Articles de hervegautier
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J'ABANDONNE – Philippe Claudel
- Par hervegautier
- Le 25/01/2013
- Dans Philippe Claudel
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N°622– Janvier 2013.
J'ABANDONNE – Philippe Claudel - Éditions Balland.
L'auteur met en scène un homme simple, encore jeune mais veuf qui s'occupe comme il peut de sa fille de quelques mois. Pour vivre, il travaille à l'hôpital, mais par dans n'importe quel service. L'hypocrisie administrative lui donne le titre de psychologue mais, même si, pour exercer son emploi il faut une bonne dose de psychologie : Il est chargé d'annoncer aux familles la mort d'un proche à la suite d'un accident et d'obtenir leur accord pour prélever sur le cadavre des organes nécessaires à la vie des vivants. C'est sans doute pour cela qu'on les appelle « les hyènes », du nom de ces charognards qui attendent la mort de leurs proies pour se repaître de leurs restes.
Il a besoin de ce travail pour s'occuper de sa fille puisqu'elle n'a plus que lui au monde. Elle est toute sa vie et il voudrait qu'elle reste le plus longtemps possible dans le doux cocon de l'enfance ! Il la confie pourtant à cette baby-sitter un peu déjantée pour qui la vie se limite aux rave-parties, au piercing, à la drogue... Dans une société secouée par les difficultés économiques, avoir un travail de fonctionnaire, c'est à dire ne pas craindre le licenciement et le chômage est une sécurité à laquelle on tient. Après tout, même si, comme la plupart des gens, il n'a pas vraiment choisi ce métier, il est quand même plus sûr de le garder. Mais il vit mal ses fonctions et chaque chose dans son environnement, les mendiants dans la rue, les affiches publicitaires agressives, tout le bouleverse et son métier « lui fait mal ». Il est de plus en plus fragilisé par les événements et ce n'est pas ceux qui font son quotidien à l'hôpital qui vont lui rendre le moral.
Pourtant il n'est pas laid et pas non plus indifférent aux femmes. Il pourrait refaire sa vie, comme on dit, mais il perd de plus en plus les pédales et met en parallèle sa vie à lui et celle de cette femme encore jeune, veuve, qui vient de perdre la fille unique de 17 ans. Comme le dit son collègue, il prend peut-être trop sur lui. Apparemment, en ce qui concerne celui qui travaille avec lui, il est loin de tout cela. Il prend cet emploi comme un gagne-pain, loin des états d'âme. Il est même, d'une certain façon, très professionnel, c'est à dire froid et insensible dans l'exécution de sa tâche. Et puis, du côté personnel, il est plutôt superficiel, ne s'encombre pas de détails, pour lui son univers c'est les matchs de foot, les conversations salaces, les apparences hypocrites et la machine à café. C'est à peu près tout.
Et puis tout d'un coup, parce qu'il est en face de cette femme qui pleure, cette femme qui a perdu sa fille qu'elle ne reverra plus, qui est tout d'un coup l’image de tout ceux qui ont perdu un proche, il pète les plombs, porte le deuil de tous les morts, en veut à son collège d'être aussi primaire et obnubilé par ce sale métier, veut se donner la mort, revit à son tour le moment où on lui a annoncé qu'un drame s'était produit lors de la naissance de sa fille et qu'il fallait qu'il vienne à la clinique.... Celui qui lui a annoncé cela faisait le même métier que lui. La vie sera peut-être la plus forte ?
Comme pour beaucoup d'écrivains, j'ai rencontré Philippe Claudel par hasard. Après tout la publication, les librairies et les bibliothèques sont faites pour cela. J'apprécie chez lui le style fluide qui m'engage à poursuivre mon parcours de lecteur, même si ici je n’ai pas vraiment ressenti du plaisir à cette lecture, à cause du thème choisi peut-être ?.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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LES AMES GRISES – Philippe Claudel
- Par hervegautier
- Le 21/01/2013
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N°621– Janvier 2013.
LES AMES GRISES – Philippe Claudel - Éditions Stock.
(Prix Renaudot 2003)
Nous sommes en 1917 dans un petite ville de province, assez loin du front pour que la guerre ne la dérange pas, assez près quand même pour qu'elle se rappelle à ses habitants à cause du son du canon et des convois de soldats qui vont vers la mort.
Ce microcosme est bouleversé par la mort d'une gamine de 10 ans, surnommée « Belle de jour », une des trois filles de Bourrache, le patron de l'auberge, découverte assassinée dans l'eau froide du canal, derrière le château du Procureur Destinat. Ce magistrat solitaire, veuf, notable et grand bourgeois est austère et même un peu bizarre, comme coupé de la réalité qu'il régentait partiellement à cause de son métier, envoyant avec un grand détachement les assassins à l'échafaud. Le tribunal était aussi hanté par le juge Mierck, vicieux et cynique, craint autant à cause de ses fonctions que de l’insensibilité avec laquelle il les exerçait. Il est secondé par son acolyte, le colonel Matziev, sorti de nulle part aussi inquiétant que dérangeant.
Or ces deux hommes, ces deux magistrats aussi dissemblables l'un de l'autre se haïssaient comme il était difficile de se haïr. La proximité des lieux du crime avec le château du procureur, un témoignage qui l'accable mais qui cependant est vite écarté par le juge vont pourtant lui donner l'occasion de mettre de côté ses rancœurs et d'épargner son collègue. Ils ne s'aiment gère mais appartiennent au même monde, celui des notables, des défenseurs de la loi et de l'Ordre Public. La guerre est là, heureusement, et deux pauvres déserteurs égarés dans cette petite ville vont être des bouc-émissaires idéals. On leur fait avouer n'importe quoi et « l'affaire » qui bouleversa cette petite ville, est officiellement close.
Le narrateur, qui est aussi un modeste policier, remonte le temps à propos de cette « affaire » bien mystérieuse dont il tente de dénouer les fils bien qu'elle soit close. Il croise les âmes grises de ses habitants qui veulent oublier.et nous raconte aussi une autre mort mystérieuse, celle de cette jolie institutrice venue au cœur du conflit enseigner dans cette petite ville. Il nous parle de sa pauvre vie à lui, celle d'un planqué dispensé de guerre mais qui pleure sa femme. Il se classe volontiers dans le camp des salaud, les « justes » sont ceux qui sont au front et qui se battent pour leur Patrie. Il n'est pas l'un d'eux, et pas seulement à cause de cette guerre qu'il n'a pas faite.
Après la mort du Procureur, torturé par le mystère de l'assassinat de « Belle de Jour » autant que par la justice qui n'a pas été correctement rendue, il choisit de narrer pour lui-même les faits, noircissant des cahiers qui lui font peut-être mieux accepter les choses et son âme à lui, tout aussi grise que celle des autres, tout en notant « C'est douloureux d'écrire, je m'en rends compte depuis des mois que je m'y suis mis. Ça fait mal à la main, et à l'âme ». Pourtant, il est admis que l'écriture est libératrice mais l'épilogue montre que dans son cas, il ne peut rien en être.
Tout au long de ce roman qui n'est pas un « policier » à proprement parlé, j'ai été séduit autant pas l'écriture fluide et agréable à lire de son auteur autant que par le suspens savamment entretenu jusqu'à la fin.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE CAFE DE L'EXCELSIOR – Philippe Claudel
- Par hervegautier
- Le 20/01/2013
- Dans Philippe Claudel
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N°620– Janvier 2013.
LE CAFE DE L'EXCELSIOR – Philippe Claudel- Éditions La Dragonne.
Photographie de Jean-Michel Marchetti.
Le bistro, en France, c'est une institution, presque un élément de culture populaire, en tout cas quelque chose dont on ne pourrait plus se passer et qui doit bien receler un peu de cet art de vivre que le monde entier nous envie. Celui du narrateur qui, à l'époque était encore enfant, ce n'était pas un café à la mode, il s'en fallait de beaucoup. C'était tout juste un estaminet un peu crasseux d'une banlieue ouvrière, près d'un canal. Il était tenu par son grand-père qui trônait, hiératique, derrière son zinc, versant des apéros et des verres de rouge, donnant la réplique aux clients habitués. C'était toujours les mêmes qui venaient là : le facteur, inénarrable fonctionnaire, Marcepie le chauffeur de bus qui devait consommer autant l’alcool que son véhicule de carburant. Il soliloquait comme le font les solitaires et les malheureux sur terre, et les autres piliers de comptoir qui fréquentaient ce débit de boissons au vague nom latin. On aurait presque imaginé autre chose au seul énoncé de ce titre qui impliquait presque le luxe. Ils s'y retrouvaient pour échapper au quotidien, à la routine, à l’éternelle ire d'une épouse ou simplement pour refaire le monde à coups de conversations qui ne risquaient pas de bouleverser les théories philosophiques. Tout cela tenait de l'habitude, du rituel, en tout cas de l'incontournable rendez-vous que personne parmi sa clientèle n'aurait osé manquer sauf à constituer une irréparable faute de lèse-patron.
Ce lieu était évidement exclusivement dédié aux hommes, et pas n'importe lesquels. Il fallait, pour y être admis avoir au moins ses quatre quartiers d'alcoolisme, et d'un alcoolisme militant évidemment, qui se voyait évidemment sur le visage (« la vie se lit sur l'usure d'un visage »), sur les gestes alentis avec lesquels on se portait réciproquement la santé. C'était toute une congrégation d'habitués à qui il ne serait pas venu à l'idée de bouleverser en quoi que ce soit l’ordonnancement des choses de cet antre où le temps passait avec « la lenteur d'un goutte à goutte », où l'apéro se consommait dès neuf heures du matin, dans le plus grand respect de la sieste méridienne du patron. On y tapait le carton, on y bouffait du curé, on appréciait en connaisseur la panier de girolles ou le gibier, évidemment de braconnage qui venait à s'y trouver, on y commentait le cours des choses de l'extérieur, et c'était tous les jours pareil. En bleus de chauffe les jours de la semaine ou dans leur unique costume du dimanche qui datait de leur mariage et qui fleurait bon la naphtaline, ils se retrouvaient dans ce décor un peu crasseux mais si coutumier qu'ils y seraient venus les yeux fermés. Ils y prenaient leur ration d’alcool et de gros rouge sans laquelle leur vie n'était pas concevable. Bien entendu, quand une femme s'y aventurait, par accident évidement, elle était poliment mais fermement reconduite à la porte. Il ne fallait pas mélanger les genres et surtout pas se tromper de lieu !
Ce bistro faisait aussi cantine, mais pour les clients seulement et le vieil homme confectionnait pour eux et, évidemment pour son petit fils, sa « corbeille d'eau douce », un infâme salmigondis de poissons et de légumes dont la couleur n'avait rien d'engageant mais qu'on consommait avec délectation (« cette affreuse soupe couleur de boue »). C'était en tout cas l'occasion de se rappeler son enfance d'école buissonnière !
Le dimanche, après la messe, ce grand-père accompagnait le narrateur le long du canal où il lui offrait une glace. Ils taquinaient le poisson et regardaient les péniches qui, pour l'enfant, avaient des ventres pleins de rêves et de voyages. L’aïeul lui parlait de ses parents, morts ensemble trois auparavant parce que la vie leur avait soudain semblé invivable. Le petit orphelin s'était ainsi retrouvé ici parce que vieillard était la seule famille qui lui restait.
Puis un jour tout cela s'est arrêté pour le narrateur parce que l'administration toute puissante avait décidé, dans son intérêt évidemment, que ce décor, ce microcosme n'étaient pas bon pour lui. Ce furent des familles d’accueil qui le tinrent éloigné longtemps de cet morceau d'enfance, avec seulement quelques lettres difficilement écrites de ce grand-père vieillissant. Puis, plus rien parce que le temps passe et que l'humaine condition reprend ses droits...
Tel est ce court roman émouvant, poétique et fort bien écrit, qui fut pour moi, certes un bon moment de lecture mais aussi un saut dans cette période dont on ne guérit jamais : l'enfance !
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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CE QUE SAVAIT JENNIE – Gérard Mordillat
- Par hervegautier
- Le 20/01/2013
- Dans Gérard Mordillat
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N°618– Janvier 2013.
CE QUE SAVAIT JENNIE – Gérard Mordillat- Calmann-Lévy
C'est un titre un peu énigmatique qui fait référence à un roman d'Henry James [1843-1916], écrivain américain, considéré comme le maître du roman et de la nouvelle, auteur de « Ce que savais Maisie ». Cette œuvre retrace le parcours un peu chaotique d'une petite fille qui, âgée de trois ans, doit faire face au divorce de ses parents et se « partager » entre eux par une résidence alternée. Cette situation se révèle rapidement délétère puisqu'elle ne tarde pas à s'apercevoir qu’elle sert d'espionne autant que de souffre-douleur à chaque des deux ex-conjoints qui se servent d'elle pour assouvir leur haine réciproque. Pire peut-être, elle est complètement délaissée. Ce roman a été adapté au cinéma par Édouard Molinaro (1995).
Ici,Jennie, à qui on peut bien redonner la majuscule de son prénom apparemment escamotée dans le titre, est la fille d'Olga, sa mère, qui refuse obstinément de lu révélé le nom de son père. A seize ans, elle vit avec elle dans une maison faite de bric et de broc, et pas tout à fait terminée, située entre l'aéroport de Roissy et une ligne de chemin de fer, autant dire au milieu de nulle part. Ici habite également Mike, le compagnon un peu marginal de sa mère et leurs deux filles, Malorie et Saïda. L'histoire commence par un repas de famille bien arrosé où s'égrènent des idées reçues dignes du café du commerce et des propos salaces. Elle se termine par la mort accidentelle de Mike, ce qui fait d'Olga une femme seule, vite rejointe par Slimane et par la naissance d'Hakim. Voilà donc Olga, mère de quatre enfants qui se repose sur Jennie, l’aînée, pour les soins apportés à ses frère et sœurs. Elle joue en effet auprès d'eux, et spécialement auprès de Malorie, le rôle efficace d'une véritable « petite mère ».
Tout aurait pu être bien dans cette vie si la mort n'avait encore frappé, emportant Olga et Slimane dans un accident et dispersant les enfants de foyers en familles d’accueil. Jennie est alors âgée de seize ans trouve cela profondément injuste.
Sept ans ont passé, Jennie a alors vingt trois ans. Après une longue période de galère, elle entreprend à travers la France de retrouver ses frère et sœurs parce que leur mère leur avait promis, avant de mourir, de les emmener voir la mer à Étretat. Elle en profite pour régler ses comptes avec tous ceux qui l'ont trahie ou abandonnée et qui, à ses yeux, sont responsables de l’éclatement de sa famille.
Dans sa quête, elle va de déconvenues en désespoirs, croise Quincy, un acteur de cinéma qui ne veut plus l'être et qui, lui aussi à des comptes à régler avec les ex-employeurs de sa mère qui, l'ayant injustement licenciée, l'ont acculée au suicide. Sa quête qui le fera basculer dans le crime, lui sera fatale.
Mais, revenons a ce roman d'Henry James qui ne fait pas qu'inspirer le titre du livre de Gérard Mordillat. C'est l'ouvrage de référence de Jennie « Maisie était pour Jennie une œuvre vers laquelle se tourner en toutes circonstances de la vie pour y trouver conseils, réconfort et amitié » et puisque sa vie à elle n'est faite que de galères, elle puise dans ce livre sa consolation. Mieux « (elle) avait besoin … de mots, tant de mots lui manquaient pour exprimer l'étendue de son chagrin, de sa colère. ». D'ailleurs, ce roman « c'était son livre qu'elle lisait et relisait ». Elle se l'approprie au point d'en souligner des passages, de le décorer de dessins personnels, de l'annoter.
C'est donc un roman sur l'injustice qui frappe sans cesse Jennie au cours de sa courte vie et on imagine qu'elle est bel et bien née sous une mauvaise étoile qui la poursuivra. Injustice de ne pas avoir connu son père (Elle l'entrapercevra cependant sur une photo), injustice d'être ballottée par le sort qui lui est contraire, injustice de cette loi qui s'impose à elle et lui interdit, à cause de son jeune âge, de s’occuper de ses frère et sœurs alors qu'elle souhaitait ardemment le faire, injustice d'être elle-même promenée de familles en familles, injustice de voir Saïda et Hakim, devenus Sophie et Olivier récupérés au titre de l'adoption ; injustice aussi parce qu'elle est exclue du bonheur auquel chaque être a droit sur terre. C'est aussi un roman sur la mort qui la suit de près et accompagne ses pas, cette mort qui a toujours le dernier mot et qui ne capitule ni devant l'amour ni devant le désespoir.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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La dactylographe de Mr James – Michel Heyns
- Par hervegautier
- Le 20/01/2013
- Dans Michel Heyns
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N°619– Janvier 2013.
La dactylographe de Mr James – Michel Heyns- Éditions Philippe Rey.
Traduit de l'anglais (Afrique du sud) par Françoise Adelstain
Le grand écrivain américain Henry James (1843-1916) engagea en 1907 Theodora Bosanquet (1880-1961) en qualité de secrétaire. Elle le restera jusqu'à la mort de l'écrivain. Son travail consistait à taper à la machine sous la dictée de James. Elle ne se contenta pas de ce travail assez ingrat et écrivit elle-même « Henry James à l'ouvrage »(1924) où elle porte témoignage à la fois de l'homme et de l'écrivain. D'autre part elle publia également son journal ce qui fit d'elle un auteur reconnu.
L'auteur, Michel Heyns, s'empare de cette relation professionnelle authentique pour faire de Theodora, rebaptisée Frieda Worth, alors âgée de 23 ans, un personnage de roman. Tel est le prétexte de ce récit bien documenté, fort bien écrit, plein d'humour délicat, de descriptions agréables, d'analyses psychologiques. Il est en tout cas fort bien traduit (notamment avec un grand souci du mot juste) qui mêle la fiction à la réalité, créant lui-même pour les besoins de son récit des faits qui n'ont pas existé où qu'il déplace dans le temps et dans l'espace, s'inspirant de théories qui nourrissent son écriture, comme il s'en explique dans une note à la fin de l'ouvrage. Le texte distille une musique qui plonge le lecteur dans une ambiance surannée et un dépaysement agréable.
Sous la forme d'un récit chronologique qui va de novembre 1907 à juillet 1909, le narrateur décrit une époque où la femme est un citoyen de seconde zone dans un monde d'hommes mais où se développent cependant des mouvements d'émancipation. Frieda, jeune femme cultivée, discrète et vive d'esprit, promise à un avenir de mère de famille traditionnelle, cherche cependant à s'émanciper par le travail. Elle est toute disposée à se mettre au service de M. James avec compétence et réserve, même si elle considère que, pour gagner sa vie, elle mérite mieux que cet emploi subalterne. Elle s'installe donc à Ry, petite ville guindée du Sussex et s’acquitte de sa tâche. Il s'agit de préparer une édition complète, corrigée et commentée de l’œuvre de James. Dans cette maison de « Lamb house » vivent, autour de M. James des domestiques discrets, des invités parfois exubérants et extravagants et même le chien Max qui complète agréablement le tableau. Frieda y rencontre a romancière américaine Edith Warthon (1862-1937), Morton Fullerton, journaliste américain, correspondant du Times à Paris, amant de cette dernière et ami de M. James. Avec lui elle noue une relation cordiale et respectueuse au début, la promesse d'une future vie commune et même une relation amoureuse même si cette dernière, par sa rapidité, est quelque peu en contradiction avec le puritanisme de l'époque. En réalité c'est plutôt un marché autour de lettres jugées compromettantes pour lui qu'elle est chargée de récupérer, même si pour cela, et contrairement à l'éducation qu'elle a reçue de sa mère, elle doit trahir le naïf M. James. Elle le fera par amour mais le déroulement des événements lui révélera le cynisme de M. Fullerton et finalement orientera sa vie future.
De son propre aveu, l'auteur précise qu'il prend des libertés avec la personnalité de Miss Worth, encore qu'on peut aisément imaginer qu'elle ait pu obéir à l'invitation de M. James de profiter de la vie[« Profitez de la vie autant que vous le pouvez, c'est une erreur de ne pas le faire ». Ce qui est sûr en revanche c'est que Theodora Bosanquet a eu après la mort de M. James des communications avec lui par le biais du spiritisme, ce qui, en quelques sorte prolongea la fonction de dactylographe de cette dernière. L'auteur la rend également réceptive à la télépathie pratiquée, par l’intermédiaire de sa Remington, avec le même M. Fullerton ! Cela peut paraître un peu fantaisiste mais Heynz a choisi de rendre compte, par ce biais de l'intérêt que portait Thoedora Bosanquet aux phénomènes paranormaux. En réalité, Frieda prend de plus en plus d'importance au sein même de cette famille puisque, au départ, on considérait qu'une simple dactylographe ne fournissait qu'une prestation, n'était pas obligée de comprendre ce qu'elle tapait et n'était que le simple prolongement de sa machine. Au fur et à mesure du récit, et notamment à l'invitation de la nièce de M. James, elle s'impose également, loin des esprits frappeurs, des guéridons et autres séances d'invocation, comme une sorte de médium entre cette dernière et une tante décédée. Sa machine va donc devenir une sorte d'instrument de « l'écriture automatique » et Frieda un truchement indispensable dans ce phénomène. Aux yeux de M. James, elle prend aussi une autre dimension qui décide de sa vie future. En revanche, elle ne va pas tardé à s'apercevoir de la duplicité, de l'hypocrisie et de la trahison qui animent les différents membres de ce microcosme comme toutes les sociétés humaines qui en sont friandes. M. James, lui, semble à part, comme dans une bulle, uniquement préoccupé par son écriture.
Ainsi l'auteur en profite-t-il pour parler de la mort, de la vie, de la notoriété, de la renonciation, en les relativisant (« La vie nous trahit, seul l'art ne déçoit pas »). Dans ce lieu un peu à part, le lecteur voit peu à peu apparaître des thèmes consacrés aux suffragettes et au spiritisme et aux techniques nouvelles, traduisant des préoccupations en vogue à l'époque victorienne mais aussi des comparaisons entre l'ancien et le nouveau monde, William James, le frère d'Henry résidant avec sa famille aux États-Unis.
Miss Worth est donc le témoin privilégié d'un monde auquel elle n'appartenait pas au début mais qu'elle parvient cependant à maîtriser. La scène finale, dans le brasier qui se consume est révélatrice et Frieda n'est plus un simple secrétaire, elle devient l'égal de James face à la vie. C'est un peu comme s'il lui passait un relais de l'écriture. Quant à Heyns, sans tomber dans le plagiat, il rend fort bien l'ambiance des œuvres de James. L'hommage qu'ainsi il lui rend est de qualité.
J'avoue volontiers que, malgré quelques remarques sur la vraisemblance de certains épisodes, ce roman m'a procuré un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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ACCESSIBLE A CERTAINE MELANCOLIE– Patrick Besson
- Par hervegautier
- Le 09/01/2013
- Dans Patrick Besson
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N°617– Janvier 2013.
ACCESSIBLE A CERTAINE MELANCOLIE– Patrick Besson- Albin Michel
Milan Canovas est un séducteur qui a dépassé la quarantaine. Son nom est d'ailleurs, à quelques lettres près, celui de Giacomo Casanova. Comme notre Vénitien, il va de femme en femme, les séduit, couche avec elles puis les abandonne au gré de son humeur ou de ses autres conquêtes. Après tout, un authentique Don Juan ne fait pas autre chose, ne vit pas autrement. Il est correspondant de guerre ce qui ajoute sans doute à son aura pour ses compagnes d'une nuit ou de quelques jours. Certes, il est marié et père de famille mais cela ne l'empêche pas de pratiquer le nomadisme amoureux que facilite grandement son métier itinérant.
Présentement, il est marié à Brigitte avec qui il a un enfant et qui est enceinte, de lui doit-on préciser, et qu'il passe son temps à quitter tout en gardant toujours son adresse et son numéro de téléphone, au cas où... Mais dans le même temps il y a Rose, une étudiante au nez refait par Anne, une chirurgienne dont il devient aussi l'amant bien qu'elle soit elle-aussi mariée et mère de famille et qui choisit de tout abandonner pour le suivre malgré ses autres maîtresses ! Il multiplie les passades et où qu'il aille, une femme l'attend pour coucher avec lui, qu'il soit en France ou à l'étranger ! Il hait les repas de famille et la famille elle-même et ses enfants n'ont que peu d'importance pour lui. J'ai eu l'impression que ce qu'il aime dans cette vie se résume à la jouissance qu'il ressent avec une femme, mais à condition d'en changer rapidement, et à condition aussi que le moment soit piquant, érotique, exceptionnel ! On pourrait être tenté de dire « Tout ça pour ça » mais, après tout , cela peut parfaitement représenter un art de vivre qui en vaut un autre !
Face à cette envie de jouir, on a l'impression que tout le reste est une somme d'épiphénomènes, tout le reste comme le cancer de Brigitte ou l'agression sur sa personne et avec arme à feu d'une de ses anciennes maîtresses. A Norbert, Le philosophe-ami, il avoue « Je crois que je n'ai plus de sentiment, plus aucune humanité...Il me semble que j'ai simplement besoin d'elle(de sa maîtresse), un besoin atroce, comme celui de la vache pour le brin d'herbe ».
Ce roman est donc l’histoire quelque peu échevelée de tous ses amours, ce qui pourrait sembler anodine ou intéressante, mais que le style du texte ne m'a pas beaucoup encouragé à poursuivre ma lecture. Le livre a bien failli me tomber des mains plusieurs fois, mais j'ai poursuivi, ne serait-ce que pour avoir la clé de ce roman dont le titre est quelque peu énigmatique. Ce n'est pas simple de trouver un intitulé à un récit et je me suis interrogé sur la signification d'icelui. C'est sans doute ce qui m'a motivé ?
Pourtant, j'ai ressenti autre chose, une sorte de musique mélancolique née d'une vie certes aux antipodes de la routine mais quand même, baignée par un ennui. Cela vient-il de la fuite du temps soulignée par le calendrier des événements passés que l'auteur égrène avec une certaine nostalgie. Peut-être ? J'ai eu l'impression que cette vie était à ce point difficile qu’il attendait de la femme, c'est à dire de toutes celles qui croisaient sa vie, qu'elle soit une sorte de révélateur qui le transformerait, qui serait capable de faire de lui ce qu'il est en réalité. C'est un peu comme s'il déplorait le spectacle de lui-même, celui d'un être imparfait et en devenir. « Il attendait de rencontrer une femme qui lui donnerait forme humaine, c'est à dire divine... Il fallait que quelqu'un le sorte de cette prison... Chaque femme pouvait être ce sauveur...Il n'aimait pas les femmes, ils croyait en elles. Il était sûr que l'une d'entre elles le sauverait .Il voulait la trouver avant de mourir. » Cela vient-il qu'entre les lignes il y a la réalité de la mort qui nous attend tous et que les humains qui nous entourent ne suffisent pas à nous faire oublier. Peut-être ? Pourtant, la camarde peut parfaitement être regardée comme un sauveur et son coup de faux un acte de libération. J'avoue que ce message me séduit assez et que Milan peut parfaitement vouloir jouir sans entrave avant cette échéance. Peut-être ressent-il une sorte de mal de vivre, né de impossibilité de se fixer et qu’il l'exorcise par la conquête des femmes qui résume pour lui à un simple acte sexuel, comme un dérivatif pourtant voué à l'échec et qui porte en lui le suivant ? Peut-être ?
Il reste que j'ai beaucoup moins accroché à ce roman. Les précédents (Belle-sœur, Saint-Sépulcre ! La feuille volante n° 615 et 616) m'avaient davantage plu.
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SAINT-SEPULCRE !– Patrick Besson
- Par hervegautier
- Le 02/01/2013
- Dans Patrick Besson
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N°616– Janvier 2013.
SAINT-SEPULCRE !– Patrick Besson- Fayard
Nous sommes à Paris au XIII° siècle, sous le règne de Louis IX. Un écolier, Richart Perpin, fils de bourgeois, paresseux, pas mal soiffard et surtout jouisseur doit rendre un devoir sur la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon, lors de la 1°croisade en 1099. Le sujet ne l’inspirant guère il en confie la rédaction à un vieux jongleur érudit de ses amis, Bénodet, lui-même ami de Ruteboeuf, contre quelques pintes de vin. En fréquentant de concert les tavernes et les bordels, ils tombent ensemble amoureux d'une jeune prostituée palestinienne, Edelinne, qui avait été enlevée à un sultan puis vendue à une maquerelle par un ancien templier aveugle, Gile d'Avèze. Cependant la jeune fille s'est enfuie du bordel où elle travaillait et Richart comme Bénodet partent à sa recherche dans un Paris pittoresque. Après 20 ans à guerroyer en Terre Sainte, ce chevalier, malade et vieux, veut revenir en Picardie où il est né et, pour ce faire, use de ce stratagème efficace pour soutirer de l'argent à différentes tenancières afin d'assurer sa subsistance.
Reste le devoir qui doit être rendu ; Bénodet pense que c'est trop bête de s'en tenir à la véritable histoire de Godefroy et voudrait que cela soit sa grande œuvre. Il choisit donc d'y ajouter le récit fictif d'un de ses compagnons, pourtant bien différent de l'Avoué du Saint-Sépulcre, un chevalier qu'il nomme … Luc d'Avèze. Il n'a rien d'un être preux puisqu'il est exclus des Templiers à cause de ses péchés mortels et des transgressions aux règles de l'ordre. En fait, pour son récit fictif, Bénodet s'inspire de la vie du véritable homme de guerre et compagnon de Godefroy de Bouillon, sous le contrôle littéraire avisé de Ruteboeuf. Cet ouvrage une fois achevé, et qui vaudra le bûcher à Bénodet tant il est blasphématoire, portera finalement la signature du jongleur et le titre de « Saint-Sépulcre », le cri de guerre de Godefroy ! Il devra d'ailleurs sa mise en prison puis plus tard sa condamnation, à la trahison de son fils aîné, Jude. Il sera cependant sauvé du supplice par le mariage qu'il contracte avec Ysabel, la sœur laide mais surtout vierge de Richart, conformément à une vieille loi médiévale.
Comme si cela ne suffisait pas dans la liste déjà bien fournie de leurs aventures, Richart qui a abandonné son idée d'entrer dans les ordres et même ses projets de carrière juridique s'embarque pour la Terre sainte à la suite de Louis IX. Il est accompagné comme son ombre de Bénodet et d'Ysabel.
Notre auteur émaille son texte d'aphorismes bien sentis qui sont autant de remarques pertinentes sur la société des hommes[« Pourquoi dominons-nous les autres? Pour pouvoir les aimer »], sur l'existence terrestre [« La vie est un tel malheur que la mort ne saurait être un malheur plus grand »], sur la religion [« Bizarre qu'on dise la messe dans la langue des Romains quI ont crucifié Jésus. », « Les messes,se dit-il, c'est le contraire du sexe : elles sont toutes les mêmes alors qu'on ne fait jamais deux fois l'amour d'une façon identique »], sur la charité et ceux qui la pratiquent:[« A Ceux qui la font la charité spectaculaire rapporte tellement plus qu'elle ne leur coûte puisqu'elle ne leur coûte rien. »] , sur les femmes [« Pourquoi les femmes qu'on aime sont-elles fraîches quand il fait chaud, chaudes quand il fait frais ?»] avec toujours le sens de la formule teintée d'humour [« Il la pénétra comme nous entrons dans une église le jour de nos noces. »]...
