la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Land and freedom - Un film de Ken Loach

     

    N°572– Mai 2012.

    LAND AND FREEDOM Un film de Ken Loach (1994)

    Le film s'ouvre sur la mort d'un homme, David (Ian Art), de nos jour à Liverpool, dans une ambulance.

    Sa petite fille, en rangeant les affaires de son grand-père décédé trouve des photos set des lettres qu'il a envoyée pendant sa jeunesse, découvre que ce dernier a combattu pendant la guerre d'Espagne dans les rangs des Brigades internationales comme volontaire anglais. Sa vision du communisme alliée au chômage qui mine l'économie et la société britannique des années 30 le persuadent qu'il n'y a pas d'autre choix pour lui.

    Un peu par hasard, après un voyage long et pénible, il se retrouve, avec d'autres volontaires de toutes les nationalités dans les rangs du POUM (Parti ouvrier d'unification marxiste) pour combattre les fascistes de Franco. Il ne tarde pas à faire le coup de feu en Aragon, dans les tranchées où il côtoie des femmes combattantes, mais avec des armes obsolètes et l'une d'elle le blesse. La brigade dans laquelle il combat est non seulement peu armée mais est surtout animée par un idéal politique qui ne convainc pas tout le monde. Il part pour une courte convalescence à Barcelone où il retrouve Blanca (Rosana Pastor), une jeune militante aragonaise qui combattait avec lui et dont il était amoureux. Elle tente de le persuader de se battre dans les rangs de la Milice alors qu'elle découvre qu'il a déjà rejoint les rangs des Brigades internationales, ceux qu'elle appelle « les staliniens ». Elle le quitte tandis que, écœuré par les divisions et les combats au sein du camp républicain, David déchire rageusement sa carte du parti communiste et rejoint sa brigade en Aragon pour assister à la liquidation des trotskystes du POUM qui est déclaré illégal en 1937.

    David se forge lui-même son opinion au fur et à mesure que se déroule ce conflit. La discussion qu'ils ont sur la nécessité de collectiviser les terres est révélatrice. Il prend peu à peu conscience non seulement de l'enjeu de cette guerre mais surtout du contexte international. Le POUM fait figure d'extrémiste, ce qui dérange Staline qui recherche surtout la respectabilité sur le plan international. Pour cela on accusera ces combattants de la liberté d'être des traîtres au communisme et même d'être des agents de Franco !

    Vidal (Marc Martinez), capitaine de la brigade est un socialiste convaincu qui veut surtout gagner la guerre contre Franco et en cela s'oppose au gouvernement en place. Il est bien conscient qu'en s'y ralliant il obtiendra des armes modernes et efficaces, mais il devra s'y soumettre et ainsi aliéner son idéal. C'est tout le problème du film qui met en évidence les luttes intestines des Républicains qui les ont amenés, tout autant que l'alliance de Franco avec les puissances fascistes, à perdre cette guerre. Cela est mis en évidence dans les discussions qu'ont, dans le village pris aux fascistes, les paysans et leurs libérateurs mais surtout dans la scène ou Blanca est tuée par les troupes républicaines venues recevoir la reddition de la brigade.

    Comme toujours Ken Loach prend le parti de filmer les opprimés, les humiliés, les laissés pour compte de la société quelle que soit la forme que prend cette manière d'écraser ceux qui ne peuvent guère se défendre. Si en plus ils sont idéalistes, pauvres, pleins d'illusions et désireux de changer le monde, c'est mieux ainsi et cette Guerre d'Espagne leur a fourni l'occasion de se mesurer à la réalité et à la politique … et d'en être déçus ! Ce n'est pourtant pas un film « documentaire » sur la guerre d'Espagne, nombreux sont ceux qui s'en sont faits les historiens ; il y a somme toute peu de scènes de combat.

    Ken Loach ne cesse, dans ses films de dénoncer les compromissions et les lâchetés des hommes face à un idéalisme parfois utopique de quelques-uns. Ce qu'il veut c'est montrer ces hommes qui s'engagent au point d'être capables de mourir pour une idée, un idéal, sont toujours floués, abandonnés par ceux qu'on appelle les élites. Des écrivains contemporains de ce conflit ont contribué, par leurs écrits, à nous donner une vision idyllique de cette guerre, surtout du côté républicain. Il y avait du panache et de la grandeur à se battre pour la liberté d'un peuple attaqué par des rebelles mais la réalité a été bien différente, à cause notamment des dissensions au sein même du camp républicain et de leurs luttes fratricides.

    Les dernières images du film montrent les obsèques de David, les anciens combattants communistes présents qui saluent le cercueil sur lequel sa petite-fille verse de la terre d'Espagne que son grand-père avait rapportée.

    Ken Loach est un grand témoin de son temps de la société et des hommes qui la composent. .

      ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • La Feuille Volante à 32 ans

     

    N°570– Mai 2012.

    La Feuille Volante à 32 ans !

    Pendant ces 32 années de parution plus ou moins régulière, j'avais un peu tendance, chaque année, à me réjouir de la continuation de cette chronique. Las, je dois bien me rendre à l'évidence, je n'ai pas réussi à intéresser mes contemporains. Même sa transformation en « blog » et sa publication sur internet n'ont pas suffi à la sortir de l'anonymat. Son existence a toujours été confidentielle.

    Au fur et à mesure des années, quand je décomptais le temps de son existence et que je notais une année de plus, j'étais saisi par une sorte de vertige, surtout quand on connaît la durée de vie plus que limitée de ce genre de revue. Cette longévité est sans doute due au fait que j'ai toujours été seul pour en assurer la rédaction et tout le reste, ce qui ne se faisait pas, évidemment, sans imperfections.

    Ma vie personnelle cabossée et pleine de bleus a favorisé pendant de nombreuses années la lecture et l'écriture, l'une nourrissant l'autre. Elles m'ont permis de ne pas faire prévaloir ma descente et mon basculement inexorables vers le néant, de supporter les vicissitudes de cette vie. Pourtant, j'avais, à plusieurs reprises [La Feuille volante n° 110-154-187-189-220...], exprimé mes états d'âme et mes doutes à mes hypothétiques lecteurs.

    Il est vrai aussi que je ne suis qu'un simple lecteur à qui personne n'a rien demandé et surtout pas son avis sur les livres des autres. J'ai longtemps entretenu l'illusion qu'il pouvait néanmoins intéresser quelques-uns. Je me suis trompé ! D'autre part, je n'ai pas l'obsession de la performance ou du dépassement du nombre d'articles par rapport à ceux du mois précédent. Je pense ne pas avoir de record à battre en matière de nombre de connexions sur mon site, je n'ai pas les yeux rivés sur le compteur censé mesurer l'hypothétique intérêt pour cette chronique, aussi bien cette feuille paraît-elle à son rythme, c'est à dire sans aucune contrainte et en toute liberté puisqu'elle est gratuite et ne comporte pas d'abonnés.

    Je m'étais aussi imaginé que cette chronique qui tirait son concept et son nom d'une phrase et d'une idée de Montesquieu [« J'ai mille fois jeté aux vents les feuilles que j'avais écrites »] pourrait contribuer à nouer des liens avec d'autres lecteurs autour d'un livre, d'un écrivain ou d'un film, qu'elle pourrait provoquer des discussions, un échange d'idées... Je ne suis pas un collectionneur d'autographes ni un fanatique des carnets d'adresses et encore moins de la polémique, mais j'avais aussi supposé que mon avis pouvait susciter, de leur part, des réactions ou des courriels. Malgré la convivialité supposée d' internet, je me suis trompé et ce partage qui aurait sûrement été enrichissant n'a jamais vraiment eu lieu. Si peu de lecteurs ont réagi à mes articles ainsi publiés, les auteurs quant à eux ont, au mieux montré leur indifférence, au pire leur mépris. Je précise que j'envoie systématiquement la Feuille Volante aux attachés de presse des éditeurs en espérant qu'ils font leur travail de transmission. Comme l'a très bien et très simplement formulé l'écrivain espagnol Alfons Cervera lors d'un entretien autour de son œuvre « Écrire n'est rien s'il n'y a personne de l'autre côté de cette écriture ». Modestement et à mon niveau, j'ai voulu être cette sorte de miroir des écrivains que j'avais lus ! Il y eu quelques échanges épistolaires rarissimes et que je n’avais pourtant pas suscités, puis, sans aucune raison, plus rien ! J'ai toujours cru, béatement sans doute, que des relations fructueuses pouvaient se nouer entre eux et leurs lecteurs, que certains auteurs affectionnaient ces échanges qui peuvent nourrir leur écriture... Après tout, c'est, en principe pour eux qu'ils écrivent et ils leur doivent leur notoriété et parfois même un peu de leurs revenus. Là aussi je me suis fourvoyé.

    Les improbables lecteurs de cette revue peuvent en témoigner, sans être laudatifs et encore moins flatteur, mes papiers ont toujours tenté de rechercher ce qui, dans un roman, pouvait accrocher le lecteur et mériter son attention. Je pars en effet du principe, à cause sans doute de mon expérience personnelle en la matière, que si quelqu'un fait la démarche d'écrire et de publier ses écrits, de se livrer dans ses mots, il mérite de l'attention et, même s'il se met ainsi en situation d'être jugé « par le premier venu », il est en droit d'attendre autre chose qu'une avalanche de critiques gratuites et destructrices. J'ai toujours eu pour règle de ne pas porter gratuitement préjudice à quelqu'un au seul motif que je n'avais pas aimé son ouvrage. Je crois deviner, derrière la couverture d'un livre, tout ce qu'il a demandé d'efforts, d'hésitations, de recherches, de doutes... Même s'il m'est arrivé d'être parfois enthousiaste à la lecture d'un livre, je n'ai jamais ici été ni thuriféraire ni inquisiteur.

    La lecture a toujours fait partie de ma vie. Elle constitue pour moi un réel plaisir et cette chronique tire son existence de cette envie irrésistible de répondre à l'invitation d'un auteur, d'enter dans son univers surtout quand celui-ci sert correctement notre si belle langue française. Cette habitude de lire, tout comme ma participation à quelques jurys littéraires m'ont montré que, dans ce domaine aussi, le pire côtoie le meilleur. A force d'accumuler chez moi mes propres tapuscrits, j'ai fini par m'imaginer que, moi aussi, je pourrais faire entendre ma voix et être publié par un éditeur. C'était après tout parfaitement légitime ! Là aussi ce fut un échec à cause de ma malchance proverbiale ou peut-être mon absence de talent. J'avais aussi espéré, un peu naïvement, que cette chronique m'entrebâillerait peut-être les portes de maisons d'édition et favoriserait la publication de mes poèmes, de mes nouvelles et d'un « roman fleuve » auquel pour des raisons personnelles j'attache beaucoup d'importance, le tout a pourtant été refusé par de nombreux professionnels. Las, les sagas ne sont plus à la mode et je n'ai peut-être pas le talent requis. Quant à mes romans policiers, s'ils ont été publiés, ils sont de plus en plus destinés à rester dans mes tiroirs. Et puis, la recherche d'un éditeur n'est, à mon âge, plus vraiment de mise. Hélas !

    La Feuille Volante n'a sans doute jamais été un authentique organe de « critique littéraire ». J'en ai bien conscience. D'ailleurs, en 32 ans, on ne m'a jamais sollicité comme intervenant extérieur pour donner mon avis et c'est heureux (J'ai parfois reçu quelques ouvrages en service de presse mais tous les livres que je lis sont empruntés à la bibliothèque municipale). Il m'est, il est vrai, arrivé de la qualifier ainsi dans un but pratique et statistique, parce qu'il fallait bien caractériser son activité. Je ne suis jamais cependant fait d'illusion sur ce qualificatif qui a toujours correspondu pour moi à un abus de vocabulaire. Quand je l'ai créée, en 1980, avec la complicité du regretté Marjan, le dessinateur Arfoll de « La Revue Indépendante » avait spontanément salué cette initiative d'une série de bandeaux que j'ai gardés. Elle était surtout destinée à parler de ceux dont on ne parle jamais, les poètes inconnus et qui avaient toutes les chances de le rester parce que la grande presse en ignorait jusqu'à l'existence. Ceux-là publiaient, souvent à grands frais et avec leurs propres deniers, leurs poèmes qui ne seraient jamais étudiés dans les écoles, dont les recueils circuleraient sous le manteau dans le plus grand anonymat, ou resteraient sur leurs étagères. Par la suite, aimant lire, j'y ai adjoint des notes de lecture dont j'ai, avec le temps, tenté d'améliorer la présentation. Là non plus, il n'y avait pas de volonté « critique ». C'était un peu ce que, au collège, mes professeurs de français successifs avaient tenté, vainement, de me voir rédiger. J'ai peut-être ainsi cherché à me rattraper et ainsi à leur donner raison... avec quelques dizaines d'années de retard ! De plus, l'âge venant, et avec lui la perte progressive de la mémoire, ces articles avaient au moins l'avantage personnel de garder trace de mon avis sur un livre que j'avais lu. Chaque article était donc seulement un jalon dans mes lectures. J'ai quand même épuisé les joies de cette activité et, ce n'est pas là un simple jeu de mot, elle m'a elle-même épuisé ! Je dois donc reconnaître que cette Feuille Volante s'achemine vers sa fin parce que je n'ai plus vraiment le goût de la faire perdurer. Elle continuera sans doute encore pendant quelques temps puis s'arrêtera de paraître sans que personne s'en aperçoive. Elle n'aura guère marqué de son empreinte le « paysage » comme j'ai pu, dans un moment d'inconscience ou de vanité, l'espérer, mais, au vrai, cela n'a guère d'importance.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Anatomie d'un instant

        

    N°568 – Avril 2012.

    ANATOMIE D'UN INSTANT – Javier Cercas – ACTES SUD.

    Traduit de l'espagnol par Élisabeth Beyer et Alexandra Grujieie.

    L’Espagne est un pays qui ne peut nous laisser indifférents. Il a toujours fait partie de notre culture, de notre histoire, soit à l'occasion de conflits, soit parce que, au nom de la démocratie, de la défense de la liberté, nous avons, nous Français, pris partie pour sa sauvegarde, même si, la politique s'en mêlant, le résultat n'était pas forcément à la hauteur des espérances tressées. Ce pays qui reste celui du soleil, du farniente, des vacances, de l’exubérance mais aussi de la culture a inspiré de nombreux créateurs et nombreux sont les Espagnols qui ont trouvé refuge en France, s'y sont établis, ont choisi de combattre pour lui, l'ont enrichi... Il resurgit régulièrement dans l'actualité pour nous rappeler qu'il n'est pas seulement un pays voisin, limitrophe de la France mais surtout un peuple ami avec qui nous partageons plus que d'anecdotiques événements.

    La Guerre d'Espagne, ses suites parfois malheureuses, l'établissement durable du fascisme ont nourri fantasmes et soutiens de tous ordres en faveur de ceux qui avaient une légitime aspiration à la liberté, et le retour à la démocratie a été salué par tous comme la fermeture d'une parenthèse douloureuse de quarante années de franquisme. Las, dans toutes les démocraties, surtout si elles sont jeunes, il y a toujours des nostalgiques du passé, des idéologies perdues, de l'arbitraire, de l'injustice, des privilèges qu'ils ont perdus. Franco a laissé une trace prégnante dans ce pays. Malgré l'ouverture à la liberté, le pays a été secoué par des attentats, des soulèvements populaires. Nous sommes en Février 1981, Adolfo Suàres, Président du gouvernement est un homme affaibli qui vient de démissionner de sa charge et le parlement s'est réuni ce 23 février pour élire son successeur, Calvo Sotelo. Les débats promettent d'être houleux et passionnés mais ce n'est que le jeu normal de la démocratie quand surgissent des militaires en armes qui intiment l'ordre impératif à tous de se mettre à terre en le soulignant de coups de feu. A leur tête, le lieutenant-colonel Tejero de la Garde Civile, unité emblématique du franquisme. Nous avons tous en mémoire cette scène où la liberté bascule, le coup d’État qui est une pratique traditionnelle en Espagne recommence, le franquisme menace la jeune démocratie, créant un vide que des militaires putschistes ne vont pas tarder à combler, et ce en direct. Les membres de la représentation nationale se couchent tous, à l'exception de trois personnes, Adolfo Suàres, le vieux général Guitiérrez Mellado et Santiago Carrillo, qui, pour des raisons différentes tentent de résister, à leur manière à cet officier menaçant. Ce geste peut passer pour du courage, de la révolte, une manifestation de liberté face à la violence mais il peut parfaitement être analysé différemment. L'auteur se demande avec pertinence s'il n'était tout simplement pas dicté, pour chez chacun d'eux, par le besoin de racheter une faute personnelle.

    Adolfo Suàres est un homme politique controversé, ancien membre de la phalange, arriviste ambitieux et opportuniste dénué de scrupules. Il fut choisi par le roi Juan Carlos pour organiser la transition démocratique, c'est à dire de liquider le franquisme et légaliser le parti communiste. Il s’acquitta de cette tâche, mena les réformes nécessaires mais c'est un homme épuisé, abandonné de tous et surtout du roi, au bord de la retraite qui vient de donner sa démission de chef du gouvernement et que le monde politique souhaite voir se retirer. L'ambiance autour de lui est à la conspiration et tout, à l'intérieur comme à l'extérieur, semblait avoir pour but l'éviction de Suàres. L'auteur se demande s'il ne cherche à mourir en martyr dans un ultime geste spectaculaire et ce même s'il n'était pas au courant, comme beaucoup d'autres initiés, de l'intrusion de Tejero dans l'hémicycle.

    Guitiérrez Mellado est un officier de carrière fondamentalement franquiste, maintenant haï des militaires, qui a combattu dans les rangs nationalistes pendant la Guerre civile et devint, à cette période, membre de la 5° colonne c'est à dire qu'il infiltra les rangs républicains. Promu général, il s'engagea en politique et devient ministre de la défense dans le gouvernement d'Adolfo Suàres dont il était l'ami personnel. Puis, à la suite de son opposition spectaculaire à Tejero, épuisé, il se retira de la politique.

    Santiago Carrillo fut un dirigeant historique du parti communiste espagnol, il a combattu dans les rangs de l'armée républicaine pendant la Guerre civile. Compromis pendant ce conflit, il joua un rôle déterminant dans le processus de transition démocratique. Au moment du putsch il est un homme politique sur le déclin. Le jeu politique fit que Carrillo le communiste et Suàres l'ancien phalangiste, pourtant ennemis inconciliables se retrouvèrent côte à côte dans le rétablissement de la démocratie et que, lorsqu'ils furent l'un et l'autre évincés de la vie politique, ils entretinrent de solides liens d'amitiés.

    Vient ensuite l'évocation des putschistes, les généraux Armada, Milans et le lieutenant-colonel Tejero, tous militaires ambitieux, monarchistes, franquistes et opposés à la démocratie telle que l'entendait Suàres et donc contre lui, mais surtout tous fondamentalement différents dans leurs motivations, ce qui mena le putsch à l'échec.

    Même si l'auteur présente ces hommes, qu'il qualifie de traîtres à leur idéal comme des personnages de fiction, les événement du 23 février s'étant déroulés dans une lumière blafarde et quelque peu irréelle, ce récit n'est pas un roman, c'est plutôt une non-fiction écrite avec faconde parce que la réalité dépasse l'imaginaire. Avec une précision d'archiviste, Javier Cercas démonte tout ce qui a conduit à ce coup d’État, certes avorté, mais oh combien prévisible dans la classe politique et ce qui en motiva l'échec, le putsch manqué n'étant que la partie visible de conspirations multiples et secrètes dans un contexte d'attentats de l'ETA et d’assassinats de gardes civils, de peur et de situation catastrophique de l’État et de la couronne. Ainsi montre-t-il que, ce qui a été ressenti dans l'opinion comme une atteinte à la démocratie n'était en réalité que l'aboutissement, certes mort-né, d'une atmosphère politique délétère. L'intervention télévisée du roi revêtu de son uniforme militaire se rangeant aux côtés de la constitution a été déterminante pour sauver la jeune démocratie espagnole. Armada et Milans, en prônant un gouvernement d'union nationale que refusait Tejero abandonnèrent ce dernier qui refusa la fuite et l'exil. Puis vint le procès et les condamnations mais il reste que ce coup d’État manqué, cette séquestration humiliante pour les politiques durant 17h30 dans l'hémicycle a renforcé la démocratie et la couronne et mis une fin définitive à la Guerre civile.

    S'il fallait trouver une « morale » à ce livre remarquablement documenté, à ces faits, c'est sans doute Jorge Luis Borges que la fournit et l'auteur qui la cite opportunément : «  Tout destin, si long et compliqué soit-il, se résume au fond à un seul moment : le moment où l'homme apprend une fois pour toutes qui il est ».

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2012.http://hervegautier.e-monsite.com









     


     

  • INITIALES

     

    N°567 – Avril 2012

    INITIALES (Association des libraires) – Dossier n°26.

    Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole.

    Pour aborder un thème historique il est deux manières. L'une tient à la fiction et l'autre à l’étude classique. Pourtant, certains faits, surtout s'ils sont baignés par la violence, résistent à l'écriture, quelle que forme qu'elle prenne. Soit cela résulte d'un parti-pris de l'auteur (on songe aux rescapés des camps de concentration qui ont choisi de se taire volontairement, faisant prévaloir la vie sur la mort), soit les événements interdisent qu'on en parle. La Guerre civile espagnole (guerre incivile disent certains) est de ceux-là. Pendant son déroulement, elle inspira pourtant de grands écrivains, Hemingway ou Malraux, mais sans vouloir minimiser leurs témoignages, ils en ont surtout donné une version lyrique, nourrissant l'imagination des étrangers au conflit, donnant une vision romantique de la guerre, côté républicain. Puis ensuite plus rien à cause de la censure franquiste qui imposa près de quarante années de silence, de répression, d'exil et de mort pour les vaincus.

    A partir de 1975, des écrivains espagnols, qui bien souvent n'ont pas connu le conflit ont décidé de s'emparer de cette mémoire, d'en faire l'axe de leur œuvre mais aussi de ranimer la culture historique collective que le franquisme avait efficacement confisquée aux Espagnols. Alfons Cervera (né en 1947) s'est approprié cette période d'après-guerre . L'oubli, si savamment orchestré est tellement grand dans l’inconscient collectif qu'il se produit parfois, par le miracle de l'écriture, une sorte de réminiscence, en ce qui le concerne puisée dans son histoire familiale. On ne dira jamais assez combien la création artistique est une alchimie et combien l'auteur peut, au premier chef, être surpris par le résultat. Comme tout écrivain, il a d'abord cherché à raconter des histoires mais s'est très vite aperçu qu'il existait « des territoires de la mémoire à explorer » et a donc fait sien ce vaste et complexe espace historique qui va de la seconde république à la démocratie retrouvée en passant par la dictature, la transition... Ainsi cette période, « pleine de lumières et d'ombres » s'est-elle imposée à lui comme un thème de réflexion et de création. Ainsi l'écrivain, à travers son histoire familiale faite de soumission, de silence, prend-il en charge la mémoire collective qui avait longtemps été dédiée à l'oubli, dénonçant par l'écriture ce que fut le régime franquiste, se faisant ainsi le porte-parole des vaincus et leur rendant leur dignité. Pourtant, ce besoin de ne pas oublier et de témoigner avait existé malgré la dictature et même pendant la période de transition pendant laquelle on prônait le principe officiel de « ni vainqueurs ni vaincus ». On n'avait pourtant pas ouvert toutes les fosses communes et les condamnations prononcées par les tribunaux franquistes n'étaient pas toutes effacées. Restait aussi la mémoire familiale, nécessairement pudique et silencieuse de ces ouvriers et de ces paysans pauvres qui s'étaient dressés contre l’invasion fasciste. Nombreux furent les témoins qui se manifestèrent par l'écrit, se faisant l'écho de ce conflit à la fois absurde et sanglant qui mit en perspective la délation, le déchirement familial, donna à cette guerre son visage horrible, montra la folie des hommes et révéla, une nouvelle fois, la véritable nature humaine.

