvent considérée comme une libération, comme un moment à la fois naturel et simple... En cela il est le témoin de son temps mais aussi celui de l’espèce humaine, de la vie.

     

    L’œuvre de Maupassant n’est heureusement pas oubliées et le cinéma et la télévision se l’approprient depuis longtemps en la faisant revivre. Souhaitons que cela dure. Elle en vaut la peine.

  • Rose

    N°1821 – Janvier 2024.

     

    Rose – Guy de Maupassant -L’Herne.

     

    Ce sont trois courtes nouvelles parues de 1883 à 1885 dans les journaux « Gil Blas » e « Le Gaulois » puis, pour certaines publiées plus tard. Il faut se souvenir que, avant d’être un célèbre auteur français, Maupassant a été journaliste. A cette époque malheureusement révolue, la presse ouvrait ses colonnes à la création littéraire en publiant avec succès des textes sous forme de feuilleton. Cette pratique avait au moins l’avantage de familiariser les lecteurs avec la littérature et les auteurs trouvaient là un moyen de faire connaître leur talent pour ensuite, peut-être, s’imposer dans le domaine culturel. Maupassant fut de ceux-là et il ne fut pas le seul.

    D’autre part, réunir ce genre de textes sous un même titre suppose une certaine unité dans le thème traité d’autant que ces nouvelles paraissent avoir été collationnées non pas par l’auteur mais par l’éditeur. Ici, j’ai eu un peu de mal ; d’emblée j’y ai vu la mort dont il est question mais surtout l’amour, déçu dans la première et la dernière, mais cela ne m’a pas paru tellement pertinent. La préface en donne un autre qu’est celui de la couleur, rose qui suscite à la fois les fleurs d’une fête locale, la « demi-couleur » romantique héritée du XVIII° siècle qui évoque la peau et la douceur féminines mais aussi le prénom d’une servante, ici assez énigmatique. Le blanc et le bleu rappellent le littoral méditerranéen, la montagne au loin, les maisons et la mer, quand le dernier texte s’inspire de la palette d’un peintre.

    J’ai cependant aimé lire ou découvrir les écrits de Maupassant dont notamment j’apprécie le style, la qualité de la phrase. Pour le style, je n’ai pas été déçu, pour les descriptions de la nature non plus, en revanche ces trois histoires un peu disparates m’ont un peu déçu. Le thème de l’amour entre les hommes et les femmes, qui revient souvent sous la plume de Maupassant, est ici traité sous la forme négative c’est à dire que la déception est au rendez-vous du narrateur qui s’en fait l’écho. Pourquoi pas après tout dans ce domaine aussi le désappointement fait parti du jeu. Dans le troisième texte intitulé « Miss Harriet » c’est d’abord l’amour de Dieu dont il est question à travers le personnage extatique d’une vieille fille anglaise, affublée du surnom de « démoniaque » mais surtout celui de l’amour impossible entre un homme et une femme bien différents.

    Cela dit j’observe que Maupassant reste un auteur « à la mode » dans la mesure où il revient assez régulièrement, à la fois sous le support du papier mais aussi mis en scène pour le cinéma et la télévision. Ce fut, entre autre, la série « Chez Maupassant » diffusée entre 2007 et 2011 et « L’ami Maupassant » de 1986. J’ai toujours plaisir à entrer dans l’univers de cet auteur.

  • Bel-Ami

    N°1820 – Janvier 2024.

     

    Bel-Ami – Guy de Maupassant

     

    Revenu de son service militaire en Algérie, Georges Duroy vivote à Paris. La rencontre avec un ancien compagnon d’armes l’incite à devenir journaliste et à quitter sa modeste condition de petit employé. Il ne tarde pas a s’apercevoir qu’il plaît aux femmes qui n’ont d’yeux que pour lui, surtout quand elles sont mariées. Dès lors sa timidité du début disparaît, il prend de l’assurance et c’est à l’une d’elles qu’il doit son surnom « Bel-Ami » qui lui colle à la peau mais aussi la solution de ses problèmes d’argent. C’est à une autre, Madeleine, qu’il épouse et à qui il doit l’idée de s’anoblir et de modifier son nom plus aristocratique qu’il doit sa carrière de journaliste, même s’il ne se refuse ni liaisons ni adultères, trouvant dans ses maîtresses successives une occasion de se divertir et de les abandonner, parfois durement. Il reste que ce roman est, de la part de Maupassant, un hymne à la femme, à son pouvoir sur les hommes et ce d’autant plus qu’à l’époque elle est considérée comme la propriété de son mari, lui est juridiquement inférieure et doit rester dans l’ombre du foyer.