L'auteur manie à merveille l'Histoire et la fiction. Grâce à un texte remarquablement documenté, il promène son lecteur dans une société médiévale colorée, vivante et authentique où on voit Dieu et le diable partout, où la conduite chrétienne du roi, le futur Saint Louis, qui invite les pauvres à sa table et rend la justice sous un chêne, voisine avec celle plus que marginale et contestable de nos deux compères bien plus volontiers inspirés par le vice et le blasphème, comme d'ailleurs celle de la plupart de leurs contemporains. C'est vrai qu'à l'époque on honorait Dieu un peu par obligation et on partait pour la Palestine pour diverses raisons : délivrer le tombeau du Christ, expier ses péchés, échapper à quelqu’un ou à quelque chose, faire la guerre ou simplement s'enrichir !
C'est à un véritable roman picaresque, à grands renforts de mises en abyme, que Patrick Besson invite son lecteur. Les gens changent d'identité et de fonctions, meurent apparemment puis refont surface comme par miracle, voyagent dans le temps et dans l'espace, se découvrent des parentés incestueuses ou adultérines, les vies se croisent et s'entrechoquent, les destins se font et se défont, les paternités y sont douteuses et les filiations illégitimes et consanguines … Un véritable dépaysement !
Dans un style truculent, peu académique parfois, mais qu'importe, son récit rocambolesque donne l'occasion à Patrick Besson de se livrer, sous couvert de l'évocation de cette période, à une peinture de l'humanité, une humanité qui n'a pas changé, ne changera jamais et n'a pas grand chose d'humain. Il y a l'amour qu'on fait pour le plaisir et celui qu'on n'a pas donné par égoïsme, par manque de temps ou par oubli, la trahison, l'envie de tuer, la passion pour Dieu pour l'argent pour les femmes ou pour le vice... Face à cela, il invoque notre envie légitime de mourir, non seulement parce que c'est la fin normale de la vie mais aussi parce que c'est une délivrance.
Un bon moment de lecture en tout cas.
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BELLE-SOEUR – Patrick Besson
- Par hervegautier
- Le 28/12/2012
- Dans Patrick Besson
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N°615– Décembre 2012.
BELLE-SOEUR – Patrick Besson- Fayard
Une famille presque ordinaire à Marolles-en-Brie que nous présente le narrateur, Gilles, l'aîné, la quarantaine : une mère Catherine Verbier, veuve d'un mari décédé tôt et remplacé par Savario, un italien retraité, féru d'actualités et de sport, mais à la télévision seulement. Il avait pris la place du père dans cette famille bizarrement recomposée où les époux ne s'aimaient guère et se contentaient de se supporter. Il faut dire que tout les opposait, lui le pharmacien rondouillard et insignifiant et elle la dentiste flamboyante et séduisante. Ils n'allaient vraiment pas bien ensemble. Dans cette famille un peu hétéroclite il y aussi Fabien, le fils préféré, célèbre acteur de cinéma, alcoolique militant et toxico actif, pas très net donc, mais en couple avec Annabel, une attachée de presse parisienne qui aime surtout les vieux messieurs mais a fait une exception pour son compagnon. Leurs amours sont chaotiques et survivent tant bien que mal face aux conquêtes aussi flamboyantes qu'éphémères de Fabien. Ils passent leur temps à se séparer et à se rabibocher même si elle est amoureuse de lui mais lui pas vraiment d'elle.
Le narrateur, Gilles, est journaliste, délaissé par sa mère et positivement amoureux d'Annabel, la fiancée de son frère qui risque ainsi de devenir sa belle-sœur alors qu'il préférerait qu'elle devînt son épouse. Pourtant ses louables tentatives en ce sens sont plus ou moins vouées à l'échec. Souffler sa petite-amie à son frère dont il est jaloux serait un bon moyen de se venger de lui. Il se rabat, si on peut dire, sur Sophie qui arrive dans sa vie, moins pour lui-même que pour se rapprocher de Fabien dont elle est fan et surtout éperdument amoureuse et qui n'attend qu'une occasion pour coucher avec lui. Tel est l'intrigue de ce roman où le lecteur ne tarde pas à s'apercevoir qu'il s'agit d'un chassé-croisé amoureux, d'une histoire de ménage à quatre, avec ses tromperies, ses mensonges, ses abandons, ses retrouvailles, ses grossesses croisées et ses incertitudes sur la paternité réelle, tout cela sur fond de « people », de « Je t'aime, moi non plus », de recherches ADN de querelles familiales, et tout ceci entre frères ! Les mères sont ici sûres d'une chose c'est qu'elles ont chacune un fils, Tom et Jean, mais pour le père... ? Ce vaudeville aurait pu être plaisant s'il ne s'était terminé par la mort accidentelle de Fabien dont Gilles se demande s'il ne s’agit pas d'un suicide et qui éloigne Anabel définitivement de lui puisqu'il épouse finalement Sophie qu'il n'aime pas.
Cet événement fait resurgir de vieilles questions occultées par des années de silence, de non-dits, de sauvegarde des apparences pour la paix des ménages et des consciences. Quant à Savario, il est purement et simplement congédié. On n'avait pas tardé à s'apercevoir qu'il était surtout un opportuniste et un profiteur, c'est à dire un surnuméraire dans cette drôle de famille où il n'avait pas sa place. Gilles est rejeté sans appel par sa mère qui l'estime responsable de tout et accrédite cette idée auprès des siens, d'autant plus que cela lui permet d'occulter sa propre culpabilité. Marolles deviendra, autour d'elle une véritable maison de famille mais uniquement peuplée de femmes et de deux enfants à l'identité génétique incertaine. Une manière de dire peut-être que la vie a gagné mais Gilles restera malgré le paria, le malheureux, définitivement séparé d'Anabel désormais inaccessible. On imagine pourtant les habitudes qui se figent, les choses définitivement gravées dans le marbre de ce microcosme et la hiérarchie familiale dont Gilles est désormais exclu, le culte du mort perpétué par ces femmes qui l'ont aimé et qui ne cesseront de le faire jusqu'à la fin, pour des raisons différentes.
Je ne connaissais pas Patrick Besson. Avec ce roman, je n'ai pas passé un mauvais moment de lecture puisque je suis allé au bout de ce livre. Il y a bien des bons mots, des remarques pertinentes [ j'en choisis une, et pas au hasard :« La mort a quelque chose de gai : on est délivré de la vie »], des effets de phrases plutôt bienvenus et parfois même un peu humoristiques [« Ce qu'Anabel n'aimait pas chez Fabien, c'était qu'elle l'aimait ; ce qu'elle aimait chez moi, c'était qu'elle ne m'aimait pas »]. Le style et l'histoire m'ont pourtant modérément passionné même si des détails qui émaillent le récit et n'y ajoutent vraiment rien pourraient parfaitement être passés sous silence. La liste des courses avec le prix de chaque produit, le détail des menus, le score des matches de tennis, l'énumération des cafés, restaurants parisiens, des boutiques à la mode avec leurs adresses , etc... pas vraiment attrayant pour la pauvre provincial que je suis. Cela ressemble à de la publicité pas forcément gratuite, dessert le texte et indispose le lecteur. Il faut savoir ce que l'on veut !
Que reste-t-il, le livre refermé, de cette histoire un peu embrouillée et compliquée où l'amour vrai croise les coucheries d'un soir ? Cette question qui se pose à chaque fois que je termine un ouvrage et justifie, peut-être, cette chronique. Je dois à l’honnêteté de dire que quelque chose m'agaçait sans que je sache très bien quoi et qui m'invitait à passer à autre chose . J'ai continué ma lecture cependant ne serait-ce que pour connaître l'épilogue. Cette histoire de gens qui poursuivent un but sans pouvoir l’atteindre, qui ne s'aiment pas sans en connaître eux-même la véritable raison, qui accréditent définitivement une idée et s'y accrochent au point qu'elle devient pour tout le monde une certitude, qui se séparent et qui, pour se consoler sans doute en épousent d'autres, m'a rappelé quelque chose qui ressemble à la société des hommes, à la condition humaine, à la peur de la solitude, à la vie.
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UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 24/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°614– Décembre 2012.
UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson- Juillard
Depuis que j'ai croisé l’œuvre de Philippe Besson sur les étagères d'une bibliothèque et que cette chronique s'est fait l'écho de pratiquement la totalité de ce qu'il a publié, j'avoue bien volontiers que c’est la première fois que j'ai tant hésité à poursuivre la lecture d'un de ses livres. Il m'est même, à plusieurs reprises tombé des mains et je dois sans doute à son style fluide et agréable à lire, à sa phrase simple, précise et faite de mots sans prétention d'avoir poursuivi ma lecture. Peut-être aussi parce que cette histoire se déroule sous le soleil d'automne, à Florence, cette merveilleuse ville toscane qui porte un nom de femme ?
Pourtant, cette histoire est un peu déconcertante. Sur les rives de l'Arno, en contre-bas du Ponte Santa Trinita, on a découvert au matin le cadavre d'un jeune homme, Luca Salieri, 29 ans. Accident, suicide ou meurtre ? Cette cité est celle des énigmes et, par conséquent, le cadre était plutôt bien choisi. Le lecteur s'attend donc à lire un roman policier, mais ce n'en est pas vraiment un, puisque le narrateur n’est autre... que le cadavre lui-même ! C'est lui d'ailleurs qui raconte la découverte de son corps, les questions que ne manquent pas de se poser les enquêteurs en pareil cas, l'autopsie, l'enterrement et j'en passe. Il n'est d'ailleurs pas avare de détails [« Voici que les vers s'attaquent à l'armature, que les asticots prospèrent, que la vermine accourt pour se nourrir de ma viande en décomposition, que des larves s'extirpent de mes orbites creusées. »]. C'est lui aussi qui donne la clé de l'énigme. Bien entendu, il parle à la première personne tout comme les deux autres personnages principaux, Anna Morante, sa compagne et Leo Bertina, un petit prostitué un peu minable qui officie dans le quartier de la gare. Ils interviennent directement et alternativement dans le récit, dévoilant petit à petit leur rôle dans cette affaire et surtout dans la vie de Lucas. A Anna, Luca réservait le mensonge et à Leo le silence. Ces deux portraits croisés vont petit à petit éclairer cette énigme, révélant le rôle personnel qu'ils ont pu y jouer et aussi la personnalité de Luca. Au fil des pages l'intrigue policière s'estompe peu à peu pour disparaître complètement par le biais d'une banale décision administrative. A sa place, Besson y substitue une histoire d'amour mais pas exactement celle à laquelle on pouvait s'attendre. Anna formait avec Luca un couple et un mariage était envisagé. A ce titre et puisque c'est elle qui a signalé sa disparition, elle est interrogée par la police mais prend petit à petit conscience des pointillés et des petits mystères qui existaient entre eux. Elle les supportait cependant par attachement et peut-être par amour pour Luca mais les investigations policières vont progressivement les éclairer et les expliquer. A côté de cette relation quasi-amoureuse, le lecteur assiste à la révélation d'une véritable liaison entre Luca et Leo qui met en évidence une hypocrisie familiale. Pourtant c'est Luca lui-même qui les réuni autour de son cercueil « Anna, Leo, de grâce, soyez assurés que j'emporte votre image avec moi ».
Les autres intervenants secondaires, ses parents notamment, sont juste évoqués, comme des étrangers.
C'est un peu comme si un mort-vivant nous raconterait ce qu'il « voit » à l'extérieur et ce qui lui passe par la tête, égrenant ses souvenirs et ses remords . Il le fait sur le ton léger de la vie, sans aucune angoisse de la mort, avec détachement et même soulagement d'avoir été enfin, par le hasard, débarrassé d'un fardeau. Il avait dû espérer quelque chose de cette existence qu'il n'a cependant pas obtenu d'elle, une sorte d'impossibilité à mener ce ménage impossible, ce trio qui ne pouvait que déboucher sur le scandale ou sur le néant. Il prend cette aventure avec un certain fatalisme et même de l'humour. Il est vrai qu'on peut toujours rire de tout, même des événements les plus inattendus et que c'est une arme efficace, même contre les tragédies... Pourtant Lucas avait tout pour être heureux, une bonne famille bourgeoise, une compagne jeune, jolie et aimante et ce Leo qu'il semblait avoir bien connu. Il incarnait pourtant sa face cachée, son aspiration vers autre chose, sa fêlure aussi, une autre vie impossible à réaliser. Philippe Besson cite d'ailleurs plusieurs fois Cesare Pavese, écrivain italien, auteur entre autre du « Métier de vivre » qui se suicidera.
J'observe que Luca est mort jeune et que pour l'éternité il gardera les traits lisses de son visage, la souplesse de son corps, personne ne le verra vieillir et lui ne sentira pas ses os se déformer et ses yeux s'éteindre. C'est le thème de la jeunesse et de beauté des corps qui revient encore une fois sous la plume de Besson, allié aussi à l'obsession de la mort. Certes il y a l'homosexualité présentée ici comme la part d'ombre de Luca mais ce que je retiens aussi c'est l'hypocrisie, la trahison qu'il pointe du doigt et qui caractérisent tant l'espèce humaine et la rend définitivement détestable.
Au début j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'univers de ce roman. J'ai persisté dans sa lecture et je ne le regrette pas.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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SE RESOUDRE AUX ADIEUX – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 22/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°613– Décembre 2012.
SE RESOUDRE AUX ADIEUX – Philippe Besson - Juillard
Il y a quelque chose de pathétique dans cette série de lettres que Louise adresse à Clément, l'homme qu'elle aime et qui l'a quittée. Elle les lui envoie cependant et sait que, bien qu'elle note son adresse au dos de l'enveloppe, il ne les lira pas, pire peut-être, reconnaissant son écriture, il les détruira avant de les ouvrir. Ce sont autant de bouteilles jetées à la mer puisqu'elle a choisi de mettre entre ce Clément et elle l'espace d'un océan, une étendue d'eau, celle de Cuba, de New-York ou de Venise. Elle ne peut en effet se résoudre à oublier cet homme et évoque les lieux d'où elle écrit ses missives, de Venise, de New-York et, évidemment de Paris, égrenant pour lui les bons et les mauvais moments.
C'est donc un roman sur le chagrin amoureux d’une femme abandonnée qui a choisi de s'isoler du monde dans un endroit où personne ne pourra la localiser bien que, paradoxe, elle précise son adresse pour Clément. Seule Jeanne, son amie sait où elle est mais elle a promis le silence. Elle les égrène avec des chansons de Barbara ou d'Aznavour, comme un fil d'Ariane. Elle sait pourtant que ses mots sont sans espoir et que Clément restera avec Claire, celle avec qui il forme un couple officiel sinon légitime. « Tu dois te demander ce que je cherche en t'écrivant . Rien La réponse est rien. ». Il y a quand même des ressentiments dans ces lettres, pire, elles ne sont faites que de cela, entre humiliation de l'adultère, de la trahison et rancune de l'échec, entre fantasmes et faux espoirs.
Pourtant il y a cet acte d’écriture qui, comme le note pertinemment l'auteur peut parfaitement cacher les choses [« L'écriture est un travestissement si on le désire »] Elle demande du courage cependant. J'ai déjà dit dans cette chronique, et spécialement à propos de cet auteur, le rôle apaisant de l'écriture. On sent que Louise est meurtrie par l'abandon de Clément, d'autant qu'il s'accompagne de sa part d'hypocrisies et de lâchetés ordinaires. Je trouve personnellement des vertus à l'écriture, même si je ne sais pas l'expliquer et je n'y vois pas, comme pour les médicaments, de contre-indications ou de l’accoutumance, mais ce n’est pas là un défaut, au contraire. C'est pourtant le seul moyen qu'elle a trouvé pour exorciser cette absence mais son soliloque tourne court. On imagine Clément déchirant les enveloppes avant que de les lire, indifférent aux états d'âme amoureux de son expéditrice. Cette écriture reste cependant celle « du souvenir du bonheur ». De même le voyage, le dépaysement avec leur lot d’aventures, de hasards, de découvertes, de passades peut-être restent un ersatz et la compagnie de Clément pendant ce périple est une fiction entretenue artificiellement. Même si les foucades sont possibles, Louise ne cherche plus à séduire et poursuit inlassablement ses souvenirs qui ressemblent de plus en plus à des remords. Je ne suis pas sûr que ce dépaysement aide à la guérison, bien que Louise semble ressentir un mieux-être et entame une sorte de convalescence au fur et à mesure qu'elle se rapproche de Paris et de ses racines françaises. Bien qu'elle s’interroge « Guérit-on jamais des hommes qui nous quittent ? », elle sait que lorsqu'elle rentrera chez elle, elle ne trouvera pas de traces de Clément ni dans sa boite aux lettres ni sur son répondeur. Elle espère encore mais cette tranquillité est trompeuse, artificielle.
Louise reconnaît une chose qui n’est pas facile à admettre : Elle est inapte au bonheur. Face au désarroi de l'abandon, elle fait prévaloir la vie sur la mort, fait confiance au travail, au temps qui passe et qui sans doute efface tout, aux toquades possibles qu'elle considère comme une victoire facile, éphémère et parfois refusée. Savoir qu'elle peut encore plaire est une futilité, certes, mais une consolation qui se matérialise à la fin, dans une nouvelle vie.
Dans d'autres chroniques consacrées à Philippe Besson j'ai eu l'occasion de vanter ses qualités de conteur. Sans les minimiser cette fois, je n'ai pas trouvé dans ce roman le souffle ordinaire que je goûte dans ses autres ouvrages. Seul son style, comme toujours, m'a plu mais la présentation sous forme de lettres unilatérales m'a paru un peu fastidieuse.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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RETOUR PARMI LES HOMMES – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 20/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°612– Décembre 2012.
RETOUR PARMI LES HOMMES – Philippe Besson - Juillard
A la fin de « En l'absence des hommes » (La Feuille Volante n° 609) , Vincent de l’Étoile, meurtri par la mort d'Arthur était parti vers des contrées lointaines, une fuite pour adoucir ce deuil. Ainsi était-il parti, entre Afrique et Amérique, sur terre comme sur mer, avec pour seules boussoles le hasard et la liberté, loin de Paris et de ses 16 ans, de son éducation aristocratique, entre fantasmes et réalités, entre « bateau ivre » et aventures exotiques et même inattendues. En vain ! C'est une autre version de « l'homme aux semelles de vent » chère à Rimbaud, mais voyager, nous le savons, n'est pas guérit son âme. Cette période sabbatique de sept années est symbolique, elle répond sans doute aux sept jours pendant lesquels il avait vécu un amour parfait avec Arthur. A lui qu'il n'a toujours pas oublié, il parle par de-là la mort, évoquant cette semaine d'amour. Ce jeune homme qui aime les garçons mais ne laisse pas les femmes indifférentes a connu des aventures amoureuses fugaces mais sans lendemain. Il a choisi de rester fidèle à un mort !
De Marcel Proust, il n'a eu que des nouvelles partielles, il a su qu'il avait connu la gloire, la consécration littéraire puis ce fut la mort après une courte agonie...Il revient donc chez lui pour apprendre que sa mère lointaine et hautaine l'a fait recherché et que son père est mort de son absence. Ce n’est cependant pas le retour du fils prodigue mais un accueil froid, plein de reproches. Blanche, leur gouvernante et la mère-célibataire d'Arthur s'en est allée et on a perdu sa trace. Madame de l’Étoile a choisi de s'engoncer dans un monde immobile et sans doute d'y attendre la mort et Vincent découvre un Paris qui a changé, qui veut oublier la guerre et qui s’abrutit dans les plaisirs un peu comme si ce XX° siècle tout neuf avait débuté en 1918. Lui reste malgré tout un jeune aristocrate qui remarque « Je suis né trop tard ou pas dans le bon pays » ;
Vincent rencontre Raymond Radiguet, un jeune homme au talent précoce et plein d'avenir qui lui fait connaître Cocteau. Malgré son très jeune âge, il est déjà l'auteur de deux romans au parfum de scandale. Il le suit dans dans une sorte de folle équipée parisienne où le lecteur ne sait pas trop s'il s'y perd ou s'il s'y reconstruit. Dans ce tourbillon il rencontre des peintres, des écrivains...Il se remémore sa relation chaste et platonique avec Proust et en mène une autre avec Raymond qui aurait pu être torride mais ne l'est pas. Si l'auteur d' « A l'ombre des Jeunes filles en fleurs » se penchait sur le passé , Radiguet lui incarne l'avenir. Il est attiré par lui mais, malgré ses vingt ans Raymond meurt brutalement d'une fièvre typhoïde. Au cours de leur brève relation, il avait évoqué une noyade à laquelle il avait échappé de justesse notant avec prémonition « C' aurait été une mort épatante. Tellement plus originale que le suicide ou la vieillesse ». Il ajoute même « Et puis sait-on si on aura le temps de tout faire ? Mieux vaut commencer tôt » et Vincent rapproche cette remarque de sa propre existence « Moi qui me suis contenté de fuir, d'errer sans but précis, moi qui n'ai rien commencé, rien terminé, moi qui ne suis qu'un ballon de carnaval arrimé à la main d'un enfant distrait.»
Ainsi, autour de Vincent, ce n'est que la mort qui rode et le temps qui passe. Lui survit à tout cela, entre questionnement et culpabilité. Il note quand même dans l'ultime phrase de ce roman « Les morts me rendent la vie ». A n'en pas douter Vincent a gagné en maturité et choisit de s'éloigner de la mort.
J'avoue que j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'univers de ce roman, seule la fin a retenu mon intérêt. Malgré tout et comme toujours le style de Besson m'a plu.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 20/12/2012
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N°611– Décembre 2012.
LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson - Juillard
Sous la forme d'un journal intime, Isabelle, sœur d'Arthur Rimbaud, relate par le menu les derniers moments de son frère à partir de son retour en France . Nous sommes en 1890 et il n'a plus que quelques mois à vivre. A l'issue d'un séjour de 10 ans en Afrique où il voulait faire fortune, il revient se faire soigner une tumeur au genou qu'il a contractée là-bas mais on l'ampute à l’hôpital de Marseille. Elle se souvient d'Arthur, cet élève précoce et brillant sans doute promis à un bel avenir, cet adolescent insoumis épris de liberté et de voyages qui très tôt fuit cette ferme pour être ce garçon aux semelles de vent. C'est que, dans la famille, les hommes ont la bougeotte, comme le père, le capitaine Rimbaud qui abandonna les siens, comme Frédéric maintenant définitivement banni.
Arthur a 35 ans, il a perdu toute la fougue révolutionnaire de son adolescence, son talent de poète aussi et s'il pratique encore l'écriture c'est pour s’enquérir de ses affaires avec ses associés restés en Afrique. La correspondance qu'il entretient cependant avec Isabelle et qui annonce sa venue dérange par son exclusivité et le tour personnel qu'elle prend. Il revient cependant dans cette maison où sa mère le considère comme une charge, lui, l'estropié qui ne pourra rien faire. C'est que, dans cette famille, les femmes sont solides, travailleuses et dures au mal et il n'y a jamais vraiment eu sa place malgré quelques rapide séjours. Isabelle est heureuse de le revoir, elle l'attend, se met à sa disposition quasi exclusive pour que ce séjour parmi les siens qu'elle suppose temporaire, lui soit le moins dur possible. C'est elle qui l'a accueilli, soigné, supporté ses blasphèmes et ses critiques, qui lui a parlé, qui l'a absout par avance pour tous ses débordements, qui l'a protégé contre la froideur de sa mère, contre la curiosité malsaine des paysans venus le voir comme une bête curieuse. C'est elle aussi qui l’accompagnera dans son dernier voyage vers la mort et qui reviendra avec son cercueil. Il meurt en novembre 1891 à 37 ans, avec ses rêves inaccomplis, son avenir à jamais brisé. Isabelle est attachée à sa mère à qui pourtant elle ne trouve aucune excuse, plus par devoir que par amour, cette femme indifférente, pingre, froide et autoritaire, figure tutélaire de cette famille désarticulée et déjà visitée par la mort puisque Vitalie, une autre fille est déjà morte.
Isabelle est une femme de devoir puisqu’elle s'est assigné celui de sauver cet homme diminué qui souffre autant dans son corps que dans son cœur. Elle le connaît, se souvient de son appétit pour les plaisirs terrestres, sa gourmandise du monde, sa liaison scandaleuse avec Verlaine, sait son penchant homosexuel et comprend très vite que s'il veut rejoindre Aden, c'est moins pour faire perdurer son aventure exotique ou faire une hypothétique fortune que pour rejoindre Djami, un jeune abyssin qui fut son amant. Il n'incarne pas seulement la souffrance, c'est aussi un homme tourmenté. Ce qu'elle veut, en tenant ce journal c'est certes faire perdurer la mémoire de son frère sans cependant la salir face à cette société bien pensante et hypocrite. Elle se sacrifie pour Arthur comme elle restera soumise et fidèle à sa mère. Elle est cette vieille fille, vierge, perpétuellement vêtue de deuil, trop bigote et maintenant trop laide pour espérer se marier (Elle épousera cependant Paterne Berrichon en 1897) . C'est un peu comme si elle était l'épouse de substitution d'Arthur. Elle avait mis beaucoup d’espoir dans ce frère qui lui est revenu quelqu'un trop longtemps absent et qui lui échappe. Tout au plus réussira-t-elle à sauver l'âme de ce mécréant!
Il y a dans ce roman des thèmes chers à Besson, celui de l'homosexualité mais aussi celui des liens fraternels qui justifient tout (déjà rencontrés dans « son frère »), celui de la famille destinée à s'éteindre faute de descendants, celui de la mort aussi. Ici aussi un vivant écrit pour un disparu, pour que son souvenir ne se perde pas, pour que les traces qu'il a laissées sur terre ne soient pas trop tôt effacées, pour qu'on garde une place pour lui dans la mémoire face à une espèce humaine oublieuse par essence ou par habitude. Les mots abolissent ainsi le temps, font échec à l'amnésie.
Je suis assez fasciné par la faculté qu'a l'écrivain, de raconter une histoire même fictive, de refaire le monde, de recomposer pour son lecteur l'histoire d'un personnage, de lui prêter des sentiments , des fantasmes et des phobies, face à la feuille blanche.
Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique le style fluide de l'auteur me procure, comme toujours, un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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SON FRERE – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 16/12/2012
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N°610– Décembre 2012.
SON FRERE – Philippe Besson - Juillard
Lucas Andrieu, le narrateur, va raconter, sous la forme d'un journal, avec cependant des analepses, les derniers moments de son frère, Thomas, atteint d'une incurable maladie du sang. Il le mêle, dans la relation qu'il en fait, à l'ambiance déshumanisée des hôpitaux, les tâtonnements des médecins, leur apparent détachement, les soins douloureux et parfois barbares aux souvenirs communs qu'il a avec ce frère qui va mourir. Il replace ces scènes à St Clément des Baleines, à l’extrême pointe de l’île de Ré où, selon une légende non vérifiée, des cétacés venaient mourir. Ici aussi se trouve leur maison de vacances, blanche, aux volets verts avec le ciel bleu et la sable fin, une vraie carte postale d'été. Face au silence obligé du début, à des parents très absents, incompréhensifs et impuissants, à Claire « aux yeux clairs », « la femme des petits matins, la femme embrassée sur le pas des portes », la compagne de Thomas qui choisit la fuite, Lucas va prendre l'énorme charge de cette douleur et de cette épreuve. Lui, l’aîné, le complice, accompagnera son frère jusqu'à la mort.[« C'est auprès de moi que chacun vient exprimer son angoisse, sa détresse. Pour la énième fois de ma vie, je joue le rôle du substitut de Thomas »]. Pourtant, la mort a déjà frappé cette famille ordinaire avec la non-naissance de Clément. Ce décès annoncé ne fait que raviver la douleur, le deuil, l'impuissance...
Ils ont peu de différence d'âge et se ressemblent physiquement comme des jumeaux mais leurs parents ont toujours préféré Thomas plus expansif, plus amoureux de la vie. Lucas, lui est solitaire et mélancolique. Pourtant, entre eux, il n'y a jamais eu de concurrence. Ils sont jeunes, ont la vie devant eux et des rêves plein la tête, mais l'un d'eux va mourir. La camarde va s'acharner sur lui, lentement, avec des périodes d'apparente rémission, dans un contexte apaisant des vacances à la mer, une sorte de dernier salut à la vie, dans le souvenir lumineux de ce qu'elle fut pour eux. Ils sont différents cependant puisque Lucas est homosexuel et que Thomas aime les femmes, mais cette différence renforce cependant leur fraternité, comme la maladie de Thomas l'affermira.
C'est un épisode de sa vie amoureuse et passionnée qui va revenir dans une histoire contée par un vieux pêcheur rétais et confirmée aussi, à la fin, par Thomas, la négation d'une paternité à venir, la fuite face aux responsabilités, la mort, déjà, comme une fatalité, dans les eaux bleues du pertuis [« On ne va pas contre la volonté de l'océan »]. Il choisira symboliquement le même trépas plutôt que sur un lit d’hôpital. J'y vois quelque chose comme une dette que Thomas aurait contractée et qu'il va maintenant payer un peu comme si ses souffrances lancinantes répondaient à celles de cette jeune fille désespérée qui a choisi de quitter la vie quelques années auparavant parce qu'elle ne supportait pas la lâcheté. Pire peut-être, c'est une faute qu'il expie.
Au début des investigations les médecins, inquisiteurs, l'interrogent sur d'éventuels rapports sexuels non protégés. On songe au sida pourtant vite écarté, regardé comme une malédiction mais aussi une forme de châtiment. Pour autant, on sent que la maladie est considérée comme une punition. N'a -t-on pas longtemps soutenu que la souffrance était rédemptrice ?
C'est une page qui se tourne, la fin de quelque chose, non seulement cette tranche de vie s'achève mais cette transition est associée à la mort du frère, un autre lui-même (« Cette mort prévisible, attendue, causera pourtant, à n'en pas douter, un cataclysme. Elle rejaillira sur nos existences. Elle les modifiera, leur fera prendre une direction imprévue »). Pourtant Thomas, cet amoureux de la vie accepte l'échéance au point de s'occuper lui-même de sa propre sépulture.
Comme souvent dans les romans de Besson, la mort revient comme un thème récurrent, la marque de la condition humaine, l’homosexualité aussi avec, comme en contre-point, une descendance qui ne sera plus assurée pour cette famille un peu désunie. Ici j'y vois aussi une volonté délibérée de ne pas donner dans le pathos malgré les termes techniques, l’épilogue annoncé, les questions posées, le lent cheminement vers la mort « Au fond, cette mort sera-t-elle autre chose qu'un long et lent suicide consenti ? ».
Comme toujours aussi, ce roman a été pour moi un bon moment de lecture grâce au style fluide et agréable de l'auteur.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 14/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°604– Décembre 2012.
L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson – Juillard.
