la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? Georges Perec

     

    N°486– Décembre 2010.

    Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?  – Georges Perec* - Denoël.

     

    Il est des livres qu'on apprécie pour l'histoire qu'ils racontent, parce qu'elle est émouvante ou simplement ordinaire, d'autres retiennent notre attention par leur côté déjanté.

    Ici l'idée consiste pour quelques copains, dont le narrateur, de tenter de faire réformer en l'estropiant un de leur camarade, « Un mec qui s'appelait Karamanlis ou quelque chose comme ça : Karawo? Karawasch ? Karacouvé ? Enfin bref Karatruc... [son nom variera d'ailleurs beaucoup au cours du récit et on ne manquera pas de remarquer qu'il en change beaucoup plus souvent que de chemise !] deuxième classe dans un régiment du Train à Vincennes depuis quatorze mois», qui ne veut pas aller en Algérie pour y faire la guerre.

    Ils bénéficient du concours actif et amical de « Henri Pollack soi-même, maréchal des Logis ... qui menait une double vie : tant que brillait le soleil, il vaquait à ses occupations margistiques... mais quand sonne la demi de dix huit heures... il regagnait son Montparnasse natal où c'est qu'il avait sa bien-aimée, sa piaule, ses potes et ses chers bouquins ». C'est que notre ami, subséquemment appelé du contingent, s'ennuie ferme au Fort Neuf de Vincennes, dans « ce Bon Dieu de Bon Dieu de Saloperie de Service Militaire ». Contrairement aux gradés de carrière, il est plutôt sympathique et bien vu, la preuve, les hommes du rang « l'ovationnait de divers cris d'oiseaux » au lieu de le saluer réglementairement. Il chevauche, pour se rendre à Montparnasse, un vélomoteur pétaradant dont le guidon est chromé.

     

    C'est en tout cas l'occasion, pour l'auteur pas vraiment militariste, de dénoncer les méthodes d'enrôlement que, évidemment, il réprouve. Il le fait avec le talent que nous lui connaissons et dans une manière qui n'aurait certainement pas déplu à Boris Vian [à qui un discret hommage est rendu sous la forme d'un nom de rue], un autre grand contestataire de la chose militaire, un autre auteur talentueux dont les œuvres qui ne vieillissent décidément pas méritent, elles aussi, de figurer dans les anthologies de la littérature française.

     

    Le titre de ce « récit épique et en prose agrémenté d'ornements versifiés » s'interroge sur ce que fait un petit vélo au fond d'une cour. Le livre refermé, le lecteur demeure dubitatif... La parenté avec Vian est plus qu' évidente, lui qui nous a gratifié d'un roman intitulé « L'automne à Pékin » dont la caractéristique est de ne se dérouler ni en automne ni à Pékin !

     

    Un livre est toujours pour Perec un exercice de style avec des contraintes qui nourrissent sa créativité. En en bon littéraire et en virtuose de l'écriture, il égrène les figures de rhétorique comme l'apophtegme, l'anaphore, l'hypotypose... et pour que son lecteur n'en ignore rien et les savoure comme il convient, il les liste lui-même à la fin de cet ouvrage avec les référence aux pages pour une illustration plus complète ! C'est aussi une autre manière de faire de la pédagogie mais si vous préférez la cuisine, vous pourrez toujours vous essayer à la recette du riz aux olives.

     

    J'ai aimé lire et relire, pour le plaisir et surtout à haute voix, les pages de ce petit livre, à cause aussi des digressions et des parenthèses qui enrichissent le texte... On sent qu'il écrit avec délectation, jubilation et délire. Cela donne une véritable musique agréable à l'oreille. L'humour qui est présent à chaque ligne m'a en tout cas bien fait rire. Cela a été pour moi un bon moment de lecture.

    Perec en profite pour violer un peu la langue, mais c'est plutôt bien puisqu'il lui fait, selon l'expression désormais consacrée, de beaux enfants ! Après tout c'est rassurant que « de temps à autres, un poète que n'effraie pas l'air raréfie des cimes, ose s'élever au-dessus du vulgaire pour, dans un souffle épique, exalter notre Aujourd'hui ». Quand ce poète se nomme Perec, le plaisir de lire et d'être ailleurs est toujours un enchantement pour le lecteur.

     

    * Georges PEREC (1936-1982) – Membre du mouvement Oulipo - Prix Renaudot 1965 pour « les Choses »– Prix Médecis 1978 pour « La vie mode d'emploi ».

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com



     

     

  • QUITTER LE MONDE – Douglas Kennedy

      

     

    N°485– Décembre 2010.

    QUITTER LE MONDE – Douglas Kennedy – Belfond.

     

    Tout commence par une scène de ménage ordinaire entre époux qui ne s'aiment plus et qui choisissent le jour du treizième anniversaire de leur fille unique, Jane Howard, pour se jeter à la figure les griefs qu'ils ont accumulés pendant de longues années de mariage. Pour que l'effet soit complet, l'adolescente déclare à ses parents « qu'elle ne se mariera jamais et qu'elle n'aura jamais d'enfant ». Le lendemain, le père alcoolique notoire, quitte la maison pour ne plus jamais y revenir en laissant une lettre d'explications qui fait allusion à la remarque péremptoire de l'adolescente. Dès lors s'installe entre la mère et la fille une atmosphère de culpabilisation où s'insinue la traditionnelle question que chacun se pose sur son propre destin. En est-on maître ou s'impose-t-il à nous ?

     

    Plus tard, sa mère qui a choisi elle-aussi l'alcool pour mourir à petit feu, accepte la mort comme une délivrance tout en rappelant à sa fille devenue une femme ses paroles d'adolescente. Pourtant, Jane a une vie normale, bousculée seulement par des aventures mal vécues et une relation adultérine interrompue par la mort de l'amant. Après un séjour rapide dans un fonds de pension ou elle connaît la vie trépidante d'un trader, elle prend un poste dans une université de Nouvelle Angleterre, devint mère d'une petite fille et s'aperçoit que son compagnon, dont elle se sépare, la trompe et l'escroque. Elle apprend que son père qui ne s'était guère occupé d'elle a été non seulement un aigrefin mais aussi un collaborateur du régime chilien de Pinochet et prend conscience, à la mort de sa mère que celle-ci ne l'a jamais aimée. Seule sa fille est une source de joie pour elle alors qu'elle se rend compte que tout autour d'elle l'abandonne. C'est pourtant cette même Jane qui avait juré ne pas vouloir d'enfant !

     

    On ne dit pas assez que la mort fait partie de la vie et quand elle frappe ceux qui nous sont chers et plus spécialement nos enfants cela devient insupportable. Comme si sa vie n'avait pas été un assez long chemin de croix, comme si le destin devait s'acharner sur ceux qu'il a choisis, Jane croise encore une fois le malheur et sa fille périt dans un accident. Face à cela, la vie de Jane s'arrête, il ne peut d'ailleurs en être autrement et le tentation est grande de « quitter ce monde » où elle n'a décidément plus rien à faire. Après une telle épreuve, rien ne peut plus être comme avant. Cela commence par la volonté de se marginaliser elle-même simplement parce qu'à partir de ce moment-là, elle n'est plus comme les autres gens. Ils ne peuvent rien pour elle et souvent l'évitent, pour leur confort personnel. Il n'est facile ni de comprendre et à plus forte raison d'aider ces malheureux parents en deuil qui n'admettrons jamais l'absence définitive de leur enfant. Pour eux l'enfer est bien dans ce monde et non dans une hypothétique vie post-mortem. La culpabilisation d'être encore vivant face à ce malheur est une réalité et le contexte judéo-chrétien qui baigne nos sociétés occidentales ne fait que rajouter à l'horreur. Quant au message de la religion, il ne pèse rien face à cette douleur !

     

    Jane se réfugie alors dans les médicaments et l'alcool mais aussi dans la parole toujours difficile à formuler, dans le travail, dans le dépaysement. Cela la protège du monde extérieur, met en évidence la tentation du suicide momentanément écartée parce qu'impossible, cette incompréhensible ressource de l'être humain face à la vie qui pourtant ne pèse plus rien. «  Il faut continuer, je ne peux continuer, je vais continuer » dit Samuel Beckett, illustrant toute l'ambiguïté et la complexité de cette situation.

     

    Elle suit alors un parcours un peu cahoteux qui la mène au Canada où elle croise à nouveau la mort et l'injustice, mais dans le cadre d'une intrigue policière où elle joue un rôle primordial mais qu'elle souhaite anonyme (ce détail prend une importance capitale), de découverte du coupable. Bizarrement, cela commence par par une intuition féminine qui va à l'encontre des certitudes des enquêteurs et de la vindicte publique mais agit comme un véritable miroir de sa propre souffrance. Elle se jette seule, avec une énergie longtemps refoulée par son deuil, dans des investigations qui vont mettre à mal sa réputation et vont menacer sa vie. Finalement son action solitaire et un peu désespérée fera éclater la vérité et bousculer pas mal d'idées reçues sur la religion et ses ministres ! C'est en réalité un combat pour la vie qui reprend le dessus et avec lui une acceptation des malheurs qu'elle n'as pas souhaités et qui ont peuplé son parcours,. Elle doit y faire face et les assumer parce que cela est sa destinée et qu'elle ne peut rien faire contre elle. Elle restera pourtant définitivement différente des autres, imperméable au bonheur humain !

     

    Malgré des longueurs, Douglas Kennedy se révèle être un excellent illustrateur de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus intimement sordide. Il parle avec justesse des rapports qui existent entre les gens, à l'intérieur même d'une famille, la confiance qu'on peut faire aux autres et les mensonges, les trahisons qu'ils peuvent nous faire subir, de l'hypocrisie qui règne en ce monde, des épreuves et des deuils qui pourrissent la vie de certains d'entre eux, choisis arbitrairement par le destin ou le hasard.

    Il est aussi un bon critique des idées reçues qui sont souvent opportunément entretenues, même si les valeurs de charité et d'amitié, de solidarité si volontiers proclamées, en sortent quelque peu écornées.

     

    Kennedy poursuit dans ce roman sa quête du bonheur impossible. Finalement Jane semble choisir de demeurer dans ce monde qu'elle souhaitait quitter mais en restera en marge parce que c'est sa façon de s'en protéger.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA DISPARITION – Georges Perec

     

    N°484– Décembre 2010.

    LA DISPARITION – Georges Perec – Denoël.

     

    Le thème principal de ce roman est la disparition d'Anton Voyl. Ses amis se lancent à sa recherche sans qu'ils sachent vraiment s'il s'agit d'une véritable disparition, d'un rapt ou d'un suicide. Cette quête est d'autant plus difficile qu'il laisse un journal avec un postscriptum particulièrement sibyllin que la police a du mal à interpréter et qui laisse à penser qu'il avait perdu la raison «  Portons dix bons whiskys à l'avocat goujat qui fumait au zoo ».

    Pourtant, l'avocat dont il est question, Hassan Ibn Abbou disparait à son tour et ses amis réunis à Azincourt afin de faire toute la lumière sur cette seconde absence vont exhumer des souvenirs anciens...

    En toile de fond la mort reste tapie avec en toile de fond la damnation éternelle !

     

    Ce sera l'occasion pour l'auteur, non seulement de dérouler une trame policière qui va ravir son lecteur d'autant que cela s'accompagne d'une débauche de vocabulaire, de phrases aussi mystérieuses que triturées pour faire entre eux sonner et parfois chanter les mots empruntés à l'argot ou au plus précieux jargon. Cette histoire un peu déjantée, fantastique, digne des fables les plus hystériques où se mêlent la littérature, les mathématiques et quelques langues étrangères, mérite d'être dite à haute voix à cause des allitérations, de la musique résultant de l'association parfois approximative mais assurément gourmande des termes. Instinctivement le lecteur goûte le calembour, le jeu sur les mots et recherche, souvent vainement, la contrepèterie.

     

    Il est convenu de dire maintenant, même si cela ne fut pas évident à la sortie du livre, qu'il s'agit d'un roman lipogramme(le plus long jamais écrit), c'est à dire qu'il ne comporte pas une fois la lettre « e ». D'ailleurs, pour parvenir à ce qui est quand même une performance, Perec triture les mots aussi bien que la syntaxe. De cela il résulte un étrange phénomène mais pour autant agréable à l'oreille. Et puis, cela va bien dans le sens de l'Oulipo ( acronyme de « l'ouvroir littéraire potentiel » qui peut parfaitement être rattaché au « Collège de 'Pataphysique » dont il est une sous-commission). C'est un groupe international de mathématiciens et de littéraires qui, selon la formule de Raymond Queneau sont « des rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ». Ils considèrent que les contraintes formelles sont un puissant stimulant de l'imagination. Dans le cas de Perec, c'est particulièrement réussi et le texte qui en résulte, tout à la fois absurde et abracadabrantesque n'aurait sans doute pas été désavoué par Boris Vian ! De plus il convoque des auteurs référents en n'oubliant pas de leur faire quelques violences littéraires bien dans l'esprit de l'Oulipo.

     

    Mais quel est le véritable sens de cette absence de « e »? La considérer comme un exercice gratuit peut paraître un peu court. Alors, thème peut-être biographique de l'absence, pourquoi pas ? Cela donnerait au texte une autre dimension loin de l'aspect jubilatoire du récit, peut-être pas tant que cela d'ailleurs ! Est-ce une invitation à réfléchir sur le poème de Rimbaud « Voyelles », rebaptisé « Vocalisations », trituré et amputé de tous ces « e » ? Est-ce aussi, et ce malgré le côté décalé du récit, l'invitation à réfléchir sur un des aspects de la condition humaine ? Pourquoi pas ?

     

    Il reste que j'ai lu ce roman devenu un classique avec gourmandise.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • LES POUPÉES RUSSES – Un film de Cédric Klapisch

     

    N°483– Décembre 2010.

    LES POUPÉES RUSSES – Un film de Cédric Klapisch (2005)

     

    Nous retrouvons Xavier (Romain Duris), 30 ans que nous avions laissé lors d'un précédent film (« L'auberge espagnole » sorti en 2002), alors qu'il partait en courant de Bercy et abandonnait ainsi une carrière sûre de fonctionnaire. Au moins en avait-il le courage dans un monde du travail fluctuant et incertain ! Grâce à un appui important et au succès à un concours, il avait décroché cet emploi qui devait lui assurer un avenir sans nuage mais le premier contact avec ses futurs collègues avait dû être décisif et c'est sans doute que qui avait motivé sa course rapide mais déterminée vers un ailleurs différent. C'est vrai que cela était fondamentalement différent de l'année universitaire qu'il venait de passer à Barcelone, la fin d'un DEA d'économie, dans le cadre du programme « Erasmus ». Là-bas, il avait connu cette ville merveilleuse et pleine de surprises, avait rencontré des étudiants étrangers avec qui il avait cohabité, un appartement co-loué par des étudiants européens de toutes les nationalités, parlant des langues différentes, avait appris l'espagnol autant que la tolérance, avait mené une vie de liberté, avait rompu avec sa copine française Martine, (Audrey Tautou), avait eu une liaison brève mais torride avec l'épouse d'un médecin français qui l'avait un temps hébergé...

     

    Pour autant l'économie ne l'avait pas passionné et cet épisode de sa vie lui avait permis de se confirmer à lui-même sa véritable vocation : celle d'être écrivain. Il en était résulté un roman « L'auberge espagnole » qui méritait bien son nom et qui retraçait son expérience barcelonaise insouciante, libre, sans entrave... Et il avait jugé que cette situation était incompatible avec un emploi de fonctionnaire. Cette révélation soudaine avait sans doute motivé sa course effrénée loin de cet immeuble du bord de Seine, ce symbole de la Fonction Publique...

     

    Être écrivain était un rêve d'enfance qui méritait bien, à ses yeux, qu'il s'y consacrât pleinement, sauf que, maintenant qu'il n'avait pas d'emploi stable ni de revenus réguliers, il avait un peu peur, était même un peu perdu surtout face à sa banquière qui elle ne comprend que les chiffres et la réalité concrète... Alors que lui se contente de ne lui servir que des mots et des perspectives aléatoires.

     

    Par voie de conséquences sans doute, un peu comme il l'avait fait à Barcelone l'année précédente, il a un peu de mal à se fixer durablement avec une fille, à mener une aventure amoureuse sérieuse. Il faut dire que sa condition d'écrivain, son roman dont personne ne veut, ne l'incitent pas à considérer qu'il a fait le bon choix en fuyant l'administration. Il en vient même à fuir le travail, l'amour et l'écriture. Pourtant, après avoir envisagé d'être « nègre », il finit par décrocher quelque chose à la télévision, une espèce de scénario à l'eau de rose... mais la mondialisation ou plus surement les économies budgétaires le rattrapent. Ses rêves d'enfance, ses illusions en ont quand même pris un coup.

    A la suite d'un concours de circonstances, il se retrouve à Londres puis de temps à autres à Paris pour participer à la rédaction des mémoires d'une jeune actrice superficielle mais célèbre, à peine sortie de l'adolescence mais dont il tombe amoureux. En Angleterre, il retrouve Wendy (Kelly Reilly) qu'il avait connue à Barcelone. Ils doivent collaborer professionnellement et bien entendu ils s'aiment, se quittent pour se retrouver enfin à St Petersbourg pour le mariage de son frère William qui est, lui, tombé amoureux à Paris d'une danseuse-étoile russe.

     

    Alors, amours impossibles, éternelles hésitations face à la beauté des femmes, volonté de rester célibataires pour mieux profiter d'elles et de la liberté, peur de s'engager dans la vie d'adultes pour des jeunes gens un peu immatures, états d'âme de post-adolescents qui n'ont pas encore perdu toutes leurs illusions... Il faudra bien pourtant qu'il se décide puisque les autres l'ont fait (Isabelle – Cécile de France - a décroché un job sur une chaine de télévision financière). Après tout, il est encore temps mais il sera vite trop tard s'il laisse s'éloigner Wendy...

     

    Dans ces deux films, Cédrik Klapisch retrouve son acteur fétiche, Romain Duris et on songe évidemment à la collaboration fructueuse de François Truffaut et Jean-Pierre Leaud.

    J'ai, en tout cas, bien aimé l'humour et l'ambiance de ces deux films.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Michel HOUELLEBECQ

     

    N°482– Décembre 2010.

    LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Michel HOUELLEBECQ - Flammarion.

    (Prix Goncourt 2010)

     

    Tout commence un 15 décembre par la panne d'un chauffe-eau chez Jed Martin, peintre et ex-photographe. Son père, Jean-Luc Martin, ancien architecte et P.DG d'une entreprise de construction, veuf, vit actuellement dans une maison de retraite. Le père et le fils qui ne sont pas vus depuis longtemps prennent ensemble un repas de Noël. Entre eux, il n'y a jamais eu que des relations distantes. Auparavant, à l'occasion des obsèques de sa grand-mère, dans la Creuse, Jed se prend de passion pour les cartes routières Michelin qu'il photographie. De plus, il rencontre une très belle femme d'origine russe, Olga, qui justement travaille dans cette entreprise. Naturellement, ils deviennent amants et elle le lance. Avec lui, la carte, Michelin, objet éminemment utilitaire, va entrer dans le monde de l'art avec une exposition de ses œuvres intitulée « La carte est plus intéressante que le territoire ». Le lecteur cherchera peut-être vainement la signification du titre de ce roman dans cette phrase. Il se souviendra opportunément que, sans faire de parallèle abusif, le génial Boris Vian a écrit une merveilleuse histoire qui, bien qu'elle s'intitule « L'automne à Pékin » ne se passe ni en automne ni à Pékin.

     

    Jed s'intéresse ensuite aux « métiers simples », c'est à dire en voie de disparition avant de revenir à la peinture. Cela lui permet d'envisager une exposition dont il confie la rédaction du catalogue à Michel Houllebecq, soi-même ! Pourquoi ne pas admettre cette manière de mise en abyme originale ? Et ce d'autant qu'il lui propose de faire son portait ! Son exposition porte d'ailleurs sur des célébrités et cela fait de lui un véritable « artiste » international...mais surtout lui assure la richesse. Ce qu'il veut pourtant c'est être le témoin privilégié par sa peinture « des différents rouages qui concourent au fonctionnement d'une société ». Cette exposition est un véritable succès et après tout ce temps passé sans Olga, il la retrouve...

     

    La fin de l'année est pour lui l'occasion du repas de Noël avec son père, de réfléchir sur le succès qui est fragile et éphémère et sur la mort, sur la déchéance physique qui sont inéluctables, sur la relation au père aussi. Tout cela se termine en Suisse dans une clinique spécialisée dans la mort assistée.

     

    La troisième partie du livre s'ouvre, quelques années plus tard, sur la mort de l'écrivain, un meurtre particulièrement atroce et apparemment rituel. Houellebecq a été assassiné chez lui, son corps, en même temps que celui de son chien, décapité au laser, découpé en lanières reparties dans la pièce. Jed, que la police finira par retrouver à cause du portrait qu'il avait peint de l'écrivain, donnera un avis sur le meurtre et sur sa mise en scène, en faisant référence à l'œuvre picturale de Jackson Pollock ! Le lecteur appréciera l'épilogue de cette partie policière du roman. Je ne suis pas très sûr cependant qu'elle soit à la hauteur des attentes suscitées, même si elle est rattachée, peut-être un peu artificiellement, au fameux portrait que réalisa Jed de Houllebecq !

     

    C'est l'occasion pour l'auteur de nous donner une photo du quotidien, à la fois dans le domaine de la télévision, de l'internet mais aussi de l'univers des people ou de la jet-set, en fait tout un monde superficiel, glamour et parisien. Il y glisse des images poétiques et, pèle-mêle, des aphorismes bien sentis autant que des remarques pertinentes, et même impertinentes sur les femmes, les artistes, les universitaires, les architectes, le droit pénal, la fortune, les banquiers, le vin, le monde rural, celui de l'art et de l'argent, la fatuité des puissants qui réclament leur portrait seulement pour passer à la postérité...

     

    Sans qu'on comprenne bien pourquoi, un exil dans le Loiret, puis dans la Creuse le fait philosopher sur sa vie qui se termine. Il mène une réflexion sur l'art en général, sur l'utopie, sur le monde (« le monde est médiocre » dit finalement Jed »), sur la solitude et peut-être la vanité du succès, la fuite du temps, la mort, le suicide. La projection qu'il imagine, la France comme une sorte de paradis qui a survécu aux crises, me laisse un peu dubitatif.

     

    Le texte se lit facilement, le style est précis avec un grand culte du détail, parfois technique, même s'il a été décrié et dénoncé comme un éventuel plagiat. Son humour à base d'apophtegmes m'a bien plu. J'ai même bien ri quand il se met lui-même en scène comme un marginal solitaire, maniacodépressif, alcoolique, misanthrope, agressif à l'occasion et détaché de toute contingence, c'est à dire comme quelqu'un de pas vraiment fréquentable. Le fait de n'être pas très tendre avec lui-même, au moment où il convient de s'auto-encenser, correspond à ma manière de voir les choses. Se moquer de soi me parait être une valeur ajoutée intéressante ! On peut même penser qu'il existe une grande connotation entre Jed et Houllebecq, à la mesure sans doute de leurs relations, à la fois distantes et quasi-chaleureuses. Que l'un soit le double de l'autre me parait une évidence.

    L'idée de cette fiction n'est pas mauvaise encore que son intérêt labyrinthique m'a un peu échappé.

     

    Les deux précédents romans m'avaient laissé une impression plutôt mitigée et pour tout dire pas très bonne (La feuille Volante n° 354 et 358). Ce n'est pas parce que ce roman a obtenu le Prix Goncourt (Mon hypothétique lecteur peut constater en lisant cette chronique que je n'ai pas toujours partagé les choix des jurys en général et de celui-ci en particulier), là j'ai pris un certain plaisir à lire, sans trop savoir si cela était dû au style, à la mélancolie de la fin ...ou à ma curiosité !

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'HOMME QUI VOULAIT VIVRE SA VIE – Douglas KENNEDY

     

    N°481– Décembre 2010.

    L'HOMME QUI VOULAIT VIVRE SA VIE Douglas KENNEDY- Éditions Belfond.

     

    Le moins que l'on puisse dire est que Ben Bradford, la trentaine, a réussi, à tout le moins au sens social du terme. Pour faire plaisir à son père, il est devenu avocat d'affaires, travaille dans un prestigieux cabinet de Wall Street. Marié à Beth, une jolie femme, quoiqu'un peu superficielle, deux enfants, il vit fort confortablement dans une banlieue riche de New-York. Cela devrait suffire à sa vie puisqu'il a tout pour être heureux, comme on dit, mais en apparence seulement ! Il se trouve qu'il n'aime pas le rythme routinier de son existence. D'ailleurs Beth elle-même n'y met pas beaucoup du sien et les hurlements de Josh, leur petit-dernier, n'arrangent rien. Quant aux exigences d'Adam, l'aîné, ce n'est guère mieux. Le thème de l'insatisfaction peut paraître banal chez un être à qui la vie semble avoir tout donné, pourtant, ce qu'il aurait voulu, c'est être photographe. C'est un rêve de jeunesse qu'il n'a jamais vraiment abandonné autant qu'un défi lancé par sa petite-amie d'alors, Kate Bryner, devenue correspondante de guerre à CNN. Cela se complique un peu quand il constate que tout s'y met pour lui pourrir la vie, les absences répétées et sans raison de son épouse... et sa froideur récente au lit qu'il ne peut raisonnablement pas mettre sur le seul compte de la dépression post-natale. Elle a bien changé ces derniers temps, est devenue distante, presque étrangère. Des disputes éclatent entre les deux époux à propos de rien de sorte qu'il parvient rapidement à détester sa propre maison... et ses habitants ! Et pourtant, il aime sa femme; l'usure du couple est aussi un sujet éculé jusqu'à la trame. Pour que le tableau soit complet, il découvre qu'elle le trompe avec un moins que rien, un minable, un inconnu qui ne lui arrive même pas à la cheville, un photographe-amateur un peu mythomane du nom de Garry Summers. La certitude de s'être trompé avant de l'avoir été prend possession de lui.

     

    La trahison, le mensonge, l'adultère débouchent nécessairement sur un divorce annoncé, la perte de tout ce qui faisait sa vie. Non seulement Beth se révèle sous son vrai jour mais surtout, pour Ben, cela va correspondre à la séparation d'avec ses enfants qu'il ne peut se résoudre à admettre. Face à cela, le désespoir se dessine et avec lui le suicide comme une solution...

    C'est pourtant mal connaître notre avocat, qui est avant tout un être intelligent et organisé et qui, pour avoir été ainsi bafoué et humilié, choisit de se débarrasser définitivement de l'amant de sa femme. Il met au point un scénario qui ressemble au manuel du parfait petit assassin ou, si l'on préfère, au mythique « crime parfait » !

     

    Il convient donc de mettre à profit cette opportunité pour « vivre enfin sa vie », organiser sa propre disparition pour mieux réapparaître ailleurs, sous une autre identité, pour une autre existence plus conforme à ses désirs, avec un niveau de vie plus modeste, bref devenir Garry Summers ! C'est le début d'une course anonyme, d'autant plus effrénée qu'elle ne mène nulle part si ce n'est vers ce qu'il a toujours rêvé : devenir photographe. Le hasard sert ses projets un peu malgré lui, dans le Montana où il rencontre la notoriété et l'amour, avec en toile de fond le mensonge, la supercherie, puisqu'il est désormais célèbre, mais sous un faux nom !

     

    Je ne dévoilerai pas l'épilogue, mais ce roman, tissé de mort, de vie et de renaissance, de rebondissements inattendus, de notoriété, de succès et d'oubli, m'a conquis par le réalisme de ses descriptions (notamment l'incendie) autant que par la pertinence de ses remarques sur le système, sur la réussite, sur la condition humaine autant que la précision de son scénario et un grand souci du détail.

     

    J'observe que les personnages de Kennedy, même les plus secondaires, ont plus ou moins subi l'échec du mariage ou côtoyé la mort. C'est certes un roman policer plein de suspense, mais que le lecteur passionné finit par oublier au profit d'une authentique et émouvante histoire d'amour, la victoire de la vie.

     

    Alors, problème de recherche de sa propre identité, interrogations sur le sens de la vie, sur la fuite en avant, sur le refus de voir les choses ? C'est aussi une réflexion sur la renommée éphémère et son cortège inévitable d'argent, de reconnaissance et d'oubli, sur la peur de la réussite et l'angoisse de la perte, sur la fragilité des choses humaines ou l'invitation à se méfier de l'inconstance des femmes que la présence d'un conjoint et d'enfants ne dissuade pas de l'adultère ? Pourquoi pas ? « Ça te conduit à penser que tout est fragile, que tout n'a qu'un temps. Tu finis par douter du bonheur, douter que ça puisse exister. Et chaque fois qu'il t'arrive quelque chose de bien dans ta vie, tu sais que ça ne restera pas, qu'on va te le reprendre à un moment ou à un autre... »

     

    J'ai bien aimé le style délié, parfois jubilatoire, l'humour et le rythme de ce roman. Au début, l'auteur réussit à faire sourire le lecteur avec une situation matrimoniale certes classique, mais qui n'amuse que lorsqu'elle arrive aux autres, sur une scène de théâtre de boulevard ou au cinéma. En prime nous avons aussi un résumé de « l'American way of Life » qui, malgré son côté futile et sa consommation effrénée de whisky et de médicaments, deviendrait presque sympathique. Je ne parle pas des procédures de licenciements brutales et inhumaines dont l'Europe s'est malheureusement inspirée. Puis vient l'invitation à réfléchir...

