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la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Ah! ça ira

    La Feuille Volante n° 1182

    Ah ! Ça ira – Denis Lachaud - Babel

     

    Le Président de la République française vient d'être enlevé et assassiné par un groupe révolutionnaire dont les pseudonymes, Saint-Just, Robespierre et Marat font référence à la fois aux aux idées généreuses de la Révolution mais aussi à une forme de terreur qui leur a fait perdre la sympathie du peuple. Un an plus tard, Antoine Léon, jeune père de famille, citoyen ordinaire, alias Saint-Just, du groupe Vendôme qui est responsable de cet assassinat , a été arrêté, jugé et emprisonné à perpétuité. Il y restera vingt ans et à sa sortie, Rosa, sa fille, devenue professeur des écoles l'attend. Elle vit avec Rufus mais pour Antoine, une nouvelle vie commence.

    Le titre de ce roman rappelle un chant révolutionnaire de 1789 quand la France s'enflammait et le vieux monde s'effondrait. Ce roman est certes une fiction mais m'a paru en phase avec l'actualité, même si ce roman se situe en 2037. Il évoque la fragilité de la démocratie, ses possibles manipulations par ceux qui sont au pouvoir et qui abusent largement du mandat qui leur a été donné de gouverner au nom du peuple et dans son intérêt, de la corruption qui règne au sein des gouvernants, du concept révolutionnaire qui prétend faire évoluer les choses vers davantage de liberté, de progrès social, alors qu'on ne fait que remplacer les gens qui se rendront coupables des mêmes méfaits que ceux qu'ils chassent, dans un contexte d'insécurité créé dans un but de favoriser l’émergence de leurs propres idées et surtout de leur propre destin. Il est toujours facile de proclamer la volonté de rendre le pouvoir au peuple alors qu'en réalité c'est son propre ego qu'on flatte et sa propre carrière politique qu'on privilégie. Autant dire que, derrière cette fiction pas très rassurante, qui évoque toutes les révolutions qui ont secoué la France, internet, les réseaux sociaux et les progrès de l'informatique en plus, il nous parle de ce que nous avons sous nos yeux tous les jours et de ce dont nous faisons nous-mêmes partie : l'espèce humaine.

     

    J'ai eu un peu de peine à lire ce roman à cause des longueurs mais j'ai quand même apprécié ce livre qui met en scène la violence qui fait de plus en plus partie de nos sociétés et qui a d’ailleurs toujours existé au quotidien comme une sorte d'obligation, même s'il est un fait que c'est souvent la seule réponse aux abus perpétrés par ceux qui s'installent confortablement au pouvoir et ne veulent pas en démordre, refusent la réforme qui est le point de passage obligé de toute société et méprisent voire répriment les manifestations de la rue qui sont l'expression de la contestation. Aujourd'hui il y a d'autres réponses plus pacifiques et démocratiques, mais la violence n'est jamais très loin, est toujours très tentante. La parole donnée au peuple, et respectée par ceux qui sont en charge de gouverner, reste une voie qui devrait être une règle immuable, mais l'histoire nous enseigne qu'elle est bien souvent transgressée. Nous avons tous, un jour ou l'autre voulu faire changé les choses, voulu imprimer notre marque au monde dans lequel nous vivons. Nous y avons cru comme Antoine mais bien peu, heureusement, ont choisi la violence et la mort pour atteindre ce but, bien peu aussi y sont parvenus. Rosa aura à son tour son action, mais différente de celle de son père. Après vingt ans d'emprisonnement, Antoine revient dans le monde mais rien n'a vraiment changé, les inégalités sont toujours là, souvent plus grandes qu'avant,, avec l'exploitation des uns par les autres, entretenues par le monde politique lui-même, surtout s'il a été porté au pouvoir démocratiquement, et ce malgré toutes les promesses électorales généreusement faites. Un ancien président de la République a même cru bon de rappeler qu'elles n'engagent que ceux qui les croient, ce qui est une manière de se moquer ouvertement de la démocratie mais aussi de fomenter les révoltes populaires.

    Un roman aux allures de science fiction mais néanmoins crédible, peut-être pas si utopique que cela.

    © Hervé GAUTIER – Novembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Lorette

    La Feuille Volante n° 1181

    Lorette – Laurence Nobécourt – Grasset

     

    Auparavant l'auteure employait, pour signer ses livres, le prénom qui se voulait amical que lui avait donné sa famille : Lorette Dorénavant, et pour des raisons qui ne regardent qu'elle, elle choisit de reprendre son prénom d'état-civil : Laurence. Dont acte. Pour justifier cela (un auteur doit-il ce genre de justifications à ses lecteurs ?) elle recherche des raisons dans la Kabbale, la langue des oiseaux, les lignes de sa main ou les connotations masculin/féminin des lettres qui le composent.. Elle fait ce choix à l'âge de 44 ans parce que, si on l'en croit, le prénom de Lorette lui donnait des boutons, qu'auparavant elle était à demi-paralysée, qu'à cet âge elle a enfin trouvé l'amour et qu'elle a été longtemps hantée par des tendances suicidaires. Après tout c'est là un parcours personnel, cahoteux comme celui de beaucoup d'entre nous, victimes d'injustices, de préférences familiales et avoir songé a interrompre tout cela par la mort nous a tous a moins un fois effleuré. La vie n'est pas un long fleuve tranquille, cela ne regarde qu'elle et un tel parcours peut effectivement faire de vous un artiste qui trouve dans la création matière à tisser une œuvre.. Elle précise que ses parents ne l'ont pas aimée comme sans doute ils l'auraient dû, que sa famille était « incestuelle », qu'elle méritait mieux et qu'elle ne lui a inspiré que de la mélancolie. Malheureusement c'est arrivé à d'autres, quant à son expérience sexuelle incestueuse avec un de ses oncles à l'âge de 18 ans, c'est un détail qu'elle pouvait parfaitement gardé pour elle. Bref, exit Lorette !

     

    J'ai peiné à lire ce livre, écrit par paragraphes successifs un peu comme des détails juxtaposés, énumérés sans grande suite entre eux. Le thème non plus ne m'a pas passionné. Après tout un écrivain puise dans sa propre vie, dans sa propre mémoire la substance de ses livres. Il n'y a rien de dérangeant à cela, à condition qu'il y mette du talent pour intéresser son lecteur. Je n'ai peut-être rien compris, je suis peut-être passé à côté de quelque chose d'essentiel dans l’œuvre de Laurence/Lorette Nobécourt mais je n'ai vu aucun intérêt à ces pages même si l'auteure multiplie les références prestigieuses et les explications intellectuelles pour nous prouver qu'elle a raison de recouvrer son vrai prénom, même si elle démonte les phases par lesquelles elle est passée pour en arriver là. Que dans sa famille la non-parole était la règle a peut-être fait d'elle un écrivain et ainsi l'a sauvée d'une déprime chronique, cela est plutôt sain et parfaitement défendable ; comme elle le dit, le verbe l'a sauvée et donc l'a séparée de ses parents, ce qui a sans doute été un bien pour elle ;

     

    Les artistes changent fréquemment de nom, surtout peut-être les écrivains, pour en adopter un autre qui peut rester un mystère pour tous. C'est à ce moment-là un pseudonyme, ce qui n'est pas les cas de Laurence Nobécourt. puisqu'elle quitte son prénom-diminutif pour se réapproprier son vrai prénom ! Elle n'a, vis à vis de ses lecteurs, ni explication ni justification à donner. Que se soit là une marque de révolte face à sa famille peut se comprendre, mais il n'est pas besoin d'un livre pour s'en expliquer. Elle vit ce changement de prénom comme une véritable renaissance, cela je l'entends d'autant qu'à travers le départ de sa fille pour le Canada, une séparation donc mais une séparation normale entre parents et enfants qui s'aiment, elle reçoit sa gourmette d'enfance au nom de Laurence et y voit un symbole.

     

    J'avais abordé l’œuvre de Lorette Nobécourt à travers « Le Clôture des merveilles » qui m'avait bien plu (La Feuille Volante n°1169) ; Je dois dire qu'ici, j'ai été un peu déçu.

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • l'adversaire

    La Feuille Volante n° 1180

    L'adversaire – Emmanuel Carrère – P.O.L.

     

    Je me souviens de cette affaire judiciaire qui alimenta la chronique pendant de nombreux mois dans les années 90, celle de Jean-Claude Romand qui tua ses parents, sa femme et ses deux enfants et mis le feu à sa maison mais surtout qui s'était fait passé pendant plus de dix-huit ans, auprès de sa famille et de ses amis, pour ce qu'il n'était pas, étudiant en médecine d'abord puis médecin travaillant à l'OMS et à l'INSERM à Genève toute proche, et tout le train de vie qui allait avec. Son nom aurait pu attirer l'attention, mais plus sérieusement surtout quand on songe à l'épilogue, on est confondu devant l'énormité de ses ruses, il est vrai favorisées par une organisation très simple mais efficace et par d'exceptionnels concours de circonstances favorables à ses dissimulations. Comment a-t-il pu donné le change pendant toutes ces années, sinon à considérer que pour tout être humain, plus le mensonge est gros plus il prend ? Il n'était finalement qu'un escroc, doublé, à la fin d'un assassin. Je ne suis pas sûr, comme le dit l'auteur, que s'il y avait effectivement le faux docteur Romand, « il n'y avait pas de vrai Jean-Claude Romand ». Je veux bien que l'accusé ait lui-même prétendu devant la Cour qu'il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé, mais, même si je n'ai pas vraiment suivi ce procès comme un spécialiste, il m'apparaît qu'il ne faisait ainsi que prolonger cette duperie qui avait si bien fonctionné auparavant en espérant que cela dure, et ce même devant un tribunal ! il n'en reste pas moins qu'il savait ce qu'il faisait en se jouant à lui-même et aux autres cette comédie qui n'était pas autre chose qu'une mystification montée au départ pour cacher son inadaptation à la vie et son retrait de la société. Il avait même eu soin de prendre les apparences flatteuses du notable attentif aux rituels religieux ordinaires, ce qui est toujours remarqué dans la société traditionnelle et bien pensante. Il savait qu'agitant devant les autres l'épouvantail du cancer dont il prétendait souffrir, il coupait court à toutes les demandes d'éclaircissements à supposer qu'elles existent. Il ne pouvait ignorer que son imposture ne pouvait, à terme, qu'être découverte ne serait-ce qu'à cause des sommes appartenant à ses parents et amis qu'il disait avoir placées, alors qu'il n'en était rien. C'était pourtant jouer gros parce qu'il se savait fragile et qu'en bien des circonstances il a été sur le point de tout avouer.

    Il ne lui restait donc plus qu' à effacer les traces de tout cela, mais il aurait quand même pu le faire sans devenir l'assassin de sa propre famille. Se suicider eût sans doute été une manière de sauver les apparences mais il n'en a même pas eu le courage, apeuré sans doute par la mort qu'il ne pouvait s’infliger à lui-même alors qu'il venait de la donner aux siens. Face à la Cour, il n'avait plus qu'à jouer une dernière comédie, sachant parfaitement que nous sommes dans une société judéo-chrétienne. C'est toujours facile de proclamer qu'on a découvert Dieu en prison, qu'on croit à sa rédemption et a son infinie bonté. C'est facile de se parer de mysticisme, des apparences de la dévotion et de citer l’Évangile, mais il oubliait seulement le commandement de ce même Dieu qui lui interdisait de tuer. II ne risquait plus la peine capitale et il le savait, il pouvait donc continuer à poursuivre cette tartuferie qui avait déjà duré 18 ans ! A-t-il pensé que Dieu qui l'avait protégé pendant tout ce temps avec cette chance insolente, continuerait en inspirant de la mansuétude aux jurés,  qu'il a d'ailleurs sollicitée dans sa dernière intervention? Peut-être mais la justice des hommes est heureusement d'une autre nature et la prison à vie a été sa réponse.

    J'ai lu ce document, passionné par le mystère qui l'a entouré et favorisé par des apparences sociales de notable qui ont abusé tout le monde. J'ai appris beaucoup de choses. Je me demande s'il était bien sain d'écrire ce livre, certes avec talent et, plus tard, de tirer des films de cette malheureuse aventure. C'est donner à Romand une aura qu'il ne mérite pas .

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Eden Utopie

    La Feuille Volante n° 1179

    Éden Utopie Fabrice Humbert – Folio..

     

    C'est une saga du genre Rougon-Macquart que nous offre l'auteur c'est à dire l'histoire de deux familles, les Courtis, riches et les Meslé, pauvres, une histoire qui commence à l'été 1946 à Clamart avec la construction d'une maison commune protestante, « La Fraternité ». Pour écrire cette saga, l'auteur va, de nos jours, interroger les différent membres encore vivants, scruter les photos jaunies et bien sûr se heurter aux silences, aux non-dits, aux mensonges, aux secrets inavoués, aux vengeances, aux revers de fortunes, aux injustices et aux préférences familiales mais aussi aux vieilles rancunes qui ont la vie dure. Il remonte ainsi l'arbre généalogique à l'écorce pas forcément lisse, tombe sur des branches pas forcément saines. Comme dans toutes les familles en réalité !

     

    L'idéal de « la Fraternité », sorte d' « abbaye de Thélème » mais pas dans le contexte débridé de Rabelais, où se mélangeait les classes sociales et les horizons politiques, à condition que le contexte soit chrétien, sérieux et respectueux du travail, est une certaine forme d'utopie. Elle s'érode avec le temps puis finit par disparaître au fil des pages pour laisser place à un autre militantisme où la mort prévaut face à la vie.

    .

    Au vrai je me suis un peu ennuyé à la lecture de ce livre, poursuivie cependant à cause d'un engagement personnel. Il y est question alternativement de bourgeoisie bien pensante, de révolution gauchiste, de marginalisme militant, d'espoirs portés par le socialisme (quand on voit où tout cela nous a menés), d'idéal libertaire mâtiné d'illégalités en tous genres pour finalement fabriquer des gens qui finissent par rentrer dans le rang et s'intégrer parfaitement dans cette société qu'ils voulaient si fort détruire et d'oublier un peu vite ce qu'avaient été leurs engagements de jeunesse. Les événements de la vie de l'auteur, ses rencontres, tout comme les nombreux analepses de son enfance que je pourrais regarder comme un Éden disparu, m'ont paru un peu longs. Les soubresauts qui agitent ces deux parentèles parallèles ne m'ont guère passionné non plus, entre vices, amours, rencontres, divorces et remariages, familles qui se décomposent et se recomposent, l'emprisonnement pour terrorisme pour certains et la réussite sociale ou l'inaptitude à la vie en société pour d'autres et cette volonté affichée de chacun de sortir de son milieu, le tout sur fond d'insécurité et d'attentats politiques qui émaillèrent les années 80, « Brigades Rouges » en Italie, « Fraction Armée Rouge » en Allemagne, « Action Directe » en France. Ce n'est certes pas une famille comme les autres, mais j'ai eu un peu de mal à suivre, même si, au bout du compte, la chimère de « la Fraternité », avec son discours rigoriste, sa volonté de vie commune et celle d'assumer jusqu'au bout ses responsabilités, a nourri une autre utopie politique parce que le hasard, les rencontres et les événements avaient conduit certains de ses membres vers le terrorisme, l'assassinat et donc vers la prison. Que reste-t-il de l'idéal de « la Fraternité » face à celui « d'Action Directe » qui veut réformer la société capitaliste en la détruisant et en passant par l'assassinat politique de ses membres jugés responsables ?

    Le style m'a paru neutre et bien peu engageant mais ce voyage dans cet univers familial est heureusement facilité par un arbre généalogique constamment consulté et sans lequel j'aurais vite refermé ce livre.

     

    J'avais déjà abordé l’œuvre de Fabrice Humbert avec « La fortune de Sila » (La Feuille Volante n° 557) qui n'avait que peu retenu mon intérêt. Je ne change guère d'avis à propos de cet auteur.

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • L'arbre du pays Toraja

    La Feuille Volante n° 1178

    L'arbre du pays Toraja – Philippe Claudel – Éditions Stock.

     

    Dès les premières lignes de ce roman il est question de la mort et de ce rituel observé au pays des Toraja en Indonésie où l'on confie la dépouille des jeunes enfants à un arbre particulier dont on creuse le tronc à cet effet et qui referme son écorce sur cette sépulture ainsi constituée et d'une certaine manière aussi se nourrit des défunts qu'on lui confie. Le ton est donné, Il sera donc question au cours de ces deux cents pages d'un thème tabou dans nos sociétés occidentales qu'on cherche à oublier toute notre vie et qui se rappelle cependant à nous périodiquement quand un de nos proches décède. Ce fut le cas du narrateur qui évoque le cancer de son ami Eugène, un producteur de cinéma, qui mourut peu après mais aussi la venue au monde de son enfant mort-né. Il réfléchit donc sur le sens de nos vies, des événements qui arrivent, voulus par nous ou gouvernés par le hasard, du temps qui passe et de ses ravages sur nous. Cette réflexion se décline à travers l'alpinisme, le vieillissement du corps qui débouche sur la douleur, la maladie et le trépas, comme un scénario écrit à l'avance et qui concerne chacun d'entre nous.

     

    Bien entendu Philippe Claudel nous parle de lui, de ses origines modestes, de son travail d’écrivain et de cinéaste, de ses amours, de ses amis, cultivant le solipsisme, ce qui est normal pour un auteur qui puise dans sa vie la substance de son œuvre. Il évoque aussi cet Eugène, son ami, au moment où il ne fait plus partie du monde des vivants. C'est aussi pour lui l'occasion de méditer sur la mort, sur l'amitié, sur la vie, sur les vivants, ceux qui mangent, boivent, fument et font l'amour. Mais quid de notre corps qui nous accompagne durant cette période terrestre ? Quid des amours surtout quand ils unissent anachroniquement la vieillesse d'un homme et la jeune beauté d'une femme, qu'ils perpétuent ainsi un pieux mensonge qui construit un bonheur artificiel et bien entendu temporaire ? Nous ne sommes sur terre que de passage en espérant trouver pendant cet intermède un peu de bien-être et quand nous la quittons, la trace que nous y laissons, surtout si elle est artistique, est éphémère et confiée à la fragilité de la mémoire d'autrui, elle-même insérée dans la vie d'autres mortels. Le narrateur nous parle de son parcours professionnel, de cette femme plus jeune qu'il a rencontrée et qui partage désormais sa vie. Parfois, à l'occasion d'un mot ou d'un geste, sa première épouse s'invite entre eux, comme un fantôme discret et qui, malgré elle le convie à remonter le temps ce qui distille regrets et remords. Il parle de ses craintes pour l'avenir, de ses rides qui s'annoncent et de cette mort qui nous attend tous et dont nous voulons oublier la réalité.

     

    Ces réflexions tissent ce roman qui devient au fil des pages et pour Eugène, cet arbre de Toraja qui garde son souvenir autant qu'il s'en nourrit. C'est aussi, non pas un devoir, mais un acte de mémoire pour cet ami disparu qui a joui de son séjour sur terre et qui, petit à petit se voit disparaître dans la maladie et la douleur. Et lui de rappeler Montaigne qui redoutait moins la mort que « le mourir », cette prise de conscience de ce passage de l'état d'être à celui de non-être, de cet abandon de quelque chose de connu et d'aimé, de ce saut dans le néant et qu'il était bon de s'y préparer car « philosophe c'est apprendre à mourir ». Les mots de Claudel portent le témoignage de cet ami, une manière aussi de dire à ses lecteurs que dans sa diversité la vie est unique et que l'amour que donnent les femmes l’illumine.

     

    J'ai toujours plaisir à lire Philippe Claudel, de roman en roman. Ici, ce n'est pas un texte mortifère comme on aurait pu s'y attendre mais une réflexion bienvenue sur la vie, l'amour, l'amitié, le temps qui passe, tout ce qui concerne notre pauvre condition humaine.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Edward Hopper

    La Feuille Volante n° 1177

    Edward Hopper – Éditions Adam Biro

     

    Cet ouvrage été réalisé à l'occasion d'une exposition sur le peintre américain Edward Hopper (1882-1967), qui a eu lieu au musée Catini à Marseille du 23 juin au 24 septembre 1989. Elle a ensuite été montrée à la Fondation March à Madrid. Comme il est normal dans un ouvrage collectif, de grands noms de la culture française l' ont éclairé de leurs commentaires .

    La peinture américaine du début du XX° siècle, voulant se démarquer de son influence européenne et notamment celle de l’École de Paris , a développé un langage pictural original en explorant notamment l'expressionnisme abstrait. Dans le même temps le réalisme qui caractérise le style de Hopper s'est taillé une place privilégiée dans la peinture d'outre-atlantique au point d'y prendre une dimension mythique. Ainsi est retracé l'itinéraire de ce peintre qui, puisant son inspiration dans la lumière de Paris, dans l'impressionnisme et la peinture européenne, a modifié sa vision du monde et sa façon de le peindre. Avant, les tons étaient agressifs et sombres, hérités sans doute du puritanisme dans lequel il baignait ; après son séjour en France, sa palette s'est éclaircie, s'est libérée du carcan religieux et de ses interdits, a découvert les femmes, leurs corps, la nudité, l'érotisme, la vie ... Cette révélation ne le quittera plus. Il maniera la lumière, et son pendant les ombres, avec la même dextérité qu'il citait les poèmes de Verlaine pour séduire sa future épouse et ce séjour en Europe marquera son style au point qu'il mettra dix ans à s'en abstraire. Il conduira une évolution lente mais pérenne qui se révélera dans sa manière de représenter les paysages, les immeubles, parfois, encore marqués par l'architecture européenne, et d'y mettre des personnages.inspirés sans doute par les toiles de Degas. Cependant Hopper les traite à sa manière et quand il revient aux USA, il reprend son travail d'illustrateur et leur donne un aspect systématique et impersonnel qui accentue cette impression de solitude qui émane d'eux. Ce parti-pris est souligné par la technique de l'eau-forte plus sombre qu'il pratique également et qui tranche sur la lumière des aquarelles et des toiles de la même époque. Il choisit d'exprimer ainsi les angoisses et les hantises qui sont, selon lui, la caractéristique de l'espèce humaine. Jo, sa femme sera tout au long de sa carrière son unique modèle, ce qui renforce, par son unicité, cette sensation d'isolement ; Quand il représente des phares et des maisons, il le fait sur fond de ciels limpides et le paysage est souvent vide mais s'il décide d'y mettre des personnages, le plus souvent féminins, ces derniers sont étonnamment seuls. Sa peinture est en situation d'existence, en société et le plus souvent à la ville et dans des appartements et on peut, dans cette manière de s'exprimer ,voir le thème du deuil de quelque chose, du travail en plein air peut-être et quand il choisit de représenter quelqu'un, il agrémente cette représentation d'un rideau qui vole, d'un reflet sur une vitre ou d'une ombre sur un mur.

    Hopper fit trois séjours en France de 1907 à 1910 et jusqu'à sa mort il resta francophile Il était certes l'héritier de Degas mais n'en reconnaît pas moins sa filiation avec des peintres réalistes américains tels de John Sloane ou Thomad Eakins mais refusa qu'on cantonnât son œuvre dans les « american scenes » à la manière de Hart Benson. Il était fasciné par la culture et l'art de vivre français et son époque parisienne fit découvrir les femmes, y compris d'ailleurs les prostituées des rues, au jeune protestant qu'il était alors et ce fut une révélation ; Il les croqua à la plume ou à l’aquarelle,. A son retour aux USA et dans sa période de maturité, il gardera pour elles cette posture attirante au point de se métamorphoser en véritable voyeur. De cette période française date également son goût pour la photographie. Il mettra du temps à s'extraire de cette influence parisienne pour s’affirmer dans un style spécifiquement américain. Cependant, nombre de ses toiles, et singulièrement la dernière qui le représente en Pierrot et Colombine avec Jo son épouse, sont d'inspiration européenne. Faisant référence à la fois à Watteau, à l’impressionnisme et à la commedia dell' arte.

    Edward Hopper a donc été inspiré largement par la culture française et européenne avant de trouver son langage pictural original qui allait à l'encontre de l'art abstrait qui se développait en Amérique à cette époque..

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Edward Hopper

    La Feuille Volante n° 1177

    Edward Hopper – Éditions Adam Biro

     

    Cet ouvrage été réalisé à l'occasion d'une exposition sur le peintre américain Edward Hopper (1882-1967), qui a eu lieu au musée Catini à Marseille du 23 juin au 24 septembre 1989. Elle a ensuite été montrée à la Fondation March à Madrid. Comme il est normal dans un ouvrage collectif, de grands noms de la culture française l' ont éclairé de leurs commentaires .

    La peinture américaine du début du XX° siècle, voulant se démarquer de son influence européenne et notamment celle de l’École de Paris , a développé un langage pictural original en explorant notamment l'expressionnisme abstrait. Dans le même temps le réalisme qui caractérise le style de Hopper s'est taillé une place privilégiée dans la peinture d'outre-atlantique au point d'y prendre une dimension mythique. Ainsi est retracé l'itinéraire de ce peintre qui, puisant son inspiration dans la lumière de Paris, dans l'impressionnisme et la peinture européenne, a modifié sa vision du monde et sa façon de le peindre. Avant, les tons étaient agressifs et sombres, hérités sans doute du puritanisme dans lequel il baignait ; après son séjour en France, sa palette s'est éclaircie, s'est libérée du carcan religieux et de ses interdits, a découvert les femmes, leurs corps, la nudité, l'érotisme, la vie ... Cette révélation ne le quittera plus. Il maniera la lumière, et son pendant les ombres, avec la même dextérité qu'il citait les poèmes de Verlaine pour séduire sa future épouse et ce séjour en Europe marquera son style au point qu'il mettra dix ans à s'en abstraire. Il conduira une évolution lente mais pérenne qui se révélera dans sa manière de représenter les paysages, les immeubles, parfois, encore marqués par l'architecture européenne, et d'y mettre des personnages.inspirés sans doute par les toiles de Degas. Cependant Hopper les traite à sa manière et quand il revient aux USA, il reprend son travail d'illustrateur et leur donne un aspect systématique et impersonnel qui accentue cette impression de solitude qui émane d'eux. Ce parti-pris est souligné par la technique de l'eau-forte plus sombre qu'il pratique également et qui tranche sur la lumière des aquarelles et des toiles de la même époque. Il choisit d'exprimer ainsi les angoisses et les hantises qui sont, selon lui, la caractéristique de l'espèce humaine. Jo, sa femme sera tout au long de sa carrière son unique modèle, ce qui renforce, par son unicité, cette sensation d'isolement ; Quand il représente des phares et des maisons, il le fait sur fond de ciels limpides et le paysage est souvent vide mais s'il décide d'y mettre des personnages, le plus souvent féminins, ces derniers sont étonnamment seuls. Sa peinture est en situation d'existence, en société et le plus souvent à la ville et dans des appartements et on peut, dans cette manière de s'exprimer ,voir le thème du deuil de quelque chose, du travail en plein air peut-être et quand il choisit de représenter quelqu'un, il agrémente cette représentation d'un rideau qui vole, d'un reflet sur une vitre ou d'une ombre sur un mur.

    Hopper fit trois séjours en France de 1907 à 1910 et jusqu'à sa mort il resta francophile Il était certes l'héritier de Degas mais n'en reconnaît pas moins sa filiation avec des peintres réalistes américains tels de John Sloane ou Thomad Eakins mais refusa qu'on cantonnât son œuvre dans les « american scenes » à la manière de Hart Benson. Il était fasciné par la culture et l'art de vivre français et son époque parisienne fit découvrir les femmes, y compris d'ailleurs les prostituées des rues, au jeune protestant qu'il était alors et ce fut une révélation ; Il les croqua à la plume ou à l’aquarelle,. A son retour aux USA et dans sa période de maturité, il gardera pour elles cette posture attirante au point de se métamorphoser en véritable voyeur. De cette période française date également son goût pour la photographie. Il mettra du temps à s'extraire de cette influence parisienne pour s’affirmer dans un style spécifiquement américain. Cependant, nombre de ses toiles, et singulièrement la dernière qui le représente en Pierrot et Colombine avec Jo son épouse, sont d'inspiration européenne. Faisant référence à la fois à Watteau, à l’impressionnisme et à la commedia dell' arte.

    Edward Hopper a donc été inspiré largement par la culture française et européenne avant de trouver son langage pictural original qui allait à l'encontre de l'art abstrait qui se développait en Amérique à cette époque..

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Edward Hopper au Grand Palais

    La Feuille Volante n° 1176

    Edward Hopper au Grand Palais – Beaux Arts Éditions

     

    Du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2013 a eu lieu au Grand Palais à Paris une exposition de l’œuvre de peintre américain Edward Hopper (1882-1967), rétrospective importante, puisque sur la centaine de tableaux réalisés par l’artiste, 55 étaient exposés. Cet ouvrage s'ouvre sur les propos de Didier Ottinger, commissaire de l'exposition qui le présente comme un artiste mal connu. Il insiste notamment sur l'absence de mélancolie dans la plupart des toiles de Hopper. Le commissaire préfère voir en lui un rebelle, un résistant face à la société américaine de son temps et qui cristallise les angoisses de la civilisation dans quelle il vit qui, selon lui, a trahi ses idéaux d'origine. Il concède que Hopper est un peintre réaliste mais insiste sur son côté abstrait, lui-même motivé non par une vision de la réalité mais par une émotion humaine. Il choisit donc d'en montrer une vision décalée qui peut remettre en question l'idée traditionnelle qu'on se fait de cet artiste. Dans cet ouvrage, plusieurs intervenants livreront également leur vision du peintre.