    Nous sommes en présence d’un homme très ordinaire qui a fait sa notoriété et sa fortune grâce aux femmes. Duroy doit tout à son épouse Madeleine et c’est une vraie revanche pour elle ! Si la morale bourgeoise y trouve à redire, alors que l’inverse ne choque personne, il n’en reste pas moins que cet exemple est loin d’être unique et que sont nombreux les hommes qui choisissent des conjointes plus vieilles et plus riches qu’eux et tant pis si la raison l’emporte sur l’amour. Duroy est aussi un séducteur invétéré qui voit dans les femmes qu’il croise une occasion de plaisir. Chacune de ses maîtresses successives lui en a apporté et ce n’est pas son second mariage qui calmera ses ardeurs amoureuses puisque le texte nous laisse à penser qu’il se retrouvera bientôt dans le lit de Mme de Marvelle, son ancienne amante.

     

    C’est la nouvelle qui a rendu Maupassant célèbre mais, même s’il ne fut pas le seul durant sa carrière d’écrivain, voici ce roman qui, encore aujourd’hui, contribue à sa notoriété. Il est l’évocation de l’ambiance bourgeoise et parisienne de la III° république, à travers des personnages dont les noms ont évidemment été modifiés, à la fois dans son aspect vaudeville mais aussi affairiste, spéculatif et scandaleux, vue à travers le personnage de Bel-Ami. Lui, c’est un intrigant, un Don Juan sans grands scrupules, dont les femmes sont folles et qui, grâce à elles, connaît une réussite insolente et son second mariage, forcément mondain, est béni par l’évêque, ce qui est une sorte de consécration. L’une de ses maîtresses voit même dans un tableau représentant le Christ, une ressemblance avec lui. Pourtant, lui qui n’a pas hésité à cocufier ses amis se met dans la situation potentielle du mari trompé en épousant une femme plus jeune que lui, les serments amoureux n’ayant pas dans ce contexte une pérennité bien grande et sa capacité de séduction non plus. Et la comédie recommencera ! Pire peut-être, ayant divorcé de Madeleine qui lui écrivait les articles qui ont fait sa renommée, il redeviendra sans elle le modeste journaliste sans talent qu’il était. On peut même imaginer que cette dernière, qui vit avec un homme plus jeune, épaulera celui-ci qui finira par détrôner Duroy. Situation fragile donc un peu comme la période qui précéda son duel où il sentit passer sur lui l’ombre de la mort. Bel-Ami doit sa réussite aux femmes mais, par voie de conséquence, sans elles il n’est plus rien et c’est sans doute ce qui l’attend.

     

    J’ai retrouvé, toujours avec le même plaisir le style de Maupassant, si proche de celui de Flaubert, ses descriptions à la fois poétiques et évocatrices mais aussi ses analyses psychologiques de l’âme, subtiles et profondément humaines où les envies, les intérêts, se mêlent aux sentiments, explorant subtilement les relations amoureuses entre hommes et femmes. Maupassant qui se révèle un observateur attentif de l’espèce humaine mais aussi du monde politique, a des formules mordantes qui ont la caractéristique d’être nourries d’un d’antiparlementarisme très actuel notamment contres les politiciens et leur combines, Tout cela donne une phrase concise, ironique, incisive parfois mais surtout sobre, intelligible, un vrai plaisir retrouvé de mes lointaines lectures de potache.

     

     

  • Le Horla et autres nouvelles fantastiques

    N°1819 – Janvier 2024.

     

    Le Horla et autres nouvelles fantastiques –

     

    Quand il publie le Horla, dans sa deuxième version, en 1887, Maupassant n’a plus que six ans à vivre, est gravement malade de la syphilis dont il mourra. Il y avait déjà eu une épure, « Le journal d’un fou », paru dans le quotidien « Gil Blas ». Cette maladie a pour conséquences de susciter chez lui des manifestations de phobie.