     

    Tout cela donne un roman passionnant, agréable à lire où l'auteur tient en haleine son lecteur jusqu'à la fin.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • MARIA DEL PILAR – Catherine LABORDE

     

    N°480– Décembre 2010.

    MARIA DEL PILAR Catherine LABORDE – Éditions Anne Carrière.

     

    Qu'est ce qui m'a fait ouvrir ce livre ? La notoriété télévisuelle de son auteur ? Sûrement pas ! La beauté de la femme qui apparaît sur la couverture ? Peut-être car un livre commence aussi par là ! C'est plus assurément son nom espagnol et la mention qui apparaît en filigrane sur la photo d'identité : « combattant ». Sa coiffure évoque les années 40 quand, en France, il y avait la guerre. On a un peu trop vite oublié le rôle qu'ont joué les Espagnols, qui étaient le plus souvent républicains, dans ce conflit. Ils ont choisi d'aider notre pays qui les avait pourtant bien mal accueillis, ils ont choisi, le plus souvent dans l'ombre, de combattre ainsi contre le fascisme, comme ils l'avaient fait, chez eux, pendant le conflit sanglant de la « guerre civile ». Nous leur devons beaucoup et c'est sûrement cela qui m'a fait ouvrir ce livre !

     

    Ce n'est pas un roman, où si peu [Ce livre ne comporte sur la couverture aucune mention de ce genre, mais une telle démarche laisse toujours une place à l'imaginaire]. La présentation sous forme de journal semble, dans sa première partie, indiquer un document brut retrouvé longtemps après et qui narre dans un style anecdotique une histoire simple, peut-être un peu enjolivée, mais peu importe. C'est une histoire d'amour comme il y en a tant, sans doute, mais celle-là se passe en temps de guerre. Maria est couturière à Tarbes, membre d'un réseau de Résistance. Irène est son nom de guerre et elle est Espagnole. Elle est amoureuse de Charles, lorrain et également chef de ce réseau. Elle est à ses côtés pendant la durée de la guerre, ils s'aiment mais, peu avant la Libération, il disparaît, probablement arrêté. De Tarbes à Paris elle le recherche, pendant un an, glanant d'improbables nouvelles, lui écrivant des lettres que, faute d'adresse, elle garde et range dans une valise en attendant son retour. Il aurait été fait prisonnier par les Allemands, serait dans un camp... Elle l'attend, avec pour soutien des nouvelles rares, hypothétiques et parcimonieuses, avec aussi le risque de ne pas le reconnaître à son retour. Elle n'a de lui que de rares photos, les épreuves meurtrissent les visages et les corps. Il se peut aussi qu'il l'ait oubliée, qu'il soit vivant, mais ailleurs, avec une autre...

     

    A la Libération, ceux qui étaient partis rentrent, mais immanquablement il y a des absents, et Charles est de ceux-là. Il est à Buchenwald, mais il est prisonnier de guerre, officier britannique, en principe protégé par la Convention de Genève. Il ne fait pas partie des déportés, gazés et passés au crématoire. Les premiers camps sont libérés mais Charles reste absent et les nouvelles sont contradictoires, tissant l'espoir et l'angoisse. Pour Maria la paix ne sera pas joyeuse ! Puis en ce printemps 1945, quand la nature renaît, elle apprend la mort de Charles, peu de temps avant. Le journal s'arrête là.

     

    En 1947 Maria épouse Robert, rescapé d'un oflag. Sans jamais oublier Charles, malgré les larmes et la blessure, elle fonde avec lui famille, sans rien lui cacher de sa vie d'avant. Et cet homme « tombe fou amoureux d'une femme qui pleure, plus fou d'amour sans doute que si elle n'avait pas pleuré ».

     

    Dans la deuxième partie du livre, Catherine Laborde, qui jusque là était restée un peu en retrait, choisit donc de parler de sa mère qui avait elle-même rédigé en 1972 un cahier où elle évoque cette jeunesse de guerre, endeuillée par la mort de l'homme dont elle était éperdument amoureuse. Pour elle, l'écriture est un exorcisme autant qu'un témoignage qui dormait depuis longtemps dans un repli de sa mémoire... Pour ne pas le perdre, pour ses enfants, pour elle aussi qui avait un peu tendance à se complaire dans un passé révolu, intense et peut-être trop lourd, elle rédige naïvement ses souvenirs, ses espoirs. Ce genre de tentative intimiste tombe rarement au bon moment d'autant que le silence et le non-dit prennent le pas sur la confidence. Alors on le remet à plus tard, puis la vie continue... et s'arrête!

     

    Parce qu'elle reçoit par hasard une lettre qui évoque cette période, l'auteur fait le chemin à l'envers, aidée de quelques photos, quelques témoignages... Entre crainte et vertige, elle va au devant de la famille de Charles, héros de la Résistance et dont une rue de Sarreguemines porte le nom. Elle découvre l'existence de sa parentèle, à la fois discrète et admirative pour cette histoire d'amour avec Maria que personne n'a oubliée, apprend la trahison et les circonstances de sa mort.

     

    C'est un livre plein de sensibilité, d'émotion communicative, un hommage aussi à cette femme, à son amour devenu impossible pour un homme à cause de la guerre, du danger et finalement de la mort. C'est un témoignage bouleversant sur les chemins de la vie, du destin, sur la grandeur des hommes, sur le hasard qui fait se rencontrer les gens et sur la volonté de faire prévaloir la vie, sur la force de l'écriture qui gomme l'oubli...

     

    Pour des raisons personnelles, j'ai lu ce livre avec passion et émotion. Je ne le regrette pas !

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA LUCIDITÉ – José Saramago

     

     

     

    N°479– Décembre 2010.

    LA LUCIDITÉ José Saramago *– Le Seuil

     

    « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil » disait René Char. Je ne gloserai pas sur cet aphorisme, d'autres le feront sans doute mieux que moi mais selon de dictionnaire, la lucidité évoque la raison saine et claire, la conscience, la clairvoyance...

     

    Selon son habitude, Saramago met en scène une capitale sans nom dans un pays également anonyme et concocte une fable apparemment surréaliste : lors d'une élection municipale, 83% des électeurs ont voté blanc. Il n'y a pas eu d'abstention, c'est à dire que ces mêmes citoyens ont fait leur devoir électoral, mais ce qu'ils ont signifié au pouvoir sort des réponses traditionnelles que les sondages sont censés prévoir. D'ordinaire l'électorat porte la droite au pouvoir face à une gauche inexistante, mais là, la réaction populaire est sans précédent. Il n'est pas imaginable que cela exprime un rejet de la politique en général, qu'elle soit proposée par le parti au pouvoir ou par l'opposition. C'est une forme d'expression qui n'est, de ce fait, pas admissible en démocratie.

    Les hommes politiques n'estiment jamais tant le peuple dont ils tiennent leur mandat qu'au moment des campagnes électorales. Elles révèlent leur imagination et excitent leurs facultés de surenchère, mais surtout, ils ne peuvent pas s'imaginer que leur fonction est menacée. La paranoïa ordinaire refait surface et avec elle la théorie bien connue du complot qui prend ici la forme d'une improbable conspiration subversive d'un petit groupe d'anarchistes contre la pensée unique. Le pouvoir politique, loin de s'interroger sur les raisons profondes de cette attitude, ne songe qu'à culpabiliser les électeurs, estimant que ces bulletins n'auraient pour but que d'attenter à la stabilité du régime. Le vote blanc rend le système ingérable, même s'il y a une tentative d'auto-gestion par le peuple. Tout cela aurait contaminé tout le pays et il est urgent d'y mettre un terme.

    Les « blanchards » assument pourtant leur option politique avec calme, le peuple s'organise au quotidien mais, à cause de leur posture jugée illégitime par les hommes politiques, ils sont des adversaires tout trouvés contre lesquels la violence va se déchaîner. Cela va donner une intrigue policière où il va falloir trouver des coupables... ou en inventer ! Dans les situations de crise, davantage peut-être que dans le quotidien ordinaire, la faculté humaine de délation trouve son terrain de prédilection. Ici, le sycophante ne peut pas ne pas se manifester et grâce à lui, le pouvoir trouve aisément le responsable de ce vote blanc. Il s'agit d'une femme qui aurait échappé quatre ans plus tôt à une épidémie temporaire de cécité et qui aurait commis un meurtre. Ce fait est regardé comme hautement suspect par les autorités même s'il n'y a évidemment aucun lieu entre les deux événements. Une enquête est quand même diligentée qui doit être menée à son terme. Elle mettra en évidence, non la vérité mais la nécessaire et judéo-chrétienne culpabilisation de l'individu et une conclusion déjà concoctée par les autorités . Dans une ville en état de siège un commissaire de police diligente cependant des investigations réglementaires où Courteline donne la main à Kafka, sans pour autant se faire beaucoup d'illusions sur le sens de sa mission. L'épilogue sera celui d'un véritable roman policier.

     

    Je n'oublie pas non plus que Saramago a été membre du parti communiste portugais, a milité dans les rangs des altermondialistes et n'a pas caché sa sympathie pour les Palestiniens contre Israël. Il a même été tenté par une carrière politique en se présentant aux élections européennes en 2009. Faut-il voir dans ce roman le prolongement de ses réflexions personnelles ou une critique ironique des démocraties occidentales. C'est un roman subversif comme les aime Saramago. L'auteur, sous couvert d'une fiction un peu surréaliste met en évidence les travers de l'espèce humaine qui est bien moins humaniste qu'on veut bien le dire. Il lui permet de pointer du doigt la fragilitéde la démocratie qui est toujours mise en avant et regardée comme une avancée face aux dictatures. Selon Churchill, elle est « la pire forme de gouvernement , sauf tous les autres qui ont été essayées ». Il est donc parfaitement possible de l'instrumentaliser. Est-ce la reconnaissance implicite d'un rejet populaire des partis politiques traditionnels ou la mise en évidence de l'absurde d'une situation, le peu de cas qui est fait du citoyen face à la raison d'état ?

     

    Saramago quitte ici son rôle purement littéraire pour revêtir l'habit du militant, pour donner aux citoyens du monde l'occasion d'inviter le pouvoir à redessiner autrement le paysage politique, de prendre en compte ce qui et un véritable « suffrage exprimé », loin des partis politiques traditionnels, même s'il ne correspond pas à ce qu'on s'attend à voir sortir des urnes. Conclut-il à un échec programmé de toutes les subversions, même les plus constructives ? Pense-t-il que l'appareil politique reste le plus fort face à l'individu ou que le « pré carré » des politiques doit resté ce qu'il est ?

     

    Je continue d'être enthousiasmé, malgré des pratiques rédactionnelles originales et des digressions parfois un peu longues et difficiles à suivre, par l'œuvre de Saramago dont cette revue s'est largement fait l'écho (La Feuille Volante n° 475 – 476 - 478)

     

    *José Saramago (1922-2010] – Prix Nobel de littérature 1998.

     

     

     

     

     

  • L'AUTRE COMME MOI – José Saramago–

     

    N°478– Décembre 2010.

    L'AUTRE COMME MOI José Saramago– Le Seuil

     

    Nous avons tous un sosie, dit-on. Tertuliano Maximo Alfonso, la quarantaine, divorcé solitaire, un peu dépressif, professeur d'histoire découvrira le sien par hasard en louant , sur le conseil d'un collègue de travail, une cassette dont le nom seul est tout un programme « Qui cherche trouve ». Le nom de cet homme lui est jusque là inconnu : Daniel Santa-Clara, un obscur acteur de cinéma dont la vraie identité est Antonio Claro. Il est son double parfait. Revenu de sa surprise il va chercher à en savoir davantage à son sujet. Il découvre que 5 ans auparavant, lui-même Tertuliano ressemblait trait pour trait à Antonio. Dès lors, il se met à explorer toute la filmographie où son double apparaît. Ses recherches laborieuses finissent cependant par aboutir et les deux hommes conviennent d'une rencontre. Découvrir son alter-ego exact est toujours un choc. Tertuliano n'y échappe pas. Alors, fantaisie de la nature, occasion de se poser des questions sur sa propre vie, son propre parcours, celle de l'autre... Notre professeur va bousculer les habitudes de sa vie bien rangée, bien morne, jusqu'à mettre à convaincre Maria da Paz, la femme avec qui il a une liaison en pointillés, de se livrer à des canulars téléphoniques et postales ou user de postiches pour tenter d'espionner celui qui reste pour lui à la fois un mystère et une invitation permanent à en savoir plus à son propos. Cette quête se révèle absurde et inutile et il découvre un personnage aussi falot que lui, acteur de seconde zone, sans grande envergure et sans grand talent, juste un coureur de cachets, vivant comme lui, mais un peu différemment.

     

    Comme toujours on omet quelque chose dans les rapports entre les humains, leurs passions, leurs folies aussi et tout n'est pas aussi simple [« L'âme humaine est une boîte d'où peut toujours sortir un clown grimaçant qui nous tire la langue, mais parfois ce même clown se borne à nous regarder par-dessus le bord de la boîte et s'il voit que nous agissons selon ce qui est juste et honnête, il nous adresse un signe d'approbation avec la tête et il disparaît se disant que nous ne sommes pas un cas entièrement désespéré »] . Est-ce parce que Antonio est un séducteur-né où que son métier d'acteur le pousse naturellement vers les passades? Ce dernier, quand il apprend cette gémellité, se croit obligé de séduire Maria, la compagne de Tetuliano. Celui-ci, partagé entre sa volonté d'éprouver son amie et de pousser au bout cette expérience, finit par accepter la proposition d'Antonio, et ce d'autant qu'il va, lui aussi et à cette occasion, partager une nuit avec Héléna, la femme légitime d'Antonio. Les deux protagonistes soignent le mimétisme jusque dans les moindres détails pour arriver à leurs fins. Pour Antonio, c'est le simple plaisir de séduire une femme, mais pour Tertuliano c'est plutôt l'occasion de sortir de son quotidien, de mettre un peu de sel dans sa vie intime, de remettre en question un amour qu'il met en doute, de pousser jusqu'à l'absurde un jeu un peu ridicule. Las, le hasard s'en mêle, la petite enclouure à laquelle on n'avait pas pensé vient tout remettre en question, la Camarde entre en scène comme une punition d'avoir ainsi voulu brouiller les cartes, comme pour signifier que cela ne peut durer ainsi bien longtemps ! Alors, sanction voulue par l'auteur pour punir les auteurs de ce qui aurait pu rester une bonne blague ou manifestation d'une forme de justice immanente pour qu'on ne fasse pas n'importe quoi ?

     

     

    Comme à chaque fois, j'ai apprécié l'effet labyrinthique, l'humour subtil et le suspense qui caractérisent le style de Samarago. La manipulation des phrases et des dialogues, la pratique de l'incise, l'emploi anachronique des majuscules, la syntaxe parfois chaotique qui constituent sa singularité sont quand même un peu déroutantes à la longue et ce qui peut passer pour une originalité littéraire finit par lasser. Je regrette, malgré l'intérêt du thème traité, les nombreuses longueurs et digressions dont l'auteur est friand d'autant que le lecteur doit attendre les dernières lignes pour découvrir l'épilogue. L'idée du double et son application littéraire au pseudonyme, les variations sur une personnalité autre que la sienne, la face cachée de soi-même, le principe de l'altérité et les questionnements et les fantasmes qu'elle entraîne inévitablement donnent lieu à des développements passionnants. La perte de la certitude de l'unicité que peut avoir chaque être est angoissant face à la prise de conscience que que la société moderne est constituée d'êtres de plus en plus semblables, de plis en plus standardisés. L'étude des passions et des travers humains est habillement menée et jusqu'à la dernière ligne le lecteur se demande encore qui est qui.

     

    J'avais déjà été intéressé par la découverte de cet auteur [« Tous les noms » et « Les intermittences de la mort » -La Feuille volante n° 475 et 476] . Malgré une première approche un peu difficile de ce roman, je n'ai pas été déçu.

     

     

     

  • Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants – Mathias Enard

     

    N°477– Novembre 2010.

    Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants Mathias Enard– Actes sud.*

     

    Nous sommes en 1506, Michel-Angelo Buonarroti (Michel-Ange) vient d'être éconduit par le pape Jules II, souverain pontife guerrier et avare avec qui il est engagé pour l'édification de son tombeau à Rome. Devant le refus d'une avance pour poursuivre ses travaux, le sculpteur fuit Rome, se réfugie à Florence où il reçoit une offre alléchante du sultan de Constantinople, Bajazet, de concevoir un pont sur la Corne d'Or et qui réunira les deux parties de cette ville. C'est un extraordinaire défi qu'il veut relever. L'occasion est trop belle, d'autant que Léonard de Vinci, son illustre aîné, a échoué dans ce projet et que Jules II ne se manifeste plus.

     

    Il débarque donc à Constantinople, s'enthousiasme rapidement pour la culture turque et la vie semi-oisive qu'il mène, mais, malgré un truchement, il ne parle pas la langue... Pourtant tout ici l'intéresse, il goûte le raffinement des plaisirs, les langueurs de l'Orient, les couleurs et les senteurs du bazar, l'harmonie de l'architecture, la beauté des corps et des visages dont il se souviendra plus tard et qu'on retrouvera dans son œuvre ...Mais il est avant tout sculpteur, pas architecte ni ingénieur et ce qu'il dessine volontiers ce sont les animaux et l'anatomie humaine, pas les ponts! Le seul spécimen dont il se souvient est celui qui enjambe d'Arno à Florence, et il ne le trouve pas beau !

    Il se désintéresse même quelque peu de son travail, gagné qu'il est par tout ce qu'il découvre dans cette ville. Et puis, malgré cette invitation tentante du sultan, il s'aperçoit qu'ici comme à Rome « il faut s'humilier devant les puissants » et faire ce qu'ils attendent. Alors il rêve, pense qu'ici comme ailleurs « les hommes sont des enfants... On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois, d'éléphants et d'êtres merveilleux... ». Tout est donc possible.

     

    Et puis, malgré cette ville fabuleuse, mystérieuse et cosmopolite où il vit incognito, il regrette Rome et sa patrie, son travail n'avance guère et surtout il est chez les infidèles et a le sentiment d'avoir trahi tout le monde à commencer par Dieu. Et il y a cette lettre qu'il reçoit et où il comprend qu'il est découvert, que la cabale qui s'est tissée contre lui va le broyer, que Jules II va se venger de sa désertion. Pour lui ce sera la ruine, l'excommunication, la mort...Il cauchemarde, se remémore le supplice de Savonarole à Florence...Pourtant le Grand Turc est en paix avec les cités d'Italie. Il n'a donc rien à craindre. Alors, lui qui n'est pourtant pas beau et qui n'a rien de la délicatesse des ottomans, s'adonne aux plaisirs qu'offrent cette ville et bien sûr y rencontre l'amour « cette promesse d'oubli et de satiété », mais aussi l'ambiguïté des relations entre les hommes faites de sensualité et de violence, d'infidélités, de querelles politiques inoubliées aussi, dans cette contrée au carrefour des civilisations.

     

    Est-ce ce son jeune âge, son séjour merveilleux ou ce pays, il se met au travail et parvient à un dessin qui enthousiasme le sultan mais Michel-Ange comprend que « Turcs ou romains les puissants nous avilissent », que la mort frappe pour exorciser cette jalousie que l'oubli et la fréquentation des plaisirs terrestres auront du mal à dissiper. Trahi par ce pays qu'il ne peut pas comprendre et où il sera toujours un étranger, abandonné comme un paquet encombrant, c'est sans le sou et en secret, qu'il repart vers l'Italie qui lui manque tant.

     

    Qu'est ce qui a poussé Michel-Ange dans cet intermède oriental ? L'appât du gain, l'envie de voir autre chose, la vanité d'être sollicité par un personnage puissant pour réaliser quelque chose qui était destiné à traverser les siècles, la volonté de se venger d'un pape mauvais payeur, la consécration de son génie précoce alors qu'il était boudé dans sa propre patrie ? L'auteur s'approprie des événements historiques et des moments de la vie du sculpteur florentin pour tisser cette histoire passionnante dont il nous fait seuls juges [« Pour le reste, on n'en sait rien » précise-t-il]. Il prête à son sujet un désir de revanche, une période de doute, d'exaltation, de découverte du merveilleux et de l'inconnu, d'expériences, de soif de reconnaissance, de foi dans les mirages, de recherche d'autre chose qui ressemble à l'enfance perdue, comme cela arrive à chacun d'entre nous... Dès le livre ouvert, il l'exprime en termes poétiques « La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brûle. On la porte au bûcher, à l'aube. Et avec elle ses gens, les buveurs, les poètes, les amants... Je ne sais quelle douleur ou quel plaisir l'a poussé vers nous, vers la poudre d'étoile, peut-être l'opium, peut-être le vin, peut-être l'amour; peut-être quelque obscure blessure de l'âme bien cachée dans un replis de la mémoire... Tu habites une autre prison, un monde de force et de courage où tu penses pouvoir être porté en triomphe; tu crois obtenir la bienveillance des puissants, tu cherches la gloire et la fortune. Pourtant quand la nuit arrive tu trembles. Tu ne bois pas, car tu as peur; tu sais que la brûlure de l'alcool te précipite dans la faiblesse, dans l'irrésistible besoin de retrouver des caresses, une tendresse disparue, le monde perdu de l'enfance, la satisfaction, le calme face à l'incertitude scintillante de l'obscurité... Alors tu souffres, perdu dans le crépuscule infini, un pied dans le jour et l'autre dans la nuit ».

     

    C'est un livre agréable à lire, tout en nuances, plein de moments poétiques intenses et bienvenus. Il évoque autant le personnage de Michel-Ange que cette cité mythique où le lecteur se promène avec ravissement. Il est le témoin privilégié de ce rendez-vous manqué entre l'homme de la Renaissance et l'Orient.

     

     

    *Prix Goncourt des lycéens 2010.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES INTERMITTENCES DE LA MORT – José Saramago

     

    N°476– Novembre 2010.

    LES INTERMITTENCES DE LA MORT José Saramago *[1922-2010]– Le Seuil.

     

    Dès la première ligne le ton est donné « Le lendemain personne ne mourut ».

     

    C'est que dans ce pays imaginaire, la mort n'existe plus. Certes le temps n'est pas aboli, la jeunesse n'est pas éternelle et les gens vieillissent, les accidents se produisent et la maladie sévit toujours mais la mort n'intervient pas, transformant la vie en une gigantesque agonie. « Depuis le début de l'an neuf, plus précisément depuis zéro heure de ce mois de janvier pas un seul décès n'avait été enregistré dans l'ensemble du pays ».

    L'auteur s'attaque à sa manière au grand tabou de nos société occidentales : la mort. Elle est certes inévitable, fait partie de la condition humaine, mais nous vivons comme si elle n'existait pas et ce vieux rêve de l'homme, l'immortalité, prend ici corps dans une longue et douloureuse vieillesse. La société est complètement désorganisée, les vieux ne meurent plus comme avant, les hôpitaux sont surchargés, les pompes funèbres et les société d'assurances ruinées, l'État désemparé et au bord de la faillite, le société dans son ensemble complètement perturbée (ne parlons pas du financement des retraites !), l'Église dépossédée de son fonds de commerce. En effet, la mort ayant disparu, plus de résurrection, plus de morale, plus de menaces surréalistes avec la sanction de l'enfer ou de promesse du paradis. C'en est fini des fantasmes judéo-chrétiens... Quant à l'idée même de Dieu, il vaut mieux ne pas l'évoquer ! L'homme ne peut plus basculer dans le néant ni s'offrir à lui-même son propre trépas comme une délivrance. On ne peut même plus se servir des accidents pour faire peur aux imprudents... Reste la souffrance aussi implacable que la peur de mourir, comme une punition ! C'est un peu comme si le premier jour de cette nouvelle année introduisait une nouvelle façon de vivre puisque la vie devenait, à partir de ce moment, définitive. Il y a de quoi s'alarmer face à cette Camarde qui ne remplit plus son macabre office alors que les animaux eux, continuent de mourir et qu'à l'extérieur des frontières de ce fabuleux pays on continue normalement de payer son tribut à Thanatos ! Y aurait-il deux poids et deux mesures dans ce grand chambardement ?

    Alors face à cela, les philosophes se mirent à philosopher, les religieux à organiser des prières pour que les choses reviennent un ordre plus classique et les habitants des régions frontalières à transporter leurs mourants de l'autre côté de la frontière, là où le monde ressemblait encore à quelque chose. C'est là qu'entre en jeu la « maphia »(avec « ph » pour la différencier de l'autre) qui va organiser, avec l'aval du pouvoir, un peu mieux ces choses qui ne vont décidément plus. Pourtant, cela n'est pas sans poser quelques problèmes diplomatiques, militaires, enfin des difficultés humaines avec leur lot d'exagérations de volonté de tirer partie d'une situation nouvelle et lucrative...

    Heureusement, après une année de grève, la Grande faucheuse décide de reprendre du service ce qui bouleverse un peu les toutes nouvelles habitudes prises. Pire, elle éprouve le besoin d'avertir chacun de son décès par lettre personnelle de couleur violette (y a-t-i une symbolique dans cette couleur qui n'est pas le noir ?). Las l'une d'elle, adressée à un violoncelliste solitaire, revient, refusée par son destinataire, et ce trois fois de suite !

     

     

    Avec un certain humour, il croque cet homme dans son quotidien, fait allusion à cet échec surréaliste de la mort, évoque l'improbable dialogue de la Camarde avec sa faux à qui elle confie ses doutes, ses hésitation face à ce cas de résistance, déplore le retour par trois fois (y a-t-il là une symbolique ?) de ces missives macabres et annonciatrices qui peuvent parfaitement figurer l'ultime combat du malade face à sa fin ?

    Avec son habituel sens de la dérision, il évoque Dieu autant que « l'instant fatal » nécessairement solitaire, va jusqu'à parler directement avec la mort, la tutoyer comme si elle lui était devenue familière, la tourner en dérision avec gourmandise, lui faire abandonner son triste linceul pour lui prêter les traits d'une jolie femme élégamment vêtue [à l'inverse de Proust qui la voyait comme une grosse femme habillée de noir], la réintègre dans ce pays imaginaire allant à la rencontre du fameux violoncelliste qui refuse de mourir, filant à l'envi son interminable fable...

     

    Saramago s'en donne à cœur joie dans cette cour ou le Père Ubu mène la danse. Dans sont style goguenard habituel, parfois difficile à lire et déroutant dans la construction de ses phrases et son habitude de se jouer des majuscules, l'auteur pratique les digressions pour le moins fantaisistes et philosophiques. Quelle sera l'épilogue de cette fable? Quel rôle joue véritablement l'auteur ? L'écriture est-elle, comme souvent, un exorcisme ? Est-ce pour lui une façon de se moquer de la mort ou de s'y préparer ?[roman paru en 2005 - Disparition de l'auteur en 2010 après une longue maladie ]. L'auteur nourrit-il par ce roman le fantasme inhérent à la condition humaine qu'est l'immortalité ? Veut-il rappeler à son lecteur que, même mort, un écrivain continue d'exister à travers ses livres ? Autant d'interrogations...

     

    J'ai retrouvé avec plaisir cet auteur qui traite d'une manière originale mais aussi sérieuse les problèmes de l'humanité, promène son lecteur attentif et curieux de l'épilogue dans un univers décalé qui lui fait voir autrement les choses... même si ce n'est pas vrai, mais c'est l'apanage des romanciers que de redessiner le monde avec des mots !

     

     

    * Prix Nobel de littérature 1998.

     

  • TOUS LES NOMS – José Saramago

     

     

    N°475– Novembre 2010.

    TOUS LES NOMS José Saramago *– Le Seuil.

     

    Cela commence plutôt bien puisque l'auteur, non sans un certain humour, caractérise la division hiérarchique du travail «  Les préposé aux écritures doivent trimer sans répit du matin jusqu'au soir, tandis que les officiers d'administration travaillent de temps en temps, les sous-chefs de loin en loin seulement, et le conservateur presque jamais ... Imaginer le chef du Conservatoire en train de faire des heures supplémentaires équivalait à peu près à imaginer la quadrature du cercle ».

     

    Celui dont il va être question est M. José, fonctionnaire du plus bas grade, employé au Conservatoire général de l'État Civil dont le rôle est de répertorier les vivants et les morts. Or ce monsieur n'a rien d'extraordinaire : la cinquantaine, célibataire solitaire, sans enfant, et pour occuper le peu de temps que lui laisse sa tâche de subalterne, il va se mettre à collectionner des articles de presse sur les cent personnalités les plus importantes du pays. Un jour, par hasard, il tombe sur le dossier d'une femme de trente six ans, divorcée, professeur de mathématiques et, sans qu'il y ait à cela la moindre explication va s'intéresser à elle. Lui, le petit fonctionnaire modèle, ponctuel, zélé et servile, qui n'a jamais enfreint le moindre article du règlement interne, qui a toujours mené à bien sa tâche sans jamais faillir, va, pour la retrouver, bouleverser ses habitudes, prendre des risques inconsidérés, détricoter la vie de son sujet, se livrer au détournement de quelques imprimés administratifs, falsifier des autorisations et même enfreindre la loi pour atteindre le but surréaliste qu'il s'est fixé. Et cela sans la moindre raison ... Las, sa quête sera vaine puisque la femme inconnue est morte mais il aura, à cette occasion réussi à être un autre homme au moins pendant ces quelques semaines pendant lesquelles il a voulu s'abstraire de cette condition de petit scribouillard courtelinesque aussi transparent que sont abstraites les identités que son emploi l'amène à gérer. Deviendra-t-il amoureux de cette femme désormais définitivement absente ? Il ira même jusqu'à consigner tout cela par écrit dans une sorte de journal intime, peut-être pour garder la mémoire de ce qui a été l'unique action importante de sa pauvre vie.

