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la feuille volante

Articles de hervegautier

  • LE CHANT DE LA MER –  Norman LEWIS

     

    N°377– Novembre 2009

    LE CHANT DE LA MER –  Norman LEWIS– Phébus.

     

    « Il n'y a rien ici »!

     

    En effet, c'est un décor du nulle part, quelques barques, des chats maigres qui s'acharnent sur les reliefs de la dernière pêche, la mer, quelques maisons qui forment un méchant bourg ensoleillé de Catalogne après la deuxième guerre mondiale, après la guerre civile espagnole, en pleine période franquiste. Que vient donc faire ici, dans ce petit village de Farol, sur les bords de la Méditerranée, cet étranger, un Anglais, un « homme tranquille », un peu taiseux à cause de sa vie antérieure, de la guerre à peine terminée il y a quelques mois avec ses désillusions, ses désespoirs, ses horreurs ? Il pourrait rentrer chez lui, en Angleterre, mais il a plutôt suivi les prescriptions de son médecin, le changement d'air, le changement de vie...

    Mais voilà, il est ici un étranger et on se méfie de lui. Lui, désireux de n'être pas venu ici pour rien et surtout d'y demeurer, à cause probablement des rituels, des silences, de la vie simple de cet endroit où il n'y a effectivement rien, de sa volonté de se poser quelque part sur terre, parce qu'il est saisi intimement de cette appétit de réadaptation au monde, de son attachement intime à l'imperfection qu'il chérit, de la volonté d'être différent politiquement, de rester fidèle au valeur de l'ancienne république, va petit à petit se faire accepter par ce peuple, s'acclimater dans ce petit port catalan. C'est en cherchant à se fondre dans ce paysage, gardant le silence et cherchant à n'être « personne » qu'il va, sans même s'en apercevoir, être accepté par les autres villageois, sans doute parce qu'il leur ressemble! Il va l'être tellement qu'on lui fait des confidences, qu'on l'invite pour des parties de pêche tout en l'initiant aux tabous du métier, qu'on lui confie les comptes...

    Il a choisi cet endroit parce qu'il est l'écart, parce que le temps semble s'y être arrêté, à cause des chats qui, plus que les autres animaux donnent l'impression à l'étranger qu'il vient effectivement d'une autre planète.

     

    Un village n'est rien sans ses personnages : ce curé assez anachronique dans un bastion où historiquement on a toujours refusé le clergé; on le supporte à cause peut-être de la maîtresse qu'il entretient au vu et au su de tous, l'alcade, désigné par le pouvoir central et dictatorial de Franco qui fait semblant de diriger tout ce petit monde, Don Alberto, grand propriétaire, personnage anachronique qui semble tout droit sorti d'un roman de Cervantès, mais surtout la grand-mère chez qui l'auteur choisit de loger, une femme à la fois fantasque et attachante, qui, en réalité gouverne ce village et qui tient son pouvoir du seul fait que c'est là « le pays des chats », Muga qui incarne la modernité mais surtout le changement, le pouvoir de l'argent.

     

    C'est un récit labyrinthique, nécessairement magique que nous offre l'auteur. Il y distille, avec un certain humour, le délicat parfum de l'éphémère de cette vie, de la fragilité de ce monde qui est le nôtre, une délicate musique un peu enrouée de fin de quelque chose qui, même si on ne le veut pas, finit par être tragique et pleine de désespoir. Les choses évoluent sur cette terre, et pas forcément dans le sens souhaité, la nostalgie des temps anciens peut exister et perdurer, l'humour combattre plus ou moins efficacement tout cela, mais la réalité est là. Farol, avec ses airs d'ailleurs, comme marginalisé par lui-même et désireux de faire durer ce climat d'exception va être emporté par la spirale du temps: les bancs de poissons vont se faire de plus en plus rares, les chênes-lièges, richesse de l'arrière-pays, seront atteints par la maladie, l'argent qui corrompt tout, les « libertés venues du Nord », la spéculation... Ce petit peuple « d'irréductibles », attaché viscéralement à son originalité va voir la voir se dissoudre avec rapidité... C'est probablement là ce qu'on appelle le sens de l'Histoire, l'évolution des choses, le progrès, la recherche inévitable et irréversible du confort, même si tout cela ressemble étrangement à une auto-destruction, au nom du sacro-saint profit, dont les sociétés dites civilisées sont friandes. Face à cela, ce petit coin de terre ne pèse rien et cette fable, pas si fictive que cela, ce « chant de la mer »,qui nous renvoient peut-être à celui des sirènes qui charmèrent Ulysse qui nous endort assurément est une prise de conscience bienvenue mais qui, malheureusement a toute les chances de demeurer lettre morte.

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE SOLEIL DES SCORTA – Laurent GAUDE

     

    N°376– Octobre 2009

    LE SOLEIL DES SCORTA – Laurent GAUDE (Prix Goncourt 2004)– Actes Sud.

     

    Il est des livres qui se lisent laborieusement mais le style fluide et poétique de Laurent Gaudé n'engendre pas, à mes yeux, ce genre d'ouvrage. J'ai vraiment pris plaisir à lire ce roman captivant, le soleil torride oppressant du sud italien, les paysages arides des Pouilles y sont partout présents autant que l'histoire ensorcelante de cette famille marquée, de génération en génération, par le malheur, la honte, l'opprobre et qui manifeste une volonté farouche de s'en sortir pour assurer aux siens de quoi vivre ![l'image de la sueur souvent évoquée symbolise à la fois la touffeur du climat et l'effort pour la vie, pour l'argent, dans cet environnement difficile]

     

    Imaginez une vieille italienne, Carmela Scorta qui, au soir de sa vie, se confie à Don Salvatore, le curé de son village de Montepuccio. Elle lui raconte la vie de cette lignée des Malcazone [les bien nommés] qui va devenir celle des Scorta, née en 1875 d'une méprise, d'une erreur sur la personne qui engendre des criminels, des voyous... Luciano d'abord, puis son fils Rocco, qui, avant de mourir fait don au vieux curé du village, et donc à l'Église, de son immense fortune acquise par le crime, à condition toutefois qu'elle l'enterre avec faste, lui et toute sa descendance. A cause de ce legs, il précipite sa femme et de ses trois enfants, dont Carmela, dans la pauvreté que seule l'émigration vers New-York peut enrayer. Malheureusement, ils doivent revenir sans avoir pu tenter leur chance sur le nouveau continent. Sur le chemin du retour, Carmela se voit remettre  quelques pièces d'or par un vieil immigrant qui meurt peu après. Ayant découvert qu'elle avait le sens du commerce, elle et ses frères reviennent de ce voyage de retour plus riches qu'ils n'étaient partis... Elle ouvre un bureau de tabac à Montepuccio, le clan s'agrandit, le temps passe. Mais pour les gens du village, tous restent, malgré les mariages, des Scorta, une lignée dont chaque membre mâle a hérité de cette malédiction de l'ancêtre, mais aussi un nom que chacun choisit de conserver comme une noblesse dont il est fier [Ils sont ces « mangeurs de soleil. » comme le dit si joliment l'auteur]. Pourtant, le seul nom de cette famille inspire aux autres habitants la crainte et le respect.

     

    C'est à travers les yeux de Carmela que revit cette véritable saga familiale et c'est elle qui suscite cette évocation, tantôt avec une grande économie de mots quand elle prend la parole, tantôt avec des accents magistraux quand l'auteur prend le relais, et il ne faut rien moins qu'un tremblement de terre pour avoir raison de Carmela, « née plusieurs fois à des âges différents ». C'est symboliquement que le sol éventré du cimetière l'engloutit, comme pour souligner son attachement à cette terre, pour consacrer son appartenance à cette famille. Elle délivre son message à un ecclésiastique parce qu'il est comme elle un homme de la terre et qu'il représente Dieu. Elle le respecte pour ce qu'il est mais aussi parce qu'il lui ressemble et accepte de l'écouter pour qu'il transmette son message à sa descendance et plus précisément à Anna, sa petite-fille, pour qu'on se souvienne d'elle. Il est, lui aussi et à sa manière, un être différent, attachant!

     

    Au-delà de toutes les questions existentielles posées, tous les sujets abordés, ce roman me paraît être un hymne à la femme. Celles qui peuplent ce texte sont toutes des êtres d'exception malgré leur humilité. Elles sont irremplaçables, elles inspirent l'amour, le désir, la dignité. C'est avec elles que tout se fait et sans elles rien n'est possible. [Ainsi la continuité sera assurée par les femmes, La Muette, Carmela, Maria, Anna].

    Comme les hommes, elles parlent peu, subissent en silence leur sort sans se plaindre, se sacrifient mais restent debout, dans l'ombre. Mères, sœurs, épouses, tantes, plus que les hommes, c'est elles qui sont porteuses du message pour leur descendance, la transmission des valeurs, le respect de la parole donnée, l'hospitalité, le sens de l'honneur, la rancune aussi, le seul véritable exemple qui vaille face au temps qui passe, à l'éphémère et au tragique de l'existence, à son inutilité peut-être, aux rides qui se creusent, à la mort, à l'oubli.

     

    Elles sont l'authentique image de cette Italie pauvre mais fière. C'est par elles que se perpétue la permanence de la vie, ce sont elles qui sauvent les réalités et les apparences, malgré la turpitude des hommes.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ELDORADO – Laurent GAUDE

     

    N°375– Octobre 2009

    ELDORADO – Laurent GAUDE- Actes Sud.

     

    Ce sont deux portraits croisés que nous livre l'auteur.

    L'un, Soleiman, un Soudanais, va faire jusqu'aux barbelés de Ceuta, un chemin cahoteux vers l' Europe, son Eldorado, un monde qui, pourtant, ne veut pas de lui. Comme ses compagnons d'infortune, il porte le devenir de toute une famille et espère trouver là-bas du travail mais, il le sait, tous ne parviendront pas au bout de ce chemin. Il est comme les autres clandestins la proie de passeurs sans scrupule et de tous ceux qui font commerce de leur espoir, et lui qui était digne et fier au départ va se découvrir, tout au long de ce voyage, solitaire, égoïste, voleur... Sa vie et son projet en dépendent et son aventure est celle du chacun pour soi, nonobstant la présence de Boubakar. Il ira pourtant jusqu'au bout de ce rêve.

    L'autre, celui du commandant Salvador Piracci qui protège depuis 20 ans les frontières de l'Europe sur les côtes de Sicile à la barre de sa frégate[« Vous êtes là pour garder les portes de la citadelle, vous êtes la muraille de l'Europe » lui a -t-on dit]. Son rôle consiste à repousser le flot toujours plus grand des candidats à l'exil qui viennent chercher en occident une autre vie, mais aussi à sauver de la mort ces malheureux abandonnés en pleine mer, sur des embarcations de fortune. Quand ils les aura ramenés à terre et remis aux autorités, ils seront renvoyés dans leur pays d'origine et la ronde recommencera. Nous avons tous dans un coin de notre mémoire leur image qu'un journal télévisé nous a, au moins une fois, donné à voir...

    Ce métier ne lui plaît guère mais, jusque là, il s'en est accommodé même s'il croisait, sans vouloir rien faire pour eux, le regard désespéré de ces hommes. Il décide pourtant de réagir à la suite de sa rencontre avec une femme rescapée d'une cruelle traversée et dont l'histoire l'émeut. Il va donc assumer ses contradictions et pour cela il quitte tout, au point de n'être plus personne, de n'avoir même plus d'identité et fait le chemin inverse de celui de Soleiman qu'il ne connaît pas, à la recherche, lui aussi, d'une autre forme d'Eldorado. Il endossera en quelque sorte le destin de ceux qu'il pourchassait!

    Lui aussi connaîtra des épreuves dans cette improbable quête et la fable, parce que c'en est une, réunira à la fin, ces deux hommes, sous l'égide de Massambalo, le dieu des émigrés et d'un collier de perles vertes, comme un talisman, comme un témoin que l'un passe à l'autre sans presque le toucher. Au bout du compte chacun trouvera ce qu'il cherche.

     

    C'est donc une histoire très actuelle que nous conte l'auteur dans un style certes agréable et fluide. Le livre refermé, j'ai pourtant un sentiment bizarre, quelque chose comme une sorte de malaise, de tristesse parce que les grandes et généreuses idées cèdent le pas devant les réalités [ On se souvient de Michel Rocard, alors Premier ministre, déclarant à la tribune de l'assemblée Nationale que la France ne pouvait prendre toute la misère du monde], mais aussi d'incrédulité au regard de l'attitude de Piracci et du dénuement qu'il a choisi. C'est une histoire qui emprunte à l'actualité son scénario, le commandant est certes seul au monde et sa liberté est entière, mais je ne suis pas sûr de la réponse qu'il apporte soit appropriée. Il me paraît que c'est plutôt une fuite, un aveu d'impuissance, quelque chose de peu constructif en tout cas!

    Soleiman est allé jusqu'au bout de son rêve, mais il me paraît que Piracci n'est pas parvenu au bout de sa révolte et le hasard a mis fin à une quête qui aurait pu avoir un épilogue différent! Au cours de cette histoire, tous les deux se sont découverts différents de ce qu'ils croyaient être mais leur rencontre est véritablement improbable.

     

    Devant le problème éternel des pays riches qui, malgré les discours politiques officiels, se protègent des pays pauvres l'hypocrisie reste la réponse constante. Si Soleiman aura à coup sûr des imitateurs, je ne suis pas sûr que Piracci fasse des émules.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SEUL DANS LE NOIR – Paul AUSTER

     

    N°374– Octobre 2009

    SEUL DANS LE NOIR – Paul AUSTER- Actes Sud.

     

    Le cadre tout d'abord: August Brill, soixante douze ans, veuf, critique littéraire à la retraite, immobilisé par un accident de voiture, vit dans le Vermont chez sa fille, Miriam qui ne peut se libérer de la blessure que lui a infligé son divorce même si cela fait cinq ans que ce mariage a été dissout. Elle a recueilli sa fille, Katya, anéantie elle aussi par la mort de Titus qu'elle avait quitté et qui a perdu la vie dans des circonstances atroces en Irak. Elle est rongée par la culpabilité et s'accuse de cette mort absurde qui, à ses yeux, est motivée par leur séparation. Ce sont donc trois membres d'une même parentèle que la vie a meurtri et qui sont enfermés dans le microcosme de cette maison, chacun avec ses remords.

     

    Une nuit, pour échapper a ce quotidien autant qu'à ses souvenirs, Brill se réfugie dans l'imaginaire pour meubler ses insomnies. Dans ce monde, le 11 septembre n'a jamais eu lieu, la guerre en Irak n'existe pas mais les États-Unis sont en proie à une seconde guerre civile, et lui change de peau et d'identité, devient Owen Brick, le héros un peu irréel d'une histoire qui ne l'est pas moins et qui doit tuer l'instigateur de ce conflit. Dès lors, il craint pour sa vie et il devient lui-même l'enjeu de ce « contrat ».

     

    Petit à petit, au fil de la nuit, imagination et réalité viennent à se confondre et l'auteur mêle à son parcours imaginaire le sien propre et celui de ses proches, pratiquant, peut-être à l'excès les mises en abyme, s'inventant des passades amoureuses dont il n'aurait pas été capable dans la vraie vie. Il émet des considérations personnelles sur les livres, sur les films mais aussi sur la bonté et l'éducation comme pour questionner l'individu au regard de sa propre responsabilité.

     

    Puis August Brill met fin unilatéralement et brutalement à cette histoire de monde parallèle pour déboucher, à la fin, sur un dialogue intime entre le grand-père et la petite fille qui est un peu frustrant pour le lecteur.

     

    J'avoue que lorsque j'ai entamé la lecture de ce livre, j'étais plus intéressé par la puissance imaginative de l'écrivain, par cette faculté qu'il a, plus que tout autre sans doute, d'imaginer les choses et de s'identifier personnellement à elles, par les frontières qui existent entre l'imaginaire et le réel et par les ponts qui enjambent ces deux mondes, le pouvoir des mots, le talent narratif et évocateur de l'auteur. Il s'ensuit la création d'entités qui s'interpénètrent, des engrenages qui s'entrainent entre eux et broient. C'est là une quête dont les arcanes me passionnent que j'ai plaisir, parfois, à explorer pour moi-même, à entrer, virtuellement bien sûr, dans cette spirale où la pataphysique a sa place. Le parcours des autres sur ce thème m'intéresse aussi, ne serait-ce que pour éprouver si ce que je fais est digne d'intérêt. C'est aussi le mécanisme de la création artistique qui est étudié ici et son pouvoir sur les vicissitudes quotidiennes du monde.

     

    Pourtant, cet univers m'a paru inquiétant et comme à chaque fois que j'aborde un roman de Paul Auster, j'ai eu beaucoup de mal à entrer dans son écriture.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • CHER AMOUR – Bernard Giraudeau

     

    N°373– Octobre 2009

    CHER AMOUR – Bernard Giraudeau - Métailié.

     

    Qui est donc cette énigmatique Madame T. à qui est dédié ce livre et cette correspondance mystérieuse écrite sur le ton de la confidence, de la complicité, de l'amour, alternant le tutoiement et le vouvoiement ? L'auteur y parle à une silhouette diaphane, à la fois lointaine et proche, de sa vie, de ses voyages (« le voyage est une aube qui n'en finit pas »), de ses souvenirs. Il évoque pour elle sa vie de marin, de comédien, d'infatigable bourlingueur, ces fragments d'existence où elle n'était pas, où elle ne vivait qu'en filigranes, dans une sorte de transparence que seul le fantasme permet. Elle devait être présente dans toutes ses conquêtes féminines éphémères, ces femmes qu'on ne fait que rencontrer au hasard des rues, dans tous ces visages envolés qui ont cependant sculpté leurs traits dans le souvenir et qu'on ne peut oublier.

     

    Une dédicace aussi énigmatique fait penser à Baudelaire, à son recueil « Les paradis artificiels » et à sa dédicataire mystérieuse [ « J.G.F. »]. Après tout, a-t-elle un visage, un nom, cette femme qu'il n'a peut-être jamais rencontrée et qui n'existe probablement que dans son inconscient, à la fois fidèle et fuyante, sensuelle et hautaine, proche et lointaine? Elle existe peut-être réellement cette femme, cette Madame T. Elle peut avoir le visage d'une passante rencontrée dans une rue du bout du monde qui ne laisse de son passage que la fragrance de son parfum et l'émail de ses yeux ou perdurer dans l'étreinte furtive d'une passade. Elle catalyse sur elle, sans bien souvent le savoir et par le miracle de la pensée, tout ce qu'un homme recherche chez une femme. Elle devient unique, se transforme en ombre fantomatique dont l'existence ne tient qu'à la trace de quelques mots. N'est-elle pas celle que tout homme souhaite posséder pour lui seul, à la fois épouse et maîtresse, mère et femme et qu'il recherche toute sa vie sans bien souvent la trouver parce qu'elle n'existe que dans un ailleurs indistinct et indéfini. Elle devient l'objet de la quête d'une vie, un idéal inaccessible... alors on l'invente, on trace d'elle le portait parfait et pour cela l'écriture est le truchement rêvé qui permet toutes les audaces, toutes les confidences. A cette femme irréelle, il dira tout ce que probablement il tairait à un être de chair, par timidité, par pudeur, parce que ce monologue passe par une feuille blanche, intermédiaire d'exception pour un écrivain et à laquelle il peut confier tous ses fantasmes. Il est romancier et donc créateur, et à ce titre il peut recomposer à l'infini ce miracle qui lui fait célébrer la femme qu'il recherche, lui déclarer cet amour impossible en lui tressant des mots en poèmes, tout en tissant autour d'elle un halo de mystère... pour mieux la garder pour lui! Alors ce sentiment de permanence, d'éternité que chaque phrase porte en elle contribue à protéger ce rêve parce qu'il serait trop injuste qu'une telle image s'effondrât d'un coup!

     

    Après tout, je pense qu'elle existe quand même cette mystérieuse Madame T. même si elle n'est pas exactement comme Bernard Giraudeau la suscite pour son lecteur et la silhouette qu'il a tracée à grands traits ou avec des délicates nuances me plaît bien. Qu'elle reste une ombre me convient, même si elle est aussi différente de lui, lui, voyageur impénitent qui distille pour son lecteur un dépaysement bienvenu, elle, citadine et parisienne étrangère à toutes ces pérégrinations. Il lui raconte l'Amazonie, le Chili, les Philippines, son embarquement sur la Jeanne d'Arc comme écrivain de ma marine, cite Pessoa et London, évoque Rimbaud et Michaux, lui parle de théâtre, de cinéma, mais elle reste un peu lointaine, comme indifférente,[« Vous êtes une étoile lointaine et moi un amant de papier »] il est vrai qu'il émaille son récit d'autres présences féminines sensuelles parfois perdues dans la vénalité des bordels, de ses amours de traverse...

     

    Le voyage est une chose magique, c'est un alcool enivrant pour celui qui en entend la relation, qu'elle soit faite avec des mots, l'œil d'une caméra...Les histoires improbables qu'il lui destine ont quelque chose d'irréel, qu'elle soient puisées dans les livres, la tradition orale ou dans son imagination. Être, même un instant, simple lecteur mais témoin unique, le destinataire de telles confidences ne me gêne guère. Je me sens moins seul!

     

    Quand un auteur choisit d'aborder le thème de la femme, son lecteur ne peut pas ne pas songer à la séduction, au personnage de Giacomo Casanova dont l'ombre habite tout homme parce que l'amour rend fou et que la conquête transforme le plus modeste des êtres en personnage d'exception. Mais quand ce même auteur aborde le thème de la maladie et de la douleur, tout juste évoqué cependant, et avec lui celui de la mort qui est, bien entendu, en filigranes, la confession prend un tour différent, un relief particulier, et cette femme une autre dimension. Pourtant, plus j'ai avancé dans ma lecture, plus cette femme m'est apparue absente.

     

    J'ai lu ce livre avec attention parce que l'auteur à cette sorte d'authenticité attachante que je recherche sans peut-être le savoir. Le thème du voyage m'a plu et les épisodes relatés m'ont procuré un dépaysement bienvenu, les images poétiques m'ont ému par leur puissance suggestive, l'évocation furtive de la ville de La Rochelle ne m'a, bien entendu, pas laissé indifférent, même si j'ai cependant noté dans le cours du texte quelques longueurs digressives et incompatibles avec le parti-pris de l'ouvrage. A la fin cependant, dans une sorte de fable à la fois sensuelle et irréelle, l'auteur revient à ce qui a motivé sa démarche créatrice, comme la conclusion théâtrale d'un conte merveilleux, presque hors du temps :

    « Je me suis approché de vous, je vous ai dit : j'ai beaucoup écrit, je n'avais pas votre adresse... »

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES DAMES DE NAGE - Bernard GIRAUDEAU

     

     

    N°316 – Octobre 2008

     

    LES DAMES DE NAGE - Bernard GIRAUDEAU [Editions Métailié].

     

    La première fois que j'ai appris la publication de ce livre, ce fut à la fin d'un journal télévisé, à travers les mots économes d'une belle journaliste blonde. Je me souviens de ses yeux qui en parlaient beaucoup mieux, puis le temps a passé et j'ai remis à plus tard cette lecture... J'avais eu l'impression fugace que ces pages évoquaient une longue liste de conquêtes féminines, des aventures amoureuses d'un séducteur...

     

    Pourtant, dès les première lignes, l'auteur accroche son lecteur par des phrases apparemment anodines «  J'attends sans impatience, en vivant l'instant comme une éternité » ou bien «  J'ai alors, comme le veilleur, le sentiment de garder un territoire ». Alors moi, d'un coup, je comprends qu'il ne s'agit pas là d'une banale succession de passades d'un improbable Don Juan et je m'embarque avec lui dans son voyage.

     

    Il y a d'abord l'évocation de cette jeunesse rochelaise, le père lointain et happé par la mort, la mère authentique, la famille, immédiate. Nous savons tous que cet épisode de la vie est primordial. Puis c'est l'approche des femmes, très tôt dans la timidité gauche de l'enfance, à travers l'image diaphane d' Amélie, celle du monde extérieur que tout à la fois on craint et souhaite conquérir pour elle, celle de la terre et de la mer parce qu'à La Rochelle l'une de va pas sans l'autre. C'est l'intuition que les rêves se tressent dans les ports parce que ceux qui y naissent et y vivent les premières années de leur vie ne peuvent pas ne pas les imaginer autrement, partagés qu'ils sont entre leur soif d'aventure et leurs certitudes...Pour Giraudeau l'enfance c'est la mère qui phonétiquement se confond avec l'océan, cette première femme qui non seulement donne la vie mais aussi le bagage qui accompagnera toujours l'enfant devenu un homme. C'est vers elle qu'il reviendra, c'est elle qui a imprimé, d'une manière définitive, ses traits dans la trame de sa mémoire et qu'il recherchera dans le visage de chaque femme... et d'avouer « Marguerite me rappelait que j'avais une mère qui vieillissait... elle était là-bas, à La Rochelle, la ville d'Amélie, celle de mon enfance, tournée vers la mer et des rêves à n'en plus finir ».

     

    C'est l'éveil à l'amour, puéril et merveilleux, qui contient en lui tout ce qui sera plus tard la perpétuelle quête de l'homme vers la femme. Ce sont souvent les boucles innocentes d'une camarade de classe, d'une voisine ou d'une cousine qui en sont la cause, une vision fugace pour un garçon qui en gardera toute sa vie d'homme la trace au point d'en rechercher l'empreinte dans toutes les autres. «  Tout au long de ma vie j'ai aimé les nuques déliées, les femmes comme des gerbes et le secret des graines et dans les épis », même si l'existence se chargera plus tard de mâtiner tout cela, dans ses vicissitudes ou les brisures de la souffrance et de la mort... « Amélie tu fus une messagère, un guide que je reconnus sans conscience... Ce n'est pas toi que je quitte, c'est mon enfance , ma naïveté et ce long silence parce que tu n'es plus... Ce n'est pas une rupture, on ne rompt pas avec ce qu'on a aimé, je m'éloigne, puisque depuis longtemps nous nous sommes lâché la main ».

     

    Ce sont aussi des souvenirs de voyage maritimes, des bribes de texte confiés au fragile support du papier, rangés dans un repli de la mémoire, qui viennent d'Afrique ou d'Amérique du Sud où le vent est bien souvent le seul témoin, le seul écrin de toute aventure humaine. Les ports sont des lieux d'exception qui accueillent les marins après l'exil du large. Les hommes qui y sont nés portent malgré eux, jusque dans leur sang, le rythme de la houle, l'haleine des embruns, l'écume blanche des vagues qui invitent à l'ailleurs. Ici se conjugue les forces de la terre et de l'eau, la volonté d'être de quelque part et celle, parfois plus forte de fouiller l'horizon, les valeurs de la permanence et celles, plus subtiles et irréelles de l'intemporel. Ils sont tiraillés entre sa volonté de plonger ses racines dans les murs d'une maison, dans la vie quotidienne d'un couple rangé et celle, souvent plus forte, comme une aventure renouvelée, de partir à l'appel prégnant du vent, au hasard de l'escale, de ses plaisirs fugaces, de ses rencontres parfois noyées dans l'alcool et les bordels des ports. Il y a la mémoire, forcément sélective et labile « Il y eut d'autres escales, d'autres quais, d'autres amours... j'ai seulement gardé le visage de celles qui étaient venues à moi comme des cadeaux, des messages de vie. Il y eut des trésors et de fausses perles, des mirages d'amour et des corps glacés »

    Quand on croise un regard de femme au hasard d'une rue, qu'on goûte à la délicate fragrance du parfum qui la suit, il se passe toujours quelque chose d'exceptionnel et parfois de frustrant. L'homme de mer, aventurier à la peau burinée, mais aussi le poète-témoin à l'âme bouleversée, malgré sa volonté d'indépendance, garde cela dans la grosse toile de son sac qui, posé à terre, se vide malgré tout de son contenu, avec des mots pour le papier, des images pour le ruban d'arlequin d'une pellicule... Et Bernard Giraudeau de convoquer Albert Camus pour « l'étranger », Alvaro Mutis pour le voyage et Pierre Loti pour tout cela et peut-être aussi pour la beauté des mots...

     

    Portraits de femmes sensuelles, dispensatrices d'amour et de plaisirs, compagnes fugace du marin, partagées entre les larmes d'une foucade et la volonté définitive de s'établir, silhouettes d'hommes aussi, comme ce chef d'une gare perdue dans le désert d'Atacama au Chili, d'homos et de transfuges du sexe comme celui, sublime et douloureux, de Marco devenu Marcia...