    C’est une longue nouvelle fantastique et psychologique présentée sous la forme d’un journal intime dans laquelle le narrateur se croit poursuivi par une créature invisible qu’il baptiste du nom de « Horla ». Il passe par différentes étapes, troubles du sommeil ,somnambulisme, paranoïa, crises d’angoisse, hallucinations, terreur, magnétisme, transmission de pensée pour terminer sa triste et solitaire progression vers la démence par une volonté de suicide. Dans les autres textes, cette ambiance malsaine, d’ailleurs associée à des lieux précis, souvent obscurs (la nuit, les revenants, l’eau noire et profonde), mystérieux ou porteurs de légendes populaires et de vieilles croyances médiévales qui nourrissent son malaise, ses cauchemars, son sentiment de possession, de duplication, d’obsession que sa vie oisive de bourgeois fortuné augmente, évoquent les affres de la mort. Cette progression intime et irrésistible de la folie se rencontre aussi dans le choix arbitraire de l’éditeur de publier certaines nouvelles dans ce recueil est révélateur d’un homme, certes désireux de demeurer seul face à la société qu’il fuit, ce qui peut être considéré par certains côtés comme une réaction saine et résulter d’une observation pertinente des choses, mais les termes employés, la tension présente au sein de ce texte trahissent un replis sur soi-même et la marque du délire.

    Le style est, comme toujours chez Maupassant, fort agréable, poétique, ce qui fait de lui un formidable conteur. J’ai toujours l’impression, quand je lis un texte de lui, de retrouver une vieille connaissance.

     

  • Les clés du couloir

    N°1818 – Janvier 2024.

     

    Les clés du couloir – Fanny Saintenoy – Arléa.

     

    Petra, traductrice hispanophone et poète, mère célibataire, amoureuse de la chanson française, de la littérature, de la vie, est incarcérée en France pour athéisme ce qui est considéré comme un vice, une folie, une révolte. Elle choisit de correspondre avec un homme qu’elle aperçoit depuis sa geôle, Omeg, un homosexuel juif, prisonnier lui aussi dans un autre pénitencier, considéré comme un dégénéré à cause de son orientation sexuelle et de sa religion. Elle fait transiter ses lettres par l’intermédiaire de Constance, une jeune novice, gardienne de sa cellule que cette relation avec Petra et à travers les mots perturbe durablement au point de se remettre en cause, de bousculer les règles de sa fonction et de son ordre, de douter de son engagement personnel et religieux. Elle prend conscience quelle devient détentrice d’un pouvoir, celui des mots, celui aussi de peser sur cette relation qui la dépasse. Elle rencontre la méfiance de sa hiérarchie et l’étonnant silence de Dieu.

    Le roman est en principe une fiction, c’est à dire une histoire qui doit tout à l’imagination de son auteur. Nous sommes en France, c’est à dire dans un pays heureusement laïc, à l’abri d’une religion d’État, où les cultes sont libres, où on peut croire ou ne pas croire à une divinité. Ce ne fut pas toujours le cas au cours de notre histoire et les appétits des religieux pour le pouvoir temporel, le rétablissement d’un ordre morale dans une société jugée dépravée et la mise en place de mesures coercitives, restent entiers. Cela se manifeste partout dans le monde et c’est bien souvent la source de conflits meurtriers, au nom notamment du prosélytisme, de l’oubli des principes fondateurs remplacés par des dogmes de circonstance alors qu’en principe les religions portent en elles un message de tolérance et d’amour. Actuellement le catholicisme est en régression eu égard aux exactions enfin révélées de son clergé mais le principe judéo-chrétien de culpabilité reste vivace et entretient un terrain favorable au retour à un ordre moral et au manichéisme.

    Soyons justes la tentation d’un petit nombre de peser sur une collectivité et de lui imposer ses vues ne se limite pas aux religions et vaut évidemment pour le pouvoir politique sous toutes ses formes. Il applique d’ailleurs les mêmes règles et plus ou moins les mêmes valeurs avec les mêmes actions coercitives de harcèlement, d’atteintes aux libertés, de répétition continuelle des mêmes choses souvent fausses, de séances de rééducation au nom et au service d’une idéologie totalitaire, c’est à dire de la domination de quelques-uns sur leurs semblables, la soif de pouvoir. Il tend à l’uniformité, un peu comme si l’individualisme, l’originalité étaient destinés à être constamment la victime de la pensée unique et que l’instinct grégaire devait prévaloir. Nous vivons une époque actuelle où les tentations sont grandes de recourir à la manipulation, la violence, la guerre pour obtenir l’anéantissement d‘une société et son remplacement par une autre. La tentation est toujours grande de marcher hypocritement dans ce jeu ridicule, de faire semblant.

    Ce roman épistolaire à trois personnages consacre la force des mots. Je l’’ai apprécié parce qu’il est bien écrit et d’une lecture facile mais également parce qu’il est le prétexte à une réflexion sur les choses de notre vie, de nos habitudes, de nos convictions souvent solides, une prise de conscience de réalités bien actuelles dans une période où le monde s’enflamme, où les hommes ont une furieuse envie d’en découdre dans une irrationnelle volonté d’autodestruction.