     

    Dans un style délibérément ironique, jubilatoire, luxuriant, malgré des phrases un peu longues et une mise en page qui rend parfois la lecture un peu délicate, l'auteur fait partager à son lecteur les rebondissements qui vont bouleverser le quotidien de ce vieux garçon pendant quelques temps, montrant tout à la fois les absurdités de cette administration kafkaïenne qui ne permet pas à un subalterne de prendre la moindre initiative, si petite soit elle, sans en référer à son supérieur, où la moindre réclamation prend des proportions monstrueuses, où les discours des chefs sont de minables péroraisons, et met en évidence la personnalité de ce pauvre homme. Son travail est toute sa vie, et il l'accomplit avec dévouement et abnégation sans s'apercevoir qu'il l'abrutit complètement. Pourtant, lui le vulgaire gratte-papier qui n'existe presque pas, va bénéficier d'une sorte de complicité inattendue du conservateur ! Ce dernier, inaccessible et protégé par des pratiques hiérarchiques d'un autre âge, va s'intéresser à lui, ne le considérant plus comme un être « taillable et corvéable à merci », respectant soudain sa personnalité.

     

    Alors, roman à énigme baroque qui moque ce pauvre homme enfermé dans une administration déshumanisée et tentaculaire qui finirait peut-être par le broyer malgré cette tentative de donner un sens à sa vie, ou image en creux de chacun d'entre nous, coincé dans cette société du quotidien qui ignore l'homme et ne cherche qu'à l'avilir ? Elles ne sont pas si forcées que cela les évocations de ce monde du travail que la hiérarchie tronçonne et que les coutumes en usage dans dans ce bureau empreintent à la pratique de la délation et de suspicion entre collègues et de la flagornerie avec l'autorité. Est-ce que cette tentative de vouloir sortir de sa condition a donné à la hiérarchie l'occasion de s'intéresser à un agent qui a soudain voulu faire autre chose que son travail ? Que signifie ce coup de folie de ce petit employé couleur muraille qui choisi par hasard de mener des investigations aussi inutiles que l'est son travail au quotidien ? Qui est ce « monsieur José » (cette civilité lui donne quand même une certaine originalité dans ce récit) qui étrangement est le seul parmi les protagonistes pourtant importants de ce roman à porter réellement un nom (Je ne peux pas ne pas remarquer que l'auteur lui-même se prénomme ainsi, ce qui renvoie immanquablement au personnage de Joseph K du « Procès » de Franz Kafka, lui aussi poursuivi par l'absurde !) ? Que signifie ce berger facétieux qui, à la fin du roman s'amuse à mêler dans ce cimetière les pierres tombales ? L'auteur veut-il insister sur l'inutilité d'un travail improductif et impersonnel pourtant imposé par une hiérarchie aveugle et grisée par son pouvoir ? S'agit-il de dénoncer l'ambiance oppressante de ce bureau ? Que signifie cette attention du conservateur à son égard, paternalisme ou réelle complicité ?

     

    L'auteur s'attache son lecteur tout au long du roman. Nous convie-t-il, sous couvert d'une fable, à nous interroger sur le concept même de l'identité, sur la solitude de l'existence, la place de chacun dans cette société, l'importance de son travail, le néant de la mort, la vanités des choses humaines, le destin ou la volonté d'exister que chacun d'entre nous possède en lui? A quoi sert un écrivain ? Probablement à être le miroir du monde dans lequel il vit, à renvoyer à son lecteur une image bien réelle de son univers quotidien ... et ce n'est peut-être pas là la moindre de ses qualités.

     

    A chacun d'apporter sa réponse.

     

     

    * Prix Nobel de littérature 1998.

     

  • LE JEU DE L'ANGE – Carlos Ruiz Zafón

     

    N°474– Novembre 2010

    LE JEU DE L'ANGE – Carlos Ruiz Zafón – Éditions Robert Laffont.

    [Traduit de l'espagnol par François Maspero]

    Dès l'abord, l'auteur entre dans dans la problématique d'où va découler tout ce roman « Un écrivain n'oublie jamais le moment où, pour la première fois, il a accepté un peu d'argent ou quelques éloges en échange d'une histoire ». On pourrait penser qu'il allait y être question d'écriture mais aussi de la difficulté d'un auteur, de ses relations jubilatoires mais parfois difficiles avec l'écriture elle-même et aussi avec les éditeurs ! C'était déjà une perspective intéressante.

    Dans ce texte l'auteur reste fidèle aux années 20 et à Barcelone qui, encore une fois est le décor où va se dérouler cette action au cours de laquelle David Martín, fils d'un vétéran de la guerre qui n'aimait pas les livres, travaille dès son plus jeune âge dans un journal,« La voix de l'industrie », mais comme simple manutentionnaire. A la suite d'une défection, il est amené, grâce à Pedro Vidal, un riche citoyen, chroniqueur d'occasion dans ce journal et auteur besogneux sans grand talent, à écrire une série de textes qui révèlent ses dons d'écrivain. Tout semble aller bien pour lui puisque, pour la première fois de sa vie il est payé pour écrire, et que le succès est au rendez-vous ! Rapidement il va être pris dans une spirale où il va devoir « produire » des feuilletons sous un pseudonyme et non plus créer comme il l'aurait souhaité, et ce en étant exploité par un éditeur sans scrupule. Le rythme qui lui est imposé l'épuise de sorte qu'il doit renoncer d'autant qu'il est licencié de ce journal.

    Pourtant il tente d'écrire son propre roman mais, boudé par la critique c'est un échec, et, dans le même temps, il en écrit un pour Vidal qui le signe et qui est un succès. Il est désespéré, d'autant plus que la jeune fille, Cristina, qu'il aime en secret et pour qui il avait écrit son propre roman va épouser Vidal dont elle était la secrétaire.

    Quand il a quitté le bouge où il habitait, il a élu domicile dans une villa, «  la maison de la tour », qui avait appartenu à Diego Marlasca, cet avocat qui avait quitté son cabinet florissant pour se consacrer à l'écriture et venir y vivre avec sa maîtresse, l'énigmatique Irène Sabino. L'immeuble aussi labyrinthique que mystérieux, est fermé depuis 20 ans et dit-on, porte malheur.

    Son ami, le libraire Sempere amène David au « Cimetière des livres » où il va déposer son œuvre malheureuse et un éditeur parisien Andréas Corelli, personnage par ailleurs assez secret, lui propose sans raisons apparentes et moyennant une petite fortune, d'écrire une sorte de Bible, un livre qui serait fondateur d'une religion basée sur un messie vengeur. A dater de ce jour, une sorte de mécanique mortelle se met en place autour de lui, faisant passer de vie à trépas ses amis et même Cristina qui pourtant ne l'avait pas oublié. Un peu comme si, en acceptant ce contrat avec Corelli, il s'était coupé lui-même de l'inspiration, avait sacrifié sa liberté d'écrivain, avait peut-être vendu son âme au diable?

    Quand il reçoit une correspondance de Corelli, la lettre est toujours scellée et l'empreinte dans la cire représente un ange aux ailes déployées qui est son emblème. D'ailleurs, chacune de leurs rencontres, toujours dans des lieux improbables, est placée sous le signe de l'ange. Sa symbolique peut aussi bien s'attacher à l'annonciation qu'à l'apocalypse ou à Lucifer! Le titre du roman trouvera ici son explication et il appartiendra au lecteur d'en percer le mystère.

    C'est une histoire contée avec brio, imagination parfois délirante, humour et poésie et que j'ai pris plaisir à lire malgré quelques longueurs et parfois des digressions, un roman à énigme (je préfère ce terme à celui de roman policier) qui tient vraiment le lecteur en haleine jusqu'à la fin. L'auteur reste fidèle à son univers, celui des livres[« Un livre a une âme, l'âme de celui qui l'a écrit, l'âme de ceux qui l'ont lu, ont vécu et ont rêvé avec lui »], des maisons mystérieuses, des personnages qui apparaissent et disparaissent ensuite, des morts suspectes et parfois violentes, des flics pour le moins méprisables... Il y a aussi un rapport aux parents [la mère de David l'a abandonné, son père ne s'est guère occupé de lui à cause de sa vie désordonnée et de sa mort prématurée et par erreur], aux amours contrariées [les rapports d'Isabella et de David sont bizarres, comme ceux d'Isabella et de Sempere junior, cette fable de la petite fille, à la fois avatar et fantôme de Cristina], au feu [il y a toujours un incendie de livre dans un entrepôt d'éditeur et Marlasca meurt non pas noyé mais brûlé vif ], et cette référence à la saga des Sempere et de leur librairie...

    Pour autant, est-ce le fruit de mon expérience personnelle au regard de l'écriture, j'ai fait de cet ouvrage une lecture particulière. Je me suis attaché aux différentes tentatives avortées voire impossibles de certains personnages autour de l'écriture [ Isabella, Vidal, Marlasca, David Martín lui-même qui connaît aussi bien le succès que des déboires dans ce domaine, sa difficulté à écrire le livre commandé par Corelli et finalement son destin, les hésitations, des recherches et les doutes dont il parle « L'un des principaux expédients propres à l'écrivain professionnel qu'Isabella a appris de moi était l'art et la pratique de la procrastination »..], le rapport de l'écriture à l'argent [la somme importante proposée par Corelli vient probablement de la fortune de Marlasca dérobée par un ami de sa maîtresse, mais rien n'est sûr... C'est un peu comme si l'écriture de David allait racheter ce vol et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un livre religieux]. Je préfère privilégier le rôle d'exorcisme de l'écriture. Je ne connais pas Carlos Ruiz Zafón , mais j'imagine assez bien un être torturé qui trouve dans l'écriture un exutoire bienvenu et salutaire. C'est généralement le cas de beaucoup d'écrivains authentiques.

    J'ai apprécié la lecture de ce livre à cause du style fluide, captivant et agréable à lire malgré la longueur de l'ouvrage (536 pages). Ce texte écrit à la première personne m'a quand même laissé un peu perplexe pour ne pas dire déçu, à cause peut-être des répétitions de scènes déjà évoquées dans son premier roman [ Décor de la libraire Sempere, du « cimetière des livres oubliés » -Incendie constaté dans un entrepôt de livres, victimes gravement brûlées - il y aurait sans doute une explication dans cette permanence du feu – Omniprésence de la police aux méthodes inquisitoriales, violentes et parfois illégales ...] et de la fin qui m'a surpris. J'avais encore en mémoire « L'ombre du vent » qui m'avait enthousiasmé. La Feuille Volante n°470) ! Pourtant les nombreuses références à ce roman, autant par son côté mystérieux, énigmatique donnent plutôt une unité à l'œuvre.

    © Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • CARTAGENA CARAÏBE ET COLOMBIENNE – Bernard Lucquiaud

      

     

    N°473– Novembre 2010

    CARTAGENA CARAÏBE ET COLOMBIENNE – Bernard Lucquiaud – Éditions du Panthéon.

     

    Qu'est ce qui fait que nous éprouvons le besoin de relater par écrit une partie de notre vie, de transmettre aux nôtres et aussi aux autres une expérience qui nous a marqués ? Pourquoi choisissons-nous de privilégier un moment de celle-ci plutôt qu'un autre ? Peut-être parce qu'il a été plus créatif, plus enthousiaste, plus émouvant, qu'il a été riche en rencontres et en circonstances d'exception en quelque sorte ...

     

    C'est sans doute le cas pour Bernard Lucquiaud qui, venant de Toronto (Canada) où il avait été professeur dans le cadre de l'Alliance Française, a pris la direction de l'antenne de Carthagène en Colombie. S'en suivirent six années pendant lesquelles il eut à remettre sur pied cet établissement voué au rayonnement de notre culture et notre si belle langue. Cela n'a pas été facile et il a fallu en passer par des exigences et des contingences, des mondanités aussi. Malgré des moyens financiers parfois dérisoires, il lui a fallu de l'imagination, de la créativité, du culot, de la chance, de la bonne volonté, du courage pour affronter les truands mais aussi l'administration et la diplomatie, un grand sens de l'organisation, de l'abnégation aussi pour finalement faire évoluer les mentalités, reculer la délinquance, faire naître des vocations professionnelles et finalement, dans le contexte de l'amitié colombo-française, de donner de notre pays une belle image, c'est à dire celle qu'il mérite.

     

    « Carthagène des Indes », une ville coloniale et andalouse, un nom qui fleure bon le dépaysement, l'aventure, les terres lointaines, les tropiques, l'exotisme, l'ensorcellement du lieu aussi. On la surnomme d'ailleurs « la perle des Caraïbes ». L'auteur aborde cette ville avec les yeux émerveillés de l'étranger mais aussi avec dans la tête toutes les connaissances de la civilisation pré-colombienne, le mythe de l'El Dorado, l'histoire de ces Espagnols en quête de l'or, arrivés par la mer et que les Indiens prenaient pour des dieux, de la folie qui s'était emparé des conquistadors qui n'étaient bien souvent que des voyous, de l'extermination de cette civilisation au nom de la recherche du profit aussi de l'inquisition, de la colonisation... L'enseignant qu'il est se fait guide touristique et aussi refait l'histoire pour son lecteur, émaille son propos de citations littéraires, mais le pays de cocagne, la terre de tous les superlatifs est régulièrement pillée, se défend parfois victorieusement, est en partie détruite, renaît de ses cendres, devient un port négrier au XVIII° siècle et accède à l'indépendance avec Bolivar.

     

    Mais tous ses rêves d'enfant tissés au fil des lectures et de l'imaginaire deviennent d'un seul coup des réalités d'adulte, tout cela va s'évanouir et faire place rapidement à la déception. La circulation y est désordonnée, les transports publics approximatifs, le service de santé folklorique, la corruption est partout, le trafic de drogue fait partie de l'économie, la criminalité est omniprésente, l'insécurité est quotidienne, la mort rode ... Pour cette antenne de l'Alliance française, les subventions sont minces, parfois détournées, l'auto-financement et souvent la débrouille deviennent la règle pour obtenir l'équilibre financier. Entre vivoter et se développer, il a choisi, mais cette politique d'épanouissement due à son ambition de directeur n'est pas sans soulever des difficultés, susciter des critiques, froisser des susceptibilités et générer des échecs ... Mais ici tout est différent, l'extraordinaire est banal, il n'y a pas de fêtes sans alcool, sans euphorie, sans extravagances, sans couleurs, sans musique...

     

    Le professeur de Lettres qu'il reste cependant ne peut pas ne pas rencontrer Gabriel Garcia Marques, le fabuleux « Gabo », dont le talent sera, quelques années après cette rencontre, consacré par le prix Nobel de littérature. Son parcours personnel, chaque moment de sa vie et de celle de sa famille nourrissent son écriture et deviennent autant de romans qu'il a su, avec génie, faire partager à son lecteur, avouant lui-même que « La vie n'est pas ce que l'on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient ».

     

    Une telle expérience ne saurait laisser celui qui la vit indifférent. Il en tire nécessairement un enseignement sur le peuple qu'il a appris à connaître, mais il ne suffit pas de faire rayonner sa propre culture en la considérant comme supérieure à celle des autres. A l'heure de le mondialisation, il conclut en paraphrasant Candide « il faut cultiver ensemble le même jardin, notre planète » car la nature que l'homme asservit et tue de plus en plus lui est pourtant essentielle. Il clôt ce récit par une réflexion personnelle et une manière d'avertissement à la fois humaniste et écologiste « Homme, arrête de convoiter ton voisin et de le mépriser... C'est en puisant dans nos cultures respectives et en respectant notre environnement que nous assurerons l'avenir de nos enfants ».

     

    Il ne s'agit pas d'un roman comme il est dit dans la préface, mais d 'un témoignage rédigé dans un style narratif et anecdotique, plein de détails et parfois même émaillé d'humour et d'images poétiques qui témoignent de cette aventure d'exception. J'ai lu ce livre avec le yeux d'un sédentaire toujours émerveillé par les voyages lointains, par une ville jusqu'alors inconnue, maintenant vouée à la modernité et assurément fascinante. Je reste admiratif devant son action personnelle en faveur de la France mais aussi attentif au rayonnement de notre culture. Il nous rappelle opportunément que nous sommes tous citoyens du monde.

     

     

     

      

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.  http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles – Jack London

     

    N°472– Novembre 2010.

    LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles – Jack London - Phébus Libretto.

     

    Le seul nom de Jack London évoque l'aventure, la nature, la liberté.

     

    Dans la première nouvelle, qui est plutôt un court roman et qui donne son nom au recueil, un vieillard qui fut jadis professeur évoque pour ses petits-enfants sauvages et illettrés ce qu'était, soixante ans plus tôt la vie en 2013, date de l'apparition de la peste écarlate, ainsi nommée parce qu'elle colore le visage en rouge. Elle décima la population de la terre et réduisit les humains pourtant civilisés et cultivés, à l'état d'êtres égoïstes, défendant le seul bien qui leur reste : leur vie ! Nous sommes donc en 2073 et l'ex-professeur Smith raconte ce qu'était la société civilisée et organisée et comment, épargné par la pandémie, il a survécu dans ce monde hostile redevenu sauvage où les opprimés d'alors ont réussi à s'affirmer grâce à leur brutalité et à prendre le pas sur leurs oppresseurs d'avant. Ses petits-enfants ne peuvent se figurer ce qu'il décrit pour eux mais il place son espoir dans les livres et la clé de lecture qui permet de les déchiffrer. Il a caché le tout dans une grotte et espère que l'espèce humaine retrouvera, grâce à cela, sa splendeur passée.

    La seconde nouvelle, intitulée « Le dieu rouge » évoque la croyance d'une tribu sauvage en un dieu extraterrestre matérialisé par une sphère rouge qui émet un son. Un blanc, perdu dans la forêt, tente de percer ce mystère qui ne peut s'expliquer qu'au prix de la vie.

    La troisième intitulée « Qui croit aux fantômes ?» met en scène deux rationalistes qui se sont donnés rendez-vous dans une maison hantée. Ils vont se trouver « possédés » par deux fantômes qui reviennent pour disputer une partie d'échecs dont leur vie dépendra.

    « Mille morts » parle d'un fils de famille parti sur les mers et récupéré par un navire commandé par son père. Ce dernier va se servir de ce fils pour mener à bien des expériences où la mort est suivie de résurrections successives. Mais le fils ne saurait, jusqu'au bout être son cobaye.

    L'auteur change de registre avec« la seconde jeunesse du major Rathbone » où il analyse, sur le mode humoristique, les conséquences des tentatives de rajeunissement du corps et de l'esprit d'un vieillard. Il faudra quand même compter avec Déborah, son ancien amour de jeunesse qui, elle aussi, bénéficia de cette expérience.

     

    L'architecture d'un recueil de nouvelles n'est pas chose facile. Avec celui-ci, paru en 1912, Jack London (1876-1916) passe du registre tragique à l'humour, au moins en apparences. Avec la première nouvelle, publiée peu de temps avant sa mort, il semble nous avertir d'une possible fin du monde, provoquée par la maladie. Songeait-il à la Grande Guerre qui allait bouleverser le monde? Peut-être? Encore qu'il nous confie que les survivants restent capables de le reconstruire au moyen des livres refaire et de la connaissance que le Professeur Smith a sauvegardés. Il explore ici un registre plus mystérieux voire apocalyptique, jouant à la fois sur le fantasme de la fin du monde, de la mort, de l'éventuelle résurrection, l'anéantissement de la vie et la responsabilité humaine dans ce cataclysme ?

     

    Avec la se seconde nouvelle, c'est clairement l'angoisse de la mort et une certaine désespérance qui transparaissent ici. La couleur rouge rappelle celle de la peste du premier texte et les mots évoquent une certaine perfection des formes et des sons, comme quelque chose qu'on découvre enfin après l'avoir tant recherché. Ce qui est ici suggéré c'est à la fois l'attrait de l'inconnu et la fascination et l'acception de la mort, une sorte de sérénité devant elle, le terme du parcours qui fut le sien durant sa vie et que l'écriture magnifia. Même la présence de Balatta n'y fera rien. Il la repoussera faisant prévaloir Thanatos sur Eros. Rappelons-nous que ce texte a été écrit quelques mois avant sa disparition.

    Avec les deux autres textes, il semble présenter les choses sous un angle différent, peut-être plus léger? Voire. Celui où il évoque la présence de fantômes et qu'il écrivit à dix-neuf ans, doit sans doute beaucoup à Edgar Poe dont il fut le lecteur attentif. C'est la fascination de l'étrange qui habite la condition humaine avec son cortège de névroses, de perversions, de dérèglements... la mère de l'auteur était une spirite convaincue et celui qui fut son père et qui les abandonna tous les deux, versait lui aussi dans l'ésotérisme. Voulut-il régler ainsi, par l'écriture et l'imaginaire, ses comptes personnels avec eux? Quand il choisit le thème des expériences sur l'humain, sur le vivant, on songe à un médecin fou mais le registre ici est le fantastique. Derrière des considérations techniques difficiles à suivre, il évoque des expériences un peu déjantées qui procurent la mort mais aussi qui redonnent la vie. C'est certes de la pure fiction, mais c'est aussi une autre forme de réflexion sur la mort. N'oublions pas que Jack London est avant tout un athée, lecteur de Marx et que donc l'idée de Dieu est absente de ces textes.

    On peut aussi y voir une forme de victoire de l'homme sur les événements qui pèsent sur sa vie, le triomphe du pessimisme, du défaitisme. Au dernier moment il réagit et fait prévaloir sa liberté. Le héros de « Mille morts » s'échappe, le vieux major redevenu jeune convole avec son amour de jeunesse,

     

    Avec ce recueil, Jack London qui fut un auteur prolifique de plus de 50 livres qui, pour la plupart évoquent l'aventure explore ici un registre différent. Encore une fois, sa vie personnelle ses expérience ont nourri son écriture, mais celle-ci a joué pour lui un rôle d'exorcisme, mais c'est aussi le sien!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UNE SOIRÉE AU CAIRE – Robert Solé

     

    N°471– Novembre 2010

    UNE SOIRÉE AU CAIRE – Robert Solé - Le Seuil.

     

    Charles, le narrateur, se souvient que sa famille avait quitté l'Égypte qu'elle avait tant aimée, comme des parias. Mais à partir de ce moment, le monde qui s'offrait à eux leur appartenait et ils n'allaient pas tardé à le conquérir.

     

    A la mort de son oncle Michel, Charles, journaliste français, avait recueilli ses cahiers de souvenirs, sorte de journal intime et de témoignage de ces années bénies d'avant le départ. Pourtant, ce document resta longtemps dans un coin sombre sans que personne ne s'en préoccupe. Lui-même avait longtemps cultivé une amnésie volontaire malgré de fréquents retours dans ce pays « Notre monde a disparu, dit-il, mais je continue pourtant à guetter les battements de son cœur et ses sourires ». A l'occasion d'un retour au Caire, officiellement pour des recherches sur Bernard Bruyère, un égyptologie français qui y mena des fouilles dans l'entre-deux-guerres, Charles, 58 ans, choisit de revivre ses propres souvenirs d'enfance. Que reste-t-il de cette période ? Une maison, jadis propriété de son grand-père maternel, Georges Bey Batrakani. Elle est habitée par Dina, qui, en gardienne du temple, entretient la mémoire du lieu. Elle est sa tante par alliance, la veuve d'Alex, son oncle, un infatigable flambeur et coureur de jupons. Dina, malgré son âge avancé le fascine. C'est encore une belle femme qui le reçoit dans cette maison. Par la magie du souvenir, des photos et des extraits de ce journal, il les revoit tous comme avant dans cette maison. André, le père jésuite, Paul qui pensait à la Suisse où il finit par s'établir, Michel, le rêveur qui était resté célibataire, le vieux chauffeur de son grand-père, Yassa, qui avait la particularité de ne pas savoir conduire et avait «  appris en 1954 sur une Aston-Martin décapotable », ceux qui étaient au service de leur famille... Mais aussi Henri Touta, le grand oncle qui truffait sa conversation de citations latines, était consul d'une petite république d'Amérique Centrale et même anobli par le Vatican, ses grands parents maternels, particulièrement Georges qui a été nommé « Bey » à cause des « tarbouches » qu'il fabriquait, cette coiffure emblématique de l'Égypte d'alors... Mais tout cela c'était avant, avant le putsch de Nasser qui en supprima le port parce qu'il incarnait trop l'ancien régime ! Puis ce fut le départ de la famille pour le Liban...  « Nous avons quitté l'Égypte en masse au début des années 60 « sans tarbouche ni trompettes », comme l'écrit Michel dans son journal ». C'était une page qui se tournait.

     

    Maintenant Dina, qui n'est qu'une pièce rapportée comme disent les gens qui manquent d'éducation, évoque pour lui son enfance, ses fiançailles, son mariage avec Alex, sensiblement plus vieux qu'elle. Elle est revenue du Liban à cause de la mort de son mari, d'une histoire d' amour contrariée et de la guerre, pour habiter cette grande maison transformée en musée.

     

    A l'inverse des autres membres de cette famille qui préféraient « mourir avec de beaux souvenirs », les six enfants de Georges, qui eux aussi ont eu une descendance, se sont répandus de par le monde. Charles, qui n'était que le fils de Sélim, le gendre de Georges, mais son successeur choisi, était revenu plusieurs fois dans cette maison du Caire où Dina le charme toujours, mais cette fois elle va donner une soirée amicale à laquelle est conviée l'équipe archéologique à laquelle participe Charles. Ce sera donc cette « soirée au Caire » où il retrouve des membres de sa parentèle, d'anciens amis, des admirateurs de Dina. Il va à la rencontre de l'Égypte d'aujourd'hui [« Ce pays est en train d'étouffer entre les fous furieux qui mettent de la religion partout et un pouvoir épuisé et largement corrompu » avoue Amira ], du lointain souvenir de la présence et de la culture françaises. Il se sent maintenant comme un étranger dans ce pays qui fut pourtant le sien, se perd en conjectures, en face d'une photo jaunie, sur les relations qui ont pu exister entre son propre père et cette tante Dina si troublante ! Bref il va à la rencontre de souvenirs qui maintenant appartiennent à un passé définitivement révolu. De plus, il faudra bien se résoudre à faire éclater cette indivision qui dure depuis si longtemps, vendre cette maison, transiger avec Dina... C'est Charles qui s'est proposé pour cette délicate mission... Heureusement la mémoire de toutes ces années sera préservée avec en plus le charme d'Amira qui vient illuminer le présent et peut-être l'avenir !

     

    C'est un roman plein de nostalgie de l'enfance, du regret des belles années passées, de réalisme aussi mais la madeleine proustienne a pourtant perdu un peu de son goût et ce monde n'est plus qu'un souvenir«  Il y a dans nos familles d'exilés beaucoup d'affabulateurs et d'amnésiques ... Les uns et les autres ont tourné la page sans l'avoir toujours bien lue» écrit le narrateur évoquant le départ, le déracinement, les hasards, l'évolution des événements, les erreurs peut-être?

     

    J'avais déjà apprécié « le tarbouche » du même auteur (la Feuille Volante n° 119). J'ai retrouvé avec plaisir cette saga familiale, la vie personnelle de l'auteur nourrissant sa démarche d'écriture, cette dernière exorcisant son passé. J'ai apprécié le style fluide, simple et agréable à lire avec lequel elle est ici contée.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Le Tarbouche – Robert Solé

     

    N°119– Juillet 1992.

    Le Tarbouche – Robert Solé – Le Seuil.

     

     

    Le prétexte de ce roman est donné à la fois par l'évocation du « tarbouche », couvre-chef emblématique du costume égyptien traditionnel et par la publication partielle du journal intime que tient Michel Batrakani, élève des jésuites qui appartient à une famille chrétienne et francophile du Levant, assise entre deux mondes dans cette Égypte sous mandat britannique.

     

    Ce journal commence le 13 mai 1916 alors que la Grande Guerre fait rage en Europe « Ce matin, à dix heures et demie et cinq, le sultan est venu au collège. J'ai récité devant lui « le laboureur et ses enfants ». Il m'a félicité ». D'une plume alerte, l'auteur nous conte cette saga des Batrakani où la petite histoire qui se mêle à la grande le dispute à cette fascination de l'orient qui se rencontre à chaque page.

     

    Dans un style où l'humour et le dépaysement tiennent jusqu'à la fin le lecteur en haleine, l'auteur évoque le parcours de cette famille de commerçants chrétiens venus en Égypte et qui s'est mise à fabriquer des tarbouches par souci d'intégration. Georges Batrakani, le grand-père, n'a-t-il pas été fait « Bey de 1° classe » par le roi lui-même pour « services exceptionnels rendus à l'industrie locale ». Peut-on trouver mieux comme preuve d'assimilation ? C'était dans les années 20 !

