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LE RETOUR DU PROFESSEUR DE DANSE – Henning MANKELL
- Par ervian
- Le 01/07/2013
- Dans Henning Mankell
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N°654– Juillet 2013.
LE RETOUR DU PROFESSEUR DE DANSE – Henning MANKELL – SEUIL Policiers. Traduit du suédois par Anna Gibson.
Nous sommes en décembre 1945 en Allemagne, Donald Davenport arrive d'Angleterre pour y effectuer un travail bien particulier. Il s'agit d'exécuter par pendaison des criminels nazis. Il est le bourreau officiel.
Puis nous changeons brusquement d'époque et de lieu puisque nous sommes en Suède en 1999. Un jeune policier de 37 ans qui vient d'appendre qu'il est atteint d'un cancer, Stephan Lindman, vient d'être informé de l'assassinat d'un de ses anciens collègues, Herbert Molin, qui avait pris sa retraite dans un coin retiré et boisé du nord du pays. Il vivait seul dans une grande maison isolée et y menait une vie retirée mais énigmatique. Arrivé sur place et malgré une enquête officielle dont il est bien entendu exclus, Lindman, en bon policier, tente d'en savoir davantage. Il établit très vite que si Molin se cachait ici, c'était par peur, que ce meurtre n'est pas le fait d'un rôdeur mais au contraire ressemble à une véritable exécution, précédée d'ailleurs de tortures, que l'homme qu'il croyait connaître se révèle être un véritable étranger pour lui. Le modus operandi est en effet des plus bizarres et fait référence à une passion de la victime... pour le tango ! Intrigué, Lindman, qui aide maintenant ses collègues, pousse plus loin ses investigations et se pose de plus en plus de questions à propos de Molin. Le fait qu'il ait changé de nom, de profession, que ses enfants se soient définitivement détournés de lui, qu'il ait, pendant la guerre, adhéré au parti nazi au point de porter l'uniforme de la waffen SS et qu'il soit resté convaincu par cette idéologie jusqu'à la fin de sa vie, que son voisin soit par la suite lui aussi exécuté d'une manière apparemment rituelle, le fait aussi que Molin ait sciemment cherché à effacer les traces de son passé, contribuent grandement à épaissir le mystère qui l'entoure. Notre policier patine encore davantage quand, dans sa quête, il rencontre un vieux portraitiste admirateur d'Hitler, une femme, voisine de Molin, qui partage ses convictions politiques et s'accuse d'un meurtre qu'elle n'a apparemment pas pu commettre, peut-être pour protéger quelqu'un, la disparition énigmatique d’un chien qui pourrait bien avoir une signification précise dans son enquête, la rencontre avec la fille de Molin qui elle aussi semble vouloir cacher bien des choses la concernant, des ombres qui rôdent autour de lui, un vieil avocat qui se veut amnésique, des suspects de plus en plus nombreux et insaisissables et une révélation inattendue sur son propre père à l'occasion d'une incursion dans un appartement qui fait de lui un véritable cambrioleur... Cela fait beaucoup pour quelqu'un qui venait simplement dans ce coin reculé du pays pour assister aux obsèques d'un ancien collègue !
Parallèlement, le lecteur fait connaissance d'Aaron Silberstein qui lui aussi a changé de nom pour adopter le mode de vie argentin et dont l'ombre mystérieuse plane sur tout ce récit. Il porte en lui la vengeance et l'accomplira quoi qu'ils arrive.
Ce roman palpitant du début à la fin, avec en toile de fond un pan d'histoire controversé de la Suède et la survivance éventuelle de l’idéologie nationale- socialiste, des personnages qui changent d'identité, une enquête qui se complique de chapitre en chapitre par des rebondissements inattendus et des pistes en forme d'impasses, ne met pas, pour une fois en scène le commissaire Kurt Wallander. Cela n'en a pas moins été pour moi un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LA LIONNE BLANCHE – Henning MANKELL
- Par ervian
- Le 28/06/2013
- Dans Henning Mankell
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N°653– Juin 2013.
LA LIONNE BLANCHE – Henning MANKELL – SEUIL Policiers.
Traduit du suédois par Anna Gibson.
Nous sommes en avril 1992 et une jeune mère de famille, agent immobilier, Louise Åkerblom a disparu. C'est son mari qui vient en faire la déclaration au commissaire Wallander. D'emblée, celui-ci subodore une disparition peu commune qui n'a rien à voir avec une passade amoureuse. C'est là une de ses intuitions coutumières. Le couple était heureux, méthodiste de confession, très croyant et pratiquant au sein d'une petite communauté religieuse. Les recherches aussitôt entreprises orientent les policiers vers l'explosion d'une maison inhabitée et isolée. Dans les décombres, on retrouve les débris d'un poste émetteur, des restes épars d'un revolver uniquement fabriqué en Afrique du Sud et un doigt humain... noir ! A priori rien à voir avec la disparition de Louise qui est cependant retrouvée assassinée au fond d'un puits d'une ferme abandonnée. C'est évidemment Kurt Wallander qui est chargé de cette affaire au demeurant assez obscure.
La chute du mur de Berlin et la disparition de l'ex-URSS ont éparpillé dans le monde entier des agents du KGB qui, contre la promesse d'une nouvelle vie et d'un passeport, sont prêts à tout. Le meurtre est une de leurs spécialités et Konovalenko en fait partie. La démocratie suédoise reste pour eux un refuge. A peu près à cette époque, en Afrique du Sud, une organisation criminelle favorable au maintien de l'apartheid projette d'assassiner une personnalité politique de premier plan. Konovalenko qui souhaite se réfugier en Afrique du Sud pour y changer de vie, lui offre de familiariser un tueur professionnel sud-africain noir, Victor Mabasha, avec de nouvelles armes mises au point en Union soviétique et pour cela le fait venir en Suède. L'affaire tourne mal cependant, une femme est assassinée par hasard et Mabasha s'évanouit dans la nature, après avoir perdu un doigt.
Sur place, en Afrique du Sud, l'insécurité grandit, la tension monte, et , au sommet de l’État, on sent que quelque chose va se passer qui ressemble à un attentat. Frédéric de Klerk, alors président de la République et désireux de mettre fin à l'apartheid fait figure de victime potentielle mais Nelson Mandela, enfin sorti de prison, porte les espoirs du peuple noir. L'Afrique du Sud est encore gouvernée par une minorité blanche et la perspective d'un changement politique en faveur des Noirs fait craindre une guerre civile, une vengeance collective et une répression sanglante.
Ces deux affaires n'ont rien à voir l'une avec l'autre au départ. Wallander est chargé du meurtre de Louise Åkerblom, mais ses investigations l'amènent à Stockholm où un jeune policier vient d'être tué au cours d'une opération. Encore une fois l'intuition de Wallander lui dit qu'il y a sans doute un lien entre ces affaires. C'est donc le début d'une histoire un peu compliquée avec des complications, des débordements, des erreurs qui égarent un peu le lecteur. La toile de fond est constituée par l'Afrique du Sud où notre commissaire n'a jamais mis les pieds, la silhouette de deux personnalités d'exception que sont Nelson Mandela et Frederick de Clerk et la marche inexorable de l'Histoire dans ce pays.
Au cours de ce roman, le lecteur n'est pas à l'abri de ses surprises et les rebondissements du scénario vont l'étonner autant sur le plan du dépaysement géographique que sur l'attitude de Wallander. Il perdra un temps tout sens de la raison et même des réalités en n'écoutant que son devoir de policier pour mener à bien une mission qui, petit à petit le dépasse. Malgré lui sa fille Linda sera impliquée dans cette enquête et lui sera un peu malgré lui l'acteur médiatique de cette affaire qui se déroule dans la petite ville d'Ystad, d'ordinaire tranquille. Il devient le meurtrier d'un homme et ce geste, même accompli en état de légitime défense, le transforme complètement au point qu'il est lui-même recherché comme un authentique criminel. L'auteur nous montre ici un Wallander vieillissant qui doute à la fois de lui-même et de sa mission de policier, qui culpabilise à cause de la mort d'un homme dont il s'estime responsable. Cela provoque chez lui une grave dépression dont il aura sans doute du mal à se remettre d'autant qu'il est seul après un divorce difficile et qu'il a du mal à renouer avec une femme.
J'ai rencontré cet auteur par hasard et je dois dire que l'écriture de ce roman, et probablement sa traduction (je ne lis pas le suédois dans le texte) distillent le suspense jusqu'à la fin pour le plus grand plaisir du lecteur attentif et passionné.
© Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LA FAILLE SOUTERRAINE – Henning Mankell
- Par ervian
- Le 21/06/2013
- Dans Henning Mankell
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N°652– Juin 2013.
LA FAILLE SOUTERRAINE – Henning Mankell – Policiers SEUIL
Traduit du suédois par Anna Gibson.
Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'ai eu très tôt une passion pour les romans policiers. Bizarrement, j'ai toujours été moins attiré par l'histoire, l'énigme policière, que par le roman lui-même et surtout les personnages. Ces derniers m'ont toujours paru beaucoup intéressants par leur personnalité, leur psychologie, leur façon d'agir, la qualité de leur raisonnement, leur histoire personnelle même.
Dans ce volume qui est en fait un recueil de cinq nouvelles plus ou moins longues, dont l'action se situe avant les titres déjà parus, l'auteur nous présente les débuts dans la police de Kurt Wallander, déjà héro d'une série que la télévision a popularisé et que le succès littéraire a consacré. Dans « Le coup de couteau », nous sommes en 1969, il est encore jeune gardien en uniforme de 22 ans qui va intégrer la criminelle à Malmö, autant dire qu'il apprend son nouveau métier. Il rencontre Mona qu'il épousera et avec qui il aura une fille, Linda, a déjà des relations houleuses avec son père qui n'a jamais admis son engagement dans la police. Son côté un peu perdu me plaît bien, il n'est guère un amoureux flamboyant, est plutôt en retard à ses rendez-vous, n'est pas vraiment le Don Juan irrésistible que nombre de films du même genre nous ont donné à voir... Le personnage se révèle éminemment humain et réfléchit avant d'agir mais fait des erreurs, écoute son intuition, son entêtement et son désir de s'abstraire des procédures réglementaires, de privilégier les enquêtes parallèles, marquent déjà le futur inspecteur. Je n'ai jamais goûté les feuilletons américains du même tonneau où l'hémoglobine coule à chaque scène parce qu'un américain est avant tout un cow-boy qui sait faire honneur à la tradition et l'usage systématique de son arme.
Avec le déroulement des récits, nous le voyons vieillir, il monte en grade, devient commissaire et est affecté en Ystad, se montre de plus en plus dépressif, à cause des meurtres sanglants dont il a à connaître dans le cadre de ses enquêtes mais aussi sans doute de sa vie affective qui part à la dérive. Il combat cela par l'alcool et ce n'est sans doute pas ce qu'il fait de mieux. Dans « La mort d'un photographe », sa femme a obtenu une séparation amiable, ne vit plus avec lui et supportait sans doute mal son travail de policier comme c'est le cas de la plupart des épouses de flics. Seule Linda, leur fille, maintient encore un semblant de lien dans leur couple. Kurt se sent seul parce qu'elle lui manque, lui échappe aussi et il mesure sur lui-même le temps qui passe, la vieillesse qui arrive. Dans « La pyramide », il est définitivement divorcé et un peu paumé, Linda, alors âgée de 19 ans, cherche sa voie et lui tente sans grande conviction une liaison avec une autre femme mais sent bien que cela ne marchera pas. Il a de la vie une autre vision mais a, lui aussi, été rattrapé par elle, a subi ses leçons. La mélancolie qui en résulte lui donne un côté humain qui le fait ressembler au commun des mortels, une sorte d'anti-héros en quelque sorte, un policier qui fait passer son métier avant tout, un homme de bonne volonté.
Même s'il y a autour de lui une équipe de policiers chevronnés, il reste un homme seul d'où émane une certaine mélancolie et qui est aussi doué pour passer à côté de son propre bonheur. Il incarne à lui seul ce qu'il est convenu d'appeler « l'inquiétude suédoise » et enquête bien souvent sur des solitaires comme lui, victimes ou auteurs.
Cela dit, le suspense est savamment distillé au cours des récits et jusqu'à la fin, le style est agréable à lire. C'est à chaque fois un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LES POISSONS NE FERMENT PAS LES YEUX – Erri de Luca -
- Par ervian
- Le 17/06/2013
- Dans Erri De Luca
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N°651– Juin 2013.
LES POISSONS NE FERMENT PAS LES YEUX – Erri de Luca - Gallimard.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
Dès l'abord, la quatrième de couverture a quelque chose d'attirant pour moi « A travers l'écriture, je m'approche de moi-même d'il y a cinquante ans, pour un jubilé personnel. L'âge de 10 ans ne m'a pas porté à écrire, jusqu'à aujourd'hui. ».
Le narrateur passe donc ses étés, et spécialement celui de ses 10 ans, sur l'île d'Ischia en face de Naples avec sa mère. C'est un gamin qui est un peu taiseux [« "C'était ma spécialité rester silencieux" ], qui reste à l'écart des autres garçons de son âge, qui vit cette année avec des livres, la solitude de la nage, de la déambulation dans les ruelles du village, l'observation des gens et des choses, l'aide ponctuelle apportée à un pêcheur. Le monde des adultes le fascine et il croit le comprendre. Cette année sera aussi celle de la rencontre d'une fillette sur la plage, sans doute aussi solitaire et discrète que lui. Avec elle il engage la conversation parce qu'elle lui ressemble et ressent bien sûr les premiers frissons du désir. Elle incarne aussi la future femme, celle à qu'on aborde avec timidité parce qu'elle est vraiment différente des garçons que parfois elle regarde de haut. Lui est timide et tombe évidemment amoureux d'elle, n'a d'yeux que pour elle, lui obéit aveuglement. Tout cela n'est pas du goût des gamins de son âge qui le tabassent autant pour s'affirmer à leurs propres yeux que, peut-être pour prendre sa place auprès de la fille. Le plus étonnant est qu'il ne se défend pas, qu'il se laisse faire comme si les coups reçus dans ce contexte si particulier avaient valeur d’initiation [« A dix ans, je croyais à la vérité des coups. L'irréparable me semblait utile. » ] Il accepte d'autant plus volontiers cette épreuve que, malgré son visage ensanglanté, il refuse de dénoncer ses agresseurs. Pendant ce temps, son amie, elle, conçoit un plan qui la révèle féminine dans sa soif de justice et d'équité. C'est par elle qu'il entrera dans ce monde des adultes.
On pensera ce qu'on voudra de ce récit de sa vie. J'y vois volontiers la relation faite par l'adulte qu'il est devenu d'une période de sa vie où il a hâte de grandir, où il est pressé de se débarrasser de cette phase comme d'une mue devenue encombrante [« L'enfance se termine officiellement quand on ajoute un zéro aux années … mais il ne se passe rien, on est dans le même corps de mioche emprunté des étés précédents, troublé à l'intérieur et calme à l'extérieur."]. Pénétrer le monde des adultes à travers la violence, la soif de justice et l'amour, autant de pôles et de moments forts de leur vie qu'il voit encore de loin mais qu'il aspire à connaître le plus vite possible. Pourtant, il reste attaché à cette île, symbole de liberté et de beauté de la nature qui garde encore dans le repli des vagues et du sable des parcelles d'enfance. Cette année-là, il comprend le véritable sens du verbe « aimer », apprend d'elle le baiser pendant lequel il faut fermer les yeux et non les garder ouverts comme les poissons.
Cinquante ans après, l'auteur devenu homme de lettres se souvient de l'année de ses 10 an avec émotion et nostalgie, accepte de la regarder en face comme, lorsqu'on est enfant, on cherche, presque par défit, à garder les yeux ouverts sous l'eau. Après viendront les épreuves inhérentes à ce monde des adultes tant convoité. Pour lui ce seront des dissensions avec sa famille, les douloureuses années d'après-guerre, le monde du travail et celui de l'engagement en politique, l'entrée en littérature. Cette année de ses dix ans, il la voit aujourd'hui non seulement comme une année de transition, mais peut-être comme une période un peu surréaliste pendant laquelle à la fois il hésite à sauter le pas, à envie de se laisser porter par les événements extérieurs, qu'ils soit violents ou au contraire pleins des frissons et des promesses du premier amour, une période comme suspendue dans le temps. Il n'a cependant pas retenu le nom de cette fillette qui lui a fait oublié l'enfance mais se souvient de son visage, de ses yeux. Ils l'ont durablement bouleversé. Il aurait pu lui donner un prénom inventé, l'imagination admet cet artifice, mais il préfère ce relatif anonymat, lui rendant hommage comme à un fantôme, choisissant de l'évoquer à la seule force des mots dans ce qu'elle a de plus fort dans son souvenir, la regardant les yeux grands ouverts.
Ce texte, fort bien écrit et traduit m'a, comme toujours, laissé l'impression d'un bon moment poétique de lecture [« Maintenant encore, dans les nuits allongées en plain air, je sens le poids de l'air dans ma respiration et une acupuncture d’étoiles sur ma peau »]. J'ai assez dit dans cette chronique tout le bien que je pensais le d'auteur pour ne pas changer d'avis. J'ai lu ce court texte avec plaisir, lentement, comme il convient à un roman autobiographique que De Luca aime offrir à son lecteur attentif devenu un peu son confident.
© Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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L'OUBLI EST LA RUSE DU DIABLE – Max Gallo
- Par ervian
- Le 14/06/2013
- Dans Max Gallo
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N°650– Juin 2013.
L'OUBLI EST LA RUSE DU DIABLE – Max Gallo- XO Éditions.
En cette trente troisième année d’existence de « La Feuille Volante », j'écris ici avec plaisir, puisqu'il s'agit d'un ouvrage de Max Gallo, ce qui en sera probablement un des derniers articles.
Cette autobiographie, puisque c'en est une, dédiée comme il se doit à la mémoire des siens, s'ouvre sur la citation de Rigord, un moine de l'abbaye de St Denis en 1207 qui nous rappelle que seuls meurent et vont en enfer ceux que les vivants oublient. C'est une tentation bien grande, surtout quand on a réussi, de retracer son itinéraire intime pour sa famille ; son cas a évidemment valeur d'exemple pour la communauté. Que Max Gallo s'attelle à ce travail a au moins l'avantage d'offrir au lecteur un témoignage sans fard puisqu'il prend la peine de nous parler de lui-même, enfin ! Il nous avait habitués aux vastes fresques historiques, à l'évocation des grands hommes et même à des fictions remarquables mais il se cachait habilement derrière sa plume alerte. Ici, à plus de 80 ans, après une impressionnante bibliographie, il accepte de se livrer simplement et son écriture devient pour lui catharsis. Fils d'ouvrier immigré italien, il ne pouvait qu'être promis à un métier manuel ; il sera agrégé d'histoire, député de Nice, sa ville natale, ministre de François Mitterrand, éditeur, écrivain à succès, académicien... Une véritable ascension sociale, un authentique destin, un pur produit de la République qu'on aime donner en exemple, une vraie volonté de s'affranchir d'un certain déterminisme social [« Et pourquoi pas d'Académie française? » lui avait répondu un Haut-fonctionnaire à qui il venait d'avouer son ambition pour l'agrégation et pour l'écriture, lui le modeste salarié, fils d'un immigré italien]. Un beau parcours en tout cas ! Cela autoriserait sans doute que l'auteur fît son propre panégyrique, sculptât sa propre statue, devînt son propre thuriféraire ! Eh bien pas du tout et même au contraire.
Ce fut une enfance heureuse dans une famille prolétaire où on parlait encore l'italien, entre une mère attentive et parfois un peu abusive et un père animé d'idées révolutionnaires, au milieu d'un racisme ordinaire, mais marquée par une extraordinaire volonté d'être français. Il mêle à son quotidien des moments de la grande histoire, la guerre, l'occupation, la Libération, fait vivre dans son récit des quidams qui jettent à leur tour un regard critique sur leur temps. Fils d'ouvrier, on le destinait naturellement au cambouis et à la sueur mais il y préféra l'odeur des livres et l'amour de l'étude. Avec une écriture simple, sans fioriture, fluide et agréable à lire, Max Gallo déroule sa vie pour son lecteur devenu confident, raconte ses illusions, ses échecs, ses envies, ses éveils, ses prises de conscience, ses convictions, son parcours politique loin du dogmatisme et de l'ambition calculatrice, sa volonté de ne jamais rien tenir pour acquis. Son mariage fut un échec et se termina par une séparation dont il se remit mal. Il n'oublie pas ses fêlures et ses failles, les événements qui bouleversèrent sa vie... Quand pour lui le succès commençait à se manifester, qu'il se construisait peut-être des châteaux en Espagne, qu'il était tout disposé à se laisser griser par le succès, aveugler par la réussite, dévorer par l’égoïsme, sa fille Mathilde se suicide. Elle avait 17 ans ! Il est impossible de vraiment survivre à un tel événement, on y perd souvent sa vie, sa raison, sa foi et pas mal de ses certitudes. Il trouva sans doute dans cette mort qui aurait pu l’anéantir et au-delà de cette culpabilisation judéo-chrétienne, une raison supplémentaire de poursuivre une vie prometteuse. L'abondance et la richesse de ses œuvres sont sans doute un hommage à cette jeune fille morte, l'écriture, une thérapie dans ce qui devenait de jour en jour un mal de vivre de plus en plus prégnant.
J'ai souvent dit dans cette chronique combien j'aime lire les biographies. Celle-ci, peut-être plus intime que les autres m'a passionné. J'ai découvert un homme qui, malgré sa réussite, ne cache rien de ses fragilités ni de ses contradictions et le fait simplement, mène son chemin en gardant à l'esprit autant l'exemple de sa parentèle modeste que les maximes de grands penseurs, avec cette belle et émouvante écriture que j'ai toujours appréciée. J'aime aussi qu'il ne soit pas naïf et porte sur la politique, sur la gauche en particulier et même sur l'espèce humaine, un regard critique et sans indulgence.
Max Gallo qui, avec ses mots rend hommages à ses morts, sa fille, sa mère, son père, craint peut-être qu'on l'oublie après sa disparition. Homme de lettres qui la pratique si heureusement et qui a si bien servi notre belle langue, il sait mieux que personne que l'écriture est un extraordinaire support de la mémoire, plus sûr en tout cas que l'habit vert d'Immortel qu'il porte désormais. Dans son cas, il n'y a donc aucun danger.
© Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO
- Par ervian
- Le 24/05/2013
- Dans Antoine de Saint-Exupéry
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N°649– Mai 2013.
LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO - Éditions Jacob-Duvernet
Mise en images Jérôme Pecnard.
Plus que l'écrivain-pilote, l'officier combattant mort dans des circonstances obscures, le séducteur, l'homme qui a toujours eu la nostalgie de son enfance, Antoine de Saint-Exupéry reste, dans la mémoire collective, le "Petit Prince", cet éternel enfant, héros de ce roman merveilleux qui continue de nous parler, suscite encore de bons moments de lecture, de nombreux commentaires, des citations et des développements bien des années après sa mort. Rares sont en effet les écrivains qui, une fois disparus, survivent à ce point à leur œuvre. Il n'a jamais porté l'habit vert du Quai Conti mais reste un authentique "immortel". Ce livre, traduit dans le monde entier, figure à coup sûr dans toutes les bibliothèques.
Cela me plaît bien que ce soit ce Petit Prince, habitant de l'improbable astéroïde B 612, cet enfant rieur aux cheveux d'or ébouriffés qui ne répond pas quand on l'interroge et qui un jour rencontra un pilote perdu dans le Sahara en lui demandant de lui dessiner un mouton, qui serve de fils d'Ariane au lecteur puisque son visage ouvre chacun des chapitres et qu'il raconte Saint-Ex. On dira sans doute que c'est là un livre supplémentaire consacré à Saint-Exupéry, peut-être, et après ! C'est avant tout un hommage et c'est ce que je choisis de retenir surtout parce que celui-ci puise sa sève principalement dans les citations personnelles de l'auteur tirées de ses livres ou de sa correspondance.
On pense ce qu'on veut de son enfance, mais elle conditionne la vie future d'un homme. La sienne, malgré la mort prématurée de son père, a été merveilleuse, une "planète" en dehors du temps, une sorte de cocon protecteur et douillet avec sa mère, ses frère et sœurs, une maison, une famille, autant de havres, de jalons auxquels se raccrocher. Des photos en noir et blanc ou couleur sépia attestent de cette période. Elles disent le bonheur, les odeurs, les saveurs de cette enfance qu'Antoine n'oubliera jamais. Il adorait sa mère et même loin d'elle, dans les périodes troublées de sa vie, il se raccrochera par la pensée ou par les missives à cette famille, au pays de son enfance. Lui qui était né avec le siècle n'était pas vraiment pressé d’affronter la vraie vie et voler était sans doute le moyen qu'il avait trouvé pour échapper au quotidien ordinaire des hommes ordinaires. D'ailleurs son existence n'aura de véritable sens qu'à travers l'avion. Voler reste son but pourtant dès 1923, un accident d'avion, au Bourget, l’immobilise. Plus tard, des raids d'aventurier se terminent en crashs et en fractures qui auraient pu être mortelles, que se soit au Guatemala ou en Lybie. Pourtant, il n'a pas toujours été pilote, a dû s'étioler dans un bureau comme comptable, sur les routes de France comme représentant ou comme grand reporter en URSS, à New-York, en Asie, en Espagne pendant la Guerre Civile à "L'intransigeant" ou à "Paris-Soir". De cette période, après la rupture de ses fiançailles, il s'étourdit dans les bars parisiens, s'ennuie dans des hôtels de préfecture, ou recherche la compagnie des femmes de passage. D'elles il attend qu'elles apaisent sa solitude, ses angoisses. Ce sont sa mère qu'il admire et adore, sa sœur, ses cousines, ses amantes, sa première fiancée, Louise de Vilmorin, puis sa femme, Consuelo, une jeune veuve salvadorienne qu'il épouse à 30 ans malgré la désapprobation de sa famille. Ce seront 12 années d'amour, de séparations, de ruptures, de retrouvailles. La solitude sera sera son lot pendant toutes ces années où il se cherche. Il l'exorcise comme il peut et principalement par l'écriture, des missives adressées à sa parentèle et à ses amis, des nouvelles et bientôt des romans où le pilote et l'écrivain se mêlent et se conjuguent. C'est que, grâce à l'aventure de aéropostale, il vole enfin, à travers montagnes et océans, croise Mermoz et Guillaumet avec qui il se lie d'amitié, vit enfin avec le vent, les étoiles, les sables du désert, le dangers des territoires insoumis. A cette époque, le pilote est seul aux commandes de son appareil; cela suscite pour lui la méditation sur le sens de la vie, de la mort, de l'immensité des territoires survolés et la solitude, toujours, qu'il ressent dans les montagnes glacées ou l'aridité du désert, le danger aussi qu'il voit dans les accidents et la mort de ses amis...C'est cette même action qu'il retrouve pendant la 2°guerre mondiale. Et il écrit tout cela. Ce sera "Courrier sud"(1929), "Vol de Nuit"(1931) pour lequel il obtiendra le Prix Femina, "Terre des hommes" (1939- Grand prix du roman de l'Académie Française). Pourtant, cette complicité avec les grands espaces et l'ivresse du vol ne font qu'accentuer chez lui la sensation désespérante de solitude qui semble lui coller à la peau. Seuls les mots, leur musique et l'exorcisme de l'écriture parvient à l'en sortir.
Parti pour New-York, dans l'espoir de susciter l'entrée en guerre des États-Unis, il y reste deux ans. Il est las-bas un auteur à succès mais son pays est occupé. Il rejoint l'Afrique du Nord. Ce sera "Pilote de guerre" (1942) et "Le Petit Prince"(1943). Lui qui avait cent motifs de réforme, revient pour défendre son pays, lui qui avait si souvent côtoyé la mort, dans sa famille proche, dans son métier de pilote, dans le cercle de ses amis, abandonne son corps à la mer, au néant, comme le Petit Prince qui s'en va ["J'aurais l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai"] . On a beaucoup glosé sur sa disparition, en Méditerranée, au large de la Provence, en juillet 1944, au terme d'une mission photographique après qu'il eut, une ultime fois, survolé la maison de son enfance et ses souvenirs. C'est un peu comme si la solitude et la désespérance le rejoignaient, définitivement.
J'aime lire et relire Saint-Ex, un écrivain d'exception qui a honoré la langue française, un homme torturé par un mal de vivre et le désespoir, qui était de son enfance comme on est d'un pays, qui en a porté en lui toute la magie, tous les mystères.
© Hervé GAUTIER - Mai 2013 -
Sur l'avion de Saint-Ex, voir la Feuille Volante n°225 - Mai 2000.
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CLARA MALRAUX - Dominique BONA
- Par ervian
- Le 22/05/2013
- Dans Dominique BONA
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N°648– Mai 2013.
CLARA MALRAUX - Dominique BONA - Grasset
Drôle de destin que celui de Clara Goldshmidt, née à Paris en 1897 mais de nationalité allemande puisque son père, originaire de Basse-Saxe ne sera naturalisé qu’en 1905. Même si chez elle on parle allemand, c'est la France pour les valeurs humanistes qu'elle porte que son père a choisi. Les parents de Clara forment un couple très uni et surtout très amoureux. Clara a deux frères dont l'un est son aîné. Cette appartenance à deux cultures sera pour elle un déchirement quand la Première mondiale éclatera d'autant plus qu'une partie de sa famille est restée en Allemagne. Quant à elle, elle n'apprendra que bien plus tard ses origines juives mais elle est française et élevée dans la grande bourgeoisie parisienne.