    Puis vinrent les auteurs contemporains qui, en quelque sorte, prirent ce relais malgré le risque du « radotage », de la redite devenue peut-être inutile. C'est que, une guerre civile ne ressemble pas à un conflit armé traditionnel et porte en elle une dimension manichéenne. De plus, on a eu tendance à oublier que la république avait été démocratiquement élue alors que Franco était le rebelle putschiste. Puis il y eut le reste, les faits d'armes de chaque camps, les atrocités des deux côtés, mais bénis par l’Église catholique quand ils étaient franquistes, le combat inégal, les républicains soutenus par les communistes et surtout par les Brigades internationales, les nationalistes trouvant leur soutien parmi les puissances fascistes, le déchirement interne des républicains, les défections anglaise et française, les camps de concentration français pour les vaincus... Comme le dit Tony Cartano, l'Espagne reste, aujourd'hui encore divisée « entre ceux qui prêchent l'oubli et ceux qui réclament justice contre les crimes franquistes ». L'expérience du juge Garzon est sans doute là pour le prouver. Pourtant, la libération de l'Espagne passe à n'en pas douter par la parole ! Elle porte la mémoire individuelle d'un parent qui devient collective, a travers la honte de la retirada , l'exil en France, la résistance au maquis contre le nazisme, le rêve avorté de reconquête de l'Espagne, l'exil durable pour les combattants et leurs familles.

    Ce numéro rend également hommage aux femmes, romancières contemporaines qui font elles aussi entendre leur voix mais surtout ces combattantes, soit figure emblématiques de la république, comme Dolorès Ibarruri, soit ministre de la santé comme Federica Montseny ou photographe comme Gerda Taro, la compagne de Robert Capa, tuée en 1937 à la bataille de Brunete.

    Ce conflit qui pourtant ne déborda pas l'Espagne eut un retentissement mondial non seulement à cause de Guernica que Picasso immortalisa, mais aussi parce que des intellectuels, et pas seulement eux, s'engagèrent dans les Brigades internationales pour défendre la liberté ainsi attaquée, parce que des écrivains étrangers de toutes les nationalités prirent parti pour un camp ou pour un autre, médiatisant ce conflit à en faire une légende, faisant qu'à l'extérieur au moins il ne tombe pas dans l'oubli.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Maquis

     

    N°564 – Avril 2012

    MAQUIS – Alfons Cervera -Éditions La Fosse aux Ours.

    Traduit de l'espagnol par Georges Tyras.

    Ce sont en réalité de petites anecdotes racontées à la manière des gens du peuple, de ce petit village de la province de Valence après la victoire des franquistes. Là, des hommes prennent le maquis pour résister à la Guardia Civil sans pitié pour ceux qui restent, les enfants et les femmes des maquisards.

    Grâce à des analepses et à différents témoignages éclatés dans le temps, les choses se révèlent, faites de souffrances, d'humiliations, d'embuscades et d'exécutions sommaires comme les affectionnaient les franquistes. C'est pour y échapper que les hommes se réfugient dans la montagne et choisissent de résister à Franco mais aussi peut-être pour venger la défaite républicaine et leurs camarades assassinés par les vainqueurs. Ils s'appellent, « Paco Haute tension » Justino Sanchez, Sébas, Nicasio, Ojos Azules, et ont été les victimes du caporal Bustamente, misérable petit chef de la Garde Civile qui fait régner la terreur dans le petit village de Los Yesares. Les circonstances font que celui-ci se croit autorisé a perpétrer des violences contre ceux qui sont restés au village pour qu'il dénoncent ceux qui l'ont quitté et qui les harcèlent. Il fait régner la terreur qui donne aux vainqueurs tous les droits, tortures, humiliations et assassinats pour affirmer leur autorité. A chaque page il y a la peur de la mort, celle des autorités chargées de maintenir l'ordre moral franquiste, le maire, le curé, les notables, le chef de la phalange, le caporal Bustamente et son arbitraire, celles des gardes qui craignent les représailles des maquisards, celle de son voisin qui peut parfaitement devenir un délateur... Une sorte de folie ordinaire s'empare de ce village perdu et oublié où le maquisard n'est qu'un nom, qu'une frêle silhouette promise à la mort ... et le combat est tellement inégal !

    Ce n'est pas un roman, mais un récit, inspiré peu ou prou par l'histoire familiale de l'auteur, réalisé à petites touches avec différents témoignages d'hommes déjà morts, écrits dans un langage volontairement populaire mais aussi éminemment poétique. Il marque ainsi une phase de résistance au franquisme, entre la fin de la guerre civile et les années cinquante, période marquée par la peur, la culpabilité, l'oubli et, bien sûr, la répression, avec aussi, au début, l'espoir un peu fou des vaincus que Franco sera délogé par les alliés à la fin de le Deuxième guerre mondiale ! Face à cette lutte perdue dans le maquis, il ne reste plus aux opposants survivants qu'à s'exiler à l'étranger et tenter de résister à Franco à l'abri des frontières, en France. C'est le récit des temps difficiles de l'Espagne des vaincus persécutés par les vainqueurs

    Ce travail de mémoire, qui est aussi une sorte de «  devoir de mémoire » est bien résumé par cette phrase : « Il lui a parlé de la mémoire, de ce que nous sommes et ne sommes pas si nous renonçons à laisser le meilleur de nous-mêmes à ceux qui viendront après nous ». La lutte était nécessaire ne serait-ce que pour faire échec à l'oubli même si l'histoire est écrite par les vainqueurs « Dans la mémoire des gens seules restent les guerres remportées par les vainqueurs, les autres, on les oublie parce que les victoires marquent l'indignité de la défaite et que, au bout du compte c'est la vérité falsifiée, écrite par les chroniqueurs de l'oubli qui s'imposera ».

    L'auteur qui n'a pas connue cette période puisqu'il est né en 1947, s'approprie cette « mémoire des vaincus » et la laisse en héritage aux générations futures, porte témoignage sur ce qu'a été cette guerre civile sanglante et sans pitié qui a bouleversé bien des consciences et préparé le chaos de la Deuxième Guerre Mondiale. « Nous ne sommes que ce que nous laissons, Sebas. Mets toi bien ça dans la crâne, juste ce que nous laissons. Une fois morts, il n'y a plus moyen de rectifier ce que nous avons été ou pas été, ni dans un sens ni dans l'autre, rien à faire, que dalle, point final ».

    Alfons Cervera est journaliste, universitaire au service culturel de l'université de Valence, responsable du « Forum des débats », poète, écrivain de langue catalane. A partir de 1984, il publie « Sur les vampires et autres histoires d'amour » surtout axé sur une recherche esthétique du langage. A partir de 1990, à cause sans doute de ses origines valenciennes, il ressent le besoin d'être le témoin de « la mémoire des vaincus ». Teruel et Cuenca, qui furent le théâtre d'affrontements sanglants pendant la guerre civile ne sont pas si loin. Il inaugure ainsi un cycle romanesque avec « La couleur du crépuscule »(1995), « Maquis »(1997), « La nuit immobile »(1999), « L'ombre du ciel »(2002),  « Cet hiver-là »(2005).

    Cette recherche littéraire de la mémoire collective des républicains a été saluée par le critique espagnole. Cervera précise bien «  Je ne recherche pas la revanche mais la mémoire des faits qui n'ont jusqu'alors été racontés que dans une version unique et intéressée des vainqueurs de la guerre ». C'est donc exercice de récupération de cette mémoire confisquée par les vainqueurs auquel ce livre Alfons Cervera... avec bonheur !

    © Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • En attendant Robert Capa

     

    N°563 – Avril 2012

    EN ATTENDANT ROBERT CAPA – Susana Fortes -Éditions Héloïse d'Ormesson.

    Traduit de l'espagnol par Julie Marcot.

    Fuyant l'Allemagne nazie, Gerta Pohorylle, jeune juive allemande, admiratrice de Greta Garbo, « avec un passeport polonais », vient d'arriver à Paris. « Elle à 24ans et elle est vivante » ! Elle ne va pas tarder à rencontrer, un peu par hasard, un autre réfugié, photographe, Hongrois, ambitieux mais désargenté. Ces deux-là étaient faits pour se croiser et le fait qu'ils le fassent dans la capitale française est plus qu'un symbole. Gerta y voit un signe, une chance ! Lui, c'est André Friedmann, juif lui aussi, qui vit avec son Leica comme on vit avec une femme. Dans ce Paris d'avant-guerre, pleins d'intellectuels, ils croisent au hasard des cafés ou des cercles, dans le tourbillon germanopratin, James Joyce, Man Ray...

    Pourtant, entre eux, ce n'est pas vraiment le « coup de foudre », juste, de la part de Gerta, une sorte d'observation curieuse. Elle adopte cependant cet homme [« Ne t'inquiète pas, ce qu'il te faut c'est un manager...Et c'est moi qui vais être ton manager »]. Pour lui, elle est « la patronne » et il l'initie à la photographie en même temps qu''il devient son amant.

    Foncièrement antifasciste, André part pour l'Espagne, d'abord comme reporter-photographe et Gerta, restée à Paris, apporte sa pierre à la réaction républicaine qui se doit de faire front aux bruits de bottes qui approchent, qu'ils viennent de Berlin ou d'ailleurs. Pourtant Gerta et André sont amoureux l'un de l'autre, prennent la décision un peu folle de couvrir la guerre d'Espagne comme photo-reporters en s'inventant les pseudonymes américains de Gerta Taro et Robert Capa. C'est une manière pour eux d'échapper à leur judéité autant que d'inaugurer leur nouvelle vie ensemble. En changeant de nom, André devient un américain triomphant et audacieux, en devenant Taro, Gerta s'approprie phonétiquement le nom de Garbo, son actrice fétiche.

    Ce conflit les fascine autant qu'il les révolte et ils rendent compte en images du quotidien des républicains au front ou dans les villes et villages. Cette guerre fait d'eux un couple mythique qui ne vit que pour son métier de photographe de guerre et sa passion d'informer, armés de leur appareil photo ou à l'occasion d'un fusil, tissant leur propre légende, exposant leur vie. Leur amour fait contrepoids à la violence des combats et, petit à petit, ils changent leur vision romantique de la guerre. Si des atrocités ont été commises de part et d'autre, eux ont choisi leur camp, celui des républicains. Comme ils sont jeunes, leur vie se déroule au mépris du danger, tantôt houleuse et cahoteuse, tantôt passionnée, au sein même de ce conflit sanglant. Pourtant l'amour de leur métier se conjugue assez mal avec celui, à la fois sensuel et épisodique qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. Gerta est éprise de liberté et d'indépendance mais a du mal à exister professionnellement dans l'ombre de Capa. Certains de ces clichés sont attribués à Robert; le journalisme de guerre n'est pas vraiment une affaire de femme ! Cependant, quand elle apparaît, au front ou à l'arrière, tous ces hommes un peu frustes n'ont d'yeux que pour elle. Pourtant, elle n'est pas vraiment une beauté au sens des canons traditionnels, mais il émane d'elle une sorte d'aura. « La guerre l'avait dotée d'une beauté différente, de survivante » écrit joliment Susanna Fortes.

    C'est aussi un hommage aux journalistes de terrain qui risquent leur vie pour l'information du plus grand nombre, mais c'est aussi un récit passionnant, émouvant et poétique où le lecteur croise Raphaël Alberti, Ernest Hemingway, autant qu'une version romancée de la vie libre, passionnée et solaire de ces deux amants, une mise en lumière de celle de Gerta dont on ne connaissait jusqu'alors que très peu l'existence. Elle se révèle sous la plume de l'auteur être une femme courageuse, passionnée et passionnante quand le nom seul de Capa était connu autant d'ailleurs que certaines de ses photos dont l'une d'elles, devenue célèbre, représente un milicien espagnol anonyme, fauché par une balle. Capa ne se remit jamais de ce cliché par ailleurs sujet à polémique.

    C'est un roman très bien documenté sur cette Guerre civile ( d'aucuns l'ont baptisée « incivile ») qui déchira l'Espagne de 1936 à 1939 et qui annonça la Deuxième Guerre Mondiale. L'auteur mêle donc dans ce travail, la fiction à la réalité. C'est une histoire tragique aussi puisqu'elle se termine par la mort de Gerta, la première femme reporter tuée pendant la Guerre Civile, fauchée à la bataille de Brunete en juillet 1937 à l'âge de 27 ans [« C'est à cet instant qu'elle comprit que toute une vie tenait dans l'éclair d'un millième de firmament, car le temps n'existait pas. »].

    Elle qui vivait dans l'espoir d'une victoire des républicains ne vit pas leur défaite. Elle sera enterrée au cimetière du Père Lachaise, en présence de milliers de personnes, son éloge funèbre prononcée par Pablo Neruda et Louis Aragon. Elle ne quittera jamais plus la mémoire de Capa qui s'en voulait de l'avoir abandonnée aux combats meurtriers de l'Espagne. Sa vie à lui est désormais en pointillés, et quand il débarque, le jour J à Omaha Beach avec la première vague d'assaut, il pense aussi à cette mort qu'il a si longtemps défiée. S'il survit, comme par miracle au débarquement et au conflit, c'est en Indochine en 1954, à l'âge de 40 ans que le destin les réunira.

    Il se dégage de ce roman une formidable énergie autant qu'un amour de la vie de la part de ces êtres, morts jeunes, que le monde fascinait mais qui n'étaient pas faits pour lui, qui mettaient constamment en balance leur vie sachant qu'ils n'en étaient que les usufruitiers. Ils ont pris des risques pour vivre intensément l'instant, pratiquer l'art de la photo unique qui résume tout, mais aussi pour satisfaire leur idéal d'informer, de témoigner, d'être présents là où il n'y avait personne d'autre, et d'y arriver avant les autres ! Avec eux, la photo est devenue une véritable arme.

    L'occasion de ce récit a été inspiré à Susanna Fortes, un peu par hasard à cause de la découverte de négatifs et de clichés de Capa et de Gerta, en 2008, au Mexique. Il a le grand mérite de mettre en lumière la personnalité de cette femme d'exception qui n'était jusque là qu'une silhouette.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Le crabe-tambour- Un film de Pierre Shœndœrffer

     

    N°562 – Mars 2012

    LE CRABE-TAMBOUR – Un film de Pierre Shœndœrffer [1977]

    Le 14 mars 2012, Pierre Shœndœrffer nous quittait à l'âge de 83 ans. La République et l'armée ont rendu un hommage solennel aux Invalides, en présence du Premier ministre et du ministre de la culture à celui qui s'était engagé dans le service cinématographique des armées en Indochine jusqu'à la défaite de Diên Biên Phu. Il avait continué sa vie en tant que photographe de presse, cinéaste et romancier, se situant dans la lignée prestigieuse des écrivains de marine.

    C'est l'occasion d'évoquer non pas son œuvre toute entière, d'autres le feront mieux que moi, mais un film en particulier, considéré comme son chef-d'œuvre. J'en avais gardé, lors de sa sortie, un souvenir précis non seulement parce qu'il était servi par des acteurs prestigieux (Jean Rochefort – César 1978 du meilleur acteur, Jacques Dufilho – César 1978 du meilleur second rôle) mais aussi à cause des somptueuses prises de vue en mer (César 1978 de la meilleure photographie), le vieux navire qui geint de toutes ses membrures, les vagues qui se brisent sur la coque, l'étrave qui fend la houle dans le brouillard et la haute mer...

    L'histoire tout d'abord. Elle est suggérée par un roman éponyme de Shœndœrffer paru chez Grasset (Grand prix du roman de l'Académie Française), inspiré par la vie du lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume. Il retrace la dernière mission d'un capitaine de vaisseau, homme austère, dévoré par un cancer, (Jean Rochefort dit « le vieux ») qui reprend un commandement à la mer sur l'escorteur d'escadre « Jauréguiberry » dont c'est le dernier voyage avant sa réforme définitive. Il s'agit d'assurer une mission de surveillance et d'assistance aux chalutiers français pêchant sur les bancs de Terre-Neuve.

    Pourtant c'est un peu plus que cela, c'est un retour dans le passé puisque « le vieux » veut revoir une dernière fois son ami et compagnon d'armes, l'ancien lieutenant de vaisseau Willsdorff, dit « le crabe-tambour » (Jacques Perrin) devenu capitaine de chalutier dans ce Grand Nord désolé, fuyant ainsi l'espère humaine avec, comme toujours, un chat noir sur l'épaule. C'est Pierre (Claude Rich), le médecin du bord, qui en a parlé le premier sur la passerelle « Vous connaissez Willsdorff ?». Lui était son ami en Indochine et souhaite le revoir une dernière fois. C'est la vraie raison de son rengagement et de sa présence à bord. Après la défaite française, il est resté là-bas pour soigner ses anciens ennemis. Il a pourtant été expulsé du Viet-Nam. Le commandant, habile manœuvrier, confie au médecin son corps meurtri par la maladie mais aussi son âme tourmentée d'homme « déjà mort » en l'invitant chaque jour à sa table. Il est évidemment question de Willsdorff, ce mythique soldat perdu qu'ils ont connu séparément. Pourtant, cette rencontre n'aura lieu qu'en filigrane, avec une grande économie de mots, comme si, malgré son ultime démarche, le commandant ne pouvait plus parler à cet ami, comme si c'était trop tard, comme s'il n'avait plus rien de commun avec lui, comme s'ils n'étaient plus l'un pour l'autre que deux fantômes. Cette idée est suggérée dans la scène du transfert du courrier où les deux bâtiments se côtoient, une trace sur l'écran radar, la radio qui grésille, rien que quelques mots convenus trop lourds de passé, un salut de sirène, une page qui se tourne, définitivement ! « Adieu » ne cesse de répéter Willsdorff, « Aperçu » fait simplement répondre le commandant par le timonier. Seul Pierre échangera quelques mots amicaux et complices avec Willsdorff et le chalutier s'éloignera.

    Cette quête est alimentée en flash-back par des évocations de gens qui l'ont également connu, le commandant puis Pierre, le narrateur de ce récit, mais aussi le chef mécanicien, dit « le chef », alcoolique et catholique pratiquant (Jacques Dufilho) et ses histoires loufoques du pays bigouden, chacun apportant témoignages et souvenirs de cet homme hors du commun ayant combattu en Indochine. Ils évoquent, chacun à leur manière et avec des anecdotes, le parcours militaire de cet officier fidèle à son engagement et à lui-même, à son sens de l'honneur, qui est exclu de l'armée, jugé pour désobéissance et rébellion. (« une histoire de mer et de discipline poussée jusqu'à l'absurde ») Cela sonne comme un hommage, comme un remerciement à quelqu'un qui a refusé la compromission face à un choix.

    Dans ce film il y aussi un questionnement chrétien et même profondément humain qui m'interpelle, même s'il passe quelque peu au second plan. C'est celui qui est évoqué par « La parabole des talents », texte de l'Évangile qui invite chaque homme à s'interroger sur le sens de son passage sur terre et sur l'usage qu'il a fait des facultés qu'il a reçues à sa naissance, sur la fidélité aussi. « Qu'as-tu fait de ton talent ? », « Celui qui ne fait pas fructifier ce qu'il a reçu du Seigneur sera jeté dans les ténèbres extérieurs », rappelle « le chef ». C'est aussi l'occasion pour l'auteur d'asséner des aphorismes : « Qui êtes-vous pour le juger ? » de rappeler que le choix de l'homme «  n'est pas forcément entre le bien et le mal, mais entre un bien et un autre bien ».

    Le nom même de Pierre Shœndœrffer évoque des films devenus mythiques qu'il a réalisés « La 317° section » (1964), « L'honneur d'un capitaine » (1982) qui s'interrogent tous sur les guerres coloniales françaises, sur les militaires eux-mêmes. Plus que « Ramutcho »(1958) et « Pêcheurs d'Islande »(1959) qui sont des adaptations des romans de Pierre Loti et qui ne rencontrèrent guère le succès, Pierre Shœndœrffer s'attacha toujours à évoquer l'aventure humaine, témoin « La passe du diable » (1956) qui est une adaptation du roman de son ami Joseph Kessel mais aussi la dure réalité de la guerre, sur les questions qu'elles posent, les personnalités qu'elles révèlent [ « Diên Biên Phu »(1992)]. C'est que les personnages de ces films s'inspirent tous d'hommes ayant réellement existé, témoignent de leur parcours personnel, de leurs questionnements intimes sur leur mission, sur leur vie. Chacun à sa manière, ils ont nourri l'œuvre de Shœndœrffer.

    C'est pour moi un film émouvant. Il ne s' agit pas ici de polémiquer sur la guerre mais de porter un regard, mais pas un jugement, sur les hommes de tout grade qui l'ont faite, de l'engagement de ces soldats perdus, de leur courage, de leur abnégation, de leur obligation d'obéir aux ordres face à leur conscience, valeurs aujourd'hui contestées, et même regardées comme désuètes dans une société sans boussole. L'auteur porte témoignage de ces conflits décriés, volontairement oubliés et parfois même injustement rejetés par la communauté nationale, de ces soldats oubliés.

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Une autre époque

     

    N°561 – Mars 2012

    UNE AUTRE EPOQUE – Alain-Claude Sulzer – Éditions Jacqueline Chambon.

    Traduit de l'allemand par Johannes Honigmann.

    Les photos sont sans doute les seules choses qu'on conserve des êtres chers qui ont disparu. Le narrateur, un garçon suisse de dix sept ans, trouve un cliché de son père mort quelques semaines après sa naissance. Il est intrigué par cette photographie, s'interroge sur celui ou celle qui l'a prise, sur l'image de cet homme, sur la montre qu'il porte au poignet... Il plane sur cette disparition un épais mystère, comme un non-dit puisqu'il n'était pas malade et n'avait pas été victime d'un accident. Sa mère, remariée depuis, finit, un peu gênée, par lui avouer son suicide. Il prend donc à l'adolescent l'envie d'en savoir davantage sur cet homme, Emil, ce père absent. Entre l'explication et l'oubli, l'adolescent hésite.

    Il y a toute une allégorie du temps à travers la montre que son père portait à son poignet sur la photo et que l'adolescent récupère. Elle indique la durée mais aussi décompte à l'envers la recherche de ce père inconnu et mystérieux. C'est une sorte d'itinéraire balisé avec en arrière plan la figure tutélaire du géniteur, son histoire, ses amis et amants, les raison apparentes de sa disparition, la présence fuyante de la mère ...

    Le narrateur découvre que celui qui a pris la photo est son parrain André, qu'il n'a jamais vu et qui n'a jamais cherché à prendre contact avec lui bien qu'il ait été un ami d'enfance de son père. Cela ressemble à un long parcours initiatique à travers Paris où habite ce parrain qu'il va rejoindre. Il fait connaissance avec son père par le truchement de clichés et de cartes postales qu'Emil a envoyées à André, il y a longtemps. L'adolescent pressent que son père était différent des autres enfants de son âge puisqu'il a été interné dans une clinique suisse quelques temps avant son baccalauréat. Était-il fou ou suicidaire ? Pourtant la correspondance que le narrateur découvre ne laisse rien transparaître de tel, bien au contraire. Dès lors il devient évident que ses parents étaient pour lui des étrangers à qui il ne cessait de s'opposer, surtout à son père qui le considérait comme inguérissable alors que les médecins de la clinique semblaient être d'un avis contraire. Pourtant ce séjour a été suivi de deux ou trois autres semblables et à cause de cela peut-être les relations entre Emil et André qui, après avoir été enflammées et secrètes se sont peu à peu distendues jusqu'à disparaître complètement. Les deux amis se ressemblaient pourtant beaucoup. Puis ce fut la rencontre avec Véronika, la secrétaire du docteur directeur de la clinique, leur mariage, amoureux pour elle qui désire un enfant, mais vécu par lui, devenu un peu malgré lui professeur, comme une sorte de refuge dans la normalité mais surtout pas dans la paternité. Il fait l'amour avec sa femme, mais c'est à d'autres qu'il pense, à des hommes, à André, à Sébastian, une jeune homme avec qui il vit une passade parallèle, enflammée et secrète... Il ne survivra cependant pas longtemps à cette hypocrisie organisée et trouvera dans la mort avec Sébastian, la seule issue possible.

