la feuille volante

Articles de hervegautier

  • LES COMBUSTIBLES

    N°853 – Janvier 2015

    LES COMBUSTIBLES - Amélie Nothomb – Albin Michel (1994)

    C’est l'hiver, c'est la guerre et la ville où se déroule cette pièce de théâtre est assiégée par les Barbares qui la bombardent. Il fait froid dans l'appartement où le professeur qui héberge son assistant, Daniel, et Marina, l'amie de ce dernier, a déjà brûlé tous ses meubles pour se chauffer. Il ne reste plus que les 2000 livres de sa bibliothèque. La littérature sera-t-elle plus forte que le froid ? Pourtant Marina, plus sensible au froid demande qu'ils soient brûlés mais cela ne semble pas convaincre le professeur, tout au plus accepte-t-il de discuter dans quel ordre cela peut se faire. Un hiérarchie est donc ainsi instaurée.

    La mise en scène avait quelque chose d'intéressant quoique déjà connu, un huis-clos entre trois personnages qui ne peuvent pas sortir de cet appartement à cause des événement extérieurs. C'est une pièce en trois actes qui respecte la classique unité de lieu, de temps et d'action ou plutôt d'inaction puisque le thème semble être ainsi formulé « quel livre emporteriez-vous sur une île déserte » ou, quel livre allez-vous sacrifier dans le poêle pour procurer un peu de chaleur ou, pour dire le choses autrement quel est l'importance de la culture face à un problème plus général de la sécurité, de la guerre, de la faim ? Posé ainsi il me paraît intéressant et très actuel puisque la crise économique semble justifier des coupes claires dans le budget de la culture dans un pays qui s'en prétend le défenseur.

    Apparemment il y a trois personnages. En réalité il y en a quatre et cet autre me paraît, à l'évidence être la guerre. On ne la voit pas mais on l'entend, notamment à travers les bombardements, les balles perdues. Non seulement elle accentue le froid, mais aussi la faim et l'insécurité mais surtout elle imprime sa marque sur les autres personnages. Elle révèle souvent le pire visage des hommes et leur vraie nature. Le professeur est cynique et confie qu'il vante devant ses étudiants des livres et des auteurs qu'il n'aime guère. Ainsi une sorte de débat est soulevé entre les auteurs pour désigner les volumes qui seront livrés aux flammes. Daniel, séducteur impénitent se révèle soudain amoureux de Marina et souhaite la garder auprès de lui. La jeune fille est beaucoup plus préoccupée par son relatif bien-être que par se études et par les livres, devenus de simple combustibles qu'elle souhaite voir brûlés dans le poêle. La guerre est l'occasion de se poser des questions sur la nature humaine, la véritable relation entre les gens. Elle rend tout possible, précipite les événements comme les obligations, justifie tout, les actes d'héroïsme comme la pire des trahisons... Et la mort guette.

    C'est l'hiver mais chez moi je ne crève pas de froid. Je ne veux cependant pas ironiser sur les livres que je souhaiterais jeter au feu, surtout après avoir refermé celui-là.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • JOURNAL D'HIRONDELLE

    N°852 – Janvier 2015

    JOURNAL D'HIRONDELLE - Amélie Nothomb – Albin Michel (2006)

    Un courtier non identifié, la trentaine, vient de vivre une rupture amoureuse mais s'y révèle complètement insensible. Comme si cela ne suffisait pas, il est licencié de son emploi et devient, un peu par hasard, tueur à gages. Non seulement cela tombe bien puisqu'il a toujours été passionné par le tir mais en outre il ressent une véritable jouissance dans l'acte de tuer. C'est à tout le moins ce qu'il lui semble après l'exécution de son premier contrat et cela augmente avec les suivants. Cela compense sans doute son manque d'amour et son abstinence sexuelle forcée. Pire peut-être, il en vient à tuer pour le plaisir, sans raison autre que ce fameux bien-être qu'il ressent à chaque fois et qui ressemble de plus en plus à un orgasme. Il éprouve cependant le besoin d'en rajouter dans la volupté en sa masturbant furieusement après chaque assassinat. Apparemment sans cette pratique de l'onanisme sa libido n'est pas satisfaite. Peu lui importe d'ailleurs que ses victimes soient des hommes ou de femmes pourvu qu'il agisse vite, sans le moindre état d'âme, il est désormais adepte du « fast-kill » en référence au « fast-food ». Il accompagne ses gestes meurtriers de la musique de « Radiohead », une véritable drogue qui l'aide à tuer. Au début du roman, il n'a pas de nom mais au fur et à mesure des pages il prend celui d'Urbain puis d'Innocent. Tel est le décor mis en place par Amélie Nothomb pour développer cette intrigue romanesque où se mêlent meurtres en série et l'histoire intime de cet homme. J'avoue bien volontiers que j'ai lu cet ouvrage, agréablement écrit, avec curiosité , à cause du suspens distillé par les rebondissements que le texte réserve au fur et à mesure du déroulement des faits. Le monologue du narrateur qui confie au lecteur ses états d’âme sur le ton de la confidence entretient d'ailleurs cette impression.

    En revanche, j'ai eu un peu de mal à suivre Urbain quand il explique la relation qu'il met entre l'hirondelle qui vient mourir dans son appartement et le journal intime de la jeune fille assassinée à qui il donne le nom de l'oiseau. Je n'ai pas bien compris non plus l'importance de ce diaire qui motive tant d' assassinats. Apparemment il ne contient rien qui puisse justifier un tel carnage puisqu'aussi bien le jeune homme lui-même choisit de mourir pour cela. Je veux bien qu'il y ait une connotation amoureuse voire sexuelle dans ce concept, avec tout ce qu'on peut y mettre de frustrations, mais j'avoue que cela m'échappe un peu. M'a échappé aussi l'importance de ce document, apparemment anodin, pour le commanditaire de cette tuerie. Ces homicides sont présentés comme des « crimes parfaits » en ce sens qu'Urbain n'est jamais inquiété ni recherché par un quelconque policier. De plus Urbain commet ses actes sans laisser de traces avec une technique présentée comme infaillible pour les éventuels enquêteurs, d’ailleurs absents, mais il est vrai que je ne suis pas adepte de ce genre de meurtres pour en goûter pleinement l'intérêt. Je veux bien que nous soyons dans une fiction mais il faut qu'elle soit quand même vraisemblable.

    Ce qui m'a gêné aussi c'est la relative absence des personnages secondaires qui, m'a-t-il semblé, ne font ici que de la figuration. J'aurais aimé qu'ils fussent plus présents , plus analysés dans leur comportement. Le changement de prénoms du narrateur, au gré de ses « emplois », accentue l’impression de dépersonnalisation du personnage principal. La dissertation autour de la mort de l'oiseau, de l'enfouissement symbolique de son corps dans un cimetière parisien et du sentiment de retour à la vie éprouvé par Urbain, les fantasmes que la jeune fille assassinée et son cahier qualifié de « rince-âme » suscitent chez le jeune homme m'ont cependant paru une piste intéressante, malheureuse un peu délaissée par l'auteur. J'ai été déçu par cette histoire d'amour un peu bizarre, cet attachement « post-mortem » à cette jeune fille qu'il vient de tuer mais qui apparemment le fascine toujours à travers les mots de son journal. Le laconisme de la quatrième de couverture[« C'est une histoire d'amour dont les épisodes ont été mélangés par un fou »] avait pourtant tout pour susciter mon attention et mon intérêt.

    Je suis peut-être encore une fois passé à côté d'un chef-d’œuvre mais j'ai franchement été déçu par la lecture de ce roman. C'est malheureusement l'impression coutumière que je ressens à la lecture des œuvres d'Amélie Nothomb qui est pourtant un écrivain à succès.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ATTENTAT

    N°851 – Janvier 2015

    ATTENTAT - Amélie Nothomb – Albin Michel (1997)

    L'auteur met en scène deux personnages que tout oppose. D'une part Épiphane Otos, un jeune homme de 29 ans qui n'a jamais connu l'amour, d'une laideur repoussante mais riche de sensibilité et Ethel, une jeune comédienne d'une fascinante beauté. Bien entendu Épiphane lui voue un amour sans borne. C'est sa chance que cet incroyable hasard mette sur sa route une telle femme qui, contre toute attente sans doute, ne le repousse pas. Grâce à elle il transforme ce défaut définitif en qualité, risque ce que sans elle il n'aurait jamais oser et devient top-modèle. Bien entendu Épiphane garde secrète cette attirance pour sa bien-aimée, la transformant en amitié, en complicité et même en une sorte de fraternité avec elle. Malgré cela, Ethel s 'amourache d'un peintre connu, accréditant peut-être l'idée que la laideur est quand même un frein et la normalité un aimant.

    C'est l'occasion pour Amélie Nothomb, non seulement de faire référence à de nombreux ouvrages culturels et notamment, on s'en serait un peu douté, à propos d’Épiphane, à Quasimodo(puis à Cyrano de Bergerac) et à Esmaralda à propos d'Ethel, mais aussi de disserter sur la norme. Qu'est ce que la beauté, comment varient ses critères dans le temps, quel rôle joue-t-elle dans la société, comment le regard des autres influe-t-il sur notre comportement, a-t-on le droit de se moquer de la laideur au seul motif qu'elle ne correspond pas aux critères sociaux ? Peux-t-on, dans une société qui se dit évoluée, repousser de la collectivité ceux qu'on juge laids, les cantonner dans une sorte de microcosme où l'amour leur serait interdit ? C'est aussi une occasion donnée au lecteur de se remettre en cause sur la perception du monde qui nous entoure et notamment sur l'art. Ces questions font débat et il n'est pas inutile de les remettre à l'ordre du jour.

    C'est le cinquième roman d'Amélie Nothomb. Comme d'habitude, je l'ai trouvé agréablement écrit et donc facile à lire. C'est émouvant cette relation platonique et cette amitié entre un homme et une femme qui ne se transforme pas en passade ou en liaison amoureuse. Je note que malgré tout Ethel, malgré sa complicité et son amitié pour Épiphane, ne répond pas à son amour. Lui, rendu timide, craintif à cause de cette laideur, garde secret cette attirance et la regarde partir, seulement capable de la lui avouer à distance et par fax. L'amour, nous le savons est une chose fragile et le faire rimer avec toujours est un leurre. Je lis les romans d'Amélie Nothomb avec une certaine circonspection, je les trouve inégaux et si je fréquente son univers créatif c'est davantage parce qu’elle est un auteur à succès que dois avoir lu pour en parler que par réel plaisir. Pourtant, ce livre pris au hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque m'a parlé sans doute plus que les autres. Je me trompe peut-être mais le personnage d’Épiphane a retenu mon attention non seulement parce qu'il idéalise Ethel mais aussi parce qu'il en a peur au point de la laisser partir avec un autre et de choisir une solution définitive. Sa notoriété passera comme passent toutes les choses humaines mais sa laideur elle restera toute sa vie et il la portera comme une croix. A cause d’elle il regardera passer des femmes belles et désirables mais aucune ne lui fera l’aumône d'un regard et il en souffrira. Il est pourtant, comme la plupart des hommes, attiré et même fasciné par la beauté des femmes mais il y aura toujours cette disgrâce qui l'empêchera de parvenir à ses fins. Il aura ainsi toute sa vie la certitude de n'exister pour personne et n'aura que la force de confier cela au papier, c'est à dire en vain, faute de pouvoir le faire de vive voix. De toute manière il restera sur un échec à l’image de l'épilogue de ce roman.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MYSTERE PAR EXCELLENCE

    N°850 – Janvier 2015

    LE MYSTERE PAR EXCELLENCE - Amélie Nothomb – Le grand livre du mois (1999)

    Par goût personnel, j'aime beaucoup la nouvelle et j'ai toujours pensé que le talent d'un auteur s'y exprime plus que dans un roman classique. J'ai donc ouvert ce livre avec mon habituelle envie de ressentir une nouvelle fois le plaisir de lire. Après tout même si l'intrigue n'a rien d’exceptionnel elle peut donner à l’écrivain l'occasion de faire dans l’original et pourquoi pas dans le style. Après tout, la littérature peut aussi être le reflet de la vie quotidienne et l'amour est un des thèmes classiques si souvent traité. Alors pourquoi pas ?

    Manuel et Jacques sont amis d'enfance. Manuel, un célèbre avocat bruxellois, est tombé éperdument amoureux d'Hélène et, évidemment Jacques est curieux de cette jeune fille qu'il imagine belle, brillante, bref à la mesure de cet ami très courtisé et, il faut le dire, franchement Don Juan. Sauf que, contrairement à ce qu'en dit son ami, elle n'est rien de tout cela, qu'elle est d'une banalité affligeante, qu'elle n'a rien de ce dont Jacques a imaginé et, pire peut-être, elle n'aime pas Manuel ! Voilà donc le thème de cette intrigue qui constitue un « mystère » et la nouvelle va donc développer cette lutte entre deux êtres, ce schéma amoureux dont je me suis dit que Amélie Nothom allait tirer une histoire d'autant plus passionnante qu'à priori elle n'avait rien d'original. Après tout un homme qui aime une femme qui ne l'aime pas, quoi de plus courant ! D'autre part, je n'ai qu'une piètre expérience de ce genre de relations, je connais sans doute autant que les autres les arcanes de l'esprit des hommes et les mystères de la passion quand elle l'anime, l'aveuglement amoureux étant une chose somme toute ordinaire, quant la beauté des femmes qui vous font perdre la tête, c'est une situation plutôt commune, je m'attendais donc à de l'inédit !

    Las il n'en fut rien. Le lecteur a droit à tous les poncifs ordinaires sur le temps qui fane la beauté, qui modifie le caractère, sur l'amitié qui explose devant la beauté d'une femme, sur le regard qu'on porte sur quelqu'un qu'on aime et sur les qualités qu'on lui attribue largement et qui ne manqueront pas, avec le temps de se révéler comme un leurre, sur le malaise qu'éprouve chacun d'entre nous quand on se sent jugé. Je ne parle pas de l'hypocrisie qui entoure ce genre de circonstances, les tentations auxquelles on ne manque pas de succomber avant qu'elles ne s'éloignent, les trahisons et les brouilles qui en résultent. Quant aux aveuglements que provoque l'amour, je préfère ne pas en parler !

    Le style est ordinaire, sans grande originalité. Il caractérise les romans d'Amélie Nothom qui ont au moins l'avantage de se lire facilement. Au milieu de cet océan de lieux communs j'espérais au moins que l'épilogue serait différent, qu'il manifesterait ce qui fait le talent d'un auteur : étonner son lecteur. Là aussi, ce fut la déception...malgré la citation de Chardonne !

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TUER LE PERE

    N°849 – Décembre 2014.

    TUER LE PERE Amélie Nothomb – Albin Michel.(2011)

    Cette expression évoque le « complexe d’Œdipe » selon lequel un garçon tombe amoureux de sa mère et n'a de cesse d'éliminer son père. La quatrième de couverture indiquant seulement « Allez savoir ce qui se passe dans la tête d'un joueur »ne m'en disait pas très long sur le thème du roman.

    Joe Whip, quatorze ans, vit à Reno dans le Nevada, chez Cassandra, sa mère, une femme qui tient davantage à ses amants, nombreux et éphémères, qu'à son propre fils. Son père a d'ailleurs fait comme les autres, il a été abandonné par elle. Le garçon s’intéresse depuis toujours à la magie et il est même doué pour cela mais quand un nouvel amant vient se glisser dans le lit de Cassandra, il ne supporte pas le garçon. Pour être sûr de garder cet homme auprès d'elle, elle met son fils à la porte. Joe vivote grâce aux tours de magie, croise le chemin de Norman Terence qui va devenir son maître et son père spirituel et le garçon tombe éperdument amoureux de Christina, la très belle compagne de Norman, la jongleuse de feu. Le couple adopte l’adolescent qui mène dans son nouveau foyer une vie solitaire avec un seul objectif qui est aussi un espoir fou : posséder Christina. Il dut pour cela attendre l'âge de 18 ans pour réaliser son vœux le plus cher mais aussi perdre avec elle son pucelage.

    J'observe que, malgré les mœurs très libres de ce « ménage » Joe perpétue quand même une trahison de son père adoptif en faisant l’amour à Christina. C'est effectivement une manière de le tuer que de lui prendre sa femme même si cela ressemble à s'y méprendre à une banale affaire d'adultère. Il me semble que Norman, qui aime Joe comme son fils et l'a élevé comme tel, ne méritait sans doute pas cela. Il est amoureux de sa compagne et désireux de la garder au point de décliner les nombreuses sollicitations féminines. Malgré cela, non seulement il est cocu mais cela ressemble aussi à une forme inceste. Christina quant à elle a peut-être l'excuse d'avoir été sous LSD au moment de cette étreinte. Peut-être, cependant puisque son ancienne appartenance à la communauté hippy a dû laisser en elle une empreinte pérenne. Norman laisse partir Joe à Las Vegas non pas comme magicien mais comme croupier, se libérant ainsi de sa présence et sauvant les apparences, tous les enfants du monde, même légitimes, quittent leurs parents pour faire leur vie loin d'eux. Ce faisant, il veut tourner une page avec sa compagne mais j'imagine mal leur vie commune, minée par une telle trahison. Il semble d'ailleurs qu'ensuite ils se séparent. Il va aussi amener Joe à dévoiler son vrai visage, celui de l'ingratitude si présente dans l'esprit humain.

    J'avoue que je n'ai trouvé de l’intérêt à ce roman que dans les dernières pages avec une variation sur les relations père-fils, le reste du temps je me suis un peu ennuyé en me demandant où l'auteur voulait en venir, craignant une banale « happy-end ». Même si Amélie Nothom ne se départit pas de son style simple mais agréable à lire, je renoue quant à moi avec l'avis traditionnel que j'ai des romans de cette auteure. Ils sont très inégaux et celui-là, le 20° de la série, n'a que très tardivement retenu mon attention.

    Amélie Notomb fait décidément partie des écrivains que je lis pour pouvoir m'en faire une idée et ainsi en parler mais très rarement par plaisir. Il se peut d'ailleurs que j'abandonne cette habitude, par lassitude !

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Acide sulfurique

    N°848 – Décembre 2014.

    Acide sulfurique Amélie Nothomb – Albin Michel.(2005)

    La télé-réalité est un produit moderne de la télévision, hérité des États-Unis qu'on n'est pas obligé d'aimer. On peut y voir une incursion acceptée dans la vie privée autant qu'une louable tentative de réconcilier des gens qui semblaient séparés à jamais, une exhibition malsaine ou un phénomène de société qui connaît un succès populaire sans précédent. Elle met en œuvre une compétition qui n'est pas autre chose que celle qu'on peut observer dans la vraie vie, révèle des talents, suscite des rencontres, génère des succès, des déboires, des échecs. Il n'est donc pas extraordinaire qu'un écrivain s’empare de ce concept pour le traiter à sa manière.

    Le titre de ce roman évoque un liquide destructeur, le vitriol. La fin en donne toutefois une signification bien différente. Il met en scène, dans un futur lointain, un camp de concentration inspiré par la télé-réalité où des humains qui ont fait l'objet de rafles y mènent une vie déplorable. Non seulement ils y sont mal nourris, insultés et battus par des tortionnaires, les « Kapos », mais tous les jours ces derniers choisissent deux prisonniers qui seront tués devant les caméras. Pannonique, une belle jeune fille, est une de ces prisonnières et Zedna une de ces Kapos qui en est amoureuse. Avec ce rôle, Zedna qui est finalement une ratée, peut enfin se donner de l'importance et pour connaître le véritable nom de la prisonnière qui n'est pour tous qu'un numéro matricule (CKZ 114), mais aussi pour la posséder, elle transgresse la consigne et lui fait passer des barres de chocolat que la prisonnière partage avec ses compagnons d'infortune. Pire, elle n'hésite pas à précipiter dans la mort tous les prisonniers qui sont autour d'elle. En sauvant l'un d'eux, Pannonique prend donc au sein du groupe l'importance d'une véritable divinité qu'elle confirme d'ailleurs quand elle se glisse dans le rôle d'une victime expiatoire.

    Comme il s'agit d'une émission de télévision à large audience, les caméras espionnent en permanence les kapos et surtout les prisonniers. Cela commence à dériver dans le sens du sordide et certains médias s'en indignent de sorte que de plus en plus de gens souhaitent la regarder. Non seulement personne ne réagit devant l'horreur mais, en quelque sorte, on ne redemande et les producteurs proposent au public de désigner lui-même les prisonniers qui seront mis à mort. Cela n'a pour effet que de faire exploser le sacro-saint audimat ! Je ne dévoilerai évidemment pas l'épilogue que je trouve surprenant, inattendu et même décevant, mais il se peut qu'une nouvelle fois je n'ai rien compris.

    Ce roman est une fiction, certes, mais qui rappelle par bien des côtés les véritables camps nazis qui eux étaient une triste réalité. Certes la mise en scène qui nous est offerte ici est poussée à l'excès mais, toutes choses égales par ailleurs, j'y ai vu quelques ressemblances avec notre société actuelle qui, dans le monde du travail notamment (mais pas seulement) ne fait de cadeaux à personne. Notre société se caractérise bien plus souvent par la volonté de détruire son prochain que par celle de faire montre de la charité ou de la solidarité. L'auteure, qui reste maître du jeu et de son roman, donne à Pannonique un rôle de plus en plus important dans ce camp et par rapport aux autres membres du groupe à cause de l'amour qu'elle inspire à Zedna, ce qui fait de ce triste personnage du début quelqu'un qui, au fil des pages s'amende et devient plus humain. Les téléspectateurs eux-mêmes changent dès lors que cette série s'interrompt. J'espère qu'elle ne se trompe pas, mais franchement je n'en suis pas aussi sûr qu'elle, tant le voyeurisme, l'instinct grégaire, le caporalisme, l'abus d'autorité qui sont les composantes ordinaires de toute société et qui sont ici mis en évidence ne sauraient être regardés comme une simple vue de l'esprit.

    Ce roman a d'ailleurs fait l'objet d'une polémique et rappelle dans une certaine mesure les expériences de Stranford et de Milgram qui mettent en évidence les pulsions sadiques et meurtrières qui caractérisent l’espèce humaine. Je n'ai pas beaucoup d'attirance pour les écrits d'Amélie Nothomb comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette chronique, je les trouve inégaux. Je dois préciser cependant que ce livre contient des pistes de réflexions intéressantes sur la culpabilité par exemple. J'ai apprécié les développements que fait l'auteur sur ce concept du divin même si ce costume est, à l'évidence, trop grand pour Pannonique malgré le contexte du camp qui est un véritable enfer. J'ai également goûté les développements que fait l'auteur sur le rôle que les hommes peuvent donner à Dieu, le tenant pour responsable des malheurs de ce monde et se donnant ainsi le droit de l'insulter. Le phénomène de l’émergence d'un chef par rapport au groupe (à travers le personnage de ZH 911)est également bien observé. La mise en évidence des capacités de résistance que l'être humain possède en lui (notamment la faculté de rire de tout ou d'opposer la beauté de la musique à la barbarie) est bienvenue. Quant au voyeurisme d'un public avide de sensations fortes, la preuve n'est plus à faire ! Elle a même esquissé une réflexion sur les relations qui peuvent exister entre l'écrivain et ses lecteurs. Malheureusement ces thèmes sont restés, à mon avis, quelque peu en friche. C'est peut-être dommage !