     

     

  • Le peintre d'éventail

    N°1817 – Janvier 2024.

     

    Le peintre d’éventail – Hubert Haddad – Zulma.

     

    C’est grâce à Xu Hi-Han, devenu enseignant-chercheur à l’université que l’histoire de Matabei Reien nous est révélée. Avant qu’il ne devienne universitaire, le narrateur alors âgé de 18 ans avait connu par hasard cet homme plus âgé que lui, retiré dans les montagnes du Japon, pour recevoir l’enseignement d’un jardinier, peintre d’éventail et amoureux de la poésie. Quelques jours avant le séisme de 1995, à la suite d’un accident de la circulation dont il était responsable et qui avait coûté la vie à une jeune fille, MatabeiIl s’était retiré du monde dans cette pension de famille tenue par une ancienne prostitué, Dame Hison, et avait pris la suite du vieux jardinier. Xu avait à son tour suivi l’enseignement de l’ermite mais s’en était séparé. La modeste vie de Matabei, aussi impalpable que le vent, s’est inscrite à travers le regard de trois femmes, la jeune fille de l’accident, celui de la propriétaire de la pension de famille où il était devenu jardinier et celui d’Enjo, une jeune japonaise mystérieuse et insaisissable dont les deux hommes étaient amoureux et qui provoqua leur séparation.

    Les descriptions sont poétiques, parsemées d’haïkus et le style de l’auteur épouse parfaitement l’ambiance de ce roman qui prête au lecteur attentif un dépaysement bienvenu, toute la culture du Japon traditionnel, son mode de vie fait de silences, de réflexion et de respect de la nature, bien différent de l’image moderne que nous donne ce pays, industriel, pressé, soucieux de réussite. La recherche menée par Matabei est apaisante comme un jardin japonais, importante parce que éminemment personnelle, intemporelle, apparemment inutile puisqu’elle porte sur le vent qu’on fait avec un éventail et évidemment transitoire avec la mort comme seule issue parce que nous ne sommes que de passage.

     

     

  • Utrillo, mon fils, mon désastre

    N°1802– Novembre 2023

     

    Utrillo, mon fils, mon désastre (selon Suzanne Valadon) – Corinne Samama – Ateliers Henry Dougier

     

    Prenant prétexte de quelques mots qu’une Suzanne Valadon vieillissante, prostrée dans une chambre d’hôpital, confie au lecteur anonyme, l’auteure, dans un récit qui tient du roman autant que de l’histoire, s’approprie la vie de cette femme et surtout les rapports compliqués qu’elle a eus avec Maurice Utrillo, ce fils né d’un père inconnu alors qu’elle n’avait que 18 ans. Cette bâtardise qui lui rappelle tant la sienne, la détermine à l’abandonner aux bons de sa mère et pourtant elle s’attache viscéralement à lui et le soutiendra toute sa vie, malgré son alcoolisme, ses crises, ses révoltes, ses menaces. Cette abnégation maternelle est pourtant un paradoxe qui va de son soutien constant à son opposition à son mariage avec Lucie, une jeune veuve, sa meilleure amie, alors qu’il a 52 ans ! A ses yeux ce mariage tarirait son inspiration mais mettrait aussi fin à la situation de profiteur de son second mari, Utter, dont elle est pourtant follement amoureuse, avec qui elle forme un couple atypique où la sensualité le dispute à la violence, mais qui la trompe. D’ailleurs la vie sentimentale du couple mère-fils est quelque peu bouleversée et bouscule les conventions morales de l’époque, Maurice épousant une jeune et riche veuve, Suzanne, le meilleur ami de son fils !

    Il y a aussi une dimension de jalousie maternelle puisque Maurice et elle sont des autodidactes de la peinture mais la facilité et le succès consacrent son génie à lui qui n’éclate que grâce à l’alcool. Il réalise ainsi les propres rêves artistiques de Suzanne qui, malgré un talent indéniable et le soutien de grands artistes de l’époque, était fondée à s’imaginer une célébrité légitime qu’elle n’a pas vraiment eue. Cette frustration baigne ses propos désabusés où se mêle également une culpabilité qu’elle tente d’exorciser en un procès à la fois fictif et pathétique.

     

    Le style gouailleur de ce livre m’évoque parfaitement cette femme, à la fois marginale, fantasque, aimant la vie, l’amour, l’art et la liberté. Avec ce roman, bien documenté, j’ai eu plaisir à retrouver Utrillo, ce peintre emblématique de son époque, mais aussi sa mère, Suzanne Valadon, malheureusement un peu oubliée aujourd’hui, qui fut son soutien malgré ses déceptions et leurs relations difficiles et orageuses, leurs échecs.

