la feuille volante

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  • MON FRERE YVES – Pierre LOTI.

     

     

    N°230

    Septembre 2000

     

     

    MON FRERE YVES – Pierre LOTI.

     

     

    Malgré une succession d’événements douloureux qui ont définitivement endeuillé ma famille et dont rien ne parviendra jamais à atténuer la douleur, j’ai décidé, néanmoins de continuer, à tout le moins pendant quelques temps, la publication de « La Feuille Volante ». Cette revue qui a vingt ans cette année et qui était naguère publiée sur papier l’est maintenant sur Internet. Elle est peu lue, je le sais, mais je précise que je ne recherche cependant pas à travers elle une quelconque notoriété. Je continue donc à la rédiger pour d’autres raisons que je ne saurais moi-même expliquer.

    Je n’ai pas la fatuité de penser que cette modeste chronique intéresse beaucoup de lecteurs, mais je choisis de durer, peut-être pour renforcer pour moi-même l’idée que j’existe pour autre chose qu’une vie bassement quotidienne, de continuer, malgré les événements à commenter un livre simplement parce que celui-ci m’a plu et d’inviter un éventuel lecteur à partager mon plaisir.

     

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    J’ai choisi aujourd’hui un ouvrage de Pierre Loti pour moult raisons dont la première est que j’aime son œuvre en général, autant pour elle-même que pour la personnalité de son auteur

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    Ce roman est « Mon frère Yves » publié avec succès en 1883 . A cette époque , il était déjà connu comme écrivain mais exerçait le métier d’officier de marine .

    Il s’agit d’un roman et les faits qui y sont rapportés ne font pas référence à un épisode peu connu de sa vie où son frère aîné, Gustave Viaud, chirurgien de marine, victime du choléra durant une mission en Cochinchine est mort et a été immergé dans le Golfe du Bengale par 6°11 de latitude Nord et 84°48 de longitude ouest.

     

    Comme on le sait l’auteur est né à Rochefort en Charente Maritime le 14 Janvier 1850 ,mais c’est en Bretagne que se déroule cette histoire qui n’est cependant pas exactement une fiction. Ecrivain déjà célèbre, il décrit avec humanité mais aussi avec réalisme un monde de gens simples et pauvres auquel il n’appartient cependant pas, des familles harcelées par la misère, une Bretagne rurale, dévote, travailleuse…

     

    Parmi ces gens Yves Kermadec qui a choisi comme beaucoup de Bretons la mer et ses dangers. Il sera donc dans la « Royale » , mais comme simple matelot, c’est à dire qu’il sera voué aux tâches les plus rudes, les plus ingrates, les plus périlleuses. Il les accomplira cependant avec discipline

     

    Quand il est en mer, il est dur à la tâche et fait son métier, mais quand une escale lui fait toucher terre, il redevient querelleur, buveur, laissant volontiers sa maigre solde dans les bouges où il est souvent laissé pour mort.

     

    Il n’y a pas de lien de parenté entre Loti et lui, bien qu’il apparaisse lui-même comme un personnage de sa propre œuvre et soit le parrain du fils d’Yves Kermadec. Une grande amitié est née entre ces deux hommes. Cette « filiation »se fit un soir de confidence où l’officier qu’il était mais qui avait tu son grade, avait rencontré la mère déjà vieille d’Yves Kermadec qui lui avait raconté sa pauvre condition de femme de marin perdu par l’alcool et que la mort avait prématurément emporté. Des treize enfants qu’il lui avait laissé à élever, les garçons s’étaient faits marins, un peu forbans, déserteurs parfois.

     

    Pour Yves c’était différent et cette pauvre femme fit promettre à Loti dont elle avait senti qu’il était différent des autres hommes de lui faire un serment. L’auteur à cette phrase merveilleuse et émouvante «  Le regard anxieux et profond fixé sur moi me causait une impression étrange. C’était pourtant vrai que toutes les mères, quelle que soit la distance qui les séparent, ont, à certaines heures des expressions pareilles. Maintenant il me semblait que la mère d’Yves avait quelque chose de la mienne » et il ajoute « [je] jure de veiller sur lui toute ma vie comme [s’il] était mon frère ».

     

    Dès lors Pierre Loti décrit leurs séparations et leurs retrouvailles au gré des affectations sur différents bâtiments, mais malgré ses grandes qualités d’homme et de marin, Yves retombait toujours, attiré par les cabarets et les bouges. « A cet instant il était irresponsable, il cédait à ses influences lointaines et mystérieuses qui lui venaient de son sang. Il subissait la loi de l’hérédité de toute une famille, de toute une race ».

     

    Pierre Loti évoque la vie de ce marin, de cet homme humble qui finit par tenir la résolution qu’il avait prise de ne plus boire, de changer de vie, de se marier, d’avoir un enfant dont l’auteur sera le parrain, d’être un homme comme les autres dont la hiérarchie reconnaîtra cependant les mérites. C’est vrai que l’officier de marine Pierre Loti l’a protégé, a obtenu que certaines sanctions soient atténuées, l’a fait nommé « second »… Ces deux hommes que tout séparaient seront donc devenus frères au nom du respect de la parole donnée, un soir à une vieille dame.

     

    Dans chaque roman, il y a l’histoire qui nous est racontée, mais il y a aussi la manière de le faire, le style. Ici aussi j’ai retrouvé des descriptions et des évocations aux accents de Zola, et je pense que Loti, déjà célèbre était bien modeste en écrivant à Alphonse Daudet à qui il dédia ce livre « Voici une petite histoire que je veux vous dédier, acceptez-la avec mon affection. ».

     

    Je trouve en tout cas que cet écrivain majeur qu’est Pierre Loti a été trop longtemps injustement oublié. Son œuvre mérite davantage d’attention et le cent cinquantième anniversaire de sa naissance qui tombe cette année en est sans aucun doute l’occasion.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • TROIS CHEVAUX- Erri DE LUCA – Edtions Gallimard.

     

    N°261- Novembre 2006

     

     

     

     

     

    TROIS CHEVAUX- Erri DE LUCA – Edtions Gallimard.

    Traduit de l’italien par Danièle Valin.

     

     

    Je vais probablement étonner mon lecteur, mais j’ai goûté ce livre comme on goûte un long poème, un long poème sans rime mais avec des images, un rythme propre, lancinant et entraînant à la fois, avec parfois une tentation non réprimée d’en lire des passages à haute voix. Il est vrai qu’un roman vaut par l’histoire qu’il conte, mais aussi par les mots qui servent le récit, par leur musique, comme douce mélodie. Je ne sais si cela tient au texte italien ou à la traduction, mais c’est ainsi. Je pense aussi que lorsqu’une femme traduit un tel texte, le résultat ne peut qu’être plus harmonieux...

    Le style est dépouillé, sans fioriture, il sonne bien et mérite assurément d’être dit…

     

     

    L’histoire résonne comme une fable, la rencontre d’un émigré italien avec des femmes, la sienne d’abord, Dvora, qui l’attire en Argentine. Il y rencontre l’amour et la dictature militaire, la vie et la mort, l’engagement dans la clandestinité et le combat pour la liberté, dans un pays qui n’est pas le sien… C’est une danse autour du souvenir de cette femme qu’il a aimée et qui est morte sans sépulture, sans un endroit pour se recueillir, pour évoquer son souvenir, l’image qu’elle lui a laissée … Le sort qu’on lui a réservé était le même pour tous les opposants, jetée en mer d’un hélicoptère, les mains liées, pour ne pas laisser de trace, avec pour unique linceul l’eau glacée de l’océan… Pour cela, l’homme n’a que sa mémoire et quand il se rend au Malouines pour fuir ce pays maudit, le ressac de la mer fait resurgir en lui la vie de cette femme qu’il a aimée.

     

     

    C’est aussi un jeu de la séduction entre cet homme devenu jardinier solitaire et Làila, jeune femme « qui va avec les hommes pour de l’argent », danse de mort autour d’un souvenir et d’un projet également morbide. Leur amour est la fois sensuel et pur, en décalage à cause de la différence d’âge, celui de l’homme revient comme un leitmotiv à travers son histoire personnelle, souligne la fuite du temps… Trois chevaux, le temps de leur vie équivaut, dit-on à celle d’un homme… et lui en a déjà enterré deux ! La mort viendra, par hasard ou à son heure, mais elle viendra, c’est la condition humaine ! Le goût de la mort est présent à chaque page, c’est une fuite, un parcours qui va du sud au nord « par la panse de l’équateur »

     

     

    En contre-point, presque à contre-jour, il y a la personne d’un homme, Sélim, ouvrier africain égaré en occident mais qui n’a pas perdu le souvenir de sa terre dont il parle avec poésie ; Il évoque l’Afrique où l’on marche nus-pieds, où l’on bâtit des cases avec de la terre et de « l’eau du ciel »[«  Nos maisons sont faites de pluie, ce sont des nuages plutôt que des maisons ». Il lit l’horoscope dans les cendres du bois, cueille des bouquets de mimosas ou de thym en fleurs pour les vendre, mais aussi parce qu’ils sentent bon et ont la couleur du ciel, de la nature et du soleil. Musulman, il « prie à chaque adieu du jour » ;

     

     

    Cette fable peut se terminer ainsi « C’est ce que doivent faire les livres, porter une personne et non pas se faire porter par elle, décharger la journée sur son dos, ne pas ajouter leurs propres grammes de papier sur ses vertèbres. »

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.     http://hervegautier.e-monsite.com 

  • TU, MIO -Erri DE LUCA - EDITIONS RIVAGES

     

     

    N°267 – Février 2007

     

    TU, MIO -Erri DE LUCA – EDITIONS RIVAGES

     

     

    D'emblée le titre fait entrer le lecteur dans le décor (Tu, mio: Toi, mien), exprimé en italien, la langue qui parle si bien de l'amour! L'auteur complète le tableau, la mer Tyrrhénienne, une île près de Capri, l'été, les vacances, les filles étrangères, les parties de pêche au large... Tout est rassemblé pour que l'auteur entraine dans son sillage de légèreté son lecteur-témoin!

     

    Et pourtant, tout n'est pas si superficiel qu'il y paraît. Face à lui, il y a le monde des adultes qu'il regarde de loin. La deuxième guerre mondiale n'est pas très éloignée et on l'évoque autour de lui par le souvenir, les paroles retenues, empreintes de secret, d'impuissances individuelles, de petites trahisons aussi... L'adolescent est curieux de cette période et de ces événements. C'est sa manière à lui d'aborder cette époque qu'il n'a pas connue, comme il recherche instinctivement la compagnie de camarades plus âgés et même des adultes, marquant ainsi son empressement à sortir de cette adolescence comme on se débarrasse d'une mue devenue encombrante. Le quotidien est aussi évoqué à l'occasion de la présence des libérateurs américains à Naples parce que c'est une ville agréable mais où il règne “la contrebande, le marché noir, tout le commerce des dollars”. Cette ville est pour ces soldats étrangers “le plus vaste bordel de la Méditerranée... une ville offerte, les cuisses écartées aux marins”. Puis le décor se réduit à l'île et à quelques personnages. Il y a la complicité de Nicola, un pêcheur, un peu un modèle qui lui enseigne l'art d'attraper du poisson et de comprendre la mer à laquelle il est attaché, comme il l'est aussi à la terre. Lui c'est presque un grand frère qui a aussi fait la guerre et en a retiré un goût âcre, mais il n'est pas un véritable confident. Il y a aussi son oncle, un peu le double d'un père absent, comme dans “Une fois, un jour, mais c'est un homme qui “avait la bonne quarantaine [qui] plaisait aux femmes et savait leur faire comprendre qu'elles lui plaisaient”, il y a Daniel, le cousin, de quatre ans son aîné. C'est une sorte de latin-lover un peu superficiel, mais c'est par son entremise qu'il va se faire accepter par le groupe de garçon et de filles plus âgés, un véritable passeur dans cet épisode de sa vie! Avec eux, il est à cheval entre deux mondes, celui de d'adolescence où on est toujours attaché à la famille, à ses valeurs traditionnelles de respect, de travail et celui qu'il aperçoit avec envie, celui des adultes dont il fera bientôt partie mais où il hésite à entrer.

     

    Le récit évoque aussi une jeune fille, Caia, au nom venu d'ailleurs qui offre à tous sa liberté, son insolence, sa maturité et parfois sa révolte, mais révèle son origine juive à l'auteur, tout juste âgé de seize ans. Bien sûr, ce dernier en tombe amoureux, comme on le fait à l'adolescence, c'est à dire avec toute la pudeur qui sied à cet âge et aux années cinquante pendant lesquelles se déroule ce récit. C'est par Caia, une jeune fille, presqu' une femme, qu'il va finalement passer d'un monde à l'autre, dans une atmosphère de liberté, d'euphorie et aussi par l'apprentissage du chagrin né de la séparation et de l'absence. Un amour de vacances est par définition éphémère et chargé de regrets.

     

    L'épisode où il se fait mordre par une murène juste pêchée est révélateur. C'est une sorte de passage initiatique du néophyte qui découvre douloureusement un des secrets du métier de pêcheur. La blessure est soignée par Nicola et la cicatrice laissée sur sa main est en quelque sorte exorcisée par Caia “Elle touchait la surface d'une douleur, une prise nette capable de la raviver comme de l'adoucir”. C'est la jeune fille qui l'entraine avec elle dans le monde des adultes.

     

    Il va y avoir un processus intime d'appropriation réciproque entre le narrateur et Caia. ¨Peu lui importe son passé amoureux fait de passades réelles ou supposées. Par petites touches, leur complicité va aller s'affirmant. Le nom de la jeune fille va être transformé par lui et pour lui seul, lui va hériter d'un surnom, mais pas n'importe lequel, celui de “tate”, papa en yiddish, et mieux encore, il va lui rappeler son père disparu dans la mort. Il va même se réaliser une sorte de transfert, comme une sorte de prise en compte de la tendresse que son géniteur n'a pas eu le temps de lui prodiguer, comme une facette des rapports complexes qui peuvent exister entre un père et sa fille Elle le lui avoue sans embage“ Ce n'est pas la première fois que je sens quelque chose de mon père en toi”, parce qu'elle retrouve, ou veut à toutes forces retrouver en lui les gestes et la présence paternelle. C'est un peu comme si cette jeune fille prenait possession du narrateur avec la complicité de ce dernier “ Non Hàiele, je ne veux pas être laissé en paix par toi. J'ignore ce qui m'arrive depuis peu, depuis que je te connais, mais c'est une plénitude”. Elle en fait son “vieux chevalier” et lui marche dans ce jeu où la retenue et peut-être la timidité le dispute à la volonté de grandir par et pour elle. “Tu m'as appelé tate, tatele, du nom que tu as aimé le plus au monde. Que m'importe d'avoir raté tes baisers longs comme un plongeon? Moi, j'étais là pour baiser ton front, te donner le bras, t'acheter de la barbe à papa, porter ta valise”. Tout cela va crescendo au point de faire sienne la haine qu'elle porte soudain, à cause de quelques couplets de chants SS, à ce groupe de touristes allemands, responsables à ses yeux de la mort de sa famille. Jusqu'au bout, le jeune homme s'approprie ce besoin de vengeance, comme si son passé à elle, devenait le sien!

     

    Il y a aussi le retour sur terre, le départ nécessaire, parce que le temps passe, que les choses changent, qu'il faut continuer à vivre... il voit partir la bateau qui emporte Caia et attend le sirocco qui sera pour lui le signal du départ vers le quotidien, vers un monde qui aura changé pour lui grâce à cet été. Ce concept du temps qui passe et aussi celui du temps qui change se retrouve dans “Une fois, un jour” à travers des photos un peu jaunies, des souvenirs qui reviennent, l'enfance qui disparaît et le corps qui grandit...

     

    Ce roman qui puise ses racines dans le passé et l'intimité de personnages appelle une précision de l'auteur lui-même mais qui est postérieure à cette œuvre. Il écrit que “Au moment ou l'on décrit ces personnes, on les rencontre à nouveau et puis on ne prend définitivement congé, parce que l'écriture donne un congé définitif au temps passé : au moment où on les retrouve, on échange un dernier salut. L'écriture rentre dans la catégorie des meilleures rencontres” [Essais de réponse].

  • LE TRAIN IMMOBILE - Frédérick TRISTAN - Balland Editeur

     

     

    N°210

    Août 1999

     

     

     

    LE TRAIN IMMOBILE - Frédérick TRISTAN - Balland Editeur

     

     

    Il est des livres étonnants qui, une fois refermés laissent au lecteur une impression indistincte, non qu’il fût inexprimable mais qu’il n’est pas aisé de formuler avec des mots. Ce roman est de ceux-là qui allient la magie d’un train suranné à l’image de la Sérénissime République! Ah Guillaume Apollinaire a bien raison de craindre d’un jour un train n’émeuve plus!

     

    Un train donc, et dans la nuit comme il se doit. Il est peuplé de fantômes endormis, emmitouflés sous des pelisses. Au milieu d’eux un jeune homme fume pour se donner l’illusion de la chaleur. Il est rejoint par un vieil homme qui se présente comme un aristocrate italien à qui on donnerait bien deux ou trois cents ans tant son verbe est riche et ses histoires inattendues. Rien de la vie ne semble lui être étranger et il fait pour son jeune compagnon le catalogue de ses plaisirs de ses vives et de ses passions qu’il tire autant de sa pelisse usée que de son imagination. C’est bien un personnage comme on aimerait en rencontrer, hors du temps et du commun mais à la fois énigmatique, inquiétant, diabolique peut-être?

     

    Et puis il y a cette évocation de Venise, entraperçue sur le pont d’un vapeur qui se découvre au spectateur à travers les lambeaux du brouillard. Étrange spectacle que ces palais qui s’effondrent comme tombe la neige, que ces personnages qui semblent jouer une sinistre comédie pour pénétrer dans une sorte de mort annoncée! Tout cela n’est sans doute rien d’autre qu’un décor, sorte de rêve à demi-éveillé où surgit de nouveau notre aristocrate italien... mais déjà un train attend sur le quai d’en face...

     

    Ce roman est bien digne de la devise de la collection « Quand le plaisir de lire rejoint le plaisir d’écrire. De courts textes. De grands écrivains »

  • IL AVAIT DANS LE COEUR DES JARDINS INTROUVABLES - José GIOVANNI

     

     

     

    n°204 - Mars 1999

     

     

    IL AVAIT DANS LE COEUR DES JARDINS INTROUVABLES - José GIOVANNI.

    EDITIONS ROBERT LAFFONT.

     

     

     

     

    Son nom était associé à des romans et à quelques films vus au cinéma ou rediffusés à la télévision. Il disparaissait pour moi et sans doute pour beaucoup d’autres derrière ceux des acteurs célèbres qui les avaient interprétés. Pourtant, je dois le dire, ce livre m’a passionné, mieux il m’a ému, bouleversé.

     

    J’ai toujours cru que le rôle des vivants est d’honorer les morts, de satisfaire à ce devoir de mémoire dont ils sont comptables. Les traces qu’un être humain laisse après sa mort sont tellement ténues qu’elles s’effacent vite et le temps recouvre ce qu’a été sa vie, son passage sur terre. L’amnésie est un vrai fléau!

    Rendre hommage est une chose bien difficile quand on n’a à sa disposition que l’épaisseur des mots. C’est vrai « qu’il ne s’agissait pas de vouloir jouer à être écrivain! Il s’agissait de laisser s’écouler les sentiments comme une source ». C’était simple « Vous prenez ce que vous avez à pleines poignées et vous le jetez sur le papier » Une gageure!

    Peut-être parce que ce travail d’écriture sonnait aux oreilles de ce fils comme un devoir auquel il ne pouvait se dérober et qu’il ne rencontrerait l’apaisement que lorsqu’il aurait couché sur le papier tout ce qu’il avait sur le coeur? On objectera que la mémoire enjolive. Voire! Il y a des aveux qui ne trompent pas «  Toujours ce retard entre mon père et moi. J’essaie encore aujourd’hui de le rattraper comme un coureur distancé qui a mal à chaque tour de roue ».

    C’est bien cela, une histoire de tiraillements entre un père et son fils, faite d’absences, de renoncements, d’espoirs déçus. On ne dira jamais assez la valeur de l’exemple qu’un père donne à ses enfants. Il vaut tous les doctes traités sur l’éducation. Joe, fut un père absent, plus passionné par le jeu et par les femmes que par sa propre famille. Cet homme pusillanime se laissa entraîner dans la marginalité, montrant à ses deux fils une bien mauvaise image de lui-même. Ils le suivront à des degrés divers malgré Lilie, la mère devenue possessive à force d’être trop aimante!

     

    Le lecteur ne sait plus s’il s’agit d’un roman dont le personnage principal, Joe, procède de l’imagination de l’auteur ou bien si c’est une histoire réelle qui nous est ici narrée tant le style mêle, agréablement d’ailleurs, la première et la troisième personne. Cela se termine en apothéose puisque l’auteur s’adresse directement à lui en lui offrant « son livre »!

    C’est dans le ton d’un roman policier que Giovanni nous conte ce récit qui, au vrai, sort de l’ordinaire. Il n’oublie pas de le recadrer dans l’Histoire, celle de l’humanité comme un clin d’oeil pour nous convaincre, s’il en était besoin, que tout cela n’est pas tout à fait imaginaire. Il n’omet pas non plus d’y glisser des aphorismes et des images poétiques.

    Mais revenons au texte de cet infatigable « raconteur d’histoires » propose à son lecteur qui devient au fil des pages presque son intime. Au début cela prend la forme du rêve américain pour ce petit émigrant corse qui quitte son pays, encore adolescent, au seuil du XX° siècle. Pour seule richesse il a son regard bleu et un jeu de cartes (plus quelques louis d’or). Ils incarneront son parcours marginal sur cette terre: le poker et les femmes! Puis, à peine arrivé c’est à nouveau cette quête de celui qui veut se faire une place dans ce nouveau monde où pourtant il se sent étranger. La délicate alchimie de sa vie se marie mal avec cette société en constante recherche de ses marques, en recomposition... La Grande Guerre se déclare. Il part pour la France... Et il y restera. N’est-ce pas, après tout son pays d’origine, celui de Napoléon I° qu’il admire tant? La fortune lui sourira largement puis l’abandonnera.

     

    « Une fois la vie tracée, on ne peut pas ne plus poursuivre » écrit Antoine de Saint-Exupéry. C’est vrai que l’homme ne peut pas grand chose face à son propre destin sinon s’y conformer avec l’impression qu’il le fait librement.. Celui de Joe croisera celui de Santos, ce beau-frère, corse comme lui, et l’entraînera dans l’univers de la pègre. Ses deux fils Barthy et José, pourtant bien différents, l’un ressemblant à cet oncle douteux qu’il convenait pourtant d’éviter et l’autre plus attiré vers sa mère et vers la liberté de la montagne, seront comme fascinés par lui. L’aîné perdra sa vie dans une rixe.

    Pour José, le survivant, sa mère sera une bouée de sauvetage dans ce grand tangage familial. Elle aussi se bâtissait des châteaux en Espagne dans des expériences commerciales qui bien souvent tournaient court. Elle cultivait aussi l’illusion en recherchant jusqu’à la fin de sa vie d’improbables martingales qui devaient lui ouvrir, à la roulette, la voie de la fortune. De ces deux pôles du couple, la fourmi c’était elle, le bon exemple aussi!

     

    Ce livre en fait est la somme des rendez-vous manqués entre José, le fils et Joe le père qui préférait son monde de jeu et d’adultère à celui plus terre à terre de sa famille. Ce témoignage est sans fard, peint à petites touches précises et parfois incisives, sans complaisance...

     

    Pourtant la vie de Joe, le père absent, va basculer. Barthy, le fils aîné avait perdu la vie dans une affaire que la justice avait du mal à démêler. Parce José se trouvait là aussi et parce qu’il en était le seul survivant crédible, on s’empressa de la condamner pour l’exemple. Dans cette atmosphère délétère de l’après-deuxième guerre mondiale où dans notre pays la collaboration et les délations en tout genre avaient un peu fait oublier la grandeur de la France il fallait faire un exemple. Malgré sa conduite exemplaire au combat, les plateaux de la balance furent néfastes à José. Il fut condamné à mort.

    Dès lors son père Joe s’assigna un but : délivrer son fils des griffes de la justice qui au vrai avait été peu sourcilleuse dans le collationnement des preuves et avait un peu oublié la présomption d’innocence dont on nous reparle de temps en temps. Toujours l’exemple.

    Ce petit homme vieillissant, de plus en plus malade se battra donc par avocats et personnalités interposées pour atténuer les souffrances de ce fils. Il le soutiendra dans son combat, ne « vivra que pour lui » pendant ces années de détention, supportant avec lui les chaînes et les vexations, lui écrivant chaque jour, ne manquant aucun parloir. Il était devenu une figure dans ce café de la rue de la Santé qui fait face à la prison. Les deux hommes vivaient la même souffrance de part et d’autre des hauts murs de cette maison centrale.

    Puis, à force d’interventions, de combat au quotidien, de bouteilles jetées dans cet océan d’incompréhension qu’est bien souvent notre société il obtiendra du Président Auriol la grâce de son fils, de nombreuses remises de peine, la libération anticipée puis la réhabilitation. Pour une fois la justice reconnaissait son erreur... Mais cette dernière victoire il n’a pu la savourer. La mort l’a happé avant.

    Puis les choses se sont précipitées pour José. Lui dont on ne donnait pas cher de sa vie, même libre vit son existence s’éclairer. A cette époque ses amis étaient peu nombreux. Ils étaient surtout avocats. Ils l’incitèrent à écrire, à témoigner de ce parcours cahoteux. Il le fit et ce fut un succès. Le destin toujours! Lui à qui une cartomancienne avait prédit une improbable notoriété devint célèbre sous les yeux mêmes de son père. Se sentait-il coupable d’avoir par son exemple ou ses renoncements entraîner son fils dans cette parenthèse carcérale ou en était-il fier de lui au point de rester sans voix? Ce livre aussi parle des silences de celui qui a bien souvent ravalé ses paroles, qui n’a pas su incarner l’autorité du père en préférant la fuite. José lui rendra hommage après sa mort, afin qu’il demeure dans le souvenir des siens autant que dans la mémoire collective.

     

    J’imagine le soulagement de José Giovanni devant le livre enfin terminé, le point final mis à ce texte (fin 1994... en montagne) qu’il voulait offrir à son père par delà la mort, le chemin de croix qu’à été pour ce petit homme vieillissant, éternel dandy à l’élégance raffinée qui se mouvait si facilement dans le bluff du poker mais dont l’existence ne prit son vrai sens que lorsqu’il décida de se battre pour son fils. Il a réussi à repousser la mort pour le revoir vivant et libre.

     

    Les mots résument bien cela dans leur simplicité et leur dénuement « Voilà, père, c’est fini. Il ne me reste plus que le remords de t’avoir fait souffrir. Mais tu sais, je t’ai toujours aimé. »

     

    Oui, je le redis, c’est là un témoignage émouvant.

     

    © Hervé GAUTIER

  • RAINING STONES – Un film de Ken LOACH.

     

     

    N°174

    Novembre 1993

     

     

    RAINING STONES – Un film de Ken LOACH.

     

     

    L’histoire (si tant est qu’on puisse appeler cela une histoire puisqu’elle est de tout temps, se répète à l’infini et se nomme chômage, misère…) se déroule en Angleterre de nos jours. Nous voyons deux travailleurs anglais, sans travail, bien que «travaillistes », Bob et Tommy, tous les deux pères de famille, qui cherchent de bonne foi un emploi. On comprend très vite qu’ils n’en trouveront pas parce que le système est ainsi fait, qu’il joue contre eux et prospère sur leur dos. D’emblée, ils nous sont sympathiques parce que de bonne volonté. Bob se fait tour à tour égoutier, videur de boîte de nuit mais peu chanceux ou trop honnête, se retrouve sur le pavé. Pire, quand la chance semble lui sourire, on le prend pour un bénévole ou on l’expulse parce qu’il refuse le système… Pourtant le Père Barry lui dit que «tout homme a droit au travail et ne doit pas être critiqué s’il n’en trouve pas ».