La généalogie d'André Malraux est moins reluisante, plus populaire, sa mère tenant une épicerie à Bondy. Né en 1901, il passe son enfance entre sa mère, sa grand-mère et sa tante, son père ayant quitté le domicile quand André avait 4 ans. Lui aussi a des origines flamandes mais comme Clara, il est résolument Français. Quand ils se rencontrent, en 1921, ils n'ont pourtant rien en commun si ce n'est peut-être cette envie d'écrire qui ne s'est pas encore manifestée. Tous les deux veulent échapper à leur condition, elle qui est une jeune fille bourgeoise et riche et lui un dandy frivole et pauvre, qui lui cache ses origines sociales. Malraux a toute sa vie sera un mystificateur qui a lui-même tissé sa propre légende. Pour autant, ils semblent faits l'un pour l'autre et en octobre 1921 ils se marient avec cependant la promesse de divorcer six mois après ! Elle a 24 ans et lui est encore mineur, n'a pas de métier mais n'envisage pas le moindre emploi. Pourtant, parvenus à l'échéance qu'ils s'étaient eux-mêmes fixée, les époux qui se vouvoient toujours préfèrent consacrer l'argent que leur coûterait un éventuel divorce à voyager. En réalité, ils sont si bien ensemble qu'ils choisissent d'y rester. Si André s'impose par ses qualités intellectuelles, Clara reste quelque peu en retrait mais pousse son mari à partir avec elle pour Anghor. L’exotisme et le voyage les habitent tous les deux mais c'est aussi les trésors de temples kmers qui les attirent et qu'ils comptent bien s'approprier par le pillage. En réalité, ce voyage un peu hasardeux et dangereux porte en lui les prémices de "La voix Royale", qui paraîtra plus tard. Clara, elle, s’émerveille de la beauté des lieux et ce sera pour elle aussi la véritable naissance de l'écriture. Pour le couple, la mise à sac des temples leur vaut une inculpation, un non-lieu pour elle qui rentre en France sans le moindre sou, rompt avec sa famille et découvre la complicité modeste mais chaleureuse de sa belle-famille pourtant jusque là soigneusement cachée par André et un procès pour lui. Elle s'attache à réunir un comité de soutien qui compte les plus grandes signatures littéraires de son temps. La cour de Phnom Penh condamne André à 8 mois de prison avec sursis. Il rentre en France et peut recommencer à vivre.
En France, André se révèle ingrat, déjà, et Clara lui avoue un adultère qui le laisse désemparé. Il se souviendra plus tard de cette trahison, en l'imitant. C'est le début d'une longue série d’infidélités qui auront raison de ce couple mais c'est quand même Clara qui en prit l'initiative. La drogue entre dans leur vie en même temps que la gêne mais André songe à repartir pour l'Indochine avec des rêves journalistiques. Ce journal, baptisé "L'indochine" qui deviendra "L'indochine enchaînée" se veut altruiste, progressiste social, pro-annamite, tourné vers les plus défavorisés, bref d'opposition. Il s'oppose en effet à l’administration coloniale toute puissante et corrompue, dérange, est volontiers polémique et on le stigmatise comme bolchevique dans ce pays en plein bouillonnements politiques et ce bien qu'André ne soit pas communiste. Lui y écrit mais Clara reste dans l'ombre. Le journal crée en Juin 1925 n'aura que 49 numéros et fin décembre de la même année, les Malraux repartent pour la France avec une certitude : ils seront écrivains mais, sans qu'elle le sache, c'est la fin du grand amour de Clara. De cette aventure asiatique naîtront nombre de personnages de roman pour André. Il publie "La tentation de l'occident" qu'il dédie à Clara. D'autres viendront qui l'introduiront dans le monde des Lettres et lui donneront le succès mais Clara restera dans l'ombre sans qu'André, maintenant directeur artistique chez Gallimard, ne songe à lui donner sa chance. En 1933, ni la naissance de leur fille Florence, ni le prix Goncourt d'André pour "La Condition humaine" où Clara apparaît sous les traits de May, ne peuvent parvenir à ressouder un couple qui se délite dans l'adultère.
Puis vient la politique, à gauche, pour Clara et André. Elle l'accompagnera, comme elle le fit en Espagne, en 1936, aux côtés des Républicains mais restera toujours dans l'ombre alors que lui s’affirme comme un remarquable orateur et aussi comme un organisateur charismatique. La guerre civile espagnole marquera pour eux la fin de leur amour, André rencontrant Josette Clotis qui lui donnera plus tard deux fils. Clara se retrouve donc seule "privée de lui", ce qui aiguise son talent littéraire.
En 1939, André qui avait été réformé, alors âgé de 40 ans, s'engage comme simple soldat, est fait prisonnier, s'évade, se réfugie dans le sud de la France. Ce n'est qu'en 1944, sur le tard, qu'il devient, dans la Résistance, le "colonel Berger" entraîneur d'hommes et combattant courageux. A la mort de Josette, Clara pense retrouver André, mais ils divorcent en 1947 après 26 ans d'un mariage cahoteux. Clara garde son nom et sa fille Florence. Désormais seule, elle survit mal, a gardé son âme de gauche mais publie difficilement 4 romans autobiographiques dont aucun n'est dédié à André dont il est pourtant le héros secret. Son ex-mari, reconnu maintenant comme un écrivain, publié de son vivant dans La Pléiade, éphémère ministre de de Gaulle en 1946 et qui a abandonné son idéal révolutionnaire, ne l'aide pas dans son entreprise littéraire. Ses livres se vendent mal. Elle rencontre Jean Duvignaud, professeur de Lettres et aspirant écrivain qui a 24 ans de moins qu'elle. Elle vivra avec lui une idylle de 13 années et le soutiendra dans dans son activité d'écriture. Pourtant en elle l'empreinte de Malraux n'est pas effacée. Ce dernier, veuf, se remarie en 1948 avec sa belle-sœur Madeleine, déjà mère d'un fils. Le voila donc avec 3 garçons mais les relations familiales sont difficiles, comme elles le sont avec Florence, sa fille. Pour André la vie est opulente alors que pour Clara c'est la gêne. Pourtant, la mort de ses deux fils, la séparation d'avec Madeleine, entraînent André dans une phase difficile. Quand il choisit de renier ses idées progressistes et de s'établir dans l'ordre et les contradictions gaullistes, Clara tente de rétablir la vérité à son sujet mais l'aura du ministre est trop forte et l’indifférence d'André trop pesante. Pourtant elle ne renie rien de ce qui a été sa vie et son combat, milite, écrit, publie...Mai 68 revivifie ses ardeurs révolutionnaires mais quand à la suite du référendum de 1969, de Gaulle s'éloigne du pouvoir, Malraux démissionne. Désormais seul, il renoue avec une ancienne maîtresse, Louise de Vilmorin, puis, à la mort de celle-ci, sa nièce Sophie se rapproche de lui. Elle sera sa dernière compagne. Il s'éteint en 1976 à l'âge de 75 ans. Lui qui avait toujours ignoré Clara depuis leur divorce ne l'oublie pas dans son testament. Celle qui avait toujours été effacée, dans l'ombre d'André, s'affirme par l'écriture, les voyages, les interviews. Pour tous elle redevient Mme Malraux et à la mort d'André sa vie à elle prend tout son sens et la libère. Elle meurt paisiblement 1982
Ce couple que Dominique Bona nous présente comme mythique à cause de la passion qui a présidé à ses débuts n'a pas échappé à la routine, au délitement, au déchirement. Il a néanmoins était fécond, original, porteur de créations artistiques et de prises de positions politiques. C'est à dire le contraire de l'ennui.
J'ai lu passionnément cette biographie où il est souvent question d'André. Pour autant, Dominique Bona y rend hommage à Clara, magnifiquement.
© Hervé GAUTIER - Mai 2013 -
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LES VIEUX GARCONS DE BROKEN HILL- Arthur UPFIELD
- Par ervian
- Le 06/05/2013
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N°647– Mai 2013.
LES VIEUX GARCONS DE BROKEN HILL- Arthur UPFIELD - 10/18
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Décidément, l'inspecteur Napoléon Bonaparte qui préfère de loin qu'on l'appelle Bony, aime parler de lui comme étant le meilleur flic d'Australie. C'est un peu vrai puisque, une fois encore il doit quitter sa circonscription du Queensland pour venir élucider, pendant 15 jours, en Nouvelle-Galles du Sud un double assassinat au cyanure que la police locale peinait à résoudre. Ce délai peut paraître court, mais notre policier, sûr de lui, se fait entière confiance pour mener à bien cette mission dont il "consent" à s'occuper. Il n'envisage même pas l'ombre d'un échec. Unique, il l'est à plus d'un titre et entend une nouvelle fois être à la hauteur de sa réputation. Pour plus d'efficacité, il œuvrera encore une fois incognito et donc sous un faux nom dans cette ville de Broken Hill, petite ville minière calme et prospère. Il se met donc à la disposition du chef de la police locale, le commissaire Pavier, qui favorisera ses recherches en lui adjoignant le personnel commandé par le sergent Crome.
Lors de la précédente enquête menée par l'inspecteur Stillman venu de Sidney, ce dernier avait, dans son rapport, pointé les insuffisances du sergent, rudoyer quelque peu les témoins et même laissé dans son sillage un mauvaise image, mais sans pour autant élucider l'affaire. Cet inspecteur était à l'évidence incompétent mais avait le talent de rejeter ses propres carences sur les autres comme cela se voit souvent dans le monde du travail en pareilles circonstances. Les choses se présentent donc mal pour tout le monde, mais Bony s'attache d'abord à rassurer le sergent. Pour autant les deux meurtres sont apparemment sans mobile, sans témoins, les deux victimes n'ont aucun lieu de parenté et aucun point commun entre elles si ce n'est qu'ils sont tous les célibataires, âgés, bien en chair et mangeant salement, des vieux garçons donc ! Une affaire comme il les aime : compliquée !
Pourtant, il y a urgence car les deux meurtres pourraient bien être suivis d'autres tout aussi mystérieux. Effectivement, d'autres crimes sont perpétrés, un autre par empoisonnement au cyanure et un dernier sur la personne de la secrétaire du commissaire, poignardée. Heureusement Bony, bien qu'il n'ait aucune parenté avec Socrate et qu'il soit conscient de la fragilité des témoignages, a une façon très personnelle de s'adjoindre l'aide de la population et même de la presse locale, ainsi que d'accoucher les esprits et sa maïeutique se révèle bigrement efficace.
Dans cette petite ville, Bony rencontre aussi Jimmy Nimmo, dit le Casseur, une veille connaissance, un petit malfrat et un cambrioleur notoire, retiré à Broken Hill parce qu'il est tombé amoureux d'une femme qu'il souhaite épouser mais celle-ci n'y consentira que s'il rentre dans le rang et obtient un emploi régulier dans une mine. Pour lui qui est un as dans sa spécialité, c'est presque une déchéance. Tout l'art de Bony sera de le recruter pour que, encore une fois, il mette en œuvre ses talents... mais exclusivement au service de la Police !. Notre inspecteur déploie donc ses talents d'enquêteur, à la satisfaction de ses collègues, de la hiérarchie locale et même de la population qui ne regrette pas le sinistre inspecteur Stillman. Bony, avec son traditionnel thé et ses cigarettes horriblement mal roulées, traîne derrière lui une réputation de mauvais flic, non parce qu'il échoue dans ses enquêtes, mais bien au contraire parce qu'il n'est que trop indépendant voire marginal et que ses méthodes sont des plus originales et peut-être un peu en marge de la procédure légale. Il n'est pas dans le moule, ce qui lui vaut régulièrement d'être licencié de son poste... pour y être immédiatement réintégré !. Cette fois encore, il n'échappe pas aux bassesses dont le monde du travail est si friand et qui met régulièrement en scène les incompétents, les flagorneurs et les arrivistes, ces défauts se retrouvant souvent dans les mêmes personnes. Sur ordre de sa hiérarchie, il va être dessaisi du dossier qu'il avait pourtant bien contribué à faire évoluer dans le sens de la vérité. C'est Stillman qui n'a guère digéré son échec précédent qui débarque à nouveau dans l'affaire mais Bony n'entend pas en rester là. Un peu comme à chaque fois, et au dernier moment, les choses reviennent à leur vraie place, pour le plus grand plaisir du lecteur, même si cette fois épilogue est un peu inattendu.
© Hervé GAUTIER - Mai 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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GALA - Dominique BONA
- Par ervian
- Le 01/05/2013
- Dans Dominique BONA
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N°646– Mai 2013.
GALA - Dominique BONA - Flammarion [1995]
Qui était donc cette femme qui fut l'égérie d'un poète et de deux peintres? Quand elle entre en scène, elle s'appelle encore Elena Dimitrievna Diakonovane, elle a reçu une bonne éducation en Russie où elle est née en 1894. C'est une jeune fille de 18 ans qui, après avoir parcouru toute l'Europe de l'Est, débarque dans un sanatorium suisse où elle vient soigner une tuberculose. Elle va y rencontrer, Paul-Eugène Grindel, le fils d'une famille bourgeoise, plus tourné vers la poésie que vers une carrière traditionnelle, malade lui aussi, et en tombe éperdument amoureuse. Il deviendra, grâce à elle, Paul Eluard et elle adopte le pseudonyme de Gala qu'elle gardera toute sa vie. Elle n'est peut-être pas très belle mais est une véritable présence fascinante, sait ce qu'elle veut, et malgré leur jeune âge, la famille de Paul qui se méfie de cette étrangère, la guerre, l'avenir incertain de son fiancé, elle l'épouse en février 1917. Le conflit mondial favorise la rencontre de Paul avec Louis Aragon, Philippe Soupault et André Breton puis, la paix revenue, c'est le mouvement Dada et ses excentricités artistiques qui leur révéla l'existence de Max Ernst vers qui Gala se sent irrémédiablement attirée, avec une certaine complicité tolérante du côté de Paul. Gala a 27 ans et son nouvel amant, sensiblement du même âge qu’elle, vient s'installer chez eux et va même vivre à leurs crochets. Ainsi commence un "ménage à trois" que Paul ne condamne pas mais dont il souffre quand même. Ni lui ni elle n'en sortiront indemnes et cela durera, plus ou moins en pointillés, jusqu'à ce qu'arrive un peintre catalan inconnu, Salvador Dalí. Nous sommes en 1929. Là aussi ce sera le coup de foudre. Pourtant tout les opposent, elle a 10 ans de plus que lui, c'est un inconnu sans fortune mais ils vivront ensemble une passion exubérante, sauvagement pauvre au début et s'épouseront en 1934. Dalí est maladivement timide mais aussi excentrique, facétieux, original, fantaisiste, débordant de créativité... Elle sera son unique modèle, sa source principale d’inspiration et l'icône qu'il célébrera comme une véritable idole jusqu'à sa mort en 1982. Elle restera aux côtés de Dalí, toujours dans l'ombre, l'assistera, le soignera, l'encouragera, l'accompagnera dans ses déplacement internationaux et mondains qui conditionnent sa notoriété et le mécénat qu'elle va susciter. Elle sera non seulement son épouse attentive mais aussi la gestionnaire de sa fortune, son agent artistique, efficace et discret. En réalité, ils se ressemblent beaucoup et sont avant tout individualistes. Politiquement, le groupe des surréalistes dont il fait partie est tourné vers le communisme mais Dalí, sans doute par provocation au début, fait devant ses membres l'apologie d'Hitler, comme il se tournera plus tard vers Franco. De plus, il fréquente les puissants et les riches et n'a cure du peuple. La rupture ne pouvait qu'être consommée, mais Gala sera toujours avec lui et dans l'ombre lui tiendra la main. Il le sait et ne peut plus se passer d'elle et quand après différentes manières de penser et de vivre il devient mystique, il la divinisera dans ses tableaux.
C'est étonnant mais l'amour que lui porte Paul Eluard est sans borne et aussi assez original. Certes, elle le trompe, et lui ne manque pas de l’imiter, mais pour autant, et bien que les amants connus de Gala soient à ce point différents de Paul, ce dernier non seulement les accepte mais leur porte de l'intérêt et même une certaine forme d'amitié, un peu comme si seul comptait à ses yeux le bonheur de sa femme qu'il n'était plus capable de lui procurer. Paul sera même bienveillant avec Dalí quand il fera, avec Gala, ses premiers pas dans le monde et quand les surréalistes l’expulseront de leur groupe. Il restera amoureux d'elle jusqu'à la fin, malgré tous les bouleversements de sa vie et leur divorce prononcé en 1930 après 15 ans d'un mariage mouvementé. Cet ouvrage consacré à Gala est en réalité non pas une mais trois biographies, la sienne mais aussi celles de Paul Eluard et de Dalí à qui elle fut si intimement liée. Si on en croit Dominique Bona, il semblerait que Gala, bien que dévoreuse d'hommes, ait recherché la virginité originelle chez Eluard et Dalí et ait poursuivi ses amours de contrebande, avec une prédilection pour les hommes plus jeunes qu'elle, et ce même pendant son union pourtant hautement amoureuse avec Salvador Dalí. Lui aussi ferma les yeux sur ses écarts, pourvu qu’elle reste avec lui !
Gala est volontaire, tenace, passionnée, mais aussi coquette, dépensière, valétudinaire, mélancolique, tourmentée et volontairement solitaire. Elle a peu d'amis et ceux qui la connaissent, notamment au sein du groupe des surréalistes, l'affublent de sobriquets peu sympathiques. L’avenir la fait rêver mais le mariage, la maternité, la vie rangée d'une femme mariée la déçoivent. Par peur de manquer, mais aussi par addiction au jeu, elle devient responsable du galvaudage du talent de son mari. Contrairement à l'anagramme inventé par Breton, "Avida dollars" ne s'applique pas à Dalí mais à Gala ! Puis tout cela dérape et, au nom de l'argent, la signature de Dalí ne s'appose plus sur des tableaux mais sur des bijoux, des parfums. Gala, pourtant attentive à la gestion de la fortune de son génial époux ne contrôle plus rien et ce sont des feuilles blanches en nombre incalculable qu'il signe. Elles serviront de support à autant de faux qui porteront atteinte à son crédit sur la marché de l'art. Dès lors, les secrétaires se succèdent et une cour se forme autour du couple, vivant des richesses qu'il génère. On a pu voir en elle une aventurière calculatrice, séductrice et avide d'argent qui sait rester dans l'ombre mais tirer le meilleur parti des hommes qu'elle croise, qu'elle séduit et dont elle favorise l'ascension. Étrange destin que celui de cette femme énigmatique et apparemment froide qui a su par son charme s'attacher des hommes d'exception qui en furent éperdument amoureux. Si elle est une intellectuelle, elle n'est cependant pas une artiste mais saura révéler chez tous les hommes dont elle fut la compagne, un élan créatif exceptionnel. Ils ont tous laissé dans le domaine de l'art une marque pérenne. Sans elle, ils ne se seraient assurément pas révélés au monde et seraient restés anonymes. Gala vieillie et malade meurt en 1982. Son mari lui survivra 7 ans mais c'est un fantôme qui s'éteint en 1989. Les deux époux ne sont même pas enterrés ensemble !
Comme toujours dans ses biographies, Dominique Bona est précise, très documentée, donne des détails et ses remarques personnelles, ses analyses et ses citations sont pertinentes. Cette chronique s'en est peu fait l'écho, mais j'aime lire les biographies, surtout, comme c'est le cas ici, quand elle sont denses et passionnantes. Grâce à son style fluide et poétique (notamment quand elle décrit des paysages catalans que ses origines familiales lui rendent sans doute plus attractifs), à ses courts chapitres, elle s'attache son lecteur attentif jusqu'à la fin. C'est donc un récit passionnant que nous livre l'auteur d'"Argentina" et nous fait découvrir la personnalité exceptionnelle de cette femme. Personnellement, j'avais des idées toutes faites sur Gala qui restait pour moi bien mystérieuse, la lecture de cet ouvrage m'a donné d'elle une image plus précise et surtout plus lumineuse.
© Hervé GAUTIER - Mai 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LA MORT D'UN TRIMARDEUR - Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 24/04/2013
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N°645– Avril 2013.
LA MORT D'UN TRIMARDEUR - Arthur Upfield - 10/18
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
La muraille de Chine n'existe pas uniquement dans l'Empire du Milieu. Elle est présente au sud-est de la Nouvelle Galles du Sud, en Australie, mais c'est une formation géologique naturelle. C'est à l'ombre de celle-ci qu'a été retrouvé mort un gardien de troupeaux. Ce crime, parce que c'en est un, a attiré ici l’inspecteur Napoléon Bonaparte, dit Bony, qui laisse dire avec une certain détachement qu'il est le meilleur flic du pays, et ce d'autant plus que la police locale a quelque peu peiné dans le déroulement de l'enquête. Il ne conçoit sa présence sur place que dans la mesure où une affaire est comme il les aime : compliquée ! Selon sa bonne habitude, et pour être plus efficace dans ses investigations, il évite de se recommander de sa qualité de policier, se fond dans la population en buvant de petits verres de gnôle au bar et en fumant des cigarettes effroyablement mal roulées. Ici, il se fera passer pour un ouvrier agricole qui cherche du travail. Les policiers locaux sont tellement abusés par sa mise en scène qu'ils l'enferment au poste, mais pour quelques temps seulement. Pour faire bonne mesure et pour donner le change à la population, il va même jusqu'à se faire condamner par le tribunal local à une peine de principe cependant. Sa présence tombe plutôt bien puisqu'on vient de découvrir, après une autre mort fort suspecte, dans la même cabane que précédemment, un deuxième cadavre, celui d'un trimardeur, apparemment sans rapport avec le premier mais les constations du médecin légiste concluent à un meurtre déguisé en suicide : tout à fait une affaire pour Bony qui va ainsi profiter de son stratagème pour enquêter plus librement et recueillir les commentaires de la population.
Bony est un homme avisé et un policier intelligent et surtout atypique qui s'en tient rarement aux évidences et sait tout aussi bien lire dans "le grand livre de la brousse" que de faire parler les moindres indices. Ici, c'est un banal jeu de morpion qui retient son attention mais lui y voit bien autre chose qui pourrait bien fournir une explication à cette série de meurtres. Bizarrement peut-être, il a une philosophie assez originale au regard du crime et prétend que le mal ne triomphe jamais. Il est vrai que, selon ses dires, il n'a jamais connu l'échec ! Il sait aussi, de part son expérience et sa faculté de déduction, que ce double meurtre est forcément le fait d'un habitant de ce village et a déjà, grâce à la chance ou, comme il le dit, à la Providence, compris les grands traits de son caractère. Il sait aussi que lui, Napoléon Bonaparte, n'est pas le seul à pouvoir changer de nom et d’apparences et que les plus flagrantes sont parfois trompeuses. Il n'y a en effet pas que les policiers d'élite qui peuvent se cacher derrière une fausse identité. La société peut, elle aussi, offrir aux criminels un décor dans lequel ils peuvent aisément disparaître et ainsi se dérober à la vigilance de tous. Mais cela non plus n'a pas échappé à Bony !
Il est par ailleurs certain que notre inspecteur n'a aucune parenté avec Don Quichotte, mais cette histoire de moulins à vent le tracasse d'autant que la fille du sergent qui l'a accueilli, c'est à dire qui a été de connivence avec lui pour son incarcération, a été enlevée et laissée pour morte dans la cabane où les victimes ont été retrouvées. Tout cela complique un peu cette enquête qui traîne en longueur mais finalement, et comme à l'accoutumée notre fin limier parviendra a expliquer tout cela et à confondre le coupable.
La lecture d'un roman d'Upfield est toujours pour moi un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Quelques mots sur Dominique Bona, nouvelle académicienne.
- Par ervian
- Le 20/04/2013
- Dans Dominique BONA
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N°644– Avril 2013.
Quelques mots sur Dominique Bona, nouvelle académicienne.
Dans la période de crise économique que nous vivons actuellement, qui se double d'ailleurs d'une chute spectaculaire de confiance envers nos gouvernants et même envers les institutions, il est des informations qui peuvent parfaitement passer inaperçues. La politique intérieure, les soubresauts du Parlement, les débordements infantiles des membres de la Représentation Nationale, les mensonges éhontés d'un ministre de la République pourtant reconnu pour sa compétence, sa fuite digne d'un ennemi public puis son retour sur le devant de la scène en une lamentable et piteuse prestation judéo-chrétienne, le commentaire des matchs de foot et d'un attentat aux États-Unis, ont largement occulté l’élection de Dominique Bona à l’Académie Française.
Je trouve, pour ma part, face à l'atmosphère de déliquescence actuelle, plutôt réconfortant que la culture nous réserve encore des nouvelles de cette nature. Le fait que les pensionnaires du Quai de Conti fassent de Dominique Bona une immortelle, qu'ils permettent ainsi aux femmes d'y être plus largement représentées [elle sera la 8° femme et y siéger) instillent d'une certaine manière une dimension plus jeune (elle sera la benjamine de cette vénérable institution) reste pour moi un excellente nouvelle. Je note d'ailleurs qu'elle a été élue, le 18/4/2013 au fauteuil n° 33, celui de Michel Mohrt [1914-2011] qui fut aussi celui de Voltaire ! Elle a obtenu au premier tour de scrutin, 15 voix sur 29 contre 8 à Philippe Meyer. Il y avait 10 candidats pour ce fauteuil.
Née en 1953 à Perpignan, Dominique Bona est la fille d'Arthur Conte, homme politique, écrivain et PDG de l'ORTF. Elle est agrégée de Lettres Modernes a exercé en tant que journaliste à France-Inter et à France-Culture mais aussi au Figaro littéraire et au Journal du dimanche comme critique littéraire. Son oeuvre romanesque a été couronnée de multiples fois, notamment par le Prix Renaudot en 1998 pour "Le manuscrit de Port Ébène" et le Prix interallié en 1992 pour "Malika". Elle siège également comme membre du jury du Prix Renaudot depuis 1999. Pour autant, elle n'a pas négligé les biographies s'intéressant notamment à Stéphan Zweig, Romain Gary, Gala, Clara Malraux, Berthe Morisot...
J'avais, depuis de nombreuses années suivi et commenté certaines de ses œuvres [La Feuille Volante n° 24 (Argentina)-150(Malika)-203(Le manuscrit de Port Ebène) notamment]. J'avais aussi été particulièrement sensible à la qualité de son ouvrage sur Roman Gary, par ailleurs couronné par l'Académie Française.
© Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LE MONSTRE DU LAC FROME - Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 15/04/2013
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N°643– Avril 2013.
LE MONSTRE DU LAC FROME - Arthur Upfield 10/18
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Dans une exploitation du sud de l'Australie, près du lac Frome, un visiteur, Éric Maidstone, s'était présenté comme professeur en vacances et passionné de photographie. Il souhaitait réaliser un reportage sur les animaux de la région, le lac lui-même et les puits artésiens qui entourent l'exploitation de Quinambie. Cette dernière est située du côté de la clôture qui sert de protection contre les chiens sauvages et aussi sur la frontière qui sépare trois états de l'Australie méridionale. Pendant son temps de vacances il souhaitait habiter temporairement la maison du lac Frome, c'est à dire loin de tout. Pourtant, l'éloignement, le désert, n'étaient pas les seuls problèmes puisque les aborigènes parlaient d'un monstre qui hantait les lieux, un chameau meurtrier, mais ce n'était peut-être qu'une légende ! Les autochtones le craignaient parce que, disait-on, il s'attaquait à tout ce qui ressemblait à un homme. On suivit les traces de Maidstone qui devinrent de moins en moins visibles et on retrouva son cadavre percé d'une balle. Cette mort ne pouvait donc accréditer la fable du chameau mais il s'agissait bien d'un crime !
L'inspecteur Napoléon Bonaparte qui souhaite surtout se faire appelé Bony, fut donc chargé de cette enquête, mais, pour être plus efficace dans la recherche des indices, et pour mieux pénétrer ce milieu des travailleurs de la clôture, il va se faire embaucher comme l'un d'eux, mais sous le nom de Ed Bonnay, c'est à dire cacher sa fonction de policier. S'il s'était annoncé de cette manière il aurait été repoussé voire éliminé parce que, il s'en rend vite compte, les flics ne sont pas les bienvenus dans cette région d’Australie. Pour autant, l'affaire se présente mal, pas d'indices, pas de mobile et évidemment pas de témoins mais c'est là une enquête difficile, comme Bony les affectionne, d'autant que la police locale n'était pas vraiment parvenue à l'élucider.
Il a beau être à moitié aborigène, savoir lire les traces laissées sur le sable, connaître les légendes et les coutumes des autochtones, il n'est pas forcement accepté dans ce milieu très fermé de ces hommes durs à la tâche, souvent marginaux, plus ou moins repris de justice et surtout friands de leur liberté. Il a beau s'être fait passer pour un travailleur, ceux qui redoutent la présence des étrangers le soupçonnent de n'être pas exactement ce qu'il prétend être. Bony n'oublie pas non plus que les aborigènes sont un peuple mystérieux qui pratiquent des rites magiques comme la technique de "l'os pointé" qui est chez eux une véritable condamnation à mort et d'autres aussi comme notamment la transmission de pensée que les blancs ont depuis longtemps oubliée. Il se peut que le professeur ait vu ou fait quelque chose de contraire à leurs traditions pour avoir mérité la mort mais la présence d'une balle n'est pas vraiment dans leur culture. Et puis le désert rend fou ceux qui y restent trop longtemps !
Fidèle à ses habitudes, et surtout après avoir réfléchi posément, longuement et observé les choses et les gens, Bony en arrive à la conclusion logique que les aborigènes savent qui a tué le professeur, mais n'en diront rien puisqu’ils détiennent un secret. Il craint aussi pour sa vie puisqu'il pourrait bien, lui aussi être leur prochaine victime mais, heureusement sait comment se libérer de leur emprise. Il sait aussi que la mort de Maidstone peut n'être qu'un simple accident puisqu'on ne lui a rien volé et que son matériel est intact, mais la région désertique favorise également le vol de bétail qui est fréquent mais difficile à empêcher.