     

    Je retiens de ces deux personnalités la remarque de Robert Rey, historien et critique d’art « Utrillo et Valadon sont deux êtres qui s’aiment et se ratent en permanence ».

     

  • La tresse

    N°1816 – Janvier 2024.

     

    La tresse – Laetitia Colombani – Grasset.

     

    Le livre refermé, je suis partagé à la suite de cette lecture et ce malgré tous les compliments qui ont été formulés à son sujet. C’est un premier roman et à ce titre, j’y suis toujours attentif d’autant qu’il est bien écrit et qu’au fil des pages j’ai vraiment été pris par l’histoire et j’ai eu très envie d’en connaître la fin. L’écriture est un vrai travail qu’il convient de respecter, c’est, au-delà des mots, à la fois un plaisir et une souffrance parce qu’on ne décide pas d’écrire par hasard et qu’on met dans cet exercice toujours un peu de soi-même.

    A partir d’une perruque qui est devant elle, l’auteure nous conte l’histoire qu’elle imagine derrière ce postiche, celle de trois femmes courageuses qui ne se connaissent pas, ne se rencontreront jamais, qui appartiennent à des catégories sociales bien différentes, qui habitent sur des continents différents mais qui pourtant sont liées sans le savoir par des cheveux. La symbolique de la tresse prend ici tout son sens, celui de la chevelure aussi qui est en occident, un des symboles de la beauté et de la féminité, en Sicile celle du travail des femmes qui transforment cette « matière première », et en Inde celle de l’unique richesse des pauvres.

    Smita est une intouchable, une Dalit, dont le travail, depuis des millénaires, est de ramasser la merde des autres. Elle veut que sa fille Lalita sorte de cette caste et pour cela elle préconise l’éducation et, s’échappant symboliquement de leur village, elles font ensemble le sacrifice de leur chevelure à Vishnou, mais il y a fort à parier que ce sacrifice, même s’il est fait dans un cadre religieux fervent, restera du domaine de l’illusion. Je suis un béotien dans la domaine des sectes hindoues mais il me semble que pour les Dalits comme Lalita, même si leur sort s’est amélioré notamment depuis l’indépendance, même si de rares personnalités ont réussi a s’en émanciper, il me semble qu’il lui sera difficile voire impossible de sortir de sa caste. Giulia, la Sicilienne, sauvera peut-être l’entreprise familiale de fabrique de perruques grâce à l’achat des cheveux offerts par les Hindous à leur dieu, et donc symboliquement ceux de ces deux femmes, mais rien n’est sûr. Sarah, est une brillant avocate canadienne atteinte d’un cancer qui a tout sacrifié pour son métier mais qui, une fois sa maladie révélée, se voit lâchée par ses collègues de travail parce que la société dans laquelle elle vit ne connaît que la réussite, la jeunesse, l’efficacité. Elle retrouvera peut-être confiance en elle et en l’avenir grâce l’achat d’une perruque mais sa sacro-sainte carrière sera sacrifiée. Même si elle a recours à la chirurgie, même si son état de santé s’améliore, sa vie sera toujours impactée par ce mal. Ainsi ai-je eu un peu de mal à partager la conclusion de l’auteure malgré tout l’espoir qu’elle suscite.

    Un roman c’est souvent de la fiction et même si ici les faits relatés empruntent beaucoup à la réalité de ces femmes, aux circonstances de leur quotidien, cela ressemble un peu trop à un « happy end » si absent de la vraie vie. Face à cette condition humaine l’amour ne pèse rien, les larmes, les illusions, la chance, les bons arguments logiques et salvateurs, Dieu et ses miracles, les encouragements stériles et hypocrites des autres, les sacrifices personnels non plus, mais la vie continue et avec elle cette solitude prégnante, cette volonté constante de l’homme de détruire son prochain, pour prendre sa place et réussir à son détriment, ou pour le détruite simplement et se prouver ainsi qu’on existe.

    Je reconnais volontiers à ce roman une riche documentation notamment sur l’Inde, son mode de vie, son organisation, ses croyances. On entend dire que c’est la plus grande démocratie du monde, peut-être, mais j’ai du mal à y croire notamment en ce qui concerne les disparités sociales, le système des castes et le sort qui est fait aux femmes, aux veuves en particulier. Je veux bien croire à la belle histoire d’amour de Giulia, a sa volonté de garantir du travail à ses ouvrières et ainsi à sauver son entre mais quant à ce qui arrive à Sarah, en plus de la solitude et l’abandon de la part de ses collègues, de la maladie, de la chimio, de la calvitie, de l’ablation d’un sein, je l’ai surtout lu comme une étude sans concession sur ce qu’est la vie au travail, sur le destin qu’on ne choisit pas et auquel on n’échappe pas.