    Je n'en finirai pas de citer les phrases de ce livre tant elles m'appartiennent sans doute un peu. Les pages en sont autant de bouteilles jetées à la mer du quotidien, une invitation à la complicité...

     

    C'est peut-être puéril, mais j'ai lu de nombreux passages de ce texte à haute voix, parce que ces mots sont comme des notes d'une musique alternativement tranquille et crue, apaisée et tourmentée. J'ai voulu me pénétrer de cette poésie, du balancement de la phrase, du ronronnement des allitérations qui ont été pour moi, pauvre lecteur, autant d'invitations au rêve que d'évocations intimes mais aussi du plaisir plus secret du non-dit.

     

    Les dames de nage, une pièce d'accastillage pour chaloupe, un instrument qui permet au bateau d'avancer à la force des bras des rameurs, un beau titre évocateur. On pense aux femmes et à la mer, au voyage et au tangage de la houle et des corps dans l'étreinte, aux rencontres d'exception que seule l'aventure peut vous prêter ... Le livre refermé, il reste des impressions, des paysages, des personnages, des délicates ombres de femmes, mais surtout le parfum de l'aventure, le dépaysement et ...la délicieuse musique des mots.

     

     

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2008. http://hervegautier.e-monsite.com 

  • MALIKA – Dominique BONA

     

     

    N°150

    Avril 1993

     

     

     

    MALIKA – Dominique BONA – Editions Le Mercure de France.

     

    Jeune fille marocaine, employée de maison chez David et Marie-Hélène Paul-Martin, Malika se retrouve dans une villa tropézienne du couple, « La Paressante », pour l’été. Dans cette société policée mais un tantinet mondaine, elle qui aurait dû passer inaperçue va au contraire bouleverser, par sa seule présence, l’ordre des choses. Elle s’acquitte de sa tâche avec précision et efficacité, les enfants l’adorent au point que leur mère en devient presque jalouse.

     

    Celle qui n’est qu’une jeune fille de passage dont on ne sait pas grand chose va prendre peu à peu le pas sur les personnages qui, cet été-là, peuplent « La Paressante ». Benoît Darmon, architecte-séducteur, Sophie Bessie-Drouin, à la recherche éternelle de l’homme de sa vie, Henri-Paul Leroux, intellectuel bardé de diplômes qui rêve d’écrire un roman, jusqu’au maître de maison, David, qui occupe un poste important dans la banque et sa femme Marie-Hélène qui, tout en se cherchant un talent de peintre s’est lancée dans la recherche de créateurs design…

    Tout ce monde vit plus ou moins épisodiquement dans le décor exceptionnel de cette maison dont Marie-Hélène avoue « qu’elle projetait dans la réalité son idéal de vie ». Sertie entre la mer et la garrigue, parfumée de lavande, de thym et de santoline, elle ne sert que de toile de fond.

     

    Par sa seule présence anodine, Malika catalyse presque inconsciemment sur elle-même tous les regards, ceux amoureux et pervers des hommes, ceux jaloux ou envieux des femmes parce que sa jeunesse, sa beauté, son mystère distillent autours d’elle une sorte d’aura érotique et émouvante qui dérange, révèle les cassures, les zones d’ombre, les fantasmes…

     

    Face aux attitudes sophistiquées et superficielles de cette société, la jeune fille oppose naturellement le balancement de ses hanches, la couleur de sa peau, la senteur de son cœur, ses yeux. On dirait que, au cours de cet été trop chaud qui lui rappelle un peu le climat de son enfance, elle porte en elle un amour à réinventer. C’est vrai qu’elle suscite plus d’interrogations que de certitudes et son côté exotique la rend plus insaisissable et ensorcelante encore.

     

    A travers le récit d’une voyante, l’auteur lève pour son lecteur forcément attentif et passionné un coin du voile qui recouvre la personnalité de cette jeune fille. Son enfance à Aït-Saïd, ses jeux, sa vie insouciante dans un décor grandiose, sa famille, sa culture puis le refus de son destin de femme marocaine soumise à son frère, promise au mariage, sa fuite vers la France avec un photographe qui la libérera de sa condition. Elle sera son modèle, sa maîtresse, mais pas tout à fait le Pigmalion tant le besoin de liberté de Malika est grand.

     

    Ce roman, construit à la manière d’une enquête, nous invite alternativement dans l’atmosphère du reportage, de la culture arabe, de l’astrologie autant que dans la société interlope et marginale de Paris. Sans être un personnage central, Ali compte beaucoup pour elle, mais leurs relations sont ambiguës. Pourtant, malgré sa fidélité à cet homme « Malika n’est qu’un interlude dans la vie de beaucoup de gens » tant il est vrai qu’elle est une femme comme on aimerait en rencontrer, à la fois fuyante et attachante, gitane vagabonde et farouche, sorte de Janus, tantôt objet de plaisir, tantôt amie attentionnée et délicate, à la fois rebelle et soumise, une femme au naturel déroutant, experte en jeux érotiques et cuisinière avisée, capable de merveilles culinaires.

     

    Pourtant, ce livre est une authentique histoire d’amour. La fuite de Malika est révélatrice. Elle quitte le Maroc de son enfance bien qu’elle y laisse ses souvenirs et Tahar. Dans sa quête d’amour, c’est un peu lui qu’elle recherche dans chacun de ses amants. Lui aussi quitte le Maroc pour venir à l’Université de Paris. Il est un peu son contraire, son double, son complément. Pourtant, ils ont en commun l’authenticité, la simplicité et la beauté sauvage comme celle de ce bouquet de chardon, à la fois jalon et symbole de cette histoire envoûtante qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la fin.

     

    Dans un style sobre, agréable à lire, sans fioritures excessives, l’auteur décrit des paysages grandioses et provoque pour son lecteur un dépaysement véritable à l’invite du parcours de cette jeune fille inoubliable et unique.

     

    © Hervé GAUTIER.

  • ARGENTINA – Dominique BONA

     

    N°24

    Janvier 1989

     

     

     

    ARGENTINA – Dominique BONA – Editions Mercure de France.

     

     

    Je voudrais aujourd’hui faire partager mon coup de cœur pour un roman dont la parution remonte à 1984-1985. En effet, mon sentiment n’a jamais été que l’intérêt d’un livre réside uniquement dans sa nouveauté. Ce qui est écrit reste à découvrir, à lire, à relire, à apprécier…

     

    Il y a des périodes dans la vie d’un homme où tout s’effondre autour de lui, tout se dérobe. Restent l’attrait de l’inconnu et l’espoir qu’on y fonde pour exorciser le passé… Pour Jean Flamant, cet effondrement résulte de la guerre. On a beaucoup dit que la Première Guerre Mondiale avait été un tournant… De ce grand chambardement qui l’a empêché de poursuivre ses études, Jean ressort pauvre et décide d’échapper au nord de la France en même temps qu’à sa vie.

     

    L’espoir, la pauvreté et l’attirance pour l’exotisme le poussent vers cette terre de passion, de rêve et d’aventure. Cela fait de lui un émigrant qui, un matin de 1920 à Bordeaux, s’embarque pour l’Argentine. En réalité « Il fuyait un pays qui mettait tant d’obstacles sur sa route ». Dès l’embarquement, il croise une femme qui se dirige vers les 1° classes alors que lui voyage près des soutes mais «jura qu’un jour il donnerait le bras à une femme semblable ». Dès lors, le ton est donné, Jean est ambitieux et part pour réussir. Il saura tirer profit des événements.

     

    Des lupanars aux grands espaces, des petits boulots à la réussite sociale, de la chambre d’un hôtel minable à la maison cossue de «la Récolta » et aux salons du Jockey-club, le lecteur attentif suit l’itinéraire de Jean, guide d’exception dans ce pays où les images poétiques créent le dépaysement. L’histoire de cet homme, parti de rien, devenu en quelques années et malgré la crise de 1929 un industriel influent est un homme d’affaires avisé se déroule dans le cadre des paysages envoûtants des Andes, de la Pampa pour se terminer dans cette ville au nom enchanteur : Ushuaia.

     

    Cet homme ambitieux doit cependant beaucoup aux femmes, sa réussite, son bonheur, ses plaisirs, sa fortune. Ces femmes, ces maîtresses, sensuelles, désirables, énigmatiques passent dans sa vie et lui va de l’une à l’autre, avec le détachement de celui à qui tout sourit et qui s’autorise, une fois épuisé l’intérêt qu’il leur a porté, à jeter leur ombre au souvenir. Il n’en ressortira cependant pas indemne !

     

    Ce livre est aussi un roman à personnages : Mandoline, la petite prostituée française qui reviendra au pays fortune faite, Robert de Liniers, homme attentif au souvenir et au culte de ses ancêtres, amant fougueux, héros mutilé de la Grande Guerre et qui a cette phrase, parlant de son bras perdu au Chemin des Dames «toutes les blessures ont un nom de femme », Léon Goldberg, émigrant lui aussi, industriel en viande, mélomane, sa fille Sarah, un peu fantasque, un peu romantique, cultivée et insouciante. La vie en fera la femme de Jean, mais aussi une mère attentive et aimante, une épouse réaliste…, Jean Flamant, que cette guerre précipita en Argentine pour tout recommencer.

    D’autres personnages sont plus fuyants, Clarance, aventurier mélomane, Don Raphaël Ponferrada, gentilhomme de la Pampa, à la fois Hidalgo et fermier…

    Il y a des femmes aussi dont le parfum subtil se mêle à la fragrance de ce pays, à la beauté de ses paysages : Lady Campbel, sensuelle et mondaine, Térésa Carmen, tenancière de maison close, Martha, l’épouse de Don Raphaël, ils forment ensemble un couple étrange, à la fois frivole et uni. Thadéa Olostrov, botaniste, «métis de mayas et de vikings », passionaria de la révolution prolétarienne au moment de la crise de 1929 mais aussi femme étrange et rare dont Jean tombe amoureux et qu’il va rejoindre en Terre de Feu après avoir renoncer à sa réussite. Elle a cette phrase qui résume tout ce qui les sépare : « Ta vie est un challenge, ma vie une promenade, nous ne marchons pas du même pas »

     

    C’est un roman où l’amour se mêle à la souffrance, le désir à la quête, le chagrin à l’oubli, une saga contée dans un style agréable à lire, alerte et poétique. L’intérêt de l’intrigue tient le lecteur jusqu’à la fin dans un dépaysement total.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • DIPLOMATIE EN KIMONO – Frédéric LENORMAND

     

    N°372– Octobre 2009

    DIPLOMATIE EN KIMONO – Frédéric LENORMAND - FAYARD.

     

    Cette fois, nous somme à l'hiver 678 et le juge Ti, âgé de 48 ans est devenu Directeur de la police Civile Métropolitaine dans Chang-an, capitale des Tang. Autant dire qu'il a eu de la promotion! Ses fonctions l'amènent à recevoir une délégation japonaise venue, avec d'autres, étudier la culture chinoise pour s'en inspirer et être reçus par Sa Majesté. Le voilà donc devenu diplomate, même si ces peuplades de l'Est étaient considérées par les Chinois comme des barbares mal dégrossis !

     

    Pourtant, même s'il est chargé de « surveiller » ses hôtes dans leur découverte de la Chine et de sa civilisation, Ti, sous couvert de leur faire découvrir « les bonnes manières », c'est à dire l'étiquette, le protocole en usage à la Cour mais aussi la grandeur de l'Empire du Milieu, sa position centrale dans le monde, ses connaissances et bien sûr la magnificence de son Empereur, est en fait chargé de leur faire une démonstration de l'implacable justice impériale. Cela tombe bien puisqu'il reste un incorrigible enquêteur et semble constamment en situation de démêler différentes affaires criminelles aussi compliquées que pleines de rebondissements. Il le fait avec d'autant plus de brio que, non seulement il a la passion de la vérité, un sens de l'État affirmé, une fidélité sans faille à son Empereur, qu'il a une réputation de fin limier et de magistrat intègre à soutenir, mais aussi parce qu'il découvre que la pédagogie judiciaire fait aussi de ses fonctions temporaires.

    En fait, ces émissaires ne pouvaient avoir meilleur cicérone, non seulement ils recevront le message officiel pour lequel il sont venus en Chine, mais surtout, ils apprendront « la culture personnelle du juge Ti », puisque ce dernier ne pourra s'empêcher de leur faire la démonstration de ses méthodes pour le moins originales et efficaces pour déjouer les manœuvres frauduleuses des délinquants! Il ne manquera pas non plus de leur livrer, laconiquement bien sûr, son avis sur leur civilisation.

     

    En réalité, au fil du récit, ces « barbares » se révèlent être des esprits à la fois brillants et retors, des observateurs avisés et habiles, des doubles de Ti en quelque sorte, et aussi rusés que lui, et ce dernier aura besoin de toute son expérience, de sa légendaire sagacité, pour déjouer les pièges qu'ils lui auront tendus. J'observe d'ailleurs qu'il y sera aidé, comme souvent, par une de ses épouses, mais ce sera pour une fois la deuxième, et sa remarque qui ouvre les yeux de notre juge, est pleine de bon sens, comme si elle était, elle-aussi, le complément de cet époux d'exception.

     

    Au passage, le lecteur découvrira la personnalité hors du commun de ce magistrat pragmatique qui, tout pétri de confucianisme, culte en usage chez les élites, jettera une nouvelle fois un regard de méfiance quelque peu amusée sur les pratiques superstitieuses des chamanistes, sur les habitudes mercantiles des bouddhistes et l'efficacité douteuse des taoïstes. On sent bien un nouvelle fois qu'il tient les religions en usage dans l'Empire en petite estime.

     

    Je note aussi que l'auteur prête à Ti, à l'issue de cette aventure un peu rocambolesque, à la fois des conclusions sur la relativité des choses de ce monde [« la vie est un jeu et celui qui s'appuie sur ses certitudes perd la partie » se dit-il] mais aussi des remarques qui trouveront dans l'histoire future de ces deux pays des conséquences plus tristes, faisant de lui, une nouvelle fois, un observateur avisé.

     

    Comme toujours un roman de Frédéric Lenormand procure à son lecteur une véritable immersion dans la société chinoise à son apogée, autant par la qualité des descriptions, l'évocation des différentes couches de la société et son organisation, que par les allusions aux us et coutumes, aux procédures judiciaires, aux rituels en usage à la Cour, aux préparatifs des fiançailles et du mariage, au code des Tang, à l'histoire du pays, et même l'art culinaire.... C'est comme un fond de tableau, un décor vivant qui sert de cadre aux aventures de ce célèbre mandarin et dans lequel il se déplace avec aisance. Fin connaisseur de la condition humaine et de « l'esprit humain » dont il est un incorrigible observateur, il ne manque jamais une occasion de retourner une situation en sa faveur et de sauver la face.

     

    On imagine aussi le considérable travail d'archiviste et d'historien de l'auteur. Cela procure, comme à chaque fois, un dépaysement bienvenu que personnellement j'apprécie. Il y ajoute son humour personnel, l'usage opportun de l'euphémisme, son sens de la formule, son a-propos, s'appropriant en quelque sorte ce personnage et lui conférant une attachante sincérité.

     

    Pour peu qu'il soit attentif, son lecteur ne peut pas ne pas sourire en parcourant ce texte. J'ai personnellement et comme toujours, ri de bon cœur à la lecture de ce roman. J'ai retrouvé avec plaisir le style jubilatoire que j'apprécie particulièrement chez cet auteur qui suscite l'intérêt de son lecteur dès la première ligne pour ne l'abandonner qu'à la fin sans que l'ennui se soit insinué dans le cours du récit. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui peuvent se targuer de réussir un tel exercice.

     

    Frédéric Lenormand n'est pas un inconnu pour cette chronique qui a choisi depuis longtemps de suivre son parcours. Encore une fois je n'ai pas été déçu par ce récit qui a été pour moi un bon moment de lecture.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MANUSCRIT DE PORT EBENE - Dominique BONA

     

     

     

    N°203 - Février 1999

     

     

     

    LE MANUSCRIT DE PORT EBENE - Dominique BONA - Editions GRASSET.

     

     

    Je n’ai évidemment aucun mérite de parler aujourd’hui de Dominique Bona surtout après le Prix Renaudeau obtenu en 1998. Je tiens cependant à dire que pour moi elle n’est pas une inconnue. Je garde en effet le souvenir de l’extraordinaire portrait de Romain Gary, mais aussi d’Argentina (La Feuille Volante n°24) de Malika ( La Feuille Volante n°150). A chaque fois je notais un grand talent dans le portait de personnages d’exception dont l’auteur souhaitait nous faire partager la personnalité et l’histoire.

     

    Ici, avec un dépaysement qui se distille jusque dans le vocabulaire, c’est encore de portraits dont il est question. Celui de cette jeune femme tôt arrachée à sa Vendée natale par un mariage arrangé avec un riche planteur français de Saint Domingue. Elle découvre l’île et les tropiques certes mais ne tarde pas non plus à apprendre l’existence d’une autre femme noire qui avant elle avait été la compagne de son mari et qui lui avait donné deux fils. Elle a été répudiée pour que elle, la nouvelle femme légitime assure la descendance de son nouveau mari. C’est vrai qu’elle a été envoûtée par le paysage paradisiaque de l’île que par ennui ou par désoeuvrement elle a choisi de découvrir.

    Portait aussi de Julien, l’époux de la Dame de Saint Domingue, planteur libéral, ouvert aux idées nouvelles, attentif au sort des noirs et des métisses mais pourtant paradoxal dans son attitude.

    D’autres plus secondaires comme Fleuriau, le voisin conservateur, attaché aux traditions coloniales et Louis Desmaret, plus volontiers attentif aux performances de son domaine agricole mais aussi naturaliste passionné.

    Parce qu’il était épris de régionalisme et qu’il aimait assez les « femmes de fer sous le velours », l’éditeur Camus, publiera ce manuscrit bien des années après qu’il fut écrit et qu’il eut voyagé dans le temps comme seuls les écrits savent le faire. Le titre un peu pompeux serait « Mémoires écrits en France pour servir l’histoire de Saint Domingue » malgré le goût de notre homme pour les choses simples. Pourtant, pour une fois l’exotisme aura raison!

    Son parcours est aussi anachronique que celui de Julien et de la Dame de Saint Domingue mais passant en quelque sorte de l’autre côté du miroir il finit par être fasciné par cette femme et par sa vie autant que par le décor de son île. Il va lui aussi pénétrer de plain pied dans les arcanes inconnues de cette contrée, connaître et craindre les mystères du vaudou...

    Etait-ce la fascination du paysage ou de ses habitants? La jeune femme sage qui débarqua un jour au Port au Prince et fut aussitôt mariée à Julien va devenir insoumise et provocante « hantée par les déesses du désordre et du plaisir ».

    Nous allons assister à ses amours interdites, avec les blancs d’abord puis avec un noir, deuxième fils naturel de son mari... On pourrait voir dans cette « Dame de Saint Domingue » une femme libre d’aimer une victime tour à tour de la beauté de l’île ou de ses habitants, de son climat... Il serait aussi tentant d’y voir une femme non conformiste, désirant avant tout bousculer les traditions, la légendaire condition de l’épouse reléguée au foyer et couverte d’enfants. On pourrait aussi excuser ses frasques, en se disant que, somme toute elle ne fait qu’imiter son mari qui, sans être volage n’avait pas tout à fait rompu les liens avec son ancienne maîtresse.

     

    Malgré parfois un manque de rythme, l’histoire tient en haleine le lecteur attentif jusqu’à la dernière ligne. Il y a aussi l’Histoire qui n’est pas négligeable et on imagine le travail d’archiviste qu’il a fallu mener pour brosser cette fresque. Car la Révolution dont les idées généreuses parviennent jusqu’à Saint Domingue est en marche. Elles vont bousculer les fondements de cette société faite de blancs, de noirs libres, d’esclaves et de mulâtres aux repères mal définis. Il y aura des morts et la fuite de la dame en France avec sa fille qui, bien que conçue par un noir est blanche de peau!

     

    On pourrait croire que ses amours interdites allaient s’arrêter là et que les conséquences de celles-ci seraient sans lendemain. Pourtant le piège dans lequel elle est tombée se refermera non sur elle mais sur sa fille qui, au vrai paiera malgré elle l’inconduite de sa mère. Le lecteur reste partagé entre la coupable attitude d’une femme restée impunie, la certitude qu’elle pouvait facilement abuser son mari et la révolte qui fait supporter à la fille la faute de la mère.

     

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    © Hervé GAUTIER

  • LA PROCHAINE FOIS JE VOUS LE CHANTERAI - France Inter- Philippe Meyer

     

    N°370– Octobre 2009

    LA PROCHAINE FOIS JE VOUS LE CHANTERAI – France Inter - Philippe Meyer – Samedi 12h05 à 13 h.

     

    La radio a toujours été un média qui a eu ma préférence, tout d'abord parce que je n'avais, au départ, pas la télévision [j'appartiens à une génération qui, sans avoir vraiment connu la TSF, n'en a pas moins vécu toute sa jeunesse avec pour seule distraction un poste de radio écouté dans la nuit] et puis surtout parce que parce que j'ai toujours accordé une certaine magie à la seule voix d'un homme (ou d'une femme) sans devoir pour autant mettre un visage sur celle-ci. Mais, comme beaucoup, et je le déplore, je n'écoute plus la radio qu'en voiture.

     

    Le hasard qui gouverne nos vies beaucoup plus souvent que nous voulons bien l'admettre, m'a donné l'occasion, lors d'un déplacement en automobile, d'entendre à nouveau la voix de Philippe Meyer.

    J'avoue que je l'avais un peu oublié, celui-là, encore que j'avais toujours dans l'oreille le son radiophonique de sa voix autant que la pertinence et l'humour de ses remarques. Je l'ai donc écouté avec attention tout en me souvenant que, voilà quelques années, cette modeste chronique avait déjà attiré l'attention de ses improbables lecteurs sur une émission matinale que je ne manquai jamais parce qu'elle accompagnait mon trajet vers le travail.

    Je reproduis donc ici le numéro 71 de juillet 1991, pour le plaisir de me souvenir qu'à l'époque, je commençais toujours la journée par un sourire.

     

    Juillet 1991

    n°71

     

    CHOSES ENTENDUES – (A propos de « Choses vues » - Chronique de Philippe Meyer – 8h45 - France Inter).

     

    Notre pauvre monde ne me réserve sans doute pas grand chose mais franchement peu m’en chaut puisque, comme tout un chacun, je suis, chaque matin abreuvé de nouvelles qui ne sont pas de nature à me faire regarder notre société comme un parangon idéal. Ce ne sont que catastrophes, assassinats, coups d'État, quand l’homme lui-même n’en rajoute pas par un petit scandale, une petite « affaire », une petite magouille… Pour l’heure nous sommes servis !

     

    Il y a bien des tentatives de détournements d’opinion qui voudraient, en braquant habilement le projecteur de l’actualité sur un fait anodin, nous faire oublier le chômage et les injustices en tout genre que génère notre société qui pourtant sert de modèle. Reconnaissons que tout cela ne dure qu’un temps. Heureusement !

     

    Loin des hommes politiques douteux, des journalistes flagorneurs, je suis reconnaissant aux hommes de communication, chroniqueurs de l’audiovisuel et autres échotiers contractuels de me faire commencer ma journée par un sourire. L’humour est en effet la seule arme efficace contre la morosité qui dévore de plus en plus notre vécu qui, bien entendu, n’est pas « sans nous interroger quelque part », pour peu qu’on prenne un peu conscience des réalités.

     

    Ainsi chaque matin, « auditeur sachant auditer », en me rendant à mon travail, ai-je le plaisir d’écouter attentivement la chronique de M. Philippe MEYER, non seulement parce que c’est la seule station (France Inter) qui soit audible sur un auto-radio aussi vieillissant que mon automobile, mais encore parce que ses remarques pertinentes et humoristiques viennent frapper mes tympans au moment précis où mon véhicule s’immobilise sur la chaussée, victime des encombrements coutumiers.

     

    Je lui suis reconnaissant, dès le matin, de nous faire voir la face cachée de notre société ou, à tout le moins de nous la présenter sous un jour plaisant, ce qui chasse du même coup et pour un temps les préoccupations des embouteillages, du trou de la Sécu et des délices incomparables de la rédaction de notre déclaration de revenus !

     

    Vous me croirez si vous voulez, mais quand j’entends, à 8h45 et malgré les grésillements du susdit (auto-radio), sa voix monocorde annoncer « Heureux habitants de la Charente et des autres départements français », c’est plus fort que moi, cela me fait sourire et je tends l’oreille. Le monde est ainsi fait maintenant que l’humour pour moi prend le pas sur les choses qu’on dit sérieuses et j’ai de plus en plus envie, à l’invite de ce chroniqueur « matutinal » de poser sur le décor qui nous entoure un regard amusé, gage d’un certain art de vivre. A force de l’entendre dire chaque matin que « nous vivons une époque moderne », je vais bien finir par en être persuadé.

     

     J'ai passé un bon moment en sa compagnie et, grâce à lui, j'ai découvert un chanteur italien, Gianmaria Testa, qui, je pense, va m'intéresser.

  • SERAPHINE, de la peinture à la folie- Alain Vircondelet

     

    N°369– Septembre 2009

    SERAPHINE, de la peinture à la folie- Alain Vircondelet – Albin Michel

     

    L'univers des autodidactes m'a toujours fasciné, tout comme la spontanéité du style naïf en peinture comme dans d'autres disciplines artistiques. D'autre part, le succès, la notoriété ont des lois que je ne m'explique pas très bien surtout quand ils se manifestent en dehors des voies royales de la médiatisation, du matraquage journalistique ou d'un parisianisme incontournable.

     

    Rien ne prédisposait en effet, Séraphine Louis, née à Asny [Oise] en 1864 dans une famille pauvre, d'un père horloger itinérant et d'une mère domestique de ferme qui meurt alors qu'elle vient d'avoir un an, à connaître le succès. Son père meurt lui-même alors qu'elle n'a pas encore sept ans. C'est donc une orpheline qui, recueillie par sa sœur aînée, devient bergère, domestique au Couvent de la Providence à Clermont [Oise] puis femme de ménage, à partir de 1901, à presque quarante ans, dans les familles bourgeoises de Senlis. C'est dans cette même ville qu'en 1912 s'installe un collectionneur et marchand d'art allemand, Wilhem Uhde, lassé de la vie parisienne. Amateur de Picasso et du Douanier Rousseau, il remarque, chez des notables, de petites œuvres peintes sur bois et découvre que leur auteur n'est autre que sa propre femme de ménage, Séraphine. Voilà tous les ingrédients d'un conte de fée, mais la réalité est toute autre. Celle qui aurait voulu devenir religieuse par amour de Dieu et qui a été maintenue par la Mère Supérieure dans sa condition de simple servante à cause de sa pauvreté et de son absence de dot, garde cependant en elle une foi inébranlable. Considérée comme un esprit simple, sans instruction et sans fortune, elle est finalement  poussée dehors et commence à peindre en s'inspirant de ce qu'elle connaît, des images pieuses, des vitraux, des statues des églises et du culte marial, des fruits, des fleurs et des feuilles.

    Elle s'humilie devant Dieu qui, le pense-t-elle, lui dicte son cheminement artistique. Elle peint sans véritable technique, sans avoir jamais appris, au Ripolin, pratique des mélanges inattendus et improbables mais reste à l'écoute exclusive de cet « ange » qui la guide. C'est un peu comme si, en elle, se révélait une sorte de « mémoire héréditaire » dont elle était l'expression, la manifestation, avec en plus la main de Dieu pour la soutenir. La folie mystique qui l'habite et dont elle ne cache rien, la fait déjà considérée par la rumeur publique comme une folle. Elle se compare à Jeanne d'Arc, à Bernadette de Lourdes, se définie comme une « voyante de Dieu », prétend entendre des voix qui lui intiment l'ordre de peindre, ce qu'elle fait comme un devoir sacré.