     

    Les personnages évoluent dans cet univers qui semble hors du temps et singulièrement hors du quotidien de l'Égypte profonde. Il n'en sont pas moins originaux, truculents, attachants... Maguy avec sa cohorte d'amants , Nando, profondément usurier, André qui deviendra jésuite et restera seul en Égypte, Henri aux éternelles citations latines sera consul d'une république sud-américaine changeante, Makram, le copte qui a juré de porter le deuil jusqu'au départ des Anglais ...

    Ce paysage est fait de délicatesse, de douceur de vivre. Ce monde est à la fois proche et loin de nous, arabe et européen, mais surtout fascinant par ses couleurs, ses décors, ses senteurs...

     

    Au fil du roman, nous assistons à la naissance de l'Égypte, du sentiment national puis à un renversement de situation que personne n'avait prévu et qui débouchera sur la prise de pouvoir de Nasser, faisant de ce pays une nation arabe où les Batrakani n'ont plus leur place. Un à un, ils ont fini par partir, sauf André, le jésuite, non pas expulsés mais rejetés presque naturellement de ce pays qu'ils avaient aimé pour sa richesse et sa douceur de vivre mais où ils n'étaient pas vraiment chez eux « Nous sommes partis de notre propre gré, sur la pointe des pieds, sans tarbouche ni trompette » peut-on lire sous la plume de Michel, un peu comme s'ils s'étaient trompé de symbole, le tarbouche ne représentant dès lors plus rien, pas même le couvre-chef national !

     

    Alors, qu'étaient-ils, eux, ces grecs-catholiques perdus dans un pays arabe ? Michel, dans son journal, le dit sans fard «  Ils étaient entre deux langues, entre deux cultures, entre deux églises, entre deux chaises, ce n'était pas toujours très confortable mais [leurs] fesses étaient faites ainsi ».

     

    Nous assistons à la fin d'un monde, d'une société, d'une famille aussi qui laisse en terre égyptienne ses morts pour lâcher ses vivants au hasard de la géographie mondiale. C'est un nouveau départ, un nouvel exil pour ce clan qui ne veut pas mourir.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 1992.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • L'ombre du vent - Carlos Ruiz Zafón

     

    N°470– Novembre 2010.

    L'ombre du vent Carlos Ruiz Zafón - Grasset.

    (traduit de l'espagnol par François Maspero)

     

    Le décor : Barcelone, ville mythique que la période de l'après-guerre civile rend plus énigmatique encore, le quotidien difficile pour le père de Daniel Sempere, le narrateur, garçon de onze ans au début du récit que son père, modeste libraire emmène dans un lieu mystérieux du quartier gothique : « le cimetière des livres oubliés ». L'enfant qui pense toujours à sa mère morte quelques années plus tôt est convié à un étrange rituel transmis de génération en génération. Il doit « adopter » un livre parmi des millions et son choix se porte sur « l'ombre du vent », un roman de Juliàn Carax, auteur parfaitement inconnu. Il le saura plus tard, ce volume est le seul survivant d'une édition qui a été détruite en grande partie par le feu. La possession de ce livre, que chacun souhaite lui racheter, va transformer sa vie. Il ne le sait pas encore mais cet épisode va le conduire dans une histoire rocambolesque où il va être amené à pénétrer les secrets de gens dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Il va devenir le complice et même l'instrument d'une intrigue sans vraiment comprendre le rôle qu'il y joue. Son histoire, à travers destiné, amitiés, hasard, trahison, villa mystérieuse, se confondant avec celle de Juliàn Carax faisant de ce récit plus qu'une traditionnelle mise en abyme.

     

    Qui était donc ce Carax, obscur auteur barcelonais qui a vécu à Paris au début de XX° siècle et qui jouait du piano dans un bordel de Pigalle ? Il s'appelait aussi Fortuny, était le fils d'un chapelier qui prétendait le contraire et d'une mère pianiste. Il serait mort à Barcelone en 1936 au tout début de la guerre civile, mais rien n'est sûr puisque le mystère qui a toujours fait partie de sa vie, enveloppe aussi sa mort. Les rares romans qu'il a publiés en France ont été un fiasco. Il se révèle être un personnage énigmatique autant que ce qui entoure la publication de ses livres, un individu étrange, qui vit dans le souvenir d'une femme inaccessible qu'il a aimée mais qu'il a perdue : Pénélope Aldaya. Entre eux c'est une histoire d'amour passionnée, de rendez-vous manqués, de projets contrariés, de fausses pistes, de courriers interceptés et finalement de séparation définitive.

    Pourtant, dans sa quête d'informations à propos de Carax, Daniel est poursuivi par un homme assez étrange au visage défiguré par le feu, ce qui le fait assimiler au diable, Lian Courbet, qui souhaite lui racheter son livre et qui ressemble à s'y méprendre à un personnage de ce roman. Entre fiction et réalité, il finira peut-être par rejoindre les chapitres de cette histoire ? Je n'aurais garde d'oublier l'inspecteur Fumero, individu méprisable, flic de la pire espèce que la guerre civile et la franquisme qui la suivit permirent de révéler sa véritable personnalité, celle d'un traitre et d'un assassin. Il s'ensuit une sorte de course où la vie se mêle à la mort et au terme de laquelle Daniel se débarrasse de ce livre pour mieux le retrouver.

     

    C'est pour le lecteur l'occasion de visiter cette ville extraordinaire chargée d'histoire, à la fois port ouvert sur le monde, berceau de la liberté et de la création artistique. Il découvre également une étonnante galerie de portraits dont Fermín Romero de Torres, ex-clochard, ex-agent secret, qui se distingue surtout par des aphorismes bien sentis, par une érudition immense et précise, une grande connaissance des femmes, une grande aptitude à se tirer des situations les plus étranges, une misanthropie militante en générale et un anti-franquisme en particulier. Le père de Daniel est lui plus philosophe et désireux de survivre dans cette ville hantée par la police, les indicateurs et les traitres de tout poil. C'est aussi pour Daniel, à travers une histoire mouvementée, une sorte de voyage initiatique à la découverte de l'amour mais aussi de la condition humaine, de ses grandeurs comme de ses travers, la rencontre d'hommes mais surtout de femmes pleines de charme, de mystère et parfois aussi d'érotisme, Nuria Montfort, Beatrice Aguilar, Pénélope Aldaya, Clara Barcelo, Bernarda...

     

     

    C'est un roman labyrinthique, comme je les aime, entre personnages mystérieux et maison hantée, amours romantiques et destinés fatales, énigmatique aussi, où le suspense le dispute à une saga pleine de rebondissements. Le texte bien écrit, agréable à lire, avec des moments d'humour sertis dans des phrases finement ciselées et poétiques où le lecteur, tenu en haleine jusqu'à la fin, se perd avec plaisir.

     

    Dans ce récit, Ruiz Zafon évoque un personnage qui, parlant d'un roman Carax, indique qu' un lecteur qui le découvrait pour la première fois avait cette irrésistible envie de lire le reste de son œuvre. C'est étonnant, mais il s'est passé la même chose pour moi et ce livre, lu presque d'un trait malgré une longueur peu commune (525 pages), ce qui d'ordinaire est en ce qui me concerne rédhibitoire, m'a passionné jusqu'à la dernière ligne. Il ne fait pas de doute que je vais continuer la lecture de cet auteur.

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Les moissons du ciel – Un film de Terrance Malick.

     

    N°469– Octobre 2010.

    Les moissons du ciel Un film de Terrance Malick.

     

    C'est une version restaurée d'un film datant de 1979 (Prix de la meilleure réalisation- Cannes 1979) qui nous est ici donnée à voir.

     

    Ce qui m'a attiré dès l'abord, c'est le titre. Je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à Romain Gary, à cause sans doute de son roman, « les racines du ciel »? Mais cela n'a rien à voir.

    Ce qui me reste de ce film, ce sont les somptueux paysages américains, cette grande plaine où le blé pousse à perte de vue, où les animaux sauvages s'épanouissent dans cette nature authentique, la liberté qui émane de tout cela, le temps qui passe au rythme des saisons, tout juste esquissé par des images lentes et apaisantes, souligné par une grande économie de dialogue, de cette contrée généreuse.

    Les splendides images de Nestor Almendros (Oscar de la meilleure photographie 1979) où l'homme et la nature sont en harmonie contrastent avec le rythme effréné du travail en usine qu'on entraperçoit au début. Les éléments, quoique menaçants sous ces latitudes y sont présents comme quelque chose de rassurant, de reposant. Voilà pour la forme.

     

    Pour le fond, c'est autre chose. L'histoire qui nous est racontée par la voix off de Linda, gamine sauvage mais qui incarne elle aussi la liberté pauvre des hommes et des femmes qui voyagent au gré du travail à l'usine ou aux champs, de ces ouvriers sans véritable métier qui ne peuvent que louer leurs bras pour survivre dans cette Amérique de la libre entreprise et de l'opposition entre le prolétariat et les riches. La symbolique du train qui amène les hommes et les femmes dans cette ferme perdue dans la campagne et celui qui emportent les hommes (probablement les mêmes?) vers une armée et peut-être une guerre qui prendra leur vie à son tour, est très forte. Le mouvement des wagons, l'allure lente des convois évoquent cette transition entre deux mondes autant qu'ils suggèrent la liberté, la nouveauté de ce que vont découvrir ceux qui font ce voyage vers l'inconnu. Leurs visages ont cette clarté de ceux qui goûtent le plaisir de cette vie itinérante qui a fait partie de notre parcours personnel, voire de notre idéal à tous pendant au moins quelques temps!

     

    Pour autant, de quoi s'agit-il? Bill, le grand-frère de Linda assure sa subsistance en travaillant au rythme du marché du travail. Il vit avec Abby, sa petite-amie. Mais Bill est querelleur et à cause d'une rixe avec un contre-maître à l'usine où il travaille (Là aussi les photos de l'aciérie sont très belles, le rouge des fourneaux contrastant avec celui du ciel de la plaine). Le hasard les amène tous les trois à s'embaucher comme ouvriers agricoles pour une misère (3 dollars la journée) dans une ferme où, bien sûr, ils sont exploités. Là, le trio, à travers la vie dure mais parfois festive de la terre, retrouve cette opposition entre les riches et les pauvres, symbolisée par la maison du fermier, solennelle, solitaire, grande, confortable, lointaine. Elle domine tout. Un fermier jeune et célibataire l'habite et, toujours par hasard, Bill découvre qu'il est malade et qu'il n'a plus que quelques mois à vivre. Dans le même temps, ce même homme tombe amoureux d'Abby. Pour la caméra, la jeune-fille émerge soudain du flot des humains qui suent à la moisson. Le vent dans ses cheveux la révèle aux yeux de cet homme qui sait qu'il va mourir mais la demande en mariage.

    Bill, l'opportuniste a une idée. Après les hésitations d'usage, elle accepte ce qui ressemble fort à un contrat : à condition de demeurer en compagnie de son compagnon présenté comme son frère et Linda, elle sera sa femme. L'associé du fermier flaire l'arnaque et part après la cérémonie. C'est le début de la fin pour cette grande fortune, malgré les moments d'une joie éphémère entre les deux jeunes époux, malgré une complicité feinte avec Bill où la velléité d'assassinat du fermier commence à poindre. C'est que cet homme, promis à une mort prochaine reprend goût à la vie grâce à son mariage et recouvre peu à peu la santé, ce qui contrecarre les plans du trio. Il commence lui-même à se demander la nature exacte des relations réelles qui existent entre Abby et Bill, qui, jaloux part pour mieux revenir.

    Et puis tout se précipite, les sauterelles qui viennent dévaster les récoltes et l'incendie des blés, une explication qui tourne mal entre les deux hommes et le meurtre du fermier, la fuite éperdue du trio, maintenant non plus libre mais traqué par la police et l'ancien associé, la mort enfin de Bill, poursuivi et abattu.

     

    C'est un peu la morale de cette fable, le bien qui triomphe du mal, le happy-end de cette histoire dont je ne suis pas sûr que ce soit la même règle dans la vraie vie, le nouveau départ, toujours sous le signe de la liberté d'Abby et de Linda.

     

    J'ai été un peu déçu par ce film dont je ne retiens que le beau titre et les magnifiques photos.

     

     ©Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • L'ARDOISE MAGIQUE – Valérie Tong Cuong

     

    N°468– Octobre 2010.

    L'ARDOISE MAGIQUE Valérie Tong Cuong -Stock.

     

    Cela commence plutôt mal pour Mina, née de père inconnu, confiée après la mort de sa mère, alcoolique, chômeuse et marginale à une tante qui la déteste et un oncle qui l'ignore malgré le fait qui que c'est lui qui l'a imposée dans son foyer. Elle n'avait pas le choix, mais dans cette famille de substitution, établie dans une bourgeoisie traditionnelle et recroquevillée sur elle-même, elle bénéficiait au moins d'une stabilité que son jeune âge méritait.

    Au lycée, elle rencontre Alice, fille de banquier, brillante, cultivée et belle. Cette différence fait qu'elle est rapidement mise au ban de la classe. Il n'y avait donc aucune chance pour qu'elles deviennent amies, et pourtant cet isolement commun, cet appartenance à deux milieux dissemblables qu'elles souhaitent fuir, rapprochent les deux jeunes-filles. Tout les oppose et c'est paradoxalement peut-être ce qui va tisser entre elles une complicité solide. A l'indifférence, à la méfiance du départ, succède une relation amicale. Pourtant Alice est mystérieuse pour Mina et leur envie commune d'échapper à leur quotidien autant qu'à leur milieu se transforme en un projet de suicide. Alice sautera du pont et sera déchiquetée par un train et, au dernier moment, Mina qui était pourtant sa seule amie et qui avait promis de l'accompagner dans la mort, hésitera et restera en vie.

    Désormais seule, pour exorciser sa culpabilité de l'avoir trahie, elle va explorer l'univers doré d'Alice. Pour cela elle joue un rôle et va aller à la rencontre de cette famille tant décriée par son amie. Elle cherche à comprendre pourquoi Alice n'a pas hésité alors qu'elle a renoncé au dernier moment. Elle fera ce chemin en compagnie de David, dit « Sans larme », un garçon gothique et donc marginal, qui lui aussi refuse le monde tel qu'il est. Il va la guider dans sa recherche, la soutenir dans ses moments de doute, l'accompagner dans cette quête et dans les épreuves qu'elle entraine. La fin est à la fois surprenante et prévisible.

     

    J'ai lu ce roman jusqu'à la fin, désireux de connaître l'épilogue, de partager avec Mina son histoire personnelle et cabossée, de voir ce que David pouvait lui apporter, curieux aussi de cette Alice, de son existence plausible mais rebâtie par Mina, entre fiction et réalité. Est-elle folle au sens populaire du terme? Son amie n'est-elle qu'une fiction patiemment construite pour son seul usage et celle-ci ayant accompli son action peut-elle être effacée ainsi que le ferait une ardoise magique dans les mains d'un enfant?

    Au vrai, ce récit me laisse un peu perplexe, non qu'il soit mal écrit, au contraire, le style est fluide et s'attache le lecteur jusqu'à la dernière ligne, mais je reste dubitatif au sujet de Mina. Est-elle égoïste, cette jeune adolescente à la recherche d'elle-même ou une dangereuse affabulatrice, une mythomane en quête du pardon de fautes qu'elle n'a pas commises, du rachat de quelque chose d'indistinct dans sa vie et auquel elle veut échapper, un être qui, à la fois est attirée par la mort qu'elle porte en elle comme nous tous parce que sa vie est impossible et qui, en même temps la refuse parce que son parcours même épineux lui fait renoncer au néant?

     

    C'est le premier roman que je lis de cet auteur. J'ai été un peu déçu.

     

     ©Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Jusqu'au bout du festin – Michèle Reiser

      

     

     

    N°467– Octobre 2010

    Jusqu'au bout du festin – Michèle Reiser - Éditions Albin Michel.

     

     

    La narratrice, Victoire, férue de mathématiques, en rupture avec sa propre famille mais réfugiée chez sa grand-mère Adelaïde, nous parle, à la première personne de Chus, diminutif de Jesus, fils d'ouvrier émigré espagnol, jeune interne en chirurgie dont elle partage la vie. Son job est de prélever le cœur des morts accidentés de la route pour permettre à d'autres de vivre.

     

    Elle est amoureuse de lui et a compris qu'entre eux l'histoire était déjà écrite et qu'il suffisait de se laisser porter par elle. Cela pourrait donc être une aventure amoureuse comme beaucoup d'autres, passionnée et pleine de rebondissements mais ici elle est contrariée par la maladie de Chus qui exige, à la suite d'un dysfonctionnement cellulaire qu'on l'ampute d'une jambe. Ce récit est un peu une progression vers la mutilation, avec en filigranes l'aggravation du mal, un parcours vers le sacrifice contre lequel personne ne peut rien et qui est le seul possible pour qu'il sauve sa vie et conserver le reste de son corps.

     

    Une histoire d'amour est toujours quelque chose de passionné, de joyeux, et pourtant, c'est aussi un roman où il est question de mort, comme si l'amour et la mort était liés, comme si les gens qui meurent jeunes possèdent une aura à la fois mystérieuse, merveilleuse et cruelle pour ceux qui restent. Celui qui meurt jeune ne vieillira pas, ne constatera pas dans son corps la décrépitude et l'abandon de ce qui faisait son être même. Il laissera, pour ceux qui restent, l'image de la jeunesse, de la fougue, de la beauté, de l'extravagance parfois, c'est à dire de la vie. Ce sera son empreinte parmi les vivants, image indélébile qu'il lègue face à l'œuvre du temps, en contre-point du deuil. Chus choisit sa mort pour éviter que la maladie ne décide pour lui avec son cortège de souffrances et de larmes, il la choisit entouré de ses copains, de la femme de sa vie, dans un ultime pied de nez :«  Il nous avait déjà quittés entre le ciel et l'eau, son domaine d'éternité ».

     

    Dès lors, à cause peut-être de son prénom, le récit va prendre une dimension quasi-religieuse, celle du sacrifice à la fois consenti et redouté, celui d'une passion solitaire malgré l'amour de cette femme qui souhaite l'accompagner. Mais pas seulement. Qu'est-ce donc que ce festin dont parle le titre? C'est certes celui de l'amour, celui du repas de noces, mais pas uniquement ou à tout le moins une acception quasi-christique donnée à ce terme. C'est aussi une invitation à transgresser un tabou. Ce n'est probablement pas pour rien que l'auteur insiste sur l'amour et la dévoration qui envahit jusqu'à notre vocabulaire quotidien. Ce n'est pas pour rien que Chus choisit la mort volontairement après la célébration de son mariage avec Victoire, après le banquet, comme si cet acte d'amour était l'ultime de sa vie, comme s'il n'avait vécu jusque là que pour cela et qu'il n'avait plus rien à faire ici-bas puisque la maladie le condamne à mort. L'Évangile nous rapporte les paroles du Christ pendant la Cène « Ceci est mon corps, prenez et mangez en tous », ultime repas collectif avec ses apôtres et qui précède sa mort, cérémonie reprise depuis à l'infini dans la rituel de la messe qui perpétue à la fois le message et le souvenir. Est-ce vraiment un lapsus quand l'auteur écrit « Un ange, une fulgurance. Il ne faisait que traverser la scène. Il était ailleurs »?

     

    C'est un récit simplement écrit, sans fioriture, dans un style épuré, sobre, émouvant et facile à lire, d'une apparente légèreté, découpé en courts chapitres et qui s'accorde bien avec l'esprit de ce roman. C'est plus qu'un simple conte philosophique, c'est véritablement, à travers cette fiction, un hommage à l'amour avec aussi toute la symbolique du cœur qui permet aux malades de survivre et Chus qui est chargé de les transplanter. Au tabou du « festin » répond le serment de silence qui régnait autour de la robe de mariée qu'Adélaïde donne à Victoire malgré la malédiction qu'elle porte en elle.

     

    Il y a un clin d'œil à Rimbaud qui lui aussi vivait dans un autre monde, qui est mort relativement jeune et amputé d'une jambe et aussi celui fait aux républicains espagnols qui pendant la Guerre Civile trouvèrent une mort héroïque et parfois sacrificielle.

     

    En découvrant ce texte et aussi cette romancière qui porte un nom qui n'est inconnu de personne, je n'ai pas pu ne pas penser au dessinateur Reiser (mort en 1983 d'un cancer des os, comme Chus) dont elle est l'épouse et qui a, jeune lui aussi, été fauché par la mort.

    Ce texte n'est pas une simple fiction. Certes, il y a l'histoire qui nous est confiée, mais pas seulement. J'ai choisi d'y voir une sorte de message d'amour à la fois douloureux et bouleversant, délivré par l'auteur à son lecteur, parce qu'un écrivain n'est pas uniquement « un raconteur d'histoires », un roman n'est pas un écrit gratuit publié pour le seul plaisir de voir son nom sur la couverture d'un livre ou pour étoffer sa bibliographie personnelle. J'ai pensé encore une fois que l'écriture est une formidable manière de faire revivre les gens qu'on a aimés, de faire perdurer leur vie en nous, de nous libérer aussi, autant qu'il est possible, de ce qui peut être la chagrin tissé par la mort. Il ne s'agit pas d'oubli mais au contraire d'un exorcisme dont chaque mot est porteur parce celui qui les trace sur le papier a cette double fonction de se libérer lui-même tout en transmettant quelque chose aux autres, en faisant perdurer un souvenir.

     

    Je ne regrette vraiment pas d'avoir lu ce livre, pris par hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque, à cause peut-être du beau visage de femme qui orne la couverture.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • LA MORT EN LUI - Pierre Moinot1

     

    N°442– Août 2010

    LA MORT EN LUI – Pierre Moinot1 - Éditions Gallimard.

     

    Le récit s'ouvre sur l'évocation d'une scène de chasse aux cerfs, à l'affût, dans le froid et la nuit ou plus exactement un épisode où le chasseur qui est aussi le narrateur, Lortier, est seul dans un mirador. Tout est silence et immobilité et il fait corps avec le paysage « A cette heure où tout est possible, l'attente soulevait en moi de légers vertiges d'espoirs, mais j'étais une pierre ». Puis, il descend de sa cachette et se perd, renonce à tirer un renard et rencontre un garde qui apparemment l'attend parce qu'il a comprit qu'il s'était perdu! Cet homme qui est un solitaire parce qu'il vit dans la forêt lui parle des cerfs qui ont changé, un peu de lui qui a été victime d'un accident à l'épaule qui l'a réduit à quelqu'un qui n'est plus capable de tirer au fusil comme avant. Une sorte de courant de sympathie s'installe entre les deux hommes, mais un halo de mystère entoure le forestier. Puis survient une petite fille qu'il appelle « mademoiselle » présentée comme une « messagère » de « la grande maison » et qui est porteuse « dans un petit écrin de velours bleu » d'une unique balle, du calibre de la carabine de Lortier, « brillante et blindée d'or, comme les balles qu'on fondait autrefois pour assassiner les rois » destinée à tuer un cerf dangereux pour le voisinage. C'est donc une sorte de marché que le chasseur accepte. Il ira donc à la rencontre du cerf, le tuera mais aura le sentiment bizarre de défendre sa propre vie.

     

    Le second récit évoque l'enfance mais aussi la nuit, le froid et la traque d'une fouine et de renards qui montre que le règne animal aussi à ses règles de mort. C'est un peu comme si la troisième nouvelle oppose la vie que porte la femme enceinte à la mort que sème l'homme sans qu'il puisse s'en empêcher et dont il se satisfait. Le quatrième récit décrit un bal mondain ou plus exactement quelque chose comme une transition, une prise de conscience d'un changement dans l'ordre des choses et contre lequel on ne peut rien. Le mari, Jérôme, fait figure de témoin un peu lointain d'une scène où Laura, sa femme, joue le rôle d'un pantin qui peu à peu se désarticule dans l'indifférence des autres danseurs plus jeunes, plus amoureux et face à cela en conçoit une solitude irrémédiable.

     

    Au cours de cette série de nouvelles un peu surréalistes, une sorte de rêve éveillé, c'est le thème de la mort qui est analysé ici. Le chasseur la porte au bout de son arme pour le gibier et une seule balle suffit à la lui imposer facilement. Pour lui, une bête sans vie est une victoire. C'est aussi le thème de la fuite du temps et de ses ravages sur le corps, l'esprit, la faculté d'aimer, la perte définitive de choses qui ne reviendront plus mais qu'il est sage d'accepter comme une réalité. C'est un récit passionnant, plein de belles descriptions tissées dans une langue pure et un vocabulaire parfois technique mais à la fois précis et riche.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

    1Pierre Moinot (1920-2007) résistant, combattant, conseiller au cabinet d'André Malraux et créateur des premières maisons de la culture, Procureur Général près la Cour des Comptes. Il est l'auteur de nombreux romans couronnés par des prix prestigieux, mais œuvra aussi dans le domaine de l'audiovisuel. Il a été élu à l'Académie française en 1982 au fauteuil de René Clair.

  • Lituma dans les Andes – Mario Vargas Llosa

     

    N°466 - Octobre 2010

    Lituma dans les Andes – Mario Vargas Llosa*

    (traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan)

    Lituma est un simple brigadier. En compagnie de son adjoint, le truculent garde civil Tomasino Carreňo, ce gradé grelotte de froid dans ce coin des Andes, lui, l'homme du littoral, mais peut-être bien aussi de trouille puisque les terroristes du Sentier Lumineux rodent et que les disparitions mystérieuses se multiplient comme celle de ce couple de touristes français qui se rendait à Cuzco en autocar ou celle de Mme d'Harcourt, cette scientifique écologiste. Ils exécutent les policiers, les cadres des mines ainsi que les étrangers et enrôlent de force les mineurs ou les « peones » dans leur milice. Les meurtres qu'ils perpétuent tiennent davantage du sacrifice humain rituel que de l'assassinat politique au nom du peuple qu'ils disent défendre. Cela procède probablement du mystère du Pérou qui est assez bien résumé par la remarque d'un personnage américain de ce roman :« C'est un pays que personne ne peut comprendre, fit Scarlatine en riant, et rien n'est plus attirant que l'indéchiffrable, pour des gens qui viennent de pays aussi clairs et transparent que le mien ».

     

    Ces deux militaires sont contraints de cohabiter dans ce poste de police perdu dans la montagne au-dessus de Naccos. C'est une pauvre bourgade entre la « puna » de la Cordillère et la « selva » des basses terres, une ancienne ville minière où la seule distraction pour les « peones » qui construisent une route qui ne sera jamais terminée et le bar où ils se soulent avec une grande régularité. Il est tenu par un couple énigmatique et un peu louche, Dionisio, tenancier bachique et sa femme Ariana, sorcière au passé un peu flou, au présent plus que douteux aussi, à la fois sorcière et habile intrigante. Leurs prénoms à eux seuls évoquent des personnages antiques, Dionysos et Ariane dont ils sont par certains côtés la réincarnation. Ils sont les véritables maîtres de Naccos ! Ils ont ensemble une histoire compliquée que le narrateur de cette histoire rocambolesque livre peu à peu au lecteur.

     

    Lituma devra donc devoir résoudre un de ces meurtres qui s'est produit dans sa juridiction, mais, cette fois, celui-là a été perpétré par les « peones » et non par les terroristes, sur la personne de Pedrito Tinoco, un pauvre muet, sorte d'idiot du village qui leur rendait de menus services au poste. Sa tâche ne sera pas facile parce qu'il doit enquêter sur fond de violence quotidienne, mais aussi dans la crainte des milices terroristes qui peuvent intervenir à tout instant et anéantir ces deux militaires, sans ignorer les croyances populaires héritées des Incas, les rites magiques d'un autre âge pleins de charlatanismes et de superstitions, la présence des « amarus », les « apus » esprits des montagnes qui inspirent à chacun la crainte et surtout les « pishtacos », sorte de personnages mystérieux mais apparemment bien réels qui vident ceux qu'ils rencontrent de leur substance, de leur graisse et dont les victimes finissent par mourir. Les tremblements de terre et autres catastrophes naturelles leur sont systématiquement attribué. Lituma échappera à l'une d'elles, par l'entremise probable de ces divinités, faisant de lui un homme que cette montagne accepte comme l'un des siens !

    Et tout cela dans le contexte d'une histoire d'amour passionnée et un peu compliquée entre Mercedes qui fut jadis vendue comme une vulgaire marchandise et Tomasino. Après moult péripéties, elle reviendra vers lui, faisant le choix de cet homme que tout cependant éloignait d'elle. Lutima, de son côté, a avec les femmes, des relations qui tiennent du fantasmes et de l'éternelle attente, comme une recherche de la compagne idéale ! Il verra son avenir professionnel prendre un tour enfin favorable.

     

    Ce roman un peu policier se déroule dans le décor grandiose, dépaysant et dépouillé de cette Cordillère mystérieuse et envoutante.

     

    Ce n'est pas le premier roman de Llosa que je lis. J'avais déjà apprécié « L'éloge de la marâtre » (la Feuille Volante n° 279) qui se situe pourtant dans un tout autre registre. Comme souvent chez les écrivains sud-américains, j'ai retrouvé cet art du conteur que j'attends toujours de la part d'un romancier.

     

    *Prix Nobel de littérature 2010].