    Grâce à de nombreux analepses, l'auteur tisse les histoires entrecroisées d'Emil et de son fils, déroule cette quête, présente le personnage de la mère presque en contre-jour. Amoureuse d' Emil et dans l'attente inquiète de leur enfant, elle n'a rien vu de la passion de son mari pour ce jeune garçon ni de l'éventuel chantage exercé par la mère de ce dernier. Bien des années après, elle souhaite oublier cette épisode de sa vie.

    L'écriture de Sulzer est agréable, juste dans le ton de ce roman feutré, sans emphase, tout en finesse . L'auteur nous décrit effectivement « une autre époque », bien différente de celle que nous pouvons connaître aujourd'hui où l'homosexualité d'un enfant pouvait signifier son exclusion définitive de la cellule familiale. Encore que... Les tabous ont la vie dure !

    Après « Un garçon parfais »[Médicis étranger 2008] et « Leçons particulières », ce roman clôt une trilogie. Cela a été un bon moment le lecture, une occasion de réflexion aussi sur la détresse humaine, sur la relation entre les gens, l'acceptation de la différence, le souvenir qu'on laisse après sa mort.

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Inverno

     

    N°560 – Mars 2012

     

    INVERNO – Hélène Frappat – Actes Sud.

     

    Inverno : un hiver en italien. C'est vrai que le texte est écrit sur un mode mineur qui évoque cette saison morne et glacée. L'Italie qui dans l'inconscient collectif est un pays lié à l'amour est pourtant ici synonyme de rupture puisque L.(nous ne saurons pas même son prénom, cette lettre signifiant peut-être le pronom « elle » pour plus d'anonymat) en revient avec son fils, en train, après que son ami, Elio, le père de son enfant, lui eut signifié leur séparation définitive. Ce voyage aller-retour dans la ville éternelle symbolise aussi les incursions dans le temps, dans le pays de son enfance, dans sa vie...

     

    L. a partagé son enfance avec Emmanuelle qu'elle va rejoindre en Bretagne après un éloignement de vingt ans. C'est un peu comme si la mémoire de l'une suppléait celle de l'autre. C'est l'occasion de revisiter l'histoire de cette famille de grands bourgeois où la mère, Bérangère, élevée à la Maison d'éducation de la Légion d'honneur, choisit un jour de s'échapper et de céder au premier venu, Jean, de vingt ans son aîné, qui l'engrosse et l'épouse. Emmanuelle naitra de cette étreinte furtive. Dès lors, Bérangère ne vit que pour son mari mais la différence d'âge rend bientôt celui-ci soupçonneux et même maladivement jaloux. Il n'a d'ailleurs pas tort puisque Bérangère multiple les passades aussi éphémères que nombreuses, collectionne les amants avec une prédilection pour les voyages en train [« Dans ces parenthèses suspendues entre deux gares, dans cet espace-temps parallèle qui semblait se dérouler nulle part, ces aventures n'avaient pour Bérangère d'autres réalité que l'intensité passagère du fantasme »]. Un divorce viendra conclure cette vie matrimoniale cahoteuse et Bérangère entrera dans la vie par le biais d'un travail libérateur.

     

    Emmanuelle devenue sage-femme passe son temps libre à aller visiter son père en prison pour le meurtre de sa deuxième femme. C'est sur cette scène de crime que s'ouvre ce roman qui n'est pas, comme on pourrait le penser au début, un thriller.

     

    Portraits de femmes en demi-teinte, [les évocations d'hommes sont peu flatteuses], de destins tourmentés, d'existences bancales et de fuites hasardeuses de ces passagères toujours en partance, toujours sur un quai, ou entre deux passades, avec en toile de fond une nostalgie malsaine, pleine de souvenirs, d'illusions perdues et de fantômes.

     

    J'ai pourtant goûté l'écriture poétique et les décors de train [plus que les avions ou les voitures, les trains distillent cette atmosphère à la fois irréelle et temporelle de la vie]. Je me suis en revanche un peu perdu dans ces évocations ou le présent alterne avec le passé, dans ces zigzags entre la Bretagne et l'Italie, dans les évocations de personnages appartenant à des générations et des couches sociales différentes.

    Je n'ai peut-être rien compris mais, le livre refermé, il ne m'en est pas reste grand chose et surtout pas l'envie de lire un autre roman de cet auteur.

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • El BUSCÓN

     

    N°559 – Mars 2012

     

    El BUSCÓN – Francisco de Quevedo – Éditions Sillage.

    Traduction de Rétif de la Bretonne.

     

    Le titre tout d'abord « el Buscón », vient du verbe espagnol buscar qui signifie chercher. On pourrait donc traduire ce nom par « celui qui cherche, le chercheur » mais il serait plus pertinent de lui préférer « le filou », bien plus dans l'esprit du roman picaresque car c'est bien dans ce courant et dans la continuité de « La vie de Lazarillo de Tormes » que s'inscrit cette œuvre de jeunesse écrite probablement vers 1603. (sur ce récit et sur le roman picaresque en général, voir la Feuille Volante n°558).

     

    Le sous-titre espagnol de ce roman est plus explicite puisque qu'il précise qu'il s'agit de « [l'] histoire de la vie du filou appelé Don Pablo, exemple de vagabond rusé ». Il s'agit de l'unique roman de Francisco de Quevedo y Villegas [1580-1645], écrivain baroque du « siècle d'or » espagnol, contemporain de Cervantès, érudit, homme d'action, polémiste et humaniste. L'auteur y raconte l'histoire de ce Don Pablo, fils d'un barbier dont l'honnêteté douteuse le fera mourir sur l'échafaud pour vol et d'une mère tout aussi peu recommandable emprisonnée pour sorcellerie. Très tôt il est mis au service de Don Diego, un fils de famille qui l'emmène avec lui à Alcalà de Hénarès pour y étudier. Pourtant, loin de profiter de cette occasion pour être plus instruit et devenir meilleur, il préfère la situation de voleur et d'escroc, ce qui fait de lui un fugitif particulièrement apte à duper ses contemporains, n'hésitant pas à se déguiser pour cela en mendiant, en comédien ou en homme d' Église, à se dire noble ou dévot, à changer de nom pour exercer sa vrai profession d'aigrefin itinérant. Il est vrai qu'au début de sa vie, il fut lui aussi abusé par ses professeurs et retint d'eux surtout cette leçon.

     

    Au lieu d'étudier, il a choisi une vie d'errant qui lui convient parfaitement et la liste est longue des compagnons avec qui il s'acoquinera volontairement, chacun d'eux ayant sa spécialité pour extorquer de l'argent au pauvre monde, jouant alternativement sur l'hypocrisie, le mensonge, la charlatanerie, la séduction, le vol... Il donne lui-même à son lecteur des conseils avisés pour tricher au jeu. Bien sûr, à vivre ainsi, Don Pablo tâte des prisons du royaume mais trouve toujours le moyen d'en sortir par ruse.

     

    Il s'agit donc d'un récit humoristique plaisant à lire parce que admirablement traduit par Rétif de la Bretonne. Bien qu'il s'inscrive dans le courant picaresque, l'auteur cherche moins à condamner des actes répréhensibles qui mériteraient une punition qu'à distraire et amuser ses lecteurs. D'ailleurs nombres d'actes condamnables, perpétrés par Don Pablo, restent impunis et on cherchera vainement une fin moralisatrice à ce récit. Pourtant, il n'échappera pas au lecteur attentif que Don Pablo tente quand même de s'évader de sa condition, notamment par un riche mariage, et, peut-être, de s'améliorer, mais il échoue dans toutes ces entreprises qui peuvent passer pour des tentatives avortées d'ascension sociale parce que la malchance le poursuit. Pourtant, si on en juge par la lettre qu'il laisse à son oncle, bourreau à Ségovie, il veut à la fois oublier sa famille et poursuivre son errance parasite et fructueuse. En tout état de cause un roturier ne pourra jamais devenir noble ce qui est bien dans l'esprit du roman picaresque. A la fin, il tente de partir pour l'Inde et ainsi de refaire sa vie mais l'auteur nous laisse à penser qu'il échoue également dans cette entreprise. Tout au plus conclue-t-il lui-même « qu'il ne suffit pas à l'homme de se transplanter pour que son état se bonifie; il faut encore qu'il change de vie et de mœurs, quand elles son dépravées et changer est une chose presque impossible à l'homme familiarisé avec le crime, et qui s'y endurci » sans qu'on sache très bien s'il s'agit là d'amères regrets, d'une leçon temporaire dont évidemment il ne tirera aucun profit ou une ultime pirouette...

     

    Dans ce récit, Quevedo ne manque pas de faire des réflexions aigres sur le monde qui l'entoure, de se moquer de la société de son temps, les intellectuels comme les ecclésiastiques, les charlatans comme les gens du peuple et des nobles ruinés. C'est donc aussi une critique sociologique qui nous est offerte sous couvert d'une présentation résolument comique.

     

    Le style de ce roman est baroque, notamment dans les descriptions qui sont faites où tout est poussé à l'extrême et caricaturé [notamment quand il nous livre avec force détails la description des artifices employés pour masquer la pauvreté de la vêture faite de pièces de vêtements mille fois ravaudés]. Les pérégrinations de Don Pablo sont, l'occasion pour le lecteur de connaître une société interlope où la pauvreté n'a d'égal que la débrouillardise pour la camoufler. D'autre part, l'auteur n'hésite pas à utiliser les jeux de mots et des expressions savoureuses [Don Pablo indique, non sans humour que son père sortit de prison « avec tant d'honneurs qu'il était accompagné de de deux cents cardinaux que l'on ne traitait cependant pas d'éminence »,désignant ainsi les traces laissées sur sa peau par les coups de fouet qu'il avait reçus en prison et qui rappelaient par leur couleur la robe des cardinaux].

     

    Cette œuvre rencontrera un grand succès lors de sa publication et sera traduite dans différentes langues mais il semblerait que Quevedo ait nié sa paternité à cause sans doute de l'Inquisition.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • la fortune de Sila

     

    N°557 – Mars 2012

     

    La fortune de Sila – Fabrice Humbert – Éditions Le PASSAGE.

     

    Le roman s'ouvre sur une scène un peu particulière, si on peut le dire ainsi. Dans un grand restaurant parisien, un soir de juin 1995, un client frappe violemment un serveur noir venu d'Afrique, Sila, pour une raison futile, mais, dans l'assistance, personne ne bouge. Il y a là celui qui a frappé, un Américain accompagné de sa femme et de son fils, deux jeunes Français, Simon et Mathieu, colocataires du même appartement mais à la personnalité diamétralement opposée, un Russe richissime et son épouse. Chacun a sa propre histoire et l'épisode qu'ils viennent de vivre les laisse apparemment complètement froids. C'est que, même s'il ne se croisent pas, ces personnages ont au moins un point commun : ils sont corrompus par l'argent. L'Américain, Marc Ruffle, est un fils de famille parfaitement inculte, inintéressant et répugnant qui a la particularité d'avoir été lancé par son père et qui a marché dans le jeu de l'immobilier de type « suprimes ». Le Russe, Lev Kravchenko, qui a l'origine était un brillant universitaire est devenu un oligarque opportuniste qui a profité de l'effondrement de l'ancienne URSS pour s'enrichir dans le domaine du pétrole. Simon, l'un de deux jeunes Français, vient de lâcher les mathématiques pour se lancer dans la finance internationale. Ils fêtent ensemble la récente promotion de Simon dans une grande banque internationale.

     

    D'emblée, on voit bien les camps s'opposer. Il s'agit des riches contre le pauvre prolétaire, émigré de surcroit, qui ne peut même pas répliquer ni se défendre. C'est une sorte de fresque manichéenne presque ordinaire sur fond de société en pleine déliquescence où pourtant, et ce pendant longtemps, on nous a fait croire à la grandeur de l'homme, à son altruisme... Certes, l'auteur nous fait pénétrer dans le monde inhumain de la finance et du profit à tout prix, certes il nous rappelle que ce monde est fait de violences, d'hypocrisies et d'injustices, oppose les riches contre les pauvres et ne laisse plus plus la moindre place à la charité, à la simple humanité. A la violence de nos sociétés dites modernes, répondent l'indifférence et la lâcheté. La scène du début est presque ordinaire et personne ne pense plus à ce pauvre Sila...

     

    Les femmes semblent jouer une autre partition dans ce drame ordinaire, Soshana, l'épouse de Marc fait amende honorable auprès de Sila non seulement parce qu'elle croit qu'il est venu en Floride, quelques mois plus tard, pour se venger mais surtout parce qu'elle a honte du geste de son mari. Elle restera cependant avec lui profitant de son argent. Eléna, l'épouse de Lev parvient à fuir cet environnement dont pourtant elle jouissait jusque là. Zeda, la banquière, même si elle joue à fond la carte de son métier tout entier dédié à l'argent peut être regardée comme moralisatrice en ce sens qu'elle ruine Lev et même le réduit à néant.

    Certes l'empire pétrolier de Lev patiemment échafaudé s'effondre et la crise mondiale s'amplifie, chacun devient de plus en plus mafieux parce que l'argent est roi, corrompt tout et devient la seule référence qui vaille [« A partir de quelle somme d'argent annuel existe-t-on? »] certes chacun a vendu son âme au pouvoir du « toujours plus » au point d'être ruiné en un instant. Eléna qui obtient le divorce d'avec Lev prétend que son mari a perdu son âme du jour où il n'est pas intervenu pour défendre Sila...Et Pourtant le roman n'a pas la naïveté de nous faire croire à une sorte de « happy end » . Le pauvre Sila semble, dans tout cela, jouer le rôle de figurant pourtant châtié injustement.

     

    J'avoue que, dans l'histoire de chacun des protagonistes, déclinée par le menu, je me suis un peu ennuyé et j'ai même un peu perdu le fil du roman, mais, j'ai fini quand même par me laisser happé par l'histoire. Elle m'a quand même un peu déçu. Je ne connaissais pas cet auteur, découvert un peu par hasard.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Quelques mots sur le roman picaresque

     

     

    N°558 – Mars 2012

     

    La vie de Lazarillo de Tormes - Anonyme.

     

    Ce livre raconte les tribulations d'un orphelin d'une dizaine d'années dans l'Espagne du XVI° siècle entre Salamanque et Tolède. Pour lui la vie a mal commencé et il est confié par sa mère, veuve, à un aveugle avaricieux et vagadond qui subsistait en récitant des prières, en mendiant et en exerçant une activité de pseudo-guérisseur. L'enfant lui servit de guide mais surtout de souffre-douleur. Il en acquit une expérience particulière qui l'amena à être aussi malin que ce maître qu'il finira quitter pour se mettre au service d'un prêtre ladre et dépourvu de toute charité qui le congédie.

    Poursuivant sa quête de mieux-être il se mettra au service d'un écuyer impécunieux et malhonnête qui l'abandonnera à son sort, puis il proposera ses services à un moine qui n'avait que peu de goût pour la vie monastique. Après quelques aventures, il entrera au service d'un bulliste, hâbleur et charlatan qui vendait des bulles papales et surtout les indulgences qui allaient avec à un public populaire et crédule. Le garçon ne manqua pas de s'apercevoir que ce commerce était avant tout basé sur la naïveté de la clientèle mais aussi sur des manœuvres où la supercherie et la dévotion religieuse n'étaient pas absentes. Le garçon finit par rencontrer un chapelain qui le traita passablement et qui lui permit de s'insérer dans la société en devenant crieur public. Enfin, il croisa la route d'un archiprêtre qui le maria avec sa servante et fit de lui un citoyen honnête, même si la lecture de l'épilogue peut signifier que Lazarillo souhaita faire perdurer sa situation, même au prix d'une complaisance conjugale.

     

    Il s'agit d'un écrit anonyme, publié en 1554 à Burgos, mais le style du texte, la richesse du vocabulaire, le respect de la syntaxe, l'analyse des situations et la pertinence des remarques donnent à penser que l'auteur ne peut être qu'un lettré et qu'un homme cultivé. Ce livre fut bien entendu censuré par l'Inquisition et parut en 1573 sous une version expurgée. Des noms d'auteurs sont avancés notamment comme celui de Diego Hurtado de Mendoza y Pacheco[1503-1575], poète et diplomate espagnol, Lope de Rueda [1510-1565] dramaturge et poète espagnol, de même que celui de Sebastien de Harozco[1510-1580] et même celui d'un moine dominicain et professeur de mathématiques Juan de Ortega [1480-1568]. On a même pensé que l'auteur pouvait être un chrétien espagnol vivant en Flandres, à cause de la parenté de Lazaro avec Till Ulenspiegel. Bien entendu rien n'est confirmé.

     

    C'est, en tout cas l'occasion pour l'auteur de se livrer, sous couvert d'un récit facétieux, à une évocation critique de la société à une période que l'Histoire a cependant retenu sous le nom de « Siècle d'Or ». Elle présente Lazarillo comme un jeune garçon sans expérience dont le seul et unique but est de manger mais qui finalement parvient à une certaine aisance matérielle. Le texte s'inspire de la tradition orale populaire et s'inscrit dans un contexte satirique mettant en scène le mendiant, le prêtre avare et l'écuyer(variante de l'hidalgo) ridicule et famélique.

     

    A titre personnel, j'ai toujours été extrêmement intéressé par cette période de l'histoire littéraire espagnole.

     

    Quelques mots sur le roman picaresque.

     

    Le roman picaresque est né en Espagne au XVI° siècle. Cela vient du mot espagnol :« picaro » qui signifie misérable, mais aussi futé, malicieux.

    D'aucuns en font remonter l'origine à l'Antiquité et plus particulièrement à Apulée, écrivain d'origine berbère né probablement en 123 après JC et mort vers 170. Son œuvre principale est « L'âne d'or » où le héros, un aristocrate nommé Lucius est transformé par accident en âne et connait différentes aventures parfois burlesques mais aussi malheureuses.

    Le roman picaresque se caractérise par une vision critique de la société et des mœurs de l'époque. Sa construction d'une grande liberté permet à l'auteur de faire se succéder sans grande logique des épisodes différents au sein d'un même récit. En ce sens, il diffère des genres littéraires traditionnels comme la tragédie ou le discours qui répondent à des règles de constructions très précises. La peinture sans complaisance de la société implique en effet une liberté totale d'expression. Il s'oppose également au gongorisme, très en vogue au temps des Habsbourg

    Le picaro est toujours d'un rang social très bas, constamment aux prises avec la faim, la souffrance et la malchance. En ce sens, il est l'exact contraire du chevalier à la condition et à l'idéal plus élevés. Le picaro est le type même de « l'anti-héros » qui vit en marge et ne recule devant rien pour améliorer sa condition, pourtant il échoue toujours dans cette entreprise. Quoiqu'il fasse, il restera toujours un déshérité !

    Pour autant, le picaro qui entre pour survivre au service de différents personnages qui lui sont socialement supérieurs ne manque pas de critiquer son nouveau maître. Il y a donc dans sa démarche une dimension satirique incontestable et même moralisatrice puisque la conduite dévoyée d'un individu se termine souvent soit par un repentir soit par une punition. N'oublions pas non plus que ce genre littéraire s'épanouit à un moment connu pour être « l'âge d'or » de l'Espagne, ce qui en fait un témoignage exceptionnel du point de vue psychologique et sociologique.

    Du point de vue style, le texte est souvent rédigé à la première personne ce qui peut faire passer, à tort cependant, le récit pour une autobiographie. Il évoque le parcours aventureux du héros, souvent obligé de changer de maître au gré des nécessités puisque sa seule préoccupation est de survivre, c'est à dire de manger, dans une société dont il semble exclu ou dans la quelle il a le plus grand mal à s 'insérer.

     

    Ce genre littéraire a été illustré notamment par « La vie de Lazarillo deTormes » (1553), récit anonyme, par « Guzman de Alfarache » (publié en deux parties en 1599 et 1604) de Matéo Aleman, par « Las relaciones de la vida y aventuras del escudero Marcos de Obregon » (1618) de Vicente Espinel, par « El buscón » de Francisco de Quevedo. Alain-René Lesage [1668-1747] peut être considéré comme l'héritier français du roman picaresque avec « Gil Blas de Santillane »

     

     

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • La vie de Lazarillo de Tormes

     

    N°558 – Mars 2012

     

    La vie de Lazarillo de Tormes - Anonyme.

     

    Ce livre raconte les tribulations d'un orphelin d'une dizaine d'années dans l'Espagne du XVI° siècle entre Salamanque et Tolède. Pour lui la vie a mal commencé et il est confié par sa mère, veuve, à un aveugle avaricieux et vagabond qui subsistait en récitant des prières, en mendiant et en exerçant une activité de pseudo-guérisseur. L'enfant lui servit de guide mais surtout de souffre-douleur. Il en acquit une expérience particulière qui l'amena à être aussi malin que ce maître qu'il finira quitter pour se mettre au service d'un prêtre ladre et dépourvu de toute charité qui le congédie.

    Poursuivant sa quête de mieux-être il se mettra au service d'un écuyer impécunieux et malhonnête qui l'abandonnera à son sort, puis il proposera ses services à un moine qui n'avait que peu de goût pour la vie monastique. Après quelques aventures, il entrera au service d'un bulliste, hâbleur et charlatan qui vendait des bulles papales et surtout les indulgences qui allaient avec à un public populaire et crédule. Le garçon ne manqua pas de s'apercevoir que ce commerce était avant tout basé sur la naïveté de la clientèle mais aussi sur des manœuvres où la supercherie et la dévotion religieuse n'étaient pas absentes. Le garçon finit par rencontrer un chapelain qui le traita passablement et qui lui permit de s'insérer dans la société en devenant crieur public. Enfin, il croisa la route d'un archiprêtre qui le maria avec sa servante et fit de lui un citoyen honnête, même si la lecture de l'épilogue peut signifier que Lazarillo souhaita faire perdurer sa situation, même au prix d'une complaisance conjugale.

     

    Il s'agit d'un écrit anonyme, publié en 1554 à Burgos, mais le style du texte, la richesse du vocabulaire, le respect de la syntaxe, l'analyse des situations et la pertinence des remarques donnent à penser que l'auteur ne peut être qu'un lettré et qu'un homme cultivé. Ce livre fut bien entendu censuré par l'Inquisition et parut en 1573 sous une version expurgée. Des noms d'auteurs sont avancés notamment comme celui de Diego Hurtado de Mendoza y Pacheco[1503-1575], poète et diplomate espagnol, Lope de Rueda [1510-1565] dramaturge et poète espagnol, de même que celui de Sebastien de Harozco[1510-1580] et même celui d'un moine dominicain et professeur de mathématiques Juan de Ortega [1480-1568]. On a même pensé que l'auteur pouvait être un chrétien espagnol vivant en Flandres, à cause de la parenté de Lazaro avec Till Ulenspiegel. Bien entendu rien n'est confirmé.

     

    C'est, en tout cas l'occasion pour l'auteur de se livrer, sous couvert d'un récit facétieux, à une évocation critique de la société à une période que l'Histoire a cependant retenu sous le nom de « Siècle d'Or ». Elle présente Lazarillo comme un jeune garçon sans expérience dont le seul et unique but est de manger mais qui finalement parvient à une certaine aisance matérielle. Le texte s'inspire de la tradition orale populaire et s'inscrit dans un contexte satirique mettant en scène le mendiant, le prêtre avare et l'écuyer(variante de l'hidalgo) ridicule et famélique.