Tel est le thème de ce roman d'Arthur Upfield, passionnant, dépaysant, fort bien écrit et chargé en suspens, comme toujours ! J'ai découvert cet auteur il y a peu et j'avoue ne rien regretter. La lecture d'un de ses romans est à chaque fois une découverte ainsi qu'en atteste les nombreux articles que cette revue lui a consacrés.
© Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LA LOI DE LA TRIBU - Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 11/04/2013
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N°642– Avril 2013.
LA LOI DE LA TRIBU - Arthur Upfield 10/18
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Nous sommes dans le nord de l'Australie, à la frontière du désert. Dans "le lit de Lucifer" , c'est à dire dans un cratère creusé dans la bush par un météorite voilà de nombreuses années, on vient de retrouver le cadavre d'un homme blanc, un étranger. Bien entendu, l'inspecteur Napoléon Bonaparte, autrement dit Bony, est désigné par le gouvernement fédéral pour faire toute la lumière sur cette affaire criminelle. Pourtant aucun étranger n'a été signalé dans les exploitations les plus proches et le mystère s'épaissit avec le silence qui entoure cette affaire. La seule hypothèse avancée est qu’il serait tombé d'un avion, mais elle ne tient pas et le policier devra déterminer ce qu'il faisait avant sa mort et surtout la raison pour laquelle cet homme a pu pénétrer le territoire de la tribu sans que personne ne s'en rende compte. Bony est un sang-mêlé et à ce titre connaît bien les aborigènes et les noirs sauvages du désert et il sait donc que cet homme n'a pu traverser la région sans que les autochtones le sachent. Tout son talent va donc être de leur faire dire ce qu’ils savent, interpréter leur silence, lire les traces laissées sur le sable du désert... et il est sûrement le seul à pouvoir le faire.
Dans ce roman, les relations parfois difficiles entre les communautés, blancs et aborigènes, sont juste esquissées. Ici, la ferme où se passe l'intrigue est tenue par un couple de blancs et les aborigènes semblent avoir du mal à les accepter. De plus, au cours du récit, le lecteur a un peu l'impression que la recherche de la vérité à propos de ce cadavre est parfois un peu oubliée .
Dans ce récit, notre inspecteur donne toute sa mesure de la connaissance du pays profond, des tribus, de leurs lois, de leurs légendes, de leurs coutumes et de leurs habitudes autant qu'il se révèle un fin connaisseur de la psychologie des blancs et un audacieux joueur de poker puisque sa démarche d'enquêteur inclue aussi le pari. Bony démêle donc ce mystérieux meurtre et détermine sans difficulté les auteurs de ce crime lié à la politique expansionniste des pays voisins. Sans oublier bien sûr "l'amour qui fait marcher les étoiles et le soleil".
Arthur Upfield quant à lui, établit une nouvelle fois, qu'il est le talentueux auteur de romans policiers ethnologiques. Il distille jusqu'à la fin le suspens avec des descriptions poétiques toujours appréciées.
D'ordinaire, j'aime bien les romans d'Arthur Upfield mais ici, je dois avouer que le dénouement m'a un peu déçu. Cependant je reste attentif à l'atmosphère si particulière des romans d'Upfield.
© Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LA BRANCHE COUPEE - Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 06/04/2013
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N°641– Avril 2013.
LA BRANCHE COUPEE - Arthur Upfield - 10/18
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Cela fait trois années que la sécheresse sévit dans cette région désolée de la Nouvelle Galles du sud. Les Downer père et fils tentent d'y survivre avec un troupeau de plus en plus diminué et songent même à cesser leur activité d'éleveurs. En rentrant chez eux, après leur traditionnelle soûlerie annuelle, ils trouvent un inconnu mort et constate que leur employé, Carl Brandt a disparu. Rapidement, il apparaît que la première victime est Dickson, un prisonnier évadé et et Brandt a, lui aussi, été retrouvé mort apparemment assassiné. Devant ce double meurtre, Bony se perd en conjectures d'autant que les circonstances et les indices qu'il constate épaississent le mystère qui les entoure. Il doit faire appel à sa connaissance du terrain autant qu'à celle des hommes. En cela il est aidé, si on peut dire, par les toiles peintes par Robin Pointer, une jeune fille voisine des Downer qui souhaite épouser Eric, le fils, et aussi l'aider dans son combat contre la sécheresse. L'observation et surtout la compréhension de son art lui seront d'un grand secours dans la conclusion de son enquête. Comme l'endroit est quasiment désert, l'inspecteur Bony va s'installer chez Les Pointer et observer les lieux.
Comme nous sommes en Australie, il y a aussi des aborigènes qui campent à proximité des habitations des éleveurs. Ils sont censés détenir le secret de la pluie et donc du renouveau de la région et c'est effectivement ce qui se produit. La pluie en tombant va aussi révéler des traces que la poussière du désert cachait jusqu'à présent. Bony n’oublie pas qu'il est un aussi sang-mêlé et donc qu'il détient au moins une partie de la clé de ce mystère dans la mesure où il peut lire dans la psychologie de ce peuple auquel il appartient. Il en connaît les rites et les coutumes et sait interpréter utilement un détail qui se révèle essentiel mais à côté duquel un enquêteur blanc passerait sans le voir. Mais il sait aussi lire, bien mieux qu'un blanc, dans le grand livre de la Brousse et comprendre ce peuple que les colons ont un peu trop tendance à considérer comme de arriérés ou des primitifs. Il est aussi réceptif à l'esprit des lieux, et apparemment, il est bien le seul. Héritier de deux cultures, il sait comprendre les éleveurs, leur psychologie, leurs aspirations, leur fierté aussi, le sens du moindre de leurs gestes. Comme le fait dire l'auteur à l'un des personnages, Bony est réellement quelqu'un qui est "hors du commun", un policier capable de démêler efficacement les fils compliqués d'une affaire criminelle.
Cela donne encore une fois un roman fort bien écrit [les descriptions poétiques ont toujours retenu mon attention surtout quand elles s'inscrivent dans le cadre d'un roman policier], plein de rebondissements et qui tient, dans un dépaysement complet son lecteur en haleine jusqu'à la fin. Je n'oublierai pas non plus l'amour sans lequel aucun bon roman n'est possible. Comme nous le révèle la 4° de couverture reprenant un article de presse : "On commence à lire et, doucement, le récit tisse autour de vous une aura paisible, le bonheur dans la lecture"..
© Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Quelques mots sur Arthur Upfield (1888- 1964)
- Par ervian
- Le 04/04/2013
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N°640– Avril 2013.
Quelques mots sur Arthur Upfield (1888- 1964)
Drôle d'existence que celle d'Arthur Upfield. Né dans un milieu bourgeois aisé d'Angleterre, mais ayant échoué dans ses études, il est envoyé par ses parents en Australie à l'âge de 19 ans. Là, il découvre l'île-continent, les grands espaces et la vie sauvage. Pendant dix années, coupé de ses racines familiales il va voyager dans le pays et pour subsister, exerce divers petits métiers comme trappeur, manœuvre, chercheur d'or. Cela lui permet de se familiariser avec la culture aborigène, ce qui lui servira par la suite...En 1914 il part pour la guerre, combat en France et en Égypte et se marie. Il revient en Australie à la fin du conflit mondial.
Alors qu'il était cuisinier en Nouvelle-Galles du Sud, il rencontre Tracker Léon, un métis avec qui, quelques années auparavant, il avait sillonné la côte. L'histoire de cet homme a quelque chose d'original : Fils d'un colon blanc et d'une aborigène exclue de sa tribu, il a fini par trouver un emploi dans la police du Queensland. Il est ainsi l'héritier de deux cultures mais a parfaitement assimiler l'apport occidental au point d'avoir une véritable passion pour la lecture. Au moment de se quitter, les deux hommes échangent des livres et Arthur hérite d'une biographie de l'empereur Napoléon 1°. Upfield qui avait déjà fait des débuts littéraires sans succès sut, à ce moment-là quel serait son véritable métier : Il deviendra écrivain ! D'après la biographie d'Upfield que sa compagne publia après sa mort, le personnage de l'inspecteur Bony lui a été inspiré par un authentique pisteur rattaché à la police et qu'il aurait rencontré lors de ses errances. Ainsi est né, probablement vers 1929, son personnage emblématique nommé Napoléon Bonaparte qui se fait appeler par tous Bony même s'il est en réalité la synthèse de différents aborigènes qu'il a rencontrés au cours de sa vie errante. Avec le publication de ses premières enquêtes en 1928, le succès est au rendez-vous.
Tout l'art d'Upfield réside dans l’intrication étroite entre fiction et réalité. En 1931, Upfield avait écrit un roman "Les Sables de Windee". Il avait en effet travaillé long d'une clôture anti-lapins qui protégeait les champs de blé de ce prédateur. Son travail consistait à l'inspecter à cheval. Autour de cette expérience, Upfield avait imaginé un roman où on ferait disparaître un cadavre sans laisser de trace et un éleveur itinérant s'en servit pour perpétrer un crime. Cet épisode assura à Upfield une relative notoriété.
Il tenta de vivre de sa plume, devint journaliste, ses romans policiers étant publiés sous forme de feuilletons. Ce n'est qu'en 1943 et après son divorce et la publication de ses romands aux États-Unis qu'il connut réellement la notoriété et une relative aisance financière. Ensuite, de retour en Australie, il devint scientifique et se consacra à l'exploration du nord et de l’ouest de l'île. Il se retira en Nouvelle-Galles du Sud où il mourut en 1964.
Il est un personnage qui apparaît dans la plupart de ses romans à partir de 1920; c'est l'inspecteur Napoléon Bonaparte qui préfère qu'on l'appelle Bony. C'est certes un personnage de fiction mais il doit son existence à un ou plusieurs policiers bien réels et mérite de figurer parmi les grands détectives. tels que Sherlock Holmes, Hercule Poirot et le juge Ti [Mon lecteur pourra se référer au nombreux articles de cette revue au sujet de ce dernier enquêteur emblématique].
Upfield a écrit une trentaines de romans qui sont publiés en langue française.
Écrire des romans policiers et bel et bon mais l’originalité d'Upfield réside sûrement dans le fait qu'il a su tirer partie de son expérience pour mettre en œuvre un style policier particulier basé sur l’ethnologie. En effet, Bony qui est un sang-mêlé, ne manque jamais de faire référence à ses origines aborigènes et de s'en servir dans ses enquêtes.
Des écrivains ont salué l'apport d'Upfiel à la littérature policière et l'Américain Tony Hillerman [1925-2008] a reconnu avoir été inspiré par l'Australien notamment par son travail sur l'ethnologie.
© Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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BONY ET LA BANDE A KELLY - Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 03/04/2013
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N°639– Avril 2013.
BONY ET LA BANDE A KELLY - Arthur Upfield - 10/18
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Dans une région connue sous le nom de Cork Valley, en Nouvelle-Galles du Sud, les autorités ont depuis longtemps constaté nombre d'activités illicites sans pour autant pouvoir y mettre de l'ordre. Cette vallée toute entière dédiée aux clans irlandais vivait donc en vase clos et entendait bien continuer ainsi. Aussi bien était-elle soumise, par ses habitants eux-mêmes, au contrôle constant de tous les intrus qui étaient systématiquement soupçonnés de venir troubler leurs petits trafics. Cette communauté était foncièrement attachée à sa liberté et aux idéaux de ses ancêtres, se rebellait en permanence contre le monde politique et administratif composé à leurs yeux de profiteurs et de parasites. Le refus des taxes était leur manière à eux d'y manifester leur opposition. Il y avait eu différentes disparitions et notamment le meurtre d'un contrôleur des contributions qui traquait la production et le trafic d'alcool clandestin et les fraudes aux redevances de télévision. Il s'était fait passer pour un géologue. L'inspecteur Bony fut donc désigné pour enquêter mais à sa manière, c'est à dire en immersion complète dans ce milieu et sans lien avec l'extérieur. Pour cela et surtout pour se faire accepter dans cette vallée habitée par des Irlandais, les Kelly et les Conway, il se fait passer pour Nat Bonney, un voleur de chevaux en fuite et réussit à se faire engager comme ramasseur de pommes de terre dans une ferme habitée par les Conway, retors à tout ce qui est légal et spécialement aux impôts et taxes. Bien que loin du bush qu'il connaît bien, Bony parvient à se faire accepter par cette communauté et c'est plutôt favorable au succès de sa mission.
Il joue même tellement bien son rôle, il entretient tellement régulièrement l'illusion qu'il est un voleur de chevaux en délicatesse avec la loi et la police qu'il est carrément adopté par les Conway et qu'il est regardé comme l'un des leurs, bien qu'il ne soit pas Irlandais. Son entreprise de séduction auprès des différents membres de cette communauté est telle qu'il participe volontairement à des activités de contrebande pour mieux donner le change. De fait, personne ne semble se méfier de lui d'autant qu'il a donné à plusieurs reprises des marques d'attachement à ces Irlandais. Son enquête ne peut que profiter de cette ambiance de confiance.
Le 1° juillet approchait et cette date anniversaire célébrée par la communauté allait aussi attirer du monde dans cette vallée. Cette fête qui devait durer 3 jours retraçait la disparition de "la bande à Ned Kelly" en 1880. Elle avait été exterminée dans le "Glenrowan hotel" par la police à la suite d'une erreur 'appréciation, mais c'était d'autant plus inacceptable pour eux que ces policiers étaient d'origine irlandaise ! Certes, Bony se sentait bien au sein de cette communauté, mais, en bon policier, ne perdait pas de vue sa mission : faire toute la lumière sur la disparition du contrôleur des contributions. Les préparatifs de la fête allaient immanquablement relâcher quelque peu l'attention, l'alcool délier les langues et favoriser les confidences et donc les investigations de Bony. Malheureusement pour les Irlandais, l'histoire bégaie .
Je suis toujours attentif aux enquêtes de Bony, à la fois bien menées, bien écrites et ménageant le suspens jusqu'à la fin, mais là, j'avoue que ce roman manque un peu de souffle et s'égare un peu dans des détails un peu inutiles.
© Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Quelques mots sur Tenessee Williams[1911-1983]
- Par ervian
- Le 01/04/2013
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N°638– Avril 2013.
Quelques mots sur Tenessee Williams[1911-1983]
Mort oublié dans une chambre d'hôtel new yorkais , Tennessee Williams est un écrivain américain, auteur de nombreuses pièces de théâtre dont la plupart ont été portées à l'écran. Il a également écrit des romans, des poèmes et des nouvelles mais il est plus spécialement connu en tant que dramaturge. Connu, ce n'est pas si sûr puisque si les films qui ont été réalisés à partir de son œuvre, qui ont fait le tour du monde et dont les titres restent dans la mémoire collective ["Une chatte sur un toit brûlant", "Soudain, l'été dernier", "Un tramway nommé désir", "La nuit de l’iguane"], son nom est bien souvent passé sous silence au profit de metteurs en scène célèbres [ Richard Brooks, Joseph Mankiewicz, Elia Kazan] et surtout d'acteurs [Élisabeth Taylor, Katherine Hepburn, Vivian Leigh, Paul Newman, Marlon Brando, Burt Lancaster ]. Il doit sa notoriété au cinéma mais, paradoxalement peut-être, il déclarait volontiers qu'il n'aimait guère les adaptations cinématographiques de ses œuvres.
En France, il a été évoqué dans la très belle chanson [paroles et musique] de Michel Berger interprétée par la voix cassée et pour une fois mélancolique de Johnny Hallyday. Pourtant, si on ne prête pas attention aux paroles pourtant explicites, beaucoup de nos contemporains ont tendance à n'y voir qu'une allusion... à un état des États-Unis !
Thomas Lainer Williams [son surnom de Tennessee ne viendra que plus tard en hommage à son sud natal] est né dans l’État du Mississippi. Il passe son enfance avec sa mère et sa sœur Rose chez ses grands parents maternels. Son père, alcoolique et joueur et qu'il déteste, est le plus souvent absent . Thomas tombe gravement malade à l'âge de 5 ans et commence à écrire sous les encouragements de sa sœur. En 1928, il est alors adolescent, il effectue avec son grand-père maternel qu'il adore un voyage en Europe. Pendant ce périple il prend conscience de son homosexualité [Déjà son père l’appelait "Miss Nancy" parce que, rescapé d'une diphtérie, il était chouchouté par sa mère] mais aussi de sa vocation d'écrivain. En 1937, après que la schizophrénie de Rose ait été diagnostiquée et qu'elle eut subi une lobotomie qui l'a laissée très diminuée, il rompt avec sa famille, part pour New-York où il exerce divers petits métiers qui lui laissent du temps pour écrire. En 1943, à l'entrée en guerre des États-Unis, il est réformé pour homosexualité, alcoolisme et troubles nerveux et cardiaques. Il tente alors sa chance à Hollywood comme adaptateur de romans chez MGM à laquelle il propose une de ses œuvres où il met en scène sa mère et sa sœur. C'est un échec. Il réécrit ce texte qui devint une pièce autobiographique, "La ménagerie de verre" qui, montée à New-York, aura un succès inattendu et consacrera sa notoriété. Il a alors 34 ans. Puis suivront une vingtaine de pièces, toutes montée à Broadway. Ce sera, en 1948 "Un tramway nommé désir" que met en scène Elia Kazan et qui consacrera un nouvel acteur, Marlon Brando. Cette œuvre sera adaptée en France par Jean Cocteau. Avec ce film en 1948 puis avec "Une chatte sur un toit brûlant" en 1955 il remporte par deux fois le Prix Pulitzer.
Son œuvre met en scène des personnages marginaux, écorchés-vifs, frustrés, fragiles, solitaires et en butte contre la société comme il l'était lui-même. Ses personnages sont souvent coincés entre la réalité et leurs illusions["Cette force qui nous pousse vers l'infini y a un peu d'amour avec tellement d'envie, si peu d'amour avec tellement de bruit"] leurs fantasmes sexuels["Un tramway nommé désir"], leur mémoire ["La ménagerie de verre"] "l'inconscience de leurs désirs.["Cette volonté de prolonger la nuit, ce désir fou de vivre une autre vie, ce rêve en nous avec ses mots à lui"].
Ses pièces de théâtre font toutes référence à sa biographie et il y parle bien entendu de l'homosexualité, mais à mots couverts ("Une chatte sur un toit brûlant"). Tennessee Williams était homosexuel, pourtant, les personnages de ses pièces ne le sont pas ouvertement, ou ils sont morts avant le lever de rideau. Il est vrai qu'il ne fallait pas choquer la très puritaine Amérique des années 50. Il semblerait même qu'il n'aurait pas été favorable à un militantisme homosexuel. Pourtant, il n'affichera sa préférence sexuelle qu'à la fin de sa vie, menant une relation longue avec Franck Merlo. Sa mort en 1963 le laissera définitivement meurtri, s'adonnant sans frein à l'alcool et à la drogue. Pourtant, il est un fait que toute la vie de Williams a été vouée à tous le excès. Michel Berger évoque très bien cela " Le corps en fièvre et le corps démoli, avec cette formidable envie de vie". Il lui survivra cependant mais il s'éteindra à New-York en 1983 dans un relatif anonymat. .["Comme une étoile qui s'éteint dans la nuit, à l'heure où d'autre s'aiment à la folie, sans aucun éclat et sans un bruit, sans un seul amour et sans un seul ami, ainsi disparut Tennessee"].
Il a, comme chacun d'entre nous, fait son parcours original et douloureux sur terre. Son œuvre en a gardé la mémoire, témoigne de ses espoirs, de ses fantasmes, de ses peurs, de ses échecs ["Cette volonté de prolonger la nuit, ce désir fou de vivre une autre vie, ce rêve en nous avec ses mots à lui." "A certaines heures de la nuit, quand le cœur de la ville s'est endormi, il flotte un sentiment comme une envie"]. Il reste, aux États-Unis en tout cas, un auteur majeur.
On ne peut, évidemment, limiter l'évocation d'un écrivain aussi considérable que Tennessee Williams aux paroles d'une chansons si belle soit-elle, mais j'ai voulu, dans ce court article lui rendre ce modeste hommage, en prélude peut-être au trentième anniversaire de sa mort, cette année.
Montaigne l'a dit autrement mais cette chanson garde son empreinte, celle de la condition humaine qui nous est commune " On a tous en nous quelque chose de Tennessee".
© Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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THE MELBOURNE CUP MYSTERY – Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 29/03/2013
- Dans Arthur Upfield
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N°637– Mars 2013.
THE MELBOURNE CUP MYSTERY – Arthur Upfield - Éditions de l'Aube.
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Le festival de course de printemps d'Australie est un événement international en matière de courses de pur-sang. La coupe de Melbourne en est le moment le plus attendu et les courses de chevaux font partie intégrante de la culture australienne. Ce roman connu sous le nom du "Pari fou à la course de Melbourne" met en scène deux amis, Roy Masters et Dick Cusack, qui sont amoureux de la même femme, la belle Diana Ross. Diana est non seulement jeune et jolie, mais elle est aussi l'héritière d'une immense fortune bâtie sur le commerce avec la Chine. Cette dernière, ne voulant choisir entre eux, avoue leur préférer un homme exceptionnel comme un constructeur de ponts ou un homme politique célèbre. Or l'un est éleveur et l'autre commerçant. Elles leur laisse cependant une chance infime : elle épousera celui des deux dont le cheval gagnera la Melbourne Cup. Tout cela est bel et bon, mais si ses deux prétendants sont effectivement propriétaires, ils ne possèdent que des chevaux de fiacre. Pour ne pas paraître ridicules, ils acceptent donc tout en se disant que la solution de leur problème réside peut-être dans le dopage de leurs champions, mais ils ont du mal à accepter cette éventualité. Malheureusement il y a un troisième larron, l'argentin José Alvery, un homme riche et beau qui va concourir pour Diana dans les mêmes conditions que Dick et Roy, sauf que son cheval à lui est un crack ! Pour autant rien n'est sûr et la jeune femme laisse planer un doute quant à son éventuel mariage que son tuteur ne souhaite pourtant pas pour des raison affectives.
Pourtant, ce qui n'est qu'un pari ridicule va prendre des proportions inattendues, le cheval de Roy est victime d'un dopage criminel visant à le détruire et il y a même une tentative nocturne de même nature dans les jours qui suivent. Alvery, quant à lui, semble en savoir beaucoup sur Diana. A mesure que le cheval de Roy s'améliore grâce à son jockey et menace de gagner, les ennuis continuent. Le jour de la Melbourne Cup, les événements se précipitent, des chevaux de Roy et de Dick sont tués et de vielles histoires qu'on croyaient oubliées depuis longtemps refont surface mais aussi des questions d'intérêt et de gros sous où la pègre a, bien entendu, sa place.
Je ne sais pas pourquoi mais le thème du départ, à savoir ce pari dont une femme était, de sa propre volonté, l'enjeu ne m'a pas accroché. Je le trouvais un peu artificiel. D'autre part, la première partie du roman qui tourne autour de l’entraînement des chevaux de courses et des inévitables trafics qui s'ensuivent m'a un peu rebuté. Ce n'est que vers la fin que ce roman prend sa véritable dimension policière et donc aussi son intérêt, même si le happy-end amoureux, toujours un peu convenu, m'a aussi un peu déçu.
Ce roman a été inspiré par la mort, en 1932, de Phar Lap, un des plus célèbres chevaux de course australien, à la suite de l'absorption d'une grande quantité d'arsenic. En 1930, il avait remporté la Melbourne Cup et on tira sur lui sans que la police puisse identifier le coupable. Ce roman date de 1933 et fut écrit pour être publié en feuilleton et ne fut édité en France qu'en 1996, soit trente ans après la mort de son auteur. A cette époque Upfield était employé comme rédacteur au journal "The Herald", à Melbourne et avait déjà commencé à publier quelques romans dont "Les sables de Windee" qui lui avait, un peu malgré lui, apporté la notoriété puisqu'un meurtrier s'était inspiré de cette œuvre policière.
"The Melbourne Cup mystery" est le premier roman d'Arthur Upfield que je lis où Bony, l'emblématique inspecteur Napoléon Bonaparte, n'est pas mis en scène. J'avoue que j'aime mieux l'ambiance du bush, que je ne connais cependant pas, et la personnalité singulière de ce policier. Il reste que l'écriture de Upfield est originale et sa manière de distiller le suspense est unique.
© Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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L'EMPREINTE DU DIABLE – Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 26/03/2013
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N°636– Mars 2013.
L'EMPREINTE DU DIABLE – Arthur Upfield - 10/18.
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Parce que le "Chalet du Panorama" offre le calme d'une belle pension dans l'état du Victoria, l'inspecteur Bony s'y rend pour une courte période de vacances. Est-ce lui qui attire les ennuis, en tout cas on découvre au matin le cadavre en robe de chambre de M. Grumann, un autre pensionnaire. Le même jour, l'officier de police local venu faire les premières constations est assassiné par un homme qui se prétend l'ami de M. Grumann et qui, après son forfait, prend la fuite. Cela fait un peu beaucoup et surtout que ce n'est pas une bonne publicité pour cette petite pension réputée calme et dirigée par Mlle Jade.
En réalité, si Bony est sur place, c'est moins pour prendre des vacances que pour surveiller, et ce pour une fois pour le compte de l'armée, ce M. Grumann qui en réalité est un général allemand, officiellement mort à la fin de la 2° guerre mondiale, et qui détient des secrets militaires. Pour corser le tout, les bagages de ce général ont disparu et celui qui l'a assassiné, Marcus, s'avère être un dangereux trafiquant de drogue international. Bony évoque même à son sujet un auteur de romans policiers local.
A la suite de péripéties, notre limier finit par récupérer ce que détenait l'ex officier allemand sous forme de micro-films. Sa mission officielle est donc terminée. Bony reste cependant un policier et bien qu'il n'en soit pas chargé et qu'il ne soit pas dans sa circonscription, souhaite éclaircir le mystère de la mort de ce général. Dans ce but, il revient au chalet terminer ses "vacances" tant le séjour lui est agréable, à moins que ce ne soit le charme de son hôtesse ! Le battage fait autour de ce double meurtre a attiré d'autres pensionnaires et, avec la collaboration active de Bisker, un homme à tout faire du chalet, il entreprend des recherches qui tournent autour d'empreintes laissées par un homme qui chausse... du 46 et qu'il soupçonne d'être pour quelque chose dans le meurtre de Grumann. Les empreintes laissées sur la pelouse sont attribuées ... au diable, tant elles sont étranges.
Pour autant Bony ne perd pas de vue son idée et son histoire de chaussures devient presque obsédante au point qu'il observe maintenant tous ceux qu'il croise... et la dimension de leurs pieds ! Je ne parle même pas des traces qu'ils laissent sur le sol en se déplaçant puisque ce détail n'échappe pas au demi-aborigène qu'il est aussi. Au cours de ses investigations, il apprend que Clarence Bagshott, l'écrivain local, par ailleurs bien bizarre dans son comportement et dans son histoire, chausse du 46 !
Tout cela finira par s’éclaircir, mais laborieusement quand même et les explications fournies ramène le lecteur à la Seconde Guerre mondiale et ses activités d'espionnage.
Comme toujours, j'ai trouvé ce roman passionnant du début à la fin non seulement à cause du suspense lentement distillé mais je n'ai pas été insensible non plus aux descriptions des paysages..
© Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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CRIME AU SOMMET – Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 25/03/2013
- Dans Arthur Upfield
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N°635– Mars 2013.
CRIME AU SOMMET – Arthur Upfield - 10/18.
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Cinq mois plus tôt, deux randonneuses ont disparu dans les montagnes australiennes du Grampians et le jeune inspecteur Price, parti à leur recherche, a été retrouvé mort, tué par balle. Napoléon Bonaparte, alias Bony, inspecteur de police de son état, va donc mener son enquête mais, pour protéger sa vie se fait passer pour John Parkes un éleveur modeste d'une autre région qui prend des vacances pour la première fois de sa vie. Il descend bien entendu dans l’hôtel de Baden Park, là où les deux jeunes filles ont été vues avant leur disparition.
L’hôtel est à peu près désert à cette période de l'année et Bony y rencontre le patron, Jim Simpson et sa sœur, le père de ces derniers, infirme, alcoolique et un peu malveillant qui parle un peu trop au goût de ses enfants et notamment d'un cadavre qui serait dans le cellier. Le policier y rencontre aussi un perroquet bien bavard et quelque peu irrespectueux. L'esprit toujours en éveil de Bony ne manque pas d'être impressionné par le patron, Jim, et sa curieuse habitude de jouer de l'orgue mais surtout de porter des vêtements élégants, de rouler dans une voiture luxueuse, ce qui est plutôt surprenant dans ce coin perdu. Toujours à l’affût, il sympathise avec le père du patron qui lui parle d'un employé, Ted O'Brien, viré parce qu'il fréquentait d'un peu trop près le cellier, mais seulement après la disparition des deux jeunes filles. Il a été remplacé par Glen Shraron, un américain, accessoirement lanceur de couteaux.
Bony ne manque pas de mener discrètement des investigations dans les alentours de l'établissement mais le vieux Simpson se révèle plus matois et hâbleur qu'il ne l'aurait cru. Le policier remarque cependant qu'il existe des contradictions et même des zones d'ombre dans le rapport d'enquête et ne laisse d'être intrigué par les voisins de l'hôtel mais aussi par Jim qu'il découvre vantard et menteur et par son employé américain. Apparemment tous les deux s'intéressent à lui et notre policier subodore un trafic de moutons, de pierres précieuses et s'interroge sur la raison de cette clôture qui protège la propriété des voisins de l'hôtel. Puis les choses s'accélèrent et Bony doit quitter l'hôtel en catastrophe, prié de déguerpir par le patron lui-même. L'enquête que Bony a entamée ayant ainsi quelque peu été contrariée, il n'est pas homme à se laisser décourager et, pour mener à bien sa mission, il opéra une transformation au terme de laquelle, en se fondant dans la nature, il renouera en quelque sorte avec ses gènes. Il est en effet un métis qui a vécu dans sa jeunesse chez les aborigènes du bush et sait parfaitement maîtriser une telle situation. Il sera secondé par la chance qui lui procurera un allié inattendu, vivra bien des rebondissements et parviendra à reconstituer le cheminement criminel et, bien entendu, par mener à bien sa mission qui est de libérer les deux jeunes filles.