    J'avoue que, sans être spécialiste de Hopper, je ne le voyais pas exactement comme cela. Je le ressens comme un créateur paradoxale retirant à la fois peu de choses de ses séjours en France, mais affirmant, jusqu'à un âge avancé, son attachement aux impressionnistes français ainsi qu'à la poésie et ce malgré un style original conservé pendant toutes sa carrière américaine. Il était certes atteint par ce virus des voyages propre au Américains, qu'on peu déceler dans ses nombreuses représentations de routes, de voies de chemin de fer et d'hôtels mais il a choisi de représenter New-York, bizarrement vide de gens et de gratte-ciel, des maisons à l'architecture originale mais sans vie et la solitude du Cap Cod. Ses personnages comme ses paysages paraissent figés dans un isolement quelque peu malsain, mais il semblerait que, si certains de ses tableaux ont été influencés par la littérature de son temps, il n'en a pas moins imprimé sa marque au cinéma, celui d' Hitchcock notamment, et a l'ambiance des romans policiers où le malaise prévaut. En France, mais dans un autre registre, l’écrivain Philippe Besson ne fait pas mystère de l'attachement qui est le sien aux toiles de Hopper. Il est également présenté comme un peintre d'avant-garde alors qu'il s'est exprimé au moment où l'art abstrait se développait et combattait son parti-pris réaliste, lui-même refusant par ailleurs d'être mis en perspective avec Benson par exemple dont la préférence va à la représentation de scènes spécifiquement américaines.

    L'espace urbain exerce sur Hopper une véritable fascination. Cela avait déjà commence lors de ses séjours parisiens mais, même dans ce registre, j'ai toujours ressenti une certaine solitude et un vide caractéristique. Il aimait certes New-York mais n'a pas négligé les maisons, parfois à l'architecture particulière, des localités petites et moyennes et le décor un peu désolé du Cap Cod. Même si elle n'est pas vraiment absente de ses tableaux, la nature n'y est représentée que secondairement et il n'y a pas chez lui de grands espaces qui sont la caractéristique de l'Amérique, à l'exception toutefois des scènes maritimes . Il était en effet particulièrement attaché au bord de mer et à son décor.

    Il est également noté que, lorsqu'il représente un personnage, Hopper suscite une empathie chez le spectateur qui s'y identifie automatiquement et qui s'approprie sa mélancolie, communie à son silence, à ses préoccupations, à sa solitude et ce même si le peintre, par le truchement de sa toile, en fait un voyeur. Ce qui frappe aussi c'est la sensualité de sa palette. Non seulement il choisit de représenter majoritairement des femmes seules, souvent accompagnées de bagages, ce qui semble indiquer une fuite possible ou peut-être une aspiration vers plus de liberté, mais, le plus souvent, elles baignent dans une lumière chaude. Et douce En revanche, quand il évoque un couple, c'est une indifférence orageuse qui prévaut, à l'image sans doute de sa propre union avec Jo, son épouse.

    Même si je ne partage pas toutes les analyses qui ont été faites dans cet ouvrage et tous les concepts qui ont été développés autour de son œuvre, j'ai retrouvé avec plaisir l'émotion personnelle que je ressens à chaque fois que je croise les œuvres de cet artiste à la fois intemporel et au talent si attachant.

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Edward Hopper

    La Feuille Volante n°1020– Mars 2016

    Edward Hopper - Les 100 plus beaux chefs-d’œuvre – Rosalind Ormiston – Larousse.

     

    Cet ouvrage richement documenté retrace la biographie d'Edward Hopper (1882-1967) qu'on retrouve dans tous les livres qui lui sont consacrés. Son originalité vient sans doute de la rétrospective effectuée par thèmes avec des illustrations.

    C'est en France, lors de son premier séjour qu’il prend l'habitude de peindre en extérieur, à cause, selon lui, de la lumière parisienne, différente de ce qu'il avait connu jusque là. Quand il revient à New-York ce sont pour autant des scènes d'intérieur qui monopolisent sa palette où le spectateur joue, malgré lui, le rôle d'un indiscret. Le décor intérieur est pratiquement inexistant, soulignant l'impression de vide. Il reviendra cependant aux scènes extérieures à partir de son installation à Greenwich village, représentant des paysages urbains, les cafés notamment, avec la lumière du soleil sur les bâtiments. Je note que bien qu’ayant longtemps habité New-York, il n'a que très rarement représenté les gratte-ciel, préférant les immeubles de style victorien. Il développera ce thème lors de ses fréquents séjours au cap Cod, peignant des maisons basses et renouant avec son inspiration de jeunesse pour les bateaux, les bords de mer et les phares qui sont peut-être pour lui un symbole de liberté. Il y réside souvent au printemps ou en été, y fait construire une maison et favorise des vues de la campagne ou du littoral. Il voyagea beaucoup avec son épouse, notamment dans le sud et au Mexique d'où il rapportera des toiles et des aquarelles de paysages. Ses voyages ont suscité chez lui un thème particulier que sont les trains, les voies ferrées et les routes. Pourtant, si ce sujet peut être l'invite au départ, voire à la fuite, il n'en porte pas moins un message de solitude et de vide caractéristique de sa peinture. Il s’intéressera également à la vie moderne à travers toiles, aquarelles et aussi eaux-fortes mais il se dégage toujours des personnages qu'il choisit de représenter une sorte de morosité et d'ennui. Architecturalement, il représente ce qu'il voit, c'est à dire un décor essentiellement américain, mais les maisons qu'il donne à voir sont souvent vides et très rarement complétées par une représentation humaine.

    Il peint des nus féminins, souvent dans le huis-clos d'une chambre, mais ces tableaux n'ont rien d'érotique et cela tient sans doute à son éducation puritaine. Son épouse sera d’ailleurs son seul modèle pendant toute sa vie. Quand il représente des femmes, habillées ou non, elles souvent seules, peut-être dans l'attente de quelqu’un ou de quelque chose, actrices d'un récit inachevé… Les hommes seuls sont plus rarement représentés, quant aux couples, il s'en dégage une atmosphère pesante qui était sans doute l'image de celui qu'Edward formait avec Joséphine, son épouse. Quand Hopper choisit de peindre des groupes de personnes, on sent imperceptiblement qu'il exprime surtout la distance qui existe entre eux.

    Il s'intéressera, notamment à partir de 1942 et de son tableau «Les oiseaux de nuit » (son préféré, à la vie nocturne mais vue à travers des fenêtres ou des devantures de cafés, avec une sorte de tendance marquée pour le voyeurisme. On a déjà souligné que ses toiles tiennent beaucoup de l'instantané photographique ( Il semblerait d’ailleurs que Hopper ait beaucoup travaillé à partir de photographies) mais elles distillent cependant une lourde sensation de solitude et de vide bien qu'elles représentent des paysages urbains qu'on s'attendrait à voir peuplés de gens et de mouvement.

    L'étonnant est que Edward Hopper ait traversé, sans les assimiler et sans qu'elles ait laissé la moindre trace sur sa façon de peindre, les périodes de la peinture expressionniste abstraite, du cubisme et du pop'art. Seul impressionnisme français l'a un temps inspiré, sans oublier le réalisme de Courbet, de Rembrandt et la pratique de son métier de d'illustrateur de magazines (activité alimentaire qu'il détestait cependant). Après avoir recherché le succès, il se présenta enfin, faisant de lui un artiste reconnu, emblématique de la peinture réaliste américaine. Son influence sera cependant déterminante sur les peintres américains tels que Andrew Wyeth (1917-2009) ou Eric Fischl notamment. On sait aussi que le cinéaste Alfred Hitchcok (1899-1980) s'inspira de certains de ses tableaux (notamment de « Maison près de la voie ferrée » dans son célèbre thriller « Psychose »). A titre personnel, je note également que l’écrivain français Philippe Besson fait souvent référence à Edward Hopper dans son œuvre et notamment dans son roman « L'arrière saison » [La Feuille Volante n° 604 -Décembre 2012] où il s’inspire du tableau intitulé « Les oiseaux de nuit ».

    Pour autant, le mystère qui entoure son œuvre austère, simple et surtout figurative et réaliste, invite à l'interprétation toujours difficile et ce d'autant plus que Hopper était un adepte de Baudelaire qui privilégiait la « vision intérieure », issue de l'imagination. Ses séjours en Europe et l'étude qu'il fit de ses peintres ne sont pas étrangers à son style original. Cet ouvrage abondamment documenté et très pédagogique apporte un éclairage intéressant sur l’œuvre d'Edward Hopper que personnellement je ne me lasse pas de découvrir.

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

     

     

  • Edward Hopper

    La Feuille Volante n°1019– Mars 2016

    Edward Hopper - Gerry Souter – Parkstone international.

    Traduit de l’américain par Aline Jorand.

     

    Je ne sais pas pourquoi, moi qui ne suis pas spécialiste de la peinture en général, et de la peinture américaine en particulier, je ressens pour Edward Hopper (1882-1967) une véritable fasciation. Aussi bien quand je découvre un livre qui lui est consacré, je ne manque pas de le lire avec intérêt.

    L'auteur le présente à travers sa biographie, insistant sur ses origines modestes et sur le rôle de ses parents, de sa mère surtout qui a su favoriser sa vocation artistique. Son éducation a été fortement marquée par les femmes (sa mère et sa grand-mère) et cela se retrouvera dans son œuvre. Il note que son éducation victorienne complétée par une empreinte puritaine et religieuse (son arrière-grand-père, le révérend Griffiths a fondé l'église baptiste de la petite ville de Nyack (État de New York) où il est né – Edward ira à l'école privée) qui prône une vie austère, recommande de s'éloigner des plaisirs de la sexualité et des comportements immoraux. Cela développera une timidité naturelle qui, bizarrement, sera contrebalancée par un réel sens de l'humour. Cette formation ne sera pas sans influencer sa peinture et quand il représente des femmes, même si elles sont nues, il n'y a pas de dimension érotique. Je note également que après son mariage avec Joséphine, celle-ci sera son unique modèle. Dans certaine de ses toiles, surtout celles où il représente des chambres ou des bureaux il y a cependant une sorte de voyeurisme.

    S'il a fréquenté des écoles de dessins, et notamment la New York School of Art, s'il s'est perfectionné par l'étude des impressionnistes français présents dans les musées américains et en France même où il fit trois séjours, il commença son apprentissage en copiant de façon empirique, très jeune, des couvertures de magazines. Ses séjours à Paris ne se confondent d'ailleurs pas avec la vie de bohème qu'on peut imaginer chez un jeune peintre et il en rapporte nombre de tableaux dans la manière impressionniste qui n'apparaissent malheureusement pas dans les illustrations de cet ouvrage.

    Ce que je retiens ce sont les débuts difficiles de Hopper et toute sa vie sera rythmée par l’alternance du succès et de l'échec, l'obligation de gagner sa vie comme illustrateur, ainsi que de la sécheresse artistique passagère ce qui ne sera pas sans influencer son équilibre personnel. Il sera en effet souvent sujet à la dépression. A partir de 1923 cependant, date à laquelle il rencontre Joséphine qui va devenir son épouse, la chance semble lui sourire et, petit à petit, il devient un peintre connu et reconnu. Pourtant sa vie sentimentale sera des plus agitée, émaillées par de violentes disputes avec sa femme qui pourtant choisira de mettre sa carrière artistique personnelle entre parenthèses mais en ressentira une sorte de complexe d'infériorité. Edward semble ne pas avoir été heureux en ménage et il en concevra une profonde solitude qui ressort sur la plupart de ses toiles, notamment au niveau des personnages et des paysages. Les époux voyageront pourtant souvent ensemble, notamment au Mexique mais cet ouvrage ne publie aucune des toiles réalisées dans ce pays. Ils achèteront une maison au cap Cod et Edward renouera alors avec l'inspiration de la mer et des bateaux qui avait été la sienne, très jeune, à Nyack quand il fréquentait les chantiers navals et le « Boys Yacht Club ». Ce thème du voyage, incarné par les bateaux, les trains et les routes me semble également dénoter une sorte de volonté de départ, de fuite, l'envie d'un ailleurs qu'on ose cependant pas pas tenter. Les phares auront aussi une grande influence sur sa peinture.

    Il affectionne également les paysages urbains, les trains ou les maisons isolées mais je note que s'il vécu et travaillé à New York, il ne représenta que peu de gratte-ciel pour se concentrer plutôt sur les maisons de style victorien avec toujours, peu ou prou, cette impression de solitude, de vide, d'attente de quelque chose qui n'arrivera peut-être pas. Cette idée d'isolement persiste même si le tableau représente un groupe de personnages et se retrouvera dans les oeuvres qu'il consacrera aux salles de théâtres ou de cinéma, aux chambres ou aux halls d’hôtels. Je ne suis pas spécialiste de ce peintre mais je ressens sa peinture comme une activité de compensation face à une vie qu'il supporte plus qu'il ne l'apprécie. Sa dernière toile, « deux comédiens », semble vouloir nous dire qu'il a fait son parcours aux côtés de son épouse, comme s'il avait joué un rôle, grimé en acteur, et trouvé dans celui-ci une raison d'exister.

    Hopper est un peintre figuratif qui n'a guère changé de style. Il a du également lutter contre l'expressionniste abstrait très en vogue à son époque mais son style n'a jamais vraiment varié si on excepte sa période impressionniste.

    Cet ouvrage complète l'étude entamée depuis de nombreuses années sur ce peintre emblématique américain. Il m'a prêté un bon moment de lecture.


     


     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]


     

     

  • Edward Hopper

    N°741 – Avril 2014.

    EDWARD HOPPER- Gail Levin – Flammarion.

    Traduit de l'américain par Marie-Thérèse Agüeros.

     

    Ce peintre américain me fascine tellement que j'ai résolu de m'intéresser à ce qui a été écrit sur son style et sur son talent. Cette chronique s'est récemment fait l'écho de quelques-uns de ces ouvrages (La Feuille Volante n°696-698-739). A l'inverse d'autres qui dissertent volontiers sur sa peinture et, si l'on veut le dire comme cela, sur sa manière de voir le monde, ce livre nous parle de la biographie d'Edward Hopper (1882-1927), soulignant les différentes étapes de son évolution et montrant qu'il est assurément un des peintres importants du XX° siècle.

     

    Sa famille, des commerçants baptistes de la petite ville de Nyack au bord de l'Hudson, fut attentive aux goûts artistiques d'Edward mais l'encouragea cependant à apprendre le métier d'illustrateur commercial, plus lucratif et aussi plus sûr que celui d'artiste-peintre. A la fin de ses études secondaires, il partit donc effectuer sa formation à New-York, fréquenta écoles et ateliers où, grâce à son talent précoce, on lui promit une belle carrière. Plus tard il rendit hommage à l'un de ses professeurs, Robert Henri, pour l'influence qu'il a exercée sur lui et notamment sur les tonalités sombres de sa peinture. Ce professeur l'avait encouragé à peindre en combinant l'observation et l'imagination mais lui qui aimait surtout les bords de mer ou en plein air n'oublia cependant pas ce conseil. Selon le message de Henri, Hopper a en effet eu soin de reproduire cette « sensation de nuit » caractéristique. Certes, au cours de sa carrière sa palette éclaircira ponctuellement, notamment sous l'influence des Impressionnistes, mais il restera fidèle à ces tonalités.

     

    Toujours à l'instigation de ce professeur, il s'embarqua pour l'Europe afin d'y assimiler le message des Impressionnistes français, mais pas seulement. De 1906 à1910, il fit trois séjours sur le vieux continent qui l'amenèrent de Paris à Londres, Amsterdam, Berlin, Bruxelles et en Espagne où il se prit de passion pour la corrida. Il apprécia tout particulièrement Paris, ville qu'il trouva pleine de vie en comparaison de New-York. De ce séjour il rapporta un style et des œuvres, souvent composées de mémoire mais que la critique américaine apprécia très peu à son retour. Il restera cependant toujours fidèle au souvenir des Impressionnistes français. En 1915 et un peu par hasard, il découvrit la gravure qu'il pratiqua en restant fidèle à son inspiration française. Il prisait peu cette technique mais ses gravures se vendaient mieux que ses toiles. Revenu à New-York à partir de 1912, il s'installa à Greenwich-village où il exerça le métier d'illustrateur publicitaire pour différents magazines, ce qui lui permit de gagner sa vie, mais sans grande conviction cependant. A l'époque il continua à peindre et en 1920, à l'âge de 37 ans, il fit sa première exposition américaine. Il exposa un maximum de toiles d'inspiration française mais ce fut un échec. Il commença à s'intéresser à l'architecture américaine, caractérisée par la maison victorienne qu'il reproduira souvent dans ses toiles, gravures et aquarelles. A partir de 1928, période qui correspond à sa maturité, il abandonna la gravure et adopta un style de composition qu'il gardera toute sa vie. Il présentait ses toiles soit comme une composition frontale, soit en diagonale et souvent vues à travers une fenêtre. Cette dernière manière met le spectateur en position de voyeur mais aussi ouvre le tableau vers le monde extérieur. Il n'en continua pas moins à jouer sur l'ombre et la lumière ce qui caractérise les toiles de la maturité.

     

    A New-York, la ville où il a pratiquement vécu toute sa vie il est inspiré par John Sloan (1871-1951). C'est à partir de cette époque qu'il s'intéresse aux femmes qu'il figure nues ou peu vêtues et représentées dans des scènes quotidiennes réalistes voire intimes, un peu comme si elles ne se savaient pas observées par le peintre. Il poursuivit son étude des fenêtres en explorant les jeux sur l'ombre et la lumière et en donnant à ses toiles une connotation sensuelle par la représentation d'un rideau gonflé par le vent. A cette époque il peignit également des maisons en aquarelles. Il rencontra Jo Nivison, peintre elle-même, qu'il épouse en 1924 ; Il a alors 42 ans. Elle l'encouragea dans sa recherche picturale et l'invita à participer à une exposition à Brooklyn. La critique accueillit favorablement ses aquarelles et il commença à vendre ses toiles et à connaître le succès même si ce fut au détriment de l’œuvre de Jo. Il put enfin abandonner son activité d'illustrateur qu'il prisait peu et se consacrer à sa peinture.

     

    Ses toiles n'ont aucune connotation politique ou sociale mais il s’intéressa beaucoup aux atmosphères et aux relations humaines. Elles laissent notamment transparaître une certaine solitude et même de l'ennui mais c'était sans doute voulu. Ce qu'il recherchait en effet à travers les représentations c'était exprimer une pensée par la peinture. En réalité et compte tenu de ses propos, chacune de ses toiles est une étape dans la connaissance de lui-même. Il ne représente pas ce qu'il voit comme on a pu le dire mais il cherche à faire passer une émotion à travers la représentation. Ses toiles sont donc suggestives et l'invitation à une interprétation bien plus qu'une banale reproduction du quotidien. On peut notamment y lire une charge érotique, lui qui était si réservé, mais aussi l'absence, surtout à la fin de sa vie et bien entendu la mort ! Hopper disait volontiers qu'il lui était difficile d'exprimer une pensée par la peinture, pourtant, quand il choisit de représenter le couple, d'évoquer le mariage et les relations homme-femme, on peut aisément deviner son message. Au début, c'est l'amour qui l'emporte mais plus le temps passe plus les liens se distendent et dans le couple s'installent l'incompréhension et le silence. Cela est souligné par le choix de l'automne et du crépuscule qui ne sont pas sans rappeler les poètes symbolistes français que lui avait fait découvrir Henri. Pour figurer la solitude, le peintre représente souvent des rues, des routes ou des parc publics vides ou des personnages isolés qu'on s'attendrait plutôt à voir figurer dans une foule. Pour évoquer l'attente, il choisit souvent des femmes seules, s’inspirant sans doute des peintres hollandais et pour le voyage, il préfère les trains ou les bateaux en haute mer, les toiles vides de personnages. On peut aisément faire un parallèle avec sa vie personnelle.

     

    Jo qui fut son unique modèle féminin, même si elle s'effaça devant le talent de son mari et mit sa propre carrière entre parenthèses, joua un rôle crucial dans l'imaginaire de Hopper au point d'être sa véritable complice dans ses compositions. Sa dernière toile les représente tous les deux en habit de théâtre de la « Commedia dell'arte »(ce qui paraît anachronique le concernant) , saluant un public imaginaire ce qui évoque évidemment le départ mais aussi l'idée de mort. Il s'éteindra en 1967 à l'âge de 85 ans. Jo le suivra moins d'un an plus tard.

     

    Gail Levin (1946-2013) Universitaire, professeur d'histoire de l'art, spécialiste de la culture américaine et de la peinture de Hopper en particulier était tout à fait indiquée pour présenter ce peintre d'exception qui incarne si bien la peinture américaine et peut-être aussi la condition humaine.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     


     

  • Hopper, peindre l'attente

    N°739 – Avril 2014.

    HOPPER – Peindre l'attente- Emmanuel Pernoud – Citadelles et Mazenod.

     

    L’impression générale que peut avoir un non-initié à la vue des toiles d'Hopper est effectivement l'attente. En douze chapitres d'un livre richement documenté, illustré et pédagogique, l'auteur s'attache à montrer cet aspect de l’œuvre du peintre américain autant que les influences extérieures dont ses toiles se sont enrichies (Impressionnistes français, cubistes, peintres hollandais du XVII°, poètes symbolistes français, Proust...) ainsi que que son empreinte sur les autres artistes, à la fois dans le domaine de la littérature et du cinéma. Il montre aussi tout le paradoxe de cette œuvre qui va à rebours de son temps.

     

    Ce qui frappe d'abord chez Hopper, c'est le regard de ses personnages, leurs yeux sont vides, dirigés le plus souvent vers une sorte d'infini, baignés par une absence d'eux-mêmes. C'est un peu la solitude qu'on lit dans leur immobilité, car ce sont bien des êtres dénués de tout mouvement qu'il nous donne à voir. Cet aspect statique dénote comme un désintérêt du monde extérieur, un espoir d'autre chose qu'ils ne voient pas ou qu'ils imaginent. On sent en eux une sorte de vacuité ou peut-être de doute qui génère une mélancolie qui devait bien être aussi celle du peintre. Ils sont passifs face au décor qui se déroule devant eux et auquel ils sont étrangers. Ils ne bougent pas mais cette absence de mouvement peut signifier qu'ils sont à l'écart de tout changement. Ils sont comme résignés, capables d'attendre indéfiniment quelque chose qui ne viendra peut-être pas. Ils regardent souvent par une fenêtre et se perdent au loin, le ciel étant alternativement noir ou bleu, couleur qui suffit à caractériser leur état d'esprit, leur degré d'espérance. Généralement ils gardent le silence et quand ils parlent entre eux, le spectateur à l'impression que leur dialogue est suspendu de même d'ailleurs que leurs gestes, comme s'il existait entre eux une sorte d'incompréhension, un impossible dialogue. C'est là un paradoxe puisque Hopper qui vit principalement à New-York où tout est mouvement  peint des villes et des rues généralement vides de voitures, de gens et même d'enfants. Lui, choisit tout autant de représenter des immeubles à l'architecture victorienne mais néglige les gratte-ciel alors que nombre de ses contemporains, peintres ou écrivains feront le choix d'une représentation plus contemporaine, du tumulte et du bruit. Dans ce décor figé, l'auteur veut voir un parti-pris d'attente et on retrouve cette idée autant dans la façade des immeubles que dans la fixité du regard des gens et, de la peinture de Hopper, pourtant réaliste, la vie ne ressort pas.

     

    Le spectateur est placé dans la position indiscrète d'un voyeur et l'artiste excelle à montrer des scènes de la vie conjugale, dans le huis-clos d'une chambre mais ce qu'il donne à voir n'a rien d'érotique, au contraire, c'est l'ennui, l'indifférence, le silence, l'absence de communication, le spleen qui ressortent de ces toiles. C'est l'image d'un échec qui fut sans doute aussi le sien, son mariage n'ayant pas été des plus heureux et surtout sans descendance. Le lit est souvent représenté défait et vide ce qui est le symbole de l'isolement, de l'intimité non-partagée et les femmes parfois dénudées ou peu vêtues semblent attendre désespérément un amant qui ne viendra pas les rejoindre. C'est un peu comme si elles étaient vivantes mais presque déjà mortes, si elles attendaient un amour impossible ! Les derniers tableaux insistent peut-être sur cette idée quand ils montrent des pièces vides qui sont un peu comme des boites peintes où il est difficile de communiquer.!

     

    Les personnages de Hopper (souvent des femmes) sont en train de lire des lettres ou des livres ce qui n'est pas sans rappeler l'influence de Vermeer mais cela accentue cette notion de solitude et d'attente, de désœuvrement, de désintérêt pour le monde extérieur et les lieux représentés sont souvent de transition (halls d’hôtel, gares, compartiments, bureaux, chambres) et impliquent l'expectative d'autant que ces personnages sont immobiles et regardent souvent par une fenêtre d'où on aperçoit à peine le ciel, comme s'ils étaient prisonniers et donc en espérance d'une libération, comme s'ils n’occupaient l'espace que temporairement. D'une manière générale les toiles de Hopper sont tristes, qu'elles représentent des couples, des être seuls ou des paysages. Les femmes semblent avoir sa préférence mais elles portent rarement de maquillage, le peintre restant puritain à l'image de ses contemporains. Quand il choisit de représenter les cafétérias, les cafés, il y introduit parfois la prostituée comme celles qu'il a vues lors de son séjour à Paris. Là aussi l'attente existe et peut être orpheline... mais c'est celle du client ! Les autres individus représentés sont souvent soit des femmes seules, soit des couples qui paradoxalement semblent absents. Ils paraissent espérer quelque chose sans que nous sachions très bien quoi. Leur attitude veut peut-être signifier un échec sentimental ou sexuel qui fut peut-être celui du peintre lui-même.

     

    Un autre aspect de la représentation de Hopper est donnée par les bancs des parcs publics. Ils sont souvent déserts et illustrent ainsi à la fois l'attente et l'ennui. Cette vacuité dans les paysages s'étend aussi aux rues américaines ce qui est un paradoxe puisque l’Amérique est mouvement. Le siège lui-même est le symbole de l’attente et quand quelqu'un est assis, il y est comme vissé, immobile, figé, en contemplation de l'horizon ou du vide. S'il y a peu de statues chez Hopper, les êtres qu'il représente en ont souvent l’apparence.

     

    Cette inactivité se retrouve dans la représentation des travailleurs. Là aussi c'est l'inaction, le chômage consécutifs à la crise de 1930 (il commence à être connu à partir de cette époque). Il pratique donc l'art social qui pour lui est réaliste. Quand il peint des travailleurs, il préfère figurer la pause, le temps de repos plutôt que l'acte de travail qui est mouvement. Pourtant, il faut noter qu'il a été illustrateur de presse et que, dans ce domaine seulement il a changé de registre et représenté exceptionnellement le mouvement, mais pour des raison professionnelles. Cependant en tant que peintre il montre la vie ordinaire, donne à voir assez peu d'usines et ignore le Taylorisme. Sa peinture est réaliste mais il en gomme cependant la vie comme pour figurer le souhait de quelque chose. Il préfère les bureaux, les restaurants, les cafés, mais des travailleurs qu'il représente sont dans l’expectative, dans une sorte de passivité, ils sont comme pétrifiés, acceptant leur sort, leurs gestes sont suspendus, leur regard est vide, un peu comme une photographie, une image fixe. C'est sans doute pour cela qu'on a parlé d'anachronisme chez Hopper.

     

    Cet aspect statique des corps se retrouve également dans le sport. Il représente l'athlète non pas en plein effort mais au repos. Quand il choisit le théâtre c'est moins le spectacle que la salle d'attente (endroit d'événements potentiels) qu'il peint et s'il choisit quand même la salle de spectacle, le rideau symbolise chez lui encore une fois cette attente, la frontière entre deux mondes, entre deux temps. Lorsque c'est une scène de strip-tease qu'il peint, c'est le puritain qui ressort en lui et il réussit à faire passer chez le spectateur...une absence de désir ! Puritain encore quand il donne à voir des rues : elles sont vides et sabbatiques puisqu'il les choisit lors du dimanche protestant quand chacun est à l'office ou reste chez soi, c'est à dire attend. De même les voies ferrées qu'il représente semblent abandonnées et les trains sont le plus souvent à l'arrêt, les routes sont désertes et les poteaux télégraphiques sans fils, tout cela symbolise peut-être le désir du départ mais sûrement aussi l'attente que quelque chose. Même les phares sur les côtes du Maine qui peuvent trancher quelque peu dans l’œuvre de Hopper ressemblent à des guetteurs tournés vers le large, vers l'infini, donc là aussi l'idée d'ailleurs existe.