     

    A titre personnel, j'ai toujours été extrêmement intéressé par cette période de l'histoire littéraire espagnole.

     

    Quelques mots sur le roman picaresque.

     

    Le roman picaresque est né en Espagne au XVI° siècle. Cela vient du mot espagnol :« picaro » qui signifie misérable, mais aussi futé, malicieux.

    D'aucuns en font remonter l'origine à l'Antiquité et plus particulièrement à Apulée, écrivain d'origine berbère né probablement en 123 après JC et mort vers 170. Son œuvre principale est « L'âne d'or » où le héros, un aristocrate nommé Lucius est transformé par accident en âne et connait différentes aventures parfois burlesques mais aussi malheureuses.

    Le roman picaresque se caractérise par une vision critique de la société et des mœurs de l'époque. Sa construction d'une grande liberté permet à l'auteur de faire se succéder sans grande logique des épisodes différents au sein d'un même récit. En ce sens, il diffère des genres littéraires traditionnels comme la tragédie ou le discours qui répondent à des règles de constructions très précises. La peinture sans complaisance de la société implique en effet une liberté totale d'expression. Il s'oppose également au gongorisme, très en vogue au temps des Habsbourg

    Le picaro est toujours d'un rang social très bas, constamment aux prises avec la faim, la souffrance et la malchance. En ce sens, il est l'exact contraire du chevalier à la condition et à l'idéal plus élevés. Le picaro est le type même de « l'anti-héros » qui vit en marge et ne recule devant rien pour améliorer sa condition, pourtant il échoue toujours dans cette entreprise. Quoiqu'il fasse, il restera toujours un déshérité !

    Pour autant, le picaro qui entre pour survivre au service de différents personnages qui lui sont socialement supérieurs ne manque pas de critiquer son nouveau maître. Il y a donc dans sa démarche une dimension satirique incontestable et même moralisatrice puisque la conduite dévoyée d'un individu se termine souvent soit par un repentir soit par une punition. N'oublions pas non plus que ce genre littéraire s'épanouit à un moment connu pour être « l'âge d'or » de l'Espagne, ce qui en fait un témoignage exceptionnel du point de vue psychologique et sociologique.

    Du point de vue style, le texte est souvent rédigé à la première personne ce qui peut faire passer, à tort cependant, le récit pour une autobiographie. Il évoque le parcours aventureux du héros, souvent obligé de changer de maître au gré des nécessités puisque sa seule préoccupation est de survivre, c'est à dire de manger, dans une société dont il semble exclu ou dans la quelle il a le plus grand mal à s 'insérer.

     

    Ce genre littéraire a été illustré notamment par « La vie de Lazarillo deTormes » (1553), récit anonyme, par « Guzman de Alfarache » (publié en deux parties en 1599 et 1604) de Matéo Aleman, par « Las relaciones de la vida y aventuras del escudero Marcos de Obregon » (1618) de Vicente Espinel, par « El buscón » de Francisco de Quevedo. Alain-René Lesage [1668-1747] peut être considéré comme l'héritier français du roman picaresque avec « Gil Blas de Santillane »

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • LES FRERES ROMANCE

     

    Juin 1991

    n° 65

     

    LES FRERES ROMANCE – Jean COLOMBIER - Éditions Calman-Lévy.

     

    Tout commence par un défi ridicule, une course de poids lourds sur une nationale pour prouver, ou se prouver, qu'on est le plus fort... Les choses s'enchaînent, s'aggravent, comme une sorte de vendetta au terme de laquelle il faut monter qu'on est un homme simplement parce qu'on ne laisse pas un affront impuni. Ce qui n'était qu'un jeu devient un drame, la justice s'en mêle, avec, au bout du compte, le tribunal et la prison à cause d'un mauvais coup.

     

    Je dois dire que je n'ai pas, dès l'abord, accroché à ce texte qui pourtant ne ménageait pas les descriptions poétiques et évocatrices d'un terroir agréable. Pourtant, les personnages se sont imposés peu à peu... Les deux frères Romance, qu'on disait inséparables, et qui n'avaient l'un pour l'autre aucun secret, malgré leur différence d'âge, sont une manière de jumeaux dont la complicité est exacerbée par la disparition précoce de leurs parents. L'aîné, Alain, après avoir espéré autre chose, se retrouve marié et transporteur chez son beau-père. Sa femme qui ne fait partie de sa vie que d'une manière épisodique, attend une maternité qui ne vient pas. Julien, élevé par Clairon, leur grand-père, c'est celui qui a réussi et dont l'avenir est plein de promesses, une brillante carrière d'ingénieur... C'est pourtant lui que la justice condamne pour avoir voulu venger son frère aîné, cet Alain, dont la lâcheté éclate un soir sur un parking, entre routiers.

     

    L'incarcération de Julien sera, pendant dix huit mois, avec la complicité de tout un village du Limousin, cachée à Clairon, qui n'aurait pas supportée cette épreuve. Un hypothétique stage aux États-Unis servira d'alibi... Et pourtant, la complicité qu'on suppose entre les deux frères, se dégrade, se lézarde, avec l'apparition de Louise, l'amie inconnue de Julien qui, bien entendu, finit par devenir la maîtresse d'Alain, autre lâcheté, d'autant plus grande de cette liaison se déroule pendant l'incarcération du frère. Elle creuse encore plus profondément le fossé qui sépare les deux hommes.

     

    Ce roman m'apparaît être celui de la trahison où chacun rencontre son propre personnage, celui qui sommeille en lui et contre qui il n'a pas envie de se battre. Alain révèle la solitude du routier, une solitude qu'il redoute, mais dans laquelle il se complaît, parce qu'il avait vu sa vie autrement et que celle-ci l'entraîne dans une décision presque maladive autant que dans un tourbillon dans lequel il se sent mal. Il finit par s'y couler comme dans une peau trop étroite. Au tribunal, le témoignage d'Alain aurait pu sauver son frère, mais il garde le silence sur l'humiliation qu'il a subie et que Julien a voulu venger. Le silence puisé soit dans l'ignorance de la vérité, soit dans la volonté de ne pas révéler les faits tels qu'ils se sont passés restera pesant jusqu'à la fin.

     

    La vie d'Alain est peuplée de fantasmes qu'il cherche à apprivoiser par la fréquentation de la mort, comme si les absoutes qu'il recherche pouvaient remplacer celle de ses parents trop tôt disparus. Cette idée de la mort est trop présente pour ne pas éclater à la fin, dans le fracas d'un accident et la dislocation du corps de Louise... Un suicide libérateur. La vie continuera, mais ce drame ne pourra être happé par l'oubli.

     

    J'ai lu dans ce livre une étude de caractères fort bien menée, surtout celui d'Alain qui aurait pu jouer le rôle du père pour son frère mais que les évènements révèlent comme quelqu'un qui fuit les responsabilités, celui qui trahit et qui se retrouve seul... à cause de lui. Il ne suffit pas de dominer la route du haut d'un " quarante tonnes " pour être maître de sa vie. On ne peut être longtemps son propre illusionniste.

     

    Je l'ai dit, je n'ai pas, d'emblée, été conquis par ce texte. J'ai continué cependant, peut-être conduit dans ma lecture par le fil ténu de l'intérêt. Je n'ai pas été déçu.

     

    C. Hervé GAUTIER.- Juin 1991.

     

  • La méthode Werber

     

     

    N°353– Juillet 2009.

    La méthode Werber – Article de Jacques Drillon – Le Nouvel Observateur n°2331 du 9 au 15/7/2009 p 89.

     

    Dans la série « Nous vivons une époque formidable », mon attention a été attirée par l'article de Jacques Drillon. Bernard werber qui n'est pas un inconnu pour cette revue [La Feuille Volante n° 317 – Octobre 2008] avait convié 400 de ses lecteurs à L'institut Océanographique de Paris pour un « atelier d'écriture ».

     

    Personnellement, j'ai toujours pensé [en le vérifiant] qu'une telle activité [l'atelier d'écriture] ressemblait beaucoup à une arnaque et qu'il fallait se garder de tomber dans le panneau. Cela avait pour effet, sinon pour but, d'apprendre aux « stagiaires » ce qu'ils savaient déjà faire, tout en les ponctionnant largement au passage... avec leur consentement et leur satisfaction et surtout en leur donnant l'impression qu'ils sont meilleurs « écrivants », sinon écrivains, qu'avant leur passage dans cet atelier!

     

    C'est peut-être un signe des temps, la preuve que la crise n'est pas pour tout le monde, mais, n'ayant pas été invité et surtout ayant des moyens limités [25 euros quand même pour participer à la séance!], je n'y ai pas assisté et je me suis donc contenté des propos du journaliste.

     

    Si j'en juge d'après le texte du Nouvel Observateur, cette intervention du maître s'est transformée en une opération de promotion personnelle pour un écrivain à succès qui n'en n'a pas vraiment besoin, l'occasion de pratiquer l'autosatisfaction, sorte d'explication de texte de l'auteur lui-même sur ses propres ouvrages, un sondage « in situ » sur l'œuvre... Après tout c'est de bonne guerre, même si les questions posées par werber, si elles l'on effectivement été telles qu'elles sont relatées, ne font pas vraiment preuve d'un sens accompli de l'expression française!

     

    Vient en suite l'objet de la rencontre. Au moins l'auteur met en garde son auditoire et indique que si l'écriture est un plaisir, ce n'est pas une chose facile parce que le travail fait aussi partie du processus[Pourtant, je me m'explique pas sa remarque précisant « l'écriture est un métier de feignant »!], que, même si on est convaincu de son propre talent, le succès ne sera pas forcément au rendez-vous. Il rappelle avec raison que si l'écriture peut être jubilatoire, le livre est souvent un univers douloureux, même si la folie, et même l'audace, font un peu partie du décor et que l'observation du quotidien est finalement une bonne école, que l'inspiration réserve parfois de bonnes surprises à l'auteur lui-même parce que l'imagination reste la plus forte face à la feuille blanche.

    Ce sont là beaucoup de banalités, distillées pour un prix manifestement exorbitant, alors que la meilleure façon d'écrire, c'est certes de s'entrainer à le faire, mais surtout de lire les bons auteurs!

    En revanche, je ne m'explique pas que l'auteur des « Fourmis » puisse affirmer que « tout roman peut se résumer à une blague » et je ne suis pas bien sûr que les participants aient été capables, avec de tels conseils, d'écrire ensuite leur propre best-seller!

     

    Je suis pour autant d'accord avec Jacques Drillon, une telle intervention à quelque chose d'édifiant!

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

  • Gilles

     

     

    N°556 – Mars 2012

     

    GILLES – Pierre Drieu La Rochelle* (1939) – Gallimard.

     

    Gilles Gambier, le personnage principal de ce roman, a combattu pendant la Première Guerre mondiale et a été blessé. Désargenté, il tombe amoureux de Myriam Falkenberg, femme riche qu'il séduit, épouse mais qu'il quitte dès que la mort de son père fait d'elle une héritière plus riche encore. Le héros rejoint l'armée, vit une passade avec une infirmière qu'il quitte également, devient, à la fin des hostilités, une sorte de dandy profiteur, entraîné un peu malgré lui dans un complot politique. Il se retrouve en Algérie après une brève aventure avec Dora, une américaine qu'il aimait sincèrement mais qui le quitte, s'amourache de Pauline, une jeune fille simple. Plus ou moins écœuré par la vie, il rentre à Paris, fonde un journal fasciste et part s'engager en Espagne au côté des franquistes.

     

    Voilà résumé en peu de mots ce roman dont l'auteur, auparavant tenu pour une sorte de dandy, voulait se faire reconnaître comme un authentique écrivain. C'est que ce Gilles Gambier ressemble beaucoup à Drieu, élégant, cynique, séducteur, tenté par l'écriture aussi . Il ne s'arrête cependant pas à l'autocritique puisque ce roman, dont le titre original devait être « Pamphlet contre moi et mes amis », égratigne également Aragon, André Breton et le groupe des Surréalistes auquel il a été un moment lié mais avec lequel il se brouillera. Ce récit se veut le dénonciateur de la décadence de la France de l'entre-deux guerres, de la politique du moment, mais pas seulement.

     

    Alors, chantre du fascisme ? Peut-être et même surement mais ce qui a fait de lui un écrivain rejeté par ses contemporains à cause de ses choix politiques tient sans doute au fait qu'il a été le reflet de son époque. C'est souvent le destin des écrivains talentueux sur le plan littéraire, que d'être le miroir de leur temps et à ce titre d'en incarner les lâchetés et les compromissions. L'image peu flatteuse qu'ils en donnent font d'eux des boucs émissaires tout désignés.

     

    Drieu était par ailleurs un personnage complexe, hanté par sa propre mort (il se suicidera probablement pour éviter d'être fusillé mais n'en était cependant pas à sa première tentative. Le père de Myriam Falkenberg se suicide au début du roman et Paul Morel, un autre personnage de ce roman, fait de même) parce que sa désespérance était trop forte. C'est une sorte d'antidote au mal de vivre de celui qui ne trouve pas sa place dans la société. Dans ce roman, l'ambiance même du récit trahit une sorte de mal-être d'un homme égaré, perdu [« Vivre c'est d'abord se compromettre » dit-il.] Il était certes un idéaliste, dénonçant le déclin de la bourgeoisie et de la société, mais il était assurément un homme que la Première Guerre mondiale avait définitivement déstabilisé et que les événements qu'il traversait avaient du mal à satisfaire. Il variera beaucoup dans le choix de ses modèles. Séducteur, il est bien sûr attiré par les femmes à qui il plait mais elles ne semblent pas à la hauteur des aspirations amoureuses de ce dandy libertin qui sait qu'elles ne l'aiment pas pour lui-même. Il représente pour elles la jouissance mais lui regarde parfois la femme comme l'objet de la conquête mais aussi un remède contre la solitude [« Vous, vous souhaitez la femme des autres, mais si elle était à vous ... » fait-il dire à un de se personnages s'adressant à Gilles]. Elles sont aussi liées à l'argent qui est un symbole de pouvoir, d'indépendance, comme Myriam dans ce roman. Les femmes et l'argent sont un thème central de son œuvre comme dans sa vie.

     

    Avant la deuxième guerre il est ouvertement en faveur des juifs. Sa première femme, Colette Jéramec, est juive mais, après un voyage en Allemagne, dans les années 30, il revient convaincu par le régime nazi, à ses yeux, remède contre la décadence de la société moderne. C'est à cette époque qu'il écrit « Gilles » qui est probablement le roman le plus représentatif de son œuvre. Sous l'occupation, il soutient la collaboration avec l'Allemagne et prône la haine des juifs ce qui fit de lui un écrivain maudit. Pourtant il parvint, après son divorce, à libérer sa première femme du camp de Drancy où elle était incarcérée avec son frère et son enfant d'un précédent mariage. Cela ne l'empêche pas, revenu apparemment de ses illusions, de faire l'éloge en privé du stalinisme, de se lier à André Malraux mais de refuser l'aide de ce dernier à la Libération, préférant la mort.

     

    Drieu était un être tourmenté, tiraillé par ses propres contradictions et ses aspirations idéalistes et politiques. Je n'adhère guère à l'idéologie politique de Drieu et je distingue l'homme de plume et ses choix idéologiques, mais son style me semble être tout à fait intéressant. Je choisis de voir en lui un serviteur de notre belle langue française et de déplorer qu'il fut si longtemps oublié. Il est peut-être bizarrement actuel pour nous qui sommes également perdus dans une société qui a abandonné ses repères traditionnels, dans une démocratie empêtrée dans ses contradictions qui prend davantage en compte l'aspect financier que la réalité humaine et tient en permanence un double langage. Au moment où il nous est fait l'éloge de la réussite, il est l'image de l'homme avec ses fêlures, ses interrogations, son attirance vers la mort, sa fascination du suicide face à l'échec ...

     

    Si mes informations sont exactes, il semble que La Pléiade répare cet oubli par la publication, en avril 2012, de l'ensemble de son œuvre. Ainsi Drieu reprendra-t-il sa place dans la littérature française, celle d'un grand écrivain malencontreusement et injustement délaissé.

     

    *Pierre Drieu La Rochelle [1893-1945]

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Les soeurs fâchées- Un film d'Alexandra Leclère

     

    N°554 – Février 2012

     

    LES SOEURS FÂCHEES- Un film d'Alexandra Leclère (2004) Rediffusion le jeudi 13 février 2012, 20h35.– FR3.

     

    C'est, au départ, une histoire bien banale, celle de deux sœurs que tout oppose. Leur mère, vieille et alcoolique, qui attend la mort dans une maison de retraite de province les a très tôt bannies de sa vie en leur prédisant un avenir désastreux . (J'ai toujours été étonné de la manière dont des personnes, par ailleurs très contestables dans leur vie, se croient autorisées à lire dans le marc de café pour les autres et à manier ainsi l'anathème définitif pour les personnes qu'elles rejettent unilatéralement ). D'elle on n'entend parler qu'en filigrane et c'est sans doute ce qu'elle mérite. Elle a donc eu deux filles bien différentes, Martine ( Isabelle Huppert), désœuvrée, snob, aigrie, méchante vit à Paris une existence de mère de famille indifférente à son jeune fils.(Je suis toujours étonné de constater les surprises que nous réserve la génétique qui, au sein d'une même fratrie met en scène des personnalités bien différentes, pourtant issues du même sang ). Elle a apparemment fait un beau mariage et montre toutes marques d'une réussite sociale. Elle s'ennuie cependant dans un costume bien trop grand pour elle au point qu'elle envisage de travailler, elle qui, malgré la quarantaine, n'a jamais rien fait dans sa vie. Elle fréquente un monde superficiel fait de vernissages et de rendez-vous mondains. De son mari, Pierre (François Berléand), on ne sait rien sinon qu'il existe, qu'il est riche, qu'il la supporte et qu'il ramène la vie à des occasions de fornications animales. Non seulement il considère son épouse comme devant se livrer au traditionnel « devoir conjugal » mais il étend volontiers ses talents au bénéfice de la voisine du dessus, aussi avide de sexe que lui, et pourquoi pas à sa belle-sœur !

     

    L'autre, Louise (Catherine Frot), mariée et mère de famille, est esthéticienne au Mans, ce qui n'augure pas d'une vie bien trépidante. Le spectateur comprend très vite qu'elle n'a rien de bien original sinon qu'elle est gaie, spontanée, à en devenir exaspérante et même maladroite. Pourtant, et à l'inverse de cette sœur oubliée depuis bien des années, elle rencontre l'amour en croisant le regard d'un homme, sur un trottoir, un véritable « coup de foudre » qu'elle veut à tout prix ne pas laisser passer. Pour cela, elle hésite puis finalement se lance pour le conquérir et ainsi bouleverse son présent pour ce moment de folie. Elle vit avec lui depuis deux ans ! Cet instant a dû être exceptionnel et chargé d'émotions puisque, elle qui n'était guère douée en français et n'avait jamais tenu un stylo de sa vie, à part peut-être pour sa liste de courses ou la rédaction de ses chèques, confie spontanément cette expérience à la page blanche. Il en résulte un roman qu'elle a envoyé à un grand éditeur parisien ! Une folie de plus mais qui a passionné les membres du comité de lecture et provoqué une convocation prometteuse... et une future édition. C'est la raison de sa présence à Paris de Louise qui en profite, pendant trois jours, pour renouer avec Martine, alors qu'elle aurait pu faire l'aller et retour dans la journée. C'est aussi l'occasion pour cette provinciale de visiter la capitale, de faire connaissance avec son jeune neveu, de craindre un peu pour la future édition de son livre pourtant promis à un succès de librairie... et de bouleverser la vie de cette sœur un peu trop guindée !

    C'est pourtant un peu grâce à elle, à son rejet de ce microcosme où elle n'est pas acceptée que Martine prend conscience des relations coupables que son mari entretient avec sa voisine du dessous, celle-là même qu'elle prenait pour sa meilleure amie. C'est aussi un peu par hasard qu'elle rencontre un ancien amant désormais marié et père de famille. C'est aussi pour se venger de cette adversité qu'elle gifle Louise. Quant à Pierre, il disparaît... On imagine un divorce à venir, une nouvelle vie, et ce d'autant plus que la dernière scène du film se déroule à la gare Montparnasse, sur un quai où tout espoir est désormais possible. Louise revient au Mans emportant avec elle la magie des rues de Paris mais aussi les déconvenues familiales. Elle n'est pas au courant du bouleversement qui est intervenu dans la vie de sa sœur mais c'est pourtant mi- surprise mi-complice qu'elle la voit se présenter à elle avec son fils pour ce qui n'est peut-être pas un adieu définitif.

     

    Il s'agit là d'un film qui était le premier long métrage d'Alexandra Leclère et le hasard, encore lui, à transformé pour moi une soirée qui menaçait d'être morne en un bon moment. En effet, J'ai été séduit par le jeux des acteurs, ces deux personnalités que tout oppose et qui sont si bien incarnées par deux actrices d'exception, Isabelle Huppert et Catherine Frot. L'étude psychologique aussi est bien menée, Louise rappelant à sa sœur ses origines sociales, lui donnant un peu malgré elle ce que cette dernière n'a plus, l'amour de la vie, l'intérêt pour les autres, la folie peut-être ? Le portrait de la bourgeoise parisienne ainsi brossé est pertinent et les personnages campés correspondent bien à ce qu'ils sont dans l'inconscient collectif.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • cité de verre

     

    N°506 – Février 2011.

    CITE DE VERRE – Paul AUSTER – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    C'est le 1° roman de la trilogie new-yorkaise de Paul Auster (la Feuille Volante n° 497 et 500). Bizarrement, j'ai l'impression qu'il faudrait en commencer la lecture par la fin. En effet, c'est un étrange récit raconté par un narrateur qui écrit : « Je suis rentré en février de mon voyage en Afrique... J'ai téléphoné à mon ami Paul Auster...(il) m'a expliqué le peu de choses qu'il savait de Quinn puis il a continué à me décrire l'étrange affaire dans laquelle il il avait été fortuitement impliqué ».

     

    Un lecteur attend d'un roman qu'il lui raconte une histoire, mais comme souvent chez Auster, cela ne se passe pas exactement comme cela. Ici l'histoire existe, certes, mais elle est non seulement compliquée, fait intervenir des personnages inattendus, parfois furtifs, parfois quasi-réels que l'auteur abandonne, explore des thèmes de réflexion intéressants, brouille parfois le jeu... Ici le narrateur prend la parole en premier, évoque Daniel Quinn, écrivain new-yorkais de romans policiers. Il a 35 ans, a perdu son épouse et son fils et vit seul, modestement et sans grandes ambitions. Il signe ses romans policiers du nom de William Wilson [C'est le nom d'une nouvelle d'Edgar Poe écrite sur le thème du double]. Ce n'est pas là une simple fantaisie d'auteur puisque puisqu'il nous est dit que « Même s'il n'était qu'une invention, s'il était né de Quinn, il menait désormais une vie indépendante ». Quinn met également en scène dans ses romans un personnage fictif du nom de Max Work, détective privé, mais qui, avec le temps prend de la consistance au point que Quinn voit le monde à travers lui [il est intéressant de s'attarder sur le jeu de mots qui nous est offert entre « I » et « eye »]. Il peut donc s'agir d'un prétexte qui joue sur le dédoublement d'un même personnage.