Une histoire simple : Un soir de septembre un peu orageux, au cap Cod dans l'état du Massachusetts aux États-Unis, un bar, « chez Phillies », donnant sur les falaises d'où se jettent parfois des désespérés. Ben, un barman ordinaire et discret, une cliente, Louise Cooper, 35 ans qui attend Norman. C'est une habituée de cet établissement. Elle sirote un Martini blanc simplement parce qu'elle aime davantage la forme du contenant que le contenu. Elle est auteur dramatique à succès et porte ce soir-là une robe rouge comme ses lèvres. Cette couleur sied aux femmes belles et de caractère, et c'est effectivement ce qu'elle est. Célibataire, elle mène une vie libre et choisit ses amants. Entre Ben et elle, c'est une longue histoire d'amitié et de complicité silencieuse, exactement depuis qu'il a pris son service chez Phillies, il y a longtemps et d'ailleurs il connaît toutes ses pièces. Pour elle, il n'est pas qu'un simple serveur et pour lui elle est plus qu'une habituée.
Un homme arrive, Stephen Touwnsen, un client ordinaire en apparence. Il est avocat d'affaires à Boston, marié à Rachel et père de famille. Ben le connaît aussi et, bien entendu Louise puisqu'ils ont eu ensemble une longue liaison parfois orageuse mais surtout passionnée qui s'est terminée il y a cinq ans par l'apparition entre eux de Rachel qui s'est glissée dans sa vie et dans son lit. Stephen s'était donc marié avec sa nouvelle conquête qui lui offrait le calme même s'il formait avec Louise « un beau couple » comme dirait Ben. Pourtant, pendant toutes ces années de séparation, il n'a pas cessé de penser à elle, bien que cette dernière lui ait interdit de chercher à la revoir. Une page s'était donc tournée pour eux, et Louise avait décrété le silence sur ce souvenir. C'est une femme forte et, après la douleur de la séparation, elle a puisé dans l'écriture une nouvelle raison d'exister en créant des pièces inspirées de cet échec. On ne dira jamais assez l’extraordinaire pouvoir exorciste des mots !
Stéphen savait qu'en passant la porte de ce bar, il la trouverait ici et il lui annonce sa séparation d'avec Rachel. En l'apprenant Louise savoure une sorte de victoire mais pourtant elle s'en moque puisqu'elle attend un homme qui pourtant tarde à venir parce que, pour elle, il va quitter son épouse. Maintenant entre eux s'installe une sorte de silence gêné que Ben respecte et scrute, l'air de rien. Dans ce coin de bar, il règne entre des deux ex-amants une atmosphère surréaliste à cause de ce mutisme que chacun veut briser sans exactement savoir comment faire. Dans leur for intérieur, ils pensent à leur passé commun, à leurs souvenirs, à leurs erreurs aussi tout en laissant à l'autre l'initiative d'interrompre ce silence. Quand elle comprend que Norman ne viendra pas la rejoindre et donc qu'il renonce à elle, tout redevient possible entre Louise et Stephen puisqu'ils sont libres tous les deux et qu'ils n'ont cessé de s'aimer. Peu à peu le silence se lézarde comme un vieux mur et la solitude de ces deux êtres s'estompe, le respect revient à travers des regard muets « Ils s'observent avec tendresse, avec une sorte de gratitude. C'est un regard comme une reconnaissance de dettes. Un regard comme un pardon aussi , pour la douleur ou pour le manque. Un regard comme un regret enfin, de ce qui a été, de ce qui aurait pu être ». Ben, constamment en retrait dans ce café du bout du monde veut rester le figurant discret de ce psychodrame mais en connaît tous les ressorts.
Il y a dans ce roman une musique, une ambiance qui est bien rendue par la fluidité du style. Le texte, agréablement écrit, sans artifice, poétique dans les descriptions, se lit bien et avec plaisir. Il est réaliste et précis comme la peinture d'Hoppert. Les phrases sont comme des touches de couleur dont l'ensemble forme un tableau.
Il y a une analyse fine des sentiments de ces protagonistes, une étude psychologique pertinente qui peu à peu emporte l'assentiment du lecteur. Dans ce huit-clos, l'auteur le prend à témoin en lui dévoilant, dans une analyse précise, l'histoire intime de Louis et de Stephen, sans omettre les lâchetés ni les remords.
A la lecture de ce roman, je mesure le rôle du romancier, celui de raconter une histoire, celle de cette femme en robe rouge du tableau de Hoppert. Elle n'est qu'un personnage peint sur une toile que les visiteurs du musée ne verront peut-être pas. L'auteur lui invente une tranche de vie qui n'est sans doute qu'une fiction sortie de son imagination ou de l'émotion qu'il a ressentie devant ce tableau et qui porte son écriture.
J'avoue que j'ai toujours été bouleversé par les rencontres d'hommes et de femmes qui, dans le passé ont eu des relations intimes, une vie commune et qui, longtemps après leur séparation, se retrouvent presque par hasard. Leur dialogue est plein de non-dits et les mots peinent à venir à cause sans doute des chagrins, des petites bassesses dont on se souvient et qu'on n'a pas pardonnés, par l'envie aussi qu'ils ont de recommencer leur histoire.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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QUAND LES BROCHETS FONT COURIR LES CARPES – Jean-Louis DEBRE - Editions FAYARD NOIR
- Par hervegautier
- Le 14/12/2012
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N°305 – Juillet 2008
QUAND LES BROCHETS FONT COURIR LES CARPES – Jean-Louis DEBRE - Editions FAYARD NOIR.
D'ordinaire je prise peu les écrits des hommes politiques, mais la perspective de lire un roman policier autant que la citation de Talleyrand à laquelle cet ouvrage emprunte son titre était quand même une incitation à la lecture. Et puis ce n'était pas de grandes idées généreuses brassées à longueur de pages, dans le seul but d'appâter l'électeur... avec la ferme intention de ne jamais les mettre en pratique!
Il s'agit d'une fiction, quand même largement inspirée par la vie politique immédiate où les personnalités politiques de gauche se retrouvent, au nom de l'ouverture et de la rupture, dans un gouvernement de droite, à des postes ministériels. D'emblée le narrateur se présente, écrivain égaré dans l'éducation nationale, sans doute pour des raisons alimentaires, on sent bien qu'il n'a pas grand chose à y faire et s'en échappera à la première occasion. Il croise donc, dans les jardins du Palais-Royal, une femme énigmatique et envoûtante qui, dans le grand chamboulement politique qui suit les élections présidentielles, devient Secrétaire d'État, malgré son passé gauchisant, lui offre ses services et, à la suite de circonstances qui ne se rencontrent que dans les romans, devient son chef de Cabinet, son confident, son mentor... J'aime leurs relations en demi-teinte, à la fois quasi amoureuses et empreintes de respect mais aussi hostiles et mystérieuses parfois.
Tout pourrait aller pour le mieux pour cette jeune femme si elle n'était soudain rattrapée par son passé. Jeune militante gauchiste, elle a rêvé de détruire cette société bourgeoise que, ministre, elle souhaite maintenant consolider pour affermir sa position et satisfaire ses ambitions. Mais ses anciens amis veillent sur cet avancement et comptent bien profiter d'une situation unique, usant sans vergogne du chantage, de la délation, de l'intimidation, des manipulations, de la trahison, de l'infiltration, pour faire avancer leurs idées. Et tant pis si, accessoirement, il y a enrichissement personnel, magouille et trafics en tous genres...
Dès lors, ce chef de cabinet, dont le rôle était au départ d'écrire des discours, devient une pièce maîtresse de ce puzzle où « sa » ministre se débat, entre ses anciennes convictions, sa volonté d'avenir et les turpitudes ambiantes. Il pénètre sans s'en apercevoir dans un univers qui lui était inconnu, bien loin de celui du modeste enseignant qu'il était jusqu'alors. C'est que, trop candide, trop honnête ou trop respectueux de la vérité, il cherche à protéger « sa » ministre, mène sa propre enquête, se révèle un fin limier mais aussi et peut-être surtout, une victime. Mais voilà, les menaces se précisent et la déstabilisent, des morts suspectes viennent compliquer une situation délétère où elle semble se noyer. Finalement, les choses et les protagonistes de cette intrigue reprendront leur vraie place, mais lui, de plus en plus étranger à tout cela sent la situation lui échapper, tandis qu'à l'extérieur les choses suivent leurs cours normal. Non décidément ce monde n'est pas fait pour lui!
L'occasion est trop belle pour l'auteur de se livrer à une critique sans complaisance du microcosme qu'il connaît bien, surtout l' Assemblée Nationale évidemment, les petites et les grosses ficelles du métier de d'homme politique faites d'alliances, d'influences et de retournements, de palinodies parfois, d'esquisser des silhouettes et des personnages, de distiller des aphorismes bien sentis, mais aussi, et peut-être surtout, de dénoncer les petits travers, les illusions et compromissions propres à la condition humaine. L'auteur se pose en spectateur privilégié de l'ambiance actuelle, exceptionnelle et paradoxale dans l'histoire politique de notre pays, mais aussi de cette volonté éternelle qu'à l'homme de prendre le pouvoir pour assurer sa promotion personnelle, même si pour cela il doit trahir ses convictions... Et on sent bien qu'il est à son affaire!
C'est un roman passionnant qui se lit facilement, bien documenté, surtout en matière d'investigations policières et plein d'annotations culturelles où se lit tout l'amour que l'auteur porte à Paris. On sent aussi tout le plaisir que l'auteur prend à l'écriture. Il tient son lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne!
© Hervé GAUTIER – juillet 2008.http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 14/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°609– Décembre 2012.
EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson - Juillard
Nous sommes en 1916 à Paris, un jeune aristocrate de 16 ans, Vincent de l’Étoile fait, dans un salon, la rencontre de Marcel Proust (pourtant jamais nommé), alors homme de lettres reconnu, de trente ans son aîné. Avec le temps, il partage avec lui une amitié sincère qui ira jusqu'à la confidence. Pour Vincent, il y a certes la réputation que va lui faire le tout-Paris : fréquenter Proust est sulfureux et il le sait mais bien des choses les rapprochent, notamment l’adoration de leur mère. Proust pourtant rectifie « Nous n'appartenons pas à la même vie mais je crois que ce n'est grave pour aucun de nous deux ». Au fil de leurs rencontres, des liens quasi-filiaux se créent entre Vincent et Marcel qui se confient l'un à l'autre. Vincent ne souffre pas vraiment du manque de son père mort et Marcel, asthmatique et porté sur la littérature, a senti très tôt qu'il allait décevoir le sien puisqu'il était professeur de médecin et que le frère de Marcel sera chirurgien.
Il y a aussi Arthur Valès, jeune instituteur de 21 ans qui est fils naturel de la gouvernante des parents de Vincent, autant dire une domestique. Il est actuellement dans la boue des tranchées à Verdun. Entre les deux jeunes hommes il y a très tôt une attirance physique, durant sept jours (le chiffre symbolique d'une création) de permission, ils vont s'unir charnellement, se promettant un amour perpétuel.
« En l'absence des hommes » est donc le récit de cette courte liaison amoureuse entre deux garçons, sur fond de guerre et avec le regard bienveillant et protecteur de Marcel. Proust nous est présenté comme un mondain, un dilettante qui souhaite s'opposer aux Allemands par la participation à des dîners et des fêtes parisiennes alors qu'Arthur est sous les balles et les obus. Puis, les confidences et la confiance se faisant plus précises, Vincent va avouer à Marcel son attirance pour Arthur. On s’attendrait qu'il y ait des tentatives de séduction de la part de Proust face à un jeune adolescent qui partage son penchant homosexuel. Il n'en est rien, au contraire puisqu'il conseille son jeune ami, le met en garde contre la société qui bannit et punit durement cette aversion, lui parle de l'amour qui est synonyme de souffrance, de désespoir, le met en garde contre « les emballements du cœur », lui rappelle qu'il a toute la vie devant lui, que la mort peut venir contrecarrer ses projets mais s'enthousiasme pour ce pur amour qui lui a sans doute été refusé.
Arthur retournera dans ses tranchées et fera partager à Vincent cette guerre atroce et meurtrière qui le fauchera. Leurs lettres sont à la fois pudiques et sensuelles et on peut cependant se demander comment, ce qui mettait en évidence une liaison condamnée par la loi, ait pu échapper à la censure militaire. Cette correspondance dont la dernière arrivera trop tard est le pendant de celle que s'adressent mutuellement Vincent et Marcel, absent momentanément de Paris. Il y a entre eux aussi une dimension d'aveu, de conseils aussi d'un ami plus âgé, presque de relations père-fils, une relation platonique en tout cas.
Le personnage de la mère d'Arthur est émouvant, « cette femme de quarante ans qui en paraît soixante » et qui a dû subir toute sa vie l'opprobre de la « fille-mère ». Elle prend la dimension d'une Piéta( La mère est là...) Au début, les paroles qu'elle échange avec Vincent sont convenues, presque de circonstances et leur rencontre est surtout faite de silences. Mais rapidement et malgré la subordination qui existe entre eux, elle se confie à lui, lui avoue qu'elle avait compris tout de suite l’attachement qui le liait à son fils, lui révèle son parcours douloureux et misérable, le secret de la filiation d'Arthur, la découverte de sa sexualité, le silence mutuel qui a entouré cette prise de conscience, la certitude que l'autre savait sans jamais en avoir parlé, la révélation de l'amour que son fils portait à Vincent …
Il y aussi de longues digressions sur la mort, sur l'absence et le gâchis, l'inconcevable et l'inexplicable quand il s'agit d'un enfant, même si on a prié un improbable dieu que cela n'arrive jamais ! Le souvenir laissé par un être se mesure à l'aune de ceux qui, après sa disparition penseront encore à lui.
Je retiens aussi une analyse très fine de l'écriture que l'auteur met dans bouche de Marcel et aussi pour Besson l'occasion de dire toute l'admiration qu'il a pour l'auteur de « A la recherche du temps perdu ». Lors de leurs échanges, Marcel confesse à son ami l’importance qu'à l'écriture pour lui, « Si je n'écrivais pas, je crois bien que je serais mort ». De même il met en parallèle l'écriture et la paternité, lui qui n'est pas censé avoir d'enfant. Ses livres seront ce qui lui survivra et quand Vincent lui demande pour qui il écrit, il répond « J'écris pour mes disparus ». L’épilogue que l'auteur imagine est cependant originale et inattendue !
Vincent et Arthur n'ont pas eu le temps d'être malheureux ensemble. Leur amour est donc intact et dès lors ravalé au rang de souvenir douloureux, un vide que la fuite seule peut combler.
Je vais sans doute écrire une absurdité mais, si j’apprécie la démarche proustienne du temps qu'on abolie par le travail de la mémoire, je ne goûte guère son style, sa phrase interminable et compliquée. Je lui préfère et de loin le style fluide et musical de Besson mais j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette chronique.
Ce roman publie en 2003 était le premier de Philippe Besson. Il fut salué par la critique comme une révélation.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA TRAHISON DE THOMAS SPENCER – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 11/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°608– Décembre 2012.
LA TRAHISON DE THOMAS SPENCER – Philippe Besson - Juillard
Le décor tout d'abord : les bords de ce fleuve-frontière, le Mississipi, des maisons isolées, des routes, des champs puis au début, la période bénie de l'enfance pour deux garçons Thomas Spencer et Paul Bruder, bref un récit de Marc Twain dans un tableau d'Edward Hopper !
Ils sont nés tous les deux le jour de l'explosion d'Hiroshima mais n’appartiennent pas à la même famille, ils ont donc jumeaux de hasard, vivent dans la même petite ville de Natchez, ont des distractions d'enfants de leur âge mais dans un contexte familial différent. Si Paul a une famille ordinaire, Thomas lui n'a pas de père, c'est à dire qu'il a quitté sa mère en apprenant qu'elle était enceinte. Ils partagent pour autant l'idée d'absence puisque Paul a perdu son frère aîné à la guerre de Corée. C'est sans doute ce qui les a rapprochés. Ils ont quand même brûlé cette enfance insouciante au bord du fleuve, dans l'ombre parfois inquiétante d'adultes, la réalité du racisme, et au rythme de l'histoire du pays et de la trace laissée par ses célébrités. Il y a eu une attirance réciproque entre eux, des expériences féminines plus ou moins sérieuses, plus ou moins gauches, toujours un peu frustrantes et fantasmées qui se terminèrent bien souvent par une fuite, un refus, des regrets et un sentiment curieux qui va du désespoir, de la solitude, de l'abandon à l'envie irrésistible de recommencer tout en étant capable de rire de tout, même de ses échecs. Pour Thomas comme pour Paul, elles se sont succédé sans pour autant que l'un face de l'ombre à l'autre.
Puis ils se sont séparés, Thomas parti pour l'université et Paul appelé à succéder à ses parents dans l'épicerie familiale de Natchez. Claire MacMullen apparaît qui s'installe avec Paul. Tout semble dès lors figé dans un sud indolent et traditionnel. Le retour de Thomas pour un petit emploi de bibliothécaire ne change rien à l’ordonnancement des choses qui s'établissent dans une routine quotidienne pesante. Tout aurait pu être ainsi immobile jusqu’à la fin mais Paul, en bon américain, choisit de s'engager pour aller au Vietnam combattre le communisme, laissant Claire à la garde de son ami !
Qu'est ce donc que cette trahison et n'y en a-t-il pas plus d'une en réalité ? Est-ce celle d'un jeune fils égoïste qui refuse à sa mère célibataire et qui vit seule « l’autorisation » de refaire sa vie avec un autre homme ? Est-ce le même qui, parti à la recherche de son père naturel, choisit lâchement de fuir la rencontre avec lui ? Est-ce toujours lui qui, devenu adulte, laisse glisser son désir vers une femme qui en principe ne lui est pas destinée et qui ainsi transgresse une amitié, une complicité de toujours, plus qu'une fratrie de hasard ? Est-il possible, dans ces circonstances d'accuser la fatalité, les circonstances, un improbable amour alors qu'on ne devrait parler que d'une attirance charnelle, que d'une volonté partagée de profiter de l'instant dans le secret et même dans l'absurde.
Le suspense est savamment entretenu jusqu'à la fin (le titre est déjà une mise en bouche) avec peut-être certaines longueurs notamment dans le catalogue des nombreuses conquêtes féminines de Thomas qui n'est peut-être là que pour annoncer l'épilogue et en souligner le désastre. Paul, devenu l'ombre de lui-même, abandonné et trahi par la femme qu'il aime, ne trouve d'issue que dans la mort qui est une délivrance. Elle est l'ultime étape de la vie, la seule consolation valable face à la désespérance parce qu'après il n'y a rien que le néant. C'est, certes, l'histoire d’une trahison qu'on aurait tendance à qualifier « d’ordinaire » tant les choses humaines finissent par être banales. Moi, je choisis d'y voir une sorte de message, celui de ne faire confiance à personne, de ne croire rien de ce qui est proclamé ou écrit surtout quand tout cela est solennel et juré, que l'espèce humaine est définitivement infréquentable, et que nous en faisons tous partie. Cette histoire met en évidence ce côté obscur de Thomas, et cela nous concerne tous.
Ce récit est celui de Thomas, le narrateur. Il le fait pour le lecteur sur le ton de la confidence.
Tout semble écrit depuis le début, comme la marque d'un inexorable destin. Je sais bien que nous sommes dans une fiction, que l'auteur nous raconte une histoire et j'ai dit dans cette chronique à plusieurs reprises combien cela me plaisait, comme j'y trouvais de l'intérêt et du plaisir. Il y a peut-être ici, comme dans tout récit imaginé une part de vérité que l'auteur choisit de déguiser à sa convenance, mais j’ai quand même ressenti dans cette histoire une sorte de libération par l'écriture. On ne dira jamais assez l'action cathartique des mots et Besson en est, à mes yeux, un exemple flagrant d'autant qu'il sait, dans le même temps, passionner son lecteur et lui faire partager à la fois les espoirs, les angoisses et les passions des personnages.
L'écriture pourrait parfaitement être considérée comme une confession camouflée qui demanderait, non pas au lecteur mais à la propre conscience de l'écrivain, une impossible rédemption au seul motif que la faute a été confessée, même à la feuille blanche. Je ne suis pas sûr que l'accusation devant un improbable dieu ou son représentant qui, comme le soutiennent les religions judéo-chrétiennes allège l'âme et permet surtout de recommencer, mais, à coup sûr ici, cela produit une œuvre d'exception animée d'un souffle authentique.
J'ai rencontré cet auteur par hasard à cause de mon intérêt pour le peintre américain Edward Hopper dont il avait si bien parlé. J'ai plaisir à lire chacun de ses romans et j'apprécie son style fluide et agréable à lire, son sens à la fois de la simplicité et de la musicalité de la phrase.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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UN INSTANT D'ABANDON – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 09/12/2012
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N°606– Décembre 2012.
UN INSTANT D'ABANDON – Philippe Besson – Juillard.
Falmouth, un petit port de pêche en Cornouailles perdu sur les côtes anglaises avec ses falaises, « là où la terre abdique », ses marins-pêcheurs, ses pubs, ses touristes à la saison, presque un paysage de carte postale... Un matin de novembre, un homme, Thomas Sheppard, descend du train pour y revenir simplement parce qu'il est ici chez lui, il y possède d'ailleurs une maison. Rien que de très banal jusqu'à présent. Son absence a été longue mais il constate que rien n'a changé.
Cet homme pourtant sait qu'il ne devrait pas revenir, qu'il n'y est pas le bienvenu, pas seulement parce que son absence a été longue mais surtout parce qu'il est parti sous l’opprobre général. Pourtant, il n'a plus nulle part où aller bien qu'il se sente ici plus que jamais un étranger. A Falmouth, les hommes sont des marins pleins de préjugés, durs à la tâche et renfrognés, les femmes restent traditionnellement au foyer, mettent au monde le enfants, les éduquent...
Cette venue est pour lui l'occasion de faire un retour en arrière. Il se revoit marié avec Marianne, sa jeune épouse, leur fils, ce jeune garçon de huit ans avec qui il est un jour parti en mer malgré les recommandations de prudence de la météo et qui est revenu sans lui. Ce fut une faute que la mort de cet enfant et il fut condamné à cinq ans d'emprisonnement pour cela. Bien sûr, chacun y est allé de son témoignage accablant, son épouse Marianne a porté plainte contre lui avant de le quitter. Il ne s'est pas défendu, est allé au devant de la condamnation, a purgé sa peine dans l'indifférence générale mais maintenant qu'il a payé sa dette à la société, comme on dit, il devrait pouvoir exercer son droit à la liberté et la liberté c'est chez lui, à Falmouth ! Bien sûr, quand il se montre dans les rues chacun se souvient de l'affaire et l'évite. On va même jusqu'à lui faire parvenir une lettre anonyme lui signifiant qu'il doit partir, qu'on ne lui a rien pardonné, qui est ici indésirable. Personne n'a eu d'égard pour ce père qui a perdu son fils et on a retenu contre lui l'infanticide même s'il n'était pas intentionnel, on l'a qualifié de monstre, d'assassin .
Il ne trouve que Rajiv, un commerçant pakistanais à qui il se confie parce que lui veut bien écouter son histoire et qu’elle n'est sans doute pas sans similitude avec la sienne propre. Il trouve aussi une oreille attentive en la personne d'un jeune femme, Betty Callaghan, pas très belle et qui veut bien de lui. A elle aussi il parle. Il lui raconte l'enfermement carcéral, les viols et l'indifférence des gardiens, évoque l'énigmatique figure de Luke, mais aussi la grande vacuité de sa vie maintenant, avec les fantômes du passé.
De ces monologues il ressort que si Thomas ne s'est pas défendu au procès, c'est qu'il avait eu la certitude qu'il ne pouvait être le père de son fils à cause d'une stérilité définitive et que l'enfant est mort simplement par accident et non à la suite d'une faute de ce père imprudent. Il n'était pas vraiment prêt à la paternité et considérait cet enfant comme un encombrement, bien avant qu'il n'apprenne qu'il ne pouvait en être le père. Autant dire que son mariage, basé sur un mensonge, une tromperie, ne pouvait pas être heureux. Et pourtant la mort de cet enfant l'a libéré de cette paternité impossible et du traquenard dans lequel l'avait attiré son épouse.
Il avait cru trouver une oreille attentive et aimante en la personne de Betty, mais il ne tarde pas à s’apercevoir que sa compassion était intéressée et qu'elle recherchait un père pour son enfant. La nouvelle vie dont il pouvait jouir désormais lui semble inaccessible et il préfère y renoncer, au seul motif « qu'il attend quelqu'un ». Effectivement il partira de Falmouth sans se retourner, laissant ses habitants sur une sorte de victoire que sa fuite matérialise.
L’auteur bat en brèche les idées reçues. Pour les habitants de cette petite ville, Thomas est définitivement coupable de meurtre et la prison ne le lavera jamais de cette faute. C'est un peu comme une confession qui met du temps à s’effectuer, à cause de la douleur de l'aveu, malgré la bienveillance de Rajiv et de Betty qui ici, font fonction de prêtre, comme si la culpabilité était la plus forte. Pourtant, il sait que à Falmouth la rédemption n'existe pas malgré les années de prison, malgré la vie qui peut recommencer et l'effort qu'il fait de revenir dans un milieu hostile.
Thomas est aussi la victime des femmes, de Marianne d'abord qui lui fait endosser une paternité qui n'est pas la sienne, de Betty ensuite qui ne le rejette pas dans le seul but de donner un père à son fils. Il choisit à la fin de partir avec Luke, officialisant une relation homosexuelle née en prison qui ne peut, bien entendu se dérouler au grand jour à Falmouth, surtout compte tenu du passé de Thomas. Le lecteur se prend à former des vœux pour que cette relation entre deux hommes soit durable et sincère. Thomas est réellement différent des autres habitants, c'est pourquoi il quitte cette ville. L'homosexualité qui n'est ici qu’évoquée est une image, le bonheur n'existerait-il qu'avec quelqu'un qui nous ressemble ? Est-ce à dire que les hommes et les femmes n'ont que peu de choses en commun sinon le calcul et l'arrangement et ne se rencontrent que pour procréer ou pour le plaisir ? Ensuite chacun reprend son bagage d’égoïsme et ne recule devant rien pour éliminer l'autre quand il devient encombrant ? Est à dire que l'espèce humaine est définitivement infréquentable ? J'avoue que cette idée que je partage volontiers m'a habité tout au long de ce roman. Cet « instant d’abandon » n'est-il là que pour révéler la part d'ombre de Thomas ?
L'image du fils est révélatrice, un peu comme un être (c'est à dire la paternité, la descendance) qui lui est interdit puisque le premier meurt accidentellement et qu'il refuse le second. Face à chacun d'eux il y a une fuite, évidente dans le second cas puisqu'il refuse cette nouvelle vie mais qui n'est pas moins pertinente dans le premier. En effet, c'est la mort de cet enfant qui libère Thomas de son enfermement dans un mariage raté même si pour cela il doit le payer de quelques années de prison et d'une condamnation définitive des habitants de Falmouth.
Comme à chaque fois, Philippe Besson s'approprie son lecteur par la qualité de son style, la musique de sa phrase. Il révèle avec une progression bienvenue les différente phases de ce qu'ont été les épreuves subies par Thomas et maintient l'intérêt du récit jusqu'à la fin. Comme toujours ce roman a été un bon moment de lecture ;
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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UN HOMME ACCIDENTEL – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 09/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°605– Décembre 2012.
UN HOMME ACCIDENTEL – Philippe Besson – Juillard.
Ce livre commence comme un roman policier. Il en a d'ailleurs tous les attributs : il y bien un meurtre, l’enquête d'un jeune lieutenant dont on connaît l'histoire, la vie intime et familiale. Il y a les rebondissements qui en font le suspens, une victime, une énigme , un coupable, des aveux et même une sanction pour que la morale soit sauve... Le style est celui d'un tel roman, avec des images adéquates (Il parle du « parfum rance de la routine »)mais bien écrit surtout et c'est ce qui compte aussi pour moi, les chapitres sont courts qui apportent leur lot d'informations au compte-gouttes. Et pourtant, ce n'en est pas un !
Nous sommes à Los Angeles dans les années 1990, la cité des stars, et plus exactement à Beverly Hills et, pour le jeune lieutenant marié à une belle Italienne et bientôt père de famille, ce n'est pas vraiment une affectation dangereuse puisque la police ne fait pour ainsi dire ici que de l'administration, presque de la figuration au milieu des caméras de surveillance des villas, des gardes du corps, des agents de sécurité. Tout un univers policé de belles voitures, de luxueuses villas avec piscine et pelouse impeccables, de gens vieillissants amateurs de tranquillité. Il y a bien de l'alcool, de la drogue et de la prostitution parce que c'est inévitable mais c'est dans d'autres quartiers, ceux des bas-fonds, pas dans cette atmosphère indolente et ouatée. Justement, un petit malfrat, Billy Greenfiels vient d'y être assassiné. C'est un petit dealer sans envergure, accessoirement prostitué et c'est notre jeune lieutenant, le narrateur, qui est de garde et qui est chargé de l'enquête.
Cela se présente sous les meilleurs auspices puisque se révèle rapidement un nom, celui de Jack Bell, un acteur de cinéma connu au parcours pourtant cahoteux mais aux succès artistiques prometteurs. Lui aussi habite une de ces belles maisons du quartier. Notre policier fait consciencieusement son métier et la première rencontre du policier et de la star tient des séries-télé du genre, avec ses non-dits, ses informations distillées parcimonieusement, ses hypocrisies et ses revirements. Pour le meurtre cependant, pas de témoins, les voisins n'ont rien vu ni rien entendu et c'est, au début, l'habituel festival d'approximations, de contradictions et de lieux communs : Bref, pas de quoi faire progresser une enquête qui menace de s'enliser dans un univers de travelos, de proxénètes, de voyous, de blacks et de chicanos. Pourtant c'est là que, pour le policier, les ennuis commencent.
Ce Jack Bell se révèle être un manipulateur, un mystificateur qui, peu à peu échappe au lieutenant. Du point de vue policier, au début, c'est un échec mais il révèle les contractions et surtout la part d'ombre de l'officier. Elle n'échappe pas à son adjoint Mac Gill qui cependant reste en retrait, par solidarité professionnelle sans doute. C'est à partir de ce moment que le roman prend un tour inattendu, que notre narrateur est emporté dans une sorte de maelström qui va le bousculer, le compromettre et le broyer, que les masques tombent et que la passion qu'on attendait pas s’installe dans le cours normal des choses et les bouscule, dans le silence et le secret. On voudrait bien que tout cela s'arrête parce que c'est inexplicable, imprévisible, irrésistible, mais c'est justement pour cela que cela continue, jusqu'à la fin.
Certes, tout cela n'est qu'un accident, sous le regard de ses proches qui vont peu à peu s’éloigner de lui, certes on étouffera cette affaire parce qu'elle dessert l'image de la police dans cet univers civilisé, certes la page sera tournée mais pas les regrets, les remords et les souvenirs. Certes le vrai coupable est puni, tout redevient normal et les humains reprennent leurs occupations, les événements leur cours qu'ils n’auraient jamais dû quitter, mais il reste le protagoniste de cette ténébreuse affaire, deux tombes , la mort pour ces deux vies et l'oubli qui bientôt recouvrira tout cela.
Comme à chaque fois j'ai apprécié le style fluide et précis de l'auteur, l'analyse psychologique fine des sentiments et des replis de l'âme qui caractérise les romans de Philippe Besson.
Cet ouvrage a été pour moi un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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RUE DES VOLEURS
- Par hervegautier
- Le 04/12/2012
- Dans Mathias Enard
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N°603– Décembre 2012.