    Avec Tommy dont la gouaille camoufle mal le désespoir, Bob se fait voleur de mouton, déracineur de green anglais, mais tous ces larcins ne parviennent pas à nous les rendre antipathiques, bien au contraire. Ces entreprises se révèlent être un fiasco au point que Bob se fera voler sa camionnette qui représente pour lui un travail potentiel. Sans le savoir, c’est peut-être à tout ce qui fait l’Angleterre de toujours qu’ils s’attaquent : le mouton et le gazon ! Mais ils cherchent toujours et sans relâche, refusant cependant la spirale de la drogue et de l’alcool qui, là-bas comme chez nous frappe même les enfants. C’est qu’ils veulent garder leur dignité malgré tout !

    Il y a autre chose Tout tourne autour d’une robe de communion que Bob veut offrir à sa fille Coleen, sa Princesse. Il est chômeur, certes, mais aussi catholique pratiquant et n’entend pas que sa fille soit plus mal vêtue qu’une autre ce jour-là. Alors il s’endette, jusqu’à menacer l’équilibre déjà précaire de son foyer, ment à sa femme sur l’origine de cet argent et refuse l’offre généreuse du Père Barry « L’école prête des robes…Personne n’en saura rien » Le simple fait que lui et son épouse le sachent suffit à lui faire refuser. Sa fille aura pour ce jour tout ce qu’il y a de mieux et ce sera une fête pour tous, immortalisée par une photo. Coleen gardera la robe en souvenir.

    Bob veut garder sa dignité qui le fait demeurer un homme. On sent bien que sans elle il glisserait sur la planche savonnée par la société, il serait tout juste une loque ravagée par la drogue et mangée par l’alcool. Si on le voit boire, c’est pour trouver le courage d’aller régler son compte à l’usurier qui représente pour lui plus qu’un danger. Si celui-ci met ses menaces à exécution, c’est sa raison de vivre qui disparaît… On craint le pire et le fragile équilibre risque d’être rompu définitivement.

    Il y a plus. Ce film sur la misère au XX° siècle est une photographie exacte et sans complaisance d’une société en pleine décadence qui refuse aux plus démunis de ses membres la survie élémentaire. Un tel système ne peut, en effet, durer et prospérer sur l’exclusion de certains de ceux qui la composent. Chacun y joue son rôle, semble nous dire Ken Loach, et quand l’usurier trouve la mort, par le truchement involontaire de Bob, les choses reviennent à leur vraie place, la morale remporte la victoire, il y a enfin une justice, et singulièrement elle vient du Destin, de Dieu qui prend ici les traits sympathiques du Père Barry qui comprend, conseille et pardonne quand Bob s’accuse du meurtre de l’usurier(«c’était juste un accident »lui dit l’homme d’Eglise) C’est tout juste si Bob n’a pas été le bras justicier de Dieu et c’est sans hésiter que le bon curé lui donne l’absolution et la communion. Il n’a pas d’argent, mais ses paroles s. Ken Loach a bien fait les choses en donnant au Père Barry le rôle que doivent avoir bien des prêtres catholiques dans ces banlieues ouvrières, bien loin de l’alliance classique de l'Église et de l’argent.

    Bob et Tommy sont tout en nuances et en émotions malgré leur côté désespéré. C’est Tommy qui pleure tout seul après avoir reçu l’argent de sa fille, c’est l’histoire de cette cité qu’on apprend par les yeux de ses habitants… Quelques mots, quelques images, on a compris et cela suffit !

    Il y a autre chose et c’est une gageure. Le rire accompagne les deux hommes qui veulent à tout prix garder le moral. La gouaille et l’humour parfois décapant colle à leurs tentatives. Seule l’intrusion de l’usurier nous fait peur, mais le talent de Ken Loach est là pour maintenir cet humour où la dérision le dispute parfois au suspense. Quand la police qu’il ne fréquente guère vient chez Bob après la mort de l’usurier, on comprend qu’il détourne les yeux de l’objectif du photographe. On sent la fin, le dénouement l’éclatement de cette famille qui est tout pour lui. Que nenni ! C’est pour lui annoncer que sa camionnette volée a été retrouvée ! Quand Bob parle de Dieu à sa fille, comme le Père Barry le lui a demandé, il est drôle et émouvant parce qu’il se trompe, en oublie et tente vainement d’expliquer avec des mots un mystère qui le dépasse.

     

    Ce qui fait que ce film est vrai et bouleversant, c’est sans doute que les acteurs n’ont pas eu beaucoup à se forcer pour camper les personnages. Ils sont ces personnages, on le sent. Alors, film politique, oui, et après. Il est l’image de la société anglaise après l’aire Tatcher. C’est en tout cas un film de référence (et à petit budget), une grande œuvre authentique !

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • LE PETIT SAUVAGE – Alexandre Jardin - Gallimard.

     

     

    N°145

    Février 1993

     

     

    LE PETIT SAUVAGE – Alexandre Jardin - Gallimard.

     

     

    Retrouver son enfance dans le caquetage d’un perroquet, revenir vers elle, bousculer au passage tous les attributs et artifices de la vie d’un adulte et de la réussite sociale pour découvrir l’esprit, l’espièglerie, le merveilleux de cette enfance, voilà la démarche de ce «petit sauvage ».

     

    J’avoue que l’entreprise m‘a un moment charmé et qu’elle était, tant par le style que par la conduite du récit une piste sur laquelle je souhaitais suivre cet ancien enfant qui reconstruisait, brique après brique cette période merveilleuse. Je l’y ai suivi jusqu’au bout …Le dédoublement de la personnalité du narrateur allait de soi «je résolus de réveiller le Petit Sauvage » déclare Alexandre Eiffel, et, pour cela, il entraîne avec lui non seulement l’enfant qu’il a été mais aussi les survivants de cette période bénie. A presque quarante ans, il voulait devenir digne du «petit Sauvage », mais aussi faire en sorte que les autres acteurs le soient de leur enfance, de leur jeunesse à eux.

     

    Pour cela, rien ne manque, pas même le décor (La Mandragore, le Collège Mistral), les personnages (Tout-Mama, les Crusoé), les amours fantasques de Marie Tonnerre dont la fille sera, quelques années plus tard l’actrice attentive et passionnée. Pourtant, bien qu’il ait essayé d’entraîner tout le monde dans son sillage et que chacun se soit prit au jeu un moment, les gens qu’Alexandre invite dans sa ronde effrénée ont vieilli et en ont assez de jouer, soit qu’ils aient été happés par la vie, soit qu’ils aient été rattrapés par le temps. Ainsi, Alexandre Eiffel devient-il «le Petit Sauvage » et, gaucher comme au temps de son enfance, se retrouve-t-il seul dans une sorte de mysticisme, rencontre-t-il Dieu comme on le fait d’ordinaire quand on est face à soi-même !

     

    Pourtant, cette folie tout entière contenue dans les paroles laconiques de perroquet de Lily, inlassablement répétées comme un avertissement ou un défi ne m’a pas apporté cette part de rêve qu’un livre doit impérativement prêter à son lecteur. Relisant mes notes et les articles parus dans cette chronique, je m’aperçois que j’avais été enthousiasmé par les trois premiers romans d’Alexandre Jardin. Ici, mon exaltation a été rapidement émoussée et s’est évanouie dans des rebondissements où l’invraisemblable le dispute aux longueurs. Je ne sais s’il s’agit d’une œuvre de fiction, mais le simple lecteur que je suis n’a pas ressenti, à l’occasion de ce roman, le même plaisir qu’avant. J’ai même éprouvé un certain agacement à divers aphorismes qu’on a du mal à imaginer sous sa plume !

     

    Alexandre Jardin met en exergue une citation de Jean Anouilh. J’y préférerais volontiers une autre d’Albert Camus « Certes, c’est une grande folie, et presque toujours châtiée, de revenir sur les lieux de sa jeunesse et de vouloir revivre à quarante ans ce qu’on a aimé et dont on a fortement joui à vingt ».

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • Michel RAGON, Vendéen, écrivain populaire.

     

     

    Avril 1992

    107

     

    Michel RAGON, Vendéen, écrivain populaire.

     

    Nous connaissons tous Michel Ragon, l’auteur du roman populaire " Les mouchoirs rouges de Cholet ".

    Un peu moins connu en revanche est le personnage lui-même qui apparaît en filigrane à travers propre histoire et celle de sa famille dans trois autres ouvrages qui donnent à voir un homme au parcours pour le moins original.

     

    A propos d’ " enfances vendéennes ", il indique ce que fut sa vie. Issu d’une famille de paysans vendéens, pupille de la Nation, il quitte l’école à quatorze ans pour devenir garçon de courses à Nantes. Manutentionnaire, aide-comptable, manoeuvre dans une fonderie à Paris, ouvrier agricole en Angleterre, bouquiniste sur les quais de la Seine, journaliste, il devient critique et historien de l’art moderne. Professeur à l’école Supérieure des Arts Décoratifs dans une université américaine, il soutient à cinquante ans une thèse de doctorat es-lettres en Sorbonne sur la modernité. Il complète l’audience nationale qui est la sienne en matière d’art par l’écriture de romans populaire car il est le type même de l’autodidacte, curieux de tout ce qui touche à la connaissance et attentif aux grands esprits de son temps. Il sait se souvenir de ses origines roturières dont il ne fait aucun mystère et qui, au contraire font sa richesse.

     

    Erudit, à l’immense culture toujours renouvelée et remise en question, il parcourt le monde en bourlingueur mais revient à son terroir vendéen comme à un port d’attache et donne à la littérature une dimension populaire qui lui manque trop souvent. Mais qu’on ne s’y trompe pas, devenir un écrivain populaire n’est pas si simple. Il rappelle lui-même que " la vocation de l’écrivain est monastique ".

     

    Une des nombreuses raisons de ce succès est sans doute que non seulement il n’a pas oublié ses origines (" La terre, la plume, le cuir, voilà les trois éléments de ma petite enfance. ") mais aussi qu’il est au carrefour de deux cultures, celle du paysan vendéen, jaloux de son histoire, de ses traditions et fier de ses racines (Il a su mieux que personne parler des petits métiers de la campagne), celle aussi du citadin du XX° siècle ouvert au monde et à la modernité. Ce n’est pas là un moindre paradoxe, d’où naît sans doute une culture fort riche et diverse qu’il aime à faire partager à travers des écrits accessibles à tous car, malgré son côté intellectuel indéniable, il reste un homme du peuple.

     

    C’est au sein de cette Vendée profonde qu’il passa sa merveilleuse enfance, malgré la mort prématurée de son père et les difficultés matérielles de sa mère. L’enfance, beaucoup d’écrivains en ont parlé. Michel Ragon recompose pour son lecteur cet univers qui fut le sien, avec ses fantasmes, ses phobies, ses espoirs aussi , mêlant agréablement le souvenir de Georges Simenon qui résida un temps à Fontenay le Comte, à celui de Rabelais qui fut en d’autres temps moine à l’Abbaye de Maillezais, à celui de Gargantua aussi, en n’oubliant pas que la Fée Mélusine a toujours été présente dans la forêt de Mervent ! Il évoque tout un folklore, à la fois laïque et religieux et le souvenir d’une enfance et d’un adolescence où la vie était rude.

     

    Dans " Adolescence nantaise ", il évoque Nantes la grise, immortalisée par une chanson de Barbara mais où l’histoire croise sous sa plume le quotidien avec l’évocation de personnages fugaces empruntés au passé. C’est un guide touristique où la nostalgie le dispute aux souvenirs personnels.

     

    Si on voulait affiner la raison de cette dimension populaire de l’écrivain, je dirais que outre l’intérêt tout particulier qu’on peut avoir pour les autodidactes authentiques ( ils ne sont pas si nombreux !), la fidélité est un élément important, essentiel même ! La lecture de " J’en ai connu des équipages " révèle davantage l’homme et son parcours.  Plus qu’un roman, c’est un entretien. On doit y voir l’ascension sociale de l’homme, ce qui sera toujours pour sa mère un but avoué, mais surtout, à travers la relation d’une vie laborieuse et dure, le message le l’écrivain et la fidélité à ses idées.

     

    Certes, il y a l’exigence de celui qui est pour lui-même son propre censeur, mais surtout il y a l’homme qui ne se laisse pas aveugler par la notoriété. Il jette sur le monde du quotidien, qu’il soit passé ou présent le regard de l’humaniste et du libertaire où l’anarchiste amoureux de la liberté reste présent et actif en assénant au passage, au monde politique, religieux et littéraire quelques vérités bien senties. Il est en effet difficile de voir en lui l’homme de la compromission. J’y préférerais, pour ma part, celui de la vigilance. Cela donne des phrases peu équivoques telles que " Tout contre-pouvoir qui accède lui aussi au pouvoir devient oppresseur. " ou " La complicité de l’écrivain avec le pouvoir est une trahison de sa mission. ". Car il est aussi volontiers critique à l’égard du monde des Lettres auquel il appartient, expliquant par exemple que " La grande baisse du tonus de la littérature française  actuelle tient à cette espèce de fonctionnarisation de l’écrivain. ", rappelant aussi que " (leur) vraie mission est d’être des créateurs d’un monde littéraire".

     

    C’est une évidence, mais il la formule en termes simples : " Un écrivain ne présente d’intérêt que dans son ?uvre, non dans son aspect physique. ", ou bien plus critique encore " Les écrivains ne sont pas meilleurs que les hommes politiques, ils sont pires parfois".

     

    Un autre élément, et ce n’est sûrement pas le seul qui lui donne cette dimension populaire est à mon sens l’hommage qu’il rend à sa région d’origine. Dans " L’accent de la mère " où il est, somme toute assez peu question de sa mère, peu de son père et de sa famille, il se livre surtout à une étude historique, sociologique et économique de la Vendée. S’il rappelle à l’occasion que l’histoire et écrite par les vainqueurs et jamais par les vaincus, il saisit là l’opportunité de rétablir, à travers ce qu’on appelle " Les guerres de Vendée " une vérité historique trop longtemps occultée par l’histoire officielle, parlant d’un véritable génocide franco-français perpétré dans cette province par les hommes de la Révolution bien peu soucieux de leur devise républicaine pourtant hautement proclamée !

     

    Il donne, à cette occasion un éclairage historique intéressant sur une page de notre mémoire nationale, bousculant au passage bien des idées reçues, tirant des leçons inattendues de l’histoire et des hommes qui la font. Dès lors, il n’est pas étonnant que sous sa plume soit évoquée la Vendée protestante, ouvrière et progressiste alors que cette région était traditionnellement vouée au catholicisme, au royalisme et à l’obscurantisme…

     

    Homme de culture, il n’oublie pas que pour expliquer un terroir, il faut certes la connaissance de son histoire mais aussi y mêler une bonne dose de merveilleux. Il cite opportunément Victor Hugo : " La Vendée ne peut être complètement expliquée que si la légende complète l’histoire. Il fait l’histoire pour l’ensemble et la légen,de pour le détail ".

     

    Authentique écrivain situé au carrefour de deux cultures, il n’en a pas moins été soucieux de restituer la vérité historique de sa province, d’y rester fidèle ainsi qu’à ses idées et à ses origines. Il reste le chantre de l’identité vendéenne. C’est en tout cas pour moi ce qui fait l’intérêt de l’écrivain et de l’homme et sans doute une grande part de son succès.

     

     

    (c) Hervé GAUTIER.

  • GEORGES et LOUISE - Michel RAGON Editions Albin Michel.

     

     

    N°234

    Février 2001

     

     

    GEORGES et LOUISE - Michel RAGON Editions Albin Michel.

     

     

    On s’étonnera peut-être que Michel Ragon, dont le parcours dans la vie et dans la littérature est des plus exemplaires qu’il choisisse de parler de deux personnages aussi apparemment différents que la révolutionnaire Louise Michel, fille naturelle, institutrice, pauvre et délicate poétesse et l’homme politique mondain et ambitieux, le médecin et riche bourgeois qu’était Georges Clemenceau.

     

    A priori tout les oppose mais ces deux êtres portaient en eux la révolte, la volonté de faire changer le monde, même si leurs chemins divergèrent parfois, ils restèrent rebelles à cette société dans laquelle ils vivaient. Louise avait épousé la cause des pauvres, des déshérités et Georges, quand il la rencontra à Montmartre dont il était la maire, fut frappé par son immense charité, bien qu’elle ne fût pas chrétienne, au contraire ! Il choisit donc de l’aider financièrement comme l’aideront plus tard le Marquis de Rochefort et la Duchesse d’Uzès ! C’est que Louise ne laissait pas indifférents ceux qui la rencontraient !

     

    Pendant tout son chemin, Louise a opté pour l’action politique, parfois violente mais Georges lui préféra toujours l’action parlementaire, plus feutrée mais pas moins efficace. Pendant la Commune, l’action de Louise sera modeste mais pendant son procès elle prendra sur elle toute la responsabilité des émeutes, bravant ses juges et la condamnation à mort. Finalement ce sera la déportation en Nouvelle-Calédonie où elle n’oubliera pas son engagement humanitaire définitif. Il se fera en faveur des Canaques !

     

    On sent qu’il s’apprécie ces deux personnages que tout sépare. Ne compare-t-on pas à Jeanne d’Arc celle qui fut, un peu après coup, la Passionaria de la « Commune », ne porte-t-elle pas le deuil de cette révolte avortée, de tous ces fusillés, de tous ces morts pour la Liberté ?

     

    On sent bien que cet autodidacte authentique qu’est Michel Ragon, qui porte aussi en lui la révolte, aime peut-être davantage Louise Michel pour la droiture de son action. L’histoire l’a fait croiser la route de Clemenceau, vendéen comme lui, révolté aussi et de cette rencontre est née plus qu’une amitié, une sorte d’admiration réciproque dont leur correspondance témoigne.

     

    Ce qui passionne Michel Ragon c’est sans doute aussi le souci qu’il a de livrer à son lecteur l’histoire authentique comme il le fit à de nombreuses reprises, notamment à propos des « Guerres de Vendée », même si ce qu’il écrit dérange, est en marge de l’histoire officielle dont on sait qu’elle est toujours écrite par les vainqueurs !

    Il aime la révolte même si elle est utopique car nous savons bien que cela aussi et peut-être même surtout fait avancer le monde, le fait évoluer et non s’engoncer dans des idées reçues. On sent qu’il les aiment ces oubliés de l’histoire qui ont su, eux-aussi et à leur manière œuvrer pour le triomphe des valeurs de notre république. Il ne quitte jamais des yeux son modèle, sa « Vendée » !

     

    Il tient à nous dire qu’il apprécie les être humains pour ce qu’ils sont mais surtout quand ils sont fidèles à leur idéal. Ennemis peut-être mais qui forcent le respect par leur droiture et le refus de la compromission, la fidélité à leur engagement personnel, oubliant les clivage sociaux, les opinions divergentes.

     

    L’auteur, véritable humaniste, n’oublie pas de rappeler des évidences, que le pouvoir corrompt, rend oublieux parfois des engagements pris qui ne sont jamais tenus et il conclut (sans doute) avec Louise « C’est que le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste. ». Il n’oublie pas non plus de se situer dans son siècle, l’histoire étant, nous le savons un éternel recommencement et c’est pleinement conscient de ce qu’il écrit qu’il note pour son lecteur attentif ( et ce sont ses propres termes) « La gauche au pouvoir n’est plus la gauche ». Cette remarque me paraît à moi, avoir été dans un passé récent ( et peut-être aussi dans le présent ?) marqué au point du bon sens !

    On sent bien sous la plume de notre auteur le vendéen frondeur qu’il continue d’être et lui de citer Clemenceau encore une fois «  Ce peuple vendéen a quelque chose de sauvage et de buté qui me plaît ! »

     

    Dans sa haine du pouvoir Louise, à son retour en France, va désirer ardemment tuer Gambetta comme elle avait pensé exécuter Thiers pendant la Commune. Pour elle ce qui importait c’était « que ça pète »

     

    Elle n’est pas exempte de contradictions non plus, elle qui désira faire sortir les femmes de leur condition inférieure mais refusa de militer pour leur droit de vote. Elle resta célibataire pour ne pas être assujettie à une homme mais défendit quand même la cause des femmes que la Commune oublia un peu vite. Elle refusa même un mandat parlementaire qui lui aurait sûrement permis de faire bouger les choses, certes plus lentement, mais dans la légalité. Elle restait pour Clemenceau « l’incarnation de l’éternelle révolte des gueux, l’image de la Révolution ».

    Pourtant c’est Clemenceau qui fait évoluer les choses en instituant de nouvelles libertés politiques et syndicales, s’élevant contre la répression et la peine de mort, militant pour l’institution de retraites ouvrières, pour l’école laïque et gratuite.

     

    Mais la «  veuve rouge », celle qui porte si haut le deuil des communards morts, va finir par être manipulée, huée même. Elle devient impopulaire, un comble pour elle tandis que Clemenceau prend la première place dans le monde politique. A elle le combat au quotidien contre la misère, la pauvreté et les injustices, à lui les mondanités et les honneurs. Lui si élégant et raffiné si soucieux de sa personne, elle négligée jusqu’à l ‘outrance car ce qui les sépare malgré tout c’est bien le milieu social.

     

    Nous la découvrons aussi « femme de plume » non seulement auteur de romans poèmes et pièces de théâtre mais aussi ardente lectrice de science fiction, amie d’un « lointain » Hugo, admiratrice de Zola et célébrée par les poètes symbolistes, moins, il est vrai, pour son talent que pour son engagement politique.

     

    C’est que la voilà désormais, après un long séjour hors de France, conférencière, mais son image ne fait plus recette. Elle est de plus en plus contestée, elle essuie des quolibets. Ses atermoiements, ses silences coupables lui ont peut-être valu cet attentat où elle échappa à la mort, pardonnant cependant à son agresseur. A ce moment peut-être plus qu’à tout autre elle mérite son surnom de « Vierge rouge ».

     

    Georges et Louise se sont toujours suivis malgré les divergences de parcours. L’homme politique a toujours été aux côtés de l’anarchiste un peu comme son double, l’autre face d’un Janus, l’un dans la lumière et l’autre dans l’ombre, un peu comme si l’un osait faire ce que l’autre n’osait pas !

     

    Michel Ragon, on le sent bien, domine son sujet, plus, celui-ci le passionne. Il sait quand même pointer du doigts, même s’il est sous le charme de cette Louise, les insuffisances de ce personnage complexe. D’elle et de Georges je crois bien que c’est elle qu’il préfère sans doute parce qu’elle est restée fidèle jusqu’au bout à elle-même alors que Clemenceau, malgré ses idées libertaires affichées sera constamment tenté par le pouvoir et finira pas succomber. Si elle avait fait sienne la devise de Blanqui « Ni Dieu ni Maître » qui, si je me souviens bien avait aussi été celle de Cathelineau, voiturier vendéen qui commanda les Blancs au début des Guerres de Vendée, Clemenceau aimait le pouvoir pour ce qu’il était.

     

    Puis, lui qui était surtout capable de faire et de défaire les gouvernements, porté par le Bloc des Gauche , devint député puis, comme il aimait à le rappeler, « le premier flic de France » et enfin Président du Conseil, reniant beaucoup de ceux qui avaient été ses amis et l’avaient soutenu et, pire encore faisant réprimer par la troupe les émeutes ouvrières du nord et les révoltes paysannes du sud de la France. Louise était déjà morte, un peu comme si la griserie du pouvoir prenait le dessus, comme si son mentor de l’ombre, son contrepoids n’existant plus. II était en quelque sorte libéré !

     

    C’est vrai qu’il s’en moqua un peu de ce pouvoir mais pour mieux s’en emparer et oublier que dix ans plus tôt il souhaitait  réduire l’action du gouvernants «  à son minimum de malfaisance ». Pourtant, dans la mémoire collective, c’est sous le nom de « père la Victoire », jusqu’au-boutiste, revanchard, cocardier, patriote qu’il restera, le comble pour un anarchiste et un antimilitariste. Lui aussi essuya un attentat et comme Louise protesta contre la peine de mort pour son agresseur .

     

    Pour s’excuser peut-être Clemenceau disait de lui qu’il était un mélange d’anarchiste et de conservateur mais refusait d’indiquer dans quelle proportion ! Il rappelait qu’il avait eu ses heures d’idéologie et qu’il n’était pas disposé à les regretter.

     

    A travers ces pages écrites simplement comme à son habitude, c’est à dire pour être lues et comprises, Miche Ragon se fait (et avec quel brio) un peu l’historien de l’anarchisme et on ne peut que souligner l’important travail de recherche qu’il a mené pour écrire cet ouvrage, pour montrer la part d’anarchisme qu’il y avait chez l’homme de pouvoir et la part de rêve qu’il pouvait y avoir dans cette petite silhouette frêle qui incarna l’insoumission sans renoncer à l’amitié et à l’argent des riches, même si elle n’en profitait pas elle-même. Ces portraits croisés ont quelque chose d’émouvant .

     

    Le choix qu’a fait Michel Ragon d’en être l’auteur vient sans doute du fait que Louise et Georges se sont beaucoup écrit pendant leur vie mais, à mon avis, c’est un peu la condition humaine qu’il a évoquée à travers ces deux personnages, sa complexité ses nuances, ses renoncements…

     

    © Hervé GAUTIER. http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • LA CONTREBASSE – Pièce de Patrick SUSKIND avec Jacques VILLERET.

     

     

    N°157

    Juin 1993

     

     

     

    LA CONTREBASSE – Pièce de Patrick SUSKIND avec Jacques VILLERET.

     

     

     

    Au risque de passer pour un importun et d‘aller à l’encontre d’une opinion laudative, je dirai que cette pièce, écrite en 1980 par Patrick Suskind m’a laissé une impression mitigée, pas vraiment mauvaise, mais largement en-deça de tout le bien que j’en ai entendu dire.

     

    Non que Jacques Villeret fût mauvais, tant s’en faut, mais le texte m’a paru très moyen, et si cette pièce se veut être une comédie, il n’y a pas là de comique de mots, pas davantage de comique de situation. A preuve, le rire, quand le public en gratifie l’interprète, va plutôt à un effet de scène de Villeret qui, à mon sens, rachète beaucoup le texte.

     

    De quoi s’agit-il ? simplement d’un homme de 35 ans qui connaît une solitude forcée (soulignée d’ailleurs par un monologue de 2H30 – une véritable performance pour l’interprète), un petit fonctionnaire de l’Orchestre National qui a renoncé à une carrière de virtuose plus en vue, pour préférer cet instrument encombrant qu’est la contrebasse ! Pourtant, a-t-il vraiment choisi ?

     

    Au vrai, il est cossard, et qui plus est, limité dans ses possibilités. Il passe son temps à ressasser ses échecs. C’est un petit musicien d’orchestre, « un contrebassiste du 3° pupitre au fond » (derrière lui, il n’y a plus personne) à qui on ne fait guère attention et qui peut se permettre, en toute impunité, de ne jouer que quelques notes sans qu’on relève ses manquements ! Après tout, il ne sert que d’accompagnement !

     

    C’est un être irascible qui passe ses nerfs sur son instrument, n’y voyant qu’un exutoire, se contentant de boire de la bière et de caresser les formes de sa contrebasse, faute de pouvoir effleurer celles de Sarah, la chanteuse soprano qu’il aime en secret, qui ne le connaît pas et qu’il n’aura jamais. C’est un être cupide, envieux, pusillanime, méchant et sans envergure qui remet chaque jour au lendemain le coup d’éclat qu’il prépare depuis longtemps, celui de lancer son cri d’amour à Sarah, en plein orchestre, ce qui attirera l’attention sur lui… mais lui coûtera sa place !

     

    C’est un être mal dans sa peau, aussi petit que son univers quotidien de fonctionnaire. Il n’a peur de rien, mais ne fera rien pour être mieux qu’un modeste contrebassiste mal payé et qui rêvera toute sa vie de celle des autres, de ceux qui emmènent Sarah « dans des restaurants de poissons ». Lui restera éternellement à la porte, écarquillera les yeux à travers la vitre, mais ce sera tout ! Il est amer, un peu raciste, quant à la musique, s’il en joue, c’est sans l’aimer vraiment.