    A l'évidence, l’auteure veut faire passer un message et pour cela use d'un style simple, sans fioriture, logique et même emprunt d'une certaine froideur mais néanmoins facile à lire. J'ai été quelque peu surpris par ce roman mais, celui-ci refermé, j'avoue avoir été interpellé par le sujet traité. Il est d'actualité à cause du concept de la télé-réalité mais surtout parce qu'il met en lumière des facettes détestable de l'espèce humaine qui ne demande qu'à se révéler.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Que serais-je sans toi ?

     

    N°847 – Décembre 2014.

     

    Que serais-je sans toi ? Guillaume Musso-XO édtions.

     

    Tout d'abord ce titre m'évoque un vers d'Aragon popularisé par la voix chaude de Jean Ferrat. L'auteur s'adresse à une femme pour lui dire tout son amour. Là aussi, il sera question d'une femme, une américaine, Gabrielle, 30 ans qui vit à San Francisco. C'est aussi un roman d'amour puisqu'elle aime deux hommes, son père d'abord, Archibald Mc Lean qui fait profession de voler des tableaux de maîtres et Martin Beaumont, un jeune ex-capitaine de police qui a été, dans une autre vie, son premier amour de jeunesse. On l'aura compris d'emblée le premier sera l'objet de la part du second d'une traque constante.

    L'auteur balade son lecteur dans la vie respective de chacun des protagonistes et ce jusque dans les moindres détails pour montrer combien chacun d'eux est lié à l'autre, Martin, ex-flic malin mais marginal et spécialiste de la peinture qui a connu et aimé Gabrielle au moment de sa jeunesse, Archibald, sorte d'Arsène Lupin flamboyant mais solitaire. Quant à Gabrielle, elle fait l'objet, malgré son âge de toutes les attentions de la part de cet homme qui se révèle être son père, mais pas seulement puisqu'elle fait aussi d'autres rencontres inattendues. Elle reste le personnage central de ce roman, une sorte d'être à la fois modérateur et amplificateur suivant la façon qu'on a de lire ce texte. Elle est aussi le catalyseur de l'amour intact que lui porte Martin, et ce malgré treize années de séparation et l'objet de toutes les attentions d'Archibald, d'autant plus qu'il ressent à son endroit de la culpabilité et la nécessité de rattraper le temps perdu si cela peut encore se faire parce que la maladie le guette.

     

    Ce drame qui se veut cornélien a des accents de déjà vu et n'est guère original. Pourtant l'auteur avoue avoir voulu écrire un roman optimiste même s'il met en évidence la lutte que se livrent ceux qui, au contraire devraient s'aimer. Certes il nous fait partager sa passion pour la peinture, celle des Impressionnistes comme celle de Picasso ou de Soulanges, nous entraîne de la France aux États-Unis. Tout cela ne pouvait, à titre personnel, que retenir mon attention, Paris et de San Francisco étant deux villes qui, dans mon univers personnel, sont emblématiques. La troisième partie, en revanche, m'a laissé un peu dubitatif puisqu'elle se déroule dans un lieu énigmatique, sorte de zone de transit d'un aéroport où la vie et la mort se conjuguent. Ce n'est pas parce que nous sommes dans une fiction que l'histoire doit devenir invraisemblable. Cet épilogue m'a en effet paru à la fois surréaliste, irréel et chargé de moins d'intérêt que le reste, c'est une dissertation un peu usée entre Éros et Thanatos avec, évidemment des aphorismes surannés sur l'amour. Quant au happy-end qui conclut ce roman, cela me paraît un peu superficiel. C'est malheureusement sur cette dernière impression que se referme le livre.

    C'est un thriller qui veut ménager le suspens jusqu'à la fin, avec de multiples rebondissements puisque cette dernière rencontre entre Martin et Archibald a pour enjeu le vol par ce dernier de « La clé du Paradis », un diamant célèbre par son prix et par sa taille mais qui pourrait bien porter malheur à qui le possède. Ce sera le couronnement de la carrière d'Archibald et bien entendu Martin se lance à sa poursuite puisque sa vie a été vouée à cette traque, restée vaine à ce jour. Bien entendu ce combat entre les deux hommes se déroule sous les yeux de Gabrielle, entre espoir d'avenir, exorcisme du passé et trahison.

    Ce roman est écrit comme un polar, pas vraiment poétique mais agréable et facile à lire cependant. Cela doit tenir à moi, et je le regrette, mais ce roman est le deuxième que je lis de Guillaume Musso. Je n'arrive cependant pas à entrer complètement dans son univers créatif et je lis ses œuvres davantage pour m'en faire une idée et pouvoir en parler car c'est un auteur à succès, que par véritable plaisir.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Docteur Lapin et Mister Tigre

    N°846 – Décembre 2014.

    Docteur Lapin et Mister Tigre Akira HONMA.(Volume 1)-Taifu comics

    Je ne suis pas familier des mangas aussi bien ce livre est-il déconcertant dès l'abord. Heureusement qu'il y a un avertissement, il se lit dans le sens de lecture originale japonaise, c'est à dire de droite à gauche, il faut donc le lire à l'envers de nos livres occidentaux traditionnels, en commençant par la fin ! Cela a été un peu déroutant pour moi mais je m'y suis rapidement fait. Il s'agit d'une édition originale publiée au Japon en 2009 et traduite. L'auteure, une femme dont je ne connaissais pas auparavant l'existence, se présente qu'une manière originale à son lecteur en lui donnant la date de son anniversaire, son signe astrologique et... son groupe sanguin ! Elle nous confie que ce manga est le 5° qu'elle publie et que cela n'a pas été simple. Elle a dû faite tomber pas mal d'obstacles et on devine aisément lesquels. Elle précise que le deuxième tome est encore inédit.

    Cette bande dessinée se compose de trois histoires qu'il est inutile de résumer, « Docteur Lapin et Mister Tigre », « Ça s'écrit mensonge mais ça se lit vérité » et « Manhood child », déclinées sur le même thème, celui de l'homosexualité masculine. Après tout, pourquoi pas ? Je ne connais pas la société japonaise, ses habitudes, ses convenances mais j'imagine qu'elle ressemble un peu à la nôtre quand il s'agit de l'hypocrisie. L'homosexualité doit y être bannie ou sûrement dissimulée aux regards, tolérée peut-être comme chez nous même si elle y est de plus en plus admise, au moins officiellement. Ce n'est pas parce qu'elle n'est pas dans la norme qu'on doit la rejeter et cette sacro-sainte doctrine qui a été inspirée par la religion, les convenances sociales et les règles relatives à la procréation a, chez nous, quelque peu évolué ces derniers temps sur le plan de la loi, des coutumes et du changement des mentalités. Cette acceptation de l'autre, forcément différent, fait partie de la démocratie et être dans la norme sexuellement admise, une relation homme-femme, n'exclus évidement pas le mensonge, la trahison, l’adultère qui sont des composantes ordinaires de l'espèce humaine. Je ne suis pas, tant s'en faut, un spécialiste de l'homosexualité, ni même un amateur, je crois ne pas être homophobe non plus mais pour une fois que cette société basée sur le jésuitisme accepte de transgresser, sous la forme d'une œuvre rendue publique, un traditionnel interdit, ce n'est déjà pas mal. Il y eu certes des précédents célèbres par le passé mais ils se sont toujours accompagnés de protestations au nom de la morale et des bonnes mœurs.

    J'ai finalement bien aimé ces trois histoires d'amour et j'attends le 2° tome qui je pense me plaira, autant pour le graphisme si particulier des mangas que pour l'histoire déclinée tout en nuances et demi-teinte, plus subjective, qui laisse deviner les choses beaucoup plus qu'elle ne les montre et conjugue un texte minimaliste avec des dessins épurés. Les liens amoureux entre les partenaires masculins y sont montrés d'une manière subtile et ni la présence fortuite d'une femme ni même ses manœuvres ne réussissent à les perturber (« Ça s'écrit mensonge mis ça se lit vérité » - «  Manhood Chlid »). La découverte de la mutuelle attirance qui existe entre Mr Tigre et Uzuki à la suite d'une méprise du premier sur le look androgyne du second est bien amenée.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA PLACE DE L'ETOILE

    N°845 – Décembre 2014.

    LA PLACE DE L'ETOILE - Patrick Modiano Gallimard.

    Le livre s'ouvre sur une histoire juive mise en exergue, un officier allemand demande à un jeune homme où se trouve la Place de l’Étoile et ce dernier pointe son doigt sur le côté gauche de son veston. Je me suis dit que nous allions avoir droit au thème de la Shoah puisque l'écriture de Modiano se nourrit de sa mémoire et donc des évocations de de ses origines familiales. Je m'attendais à un réquisitoire en faveur des juifs, à une révolte contre l'extermination nazie ou les pogroms qui ont émaillé l'histoire de ce peuple. C'est en fait tout le contraire puisque le roman présente une auto-caricature, celle de Raphaël Schlemovitch qui est aussi le narrateur. Il se charge de reprendre à son compte, en noircissant le trait, les poncifs ordinaires sur le sujet en n’oubliant pas de citer des écrivains anti-sémites et de répondre à leurs pamphlets. C'est un paradoxe mais il se définit lui-même par ces mots «Raphaël Schlemovitch, un juif anti-sémite » mais aussi un proxénète pourvoyeur de bordels brésiliens, un agent de la Gestapo, un juif officiel du III° Reich, l'amant d'Eva Braun...

    Le livre refermé j'ai certes retrouvé ce qui fait la spécificité de l’œuvre de Modiano, sa jeunesse déchirée par une vie parentale en pointillés, la présence en filigranes de son père, de ses origines sémites. Avec lui il a entretenu des rapports énigmatiques et compliqués. J'ai lu ce roman comme une relation décousue, hallucinatoire. L'auteur y expose d'une manière délirante des vies qui pourraient être les siennes, s'invente des identités contradictoires, alternativement martyr, hâbleur, riche, intellectuel, dandy, collabo... mais toujours dans un amphigouri verbal, une sorte de fresque un peu surréaliste composée par petites touches comme l'aurait fait un peintre sous l'empire de quelque drogue ou d'une over-dose de douleur ou de désespérance. Pour faire bonne mesure, il convoque une galerie de portraits plus ou moins réels, à la fois fantomatiques et inquiétants, fait montre d'une grande érudition littéraire, ce qui peut-être un peu agaçant et emploie un délire verbal, un langage parfois inquiétant, qui certes ne me dérange pas mais que je n'ai pas retrouvé dans les nombreux romans qui suivront. On peut lire dans cette fiction la marque d'un esprit torturé dont l'aventure se termine dans une clinique du Docteur Freud mais aussi, pourquoi pas, comme les tribulations imaginaires d'un mythomane. Je n'ai peut-être rien compris mais tout cela m'a paru extrêmement superficiel, inutilement provocateur, assez peu digne d'intérêt, bien écrit, certes mais j'ai poursuivi ma lecture davantage par curiosité pour connaître l'épilogue et parce que c'est Modiano, que par réel plaisir pour la lecture.

    Après une trentaine de romans, une pièce de théâtre, des scénarios, des essais et des chansons, celui qui deviendra Prix Nobel de Littérature en 2014 commence ici sa quête autobiographique au travers de la mémoire. Ce roman, paru en 1968, est le premier de Patrick Modiano, honoré par le Prix Féneon et le Prix Roger-Nimier qui récompensent un jeune auteur(il a en effet une vingtaine d'années à la publication de cet ouvrage). Il faut sans doute se remettre dans le contexte de l'époque mais il est possible que ces distinctions aient voulu célébrer un langage et un discourt nouveaux, pleins de contestation comme cette époque en était friande. C'est peut-être une vue de mon esprit mais j'y ai perçu, par moments, des accents d'une douloureuse rébellion célinienne.

    Depuis longtemps cette chronique célèbre l'écriture et la quête de Modiano qui fait partie de mes auteurs préférés. Pour autant, je n'ai rien d'un thuriféraire et j'ai trouvé ce roman déconcertant. Certes, c'est le premier d'une longue série mais je n'ai pas ressenti ici le plaisir coutumier que j'ai toujours éprouvé à la lecture de cet auteur. Ce livre est déroutant et ce n'est pas son récent Prix Nobel de littérature qui me fera dire le contraire.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • PAS PLEURER

    N°844 – Décembre 2014.

    PAS PLEURER - Lydie Salvayre Le Seuil – Prix Goncourt 2014.

    Étonnant roman où se mêlent les voix de Georges Bernanos, écrivain catholique, royaliste, militant de l'Action française et résident temporaire aux îles Baléares au moment où éclate la Guerre civile espagnole et celle de Montse, la mère de la narratrice, âgée de 15 ans à l'époque. Bernanos, contrairement à ce qu'on pouvait attendre de lui, stigmatise avec colère les massacres aveugles perpétrés par les franquistes et dénonce le silence complice de l’Église espagnole bien plus inspirée par l'allégeance à ce pouvoir que par le message de l’Évangile. Montse, appartenant à une famille pauvre de cette Espagne ancestrale et rétrograde, gouvernée par les notables possédants et bénie par l’Église, est en réalité le personnage central de ce livre. Sa voix est claire, joyeuse et grâce à l’avènement de la République, elle découvre avec naïveté et utopie la liberté toute nouvelle et la remise en question de cette société qui va, mais pour un temps seulement, être bouleversée par la création de communes libres.

    Nous sommes dans un roman et j'ai apprécié aussi que l'auteur contrebalance, parfois avec humour, l’horreur au quotidien par une histoire d'amour. Montse connaît le « grand amour » éphémère comme la guerre sait en créer mais qu'un mariage arrangé ne saurait éteindre. Elle se prête pourtant à une mésalliance par convenance sociale et familiale mais surtout pour éviter un scandale, une sorte de gâchis que seule la naissance d'un enfant réussit à transformer. J'ai choisi de voir dans cette passade et surtout dans cette naissance, même si elle est immorale, une sorte d'antidote à toute la violence qui a baigné cette époque de guerre, qui a opposé jusque dans la mort les membres d'une même famille au nom d'idéologies différentes.

    Le guerre civile espagnole a été l'inspiratrice de nombreuses œuvres artistiques parce non seulement elle a été le théâtre d’atrocités de part et d'autre, parce qu'elle a servi de laboratoire à la deuxième guerre mondiale mais surtout parce qu'elle a correspondu à un espoir de liberté et de démocratie pour un peuple opprimé. Malheureusement, la dictature franquiste a interrompu brutalement et durablement cet élan. Dans ce roman j'ai lu toute cette révolte à travers le personnage de Montse.

    C'est peut-être une vue de mon esprit mais j'ai lu dans ces pages des accents céliniens. Ce n'est pas seulement parce que l'auteure emploie le « frangnol », sorte de sabir que parlait sa mère à son arrivée en France et qui constitue à mes yeux la manifestation sémantique de sa révolte par la création d'un nouveau langage, un peu comme le faisait Céline usant de l'argot, mais aussi parce ces phrases sont souvent laissées en suspens, sans ponctuation (contrairement à Céline qui usait beaucoup du point d'exclamation) comme on le fait dans le langage courant en interrompant son propos pour en modérer la violence. Parfois les phrases sont d'une longueur démesurée et j'y vois là aussi la marque de cette indignation ainsi manifestée.

    Il y a une galerie de portraits qui caractérise cette société composée de riches et de pauvres, ces derniers, partagés entre les idées nouvelles d'émancipation et ceux qui, malgré leur condition d'esclaves, souhaitaient n'y rien changer. José, le frère de la narratrice est convaincu par les idées nouvelles tandis que Diego, mari d'occasion de Montse mais profondément amoureux d'elle, choisit de bouleverser cet ordre social ancestral et d'endosser une paternité pour laquelle il sait être étranger. Tous les deux sont en opposition l'un avec l'autre autant qu'ils sont en rupture avec leur milieu social auquel ils souhaitent échapper. Les personnages ainsi croqués évoquent l'Espagne de cette époque troublée mais aussi l'espèce humaine dans tout ce qu'elle a de grandeur et surtout de petitesse.

    Cette guerre que je n'ai pas connue m'a toujours passionné, je ne saurais dire pourquoi, peut-être à cause du mouvement général qu'elle a suscité, surtout dans les brigades internationales pour la défense de la liberté et contre le fascisme, peut-être parce qu'elle a contribué,comme toutes les autres, à révéler ce qu'il y a de pire dans la nature humaine, peut-être aussi parce qu'elle a montré une nouvelle fois toute l'hypocrisie du Vatican qui se révélera derechef pendant la deuxième guerre mondiale à propos de l’extermination des juifs que Pie XII feindra d'ignorer. La hiérarchie catholique espagnole ne sera pas en reste qui bénira la dictature de Franco et surtout l'accompagnera autant pour la légitimer et l'asseoir que pour en recueillir les prébendes.

    Alors, quid du titre ? Les circonstances historiques inclinaient plutôt à la tristesse voire aux larmes pourtant, j'ai goûté le ton de ce roman fort bien écrit et fort richement documenté, plein d'analyses et de remarques pertinentes, alternant humour et pathétique. « Ici on fusille comme on déboise » écrivait Antoine de Saint-Exupéry, journaliste dépêché en Espagne avant qu'il ne soit l'écrivain-pilote que nous aimons. Effectivement, aux exécutions sommaires perpétrées par les fascistes succédèrent celles des communistes jusque dans leur propre camp et contre leurs alliés anarchistes. Les exactions et la défaite militaire précipitèrent les vaincus en France, pays des droits de l'homme et de la liberté qui les accueillit pourtant si mal. Nous savons tous que les larmes ne servent à rien et surtout pas à exorciser le deuil, le chagrin, la colère, la souffrance. Face au monde qui s'effondre et à celui, fasciste, totalitaire qui se met en place dans un pays déchiré, l'auteur oppose l'amour fou de Montse pour un inconnu de passage, celui plus effacé mais sincère de Diego puis celui, enfin, que suscite un enfant qui réconcilie tous les membres de cette famille disparate et anachronique.

    L'abandon des idéaux surtout politiques qui ne résistent pas longtemps à l'hypocrisie et à l'opportunisme des hommes et leur lâcheté, leur haine et leur oubli ne valent pas non plus la peine qu'on en pleure. C'est là la marque de l'espèce humaine à laquelle nous appartenons tous. Le parcours de José qui tourne à la désillusion en est ici l'illustration, celui de Diego, différent mais quand même semblable témoigne de cette remise en question. Reste le destin de ces pauvres gens précipités dans un pays dont ils ne parlaient pas la langue, ne connaissaient pas les façons de vivre et qui devaient s'y adapter, alors « pas pleurer », peut-être, mais là je ne suis pas bien sûr et puis écrire est un exorcisme bien plus efficace sans doute que toutes les larmes. Dont acte !

    J'ai souvent dit dans cette chronique et ailleurs que ce prix Goncourt qui consacre un écrivain et honore les lettres françaises avait souvent été attribué à des auteurs qui ne le méritaient pas. Après avoir lu ce roman passionnant, je ne réitérerai pas cette remarque et me félicite d'avoir croisé Lydie Salvayre que je ne connaissais pas auparavant et dont je poursuivrai assurément la lecture de l’œuvre .

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • N'oubliez jamais

    N°843 – Décembre 2014.

    N'oubliez jamais - Michel Bussi – Presses de la Cité.

    Le hasard fait partie de notre vie bien plus souvent que nous voulons bien l'admettre. Jamal l'apprendra à ses dépends.

    Nous sommes en Normandie, pays de falaises et Jamal, jeune beur unijambiste a l'habitude d'y faire du cross en solitaire, malgré sa prothèse. Ce matin, lors de son entraînement, il aperçoit une écharpe rouge d'une grande marque qui traîne par terre. Il voit aussi une jeune fille suspendues dans le vide, habillée seulement d'une robe en lambeaux et, naturellement il lui porte secours à l'aide de cette écharpe qu'il lui tend, mais bizarrement elle refuse son aide et s'écrase sur les galets en contrebas. Il ne peut s'agir que d'un suicide mais les premières constatations révèlent qu'elle a été violée et étranglée, peut-être avec cette écharpe. Il se trouve que cette affaire est semblable à deux une autres exactement semblables qui se sont déroulées dans la région dix ans auparavant et qui n'ont jamais été résolues. Le violeur aurait-il frappé une autre fois à dix ans d'intervalle ? Il y a beaucoup de coïncidences troublantes ; et puis, tout accuse donc Jamal qui fait ce qu'il peut pour se défendre. Telle est le thème de ce thriller qui réserve au lecteur pas mal de rebondissements, de fausses pistes et même d'impasses.

    Je ne suis pas sensible, mais ce qui a retenu mon attention ici, et que et que j'apprécie dans les romans policiers qu'il m'arrive de lire, est que cette intrigue n'est pas sanguinolente comme c'est souvent le cas dans ce genre de littérature.

    Pourtant l'occasion était belle pour l'auteur de se livrer à une étude psychologique des personnages, d'instiller dans ce texte des caractères bien marqués… malheureusement il n'en est rien et l'épilogue est à la mesure de ces quelques 500 pages qui font un peu trop durer ce qui n'est pas forcément un plaisir de lire. Jamal est pourtant attachant mais il m'a semblé par moment qu'il était carrément paranoïaque ou que la folie s'installait dans cette intrigue au point qu'on s'y perd un peu dans les différentes manipulations et invraisemblances.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Un parfum d'herbe coupée

    N°842 – Décembre 2014.

    Un parfum d'herbe coupée – Nicolas DELESALLE – Préludes.

    J'ai l'habitude, avant de commencer un roman, d'en lire l'exergue. Ici, j'ai eu plaisir à retrouver une citation de Boris Vian tirée de « l'écume des jours » qui parle de la fiction.

    Le livre s'ouvre sur les obsèques d'une grand-mère, celle du narrateur, Kolia, la quarantaine, journaliste, marié, père de famille. Est-ce l'émotion suscité par cet événement ou l’inextinguible envie de se constituer une descendance, l'auteur s'invente une arrière-petite-fille qui n'existe pas encore, Anna, et il se met à lui écrire. Nous sommes bien dans une fiction, n'est-il pas ? Il lui raconte sa propre vie en commençant par son enfance, ses billes, ses héros de bandes dessinées, ses fantasmes. Il redessine pour elle cette période bénie où on s'invente des panoplies de grands, des métiers qu'on n'exercera jamais, des merveilleuses folies qu'on n'aura plus et un compagnonnage avec un chien. Suit l'adolescence, ses questionnements, ses espoirs pour l'avenir, ses moments d'inconscience, d’incompréhension parfois, ses pitreries, ses plaisirs solitaires. Puis, c'est le collège, ses devoirs bâclés, ses incontournables heures de colle pour des potaches boutonneux, cossards et insolents. Il n'oublie pas non plus la longue liste des profs qui ont sévi dans sa scolarité. Ils ne sont souvent plus qu'un nom, parfois une image, souvent un fantôme, certains lui ont donné le goût des disciplines intellectuelles mais d'autres, plus nombreux, l'en ont carrément dégoûté. Il y a quand même la découverte des livres, et de la musique, les vacances sur la plage, les expériences avortées et éphémères, le sport et ses supposées valeurs, les relents de la première cigarette fumée dans les chiottes ; c'est mauvais mais c'est tellement bon de braver l'interdit, surtout devant les copains ! Et puis il y a ses regards appuyés portés sur les filles et souvent sous leurs jupes, pleins de timidité et de gaucherie, la voix qui mue, le corps qui se transforme... Puis c'est la première boom, la première cuite, le premier baiser, le premier chagrin d'amour qui sera suivi de nombreux autres, mais cela ce sera pour plus tard, on a le temps ! Puis viendront les souffrances, les vraies, celles qui ne s'effacent pas, qui creusent l'âme et bouleversent la vie, et avec elles la mort et les deuils surtout quand ils inversent le cours normal des choses. Ils font aussi partie de ce parcours, de cette existence qui n’est pas un long fleuve tranquille. Il aura bien le temps pour la paternité, la famille mais aussi pour les trahisons, la solitude, le mensonge, toutes ces choses qui font si intimement partie de l'espèce humaine qui n'est pas aussi bonne qu'on le dit. Et puis ce sera a vieillesse et l'ombre de la camarde, comme pour nous tous !