     

    Après la guerre de 14-18, Uhde revient s'occuper d'elle et la révèle au grand public, organise des expositions. Son style, naïf et primitif, s'inspire d'une nature luxuriante semblable à celle qu'elle imagine au Paradis Terrestre. On la compare déjà au Douanier Rousseau et les surréalistes s'intéressent à ses œuvres. Elle-même se reconnaît une parenté artistique avec Van Gogh. La notoriété aidant, elle devient imbue d'elle-même, et elle qui avait toujours vécu de peu, se met à faire des dépenses inutiles et couteuses malgré les mises en garde de Udhe. Son style change et se surcharge de pierreries et de plumes, les couleurs, vives au départ, s'assombrissent mais elle continue d'exploiter les thèmes bibliques ... Sa peinture est, d'une certaine façon, la synthèse entre Dieu et les hommes, se définissant elle-même comme une médium solitaire et secrète, investie par les puissances surnaturelles. Dès lors, elle se prétend « l 'élue de Dieu », sa servante, son instrument, s'affirme cependant « sans rivâle » et s'enfonce de plus en plus dans une folie irréversible.

     

    La grande dépression des années trente met fin à ses ventes ce qui affecte sa santé mentale et physique au point qu'on songe de plus en plus sérieusement à un internement. Les symptômes délirants s'accentuent avec la perspective de la guerre qui s'annonce, Uhde, juif, anti-nazi et homosexuel, disparaît, et avec lui sa source de revenus. Son discours mystique s'accentue, elle parle de la mort, abandonne la peinture, s'enfonce de plus en plus dans un dénuement moral dont elle ne sortira plus. Des plaintes sont déposées et, possédée par un délire définitif, finit par troubler l'ordre public, ce qui la précipite à l'hôpital psychiatrique de Clermont en 1932. Elle perd complètement la tête ainsi que l'atteste un rapport de police. Dès lors personne n'entendra jamais plus parler d'elle, elle ne fera jamais plus partie de ce décor provincial où elle dérangeait. Elle y restera dix ans sans jamais reprendre la peinture, prostrée, comme si cette vibration qui avait guidé sa main l'avait définitivement quittée. Elle est victime de délires hallucinatoires, de psychoses, l'hystérie la gagne et elle souffre de persécutions. Uhde retrouve sa trace et l'aide financièrement pour adoucir son sort, mais dans cet univers, la peinture qui a été toute sa vie n'a plus d'importance.

    Son délire s'accentue dangereusement, elle se croit enceinte et la deuxième guerre mondiale éclate la précipitant dans un état de dénuement physique et mental alarmant que les restrictions alimentaires et un cancer aggravent. La politique d'extermination des nazis à l'égard des malades mentaux la précipite, fin 1942, dans la mort solitaire, mais c'est aussi de faim qu'elle meurt. Personne ne réclamant son corps, elle sera ensevelie à la fosse commune.

     

    C'est un livre passionnant et agréablement écrit que j'ai lu d'un trait tant l'histoire de cette femme est inattendue mais pourtant si commune à celle de bien des artistes, et comme le note l'auteur « Comme Camille Claudel morte dix mois seulement après elle et dans les mêmes circonstances, elle a été de ces artistes qui ont été au bout d'eux-mêmes, à l'extrême de leurs limites et qui ont accepté la plus grande violence contre eux » .

     

    De nombreux musées, celui de Nice, de Senlis mais aussi le musée Maillol à Paris exposent ses œuvres.

     

     

    (C) Hervé GAUTIER – Septembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • QUELQUES MOTS SUR HORACIO QUIROGA [1878-1937]

     

    N°367– Septembre 2009

    QUELQUES MOTS SUR HORACIO QUIROGA [1878-1937]

     

    Les écrivains sont le miroir de l'humanité. Ils parlent d'elle et elle se reflète en eux. A ce titre, ils présentent de multiples facettes et mettent en lumière toutes les composantes de la condition humaine, des plus basses turpitudes aux attitudes les plus morales. Ainsi a-t-on l'habitude de résumer en quelques mots l'œuvre d'un auteur. A titre personnel, je ne sais pourquoi, j'ai toujours été attiré par ceux qui parlent de la solitude et de la mort, probablement parce que, bien que nous refusions cela, elles résument notre parcours terrestre. Parmi les noms qui sont présents dans ma bibliothèque idéale, celui d'Horacio Quiroga y tient une place particulière.

     

    Il y a, certes, des contes pour enfants[« Contes de la forêt vierge »], écrits pendant le séjour qu'il fit le long du fleuve Paran, en Argentine, où le spectacle qu'il donne à voir est onirique et même plaisant, il a également publié des recueils de poèmes mais, ailleurs, dans toute son œuvre, la mort revient avec une prégnance singulière. Elle est présente dans chacune de ses nouvelles. Elle est même parfois dépeinte comme une chose simple et même parfois apaisante comme dans « les exilés » où un paysan heureux repose au soleil, une machette plantée dans le ventre ou un homme, au fond d'un puits, regarde les étincelles d'une mèche de dynamite qui se consume à ses pieds. Elle peut-être aussi plus subtilement distillée sous forme d'un alcool mortel dégusté par un client au pied même de l'alambic! C'est donc de la fragilité de l'existence dont l'auteur souhaite être le témoin.

     

    C'est que la mort a fait très tôt partie de sa vie, son père mourant accidentellement alors qu'Horacio, son fils, n'avait que trois mois, puis, dix-sept ans plus tard, c'est son beau-père qui se suicide sous ses yeux. Sa première épouse met fin à ses jours puis s'est lui qui, en manipulant une arme tue son meilleur ami, Frédérico Ferrando. Plus tard, atteint d'un cancer, se suicidera en 1937 à Buenos Aires et ses deux enfants se suicideront à leur tour. La violence dans la mort est aussi une constante dans ses écrits.

     

    La solitude est également un thème récurrent dans son œuvre. Né en Uruguay, il s'installe, en 1912, à San Ignacio, dans la forêt tropicale, son œuvre témoigne de ce lieu, de la faune hostile comme de la flore et l'atmosphère qui se dégage de ses écrits est oppressante. Dans « Anaconda », il dessine un décor labyrinthique où les animaux dont doués de sentiments humains dans lequel le lecteur trouve à la fois la folie et la mort. Au départ, les histoires racontées sont réalistes, dans un style épuré et sont le fruit de l'expérience vécue de l'auteur, mais elles dérapent rapidement dans un surréalisme inquiétant et l'atmosphère qui s'en dégage est monstrueuse et délirante.

     

    Dans « Contes d'amour de folie et de mort »,il y a, certes, l'évocation des deux premiers thèmes, mais c'est surtout le dernier qui est évoqué, comme un poison que l'homme porte en lui et qui finira par lui être fatal.

     

    Il est considéré, à juste titre, comme le maître de la nouvelle fantastique latino-américaine, à l'égal de Maupassant ou d'Edgar Poe dont il s'est sans doute inspiré.

     

     

     

     (C)Hervé GAUTIER – Septembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'AGE DE PIERRE - Paul Guimard

     

    N°367– Septembre 2009

    L'AGE DE PIERRE - Paul Guimard – Éditions Grasset

     

    Comme je l'ai déjà dit, la parution récente d'un livre n'a jamais été un critère de lecture en ce qui me concerne. Ce roman publié en 1992 et dû à un auteur qui ne m'était évidemment pas inconnu pouvait donc parfaitement retenir mon attention.

     

    J'ai ressenti à cette lecture une sorte de nostalgie. Au départ, une rêve, presqu'une apparition, celle d'une violoncelliste à la chevelure flamboyante et à la pose érotique que la pratique de l'instrument oblige. C'est là un parti-pris d'un homme mûr, d'un jouisseur assurément qui ne pouvait laisser passer cette image sans se livrer à ses fantasmes secrets. Pourtant, il choisit de s'exiler en Irlande « le bout du monde .... où la pluie est une fête ». Pour cela il se sépare « du plus florissant cabinet d'architecte de Paris pour s'exiler dans un lieu au nom imprononçable dans la péninsule de Dingle ». C'était une folie d'autant qu'elle s'accompagnait d'un divorce avec Nathalie, non pour refaire sa vie, mais pour la « défaire ». Certes leurs relations communes prend des allures de bonne entente, son ex lui rendant visite chaque semestre dans sa retraite, mais on sent autre chose, une volonté du narrateur de mettre entre eux plus que des kilomètres.

    C'est que Pierre constate rapidement la calcification de ses pieds au point qu'on envisage la consultation d'un géologue, d'un maçon et qu'on se risque même à attribuer ce phénomène à l'intervention d'une fée. Il faut dire que le pays s'y prête, que la lecture d'une nouvelle de Malaparte évoque cette histoire qui va être distillée pour le lecteur, que « les gens d'ici ont un pied dans la boue, l'autre dans les nuages et n'ambitionnent pas d'avoir les deux sur terre » et que le médecin prêterait volontiers son concours à ce genre de chose bien qu'il reste confondu devant un phénomène extraordinaire qui ne s'accompagne pourtant d'aucune souffrance. Dès lors le lecteur voit bien le jeu de mot sur le nom de Pierre et le titre prend tout son sens.

    Dès les premières page, on comprend qu'il peut s'agir ici d'une allégorie, la fin d'une vie, une vieillesse solitaire, avec ses souvenirs, ses regrets et ses remords... en attendant la Camarde. Pourtant l'auteur ne manque pas de décliner le calembour du genre « tu as toujours eu un cœur de pierre » ou « Tu es Pierre et sur cette pierre j'avais bâti mon avenir » c'est vrai que l'Évangile avait déjà eu cet humour! D'ailleurs l'auteur n'a pas manqué de situer cette histoire un peu surréaliste en Irlande, au bord de la mer, dans un site rocailleux de falaises. L'examen de ce phénomène pour le moins curieux révèle chez le patient qui porte ainsi bien son nom, une roche de nature granitique, avec quelques traces d'or, quand même!

    Puis les choses s'aggravent et l'infirmité qui au départ n'affectait qu'un pied gagne rapidement les deux jambes et l'âne et son attelage achetés pour lui permettre de se mouvoir plus aisément se révèlent d'une grande importance et même une sorte de complicité. La fin fait évidemment penser à la statue du commandeur!

     

    Il y a des évocations majestueuses des paysages, « la rousseur violente des fougères et le tweed des tourbières » et les chemins creux « qui donnent l'illusion d'un labyrinthe sans espoir d'évasion », des descriptions poétiques, mais j'ai eu du mal à entrer dans cette histoire pourtant bien écrite, dans ses réflexions sur la vie, sur la vieillesse, sur les femmes, sur la mort et même sur la religion et le salut de l'âme, Je l'ai pourtant lue jusqu'à la fin, mais sans enthousiasme excessif cependant.

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'HOMME BARBELÉ - Béatrice Fontanel

     

    N°366– Septembre 2009

    L'HOMME BARBELÉ - Béatrice Fontanel – Éditions Grasset

     

    C'est une histoire de famille qui nous est narrée ici, l'histoire d'un homme, Ferdinand, héros de la guerre de 14-18, promu officier, décoré pour faits de bravoure et que la deuxième guerre mondiale retrouve au maquis. Inconnu pour ses propres enfants, ceux-ci refont le chemin à l'envers, après sa mort, avec pour toute boussole son livret militaire et la consultation des archives. De Verdun, de Douamont, du Chemin des Dames aux théâtres d'opérations des Balkans et de la Syrie, le lecteur découvre, par le menu, le parcours de cet homme qui aime la guerre [« La guerre, il l'a dans la peau »], un héros à la démarche mécanique inspirée seulement par le règlement et l'obéissance aux ordres, un soldat qui passent à travers les balles qui pourtant fauchent tant des camarades, une sorte de trompe-la-mort qui revient chez lui indemne après ce périple guerrier, presque étonné d'être encore en vie, quelqu'un de compatissant qui sait écouter la détresse des autres. L'entre-deux guerres le rend à la vie civile puis, au cours du second conflit, dénoncé il meurt à Mathausen. L'exploration de ces archives révèle un homme courageux au combat, volontaire pour les missions périlleuses lors du premier conflit et qui, dans le camp nazi, soutient le moral des prisonniers. Avec un luxe de détails, le récit retrace la dureté des combats auxquels Ferdinand a participé, le froid et la faim dans les tranchées autant que la description macabre du camp, entre chambre à gaz et four crématoire qui furent le décor de ses derniers moments.

     

    Mais c'est un père dur pour sa famille et pour sa femme, indifférent envers ses enfants au point que lorsqu'il est arrêté par la Gestapo et que chacun comprend qu'il ne reviendra pas, un de ses fils a cette parole « Enfin une journée tranquille ». C'est révélateur! Je me suis pourtant demandé pourquoi il terrorisait ainsi sa famille. On peut y voir le parcours d'un écorché, à la jeunesse déchirée par la guerre, comme pourrait le suggérer le titre. Je me suis dit que beaucoup de gens sont ainsi. Peut-être ce Ferdinand méritait-il qu'un roman lui rende justice?

     

    Ils nous est présenté comme un homme à double face, un visage drôle et généreux pour les copains à l'extérieur, officier bon pour ses hommes... et pour sa famille un véritable tyran, entre colères et silences peut-être parce que la guerre qui était intervenue par hasard dans sa vie en était devenue sa seule vraie raison d'exister. Alors la paix ne pouvait être qu'un long moment de désœuvrement; ce bon soldat s'est débrouillé pour servir en Syrie après les hostilités de la première guere. Cela avait beau être une histoire banale, au début, je me suis intéressé à ce récit un peu décousu, plein de détails à la fois historiques et banalement quotidiens, pas vraiment bien écrit pour mon goût[Il faut atteindre la première centaine de pages pour que le récit devienne vraiment attachant et plus facile à lire]. Après tout bien des romans sont comme cela maintenant, alors pourquoi pas?

     

    L'originalité de la rédaction tient sans doute au fait que l'auteur donne la parole à divers intervenants pour évoquer la figure de Ferdinand... et ils dessinent à leur manière le portrait de l'homme qu'ils ont connu. Au bout du compte un personnage énigmatique qui pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses.

     

    Je n'ai pas vraiment accroché à ce roman qui n'a pas représenté pour moi ce que je demande généralement à un livre, celui d'être un moment d'agréable lecture.

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • A PROPOS DE PIERRE AUTIZE.

    Je publie à nouveau ce texte déjà ancien pour que Pierre Autize ne soit pas oublié.

     

    N°41

    Avril 1990

     

     

     

    A PROPOS DE PIERRE AUTIZE.

     

    Dans le prolongement du n°57 de Poètes Niortais consacré Pierre Autize, je voudrais ici, de nouveau, jeter un regard sur l’œuvre de ce «poète du terroir », comme il aime à être appelé.

     

    Cette manière d’aborder ses écrits contenus dans vingt sept recueils et surtout des dizaines de revues de poésie auxquelles il participe activement, est nécessairement subjective. Dans une étude que je lui ai consacrée en 1988, il m’a paru intéressant d’analyser sa poétique sous le double éclairage du «poète de la condition humaine » et du «poète naïf ».

     

    Avant tout, le professeur de Lettres qu’il a été s’est toujours attaché à la forme, rappelant à l’occasion qu’il est un poète classique, c’est à dire que si, comme créateur, il privilégie l’inspiration, il n’en bannit pas moins l’écriture automatique, respectant scrupuleusement les règles de la prosodie qui, à ses yeux, ne sont pas une entrave à l’expression poétique. Ainsi égrène-t-il les ballades, rondels, sonnets et autres rondeaux…

     

    Cette étude a révélé un personnage plein de paradoxes et, contrairement à la première impression qu’on peut avoir de lui, il est d’abord le « poète de l’humaine condition » et ce n’est pas sans raison que Bernard Aurore l’a dit «poète-paysan ». De son terroir du Bas-Poitou, et donc de l’humanité, il a dit les peines, les joies, le dur labeur qui était celui de ses parents, de ses ancêtres. De sa famille il a retracé le parcours difficile, la vie ingrate qui n’ont pas, pour autant, laissé le citadin qu’il a toujours été insensible au travail de l’homme, aux injustices de la société, à la solitude.

     

    Si les épreuves ne l’ont pas épargné, si deuils et douleurs m’ont meurtri, il semble que l’écriture ait été pour lui une invite à exorciser ce mal, à panser ces plaies. Comme chacun, il a connu le doute, l’amour et l’amitié, mais lui en a parlé…

     

    En effet, quand on connaît cet homme, on ne peut pas ne pas être frappé par l’importance qu’il accorde à l’amitié de ses semblables et l’intimité qui est la sienne nous est rapportée dans ses poèmes. Ce n’est pas abusivement qu’on parle toujours de lui comme «le poète de la joie de vivre » ; il ne dément pas ce qualificatif, cherchant délibérément ce qui est bien dans la vie et en excluant tout ce qui est mal. C’est un a priori qui le caractérise bien et il convient de le respecter…

     

    Un autre aspect de son écriture me paraît intéressant : c’est celui du «poète-naïf ». On comprendra ici que cette naïveté est toute littéraire et ne saurait être péjorative. La première chose, je l’ai dit, est que ses poèmes sont rimés et si le puriste peut trouver quelques faux-pas dans ses textes au regard de la métrique, cela reste une querelle d’experts. La seconde est la répétition des mêmes mots au point parfois que la rime se devine. Le balancement du vers quant à lui, pour être classique, n’en est pas moins un peu ronronnant.

    Le réel reste pratiquement sa seule source d’inspiration et quand il peint la nature (Le Marais Poitevin), elle ne saurait être que luxuriante, verdoyante, apaisante, accueillante. Quand Il parle de l’Autize, cette rivière à laquelle il a emprunté son nom, c’est une femme qu’il voit en elle. Son bestiaire est peuplé de «copains » à qui il donne des noms familiers et qu’il croque d’une plume alerte.

    Enfin Pierre Autize me paraît avoir gardé une âme d’enfant qui fait de lui «un poète sans angoisse ». Il reste, à mes yeux, un créateur, quelqu’un qui a, comme l’a dit Malraux, arraché quelque chose à la mort.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER.

  • PARIS-BREST - Tanguy Viel

     

    N°365– Aout 2009

    PARIS-BREST - Tanguy Viel – Éditions de Minuit

     

    C'est une histoire de famille comme on en connaît tous [Chaque famille n'a-t-elle pas son histoire, parfois inavouable?], mais ici c'est un peu plus compliqué peut-être parce que c'est devenu un roman et que du coup ce n'est plus la même chose, parce que l'auteur s'en mêle et mélange un peu tout, la biographie et la fiction, la narration, l'imagination et la volonté de créer un monde différent de la réalité!

     

    Comme dans toutes les histoires, il y a un lieu. Ici, c'est Brest, pas exactement la ville évoquée par Prévert et dans son poème « Barbara », mais une ville «  qui ressemble au cerveau d'un marin, détachée du monde comme une presqu'île ». C'est que dans cette histoire il y a de l'argent et que cela n'arrange rien parce que l'auteur nous confie «  Partout où mes parents se sont installés, partout où ils ont touché de l'argent, ça s'est immédiatement chargé d'histoire ». L'argent, c'est l'héritage de la grand-mère, Marie-Thérèse, veuve et remariée tardivement avec un vieux et riche notable, la condamnation pour malversation du père de l'auteur, vice président du club de foot local, et aussi celui qui a servi à sa mère à acheter un fonds de commerce qui s'est rapidement révélé déficitaire à Palavas-les-flots pour échapper au scandale.

     

    Comme dans toutes les histoires il y a des départs, celui des parents qui doivent quitter Brest, celui du narrateur, Louis, qui, au retour de ses parents et ne supportant plus cette maison, part pour Paris où il veut faire sa vie définitivement, cet exil répondant, quelques années plus tard, à celui de ses parents. Il revient quand même pour Noël, mais pas innocemment, après que ses parents se sont établis de nouveau dans la cité bretonne parce qu'ils considèrent que le temps a passé et que les choses ont été oubliées....

     

    Il y a aussi des personnages secondaires qui vont cependant prendre une place démesurée dans le récit. Kermeur, le copain d'école au rire malsain, au vrai une petite frappe, le mauvais génie du narrateur que sa mère veut à tout prix éloigner de son fils. Elle doit cependant, eu égard aux dispositions testamentaires de feu l'époux de Marie-Thérèse, garder la mère, Mme Kermeur, comme femme de ménage. Elle le fait donc, elle qui pourtant, nouvellement enrichie, souhaiterait s'offrir les services d'une autre domestique, mais s'est à contre-cœur parce « qu'elle n'aime pas les pauvres ». Et c'est à grand regret que, partant pour le Languedoc, elle laisse Marie-Thérèse à Brest, à la seule garde de son fils pour que celui-ci la surveille, même si, du même coup, elle laisse à Louis la possibilité de revoir ce Kermeur. C'est que, pour elle, «  Le monde est une sorte de grand cercle et au milieu il y a une montagne d'argent et sans cesse des gens entrent dans ce cercle pour essayer de gravir la montagne et planter un drapeau en haut ».

    C'est aussi l'argent qui motive le cambriolage perpétré une nuit par les deux adolescents, au détriment d'une Marie-Thérèse endormie.

     

    Pour le roman-familial, c'est autre chose, des pages écrites qui retracent ces années, pour exorciser cette histoire de famille, celle d'un fils mal aimé par une mère dominatrice et égoïste, délaissé par un père absent et cupide, et en rupture avec sa propre famille, un enchainement de faits qui portent en eux le germe de toutes ces destructions. Parce que dans cette famille comme dans toutes les autres il y a des non-dits, des tabous, et chacun fait un effort pour accueillir le retour improbable du fils prodigue qui ne veut guère quitter Paris pour revenir habiter Brest avec ses parents. Sauf que, quelques mois plus tôt, Louis avait confié à son frère ses projets littéraires et que celui-ci a parlé, même si c'est par inadvertance. Alors, les choses se sont gâtées, parce que, tout d'un coup, les secrets de famille allaient être mis sur la place public et cela devenait insupportable. Dans la série des « secrets », Louis n'avait pourtant rien dit de l'homosexualité de son frère, mais, de tout cela, c'était toujours sa mère qui était la dernière informée, parce que les mères méchantes et destructrices, cela existe et pas seulement dans les romans! Mais, devant cette révélation éventuelle, chacun se demande la part qu'ils aura dans cette création romanesque, le rôle qui sera le sien et si l'empreinte qu'il y laissera sera à son avantage...

     

    Le livre refermé, au moment d'écrire cette chronique, je me dis que, même si au début l'humour de l'auteur m'a un peu séduit, j'ai finalement peu goûté ce style déjeté et peu agréable à lire. Cela me rappelle du déjà lu, mais ce n'est peut-être qu'une impression!

     

    Et puis cette fin un peu bizarre et même décevante par rapport au suspense de l'ensemble du texte, cette mise en abyme d'un récit écrit à la première personne et qui évoque un auteur écrivant son propre roman, avec des événements qui ne se sont pas produits et qui déroutent le lecteur, cette flambée un peu triste du manuscrit qui se veut destructrice, mais qui, bien entendu, ne l'est pas!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UNE NUIT A POMPEI - Alain JAUBERT

     

    N°364– Aout 2009

    UNE NUIT A POMPEI - Alain JAUBERT – Gallimard.

     

    Des la première page, le ton érotique est donné par la description d'une femme nue, même s'il s'agit d'une statue, celle d'Aphrodite callipyge, quand même! Qu'elle se trouve au musée de Naples fait ressurgir des souvenirs intimes au narrateur. D'ailleurs le titre et la ville antique de Pompéi où les mœurs étaient plus que libres ne laissaient que peu de doutes sur le thème du récit. L'exergue non plus d'ailleurs qui reproduit une inscription lue sur les murs de la ville «  Nous habitons ici. Que les dieux nous rendent heureux ». La référence à la nuit et la présence tutélaire du Vésuve ont, elles aussi, une charge sensuelle particulière, la mort qui menace la vie comme le temps émousse le désir et les performances. Après tout, tant mieux me suis-je, cela pourra être un moment agréable dans notre époque qui se veut de plus en plus moralisatrice.

     

    Naples sera donc ce fil d'Ariane et l'auteur évoque à la fois son dépucelage, en Italie à l'âge de 18 ans puis, plus tard, alors qu'il est adulte, exactement sexagénaire nous conte des jeux amoureux dans ces ruines romaines en compagnie de deux femmes, une star de cinéma anglaise à peu près du même âge que l'auteur et une archéologue italienne beaucoup plus jeune, spécialiste des graffitis érotiques de l'antiquité romaine. Une nuit d'été, chaude à tous les sens du terme, évidemment! Le narrateur n'est pas avare de descriptions évocatrices, celles de la plastique féminine autant que les mosaïques gardées dans des cabinets secrets de la cité pompéienne, cachées à la vue de nos sociétés pudibondes mais où les anciens ne dissimulaient rien de leur appétit pour la vie et pour les plaisirs de l'amour. L'auteur se complait en descriptions où il est question de la prostitution masculine et féminine, la pédérastie étant une composante de plaisir des Romains et il n'oublie pas non plus les illustrations locales mettant en scène des ménades, satyres et des phones ... avec force détails anatomiques. Le tout est parsemé de citations latines assez gaillarde puisées pour la plupart sur les murs de Pompéi. Tout est donc réuni pour construire cette ambiance d'art de vivre à la romaine, de jouir du moment présent, et pas seulement à cause du climat!

    Pendant cette nuit unique, les personnages qui ne peuvent évidemment pas se livrer constamment à des jeux sexuels, se racontent des histoires, mais toujours sur le même thème, avec, à la fin une évocation du Marquis de Sade qui paraît un peu incontournable. L'archéologue donnent des précisions « culturelles »... Mais aussi les deux femmes présentes se livrent-elle à une sorte de concours anatomique ce qui ramène le lecteur à la description de la Vénus Callipyge du début.

     

    Alors, est-ce une évocation du mariage de l'art, de la vie et de l'obscène, de la jeunesse évanouie, de la vieillesse et de ses regrets, un moment libertin ou un hymne à la beauté des femmes, opposition entre notre civilisation plus réservée, plus censurée, mais aussi plus obsédée par le sexe et celle des Romains plus volontiers débridée et libre? Un amour de la vie et une fascination de la mort? Une opposition entre Eros et Thanatos?Est-ce l'illusion prêtée par le roman par rapport à la réalité de l'auteur? L'imagination débordante de ce dernier ou ses propos hâbleurs? Le tout ensemble peut-être!

     

    Du style, je dirai simplement qu'il est plaisant à lire, bien écrit ... mais j'ai eu un peu de mal à aller au bout, certains passages étant un peu longs et fastidieux, parce que trop « anecdotiques ».

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA BIBLIOTHÈQUE - Jean LIBIS

     

    N°363– Aout 2009

    LA BIBLIOTHÈQUE - Jean LIBIS – Éditions du Rocher.

     

    Cela commence plutôt bien, cela parle d'une bibliothèque, un lieu que j'apprécie tout particulièrement, d'une période sabbatique obtenue par l'auteur pour procéder à quelques recherches devant accoucher d'un travail universitaires célébrant la beauté des femmes dans l'histoire de l'art, ce qui est un vaste et passionnant programme... Ce roman avait donc tout pour le séduire.

     

    Pourtant, il s'ensuit une relation par le menu du quotidien de ce qui se passe dans et à l'extérieur de cette bibliothèque, le personnage de Mlle Simonetta, sorte de cerbère qu'on imagine bien dans ces lieux, faisant tout, sachant tout, supervisant tout, avec la certitude qu'elle est indispensable à la bonne marche de l'établissement et que sans elle on va droit vers le chaos, M. Paul manutentionnaire besogneux, sérieux, crépusculaire et poussiéreux, le ramassage d'escargots envahisseurs de pelouses, de description de poissons apathiques habitant un aquarium... Ses travaux amènent notre auteur à examiner divers documents dont le « dictionnaire de théologie » traitant, en 28 volumes indigestes et décourageants de la concupiscence, des interrogations théologiques, de la localisation géographique des limbes... Rien de bien séduisant et en tout cas bien loin du sujet. Et ce d'autant que cela se complique par la consultation des écrits anciens sur les préoccupations théologiques d'après-mort, les chants liturgiques, les angoisses judéo-chrétiennes que suscite le jugement dernier, avec en prime la vie un peu agitée d'un docte jésuite, son goût immodéré pour la casuistique, les mortifications purificatoires, les anathèmes définitifs, les tentations qu'on doit fuir, mais aussi les écrivains classiques et néanmoins latinisants, leurs syllogismes, leurs interrogations sur le sexe des anges et les tourmentes de la chair ...