RUE DES VOLEURS – Mathias Enard.
Lakhar est un jeune adolescent marocain qui vit à Tanger. Sans travail mais à l'abri de sa famille, il rêve à l'Europe en regardant partir les ferries pour l'Espagne toute proche. Tanger est maintenant une ville comme les autres, plus cette métropole mythique et mystérieuse, refuge des bordels et de tous les trafics qui a tant fait fantasmer les hommes. En compagnie de son copain Bassam, un garçon de son âge influençable et un peu balourd, il passe ses journées « à mater l'étrangère surtout quand elles mettent des shorts et des jupes courtes ». Les jeunes filles sont vraiment son problème et on le découvre un jour nu en compagnie de sa cousine Meryem ce qui lui vaut d'être banni par son père et de se retrouver à la rue tandis que sa cousine est envoyée dans le Rif loin de lui. Enceinte, elle décédera des suites d'une hémorragie. Son fantôme sera son compagnon obsédant. Plus tard ce sera Judit, une jeune catalane, étudiante et enfant des beaux quartiers de qui il tombe éperdument amoureux. Rentrée dans son pays, elle cherche une raison d'exister à travers la contestation, se détache peu à peu de lui, atteinte par l'ennui, la dépression, le désintérêt pour les choses de cette vie et bien sûr pour lui. En fait tout les oppose.
Désœuvré et sans un dirham, Bassam lui conseille de fréquenter la Mosquée là où chaque musulman peut trouver des réponses à ses questions. Il y rencontre surtout Cheikh Nourédine, un beau parleur un peu bellâtre qui, contre un petit salaire et un logement minable, fait de lui un libraire religieux, avec promesse de prier et d'étudier le Coran, lui qui n'avait jamais été qu'un mécréant. Malheureusement pour lui, il se trouve embrigadé dans un « Groupe pour la diffusion de la pensée coranique » et ne tarde pas à s'apercevoir qu'il s'agit d'un mouvement islamique. Bassam lui aussi subit l'enseignement religieux et parce qu'il disparaît tout à coup, Lakhar croit qu'il est parmi les auteurs de l'attentat de Marrakech de la place Jamaâ el-Fna et qu'il a aussi assassiné un homme à Tanger. De nouveau à la rue après l’incendie de sa librairie et la disparition des membres du « Groupe » il se retrouve à travailler dans la saisie informatique, une véritable arnaque qui ne l'enrichit guère. Il parvient ensuite à être embauché sur un ferry comme homme de peine mais il reste bloqué à Algésiras, son bateau étant saisi. Plus tard il travaille sans être payé dans une entreprise de pompes funèbres dont le patron se suicide mais même s'il a un pied en Europe, il reste un clandestin qu'on exploite facilement
Sur fond d'actualité brûlante de l'Europe, de la France et de l'Espagne, de la libération des pays arabes, le professeur qu'est Enard initie son lecteur à la beauté de l'arabe littéraire autant qu'à la civilisation et à l'Islam. Cela ne l'empêche pas d'asséner quelques aphorismes bien sentis sur nos civilisations occidentales riches, égoïstes et fragiles.
Le livre est divisé en trois parties, trois véritables prisons pour Lakhar, celle tout d'abord de la religion, puis celle du travail précaire et parallèle auquel chaque émigré illégal est destiné, un véritable esclavage. Enfin Barcelone, sa nouvelle prison où il se réfugie pour échapper à la police pour qui il est coupable d'avoir tué et volé son dernier employeur, puis plus généralement l'Europe qui, pour lui aussi fonctionne comme un miroir aux alouettes dans lequel, bien entendu il se fait prendre. Le destin le précipitera cependant dans une autre !
Les dialogues sont un peu abrupts au début mais le texte devient avec le temps plus profond, plus dense. Ce récit, décliné par Lakhar lui-même, nous révèle dans un style qui va de l'humour à l'émotion en passant par le réalisme un regard bizarrement pertinent, même si c'est celui d'un émigré finalement différent de celui que nous pouvons imaginer. Il est polyglotte, cultivé et plein de ressources pour sortir de sa condition, même si la chance ne l'accompagne pas forcément. Il juge notre société occidentale riche et fragile, hypocrite et moralisatrice, l'oppose aux pays arabes désireux de se libérer des dictatures qui les oppressent ; Les démocraties européennes quant à elles sont jugées trop opulentes et indolentes pour envisager des révolutions refondatrices.
J'ai apprécié le style agréable à lire, réaliste et poétique dans les descriptions, l'air de Barcelone, cette ville exceptionnelle et mythique, qui est distillé dans ces pages, ce « quartier des Voleurs » qui donne son titre au roman où Lakhar se réfugie, une sorte de havre où se rencontrent alcooliques, prostituées, macros, drogués, tout un peuple interlope, entre cour des miracles et quart monde, que les touristes viennent regarder et photographier comme des bêtes curieuses.
Je retiens aussi la première phrase de ce roman que nous livre Lakhar, ce jugement bien senti sur l'humanité qui résonne comme un avertissement « Les hommes sont des chiens, ils se frottent les uns aux autres dans la misère, ils se roulent dans la crasse sans pouvoir en sortir, se lèchent le poil et le sexe à longueur de journée, allongés dans la poussière prêt à tout pour le bout de barbaque ou l'os qu'on voudra bien leur lancer, et moi, tout comme eux, je suis un être humain, donc un détritus vicieux esclave de ses instincts, un chien, un chien qui mord quand il a peur et cherche les caresses ».
Après « L'alcool et la nostalgie »[La Feuille Volante n°548) et « Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants » (La Feuille Volante n°477) que j'avais bien aimés, ce roman a retenu mon attention jusqu'à la fin et a été l'occasion d'un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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Quelques mots sur James Joyce (1882-1941)
- Par hervegautier
- Le 02/12/2012
- Dans James Joyce
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N°602– Décembre 2012.
Quelques mots sur James Joyce (1882-1941).
James Joyce est l'un des écrivains les plus emblématiques du XX° siècle,à la fois romancier, nouvelliste et poète et j'avoue bien volontiers que dans ma bibliothèque idéale, il tient une place de choix.
Il est l'aîné d'une famille catholique de douze enfants dont deux mourront en bas âge. Sa mère, née Mary Jane Murray est une jeune femme douce qui ne vit que pour son foyer et ses enfants. Son père, collecteur d'impôts, s'adonne régulièrement à la boisson ce qui fera rapidement péricliter les biens familiaux.
Dès 1888, il entre chez les jésuites qui reconnaissent en lui un élève très doué. Il en sort pourtant quatre ans plus tard, son père ne pouvant plus payer ses études. Il l'inscrit chez les frères de la doctrine chrétienne mais le Belveder Collège de Dublin tenu par les jésuites accueille gratuitement James et son frère Stanislaus. Il semblerait que ce « cadeau » fait par le directeur de l'école ait eu pour but de faire entrer James dans l'ordre des jésuites mais il refuse. Cependant il commet une composition favorable à Byron qui est jugée hérétique. Il entre donc en conflit avec son école et aussi avec le catholicisme en devenant agnostique. En 1991, Charles Parnell, homme politique irlandais, figure du nationalisme, qui convaincu d'adultère, meurt abandonné de tous et James en fait le symbole du héros trahi par la multitude. Ce thème reviendra souvent dans son œuvre. Cette tragédie fera de lui un écrivain antinationaliste, anticlérical et antiféministe.
En 1898, il entre à l'University College de Dublin pour y étudier les lettres et les langues et à partir de cette date s'implique dans la lecture, l'écriture et la participation active dans les activités littéraires de cette université. En 1903 le voilà à Paris pour étudier la médecine mais où il dilapide le peu d'argent qu'il possède en beuveries. Après la mort de sa mère, il gagne petitement sa vie en écrivant, en enseignant et même en chantant. Il se fait même pion, comme Stephen dans Ulysse. A l'âge de 22 ans, il commence la rédaction d'un long roman, tombe amoureux de Nora Barnacle alors femme de chambre et part avec elle pour Trieste où l'école Berlitz lui offre un poste d'enseignant mais à la suite d'un malentendu se retrouve à Pula dans l'actuelle Croatie. Il n'y reste qu'une année et s'installe à Trieste où il enseigne l'anglais pendant 10 ans. Giorgo , son fils né en 1905 et c'est à cette période qu'il commence à souffrir de problèmes oculaires graves qui finiront par le rendre presque aveugle.
En 1906, il part pour Rome où il a obtenu un poste d'employé de banque mais ni l'emploi ni la ville ne lui plaisent et il retourne à Trieste en 1907, date de naissance de sa fille Lucia qui deviendra schizophrène. Il publie son premier livre de poèmes, Chamber Music. En 1909 le voici à Dublin où il publie Gens de Dublin, un recueil de nouvelles qui est une photographie ironique et parfois cruelle des habitants de sa ville natale. Suivent des allers et retours entre Trieste et Dublin où il est un temps représentant pour les propriétaires de cinémas, il repart pour l'Italie où il donne des conférences et rédige des articles pour les journaux. En 1915, il doit quitter Trieste où il avait envisagé de se faire importateur de tweed et s'installe à Zurich où il enseigne. Sa notoriété littéraire grandit ce qui lui permet de recevoir des dons en argent et de rencontrer un mécène en la personne de l'éditrice féministe anglaise Harriet Shaw Weaver qui le soutiendra jusqu'à sa mort ce qui lui permettra de soigner sa cécité grandissante et la schizophrénie de sa fille. En 1920, il s’installe à Paris où il restera pendant 20 ans, y rencontrant des écrivains français de renom comme Marcel Proust ou Valéry Larbaud. C'est ici qu'un an plus tard il termine Ulysse qui est considéré comme son chef-d’œuvre, Ce roman qui établit sa notoriété. En 1939, il quitte Paris à cause de l'occupation allemande. Il meurt à Zurich en janvier 1941.
Son œuvre est le reflet de sa vie personnelle, ainsi le personnage de sa propre mère se retrouve sous les traits de Mme Dédalus dans « Ulysse ». Quand la famille s'installe à Bray près de Dublin et qu'il tombe amoureux de sa voisine, la jeune Eillen, ce détail se retrouve dans « Portrait de l'artiste en jeune homme » (Dédalus ). Léopold Bloom et Buck Mulligam, tous deux personnages d'Ulysse sont directement inspirés d'hommes que Joyce a croisés dans sa vie. Son œuvre s'inscrit dans la ville de Dublin qu'il voit davantage comme une citée idéale, mystique et allégorique bien qu'il ait passé la plus grande partie de son existence nomade à l'étranger. Cette ville où pourtant il est né et qu'il et en scène dans « Ulysse », il la renie et la fuit pour se réfugier transitoirement ailleurs sans pouvoir s'y poser durablement, à part peut-être à Paris, ville ô combien symbolique d'une vie de « la belle époque ». Sa vie est un véritable labyrinthe et ce n'est pas un hasard s'il choisit le nom de « Dédalus », Dédale, architecte de la prison du Minotaure.
Sa propre existence est un voyage, une véritable prison dont il ne pourra se libérer que par l’ivresse, par l'écriture et dont la seule issue sera la mort (Il évoque ce thème dans la dernière nouvelle des « gens de Dubin » et dans « Finnegans Wake »), à la fois redoutée et désirée. Dans « Finnegans Wake », le dernier ouvrage de Joyce (il n'a plus que quelques mois à vivre, sa santé est de plus en plus fragile et il est presque aveugle et sa fille est devenue folle), la mort est présente comme dans une sorte de rêve oùToute son existence sera un exil et il sera lui-même un déraciné, un éternel réfugié toujours en partance. Quand la guerre éclate dans un pays, il le quitte pour la neutralité de la Suisse et lorsque l'Irlande combat l'Angleterre, il s'exile. C'est pourtant lui que la littérature reconnaît comme le plus emblématique des écrivains irlandais. Il aura en revanche l'attribut de cette errance : l'indépendance et la liberté, celle de refaire le monde et d'abolir le temps, celle aussi de triturer la phrase, les mots et l'histoire même en y instillant du rêve, en imprimant au texte sa marque, originale et parfois inattendue au point de détruire le langage en le réinventant. L'effet produit est à la fois poétique et inquiétant.
Il a été cet écrivain aux yeux qui, avec le temps se sont des plus en plus éteints, comme si le regard qu'il jetait sur l'expérieur lui échappait, un idéaliste détaché de ce monde où pourtant il survit difficilement, un esprit brillant, un intellectuel polyglotte, un des écrivains les plus commentés. Ses romans sont des labyrinthes pleins d'allusions littéraires et mythologiques ce qui rend la lecture parfois difficile et qu'il faut parfois faire au deuxième degré. Chez Joyce, il ne faut pas craindre les symboles, les allégories et la lecture entre les lignes.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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KETALA – Fatou Diome
- Par hervegautier
- Le 24/11/2012
- Dans Fatou Diome
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N°601– Novembre 2012.
KETALA – Fatou Diome - Flamarion.
Le livre refermé que m'en reste-t-il ? Au vrai une somme d'impressions bizarres, à la fois agréables, futiles, instructives et finalement émouvantes.
Cela n'a pas été simple, ce roman a bien failli souvent me tomber des mains et j'ai eu envie de l'abandonner en cours de lecture. La mise en scène qui pouvait paraître originale m'avait un peu agacé : Sous les latitudes africaines, une assemblée d'objets ayant appartenu à une femme, Mémoria, tiennent une sorte de conférence au sommet avant d'être sans doute dispersés. Ils en profitent pour évoquer la vie de leur propriétaire. « Objets inanimés avez-vous donc une âme? » s'interroge le poète... mais là c'est carrément en tribunal que s'érigent ces choses. Ils le font d'ailleurs sous la présidence d'un masque qui dirige et inspire des débats et on se demande si ce choix de l'auteure se porte sur lui parce qu'il domine cette assemblée de part sa positon élevée ou s' il a été choisi pour le symbole de l'hypocrisie qu'il représente. Son office est en effet de cacher le visage (la personnalité) de celui qui parle, la réalité des choses en faisant valoir le paraître au détriment de l'être. Après tout, pourrait-on dire, le grand Jean de La Fontaine, en s'inspirant d'Esope et des autres n'a pas agit différemment en faisant parler des animaux pour singer et critiquer les choses humaines et personne n'a rien trouvé à y redire.
Bref, voilà donc un dialogue qui s'installe entre les meubles dont Mémoria s'est servi, un véritable débat entre une assiette, un ordinateur, un vieux collier de perles, une statue, un canapé... un véritable inventaire à la Prévert ! Tout ce petit monde parle de concert mais personne, et surtout pas les hommes qui les entourent et les voient ne peut les entendre dialoguer. Ils échangent en toute liberté leurs sensations, leurs sentiments et leurs souvenirs où leur propriétaire est présente. C'est qu'ils ont une bonne raison pour cela, Mémoria vient de mourir et c'est eux qui s'érigent en gardiens de sa mémoire. La tradition africaine et islamique veulent qu'à la mort de quelqu'un on se partage ses biens, c'est le Kétala qui donne son titre à cet ouvrage, selon des règles précises et codifiées à la fois par la religion et par la coutume. Avec cette mémoire ainsi évoquée par ces objets, le lecteur revoit ainsi la vie courte de cette jeune femme naïve qui arriva vierge au mariage et qui se vit, au terme de tractations familiales convenues et ancestrales, confiée à un homme, Maklou, qu'elle ne connaît pas, dans le seul but d'être une épouse soumise et qui perpétuera la descendance. Pourtant, malgré sa beauté, elle est délaissée par cet époux qui fait d'elle une créature éplorée à qui il a volé son bonheur tout neuf. Comme toute jeune fille devenant une épouse et malgré la tradition d'un mariage arrangé entre des parents pourtant présentés comme évolués, elle se bâtit un avenir de foyer et de maternité, bref tout ce qui est l’attribut de la femme africaine et même des femmes en général. Sauf que le mari, qu’elle ne connaissait effectivement pas lui échappe très tôt. Elle ne comprend pas le fait qu'elle ne puisse pas le séduire, le garder auprès d'elle, mais elle ne tarde pas à prendre la mesure de la réalité. Le cocuage inattendu et surtout brutal, la trahison d'une amitié autant que l'erreur sur la véritable nature de son époux font vite partie de sa nouvelle vie et la bouleverse durablement à plus d'un titre.
Les époux partent cependant pour la France où Maklou a encore des contacts dans l'espoir que le dépaysement arrangera un peu les choses. Strasbourg s'offre donc à eux avec une vie facile et ce d'autant plus de lui ne peut résister à ses démons. Partir vivre en France pour un couple d'Africains est une bénédiction pour les membres de leur famille restés au pays. Pour eux ils sont l'assurance de mandats réguliers qui sont davantage un dû qu'une libéralité à leur profit. Là aussi la tradition est respectée.
Pourtant, l'envie que Mémoria a de faire durer artificiellement son couple ne résistera pas aux événements qui, bien entendu, débouchent sur une séparation des époux et une vie malheureusement en marge de la société et de la morale pour elle. Elle y trouvera tout à la fois un moyen de subsistance qui lui permettra de vivre et de continuer ses mandats, de cacher la réalité à sa famille mais aussi d'obtenir des autres hommes l'amour que lui refuse son mari.
Si la tradition de l'Islam est respectée, celle judéo-chrétienne de la faute ne l'est pas moins puisque Mémoria est punie par où elle a péché. Elle va contracter une maladie sexuellement transmissible qui va l'emporter et son mari, sans doute rongé par la culpabilité ou désireux lui aussi de sauver les apparences la ramènera sur la terre africaine où elle sera ensevelie. Le remords pourtant aura raison de la tradition qui veut qu’un veuf, surtout jeune, épouse une des sœurs sans enfant de sa défunte femme et que les objets qui lui ont appartenu soient disséminés dans la parentèle. Maklou refusera d'observer ces prescriptions, gardera tout ce qui a appartenu à son épouse et ne se remariera pas... pour d'autres raisons.
J'avoue que j'ai eu du mal à entrer dans l'univers de ce roman, un peu agacé aussi par la volonté de l'auteure d’introduire au cours du récit et à la faveur de la naïveté supposée des objets-acteurs des définitions puisées dans les figures de la rhétorique littéraire. J'avoue aussi que je me suis laissé émouvoir par la destiné hors du commun de Mémoria, par le chagrin qui accompagne la mort de cette jeune femme qui aurait mérité un autre sort, mais le happy-end facile et convenu qui, bien souvent conclue les romans ne me convient pas. Ce genre de fin est souvent bien éloignée de la réalité de la vie des hommes. Je regrette aussi la dernière phrase « Lorsque que quelqu'un meurt, nul ne se soucie de la tristesse des meubles ». Là aussi, j’attendais autre chose, à la mesure notamment de l'émotion ressentie à la suite de cette histoire.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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Le chapeau de Mitterrand – Antoine Laurain
- Par hervegautier
- Le 09/11/2012
- Dans Antoine Laurain
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N°599– Novembre 2012.
Le chapeau de Mitterrand – Antoine Laurain- Flammarion.
Le hasard fait bien plus souvent partie de notre vie que nous voulons bien l'admettre. Prenez par exemple une soirée de novembre 1986, un lieu, une brasserie parisienne et un homme, Daniel, un parfait quidam qui s'offre un délice gustatif en solitaire. Quoi de plus banal ? Ce qui l'est peut-être moins est qu'il voit s'installer à la table voisine François Mitterrand, le Président de la République soi-même qui vient, lui aussi, avec deux collaborateurs, faire une petite pause dîner. Au début, Daniel n'en croit pas ses yeux, regarde, écoute et surtout fantasme, le Président n’est pas un homme du commun, surtout celui-là, même si ce dernier ne fait pas de cas des autres commensaux. Las, le charme prend fin et Mitterrand finit par quitter les lieux, mais en oubliant son célèbre chapeau. Après avoir hésité, Daniel s'en empare. Cela tombe bien, il est à sa taille ! Et ce larcin va changer sa vie comme si ce couvre-chef présidentiel avait des pouvoirs surnaturels bénéfiques pour qui le porte. Sauf qu'il le perd à son tour et que, passant de mains en mains et de tête en tête, cet accessoire des hommes d'âge, devenu entre-temps anonyme, va donner à tous ceux qui vont le coiffer l'audace de sortir de la routine quotidienne où ils étaient quelque peu engoncés et qu'ils avaient peur de rompre, une « force tranquille » en quelque sorte ! A travers tous ceux qui en ont été les possesseurs successifs, de la secrétaire en mal de rupture amoureuse et d'inspiration artistique, au « nez » dépressif pour cause et sécheresse créative, en passant par un aristocrate classique et légèrement guindé qui va soudain avoir le courage de rompre avec son milieu, ce feutre noir va voyager, au mois dans l'imagination de l'auteur, de Paris à Venise pour le plus grand plaisir du lecteur.
Tout au long de cette fiction bien écrite, agréable à lire et pleine d'humour, l'auteur promène son lecteur dans la société française des années 1980 autant qu'il l'invite à visiter une galerie de célèbres portraits. Ce qu'on a du mal à nommer « un simple galure » va donc faire partie de la vie d'humains que le destin ou le hasard vont choisir, à moins bien sûr qu'il ne soit lui-même animé de sa propre liberté et choisisse ses temporaires inventeurs. Cela se termine par une évocation un peu énigmatique et émouvante de François Mitterrand, présent en filigranes dans tout ce récit.
J'ai bien aimé cette fable peut-être parce qu'elle met en évidence un des fantasmes secrets de tout être humain, celui de vouloir que les choses se réalisent parce simplement il le souhaite. Il laisse aller son imagination et se laisse porter par elle. Elle le transforme et le fait sortir de sa médiocrité. Bien sûr cela ne marche jamais et chacun se retrouve face à ma petitesse ordinaire et son morne quotidien qu'il a, l’espace d'un instant, tenté d'enjoliver. C'est une illustration de cette facette de la condition humaine qui m'a bien plu.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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Amour – Un film de Michael Haneke
- Par hervegautier
- Le 27/10/2012
- Dans Michael Haneke
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N°597– Octobre 2012.
Amour – Un film de Michael Haneke- Palme d'Or à Cannes 2012.
Ce film dont il faut évoquer brièvement l'intrigue tourne auteur de deux personnages. C'est une histoire simple, presque banale de fin de vie, celle d'Anne ( Emmanuelle Rivas) et de Georges (Jean-Louis Trintignant), deux octogénaires qui mènent une vie tranquille de retraités. On les voit au début assister à un concert d'un des élèves d'Anne, ancienne professeur de musique classique. La musique justement, celle de Schubert, de Beethoven, de Bach, les tableaux accrochés aux murs et les livres qui tapissent les bibliothèques, tout indique que nous sommes ici chez des gens aisés et cultivés. Puis soudain, Anne a une attaque qui la laisse paralysée du côté droit. Courageusement elle s'adapte à sa nouvelle situation comme on fait face à l'adversité. La vie s'organise autour de son infirmité nouvelle et Georges l'accompagne patiemment, s'improvise infirmier, accompagnateur de vie, homme au foyer de cette femme qui peu à peu va perdre toutes ses facultés pour ne plus mener qu'une vie végétative et aphasique et entrer de plain-pied dans l'agonie. Il le fait avec courage, abnégation et même héroïsme au point de se charger seul, contre les médecins, les soignants et l'inévitable bon sens qui commanderait qu'il se déchargeât un peu du poids de plus en plus lourd qu'elle représente. Pour cela, il n'a que son impuissance grandissante face à cette situation qui se complique de jour en jour et même si elle fait l'admiration des gens autour de lui et l'inquiétude légitime mais à ses yeux inutile de sa fille Eva (Isabelle Huppert), il veut continuer à cacher aux autres cette réalité et peut-être se la cacher à lui-même.
Le couple attend la mort et Georges fait preuve de résignation [« ça va aller de mal en pis et puis ce sera fini »] , mais pas de désespérance, elle ne viendra qu'à la fin parce qu'il n'y a pas autre chose à faire, entre photos jaunies et souvenirs qui peu à peu s'effacent, un huis-clos qui se déroule dans une sorte d'unité de lieu de leur appartement qui jadis était plein de vie mais qui peu à peu se vide.
Il n'y a pas de voyeurisme dans ces scènes quotidiennes, tout juste un compte rendu exact de ce qu'est le rôle que Georges a choisi depuis le début et qui va petit à petit le dépasser, un compte à rebours aussi ! A mesure que les facultés d'Anne disparaissent, qu'elle entre progressivement dans la mort, on le voit lui, si plein de bonne volonté au départ, perdre pied au point de la gifler parce qu'elle refuse de s'alimenter, battre en retraite pour ne plus dormir que dans un petite chambre loin d'elle au point que, sa propre déchéance à lui va être suscitée pour le spectateur par la résurrection symbolique de son épouse et qu'il va prendre une dimension quasi spectrale. On voit leurs rides, leurs corps affaiblis, leurs cheveux, blancs et ternes pour elle qu'un reste de coquetterie veut masquer, épars et hirsutes pour lui qui marquent, comme la barbe qu'il néglige de raser chaque jour, le désintérêt qu'il porte à sa propre personne pour ne plus se consacrer qu'à Anne. Il respecte la parole donnée de ne pas ne pas l’envoyer à l'hôpital puis, plus tard, dans l'inévitable maison de retraite qui serait pour elle comme un mouroir puisqu'elle serait séparée de Georges.
Le jeu des acteurs et bouleversant de vérité et ce film nous rappelle une évidence, celle que nous sommes tous mortels, que tout à une fin et que la vieillesse est une déchéance. Le cinéma d'ordinaire se fait plus volontiers l'écho de la beauté, de la jeunesse, de la réussite, de la sensualité... La palette d'Haneke est grande et talentueuse. On sent qu'il ne craint pas de déranger, de bouleverser les codes et les idées reçues et, pour cela d'être, peut-être, désagréable au spectateur qui attend volontiers un « happy end ». J'aime personnellement qu'on ne cache rien, qu'on ne donne pas une image idyllique de cette société qui ne le mérite pas et qu'on en montre les travers et les failles. Dans ce film intimiste et plein de sensibilité, c'est la mort qui nous est montrée parce qu'elle est non seulement la fin de la vie et que, même si elle a été taboue pendant toute notre existence, si on a vécu sans y penser comme il convient dans nos sociétés occidentales, elle guette chacun d'entre nous et nous surprend au moment où nous y pensons le moins. Qu'on le veuille ou non, la condition humaine est ainsi faite et les règles de notre société paraissent immuables. Quelles que soient les fonctions qu'on y ait exercé, quand la retraite sonne on n'est plus rien et quand la mort nous frappe on est oublié définitivement.
Je retiens aussi de ce film une écriture cinématographique originale portée par des acteurs d'exception. Elle est à la fois intense, juste et économe en mots, comporte des plans parfois longs et silencieux, une bande sonore faite ici opportunément de musique classique, des scènes plus suscitées qu'effectivement montrées, des bruits apparemment anodins, tel celui du robinet qui coule constamment et qui brusquement s'arrête, suggérant un rebondissement.
L’amour existe certes, mais il y a quand même quelque chose d'irréel dans cette œuvre. Cet homme et cette femme s'aiment d'un amour authentique et fidèle que traduisent des regard et les gestes tendres du début. Ils se sont choisis pour partager les joies et maintenant ils connaissent les peines mais leur complicité est complète. Ils aimaient la vie ensemble parce qu'elle ne pouvait être que commune et elle a été longue [« C'est beau la vie , si longtemps »]. Je crains que cela ne reflètent cependant pas la réalité quand un mariage sur deux se termine actuellement par un divorce et que cela affecte, et c'est nouveau, les seniors. Même si les couples qui restent ensemble le font pour des questions de morale, de religion, de convenances ou de finances, ce choix cache bien souvent une vie où l'hypocrisie le dispute à l'indifférence ou pire encore. Ils se terminent parfois par une séparation que le concept moderne de « famille recomposée » peine à masquer. Quand Eva, à la vie sentimentale agitée, donne de ses nouvelles à ses parents, on a du mal à imaginer que lorsqu'elle sera vieille à son tour, elle connaîtra pareille complicité avec son mari. Mais c'est sans doute un autre débat ? Quand elle apparaît pour s'émouvoir de la maladie évolutive d'Anne, il est difficile de voir dans ses larmes autre chose qu'une posture de circonstance. Elle disparaîtra bientôt pour laisser la place à Georges qui ira au bout de sa démarche, seul, comme il le souhaite.
Ce film qui est un jalon supplémentaire dans la démarche d'Haneke est le onzième long métrage et le deuxième couronné par une prestigieuse palme d'or à Cannes. Il est bouleversant à bien des titres. Il est en tout cas une invite à la prise de conscience, un rappel des réalités de cette vie, il lève un tabou dont on se demande bien pourquoi il est, dans notre société, si savamment entretenu.
©Hervé GAUTIER – Octobre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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Le siège de La Rochelle – François de Vaux de Foletier
- Par hervegautier
- Le 19/10/2012
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N°596– Octobre 2012.
Le siège de La Rochelle – François de Vaux de Foletier - Éditions Pyré Monde.
Dans une de ses chansons, Georges Brassens vilipende « Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Nous avons tous cette particularité d'avoir vu le jour sur un point de cette terre et nous n'y sommes pour rien. Cet endroit, matérialisé souvent par le nom d'une ville, génère pour nous soit de la honte, de l'indifférence, de la fierté ou un attachement irrationnel.
Pour moi, je suis né à La Rochelle à une période où cette ville était certes un port de pêche important et une ville industrieuse mais qu'il était difficile au commun des mortels de situer la carte de France. La cité était petite, pas très peuplée, grise et sortait difficilement de la guerre. Les hasards de la vie ont fait que je n'y ai grandi que par intermittence et que j’ai dû la quitter bien malgré moi. Pour autant j'ai toujours une authentique et indéfectible passion pour elle. Elle est, comme on dit « Belle et rebelle », farouchement attachée à son image de liberté, chargée d'histoire et, pour beaucoup de Rochelais, elle reste souvent une inconnue. Si maintenant son nom est attaché aux tours de son port, aux Francofolies ou évoque la porte de l'île de Ré, la ville a longtemps été associée à un fameux siège, celui qui est connu comme « le grand siège » de 1628 qui a failli la rayer de la carte. Ce n'était ni le premier ni le dernier puisque, dans son histoire on en compte officiellement cinq, ce qui est assez dire qu'elle a toujours été convoitée. Il s'est matérialisé notamment par la construction d'une digue qui barrait la rade et empêchait les huguenots rochelais de sortir du port et les Anglais venus de l'extérieur de leur porter secours. La construction du port des Minimes en a un peu gommé les traces mais elle reste visible à marée basse et une tour qui porte le nom et les couleurs du Cardinal de Richelieu qui la fit édifier en signale l'ancienne position.