Bony est vaniteux, très conscient de sa supériorité qu'il tient d'un mélange de logique occidentale et de bon-sens aborigène, mais cela ne le rend pas antipathique pour autant. Je note cependant que dans ce roman, il est mis en présence d'un cadavre, ce qui suffit à la déstabiliser durablement. C'est sans doute très étonnant dans le cas d'un inspecteur de police de sa qualité mais, sur le plan de l'écriture, j'ai particulièrement apprécié l'évocation de cette scène autant que la description des paysages grandioses. J'ai goûté ce roman qui se lit facilement grâce au style agréable, au découpage en courts chapitres et à la subtile distillation du suspense. En outre, je ne dirai jamais assez l’importance de la traduction qui, ici offre un texte fluide et un grand confort de lecture. L'intrigue, même si elle évoque à la fin un trésor de guerre et prend donc une dimension internationale, a au moins l'avantage de solliciter l’imagination du lecteur.
Je suis volontiers entrer de plain-pied dans l'univers de cet auteur que je ne connaissais pas. Je ne regrette pas !
© Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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LE MEANDRE DU FOU – Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 22/03/2013
- Dans Arthur Upfield
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N°634– Mars 2013.
LE MEANDRE DU FOU – Arthur Upfield - 10/18.
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Une maison isolée, au centre d'une grande propriété dédiée à l'élevage des ovins, celle de Madden, est construite sur le méandre d'un fleuve maintenant à sec à cette saison. Nous sommes dans la région de Quennsland (Australie). Cette maison est habitée par Bill Lush, le second mari de Mme Madden, ancien ouvrier devenu éleveur par son mariage, par sa femme et par Jill, 19 ans, sa belle-fille.
Un soir où Bill rentre soûl comme à son habitude, un drame se joue dans cette maison et Mme Madden meurt le lendemain des mauvais traitements qui lui ont été infligés par son mari pour une sordide question d'argent. Le lendemain, Bill est introuvable, ce qui inquiète les autorités. L'inspecteur Napoléon Bonaparte, Bonny pour ses amis qui sont nombreux, et qui se préparait à partir en vacances se charge lui-même de cette enquête. John Lucas, le gendarme local sera son adjoint. Il y a peu d'indices, la porte d'entrée, neuve, a été remplacée en catastophe par une plus ancienne puis brûlée, à la demande de sa mère pour éviter le scandale. Jill avait tiré dans sa direction avec sa carabine pour éloigner Bill qui commençait à la défoncer avec une hache et menaçait ses occupantes. De plus, il y a un trou dans le plafond qui correspond au calibre de l'arme de Jill et c'est à peu près tout. Bony envisage toutes les hypothèses depuis le fuite de Lush ou un banal accident jusqu'à son assassinat par Jill qui a d'ailleurs pas mal de raisons pour cela. Au cours de son enquête il apprend à mieux la connaître ce qui tranche avec son impression première.
D'autre part, ses investigations lui apprennent que Lush était un sale type que beaucoup aimeraient voir mort, ce qui multiplie les suspects. Il n'en manque pas parmi tous ceux, trimardeurs ou gens du coin, tous avec un casier judiciaire plus ou moins chargé, qui, le soir de la disparition de Bill, étaient dans le coin. Malheureusement pour lui, le mobile lui échappe et semble même inexistant. Bony s'installe donc dans cette maison dans l'attente éventuelle venue de Bill qu'il veut arrêter pour le meurtre de sa femme puis dans celle des voisins, les Cosgrove. Dehors la crue du fleuve menace et la pluie s'est mise à tomber. Tout cela va faire disparaître les rares traces qui subsistent encore. Le temps presse donc d'autant que le lit du fleuve, maintenant plein d'eau, entrave son enquête. Elle prend un tour nouveau par la découverte du corps de Bill atteint d'un balle mortelle mais qui cependant pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses.
Décidément, je le trouve bien ce Bony ! C'est une sorte d'Hercule Poirot qui prend son temps pour démêler le nœud gordien d'une enquête compliquée, fait bon marché de la procédure et des règlements, méprise la hiérarchie. Bref, c'est un enquêter un peu atypique, qui agit à son rythme et selon ses méthodes, accepte de se remettre en question et combat autant les évidences que ses inclinations naturelles. Il est têtu, tenace et même, à l'occasion un peu joueur. Ici le lecteur sent qu'il aime bien Jill et qu'il la soupçonne fortement d'être la meurtrière de son beau-père. L'important est que tout cela débouche sur une réponse satisfaisante. Malheureusement ici, son allié traditionnel qu'est le temps lui fait faux bon et il n'aura pas trop de son talent, de sa capacité de déduction et surtout de son indéfectible chance pour conclure.
©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA MAISON MALEFIQUE - Arthur Upfield
- Par ervian
- Le 16/03/2013
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N°633– Mars 2013.
LA MAISON MALEFIQUE - Arthur Upfield - 10/18.
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.
Étrange affaire dont le titre rappelle un peu un "Agatha Christie" pour le non-moins étrange inspecteur Napoléon Bonaparte, Bony pour les amis, qui s'est volontairement chargé de cette enquête. De quoi s'agit-il donc ? On a retrouvé, flottant sur l'étendue d'eau qui entoure la magnifique maison des Answerth, le cadavre étranglé de la mère, 69 ans, seconde épouse de Jacob Answerth qui s'est lui-même suicidé d'une balle dans la tête, il y a quelques années alors que sa situation financière était prospère et qu'il n'avait aucune raison particulière pour cela. Ce n'est pas la première mort suspecte constatée dans le coin puisque un boucher du nom de Ed Carlow a subi le même sort quelques mois auparavant et il y aura même, durant l'enquête, une tentative avortée suivie d'un autre meurtre.
Dans la maison-île vivent les trois héritiers de cette famille : Mary, 44 ans, la terreur de la maison, aussi hommasse et violente que Janet, sa sœur de 41 ans est douce et artiste, et Morice, 27 ans, leur demi-frère, attardé mental mais athlétique et demeuré en enfance. Avec eux vivent deux employés, le cuisinier et ancien chef des gardiens de troupeaux, Albert Blaze et Mrs Leeper, également cuisinière et dédiée à la bonne tenue de cette grande maison. Elle a cependant a été infirmière en chef dans un hôpital psychiatrique et rêve d'ouvrir son propre établissement.
Il reste donc à notre fin limier, venu tout exprès de Brisbane (Australie), à enquêter et découvrir l'origine de la fortune, semble-t-il douteuse de Ed Carlow qui aurait peut-être un rapport avec le meurtre de Mrs Answerth d'autant que cette famille s'est enrichie pendant des générations en massacrant les aborigènes, spoliant les gens et détruisant la nature. Il y sera aidé par ses origines puisqu'il est un métis australien, élevé dans une tribu du bush qu'il connaît bien et qu'il partage avec ces peuplades l'amour de la nature. Il témoigne d'une bonne dose de pragmatisme, use de psychologie, de patience, de méthode, met en œuvre des idées originales qui, à ses yeux, justifient un meurtre et recherche inlassablement dans le passé, dans les secrets de famille, ce qui peut l'expliquer. Il a décidément beaucoup de flair et cela ne s'applique pas uniquement à sa capacité de déduction et à son sens des réalités.
Il se moque de la hiérarchie, de la bureaucratie et de la "politique du résultat", assemble patiemment tous les morceaux du puzzle, remettant sans cesse en question les évidences et les apparences. Il obtient souvent des renseignements là où d'autres échouent. Il en conçoit même une certaine suffisance, ce qui ne le rend pas antipathique pour autant.
Reste cette "Maison Maléfique" où règne une atmosphère étrange. Elle tire son surnom du malheur qui s'accroche à elle et à ses habitants ou peut-être à cause de "l'os pointé" par les aborigènes sur ceux qui les ont exterminés, une sorte de malédiction dont l'eau qui entoure ce manoir n'est que la marque visible...
J'ai trouvé ce roman passionnant du début à la fin, le suspense y étant lentement distillé au rythme des investigations de cet inspecteur décidément attachant.
J'avoue que je ne connaissais pas Arthur Upfield [1888-1964], reconnu comme le père du polar ethnologique et qui est un auteur prolifique puisqu'il a publié 33 romans. J'ai apprécié l'ambiance de ce roman, la manière tout en nuances de procéder de Bony autant que le dépaysement né des évocations poétiques de ces paysages. Cet ouvrage est pour moi l’invitation à explorer davantage l'univers de cet auteur.
©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE TEMPS DE GRÂCE- Maria Judite de Carvalho
- Par ervian
- Le 02/03/2013
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N°632– Mars 2013.
LE TEMPS DE GRÂCE- Maria Judite de Carvalho - Éditons de la Différence.
Traduit du portugais par Simone Biberfeld.
Mateus Silva revient 25 ans après dans la maison de son enfance, au bord de la mer, dans le but de la vendre puisqu'il a besoin d'argent. Cet argent, ce n'est pas pour lui qui vit de peu comme un simple employé de bureau qu'il est, mais pour sa compagne, Alberta, gravement malade et qui va mourir. Elle a toute sa vie voulu voir l'Acropole et souhaiterait réaliser ce vœux. La vente de la maison de son compagnon est uniquement destinée à cela. Mateus, quant à lui, ne met aucun regret dans cette transaction, c'est plutôt pour lui une occasion de tourner la page de son enfance et sans cette circonstance il ne l’aurait probablement pas fait. Pourtant, sans le savoir, il va réveiller des fantômes.
Il va donc rencontrer José Osorio, l'ancien voisin de ses parents, propriétaire d'une petite usine et d'immeubles de rapport, qui s'est porté acquéreur de la bâtisse. Il est aussi le père de Jorge qu'on appelait amicalement Ginho, l'ami d'enfance de Mateus, son complice de jeux. Il est maintenant médecin à Lisbonne et va faire un riche mariage qui fera de lui un notable, exactement le contraire de Mateus. Ses parents sont évidemment fiers de lui, beaucoup plus que de leur fille, Natalia née bien après et qui ne survit que grâce aux subsides de ses parents.
Mateus retrouve aussi Mercês, la mère de Ginho et donc l'épouse de José. Cette femme l'a fait rêver quand elle était jeune tant elle était belle. Elle n'a pas fait rêver que lui d'ailleurs, son père a été son amant ce qui a provoqué la séparation des parents de Mateus, la fuite de ce père inconstant et sa mort à l'étranger quelques années plus tard. Sa mère s'est installée comme modiste et survécu péniblement à Lisbonne avec son fils. Puisque ses deux parents sont morts maintenant depuis longtemps et qu'il ne viendra jamais habiter ici, Mateus se sent capable de vendre cette maison et aussi peut-être de se débarrasser de ses mauvais souvenirs.
De cette foucade de son épouse, José n'a peut-être rien su ou a fait semblant de ne rien voir. Pour éviter le scandale ou parce qu'un divorce nuit aux affaires, il a gardé cette femme, la mère de ses enfants, malgré ses autres aventures amoureuses. Autrement dit, il a préféré le cocuage à la solitude mais elle a considéré que sa beauté méritait bien l'hommage de bien d'autres hommes. Leur vie s'est organisée ainsi, dans le mensonge et l'hypocrisie et l'entrevue qu'ils ont avec Mateus à propos de cette transaction est emprunte de ces mêmes non-dits.
Maintenant le temps a passé, la maison de famille est bien délabrée à force d'avoir été fermée pendant si longtemps et José sent qu'il fera une bonne affaire en l'achetant. Il sait qu'elle est bradée et songe même à la démolir. Ginho ne sera jamais plus le complice de Mateus et ils n'auraient sans doute plus rien à se dire s'ils se rencontraient, quant à Mercês, elle a vieilli et sa légendaire beauté s'est fanée.
Mateus n'est pas heureux dans sa vie, ni dans son bureau de Lisbonne où il n'est qu'un banal employé sans envergure, ni à la maison avec Alberta dont il s’accommode de la présence faute de pouvoir faire autrement. Il ne l’aime guère mais veut lui faire l'ultime cadeau de ce voyage dont elle a toujours rêvé. Il sait cependant qu'elle n'en aura pas le temps. Il se console en se disant que bientôt, quand sa compagne sera morte, il sera seul et c'est sans doute ce qu'il attend parce que, malgré les circonstances, il ne conçoit pas sa vie différemment. Libre et adulte enfin, il sera probablement heureux mais il y a fort à parier que la vie qui l'attend ne sera pas vraiment différente de celle qu'il mène actuellement. Puis viendra son tour d'entrer dans la mort, parce que la condition humaine est ainsi faite et que nous sommes tous mortels. Quant à l’isolement connaissent les différents personnages de ce roman et malgré toutes les formes qu'il peut prendre dans chacune de leur vie, Maria Judite de Carvalho semble nous dire qu'il est inné et baigné par l’égoïsme. Doit-on y voir une apologie de la solitude ? Peut-être. Mateus vit avec une femme qu'il n'aime plus, parce qu'"amour" ne rime pas avec "toujours" et que tout s'use. Nous ne savons rien d'elle mais elle aussi a pu exercer son libre-arbitre dans le passé. Il ne l'a probablement jamais aimée mais a tenté avec elle une liaison pour faire semblant de vivre... En vain et il n'attend que sa mort pour être enfin lui-même même si ce n'est pas vraiment différent d'avant. Mercês ne vit maintenant plus que dans le souvenir de ses foucades amoureuses passées, Ginho est lointain, plus passionné par son métier que par sa mère qui a trahi son mari et ses enfants et Natalia est complètement désorientée. José n'est plus maintenant intéressé que par l'argent. Il est un fait que, dans cette vie, si on ne veut pas être trahi, mieux vaut vivre seul !
Je suis entré dans ce récit non seulement peut-être parce qu'il m'a semblé qu'il incarnait l'âme lusitanienne, cette sorte de saudade si caractéristique mais aussi, et peut-être surtout parce qu'il est le reflet de bien des vies. Le livre refermé, il me reste une sorte de mélancolie que je ne refuse pas pour moi-même et que j'aime tant retrouver chez Fernando Pessoa dont cette chronique s’est souvent fait l'écho.
Je ne connaissais pas Maria Judite de Carvalho [1921-1998] avant d'avoir lu ce bref roman. Le style n'est guère orignal et l'écriture est plutôt minimaliste mais pas désagréable à lire. Quant au sujet traité, il est existentiel et même un peu angoissant, mais finalement est le reflet de la vie.
©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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MADRID, CETTE ANNEE-LA- Daniel Chavarría
- Par ervian
- Le 28/02/2013
- Dans Daniel Chavarría
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N°631– Février 2013.
MADRID, CETTE ANNEE-LA- Daniel Chavarría.
Traduit de l'espagnol par Hélène Gisbert.
Nous avons tous dans notre mémoire des souvenirs qui y sommeillent ou qui y macèrent suivant qu'ils sont bons ou mauvais. Même pour nous, il n'est pas aisé d'y mettre des mots, de les exprimer pour les exorciser, les apaiser et ainsi de nous en libérer, pour qu'ils aillent rejoindre la cohorte des choses qui font notre expérience de cette vie. Cela peut prendre la forme d'un simple aveu intime ou d'une confession publique mais l'émotion est toujours là puisqu'une telle démarche, quelle que forme qu'elle prenne n'est jamais anodine.
La lecture de la quatrième de couverture nous apprend que ce récit est une histoire vraie que Chavarría choisit de faire partager à son lecteur sous la forme d'une fiction avec toutes les modifications que cela implique. Après presque quarante années de silence, il exhume une vision que, même marié et père de famille, il n'est jamais parvenu à oublier. C'était en 1953, il n'était pas très riche, avait alors dix neuf ans, l'âge de tous les possibles, et il avait résolu de quitter sa famille en Uruguay pour aller vivre en Europe et y apprendre l'art, le théâtre... Il s'embarqua donc sur un transatlantique où il rencontra une femme, Gaby, dont il tomba instantanément amoureux. Elle était tellement belle que cette vision tint pour lui de l'apparition Malheureusement, même si elle voyageait seule, elle était mariée et heureuse en amour. Pour corser le tout, lui, bien que précoce à bien des égards, était naturellement timide. Il se dit qu'un bateau qui effectue ainsi une aussi longue traversée est un microcosme où tout est possible, mais la passade qu'il espérait ne se réalise pas. Accostant en Espagne, il improvise pour palier son manque d'argent, se fait guide au musée du Prado, mais cette femme qu'il suit toujours autant par admiration que dans le fol espoir de partager son lit se révèle enceinte, mais pas de son mari. Pour autant, touché par cette histoire, il décide de l'aider mais elle se résout à rejoindre Kurt, le père de son enfant, en Allemagne. Devant un tel revirement de situation, Daniel choisit le voyage pour se guérir de cette femme mais finit par rencontrer Kurt et prend conscience que Gaby n'est rien d'autre qu'une manipulatrice capable des plus horribles mensonges. Du coup, l'image idyllique du début en prend un sérieux coup.
J'ai entamé la lecture de ce livre à cause de la vie de Daniel Chavarría (né en 1933 en Uruguay) qui est un véritable roman. Effet, avant de devenir écrivain et professeur de littérature classique à l'université de La Havanne, il a fait beaucoup de métiers et même vécu des expériences uniques qui l'ont profondément marqué. Pour autant, j'ai été déçu par ce roman qui se veut le compte-rendu de cette "aventure", peut-être à cause du style sans recherche, des revirements un peu trop invraisemblables ou peut-être de cette histoire qui promettait d'être passionnante au début et qui, pour moi, s'est révélée décevante. Qu'il ait voulu faire de cette tranche de vie un roman ne me gêne pas, mais le résultat m'a paru peu probant.
Ce que je retiens cependant, c'est que cette amour impossible entre Gaby et Daniel se transforme, avec le temps et les cheveux blancs en une amitié durable. Même si je ne suis pas entré dans cette histoire, je retiens que la création littéraire est une force qui transforme et apaise, que les mots sont un extraordinaire baume.
©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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Quelques mots sur Michael Edwards
- Par ervian
- Le 24/02/2013
- Dans Michael Edwards.
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N°629– Février 2013.
Quelques mots sur Michael Edwards.
Entre les frasques franco-russes de Gérard Depardieu, les velléités politico-promotionnelles de Ségolène Royal, la viande de cheval qui devient du bœuf et l’hypothétique redressement de nos finances publiques, un fait important est sûrement passé inaperçu : c'est l'élection à L’Académie française de Michael Edwards.
Ce n'est pas la première fois que notre académie ouvre ses portes à un écrivain étranger d'expression française. Elle avait déjà honoré d'une élection Marguerite Yourcenar en 1980. Cette année, Michael Edwards, né en 1938 près de Londres est en effet citoyen britannique mais bénéficie de la double nationalité. Docteur de l'université de Cambridge, il est l’auteur de plusieurs essais sur Shakespeare. Marié à une française, il enseigne dans de prestigieux établissements tels que notamment le Collège de France et l’École Normale supérieure de la rue l'Ulm. Il a choisi de décliner une grande partie de son œuvre littéraire dans notre langue.
Après une thèse sur Racine, dans les années 60, il enseigne la littérature française à l'université de Warwick et se lie avec des poètes anglais et français, ce qui lui permet d'avoir une vision personnelle sur ces deux expressions poétiques.
Le 21 février dernier, il a été élu au fauteuil de Jean Dutour (fauteuil 31). C'était la troisième fois qu'il se présentait.
Il est également poète et critique littéraire, témoin d'exception de la culture anglaise et française, à la fois spécialiste de Shakespeare, de T.S Eliot mais aussi de Baudelaire, de Racine ou d'Yves Bonnefoy.
Il a cette extraordinaire faculté de s'émerveiller de l'instant et du lieu, même les plus anodins, comme savent le faire les poètes face au spectacle du monde, en exacte opposition avec la vision traditionnelle du l'habitant de "la tour d'ivoire", enfermé dans ses pensées et dans son monde intérieur. Il jette sur le spectacle de la vie un regard à la fois neuf et étonné, aussi attentif à la vision des beautés de Paris qu'à la moindre des choses du quotidien. Dans une société où tout va trop vite et surtout de travers, où les choses s'apprécient de plus en plus à l'aune de leur valeur commerciale et financière, c'est plutôt rassurant de l'entendre parler de culture et de littérature.
"La vie est un rêve dont il faut sans cesse se réveiller" rappelle-t-il, une invitation à le suivre dans l'enchantement permanent qui est le sien, dans sa démarche de l'observation des choses. Il le dit aussi simplement que cela en évoquant"Le bonheur d'être ici".
Écrivain à la fois de langue française et anglaise, il n'en est pas pour autant un traducteur puisqu' aussi bien, lorsque, ayant écrit un poème en anglais, la version française qu'il en donne est non pas une traduction mais une véritable création nouvelle.
Bien entendu, cette chronique restera passionnément attentive à l’œuvre de Michael Edwards.
©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE LIVRE DE L'INTRANQUILLITE – Fernando Pessoa
- Par ervian
- Le 21/02/2013
- Dans Fernando PESSOA
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N°624– Février 2013.
LE LIVRE DE L'INTRANQUILLITE – Fernando Pessoa - Christian Bourgois Editeur
Il s'agit d'une œuvre posthume de l'écrivain portugais Fernando Pessoa [1888-1935], attribuée par lui-même à Bernardo Soares un « semi-hétéronyme », c'est à dire un des nombreux doubles de l'auteur qui incarnent autant de facettes de sa personnalité. Pessoa n'a en effet presque jamais signé ses œuvres de son vrai nom mais il est cependant reconnu comme un des plus grands écrivains portugais alors même que son nom signifie « personne ».
C'est un recueil de réflexions, de pensées, de poèmes en prose écrits de 1913 à 1935, de manière anarchique, sur des feuilles éparses, suivant son habitude et enfouies dans une malle. Il est considéré comme le chef-d’œuvre de son auteur. Il met en scène Bernardo Soares qui est un modeste employé de bureau dans un magasin de tissus, sans la moindre ambition et qui fait ce qu'il peut pour ne pas se faire remarquer. Il n'a ni famille ni attache, vit petitement et se fonde humblement dans le décor de son quotidien. C'est une véritable« Autobiographie sans événements ». Comme Pessoa, il a mal à sa vie, la refuse ou fait au moins ce qu'il peut pour ne pas s'adapter. L'écriture étant une formidable manière de s'en évader, il en fait une chronique ce qui donne un texte à la fois lucide et désespéré. Pourtant il note avec un certain paradoxe « J'ai toujours évité, avec horreur, d'être compris ».
Bernardo Soares est sans doute le personnage qui se rapproche le plus de Pessoa parmi ses nombreux « doubles » puisque la vie de l'auteur se résume à presque rien. Il est, quant à lui, un poète introverti, anxieux et discret, écrivant à la fois en portugais et en anglais, qui a passé la presque totalité de sa vie à Lisbonne comme rédacteur et traducteur chez différents transitaires maritimes. Pourtant d'autres hétéronymes de Pessoa tels Alberto Careiro, le sage-païen, son exact contraire, Ricardo Reis, un épicurien stoïcien et le sensationiste et moderniste Alvaro de Campo se différencient largement de lui. Masques ou miroirs, la question mérite d'être posée puisque Pessoa vit en fait une autre existence qui lui convient mieux. C'est à la fois un rêveur et un idéaliste
Le mot lui-même d' « intranquillité » qui pourrait être assimilé à l'inquiétude ou plus précisément à la difficulté d'être, est un néologisme, même s'il a été auparavant employé par le poète Henri Michaux.
Il s'agit ici de textes qui dénoncent le désenchantement du monde et une affirmation que la vie n'est rien sans l'art qui ainsi lui donne un sens. J'y ai lu une profonde tristesse, une sensation aiguë de solitude qu'il combat grâce au sommeil, à l'idée du voyage, mais d'un voyage immobile, au rêve ["Je ne suis pas seulement un rêveur, je suis exclusivement une rêveur"] et aussi à l'alcool, une impression de temps suspendu tant sa vie est banale et sans relief, comme lui- même [ "C'est une saoulerie de n'être rien et la volonté est un seau qu'on a renversé au passage dans la cour, d'un geste indolent du pied"].tant son quotidien qui se résume à la fenêtre de sa chambre, à ce bureau de la rue des Douradores, à ce quartier et à cette ville, est monotone, banal, sans relief.
C'est aussi un journal intime au quotidien, avec de nombreuses réminiscences d'enfance, tenu tout au long de sa vie où l'auteur analyse les nombreuses facettes de cet « hétéronyme », cette « prolifération de soi-même » qui existe en chacun de nous. Cela donne, sous la forme de pensées décousues mais dans une prose somptueuse et poétique, une analyse de l'existence quotidienne au bureau, douloureuse et parfois étonnamment douce. Cette somme de réflexions, de remarques, de prise de conscience de soi-même et parfois d'élans lyriques est presque une biographie de Pessoa écrite par Soares. Pourtant on peut aussi le considérer comme un récit, mais qui aurait la particularité d'être impossible à raconter ! De cette relation du quotidien sourd un ennui, la saudade, tout à fait caractéristique de l'âme lusitanienne. De plus, dans cet ouvrage, Pessoa entretient avec la ville de Lisbonne une relation toute particulière un peu comme le fait James Joyce avec Dublin.
Certains commentateurs ont parlé à propos de cet ouvrage de "littérature de limbes". J'ai vraiment eu l'impression que Pessoa a vécu sa vie comme un calvaire et anticipe son entrée dans le néant dans pour autant le craindre. Pour lui, il me semble que la vie elle-même était un lieu de souffrance où elle s’apparentait à une mort lente. Les limbes sont un espace assez confus et flou qui nous est proposé par les catholiques. Ils se situent après la mort, aux marges de l'enfer pour des âmes qui en seront libérées pour finalement entrer au Paradis, une sorte de purgatoire en quelque sorte. C'est aussi un endroit où séjournent les enfants non baptisés qui ne peuvent accéder au Paradis mais ne méritent pas pour autant l'enfer. C'est là un débat théologique qui devait échapper à Pessoa. L'auteur, conscient de lui-même n'est ni vraiment vivant ni complètement mort, juste de passage ici-bas, mais semble indifférent à son existence, à sa promotion professionnelle en se concentrant sur ses propres aspirations dont il est une sorte de contemplatif ironique. Il sait ce qu'il souhaiterait en ce monde pour lui-même mais, dans le même temps, à conscience qu'il ne parviendra pas à l'obtenir. Ce narcissisme enfante une certaine jouissance intime d'explorer son propre labyrinthe, d'analyser les arcanes de son "Moi", tout en ayant une parfaite conscience de soi et d'être l'illustration consciente de la parole de Rimbaud "Je est un autre". Paradoxalement peut-être, dans ce processus, l’humilité le dispute à la désespérance et Pessoa-Soares choisit une vie grise et sans relief. Il y a aussi de la lucidité dans tout cela et s'il choisit la solitude, le célibat, comme une sorte de sacerdoce, c'est pour mieux y développer sa réflexion sur le monde tout en en restant en retrait. C'est quand même l'ouvrage d'un philosophe, d'un penseur mais aussi et surtout d'un érudit.
A la lecture de ce texte, j'ai l'impression qu'il y a aussi du regret dans ces lignes ["Je gis ma vie"], une extrême conscience de l'échec [« Je suis l'enfant douloureux malmené par la vie »] au point de confier au papier puis à sa malle, autant dire au néant, toutes les réflexions que lui inspire ce quotidien sans joie ["Et je contemple avec dégoût, à travers les grilles qui masquent les fenêtres de l'arrière-boutique, les ordures de tout un chacun qui s'entassent, sous la pluie, dans cette cour minable qu'est ma vie"]. Pourtant il y révèle un curieux rapport à l'écriture qui n'est pas dénué d'un sens de l'esthétisme ["J'écris parce que c'est là le but ultime, le raffinement suprême, le raffinement viscéralement illogique de mon art de cultiver les états d'âme"]. Manifestement, il compense ce manque avec le rêve et l'imaginaire.
Il est vrai que l'analyse de cette œuvre de Pessoa ne peut se faire valablement dans ce court article.
©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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FABRIQUÉ A NIORT - MÉMOIRES OUVRIÈRES (W2).
- Par ervian
- Le 18/02/2013
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N°628– Février 2013.
FABRIQUÉ A NIORT - MÉMOIRES OUVRIÈRES (W2).
Spectacle du vendredi 15 février 2013 par la Compagnie des Hommes.
Je ne suis niortais que d'adoption, je n'ai donc aucune racine ici et pas non plus de famille. J'y suis venu un peu par hasard parce que le travail m'y a amené, il y a bien longtemps et j'y suis resté au mépris d'une promotion qui m'en eût éloigné, pour la qualité de vie notamment... et je ne le regrette pas.
Il y a cependant ici une chose qui m'a frappé et même un peu désolé, c'est l'oubli du passé ouvrier de cette ville. Avant d'y poser mes valises, son nom était pour moi associé à l'angélique et aussi à celui de grandes entreprises qui dépassaient largement le cadre local, c'était Brivin, Marot, Rougier, la chamoiserie... Il y avait, certes, et ce depuis la Libération, les mutuelles d'assurance et, plus tard le secteur bancaire qui s'y étaient développé ce qui permettait à Niort non seulement de limiter la pollution inhérente à la production industrielle mais aussi de générer un niveau de vie et un environnement exceptionnels dont évidemment personne ne se plaignait. On en parlait alors comme d'une "planète", comme "d'une ville à la campagne", c'est à dire comme d'un endroit un particulier, un lieu unique... mais, quand on n'était pas de la région, il était difficile de la situer sur la carte de France.