     

    On aurait pu imaginer, puisque nous sommes en pleine fiction qu’un dialogue surréaliste s’installe sur scène et que l’instrument prenne la parole et réponde au personnage. Là un effet comique eût sûrement été au rendez-vous… Mais la contrebasse reste muette, se contentant d’imposer sa silhouette massive jusqu’à la fin. C’est que le personnage n’a rien de comique en lui-même, il joue le rôle ingrat de celui qui s’est égaré dans cette vie qu’il voyait autrement pour lui. Il s’y débat seul, sans grand espoir ni peut-être volonté d’échapper à sa condition qui ressemble pourtant à la condition humaine ordinaire.

     

    Je le répète, Jacques Villeret sauve cette pièce. Je pense simplement qu’on s’est trompé de registre en voulant en faire une comédie, alors que c’est d’un drame qu’il s’agit.

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • CONTES D'AMOUR DE FOLIE ET DE MORT - Horacio QUIROGA - Editions Métailié /Unesco.

     

     

    N°223

    Mai 2000

     

     

     

    CONTES D’AMOUR DE FOLIE ET DE MORT - Horacio QUIROGA – Editions Métailié /Unesco.

     

    A priori le lecteur pourrait croire qu’il s’agit de récits qui sont imaginaires et fantastiques et qui s’inspirent de la condition humaine. De quoi, en effet, parlent les artistes et spécialement les écrivains depuis l’aube des temps sinon de l’homme, de son quotidien, de ses aspirations, parfois de ses fantasmes et de l’issue de sa vie ?

     

    Pourtant, dans la trilogie classique « La vie, l’amour, la mort. », j’ai rencontré chez Quiroga surtout la dernière. Ses contes m’ont fait penser à la phrase d’Yves Bonnefoy « La mort est un pays que tu aimais. ». C’est en effet un thème récurrent chez l’écrivain uruguayen puisqu’elle a fait très tôt partie de sa vie. Ce fut d’abord celle de son père puis celle de son meilleur ami Federico Ferrando qu’il tua accidentellement, celle de son frère, de sa sœur puis de sa première femme. Mais ce fut surtout le suicide, celui de son beau-père puis le sien en 1937. Il fait le joint entre ces trois mots, en est l’issue définitive.

     

    Il faut se rappeler que c’est à partir du suicide de son beau-père en 1896 qu’il commença à écrire.

     

    L’homme porte en lui la mort comme un germe, comme un poison. Notre auteur, à qui la condition humaine n’était point étrangère a su si bien l’exprimer dans sa simplicité mais aussi dans sa complexité, dans son horreur comme dans sa violence. Même si le Cantique des Cantiques rappelle que « l’amour est plus fort que la mort », c’est pourtant elle qui gagne à la fin, sans que nous y puissions rien !

     

    La solitude qui bien souvent est la cause ou la conséquence de la folie fait aussi partie de son être. Il s’est lui-même exilé en pleine forêt. Il en fera la matière de certains de ses contes, le décor, l’essence.

     

    Dans cette forêt se confondent et s’opposent deux civilisations, celle ancestrale des indiens Guaranis et celle des blancs des grandes compagnies étrangères. En cela, Quiroga, amoureux de cette nature dénonce un système ce qui fait de lui un écrivain engagé. D’autres suivront son exemple !

     

    Ecrivain de la vie, il sait que nous ne sommes ici que de passage. La durée nécessairement courte de notre existence s’incarne chez lui dans le conte ou la nouvelle, forme brève qui porte en elle toute la nécessité de dire, avec une grande économie de mots, le message qu’il porte en lui. Le style est, plus que dans le roman, épuré, dépouillé parfois, toujours sans artifice. Autant dire qu’il choisit d’aller à l’essentiel.

     

    Il y a aussi du fantastique, du merveilleux, de l’étrange chez Quiroga. Cela peut faire partie de notre vie comme il faisait sans doute partie de la sienne, de son imaginaire, sûrement ! Ses textes en sont aussi les témoins.

     

    La mer est présente dans cette œuvre. Elle fait, au même titre que la solitude, la folie et la mort, partie de la vie de l’auteur. Son père, marin, inspira de son exemple l’écriture de ce fils.

     

    Peut-on dire que son écriture débouche Dieu ? Quiroga pourrait-il être regardé comme un écrivain mystique comme on a pu le dire ? Je dois avouer que je n’ai pas lu ou senti cette dimension dans ses textes. Pourtant j’y ai rencontré bien des préoccupations humaines et personnelles. C’est pour moi un beau livre !

     

    © Hervé GAUTIER.

  • GILLES & JEANNE - Michel TOURNIER - Editions Gallimard.

     

     

    N° 205 - Mai 1999

     

     

    GILLES & JEANNE - Michel TOURNIER - Editions Gallimard.

     

     

    Je l’ai souvent dit dans cette chronique, la nouveauté d’un livre n’est pas un critère suffisant pour susciter mon intérêt. J’ai vérifié encore une fois cette évidence avec cet ouvrage.

     

    L’histoire nous enseigne que Gilles de Rais, Maréchal de France était le compagnon d’armes de Jeanne d’Arc. Les contes nous l’ont également dépeint sous les traits de « Barbe bleue ». J’avoue que le personnage m’avait un temps intéressé et avait éveillé ma curiosité mais j’en étais resté là, sans réelle envie d’en savoir davantage. Les stéréotypes ont parfois la vie dure!

    Je savais aussi qu’il était grand amateur d’art et de chants d’église, créateur d’une chorale pour la chapelle de son château de Tiffauges, qu’il était connu pour être l’assassin et le sodomite de jeunes garçons qu’il recrutait notamment pour leur voix. Je connaissais enfin sa mort tragique sur le bûcher à Nantes. Tout cela c’était l’histoire.

    La lecture de ce roman pris au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque, dans le seul but d’enrichir ma connaissance de l'œuvre de Michel Tournier m’a émerveillé. Je ne partage pas exactement sa vision des choses, mais enfin ce roman explique à sa manière ce qu’était cet homme et j’avoue que cela m’a bien plu.

    A travers un travail d’historien, d’érudit qui ne commence jamais un livre sans une foule de notes(ce que j’apprécie aussi dans les romans qui sont des œuvres imaginaires c’est d’apprendre quelque chose, de recevoir un message sous les apparences parfois anodines du conte. J’ai tout loisir de l’interpréter à ma manière selon ma sensibilité du moment.), notre auteur révèle que les meurtres et les crémations d’enfants seraient pour lui une obsession depuis qu’il a assisté à Rouen au supplice de Jeanne d’Arc. Dès lors, pour lui Jeanne étant une sainte, le bûcher et l’odeur qui s’en dégage ne pouvaient être que l’image du Ciel et de la sainteté.

    La dévotion qu’il avait pour « Les Saints Innocents », ces enfants qui furent massacrés sur l’ordre du roi Hérode expliquait la quête qu’il menait dans les villages entourant ses châteaux de ces enfants qu’on ne revoyait jamais. Au spectacle d’enfants égorgés, Gilles ressentait une certaine jouissance en se demandant si la pitié qu’il éprouvait pour ces petits êtres procédait de Dieu ou du Diable.

    La disparition de Jeanne d’Arc avait été pour Gilles de Rais une épreuve au point qu’il paraissait possédé par son fantôme. Il recherchait son visage, celui d’une femme-garçon dans tous les êtres jeunes qu’il rencontrait. Son âme errante l’obsédait au point de la voir partout.

    Toutes ces « turpitudes » seront interprétées par un aventurier toscan fort disert et connaissant bien l’Ecriture qu’il interprète à sa manière, entraînant cependant Gille sur les voies de la sorcellerie... pour mieux retrouver Jeanne et son esprit! D’ailleurs ne l’avait-on pas chargée de ce chef d’inculpation?

    Puis ce fut le procès conduit par l’Evêque de Nantes, Jean de Malestroit où tout fut dit même si cette procédure visait aussi à le déposséder de ses immenses richesses et de son influence politique. C’est vrai aussi que Gilles se métamorphosa, qu’il apparut à la fin comme repentant et soumis, absout certes par son confesseur qu’il avait souvent laissé circonspect à l’énoncé de ses pêchés. Était-ce pour retrouver Jeanne qu’il confessa lui même toutes les fautes dont on l’accusait et qui réclama lui-même la sentence du bûcher? A entendre notre auteur, Gilles avait juré de la suivre jusqu’à la mort.

    Même si je ne souscris pas à la démarche de Michel Tournier je dois avouer quand même avoir passé un bon moment en sa compagnie.

     

    © Hervé GAUTIER

  • OLIVIER ET SES AMIS - Robert SABATIER - Editions Albin MICHEL.

     

    N° 166 - Septembre 1993.

     

    OLIVIER ET SES AMIS - Robert SABATIER - Editions Albin MICHEL.

     

    A l’occasion de trente histoires dont Olivier, Capdeverre, Jack Schlack et consorts sont les personnages et les acteurs, l’auteur nous promène dans le quartier de la Butte qui fut le terrain de jeu de son enfance. Dans ces récits la gouaille parisienne le dispute à la fraîcheur et à la spontanéité de l’enfance, de cette enfance que les adultes eux-mêmes partagent équitablement avec les bambins qu’on imagine facilement ressemblant à des poulbots espiègles. Tout ce monde vit dans ce quartier de Paris qui ressemble à un village au point que la ville, c’est loin ! Il possède ses figures inénarrables, inimitables : Le Père Lapin, Fil de Fer, Mac le Boxeur, Anatole Pot à Colle; et combien d’autres...

    Robert Sabatier retrouve, à l’occasion de ces nouvelles (je préfère ce mot à celui de roman) tout le merveilleux de cette période de la vie d’un être humain faite d’insouciance, de candeur, de naïveté, avec ce sens inné de la farce qui en fait un récit authentique. C’est aussi pour lui l’occasion de se rappeler qu’à cette époque la rue était une famille où tout le monde se connaissait, se parlait, s’entraidait... Tout cela est bien loin pour lui et ce livre est le prétexte à l’évocation d’un deuil impossible à oublier.

  • LA FEMME A VENIR. - Christian BOBIN - Editions Gallimard.

     

    Septembre 1993 - N° 165

     

     

     

    LA FEMME A VENIR. - Christian BOBIN - Editions Gallimard.

     

    Il est des livres qui vous laissent une impression bizarre, non pas mauvaise mais assez indéfinissable au point qu’on pourrait résumer le roman en quelques mots : « C’est l’histoire de ... » ou quelque chose comme cela. Un roman c’est toujours une tranche de vie plus ou moins imaginaire, une somme d’histoires racontées plus ou moins juxtaposées... des mots... L’auteur en fait un livre, met son nom dessus. On publie...

    Ce récit, puisque c’en est un, m’a laissé un sentiment difficile à formuler: Une partie de la vie d’Albe, ses rencontres, ses amours, ses déceptions, ses désillusions et ses jours qui coulent comme un écheveau qui se dévide tout seul, le deuil de son enfance et l’envie de la retenir, avec en filigranes la mort à venir... Mais avant, bien avant, si elle le veut bien, différent des passades, cet amour qu’on attend toute sa vie et qui est rarement au rendez-vous. Cet amour qui doit illuminer l’existence mais qui bien souvent l’empoisonne parce que deux êtres qui sont faits l’un pour l’autre ne parviennent pas à se rencontrer et s’étiolent loin l’un de l’autre. Ils ne vivront jamais ensemble parce que contrairement au dicton le hasard ne fait pas toujours bien les choses. C’est comme cela, on croise des gens, on les aime, on fait avec eux un bout de chemin mais à la fin c’est la solitude qui l’emporte, même si on habille différemment cette réalité.

    Ce livre rythmé sur un mode mineur a, jusqu’à la fin nourri ma curiosité.

     

    © Hervé GAUTIER

  • MARJAN!

     

     

    N°202 -Août 1998

     

     

    MARJAN!

     

    Quand le téléphone a sonné, ce jour d'août, j'ai reconnu cette voix familière, plus fatiguée encore depuis ces dernières semaines. C'était celle de Jeanne avec ces mots simples "Marjan est mort". Elle a relaté ensuite comme on le fait en pareilles circonstances les épisodes qui ont précédé sa fin. Tout devenait compliqué avec sa vie au ralenti... Il n'empêche, il n'est plus là. Il est quand même apaisant de savoir que les gens que l'on aime ont quitté ce monde sans souffrir. Il s'est éteint doucement.

     

    Nous avons tous connus Marjan, soit personnellement, soit par le biais de son écriture, qu'elle soit littéraire ou postale, car à travers lettres et enveloppes il avait l'habitude de faire partager ses coups de cœur, ses révoltes, son amitié. C'est par ce canal que passait son activité débordante d'écrivain et d'éditeur. C'est vrai qu'il était un épistolier impénitent. Son préposé en savait quelque chose qui déposait chaque jour sa moisson de courrier dans une boîte qui devait bien être la plus grande et assurément la mieux remplie de la rue de la Burgonce à Niort. Les lettres venaient du monde entier et recevaient toutes une réponse.

     

    Dans cette chronique comme ailleurs, j'ai souvent parlé de l'importance qu'ont eu "Les feuillets Poétiques et Littéraires" qu'il avait fondés tout comme plus récemment "Le Bouc des Deux-Sèvres" ou "Poètes Niortais et des environs". Toutes ces revues et collections rendaient compte d'une façon désintéressée du bouillonnement poétique contemporain, mélangeant les signatures les plus prestigieuses à d'autres plus modestes, voire inconnues. Elles furent un révélateur et nous sommes nombreux de par le vaste monde à lui devoir quelque chose dans notre démarche créatrice, ne serait-ce que l'envie d'écrire! Désintéressé, il l'était. Il rappelait souvent, non sans humour "qu'il avait laissé souvent des plumes pour celles des autres" et ce n'était pas faux. Il avait sans doute gardé de son ancien métier de typographe cet intérêt constant porté à l'écriture des autres, le besoin de les faire connaître. Il savait aussi le faire bénévolement avec beaucoup d'abnégation puisque ce qui comptait surtout pour lui c'était encourager ceux qui faisaient œuvre d'écriture. Il avait banni de son vocabulaire le mot "exclusion".

     

    C'est vrai que tout cela était un peu anachronique dans ce siècle où tout est basé sur l'argent et le profit mais cela faisait partie du personnage. C'était comme cela, il était de ces gens qui s'intéressent aux poètes qui n'ont rien compris au monde d'aujourd'hui et qui croient encore à la beauté des choses et à la bonté des gens. C'est simple, il était l'un d'eux! Comme d'autres mots dans notre langue "poète" est galvaudé, à la fois compliment ou qualificatif compassé, on n'oublie jamais d'y glisser un peu d'ironie. Lui jamais!

     

    Il travaillait aussi les mots, comme il l'avait fait toute sa vie, les distillant pour exprimer l'humour, parfois noir d'une situation. Il fut un spectateur attentif et parfois amusé de ce monde. Il fut surtout un observateur de l'âme humaine, rappelant à l'envi que "l'humour est la politesse du désespoir". Son style, bien souvent imité était à ce point original qu'un journaliste ami avait formé le mot "Marjanerie" en son honneur.

    On sait depuis les travaux de Freud sur les mots d'esprit que l'humour est le plus sûr moyen d'asséner des vérités qui sont reçues ainsi d'une manière acceptable. On a dit beaucoup de choses là- dessus, sur son rôle social, pédagogique, sur ceux qui le pratiquent comme sur ceux qui en sont les "victimes". Marjan, quant à lui s'est contenté de regarder le monde tel qu'il est avec la bonne foi parfois candide de celui qui ne veut cependant pas s'en laisser conter. Car c'est bien sûr au second degré qu'il fallait recevoir son propos. Si à la première lecture un sourire vous prenait, la réflexion élémentaire qui suivait vous invitait davantage à plaindre cette société. C'était sa façon à lui de "rire d'une situation plutôt que d'avoir à en pleurer". C'est vrai que ce n'était que des mots jetés comme négligemment sur le papier mais qui portaient bien le message qu'ils entendaient transmettre. Derrière la façade du simple vocabulaire, il savait jouer avec les mots, les triturer, les malmener, pour finalement révéler leur sens caché, leurs paradoxes... J'ai, en tout cas toujours été impressionné par la facilité avec laquelle il écrivait et le plaisir qu'il y prenait. On ne dira jamais assez qu'écrire est un plaisir qu'il faut pratiquer sans modération.

     

    Il est difficile en quelques lignes si pleines d'émotion d'évoquer la vie d'un homme tel que lui. Il eut ses détracteurs, bien sûr car nous savons bien qu'en ce monde il suffit de vouloir faire quelque chose, de développer une action pour aussitôt s'attirer des critiques... souvent de ceux qui ne font rien et se contentent de regarder. Je voudrais simplement signaler qu'il ne s'est pas contenté de dénoncer et de combattre avec des mots. Pacifiste, utopiste, anarchiste, libertaire sont sûrement des qualificatifs qu'il n'aurait pas reniés. Il était en cela l'héritier de Gaston Couté.

    Les mots sont forcément réducteurs et enferment le personnage dans une gangue. Il serait injuste de penser qu'il s'est contenté seulement d'en user. Ce serait oublier un peu vite le militant des "Droits de l'homme", des "Restos du coeur" ou d'"Amnesty International" en faveur des plus démunis ou des prisonniers politiques. Cette action se limitait peut être à des dons pécuniaires mais n'en illustrait pas moins ce que Marjan a toujours voulu défendre : la cause des opprimés, la condition des plus humbles...

     

    Quand on parle d'un écrivain, il est presque naturel d'évoquer ses voyages. Ah, les voyages, et l'écriture qui va avec! Pour lui rien de tout cela, il n'a pratiquement jamais quitté Niort. Il avait choisi de peindre la condition humaine et surtout les petites gens, les plus humbles, de dénoncer l'hypocrisie des puissants... Il n'avait pas besoin de courir le monde pour cela, il l'avait sous les yeux, tous les jours!

     

    Il a peu parlé de lui et des siens. C'est vrai! Et pourtant quand il a évoqué sa famille, il l'a fait avec tellement d'émotion et hors de son humour habituel que la nostalgie débordait à chaque mot. A mes yeux "Cour Commune" est sans doute sa meilleure œuvre. Ses amis ne s'y sont pas trompés qui ont qualifié nombre des textes qui composent ce recueil de "poèmes d'anthologie". Parmi ceux-ci "Ma Mère" est assurément le plus touchant.

     

    On ne le dira jamais assez, nous ne sommes en ce monde que temporairement. Les religions nous promettent après la mort un monde meilleur. Acceptons-en l'augure. Le connaissant un peu, je puis dire qu'il fut une sorte de passager clandestin dans ce voyage sur terre, sur vie. Après quatre-vingts ans qui ont dû lui paraître bien courts, il est parti rejoindre ses copains, Jacques Prévert, Hervé Bazin, Paul Baudenon et combien d'autres. Nul doute qu'ils doivent, s'il y a autre chose que le néant, discuter à nouveau, un calembour ou un bon mot au coin des lèvres ou de la plume...C'est dans ces contrées qu'on a du mal à imaginer qu'il a définitivement "jeté l'encre" comme il aurait sans doute dit.

     

    Il nous reste sa mémoire, ses textes dont beaucoup sont inédits. Pour lui faire un dernier salut avant que la terre ne recouvre son cercueil, il y avait un petit groupe que l'intimité réunissait sous ce grand soleil d'Août. Point de cérémonie religieuse ni de protocole compliqué, il n'aurait pas aimé cela. Un peu timidement au début mais surtout sans ordonnancement, des textes de lui furent dits. Malgré la peine que nous éprouvions tous, j'ai eu, à ce moment, le sentiment que ses obsèques n'étaient pas tristes, que ce départ sur la pointe des pieds était comme un de ces clins d'œil malicieux qui adressait souvent à ses amis.

     

    Il est donc, à son tour victime de ce mauvais coup du sort qui nous attend tous. Il en avait si souvent parlé sur le ton de la raillerie ou de la révolte qu'elle a fini par le rattraper, cette mort qui ne parviendra pas à nous le faire oublier.

     

    Voilà, j'ai, dans cette chronique tellement parlé de l'homme et de son œuvre que j'ai l'impression une nouvelle fois de rabâcher, mais il est bien naturel que cette revue qu'il a suscitée, soutenue et diffusée depuis vingt ans l'accompagne avec ce modeste hommage, ces quelques mots.

     

     

    (C) Hervé GAUTIER

  • Enfin!

     

    N° 194 - Janvier 1998

     

    Enfin!

     

    On dira ce qu'on voudra, mais pour un écrivain la reconnaissance est quelque chose qui compte... même si on a du mal à l'avouer! Elle peut prendre des formes différentes depuis l'aspect commercial jusqu'à l'hommage de ses pairs en passant par la popularité. Archiviste scrupuleux pour tout ce qui le concerne, Marjan collige depuis de nombreuses années articles de presse et témoignages personnels, prix et distinctions, bref tout ce qui est écrit sur son action en faveur de la poésie.

    Il va pouvoir désormais ajouter une autre mention à cette collection impressionnante. Il s'agit d'un mémoire de Maîtrise de Lettres Modernes soutenu à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Metz le 29 Octobre 1997 par Frédéric VIGNALE. Le sujet choisi était :"Naître et être poète : Marjan." Le diplôme a été obtenu avec la mention "Bien". Voici donc notre homme consacré par l'Université.

     

    J'ai lu ces quatre-vingts pages d'une traite et avec intérêt car j'ai la faiblesse d'être attentif à tout ce qui est écrit sur Marjan au moins autant qu'à tout ce qu'il écrit lui-même. Il est juste en effet qu' hommage lui soit ainsi rendu lui qui est régulièrement boudé par la presse locale à qui il signale pourtant périodiquement le talent des autres mais qui reste sourde à ses informations. Il est bien loin le temps où Jean Beyt, Delion, Lechantre et Patrick Béguier, journalistes attentifs de Courrier de l'Ouest et de la Nouvelle République rendaient compte périodiquement du fourmillement d'idées et de la créativité qui se donnaient rendez-vous au 166 rue de la Burgonce à Niort. C'est vrai aussi que Marjan est un personnage atypique dans cette ville que l'écriture et la poésie n'intéressent pas à tout le moins quand elles se signalent dans ses murs. C'est là une autre histoire et un autre combat et comme nous le savons, nul n'est prophète...!

    Mais revenons à ce travail universitaire.

    A part les articles dont il est d'ailleurs largement inspiré rien de semblable n'avait été fait jusqu'à présent. C'était également tentant de parler pour la première fois à l'occasion d'une soutenance de mémoire de Maîtrise d'un auteur vivant et de son action. Il y avait là, certes une originalité mais aussi l'assurance que cette révélation ne prêterait que très peu le flanc à la contradiction. Cela dit j'ai trouvé cette étude bien documentée et d'une grande justesse de ton à la fois dans la forme et dans le fond.

    Ce n'était pas facile pour Frédéric VIGNALE de mener ainsi ce travail puisqu'il ne connaissait Marjan que par les textes qu'il a écrits et que par les articles qui lui ont été consacrés. Il est vrai qu'il est aussi un épistolier impénitent et qu'il aime aussi encourager ceux qui écrivent. Alors quand on est soi-même le sujet d'une étude officielle...!

    J'imagine bien le travail de dépouillement que Frédéric VIGNALE a dû mener dans l'abondante documentation qui lui était parvenue et je ne suis pas étonné qu'il ait craint un moment d'être lassé par le sujet qu'il avait choisi. Je connais l'importance des textes de Marjan. Les publications s'en sont largement fait l'écho et notre homme détient encore d'autres inédits qui, je ne le dirai jamais assez manquent beaucoup à ceux qui apprécient son style.

    Il avait quand même bien choisi car au-delà de la légitime fierté de Marjan qui voyait ainsi reconnue une nouvelle fois et officiellement son action en faveur de la poésie (la sienne et celle des autres comme on le sait!) et au travers de cette correspondance que Frédéric VIGNALE qualifie lui-même de pudique, il a bien du naître quelque chose qui ressemble à de l'amitié entre les deux correspondants. Connaissant le poète niortais, le contraire m'étonnerait. Le rédacteur de cette étude a pu vérifier que ce Marjan, malgré le fait qu'il se déplace peu a beaucoup d'amis, des plus humbles aux plus célèbres et que malgré ses détracteurs nul ne dédaigne ce qu'il fait. Je ne suis pas bien sûr qu'il ait réellement créé une école comme Frédéric VIGNALE ne laisse entendre mais il a assurément été imité dans son écriture comme dans son action puisque notamment l'expérience du Bouc des Deux-Sèvres, revue gratuite (c'est si rare) a largement été imitée.

     

    Ce sur quoi je voudrais insister c'est, comme l'a dit un de ses amis, sur cette caractéristique de "rêveur définitif", cette volonté de repeindre en bleu la grisaille qui nous entoure, de préserver cette part de rêve qui nous manque de plus en plus et qui est pourtant si vitale à chacun d'entre nous! Elle s'exerce dans cette écriture si originale qui est le témoin d'un regard acéré sur la réalité des choses, de ce parti-pris d'en rire même s'il y a forcément quelque amertume derrière tout cela. C'est vrai qu'il y a avant tout du rêve dans cette démarche quand malgré l'âge et la maladie, il continue d'écrire avec verve c'est à dire à jeter au vent des mots aussi impalpables que l'air où se lit la révolte contre la condition des plus humbles et contre la mort. Il y a de l'utopie à mener contre cela un combat quand autour de nous s'établissent l'exclusion et la précarité et que de toute manière, simples mortels, nous ne sommes sur cette terre que de passage. Et qu'on ne vienne pas me dire que l'écriture est une quête d'immortalité!

    Alors, au-delà de tout ce qui pourrait ressembler à des hommages, je garde toujours en mémoire sa volonté de conserver une âme d 'enfant rêveur. Il l'a d'ailleurs exprimé lui-même et fort joliment par ces mots :"Moi qui au terme de mon automne ne peut encore m'habituer à l'idée d'être une grande personne."

     

    (c) Hervé GAUTIER

  • COUR COMMUNE - MARJAN

     

     

    N°120 - Juillet 1992

     

    COUR COMMUNE - MARJAN

     

    Je ne vous ferai pas l’injure de vous parler du Marjan des marjaneries que tout le monde connaît, de ce Marjan à l’humour noir et acerbe qui rit des choses plutôt que d’avoir à en pleurer. Ce Marjan là nous émeut, c’est vrai mais bien plus émouvant encore est l’homme de Cour Commune qu’on connaît beaucoup moins, bien que ce recueil soit la copie exacte de l’édition originale de 1977.

    J’ai déjà eu l’occasion d’écrire qu’il est de ces poètes dont la sensibilité est communicative surtout quand il parle de son enfance et de sa famille. Oh, ce n’était pas une enfance riche, dorée, loin de là! C’était une famille d’ouvriers imprimeurs, ce qu’il sera plus tard, une jeunesse passée dans un quartier pauvre de Niort aux côtés d’autres ouvriers, ceux des ganteries où les femmes lavaient « (le) linge sale des riches ». Une cour commune ce n’est pas précisément un signe d’opulence! « On y accède par un couloir sombre et si étroit que le mur laisse sur les épaules toujours un peu de lui-même ».

    « Cour commune de mon enfance où lorsque le temps était à la pluie chacun pestait contre le cabinet du voisin. Il y en avait une demi-douzaine, pas mois »...

    Pourtant s’il est né le 3 Avril 1918 (le 1° lui serait peut-être mieux allé?) d’une famille d’origine vendéenne, son père qui reviendra blessé de la guerre était encore au combat. « On a salué mon arrivée à coups de canons de vin rouge jusque dans la tranchée de mon père. » Ce n’était cependant pas la misère « Ma mère me lavait avec Cadum, me nourrissait de Phoscao. Elle me donnait du chocolat Poulain... elle tartinait le pain au beurre d’Echiré » mais « on vivait simplement, on bossait durement ». »Mes enfants, un sous est un sou, disait-elle », et s’il était trouvé sans qu’on en connaisse le propriétaire, il revenait au curé aussi naturellement que cela. Ils étaient des « Gens du petit monde », voilà tout!