C'est que nous sommes sous Louis XIII, un roi qui veut étendre son autorité absolue sur tout son royaume. Il est aidé en cela par le Cardinal de Richelieu, un brillant ministre animé d'un génie dominateur et d'une volonté farouche de servir son roi. Depuis Aliénor d'Aquitaine et son mariage avec Henri II Plantagenet, roi d'Angleterre, la ville de La Rochelle a été anglaise mais aussi a bénéficié de libertés et de prérogatives qui iront s'affirmant au fil du temps. Sa position privilégiée sur la côte atlantique autant que l'esprit d'entreprise et le sens du commerce de ses habitants en ont fait une cité prospère qui, non seulement affirma sa richesse mais aussi a toujours été réceptive aux idées nouvelles et notamment celles de la Réforme. L’enseignement de Calvin s'y répandit rapidement et Henri IV qui l'aimait beaucoup en fit une place forte du protestantisme, autant dire un véritable « État dans l’État » incompatible avec la volonté royale de Louis XIII. La Rochelle était aussi l'illustration de la lutte entre catholiques et protestants qui avait longtemps gangrené la France. Ainsi, ce roi « très chrétien » et même dévot ne pouvait admettre de voir la foi catholique ainsi bafouée dans son royaume. Il fallait donc impérativement empêcher les protestants de se répandre sur le territoire. De plus, à l'époque, la ville battait monnaie, avait sa propre flotte, sa propre armée, son administration municipale élue, ses tribunaux et avant d'y entrer et de recevoir symboliquement les clés de la ville, les rois devaient jurer de respecter ses libertés et privilèges. C'était sans doute la seule ville dans tout le royaume a bénéficier de telles pratiques que l'absolutisme royal ne pouvait tolérer.
Les Anglais, officiellement pour des raisons religieuses mais surtout dans l'intention à peine voilée de déstabiliser le royaume de France et de rentrer peut-être en possession de leur ancien province, d'y faire prospérer le commerce, avaient juré de défendre les huguenots de La Rochelle. Ce fut donc certes pour des raisons religieuses mais aussi et surtout pour des raisons politiques et économiques que le roi mobilisa toute une armée pour réduire cette cité. Quand les troupes royales assiégèrent cette ville, si bien défendue par deux ceintures de remparts et qu'il n'était donc nullement question d'attaquer, les Anglais ne menèrent pas moins de trois expéditions navales pour parvenir à leurs fins. Le blocus terrestre étant ainsi mis en place, il ne restait que la mer qu'on barra de cette fameuse digue. Ce ne fut pas aisé parce que les difficultés techniques et la force des tempêtes s'y opposèrent. De plus, et peut-être paradoxalement, les Rochelais qui combattaient Louis XIII sur le terrain, étaient profondément attachés au roi et ne voyaient dans les Anglais qu'un moyen de se libérer de l'encerclement qui les étouffait de plus en plus. L'auteur [François de Vaux de Foletier-1893-1988, historien, ancien archiviste départemental de la Charente-Maritime qui a bien heureusement donné son nom à une rue du quartier des Minimes] ne manque d'ailleurs pas de signaler la situation très complexe de cette période faite de ralliements de circonstances, de conversions opportunes et de fidélités solides telle celle de Jean de Saint-Bonnet de Toiras qui s'illustra lors de ce conflit et restera toute sa vie un fidèle et loyal serviteur de Louis XIII et un ardent soutient dans la lutte contre les huguenots..., alors qu'il était lui-même protestant ! Pour autant, les assiégés qui ne pouvaient plus compter sur les troupes protestantes du sud de la France ne tardèrent pas à s'apercevoir des atermoiements des Anglais, lesquels, finalement ne leur furent d'aucun secours. En Angleterre, ce conflit, voulu en grande partie par le duc de Buckingham, était en effet fort impopulaire et l'incapacité anglaise se révéla durement pour le Rochelais. Dès lors, malgré l'intransigeance du maire Jean Guiton, il ne leur resta plus que la reddition.
Le siège dura plus d'un an, d’août 1627 à octobre 1628 et laissa la ville exsangue, ravagée par la maladie et la mort. Louis XIII pardonna aux Rochelais, rétablit le culte catholique, ordonna la destruction des remparts, sauf ceux qui donnaient sur la mer, bannit pour quelques mois seulement les meneurs mais surtout eut soin de retirer à la cité tous ces privilèges et libertés qui faisaient jadis sa spécificité. La Rochelle redevint une cité comme les autres dans le royaume de France.
Constamment réédité depuis 1931, ce livre passionnant et fort abondamment documenté remet cet épisode dans le contexte politique de l'époque, tant sur le plan intérieur qu'international, explique dans le détail ce que fut ce siège, ce qui le motiva et les suites qu'il eut pour cette ville. Cette période qui est en effet souvent évoquée n'a que très rarement été aussi bien étudiée.
C'est en tout cas un document de référence pour l'histoire de cette cité.
©Hervé GAUTIER – Octobre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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Quelques mots sur Rafaël ALBERTI [1902-1999].
- Par hervegautier
- Le 16/10/2012
- Dans Rafaël ALBERTI
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N°595– Octobre 2012.
Quelques mots sur Rafaël ALBERTI [1902-1999].
Cet homme qui est reconnu comme un poète espagnol majeur, membre de la « Génération de 27 »[ Ce mouvement littéraire espagnol composé majoritairement de poètes est né entre 1923 et 1927 et a disparu au moment de la Guerre Civile. Il a voulu faire la synthèse entre la poésie traditionnelle espagnole inspirée par le gongorisme et l'avant-garde esthétique européenne de l'époque illustrée notamment par le surréalisme en la faisant évoluer du classicisme vers un langage plus libre et esthétiquement plus pur] se destinait originellement à la peinture.
D'origine italienne par ses deux grands-pères, Rafaël, cinquième enfant d'une famille qui en compta six, naît et grandit à Santa Maria, un petit port près de Cadix. Il reçut une éducation bourgeoise, religieuse et classique mais s’ennuya fort chez les jésuites qu'il quitta au bout de 4 ans. La mer restera un grand thème de son inspiration.
Alors qu'il était encore adolescent, la famille s'installa à Madrid où il put s'initier à la peinture au musée du Prado. Pourtant, à la mort de son père, en 1920, il se mit à écrire. Sa santé fragile affirma cette nouvelle vocation et son premier recueil « Marinero en tierra » reçoit le Prix national de littérature. Publiée en 1925, cette œuvre lui permet d’entamer une longue et fructueuse amitié avec la poète Juan Ramon Jimenez, chef de file de la « génération de 27 ». En 1927, il est au nombre des jeunes poètes, dont Frederico Garcia Lorca, qui se réunissent pour célébrer le tricentenaire de la mort du poète baroque espagnol, Luis de Gongora.
Rapidement, le gongorisme, en vogue à l'époque, laisse dans son écriture la place au surréalisme ce qui l'amène à rencontrer d'autres poètes. En 1930, il épouse Maria Terésa Leon avec qui il se consacre au théâtre. Il adhère également au parti communiste. Il présente notamment une pièce « Firmin Galàn » à la gloire d'un jeune capitaine républicain, fusillé en 1930 pour avoir soulevé la garnison de Jaca contre le pouvoir royal. Cette œuvre inaugure la nouvelle orientation de son écriture, résolument tournée vers les luttes sociales. En 1931, la seconde république est proclamée en Espagne. Il participe à la guerre civile mais à partir de 1939 s’exile en France (où il rencontre le poète chilien Pablo Neruda), en Argentine, en Italie. Après la mort de Franco il rentre en Espagne en 1977 où il meurt en 1999.
Au pied de l'avion qui le ramena dans sa patrie il eut cette phrase qui définit bien l'esprit de transition démocratique entre l'ancienne et la nouvelle Espagne : « J'ai quitté l'Espagne avec la poing fermé et je retourne avec la main ouverte en signe de concorde entre tous les Espagnols. »
La première phase de son œuvre (1925-1927) s'inscrit dans la tradition de la poésie espagnole. Il y exprime la contemplation de la nature et l'expression des sentiments. Il sacrifie ensuite au gongorisme (1928), précieux et métaphorique, emprunt d'une métrique lourde pour finalement se consacrer au surréalisme et à une versification libre. Là, son vers se peuple d'images et parfois de violence. Bizarrement, ce cycle se referme sur une œuvre consacrée aux grands comiques du cinéma muet (« Yo era un tonto y lo que he visto me a hecho dos tontos » 1929). Ensuite vient la poésie politique inspirée du marxisme révolutionnaire à partir de l'avènement de la seconde république. L'exil (1939-1977) inaugure une écriture empreinte de nostalgie.
En France, ses poèmes ont été popularisés par le chanteur Paco Ibanez (notamment « A galopar » ou « Ballade de celui qui ne connut jamais Grenade »).
Rafaël Alberti reste, malgré ses années d'exil, un poète représentatif de son temps et de son pays.
©Hervé GAUTIER – Octobre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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LES INVITES DE MON PERE – un film d’Anne le Ny
- Par hervegautier
- Le 09/10/2012
- Dans Anne le Ny
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N°594– Septembre 2012.
LES INVITES DE MON PERE – un film d’Anne le Ny [2009].
France 2. Dimanche 7 octobre 2012 – 20H45.
C'est plus fort que moi, je ne suis pas un cinéphile averti, tant s'en faut, mais j'aime que le cinéma soit le reflet de la réalité qui nous entoure et dont nous faisons partie. Un des thèmes qui est ici évoqué, celui des sans-papiers, est de plus en plus une composante de notre paysage social et mérite bien qu'on s'y attache.
Lucien Paumelle [Michel Aumont] est un médecin à la retraite,80 ans, veuf, ancien résistant et engagé dans l'action humanitaire où son nom est une référence. Il passe sa vieillesse active à défendre ceux que la société a exclus ou qu'elle rejette parce qu'ils sont étrangers et ce malgré le code pénal. C'est effectivement un thème bien actuel et traité par ailleurs au cinéma, valorisant pour un citoyen français et bien digne du message humaniste et généreux de notre pays. Rien à dire donc ou plutôt on ne peut qu'être admiratifs devant l'engagement de cet homme que la retraite n'a pas diminué.
Il a deux enfants maintenant mariés ou en couple, la quarantaine plus ou moins avancée. Arnaud [Fabrice Luchini], son fils, cynique, avocat d'affaires qui a toutes les marques de la réussite sociale, cabinet florissant, grosse berline, appartement de standing, riche train de vie... Il a épousé une femme qui n'a pas fait d'études comme lui. Ce n'est pas tout à fait l'image du père qu'il nous renvoie. Ensemble, ils ont deux enfants un peu conventionnels. Babette [Karine Viard], la fille de Lucien, est un obscur médecin généraliste dans ce qu'on suppose être un dispensaire de quartier. Elle aussi est digne de son père non seulement parce qu'elle est médecin au service des autres, qu'elle a toujours vécu dans son ombre, mais aussi parce que, comme son frère, elle n'est pas installée et ne voue pas à l'argent un culte effréné.
Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si Lucien, sous couvert d'aider Tatiana, une jeune et jolie Moldave, réfugiée en France avec sa fille et désireuse de s'y établir avec des papiers en règle, ne s'était mis en tête de l'épouser malgré une différence d'âge digne du théâtre de Molière, le comique en moins, en réalisant un « mariage blanc ». Après tout, pourrait-on penser, c'est plutôt, pour cet homme, le couronnement de toute une vie d'engagement humanitaire. Que nenni, tout cela c'est de la frime, Lucien est vraiment amoureux de Tatiana et ce mariage a plutôt la couleur du viagra et met la vie de Lucien en danger ! Il se retrouve d’ailleurs à l'hôpital et on finit par se dire que c'est pour lui le dernier acte. Il est réellement amoureux de cette femme, non seulement lui trouve du travail pour aider à la régularisation de sa situation mais invite ses propres enfants à renoncer à leur futur héritage... pour en faire profiter Tatiana !
Le spectateur reste sans voix devant le personnage de cette étrangère qu' Arnaud qualifie de « pute » et qui poursuit inexorablement son but sans qu'on sache si elle œuvre pour sa fille ou pour elle-même. On la voit déterminée et sans gêne devant les enfants de Lucien, détachée de lui, raciste [déjà], désireuse que sa fille fréquente la meilleure école où il n'y a pas de noirs ni d'arabes ! On imagine aussi qu'elle a bien pu vouloir avancer l'échéance du décès de Lucien pour disposer plus vite de ses biens en se trompant dans ses médicaments.
Ce fait est pour autant déterminant et fonctionne comme un déclencheur. Arnaud et Babette qui jusque là semblaient assister, quelque peu indifférents, voire complices, aux extravagances de leur père prennent soudain conscience qu'il peut mourir par la main de cette jeune intrigante. C'est pourtant l'épouse d'Arnaud qui réagit au nom de la parentèle en dénonçant ces manœuvres à la Préfecture et fait ainsi échouer les projets de Lucien. Certes, cette manœuvre a, aux yeux de Babette et d'Arnaud, des relents de pétainisme mais, après cette dénonciation, ils y souscrivent cependant. Tatiana repartira dans son pays avec sa fille. Fin de l'épisode ! Pourtant, devant le résultat de cette action et malgré la satisfaction qu'ils ont de voir leur père revenir à une vie plus normale, ils se laissent aller à une sorte de culpabilisation pour avoir contrecarré ses projets matrimoniaux.
Pour autant, ce thème ne me semble pas être le seul traité par ce film. C'est que cet événement a des répercussions au sein de la famille apparemment unie, avec, en filigranes, le fantôme de la mère. Arnaud se rappelle qu'étudiant, son père lui a coupé les vivres, sans doute parce qu'il refusait de faire ce qu'il lui demandait et que Babette, qui a toujours joué le rôle de la fille effacée et comme il faut, non seulement n'a pas défendu son frère mais encore s'est réjoui de cette situation et en a même profité. On imagine même que les liens entre le frère et la sœur ne sont pas aussi forts qu'il y paraît. Voila aussi que l'intermède amoureux de Lucien provoque celui de Babette qui, après avoir supporté pendant des années son compagnon s'envoie ne l'air avec un collègue de travail, apparemment plus jeune qu'elle et avec qui, finalement, elle choisit de vivre. C’est bien son tour de se lâcher un peu, d'autant qu'elle connaît enfin l'orgasme !
Les choses semblent rentrer dans l'ordre à l'occasion d'un week-end, quelques mois plus tard. Arnaud rejoint son père désormais assagi aux côtés d'une retraitée bretonne et végétarienne. L'image qu'il donne correspond davantage à celle d'un retraité paisible qu'à l'épisode précédent de son mariage manqué et peut-être maintenant oublié, même s'il s'ennuie en regardant la mer à cause du thé vert au gingembre et du pain au varech !Pire, il s'emmerde et on l'imagine déjà un pied dans la tombe après avoir tourné définitivement la page de sa vie antérieure !
Je ne suis pas sûr d'avoir assisté à une comédie puisque c'est la catégorie dans laquelle ce film est classé par la critique. Certes on peut rire de tout et les répliques sont parfois drôles [« C'est un acte militant... mais il y a des actes militants qui sont plus agréables à regarder que d'autres », « non seulement il m'a pourri mon enfance mais il me vole ma crise de la cinquantaine », « En fait la blonde trop jeune c'est à ton âge qu'on se fait ce trip, pas au sien »] mais les nombreux thèmes traités ici ne s'y prêtent guère, celui de la vieillesse et de la solitude, de la remise ne question des choses établies et de l’image que donnent les gens, de l'utopisme de gauche, de l’adolescence contestataire et généreuse, de la famille qui éclate, de la mort qu'on perçoit au loin... Seul le jeu des acteurs qui se résume à un trio (Karine Viard, Michel Aumont, Fabrice Luchini) peut prêter à sourire tant il est juste et parfois humoristique. Je ne suis pas bien sûr pour autant que le happy-end qui clôt ce film soit toujours au rendez-vous dans la vraie vie !
Après « Ceux qui restent » Anne de Ny nous offre ci une nouvelle peinture de la société. J'ai bien aimé.
©Hervé GAUTIER – Octobre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE PRIX A PAYER – un film d'Alexandra Leclère
- Par hervegautier
- Le 26/09/2012
- Dans Alexandra Leclère
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N°593– Septembre 2012.
LE PRIX A PAYER – un film d'Alexandra Leclère [2007].
TF1 Dimanche 23 septembre 2012 – 20H50.
Je poursuis l'intérêt que je porte à l’œuvre cinématographique d'Alexandra Leclère. La Feuille Volante en a déjà été le témoin à propos des « Sœurs fâchées » (FV n° 554 de février 2012) et de « Maman » (FV n°577 de mai 2012) et j'avoue bien sincèrement que je suis très attentif à ce mode d'expression intimiste du cinéma.
Ici, Alexandra Leclère s'attaque aux problèmes de couple. C'est sans doute peu original mais cela fait parti de la vie et mérite bien qu'on y prête un peu d'attention. Jean-Pierre Ménard [Christian Clavier], homme d'affaires riche et ayant réussi, est marié à une femme, jolie mais dépensière, Odile, [Natahlie Bayle] mais il est malheureux en ménage : c'est qu'elle a décidé depuis quelques temps de faire chambre à part et donc de se refuser à lui. Sur le conseil de Richard, son chauffeur macho et frustré [Gérard Lanvin] à qui il avoue son infortune, il lui supprime sa carte de crédit et son chéquier afin de la ramener vers lui. Il lui exprime les termes d'un marché qui a l'avantage de l'économie de mots et de la simplicité « Pas de cul, pas de fric » ! Avec une telle formule, le terme « devoir conjugal » prend tout son sens. De son côté, Richard vit avec Caroline[Géraldine Pailhas] qui poursuit un rêve inaccessible auquel il est étranger. Voici pour le décor.
J'ai trouvé ce film un tantinet caricatural où d'un côté les femmes sont présentées comme des êtres libres qui s'adaptent à l'évolution de leur situation mais sont quand même dépendantes de l'argent de leur compagnon considéré comme un pourvoyeur d'euros, et de l'autre les hommes, pour qui l'argent qu'ils gagnent paie tout mais qui se sentent désemparés quand elles disparaissent. J'avoue que, malgré tout, j'ai du mal à entrer dans ce schéma un peu trop simpliste où les femmes sont maîtresses d'un jeu où l'argent est roi et achète les consciences et les postures,. Elles semblent assumer leur existence à travers lui, qu'elles se le procure à travers le travail ou les épisodes vaudevillesques. C'est plus fort que moi, je ne peux pas ne pas donner à la dernière réplique du film qu'Odile adresse à Jean-Pierre [« Tu comptes beaucoup pour moi »] une signification... comptable !
J'ai trouvé le jeu des acteurs tout à fait dans le ton du film et conforme à son côté grand-guignol. A mon avis, la distribution sauve même le scénario. Cela aurait pu être drôle surtout lorsque Caroline avoue que dans sa vie l'écriture tient un grande place et correspond à ses aspirations profondes et que Jean-Pierre lui rétorque que sa femme aussi a des dispositions dans ce domaine, mais uniquement pour rédiger les chèques ! Pourtant, et malgré les apparences, je ne suis pas bien sûr d'avoir assisté à une « comédie », puisque j'y ai vu une illustration supplémentaire de la difficile cohabitation entre hommes et femmes et des épreuves qui émaillent inévitablement une vie de couple. On peut certes rire de tout mais ce genre d'épreuves laissent quand même des traces. Même l'épisode de la passade ratée avec un inconnu (Patrick Chesnais) ne me semble pas crédible. Je ne suis pas sûr non plus qu'Odile, à ce point dégoûtée de son mari, puisse répondre simplement à un admirateur enamouré qui lui déclare qu'elle est « très belle », qu'elle est seulement... « très mariée » et qu'elle choisisse de revenir dans le giron familial ! Compte tenu de l'ambiance délétère qui règne au sein de ce couple, la fidélité de Jean-Pierre qui est ainsi artificiellement maintenue, ne me semble pas de mise. On imagine facilement qu'au lieu de se livrer à ce petit larcin misérable, il puisse préférer des amours de contrebande... D'autre part je conçois mal qu'une jolie femme en pleine possession de sa féminité, fasse l'impasse sur une vie sexuelle que son charme et sa beauté incitent naturellement à la séduction. Qu'elle se refuse à son mari pour des raisons obscures ou futiles, passe encore, qu'au moins elle satisfasse un ou plusieurs amants, l'abstinence qui est ici suscitée me semble quelque peu irréaliste !
Jusque là je dois dire que j'avais apprécié le regard qu'Alexandra Leclère portait sur la société dont le cinéma peut être le miroir. Le thème choisi avait l'avantage de concerner le plus grand nombre d'entre nous qui n'ignorons pas que les relations entre les hommes et les femmes sont complexes, faites beaucoup plus de tensions, de haine et d'hypocrisie que d'amour et d'attachement. Ce qui est valable au début du mariage laisse rapidement la place à une atmosphère pesante où la passion se délite rapidement. Tous ceux qui ont contracté mariage l'ont fait par amour, pour faire comme tout le monde, par intérêt, par convenance, pour changer de vie ... mais on oublie un peu vite que, comme le spirituel, cela suppose une vocation. Après tout, on n'a pas trouvé mieux, depuis que le monde existe pour perpétuer la race et organiser les rapports entre les êtres. La morale, la philosophie, la religion, le droit ont tenté d'y mettre leur patte pour que cela ait des apparences correctes, présentables voire attirantes. Oui, mais, si on part du principe que l'amour existe, il rime rarement avec « toujours » et rapidement les choses prennent un autre visage moins avouable, fait de duplicités, de trahisons, d'infidélités... Le contrat de départ ne manque pas d'être écorné et presque naturellement c'est le divorce qui intervient, avec son lot de désillusions, de remords, de remises en question parfois impossible à surmonter, de vies brisées... On peut aussi admettre que les époux fassent perdurer artificiellement ce lien tout en vivant leur vie chacun de leur côté, en faisant prévaloir leur intérêt. Certes l'argent est roi et gouverne le monde, nous le savions déjà, mais de là à en faire l'enjeu de l'épanouissement sexuel d'un des conjoints, je trouve cela un peu fort. Ce problème de testostérone et de machisme me paraît un peu surfait. Je ne suis peut-être que très peu averti des choses de ce monde ou l'auteur a peut-être voulu être originale, mais il me semble que l'issue d'une telle situation intimement nuisible peut facilement être différente et déboucher sur une autre situation que celle proposée par le film. Cela aussi fait partie de cette règle du jeu et il n'est quand même pas rare que, dans le mariage, il y ait ce genre d'accident...
J'ai donc été un peu déçu par ce film mais j'y ai retrouvé des thèmes traités dans « les sœurs fâchées »... et j'attends le suivant.
©Hervé GAUTIER – Septembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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HISTOIRE DE LA ROCHELLE – Sous la direction de Marcel Delafosse (†).
- Par hervegautier
- Le 15/08/2012
- Dans Histoire
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N°592– Août 2012.
HISTOIRE DE LA ROCHELLE – Sous la direction de Marcel Delafosse (†).
Éditions Privat.
Cet ouvrage collectif publié en 2002 est une nouvelle édition reprise, complétée et augmentée d'un ancien ouvrage portant le même titre, chez le même éditeur dans la collection « Pays et villes de France » publié en 1985.
Les rédacteurs sont professeurs d'Université (Robert Favreau, Etienne Trocmé), maître de recherche au CNRS (Louis Pérouas), conservateurs (Olga de Sainte-Affrique, Marcel Delafosse(†). C'est assez dire que le document qui est ainsi livré au lecteur est un ouvrage de référence sur l'histoire de cette ville d'exception depuis sa fondation jusqu'à la période contemporaine.
Cette « ville bénie des dieux » n'est principalement connue actuellement que par le festival des « Francofolies » et par les tours emblématiques de son port. Sans vouloir minimiser ces références très médiatiques, ce livre nous fait entrer dans les arcanes de l'histoire riche et palpitante de cette cité qui, au départ n'était qu'un modeste village de pêcheurs entouré de marais. A partir de l'an mil, et sans doute un peu par hasard, il se transforme en une cité qui ne cessera de grandir, de s'affirmer tout au long de sa vie pour devenir une des toutes premières villes de la côte atlantique.
Grâce à cet ouvrage extrêmement bien documenté et pédagogiquement présenté, nous voyons cette cité, depuis sa création vivre et évoluer. Elle a été tour à tour anglaise, grâce à Aliénor d'Aquitaine, française à partir de 1224, puis à nouveau anglaise à la suite du traité de Brétigny de 1360 mais a toujours marqué son attachement à la couronne de France à laquelle elle est à nouveau rattachée en 1372.
mais a toujours marqué son attachement à la couronne de France. Au début elle a abrité nombre de congrégations religieuses puis est devenue protestante et même une place forte, pour redevenir ensuite catholique surtout à partir de la fin du siège.
Le XVII° siècle correspondit à l'essor colonial, celui du commerce et de la « course » qui enrichirent la ville et la dotèrent d'une architecture riche et originale. Lui succéda le XVIII°siècle pendant lequel le catholicisme revint en force, s'établit dans la ville et avec lui l'esprit de tolérance prôné par le siècle des Lumières qui a permis la cohabitation entre les deux communautés. Il en résulta l’émergence d'une nouvelle forme de société axée notamment sur la culture et un nouvel art de vivre ensemble.
La Révolution a été à La Rochelle singulièrement modérée, loin de l’agitation parisienne. Quant au XIX° siècle, il fut « trop calme » selon l'expression des auteurs, mais le dynamisme inhérent à cette ville s'est à nouveau manifesté à la fin de cette période. La ville a consolidé son port de pêche, s'est installée dans l'industrialisation puis à nouveau dans le commerce international. Lorsque les crises successives eurent atténué ces activités, ce furent la culture, le savoir et le tourisme qui émergèrent et s'installèrent durablement.
Très tôt la cité a dû sa richesse à son port d'où partaient le sel et le vin de l'Aunis. Puis des navires ont été armés, destinés au négoce avec les pays du nord, l'Afrique et les colonies ultramarines puis les Amériques, au commerce « en droiture » et « triangulaire », enrichissant considérablement La Rochelle et en ont fait une cité longtemps convoitée. Si la perte du Canada et le révocation de l’Édit de Nantes, les guerres l'ont affaiblie, elles ne l'ont pas anéantie. Son activité commerciale a connu des périodes fastes de grande prospérité mais elle a aussi frôlé la ruine, on l'a même menacée de destruction, mais ses habitants ont toujours su comment la faire perdurer dans une paix relative favorable au commerce et à la vie en société. Autour notamment de ses édiles, elle a su relever les nombreux défis économiques sociaux qui se sont présentés, a su affirmer sa spécificité, son originalité, son sens de l’innovation, son amour de la liberté qui font d'elle, et définitivement, une cité « belle et rebelle ».
Elle a donné à la France nombre de savants, juristes, militaires de haut rang, marins, écrivains et artistes. Son architecture urbaine exceptionnelle, son climat, sa douceur de vivre, ses attraits ont toujours fait d'elle une ville peuplée, attrayante, tolérante, véritable creuset, riche de diversités sociales et culturelle. On peut probablement regretter que Le Corbusier n'ait pas pu y donner toute la mesure de son talent mais Eugène Fromentin aurait aujourd’hui du mal à reconnaître « sa pauvre province », dans cette cité faite de pierre blanche et de toits ocres, bien différente de cette « vieille cité huguenote, grave, discrète avec ces maisons d'un luxe sévère aux façades sombres ».
L'histoire nous enseigne les grandes évolutions des idées et peuples. C'est une discipline indispensable dans le vaste domaine de la connaissance et de la culture. J'ai personnellement, et depuis toujours, une passion pour cette ville et un tel ouvrage ne peut que me conforter dans mes certitudes.
©Hervé GAUTIER – Août 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA VIE EST BELLE – Un film de et avec Roberto Benigni
- Par hervegautier
- Le 04/08/2012
- Dans Cinéma italien
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N°591– Août 2012.
LA VIE EST BELLE – Un film de et avec Roberto Benigni- 1997.
[Cine + famiz – Mercredi 1° août 20h40.]
Nous sommes en 1938 en Italie. Ce film met en scène Guido (Roberto Benigni), un serveur juif-italien excentrique, plein de joie de vivre, un peu dragueur et gaffeur qui souhaite ouvrir une librairie et passe son temps à deviner des rébus que lui propose un client de l'hôtel où il travaille. Il est d'autant plus extravagant qu'il tombe amoureux de Dora (Nicoletta Braschi), une jeune institutrice et cherche toutes les occasions de se faire remarquer. C'est plutôt mal engagé pour lui puisqu'elle est fiancée à un notable fasciste, mais Guido finit par l'épouser et à avoir avec elle un petit garçon, Giosué (Giorgio Cantarini). Malheureusement le régime de Mussolini persécute les juifs et, quelques années plus tard toute la famille est envoyée dans un camp d'extermination. Resté avec son fils, Guido va lui faire croire que tout ce qu'il voit n'est qu'un jeu où il faut accumuler des points pour gagner le premier prix qui est un vrai char d'assaut.
Il est convenu de dire que ce film est une fable, une sorte de conte pour enfant. Benigni lui-même l'a prétendu. Il n'y a en effet rien de vraiment réaliste dans ce décor. Dans Arrezo où il habite, Guido semble étranger à la traque des juifs et ce film n'a rien de rigoureusement historique. Le camp est tout à fait fictif et Giosué a beau se cacher, on a du mal à croire à la réalité de ce que l'on voit. Malgré le travail forcé des prisonniers, le camp semble quelque peu surréaliste et tout ce qu'on sait de l'univers concentrationnaire ne se retrouve pas ici.[« Et si tout cela n'était qu'un rêve »]. Au début la magie opère dans les yeux de l'enfant qui croit l'histoire que son père lui raconte même si, à un certain moment il est le témoin d'une révélation sur le véritable but des nazis qui est l'élimination des juifs. Pourtant, Giosué semble avoir tout compris mais continue de faire semblant, même si cette histoire de char d'assaut qu'il avait fini par oublier, se transforme, à son grand étonnement, en réalité par la libération du camp par les troupes américaines. Guido lui-même se prend au jeu, surtout quand il s'improvise traducteur de l'allemand qu'il ne parle pas et quand il découvre le monceau d'ossements, il est complètement ébahi et semble prendre enfin conscience de l'évidence. Même la mort de Guido ne parvient pas à être triste parce qu'on songe, malgré nous peut-être à celle d'un clown de cirque à laquelle on ne croit pas et non à celle d'un déporté juif.
Benigni donne ici toute sa mesure. Il réussit à nous faire sourire sur le thème de la mort, sur celui de l’extermination des êtres humains par d'autres hommes, sur celui de la Shoah. L'auteur semble nous dire que l'humour sauve de tout, même des pires choses, que c'est une bonne manière de résister à la noirceur, à l'oppression. Non seulement ce n'est pas faux puisque l'humour juif existe mais il a bien dû aider ce peuple dans son long combat pour l'existence.
J'y ai vu une fabuleuse histoire d'amour, celle de Guido et de Dora : Il fait tout pour la conquérir et elle qui n'est pas juive exige de suivre son mari et son fils dans le train de déportés. Malgré la séparation du camp, Guido lui fait constamment des signes qu'elle comprend et il mourra en tentant de la retrouver. C'est un peu comme si lui aussi cherchait à se jouer une comédie et à se convaincre que tout ce camp n'est qu'un décor et qu'il va la rejoindre. C'est aussi une histoire d'amour d'un père pour son fils à qui il cherche à cacher la vérité. Même si ce film est tragique par le thème traité, par l’éclatement de cette famille qui ne demandait qu'à être heureuse et par la mort qui rôde, il ne faut pas oublier que ces faits, même s'ils sont imaginaires, même s'ils sont présentés avec humour et surréalité, peuvent parfaitement se reproduire de nos jours et le nazisme peut prendre des formes inattendues mais bien réelles.