Niort est donc devenue une ville de "cols blancs" sauf qu'il n'y a finalement pas très longtemps, il y a eu ici un contexte industriel bien implanté mais qu'on s'est dépêché d'oublier, de laisser se dégrader jusqu'à la disparition, sans que la gouvernance locale, pourtant d’obédience socialiste, s'en soit beaucoup ému. Il est vrai que, du point de vue politique, le secteur tertiaire génère moins de mouvements sociaux que le secteur industriel et les heurts sont moins violents. Cette ville s'est donc progressivement enfoncée dans une torpeur qui lui a fait perdre, sans qu'on en parle vraiment, les Transports Brivin, les usines Rougier et différents ateliers de confections et il a fallu, il y a quelques années, la fermeture de la Camif et la dimension médiatique qu'on y a donné pour qu'on prenne conscience véritablement que Niort est une ville comme les autres et que les licenciements et le chômage y existent aussi.
On a du mal actuellement à s'imaginer que cette ville, au XIX° et dans la première moitié du XX° siècle a été industrielle. Il existait ici une forte implantation d'ateliers d'imprimeurs; on y produisait des voitures automobiles, des cycles, des chaussures, des trieurs pour l'agriculture, on y transformait le bois et, bien entendu, et ce depuis longtemps, la chamoiserie faisait vivre toute une population d'ouvriers et de gantières... Pour autant, quand on fait des recherches sur ce thème, on a beaucoup de mal à trouver, même au musée ou dans les bibliothèques, des traces de ce passé laborieux. C'est étonnant car, si on veut bien s'en souvenir, nos parents ou nos grands-parents ont bien souvent été ouvriers ou paysans même dans cette ville ou le secteur tertiaire est désormais roi.
Il était donc urgent de remettre à l'honneur la mémoire ouvrière. Elle nous a été restituée à travers le témoignage de travailleurs maintenant à la retraite qui sont venus nous parler de leur métier, qui nous ont dit combien le travail manuel apportait une valeur ajoutée à la matière, que, grâce à lui, elle devient un objet, un élément qui s'intègre dans un produit destiné à faciliter la vie de l'homme. Ils nous ont montré leurs outils, nous ont parlé de l'amour qu'ils portaient à leurs fonctions, nous ont raconté leur histoire individuelle, leur parcours, la nécessité, parfois, de s'adapter à un nouveau métier ou d'affronter le chômage. Ils n'ont pas manqué de mentionner la nécessité de gagner son pain, la dureté de leur labeur, les relations difficiles avec la hiérarchie et les inévitables "petits chefs", les conflits sociaux, les cadences et le rendement... Mais j'ai aussi entendu le message de cette femme qui a évoqué ses parents travaillant aux usines Rougier. Elle nous a parlé de son père pour qui son métier à l'usine "était toute sa vie" et pour qui la retraite avec son inactivité a été fatale. Elle a évoqué Roger Rougier, cet emblématique patron niortais que ses ouvriers appelaient presque amicalement "Monsieur Roger". Il les connaissait tous individuellement et les respectait parce que, bien souvent, ils avaient été à l'école ensemble. Il savait qu'il leur devait la richesse de son entreprise et avait à cœur de les récompenser. A sa mort, ils lui ont rendu un hommage digne et émouvant. C'est vrai que "les trente glorieuses" ont correspondu à une période de plein emploi, que le patronat a toujours été tenté par la paternalisme mais, à travers ce témoignage, il m'a semblé qu'à l'époque on respectait encore l'ouvrier en tant que personne humaine quand, actuellement, la déshumanisation et le mépris sont la règle et qu'on n'hésite plus, au nom de le rentabilité, à licencier, à précipiter au chômage, dans la précarité et parfois même dans la rue des hommes et des femmes qui ne demanderaient qu'à travailler et à vivre normalement.
Ce qui m'a frappé c'est que cette parole ainsi redonnée à des gens qu'on entend jamais en dehors des revendications salariales ou des grèves a été spontanée, authentique. Certes, il y a eu une mise en scène minimale pour les besoins de ce qui était malgré tout un spectacle et qu'il fallait bien organiser, mais rien n'était vraiment récité. Ces gens n'ont pas délivré leur message comme l'auraient fait des comédiens professionnels et c'est ce qui m'a plu.
©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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CELINE – Henri Godard
- Par ervian
- Le 14/02/2013
- Dans Louis-Ferdinand CELINE –
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N°598– Novembre 2012.
CELINE – Henri Godard- Gallimard.
Louis-Ferdinand Céline [1894-1961] est parmi les hommes de lettres quelqu'un qui, cinquante ans après sa mort, fait encore parler de lui. De son vivant déjà, il avait, par ses écrits et par ses prises de positions politiques, déchaîné les passions.
Grâce à cette biographie fort richement documentée, le lecteur suit le parcours quelque peu hors du commun de Ferdinand Destouches depuis sa naissance à Courbevoie jusqu'au passage Choiseul où sa mère tient une boutique de mode. Il quitte l'école après le certificat d'études, devient apprenti puis s'engage dans l'armée à la veille de la guerre. Promu maréchal des Logis et grièvement blessé,il est décoré par Joffre. Cette blessure fait de lui la figure emblématique du héros combattant. Il est réformé, part travailler en Angleterre au consulat de France puis en Afrique. Rentré en France en 1917, il participe en Bretagne à une campagne de prévention contre la tuberculose qui réveille en lui la vocation de médecin. Il passe son baccalauréat puis fait ses études de médecine[sa thèse consacrée à « la vie est l’œuvre de Philippe-Ignace Sommelweis » est considérée comme sa première œuvre littéraire] qui le conduisent à la SDN comme médecin hygiéniste. Il exerce ensuite comme médecin de dispensaire à Bezons dans la région parisienne mais continue d'être romancier et voyage beaucoup. A partir des années 1930, Céline devient violemment antisémite et publie des pamphlets en ce sens, ce qui le conduira à épouser la cause allemande pendant la guerre. A la Libération il prendra le chemin de l'exil, suivant le gouvernement de Vichy, à Sigmaringen d'abord puis au Danemark où il est emprisonné. Il est ensuite condamné puis amnistié par les tribunaux français [ce qui était reproché à Céline était moins des actes que des opinions, certes tranchées et parfois violemment exprimées, mais toutes à l'image du personnage] et s’installe à Meudon comme médecin mais surtout comme un véritable ermite, tout en continuant à écrire et à publier ce qui restera toute sa vie sa raison d'être. Il y mourra en 1961.
Son œuvre est indissociable de sa vie, de son parcours et de ses opinions politiques. Du point de vue strictement littéraire, il a indubitablement incarné une révolution, renouvelant le style romanesque traditionnel, y instillant des sonorités et des rythmes empruntés au langage parlé et à l'argot. Il doit sans doute cet aspect de son écriture à sa grand-mère maternelle à qui il rendra hommage en faisant de son prénom son nom de plume. Ses phrases semées de ponctuations exclamatives et suspensives cherchent à provoquer l'émotion et la réaction... et y parviennent. Son œuvre est un cri pessimiste poussé face à la nature humaine qu'il exècre et même si parfois il y mêle de l'humour et de la tendresse, il reste marqué par un désespoir définitif et une volonté de choquer. Il reste un pamphlétaire, un polémiste, un marginal, un homme révolté, ambigu, contradictoire parfois, paranoïaque même, un homme écorché-vif, outrancier voire injurieux et parfois ordurier dans ses propos, un auteur qui se définit lui-même comme « paradoxale, burlesque, effervescent ». Il ne laissera jamais indifférent !
Dans « Voyage au bout de la nuit », roman pour lequel il est probablement le plus connu, il narre, à travers le personnage de Ferdinand Bardamu, son expérience de la Première Guerre mondiale et développe des thèmes qu’il reprendra plus tard dans son œuvre. Ce livre manquera de peu le prix Goncourt mais obtiendra le Renaudot en 1932. D'autres romans soulèveront réactions et passions tout au long de sa vie et feront de lui à la fois un tabou et un écrivain d'exception.
Si Céline est à l'évidence un grand auteur et un poète, il reste marqué du point de vue politique par un antisémitisme incontestable hérité à la fois de son père et de son époque et il se servira de sa notoriété pour affirmer cette opposition avec détermination et violence. Il ira même jusqu'à tenir des propos ignobles et des condamnations tonitruantes. Cette phobie du juif tourne carrément à la folie puisqu'il étend cette judéité à tous ceux qu'il n'aime pas … Et ils sont nombreux ! Avec Robert Brasillach et Pierre Drieu La Rochelle qui eux ont connu un sort différent, il a été parmi les écrivains maudits de la Libération. Condamné, il a cependant été amnistié et a ainsi pu rentrer en France. Il reste quand même un personnage controversé et par bien des côtés contradictoire. Son parcours a été un long chemin et un long combat. Ce que j'ai trouvé personnellement le plus émouvant, ce sont les derniers chapitres consacrés à sa fin de vie, à la fois pitoyable et définitivement solitaire même si, à cette période, il a semblé sortir d'un long purgatoire.
L'auteur de cette biographie passionnante du début à la fin nous le présente sous ses différentes facettes, comme un adepte de la pornographie, ce qui n'est pas essentiel, comme l’auteur de ballets qui met la danse au centre de sa vie, un amoureux des animaux, de son chat Bébert, compagnon d'infortune au Danemark puis de ses chiens à Meudon, et, ce qui est sans doute pour le plus inattendu, comme un séducteur qui ne pouvait se passer des femmes !
L'auteur Henri Godard, professeur de littérature à la Sorbonne et spécialiste de l’œuvre célinienne est également, dans la bibliothèque de la Pléiade, l'éditeur de Céline. Ce livre est l'occasion de faire connaissance de cet écrivain majeur du XX° siècle et de lire ou de relire ses nombreux romans.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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22O VOLTS – Joseph Incardona
- Par ervian
- Le 14/02/2013
- Dans Joseph Incardona
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N°588– Juillet 2012.
22O VOLTS – Joseph Incardona – Fayard Noir.
Le roman policier, le polar comme on dit avec une certaine condescendance ou même un certain mépris, qu'on lit de préférence sur une plage ensoleillée, passe volontiers pour de la sous-littérature. Je ne partage pas cette analyse puisque, mon improbable lecteur peut en attester, cette feuille consacre volontiers nombre de chroniques à ce genre littéraire. J'ai peut-être eu de la chance mais celui-ci m'a surpris. Si on en juge par la 4° de couverture comme par le nom de la collection (Fayard Noir), on peut le ranger dans cette catégorie. L'auteur met en scène Ramon Hill, la quarantaine satisfaite, qui après des années de vaches maigres, est maintenant un auteur à succès. Il en a d’ailleurs tous les signes extérieurs et connaît maintenant un bonheur sans ombre : belle maison, grosse voiture, éditeur attentif à tout ce qu'il écrit, agent littéraire, argent facile, beaux enfants, et surtout une femme qu'il aime à la folie et dont il ne peut pas se passer...
Ce roman s'ouvre sur une période de sécheresse toujours redoutée par l'écrivain. Ramon peine à terminer son dernier roman et son épouse, Margot, une journaliste très en vue, pense qu'un séjour en amoureux dans le chalet de de ses parents peut enlever à son mari cette anxiété passagère, d'autant que son éditeur s'impatiente. Après tout l'air de la montagne leur fera du bien à tous les deux et favorisera sûrement l'inspiration de son mari ! Je me suis dit au début que cela allait être une sorte de développement sur la panne créatrice, sur le défi de la page blanche, sur l'impossibilité d'écrire autre chose que des banalités décevantes face à l'urgence. C'est là un débat éternel et intéressant mais quelque peu rébarbatif pour les non-initiés. Et puis faire tout un livre là-dessus n'est pas vraiment du domaine du polar.
Oui mais voilà, le hasard d'un lavabo bouché, un roman d'un autre auteur retrouvé dans cette maison où à priori il n'a rien à y faire, une réparation électrique hasardeuse qui provoque un malaise de Ramon (d'où le titre du livre) et surtout une absence un peu prolongée pour des raisons professionnelles de Margot, vont faire basculer cette situation. Un matin, il se réveille auprès du corps de sa femme, morte ! Il se soupçonne d'être l'auteur de cet acte... dans son sommeil ! A moins que ce ne soit une réaction longtemps refoulée, allez savoir ! Si cette électrocution sans gravité réveille chez lui une boulimie d'écriture, ce qui est plutôt bien pour lui puisqu’il achève enfin son roman, elle n'en suscite pas moins à la fois un vieux souvenir d'enfance, une pulsion irrésistible et surtout des doutes puisque cette solitude temporaire l'a amené à réfléchir sur l'attitude de Margot. Certes, il l'aime passionnément, il a avec elle des relations érotiques torrides, bref, elle est la femme de sa vie, la compagne des mauvais jours, la mère de ses enfants... mais il reste un écrivain, c'est à dire quelqu'un qui observe l'espèce humaine, en connaît les grandeurs mais surtout les bassesses, les compromissions, les trahisons. Il sait que, même s'il en fait partie, elle est infréquentable et que les serments d'amour ne pèsent pas bien lourds face à la turpitude que nous portons tous en nous. Bien évidemment au début il tente de se faire une raison, de chasser toutes ces idées noires de son esprit mais plus il réfléchit plus les évidences se dressent devant lui. Ce n'est plus de l'imagination, c'est carrément des certitudes ! Et puis il est en présence du cadavre de sa femme et il va, bien évidemment, être soupçonné de ce meurtre. Il n'a pas trop de toute son expérience de romancier pour éliminer le corps, brouiller les pistes même si au passage il devient effectivement un authentique criminel et approche à peu près le « crime parfait ».
Bien sûr il devra faire face à la police, à ce jeune lieutenant méfiant, à son beau-père qui ne l'a jamais aimé, le traite volontiers « d'écrivain de salles d'attente » et qui laisse éclater sa colère, à ce paysan matois et pas si naïf que cela et à tous ceux avec qui il était proche. Il aura le fin mot de tout cela, réglera ses comptes, récupérera ses enfants et reprendra le cours aussi normal que possible de sa vie, digérera cette trahison d'autant plus inacceptable qu'elle reposait aussi sur un mensonge supplémentaire, finira par ce dire qu'il s'était trompé avant de l'avoir été, que l'amour l'avait rendu aveugle au point de n'avoir rien vu (air connu), qu'il vaut mieux vivre seul que mal accompagné (air connu également), qu'il va retrouver sa liberté et peut-être refaire sa vie, que son parcours littéraire sera, le lecteur peut à son tour l’imaginer, plein de succès … Contrairement aux dernières lignes de la 4° de couverture, je ne suis pas sûr que cette histoire d'amour se termine si mal, finalement.
J'avoue bien volontiers que j'ai pris ce livre au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque sans rien connaître de cet auteur, et que, même si j'ai peu prisé le style très « polar » de ce roman, j'ai été tenu en haleine jusqu'à la fin. En définitive, je ne regrette pas.
©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles
- Par ervian
- Le 13/02/2013
- Dans Jack LONDON
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N°472– Novembre 2010.
LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles – Jack London - Phébus Libretto.
Le seul nom de Jack London évoque l'aventure, la nature, la liberté.
Dans la première nouvelle, qui est plutôt un court roman et qui donne son nom au recueil, un vieillard qui fut jadis professeur évoque pour ses petits-enfants sauvages et illettrés ce qu'était, soixante ans plus tôt la vie en 2013, date de l'apparition de la peste écarlate, ainsi nommée parce qu'elle colore le visage en rouge. Elle décima la population de la terre et réduisit les humains pourtant civilisés et cultivés, à l'état d'êtres égoïstes, défendant le seul bien qui leur reste : leur vie ! Nous sommes donc en 2073 et l'ex-professeur Smith raconte ce qu'était la société civilisée et organisée et comment, épargné par la pandémie, il a survécu dans ce monde hostile redevenu sauvage où les opprimés d'alors ont réussi à s'affirmer grâce à leur brutalité et à prendre le pas sur leurs oppresseurs d'avant. Ses petits-enfants ne peuvent se figurer ce qu'il décrit pour eux mais il place son espoir dans les livres et la clé de lecture qui permet de les déchiffrer. Il a caché le tout dans une grotte et espère que l'espèce humaine retrouvera, grâce à cela, sa splendeur passée.
La seconde nouvelle, intitulée « Le dieu rouge » évoque la croyance d'une tribu sauvage en un dieu extraterrestre matérialisé par une sphère rouge qui émet un son. Un blanc, perdu dans la forêt, tente de percer ce mystère qui ne peut s'expliquer qu'au prix de la vie.
La troisième intitulée « Qui croit aux fantômes ?» met en scène deux rationalistes qui se sont donnés rendez-vous dans une maison hantée. Ils vont se trouver « possédés » par deux fantômes qui reviennent pour disputer une partie d'échecs dont leur vie dépendra.
« Mille morts » parle d'un fils de famille parti sur les mers et récupéré par un navire commandé par son père. Ce dernier va se servir de ce fils pour mener à bien des expériences où la mort est suivie de résurrections successives. Mais le fils ne saurait, jusqu'au bout être son cobaye.
L'auteur change de registre avec« la seconde jeunesse du major Rathbone » où il analyse, sur le mode humoristique, les conséquences des tentatives de rajeunissement du corps et de l'esprit d'un vieillard. Il faudra quand même compter avec Déborah, son ancien amour de jeunesse qui, elle aussi, bénéficia de cette expérience.
L'architecture d'un recueil de nouvelles n'est pas chose facile. Avec celui-ci, paru en 1912, Jack London (1876-1916) passe du registre tragique à l'humour, au moins en apparences. Avec la première nouvelle, publiée peu de temps avant sa mort, il semble nous avertir d'une possible fin du monde, provoquée par la maladie. Songeait-il à la Grande Guerre qui allait bouleverser le monde? Peut-être? Encore qu'il nous confie que les survivants restent capables de le reconstruire au moyen des livres refaire et de la connaissance que le Professeur Smith a sauvegardés. Il explore ici un registre plus mystérieux voire apocalyptique, jouant à la fois sur le fantasme de la fin du monde, de la mort, de l'éventuelle résurrection, l'anéantissement de la vie et la responsabilité humaine dans ce cataclysme ?
Avec la se seconde nouvelle, c'est clairement l'angoisse de la mort et une certaine désespérance qui transparaissent ici. La couleur rouge rappelle celle de la peste du premier texte et les mots évoquent une certaine perfection des formes et des sons, comme quelque chose qu'on découvre enfin après l'avoir tant recherché. Ce qui est ici suggéré c'est à la fois l'attrait de l'inconnu et la fascination et l'acception de la mort, une sorte de sérénité devant elle, le terme du parcours qui fut le sien durant sa vie et que l'écriture magnifia. Même la présence de Balatta n'y fera rien. Il la repoussera faisant prévaloir Thanatos sur Eros. Rappelons-nous que ce texte a été écrit quelques mois avant sa disparition.
Avec les deux autres textes, il semble présenter les choses sous un angle différent, peut-être plus léger? Voire. Celui où il évoque la présence de fantômes et qu'il écrivit à dix-neuf ans, doit sans doute beaucoup à Edgar Poe dont il fut le lecteur attentif. C'est la fascination de l'étrange qui habite la condition humaine avec son cortège de névroses, de perversions, de dérèglements... la mère de l'auteur était une spirite convaincue et celui qui fut son père et qui les abandonna tous les deux, versait lui aussi dans l'ésotérisme. Voulut-il régler ainsi, par l'écriture et l'imaginaire, ses comptes personnels avec eux? Quand il choisit le thème des expériences sur l'humain, sur le vivant, on songe à un médecin fou mais le registre ici est le fantastique. Derrière des considérations techniques difficiles à suivre, il évoque des expériences un peu déjantées qui procurent la mort mais aussi qui redonnent la vie. C'est certes de la pure fiction, mais c'est aussi une autre forme de réflexion sur la mort. N'oublions pas que Jack London est avant tout un athée, lecteur de Marx et que donc l'idée de Dieu est absente de ces textes.
On peut aussi y voir une forme de victoire de l'homme sur les événements qui pèsent sur sa vie, le triomphe du pessimisme, du défaitisme. Au dernier moment il réagit et fait prévaloir sa liberté. Le héros de « Mille morts » s'échappe, le vieux major redevenu jeune convole avec son amour de jeunesse,
Avec ce recueil, Jack London qui fut un auteur prolifique de plus de 50 livres qui, pour la plupart évoquent l'aventure explore ici un registre différent. Encore une fois, sa vie personnelle ses expérience ont nourri son écriture, mais celle-ci a joué pour lui un rôle d'exorcisme, mais c'est aussi le sien!
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BARRIO FLORES – Philippe Claudel
- Par ervian
- Le 10/02/2013
- Dans Philippe Claudel
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N°627– Février 2013.
BARRIO FLORES – Philippe Claudel – Éditions La Dragonne.
Dès la première ligne, l'auteur donne le ton : « Les habitants du Barrio Flores sont passés dans le monde et le monde ne les a pas remarqués. ». Pourtant lui choisit de porter sur eux un regard plein de tendresse et les photos en noir et blanc de Jean-Michel Marchetti leur donnent un relief tout particulier.
Le décor, une sorte de bidonville plein de soleil, de vie, de misère mais aussi de sourires, à l’écart d'une grande ville probablement située dans une Amérique hispanique où Juanito, un jeune enfant de huit ans confié à Pepe Andillano, a écrit cette « Petite chronique des oubliés » qui est plus qu'un hommage.à ses habitants Pour ce vieil homme à la jambe raide mais qui gagnait sa vie en jouant au billard, il sera « petite musique » parce qu'il est « plus léger qu'un violon et plus rieur qu’une flûte ». Ensemble ils rêvaient de partir sur le pont d'un navire, pas pour faire le tour du monde, mais « juste une bordée, le temps de dormir une nuit ou deux sur le pont du plus grand des paquebots... et, au matin ce sera l'Amérique, New-York ou Babylone, en tout cas un pays formidable où les bons joueurs de billard sont nommés généraux et où les jambes mortes peuvent ressusciter ». C'est à travers ses yeux que le lecteur découvre cet univers un peu à l'écart. Il était certes fait des traditionnels personnages incontournables, les putains, les cocus, les femmes infidèles mais il y avait surtout Flores Nubia, une petite fille espiègle et belle qui aimait tant jouer à la marelle et dont Juanito était évidemment amoureux. Il lui offrait « des bouquets de rien, des rubans défraîchis, des heures admirables ». Pourtant cette jeunesse insouciante a prématurément été interrompue et Flores est devenue silencieuse, vieille et absente mais elle a continué de hanter les rêves du garçon.
Juanito avait une petite sœur, si jeune qu'on n'avait pas eu le temps de lui donner un nom. Elle accompagnait son frère pour mendier dans le quartiers des riches parce qu'elle faisait pitié et qu'ainsi ils rapportaient de l'argent. Pourtant « son cœur qui se précipitait de vivre en quelques mois une vie entière » s'était arrêté.
Parmi ces habitants il y avait aussi Garrancho Mindo, « Petite tête simple » dont tout le monde se moquait, qui parlait à son âne et voulait l'épouser. Ce décor ne serait pas complet sans le cireur de chaussures, mais celui-là non seulement faisait reluire les souliers de ses clients mais servait surtout d'écrivain public. Tout le monde lui faisait confiance pour rédiger des lettres importantes ou futiles, des lettres d'affaires ou d'amour, sur du papier à en-tête d'une entreprise d'engrais qui avait fait faillite depuis longtemps. On les encadrait même sans jamais les envoyer et ainsi elles faisaient partie du paysage. Sauf que leur auteur ne savait pas plus lire et écrire que ses clients du quartier et qu'il se contentait de reproduire dans ses missives les mots des annonces publicitaires qui s'étalaient sur les murs autour de lui ! Plus tard, Juanito devenu grand et instruit parce qu'il avait appris à lire dans les livres et non plus dans les flaques d'eau et dans les étoiles comme au Barrio, a vu la supercherie mais l'a gardée pour lui et a su reconnaître dans cet homme « un grand poète », en tout cas un de ceux qui ont suscité chez lui cette envie d'écrire à son tour [« C'est sans doute grâce à lui que m'est venue aussi à moi l’idée d'écrire, de caresser les mots, de dire des histoires »].
Il y avait aussi le « docteur » ainsi appelé parce qu'il avait un jour « confessé » pendant trois heures un vrai médecin dépressif et qu'il avait décrété qu'il en savait autant que lui au terme de cette discussion. Il recevait ses patients, vêtu d'une blouse qui avait jadis été blanche, ne guérissait personne parce que ses remèdes tenaient uniquement de l'improvisation, mais tout le monde y croyait et le respectait.
Il y a dans ce « Barrio Flores » toute la poésie de « café de l'excelsior » qui m'avait tant plu (La Feuille Volante n° 620). Ce n'est pas exactement un roman, peut-être un recueil de nouvelles, une galerie de portraits, une chronique de ce quartier rebaptisé par l'auteur du nom de cette petite fille, un amour de jeunesse, celui qu'on n'oublie jamais.
©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE BUREAU DES OBJETS TROUVES – Siegfried Lenz
- Par ervian
- Le 08/02/2013
- Dans Siegfried Lenz
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N°626– Février 2013.
LE BUREAU DES OBJETS TROUVES – Siegfried Lenz1 – Robert Laffonf.
Traduit de l'allemand par Frédéric Weinmann.
Henry Neff, 24 ans, se présente au bureau des objets trouvés d'une gare allemande (« Là où nulle part au monde(on ne rencontre) autant de contrition, d'angoisse et de mea-culpa »).
S'il fait cela, ce n'est pas parce qu'il a égaré un objet comme on pourrait s'y attendre mais il vient y prendre son poste et surtout souhaite faire une longue carrière dans cet emploi subalterne alors qu'un poste plus important s'offre à lui dans le négoce familial. Pourquoi cette voie de garage pour un homme jeune et plein d'avenir ? C'est qu'il est un peu marginal, cet Henry et avoue volontiers une passion pour le hockey et pour les marque-pages ! Pire peut-être, il semble avoir choisi cet emploi aux « objets trouvés » pour satisfaire son imagination débordante, un peu comme si c'était là sa seule motivation. Chaque propriétaire met un point d'honneur à récupérer des objets anodins, irremplaçables pour eux, un peu comme si toute leur vie y était contenue et en dépendait. Lui considère que ces objets improbables venus de nulle part qui se retrouvent ici à titre temporaire sont certes autant de tranches de vie appartenant à des inconnus mais aussi autant d’invitations à une mise en situation qui satisfait son imaginaire. Il devient le metteur en scène de saynètes parfois un peu surréalistes.
Au travail, il cohabite avec des collègues aussi différents que Paula, une femme encore jeune qui souffre que son mari la délaisse et qu'il cherche à consoler, ou qu' Albert, un vieux garçon tout entier dévoué à son vieux père.
Son travail l'amène à rencontrer Fédor Lagutin, un mathématicien universitaire russe avec qui il devient ami. Ce dernier ne laisse indifférentes ni Barbara, la sœur d'Henry qui travaille dans la florissante entreprise familiale ni même sa mère. Les deux femmes apprécient autant la discrétion de l'homme que sa manière de parler la langue allemande dont il maîtrise parfaitement les nuances. Cette manière d'être est, en plus des mathématiques, son oasis à lui.
Henry et d'ailleurs son ami Fédor, un peu perdus dans leur monde respectif, semblent apprécier la tranquillité, pourtant la bulle dans laquelle s'était volontairement enfermé Henry se fissure sous les coups du quotidien: A l'extérieur, il est agressé par une bande de motards, il voudrait bien, en séduisant Paula, sortir de sa routine ou s'enfermer dans un autre univers, mais cette femme qui l'aime bien et l'apprécie comme collègue ne veut pas en faire son amant parce qu'elle sait qu'une passade ne débouche sur rien et lui préfère la vie rassurante de femme mariée, moins délétère à ses yeux que celle de femme adultère. Au travail, Albert, trop vieux, est mis au chômage malgré les initiatives généreuses d'Henry. Fédor, quant à lui, quitte l'Allemagne devant les scènes de racisme ordinaire et Barbara est désespérée par la fuite de Fédor.
Dans une société qui apprécie les êtres à l'aune de leur rentabilité, leur richesse, leur potentialité, ce livre est consacré aux « perdants », non pas tant à ceux qui ont perdus un objet, mais surtout à ceux, comme Henry, qui refusent cette logique de la société, ceux qui préfèrent être des rêveurs et surtout pas des décideurs, ceux qui refusent la promotion parce que cette finalité ne leur convient pas, qui préfèrent rester à l'écart de tout cela pour être tout simplement seuls et libres, c'est à dire en marge des exigences sociales. Ce roman consacre cette impossibilité en mettant en évidence la réalité quotidienne faite d'intolérance, d'incompréhension, de haine, d'hostilités, de logique financière, une manière de rappeler que si une forme de vie marginale est possible, elle se heurte à tous ceux qui ne la comprennent pas ou simplement ne l'admettent pas.
Il est aussi question de ceux qui agressent les autres, les plus faibles, ceux-là même qui ont choisi une forme marginale de vie. Ces provocateurs portent la méchanceté en eux, la matérialise avec violence et lâcheté sous la forme d'un racisme ordinaire ou de l'ostracisme, pour se prouver qu'ils sont les plus forts ou simplement qu'ils existent.