    Nicolas Delesalle signe ici ce premier roman émouvant, poétique et humoristique dont j'ai apprécié les pages où je me suis parfois retrouvé. J'y ai découvert, malgré la différence de génération, un garçon avec qui j’aurais pu être copain ou peut-être concurrent, la vie est tellement mal faite ! J'ai aimé ce récit proustien fait de petites touches comme un tableau de Seurat qu'on apprécie surtout quand on le regarde avec un certain recul. C'est un lieu commun si souvent usé, nostalgique à souhait mais j'ai retrouvé avec plaisir cette jeunesse qui passe en laissant derrière elle ce « parfum d'herbe coupée » comme un souvenir heureux qu'on gardera longtemps parce qu'il porte en lui notre vie en devenir, l’angoisse d'une page blanche encore non écrite, l'inconnu qu'on voudrait bien anticiper. Le temps passe, oui et après, c'est la marque de cette condition humaine qui est notre point commun à tous et il n'y a surtout pas lieu de le déplorer. Nous ne sommes que de passage et pas forcément obligés de marquer notre époque. C'est comme cela et c'est très bien !

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Ce sont des choses qui arrivent

    N°841 – Décembre 2014.

    Ce sont des choses qui arrivent. Pauline Dreyfus - Grasset.

    Le roman s'ouvre sur un enterrement, celui de la baronne Natalie de Sorrente dans ce Paris de février 1945. Pourtant, malgré les circonstances, on a quand même l'impression qu'on va passer un bon moment. C'est une de ces grandes cérémonies où se presse « le tout Paris », une église huppée de la capitale avec grand-messe, homélie sur l'arbre généalogique digne d'une grande famille, sur la vie qui est un don de Dieu et la mort qui est l'espérance de la vie éternelle, aussi belle sans doute que celle d'ici-bas puisque la défunte était « de la haute ». On ne coupe évidemment pas au grand deuil, à sa courte biographie, à l'évocation de son décès brutal et aux phrases convenues qu'on prononce dans ce genre de circonstances. Mais, remontons quelques années en arrière et spécialement cette période de l'occupation, sous la régence de Pétain, homme providentiel comme les aime tant en France et cette zone libre du sud du pays qui accueillit tant de gens fortunés que l'Allemagne nazie faisait fuir, comprenez les Juifs.

    Pour cette frange de la population à laquelle appartient Natalie, la vie c'est avant tout la fête, la légèreté, la liberté, la morphine, les amants. Pour elle, la guerre n'est pas autre chose qu'un dérangement, l'obligation de quitter les mondanités parisiennes, une sorte d’ennui que ne parviennent pas à exorciser ni le climat doux, ni les rencontres de gens célèbres ni mêmes les passades amoureuses. Malgré les relations un peu distantes qu'elle entretient avec Jérôme, son mari, elle tombe quand même enceinte, « Ce sont des choses qui arrivent » s'est-on dit dans son entourage, même si la paternité de son époux était des plus hypothétiques. Il faut donc au plus vite rallier Paris même si les relations qui s'y tissent maintenant ressemblent fort à de la « collaboration mondaine ». Après tout Natalie a toujours été un peu rebelle et puis on ne se défait pas ainsi de ses habitudes !

    L’antisémitisme actif de l'époque se fait sentir au jour le jour avec son cortège de dénonciations, d'étoiles jaunes, de rafles, là aussi « ce sont des choses qui arrivent »

    Cette période n'est peut-être pas la plus propice mais Natalie, un peu par hasard, va en apprendre un peu plus sur ses origines. Ce sont des choses qui arrivent, mais quand même et il faut se méfier des certitudes surtout en matière de paternité. Pourtant, cela fait un peu désordre, même dans un arbre généalogique le mieux établi ! Cette révélation va bouleverser sa vie, susciter des questions de plus en plus nombreuses et parfois embarrassantes. Elle va même carrément changer d'attitude et je l'ai trouvée personnellement à la fois émouvante et responsable dans ce contexte.

    J'ai aimé ce livre bien documenté et historiquement précis, écrit plaisamment avec beaucoup d'humour au début mais aussi d'humanité, de tragédie. Il illustre bien, s'il en était encore besoin, les facettes changeantes de cette espèce humaine que nous partageons tous.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES SEPT COULEURS

    N°840 – Décembre 2014.

    LES SEPT COULEURS Robert Brasillach – PLON.

    Ce roman édité en 1939 manqua lui aussi de peu le Prix Goncourt. Même s'il n'est plus guère édité aujourd'hui à cause des prises de positions politiques de son auteur, il fait partie de ces œuvres qui ont manqué de quelques voix cette distinction prestigieuse mais qui sont restées dans la mémoire collective alors que le lauréat de cette année- est, lui, demeuré dans l'anonymat.

    Nous sommes à Paris en 1920 et Patrice et Catherine découvrent la capitale. Lui, professeur, est un peu désargenté, fréquente des hôtels miteux des restaurants populaires. Il se rend comme précepteur en Italie fasciste qu'il admire tout en gardant un contact épistolaire avec Catherine. Il va durer plusieurs mois. Lui est follement amoureux d'elle et souhaite l'épouser mais, désireuse de stabilité et de sécurité, elle se marie c'est avec un autre homme, François Courtet. Désespéré par ce chagrin d'amour, Patrice s’engage dans la légion étrangère et se bat au Maroc, alors sous protectorat français. A la fin de son engagement, à l'invitation d'un ex-légionnaire, il rejoint l’Allemagne nazie à laquelle il trouve beaucoup de vertus et travaille à la chambre de commerce française de Nuremberg. Il y vit une liaison passionnée avec une jeune allemande, Lisbeth. Lors d'un voyage en France, il reprend contact avec Catherine qu'il veut reconquérir. C'est l'époque de la Guerre civile en Espagne et François, autant par idéal politique fasciste que doutant de la fidélité de son épouse, s'engage aux côtés de Franco et participe à la défense de l’alcazar de Tolède, bataille pendant laquelle il est blessé. Catherine finit par le rejoindre.

    Ce roman est placé tout entier, en quelque sorte, sous le patronage de Corneille et plus spécialement de « Polyeucte », une tragédie dont certains vers se retrouvent en exergue de tous les chapitres. Cette pièce évoque un sujet religieux et plus spécialement le martyre d'un personnage converti au christianisme, intervenu au III° siècle après Jésus-Christ, lors des persécutions contre les chrétiens. Cette référence, dans le contexte du roman de Robert Brasillach [1909-1945] n'est pas, on le voit bien, un simple exercice de style de la part d'un intellectuel. Le contexte chrétien de la pièce de Corneille est remplacé par le fascisme. C'est aussi un roman d'amour où, tout comme dans la pièce de Corneille, Catherine renonce à Patrice pour l'amour plus stable et plus sûr de François. Techniquement, Brasillach alterne récits et correspondances, journal et réflexions intérieures. Il s'en explique brièvement dans le prologue, revendiquant la liberté dans ce domaine [« On a tenu pour des romans, au cours des siècles, des récits, des fragments de journaux intimes, des ensemble de lettres, des poèmes, des constructions idéologiques...des dialogues comme ceux qui furent à la mode avant guerre. »]. Le titre peut poser question. Brasillach structure son roman en sept chapitres où se mêlent effectivement diverses formes de narration. Fait-il référence aux couleurs de l'arc-en-ciel qui est lui-même un symbole, celui d'un pont entre deux mondes, un chiffre sacré ? L'auteur a-t-il voulu composer ici une œuvre sur le passage de l’adolescence à l'âge adulte, une sorte d'écrit initiatique d'adieu à la jeunesse ? La symbolique de la lumière initialement blanche (pureté ?) décomposée en sept tonalités chromatiques par le prisme du temps ou de l’expérience peut évoquer cet abandon d'illusions, de certitudes, de fantasmes liés à la jeunesse ? Pourquoi pas ! En tout cas, en 1948, son beau-frère, Maurice Bardèche, écrivain négationniste et fasciste, fonda une maison d’édition qui porta le nom de cette œuvre. Son but était de redonner la parole aux écrivains nationalistes et collaborationnistes que l’épuration avait fait taire.

    A titre personnel, je me suis toujours demandé comment un tel serviteur zélé de notre belle langue française, de sa culture a pu se fourvoyer ainsi dans les dérives de la collaboration et dans sa participation à « Je suis partout ». Je n'ai évidemment pas su, à ce jour, répondre à cette question mais il fut fusillé en 1945 malgré une pétition générale d’écrivains en sa faveur.

    C'est un roman de facture originale dont la structure de la phrase est cependant classique. Il est, agréable à lire, poétique aussi surtout, à mon avis, dans la partie « discours » de cette œuvre. L'auteur était en effet un intellectuel, normalien, un écrivain qui a fait honneur à notre langue.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Mort à crédit

    N°839 – Décembre 2014.

    Mort à crédit - Louis-Ferdinand CELINE Gallimard.

    « Voyage au bout de la nuit », le premier roman de Céline qui avait manqué de peu le prix Goncourt fut cependant un succès. Dans sa quête de mémoire, l'auteur choisit de nous livrer son enfance mais Bardamu qui avait été le personnage central du « Voyage » perd son nom mais se prénomme toujours Ferdinand. Cela n'en est par moins un roman autobiographique mais où il choisit des épisodes particuliers en leur donnant une dimension dramatique et en en bouleversant la chronologie. Il commence par évoquer son rôle de médecin, puis, assailli par la fièvre replonge dans son enfance  et son adolescence, celles d'un fils de boutiquier parisien des année 1900, marquées par l'échec au niveau familial et professionnel. Son père, Auguste, est employé de bureau chez un agent d'assurances et sa mère Clémence ouvre une boutique de dentelles dans le « Passage des Bérésinas». Leurs relations sont difficiles et parfois violentes. Il insiste sur cette « Belle époque », qui ne l'a pas été pour tout le monde et spécialement pour les petites gens guettés par l'endettement et finalement par la misère. Le progrès technique qui caractérise ces années ne leur profite pas. Et lui de conclure que vivre c'est acheter sa mort à crédit, ce qui donne son titre au roman.

    Le style est à peu près semblable à celui du « Voyage » fait de points de suspension, de phrases parfois hachées ou laissées en suspens qui veulent sans doute évoquer le délire qui a caractérisé sa manière de s’exprimer. Quant aux descriptions, elles ont plus élaborées mais prennent parfois une dimension scatologique et nauséeuse. Elles sont insistantes et parfois dérangeantes. L'argot, quant à lui est toujours présent mais le délire verbal, les propos de l'auteur parfois obscènes autours du sexe reste sa caractéristique, un peu comme une obsession..

    Les personnages sont des inadaptés, des gens qui vivent en dehors de leur époque, ses propres parents d'abord mais aussi le père Gorloge, M. Merriwin, Roger-Martin Courtial des Pereires, inventeur farfelu et un peu escroc. L'oncle de Céline, Édouard qui lui vient en aide à plusieurs reprises et Caroline, la grand-mère de Céline représentent pour l'enfant une manière de s'échapper de ce contexte familial difficile. L'école ne réussit guère au jeune Ferdinand qui accompagne sa mère sur les marchés. Il devient ensuite commis puis employé chez le bijoutier Gorloge mais malheureusement pour lui cela tourne mal. Son séjour en Angleterre, chez les Merriwin est aussi un échec et l'ambiance délétère qui règne chez ses parents à cause de la misère qui s'y installe détermine son oncle Édouard à recevoir Ferdinand chez lui. C'est grâce à lui qu'il rencontre Courtial, génial inventeur mais complètement marginal et dont l'expérience d'agriculture tellurique tourne au fiasco. Son séjour chez lui quelque peu chaotique se termine par le suicide de son protecteur, le retour de Ferdinand à Paris et son engagement dans l'armée. On peut y voir une référence à son premier roman de même que son évocation de son rôle de médecin.

    La mort est omniprésente dans ce texte, celle de Mme Berenge, celle de la grand-mère, le suicide de Nora Merriwin et celui de Courtial. Il y a aussi de la vie, à travers les expériences sexuelles décrites par Céline ce qui en fait un roman différent du « Voyage ». Le texte évoque l'immense malheur du monde et le lecteur a l'impression que la vie de Ferdinand est un cauchemar tout juste adouci par son séjour chez les Courtial et par la présence de son oncle.

    Comme toujours chez Céline, la relation est un peu décousue. Il fut beaucoup moins bien accueilli que « Voyage au bout de la nuit », fit scandale et subit même des censures, ce qui perturba Céline qui y vit une injustice. Il a sans doute voulu parler en le grossissant du malheur de l'humanité mais la dimension sexuelles du texte a sûrement dérangé le lectorat de l'époque et choqué la morale publique. Ferdinand est un personnage souffrant, victime de la malchance..

    Je reste fasciné par le verbe de l'auteur, « cette petite musique célinienne »par sa compassion pour la misère humaine. Derrière les anecdotes, j'y ai surtout lu un profond désespoir. Ce roman publié en 1936 est le premier d'une trilogie autobiographique qui se poursuivra par « Casse-pipe » , inachevé, et « Guignol's band ».

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Louis-Ferdinand CELINE

    N°838 – Décembre 2014.

    Louis-Ferdinand CELINE Maurice Bardèche – La table ronde.

    S'il existe dans la littérature française un personnage qui dérange autant qu'il fascine, c’est bien Céline. A travers l'histoire de cet homme devenu médecin puis écrivain après avoir été maréchal-des-logis, on devine la désillusion qui a été la sienne tout au long de sa vie. Le regard qu'il porte sur les choses et surtout sur les gens nous donne à voir un champ de ruines. La relation qu'il fait de sa vie qui est aussi un voyage et surtout la trame de son œuvre, est unique. On est loin du style de ses contemporains, classique et volontiers policé, rien à voir avec celui de Mauriac par exemple, mais c'est une sorte de musique écrite dans un vocabulaire des faubourgs, plein de spontanéité et parfois même d’obscénité. Pourtant, il est de ces écrivains qui, de leur vivant ont écrit leur propre légende, nécessairement déformée.

    Maurice Bardèche [1907-1998] dissèque brillamment et présente d'une manière pédagogique l’œuvre de Céline et son évolution. Il montre comment, à partir de son engagement, de la guerre de 1914, le maréchal-des-logis Destouches est devenu l'écrivain Louis-Ferdinand Céline. « Voyage au bout de la nuit », son premier roman qui manqua de peu le Goncourt, introduit cette prise de conscience. Les écrits qui suivront montreront l'évolution et parfois les dérives de cet auteur devenu un déçu puis un révolté. La blessure par balle du sous-officier qu'il était et qui finira par être réformé n'avait rien à voir avec le cuirassier chargeant et sabré dans un affrontement guerrier comme l'image d’Épinal officielle l'a montré.

    Maurice Bardèche confesse à l'issue de cette étude avoir été étonné par Céline, et pas forcément à l'avantage de ce dernier. Il décrit sans concession son parcours, l’œuvre qui en est résulté mais aussi le côté affabulateur, geignard, hâbleur du personnage le révélant à la fois génial écrivain, un magicien du verbe plein d’imagination, mais aussi obsédé, contradictoire, menteur, utopique parfois, ce qui a fait de lui un incompris qui a été longtemps rejeté, marginalisé. Bref, une sorte de Janus, un peu comme nous tous d'ailleurs. Il note que derrière son langage parfois ordurier tinte une musique triste parce qu'il dénonce la nature humaine qui n'est pas aussi bonne que beaucoup de philosophes ont tenté de nous le faire croire. Vers la fin de sa vie il donnait de lui une image détestable. Ainsi se devine l'autre Céline, celui qui se défend contre les hommes. Cela fit de lui une sorte de paria qui se protégea lui-même tout en croyant à son talent d'écrivain. A la fois révolté contre les hommes, il est aussi le dénonciateur de leur hypocrisie et parfois de leur hystérie, de leur capacité de nuisance qui les mène inexorablement à la mort. Bardèche estime que chez Céline, la sensibilité est plus forte que la pensée, c'est un écorché-vif qui se manifeste dans une langue spontanée, populaire, délirante parfois qui l'emmène hors de la réalité, le faisant entrer dans un rêve fantasmatique. Il parle évidemment de l'antisémitisme de Céline, l'explique en partie mais estime que cela ne fait pas pour autant de lui un fasciste .

    Céline s'est, tout au long de sa vie d'écrivain, composé une image de lui-même faite de peur, de victimisation, de haine et de fuite. S'il a voulu éviter peut-être naïvement la deuxième guerre c'est sans doute à cause de sa blessure reçue lors de la première.

    Ce livre éclaire la personnalité de cet écrivain qui marqua la littérature française de son empreinte durable.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'OUBLI

    N°837 – Novembre 2014.

    L'OUBLI – Frédérika Amalia Finkelstein.

    D'emblée, la narratrice se présente comme une jeune fille, Alma-Dorothéa, entre 20 et 25 ans, parisienne, étudiante, juive, très au fait de la modernité entre la musique punk, le Coca Cola et la culture branchée, bref une jeune file de son temps et qui revendique le droit à l’oubli. Pour quelqu'un qui est juif, c'est plutôt étonnant puisque on ne manque jamais une occasion de nous rappeler la Shoah. Ce phénomène qui a d'ailleurs largement été utilisé dans le domaine de la création artistique est récurrent. Je n'y vois personnellement aucun inconvénient puisque ne pas oublier la barbarie qui sévit dans nos sociétés, et parfois sous les formes les plus inattendues, est plutôt une bonne chose même si une piqûre de rappel n'empêche nullement que cela se reproduise régulièrement. Pourtant, nous savons aussi que l'oubli comme le mensonge, la trahison et le meurtre, caractérisent bien l’espèce humaine. Elle est certes prompte à s'indigner ponctuellement pour des faits jugés inadmissibles, à donner à cette réaction toutes les marques de publicité avec l'émotion et la révolte qui vont avec, mais les jours suivants toute cela passe à la trappe et on s'intéresse à autre chose.

    Bref, la narratrice revendique le droit à l'oubli. Dont acte ! Pourtant chaque moment de sa vie la ramène à la Shoah, le souvenir de son grand-père, juif polonais, mort en camp d’extermination. Veut-elle étouffer ce souvenir quand elle nous parle de sa vie parisienne sur les Champs-Élysées, entre Ferraris et Cartier, jeux vidéos et Pepsi avec des réminiscences de son enfance. Est-ce l'idée même de la mort qui revient sous sa plume quand elle parle de son chien disparu, de la solitude qui elle aussi fait partie de la condition humaine, de la séparation du ciel et de la terre ? Ses pérégrinations dans Paris sont évoquées avec des préoccupations de nature philosophique et du souvenir des nazis et de leurs chambres à gaz mêlées à des séquences de sa vie au quotidien. Il est souvent question de la mort mais comme un philosophe en parlerait ou bien elle évoque à l'envi le suicide d'Hitler, un mode de vie basé sur l'oubli tout en constatant que celui-ci est impossible. Elle parlent de la souffrance des juifs et du monde. Mais aussi de bien d'autre chose parfois inattendues...Les hasards de la fiction lui font rencontrer la petite-fille d'Eichmann mais elle ne ressent aucune émotion particulière et cette jeune fille elle aussi pratique l'oubli malgré ce nom si lourd à porter.

    Bref, tout cela m'a paru bien superficiel et peut-être un peu loin du sujet. Les idées partent dans tous les sens, le texte est sans réelle unité et pour moi sans aucun intérêt.

    Le style m'a paru décousu et je suis resté absolument insensible à la petite musique que sans doute il veut distiller. Je suis peut-être passé à côté d'un chef-d’œuvre mais je me suis franchement ennuyé mais j'ai lu cependant ce roman jusqu'à la fin puisqu’il était présenté dans la presse comme le livre d'une auteur pleine d'avenir. Je voulais me faire une idée personnelle et ainsi pouvoir en parler, mais, le livre refermé, c'est la déception qui est au rendez-vous.

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  • Les roses d'Atacama

    N°836 – Novembre 2014.

    Les roses d'AtacamaLuis Sépulveda- Métailié

    C'est une sorte de carnet de voyage que nous offre l'auteur, le compte rendu de belles rencontres avec des gens dont il nous raconte l'histoire. Ce sont de gens ordinaires dont personne ne parle, 34 portraits, 34 esquisses inspirée par la sensibilité humaine. Dans ces nouvelles, il met en scène des hommes, des marginaux, qui ont choisi de se battre avec des armes dérisoires contre un pouvoir violent et barbare tel que les dictatures savent en enfanter, des petites gens qui font chaque jour leur métier avec passion, même si celui-ci leur apportera la mort. C'est aussi pour l'auteur l'occasion de se révolter contre l'exploitation meurtrière de la forêt en Amérique du sud ou la disparition programmée des baleines en Méditerranée. Sepulveda sait que ces combats sont perdus d'avance mais son action de témoin est une sorte de devoir moral pour que ces instants passés avec eux, que ces luttes, même vouées à l’échec, soient gravés dans nos mémoires, pour que ces injustices soient dénoncées comme une aberration dans l'histoire du monde, que l'oppression sous toutes ses formes soit ainsi révélée, pour que l'hypocrisie et le mensonge qui sont l'apanage des sociétés humaines bien pensantes soient dévoilés. C'est qu'il n'est pas autre chose qu'un témoin qui, à travers ses mots rend la parole à tous ces laissés pour compte que l'histoire officielle a oubliés, pour que tous ceux qui se sont un jour levés contre la barbarie ou qui ont simplement fait ce qu'ils estimaient être leur devoir, ne soient plus des fantômes. Il leur redonne leur nom, remet des mots sur leur action et c'est ainsi un peu de leur dignité qu'il leur rend. Il le fait simplement, sans faire dans le pathos, sans noircir le tableau, comme le scribe attentif et scrupuleux qu'il est.