     

    Par le miracle de la mémoire, et de ce père jésuite, surgit l'évocation de l'enfance, de l'adolescence boutonneuse et gauche, de l'éveil à la vie et des premiers émois amoureux, l'apparition d'une jeune fille diaphane, Cécilia, et la fugace vision d'une partie de son corps, un sein, d'ordinaire jalousement caché. Nous avons tous bien connu ces fantasmes, ils s'incrustent dans notre inconscient et, bien qu'on s'en défende, ne nous lâchent pas de toute notre vie. Nous y voilà donc, et cette évocation nous rapproche du sujet d'autant que cet appas féminin va prendre une proportion inattendue et pour tout dire extravagante.

    Une lettre parfumée à laquelle il n'a pas répondu prend, vingt plus tard une importance surréaliste, l'érotisme reprend sa place, l'imagination déborde... Une rencontre fortuite, l'homonymie d'un prénom et c'est tout un mécanisme qui se met en place, d'autant que le hasard s'en mêle par le truchement d'une traduction latine laborieuse.

    Mais la vie cruelle et quotidienne reprend ses droits, parfois inflexibles et inattendus et vous ramène sur une terre que vous n'auriez jamais dû quitter, même si, heureusement «  il y a dans une vie deux ou trois événements extraordinaires »

     

    Et les recherches universitaires dans tout cela. Rien, je dirai heureusement, si on veut bien me le permettre, tant pis pour la thèse, tant mieux pour le lecteur!

     

    J'ai bien aimé ce roman que j'ai lu d'un trait avec curiosité. Le style est fluide, évocateur, les phrases agréablement humoristiques et chantournées, pleines de citations bienvenues et pertinentes.

     

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.

    http://hervegautier.e-monsite.com

  • POUR NE PAS OUBLIER PAUL BAUDENON.

     

    N°362– Aout 2009

    POUR NE PAS OUBLIER PAUL BAUDENON.

     

    En feuilletant cette « feuille volante » déjà ancienne, je retrouve un article daté de Juin 1986, quand cette revue ne portait pas encore ce nom mais existait. Il était consacré à Paul Baudenon.

    Je le reproduis ici en mémoire de lui notamment parce que j'ai pu voir qu'il est présenté parfois comme un écrivain primesautier et qu'il me semble que cela ne correspondait pas tout à fait au personnage.

    Après sa mort, j'ai eu une correspondance avec sa veuve, Claire, qui même en l'absence de son cher mari, signait encore « Claire et Paul Baudenon », marquant ainsi son attachement au compagnon de toute sa vie. Ce détail m'a toujours ému.

     

    A propos de « Vers l'estuaire » de Paul BAUDENON [n° 6 -Juin 1986]

     

    Le n°134 des « Feuillet poétiques et Littéraires » de Marjan commençait ainsi «  Dans la nuit du 6 au 7 février 1983 notre ami Paul Baudenon est mort »

    Cet homme ne ferait donc plus partager sa sensibilité proposée depuis bien des années par ses recueils et ses poèmes inédits dont les « Feuillets » ont été le témoin.

     

    De lui, j'appréciais l'humour et la manière originale d'appréhender les événements les plus anodins de la vie, la façon de les voir, de les traiter, d'en rendre compte. « L'annonce faite au mari » m'avait donné envie de recréer cette pièce... Grâce à ses poèmes, je goûtais le regard complice qu'il posait sur les femmes et l'amour qu'elles pouvaient lui inspirer... J'avais noté combien l'officier et le voyageur qu'il avait été, était attaché à sa terre «  Tout bonheur d'homme est son champ » confie-t-il dans « Cantilènes et Fulmicoton », combien, malgré les apparences qui auraient pu être trompeuses il devait aimer se retirer en lui-même « Mon refuge est mon silence, ce clôt d'âme où nul ne paît » et combien le beau langage devait lui plaire, lui qui le maniait si bien «  Au carrefour des collines les mots dansent à pieds nus, mais l'écho ne restitue que l'écorce des syllabes ».

     

    Il devait bien y avoir quelque part un philosophe qui sommeillait en lui [« Les cinq bols » in Cantilènes et Fulmicoton] avec toujours sous sa plume la présence de la mort qui semblait l'obséder. Cette mort, il l'avait côtoyée en Indochine, mais il a su se souvenir de ses copains, mais aussi de ces inconnus pour qui il avait plus que de la sympathie et qui ont laissé leur vie dans cette terre de guerre et d'exil «  Les oubliés n'ont pas de plaques, ni quais, ni boulevards, ni rues, ils sont tombés dans les attaques, ils ont fait foc, ils ont fait flaques, ils sont nuls et non avenues ». Il leur rend un hommage posthume dans un style où se lit une extrême sensibilité [« Les oubliés » in Cantilènes et Fulmicoton]. Il remet les choses à leur vraie place [« Les colombes » in Vers l'estuaire] où tous ces morts revivent dans sa mémoire là où dans celle des autres hommes, ils n'ont pas même laissé l'ombre d'un souvenir « La mémoire un temps s'acharne et sanglote puis le chagrin tourne au vague oremus. Le haut-fait passé devient anecdote, le bon, le méchant, l'humble et le despote ne sont bientôt plus qu'un regain d'azote dans un peu d'humus  ».

    Il y a aussi cette mort qu'ils évoque pour lui-même dans ce poème qui donne son titre à l'hommage que Claire Baudenon a voulu rendre à son mari, « Vers l'estuaire ».

     

    Dans ce livre, j'ai retrouvé l'amour que ce pêcheur-poète portait à l'Isle, sa rivière, à qui il s'identifie et qui prend l'allure d'une personne, d'une confidente, d'une borne chaque fois ajoutée à ses voyages. Elle est son décor mais aussi l'invite à nous faire partager son humour de bon aloi, son jeu sur les mots, témoin d'une plaisante jovialité. Devant ce décor rustique, il se met à égrener ses souvenirs d'enfance, à nous prendre à témoin de son bon sens...

     

    Parfois primesautier mais jamais licencieux, le style devient ironique, alerte, saute par-dessus les tabous en tout genre, entame les plus solides idées reçues et la belle humeur reste de règle. Témoin le préambule de « la vasque d'émail » où il donne la parole, en mots choisis, à un banal ustensile de toilette : Le bidet. Sans donner dans le facile, voire le facétieux, il conte l'histoire de cet instrument sans gloire dont le seul office est de nettoyer et de « noyer des copeaux d'amour », comme il le dit si bien!

    Nous entrons de plain-pied dans l'imaginaire avec « Les Sirènes » où l'auteur recrée la légende de ces femmes-poissons, filles « du pollen gaspillé des hommes » et « des œufs de poissons femelles ».

     

    La deuxième partie de ce livre me parle davantage, peut-être parce qu'elle est écrite dans une prose poétique évocatrice. Le style ductile atteste le sérieux de l'homme qui était aussi une scientifique. Il souhaitait sans doute marquer par le texte un jalon de sa vie dans ces « terres pures ».

     

    Il ne fut certes pas le seul à voir ces paysages, à rencontrer ces hommes, mais il a su rendre pour le lecteur attentif les impressions qui furent les siennes lors de ses rencontres d'exception. Le créateur et l'humaniste se débattaient sous l'uniforme... Ces paysages grandioses et exotiques on exacerbé en lui non seulement l'envie d'écrire pour lui-même, mais aussi celle de donner à voir, et je ne peux pas ne pas songer à un autre poète, Victor Ségalen, qui définissait ainsi la poésie « Voir le monde et, l'ayant vu, dire sa vision ».

     

    Marjan, dans les « Feuillet poétiques et littéraires » dont je parlais au début, caractérisait son ami Paul Baudenon : Amour, humour et humanisme. J'y ajouterai simplement une extrême sensibilité.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE VOYAGE DE M. RAMINET - Daniel Rocher

     

    N°361– Aout 2009

    LE VOYAGE DE M. RAMINET – Daniel Rocher – Éditions du Serpent à plumes..

     

    D'emblée, au simple nom de ce qui devait être le héros de ce roman, j'ai craint le pire [Félix Raminet – Rat, minet, Félix le chat]. A la lecture des premières pages, je n'ai pas été plus motivé. Jugez plutôt : M. Raminet donc, tout juste retraité, célibataire, soixante six ans, un homme rangé « petit, rond, chauve, lustré, excité »... La faculté de droit où il a enseigné toute sa vie n'incite pas beaucoup aux extravagances, d'ailleurs il vient juste d'obtenir son permis de conduire! Il s'achète une voiture et fonce vers St Malo, où il souhaite finir ses jours ...à 90 km à l'heure, évidemment, mais sur l'autoroute. On imagine l'attitude des autres conducteurs!

     

    Non seulement notre Raminet vit en dehors du temps [ce qui est plutôt étonnant de la part d'un professeur de droit civil], mais encore il semble en permanence à côté de la plaque [même quand il rêve on s'attend à croiser Alice dans son Pays des Merveilles], naïf et même franchement dépassé avec ses manières d'un autre âge [parfois fréquentes chez les vieux enseignants], mais quand il rencontre une jeune, jolie et blonde étudiante américaine, Jane, auto-stoppeuse de surcroît, au franc-parler et au comportement libéré, qu'il emmène avec lui à St Malo et qui le surnomme Pussy [c'est facile – poussah eût peut-être été possible], on se met franchement à craindre pour lui. Quand elle lui révèle qu'elle parcourt le monde et prépare une thèse sur la timidité masculine, on se dit que cela ne pouvait pas mieux tomber et que la hasard fait décidément bien les choses.

    Il fait d'improbables rencontres, parfois sordides, parfois hautes en couleurs mais n'échappe pas [heureusement pour lui] à ce que d'aucuns imagineront être son destin immédiat. Une réelle et authentique complicité s'installe entre la jeune fille et lui et les circonstances de ce livre rendent ces deux personnages attachants. S'ensuivent des situations aussi scabreuses qu' ambigües qui sont dans le droit fil de l'humour du début.

    Je ne sais pas pourquoi, mais au-delà de l'aspect distrayant du récit et malgré des discussions qui sont émaillées de philosophie existentielle du genre « Qui sommes-nous, d'où venons-nous, où allons-nous? », parfois passionnantes mais souvent superficielles et oiseuses, je retiendrai plus volontiers le personnage solitaire qu'est M.Raminet. Il aime à parler philosophie avec Jane [« Ce que les occidentaux appellent « philosophie » c'est la mise en commun de leurs langages pour se poser les mêmes questions. Mais plus les interrogations sont nombreuses plus les réponses sont rares »]et on sent qu'elle aime être avec lui, même si les thèmes abordés sont vieux comme le monde, la vie, l'amour, la mort. Il insiste sur la solitude qui a bien souvent fait partie de sa vie, mais aussi sur sa personne qu'il juge médiocre et ridicule tant sa vie se résume à peu de choses, la solitude, la peur, le quotidien et cela me paraît lui donner une autre dimension...

     

    J'ai bien aimé le style d'écriture, alerte et enjoué, souligné par des tournures de phrases précieusement brodées et inspirées par une sincère urbanité quand elles sortent de la bouche de M. Raminet. J'ai aussi apprécié le sens consommé de la formule pour le commentaire et les descriptions où la poésie n'est heureusement pas absente [« Il pleuvait, la ville économisait ses bruits. L'air était doux comme un buvard offert à l'invasion silencieuse de la nuit »]. Les situations sont parfois un peu forcées, prévues et même prévisibles, mais qu'importe. L'humour et même la cocasserie sont évidemment au rendez-vous, mais je n'omettrai pas de privilégier la scène finale. Le tout m'a procuré un bon moment de lecture.

    Au moins là, M. Raminet est le type de personnage qui n'échappe pas à son auteur, encore que....

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ETHER - Franck RESPLANDY

     

    N°360– Aout 2009

    ETHER – Franck RESPLANDY - Plon.

     

    Tout s'articule autour de deux personnages sans nom. Elle est infirmière dans un hôpital d'un ancien secteur minier du Nord, dans un service de soins palliatifs et vit seule dans une maison vouée à démolition. Elle est en instance de divorce, catholique, d'origine polonaise et fille unique d'un mineur emporté par la silicose. Lui est photographe, parisien, simplement de passage parce qu'il s'intéresse aux vestiges des puits de mine qu'il souhaite photographier. Par hasard, ils se rencontrent dans l'hôpital où elle travaille parce qu'il vient y faire soigner une blessure superficielle. Elle n'est pas insensible à son charme, il lui confie son projet et elle lui propose de lui montrer des vieilles photos qu'elle possède. C'est le départ de cette intrigue passionnante où toutes les convenances sont balayées.

     

    Elle lui propose de la retrouver chez elle , il la viole et disparaît. Pourtant elle n'a pas résisté, ne s'est pas débattue, s'est en quelque sorte laissée faire passivement. A partir de ce moment tout le scénario se noue, elle cherche à le revoir, le retrouve et naît entre eux une sorte de complicité et, en ce qui la concerne, d'abandon complet qui lui fait aimer la jouissance qu'elle éprouve à l'acte d'amour qu'elle avait oublié depuis longtemps. Sa vie faite auparavant de pudicité, de réserve, d'abnégation, de dévouement, de quotidien sans surprise va être bouleversée par cet homme dont elle sait qu'il peut être dangereux mais à qui elle s'attache presque désespérément. Cette folle passion va faire ressurgir en elle des souvenirs douloureux de son enfance autant qu'elle va l'entrainer dans un maelström de soumission amoureuse. Cette relation qui a commencé dans la violence devient peu à peu tendre et elle ne refuse pas l'avenir avec lui, affiche leur relation au point de vouloir la rendre publique, se projette dans un avenir commun... Le lecteur devine aisément que s'il y trouve une passade, elle au contraire y redécouvre le plaisir charnel et l'antidote à sa solitude. Elle se prête à son jeu et les photos, de documentaires qu'elles devaient être au départ, se transforment en clichés érotiques d'elle-même, comme accompagnant son envie d'être autrement de changer soudain de vie et de peau, de tirer un trait définitif sur ce passé gris qu'elle veut oublier.

    Elle finit par craindre que cette histoire passionnée ne se résume qu'aux relations sexuelles qu'elle aime, certes, mais qui ne sont que ponctuelles alors qu'elle souhaiterait voir cette tocade se muer en amour durable et réciproque.

    Cela ne va pas sans dérapage, sans gamberge de sa part à elle et le moindre incident, la moindre absence, le moindre contre-temps donne au récit un tour un peu pathétique. Même si certaines situations peuvent être convenues et peut-être déjà lues, la fin est à la mesure de cette ambiance patiemment tissée.

     

    C'est cependant un roman sombre et quand même inquiétant, surtout à la fin, dérangeant parfois et la folie n'est jamais très loin. Le décor des corons ajoute à cette impression d'ensemble. Le titre évoque l'hôpital, la douleur qui sont son quotidien avant la rencontre mais aussi en termes poétiques il évoque le ciel, la félicité, une sorte d'état euphorique et anesthésique prêté par un liquide pharmaceutique.

     

    Dans un style fluide, fort agréable émaillés parfois d'images érotiques mais jamais déplacées, l'auteur accompagne son lecteur passionné au bout de son voyage,sans que l'ennui s'insinue dans sa démarche.

    Les citations de chansons en italien, qui me rappellent beaucoup le style un peu nostalgique de Paolo Conte, ajoutent à cet atmosphère lentement distillée par l'auteur.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LACRIMOSA - Régis JAUFFRET

     

    N°359– Aout 2009

    LACRIMOSA – Régis JAUFFRET - Gallimard.

     

    Décidément, je joue de malchance avec mes lectures de l'été. J'ai fait ce que j'ai pu, mais je ne suis pas parvenu à entrer dans l'univers de ce roman, au vrai assez étrange qui emprunte son titre du « requiem ». C'est un échange épistolaire entre l'auteur et sa jeune amie, Charlotte, qui vient de se suicider et qui retrace des épisodes de leur vie commune. D'ailleurs par un subterfuge, elle lui répond par delà sa propre mort en l'insultant, le traitant d'écrivassier, de charognard et d'escroc! A priori l'idée n'était pas mauvaise et un dialogue surréaliste entre un vivant et une morte, qui, chacun à leur manière se disent des choses qu'ils n'ont jamais oser se reprocher de leur vivant, pourquoi pas?

     

    Nous sommes dans un roman, les personnages sont donc fictifs, c'est sans doute pourquoi l'auteur affuble la jeune femme d'une parentèle improbable. Je veux bien qu'on parle légèrement du suicide qui est un sujet grave surtout quand il touche les jeunes, mais je ne vois pas très bien l'intérêt d'introduire dans le récit le personnage assez burlesque du philosophe nommé Gaston Kiwi autant que l'énigmatique du docteur Hippocampe Dupré dont la particularité est de vivre avec un panda géant, Mazda. Il va donner à Charlotte une sorte de seconde chance de remonter le temps et ainsi d'échapper à la mort.[?]

     

    Écrire quelque chose sur quelqu'un qui vient de mourir est une manière salutaire de le faire revivre et favorise probablement le deuil. Pourtant, dans la même volonté de fiction un peu délirante, l'auteur donne la parole à la morte qui se rebiffe quand il parle d'elle, quand il évoque une liaison qu'elle aurait eu lors de vacances à Djerba... Elle lui déclare qu'elle l'a aimé, mais je ne suis pas bien sûr de l'authenticité de sa déclaration, mais n'oublie pas de l'insulter copieusement. Là l'imagination de l'auteur se déchaîne...

     

    J'ai toujours été passionné par les personnages de roman, qui sont fictifs par essence et par la vie qu'il peuvent avoir dans le cours du roman et disons-le de la liberté qu'ils prennent eux-mêmes par rapport à l'auteur. Ici il semble n'en être rien et le narrateur manipule complètement Charlotte qui semble consentir à se processus et même l'admettre « Quand on meurt on devient imaginaire ». Ne deviendrait-elle un personnage fictif qu'une fois morte? Cela, qui aurait pu être une piste intéressante dans le domaine de la création me semble tourner au dialogue de sourd! J'ai pensé que cela pouvait être une exploration intime de l'éternité, surtout qu'il est fait mention d'internet et de l'informatique qui, surtout pour moi, comportent autant de mystères que l'au-delà. Mais bon...

     

    Le style, haché parfois, n'a pas non plus retenu mon intérêt [Je ne m'explique pas ce que l'alternance du vouvoiement et du tutoiement ajoute dans l'échange épistolaire] au point que je me demande, le livre refermé, si mon goût en la matière est encore sûr, si c'est moi qui ait manqué un épisode ou si les choses ont changé sans que je m'en aperçoive, sans que j'en ai été informé. Je ne goûte ni les traits d'humour ni la relation par force détails inutiles de l'évocation rétroactive de leurs vies au quotidien ni même la trivialité qui émaille les dialogues. Il me semble pourtant que l'originalité en littérature ne réside pas dans l'à peu près, le banal, voire le ridicule. L'ensemble m'a paru fade et même assez glauque. Il y a bien des aphorismes que l'auteur tente de faire admettre, mais cela tombe à plat. Tout cela fait que j'ai bien regretté ce moment passé même si je le redis comme à chaque fois, j'ai pu passer à coté de ce livre.

     

    « Étonne-moi, Jean » disait Serge Diaghilev à Jean Cocteau. On peut effectivement admettre que l'étonnement soit le motif de l'intérêt pour une œuvre de création. Ici, je n'ai pas été été étonné favorablement et je ne suis pas prêt à m'enthousiasmer pour un tel roman. Est-ce une tendance actuelle dans la littérature française que d'écrire mal et l'originalité réside-t-elle dans l'a peu près des mots et des phrases autant que dans le désintérêt que l'auteur instille dans son texte?

    Franchement, la lecture laborieuse de ce roman ne m'incite pas à lire une autre œuvre de Régis Jauffret.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA POSSIBILITÉ D'UNE ILE - Michel HOUELLEBECQ

     

    N°358– Aout 2009

    LA POSSIBILITÉ D'UNE ILE – Michel HOUELLEBECQ - Fayard.

     

    Michel Houellebecq fait partie des écrivains que je lis parce qu'on en parle et que je ne veux pas délibérément ignorer ce qu'il fait, mais, franchement, dans ses livres, je ne retrouve pas ce qui doit être à mes yeux la justification de chaque lecture : le plaisir.

     

    Pourtant, je suis plutôt favorable à ceux qui, d'une manière ou d'une autre cherchent à faire évoluer les choses, au cas particulier la littérature, dans un sens moins conventionnel. Mais là, je ne comprends pas et ce d'autant plus que j'entends dire qu'il s'agit d'un écrivain incontournable. Alors pourquoi? Cela réside-t-il dans le thème de ce livre à succès? J'ai donc tenté de comprendre. Il s'agirait d'un récit dont l'action se passe à la fois maintenant et dans le futur que l'auteur déroule à travers la vie de Daniel, héros antipathique, misogyne mais obsédé par le sexe. Pour souligner la course du temps, l'auteur annote ses chapitres de Daniel 1 à Daniel 25...les derniers étant le résultat de clonage de l'original par la secte des Elohimites dont le but apparent est d'échapper au temps , à ses dérives consuméristes.[Daniel 25 commentant largement la vie de Daniel 1] et de promettre la vie éternelle à ses adeptes.

     

    Je me suis vite lassé de son style pas vraiment à mon goût, de l'histoire aussi, un peu longue et décousue, pleine de citations volontairement provocantes où l'auteur se veut avant tout avant tout le contestataire de la société contemporaine. Même si la critique peut parfois être constructive et pourquoi pas intéressante, je comprends mal qu'on en fasse ainsi le sujet d'un roman... Enfin pas écrit de cette façon. Je l'ai ressenti comme si, dans cet ouvrage, il souhaitait traiter des thèmes personnels et effectivement actuels et laisser le soin à ses lecteurs d'en débattre, en n'oubliant pas de parsemer ses paragraphes d'une coloration sexuelle et parfois même pornographique. Cela ne me gêne pas à priori, même si je choisis d'y lire une sorte d'impossibilité ainsi exorcisée, mais à la fin, cela devient un peu obsessionnel! Aborder pèle-mêle Dieu, le racisme, le clonage, les relations sociales basées sur l'argent et la réussite, les liaison difficiles qu'il a avec les femmes[son amour pour elles est à la fois passionné et irréalisable à cause sans doute de l'érosion du désir], le phénomène sectaire... sont certes des thèmes qui reflètent l'image de notre société pas si brillante que cela, et les traiter à sa manière, c'est à dire avec un mélange de cynisme et de provocation ne me gêne pas, au contraire. Le fait que l'opinion publique ait si vite réagi est sans doute un signe. Se sentir mal dans cette société au point d'en éprouver de la mélancolie et même «  une apathie languide et finalement mortelle » de désirer un ailleurs baudelairien incarné par les sectes, «Il existe au milieu du temps  la possibilité d'une île », au point d'en arriver au suicide me parait pourtant actuel et ,pourquoi pas défendable, même si tout cela n'est pas vraiment original.

     

    J'admets que tout cela est argumenté, avec de nombreuses références pertinentes et j'espère que la critique de l'Islam, déjà abordée dans « Plateforme » et ses propos qui lui ont valu un procès ne finiront pas par provoquer une fatwa? Cela ne lui déplairait sans doute pas puisqu'on parlerait de lui. Il me semble que ce qu'il cherche est avant tout à être un phénomène médiatique avant d'être un auteur ... et d'espérer qu'il finira par le devenir malgré tout. C'est peut-être l'unique but recherché et si c'est le cas, cela me paraît un peu dommage. La littérature me paraît mériter autre chose.

     

    J'admets être peut-être passé à côté de quelque chose, à cause du style sans doute qui me paraît terne, pauvre et sans véritable intérêt, incapable en tout cas d'accrocher ma curiosité, [Après tout je revendique toujours ma qualité de simple lecteur] mais j'ai quand même du mal à m'enthousiasmer pour l'œuvre de Houllebecq. Il est vrai que je ne fais pas partie de ses inconditionnels et que, à la suite de cette lecture, on ne comptera assurément pas dans leurs rangs.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LA FIANCEE JUIVE - Jean ROUAUD

     

    N°357– Aout 2009

    LA FIANCEE JUIVE – Jean ROUAUD - Gallimard.

     

     

    J'ouvre toujours un recueil de nouvelles avec intérêt et même parfois avec une certaine appréhension. Je pense toujours que, sauf à ce qu'un thème commun existe entre les textes qui le composent, il est parfois difficile à l'auteur de colliger des récits qui n'ont souvent les uns avec les autres que la parenté qu'il veut bien lui donner. Chez Rouaud, c'est un peu différent. Il nous avait jusqu'à présent habitués à des romans où il avait choisi d'évoquer ses souvenirs personnels à travers l'histoire de sa famille. Il poursuit donc cette quête de mémoire, évoquant la mort de son père «  s'affalant brutalement dans la salle de bains sous on ne sait quelle corruption de l'organisme, sans crier gare, à quarante et un an, le lendemain de Noël», le courage de sa mère devenue veuve. Il le fait, cette fois un peu différemment, comme une longue lettre que l'auteur adresse à sa fiancée juive, et qui se termine par une série de poèmes chantés. Il lui avoue, presque sur le ton de la confidence, des souvenirs de jeunesse comme on se raconte à une femme à qui on va confier sa vie, pour la vie. On ne voit qu'elle, elle est unique et occupe l'espace « Ailleurs, c'est comme un grand désert si n'y est pas ma belle Nadja ». Ce blues amoureux qui a quelque chose de triste et de joyeux à la fois est « compacté » dans un CD qui accompagne le recueil.

     

    A travers neuf « chapitres » d'inspiration autobiographique, c'est aussi une atmosphère [eh oui!] d'un temps pas si lointain pourtant tissée à force de mots tressés comme si, à l'échoppe rudimentaire et bretonne des sœurs Calvaire répondait « la crèche à journaux » qui fut aussi le gagne-pain de l'auteur, dans le XIX° arrondissement parisien. C'est que, avant d'obtenir ce prix littéraire prestigieux, opportun et, pour une fois, bien conforme à l'esprit de ses fondateurs, il a dû attendre, espérer, faire autre chose, désespérer aussi en rédigeant des articles sans intérêt pour un journal régional, mais continuer à écrire dans l'ombre sans se décourager, parce que, nous le savons aussi, l'écriture est avant tout un plaisir solitaire, en attendant son heure qui, heureusement, à fini par venir. Il n'en finit pas de puiser dans cette histoire familiale dont il et maintenant à la fois l'échotier et le chantre, le sauveur de mémoire, se positionnant, lui, le vivant, et de livre en livre, parmi tous ces morts. Cela mérite bien une remarque personnelle en forme de critique qui rappelle à tous les candidats au succès une dure réalité «  Le monde de l'édition... ne publie pas de nouvelles... à moins d'avoir déjà un nom... ». Et, nous l'oublions pas que «  l'écriture est une pensée qui pleure », et il y a bien de quoi pleurer aussi quand des professionnels passent à côté de tant de talents!

     

    Mais revenons à l'écriture qui, nous la savons aussi prend sa source dans l'enfance et les terres qui l'ont portée «  En fait de lieu, il n'y en a qu'un, c'est celui de l'enfance » et lui de dérouler l'écheveau de ses souvenirs personnels que non seulement le temps [non, on n'y échappe pas!] n'a pas effacé, mais au contraire a embelli et enrichi. Pour lui, ce lieu n'a pourtant rien d'extraordinaire« Vous parlez d'un trésor ...Campbon, Loire inférieure, ...un bourg à peu près à mi-chemin entre Nantes et St Nazaire... », ses études chez les frères non plus où la liberté restait à la porte de l'établissement, à part peut-être ce maitre d'école en soutane qui a éveillé sa curiosité, ses étés de vacances où on s'ennuyait ferme...

     

    Entre simplicité des mots et complexité de la vie, il égrène ses souvenirs qui sont l'occasion d'en faire ressurgir d'autres, les nôtres, pas si éloignés des siens cependant.

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.

  • LES MAINS NUES - Simoneta GREGGIO.

     

    N°356– Aout 2009

    LES MAINS NUES – Simoneta GREGGIO– Stock.

     

     

    J'aime bien les artistes italiens, les différents articles de cette revue en attestent. J'ai donc lu ce roman, dont je ne connais pas l'auteure et dont j'apprends qu'il est écrit directement en français, avec une curiosité favorable, d'autant que le style narratif se teinte parfois d'une agréable poésie.