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Lituma dans les Andes – Mario Vargas Llosa

     

    N°466 - Octobre 2010

    Lituma dans les Andes – Mario Vargas Llosa*

    (traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan)

    Lituma est un simple brigadier. En compagnie de son adjoint, le truculent garde civil Tomasino Carreňo, ce gradé grelotte de froid dans ce coin des Andes, lui, l'homme du littoral, mais peut-être bien aussi de trouille puisque les terroristes du Sentier Lumineux rodent et que les disparitions mystérieuses se multiplient comme celle de ce couple de touristes français qui se rendait à Cuzco en autocar ou celle de Mme d'Harcourt, cette scientifique écologiste. Ils exécutent les policiers, les cadres des mines ainsi que les étrangers et enrôlent de force les mineurs ou les « peones » dans leur milice. Les meurtres qu'ils perpétuent tiennent davantage du sacrifice humain rituel que de l'assassinat politique au nom du peuple qu'ils disent défendre. Cela procède probablement du mystère du Pérou qui est assez bien résumé par la remarque d'un personnage américain de ce roman :« C'est un pays que personne ne peut comprendre, fit Scarlatine en riant, et rien n'est plus attirant que l'indéchiffrable, pour des gens qui viennent de pays aussi clairs et transparent que le mien ».

     

    Ces deux militaires sont contraints de cohabiter dans ce poste de police perdu dans la montagne au-dessus de Naccos. C'est une pauvre bourgade entre la « puna » de la Cordillère et la « selva » des basses terres, une ancienne ville minière où la seule distraction pour les « peones » qui construisent une route qui ne sera jamais terminée est le bar où ils se soulent avec une grande régularité. Il est tenu par un couple énigmatique et un peu louche, Dionisio, tenancier bachique et sa femme Adriana, sorcière au passé un peu flou, au présent plus que douteux aussi, à la fois sorcière et habile intrigante. Leurs prénoms à eux seuls évoquent des personnages antiques, Dionysos et Ariane dont ils sont par certains côtés la réincarnation. Ils sont les véritables maîtres de Naccos ! Ils ont ensemble une histoire compliquée que le narrateur de cette histoire rocambolesque livre peu à peu au lecteur.

     

    Lituma devra donc devoir résoudre un de ces meurtres qui s'est produit dans sa juridiction, mais, cette fois, celui-là a été perpétré par les « peones » et non par les terroristes, sur la personne de Pedrito Tinoco, un pauvre muet, sorte d'idiot du village qui leur rendait de menus services au poste. Sa tâche ne sera pas facile parce qu'il doit enquêter sur fond de violence quotidienne, mais aussi dans la crainte des milices terroristes qui peuvent intervenir à tout instant et anéantir ces deux militaires, sans ignorer les croyances populaires héritées des Incas, les rites magiques d'un autre âge pleins de charlatanismes et de superstitions, la présence des « amarus », les « apus » esprits des montagnes qui inspirent à chacun la crainte et surtout les « pishtacos », sorte de personnages mystérieux mais apparemment bien réels qui vident ceux qu'ils rencontrent de leur substance, de leur graisse et dont les victimes finissent par mourir. Les tremblements de terre et autres catastrophes naturelles leur sont systématiquement attribué. Lituma échappera à l'une d'elles, par l'entremise probable de ces divinités, faisant de lui un homme que cette montagne accepte comme l'un des siens !

    Et tout cela dans le contexte d'une histoire d'amour passionnée et un peu compliquée entre Mercedes qui fut jadis vendue comme une vulgaire marchandise et Tomasino. Après moult péripéties, elle reviendra vers lui, faisant le choix de cet homme que tout cependant éloignait d'elle. Lutima, de son côté, a avec les femmes, des relations qui tiennent du fantasmes et de l'éternelle attente, comme une recherche de la compagne idéale ! Il verra son avenir professionnel prendre un tour enfin favorable/

     

    Ce roman un peu policier se déroule dans le décor grandiose, dépaysant et dépouillé de cette Cordillère mystérieuse et envoutante.

     

    Ce n'est pas le premier roman de Llosa que je lis. J'avais déjà apprécié « L'éloge de la marâtre » (la Feuille Volante n° 279) qui se situe pourtant dans un tout autre registre. Comme souvent chez les écrivains sud-américains, j'ai retrouvé cet art du conteur que j'attends toujours de la part d'un romancier.

     

    *Prix Nobel de littérature 2010].

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ELOGE DE LA MARATRE – Mario VARGAS LLOSA

     

    N°279 – Août 2007

     

    L'ELOGE DE LA MARATRE – Mario VARGAS LLOSA - Gallimard Editeur.

     

     

    Loin du registre qui a fait sa notoriété, l'auteur explore un univers familial particulier, celui, vu à la fois avec les yeux d'adultes et ceux d'un enfant, d'une femme, non seulement épouse mais aussi maîtresse, en ce qu'elle est la complice active des jeux de l'amour, mais surtout la belle-mère. Cette dernière emprunte son lien de parenté au mariage, c'est à dire qu'elle apparaît un peu par hasard dans la vie de gens qui n'ont rien fait pour la connaître. Elle est souvent l'intruse, le mauvais côté de l'image de la femme. Ici, il s'agit de la marâtre, terme un peu péjoratif qui désigne la deuxième femme du père, souvent plus jeune que lui, à la suite de cette détestable habitude qu'ont les hommes d'épouser, surtout en secondes noces, des femmes-enfants! Ils puisent en elles leur vitalité retrouvée, la volonté de combattre les affres de la vieillesse qui vient et parfois l'échec de leur premier mariage. Elle est porteuse de symboles mais aussi de promesses qu'elle ne doit pas décevoir. Pour l'enfant, dit « du premier lit »elle remplace la mère disparue ou partie, sans pour autant prendre sa place, bien au contraire. Il l'accueille souvent mal et s'engage entre eux un combat fait de subtils attaques ou d'affrontements violents peut-être parce que le complexe d'œdipe s'habille ici d'autres apparences, que chacun marque son territoire et tient à ses prérogatives parfois durement acquises...

     

    Mais le titre nous indique qu'il s'agit d'un éloge et donc que vont être battues en brèche les idées reçues que le sujet génère. Il s'agit d'une mise en perspective d'un trio, le père, Don Rigoberto, jouisseur-esthète et fort amoureux de Lucrecia, sa deuxième épouse, marâtre de son fils Alfonso. On pourrait croire qu'il va s'agir du théâtre d'une lutte entre ces trois personnages. D'ailleurs, l'auteur sollicite à la fois la culture et l'attention de son lecteur, par l'évocation qu'il fait de tableaux aussi différents que ceux de Jacob Jordeans, du Titien, de Fra Angélico ou de Fernando de Szyszlo. Les époques et les écoles s'y mélangent, comme le figuratif et l'abstrait. Vargas Llossa y livre sa lecture de ces œuvres où se retrouve toujours un trio, et, en filigranes, une histoire d'amour. Cet amour est à la fois chaste et jouisseur, emprunt de retenue ou de licence, humain et divin. Le corps de la femme y est alternativement montré et caché, mais aussi joliment évoqué avec des mots choisis. Un troisième personnage vient souvent s'immiscer dans le tableau, soit qu'il y est déjà et parle, soit qu'il en est le commentateur extérieur qui, à la manière du chœur antique traduit pour le lecteur-témoin les pensées de la femme ou se charge de débroussailler le subtils écheveau de ses désirs secrets oscillant entre lubricité et vertu parce qu' ainsi va la vie et que le plaisir procède de ces deux facettes.

     

    En même temps, la femme, prétexte aux désirs masculins est présentée alternativement comme objet mais aussi comme sujet de l'action amoureuse, à la fois passive et active. L'auteur nous rappelle, à travers ces fables écrotico-esthétiques, en réalité de longs poèmes, que l'amour n'est pas un acte bestial, voué à la seule procréation ou a l'assouvissement d'instincts animaux, la démarche, et ce qu'il en résulte est au contraire toute en nuances, faite de prolégomènes et de soins des apparences sans lesquels la séduction spontanée paraît impossible. En filigrane, je souhaite voir l'image de la mort, pendant de celle de l'amour et qui en est parfois la conséquence comme l'est paradoxalement la vie avec tous les fantasmes inhérents aux relations ambiguës hommes-femmes, mais aussi enfants-adultes.

     

    Je choisis de voir dans ce texte, non un éloge comme l'indique le titre mais une vengeance subtilement accomplie du beau-fils qui amène habillement sa marâtre à se compromettre et grâce à un écrit anodin, sorte de mise en abyme du livre de Vargas Llosa, à dénoncer l'adultère, à amener son père à se séparer de cette épouse infidèle ainsi démasquée, à le forcer peut-être à rester fidèle à son ancienne épouse, même si, pour cela, il doit perdre sa joie de vivre retrouvée et pénéter de plain-pied dans la mort. C'est probablement une manière de retrouver son père et peut-être aussi de le détruire, tant les relations entre les humains sont complexes, faites d'amour et de haine, de luttes et d'apaisements, de sincérité et de mensonge.

     

    © Hervé GAUTIER - Août 2007.

  • Lily et Braine – Christian Gailly

     

    N°465 - Octobre 2010

    Lily et Braine – Christian Gailly. Éditions du Minuit;

    Le quai d'une gare de campagne, en France, et comme toujours des gens qui arrivent, d'autres qui partent, d'autres encore qui attendent ou qui accompagnent...

    Louis est venue avec sa mère, Lily et avec sa chienne Lucie pour attendre Braine, son père qui revient d'un séjour en hôpital militaire après une longue campagne. Le lecteur supposera, mais bien plus tard, qu'il a été GI au Viet-Nam. Il a été gravement commotionné et après un coma prolongé ne reconnaît pas son fils. Seule la chienne lui fait fête... Les voies traversées, la gare quittée, on arrive en ville puis c'est le ciel, le soleil, la vitesse de la voiture qui le ramène chez lui et que conduit sa femme. Le voyage se fait en silence simplement parce que Braine ne parle plus depuis qu'il a participé aux combats. Il est maigre et affaibli, mais qu'importe, il est vivant et son beau-père, important concessionnaire automobile, lui a réservé une place dans son garage et un bel avenir pour lui et sa famille mais Lily ne le lui a pas encore dit.

     

    Puis les choses se précipitent. Braine rencontre par hasard Rose Braxton, une américaine jolie et énigmatique qui a racheté la boite de nuit de la ville et souhaite, parce qu'elle le connaît sans qu'on sache très bien comment, qu'il y reprenne son ancien métier de musicien. Lui ne se souvient pas d'elle, à cause de son coma sans doute? Pour cela elle reconstitue, avec l'aide d'Orlando, un individu un peu louche, l'ancienne formation de Jazz de Braine. Ce sont trois autres musiciens que la vie a séparés et qui finissent par se retrouver. Bizarrement son beau-père qui pourtant avait d'autres projets pour son gendre, soutient ce projet, allant même jusqu'à le financer.

     

    Le lecteur est le témoin de l'ancien parcours de Braine autant que de sa nouvelle vie avec Lily, sa femme qui est à nouveau enceinte. Cette dernière avait caché le bugle dont il jouait avant qu'il ne parte pour la guerre, mais on ne sait guère pourquoi. On sent aussi que Lily, pourtant amoureuse de son mari, sera mise à l'écart de cette nouvelle existence sans doute parce que celui-ci est un homme séduisant et que les femmes recherchent sa compagnie... On imagine aussi que c'est par son charme qu'il a su conquérir Lily mais on a du mal à imaginer qu'il a préféré la guerre à cette femme jolie et amoureuse, à cet enfant qui maintenant à trois ans et qu'il n'a peut-être pas vu naître, à cette vie établie et rangée!

     

    L'histoire se déroule jusqu'à la fin, avec de petits rebondissements qui n'apportent rien de marquant à l'intrigue et se termine d'une manière étonnante et inattendue.

     

    Cela part doucement au début, c'est même un peu mou, dans la forme comme dans le fond et j'ai eu du mal à me passionner pour cette histoire. Elle est racontée par un narrateur, ce qui lui confère une distance par rapport aux personnages. Il est un peu le témoin privilégie de ce parcours cahoteux de Braine, de son retour à la vie à travers le jazz... Le style est haché, sans recherche, pas vraiment agréable à lire, avec parfois des digressions bizarres.

     

    Tout est sans doute partie du cliché d'un marine américain prostré après une attaque, se tenant au canon de son fusil... Que l'auteur se le soit approprié pour en faire une œuvre de création est sans doute une bonne chose, qu'il choisisse de tisser un univers où le jazz est la toile de fond, soit ! Mais l'histoire dans tout cela... ?

    Elle m'a parue décevante et même peu crédible et il m'a fallu de la persévérance pour atteindre la fin.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Je l'aimais – Anna Gavalda.

     

    N°464 - Octobre 2010

    Je l'aimais – Anna Gavalda.

    Une histoire d'amour banale qui commence bien mais qui finit mal, par la fuite du mari Adrien, mais une fuite sans retour simplement parce qu'il n'aime plus sa femme Chloé, qu'il en aime une autre...

    Cette épouse avec ses deux filles, Marion et Lucie, se retrouve chez son beau-père, Pierre, tout aussi malheureux qu'elle de ce qui arrive. Il fait ce qu'il peut pour la consoler, pour amuser ses petites-filles mais on sent bien que le cœur n'y est pas? C'est vrai qu'il a toujours soutenu son fils et qu'il continue de le faire, parfois avec humour, parfois avec un certain détachement un peu feint, seulement pour sauver les apparences. Elle qui ne s'est jamais sentie très proche de cet homme n'oppose à cette situation que des larmes, se sent seule, « larguée »... Elle va devenir rapidement mauvaise, laide parce que c'est là une réaction quasi normale face à ce qui lui arrive. Dans cette maison étrangère elle est en transit et dehors il fait froid (l'été c'eût été sûrement un peu différent). Elle se dit qu'elle sort du piège du mariage (« Le piège c'est de penser qu'on a le droit d'être heureux ») et s'en veut de s'être laisser griser par tout ce qu'il a représenté pour elle et qui maintenant s'est effondré.

    La vie s'organise donc sans Adrien et Chloé, la narratrice, sent que tout peu à peu lui échappe et devient agressive face à ce beau-père désemparé (« J'étais la femme de ce garçon, vous savez, la femme, ce truc pratique qu'on emmène partout et qui sourit quand on l'embrasse ») et qui pourtant n'accable pas son fils.

    C'est que, profitant de cette cohabitation avec sa belle-fille, il va tenter quelque chose dans sa direction, lui avouer qu'il n'a pas été « le type bien » qu'il aurait voulu être ce qu'il paraissait sans doute. Toute sa vie il a été un patron tyrannique, un père absent, un époux en pointillés... Maintenant il se sent vieux et pense peut-être déjà à la mort! Cela ne semble pas fonctionner au début et Choé reste sur la défensive (« Je suis vieille. Je suis toute cabossée. Je sens que je vais devenir méfiante. Je vais regarder ma vie à travers un judas. Je n'ouvrirai pas la porte ») Puis, Pierre va souhaiter partager avec elle un secret qu'il gardé depuis tant d'années, timidement au début (« Toute ma vie est comme un poing serré »), plus plus précisément ensuite (« On parle toujours du chagrin de ceux qui restent mais as-tu déjà songé à celui de ceux qui partent »). Il finit par lui avouer «  je suis tombé amoureux comme on attrape une maladie , sans le vouloir, sans y croire , contre mon gré et sans pouvoir m'en défendre... et puis je l'ai perdue ». Rien là d'étonnant dans cette histoire, rien de bien original en somme mais il précise que bien qu'amoureux fou de cette Mathilde qui avait fait irruption dans sa vie, il a été lâche devant l'amour, refusant d'être heureux avec celle qu'il croit être la femme de sa vie, sans trop savoir si c'est à cause de son épouse, de ses enfants... Il la laisse partir pour une autre vie sans lui. Qu'en eut-il été s'il avait fait un autre choix? Les choses eussent-elles été différentes? L'usure du couple ne serait-elle pas manifesté avec son cortège de regrets et de remords? Autant de questions qui restent en suspens pour cet homme qui a préféré le confort d'un foyer au grand frisson des amours interdites...

    C'est un peu comme si ce père voulait racheter par son témoignage la fuite de son fils, l'expliquer peut-être, lui dire qu'Adrien avait été courageux là où lui avait été lâche... Mais cela ne fonctionne pas (on s'en serait douté ), Chloé reste avec son chagrin, la certitude d 'avoir été abandonnée pour une autre (« Être soi-même, ça veut dire planter sa femme et ses gosses ?») pour finalement éclater et refuser cette main gauchement tendue (« Partez maintenant. Laissez-moi. Je n'en peux plus de vos bons sentiments... Vous me gavez monsieur l'Ecorché Vif »).

     

    J'avoue que j'avais mal commencé avec Anna Gavalda (la feuille volante n° 463).

    Une histoire d'amour est toujours unique et l'écrivain par son style est un médiateur d'exception pour nous la faire partager. Cette fois j'ai goûté la couleur et même la douleur des mots. C'est à la fois simple et juste, colle parfaitement dans son dénuement à la situation.

    Je ne regrette cependant pas d'avoir persisté dans la lecture de cet auteur.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part – Anna Gavalda.

     

    N°463 - Octobre 2010

    Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part – Anna Gavalda.

    Pour moi, cet auteur n'était qu'un nom et je n'avais rien lu d'elle. La nouvelle est un genre qui me plait bien et le titre a quelque chose de d'attirant, à la fois plein d'espoir et d'amour déçu, bref du quotidien, de l'humain, un livre qui parle sans prétention de chacun d'entre nous avec ses aspirations et ses échecs.

     

    Les douze nouvelles se succèdent et se déclinent sur le thème de l'amour déçu, contrarié ou hésitant. La première, une scène de drague ordinaire mais à St Germain des Prés quand même! Les autres sont de la même veine, celui qui attend, sinon le grand amour, à tout le moins la bonne fortune et un bon moment à passer. Pourquoi pas? Les autres ont ce petit côté déprimant de celui qui attend quelque chose ou quelqu'un et qui est frustré parce qu'il n'a pas de chance ou pas assez de culot? Il y a aussi cette histoire de viol qui tourne mal ou d'envie d'enfant insatisfaite, ces histoires ordinaires qui ne le sont pas forcément...On peut lire aussi cette solitude qui irrigue tellement nos sociétés pourtant pleines de médiatisation, qui fait en tout cas partie intégrante et définitive de la condition humaine... et le mal de vivre qu'elle sous-tend. L'opposition entre deux frères, même pour la « possession » d'une fille, l'usure du couple qui entraine le silence, l'indifférence ou la haine, le temps qui passe, la maladie, les regrets et les remords, les fantasmes tissés par les hommes à propos des femmes (les seins en sont souvent l'objet sous la plume de l'auteur), cela existe aussi et personnellement je trouve cela plutôt bien. Toutes ces choses appartiennent à la vraie vie. Après tout les thèmes préférés de la littérature sont toujours la vie, l'amour, la mort et on n'en veut pas à l'écrivain de les décliner à l'infini. Jusque là rien à dire, le fond me paraît plutôt bien traité par l'exemple et le lecteur aime se retrouver dans les préoccupation des personnages...

     

    J'avoue que j'ai quand même été un peu déçu par le style. Je m'attendais à mieux. Ce n'est pas mal écrit mais pas bien non plus. La manière de s'exprimer est celle de tous les jours à l'aune des aventures qui y sont racontées et qui appartiennent, elles aussi, au quotidien.

     

    Cela dit, qu'attend-on d'un écrivain, qu'il nous fasse rêver avec des histoires qui n'arrivent qu'aux autres ou qu'il nous parle de notre vécu? Souhaite-t-on qu'il contrebalance le factuel par l'imaginaire? Lui demande-t-on un dépaysement bien venu où qu'il évoque pour nous un train-train déprimant que nous souhaitons fuir précisément par la lecture d'un roman qui tisse pour nous la trame d'un rêve? Souhaite-t-on qu'il nous invite à réfléchir où qu'il nous endorme avec des histoires de midinettes? Qu'il le fasse dans un style populaire, brut et sans recherche où qu'il y mette des formes même si cela passe pour un exercice de style intellectuel qu'on a parfois du mal à comprendre? Souhaite-t-on trouver dans les livres que nous lisons notre langage ou l'usage correct de notre langue? L' écrivain doit-il prendre en compte l'évolution de la langue, l'employer à son tour comme le commun des mortels, comme Racan s'inspirait du langage des « crocheteurs du port aux foins » ou l'exercer dans un classicisme parfois désuet?

     

    C'est à chacun de voir, comme dit le comique. Cela dit, on peut violer la langue à condition de lui faire de beaux enfants. Je ne suis pas sûr que cela soit le cas ici. Pour moi qui ne suis qu'un simple lecteur sans aucune prétention je goûte peu ce style brut et ce que je demande à un écrivain c'est de servir correctement notre belle langue française par un usage fidèle et si possible poétique. Là, je ne l'ai guère rencontré et je suis resté un peu sur ma faim, surtout que le nom de l'auteur, sa renommée me laissaient espérer autre chose.

     

    Mais cela doit probablement tenir à moi!

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Cinq heures avec Mario – Miguel Delibes

     

    N°462 - Octobre 2010

    Cinq heures avec Mario – Miguel Delibes – Éditions de la découvertes.

    Mario Diez Collado, petit intellectuel de province et fervent humaniste, opposant au franquisme, intègre et désintéressé, vient de succomber à un infarctus à l'age de 49 ans. Carmen, sa veuve, procède à sa toilette funéraire, le veille, fait face à la traditionnelle mais douloureuse cérémonie des condoléances. A cette occasion incontournable, elle entend tous les truismes qu'on exprime d'ordinaire en pareilles circonstances. C'est un salmigondis d'hypocrisies, de regrets sincères, entre voyeurisme, désir de consolation, volonté de paraître fort et envie de se laisser aller. Une véritable épreuve!

     

    Quand tout ceci est terminé, Carmen s'installe aux côtés de Mario, en compagnie d'un exemplaire de sa Bible dont il a souligné certains passages et entreprend de régler ses comptes avec lui. Dès lors, tout ce qu'elle ne lui a pas dit de son vivant revient, entre refus d'acheter une voiture et écriture cachée de poèmes qui lui étaient destinés, son parcours un peu difficile d'écrivain incompris, son refus de s'installer confortablement dans une vie bourgeoise... Tout y passe et à travers les reproches que lui adresse, à la première personne, cette femme profondément catholique et à la mentalité de petit bourgeois, le lecteur découvre son véritable portait. C'est une dévote, engluée dans les valeurs de l'Espagne traditionnelle, puritaine et rigide, frustrée d'avoir été toute sa vie cantonnée aux tâches familiales et d'avoir dû vivre dans l'ombre de son mari. De même, à travers ses propos pleins de rancœurs et parfois de fantasmes, entre amour et mépris, apparaît la véritable figure de son époux, petit professeur idéaliste, dénué d'ambition mais épris de justice.

     

    A travers les propos acerbes et parfois mesquins de la jeune veuve on devine le gouffre qui séparaient les deux époux qui ne se ressemblaient pas. On sent que ses aveux couvaient depuis si longtemps qu'ils ne pouvaient pas ne pas être exprimés avant qu'on ne l'ensevelisse et ce d'autant qu'ils sont exprimés avec la Bible pour témoin. Il fallait qu'il soit présent physiquement pour qu'elle lui exprime une dernière fois tout ce qu'elle avait sur le cœur, tout ce que sa vie avait creusé en elle de désillusions et de remords dont il était, bien entendu, responsable. Au cours de cette nuit qui pour Mario annonce celle de l'ensevelissement, elle sent venir vers elle la solitude et le désespoir du veuvage qu'un traditionalisme exacerbé empêchera une nouvelle union avec un autre homme. Elle chérit peut-être encore cet époux mort, mais pendant les quelques heures de cette nuit qui précédera les obsèques elle refait à l'envers le parcours de ce couple dont la vie était vouée à l'échec mais un échec accepté, avec, malgré les apparences sa solitude, ses incompréhensions, les refuges de chacun pour échapper au quotidien. Peut-on dire que ce long monologue devant un mort est apaisant? Peut-être?

     

    Alors, portait d'une société espagnole engluée dans le franquisme, peut-être, celui d'une facette de la condition humaine sans doute aussi, et assurément la remise en cause de cette idée reçue que le mariage réunit deux êtres faits l'un pour l'autre. Ce livre écrit en 1966 est plein du traumatisme de la Guerre Civile qui déchira le pays et de la dictature qui suivit autant que que le désamour qui présida à la vie de ces deux êtres que tout opposait et pour lequel le divorce et l'adultère étaient impossible. C'est une sorte de roman d'amour à l'envers à travers ce monologue caricatural, une tentative de dépasser par l'écriture les dérives d'une société figée dans le conservatisme et l'immobilisme.

      

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Contes carnivores – Bernard Quiriny

     

    N°461 - Octobre 2010

    Contes carnivores – Bernard Quiriny – Le Seuil.

    L'architecture d'un recueil de nouvelles n'est pas chose facile. L'auteur est parfois tenté d'y mettre, sous un titre censé être révélateur, une somme de textes que lui seul considère comme y ayant leur place alors que le lecteur est en droit d'attendre de sa lecture une certaine unité tout au long de l'ouvrage.

     

    Qu'en est-il de ces « contes carnivores »? Ici, nous sommes dans le domaine du fantastique et ces 14 nouvelles aussi surréalistes que labyrinthiques, transportent le lecteur dans un ailleurs bien peu familier. On songe forcément à Edgar Poe, à Borges, mais ces parentés peuvent être artificielles. Jugez plutôt : une femme qui se laisse boire par son amant telle une orange, la vie d'un homme que compliquent les miroirs où se reflètent constamment le visages de ses nombreuses maîtresses, un prélat argentin dont le corps se dédouble, un peuple d'Amazonie dont le langage est incompréhensible par le commun des mortels ou une confrérie d'illuminés qui se veulent intellectuels et qui s'enthousiasment jusqu'à l'excès pour ... les marées noires, Je ne parle pas de ces tentatives musicales dont on a du mal à distinguer si elles sont géniales ou l'expression d'une imposture charlatanesque!

     

    On ne fait pas la lecture de nouvelles comme on lit un roman. L'histoire qui y est racontée est brève, parfois tronquée et décevante dans sa chute... Le parti-pris de l'auteur est ici bien marqué, il précipite son lecteur dans une autre dimension, dans un autre monde où tous les repères de celui qu'il vient de quitter momentanément n'existent plus. Il met l'accent sur l'absurde de la vie, met en perspective le quotidien avec une vision déjantée, irréelle, irrationnelle mais quand même attirante. Les gestes et les postures des personnages, les épisodes de leur vie aussi vont à l'encontre de la raison et piétinent la logique.

     

    Je voudrais m'arrêter aussi sur les personnages, pas seulement sur le narrateur qui apparaît tantôt comme un lamaneur, tantôt comme un critique musicale mais surtout ce Pierre Gould qui surgit d'une manière inattendue dans différentes nouvelles. Personnage énigmatique dont l'auteur nous dit qu'il est un chercheur belge, mais est-ce un double, un hétéronyme, un personnage voyageur qui apparaît et disparaît au gré de l'inspiration ou de la fantaisie de l'auteur?

     

    Ce livre est le premier que je lis de Bernard Quiriny, je ne peux donc réponse à cette question mais je note qu'il s'agit d'une démarche que j'affectionne particulièrement dans l'écriture de la fiction qui est la rencontre « réelle » de l'auteur avec l'un de ses personnages et des surprises qui en découlent. C'est à la fois mettre l'accent sur le côté fictif d'un récit mais aussi pointer du doigt le côté aberrant de de la vie, son aspect parfois irréel.

     

    Je l'ai déjà dit dans cette chronique, la préface fait aussi partie de l'œuvre, même si elle est le fait d'un autre, il convient de la lire attentivement, elle introduit le roman, l'éclaire parfois. Ici, cet Enrique Vilas-Matas, pourtant authentique écrivain espagnol mais dont je ne suis pas bien sûr qu'il n'ai pas quelque parenté avec Quiriny, tient des propos intéressants avec son projet de rédaction d' un « catalogue d'absents » et peut-être plus encore avec son projet d'écrire une « histoire générale du vide ». C'est bien cette impression que je ressens à la lecture de ces nouvelles, cette vacuité que pour moi et à chaque fois tisse le fantastique. C'est d'autant plus intéressant que le préfacier espagnol confesse son angoisse de devoir écrire un texte sur le vide, qu'il ne peut imaginer cette histoire si courte qu'avant même de la débuter, elle était déjà terminée! Il confie sa paresse pour justifier cette absence d'écriture mais à mes yeux c'est d'une impossibilité définitive dont il s'agit puisque cette histoire serait elle-même un vide!

    Je vois dans ce court chapitre une illustration pertinente de ce recueil de nouvelles.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Le contraire de un – Erri de Luca

     

    N°460 - Octobre 2010

    Le contraire de un – Erri de Luca – Gallimard.

    Le titre de ce recueil de nouvelles est à la fois énigmatique et évident ainsi que le note la 4° de couverture « Deux n'est pas le double de un, de sa solitude. ».