    Il évoque sa démarche en décrivant ce militant politique qui se penche sur les éphémères roses qui poussent dans le désert salé d'Atacama au nord du Chili. Elles sont toujours là, redonnent vie et couleurs à cette terre ingrate, ne fleurissent qu'une fois l'an, ponctuellement, sont aussi vieilles que le monde et des générations d'hommes qui sont passés par ici les ont vues. Elles sont le symbole de la permanence dans ce milieu hostile, de la vie qui disparaît mais toujours renaît tel un phénix, une sorte de miracle comme seule la nature sait en faire pour attester sans doute que rien n’est perdu, que l’humanité est capable de résister, comme les hommes dont il témoigne de l'humanisme, de l'altruisme, de la solidarité...

    Le style est agréable, émouvant, une évocation simple mais pleine d'humanité, sans fioriture mais aussi sans concession. L'écrivain révolté voyageur et militant qu'il est trouve ici un thème particulièrement bien choisi pour que ses lecteurs prennent conscience des réalités et n'oublient rien de ce qui fait notre commune histoire et défendent ce patrimoine dont nous ne sommes que les usufruitiers.

    Il réussit, selon le mot de l'éditeur « à transformer la tendresse des hommes en littérature »

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  • Voyage au bout de la nuit

    N°835 – Novembre 2014.

    Voyage au bout de la nuitLouis-Ferdinand CELINE- Folio.

    Céline est un auteur contesté mais qui ne laisse pas indifférent. Avec ce roman qui manqua de Goncourt de deux voies mais obtint le Renaudot en 1932, il met en scène Ferdinand Bardamu. Dans ce récit à la première personne qui accrédite la dimension autobiographique Céline-Bardamu raconte son expérience de la première guerre mondiale qui fut pour lui une révélation, celle de l’absurdité, de l'hypocrisie du monde qui l'entoure, l'ineptie des officiers, l'horreur des combats. Il se révèle pessimiste sur la nature humaine et en perd sa naïveté. Il dénonce la colonialisme en Afrique où il se rend ensuite puis le capitalisme avec le dollar-roi aux États-Unis. Là aussi il se laisse aller à sa critique naturelle contre le taylorisme qui broie l'être humain. Il est logique avec lui-même quand il s’installe en France comme médecin et qu'il cherche à côtoyer et à soigner la misère humaine. Il sera le médecin des pauvres et retrouvera d'une certaine manière la détresse qu'il a connu en Afrique et dans les tranchées.

    Dans tout ce périple, Bardamu semble errer dans ce monde qu'il n'aime guère tout comme il hait l'espèce humaine à laquelle pourtant il appartient, comme nous tous.

    J'ai souvent dit dans cette chronique que j'appréciais qu’un auteur serve serve correctement a langue française, la faisant chanter agréablement pour son lecteur avec un choix de mots qui lui confère une dimension poétique. Dans le cas de Céline, ce n’est pas exactement le cas puisque son style est emprunt d'une grande spontanéité et d'un argot populaire. Pourtant, il y a cette petite musique qui caractérise son style et qui a contribué à inspirer largement ses successeurs en littérature. Elle n'est pas très poétique il est vrai mais, elle marque à sa manière la révolte de l’auteur contre l'espèce humaine dont il n'est pas vraiment l'ami. A-t-il vraiment tort dans la mesure où ainsi il marque son originalité et surtout son authenticité  ?

    Après avoir été avec Robert Brasillach et Pierre Dieu La Rochelle un écrivain maudit de la libération, il revient petit à petit en grâce et personnellement je trouve cela plutôt bien.

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  • Portrait de l'écrivain en animal domestique

    N°834 – Novembre 2014.

    Portrait de l'écrivain en animal domestiqueLydie SalvayreLe Seuil.

    Avant qu'elle n'obtienne le Prix Goncourt, cette année, le nom de Lydie Salvaire m’était complètement inconnu. J'ai été séduit par un de ses romans policier « La puissance des mouches » et j'ai souhaité poursuivre ma découverte de cette auteure. Qu'avons nous ici ? Il s'agit d'une femme-écrivain qui a accepté d'écrire la biographie de Toblold, le roi du hamburger. On comprend bien que la payant largement pour cela, elle va faire appel à tout son talent pour composer une œuvre de thuriféraire même si cette occasion lui permet de pénétrer le monde des affaires qui lui est complètement étranger et qui peut-être la fascine. Elle est peut-être aussi séduite par cet homme qui est son exact contraire et tant pis si sa notoriété, son travail sa réputation en pâtissent. Elle vivra dans son ombre pour ne rien perdre de ses remarques qu'elle note scrupuleusement puisque c'est son travail !

    Nous assistons à la désagréable politique capitaliste qui consiste entre autre à éliminer un concurrent sans la moindre retenue, mais après tout c'est là aussi une action parfaitement conforme à l'esprit humain. L'écrivain qu'elle est perd, dans ce contexte, un peu de Son âme et flagorne tant qu'elle peut, devient servile, veule et lâche, outrepassant presque malgré elle son rôle de laudateur. La prise de conscience qui en résulte n'est pas sans provoquer chez elle des états d'âme mais la facilité et plus sûrement encore l’appât du gain sont les plus forts. La narratrice ne laisse rien paraître de son agacement et finit par exceller dans ce numéro d'équilibriste entre résignation, inertie et attirance, mais là aussi il n'y a rien que de très humain, n'est-il pas ? Face à cet homme dragueur, mufle, vulgaire, destructeur et qui croit que tout lui est dû, elle va même jusqu'à éprouver de la sympathie pour sa compagne qui, avec le temps et l'intérêt accepte elle aussi tout de lui. Pourtant, quand il dévoile son enfance, Jim Tolbold la révèle misérable, comme celle de la narratrice, ce qui peut éventuellement les rapprocher mais son amour de l'argent et surtout la manière de l'acquérir reste un obstacle entre eux. Pas tant que cela cependant puisque la narratrice finit par prendre goût au luxe et étouffe son envie de révolte. En fait elle devient en quelque sorte sa complice. La métamorphose de Tolbold ne me paraît pas convaincante. Elle est artificielle et franchement décevante.

    Le titre est significatif. C'est une question vieille comme le monde que celle qui met en présence quelqu’un qui a réussi et souhaite le faire savoir et celui qui en est chargé par l'écrit contre de l'argent. Le lien de subordination saute aux yeux et c'est tout l'enjeu de cette « relation ». Pourtant, même si le style de ce roman est alerte et agréable à lire, je ne suis que très peu entré dans ce livre, j'ai même ressenti une certaine répulsion pour cette ambiance malsaine même si elle est révélatrice de l'espèce humaine. Je n'ai guère apprécié l’écrivain dans son rôle de courtisan. J’avais aimé « Le pouvoir des mouches » (La Feuille Volante n° 833), je ne suis pas entré dans la démarche créatrice de celui-ci, mais peut-être suis-je passé à côté de quelque chose ?.

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  • La puissance des mouches

    N°833 – Novembre 2014.

    La puissance des mouches – Lydie SalvayreLe Seuil.

    « Familles, je vous hais » cet apophtegme d'André Gide pourrait servir d’exergue à ce roman, et pas que la famille d'ailleurs. Jugez plutôt.

    Il est des personnages de roman qui n'ont vraiment pas de chance. Le héro de celui-ci est non seulement un meurtrier mais quand il s'adresse au juge d'instruction d'une manière un peu cavalière il est vrai, celui-ci ne peut que lui trouver des circonstances atténuantes. Il poursuit d'ailleurs ce dialogue avec l'infirmier de la prison, le psychiatre chargé d'évaluer son degré de responsabilité, l'avocat chargé de le défendre. En fait c'est une sorte de monologue, conséquence de questions posées mais qu'on ne connaît pas .

    Apparemment le narrateur qui est aussi l'accusé a été conçu à la suite d'un viol puisque son père, gardien du camp d'Argelès après la défaite républicaine espagnole, a d'un seul coup dépucelé et engrossé sa mère. Le couple qu'ils forment n'a rien d'idyllique, lui devenant un tyran domestique brutal et borné et elle une femme soumise et bientôt martyre. Ce fils a donc de qui tenir ! Pourtant il a fait ce qu'il a pu pour être différent de ce père. La preuve il lit Pascal simplement peut-être parce qu'il est guide au musée de Port-Royal, mais peut-être aussi parce qu'il aime lire, tout simplement. Pourtant la pensée de ce philosophe ne l'a pas empêché de devenir un meurtrier même si la victime n'est pas forcément celle qu'on à laquelle on s'attend.

    C'est vrai que son existence est minable même si ce n'est pas vraiment de sa faute, coincé entre une épouse sans intérêt et un travail certes passionnant mais encadré par de petits chefs suffisants et condescendants qui lui font constamment sentir sa condition d'inférieur. Et comme si cela ne suffisait pas, il doit aussi faire face aux hommes importants qui parfois passent dans sa vie, mais sans le voir, il doit aussi supporter des visiteurs ignorants ou trop érudits, et même ses collègues. Bref, il méprise tout le monde et finit par soliloquer et par s'adonner à la boisson. La haine qu'il conçoit de tout cela a « la puissance des mouches »selon l'expression du même Pascal. On peut supposer que c'est cette haine des autres qui l'a amené à tuer mais en réalité on n’est sûr de rien, un peu comme lui sans doute, comme s'il cherchait lui aussi la raison de son geste. Ce dont on est sûr seulement c'est qu'il est un meurtrier.

    C'est un personnage complexe pourtant que ce criminel et on a du mal à suivre son raisonnement. Qu'il haïsse l'espèce humaine ce n'est sans doute pas extraordinaire dans son cas, mais qu'il choisisse, dans ces conditions, Pascal comme livre de chevet est sans doute un peu étonnant. Et puis « prendre appui sur le néant » comme il dit, c'est un règle de vie que j'ai un peu de mal à comprendre. Si j'avais à être juré dans son procès, j’aurais sans doute du mal à m'y retrouver pour sanctionner un geste certes condamnable mais que son enfance et sa vie, sans l'excuser, pouvait largement l'expliquer.

    Je ne connaissais pas cette auteur dont c'est le quatrième roman. J'ai bien aimé le ton sur lequel elle décline cette intrigue autant que le suspens qu'elle distille tout au long de ces pages. Avec elle, le roman policier prend une dimension psychologique que je préférerai toujours aux polars sanguinolents.

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  • L'OR

    N°831 – Novembre 2014.

    L'OR Blaise Cendras- Folio.(Grasset 1925)

    Il est des romans dont le seul nom de l'auteur est une invitation à la lecture. Dans ma bibliothèque idéale Cendras reste un écrivain emblématique peut-être à cause de son parcours personnel, peut-être à cause de l'importance et la diversité de son œuvre ou des commentaires qu'elle a suscités.

    Il s'agit ici d'une biographie romancée, celle de Johann August Sutter (1803-1880) un Suisse parti de rien qui s’exila aux États-Unis en 1834 et fonda, après pas mal de déboires, en Californie alors mexicaine, un vaste domaine agricole. Son nom est associé à la « ruée vers l'or » qui ne fit cependant pas sa fortune. Il mourut en effet ruiné, bien qu'on trouva de l'or sur ses terres, incapable de s'adapter à cette nouvelle vie de prospecteur et aussi victime de spéculateurs, de voleurs et de procès.

    Sous la plume de Cendras cet aventurier perd un « t » dans son nom mais gagne le grade de général, s'établit effectivement en Californie où il a le même destin que son modèle. Il meurt fou à Washington.

    Écrit en quelques jours ce roman fut un succès et l'auteur abandonna son écriture poétique pour adopter ce nouveau style romanesque. La vie de cet authentique homme d'affaires et aventurier ne pouvait laisser Cendras indifférent, lui dont la vie s'est déroulée sous le signe de la découverte et de l'aventure.

    Le personnage de Baise Cendras m'a toujours fasciné mais j'avoue avoir été un peu déçu par le style. La phrase est simple mais dans mon souvenir elle était plus travaillée, moins spontanée. Après tout c'est peut-être le but recherché pour instillé un rythme à travers le texte. Pour autant ce bref roman est une nouvelle occasion de réfléchir sur la vie, la richesse, les choses acquises, la splendeur et la décadence d'un personnage, le passage sur terre de chacun d'entre nous, l'énergie qu'on déploie pour réussir puisque c'est paraît-il le but de l'existence et la trace que nous pouvons laisser après nous.

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  • LES NOUVELLES AFFAIRES DU JUGE TI

    N°829 – Novembre 2014.

    LES NOUVELLES AFFAIRES DU JUGE TI Zhu Xiao Di – 10/18.

    Traduit de l'américain par Anne Krief.

    Il y a quelques années, j'ai fait la « connaissance » du juge Ti (de son vrai nom Ti Jen-tsie 630-700)à travers les écrits de Robert Van Gulik et de Frédéric Lenormand et je me suis félicité de cette rencontre. Chaque roman était un grand moment de lecture tant le parcours de cet homme qui a réellement existé était passionnant. Comme il l'auteur le dit lui-même dans ses « remerciements », il était bien normal que ce fût un Chinois, même de nationalité américaine qui s'approprie ce personnage que la télévision chinoise fait régulièrement revivre.

    A travers ces nouvelles, j'ai eu plaisir à retrouver cet étonnant magistrat, homme de son temps, vivant avec ses trois épouses et personnalisant la justice chinoise dans ses procédures et ses sanctions (bastonnade, torture et mise à mort). Il se révèle être un homme de bon sens, un enquêteur efficace, un fonctionnaire intègre, un confucianiste convaincu, un être cultivé, motivé par son seul devoir et soucieux de rendre une bonne justice au nom de l'Empereur. Il deviendra plus tard ministre de la justice. Il mène ses enquêtes et ses interrogatoires avec un pragmatisme qui n'a d'égal que sa volonté de déjouer les crimes et les délits les mieux dissimulés tout en ne s'en laissant pas conter. Il incarne l'autorité qui doit émaner du tribunal qu'il dirige. Nous le voyons évoluer dans la société chinoise de cette époque, avec ses rites, ses règles, ses coutumes qui régissent la vie sociale autant que la famille dans cette Chine fascinante.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES SENTIERS DE LA GLOIRE

    N°283 – Novembre 2007

    LES SENTIERS DE LA GLOIRE- Stanley KUBRICK. [ARTE Diffusion le 8/11/2007]

    « Le pire, c'est la guerre » a dit récemment un ministre.

    C'est effectivement ce qui peut arriver de pire à un pays, à une nation, à une civilisation, mais le pire, dans cette situation, c'est sans doute que la guerre soit dévolue à des militaires, d'autant qu'à l'époque, c'est au Peuple français qu'on a confié le soin de défendre le sol national. Au nom de la conscription, on est donc allé chercher des hommes qu'on a instruit dans l'usage des armes, qu'on a habillé et mis en condition.

    Ces citoyens sont donc devenus des soldats. Jusque là, rien à dire, mais le pire, sans doute, c'est que ces pauvres gens ont été livrés à l'incompétence de militaires de carrière, des généraux aux idées d'un autre âge, mus par la seule volonté d'obtenir un avancement, une décoration, une citation, une étoile, que le sacrifice de « leurs » soldats serait capable de leur assurer. Ce qu'ils souhaitaient c'était se faire valoir vis à vis de leur hiérarchie, et pour cela, ils ont joué avec eux, c'est à dire avec leur vie, comme on manipule des soldats de plomb, avec tout l'inconscience et l'humanité qui sied à des gens qui veulent faire prévaloir le paraître sur l'être. C'est qu'ils ont bien souvent conquis leurs galons, non par leur valeur, mais par leur capacité de flagornerie, de délation, de nuisance. Le pire, c'est que, ne devant leur place qu'à leurs bassesses, ils n'hésitent pas, pour la conserver, à trahir leurs amis, devenus ainsi leurs concurrents dans cette course effrénée aux honneurs, à la reconnaissance. Leur poste, qu'il faut impérativement conserver, ils le doivent à leurs nombreuses compromissions et trahisons qui émaillent leur parcours, mais peu leur importe, ce décor, patiemment tissé dans l'ombre de la médiocrité, ne saurait être balayé par un plus vertueux qu'eux. Ils sont responsables, disent-ils, de leurs hommes, mais c'est au nom de cette responsabilité, mais aussi pour obéir à des ordres impossibles à exécuter, parce que concoctés par des hommes coupés des réalités, mais dont ils n'osent contester le bien-fondé, qu'ils vont obéir, c'est à dire sacrifier inutilement des vies humaines. Dès lors, que devient l'amour de la Patrie, la nécessaire défense du pays?

    Alors, au nom de la discipline, ils mettent en place cette parodie meurtrière pour le seul bénéfice de leur carrière en n'oubliant pas de ressortir les vieilles rengaines sur le patriotisme, avec tout ce qu'il faut de paternalisme pour faire plus authentique. Même s'il faut, pour cela, que des Français tirent sur des Français! Ce film ne le montre pas, mais il était, je crois, d'usage d'y ajouter de larges rasades de gnôle pour exciter les hommes où leur faire perdre le sens du danger.

    Bien entendu, quand l'affaire tourne au fiasco, ce qui est inévitable, il convient de trouver des responsables. Alors, pour faire bonne mesure, mais surtout pour masquer les vraies responsabilités, on accuse de traîtrise, de désertion, de refus d'exécuter les ordres, ceux-là mêmes dont on souhaitait se servir. Et bien entendu, pour l'exemple, on en fusille quelques-uns, en évitant de prendre en compte les réalités du combat et parfois l'attitude héroïque des accusés, en laissant au hasard ou à la vengeance personnelle le soin de désigner ceux qui seront sacrifiés. On ne prend même pas le soin d'un vrai procès, dans cette mascarade où les décisions sont prises à l'avance. Dans cette affaire, il ne saurait être question de sanctionner les vrais coupables. Il ne peut s'agir que de sans grades qui ne peuvent se défendre et en aucune façon, d'officiers.

    Seul Kirk Douglas apporte une note d'humanité et de justice dans cette pantalonnade qui serait comique si elle n'était fatale.

    Mais , l'aveuglement de cette hiérarchie n'est pas seulement l'apanage de l'armée. Il y a certes la dénonciation des bassesses des intermédiaires, désireux, eux aussi, de faire porter la responsabilité des fautes sur les plus petits qu'eux, mais, il m'apparaît que ce film n'est pas seulement anti-militariste et que son auteur a voulu donner à voir une facette de la condition humaine. Après tout, dans toute son œuvre Kubrick a voulu déranger et mettre à mal toutes les idées reçues sur la société. Ce long métrage lui-même, bien que de 1957, n'a été connu en France qu'en 1972. Tout au long de ce film, le spectateur éprouve de la compassion pour les soldats, pour leurs souffrances, leur sacrifice, mais il y a pire. A la fin, la sentence prononcée, on les oblige à assister à l'exécution de leurs camarades et, pour ceux qui font partie du peloton, à y participer. La dernière scène du film me paraît révélatrice. On y voit ces soldats ivres qui viennent d'être témoins de l'assassinat légal de leurs compagnons d'infortune, verser des larmes en écoutant la triste complainte d'une chanteuse allemande. La guerre les a peut-être déshumanisés, mais je crois plutôt que Kubrick choisit de montrer ce que les hommes en général ont de méprisable.

    Ce film est bien nommé. La gloire, on peut l'habiller comme on veut, mais pour y accéder, ce ne sont pas des boulevards, des avenues, mais bien des sentiers, tortueux, cahoteux, boboueux.

    © Hervé GAUTIER - Novembre 2007.

    http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • LA GRANDE ILLUSION

    N°830 – Novembre 2014.

    LA GRANDE ILLUSION Jean Renoir (1937).

    Pendant la Grande Guerre, l'avion du lieutenant Maréchal (Jean Gabin) et du capitaine de Boëldieu (Pierre Fresnay) est abattu par le commandant Von Rauffenstein (Eric Von Stroheim), un aristocrate raffiné connaissant la famille du capitaine. Faits prisonniers les deux officiers français sont envoyés dans un camp en Allemagne où il retrouvent des soldats alliés de toutes nationalités, de tous grades et de tous milieux sociaux. La vie s'organise et aussi leur future évasion mais la veille de celle-ci, Maréchal et Boëldieu sont transférés dans une citadelle commandée par Von Rauffenstein devenu inapte au service à la suite d'une grave blessure. Les deux officiers aristocrates sympathisent en raison de leur milieu tandis que Maréchal, ancien ouvrier et le lieutenant Rosenthal, fils de banquier juif, rêvent d'évasion. Le devoir de tout prisonnier de guerre est de s'évader mais le sens de l'honneur de Boëldieu le pousse à se sacrifier pour favoriser la fuite des deux autres français. Le capitaine sera tué par le commandant du camp, victime en quelque sorte de son devoir. L'attitude du capitaine est une forme de rébellion contre les Allemands, il participe à sa manière à l'évasion des deux autres mais respecte une parole d'honneur qu'il n'a pas vraiment donnée au commandant de ne pas chercher à s'évader. Ils appartiennent à la même caste et à ce titre se lient d'amitié.

    Les fuyards, épuisés seront recueillis dans une ferme par Elsa qui élève seule sa fille. Toute sa famille est morte au cours de cette guerre. Maréchal tombe amoureux d'Elsa, songe à rester avec elle mais se résout au départ tout en lui promettant de revenir s'il survit et atteint la Suisse. Ils réussissent dans leur entreprise mais le film se termine sans qu'on sache si Maréchal revient vers Elsa, s'il respecte lui aussi la parole qu'il lui a donnée.

    Ce film met en scène des personnages très marqués par leur milieu social, Maréchal est un prolétaire promu officier, Von Rauffenstein et Boëldieu sont deux aristocrates engoncés dans leurs préjugés de classe, Rosenthal est fils d'un banquier, juif de surcroît. Lors de leur première incarcération, les hommes de tous les grades et de tous les milieux sont en situation de concentration. On peut comprendre que l'aristocratie, transcende les frontières alors qu'il y a plus d'affinités entre les autres classes sociales et que le devoir de combattre et de résister est plus important dans leur cas. Pourtant, il y a quand même une sorte de solidarité née du travail quand les officiers français et allemands sympathisent autour d’une table et apprennent qu'ils ont travaillé dans la même branche de l'industrie. Je note que ce film n'est pas antisémite puisque Rosenthal est présenté sous un jour favorable.

    Nos sommes en 1914-1918 et les camps de prisonniers présentés n'ont rien des camps nazis du conflit suivant. Les gardiens allemands font même preuve d'une certaine bonhomie. Ce n'est pas non plus un film de guerre puisqu'il n'y a aucune scène de combat.

    Reste la signification de ce titre. Le film met en scène des personnes appartenant à des groupes sociaux différents qui sont censés être animés des mêmes idéaux. La guerre, comme l’ancien service militaire, est censée rapprocher des hommes qui en temps ordinaire s'ignorent ou se combattent. D'autre part, ce conflit à amené des gens, souvent d'une même caste mais appartenant de deux pays belligérants à se combattre alors qu'ils n'en avaient pas envie. Il n'y a d'ailleurs pas de haine entre les prisonniers et les gardiens et seul le sacrifice de Boëldieu répond à un sens de l'honneur. On n'oubliera pas non plus que Maréchal espère par deux fois que cette guerre sera la dernière et que Rosenthal lui répond en invoquant « une illusion ». Nous sommes en 1937 et la montée du nazisme laisse entrevoir le prochain conflit.