     

     

  • La femme paradis

    N°1815 – Janvier 2024.

     

    La femme paradis – Pierre Chavagné – Le mot et le reste.

     

    Titre assez étrange qui peut donner lieu à des interprétations nombreuses et bien différentes, et pourtant ! En réalité c’est le récit d’une femme qui, volontairement s’est retirée du monde, de la civilisation, de l’amour, de ses études et depuis de nombreuses années s’est réfugiée au cœur d’une forêt. L’obligation de survivre lui fait découvrir le monde sauvage et ses régles, peut-être aussi dures que celles du monde qu’elle a choisi de fuir mais auxquelles elle s‘adapte en donnant à sa vie un mode spartiate, solitaire, indépendant . Elle s’est coupée du monde corrompu et violent mais garde un œil sur lui, par méfiance, pour sa sécurité mais son vrai lien avec lui se fait à travers la lecture. Parfois on sent des regrets et quand elle croise un humain qui pourrait empiéter sur son territoire, elle l’élimine. Cette remise en question sonne comme une contestation, comme une libération d’elle-même qui lui convient, malgré la trace de Pierre qui a partagé sa vie et qu’elle croit mort lors d’une insurrection meurtrière. A-t-elle un compte à régler avec les hommes devenus pour elle des proies ? Elle souhaite tourner la page de sa vie antérieure, de cette vie en société, de ses souvenirs, pour renaître dans la forêt dont elle adopte le rythme de vie, le langage, s’exprime comme elle par des cris qui ont pris dans sa bouche la place des mots que pourtant elle pratique sous la forme de l’écriture qui est l’apanage des solitaires. Avec elle, elle souhaite marquer ainsi son passage sur terre. Ses mots ont des accents d’aphorismes à la fois définitifs et ultimes. Elle prend conscience qu’elle est un être violent et meurtrier qui s’arroge le droit de disposer de la vie d’autrui, cette vie qui tient finalement à bien peu de chose. Elle se rend compte que certes la société qu’elle a quittée est une prison qu’il lui arrive de regretter par moments quand sa mémoire se peuple de l’image des siens, mais celle qu’elle a conçue autour d’elle présente beaucoup de similitudes avec celle qu’elle a choisi d’abandonner. Alors, retour à la nature, pourquoi pas surtout face à une société qui chaque jour davantage se délite, une vie qui vous échappe, des souvenirs qui vous assaillent au point de devenir des obsessions insupportables. La réalité se rappelle à elle sous la forme d’une détonation, trahissant une présence humaine qui menace le microcosme qu’elle a crée autour d’elle mais qu’elle ne parvient pas à trouver.

    Le texte alterne ses propres remarques et pensées, ses regrets et les descriptions, poétiques, ses émotions et le récit du narrateur, plus descriptif .

    On lit rarement les « remerciements » de l’auteur à tous ceux qui lui ont accordé leur attention, leur confiance, leur amitié pour que naisse ce livre. Je choisis d’en retenir les premières lignes, celles qui parlent de la genèse de l’écriture, de l’inspiration dont on ne sait jamais d’où elle vient et à qui on la doit, « l’imagination (qui) a ses mystères qu’il convient de chérir et de préserver ». Pourtant, le livre refermé, je prends conscience que j’ai mené cette lecture avec intérêt, dans l’attente de l’épilogue mais que, nonobstant le style de son auteur, fluide, poétique dans ses descriptions et agréable à lire, il m’a surtout inspiré de l’angoisse.

  • Messieurs les ronds de cuit

    N°1814 – Janvier 2024.

     

    Messieurs les ronds-de-cuir - Georges Courteline – Flammarion.

     

    C’est un roman en six tableaux publié en 1891 dans « l’écho de Paris » en feuilleton et adapté plus tard au Théâtre et au cinéma. C’est une chronique qui a pour décor le Ministère de l’Intérieur où le jeune Lahrier est employé en qualité d’expéditionnaire. Il est habitué à un absentéisme chronique et, pour une fois qu’il était présent à son bureau est surpris par son chef en train de lutiner sa maîtresse au point que ce dernier lui demande si la Direction des Dons et Legs où il est affecté est une administration ou une maison de tolérance.