     

    Ce livre est avant tout dédié à sa mère et on ne peut rester insensible à ce poèmes d’anthologie qu’il lui adresse. « Ma mère en blouse toujours noire, ma mère aux cheveux toujours blancs... ma mère aux mains bourrelées de remords... ma mère à laquelle je suis incapable de dire combien je l’aime, pendant qu’il est encore temps. » Les mots parlent d’eux-mêmes dans leur simplicité, jusque dans l’évocation de sa mort « Ma mère est morte le lundi 4 décembre 1967 dans un bar-tabac ».

    L’image du père est forte. Ainsi cet homme « qui n’était pas tout entier » à cause de la guerre, à côté de qui il a vécu et travaillé à l’imprimerie et qui ne croyait pas à son destin de poète a été son modèle et lui a peut-être, à sa façon donné la passion des livres.

    Et puis la famille se complète. L’unique grand-mère connue de lui, mais qui était un peu « la honte de la famille »parce qu’elle « travaillait dans la guenille » et qu’elle tirait les cartes... Le jour de sa mort fut l’occasion de sa première bicyclette... Sa tante qui rempaillait les prie-Dieu « pour deux fois rien », qui prisait, « buvait de l’ absinthe le dimanche et gueulait le poing sur la hanche », son vieux cousin allumeur de réverbères du quartier et plus tard son beau-frère (qu’il appelait son frère) mort dans un stalag en 1943. C’est un truisme que de rappeler de la mort est indissociable de l’écriture de Marjan!

    Et puis il y a la vie, celle de son quartier, cette « rue de l’orphelinat » où « un ouvrier modèle préféra la crève au renvoi et se pendit ». Les gens de ce quartier ouvrier regardaient de loin les riches et les enviaient peut-être?

    Ce livre est aussi l’occasion d’un retour sur soi-même, une sorte d’introspection. Nous retrouvons le petit garçon avide de cinéma et de livres, l’enfant bègue qui aura très tôt des difficultés avec les mots parlés mais »(s’) applique de son mieux à les coucher sur la page blanche. » C’est peut-être à cause de cela qu’il deviendra écrivain! Nous le voyons en classe quand le maître s’endormait et qu’il récitait « ses leçons par coeur » mais qui parfois recevait des gifles « par la main instruite d’un maître de la primaire » quand ce n’était pas « par la main coquine d’une belle rouquine ». Et puis la vie tisse en lui l’amour du travail, des chats, la haine de la guerre...

    Il y a toujours dans l’écriture de celui qu’enfant on disait taquin un peu d’humour inévitable, pas des marjaneries mais cette manière bien à lui de faire un bras d’honneur à la mort qui nous attend tous et qui pour lui est une obsession.

    Je l’ai dit certains textes de ce livre son émouvants mais puisqu’il s’agit d’une réédition, il aurait été bon qu’il fût complété et enrichi d’autres textes qui pourtant sont écrits.

     

    © Hervé GAUTIER

  • LA HARPE ET L’OMBRE - Alejo CARPENTIER - Editions Gallimard.

     

     

    N°207

    Juillet 1999

     

     

     

    LA HARPE ET L’OMBRE - Alejo CARPENTIER - Editions Gallimard.

     

     

    Je dois bien l’avouer à mon improbable lecteur, tout ce qui concerne la papauté m’intéresse. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est ainsi. Le livre d’Alejo Carpentier ne pouvait donc me laisser indifférent.

     

    De quoi s’agit-il donc sinon d’une parcelle de l’histoire qui n’est peut-être pas restée dans la mémoire collective comme un fait majeur. Au tout début du roman est évoquée la personnalité d’un prélat franciscain : Giovani Maria Mastïa qui avait choisi de servir l'Église autant, nous dit-on par déception amoureuse qu’en raison de la pauvreté de sa famille pourtant de haute lignée. Il se fit pourtant remarquer par ses prêches aussi ardents qu’ éloquents mais cela ne pouvait raisonnablement lui laisser espérer une ascension rapide dans la hiérarchie catholique. Il fut cependant désigné pour accompagner un prélat dans une mission apostolique en Argentine et au Chili. Celle-ci ne fut pas couronnée de succès mais il en est revenu avec l’idée que la découverte des Amériques avait été l’événement capital des temps modernes.

    Plus tard, devenu pape sous le nom de Pie IX il était toujours possédé par cette idée au point de décider d’ouvrir le procès en béatification, qui est le préalable à la sanctification, de Christophe Colomb!

     

    L’auteur nous propose les portraits croisés de ces deux personnages, le pape et le marin qui finit par convaincre, après moult pérégrinations, Isabelle la Catholique de financer son expédition.. Mais qui était-il donc, ce navigateur, un génie, un aventurier, un imposteur, un mystificateur, un arriviste qui ne reculait devant rien pour parvenir à ses fins? Alejo Carpentier nous restitue ce qu’il imagine être l’ambiance de cette époque, en plaine reconquista mais aussi pendant l’expulsion des juifs d’Espagne. Il fait du génois l’amant de sa royale protectrice qui finit par lui faire confiance autant par exercice de l’autorité que par la volonté de trouver des richesses pour porter contre les Maures la guerre en Afrique.

    A partir de documents d’archives l’auteur nous donne à entendre la voix même de Colomb, en quelque sorte la manière dont il aurait lui-même jugé son entreprise et dont il se serait jugé lui-même. Il nous fait partager ses hésitations, ses doutes. Il se révèle menteur quand il promet de trouver de l’or et des épices aux Indes qu’il recherche, cynique quand il envisage de faire le commerce des esclaves à la place des richesses qu’il n’a pas rapportées... Mais tout ce qu’il avait espéré découvrir reste introuvable et le commerce des esclaves est interdit par ordre du roi. Alors il met en avant les âmes des indigènes qu’il faut sauver et c’est le spirituel qui prend le pas sur le temporel qui pourtant était la vraie raison de son expédition.

    En fait Christophe Colomb fut rejoint par son destin, rattrapé par ses forfaitures et dépassé par son exploit. Le luxe a pâli ainsi que les ors à l’heure du jugement et c’est un pauvre homme sans richesse, honni par l’Espagne, moqué par les hommes qui s’apprête à rendre des comptes. Lui, le découvreur de l’Amérique a, en fait apporté à ce continent vierge si semblable au paradis terrestre la cupidité, la luxure, le vice, le péché, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. Il est loi, si loin de sa légende!

     

    Restait le décret pontifical introduit « par voie d’exception » qui ouvrait le procès en béatification. « Disputant doctores »... et pour cela, par la magie de l’imaginaire le romancier convoque pêle-mêle, pour témoigner, Victor Hugo, Lamartine, Jules Vernes; Bartholomé de las Casas...

     

    Il reste un roman qui ou l’humour et le style, sans doute servi par une traduction de qualité, m’ont fait passer un agréable moment de lecture.

     

    ©Hervé GAUTIER

  • TOUTE UNE VIE BIEN RATEE - Pierre AUTIN-GRENIER -Editions GALLIMARD.

     

     

    N°208

    Juillet 1999

     

     

     

    TOUTE UNE VIE BIEN RATEE - Pierre AUTIN-GRENIER -Editions GALLIMARD.

     

     

    Le titre avait tout pour m’attirer et me plaire. Cela correspondait tellement à l’idée que j’ai de ma propre vie! J’ai donc lu ces nouvelles ou plutôt ces « récits » puisque c’est comme cela que le livre les présente. Je le dis tout simplement, je n’ai pas aimé! Cela vient sans doute de moi, de ma façon de voir les choses de la littérature. Je me suis dit que Pierre Autin-Grenier avait eu bien de la chance de publier chez Gallimard et que c’est sûrement moi qui ne suis plus en phase avec mon temps! Je ne dois pas être capable de reconnaître de la bonne littérature et sûrement encore moins d’apprécier le talent de l’auteur. Ma faculté de rêver à propos d’un texte doit bien être émoussée au point que ce livre publié dans une maison d’édition qui est pour le moins une référence ne m’a provoqué aucune émotion. Je l’ai lu presque par devoir parce que j’en avais entendu parler à la radio et qu’on en disait du bien! Je me disais que tout cela devait être une référence et qu’il convenait de ne pas passer à côté d’un chef-d'œuvre. Il n’empêche, j’ai été déçu par le style, par le ton des récits, par l’histoire qu’ils racontaient et à laquelle je n’ai guère accroché.

     

    N’allez surtout pas croire que je tiens la prose d’Autin-Grenier pour rien. Cela je ne me le permettrais pas et je sais d’expérience que lorsqu’on noircit une page blanche c’est avant tout parce qu’on a quelque chose à dire et même si dans la littérature comme dans tous les autres arts il y a place pour la fumisterie, je me garderai bien d’employer ce terme pour cet ouvrage.

     

    C’est que je lui reconnais quand même de l’humour qui, dit-on est la politesse du désespoir. C’est vrai que la vie n’est pas forcément belle, qu’elle ne ressemble sûrement pas à ce qu’on voudrait qu’elle soit même si on tente de l’enjoliver avec ce qui en fait, dit-on les plaisirs. On m’objectera sans doute que, lecteur inattentif, je n’ai rien saisi de sa philosophie de l’existence et qu’il vaut mieux rire de tout cela qu’en pleurer et que, somme toute nous ne sommes sur terre que de passage et, au regard de l’éternité, pour bien peu de temps. Il vaut donc mieux prendre les choses comme elles viennent et ne pas chercher partout ce qui ne s’y trouve pas simplement parce qu’on est insatisfait.

    Certes, mais quand même, j’attendais autre chose.

     

    Mais pourquoi estime-t-il que sa vie est bien ratée. Parce qu’à la mi-temps de son existence (dit-il!), à l’heure des bilans(on peut toujours le dire de chaque période) il constate qu’il a mené une existence oisive d’écrivain(de poète même), tout juste capable de regarder passer le temps en s’accommodant de l’odeur moite des estaminets et du goût du blanc sec. Peut-être? Pourquoi pas? mais la vie est ainsi faite que ce n’est pas en s’affairant maladivement chaque jour au risque de friser la crise cardiaque, qu’on peut légitimement penser qu’on la remplit bien, qu’on la réussit comme on dit maintenant. Tout cela est affaire d’appréciation personnelle. C’est bien cela, réussir!

     

    Nous n’avons qu’une vie, nous ne sommes que de passage mais il faut impérativement brûler quelques cierges sur l’autel de la réussite, même si l’on doit sacrifier ceux qui sont sur notre route, et cela pour avoir beaucoup d’argent, de notoriété, jouir de la considération générale... Vieux débat, vaste programme!

     

    Pierre Autin-Grenier nous raconte ici ce qu’il en pense, l’air de rien. Bref, sur le fond je serais assez d’accord avec lui mais la forme me paraît à moi plus contestable car j’aime bien en littérature ce qui est bien dit.

     

    ©Hervé GAUTIER

  • MON ANGE - Guillermo Rosales - ACTES SUD.

     

     

    N°276 – Juillet 2007

     

    MON ANGE – Guillermo Rosales – ACTES SUD.

     

    Ce n'est pas de la morbidité, mais j'ai toujours eu un intérêt marqué pour les créateurs qui ont choisi de se suicider. Guillermo Rosales est de ceux-là qui ont eu, à mes yeux, la lucidité, d'aucuns diront le courage et d'autres la lâcheté, c'est selon, de regarder la vie en face et d'en finir volontairement, sans attendre que le hasard s'en charge.

    Il y aura toujours des gens pour vilipender cet acte et d'autres pour le magnifier... Pour moi, ce qu'ils écrivent reste un témoignage plus poignant que les autres sans doute parce que l'écriture ne leur a pas permis d'exorciser cette vie, d'autant que leurs œuvres sont souvent posthumes ou circulent sous le manteau, comme quelque chose de précieux ou de dangereux et qui indique peut-être qu'ils ne sont déjà plus de ce monde. Ce fut le cas de ce roman dont l'auteur s'est suicidé à 47 ans, à Miami.

    Ce qui est décrit ici, c'est un univers parallèle, où survivent des marginaux qui n'ont jamais pu ou voulu s'intégrer à cette société parfaite, ou prétendue telle, qui est celle des États-Unis. Ils ne le feront d'ailleurs jamais puisqu'elle reste constituée de gens qui ont réussi ou, à tout le moins montrent tous les signes extérieurs de leur richesse, jusqu'à l'ostentation; l'auteur parle d'eux comme des « triomphateurs », ces Cubains exilés, capables de toutes les compromissions et toutes les bassesses pour vivre ce fameux « rêve américain » qu'ils sont venus chercher.

    Ils sont bien différents des fous, réfugiés dans ce « boarding home », sorte de phalanstère pour paumés qui n'ont pas ailleurs où aller, avant-dernière demeure avant de basculer dans le néant de la mort. Ils sont noirs, rejetés par la société américaine ou latinos fuyant leur pays et venus chercher ici un improbable « el dorado » qu'ils n'atteindront jamais. Mais voilà, dans ce microcosme, ils ne sont guère mieux. Non seulement ils sont la proie de profiteurs mais aussi de plus minables qu'eux qui, en quelque sorte et à leur détriment, prennent une sorte de revanche sur cette vie. Ici, toute une société se reforme, fixe ses règles non écrites, se développe sur ses propres vestiges...

    Alors, William Figueras, trente huit ans, ancien communiste cubain qui a fui son pays, rejeté par sa famille, cultivé mais déstabilisé par la vie, s'est refait un monde où il entend des voix, lit des romans et des poèmes, écrit des livres qui ne seront jamais publiés. Il ne se trompe pourtant pas sur sa condition « Je ne suis pas un exilé politique. Je suis un exilé total. Je me dis parfois que si j'étais né au Brésil, en Espagne, au Vénézuela ou en Scandinavie, j'aurais fui tout autant leurs rues, leurs ports et leurs prairies »

    Il se retrouve dans ce« boarding home » infecte où il ne se sent même pas bien mais glisse petit à petit, sans même s'en rendre compte, vers une violence faite aux plus faibles que lui. La souffrance qu'il éprouve appelle la souffrance qu'il va infliger aux autres. Il finira par trouver l'amour avec une fille aussi paumée que lu qui ne cesse de lui répéter « Mon ange », mais leur histoire sera contrariée par le reste du monde, parce que il ne peut sans doute en être autrement.

    Petite société miniature qui côtoie la grande mais n'a rien à lui envier. Les deux se ressemblent, surtout par leur côté délétère, mais William, résigné, accepte l'enfermement physique qui ressemble à son enferment moral dont le lecteur comprend qu'il ira en s' aggravant. Figueras perdra l'habitude de lire et d'écrire et ne trouvera d'issue que dans la mort.

     

     

    © Hervé GAUTIER - juillet 2007

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  • PEREIRA PRETEND - Antonio Tabucchi - Christian Bourgois Editeur.

     

     

    n°206 - Juin 1999

     

    PEREIRA PRETEND - Antonio Tabucchi - Christian Bourgois Editeur.

     

    C’est un étrange roman que nous offre ici l’auteur.

    A en croire une note annexée au texte et publiée pour la dixième édition italienne, il s’agit là d’une histoire vraie. Bien sûr Pereira est un nom inventé mais le texte relate une sorte de tranche de la vie d’un vieux journaliste portugais qui a effectivement existé.

    Tabucchi le campe sous les traits d’un veuf cardiaque et gros qui passait son temps a parler au portrait de son épouse décédée quelques années plus tôt et qui souriait d’une manière énigmatique à tous les propos qu’il lui tenait. Il l’emporte avec lui lors de tous ses déplacements en prenant bien soin de le mettre sur le dessus de sa valise pour qu’elle respire bien. Il faut dire qu’elle était morte de la tuberculose!. Il le présente comme un être soupçonneux, ne fréquentant guère ses semblables et se méfiant de sa concierge qu’il suppose être un indicateur de police.

    Pereira était catholique mais ma résurrection de la chair ne lui convenait pas parce qu’il n’aimait pas son corps adipeux et encombrant. Son confident était un franciscain simple à qui il confessait régulièrement cette hérésie mais qui le priait surtout de lui avouer des pêchés plus véniels pour mériter son absolution!

    Cet obscur journaliste s’occupait de la page culturelle du « Lisboa », journal de l’après-midi. Sa vie fut en quelque sorte bouleversée par la rencontre qu’il fit d’un médecin qui bouscula ses croyances sur l’âme humaine. Il aimait la littérature française, les citronnades sucrées , les omelettes aux herbes et le cigare.

     

    La magie de l’écriture transforma cet homme banal en un être obsédé par la mort et surtout par les positions politiques d’écrivains catholiques à propos du conflit qui se déroulait alors en Espagne. C’est que l’auteur a choisi comme décor le mois d’août 1938 à Lisbonne alors que gronde aux frontières la guerre civile qu’il rencontre indirectement sous les traits de différents personnages qui y sont partie prenante.. Le paradoxe de la position de l'Église à propos de ce conflit le tourmente tout autant que les prises de position des écrivains catholiques français.

     

    C’est alors qu’il décide, lui modeste journaliste de prendre position dans ce pays que le salazarisme marque de son empreinte dictatoriale. C’est un peu comme s’il prenait soudain conscience qu’il devait pour une fois être lui-même. A la suite d’un stratagème, il joue un bon tour à la censure en dénonçant les pratique de la police politique. Pour lui bien sûr ce sera l’exil mais cela importe peu à ses yeux.

     

    Le plus étonnant est que l’auteur prétend qu’à la suite d’une visite qu’il fit à la morgue après la mort de ce journaliste, l’âme de cet homme vint le visiter en songe pour se confesser à lui. Écrivain, il ne pouvait laisser passer cette occasion de lui rendre hommage et cela a donné ce roman qui m’a bien plu.

    Je choisis d’y voir pour cet homme solitaire une prise de conscience de la réalité des événements extérieurs et de la nécessité soudain ressentie de s’exprimer même si pour cela il fallait bouleverser sa vie. Je choisis aussi d’y voir l’extraordinaire pouvoir de l’écriture qui transcende un fait anodin et qui, si on en croit l’auteur, plonge ses racines dans la révélation qui nous est parfois faite au pas du sommeil. Personnellement j’adhère à cette notion quasi-rimbaldienne de l’inspiration. Ce n’est pas si souvent qu’un écrivain révèle au lecteur ce qui a présidé à son travail de création même si l’auteur prête un peu ses sentiments à son personnage.

     

    © Hervé GAUTIER

  • LA 7° FEMME – Frédérique MOLAY [Prix du quai des Orfèvres -2007] – FAYARD.

     

     

    N°278 – Juillet 2007

     

    LA 7° FEMME – Frédérique MOLAY [Prix du quai des Orfèvres -2007] – FAYARD.

     

     

    Contrairement à ce que j'ai déjà lu ou entendu, le roman policier, qui, à mes yeux, est différent du « polar », n'est pas un art mineur. C'est un récit écrit en français correct et agréable à lire qui emporte le lecteur dans un univers, certes macabre, mais qui le tient en haleine jusqu'à la fin.

     

    C'est donc un véritable roman policier, passionnant du début à la fin et qui se lit d'un trait que nous propose Frédérique Molay. Il y a certes le décor du prestigieux « 36 Quai des Orfèvres », le détail des autopsies et de la procédure, les différentes techniques d'investigations, la mise en évidence du difficile travail de terrain, celui des psychologues, des graphologues, des profileurs, l'esprit de corps qui règne au sein des équipes d'enquêteurs ... Le jury qui lui a décerné son prix n'y a pas été insensible [elle figure parmi les dix femmes lauréates, ce qui est déjà remarquable], mais ce n'est pas ce qui a retenu mon attention.

     

    Unité de lieu : Paris, unité d'action: une série de meurtres perpétrés par un tueur en série, unité de temps[si l'on peut dire]: 7 jours. C'est selon ce découpage journalier que l'auteur déroule ce scénario sinistre. Il révèle l'exécution de femmes, au profil semblable, jeunes, jolies, brunes, ayant une bonne situation...

    Le « modus operandi » est toujours semblable, les victimes sont toutes retrouvées nues, poignardées, attachées après avoir subi trente coups de fouet, des mutilations..., la souffrance avant la mort, une sorte de rituel pour un psychopathe! Autant dire que le tueur signe en quelque sorte son crime, fait preuve d'une grande prudence tout en laissant des indices difficiles à déchiffrer puisqu'un tel individu souhaite aussi être découvert, ...et en annonce un autre. C'est que chaque meurtre est accompagné d'un message. Ce dernier se fait de plus en plus précis, prend des connotations bibliques et surtout s'adresse personnellement à Nico Sirsky, jeune commissaire divisionnaire, chef de la Brigade criminelle de la PJ parisienne.

     

    Au fil des chapîtres habillement construits, le lecteur fait connaissance avec lui, sa vie sentimentale qui va à vau l'eau, la solitude de celui qui vit pour un travail qui le passionne mais qui lui ruine la santé. Le hasard va cependant changer ce quotidien et l'impliquer personnellement... C'est qu'il va tomber éperdument amoureux de son gastro-entérologue, le Docteur Caroline Darly. Sa vie va, bien sûr, en être bouleversée!

     

    De rebondissements en fausses pistes, de révélations en faits nouveaux, l'auteur entraîne son lecteur passionné jusqu'à la dernière page dans les arcanes d'une enquête parisienne dont l'étau se ressert petit à petit et qui justifie pleinement l'exergue de François Mauriac « l'épreuve ne tourne jamais vers nous le visage que nous attendions »

     

    © Hervé GAUTIER - juillet 2007.

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  • L'ÉLÉGANCE DU HÉRISSON - Muriel BARBERY - GALLIMARD.

     

    N°286– Décembre 2007

    L'ÉLÉGANCE DU HÉRISSON – Muriel BARBERY - GALLIMARD.

    Le bandeau de l'éditeur avait quelque chose d'encourageant, pensez-donc « Prix des Libraires 2007 ». Depuis le syndrome du Goncourt, l'obtention d'un prix, quel qu'il soit, surtout s'il s'affiche sur un morceau de papier rouge vif en travers de la couverture, est toujours, à tout le moins pour moi, assez engageant. Sur la 4em de couverture, j'apprends que le précédent roman de l'auteure, que j'avoue n'avoir pas lu, a été traduit en douze langues! Je suis toujours resté sur la certitude que la traduction d'un ouvrage dans une langue étrangère était forcément un gage de qualité. Ajoutez à cela, une publication chez Gallimard... Je ne pouvais donc qu'être transformé en lecteur attentif!

    Le lieu, un immeuble cossu, 7 rue de Grenelle à Paris où se succèdent des générations de résidents-propriétaires. Les personnages, Renée, 54 ans, veuve et concierge de son état dans ledit immeuble et qui voit chaque jour passer devant sa loge la faune des propriétaires riches qui, bien entendu l'ignorent avec suffisance. Paloma, 12 ans, deuxième fille d'une famille de résidents influents, névrosés et snobs, à l'intelligence précoce et quelque peu en révolte avec son milieu social et sa famille et qui, malgré son jeune âge, a déjà l'intuition de ce que la vie lui réserve de désespérant et pense à son prochain anniversaire qu'elle célébrera en mettant le feu à l'immeuble qu'elle habite avec ses parents, et en se suicidant! Elle pense pouvoir y échapper temporairement en rédigeant une sorte de journal intime. Le décor et les principaux protagonistes avaient déjà quelque chose d'attachant, j'aime assez ceux qui se révoltent contre leur milieu et cultivent leur différence. C'est vrai qu'ici, le lecteur est servi. Cette concierge, sous des dehors conformes à son état, est en réalité une lettrée[un peu trop!] volontairement secrète, passionnée de littérature russe et de cinéma japonais, une « autodidacte prolétaire ». C'est elle qui a l'élégance du hérisson, pleine de piquants au dehors, mais sensible et subtile à l'intérieur. Elle vit avec un chat prénommé Léon, en hommage à Léon Tolstoï, et des souvenirs. Paloma distille des aphorismes et des remarques désobligeantes contre le milieu qui l'a vue naître. En arrière-plan, il y a la faune de l'immeuble, indifférente, compassée, imbue d'elle-même et pleine de condescendance pour cette concierge qu'elle traite comme les êtres conscients de leur prétendue supériorité savent le faire avec les subalternes... par le mépris! Il y a cependant des exceptions. Cela menaçait d'être intéressant!

    Il y a une vrai complémentarité entre Renée et Paloma, deux solitudes, qui ne se rencontrent qu'à la fin. Le récit lui-même est une sorte de balancement entre deux extrêmes, deux conceptions opposées de la vie. Entre elles il y a cependant une sorte de compréhension pleine de non-dits, d'empathie secrète et muette.

    Le style est alerte, emprunt d'humour, d'érudition[un peu trop peut-être?J'ai souvent eu la désagréable et agaçante impression que nombre de chapitres n'étaient là que pour mettre en valeur celle de l'auteure], élégant, jubilatoire même et bien dans l'esprit de cet ouvrage qui est une véritable critique des apparences et du pouvoir sous toutes ses formes. Mais j'avoue que j'ai eu du mal à terminer ce roman qui commençait si bien. L'auteur confie qu'elle s'est fait plaisir en l'écrivant, ce que je veux bien croire et cela me paraît être la moindre des choses, mais moi, en tant que simple lecteur, je ne l'ai que peu partagé, poursuivant ma lecture, davantage par curiosité que par véritable intérêt.

    J'ai ressenti, toute au long de cette fiction, une sorte de superficialité, malgré les choses évoquées, une sorte de placage d'idées étrangères aux personnages et, bizarrement, à la fin, cela a laissé place à quelque chose de plus authentiquement humain, de moins intellectuellement apprêté, comme si les choses reprenaient leur vraie place dans un banal quotidien. « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse ni son cœur ... » nous rappelle le poète.

     


    © Hervé GAUTIER - Décembre 2007.
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  • LIBRES PROPOS PERSONNELS.

     

     

    N°209

    Août 1999

     

     

     

    LIBRES PROPOS PERSONNELS.

     

     

    Je vais rédiger aujourd’hui ce dont je ne suis pas coutumier : un billet d’humeur.

     

    J’ai lu il y a peu dans une revue spécialisée (Ecrire et Editer n°20) une interview de Marie Darrieussecq. Ce qu’elle disait était intéressant surtout à propos de l’écriture, de sa technique, de l’idée qu’elle s’en faisait, des conseils qu’elle donnait. J’ai cependant été surpris par une de ses réponses. Elle avouait “Quant au lecteur, ma position est claire: un bon lecteur est un lecteur muet qui me fout la paix ”.

     

    Je ne pouvais rester insensible à cette remarque puisque cette chronique est consacrée depuis plus de vingt ans à recueillir mon avis sur les oeuvres des écrivains. Je dis bien recueillir mon avis et non pas les interpeller et surtout pas tenter d’obtenir d’eux une lettre que je pourrais exhiber dans une improbable collection. J’ai horreur de cela! Tout comme je déteste la chasse aux autographes, qu’elle s’applique aux professionnels de l’écriture comme aux chanteurs ou aux hommes politiques.

    Je me souviens avoir assisté à une conférence de Michel Ragon et avoir soigneusement évité la foule de ses admirateurs bien que nous ayons préalablement été en correspondance. Quelques jours après je lui ai écrit pour le prier d’excuser ma timidité.

    Pourtant, je ne comprends pas cette remarque de Marie Darrieussecq surtout quand elle nous explique que non seulement elle vit de sa plume, qu’elle a toujours voulu être écrivain, que c’est toute sa vie ... Mais qu’est-ce donc qu’un écrivain sans lecteurs, c’est à dire sans la vente de ses livres? Si un livre n’est pas lu, qu’est-il donc sinon un ensemble de feuilles imprimées et reliées auquel personne ne s’intéresse?

    Il faut bien des lecteurs privilégiés, les critiques, pour donner leur avis et assurer ainsi le démarrage commercial d’un livre. Il faut bien des lecteurs anonymes pour assurer la vente d’un livre qui, s’il est un succès sera l’invite à en écrire d’autres et ainsi à constituer petit à petit une oeuvre. Ainsi il me semble que le lecteur est le partenaire privilégié de l’écrivain car sans lui il lui serait difficile de vivre de sa plume (c’est si rare). Que pourrait penser un éditeur qui, ayant fait confiance à un auteur verrait ses livres non lus, c’est à dire non vendus.