     

    C'est un livre qui montre une approche différente, particulière mais pertinente, de la peinture de Hopper, une invitation à la voir différemment, à la comprendre dans le contexte de son temps et la psychologie de son auteur. Un ouvrage remarquable sur un peintre également remarquable !

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com


     

  • Edward Hopper - Entractes

    N°698 Novembre 2013.

    EDWARD HOPPER – Entractes – Alain Cueff – Flammarion.

     

    Je poursuis avec cet ouvrage mon approche passionnée de l’œuvre d'Edward Hopper (1882-1967) tant sa peinture exerce sur moi, comme sur beaucoup sans doute, une étrange attraction.

    Alain Cueff reprend bien volontiers les idées développées depuis longtemps à propos du peintre américain [solitude, mélancolie, aliénation,...] mais invite son lecteur à regarder ses tableaux sous un autre angle, les commentant en fonction de son vécu personnel et des influences qu'il a pu subir, prenant comme fil d'Ariane chronologique certains d'entre eux. Il parvient à la conclusion que si ces idées sont certes justes, il faut en chercher la raison autant dans sa psychologie personnelle, dans ses illusions de jeunesse où il espérait que l'impressionnisme qui l'avait tant influencé lors de son séjour en France serait accueilli favorablement dans son pays, que dans les événements extérieurs que connaît son pays. En effet, Cueff prétend que le regard vide des personnages peut parfaitement aussi s'expliquer par le revers du « rêve américain » qui ne serait qu'un leurre. La crise économique née de 1929, les émeutes, le chômage ont mis à mal ce concept. De plus le francophile qu'il est s'alarme de l’attentisme de l'Amérique face à la montée du nazisme en Europe. Ses personnages prennent, sous son pinceau, conscience de la précarité de leur vie, il serait donc le peintre de  « l’existentialisme américain » bien avant qu'en France cette philosophie soit développée.

     

    D'emblée, l'importance de la lumière est soulignée dans l’œuvre de Hopper. Il en fera, à la fin le thème unique de ses tableaux. Il s'attachera également à peindre des personnages dont la mélancolie est visible. Ils sont à son image, lui-même étant quelqu'un de timide, réservé, peu souriant, puritain et aimant la lecture. Sa confession baptiste explique sûrement le côté dépouillé de ses toiles. On a dit de lui qu'il peignait ce qu'il voyait, ce qu'il connaissait le mieux, qu'il tirait son inspiration du quotidien. C'est sans doute vrai, mais sa vision était probablement sélective puisqu'il habitait New-York, a représenté des maisons à l'architecture victorienne mais n'a jamais peint de gratte-ciels. Cette ville qu'il aimait et où il a pratiquement toujours résidé fourmille de vie alors que ses tableaux sont vides de présence humaine et que ses personnages sont immobiles et silencieux. Même si, comme de Chirico et Magritte, il a une prédilection pour les paysages urbains déserts, l'auteur note le côté inquiétant des personnages représentés, leur immobilisme et le silence qui les entoure. C'est un peu comme s'il étaient des mannequins sans vie, des êtres désincarnés au regard vide, dans une expression d'attente, souvent plongés dans la lecture. C'est une constante de la peinture de Hopper que ce vide, que cette solitude. Ces deux thèmes viendront d'ailleurs en conclusion de son œuvre. Les paysages eux-mêmes n'inspirent pas au spectateur quelque chose de reposant comme ils pourraient le faire et là aussi il ressent cette même impression de vacuité.

     

    Hopper est un contemplatif et ne s'intéresse qu'aux paysages suburbains d'une grande banalité. Il semble saisir l'instant dans son immédiateté, représentant ce qu'il voit mais à travers le prisme de son regard plein de solitude. Il prétendait d'ailleurs un peu bizarrement « n'avoir d'autre ambition que de peindre la lumière du soleil sur les murs d'une maison ». Le soleil est effectivement souvent présent dans ses toiles, éclaire les personnages, mais il n'est jamais visible de face, ce sont toujours ses effets que le peintre donne à voir, un peu comme s'il hésitait, s'il n'osait pas. Pourtant ce soleil éclaire mais ne réchauffe pas, ses toiles restant froides

    Cueff propose à chacun de se laisser porter par les tableaux de Hopper, de se laisser inspirer par eux. Il retient l'un des plus emblématiques, « Les oiseaux de nuit » et note que des hommes de lettres ont obéi à une invite créatrice[J'ai personnellement retenu « L'arrière saison » de Philippe Besson – La Feuille Volante n° 604]. Je pense en effet, sans vraiment me l’expliquer, que Hopper interpelle chacun d'entre nous au point de nous inciter intimement à poursuivre pour nous seuls le prétexte de son tableau, de lui donner une suite personnelle.[Il semblerait que le tableau lui-même ait été peint après la lecture d'une nouvelle d'Hemingway, bien que Hopper ait prétendu le contraire].

     

    Hopper n'a été vraiment connu qu'à partir de 1925, date à laquelle il commence à vivre de sa peinture. Auparavant il a été illustrateur, dessinateur d'affiches publicitaires et pour le cinéma

    et il ne fait aucun doute que cette période qu'on peut qualifier d'initiatique a été pour lui une sorte d'apprentissage qui va, par la suite, influencer son style réaliste. Tout n'a cependant pas été simple pour lui. Même s'il ne vend son premier tableau qu'en 1913 et qu'il commence à participer à des expositions collectives qui ne lui valent que de l'indifférence de la part de la critique, il doute, cherche sa voie et s'oriente même un temps vers la gravure et vers l'aquarelle. Il est en quelque sorte « coincé » entre l'invention de la photographie qu'il n'aime guère et l'évolution de la peinture vers le cubisme, l'abstrait, le surréalisme qui invitent davantage le spectateur au rêve et à l'imaginaire. Malgré sa relative réussite en gravure il revient cependant vers la peinture en privilégiant le nu féminin ce qui peut signifier chez lui à un désir sexuel latent, obsessionnel et refoulé. Jusqu’à la fin de sa vie il représentera des femmes nues ou vêtues au point qu'on a pu le qualifier de voyeur pudique. En observant les personnages féminins de ses tableaux, on ne peut qu'être frappé par leurs formes généreuses et sculpturales qui marquent un caractère sexuel évident. Les femmes (même si son épouse en est l'unique modèle, ainsi métamorphosée sur chaque toile) qu'il peint semblent attendre quelque chose, mieux, l'espérer. Le fait qu'il peignent des femmes dans cette sorte d'expectative peut parfaitement être la transcription personnelle et inversée de son attente à lui. Il n'est pas illogique de penser que cela peut être le « grand amour ». Hopper a toujours été un solitaire, on lui connaît peu de liaisons amoureuses et son union avec « Jo » a été plus un mariage, d’ailleurs tardif (il est dans la quarantaine), de raison qu'un amour passionné. Tout les oppose et cela ne peut qu'enfanter des disputes conjugales, une incommunicabilité définitive entre eux, un silence oppressant. « Jo » se révèle en effet être une épouse jalouse qui peint elle-même de moins en moins et compense sans doute par la tenue d'un journal intime tout comme son mari pratique la peinture. Ces deux activités peuvent être interprétées comme un refuge, pire peut-être, comme les deux faces d'une même souffrance ! Cueff note d'ailleurs que ce n'est pas le moindre des paradoxes que Hopper ait voulu peindre apparemment des tableaux impersonnels alors qu'en réalité ils sont le reflet de sa propre vie, entretiennent aussi une énigme qui reste entière.

     

    Ce livre passionnant éclaire d'un jour nouveau la démarche créative de Hopper et contribue à lever une partie du voile sur un style réaliste (ou néo-réaliste) étrangement attractif et moderne à la fois, qui est le reflet de son siècle autant que de sa vie et de sa personnalité.

     

     

     

    Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Quelques mots sur Edward Hopper

     

    L A F E U I L L E V O L A N T E

    La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,

    elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

     

    N°607– Décembre 2012.

    Quelques mots du Edward Hopper (1882-1967).

     

    Pour moi, au départ, un tableau emblématique et connu à force d'être présenté quand on évoque la peinture américaine (Noctambules, 1942. The art institute of Chicago), l'annonce d'une rétrospective à Paris au Grand Palais d'Edward Hopper qu'on présente comme un célèbre artiste d'outre-atlantique, un article dans une revue littéraire (Le Magazine Littéraire n°525 de novembre 2012) sous la plume de Philippe Besson, un roman (L'arrière-saison, du même auteur) qui évoque ce tableau et qui m'a passionné (La Feuille Volante n°604), m'ont donné envie d'en savoir davantage et d'entrer dans l'univers de ce peintre.

     

    Qui était donc ce jeune homme de 25 ans qui est venu à Paris étudier l' impressionnisme qui était à la mode, simplement parce que sa vocation est d'être peintre ? Pourtant la peinture américaine n'existe pas encore vraiment (Norman Rockwell – 1894-1978 en fera aussi partie) et la famille dans laquelle il est né est celle de modestes commerçants d'une petite ville de l'état de New-York . Il aime l'ambiance de la Capitale, le Quartier Latin, les jardins publics, les avenues, les musées et la littérature et la poésie aussi. La France, à l'époque, est le centre du monde culturel et un artiste se doit d'y être.

     

    Comme chaque peintre débutant il s'inspire de ceux qu'il reconnaît comme ses maîtres au premier rang desquels figurent Edgar Degas, Pissaro, Renoir, Sisley et bien entendu finit par trouver son propre style. Il y a certes l'influence française qui l'amène à peindre des scènes de la vie parisienne comme la Seine et le Louvre mais il s'intéresse aussi à la photographie et devient francophile et francophone. Il voyage également en Europe, notamment aux Pays-Bas où les maître néerlandais (Veermer et Rembrand etre autre) le passionnent. Quand il rentre aux États-Unis il devient illustrateur, produisant des affiches, des gravures, des eaux-fortes et des aquarelles, mais assez peu d'huiles sur toile. Ce n'est que vers l'entre-deux-guerres qu'il commence à être connu pour son style réaliste et ses paysages américains Le succès est au rendez-vous et il s’installe avec son épouse au cap Cod dans l'état du Massachusetts. L'année 1925 le consacre en tant que peintre et ses toiles entrent dans les musées, notamment au Museum of Modern Art et au Withney Museum Américan Art.

     

    De son séjour en France, il ne retient pas l'influence cubiste mais lui préfère le réalisme de Jean-François Millet et de Gustave Courbet. Ce sera en effet une des grandes tendances de son œuvre caractérisée par de larges aplats de couleurs souvent contrastées et des compositions fortement structurées. Pourtant l'article de Besson m'apporte des précisions. Le réalisme de Hopper « n'est qu'apparent et les apparences, comme chacun le sait sont trompeuses : ce sera sa signature  ». Il semblerait en effet qu'Hopper ait souffert d'un sévère problème d'audition ce qui expliquerait, plus sans doute qu'une mésentente conjugale souvent évoquée, l'ambiance qui émane de ses tableaux

     

    Ses origines américaines l'influencent peu à peu et, délaissant l’impressionnisme comme il le fera plus tard de la peinture abstraite, il s'oriente vers les paysages ruraux de Nouvelle-Angleterre et du cap Cod, privilégiant la représentation des bâtiments urbains, qu'ils appartiennent aux villes moyennes américaines ou à New-York. Il faut également noter que s'il choisit d'évoquer la modernité par la représentation des routes, voies ferrées et des ponts, il néglige totalement les paysages industriels bien qu'ils soient une composante importante des États-Unis. Il leur préfère la vie quotidienne des classes moyennes, témoignant ainsi d'une sorte d'ambiance immobile et parfois même nostalgique d'un pays qui naguère était riche et puissant et qui peu à peu voit son importance s'amoindrir notamment au moment de la grande dépression.

     

    Au départ de son œuvre, il n'était pas portraitiste mais au début des années 30, les personnages, et spécialement les femmes, peuplent ses tableaux. Il poursuivra cette inspiration en donnant de plus en plus de place aux individus, leur instillant une sorte de présence grandissante mais avec une sorte de sentiment de solitude par un effet de juxtaposition. L'expression des visages où peut facilement se lire l'ennui né de l'attente, complète cette ambiance et le dépouillement du décor autour d'eux les transforment en individus anonymes dénués de toute émotion, presque en retrait, perdus dans leurs pensées ou simplement fatigués, impassibles comme s'ils portaient en eux une histoire individuelle impossible à raconter mais cependant dramatique. Ils semblent marqués par une véritable mélancolie voire du sceau de l'incommunicabilité. Le spectateur a facilement l’impression que dans ses œuvres, le temps est comme suspendu avec peut-être une idée sous-jacente d'un certain « paradis-perdu » qui ferait naître un spleen. Dans ces tableaux, les lignes sont épurées, le mobilier réduit à sa plus simple expression ou simplement absent, les paysages de campagne semblent baignés dans une sorte de langueur...Hopper sera en également largement inspiré par la photographie et par le cinéma qui exerceront une influence indéniable sur son œuvre. On peut se rappeler opportunément qu'il a aussi été illustrateur au cours de sa carrière.

     

    Il décédera en 1967 à New-York où il avait son atelier.

     

    Je reviens à cet article de Philippe Besson qui note que Hopper c'est la douceur mais il précise aussitôt qu'il y a chez ce peintre « une hésitation permanente entre douceur et danger ». Je retiens pour ma part un réalisme caractéristique qui fait l’originalité d'Edward Hopper et qui inspirera beaucoup d'autres artistes américains.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Edawrd Hopper au Grand Palais

    La Feuille Volante n° 1176

    Edward Hopper au Grand Palais – Beaux Arts Éditions

     

    Du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2013 a eu lieu au Grand Palais à Paris une exposition de l’œuvre de peintre américain Edward Hopper (1882-1967), rétrospective importante, puisque sur la centaine de tableaux réalisés par l’artiste, 55 étaient exposés. Cet ouvrage s'ouvre sur les propos de Didier Ottinger, commissaire de l'exposition qui le présente comme un artiste mal connu. Il insiste notamment sur l'absence de mélancolie dans la plupart des toiles de Hopper. Le commissaire préfère voir en lui un rebelle, un résistant face à la société américaine de son temps et qui cristallise les angoisses de la civilisation dans quelle il vit qui, selon lui, a trahi ses idéaux d'origine. Il concède que Hopper est un peintre réaliste mais insiste sur son côté abstrait, lui-même motivé non par une vision de la réalité mais par une émotion humaine. Il choisit donc d'en montrer une vision décalée qui peut remettre en question l'idée traditionnelle qu'on se fait de cet artiste. Dans cet ouvrage, plusieurs intervenants livreront également leur vision du peintre.

    J'avoue que, sans être spécialiste de Hopper, je ne le voyais pas exactement comme cela. Je le ressens comme un créateur paradoxale retirant à la fois peu de choses de ses séjours en France, mais affirmant, jusqu'à un âge avancé, son attachement aux impressionnistes français ainsi qu'à la poésie et ce malgré un style original conservé pendant toutes sa carrière américaine. Il était certes atteint par ce virus des voyages propre au Américains, qu'on peu déceler dans ses nombreuses représentations de routes, de voies de chemin de fer et d'hôtels mais il a choisi de représenter New-York, bizarrement vide de gens et de gratte-ciel, des maisons à l'architecture originale mais sans vie et la solitude du Cap Cod. Ses personnages comme ses paysages paraissent figés dans un isolement quelque peu malsain, mais il semblerait que, si certains de ses tableaux ont été influencés par la littérature de son temps, il n'en a pas moins imprimé sa marque au cinéma, celui d' Hitchcock notamment, et a l'ambiance des romans policiers où le malaise prévaut. En France, mais dans un autre registre, l’écrivain Philippe Besson ne fait pas mystère de l'attachement qui est le sien aux toiles de Hopper. Il est également présenté comme un peintre d'avant-garde alors qu'il s'est exprimé au moment où l'art abstrait se développait et combattait son parti-pris réaliste, lui-même refusant par ailleurs d'être mis en perspective avec Benson par exemple dont la préférence va à la représentation de scènes spécifiquement américaines.

    L'espace urbain exerce sur Hopper une véritable fascination. Cela avait déjà commence lors de ses séjours parisiens mais, même dans ce registre, j'ai toujours ressenti une certaine solitude et un vide caractéristique. Il aimait certes New-York mais n'a pas négligé les maisons, parfois à l'architecture particulière, des localités petites et moyennes et le décor un peu désolé du Cap Cod. Même si elle n'est pas vraiment absente de ses tableaux, la nature n'y est représentée que secondairement et il n'y a pas chez lui de grands espaces qui sont la caractéristique de l'Amérique, à l'exception toutefois des scènes maritimes . Il était en effet particulièrement attaché au bord de mer et à son décor.

    Il est également noté que, lorsqu'il représente un personnage, Hopper suscite une empathie chez le spectateur qui s'y identifie automatiquement et qui s'approprie sa mélancolie, communie à son silence, à ses préoccupations, à sa solitude et ce même si le peintre, par le truchement de sa toile, en fait un voyeur. Ce qui frappe aussi c'est la sensualité de sa palette. Non seulement il choisit de représenter majoritairement des femmes seules, souvent accompagnées de bagages, ce qui semble indiquer une fuite possible ou peut-être une aspiration vers plus de liberté, mais, le plus souvent, elles baignent dans une lumière chaude. Et douce En revanche, quand il évoque un couple, c'est une indifférence orageuse qui prévaut, à l'image sans doute de sa propre union avec Jo, son épouse.

    Même si je ne partage pas toutes les analyses qui ont été faites dans cet ouvrage et tous les concepts qui ont été développés autour de son œuvre, j'ai retrouvé avec plaisir l'émotion personnelle que je ressens à chaque fois que je croise les œuvres de cet artiste à la fois intemporel et au talent si attachant.

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Au revoir Monsieur Friant

    La Feuille Volante n° 1175

    Au revoir Monsieur Friant – Philippe Claudel - Stock

     

    Émile Friant (1863-1932), peintre naturaliste français était lorrain, tout comme l'auteur. Philippe Claudel commence par évoquer l'image de son arrière-grand-père, fauché à 29 ans par les ravages de l'absinthe et du gros rouge, à cause sans doute de ce tableau où le peintre représenta des « buveurs ». Pourtant c'est de sa grand-mère qu'il choisit de nous parler, celle qui était déjà vieille quand il fit sa connaissance et qui perdit son mari trois mois avant l'armistice de la « Grande Guerre », fauché par la mitraille et un éclat d'obus. De lui ? il lui restait ce morceau d'acier meurtrier et une photo couleur sépia qui avait perdu son éclat à force de caresses et de baisers qu'elle déposait chaque soir après lui avoir parlé de sa journée. Elle était éclusière sur le canal de Dombasle où l'enfant voyait glisser les péniches et y passa sa jeunesse dans le froissis de l'eau et la pêche à la ligne. Elle s'invite dans ce roman, presque malgré lui, nous dit-il, mais dans « Le café de l'Excelsior » (La Feuille Volante n° 620), un précédent roman, où les femmes n'étaient évidemment pas admises, c'est bien son image virtuelle à elle qui se reflétait dans les miroirs de l'estaminet. Est-ce parce que ce peintre de l'école de Nancy choisit de montrer des scènes d'un quotidien bourgeois que Claudel souhaite l'évoquer ?. Peut-être mais sa grand-mère n'appartenait pas à cette classe sociale et tenait sans doute à ses quartiers d'authentique roture. Est-ce parce que certains tableaux évoquent des inaccessibles jeunes filles en fleur d'un autre temps et que, à la fois timide et inconscient, il poursuivit celles de sa jeunesse ? Plus tard, il jeta pourtant sa gourme entre les bas résille et le parfum bon marché de putes de son quartier et sa jeunesse étudiante rima avec une bohème littéraire qu'il voulait voir durer longtemps et se terminer peut-être sous les ors d'une quelconque académie, la consécration comme celle que connut le peintre? Est-ce parce que Friant peignit « la Toussaint » que notre auteur voulut y voir aussi, dans les brumes de novembre, la fin de ses années de jeunesse, comme la mort est la fin de la vie ?

     

    A n'en pas douter Claudel s'interroge sur le parcours de Friant qui connut tôt le succès et l'entretint par une carrière qu'il juge quelque peu flagorneuse mais qui lui assura une aisance financière et une notoriété grandissante. Il fustige cette manière de monnayer son talent et pense qu'il cessera d'écrire, parce qu'écrire est épuisant, « un arrachement continue de viscères » et surtout pour ne pas tomber à son tour dans ce travers, dans ce qu'il nomme un malentendu. Voire ! Je pense et j'espère qu'il n'en fera rien parce que nous sommes nombreux sans doute à apprécier cet auteur, son style poétique et sa palette créatrice. Et d'ailleurs, il se ravise vite et précise « J'écris pour demander pardon » « pour le mal que j'ai fait autour de moi… ces petits riens, ces maigres trahisons… ces rendez-vous perdus que mes mots ne rachèteront jamais ». Nous avons tous, n'est-ce pas, quelque chose à nous reprocher ! Et puis, il y a quelque parenté lointaine entre le peintre et l'écrivain qui va au-delà de la toile blanche et de la page de la même couleur, qui sont une invitation mais surtout un défi à la création. Il y a sans doute cette envie de faire des ricochets sur l'eau d'un étang, de parler fort et de se rouler dans l'herbe, de brûler cette enfance qui s'attarde dans le rire des filles, les beignets d'acacia et la fragrance de l'eau de Cologne. La nostalgie est là qui fait partie de la vie et qu'on cultive dans l’image comme dans les mots, les souvenirs aussi, ceux qu'on regrette et qu'on ressasse même s'ils font mal.

     

    Émile Friant ne peignit sans doute jamais la grand-mère de Philippe Claudel qui n'était pour lui que sa domestique et qui le saluait en le quittant d'un respectueux « Au revoir Monsieur Friant ». Ses dix-huit ans lui donnait l'illusion que sa vie serait belle, mais il y eut la guerre.. .

     

    Je continue de lire avec un réel plaisir Philippe Claudel, rencontré un peu par hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque parce que, ce jour-là, le hasard fit pour moi bien les choses .

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Rupture

    La Feuille Volante n° 1174

    Rupture – Olaf Candau – Éditions Paulsen.

     

    Parce que son meilleur ami est mort et qu'il en ressent une trop grande culpabilité, l'auteur choisit de tout quitter, sa femme, sa fille en bas âge, sa maison, son métier de guide alpin pour fuir à pied à travers l'Europe. Cela peut être considéré comme une désertion, une fuite de ses responsabilités familiales et professionnelles. Cette pérégrination un peu surréaliste l'amène de France au Tibet en passant par des pays comme le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, sur la mer Caspienne sur laquelle il navigue quelques heures dangereusement. Il fait bien sûr des rencontres extraordinaires, celle d'un loup, celle d'hommes aussi paumés que lui ou simplement épris de liberté et désireux d'élargir leur horizon et de changer leur vie, celle de la police aussi. Il renoue avec la nature et la vie sauvage entre forêts, montagnes et grands espaces. Pas vraiment SDF, il est tour à tour fuyard parce que cette société ne lui convient plus, vagabond, routard, voyageur puis renoue avec la vie quand le Tibet et l'Himalaya lui offrent ses pentes à escalader. D'une certaine façon, la montagne qu'il avait quittée en France le rattrape, lui permettant, sinon de reprendre confiance, à tout le moins de mettre un point final à ses errements. Le séjour au Tibet, l'ascension du « toit du monde » est pour lui comme une thérapie . Face au défi de l'escalade, il ne songe plus à sa fuite en avant, comme si, en venant là, il avait atteint son but,. Il retrouve les gestes techniques du guide de haute montagne, son sens de l’organisation, de la logistique. Oublié ses vagabondage hasardeux avec des vêtements de récupération et une nourriture aléatoire, il redevient un professionnel de l'alpinisme avec l'envoi, depuis la France de son équipement et bénéficie même du concours d'un de ses amis, miraculeusement venu jusqu'au Tibet. Les dangers de l'ascension lui rappellent l'idée de la mort qui l'avait un peu abandonné lors de son long périple terrestre. Après tout, ce serait une « belle fin » pour un alpiniste ! Son séjour tibétain avec tout le contexte religieux et même mystique qui s'attache à cette région l'aide-t-il a se rapprocher de l'idée de Dieu ou de celle qu'il s'en fait ?

     

    Je sais gré à l'auteur d'avoir, dans un post-scriptum, précisé qu'il s'agit d'une fiction. Pourtant le mot « roman » n'apparaît pas sur la page de garde comme c'est, je crois, l'habitude. A aucun moment je n'ai cru à cette histoire et surtout pas à cette crise de la quarantaine ou cette obsession du temps qui passe et de la jeunesse qui s'enfuit. Je peux comprendre qu'un bouleversement qui intervient dans la vie puisse déclencher une réaction, mais encore une fois, cette histoire ne m'a pas convaincu. Nos réflexes sont parfois imprévisibles, c'est vrai, quant à la culpabilisation dont il est question, tout cela me paraît trop artificiel, trop judéo-chrétien. Ici, Si on en croit cette histoire, c'est la vie qui a prévalu, avec, il faut le dire, une bonne dose de chance. Cela fait un peu trop figure de « happy-end ». !

     

    Moi, j'ai un moment pensé à une recherche de la mort, peut-être pour rejoindre dans le néant cet ami décédé. La culpabilité qu'il ressentait face à cette mort, avait-elle besoin, pour s'éteindre, de passer par cette épreuve physique hors du commun ? Pourquoi pas ? Quant au voyage, nous savons qu'il ne guérit pas l'âme mais pour assumer son besoin de liberté, dans notre société standardisée et soumise à des contingences multiples, que l'auteur ait choisi cette forme d'action est recevable, surtout dans le contexte d'un roman ;

     

    Je ne sais trop pourquoi, je suis allé au terme de ce roman, pas par intérêt en tout cas, pas non plus pour la langue, bien quelconque dans laquelle il est écrit. En réalité, je me suis un peu ennuyé.

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Si belle, mais si morte

    La Feuille Volante n° 1173

    Si belle, mais si morte – Rosa Mogliasso – Éditions Finitude.

    Traduit de l'italien par Joseph Incardona.

     

    C'est agréable de se promener au bord d'un fleuve, à condition toutefois de ne pas y rencontrer un cadavre dont les pieds dépassent d'un fourré, même si ces pieds appartiennent à une jolie femme et sont chaussés d'élégants escarpins rouges. Tous ceux qui apercevront ce corps, que ce soit un couple de lycéens en flagrant délit d'école buissonnière, une jeune femme occupée à promener son chien, un jeune pâtissier homosexuel ou un clochard en proie à la folie, tous auront de bonnes raisons pour faire comme s'ils ne l'avaient pas vu et ce d'autant que des événements extérieurs, indépendants de leur volonté, viendront les perturber. Bref, aucun n'avertira les secours. Il y a certes l'obligation morale ou civique qui devrait inciter chacun à la dénonciation, mais, du simple point de vue de la logique, il est évident qu'un assassin continuait sans doute à errer dans la ville, à la recherche de sa prochaine victime. Cela devrait être suffisant pour avertir les autorités.

     

    C'est un petit roman court qui rend compte d'un fait divers presque ordinaire et étudie la façon de chacun de l'appréhender. Il met en scène et étudie des hommes et des femmes sous la forme d'une mosaïque de portraits, des vivants bien vivants face à cette belle femme morte à la fois omniprésente mais qu'on oublie vite cependant. Mine de rien il nous amène à nous interroger nous-mêmes sur notre attitude personnelle en pareil cas parce c'est toujours facile de rire, ou de sourire, des situations parfois gênantes dans lesquelles se trouvent les autres. Cela permet de faire l'impasse sur soi-même et l'humour avec lequel tout cela est dit est révélateur..Heureusement la morale est sauve puisque ce cadavre, ayant pénétré par hasard dans chacune des vies de ceux qui l'ont aperçu et voulu l'oublier, va y laisser son empreinte. Ce corps n'est pas là par hasard, cette berge du fleuve devient petit à petit le lieu de rendez-vous de ces témoins mais aussi le point de rencontre de la vie avec sa spiritualité, sa sensualité, ses espoirs, ses remords. Cet endroit devient celui des prises de conscience, des remises en question, des grandes décisions...mais c'est une autre histoire !

     

    Le sujet a beau être grave et dénoncer un des nombreux travers des hommes, capables du pire comme du meilleur, mais surtout du pire, Il est traité avec un certain humour, à la façon et au rythme d'une comédie italienne, au point qu'on en oublie cette pauvre femme morte au bord du fleuve. Nous avons affaire à une galerie de portraits fort bien brossés qui rend compte de l'espèce humaine dans sa complexité et dans sa diversité, dans sa lâcheté aussi. J'y vois aussi autre chose à titre personnel.. Derrière les sourires, j'aperçois, en filigranes, la mort qui se profile, celle qui viendra plus tard pour chacun d'entre eux à son rythme et à son heure, mais pas comme celle de cette femme sans doute assassinée, une mort « normale », la fin d' une vie qui arrive à son terme, la fin d'un parcours trop dur, ou trop facile, trop superficiel ou trop riche..Mais avant, il faut vivre dans l'instant et en épuiser les joies, en assumer les changements parce que demain sera un autre jour avec son lot de surprises, de déconvenues et de hasards.