     

    L'histoire, puisqu'il faut bien commencer ainsi, est celle d'un retour brutal d'un passé qu'Emma aurait sans doute souhaité révolu « Je me vois à travers les années, une série de poupées russes, la plus petite, toute neuve, loin dans le temps, la dernière encore debout dans son vernis écaillé ». Emma, donc, 43 ans, célibataire, vétérinaire de campagne, à la vie rude, solitaire mais sexuellement libérée et ne vivant que pour son travail, reçoit un soir la visite de Giovanni, bientôt 15 ans, en rupture avec sa famille et dont elle a jadis connu les parents, Raphaël et Micol, partageant avec eux quelques années d'une jeunesse qu'elle aimerait mieux oublier.

     

    Avec cet adolescent, c'est donc son passé qui lui revient en pleine figure et, calée dans son quotidien solitaire et laborieux, Emma souhaiterait que Giovanni parte au plus vite, mais il n'en fait rien et s'installe entre eux une relation ambiguë qui se transforme rapidement en liaison amoureuse. A cause de l'âge des deux amants, cela devient tabou, Giovanni n'est plus un enfant mais pas encore adulte, il y a donc détournement de mineur et la chose, bien sûr se termine devant les tribunaux. Le juge cherchera à comprendre et pour cela fouillera dans le fameux passé qu'on aurait souhaité définitivement enfoui.

     

    C'est que, avant le mariage de Raphaël, Emma et lui ont été amants, qu'il avait voulu renouer leurs relations intimes longtemps après son mariage mais qu'elle avait refusé puis sans doute accepté et cette visite de Gioavanni c'est un peu, sans qu'il le sache, comme souffler sur de vieilles braises mal éteintes, raviver des souvenirs qu'on voudrait à jamais effacés.

     

    Et puis, la liaison révélée, il y a ce déferlement médiatique, les journalistes charognards qui se croient tout permis au nom de l'information mais qui sont surtout avides de scoop et pour cela n'hésitent pas à dire et à écrire n'importe quoi, à bousculer quiconque pourra s'opposer à ce qu'ils fassent « leur métier ». D'autant qu'à la campagne, une femme vivant seule, sans enfant et sans homme à ses côtés, cela inquiète[« Non, les braves gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » chante Brassens] ! Il a y aussi cette vindicte populaire allumée par la presse pour faire vendre du papier, et qui se croit obligée de se nourrir du scandale et de recouvrir d'opprobre au nom d'une morale désuète ce qui n'est après tout qu'une aventure amoureuse dont ceux qui la dénoncent rêveraient peut-être pour eux-mêmes sans oser se l'avouer. C'est ici un tabou qui a été bousculé, une vengeance ainsi vidée qu'Emma assume, un témoignage émouvant sur la solitude et sur la déconvenue amoureuse d'une jeune femme qui voit son amour de jeunesse lui échapper. Raphaël ne s'est-il pas vu forcer la main par la fausse promesse de Micol d'un enfant à naître, ce Giovanni justement qui, après toutes ces années revient auprès d'Emma, comme pour lui donner enfin l'amour qu'elle n'avait pas eu avec Raphaël? C'est l'expression d'une vengeance entre deux femmes amoureuses du même homme, comme si une justice immanente existait, différente bien sûr de la justice des hommes qui passe et peut-être apaise?

     

    Mais, heureusement, à la fin, les choses reprennent leur vraie place, l'espace s'emplit de gestes quotidiens à l'image de cette nature si joliment évoquée.

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

    Hervé GAUTIER – Aout 2009.

  • LA FEMME PROMISE - Jean ROUAUD

     

    N°355 – Août 2009.

    LA FEMME PROMISE - Jean ROUAUDÉditions Gallimard (2009)

     

    Jean Rouaud n'est pas un inconnu pour cette revue [voir La Feuille Volante n° 55, 215, 217, 219] puisque son œuvre y a déjà fait l'objet de commentaires et de présentations. Sans ce prix Goncourt, pour une fois bienvenu, il eût continué à végéter dans un anonymat kioskier en se désolant que son talent ne soit pas reconnu.

     

    Je l'ai donc rencontré à nouveau, toujours un peu par hasard, par le truchement d'un rayonnage de bibliothèque, dans la catégorie nouveautés. J'avais, à l'époque de mes premiers articles, souligné une phrase un peu longue, parfois difficile à suivre. Je l'ai retrouvé ici, avec en plus des dialogues un peu abruptes qui m'ont un peu rebuté au début, mais s'y sont ajouté, avec bonheur, l'humour, l'art des descriptions où la précision le dispute à la poésie, et même une certaine gouaille...

     

    C'est vrai qu'ils sont attachants ces personnages. Lui, Daniel, chercheur en physique nucléaire qui se retrouve vêtu seulement de sa combinaison d'homme-grenouille parce qu'un indélicat lui a dérobé sa voiture où il avait toutes ces affaires alors qu'il plongeait. Elle, Mariana, artiste de retour des États-Unis, a connu la même mésaventure, avec accessoirement la destruction de ses créations, mais dans sa maison de famille, dans ce bourg de Basse-Normandie. Pour cause de déclaration administrative, ces deux personnes se retrouvent à la gendarmerie locale. Ce pourrait être le départ d'une idylle, d'autant que le titre du roman le suggère fortement et que cette Mme Moineau fait ce qu'elle peut pour cela. Pourtant tout cela est un peu laborieux, à tout le moins au début, et cette rencontre fortuite est plutôt le prétexte à un retour dans le passé, chacun à sa manière. Pour lui une enfance orpheline peuplée d'un grand-père réparateur de cycles, bougon et sourd et d'une grand-mère comateuse à qui pourtant il raconte ses journées, pour elle, un histoire familiale encombrée de l'antisémitisme et de la collaboration de son grand-père pendant la guerre, de l'effacement de sa grand-mère, et un père qui fuit le monde dans la contemplation des grottes préhistoriques. Lui, plaqué par sa femme qui ne lui a laissé que ce qu'il porte sur lui, elle, victime d'un cambriolage ont en commun une sorte de dépouillement. Pourtant, cette rencontre qui aurait pu être le prétexte d'une histoire à l'eau de rose comme on en a tant lu, a quelque chose de miraculeux, comme si un tableau volé puis retrouvé, et qui maintenant était mis à sa vraie place, signifiait que leur deux vies antérieures allaient définitivement prendre fin, que la nouvelle pouvait avoir son vrai sens, comme si ce dénuement temporaire qui les avait rapproché était porteur de sens et d'avenir! C'est que cette toile interrompue qui représente sa grand-mère va parler, au sens vrai du terme, pour ajouter une touche féérique au récit. C'est un peu comme si son inachèvement qui répondait aux esquisses des grottes dans lesquelles le fils de cette femme cherchait à fuir le monde, allait à la fois délivrer Mariana de son passé, lui offrir une nouvelle généalogie et éclairer son avenir. Il en résultera une œuvre d'art finale, compréhensible seulement par les initiés, la marque d'un fardeau abandonné, celle aussi d'une liberté et d'un amour retrouvés.

     

    Dans la galerie des personnages, je n'aurai garde d'oublier l'auteur, qui lui aussi fait force digressions sur lui-même, sur l'art [« Tout art est régressif »],sur sa manière de voir les choses, commente parfois longuement les rebondissements et les atermoiements, se révèle même facétieux, sans doute pour emporter la conviction de son lecteur, mais surtout remplit les blancs de ce récit [dont il est aussi l'auteur] quand celui-ci lui en laisse le loisir, un peu comme si nous avions affaire à une création au second degré.[ « L'auteur a son interprétation, qui en profite évidemment pour combler les manques du récit , comme un restaurateur de fresque endommagée »]. Il fera même plus que cela et, par le miracle conjugué de l'imagination et de la création littéraire, donnera un petit coup de pouce au destin pour que cette rencontre se transforme en autre chose qu'une brève rencontre parce que le premier regard est déterminant «  C'est très mystérieux ce qui se joue au premier regard, cette apparition soudaine de l'autre qui n'existait pas quelques secondes avant, et qui s'impose aussitôt comme une évidence massive, comme s'il venait se nicher exactement dans les formes de l'attente » et qu'il ne convient pas que cette histoire se termine mal. C'est là le fait du hasard, la fantaisie de l'auteur, la vie intime et la liberté des personnages...? Allez savoir!

     

    J'ajouterai que, dans la galerie de portraits qui caractérise les romans de Jean Rouaud, il y a toujours des personnages qui passeraient presque inaperçus mais que l'auteur s'ingénie à représenter avec force détails comme ces peintres qui, dans un coin de leur toile figurent des détails picturaux avec autant de soins que le thème principal et entendent qu'on y porte la même d'attention. C'est moins le cas des Moineau qui sont davantage le prétexte d'un retour dans le passé sur fond d'histoire, à partir d'anecdotes ou de coupures de presse, que le personnage du clochard ou de Jack Kérouac, ou de la grand-mère du portait inachevé, mais pourtant si précisément décrit.

     

    Il y a certes l'amour prévisible entre Daniel et Mariana, mais ce que je retiens aussi ce sont les rapports entre elle et ce père qui a choisi de s'enterrer vivant pour étudier les fresques des grottes paléolithiques, comme s'il avait voulu effacer de sa mémoire la trace de son père à lui, collaborateur et profiteur, rompre avec l'opprobre de ses origines. Il y a entre eux plus qu'une complicité, une souffrance partagée que l'auteur, encore lui, choisit, à la fin, d'effacer.

     

    Alors, réflexion à la fois mélancolique et ironique sur le poids de l'histoire sur chacune de nos vies autant que sur la création artistique[« Une œuvre d'art c'est comme un lien informatique, cliquez et entrez dans une autre dimension qui est constitutive de la précédente »], survenue de l'amour dans une vie qui ne l'espérait même plus. Peut-être?

     

     

     

     

     

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  • PLATEFORME - Michel HOUELLEBECQ

     

    N°354 – Août 2009.

    PLATEFORME - Michel HOUELLEBECQ – Éditions Flammarion.

     

    Il y a des auteurs que je lis pour le plaisir et d'autres que j'aborde parce que leur notoriété les a précédé et qu'il convient de savoir qui ils sont... J'ai donc lu Plateforme!

     

    L'histoire commençait bien, si je puis dire « Mon père est mort il y a un an. Je ne crois pas cette théorie selon laquelle on devient réellement adulte à la mort de ses parents. On ne devient jamais réellement adulte ». Je ne sais pas pourquoi, mais ces premières phrases laissaient présager des relations difficiles entre générations ou des développements personnels sur la vie. C'est classique mais souvent intéressant parce que l'écrivain y apporte sa vision du monde, son vécu... D'ailleurs il précise aussitôt « Il avait profité de la vie, le vieux salaud, il s'était démerdé comme un chef... ». On apprend ensuite que le père a été assassiné, qu'une enquête est en cours, que l'auteur est fonctionnaire, célibataire, la quarantaine et part pour la Thaïlande, sans doute pour se changer les idées... mais on s'aperçoit très vite qu'il est sensible à la beauté des femmes, ce qui n'est pas blâmable, loin de là! Au fil des pages, et même rapidement, le lecteur se rend compte que toute sa vie se résume au sexe et et que cela devient même mono-thématique à tendance obsessionnelle, avec des détails érotiques qui ne ressortent pas exactement de la description littéraire. On comprend bien, dès lors, que cette destination n'a pas été choisie par hasard et qu'on va avoir droit aux incontournables. D'ailleurs cela ne tarde pas «  Moi aussi on m'a massé le dos, mais la fille a terminé par les couilles » intervins-je sans conviction ».

     

    Il y a aussi, dans le groupe de touristes, ces improbables dialogues entre membres d'un séjour, ses inévitables fantasmes, ces rencontres parfois sans lendemain...On y fait la connaissance d'individus médiocres qui cherchent avant tout à se mettre en valeur, mais aussi des partenaires d'un été. Classique là aussi! Il finit par croiser Valérie, une femme sensuelle avec qui il décide de vivre à son retour à Paris et à qui il suggère de redynamiser une chaine d'hôtels-club qui périclite. « Propose un club où les gens puissent baiser...il doit forcément se passer quelque chose pour que les occidentaux n'arrivent plus à coucher ensemble ». C'est vrai après tout et on peut parfaitement accorder foi à cette phrase « S'il n'y avait pas de temps en temps un peu de sexe, en quoi consisterait la vie » et puis « Les gens ont besoin de sexe c'est tout, seulement ils n'osent pas l'avouer »... Cela fonctionne, au début, parce que la demande est forte et Valérie et lui envisagent de tout quitter pour s'installer en Thaïlande pour officialiser une entreprise de tourisme sexuel... Et puis tout bascule à cause d'un attentat islamique où sa compagne trouve la mort. Celle qui était « une exception radieuse » ne sera plus désormais qu'un remords de plus dans sa vie qui, on le sent bien, va chavirer...

     

    L'auteur qui, à l'occasion, prononce des aphorismes qui peuvent faire débat, dénonce le tourisme sexuel avec provocation, la déliquescence du monde occidental, mais aussi donne son avis sur l'islam, pose un regard critique sur les Allemands [« Plus que tout autre peuple, ils connaissent le désir de leur propre anéantissement... Leur compagnie pourtant est apaisante et triste »]...

     

    J'ai donc lu ce livre, pas vraiment bien écrit à mon goût, jusqu'au bout, davantage comme un roman érotique, c'est à dire sans passion, sans réel intérêt, pour pouvoir me dire que j'avais déjà lu quelque chose de Houllebecq et ne pas être tenté de porter sur lui un jugement à priori qui ne me serait dicté que par des critiques extérieures. Pourtant, je dois bien avouer que mon attention n'a été attirée que dans les dernières pages, quand l'auteur jette un regard désabusé sur cette vie qui n'a plus d'intérêt pour lui parce que la femme qui la justifiait n'est plus là et qu'il est condamné définitivement à vivre sans elle  «  Vieillir, ce n'est déjà pas très drôle, mais vieillir seul, c'est pire ». Avec elle et grâce à elle, sa petite vie parisienne et quotidienne avait soudain pris des couleurs, à cause du sexe, sans doute, mais pas seulement [Elle (Valérie) faisait partie de ces êtres qui sont capables de dédier leur vie au bonheur de quelqu'un, d'en faire très directement leur but. Ce phénomène reste un mystère... Si je n'ai rien compris à l'amour, à quoi me sert d'avoir compris le reste? »].

     

    Alors, peut-être pour entretenir le souvenir, revenir à une vie plus conventionnelle il revient en Thaïlande, mais seul, sans illusion, pour exorciser sa douleur [ « Il est probable que je ne comprendrai jamais réellement l'Asie, et ça n'a d'ailleurs pas beaucoup d'importance. On peut habiter le monde sans le comprendre, il suffit de pouvoir en obtenir de la nourriture, des caresses et de l'amour ».

     

    Il prend conscience de lui-même [« J'aurai été un individu médiocre, sous tous ses aspects »]. Dès lors la mort peut venir et l'attend sans vraiment la craindre parce qu'elle est l'issue normale de ce passage sur terre qui maintenant n'a plus d'intérêt pour lui [« On ne vient pas à Pattaya pour refaire sa vie mais pour la terminer dans des conditions acceptables » et l'écriture est peut-être un exorcisme... ou peut-être pas!

     

    Un roman qui ne prend sa réelle épaisseur qu'à la fin et qui me laisse une impression mitigée, une sorte de malaise.

     

     

     

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    Hervé GAUTIER – Août 2009.http://hervegautier.e-monsite.com 

  • La méthode Werber

     

    N°353– Juillet 2009.

    La méthode Werber – Article de Jacques Drillon – Le Nouvel Observateur n°2331 du 9 au 15/7/2009 p 89.

     

    Dans la série « Nous vivons une époque formidable », mon attention a été attirée par l'article de Jacques Drillon. Bernard Werber qui n'est pas un inconnu pour cette revue [La Feuille Volante n° 317 – Octobre 2008] avait convié 400 de ses lecteurs à L'institut Océanographique de Paris pour un « atelier d'écriture ».

     

    Personnellement, j'ai toujours pensé [en le vérifiant] qu'une telle activité [l'atelier d'écriture] ressemblait beaucoup à une arnaque et qu'il fallait se garder de tomber dans le panneau. Cela avait pour effet, sinon pour but, d'apprendre aux « stagiaires » ce qu'ils savaient déjà faire, tout en les ponctionnant largement au passage... avec leur consentement et leur satisfaction et surtout en leur donnant l'impression qu'ils sont meilleurs « écrivants », sinon écrivains, qu'avant leur passage dans cet atelier!

     

    C'est peut-être un signe des temps, la preuve que la crise n'est pas pour tout le monde, mais, n'ayant pas été invité et surtout ayant des moyens limités [25 euros quand même pour participer à la séance!], je n'y ai pas assisté et je me suis donc contenté des propos du journaliste.

     

    Si j'en juge d'après le texte du Nouvel Observateur, cette intervention du maître s'est transformée en une opération de promotion personnelle pour un écrivain à succès qui n'en n'a pas vraiment besoin, l'occasion de pratiquer l'autosatisfaction, sorte d'explication de texte de l'auteur lui-même sur ses propres ouvrages, un sondage « in situ » sur l'œuvre... Après tout c'est de bonne guerre, même si les questions posées par Werber, si elles l'ont effectivement été telles qu'elles sont relatées, ne font pas vraiment preuve d'un sens accompli de l'expression française!

     

    Vient en suite l'objet de la rencontre. Au moins l'auteur met en garde son auditoire et indique que si l'écriture est un plaisir, ce n'est pas une chose facile parce que le travail fait aussi partie du processus[Pourtant, je me m'explique pas sa remarque précisant « l'écriture est un métier de feignant »!], que, même si on est convaincu de son propre talent , le succès ne sera pas forcément au rendez-vous. Il rappelle avec raison que si l'écriture peut être jubilatoire, le livre est souvent un univers douloureux, même si la folie, et même l'audace, font un peu partie du décor et que l'observation du quotidien est finalement une bonne école, que l'inspiration réserve parfois de bonnes surprises à l'auteur lui-même parce que l'imagination reste la plus forte face à la feuille blanche.

    Ce sont là beaucoup de banalités, distillées pour un prix manifestement exorbitant, alors que la meilleurs façon d'écrire, c'est certes de s'entrainer à le faire, mais surtout de lire les bons auteurs!

    En revanche, je ne m'explique pas que l'auteur des « Fourmis » puisse affirmer que « tout roman peut se résumer à une blague » et je ne suis pas bien sûr que les participants aient été capables, avec de tels conseils, d'écrire ensuite leur propre best-seller!

     

    Je suis pour autant d'accord avec Jacques Drillon, une telle intervention à quelque chose d'édifiant!

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

  • L'ULTIME SECRET - Bernard WERBER

     

    N°317 – Octobre 2008

     

    L'ULTIME SECRET - Bernard WERBER [Editions Albin Michel].

     

    J'avoue que je ne connaissais pas Bernard Werber avant la lecture de ce roman.

     

    Samuel Fincher, neuropsychiatre, spécialiste du cerveau, vient de battre aux échecs « Deep Blue IV », un puissant ordinateur. De ce fait, il est sacré champion du monde. Le soir même, il est retrouvé mort dans sa villa d'Antibes et sa fiancée, Natacha Andersen, un top modèle danois d'une grande beauté, s'accuse de l'avoir tué... en faisant l'amour avec lui. C'est la danse macabre d'Eros et de Thanatos. Quand même, mourir entre les cuisses d'une jolie femme, peut-on espérer plus beau trépas, d'autant que l'enquête établit formellement que c'est un orgasme hors du commun qui a tué Fincher. Peut-on donc réellement mourir de plaisir?

     

    Deux journalistes Lucrece Nemrod et Isidore Katzenberg se lancent dans ce qu'ils considèrent comme une affaire criminelle, un véritable assassinat, même si cela a toutes les apparences d'un accident, quand même pas si banal que cela! Leurs investigations les conduit dans une clinique ou un homme, Jean Louis Martin, victime d'un grave accident, choisit de continuer à vivre malgré un handicap définitif. Dans cet asile hors du quotidien où travaillait Samuel Fincher, ceux qu'on appelle « les fous » sont utilisés pour leurs talents particuliers. Martin entre volontairement dans cette dialectique et se fait en quelque sorte le complice de son médecin.

     

    D'autre part, la personnalité de Fincher, épicurien convaincu et militant, et surtout son métier orientent ces enquêteurs vers le rôle que joue le cerveau humain dans la vie de chaque homme. Cela se vérifie dans la mémoire, certes, mais aussi dans les différentes formes de motivation qui inspirent chacun de nos actes. Cette problématique ainsi posée devient un axe de recherche intéressant, quoique un peu redondant.

     

    Bien entendu ces deux histoires se croisent et s'entremêlent sur fond d'exploration du cerveau humain et de référence à la mythologie grecque et cela débouche, après de longues tergiversations littéraires et surtout policières, sur ce fameux secret qui pourrait révolutionner l'humanité. Ce roman nous fait toucher du doigt ce que nous savons déjà : que le cerveau recèle encore une foule de mystères.

     

    Si j'ai accroché à l'histoire pleine de rebondissements et, il faut bien l'avouer, un peu abracadabrante au point d'en être parfois déroutante voire lassante, je dirai volontiers que le style est commun et sans grande recherche, ce qui, à mon avis, dessert le roman. En outre, le livre est plein d'explications scientifiques qui ressemblent trop à une compilation de données techniques un peu ennuyeuses à lire. Elles sont probablement indispensables, aux yeux de l'auteur, à la compréhension de cette fiction, mais j'avoue que cela m'a semblé quelque peu indigeste. Le journaliste scientifique prend ici le pas sur le romancier et cela me semble dommage. L'intrigue démarre lentement, laborieusement et c'est, à mes yeux, un artifice pour s'attacher le lecteur. Bref, j'ai peiné à lire ce livre, ce qui ne m'encourage pas à poursuivre la découverte de cet auteur.

     

     

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2008. http://hervegautier.e-monsite.com 

  • LES DERNIERS JOURS DE CHARLES BAUDELAIRE - Bernard-Henri LEVY

     

     

     

    N°352– Juillet 2009.

    LES DERNIERS JOURS DE CHARLES BAUDELAIRE – Bernard-Henri LEVY – GRASSET[1988].

     

    Le genre roman attaché au nom et à la personnalité de Baudelaire ne pouvait qu'attirer mon attention.

     

    Nous sommes en 1866, en Belgique où Baudelaire a entamé, depuis 1864, une tournée de conférences. BHL s'attache ici à imaginer ce qu'ont été les derniers jours du poète qui, torturé par la syphilis, est logé à l'hôtel bruxellois du Grand Miroir. Baudelaire est malade, a perdu l'usage de la parole et de l'écriture. Nous ne savons évidemment rien sur cette période, ce qui permet au romancier d'imaginer ce que le poète aurait pu dire et penser pendant ce temps qui précède sa mort. Pour cela, et ainsi qu'il l'avait fait pour « Le diable en tête », il confie cette rédaction à un narrateur dont il nous dit, d'ailleurs tardivement [pas avant la page 227] qu'il a un peu plus de 22 ans, qu'il est un fils de famille, qu'il est svelte, déjà opiomane... assez effacé donc, mais dont le rôle se révèle décisif à la fin. Pour que le portrait soit complet, l'auteur a recours en alternance, à différentes autres voix, celle de sa logeuse, Mme Lepage, de son éditeur Poulet-Mallasis, de la propre mère de Baudelaire, le photographe Charles Neyt, et, bien sûr Jeanne Duval... Chacun à sa manière et avec ses mots évoque le poète et choisit de mettre en lumière des épisodes de sa vie. Mais revenons au narrateur [qui me paraît avoir quelques ressemblances avec BHL] qui devient le secrétaire du poète et du malentendu qui est esquissé sur la tentation de s' approprier l'œuvre du maître [«  Pauvre Belgique »] au motif qu'il l'a recueillie de sa bouche. Il rend compte d'un parcours intéressant dans l'imaginaire du l'auteur des « Paradis artificiels » et dans ce qui sera son lot toute sa vie : la solitude, la souffrance, l'écriture!

     

    Choisir Baudelaire comme un héros de roman me paraît judicieux. Cela sied au personnage qui a toujours été un marginal, à la fois ennemi de son siècle et des conventions sociales en général [symbolisé par « la bande à Hugo »et dans le refus du remariage de sa mère], mais aussi abandonné de tous dans cette vie un peu lamentable qu'il traine en Belgique entre fréquentation des bordels et rejet du monde. Fixer ce « récit » à la fin de la vie de l'auteur des « Fleurs du Mal » suggère pour le lecteur une sorte de bilan avec, en contre-point, la mort qui pointe le bout de son linceul mais aussi des retours en arrière inévitables et avec eux les regrets et les remords, des relents d'une mémoire sélective, les paradis artificiels, le naufrage aussi perceptible dans cet abandon de son corps.

     

    Chaque roman est une création, une somme de supputations qui, certes ici s'appuient sur des données historiques et documentaires, mais nous livre aussi un personnage recomposé au gré « pages blanches » ou des zones d'ombre qui existent dans la biographie du modèle. Ce dernier n'a évidemment pas été choisi par hasard par l'auteur qui lui prête peu ou prou ses propres réflexions son temps. Une complicité existe donc entre eux [on songe bien sûr au mot de Flaubert « Mme Bovary, c'est moi »] et Lévy, même s'il peut s'en défendre, habite son personnage. Il y a là une sorte de fantasme qui trahit [heureusement] le parti-pris de l'auteur, son art personnel du roman qui reste une fiction c'est à dire un voyage dans l'imaginaire intime avec ses données, ses contradictions parfois, mais dont le lecteur reste le seul juge. C'est aussi l'occasion pour BHL de donner son opinion [et pas forcément celle de Baudelaire] sur le panorama culturel de l'époque du poète, mais aussi sur la religion et les tourments d'un prêtre défroqué, sur l'écriture, sur la notoriété...ce qui donne des formules personnelles en forme d'aphorismes.

     

     

    Alors, roman? A mon sens oui, évidemment, mais aussi le résultat d'une documentation sérieuse et complète sur un sujet qu'il connaît et maîtrise parfaitement [même si parfois on sent un peu trop l'universitaire] mais l'occasion de faire parler de lui, déjà!

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

  • L'AUTOMNE A PÉKIN - Boris VIAN

     

     

     

     

     

    N°351– Juillet 2009.

    L'AUTOMNE A PÉKIN – Boris VIAN.

     

    A l'heure où chacun rend hommage à Michael Jackson, je ne voudrais pas laisser passer le cinquantenaire de la mort de Boris Vian [1920-1959] sans évoquer cet écrivain qui a illuminé mon adolescence. Je ne veux pas me livrer à une étude exhaustive de l'homme et de l'œuvre, d'autres l'on fait brillamment avant moi et ces quelques lignes n'ont évidemment pas cette prétention.

     

    Oublié pendant longtemps des manuels scolaires, délibérément écarté des anthologies de la littérature française , Vian n'en a pas moins déroulé son voyage dans l'absurde et la dérision, dans un décor qu'il tissait page après page et qui emporte encore aujourd'hui l'attention de son lecteur devenu au fil des chapitres un véritable complice.

    Je ne vais pas reprendre à mon compte tout ce qui a été dit et écrit sur le divin Boris, mais dans toute cette œuvre protéiforme et souvent imprévue, faite de mots mais aussi de notes de musique, de projets fous et parfois suicidaires, il a marqué d'une trace indélébile son passage sur terre et dans la littérature. Il y a un roman pour lequel j'ai une tendresse particulière, c'est « l'automne à Pékin ». Étonnant, ce récit qui ne se passe ni en automne ni à Pékin où l'on trouve, comme ailleurs dans son œuvre, des précisions sémantiques inattendues et parfois bizarrement techniques, des créations improbables de mots qui voisinent avec des délires créatifs que ni l'ingénieur ni le pataphysicien n'eussent évidemment renié.

     

    Dans cette fiction, je retiens la jubilation de son auteur au simple niveau des mots et cela est d'autant plus important à mes yeux qu'il entraine souvent son lecteur dans cet univers qu'il a lui-même construit et où il invite chacun à le suivre en lui laissant le soin et la liberté d'apporter à ce qu'il lit sa propre explication. C'est que notre auteur, sous des dehors incongrus, malicieux et décalés jette sur notre société et sur les gens qui la composent un œil réellement critique. Pourquoi, par exemple, la ligne de chemin de fer qui doit traverser l'immense désert d'Exopotamie doit-elle impérativement passer au beau milieu de l'unique hôtel qui s'y trouve? Allez comprendre la différence, s'il y en a une, qu'il y a entre la « ligne de foi » et la ligne de chemin de fer, mais admettez quand même qu'elles sont sans doute complémentaires et que leur rencontre [travail humain et matériel contre pensées profondes] sont parfois à l'origine de catastrophes qu'on pourrait éviter!