De nombreux prix qui ont couronné ce film (César du meilleur film étranger – Oscar du meilleur film étranger – Oscar du meilleur acteur pour Roberto Benigni – Oscar de la meilleure musique de film)... Pour ma part, une fois l'écran devenu noir j'ai eu la certitude d'avoir assisté à une histoire poétique et pleine d'émotion.
©Hervé GAUTIER – Août 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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DOMINIQUE
- Par hervegautier
- Le 28/07/2012
- Dans Eugène Fromentin
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N°590– Juillet 2012.
DOMINIQUE – Eugène Fromentin (1863).
Ce roman est une sorte de récit-gigogne où le narrateur raconte comment il fait la connaissance, un peu par hasard, de Dominique de Bray avec qui il sympathise. Son nouvel ami, apprenant le suicide manqué d'Olivier d'Orsel avec qui il fit ses études, remonte le temps et narre à son tour son histoire personnelle en évoquant son enfance aux « Trembles », un domaine campagne où il étudie sous la direction d'Augustin, son précepteur, pour ensuite partir pour le collège où il rencontre Olivier. Dominique ne tarde pas à rencontrer une des deux cousines de ce dernier, Madeleine et, bien sûr, en tombe amoureux. Malheureusement il s'aperçoit qu'elle est promise à un autre, M. de Nièvres. Au moment du récit, Dominique et marié, père de deux beaux enfants, à la tête de son domaine et de sa commune, bref il semble heureux, en apparence seulement.
On peut aisément classer ce texte d'Eugène Fromentin , né à La Rochelle en 1820 et mort à St Maurice (faubourg de La Rochelle) en 1876, parmi les romantiques. C'est d'ailleurs l'unique roman de cet auteur, connu davantage comme peintre, critique d'art (« Les Maître d’autrefois ») et chroniqueur de ses propres voyages (« Un été dans le Sahara »(1854) et « Une année dans le Sahel »(1857). Il est admis que « Dominique » est un texte autobiographique puisque, au cours de ses études, Eugène tomba amoureux de Jenny-Caroline Chessé, une jeune fille de 17 ans, une voisine, mais cet amour fut sans suite puisqu'elle épousa Béraud, un modeste fonctionnaire de La Rochelle. Quand elle mourut à l'âge de 28 ans, il en fut bouleversé. En réalité, ce roman prit forme dans sa tête à l'âge de 22 ans et Fromentin attendit quinze années pour y mettre le point final, pour s'en libérer peut-être ? Dans ce texte, plein de sensibilités et d'émotions, Eugène Fromentin se livre à une analyse des sentiments amoureux de Dominique autant qu'à ses états d'âme tourmentés par la désillusion et la mélancolie dues à un amour déçu. En effet, le narrateur confesse « assister à sa vie comme un spectacle donné par un autre ». En, fait, il s'y ennuie. De plus, Dominique, amoureux d'une femme qui lui échappe souffrira et devra renoncer à sa passion. Madeleine qu'il aime profondément, sans le savoir au début, puis passionnément sans être payé de retour autrement que par une sincère amitié et une estime constante voit cette jeune fille devenue Mme de Nièvres lui échapper complètement [« Madeleine était perdue pour moi et je l'aimais »]. Quand il était en sa présence, cela tenait pour lui d'une apparition, d'un moment de félicité et il ne savait pas, compte tenu de ses sentiments, s'il était « torturé ou ravi », ce qui n'était pas sans provoquer chez lui des maladresses. Il est tellement déçu qu'il en vient à se mépriser lui-même[« En me démontrant que je n'étais rien, tout ce que j'ai fait m'a donné la mesure de ceux qui sont quelque chose »]. L'auteur précise même les choses plus avant « Tout homme porte en lui plusieurs morts ».
Mais ce récit est aussi un hymne à la nature, à la chasse, à la terre qui fait ici figure, pour Dominique, de remède à ce mal d'amour dont il souffre. Le roman s'ouvre sur la présentation de Dominique en propriétaire foncier bienveillant, vigneron amoureux de sa terre, maire généreux et aimé de tous. Fromentin parsème son récit de descriptions picturales et poétiques, scènes champêtres ou paysages maritimes qui évoquent en lui le peintre influencé par Eugène Delacroix. On peut d'ailleurs aisément les mettre en perspective avec la psychologie du personnage principal. Dominique est obsédé par ce passé au point de se complaire dans l'évocation de cette vie qui semble s'être déroulée hors du temps et peut-être malgré lui et dans laquelle on sent qu'il ne s'est pas épanoui. Dominique a renoncé à tout, à une carrière littéraire prometteuse, à un rôle politique important, se cantonnant à un rôle de notable de province, à cause de cet amour contrarié. C'est un peu l'histoire d'un échec, une vie où il s'ennuie d'autant que Madeleine, sans céder en rien à cet amour impossible a parfois des attitudes équivoques. ll y a du « bovarysme » dans ce roman et Fromentin dissèque avec la précision d'un chirurgien l'âme de ce malheureux, ses pudeurs, ses hésitations, son insatisfaction, sa timidité maladive[«Je la fuyais. L'idée de lever les yeux sur elle était un trait d'audace »], son penchant pour la solitude.
Olivier ne revanche se voue à l'hédonisme, mais lui aussi, dans un autre registre rate tout, jusqu'à sa mort. Pourtant, tout oppose ces deux amis puisque Julie, sa deuxième cousine, est amoureuse de lui mais il ne l'aime pas. L'amitié qui lie les deux hommes fait d'Olivier le témoin privilégié des tourments de Dominique qu'il tente d'apaiser, mais en vain. Seul Augustin, le précepteur de Dominique, semble se tirer d'affaire et vit un amour heureux.
George Sand à qui ce texte est dédié ne s'est pas trompée sur le talent de son auteur, non plus d'ailleurs que Sainte-Beuve qui salua lui aussi ce créateur polyvalent.
Eugène Fromentin est un écrivain injustement oublié à qui le Rochelais ont consacré un monument, une rue et un lycée de leur si belle ville mais qui, malheureusement n'est plus guère lu aujourd'hui [Je remarque que certaines éditions de ce roman sont illustrées de délicates aquarelles de Louis Suire ou d'eaux-fortes colorées de Henri Jourdain]. Au risque de paraître ringard et amoureux des choses surannées et dépassées à notre époque, je dis que j'ai aimé ce livre non seulement pour la pertinente analyse des sentiments, pour la peinture précise du caractère de chaque personnage, pour la description des lieux dignes du peinte qu'il était. Je note cependant que, malgré les temps qui changent, les choses qui évoluent, comme on dit, nous portons tous en nous une part de désillusions, des regrets, des remords, des illusions définitivement perdues ... Ce roman en est illustration, ce qui fait de lui une œuvre authentique, même si la manière d'exprimer les choses a un peu changé.
Ce qui m'a fait aimer ce roman c'est peut-être avant tout parce qu'il est bien écrit. C'est toujours un plaisir pour moi de lire un texte d'un serviteur si attentif de notre belle langue française.
©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA ROCHELLE, fille de la mer – Christian Errath, Raymond Silar
- Par hervegautier
- Le 24/07/2012
- Dans Histoire
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N°589– Juillet 2012.
LA ROCHELLE, fille de la mer – Christian Errath, Raymond Silar - Geste Éditions.
Dans mon imaginaire personnel, il est des villes dont le nom seul évoque le voyage, l'exceptionnel, un attachement à la fois irrationnel et définitif. La Rochelle est de celles-là. Son nom sonne comme celui d'un rocher solide face à l'océan, elle évoque mon enfance et pas mal de souvenirs. Pour l'extérieur elle reste attachée aux paroles d'une chanson (« Les filles de La Rochelle »), au douloureux siège de Richelieu, à ses emblématiques tours, aux 4 sergents qui y furent emprisonnés. Jadis la reine Aliénor en fit le port de l'Aquitaine et lui accorda le privilège de « franche commune ». Elle fut ensuite dédiée aux expéditions lointaines, au commerce triangulaire, puis à celui des produits du pays, sel, vins puis plus tard céréales, à la pêche à la morue, à celle de haute mer et à celle des coureaux. Aujourd'hui elle est le symbole de la culture et de l'université, de la plaisance, des loisirs, de l'écologie, des Francofolies, de la porte vers l'île de Ré, d'un art de vivre différent, mais elle a toujours été tournée vers la mer...
Avec le texte érudit à l'humour subtil de Raymond Silar et les photographies pleines de cette lumière océane de Christian Errath, le lecteur se promène à la fois dans l'histoire et dans le présent de cette cité « bénie des dieux », créée, dit-on, par la fée Mélusine, mariée à l'Atlantique. Avec ces auteurs, le lecteur découvre « La grande aventure rochelaise » que ses différents musées évoquent et que sa pierre blanche conserve. Ses habitants ont su relever les défis de l'histoire, s'adapter aux changements structurels qui ont accompagné son parcours. Autrefois blottie derrière ses remparts, elle a su « prendre le vent des conquêtes nouvelles » et faire œuvre d'imagination dans bien des domaines ce qui a fait d'elle un véritable modèle. Cette ville à la fois « Belle et rebelle », conquise sur la mer a été successivement depuis Aliénor d'Aquitaine, anglaise puis française, catholique avec la présence des Templiers, des Carmes, des Jésuites et des Oratoriens... puis, évidemment, protestante, en paix et en guerre, peuplée à la fois d'ouvriers et de riches notables commerçants et armateurs. Elle garde les traces architecturales du temps, entre ses célèbres arcades, ses maisons à colombage, ses hôtels particuliers et ses bâtiments de style renaissance ou du XVIII° siècle. Une cité maritime où se mêlent tous les styles et toutes les influences, avec bonheur !
Depuis le hameau de Cougnes qui a été à l'origine de sa fondation, elle a été tour à tour place forte en guerre et ville de paix, a su s'opposer au pouvoir central si celui-ci devenait trop pesant mais aussi se montrer loyale à ce même pouvoir quand il le fallait. La devise de ses armes,« Servabor rectore deo »(guidé par Dieu, je serai sauvé), même si elle prête à diverses interprétations, illustre bien son attitude. Elle a abrité des célébrités, savants, voyageurs, artistes, peintres, écrivains, philosophes, avocats, inventeurs, marins mais aussi des hommes au caractère bien affirmé, notamment parmi ses édiles nommés ici depuis 1199. Les Rochelais ont dû se battre pour conserver le privilège d'élire leur maire et ce d'autant plus qu'ils devaient cette singularité à Aliénor, une Duchesse-Reine en plein Moyen-Age ! Ils ont payé un lourd tribut lors des luttes qui ont jalonné l'histoire de cette cité mais la vie, la liberté et l'indépendance ont toujours prévalu ce qui la rend extraordinairement attractive.
La Rochelle a toujours exercé une véritable fascination sur ceux qui l'ont approchée, a suscité des créations artistiques et des innovations parfois audacieuses de tous ordres, bref n'a laissé personne indifférent, a toujours insufflé à ses habitants autant qu'aux touristes de passage sa vitalité, son originalité, son souffle chaleureux.
©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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TANGO POUR UNE ROSE – Laura Pariani
- Par hervegautier
- Le 17/07/2012
- Dans Laura Pariani
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N°587– Juillet 2012.
TANGO POUR UNE ROSE – Laura Pariani – Flammarion.
Traduit de l'italien par Dominique Vittoz
Le tango, c'est l'Argentine où Antoine de Saint-Exupéry a rencontré sa femme Consuelo, la rose c'est celle du Petit Prince dont l'enfant est éperdument amoureux et dont il est responsable sur cette drôle de planète, c'est elle puisqu'elle est présente dans ce roman. C'est aussi une référence aux mémoires de Consuelo intitulée « Mémoire de la rose ». Voilà donc pour le titre.
Ce récit fictif est celui imaginé par l'auteur qui met ainsi en scène les derniers moments de l'aviateur-écrivain, sa dernière lettre à Consuelo où il lui redit son amour avec, en sourdine, les notes tout autant imaginées d'un ultime tango.
Je l'ai lu avec ce souvenir que ne me quitte jamais de cet enfant mystérieux venu à la rencontre de cet aviateur tombé en panne dans le désert, avec aussi cette photo de John Phillips où l'on voit, pour la dernière fois le visage inquiet de St Ex qui s'envole vers la mort, crainte ou fascination ? Ce sont, peut-être pas forcément fictivement, une somme de réflexions personnelles sur le passage vers le néant, mêlées à des souvenirs de sa vie un peu cahoteuse, faite d'accidents d'avion et de voyages lointains, de son enfance heureuse malgré la disparition soudaine de son père et d'un de ses frères, un parcours d'homme, partagé entre l'écriture et l'avion, l'amour de la vie et les errances amoureuses et cette attirance vers la mort dont la guerre lui offrira l'opportunité. Disparu dans des conditions énigmatiques, il deviendra encore davantage un mythe, celui d'un homme devenu écrivain un peu par hasard mais qui fait chanter les mots, qui fait rêver son lecteur et réveille en lui les contours évanouis de l'enfance, les découvertes de l'aventure.
L'auteur lui prête des conversations philosophiques avec un indien ou un mécanicien. On y parle de la fuite du temps, de l'incontournable mort, de l'aspect transitoire de la vie, des plaisirs éphémères, de la volonté de laisser une trace derrière soi. En contrepoint il y a cet air lancinant du tango, cette danse à la fois langoureuse et sensuelle, rythmée et énigmatique aussi où l'homme et la femme jouent une partition personnelle sur le thème de la séduction, de la possession, de la fuite mais aussi du hasard, de l'improvisation, du mystère, du symbole, entre tendresse et agressivité.
C'est une fable inspirée à la fois par St Ex (rebaptisé Tonio) et par Dante où l'aviateur écrirait à Consuelo une lettre qui n'arrivera jamais, où le Ligthning P38 qui lui servira de cercueil est remplacé par un autocar mais où les balles meurtrières viennent quand même interrompre ce parcours terrestres à son heure comme si d'invisibles Parques officiaient, avec en arrière plan les paysages de son enfance aperçus une dernière fois. En ce 31 juillet 1944, St Ex est parti rejoindre Le Petit Prince rencontré un jour dans le désert, entre les pages d'un livre ou pendant une longue période de géniale inspiration.
©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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TOMBEAU DES ANGES
- Par hervegautier
- Le 12/07/2012
- Dans Gilles Ortlieb
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N°586– Juillet 2012.
TOMBEAU DES ANGES – Gilles Ortlieb – Gallimard
Le titre a ce côté énigmatique des romans policiers, mais le texte a d'emblée un goût un peu humoristique qui plante un décor coutumier d'un paysage urbain avec, en arrière-plan des friches industrielles aux relents de pollution. Le lecteur ne tarde cependant pas à s'apercevoir que les anges en question n'ont pas des noms paradisiaques. Ils se nomment « Florange, Erzange, Serémange, Knutane, Illange, Nilvange, Alfrange ». Pour qui suit un peu l'actualité, on comprend tout de suite que ce n'est pas un paradis qui est ici suscité mais bien cette région sinistrée de la Lorraine. Elle avait pourtant été florissante à l'ère industrielle, avait produit du fer, devait ses infrastructures à des capitaines d'industrie. Longtemps elle avait offert un spectacle de haut-fourneaux en activité, des cheminées d'usines et des sirènes qui appelaient au changement de poste, des bistrots incontournables qui ne désemplissaient pas. Bref une région qui vivait Des noms résonnaient dans ce décor et ils n'étaient pas si anciens que cela « Usinor, Sollac, Sacilor, Sidelor, Lorfonte, Unimétal, Arcelor. »
A l'invite du narrateur, le lecteur se balade dans les rues désormais désertes où tout rappelle la mine, celle qui faisait vivre tout le monde ici, un peuple de prolétaires de toutes nationalités amenés ici par la guerre ou la nécessité, établis depuis des générations et qui ne voulaient surtout pas quitter cette région. Ce n'est pas qu'on y vivait bien mais il y avait du travail. Maintenant le décor est brut, peu engageant et le chômage gangrène la population. Le tombeau des anges se décline en liquidations, fermetures, cessations d'activité … Puis on affine le paysage de magasins aux rideaux définitivement fermés, aux salles de cinéma en faillite ou aux rares cafés survivants qui offrent une triste devanture de cette région qui porte encore la marque de l'histoire dans des inscriptions à demi-effacées qui attestent de l'occupation allemande de l'entre-deux-guerres. L'air est sans doute plus respirable qu'avant, mais le paysage se ferme petit à petit, la mémoire ouvrière de la mine ne se vit qu'à travers les commentaires d'un guide pour rares touristes de passage, tout un savoir-faire, des techniques, un vocabulaire désormais passés aux oubliettes de la productivité.
C'est une sorte de pèlerinage qu'effectue le narrateur dont on suppose que l'enfance s'est déroulée ici. Maintenant c'est un peuple de retraités, de chômeurs sans grands moyens, victimes de la crise économique, des gens désœuvrés qui cherchent à faire passer le temps dans des bistrots à demi-désertés entre apéro, loto, lecture de journaux et prévisions météo, le tout dans un décor urbain à répétition et déprimant, des usines fermées, des commerces abandonnés, des maisons à vendre qui ne trouveront jamais preneur, un paysage spectral avec « Un vent aigre soufflant depuis les hauteurs pour se perdre dans une plaine incolore », des cours d'eau pollués, des mines qu'on évoque comme on visite un musée, un passé révolu mais qu'on refuse de voir disparaître. Faute d'activité l'usine est encore là, comme un squelette inutile coincé entre passé et présent... « Dans ces villes en « ange » arpentées avec assiduité, il ne s'agit plus depuis longtemps d'organismes en train de s'étioler ou de lentement mourir, mais bien de l'apparence que peuvent prendre ou ont prise les corps défunts. Car ce ne sont plus des blessures à vif que l'on a sous les yeux, comme ce pouvait être le cas il y a un quart de siècle... mais des plaies plus ou moins adroitement refermées, des paysages cicatrisés de force et donc pacifiés. ». Ce qui amène l'auteur à poser cette question : « Que reste-t-il lorsqu'il ne reste plus rien, lorsque tout ou presque a disparu ? »
le style au départ est alerte, humoristique même et invite à voir le bon côté des choses, faute de pouvoir faire autrement. Il cache mal une profonde détresse et une absence de gens dans les rues. Ces villes vivaient jadis mais ne sont plus que des ombres. Je n'ai pas vraiment été enthousiasmé par ce récit qui évoque un paysage où je n'ai pas vraiment envie d'aller. De plus, je n'ai pas toujours suivi le fil conducteur de ce récit notamment dans la reproduction de la correspondance qui s'étage de 1947 à 1970. Elle marque le quotidien des gens de cette période, l'évolution des choses, leur changement, mais dans le sens du chômage, de l'abandon, pas vraiment du maintien de la vie...
©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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Rien ne s'oppose à la nuit
- Par hervegautier
- Le 07/07/2012
- Dans Delphine de Vigan
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N°585– Juillet 2012.
Rien ne s'oppose à la nuit – Delphine de Vigan – JC Lattès
Au départ les paroles d'une chanson d'Alain Bashung, un roman dont j'avais beaucoup entendu parler, couronné par un prix [Prix du roman Fnac 2011], un auteur qui commençait à accéder à la notoriété et la couverture, avec ce beau visage de femme aux faux-airs de Jeanne Moreau jeune qui se trouve être celui de Lucile, la mère de l'auteur.
Ce roman, puisque c'en est un, s'ouvre sur la mort de Lucile, cette femme, qui, à 61 ans s'avère avoir été voulue, pas vraiment un suicide mais quelque chose comme un refus de vivre, de vieillir et de souffrir. C'est donc un hommage à cette mère autant qu'une quête, qu'un travail de deuil qu'elle entreprend, une façon de rompre le silence qui l'entourait, de comprendre cette femme qui avait été sa mère, une sorte d'inconnue... [« Lucile était un rempart de silence autour du bruit »]. Pourtant l'auteur butte sur une sorte d'impossibilité [« Lucile avait édifié les murs d'un territoire retiré qui n'appartenait qu'à elle, un territoire où le bruit et le regard des autres n'existaient pas »] au point qu'elle demande des informations à ses oncles et tantes. Elle veut comprendre pourquoi cette femme belle, intelligente mais triste, immature et dépressive, a pu en arriver là. Qui était donc cette Lucile, cette fille pas très intéressée par l'école, rêveuse mais intelligente et déterminée dont le charme (déjà) en faisait l'enfant préférée de Georges, son père ? Elle était la troisième d'une grande famille dont trois garçons étaient décédés par suicide, ce qui lui a donné très tôt l'image de la mort, de la tristesse, du silence, de l'absence définitive. Dans sa parentèle, parmi ses amis ou les hommes qui ont fait un temps partie de sa vie, beaucoup ont ainsi choisi leur mort.
On ne peut parler de sa mère sans la rattacher à l'univers familial. C'est en effet quelque chose qu'on ne manie pas facilement parce que, plus que d'autres sans doute, c'est un registre difficile à cause de la mémoire qui fait défaut par moments alors que parfois elle est étonnamment vive et précise. Dans un tel travail d'écriture, on est tenté d'être opportunément oublieux, voire de mauvaise foi, de régler des comptes ou de se livrer à une entreprise de thuriféraire, autant d'actions contradictoires qui sont aussi des d'écueils. C'est que ce livre est un univers douloureux et quand on décide d'explorer les arcanes de l'histoire intime d'une fratrie on finit par côtoyer l'envie, la jalousie, l'admiration, la vengeance. Le fantasme aussi s'installe quand les choses ne sont pas sûres mais au fur et à mesure qu'on avance dans l’introspection ou la découverte, les êtres auparavant flous ou simplement idéalisés prennent de la netteté et leurs contours se précisent. Georges, le mari de Lucile, sous des dehors respectables était « un père nocif, destructeur et humiliant », à l'attitude ambiguë vis à vis de ses filles, Lucile, sa propre mère lui échappe peu à peu. [« J'étais devenue son ennemie...je ne comptais plus. »] puis le mystère lève son voile sur d'autres facettes imprévues. Dès lors, le lecteur s’aperçoit que dans cette famille, comme dans bien d'autres, on cultive le non-dit, l'hypocrisie et le tabou. C'est que, écrire un tel livre qui ressemble beaucoup à une autobiographie, est un exercice délicat. C'est, sous couvert du classique devoir de mémoire ou d'une catharsis, faire resurgir des souvenirs qu'on voulait oublier, redessiner la lente descente de cette femme vers la mort, à travers une vie de couple difficile conclue par un divorce, des silences, des amours malheureuses et plurielles, des fragilités, des failles, son mal de vivre, un cheminement avec la drogue et l'alcool, ses erreurs, ses délires, ses engagements, ses désespoirs, ses hospitalisations en service psychiatrique et anticancéreux, ses guérisons et ses rechutes, sa rupture progressive avec la vie sociale et avec sa famille, son refus des traitements...
Celui qui tient le stylo est, en principe maître du jeu, il a le droit d'exercer son art, le devoir aussi sans doute et c'est ce qui motive l'auteur pour faire à sa mère « ce cercueil de papier ». Mais je note aussi que, durant tout le récit, l'auteur, à plusieurs reprises, s'interroge sur sa propre démarche au point de s'impliquer directement [« Sans doute m'a-t-il semblé que le « je » pouvait s'intégrer dans le récit lui-même... C'est un leurre, bien entendu... L'écriture ne donne accès à rien »] ou simplement, à cause de la perturbation qu'il lui cause, d'en arrêter la rédaction. Dès lors se pose la question de l'écriture, de son impossibilité, des doutes qui la paralyse, des personnages qui échappent à l'auteur, les interrogations jaillies de la lecture d'un journal intime ou d'une confidence, d'un souvenir. C'est un thème fascinant que celui de l'écriture et je ne perds jamais de vue l'opinion de Simenon qui juge que le métier d'écrivain s'inscrit dans le malheur parce que, lorsqu'on entreprend un tel travail, on n'en ressort pas indemne. On laisse dans cette démarche toujours un peu de ses illusions et de ses certitudes, on rêve de revenir à la facilité d'une fiction, d'avancer masqué derrière un personnage, on n'est pas sûr d'arriver au bout de sa démarche mais malgré tout on en a un extraordinaire besoin. Il est convenu de dire que l'écriture libère... Je n'en suis pas certain. Au contraire peut-être ? Sous des dehors salvateurs et parfois exorcistes, elle a toute les chances de brouiller un peu plus les cartes, d'engendrer des ruptures, des interrogations douloureuses qui resteront à jamais sans réponse.
Et puis les choses se précisent et l'auteur prend conscience autant qu'elle la craint de l'hérédité de la folie, de cette certitude qu'elle peut parfaitement la transmettre à son tour à ses enfants, l'intuition d'une sorte de destinée malsaine où l'on répète, sans le vouloir, l'exemple délétère donné par les générations précédentes. Elle se rappelle avoir été victime d'anorexie qui est une manière de s’autodétruire
Que m'est-il resté, le livre refermé ? D'abord une impressionnante somme de notes destinées à rédiger cette chronique, preuve que ce livre ne m'a pas laissé indifférent et même m'a interpellé. Puis une impression de malaise, que ce que je viens de lire est en réalité un témoignage poignant et plein d'amour, écrit non comme un roman mais avec la spontanéité d'une femme qui cherche des réponses avec en contre-point une sorte de fascination de la mort autant qu'un amour de sa mère et de la vie.
©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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La Rochelle, « Poche » de l'Atlantique
- Par hervegautier
- Le 02/07/2012
- Dans Histoire
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N°584– Juillet 2012.
La Rochelle, « Poche » de l'Atlantique – Christiane Gaschignard – Éditions « Rumeur des Ages ».
Les liens qui m'unissent à La Rochelle font que rien de ce qui touche à cette cité ne m'est indifférent, cette chronique s'étant déjà largement fait l'écho des événements qui s'y sont déroulés ou des gens qui y ont vécu. Son histoire a été mouvementée et bien souvent bousculée par des guerres, des sièges dont le plus célèbre est celui de 1627 au cours duquel Richelieu réduisit la place forte des protestants. Mais ce ne fut pas le seul ! La « Belle et rebelle », comme on l'appelle, a toujours été un endroit stratégique au bord de l' Atlantique. Le dernier en date fut celui de « la poche de La Rochelle » à la fin de la deuxième Guerre mondiale (Août 1944 – mai 1945).
Dès juin 1940, elle a été déclarée « ville ouverte » et rapidement occupée par les Allemands. La Pallice, port en eaux profondes, présentait en effet un intérêt particulier pour l'ennemi et l'organisation Todt y construisit, de 1941 à 1943, une imposante base sous-marine, élément essentiel du « Mur de l'Atlantique » complétée sur le littoral par des blockhaus, des batteries d'artillerie, des bunkers. La Rochelle-Pallice était en effet « le port allemand de l'atlantique » autant que le siège du commandement du sud-ouest. Pourtant, un débarquement sur ces côtes n'a jamais été sérieusement envisagé.
Cette période de huit mois a donc constitué le 5° siège de l'histoire de la cité rochelaise, période pendant laquelle l'angoisse a succédé à l'espoir, le temps s'est en quelque sorte arrêté puisqu'elle était coupée du reste de la France et que planait sur elle une menace de destruction. C'était une situation un peu surréaliste puisque les Allemands qui commençaient à reculer sur le reste du territoire tenaient encore ce port dans le but de le rendre inutilisable par les alliés mais aussi de fixer des troupes loin du front qui avançait vers l'Allemagne et de garder intacte leur base de sous-marins. Cette présence ennemie constituait donc un danger d'autant que pour les Américains, La Rochelle ne constituait pas une priorité et qu'il fallait marcher sur Berlin. Les Allemands tenaient certes la ville, mais, face aux troupes françaises et aux FFI, ils étaient également prisonniers ce qui entraîna une cohabitation avec les Rochelais. La présence de ces derniers fut salutaire puisqu'on pouvait penser qu'elle constituait une sorte de bouclier contre les bombardements alliés bien que, après la destruction de Royan, cette certitude fut quelque peu remise en question dans la population. De plus, l'imminence de la fin des combats a catalysé les mouvements de Résistance qu'il fallait impérativement unifier et coordonner aux manœuvres des régiments de l'armée régulière en évitant les débordements. Bien entendu se posa la question du ravitaillement qui intéressait à la fois les Français et les Allemands mais aussi la présence de la Milice, les « collabos », le marché noir, comme partout durant la guerre. Heureusement la Suède a apporté son concours et l'approvisionnement de La Rochelle fut réalisé dans l'ordre et le calme.
L'originalité de cette « poche » fut, comme le souligne opportunément l'auteur, « sa dimension humaine ». L'administration et les instances de Libération ont su faire preuve de souplesse pendant cette période mouvementée d'autant plus que si les comités de Libération commençaient à se manifester, les structures pétainistes demeuraient néanmoins en place. Mais les Rochelais se sont montrés sages et tempérés en évitant au maximum des occasions de friction avec l'occupant. De même que le signal de la Résistance avait été donné dès juin 1940 par le maire Léonce Vieljeux, cette volonté d'apaisement a été incarnée par des hommes tels que le commandant Hubert Meyer et l'amiral Schirlitz qui négocièrent diplomatiquement entre hommes de bonne volonté et de raison une reddition honorable pour les Allemands et la remise de la ville intacte aux forces françaises, ce qui était essentiel dans le futur redressement du pays. Le colonel Adeline, de son côté, fit preuve de détermination pour faire que « la convention du 20 octobre » soit signée. Il n'y eut donc pas de combats pendant cette période et les Allemands furent considérés comme des prisonniers de guerre.
Si La Rochelle a été libérée bien après Strasbourg, elle l'a été par les Français eux-mêmes et surtout sans dommages pour ses installations portuaires, la riche architecture de la ville et sa population. La situation aurait facilement pu rapidement dégénérer mais ce ne fut pas la cas et on préféra la négociation à l'emploi de la force et la volonté de vengeance.
J'ai lu ce livre fort bien documenté et passionnant du début à la fin avec les yeux d'un Rochelais désireux d'en savoir toujours davantage sur « cette ville bénie des dieux » dont le renom ne cesse de grandir. Même s'il a été publié en 1987, cet ouvrage est essentiel pour la connaissance de cette cité et de sa population.
©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA VIE EN SOURDINE-David Lodge – Éditions Rivages.
- Par hervegautier
- Le 21/06/2012
- Dans David Lodge
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N°583– Juin 2012.
LA VIE EN SOURDINE – David Lodge – Éditions Rivages.
Traduit de l'anglais par Maurice et Yvonne Couturier.
Desmond Bates est un ancien professeur de linguistique à la retraite dans une petite ville du nord de l'Angleterre. Il est veuf, sexagénaire et remarié avec Winfred dont il est très amoureux. Elle est de quelques années sa cadette mais sa vie mondaine et professionnelle est assez débordante. S'il a choisi une retraite anticipée c'est qu'il a un grave problème d'audition. Il n'est pas complètement sourd, mais plutôt malentendant et se sent maintenant inutile[« Que vais-je faire de moi aujourd’hui ? », question à laquelle il se trouvait confronté chaque matin en se réveillant depuis qu'il était à la retraite »], surtout devant la réussite professionnelle de sa femme. C'est sans doute pour cela qu'il accepte une tournée de conférences en Pologne alors que rien ne le justifie. Comme tous ceux qui souffrent d'un tel désagrément, il est isolé du monde extérieur, malgré les appareils auditifs avec lesquels il semble avoir pas mal de difficultés. Il se réfugie dans la lecture quotidienne du « Guardian » et les visites qu'il fait à son père, seul, vieux et sourd lui aussi. A l'occasion, il ne dédaigne pas un petit verre !