    Un recueil comporte toujours une unité que recherche inconsciemment le lecteur. Ici, il présente deux parties et singulièrement c'est la deuxième, intitulée « Les coups des sens » et qui est la reprise d'un recueil publié quelques années plus tôt, où se justifie le plus ce titre. Ces courts textes qui évoquent effectivement les cinq sens sont, selon l'auteur, destinés à défaire «  le temps de quelques pages le nœud lâche et le nœud serré des récits sur l'aventure du deux, le contraire de un ». Ils se réfèrent principalement à des souvenirs de son enfance napolitaine, solitaire sans doute. Il confesse «  Je suis d'un siècle et d'une mer mineurs. Je suis né en leur milieu, à Naples en 1950 ». Plus loin de Luca confie à son lecteur «  Il a bien dû exister pour moi une heure où j'ai connu de quoi était fait l'envers des solitudes, le contraire de un » ou bien encore «  nous sommes deux, le contraire de un et de sa solitude suffisante ». Le ton est donc donné.

     

    Le recueil s'ouvre sur un poème à Mamm'Emilia (sa mère?). Il se poursuit par des textes où il est possible de lire la trace de son expérience militante, entre charges de police, gaz lacrymogènes et manifestations révolutionnaires, mais rapidement cette impression se dissipe et laisse place à une vision du monde différente, plus intime bien que fugace, comme en filigranes : « La jeune fille à la jupe bleue s'éloigna ce jour-là et qui sait qui a mérité de l'avoir entre ses bras ». Vient un autre texte, celui qui met en scène une femme qui attend son assassin sans le connaître qui aspire à la mort mais rejoint la vie grâce à une rencontre de hasard. Les femmes (ou les jeunes filles) comptent beaucoup dans l'œuvre de de Luca, elles accompagnent souvent un parcours intime d'adolescent puis plus tard d'adulte, parce qu'elles sont l'objet de fantasmes, soit parce qu'il en tombe amoureux et qu'elles font un petit bout de chemin avec lui, soit parce qu'elles sont une sorte d'ombre dans sa vie qu'elles ne font que traverser. Que se soit durablement ou non, elles suspendent pour lui le temps et font échec à sa solitude, sont effectivement le contraire de un.

     

    Ce sont des impressions d'enfance et d'adolescence napolitaines, pas vraiment tristes mais empruntes d'une certaine mélancolie. Les phobies ne sont pas absentes non plus (la mort, le noir, l'enfermement, l'étouffement, la peur de l'avenir...) qui sont des variantes de la solitude. Cette impression est prégnante tout au long de ces nouvelles et même lorsque qu'une équipe se forme, il revient toujours à ce concept de l'unique (« la moindre cordée de deux, même si elle s'entend bien, en a toujours un qui encaisse moins bien la retraite, qui voudrait risquer un peu plus » ). Plus tard, c'est sans doute en réaction contre cette enfance solitaire qu'il s'engagera dans des actions collective où l'individu certes agit conformément à un idéal individuel, mais le fait à l'intérieur d'un groupe.

     

    Je ne peux passer sous silence la poésie qui s'attache à l'étrange attraction des mots (« J'observais plutôt la querelle des couleurs sur le marché de la palette qui avait un trou pour le pouce et le sien trempait dans la sauce de l'arc en ciel »).

     

    l'hypothétique lecteur de cette chronique se sera sans doute rendu compte de l'intérêt que je porte à l'œuvre d'Erri de Luca non seulement par la qualité de son écriture simple et authentique (qu'une traduction fidèle ne trahit pas) mais aussi à cause de son engagement politique, militant et humanitaire sans concession.

     

    Chacun de ses livres est en tout cas pour moi un bon moment de lecture.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelque chose en lui de Bartleby- Philippe Delerm

     

    N°459 - Octobre 2010

    Quelque chose en lui de Bartleby – Philippe Delerm – Mercure de France.

    Le titre de ce roman évoque une chanson connue, mais qu'en est-il, et d'abord qui est ce Bartleby et qui se cache derrière ce « lui »?

     

    Selon l'auteur, Bartleby est le nom d'une nouvelle d'Herman Melville (l'auteur de Moby Dick), c'est aussi le nom du personnage principal, simple employé aux écritures de Wall Street qui tout d'abord se montre discipliné, travailleur, lisse, solitaire mais qui, avec le temps, s'oppose à son patron en refusant de faire certains travaux en déclarant systématiquement « Je ne préférerais pas ». Peu à peu il cesse tout travail, s'installe définitivement dans son bureau où il finit par habiter et refuse même son licenciement par son patron!

     

    « Lui », c'est Arnold Spitzweg, c'est le type même de l'anti-héros, simple employé de « La Poste », modeste, casanier, célibataire, solitaire, malgré une brève aventure avec une de ses collègues, demeurant dans deux pièces 226 rue Marcadet à Paris et cela dure depuis 20 ans, depuis qu'il a quitté son Alsace natale! Malgré son travail, il est imperméable à l'informatique, normal, il n'est pas né avec! A force d'être moqué par ses collègues, il va se mettre à tenir un blog, nom bizarre, « espèce de borborygme scandinave, moitié blizzard moitié grog », une sorte de journal intime qui ne l'est plus guère puisque confié à Internet. Il y confesse son envie de silence, de solitude, ses goûts simples pour la glace au café, le cigarillo où le plaisir de flâner dans Paris, surtout l'été, c'est à dire l'inverse de ce qui est la modernité, l'hyperactivité...

     

    Tout cela est bel et bon, mais Bartleby la-dedans? Certes Arnold lui ressemble un peu et chacun d'eux marque sa différence à sa manière, pourtant notre postier reste un fonctionnaire modèle, respectueux de sa hiérarchie et de son travail.

    Pour lui, ce blog sera son originalité, il y parle surtout de son quotidien, de la solitude sans qu'on sache très bien s'il la recherche ou s'il la subit [« Au Luxembourg où naissent vite les conversations sur le sens de l'existence, (il) évite les bancs... Il se choisit un fauteuil vert pâle, à défaut une chaise. Il se redit cette phrase de Léautaud qui le ravit « ce que j'ai dans la tête me suffit »]. Pour que les choses soient bien claires il baptise sa chronique du nom d' « antiaction. com ».

     

    Le plus étonnant c'est qu'on finit par parler de lui à la radio et que, chose étrange sans doute, on goûte son écriture au point qu'on songe pour lui à une édition! Ainsi Arnold qui ne voulait pas entendre parler de l'informatique qui souhaitait surtout rester anonyme devient sujet de conversation, surtout de la part des femmes, reçoit des e-mails auxquels il ne répond jamais, découvre qu'il aime être aimé et être connu![« Il a là-dessous une angoisse métaphysique. Un besoin d'exister qui ne repose sur rien. Çà, c'est vraiment notre époque. Çà m'horripile évidemment. Mais bizarrement ça me concerne »]. Il sort tellement de l'anonymat que son amour de jeunesse qu'il n'avait cependant pas oublié se manifeste à nouveau grâce à la toile.

    Que fera-t-il? Sortir de sa condition de quidam et devenir quelqu'un d'autre est-il si tentant? L'exergue qui, comme la préface fait partie d'un récit et que bien entendu il faut lire, nous avertissait déjà « Il n'y a pas de grandes vies, il n'y a pas de petites vies » Alors!

     

    J'arrête là pour ne pas déflorer ce roman, présenté en courts chapitres et décliné dans une belle écriture, agréable à lire et avec parfois des accents poétiques, comme toujours chez Delerm. Le décor parisien procure un dépaysement bien venu, loin de l'agitation quotidienne du métro et des affaires médiatiques surtout quand l'auteur y met une touche bucolique.

     

    Cela dit, on peut se poser moult questions. Quelle est la valeur de l'écriture et pourquoi la pratique-t-on? Est-elle un réel besoin et quelle est sa véritable raisonnance? Peut-on vouloir rester réellement anonyme en confiant ses états d'âme à Internet?Quid de la notoriété? Malgré tout, nous sommes dans une société de plus en plus indifférente aux autres mais où la réussite individuelle prime. Être différent est-il aujourd'hui bien reçu dans un monde en perpétuel mouvement, en quête d'uniformisation?... Internet a quelque chose de fascinant et de mystérieux, de dangereux aussi...

    Beaucoup peuvent se retrouver dans ce personnage du blogueur sur qui se braquent un temps les projecteurs de la renommée pour l'abandonner ensuite...

     

    J'ai bien aimé ce roman dans la lignée de ce que j'avais déjà lu de cet auteur.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Des hommes et des dieux ; Un film de Xavier Beauvais

     

     

    N°458 - Septembre 2010

    Des hommes et des dieux – Un film de Xavier Beauvais – Prix du Jury au 63°Festival de Cannes

    Il est des films dont la projection laisse le spectateur sans voix.

    Ce film est de ceux-là et l'impression première que j'ai eue, la lumière revenue, fut le silence, l'immobilité des gens, leurs larmes secrètes peut-être? On pouvait y lire à la fois l'horreur pour cette mort atroce pourtant tout juste évoquée, l'admiration pour l'abnégation de ces hommes et pour leur sacrifice consenti, la révolte contre la violence, la fascination pour le courage d'aller au-devant d'une mort certaine et acceptée, la fin d'une mission terrestre, le commencement d'une autre vie... D'évidence, ce genre d'exemple ne laisse pas indifférent!

     

    Au-delà des événements que tout le monde a encore en mémoire [ Une communauté de huit moines trappistes qui vit en harmonie depuis longtemps à Tibhérine au Maghreb algérien en contact avec la population arabe à qui elle vient en aide, sa prise en otage en 1996 puis son assassinat dans un rituel inconnu et barbare – on ne retrouvera que leurs têtes mais pas leurs corps] mais qui reste encore aujourd'hui un mystère, il y a ce film. Même s'il est librement inspiré de faits réels, il nous rappelle encore une fois que chaque homme est mortel, même si dans nos civilisations occidentales cette évidence est encore taboue. Il parle aussi de cette propension qu'ont les hommes à s'entretuer avec pour cela l'excuse de la religion comme le rappelle cette pensée de Pascal opportunément citée, mais aussi de l'acceptation de cette mort que l'on sent rôder, sous la forme de groupes armés islamiques incontrôlés.

     

    Dès lors se pose, pour les moines, le problème de l'abandon de cette population arabe aux exactions des islamistes ou le maintien de leur présence au monastère quoiqu'il arrive. Un monastère est constitué par un groupe d'hommes venus d'horizons différents avec des personnalités différentes, soudés par la seule force de leur foi, de leur mission et par le règle de leur ordre. Dès lors, quitter les lieux revient aussi à fissurer la cohésion de la communauté, d'accepter d'opposer à la violence extérieure la force de la prière et de l'exemple quoiqu'il puisse en coûter! Ce cheminement vers l'acceptation du martyre est bien montré dans le doute de chacun au début puis, à la fin, dans un ultime repas pris en commun (la cène!) que Frère Luc (Michael Lonsdale époustouflant de réalisme et d'humanité qui se pose avant tout en homme libre) choisit d'agrémenter de vin rouge (comme le sang du sacrifice) et de la musique profane de Tchaïkovski (Le lac des cygnes) à la place de la traditionnelle lecture de textes sacrés, comme on abandonne ce monde terrestre, les larmes vite essuyées du vieux Frère Amédée, la détermination de Frère Christian (Lambert Wilson en contemplatif déterminé), la décision de toute la communauté...

     

    Ce n'est pas un film confessionnel au sens strict du terme puisque la vie des moines dans ce coin de l'Atlas se déroule sans la moindre volonté de prosélytisme. Ils soignent indifféremment tous ceux qui se présentent au monastère, prient pour l'âme d'un enfant assassiné autant que celle du rebelle assassin, parlent librement du monde extérieur... Il n'y a pas de message proprement évangélique (les moines citent à la fois le Coran et l'Évangile - on peut parfaitement être athée et être bouleversé par cet exemple), seulement la mise en évidence des valeurs humaines de tolérance, de charité, de fraternité entre les hommes, maintenant fortement gommées par notre mode de vie où la réussite sociale, financière, professionnelle, le paraître, sont les seuls critères. L'image donnée par le monde au quotidien en procure tous les jours l'illustration.

     

    Ces moines sont des hommes de dieu et choisissent d'opposer leurs fragiles chants liturgiques aux vrombissements des hélicoptères de l'armée, décident, contre toute logique, de rester au monastère malgré les mises en garde des autorités incapables d'assurer l'ordre public dans un pays en totale décomposition, opposent un refus silencieux à la délation même si elle vise à livrer des terroristes et même si en jouant ce jeu, les moines se protègent indirectement. Ils rappellent d'une manière apparemment anachronique que leur vie ne vaut rien parce qu'elle est déjà offerte à dieu et qu'ils doivent accepter sa volonté sous quelque forme qu'elle se présente. Il y a quelque chose de grand dans l'acceptation de ce sacrifice.

     

    De nos jours encore, des hommes que tout désignait pour un parcours brillant et carriériste choisissent de tout quitter, de refuser une vie de famille, d'embrasser la pauvreté, l'abnégation, le service de l'humanité et la foi en un dieu qu'ils n'ont jamais vu mais qu'ils servent aveuglément, parce que là est le véritable sens de leur vie. Le silence, la prière, la foi sont leurs seules armes. En cela ils forcent le respect, apportent un certain apaisement et un exemple de dignité. Ce n'est pas un film qui oppose l'islam et l'Évangile, ce sont toutes deux des religions révélées, des religions du Livre, qui prônent la tolérance, la charité, le respect de l'autre, ce n'est même pas un film contre les islamistes, leur vision meurtrière du monde et leur mauvaise interprétation du Coran. Les circonstances « historiques » eussent été différentes, le résultat n'en aurait pas moins été le même. Les hommes continueront de s'entretuer tant qu'ils vivront!

     

    Le film n'apporte pas de réponse à ces exécutions, ce n'était d'ailleurs pas le sujet, même si on a pu se livrer à des supputations sans le moindre fondement, si le mystère entoure encore cette prise d'otages et le marchandage qui y a fait suite. L'important est ailleurs, au-delà du spectacle qui ne veut sans doute pas emporter l'adhésion du spectateur mais lui donner l'occasion de remettre en question des idées reçues, de réfléchir sur un monde qui devient chaque jour plus fou.

     

    C'est assurément la mise en évidence d'un exemple bouleversant.

     

    Hervé GAUTIER – Septembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Gaston Chérau (1872-1937).

     

    N°457 - Septembre 2010

    Gaston Chérau (1872-1937).

    [Exposition à la Médiathèque Centrale d'agglomération de Niort du 17 au 30 septembre 2010.]

     

    Il n'est pas courant, dans une ville qui n'est guère réputée pour promouvoir son côté culturel, qu'une exposition rende hommage à un des écrivains qui l'a vu naître et soit ainsi proposée au public. C'est le cas puisque la médiathèque centrale d'agglomération de Niort expose, du 17 au 30 Septembre, sous l'égide de M. Erik Surget, conservateur en chef des bibliothèques, de nombreux documents (manuscrits, lettres, tapuscrits, photos...) relatifs à la vie et à l'œuvre de Gaston Chérau (né à Niort en 1872, décédé à Boston en 1937).

     

    Cette exposition complète le fonds détenu par la Bibliothèque de l'Arsenal déjà détentrice d'une grande partie de la correspondance privée de l'écrivain. Déjà, dans le cadre de la journée du patrimoine (Samedi 18 septembre 2010, M. Surget avait fait, devant un auditoire clairsemé, une évocation de la correspondance échangée dans les années 30 entre Chérau, alors membre de l'Académie Goncourt, et Irène Némirovsky (1903-1942), romancière prometteuse alors âgée de 27 ans. [Elle obtiendra, fait rarissime puisque cette distinction n'est accordée qu'à un écrivain vivant, le prix Renaudot en 2004 à titre posthume pour « Suite française » roman publié la même année chez Denoël].

     

    Mais revenons à cette exposition qui fait revivre Gaston Chérau. Elle fait suite à une précédente qui avait eu lieu à la Bibliothèque municipale de Niort du 24 octobre au 15 décembre 1987 ainsi qu'une autre à la bibliothèque de l'Arsenal du 5 février au 9 avril 1988 pour le cinquantenaire de la mort de l'écrivain [Le centenaire de sa naissance avait déjà été célébré par le Société des Gens de Lettres en 1972]. Un catalogue enrichi de photos, de fac-similés de lettres et de nombreux commentaires avait déjà été publié à Niort en 1987.

     

    Il n'est pas inutile en effet de faire revivre l'itinéraire de cet auteur d'exception qui honora grandement les lettres françaises et notre si belle langue. Par son talent, il suggéra la vie en général autant que la province d'où il tenait ses origines, le Poitou par son père, le Berry par sa mère. Son œuvre ne se limite cependant pas à celle d'un auteur régionaliste, inspiré par ses seules racines. Elle porte en effet en elle «  message, éthique, cosmogonie » comme cela est opportunément rappelé dans les quelques pages qui présentent cette manifestation.

     

    Le catalogue de l'exposition niortaise de 1987, gracieusement offert aux visiteurs intéressés, retrace la vie et l'œuvre de cette auteur injustement oublié, pratiquement inconnu dans sa ville d'origine et qui mérite bien une découverte ou une relecture.

     

     

     

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  • MONTEDIDIO – Erri de Luca

     

    N°456 - Septembre 2010

    MONTEDIDIO – Erri de Luca - Éditions Gallimard.[Prix Fémina étranger 2002]

    (Traduit de l'italien par Danièle Valin)

     

    Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai un attachement particulier pour les romans d'Erri de Luca, à cause du style simple servi par une traduction fidèle et qui me parle assurément.

     

    Montedodido est situé sur une colline, un quartier pauvre de Naples dans les années 50. C'est une ville grouillante de vie qui est posée à côté d'un volcan qui peut lui apporter la mort. Le narrateur lui adresse un véritable chant d'amour. Il y décrit sa famille, fils unique d'un docker, il travaille comme apprenti chez un menuisier, mast'Errico, qui dit que « chaque journée est une bouchée ». Pour l'enfant qu'il est encore et qui n'a encore de treize ans, le salaire qu'il rapporte chez ses parents lui donne à penser qu'il est presque un homme. Le « boumeran » que lui offre son père est plus qu'un jouet et, comme il manque de place pour le lancer parce que les ruelles sont étroites, il s'entraine pour le jour où il aura assez d'espace pour le faire voler. Il parle de Rafaniello, un cordonnier juif, bossu et un peu naïf qui apprend les choses en songe et qui s'est arrêté à Naples par hasard sur la route de Jérusalem. Il croit que sous sa bosse se cachent des ailes d'ange qui vont l'aider à terminer son voyage vers la Terre Sainte en volant vers elle. C'est lui aussi qui apprend à l'enfant à rire de tout. Le narrateur rencontre aussi Maria, sa jolie voisine qui est attirée par lui, dit qu'ils sont fiancés et se donnent des rendez-vous, finissent par vivre ensemble...

    Le narrateur qui parle le napolitain [« (langue) très à l'aise dans l'insolence »]mais apprend l'italien pour mieux raconter cette expérience de vie qu'il écrit en secret sur un rouleau de papier.

     

    C'est un roman chronologique aux accents autobiographiques (ou plus exactement une auto-fiction, c'est à dire un récit où la pudeur de l'autobiographie se mêle intimement au merveilleux de la création. On s'inspire des choses faites et vues en les transformant au gré de son imagination et de sa volonté de refaire le monde à sa convenance) de transition entre l'enfance et l'âge adulte symbolisé par ce « boumeran » venu d'ailleurs et qu'il finira par lancer comme lui s'envolera vers la vie. Le temps qui passe est aussi noté par la voix du garçon qui mue, son corps qui affermit ses muscles (tous ses muscles), celui de Marie qui peu à peu devient femme et s'épanouit à l'éveil de la chair et de l'amour, la folie de Rafanielo (Il y a un parallèle entre le vol du « boumeran » et le futur essor de Rafanielo pour la Terre Sainte, véritable terre promise), l'évolution de la maladie de sa mère puis sa mort. C'est une seconde naissance à la vie, incarnée par la fête de Noël. A partir de là tout change (« à Naples, on grandit vite ») Comme souvent chez de Luca, ce passage se fait par les femmes. Ici, c'est Maria, mais c'est aussi sa mère malade.

     

    Il y a aussi une naissance à l'écriture. Le narrateur jeune et parlant tout juste la langue nationale qui est nouvelle pour lui, choisit de faire le récit de tout cela sur un rouleau de papier (ici il n'y a pas de feuille éparses (volantes?) mais le déroulement continu d'un texte sur un support sans fin apparente (« Même le rouleau tourne plus vite, tiré par le poids de la partie écrite »). L'écriture qui sera plus tard sa véritable raison de vivre se régénère elle-même.

     

    Ce récit qui se termine comme une fable est une peinture des petites gens pleine d'authenticité, de complicité et d'émotion. L'auteur écrit cela avec une grande économie de mots et un style dépouillé et poétique. Je ne me lasse pas de lire cet écrivain au parcours exceptionnel et à la langue envoûtante de simplicité.

     

     

     

     

     

     

     

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  • OLIMPIA – Céline Minard

     

    N°455 - Septembre 2010

    OLIMPIA – Céline Minard - Éditions Denoël.

     

    Est-ce la vie de l'auteur à la Villa Médicis qui lui inspira ces pages de la vie scandaleuse d'Olimpia Maidalchini (1592-1657) dont l'histoire a retenu le nom comme celui d'une papesse? Il est vrai que ce séjour dans la ville éternelle, qui est aussi le siège de l'État du Vatican, ne peut que donner envie de relater les multiples aventures qui émaillèrent l'existence de cette incarnation du pouvoir temporel et de ceux qui l'ont exercé, plus volontiers inspirés par les bassesses et les turpitudes humaines que par la conduite spirituelle du monde qu'ils étaient censés mener.

     

    Au demeurant, c'est un petit livre en deux parties, la seconde complétant la première de ses précisions historiques sur la vie de cette femme de naissance modeste, belle et intelligente, issue d'une famille « de pauvre culture et de médiocres moyens ». Dans la première phase, l'auteur donne fictivement la parole à cette dernière qui, après des revers de fortune et après avoir régné sur Rome et sur le pape Innocent X quitte volontairement la ville après la mort du souverain pontife avant d'en être expulsée par son successeur. Elle n'oublie pas, dans un monologue haineux, de répandre sa morgue sur cette citée, sur ses habitants( tous ses habitants, des plus humbles aux plus fortunés), sur tous ceux qu'elle a contribué à élever, qui l'ont servie, qui l'on trahie qui l'ont calomniée. Elle distribue aussi les malédictions(« que la peste étouffe, les broie, les meule, les perce, qu'ils jettent leur dernier souffle en un pet par le cul en ensemble et qu'ainsi Rome en tremble »). Elle mourut l'année suivante de la peste qui envahit toute l'Italie. Comme tous les personnages un peu sulfureux, la légende a comblé le vide de sa présence et, après sa mort on dit qu'elle vient encore hanter une rue de Rome!

     

    Dans un style truculent, charnel et même parfois ordurier (mais peu importe), l'auteur fait parler Olimpia, lui fait égrener les épisodes de sa vie tumultueuse qui l'amena à Rome. Malgré « ses connaissances lacunaires, propre à la noblesse du temps », elle réussit « à se mouvoir avec grâce pari les habits ecclésiastiques ». C'est là un euphémisme qui caractérise une vie tout entière consacrée à sa promotion et à son enrichissement personnels puisque, après un éphémère mariage qui fit d'elle une riche et jeune veuve, elle se remaria avec un influent et vieux romain qui eut le bon goût de mourir avant elle. Elle favorisa, à force d'intrigues, de prébendes et de manigances, l'accession au trône pontifical de son beau-frère, le médiocre cardinal Giovani Battista qui devint pape sous le nom d'Innocent X et dont elle devint la maîtresse et l'influent mentor. Rien ne se faisait donc sans elle. Comme il se doit, elle sera l'objet de critiques et de pamphlets mais admet elle-même que sa réputation n'est pas usurpée « Le peuple m'a suffisamment comblée en m'appelant Pimpaccia et impia et putain de pape et suceuse d'Innocent et vamp et vampiria et femme à sceptre... », sa vie scandaleuse la faisant reconnaître comme « Papesse, impie, courtisane, prostituée (tels) furent les noms qui la désignèrent alors dans les murs de Rome et dans les cours d'Europe ». On ne peut mieux caractériser cette femme, fine politique, ambitieuse, dominatrice, dénuée de scrupules et qui sut modeler les événements à son avantage.

     

    Même si ce livre n'est pas le premier sur le sujet, j'ai goûté cette diatribe forte et brutale autant que l'histoire de cette Olimpia qui illustre l'éternel combat des femmes pour leur réussite en en servant de leur charmes et de leur intelligence au détriment des hommes qu'elles méprisent. Quant à l'histoire de la papauté...!

     

    Je ne connaissais par Céline Minard, cet ouvrage m'invite à en lire davantage.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • LUISA – Marie-Claude Roulet

     

    N°454 - Septembre 2010

    LUISA – Marie-Claude Roulet - Éditions Le temps qu'il fait.

     

    Plus qu'un roman, c'est une longue nouvelle qui met en scène Luisa, une jeune fille encore adolescente que sa mère, tenancière d'un café de village, « place » au château voisin.

    Les premières pages la présente alors qu'elle y arrive, encore toute hésitante, comme on pénètre en territoire inconnu. Elle ne sera que servante parce qu'elle ne peut prétendre à autre chose, qu'elle n'a pas de diplômes et qu'elle n'a jamais été que serveuse dans l'établissement de sa mère. C'est pour elle inespéré de vivre ainsi une vie différente, elle qui n'est qu'une fille de la campagne, c'est donc « une bonne place » qu'elle devra garder. Dans ce nouvel univers, elle fait la connaissance d'Alice dont elle devra s'occuper. Elle est la vieille mère d'Étienne, sorte de notable dont on ne sait pas grand chose et dont le roman ne nous parle qu'à demi-mots. Il entretient avec Ray, un employé, des relations bizarres.

    Rapidement, parce que c'est une fille sérieuse, elle gagne la confiance de tous au point qu'on lui confie des responsabilités et qu'elle prend en mains le domaine. C'est aussi un être original, loin des préoccupations des jeunes filles de son âge. Elle aime lire, et pas seulement des magazines, mais voue une admiration pour le roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre, au point de s'y retrouver elle-même. Elle est aussi liée d'amitié avec Camille dont elle est bien différente, elle qui a fait des études et qui est promise à un brillant avenir. Cette jeune fille a l'amour de la liberté, de la vie, mais pour Luisa, cette liberté a un autre sens: être libre, c'est être servante dans ce château, même si son amie lui dit qu'elle vaut mieux que cela. Elle connaît également Georges, le poivrot du village, occupé à détruire sa vie depuis qu'il est revenu de cette guerre d'Algérie qu'il ne parvient pas à oublier...

     

    Elle qui est quand même différente des jeunes filles de son âge, avait compris que lorsque sa mère l'avait placée dans ce château, ce n'était pas exactement pour y rester comme servante. Les circonstances vont lui donner raison, un peu comme dans son roman préféré, même si elle doit voir partir Camille avec Jacques, un garçon qui ne lui est pas indifférent! Il est vrai que trop de choses les séparent.

     

    Il y a plus qu'une simple connotation avec le roman de Charlotte Brontë et celui de Marie Claude Roulet : les personnages, les lieux, les circonstances semblent se répondre. Luisa accepte ce « contrat » qui l'a amenée au château. En avait-elle compris les termes avant d'en passer le seuil ou s'est-elle adaptée à cette vie nouvelle qui s'offrait à elle au point de prendre possession des lieux et d'accepter un mariage de façade avec Étienne lui permettant de poursuivre une idylle avec Ray? Elle parviendra sans doute à y faire venir Georges pour l'aider certes dans la bonne marche du domaine mais surtout pour qu'il fasse partie plus complètement de son histoire. On imagine mal que son mari le lui refuse, d'autant qu'il a connu Georges en Algérie. Cette complémentarité est étonnante entre ces deux êtres dont le lecteur imagine facilement que tout les sépare, leur âge d'abord et surtout leur manière de vivre. On saisit assez mal la personnalité de Luisa qui laisse partir Camille, son amie, avec Jacques sans chercher à le retenir auprès d'elle. Elle accepte donc par avance ces nombreuses années passées ici où elle mènera une vie tranquille et retirée qui semble être son idéal, une existence dénuée d'imprévus, d'amour, de folies dont on imagine sans peine que son âge est friand. Elle est un peu résignée à son sort, un peu actrice aussi puisque les choses se sont déroulée en dehors d'elle au début mais rapidement aussi avec sa complicité. Au bout du compte, un livre non-encore écrit résultera de tout cela, mais c'est une autre histoire. C'est peut-être celui que le lecteur, un peu perplexe, tient entre ses mains? C'est un récit-gigogne où le personnage principal s'identifie à l'héroïne de son roman favori qu'elle revit et un récit en devenir qu'elle porte en elle.

    J'ai lu ce livre jusqu'à la fin, davantage par curiosité à cause du parallèle avec celui de Brontë que par réel intérêt, sans doute aussi à cause du style agréable du texte.

     

     

     

     

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  • L'ANNÉE DU SOULÈVEMENT- Hubert Mingarelli

     

    N°453 - Septembre 2010

    L'ANNÉE DU SOULÈVEMENT– Hubert Mingarelli - Éditions du Seuil.