     

    Absurde ou dérisoire, la réponse appartient à chacun mais n'est pas sans rappeler [déjà] les décisions prises par d'autres et qui gèrent notre quotidien. Ce qui fait que Vian est proche de son lecteur, ce n'est pas qu'il parle comme lui, au contraire, mais c'est qu'il l'étonne, qu'il l'entraine dans un microcosme qu'il doit connaître déjà puisqu'il y entre de plain pied , qu'il y a déjà ses marques et où il se reconnaît. Et puis, cultiver le dérisoire dans un monde sérieux est plutôt salutaire!

     

    Il ne faudrait pas oublier que le monde de Vian est romanesque et même s'il ne peut s'empêcher de régler quelques comptes personnels, il y parle d'amour et de mort, comme dans tous les romans. La femme qui inspire le sentiment amoureux présente plusieurs visages évocateurs[Rochelle, Lavande, Cuivre...], et comme dans la vraie vie, les amours sont souvent malheureuses. Certaines sont liées à la mort, comme celle de Choé dans « l'écume des Jours » que le professeur Mangemanche ne peut oublier parce que, sans doute, les héros de Vian s'usaient à vivre, comme si la vie était une maladie qu'on soigne difficilement, qui mange inexorablement nos jours et nous fait souffrir...

     

    Il ne faut pas rester au seul niveau des mots, au jeu sur les phrases, aux calembours humoristiques qui peuvent résulter d'une lecture en surface, « l'automne à Pékin », comme « l'écume des jours » sont des œuvres qui empruntent beaucoup à l'angoisse, au mal de vivre qui nous visitent tous un jour ou l'autre.

     

    Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou m'en féliciter, mais je souscris pleinement à la remarque de Raymond Queneau «  L'automne à Pékin est une œuvre difficile et méconnue ».

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • PARFUM DE FEMME - film de Dino RISI (1974).

     

    N°350– Juillet 2009.

    PARFUM DE FEMME – film de Dino RISI (1974).

    Mercredi 8 juillet 2009 – Cinéma Classic.

     

    L'histoire de ce film, devenu un classique, est connue. Fausto, un ancien capitaine de cavalerie devenu aveugle et manchot à la suite de la malencontreuse manipulation d'une grenade, n'a jamais cessé d'être un grand amateur de femmes. Il refuse son infirmité, la cache sous une agressivité constante et ne devine plus la présence des femmes qu'à la fragrance de leur parfum. Il doit se rendre à Naples et Giovanni [rebaptisé par lui et un peu par dérision Chichio], un jeune militaire du contingent, est chargé de l'accompagner et de le guider jusqu'à sa destination. Le jeune homme est certes impressionné par son supérieur, non seulement par l'argent qui dépense et gaspille mais par la comédie qu'il joue pour masquer aux autres et peut-être à lui-même ce handicap qui pourrit sa vie. C'est vrai qu'il est en constante opposition aux autres, à sa vieille tante chez qui il vit et trouve dans ce jeune soldat un bouc émissaire idéal sur qui il va reporter toute cette violence contenue faite d'insultes et parfois de coups... qui, au départ il file doux mais finit rapidement par se rebeller, à sa façon. Il découvre dans ses affaires une photo de femme et un pistolet, deux choses qui, pour un aveugle, sont parfaitement inutiles.

     

    C'est qu'il a un rendez-vous mystérieux à Naples pour abattre un homme, ainsi qu'il le révèle au jeune homme incrédule. On le retrouve dans cette ville, chez Vincenzo, un lieutenant, aveugle lui aussi, et il y retrouve Sara, une jeune fille qui a toujours été amoureuse de lui. On sent bien qu'il la désire puisqu'il ne peut résister à une femme, mais la repousse cependant. Il y a dans leurs relations une sorte de résumé en filigranes de sa vie devenue insupportable, puisqu'il se considère lui-même, et malgré l'image qu'il veut donner de lui, comme un homme fini, une véritable épave! Il est à la fois drôle et cruel!

     

    Il festoie avec Vincenzo dont on suppose qu'il est l'ami, mais c'est en fait lui qu'il est venu tuer pour une raison obscure, mais le manque.

     

    J'avoue que j'aime beaucoup le cinéma italien de cette époque, ce personnage en particulier, à la fois homme et monstre, qui le sait, qui est sans demi-mesure, qui refuse l'aide et l'amour authentique que lui offre Sara, lui préfère, mais en apparence seulement, la jouissance qu'il peut trouver en compagnie des autres femmes [« Le sexe, les cuisses, de belles fesses : voilà la seule religion, la seule idée politique, la vraie patrie de l'homme »], qui joue ce rôle suicidaire presque jusqu'à la fin, mais finira par accepter le bras de cette femme qui ne voit que lui et sans doute par s'appuyer définitivement sur elle parce qu'il comprend sans doute tout l'aspect délirant du personnage qu'il s'est lui-même crée, parce qu'il ne peut jouer jusqu'au bout ce jeu de la solitude qui va le précipiter dans la mort. C'est que Fausto est devenu solitaire, marginal du fait de son état. Il sait que cela est définitif et débouchera forcément sur le néant, mais il tente, une dernière fois fois peut-être, de se jeter dans l'alcool et le plaisir, mais cela semble être sans issue. Il croît à peine un prêtre de ses amis qui lui affirme que le salut de son âme passe par cette infirmité quotidienne.

     

    Il me semble que le parcours qu'il réalise en train de Turin où il habite à Naples en passant par Gênes et Rome [deux villes que tout oppose], en compagnie de Gioanni, est allégorique et préfigure celui qui va lui faire admettre que Sara et l'amour authentique qu'elle lui porte, sont sa seule planche de salut en ce monde et qu'il n'y en a pas d'autre. A la fin, il s'en remet à elle, et à elle seule, pour cheminer dans une nature hostile dans laquelle il ne pourra se débrouiller seul. C'est un peu comme s'il acceptait enfin ce qu'il avait toujours refusé jusqu'à présent, la pitié!

     

    Il y a dans ce film une émotion réelle, une violence, une douceur et un réalisme qui ne peuvent me laisser indifférent, le tout servi par un jeu d'acteurs exceptionnels, Victorio Gassman, évidemment, mais aussi Allsendro Momo [Giovanni] et Agostina Belli[Sara].

     

     

     

     

     

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    Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

    Hervé GAUTIER – Juillet 2009.

  • L'EAU GRISE - François NOURISSIER

     

    N°349– Juillet 2009.

    L'EAU GRISE – François NOURISSIER – GALLIMARD.

     

    Je relis rarement un roman je ne saurais dire pourquoi, peut-être par crainte de ne pas retrouver , lors d'une nouvelle lecture, le plaisir que la découverte m'avait donné. Pourtant, j'ai fait une exception pour « l'eau grise » que j'avais lu il y a quelques années et qui m'avait inspiré quelques pages.

     

    Il s'agit un roman de jeunesse, écrit en 1950 par François Nourissier et publié à l'époque chez Plon. L'auteur avait « entre vingt deux et vingt quatre ans, [était]un bon jeune homme, marié tôt, chrétien, père d'un garçon né deux mois avant que ne parût ce roman... » Dans l'édition de Gallimard, publiée en 1986, l'auteur fait précédé ce texte d'une longue préface où il évoque ce premier livre, sa vie d'alors, le début de ce qui sera sa long parcours littéraire... Comme il s'agissait d'un livre sur le mariage, dont le titre avait été emprunté à une citation de Jacques Chardonne, il le lui fit tout naturellement parvenir. Cela lui ouvrit certes les portes d'une carrière mais le catalogua comme un homme de droite alors que ses aspirations le menaient plus volontiers de l'autre côté de l'échiquier politique. L'itinéraire de l'auteur d' « Epithalame » passait aussi par la Libération et l'occupation allemande.

    Dans ce long préambule, il fait donc le point sur ses lectures, ses inévitables influences littéraires, son itinéraire personnel. Il indique aussi qu'il se livra, lors de la publication chez Gallimard, à une relecture de ce premier roman avec un œil nécessairement critique [ ma relecture à moi trouve peut-être sa raison dans ses confidences à lui ?] de la part du notable des Lettres qu'il était devenu. Trente cinq ans séparaient ces deux publications, ce qui laisse le champ libre à l'examen, mais aussi à l'introspection, le chemin parcouru, les résultats, la place dans la société et parmi ses pairs, les avis inévitablement formulés, ceux des thuriféraires comme ceux des critiques malveillants. De tout cela que restait-il et qu'est-ce que l'avenir lui réservait?

     

    Il s'agit bien d'un livre sur le mariage. Un homme [Philippe], une femme [Élisabeth], mariés tôt comme cela se faisait dans l'immédiat après-guerre, avec tous les fantasmes qui s'attachaient à cette union, mais que tout sépare malgré le destin [ou le hasard] qui les a unis, s'abîment petit à petit dans un quotidien matrimonial ou chaque geste devient banal et déprimant. L'amour, qui a sans doute existé entre eux, s'est peu à peu dissout dans le subtil acide des habitudes, et l'usure des choses [l'écume des jours aurait dit Boris Vian] a fini par avoir raison des certitudes les mieux établies, menant Philippe à cette évidence désormais inéluctable qu'Élisabeth et lui «  n'avaient plus partie liée, qu'ils n'avaient jamais eu partie liée, qu'ils n'étaient plus que des étrangers ».C'est donc un mariage sans passion qui réunit ces deux êtres qui maintenant se débattent dans cette « eau grise » où le lit est commun mais les rêves différents, les aspirations aussi! Et l'auteur de confier «  la nuit de l'homme et de la femme s'accomplit...Jusqu'au plus profond des jours, les vérités secrètes de la nuit porteront cependant leur fermentation. Élisabeth et Philippe, peureux, les dénonceront comme des mensonges, pour mieux les exorciser ».

     

    Dès lors le décor est planté et l'absence d'enfant favorise peut-être entre eux la venue d'un troisième personnage, Gésa, plus âgé et étranger, ce qui suffit à lui conférer une sorte d'aura aux yeux d'Élisabeth. Et Philippe, face à cette situation nouvelle semble laisser faire «  Élisabeth pouvait bien cesser de l'aimer, aimer Gésa, se donner à lui et le suivre, Philippe ne s'interposerait pas entre cette nouvelle femme et l'ancienne Élisabeth ». Pourtant, il cogite, constate combien les choses ont pu changer sans qu'il s'en aperçoive, à cause de lui peut-être? Il n'est plus le maître du jeu comme il le pensait, refuse cependant l'évidence, n'envisage pas que sa femme puisse le tromper puisque lui-même s'en juge incapable, se cabre sur des idées qui pour lui sont définitives et qui ont nom fidélité,amour, vertu, stabilité du mariage mais aussi hypocrisie, conventions sociales, apparences ... autant d'équilibres que vient compromettre la présence de Gésa! Autrement dit, il refuse la réalité en se jouant une comédie d'autant plus dérisoire qu'elle débouche sur le vide de la jalousie.

     

    Le suicide manqué de Gésa semble devoir révéler à Philippe toute l'intrigue de ce drame matrimonial, mais lui y fait figure de victime consentante, incapable et peut-être non désireux de voir la vérité en face «  Se trompait-il? Était-il trompé? Philippe n'en savait rien et pensait que c'était bien ainsi. Il aimait accepter. Il aimait que la vie accomplît ses promesses , sans nulle extravagance ».

     

    Je trouve  l'analyse de la vie de couple bien menée. Même si dans les années 50 on accordait au mariage des mystères et surtout des vertus de longévité et de solidité qui étaient censées le faire résister aux plus fortes tempêtes, même si, à l'époque c'était plutôt au mari qu'on attribuait la faculté de tromper son conjoint et non le contraire. Ainsi, malgré les nombreuses années qui se sont écoulées, le changement des mentalités, des usages et du mode de vie, ce texte n'a pas vieilli. L'analyse qui y est faite du mariage et de la vie commune entre époux me paraît bien actuelle, pertinente et même un peu désabusée, même si elle peut, encore aujourd'hui paraître quelque peu anachronique chez un écrivain de vingt ans.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE GARDIEN DES RUINES - François Nourissier

     

     

    N°142

    Janvier 1993

     

     

     

    LE GARDIEN DES RUINES – François Nourissier – Editions Grasset.

     

     

    Lire un roman de François Nourissier est toujours pour moi un moment fort. Il est, en effet, l’un des rares auteurs que je choisis sur son seul nom plutôt que sur le titre d’un ouvrage. Comme d’habitude, je n’ai pas été déçu.

     

    Par l’histoire, tout d’abord, celle d’Albin Fargeau, médecin généraliste à Paris dont l’auteur relate le quotidien. Ce récit est l’occasion de revenir en arrière, de revoir sa vie, ses amours éphémères, ses rencontres, sa guerre, de l’oflag en 1940 à la Libération de Paris, ses fiançailles, hésitantes et timides avec Clémence, son mariage conventionnel avec elle, sa vie ordinaire et son couple raté, son fils à côté de qui il est perpétuellement passé, sa liaison mièvre avec Véra, sa maîtresse, ses rares passades, sa belle-famille qui ne l’a jamais vraiment adopté…

    C’est aussi, pour Nourissier, l’occasion d’évoquer des personnages hauts en couleurs : Henri Fargeau, Les Goult de Juzy, Vergadin et combien d’autres …

     

    Pourtant, malgré son côté velléitaire, indolent et conventionnel, Albin Fargeau est un personnage attachant, peut-être parce qu’il est perpétuellement floué, jusqu’à la complicité. Nous le voyons évoluer de 1939 à 1990 et la petite histoire se frotte à la grande. C’est un peu comme si Albin Fargeau, l’air de rien, nous livrait lui-même ses secrets, ses fantasmes, les valeurs traditionnelles auxquelles il est attaché…

    Mais, rapidement, il vieillit, perd de la vitesse, se laisse facilement(trop peut-être ?) rattraper par un siècle qui marche plus vite que lui.

    Après la mort de sa femme, la séparation d’avec sa maîtresse et l’ultime tentative de rencontre avec son fils unique, il choisit lui-même de se retirer à Maussade, dans une maison de retraite. Lui qui rêvait de ressembler à ses grands modèles passera pour « le gardien de quelques ruines qu’il tente de faire visiter . »

     

    Ce qui m’intéresse chez Nourissier, c’est qu’il traite de thèmes qui lui sont chers : l’incompréhension entre père et fils, mais surtout une réflexion toujours renouvelée sur le mariage. Il gratifie à cette occasion son lecteurs de formules lapidaires (presque des apophtegmes) qui méritent réflexion : « Ce n’est pas le silence qui préserve les couples, c’est la sourde oreille. » « Les couples tiennent par politesse, comme les vieilles coques de bateaux par la peinture. »

    Il glisse entre les lèves de ses personnages quelques aphorismes bien sentis sur la condition humaine : « Tous les destins avec le temps rapetissent. ». « A quoi ça tient un homme? A presque rien : Quelques silence, quelques hontes ravalées, quelques comédies. Tout cela tient debout par miracle. Tu fous le pied dedans, le bonhomme s’effondre. »

     

    Il prête à Albin Fargeau (A moins qu’il ne laisse aller sa plume pour son propre compte ?) des analyses politiques et historiques tranchantes : « En 38… En 40 …En 54…En 62 … nous sommes de terribles plaqueurs. ». « Sans la foi, le folklore réactionnaire n’est que dandysme et simagrées ». « Des politiciens en France, ça doit baiser, l’électeur aime cela »…

    Il n’oublie pas non plus la condition humaine : « Le suicide est au bout de toute réflexion un peu sérieuse sur la maladie ». « La vielle peur laisse un répit, sur le tard, aux amers et aux vaincus . »

     

    En fait, à l’occasion de cette incursion dans les secrets de l’âme et de la parentèle de Fargeau, le lecteur attentif assiste à cette tranche de vie qui s’écoule, non vers la mort de l’intéressé, mais, le mal-vivre aidant, vers la déchéance et l’indifférence à sa propre vie. « Je suis devenu le gardien d’un musée que nul ne veut plus visiter. Je fais de la retape à la porte de l’indifférence générale ».

    L’envie de vivre va même jusqu’à disparaître : « Le désir s’arrête comme le vent, la pluie, comme une source s’arrête de couler. ».Il fut, un temps, tenté de jouer encore cette comédie qu’est l’existence, mais la pensée (l’envie ?) de l’autodestruction l’a effleuré : « Si Clémence meurt, je serai libre de me détruire sans scrupules ».

     

    J’ai lu ce roman comme le récit d’un homme qui jette sur cette vie qui fut la sienne et qui ne l’a jamais vraiment passionné, le regard d’un philosophe désabusé, d’un homme qui a voulu « sauver les apparences », quelqu’un qui est ici-bas de passage et le sait, mais aussi quelqu’un qui est las parce qu’il est seul et que toute sa vie n’a été qu’une solitude grise tout juste émaillée de quelques timides coups de soleil.

     

    Si j’ai aimé ce roman (et aussi beaucoup d‘autres du même auteur), c’est aussi pour la qualité du texte, et pour l’usage juste et précis de notre belle langue française. Ils ne sont pas si nombreux, les écrivains actuellement publiés qui peuvent se targuer d’être les gardiens de notre langage ? Son humour n’a d’égal que sa faconde, et quand il décrit un paysage, c’est un plaisir… Il tient jusqu’au bout son lecteur en haleine.

     

    © Hervé GAUTIER.

     

  • EXPOSITION EXCEPTIONNELLE AU MUSÉE DU DONJON DE NIORT.

     

    N°348– Juillet 2009

    EXPOSITION EXCEPTIONNELLE AU MUSÉE DU DONJON DE NIORT.

    [Vernissage du mardi 30/6/2009 – Exposition Juillet-Août 2009]

    Renseignements 05 49 78 72 04 – musees@agglo-niort.fr

     

    Je ne pouvais laisser passer un tel événement, dans une ville où l'intérêt du plus grand nombre ne va pas naturellement vers la culture, sans en porter témoignage.

     

    C'est que le patrimoine niortais vient de s'enrichir de 48 tableaux et dessins de maîtres actuellement exposés au musée du Donjon. Il s'agit d'œuvres de Miro, de Raoul Dufy, de Marie Laurencin, de Suzanne Valadon, de Léonard Foujita, Georges Mathieu, d'Aristide Caillaud, de Jean Claude Chauray...

     

    Cela n'a été rendu possible que grâce à une donation de Mme Jeanne Christine Ouvrard [1926-2008], récemment décédée. Elle avait, tout au long de sa vie et grâce à sa fortune personnelle, constitué une collection d'œuvres d'art, qu'elle avait décidé de léguer, à sa mort, et eu égard à ses attaches poitevines, à la ville de Niort. Elle était d'ailleurs cousine avec le comédien Jean Richard, lui-même niortais.

    Mais il a aussi fallu aussi un autre miracle, celui de la rencontre de la vielle dame avec Daniel Courant, actuel Conservateur Adjoint du musée d'Agesci à Niort à qui nous devons d'avoir finalisé cette donation. Cela n'a pas été simple, demanda pas mal de temps, connut de nombreux rebondissements et même quelques périodes de découragement, mais le résultat est là, maintenant sous nos yeux. Elle avait cependant assorti ce legs d'une condition, que ces œuvres soient effectivement mises en valeur et ne terminent pas dans d'obscures réserves. C'est non seulement le cas dès maintenant, et quand cette exposition quittera le Donjon, c'est à dire à la fin de l'été, elle trouvera tout naturellement sa place dans notre beau musée Bernard d'Agesci.

     

    Parmi ces œuvres figurent quelques toiles du peintre russe Abraham Mintchine [Kiev 1898- Paris 1931] pour qui elle s'enthousiasma. Celui qu'on appela « l'ange perdu du Montparnasse », membre de l'École de Paris, et dont « la peinture s'exalte dans les rouges qui semblent être de rubis, du sang coagulé, des velours lacérés, des cerises piétinées ou bien des couchers de soleil » [selon le mot de Giovani Testori], fut un artiste extrêmement prolifique. Il connut quand même, à la fin de sa courte vie, la reconnaissance, ne vécut que 5 ans en France mais « sa peinture demeure comme un cri sorti de l'âme, un cri déchirant, à la fois slave, juif et éternel, une association active entre la poésie, la peinture, et le rêve de Mintchine qui trouve aujourd'hui le juste écho au plus profond de nous même. »[Sylvie Buisson-Juin 2000].

     

    Il fit l'objet de nombreux articles. On peut notamment lire sous la plume de Giovani Testori [1981]«  Si le génie désespéré de Soutine déflagra dans un ciel parisien comme un hurlement pour rejoindre des sommets que bien peu égalèrent, il conviendra bien d'écrire que, sur le versant d'un déchirement pour ainsi dire serein, Mintchine, sur plus d'une toile, le dépassa. ». Boris Poplavski notait, dès 1931 « Tout chez lui vit, bouge, respire, comme s'il libérait tous les esprits et tous les anges enfermés dans les objets.».

    En janvier 1930, la galerie Zak organisa une grande exposition consacrée aux peintres russes où Mintchine eut évidemment sa place. La revue Tchisla, créée cette même année et qui accorda une large place aux manifestations de l'école de Paris, salua le talent de Mintchine qui mourut, le 25 avril 1931 d'une rupture d'anévrisme. Au Salon des Indépendants de l'année suivante, figurèrent dix toiles du peintre disparu ainsi que dans l'exposition consacrée au « Visage humain » organisée par Tchisla. Dans l'article qu'il donna à cette revue, le critique Maximilien Gauthier nota « Même dans ses toiles les moins fantastiques, il parvient à créer une atmosphère qui amène à méditer sur les mystères qui nous entourent » n'hésitant pas à prophétiser « Dans l'histoire de l'École de Paris, le nom de Mintchine devra figurer aux côtés de ceux de Modigliani, Chagall et Soutine ».

     

    Giovani Testori, dans le Corriere della Serra [1981] célébrait le talent de Mintchine en ces termes «  Que celui qui aime la peinture aille donc voir de quels miracles fut capable notre « errant »[j'ai plus d'une fois appelé de cette manière les exilés russes réfugiés à Paris]. Une stupéfaction qui ne cessera jamais de croître et de s'élargir, l'arrêtera devant ses toiles, grandes et petites, comme si finalement quelqu'un lui récapitulait en face la puissance miraculeuse d'une peinture qui ne demande rien à elle-même, sinon de révéler sa propre entité qui est précisément ce battement, cet or, cette étendue inoubliable, cette lumière exaltante ».

    Mme Hélène Ménégaldo, Professeur de littérature russe à l'université de Poitiers, présente à ce vernissage niortais, a retracé l'itinéraire de ce peintre d'exception.

     

    Actuellement la galerie Di Veroli [Paris 8°] s'est spécialisée dans l'œuvre de ce peintre qu'elle a largement contribué à faire connaître. Massimo Di Veroli, son directeur, qui était également présent lors du vernissage niortais, organise régulièrement des expositions et réalise activement la catalogage de ses œuvres qui, par ailleurs sont conservées dans les musées du monde entier [France, Italie, Suisse, Russie, États-Unis, Israël...].

     

    Cette rencontre fut personnellement une révélation pleine d'émotions et assurément une invitation à davantage de découvertes.

     

    Je suis en outre très heureux de savoir que le musée de Niort devient désormais, eu égard à l'importance de cette donation, un centre européen de référence pour l'œuvre de Mintchine.

     

     

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    Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

    Hervé GAUTIER – Juillet 2009.

  • DIALOGUE AVEC MON JARDINIER - Comédie dramatique de Jean Becker

     

    N°347– Juin 2009

    DIALOGUE AVEC MON JARDINIER – Comédie dramatique de Jean Becker – Mardi 23/6/2009 – Cinéma Premier..

     

    Ce film, un peu perdu dans une programmation tardive, aurait pu passer inaperçu. Il a pourtant retenu mon attention.

     

    Le titre un peu banal n'a pourtant rien d'original. De quoi s'agit-il? C'est la rencontre fortuite de deux anciens camarades d'école qui s'étaient perdus de vue, l'un, incarné par Daniel Auteuil, fils d'un notable, devenu lui-même artiste-peintre connu et reconnu, qui revient dans la maison de son enfance parce que la séparation d'avec sa femme va bientôt déboucher sur un divorce qu'il refuse mais qui devient de jour en jour plus incontournable, l'autre, incarné par Jean Pierre Darroussin, fils d'ouvrier devenu cheminot par nécessité, qui occupe sa récente retraite en faisant son jardin. Rien que de très banal au départ.

    Ils vont se reconnaître et l'ancien cheminot va proposer ses services à ce camarade pour aménager son jardin en friche depuis bien longtemps.

     

    Tout oppose ces deux hommes : leur parcours, l'un a refusé de reprendre la pharmacie paternelle pour devenir artiste et l'autre opte, pour un emploi aux Chemins de Fer, mais comme poseur de voies, c'est à dire le métier le plus dur et le plus mal payé. Il y mène une carrière obscure et difficile, mais son métier c'est toute sa vie. Il a toujours vécu en HLM alors que son camarade a acquit des biens immobiliers en rapport avec sa situation.

    Il ya aussi les femmes, en arrière plan. L'ancien cheminot parle de son épouse comme d'une icône, lointaine et respectable, une perception un peu décalée et hors du temps quand l'artiste, davantage dans son époque, opte pour des mœurs libérées. L'un est amoureux de son épouse et l'autre la quitte, certes à regrets, mais s'avoue incapable, malgré sa qualité de peintre, de se souvenir de la couleur de ses yeux! L'un respecte les femmes et l'autre y voit, malgré son âge, une quête de plaisir.

    L'un va toujours en vacances au même endroit depuis des années et l'autre voyage au gré de ses expositions. L'un cite Bonnard, parle de la couleur, de la lumière quand l'autre lui répond « calendrier des Postes, Chromos ou tapisserie de supermarché ».

    L'un se bat pour la vie et l'autre choisit de s'empoisonner avec des paradis artificiels. L'un n'a qu'un vélomoteur et n'a toute sa vie été qu'un ouvrier quand l'autre est habitué aux vernissages et aux encombrements de la capitale...

     

    Pourtant, ce film est pleins de sensibilité. Il va se tisser au fil de ces rencontres et de ces dialogues une complicité entre ces deux hommes au point qu'ils ne vont plus s'appeler par un pseudonyme choisi par eux et qui évoque leurs fonctions [Dujardin et Dupinceau] et le mode de vie de l'artiste va être complètement transformé par l'ancien ouvrier qui va même, à la fin, influencer son style malgré ses manières un peu frustres.

     

    Et puis il y a la mort, abordée ici tantôt sur le mode humoristique tantôt sur le mode tragique. Elle finira par avoir raison de l'ancien cheminot qui l'a pourtant plusieurs fois repoussée et qui, comme un ultime hommage lui demande de peindre quelque chose qui lui ressemble. Ce sera le style de son ami pour l'avenir, à la fois différent de ce qu'il faisait avant et surtout à cent lieues de ce que le snobisme consacre en matière d'art [j'ai toujours été personnellement plus curieux des commentaires critiques sur l'art moderne que de cet art lui-même. Trouver les mots pour expliquer ce qui ne tombe pas sous le sens commun m'a toujours paru un exploit bien plus intéressant que l'acte de création lui-même, surtout quand je ne le comprends pas]. Je vois dans cette démarche non seulement une évolution créatrice intéressante d'un artiste qui se remet en question et accepte de faire évoluer sa démarche vers davantage de sincérité et de simplicité mais surtout une sorte d'acte de mémoire envers cet homme attachant par son authenticité.

     

    Ce fut donc un bon moment et ce film aurait mérité une programmation plus en vue dans la soirée.

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2009.

  • TRAITE D'ATHÉOLOGIE - Michel ONFRAY

     

    TRAITE D'ATHÉOLOGIE – Michel ONFRAY - GRASSET.