Les activités culturelles de son épouse l’entraînent souvent dans des manifestations où il s'ennuie d'autant plus qu'il entend mal. Dans l'une d'elles, il fait la rencontre d'une jeune étudiante américaine, Alex Loom, qui lui tient un long discours auquel il n'entend goutte, et pour cause! Elle le relance pourtant le lendemain en lui demandant de l'aider dans sa soutenance de thèse... avec pour thème une approche particulière sur le suicide, le lecteur comprendra pourquoi par la suite. Le sujet intéresse Bates, mais ce qui le gêne c'est que ce travail se fera dans le dos d'un de ses collègues encore en poste et surtout qu'une relation équivoque commence à se nouer entre la jeune fille un peu fantasque, affabulatrice et aguicheuse et le vieux professeur. Finalement, elle repartira en Amérique sans avoir mené ses recherches universitaires à leur terme. Son départ illustrera une nouvelle fois son côté cynique et manipulateur.
Le récit prend la forme d'un journal intime tenu par Desmond lui-même, donc à la première personne mais, bizarrement, il change et écrit « Je me sens pris par une brusque envie d'écrire à la troisième personne » pourtant il emploie le « je » dans la presque totalité du récit. Ce texte est la narration d'une tranche de vie d'un vieil homme qui s'ennuie dans sa récente retraite et qui collationne ce qui lui arrive, ses réflexions sur la mort, sur l'amour qu'il porte à sa jeune épouse et ses états d'âme sur une passade possible avec Alex.
Au départ je trouvais que la relation du quotidien de Desmond procurait une lecture fastidieuse, notamment ses tribulations avec son appareil auditif, ses fantasmes personnels et sexuels quelque peu échevelés, ses démêlés avec Alex , ses cours de lecture labiale, les difficultés avec son père aussi sourd que lui, veuf et atteint par la maladie d’Alzheimer. Il excelle pourtant dans la description des moindres gestes, des plus petits détails et s'attache son lecteur qui, grâce à son humour subtil, a envie d'en savoir davantage, même si parfois ses digressions prennent une dimension dangereusement universitaire. Il réussit à rire de lui-même, trouvant dans son infirmité matière à plaisanter(«la surdité est comique, la cécité est tragique », « Il y a au moins une chose que nous autres les sourdingues réussissons à faire dans une réception, c'est de déclencher le rire des gens avec nos bourdes, et ils n'ont pas se plaindre de moi en la circonstance »), et ce malgré le fait qu'il associe la surdité à la mort. Le titre anglais lui-même [Deaf Sentence] est un jeu sur le mot deaf (surdité) et death (mort). L'hospitalisation de son père consécutive à une attaque et son décès lui rappellent celui de sa propre mère, « organisé » par son entourage.
En fait, Desmond est à a recherche du bonheur qu'il pensait avoir trouvé en épousant Winfred. Mais cette femme plus jeune que lui, se dérobe de plus en plus à ses sollicitudes sexuelles, lui échappe et il note qu'elle se conduit par rapport à lui « comme une étrangère » plus soucieuse de de son travail que de son mari... et lui l'attend toute la journée à la maison. Sa visite solitaire au camp d'Auschwitz en est l'allégorie, de même que le plaisir qu'il ressent à rester dans le silence qui le protège des agressions du monde extérieur. Il ne profite même pas de la présence d'Alex qui pourrait représenter pour lui une foucade. C'est tout le problème des hommes qui ont épousé des femme plus jeunes et qui désirent le rester et Desmond se prépare à reproduire l'exemple de son père dont il s'occupe pourtant avec patience. On imagine très bien ce qu'il adviendra de lui dans quelques années et la déréliction qui en résultera.
C'est donc un roman doux-amer que nous livre ici cet auteur à la fois érudit et drôle bien qu'il traite de la maladie, de la vieillesse, de la dégradation physique, de la fin de vie et de la différence grandissante qui existe entre un homme vieillissant et une épouse plus jeune que lui et je ne parle pas de de la valse- hésitation de Desmond face à Alex, ses interrogations, ses craintes pour l'avenir, sa phobie de la mort ...
J'avais lu avec plaisir « Jeux de maux » du même auteur (La Feuille Volante n° 330). Encore une fois, je n'ai pas été déçu, David Lodge est vraiment passionnant.
©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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D'UNE L'AUTRE
- Par hervegautier
- Le 14/06/2012
- Dans Martine Lani-Bayle
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N°582– Juin 2012.
D'UNE L'AUTRE (destins de femmes) – Martine Lani-Bayle – Éditions du Petit Pavé.
Le titre est un peu déconcertant, tout comme les premières pages empreintes d'un désarroi que le lecteur ne tardera pas à comprendre. Pourtant le ton du livre est presque celui de la confidence faite non pas à un lecteur mais à une assemblée d'auditeurs recevant ce récit comme une histoire qu'une conteuse déclinerait par petites touches devant une assistance attentive.
C'est un triste récit qui commence par le viol de Céline, une jeune fille sans famille placée comme domestique dans une maison où elle n'est même pas considérée. C'est la Deuxième guerre mondiale et son agresseur est un soldat allemand qui l'engrosse, ce qui lui vaudra, à la Libération, d'être tondue et humiliée. Pour elle cette période ne sera pas synonyme de joie mais avant cela, elle accouche seule d'une petite fille que, désespérée, elle abandonne un matin à la porte d'un couvent. Les religieuses accueillent l'enfant, la nomment Aurore et lui prodiguent des soins malgré la règle de leur ordre mais conformément à la charité qu'elles ont fait vœux d'observer. Céline, devenue Lili par le miracle de l'amour, oublie jusqu'à cet enfant qui grandit maintenant dans une famille d’accueil où elle n'est pas mieux reçue que ne l'avait été sa mère. Presque instinctivement, elle a gommé de sa mémoire cette période de sa vie. C'est un peu comme si cette histoire intime se répétait et ce d'autant plus que Aurore est, elle aussi, victime d'un viol, mais loin de Céline qui maintenant à été recueillie par un homme bien qui l'a épousée et à qui elle a donné un fils. Cette famille qui est maintenant la sienne lui rappelle qu'elle a eu une fille. La mémoire lui revient petit à petit et avec elle le remords de l'abandon, l'envie de revoir cette enfant dont elle ne connaît même pas le nom, d'autant que son mari lui dévoile une vérité qu'il a longtemps cachée et qui fait la lumière sur cette malheureuse tranche de sa vie où elle a été la victime plus que l'actrice. La fin sera, si on le veut dire ainsi, une sorte de retour à une normalité, quoique...
J'ai lu ce court récit qui, jusqu'à la fin m'a tenu en haleine, avec des sentiments mêlés. C'est le récit de deux destinées semblables, l'une prenant la suite de l'autre, comme si cette lignée de femmes ne pouvait être que visitée par le malheur. Céline est née sous une mauvaise étoile et même si elle ne le veut pas, même si elle fait tout ce qu'elle peut pour éviter les écueils, sa fille Aurore va mettre ses pas dans ceux de sa mère, s'avancera malgré elle vers cet avenir délétère qui s'attache à elle comme une ombre à un corps. Doivent-elles cela à une histoire préalablement écrite dans un improbable grand livre ouvert quelque part à leur nom ? Qu'importe, ce parcours s'impose à elles sans qu'elles y puissent rien et on imagine facilement que si Aurore a une fille un jour, elle sera soumise au même drame intime, comme si cette histoire devait se répéter !
C'est qu'il existe des gens qui, de tout temps sont dédiés à la malchance, au malheur, que le hasard ne favorisera jamais malgré tous les mérites dont ils pourront faire preuve pour tenter d'inverser le cours des choses. Dans leur parcours se reproduit la triste histoire de l'humanité qui fait que leur vie n’aura jamais rien d'heureux, qu'ils répéteront malgré eux le modèle délétère qui a été le leur, qu'ils mettront leurs pas dans ceux de leurs aînés que la chance n'a pas servis. Ils verront même les autres, moins vertueux qu'eux, être servis par les événements et ainsi réussir dans leurs entreprises souvent destructrices et même mener une existence paisible et dénuée de remords. Pour eux, le paraître prendra toujours le pas sur l'être et l’hypocrisie sera la règle de leur vie, comme si la morale n'existait pas et encore moins la justice immanente dont on leur a forcément parlé qui gomme un jour ou l'autre les injustices. La fuite du temps, l'autosuggestion endorment les consciences, gomment les mauvaises actions et on finit par se convaincre qu'on a bien agi, qu'il ne pouvait pas en être autrement, qu'on a favorisé l'instinct de survie, son intérêt immédiat ou sa méchanceté légendaire et ce sans le moindre sentiment de culpabilité. Bref, tout cela n'a plus d’importance, appartient au passé qu'il ne faut surtout pas remuer ; il y a si longtemps, et puis, tant pis pour les victimes ! C'est que, l'espèce humaine dont nous faisons tous partie est définitivement infréquentable parce qu'elle porte en elle la destruction, le malheur, la mort. Dans ce livre, elle est incarnée par les délateurs qui offrent Céline au viol de ce soldat allemand, la rejettent avec son enfant puis dirigent sur elle la vindicte publique aveugle favorisée par les événements. Elle n'a rien fait pour mériter ce châtiment mais elle fait partie de ces femmes tondues sur qui chacun crache. On n'a pas manqué non plus, au nom de la morale chrétienne, même si cela arrange ces braves gens, de vilipender l'abandon de cet enfant du péché. On a fini par oublier Céline à son triste sort en se disant qu'après tout cela appartenait au passé.
C'est vrai que dans ce roman il y a beaucoup de manichéisme où les bons, moins nombreux il est vrai, côtoient les méchants... mais ne les rachètent jamais. Ce sont les sœurs de la Charité qui portent bien leur nom et transgressent la règle de leur ordre pour accueillir l'enfant à l'abri des murs de leur cloître. Pour cela elles vont jusqu'à mystifier le brave curé qui vient dire la messe au couvent. C'est lui qui servira de lien, de mémoire pour remonter le fil du temps et reconstituer le puzzle difficile de la recomposition familiale. L'odeur de l'encens sera à la fois pour Céline cette fragrance religieuse d'où renaîtra la mémoire et la marque de cette vertu chrétienne ainsi observée par ces gens d’Église qui, pour une fois, ont honoré l'habit qu'ils portent. C'est aussi ce policier qui a eu connaissance de l'abandon d'Aurore et qui fouille les archives pour aider Céline. C’est aussi Lucien, cet homme veuf, orphelin de son enfant mort-né, qui recueille Céline rebaptisée Lili et qui veut lui donner par amour une deuxième chance pour faire prévaloir la vie. Ensemble ils ont ce garçon et le lecteur pourrait être tenté de voir dans l'épilogue une sorte de « happy end ». Je ne suis pourtant pas certain que la mort d'un enfant corresponde réellement à cela.
©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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Le loup dans la bergerie
- Par hervegautier
- Le 06/06/2012
- Dans Gunnar Staalesen
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N°581– Juin 2012.
LE LOUP DANS LA BERGERIE – Gunnar Staalesen – Gaïa [1977]
Traduit du norvégien par Olivier Gouchet.
Pour Varg Veum, détective privé de son état à Bergen (Norvège), cette période de l'année est plutôt exceptionnelle : deux clients pratiquement à la fois sollicitent ses services. L'un, un avocat connu, William Moberg, pense que sa femme le trompe et souhaite qu'il en fasse la preuve et l'autre, Ragnar Veide veut retrouver sa sœur, Margeret, disparue depuis de nombreuses années et dont il est sans nouvelles. C'est d'autant plus urgent que leur père est à l'article de la mort. Bien qu'il lui faille payer ses factures qui s'entassent dangereusement sur son bureau, il refuse la première enquête mais accepte la seconde... pourtant il ne tarde pas à s'apercevoir, d'après une photo, qu'il s'agit de la même personne ! Après d'ennuyeuses filatures, l'épouse de l’avocat est retrouvée morte et le frère commanditaire de la deuxième enquête s'avère être une autre personne... et la police soupçonne Veum d'être l'auteur du meurtre. C'est donc un classique du roman policier qui nous est ici proposé.
Il y a du Nestor Burma chez Veum, les même ennuis avec les autorités, le même désœuvrement, la même foule de cadavres qui l'entoure, le même problème avec l'alcool et les femmes, le potentiel de séduction en moins peut-être ? Bref, l'image traditionnelle du privé. Le thème abordé ici est le trafic de drogue, ce qui était peut-être original il y a quelques années, à l'époque de l'écriture de ce premier roman,(1977) mais qui aujourd'hui est plutôt banal. Comme cela sera son habitude dans les autres romans, il le livre à une attaque de la société, montrant ici que les bénéficiaires de ce commerce illicite ne sont pas forcement ceux qu'on attend. Il dénonce ici les agissements d'une couche pourtant aisée de la société norvégienne de cette ville portuaire mais qui se drape dans l'hypocrisie et le faux semblant. Il s'agit aussi de relations extra-conjugales qui conduiront Veum à un réseau de prostitution.
Comme je l'ai déjà indiqué dans le numéro précédent (La Feuille Volante n° 580), j'ai découvert cet auteur par hasard. J'avais déjà noté le style humoristique qui doit sans doute beaucoup à la traduction, mais j'ai toujours un faible pour un livre qui m'accroche dès la première ligne. Au moins cela m’encourage à poursuivre ma lecture. Jugez plutôt la première phrase de celui-ci « Au commencement était le bureau et au bureau, il y avait moi,les pieds sur la table. Le bureau était rangé … A gauche il y avait une pile de facture, à droite il y avait ce que je possédait en argent liquide, dix couronnes et trente ore... » Je ne sais pas vous, mais moi, j'ai trouvé cela engageant ! J'ai pu vérifier au long du roman qu'il a aussi le sens de la formule.
Il s'agit ici du premier roman de Gunnar Staalesen
©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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La nuit tous les loups sont gris
- Par hervegautier
- Le 03/06/2012
- Dans Gunnar Staalesen
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N°580– Juin 2012.
LA NUIT TOUS LES LOUPS SONT GRIS – Gunnar Staalesen - Gaïa
Traduit du norvégien par Alexis Fouillet.
Il est un peu conventionnel ce Varg Veum, détective privé de son état, avec son manteau épais et son chapeau de pluie. Il est vrai que nous sommes à Bergen, en Norvège. Comme il se doit, il a été abandonné par la femme qu'il aime et noie son chagrin dans les bars. Les débits de boissons sont des endroits d'exception où on fait des rencontres, mais elles sont plutôt masculines. N'allez pas vous méprendre, Veum reste un professionnel d'autant plus qu'il rencontre Hjalmar Nymark, un policier à la retraite mais aussi un ancien Résistant. Et quand deux détectives se rencontrent, qu'est ce qu'ils se racontent … (air connu) Justement, à force de sympathiser, l'ancien policier évoque pour son interlocuteur une vieille affaire dont il garde une mémoire encore vivre, d'autant qu'il est persuadé que le coupable n'a jamais été inquiété. Il s'agirait de l'incendie d'une usine de peinture dans les années 50 qui avait fait plusieurs morts. Il pense avoir retrouvé la trace d'un homme, Harald Ullven surnommé « Mort au rats », ancien collaborateur des nazis pendant la guerre et qui était employé et qui serait responsable de ce sinistre pourtant considéré comme un accident et classé sans suite. Cet homme a une particularité physique : il boite. De plus, il y a la disparition bizarre d'un autre homme, « Johan le Docker », celle d'un ouvrier un peu trop curieux et la présence d'un ancien président du conseil municipal de Bergen...
Veum, qui s'ennuie un peu reprend mollement cette affaire et veut bien admettre qu'elle n'a pas été complètement élucidée puisque cet ancien policier le prétend, mais quand ce dernier est renversé par une voiture cela prend des proportions inquiétantes. Certes Nymark survit mais trouve mystérieusement la mort à sa sortie de l'hôpital, avec, en prime l'ombre de Ullven. C'est donc au tour de notre détective de s'occuper sérieusement de cette affaire, ce que, bien entendu, il fait. Même si c'est trente ans après, Veum refait l'enquête, contacte les rares survivants de cet incendie. Après les bars qu'il affectionne, c'est dans le milieu des SDF qu'il va devoir exercer ses talents puisque un survivant de l'incendie est maintenant dans la rue. Décidément, ce Veum a tous les attributs d'un privé avec en plus la nuit « où tous les loups sont gris ».
C'est non seulement un roman policier avec morts mystérieuses, enquêtes qui soulèvent plus de doutes qu'elles ne résolvent de questions, rebondissements, fausses-pistes mais c'est aussi une évocation de cette période troublée de l'histoire de la Norvège où, comme ailleurs, une partie du pays s'est soulevé contre l'occupant et l'autre a choisi la collaboration. Il met en lumière la collusion entre le nazi Ullven et et le démocrate Fanebust qui avait été aussi un héros de la Résistance.
C'est aussi la critique du milieu économique qui prospère dans le mensonge et le crime tandis que les plus faibles sont appauvris. S'il lui est possible d'accéder aux plus démunis, il lui est en revanche impossible de rencontrer notamment le patron l'usine qui a brûlé et qui aurait pu éclairer son enquête. C'est la manière de l'auteur de dénoncer les disparités qui règnent dans son pays.
J'avoue que je ne connaissais pas cet écrivain rencontré par hasard sur les rayonnages de la bibliothèque où j'ai mes habitudes. Son personnage fétiche, même s'il date un peu et s'il a des côtés bien conventionnels me plaît bien. Ce n'est pas tant qu'il est en conflit avec les femmes et qu'il a un faible pour l'alcool et les bars, mais le regard qu'il pose sur la société qui l'entoure et le cynisme dont il fait preuve ne me laisse pas indifférent. C'est une histoire un peu compliquée avec des gens qui ne veulent pas parler, d'autres qui ont changé de nom, d'autres encore qui se sont vengés en temps de paix d'une guerre qui ne leur avait pas permis de faire justice.
Il y a aussi ces réparties qui se sont gravées dans ma mémoire [-ça, ça venait du fond du cœur – ça vient tout droit de mon cul, renchérit-elle en tordant la bouche. - C'est ce que je voulais dire, certains l'ont à cet endroit.]
C'est une occasion aussi de voir ce pays sous un autre jour que l'actualité immédiate nous l'a présenté, avec notamment les meurtres perpétrés par Anders Behring Breivik.
Au bout du compte, je ne me suis pas ennuyé, et c'est cela l'essentiel.
©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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Sur la route
- Par hervegautier
- Le 25/05/2012
- Dans Jack Kerouac
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N°579– Mai 2012.
SUR LA ROUTE – Jack KEROUAC (1957) - Gallimard
Traduit de l'américain par Jacques Houbard.
Il est des artistes comme des produits de grande consommation, leur nom suffit à évoquer leur pays. Jack Kérouac (1922-1969) est de ces écrivains emblématiques des États-Unis qui ont caractérisé un style, un mode de vie, qui ont inspiré toute une génération à la quelle il sont imprimé leur marque, parfois malgré eux. Ce roman fut le texte fondateur de la « Beat génération » et dans ce domaine le nom de Kérouac est associé à celui de Allen Ginsberg.
C'est un roman écrit à la première personne ce qui laisse à penser qu'il est autobiographique. Il met en effet en scène un écrivain, Sal Paradise, en quête de nouvelles expériences :« Quelque part sur le chemin je savais qu'il y aurait des filles, des visions, tout quoi ; quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare » Ainsi donc, en juillet 1947, il part de New York à destination de la côté Ouest par Chicago, c'est à dire par la route du nord. Il accomplit son périple en car puis en auto-stop, fait des rencontres extraordinaires, des hommes mais surtout des femmes, fait des petits boulots dans les champs de coton ou dans les vignes pour survivre, atteint San Francisco puis revient à New-York par le sud. Il effectuera ainsi plusieurs voyages en 1949 et 1950, notamment dans le sud et au Mexique mais toujours devant lui il y aura la route et ses promesses d'aventures,(« Mais qu'importait, la route, c'est la vie ») des occasions de visiter des « paradis artificiels ».
Il raconte son récit comme une épopée, sans recherche de style, d'une manière spontanée et rapide (« La prose spontanée »), inspirée semble-t-il du rythme de jazz Be Bop qu'il aimait. On pourra objecter que certains passages sont longs et monotones, mais ils traduisent ainsi ce que peut-être un tel voyage en voiture. Le personnage central de ce roman est Dean Moriarty, à la fois héros romantique, « pauvre gosse », « saint truqeur » et « ange de feu », animé par une rage de vivre, l'amour de la vitesse et du jazz. C'est un texte brut, écrit, selon une légende remise en cause, en trois semaines sur un rouleau de téléscripteur de 36 mètres de long mais refusé par les éditeurs à cause de son côté non conventionnel. Ce tapuscrit fut cependant vendu aux enchères en 2001 pour un prix exceptionnel et, une décennie après sa rédaction, ce roman a été reconnu comme un chef-d’œuvre, adapté au cinéma, notamment par Walter Salles en 2012 (film actuellement en compétition au festival de Cannes 2012) et à la radio (Radio France en 2005). Il influencera aussi le genre cinématographique connu sous le nom de « road movie ».
Kerouac, bien qu'il soit issu d'une famille canadienne-française aux origines bretonnes, incarne l'Américain confronté aux changements de son époque et amoureux des grands espaces qui sont l'apanage des États-Unis, mais aussi, et peut-être paradoxalement, c'était un homme qui avait du mal à se positionner dans cette société, en rejetait les valeurs traditionnelles, les certitudes mais aussi le mensonge social qui l'étouffaient, ces écrits donnant naissance à la « Beat génération ». Est « Beat » celui qui rejette le passé et même le futur, celui qui voit sa vie au quotidien comme un mélange d'alcool, de sexe, de drogue, vitesse en voiture, de voyages, et, dans le cas de Kérouac, également de spiritualité, l'exact contraire de la société américaine de son époque ! On ne peut pas ne pas penser à James Dean en lisant ce livre où il y a la marque de Louis -Ferdinand Céline et de Rimbaud. Il fut un précurseur et ses romans qui inspirèrent d'autres auteurs américains furent à l'origine du bouleversement social de la jeunesse et du pacifisme des années 60, déclarant qu'il fallait préférer l'amour à la guerre. Il fut pourtant, à cause notamment de sa vie marginale mais aussi de son style littéraire personnel, en proie à de violentes critiques dans les médias et de la part des auteurs reconnus.
C'est le roman le plus connu de Kerouac, mais ce n'est pas le seul. Il ne cessera d'ailleurs d'écrire, de la prose comme de la poésie toute sa vie malgré les vicissitudes qu'elle lui réservera et trouvera dans la création littéraire notamment un moyen d'exorciser son mal de vivre.
Il fut un personnage controversé, refusant la célébrité, inspirant des auteurs notamment dans le domaine de la chanson et du cinéma, trouvant sa consolation dans l'alcool qui aura raison de sa vie, aux opinions parfois changeantes qui l'éloignèrent quelque peu de son image primitive. Il fut un auteur qui ne laissa pas indifférent de son vivant et qui étend encore son ombre sur notre société contemporaine.
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Ces vies-là
- Par hervegautier
- Le 20/05/2012
- Dans Alfons CERVERA
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N°566 Avril 2012
CES VIES-LA Alfons Cervera. Éditions la contre-Allée
Le décès d'un parent est souvent l'occasion de relations longtemps cachées sur son parcours, sur sa vie. Chacun apporte son témoignage, on libre la parole, on fait valoir des convictions, on exhibe des preuves, des photos, des papiers, on pose des questions qui appellent des réponses, des commentaires parfois. Des légendes souvent patiemment tissées s'effondrent d'un coup et des affirmations trouvent soudain leur justification. Tous ces secrets de famille révélés en un jour écornent ou renforcent l'image du défunt.
Quelques temps après la mort de sa mère, l'auteur qui est aussi le narrateur, participe un colloque Grenoble sur le thème "Témoins et témoignages, mémoire individuelle et collective". C'est pour lui l'occasion de revenir sur les dernier jours de cette femme dont une chute apparemment sans gravité avait révélé une tumeur qui allait l'emporter. Pendant un an et demi, elle avait subi patiemment soins et examens médicaux , comme si la mort, avec elle, avait pris son temps. Elle s’était accrochée à la vie tout en appelant la mort de ses vœux. L'auteur se souvient des signes inquiétants survenus avant son décès, de cette longue agonie, de ses silences, de ses moments d'absence, de cette lente progression de la maladie, de la peur qu'on ne peut maîtriser, peur de l'inconnu, du moment fatal et incontournable, peur de souffrir, de mourir [pourtant il cite opportunément Thomas Berhnard " Je ne comprends pas la peur de la mort parce que mourir est aussi normal que manger "], peur de l’au-delà, du néant ou de l'inconnu, peur d’être enterrée vivante. La mort guette et elle est patiente. Bien entendu elle inaugurera une longue période d'oubli que ceux qui restent combattront avec leurs moyens. Cervera a choisi l’écriture pour exorciser à la fois cet oubli et ce deuil. L'ouverture de cette succession révèle aussi des documents dont il n'avait jamais entendu parler, qui attendaient sans doute depuis des années et qui concernaient son père mort depuis 16 ans d'un infarctus. L'un disait qu'il avait été condamné à 12 ans de prison en 1940 et l'autre, de 1952, annulait cette condamnation et ce un an après la fin de la guerre civile espagnole qu'il avait faite dans le camp républicains ! Pourtant, il n'aurait jamais été emprisonné. Autour de cet événement, le mystère s’épaissit au cours du récit d'autant que la vieillesse et la maladie ont gommé la mémoire de ceux qui l'ont connu. Nous apprendrons plus tard que ce père a simplement été condamné sur dénonciation, après le conflit, pour avoir participé à l'attaque d'une maison où étaient conservées des reconnaissances de dettes de tout le village. Cette condamnation a été commuée en exil intérieur. Lui qui était boulanger au village de Los Yesares dut partir pour Valence où il se fit laitier. Cet épisode familial est, pour Cervera, à travers le souvenir de son père, l'occasion de prendre son compte la mémoire des vaincus de cette guerre meurtrière qui ensanglanta le pays et engendra, même après la fin du conflit, haine, exil et assassinats sommaires.
J'ai bien aimé ce texte écrit d'une manière nostalgique et mesurée, simple et parlante à la fois[" Nous construisons nos vies sur l’échafaudage de nos souvenirs"], sans que je sache exactement si cette impression est due au style de l'auteur ou la qualité de la traduction.[ Sans vouloir faire offense aux auteurs en général, certaines traductions, tout en restant fidèles au texte original, sont de véritables recréations au cas particulier cela n'a d'ailleurs pas dû être très facile puisque j'ai noté au milieu du roman, une phrase sans ponctuation, qui fait un chapitre entier, court, certes, mais quand même !] Qu'importe d'ailleurs, lire est un plaisir chaque fois renouvelé surtout quand le texte sert si bien notre belle langue française.
J'ai appris aussi, de la part de Cervera qui confesse ne jamais se séparer d'un cahier où il note tour ce que lui inspire l'instant, les aphorismes sur l”écriture " Écrire est un acte héroïque, un labeur impossible, une erreur, la seule écriture descente est celle du silence", "Lire est une autre forme d'écriture, une autre erreur". J’adhère assez cette analyse de l'écriture, ce qui est du domaine du non-dit et le sera toujours à cause de l’impossibilité de s'exprimer ou par la non-volonté de le faire, à cause de motivations qui resteront à jamais secrètes parce que l'art de la parole écrite n'est pas forcement libératrice et ne doit en aucun cas être quelque chose qu'on fait pour plaire aux autres. Elle peut être un exorcisme mais elle reste toujours en retrait de ce qu'on voudrait dire et qu'on ne dira jamais, sans doute parce que la douleur qu'on porte en soi est trop forte et que tenter de l'exprimer est la fois désespéré et inutile. Pire peut-être ? Cet exercice est souvent un pauvre cautère et il est illusoire de penser que le lecteur puisse s'y retrouver ou s'y reconnaître. Il est quand même paradoxalement nécessaire parce qu'il est le vecteur de la mémoire.
Alfons Cervera (dont il est déjà question dans le n° 564 de cette chronique) est un de ces écrivains du renouveau littéraire espagnol. Il a choisi de faire sien le combat contre l'oubli en portant la parole des vaincus de la Guerre civile, des bannis, des morts et de leur redonner une mémoire que la dictature franquiste avait si longtemps étouffée.Ce roman est le deuxième publié en français.
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c Hervé GAUTIER - Avril 2012.
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Cosmofobia
- Par hervegautier
- Le 20/05/2012
- Dans Lucía Etxebarría
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N°574– Mai 2012.
COSMOFOBIA – Lucia Etxebarria – Éditions Héloïse d'Ormesson.
Traduit de l'espagnol par Maïder Lafourcade et Nicols Véron.
J'avais déjà lu, un peu par hasard, cette auteure (« Amour, prozac et autres curiosités » – La Feuille Volante n° 433 de juin 2010). J'avais bien aimé parce qu'elle m'avait étonné par son humour. Pourtant là, j'ai eu beaucoup plus de mal à entrer dans son univers. Tout d'abord je n'ai pas aimé le style. Je suis peut-être vieux-jeu mais j’attends d'un roman qu'il soit bien écrit et quand on doit passer par le biais de la traduction, c'est d'autant plus difficile parce qu'il n'appartient pas au traducteur de réécrire le livre qu'on lui a confié. Le style est certes spontané, reflète le langage parlé, les dialogues en sont la reproduction. Je ne dis pas que cela me gêne mais quand j'ouvre un roman, je m'attends, peut-être inconsciemment à lire autre chose que ce que je côtoie dans la vie, même s'il se trouve des lecteurs pour penser le contraire. Des enfants ballottés d'un côté et de l'autre par des parents qui font passer leur plaisir ou leurs intérêts avant ceux de leur progéniture, les couples qui se séparent alors qu'ils se sont promis de s'aimer pour la vie, des gens qui choisissent de vivre ensemble alors qu'ils ne se supportent plus par habitude ou par peur de la solitude ou qui préfèrent fermer les yeux sur les infidélité de l'autre, l'existence qui devient soudain insupportable alors qu'elle avait été magnifique, les mensonges, les trahisons, l'hypocrisie, cela existe, ce sont des faits de société et personne n'y peut rien. Nous ne vivons pas dans un monde virtuel où tous les protagonistes sont beaux, gentils, fidèles et irréprochables. Les contes de fée, c'est pour les enfants et l'espèce humaine me semble de plus en plus infréquentable...
Cela me semble être la traduction du titre : Cosmofobia, peur du monde entier. Cela me plaît plutôt quand la littérature se fait l'écho de ce quotidien qui n'a rien d'un monde melliflu, mais au moins que cela soit agréable à lire, que le lecteur passe un bon moment, que sa lecture soit un plaisir.