    Ce film qui s'inscrit parfaitement dans le centenaire de la Grande Guerre est considéré à juste titre comme un chef-d’œuvre, couronné notamment à la Mostra de Venise en 1937. A titre personnel, je retiens le rôle magistralement tenu par Pierre Freynay.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

    N°828 – Novembre 2014.

    Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier Patrick Modiano- Gallimard.

    Saint-Augustin conseillait qu'on se méfiât de l'homme d'un seul livre. Pour ma part, j'ai toujours pensé que ce concept d’unicité dans la création était probablement la marque des grands écrivains. Ils explorent ainsi, et pendant longtemps, avec patience et détermination, leur inconscient, exprimant par l'écriture une œuvre parfois protéiforme mais qui en réalité est une quête intime, une sorte d'obsession qui les tenaille et dans laquelle peut-être le lecteur peut se retrouver. Ce travail sur soi me paraît respectable quand il est mené sincèrement et c'est le cas pour Patrick Modiano. En lui décernant le Nobel de littérature, l'Académie suédoise a consacré cette démarche de la mémoire et de la quête personnelle en le comparant à Marcel Proust, on ne peut rêver meilleure référence ! Grâce à lui, qui a eu sans doute, comme à son habitude, du mal à exprimer avec des paroles ce qui lui arrivait, la France, pays de Victor Hugo et de Voltaire, retrouve une place qu'elle n'aurait jamais dû quitter dans le domaine de la culture. Il nous reste au moins cela quand tout s’effondre dans notre beau pays !

    Avec ce roman, Modiano, qui a fait depuis longtemps l'objet d'attention et de commentaires dans cette chronique, explore à nouveau sa mémoire individuelle et à travers elle son enfance. Qui est donc ce Jean Daragane, écrivain sexagénaire et solitaire qui n'écrit plus mais lit Buffon ? Son enfance à Saint-Leu-La-Forêt, il a choisi de l'oublier jusqu'à la découverte fortuite d'un carnet d'adresses, selon lui « une piqûre d’insecte » où figure le nom de Guy Torstel, un détail anodin mais qui va cependant faire revenir à lui un passé qu'il croyait révolu et faire revivre les fantômes qu'il avait croisés dans les années 1950 et 1960. Peu à peu les choses s'éclaircissent, le passé s'estompe pour laisser place au souvenir. C'est aussi le réveil de la trace presque effacée d'une femme, Annie Astrand qui fut pour lui une mère de substitution et plus tard peut-être davantage parce que sa mère l'avait abandonné. C'est vers elle que convergent des lieux aussi différents que Saint-Leu-La-Forêt, le poste frontière de Vintimille, le Tremblay , le square Graisivaudan...

    C'est aussi le souvenir un peu estompé d'un roman d'amour écrit par Daragane à l'âge de vingt ans. C'était sa première œuvre qui peut parfois être gauche mais qui bien souvent est le résultat de ce qu'on porte en soi depuis longtemps et qu'on exprime avec son cœur parce qu'ainsi les mots sont un message [« Écrire un livre, c'était aussi, pour lui, lancer des appels de phare ou des signaux de morse à l'intention de certaines personnes dont il ignorait ce qu'elles étaient devenues. Il suffisait de semer leurs noms au hasard des pages et d'attendre qu'elles donnent enfin de leurs nouvelles »]. Ce roman est une bouteille à la mer dont l’auteur a brouillé un peu les pistes mais pas suffisamment quand même pour qu'Annie Astrand puisse se reconnaître. Qui est ce mystérieux Guy Ottolini qui en sait apparemment beaucoup sur Daragane et souhaite son aide pour un travail d'écriture ?

    Dans ce roman comme dans tous les autres, le lecteur perd un peu le fil de l'histoire mais peu importe. Le passé et le présent sont comme cette « piqûre d'insecte » qui sert de prétexte à la résurgence de la mémoire, même si on ne le souhaite guère ou si on ne s'y attend pas. Les personnages ont quelque chose d'évanescent, d'insaisissable, ils sont comme absents ou de simplement de passage et désireux de ne pas s'attarder, comme si leur rôle se limitait à de la figuration. Ils ont une attitude énigmatique, donnent l'impression de se méfier les uns des autres, certains comme Annie Astrand sont même entourés d'un halo inquiétant fait de difficultés avec la police ou de séjour en prison, les scènes semblent être suspendues dans le temps, dans l'espace. Les questions sont parfois sans réponses et le lecteur à le sentiment d'être le témoin de séquences intemporelles ou qui devraient restées secrètes. On retrouve cette petite musique à la fois nostalgique, touchante et pour moi toujours attachante, l'atmosphère que Modiano sait si bien tisser dans ses livres, cette ambiance un peu floue, mystérieuses voire inquiétantes qui naît de ces morceaux de puzzle lointains qui peu à peu trouvent leur place et que cette écriture simple mais poétique contribue à créer. Le passé y insinue sa fragrance un peu surannée mais pas si désagréable que cela cependant. C'est le fil d'Ariane de son œuvre et j'ai toujours plaisir à le suivre.

    Le livre refermé, j'ai toujours la même impression de vide ou d'un certain malaise tissé par la lecture. Pour moi, l'auteur traduit bien avec ses mots ce que sont les bribes de souvenirs qui, pour chacun d'entre nous, émergent du passé à l'occasion d'une évocation, d'un nom, d'une image. C'est là la signature de Modiano, peut-être aussi la marque de mon existence personnelle et c'est sûrement en m'accrochant à cette apparente vacuité qui pourtant m'est familière que je me retrouve dans son écriture et dans son univers romanesque si particulier.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE GRAND MEAULNES

    N°827 – Novembre 2014.

    LE GRAND MEAULNES Alain-Fournier – Éditions G.P.

    Je relis une nouvelle fois avec émotion ce roman qui a enchanté mon adolescence déjà lointaine et ce dans la collection « Rouge et or » aux pages un peu passées puisque ce livre ne m'a jamais vraiment quitté. Il est sans doute de ces romans dont on a du mal à se défaire, sans d’ailleurs en connaître la vraie raison, peut-être à cause de l'histoire, peut-être à cause de son auteur, de toutes les adaptations et commentaires qui en ont été faits et qui l'ont transformé en une œuvre mythique, peut-être à cause de soi aussi puisqu'on peut aisément s'y retrouver ou peut-être simplement pour tout autre chose, allez savoir !

    Il est parfaitement inutile de résumer ce roman publié en 1913 et que tout le monde connaît. Ce que je retiens entre autre de cet ouvrage largement autobiographique, c'est qu'il est l'unique œuvre de cet auteur mort trop tôt dans les premiers jours de la Grande Guerre, à l'âge de 28 ans. C'est un livre sur le passage de l'adolescence à l'âge adulte, avec tous les renoncements et les fantasmes qu’impliquent cette difficile période. C'est un ouvrage qui met en scène un adolescent, plus vieux que le fils des instituteurs chez qui il est temporairement hébergé. Il arrive dans cette école, en rompt la monotonie et fascine François Seurel, le fils de ces maîtres d'école ainsi que les autres élèves qui le baptisent aussitôt « Le grand Meaulnes ». A son personnage s'attache le mystère, de sa disparition d'abord, de cette « fête étrange » dans ce château mystérieux, de cette jeune fille dont il tombe éperdument amoureux et de la quête qu'il mène. Même quand il devient adulte, il a un comportement bizarre qui rappelle quelque peu l'adolescence, notamment sa fuite après son mariage et d'une certaine façon son refus de son rôle de père. Cela a fait dire qu'il refuse de grandir et qu'il développe le « syndrome de Peter Pan » et cela doit bien correspondre à une certaine réalité. J'y vois aussi une fascination pour la femme incarnée par Yvonne de Galais, elle est à la fois l’image de l'amour qu'elle inspire à Meaulnes mais aussi une forme d'impossibilité de le réaliser. C'est le premier amour qu'on n'oublie jamais, qu'on idéalise mais qui souvent nous échappe. Pour lui comme pour Frantz, le frère d'Yvonne, la femme, Valentine, reste inaccessible, tout comme le bonheur, sans doute !

    Dans ce roman il y a aussi la présence de la mort, sans doute un peu anachronique dans le contexte mais qui rappelle au lecteur que malgré tout, cet amour entre Yvonne de Galais et Meaulnes est impossible, miné peut-être par la culpabilité, comme l'était sans doute celui d’Alain (Henri de son vrai prénom) Fournier et Yvonne de Quiévrecourt qui se mariera, mais pas avec lui. Plus tard il rencontrera Jeanne Bruneau mais pas l'amour avec elle et ils se sépareront. Il devra mettre fin également à la liaison passionnée qu'il avait eue avec Pauline Benda qui était une femme mariée. C'est à partir de ce moment qu'il se met à l'écriture de cet unique roman qu'il portait en lui probablement depuis longtemps. C'est sans doute symboliquement qu'il fait mourir Yvonne de Galais et Valentine est définitivement perdue. Quant à lui, il n'a plus que quelques mois à vivre. Nous savons tous que l'écriture a cette merveilleuse fonction d'enjoliver le présent et aussi de nous le faire accepter, d'être une catharsis.  Quant à François Seurel, il joue un rôle à la fois passif au début puis de confident, d'un témoins compatissant et même de bon samaritain au fur et à mesure du roman. Il est l'image de l'amitié fidèle, d'une forme de solitude et peut-être aussi d'un certain détachement de la passion amoureuse.

    L'écriture est fluide, poétique, elle dessine un univers onirique où le sommeil tient une grande place, un décor romantique, à la fois anachronique et enchanteur qui fascine le lecteur.

    Je veux aussi retenir de ce roman dont le destin littéraire est exceptionnel, le sort que lui a fait l'académie Goncourt en lui préférant, en 1913, un auteur qu'on a complètement oublié. Au moins Alain-Fournier eut-il la consolation d'être, à juste titre, couronné par la critique. Je suis toujours révolté par ceux qui sont morts jeunes, c'est à la fois un gâchis, une injustice, une source définitive de douleurs pour ceux qui restent. Dans le cas d'Alain-Fournier, mort pour la défense de son pays, la Camarde a conféré à cette œuvre, unique à bien des titres, une aura qui l'a inscrite dans notre mémoire et dans notre patrimoine collectif. Rares sont les écrivains qui peuvent ainsi se targuer d'une telle consécration.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CADRES NOIRS

     

    N°826 – Novembre 2014.

     

    CADRES NOIRS Pierre Lemaitre- Calmann-lévy.

     

    Dans la série « on vit une époque formidable » et « la situation ne peut que s'améliorer », voici Alain Delambre, 57 ans, cadre au chômage depuis 4 ans. Non seulement se retrouver sans emploi à un âge où on commence à compter ses points de retraite est délicat mais encore devoir accepter des petits boulots subalternes sous l'autorité bornée de « petits chefs » quand on a exercé des responsabilités, c'est carrément déprimant ! Il faut même cacher la réalité à sa famille et ce n'est pas le plus facile. Alors quand arrive une convocation pour un entretient d'embauche on se pince, on cherche l'erreur, on se met à croire au miracle … et on reprend espoir ! Sauf que, nous le savons, les miracles ça ne marche qu'à Lourdes et que la société dans laquelle nous vivons n'a rien d'angélique, c'est un panier de crabes où chacun défend égoïstement ses intérêts, entre démagogie, mensonges, humiliations et manipulations, les paroles y sont comme les promesses électorales, elles n'engagent que ceux qui les croient. Pour le reste il faut bien s'adapter et quand une proposition se présente, il ne faut pas trop hésiter, il faut y croire très fort, ou faire semblant, parce que là le travail est vital et s'il le refuse d'autres sont là pour l'accepter sans états d'âme !

     

    Ce qui sert d'examen d'embauche pour Delambre a quelque chose de surréaliste. Le voilà engagé comme assistant RH dans une grande entreprise, chargé de tester des cadres supérieurs dans une situation d'urgence, en réalité une sorte de jeu de rôle, quelque chose comme un « test de Milgram », mais qui va mal tourner. Les apparences sont trompeuses, les choses peuvent s'inverser et déraper et les tests réservent parfois des surprises ! Quant au rôle que joue Delambre dans cette affaire, celui d'un cadre-senior au chômage victime de la crise, cela laisse perplexe et on peut penser qu'il s'y est quand même mal pris.

     

    Il y a beaucoup de machiavélisme dans cette histoire, de jeu de pouvoir, de désespoir, de mystification aussi dans ce « monde impitoyable »du travail. Mais dans un roman de Lemaitre, c'est comme avec la pub, « c'est pas fini » et le lecteur n'est pas à l'abri de ses surprises. L'épilogue est étonnant, pas tant que cela cependant, et la morale qu'il nous chuchote illustre un grand classique de la condition humaine.

     

    J'ai retrouvé avec plaisir le style enlevé de Lemaitre, avec ce sens de la formule que j'avais déjà aimé dans les romans précédents. J'ai quand même noté des longueurs dans un livre qui pourtant est agréable à lire. Il tient en haleine son lecteur jusqu'à la fin.

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • MESSE NOIRE

    N°825 – Novembre 2014.

     

    MESSE NOIRE Olivier Barde-Cabuçon- Actes sud.

     

    L'histoire a retenu l'affaire des Poisons sous le règne de Louis XIV qui avait ébranlé la couronne et le roi lui-même, en faisant brûler les minutes et les procès-verbaux de ce procès, avait souhaité que l'oubli recouvre ce scandale. Pourtant, nous sommes sous le règne de Louis XV et il semblerait qu'on n'ait pas perdu ces mauvaises habitudes ésotériques puisqu'on vient de découvrir, dans un cimetière parisien le cadavre d'une jeune fille accompagné d'indices d'une messe noire. Qu'elle ait été droguée fait réapparaître le fantôme de la Voisin. Tel est le début d'une enquête que Sartine, lieutenant-général de police fort soucieux de l'ordre public et grand amateur de perruques confie à Volney, commissaire aux morts étranges. Lui et son énigmatique compagnon, un moine hérétique qui est aussi médecin légiste, au demeurant un peu trop préoccupé par son propre vieillissement, vont ainsi être confrontés aux forces obscures. Sartine, toujours aussi suspicieux va leur adjoindre la jeune, jolie mais mystérieuse Hélène de Troie, un nom qui en dit assez long sur ses intentions et sur sa réputation de tout savoir sur tout, même s'il ne fait en réalité confiance à personne et que le secret est la règle. Pire peut-être, quand il charge ses agents d'une enquête, il ne leur donne pas toutes les informations dont il dispose ! Il est aussi présenté ici comme un intriguant sans grands scrupules.

     

    Nous voyageons dans ce Paris du XVIII° siècle à la fois bruyant, interlope et inquiétant, cela j'ai bien aimé. C'est vrai aussi que le thème choisi nous fait pénétrer de plain-pied dans la magie, qu'elle soit blanche ou noire, dans l'ésotérisme, ses rituels, ses envoûtements, ses sorcières, ses sabbats, ses messes noires... C'est instructif mais ce n'est guère rassurant et cela réveille en nous sûrement des souvenirs enfouis sous un cartésianisme de bon aloi mais où se mêlent intimement curiosité et peur de l'inconnu. Je veux bien que nous soyons dans une fiction où bien des choses sont permises et où la réalité n'est pas forcément respectée, mais faire progresser une enquête judiciaire qui devrait en principe être une chose sérieuse en se basant sur l'interprétation des rêves me parait un peu artificiel. Il en est de même des révélations post-mortem faites en songe par un cadavre. Je veux bien qu'à l'époque on ne jurait que par Dieu et par son enseignement [« Dieu se sert des rêves afin que l'homme puisse voir à travers les ténèbres »], je veux bien aussi que l'oniromancie existe, mais quand même !

     

    A propos de ce roman, nous remontons le temps, nous en apprenons un peu plus sur la société de l'époque, ce qui pour moi est passionnant, sur la Cour royale et sur les scandales qu'elle abritait et parfois cachait, sur les luttes de pouvoirs qui existaient en son sein... L'espèce humaine qui ne recule devant rien pour obtenir ce qu'elle veut, n'y était pas plus fréquentable qu'elle ne l'est aujourd’hui...

     

    Il y a aussi le personnage énigmatique d'Hélène qui est, comme son nom l'indique, un vrai cheval de Troie au service du Sartine et peut-être d'une autre personne. Elle est la fois une habille séductrice et une collaboratrice zélée des policiers sans qu'on sache très bien où se trouve la frontière de ces deux rôles. Cela au moins, avec les morts qui se multiplient au cours de cette enquête et les interrogations qui vont avec, les substitutions de cadavres, les décès qui n'en sont pas vraiment, et les questions relatives à la paternité, les manipulations des uns et des autres, les rôles troubles de chacun des intervenants, entretient le suspens jusqu'à la fin.

     

    J'avais déjà lu du même auteur « Tuez qui vous voulez » (La Feuille Volante n° 817) et j'avais bien aimé, mais là, je dois dire que je serai un peu plus réservé.

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE PETIT PRINCE

    N°824 – Novembre 2014.

    LE PETIT PRINCE Antoine de Saint-Exupéry - Gallimard.

    Je relis une nouvelle fois ce texte que le monde entier connaît puisqu’il a été abondamment traduit dans de nombreuses langues. Parce qu'il met en scène un garçonnet blond un peu naïf qui est tombé du ciel et qui pose des questions inattendues, il a été présenté comme un conte pour enfants. Mais en est -ce vraiment un ? Certes le style dans le quel il est écrit semble s'adresser à eux et épouse même leur manière de s'exprimer. Les histoires merveilleuses qu'il renferme sont parfaitement imaginaires et s’accordent avec leur univers. Les aquarelles qui les accompagnent illustrent cette impression. Ces aventures de boas, d'éléphants, de moutons appartiennent à un bestiaire qui ne les laisse pas indifférents tout comme ce renard et ce serpent qui parlent, mais quand même !

    Il est écrit par un homme qui garde de son enfance douillette un souvenir nostalgique et qui portait en lui ce livre depuis bien longtemps. Il est aussi un pilote, un homme tombé du ciel, mais dans un contexte où il risque sa vie. C'est sans doute une manière dire nous dire que dans ce monde il n'est pas vraiment à sa place, qu'il s'y sent mal, qu'il n'y est, comme chacun d'entre nous, que de passage, comme ce petit garçon tombé de l’astéroïde B 612 ! Quand il parle au pilote de son périple avant d'arriver sur terre il prend soin de préciser « Les grandes personnes, bien sûr, ne vous croiront pas »

    Il est dédié à une grande personne, son ami l'écrivain Léon Werth et le personnage secondaire, le pilote-témoin est un vrai homme qui écoute, parfois distraitement, ce que dit le garçon. Son métier l'a amené dans le désert qu'il a beaucoup survolé et où il a parfois été contraint de se poser en catastrophe. C'est plutôt un lieu de recueillement pour les adultes, Jésus, le père de Foucault y ont trouvé refuge pour réfléchir et orienter leur vie. C'est quelque chose comme un long poème en prose mais où se sont glissées des réflexions en forme d'aphorismes pour adultes sur l'amour, sur l'amitié, sur les travers de l'humanité et de ses préoccupations futiles, le prix du bonheur, la trace qu'on laisse après sa mort[« J'aurai l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai »].... Quand il parle de sa rose, l'enfant fait tout autre chose qu'une référence à une simple fleur. Il y glisse des remarques de nature humaine, sur l'amour et sur l'éphémère. On peut y donner toutes les significations qu'on veut, moi j'y vois la fragilité des choses, des sentiments, des gens et de leur orgueil parfois destructeur, de l'amour aussi, bien sûr. St-Ex a connu une vie mouvementée jusque et y compris sur le plan sentimental et il n'est pas interdit d'y voir aussi un message personnel et même intime. Ce petit garçon parle vraiment comme un adulte surtout quand il se fait jardinier de sa planète ou ramoneur de volcans. Doit-on y voir des conseils de nature écologique (déjà). Ces histoires de graines de baobab qui envahiront sa planète s'il ne prend garde de les éliminer peut avoir une signification plus politique tout comme les trois arbres qui ont fini par coloniser l'espace en le détruisant. Il est convenu d'y voir les puissances de l'Axe (l’Allemagne, l'Italie et le Japon – nous sommes en pleine guerre quand le livre paraît). Le baobab est un arbre emblématique de l'Afrique. Il est le symbole de « l'urgence », du danger. On peut voir la fuite du temps dans ces couchers de soleil si prisés par le garçon ou dans la consigne de l'allumeur du réverbère. Le serpent et le renard qui sont ses interlocuteurs vont faire partie de son périple sur terre, ils l'accompagneront, le guideront, lui feront quitter cette planète pour retrouver la sienne, le symbole d'un passage qui pourrait bien ressembler à la mort, à sa recherche, à l'acceptation de celle-ci dont on a tant parlé pour St-Ex lui-même. (« Il n'y eut rien qu'un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit pas de bruit, à cause du sable ») -

    Ce texte a fait l'objet de beaucoup de commentaires et d'interprétations jusque et y compris par des universitaires. En tout cas il n'a laissé personne indifférents. Les maigres remarques qui sont les miennes ne sont que des impressions de simple lecteur, rien de plus. Elles mériteraient sans doute de ma part plus amples développements. C'est bizarre, ce texte a dû un peu déteindre sur moi depuis tout ce temps. Je suis allé récemment dans le sud marocain et face aux paysages d'ergs si simplement dessinés par St-Ex (« le plus beau et le plus triste paysage du monde »), j'y ai instinctivement cherché la trace de ce petit garçon aux cheveux d'or, j'avais tellement envie de croiser ne serait-ce que son regard et de pouvoir enfin écrire à son auteur «  qu'il est revenu » !

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DEUX SŒURS

    N°823 – Novembre 2014.

     

    DEUX SŒURS Dominique Bona - GRASSET

     

    Dominique Bona renoue une nouvelle fois avec sa passion de la biographie et de la peinture. Elle nous avait déjà passionnés avec la vie de Berthe Morisot (La Feuille Volante n°677), elle nous invite ici à découvrir celle d'Yvonne et de Christine Rouart nées toutes les deux Lerolle. Elles épouseront deux frères Rouart, Eugène et Louis, les fils d'une famille voisine et amie.

    On connaît les deux jeunes filles grâce à Renoir qui les a peintes (« Christine et Yvonne Lerolle au piano » - musée de l'Orangerie) Ce tableau donne à penser qu'elles connaissent le bonheur bourgeois à travers l'art de la musique et de la peinture. Leur père, Henry était en effet peintre d'inspiration symboliste, collectionneur avisé, découvreur de talents, ami d'artistes comme Debussy, Renoir , Pierre Louÿs ou Degas. C'est donc dans ce creuset culturel et familial qu'elles grandissent. Elles deviendront des icônes de l'Impressionnisme.