     

    En pleine nuit, Quinn reçoit un coup de téléphone et l'interlocuteur demande à parler au détective privé du nom de... Paul Auster ! Il ne peut donc s'agir que d'une erreur. Pourtant la voix se fait convaincante, parle de danger de mort et Quinn accepte de rencontrer une femme énigmatique, Virginia Stillman, mariée à Peter, jeune homme mystérieux qui prétend que son père qui l'a torturé pendant toute son enfance veut l'assassiner. Peter se révèle étrange, tient des propos désordonnés sur la vie, sur son épouse, sur Dieu et émet des doutes sur son propre nom. Quinn accepte un chèque à l'ordre d'Auster pour protéger Peter, découvre le père Stillman (qui s'avère, dans un premier temps être deux personnages), mène son enquête en notant ses remarques sur un cahier rouge. Il suit donc Stillman à travers New-York, reconstitue ses itinéraires aléatoires, en donne des interprétations qui se révèlent être erronées, étudie ses habitudes... Cet homme souhaite inventer un nouveau langage [« Un langage qui dira enfin ce que nous avons à dire. Car les mots que nous employons ne correspondent plus au monde »].

    Quinn fait des rapports téléphoniques réguliers à Virginia Stillman et, à l'instar de son héros Max Work, se met à désirer ardemment cette femme. Quinn finit, sous son vrai nom par rencontrer le père Stillman. Chacune de leurs rencontres est quelque peu surréaliste, soit il est question de la quête d'objets hétéroclites, soit Quinn se fait passer pour le fils de Stillman que celui-ci ne reconnaît pas, soit Quin qui se présente comme étant Henry Dark. Il se trouve que ce nom, choisi par hasard par Quinn correspond au personnage d'un roman que Stillman a écrit autrefois. [ Et les initiales H.D. lui évoquent Humpty Dumpty, personnage en forme d'œuf du roman de Lewis Caroll « De l'autre côté du miroir » !]

    Puis Stillman disparaît (nous saurons plus tard qu'il s'est suicidé en se jetant du pont de Brooklyn), Quin rencontre le vrai Paul Auster qui lui avoue être écrivain et non détective,et lui donne le chèque libellé à son nom. Ensemble ils parlent littérature et évoquent Don Quichotte et Cervantes, dissertant à la fois de la folie du chevalier, du bon sens de Sancho Penza et surtout de la façon dont a été écrit le fameux roman puisque Cervantes prétend en avoir trouvé le manuscrit dû à l'auteur arabe Cid Hamet Ben Engeli au marché de Tolède. C'est une manière comme une autre de parler de ce roman dans le roman, de cette mise en abyme tant prisée par Auster, de cet ouvrage où le lecteur se perd et où les noms se mélangent sans qu'on ne sache plus très bien qui est qui.

    Puis Auster abandonne sans crier gare l'intrigue initiale autour de Stillman. En effet Quinn constate que le téléphone ne répond plus, que le chèque qu'il avait reçu au non d'Auster est sans provisions... Il décide donc de changer de vie, devient marginal, reprend la rédaction du fameux « cahier rouge » qu'il avait un peu abandonné, revient à son ancien appartement maintenant habité par une femme, puis investit celui de Peter Stillman dont il n'a aucune nouvelle et qui a définitivement disparu. Dans l'état où il se trouve, il constate que William Wilson et Max Work sont morts et que lui-même disparaît petit à petit du décor que les ténèbres envahissent. Le cahier rouge n'a d'ailleurs plus de pages. C'est un peu comme si cette histoire s'était révélée transitoire «  Cette affaire avait servi de pont vers un autre lieu de sa vie, et maintenant qu'il l'avait franchi, Quinn en avait perdu le sens. Il ne s'intéressait d'ailleurs plus à lui-même. Il parlait des étoiles, de la terre, de ses espérances pour l'humanité. »

    Quant au cahier rouge, la dernière phrase qui y est inscrite est « Que sa passera-t-il quand il n'y aura plus de pages dans le cahier rouge ? » Un familier de l'œuvre d'Auster notera opportunément que dans un autre roman («  La nuit de l'oracle »), l'auteur accorde aussi une grande importance à un cahier bleu !) ]. De plus, le narrateur, qui prétend s'être brouillé avec Auster à cette occasion, termine par ces mots «  Pour ce qui est de Quinn, il m'est impossible de dire où il se trouve actuellement. ». Une manière comme une autre de laisser son lecteur libre d'imaginer une fin qui lui convienne.

     

    Dans ce roman, il faut noter une nouvelle fois l'art de la narration labyrinthique qui est allié à une imagination débordante? Cela étourdit le lecteur et c'est sans doute l'effet recherché. C'est en effet une sorte de vertige qui ne peut pas ne pas le prendre à la lecture d'un tel roman. Je ne suis pas sûr cependant d'avoir bien tout compris, mais j'ai poursuivi ma lecture jusqu'à la fin, et avec plaisir !

    Est-ce une remise en cause du langage et du sens des mots ? Est-ce que Auster s'interroge sur les concepts d'identité ? Veut-il, à l'occasion d'un roman à la fois s'attacher son lecteur et ne pas lui imposer complètement un texte en le laissant libre d'imaginer ce qu'il veut ? Explore-t-il ici une forme de folie qui peut s'emparer des hommes des grandes villes tentaculaires (New-York ?) ou des écrivains qui créent autour d'eux un univers de fiction et des personnages qui peuvent finir par leur échapper ? A chacun de répondre !

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • La nuit de l'oracle

     

    N°504 – Février 2011.

    LA NUIT DE L'ORACLE – Paul Auster – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Christine Le Boeuf.

     

    Le jeune écrivain new-yorkais d'origine polonaise, Sidney Orr revient chez lui après une longue hospitalisation. Il est marié à une femme, Grace, qui l'aime et il est heureux avec elle. Cette période a été cependant difficile pour lui puisqu'il semble avoir perdu tous ses repères « Quand arriva le jour de ma sortie de l'hôpital, c'est à peine si je savais encore marcher, à peine si je me rappelais qui j'étais censé être. ». Il est à nouveau désireux d'écrire et commence à rédiger une histoire dont le personnage principal, Nick Bowen, est à la fois romancier et résident à New-York [comme Auster lui-même]. Sydney Orr commence donc l'histoire de Nick tout en la rapprochant de la sienne propre, esquissant les ressorts complexes qui existent dans la création romanesque. Dans l'histoire du narrateur, Nick qui est aussi éditeur, reçoit le manuscrit d'un roman inédit attribué à Sylvia Maxwell par l'intermédiaire de sa petit-fille, Rosa Leigthman et qui s'intitule « la nuit de l'oracle ». Ce roman met en scène Lemiel Flag, un héros aveugle qui a de pouvoir de deviner l'avenir. Nick manque d'être tué par la chute d'un objet, quitte sa femme sans raison et part au hasard pour Kansas City.

     

    Résumer un roman a toujours quelque chose de frustrant. Dans le cas de Auster, l'intrigue n'est jamais simple et il balade son lecteur dans les arcanes d'un récit plein de rebondissements. Il se trouve que l'auteur introduit également dans son texte un autre personnage, John Trause, écrivain lui-même qui conseille à Orr de s'approprier le personnage [Flitcraft] d'un autre roman [« le faucon maltais »] dont il n'est pas l'auteur et de le mettre en situation dans sa création personnelle. De fait, les deux histoires se rejoignent sous la plume d'Orr. Cette mise en abyme est peut-être un peu difficile à suivre mais elle met en évidence le hasard et le poids qu'il a sur la vie des hommes. Cela a toujours été pour moi un thème de réflexion intéressant et pas seulement du point de vue littéraire. Pour autant, le narrateur révélera à la fin de ce roman les liens qui l'unissent à Trause. Orr reste le maître de ce récit jusqu'à la fin, nous décrivant sa vie parfois mouvementée avec Grace.

     

    On peut aussi s'interroger sur le processus créatif au terme duquel un personnage de roman, nécessairement fictif, prend vie sous la plume d'un créateur, ce qu'il doit à la culture de ce dernier à ses fantasmes. D'où vient ce Ed Victory, chauffeur de taxi que rencontre Nick, mais aussi collectionneur d'annuaires téléphoniques de Varsovie dans les années 30 ? Dans ces bottins Nick retrouvera trace du patronymes de la famille de Orr. Ed est un personnage secondaire mais qui va prendre de l'importance dans la vie de Nick au point qu'il pourrait parfaitement devenir le héros... d'un autre roman !

     

    A l'occasion de cette histoire labyrinthique et pleine de mises en abyme ainsi que Auster les affectionne, l'auteur engage une réflexion sur l'écriture et sur la création artistique en général et les rapports qu'un écrivain peut entretenir avec la réalité. A quel point cette dernière peut-elle influencer l'œuvre qui est du domaine de l'irréel, de la fiction ? [« Perdu dans les affres du chagrin il se persuada que les mots qu'il avait écrits au sujet d'une noyade imaginaire avaient provoqué une noyade réelle, que sa fiction tragique avait donné lieu à une tragédie réelle dans le monde réel. »]. Après tout, ce n'est pas un hasard si on parle aujourd'hui de l'auto-fiction comme un moteur de la création littéraire. Il note jusqu'à l'obsession l'existence de ce petit carnet bleu de fabrication portugaise que vend son ami Chang et qui recueille ses mots. Mieux, il les suscite ! Pourtant il finit par le détruire. Grâce à cela, il invente l'histoire de John Trause qui est lui-même écrivain et de son éditeur, Nick Bowers à qui il prête des pérégrinations pour le moins fantastiques, mélange judicieusement le roman de Sylvia Maxwell et que sa petite-fille Rosa Leigthmann souhaite voir publier par Bowers, met en situation des différents personnages de ces fictions, leur prête des aventures extraordinaires qui ont pour seules limites l'imagination de l'auteur qui est aussi le narrateur...

     

    Je suis un peu surpris par le nombre et surtout par la longueur des notes de bas de page. Elles participent largement aux digressions chères à Auster et entretiennent cette impression d'égarement que ne manque pas de ressentir le lecteur. On se perd d'autant plus facilement dans l'histoire principale que le narrateur y introduit des évocations secondaires. Dans celles-ci, il inclut toute une arborescence de personnages qu'il crée et qu'il abandonne, toute une série de situations qui complètent et éclairent l'intrigue mais qui pourraient tout aussi bien être le départ d'une nouvelle fiction. Cela rompt sans doute le processus narratif mais nourrit l'imaginaire du récit.

    Cela met en évidence une caractéristique du style de Auster qui est le culte du détail dans la narration. On pourrait le rapprocher du « pointillisme » en peinture... D'autre part, le lecteur ne sera pas sans remarquer de Trause est l'anagramme de Auster, ce qui accentue les ressemblances entre eux. Ces deux écrivains ont traversé une période de sécheresse analogue [symbolisée sans doute par une période d'hospitalisation] et le narrateur, dans une sorte de dialogue improvisé et improbable entre lui et Trause, s'interroge sur la couleur bleue de ce carnet qu'ils ont en commun [« Le carnet était fermé et posé sur un petit dictionnaire et, sitôt penché pour l'examiner je constatais que c'était le double exact de celui qui se trouvait chez moi, sur ma table »] autant que sur leur rôle dans la société [« Ça ne veut rien dire Syd, sinon que tu as le cerveau un peu fêlé. Je suis tout aussi fêlé que toi. Nous écrivons des livres, non? Que peut-on attendre de gens comme nous ? »]. Il tente d'analyser le processus créatif que l'imagination mais aussi la réalité et le hasard alimentent, mais aussi ce simple assemblage de feuilles vierges et reliées sous la forme de ce fameux « carnet bleu » qui est une invitation forte à l'écriture. Le narrateur prend en compte que l'inspiration peut parfaitement manquer tout d'un coup au plus prolixe des écrivains !

     

    Paul Auster s'interroge sur la démarche des écrivains en général par rapport à leurs personnages. Qu'ont en commun ces créations fictives et donc inventées et le vécu de celui qui les invente. Peuvent-il s'échapper du moule que l'auteur leur a assigné ? Sont-ils libres de leurs mouvements (et de leur destin ?) à l'intérieur d'une histoire inventée par un auteur. Je goûte à titre personnel cette sorte d'introspection et le questionnement d'un auteur sur lui-même autant que sur ces personnages me paraît être une démarche intéressante et révélatrice à la fois pour le lecteur et pour l'auteur lui-même. Comme on le voit chez Auster, l'histoire peut assez facilement passer au second plan au profit de ses interrogations personnelles.

     

    J'ai bien conscience de m'être un peu perdu dans le dédale la lecture de ce roman comme sans doute le seront tous les lecteurs. Je n'ai peut-être pas tout compris tant la démarche créatrice d'Auster est labyrinthique, mais j'ai pris du plaisir à entrer dans cet univers narratif auquel la traduction doit probablement beaucoup. Il m'a tenu en haleine jusqu'à la fin et c'est sans doute ce qu'un lecteur peut demander à un roman.

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Tombouctou

     

    N°503 – Février 2011.

    TOMBOUCTOU – Paul Auster – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Christine Le Boeuf.

     

    Le titre d'abord. Il évoque une ville mythique, à la fois mystérieuse et lointaine dont l'origine serait, selon la légende, rattachée à un puits et à une femme. Elle reste dans notre inconscient ou peut-être dans notre histoire une cité qui a été explorée par René Caillié en 1828.

    Mais, avec Paul Auster, on est jamais au bout de ses surprises et la lecture d'un de ses romans est toujours un moment d'exception, plein de curiosités pour le lecteur attentif. C'est que ce récit commence par l'évocation de Willy, un personnage un peu bizarre, à la fois vagabond et rimailleur qui se prend pour l'assistant du Père Noël. Il erre dans la ville de Baltimore en compagnie de son chien, Mr Bones, un authentique bâtard. Pourtant cet animal n'est pas le commun des canins, il est plein de sensibilité et son maître ne le tient pas pour un inférieur mais au contraire pour un véritable ami. L'animal est même animé d'aspirations métaphysiques ! Willy va mourir, il le sait, mais avant de faire le grand saut, il tient à assurer à son compagnon un nouveau gîte en lui conseillant d'éviter la police, la fourrière... et les restaurants chinois ! Le mieux serait qu'il le confie à Bea Swanson, son ancienne professeur d'anglais. Il veut aussi assurer un avenir à ses écrits consignés sur soixante quatorze cahiers. Ce sont des poèmes mais aussi les premiers balbutiements d'une longue épopée « Jours vagabonds » où il évoque ce qu'a été sa vie personnelle. Las, il meurt misérablement avant d'avoir mené à bien ce dernier projet. Ainsi, happé par la mort, il doit bien se résoudre à faire une croix sur ses légitimes et littéraires ambitions !

    Mr Bones se retrouve donc seul, orphelin, et recherche vainement l'ancien professeur de Willy. Il va donc errer et rechercher un maître. Après un long voyage « à pattes » qui peut, si on veut le voir ainsi, ressembler à une démarche labyrinthique (et que Paul Auster affectionne) analogue à celle de son maître, il trouve enfin une famille qui l'adopte, s'occupe de lui et l'aimera... Poursuivant ses préoccupations philosophico-religieuses, l'animal, qui rêve parfois à son maître et entreprend avec lui des dialogues d'outre-tombe, s'imagine que cet homme réside maintenant dans un lieu de félicité paradisiaque qu'il a du mal à situer sur la carte du monde et qu'il nomme Tombouctou ! Willy lui parle, lui donne des conseils sur la façon de survivre...

     

    C'est que cette fable romanesque, pleine de sensibilité où les hommes portent des noms d'animaux et vice versa, donne la parole à ce brave chien qui va faire part de ses remarques sur sa vie devenue aussi vagabonde que celle de feu son maître. Perdu dans ce monde, il se révèle un peu naïf, parfois malchanceux mais se montre plus humain que bien des hommes. Il mènera à son terme sa quête personnelle pour, le pense-t-il, retrouver Willy dans cet ailleurs

     

    Ce roman a la caractéristique, rare à mes yeux, de capter l'intérêt du lecteur dès la première ligne, de le prendre par la main en quelques sorte et de ne l'abandonner qu'à la fin sans que l'ennui se soit insinué dans sa lecture. Paul Auster s'y révèle encore une fois un narrateur exceptionnel. Son style fait d'humour, de tendresse et de réflexions parfois grinçantes sur la vie a quelque chose d'attachant, de magique même !

     

    J'ai vraiment bien aimé et je continue d'explorer l'univers tissé par cet auteur qui ne cesse de m'étonner.

     

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La chambre dérobée

     

    N°500 – Février 2011.

    LA CHAMBRE DÉROBÉE - Paul AUSTER– Actes sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    Ce roman s 'ouvre sur l'écrivain américain Fanshawe, où plus exactement sur son fantôme. Cet homme semble avoir disparu et probablement est mort puisque sa femme Sophie contacte le narrateur, qui est aussi critique littéraire, mais également l'ami d'enfance de son défunt mari, pour qu'il juge si son œuvre demeurée inédite, est digne d'être publiée. En cela elle exécute une de ses dernières volontés explicitement exprimées. Non seulement les poèmes, romans et pièces de théâtre de Fanshawe sont éditées et sont un succès, mais le narrateur, sur la demande expresse de son ami, épouse sa femme et adopte son fils. Il lui propose en quelque sorte une vie par procuration ou, si l'on veut, une certaine forme d'imposture. Par la suite, non seulement le narrateur apprend que son ami n'est pas mort, mais ce dernier lui enjoint de n'en rien dire à Sophie et surtout de ne pas chercher à le retrouver. S'ouvre donc avec son épouse une période de vie commune qui sera heureuse bien que fondée sur le mensonge. Devant la réussite littéraire de la publication posthume, on demande au narrateur de rédiger une biographie de Fanshawe. A partir de ce moment, il va découvrir un être différent du garçon qu'il a connu enfant et prendre conscience qu'il a fait une erreur en acceptant ce travail qu'il finira par abandonner. Derrière l'élève brillant qu'il admirait, il découvre un jeune homme distant de ses parents, abandonnant ses études pour fuir sa famille et qui refuse d'éditer ses écrits pourtant prometteurs. Dès lors, il ne sait plus si Fanshawe est toujours vivant où s'il se confond avec l'image de la mort. A la fin, il lui révèle son existence qui ressemble à une fin de vie en lui confiant un cahier manuscrit passablement abscons « Tous les mots m'étaient familiers, mais ils semblaient pourtant avoir été rassemblés bizarrement , comme si leur but final était de s'annuler les uns les autres... Chaque phrase effaçait la précédente, chaque paragraphe rendait le suivant impossible. » . C'est un peu comme si le narrateur et probablement Auster lui-même, considéraient l'écriture comme une impossibilité !

     

    Il est curieux que le nom de Fanshawe donné à cet écrivain soit en réalité le nom d'un roman écrit par Nathaniel Hawstorne, auteur américain [1804-1864] dont il est question dans « Revenants » qui est le deuxième roman de cette « Trilogie New-Yorkaise ». Son épouse se prénomme Sophie, tout comme celle de Hawstorne. Cela dit, Auster, avec ce roman labyrinthique écrit à la première personne, avec ses fréquentes digressions, tisse un suspens qui confine à l'interrogation, à tout le moins en ce qui me concerne. Au cours de ce récit, Auster lui-même (le narrateur?) lors d'une de ces parenthèses qu'il affectionne, révèle que ce roman se rattache à sa « Trilogie new-yorkaise », précisant «  Ces trois récits sont la même histoire, mais chacun représente un stade différent de ma conscience de ce à quoi elle se rapporte... Si les mots ont suivi, c'est que je n'ai pu faire autrement que de les accepter. Mais cela ne rend pas les mots nécessairement importants. Il y a longtemps que je me démène pour dire adieu à quelque chose, et, en réalité, seule cette lutte compte. ». Que doit-on comprendre ici ? Que les mots sont un simple outil pour exprimer la pensée, qu'ils peuvent se dérober, que l'écriture est un moment de sa vie qu'il souhaite peut-être abandonner ? Est-ce une fascination pour la mort ou pour la quête perpétuelle d'une chose impossible à atteindre ? Est-ce une interrogation métaphysique sur le sens de la vie [« Les vies n'ont pas sens. Quelqu'un vit puis meurt et ce qui se passe entre les deux n'a pas de sens »], sur la destinée, sur la solitude, sur la quête que quelque chose dont on porte la réponse en soi-même ?[« Cette chambre, je m'en apercevais à présent, était située sous mon crâne »].

     

    Ce roman qui clôt la série de la « Trilogie new-yorkaise » est d'une lecture facile mais m'a quand même laissé dubitatif. Pour autant, je continuerai à explorer l'univers de l'auteur à cause d'une attirance que je ne m'explique pas moi-même.

     

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • SEUL DANS LE NOIR

     

    N°499– Janvier 2011.

    SEUL DANS LE NOIR- Paul AUSTER– Actes sud.

    Traduit de l'américain par Christine Le Bœuf.

     

    August Brill, critique littéraire à la retraite, contraint à l'immobilité à la suite d'un accident de voiture se réfugie dans le Vermont, chez sa fille divorcée qui héberge également sa propre fille. La solitude, les insomnies, l'inaction suscitent chez lui un retour sur lui-même avec ses regrets, ses remords ... Pour fuir le noir de la nuit, il se recréé un monde imaginaire dans une Amérique qui n'aurait connu ni le 11 septembre ni la guerre en Irak [ On peut penser qu'il nie cet épisode historique parce que l'ex-compagnon de sa petite-fille Katia a été tué en Irak. Elle aussi se réfugie, aux côtés de son grand-père, dans le visionnage de vieux films], mais qui serait déchirée par une sorte de deuxième guerre de sécession. Dans ce décor surréaliste, Brill place son personnage principal, Owen Brick, magicien professionnel, la trentaine, chargé de tuer un homme qu'il ne connaît pas mais qui est présenté comme le seul responsable de ce conflit. Cet homme se révèle être Brill lui-même, l'inventeur de toute cette histoire. Son élimination physique mettra fin aux combats. Pour l'inciter à mener à bien cette mission, Brick fait l'objet d'un chantage : s'il n'élimine pas August Brill, c'est lui et son épouse Fortuna qui seront tués. Et tout cela, bien qu' imaginé par Brill lui-même, prend l'aspect d'une réalité. Pire peut-être, Auster n'imagine pas que Brill puisse renoncer à cette histoire [« Or Brill ne peut en aucun cas renoncer puisqu'il doit continuer à raconter son histoire, l'histoire de cette guerre dans cet autre monde qui est aussi ce monde-ci, et il ne peut se laisser arrêter par rien ni par personne. »]

    Brill, déroule donc son histoire. Il permet à Brick de rencontrer une multitude de personnages dont pas mal de femmes. Ils ont tous leur place dans ce monde parallèle qu'il imagine ! Dans ce processus « d'histoire dans l'histoire », l'auteur mélange allègrement réel et virtuel et la nuit favorise cette « création » ! Dès lors cette introspection fait défiler dans sa tête toutes sortes de scénarii, des plus vraisemblables aux plus échevelés, allant même jusqu'à évoquer le suicide de Brick, pour éviter un sort tragique à son épouse.

     

    Ce roman est composé un peu comme un patchwork un peu déroutant pour le lecteur. Cela commence par une référence à Giordano Bruno, ce moine philosophe du XVI° qui fut brûlé par l'inquisition italienne pour avoir soutenu qu'il existait d'autres mondes analogues au nôtre. Dans un texte gigogne, Auster mélange plusieurs fictions, juxtapose des morceaux de textes, passe brutalement d'une narration écrite à la première personne par Brill à un épisode du parcours de Brick. On a même parfois l'impression d'être carrément dans l'irréalité d'un conte de fée. Le narrateur évoque son enfance, sa rencontre avec sa défunte épouse, Sonia, son divorce, son remariage, le divorce de sa fille, parle longuement avec sa petite fille... Tout cela au cours d'une seule nuit d'insomnie !Ce pauvre vieil homme qui revient sur sa vie, la raconte à sa petite-fille, est en réalité en train de se distraire lui-même [« Je me suis surtout raconté une histoire, c'est ce que je fais quand je ne peux pas dormir. Je reste couché dans l'obscurité et je me raconte des histoires »]

    Mais « Ce monde étrange continue de tourner » comme l'écrit le poète. La nuit se termine, le jour se lève, l'imagination s'arrête, l'inspiration se dissipe, la magie prend fin... Auster cesse tout d'un coup les « aventures » de Brick et aussi la rédaction de son roman !