Le romancier nous raconte une histoire, lui aussi se réfugie dans sa bulle et recrée un monde qu'il offre au lecteur, libre à lui de le recevoir ou pas. Ce roman peut être considéré comme une simple fiction, mais en réalité tout cela est bien banal, c'est un simple miroir de notre quotidien. Combien sommes-nous à avoir voulu vivre dans de belles certitudes, à avoir voulu nous draper dans l'assurance que les choses ne changeront jamais, qu'elle sont le gage d'une vie selon notre cœur... Puis un jour tout s'effondre brusquement à l'occasion d'un rien, mais ce rien est révélateur d'un changement définitif. Combien sommes-nous à refuser l'autre parce que simplement il est différent ?
©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE SIXIEME HOMME – Monica Kristensen
- Par ervian
- Le 03/02/2013
- Dans Monica Kristensen
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N°625– Février 2013.
LE SIXIEME HOMME – Monica Kristensen - Gaïa Polar.
Traduit du norvégien par Loup-Marelle Besançon.
L'archipel norvégien du Svalbard est situé dans la partie la plus septentrionale de l'Europe, à la jonction des océans Arctique et Atlantique. Il est plongé pendant une grande partie de l'année dans la nuit polaire et nous sommes en hiver ! Cette période autant que la situation géographique de ces îles sont de nature à modifier le comportement de ceux qui n'en sont pas originaires. A Longyearbyen, la minuscule capitale, il ne se passe jamais rien dans cette ville plus habituée aux ténèbres glacées et à l'arrivée soudaine des ours polaires dont les chemins migratoires passent par là. Pour la police locale, la routine administrative est constituée des petits trafics des marins-pêcheurs, des méfaits de l'alcoolisme, des mésententes conjugales ou des magouilles des contrebandiers dans une ville qui vit exclusivement de la mine de charbon. C'est un microcosme où tout le monde se connaît et bien entendu tout le monde s'épie de sorte que le secret ici n'a que peu de place. Un sorte d'univers clos !
Il est donc difficile d'imaginer que cette petite cité puisse cacher un criminel aussi bien croit plus volontiers à un accident toujours possible quand, au jardin d'enfants, d'ordinaire bien surveillé, la petite Ella Olsen, cinq ans, a disparu. Au départ on ne s'affole pas trop puisque les enfants jouent souvent à se cacher et puis cela ne viendrait à l'idée de personne d'enlever un enfant ici ! Il n'empêche, c'est quand même un problème pour la police locale dont le petit effectif va être mobilisé pour la retrouver. L'ennui c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'indices, seulement des traces de pas dans la neige qui mènent à la mine. Rapidement l’enquête s'oriente vers le père, Steinar Olsen, ingénieur récemment arrivé à la mine et qui, lui aussi disparaît à son tour. Son ménage bat un peu de l'aile, des projets de divorce sont même évoqués ; il est un peu trop porté sur la bouteille et il aurait parfaitement pu venir chercher sa fille pour affoler son épouse. Quant à lui, son nouveau travail n'est guère satisfaisant et on parle même de le licencier quelques mois après son embauche.
L'hypothèse d'un ravisseur se fait jour peu à peu ou celle d'un voyeur qui offrait volontiers des bonbons aux enfants. Bref, la police nage en plein mystère et les trois policiers de l'île seront vite rejoints par un renfort venu du continent. Peu à peu des secrets se révèlent, des adultères, des lettres anonymes avec menace de mort...
A la mine où Steinar Olsen a été embauché son arrivée n'est pas passée inaperçue et les deux mineurs qui l'ont accueilli, et dont il deviendra plus tard le complice, l'initient au mystère des lieux, lui parlant notamment de ce sixième homme « qui suit les gueules noires au fond de la mine », une sorte de fantôme né dans cette atmosphère confinée et mystérieuse qui tisse des légendes. On se demande qui il est et on le confond volontiers avec le voyeur du jardin d'enfants.
Dans une ambiance un peu irréelle faite de tempêtes glacées, de navigations parmi les icebergs, de chasses aux rennes et de drames intimes, le dépaysement joue complètement. Il faut cependant un parcours un peu chaotique d'Olsen avec sa fille, un incendie mystérieux sur un parking, la mort accidentelle de l'ingénieur, une vengeance de femme qui tourne mal et une série d'accidents miniers pour que cette histoire de fantôme, ce sixième homme caché à la fois au fond de la mine et dans les rues désertes, et qu'on soupçonne de rapt, débouche sur une fin heureuse.
Monica Kristensen qui est aussi glaciologue, connaît bien cette région pour y avoir séjourné pendant six années. Avec un art consomme du suspens, elle fait partager à son lecteur la beauté des paysages autant que la dure vie des mineur du Spitberg. C'est donc autant un roman policier qu'un ouvrage documentaire sur cette région.
Cet volume appartient à une série de polars se déroulant au Svalbard.
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LE RAPPORT DE BRODECK – Philippe Claudel
- Par ervian
- Le 28/01/2013
- Dans Philippe Claudel
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N°623– Janvier 2013.
LE RAPPORT DE BRODECK – Philippe Claudel - Stock
Prix Goncourt des Lycéens 2007 ;
C'est une bien curieuse histoire que celle de ce Brodeck. C'est un enfante trouvé, un enfant de la guerre, recueilli dans un village perdu en montagne par Fédorine, une vielle femme. Lui, c'est plutôt quelqu’un d'ouvert mais, même s'il est arrivé ici très jeune, il restera pour les gens d'ici un étranger, quelqu'un de peu d'importance. Pourtant on lui offrira des études au cours desquelles il rencontrera Emélia qu'il épousera et qui lui donnera la petite Poupchette. Elle est sa raison de vivre bien qu'elle soit née du viol de sa femme par des soldats. Il deviendra même un fonctionnaire chargé de rédiger des rapports sur la nature. Ses travaux n’intéressent personne mais lui permettent de survivre avec sa famille grâce à ses maigres appointements. Il n'a jamais été accepté au sein de ce microcosme villageois au point d'être livré par eux à l'ennemi, pendant la seconde guerre mondiale. Quand on leur a demandé de « purifier » le village, c'est à dire de dénoncer les indésirables, c'est son nom et celui d'un simple d'esprit qui ont été donnés. Pourtant il résistera à la déportation, aux humiliations et à la malnutrition grâce au seul espoir de retrouver Emélia. Quand il est revenu au village, son épouse n'est plus la même, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même, brisée par un viol d'où naîtra une petite fille que pourtant Brodeck adore.
Quand il est revenu, à la fin de le guerre, un autre étranger, aussitôt baptisé « l'Autre », est arrivé au village. Il est délicat, cultivé, parle peu et a un réel talent de dessinateur. On l'observe comme une bête curieuse, tellement différent des autres habitants frustes de ce village. On commence par l'accueillir en grande pompe pour éviter de dire qu'on se méfie de lui mais rapidement on le marginalise, on l'ignore. Pas rancunier cependant, il décide de donner une petite fête pour remercier le village de l'avoir accueilli. Lors de cette fête, il expose les portraits des villageois qu'il a réalisés mais ceux-ci les trouvent tellement réalistes et surtout tellement mystérieux qu'ils les supposent accusateurs et s'en prennent à lui, déchirent ses cartons et tuent son cheval et son âne qu'il considérait comme des personnes. Ces portraits étaient comme des miroirs qui révélaient la face cachée de chacun. Certains y ont vu une allusion à peine voilée aux faits qui s'étaient déroulés pendant la guerre, le viol et le meurtre de trois jeunes filles, étrangères elles aussi, l'aventure fatale de Cathor, un villageois qui avait refusé de livrer un vieux fusil, et qui a été décapité devant tout le village ; c'est cet événement qui avait motivé la dénonciation et la déportation de Brodeck. Mais au lieu de quitter le village, « l'Autre » y erre pendant trois jours en criant sa souffrance. Il finira par en mourir au terme d'une sorte d’assassinat collectif. Ainsi, sous le masque de la respectabilité, de la bienséance et de l'hypocrisie, les habitants de ce village perdu sont-il devenus des meurtriers, révélant ainsi leur véritable image.
Un soir, Brodeck se rend au village pour acheter du beurre et se voit, lui le petit fonctionnaire sans importance, chargé de relater ces faits, c'est à dire d'en faire un rapport écrit. Il devient donc leur « scribe » pour que « celui qui lira le rapport comprenne et pardonne ». Obéissant, il s'exécutera, mais en réalité il n'y croit pas et les villageois non plus. Effectivement, le rapport une fois rédigé et lu par le maire est jeté au feu au motif que le passé appartient à la mort et qu'il faut aller de l'avant au nom de la vie.
A la suite de cela Brodeck décide de quitter enfin le village avec femme et enfant.
C'est étonnant le roman, les personnages tissent leur histoire et le lecteur en est le témoin, s'y identifie ou pas. Moi, je me suis senti très proche de ce Brodeck. Il est l'image de l'homme de bonne volonté aux prises avec les autres qui lui veulent du mal, gratuitement, pour se prouver sans doute qu'ils existent et qu'ils ont de l'importance. Il est assailli par la malchance mais tente de s'en sortir. Le malheur s'acharne sur lui sans qu'il y puisse rien et ne peut opposer à cela que sa seule vie minuscule et sans intérêt. Il est l'éternel guignon mais aussi le souffre-douleur de tous ces petits potentats qui certes le tiennent pour rien, ce dont il est persuadé, mais qui se croient tout permis. Ce roman est dérangeant parce qu'il traite de l’intolérance, de la noirceur de l'âme humaine, de la trahison, rappelle que la race des hommes n'est pas fréquentable, que « l'enfer c'est les autres »...et que tout cela est le quotidien de chacun d'entre nous. Le récit, même s'il est une fiction, est aussi là pour montrer les choses dans toute leur cruauté et l'eau de rose n'est pas ce qui l'irrigue forcément. Et d'ailleurs, ce Brodeck se révèle aussi mauvais que ceux qui l'ont persécuté, et la relation qu'il fait des événements dans son rapport entraîne une confession intime dont il ne sort pas grandi.
Un autre personnage ne m'a pas laissé indifférent, c'est le curé Peiper, un vieil ivrogne qui ne croit même plus en Dieu mais accepte, pour quelques bigotes, de rejouer inlassablement la même comédie du rituel religieux. Il ne trouve sa consolation que dans le vin qui l'aide à oublier toutes les fautes des villageois qu'au nom de Dieu il pardonne, mais aussi la folie destructrice des hommes, leur volonté de trahir avec la bonne conscience de ceux qui veulent se persuader qu'ils agissent justement. A cause de lui, de son message religieux d'un autre âge et des vieilles croyances populaires qui puisent leur existence dans une peur ancestrale, « l'Autre » prend une dimension diabolique qui justifie son élimination. Il symbolise lui aussi la solitude, la peur de l'homme face à ce qui ne lui ressemble pas, face à la mort aussi après laquelle il n'y a rien, ni paradis ni enfer, rien que le néant et que Dieu n'est peu-être rien d'autre que l’inspirateur des bassesses humaines.
C'est aussi un ouvrage sur la culpabilité « Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien ». Ce sont les premiers mots du narrateur, comme une excuse de tout ce qui va suivre et que va apprendre le lecteur. Pour tous ces gens qui le méprisent, il ne sera qu’un scribe, qu'un témoin, celui qu’ils ont chargé d'écrire ce meurtre dans son fameux rapport parce, ayant fait des études, il est seul à pouvoir le faire. Ils pensent sans doute qu'ils trouveront dans ses mots le pardon, pour ce qu'ils ont fait mais, devant son travail de tabellion méthodique, seules les flammes sont une réponse, comme si les phrases faisaient peur aux villageois, les désignant comme coupables pour l'avenir, pour l'Histoire peut-être ? Une des fonctions de l'écriture est de fixer le passé, d'en être la mémoire pour, peut-être, faire naître une certaine forme de compréhension voire de pardon. Ici, le rapport de Brodeck révèle la perfidie humaine et aux yeux du maire manque son but ce qui motive sa destruction. [« Il est temps d'oublier Brodeck, les hommes ont besoin d’oublier »]
J'ai déjà dit dans cette chronique que j'apprécie le style de Philippe Claudel, fluide et agréable à lire, plus spécialement peut-être dans les descriptions où l'attention portée aux détails les rend plus vraies encore. Même si ce roman est quelque peu dérangeant, il a représenté pour moi un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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J'ABANDONNE – Philippe Claudel
- Par ervian
- Le 25/01/2013
- Dans Philippe Claudel
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N°622– Janvier 2013.
J'ABANDONNE – Philippe Claudel - Éditions Balland.
L'auteur met en scène un homme simple, encore jeune mais veuf qui s'occupe comme il peut de sa fille de quelques mois. Pour vivre, il travaille à l'hôpital, mais par dans n'importe quel service. L'hypocrisie administrative lui donne le titre de psychologue mais, même si, pour exercer son emploi il faut une bonne dose de psychologie : Il est chargé d'annoncer aux familles la mort d'un proche à la suite d'un accident et d'obtenir leur accord pour prélever sur le cadavre des organes nécessaires à la vie des vivants. C'est sans doute pour cela qu'on les appelle « les hyènes », du nom de ces charognards qui attendent la mort de leurs proies pour se repaître de leurs restes.
Il a besoin de ce travail pour s'occuper de sa fille puisqu'elle n'a plus que lui au monde. Elle est toute sa vie et il voudrait qu'elle reste le plus longtemps possible dans le doux cocon de l'enfance ! Il la confie pourtant à cette baby-sitter un peu déjantée pour qui la vie se limite aux rave-parties, au piercing, à la drogue... Dans une société secouée par les difficultés économiques, avoir un travail de fonctionnaire, c'est à dire ne pas craindre le licenciement et le chômage est une sécurité à laquelle on tient. Après tout, même si, comme la plupart des gens, il n'a pas vraiment choisi ce métier, il est quand même plus sûr de le garder. Mais il vit mal ses fonctions et chaque chose dans son environnement, les mendiants dans la rue, les affiches publicitaires agressives, tout le bouleverse et son métier « lui fait mal ». Il est de plus en plus fragilisé par les événements et ce n'est pas ceux qui font son quotidien à l'hôpital qui vont lui rendre le moral.
Pourtant il n'est pas laid et pas non plus indifférent aux femmes. Il pourrait refaire sa vie, comme on dit, mais il perd de plus en plus les pédales et met en parallèle sa vie à lui et celle de cette femme encore jeune, veuve, qui vient de perdre la fille unique de 17 ans. Comme le dit son collègue, il prend peut-être trop sur lui. Apparemment, en ce qui concerne celui qui travaille avec lui, il est loin de tout cela. Il prend cet emploi comme un gagne-pain, loin des états d'âme. Il est même, d'une certain façon, très professionnel, c'est à dire froid et insensible dans l'exécution de sa tâche. Et puis, du côté personnel, il est plutôt superficiel, ne s'encombre pas de détails, pour lui son univers c'est les matchs de foot, les conversations salaces, les apparences hypocrites et la machine à café. C'est à peu près tout.
Et puis tout d'un coup, parce qu'il est en face de cette femme qui pleure, cette femme qui a perdu sa fille qu'elle ne reverra plus, qui est tout d'un coup l’image de tout ceux qui ont perdu un proche, il pète les plombs, porte le deuil de tous les morts, en veut à son collège d'être aussi primaire et obnubilé par ce sale métier, veut se donner la mort, revit à son tour le moment où on lui a annoncé qu'un drame s'était produit lors de la naissance de sa fille et qu'il fallait qu'il vienne à la clinique.... Celui qui lui a annoncé cela faisait le même métier que lui. La vie sera peut-être la plus forte ?
Comme pour beaucoup d'écrivains, j'ai rencontré Philippe Claudel par hasard. Après tout la publication, les librairies et les bibliothèques sont faites pour cela. J'apprécie chez lui le style fluide qui m'engage à poursuivre mon parcours de lecteur, même si ici je n’ai pas vraiment ressenti du plaisir à cette lecture, à cause du thème choisi peut-être ?.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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LES AMES GRISES – Philippe Claudel
- Par ervian
- Le 21/01/2013
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N°621– Janvier 2013.
LES AMES GRISES – Philippe Claudel - Éditions Stock.
(Prix Renaudot 2003)
Nous sommes en 1917 dans un petite ville de province, assez loin du front pour que la guerre ne la dérange pas, assez près quand même pour qu'elle se rappelle à ses habitants à cause du son du canon et des convois de soldats qui vont vers la mort.
Ce microcosme est bouleversé par la mort d'une gamine de 10 ans, surnommée « Belle de jour », une des trois filles de Bourrache, le patron de l'auberge, découverte assassinée dans l'eau froide du canal, derrière le château du Procureur Destinat. Ce magistrat solitaire, veuf, notable et grand bourgeois est austère et même un peu bizarre, comme coupé de la réalité qu'il régentait partiellement à cause de son métier, envoyant avec un grand détachement les assassins à l'échafaud. Le tribunal était aussi hanté par le juge Mierck, vicieux et cynique, craint autant à cause de ses fonctions que de l’insensibilité avec laquelle il les exerçait. Il est secondé par son acolyte, le colonel Matziev, sorti de nulle part aussi inquiétant que dérangeant.
Or ces deux hommes, ces deux magistrats aussi dissemblables l'un de l'autre se haïssaient comme il était difficile de se haïr. La proximité des lieux du crime avec le château du procureur, un témoignage qui l'accable mais qui cependant est vite écarté par le juge vont pourtant lui donner l'occasion de mettre de côté ses rancœurs et d'épargner son collègue. Ils ne s'aiment gère mais appartiennent au même monde, celui des notables, des défenseurs de la loi et de l'Ordre Public. La guerre est là, heureusement, et deux pauvres déserteurs égarés dans cette petite ville vont être des bouc-émissaires idéals. On leur fait avouer n'importe quoi et « l'affaire » qui bouleversa cette petite ville, est officiellement close.
Le narrateur, qui est aussi un modeste policier, remonte le temps à propos de cette « affaire » bien mystérieuse dont il tente de dénouer les fils bien qu'elle soit close. Il croise les âmes grises de ses habitants qui veulent oublier.et nous raconte aussi une autre mort mystérieuse, celle de cette jolie institutrice venue au cœur du conflit enseigner dans cette petite ville. Il nous parle de sa pauvre vie à lui, celle d'un planqué dispensé de guerre mais qui pleure sa femme. Il se classe volontiers dans le camp des salaud, les « justes » sont ceux qui sont au front et qui se battent pour leur Patrie. Il n'est pas l'un d'eux, et pas seulement à cause de cette guerre qu'il n'a pas faite.
Après la mort du Procureur, torturé par le mystère de l'assassinat de « Belle de Jour » autant que par la justice qui n'a pas été correctement rendue, il choisit de narrer pour lui-même les faits, noircissant des cahiers qui lui font peut-être mieux accepter les choses et son âme à lui, tout aussi grise que celle des autres, tout en notant « C'est douloureux d'écrire, je m'en rends compte depuis des mois que je m'y suis mis. Ça fait mal à la main, et à l'âme ». Pourtant, il est admis que l'écriture est libératrice mais l'épilogue montre que dans son cas, il ne peut rien en être.
Tout au long de ce roman qui n'est pas un « policier » à proprement parlé, j'ai été séduit autant pas l'écriture fluide et agréable à lire de son auteur autant que par le suspens savamment entretenu jusqu'à la fin.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE CAFE DE L'EXCELSIOR – Philippe Claudel
- Par ervian
- Le 20/01/2013
- Dans Philippe Claudel
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N°620– Janvier 2013.
LE CAFE DE L'EXCELSIOR – Philippe Claudel- Éditions La Dragonne.
Photographie de Jean-Michel Marchetti.
Le bistro, en France, c'est une institution, presque un élément de culture populaire, en tout cas quelque chose dont on ne pourrait plus se passer et qui doit bien receler un peu de cet art de vivre que le monde entier nous envie. Celui du narrateur qui, à l'époque était encore enfant, ce n'était pas un café à la mode, il s'en fallait de beaucoup. C'était tout juste un estaminet un peu crasseux d'une banlieue ouvrière, près d'un canal. Il était tenu par son grand-père qui trônait, hiératique, derrière son zinc, versant des apéros et des verres de rouge, donnant la réplique aux clients habitués. C'était toujours les mêmes qui venaient là : le facteur, inénarrable fonctionnaire, Marcepie le chauffeur de bus qui devait consommer autant l’alcool que son véhicule de carburant. Il soliloquait comme le font les solitaires et les malheureux sur terre, et les autres piliers de comptoir qui fréquentaient ce débit de boissons au vague nom latin. On aurait presque imaginé autre chose au seul énoncé de ce titre qui impliquait presque le luxe. Ils s'y retrouvaient pour échapper au quotidien, à la routine, à l’éternelle ire d'une épouse ou simplement pour refaire le monde à coups de conversations qui ne risquaient pas de bouleverser les théories philosophiques. Tout cela tenait de l'habitude, du rituel, en tout cas de l'incontournable rendez-vous que personne parmi sa clientèle n'aurait osé manquer sauf à constituer une irréparable faute de lèse-patron.
Ce lieu était évidement exclusivement dédié aux hommes, et pas n'importe lesquels. Il fallait, pour y être admis avoir au moins ses quatre quartiers d'alcoolisme, et d'un alcoolisme militant évidemment, qui se voyait évidemment sur le visage (« la vie se lit sur l'usure d'un visage »), sur les gestes alentis avec lesquels on se portait réciproquement la santé. C'était toute une congrégation d'habitués à qui il ne serait pas venu à l'idée de bouleverser en quoi que ce soit l’ordonnancement des choses de cet antre où le temps passait avec « la lenteur d'un goutte à goutte », où l'apéro se consommait dès neuf heures du matin, dans le plus grand respect de la sieste méridienne du patron. On y tapait le carton, on y bouffait du curé, on appréciait en connaisseur la panier de girolles ou le gibier, évidemment de braconnage qui venait à s'y trouver, on y commentait le cours des choses de l'extérieur, et c'était tous les jours pareil. En bleus de chauffe les jours de la semaine ou dans leur unique costume du dimanche qui datait de leur mariage et qui fleurait bon la naphtaline, ils se retrouvaient dans ce décor un peu crasseux mais si coutumier qu'ils y seraient venus les yeux fermés. Ils y prenaient leur ration d’alcool et de gros rouge sans laquelle leur vie n'était pas concevable. Bien entendu, quand une femme s'y aventurait, par accident évidement, elle était poliment mais fermement reconduite à la porte. Il ne fallait pas mélanger les genres et surtout pas se tromper de lieu !
Ce bistro faisait aussi cantine, mais pour les clients seulement et le vieil homme confectionnait pour eux et, évidemment pour son petit fils, sa « corbeille d'eau douce », un infâme salmigondis de poissons et de légumes dont la couleur n'avait rien d'engageant mais qu'on consommait avec délectation (« cette affreuse soupe couleur de boue »). C'était en tout cas l'occasion de se rappeler son enfance d'école buissonnière !
Le dimanche, après la messe, ce grand-père accompagnait le narrateur le long du canal où il lui offrait une glace. Ils taquinaient le poisson et regardaient les péniches qui, pour l'enfant, avaient des ventres pleins de rêves et de voyages. L’aïeul lui parlait de ses parents, morts ensemble trois auparavant parce que la vie leur avait soudain semblé invivable. Le petit orphelin s'était ainsi retrouvé ici parce que vieillard était la seule famille qui lui restait.
Puis un jour tout cela s'est arrêté pour le narrateur parce que l'administration toute puissante avait décidé, dans son intérêt évidemment, que ce décor, ce microcosme n'étaient pas bon pour lui. Ce furent des familles d’accueil qui le tinrent éloigné longtemps de cet morceau d'enfance, avec seulement quelques lettres difficilement écrites de ce grand-père vieillissant. Puis, plus rien parce que le temps passe et que l'humaine condition reprend ses droits...
Tel est ce court roman émouvant, poétique et fort bien écrit, qui fut pour moi, certes un bon moment de lecture mais aussi un saut dans cette période dont on ne guérit jamais : l'enfance !
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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CE QUE SAVAIT JENNIE – Gérard Mordillat
- Par ervian
- Le 20/01/2013
- Dans Gérard Mordillat
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N°618– Janvier 2013.
CE QUE SAVAIT JENNIE – Gérard Mordillat- Calmann-Lévy
C'est un titre un peu énigmatique qui fait référence à un roman d'Henry James [1843-1916], écrivain américain, considéré comme le maître du roman et de la nouvelle, auteur de « Ce que savais Maisie ». Cette œuvre retrace le parcours un peu chaotique d'une petite fille qui, âgée de trois ans, doit faire face au divorce de ses parents et se « partager » entre eux par une résidence alternée. Cette situation se révèle rapidement délétère puisqu'elle ne tarde pas à s'apercevoir qu’elle sert d'espionne autant que de souffre-douleur à chaque des deux ex-conjoints qui se servent d'elle pour assouvir leur haine réciproque. Pire peut-être, elle est complètement délaissée. Ce roman a été adapté au cinéma par Édouard Molinaro (1995).
Ici,Jennie, à qui on peut bien redonner la majuscule de son prénom apparemment escamotée dans le titre, est la fille d'Olga, sa mère, qui refuse obstinément de lu révélé le nom de son père. A seize ans, elle vit avec elle dans une maison faite de bric et de broc, et pas tout à fait terminée, située entre l'aéroport de Roissy et une ligne de chemin de fer, autant dire au milieu de nulle part. Ici habite également Mike, le compagnon un peu marginal de sa mère et leurs deux filles, Malorie et Saïda. L'histoire commence par un repas de famille bien arrosé où s'égrènent des idées reçues dignes du café du commerce et des propos salaces. Elle se termine par la mort accidentelle de Mike, ce qui fait d'Olga une femme seule, vite rejointe par Slimane et par la naissance d'Hakim. Voilà donc Olga, mère de quatre enfants qui se repose sur Jennie, l’aînée, pour les soins apportés à ses frère et sœurs. Elle joue en effet auprès d'eux, et spécialement auprès de Malorie, le rôle efficace d'une véritable « petite mère ».
Tout aurait pu être bien dans cette vie si la mort n'avait encore frappé, emportant Olga et Slimane dans un accident et dispersant les enfants de foyers en familles d’accueil. Jennie est alors âgée de seize ans trouve cela profondément injuste.
Sept ans ont passé, Jennie a alors vingt trois ans. Après une longue période de galère, elle entreprend à travers la France de retrouver ses frère et sœurs parce que leur mère leur avait promis, avant de mourir, de les emmener voir la mer à Étretat. Elle en profite pour régler ses comptes avec tous ceux qui l'ont trahie ou abandonnée et qui, à ses yeux, sont responsables de l’éclatement de sa famille.
Dans sa quête, elle va de déconvenues en désespoirs, croise Quincy, un acteur de cinéma qui ne veut plus l'être et qui, lui aussi à des comptes à régler avec les ex-employeurs de sa mère qui, l'ayant injustement licenciée, l'ont acculée au suicide. Sa quête qui le fera basculer dans le crime, lui sera fatale.
Mais, revenons a ce roman d'Henry James qui ne fait pas qu'inspirer le titre du livre de Gérard Mordillat. C'est l'ouvrage de référence de Jennie « Maisie était pour Jennie une œuvre vers laquelle se tourner en toutes circonstances de la vie pour y trouver conseils, réconfort et amitié » et puisque sa vie à elle n'est faite que de galères, elle puise dans ce livre sa consolation. Mieux « (elle) avait besoin … de mots, tant de mots lui manquaient pour exprimer l'étendue de son chagrin, de sa colère. ». D'ailleurs, ce roman « c'était son livre qu'elle lisait et relisait ». Elle se l'approprie au point d'en souligner des passages, de le décorer de dessins personnels, de l'annoter.
C'est donc un roman sur l'injustice qui frappe sans cesse Jennie au cours de sa courte vie et on imagine qu'elle est bel et bien née sous une mauvaise étoile qui la poursuivra. Injustice de ne pas avoir connu son père (Elle l'entrapercevra cependant sur une photo), injustice d'être ballottée par le sort qui lui est contraire, injustice de cette loi qui s'impose à elle et lui interdit, à cause de son jeune âge, de s’occuper de ses frère et sœurs alors qu'elle souhaitait ardemment le faire, injustice d'être elle-même promenée de familles en familles, injustice de voir Saïda et Hakim, devenus Sophie et Olivier récupérés au titre de l'adoption ; injustice aussi parce qu'elle est exclue du bonheur auquel chaque être a droit sur terre. C'est aussi un roman sur la mort qui la suit de près et accompagne ses pas, cette mort qui a toujours le dernier mot et qui ne capitule ni devant l'amour ni devant le désespoir.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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La dactylographe de Mr James – Michel Heyns
- Par ervian
- Le 20/01/2013
- Dans Michel Heyns
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N°619– Janvier 2013.
La dactylographe de Mr James – Michel Heyns- Éditions Philippe Rey.
Traduit de l'anglais (Afrique du sud) par Françoise Adelstain
Le grand écrivain américain Henry James (1843-1916) engagea en 1907 Theodora Bosanquet (1880-1961) en qualité de secrétaire. Elle le restera jusqu'à la mort de l'écrivain. Son travail consistait à taper à la machine sous la dictée de James. Elle ne se contenta pas de ce travail assez ingrat et écrivit elle-même « Henry James à l'ouvrage »(1924) où elle porte témoignage à la fois de l'homme et de l'écrivain. D'autre part elle publia également son journal ce qui fit d'elle un auteur reconnu.
L'auteur, Michel Heyns, s'empare de cette relation professionnelle authentique pour faire de Theodora, rebaptisée Frieda Worth, alors âgée de 23 ans, un personnage de roman. Tel est le prétexte de ce récit bien documenté, fort bien écrit, plein d'humour délicat, de descriptions agréables, d'analyses psychologiques. Il est en tout cas fort bien traduit (notamment avec un grand souci du mot juste) qui mêle la fiction à la réalité, créant lui-même pour les besoins de son récit des faits qui n'ont pas existé où qu'il déplace dans le temps et dans l'espace, s'inspirant de théories qui nourrissent son écriture, comme il s'en explique dans une note à la fin de l'ouvrage. Le texte distille une musique qui plonge le lecteur dans une ambiance surannée et un dépaysement agréable.