    Dès lors qu’il prend la plume une écrivain se met en situation d’être jugé par le premier lecteur venu et ne doit pas s’étonner qu’éventuellement celui-ci se manifeste. Ce serait plutôt bon signe pour l’auteur qui verrait ainsi qu’il ne laisse pas indifférent.

    Ainsi je comprends mal que, sans donner dans un vedettariat outrancier un auteur méprise à ce point son lecteur, le considère uniquement comme quelqu’un qui achète et lit sans lui donner le droit de s’exprimer. Libre à lui d’ailleurs de répondre ou non.

    Je l’ai dit, je n’ai pas pour habitude de déranger les auteurs et cette chronique n’existe que pour d’improbables correspondants. Il n’empêche, je me suis toujours attaché à faire parvenir à l’éditeur d’un livre l’avis du simple lecteur que je suis. Certains (rares) m’ont exprimé des remerciements, parfois des remarques, mais ce n’était pas là le but. J’ai la fatuité de penser qu’un écrivain attache autant d’importance à l’avis de son lecteur qu’à celui de la critique, mais peut-être me trompais-je?

     

    Quant à Marie Darrieussecq, je n’ai encore lu aucun de ses livres, mais promis, je vais m’y mettre.

    Ne lui en déplaise, je donnerai sans doute dans cette chronique mon avis de simple lecteur... Mais je lui foutrai la paix!

     

     

    ©Hervé GAUTIER

  • A PROPOS DE MARIE DARRIEUSSECQ.

     

    A PROPOS DE MARIE DARRIEUSSECQ.

     

    Dans un précédent numéro de la Feuille Volante (N°209) j’ai livré mon sentiment sur une remarque de Marie Darrieussecq à propos du lecteur de ses romans. Je ne retire rien de ce que j’ai écrit mais dans cet article j’avouais ne pas connaître l'œuvre récente de cet écrivain. Je l’ai donc abordée à travers deux romans »Le mal de mer » et « La naissance des fantômes ».

     

    Je crois savoir que la critique n’est pas tendre avec elle mais cette revue existe pour que soit exprimé mon avis et non pour qu’elle soit le reflet de celui des autres. De ces deux romans dont le style d’écriture m’a surpris je dirai simplement que, malgré une lecture attentive je n’ai pas réussi à entrer dans l’univers de l’auteur... et que je le regrette.

     

    Je ne comprends pas non plus la remarque laudative de François Nourrisier « Darrieussecq atteint un raffinement dans le style »

     

     

    ©Hervé GAUTIER

  • DES CRIMES INSIGNIFIANTS - Alvaro Pombo- Editions Gallimard.

     

    DES CRIMES INSIGNIFIANTS - Alvaro Pombo- Editions Gallimard.

     

    Il se trouve que je suis amateur de romans policiers. Ce titre, du moins en apparence, m’a donné à penser que ce livre pouvait en être un. Je l’ai donc lu. Malheureusement, tel n’était pas le cas.

    Sans déflorer l’intrigue, qui m’a paru par ailleurs bien laborieuse, l’histoire relate, dans le climat surchauffé de Madrid, les relations ambiguës d’Ortega, un ancien romancier qui a perdu le goût d’écrire et qui s’est reconverti dans un travail de bureau autant que dans la solitude et Quiros, un jeune homme, un peu éphèbe, actuellement en chômage et qui semble apprécier sa situation d’oisif.

    Celui-ci nous est dépeint comme un profiteur « qui vit des femmes », c’est à dire de sa mère, veuve, qui le loge et pourvoit à son entretient quotidien et Cristina, sa fiancée qui subvient à ses besoins et surtout à ses caprices.

    Au contact de Quiros, Ortega semble reprendre goût à l’écriture à moins qu’il ne découvre en lui des fantasmes inavouables et des désirs inassouvis. Le futur remariage de sa mère et l’attitude de Cristina qui commence à trouver que cette situation a assez duré rapprochent Quiros d’Ortega qui apparemment supporte mal ce bouleversement de sa vie.

     

    J’avais voulu en savoir plus sur cet écrivain inconnu de moi mais qui avait l’avantage, à mes yeux important, d’être espagnol. Je dois avouer que j’ai été un peu déçu.

     

    © Herve GAUTIER

  • A PROPOS DE FRANCISCO COLOANE - Editions Phébus

     

    A PROPOS DE FRANCISCO COLOANE - Editions Phébus

     

    Décidément, les écrivains sud-américains ne cessent de m’étonner.

    L’intérêt que je porte au talent d’Alvaro Mutis m’a tout naturellement dirigé vers Francisco Coloane, romancier et nouvelliste Chilien, dont Mutis révéla l'œuvre au public français.

     

    Qu’il évoque les paysages envoûtants de la Patagonie dans ses nouvelles (le Golfe des Peines) ou l’histoire tourmentée du peuple indien Ona (le Guanaco) ou le destin des Alakalufs, il n’abandonne jamais longtemps la mer, ses marins, les tempêtes meurtrières du Grand Sud, ses navires (Le Dernier Mousse), ses naufrages.

    C’est toujours un peu de sa biographie qu’il nous livre à travers les récits qu’il fait et les personnages qu’il campe, souvent pauvres et sans famille. Ils ne craignent pas d’affronter la souffrance et souvent la mort dans les paysages inhospitaliers mais aussi grandioses des Canaux de Patagonie, du Cap Horn ou de la Terre de Feu

    Il y a sûrement un peu de son père dans le Capitaine Albarran (Le Sillage de la Baleine). Ses personnages ont quelque chose d’attachant puisque, à travers eux, m’a-t-il semblé, c’est à une recherche de l’homme à laquelle il se livre même si la condition humaine dont il est question ici est celle de la souffrance et de la mort.

     

    C’est là un romancier authentique dont les mots ne peuvent laisser le lecteur indifférent. Ils puisent sans doute leur force dans les tempêtes, le froid et l’évocation des mystères du monde de la mer et de sa beauté inhumaine. Elle est présente à chaque ligne dans son œuvre. C’est vrai qu’il a sacrifié aussi aux légendes des vaisseaux fantômes, au décor des bars et des bordels dont chaque port est indissociable et à toute une mythologie de monstres marins dont les baleines qu’on pêche ici prennent les traits. Mais ce qu’il peint aussi c’est les dures conditions de vie des marins, véritables forçats de cette mer ingrate à laquelle pourtant ils se donnent pour échapper à la misère d’une terre stérile.

     

    Il y a aussi cette quête que chaque homme mène et qui est sa raison de vivre, que ce soit celle du frère disparu (Le dernier mousse) ou celui du père inconnu (Le Sillage de la Baleine), le gain ou la femme à qui l’on rêve et dont on a, un jour, croisé le sourire.

    L’auteur nous rappelle que nous ne sommes que de passage sur terre, que la vie ne se résume pas forcément à une somme de moments heureux et que l’homme est fragile, vulnérable face aux éléments.

    Avec  » Le Sillage de la Baleine », l’auteur signe ici un texte non seulement émouvant et parfois même bouleversant mais sûrement un moment fort de son œuvre. Dès lors, je ne m’étonne pas qu’Alvaro Mutis, le créateur du personnage de Maqroll El Gaviero, marin mythique, dont j’ai abondamment parlé dans cette chronique ait été sensible à l’écriture de Coloane.

     

    Neruda lui-même nota que « Pour embrasser Coloane, il faut avoir des bras longs comme des rivières ».

     

    © Hervé GAUTIER

  • DEUX OU TROIS CHOSES SUR LES NOUVELLES DE DANIEL BOULANGER.

     

     

    N°224

    Mai 2000

     

     

     

    DEUX OU TROIS CHOSES SUR LES NOUVELLES DE DANIEL BOULANGER.

     

    C’est effectivement à la visite d’une galerie de portraits que nous convie Daniel Boulanger. Chacune de ses nouvelles est une invitation à entrer dans une histoire, à évoquer, parfois à effleurer, par pudeur sans doute, une parcelle de la vie d’un personnage, entre fiction et réalité.

     

    Par le miracle de l’écriture, véritable alchimie chaque fois renouvelée, l’auteur nous convie à pénétrer le jardin secret d’un être, veuf esseulé, aristocrate original, célibataire par vocation, vieux couples pour qui l’amour n’existe plus, amants et maîtresses, vieilles filles et hommes en quête de l’âme sœur, marginaux, fantasques… Bref tous les protagonistes du théâtre de la vie dont il est le spectateur attentif et qu’il nous donne à voir pour notre plus grand plaisir.

     

    Tous ces êtres passent devant lui, soit en gardant secrète leur existence soit en vidant leur sac « Où traînent de pauvres monnaies dont nous ne savons et nous ne saurons jamais le cours. » comme il le dit si joliment.

     

    C’est une évocation à chaque fois recommencée, une sorte de kaléidoscope de héros ordinaires que dès l’abord on pourrait regarder comme falots et sans importance mais qui sous sa plume prennent une dimension non seulement humaine mais exceptionnelle. On y lit souvent la solitude et le désarroi, la détresse parfois. Vous les auriez cru sans histoire et c’est précisément le contraire qui se produit.

     

    La lecture de ses textes, par leur dimension à la fois poétique, humoristique, émouvante, attendrissante, ouvre les yeux du lecteur sur un univers insoupçonné et qui le laisse le plus souvent émerveillé par le pouvoir d’évocation et de dépaysement de cet auteur qui, à chaque fois m’enchante.

     

    Son humour, son style ont cette légèreté discrète et chaleureuse qui vous font aimé un livre, sa faconde, son culte du mot juste et son sens de la formule révèlent un spectateur vigilant de la condition humaine. En effet, bien peu de décors lui échappent et il sait mettre en scène ces individus pour les rendre attachants.

     

    Auteur prolixe, il sait à merveille disséquer les désordres intérieurs, la quête humaine du bonheur et évoquer la honte, la désapprobation publique qu’un être peut rencontrer dans sa vie. Les replis de l’âme lui sont à ce point connus qu’il les évoque, à la manière d’un orfèvre capable non seulement d’écouter et de voir sans être voyeur mais aussi de restituer pour son lecteur cette approche, par bien des côtés extraordinaire.

     

    Les pulsions, les passions, l’aspect transitoire et temporaire de la vie humaine nourrissent chacune de ses nouvelles. Il n’occulte rien de ce qui fait la vie, l’amour et bien entendu la mort. Il sait rendre l’écume de ces jours et parfois de ces nuits, ces moments qu’il nous peint avidement, heureux ou tragiques, ces miettes de vie, ces copeaux d’existence, ces moments banals ou étranges, déclinés entre fantasmes et certitudes. Les zones d’ombres et de lumière alternent dans des parcelles d’être, entre amours et violence, jouissance de la vie et attirance vers le néant. Les rôles qu’il distribue sont divers, avec peut-être une prédilection pour les femmes d’âge, extravagantes ou veuves de militaires, parfois désirables… Les histoires qu’il raconte s’inscrivent entre foucade et fidélité, passions et passe-temps, souvenirs et regrets…

     

    Tout cela en fait un écrivain d’exception, une sorte de médiateur entre les divinités de l’inspiration et notre pauvre condition de lecteur.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • Le MIROITIER - Daniel BOULANGER – Editions GALLIMARD..

     

     

    N°222

    Avril 2000

     

     

     

    Le MIROITIER - Daniel BOULANGER – Editions GALLIMARD..

     

    Au moment où un grand éditeur choisit de republier des nouvelles de Daniel Boulanger, il m’a paru intéressant de me replonger dans son œuvre.

    J’ai déjà dit dans cette chronique que la valeur d’un livre ne saurait, à mes yeux, résider dans sa seule nouveauté. Son existence, sa permanence sont une invite constante à le découvrir. Bref, j’ai donc choisi Le Miroitier.

     

    C’est là une histoire d’amour comme il en existe tant dans les ouvrages de fiction dont notre auteur place le déroulement à Aussoy sur Orbe, une ville qu’il serait sans doute difficile à situer sur une carte de géographie. Il y fait vivre tout un petit peuple de personnages originaux, insolites, furtifs parfois mais toujours attachants, une véritable galerie de portraits qu’il serait vain d’épeler ici. Le lecteur en découvrira tout le charme, la truculence parfois comme il notera, au fil des pages, l’histoire et les histoires de cette petite ville, au demeurant bien semblable à toutes les autres.

     

    Mais, le titre semble l’indiquer, ce qui est intéressant c’est moins l’environnement de cette agglomération que le personnage principal, Lucien Médard, miroitier de son état qui vit son commerce plus qu’il n’en vit. C’est, en fait, un véritable office, presque une institution. C’est avec lui que Grazina, sa femme, ex-danseuse de Cracovie a choisi la liberté. Elle donne des cours de danse, fait tourner quelques têtes, mais son côté exotique en fait l’âme de cette improbable bourgade.

     

    C’est vrai que Médard, à l’hypothétique lignée a un sens tout particulier du commerce qu’il tient. Vend-on des miroirs si l’on a pas un sens particulier de la vie, sans limite, sans contrainte ? Tient-il des objets qu’il vend un don particulier de voyance ? Allez savoir ! Mais quand même, la complicité avec les miroirs n’est pas quelque chose de banal. Ce simple instrument ne renvoie-t-il pas deux images en une seule, une réelle et une virtuelle dont on nous dit qu’elle se forme derrière la plaque de verre. Ah, l’optique a décidément des mystères délicieux et la virtualité dont on nous rebat maintenant les oreilles à tout propos a toujours eu pour moi un attrait tout particulier !

     

    Et puis rappelons que les poètes ont toujours voulu le traverser. La glace est une surface lisse à laquelle il est bien juste de prêter des pouvoirs magiques. Après tout le miroir ne réfléchit pas seulement notre propre image, mais aussi nos défauts, nos lâchetés, nos renoncements… Il n’est pas seulement pour les alouettes ou pour Narcisse et à travers lui tout est beau, l’image bien souvent plus que l’original ! Et puis l’Orbe qui baigne cette incertaine localité, n’est-elle pas, elle aussi un miroir pour les Aussoyens ?

     

    Il y a aussi une dimension intemporelle ici, à la manière de ce Médard qui annonce toujours l’heure qu’il est à l’autre bout du monde plutôt que de soucier du temps qui s’égrène chez lui. Quand la pendule sonne à l’ église des Pénitents, il feint de l’ignorer et communique, Dieu sait pourquoi, sautant par dessus les fuseaux horaires, ce que marque la montre d’un Chinois ou d’un Américain !

     

    Dans cette foule d’ individus, il y a quand même la bonne conscience du lieu, Basile, sorte de Diogène qui vit en complicité avec un cheval. C’est une sorte de mélange de philosophe, dispensateur de bon sens et un fervent admirateur de Bacchus.

     

    Mais peut-être que tout cela est faux, à l’image des fantasmes du miroitier. Après tout peu importe « Le mensonge sert parfois de canne » et l’important est que cela fasse rêver le lecteur.

     

    Ne vous privez pas d’entrer dans l’univers de ce roman écrit comme une nouvelle, avec son humour au ras des mots. Ce qui compte en ce bas monde, c’est le merveilleux !

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • LE CHATEAU DE LA LETTRE CODEE - Javier TOMEO - Edition Christian Bourgois.

     

    N°83 - Octobre 1991.

     

    LE CHATEAU DE LA LETTRE CODEE - Javier TOMEO - Edition Christian Bourgois.

     

    Si, livre en mains, vous prenez la peine de lire les quelques lignes de présentation qui emportent souvent la décision du lecteur dubitatif, vous ne manquerez pas de remarquer que la traductrice de cet ouvrage l’annonce comme un roman formidable. Je partage, pour ma part complètement cet avis tant le flot de mots qu’on peut y lire entraîne le lecteur presque malgré lui dans le sillage du marquis en une multitude de situations pour la remise d’une hypothétique lettre dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est bizarre (codée!) à un comte qui ne l’est pas moins, par son domestique de qui il attend un dévouement aussi aveugle qu’anachronique.

    Il a l’obligeance de l’avertir de tout ce qu’il risque dans cette entreprise, de tout ce qu’il doit éviter de faire et de dire pour ne pas encourir les foudres du dangereux comte.

    Cette lettre, loin d’être un message n’est qu’un prétexte puisqu’elle est incompréhensible et indéchiffrable, c’est à dire le contraire d’une missive qui se respecte. Sous couvert d’expliquer l’inexplicable, l’auteur qui par ailleurs observe la désuète unité de temps, de lieu et d’action (ou d’inaction) cultive admirablement la digression, et, dans une espèce de fatrasie surréaliste où les fadaises le disputent aux poncifs promène le lecteur dans une sorte de soulerie de mots (salutaires souleries de mots qui valent bien, je vous en réponds les libations vinicoles!)

    Ce long monologue du marquis, naufragé volontaire de la société pendant vingt années derrière les murs de son drôle de château est entrecoupé de silences circonstanciés (ou seulement évoqués) du valet. Il consiste en une sorte d’évocations plus illogiques les unes que les autres, émaillées de propos oiseux sur les insectes et les batraciens, des proverbes et autres apostilles mais cache sûrement le poids très fort de la solitude à moins que ce soit le plaisir de se laisser aller, devant la page blanche, aux délices de l’écriture automatique guidée par une imagination fantasque. Il se pourrait même que le château n’existe pas plus que la lettre... Il resterait au moins le livre, unique et bien différent de ce qu’on a l’habitude de lire. Cela vaut son pesant d’humour et au moins c’est original.

     

    © Hervé GAUTIER

  • MON PERE- Film de José GIOVANNI ET Bertrand TAVERNIER

     

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    N° 246–Juin 2003

     

    MON PERE- Film de José GIOVANNI ET Bertrand TAVERNIER

    France 3 - lundi 5 mai 2003.

     

     

    « La Feuille Volante » célèbre cette année son 24° anniversaire.

     

    Ce n’est pas sa vocation première, puisqu’elle est destinée à donner son avis (qu’on ne lui demande d’ailleurs pas) sur la littérature et la poésie françaises, pourtant, cette fois, c’est un film qui a retenu mon attention, mais pas n’importe lequel !

     

    J’avais déjà signé un article sur l’excellent roman de José Giovanni (La feuille Volante n° 204 de mars 1999) « Il avait dans le cœur des jardins introuvables » où l’auteur parle de son père avec un amour plein de remords, comme si les deux hommes avaient passé leur vie à se côtoyer sans jamais se comprendre, se rencontrer, sans peut-être vouloir le faire vraiment…

     

    Le film s’inspire de ce roman autobiographique, mais c’est avant tout une création axée sur le rôle d’un homme en faveur de son fils parce que sa vie est menacée !

     

    Tout se résume en une quête d’un père, Joe, Corse pauvre qui partit, avant la 1° guerre mondiale pour l’Amérique « avec quelques pièces d’or portées dans une ceinture, à même la peau », un jeu de cartes et une envie de réussir à tout prix dans ce pays où tous les rêves étaient possibles. De retour en France, on nous fait comprendre qu’il a été très absent, qu’il a donné à ses fils le mauvais exemple dans la fréquentation des prostituées, des tripots et du « milieu », un homme, en tout cas qui ne s’est pas occupé d‘eux comme il aurait dû le faire. Il les a précipités, probablement sans le vouloir, mais en ne faisant rien pour l’empêcher, dans la vie facile mais dangereuse que leur offrait Santos, leur oncle, un truand maudit pourtant par ce père.

     

    L’aîné perdra la vie dans une entreprise aventureuse ourdie par cet oncle qui les trahira, une rixe meurtrière d’où Manu, le cadet, sortira en vie mais condamné par une justice qui voyait plus en lui un coupable idéal qu’un véritable assassin qu’il n’était pas. Il fallait que quelqu’un paie pour la vie des victimes, ce serait donc lui qu’on avait choisi. La guillotine trancherait sa vie puisque, à l’époque, cela se faisait encore ainsi. C’est vrai que dans cette après-guerre on était peu sourcilleux sur la présomption d’innocence et bien plus désireux de faire « des exemples »

     

    On entraperçoit le personnage de la mère qui, à travers la recherche d’une improbable martingale, veut retrouver cette richesse qui avait été la leur autrefois et dont elle conservait le souvenir dans quelques photographies un peu jaunies. Malgré tout, là aussi il y a un échec, tempéré sans doute par les paroles d’une cartomancienne qui lui avait prédit la réussite d’un de ses enfants. Pour elle, pas de doute possible, ce sera sa fille, douée pour les arts ! Certes, cette femme incarne la famille face à un père plus occupé ailleurs, elle symbolise sa permanence puisque c’est elle que Joe charge de faire connaître à Manu, maintenant détenu dans le quartier des condamnés à mort, le résultat de ses tractations. C’est que le père a trouvé dans ce nouveau combat qu’il mène dans l’ombre pour la libération de son dernier fils, le vrai sens de sa vie. C’est un peu comme une revanche, un pardon qu’il sollicite, un rachat sans doute… Mais les relations avec son fils sont toujours aussi tendues.

     

    Comme il ne peut lui parler sans que leur incompréhension n’éclate de nouveau, Joe devient un habitué du café qui fait face à la prison de la Santé opportunément appelé « Ici mieux qu’en face. » Il y rencontre les surveillants qui lui donnent des nouvelles de Manu (Rufus est émouvant dans le rôle de ce gardien, marié à une femme aveugle et qui entretient avec les détenus une quasi-sympathie - un condamné à mort propose même de donner ses yeux pour son épouse !) devient presque leur ami. Il y apprend les coutumes de la prison, comme celle de faire laver le couloir du secteur des condamnés à mort quand ce n’est pas le jour réglementaire, ce qui signifie qu’il va y avoir une exécution, ce qui amplifie encore l’angoisse de Joe parce que son fils y est présent et que c’est peut-être son tour !

    Il y a même une atmosphère de compassion qui se tisse entre les détenus et ces hommes, obligés de faire leur travail pour ne pas perdre leur emploi, une justice un peu trop prompte à condamner et ce père qui se bat pour la vie de son fils.

     

    On ne prononce pas le mot « maton », au contraire, les détenus respectent ces surveillants qui les gardent mais qui doivent souvent travailler à l’extérieur pour élever leurs enfants, tel cet homme reconnu par un prisonnier repris et qui avait vu un de ces gardiens qui devait, pour survivre et élever Sa nombreuse famille… cirer les chaussures en pleine rue !

     

    Joe œuvrera seul, dans l’ombre et à l’insu de son fils, ira même jusqu’à implorer la pitié des parents des victimes pourtant dans l’attente de l’exécution. Il obtiendra, par avocats et personnalités interposées que le Président Vincent Auriol commue la peine en détention à perpétuité. Il avait probablement dans le cœur ces jardins introuvables, ce père qui n’hésita pas à mettre en gage son bridge en or pour payer les frais d’avocats chargés de trouver un improbable vice de procédure et ainsi faire casser un jugement ou faire reporter la date de l’exécution ou à passer des nuits sous la pluie pour émouvoir une mère et arracher son pardon ! Puis ce seront les remises de peine et toujours ces rendez-vous au café en face de la prison pour y quêter des nouvelles de son fils.

     

    Sous l’impulsion discrète mais obstinée de cet homme enfin dans son rôle de père, un élan de solidarité se crée en faveur de Manu…

     

    Parce que son avocat avait remarqué que Manu tenait un journal et avait un goût pour l’écriture, il lui conseille de relater son séjour en prison. Son roman « Le trou » sera un succès. Dès lors une nouvelle vie commence pour lui et pour son père un espoir possible de libération même s’il reste de plus en plus en marge. C’est lors d’une séance de signature que les gardiens lui révèlent l’action de Joe en sa faveur, ses attentes au café, ses espoirs déçus parfois… C’est une révélation pour Manu qui recherche son père dans l’assistance mais ne le trouve pas. Seul le spectateur voit disparaître sa lourde silhouette poursuivie par ce fils désormais célèbre et libre, mais l’ultime rencontre ne se fait pas, comme un rendez-vous perpétuellement manqué entre ce père et lui ! (Bruno Cremer campe le personnage de Joe avec son talent habituel) Ce combat l’avait tellement épuisé qu’il mourut avant la réhabilitation de ce fils qu’il avait si activement contribué à faire libérer.

     

    Sa vie pouvait dès lors se terminer. Il ne servait plus à rien et c’est sans doute le sens de cet ultime appel de Manu, soudain revenu à la réalité qui va devoir vivre comme avant certes, mais cette fois avec une manière de remords et le sentiment d’une dette imprescriptible envers un homme désormais absent pour toujours. Il lui adresse, en même temps que ce film un pathétique « A Bientôt ! »

     

    Le roman avait su m’émouvoir, le film a ravivé cette émotion qui met en lumière ces relations parfois difficiles entre les membres d’une même famille surtout quand la vie de l’un de ses membres est en jeu. Et qu’il est toujours temps de racheter un manquement, une faute...

     

    NB : a mon avis le film méritait plus de deux 7 à la cote de télé 7 jours.

     

    Diffusion gratuite – correspondance privée.

     

     

    © Hervé GAUTIER Revenir au début http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • Quelques réflexions personnelles sur l’œuvre de Patricia CORNWELL.

     

     

     

     

    N° 243–Septembre 2002

     

    Quelques réflexions personnelles sur l’œuvre de Patricia CORNWELL.

     

    Je n’ai pas honte de l’avouer, en ce qui me concerne, la première lecture d’un auteur inconnu se fait souvent à partir d’un amical conseil, d’un article de presse ou tout simplement d’un livre pris, parfois au hasard, sur les rayonnages d’une bibliothèque !

    De telles méthodes ont leurs insuffisances et bien souvent leurs limites et si au bout de cinquante pages l’intérêt n’est pas au rendez-vous, j’abandonne.

     

    Je ne sais pas comment le nom de Patricia Cornwell a suscité mon attention, mais ce qui est certain c’est que le roman policier, aussi bien en ce qui concerne l’écriture que la lecture, prend de plus en plus de place dans ma vie et dans mes loisirs… Je ne m’en plains pas !

    Au-delà de l’auteur, dont la biographie révèle une réelle réussite d’écrivain et une générosité notable d’autant plus appréciable qu’elle sait rester discrète, pour le progrès de la médecine légale et donc de la justice, il y a les personnages, les histoires…

     

    Tout d’abord je dois dire que ses romans sont servis par une remarquable traduction française, car, s’agissant d’un texte original écrit en américain, il est injuste d’oublier le nom du traducteur (ou de la traductrice) c’est à dire celui qui rend l’ouvrage lisible en français et contribue largement à son succès.

     

    L’héroïne principale, le docteur Kay Scarpetta, d’origine italienne comme son nom l’indique est médecin légiste qui prend d’ailleurs des allures de policiers. La vie du personnage se nourrit des expériences professionnelles et personnelles de l’auteur puisque Patricia Cornwell a été, outre chroniqueur judiciaire, informaticienne à l’institut médico-légal de Richmond (Virginie) où elle noue des liens d’amitié avec le docteur Marcella Fierro, directrice de la morgue, ce qui donnera naissance, sans doute malgré elle, au personnage de Kay Scarpetta. Richmond sera bien entendu le lieu géographique de la plupart de ses romans.

     

    Avec ses collègues, dont l’inséparable capitaine Marino, un peu macho et entretenant avec la bière des liens étroits, elle mène inlassablement ses enquêtes qui l’entraînent parfois à l’autre bout des Etats-Unis.

     

    Ici le rythme est rapide et fascinant à la fois et Kay risque sa vie dans chaque enquête. Elle y perdra même l’homme de sa vie dont la mort continue de l’obséder. Mais elle fait face malgré les chausse-trappes que lui tendent les tueurs désireux de l’éliminer physiquement ainsi que les brimades de sa hiérarchie, le monde macho de la police…

     

    Elle a des relations intimes avec Benton Wesley, un « profileur » du FBI. Elle partage sa vie par intermittente et ses sentiments pour lui montrent combien un auteur peut se révéler dans une de ses œuvres (« Combustion »). Un roman policier n’est pas seulement le récit d’histoires sordides où la mort est présente à chaque page. Dans les cas des œuvres de Patricia Cornwell, j’ai ressentis, personnellement du moins, une forte charge émotionnelle au moment notamment où elle décrit avec moult détails l’atrocité d’un meurtre autant que les différentes sentiments qui habitent Kay Scarpetta quand elle disperse les cendres de son amant sur une plage selon la volonté du défunt. On met toujours un peu de soi dans son écriture et l’œuvre en témoigne !