     

    Paul Auster est vraiment un écrivain étonnant à plus d'un titre. Sa créativité semble ne pas avoir de bornes, mélangeant autobiographie et chimères, jouant avec les mises en abymes, il tisse lentement un univers kafkaïen et labyrinthique. Non seulement il raconte une histoire, mais aussi il en profite, dans la seconde partie, pour s'interroger sur le rôle de l'écrivain par rapport à ses personnages, mène une réflexion sur la guerre et sur l'engagement américain, compare livre et film [« Un livre vous oblige à échanger avec lui, à faire travailler votre intelligence et votre imagination , alors qu'on peut regarder un film dans un état de passivité décérébrée. »], se livre à une analyse assez longue de certains longs-métrages [ Renoir, de Vittorio de Sica, Ray...], parle, sous forme d'aphorismes de Dieu, de la bonté, l'éducation, de la culpabilité [ Katia pense que le départ de son ex-compagnon pour l'Irak où il sera tué est la conséquence de leur rupture], met en perspective la douleur et la création artistique, sa genèse aussi parfois. Un écrivain doit souffrir pour créer[Brill vit « dans une maison d'âmes en peine, blessées » et sa fille, également meurtrie par la vie, écrit, elle aussi]ou simplement laisser aller son imaginaire ? Sa propre création est-elle un baume à la douleur, tant le monde extérieur est peu attirant. L'imagination serait-elle une antidote à la vie et pourquoi pas au temps qui passe ?

     

    Je ne sais pas pourquoi, mais je continue avec plaisir à explorer l'univers de Paul Auster.

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

  • REVENANTS

     

    N°497– Janvier 2011.

    REVENANTS – Paul AUSTER– Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    Trois personnages principaux à qui l'auteur donne des noms de couleurs : Bleu, Blanc, Noir. Un lieu : New-York près du Pont de Brooklin. Une année : 1947. voilà pour le décor. Le narrateur de cette histoire demeure inconnu.

     

    Blanc demande à Bleu de surveiller Noir et pour cela lui loue un appartement depuis les fenêtres duquel il peut voir Noir et observer ses faits et gestes. Il devra seulement, contre paiement, établir des rapports hebdomadaires qu'il déposera dans une boîte postale. C'est donc un travail facile d'autant que Bleu est détective privé. Ce qu'il voit au début, c'est que Noir écrit beaucoup. Cela semble être sa seule activité. Cette filature monopolise tout le temps de Bleu qui ainsi néglige sa fiancée a point de ne plus lui téléphoner. Cela laisse pour lui la place aux craintes, voire aux fantasmes... A force de rédiger ses rapports qui n'entrainent aucun commentaire, Bleu en vient à douter du bien-fondé de sa tâche. Suivre Noir lui paraît inutile tant il lui semble que sa vie ne recèle aucun secret. A partir de ce moment, il se libère lui-même de son travail en s'accordant des répits, mais lors d'un de ces moments de liberté il s'aperçoit que sa fiancée lui préfère un autre homme. Il l'interpelle, lui apparaît « comme un revenant » et prend conscience qu'il a perdu toute chance de vivre heureux. Il se rabat sur Violette, une prostituée qui lui donne du plaisir. Il va aussi au cinéma parce qu'il aime les salles obscures et parce que « les images à l'écran ont une certaine ressemblance avec les pensées qui défilent dans sa tête ». Est-ce le fait d'assister à la projection du film « la griffe du passé » qui lui fait remonter le temps et revenir à l'histoire du pont de Brooklin et à la vie de son propre père ? Il en déduit que les vivants sont entourés de « revenants » puisqu'il est aussi question au cours de ce texte des écrivains américains tels que Walt Withman ou de Nathaniel Hawthorne

     

    En même temps que cette révélation, Bleu prend conscience que les mots qu'il utilise dans ses rapports sont insuffisants, inexpressifs pour parler complètement de Noir. Il décide donc, pour mieux sérier sa personnalité de faire ce qu'il fait, de lire ce qu'il lit... De même il s'aperçoit que cette tâche lui paraît bizarre et même impersonnelle. L'appartement est loué au nom de Blanc mais occupé par Bleu, les paiements se font par mandat et non par chèque. Est-ce là la certitude de vivre sa vie par procuration, comme si celle de Bleu se confondait avec celle de Noir ? Le temps passe ainsi sans que rien ne se produise et par une sorte de jeu de miroir, Bleu s'aperçoit qu'il n'est plus maître de cette activité d'observation. D'observateur, il devient observé, et par Noir lui-même, et ce d'autant plus que, nous l'apprendrons plus tard, Noir est lui-même un détective privé, chargé, dans les mêmes conditions d'établir des rapports sur les activités de Bleu. Ce dernier en vient à douter de sa propre personne, de sa propre tâche. Il en vient à penser qu'il est, en quelque sorte, désincarné, dépossédé de lui-même par cet homme qui joue ainsi un double jeu sans qu'il comprenne bien pourquoi.[« Car en épiant Noir de l'autre côté de la rue, c'est comme si Bleu regardait dans un miroir, et au lieu de simplement observer quelqu'un d'autre, il découvre qu'il s'observe aussi lui-même »]. Est-ce un message sur la précarité de l'identité, sur l'angoisse inévitable que génère pour un homme le fait de n'être rien, de ne servir à rien ? C'est un peu comme si, en rédigeant des rapports sur Noir, Bleu écrivait sur lui-même, comme si l'écriture avait le rôle progressif du bain révélateur dans le processus du développement photographique.

     

    Ce livre est présenté comme le deuxième volume d'une trilogie new-yorkaise[« la cité de verre » - « La chambre dérobée »]. On peut le lire comme un thriller. Moi, j'ai choisi de le voir comme un « roman à énigme » dont nous n'aurions même pas, à la fin, la moindre explication. Elle serait même laissée à la seule imagination du lecteur. (La dernière phrase est ainsi rédigée « A partir de ce moment-là, nous ne savons plus rien. »). Cela me paraît être révélé par le procédé de « mise en abyme » qui est inhérent à ce récit. Le lecteur s'aperçoit que les annotations qu'a faites Bleu sur Noir et qui sont consignées sur des feuilles, servent de trame au roman qu'il vient de lire. [« Ça à l'air d'un gros livre » dit Bleu à Noir quand il aperçoit une liasse de feuilles posées sur sa table]. Ce n'est autre que les rapports qu'il a lui-même adressés à Blanc sur les activités de Noir !

    Les personnages eux-mêmes ont la transparence et la consistance d'un ectoplasme, une sorte de non-existence [ils portent des noms de couleurs primaires] qui déstabilise le lecteur tout comme les nombreuses digressions qui émaillent le récit. Par une sorte de jeu de miroir, il est est complètement perdu, se demandant qui est qui et qui fait quoi ! Bleu et Noir sont devenus interchangeables au point que la personnalité de l'un éclaire celle de l'autre, ou la complique...

     

    Paul Auster pose des questions existentielles et, malgré les apparences, n'offre nullement une histoire policière dont nous aurions la solution à la fin. Je choisis d'y voir une méditation sur la solitude, sur la condition humaine, sur sa propre identité dans un monde de plus en plus déshumanisé et anonyme, et même sur le rôle de l'écriture et de l'écrivain [« L'écriture est une occupation solitaire qui accapare votre vie. Dans un certain sens un écrivain n'a pas de vie propre. Même lorsqu'il est là, il n'est pas vraiment là. »]. C'est un peu comme si lui, qui est le maître de cette fiction, avouait qu'il en est en réalité étranger, peut-être seulement le simple transcripteur, le transitoire et transparent témoin, seulement là pour livrer au lecteur ce qu'il voit, ce qu'il croit voir ou ce qu'il imagine. D'une certaine façon, il est un de ses personnages, aussi mystérieux qu'eux !

     

    Paul Auster évoque avec ce court roman un univers kafkaïen à la fois cauchemardesque, oppressant et absurde. Cela me plait bien et me donne envie d'en explorer les arcanes.

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Des vies d'oiseaux

     

    N°553 – Février 2012

     

    DES VIES D'OISEAUX– Véronique Ovaldé- Editions de l'Olivier.

     

    Cela commence comme une sorte de roman policier. Des intrus se sont introduits dans la villa cossue de Gustavo et Vida Izarra, en leur absence, sur la colline du quartier résidentiel de Villanueva (on l'appelle la colline Dollars), face à la mer. C'est, à tout le moins, ce qu'indique la maîtresse de maison au lieutenant de police Taïbo. Pourtant, même si elle insiste pour qu'une enquête soit ouverte, elle prend soin de lui préciser que rien n'a été dérobé et qu'il n'y a même pas eu d'effraction. Tout au plus s'est-on contenté, comme dans l'histoire de « Boucles d'or »... d'essayer tous les lits des nombreuses chambres ! Cela ne peut donc être le fait que des « jeunes », pense Mme Izarra, parce qu'elle ne voit pas des vieux agir ainsi. Cet officier de police mènera donc son enquête avec patience et même douceur...

     

    Cela intrigue de policier puisque des faits similaires se sont produits dans cette petite ville du bord de mer de ce pays (plus ou moins imaginaire) d'Amérique du sud. Il a même été constaté que le bijoutier du quartier a subi nuitamment, une sorte de cambriolage, mais, rien lui a été volé. On s'est seulement contenté de « déplacer » les objets à l'intérieur du magasin, un peu comme pour brouiller les pistes. L'examen des bandes de la caméra de surveillance donne à penser que Paloma Izarra, la fille de Vida, aurait pu être mêlée à cette affaire...Mais Vida à indiqué au policier qu'elle n'avait pas d'enfant ! L'enquête s'annonce donc difficile et Taïbo va décortiquer la vie de Vida jusqu'à l'accompagner dans la ville de son enfance.

     

    Au fur et à mesure du récit, le lecteur apprend à connaître les différents membres de cette famille. Vida est apparemment une épouse rangée, établie dans une société bien pensante, dévouée à son mari et vivant dans une sorte de bulle familiale. Pourtant, elle n' hésitera pas à le tromper, pour rompre avec le quotidien ou par attirance de l'inconnu. Elle qui vient pourtant d'un milieu défavorisé ira même jusqu'à quitter son mari, c'est à dire la sécurité d'une vie oisive et sans surprise, peut-être à la suite de cette enquête qui est pour elle l'occasion de revisiter son passé. Gustavo, le mari, est l'archétype de celui qui a réussi socialement et qui attache de l'importance à tout ce qui matérialise cette réussite. Il est plus attentif à sa carrière, à son chiffre d'affaires qu'à sa famille. Paloma, la fille (parce que, malgré ce qu'a dit Vida à la police, elle a une fille) mène la vie d'une enfant de riche, s'y ennuie et rêve de celui qui l'en fera sortir. Elle le trouve un peu par hasard, en la personne d'Alfonso, jardinier de son état, bellâtre flambeur et magouilleur qui l'enlève, ou plus exactement c'est elle qui le suit avec cette volonté affichée d'échapper à son milieu. Comme le couple manque d'argent, Alphonso a l'idée de s'installer dans les différentes villas, dont, évidemment, celle de ses parents en l'absence de ces derniers. Ils les habitent successivement, se contentant simplement de profiter des différentes facilités ainsi offertes et ...d'en visiter la cave ! Ils mènent ainsi une vie de squatters ou « d'infatigables coucous » comme le dit l'auteur. Ce qui interpelle le plus Vida ce n'est pas que sa fille soit partie de la cellule familiale où elle étouffait, mais bien davantage qu'elle prenne du plaisir à se glisser ainsi dans la peau des autres. Pourtant, elle part à sa recherche, mue sans doute par une manière de culpabilité puisqu'elle prend conscience que c'est à cause d'elle que sa fille est partie.

    C'est que l'errance semble convenir à Paloma, à condition toutefois que cette oisiveté se conjugue avec une certaine opulence et surtout que les résidences qui s'offrent ainsi à eux n'aient rien de définitif. Alfonso, quant à lui, travaille ou fait semblant. Pour elle comme pour lui, cette vie tranche tellement avec celle d'avant qu'ils ont quittée chacun à leur manière qu'on se demande quand et comment cette escapade finira. Autour d'eux et sans qu'ils en sachent rien, des couples se font et se défont, l'existence de chacun croise celle de l'autre en toute liberté, la vie reprend ses droits . Elle se décline comme celle des oiseaux, légères et insouciante.

     

    Lors d'un première approche de l'œuvre de Véronique Ovaldé, j'avais exprimé une impression mitigée (La Feuille Volante n° 394 à propos de « ce que je sais de Véra Candida »). Je vais sans doute m'inscrire en faux par rapport à tous les avis laudatifs qui ont accueilli la sortie de ce roman. J'en ai achevé la lecture davantage pour en connaître l'épilogue que par réelle passion pour ce texte. Je note néanmoins un style agréable à lire et des phrases fort bien écrites et poétiques. La composition en forme de puzzle est inattendue, mais ... je suis resté sur ma faim

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Ce que je sais de Véra Candida

     

    N°394– Février 2010.

    CE QUE JE SAIS DE VERA CANDIDA – Véronique OVALDE – Éditions de l'Olivier.

     

    Dès la première ligne le ton est donné «  Quand on lui apprend qu'elle va mourir dans six mois, Vera Candida abandonne tout pour retourner à Varapuna ».

     

    Qui est-elle donc, cette femme qui, au pas de la mort, choisit de revenir sur le lieu de son enfance et de confier au lecteur, certes à travers une narratrice, ce que fut sa vie? Pourquoi, choisit-elle de rompre un destin tracé à l'avance, celui des femmes vouées à la prostitution, l'asservissement, la misère et l'enfantement. Pourtant la vie semblait toute tracée. Rose sa grand-mère et Violette sa mère, toutes éprises de liberté avaient assumé leur vie, leur maternité, loin des hommes, de leur présence, de leurs responsabilités paternelles et d'une famille traditionnelle. Pourtant, Vera Candida part, dès quinze ans, enceinte, la tête pleine d'illusions, pour un ailleurs qu'elle imagine plus radieux, plus neuf et porteur d'espoirs que dans ce village de Varapuna...Ce sera une ville, Lahomeria, où elle croisera un homme, Itxaga, au passé tourmenté, qui s'intéressera à elle, en deviendra naturellement amoureux. Elle aussi mettra au monde un fille, Monica Rose.

     

    Cela ressemble à une fable qui ne commencerait pas par la traditionnelle formule « Il était une fois », comme celle qu'on raconte aux enfants pour leur faire croire que le monde est beau. Cela se déroule dans un pays plus ou moins imaginaire de l'Amérique du Sud où il fait chaud mais hélas, la réalité reprend rapidement le dessus sur le merveilleux. Cela a commencé avec sa grand-mère Rose Bustamente, ancienne prostituée devenue pêcheuse de poissons volants, séduite par Jéronimo, un véritable goujat qui l'ignore surtout depuis qu'elle met au monde la fille,Violette, qu'elle a eue avec lui et qu'elle va élever seule. Elle représente l'archétype de femme soumise, non à un homme, mais à son destin. A l'issue de sa courte vie, Violette donnera naissance à Vera. Ce sera elle qui choisira de rompre cette logique traditionnelle et d'inviter sa propre fille à marcher sur ses traces en s'émancipant, mais pas par la fuite comme sa mère mais par l'étude. Elle confiera même à sa mère son intention de partir en Angola s'occuper des réfugiés. Véra, de son côté, poursuivra en quelque sorte cette fuite en quittant Itxaga, l'amour de sa vie!

    C'est un univers de femmes différentes, victimes à leur manière à la fois de leur destin et de leur condition qui illustrent la difficulté d'être. Le décor tropical et les noms un peu irréels ne parviennent pas à nous faire oublier le côté sordide et violent. Cette transposition dans un pays imaginaire ne réussit pas à créer un dépaysement que j'aime tant retrouver dans la lecture.

    Le récit qui est fait de ces trois vies me paraît bizarrement silencieux(sauf peut-être vers la fin entre Véra et sa fille) en ce sens que ces femmes ne se parlent pas entre elles, ne se confient rien de leur vie, vivent, presque côte à côte sans échanger un seul mot.

     

    Je n'ai pas trouvé que le style de ce roman était aussi enchanteur qu'on a bien voulu le dire. Je m'attendais à autre chose et je retire de la lecture de cet ouvrage une impression mitigée, pas vraiment un engagement à accompagner l'auteur dans son parcours.

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.

  • Les enfants du marais - Un film de Jean Becker.

     

    N°552 – Février 2012

     

    LES ENFANTS DU MARAIS– Un film de Jean Becker (1999).

     

    Il est des films qui s'inscrivent dans notre mémoire à cause des distinctions qu'ils reçoivent, de la notoriété qu'ils obtiennent grâce à la médiatisation au moment de leur sortie en salles, de l'histoire qu'ils évoquent, des acteurs qui servent leur scénario, des paysages qu'ils offrent...Il en est d'autres, au contraire, dont nous nous souvenons avec précision sans trop savoir pourquoi, peut-être parce qu'ils nous ressemblent et évoquent une partie de notre parcours. « les enfants du marais » est de ceux-là.

     

    Pourtant, il raconte une histoire bien banale, celle d'une rencontre de deux hommes devenus amis presque par hasard. Garris[Jacques Gamblin], un homme encore jeune, sans famille, sans attache ni fortune qui revient de cette grande boucherie de 14-18 qui l'a profondément marqué. Il croise un vieil homme[Jacques Dufilho] qui habite dans une pauvre masure près d'un étang en Bourgogne et qui l'y invite. Rapidement, il meurt en lui laissant tout ce qu'il possède, cette cabane en planches et quelques lignes pour la pêche à la grenouille. Il s'installe donc ici et rencontre Riton [Jacques Villeret] qui vit ici depuis toujours avec sa deuxième femme et ses trois enfants. Autant le premier est généreux et courageux, autant le second est paresseux, roublard et alcoolique. Garris l'entraine pourtant à travailler pour survivre. Une véritable amitié nait entre eux et ensemble, ils se font, au rythme de l'année, chanteurs de rues, marchands d'un peu de tout, fournisseurs de grenouilles ou d'escargots pour les restaurants de la ville d'à côté. Après tout, ils ne possèdent que leur vie dans ce coin de France où l'eau et la terre se conjuguent, qui ressemble à un paradis à l'écart de la ville et où la liberté semble être la règle. Pourtant, ils ne sont pas à la charge d'une société en marge de laquelle ils vivent volontiers « On est des gagne-misère, mais on n'est pas des peigne-culs »!

     

    Cette amitié est partagée avec Amédée [André Dussolier], sorte d'intellectuel féru de lecture et de musique, sympathique et oisif mais qui épouse parfaitement ce mode de vie tout en différence. Elle l'est aussi par un veuf illettré, Hyacinthe Richard, dit « Pépé la Rainette » [Michel Serrault] qui a jadis habité au bord de cet étang et à qui la vie a souri. De ramasseur de ferraille il est devenu un riche patron de fonderie ce qui lui a permis de devenir notable et de marier sa fille à un arriviste qui le l'aime guère. Sa famille devenue bourgeoise et méprisante lui interdit de revenir au marais, mais il brave volontiers cette défense, ce qui lui sera fatal.

    Eric Cantona signe ici avec talent un rôle de boxeur à sa mesure, victime lui aussi des femmes autant que de son caractère impulsif. Il complète avec bonheur ce panel de comédiens d'exception.

     

    Il n'y a pas que cette connivence entre eux. Riton se remet mal du départ de sa première femme, Paméla, et Garris croisera le regard claire de Marie, domestique dans une grande maison. Il apprendra à ses dépens que ses amours ancillaires seront contrariées et que celle qu'il aimait a suivi dans le sud un homme plus âgé qu'elle, plus riche aussi sans doute parce qu'il représente sa sécurité et son avenir.

    La morale de ce film tient en ces quelques mots de la conteuse qui illustrent bien ce qu'est la condition humaine « Il y a des moments dans la vie où l'on voudrait que rien ne change jamais plus ».

     

    Il est cependant un personnage qui m'interpelle, celui qu'incarne le regretté Jacques Villeret [1951-2005]. J'ai déjà eu l'occasion de dire dans cette chronique (La Feuille Volante n° 157) tout le bien que je pensais de cet acteur emblématique, à la filmographie prestigieuse, au palmarès impressionnant, notamment oscar du meilleur second rôle en 1999 pour « Le dîner de cons », dont le talent se déclinait au théâtre comme au cinéma, disparu trop tôt à près de 54 ans, à la fois discret et représentatif du « Français moyen », gentil, rondouillard, raciste, maladroit, froussard, naïf et souffre-douleur des autres. Jamais vraiment star et même plutôt discret, il était l'archétype de l'acteur populaire et son apparition sur les écrans, même dans un rôle secondaire, était toujours pour le public un gage de qualité.

     

    Gamblin, Dussolier et Villeret forment ensemble dans ce film à la fois drôle, poétique et profondémlent humain, un trio amical, émouvant et complice.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • l'occupation américaine

     



    N°547 – Novembre 2011.

    L'Occupation américaine – Pascal QUIGNARD – Éditions du Seuil.

    Marie-José Vire, fille du quincaillier-épicier de Meung sur Loire et Patrick Carrion, fils du vétérinaire de ce même village... Ils s'aiment depuis l'enfance, c'est à dire depuis les années 50. Ils sont allés à l'école ensemble, ont découvert ensemble le monde immédiat, c'est à dire les paysages de Sologne faits de terre et d'eau, l'eau de la Loire et celle du ciel, ont rêvé ensemble à l'avenir, se sont inventé des histoires où ils étaient les seuls acteurs, dans le décor d'une île sur le fleuve ...Seul leur amour les intéresse, mais c'est un amour d'enfant fait de peurs et d'imaginaire. Patrick est même devenu l'auxiliaire zélé du curé, mais cela ne dure qu'un temps... Dehors, c'est un autre monde, celui des adultes, de l'Histoire, des guerres et de leurs conséquences, de la politique intérieure et internationale. Que le monde autour d'eux soit en flammes ne les concerne en rien. Ce qu'ils voient se sont les troupes américaines qui occupent la France sans pour autant l'avoir vaincue. Avant, il y avait eu les Romains, Attila, Jeanne d'Arc et l'occupant anglais, les Allemands et maintenant les Américains ! Et Meug sur Loire, c'est aussi la ville qui avait jadis accueilli François Villon pour le mettre aux fers !

    Cet autre monde, ils l'observent de loin, toujours ensemble et ce qu'ils voient c'est un camp protégé par des barbelés, une ville étrangère avec ses magasins, ses rites militaires, son drapeau... C'est pourtant un monde qu'on singe volontiers quand on est adolescent. On en adopte les coutumes, des rudiments de la langue, les cigarettes, les boissons, la drogue, la musique, les trafics, les voitures. Il fascine ce monde-là surtout quand le corps change, comme celui de Marie-José qui devient belle, désirable et intéresse un sergent Américain qui pourrait être son père ! Pour elle c'est un peu le rêve qui se dessine, loin de Patrick... Lui non plus n'est pas insensible aux charmes de Trudy, la jeune américaine mais il pense surtout au jazz, à la batterie et au groupe qu'il a formé au village. Pour lui, la vie immédiate c'est les photos de pin'up, la bannière étoilée, la bière, pendant que les adultes crient volontiers « Us go home » et craignent pour la vertu de leurs filles. Puis vient l'anniversaire de Patrick que chacun fête à sa manière avec, en contre-point la mort [« La mort est seule à arracher notre vie à elle-même »], la désintégration du groupe de musique, le bac qu'il faut passer, le départ définitif des Américains, l'incompréhension qui mine la famille de Patrick et sa vie à côté de Marie-José qui se décline sur le mode « Je t'aime moi non plus ».