    Dans cet ouvrage qui fit le succès de Courteline, on assiste aux errements bureaucratiques sans grands intérêt qui suscitent cependant des polémiques inutiles de la part d’hommes de deux génération différentes qui cohabitent, jaloux les uns des autres, prompts à créer entre eux des polémiques, on rencontre tout un panel de personnages égarés dans la Fonction Publique, des farfelus, des envieux, des frustrés, des paresseux, des érudits, des ignares, des amateurs beaucoup plus attachés à autre chose qu’à un travail pour lequel ils sont pourtant payés. Au-delà des faits rapportés dans cet ouvrage qui ne manque pas d’humour bien qu’il se termine par l’élimination physique d’un membre de la hiérarchie, ce qui n’est pas commun, c’est aussi l’occasion de déclarer sur son cercueil des mots de reconnaissance qu’on se garda bien de prononcer de son vivant, où la mauvaise foi le dispute à l’euphémisme. Ce que je retiens, c’est surtout l’étude de cette faune de bureau, autant dire de l’espèce humaine en générale, cette ambiance délétère du monde du travail où chacun s’attache à se faire valoir en en faisant le moins possible tout en dénigrant le travail de ses collègues, en agissant parfois avec un zèle qui n’a d’égal que la volonté de tresser entre eux des inimitiés durables, beaucoup plus fortes que les pseudo attachements publiquement proclamés, la recherche de l’avancement, des honneurs, des privilèges, de n’importe quelle forme de reconnaissance qui flattera leur ego et les distinguera des autres. Pour cela on ne négligera ni l’obséquiosité, ni la flagornerie, ni la délation, ni le clabaudage, ni les chicaneries, ni la mauvaise foi voire le mensonge pourvu qu’on arrive à ses fins et si à l’occasion on peut écraser quelqu’un, lui porter un préjudice durable, on n’en sera que plus satisfait. Dès lors, faire son travail n’est assurément pas une assurance de promotion qu’on réservera de préférence aux incompétents. J’y vois, malgré le comique de situation savamment construit, une évocation du « mille-feuilles administratif » et de sa gabegie si souvent dénoncés par les politiques mais jamais vraiment réformés mais aussi une pertinente étude bien actuelle.qui ne se limite pas pour autant à la Fonction Publique, même si les administrations et leurs agents sont souvent la cible privilégiée des polémistes. Karl Huysmans, fonctionnaire lui-même, qui ne passait pourtant pas pour un comique, s’était déjà livré à ce genre de littérature dans une courte nouvelle légèrement antérieure, intitulée « La retraite de Monsieur Bougran » où il raillait non les hommes mais surtout les errements administratifs et les différentes façons réglementaires de rédiger courrier et notes de service, mais cette œuvre, refusée par les éditeurs en son temps, est longtemps restée inconnue..

     

    J’ai également goûté le verbe de Courteline, la rédaction gourmande des descriptions et des évocations d’un auteur qui n’eut qu’à puiser dans son expérience personnelle de fonctionnaire.

     

     

     

     

     

  • Contes et nouvelles

    N°1813 – Janvier 2024.

     

    Contes et nouvelles – Guy de Maupassant – Albin Michel.

     

    Guy de Maupassant est un homme de lettres normand et le paysage qu’il voit  a influencé son écriture, ce qui fait de lui un écrivain impressionniste, jouant sur les couleurs, l’eau, le littoral, les falaises et les paysages de l’arrière-pays et pas seulement parce que la Normandie a inspiré les peintres.

    Maupassant a été le témoin de son temps, de la société dans laquelle il vit, de l’existence des paysans de son terroir normand, attentif aux plus humbles mais aussi à, la société des hommes riches et notables, de leur travers, de leur hypocrisie, de leur goût effréné pour l’argent, pour la réussite sociale, pour l’adultère et la séduction, l’attitude des femmes entre calcul et naïveté. Sa vie familiale a été bouleversée par la séparation de ses parents et, à ce titre, l’auteur est attentif à tout ce qui touche la famille et notamment au fait que les paysans pauvres confient parfois un de leurs nombreux enfants à des familles plus riches mais sans descendance, les enfants naturels ou adultérins dont on se débarrasse, les maîtresses qu’on cache. Ces pratiques se retrouvent dans certaines de ses nouvelles. Il préférait la compagnie de femmes légères et de prostituées et.s’est d’ailleurs contenté lui-même de former un couple illégitime avec Joséphine Litzelmann, une jeune femme rencontrée lors d’une cure, La bâtardise et l’abandon ont été une obsession pour lui qu’on disait être le fils de Flaubert et cela hante son œuvre, tout comme l’argent qui achète tout et qui fut un moteur de ce Second empire dans lequel il a vécu.