Ce roman est une autofiction, une somme de nouvelles qui mettent en scène une télé-opératrice fauchée et un peu paumée qui vit dans un quartier populaire de Madrid. A travers de nombreux personnages l'auteure aborde les questions du métissage, de l’immigration, de la vie en société et de ses amours difficiles.
Je suis désolé de ne pas faire chorus avec les louanges que j'ai pu lire dans la presse à propos de cette auteure. C'est vrai que c'est facile de formuler ainsi des critiques, mais j'ai eu beaucoup de mal à terminer ce roman et je n'y ai pris aucun plaisir.
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Le couperet - Un film de Costa Gavras
- Par hervegautier
- Le 19/05/2012
- Dans cinéma français
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N°578– Mai 2012.
LE COUPERET – Un film de Costa Gavras.[2004]
Ciné+club - Vendredi 18 mai 2012 – 21h.
Le cinéma comme la littérature ne sont vraiment dans leur rôle que lorsqu'ils sont le reflet de notre société.
Dans ce film, adapté d'un roman éponyme de l'américain Donald Westlake, Costa Gavras choisit de traiter un sujet qui gangrène nos sociétés occidentales : le chômage. Pour cela il met en scène un cadre supérieur, Bruno Davert (José Garcia), hyper diplômé et particulièrement compétent dans l'industrie du papier. A la suite d'une restructuration, d'une compression de personnel, la société qui l'emploie et qui n'a rien à lui reprocher se délocalise à l'étranger au nom du profit et de la pression des actionnaires... pour gagner encore plus d'argent. Cela n'a rien d'un cas d'école et peut malheureusement se vérifier chaque jour quand les plans sociaux et les fermetures d'usine sont le quotidien d'un monde du travail en pleine mutation.
Après deux ans de veine recherches, entre entretient d'embauches qui tournent mal et déception chronique, Davert devenu amer et agressif, conçoit un plan machiavélique. A la suite d'un stratagème, il se fait communiquer les CV de cadres qui, comme lui, sont à la recherche d'emploi dans sa branche et qui, de ce fait, sont des concurrents potentiels et donc des obstacles pour lui. Il en sélectionne cinq qu'il estime être de son niveau et une société, « Arcadia » qui peut fournir l'emploi souhaité. L'un d'eux y est d'ailleurs employé. A ses yeux, le seul moyen d'y obtenir du travail est... de les tuer! Il va donc ressortir le vieux Luger de la guerre 39-45 que lui a légué son père pour mettre en œuvre son sombre projet. Il y a urgence et, malgré le cadre agréable de sa maison, et son confort qui correspondent bien à un cadre supérieur, tout autour de lui se délite. Son épouse (Karine Viard) qui fait vivre la famille grâce à de petits boulots, le trompe et son fils est convaincu de vol ce qui attire la police à son domicile. Seule sa fille semble être un pilier solide au milieu de toute cette débandade. C'est elle qui redonne à la fin à Bruno son véritable rôle de père-héros au sein de sa propre famille.
La quête criminelle de Bruno l'amène à côtoyer les cadres supérieurs qu'il a sélectionnés et qui se sont reconvertis pour un temps, qui dans un restaurant minable, qui dans le prêt à porter et qui lui confient leurs états d'âme et leur désarroi face à la crise. Cela ne l'empêche pas de les éliminer les uns après les autres tant sa détermination est grande ou d'assister, par enquête policière interposée, à leur suicide. C'est que notre homme, quoique déterminé, reste quand même un amateur en matière de crime. Il laisse derrière lui des traces qui font que la police se présente chez lui, non pour l'arrêter, mais pour l'avertir qu'une série de meurtre a été commise... contre des cadres de la papeterie au chômage ! Pendant tout le film, l'omniprésence des policiers entretiendra un suspense équivoque et sera comme une épée de Damoclès sur la tête de Bruno. C'est finalement l'inspecteur en charge de l'enquête qui viendra lui annoncer... qu'il n'a plus rien à craindre ... de ce serial killer !
Au bout du compte, Bruno assiste, un peu par hasard à la mort accidentelle du responsable de la société qu'il souhaite intégrer. Il faut dire qu'il est, si l'on peut dire, un peu chanceux dans son entreprise morbide et que tout semble, en apparence, s'arranger pour lui, mais en apparence seulement. La dernière image du film nous le présente comme un cadre bien installé dans sa nouvelle entreprise et même bien dans sa peau mais qui va, à son tour, devenir la proie de ceux qui, comme lui auparavant, sont à la recherche d'un emploi et qui n'hésiteront pas à mettre en œuvre ses propres méthodes pour prendre sa place.
C'est l'occasion pour Costa Gavras d'exprimer une idée bien simple. Dans d'autres sociétés humaines, on élimine, au nom de l'élan vital, les éléments surnuméraires, enfants et vieillards, dès lors qu'ils sont une charge insupportable pour la collectivité, pour ne garder que ceux qui sont rentables. Dans nos sociétés occidentales, c'est le contraire et on se débarrasse, au nom du profit, des meilleurs qu'on pousse vers la sortie, la pauvreté, le suicide...
José Garcia est ici à contre-emploi mais campe admirablement le personnage machiavélique et déterminé constamment noyé dans l’ambiguïté de l'action, emprunt d'un humour froid mais qui ne parvient cependant pas à être antipathique.
Après avoir traité avec brio des problèmes politiques (Z, l'aveu) Costa Gavras choisit ici un sujet de société malheureusement bien actuel. Il le fait, certes, sous l'angle bien particulier du thriller, mais en donnant à cette fable, adapté d'un roman noir américain, une dimension humaine dans ce qu'elle a de plus déstructurant pour un individu mais en sauvegardant à la fois la valeur de la famille et du travail.
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MAMAN – Un film d'Alexandra Leclère.
- Par hervegautier
- Le 14/05/2012
- Dans Alexandra Leclère
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N°577– Mai 2012.
MAMAN – Un film d'Alexandra Leclère.
Alexandra Leclère s'attaque encore une fois au drame de la famille. Déjà, avec « les sœurs fâchées » (La Feuille Volante n° 554) elle avait mis en scène deux femmes que tout opposait. Ici, ce sont également deux sœurs, Sandrine ( Mathilde Seigner) et Alice (Marina Foïs), la quarantaine, parisiennes, mais bien différentes l'une de l'autre qui voient, tout d'un coup, leur mère, Pauline, divorcée (Josiane Balasko) dont elles n'avaient pas de nouvelles depuis vingt ans, débarquer dans la capitale parce qu'elle a été abandonnée par l'homme avec qui elle vivait. Cette mère acariâtre, excessive et égoïste compte sur ses filles pour la seconder et l'aider dans sa nouvelle vie et peut-être aussi lui faire oublier son échec sentimental. C'est surtout l'occasion pour elles de régler avec leur mère un vieux compte. Elle ne les a jamais aimées, elle n'a jamais su être maternelle bref elle n'a été pour ses filles qu'une véritable étrangère. Elles vont donc la kidnapper le temps d'un week-end dans un manoir breton pour lui faire prendre conscience de ses carences affectives et l'obliger enfin à les aimer.
Au début c'est Sandrine qui ouvre le bal et s'oppose ouvertement à sa mère alors que sa sœur paraît vouloir rechercher un compromis. Alice, plus docile, semble même être à la traîne de sa sœur, mais, tout d'un coup, elle prend conscience que l'occasion est trop belle et sort de ses gonds. C'est à cause de cette mère indigne que ses filles ont manqué d'amour, que Alice passe son temps à refuser la maternité en se faisant avortée et que Sandrine a une vie sentimentale décousue. Des claques volent en même temps que des mots durs mais aussi des menaces de mort... Alice et Sandrine veulent faire payer à Pauline tout ce temps perdu, toutes ces occasions manquées. Chacun finit par s'expliquer et il n'y a rien de manichéen dans cette situation. Il y a une opposition entre le calme de la mer et la violence des scènes de ce film préfigurant peut-être la réconciliation du dénouement qui se conclue par une sorte de « happy end », si on veut le voir comme cela, dans le fait que Sandrine qui était la plus remontée contre sa mère, à tel point qu'elle ne pouvait même pas l'appeler « maman », lui donne enfin ce titre.
Il y a sans doute de l'autobiographie dans ce film, mais nous sommes nombreux sans doute à avoir souffert de l'abandon ou de l'indifférence de nos parents. L'amour maternel est une sorte de fantasme que nombre d'écrivains et de poètes ont célébré et qui a été, en quelque sorte, sanctifiée par une fête annuelle, même si celle-ci nous vient des temps contestés du pétainisme. A mes yeux, c'est plutôt bien d'avoir montré que toutes les femmes ne sont pas maternelles, et pourquoi le seraient-elles d’ailleurs ? Nous avons tous vécu avec cette sorte d'image d’Épinal où la femme devenue mère se sacrifiait pour ses enfants. Il suffit de promener son regard sur notre société, d'écouter parler les gens, de recueillir leur témoignage pour se persuader que toutes les grandes idées qu'on peut avoir sur la famille en général et sur les mères en particulier se révèlent souvent être des idées fausses mais qu'on transforme rapidement en tabou pour éviter de les évoquer. Après tout, toutes les petites filles n'ont pas joué à la poupée au sortir du berceau et si, mariées, elles ont donné la vie, ce n'était pas forcément par désir mais on peut imaginer qu'elles l'ont fait par hasard, par erreur, par accident ou pour satisfaire à un besoin de descendance de leur famille. L'amour n'est pas forcément au rendez-vous et elles ne sont pas, dans ces conditions, tenues d'aimer leurs rejetons. Tant pis pour eux, il faudra qu'ils s'y fassent, qu'ils vivent avec ce manque toute leur vie et qu'ils parviennent, peut-être à le surmonter !
Ce film, même s'il comporte des longueurs inévitables compte tenu du thème traité n'est pas une fable, pas une fiction, bien au contraire, c'est un drame, une histoire banale mais douloureuse qui malheureusement se reproduit trop souvent et génère injustices et traumatismes pour les enfants qui sont, bien souvent, les seuls à payer.
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Le Président - Un film d'Henri Verneuil
- Par hervegautier
- Le 07/05/2012
- Dans Henri Verneuil
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N°576– Mai 2012.
LE PRESIDENT – Un film d'Henri Verneuil (1961).
(Arte – Dimanche 6 mai 2012 – 20h40).
La politique est une chose passionnante mais ceux qui la font, c'est à dire ceux qui en font leur métier, le sont, à mes yeux, beaucoup moins. Ainsi donc, au soir du 6 mai 2012, une fois les résultats de l'élection présidentielle connus, ai-je eu plaisir à regarder une nouvelle fois le fameux film d'Henri Verneuil « Le Président ». Cela tombait plutôt bien et collait à l'actualité. Je délaissai donc les cris de victoire et d'espoir des vainqueurs, et les déclarations de dépit des autres, abandonnant la situation et ses évolutions probables aux commentaires des journalistes, aux déclarations des hommes politiques des deux bords, aux appréciations des instituts de sondage; tout cela reviendrait bien assez tôt, dès le lendemain dans les médias, sous forme de florilèges ou de chroniques. Et puis j'aime bien le cinéma. Surtout que ce film, même s'il n'est pas de la première jeunesse, même s'il est en noir et blanc, a le mérite d'être le reflet de la condition d'hommes politiques, même si le constat date un peu et s'inscrit dans une hypothétique IV° République qui s'est caractérisée par des crises ministérielles à répétition et a fini par en crever.
Et puis, quand un film met en scène Jean Gabin, c'est plus fort que moi, il faut que je le regarde et que je le savoure tant cet acteur avait de talent. Il campait avec le même bonheur un prolétaire ou un aristocrate, un flic intègre ou un voyou de la pire espèce. Nous manquons actuellement terriblement de ces « Monstres sacrés » que chacun à plaisir à retrouver sur la pellicule bien des années après leur disparition. Et puis ce film brille aussi par les dialogues et aphorismes du regretté Michel Audiard qui savait si bien manier les mots. (« Dans un voyou il y a toujours un Préfet de Police qui sommeille » « Je suis un mélange de conservateur et d’anarchiste, dans des proportions qui restent à déterminer »)
L'histoire où, bien entendu « toute ressemblance avec des personnes existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence » s'ouvre sur la visite d'un homme politique anglais de premier plan qui vient à Paris pour une conférence internationale et fait à son vieil ami, le Président Émile Beaufort (Jean Gabin), qui passe dans sa propriété familiale une retraite paisible, une visite de courtoisie. Paisible, pas tout à fait puisque, compte tenu de son grand âge, il y a à sa porte une meute de journalistes qui attendent la nouvelle de sa mort et que la venue du médecin ou du curé remplissent d'espoir. Au moins ils auront quelque chose à imprimer dans leur journal. C'est que l'homme n'est pas le premier venu. Il a été, dans le cadre d'une hypothétique IV° République, un Président du Conseil qui, à l'époque, éclipsait même le locataire de l'Elysée. Il incarnait, fictivement bien sûr, cette génération d'hommes qui étaient entrés en politique comme on entre en religion, c'est à dire qu'ils s'étaient investis si personnellement dans leurs fonctions qu'ils s'étaient oubliés eux-même. Quand on lui demande le détail de sa vie sentimentale Beaufort répond qu'il est veuf après dix années d'un mariage heureux, qu'il n'a jamais qu'une maîtresse, la France, et pour le reste, il a fréquenté les maisons closes et les théâtres subventionnés (merci Michel Audiard). Nous avons effectivement eu dans l'histoire de nos républiques des hommes qui se sont effacés devant leur fonction au point de ne pas pratiquer l'enrichissement personnel, le népotisme ou les prévarications de tous ordres, mais ils sont rares. Ceux de maintenant fréquentent plus souvent les prétoires et parfois même les prisons que les couloirs de la Chambre, les bureaux des ministères ou les salons des palais nationaux. Le traditionnel antiparlementarisme français vient sans doute de là.
C'est que, un Président du Conseil, surtout quand il a été intègre, a toujours quelque chose à dire et compte bien laisser son nom dans l'histoire en révélant sur le tard les ficelles et les intrigues qui ont émaillé ses mandats. Alors il écrit ses mémoires. C'est bien ce que fait Beaufort. Il en profite pour jeter un regard désabusé sur l'espèce humaine en général, sur ses trahisons et ses compromissions et bien entendu sur la classe politique qu'il connaît bien. Son directeur de cabinet de l'époque, Philippe Chalamond (Bernard Blier), jeune homme plein d'avenir et d'ambition, trahit le secret qui entoure une prochaine dévaluation. C'était le temps où, quand elle était réussie, elle correspondait à une relance de l'économie, à condition qu'elle reste cachée jusqu'au dernier moment. Pour des raison d'enrichissement familiale et parce qu'il voit là une occasion de se lancer dans l'arène, il révèle cette mesure à son beau-père, banquier, ce qui lui permet de spéculer contre le franc, c'est à dire contre son pays. Beaufort ne peut enrayé cette décision mais exige que Chalamond atteste par écrit sa culpabilité. Cette simple lettre qui restera longtemps entre les mains de Beaufort bride Chalamond au point que le ministère de l'Intérieur charge la secrétaire particulière du Président de récupérer ce papier compromettant. Nous retrouvons Chalamond, à la Chambre quelques années plus tard. Il est question de la construction européenne que Beaufort avait défendue(déjà) et que Chalamond, alors chef de file des députés conservateurs, avait combattue. A l'époque, ils avaient refusé la confiance à Beaufort ce qui avait fait chuter son ministère. Cela a été l'occasion d'une envolée lyrique du Président comme on aimerait en entendre plus souvent au parlement et ailleurs, dénonçant l'affairisme des députés d'opposition. A l'un d'eux qui a fait du pacifisme son option politique, il reproche l'activité familiale de... fabriquant d'armes, à un autre, démocrate chrétien, il rappelle son métier d'avocat d'une banque israélite...
Plus tard, Chalamond qui est pressenti comme chef de gouvernement, vient rendre visite nuitamment à Beaufort, sollicitant son avis et lui proposant une collaboration occulte, faisant aussi amende honorable, son projet de gouvernement reprenant celui de Beaufort qu'il avait portant combattu quelques années plus tôt. Le vieux renard refuse de succomber à la vanité de revenir ainsi aux affaires et Chalamond qui en réalité venait rechercher sa confession compromettante, repart sans l'avoir obtenue et se voit contraint de renoncer au pouvoir.
J'ai revu ce film toujours d'actualité avec plaisir. On y parle des États-Unis d'Europe, du nécessaire abandon de la souveraineté nationale qu'implique le fédéralisme, de l'Europe de la fortune contre celle du travail. On y met une nouvelle fois en lumière la bassesse et la cupidité des hommes, leur appétit de pouvoir, l'hypocrisie qui gouverne cette espèce humaine décidément peu fréquentable.
©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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16,rue d'Avelghem
- Par hervegautier
- Le 07/05/2012
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N°575– Mai 2012.
16, RUE D'AVELGHEM – Xavier Houssin – Éditions Buchet Chastel.
Ce roman est, si on en juge par les dédicataires, Angèle et Joseph, un peu un devoir de mémoire, mais pas au sens d'une obligation mais un peu comme ce qu'on faisait à l'école, une composition, une rédaction, pour ne pas perdre le souvenir de ceux qui nous ont quittés parce que les morts ne le sont jamais autant que lorsque les vivants ne pensent plus à eux.
Le narrateur nous les présente, ces gens sans histoire qui habitent Roubaix l'adresse indiquée sur la couverture du livre. Lui, Joseph Lapierre, ancien combattant le la Grande guerre, ancien chauffeur de maître est un ouvrier modèle qui aime son travail, respecte le patron, va à la messe, ne fait pas grève et ne fréquente pas les cafés, un homme humble, père de famille nombreuse qui n'a pas réussi comme on dit maintenant. C'est lui qui a choisi cette nouvelle maison, c'était son idée, parce que dans la précédente on était un peu à l'étroit. C'est vrai qu'avec huit enfants il faut de l'espace ! C'était un peu une folie, une grande maison inoccupée depuis si longtemps, avec tous ces travaux et le loyer qui doublait. Comme le propriétaire était le directeur de la filature, il s'était endimanché pour la visiter. Angèle, sa femme n'était pas d'accord, mais elle s'est résignée, comme toujours. Après tout c'est lui le Pater Familias, celui qui commande et dont on ne discute pas les décisions. Et puis il y a le jardin, le potager et bientôt le poulailler pour améliorer l’ordinaire, et même, pour lui, une salle qui sera son jardin secret, son univers où il bricolera, où il se retirera.
Dans cette maison, les enfants grandissent et l'Histoire semble extérieure à elle, le Front Populaire, la deuxième guerre mondiale, les restrictions, la libération, tout cela semble étranger à cette famille qui vit sa vie avec ses petits bonheurs et ses grands malheurs, les deuils, les maladies, les révoltes intérieures, les enfants qui s’affranchissent de la tutelle parentale et partent faire leur vie ailleurs, dans les ordres ou dans la société, qui ont à leur tour des enfants, la retraite qui vient et la maison qui se vide, les souvenirs, les regrets, les remords. ..On s'occupe comme on peu avec les fêtes de quartier, l'accordéon et les moules frites en se persuadant, sans trop y croire, que la vie est belle et qu'elle va durer longtemps.
Puis c'est la solitude à deux, le jardin où les fleurs succèdent aux légumes, la salle à manger au rez de chaussée qui sert de chambre à coucher parce qu'on ne peut plus monter à l'étage, puis la mort qui s'installe, petit à petit, la Camarde qui emporte Joseph et quelques années après Angèle et la maison qu'on détruit pour faire un parking, une page qui se tourne, des vies qui s'évanouissent...
Ce roman c'est une musique pleine de sensibilité, de tendresse, de poésie, de mélancolie aussi. Une évocation simple de la vie dans ce petit coin de France que ces gens n'ont jamais quitté ou si peu, une chronique douce-amère, un bon moment de lecture en tout cas.
©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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Mort d'un cuisinier chinois
- Par hervegautier
- Le 02/05/2012
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N°573 – Mai 2012
MORT D'UN CUISINIER CHINOIS – Frédéric Lenormand – Points.
Nous sommes en 677 et après un séjour dans les provinces reculées de l'Empire et à la faveur d'une promotion, Ti, âgé de 47 ans retrouve Chang-an, la capitale des Tang et sa vieille mère devenue veuve. Pourtant, contrairement à ce qu'il pense, il n'a pas bénéficié d'un avancement en fonction de ses mérites, mais parce que la lecture de ses rapports avait fort diverti les souverains. En effet, il doit attendre plusieurs semaines avant de connaître sa nouvelle affectation. Ses trois épouses et ses enfants vont devoir cohabiter avec leur belle-mère ce qui n'augure rien de bon.
Ti ne tarde pas à s'apercevoir que sa présence dans la capitale est due au décès d'un cuisinier affecté au Palais. Il était en effet rigoureusement interdit d'être malade et donc de mourir dans l'enceinte de la Cite interdite, à l'exception des membres de la famille impériale, évidemment ! L'ennui c'est que cette mort est la conséquence directe d'un meurtre ce qui fait que notre juge du 6°degré se trouve « bombardé » « enquêteur impérial extraordinaire avec rang de conseiller plénipotentiaire hors cadre, mandarin de 1° classe ». Une véritable promotion donc ! Il pourra donc mener son enquête dans toute la Cité interdite et ses déplacements seront facilités mais aussi contrôlés par Po Zhi-Xin, un jeune eunuque du Palais. Notre juge ne tarde cependant pas à s'apercevoir de la véritable raison de sa présence ici qui est à des années lumières du motif officiel qui lui avait été donné. Il doit donc faire appel à toutes ses ressources pour ne pas perdre la face et accessoirement sa tête.
Ti a toujours eu un peu de mal avec les femmes d'autant plus qu'il a trois épouses. Il a un peu négligé sa famille au profit de son métier de magistrat qu'il a toujours exercé avec talent pendant toutes ces années. Dame Lin Erma, la Première, après s’être installée au domicile de sa belle-mère, est intriguée par son train de vie plus que modeste et s'interroge sur la succession de son beau-père qui lui permettrait de rompre cette cohabitation forcée. Ce dernier avait, en effet, de son vivant, une fortune confortable. Ainsi mène-t-elle, une fois n'est pas coutume, sa propre enquête qui, de rebondissements en faits nouveaux, épaissit de jour en jour le mystère du ménage de ses beaux-parents.
Parallèlement Ti résout avec brio l'énigme qui lui avait valu sa promotion et sa sagacité lui ouvre des perspectives de carrière. L’énigme qui occupait Dame Lin était cependant toujours pendante et il convenait d'y apporter une réponse. Notre juge qui avait servi l’État ne voulait pas être en reste vis à vis des interrogations de cette épouse, tout aussi tenace que lui. Il se mit donc à sa disposition pour que tout rentre dans l'ordre.
Au risque de me répéter, de radoter, cette chronique s'étant souvent fait l'écho des romans de Lenormand, je redirai que ce livre a été pour moi un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Mai 2012.
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Dix petits démons chinois
- Par hervegautier
- Le 01/05/2012
- Dans Frédéric LENORMAND
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N°571– Mai 2012
DIX PETITS DEMONS CHINOIS[ Les nouvelles enquêtes du juge Ti,]. Frédéric LENORMAND – Points.
Nous sommes en 664 et Ti-Jen tsie, âgé de 34 ans est sous-préfet à Peng-Lai, une petite ville sur les rivages de la mer Jaune. C'était un peu la routine quotidienne quand on annonça la visite de Ni Houan-tché, le gouverneur de la province. Voilà qui allait briser un peu la torpeur de ce mois d'août. Plus préoccupé par ses multiples fonctions, Ti avait un peu oublié qu'à cette période de l'année, les âmes des morts incapables de trouver le repos dans l'Au-delà reviennent sur terre. Comme il convient à un fonctionnaire zélé et attentif à son avancement futur, notre mandarin accueille son supérieur avec tout le respect dû à son rang. Il ne tarde pas à s’apercevoir que ce Haut fonctionnaire de l'Empire est moins attentif que lui au respect de l'ordre public et se révèle au contraire être un parfait opportuniste, très peu soucieux des devoirs de sa charge et grandement cupide. En effet, un glissement de terrain met à jour d'anciennes sépultures et Ni souhaite avant tout s'approprier les richesses qu'elles contiennent, en retirer tous les mérites pour se faire valoir auprès de l'Empereur. Sous sa direction en effet, on visite prestement ces tombes et dix statuettes qu'elles contenaient sont dérobées qui apparemment sèment la mort autour d'elles, ce qui fait fuir le gouverneur laissant Ti en charge de ce problème de plus en plus délicat. Autour de lui, il ne manque pas de magiciens et de jeteurs de sorts pour prédire l'avenir et pour prétendre que, en cette fête des âmes affamées, ce sont les morts-vivants qui viennent tourmenter les humains. Il se trouve en effet confronté à des meurtres apparemment inexplicables et les assassins pouvaient parfaitement profiter de cette fête traditionnelle pour les maquiller et les faire endosser à une créature d'outre-tombe. Il avait déjà vu cela dans sa carrière de magistrat !
Ce n'était guère encourageant au vu du nombre de statuettes dérobées qui, chacune semble entraîner un crime. Ti, pétri de confucianisme, a, au regard des religions qui sont pratiquées dans l'Empire et qui mettaient en avant superstition et charlatanisme, une approche à la fois rationnelle et pragmatique. Il sait que tout cela avait une explication plausible, restait à savoir laquelle, et la chose n'était pas aisée ! Pourtant, il ne répugne pas à payer de sa personne, à jouer sur les croyances populaires, à les manipuler, voire à faire alliance avec les criminels du moment que cela va dans le sens de la manifestation de la vérité et donc d'une bonne administration de la justice.
Dans ce roman, comme dans bien d'autres Ti se révèle encore une fois un fin connaisseur de l'espèce humaine, un observateur avisé de la société qu'il a à gérer. Il jette sur ses contemporains un regard mi-amusé mi-inquiet et considère les relations qu'ils tissent entre eux, faite d'un profond mélange de bêtise, d'opportunisme et de méchanceté comme une leçon qu'il à tirer des hommes en général. Cela fait de lui un sage philosophe qui se consacre à la recherche des délinquants avec méthode et efficacité. En effet le confucianisme qui inspire chacun de ses gestes lui enseigne que « Là où il y a des hommes, il y a des démons » et qu'il convient à un lettré comme lui de ne pas se laisser abuser par les apparences.
J'apprécie toujours Frédéric Lenormand dont je lis les œuvres avec gourmandise, même si cette histoire, qui a été un agréable moment de lecture, est un peu moins dense que celles que j'ai déjà lues. J'ajoute que dans ce roman, comme dans tous les autres, le lecteur apprend beaucoup de choses sur la civilisation, sur les coutumes ou sur le droit chinois, sur les rituels des religions pratiquées à cette époque...
Ce que j'attends d'un livre, même d'une fiction, c'est certes d'être bien écrit, emprunt d'un humour jubilatoire, de m'inviter au rêve et au dépaysement, mais aussi qu'il soit bien documenté. Je dois dire que je suis pleinement satisfait. C'est là une marque de respect du lecteur que j'ai plaisir à souligner ici.
© Hervé GAUTIER – Mai 2012.
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Guide de survie d'un juge en Chine
- Par hervegautier
- Le 01/05/2012
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N°569 – Mai 2012.
GUIDE DE SURVIE D'UN JUGE EN CHINE – Frédéric Lenormand- Fayard.
Après de longues et parfois pénibles pérégrinations, le juge Ti Jen-Tsie vient d'être nommé directeur de la police de Chang-an, capitale de l'empire Tang, ce qui, à 47 ans, est sans doute une promotion bien méritée eu égard à l'intégrité et aux qualités nombreuses de notre magistrat. Cependant cette nouvelle fonction cache en fait la charge de chef des espions ce qui ne correspond pas pas exactement aux compétences du fin lettré qu'il est. Il n'est pas sans savoir que chaque médaille a son revers et il se voit chargé d'une mission délicate, succéder à « l'ignoble Nian Changbao » qui s'était rendu coupable de graves prévarications d'autant plus répréhensibles qu'il y avait déjà eu des soulèvements populaires dans la capitale à la suite de la corruption d'employés de l’octroi. L'ancien chef de la police allait donc payer pour tout le monde !Son prédécesseur avait en effet une bien curieuse manière de faire respecter l'ordre public dans la ville : Au lieu d’arrêter les malfrats qui sévissaient dans sa juridiction, il les soudoyait afin qu'ils quittent la ville, ce qui témoigne d'une originale façon de s’acquitter de sa mission. Cela n'a guère échappé à l'autorité de tutelle qui l'a déclaré ennemi de l'Empire. A son arrivée Ti doit donc assister à une exécution publique où Nian doit être châtié, mais la nouvelle d'une victoire militaire éclatante provoque l'amnistie générale des condamnés selon les code des Tang. Nian en profite pour s'enfuir et Ti se voit confier la délicate mission de s'assurer de sa personne, faute de quoi il sera exécuté. Rien ne peut motiver d'avantage notre magistrat, d'autant plus que d'autres avant lui avaient échoué dans cette mission !
Ti se voit donc investi de la charge officielle de Commissaire enquêteur et voyage donc anonymement sous couvert de la profession de marchand de grains. Il se retrouve dans la petite ville de Liquan, apparemment sans histoire, mais apparemment seulement ! Le magistrat n'est jamais très loin qui se réveille pour déjouer tous les plans maléfiques qui s'opposent à sa mission, même si, autour de lui les gens tombent comme des mouches ce qui est à la fois un défi à sa fonction et une insulte à l'ordre sacré de la nature. C'est un mandarin intègre à qui rien n'échappe, même si nombre de ses collègues ne partagent pas sa loyauté. Il est en permanence, et quelles que soient les circonstances, au service de l'Empire et son esprit de déduction n'a d'égal que la connaissance de l'espèce humaine que dix sept années de magistrature lui ont enseignée. Il est vrai qu'il est aidé dans sa mission par l'enseignement sage de son Maître Confucius ! Ainsi résout-il sans aucune difficultés les énigmes les plus compliquées devant lesquelles d'autres magistrats pourtant habiles ont lamentablement séché.
Il est aussi secondé dans cette enquête comme dans bien d'autres par Dame Lin Erma, sa première épouse ce qui permet à l'auteur de mettre en perspective le rôle de la femme dans cette société gouvernée par des hommes mais que pourtant une impératrice dirige.
J'ai déjà abondamment parlé, dans cette chronique, du juge Ti et de Lenormand qui le fait revivre avec talent [ce n'est d'ailleurs pas le seul créneau de cet auteur spécialiste notamment du XVIII° siècle – Quand il redonne vie à Voltaire, c'est un véritable enchantement !]. Chacun de ses romans est pour moi un bon moment de lecture à cause de son style et de cet humour qui ne se dément jamais, mais c'est aussi une occasion bienvenue de dépaysement et de connaissance de cette civilisation et de cette société, l'opportunité de mieux connaître ce personnage qui oscille entre fiction et réalité et dont la vie a été passionnante. L'auteur s'approprie ce personnage, lui prête un peu de lui-même et, dévoilant ses sources le met dans des situations certes un peu extraordinaires mais que notre magistrat n'aurait sans doute pas reniées.
Lenormand ne manque pas non plus de rendre un discret hommage à Robert Van Gulik qui, quelques années avant lui, avait popularisé le juge Ti
©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com