    J'ai peu goûté les dissertations philosophiques de Rydell sur la vie et la mort. J'ai lu ce livre paru en 1994 jusqu'au bout, davantage pour en connaître la fin que par réel intérêt. Ce dernier est venu pourtant, mais pas avant les vingt dernières pages. Même si le style m'a paru un peu sec, même si d'ordinaire je ne goûte guère les romans qui affectionnent le « happy end », cela m'a laissé un goût amer et pour tout dire je m'attendais à autre chose de la part de celui qui sera Prix Goncourt en 2002. D'ailleurs, mon improbable lecteur pourra constater que malgré la lecture que j'ai pu faire de quelques romans de cet auteur, je n'en ai guère été bouleversé.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com











  • L'alcool et la nostalgie

     

     

     

     


     

    N°548 – Novembre 2011.

    L'ALCOOL ET LA NOSTALGIE – Mathias ENARD – Éditions Inculte.

     

    Le récit commence dans un train à Moscou et, par une sorte de monologue de Mathias à son ami. Il lui adresse des reproches cordiaux « Tu es un faux-frère, Vladimir, tu ne bois pas, pas une goutte mon salaud... ». Puis vient Jeanne qui sur le quai de la gare attend Mathias. Grâce à une sorte d'analepse, il se remémore un coup de téléphone en pleine nuit, des paroles désordonnées de cette femme, inspirées autant par le chagrin que par la surprise. Puis, au fur et à mesure que le roman avance, le lecteur comprend que ces trois personnages étaient « comme des poupées russes... emboitées les unes dans les autres, inutiles au dehors ouvertes en deux et vides », une sorte de ménage à trois surréaliste, basé sur la drogue, l'alcool, le masochisme. La mort de Vladimir fait revenir Mathias auprès de Jeanne, à Moscou, mais ce voyage est sans issue, « on ne berce pas des enfants grandis », elle l'avait quitté pour Vladimir.

    Pourquoi Mathias fuit-il ainsi ? Il veut ramener la dépouille de son ami dans son village, en Sibérie, dans un train qu'il appelle « le trans Baïkal ». C'est donc un voyage de trois jours et de plusieurs milliers de kilomètres avec un fantôme. La solitude, la nostalgie lui rappellent leur histoire, sa vie d'avant avec cette jeune femme dont il était amoureux et qu'il voulait garder, la fuite de Jeanne vers Moscou et sa rencontre avec Vladimir. L'ombre de Pouchkine, cocu et mort en duel, tué par celui dont il sera doublement la victime, s'étend sur Mathias au rythme lancinant des boggies. Pourtant Vladimir et lui étaient amis et Jeanne n'était pas vraiment cette femme infidèle, elle a simplement vécu sa vie « De nous trois seule Jeanne a réussi à rester vivante, elle a su nous fuir, nous mettre à distance, mais de loin...parce que Jeanne n'est plus la petite princesse qui se laisse bêtement emportée par ses couches ou par une maladie quelconque, c'est une force. ». Il comprend même que la mort de son ami est une forme de suicide, d'acceptation du néant « Je sais que si tu as décidé d'en finir, c'est que tu n'avais pas cette force, tu t'es laissé aller à l'accident, parce que tu ignorais comment sortir de cette histoire, comme moi tu savais que tu perdais Jeanne, qu'elle construisait son chemin dans la vie bien plus vite que nous ». Pour eux, les hommes, elle incarne quelque chose qui graduellement s'efface « (Jeanne) se donnait la force de ses rêves alors que nous, nos songes d'enfants devenaient petits à mesure que nous grandissions ».

    C'est que la mort dont il rêvaient, eux, les deux hommes de ce trio, c'était celle d'un héros de guerre, d'un révolutionnaire qui accepte le sacrifice avec courage et abnégation pour échapper à cela. Maintenant, Mathias se retrouve seul à Novossibirsk . C'est une folie que ce voyage de froid et de glace, une fuite avec le cercueil de Vladimir et le souvenir de Jeanne bien vivante. C'est que ce voyage a quelque chose d'initiatique, une sorte de rite de passage ou plutôt d'abandon de cet amour sans issue. Cette amitié qui n'en était pas une était floue à cause du personnage de Jeanne, de son corps de femme désirable, mais qui ne pouvait vraiment appartenir ni à l'un ni à l'autre « Je regrette ces moments flous... l'impossibilité d'admettre que nous étions trois, cette terrible morale biologique qui nous condamne à la bijection, à la symétrie...nous nous sommes repoussés toi et moi, face à l'aiguille d'une boussole ». Leur histoire était condamnée d'avance avec, en contre-champ, l'âme russe faite « d'alcool et de nostalgie », la mort et la vie, Eros et Thanatos, Jeanne qui revient en filigrane entre ce fantôme et ce « vivant déjà mort », qui réaffirme sa présence et son appétit de vie... Avec Mathias ! « Ton cœur bat dans ma main, nos cœurs battent dans nos mains, tous les cours battent dans toutes les mains. »

     

    J'avais bien aimé « Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants » [La feuille volante n° 477), je n'ai pas été déçu par ce récit littéraire qui est « l'adaptation plus ou mois fidèle d'une fiction radiophonique écrite dan le Transsibérien entre Moscou et Novossibirsk » avec, sans doute, l'ombre de Blaise Cendras.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

  • La patience des goélands

     

    N°551 – Décembre 2011

     

    LA PATIENCE DES GOELANDS– Jean-François POCENTEK- Lettres vives.

     

    Le paysage, celui d'une petite ville du bord de mer du Nord, un matin de novembre solitaire et ensommeillé. Dans ce décor un peu froid et désolé, un homme et une femme. Celui-là, Baptiste, a les yeux tournés vers le large et l'autre, Marie, s'affaire d'ordinaire à déposer dans des boites aux lettres « des papiers pour convaincre de dépenser des sous ». Un petit métier pour survivre avec son père, Mathurin, et ses quatre enfants au noms bizarres. Ils sont le regard tournés vers la mer, « assis sur un banc, dos à la ville, là où se rencontre l'avenue Saint-Exupéry, l'esplanade maritime et la promenade Débeyre », face au Christ de faïence blanche, sous les auspices bienveillants des goélands, ils se sont parlé.

    C'est que Baptiste est venu d'ailleurs, tout exprès, avec son univers et ses souvenirs personnels de Camille, un ami qui habitait rue Consolante, mort il y a treize ans, de ne pas avoir aimé la vie. C'était pourtant sa seule richesse ! C'est avec ses mots que Camille pour une journée, va revivre, dans cette maison qu'il habitait rue Consolante, qui sentait la bière, le tabac et l'essence à briquet, où il cachait ses « cahiers », témoins de son quotidien. C'est le narrateur qui prendra ce relais en notant lui-aussi dans son carnet noir comme le deuil, cet hommage amical et la vie modeste des personnages qu'il croise en ce jour. Il y est venu pour ranger, récupérer un peu pour la brocante et surtout abandonner au trottoir quelques accries à la curiosité des gens, comme cela se fait là-bas. Une façon de tourner définitivement la page de son passage sur terre où « il n'était que le passager d'un voyage sans heurts, sans retards, sans excès ». Il évoque l'enterrement « ni éloge, ni dithyrambe non plus. Que du vrai. » et ce Camille qui, par le truchement de l'écriture ou de je ne sais quel miracle, accompagnait son propre cercueil; il guidait avec des mots et des silences tous ces mineurs endimanchés et un peu gauches, venus rendre un dernier hommage à leur camarade d'infortune. Il refit à l'envers ce parcours quotidien et du souvenir, des lieux et des gens disparus avant lui, et c'est un peu un pèlerinage que Baptiste accomplit en ce jour de brume grise et froide. C'est aussi en l'honneur de Camille, pour qui on réserve une chaise vide et un couvert, qu'on l'invite à partager le repas de l'amitié. En ce mois de novembre qui est aussi celui des morts, après avoir évoqué Camille sa vie et ses souffrances, Baptiste repart, avec un dernier salut aux vivants. La maison où Camille avait vécu est vendue, les livres dispersés eux aussi, la page est tournée, la vie reprend son cours, le souvenir de Camille reste cependant, en mots noirs sur les pages blanches, parce que les morts ne le sont vraiment que lorsqu'on ne pense plus à eux.

    Ce n'est pourtant pas un éloge funèbre, de ceux qui sont officiels, compassés, faussement émus et même un peu hypocrites. Ce sont quelques phrases qu'on jette sur le papier, dans le secret de sa peine pour lui dire tout ce qu'on à pas pu ou su faire de son vivant.

     

    L'univers de Pocentek, il est vrai découvert par hasard dans une bibliothèque, m'émeut toujours et ne me laisse point indifférent (La Feuille Volante n° 414-417-420-421-516) autant par les gens humbles qu'il choisit d'évoquer que par la poésie que ses mots distillent. Ici, les morts parlent aux vivants. On exorcise leur absence à travers les objets qui leur ont appartenu et qu'on garde (le briquet par exemple). Les vies qu'il choisit d'évoquer laissent une empreinte en creux, qui pourrait être aussi éphémère qu'une trace sur le sable. C'est une musique mélancolique tout en pudeur et en subtilités.

     

    Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique, l'éditeur propose ce livre à la lecture mais il faut préalablement en couper les pages, comme dans les anciennes publications. Cette démarche n'est pas fastidieuse, au contraire, elle fait partie intégrante de la lecture, lui donne sa dimension terrienne et individuelle, met en condition le lecteur pour le message à recevoir et le temps à y consacrer.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Janvier 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Valentine Pacquault

     

    N°549 – Décembre 2011

     

    VALENTINE PACQUAULT– Gaston CHERAU. Plon (1921)

     

    Pas très chanceux François Pacquault ! Orphelin de père de bonne heure, c'est à la mort de sa mère, âgée de 27 ans qu'il fut confié, encore enfant, au « ménage » de trois vieille filles, Solange, Célina et Amélie Carignan qui tenaient un pensionnat à Argenton (Creuse). C'est dans ce gynécée un peu étouffant de province que François, leur neveu, va vivre jusqu'à son baccalauréat parce que c'est tout ce qui lui restait de sa famille. Elles l'ont littéralement couvé mais arrive le temps de son service militaire qu'il doit accomplir, pendant 3 ans, à Saint-Léger, une ville de garnison dans le département des Deux-Sèvres. Mais les choses se précipitent et, à cause de la banqueroute frauduleuse d'un notaire d'Argenton, les demoiselles Carignan doivent réduire leur train de vie... et marier François au plus vite, de préférence à un beau parti. Leur choix se porte sur Valentine Delpérrier, ancienne pensionnaire de l'établissement Carignan et François en tombe tout naturellement amoureux. Les voilà donc mariés et lui affecté, comme 2° classe dans ce régiment d'infanterie.

    Sitôt arrivée dans cette ville de province, Valentine qui déjà s'y ennuyait, veut faire la grande dame, dépense sans compter, veut être entourée d'officiers, être la reine des fêtes qu'on donne, des bals de garnison où elle se rend seule, à cause du grade de son mari. De son côté, François qui manifeste peu de goût pour la vie militaire doit se tenir en retrait des plaisirs de son épouse, est cependant en butte aux critiques et aux moqueries des hommes du rang dont il fait partie. Sans peut-être que François s'en rende compte, le fossé se creuse entre Valentine et lui, sa jalousie s'installe, durable. De son côté, Valentine se laisse entrainée dans une passade amoureuse dévastatrice avec le lieutenant Tassard, un compatriote de la Creuse, un rustre qui pourtant séduira Valentine et détruira son ménage. Elle ne l'aime pas mais c'est lui qui lui fait découvrir ce qu'elle ne connaissait pas avec son mari : le plaisir des sens ! Elle souhaite donner le change pour le monde extérieur mais c'est vers lui qu'elle se sent attirée, c'est lui qui lui permet de se révéler comme une femme sensuelle qui aimait les hommes et l'amour, une femme mariée qui aimait « avoir un amant »... pour son malheur ! Cette liaison donne l'occasion à l'auteur de se livrer à une analyse psychologique très fine des personnages. Il se révèle encore une fois comme « le brillant analyste de l'âme féminine ». L'indélicatesse du notaire, la mort de son mari, le départ de Tassard la précipitent dans la la précarité, la solitude et la prostitution.

     

    Valentine Pacquault est un roman majeur dans l'œuvre de Chérau, un roman dur aussi, axé sur cette femme gourmande de vie, amoureuse éperdue de son amant, une sotte qui voulait s'élever dans l'échelle sociale, dût-elle pour cela détruire tout ce qui était bien autour d' elle , une égoïste détachée de François qu'elle n'aime plus et qu'elle considère presque comme son ennemi personnel. C'est un peu comme si elle voulait lui faire payer ces années de réclusion à la pension Carignan, sa jeunesse sacrifiée... François est quant à lui un peu naïf, niais, comme un enfant, peu préparé à ce mariage trop hâtif, mais surtout follement amoureux de son épouse pour qui rien n'est trop beau. Il ne voit rien de son propre malheur et submergé par la peine né de la trahison de Valentine ne trouve son salut que dans la mort. Son épouse, veuve à 22 ans l'oubliera vite, quêtera une consolation passagère et inefficace dans la religion, mais ce qu'elle recherchera surtout ce sera une relation avec les hommes qui pourrait lui procurer une forme de réussite sociale.

     

    Il y a un personnage qui retient mon attention : c'est le capitaine de Millau. Il est à la fois protecteur du couple et paternel, un peu marginal, humain, philosophe, solitaire et érudit sous des apparences peu flatteuses... Il a beaucoup d'amitié pour François. Au fil des pages son portrait s'affine pour donner de lui, à la fin, sa véritable image. C'est par son entremise que François échappe à l'opprobre du suicide et peut être enterré en terre consacrée, c'est aussi grâce à lui, et malgré l'énorme différence d'âge, que Valentine reprend pied dans la vie quand les portes de Saint-Léger se referment devant elle, c'est aussi lui qui, bravant la morale et aussi sa propre conception des choses, l'arrache à la mort.

     

    Le style de Chérau, ce sont des analyses pertinentes de ses personnages, des évocations agréablement poétiques, un zeste d'humour, une phrase toujours sobre et précise, finement ciselée et agréable à l'oreille, une musique....

     

    J'ai vraiment pris plaisir à relire ce roman passionnant du début à la fin et qui évoque « Mme Bovary ». Il y a beaucoup de « parentés » entre ce roman et celui de Gustave Flaubert à commencer sans doute par l'analyse psychologique des personnages menée par l'auteur. Valentine est peut-être plus inhumaine qu'Emma, mais toutes les deux sont romantiques et s'ennuient dans cette province reculée. Elles ne trouvent leur salut que dans la relation avec un amant. Valentine, comme Emma, aime s'étourdir dans les soirées[ le bal du colonel ressemble à la réception chez le marquis de la Vaubyessard], toutes le deux ont épousé un mari falot qui est pourtant éperdument amoureux de sa femme et dans les deux ouvrages il y a un suicide [à celui d'Emma répond celui de François et Valentine y songe sans pouvoir le faire]. Le médecin-major du régiment s'exprime un peu comme Homais, mais le bon capitaine de Millaud assure par son humanité et l'amour qu'il porte à Valentine, une fin sinon heureuse, à tout le moins apaisée à cette triste histoire.

     

    Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans cette chronique [la Feuille Volante n° 280-282-457], Chérau [1872-1937] reste malheureusement de nos jours un écrivain méconnu et injustement oublié, même dans sa ville natale.

     

    © Hervé GAUTIER - Décembre 2011.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • la Saint Jean d'été

     

    N°546 – Novembre 2011.

    La Saint-Jean d'été – Pierre Moinot – Éditions Gallimard.

     

    D'emblée, l'auteur plante le décor, celui dont sans doute chaque enfant se souvient pour lui-même, celui d'une petite école de campagne dans le Marais Poitevin où son père était instituteur, les plaisirs simples de la vie rustique, le rythme des jours que l'année égrène avec les fêtes champêtres, la classe quotidienne, les pleins et les déliés d'une écriture violette qui s'accrochent à la portée bleue de la page, le doux ronronnement des tables de multiplications, les règles compliquées de la grammaire, l'accord des participes passés que la dictée traditionnelle cachait, les problèmes d'arithmétique qui faisaient se vider les baignoires et se croiser les trains, le goûter tant attendu qui mariait les saveurs du bon pain et du chocolat, la découverte quotidienne de la nature sous la férule de son père, guide attentif et passionnant... C'est, à travers les yeux du petit Jacques, une vie de famille simple du début du siècle où le Maître d'école est aussi secrétaire de Mairie parce que c'était la tradition à la campagne, parce qu'on y restait toute sa vie jusqu'à la retraite parce que la réussite ne faisait pas obligatoirement partie du curriculum vitae...

    Dans l'esprit de l'enfant, son père sait tout et aime partager son savoir. C'est donc à lui qu'il pose toutes les questions que sa jeune curiosité lui souffle. Avec lui, il voyage dans le temps et dans l'espace, dans son village ou dans les siècles où l'histoire a laissé ici des marques. Il sait le sens de l'eau souterraine et les secrets de ce qu'on appelait de noms étranges de « Leçon de choses ». Il explore l'herbe d'aujourd'hui et les vestiges archéologiques de quelque mur, d'épaves de pierre. L'enfant va ainsi, les genoux écorchés et les mains fragiles tailladées par les jeux autant que par la découverte toute neuve du monde ou de la visite miraculeuse et éphémère d'un oiseau voyageur...

     

    Ce rythme de « lanterne magique » est avitaillé, à intervalles réguliers, par la visite d'un commerçant faisant sa tournée ou la petite roulotte d'un cirque ambulant. Avec ce père-savant, il apprend à pêcher au Marais dont il découvre les paysages et les secrets, dévore les livres, lui qui en écrira plus tard, entend de sa bouche l'histoire de ce pays où l'eau et la terre se conjuguent, ou fleurissent et s'accrochent les légendes, parce que de tout temps il a été un refuge, une terre d'accueil pour proscrits ou évadés et que le mystère s'y attache. L'esprit de liberté s'accroche à ces arpents de terre mouillée mais généreuse que jadis recouvrait la mer et que l'homme a apprivoisé ou détruit au gré de ses ambitions mais aussi l'image de la mort, le poids de l'absence qui tirent leur réalité du néant.

     

    Le Poitou est une province à laquelle l'histoire a assigné le rôle de marche. C'est un pays de l'intérieur mais aussi une région frontalière où se sont fracassé les batailles et se sont affronté les hommes... Ils ont mêlé leur sang dans la vie comme dans la mort, se sont abimés dans les dogmes comme dans les hérésies, se sont rencontrés dans des routes d'échanges commerciaux comme ils se sont perdus dans des chemins secrets... Le Marais est une contrée où le temps a un rythme différent, où l'espace ressemble à un labyrinthe de conches, baigné alternativement de brume et de lumière diaphane, un havre apaisant et vert d'été, un bruissement de feuilles, un mirage que l'automne incendie en ocre et rouille, des eaux que l'hiver transforme en miroir glacé. Les hommes qui l'habitent ressemblent aux méandres que fait la Sèvre dans le paysage. Ils ont la placide habitude des choses, la patience du pêcheur, le pas alourdi de terre, aiment le balancement lent et gracieux des troupeaux et se déplacent sur les  « chemins d'eau » au rythme des « plates » qu'on pousse à la « pigouille ». Sous la plume de Pierre Moinot, les formes et les couleurs se dessinent à l'invite des phrases si finement ciselées et pourtant si simplement écrites, les senteurs se révèlent, tout un univers animal et sauvage s'anime par la force mais aussi par la magie des mots.

    Les choses changent, c'est vrai et sans doute l'auteur déplore-t-il l'afflux de touristes dans ce Marais devenu terre de vacance et de loisirs, mais ses souvenirs restent intacts. « Mais, entourés des constructeurs de bateaux, des potiers, des dérouleurs de bois humides, les Riffault existent toujours, pesant lentement sur la pigouille pour embarquer leurs troupeaux d'un pré à l'autre, jetant leurs filets sur les mêmes prises, glissant dans les silences et dans les perfection lumineuses des mêmes matins calmes, vers les « milles jardins où l'on ne va que par bateau »

     

    On dira ce qu'on voudra, lire est un plaisir unique et quand la patiente quête est enfin récompensée par un beau texte bien écrit qui, à la fois, parle à la sensibilité et à l'oreille du quémandeur de rêves qu'est le lecteur, il s'établit un lien ténu, dans le secret des mots, entre lui et l'auteur. Dans ce court livre écrit par Moinot peu de temps avant de mourir, c'est la nostalgie qui nous saute aux yeux. Cet auteur est mort lentement, sans faire de bruit, mais peu de temps avant de fermer les yeux, à 86 ans, il avait déposé ce court manuscrit chez son éditeur, comme un discret signe d'adieu de la main à ses lecteurs pour mettre un terme à son parcours avec les hommes, avec les mots.

     

     

    Pierre Moinot (1920-2007) était académicien, Résistant puis haut-fonctionnaire, ami d'Albert Camus, romancier.

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • l'enquête russe

     

    N°550 – Décembre 2011

     

    L'ENQUÊTE RUSSE– Jean-François PAROT- JC Lattès.

     

    En cette année 1782, Louis XVI règne et l'action de la France en faveur des insurgés américains semble vouloir prendre un tour favorable au détriment des Anglais. Le tsarévitch Paul, le fils de Catherine II de Russie qui fait, en compagnie de sa femme le tour de l'Europe, séjourne incognito à Paris sous le nom de « Comte du Nord ». La Couronne voit là une occasion de se concilier, sur le plan international, les bonnes grâces de ce prince. A l'instigation de Sartine, impénitent collectionneur de perruques, ex- lieutenant de police, qui ne parvient toujours pas à se défaire de ses anciennes fonctions mais conserve en lui le sens de l'État, du service du roi et du secret, on met sur pied un projet en ce sens. Il s'agit de dérober au prince un objet précieux pour mieux le lui rendre ensuite et ainsi gagner sa confiance, sans, bien entendu, que la police soit compromise en cas d'échec et que le Roi lui-même n'en sache rien ! Le choix se porte sur une broche de grande valeur qui appartient à l'épouse du tsarévitch. Nicolas le Floch, marquis de Ranreuil, commissaire au Châtelet est évidemment chargé de cette mission délicate et surtout risquée puisque le « collaborateur » ponctuel, qui ne peut être qu'un malfrat, peut parfaitement disparaître avec son larcin. On choisit donc Dangeville, dit « la fouine », jeune et habile voleur promis à l'échafaud et engagé comme domestique dans la maison choisie par le tsarévitch. Il sera aussi les yeux et les oreilles de Le Floch. On va donc le manipuler, le circonvenir et lui promettre la vie sauve pour sa prestation. L'affaire se révèle plus délicate puisqu'il faut compter avec un grand nombre d'agents subalternes, parfois zélés et prévaricateurs, qui doivent cependant restés ignorants du projet, et surtout ne pas méconnaître les différents rouages de l'État et les hauts personnages désireux de ne pas perdre leur crédit auprès du monarque. Le secret devra donc entourer cette affaire pour ne pas qu'elle soit compromise malgré les inévitables dérapages et trahisons. Il a aussi quelques contradictions dans cette entreprise, d'autant que le Floch est tracassé par des états d'âme, chatouilleux qu'il est sur le plan de la probité et de l'honneur.