Sous la forme d'un récit chronologique qui va de novembre 1907 à juillet 1909, le narrateur décrit une époque où la femme est un citoyen de seconde zone dans un monde d'hommes mais où se développent cependant des mouvements d'émancipation. Frieda, jeune femme cultivée, discrète et vive d'esprit, promise à un avenir de mère de famille traditionnelle, cherche cependant à s'émanciper par le travail. Elle est toute disposée à se mettre au service de M. James avec compétence et réserve, même si elle considère que, pour gagner sa vie, elle mérite mieux que cet emploi subalterne. Elle s'installe donc à Ry, petite ville guindée du Sussex et s’acquitte de sa tâche. Il s'agit de préparer une édition complète, corrigée et commentée de l’œuvre de James. Dans cette maison de « Lamb house » vivent, autour de M. James des domestiques discrets, des invités parfois exubérants et extravagants et même le chien Max qui complète agréablement le tableau. Frieda y rencontre a romancière américaine Edith Warthon (1862-1937), Morton Fullerton, journaliste américain, correspondant du Times à Paris, amant de cette dernière et ami de M. James. Avec lui elle noue une relation cordiale et respectueuse au début, la promesse d'une future vie commune et même une relation amoureuse même si cette dernière, par sa rapidité, est quelque peu en contradiction avec le puritanisme de l'époque. En réalité c'est plutôt un marché autour de lettres jugées compromettantes pour lui qu'elle est chargée de récupérer, même si pour cela, et contrairement à l'éducation qu'elle a reçue de sa mère, elle doit trahir le naïf M. James. Elle le fera par amour mais le déroulement des événements lui révélera le cynisme de M. Fullerton et finalement orientera sa vie future.
De son propre aveu, l'auteur précise qu'il prend des libertés avec la personnalité de Miss Worth, encore qu'on peut aisément imaginer qu'elle ait pu obéir à l'invitation de M. James de profiter de la vie[« Profitez de la vie autant que vous le pouvez, c'est une erreur de ne pas le faire ». Ce qui est sûr en revanche c'est que Theodora Bosanquet a eu après la mort de M. James des communications avec lui par le biais du spiritisme, ce qui, en quelques sorte prolongea la fonction de dactylographe de cette dernière. L'auteur la rend également réceptive à la télépathie pratiquée, par l’intermédiaire de sa Remington, avec le même M. Fullerton ! Cela peut paraître un peu fantaisiste mais Heynz a choisi de rendre compte, par ce biais de l'intérêt que portait Thoedora Bosanquet aux phénomènes paranormaux. En réalité, Frieda prend de plus en plus d'importance au sein même de cette famille puisque, au départ, on considérait qu'une simple dactylographe ne fournissait qu'une prestation, n'était pas obligée de comprendre ce qu'elle tapait et n'était que le simple prolongement de sa machine. Au fur et à mesure du récit, et notamment à l'invitation de la nièce de M. James, elle s'impose également, loin des esprits frappeurs, des guéridons et autres séances d'invocation, comme une sorte de médium entre cette dernière et une tante décédée. Sa machine va donc devenir une sorte d'instrument de « l'écriture automatique » et Frieda un truchement indispensable dans ce phénomène. Aux yeux de M. James, elle prend aussi une autre dimension qui décide de sa vie future. En revanche, elle ne va pas tardé à s'apercevoir de la duplicité, de l'hypocrisie et de la trahison qui animent les différents membres de ce microcosme comme toutes les sociétés humaines qui en sont friandes. M. James, lui, semble à part, comme dans une bulle, uniquement préoccupé par son écriture.
Ainsi l'auteur en profite-t-il pour parler de la mort, de la vie, de la notoriété, de la renonciation, en les relativisant (« La vie nous trahit, seul l'art ne déçoit pas »). Dans ce lieu un peu à part, le lecteur voit peu à peu apparaître des thèmes consacrés aux suffragettes et au spiritisme et aux techniques nouvelles, traduisant des préoccupations en vogue à l'époque victorienne mais aussi des comparaisons entre l'ancien et le nouveau monde, William James, le frère d'Henry résidant avec sa famille aux États-Unis.
Miss Worth est donc le témoin privilégié d'un monde auquel elle n'appartenait pas au début mais qu'elle parvient cependant à maîtriser. La scène finale, dans le brasier qui se consume est révélatrice et Frieda n'est plus un simple secrétaire, elle devient l'égal de James face à la vie. C'est un peu comme s'il lui passait un relais de l'écriture. Quant à Heyns, sans tomber dans le plagiat, il rend fort bien l'ambiance des œuvres de James. L'hommage qu'ainsi il lui rend est de qualité.
J'avoue volontiers que, malgré quelques remarques sur la vraisemblance de certains épisodes, ce roman m'a procuré un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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ACCESSIBLE A CERTAINE MELANCOLIE– Patrick Besson
- Par ervian
- Le 09/01/2013
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N°617– Janvier 2013.
ACCESSIBLE A CERTAINE MELANCOLIE– Patrick Besson- Albin Michel
Milan Canovas est un séducteur qui a dépassé la quarantaine. Son nom est d'ailleurs, à quelques lettres près, celui de Giacomo Casanova. Comme notre Vénitien, il va de femme en femme, les séduit, couche avec elles puis les abandonne au gré de son humeur ou de ses autres conquêtes. Après tout, un authentique Don Juan ne fait pas autre chose, ne vit pas autrement. Il est correspondant de guerre ce qui ajoute sans doute à son aura pour ses compagnes d'une nuit ou de quelques jours. Certes, il est marié et père de famille mais cela ne l'empêche pas de pratiquer le nomadisme amoureux que facilite grandement son métier itinérant.
Présentement, il est marié à Brigitte avec qui il a un enfant et qui est enceinte, de lui doit-on préciser, et qu'il passe son temps à quitter tout en gardant toujours son adresse et son numéro de téléphone, au cas où... Mais dans le même temps il y a Rose, une étudiante au nez refait par Anne, une chirurgienne dont il devient aussi l'amant bien qu'elle soit elle-aussi mariée et mère de famille et qui choisit de tout abandonner pour le suivre malgré ses autres maîtresses ! Il multiplie les passades et où qu'il aille, une femme l'attend pour coucher avec lui, qu'il soit en France ou à l'étranger ! Il hait les repas de famille et la famille elle-même et ses enfants n'ont que peu d'importance pour lui. J'ai eu l'impression que ce qu'il aime dans cette vie se résume à la jouissance qu'il ressent avec une femme, mais à condition d'en changer rapidement, et à condition aussi que le moment soit piquant, érotique, exceptionnel ! On pourrait être tenté de dire « Tout ça pour ça » mais, après tout , cela peut parfaitement représenter un art de vivre qui en vaut un autre !
Face à cette envie de jouir, on a l'impression que tout le reste est une somme d'épiphénomènes, tout le reste comme le cancer de Brigitte ou l'agression sur sa personne et avec arme à feu d'une de ses anciennes maîtresses. A Norbert, Le philosophe-ami, il avoue « Je crois que je n'ai plus de sentiment, plus aucune humanité...Il me semble que j'ai simplement besoin d'elle(de sa maîtresse), un besoin atroce, comme celui de la vache pour le brin d'herbe ».
Ce roman est donc l’histoire quelque peu échevelée de tous ses amours, ce qui pourrait sembler anodine ou intéressante, mais que le style du texte ne m'a pas beaucoup encouragé à poursuivre ma lecture. Le livre a bien failli me tomber des mains plusieurs fois, mais j'ai poursuivi, ne serait-ce que pour avoir la clé de ce roman dont le titre est quelque peu énigmatique. Ce n'est pas simple de trouver un intitulé à un récit et je me suis interrogé sur la signification d'icelui. C'est sans doute ce qui m'a motivé ?
Pourtant, j'ai ressenti autre chose, une sorte de musique mélancolique née d'une vie certes aux antipodes de la routine mais quand même, baignée par un ennui. Cela vient-il de la fuite du temps soulignée par le calendrier des événements passés que l'auteur égrène avec une certaine nostalgie. Peut-être ? J'ai eu l'impression que cette vie était à ce point difficile qu’il attendait de la femme, c'est à dire de toutes celles qui croisaient sa vie, qu'elle soit une sorte de révélateur qui le transformerait, qui serait capable de faire de lui ce qu'il est en réalité. C'est un peu comme s'il déplorait le spectacle de lui-même, celui d'un être imparfait et en devenir. « Il attendait de rencontrer une femme qui lui donnerait forme humaine, c'est à dire divine... Il fallait que quelqu'un le sorte de cette prison... Chaque femme pouvait être ce sauveur...Il n'aimait pas les femmes, ils croyait en elles. Il était sûr que l'une d'entre elles le sauverait .Il voulait la trouver avant de mourir. » Cela vient-il qu'entre les lignes il y a la réalité de la mort qui nous attend tous et que les humains qui nous entourent ne suffisent pas à nous faire oublier. Peut-être ? Pourtant, la camarde peut parfaitement être regardée comme un sauveur et son coup de faux un acte de libération. J'avoue que ce message me séduit assez et que Milan peut parfaitement vouloir jouir sans entrave avant cette échéance. Peut-être ressent-il une sorte de mal de vivre, né de impossibilité de se fixer et qu’il l'exorcise par la conquête des femmes qui résume pour lui à un simple acte sexuel, comme un dérivatif pourtant voué à l'échec et qui porte en lui le suivant ? Peut-être ?
Il reste que j'ai beaucoup moins accroché à ce roman. Les précédents (Belle-sœur, Saint-Sépulcre ! La feuille volante n° 615 et 616) m'avaient davantage plu.
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SAINT-SEPULCRE !– Patrick Besson
- Par ervian
- Le 02/01/2013
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N°616– Janvier 2013.
SAINT-SEPULCRE !– Patrick Besson- Fayard
Nous sommes à Paris au XIII° siècle, sous le règne de Louis IX. Un écolier, Richart Perpin, fils de bourgeois, paresseux, pas mal soiffard et surtout jouisseur doit rendre un devoir sur la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon, lors de la 1°croisade en 1099. Le sujet ne l’inspirant guère il en confie la rédaction à un vieux jongleur érudit de ses amis, Bénodet, lui-même ami de Ruteboeuf, contre quelques pintes de vin. En fréquentant de concert les tavernes et les bordels, ils tombent ensemble amoureux d'une jeune prostituée palestinienne, Edelinne, qui avait été enlevée à un sultan puis vendue à une maquerelle par un ancien templier aveugle, Gile d'Avèze. Cependant la jeune fille s'est enfuie du bordel où elle travaillait et Richart comme Bénodet partent à sa recherche dans un Paris pittoresque. Après 20 ans à guerroyer en Terre Sainte, ce chevalier, malade et vieux, veut revenir en Picardie où il est né et, pour ce faire, use de ce stratagème efficace pour soutirer de l'argent à différentes tenancières afin d'assurer sa subsistance.
Reste le devoir qui doit être rendu ; Bénodet pense que c'est trop bête de s'en tenir à la véritable histoire de Godefroy et voudrait que cela soit sa grande œuvre. Il choisit donc d'y ajouter le récit fictif d'un de ses compagnons, pourtant bien différent de l'Avoué du Saint-Sépulcre, un chevalier qu'il nomme … Luc d'Avèze. Il n'a rien d'un être preux puisqu'il est exclus des Templiers à cause de ses péchés mortels et des transgressions aux règles de l'ordre. En fait, pour son récit fictif, Bénodet s'inspire de la vie du véritable homme de guerre et compagnon de Godefroy de Bouillon, sous le contrôle littéraire avisé de Ruteboeuf. Cet ouvrage une fois achevé, et qui vaudra le bûcher à Bénodet tant il est blasphématoire, portera finalement la signature du jongleur et le titre de « Saint-Sépulcre », le cri de guerre de Godefroy ! Il devra d'ailleurs sa mise en prison puis plus tard sa condamnation, à la trahison de son fils aîné, Jude. Il sera cependant sauvé du supplice par le mariage qu'il contracte avec Ysabel, la sœur laide mais surtout vierge de Richart, conformément à une vieille loi médiévale.
Comme si cela ne suffisait pas dans la liste déjà bien fournie de leurs aventures, Richart qui a abandonné son idée d'entrer dans les ordres et même ses projets de carrière juridique s'embarque pour la Terre sainte à la suite de Louis IX. Il est accompagné comme son ombre de Bénodet et d'Ysabel.
Notre auteur émaille son texte d'aphorismes bien sentis qui sont autant de remarques pertinentes sur la société des hommes[« Pourquoi dominons-nous les autres? Pour pouvoir les aimer »], sur l'existence terrestre [« La vie est un tel malheur que la mort ne saurait être un malheur plus grand »], sur la religion [« Bizarre qu'on dise la messe dans la langue des Romains quI ont crucifié Jésus. », « Les messes,se dit-il, c'est le contraire du sexe : elles sont toutes les mêmes alors qu'on ne fait jamais deux fois l'amour d'une façon identique »], sur la charité et ceux qui la pratiquent:[« A Ceux qui la font la charité spectaculaire rapporte tellement plus qu'elle ne leur coûte puisqu'elle ne leur coûte rien. »] , sur les femmes [« Pourquoi les femmes qu'on aime sont-elles fraîches quand il fait chaud, chaudes quand il fait frais ?»] avec toujours le sens de la formule teintée d'humour [« Il la pénétra comme nous entrons dans une église le jour de nos noces. »]...
L'auteur manie à merveille l'Histoire et la fiction. Grâce à un texte remarquablement documenté, il promène son lecteur dans une société médiévale colorée, vivante et authentique où on voit Dieu et le diable partout, où la conduite chrétienne du roi, le futur Saint Louis, qui invite les pauvres à sa table et rend la justice sous un chêne, voisine avec celle plus que marginale et contestable de nos deux compères bien plus volontiers inspirés par le vice et le blasphème, comme d'ailleurs celle de la plupart de leurs contemporains. C'est vrai qu'à l'époque on honorait Dieu un peu par obligation et on partait pour la Palestine pour diverses raisons : délivrer le tombeau du Christ, expier ses péchés, échapper à quelqu’un ou à quelque chose, faire la guerre ou simplement s'enrichir !
C'est à un véritable roman picaresque, à grands renforts de mises en abyme, que Patrick Besson invite son lecteur. Les gens changent d'identité et de fonctions, meurent apparemment puis refont surface comme par miracle, voyagent dans le temps et dans l'espace, se découvrent des parentés incestueuses ou adultérines, les vies se croisent et s'entrechoquent, les destins se font et se défont, les paternités y sont douteuses et les filiations illégitimes et consanguines … Un véritable dépaysement !
Dans un style truculent, peu académique parfois, mais qu'importe, son récit rocambolesque donne l'occasion à Patrick Besson de se livrer, sous couvert de l'évocation de cette période, à une peinture de l'humanité, une humanité qui n'a pas changé, ne changera jamais et n'a pas grand chose d'humain. Il y a l'amour qu'on fait pour le plaisir et celui qu'on n'a pas donné par égoïsme, par manque de temps ou par oubli, la trahison, l'envie de tuer, la passion pour Dieu pour l'argent pour les femmes ou pour le vice... Face à cela, il invoque notre envie légitime de mourir, non seulement parce que c'est la fin normale de la vie mais aussi parce que c'est une délivrance.
Un bon moment de lecture en tout cas.
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BELLE-SOEUR – Patrick Besson
- Par ervian
- Le 28/12/2012
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N°615– Décembre 2012.
BELLE-SOEUR – Patrick Besson- Fayard
Une famille presque ordinaire à Marolles-en-Brie que nous présente le narrateur, Gilles, l'aîné, la quarantaine : une mère Catherine Verbier, veuve d'un mari décédé tôt et remplacé par Savario, un italien retraité, féru d'actualités et de sport, mais à la télévision seulement. Il avait pris la place du père dans cette famille bizarrement recomposée où les époux ne s'aimaient guère et se contentaient de se supporter. Il faut dire que tout les opposait, lui le pharmacien rondouillard et insignifiant et elle la dentiste flamboyante et séduisante. Ils n'allaient vraiment pas bien ensemble. Dans cette famille un peu hétéroclite il y aussi Fabien, le fils préféré, célèbre acteur de cinéma, alcoolique militant et toxico actif, pas très net donc, mais en couple avec Annabel, une attachée de presse parisienne qui aime surtout les vieux messieurs mais a fait une exception pour son compagnon. Leurs amours sont chaotiques et survivent tant bien que mal face aux conquêtes aussi flamboyantes qu'éphémères de Fabien. Ils passent leur temps à se séparer et à se rabibocher même si elle est amoureuse de lui mais lui pas vraiment d'elle.
Le narrateur, Gilles, est journaliste, délaissé par sa mère et positivement amoureux d'Annabel, la fiancée de son frère qui risque ainsi de devenir sa belle-sœur alors qu'il préférerait qu'elle devînt son épouse. Pourtant ses louables tentatives en ce sens sont plus ou moins vouées à l'échec. Souffler sa petite-amie à son frère dont il est jaloux serait un bon moyen de se venger de lui. Il se rabat, si on peut dire, sur Sophie qui arrive dans sa vie, moins pour lui-même que pour se rapprocher de Fabien dont elle est fan et surtout éperdument amoureuse et qui n'attend qu'une occasion pour coucher avec lui. Tel est l'intrigue de ce roman où le lecteur ne tarde pas à s'apercevoir qu'il s'agit d'un chassé-croisé amoureux, d'une histoire de ménage à quatre, avec ses tromperies, ses mensonges, ses abandons, ses retrouvailles, ses grossesses croisées et ses incertitudes sur la paternité réelle, tout cela sur fond de « people », de « Je t'aime, moi non plus », de recherches ADN de querelles familiales, et tout ceci entre frères ! Les mères sont ici sûres d'une chose c'est qu'elles ont chacune un fils, Tom et Jean, mais pour le père... ? Ce vaudeville aurait pu être plaisant s'il ne s'était terminé par la mort accidentelle de Fabien dont Gilles se demande s'il ne s’agit pas d'un suicide et qui éloigne Anabel définitivement de lui puisqu'il épouse finalement Sophie qu'il n'aime pas.
Cet événement fait resurgir de vieilles questions occultées par des années de silence, de non-dits, de sauvegarde des apparences pour la paix des ménages et des consciences. Quant à Savario, il est purement et simplement congédié. On n'avait pas tardé à s'apercevoir qu'il était surtout un opportuniste et un profiteur, c'est à dire un surnuméraire dans cette drôle de famille où il n'avait pas sa place. Gilles est rejeté sans appel par sa mère qui l'estime responsable de tout et accrédite cette idée auprès des siens, d'autant plus que cela lui permet d'occulter sa propre culpabilité. Marolles deviendra, autour d'elle une véritable maison de famille mais uniquement peuplée de femmes et de deux enfants à l'identité génétique incertaine. Une manière de dire peut-être que la vie a gagné mais Gilles restera malgré le paria, le malheureux, définitivement séparé d'Anabel désormais inaccessible. On imagine pourtant les habitudes qui se figent, les choses définitivement gravées dans le marbre de ce microcosme et la hiérarchie familiale dont Gilles est désormais exclu, le culte du mort perpétué par ces femmes qui l'ont aimé et qui ne cesseront de le faire jusqu'à la fin, pour des raisons différentes.
Je ne connaissais pas Patrick Besson. Avec ce roman, je n'ai pas passé un mauvais moment de lecture puisque je suis allé au bout de ce livre. Il y a bien des bons mots, des remarques pertinentes [ j'en choisis une, et pas au hasard :« La mort a quelque chose de gai : on est délivré de la vie »], des effets de phrases plutôt bienvenus et parfois même un peu humoristiques [« Ce qu'Anabel n'aimait pas chez Fabien, c'était qu'elle l'aimait ; ce qu'elle aimait chez moi, c'était qu'elle ne m'aimait pas »]. Le style et l'histoire m'ont pourtant modérément passionné même si des détails qui émaillent le récit et n'y ajoutent vraiment rien pourraient parfaitement être passés sous silence. La liste des courses avec le prix de chaque produit, le détail des menus, le score des matches de tennis, l'énumération des cafés, restaurants parisiens, des boutiques à la mode avec leurs adresses , etc... pas vraiment attrayant pour la pauvre provincial que je suis. Cela ressemble à de la publicité pas forcément gratuite, dessert le texte et indispose le lecteur. Il faut savoir ce que l'on veut !
Que reste-t-il, le livre refermé, de cette histoire un peu embrouillée et compliquée où l'amour vrai croise les coucheries d'un soir ? Cette question qui se pose à chaque fois que je termine un ouvrage et justifie, peut-être, cette chronique. Je dois à l’honnêteté de dire que quelque chose m'agaçait sans que je sache très bien quoi et qui m'invitait à passer à autre chose . J'ai continué ma lecture cependant ne serait-ce que pour connaître l'épilogue. Cette histoire de gens qui poursuivent un but sans pouvoir l’atteindre, qui ne s'aiment pas sans en connaître eux-même la véritable raison, qui accréditent définitivement une idée et s'y accrochent au point qu'elle devient pour tout le monde une certitude, qui se séparent et qui, pour se consoler sans doute en épousent d'autres, m'a rappelé quelque chose qui ressemble à la société des hommes, à la condition humaine, à la peur de la solitude, à la vie.
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UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson
- Par ervian
- Le 24/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°614– Décembre 2012.
UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson- Juillard
Depuis que j'ai croisé l’œuvre de Philippe Besson sur les étagères d'une bibliothèque et que cette chronique s'est fait l'écho de pratiquement la totalité de ce qu'il a publié, j'avoue bien volontiers que c’est la première fois que j'ai tant hésité à poursuivre la lecture d'un de ses livres. Il m'est même, à plusieurs reprises tombé des mains et je dois sans doute à son style fluide et agréable à lire, à sa phrase simple, précise et faite de mots sans prétention d'avoir poursuivi ma lecture. Peut-être aussi parce que cette histoire se déroule sous le soleil d'automne, à Florence, cette merveilleuse ville toscane qui porte un nom de femme ?
Pourtant, cette histoire est un peu déconcertante. Sur les rives de l'Arno, en contre-bas du Ponte Santa Trinita, on a découvert au matin le cadavre d'un jeune homme, Luca Salieri, 29 ans. Accident, suicide ou meurtre ? Cette cité est celle des énigmes et, par conséquent, le cadre était plutôt bien choisi. Le lecteur s'attend donc à lire un roman policier, mais ce n'en est pas vraiment un, puisque le narrateur n’est autre... que le cadavre lui-même ! C'est lui d'ailleurs qui raconte la découverte de son corps, les questions que ne manquent pas de se poser les enquêteurs en pareil cas, l'autopsie, l'enterrement et j'en passe. Il n'est d'ailleurs pas avare de détails [« Voici que les vers s'attaquent à l'armature, que les asticots prospèrent, que la vermine accourt pour se nourrir de ma viande en décomposition, que des larves s'extirpent de mes orbites creusées. »]. C'est lui aussi qui donne la clé de l'énigme. Bien entendu, il parle à la première personne tout comme les deux autres personnages principaux, Anna Morante, sa compagne et Leo Bertina, un petit prostitué un peu minable qui officie dans le quartier de la gare. Ils interviennent directement et alternativement dans le récit, dévoilant petit à petit leur rôle dans cette affaire et surtout dans la vie de Lucas. A Anna, Luca réservait le mensonge et à Leo le silence. Ces deux portraits croisés vont petit à petit éclairer cette énigme, révélant le rôle personnel qu'ils ont pu y jouer et aussi la personnalité de Luca. Au fil des pages l'intrigue policière s'estompe peu à peu pour disparaître complètement par le biais d'une banale décision administrative. A sa place, Besson y substitue une histoire d'amour mais pas exactement celle à laquelle on pouvait s'attendre. Anna formait avec Luca un couple et un mariage était envisagé. A ce titre et puisque c'est elle qui a signalé sa disparition, elle est interrogée par la police mais prend petit à petit conscience des pointillés et des petits mystères qui existaient entre eux. Elle les supportait cependant par attachement et peut-être par amour pour Luca mais les investigations policières vont progressivement les éclairer et les expliquer. A côté de cette relation quasi-amoureuse, le lecteur assiste à la révélation d'une véritable liaison entre Luca et Leo qui met en évidence une hypocrisie familiale. Pourtant c'est Luca lui-même qui les réuni autour de son cercueil « Anna, Leo, de grâce, soyez assurés que j'emporte votre image avec moi ».
Les autres intervenants secondaires, ses parents notamment, sont juste évoqués, comme des étrangers.
C'est un peu comme si un mort-vivant nous raconterait ce qu'il « voit » à l'extérieur et ce qui lui passe par la tête, égrenant ses souvenirs et ses remords . Il le fait sur le ton léger de la vie, sans aucune angoisse de la mort, avec détachement et même soulagement d'avoir été enfin, par le hasard, débarrassé d'un fardeau. Il avait dû espérer quelque chose de cette existence qu'il n'a cependant pas obtenu d'elle, une sorte d'impossibilité à mener ce ménage impossible, ce trio qui ne pouvait que déboucher sur le scandale ou sur le néant. Il prend cette aventure avec un certain fatalisme et même de l'humour. Il est vrai qu'on peut toujours rire de tout, même des événements les plus inattendus et que c'est une arme efficace, même contre les tragédies... Pourtant Lucas avait tout pour être heureux, une bonne famille bourgeoise, une compagne jeune, jolie et aimante et ce Leo qu'il semblait avoir bien connu. Il incarnait pourtant sa face cachée, son aspiration vers autre chose, sa fêlure aussi, une autre vie impossible à réaliser. Philippe Besson cite d'ailleurs plusieurs fois Cesare Pavese, écrivain italien, auteur entre autre du « Métier de vivre » qui se suicidera.
J'observe que Luca est mort jeune et que pour l'éternité il gardera les traits lisses de son visage, la souplesse de son corps, personne ne le verra vieillir et lui ne sentira pas ses os se déformer et ses yeux s'éteindre. C'est le thème de la jeunesse et de beauté des corps qui revient encore une fois sous la plume de Besson, allié aussi à l'obsession de la mort. Certes il y a l'homosexualité présentée ici comme la part d'ombre de Luca mais ce que je retiens aussi c'est l'hypocrisie, la trahison qu'il pointe du doigt et qui caractérisent tant l'espèce humaine et la rend définitivement détestable.
Au début j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'univers de ce roman. J'ai persisté dans sa lecture et je ne le regrette pas.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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SE RESOUDRE AUX ADIEUX – Philippe Besson
- Par ervian
- Le 22/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°613– Décembre 2012.
SE RESOUDRE AUX ADIEUX – Philippe Besson - Juillard
Il y a quelque chose de pathétique dans cette série de lettres que Louise adresse à Clément, l'homme qu'elle aime et qui l'a quittée. Elle les lui envoie cependant et sait que, bien qu'elle note son adresse au dos de l'enveloppe, il ne les lira pas, pire peut-être, reconnaissant son écriture, il les détruira avant de les ouvrir. Ce sont autant de bouteilles jetées à la mer puisqu'elle a choisi de mettre entre ce Clément et elle l'espace d'un océan, une étendue d'eau, celle de Cuba, de New-York ou de Venise. Elle ne peut en effet se résoudre à oublier cet homme et évoque les lieux d'où elle écrit ses missives, de Venise, de New-York et, évidemment de Paris, égrenant pour lui les bons et les mauvais moments.
C'est donc un roman sur le chagrin amoureux d’une femme abandonnée qui a choisi de s'isoler du monde dans un endroit où personne ne pourra la localiser bien que, paradoxe, elle précise son adresse pour Clément. Seule Jeanne, son amie sait où elle est mais elle a promis le silence. Elle les égrène avec des chansons de Barbara ou d'Aznavour, comme un fil d'Ariane. Elle sait pourtant que ses mots sont sans espoir et que Clément restera avec Claire, celle avec qui il forme un couple officiel sinon légitime. « Tu dois te demander ce que je cherche en t'écrivant . Rien La réponse est rien. ». Il y a quand même des ressentiments dans ces lettres, pire, elles ne sont faites que de cela, entre humiliation de l'adultère, de la trahison et rancune de l'échec, entre fantasmes et faux espoirs.
Pourtant il y a cet acte d’écriture qui, comme le note pertinemment l'auteur peut parfaitement cacher les choses [« L'écriture est un travestissement si on le désire »] Elle demande du courage cependant. J'ai déjà dit dans cette chronique, et spécialement à propos de cet auteur, le rôle apaisant de l'écriture. On sent que Louise est meurtrie par l'abandon de Clément, d'autant qu'il s'accompagne de sa part d'hypocrisies et de lâchetés ordinaires. Je trouve personnellement des vertus à l'écriture, même si je ne sais pas l'expliquer et je n'y vois pas, comme pour les médicaments, de contre-indications ou de l’accoutumance, mais ce n’est pas là un défaut, au contraire. C'est pourtant le seul moyen qu'elle a trouvé pour exorciser cette absence mais son soliloque tourne court. On imagine Clément déchirant les enveloppes avant que de les lire, indifférent aux états d'âme amoureux de son expéditrice. Cette écriture reste cependant celle « du souvenir du bonheur ». De même le voyage, le dépaysement avec leur lot d’aventures, de hasards, de découvertes, de passades peut-être restent un ersatz et la compagnie de Clément pendant ce périple est une fiction entretenue artificiellement. Même si les foucades sont possibles, Louise ne cherche plus à séduire et poursuit inlassablement ses souvenirs qui ressemblent de plus en plus à des remords. Je ne suis pas sûr que ce dépaysement aide à la guérison, bien que Louise semble ressentir un mieux-être et entame une sorte de convalescence au fur et à mesure qu'elle se rapproche de Paris et de ses racines françaises. Bien qu'elle s’interroge « Guérit-on jamais des hommes qui nous quittent ? », elle sait que lorsqu'elle rentrera chez elle, elle ne trouvera pas de traces de Clément ni dans sa boite aux lettres ni sur son répondeur. Elle espère encore mais cette tranquillité est trompeuse, artificielle.