     

    Elles entrent par leur mariage dans le clan Rouart, leur beau-père Henri est capitaine d'industrie, inventeur scientifique de talent mais aussi riche collectionneur de tableaux, ami des artistes et peintre impressionniste lui-même. Il manque à cela sûrement la présence d'une femme puisqu'il est assez rapidement veuf ce qui donnera à cette famille ainsi tronquée un aspect un peu austère. Ces deux familles appartiennent donc à « la bourgeoisie éclairée par l'art ». Pour Christine et Yvonne, le bonheur de leur enfance semble vouloir se prolonger dans leur mariage respectif. Cependant, ces deux fils qui vont devenir leur mari ne sont pas à l'image de leurs parents, versés dans l'art. Ils sont impétueux, colériques, invivables. Ces deux sœurs qui se portent un amour authentiques vont ainsi être séparées, l'une restera à Paris, l'autre partira pour la région toulousaine et leur destin basculera, jusqu'à la tragédie.  Ce n'est en effet pas simple pour les deux fils Rouart de suivre les traces de leur illustre père. Eugène, le mari d'Yvonne est un personnage trouble, instable, fragile, indécis, un écrivain raté, quant à Louis, sa passion pour les jolies femmes et pour le vin de Bourgogne sonnera le glas de cette union.

     

    Dominique Bona sait raconter dans les moindres détails les différents moments privilégiés qui émaillent la vie de ces jeunes filles. On imagine le travail d'archiviste qui a dû être le sien pour rendre l'ambiance qui régnait au sein de ces familles, au point que le lecteur à l’impression d'en être le témoin privilégié. Comme toujours sa plume est alerte, précise et poétique. Ici elle choisit de nous révéler les talents différents de deux peintres(Henry Lerolle et Henri Rouart) dont le mémoire collective n'a pas vraiment retenu le nom dans le foisonnement créatif de leur époque. Elle le fait, à travers la présence discrète de ces deux sœurs à qui tout aurait pu sourire mais dont le destin a basculé. Avoir tout pour être heureux et finalement ne pas pouvoir l'être est souvent une caractéristique de la condition humaine. L'auteure nous fait pénétrer dans l'intimité de ces deux familles en n'omettant rien de ce qui fait leur originalité, leurs arcs en ciel comme leurs orages, notant avec la précision d'un scribe l’histoire intime de chacun, en société comme dans le huis-clos du foyer. Lire un de ses livres est non seulement une occasion d'en apprendre davantage sur le sujet proposé mais aussi de partager un style fort agréable. Je note d’ailleurs qu'elle a pris la précaution de joindre des arbres généalogiques et une galerie de personnages pour que son lecteur s'y retrouve dans ces filiations, ces alliances et ces amitiés parfois sulfureuses.

     

    L'auteure, récemment élue à l'Académie française (La feuille Volante n° 644), après avoir écrit dans le domaine de la fiction romanesque semble orienter ses travaux en direction des biographies mouvementées. Les vies d'artistes qu’elle nous propose sont à chaque fois une découverte et une invite à en connaître davantage. En ce qui me concerne, c'est toujours, et depuis longtemps, un bon moment de lecture.

     

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  • ON SAIT L'AUTRE

    N°821 – Octobre 2014.

    ON SAIT L'AUTRE Édith AzamP.O.L

    Des les premières pages, on sent comme une menace, l'autre peut aussi en être une. Pour cela le narrateur a fermé la porte à clé et veut les faire disparaître pour se protéger de cette venue inquiétante. L'autre pourtant ne vient pas mais son absence n'est pas pour autant rassurante, pire, elle est angoissante parce que violente(« C'est plus tard qu'il viendrait : avec sa hache, son coup de métal froid »). Pour le narrateur, cela devient même une obsession puisque cette éventuelle intrusion dans la maison le détermine à détruire tous ses carnets sauf un. C'est que cette crainte, même si elle n'existe que dans son imagination devient une hantise. Cet autre n'a pas de visage, c'est une sorte de potentialité, mais pour le narrateur cette virtualité est suffisante, il faut donc éviter tout contact avec les autres et même ne plus leur parler . Dès lors le silence est le seul possible, jusque dans la mort. Le narrateur semble donner une clé pour échapper à cette sorte de fatalité, c'est la poésie qui use de la langue mais sans volonté de domination sur autrui. Fort de cette remarque, il va entasser tous les livres de poèmes qu'il possède dans une valise qu'il va descendre à la cave. Là, il va se passer une métamorphose, comme un miracle et ces livres font se mettre à saigner pour prouver qu'ils sont vivants. Il va donc falloir les rassurer. Pour cela il va se coudre sur le corps les pages de ces livres.

    Et l'autre là-dedans ? Il se trouve qu'il est toujours présent dans la pensée du narrateur mais aussi qu'il a pris forme. Au début, le texte faisait mention de trois chevaux bien vivants (les chevalos). Progressivement, ils vont quitter leur apparence animale pour agir comme des hommes, ils jurent, ricanent, jouent à la roulette russe, fument des cigares et finalement incarnent « l'autre » quand la mort est proche. Je n'ai pas compris cette hantise qui revient sous forme d'images répétées (Les guêpes, les chevaux, les valises, des deux cœurs, le sang)

    J'avoue que ce texte, lu en ce qui me concerne avec difficulté tant le style est haché, me pose question. Cela est-il le symbole de la difficulté de vivre tout simplement. Est-ce le rejet de toute référence sociale, comme par exemple « la réussite » avec son cortège de manifestations tangibles et reconnues ? La peur constante des autres révèle les blessures de la vie même si « ce vieux corps usé » se réfugie dans la poésie et peut-être dans la mort ?

    Sur le principe, je ne suis pas opposé à cette manière de voir l'autre. Nous savons tous que nous devons nous en méfier, même s'il nous est proche. Dans ce cas de figure la trahison, le mensonge, l'hypocrisie font partie d'un jeu qui peut, à cause de l'autre, se retourner contre nous. Ce n'est pas pour paraphraser Sartre, mais bien souvent « l'enfer c'est les autres » même si nous vivons une époque où il convient de faire jouer la solidarité, l'entraide. Cependant, sur la forme, je n'ai que très peu goûté ce texte que j'ai lu comme une longue litanie mono-thématique, écrite, à mon goût d'une manière trop abrupte. J'ai voulu y voir une sorte de fatrasie, un délire verbal mais franchement je n'ai pas pu, malgré toute ma bonne volonté, entrer dans cet univers créatif. Une nouvelle fois je suis peut-être passé à côté de quelque chose mais ce moment de lecture n'a pas été pour moi ce qu'il doit être : un plaisir.

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  • ANTONIO OU LA RESISTANCE

    N°822 – Octobre 2014.

    ANTONIO OU LA RESISTANCE Valentine Goby – Ronan Badel- Éditions Autrement.

    On connaissait la Guerre d'Espagne vue par des écrivains engagés (Hemingway, Bernanos, Malraux...), à ma connaissance, ce conflit n'avait encore jamais été évoqué à travers les yeux d'un enfant. Nous sommes en 1939 après la victoire de Franco, Antonio, 12 ans, rejoint, avec sa mère et sa sœur, Jorge, son père interné en France au camp d'Argelès sur mer. Pour cela ils ont traversé les Pyrénées et sont internés dans un « Campo civil » réservé au femmes et aux enfants. Ces hommes n'étaient libérés que s'ils trouvaient du travail en France et la déclaration de guerre a vidé les campagnes, leur permettant ainsi d'échapper à l'enfermement. C'est heureusement ce qui arrive à Jorge.

    Nous connaissons tous les grandes batailles qui ont émaillé ce conflit, les noms de généraux, les exactions de part et d'autre mais bien entendu Antonio n'a vu que l'éclatement de sa famille, son père qui s'engage dans la Milice en 1936, son enfance volée par la guerre, les réfugiés qui fuient devant les troupes fascistes. Antonio n'est qu'un enfant mais il apprend vite le français qui lui servira plus tard quand toute la famille sera libre.

    Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que le républicains espagnols contre qui nous n'étions pas en guerre furent parqués comme des criminels dans le sud de la France dans des conditions indignes du « pays des droits de l'homme », au mépris des règles élémentaires de l'hospitalité et du respect de la personne humaine. Beaucoup y trouvèrent la mort à cause du froid, de la faim, des maladies et des mauvais traitements. On a parlé à ce sujet « des camps du mépris » ou même une partie de la population française locale a profité de la détresse de ces pauvres gens. Même séparés de leur famille, même maintenus prisonniers, ils n'ont pas perdu espoir en évitant le mensonge officiel qui voulait les faire revenir en Espagne où ils seraient immanquablement fusillés. Il faut aussi souligner qu'ils ne nous ont pas tenu rigueur de cette épreuve puisqu’ils ont pris une part active à la Résistance dans le cadre des FTP puisque ce combat contre le fascisme allemand était aussi le prolongement de leur guerre perdue. Ils se sont également engagés dans l'armée régulière puisqu'un contingent d'Espagnols, la 9° compagnie(la Nueve) de la 2°DB, a participé à la libération de la France et de Paris.

    On a minimisé et même un peu oublié le rôle joué par ces combattants en faveur de la libération. Un tel engagement sans faille des Espagnols pour notre Patrie a amené certains chef de réseaux de résistance du sud de la France à donner leur parole de soldat d'aider, à la fin de la 2° guerre mondiale ces mêmes Espagnols a reconquérir leur pays contre Franco. Il y a même eu des coups de mains de l'autre côté de la frontière, mais le pouvoir politique s'est rapidement attaché à contrecarrer ce genre de velléités. La France ruinée par la guerre n'avait ni les moyens ni surtout l'envie d'entamer un nouveau conflit. Ce fut quand même vécu comme une trahison de la part des Espagnols. Cependant ils s'intégrèrent à la population, contribuèrent au redressement économique de la France qui mérita une nouvelle fois son qualificatif de « creuset », ce « melting pot » si cher aux USA !

    Le style est naïf, simple, comme celui d'un enfant, ce qui apporte une note d’émotion dans ce récit dramatique d'une période volontairement et malheureusement oubliée par l'Histoire. Je note que cette édition a une réelle valeur pédagogique pour le maintien de cette mémoire.

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  • UN AMOUR A L'AUBE

    N°820 – Octobre 2014.

    UN AMOUR A L'AUBE Élisabeth Barillé - Grasset

    Lorsque deux personnages se sont croisés, même si on ne sait pas grand chose de cette rencontre, la tentation est grande pour le romancier d'imaginer ce qu'elle fut. Amédeo Modigliani (1884-1920), peintre et sculpteur a effectivement connu à Paris, en 1910, la poétesse russe Anna Akmatova (1889-1966). Il ne coûte rien de supposer qu'ils ont fait connaissance dans un café à la mode fréquenté par les artistes, du côté du boulevard Montparnasse. A ce moment, elle n'a encore rien publié mais il est fasciné par sa beauté. Lui est libre et elle n'est mariée que depuis trois semaines, lui est pauvre et elle est riche. Tout les oppose donc mais ces deux figures de l'art sont à l'aube de leur destin.

    C'est bien la réalité qui inspire la fiction puisque, en 2010 est adjugée dans une salle des ventes parisienne une tête de femme sculptée par Modigliani datant de 1910-1912. Les enchères atteignent des sommes faramineuses pour l’œuvre d'un homme dont toute la courte existence ne fut qu'une survie difficile. Rien ne permet d'imaginer que cette œuvre représente Anna Akmatova mais Élisabeth Barillé veut le croire ! D'autant que quelques mois auparavant, dans un musée de Saint-Pétersbourg, elle a vu un dessin de Modigliani la représentant. Ce sera donc le point de départ de son roman.

    Que sait-on d'une éventuelle liaison entre eux ? Pas grand chose, si ce n'est qu'ils furent fascinés l'un par l'autre, qu'ils se sont écrit, lui surtout quand elle est revenue en Allemagne « Vous êtes en moi comme une hantise, je tiens votre tête entre les mains et je vous couvre d'amour ». De telles paroles peuvent plaider en faveur d'une sculpture la représentant ou aussi signifier des relations plus intimes. Tout est donc possible pour la romancière bien que la poétesse confie « Je le vis peu en 1910 » mais précise « Je remarquais chez lui, quand nous nous revîmes en 1911, qu'il était amaigri, devenu sombre ». Quant au dessin représentant Anna, il est le survivant d'une série aujourd'hui disparue. Cette démarche artistique en direction d'une belle femme peut effectivement signifier un attachement particulier de la part de son auteur, mais rien n'est prouvé.

    Quand ils se rencontrent, Anna est mariée mais son mariage bat de l'aile et son mari, soucieux de son image de poète veut y ajouter celle du voyageur. Il part donc pour l'Afrique, mais seul, et pendant deux années. L’épouse qu'il retrouvera à son retour sera transformée, affirmée dans l'écriture, elle est réellement devenue poète et n'est plus une femme effacée comme avant son départ. Quand elle reviendra à Paris un an plus tard, elle retrouvera Modigliani .

    C'est un livre passionnant, fort richement documenté et fort bien écrit qui s'attache son lecteur dès la première ligne. Il fait revivre deux figures qui ont marqué le début du XX° siècle artistique, leur prête une liaison peut-être hypothétique mais si agréablement imaginaire.

    Élisabeth Barillé est une auteure que je suivrai volontiers dans sa démarche littéraire.

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  • LES BRUMES DE L'APPARENCE

    N°819 – Octobre 2014.

     

    LES BRUMES DE L'APPARENCE Frédérique Degehlt- Actes sud.

     

    Une parisienne de quarante ans, Gabrielle, mariée, mère de famille vient d'hériter d'une masure et d'une forêt au milieu de nulle part, dont elle ignorait l'existence et qu'elle songe tout de suite à revendre. Ce ne sera pas si simple puisque, de l'avis général cette maison est hantée. Sur place, elle note d'ailleurs que ces lieux sont apaisants pour elle alors qu'ils font peur à la population. Elle va d'ailleurs apprendre qu'elle appartient à une lignée de « sorciers » et qu'elle est elle-même l’héritière sans jamais l'avoir soupçonné. On comprend bien que cela va bouleverser sa vie d'autant qu'elle va comprendre, au hasard des rencontres, qu'elle est effectivement douée de pouvoirs surnaturels de guérisseur mais aussi d'intermédiaire entre les vivants et les personnes disparues. Ce sont des apparitions sous diverses formes ce qui met mal à l'aise son mari médecin et donc cartésien et déclenche dans son entourage une suspicion de folie. Bien entendu ces derniers vont lui permettre d'en apprendre davantage sur son entourage immédiat et spécialement sur l'amour que lui porte Stan, son mari. Pour la maison, elle décide de faire des réparations en vue d'une vente prochaine dont elle charge Jean-Pierre, un agent immobilier local.

     

    L'idée de départ avait tout pour me séduire mais le rythme du roman m'a paru trop lent avec beaucoup de digressions. Elle en rajoute même un peu trop, entre les volets qui claquent, le parquet qui grince, les fragrances qui envahissent la pièce sans raison ou une fantomatique présence qui se manifeste pafois auprès d'elle. De plus je ne suis pas sûr de partager son avis sur la survivance après la mort dans un au-delà tout à fait hypothétique. La vie, nous le savons est quelque chose d'unique que nous sommes tentés de vouloir faire perdurer après le trépas. Pour tous ceux qui ont perdu un être cher, la tentation est grande de le retrouver après sa mort et pourquoi pas de correspondre avec lui. Une abondante littérature a fait florès sur ce thème et beaucoup de charlatans pas mal d’argent auprès de personnes trop crédules. Dans un roman qui est du domaine de l'imaginaire, tout est permis et l'auteure ne se gène pas pour exploiter ce créneau, ce qui est parfaitement son droit. Pourtant, c'est un concept qui ne me convient pas et je préfère laisser aux religions de telles assurances béates. Elle en rajoute même un peu en affirmant que non seulement une vie existe après la mort mais qu'elle est heureuse. Cela devient du prosélytisme caché ne me paraît pas avoir sa place dans un roman.

     

    Le personnage de Gabrielle, superficielle et pas vraiment sympathique ne m'a pas accroché, non plus d'ailleurs que les diverses manifestations paranormales égrenées dans le roman. J'ai pour autant été sensible à cette histoire de son couple qui se délite avec en toile de fond la folie qu'on prête à Gabrielle et qui justifiera une tentative d'internement. Ce qui a retenu mon attention c'est peut-être le manque d'amour de cette femme qui quêtera de la compréhension et surtout de la tendresse auprès de Jean-Pierre et, à la fin, d'Erwan. Elle aura le courage de remettre en cause sa vie d'avant qui n'était faite que d’apparences et ce thème me parait en revanche bien plus intéressant. Pourtant le livre est agréablement écrit et se lit bien.

     

    C'est le premier livre que je lis de cette auteure rencontrée d'ailleurs par hasard. Je ne suis pas bien sûr de vouloir poursuivre dans ce voyage, à moins bien sûr que je n'aie rien compris et que je sois passé sans le savoir à côté d'un chef-d’œuvre.

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  • TOUS LES MATINS DU MONDE

    N°818 – Octobre 2014.

    TOUS LES MATINS DU MONDE Pascal Quignard. Gallimard.

    C'est une histoire bien simple que celle de M. de Sainte Colombe, aristocrate musicien, spécialiste de la viole de gambe à laquelle il a ajouté une septième corde, qui ne se remet pas de la mort de sa femme chérie à qui il continue de parler dans un curieux dialogue d'outre-tombe. Il trouve une manière de consolation dans la musique et vit avec ses deux filles à qui il enseigne son art et refuse avec obstination les honneurs de la cour de Louis XIV. Marin Marais qui fut son élève séduit ses filles mais fonde ailleurs une famille tout en vivant de son art près du roi.

    Il y eut le film d'Alain Corneau avec Jean-Pierre Marielle, sublime dans le rôle principal. Dans ce roman j'ai vu la figure d'un homme qui, ayant perdu sa femme a tout perdu et se retire du monde au point peut-être d'en devenir fou. Il ne trouvera sa véritable consolation que dans sa propre mort. La camarde est très présente dans ce court texte puisqu'elle prend aussi Madeleine que Marin a séduite et abandonnée. La barque de Sainte Colombe dont il est largement question dans ce roman reprend cette symbolique du passage de la vie à la mort avec l'image de Charron. Après la disparition de son épouse le musicien se retire du monde et même de sa propre maison puisqu'il joue dans une cabane en planches, et ce geste évoque une sorte d'acompte payé à la mort. S'il consent à sortir de chez lui, c'est, accompagné de son instrument, pour participer aux obsèques d'un ami. La vie semble avoir quitté cette maison après l'affaiblissement et la mort de Madeleine, le mariage de Toinette et ce même si la musique y retentit encore et que l'instrument en forme de corps de femme peut évoquer la vie. Pourtant la vision d'une gaufrette a demi mangée et d'un verre à moitié vide après une apparition de Mme de Sainte Colombe évoque une forme particulière de vie.

    C'est le portrait croisé de deux hommes dont l'un d'eux choisit une vie recluse alors que son art aurait pu lui ouvrir toutes les portes et l'autre qui ne recule devant rien pour réussir à vivre de son art et côtoyer les grands de ce monde. Ils sont l’exact contraire l'un de l'autre, l'un est solitaire, l'autre est mondain. Pourtant Marais a une réelle fascination pour son maître qu'il vient écouter en cachette même si ce dernier l'a chassé de chez lui.

    Il y a beaucoup de symboles dans ce roman, la musique d'abord qui, à cette époque était fort prisée et représentait une forme de réussite sociale si un artiste parvenait à plaire au roi. Refusant l'offre de venir jouer à la Cour, Sainte Colombe manifeste ainsi une philosophie inspirée par le jansénisme, très prisé à cette époque mais qui fut interdit. Il y a de la musique dans ce texte, avec des temps forts, des silences, des reprises, ses intonations. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'instrument choisi est la viole qui imite à la perfection la voix humaine dans ses multiples registres. La vie choisie par Sainte Colombe est austère, retirée du monde, teintée de fatalisme et de mélancolie et sa seule consolation est le plaisir de jouer. J'y ai vu aussi une dimension religieuse dans la réconciliation finale des deux hommes.Le chant accompagne l'instrument et tient lieu de parole pour les enfants avant la mue de leur voix.

    Cette œuvre est présentée comme un roman, il a pourtant toutes les qualité d'une nouvelle (concision, narration, réflexion, rareté des personnages, scènes et tableaux courts sans pratiquement d'action ni de dialogues, écriture fragmentaire). Cela dit, et compte tenu de l'ambiance générale du livre, j'ai toujours une hésitation sur le sens du titre. Symbolise-t-il l'espoir ? Pourtant tout de texte me paraît baigné d'une grande mélancolie. L'écriture est épurée, classique, musicale avec beaucoup de silences. C'est une livre somptueux mais tragique!

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TUEZ QUI VOUS VOULEZ

    N°817 – Octobre 2014.

     

    TUEZ QUI VOUS VOULEZ Olivier Barde-Cabuçon. Actes sud (Actes noirs).

     

    Nous sommes en 1759 et Paris est perturbé par d'étranges assassinats qui vont occuper le Chevalier de Volnay, commissaire au Châtelet et « aux morts étranges ». Les trois victimes, de jeunes hommes, sont égorgées et on leur arrache la langue, un bien curieux modus operandi, d'autant que chacun d'eux était porteur d'un mystérieux breuvage. De plus on approche de « La fête des fous » qu'un inconnu veut ressusciter après qu’elle fut longtemps interdite et pendant laquelle les fondements de l'ordre social et religieux sont menacés puisque le peuple va goûter à la liberté pendant trois jours. Il n'en faut pas davantage pour perturber Sartine, le lieutenant Général de police qui a horreur de ces débordements populaires. Comme si cela n'était pas suffisant, les Jansénistes s'opposent à cette occasion à l’Église, et donc au pouvoir royal. Quant aux sciences occultes, elles font florès et minent la société et des pratiques qui ressemblent fort à des superstitions religieuses ont lieu à Paris. Le roi Louis XV lui-même est de plus en plus impopulaire tant au parlement que dans les rues. Enfin, le dernier mort est Russe, ce qui ne va pas manquer de donner aux investigations de Volnay la dimension d'une affaire d’État et ce d'autant plus que le chevalier d’Éon, alors secrétaire d'ambassade à Saint-Pétersbourg et de retour en France, personnage fort mystérieux, viendra compliquer cette situation qui ressemble de plus en plus à un imbroglio diplomatico-judiciaire. Son appartenance au ministère des affaires étrangères le met hors de portée des autorités de police et même de Choiseul, principal ministre, puisqu'il est dans le « secret du roi ». Ainsi cette affaire se transforme-t-elle en véritable lutte de pouvoir au sein de la cour, dans une ambiance de suspicion générale où tout le monde espionne toute le monde.

     

    J'ai bien aimé me retrouver dans le quotidien de ce Paris du siècle des Lumières, à la fois libertin et populaire, agité par la contestation, les croyances surannées et l'ambiance de « cour des miracles » de certains quartiers. Les descriptions sont humoristiques parfois, précises toujours, qu'on soit au cabaret, dans la rue, dans un salon ou dans un bureau ministériel. Des détails culinaires nous sont aussi largement dispensés ce qui ajoute à la sensation de dépaysement. On y croise des prostituées et des « mouches » dont le rôle est de surveiller le peuple toujours enclin à la révolte, aux trafics en tous genres. Le style est alerte, humoristique, le scénario bien mené, avec juste ce qu'il faut de suspens, les personnages campés avec talent. Volnay nous est présenté comme un homme sérieux mais passionné alors que son père, costumé en moine hérétique a tout du paillard et de l'anarchiste. Pourtant il cache un savoir encyclopédique et médical mais surtout une mélancolie que la mystérieuse Hélène s'attachera à exorciser.