     

    Ce sont de courts chapitres d'un court roman qui entraînent le lecteurs dans une sorte d'univers un peu particulier, d'une histoire surprenante où le suspense est entretenu jusqu'à la fin. Pour moi, ça a été une belle découverte d'une auteur inconnue jusque là et de son premier roman traduit en français.

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Le Royaume

    La Feuille Volante n° 1172

    Le RoyaumeEmmanuel CARRERE - POL

     

    Nous avons, pour la plupart d'entre nous, été élevés, de près ou de loin dans la religion catholique. L'enfance, parfois l’adolescence ont fait de nous des croyants sincères, à tout le moins réceptifs au message, mais dans l'âge adulte des doutes n'ont pas manqué de s’insinuer en nous, nous transformant en agnostiques ou en athées. J'avais entendu parler de ce livre et je l'ai abordé en me disant que l'auteur allait évoquer ce genre de parcours qui, sur une génération a vidé presque complètement les églises, tari les vocations au point qu'il n'y a plus de curés dans les paroisses et transformé cette vénérable institution qui se voulait un des piliers de notre société en une organisation démissionnaire qui a laissé la place à d'autres religions et à leurs dérives criminelles et qui a fourni des exemples contestables quand certains des membres du clergé étaient condamnés pour pédophilie et que les plus hautes autorités, oublieuses du message de l’Évangile, sombraient dans le crime, le délit et le scandale. Souvent, un bouleversement qui intervient dans notre vie nous rappelle cependant que la religion peut apparaître comme un recours. L'auteur revient ainsi vers la prière, la méditation et la lecture du livre saint et des docteurs de l’Église, nous détaillant son cheminement personnel. C'est assez long et ennuyeux. Il ne pourra s'empêcher, au cours de ce livre de parler de lui, de ses goûts, illustrant ce solipsisme propre aux auteurs. Puis,dans une autre partie, érudite et moins fastidieuse, il refait l'histoire de Luc, l’évangéliste conciliant et celle de Paul, plus intransigeant, prosélyte d'autant plus actif qu'il a commencé sa vie en persécuteur des fidèles du Christ. Emmanuel Carrère se livre à un travail de scrupuleux archiviste mais aussi d’écrivain imaginatif, glosant sur les « Actes des apôtre » du premier et les épîtres du second. et sur l'itinéraire de ces deux disciples dont aucun n'a connu le Christ. II commente leur insatiable témoignage en faveur de ce qui n'était au départ qu'une secte, qu'ils se sont attachés à développer face aux Juifs et aux gentils. Il parle de l'inévitable quiproquo incarné par Jésus,qui se présente comme le Messie dont « le royaume n'est pas de ce monde » et les juifs qui attendaient un libérateur politique. Il présente le Christ comme révolté contre la religion juive mais pas contre l'occupation romaine Il rappelle la polémique jamais vraiment tranchée qui pose le Christ comme condamné par les juifs mais exécuté par la Romains ; elle nourrit encore aujourd'hui l'antisémitisme chez les catholiques. Ce livre est une vaste enquête et les investigations de l'auteur sont judicieuses et illustrées d'exemples contemporains qui les rendre plus humaines, convoque Nietzsche et Sénèque, Montaigne et Dostoïevski et c'est parfois déroutant, mais il le fait, non plus comme un croyant comme au début mais comme un agnostique. Il fait aussi œuvre d'historien, remettant chacun à sa vraie place, et ce nonobstant une légende, souvent autoproclamée qui a porté les intéressés au pinacle. Il ne peut s'empêcher de parler de Jean mais, trop peu à mon goût, de l’apocalypse. J'aurais aimé qu'il abordât l'étude des évangiles apocryphes...

    Il n'est reste pas moins que j'ai lu ce livre avec curiosité et passion. A titre personnel, j'ai apprécié que l'auteur regarde cette religion avec les yeux du doute et en dehors de tout dogmatisme. J'ai aimé son style pertinent, ses remarques parfois impertinentes parce que le sujet s'y prête et ne laisse personne indifférent même si, dans les réunions entre humains, la religion comme la politique font partie des thèmes qu'il vaut mieux ne pas aborder si on veut leur garder une dimension apaisante. Pourtant, j'ai été un peu déçu dans le registre de l'agnosticisme. Je m'attendais à autre chose. Je reconnais le travail d'exégète, j’apprécie la remise en cause des vérités qu'on nous demande de recevoir « béatement » et surtout sans les discuter mais j'aurais aimé qu'il aille plus loin dans l'analyse, qu'il bouscule un peu ces idées reçues et peut-être surtout qu'il dénonce ce qui, dans ce catholicisme qui s'est longtemps autoproclamé détenteur de « la vraie foi »(sans aucune considération pour les autres tendances du christianisme) ce qui peut choquer les esprits cartésiens que nous sommes censés être. J'aurais aimé que dénonçât cette culpabilité judéo-chrétienne, à mes yeux irrationnelle, et contre-productive ou à tout le mois qu'il en parlât.

     

    © Hervé GAUTIER – septembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Solo al vivo

    N°371– Octobre 2009

    SOLO AL VIVO – Un disque de Gianmaria TESTA.

     

    Décidément ces chanteurs italiens sont des enchanteurs.

     

    Cette chronique s'est déjà fait l'écho de la poésie et des chansons de Paolo Conte, cette fois je ne manquerai pas l'occasion d'évoquer un auteur-compositeur-interprète que le hasard m'a permis de découvrir et dont le talent ne peut laisser indifférent d'autant qu'il a une parenté avec le crooneur piémontais, une parenté musicale et même physique. Sa rencontre à travers les chansons de ce disque constitue des moments précieux. Le personnage a quelque chose d'attachant, imaginez un chef de gare qui un jour choisit d'abandonner sa situation, ce qui est déjà extraordinaire parce que sous toutes les latitudes le Chemin de Fer est quelque chose d'autre qu'un simple métier et les cheminots des gens qui ont de leurs fonctions une certaine idée. Voilà, il a pris un jour sa décision , au lieu de voir chaque jour des gens monter dans des trains, il allait, grâce au son de sa voix et des accents de sa guitare, les faire voyager.

    La langue italienne est déjà, à elle seule une musique et personnellement je n'aime rien tant que d'entendre parler des Italiens entre eux... même si je ne comprends pas ce qu'ils disent. Mais en plus, la voix de Testa a quelque chose de rocailleux, d'envoutant, peut-être parce qu'elle n'est pas mélodieuse, qu'elle est très mélancolique et un peu sourde comme voilée par un brouillard de montagne, parce qu'elle a des accents d'une authenticité un peu oubliée.

    Ce disque est le septième dans sa discographie. C'est le résultat d'un concert en solo donné à l'auditorium de Rome, le 3 mai 2008, qui n'était pas destiné, à l'origine, à devenir un disque mais à la suite d'un miracle comme il s'en produit parfois, la complicité poétique qui s'est tissée entre le chanteur et son public, a transformé la vingtaine de morceaux tirés de ses précédents albums en moment d'exception.. On pourra en retenir le thème douloureux de la migration [Rital] ou celui du quotidien éphémère [Al mercato di porta Pallazzo ], mais chacun de ses textes de chanson qui sont autant de poèmes distille cette atmosphère où se conjuguent réel et imaginaire.

    L'amour n'est pas absent de son répertoire, (comment pourrait-il en être autrement?)[come al cielo gli aeroplani], la sensibilité, la poésie délicate non plus qui tresse si belles images [« Et si jamais, comme par hasard, te cherchaient d'autres mains et d'autres mains dessinaient d'autres empreintes sur toi »]. Comme lui, l'univers des femmes et de l'amour qu'elles inspirent, parfois comme de simples passantes, qui croisent votre regard et disparaissent sans même se retourner, m'émeut.

     

    Son côté poète me plait bien aussi parce qu'il sait que le temps passe, que la vie est un bref moment [« Oui la vie est un instant et nous passe sur les pieds et puis, tout devient souvenirs »], son aspect fragile, éphémère souligné par la simple conjugaison des mots à peine chantés et des arpèges de son instrument, comme une flamme qui vacille dans un courant d'air.

    Les textes ont quelque chose de surréaliste, d'agréablement mystérieux qui pourtant ne m'est guère étranger.

     

    Je lis sur le livret qui accompagne son disque que chacun de ses concerts s'accompagne d'un verre de vin et d'une cigarette. Enfin quelqu'un qui ne cache rien de ses envies, de ses origines populaires, pas un de ces intellectuels au discours abscons qui veulent être originaux et pour cela n'hésitent pas à jouer une comédie ridicule !

     

    Et puis j'aime bien sa manière de vivre les choses « Les gens comme moi commencent par batailler tout seuls avec une guitare. Jusqu'à ce que le bois en perde son vernis et que les doigts se creusent de cordes- Ainsi avons -nous décidé, Paola et moi,de laisser une trace d'un jour de mai à Rome ». Je suis heureux d'avoir été au rendez-vous dont il parle, l'empreinte en reste vive!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com


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  • Les brisées

    La Feuille Volante n° 1171

    Les BriséesJean-Yves Laurichesse – Le temps qu'il fait.

     

    C'est à un parcours intime, sur les chemins de son enfance, « aussi invariables que ceux des chats » que nous convie le narrateur qui y revient à l'occasion des obsèques de son père. Les lieux ont changé dans ce petit chef-lieu, les rues sont devenues piétonnes et les boutiques modernes, autant dire qu'il n'en reste pas grand chose mais les visions de sa jeunesse l'assaillent comme des photos en noir et blanc, autant de moments enfuis, définitivement disparus et qui ne reviendront pas. Les échoppes qui ont résisté à la modernité sont vides mais il lui revient « le picotement acidulé de la poudre magique », les odeurs, les couleurs, les visions furtives, une version personnelle de la madeleine de Proust, des bribes de cette enfance qu'on n'oublie jamais. Je découvre petit à petit l'univers de cet auteur mais ce qui me frappe c'est à nouveau le thème de l'abandon des lieux, des appartements, par leurs occupants. J'avais déjà fait cette remarque dans son premier roman, une façon de marquer le silence, la solitude, la fuite du temps, la fragilité de cette vie dont chacun de nous n'est que l'usufruitier. L'auteur nous raconte une histoire comme s'il était le témoin de celle d'un autre, utilisant le pronom personnel « il » mais en réalité c'est la sienne qu'il confie au lecteur. Il déroule rapidement l'écheveau du souvenir et, aux soirées parfois scolairement studieuses de l'hiver répondent les longues journées de vacances, les jeux d'enfant, la découverte d'un atelier aux odorants copeaux de bois ou de la délicate odeur des foins dont ses mots plus tard se nourriront.

    En réalité, ce que j'ai choisi de lire c'est son voyage au pays de l'écriture. Cela commence par la lecture de romans traditionnels où l'ancien temps succède au dépaysement du voyage et son parfum d'aventure. Elle préexiste à ce qui sera sans doute un long cheminement où les poèmes à la prosodie hésitante au début, sont un point de passage obligé. Elle s'affinera par la suite et la feuille blanche sera déjà le témoin des émotions, des émois peut-être, des échecs et des désillusions mais le solipsisme s'accorde fort bien avec le secret et mes mots seront toujours un exorcisme qui aident à supporter les vicissitudes et l’ingratitude du monde. La poésie d'enfance laissera la place à la prose, les mots appelleront les mots qu'on tressera en textes parfois aboutis, parfois jetés, parfois interrompus, qu'on rangera pour plus tard, qu'on thésaurisera comme un trésor ou qu'on oubliera. On en fera même un tapuscrit, en faisant semblant de croire que c'est déjà un pas vers l'édition, vers le succès. On se rêvera bohème et inspiré et se réveillera un peu groggy parce qu'il faut bien vivre, faire autre chose que ce qu'on avait imaginé, parce que la vie quotidienne reprend ses droits avec ses contingences et ses obligations. Puis viendront les essais qu'on jugera réussis, qui seront réalistes, poétiques ou abscons, qu'on enverra à l'éditeur qui bien entendu les refusera, la déception sera grande et avec elle naîtra le doute, pointera le découragement … Pourtant l’inspiration sera là, qui parfois puise ses mots dans une sorte de mémoire héréditaire inconnue et qui attendra qu'on accepte d'écouter son message. Si on passe outre, elle s'évanouira dans un replis du temps pour ne jamais revenir mais si on est vigilant elle offrira un legs inattendu. Puis ce sera la visite qu'on fera à un écrivain reconnu et qui sera un grand moment de sa vie, plein d’illusions et qu'on rangera dans un coin de sa mémoire. Elle sera sans lendemain parce qu'il faut que chacun fasse son chemin, à son rythme, avec son talent, ses imperfections et ses fêlures, avec sa chance aussi, si elle veut bien se manifester. On finira sans doute par se dire qu'on est passé à côté de sa vie qui est unique et qu'on ne peut refaire le chemin à l'envers ou on s’engouffrera dans une opportunité, en se disant que peut-être elle sera la dernière.

    Courts chapitres d'un court roman où j'ai retrouvé avec plaisir la poésie des descriptions, le rythme de la phrase qu'on confie au papier pour qu'il en garde la mémoire, pour qu'il recréé sous les yeux du lecteur respectueux tout le charme de ce passé qui revient, qui prend corps avec des mots porteurs de vie. L'écriture est le témoin de son parcours parce que la vie l'inspire, la nourrit, la justifie, débrouille les choses dans la forêt des souvenirs. Tout cela est prêté au lecteur devenu témoin privilégié qui peut cependant passer outre. Moi j'ai choisi d'y être attentif.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Un passant incertain

    La Feuille Volante n° 1170

    Un passant incertain – Jean-Yves Laurichesse – Le temps qu'il fait.

     

    C'est étonnant mais, comme le narrateur, j'ai, moi aussi, selon mon habitude, pris ce roman sur les rayonnages d'une bibliothèque puisque j'aime découvrir ce que le hasard me propose.

    Ici, le narrateur croise, dans la boutique d'un bouquiniste, l'unique roman d'un auteur inconnu, disparu sans descendance, à la fin de la deuxième guerre mondiale, Paul Monestier. J'imagine un volume broché dont on n'a pas même pas pris la peine de couper les pages, comme cela se faisait à l'époque. Ce livre le bouleverse au point de changer sa vie et, cherchant à retrouver les lieux où se déroule l'intrigue, lors d'une sorte de pèlerinage littéraire dans un petite ville du centre de la France, il croit apercevoir l'auteur dans la touffeur de l'été, toujours entre songe et réalité. Il y rencontre même par hasard la seule famille qui reste à cet écrivain inconnu, une nièce, qui lui demande de publier ce roman oublié, comme une seconde chance donnée à cette œuvre...mais sous son propre nom, lui qui n'a jamais rien écrit ! Après des hésitations bien naturelles et oubliant jusqu'au plagiat, pourtant sanctionné par le code pénal, le narrateur se lance et un éditeur, séduit par le côté intemporel du manuscrit, l'édite sans que personne, ni les libraires, ni les journalistes spécialisés ni même les éditeurs ne se rendent compte de rien. Seul le titre est modifié et le narrateur devient un auteur à succès alors que le roman originel, publié quelques dizaines années plus tôt, n'avait connu qu'une audience très locale. L'éditeur sollicite même une suite à cet ouvrage.

    Tout au long de ce roman, j'ai aimé l'ambiance un peu mystérieuse qui y règne et qui ressemble par moment à celle d'un roman policier mais sans cadavre ni sang. Parfois même j'ai eu l'impression que l'imposture allait être découverte (notamment lors des séquences autour du mot « incertain ») , mais en réalité il n'en est rien. C'était un jeu un peu dangereux auquel s'est prêté ce narrateur-auteur un peu solitaire, d'autant qu'il va s'apercevoir, au rythme lent des informations distillées par la nièce de Monestier qui révèle des renseignements comme on place les pièces d'un puzzle, que la suite prévue, s'il parvient à la rédiger, va réveiller de vieux fantômes, révéler des secrets de famille, dévoiler une liaison amoureuse devenue orageuse en ces temps troublés de l'Occupation, dénoncer une facette peu reluisante de l'espèce humaine. Est-il manipulé par elle pour effectuer un devoir de mémoire, pour réparer une injustice ou réhabiliter un nom ? Sera-t-il victime de ce piège dans lequel il s'est volontairement laissé enfermé, acceptera-t-il ce travail de rédaction ? Il est tenté par cette entreprise à cause sans doute de la communauté d'esprit qui existe entre le narrateur et Monestier. On songe à « L'eau grise » le premier roman que François Nourricier écrivit en évoquant Jacques Chardonne. En effet, ce roman qui paraît sous le nom du narrateur fonctionne cependant comme un révélateur et l'incite à s'engager plus avant dans l'écriture personnelle qui affirmera son talent .

    Je n'ai bien entendu pas lu le roman de Paul Monestier mais dans celui de Jean-Yves Laurichesse il y a cette absence de modernité qui me plaît bien et qui veut qu'existe toujours dans une intrigue romanesque une histoire d'amour. Ici des femmes illuminent de leur présence ce texte à des degrés divers, mais il n'y a pas la moindre passade entre elles et le narrateur, comme on aurait pu s'y attendre dans un roman d'aujourd'hui.

    J'ai vraiment bien aimé ce roman qui est original à plus d'un titre. Le lecteur tient entre ses mains un livre qui porte le même titre que le roman de Monestier mais qui pourtant parle d'autre chose tout en y faisant moult références. Il atteint son but, celui non seulement de rendre à la vérité son véritable visage, d'avoir permis la rencontre d'êtres vivants autour du spectre d'un mort, d'avoir montré que le texte écrit, né de ce combat intime entre l'écrivain et le néant de la page blanche, va raconter quelque chose qui s’inscrira dans « le lit défait du temps », marquera, même en pointillé, le passage de quelqu'un sur cette terre.

    Je ne connaissais pas Jean-Yves Laurichesse mais j'ai apprécié son style discret et délicat, la poésie de ses descriptions qui me procure toujours cet extraordinaire dépaysement et cet attachement à la nature qui donne à lire un texte bien écrit qui sert une intrigue originale.

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Un passant incertain

    La Feuille Volante n° 1170

    Un passant incertain – Jean-Yves Laurichesse – Le temps qu'il fait.

     

    C'est étonnant mais, comme le narrateur, j'ai, moi aussi, selon mon habitude, pris ce roman sur les rayonnages d'une bibliothèque puisque j'aime découvrir ce que le hasard me propose.

    Ici, le narrateur croise, dans la boutique d'un bouquiniste, l'unique roman d'un auteur inconnu, disparu sans descendance, à la fin de la deuxième guerre mondiale, Paul Monestier. J'imagine un volume broché dont on n'a pas même pas pris la peine de couper les pages, comme cela se faisait à l'époque. Ce livre le bouleverse au point de changer sa vie et, cherchant à retrouver les lieux où se déroule l'intrigue, lors d'une sorte de pèlerinage littéraire dans un petite ville du centre de la France, il croit apercevoir l'auteur dans la touffeur de l'été, toujours entre songe et réalité. Il y rencontre même par hasard la seule famille qui reste à cet écrivain inconnu, une nièce, qui lui demande de publier ce roman oublié, comme une seconde chance donnée à cette œuvre...mais sous son propre nom, lui qui n'a jamais rien écrit ! Après des hésitations bien naturelles et oubliant jusqu'au plagiat, pourtant sanctionné par le code pénal, le narrateur se lance et un éditeur, séduit par le côté intemporel du manuscrit, l'édite sans que personne, ni les libraires, ni les journalistes spécialisés ni même les éditeurs ne se rendent compte de rien. Seul le titre est modifié et le narrateur devient un auteur à succès alors que le roman originel, publié quelques dizaines années plus tôt, n'avait connu qu'une audience très locale. L'éditeur sollicite même une suite à cet ouvrage.

    Tout au long de ce roman, j'ai aimé l'ambiance un peu mystérieuse qui y règne et qui ressemble par moment à celle d'un roman policier mais sans cadavre ni sang. Parfois même j'ai eu l'impression que l'imposture allait être découverte (notamment lors des séquences autour du mot « incertain ») , mais en réalité il n'en est rien. C'était un jeu un peu dangereux auquel s'est prêté ce narrateur-auteur un peu solitaire, d'autant qu'il va s'apercevoir, au rythme lent des informations distillées par la nièce de Monestier qui révèle des renseignement comme on place les pièces d'un puzzle, que la suite prévue, s'il parvient à la rédiger, va réveiller de vieux fantômes, révéler des secrets de famille, dévoiler une liaison amoureuse devenue orageuse en ces temps troublés de l'Occupation, dénoncer une facette peu reluisante de l'espèce humaine. Est-il manipulé par elle pour effectuer un devoir de mémoire, pour réparer une injustice ou réhabiliter un nom ? Sera-t-il victime de ce piège dans lequel il s'est volontairement laissé enfermé, acceptera-t-il ce travail de rédaction ? Il est tenté par cette entreprise à cause sans doute de la communauté d'esprit qui existe entre le narrateur et Monestier. On songe à « L'eau grise » le premier roman que François Nourricier écrivit en évoquant Jacques Chardonne. En effet, ce roman qui paraît sous le nom du narrateur fonctionne cependant comme un révélateur et l'incite à s'engager plus avant dans l'écriture personnelle qui affirmera son talent .

    Je n'ai bien entendu pas lu le roman de Paul Monestier mais dans celui de Jean-Yves Laurichesse il y a cette absence de modernité qui me plaît bien et qui veut qu'existe toujours dans une intrigue romanesque une histoire d'amour. Ici des femmes illuminent de leur présence ce texte à des degrés divers, mais il n'y a pas la moindre passade entre elles et le narrateur, comme on aurait pu s'y attendre dans un roman d'aujourd'hui.

    J'ai vraiment bien aimé ce roman qui est original à plus d'un titre. Le lecteur tient entre ses mains un livre qui porte le même titre que le roman de Monestier mais qui pourtant parle d'autre chose tout en y faisant moult références. Il atteint son but, celui non seulement de rendre à la vérité son véritable visage, d'avoir permis la rencontre d'êtres vivants autour du spectre d'un mort, d'avoir montré que le texte écrit, né de ce combat intime entre l'écrivain et le néant de la page blanche, va raconter quelque chose qui s’inscrira dans « le lit défait du temps », marquera, même en pointillé, le passage de quelqu'un sur cette terre.

    Je ne connaissais pas Jean-Yves Laurichesse mais j'ai apprécié son style discret et délicat, la poésie de ses descriptions qui me procure toujours cet extraordinaire dépaysement et cet attachement à la nature qui donne à lire un texte bien écrit qui sert une intrigue originale.

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • la vie spirituelle

    La Feuille Volante n° 1167

    la vie spirituelle – Laurence Nobécourt – Bernard Grasset.

     

    Ce que confesse au lecteur Laurence Nobécourt peut partaître étonnant. Elle avoue avoir inventé un poète japonais, Yazuki, dont elle cite les vers et dont elle veut faire la biographie. C'est une démarche intéressante à laquelle se livre l'auteure. Ce qu'elle nous propose n'est pas un roman, l'éditeur ne le baptise d'ailleurs pas ainsi, c'est une sorte de démarche personnelle et créative qui commence par la honte d'être née, d'exister. Pour faire face à cela, pour l'exorciser peut-être, elle a commencé par des romans (sous le nom de Lorette) pour leur préférer la poésie et la création d'un un personnage, ce poète japonais du nom de Yazuki parce qu'elle était attirée par ce pays, par sa culture, sa manière de vivre, au point qu'elle a toujours eu l'impression d'avoir été japonaise. Il est vrai que depuis toujours le Japon fascine l'occident. En réalité ce n'est pas si étonnant que cela puisque l'imagination est le domaine de l'écrivain, que la poésie est un monde parallèle où se réfugient bien plus de gens qu'on ne pense parce qu'ils se souviennent de leur enfance et des croyances puériles qui vont avec, et aussi parce que le monde tel qu'il est ne leur convient pas. Une fois créé, cet être va simplement vivre, aimer dans une sorte de microcosme où l'idéal est de mise, entre l'absolu et l'imperfection simplement parce qu'il est à l'image de l'écrivain qui lui insuffle la vie mais aussi lui prête ses phobies, ses fantasmes. Elle est consciente que ce personnage est fictif mais elle va lui donner une vie solitaire, va écrire sa biographie, citer ses poèmes, lui inventer une compagne idéale, Haru, et même se rendre au Japon pour le rencontrer ! Après tout un écrivain comme Fernando Pessoa n'a pas fait autre chose avec tous ses « hétéronymes » qui complètent et éclairent son œuvre. Il va sans dire que la vie de ce Yazuki est d'une autre nature que la nôtre puisqu'elle est imperméable au temps, qu'elle est spirituelle !

     

    J'ai toujours personnellement trouvé passionnant cette position créatrice d'autres personnages, à la fois semblables et différents de l'auteur à qui ils doivent la vie, comme je suis toujours étonné qu'à l'intérieur d'un roman, une créature, par essence fictive, prenne sa liberté et vive une vie qui parfois échappe à l'auteur lui-même qui est pourtant censé en titrer les ficelles. Le plus étrange, si on en croit l'auteur, c'est que Yazuki existe réellement, mais c'est une femme et ce nom n'est qu'un pseudonyme ce qui est une manière de se cacher du monde ! L'auteur ressent cela comme une perte, mais aussi, comme une délivrance. En signant ses propres poèmes qu'elle attribuait à Yazuki elle ainsi dépassé sa honte d'exister grâce à l'écriture. La rencontre qu'elle souhaite au Japon ne sera cependant pas possible entre elles, comme une sorte de symbole. Laurence abandonne cependant le personnage de Yazuky et toutes les fictions qui accompagnent sa vie. A l'entendre, la révélation de cette existence réelle est comme une renaissance, une sorte de prise de conscience en pointillés d'une autre forme de vie. La démarche de l'auteure me paraît intéressante dans la mesure où elle dépasse l’imaginaire. Le poète qu'elle avait imaginé existe vraiment mais il ne correspond pas du tout à l'image qu'elle en avait tissée. Sa démarche d'aller au Japon révèle pour elle, le silence, la solitude née notamment de cette langue qu'elle ne parle pas, le vide né de l'absence d'habitudes parce que sa vie est ici seulement vouée au présent. Auparavant, elle écrivait par mélancolie mais maintenant les mots lui manquent, elle a conscience de ne plus exister, ce qui lui donne l'intuition de la mort. Face à cela, il ne lui reste plus qu'à retrouver Yazuky, pas le vrai mais celui qu'elle a inventé, qu'elle va inviter dans le texte qu'elle va écrire et qui ainsi deviendra un roman, une fiction où il vivra avec Haru.

    Elle inscrit ce personnage dans ce décor imaginaire mais copié quand même sur la vraie ville de Kyoto où elle vit temporairement. Cette démarche me paraît aller dans la même sens que la création de ce personnage nippon et peut parfaitement avoir ses sources dans une mémoire héréditaire dont les racines se perdent dans les alvéoles du temps où aucune explication rationnelle n'a sa place. Le plus étonnant dans cette démarche, c'est que l'auteure, une fois qu'elle eut réalisé que le personnage de Yazuki avait une réalité, elle a cherché à le récupérer en tant que personnage de roman, mais tel qu'elle l'avait imaginé, un peu comme s'il vivait sa vie romancée ou l'auteure aurait la seule direction de ce qui lui arriverait. Elle donne libre cours à son amour pour le Japon tout en sachant que le livre qu'elle voulait écrire sur Yazuki n’existera jamais comme elle l'avait imaginé et qu'il lui faudra en faire le deuil. De cette certitude naît une sorte de lassitude, de solitude, de vertige, de vide. Il en résulte une impossibilité d'écrire, un échec. Pourtant son instinct de créateur reprend le dessus. Elle va s'approprier Yazuky, mais celui qu'elle a crée, pas le véritable qui dès lors ne l’intéresse plus, sans doute parce qu'il est bien différent de celui qu'elle a modelé. Sur place il y a l'obstacle de la langue qui accentue l'absence de communication ce qui la fait revenir à un présent bien présent qui, du coup, fait s'évanouir ses rêves nippons. Laurence reste un écrivain qui va se raccrocher aux mots, aux siens, parce cette expérience est source de création. Dès lors, son voyage au Japon n'aura pas été inutile, ce pays sera l'écrin de sa création, Elle va y réunir et y croiser ses personnages qui ainsi ont repris vie dans une sorte d’intemporalité qui ressemble peut-être à l'éternité. Le roman se trame et s'écrit de lui-même, comme par miracle et les mots viennent, jusqu'à la rencontre imaginaire entre elle et Yazuki, à la fois révélatrice et énigmatique, quelque chose d'initiatique comme ce voyage qui est aussi un voyage intérieur, générateur à la fois de paix intérieure et de création littéraire. Le monde réel est fragile, surtout au Japon et ce malgré les apparences et la page se tourne comme celle d'un livre mais c'est pour elle une sorte de philosophie, une sagesse aux dimensions poétiques qui se confond avec la floraison du printemps qui renaît.