     

    Pete Marino, omniprésent à ses côtés tel un ange gardien, respectueux cependant de sa vie privée est un peu son double inversé, mais j’aime surtout qu’elle soit cette mère de substitution pour sa nièce, la fragile Lucy, agent du FBI, surdouée, homosexuelle, mais toujours un peu en marge de cette société qu’elle contribue à défendre mais qui la rejette parce qu’elle est une femme œuvrant dans un monde essentiellement masculin.

     

    Il y a deux styles sinon deux manières d’écrire chez Patricia Cornwell. Bien sûr, il n’y a pas de roman policier sans crime et sans atrocités. C’est là le parti pris de l’auteur qui puise largement dans son expérience glanée en médecine légale, mais il ne faut pas oublier que la mort fait partie de la vie et que notre société est aussi composée de criminels, de sadiques, de psychopathes. C’est donc cette face cachée que Patricia Cornwell nous donne à voir… et elle le fait non seulement avec talent mais aussi avec des précisions scientifiques et un goût du détail qui rendent, même pour un non initié comme moi, l’histoire d’autant plus crédible et intéressante.

     

    Il n’en existe pas moins deux séries de personnages-phares : Kay Scarpetta qui vit imprime sa marque dans onze roman. Elle y côtoie Marino, Benton et sa nièce Lucy. A mon avis ce sont de loin les plus intéressants ; puis il y a une seconde série d’où tous ces personnages sont absents. Ce sont les romans les plus récents. Les chefs de la police locale sont des femmes telles Judy Hammer (« L’île aux chiens »-« La griffe du Sud ») ou Virginia West (« La ville des frelons »). Dans cette série émerge un personnage masculin qui sans doute prendra de l’importance dans son œuvre à venir, c’est celui d’Andy Brazil, ex-journaliste de talent devenu policier.

     

    Patricia Cornwell entraîne son lecteur dans une série d’aventures passionnantes qui révèlent autant les bas fonds de la société américaine que la cupidité la cruauté des hommes, quand ils sont des criminels, mais aussi l’humanité des êtres dits « normaux ».

     

    L’auteur est de son temps et l’informatique, inévitable, incontournable de nos jours, tient une grande place dans son œuvre. Internet aussi, évidemment et c’est souvent à cause de ce vecteur que le docteur Scarpetta et ses autres personnages sont entraînés, presque malgré eux dans des enquêtes où le macabre le dispute à l’horreur ! Il est vrai que nous sommes loin des fictions lentes et lénifiantes aux trop heureuses conclusions !

     

    Elle décrit sans complaisance la vie de son temps, de Richmond, cette ville de Virginie qu’on pourrait croire assoupie, mais aussi de cette société américaine, avec ses travers, son quotidien, cette « américan way of life », rêve pour certains, cauchemar pour d’autres, minée par le racisme, la drogue, la corruption, l’omniprésence des armes, le profit, la réussite, la situation centrale des Etats-Unis dans le monde, son goût pour le pouvoir ! Cette société qui a souvent attiré les hommes du monde entier parce que c’est un espace de liberté mais elle masque à peine son autre visage d’insécurité et de violence, d’injustice aussi !

     

    Elle a du se battre pour faire reconnaître son talent et ce n’est pas là la moindre de ses qualités personnelles, même si maintenant on lui rend justice par l’attribution de prix prestigieux tels que le « Edgar Poe Award » ; l’ « Anthony Award », le « Macavity Award », le « Dagger Award ». »

     

    La France, pays de la culture, n’a pas non plus été en reste qui lui a accordé le « Prix du roman d’aventure » (1992) qui récompensait, pour la première fois une Américaine/

     

    Je serai pourtant toujours attentif à cet écrivain dont la notoriété dépasse largement et heureusement les frontières de son pays.

     

    © Hervé GAUTIER. http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

     

     

    P.-S. Patricia Cornwell a notamment publié « Postmortem » (1992) – « Mémoire mortes » (1993) – « Et il ne restera que poussières… » (1994) – « Une peine d’exception (1994) » - « La séquence des corps » (1995) – «  Une mort sans nom » (1996) –«  Mort en eaux troubles » (1997) – « Mordoc » (1998) – « Combustion » (1999) – « Cadavre X » (2000) – « Le dossier Benton » (2001) – « La ville des frelons » (1998) – «  La griffe du sud » (1999) – « L’île des chiens » ( 2002)

  • POUR NE PAS OUBLIER MARJAN.

     

     

    N°213

    Novembre 1999

     

     

     

    POUR NE PAS OUBLIER MARJAN.

     

    Cela fait plus d’une année qu’il nous a quittés. Dans les revues que je reçois, ses poèmes se font rares, inexistants même. Dans Niort, sa ville qu’il n’a jamais quittée, que reste-il vraiment ? Son nom sur une plaque de rue, une exposition prévue de longue date qui tarde à être organisée et qu’on repousse de plus en plus, son nom qui peu à peu s’efface… Il aimait la vie et se battait contre la mort en une lutte dérisoire que son cœur fatigué rythmait de ses essoufflements. Nous sommes tous mortels, n’est-ce pas ?

     

    Ce n’est pas grand chose qu’une pensée furtive pour ceux qui ne sont plus mais grâce à la vigilance des vivants, ils ne sont pas tout à fait morts. C’est là un hommage fugace, presque inutile, car chacun a ses préoccupations, dit-on !

    Que reste-t-il de lui? Des milliers de poèmes disséminés aux quatre vents des revues qui le publiaient et auxquelles il participait. Le simple fait de voir son nom au sommaire d’une publication française ou étrangère l’enchantait. C’était son côté adolescent qui s’émerveillait de tout, qui croyait tant à la force de l’amitié, qui savait être généreux même si parfois cela laissait place à la déception. Qu’importe, il continuait à écrire, à publier les autres surtout dans une sorte d’incompréhensible action de vulgarisation qu’il tenait sans doute de son ancien métier d’imprimeur.

    Il faisait partie de cette grande confrérie des brasseurs de mots, des sculpteurs de vent que sont les poètes. Il était de ceux qui, inlassablement noircissent des pages blanches, pour se prouver sans doute qu’ils existent, pour le craquement de la plume ou le feulement de la mine sur le papier ou assurément pour répondre à cette implacable inspiration qui, lorsque parfois elle trouble leur nuit ou leur tranquillité et qu’ils y répondent transforme quelques instants de leur vie en moments d’exception.

    Il était à la fois tout cela et bien davantage encore, parce que l’écriture est pauvre quand il s’agit d’évoquer pleinement un homme tel que lui. Je ne le fais pas uniquement au nom de cette grande amitié qui nous unissait, mais aussi, sans doute, parce que dans ma vie le devoir de mémoire a pris, ces dernières années une dimension personnelle. La mort, il est vrai, marque notre condition humaine de son sceau définitif. De son vivant, il était aussi attentif à la trace laissée par ses amis disparus.

    Son humour était une arme contre la mort, et malgré ce combat perdu d’avance, je puis témoigner qu’il l’a bien moquée, comme si tout cela n’était malgré tout qu’une vaste comédie, que notre passage sur terre n’était qu’un moment sans grande importance mais que tout homme a cependant le devoir de marquer le plus honorablement possible et pendant lequel il faut impérativement être soi-même !

    Ce dont je voudrais me souvenir aussi, c’est de son combat en faveur des petites gens dont il faisait partie. Il savait toutes les souffrances endurées par les pauvres, par cette classe ouvrière dont il était issu et dont il a si bien parlé. C’était, il est vrai plutôt celle des années 30-40 que celle des 35 heures et de l’informatique, mais il faut lui rendre cet hommage qu’il avait su, lui, se souvenir de ses origines et y avait puisé une grande partie de son inspiration.

    Je n’oublierai pas non plus le défenseur des droits de l’homme, de ceux qui sont emprisonnés pour leurs idées. Là aussi était son combat. Il était un humaniste, libertaire, attentif aux autres, en perpétuelle révolte contre la misère et l’injustice. Il ne se rangeait jamais du côté du plus fort.

     

    Depuis plus d’un an, nul ne reçoit plus le Bouc des Deux-Sèvres dont il avait fait revue fétiche. Elle avait des défauts, certes (tout est perfectible en ce monde !), mais elle existait et beaucoup lui rendaient hommage et célébraient le formidable optimisme de son unique et désintéressé animateur. C’est qu’il était seul et s’entendait bien avec lui-même. Il en avait toujours été ainsi au cours de son impressionnant parcours d’éditeur et d’animateur de revues.

    Il avait accueilli, surtout au sein des Feuillets Poétiques et Littéraires  de nombreux auteurs, des célèbres comme des inconnus et il a été à l’origine de vocations d’écrivains par ses seuls encouragements. C’est que le mot exclusion, surtout quand il s’appliquait à l’écriture et à la créativité des autres ne faisait pas partie de son dictionnaire.

     

    Voilà donc ces quelques mots dérisoires tracés en sa mémoire et confiés à ce réseau internet dont je n’appréhende pas bien les ramifications mais qui justifie encore plus aujourd’hui le nom de cette Feuille Volante.

     

    ©Hervé GAUTIER

  • Quelques mots sur Camilo-José CELA.

     

     

    N° 239 – Avril 2002

     

    Quelques mots sur Camilo-José CELA.

     

    Ce que je veux retenir de cet écrivain espagnol, ce n’est pas sa vie, au demeurant assez peu connue qui s’est déroulée en grande partie sous la dictature franquiste qu’il a, par ailleurs, servie, ce n’est pas son Prix Nobel de littérature non plus, pas sa mort survenue récemment mais peut-être son style découvert à travers deux ouvrages « La famille de Pascal Duarte » mais surtout « La ruche ».

     

    C’est une opinion personnelle et sans doute assez peu partagée, mais il me semble que son style est bien peu espagnol, ou, à tout le moins reflète bien l’époque dans laquelle a vécu CELA. Il me paraît être parfaitement le reflet de cette dictature fasciste qui fut pendant longtemps le quotidien de l’Espagne.

     

    On ne peut, certes pas se limiter à la lecture de deux ouvrages, ma si «  La famille de Pascal Duarte » qui relate la vie d’un condamné à mort et évoque avec force la fatalité et le destin qui pèse sur l’homme, « La Ruche » est sans doute son livre le plus important, j’entends par-là le plus révélateur de ce qui fait la spécificité de cet écrivain. Ici, il procède par petites touches, comme un tableau pointilliste ou comme une mosaïque qui finalement fait une grande fresque. Chaque paragraphe est un élément du décor qui, pris isolément est, en quelque sorte sans importance, mais qui, réuni aux autres devient l’élément indivisible d’un tout qui fait le roman. Le style, volontairement plat et sans relief ajoute à cet ambiance.

     

    Nous le savons, l’action de « la ruche » se passe à Madrid en 1942. Elle respecte la classique unité de temps et de lieu. Quant à celle d’action, c’est un peu une impression d’inaction que ressent le lecteur parce que c’est là une somme d’histoires sans importance, mettant en scène des gens sans importance, en apparence du moins. C’est pourtant le quotidien ordinaire qui est ici décrit avec ses bassesses, ses rencontres, ses anecdotes, ses amours et ses fortunes qui se font et se défont, le temps qui passe… C’est au spectacle de la simple condition humaine dans tout ce qu’elle a de plus simple que nous convie l’écrivain à travers la peinture d’une multitude de personnages(L’éditeur remarque qu’ils sont en réalité au nombre de 348, certains sont réels, d’autres imaginaires). C’est pourtant dans le café de Dona Rosa que commence l’ouvrage, cet établissement si prisé des Espagnols qu’il symbolise la cité. Dans la ville grouillent des êtres vivants qui naissent vivent et meurent. Les personnages sont en réalité de « pauvres types » qui regardent passer le temps en sirotant une consommation chez Dona Rosa.

     

    Le temps est en effet le deuxième élément de cette écriture. Il est à la fois fatalité, régularité inexorable et révélateur de la monotonie de l’existence humaine. Que sommes-nous au regard de l’éternité, qu’est notre vie sinon un misérable souffle ? Il passe pour chacun, sinon de la même manière, à tout le moins avec finalement le même rythme, le jour, la nuit et cela recommence, pour tout le monde pareil…

     

    Il peut cependant être dégagé trois idées. C’est tout d’abord un roman collectif, comme l’indique d’ailleurs le titre lui-même, comme si la vie était réduite à sa seule dimension biologique, sans idéal, une sorte d’existence primitive !

     

    La vie est donc inerte, fermée, absurde, étouffante, c’est là la deuxième idée.

     

    La troisième idée est sans doute le sexe. Cela peut paraître étonnant dans cette période, dans ce pays où ce tabou est roi, ou la religion commande tout et le pouvoir politique asservit le peuple, ses aspirations, sa culture. Le sexe ici est à peine évoqué, à travers un mariage arrangé, la prostitué qui se vend pour manger, la jeune fille qui doit rester vierge pour son mari qui sera nécessairement le seul homme officiel de sa vie, mais aussi, à mots couverts l’adultère, le mensonge.

     

    « Ils mentent, ceux qui veulent déguiser la vie à l’aide du masque grimaçant de la littérature » écrit Camilo-José CELA dans une note lors de la première édition tout en laissant au lecteur le soin d’apposer sur son livre l’étiquette qu’il jugera bon.

     

    Dans une deuxième note publiée quatre ans après, il précise que « La Ruche » est un cri dans le désert, ce cri n’est pas tellement strident ni trop déchirant ».

     

    Camilo-José CELA n’est pas l’égal en littérature d’un Garcia-Lorca, d’un Unamuno, d’un Antonio Marchado, ou d’un José Ortega y Gasset. La guerre civile et l’exil avaient anéanti les grands intellectuels de ce pays. C’était bien un désert culturel qui y régnait et le mérite de Camilo-José CELA est de s’être fait l’écho de cet « existentialisme noire » qui avait cours, alors en Espagne. Pour ma part, je choisis d’y voir une peinture sinon pessimiste à tout le moins réaliste de la vie à cette époque.

     

    Il n’est cependant pas inutile de rappeler que, photographie de la société de ce temps, ce livre n’a pu être édité en Espagne, à tout le moins au début. La première édition fut argentine, la deuxième mexicaine. C’était peut-être là le signe d’une société qui ne voulait pas voir ses réalités en face !

     

    ©Hervé GAUTIERhttp://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • LE MONSTRE – Gaston Cherau -Geste Editions.

     

     

    N°282 – Octobre 2007

     

    LE MONSTRE – Gaston Cherau -Geste Editions.

     

    C'est un récit peu connu d'un écrivain injustement oublié que je viens de lire.

     

    Dire que Gaston Cherau est « le puisatier de l'âme » comme l'écrit excellemment le préfacier est une évidence qui ira se dévoilant tout au long de cette nouvelle comme d'ailleurs dans toute son œuvre et dans toute cette carrière d'écrivain à laquelle il semblait voué de toute éternité.

     

    L'auteur nous livre donc cette histoire pas si simple que cela, « avec recueillement... sans rechercher à expliquer les actes... sans essayer d'en tirer des enseignements ». Peut-être, mais il s'est fait ici non pas tant le témoin d'un fait de société rurale d'un autre âge, mais, à mon sens, le narrateur plein de compassion devant une réaction inhumaine qui est pourtant le fait d'êtres humains. L'homme vivant en société est prompt à jeter l'anathème sur tout ce qui n'est pas normal, c'est à dire conforme à ce qui se fait, aux bonnes mœurs, à la morale, à la loi, à la bienséance. Cette assemblée a érigé des coutumes, mais aussi des non-dits, des hypocrisies, des tolérances... La vie en commun impose ses entraves à la liberté individuelle qui en génère une autre, plus collective et dont tout le monde profite: l'ordre social. Mais là, il ne s'agit pas de cela. C'est tout bonnement l'histoire d'un enfant, François, qui paie pour une faute qu'il n'a pas commise, qu'on a déclaré pour cela et pour cela seulement, exclu du groupe, et donc d'une certaine façon qu'on considère comme « maudit ». Devant cet oukase, il ne peut que s'incliner, se créer un monde à lui, solitaire. Les réactions grégaires font le reste. On y rajoute un peu de méchanceté, un peu de haine aveugle, un peu d'incompréhension et de volonté de chacun d'apporter sa pierre à cet édifice patiemment édifié et qu'il faudrait pourtant jeter à bas.

     

    Cette lecture est pleine d'enseignements d'autant qu'elle est livrée telle quelle, sans commentaire. C'est une invitation, par delà les faits relatés, à observer autour de nous, car Gaston Cherau fut non seulement le peintre de la société de son temps, paysanne ou citadine, mais aussi celui de la condition humaine. Il s'agit ici d'évoquer le désarroi d'un être que tous rejettent sans qu'il lui soit jamais possible de racheter une faute qui n'est pas sienne et qui lui est constamment reprochée. Je choisis d'y voir l'image de la « tâche originelle » dont notre notre éducation judéo-chrétienne est si friande, une sorte de culpabilité qu'on ne comprend pas bien, mais dont on nous rebat constamment les oreilles, comme s'il convenait de nous faire admettre cela comme une évidence inhérente à notre condition d'homme et qui doit constamment demeurer présente à notre esprit, pour mieux asservir notre volonté. Chacun se croit obligé, par sa malveillance, de lui faire payer ce qu'il considère comme une tare. Toute sa vie, ce François sera relégué au second plan, comme s'il n'existait pas, ne trouvant d'amour que chez sa mère, elle-même mise à l'écart par les siens et qui poussera à l'extrême cet attachement pour son fils.

     

    Il y a l'épisode de la mare, le refus de la mère, également victime, de se donner la mort, malgré la nouvelle malédiction qui pèse sur elle et qui n'est pas sans rappeler la première. Elle veut quand même, et malgré tout, rester en vie parce qu'elle est le seul rempart pour protéger son fils. François se met à sa recherche jusqu'au fond de ce cloaque parce qu'il est uni à elle non seulement par cet amour charnel qu'il ne peut connaître avec d'autres femmes mais aussi parce qu'ils partagent le même destin funeste.

     

    J'observe aussi que ce François est mis au monde dans une étable, par une mère qui accouche seule, comme ce fut le cas pour le Christ. Je note aussi l'attitude du curé qui, certes n'a pu avaliser un avortement ou un infanticide, donne quand même au nouveau-né le sacrement de baptême, mais en catimini, comme si Dieu lui-même se mettait de la partie.

     

    Et puis, il y a l'épilogue, la fuite, avec pour seule boussole le hasard, avec l'issue fatale qu'on suppose. Cette mort qui fait parti de la condition humaine revient souvent dans l'œuvre de Gaston Cherau.

     

    Y a-t-il quelque chose de Cherau dans cette nouvelle? Indubitablement oui. Les relations difficiles qu'il a eues avec son père, le mal-être qui en est résulté, sa décision de devenir fonctionnaire des Contributions Directes et avec elle le départ de ce Poitou, alors qu'il était probablement destiné à reprendre la direction de l'industrie familiale, la figure de la mère aimante qui est ici célébrée...

     

    Cherau est également un magnifique écrivain, un créateur talentueux qui, avec des mots simples mais choisis, évoque pour son lecteur, paysages et situations. La scène électrique de la grange par temps d'orage, l'odeur de la balle pendant les battages, l'accouchement solitaire aux petites heures de l'aube mais aussi la quiétude retrouvée qui baignait la ferme du Chebroux après le départ de ceux qu'on aurait voulu ne jamais avoir connus.

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2007.

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  • QUELQUES MOTS SUR GASTON CHERAU [1872-1937].

     

     

    N°280 – Septembre 2007

     

    QUELQUES MOTS SUR GASTON CHERAU [1872-1937].

     

    Il est des écrivains injustement oubliés que le hasard, par le biais de publications ou d'études pertinentes, fait découvrir aux lecteurs curieux. Gaston Cherau est de ceux-là. Le résumer en quelques mots tient de la gageure. Chantre de la province ou plutôt de deux provinces, le Poitou et le Berry [Champi-Tortu, Valentine Pacquault, le flambeau des Riffault]qu'il connut grâce à ses origines familiales, mais aussi des rivages atlantiques [La saison balnéaire de M. Thébault, Le Vent du destin], il le fut sans conteste, tout comme il fut celui de la nature[Le grelet de Marius, L'ombre du Maître, La maison de Patrice Perrier]. Bien que citadin, il ne goûta guère les villes de province, leur décor et surtout leurs habitants qu'il vilipenda. Il resta ancré dans cette terre nourricière de son œuvre dont l'eau est puisée à la source de l'enfance.

     

    Il eut le courage de quitter un emploi sûr de fonctionnaire qui ne convenait ni à son talent littéraire ni à ses aspirations pour embrasser celui, plus risqué, de vivre de sa plume. Il fut donc journaliste, conférencier, chroniqueur, écrivain... Ce n'est pas là la moindre de ses qualités mais bien lui en prit et la notoriété vint heureusement couronner une œuvre aux multiples facettes, riche, mais malheureusement inachevée.

     

    Certaines des ses œuvres sont empruntes d'un humour où parfois venait s'insinuer quelques diatribes comme, dans « Monseigneur voyage »[un roman délicieusement anticlérical et délicatement iconoclaste], qu'il qualifia lui-même de « péché de jeunesse » mais qu'il ne renia pas. Il fut cependant un extraordinaire témoin de son temps, peignant à l'envi la société des hommes dans laquelle il vivait. Il fut le contempteur amusé des travers humains[Les grandes époques de M. Thebault,La saison balnéaire de M. Thébault ] Il savait être à la fois critique de la société des villes[Champi-Tortu, Valentine Pacquault] et de celle des campagnes[Le flambeau des Riffault]. ll fut un écrivain qui a su analyser la psychologie de ses personnages, leur prêter plus qu'une vie littéraire[la prison de verre]. Pourtant, c'est de la condition humaine qu'il fut le témoin. Son oeuvre en est le miroir sans concessions. Parmi l'activité dévolue aux hommes dans la société dans laquelle ils vivaient, la politique était un apanage masculin. Dans « L'enfant du pays », il exprime clairement son mépris pour ce milieu.

     

    La société qu'il avait choisi d'observer et de peindre est faite d'hommes, mais aussi de femmes. Gaston Cherau, qui fut « ce brillant analyste » du cœur féminin n'oublia pas ces dernières qu'il évoque à travers un panel de personnages, de la domestique à la femme mariée à qui il réserve un rôle plus particulièrement quotidien et ménager mais aussi dévolu à l'éducation des enfants, à la transmission de la vie et à qui la religion servait bien souvent de refuge. Il fut, là aussi, le témoin de son époque. A travers différentes figures, il leur prêta même une sorte de folie destructrice [Le grelet de Marius, le vent des destin] mais su aussi aborder le thème difficile à son époque de la sexualité[ Valentine Pacquault,la prison de verre,La maison de Patrice Perrier].

     

     

    Il sut aussi cultiver l'amitié, celle qui n'est ni oublieuse ni intéressée. Quand il fut académicien Goncourt, il milita pour la reconnaissance de jeunes talents et Ernest Perrochon, alors peu connu, obtint le prestigieux prix littéraire grâce notamment à son appui discret. Il favorisa l'élection à cette académie de Georges Courteline et de Roland Dorgeles et plus tard, comme directeur littérraire aux éditions Ferenczi, il attira Colette et Maurice Genevoix. Lors d'une recontre impromptue avec ce dernier, alors presque inconnu, Gaston Cherau décida spontanément de retarder la publication de son roman « Celui du bois Jacqueline », de la même inspiration et empruntant le même décor solognot que « Raboliot » alors à l'état de manuscrit, de Genevoix. Il souhaitait en effet que sa notoriété ne fît pas de l'ombre à ce jeune auteur dont il appréciait l'oeuvre naissante. Nous étions en 1925 et Maurice Genevoix obtint, cette année-la, le Prix Goncourt pour son roman.

     

    Écrire! On oublie un peu vite que cela ne consiste pas seulement à aligner des mots qui font des phrases, des chapitres et des livres. Gaston Cherau est de ces écrivains qui rappellent par leur style même qu'écrire c'est susciter cette délicate alchimie au terme de laquelle il se produit chez l'auteur quelque chose où le travail le dispute à l'inspiration et chez le lecteur un intérêt pour le récit, pour la manière dont il est relaté et qui le pousse à lire, jusqu'à la fin! Cette même chose, à la fois simple et compliquée, et somme toute assez incompréhensible, Gaston Cherau l'exprime à sa manière « Avec deux mots placés au bon endroit...tout prendra aussitôt de la vie. On se trouvera là où l' écrivain aura voulu vous faire venir et l'on ne sera pas comme spectateur-on y sera comme un acteur même du drame ou de la comédie ». Comme chez bien d'autres écrivains de son époque, je retiens de lui ce ciseleur de la phrase, cet artisan du verbe qui savait si bien, par l'usage qu'il en faisait, servir notre si belle langue française!

     

    Je n'ai pas l'intention de me livrer à une exégèse de l'œuvre de Gaston Cherau. D'autres l'ont fait mieux que je ne saurais le faire, mais ce que je souhaite garder de lui, c'est certes l'image d'un écrivain capable d'intéresser et d'émouvoir son lecteur, mais il n'y a pas que cela. A l' heure où l'homme n'est plus qu'un numéro dans une société qui lui demande essentiellement d'être performant, rentable et parfois l'incite largement à la délation et à l'élimination de ses semblables devenus concurrents, je veux retenir de lui l'empreinte de l'humaniste pétri d'humanité et de modestie, en un mot quelqu'un de bien. Un critique contemporain [Serge Barraux] ne s'y est d'ailleurs pas trompé disant de lui qu'il a été « dédaigneux de toutes réclames parce qu'il trouvait dans la noblesse de son art les hautes satisfactions dont peu savent se contenter au pays des Lettres »

     

     

    © Hervé GAUTIER - Septembre 2007.

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  • VIVRE POUR LA RACONTER - Gabriel Garcia MÁRQUEZ-Editions Grasset.

     

     

    N°263 - Novembre 2006

     

     

    VIVRE POUR LA RACONTER – Gabriel Garcίa MÁRQUEZ– Editions Grasset.

    (traduit de l’espagnol par Annie Morvan)

     

    J’ai déjà écrit dans cette chronique à plusieurs reprises combien j’apprécie l’écriture de Gabriel Garcia Marquez. Je n’ai aucune mérite puisque son talent a été largement récompensé, mais quand même ! Jusque là, il était un romancier dont je célébrais les qualités et notamment celles qui consistaient à débuter son texte par une première phrase apparemment anodine et, à partir de celle-ci, de dérouler toute une fiction de plusieurs centaines de pages pour la plus grande joie de son lecteur passionné, déçu simplement par le mot « fin ». Ici, c’est la même chose et ce qui débute le récit «  Ma mère me demanda de l’accompagner pour vendre la maison » vous entraîne pendant six cents pages sans que l’ennui ne s’insinue dans votre lecture. Pourtant ce n’est pas exactement un roman, plutôt une autobiographie, comme l’indique le titre, encore qu’avec lui, il faille se méfier, puisque tout est prétexte à l’écriture et que l’exercice dans lequel il excelle est, avant tout, de raconter une histoire, fût-ce celle de sa propre vie !

     

    A partir d’un voyage effectué avec sa mère dans le but hypothétique de la vente de la maison de son enfance, ses souvenirs remontent de la terre natale comme l’eau d’une source. C’est aussi l’occasion pour lui de nous indiquer qu’à cette époque de sa vie il était étudiant, puis journaliste « dans un hebdomadaire indépendant et à l’avenir incertain », de nous faire découvrir avec quelque effroi, le parcours initiatique qui fut le sien sur le chemin de ce merveilleux état qui, à défaut d’être un métier, est sans doute la plus extraordinaire des raisons de justifier son passage sur terre : être écrivain !