     

    Le roman se lit bien et m'a procuré un réel plaisir. Cela m'a un peu rappelé Nicolas Le Floch, lui aussi commissaire au Châtelet à la même époque, le personnage de Jean-François Parot, ou Voltaire lui-même quand Frédéric Lenormand le transforme en enquêteur... mais peu importe, ce XVIII° siècle me fascine toujours autant.

     

    C'est le premier ouvrage que je lis de cet auteur découvert par hasard. Je me manquerai pas de poursuivre la lecture de son œuvre, passionnément !

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  • LE POIDS DU PAPILLON

    N°816 – Octobre 2014.

    LE POIDS DU PAPILLON Erri de LucaGallimard - Feltrinelli.

    Traduit de l'italien par Danièle Valin.

    Ce sont deux récits somptueux, lus alternativement en français et en italien pour la beauté et la musicalité de ces deux langues cousines. Ils ont la montagne italienne pour cadre et la poésie pour souffle, l'un est dédié au duel entre un vieux braconnier et un chamois-roi de sa harde, l'autre à la complicité entre un narrateur et un pin des Alpes.

    L'animal est puissant, majestueux, d'une taille au-dessus de la moyenne. Il a engendré une nombreuse descendance mais pour lui, il le sait, la fin est proche et nécessaire parce qu'il sera obligatoirement et rapidement détrôné par un plus jeune. Telle est la loi de cette vie du troupeau sur lequel il règne en maître depuis si longtemps. Il viendra donc au-devant du chasseur qui l'abattra d'une seule balle sans qu'il ressente la moindre souffrance. L'homme solitaire qui gîte dans la montagne après une jeunesse révolutionnaire déçue, l'a poursuivi toute sa vie, en vain ! Il y a en lui un peu du capitaine Achab pourchassant Moby Dick, la baleine blanche et du « Vieil homme et la mer » dans ce combat qui l'oppose à l'animal, face à la nature. Mais aujourd'hui, c'en est fini de ces défis, de ces traques silencieuses et patientes entre deux rois qui partagent le même territoire, la même liberté, la même connaissance du terrain mais pas le même but. Le braconnier reste un homme incapable sans doute de s'attacher, qui n'est pas insensible aux yeux d'une femme mais s'en méfie. L'évocation de leur rencontre dans un café de la vallée a quelque chose de poétiquement sensuel. Il veut poursuivre son parcours terrestre mais maintenant le temps lui est compté parce que la vieillesse l'assaille, ce sera son dernier coup de fusil. Par respect pour cet animal fabuleux, il n'en tirera aucun profit. Il y a une sorte de communauté d'état entre eux, le silence, une solidarité, une attirance commune pour la solitude, une prise de conscience de la fuite du temps, un certain détachement pour les choses, mais cet instant de rencontre est le plus fort qui décidera de la suite.

    Les ailes blanches et fragiles d'un papillon viennent donner au récit, dans un écrin de silence, ce qu'il faut de légèreté et de tragique comme la vie elle-même. Elles sont comme une couronne sur la tête de ce chamois-roi, elles s'opposent aux ailes noires des aigles, des rapaces qui volent haut, se nourrissent des dépouilles des animaux qu'ils tuent.

    Erri de Luca s'affirme comme un sublime conteur. Le texte est initiatique et sa beauté est rude, comme la montagne. L'auteur est aussi un familier des cimes et des parois rocheuses et sait rendre pour son lecteur l’atmosphère du lieu, la faune comme la flore, sait lire dans les odeurs, dans les traces, dans la course des saisons, anticiper l'orage …

    Il est aussi un attentif lecteur de la Bible qui émaille son récit de références religieuses, il y a cet amour de la nature, un peu comme si l'homme partageait avec le chamois et l'arbre cette forme de vie, véritable cadeau de Dieu. La symbolique du ciel religieux et des cimes est très forte comme l'est aussi celle de la foudre qui épargne l'arbre accroché au rocher. La solitude qui fait partie de la condition humaine est ici soulignée par le sublime décor de la montagne. L'homme et le chamois connaîtront aussi la mort qui est l'ultime étape de la vie, mais l'arbre, avant d’être cendre sera bateau guitare ou sculpture...

    C'est un recueil de nouvelles plus bouleversant peut-être que les autres écrits d'Erri de Luca.

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES COBAYES

     

    N°815 – Octobre 2014.

     

    LES COBAYES Tonino Benacquista – Nicolas BarralDargaud.

     

    Qu'est ce qu'on ne ferait pas pour quelques milliers d'euros, surtout quand on est chômeur, un peu paumé ou bourré de complexes (Peut-on minimiser le pouvoir extraordinaire de l'argent sur le plan financier et personnel ?). Tester de nouveaux médicaments avant leur mise sur le marché reste une solution. Pour Daniel, Romain et Moïra qui n'ont aucune expérience dans ce domaine, cela tombe plutôt bien, puisque contre une somme rondelette ils viennent d'être choisis pour essayer le M2 C2 T, sorte d’anxiolytique de nouvelle génération, bref ils sont devenus des cobayes !

     

    Comme dans tout médicament, il y a des effets secondaires et ceux auxquels ils vont devoir faire face sont assez inattendus. Cela changera leur vie, les révélera. Cette substance libère les pulsions enfouies dans l'inconscient de chacun et ces cobayes prennent goût à leur nouvelle vie, toutes leurs vieilles inhibitions disparaissent. L'amnésique va devenir hypermnésique, le timide se transforme en Don Juan, la molécule donne du talent à l'artiste et le succès fait le reste. Jusqu'à présent dans l'anonymat, ils prennent soudain conscience de la réalité du monde qui les entoure et ils profitent de leur « heure de gloire » puisque la recherche du bonheur individuel est une chose normale. Ce n'est bien entendu pas sans susciter des jalousies, la nature humaine y étant naturellement portée. Ce texte illustre la cupidité de l'homme que ne rachètent ni Coluche ni l'abbé Pierre. Quand il y a de l'argent à gagner, peu importe les dégâts collatéraux supportés par les victimes. Cette expérience, impersonnelle au début, fait naître une amitié solide et même une complicité entre ces trois personnes qui sans cela n'auraient eu aucune chance de se rencontrer. L'auteur glisse dans son texte des remarques sur les laboratoires, l'expérimentation et l'emploi des médicaments dans le tiers-monde. Je ne sais si elles reflètent effectivement la réalité mais elles ont l'apparence de la logique.

     

    Nous sommes en pleine fiction : apparemment, ce médicament contribue à améliorer ce monde dominé par l’argent, l’égoïsme, la violence, en s'appuyant sur la culpabilité individuelle. Grâce à lui le financier inhumain devient un mécène, l'assassin confesse ses crimes... Tout cela est utopique ! Chaque médaille a son revers : ce médicament devenu un vulgaire stupéfiant risque de précipiter ceux qui en usent dans une dépendance dangereuse et en faire de véritables victimes. Il se trouvera toujours des gens pour profiter de cette manne. Il ne reste aux auteurs, véritables « apprentis sorciers », qu'à invoquer la protection divine dont nous savons tous qu'elle est illusoire. C'est le sens de l'épilogue qui, je l'avoue, m'a laissé un peu dubitatif.

    Les idéologies qui ont aussi ce pouvoir de manipuler les gens, l'histoire est là pour nous montrer leurs méfaits.

     

    Le dessin est expressif rehaussé de couleurs changeantes (dues à Philippe de la Fuente) en fonction des moments du récit. Je ne suis pas amateur de BD mais cette lecture, suscitée par ma participation à un jury de prix littéraire, m'a quand même intéressé.

     

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  • ROBE DE MARIÉ

    N°814 – Octobre 2014.

    ROBE DE MARIÉ Pierre LEMAITRECalman-Lévy.

    D’emblée le titre interpelle, robe de marié, avec un seul « é », mais cela ne fait que commencer et n'a rien à voir avec les nouveautés judiciaires récentes en matière de mariage, jugez plutôt : M. Gervais, quadragénaire, est cadre au Ministère des Affaires étrangères et futur secrétaire d’État, son épouse est statisticienne. Ils confient leur fils Léo à Sophie, sa nounou. Cela pourrait être le début d'un roman ordinaire, sauf que là nous sommes en présence d'un polar, et pas n'importe lequel !

    Sophie ne se souvient de rien, mais vraiment de rien et surtout pas des meurtres se multiplient autour d'elle et dont elle est bien entendu l'auteur. Celui de Léo, trouvé étranglé avec un de ses lacets de chaussures, de Véronique Favre, une femme rencontrée par hasard et bien d'autres. C'est comme si tout cela se déroulait en dehors d'elle, comme si elle devenait littéralement folle. Il lui faut donc disparaître au plus vite. C'est que, même si elle est frappée d'amnésie, elle n'en garde pas moins la conscience des choses et fait ce qu'il faut pour disparaître. Elle se retrouve donc rapidement en cavale ! Les appels à témoins, l’activation des indics, rien n'y fait, elle se fond dans le décor et on ne la repère pas. Elle change de vie, d'identité, il ne lui manque qu'un mari pour être enfin une autre personne. Bien entendu elle le trouve.

    Grâce au journal intime de l'énigmatique Frantz (avec cet artifice, l'auteur fait un peu durer le plaisir, mais peu importe), le lecteur en apprend un peu plus sur cette affaire pour le moins ténébreuse. Au départ, ce qui arrive à Sophie peut paraître de la malchance ou de la négligence de sa part mais au fur et à mesure du texte, le lecteur se rend compte que l'action de Frantz dans l'ombre, et bien entendu malgré elle, est machiavélique. La jeune femme en devient facilement paranoïaque et éprouve un inévitable sentiment de culpabilité face à tout ce qui lui arrive. Comme manipulateur diabolique, on peut difficilement imaginer pire et la vie que Sophie avait patiemment construite se délite petit à petit a point de ne faire d'elle qu'une sorte d'être sans consistance qui se demande vraiment ce qui lui arrive. Une véritable descente aux enfers que le lecteur ressent avec empathie en se demandant bien pourquoi ce Frantz s'en prend ainsi à elle de cette manière si méthodiquement horrible. Elle a enfin réussi à mystifier tout le monde et semble vouloir renouer avec le bonheur depuis son mariage mais le lecteur ne tarde pas à s'apercevoir qui est cet homme si amoureux d'elle et apparemment si naïf.

    Le style est haletant, comme tout ce roman plein de suspens. Il y a des remarques pertinentes et parfois aussi humoristiques tout au long d'un texte fort bien écrit. Le scénario est bien mené avec brio, même si parfois il est possible de noter quelques invraisemblances; il tient en haleine le lecteur jusqu'à la fin et c'est généralement le cas des différents livres que j'ai lus de Pierre Lemaitre. C'est vraiment du grand thriller avec tout ce qu'il faut comme meurtres, vengeances, révoltes et résignations intimes... et intoxications psychologiques.

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  • ET RIEN D'AUTRE

    N°813 – Octobre 2014.

    ET RIEN D'AUTRE James SalterÉditions de l'Olivier.

    Traduit de l'anglais par Marc Amfreville.

    C'est le sixième roman de James Salter, âgé de 89 ans, autant dire une sorte d'inventaire des thèmes qu'il a par ailleurs traités dans son œuvre et auxquels il mêle des références autobiographiques. Il met en scène Philip Bowman, ex-officier subalterne de la marine, ayant survécu à la guerre dans la Pacifique, jeune homme de la classe moyenne américaine du New-Jersey. Du conflit, il est revenu plein d'illusions sur la société et un rien rêveur. Dans ce New-York de l'après-guerre, après avoir rêvé du journalisme il devient un éditeur respecté, rencontre l'amour avec Vivian, fille d'un riche propriétaire terrien mais ce mariage qu'il voulait parfait, à l'image de sa réussite professionnelle, ne tarde pas à se déliter. Elle s'en va pourtant, non sans lui dire ce qui est pour elle une évidence : ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre, autant dire que, dans leur choix ils s'étaient trompés ! Ensuite ce sera pour lui qui est un amoureux des femmes, une succession de passades ou de liaisons torrides et passionnées qui émailleront sa vie avec leurs moments d'intense jouissance qui succéderont à d'autres marqués par le renoncement, la lassitude, le découragement. Des femmes, libres ou mariées se succèdent dans son lit et parfois dans sa vie mais du véritable amour dont il rêvait, il n'aura rien. A son tour il sera trahi et bien sûr lui aussi trahira. Finalement, cette vie n'est pas autre chose qu'une succession de moments forts, la guerre, l’amour et la folie qu'il inspire, le sexe, l’alcool, les voyages, et de moments faibles, le quotidien émaillé des de réceptions ennuyeuses, d'inévitables désillusions et de bavardages sans intérêt souvent autour des livres et des auteurs. Cela donne, dans son ensemble, une impression d'inaccompli, de répétions monotones, autant dire d'échecs.

    Ce texte est une invitation à méditer sur le temps qui passe, à la nostalgie de la vie la recherche et finalement l'inexistence du grand amour. On en parle beaucoup dans les rapports entre les gens et le mariage est presque un point de passage obligé et normal dans la vie d'un être humain. Mais le divorce vient bien souvent brouiller les choses et la solitude qui en résulte est d’autant plus dure à supporter. Ce roman est émaillé de ces exemples de couples qui se sont brisés, de ces êtres qui se sont plusieurs fois mariés, un peu comme si l’expérience matrimoniale désastreuse ne leur suffisait pas où que leur vie serait une perpétuelle recherche. Dans cette vie chaque homme n'est que de passage, il souhaite donc y être.heureux en amour, réussir dans son métier et être considéré, laisser une trace dans la société et se dire que sa vie a été belle mais tout cela se révèle vain. Ce roman est celui du souvenir intime de l'acteur de ce drame qu'est sa vie puisqu’elle est une recherche vaine du bonheur.

    Ce que je retiens à titre personne, c'est le style fluide, descriptif jusque dans les moindres détails. C'est finalement cela qui a motivé ma lecture. Pour autant , je dois bien avouer avoir lu ce roman davantage pour aborder l'univers jusque là inconnu de James Salter. En le lisant, j'ai un peu pensé à l'ambiance des romans de Scott Fitzgerald …Alors ? L'amour (le bonheur?) et rien d'autre !

    Sans être déçu, je dois dire que j'en ressors une impression mitigée, pas vraiment mauvaise mais pas non plus enthousiaste comme l'a été la presse en général.

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  • DERNIER NOEL DE GUERRE

     

    N°812 – Octobre 2014.

     

    DERNIER NOEL DE GUERRE Primo Levi – 10/18.

    Traduit de l'italien par Nathalie Bauer.

     

    L’univers des nouvelles est complexe. Quand on parcourt un recueil, instinctivement on recherche le point commun de tous les morceaux qui le composent. Ici cet ouvrage publie des textes demeurés inédits ou parus dans divers journaux ou revues de 1949 à sa mort en 1987, ce qui peut donner une impression d'inégalité.

     

    Primo Lévi est avant tout un conteur. Dans ce recueil il mêle des fables (Amours sur toile) et des textes autobiographiques (Dernier Noël de guerre) ou inventés(État-civil). Il y met en scène des animaux, soit épris de liberté (goélands, girafes kangourous), soit invisibles à l’œil nu (bactéries) qu'il fait interviewer par des humains, généralement des journalistes. Ces textes, généralement brefs, sous des dehors anecdotiques et parfois humoristiques, ont toujours une fonction moralisatrice, mettent le doigt sur un dysfonctionnement de la société qu'ils évoquent et qui bien souvent ressemble fort à la nôtre, comportent un message, des références à l’humain, à l'écologie, à l'évolution des choses et des gens, à la nécessité de s'adapter, aux craintes qu'on peut légitimement former pour l'avenir mais aussi de la science -fiction... Comme le faisait La Fontaine, il met souvent ne scène des animaux qui, singeant les hommes, nous assènent des vérités sur nous-mêmes. Ils ont même, si on veut le voir ainsi, une fonction pédagogique et il est parfois préférable de les lire à haute voix pour en goûter toute la musique que ne trahit pas la traduction. L'humour qu'il emploie à l'envi est, à mon sens, la marque d'une connaissance et d'une compréhension profonde de l'esprit humain qui préfère rire des choses plutôt que d'avoir à en pleurer, simplement parce le spectacle du quotidien autant que de l'humain fait qu'il y a bien de quoi ! C'est à tout le moins une invitation à réfléchir !

     

    Son écriture est variée ; soit l’auteur se présente en position de témoin dans son récit, soit il s’engage à travers des souvenirs personnels (« Fra Diavolo sur le Pô »), soit il pratique carrément l'autobiographie (« Dernier Noël de guerre ») - (A ce moment-là, il choisit la rédaction à la première personne).

    Pour autant, l'imagination de Lévi se nourrit de matière profonde et même parfois obscure (« En une nuit » s'inspire des années noires du terrorisme qui secouèrent l'Italie) mais prend aussi sa source dans l'inconscient collectif fait de tabous et de fantasmes (« Amours sur toile »).

    Je choisis de privilégier dans ce recueil deux nouvelles. Dans l'une (« Le buffet »), L'auteur met en scène, dans une réception mondaine, un personnage qui se révèle être un kangourou, qui n'y est vraiment pas à sa place et finit par quitter les lieux en « de longs sauts élastiques et heureux". En fait il fuit un monde qui n'est pas fait pour lui et où il n'a pas sa place. Quant à l' « État-civil », il évoque un monde déshumanisé où personne ne connaît personne, où une administration tentaculaire décide de tout et surtout de la mort des gens. Arrigo, un des rouages anonymes de cette société absurde, prend conscience de cet état de chose et devant la mort programmée d'une petite fille de huit ans refuse de faire son office « Si elle devait mourir, elle mourrait sans lui. Il ne participerait pas à sa mort ». Il est difficile de ne pas voir ici une allusion aux camps d'extermination nazis mais aussi peut-être au mal que peut faire gratuitement, et parfois pour le plaisir, un homme à un autre.

     

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  • L'HOMME BAMBOU

    N°811 – Septembre 2014.

    L'HOMME BAMBOU – Jocelyn Bonnerave – Le Seuil.

    Le narrateur s’appelle A, il est jardinier à Foix et est amoureux de Maïa, une étudiante en archéologie. C'est aussi un dragueur, capable de tout pour séduire sa dulcinée. Il est aussi inventif et veut se lancer dans la culture intensive des bambous dont il espère vendre les pousses au nombreux restaurants chinois de l'Ariège. Sauf qu'il découvre une chose extraordinaire et assez inattendue[« "J'ai une pousse de bambou qui me sort du cul !" ] L'homme devient donc plante. Suit une sorte de cavale à travers la France et au Portugal pendant laquelle des bambous continuent de pousser sur lui, au bas des son dos. Est-ce pour échapper à ce destin ? Cela va faire de lui non plus un agriculteur mais un monstre qu'on exhibe dans les cirques et dans les musées. Il va même jusqu'à se cacher au Jardin des Plantes à Paris. Donc adieu l’exploitation agricole du début. Tout cela est décliné dans trois parties distinctes

    Et Maïa dans tout cela ? Elle le suit puisqu'elle l'aime et l'aide à accepter ce corps biologiquement bizarre et mutant.

    Je veux bien qu'on soit dans une fiction mais quand même ! Le texte est assez mal écrit et sans grand intérêt, les dialogues sont fades, avec parfois des considérations personnelles inutiles à la compréhension et à l'intérêt du texte, sur la recherche, sur les détails anatomiques de Maïa, les phases du déshabillage, de la jouissance, tout cela dénué du moindre sens érotique et même poétique. J'ai aussi cherché le message, écologique, reflet de notre temps ou remarques pour l'avenir ? Je ne l'ai pas saisi ! Quant à l'humour qui pourrait peut-être jaillir de tout cela, j'avoue bien volontiers y avoir été largement imperméable. Je suis là aussi peut-être passé encore une fois à côté d'un chef-d’œuvre ! Quand à l'épilogue que veut « réconcilier Darwin et Alice aux pays des merveilles », j'avoue bien volontiers que je ne suis définitivement pas entré dans l'univers créatif de l'auteur !

    J'ai lu ce livre jusqu'à la fin par une obligation que je m'étais moi-même imposée. Je le regrette beaucoup.

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  • TRAVAIL SOIGNE

    N°810 – Septembre 2014.

     

    TRAVAIL SOIGNE - Pierre LemaitreÉditions du Masque.

     

    Dans un loft de Courbevoie, le commandant Camille Verhœven et son équipe constatent un véritable massacre. Les corps éviscérés de deux prostituées gisent, coupés en morceaux avec au mur une inscription énigmatique faite avec du sang. Cela rappelle une autre affaire au commandant, quelques mois plus tôt à Tremblay-en-France, mêmes victimes, même mode opératoire, mêmes détails macabres... Au départ, il nage en plein mystère mais rapidement son opinion est faite : ces deux meurtres sont liés, probablement commis par le même homme qui est aussi un tueur en série ! Cela commence bien d'autant plus que rapidement, ces deux affaires semblent faire référence à un roman policier, lui-même inspiré de faits réels, ce qui peut parfaitement constituer une autre piste. Il n'y en a pas tant que cela après tout ! C'est vrai que cette enquête est liée à la littérature policière, mais piétine et cela menace de durer encore longtemps, les membres de la brigade n'étant pas particulièrement versés dans ce genre de prose. L'épilogue sera à la mesure de ce parti-pris d'écriture. Tout cela dure puisque ces investigations font également appel à de nombreuses archives, à des concours extérieurs et, bien entendu débouchent parfois sur des impasses. De plus, le meurtrier nargue le commandant, ce qu'il n'apprécie guère.

     

    Comme toujours la presse se déchaîne, est même hypocritement laudative mais aussi caustique envers Camille ce qui n'est guère du goût du juge qui souhaite que le secret de l'instruction soit respecté. C'est un peu oublier que notre commandant est une sorte de marginal, guère soucieux ni de la procédure ni même de sa propre hiérarchie qui pourtant le harcèle. Chaque jour qui passe est une sorte de défi pour lui mais l'enquête s'enlise malgré les moyens importants mis à sa disposition et les méthodes de ce policier hors normes.

     

    C'est un roman très gore où le suspens est entretenu jusqu'à la fin. Le texte se lie rapidement mais comporte, à mon goût quelques longueurs.

     

    Ce roman est le premier de la trilogie Verhœven découverte en ce qui me concerne avec « Alex »(La Feuille Volante n°802).

     

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  • MONDE SANS OISEAUX

    N°809 – Septembre 2014.

    MONDE SANS OISEAUX - Karin Serres – Stock.

    Ai-je perdu le goût des fables ? Serais-je devenu imperméable à ce monde merveilleux que des écrivains comme Boris Vian avaient si bien su tisser autour de moi, il y a de cela bien des années, pour modifier mon approche de la littérature qui était à la fois scolaire et un peu trop classique ? L'auteur de « l'écume des jours » avait enchanté cette période de ma vie par cette poésie si caractéristique qui émanait de son œuvre. Je tiens à garder intact ce charme qui fonctionne peu ou prou encore aujourd’hui mais malgré ma propension à vouloir voir les choses autrement, je ne suis pas vraiment entré dans cet univers que je reconnais pourtant comme original et onirique.