     

    Au départ, ce n'était pas facile mais j'avoue avoir suivi la démarche de cette auteure parce que cette expérience avait pour moi quelque chose de personnel et que j'étais curieux du résultat qu'elle obtiendrait. Je ne connaissais pas Laurence Nobécourt et j'aurais sûrement plaisir à poursuivre cette découverte

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • La clôture des merveilles

    La Feuille Volante n° 1169

    La clôture des merveilles – Lorette Nobécourt - Grasset.

     

    Tout d'abord, par clôture, il faut entendre l'espace réservé aux religieuses cloîtrées, quelque chose de plus personnel aussi. Il faut aussi porter de l'attention à une citation en exergue « Ainsi l'homme est la clôture des merveilles de Dieu ». Ce livre est en effet sous-titré « Une vie d'Hildegarde de Bingen », religieuse bénédictine rhénane, érudite (1098-1179), qui fut canonisée, reconnue docteur de l’Église (2012) et passa sa longue vie dans un monastère qu'elle dirigea, à consigner ses visions et à composer des chants liturgiques.

    J'aime lire les biographies surtout celles de gens hors du commun qui honorent l'humanité et qui ont fait un parcours exceptionnel et respectable. Je ne connaissais pas Hildegarde de Bingen et la vie monastique qu'elle a choisi, son destin de religieuse assumée, m'ont passionné. Contrairement à ce à quoi je m'attendais, ce n'est pas une biographie au sens traditionnel du terme mais davantage une évocation, un témoignage romancé de la vie de cette femme promise très tôt à la vie monastique, non seulement parce que, dans la noblesse rhénane à laquelle sa famille appartenait, on consacrait sa dernière fille à Dieu, mais surtout à cause des apparitions dont elle a été le témoin dès l'âge de trois ans. Ce récit est baigné de poésie, ce qui n'est pas pour me déplaire et je considère que le style de Lorette Nobécourt est d'une qualité incontestable. Je me demande cependant si, à trop vouloir enluminer sa phrase, l'auteure ne pêche pas une atténuation de l'information qu'elle veut délivrer, un peu comme si la syntaxe poétique était incompatible avec la biographie. J'ai appris bien des choses intéressantes sur cette religieuse, apprécié sa liberté de paroles et d'actions, son courage d'oser s'exprimer et interpeller la hiérarchie ecclésiastique essentiellement masculine, son combat contre la maladie, son action en faveur de la santé humaine et spirituelle, indispensables pour un service divin efficace, son esprit d'indépendance et son message intellectuel mis au service de sa foi, sa vision holistique de l'être humain remis au centre du monde pour la plus grande gloire de Dieu, son rayonnement aussi quand l’Église se méfiait tant des femmes et que l'écriture était réservée aux hommes (encore faut-il préciser que c'est le moine Volmar qui, pendant dix années a tenu la plume et mis en forme ses phrases parfois absconses).

    Tout au long de ce livre, j'ai senti une Lorette sous influence, plus convaincue par son sujet que désireuse d'en faire une banale biographie, ce qui correspond bien aux premières lignes de ce livre. Je l'ai sentie désireuse d’entraîner son lecteur à sa suite avec de nombreuses citations d'Hildegarde, employant à l'envi le mot « viridité » pour exprimer la détermination de l'abbesse qui enseigne que l'enfermement du monastère rend plus libre et qui parle de « l'éros spirituel » en donnant à l'amour une exception particulière et quelque peu inattendue pour une femme élevée au rang de sainte. Je ne suis, en effet, pas sûr d'avoir bien compris, à travers les allusions que fait Lorette, la nature exacte de l'amour qui lia Hildegarde et Richardis von Stade, cette moniale qui vécut un temps dans son monastère

    Je ne saurais définir exactement la nature de l'inspiration littéraire mais j'ai toujours été étonné par ceux qui se disent visités par des révélations qui leur sont étrangères et qui les dépassent. Lorette semble donner au verbe une dimension divine, ce qui certes va dans le droit fil de l'enseignement religieux mais, pour délivrer son message liturgique, et pourquoi pas prosélytique, Hildegarde use d'un vocabulaire inconnu de ses contemporains, indéchiffrable et sans doute jugé dangereux par qui ne le comprend pas. Je vois là une contradiction chez cette femme érudite et désireuse d'amener dans le giron de l’Église le maximum de gens, de témoigner par les mots comme elle le faisait par l'exemple, usant de la parole aussi bien pour enseigner que pour guérir, conseils personnalisés, livres ou prêches publics.

     

    Je suis resté imperméable au message religieux mais j'ai, en revanche, été fasciné par la volonté de cette femme de marquer son passage sur terre, par sa personnalité qui correspond bien à celle des abbesses de ce temps, à la fois soumises au Ciel mais aussi autoritaires, érudites, contestataires et désireuses de s'affirmer face à une hiérarchie religieuse misogyne .

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Dans ce jardin qu'on aimait

    La Feuille Volante n° 1168

    Dans ce jardin qu'on aimait – Pascal Quignard – Grasset .

     

    C'est un roman étonnant que nous offre Pascal Quignard, étonnant et déroutant. Dans la préface, il nous présente le révérend Simeon Cheney, un pasteur vivant dans l'état de New York, dans un presbytère isolé et qui a, de 1860 à 1880, noté tous les chants d'oiseaux qu'il avait entendus dans le jardin de sa cure, mais aussi tous les bruits qu'il percevait, des gouttes qui s'écoulent sur le pavé d'une cour, le bruit que fait le vent d'hiver qui s'engouffre dans les pèlerines suspendues à un portemanteaux. Cette technique sera reprise plus tard par Dvorák et Olivier Messiaen.

    L'auteur mêle au texte une sorte de pièce de théâtre où le lecteur apprend qu'Eva, l'épouse du révérend est morte en couches à l'âge de 24 ans en donnant naissance à Rosemund, sa fille unique. Or il adorait sa femme mais son mariage a été éphémère et il ne s'est pas remarié. Sa fille a maintenant 28 ans et Siméon la congédie pour ne pas la voir vieillir parce qu'elle ressemble trop à sa mère. C'est un geste étonnant puisque rien dans l'attitude de sa fille ne motive cette exclusion de la maison. C'est très judéo-chrétien que de vouloir se culpabiliser soi-même ou accuser les autres, surtout que dans son cas Simon, lors de l'accouchement, a préféré sacrifier la vie de la mère. Son père est-il devenu fou ou lui reproche-t-il de vivre alors que sa mère est morte en la mettant au monde ? Siméon est tellement révolté par l'injustice qui le frappe qu'il en conçoit une sorte de haine pour sa fille, prétendant ne l'avoir jamais aimée, ne pas avoir voulu qu'elle naisse ; il reproche même à sa fille ses cris de nourrisson après la mort de sa femme. Rosemund part donc et tente de se marier, mais en vain. Elle reviendra auprès de son père pour ses dernières années.

    Ce que je retiens, le livre refermé, c'est d'abord la langue de Pascal Quignard, toujours aussi pure et poétique. Ce texte, comme bien d'autres, est un bon moment de lecture. Je note également que le pasteur Simeon est un homme d’église mais qui, dans son malheur et dans son deuil, ne trouve pas de consolation en Dieu qu'il a pourtant choisi de servir. Il n'y a pas dans sa bouche la moindre prière pour le repos de l'âme d'Eva qu'il croit revoir en hallucination ou en rêve, il n'y a pas d'allusion à la résurrection des morts ni à la vie éternelle qui sont pourtant des arguments chrétiens. Seul le silence lourd de la mort s'étend sur la vie du révérend et quand son tour viendra il ne laissera pas Dieu accompagner son trépas. Il finira même par négliger son ministère et ses fidèles. Il ne trouvera un apaisement que dans la nature, dans le chant des oiseaux de son jardin qu'il note et en conçoit un livre qu'il tente vainement de faire publier. Là aussi Dieu est absent de sa démarche et il ne se tourne pas vers lui pour adoucir la douleur qu'il ressent à chaque refus. C'est un peu comme si, ayant volé, en le transcrivant, le chant des oiseaux, il était puni, comme l'ont été Adam et Eve, exclus du Paradis. Tout au plus rattache-t-il son travail à l’œuvre divine en prétextant que les oiseaux n'ont pas, eux, été bannis du Jardin d’Éden, mais cela paraît un peu artificiel. Ce travail, qui est celui de sa vie, il n'en verra pas la publication de son vivant et sa fille s'attachera, comme un honneur qu'elle rend à la mémoire de son père, à le publier à ses frais. C'est un peu comme si le malheur s'était attaché aux pas de cet homme pendant toute sa vie, comme une malédiction.

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • La vie spirituelle

    La Feuille Volante n° 1167

    la vie spirituelle – Laurence Nobécourt – Bernard Grasset.

     

    Ce que confesse au lecteur Laurence Nobécourt peut partaître étonnant. Elle avoue avoir inventé un poète japonais, Yazuki, dont elle cite les vers et dont elle veut faire la biographie. C'est une démarche intéressante à laquelle se livre l'auteure. Ce qu'elle nous propose n'est pas un roman, l'éditeur ne le baptise d'ailleurs pas ainsi, c'est une sorte de démarche personnelle et créative qui commence par la honte d'être née, d'exister. Pour faire face à cela, pour l'exorciser peut-être, elle a commencé par des romans (sous le nom de Lorette) pour leur préférer la poésie et la création d'un un personnage, ce poète japonais du nom de Yazuki parce qu'elle était attirée par ce pays, par sa culture, sa manière de vivre, au point qu'elle a toujours eu l'impression d'avoir été japonaise. Il est vrai que depuis toujours le Japon fascine l'occident. En réalité ce n'est pas si étonnant que cela puisque l'imagination est le domaine de l'écrivain, que la poésie est un monde parallèle où se réfugient bien plus de gens qu'on ne pense parce qu'ils se souviennent de leur enfance et des croyances puériles qui vont avec, et aussi parce que le monde tel qu'il est ne leur convient pas. Une fois créé, cet être va simplement vivre, aimer dans une sorte de microcosme où l'idéal est de mise, entre l'absolu et l'imperfection simplement parce qu'il est à l'image de l'écrivain qui lui insuffle la vie mais aussi lui prête ses phobies, ses fantasmes. Elle est consciente que ce personnage est fictif mais elle va lui donner une vie solitaire, va écrire sa biographie, citer ses poèmes, lui inventer une compagne idéale, Haru, et même se rendre au Japon pour le rencontrer ! Après tout un écrivain comme Fernando Pessoa n'a pas fait autre chose avec tous ses « hétéronymes » qui complètent et éclairent son œuvre. Il va sans dire que la vie de ce Yazuki est d'une autre nature que la nôtre puisqu'elle est imperméable au temps, qu'elle est spirituelle !

     

    J'ai toujours personnellement trouvé passionnant cette position créatrice d'autres personnages, à la fois semblables et différents de l'auteur à qui ils doivent la vie, comme je suis toujours étonné qu'à l'intérieur d'un roman, une créature, par essence fictive, prenne sa liberté et vive une vie qui parfois échappe à l'auteur lui-même qui est pourtant censé en titrer les ficelles. Le plus étrange, si on en croit l'auteur, c'est que Yazuki existe réellement, mais c'est une femme et ce nom n'est qu'un pseudonyme ce qui est une manière de se cacher du monde ! L'auteur ressent cela comme une perte, mais aussi, comme une délivrance. En signant ses propres poèmes qu'elle attribuait à Yazuki elle ainsi dépassé sa honte d'exister grâce à l'écriture. La rencontre qu'elle souhaite au Japon ne sera cependant pas possible entre elles, comme une sorte de symbole. Laurence abandonne cependant le personnage de Yazuky et toutes les fictions qui accompagnent sa vie. A l'entendre, la révélation de cette existence réelle est comme une renaissance, une sorte de prise de conscience en pointillés d'une autre forme de vie. La démarche de l'auteure me paraît intéressante dans la mesure où elle dépasse l’imaginaire. Le poète qu'elle avait imaginé existe vraiment mais il ne correspond pas du tout à l'image qu'elle en avait tissée. Sa démarche d'aller au Japon révèle pour elle, le silence, la solitude née notamment de cette langue qu'elle ne parle pas, le vide né de l'absence d'habitudes parce que sa vie est ici seulement vouée au présent. Auparavant, elle écrivait par mélancolie mais maintenant les mots lui manquent, elle a conscience de ne plus exister, ce qui lui donne l'intuition de la mort. Face à cela, il ne lui reste plus qu'à retrouver Yazuky, pas le vrai mais celui qu'elle a inventé, qu'elle va inviter dans le texte qu'elle va écrire et qui ainsi deviendra un roman, une fiction où il vivra avec Haru.

    Elle inscrit ce personnage dans ce décor imaginaire mais copié quand même sur la vraie ville de Kyoto où elle vit temporairement. Cette démarche me paraît aller dans la même sens que la création de ce personnage nippon et peut parfaitement avoir ses sources dans une mémoire héréditaire dont les racines se perdent dans les alvéoles du temps où aucune explication rationnelle n'a sa place. Le plus étonnant dans cette démarche, c'est que l'auteure, une fois qu'elle eut réalisé que le personnage de Yazuki avait une réalité, elle a cherché à le récupérer en tant que personnage de roman, mais tel qu'elle l'avait imaginé, un peu comme s'il vivait sa vie romancée ou l'auteure aurait la seule direction de ce qui lui arriverait. Elle donne libre cours à son amour pour le Japon tout en sachant que le livre qu'elle voulait écrire sur Yazuki n’existera jamais comme elle l'avait imaginé et qu'il lui faudra en faire le deuil. De cette certitude naît une sorte de lassitude, de solitude, de vertige, de vide. Il en résulte une impossibilité d'écrire, un échec. Pourtant son instinct de créateur reprend le dessus. Elle va s'approprier Yazuky, mais celui qu'elle a crée, pas le véritable qui dès lors ne l’intéresse plus, sans doute parce qu'il est bien différent de celui qu'elle a modelé. Sur place il y a l'obstacle de la langue qui accentue l'absence de communication ce qui la fait revenir à un présent bien présent qui, du coup, fait s'évanouir ses rêves nippons. Laurence reste un écrivain qui va se raccrocher aux mots, aux siens, parce cette expérience est source de création. Dès lors, son voyage au Japon n'aura pas été inutile, ce pays sera l'écrin de sa création, Elle va y réunir et y croiser ses personnages qui ainsi ont repris vie dans une sorte d’intemporalité qui ressemble peut-être à l'éternité. Le roman se trame et s'écrit de lui-même, comme par miracle et les mots viennent, jusqu'à la rencontre imaginaire entre elle et Yazuki, à la fois révélatrice et énigmatique, quelque chose d'initiatique comme ce voyage qui est aussi un voyage intérieur, générateur à la fois de paix intérieure et de création littéraire. Le monde réel est fragile, surtout au Japon et ce malgré les apparences et la page se tourne comme celle d'un livre mais c'est pour elle une sorte de philosophie, une sagesse aux dimensions poétiques qui se confond avec la floraison du printemps qui renaît.

     

    Au départ, ce n'était pas facile mais j'avoue avoir suivi la démarche de cette auteure parce que cette expérience avait pour moi quelque chose de personnel et que j'étais curieux du résultat qu'elle obtiendrait. Je ne connaissais pas Laurence Nobécourt et j'aurais sûrement plaisir à poursuivre cette découverte

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • D'accord

    La Feuille Volante n° 1166

    D'accord – Denis Beneich – Actes Sud.

     

    Que reste-t-il de ce court roman, pris au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque, après l'avoir refermé ? Une sorte de récit en deux temps dont l'un est consacré à la mémoire d'une famille dont le père ne semble pas faire autre chose que de s'intéresser aux courses de chevaux depuis une chambre qu'il ne quitte jamais et qui terrorise sa famille, la mère qui fait ce qu'elle peut pour recevoir sa parentèle au cours indéterminables déjeuners de famille et le narrateur qui se débat avec ses exercices de grammaire et qui n'aime rien tant que de se faire offrir des livres, ce qui a peut-être fait naître chez lui cette irrésistible envie d'écrire. Le deuxième temps de ce roman est consacré à ce même père, pensionnaire d'une maison de retraire d'où, d'évidence, il ne sortira que dans un cercueil. Le narrateur accompagné de son fils Vlad vient rendre visite à cet homme que la maladie d'Alzheimer a rendu imperméable à tout. Ainsi le narrateur va-t-il décrire par le menu non seulement l'intérieur de cet établissement, ceux qui le peuplent, soignants et surtout pensionnaires, la visite faite à ce père qui s'avance inexorablement vers la mort, perdant petit à petit toutes ses facultés et n'ayant plus qu'une existence végétative et des mots désarticulés, un vocabulaire bien souvent limité au mot « d'accord » prononcé à contre-temps.

    Bizarrement le narrateur reste en retrait, se contentant de relater ce qu'il voit, de faire appel à ses souvenirs. Il laisse faire Vlad qui prend en quelques sorte la direction des opérations de visite et parle, un peu dans le vide, à son grand-père. Il y a un semblant d'échange entre eux un peu comme si, à travers cette économie de paroles, on sautait une génération dans le domaine du dialogue. Il n'y a pratiquement aucun échange avec le narrateur, un peu comme une permanence des choses de leur vie commune empreinte de silences depuis le début.

    Ces descriptions n'ont rien d’extraordinaire puisqu'elles correspondent à ceux de nos parents qui ont été accueillis en maison de retraite parce que maintenant les choses sont ainsi chez nous. Imperceptiblement, on se dit que, quand notre tour viendra, la médecine aura fait des progrès pour nous épargner cela ou bien alors nous serons morts avant, mais là, rien n'est sûr ! Le problème traité par ce roman est bien entendu celui de la vieillesse, de la solitude, des dernières années de vie, de la maladie qui annihile tout ce qu'on a été auparavant et aussi celui de l'impossible dialogue entre parents et enfants. Ici, on semble choisir, à travers sans doute un plus grand attachement, des relations plus soutenues entre grand-père et petit-fils. Je ne suis pas sûr qu'il y ait là une connivence réelle, peut-être une affection plus grande envers quelqu'un de sa famille promis à une mort prochaine.

     

    J'en étais là de ma lecture, estimant les pages qui restaient, quand l'épilogue s'annonça, un peu poétique et très étonnant, où l'inconscience le dispute à la complicité, ce qui donne au récit l'allure d'une fable et ce qui me fait dire que, malgré mon avis un peu quelconque voire négatif du début, je ne regrette pas d'avoir ouvert ce roman.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Hôtel du Grand Cerf

    La Feuille Volante n° 1165

    Hôtel du Grand Cerf – Franz Bartelt – Seuil.

     

    En 1960 la star de cinéma Rosa Gulingen s'est noyée dans la baignoire de sa chambre à l'hôtel du Grand Cerf de Reugny, au fin fond des Ardennes belges, pendant le tournage d'un film et la police, à l'époque, a conclu à un accident. Elle buvait comme un trou ! Thérèse, l'hôtelière, a gardé les choses en l'état depuis une quarantaine d'années. Nicolas Tèques, un journaliste parisien qui ne ploie pas sous le travail, décide, à l'invitation d'un producteur qui veut faire tourner un documentaire, de reprendre cette enquête, bâclée selon lui et qui aurait dû conclure à l'assassinat de l'actrice. Malheureusement pour lui, il se heurte à une grève, et à l'amnésie générale où se mêlent les ragots. Dans cet hôtel, Anne-Sophie Londroit, la petite-fille un peu dérangée de la propriétaire, s'ennuie à mourir et disparaît. Jeff Rousselet est un douanier frustré et borné à la retraite, a eu toute sa carrière pour connaître tout le monde ici et tout savoir sur eux, ce qui ne lui attire pas que des sympathies. A preuve, il est retrouvé décapité, sa maison a été incendiée et l'idiot du village, Brice Meyer, est assassiné à son tour ce qui provoque l'arrivée de l'inspecteur Vertigo Kulbertus, un homme suffisant, sans-gêne et alcoolique, qui, à quinze jours de la retraite, est chargé de l'enquête qu'il diligente en une semaine, sans négliger son régime alimentaire pantagruélique. Il est peut-être plus malin qu'il en a l'air, malgré ses méthodes contestables mais efficaces. Il y a aussi Sylvie dont tout les hommes du bourg voudraient mettre dans leur lit et Richard Lépine, l'homme le plus riche du village et que tout le monde souhaite voir mort, et on finit par l'assassiner, lui aussi ! Puis l’hécatombe continue avec un troisième meurtre dans un contexte d'attentat et d'insécurité dans tout le territoire.

    Ainsi avons-nous affaire à deux enquêtes apparemment différentes, avec d'ailleurs une amitié un peu surréaliste entre le journaliste et le policier, mais elles réveillent les vielles rancœurs, des querelles qu'on n'oublie jamais, des secrets de famille bien gardés et qu'on croyait définitifs, des haines recuites, des jalousies inévitables, des souvenirs qui reviennent opportunément, des langues qui se délient, des liaisons amoureuses qui se forment, une image bien ordinaire de l'espèce humaine...

    Le style est semblable au style policier et j'avoue avoir eu un peu de mal a entrer dans ce roman au début, m’être laissé un peu débordé ou distraire par les personnages nombreux, les intrigues secondaires parfois inattendues et les piques lancées par l'auteur sur les antagonismes entre Wallons et Flamands, les méthodes un peu particulières du « Centre de Motivation », les luttes syndicales. Je passe sur les digressions sur les hémorroïdes ou les problèmes d'aérophagie. Quant aux méthodes de l'inspecteur, elles sont assez surréalistes mais quand même pertinentes. Il faut dire qu'il est pressé par le temps, espérant boucler cette affaire un peu ténébreuse sans sacrifier un jour de sa très prochaine retraite. Pourtant, vers la fin seulement, ce roman m'a passionné, à mesure que s'épaississait le mystère et que mourraient les protagonistes…même si le happy-end me paraît un peu convenu.

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Les rêveuses

    La Feuille Volante n° 1160

    Les rêveuses – Frédéric Verger – Gallimard.

     

    La guerre peut bouleverser la destinée, c'est sans doute ce qu'a dû se dire le jeune allemand de 17 ans engagé dans l'armée française, Peter Siderman, quand, pris dans la tourmente de la débâcle de 1940, il échange sa plaque militaire avec celle d'un mort inconnu. Désormais il sera Alexandre d'Anderlange et les hasards de cette nouvelle identité le ramènent en Lorraine, désormais allemande, où il a grandi. Une telle situation porte en elle le germe de bien des aventures et, sans trop savoir comment, il se retrouve au sein de la famille de celui dont il a usurpé le nom. Il devient donc le fils d'une famille aristocrate ruinée mais bizarrement, alors que tous se rendent compte de la substitution, il y est accepté et décide de rester dans ce décor aussi mystérieux et inquiétant que les habitants qui le peuplent, désireux à la fois de faire perdurer un passé révolu et de survivre dans un présent difficile. Dans cette situation passablement surréaliste viennent se mêler des souvenirs personnels un peu flous mais Peter ne tarde pas à comprendre la raison de l’acceptation de sa présence d'autant que, petit à petit, il habite le passé d'Alexandre au point parfois de s'identifier à lui. Il cherche à percer le mystère que cet homme mort portait en lui et même s'il n'y a aucune ressemblance entre eux, il accepte, certes contraint, mais aussi avec une certaine curiosité, de jouer le rôle qu'on lui a assigné dans cette improbable comédie. La réponse aux appels de détresse de Blanche, et la rencontre avec la riche veuve contribuent largement à le faire entrer dans les habits de l'absent, ce qui fait de lui, au hasard des événements un peu rocambolesques et parfois dramatiques, un invité ou un prisonnier, un étranger de passage ou un véritable membre de cette famille décousue, un peu comme si ce jeune aristocrate mort lui faisait cadeau des années de vie que la camarde lui avait arrachées. Son instinct de survie réveille cependant en lui sa personnalité originelle ce qui donne une intéressante étude parallèle de caractères. Tout au long de ce roman subsiste une sorte d’ambiguïté entre ces deux personnages, l'un mort, l'autre vivant

    Le style fluide, précis et poétique tisse autour de cette aventure un halo de mystères et de secrets mais aussi de tristesse et de nostalgie. Les descriptions sont réalistes et haletantes, spécialement au cours de l'exploration du couvent en ruines et des recherches qu'il y mène. Cette histoire de nonnes rêveuses du couvent d'Ourthières dont on notait les songes, simulations ou réalité, donne au texte l'allure d'un conte aux images allégoriques et la recherche de Blanche confère au récit une dimension épique et même initiatique. Ces documents où sont collationnés les rêves des nonnes, cette rivalité entre les familles d'Etrigny et d'Anderlange, l'ombre fantasque et les accès de folie de Blanche, riche héritière devenue religieuse sans qu'on sache vraiment si elle est présente dans ce couvent délabré de sa propre volonté ou si c'est le résultat d'une manœuvre familiale, le commandant allemand, alcoolique, aussi affable et prévenant que méchant, qui recherche inlassablement quelque chose qui ressemble à un paradis perdu, le côté à la fois enthousiaste et ambigu des habitants de cette datcha intemporelle, cette obsédante présence de la mort qui rôde, entretiennent un suspens lentement distillé. J'ai été happé, du début à la fin, par cette histoire aux multiples rebondissements, à la fois passionnante et inquiétante, j'ai apprécié l'humour subtil, la cocasserie mais aussi le tragique de certaines situations, qu'offrent au lecteur attentif ces quatre cent quarante pages pendant lesquelles je ne me suis jamais ennuyé. Les écrits intimes et sporadiques d'Alexandre, l'évocation des songes des religieuses et les personnages qui, comme des fantômes, apparaissent dans ce roman, avec la présence mystérieuse d'un chat, provoquent en effet cette ambiance où le lecteur va de découverte en découverte, éprouve pour Peter une véritable empathie et vit avec lui cette inquiétante épopée. J'y ai également vu une étude pertinente sur l'espèce humaine capable des pires et des meilleures choses, l'étonnante volonté de survivre de Peter face à la mort omniprésente, l'évocation fréquente du sommeil qui en est l'antichambre, les hasards et la fragilité de la vie dont nous ne sommes que les usufruitiers.

    Je remercie les éditions Gallimard et Babelio, de m'avoir permis de découvrir cet auteur et ce roman.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Le sympathisant

    La Feuille Volante n° 1164

    Le sympathisant – Viet Thanh Nguyen – Belfond. [Prix Pulitzer et Prix Edgar Allan Poe 2016]

    Traduit de l'américain par Clément Baude.

     

    Un sympathisant c'est une personne qui approuve les idées et les actions d'un parti sans y adhérer, une sorte d'espion. Qui est donc ce narrateur qui confie ainsi son histoire, qui, en grande partie, ressemble fort à une autocritique si prisée des autorités révolutionnaires communistes, à un mystérieux commandant, flanqué d'un non moins énigmatique commissaire politique ? Cela commence à Saïgon, en avril 1975 quand les États-Unis se préparent à fuir le Vietnam en abandonnant aux représailles du Vietcong ceux qui les ont servis. Il a fait des études en Amérique, est capitaine et l'aide de camps dévoué d'un général sud-vietnamien et avec d'autres et dans le chaos le plus complet, ils font partie des occupants terrorisés qui partent par le dernier avion pour échapper aux troupes communistes. Ce que le général ignore c'est que ce capitaine est un agent double, ce qui lui va bien puisqu'il est le fils bâtard d'un prêtre catholique français, évidemment non reconnu par son père, et d'une vietnamienne, un métis qui ne trouvera jamais vraiment sa place dans une société asiatique très structurée socialement, quelqu'un à qui on ne pourra jamais faire confiance.. C'est aussi un authentique communiste mais qui a passé sa vie sous une fausse identité aux côtés des Américains. C'est un solitaire dont nous ne saurons même pas le nom, un vrai espion que nous retrouvons à Los Angeles en 1980 où le général tente de recréer un petit bout de Vietnam avec pour idéal la reconquête de son pays. Il vit toujours seul une existence d'exilé dans cette société américaine où l'hypocrisie, la corruption, la prostitution, la paranoïa sont quotidiennes mais qui est toujours animé du même idéal communiste et continue à jouer ce double jeu et à transmettre sous forme de lettres codées, des informations à ses camarades nord-vietnamiens. Dans ce microcosme chacun espionne l'autre et notre homme a très peur d'être découvert au point qu'il donne le change en exécutant ou faisant exécuter des exilés considérés comme suspects. Pourtant, l'amour d'une femme, la fille de ce général, conquise par la civilisations occidentale pourrait bien faire vaciller ses convictions politiques.