    Il reste qu’avec sa belle écriture il est un admirable conteur, maître de la nouvelle et du conte. J’ai eu plaisir, avec cette lecture, de renouer avec une vieille connaissance et de ressentir à nouveau un grand plaisir de le relire.

     

  • Décaméron

    N°1790– Novembre 2023

     

    Décaméron – Neuf nouvelles d’amour – Boccace -Gallimard.

    Version bilingue traduite de l‘italien par Serge Stolf.

     

    C’est un recueil de neuf nouvelles d’amour écrites pendant la peste à Florence de 1349 à 1353. Dix jeunes gens se réfugient à la campagne et pour le plaisir inventent chacun un récit par jour. Cela donne 10 histoires pendant 10 jours d’où le titre grec de « Décaméron ». Ce recueil choisit le thème de l’amour. Ces amours sont heureuses, tragiques, humoristiques, émouvantes, contrariées ou insatisfaites. Chaque histoire met en scène des personnages réels mêlés à d’autres imaginés par l’auteur. Chaque texte évoque une facette de l’espèce humaine, la relation entre les hommes, entre fidélité, confiance et trahison, violence, adultère, manœuvres de séduction visant à circonvenir l’amoureux transi, sensualité… c’est à dire l’amour humain, à l’exclusion cependant de l’amour de Dieu. Les femmes à qui ces textes sont dédiés sont présentées comme actrices de leur bonheur mais bien plus souvent comme des victimes face à l’intransigeance et au pouvoir des hommes et de la hiérarchie sociale, au poids de l’Église qui les maintenaient en état d’infériorité. Cet amour, partagé ou non, est parfois sensuel et même en dehors de toute culpabilité. Il est aussi idéalisé, au point que, s’il s’avère impossible, que les parents s’y opposent ou avaient prévu une autre union, seule la mort peut unir les deux amants. Sous la plume de Boccace, les femmes ne sont plus seulement destinées à se marier, à enfanter, à prier et à tenir une maison mais aussi font prévaloir leur envie de jouir de la vie. Ces nouvelles parlent de la séduction au service d’une cause, d’une idée, d’un projet de vie ou d’un caprice passager, de la volonté de faire prévaloir l’amour et son pouvoir sur les hommes avec parfois une fin moralisatrice que n’aurait pas renié La Fontaine. Il y a ce côté mystérieux et aussi fou qui souvent prévaut dans l’amour et qui attache entre eux un homme et une femme sans qu’ils y puissent rien.

    Les textes, écrits en italien et non en latin comme c’était le cas à l’époque, comporteent des allusions érotiques voire grivoises qui en font également l’intérêt mais sont aussi la marque d’une volonté de profiter de la vie comme un bien précieux, menacé en permanence par les guerres ou les épidémies.

     

    La nouvelle est un genre littéraire, bref et en prose, tout à fait nouveau à cette époque, qui tranche sur les pièces de littérature médiévale, souvent didactiques et en vers mettant en scène des aristocrates. Elle a connu un essor au XV et XVI siècle en Italie, jusqu’à nos jours. Elle met en œuvre l’oralité, le dialogue entre les personnages choisis non plus dans la noblesse mais dans la bourgeoisie et le peuple des villes et montre le monde tel qu’il est.

  • Le meilleur des jours

    N°1812 – Décembre 2023.

     

    Le meilleur des jours – Yassaman Montazami – Sabine Wespieser éditeur.

     

    « Le meilleur des jours » c’est la traduction française de Behrouz, le père iranien de l’auteure à qui elle souhaite rendre vibrant hommage après son décès. Pour cela elle choisit l’écriture pour conserver le souvenir de son passage sur terre.

    Il naquit au sein de la bourgeoisie iranienne dans les années 40 et fut envoyé en Sorbonne pour y soutenir une thèse sur l’œuvre de Karl Marx qu’il n’achèvera cependant jamais, mais cette période fit de lui un éternel étudiant stipendié par sa mère, avide de connaissances, un homme épris de liberté, de démocratie et de laïcité, opposant farouche au régime de la révolution islamique, un mari excentrique qui vivait séparé de sa femme sans jamais divorcer tout en qui partageant la vie d’une femme mariée à Téhéran.

    Ce court roman est un hommage poignant d’une fille à son père, avec ses folies, ses facéties, ses irrévérences parfois, son sens de l’hospitalité dont profitaient les réfugiés iraniens dans son appartement parisien, sa générosité , ses failles et ses faiblesses.

    Le style fluide non dénué d’humour rend la lecture facile et agréable.