    Comme dans tous les contes, il faut dépasser les mots, aller chercher derrière les phrases le message, mais l'histoire de « Petite Boîte d'Os » ne m'a guère enthousiasmé. Elle est la fille d'un pasteur, habite près d'un lac, dans un pays un peu indistinct qu'on peut aisément imaginer nordique. Elle grandit, va à l'école, se fait des amis, voit son corps se modifier, se marie avec Joseph « Tados », plus vieux qu'elle et qui lui fait un enfant. Cet homme a une réputation non vérifiée de « cannibale » parce qu'il a survécu au déluge et qu'il est revenu au village sans l'homme qui l'accompagnait. Cette bourgade est un microcosme où les gens vivent en vase clos. On pourrait peut-être y voir l'incarnation d'un Eden puisque les choses y sont différentes d'ailleurs. On y tire sa subsistance de cochons transgéniques et fluorescents qui vivent dans l'eau du lac dont le fond sombre est tapissé de cercueils troués. Les morts servent ainsi de nourriture au porcs et aux poissons, une sorte de reconstitution de la chaîne alimentaire.« Petite Boîte d'Os » vit avec sa famille dans une maison bleue, dont la couleur, sans doute à cause de la chanson de Maxime Le Forestier, évoque le bonheur.

    Pourtant la vie de cette jeune femme, malgré le contexte surréaliste de ce village, est assez ordinaire, faite de petits bonheurs (scène de la vie de famille) ou de grands malheurs(deuils, perte d'un proche). Les enfants grandissent, quittent leur famille, les gens vieillissent et meurent, certains même se suicident parce qu'il ne supportent pas ce monde, d'autres y connaissent la solitude et l'abandon et comme à l'extérieur c'est la même fuite du temps. Le texte est pourtant actuel, met en scène les changements dans la vie sociale qui obligent les femmes à aller travailler dans la ville voisine et donc à confier leurs enfants à d'autres pour ainsi gagner un peu d'argent et survivre. Il prend un ton écologique quand il est question de la montée des eaux de ce lac à cause du changement climatique. Quand il évoque les temps reculés où l'air était peuplé d'oiseaux maintenant disparus, on ne peut pas ne pas songer à cette constante action destructrice de l'homme qui, au nom de la rentabilité et de l'enrichissement d'une génération, détruit inexorablement ses richesses en laissant le soin à la suivante de réparer ses erreurs ! Des ethnologues viennent de l'extérieur étudier ce mode de vie et des touristes curieux prennent des photos mais les choses dépérissent et les gens avec elles ! Le village se vide et avec le temps, les bouleaux qui entouraient le bourg s’attaquent aux maisons, une sorte de fin du monde !

    J'ai pourtant trouvé à ce texte étrange une sorte de poésie colorée mais je l'ai lu davantage par curiosité que par réel intérêt.

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  • LE LINGE SALE

    N°808 – Septembre 2014.

    LE LINGE SALE - Pascal Rabaté – Sébastien Gnaedig – Vents d'Ouest.

    Ce que c'est quand même que la distraction. Voulant occire sa femme, Lucette, et son amant, Pierre Martino se trompe de chambre d'hôtel, tue un autre couple également illégitime et écope de la perpétuité. Cela fait de lui non seulement un cocu mais aussi un assassin. Elle avait choisi pour partenaire ce qui se faisait de pire dans ce village près de Cholet, alors que son mari est un type bien. C'est un malchanceux ce Pierre. Il avait tout pour être heureux, un bon métier, une maison confortable dans ce petit coin de province catholique et bourgeois, tout sauf sa femme qui ne pouvait s'empêcher de le tromper avec n'importe qui, pour le plaisir peut-être mais aussi pour humilier ce mari qui était amoureux d'elle. On imagine que pendant son absence, elle ne pouvait s'empêcher de s'afficher avec ses amants sans le moindre complexe. Le plaisir sexuel devait bien être une motivation suffisante pour Lucette puisqu'elle choisit d'épouser son amant et de fonder avec lui une famille mais surtout de vivre dans un bouge au milieu d'un clan de marginaux où les pratiques sexuelles sont liées à la promiscuité et à l’absorption immodérée d'alcool. C'est qu'elle n’imaginait pas revoir ce mari qui, pourtant, est libéré au bout de vingt ans pour bonne conduite et se jure bien de finir le travail en exterminant toute la tribu de cette mafia locale, les Verron.

    Pour Pierre la vengeance est un plat qui se mange froid et même, en ce qui le concerne, faisandé. C'est vrai que pendant 20 ans en taule il a eu le temps de penser à tout cela, et puis cette libération inespérée tombe plutôt bien pour lui. Il revient donc dans une ville où personne ne le reconnaît, se fond dans le décor, forcément après vingt ans on change et surtout on oublie. C'est un méthodique ce Pierre. Il étudie les lieux dans lesquels vivent les Verron, leurs habitudes, toujours en marge de la légalité, leurs postures querelleuses, et les exploite. C'est vrai qu'on a de la sympathie pour Pierre, qu'on souhaite qu'il réussisse, qu'on applaudit à la naïveté voire à l'imbécillité des Verron. Ils sont d'ailleurs bien croqués à travers des dessins en noir gris et blanc, fort peu avantageux et des dialogues un peu grinçants où j'ai choisi d'y voir l'empreinte de Michel Audiard [« On est en chaleur eh bien je refroidis »] Il ne manque ni l'alcool ni les expressions caractéristiques de cette frange de la population et le suspens est entretenu tout au long du récit. Quant à l'épilogue, il est à l'image de la réalité et pas forcement à celle qu'on attend.

    Je ne suis pas familier des BD. Le film de Pascal Rabaté (« Ni à vendre ni à louer » - La Feuille Volante n° 532) ne m'avait pas vraiment convaincu, mais ici, j'ai bien aimé.

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  • LES FIDELITES

    N°807 – Septembre 2014.

    LES FIDELITES - Diane BRASSEUR - Allary Éditions.

    Un peu avant Noël une famille s'apprête à partir pour New-York afin d'y célébrer les fêtes de fin d'année. A cette occasion, le mari, 54 ans, profession libérale aisée, se livre à un monologue au terme duquel le lecteur apprend que, depuis un an, il trompe son épouse avec une jeune et jolie trentenaire, la belle-sœur de son associé, après 19 ans de mariage. Dans cette situation, j'ai beaucoup de mal à voir de l'originalité, c'est même d'une banalité affligeante. Heureusement nous échappons au traditionnel vaudeville du ménage à trois puisque seul cet homme s'adresse au lecteur, lui confiant ses états d’âme, ses espoirs, ses jalousies, ses craintes d'être découvert. Il n'est pas avare de détails à propos de cette double vie nécessairement ambiguë, lui raconte cette passade qui n'est certes pas la première mais qui est plus torride que toutes les autres. Pour retrouver Alix, sa maîtresse, il vit entre Paris où est le siège de son cabinet et Marseille où habitent sa femme et sa fille. A longueur de pages, il fantasme sur le corps sensuel de cette jeune femme, évoque des détails délicatement érotiques, détaille les différentes phases de l'acte sexuel, imagine leurs futures étreintes quand ils sont séparés [« Normalement, fantasmer, c'est prendre le risque d'être déçu. Avec Alix, mes fantasmes ont alimenté mon désir qui a provoqué le sien »], décrit par le menu leur vie parisienne commune pleine de moments intimes qu'il oppose à une relation familiale marseillaise, désormais en pointillés. On comprend bien qu'il aura du mal à quitter Alix ! Pourtant quand il est chez lui sa maîtresse lui manque et c'est le contraire quand il est avec elle ! Tel est donc le dilemme qui se pose à lui, quitter l'une ou l'autre ! Ce n'est pas si simple puisqu'il estime qu'il trompe son épouse avec Alix et cette dernière avec sa femme. C'est là sans doute le sens du titre de ce roman. Il ne s'agit pas à ses yeux d'un banal adultère mais de deux fidélités alternées![« Je fais l'amour avec Alix, je fais l’amour avec ma femme. Je ne sais plus qui je trompe avec qui »], d'un drame qui se voudrait cornélien [« J'aime ma femme et Alix me manque »].

    Pour se motiver, il va même jusqu'à imaginer que sa fille, dans quelques années, lui avoue une liaison toute aussi torride avec un homme marié et se demande comment il réagirait. Il en vient à souhaiter une rencontre voire une complicité entre elle et Alix. Entre culpabilité et projets, il imagine l'avenir, suppose que son épouse découvre son adultère et en soupèse les conséquences. Il devrait alors vivre avec Alix et assumer cette différence d'âge qui, à la longue ne lui serait pas favorable, lui qui a surtout peur de vieillir. En réalité sa femme ne se doute apparemment de rien. On comprend vite quelle sera sa décision que je ne dévoilerai évidemment pas mais le terme « thriller psychologique » employé par la Figaro me paraît quand même un peu exagéré.

    L'originalité de ce roman réside sans doute dans le fait que c'est l'homme qui parle et non pas l’épouse trompée comme c'est généralement le cas. Je note le style haché, assez désagréable à lire. Le texte fourmille de détails ménagers parfaitement inutiles et dont le lecteur n'a vraiment rien à faire. Ils n'ajoutent rien à la compréhension du texte.

    Ce que je trouve le plus beau dans ce roman, c'est le visage de la femme sur la couverture.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA MALADIE DE LA MORT

    N°806 – Septembre 2014.

    LA MALADIE DE LA MORT - Marguerite DURAS - Les éditions de Minuit.

    C'est une sorte de drame intime qui se déroule dans une chambre d'hôtel au bord de la mer entre une femme apparemment payée pour être là, pour se soumettre et un homme, incapable d'aimer et qui lui dicte ses volontés. Dans cette relation à la fois simple et compliquée il y a des rites. Tous les soirs, la femme arrive, se couche nue dans le lit de l'homme et elle s'endort. L'homme la regarde dormir. Ils parlent peu et cette absence de dialogue semble être aussi une règle édictée par l'homme à moins qu'il n'aime que le silence. Il lui arrive de lui faire l'amour mais apparemment c'est sans joie, un peu par hasard et quand la jouissance est au rendez-vous pour elle, il ne veut pas qu'elle le montre ni même qu'elle y fasse allusion. Ils ne savent rien l'un de l'autre et veulent continuer ainsi et l'absence de nom souligne cette notion impersonnelle. Il arrive à cet homme de ne pas la toucher, de la laisser dormir, de la regarder de loin et de pleurer. Il pleure sur lui, sur son incapacité à aimer les autres et les femmes en particulier. Apparemment cette femme n'est pas une prostituée, ou alors nous avons affaire à quelqu’un d’intellectuellement supérieur, mais cette relation est cependant tarifée ce qui ne manque pas d’ambiguïté. Je peux imaginer que cet homme invite cette femme à venir le rejoindre pour assouvir une passion autre que charnelle qui peut parfaitement être de nature fantasmatique ou purement intellectuelle. Quant à elle, l'auteur semble lui conférer un rôle « thérapeutique ». Elle aurait un diagnostique naturel : non seulement elle lui révèle qu'il est atteint de la maladie de la mort parce qu'il lui est impossible d'aimer mais aussi qu'elle a accepté de venir auprès de lui pour l'en délivrer. Cette maladie est mortelle « en ceci que celui qui en est atteint ne sait pas qu'il est porteur d'elle, de la mort. Et en ceci aussi qu'il serait mort sans vie au préalable à la quelle mourir, sans connaissance aucune de mourir à aucune vie » ».  Veut-elle nous dire que la vie est une maladie mortelle ? Nous le savions déjà !

    L'homme semble en effet être dans un état psychologique catastrophique et tente sans doute de s'en sortir par cette expérience qui paraît promise à l'échec mais qui est assurément la dernière avant sa mort qu'on peut entrevoir. Il me semble d’ailleurs que les draps dans lesquels repose la femme peuvent signifier une sorte de linceul, le sommeil peut-être regardé comme l'antichambre de la mort, les pleurs répétés de l’homme, évoquer le chagrin inspiré par une perte irrémédiable, la lumière à l'intérieur de la chambre évoquer pourquoi pas la lueur d'un tombeau. J'observe que la mer est noire mais sans majuscule, ce qui peut signifier qu'on est au bord de n'importe quel océan mais surtout que la couleur choisie veut rappeler le deuil. L'élément liquide quant à lui peut évoquer le passage vers autre chose, vers un autre monde que les mythologies ont souvent repris à leur compte. Ainsi l'idée de la mort est-elle incarnée alternativement par l'homme et par la femme mais à un certain moment il désire la tuer parce qu'elle incarne la vie, une vie qu'il ne peut atteindre ou qui se refuse obstinément à lui ! Les indications scéniques de la fin du roman peuvent être ainsi interprétées.

    Une partie du texte est écrit au conditionnel surtout quand il s'agit de la femme, de sa conduite face à l'homme. L'auteur y mêle également le présent et interpelle son lecteur, le mettant à la place de l'homme. J'ai eu beaucoup de mal à sentir ce rôle. Quant à la rédaction, elle est hachée, difficilement lisible et ne procure pas, à mon avis une lecture agréable.

    Je concède qu'il y a parfois des moments poétiques, surtout quand l'homme regarde avec crainte la nudité de la femme [« Vous regardez cette forme, vous en découvrez en même temps la puissance infernale, l'abominable fragilité, la faiblesse, la force invincible de la faiblesse sans égale »] mais son regard se fait obsessionnel quand il pose avec insistance ses yeux son son sexe et sur ses seins, ce qui trahit une sorte de refoulement. Cela se transforme évidemment en images érotiques mais avec une notion d'impossibilité. D'ailleurs il lui avoue qu'il n'a jamais regardé, désiré ni possédé ni bien sûr aimé une femme avant elle. Elle est en quelque sorte en elle-même une prise de conscience du mal que l'homme porte en lui et quand cela est formulé par elle, la chambre s'éclaire. A partir de ce moment, il y a entre eux une sorte d'échange, d'explication autour du concept de l'amour [« Vous demandez comment le sentiment d'aimer pourrait subvenir. Elle vous répond : peut-être d'une faille soudaine dans la logique de l'univers. Elle dit : par exemple d'une erreur. Elle dit : jamais d'un vouloir »]. Cela étant dit, elle disparaît sans espoir de retour, ne laissant qu'une empreinte froide dans les draps, mais le ciel pour l'homme s'éclaircit comme si le passage de cette femme dans sa vie, y compris dans sa dimension sensuelle et érotique, avait été une révélation et même une libération, une sorte de retour à la vie.

    J'avoue que je n'ai jamais beaucoup aimé Marguerite Duras. J'ai toujours refusé de lui trouver du talent au seul motif que la presse spécialisée avait été soudain laudative, surtout après son prix Goncourt. Les romans successifs que j'ai lus d'elle m'ont laissé indifférent, tout comme celui-ci. Je n'ai peut-être rien compris, je suis peut-être passé à côté d'un chef-d’œuvre mais, même s'il peut m'arriver à moi aussi d'être dans un état un peu second, j'avoue qu'une lecture attentive de ce roman ne m'a pas procuré la moindre émotion. Était-ce une étude sur le fantasme masculin, le désir inassouvi, l'impossibilité de conquérir une femme, de la posséder autrement qu'en la payant, un rappel de la supériorité sensuelle et esthétique voire intellectuelle de la femme ? Peut-être ! Si c'était pour nous rappeler que nous sommes mortels, ce n'était pas la peine d'en faire tant. Si c'est pour nous dire qu'elle sentait sur elle l'ombre de la Camarde, là c'est parfaitement respectable, mais ce roman m'a laissé, un peu comme à chaque fois, un goût d'inachevé, de vide, de malaise. C'était sans doute son but ?

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SOLEA

    N°805 – Septembre 2014.

    SOLEA - Jean-Claude Izzo - Gallimard.

    J'avoue à ma grande honte que jusqu'à ce que j'écoute un disque du chanteur-poète italien Gianmaria Testa qui fut son ami, je n'avais jamais entendu le nom de Jean-Claude Izzo (1945-2000). J'ai bien, comme toute le monde, vu à la TV la série policière de Fabio Montale mais en dehors des adaptations à l'écran de Simenon, d’Agatha Christie ou de Léo Malet, fait-on vraiment attention à l'auteur du roman qui en est à l'origine ? Et puis cette adaptation télévisuelle n'avait pas vraiment retenu mon attention.

    C'est la troisième tome de la trilogie Fabio Montale, cet ex-flic marseillais qui a démissionné parce qu'il ne se reconnaissait plus dans ce métier[«  Être flic, qu' on le veuille ou non, c'était appartenir à une histoire. La rafle des juifs du Vel'd'hiv. Le massacre des Algériens, jetés à la Seine en octobre 1961 ...Toutes ces choses-là qui avaient des effets sur la pratique quotidienne de pas mal de flics, dès lors qu'ils avaient affaire à des jeunes issus de l'immigration »]. C'est un roman-noir où la mort frappe à toutes les pages[« La mort qui a pour tous un regard »], bien qu'il se déroule à Marseille où douceur du climat méditerranéen inclinerait plutôt au farniente, au pastis,à la pétanque, à l'accent de Pagnol... Je sais cela fait un peu carte postale ; Encore que cette ville phocéenne c'est tout cela mais aussi autre chose, la Mafia, la violence, l'intolérance, le crime, le trafic de drogue, la tentation du Front National...

    C'est vrai que Montale répond aussi aux critères classiques du policier de triller, alcoolique, marginal, désabusé, solitaire mais perpétuellement amoureux des femmes... Lole l'a quitté pour un autre homme mais il rencontre Sonia, une belle brune avec qui il aurait bien fait un petit bout de chemin, un amour éphémère cependant puisqu'on la retrouve la gorge tranchée... la main de la Mafia ! C'est la même organisation criminelle qui recherche Babette Bellini, la journaliste « free lance », parce qu'elle enquête sur les liens que l'organisation entretient avec la finance internationale et probablement aussi avec le pouvoir politique, comme en Italie. Elle fuit de Rome à Marseille avec à ses trousses des tueurs et, en désespoir de cause, se tourne vers Montale. Et ce n'est que le début ! Quant à Hélène Pessayre, elle a beau être commissaire de Police, il n’est pas insensible à son charme. C'est lui, Fabio qui nous raconte cette histoire, à la première personne comme s'il se confiait à son lecteur.

    Je l'aime bien ce Fabio finalement. A la fois pragmatique et posant sur le monde qui l’entoure un regard de plus en plus dubitatif [il parle de « la saloperie permanente du monde »], attaché à sa ville qu'il connaît et qu'il aime, à son port, ses odeurs, ses couleurs, à la mer. Il est aussi cultivé, amoureux du jazz et de la musique [ Solea est un morceau célèbre de Miles Davis], suffisamment conscient de la réalité de la société pour n'en faire partie que de loin, suffisamment humain cependant pour défendre ceux de ses amis qui sont menacés, suffisamment philosophe pour relativiser les choses de cette vie dont on a dit tout et son contraire, mais quand même capable de se battre pour l'améliorer, faire qu'il y ait plus de justice, plus d'égalité. Il aime la bonne bouffe parce qu'elle fait partie de la vie, est amoureux des femmes parce qu'elles représentent la beauté sur terre et il n'y est pas insensible, comme il aime la poésie parce que c'est bien souvent elles qui inspirent les poètes. Cet attachement à la poésie, celle de Saint-John Perse, de Cesare Pavese mais aussi celle des chansons de Gianmaria Testa, je le retrouve aussi dans l'architecture la phrase, elle en est le témoin [« Je voyais, oui. Et je sentais. L'eau coulant sur ma peau. Sa douceur. Et le sel. Le goût des corps salés. Oui, je voyais tout ça, à portée de ma main. Comme l’épaule nue de Sonia. Aussi ronde, et aussi douce à caresser, que les galets polis par la mer. Sonia »]. Il est un peu idéaliste aussi et pas mal rêveur, romantique avec sa sensibilité à fleur de peau, conscient des réalités aussi quand il comprend que son charme d'antan, même s'il a été bien réel, a maintenant disparu.

    Il y a beaucoup de Jean-Claude Izzo dans le personnage de Montale et c'est en cela sans doute qu’il est passionnant. C'est plus qu'un personnage de roman, une sorte de double de l’auteur, lui-même attachant par son parcours personnel, son engagement , même si son passage sur terre fut rapide. Ce roman paraît en 1998. Il clôt sa trilogie et Montale se sent vieillir tout comme Izzo qui apprend qu'il est atteint d'un cancer. Il mourra en 2000.

    « Quand on ne peut plus vivre, on a le droit de mourir et de faire de sa mort une dernière étincelle ».

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Rosy et John

     

    N°804 – Septembre 2014.

     

    ROSY ET JOHN - Pierre Lemaitre. Le livre de poche.

     

    Non, non, ce n'est pas une blague, la trilogie Verhœven comporte bien un quatrième volume, enfin, une nouvelle. Mais après tout cela n'a aucune importance et l'auteur lui-même considère cette œuvre comme un demi-roman ! Elle est même agrémentée d'une préface de l'auteur qui nous explique comment est née cette fiction policière, un simple trou dans la chaussée ! Quoi de plus banal en effet quand, on se demande bien pourquoi, on n'a de cesse de défoncer les rues juste après les avoir regoudronnées. Pour le reste, on peut faire confiance à son imagination d'écrivain !

     

    Le titre évoque une chanson de Gilbert Bécaud dans les années 60, vous savez quand tout était facile, qu'il n'y avait pas de chômage, enfin les golden sixities... Les choses ont bien changé ma bonne dame. Aujourd’hui c'est un poseur de bombe (John) qui en a fait péter une dans la 18° arrondissement et qui menace de recommencer dans six autres endroits si on ne libère pas sa mère (Rosy) et si on ne lui donne pas quelques millions et un billet d'avion pour l'Australie. Surtout que pour cela il s'est livré lui-même au commandant Camille Verhœven et à lui seul parce qu'il l'a vu vu à la télévision. Un joyeux inconscient ce John qui n'a pourtant rien d'un terroriste exalté, quant au chantage, il est plutôt mal tombé !Tout cela semble plié d'avance et on imagine que le pauvre John ne fera pas longtemps le poids face aux flics de antiterrorisme mais quand même, la perspective de ces explosions, ça bouscule un peu la hiérarchie et le ministre... cela affole même le chef du gouvernement ! C'est vrai qu'il est un peu paumé ce pauvre John Garnier, sa mère est en prison, sa petite amie vient de mourir et il n'a plus de travail. Il a peut-être envie qu'on parle un peu de lui ?

     

    Camille qui espérait reprendre sa vie à la criminelle ne s'en tirera pas comme cela. Flanqué de Louis, toujours aussi efficace, va devoir faire sa part de travail alors qu'il ne s'y attendait pas. Ce que c'est quand même que la notoriété télévisuelle ! Il est vraiment très fort ce commandant et il finit par mettre John en confiance à force de persuasion, à tout le moins le croit-il, mais c'est compter sans l'obstination de ce dernier.

     

    Comme toujours le suspens est au rendez-vous entre bluff, lourdeurs administratives, profil psychologique, interrogatoires musclés, parcours personnel, patients recoupements, hésitations, erreurs … et réalité d'une mère abusive !

     

    Cet auteur me procure encore une fois un bon moment de lecture.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

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