    C'est aussi une fresque historique dérangeante sur l'attitude de cette nation démocratique et éprise de liberté qui abandonna à une mort certaine des milliers de sud vietnamiens (ce n'est pas sans rappeler l'attitude de la France face aux pieds-noirs obligés de fuir et aux harkis massacrés à la fin de la guerre d'Algérie), c'est aussi un ouvrage introspectif, une interrogation sur la culpabilité et la trahison, sur les limites parfois tragiques de nos sympathies. Il est un espion communiste et pour être efficace il se doit de jouer le jeu du réfugié sud-vietnamien dans cette Amérique triomphante, de faire semblant d'adopter l'american way of life, mais il reste un agent vietcong, ce qui donne parfois des remarques pertinentes et des aphorisme délicieux sur la façon de vivre des Américains, autant d’ailleurs que sur l'espèce humaine en général. Pourtant sa caractéristique de bâtard lui collera toujours à la peau, même prisonniers des révolutionnaires communistes lors d'un retour au Vietnam.

    C'est aussi une histoire d'amitié fraternelle qui date de d'enfance et que les événements ont contrariée entre trois hommes, le narrateur, Bon, le fidèle soldat du Sud-Vietnam et Man devenu commissaire politique de l'armée du Nord-Vietnam.

    C'est aussi un ouvrage politique en ce sens qu'il entame, à travers la volonté affichée du général de délivrer le Sud-Vietnam du joug communiste, une réflexion sur les conséquences de l'exil sur ces populations déplacées et leur réelle volonté de reconquête nationale, un peu comme si le quotidien et la volonté de survivre au jour le jour dans cette nouvelle société avaient entamé durablement ces héroïques et peut-être inutiles projets, comme si le fait de vivre en exil changeait les hommes. Sans adhérer pleinement à leur nouvelle vie, à leur nouvelle culture, ils en étaient petit à petit devenus des « sympathisants ». C'est un regard introspectif sur le régime totalitaire du Viet-Nam, sur le fait que les libérateurs révolutionnaires deviennent à leur tour des impérialistes, c'est à dire semblables à ceux-là même qu'ils combattaient et usant des mêmes méthodes, ce qui est le cas de toutes les révolutions ! Cette constatation, cette prise de conscience mais aussi ces épreuves subies provoquent chez le narrateur une sorte de dédoublement (« j'étais cet homme aux deux esprits, moi et moi-même »)

    Ce livres est aussi un roman et, à ce titre, se doit de comporter une femme à qui notre narrateur ne sera bien sûr, pas indifférent. Lana est donc une réfugiée sud-vietnamienne, chanteuse de son état et à ce titre marginal par rapport à sa famille et à sa culture. Apparemment elle a pleinement assimilé le monde de vie occidental et peut sans doute provoquer chez le narrateur, une remise en cause de ses certitudes ...,  mais cet aspect des choses est à peine esquissé.

    C'est un texte passionnant, bien documenté, au style percutant et parfois même poétique, agréable à lire où l'auteur alterne les confidences parfois teintées d'humour et les épisodes dramatiques de son retour et de sa réadaptation à la vie américaine, de son incarcération dans un camp et des tortures subies pour sa rééducation révolutionnaire, ses réflexions au regard de l'engagement politique confrontées au quotidien, ses remarques sur cette société dont il fait maintenant partie mais que son idéal refuse. C'est cependant l'histoire d'un homme seul, déchiré entre son modèle politique et ce mode de vie nouveau pour lui qui peut-être le fascine, un homme amoureux aussi face à un dilemme que lui seul peut trancher. Il se rend compte de ce que peut être le fameux « rêve américain » où la liberté et la démocratie le disputent au profit, à la paranoïa et à l'hypocrisie fa e à sa culture personnelle. Au bout du compte, je me demande ce qu'il reste de sa « sympathie » pour ce régime révolutionnaire !

     

    Je remercie les éditions Belfond et Babelio de m'avoir fait connaître cet auteur américain dont j'ai vraiment apprécié ce premier roman, couronné par le prestigieux Prix Pulitzer.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Les derniers jours de Stefan Zweig

    La Feuille Volante n° 1163

    Les derniers jours de Stefan Zweig – Laurent Seksik- Flammarion.

     

    Comme l'avait fait Serge Filippini ou Philippe Besson à propos de Rimbaud (La Feuille Volante n° 1125 et 611) Laurent Seksik imagine ce qu'ont pu être les derniers mois de Stefan Zweig. Nous sommes en février 1942 et les Zweig vont se donner la mort. Le suicide correspond toujours pour ceux qui restent à une foule de questions dont beaucoup restent sans réponse. Quitter volontairement ce monde c'est renoncer à son avenir mais c'est aussi tirer un trait sur son passé. Vienne, sa ville natale est devenue allemande, le mauvais sort fait aux juifs, les années d'errance et les espoirs déçus ont fait d'eux des juifs errants qui se retrouvent au Brésil, un pays neuf plein de promesses et ce malgré les critiques qui pleuvent sur lui. Autour d'eux la monde éclate mais la notoriété de Stefan est intacte. Il est un grand écrivain, un humaniste mondialement connu. Lotte sa très jeune femme est malade mais il n'a pas oublié Friderike, sa première épouse, c'est grâce à elle qu'il a écrit son dernier livre, ses mémoires qu'il lègue au monde, elle seule les a partagés avec lui. Dans ces moments Lotte n'est plus une rivale amoureuse mais une simple dactylo qui tape sous la dictée de Stefan, comme si l'écriture était plus forte que la vie et que la mort. Les essais de Montaigne lui avaient donné à voir une similitude avec son propre vécu, pour Zweig la Nuit de Cristal, pour Montaigne la Saint-Barthélélmy, deux fraternités de destin et peut-être un projet de biographie, une raison nouvelle d'écrire et de vivre ? Mais que lui reste-t-il de cette envie d'exister ? L'écriture est une arme à laquelle il le croit plus, lui, l'exilé au bout du monde, fatigué, désespéré. Quant à Lotte, même si le climat lui convient mieux, sa maladie empire. Ils reprennent espoir dans le retour de la paix et de la liberté mais Vienne fait de plus en plus pour Stefan figure de paradis perdu qu'il ne reverra pas et il sent la mort autour de lui et qui peut-être le fascine, se sent menacé par les nazis, cède petit à petit à la psychose. Il est ici en exil, la vieillesse le submerge face au suicide ou à la disparition de tous ces amis, il n'a pas le secours de la foi, il sent peser sur lui toute l'horreur du monde et l'impasse dans laquelle il s'enfonce de jour en jour, il sait qu'il ne survivra pas, qu'il est épuisé, désespéré face à l'insouciance du carnaval de Rio . Lotte songe à le suivre dans cet exil définitif, par amour pour lui et, pour se délivrer de sa culpabilité d'avoir enfreint la loi de Dieu.

    Je suis toujours passionné par la démarche d'un écrivain qui s'approprie ainsi les derniers moments d'un homme face à la mort. Il imagine ce qui a pu se passer dans sa tête, ses fragilités, ses fêlures, ses folies peut-être… Il se met autant qu'il le peut à sa place, avec ses connaissances, sa culture, tout en lui prêtant ses propres sentiments, ses propres phobies simplement parce qu'ils sont communs à tous les hommes. Seksis nous offre sa vision des choses, fort bien écrite et documentée, et ce livre a le mérite de remettre en lumière Stefan Zweig, un écrivain majeur, malheureusement peut-être un peu oublié actuellement, au moins du grand public. En effet, face à l'amnésie qui caractérise l'espèce humaine, les créateurs sont ceux qui, selon Malraux, ont arraché quelque chose à la mort. Que peuvent-ils ressentir, face à leur œuvre, à leur vie, à leur passion, à leurs espoirs déçus quand se profile sur eux l'ombre de la camarde ?

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Arden

    La Feuille Volante n° 1162

    ARDEN – Frédéric Verger – Gallimard.[Prix Goncourt du 1° roman 2014]

     

    Imaginez, ça ne coûte rien, une riche principauté d'Europe centrale, appelée Marcovie, pendant la Deuxième Guerre mondiale. La région est très boisée et, à Arden, un hôtel y est construit dans le plus pur style Art-déco et qui servait auparavant de sanatorium. Il est dirigé par Alexandre de Roucoule, aux lointaines origines ardéchoises mais aussi personnage haut en couleurs, excentrique, polyglotte et séducteur impénitent. Il y vit avec sa femme, une neurasthénique déguisée en diseuse de bonne aventure. Salomon Lengyel, veuf, juif, sérieux et solitaire tient tristement dans la capitale une boutique de tailleur où il vend des costume démodés. Même si tout oppose ces deux hommes, ils sont néanmoins liés par une passion commune : l’opérette. Depuis 1917 ils pratiquent ensemble cette discipline et ont écrit une quantité impressionnante de pièces, mais qui ont toutes la caractéristique d'êtres inachevées simplement parce qu'ils ne sont pas d'accord sur la scène finale. Elles n'ont donc jamais été jouées. Les titres sont pourtant engageants et originaux, dus sans doute à l'imagination débordante d'Alexandre qu'il devait sans doute à Louis, un de ces ancêtre vivant au siècle des Lumières, qui avait eu l'idée de transcrire en opéras comiques des scènes bibliques, ce qui, dit-on, aurait retenu l'attention de Voltaire. Le narrateur qui est aussi le neveu d'Alexandre entraîne le lecteur dans un délice de détails sur la vie et les habitudes de ces deux compères qui étaient à ce point complémentaires et même complices que l'un voyait en l'autre « la confirmation vivante de son génie » et qu'ils se livraient ensemble à des séances de rêveries au Café Nicolaï, lieu semble-t-il privilégié où naissaient le plus souvent leurs créations poético-lyriques et où des chefs-d’œuvre étaient créés, mais, malheureusement des chefs-d’œuvre avortés, faute d'accord final entre eux, tant leurs sensibilités étaient différentes.

    Tout aurait pu être pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais nous sommes en 1943 et le nazisme veille qui ne tarde pas à mettre la Marcovie sous sa botte et à transformer ce petit monde idyllique en horreur avec son cortège d'intimidations, de mesures contre les juifs, de violences et de pogroms sans parler de l'impuissance des autorités locale face à l'envahisseur allemand. Bien entendu l'antisémitisme se manifeste ici comme ailleurs et il ne restait à Salomon et à sa fille Esther qu'à accepte l’hospitalité à Alex qui n'est évidemment pas insensible aux charmes de la jeune femme..

    J'ai, à nouveau, goûté gourmandement au style débridé, fluide et humoristique de l'auteur au point d'en lire des passages à haute voix pour mieux apprécier sa verve et ce sens de la formule qui le caractérise. Il s'agit ici du premier roman de Frédéric Verger où se mêlent agréablement absurdités de l'Histoire et futilités des personnages, où l'érudition le dispute au burlesque, au romanesque et à la nostalgie. La Marsovie est évidemment un pays imaginaire [le nom est cependant utilisé dans la version française du livret de « La veuve joyeuse » de Franz Lehar] mais qui est présenté par l'auteur comme tolérant mais qui ne va pas tarder à changer sous le poids de l'antisémitisme et du racisme, ce qui est peut-être une allégorie de nos sociétés occidentales.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • La petite fille de Monsieur Linh

    La Feuille Volante n° 1161

    La petite fille de Monsieur LinhPhilippe Claudel – Stock.

     

    Depuis que le monde existe, il y a des guerres et avec elles des populations qui fuient les combats et arrivent dans des pays qu'elles ne connaissent pas, dont elles ne parlent pas la langue et ne supportent pas le climat. Ici aucune date, un pays qu'on devine au début, seulement l'hiver froid et humide, mais qu'importe. On peut supposer qu'il s'agit de la guerre du Vietnam et que M. Linh a quitté son pays après la mort de sa fille et de son gendre et emporte avec lui sa petite-fille encore bébé à qui il s'accroche parce qu'il n'a plus qu'elle. Après la peur de la mer, des bateaux, des passeurs, ils arrivent tous les deux en France et leur sort est celui de tous les réfugiés, plus ou moins bien accueillis, plus ou mois bien acceptés, étrangers dans un pays étranger. Il y a en qui s'adaptent parce qu'ils ont l'avenir devant eux et et la volonté de s'en sortir et d'autres qui se recroquevillent sur leur passé, à en devenir fous, mais pour M. Linh, il y a la peur qu'on lui vole sa petite-fille, la nostalgie de son pays qu'il ne reverra sûrement pas, les morts qu'il a laissés là-bas et dont il ne peut que se souvenir, cette langue nouvelle qu'il ne comprend pas et qu'il ne pourra pas apprendre.

    Il est difficile de ne pas être bouleversé par ce roman qui met en scène ce pauvre homme ballotté dans un pays qu'il ne connaît pas, plus ou moins rejeté par les siens parce qu'il est pour eux une charge et ce malgré le sourire, l'amitié et la compassion de ce Français, M. Bark , aussi malheureux et solitaire que lui. Ces deux êtres ne parlent pas la même langue, n'ont pas le même parcours, mais ils se comprennent sans avoir besoin de mots et pour eux les larmes suffisent qui en disent plus longs que des discours. C'est un peu comme s'ils partageaient la même folie autour de la petite-fille de M. Linh. qui pourtant n'est présente dans ce roman qu'en pointillés dans le décor changeant de la vie de son grand-père. Chaque homme a une histoire cabossée et souvent tue parce qu'elle fait partie de lui-même, de sa mémoire intime qu'on ne peut partager parce que la douleur est forcément personnelle et que les mots, soit restent dans la gorge et ne peuvent sortir, soit sont impuissants à exprimer ce qu'on ressent. Le partage par la parole, le témoignage oral ou écrit n'est pas la chose la plus aisée et quand notre destin bascule, à cause du hasard ou par la faute d'autrui, le verbe n'est pas obligatoirement libérateur, surtout quand on se heurte, comme ici au barrage de la langue, les solutions apportées par le système de santé pas forcément adéquates et efficaces. Il y a la résilience, la folie, le temps qui gomme tout et le trépas qui efface tout, le souvenir, l'absence, les remords, la culpabilité, la mort sont là aussi et font partie de cette condition humaine à laquelle nul ne peut échapper et avec laquelle il faut vivre, le plus souvent dans le silence. Le drame de M. Linh c'est qu'il a habité un pays qui a toujours connu la guerre, même s'il avait la couleur et le goût du paradis et que la France ne sera jamais autre chose pour lui que le pays de l'exil. Il est surtout difficile de ne pas être ému par l'épilogue, à la fois poétique et dramatique, une sorte de happy-end qui n'est n'est pas vraiment un.

    Ce court roman se lit bien et rapidement, le style est spontané, presque naïf et porte dans un rythme soutenu et pourtant assez lent cette histoire où l’empathie du lecteur pour ce pauvre M.Linh va grandissante.

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Moi, Harold Nivenson

    La Feuille Volante n° 1154

    Moi, Harold Nivenson – Sam Sauvage – Notabilia.

    Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marc Amfreville

     

    Même si la lecture de ce roman ne nous révèle pas l'âge d'Harnold, on comprend très vite qu'il est vieux. D'ailleurs, comme tous les vieux, il ressasse ses souvenirs et jette sur le monde un regard désabusé. Il est face à sa fenêtre et il nous décrit ce qu'il voit, l'agitation du dehors, ses voisins qu'il espionne plus qu'il ne les regarde et qui vivent leur vie au quotidien et il se laisse aller à des réflexions acerbes et aigries sur sa vie personnelle autant que sur l'art et sur les artistes dont il note de beaucoup sont devenus fous ou se sont suicidés. Il nous livre ses impressions depuis sa fenêtre, autant dire qu'il est en dehors du monde et le regarde à travers le filtre des vitres. On comprend très vite que c'est un artiste raté qui nous confie ses réflexions sur l'art mineur et les artistes minuscules dont il avoue faire partie mais aussi qu'il a joué, à un moment de sa vie, la comédie du connaisseur inspiré et du collectionneur qu'il n'a jamais été. Il vit dans un quartier maintenant peuplé de « bobos » mais qui auparavant a été populaire et industrieux, il habite une maison délabrée qui a jadis été belle mais qu'il a laissée à l'abandon, un peu comme sa propre vie. Il semble avoir vécu sans travailler grâce à une fortune personnelle. Auparavant, il était à la fois un écrivain mineur et une sorte de mécène qui y abritait des peintres plus ou moins parasites. On découvre son amitié avec le peintre Peter Meininger qui exerçait sur lui une véritable fascination mais dont il était véritablement jaloux, au point de partager avec lui la même femme. Il en profite pour égratigner au passage les experts qui viennent chez lui examiner et évaluer les toiles de cet artiste. A cette période pourtant, il croyait encore en lui, en ce destin brillant qu'il attendait pour lui-même mais qui n'a pas été au rendez-vous, soit qu'on ne lui ait pas donné sa chance, qu'il n'ait pas su la saisir ou tout simplement qu'il n'ait pas eu de talent. Maintenant, il s'est mis dans la tête d'écrire un « Manifeste », sans savoir lui-même de quoi il sera question. Il revoit sa triste vie et se laisse aller à des remarques déplaisantes sur ses parents qui n'ont pas su lui donner une jeunesse heureuse, sur ses frères et sœurs qui le torturaient, sur ses contemporains et sur lui-même qui petit à petit est devenu misanthrope et même dégoûté de sa propre personne, se méfiant de tout et de tous. Il avoue volontiers qu'il est d'une grande de indifférence aux autres, à en devenir méchant, même s'il dépend de Moll, une sorte de gouvernante qui s'occupe de lui et qui figure sur les tableaux de Meininger, parce que son fils ne veut pas se charger de lui. On a même du mal à s'imaginer qu'il a pu avoir une famille mais pourtant c'est vrai et il la méprise, comme tout ce qui l'entoure. Du temps où il était encore vivant, seul son chien semblait avoir de l'intérêt à ses yeux. Il sent venir la mort, mais apparemment elle ne lui fait pas peur. Il la voit comme une délivrance face à l'échec de sa vie. Je ne suis pas vraiment spécialiste de l'art mais certaines de ses remarques sont pertinentes. Quant à ses commentaires sur sa vie ratée, je les trouve plutôt sains simplement parce que je suis toujours agacé par ceux qui, suffisants, passent leur temps à se regarder le nombril et à se tresser des lauriers.

    Par ce roman pris au hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque, j'ai été assez surpris à cause de l'atmosphère déprimée et glauque qu'il distille.Les remarques du narrateur ne correspondent peut-être pas tout à fait à celles que je pourrais faire moi-même mais certaines d'entre elles ma paraissent quand même justes et pertinentes. Elles sont certes désabusées mais correspondent à ce qu'un homme en fin de vie peut penser d'un parcours personnel entaché par l'échec et par la solitude qui en résulte. Sur le plan du style, le texte se lit bien mais il assez décousu parce que divisé en paragraphes où le passé se mêle au présent et où ses remarques sont comme jetées sur le papier, comme des « pensées » ou des pièces d'un puzzle qui laissent parfois la place à des longueurs inutiles.

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Firmin

    La Feuille Volante n° 1159

    Firmin – Autobiographie d'un grignoteur de livres – Sam Savage – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Céline Leroy – Illustrations Fernando Krahn.

     

    Avec une couverture pareille- un rat feuilletant un livre- et un tel sous-titre, je ne pouvais que lire ce roman. Firmin , c'est un rat exceptionnel, malchanceux, dernier d'une portée de treize qui, ne trouvant pas de tétine, se rattrape en mâchonnant les livres d'une vieille librairie d'occasion dans le quartier de Scollary Square, à Boston où il est né dans les années 1960 et où vit toute sa famille. Il y prend rapidement goût d'autant que le papier remplace agréablement le lait un peu frelaté de sa mère alcoolique. Oui, vous avez bien lu, Flo, sa mère rate, est une vraie pochetronne. Au début, c'était pour se nourrir mais rapidement il se met à les lire et même à jouer de la musique sur un piano miniature, même si on peut se demander comment il a pu apprendre mais nous sommes dans une fable, n'est ce pas ? Et, Firmin n'est pas n'importe quel rat ! Du coup, le papier qui était pour lui un aliment, devient une source de connaissances et notre rat, un lecteur assidu, fort cultivé et curieux de tout, un « rat de bibliothèque » atteint de « biblioboulimie ». Il en conçoit une sorte de folie et même de fantasmes; on nous a bien dit que la lecture est un vice ! Pour assurer sa subsistance, il explore le cinéma voisin, le Rialto, à cause des restes de pop-corn abandonnés par les spectateurs mais surtout parce qu'on y passe des films pornos auxquels il prend goût. Il n'est pas insensible à la beauté des femmes qu'il voit défiler, dénudées sur l'écran. Du coup, débrouillard comme il est, il partage la vie de Norman Shine, le libraire qui exploite cette échoppe puis, celle de Jerry Magoon, un écrivain marginal dont il devient le compagnon. Il est donc complètement étranger à la communauté ratière dont il ne partage pas l'instinct grégaire. Il voudrait bien parler avec ces deux camarades mais ses cordes vocales ne le lui permettent pas, pas plus d'ailleurs que l'usage de la machine à écrire et que le langage des signes. C'est dommage, je suis sûr qu'ils auraient pourtant eu beaucoup de choses à se dire. Du coup, il livre ses impressions intimes au lecteur en le prenant comme confident. La vie pourrait se passer ainsi, mais le quartier va être rasé, la librairie et le cinéma détruits, ce qui bouleverse tout le monde et Firmin en conçoit des états d'âme existentiels qui le font de plus en plus ressembler à un humain (et pas seulement à cause des films pornos). La cohabitation avec Norman et Jerry fait cependant qu'il ne prend de l'espèce humaine que les côtés paisibles mais dépressifs et ne connaît ni la méchanceté ni la vengeance mais ressent plutôt de la mélancolie, un certain sens critique, un sentiment de solitude et d'impuissance... Du coup, pour exorciser tout cela, il va confier son désarroi à la feuille blanche en écrivant sa biographie. Le papier qui était pour lui précédemment un aliment devient un confident, même si je ne suis plus très sûr de l'action cathartique de l’écriture. Il va donc devoir quitter son nid douillet pour être précipité dans la vie extérieure qui est une véritable foire d'empoigne et où il devra s'adapter s'il veut faire son trou, qui ne sera pas « un trou à rat ». Souhaitons lui bonne chance mais souvenons-nous que c'est un rat d'exception pour lequel il ne faut pas trop se faire de bile. Cela nous donne un roman frais, bien écrit, passionnant du début à la fin où j'ai vraiment tout aimé, l'histoire malicieuse de cet animal hors du commun qui d'ordinaire inspire plutôt du dégoût, les illustrations qui donnent de Firmin une image sympathique et attachante, le dépaysement digne d'une fable que cela procure et cette occasion que nous donne l'auteur de voir autrement les choses et pourquoi pas d'en rire...

    J'ai découvert Sam Savage un peu par hasard, comme souvent et l’œuvre de ce jeune auteur de 77 ans, dont c'est ici le premier roman, m'a bien plu (La Feuille Volante n°1154 pour « moi, Harold Nivenson »- n°1157 pour « La complainte du paresseux »). Ici, j'ai apprécié à nouveau son humour, son style libre et agréable à lire avec lequel il nous confie un peu de son expérience personnelle.

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Romain Gary s'en va-t-en guerre

    La Feuille Volante n° 1158

    Romain Gary s'en va-t-en guerre – Laurent Seksik – Flammarion.

     

    Le propre de l'écrivain c'est avant tout d'avoir de l'imagination, et Roman Kacew n'en manquait pas, lui qui a publié sous son vrai nom mais a aussi a crée successivement Romain Gary, Émile Ajar, Fosco Sinibaldi, Shatam Bogat, tous des écrivains ! Ayant grandi sans père, il lui restait à s'en inventer un mais là, son imagination a quelque peu flanché, à moins que ce ne soit sa mauvaise foi qui s'est ici manifesté puisqu'il avait choisi l'acteur russe Ivan Mosjoukine, à cause sans doute de la notoriété de ce dernier, mais ce n'était pas lui ! Cela lui aurait pourtant bien plu et il l'a en effet toujours prétendu, alors que la réalité était bien plus ordinaire. Il était le fils d'Arieh Kacew, un fourreur juif ashkenaze de Wilno (Russie en 1914) qui quitta le domicile conjugal, abandonnant sa mère, Nina, une pauvre modiste du ghetto qui devient ainsi, bien malgré elle, chef de famille. Cette séparation ainsi que la mort de son demi-frère Joseph ont évidemment fait souffrir le petit Roman et c'est peut-être cette souffrance qui est à l'origine de sa vocation d'écrivain. Sa mère ne manquait pas non plus d'imagination qui parait son fils de toutes les vertus et prévoyait pour lui richesse et succès malgré ses 10 ans. Elle rêvait de la France et s’installa à Nice. Son père qui lui aussi pratiquait le mensonge sous le nom d'adultère, fit croire au jeune Roman qu'il était un descendant, d'Aaron, un Cohen et tenta surtout de justifier sa fuite du foyer.

     

    Le travail d'un écrivain est la création. Pour cela il est obligé de mentir mais ce qu'on appelle mensonge chez le commun des mortels, on le nomme facilement talent chez l'artiste et celui qui deviendra Romain Gary a souvent commis ce péché tout au long de son œuvre, même s'il ne viendrait à l'idée de personne de le lui reprocher. Notre auteur non plus n'en manque pas qui nous livre une version romancée de la vie de l'auteur de « La promesse de l'aube » et contrairement à ce qu'on peut penser ce travail n'est pas forcément facile. Il le décline à sa manière, sous la forme d'une tranche de vie étalée sur deux jours (26 et 26 janvier 1925), parlant alternativement et par petites touches des épisodes supposés de la vie de Nina, sa mère, d'Arieh son père, et surtout de Roman. Il imagine la vie de cette famille et spécialement le moment où le père décide de quitter son épouse et son fils pour fonder un autre foyer avec un femme plus jeune et qui il attend un enfant de lui. Le petit Roman qui aime son père, mais s'était habitué à le voir de moins en moins, se sent coupable de cette défection paternelle au nom de la traditionnelle culpabilisation judeo-chrétienne. Ainsi a-t-on droit à des réflexions sur le judaïsme, sur la haine qu'il éprouve pour son père à cause de ses mensonges et de sa trahison. Cet enfant à naître que Roman ne connaîtra pas mais qui fera quand même partie de sa parentèle, le perturbe quand on sait l'importance de la famille chez les Juifs. La répudiation et la ruine de sa mère, obligée de vendre les biens qui ont échappé aux huissiers, le révolte et il vit cela comme une injustice qu'il doit à Arieh. Pour Roman c'est un bouleversement qui l'invite à changer de vie, à partir avec sa mère pour la France, pays de la liberté qui accueille les juifs alors qu'ici, en Russie, ils sont massacrés depuis toujours et que son père s'offre à lui apprendre le métier de fourreur à Wilno. C'est oublier un peu vite que ce pays aussi, malgré les valeurs républicaines et laïques qu'on y proclame, connaît un antisémitisme hérité du christianisme et présent dans les sociétés occidentales.

     

    A titre personnel, j'ai toujours montré beaucoup d'intérêts pour la vie et l’œuvre de Romain Gary, Ce roman qui lui est consacré ne pouvait donc qu'attirer mon attention. Le bandeau qui accompagne la couverture pose une question « On associe le génie de Gary à sa mère, l'énigme de Gary, c'est son père ». C'est vrai que l’œuvre de Romain Gary est indissociable de sa mère et dire qu'il est une énigme me paraît également pertinent puisque son suicide ajoute une ultime interrogation à ce qu'a été sa vie. D'autre part, l'usage de nombreux pseudonymes, s'il épaissit le mystère autour de lui, peut aussi dénoter une recherche intime, pas forcément trouvée. De plus l'affaire du prix Goncourt décerné à Émile Ajar renforce la volonté de l'auteur d'entretenir une ambiguïté autour de sa personne. Le titre « Romain Gary s'en va-t-en guerre » est une affirmation à prendre au premier degré, le lieutenant d'aviation Roman Kacew du groupement de bombardement Lorraine, officier de la France-Libre a effectivement mené une guerre exemplaire contre le nazisme et pour la libération de la France, son pays d'adoption. Il m’apparaît aussi que c'est une autre guerre qu'il a déclaré, mais contre qui ? Laurent Seksik imagine, dans l'épilogue, que Arieh, face à un officier SS qui entame avec lui un dialogue surréaliste et qui remet à plus tard son exécution, se prend à espérer que ce fils qu'il a jadis trahi va venir le sauver des griffes de ces barbares... En outre, cette forme de résistance ne trouverait-elle pas sa manifestation dans son travail d'écrivain ? Assurément il a déclaré la guerre à son père qui bouleversa sa vie et celle de sa mère, mais aussi contre l'adversité, contre la mort de Joseph…J'ai souvent observé que ceux qui sont ainsi victimes d'accidents de la vie, surtout quand ils sont provoqués volontairement ou non dans leur enfance et par leur entourage, développent cette faculté de mettre des mots sur leurs maux. L'habitude de la tenue de journaux intimes en est sûrement la manifestation, même si, à titre personnel, je ne crois plus du tout à l'effet cathartique de l'écriture surtout à long terme.