     

    Il est rassurant de lire sous sa plume des conseils qu’on lui donna et qu’il n’oublia pas de mettre en pratique, de « continuer à écrire, ne fût-ce que pour [sa] santé mentale » et de « ne jamais montrer à personne le brouillon qu’[il] est entrain d’écrire »

     

    Pour le plaisir de son lecteur, il remonte le moindre rameau de son arbre généalogique en révélant tous les travers de cette société quelque peu clanique, à la fois intolérante et pétrie de principes surannés, avec un sens de la formule qui n’appartient qu’à lui «  Ce préjugé atavique, dont les séquelles subsistent encore aujourd’hui, a fait de nous une vaste fratrie composée de vieilles filles et d’hommes débraguettés avec toute une ribambelle d’enfants semés dans les rues ». Il nous invite à parcourir les arcanes de ces histoires intimes où les enfants légitimes côtoient les bâtards, où les amours tumultueuses et passionnées de ses parents le disputent aux querelles d’honneur, aux improbables aveux et aux rebondissements inattendus dans un contexte de principes moraux, d’interdits religieux et de retournements de fortune !

     

    Dans cette quête de souvenirs, les fantasmes font bien souvent place à la réalité idyllique, parce que, chez lui aussi la mémoire enjolive les moindres faits, les sublime et y instille un arrière-goût de nostalgie. Il nous invite avec un humour consommé, à parcourir cette enfance, à la fois dissipée et innocente, rapidement désabusée et pourtant amusée, à l’image de l’enfant qu’il était et qui ouvrait sur le monde ses grands yeux étonnés, comme le montre la photo de la couverture. Elle s’est déroulée sous l’égide, sinon sous la bienveillance complice, de son grand-père, ex-colonel dans l’armée révolutionnaire, d’une mère aimante et généreuse, d’un père éternel rêveur un peu volage, de la pauvreté, de la chance … L’auteur y déroule avec humour une vie où son histoire personnelle, faite de lectures, de femmes, d’alcool, d’amitiés, de rencontres dans des bars, des bordels, des salles de rédaction, se confond parfois avec celle de son propre pays. Ce livre montre à quel point sa propre existence nourrit une œuvre littéraire hors du commun.

     

     

    Lire un livre de Gabriel Garcia Marques c’est tout simplement passer un moment merveilleux et j’appliquerai volontiers à cet ouvrage la remarque qu’il fait lui-même «  Je n’ai jamais oublié qu’on ne devait lire que les livres qui nous obligent à les relire ».

     

     

     

  • DOUZE CONTES VAGABONDS - GABRIEL GARCIA MARQUEZ - GRASSET.

     

     

    N°269 – Février 2007

     

    DOUZE CONTES VAGABONDS – GABRIEL GARCIA MARQUEZ – GRASSET.

     

    De ces douze contes vagabonds, je ne dirai rien, sinon qu'ils sont à l'image des textes que Marquez écrits avec un talent et un humour qui ne se démentent pas et qui tiennent en haleine le lecteur dont la curiosité demeure en éveil, de la première à la dernière ligne. Son écriture jubilatoire m'a toujours enchanté. Depuis sa création, cette chronique s'est d'ailleurs fait l'écho de l'œuvre du Prix Nobel, et ce n'est pas maintenant que je vais changer d'avis! Je noterai quand même que beaucoup de ses contes se terminent par la mort ou l'évoquent, mais celle-ci n'est pas triste, n'inspire pas la crainte et n'est pas tabou comme en occident. Au Mexique où vit l'auteur, la mort est joyeuse, elle est une fête lorsque les disparus reviennent visiter les vivants qui leur font fête et célèbrent ainsi leur mémoire. Ils accompagnent les hommes au quotidien...

     

    On lit rarement les prologues. Celui-ci est intéressant. L'auteur y évoque le processus de l'écriture, au vrai, une véritable alchimie avec ses biffures, ses ratures, ses épluchures de gomme, ses hésitations, ses archivages minutieux, ses incertitudes d'avenir... Il parle aussi du plaisir d'écrire, car c'en est un, malgré l'impérieuse nécessité de la correction, l'implacable dictature de l'inspiration, la disponibilité obligatoire de l'auteur devenu son esclave volontaire, la nécessité du travail toujours recommencé“[au]plaisir d'écrire, le plus intime et le plus solitaire qui soit, et si l'on ne passe pas le restant de ses jours à corriger le livre c'est parce qu'il faut s'imposer, pour le terminer, la même implacable rigueur que pour le commencer”. Il rappelle lui-même, comme une sorte de consolation “qu'on apprécie un bon écrivain à ce qu'il déchire plus qu'à ce qu'il publie”. Et lui de parler de l'incessant vagabondage de ces contes “entre [son] bureau et sa corbeille”, soulignant ses doutes, ses renoncements, son travail toujours recommencé. Son recueil tire de là son titre, sans doute?

     

    Dans ce contexte du temps qui passe, de la mémoire qu'un écrit conserve des lieux et des personnages évoqués alors que l'auteur lui-même en est oublieux, Marquez note “Les souvenirs réels me paraissaient des fantômes de la mémoire tandis que les faux souvenirs étaient si convaincants qu'ils avaient supplanté la réalité. Si bien qu'il m'était impossible de discerner la frontière entre la désillusion et la nostalgie”. Remettre sur le métier un texte en se disant qu'il sera meilleur plus tard, cela joue des tours et il note non sans humour “ Je n'ai jamais relu aucun de mes livres par crainte de me repentir de les avoir écrits”. C'est que, il l'avoue lui-même, les douze contes qui composent ce recueil ont été écrits au long de dix huit années. Certains ont connu des fortune diverses, mais Marquez insiste, ne serait-ce, dit-il, qu'à l'usage des enfants qui veulent devenir écrivains,”Qu'ils sachent...combien le vice de l'écriture est insatiable et abrasif”. Dont acte, car il sait de quoi il parle!

     

    Les idées viennent au créateur par des voies détournées et souvent inattendues, à travers le voyage ou l'immobilité, l'éveil ou le songe, mais ce qu'il sait en revanche, et il est le seul à le savoir, c'est qu'il ne doit pas les laisser s'évanouir dans l'oubli, il doit obligatoirement les travailler, les exploiter, les faire grandir... Et ce d'autant plus qu'elles lui ont été offertes gracieusement, mais en même temps avec la conviction intime qu'il est en quelque sorte le débiteur de cette voix mystérieuse que d'aucuns habillent de divinité, mais à la disposition de laquelle il doit se mettre sans même discuter, sous peine de n'en être plus jamais le sujet... Abandonner une bonne idée peut être un signe d'humilité, mais la prudence oblige parfois à l'archivage. On ne sait jamais! C'est vrai que l'écrivain, si célèbre soit-il, se doit d'être humble devant le phénomène même de l'écriture. Il n'ignore pas, en effet, qu'il reste totalement dépendant de cette vibration extraordinaire dont il a fait son métier, et ce malgré toute sa culture, tout son travail, toute son expérience et toute sa sensibilité... Même pour l' écrivain, l'écriture reste un mystère! L'état d' écrivain a ses grandeurs, mais aussi ses servitudes!

     

    L'auteur est aussi un témoin, non seulement de sa propre personnalité, de son propre talent, mais aussi, et peut-être surtout, de son temps, du peuple dont il fait partie, de la culture qu'il incarne, de la condition humaine.

     

    Ces contes procurent un moment unique de lecture, mais j'apprécie aussi la préface, elle rappelle des vérités sur le matériau même du livre, l'écriture!

     

     

     

     

  • QUELQUES MOTS SUR GABRIEL GARCIA MARQUEZ [à travers trois livres]

     

     

    N°298– Avril 2008

    QUELQUES MOTS SUR GABRIEL GARCIA MARQUEZ [à travers trois livres]

    Je ne sais pas ce qui motive cette lecture effrénée de Marquez, sans doute l'inflation de ce qui se publie actuellement qui n'implique malheureusement pas la qualité de l'écriture et qui m'entraîne insensiblement à lire et à relire les bons auteurs, en tout cas ceux qui ont la particularité de m'étonner. Marquez est de ceux-là et les lecteurs de cette chronique savent l'intérêt jamais démenti que je lui porte. Il est un des rares qui peut raconter une histoire à partir de trois mots anodins en apparence mais qui captive son lecteur pendant plusieurs centaines de pages sans que l'ennui s'insinue dans la lecture. Le seul nom de Marquez retient mon attention. Plus sans doute que les autres auteurs, il s'empare de la réalité, que cela soit de sa propre vie ou de l'histoire, se l'approprie et en fait une fiction merveilleuse.

    Par exemple « Pas de lettre pour le colonel »[Editions Grasset] raconte l'histoire, sur fond de misère et d'improbables tribulations autour d'un coq de combat, d'un ancien combattant péruvien, colonel à 20 ans, qui attend désespérément, depuis de trop nombreuses années une pension d'ancien combattant qui ne viendra jamais, à cause du perpétuel changement de gouvernement, des restrictions budgétaires et surtout de l'oubli général...

    Dans le style du journaliste qu'il a été, Marquez évoque dans « Journal d'un enlèvement »[Editions Grasset] cette période délétère de l'histoire de la Colombie émaillée d'enlèvements, d'assassinats politiques, de terrorisme, d'attentats, de guerrilla, de corruption sur fonds de lutte contre les narco-trafiquants du cartel de Medellin, les complexités du pouvoir politique, des descentes meurtrières de police. Ce n'est pas à proprement parler un livre dans le droit fil des romans quelque peu baroques de Marquez. Ici, le registre est plus sobre pour évoquer l'angoisse, les espoirs des otages et de leurs familles. Ce livre pourtant publié en 1997 est malheureusement d'actualité puisqu'il évoque une triste habitude de la Colombie de pratiquer l'enlèvement.

    Avec « Le général dans son labyrinthe »[Editions Grasset] , je note que ce roman est dédié à Alvaro Mutis dont il a été longuement question dans cette chronique depuis sa création.] Marquez renoue avec son style teinté d'humour subtil que des formules laconiques soulignent à l'envi. Mêlant fiction et réalité, Il s'empare du personnage à ce moment précis et narre le dernier voyage du général Bolivar, héros de l'Amérique Andine, qui ayant quitté le pouvoir, part pour un exil sans retour et renoue avec ses souvenirs guerriers et glorieux, avec celui des femmes qui partagèrent fugacement sa vie. Il jette un regard désabusé sur ce que fut sa vie, mais aussi sur l'ingratitude de ses contemporains et sur la condition humaine, le sens de cette vie qui s'achève.. C'est que, après tant d'année à guerroyer contre les Espagnols, il entame, en compagnie de son hamac et de son fidèle serviteur, son dernier voyage, celui qui le conduira à la mort. C'est un récit à la fois émouvant et épique des quatorze derniers jours d' « El Liberador » qui voyait ainsi s'achever cette vie labyrinthique qui aurait pu être celle d'un paisible propriétaire mais que le destin a fait basculer. J'y vois l'hommage d'un Colombien illustre à un compatriote qui ne l'est pas moins.

     

     

     

     

  • Deux écrivains sud américains – Gabriel Garcia MARQUES – Alvaro MUTIS

     

    Je ferai à peu près la même remarque à propos de l’excellent roman d’Alvaro Mutis « Un bel morir » (GRASSET) qui retrace la vie aventureuse de Maqroll El Gaviero avec un art consommé de la narration.

     

    Ce personnage qui mène une existence folle et amoureuse sur tous les endroits malfamés du globe a tous les attributs du marin qu’il est. Pourquoi cependant est-il venu se perdre dans ce coin de la Cordillères et est-il devenu le complice un peu involontaire de trafiquants d’armes ? Pourquoi est-il innocenté par un militaire et va-t-il mourir dans les marais à la barre d’une mauvaise embarcation, un peu comme quelqu’un qui choisir de mettre un terme à un voyage trop long et fatigant, aux confins de la terre et des eaux, où on ne distingue pas vraiment l’un de l’autre.

     

    Il a donc posé son sac d’aventurier avec le souvenir de toutes les femmes qu’il a aimées.

     

    Il est de la race des héros mythiques qui n’en finissent pas de mourir et de ressusciter (n’a-t-il pas deux noms ?) et que personne, surtout pas l’auteur lui-même, ne peut ni ne doit tuer, même d’un coup de plume !.

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • Deux écrivains sud américains – Gabriel Garcia MARQUES – Alvaro MUTIS

     

    N°75

    Août 1991

     

     

     

    Deux écrivains sud américains – Gabriel Garcia MARQUES – Alvaro MUTIS

     

    Je n’ai vraiment aucun mérite à conseiller la lecture de « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marques.

     

    On ne se lassera pas de lire ce roman où le style n’a d’égal que les invraisemblables mais passionnantes aventures qu’il raconte. J’avoue, comme à chaque fois que j’ouvre un de ses livres que je prends le même plaisir à goûter son exceptionnel talent qui accapare le lecteur dès la première phrase et l’abandonne, un peu désorienté à la dernière en l’ayant entraîné dans un autre univers où le temps semble battre à un rythme différent du nôtre et où le destin des acteurs de cette grande épopée se déroule dans un microcosme à l’abri du reste du monde.

     

    Dans cette saga où les personnages paraissent vivre à la dérive dans une marginalité délirante, le quotidien le dispute au merveilleux avec toujours cette verve poétique si attachante.

  • L'OGRE - Jacques CHESSEX - Grasset [Prix Goncourt 1973]

     

    N°320– Novembre 2008

    L'OGRE – Jacques CHESSEX Grasset [Prix Goncourt 1973]

    Automne 1972, Jean Calmet, la quarantaine, célibataire, professeur de latin au lycée de Lausanne assiste, en compagnie de ses frères et sœurs et de sa mère, aux obsèques de son père, « le Docteur » Paul Calmet. C'était une force de la nature, aimant son travail, le vin, les servantes d'auberge et allant même jusqu'à dépuceler la jeune fille que son fils courtisait avec une gauche tendresse. Un « personnage » mais surtout le type même du tyran familial! Devant lui chacun a réagi à sa manière. La mère qui a vécu dans son ombre, soumise effacée et veule. La vie de Jean « aurait été une autre vie si elle s'était révoltée ». Il lui en veut de son attitude démissionnaire. Elle n'a été toute sa vie, face à ce mari abusif «[qu'] une espèce de vielle souris effacée et terrifiée ».Ses frères Étienne, l'ingénieur agronome avait fui cette famille et Simon, l'instituteur « le préféré de [la] mère » s'intéressait aux oiseaux, Hélène était devenu infirmière et Anne courait le monde et changeait souvent d'amants. Face à eux Jean, le cadet, avait choisi l'enseignement du latin. Il est un professeur aimé de ses élèves. Ils avaient tous quitté cette famille assassine, mais lui était resté, sans oser réagir, à la disposition de ce père qui l'avait tué à petit feu.

    De cet homme craint, aimé bizarrement, admiré, mais surtout honni, il ne reste plus que des cendres enfermées dans une urne que la famille va aller déposer dans un columbarium. Jean n'a pas tué son père comme il l'aurait voulu, mais ce dernier n'est plus rien. Le temps paraît suspendu et chaque instant consacré au choix des gestes est relaté avec une lenteur maladive et obsédante, noyé dans un faux chagrin de circonstance. Le mouvement qui présidait à l'action paternelle quotidienne trouve son « double-opposé » dans la description minutieuse de toutes des phases de la cérémonie! Il y a l'absence du père et avec elle une sorte de libération. Tout va enfin devenir possible, les réconciliations, les retrouvailles, tout ce temps perdu qu'on va enfin pouvoir gommer! La vie, en effet, continue, comme on dit, et avec elle le temps qui s'écoule, la beauté des femmes, la nature qui renaît, les cours qui reprennent. L'auteur distille cette certitude à travers des descriptions poétiques, lumière et émotions, ombres et images douces, amours volées avec cette « fille aux chat », nom donné par lui à cette jeune fille, étudiante aux Beaux-Arts, dont il devient l'amant maladroit et impuissant et qui le plongea tout de suite «  dans la joie mystérieuse et folle de Dionysos ». Cette image pose question par l'interprétation que le lecteur peut en donner. Ce n'est pas ici le Bacchus latin, dieu du vin de la vigne et de ses excès, mais le dieu grec, errant, de nulle part et de partout, né « de la cuisse de Jupiter [Zeus]» qui avait une place importante dans le rituel de la mort et de la renaissance. Il était lui, Jean Calmet, le fils modeste et égaré de ce Zeus tout-puissant, fils de son père, fils du « docteur »...

    L'épisode du café où Jean sort de ses gonds dans le seul espoir d'exorciser la présence latente de ce père mort qui pourtant l'obsède toujours, le dévore, est révélatrice. Même les exercices érotiques de Thérèse, sa partenaire ne suffisent pas à le guérir de ses obsessions! Il ne trouve son plaisir que dans la masturbation solitaire! L'entrevue chez le Directeur Grapp n'arrange rien. Il est un peu le substitut de son géniteur envahissant dont il évoque d'ailleurs la figure et qui lui parle comme un père! Pourtant il se réfugie auprès d'une prostituée, cette Pernette- Denise, elle -même porteuse de l'image du père, « féminin de Dionysos, la sœur, la fille, la compagne exaltée du divin! ». Cette substitution du Directeur prend toute sa mesure lors de la révolte des élèves qui révèle encore une fois la figure de Grapp, autoritaire, dominateur, colérique, comme le docteur Paul Calmet!

    Pourtant l'ombre tutélaire du géniteur continue à planer sur Jean. Sa vie entière lui revient à la figure, cette vie torturée par ce père qui n'a même pas respecté ses envies gauches d'adolescent, qui n'a pas su comprendre ses interrogations et ses craintes de l'avenir, qui l'a humilié. Loin de constituer une libération, la mort du père accentue au contraire l'emprise malsaine qu'il avait sur Jean. Son pouvoir s'aggrave au point d'être plus présent, plus dévorant que lorsqu'il était vivant. Il redevient cet « ogre » qu'il n'a jamais cessé d'être. Cette mort est comme un nouveau rendez-vous où ce père, plus présent qu'avant qui a toujours fagocité l'existence même de ce fils. A chaque instant de la vie de Jean, son père a été présent au mois en pensées, au point qu'il a annihilé chez ce fils toute la joie qu'il pouvait tirer de son quotidien. Que ce soit ses amours avec cette étudiante des Beaux-Arts, Thérèse, qui pourrait être sa fille, la maladie et la mort d'une de ses élèves, la rencontre fortuite d'un hérisson un soir d'été, ou la cérémonie prémonitoire du rasage, tout cela semble enveloppé par le regard du père omniprésent.

    A l'occasion d'une rencontre et d'un dialogue un peu surréalistes avec un chat, Jean prend conscience de sa propre mort, de son néant. L'auteur nous dit qu'il prend malgré tout conscience de son inexistence personnelle, de son défaut d'appétit de la vie et ce malgré la disparition de ce père enfin mort. Cette remarque est particulièrement affirmée dans l'épisode sans joie qu'il vit avec la prostituée.

    La jalousie que Jean ressent à la liaison de Thérèse et d'un de ses élèves ne suffit pas à le faire changer face à la vie, bien au contraire. Il revit, en quelque sorte et mutatis mutandis, l'échec qu'il a eu au temps de son adolescence avec cette jeune fille qui lui préféra son père. Cette relation révèle son impuissance et souligne encore davantage sa volonté de se sous-estimer, de se rabaisser à ses propres yeux. Il est l'archétype de celui qui ne s'aime pas! Sa mère elle-même ne peut rien face à son mal de vivre.

    Les femmes apparaissent comme pouvant être l'antidote à cette omniprésence du père mort mais finalement se révèlent incapables, même par l'amour qu'elles veulent lui donner, ou par leur seule présence, d'exorciser cette absence de goût pour la vie! «  Je suis donc fait pour souffrir » se répète-t-il comme en se complaisant dans cette affirmation, craignant peut-être que son père ne revienne pour l'anéantir tout à fait!

    Il ne peut effectivement plus réagir même face au manipulateur nazi auquel il ne peut même pas résister au point d'insulter son ami juif. Lâcheté ou désespérance, signe de décrépitude? Il se sent peu à peu happé par la mort sans pouvoir ou sans vouloir y résister, un peu comme si ce père décédé pesait encore sur son fils

    Comme j'ai eu souvent l'occasion de l'écrire dans cette chronique, la valeur d'un livre ne réside pas dans sa récente publication ni même dans les prix et distinctions qui lui ont été attribués. Seule la permanence du message qu'il renferme m'intéresse.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2008.http://hervegautier.e-monsite.com 

  • RECIT D’UN NAUFRAGE – Gabriel Garcia MARQUEZ – Editions Grasset.

     

    N°158

    Juin 1993

     

     

     

    RECIT D’UN NAUFRAGE – Gabriel Garcia MARQUEZ – Editions Grasset.

     

     

    Il s’agit d’une histoire contée par un marin, un de ces hommes en perpétuelle errance qui ont choisi la mer pour fuir ou chercher quelque chose sans trop savoir ce que c’est.

     

    Le décor : la mer des Caraïbes qui a vu tant de navires disparaître et où le mystère s’épaissit à chaque naufrage.

    Le récit : après l’accident d’un destroyer de la Marine colombienne, l’histoire d’un homme qui se débat et survit sur un radeau à la faim, à la soif, à la peur, aux hallucinations, avec l’espoir de croiser un avion ou un bateau.

     

    Comme je l’ai déjà dit dans cette chronique, Gabriel Garcia MARQUEZ est un de ces écrivains qui prennent et passionnent leur lecteur dès la première ligne et ne l’abandonnent qu’à la fin du roman, grisé de dépaysement et toujours un peu déçu que le récit soit déjà terminé.

     

    En outre, il est de ces écrivains sud-américains dont le style possède cette musique, cette odeur, et cette chose intraduisible qui fait dire au lecteur qu’il a passionnément aimé un livre.

     

     

     

     

  • ET SI C'ÉTAIT VRAI - Marc LEVY - Robert LAFFONT.

     

    ET SI C'ÉTAIT VRAI – Marc LEVY - Robert LAFFONT.

    Que reste-il, le livre refermé? Une histoire d'amour surréaliste entre un homme bien réel, normalement constitué et le fantôme d'une femme médecin, décédée quelques mois auparavant dans un accident de voiture mais dont le corps continue de vivre dans une chambre d'hôpital, dans un coma dépassé, un projet rocambolesque d'enlèvement de ce corps avec la complicité active du « fantôme », une enquête policière à peine esquissée et déjà bouclée avec l'aide inattendue d'un policier aux portes de la retraite, et, à la fin, un « happy end » un peu facile!

    Je veux bien que l'intrigue se passe aux États-Unis, pays de toutes les extravagances, je veux bien que la fiction soit, par définition, un récit imaginaire où l'auteur fait naître l'intérêt de son lecteur par la qualité de son écriture, l'art de distiller le suspense jusqu'à la dernière ligne... J'aime ce genre littéraire pour cela! Je veux bien que cela soit le prétexte à un hymne à la vie, à l'amour, au merveilleux, mais aussi évoque la mort, la souffrance, le souvenir, l'absence insupportable de ceux qu'on a aimés et qu'on ne reverra plus... Ce sont là des choses qui ont trait à la condition humaine et qui parlent à chacun d'entre nous, mais quand même!

    Je n'ai pas aimé ce livre, ce qui y est décrit me paraît trop artificiel et sans réel intérêt malgré la phrase engageante de la 4° de couverture, répétée dans le roman : « Ce que j'ai à vous dire n'est pas facile à entendre, impossible à admettre, mais si vous voulez bien écouter mon histoire, si vous voulez bien me faire confiance, alors peut-être vous finirez par me croire et c'est important car vous êtes, sans le savoir, la seule personne au monde avec qui je puisse partager ce secret. »

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2008.
    http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • DEUX ROMANS DE GABRIEL GARCIA MARQUEZ.

     

     

    N°146

    Février 1993

     

     

     

    DEUX ROMANS DE GABRIEL GARCIA MARQUEZ.

     

     

    J’ai déjà écrit dans cette chronique que la récente publication d’un livre n’était pas le seul critère d’intérêt pour le lecteur. L’ouvrage reste permanent et garde en lui sa part de rêve et de dépaysement. Il n’attend que l’amateur.

     

    *

     

    Ainsi ces deux ouvrages de Gabriel Garcia Marquez, La Mala hora tout d’abord qui a pour décor un petit village de Colombie écrasé de chaleur où s’abattent parfois des orages tropicaux qui balayent tout sur leur passage et transforment le fleuve tout proche en un impétueux torrent de boue. Il ne s’y passe rien sinon que dans ses rues et entre les murs de ses maisons enfle une rumeur qui se nourrit d’affiches anonymes apposées nuitamment... Elles apportent au village son lot d’incertitudes et de doutes…

     

    César Montero tue un matin l’amant de sa femme. Dès lors vont entrer en scène pendant dix sept jours le Maire, torturé par une rage de dents, le Père Angel, absorbé par les devoirs de sa charge… Cependant le temps semble s’écouler avec la lenteur qui sied à ces latitudes, mais ces cieux tourmentés ont aussi connu, il n’y a pas si longtemps la guerre civile avec ses querelles politiques , ses assassinats. L’absence de légitimité des gouvernants le dispute à la soif de revanche des opposants.

     

    Pourtant, on affirme bien haut que les choses ont changé, et ce, malgré les affiches qui ne révèlent rien qu’on ne connaissent déjà. Cependant les passions finiront par se déchaîner et la terreur reprendra comme avant.

     

     

    *

     

     

    Le second ouvrage, qui est aussi le premier de Garcia Marquez met l’accent sur un thème qui lui est cher, celui de la solitude. Des feuilles dans la bourrasque rassemble au début trois personnages autour d’un cercueil. Chacun donne libre cours à ses pensées. Ils évoquent le mort, un médecin qui vient de se pendre, un homme que tout le village exécrait parce qu’il avait un jour refusé de soigner des blessés et qui depuis vivait reclus chez lui.

     

    A cause d’une promesse l’un des personnages, un vieux colonel, va l’enterrer pour qu’il ne soit pas la proie des vautours. Il le fera malgré la haine du village de Macondo, jadis enrichi par une société bananière et qui maintenant n’est plus que l’ombre de lui-même…

     

    Cette impression de solitude est accentuée par les monologues entrecroisés des différents personnages. Le décor de ce roman, autant que le thème qui y est traité préfigurent déjà l’œuvre de Garcia Marquez.

     

    Ces deux romans sont publiés chez Grasset.

     

  • ONITSHA - Jean Marie Gustave LE CLEZIO - Gallimard

     

    N°318– Novembre 2008

    ONITSHA – Jean Marie Gustave LE CLEZIO – Gallimard.

    J'ai un peu honte de l'avouer, mais, jusqu'à la lecture de ce livre, je n'étais pas parvenu à entrer dans l'univers et le voyage de Jean Marie LE CLEZIO. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir plusieurs fois essayé!

     

    C'est un peu fastidieux de résumer l'histoire, pourtant c'est celle d'un jeune garçon de douze ans, Fintan, qui, en 1948, part pour l'Afrique, en compagnie de sa mère Maou, rejoindre à Onitsha son père qu'il ne connaît pas. Ce sera en même temps que la rencontre avec son géniteur, la découverte de ce continent également inconnu de lui comme il l'est de sa propre mère et qui va se révéler à eux. Fintan va en Afrique parce que son père le lui demande «  Je suis Geoffrey Allen, je suis ton père, viens avec moi à Onitsha ». Cette phrase est comme un leitmotiv dans ce roman. Il accomplit ce voyage de France jusqu'en Afrique en compagnie de sa mère, comme un parcours initiatique en mer, sur un vieux bateau, parenthèse nécessaire à cette transition entre deux mondes mais aussi, pour le jeune garçon de douze ans, cette envie d'écrire qui naît en lui et croît à mesure que lui même grandit. «  Un long voyage », tel est le titre de ce récit qu'il entame en même temps que que sa progression vers le port fluvial d'Onitsha sur le fleuve Niger. C'est une écriture naïve, naissante et un peu gauche, mais c'est là une manière de se délivrer d'une solitude née de l'enfance qu'il quitte en même temps qu'il abandonne la France. L'énigme ici s'habille d'un possible parallèle entre l'auteur et Fintan.