     

    J'ai beau tenter de m'abstraire de ce christianisme qui a quelque peu bouleversé mon enfance, il continue de répandre ses méfaits dans notre société qui, même si elle ne veut pas l'avouer, garde une profonde empreinte judéo-chrétienne. L'ouvrage d'Onfray, aussi savant que polémique, bien écrit avec humour, documenté, pertinent et impertinent parfois, était donc pour moi l'occasion de faire le point sur ce qui restait de mes croyances intimes, nourries d'ailleurs par une littérature humaniste. Je l'ai donc lu avec attention, y cherchant, le cas échéant, une justification de mes certitudes ou de mes abandons.

     

    Il s'agit donc de parler de la présence de dieu, sous quelque forme que ce soit, dans notre société. Veut-on l'en chasser, il finit toujours par revenir. C'est que les hommes, mortels par essence, occultent, à tout le moins en occident, cette issue normale de la vie qu'est la mort. Il en résulte une peur exploitée savamment par les tenants de toutes les religions, qui, sous forme d'un nécessaire salut dans un au-delà qu'ils affirment réel, se croient autorisés à peser sur notre vie terrestre qui n'est que transitoire. Pour cela, ils nient l'intelligence, la pensée, la réflexion, édictent tabous et interdits, des règles morales dont le respect serait le sésame pour l'accès à ce paradis... Sans quoi, ce sont les feux de l'enfer qui nous attendent, pour l'éternité![une autre peur]! Ainsi assiste-on au retour du religieux dans notre vie et avec lui toute une série de négations, dont celle du corps, celui de la femme [nécessairement inférieure à l'homme par essence] en particulier, de la jouissance qu'il procure et qui serait un obstacle dans ce parcours obligatoire vers dieu. Il convient donc, pour le combattre, d'adopter une attitude hédoniste où l'esthétisme tient une grande place. Pourquoi pas?

     

    De plus, l'homme a besoin de se sentir protégé. Quoi de plus normal que d'inventer une divinité qui jouera ce rôle? A cela, l'auteur oppose une définition de l'athéisme, démystifiant les monothéismes chrétien, juif ou musulman, démontant cette fiction de dieu, en en « déconstruisant » l'idée, sans cependant privilégier le nihilisme, simplement parce l'empreinte religieuse est présente jusque dans notre pensée et dans nos réactions. Que ces religions, qui ne sont finalement que des entreprises humaines, soient néfastes, je veux bien l'admettre, l'histoire est là pour nous en apporter une preuve surabondante [leurs déviances ne sont depuis longtemps plus à démontrer], et ne pas croire en ces religions reviendrait à ne pas croire en dieu, à être athée! Mais qu'en est-il de dieu puisque l'auteur entend nous montrer qu'il n'existe pas, ou qu'il serait mort? Lui aussi serait une création humaine liée à tous nos fantasmes et d'autant plus « crédible » qu'il est immatériel et donc au nom de qui ses représentants peuvent facilement parler! Cela je veux bien le croire. D'ailleurs l'auteur en appelle à des auteurs incontestés pour étayer son discours. Il démontre d'une manière surabondante que Jésus n'a pas existé en tant que personne physique unique, pointe du doigt des contradictions historiques flagrantes, indique que ses apôtres n'ont guère été les témoins de son existence humaine, que la chrétienté se réfère à la Vulgate, rejetant délibérément les écrits apocryphes, que St Paul n'était pas autre chose qu'un ignare frustré, que la chrétienté à fait beaucoup de ravages [et continue à en faire]au nom d'un Évangile dont elle a oublié le message de paix et d'amour, en s'alliant notamment avec tous les pouvoirs terrestres, que la littérature monothéiste est dogmatique, assez approximative et finalement fortement sujette à caution. Bref que tout cela n'est qu'une joyeuse compilation de textes disparates, incohérents, contradictoires et sans grande unité mais que les religions qui s'y réfèrent prennent pour unique boussole et dont chacun s'arrange à sa guise.

     

    Pire peut-être, ces religions qui proclament la paix adorent la guerre et la mort et la justifient bien souvent, sans souci de la contradiction... et les fidèles suivent aveuglément sans mettre en doute cet enseignement! Et il ne réserve pas seulement ses remarques et critiques au seul christianisme, il y associe Judaïsme et islam qui, à se yeux, ne valent pas mieux sur le plan de l'enseignement.

     

    Face à ce déferlement de démonstrations et de vérités, l'auteur milite pour une laïcité post-chrétienne... mais il avertit, elle s'appuie aussi sur l'éthique judéo-chrétienne et ne cherche à en modifier que la forme, l'aspect visible. La pensée laïque conserve un fond de christianisme, il faut donc la dépasser. L'égalité prônée par la république ne serait pas suffisante et peut-être même néfaste en ce qu'elle invite au relativisme qui uniformise tout. Selon l'auteur, il faut « promouvoir une laïcité post-chrétienne, à savoir athée, militante et radicalement opposée à tout choix de société entre le judéo-christianisme occidental et l'islam qui le combat » et de conclure «  Aux rabbins, aux prêtres, aux imams, ayatollahs et autres mollahs, je persiste à préférer le philosophe ».

     

    Cette invitation à ne plus croire en dieu m'intéressait d'emblée, cela me paraissait un thème de réflexion parfaitement humain. L'étude documentée des trois religions monothéistes m'a paru convaincante, encore qu'appliquée au raisonnement logique, leur discours toujours prosélyte ne résiste pas bien longtemps. Cependant la préférence donnée à la philosophie, comme remplacement efficace à des croyances aussi brillamment combattues ne me convainc pas davantage. Je dois cependant noter qu'elle a au moins l'avantage de ne pas jouer sur l'existence d'un monde après la mort et de fonder son enseignement sur cette hypothèse.

     

    Ce livre ne fera de moi ni un athée convaincu ni [ sûrement pas] un chrétien militant!

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • DÉSOBÉIR : Aristide de Sousa Mendes

     

    N°345– Juin 2009

    DÉSOBÉIR : Aristide de Sousa Mendes – Téléfilm de Joël Santoni - France 2 vendredi 12 juin 2009 – 20H35.

     

    La sélection du programme pour une soirée de télévision du vendredi soir se fait souvent au hasard. C'est vrai qu'il fait partie de notre vie beaucoup plus que nous voulons bien l'admettre, mais c'est là un autre débat. Me voilà donc devant mon écran avec le choix entre des émission de variété plus ou moins enthousiasmantes, des séries télévisées et des débats...Le hasard a décidé pour moi. Heureusement!

     

    « Désobéir ». Le titre lui-même est tout un programme. Ce mot évoque à la fois des relents d'enfance et de tentations d'adultes, mais là, le scénario est différent. L'action d'abord: la France de 1940 face à la défaite militaire, à l'exode des populations civiles, à la perte de ses repères culturels, religieux, civiques, patriotiques, à la peur du nazisme qui déferle sur le sol national et précipite l'Europe dans le chaos. Dans ce genre de circonstances, l'individualisme, l'égoïsme, la lâcheté... ressortent plus forts encore que dans le quotidien ordinaire et chacun est prompt à faire prévaloir son propre intérêt, sa propre survie sur ce qu'en d'autres temps on nomme, avec quelque emphase « l'intérêt général ». Face à ces circonstances exceptionnelles, on fait facilement taire des aspirations auxquelles, en d'autres circonstances peut-être [ou peut-être pas], on aurait prêter une oreille attentive. Après tout l'attention portée à sa propre personne est une cause recevable.

     

    Le personnage ensuite. Aristide de Sousa Mendes, consul de 1° classe du Portugal à Bordeaux campé par Bernard le Coq [décidément omniprésent sur notre petit écran en cette période] est bouleversant de sincérité même si cela, par moment, frise un peu l'angélisme. Il représente son pays, certes dirigé par un dictateur, Salazar, mais neutre au regard du conflit mondial. Du coup, toute la population susceptible d'être exterminée par les nazis [Juifs, républicains espagnols, communistes, réfugiés... Ceux qu'on appelait « les indésirables »], souhaite obtenir un visa pour le Portugal. Devant le consulat de Bordeaux, comme ailleurs en France, on fait la queue pour obtenir ce précieux sésame pour la liberté, pour la vie aussi!

     

    Les sympathies de Salazar pour le nazisme inclinent celui-ci à interdire à sa représentation diplomatique à l'étranger de délivrer ces fameux visas. Le cas de conscience de Mendes de Sousa est simple, au moins dans sa formulation, lui, le chrétien, l'humaniste, mais aussi le haut fonctionnaire, représentant d'un Etat auquel il doit, bien entendu, une obéissance sans réserve, peut-il passer outre la circulaire (circulaire n°14) qui lui enjoint de refuser l'accès de son pays à ces pauvres gens et ainsi de les précipiter dans la mort alors que sa conscience l'oblige à désobéir à des ordres qui ne sont pas certes illégaux, mais immoraux et inhumains? Après tout il est payé pour obéir, pour être loyal... c'est ce que lui rappelle son premier secrétaire [Roger Sousa est convainquant et émouvant dans son rôle de fonctionnaire, fidèle au début, et qui finit par se laisser convaincre par l'humanisme du Consul]. Après tout, il appartient à une grande lignée de l'aristocratie portugaise, il est diplomate, père d'une nombreuse famille aux soins de laquelle il veille jalousement et pourrait faire prévaloir la fidélité à son pays. Il pourrait aussi mettre en sommeil cette morale chrétienne qui lui sert de boussole mais qui, par ailleurs, ne lui provoque aucun état d'âme quand il fréquente une maîtresse qui va lui donner un enfant. Il pourrait parfaitement camper sur cette position assez hypocritement confortable et décider de faire ce à quoi il a dédié sa vie d'agent de l'État et obéir aux ordres sans se poser toutes ces questions que les circonstances font naître.

     

    Ainsi, après une rencontre [peut-être imaginaire] avec un rabbin avec qui il disserte longuement sur le message de paix contenu dans le Talmud et l'Évangile, et après une réflexion personnelle qui fait blanchir prématurément ses cheveux [on imagine ainsi la violente tempête sous ce crâne], il décide pour lui-même, mais aussi pour sa famille [parce qu'après tout il n'engage pas que lui dans cette affaire et on conçoit facilement que Salazar ne restera pas indifférent à cet acte de sédition] d'être en accord avec sa conscience. Pourtant il pouvait légitimement penser que ce dictateur, par l'éducation chrétienne qu'il a reçue, ne pouvait que partager son engagement.

     

    Après avoir délivrer des visas en pleine connaissance de cause, il rentre chez lui , au Portugal, bien décidé à affronter, peut-être un peu trop inconsciemment, la justice de son pays. Il se bat pour faire reconnaître sa bonne foi, rappelle que son attitude ne lui a été inspirée que par l'idéal chrétien dont se recommande aussi Salazar et que, de toute manière, son action était parfaitement conforme à la constitution de son pays. Le dictateur souhaite au contraire que ce procès n'ait qu'un caractère administratif, mettant l'accent sur la seule désobéissance et non pas ce pour quoi il a désobéi. Le jugement rendu prend en compte les aspirations humanistes du Consul et lui est, d'une certaine façon, favorable, mais, c'est oublier que le chef d'un état totalitaire ne peut admettre la désobéissance. Par ordre suprême, Il est donc radié à vie de toute fonction publique, privé de ressources et condamné à une mort à petit feu, lui et sa nombreuse descendance. Il n'est donc plus qu'un fantôme qui attend la mort et qui n'est même pas autorisé, comme il le souhaite, à s'expliquer devant le chef, pour plaider sa cause. Pendant des années il devra supporter des attentes vexatoires dans ces antichambres du palais présidentiel et finira par mourir, abandonné de tous, inconnu, ruiné et oublié. Il faudra attendre le retour laborieux à la démocratie pour que sa mémoire soit réhabilitée. Ce film y contribue heureusement!

     

    Cela n'empêchera pas Salazar, à la fin de la guerre, de se prévaloir de son rôle dans l'accueil des Juifs fuyant le régime nazi, volant ainsi à Mendes de Sousa son engagement humanitaire et chrétien.

     

    Ils furent nombreux ces hommes et ces fonctionnaires, à cette époque notamment, qui ont dû choisir entre ce à quoi les obligeaient leurs fonctions et ce que leur dictait leur cœur et ainsi donner un autre sens à leur « devoir ». Cette chronique [La Feuille Volante n° 323 – Février 2009] s'est fait l'écho de l'hommage rendu à l'un d'entre eux, également oublié de l'histoire décidément un peu trop sélective et parfois même amnésique.

     

    Je trouve plutôt bien que ce soit le Service Public, dont on souhaite apparemment la disparition actuellement, qui soit à l'origine de cette réhabilitation.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SEPT CAVALIERS QUITTERENT LA VILLE AU CREPUSCULE - Jean Raspail

     

    N°229

    Septembre 2000

     

     

    SEPT CAVALIERS QUITTERENT LA VILLE AU CREPUSCULE – Jean Raspail – Editions Robert LAFFONT.

     

     

    Cela commence, l’auteur me le pardonnera sûrement, d’une manière banale « Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule, face au soleil couchant, par la porte de l’ouest qui n’était plus gardée ».

    Et pourtant, cette simple phrase m’a dès l’abord accroché, m’invitant à en savoir davantage et m’a abandonné deux cent pages plus tard à la fois surpris et passionné d’avoir été le témoin de cette chevauchée.

    Dès les premières pages, le décor est planté, un pouvoir vieillissant qui ne tient son autorité que d’un passé révolu. L’auteur la nomme du titre énigmatique de « Margrave héréditaire ». Son ombre plane sur le texte comme plus tard celui de sa fille Myriam après la mort de son père.

    Tout le pays semble désorganisé, ses habitants paraissent avoir fuit un ennemie invisible ou avoir été décimée par quelque mal étrange… Seuls quelques fidèles entourent le souverain. Il fallait donc aller voir la raison de toute cette déchéance. La ville dont ils partent a, comme tout le pays a été prospère, mais il ne reste rien de cette grandeur.

     

    Ce voyage pour le moins étrange conduira la petite troupe vers Sépharée, sorte de poste frontière au nord de cette étendue mal définie, un ailleurs assez indistinct.

     

    Puisqu’il s’agit d’un voyage, il y a donc une géographie, mais cela n’a vraiment qu’une importance secondaire. Elle est nécessairement vaste, presque comme un continent, ravagée par une épidémie inexpliquée ou une invasion dont nous ne devinons les ennemis que presque par hasard.

     

    Des personnages qu’on pourrait appeler « résistants » apparaissent et disparaissent comme des elfes ce qui ajoute à ce textes tourmenté un supplément de mystère

     

    Les personnages que le « Margrave » charge d’aller porter un message dont on se demande si cela a véritablement de l’importance sont aussi énigmatiques que différents.

     

    Il y a là Silve de Pikkenendorf, un colonel-comte major sans armée mais qui commande cette petite troupe, l’évêque Osmond Van Beck, coadjuteur de la ville, sachant à l’occasion manier le pistolet avec vitesse et précision , le lieutenant Richard Trancrède, jeune officier et cavalier fougueux, Le brigadier Vassili, cavalier et homme d’action qui ne connaît pas la peur, Abaï, fin palefrenier et chasseur attentif , le cadet Stanislas Vénier, expert en discipline militaire mais aussi amateur de femmes , le cornette Maxime Bazin du Bourg, artilleur et féru de la poésie de Wilhelm Kostroswitzky , plus connu chez nous sous le nom de Guillaume Apollinaire. Ses vers accompagneront cette armée fantôme. Sa disparition déjà ancienne ajoutera au mystère de cette histoire.

     

    J’ai aimé ce récit conté à travers l’histoire du retard hypothétique d’un train qu’on n’aperçoit qu’à la fin, comme en filigrane, pour rappeler au lecteur qu’il est bien dans un monde où la fiction est reine, mais aussi qu’il n ‘est plus très sûr de ce qu’il vient de lire.

     

    Pourtant, reste le décor, des grands espaces remarquablement évoqués, apocalyptiques parfois et surtout les personnages dont deux seulement atteindront le terme de leur mission. Ils iront soit vers la mort, soit s’arrêteront en chemin , mais au cours de ce voyage initiatique, chacun ira à la rencontre de lui-même.

     

    Telle a donc été ma lecture personnelle de ce livre où la folie à sa place, mêlée à un réalisme parfois criant de vérité et où se mêlent souvenirs et fantasmes.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER

  • VIE SECRETE - Pascal QUIGNARD - Gallimard.

     

    N°344– Juin 2009

    VIE SECRETE – Pascal QUIGNARD – Gallimard.

     

    Pascal Quignard est un écrivain dont j'avais beaucoup entendu parler en termes élogieux. A ce titre, je ne pouvais que m'intéresser à son œuvre.

     

    Comme beaucoup parmi les auteurs dont j'ai ressenti le besoin de parler ici, je dois au hasard d'une bibliothèque publique la rencontre avec ses écrits. Les lecteurs de cette chronique peuvent aisément vérifier ce point.

    Au départ, cela m'a paru un peu déconcertant, le sort ne s'était peut-être pas montré très pertinent! Je ne comprenais pas bien le sens de l'histoire racontée, le style me semblait haché, trop désarticulé parfois, l'érudition de l'universitaire, qu'en d'autre temps il m'est arrivé d'apprécier, s'imposait souvent sans que cela, à mon sens, n'apportât rien à la qualité du récit. Bref, il n'était pas de ces auteurs qui, dès la première ligne, s'emparent de l'intérêt de leur lecteur et ne l'abandonnent qu'à la fin, sans que l'ennui se soit insinué dans ce moment de complicité qui existe entre deux êtres qui ne se connaîtront jamais, mais dont l'un enchante l'autre, dans ce qui sera une relation à jamais secrète. Il était véritablement tout cela, mais, sans que je sache exactement pourquoi, je poursuivais la découverte de cette œuvre, par curiosité sans doute, et bien que je n'ignore rien de sa notoriété, je me demandais à côté de quoi j'avais bien pu passer pour n'être pas entrer dans cet univers. Il était de ces écrivains reconnus dont je continuais, malgré toute ma bonne volonté, à être étranger à sa démarche créatrice. Après tout j'assumais ici ma qualité de simple lecteur.

     

    Le hasard m'a désigné « Vie secrète ». J'y retrouvais ce que j'avais, à tort peut-être, déploré dans les autres ouvrages. Pour le décor, la cote amalfitaine et pour le prétexte, l'amour, les femmes, la passion qu'on éprouvent pour elles. Cela, je pouvais le comprendre et l'admettre. Il y a, certes, la marque de l'universitaire, expliquant les mots, amour en particulier, faisant, comme à chaque fois, montre d'une grande érudition, avec force références à la culture gréco-latine, mais il y a aussi celle de l'expérience, la fascination, sublimées en aphorismes plus ou moins idéalisés, du désir analysé d'une façon peut-être un peu trop intellectuelle, du secret qui doit, selon lui entourer les relations amoureuses...

     

    Pourtant, au fil du récit, tout cela m'a paru un peu trop désexualisé, un peu trop éloigné de l'humain et de la spontanéité. Même la nudité dont il est question et qui est indissociable de l'amour physique me paraît, sous sa plume, être un concept lointain. L'analyse est pertinente, sans doute, travaillée et fouillée, mais je ne suis pas parvenu, encore une fois, à entrer dans sa démarche créatrice. Je suis donc resté à la porte de cet univers, en me disant que j'y demeurerai longtemps encore étranger, et ce d'autant plus que la curiosité qui avait un temps animé ma démarche s'est peu à peu changée en lassitude. En outre, et c'est pour moi important, la lecture de ce texte n'a pas été, ce que j'exige qu'elle soit, un moment de plaisir.

     

    Il reste un sentiment d'inachevé qui me dérange. Il tient probablement beaucoup çà de moi, mais Pascal Quignard reste de ces écrivains que j'ai du mal à comprendre et à apprécier.

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES TABLETTES DE BUIS D'APRONENIA AVITIA - Pascal QUIGNARD

     

    N°343– Juin 2009

    LES TABLETTES DE BUIS D'APRONENIA AVITIA – Pascal QUIGNARD – Gallimard.

     

    Sans trop savoir pourquoi, et bien que l'intérêt n'ait pas vraiment réussi à motiver ma lecture, je poursuis l'exploration de l'œuvre de cet auteur avec un peu de curiosité quand même. Bizarrement elle s'applique davantage aux connaissances érudites de l'auteur qu'à sa démarche littéraire et créatrice elle-même. Ici c'est particulièrement flagrant puisqu'il nous choisit de porter à notre connaissance une somme d'écrits qui n'a rien de littéraire, retrouvés et publiés cependant dans une édition française de 1604, c'est à dire bien longtemps après qu'ils furent rédigés.

     

    Puisqu'il faut bien en passer par là, voilà le thème de ce récit.

    L'auteur commence par une présentation de la vie d'Apronénia. C'est une riche patricienne romaine, née en 343, mariée deux fois, veuve deux fois et qui eut sept enfants qui lui ont survécu. Elle a vécu jusqu'à l'age de 71 ans, est l'auteur de deux sortes de lettres, d'une part les « epistolae » [des lettres] et les « buxi ». Quignard choisit de ne s'intéresser qu'aux buxi qui sont des tablettes de buis sur lesquelles les anciens notaient au jour le jour les événements de leurs vies quotidienne. Apronenia n'en fait pas autre chose et s'en sert elle-même comme une sorte d'éphéméride ou d'agenda sur lequel elle note scrupuleusement ses achats, ses sorties d'argent, son état de santé. En cela, ce n'est pas une œuvre littéraire puisqu'elle se contente de notations personnelles sans aucune connotation créatrice. Nous ne sommes pas non plus en présence du document d'un diariste. Ce n'est même pas une chronique puisqu'elle ne fait aucune mention des événements de son temps puisque l'Empire dans lequel elle vit est en train de s'effondrer sous les coups de barbares et le pouvoir chrétien s'y affirme chaque jour davantage... et pendant que tout se délite autour d'elle, elle confie à ce support qui a plus de chance de passer l'épreuve du temps, son goût pour les richesses [Elle compte souvent les sacs d'or qui semblent constituer les intérêts de son argent], le plaisir qu'elle éprouve à regarder les barques qui flottent sur le Tibre , la vue des esclaves, la consultation des auspices, le nombre de fois qu'elle fait l'amour aux cours de la nuit, un accouchement malheureux...

     

     

    Il s'agit d'une traduction et Quignard est un universitaire érudit. C'est aussi un écrivain heureusement reconnu dont la valeur ne peut être mise en cause. Je m'interroge donc sur la raison pour laquelle il a choisi de commenter des documents si apparemment banals. Je l'imagine mal ne tentant pas de se substituer à cette femme, subtilement bien entendu, en évoquant une capitale de l'Empire en la sublimant. Je remarque qu'aux notes d'Apronénia, si laconiques et bassement quotidiennes se mêlent des écrits à la rédaction plus longue et travaillée où sont évoqués la vie, l'amour, la mort, mais en des termes éminemment plus littéraires. Il y est fait mention des relations entre hommes et femmes, souvent après qu'il ont fait l'amour ensemble [« j'aime le sommeil lourd d'un homme qui a joui »], il y a des allusions au désir, au plaisir, celui que procure le vin, le jeu et aussi et peut-être surtout celui du sexe, l'ennui et la puanteur, tout ce qui fait la vie... Face à cela, il y a l'enthousiasme de l'enfance et le vide et même l'abîme de la vieillesse, le néant de la mort et avec elle l'absence de vie éternelle ainsi que l'enseigne la religion chrétienne qui peu à peu gagne des adeptes.

     

    Il est difficile au lecteur de ne pas voir, derrière l'ombre d'Apronénia, la silhouette de l'auteur lui-même qui heureusement pallie le peu d'intérêt qu'auraient ces annotations anodines.

     

    Je reste, pour ma part, attentif à la démarche créatrice de cet auteur, même si ce que je lis n'emporte pas vraiment un intérêt aussi enthousiaste que ce que mon lecteur a pu constater dans cette chronique à la rencontre de certains autres écrivains.

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Juin 2009.

    Hervé GAUTIER – Juin 2009.

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  • L'ENFANT AU VISAGE COULEUR DE MORT - TERRASSE A ROME - Pascal QUIGNARD .

     

    N°342– Mai 2009

    L'ENFANT AU VISAGE COULEUR DE MORT – Pascal QUIGNARD – Galilée.

     

    C'est une sorte de récit d'un narrateur sans visage et qui évoque des temps reculés...

     

    D'emblée le thème de l'adieu s'impose sous la forme du départ d'un père, une fuite vers l'inconnu, comme une nécessité et avec elle celui de l'attente, de l'espoir d'un hypothétique retour qui se peint sous les traits d'un enfant, une sorte d'adieu à la vie.

    Il est assorti d'un interdit paternel, celui de ne jamais lire de livre, ce qui projette ce enfant dans la solitude d'une haute tour. Bizarrement, ce tabou est transgressé par la complicité de la mère et cet accès à la connaissance répand autour de l'enfant la mort pour tous ceux qui l'approchent parce ses traits ont ce pouvoir mortifère. Cela aggrave sa solitude et il sème le malheur autour de lui.

    L'improbable retour du père, son absence, renvoient au thème de la mort. Celui de l'impossibilité définitive de s 'unir à quelqu'un, à cause sans doute de cette destiné funeste née probablement du l'interdit transgressé.

    La fable se termine avec le thème des couches [de vie?] dont on se défait petit à petit pour accéder à à une autre existence, même si celle-ci débouche, elle-aussi, sur la mort parce qu'elle est le terme inévitable de toute aventure humaine.

    Le visage du fils, transformé par la femme, se change en page d'un livre lumineux et ses yeux se posant sur sa mère la tue également, comme une punition...C'est l'histoire d'une chute définitive!

    Écrivain énigmatique d'un récit qui ne l'est pas moins, ce conte philosophique me semble délivrer un message incertain, en tout cas qui m'échappe.

     

    Pourtant, je continue, sans trop savoir pourquoi, et peut-être sans comprendre, avec ma seule curiosité naturelle, à lire l' œuvre de Pascal Quignard.

     

    TERRASSE A ROME - Pascal QUIGNARD .

     

    Étrange histoire que celle qui nous est contée ici, celle de l'amour contrarié d'un jeune graveur du XVII° siècle, Meaume, qui, victime d'une jalousie, reçoit au visage de l'acide qui le défigure. Ainsi perd-t-il sa belle et doit-il vivre dans l'ombre [« Les hommes désespérés vivent dans les angles »] et dans la fuite, partout en Europe, jusqu'en Italie. Dès lors, seul le souvenir de cette jeune fille demeure dans sa mémoire et devient vite une obsession. Elle va bientôt se résumer à un être immatériel, une image, l'objet d'un désir désormais inassouvi, un rêve.

     

    Avec cette biographie fictive, curieusement hachée dans sa présentation narrative, l'auteur glisse des détails historiques, techniques, des traits d'érudition mais aussi des images érotiques dont il est l'auteur et qui circulent sous le manteau. C'est pour lui l'occasion de parler de la malchance définitive de la laideur, ce qui contraint Meaume à vivre constamment en retrait et même parfois dans l'obscurité. Le chagrin d'amour du début de sa vie, l'impossibilité d'être heureux avec la femme dont il est amoureux, [Bizarrement il doit sa laideur à de l'acide dont il se sert pour exercer son talent de graveur et qui aurait pu lui apporter la fortune et donc l'amour] seront le grand désespoir de la vie de cet homme. Tout se résumerait donc aux apparences qui lui procurent tant de souffrances.

     

    Ce texte non plus ne m'a pas enthousiasmé. Je n'entre décidément pas dans l'univers de cet auteur.

     

    Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • VILLA AMALIA – Pascal QUIGNARD

     

    N°341– Mai 2009

    VILLA AMALIA – Pascal QUIGNARD – Gallimard.

     

    Au début, le titre sonnait bien, cela évoquait pour moi une maison de vacances, le farniente, le soleil, l'océan...

     

    L'histoire commençait bien, elle aussi. Une femme, Anne Hiden (ou Eliane), la cinquantaine, (on l'imagine belle, cultivée), mariée à Thomas, rencontre par hasard, un ami d'enfance, Georges Roehl qui souffre de solitude. Est-ce cette rencontre ou la découverte fortuite de son mari embrassant une autre femme, elle décide de vendre sa maison, ses meubles, de quitter cet homme volage, son travail, d'oublier son passé et, à la suite d'une courte errance destinée surtout à brouiller les pistes, d'aller à la rencontre de l'avenir, en Italie! Elle y tombe amoureuse d'une maison sur la falaise, sur l'île d'Ischia au large de Naples, que Amalia, la propriétaire, accepte de lui louer. Ce n'est qu'un vieille maison de pêcheur, taillée dans la lave du volcan, inhabitée depuis des années, le contraire d'une maison de villégiature. Dans sa quête d'une vie nouvelle, elle tombe un peu amoureuse du médecin, le Docteur Radnitzky, qui l'a soignée pour une mauvaise chute, mais surtout s'attache à sa fille dont elle devient, un peu, une mère de substitution. Las la petite meurt.