     

    Le livre refermé, j'avoue, sans être complètement déçu, être resté un peu sur ma faim puisque ce roman, par ailleurs bien écrit et agréable à lire, n'a pas vraiment répondu à mon attente.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • La complainte du paresseux

    La Feuille Volante n° 1157

    La complainte du paresseux – Sam Savage – Actes Sud

    Histoire principalement tragique d'Andrew Whittaker, réunissant l’ensemble irrémédiablement définitif de ses œuvres complètes

    Traduit de l'américain par Céline Leroy

     

    Ce roman s'ouvre sur une citation de Fernando Pessoa, ce qui, pour moi, ne pouvait être qu'un bon présage.

    Andrew Whittaker est un geignard impénitent et tout lui est bon pour râler et se plaindre dans les lettres qu'il envoie à l'entour. Ce sont les les travaux dispendieux et les loyers de son petit patrimoine immobilier qui ne rentrent pas, les invectives qu'il envoie à la banque où il ne peut s'empêcher de raconter sa vie dans les plus petits détails et quand il s'adresse à un correspondant, les termes de ses courriers oscillent entre la mythomanie, les rodomontades et les menaces. Il n'omets jamais de parler de sa revue poétique moribonde, « Mousse », dont il se baptise pompeusement « rédacteur en chef » alors qu'il est seul à la rédiger (et sans doute à la lire) et dont il tente d'assurer la survie en multipliant vainement les appels de fonds et en sollicitant de vieux amis auteurs qui ont réussi mieux que lui dans le métier des Lettres, mais en leur précisant qu'ils ne seront pas payés pour leur prestation, ce qui n'est évidemment pas de nature à les motiver. Cette revue est d'ailleurs l'objet de railleries de la part de la concurrence et de l'ignorance des médias! Pour faire illusion, il lui arrive même de se cacher derrière l'identité d'un lecteur inventé et d'écrire à la presse locale pour vanter les qualités littéraires de « Mousse » et la personnalité hors du commun de son directeur, c'est à dire lui-même ! Il se prétend découvreur de talents, mais abuse de sa sacro-sainte « ligne éditoriale » pour refuser tous les manuscrits qu'on lui envoie, ce qui est une manière peu élégante de la part d'une revue miséreuse qui n'a pas les moyens de ses ambitions littéraires. Cela ne l'empêche pas de faire des allusions appuyées à des manifestations culturelles organisées par ses soins et couronnées par une remise de prix minable, et qui n'aura évidemment jamais lieu ! Et Quand il s'invite aux démonstrations culturelles organisées par d'autres, c'est simplement pour y faire scandale ! Quant à la gent féminine, il lui arrive bien plus souvent qu'à son tour de s'adresser à elle, mais avec une goujaterie consommée ! Il déplore aussi sa solitude, sa chère épouse, Julie, s'est envolée, et le souvenir d'une éphémère passade avec une autre femme ne suffit pas à l'apaiser. Puis c'est sa voiture qui va rendre l'âme, sa ligne téléphonique qui est coupée et sa mère qui perd la tête et finalement meurt, quand il ne se répand pas dans des épîtres pleines d'acrimonies pour dénoncer le sort qui est fait à sa revue dont il précise abusivement qu'elle a une « résonance nationale » dans cette Amérique profonde des années 1970. Bref il croit que tout le monde lui en veut et il est devenu complètement paranoïaque, misanthrope, désespéré et écrit tout cela dans des missives pathétiques, des brouillons de romans, des listes de courses, le tout étalé sur quatre mois de sa triste vie. Pour corser le tout il prétend commencer à sentir les effets du vieillissement, alors qu'il n'a que 43 ans ! Ses lettres successives sont un long monologue où, quand il n'est pas cynique, il ne parle que de lui, illustrant à sa manière le solipsisme qui est souvent le propre de l'écrivain, parce qu'il est aussi un écrivain, mais un écrivain raté, comme en attestent les nombreux passages de romans qui ne paraîtront jamais parce qu'ils ne s'inscriront pas dans une intrigue, ne seront jamais suivis de développements et d'épilogues. Quant au monologue qui est la conséquence de son isolement prolongé et sans doute définitif, l'écriture, qui est l'essence même du soliloque, n'est là que comme un pis-aller où le surréalisme comique le dispute au sérieux le plus consommé au point qu'on se demande s'il ne croit pas lui-même à sa propre comédie. Pourtant, il ne reçoit apparemment pas de réponse puisque cet ouvrage n'en fait pas état, ses correspondants devant depuis longtemps être lassés de ses incessantes jérémiades, ce qui aggrave son état de déréliction. En fait, j'ai découvert une sorte d'ours, malheureux, malchanceux et que menace la folie peut-être parce qu'il a passé sa vie à rêver à quelque chose qui ne se réalisera jamais, ou il veut a toute force se jouer à lui-même une bouffonnerie où il a une importance qu'il n'aura jamais. Cet Andrew est vieux avant l'âge mais je dois admettre qu'il incarne tous ceux, et ils sont nombreux, qui voulaient vivre de leur talent mais qui n'ont pas connu le succès. En se dessinant de cette manière, à petites touches, il évoque lui-même le paresseux auquel il dit ressembler ; cet animal placide et solitaire, qui porte le nom de « aïe », lui correspond bien, lui qui passe son temps à se plaindre ! Et la comparaison ne s'arrête pas là.

    Le style est débridé, parfois humoristique voire caustique, parfois ironique mais étonnamment vivant et je ne me suis pas ennuyé au cours de cette lecture. A l'instar de Rabelais qui voulait qu'on brisât l'os pour en goûter la substantifique moelle, j'ai choisi de dépasser cette dimension caricaturale pour rencontrer un personnage torturé qui attend la mort comme une délivrance parce que sa vie n'a été qu'une succession d'échecs. En attendant cette échéance, il farde ses accès de révolte sous le rire (ou le sourire), ce qui lui permet de supporter le tragique de sa propre existence et on hésite entre quelqu'un qui a effectivement perdu la tête ou au contraire un homme qui, dans un étonnant excès de lucidité, choisit de siffler lui-même la fin de cette récréation dramatique.

     

    J'ai bien ressenti l'empreinte de Pessoa dans ce roman original dans sa présentation et aussi une certaine empathie pour Andrew... et peut-être aussi pour ce jeune auteur (de 77 ans !) rencontré par hasard (La Feuille volante n° 1154 à propos de « Moi, Harold Nivenson ») dont c'est le deuxième roman traduit en français et qui nous livre peut-être, à travers ses livres, un peu de son parcours personnel.

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Petit pays

    La Feuille Volante n° 1156

    Petit pays – Gaël Faye – Grasset (Goncourt des lycéens 2016)

     

    C'est l'histoire du petit Gabriel, 10 ans, dans les années 1990, fils d'un père jurassien et d'un mère Tutsi, autant dire un métis, d'autant plus mal à l'aise dans l'une et l'autre communautés que ses parents vont très tôt se séparer. Dans cette région d''Afrique dévastée par la guerre il comprends mal que les Hutu et les Tutsi qui pourtant ont beaucoup de points communs et vivent ensemble, se sont massacrés pour de basses raisons politiques et surtout ethniques. Gaby vit à Bujumbura chez son père une jeunesse insouciante avec ses copains dans la moiteur des jours, la musique et la saveur sucrée des mangues. Puis les événements extérieurs se précipitent qui couvaient déjà depuis longtemps, un coup d’État militaire, un avion abattu où voyageaient deux présidents, ce qui ressemble à un attentat, les Hutu qui appellent à massacrer les Tutsi et tout un pays où jadis il faisait bon vivre bascule dans la guerre civile avec ses haines fratricides, ses massacres, ses barrages militaires, sa peur qui s’empare de toute la population, l'intervention des troupes françaises...

    Gaby nous raconte sa vie d'enfant spontanée et insouciante qui soudain rencontre la terreur, le retour en métropole des Français, la panique, la mort. Pour Gaby, cela remet en cause bien des choses et le fait sortir brutalement de l'enfance. Il connaît un peu malgré lui cette situation surréaliste de la vie qui reprend après les hostilités, tout juste émaillée d'un lynchage ou d'un assassinat en pleine rue sous le regard indifférent des autres personnes, pressées de passer leur chemin ou curieuses de cette animation soudaine. Il parle avec ses mots du génocide, du meurtre gratuit de ses cousines, de cette guerre civile qui creuse chaque jour un gouffre entre les gens et le traumatisme que vit sa mère. Face à cet état de chose inadmissible il y a cet état de sidération, pas de culpabilisation, c'est trop judéo-chrétien et parfaitement inutile, mais cette intuition de l’injustice qui fait que certains sont morts et ne le méritaient pas et que d'autres sont vivants et resteront marqués à vie par ces assassinats qui rendent sa mère folle de rage ou de désespoir et en perd la raison. Le petit Gaby fait ainsi connaissance avec l'espèce humaine à laquelle il appartient lui aussi, même s'il ne la comprend pas. Il prend conscience que l'impasse dans laquelle il jouait avec ses copains se transforme, elle aussi, en repère de mort, qu'un homme , animé des pires intentions, change quand il a une arme à la main face à quelqu'un de désarmé... Cette nature humaine est, quelque soit les latitudes, la couleur de peau ou la religion, toujours assoiffée de sang, de violences et de destructions et cette révélation le bouleverse, lui qui serait bien resté encore un peu dans le doux et rassurant cocon de l'enfance. Il croit rencontrer l'amour avec sa correspondante française qu'il n'a jamais vue et son jeune âge lui en donne l'impression à travers les lettres qu'ils échangent mais tout cela n'est qu'un pis-aller et il restera marqué à vie par cette épreuve. Il s'accroche aussi à sa nouvelle passion pour les livres que lui prête une voisine et qui stimuleront son imaginaire. Ses parents non plus n'en sortent pas indemnes même si la vie reprend ses droits, du moins en apparences.

    C'est un livre émouvant où on passe du paradis à l'enfer du génocide mais à travers les yeux d'un jeune enfant, qui nous fait ressentir la nostalgie d'un paradis perdu.

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Où j'ai laissé mon âme

    La Feuille Volante n° 1155

    Où j'ai laissé mon âme – Jérôme Ferrari - Actes sud.

     

    Il y a différentes façons de faire la guerre. Pour le capitaine Degorce, père de famille chrétien et pieux, la recherche du renseignement qui peut épargner des vies françaises innocentes justifie la torture, en ce mois de mars 1957 en Algérie. Il est chargé de faire parler les prisonniers et sait les en convaincre. Il a mis sur pieds une organisation qui a réussi à démanteler un réseau terroriste au point d'arrêter Tahar qui en est le chef. Il sait qu'il fait un sale métier, bien différent de celui qu'il avait imaginé, mais, au nom de la discipline il accomplit sa tâche, même s'il en a honte.

    Jeune étudiant il a fait de la Résistance et a été interné à Buchenwald, plus tard, en Indochine, il a combattu le communisme au nom de la mission civilisatrice de la France et des valeurs de la République. Pour cela, le lieutenant Andreani qui fut son compagnon d'armes et le suivit dans les camps d'internement des Viêts, lui témoigne une admiration inconditionnelle. Maintenant, en Algérie, les choses ont changé et le capitaine est devenu un tortionnaire par la force des choses, mais cela, il ne le supporte pas. Pourtant, face à ses hommes, il se doit de jouer le rôle du chef, de leur rappeler le sens de leur mission qui se doit d'être efficace, légitimant ainsi la torture. D'ailleurs la capture de Tahar lui vaudra promotion et décorations mais il n'en a cure, il est face à sa conscience et n'est pas en paix avec lui-même. Il estime son adversaire qui est aussi un ennemi, son combat pour l’indépendance de l'Algérie est aussi légitime que celui qu'il menait en France sous l'Occupation et plus tard sur le théâtre d'opérations extérieures et ce même si Tahar a dû ordonner des attentats, c'est à dire la mort de civils innocents. Dans ce contexte il est sans doute difficile de discerner le bien du mal et chacun a conscience de faire son devoir. Le capitaine est seul face à son devoir d'infliger à Tahar les mêmes souffrances que celles qu'il a subies de la part de la Gestapo mais il le fait malgré sa foi chrétienne, il est seul aussi devant Tahar qu'il veut convaincre de la vanité de son combat, mais en vain. Plus tard Andreani constatera, devant le tribunal militaire qui le condamnera à mort, que cette guerre d'Algérie a complètement changé Degorce au point de faire de lui un laquai servile… et un lieutenant-colonel décoré à qui Dieu ne sera d'aucun secours. Il a perdu son âme, a choisi d'oublier ses hésitations existentielles et a touché ses trente deniers pour prix de sa trahison intime. La nature humaine est ainsi faite, faible et misérable et l'oubli, comme l'hypocrisie et le mensonge font partie du décor dans lequel elle aime à vivre. Andreani lui aussi y laissera son âme mais pour des raisons différentes.

    Ce qu'on appelé pudiquement au début « les événements d'Algérie » pour admettre ensuite qu'il s'agissait d'une véritable guerre, a été un drame pour l'honneur de l'Armée et pour les militaires. Il y eut de part et d'autre des atrocités, des attentats mais il s'agissait moins de livrer des combats traditionnels que de se transformer en tortionnaires et en bourreaux au nom de la logique et de l’obéissance. Cette guerre a bousculé les consciences et beaucoup ont choisi leur camp au mépris de la discipline, ont proclamé leur rejet de ces méthodes ou les ont appliquées avec zèle. Elle a donné lieu à une rébellion au sein de l'armée, à des proclamations officielles et à des promesses pourtant vite trahies, des abandons par la France, pays des Droits de l'homme, des harkis qui avaient pourtant choisi de se battre pour elle... Tout cela pour se terminer par un exil de populations civiles pour une métropole inconnue et des plaies qui ne se refermeront jamais.

     

    Je ne connaissais cet auteur qu'à travers « Le sermon sur la chute de Rome » qui lui a valu le Prix Goncourt en 2012(La Feuille Volante n°1152). Ce roman qui invite à une réflexion sur la nature humaine aurait d'ailleurs amplement mérité cette distinction. Ici, j'ai retrouvé avec plaisir le style remarquable de Jérôme Ferrari qui s'attache son lecteur du début à la fin et ce nonobstant la longueur de certaines phrases.

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Moi, Harnold Nivenson

    La Feuille Volante n° 1154

    Moi, Harold Nivenson – Sam Sauvage – Notabilia.

    Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marc Amfreville

     

    Même si la lecture de ce roman ne nous révèle pas l'âge d'Harnold, on comprend très vite qu'il est vieux. D'ailleurs, comme tous les vieux, il ressasse ses souvenirs et jette sur le monde un regard désabusé. Il est face à sa fenêtre et il nous décrit ce qu'il voit, l'agitation du dehors, ses voisins qu'il espionne plus qu'il ne les regarde et qui vivent leur vie au quotidien et il se laisse aller à des réflexions acerbes et aigries sur sa vie personnelle autant que sur l'art et sur les artistes dont il note de beaucoup sont devenus fous ou se sont suicidés. Il nous livre ses impressions depuis sa fenêtre, autant dire qu'il est en dehors du monde et le regarde à travers le filtre des vitres. On comprend très vite que c'est un artiste raté qui nous confie ses réflexions sur l'art mineur et les artistes minuscules dont il avoue faire partie mais aussi qu'il a joué, à un moment de sa vie, la comédie du connaisseur inspiré et du collectionneur qu'il n'a jamais été. Il vit dans un quartier maintenant peuplé de « bobos » mais qui auparavant a été populaire et industrieux, il habite une maison délabrée qui a jadis été belle mais qu'il a laissée à l'abandon, un peu comme sa propre vie. Il semble avoir vécu sans travailler grâce à une fortune personnelle. Auparavant, il était à la fois un écrivain mineur et une sorte de mécène qui y abritait des peintres plus ou moins parasites. On découvre son amitié avec le peintre Peter Meininger qui exerçait sur lui une véritable fascination mais dont il était véritablement jaloux, au point de partager avec lui la même femme. Il en profite pour égratigner au passage les experts qui viennent chez lui examiner et évaluer les toiles de cet artiste. A cette période pourtant, il croyait encore en lui, en ce destin brillant qu'il attendait pour lui-même mais qui n'a pas été au rendez-vous, soit qu'on ne lui ait pas donné sa chance, qu'il n'ait pas su la saisir ou tout simplement qu'il n'ait pas eu de talent. Maintenant, il s'est mis dans la tête d'écrire un « Manifeste », sans savoir lui-même de quoi il sera question. Il revoit sa triste vie et se laisse aller à des remarques déplaisantes sur ses parents qui n'ont pas su lui donner une jeunesse heureuse, sur ses frères et sœurs qui le torturaient, sur ses contemporains et sur lui-même qui petit à petit est devenu misanthrope et même dégoûté de sa propre personne, se méfiant de tout et de tous. Il avoue volontiers qu'il est d'une grande de indifférence aux autres, à en devenir méchant, même s'il dépend de Moll, une sorte de gouvernante qui s'occupe de lui et qui figure sur les tableaux de Meininger, parce que son fils ne veut pas se charger de lui. On a même du mal à s'imaginer qu'il a pu avoir une famille mais pourtant c'est vrai et il la méprise, comme tout ce qui l'entoure. Du temps où il était encore vivant, seul son chien semblait avoir de l'intérêt à ses yeux. Il sent venir la mort, mais apparemment elle ne lui fait pas peur. Il la voit comme une délivrance face à l'échec de sa vie. Je ne suis pas vraiment spécialiste de l'art mais certaines de ses remarques sont pertinentes. Quant à ses commentaires sur sa vie ratée, je les trouve plutôt sains simplement parce que je suis toujours agacé par ceux qui, suffisants, passent leur temps à se regarder le nombril et à se tresser des lauriers.

    Par ce roman pris au hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque, j'ai été assez surpris à cause de l'atmosphère déprimée et glauque qu'il distille.Les remarques du narrateur ne correspondent peut-être pas tout à fait à celles que je pourrais faire moi-même mais certaines d'entre elles ma paraissent quand même justes et pertinentes. Elles sont certes désabusées mais correspondent à ce qu'un homme en fin de vie peut penser d'un parcours personnel entaché par l'échec et par la solitude qui en résulte. Sur le plan du style, le texte se lit bien mais il assez décousu parce que divisé en paragraphes où le passé se mêle au présent et où ses remarques sont comme jetées sur le papier, comme des « pensées » ou des pièces d'un puzzle qui laissent parfois la place à des longueurs inutiles.

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Aleph 0

    La Feuille Volante n° 1153

    ALEPH 0 Jérôme Ferrarri – Babel

     

    Ce roman met en scène un jeune professeur hanté par l'Aleph Zéro (noté א o du nom de la première lettre de l'alphabet hébraïque) n'a rien à voir avec la vile d'Alep en Syrie mais fait référence à une nouvellel de Borges. C'est, d'après la quatrième de couverture  « un être mathématique  désespérément intact quels que soient les éléments qu'on lui soustrait », autant dire quelque chose qu'on altère pas, qui reste constant quoiqu'on fasse. Même si au départ, je suis assez imperméable aux mathématiques, c'était cependant assez pour susciter mon intérêt. Ce livre, baptisé « roman » et qui a cependant l'aspect d'un recueils de nouvelles, donne la parole, sur le ton de la confidence à ce jeune homme obsédé par cette idée qui semble gouverner sa vie et qui est celle de la solitude. Il la combat comme il peut et il a choisi les femmes qu'il baise, mais, même si son potentiel de séduction est grand, le résultat est toujours le même et souvent nul et met en évidence ce destin néfaste qui ne le lâche pas et que rien ne peut altérer. Même quand il parle d'une collègue qui a subit l'ablation d'un sein suite à un cancer et qui de ce fait a une vie sexuelle amputée au point qu'elle choisit la mort, c'est de sa propre vie dont il nous entretient. Il le fait par ailleurs sans artifice ni retenue, évoquant autant ses conquêtes féminines parfois bizarres que l'onanisme de son adolescence, puisque, selon lui, le plaisir sexuel est seul à pouvoir triompher de la solitude, même si son esprit n'engendre bien souvent que des fantasmes féminins. Ni l'alcool ni la drogue ne peuvent en venir à bout, un peu comme s'il devait en passer par ces artifices délirants et brumeux pour connaître l'extase qu'il n'atteint jamais vraiment. A chaque fois qu'il tente ce genre d'expérience, il a l’impression d'être étranger à son propre corps. Seule les femmes le ramènent à la réalité sans que pour autant il puisse faire la différence entre le désir et le plaisir qu'elles suscitent pour lui. L'attrait des femmes reste la seule chose qui compte, qu'on ne pourra jamais altérer même si sa gaucherie et parfois sa timidité lui interdisent d'en profiter.

    Cela veut-il dire que, quoiqu'on fasse pour faire cesser un état de chose délétère, cela est voué à l'échec et que se battre contre les moulins est certes un acte enthousiasmant mais vain, un peu comme si une divinité perverse, qu'on peut appeler hasard ou malchance, avait résolu définitivement de contrecarrer nos efforts ? Peut-être, et j'ai personnellement déjà fait ce genre d''expérience qui porte en elle les racines de son fiasco. Je veux bien le suivre sur ses interrogations existentielles à propos de l'amour et même dire qu'il n'existe pas, que c'est un concept parfois étrange, en revanche je suis assez imperméable à l'explication du monde par les mathématiciens et plus précisément les tenants de la physique quantique. Le narrateur choisit d'explorer le temps et sa relativité à travers l'histoire de son grand-père. La durée semble ne pas exister, nonobstant les dates égrenées, dans ce parcours de sa jeunesse militaire et ultramarine ponctuée de voyages, de combats et de virées dans les bordels pour soldats. Là aussi ce qui surnage c'est la solitude et aussi la mort qui en est le complément, comme si tout ce qui lui était arrivé s'était déroulé en dehors de lui, comme s'il était lui-même en état d'exil dans sa propre vie. La vie pourtant ne cesse jamais, quelqu'un prend toujours la place de l'autre, n'altérant donc pas le principe actif de l'existence, pourtant la mort existe qui est précisément la fin incontournable de chacun de nous.

    Tout cela m'a paru un peu labyrinthique et même parfois obscur, avec des relations du narrateur qui donne parfois la parole à d'autres, que j'ai eu parfois un peu de mal à suivre et peut-être à comprendre surtout à travers l'évocation de certaines notions scientifiques, d'où une certaine déception . J'avoue que cet auteur qui recevra le prix Goncourt dix ans plus tard et que je ne connaissais pas, a suscité mon attention par ce premier roman paru en 2002 mais j'ai eu un peu de mal à le suivre. © Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Le sermon sur la chute de Rome

    La Feuille Volante n° 1152

    Le Sermon sur la chute de Rome – Jérôme Ferrarri – Actes Sud (Goncourt 2012)

     

    « La philosophie mène à tout à condition d'en sortir » c'est sans doute ce que se sont dit Matthieu Antonetti et Libero Pintus, des enfants du pays et amis d'enfance quand ils ont repris, après leur licence de philosophie, le bar de ce petit village corse qui avait bien failli disparaître. Rapidement, ce débit de boissons devient le centre du village et même de la vie nocturne de la région. Tout était donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles mais petit à petit, autant pour des raisons extérieures que à cause de drames intimes et familiaux, les choses se dégradent et ce qui était une bonne affaire commerciale se transforme en fiasco. L'auteur y déroule l'histoire de la famille Antonetti à la généalogie compliquée et au parcours qui ne l'est pas moins, notamment celui de Marcel, le père de Matthieu.

    Augustin d'Hippone, qui sera plus tard connu sous le nom de St Augustin, prononça son « Sermon sur la chute de Rome », après le sac par les Wisigoths de la Ville éternelle en 410. On en accusait les chrétiens à cause de leur religion nouvelle introduite dans l'empire. Augustin démentit, évidemment et rétorqua que Rome n'était pas éternelle, comme d'ailleurs l'homme de chair et les choses humaines, que seul Dieu survit à tout. D'ailleurs les différentes parties de ce livre sont introduites par des citations augustiniennes.

    Le lien entre ces deux histoires, l'une réelle et l'autre fictive est qu'elles s’inscrivent dans le déroulé des choses humaines promises à la destruction. L'auteur prend en exemple l'Empire français sur lequel jadis le soleil ne se couchait jamais mais qui n'échappa pas, sous les coups de la victoire de Diên Biên Phu, aux velléités d'indépendance des pays africains et à ce qu'on a appelé tardivement « la guerre d'Algérie », au délitement, pour ne plus exister encore que sous la forme de confettis ultramarins. C'est en effet un réflexe dominateur mais irraisonnable et parfaitement humain que de vouloir acquérir chaque jour davantage, plus d'argent, plus de biens et donc plus de pouvoirs. Pourtant tout ce qui touche à l'homme est périssable, à l'image de nous-mêmes, de notre corps détruit chaque jour par la maladie, les accidents et le vieillissement, même si nous œuvrons en sens contraire. Le poète le rappelle à l'envi, « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur», notre destin se réalise toujours malgré nous, nous faisons notre parcours parce que nous sommes faits pour quelque chose que nous ne soupçonnons parfois pas nous-mêmes, nous le faisons volontairement et ce, même si nous nous sommes jurés de faire l'inverse, même si nous rêvions d'autre chose, un peu comme si une divinité perverse nous y poussait que nous pouvons appeler hasard, quand nous ne refaisons pas, malgré nous, l'exemple pas forcément bon donné par nos parents. Dès lors que nous naissons, par accident ou par amour, notre bulletin de naissance sera, tôt ou tard, suivi par un certificat de décès parce que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie qui elle-même est transitoire. Nous appartenons à l'humanité, c'est à dire que nous ne sommes pas seuls et nous pouvons aussi redouter que les autres, et plus précisément nos proches, se mettent en travers de notre route et compromettent nos projets les plus enthousiastes et ce malgré tous les serments et les promesses échangés, quand nous ne nous en chargeons pas nous-mêmes ! Et l'auteur de citer Saint Augustin lui-même « Ce que l'homme fait, l'homme le défait ». Ainsi Aurélie, la sœur de Matthieu, qui part faire des fouilles sur le site d'Hippone ne retrouvera rien de la cathédrale ou prêcha, des siècles auparavant, le saint homme, pas plus d'ailleurs qu'elle ne trouvera l'amour.

     

    Dans un style somptueux et poétique, malgré toutefois la longueur de ses phrases, l'auteur nous fait partager sa vision des choses humaines, effectivement vouées à la disparition à travers la multiplicité des personnages de ce roman, sans doute pour nous montrer qu'elle est effectivement la mieux partagée.

  • L'enquête

    La Feuille Volante n° 1151

    L'enquêtePhilippe Claudel – Stock.

     

    Imaginez un enquêteur missionné pour expliquer une vague de suicides intervenus récemment dans une entreprise. Jusque là, ça va, si on peut dire, sauf qu'il va être confronté à une série d'entraves qui vont retarder son travail, un policier pinailleur, une série de personnages plus falots et bornés les uns que les autres, bref tout une ambiance que n'auraient désapprouvée ni Frantz Kafka ni Georges Orwell tant elle est déshumanisée et pleine d'agressions et d'incompréhensions à l'égard de ce pauvre homme. Il y a heureusement quelques images dignes de Boris Vian. Chacun ne fait que son travail en évitant de prendre des initiatives et personne n'a d'autre nom que celui de la fonction pour laquelle il existe et agit. L'enquêteur dont nous ne connaîtrons pas le patronyme fait ce qu'il peut pour mener à bien sa tâche mais on le sent perdu dans ce monde de plus en plus absurde qui lui échappe et qu'il ne comprend pas. Il a constamment l'impression que quelqu'un derrière lui l'empêche de travailler et même d'exister, et il découvre à chaque instant ce monde insensé dans lequel il est soudain projeté et qui va le broyer. Ce décor impersonnel est souligné par l'absence de raison sociale dans l'entreprise, de toponymie, de nom de famille pour les différents personnages, comme si tout cela était à ce point déshumanisé qu'il n'était même pas utile de les nommer autrement. Le contexte général est aussi étrange et abandonné aux automatismes des machines, aux algorithmes, à l'informatique...On comprend que dans ces conditions que le personnage principal qu'est l'Enquêteur, ressente une sorte de malaise, celui de n'être personne et peut-être aussi de ne pas exister. Il n'est d'ailleurs pas le seul a être affecté par cette étrange atmosphère, chacun réagit différemment mais surtout bizarrement, à tout le moins au regard de la normalité généralement admise, mais en évitant surtout de sortir officiellement de son rôle pour ne pas se faire remarquer dans cette société aussi hiérarchisée qu'anonyme.