     

    C'est que de cette Afrique, chacun de ces trois personnages, rêve différemment. Pour Maou, il ne s'agira pas de cette vision un peu romantique qu'elle pouvait en avoir, mais elle se révèle à elle à travers des odeurs âcres, une nature sauvage et hostile, une société cruelle, raciale et torturée par la colonisation anglaise, dévorante, insaisissable parfois, loin de son rêve d'européenne. C'est pourtant dans un lieu différent de l'Europe qu'elle vit désormais et on imagine facilement que cela ne lui déplaît pas. Maou est amoureuse de son mari qu'elle part rejoindre, mais c'est aussi une femme énigmatique secrète et envoûtante que les autres hommes regardent avec envie.

     

    Pour Geoffrey, ce pays, c'est d'abord son métier à « l'United Africa », mais c'est aussi et peut-être surtout une géographie aux multiples légendes, celle de Méroë, ce royaume mythique qui aurait été fondé ici par Arsinoë une reine noire égyptienne, descendante des pharaons et qui le hante. Il partira pourtant d'Onitsha mais gardera jusqu'à sa mort l'obsession de cette quête «  Puis la lumière décroît, l'ombre entre dans la petite chambre, recouvre le visage de l'homme qui va mourir, scelle pour toujours ses paupières. Le sable du désert a recouvert les ossements du peuple d'Arsinoë. La route de Méroë n'a pas de fin »

     

    Il y a d'autres personnages non moins intéressants et quelque peu énigmatiques. Sabine Rodes, anglais marginal mais qui ne fréquente pas ses congénères, qui a l'intuition de l'effondrement de l'empire colonial et qui mourra avec lui. Son vrai nom n'est révélé qu'à la fin et il est peut-être le vrai père de Fintan. Il y a aussi Oya, pauvre fille sourde et muette, dans qui Geoffroy veut voir l'incarnation d'une reine noire...

    Il y a peut-être un autre personnage plus impalpable, l'Afrique qui se révèle à Fintan avec tout son décor, son atmosphère hors du temps à travers la pauvreté des africains réduits en esclavage. Pour lui cependant, elle est une terre de liberté et de grands espaces que Sabines Rodes lui fera découvrir.

    L'atmosphère générale du livre m'a parut apaisante, malgré le thème, à cause du style sans doute, à la fois dépouillé et simple, mais aussi narratif poétique et musical. Il vise simplement à ce que l'auteur soit compris de son lecteur. L'histoire est simple. Elle est donnée à voir au lecteur. Pourtant il s'agit, m'a t-il semblé, d'une révolte profonde dont a voulu parler Le CLEZIO.

     

    © Hervé GAUTIER – Novembre 2008.http://hervegautier.e-monsite.com 

  • LONGTEMPS JE ME SUIS COUCHE DE BONNE HEURE - Jean-Pierre GATTEGNO

     

     

    N°315 – Octobre 2008

     

    LONGTEMPS JE ME SUIS COUCHE DE BONNE HEURE – Jean-Pierre GATTEGNO [Acte Sud].

     

    Cela n'a l'air de rien, mais cet ouvrage illustre à sa manière très personnelle l'attrait, l'intérêt que peut susciter la première phrase d'un livre. Le quidam la lit, puis, sans raison, sans savoir pourquoi, il est happé par ce peu de mots, puis poursuit avec la deuxième ... et se surprend à pousser sa lecture jusqu'à la fin sans que l'ennui s'insinue dans sa démarche, transformant le moment consacré à la lecture, que d'aucuns regardent comme un perte de temps, en un moment de pur plaisir.

    Cette chronique s'est souvent fait l'écho de ces auteurs qui captent à ce point un individu que le hasard met en présence de leur livre, le transforment presque aussitôt en témoin passionné de leur voyage, lui prêtent cette merveilleuse ivresse des mots, bref en font un lecteur attentif, enthousiasmé par le récit et presque déçu d'arriver, sans s'en rendre compte, à la fin de ce roman qui lui a procuré tant d'agréments qu'il ne sait lui-même comment l'exprimer et se contente de dire que cela lui a plu. Cette grande économie de mots cache souvent une foule d'impressions à jamais inexprimées comme si c'était déflorer le livre que d'indiquer en quoi il a été à ce point attachant. C'est comme le fil d'un écheveau qu'on tire et qui se déroule en apportant à son curieux amateur un soudain intérêt.

    Ainsi Jean-Pierre Gattegno prend-il pour titre de son roman la première phrase mythique d'un roman de Marcel Proust. C'est plutôt une bonne illustration, sauf qu'en ce qui me concerne, je n'ai jamais pu lire l'auteur de « Du Côté de chez Swann »!

     

    Il y a l'histoire, celle d'un petit truand minable, Sébastien Ponchelet, que la prison met en présence d'un détenu cultivé et amateur d'art, voleur de tableau... et grand lecteur. Pendant sa liberté conditionnelle il travaille chez un éditeur parisien, mais son emploi de manutentionnaire rend sa vie terne. Pourtant, il va croiser dans le métro une femme à qui la lecture prête un regard pétillant et un manuscrit raturé et annoté qui va bouleverser sa vie et le faire pénétrer dans l'univers des livres. Cette femme, pourtant personnage furtif de ce récit, me semble avoir un vraie épaisseur avec sa beauté énigmatique, son indifférence feinte, sa compréhension de Sébastien. Je retiens une de ses phrases «  Voilà, je préfère l'amour des livres, même quand ils sont mauvais, il y a toujours quelque chose qui les sauve... ». Elle est le prétexte à l'évocation d'un autre monde qui jouxte celui de l'édition, de l'écriture, comme Sébastien peut l'être de la peinture également évoqué à travers une foule de tableaux... et avec son pendant, celui du faux.

    Même s'il ne lit pas ce manuscrit comme un passionné, ces quelques mots vont être pour lui le point de départ d'une réflexion, d'un questionnement introspectif. Les annotations et les corrections apposées successivement en marge d'un manuscrit ou d'un livre sont l'illustration d'une sorte de partition silencieuse, une discussion secrète dans un improbable huis clos entre deux personnes qui ne se connaissent pas et qui ne se rencontrerons jamais.

     

    Il y a aussi le style, direct et sans fioriture qui rend ce texte attachant.

     

    Cela rejoint un peu la remarque de Jean-Marie Le Cléziot, Prix Nobel de littérature 2008 qui, nouvellement couronné, conseillait simplement au reste du monde de continuer à lire des romans. Celui-ci fait partie de ces ouvrages qui sont autant de moments jubilatoires dont il serait dommage de se priver.

     

     

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2008. http://hervegautier.e-monsite.com 

  • PATMOS et autres poèmes – LORAND GASPAR – Collection Poésie Gallimard.

     

    N°250 – Juin 2004

     

     

    PATMOS et autres poèmes – LORAND GASPAR – Collection Poésie Gallimard.

     

     

    J’ai toujours plaisir à célébrer l’anniversaire de cette modeste revue par la lecture d’un écrivain d’exception. Lorand Gaspar avait déjà accompagné le 23°, il sera donc le prétexte au 25°, et je ne peux que m’en réjouir.

     

    Comment le dire ? J’ai abordé ce livre comme un objet tout d’abord posé sur ma table, en le regardant, le tournant, le prenant en mains avant de l’ouvrir parce le moment de goûter son message n’était probablement pas encore venu. Mais quand le temps de cette communion intime avec le recueil s’est manifesté, il m’a fallu pouvoir abandonner toutes choses et me lancer, porté par cette musique et ce mystère parce que c’était maintenant et que l’instant d’après ce serait trop tard !

     

    Il faut peut-être entrer dans cet univers fait de fragrances, de sons, de couleurs par la porte des mots parce qu’il y a une douceur mystérieuse dans cette écriture, dans l’apaisant mouvement du langage qui berce l’âme, la subtile lueur d’une image simplement tissée dans la clarté de l’instant singulier qui est celui où le souffle de l’inspiration révèle sa force et la prête à celui qui est digne de la recevoir pour la transmettre à son tour par l’alchimie de notre si belle langue française aux autres êtres humains !

     

    C’est le miracle de la vie qui à chaque vers est célébré dans ce livre, c’est l'appel à une lecture neuve, à l’image de cette écriture libérée des entraves, habile à décrypter les pulsations de la nature dont le poète retisse lentement la réalité. Fragilité est ici écrit en lettres majuscules parce que l’auteur de « Sol Absolu » sait et nous rappelle que tout ici-bas est transitoire mais que peu d’hommes en prennent conscience. Sous sa plume, chaque son est une musique et les ongles grattent la portée invisible des cordes instrumentales pour en tirer quelque chose, plainte ou douce lumière, qu’importe. Seul le message compte ! C’est la vie qui gagne parce qu’elle est permanence, parce qu’il sait regarder, écouter et sentir, s’arrêter et perdre son regard dans l’immensité de la mer et du ciel, qu’il sait tomber sous le charme de l’imprévu. !

     

    L’auteur est bien un veilleur, un vigile attentif des lieux, sais les dire, les célébrer simplement qu’ils aient pour nom Patmos, Sidi Bou Saïd, Judée, Mer Rouge ou Saint Rémy du Val… C’est toujours le monde, celui de la Création dont il parle avec simplicité et respect. Face à lui, il sait être pudique, secret et assurément humble. Il sollicite les cinq sens avec en plus peut-être cet art des contrastes qui fait ressortir la vraie beauté des choses, l’usage de l’oxymore, l’opposition entre noir et blanc, froidure et chaleur, clarté et obscurité, le jour et la nuit l’occident et la Chine « à l’âme inoubliée ».

     

    Cet attachement à une maison dont les fondations ( « les amarres » s’enfoncent dans le sable ou la pierre n’est pas moins important car elle est un refuge, un espace qui favorise le repli sur soi pour mieux renaître à cette permanence de la vie. Elle est aussi un jalon, une borne, une sorte d’auberge du silence où se manifeste, ici plus qu’ailleurs sans doute les vibrations qu’il convient de quérir. Ici on porte témoignage, un témoignage intime de sensations et de sentiments en prenant soin de dire les choses, mais aussi en gardant secrètement des parcelles de ces mêmes choses parce qu’elles doivent rester inavouées et temporairement retenues, peut-être aussi parce qu’elles sont indicibles, parce que les mots ne sont pas encore prêts qui les exprimeront complètement. Ce long mûrissement auquel se prête le poète ne peut qu’enfanter des textes qui s’inscrivent dans la durée, dans le temps et dans la mémoire.

     

    Il y a une manière originale de nommer sobrement les choses, la lecture s’offrant simplement avec les nuances du poème en n’oubliant pas que la parole est délicate mais aussi source de vie, née entre deux néants, du silence d’avant et d’après les mots, simples vibrations dans l’air ou traces sur le papier, mais qui pourtant devient pérenne. Il compose son texte comme un peintre son tableau pointilliste, par petites touches, jouant sur les contraires, avec une prédilection peut-être pour le blanc aérien face au noir de l’encre mystérieux et inconnu. Les gris qui gardent la mémoire des formes sont revisités, éclaircis, imprimés fugacement sur les murs chaulés, empreints d’un silence chaud. Les différentes gammes de bleu se déclinent entre mer et ciel, jusqu’à la fumée vaporeuse et odorante de l’encens, du « bleu écaillé d’une barque » ou des « gris-bleus et des verts délavés » qui évoquent pour lui des variations musicales de Debussy.

     

    Il y a l’eau, celle de la mer, celle de la pluie, élément liquide extraordinairement lustral, fluide et matinal qui lave même le regard. La rosée où se lavent les mots, l’eau de mer « où le silence aussi s’entend » sur laquelle le pêcheur, « danseur ébloui sur une nappe de frémissements translucides » semble marcher, à la fois transparente de près et bleue de loin qui accompagne le bruit sec et répété du ressac qui meurt et renaît dans un mouvement d’écume ; cette clarté m’évoque la page blanche, à la fois vide et invite à la création, l’eau de la rosée, celle du torrent dont les eaux «emportent les mots (qu’il) cherche », celle du baptême qui « jaillit des jardins nocturnes du corps », celle de la source dans ce qu’elle a de virginal et de frais, née de la terre elle va vers la mer après ses noces avec la terre et les pierres, eau durcie en cristaux de neige, eau des sanglots, celle qui « tremble dans l’œil » aussi…

     

    L’art de l’hypotypose qui donne à voir une scène par la seule force évocatrice des écrits est présent chaque page avec aussi ce sens de l’image poétique. Il parle de « poignée d’écume » de « tout le rayonnement de midi moulu dans une poussière d’eau » d’ « une lame d’acier cru » ou de la « vendange du raisin de mer » « l’abîme muet du toucher », « la rugine du matin », les « Sons brodés par la nuit » ou des « grappes de pensées »… Il prête au lecteur attentif des visions fugaces, de brefs moments de vie, d’éphémères images d’un lieu avec juste ce qu’il faut de senteurs et de couleurs pour que la trame de la scène effleure l’imaginaire. C’est une sublimation de l’instant poétique dans ce qu’il a d’immédiat, d ‘unique et de bouleversant. Il y a dans ce moment tout chargé de mystères, malgré, ou peut-être à cause de son aspect quotidien et presque banal mais Ô combien précieux pour qui sait en discerner la richesse, une sorte de dimension à la fois bienvenue et impalpable un peu comme les calligrammes chinois tracés à mainlevée par Wang Mo. Il y a quelque chose d’intemporel aussi dans ces poèmes parce que la vie est unique et que les pierres du désert éclatés en sable par le gel, étaient, il y a bien longtemps, des montagnes. Dire les choses avec une grande économie de mots est bien l’apanage de notre auteur parce que les paysages prêtés au « regard » du lecteur possèdent aussi ce dépouillement !

     

    Il célèbre en la nommant « la pure jouissance d’être », ce « mystère d’être là » devant « l’agrafe d’or d’un feu », percevoir « le pain très blanc d’un cri » profiter du « goût exquis du rouget grillé aux herbes sur braise », regarder « l’irruption des martinets ivres d’un festin joyeux absorbés totalement par l’exercice de vivre ». Il y a une sensualité de bon aloi dans cette écriture, cette « étrange saveur de chair nue », ce « geste qui touche un instant le sombre jardin du corps ». Cet amour de la vie est aussi puisé aux « pépites » de l’enfance insouciante et innocente mais aussi tourmentée par les embûches du parcours à venir. Ce monde est là, face à soi qui attend d’être conquis, qui s’offre à la marque unique qu’on voudra bien y imprimer.

     

    Le livre refermé reste sertie dans l’âme du lecteur, et pour longtemps, cette marque poétique tissée de mer et de désert, de terre d’eau et d’air. Elle enchante par sa spontanéité, sa fraîcheur, sa claire densité, son humilité aussi.

     

     

    ©Hervé GAUTIERhttp://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

     

  • QUELQUES RÉFLEXIONS PERSONNELLES SUR Lorand GASPAR.

     

     

     

    N° 241 – Juin 2002

     

    QUELQUES RÉFLEXIONS PERSONNELLES SUR Lorand GASPAR.

     

     

    C’est donc avec un écrivain d’exception que je célébrerai cette année le 23° anniversaire de cette « Feuille Volante », devenue, au fil des années et par le fait des choses, non plus une revue mais une simple note de lecture personnelle. Qu’importe ! Seuls comptent le plaisir de lire, d’apprendre, de rêver, les rencontres littéraires qu’il m’est donné de faire et je me dois, simplement parce que j’en ai décidé ainsi, d’en rendre compte ici, même si cela consiste à avitailler ma seule mémoire !

     

    Je dois à ma vérité intime d’avouer ici, à ma grande honte, que Lorand Gaspar était pour moi un inconnu jusqu’à ce que mon regard croise quelques-uns de ses ouvrages sur les rayons d’une bibliothèque. Il se passe toujours de ces petits miracles qui me font ainsi découvrir ainsi des grandes voix de la littérature. Son nom ne me disant rien, j’ai eu l’intuition que « Carnets de Jérusalem » et « Journaux de voyages » n’allaient pas me laisser indifférent. J’ai toujours été un voyageur immobile et les livres ont été, de tout temps ma seule évasion. Mes origines charentaises ne se manifestent pas seulement dans le port des pantoufles du même nom ! Je suis casanier et je n’y peux rien !

     

    Et pourtant, ce médecin né en Transylvanie orientale partira très tôt servir dans les hôpitaux français de Jérusalem et de Bethléem. Il deviendra amoureux de ce Proche -Orient et des peuples qui l’habitent, de leur histoire chaotique. Ce sera « carnets de Jérusalem » ! Que me reste-t-il, le livre refermé de la relation de cette mission humanitaire. Un mélange étonnant, fascinant même, de curiosité, de dépaysement face à la beauté de ces paysages évoqués avec des mots simples, la solitude, le désert, l’aventure humaine transitoire et merveilleuse surtout quand elle est animée par la passion ! Sous sa plume, c’est une leçon d’histoire, non pas celle donnée par un professeur du haut de sa chaire, mais celle d’un humaniste qui refait le parcours historique de cette « Terre Sainte » qui paradoxalement a toujours été le théâtre de conflits et, où, peut-être plus qu’ailleurs sans doute le sang des hommes n’a cessé de couler et coule encore de nos jours ! C’est un peu comme si cette terre d’Islam qui est aussi juive et chrétienne et où devrait régner la tolérance et la paix a été vouée de tout temps à la mort, au combat, à la haine et au refus de l’autre…

     

    L’auteur se transforme en véritable guide, faisant découvrir à son lecteur attentif tout ce qu’un touriste nécessairement pressé ne voit pas, cherchant jusque dans l’étymologie les détail de la géographie. Il n’oublie pas non plus de parler des religions, de la faunes, de la flore, de l’architectures et des légendes… Et tout cela avec une poésie simple qui sourd des mots eux-mêmes et qui va si bien à ces régions où le temps ne compte pas, où les références du monde dit civilisé semblent se dissoudre dans ces paysages grandioses et arides. Ses mots sont les jalons d’un voyage initiatique, personnel et intérieur qui bouleverse le lecteur ! Moi qui n’ai jamais connu l’appel du désert, la beauté de ses paysages je dois avouer mon envoûtement « Il y a souvent sur ces pistes non tracées, dans cette navigation minérale à l’estime, un moment où de fil en aiguille les choses se compliquent, s’embrouillent. Une piste perdue non retrouvée, un puits pourri, un vent de sable tenace, les défaillances du véhicule quand on en est pourvu ; la moindre erreur, l’incident le plus anodin en apparence peut en entraîner d’autres. Sentiment d’être pris dans un enchaînement rigoureux, implacable. Le dépouillement, la désolation, la solitude découvrent la totalité de leur visage où le plus anodin de leur visage dont on ne percevait que la grandeur issue de notre imagination. L’immensité n’est plus de l’ordre de la beauté, elle n’est pas cette « grandeur » que l’on contemple. Tout devient terriblement concret, un réel auquel on ne peut plus se sentir extérieur et qui est l’élan même du mouvement, limité par d’autres, de notre vie »

     

    Cette étrange alchimie de l’écriture qui sera toujours pour moi un mystère se double de photos en noir et blanc, malgré ou peut-être à cause de la lumière qui règne dans ces contrées, également signées de l’auteur. Elles sont à l’égal du texte, pleines de talent de simplicité, de spiritualité même ! L’auteur nous rappelle que la nature humaine est complexe. A à la fois ange et démon, l’homme est capable du pire comme du meilleur, capable de tuer comme de soigner ses semblables au péril de sa propre vie avec la même foi et la même énergie, capable à la fois de créer les choses les plus magnifiques et de perpétrer les plus cruels massacres. Celui qui était allé là-bas dans un but humanitaire devient un messager de paix, de tolérance, d’amour, comme si cette terre avait le pouvoir de transcender les hommes, de les rendre tout à la fois poètes, bons…

     

    Dans « Journaux de voyages », il redevient cet arpenteur vigilant de la terre, gourmand de ses couleurs, de ses bruits, comme fasciné par le spectacle qu’elle lui donne, que ce soit en Afrique, en Asie ou ailleurs, simplement parce qu’il choisit sa destination, ses haltes qu’il décrit pour son lecteur en un long et délicat poème. Il use d’une langue aussi recherchée que les paysage qu’il traverse sans oublier de lui rappeler que malgré toute cette beauté qu’il y a la mort au bout du chemin parce que telle est la condition de l’homme.

     

    Quel genre d’être est-il, lui qui choisit des contrées où le temps ne compte pas, ne s’écoule pas a même rythme, où le nom des villes invitent à eux seuls au voyage, au dépaysement : Boukhara, Khîva, Samarcande où le passé se mêle au présent, où la poésie doucement chaude et intemporelle revendique sa place parce qu’il ne peut sans doute en être autrement. Il donne un autre univers à offrir en partage, une autre planète qui est pourtant la nôtre mais qui ne peut intéresser le voyageur pressé. Pour lui, c’est une autre image de ce monde qu’il veut évoquer, plus vraie peut-être et authentique, celle qui reprend possession de la pulsation de la vie, des choses simples, des gestes économes, des paroles rares mais pourtant riches de sens.

     

    La route de la soie est revisitée au pas lent des chameaux quand les avions survolent le monde à des vitesses supersoniques, que l’argent est roi que seule la réussite compte. C’est aussi l’Afrique avec son désert envoûtant ses habitants sur qui la civilisation, comme on dit semble n’avoir aucune prise…

     

    Dans ce livre, l’homme reprend presque subrepticement sa place qu’il n’aurait, au vrai, jamais dû quitter, mais ainsi va le monde, le progrès comme on dit ! Dans ces contrées, l’auteur lui redonne sa vraie dimension, le replace dans des paysages qui vivent au rythme du soleil et des prières, lui font retrouver la respect de l’autre, de son environnement, de Dieu peu-être si on veut le voir ainsi

     

     

    ©Hervé GAUTIERhttp://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • ROUGE BRESIL - Jean-Christophe RUFIN [Gallimard]

     

    N°313 – Septembre 2008

     

    ROUGE BRESIL – Jean-Christophe RUFIN [Gallimard].

     

    Nous sommes sous la Renaissance, en 1555, et le Chevalier de Malte Nicolas Durand de Villegagnon commande une expédition à destination du Brésil, et plus précisément pour la baie de Rio de Janeiro alors sauvage et inexplorée, afin d'y implanter une nouvelle colonie française face aux Portugais, mais aussi pour gagner des âmes, c'est à dire évangéliser les indiens qui peuplent ce qu'on appelle la « France Antarctique ». C'est donc à une authentique épopée, malheureusement avortée et oubliée de l'histoire de France, que l'auteur nous convie, comme en d'autres temps Jean de Lery ou André Thevet.

     

    C'est à travers les yeux de deux orphelins, Juste et Colombe, embarqués dans cette expédition pour servir d'interprètes auprès des tribus indiennes, mais qui eux, sont à l'improbable recherche d'un père dont leur mémoire conserve le souvenir et peut-être la légende, que ce récit nous est offert. L'auteur y réalise un véritable travail anthropologique mais aussi théologique dans la querelle qui oppose catholiques et réformés et montre comment les hommes peuvent faire prévaloir ce qui les divise contre ce qui devrait les réunir et combien les passions peuvent les changer irrémédiablement. Jugez plutôt, Villegagnon, tout pétri de christianisme et de culture antique, de chevalerie, d'humanisme tolérant va être transformé par ce voyage initiatique en acteur convaincu de la répression contre les protestants, faisant de cet épisode, avec quelques années d'avance, une répétition générale des guerres de religion qui déchireront la France.

     

    Ce récit nous donne à voir des paysages luxuriants de cette France des Tropiques, un peuple d'indiens, les Tupinanbas[ou Tupis], anthropophages certes, mais qui participent, par leur mode de vie, à la fois sensuel et sans tabous, à une vision d'un paradis terrestre perdu et soudain retrouvé. C'est un hymne à la nature, à la liberté, un appel au bonheur depuis longtemps oublié ou étouffé par les sociétés européennes, deux conceptions de l'humanité, colonisatrice, libératrice, mais finalement meurtrière des Européens, harmonieuse, naturelle et attirante des indiens. Le mythe du « bon sauvage » sera repris plus tard au Siècle des Lumières.

     

    Le titre, « Rouge Brésil » m'évoque, certes, un bois précieux, mais surtout le sang, la violence aveugle de la guerre du côté des Européens, l'anthropophagie traditionnelle au côté des indiens [l'auteur se livre à une intéressante déclinaison de ce concept vu du côté des blancs qui ont embrassé la cause des Tupis], mais aussi la passion pour ces contrées, les histoires d'amour contrariées ou qui se terminent bien ... Voilà pour l'histoire, mais il n'y a pas que cela.

     

    Les personnages, en réalité une véritable galerie de portraits, qui servent de guides au lecteur attentif sont à la fois l'image de la condition humaine dans tout ce qu'elle a de plus répugnant, mais aussi de plus attachant. L'auteur en fait une évocation où le réalisme et parfois le grotesque le dispute à l'émotion

     

    Je voudrais une nouvelle fois dans cette chronique, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire à propos d'autres auteurs, mentionner non seulement le récit qui nous est conté et qui nous entraîne dans un autre univers [l'aspect documentaire et documenté d'un récit est important pour le lecteur qui, à cette occasion apprend quelque chose, surtout ici où cet épisode est complètement occulté par l'Histoire], mais aussi, et peut-être surtout le style aux accents parfois voltairiens. Je veux redire ici que le bon usage de notre si belle langue française transforme le moment consacré à la lecture en une période de pur plaisir. Un humour subtil qui doit beaucoup à la litote, le dispute aux descriptions poétiques, le délicat emploi de la syntaxe, la richesse du vocabulaire, précis juste et recherché qui puise sa rareté, et donc son précieux sens, dans des termes qui empruntent beaucoup à un passé désormais révolu et donc inconnu. C'est déjà un voyage au pays des mots qui est lui-même un dépaysement prisé du témoin attentif. Il procède de cet enchantement que tout lecteur souhaite trouver dans un livre.

     

    J'ai lu ce roman avec délectation. Mon improbable lecteur ne manquera pas de m'objecter que je n'ai, pour cela aucun mérite, ce livre ayant, accessoirement, été couronné en 2001, par le prestigieux « Prix Goncourt ». C'est vrai, mais il voudra bien cependant considérer que ce n'est assurément pas cela qui a retenu mon attention autant qu'il pourra observer que, cette chronique étant avant tout marquée du sceau de la liberté et de l'absence de compromission de quelque nature que ce soit, j'y exerce un droit à la libre parole qui en fait le fondement. Ainsi ne me suis-je jamais gêné de donner des avis qui vont parfois à contre-courant de la mode ou de la pensée de plus en plus unique, même si, souvent, une distinction a accompagné la sortie de l'oeuvre commentée. C'est que, indépendamment de son talent littéraire, le parcours de Jean Christophe Rufin est déjà original. Pensez donc, médecin humanitaire, ce qui est soi n'est pas banal, puisqu'il traduit au quotidien l'action difficile de celui qui a vocation de guérir ou de soulager la souffrance, c'est à dire de mettre à la disposition des plus démunis sa faculté de les soigner, mais aussi voyageur-témoin, et on sait combien cela est de nature à nourrir la créativité de celui qui porte en lui cette merveilleuse faculté non seulement d'attester ce qu'il voit, mais aussi de créer un récit de fiction et, à cette occasion, de faire chanter les mots. Cette musique est toujours agréable à mes oreilles. Puis vint ce prix qui a heureusement contribué à distinguer celui qui menait une carrière de réflexion et d'action, puis cette nomination comme ambassadeur de France et, plus récemment, son élection à l'Académie Française. C'est là un cheminement tout à fait remarquable, un engagement personnel qui atteste à la fois de sa créativité littéraire, du regard qu'il porte sur le monde, du témoignage qu'il entend apporter à l'évolution des mentalités. « Rouge Brésil » procède de cette démarche.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Septembre 2008.

    http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

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