     

    Il y a, bien entendu, le thème du hasard qui pèse sur notre vie bien davantage que nous ne voulons l'admettre, celui du changement auquel chaque être aspire mais qu'il redoute. Il y a celui de l'eau, l'océan de Bretagne, l'Yonne de ce petit village énigmatique de Teilly, ou celui de la méditerranée. Il incarne la non-immuabilité des choses, l'envie qu'on a de les faire changer, de changer avec elles, et l'euphorie qu'on ressent à ce saut dans l'inconnu, de la liberté nouvelle qu'il suscite, ce paradis incarné par cette île de la mer Tyrrhénienne . Ses furies destructrices sont aussi un symbole puissant qui n'est pas étranger à ce roman. Changer sa vie au point de ne pas vouloir se retourner, de ne pas pouvoir soi-même se reconnaître, pour expier absurdement une faute qu'on n'a pas commise, parce que l'existence qu'on a eue jusqu'à présent devient soudain sans intérêt. Fuir, pour se prouver qu'on existe, fuir comme on se débarrasse d'une peau devenue soudain vieille et sèche [d'une mue?], parce qu'on a une envie urgente de construire autre chose, parce que l'être qu'on avait choisi et à qui on avait confié sa vie, son amour, s'est soudain, comme une révélation, montré indigne de tout cela, qu'il faut tourner la page d'une manière urgente, parce que la vie n'attend pas et que le temps passe, parce que quelque chose d'autre [une maison] a soudain pris en soi, la place du reste et qu'elle devient le centre du monde.

     

    Le thème de l'enfance retrouvée aussi me parle, celui de la solitude qui persiste malgré les apparences trompeuses. Celui de la mort aussi, et avec elle le chagrin, la douleur et l'absence, le gâchis... Celui de la vieillesse où, plus seul que jamais, on attend la Camarde avec une curiosité mêlée de crainte, se demandant chaque matin si ce jour sera celui du grand saut dans l'inconnu et le néant, avec les regrets, les remords, les souvenirs...

     

    Puis intervient la troisième partie qui m'a intrigué. D'emblée le « je » laisse supposer un narrateur qui tranche (brutalement) sur ce qui précède. En outre, Ann Hidden, qui tout à l'heure, était évoquée à travers son histoire personnelle, se trouve en contact direct avec ce dernier. Puis intervient Juliette qui semble être la compagne du narrateur, le quitte pour vivre avec Ann. Ensemble elles ont une vie de couple amoureux avec, comme en contrejour, la présence épisodique de Léna, puis d'autres, plus fantomatiques comme Amado, Léo, Charles... En plus, il y a le retour de ce père disparu depuis des dizaines d'années et qui choisi de revenir après le décès de la mère d'Ann, des moments fugaces, soulignés par un style épuré, économe en mots, qui évoque les moments-confetti de la vie de cette femme perpétuellement en mouvements, comme s'il ne lui était plus possible, après toutes ces années de certitudes immobiles, de se poser définitivement.

     

    L'histoire m'a intéressé, au moins au début, j'y ai apprécié le thème de la fuite, de la remise en cause des acquis, celui du dépouillement de soi-même qui peut être assimilé à une seconde naissance. En revanche, au fil des pages, malgré quelques descriptions poétiques mais malheureusement trop furtives, malgré aussi l'évocation de la musique, de la naissance de la création artistique, le style haché [qui n'est peut-être pas sans rappeler le thème du dépouillement] s'est révélé, pour moi, ennuyeux, comme une véritable négation du langage , les dialogues bruts, à en être désagréables, parfois trop vagues, parfois trop précis, bizarrement et même inutilement anecdotiques, comme s'il y avait plusieurs moments dans la rédaction, plusieurs mouvements dans le même texte, ont également étouffé l'intérêt du début. Il y a des morceaux de récits, comme jetés au gré des chapitres, que j'ai eu du mal à relier entre eux et qui compliquent la narration sans toutefois l'enrichir.

     

     

     

     

    Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA STRATÉGIE DU BOUFFON - Serge LENTZ- Robert LAFFONT.

     

    N°340– Mai 2009

    LA STRATÉGIE DU BOUFFON – Serge LENTZ- Robert LAFFONT.

     

    Cela pourrait être une histoire banale de celui qui veut réussir à tout prix, ou, à tout le moins, celle de quelqu'un qui est poussé sur ce chemin cahoteux par une mère ambitieuse et riche et qui voit dans son fils l'incarnation de ce qu'elle n'a pas pu faire elle-même. Quoi d'étonnant puisque nous sommes au Moyen-Age, que l'ascension sociale est réservée aux hommes et que pour la réaliser quand on n'est pas d'un haute noblesse, il vaut mieux en passer par l'Église! Nicolas d'Ausone, jeune fils de Marguerite, qui a aussi hérité de sa mère une ambition démesurée, va, bien entendu, marcher dans le jeu maternel, d'autant que notre homme est fort beau, fort brillant, fort débauché, ce qui n'est pas incompatible, surtout à l'époque, pour un homme d'église, et peu regardant sur la manière de parvenir à ses fins. Autant dire machiavélique! Tout cela n'est cependant pas très catholique mais cela lui réussit assez bien puisque le voilà évêque... à l'âge de 23 ans, mais « in partibus infédilium », c'est à dire sans diocèse! Il voit déjà pour lui la pourpre cardinalice et pourquoi pas le trône de Saint Pierre! Las, pour avoir voulu trop vite arriver au sommet, il commet une erreur et choisit de parier sur le mauvais cardinal lors du conclave de 1458. Cette erreur de jugement va lui valoir la réclusion dans un monastère, au milieu de nulle part, dans un coin désolé des Cévennes que sa qualité de SDF [comprenez, « sans diocèse fixe »] le désigne naturellement pour convertir le petit peuple qui en a bien besoin, mais où ni le luxe ni la luxure qu'il affectionne tant n'ont droit de cité. Pour sortir de cette disgrâce et revenir en cour, c'est à dire à Rome, il lui faudra déployer des trésors d'une « stratégie » où le mensonge, la trahison et l'hypocrisie tiennent le haut du pavé. Bouffon, il l'était déjà, à sa manière, mais pour sortir de ce mauvais pas où le destin l'a mené, il va se retrouver dans la situation du funambule de foire, en équilibre sur un fil au-dessus du vide avec le risque de tomber, c'est à dire d'être moqué, mais aussi avec l'opportunité de rebondir, c'est à dire de recommencer en remportant les acclamations de la foule.

     

    A force d'attente, d'expérience et aussi de modération qu'impose l'âge, il finira par retourner la situation en sa faveur et parvenir enfin au but que lui avait fixé sa mère. Rome qui s'était refusée à lui vingt ans plus tôt finit par s'ouvrir à ses desseins!

     

    Il fait, heureusement, la rencontre de deux personnages qui vont l'accompagner, Jean Muret, son serviteur, qui le suit comme son ombre, il est une sorte de témoin privilégié et attentif de ce parcours, un commentateur avisé mais qui sait également faire son chemin, et Marin, pour le moment revêtu de la robe de moine, un peu soldat, un peu médecin cependant, rablaisien assurément, ami de tous les plaisirs terrestres, généreux et charitable, doté d'une belle voix et de beaucoup de charisme qui, tout en gardant son franc-parler et sa vraie personnalité, finira par servir, un peu malgré lui, les ambitions de Nicolas. Ensemble ils pratiquent le jeu d'échecs, ce qui est révélateur de leurs relations!

     

    Ce livre expose des idées contradictoires sur Dieu, celle traditionnelle d'une divinité vengeresse, lointaine et tyrannique qu'on ne sert que dans la crainte, incarnée par la règle des moines de la vallée Borgne et la hiérarchie catholique et celle plus festive et attractive, basée sur la joie de vivre, représentée par Marin. La sainte Église ne sort pas grandie de ce livre.

    Il illustre aussi cette malheureuse idée qu'ont les hommes de vouloir à toutes forces « réussir » dans cette vie, comme si cela était indispensable, et pour cela, sont capables de toutes les vilénies.

     

    Nous connaissons tous le Moyen-Age pour avoir été le théâtre de troubles dont l'Église, quoique que catholique et porteuse de valeurs généreuses, hautement affirmées par ses soins, n'en a pas moins suscité hérésies, schismes, commerce des indulgences, affres de l'inquisition... et volonté de domination sur le peuple! Puissance plus temporelle que jamais, le Vatican suscitait des ambitions humaines qui, pour être satisfaites, entraînaient trahisons et magouilles ce qui n'est pas sans évoquer une constante de la triste condition humaine, rappeler également toutes les époques et rendre donc ce livre très actuel.

     

     

    J'aime bien l'écriture quand elle est fluide et pertinente, comme c'est le cas ici. J'apprécie aussi quand le style est humoristique, voire impertinent, les personnages truculents et l'intrigue pleine de rebondissements picaresques. Tout cela tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin!

     

    Je ne connaissais pas Serge Lentz avant que le hasard ne me mette en contact avec ce roman. Je n'ai pas été déçu!

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • OÙ EN ÉTAIS-JE ? - Philippe BEAUSSANT

     

    N°339– Mai 2009

    OÙ EN ÉTAIS-JE ? – Philippe BEAUSSANT - FAYARD.

     

    Quand on fait la présentation d'un roman, il est d'usage d'en dévoiler [un peu] l'intrigue. Ici ce n'est pas facile puisqu'il l'y en a pas, enfin presque.

     

    L'auteur raconte certes une histoire, regarde par sa fenêtre, dit ce qu'il voit, écoute son imagination et laisse aller sa main sur la feuille blanche. C'est pour lui l'occasion de prendre son lecteur à témoin pour lui expliquer sa démarche d'écriture, le départ de l'inspiration qu'il faut écouter et qui intervient quand on s'y attend le moins, comment tout cela naît, si cela se fait tout seul ou non [« Voilà, cher lecteur, comment peut naître un roman, une phrase suffit »], le plaisir qu'il éprouve à cet exercice, avec le choix gourmand qu'il fait des mots, justes et sonnant bien, de l'architecture des phrases, pour que le témoin des scènes rapportées les voit et devienne au moins un spectateur et peut-être son complice, parce que notre langue française est belle et qu'il faut l'utiliser correctement... Il indique que tout cela n'est pas quelque chose de facile, qu'écrire c'est un peu se soumettre à cette dictature des mots [qu'on ne s'y trompe pas, il est bien ce « tâcheron de la plume »], parce qu'il faut être disponible, attentif à tout, capable de se laisser entraîner dans d'improbables contrées à l'invite de son imagination.

     

    Il rend compte de ce qu'il voit, les lieux et les personnages, les sensations, mais aussitôt, sa culture, son érudition prennent en quelque sorte, le relais malgré lui, lui soufflent d'autres situations, d'autres figures venues d'autres romans ou de tableaux. Alors, puisqu'il a décidé de se laisser embarqué dans une folle équipée, il mélange tout, les paysages, les époques, et convie le lecteur dans sa démarche intime, et un geste banal devient aussitôt un invitation au voyage dans le temps, dans l'espace!

     

    Les hommes et les femmes du quotidien, ceux qu'il voit de cette fenêtre, qui ont les deux pieds sur cette terre d'aujourd'hui, et même parfois dedans, qui s'agitent et qui parlent à leur manière, il les transposent sous Louis XIV, invente des dialogues précieux, une transaction un peu surréaliste, une histoire de fontaine et de roi qui veut, seul, en boire l'eau, y glisse les fantasmes que peut susciter une jolie voisine ou se fait le témoin privilégié de la tournée journalière de la boulangère ou de l'arrivée, plus impromptue et fugace, de l'héritier d'un immeuble vacant depuis longtemps... Bref, il met tout ce petit monde en scène, en perspective, comme on dit, il lui insuffle la vie, lui prête des sentiments, des défauts, des qualités ou plus exactement le laisse vivre, former des projets, parce que, maintenant, tous sont autonomes et échappent complètement à leur créateur qui se contente de les regarder... M. Mitard, M. Boussard, Mlle Leroux, habitants de ce petit village, deviennent des acteurs de cette fiction intime qui est partie d'un écrivain qui voudrait bien qu'on le laisse tranquille quand il se met au travail, qui est assis face à sa fenêtre, devant sa feuille blanche, dans ce petit village de nulle part, avec devant lui quatre maisons et , plus loin, la route de Provins, de Château-Thierry...

     

    Alors oui, parfois il y revient dans ce décor, fait un peu le point, comme lorsqu'on sort d'un rêve et qu'on tente de faire la part de la réalité et du songe et qu'il se demande si tout cela est vrai. Mais c'est qu'il n'est plus seul comme devant sa feuille, il a avec lui son lecteur, parce que, bien sûr ce dernier, même s'il a été un peu décontenancé au départ, est devenu au fil des pages le témoin attentif de tout cela et s'est engagé dans ce voyage. Parfois, cette pause entraine l'auteur plus loin qu'il n'aurait voulu et un visage de femme croisé au hasard de la vie est à nouveau l'invite d'une création, parce que les yeux des femmes ont ce pouvoir de faire rêver. Les choses sont bien plus complexe, et cette Justine qu'il avait seulement imaginée, cette femme immatérielle, peut soudain prendre corps et exister réellement, devenir Claire!

     

    Mais l'histoire déraille, [fiction ou réalité?] et il n'est plus question de ratiocinations sur l'écriture, sur l'architecture des phrases, le choix des mots, quand l'ordre immuable des choses qu'on avait imaginé est bouleversé et qu'on a le sentiment confus d'avoir tout deviné avant les autres.

     

    L'écriture, ce n'est pas une sinécure mais on peut même dire que c'est une alchimie, et la question vaut bien d'être posée, au moins par l'auteur « Un romancier, est-ce qu'il invente ou est-ce qu'il raconte ? ».

     

    Alors le lecteur attentif et complice peut, lui aussi, dire avec l'auteur« Où en étais-je? ».

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN NOM DE TORERO - Luis SEPULVEDA

     

    N°338– Mai 2009

    UN NOM DE TORERO – Luis SEPULVEDA– Éditions MėtaIlliė. - Traduit de l'espagnol par François Maspero.

     

     

    Nous le savons, le domaine du romancier c'est la fiction. Drôle de nom pour caractériser un récit, une histoire qui est racontée au lecteur, avec un début, un développement et une fin où s'entremêle réalité et imaginaire , où les personnages existent et croisent dans un décor dû au seul pouvoir de l'auteur, mais qui, parfois, se laisse déborder par la vie qu'il leur insuffle. Le milieu de prédilection de Sepulveda, c'est le voyage et le monde qui lui offre sa vaste étendue, mais c'est aussi l'histoire immédiate de l'humanité qui se confond avec sa propre expérience, ses propres pérégrinations, ses désillusions aussi...

     

    L'histoire donc. Elle met en scène deux hommes, Juan Belmonte, ancien guérillero de toutes les guerres perdues d'Amérique Latine et Frank Galinsky, ex membre de la Stasi qui sont engagés par des parties adverses pour retrouver un mystérieux trésor composé de 63 pièces d'or appartenant à la collection du « Croissant de Lune Errant » originellement dérobé par les SS. L'histoire a pesé sur ces deux hommes qui ont dû revenir sur leur idéaux politiques et qui, pour mener à bien leur mission doivent se livrer à un duel sanglant en Patagonie. Belmonte, qui porte un nom de torero, le même que celui d'Hemingway, est mandaté par « la Lloyde Hanséatique » qui a sur lui un moyen de pression idéal : soit il mène à bien sa mission, soit il perd Véronica, sa seule raison de vivre, brisée par la torture.

     

    Comme son titre ne l'indique pas, il s'agit d'un roman noir [le couleur de la couverture le laissait cependant penser], un véritable duel sanglant sur fond de désillusions, mais de désillusion politiques, celle de la démocratie chilienne assassinée par Pinochet, celle des idéaux communistes trahis par Staline, celle aussi des espoirs déçus de la réunification allemande.

     

    Il y a le personnage de Véronica, absent, muet, autiste, mais incroyablement présent, une sorte d'obsession de la mort, de la souffrance, de la nuit dans lequel elle survit, de l'exil, du mal de ce pays envoûtant qu'est la Patagonie, comme il le dit, la Terre de Feu est un pays de légendes, de trésors cachés. Il est fascinant par son climat, ses paysages, sa solitude. Il y a aussi la figure de Belmonte, perdant définitif dans cette société où il ne se reconnaît plus, qui a manifestement évolué sans lui et qui le laisse, lui, au bord du chemin sans possibilité de lui tendre une main secourable. C'est un roman de la réconciliation impossible d'un homme avec son pays qui veut surtout oublier ce qui fut la dictature de Pinochet, le roman d'un éternel exilé, un roman d'amour aussi...

     

     

    Sepulveda fait ici un travail de remise en cause personnel, de confidences faites à son lecteur. Il est un fameux conteur dont cette chronique n'a pas manqué de célébrer le talent. J'y ai dit le plaisir que j'ai éprouvé à la lecture de certains de ses romans. Ici, j'ai retrouvé tout ce qui fait l'intérêt traditionnel que suscite d'ordinaire ses récits. Cependant, et je ne saurais dire pourquoi, j'ai moins accroché à ce roman, et je me suis un peu forcé à lire jusqu'à la fin, parce que c'est lui!

     

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES FRÈRES ROMANCE - Jean COLOMBIER

     

     

     

    Juin 1991

    n° 65

     

    LES FRÈRES ROMANCE – Jean COLOMBIER - Éditions Calman-Lévy.

     

    Tout commence par un défi ridicule, une course de poids lourds sur une nationale pour prouver, ou se prouver, qu'on est le plus fort... Les choses s'enchaînent, s'aggravent, comme une sorte de vendetta au terme de laquelle il faut monter qu'on est un homme simplement parce qu'on ne laisse pas un affront impuni. Ce qui n'était qu'un jeu devient un drame, la justice s'en mêle, avec, au bout du compte, le tribunal et la prison à cause d'un mauvais coup.

     

    Je dois dire que je n'ai pas, dès l'abord, accroché à ce texte qui pourtant ne ménageait pas les descriptions poétiques et évocatrices d'un terroir agréable. Pourtant, les personnages se sont imposés peu à peu... Les deux frères Romance, qu'on disait inséparables, et qui n'avaient l'un pour l'autre aucun secret, malgré leur différence d'âge, sont une manière de jumeaux dont la complicité est exacerbée par la disparition précoce de leurs parents. L'aîné, Alain, après avoir espéré autre chose, se retrouve marié et transporteur chez son beau-père. Sa femme qui ne fait partie de sa vie que d'une manière épisodique, attend une maternité qui ne vient pas. Julien, élevé par Clairon, leur grand-père, c'est celui qui a réussi et dont l'avenir est plein de promesses, une brillante carrière d'ingénieur... C'est pourtant lui que la justice condamne pour avoir voulu venger son frère aîné, cet Alain, dont la lâcheté éclate un soir sur un parking, entre routiers.

     

    L'incarcération de Julien sera, pendant dix huit mois, avec la complicité de tout un village du Limousin, cachée à Clairon, qui n'aurait pas supportée cette épreuve. Un hypothétique stage aux États-Unis servira d'alibi... Et pourtant, la complicité qu'on suppose entre les deux frères, se dégrade, se lézarde, avec l'apparition de Louise, l'amie inconnue de Julien qui, bien entendu, finit par devenir la maîtresse d'Alain, autre lâcheté, d'autant plus grande de cette liaison se déroule pendant l'incarcération du frère. Elle creuse encore plus profondément le fossé qui sépare les deux hommes.

     

    Ce roman m'apparaît être celui de la trahison où chacun rencontre son propre personnage, celui qui sommeille en lui et contre qui il n'a pas envie de se battre. Alain révèle la solitude du routier, une solitude qu'il redoute, mais dans laquelle il se complaît, parce qu'il avait vu sa vie autrement et que celle-ci l'entraîne dans une décision presque maladive autant que dans un tourbillon dans lequel il se sent mal. Il finit par s'y couler comme dans une peau trop étroite. Au tribunal, le témoignage d'Alain aurait pu sauver son frère, mais il garde le silence sur l'humiliation qu'il a subie et que Julien a voulu venger. Le silence puisé soit dans l'ignorance de la vérité, soit dans la volonté de ne pas révéler les faits tels qu'ils se sont passés restera pesant jusqu'à la fin.

     

    La vie d'Alain est peuplée de fantasmes qu'il cherche à apprivoiser par la fréquentation de la mort, comme si les absoutes qu'il recherche pouvaient remplacer celle de ses parents trop tôt disparus. Cette idée de la mort est trop présente pour ne pas éclater à la fin, dans le fracas d'un accident et la dislocation du corps de Louise... Un suicide libérateur. La vie continuera, mais ce drame ne pourra être happé par l'oubli.

     

    J'ai lu dans ce livre une étude de caractères fort bien menée, surtout celui d'Alain qui aurait pu jouer le rôle du père pour son frère mais que les évènements révèlent comme quelqu'un qui fuit les responsabilités, celui qui trahit et qui se retrouve seul... à cause de lui. Il ne suffit pas de dominer la route du haut d'un " quarante tonnes " pour être maître de sa vie. On ne peut être longtemps son propre illusionniste.

     

    Je l'ai dit, je n'ai pas, d'emblée, été conquis par ce texte. J'ai continué cependant, peut-être conduit dans ma lecture par le fil ténu de l'intérêt. Je n'ai pas été déçu.

     

    © Hervé GAUTIER.- Juin 1991.

  • ALABAMA SONG - Gilles LEROY

     

    N°337– Avril 2009

    ALABAMA SONG – Gilles LEROY– Mercure de France. [Prix Goncourt 2007]

     

     

    Scott Filtzgerald est un écrivain que je n'aime pas ou plus exactement dans l'univers littéraire de qui je ne suis jamais parvenu à entrer.

     

    Pour autant ici, il s'agit de Zelda, son épouse dont l'auteur nous offre une biographie tout en nous avertissant qu'il s'agit d'une fiction. On s'y perd un peu, d'autant que pour ceux qui connaissent le parcours de l'écrivain américain et de son épouse, les similitudes biographiques sont troublantes, je dirai qu'il n'y a même que cela. Entendons-nous bien, cela ne me gêne pas, c'est même plutôt bien trouvé et bien rendu. Ces deux êtres que tout oppose, ces improbables adolescents en réaction contre leur milieu qui se rencontrent, finissent par s'aimer, par se marier, par écrire [surtout lui], par connaître le succès puis la déchéance et l'oubli, c'est bien eux, même s'il leur est prêté des sentiments, des amours et des situations qui, pour être possibles n'en sont pas moins l'objet de supputations. L'auteur se glisse dans la peau de Zelda,au point de rédiger le texte à la première personne, la fait parler et confier au lecteur ses joies, ses peines, ses angoisses et notamment celle d'être phagocytée par un mari contre qui elle doit lutter...Nous sommes là dans le domaine de la création, inspirée par des faits réels et ce n'est quand même pas moi qui vais trouver à redire. C'est d'ailleurs un thème original qui mérite bien qu'on s'y attarde et qui est de nature à être le prétexte d'une réflexion. D'autre part, évoquer ces deux vies marquées par le sceau de la démesure, de l'excès, de l'autodestruction, c'était plutôt un bon sujet!

    Que Zelda ait été la source d'inspiration de Scott, son pigmalion mais aussi que leur couple ait connu l'amour, la haine la déchéance, c'est là le parcours véridique d'un créateur et de son épouse qui faisaient ensemble plus qu'un ménage traditionnel que les parents de cette femme auraient sans doute rêvé pour leur fille.

    Qu'elle ait trouvé la mort dans un incendie accidentel, c'est à dire de la manière (un peu différente quand même) dont on éliminait les sorcières, les folles, les rebelles, c'est plutôt une fin à sa mesure et qui lui ressemble. Que l'auteur puisse dire d'elle qu'elle ne pouvait périr dans les flammes parce qu'elle était une salamandre : c'est magique et c'est même d'une certaine manière un hommage, qu'il suppose qu'elle ait été assommée par les médicaments et que, donc, elle n'ait pas été consciente et que le sommeil l'ait fait passer directement de la léthargie à la mort, pourquoi pas?.

    Qu'elle ressemblât à ces ciels d'Alabama, orageux, impétueux, diluviens, porteurs de mort aussi, puis ensuite bleus d'azur, cela c'était bien elle. Que ce récit emprunte son titre à une chanson des Doors est plutôt bienvenu... à cause des paroles.

     

    Pourtant, il y a quelque chose qui me gêne dans ce récit que j'ai pourtant lu avec gourmandise et attention, quelque chose qui tient sans doute à la façon peu conventionnelle dont le texte est écrit. Il est peu convenu et volontairement provocateur, ce qui n'est pas pour me déplaire. Ce n'est pas non plus les allers et retours dans le temps qui tressent petit à petit une atmosphère un peu malsaine en tout cas tout à fait propice à cette ambiance qui a baigné cette union pendant toute sa durée. Ce n'est pas non plus ce dernier chapitre plus actuel où l'auteur apparaît peut-être en filigranes, peut-être à contre-jour. Il y est question de cette impossibilité d'écrire parce que l'autre, l'amant, l'interdit. Cette lutte, c'est un peu celle de Zelda contre Scott?

     

     

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    Hervé GAUTIER – Avril 2009.

    Hervé GAUTIER – Avril 2009.

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  • LE MONDE DU BOUT DU MONDE - Luis SEPULVEDA

     

    N°336– Avril 2009

    LE MONDE DU BOUT DU MONDE – Luis SEPULVEDA– Métailié.

    (Traduit de l'espagnol par François Maspero)

     

     

    Dans ce récit se mêlent des bribes d'enfance d'un garçon de 16 ans qui vient passer ses vacances d'été à bord d'un baleinier des les eaux désolées des canaux de Patagonie parce qu'il a lu « Moby Dick » mais aussi les romans de Francisco Coloane, et le combat écologique en faveur des baleines de ce même garçon qui, ayant grandi, s'engage au côté de « Greenpeace » contre la pêche industrielle japonaise d'un bateau-usine dont on cherche à cacher l'existence et l'activité, et le soutient de ceux qui ont choisi de mener ce combat..

    C'est donc un roman militant qui veut porter témoignage.

     

    Comme à son habitude, l'auteur se livre à l'évocation de personnages hauts en couleurs comme le capitaine Nielssen, sculpté par l'aventure et la vie en mer, fils d'un marin danois et d'une indienne Ona, qui veut finir sa vie ici, malgré le climat rude, dans ce décor sauvage « parce que ces milliers d'îles, d'îlots et de rochers sont ce qu'il y a de plus proche du moment de la création ». C'est l'occasion pour lui de dénoncer aussi l'extermination par les Chiliens des minorités indiennes qui peuplaient originellement ce pays devenu terre d'émigration.

    Il rappelle le génocide oublié de ces peuples de la mer maintenant disparus, la déforestation de la Cordillère, les ravages des Japonais, la corruption des militaires au pouvoir au Chili qui ont encouragé et fait perdurer cette œuvre de destruction, les trafics en tous genres et l'absence de contrôles et de sanctions qui qui favorisent cette politique... Il rompt le silence sur la surexploitation de la mer dans ces contrées, le massacre aveugle de la faune par les Japonais mais également à l'époque (nous sommes en 1984) par les États-Unis, la Russie et l'Europe.

     

    C'est aussi un texte qui évoque ces vaisseaux-fantômes qui font partie de la mythologie nationale, qui décrit les paysages grandioses du sud du Chili où les récifs écorchent la mer et les tempêtes sèment la mort, ces récits de piraterie où la légende se mêle à l'histoire, cette fable (mais en est-ce une vraiment) ou les baleines et les dauphins se défendent eux-mêmes contre les pêcheurs criminels venus les exterminer.

     

    Je ne sais pas pourquoi mais, malgré les images et les évocations poétiques qui émaillent ce livre, ce qui est aussi un manifeste écologique m'a moins plu que ceux que j'ai déjà lus.

     

     

     

     

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    Hervé GAUTIER – Avril 2009.

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