Louise reconnaît une chose qui n’est pas facile à admettre : Elle est inapte au bonheur. Face au désarroi de l'abandon, elle fait prévaloir la vie sur la mort, fait confiance au travail, au temps qui passe et qui sans doute efface tout, aux toquades possibles qu'elle considère comme une victoire facile, éphémère et parfois refusée. Savoir qu'elle peut encore plaire est une futilité, certes, mais une consolation qui se matérialise à la fin, dans une nouvelle vie.
Dans d'autres chroniques consacrées à Philippe Besson j'ai eu l'occasion de vanter ses qualités de conteur. Sans les minimiser cette fois, je n'ai pas trouvé dans ce roman le souffle ordinaire que je goûte dans ses autres ouvrages. Seul son style, comme toujours, m'a plu mais la présentation sous forme de lettres unilatérales m'a paru un peu fastidieuse.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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RETOUR PARMI LES HOMMES – Philippe Besson
- Par ervian
- Le 20/12/2012
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N°612– Décembre 2012.
RETOUR PARMI LES HOMMES – Philippe Besson - Juillard
A la fin de « En l'absence des hommes » (La Feuille Volante n° 609) , Vincent de l’Étoile, meurtri par la mort d'Arthur était parti vers des contrées lointaines, une fuite pour adoucir ce deuil. Ainsi était-il parti, entre Afrique et Amérique, sur terre comme sur mer, avec pour seules boussoles le hasard et la liberté, loin de Paris et de ses 16 ans, de son éducation aristocratique, entre fantasmes et réalités, entre « bateau ivre » et aventures exotiques et même inattendues. En vain ! C'est une autre version de « l'homme aux semelles de vent » chère à Rimbaud, mais voyager, nous le savons, n'est pas guérit son âme. Cette période sabbatique de sept années est symbolique, elle répond sans doute aux sept jours pendant lesquels il avait vécu un amour parfait avec Arthur. A lui qu'il n'a toujours pas oublié, il parle par de-là la mort, évoquant cette semaine d'amour. Ce jeune homme qui aime les garçons mais ne laisse pas les femmes indifférentes a connu des aventures amoureuses fugaces mais sans lendemain. Il a choisi de rester fidèle à un mort !
De Marcel Proust, il n'a eu que des nouvelles partielles, il a su qu'il avait connu la gloire, la consécration littéraire puis ce fut la mort après une courte agonie...Il revient donc chez lui pour apprendre que sa mère lointaine et hautaine l'a fait recherché et que son père est mort de son absence. Ce n’est cependant pas le retour du fils prodigue mais un accueil froid, plein de reproches. Blanche, leur gouvernante et la mère-célibataire d'Arthur s'en est allée et on a perdu sa trace. Madame de l’Étoile a choisi de s'engoncer dans un monde immobile et sans doute d'y attendre la mort et Vincent découvre un Paris qui a changé, qui veut oublier la guerre et qui s’abrutit dans les plaisirs un peu comme si ce XX° siècle tout neuf avait débuté en 1918. Lui reste malgré tout un jeune aristocrate qui remarque « Je suis né trop tard ou pas dans le bon pays » ;
Vincent rencontre Raymond Radiguet, un jeune homme au talent précoce et plein d'avenir qui lui fait connaître Cocteau. Malgré son très jeune âge, il est déjà l'auteur de deux romans au parfum de scandale. Il le suit dans dans une sorte de folle équipée parisienne où le lecteur ne sait pas trop s'il s'y perd ou s'il s'y reconstruit. Dans ce tourbillon il rencontre des peintres, des écrivains...Il se remémore sa relation chaste et platonique avec Proust et en mène une autre avec Raymond qui aurait pu être torride mais ne l'est pas. Si l'auteur d' « A l'ombre des Jeunes filles en fleurs » se penchait sur le passé , Radiguet lui incarne l'avenir. Il est attiré par lui mais, malgré ses vingt ans Raymond meurt brutalement d'une fièvre typhoïde. Au cours de leur brève relation, il avait évoqué une noyade à laquelle il avait échappé de justesse notant avec prémonition « C' aurait été une mort épatante. Tellement plus originale que le suicide ou la vieillesse ». Il ajoute même « Et puis sait-on si on aura le temps de tout faire ? Mieux vaut commencer tôt » et Vincent rapproche cette remarque de sa propre existence « Moi qui me suis contenté de fuir, d'errer sans but précis, moi qui n'ai rien commencé, rien terminé, moi qui ne suis qu'un ballon de carnaval arrimé à la main d'un enfant distrait.»
Ainsi, autour de Vincent, ce n'est que la mort qui rode et le temps qui passe. Lui survit à tout cela, entre questionnement et culpabilité. Il note quand même dans l'ultime phrase de ce roman « Les morts me rendent la vie ». A n'en pas douter Vincent a gagné en maturité et choisit de s'éloigner de la mort.
J'avoue que j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'univers de ce roman, seule la fin a retenu mon intérêt. Malgré tout et comme toujours le style de Besson m'a plu.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson
- Par ervian
- Le 20/12/2012
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N°611– Décembre 2012.
LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson - Juillard
Sous la forme d'un journal intime, Isabelle, sœur d'Arthur Rimbaud, relate par le menu les derniers moments de son frère à partir de son retour en France . Nous sommes en 1890 et il n'a plus que quelques mois à vivre. A l'issue d'un séjour de 10 ans en Afrique où il voulait faire fortune, il revient se faire soigner une tumeur au genou qu'il a contractée là-bas mais on l'ampute à l’hôpital de Marseille. Elle se souvient d'Arthur, cet élève précoce et brillant sans doute promis à un bel avenir, cet adolescent insoumis épris de liberté et de voyages qui très tôt fuit cette ferme pour être ce garçon aux semelles de vent. C'est que, dans la famille, les hommes ont la bougeotte, comme le père, le capitaine Rimbaud qui abandonna les siens, comme Frédéric maintenant définitivement banni.
Arthur a 35 ans, il a perdu toute la fougue révolutionnaire de son adolescence, son talent de poète aussi et s'il pratique encore l'écriture c'est pour s’enquérir de ses affaires avec ses associés restés en Afrique. La correspondance qu'il entretient cependant avec Isabelle et qui annonce sa venue dérange par son exclusivité et le tour personnel qu'elle prend. Il revient cependant dans cette maison où sa mère le considère comme une charge, lui, l'estropié qui ne pourra rien faire. C'est que, dans cette famille, les femmes sont solides, travailleuses et dures au mal et il n'y a jamais vraiment eu sa place malgré quelques rapide séjours. Isabelle est heureuse de le revoir, elle l'attend, se met à sa disposition quasi exclusive pour que ce séjour parmi les siens qu'elle suppose temporaire, lui soit le moins dur possible. C'est elle qui l'a accueilli, soigné, supporté ses blasphèmes et ses critiques, qui lui a parlé, qui l'a absout par avance pour tous ses débordements, qui l'a protégé contre la froideur de sa mère, contre la curiosité malsaine des paysans venus le voir comme une bête curieuse. C'est elle aussi qui l’accompagnera dans son dernier voyage vers la mort et qui reviendra avec son cercueil. Il meurt en novembre 1891 à 37 ans, avec ses rêves inaccomplis, son avenir à jamais brisé. Isabelle est attachée à sa mère à qui pourtant elle ne trouve aucune excuse, plus par devoir que par amour, cette femme indifférente, pingre, froide et autoritaire, figure tutélaire de cette famille désarticulée et déjà visitée par la mort puisque Vitalie, une autre fille est déjà morte.
Isabelle est une femme de devoir puisqu’elle s'est assigné celui de sauver cet homme diminué qui souffre autant dans son corps que dans son cœur. Elle le connaît, se souvient de son appétit pour les plaisirs terrestres, sa gourmandise du monde, sa liaison scandaleuse avec Verlaine, sait son penchant homosexuel et comprend très vite que s'il veut rejoindre Aden, c'est moins pour faire perdurer son aventure exotique ou faire une hypothétique fortune que pour rejoindre Djami, un jeune abyssin qui fut son amant. Il n'incarne pas seulement la souffrance, c'est aussi un homme tourmenté. Ce qu'elle veut, en tenant ce journal c'est certes faire perdurer la mémoire de son frère sans cependant la salir face à cette société bien pensante et hypocrite. Elle se sacrifie pour Arthur comme elle restera soumise et fidèle à sa mère. Elle est cette vieille fille, vierge, perpétuellement vêtue de deuil, trop bigote et maintenant trop laide pour espérer se marier (Elle épousera cependant Paterne Berrichon en 1897) . C'est un peu comme si elle était l'épouse de substitution d'Arthur. Elle avait mis beaucoup d’espoir dans ce frère qui lui est revenu quelqu'un trop longtemps absent et qui lui échappe. Tout au plus réussira-t-elle à sauver l'âme de ce mécréant!
Il y a dans ce roman des thèmes chers à Besson, celui de l'homosexualité mais aussi celui des liens fraternels qui justifient tout (déjà rencontrés dans « son frère »), celui de la famille destinée à s'éteindre faute de descendants, celui de la mort aussi. Ici aussi un vivant écrit pour un disparu, pour que son souvenir ne se perde pas, pour que les traces qu'il a laissées sur terre ne soient pas trop tôt effacées, pour qu'on garde une place pour lui dans la mémoire face à une espèce humaine oublieuse par essence ou par habitude. Les mots abolissent ainsi le temps, font échec à l'amnésie.
Je suis assez fasciné par la faculté qu'a l'écrivain, de raconter une histoire même fictive, de refaire le monde, de recomposer pour son lecteur l'histoire d'un personnage, de lui prêter des sentiments , des fantasmes et des phobies, face à la feuille blanche.
Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique le style fluide de l'auteur me procure, comme toujours, un bon moment de lecture.
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SON FRERE – Philippe Besson
- Par ervian
- Le 16/12/2012
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N°610– Décembre 2012.
SON FRERE – Philippe Besson - Juillard
Lucas Andrieu, le narrateur, va raconter, sous la forme d'un journal, avec cependant des analepses, les derniers moments de son frère, Thomas, atteint d'une incurable maladie du sang. Il le mêle, dans la relation qu'il en fait, à l'ambiance déshumanisée des hôpitaux, les tâtonnements des médecins, leur apparent détachement, les soins douloureux et parfois barbares aux souvenirs communs qu'il a avec ce frère qui va mourir. Il replace ces scènes à St Clément des Baleines, à l’extrême pointe de l’île de Ré où, selon une légende non vérifiée, des cétacés venaient mourir. Ici aussi se trouve leur maison de vacances, blanche, aux volets verts avec le ciel bleu et la sable fin, une vraie carte postale d'été. Face au silence obligé du début, à des parents très absents, incompréhensifs et impuissants, à Claire « aux yeux clairs », « la femme des petits matins, la femme embrassée sur le pas des portes », la compagne de Thomas qui choisit la fuite, Lucas va prendre l'énorme charge de cette douleur et de cette épreuve. Lui, l’aîné, le complice, accompagnera son frère jusqu'à la mort.[« C'est auprès de moi que chacun vient exprimer son angoisse, sa détresse. Pour la énième fois de ma vie, je joue le rôle du substitut de Thomas »]. Pourtant, la mort a déjà frappé cette famille ordinaire avec la non-naissance de Clément. Ce décès annoncé ne fait que raviver la douleur, le deuil, l'impuissance...
Ils ont peu de différence d'âge et se ressemblent physiquement comme des jumeaux mais leurs parents ont toujours préféré Thomas plus expansif, plus amoureux de la vie. Lucas, lui est solitaire et mélancolique. Pourtant, entre eux, il n'y a jamais eu de concurrence. Ils sont jeunes, ont la vie devant eux et des rêves plein la tête, mais l'un d'eux va mourir. La camarde va s'acharner sur lui, lentement, avec des périodes d'apparente rémission, dans un contexte apaisant des vacances à la mer, une sorte de dernier salut à la vie, dans le souvenir lumineux de ce qu'elle fut pour eux. Ils sont différents cependant puisque Lucas est homosexuel et que Thomas aime les femmes, mais cette différence renforce cependant leur fraternité, comme la maladie de Thomas l'affermira.
C'est un épisode de sa vie amoureuse et passionnée qui va revenir dans une histoire contée par un vieux pêcheur rétais et confirmée aussi, à la fin, par Thomas, la négation d'une paternité à venir, la fuite face aux responsabilités, la mort, déjà, comme une fatalité, dans les eaux bleues du pertuis [« On ne va pas contre la volonté de l'océan »]. Il choisira symboliquement le même trépas plutôt que sur un lit d’hôpital. J'y vois quelque chose comme une dette que Thomas aurait contractée et qu'il va maintenant payer un peu comme si ses souffrances lancinantes répondaient à celles de cette jeune fille désespérée qui a choisi de quitter la vie quelques années auparavant parce qu'elle ne supportait pas la lâcheté. Pire peut-être, c'est une faute qu'il expie.
Au début des investigations les médecins, inquisiteurs, l'interrogent sur d'éventuels rapports sexuels non protégés. On songe au sida pourtant vite écarté, regardé comme une malédiction mais aussi une forme de châtiment. Pour autant, on sent que la maladie est considérée comme une punition. N'a -t-on pas longtemps soutenu que la souffrance était rédemptrice ?
C'est une page qui se tourne, la fin de quelque chose, non seulement cette tranche de vie s'achève mais cette transition est associée à la mort du frère, un autre lui-même (« Cette mort prévisible, attendue, causera pourtant, à n'en pas douter, un cataclysme. Elle rejaillira sur nos existences. Elle les modifiera, leur fera prendre une direction imprévue »). Pourtant Thomas, cet amoureux de la vie accepte l'échéance au point de s'occuper lui-même de sa propre sépulture.
Comme souvent dans les romans de Besson, la mort revient comme un thème récurrent, la marque de la condition humaine, l’homosexualité aussi avec, comme en contre-point, une descendance qui ne sera plus assurée pour cette famille un peu désunie. Ici j'y vois aussi une volonté délibérée de ne pas donner dans le pathos malgré les termes techniques, l’épilogue annoncé, les questions posées, le lent cheminement vers la mort « Au fond, cette mort sera-t-elle autre chose qu'un long et lent suicide consenti ? ».
Comme toujours aussi, ce roman a été pour moi un bon moment de lecture grâce au style fluide et agréable de l'auteur.
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L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson
- Par ervian
- Le 14/12/2012
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N°604– Décembre 2012.
L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson – Juillard.
Une histoire simple : Un soir de septembre un peu orageux, au cap Cod dans l'état du Massachusetts aux États-Unis, un bar, « chez Phillies », donnant sur les falaises d'où se jettent parfois des désespérés. Ben, un barman ordinaire et discret, une cliente, Louise Cooper, 35 ans qui attend Norman. C'est une habituée de cet établissement. Elle sirote un Martini blanc simplement parce qu'elle aime davantage la forme du contenant que le contenu. Elle est auteur dramatique à succès et porte ce soir-là une robe rouge comme ses lèvres. Cette couleur sied aux femmes belles et de caractère, et c'est effectivement ce qu'elle est. Célibataire, elle mène une vie libre et choisit ses amants. Entre Ben et elle, c'est une longue histoire d'amitié et de complicité silencieuse, exactement depuis qu'il a pris son service chez Phillies, il y a longtemps et d'ailleurs il connaît toutes ses pièces. Pour elle, il n'est pas qu'un simple serveur et pour lui elle est plus qu'une habituée.
Un homme arrive, Stephen Touwnsen, un client ordinaire en apparence. Il est avocat d'affaires à Boston, marié à Rachel et père de famille. Ben le connaît aussi et, bien entendu Louise puisqu'ils ont eu ensemble une longue liaison parfois orageuse mais surtout passionnée qui s'est terminée il y a cinq ans par l'apparition entre eux de Rachel qui s'est glissée dans sa vie et dans son lit. Stephen s'était donc marié avec sa nouvelle conquête qui lui offrait le calme même s'il formait avec Louise « un beau couple » comme dirait Ben. Pourtant, pendant toutes ces années de séparation, il n'a pas cessé de penser à elle, bien que cette dernière lui ait interdit de chercher à la revoir. Une page s'était donc tournée pour eux, et Louise avait décrété le silence sur ce souvenir. C'est une femme forte et, après la douleur de la séparation, elle a puisé dans l'écriture une nouvelle raison d'exister en créant des pièces inspirées de cet échec. On ne dira jamais assez l’extraordinaire pouvoir exorciste des mots !
Stéphen savait qu'en passant la porte de ce bar, il la trouverait ici et il lui annonce sa séparation d'avec Rachel. En l'apprenant Louise savoure une sorte de victoire mais pourtant elle s'en moque puisqu'elle attend un homme qui pourtant tarde à venir parce que, pour elle, il va quitter son épouse. Maintenant entre eux s'installe une sorte de silence gêné que Ben respecte et scrute, l'air de rien. Dans ce coin de bar, il règne entre des deux ex-amants une atmosphère surréaliste à cause de ce mutisme que chacun veut briser sans exactement savoir comment faire. Dans leur for intérieur, ils pensent à leur passé commun, à leurs souvenirs, à leurs erreurs aussi tout en laissant à l'autre l'initiative d'interrompre ce silence. Quand elle comprend que Norman ne viendra pas la rejoindre et donc qu'il renonce à elle, tout redevient possible entre Louise et Stephen puisqu'ils sont libres tous les deux et qu'ils n'ont cessé de s'aimer. Peu à peu le silence se lézarde comme un vieux mur et la solitude de ces deux êtres s'estompe, le respect revient à travers des regard muets « Ils s'observent avec tendresse, avec une sorte de gratitude. C'est un regard comme une reconnaissance de dettes. Un regard comme un pardon aussi , pour la douleur ou pour le manque. Un regard comme un regret enfin, de ce qui a été, de ce qui aurait pu être ». Ben, constamment en retrait dans ce café du bout du monde veut rester le figurant discret de ce psychodrame mais en connaît tous les ressorts.
Il y a dans ce roman une musique, une ambiance qui est bien rendue par la fluidité du style. Le texte, agréablement écrit, sans artifice, poétique dans les descriptions, se lit bien et avec plaisir. Il est réaliste et précis comme la peinture d'Hoppert. Les phrases sont comme des touches de couleur dont l'ensemble forme un tableau.
Il y a une analyse fine des sentiments de ces protagonistes, une étude psychologique pertinente qui peu à peu emporte l'assentiment du lecteur. Dans ce huit-clos, l'auteur le prend à témoin en lui dévoilant, dans une analyse précise, l'histoire intime de Louis et de Stephen, sans omettre les lâchetés ni les remords.
A la lecture de ce roman, je mesure le rôle du romancier, celui de raconter une histoire, celle de cette femme en robe rouge du tableau de Hoppert. Elle n'est qu'un personnage peint sur une toile que les visiteurs du musée ne verront peut-être pas. L'auteur lui invente une tranche de vie qui n'est sans doute qu'une fiction sortie de son imagination ou de l'émotion qu'il a ressentie devant ce tableau et qui porte son écriture.
J'avoue que j'ai toujours été bouleversé par les rencontres d'hommes et de femmes qui, dans le passé ont eu des relations intimes, une vie commune et qui, longtemps après leur séparation, se retrouvent presque par hasard. Leur dialogue est plein de non-dits et les mots peinent à venir à cause sans doute des chagrins, des petites bassesses dont on se souvient et qu'on n'a pas pardonnés, par l'envie aussi qu'ils ont de recommencer leur histoire.
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QUAND LES BROCHETS FONT COURIR LES CARPES – Jean-Louis DEBRE - Editions FAYARD NOIR
- Par ervian
- Le 14/12/2012
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N°305 – Juillet 2008
QUAND LES BROCHETS FONT COURIR LES CARPES – Jean-Louis DEBRE - Editions FAYARD NOIR.
D'ordinaire je prise peu les écrits des hommes politiques, mais la perspective de lire un roman policier autant que la citation de Talleyrand à laquelle cet ouvrage emprunte son titre était quand même une incitation à la lecture. Et puis ce n'était pas de grandes idées généreuses brassées à longueur de pages, dans le seul but d'appâter l'électeur... avec la ferme intention de ne jamais les mettre en pratique!
Il s'agit d'une fiction, quand même largement inspirée par la vie politique immédiate où les personnalités politiques de gauche se retrouvent, au nom de l'ouverture et de la rupture, dans un gouvernement de droite, à des postes ministériels. D'emblée le narrateur se présente, écrivain égaré dans l'éducation nationale, sans doute pour des raisons alimentaires, on sent bien qu'il n'a pas grand chose à y faire et s'en échappera à la première occasion. Il croise donc, dans les jardins du Palais-Royal, une femme énigmatique et envoûtante qui, dans le grand chamboulement politique qui suit les élections présidentielles, devient Secrétaire d'État, malgré son passé gauchisant, lui offre ses services et, à la suite de circonstances qui ne se rencontrent que dans les romans, devient son chef de Cabinet, son confident, son mentor... J'aime leurs relations en demi-teinte, à la fois quasi amoureuses et empreintes de respect mais aussi hostiles et mystérieuses parfois.
Tout pourrait aller pour le mieux pour cette jeune femme si elle n'était soudain rattrapée par son passé. Jeune militante gauchiste, elle a rêvé de détruire cette société bourgeoise que, ministre, elle souhaite maintenant consolider pour affermir sa position et satisfaire ses ambitions. Mais ses anciens amis veillent sur cet avancement et comptent bien profiter d'une situation unique, usant sans vergogne du chantage, de la délation, de l'intimidation, des manipulations, de la trahison, de l'infiltration, pour faire avancer leurs idées. Et tant pis si, accessoirement, il y a enrichissement personnel, magouille et trafics en tous genres...
Dès lors, ce chef de cabinet, dont le rôle était au départ d'écrire des discours, devient une pièce maîtresse de ce puzzle où « sa » ministre se débat, entre ses anciennes convictions, sa volonté d'avenir et les turpitudes ambiantes. Il pénètre sans s'en apercevoir dans un univers qui lui était inconnu, bien loin de celui du modeste enseignant qu'il était jusqu'alors. C'est que, trop candide, trop honnête ou trop respectueux de la vérité, il cherche à protéger « sa » ministre, mène sa propre enquête, se révèle un fin limier mais aussi et peut-être surtout, une victime. Mais voilà, les menaces se précisent et la déstabilisent, des morts suspectes viennent compliquer une situation délétère où elle semble se noyer. Finalement, les choses et les protagonistes de cette intrigue reprendront leur vraie place, mais lui, de plus en plus étranger à tout cela sent la situation lui échapper, tandis qu'à l'extérieur les choses suivent leurs cours normal. Non décidément ce monde n'est pas fait pour lui!
L'occasion est trop belle pour l'auteur de se livrer à une critique sans complaisance du microcosme qu'il connaît bien, surtout l' Assemblée Nationale évidemment, les petites et les grosses ficelles du métier de d'homme politique faites d'alliances, d'influences et de retournements, de palinodies parfois, d'esquisser des silhouettes et des personnages, de distiller des aphorismes bien sentis, mais aussi, et peut-être surtout, de dénoncer les petits travers, les illusions et compromissions propres à la condition humaine. L'auteur se pose en spectateur privilégié de l'ambiance actuelle, exceptionnelle et paradoxale dans l'histoire politique de notre pays, mais aussi de cette volonté éternelle qu'à l'homme de prendre le pouvoir pour assurer sa promotion personnelle, même si pour cela il doit trahir ses convictions... Et on sent bien qu'il est à son affaire!
C'est un roman passionnant qui se lit facilement, bien documenté, surtout en matière d'investigations policières et plein d'annotations culturelles où se lit tout l'amour que l'auteur porte à Paris. On sent aussi tout le plaisir que l'auteur prend à l'écriture. Il tient son lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne!
© Hervé GAUTIER – juillet 2008.http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson
- Par ervian
- Le 14/12/2012
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N°609– Décembre 2012.
EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson - Juillard
Nous sommes en 1916 à Paris, un jeune aristocrate de 16 ans, Vincent de l’Étoile fait, dans un salon, la rencontre de Marcel Proust (pourtant jamais nommé), alors homme de lettres reconnu, de trente ans son aîné. Avec le temps, il partage avec lui une amitié sincère qui ira jusqu'à la confidence. Pour Vincent, il y a certes la réputation que va lui faire le tout-Paris : fréquenter Proust est sulfureux et il le sait mais bien des choses les rapprochent, notamment l’adoration de leur mère. Proust pourtant rectifie « Nous n'appartenons pas à la même vie mais je crois que ce n'est grave pour aucun de nous deux ». Au fil de leurs rencontres, des liens quasi-filiaux se créent entre Vincent et Marcel qui se confient l'un à l'autre. Vincent ne souffre pas vraiment du manque de son père mort et Marcel, asthmatique et porté sur la littérature, a senti très tôt qu'il allait décevoir le sien puisqu'il était professeur de médecin et que le frère de Marcel sera chirurgien.
Il y a aussi Arthur Valès, jeune instituteur de 21 ans qui est fils naturel de la gouvernante des parents de Vincent, autant dire une domestique. Il est actuellement dans la boue des tranchées à Verdun. Entre les deux jeunes hommes il y a très tôt une attirance physique, durant sept jours (le chiffre symbolique d'une création) de permission, ils vont s'unir charnellement, se promettant un amour perpétuel.
« En l'absence des hommes » est donc le récit de cette courte liaison amoureuse entre deux garçons, sur fond de guerre et avec le regard bienveillant et protecteur de Marcel. Proust nous est présenté comme un mondain, un dilettante qui souhaite s'opposer aux Allemands par la participation à des dîners et des fêtes parisiennes alors qu'Arthur est sous les balles et les obus. Puis, les confidences et la confiance se faisant plus précises, Vincent va avouer à Marcel son attirance pour Arthur. On s’attendrait qu'il y ait des tentatives de séduction de la part de Proust face à un jeune adolescent qui partage son penchant homosexuel. Il n'en est rien, au contraire puisqu'il conseille son jeune ami, le met en garde contre la société qui bannit et punit durement cette aversion, lui parle de l'amour qui est synonyme de souffrance, de désespoir, le met en garde contre « les emballements du cœur », lui rappelle qu'il a toute la vie devant lui, que la mort peut venir contrecarrer ses projets mais s'enthousiasme pour ce pur amour qui lui a sans doute été refusé.
Arthur retournera dans ses tranchées et fera partager à Vincent cette guerre atroce et meurtrière qui le fauchera. Leurs lettres sont à la fois pudiques et sensuelles et on peut cependant se demander comment, ce qui mettait en évidence une liaison condamnée par la loi, ait pu échapper à la censure militaire. Cette correspondance dont la dernière arrivera trop tard est le pendant de celle que s'adressent mutuellement Vincent et Marcel, absent momentanément de Paris. Il y a entre eux aussi une dimension d'aveu, de conseils aussi d'un ami plus âgé, presque de relations père-fils, une relation platonique en tout cas.
Le personnage de la mère d'Arthur est émouvant, « cette femme de quarante ans qui en paraît soixante » et qui a dû subir toute sa vie l'opprobre de la « fille-mère ». Elle prend la dimension d'une Piéta( La mère est là...) Au début, les paroles qu'elle échange avec Vincent sont convenues, presque de circonstances et leur rencontre est surtout faite de silences. Mais rapidement et malgré la subordination qui existe entre eux, elle se confie à lui, lui avoue qu'elle avait compris tout de suite l’attachement qui le liait à son fils, lui révèle son parcours douloureux et misérable, le secret de la filiation d'Arthur, la découverte de sa sexualité, le silence mutuel qui a entouré cette prise de conscience, la certitude que l'autre savait sans jamais en avoir parlé, la révélation de l'amour que son fils portait à Vincent …
Il y aussi de longues digressions sur la mort, sur l'absence et le gâchis, l'inconcevable et l'inexplicable quand il s'agit d'un enfant, même si on a prié un improbable dieu que cela n'arrive jamais ! Le souvenir laissé par un être se mesure à l'aune de ceux qui, après sa disparition penseront encore à lui.
Je retiens aussi une analyse très fine de l'écriture que l'auteur met dans bouche de Marcel et aussi pour Besson l'occasion de dire toute l'admiration qu'il a pour l'auteur de « A la recherche du temps perdu ». Lors de leurs échanges, Marcel confesse à son ami l’importance qu'à l'écriture pour lui, « Si je n'écrivais pas, je crois bien que je serais mort ». De même il met en parallèle l'écriture et la paternité, lui qui n'est pas censé avoir d'enfant. Ses livres seront ce qui lui survivra et quand Vincent lui demande pour qui il écrit, il répond « J'écris pour mes disparus ». L’épilogue que l'auteur imagine est cependant originale et inattendue !
Vincent et Arthur n'ont pas eu le temps d'être malheureux ensemble. Leur amour est donc intact et dès lors ravalé au rang de souvenir douloureux, un vide que la fuite seule peut combler.
Je vais sans doute écrire une absurdité mais, si j’apprécie la démarche proustienne du temps qu'on abolie par le travail de la mémoire, je ne goûte guère son style, sa phrase interminable et compliquée. Je lui préfère et de loin le style fluide et musical de Besson mais j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette chronique.
Ce roman publie en 2003 était le premier de Philippe Besson. Il fut salué par la critique comme une révélation.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com