    J'y vois une critique de la société compartimentée où chacun œuvre dans son coin sans chercher à comprendre autre chose que la tâche qui lui a été assignée. Je dois d'ailleurs dire que certaines descriptions m'ont rappelé des scènes de la vie ordinaire dans nos villes et ce qui est décrit dans cet ouvrage ressemble, par bien des côtés, au quotidien que nous vivons. J'ai lu aussi une vraie désespérance chez cet « Enquêteur », un désarroi, un abandon, un peu comme celui qui nous habite tous quand, nous étant fixé un but et ayant tout fait pour l'atteindre, nous prenons conscience que nous n'y parviendrons jamais. J'y ai vu une sorte d'allégorie de la vie présentée sous des dehors surréalistes et qui peuvent peut-être porter à sourire (encore que) mais que j'ai personnellement ressentie comme une volonté de mettre des mots sur une situation délétère, au moins pour ne pas avoir à en pleurer. De là à penser à la mort, et singulièrement par suicide, il n'y a qu'un pas aisément franchi dans ce contexte. Elle peut être considérée comme une délivrance, n'est plus que la seule solution face à ce combat solitaire et perdu d'avance symbolisé, à la fin, par cette forêt de containers étanches qui sont la manifestation d'échecs personnels. Cela peut être l'illustration de l'inutilité de cette vie dont nous ne sommes que les pauvres usufruitiers, de l'issue du parcours humain qui bien souvent n'ouvre que sur une vaine impasse malgré toute l'énergie et la vitalité qu'on met à atteindre son but. La mort, l'oubli, l'abandon viendront très vite les recouvrir. L'épilogue me semble être une allégorie du « jugement dernier » même si j'ai personnellement une notion diamétralement opposée à ce que la liturgie judéo-chrétienne tente depuis longtemps de nous enseigner non seulement dans le but de nous culpabiliser mais surtout d’instiller en nous la peur panique d'un dieu que par ailleurs on nous présente comme bon et miséricordieux. « C'est en ne cherchant pas que tu trouveras », cette citation quasi-biblique, à la fois sibylline et ouverte à toutes les interprétations, pleine de promesses et de contradictions, conclut ce roman.

    A cette lecture j'ai eu aussi l'impression d'avoir affaire, en la personne de l'Enquêteur, au type même du malchanceux à qui rien ne réussit, qui est poursuivi par une sorte de guigne qui affecte son quotidien au point qu'à ce stade de sa vie il a le sentiment, comme l'aurait dit Fernando Pessoa, de n'être rien au regard des autres et à ses yeux mêmes. Il se sent le jouet de cette vie et c'est un peu comme si, ceux qu'il croise, et sans pour autant que se soient donné le mot, s’ingénient à lui pourrir l'existence, par nécessité professionnelle sans doute mais aussi souvent pour le plaisir de se faire ainsi, à eux-mêmes, la preuve qu'ils existent et qu'ils ont de l'importance et du pouvoir. Il devient leur jouet autant que celui de son destin néfaste et tout se ligue contre lui au point qu'il ne lui reste plus que le rêve et même le fantasme pour l'aider à supporter ce quotidien délétère. L'impression est telle que lui-même a l'impression d'être dans le rêve d'un autre.

    Et l'enquête dans tout cela, c'est à dire la chose qui a motivé la présence de ce pauvre homme dans cet univers déjanté ? Elle était le vrai motif de sa présence dans cet microcosme mais disparaît vite. C'est un peu comme dans le roman de Boris Vian, « l'automne à Pékin » qui ne se passe ni en automne ni à Pékin et qui parle de tout autre chose.

    Je viens de lire « Inhumaines » du même auteur (La Feuille Volante n°1150) et cela ne m'a guère enthousiasmé. Ici, le texte est mieux écrit, lu parfois à haute voix pour mieux goûter la faconde de l'auteur, plus attachant aussi malgré le contexte impersonnel très près de la science-fiction mais aussi d'une certaine réalité que je me suis appropriée. De Philippe Claudel j'avais bien aimé « Les âmes grises » ou « Le rapport de Brodeck ». J'avoue avoir ici renoué avec l'intérêt que je porte à cet auteur.


     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Inhumaines

    La Feuille Volante n° 1150

    Inhumaines – Philippe Claudel – Stock.

     

    Quand j'ai pris ce livre sur une des étagères de ma bibliothèque préférée, le titre m'a fait penser à quelque chose qui restait de mes lointaines études. « L'inhumaine », c'était, dans le théâtre classique, la femme qui ne répondait pas à l'amour qu'on lui témoignait et la couverture pouvait, avec un peu d'imagination, abonder dans le sens de cette interprétation...

    J'ai, dans cette chronique, largement commenté l’œuvre de Philippe Claudel que j'apprécie pour la qualité de son écriture et son souffle subtilement poétique (notamment « les âmes grises », « le café de l'Excelsior »- la Feuille Volante n ° 620- 621...). Ce roman est présenté comme une occasion de rire de tout, une sorte de poil à gratter, un pavé dans la marre, une plaisanterie de potache, une manière un peu bête et méchante de voir les choses qui nous entourent... Il est sans doute tout cela et ces vingt cinq courtes nouvelles ne m'ont pas laissé indifférent. Il y a les histoires un peu déjantées qui nous sont racontées par l'auteur, comme l'homme qui offre à sa femme trois hommes comme cadeau de Noël ou le galeriste qui vend des cadavres gelés de SDF comment illustration de l'art contemporain. Derrière tout cela j'ai choisi, un peu comme Rabelais qui invitait déjà son lecteur a briser l'os pour en retirer la substantifique moelle, de voir plutôt un critique de notre société. Le jeu cruel qui consiste à détruire des véhicules qui circulent sous un pont ne nous rappelle-t-il rien dans une société où la réussite personnelle, portée au pinacle, s’accompagne aussi de l'élimination de l'autre, considéré comme un concurrent, ou ces gens le plus souvent respectables qui aiment tant multiplier autour d'eux souffrances et désolations, souvent pour le seul plaisir d'affirmer leur existence ou leur importance, parce que leur position leur en donne le pouvoir, qu'ils aiment cela ou simplement qu'ils se croient tout permis ? Dans cette société, il ne faut pas hésiter à se vendre pour obtenir un peu de notoriété, de pouvoir... et pour cela on est prêt à tout.

    Le sexe envahit chaque jour notre société (et bien souvent dans notre proche entourage) et bien des gens ne pensent qu'à cela et feraient tout, et bien souvent n'importe quoi, pour un petit moment de plaisir. Ici ça va carrément jusqu'à l'obsession, quant à l'adultère, il est devenu carrément banal. C'est peut-être une vue de mon esprit sans doute tordu, mais il me semble aussi que l'auteur règle quelques comptes avec les femmes notamment dans « mariage pour tous ». Par ailleurs, il les met souvent dans des situations où elles n'ont pas le meilleur rôle. J'ai peut-être trop d'imagination, mais dans certains textes, j'ai lu l’indifférence qui va croissante dans notre société et aussi l'hypocrisie qui va avec. J'ai vu aussi ces nouvelles une invitation à s'accepter soi-même, à admettre les ravages du temps sur notre propre corps parce que simplement les choses changent et n'évoluent pas dans le bon sens (« Transhumanisme »).

    C'est vrai que tout cela est volontairement excessif et même agressif. Sur le principe, ça ne me dérange pas et rire de tout est plutôt salutaire, d'autant que notre société n'est évidemment pas exempte de critiques, mais quand même... J'avoue que plus j'avançais dans la lecture de ces courts textes, plus ma curiosité du début laissait place à l'agacement et même à la déception d'autant plus que je ne retrouvais pas l'auteur que d'ordinaire j'appréciais. Je me suis peut-être laissé porté par sa volonté de provocation, je n'ai peut-être pas retrouvé le style fluide que j'avais tant apprécié auparavant mais je dois dire que je me suis, pour une fois, un peu lassé à cette lecture. Franchement j'ai lu mieux sous sa plume, mon a priori favorable n'a pas résisté longtemps et je trouve dommage qu'il ait commis ce roman, à mes yeux sans grand intérêt, surtout au regard de ce qu'il a écrit par ailleurs.

    © Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Noces de charbon

    La Feuille Volante n° 1148

    NOCES DE CHARBON Sophie Chauveau – Gallimard.

     

    Quand on parle anniversaire de mariage, les noms qu'on donne aux « noces » varient entre la fragilité, la douceur, la fragrance, la richesse et la solidité, une manière hypocrite de plus de présenter cette institution comme agréable et résistante. Tant mieux pour ceux à qui ça a réussi, tant pis pour les autres. Les noces de charbon n'existent pas mais c'est pourtant lui, ou plus exactement la mine, qui, en soixante huit ans va réunir ces deux familles du nord de la France et de quelques autres, qui n'avaient pourtant rien de commun entre elles, d'un côté des mineurs pauvres, de l'autre des directeurs, les nantis, les riches. A l'époque, un peu avant la Grande Guerre, la mine c'était « Germinal », avec son travail inhumain, les accidents, les grèves réprimés par l'armée, la silicose, la souffrance et la mort prématurée et par-dessus tout ça l'omniprésence de l’Église et son dévastateur message culpabilisant, face aux puissances de l'argent.

     

    Entre les mariages d'amour et les adultères, les réussites sociales et la désinvolture des enfants de famille, l'argent qui est pour les uns si rare et pour les autres le moyen de paraître, de frimer, de s'offrir tout ce qu’ils veulent, les crises économiques, les guerres, l'Occupation avec son lot de Résistants et de collabos, les espoirs envolés, le sens du commerce des uns et paresse des autres, la bigoterie et les mondanités, les mésalliances et les mariages de raison, la vertu et les vices, les enfants légitimes et adultérins avec même une ascendance juive occasionnée par un amour passionné, la conscience de classe et la volonté d'échapper à sa condition, l'auteur déroule la vie de ces hommes et de ces femmes qui ont fait l'histoire familiale tout au long de ces années. Ce n'est peut-être pas un hasard si, dans cette galerie de portraits, c'est Nadine qui a retenu vraiment mon attention. D'ailleurs c'est elle qui fera la jonction entre les Proust et les Simenon, ces deux familles qui n'avaient aucune chance de se rencontrer et de s'unir. Elle commence à m’intéresser à partir de la Libération quand elle s'étourdira dans ce Paris libéré de l'après-guerre, dans le tourbillon germanopratin de ses seize ans avec les Existentialistes et les nuits du « Tabou ». Elle est une jeune fille délurée aux origines incertaines, en mal de repères familiaux qui balade son désespoir dans une liberté toute neuve. Pierjac est le type de snob mondain sans envergure ni intérêt mais le hasard, ou le destin, va les réunir. Ce mariage, qui n'est que la conséquence du traditionnel accident d'une future naissance non désirée, on ne sait plus s'il s'agit d'une mésalliance, la famille d'anciens mineurs qui épouse celle des Charbonnages, ou un bon coup réalisé par une fille pour se faire épouser par un fils de famille ! Le personnage de Sophie aussi retient mon attention, l'histoire de sa famille et la sienne propre sont sans doute les ressorts cathartiques de sa démarche d'écriture et en cela aussi ce roman m'a intéressé.

     

    Pour écrire une saga il faut avoir du souffle et notre auteur n'en maque pas pendant ces 68 ans que dure son récit sans que l'ennui se soit insinué dans ma lecture. Elle y ajoute un humour discret et ce n'est pas fait pour me déplaire. Heureusement elle a eu la bonne idée de joindre un arbre généalogique pour aider le lecteur à s'y retrouver dans ces familles dont les destins s'entrecroisent. Il n'est pas de trop ! A titre personnel, mon expérience ne m'a pas donné une bonne image de la famille. J'ai été rassuré (un peu) de voir que je n'ai pas été le seul à pâtir de l'inconséquence des autres.

     

    Le style est agréable et facile à lire. Ce livre a été pour moi un bon moment de lecture. Je continue avec plaisir la découverte de cette auteure rencontrée un peu par hasard.

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud

    La Feuille Volante n° 1147

    Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud – Emmanuel Venet – Éditions Verdier Poche

     

    Gaston Ferdière (1907-1990) avait un penchant très prononcé pour la poésie et aussi pour la polémique constructive puisqu'il combattit la légende misérabiliste tressée par Jehan-Rictus lui-même ou défendit la mémoire d'Anatole France. Pour l'heure, il a vingt ans et croit qu'on peut concilier médecine et littérature un peu comme l'a fait Louis-Ferdinand Céline mais dans un tout autre registre et la notoriété en moins. Il soigne à l’hôpital le jour et la nuit il déclame ses poèmes d'inspiration surréaliste dans les bistrots. André Breton est son modèle, comme lui il est un poète égaré en médecine qui veut devenir psychiatre, c'est à dire « un paria aux yeux ce ses confrères sérieux », curieux de l'écriture automatique et de la création, fasciné par le monde des fous et de leurs vies en lambeaux. Pour lui ce sera Villejuif. C'est aussi un idéaliste qui part combattre en Espagne ravagée par la guerre civile. Il y sera médecin mais aussi écrivain, bouleversé devant tant de morts et d'absurdités.

     

    Il sera donc psychiatre c'est à dire en prise directe avec « le verbe déstructuré, grandiose et hermétique des fous, : la source même de toute poésie », attentif « (aux) salles communes et (aux) galeries où l'humanité fait naufrage », mais aussi insoumis, marginal. Est-ce l'exploration de l’inconscient humain qui le rapproche d'André Breton ? Pourtant il choisit, sous les coups du sort, d'étouffer la poésie qu'il porte en lui au profit de la psychiatrie et devient novateur en privilégiant les facultés créatrices de ses malades. Il se hasardera aussi dans des expériences médicales nouvelles, notamment sur Antonin Artaud, mais qu'on lui reprochera plus tard. En lui cohabiteront toujours le poète mort et le médecin renié, un véritable naufrage. Cette rencontre ravive chez Ferdière ses anciens démons poétiques et, adepte du sacrifice volontaire, il favorise chez son patient ce qu'il a étouffé en lui.

     

    Il recherche, et c'est légitime, la reconnaissance à laquelle tout homme aspire dès lors qu'il fait quelque chose avec passion mais n'oublie pas pour autant le partage. Malheureusement il y aura toujours quelque chose qui viendra s'opposer à lui sans qu'il y puisse rien, aussi bien acceptera-t-il d'étouffer lui-même ses aspirations de poète au profit de son métier de psychiatre mais un exercice plus humain de la psychiatrie se heurta au système et aux élites qui le broieront. Poète chez les psychiatres ou psychiatre chez les poètes, il ne sera sans doute jamais à sa vraie place, toujours « en deuil de lui-même » et il aura beau faire, il y aura toujours quelque chose, le destin contraire ou la malchance, pour se mettre en travers de son chemin. Ce sera le vrai paradoxe de sa vie, d'une sa vie ratée qu'il a acceptée ! L'auteur le présente comme une sorte d'abandonné de Dieu. Je ne sais si j'ai bien compris cette allusion mais j'avoue que j'accepte assez facilement cette explication aussi abrupte soit-elle.

     

    Comme j'ai déjà dit dans cette chronique, j'ai découvert cet auteur par hasard et je m'en félicite puisque j'apprécie son style fluide, toujours agréable à lire. J'ai retrouvé ici sa verve mais j'ai lu aussi une parole un peu acerbe, comme si notre auteur, réglant peut-être quelques comptes personnels, mais surtout hors de lui devant tant d'injustices, choisissait de réhabiliter cet homme de bonne foi et de bonne volonté, un peu trop ballotté par l'adversité et la volonté de nuire de ses contemporains. Cela ne me dérange pas car nous avons tous des choses sur le cœur et la fonction cathartique de l'écriture n'est pas incompatible avec le talent. En lisant ce court texte, j'ai aussi pensé, toutes choses égales par ailleurs, à Louis-Ferdinand Céline qui sera médecin hygiéniste, soutenant sa thèse de doctorat sur « La vie et l’œuvre de Philippe Ignace Sommelweis ».

     

    J'ai eu plaisir à travers cette courte biographie, rédigée me semble-t-il avec une sorte de rage retenue, à faire la connaissance de Gaston Ferdière. Cette démarche m'a rappelé un peu celle adoptée par Jérôme Garcin qui a souvent choisi, en les romançant parfois, d'exhumer de l’anonymat des figures oubliées de la littérature ou de l'histoire, abandonnées de la chance ou de Dieu, si on y croit, des idéalistes qui ont dû malgré eux accepter leur sort pour s’abîmer dans le quotidien et dans une mort souvent prématurée, alors qu'ils portaient en eux un tout autre rêve. Au moment où on montre en exemple ceux qui ont réussi, sans pour autant entrer dans le détail de leur succès, j'avoue avoir beaucoup d'empathie pour les laissés pour compte.

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Mémoire de mes putains tristes

    La Feuille Volante n° 1146

    Mémoire de mes putains tristes – Gabriel Garcia Marquez – Grasset.

    Traduit de l'espagnol par Annie Morvan.

     

    Drôle d'idée de la part du narrateur : le jour de son 90° anniversaire , il veut s'offrir une folle nuit d'amour avec une jeune prostituée vierge, paradoxe qui tient autant dans la découverte de la fille que dans les possibilités physiques du narrateur. Il y a en effet un âge pour tout ! Célibataire, il confie en effet n'avoir jamais fait l'amour avec une femme, qu'elle fût prostituée ou non, sans la payer pour cela, c'est donc pour lui devenu une habitude. Il a même dressé une liste de ses partenaires. Rédacteur improbable dans un petit journal local, il a eu l'idée de rédiger autre chose que ses articles ordinaires pour leur préférer ses mémoires, d'où le titre du roman.

    Mais, revenons à ce qu'il considère comme un cadeau personnel, et même intime, d’anniversaire. On dira ce qu'on voudra et on peut être animé des meilleures intentions du monde, la sagesse populaire a bien raison de proclamer qu'on ne peut être et avoir été. Le malheur pour lui c'est que cette réalité se propage sous forme d'informations dans toute la ville où il est fort connu, ce qui n'est pas fait pour célébrer sa virilité, nonobstant son âge !

    Restait donc ce fait, ou ce non-fait, comme un défi que relève volontiers son amie la maquerelle qui se sent obligée de lui trouver un « cadeau » capable de combler les désirs de son amical client, mais celui-ci se dérobe sans pouvoir la toucher. Pourtant la présence d'une de ces jeunes femmes auprès de lui va contribuer à le rajeunir et à le rendre fou amoureux. Ce n'est donc pas une simple histoire de coucheries d'un vieillard libidineux comme on aurait pu s'y attendre mais une véritable renaissance pour lui. Mais ce n'est pas que cela et cet ultime épisode lui renvoie en pleine figure tous les échecs de la vie passée, la nostalgie du temps qui fuit, les affres de la vieillesse, la réalité prochaine de la mort. Nous ne pouvons rien à la fuite du temps et nous sommes tous promis au trépas quoique nous fassions. Nous serons seuls face à la camarde et il est illusoire d'espérer autre chose et se raccrocher à ses souvenirs ne servira à rien. C'est aussi simple et cruel que cela parce que c'est non seulement l'apanage de la condition humaine qu'il en soit ainsi , mais en plus il nous est donné d'en prendre conscience sans pouvoir rien faire contre cela. Tout être vivant est promis à la mort mais la particularité de l'homme est de pouvoir y réfléchir longtemps avant, de l’apprivoiser peut-être mais assurément de la craindre d'autant plus facilement que son existence a été belle et qu'ainsi il sait ce qu'il perd en perdant la vie.

    Derrière un titre évocateur, porteur d'érotisme et peut-être davantage, c'est en réalité à une méditation sur la condition humaine à laquelle l'auteur nous convie, aux joies et surtout aux peines, aux grandeurs mais surtout aux décadences, aux mensonges et aux trahisons qui sont bien plus fréquents que l'amitié et l'amour sincères qui accompagnent notre parcours sur terre qui n'est pas un long fleuve tranquille. Tout ici-bas n'est qu'apparences, décor, hypocrisies, mensonges. On peut quand même se jouer à soi-même la comédie mais tout passe, la jeunesse comme la beauté, tout est promis à la décrépitude, même le corps des femmes qui est encore la seule manière d'échapper agréablement à la solitude et à la souffrance.

     

    J'ai apprécié une nouvelle fois le style fluide de Marquez, sa verve mêlant l'humour à la mélancolie, une façon sinon de rire, à tout le moins de sourire de la mort inévitable qu'un vieil homme peut combattre en puisant dans la jeunesse et la beauté d'une femme. Il la présente toujours comme endormie et nue ce qui est sans doute une manière de répondre à la mort prochaine du narrateur et une façon de souligner les ravages que les années ont fait sur son propre corps.

     

     

  • la boule noire

     

    L A F E U I L L E V O L A N TE

    La Feuille Volante est une revue littéraire gratuite créée en 1980. Elle voyage maintenant sur internet.

     

    N°869– Février 2015

     

    LA BOULE NOIRE Georges Simenon – Le livre de Poche.

     

    Nous sommes dans une petite ville des États-Unis dans les années 50. Walter Higgins y mène une vie paisible de père de famille nombreuse et de directeur de supermarché. Il s’implique même à titre bénévole dans divers activités au profit de la collectivité. Bref, c'est quelqu'un dont on peut dire qu’il a réussi socialement et qu'il est heureux dans cette vie autant qu'on peut l'être et que c'est un type bien. A un détail près cependant, il s'est mis dans la tête d'être membre de Country Club, une association locale de notables qui rejette systématiquement sa candidature sans raison apparente et le fait à travers un vote anonyme qui se manifeste par la présence d'une seule boule noire déposée dans l'urne le soir du scrutin. Il n'a pourtant rien de commun avec ce club mais son appartenance consacrerait sa réussite. Ce refus, manifesté pour la deuxième année bouleverse Higgins. C'est peut-être pour lui plus qu'une question de principe puisque même au pays du rêve américain où la réussite personnelle est célébrée comme une vertu, il lui semble que ce qu'on lui reproche ce sont ses origines pauvres, son père absent sa mère alcoolique, destructrice et délinquante. Pour en être arrivé là, il a dû gravir tous les échelons d'une société qui ne lui avait pas fait de cadeaux puisqu'il était parti de rien. Si on lui a confié la direction du magasin, c'est qu'il avait fait ses preuves, débutant comme livreur. En lisant cela le lecteur songe immanquablement à un paranoïaque qui rejoue la grande scène du complot. C'est pour lui tellement révoltant qu'il veut tuer les membres de ce club qui lui refusent l'entrée. Pire peut-être, il découvre qu'au sein de ses activités bénévoles où il s'impliquait pourtant beaucoup, son avis importe peu et on le tient pour rien. Il démissionne donc même si cela peut avoir des conséquences sur son chiffre d'affaires et sur sa situation. Pourtant cette histoire d’appartenance à ce club n'a vraiment aucune importance mais il le vit comme quelque chose d'injuste. Le déroulé des événements le fait pour autant revenir à une réalité plus terre à terre, le fait grandir, lui fait prendre conscience des choses et les relativiser.

    J'observe quand même que Higgins a bénéficié du soutien sans faille de sa famille et de ses employés, ce qui se révèle à la fois rassurant et salvateur dans une situation qui aurait pu devenir criminelle. Pourtant quand on a le sentiment d'être exclus d'un groupe et en ressent une certaine solitude.

    Cette histoire de boule noire a probablement une dimension maçonnique, le terme blackbouler vient de là. Mais au-delà de cette remarque qui ne trouve pas ici sa véritable résonance, ce roman, écrit dans les années 60 prend une dimension très actuelle. Il nous est tous arrivé, dans notre vie familiale ou professionnelle d'être l'objet d'injustices qu'aucune raison ne motivait. Elles nous étaient infligés discrétionnairement soit par quelqu’un qui ne nous aimait pas ou ne nous aimait plus, soit par simple jalousie. En tout cas, la personne qui faisait ainsi acte de malveillance avait une volonté farouche de nous faire du mal, de nous détruire, d'autant plus forte qu’elle ne reposait sur rien d'autre que sur cette faculté de profiter d'une situation de supériorité supposée et parfois temporaire, basée sur la fortune, la position sociale ou hiérarchique. Le pire sans doute était la lâcheté puisque cette situation délétère était couverte par l'anonymat, l'hypocrisie, la mauvaise foi...

     

    Simenon, ce n'est pas seulement les romans policiers où le commissaire Maigret exerce avec talent son pouvoir de persuasion, de déduction et démasque à chaque fois le coupable. J'ai dit dans cette chronique combien j'aimais cette ambiance un peu glauque tissée dans cette série. C'est aussi un écrivain de romans psychologiques et je suis entré, pour des raisons personnelles sans doute, dans ce processus qui m'a parlé d'autant plus que le style est fluide, agréable à lire.

     

    Ce roman a été adapté pour le télévision dans un film de Denis Malleval (2014) diffusé sur France 3 le mercredi 17 février 2015. Le comédien Bernard Campan, qu'on connaissait dans un tout autre registre, donne ici toute sa mesure dans cette dramatique.

    ©Hervé GAUTIER – Février 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Le petit homme d'Arkhangelsk

    La Feuille Volante n° 1145

    Le petit homme d'Arkhangelsk – Georges Simenon. Presse de la cité.

     

    Ce roman a été publié en 1956 et c'est l'histoire d'une mésentente conjugale comme il en existe beaucoup. C'est quelque chose de très actuel puisque de nos jours à peu près deux mariages sur trois se terminent par un divorce et qu'il vaut mieux tenir les serments de fidélité échangés lors de la cérémonie à la mairie et à l'église pour du folklore, tant les époux s'empressent de les trahir sans vergogne. L'espèce humaine est ainsi faite, nous en faisons tous partie et nous n'y pouvons rien. Ce roman met en scène Jonas Milk, 40 ans, un petit commerçant d'origine russe, naturalisé français, timide et effacé. Il tient une boutique de philatéliste et de bouquiniste sur la place du Vieux Marché d'une petite ville du Berry. Il a épousé Gina Palestri, 24 ans, sa jeune et belle femme de ménage parce que la solitude lui pesait et aussi pour lui procurer une certaine tranquillité. Bien entendu ils n'ont pas d'enfants et peu d'occasions de coucher ensemble. Ce genre d'union est vieille comme le monde, porte en germe sa propre destruction, et en deux ans de mariage, Jonas qui tient à sa femme, lui pardonne tout, même ses infidélités. Bien sûr la différence d'âge prête aux plus faciles plaisanteries assorties de sourires sous cape et quand Gina disparaît une nouvelle fois et qu'on lui demande où elle est, il répond qu'elle est à Bourges où elle va parfois. Sauf que cette fois elle est partie en dérobant des timbres de prix et qu'elle ne reviendra pas. Alors qu'il aurait pu être l'objet de soutien dans cette épreuve, une sorte d'ambiance délétère se noue autour de lui, lui faisant sentir que, contrairement à ce qu'il avait cru en venant ici, il reste un étranger et les nombreuses contradictions auxquelles il doit faire face donnent à penser qu'il s'est débarrassé de son épouse. Il est tellement désespéré face à cette rumeur et malgré un témoignage spontané qui l’innocente, qu'il ne supporte plus sa vie.

    Ce roman psychologique nous présente un Simenon bien différent de l'auteur des Maigret. J'ai retrouvé certes son style fluide et agréable à lire mais cette œuvre nous rappelle qu'il a aussi été un observateur très fin de condition humaine, hors des ouvrages à caractère policier qui ont fait sa notoriété. Nombre de ceux-ci ont fait l'objet, et avec bonheur, d'adaptations cinématographiques et théâtrales ; cette chronique s'en est déjà largement fait l'écho. Un film a même adapté ce roman en 2006 ( « Monsieur Joseph », réalisé par Olivier Langlois). Ici Joseph est un petit commerçant solitaire, musulman non pratiquant et qui a francisé son prénom de Youssef pour mieux se faire accepter dans cette petit ville dont il croit, après tout ce temps, faire partie. Même si les personnages et la localisation géographique sont différents, ce long métrage est fidèle à l'esprit du texte de Simenon et rend bien, autour du personnage de Joseph, cette ambiance, d'abord légère et assortie de sous-entendus un peu salaces à propos de la fidélité de sa jeune épouse, puis franchement hostile quand la rumeur enfle et fait de lui un potentiel assassin de la jeune femme. Il n'est plus le cocu dont tout le monde se moquait mais devient un meurtrier dont tout le mode se méfie. Il est dès lors rejeté comme un étranger et se sent impuissant face à cette réaction. Daniel Prévost qui a eu une carrière de comique, est dans ce rôle, particulièrement émouvant et a sans doute trouvé là sa véritable voie. J'avais fait la même remarque à propos de Bernard Campan incarnant aussi un homme victime de la malveillance, dans un roman du même Simenon (« La Boule noire »- La Feuille Volante n° 869). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Daniel Prévost incarne dans ce film un homme issu du mariage entre une française et un algérien puisqu'il est lui-même le fruit d'un tel métissage. C'est aussi un roman et un film très actuels qui illustrent, outre l'infidélité conjugale, le rejet de l'autre qui ne nous ressemble pas et met en échec le « vivre ensemble » dont je ne suis pas sûr qu'il perdure longtemps dans la climat d'insécurité dû aux attentats à caractère religieux et ethniques que nous vivons actuellement.

    © Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]