     

    Bien étrange histoire que celle de ces deux hommes, Daniel et Clétus, seulement armés d'un fusil de chasse qui sont chargés d'escorter un prisonnier, l'officier San-Vitto, en haut d'une colline où d'autres soldats sont censés venir le récupérer sans doute pour le tuer. On sent que ces deux hommes n'aiment pas San-Vitto parce que c'est un adversaire mais aussi parce que c'est un officier. Ils se ressemblent tous, dans toutes les armées, parce qu'ils incarnent l'autorité, la discipline, la nécessaire obéissance aveugle aux ordres donnés, sans discussion. C'est eux aussi qui prononcent les sanctions souvent injustes et qui s'abattent sur les hommes du rang. Comme si, au sein d'une même armée, chacun se méfiait de l'autre...

     

    Au début, les relations sont hostiles entre ces protagonistes, mais quand ils parviennent en haut de la colline, chacun s'enfonce dans l'inaction obligatoire en espérance que tout cela se termine bientôt. Daniel et Clétus parlent de la guerre mais aussi de leur quotidien d'avant les hostilités. Pour les hommes c'était autant de combats auxquels chacun, amis ou ennemis, a participé avec son lot de morts, d'absurdités, de devoir de tuer. Autour d'un feu, ils attendent, l'officier probablement la mort, les hommes, la relève qui tarde à venir et dont on se prend à imaginer qu'elle ne viendra pas parce que dans ce désordre des choses on a sûrement oublié jusqu'à cette mission un peu bizarre et peut-être jusqu'à leur propre vie. La peur s'installe, chacun la sienne, dans l'incertitude des combats et le futur immédiat qu'on imagine, l'abandon peut-être. Alors pour l'exorciser on fait un feu, (on le construit dit le texte) pour éclairer et réchauffer la nuit, on sort des cartes à jouer, on parle (Clétus emploie le tutoiement avec San-Vitto, Daniel, le vouvoiement), on s'offre des cigarettes, sans doute pour éviter de garder le silence, on s'intéresse à la vision furtive d'un cheval, on prête attention aux aboiements des chiens dans le lointain... Les dialogues sont au départ frustres mais deviennent plus personnels. Des relations quasi-humaines finissent par se tisser entre le prisonnier et ses gardiens, une sorte de syndrome de Stocholm ou de Lima. Pourtant, quoiqu'il arrive Daniel et Clétus devront obéir aux ordres et San-Vitto se soumettre, c'est la règle de ce jeu un peu surréaliste de la guerre qui transforment en ennemis des hommes qui autrement se seraient bien entendus. Alors l'empathie gagne et Clétus qui a le beau rôle parce que c'est lui qui a le fusil, donne des conseils à son prisonnier qui peuvent, le pense-t-il, sauver la vie de ce dernier quand ils sera entre les mains des autorités qui décideront de son sort. Autour d'eux c'est la nuit mystérieuse qui sert de décor. Avec la peur vient le doute et l'hostilité entre Daniel et Clétus qui finissent par s'opposer, se menacer...

     

    Dans ce huis-clos un peu surréaliste en pleine nature, on évoque les combats de cette guerre autant que la paix et chacun s'évade comme il peut, avec les souvenirs de sa vie d'avant, un chien ou une partie de chasse, avec ses projets d'après ces hostilités. A la fin, la guerre elle-même disparaît pour laisser place à autre chose qui ressemble à la paix, à la sérénité. C'est un peu comme si l'absurdité de tout cela disparaissait derrière une sorte d'espérance d'un monde enfin redevenu normal, comme si ces hommes ordinaires précipités un peu malgré eux dans cette lutte, reprenaient leurs habits d'humains. Le style dépouillé suggère cette impression donnée au lecteur d'un temps suspendu entre deux gouffres, entre deux mondes, une sensation un peu trouble et malsaine cependant comme le sont souvent les choses humaines quand l'absurdité se met à peser sur elles.

     

     

     

     

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  • L'ÉTÉ OÙ IL FAILLIT MOURIR– Jim Harrison

     

    N°452 - Septembre 2010

    L'ÉTÉ OÙ IL FAILLIT MOURIR– Jim Harrison - Éditions Christian Bourgois.

     

    Ce sont de nouveau trois longues nouvelles que nous propose ici Jim Harrison.

     

    La première qui donne son titre au recueil met en scène « Chien Brun », un métis indien pas très intéressant, un peu marginal, menteur, buveur, obsédé par le sexe et qui se croit irrésistible. A la suite d'ennuis judiciaires, il a été contraint à un mariage un peu surréaliste qui ont fait de lui le père adoptif de deux enfants, Red et Baie, une petite fille originale qu'il tente de sauver de l'action des services sociaux qui veulent l'éloigner en la qualifiant d'handicapée mentale. Elle a en effet subi le traumatisme d'une mère qui a continué de boire pendant sa grossesse. Maintenant il travaille, mais par intermittence, cuisine, mais sa spécialité l'amène à confectionner des plats pas très ragoûtants. Il n'a cependant rien abandonné de son goût pour la pêche, l'alcool et les femmes. La nouvelle s'ouvre sur une rage de dents qui sera l'occasion d'une passade avec la dentiste qui le soigne et qui est comme lui obsédée sexuelle. Elle nous narre également ses aventures et son amour pour une assistante sociale lesbienne, la persistance de la pêche à la truite et une sorte d'obsessionnelle présence, par intermittence, d'un petit serpent noir et de la cueillette des morilles!

    La seconde intitulée « Épouses républicaines », l'auteur met en scène trois femmes américaines riches, mariées et oisives dont l'une d'elles a tenté de tuer son amant, un écrivain gauchiste suffisant et inintéressant qui a été également l'amant des deux autres. Elle parlent à tour de rôle de cette histoire...A-t-il voulu dénoncer le vide de la vies de ces trois femmes ou le dégoût qu'il ressent pour cette Amérique des années 50 et 60 qu'il rejette?

    La troisième, intitulée « Traces » a des accents autobiographiques d'une enfance dominée par la chasse et la pêche dans le pays qui a servi de cadre à son enfance.

     

    Ces trois nouvelles ont pour cadre la péninsule du Nord Michigan dont l'auteur est originaire, une nature que Harisson célèbre avec plaisir, les plaisirs de la vie, les femmes et la bonne bouffe. Il y met en scène ses obsessions, notamment sexuelles mais aussi son penchant pour l'alcool. Pourtant, je suis plus particulièrement attentif aux personnages, Gretchen, travailleuse sociale et homosexuelle, Delmore, oncle possible des enfants, avare impénitent, Baie qui communique volontiers avec les oiseaux. Ce côté anti-héros me plait bien...Cependant les trois femmes américaines me laissent un peu indifférent, quant à « Traces », je trouve cela sans grand intérêt si ce n'est d'apprendre des détails biographiques sur l'auteur.

     

    J'avais apprécié « Légendes d'automne » (La Feuille Volante n° 451) mais ici j'avoue que j'ai eu un peu de mal à accrocher avec ces trois nouvelles. Pourtant cet auteur passe pourtant pour un écrivain majeur!

     

     

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  • LÉGENDES D'AUTOMNE-Jim Harrison

     

    LÉGENDES D'AUTOMNE– Jim Harrison - Éditions Robert Laffont.

     

    Ce sont trois longues nouvelles que nous livre ici Harrison( même si la préface de Serge Lentz qui est aussi le traducteur préfère le terme de roman).

     

    Dans la première, intitulée « vengeance », c'est une histoire d'amour qui nous est contée, celle de deux hommes qui sont à la fois amis et amoureux d'une même femme. L'un d'eux Cochran est ancien pilote de chasse ayant combattu dans la Navy, l'autre, Mendez, dit Tibey, est un ancien souteneur. Ils vont donc se battre pour l'amour de Miryea, la femme de Tibey dont Cochran va tomber éperdument amoureux et qui partira avec lui. Le début s'ouvre sur son corps abandonné en plein désert autour duquel tournent déjà chacals et vautours. Ce combat qui est aussi une course-poursuite ne va pas se dérouler seulement entre ces deux hommes, mais aussi contre cette femme, véritable enjeu de ce conflit qui ne peut que mal se terminer.

    Le décor est celui du Mexique avec tout ce qu'on attend de ces paysages écrasés de chaleur, l'alcool, les bordels, les meurtres, cette chanson de Guadalajara que Miryea aimait tant mais aussi et surtout la vengeance qui broie chacun de ces trois personnages, cette femme d'abord mais surtout ces deux anciens amants qui sont comme réunis autour d'un cadavre sans qu'aucun d'eux puisse reprendre le cours normal de leur vie.

     

    La deuxième nouvelle « L'homme qui abandonna son nom » entraine le lecteur dans un tout autre contexte, celui plus conventionnel d'une famille établie et aisée. Le père a épousé la collégienne qui, adolescent le faisait rêver, mais, après 18 années de mariage, une vie sentimentale qui est devenue une routine et la naissance d'un enfant, le couple décide de se séparer. L'homme veut  changer radicalement de vie et découvre que même celle-ci ressemble à une longue léthargie.

    C'est, et de loin, le récit que j'ai préféré.

     

    La troisième qui donne son titre au recueil met en scène trois frères du Montana qui partent, au début du XX° siècle, faire la guerre en Europe. L'un deux, Samuel, ne reviendra pas et sa disparition provoque l'effondrement de la famille. Tristan, bouleversé par cette disparition, entame un voyage épique qui le mènera autour du monde. Dans ce récit, écrit par moments en termes poétiques, se mêleront mysticisme, meurtres et une incroyable aventure humaine où la vengeance, le doute et la rédemption ont aussi leur place.

     

    Le point commun de ces trois nouvelles est la violence sous quelque forme qu'elle se présente, qui fait partie de la condition humaine. Elle est une nécessité vitale, se joue des frontières et des époques mais elle est également maudite comme le souligne la préface et n'est en rien gommée par la civilisation dont l'homme aime à se parer. Ce qui nous est montré ici est une évidence, la civilisation n'est qu'un mot, un vernis, une apparence dont les hommes se satisfont et parfois se recommandent pour justifier leurs actions les plus inavouables, leurs compromissions les moins acceptables. Les grandes et généreuses idées savamment distillées et qui flattent sont chaque jour occultées et remises en cause par la réalité quotidienne. C'est donc à une prise de conscience urgente que nous invite cet auteur américain.

     

    le style est simple, précis, dépouillé même, poétique parfois mais assurément terrifiant. Il livre au lecteur, une image de l'homme bien éloignée des grands discours humanistes. Les personnages de Harrison sont humains, pas généreux et humanistes, mais sont l'incarnation de l'homme avec ses pulsions, ses grandeurs comme ses bassesses.

     

    Comme l'indique Yann Quefellec « Les romans d'Harrison font entrevoir en chacun d'entre nous l'ombre portée du criminel, du tricheur et du saint. Au surplus, le style est à lui seul un chef-d'œuvre, une leçon pour les auteurs français, plus habiles à sodomiser les mouches de la ponctuation, à sacraliser les arguties qu'à livrer une inspiration urgente. Jim Harisson est un écrivain passionné, donc il nous passionne !».

     

     

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  • LES SOEURS DE PRAGUE-Jérôme Garcin

     

    N°450 - Septembre 2010

    LES SŒURS DE PRAGUE– Jérôme Garcin - Éditions Gallimard.

     

    Cela commence plutôt fort par une lettre peu amène et carrément insultante de Klara Gottwalt, tchécoslovaque sulfureuse à un homme dont on comprend tout de suite qu'il est romancier. Cela ressemble à une rupture ou quelque chose qui a ressemblé à un contrat non honoré. Klara est en effet un agent artistique qui souhaite avoir dans son agence toutes les célébrités littéraires. Cette femme est tout l'inverse du narrateur originel, people, exagérément cabotine, manipulatrice, séductrice au franc-parler, énigmatique et autoritaire, désireuse de faire prévaloir le paraître et proche du monde politique qu'elle entretient de ses flagorneries.

    Le narrateur, un auteur pas vraiment sympathique, cynique, un peu jouisseur et pas mal profiteur, paresseux, et qui n'a connu qu'un succès un peu fade, refait le chemin à l'envers, narre le jour de leur rencontre et le bénéfice qu'il espère tirer de cette « collaboration » puisqu'elle le sollicite. En réalité, l'écriture n'est pas pour lui un besoin viscérale mais bien plutôt un moyen de réussir dans la société. Pour cela, il va trahir tout son milieu jusque et y compris lui-même pour atteindre, l'espère-t-il, le succès et une hypothétique adaptation cinématographique de son manuscrit. Il marche si bien dans ce jeu sordide que son amie le quitte définitivement tant il est devenu abject! Pour parvenir à ses fins il va épouser les manières glauques de cette société marginale et parisienne où l'hypocrisie le dispute à la vanité.

     

    L'histoire de Klara qui abandonne son fils à des dérives artificielles et ses parents à l'oubli, pour mieux connaître la réussite sociale, doublée de celle de sa sœur Hilda qui reste cependant en retrait pour mieux se réfugier, à la fin, dans des pratiques religieuses illusoires, illustre parfaitement quelques travers de la condition humaine. La mort semble guetter au coin de chaque chapitre pour avoir finalement le dernier mot, qu'elle prenne la forme d'un saut dans le vide ou d'une relégation volontaire sur une île de la côte l'atlantique quand elle est désertée par les touristes.

     

    Cet épisode de la vie du narrateur va le révéler à lui-même et quand cette entreprise douteuse faite de scandales et d'escroqueries financières en passant par le démantèlement d'un raison de call-girls, et un avertissement de la mafia de Prague, tourne court, il s'exile seul à Noirmoutier comme pour tourner définitivement la page. Dégoûté du monde mais surtout de lui-même, il décide en effet de jeter aux orties ses fantasmes, sa chronique à France-Inter, ses prétentions littéraires qui menaçaient, malgré des velléités stendhaliennes, d'enfanter des personnages pas vraiment apparentés à ceux de son modèle. Son héros finissait par lui ressemblaient beaucoup, n'avait donc plus rien de commun avec la fiction et devenait même un peu dérangeants! Au bout du compte le narrateur perd le goût d'écrire.

     

    Alors, roman catharsique ou règlement de compte sous la forme de peinture d'une société que l'auteur, qui en fait peu ou prou partie, décrit en trempant sa plume dans une encre pas très sympathique? Récit qui met en scène un écrivassier vaniteux sans réel talent (comme il y en a tant) qui recherche la « protection » d'une femme d'influence pour obtenir un succès médiatique? Sorte de mise en abyme où le lecteur ne discerne pas bien la dénonciation un peu méchante d'un milieu intellectuel et la mise en garde contre une profession nouvelle, les « agents littéraires » présentés comme des parasites qui se veulent indispensables? Est-ce, peut-être, sous la forme d'une allégorie, une manière d'évoquer l'abandon maternel, cette Klara étant à la fois une mère indigne pour son fils et une « protectrice » peu crédible pour ceux qu'elle a réussi à engager dans son agence.

     

    J'avoue que j'ai été peu convaincu par ce récit où même le style m'a laissé un peu indifférent. Je pense aussi que les nombreuses références aux chansons, aux films qui donnent l'illusion d'une certaine érudition n'ajoutent rien au texte. Quant à l'évocation de personnages bien réels qui trouvent ainsi leur place dans ce récit de fiction, je n'en vois pas l'intérêt. Je dois dire que je suis parfaitement étranger à ce milieu parisien et faussement intellectuel, même si on admet facilement que de décor ne puisse longtemps faire illusion.

     

    J'avais bien aimé « Son excellence monsieur mon ami » (La Feuille volante n°447) et j'avais eu envie de poursuivre avec cet auteur. Je ne suis plus sûr d'être du même avis.

     

     

     

     

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  • UN CHINOIS NE MENT JAMAIS - Frédéric Lenormand

     

    N°449 - Septembre 2010

    UN CHINOIS NE MENT JAMAIS– Frédéric Lenormand - Éditions Fayard.

     

    Ce n'est pas parce que la carrière du juge Ti s'est égarée dans des contrées du Nord-Est de l'empire, dans un coin désolé « où le lait gèle en été dans (les) marmites », ce n'est pas non plus parce que sa droiture et son efficacité ne lui ont pas profité qu'il doit se laisser aller. Pour cela, ses trois épouses légitimes ont l'idée, comme cadeau d' anniversaire, de recourir aux services d'un écrivain public dont la spécialité est d'enjoliver les faits et gestes des grands personnages et ainsi de favoriser leur avancement. Cette délicate attention de ses épouses, par ailleurs quelque peu intéressées par une promotion rapide de leur mari, trouve un écho plutôt favorable dans le déroulement des événements. La pratique de l'historiographie, voire de l'hagiographie, n'était en effet pas réservée à l'empereur, chaque mandarin y avait droit et la carrière de Ti, qui se terminera à la cour, ne pouvait, pensaient-elles qu'en sortir affermie.

     

    Ti va en effet restituer à la ville, grâce à un procéder astucieux, les statues du temple de Pei-Tchéou, mystérieusement disparues dix ans plus tôt, ce qui lui permettra d'ajouter foi aux allégations controuvées de son historiographe. Il n'en reste pas moins que trois énigmes s'offrent à lui et sont autant d'occasions de mettre en valeur sa proverbiale sagacité. Si notre juge fait, certes, son travail avec probité, jouant habillement sur les travers humains et se révélant toujours plus pragmatique, il n'en n'est pas moins attentif à l'amélioration de sa situation. C'est qu'il a beau exercer ses talents au sein d'une civilisation qui réserve une large place à la superstition et aux pratiques religieuses magiques et qui est hantée en permanence par des divinités diverses, il n'en reste pas moins un enquêteur au solide bon sens qui promène sur la société de son temps sur laquelle il est chargé de veiller, un regard dubitatif et rationnel, inspiré par la pensée de son maître Confucius.

     

    Il demeure néanmoins un haut-fonctionnaire qui entend se faire respecter et un fin limier capable de débusquer avec finesse et intelligence le contrevenant qui veut porter atteinte au bon fonctionnement de l'État dont il a la charge. C'est d'autant plus vrai qu'on s'est permis d'usurper son identité et ses fonctions pour dépouiller la guilde des marchands de jade. Il doit donc retrouver le trésor ainsi dérobé. Il en est à un point de sa carrière où, suite à des tractations d'où le favoritisme et le népotisme ne sont pas absents, il est promis à une prochaine mutation dans la montagne, chez les éleveurs de chèvres qui ne parlent même pas chinois! Cette perspective n'enthousiasme guère notre mandarin qui verra pourtant son destin administratif prendre une toute autre tournure et ce pour des pratiques qui lui sont néanmoins complètement étrangères!

     

    Comme toujours, j'ai retrouvé avec bonheur la vie et les enquêtes de ce juge déjà évoquées dans nombre de romans de Frédéric Lenormand. Non seulement notre auteur déroule son récit avec un humour de bon aloi qui doit beaucoup à l'euphémisme, voire à la litote, mais c'est aussi pour le lecteur attentif une occasion d'en apprendre davantage sur cette civilisation de l'époque Tang. Chaque roman n'est ainsi pas seulement une fiction mais s'appuie sur des faits précis. On peut ainsi faire la connaissance de ce juge qui fut un personnage historique (nous sommes en 676 de notre ère) dont Lenormand, de livre en livre, nous révèle le parcours un peu atypique. On apprend ainsi les us et coutumes de cette civilisation, le détail de ses couches sociales, son système métrique, ses rites funéraires, ses procédures judiciaires, le panthéon compliqué de ses divinités, ses contradictions aussi parfois!

    La Chine est indissociable du jade aux pouvoirs miraculeux qu'elle prisait fort mais ne produisait pas. Ainsi cette pierre sera-t-elle le prétexte d'une enquête et, pour le lecteur, l'occasion d'apprendre que les marchands qui en faisaient commerce appartenaient cependant à une caste méprisée.

    Les trois épouses du juge ont toujours été, au cours de sa vie, des intermédiaires énergiques alors qu'on les imaginerait volontiers ravalées dans des rôles essentiellement domestiques. Encore une fois, elle se révèleront efficaces. Pour autant cela ne doit rien à l'imagination de l'auteur et s'inscrit dans un contexte où l'impératrice Wu Zetian qui régnait à cette époque, fit en effet beaucoup pour le statut de la femme chinoise au point de la mettre pratiquement à égalité avec l'homme. Elle ne s'oublia cependant pas elle-même puisqu'elle gouverna à la place de l'empereur et substitua sa propre dynastie à celle des Tang.

     

    Dans de courts chapitres écrits dans un style jubilatoire et précédés par quelques mots qui les résument, Frédéric Lenormand dose savamment le suspense et émaille son récit de remarques humoristiques.

     

    Depuis le temps que je « fréquente » le juge Ti, grâce aux romans de Lenormand, j'avoue que je ne m'en lasse pas. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans cette chronique, il est de ces auteurs qui intéressent leur lecteur dès la première ligne et l'accompagnent jusqu'à la dernière sans que l'ennui ait pu s'insinuer dans sa lecture.

    Ils ne sont pas si nombreux!

     

     

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  • DANS LE CAFÉ DE LA JEUNESSE PERDUE-Patrick Modiano

     

    N°448 - Août 2010

    DANS LE CAFÉ DE LA JEUNESSE PERDUE– Patrick Modiano - Éditions Gallimard.

     

    Le décor, un café (« Le Condé ») qui fermait tard dans ce quartier. L'auteur le définit comme « un point fixe » comme le sont, à ses yeux, tous les cafés, lieux publics où viennent parfois échouer des personnages flous et éphémères qu'on y croise et qui disparaissent comme ils sont venus. Dans cet établissement, d'autres clients font partie du décor dont Bowing, dit « Le Capitaine » qui tient une sorte de cahier relatant des allées et venues des clients, avec, à leur sujet, des renseignements personnels.

     

    Pour raconter cette histoire qui se situe dans les années 60 au quartier latin, quatre narrateurs vont se succéder qui sont des habitués de cet établissement qui donneront en quelques sorte leur version des faits qui ressemblent un peu à des séquences successives d'un film. Parmi eux un étudiant de l'école des Mines, Caisley, un ancien membre des renseignements généraux, Roland, un jeune écrivain plein d'espoirs et Youki, alias Jacqueline Delanque épouse Chourreau, une énigmatique jeune femme. Tous fréquentent ce café pour des raisons différentes.

     

    Ce récit qui fonctionne comme un voyage dans la mémoire, ce qui est souvent le cas chez Modiano. Tout d'abord, l'étudiant se souvient de ses moments passés au « Condé » et spécialement de l'apparition de Youki [« Des deux entrées du café, elle empruntait toujours la plus étroite, celle qu'on appelait la porte de l'ombre »]. Il la décrit comme une jeune femme qui avait envie, en venant ici, de changer de vie, de faire « peau neuve », de rompre avec une vie antérieure trop invivable. Modiano donne ensuite la parole à Caisley qui mène l'enquête sur la disparition de l'épouse de Jean Pierre Chourreau qui se trouve être Youki, la jeune femme du café. Cet enquêteur découvre son enfance cabossée, son envie de rompre avec ce mari qu'elle a sans doute trop vite épousé pour rompre avec une adolescence fragile d'où elle voulait s'évader... C'est ensuite le tour de Youki de s'exprimer. Elle évoque son enfance tumultueuse faite de fugues, de bars incertains, ses amours, son mariage rapide, son union un peu surréaliste avec Jean Pierre Chourreau, l'évocation d'un autre personnage Guy de Veer, passionné d'ésotérisme. Enfin Roland se rappelle de sa rencontre avec Youki et leur liaison. Ils forment ensemble un couple sans attache, errant dans la ville comme dans la vie dont ils sont un peu les passagers clandestins. Le jeune romancier passionné par le thème de « l'éternel retour » réfléchit sur ce qu'il appelle « les zones neutres ». Il se souvient aussi que c'est au café qu'il a appris au café qu'elle s'était suicidée.

     

    Le thème du café, lieu de transit, dans ce Paris que Modiano connaît et affectionne, favorise les rencontres. C'est paradoxalement une zone un peu floue ou le temps s'arrête, où les valeurs et les préoccupations du monde extérieur n'existent plus dès lors qu'on en a poussé la porte. Cette impression est corroborée par les autres clients du débit de boissons, des personnages jeunes, un peu et bohèmes et qui appartiennent à « une jeunesse perdue » ce qui implique à la fois une sorte d'absence d'avenir pour eux qui choisissent d'oublier leur condition dans l'alcool et peut-être d'autres « paradis artificiels », de leur volonté de s'y perdre aussi. C'est ce qu'ils appellent « leurs voyages ». Ce sont peu ou prou des intellectuels, des artistes, des étudiants plus ou moins en rupture avec l'université qui refusent ce monde et se réfugient ailleurs. [« Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague, sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repères »]. La période des années 60 n'est pas non plus choisie au hasard, non plus d'ailleurs que le fait de tenir, sur les clients de l'établissement, un cahier qui ne sert à rien. Cela m'apparaît comme la culture du dérisoire et de l'inutile.

     

    C'est aussi le thème du temps révolu qui est traité ici, celui de la mémoire qui fait revivre des faits appartenant à des tranches d'une vie passée (le thème de « l'éternel retour ») qui ne reprend vigueur que par la force des mots : la nostalgie n'est jamais loin chez Modiano. Le lecteur est envahi par un certain spleen aux contours assez indistincts cependant, une mélancolie proustienne faite de temps perdu et momentanément retrouvé à propos d'une histoire volontairement banale, trace laissée sur le sable du souvenir où le mystère n'est pas absent (thème de l'ésotérisme, de l'enquête « policière », le surnom donné à Louki), comme si la vie elle-même en était un permanent. C'est aussi la fuite qui est suscité ici, celle du temps mais aussi cette envie de changer d'univers, de quotidien qui nous hante tous sans que nous soyons pour autant capables de réaliser ce projet. Ces personnages qui ont existé( au moins dans le récit) mais appartiennent maintenant au passé, suscitent un vide, une absence. La mort par suicide est aussi une fuite, une issue probable ne serait-ce que pour matérialiser cette impossibilité de vivre dans ce monde, de s'y acclimater, d'être l'acteur de son propre rôle, même si c'est celui d'un quidam. Dans cette sorte de galerie de portraits, les personnages sont comme dessinés en creux, comme s'ils ne laissaient qu'une trace ténue dans ce récit.

     

    Comme toujours j'ai bien aimé parce que, sans doute, cela me ressemble un peu.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI - Jérôme Garcin

     

    N°447 - Août 2010

    SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI– Jérôme Garcin - Éditions Gallimard.

     

    Qui se souvient encore de François-Régis Bastide? Il faut assurément n'être plus très jeune, être un amoureux passionné de la radio et de la culture et avoir un peu de mémoire! Qui était-il donc? Fondateur du « Masque et la plume », musicien, écrivain, séducteur, admirateur de Cocteau, mystificateur et ambassadeur de France ( d'où le titre). C'est en tout cas ce personnage que choisit d'évoquer Jérôme Garcin qui, entre autre, anime à son tour l'émission de France-Inter qui était celle de « son ami ».

     

    Quand il choisit de revenir à La Garde-Freinet où il habitait, de remettre en quelque sorte ses pas dans les siens, Bastide est mort depuis dix ans déjà. Par un réflexe qui n'anime que ceux qui souhaitent que la mémoire d'un homme ne se perde pas tout à fait mais qui refusent l'édification d'une statue si tentante, irréaliste et peut-être inutile aux yeux des quidams pour qui il restera toujours un inconnu, l'auteur préfère un hommage appuyé à celui qui avait « le visage exact du séducteur qui suscita autrefois, à parts égales, de l'excitation et de l'exaspération, tant il était à la fois irrésistible et insupportable ». Le ton est donc donné. Mais comment le faire sinon avec des mots qui portent en eux à la fois la pérennité de l'airain et la fragilité du support que guette l'oubli, ce travers de la condition humaine? Et puis, nous le savons bien, ils enjolivent et trompent à la fois, et ce malgré l'auteur lui-même, se conjuguent souvent avec l'ombre, les anthologies étant souvent des vœux pieux que personne ne lit.

     

    Quand il décline son enfance et son adolescence biarrottes baignées de musique, son engagement dans la 2°DB, son séjour en Allemagne occupée, pays qui fera toujours peu ou prou partie de lui-même, ses passionnantes découvertes littéraires, son entrée dans le monde culturel et médiatique, il montre que ce que veut Bastide c'est avant tout conquérir Paris et obtenir réussite et notoriété. Puis ce fut l'engagement politique aux côtés de François Mitterand en lorgnant en secret sur un ministère, à condition qu'il fût situé rue de Valois, pour finalement embrasser une carrière diplomatique, même si celle-ci ressemblait un peu à une disgrâce ou a un éloignement et qui mit entre parenthèses sa carrière d'écrivain. Malgré de fréquents séjours à Latché, celui que Garcin appelle familièrement « Régis » n'était pas non plus exempt de vanité.

     

    Il évoque aussi ses aventures amoureuses se demandant «  S'il n'était pas un collectionneur vaniteux qui trop embrasse ou un pénitent inconsolé qui mal étreint ». Pourtant Gilles Jacob le dira « brillant avec les mots, brillant avec les femmes ». C'est plutôt un compliment!

     

    Quand il parle du chroniqueur littéraire qu'il fut aussi, Garcin note que «  c'était un troublant mélange de jeune amant transi et de vieux critique râleur, de cabot et d'exégète qui donnait à ses chroniques un charme coquin , ébouriffé, fougueux, parfaitement inactuel. ». On ne fait sans doute pas ce métier sans se créer des inimitiés. A lui non plus elles ne manquèrent pas!

     

    Comme tout personnage en vue, il a suscité la polémique. C'est à cela qu'on reconnaît aussi la valeur des gens, surtout s'ils sont, comme il aimait à le dire de ceux qui participait à son émission « des insolents plutôt convenables », au moins, ils ne laissent pas indifférents. Et Bastide ne s'est pas contenté de la créer dans le cadre de son émission de radio du dimanche soir!

     

    En réalité s'il parle de cette amitié qui les unissait et les unit encore par-delà la mort, c'est peut-être à cause de leurs deux vies parallèles et le désir de Garcin de rédiger non pas une biographie mais une évocation amicale, tout en y glissant, mais on ne saurait lui en vouloir, des anecdotes personnelles. Et d'ajouter « J'aimais que notre amitié fondée sur des désaccords parfaits que rien jamais n'ébrécha ni n'assombrit. Il m'arrive de croire qu'il a été, à son insu, mon ange gardien ».

     

    C'est donc la fidélité en amitié imperméable au temps qui anime l'auteur qui ne voudrait pas « qu'on négligeât François-Régis Bastide » simplement parce qu'il ne fait plus partie du monde des vivants. C'est un hommage émouvant, sans grandes concessions et qui évite autant la dithyrambe que les révélations malsaines qui font trop souvent le succès des livres actuels, et n'a pour unique but que de faire revivre un ami disparu. De cet écrivain adepte du « mentir-vrai » il fait un portrait attendrissant : « Il m'a toujours semblé que cet admirateur de Saint-Simon s'était trompé de siècle et qu'il était fait pour vivre au temps de la litote, de la prétérition, du clair-obscur et du baisemain... Maladroit en amour, gaffeur en société, querelleur avec ses amis, d'une grandiloquente timidité, bravache sans raison, préférant être amoureux qu'aimer, et caressant peut-être mieux les mots que les corps, mon ami, cela au moins lui sera-t-il accordé, était beau de langage ».

     

    L'écriture de ce livre est calme, musicale, limpide et procure une lecture agréable, donne aussi envie, pourquoi pas, de lire Bastide et peut-être aussi et même sûrement, d'en découvrir davantage chez Garcin.

     

     

     

     

     

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  • L'HORIZON - Patrick Modiano

     

    N°446 - Août 2010

    L'HORIZON – Patrick Modiano - Éditions Gallimard.

     

    L'univers de Modiano m'a toujours paru original et intéressant parce qu'il explore des tranches de vie recouvertes par l'oubli ou qu'il choisit de faire revivre différents épisodes qui ont baigné dans l'échec ou par le hasard qui aurait pu lui être favorable, mais ne l'a pas été [« Un vertige le prenait à la pensée de ce qui aurait pu être et qui n'avait pas été »], choisit de redonner aux rêves voire aux fantasmes les traits de la réalité et illustre, une nouvelle fois, une impression de mal-être au quotidien.

     

    Pour cela, il met en scène une série de personnages modestes, sans grande envergure, un peu en marge du monde ou, à tout le moins, qui semblent n'y être que par intermittence. Bosmans remonte le cours du temps, quarante ans en arrière alors qu'il était un tout jeune écrivain mais aussi employé dans une librairie spécialisée en sciences occultes, en feuilletant un petit carnet où il a confié ses impressions, privilégiant la « matière sombre » [«  Brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues... »]. C'est un nom, un visage, le son d'une voix, les accents d'un rire, une impression floue au début et qui s'affirme avec le temps, des fantômes qui sortent du néant! Une rencontre, le hasard, des images furtives, des phrases banales et convenues, mais « chaque première rencontre est une blessure ». Il évoque le souvenir d'une femme, Margaret Le Croz, dont il ne sait presque rien et dont le passage dans sa vie semble tenir du rêve autant que du mystère. Leurs relations sont volontairement distantes, juste amicales, à peines complices et même pas amoureuses, comme s'ils ne faisaient que se côtoyer en entretenant une sorte de crainte permanente [« Tout ce qu'on vit au jour le jour est marqué par les incertitudes du présent »]. Ils forment un couple irréel, presque intemporel [« Margaret et moi, assis l'un en face l'autre dans une lumière limpide et intemporelle »]. Ils ont leur pendant inversés dans le couple d'avocats, les époux Ferne, qui, eux aussi, vivent sur une autre planète, mais différemment d'eux puisqu'ils sont plus ancrés dans leurs certitudes, plus conscients de leur valeur, de leur supériorité. Ils sont aussi sérieux qu'est énigmatique le couple Poutrel-Gaucher.

     

    L'auteur nous fait partager des moments de vie de Bosmans, poursuivi par une femme qui lui demande de l'argent, qu'il suppose être sa mère sans en être sûr lui-même et un homme ressemblant à un prêtre défroqué. Margaret, après avoir exercé divers petits métiers en Suisse est arrivée à Paris où elle se dit harcelée par un homme, Boyaval, sans bien savoir s'il existe ailleurs que dans sa tête. Bosmans et Margaret ont en commun une sorte de détachement du monde que les lieux parisiens évoqués ne parviennent pas à dissiper, une solitude, une forme d'angoisse même. Margaret ne veut pas en apprendre davantage sur Boyaval tandis que Bosmans est tout prêt à se laisser rançonné, un peu comme si ces deux personnages se complaisaient dans cet état de fait ou n'y opposaient qu'une résistance assez molle! [«  Demander à des avocats de le défendre contre quoi? La vie?...le sentiment de culpabilité qu'il éprouvait depuis son enfance, sans savoir pourquoi, et cette impression désagréable de marcher souvent sur du sable mouvant... »]. C'est un peu comme si la vie était pour lui un poids, une sorte de croix trop lourde à porter. Leurs deux existences se sont déroulées indépendamment l'une de l'autre, puis, par hasard, ils se sont rencontrés. Chacun à leur manière, ils avaient essayé de son fondre dans la masse en prenant bien soin de ne pas se distinguer.

    A la fin, c'est un Bosmans vieillissant et désormais écrivain confirmé qui retrouve Boyaval à Paris, près de quarante ans plus tard et ils parlent de Margaret qu'il a cru retrouvée comme on croise « un fantôme du passé ».

     

    Comme c'est souvent le cas dans les romans de Modiano, les personnages sont fuyants, insaisissables, fragiles, tourmentés par leur passé et en même temps se cherchent eux-mêmes à travers leur histoire personnelle qu'ils ont parfois du mal à assumer. C'est un peu comme s'ils allaient à leur propre rencontre et que ce qu'ils découvraient ne leur plaisaient guère, mais qu'ils s'en accommodaient quand même.

     

    Face à cela, le titre [l'horizon] évoque l'avenir, les projets alors que le roman se décline dans le temps et dans l'espace, c'est à dire fait appel aux souvenirs, explore les chemins plus tortueux de la mémoire. Aussi bien pour Margaret que pour Bosmans, la vie est une fuite et leur rencontre, même si elle est fragile et menacée dans sa pérennité, peut être regardée comme un refuge, un rempart contre le mal-être que chacun d'eux ressent et, à ce titre, être elle-même un horizon!

     

    Son écriture est, comme toujours dépouillée, en phase avec l'histoire que le narrateur évoque, en cohérence aussi avec l'ambiance qui d'ordinaire baigne ses romans et que j'apprécie, et là, comme toujours, j'ai eu le même sentiment, celui d'une histoire qui ne se termine pas, dont l'épilogue est remis à plus tard. C'est sûrement un roman de soi-même pour Modiano, un de plus dans cette quête personnelle qui semble n'avoir jamais de fin.

     

    Comme toujours, je suis entré dans cet univers proustien avec plaisir, parce que sans doute je m'y sens bien et que, dans ces personnages, j'ai retrouvé un peu de moi. Ou le contraire? Allez savoir!

     

     

     

     

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  • COUP D'ÉTAT - Pierre Moinot

     

    N°445 - Août 2010

    COUP D'ÉTAT – Pierre Moinot - Éditions Gallimard.

     

    Nous sommes en 1851 et le Prince Président, bien qu'ayant juré de défendre la Constitution, se prépare à la déchirer et devenir Napoléon III. Ayant obtenu les pleins pouvoirs, il se met en devoir de pourchasser et d'éliminer physiquement tous ceux qui ne partagent pas ses idées et ses projets, c'est à dire les républicains.

     

    Dans un petit village du mellois, près de Niort, Paul Méhus, veuf de Laure qui éclaira sa vie, vétérinaire, proche du peuple, créateur de nombreuses sociétés d'entraide, mais aussi chef politique local apprécié et fervent républicain va devenir le gibier de cette chasse à l'homme. Des listes d'opposants sont dressées et son nom y figure. Il suffit d'ailleurs de peu de choses pour être recherché et traqué. Dans ce Bas-Poitou, nous sommes en pays protestant, rude et austère, encore tout meurtri par les dragonnades, un siècle et demi plus tôt. On ne s'endort jamais ici sans avoir dit ses prières et surtout on ne transige ni sur les idées ni sur l'honneur!

     

    Naturellement, devant cet assassinat de la liberté, partout en France et dans la capitale, des hommes vont lutter pour le triomphe de la démocratie. Méhus songe à un soulèvement à Niort, mais le coup semble perdu d'avance. Comme toujours en pareil cas des traitres se révèlent mais aussi des amitiés, des fraternités se créent, nourries par le même idéal. Méhus, trahis et blessé devra fuir la plaine du mellois et trouvera refuge dans le Marais. Même s'il est catholique, c'est un refuge sûr pour ceux qui fuient quelque chose ou quelqu'un. De tout temps, dans ce pays où la terre et l'eau s'entremêlent, on parle peu et on n'aime guère les gendarmes et l'autorité. Il y sera en sécurité et trouvera, sous les traits de Madeleine, à la fois une infirmière attentive et les prémices d'un amour naissant qui lui rappela Laure et s'harmonisera avec le paysage ambiant, lui procurant une sorte de paix intérieure. Rêve et action se conjuguent dans ce roman inspiré par la phrase de Baudelaire citée en exergue.

     

    Cet ouvrage tranche un peu sur les habituels thèmes traités par Pierre Moinot mais j'ai retrouvé avec bonheur son style extraordinairement pur et poétique, plein de descriptions et d'évocations de cette terre qu'il aimait tant et qu'il a si bien su faire vivre pour son lecteur. Ce récit est plein d'images apaisantes comme le sont celles qu'on rencontre dans ce qu'on nomme maintenant « La Venise Verte » : « Il tourna dans un chemin d'eau plus étroit bordé de vergnes qu'ils appelaient une conche, puis dans une autre et du coup Méhus sentit qu'entrait en lui un grand silence peuplé de petits bruits lointains et du doux glissement de l'eau sous lui, la lumière mouillée de l'hiver, une paix d'un autre monde. Au passage des bas-fonds, Riffaut changeait sa pelle pour une longue perche ferrée qu'il appelait la pigouille et qui, lorsqu'il pesait sur elle de tout son poids faisait relever le nez du bateau. »

     

    Ce fut, comme à chaque fois, un bon moment de lecture.

     

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  • MA PREMIÈRE FEMME - Yann Queffélec

     

    N°444 - Août 2010

    MA PREMIÈRE FEMME – Yann Queffélec - Éditions Fayard.

     

     

    La 4° de couverture donne le ton « Un homme revient sur son enfance- il est peut-être mon double, mon agent le plus secret ». A ces mots, il est permis de penser que nous entrons dans l'univers de l'autobiographie d'autant qu'il est question du visage de la mère, évoqué ici malgré l'outrage du temps. L'auteur indique d'ailleurs que l'imagination est venue à son secours et a régénéré son écriture autant qu'il a transformé cette figure d'exception qu'il nous livre ici.

     

    Ce sera donc elle, sa mère, « sa première femme ». Autant dire que de cette famille fictive, le père, conférencier international et écrivain sera absent en permanence, constamment sur les routes, dans les avions, parlant devant des aréopages d'intellectuels qui attendaient ses interventions...

    Le narrateur, Marc Elern, se présente à nous avec un certain humour et évoque sa vie d'enfant au sein de cette famille un peu fantasque et dédiée au piano où sa mère, ancienne concertiste, a choisi d'abandonner la musique pour se consacrer à ses enfants, où sa petit sœur Cathy est aveugle. Il lui servira de guide au physique comme au moral, il sera un peu son double, son confident, son mentor comme elle sera son miroir...

     

    Refaisant le chemin à l'envers, il nous conte son éveil à la vie, ses premiers émois amoureux d'adolescent avec ses fantasmes et ses déceptions mais quand il décroche le téléphone, la clinique, croyant avoir affaire au mari, lui annonce la mort de sa mère «  Votre femme n'a pas passé la nuit ». Ce bout de phrase, prononcé par hasard et surtout par erreur va déclencher l'écriture parce que, dans son cas, cela lui apparaît comme le seul moyen d'exorciser la douleur née de cette absence. Certes, il avait déjà compris que sa mère avait déjà fait un bout de chemin avec la maladie et la souffrance, mais elle était là. Était-ce pour la faire revivre, garder une trace de son passage sur terre qu'il va égrener les moments de vie de cette femme, la première qu'il ait jamais connue, qu'il va se souvenir des moments d'intimité qu'il a eue avec elle, qu'il va retrouver les lettres qu'elle lui envoyait quand il était au pensionnat où elle lui parlait de liberté, d'amour et de Dieu, autant de jalons qui vont gommer l'oubli, autant d'occasions de relire les confidences maternelles, de déchiffrer après coup ses peurs, les réalités savamment occultées, ses espoirs promis au néant!

     

    Alors, ce fils attentif répond à ses missives et on imagine bien qu'il en peaufine les termes, en sculpte les phrases comme savent le faire ceux qui veulent que leurs mots portent et qu'ils soient compris par leur destinataire. Mais la mort vient interrompre tout cela. Il n'y aura plus jamais de lettres, plus jamais de réponse! Dès lors, l'absence s'installe, et avec elle les choses se bousculent, la révolte s'insinue devant cette injustice et l'espoir improbable d'une autre vie, dans un autre monde ou parait-il on se retrouve, ne console pas. Puis vient la culpabilisation d'être encore là, de n'avoir pas dit ou fait ce qu'il fallait au bon moment, avec en prime la haine de soi-même et des autres, incapables de partager sa douleur intime.

    C'est que la vie continue comme on le dit un peu trop facilement et avec elle les déceptions amoureuses, la femme est jouissance mais aussi souffrance!... Pour lui, il y a le bac qu'il faut bien passer. Alors il joue la comédie et tient son rôle. Il le faut bien. Il se réfugie dans l'alcool parce qu'il endort et dans le sport parce qu'il est aussi une souffrance qui en combat une autre...

    Seul restera l'écrivain qui usera de mots, lui aussi, mais autrement, avec l'arme de l'humour, voudra se jouer à lui-même une comédie, se faisant croire que tout cela n'a été qu'un mauvais rêve, qu'une mauvaise blague et que tout va revenir comme avant.

     

     

     

     

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  • LE MATIN VIENT ET AUSSI LA NUIT – Pierre Moinot

     

    N°443– Août 2010



    LE MATIN VIENT ET AUSSI LA NUIT – Pierre Minot - Éditions Gallimard.

     

     

    Qu'annonce le titre de ce roman qui s'inspire d'un verset biblique? Qu'y a t-il de commun entre ces personnages si différents les uns des autres? Maria la vieille servante qui pour la première fois accepte de parler de sa vie et de son unique et merveilleux amour qui l'a illuminée, Adrien, enfant de l'Assistance Publique qui s'enthousiasme pour la lecture, s'émerveille de la vie qui l'entoure mais fait une étrange découverte qui bouleverse son quotidien, Fernand et Clémence, un couple de paysans qui l'ont recueilli mais pour qui la vie commune n'est devenue supportable qu'en silence, Zacharie, le menuisier qui va devoir fabriquer deux cercueils parce que, dans la campagne, on vient de découvrir deux cadavres et qu'il s'agit de deux assassinats..., Malvina et Émile, ce couple aux semelles de vent qui gardera secret ce qu'ils ont vu, le confiant seulement et à demi-mots à Lortier qui va mener une enquête discrète et brouiller un peu les pistes sur ces deux meurtres parce qu'il ne conçoit pas que son pays puisse donner asile à un meurtrier mais ne veut pas non plus qu'un enfant paie pour ses peurs... Lui-même qui, tout au long de sa vie a couru et déchiffré le monde comme archéologue a fini par admettre que ce qu'il a toujours cherché se trouvait là, dans le simple village poitevin comme dans l'amour qu'il porte à sa femme...

    L'auteur nous offre donc un texte avec, comme en contre-point, une énigme policière qui prend corps à la fin avec un suspense savamment distillé, mais surtout qui est écrit comme un véritable roman!

     

    Les hommes et les femmes, quelle que soit leur place dans la société, se côtoient dans ce village poitevin du milieu du siècle dernier, y mènent une vie simple, sans artifice. Ils appartiennent tous à la condition humaine et sont donc tous assujettis à la fuite du temps qui vous pousse vers la mort ou vous sort de l'enfance, au vieillissement et vers cette fin tant redoutée dont on ne parle pas mais qu'il faut quand même accepter. Il évoque aussi l'enfance, la solitude et le secret, la crainte de la faute et la peur du monde des adultes, le poids de la culpabilité que la jeunesse amplifie. Ce sont tous des humains et, à ce titre, incarnent eux aussi, de génération en génération, et dans ce même décor familier, la cohabitation du bien et du mal.

     

    La lecture de ce roman a révélé un écrivain qui manie avec bonheur notre belle langue française, la fait chanter avec justesse et simplicité, n'oublie rien des gestes ancestraux, des superstitions, des rites et des coutumes parfois incantatoires de ces paysans ni des légendes que ce Poitou a su faire naître ou accueillir. Les histoires qu'il conte non seulement s'inscrivent dans le terroir d'une enfance paysanne qu'il ne renie pas mais la nature qui l'inspire et qu'il sait si bien décrire baigne cette écriture d'une clarté apaisante, la peuple d'images à la fois évocatrices et poétiques. Ses mots tressent un univers qui ne peut laisser indifférent un lecteur attentif peu à peu gagné par la beauté des paysages suggérés et sa phrase est superbe...

     

    Je dois bien avouer qu'avant que le hasard ne m'invite à croiser les ouvrages de Pierre Moinot, cet auteur n'était pour moi qu'un nom, celui d'un écrivain peut-être injustement méconnu!

     

    Cela a été un moment exceptionnel de lecture que je n'ai pas regretté!

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • LE CONTRAT AVEC DIEU - Juan Gómez-Jurado

     

    N°441– Août 2010

    LE CONTRAT AVEC DIEU – Juan Gómez-Jurado. Éditions Plon.

    (Traduit de l'espagnol par Pierre Gautier)

     

    Cela paraît un peu confus au début, l'histoire d'un médecin nazi tortionnaire dans un camp de concentration qui a échappé au tribunal

     grâce à des complicités, un prêtre Anthony Fowler, à la fois agent double de la CIA et du Vatican. Et puis cette histoire d'expédition secrète, officiellement sous couvert d'exploiter des phosphates dans une région où, d'évidence il n'y en a pas! Elle est baptisée « Moïse », financée par Raymond Kayn, un milliardaire américain agoraphobe à la vie déchirée, et dirigée par un vieil archéologue juif spécialiste de la Bible et de ses messages abscons, Cecyl Forrester, jusque dans les sables du désert de Jordanie avec le projet un peu surréaliste de retrouver l'Arche d'Alliance contenant les « Tables de la Loi » qui y serait enterrée, preuve matérielle de l'existence d'un contrat passé en Dieu et les hommes... C'est que, en 70 après JC, le temple de Jérusalem fut rasé et les Juifs, pour sauvegarder leur relation privilégiée avec Yahweh transportèrent cette Arche jusque dans le désert de Jordanie où ils l'enterrèrent. Le but de cette expédition est donc de la retrouver, mais le temps presse et le secret est de rigueur! Après tout pourquoi pas, l'idée, quoique déjà émise est plutôt bonne, surtout quand on est en pleine fiction?

     Pour découvrir l'endroit exact, on fera appel au deuxième fragment des rouleaux de Qumran caché à l'intérieur d'une bougie qu'une famille juive a conservé de génération en génération sans en connaître la véritable importance !

     C'est que différents personnages gravitent autour de cette histoire: Le père Fowler sera embarqué, un peu contre son gré dans cette aventure qui ne laisse pas le Vatican indifférent tout comme Jacob Russel, assistant exclusif de Kayn qui est le seul habilité à faire le lien entre lui et le monde extérieur, Andrea Otero, journaliste espagnole récemment licenciée d'El Globo dont les aventures un peu rocambolesques, entre scorpions et tentatives de meurtre sur sa personne, annoncent la disparitions violentes de nombreux protagonistes ainsi que différents attentats contre cette entreprise, Morgen Dekker, chef de la sécurité de l'expédition qui cite constamment Schopenhauer, le père Albert, ex-délinquant et génie de l'informatique qui lui aussi est au service du Vatican...

     Pour que le récit gagne en intensité l'auteur y introduit un épisode de la Deuxième guerre mondiale qui met en scène le médecin nazi du début et ses expériences inutiles et cruelles sur les enfants des camps, une explication rationnelle de l'Arche loin de son contexte religieux, le Mossad israélien et un groupe islamique terroriste qui veut faire échouer cette expédition.

    Tout au long du récit le suspense est entretenu par des chapitres brefs, apparemment sans lien entre eux au début, déclinés sous la forme d'un journal de bord avec dates et heures, agrémenté de références précises bien documentées, d'épisodes qui se déroulent à Washington et en Jordanie et de dessins qui rappellent les gravures qui illustraient des romans de Jules Vernes de mon enfance...

     Je dois dire qu'au départ, j'ai eu un peu de mal à entrer dans ce scénario et j'ai été tenté de refermer le livre, mais la curiosité a été la plus forte. Même si le texte ne se signale pas par une recherche littéraire avérée mais privilégie un style simple, parfois émaillé d'humour, je retiendrai la relation palpitante qui tient jusqu'à la fin le lecteur en haleine. Ce récit qui mêle habilement fiction, réalité, politique et ésotérisme remet en question bien des personnages dont le portrait a été savamment brossé par l'auteur à travers leur histoire personnelle.

    Gómez-Jurado invite son lecteur, à la fin, à méditer un poème de Sam Keen qui introduit ce roman. C'est peut-être là le véritable message de ce livre à la fois émouvant et excitant. Je lui ai donné une dimension religieuse, malgré le Cinquième Commandement mais j'y vois aussi une invitation à regarder son prochain autrement, une véritable leçon sur la condition humaine!

     Le hasard qui avait guidé mon choix de lecture, le titre, la 4° de couverture, le secret qui entoure cette affaire un peu ténébreuse, les références bibliques qui évidemment excitent l'imaginaire humain, cette histoire d'alliance improbable entre Dieu et les hommes, ce contexte politico-religieux qui implique le Vatican mais aussi des groupes islamiques fondamentalistes et qui ne sont pas sans ajouter au mystère et nourrir les fantasmes, m'avaient un peu mis en appétit. Je me suis laissé happé par ce roman d'aventures et contrairement à ma première impression, je n'ai pas été déçu.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.

     

    Je voudrais aujourd'hui, même si INFO-POESIE ne paraît plus, faire partager une étude qui y a été publiée et qui concerne le poème majeur qu'est Jean ROUSSELOT (1913-2004)

     

    N°12

    Février 1986

     

    Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.

     

     

    Info-poèsie publie un numéro spécial consacré à Jean Rousselot.

     

    Sang, tel est bien le maître-mot de la poésie de Jean Rousselot, mais le sang de la mort et de la maladie devient celui de la naissance, de la renaissance, de la fertilité, mieux, il est le flot bouillonnant, la sève de la vie de l'homme-arbre. Sous sa plume, c'est aussi la source de l'énergie et du désir. Associé au feu, il devient synonyme de vitalité et de chaleur humaine, il est le nectar sacré, source de vie, rempart contre la fuite du temps, facteur d'éternité et c'est tout naturellement que le message chrétien passe à travers « le sang versé » qui génère la vie éternelle. Ainsi, la quête poétique devient-elle quête du Graal et la filiation avec Guillaume Appolinaire, réalité.

     

    Le sang est aussi symbole de filiation entre le poète et le peuple, ce qui amène Rousselot à revendiquer des origines populaires dont il est fier à juste titre, mais cela va plus loin, elle pousse ses racines dans la grande famille des poètes.

    A partir de cette image du sang, l'auteur s'intéresse à celui qui court sous la peau, mais aussi sous la terre, sous l'écorce, celui qui irrigue tous les mondes cachés, ce qui évoque la fascination des profondeurs. De cette quête passionnée naît le thème du voyage, du mouvement, de l'errance mais aussi celui du paradis perdu d'où le poète est exclus. La douleur apparaît aussi qui fait de la poésie de Rousselot une écriture d'un corps en lutte pour la vie.

     

    Évoquant le décor froid et noir de son enfance poitevine où les choses s'établissaient dans une dureté à laquelle il n'était pas possible d'échapper avec la force des mots, Rousselot se présente à nous comme un poète tragique. C'est toute la condition humaine qui est ici évoquée. Une déchirure en résulte qui est non seulement intérieure, voire intime, mais également qui prend sa source dans les événements de la deuxième guerre mondiale. Dès lors son rêve, son idéal s'effondrent. Avec « L'homme au milieu du monde », Rousselot s'éveille à la perception des autres. Il ressentira certes l'écrasement, mais luttera avec espoir au nom des hommes et avec eux : il deviendra unanimiste. De là une volonté de ne pas se renfermer sur soi-même, de sourire à la vie, aux femmes... Il témoignera et participera de ce fait au monde des vivants.

     

    Ce désir d'union s'établit en deux symboles, celui du pain et celui du feu. L'union devient partage et addition des forces, termes qui se conjuguent et se complètent pour s'épanouir dans une image de la femme chargée de vie et d'espoir.

     

    Le poème est le devoir du poète. Il puise son existence aux racines mêmes de la vie, mais le langage porte en lui l'incommunicabilité qui rend la démarche difficile. Pourtant le poète est un veilleur générant des ferments d'avenir, les « grains de l'écriture ». Face aux réalité et aux contingences de l'humaine condition les mots se dressent, ils sont des outils des instruments dont le poète joue mais qui sont aussi parfois autant de pièges. Ils doivent, pour être vrais, puiser leur signification au cœur du vécu sous peine de n'être que du vent. Le langage est remis en question et habillé de doute car l'écriture n'est pas linéaire : il y a des moments de sécheresse, d'abattement... Cependant la poésie colle à la peau , s'insinue, revient à la charge, s'impose au point de trahir l'auteur qui pourtant ne peut vivre sans elle. Il doit donc jouer son rôle avec humilité puisque, au bout du compte la mort sera la plus forte et l'indifférence accueillera son cri pourtant vital. La poésie est engagement au service de l'homme, même dans ses plus subtiles contradictions. La créativité de Rousselot est liée à la vie mais a su évoluer au rythme de l'homme, s'organiser en termes précis, clairs, riches mais aussi simples voire populaires.

     

    Il y a, pour lui, une deuxième raison de vivre: c'est la femme. Ce sont plutôt des femmes plurielles qu'il aperçoit dans la rue au hasard d'une rencontre fugace. De leur visage qui se dissipe dans la foule, il reste une image érotique que le poète sacralise, mais quand elles deviennent inaccessibles, le charme se rompt et elles redeviennent chair, c'est à dire promises à la mort. Il les traite alors avec ironie, voire mépris, révélant ce mélange d'attirance et de crainte qu'il éprouve devant elles.

     

    La femme est pourtant associée au feu libérateur, à la chaleur, à la mère, recherchée à travers la femme aimée et elle devient médiatrice entre l'homme et le monde. La passion amoureuse devient éclatement, libération, et fait pièce au quotidien, au trépas... Des comparaisons reviennent, ce sont le pain, le lait, mais aussi le feu et l'eau, images paradoxales qui évoquent la pureté. Vierge et nue, la femme est assimilée à l'oiseau qui hante le monde des airs. Elle devient synthèse de l'univers et l'homme doit s'unir à elle car elle est le siège de découvertes nouvelles, de richesses à partager. Cette source n'est jamais tarie et, à partir d'elle, la communication est de règle: la femme devient la compagne absolue, intime, à un point tel que la parole est désormais inutile. La séparation d'avec elle est dès lors insupportable, la femme supplante l'homme jusqu'à devenir fascination, objet érotique et désir de vassalisation à sa personne. Aussi la mort ne pèse-t-elle plus rien si elle prend en même l'homme et la femme!

     

    A partir de la cinquantaine Jean Rousselot évoque l'outrage du temps. Cela se sent au niveau des mots et la mort est de plus en plus pesante. L'auteur lui oppose l'humour, la dérision, la colère, l'impuissance aussi, mais l'accepte stoïquement. Le poète est habité par la détresse est « Hors d'eau » est une sorte de journal de bords où il n'en réaffirme pas moins sa présence au monde, dans un monde ou pourtant rien n'est stable, qui s'inscrit entre le passé et l'avenir qui certes inspire la lucidité mais impose une remise en cause continuelle .

     

    Le message de Rousselot est donc l'expression de l'homme et le désir constant de changer le monde.

     

     

    © Hervé GAUTIER. - Février 1986.

     

    Cette étude très documentée, émaillée de dessins de Jean Rousselot lui-même est due à Joël Gueno et a été publiée dans Info-Poésie.

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