     

    Comme les choses ne sont jamais simples, le comte Rovski, ancien favori de la tsarine et qui vit en exil à Paris, est retrouvé assassiné. Une autre enquête s'ouvre donc, où il est question de favorites, de « dames galantes », de prostituées assassinées et affreusement mutilées, de bouges et de prédictions de « La Paulet », vieille amie de Le Floch et tenancière de lupanar, reconvertie sur ses vieux jours en pythonisse... Le tout sur fond d'impopularité de Marie-Antoinette surnommée « Madame Déficit », de conflit avec les Anglais et de menaces pesant sur la vie du tsarévitch. D'autre part et paradoxalement, la visite du couple princier ne passe pas inaperçue dans la capitale, Benjamin Franklin, l'ambassadeur des « insurgents », cultive le secret autour de sa présence en France et à l'hôtel de Rovski, on découvre des indices qui donnent à penser que les Américains ne jouent pas franc-jeu avec la France et que les Russes souhaitent procéder à une médiation qui mettrait en péril les intérêts français.

     

    Au cours de cette enquête aux multiples rebondissements qui met en scène « la meilleur police d'Europe », le lecteur croise l'espionnage, la fausse monnaie, les messages doublement codés au langage sibyllin, le secret et la raison d'État. Comme d'habitude les cadavres se multiplient autour de Le Floch et le mystère s'épaissit à chaque page.

     

    Dans chaque roman, il y a l'énigme et c'est déjà un plaisir de la suivre; elle tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin. Mais écrire une fiction, c'est aussi créer des personnages, leur donner une vie, leur prêter des sentiments et chaque volume de cette « saga  Le Floch » apporte au lecteur des détails qui enrichissent le portrait du héros. Il partage ses doutes, ses joies, ses espérances, son abnégation...

     

    Comme toujours avec Jean-François Parot, la lecture d'un de ses romans est un agréable moment, à la fois dépaysant et instructif, poétique parfois dans certaines descriptions. Ils ont déjà fait l'objet dans cette chronique de nombreux commentaires ( La Feuille Volante n° 536-537-538-542-543). J'apprécie l'ambiance du XVIII° siècle, la bonne chère, la richesse du vocabulaire, les mots et expressions à la saveur surannée autant que la pureté de son style. C'est là une heureuse manière de servir notre si belle langue française.

     

    Comme toujours je n'ai rien regretté... et j'attends le prochain.

     

    © Hervé GAUTIER - Décembre 2011.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Ils étaient 4 sergents de La Rochelle

     

    N°545 – Novembre 2011.

    Ils étaient 4 sergents de La Rochelle – Bernard Morasin – Éditions Bordessoules.

     

    A La Rochelle, face à la mer, se dresse une tour gothique élégante qui servit de phare et qui, pour cette raison, porte encore le nom de « Tour de la Lanterne ». Ce n'est d'ailleurs pas son seul nom mais, parmi ceux-ci, elle est aussi connue comme « Tour des quatre sergents » puisque la Restauration emprisonna ici quatre sous-officiers séditieux qui furent guillotinés à Paris en 1822.

     

    Ils étaient affectés au « 45° de Ligne », qui, basé à Paris depuis 1821 venait de prendre ses quartiers à La Rochelle. Crée sous Anne d'Autriche, ce régiment d'infanterie traversa la Révolution et l'Empire puis se trouva, à la Restauration, commandé par un de ces officiers émigrés, le colonel-marquis Louis-Victor-Alexandre Toustain de Fontebosc, sans grande autorité sur ses hommes, un peu naïf et même vindicatif.

     

    A 26 ans, le sergent-major Jean-François Bories, Franc- Maçon, s'ennuyait ferme au 45° de ligne. Déçu par l'armée qui, selon lui ne reconnaissait pas ses mérites et le maintenait dans la subalternité, il avait fait le choix de la « Charbonnerie ». D'origine italienne, cette société secrète, dont le but était « la liberté conquise à main armée », convenait à son ambition. Elle s'était implantée fortement en France et était active dans l'armée. La Restauration avait décimé les rangs de l'armée impériale, multipliant les militaires en demi-solde ou carrément privés de leur grade et sans emploi. Le climat à l'époque était volontiers comploteur et nombre de militaires étaient des nostalgiques du Premier Empire et de la Révolution et conspiraient volontiers en faveur de la disparition des Bourbons. Bories avait efficacement œuvré, dans son régiment, en faveur de la Charbonnerie à la quelle « Les Chevaliers de Liberté », société secrète composée surtout de civils, mais très active dans l'ouest de la France, était affiliée. Il recruta donc divers sous-officiers et soldats qui prêtèrent serment à la « Charbonnerie » parmi lesquels le sergent Jean-Joseph Pommier, le sergent-major Charles-Paul Goubin et le sergent Marius Raoulx. Ils adhérèrent à ce mouvement pour des raisons personnelles, tenant à leur avancement ou à la future fortune qu'ils imaginaient à la suite de la chute des Bourbons. Bories fut naturellement leur chef.

     

    Ce fut lors du mouvement que fit ce régiment de Paris à La Rochelle, à pied, dans le froid et la neige, que se déroula cette aventure épique, pleine de rebondissements et qui se révéla être un complot contre le régime monarchique. A force de malchance, de délations, de défections et surtout d'acharnement lors du procès, de nombreux prévenus se retrouvèrent condamnés mais les quatre sous-officiers terminèrent leur brève vie sous le couperet de la guillotine, en place de Grève.

     

    Telle fut l'histoire personnelle de ces quatre jeunes fantassins dans une époque troublée où il fallait faire un exemple. La présence de civils dans la conjuration justifiait qu'on chargeât la Cour d'Assises de cette affaire qui fut jugée à Paris. Leur transfert fut long et pénible. S'il y avait effectivement eu complot, il n'y avait cependant pas eu commencement d'exécution, mais l'avocat général tira partie de toutes les ressources du Code Pénal de l'époque pour demander et obtenir la tête des quatre militaires. Si leur arrestation s'était passée dans le calme et l'indifférence à La Rochelle, leur procès se déroula dans une ambiance électrique et passionnée qui donna lieu à un réquisitoire enflammé et des plaidoiries bouleversantes. Parmi les trente six accusés, certains ne furent pas poursuivis, d'autres furent acquittés et d'autres encore condamnés à des peines de prison.

     

    Cet épisode qui maintenant est définitivement inscrit dans l'histoire et même dans la légende, fut empreint de beaucoup d'illusions, d'approximations, d'inconséquences voire d'incompétences. Il témoigna d'affabulations, d'atermoiements, de trahisons, de délations et de fidélité à un idéal et à un serment. Ce qui aurait pu être la réalisation d'une aspiration humaine légitime pour la liberté s'est transformé en une aventure où les principaux protagonistes responsables et instigateurs du complot n'ont même pas été inquiétés. Le procès de lampiste qui s'en est suivi s'est terminé pour ces malheureux militaires un peu trop idéalistes par une mort infamante sur l'échafaud, sacrifiés sur l'autel de l'ordre public et de la sauvegarde d'un trône et d'un régime qui finiront par être balayés. La réhabilitation qui suivit grâce à la révolution de 1830 leur fit certes recouvrer une dignité posthume mais l'espèce humaine est oublieuse et leur épopée est maintenant réduite à un vague souvenir.

     

    Mes origines rochelaises autant que l'intérêt que je porte personnellement à cette ville et à son histoire m'ont incité à lire ce livre passionnant et même parfois émouvant, fort bien écrit et abondamment documenté. Il plonge le lecteur dans l'ambiance délétère de cette époque à laquelle mettra fin la révolution des « Trois glorieuses », en juillet 1830. C'est un acte de mémoire important et un bel hommage à ces artisans de la liberté qui ont attaché leurs noms à cette cité d'exception.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Le cadavre anglais

     

     

    N°542 – Octobre 2011

    LE CADAVRE ANGLAIS – Jean-François PAROT – JC LATTES

     

     

    Nous sommes à Paris en 1777, sous le règne de Louis XVI, pendant la période du carnaval. Le temps froid et la neige n'avaient, malgré tout, pas empêché le commissaire Nicolas Le Floch, Marquis de Ranreuil, de quitter, par hasard, sa permanence du Châtelet pour faire quelques pas à proximité de la prison de Fort-L'évêque où il avait trouvé la rue étrangement sombre et croisé un personnage énigmatique. Un prisonnier dont nul, même le directeur de l'établissement, ne savait rien, venait de se tuer en tentant de s'évader de cette geôle où il était emprisonné sur lettre de cachet. Les investigations du commissaire révélèrent rapidement que la victime n'était guère un quidam, qu'il avait en réalité été achevé d'un coup d'épée après une chute qui l'avait assommé et qu'il pouvait bien être anglais ! Voilà donc notre Marquis une nouvelle fois confronté à une énigme sur fond de combats pour l'indépendance américaine que soutient la couronne de France... et de fuite un peu précipitée du gouverneur de la prison !

     

    Cette affaire s'égare un peu avec pour décor les dettes de Marie-Antoinette, un cadeau original fait à la reine et qui est en réalité un objet volé dans un cabinet de curiosités de Frédéric, roi de Prusse, les intrigues de Cour, un phénomène atmosphérique à la fois bizarre et extraordinaire, le passé parfois tumultueux du commissaire... De dissimulations de cadavre en assassinat de témoin, de signature contrefaite en recherche d'un bouton d'uniforme perdu puis retrouvé, notre commissaire n'a pas trop de son adjoint et de ses traditionnels amis pour dénouer l'écheveau compliqué de cette affaire où se mêlent rebondissements et enlèvements. Au fur et à mesure du déroulement de ce roman, l'identité de cet Anglais mort semble une énigme de plus en plus indéchiffrable. Il y a aussi ce message sibyllin qu'il faut impérativement décrypter et cette histoire de montre et d'horloger qui pourrait bien ressembler à de l'espionnage industriel ou à une histoire d'agent-double... C'est que Sartine, alors ministre de la Marine souhaite faire résoudre l'épineux problème des longitudes qui permet de positionner correctement les navires en mer. En cela la France est bien entendu en concurrence avec l'Angleterre et les deux pays n'ont jamais entretenu de très bonnes relations ... Au bout du compte, le lecteur, tenu en haleine jusqu'à la fin par un sens consommé du suspense, verra que cet imbroglio se révèle petit à petit comme une affaire d'État où Éros danse avec Thanatos et où le mystère le dispute à la mystification.

     

    Sous forme d'éphéméride, l' auteur nous conte par le menu le déroulement de cette histoire un peu rocambolesque qui aurait parfaitement pu passer inaperçue mais que le hasard et le dévouement à la Couronne du Marquis ont suffi à compliquer.

     

    Je n'y peux rien, je suis amoureux du Siècle des Lumières et de Paris et j'apprécie d'avoir, dans chaque roman, des informations sur la vie de cette époque, qu'elles évoquent le potins, l 'histoire ou la vie des quartiers. J'aime aussi les expressions populaires, même si on ne les emploie plus aujourd'hui, les recettes de cuisine qui enrichissent le récit...

     

    Encore une fois, ce roman a été un bon moment de lecture.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – octobre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     



     

     

     

  • Citoyen sans frontières

     

     

     

    N°541 – Octobre 2011

    CITOYEN SANS FRONTIERES – Stéphane Hessel – Fayard. [Prix Jean Zay - 2008]

     

     

    Nous sommes en 2008 et un journaliste, Jean-Michel Helvig [journaliste et écrivain, ancien éditorialiste à Libération], vient de terminer une série d'entretiens avec Stéphane Hessel, jeune homme de 90 ans dont l'existence vient d'être révélée au monde par une simple phrase et un petit livre (« Indignez-vous !») qui sonnent comme une prise de conscience adressée à ses contemporains, une invitation à réagir contre ce monde de moins en moins humain et de moins en moins solidaire. Une manière de rappeler aussi que la France reste le pays éternel de Voltaire, de Victor Hugo, d'Émile Zola, de Jean Moulin...

     

    C'est vrai que notre homme ne déteste pas le rôle du survivant qu'on consulte parfois, du « vieux sage africain » qui lui va bien, mais qui, en même temps fait de lui un personnage à la fois sympathique et qui se complait dans ce nouvel habit où, il le sait et en joue, « le droit de plaire et de séduire est indissociable à la volonté d'agir et de convaincre ». C'est un peu comme s'il était celui qu'on attendait depuis longtemps pour nous dire simplement les choses, pour formuler des évidences et nous faire réagir et enfin agir... Qui est-il celui qui vient à l'heure où l'âge, l'altération des facultés si souvent rencontrée chez les autres imposent une retraite ? Alors, le béotien se raccroche aux quelques informations qu'on a laissé filtrer à son sujet et qui donnent à l'homme une dimension quasi mythique. Ce sont pèle-mêle « l'ancien résistant », « l'ambassadeur de France », l'enfant héritier du film « Jules et Jim » ... de sorte que notre appétit de connaissances s'en trouve aiguisé. C'est que, parmi les actions qui ont toujours inspiré sa vie il y a l'organisation de la paix universelle, l'action des ONG, le civisme mondial, l'amélioration de l'environnement, la meilleure répartition des richesses, le droit de mourir dans la dignité...et voilà que tout cela, le plus souvent développé dans l'ombre, le propulse soudain au premier plan de l'actualité !

     

    A Moscou les bolcheviques préparent leur ascension quand il nait en octobre 1917 à Berlin, aux prémices de la défaite allemande qui servira de terreau au nazisme. Cela lui vaudra, en juillet 1944, d'être interné aux camps de Buchenvald, Rottlenberode et Dora et dont il s'évadera pour retrouver Paris libre en 1945 et la France, son pays d'adoption dont il sera l'ambassadeur. Il est le fils d'un écrivain juif allemand, Franz Hessel et d'Helen Grund, femme non-conformiste, tous les deux amis des Lettres et de Arts. Il ne sera naturalisé français qu'en 1937 puis, refusant la défaite, rejoindra la France Libre à Londres. Ensuite ce sera, à sa demande, la « mission Gréco » mais, dénoncé, il sera arrêté, interrogé, torturé puis déporté.

    Lui qui a été scolarisé à l'école communale de Fontenay aux Roses en 1924 sans parler un mot de français est quand même devenu normalien. Puis c'est une carrière d'ambassadeur qui s'offre à lui qui le mène en Chine, en Afrique et à l'ONU. Sous la IV° république, il devient un des principaux collaborateurs de Pierre Mendes-France qu'il avait connu pendant la guerre. C'est aussi un « grand commis de l'État » qui sert sous Mitterand. Ardent défenseur de l'Europe qui a ses yeux ne peut exister vraiment que sous la forme fédérale, il insiste cependant pour faire prévaloir son rôle sociale indispensable. C'est lui aussi qui, dans le cadre de l'ONU a participé, en 1948, à la rédaction de la Déclaration des Droits de l'homme. On peut difficilement être davantage au rendez-vous de l'histoire !

    Lui qui, ayant connu les « camps », voit la vie « comme un beau rêve » et souhaite avant tout qu'elle prévale en toutes circonstances, invite, au nom de l'humanité, l'homme à résister contre tout ce qui est mauvais pour lui, à faire qu'il soit toujours au centre de ce monde et qu'il ne perde jamais le sens de l'humain. Sa devise pourrait être « être de partout sans être enfermé nulle part » ce qui est une formidable invitation pour chacun d'entre nous à résister à tous les dogmes et à toutes les formes de pensée unique, qu'elles prennent la forme d'une religion ou d'une idéologie politique, à faire usage de notre raison en toute chose. Il est attentif à l'éthique qui, à ses yeux, est indispensable à l'action politique et, en cela, il est le digne héritier de Mendes France. Il exerce volontiers son esprit critique, ce qui l'amène à s'opposer à l'action de l'État quand il la juge illégale. Il milite ainsi en faveur des sans-logis, prône les valeurs universelles de l'humanisme qui font de lui un infatigable militant en faveur des Palestiniens, des sans-papiers, des opprimés... « J'ai toujours été du côté des dissidents » avoue-t-il, ne cachant rien de son engagement. C'est aussi un médiateur, « un rapprocheur » qui assume, à l'invite de Jean-Michel Helvig ses erreurs, ses échecs, ses contradictions. A 94 ans aujourd'hui, il n'a évidemment plus rien à attendre de personne et son expérience personnelle autant que sa parole sont un formidable témoignage.

     

    C'est donc cet esprit libre, adepte d'une gauche réformiste démocratique, humaniste et amoureux de la politique et de la vie tout simplement et qui refuse la peur de la mort, que ce livre nous invite à découvrir, un homme engagé dans l'action humanitaire et sociale, un esprit de son temps qui sait, sans complexe, jeter sur lui un regard critique. C'est aussi un amateur de poésie qui avoue, à sa manière, son goût pour la création littéraire autant que pour la paix entre les peuples à travers un texte d'Apollinaire (« La jolie rousse ») qui termine cet ouvrage.

     

    J'ai personnellement éprouvé un grand réconfort à la lecture de cet entretien clair et écrit avec simplicité, non seulement parce que le message qui y est délivré l'est par un citoyen français qui fait ainsi honneur aux valeurs de l'humanisme dont notre pays est porteur, mais parce que, comme l'indique le titre, cet homme est aussi, et sans conteste, un citoyen du monde, un militant de la cause humanitaire, au seul service de l'homme et non à celui des intérêts éphémères de quelques-uns.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – octobre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Pelles et râteaux

     

     

     

     

    N°540 – Septembre 2011

    PELLES ET RÂTEAUX – Christophe Duchâtelet – Calmann-Lévy.

     

     

    D'emblée, le titre évoque davantage un traité de jardinage ou une aimable fiction familiale autour des jeux de plage ou des bacs à sable. A lire le sous-titre, « stratégies d'un séducteur », on pense plutôt à la chanson de Dutronc, voire de Nougaro et on s'attend aux habituelles remarques sur le sujet, pas vraiment originales et qui ont beaucoup servi... Et ce d'autant que la dédicace « Aux copines » ne laisse pas longtemps planer de doute.

    Qu'avons-nous ? Mathieu, la trentaine, tout juste séparé de Clara, la mère de Luna. Comme il se doit de nos jours, cette séparation s'est faite sans heurt « On a rompu en douceur. Sans déchirement. Du travail de pro » Normal, on est moderne ou on ne l'est pas ! Dans la vie, il exerce le dur métier de « nègre », c'est à dire « d'écrivain fantôme » et même s'il fait remarquer que Jésus lui-même « a sous-traité à distance ses écrits grâce aux évangélistes » le lecteur sent bien que le compte n'y est pas, qu'il fait ce métier un peu par défaut comme la plupart d'entre nous, qu'il voudrait bien écrire enfin sous son propre nom, que d'ailleurs, il n'aime guère ni les écrivains ni son éditeur. Il n'empêche, la réalité rattrape notre héros, sous la forme d'un réfrigérateur vide, de menus sans grande originalité et qui brillent surtout par leur répétition, d'une vie maintenant dédiée aux tâches ménagères et quotidiennes qu'il laissait volontiers à son épouse, à la solitude plus ou moins imposée par les événements et à l'abstinence sexuelle tout juste interrompue par quelques conquêtes... Et par le « droit de visite », c'est à dire celui de voir sa fille « un week-end sur deux » suivant l'expression et de l'emmener se divertir au square le plus proche, au bac à sable précisément.

    Mathieu se veut séducteur et ne néglige rien de son apparence physique, de sa réalité psychologique pour sortir de cette situation de « célibataire anonyme »...La drague à des raisons que la raison ne connait pas, pour paraphraser une citation célèbre ! Il y a bien Fadela, étudiante tunisienne qui rêve de changer le monde et qui veut régler leur compte aux islamistes intégristes de son pays. Pourtant l'idéalisme, ce n'est pas son truc à Mathieu et puis c'est sans doute un peu trop compliqué !

     

    Par hasard, au Parc Monceau, il rencontre Isabelle, la belle maman de Maximilien, qu'il rêve, évidemment de mettre dans son lit, ou d'aller dans le sien. Mais voilà, elle est mariée. Ce qui peut encore le sauver, ou plus exactement sauver son projet avec elle, c'est qu'elle se pique d'écrire un roman et qu'elle compte bien sur lui pour en être le premier lecteur et même la collaborateur, quitte à partager avec lui la vedette d'un futur succès littéraire. Elle lui offre même de l'argent, ce qui égare un peu l'érotisme potentiel de leurs relations. Et puis, dans ce domaine si les hommes proposent, ce sont les femmes qui disposent (air connu). Mais voilà, leurs rencontres sont perpétuellement polluées par la silhouette à la fois inquiétante et mystérieuse d'un homme à la cravate fuchsia dont il ne sait exactement qui il est. De plus, le mari d'Isabelle ne goûte pas les velléités littéraires de son épouse. Cela peut toujours cacher quelque chose. Et puis, Isabelle n'est pas toute seule dans le tableau de chasse potentiel de Mathieu, la simple vue d'une paire de fesses féminines à la piscine le met dans tous ses états, il voudrait bien avoir son tour dans la lit de sa voisine du dessus qui collectionne les amants et Éléonore, l'intellectuelle de service ne le laisse pas indifférent ! Il y a comme cela des conquêtes sans lendemain, des tentatives avortées, des fantasmes refoulés, des histoires d'amour qui finissent mal, c'est à dire qu'elles ne sont suivies d'aucune conclusion, comme on dit, ou alors éphémères ou durables. Alors, pourquoi pas ériger le célibat en œuvre d'art ?

     

    J'ai bien aimé l'humour de l'auteur autant que sa façon d'écrire, spontanée et sans artifices littéraires ni effets de style, érotique parfois, et moderne à souhait. Cela change un peu ! Même si son donjuanisme peut paraître un peu poussé à l'excès et s'apparente à de la frime.

    Il fait une allusion appuyée à la  « Revue Perpendiculaire » qu'il a créée et animée, ce qui est bien normal mais n'apporte rien à son voyage autobiographique de père-célibataire-séducteur-névrosé-obsédé sexuel insatisfait. Il met en perspective la détresse masculine d'après séparation dans l'épisode du groupe de parole où chacun se libère de ses obsessions, de ses souffrances et peut-être de ses fantasmes, entre la peur des licenciements professionnels et la conquête du bonheur, de l'épanouissement personnel. Il a eu le courage de mettre en scène la séparation du côté paternel, le sujet étant bien souvent traité et présenté sous l'angle maternel. C'est une manière de prendre conscience du problème qui est réel et aussi peut-être une tentative de faire évoluer les mentalités, de poser la question de la sexualité qui est, elle aussi, une question brulante pour chacun. L'occasion d'en rire en tout cas (au lieu peut-être d'avoir à en pleurer)! Et cet humour là, cette arme contre l'adversité, j'aime bien !

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • TIRÉ Á PART - Un film de Bernard Rapp

     

     

    L A F E U I L L E V O L A N T E

    La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,

    elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

    N°539 – Août 2011

    TIRÉ Á PART – Un film de Bernard Rapp (1996)

    (diffusé le samedi 27 aout 2011 sur la chaine Ciné Polar)

     

    Cette histoire est celle d'une subtile vengeance. Nicolas Fabri [Daniel Mesguich], un obscur auteur français qui ne brillait pas jusqu'à présent par son talent, apporte à son ami, l'éditeur anglais Sir Edward Lamb [Terence Stamp], un manuscrit que l'auteur lui présente comme exceptionnel. Connaissant le style et le peu d'intérêt qu'offrent traditionnellement les œuvres de Fabri, Lamb entame sa lecture sans grande illusion mais rapidement il prend un intérêt nouveau pour cette découverte. Non seulement le style est différent mais l'histoire qu'il est en train de lire ne lui est pas étrangère. Fabri y décrit par le menu une histoire d' amour qui a mal tourné et qui s'est conclue, en Tunisie, quelques dizaines d'années auparavant, par le suicide inexpliqué de Farida, une femme qu'Edward avait passionnément aimée. Cette mort avait été por lui, perndant toutes ces années, une énigme obsédante. Pourtant, il fait de la publicité à son protégé mais devant la suffisance de Fabri qui commence à parler de prix littéraire pour son roman, Lamb va profiter de ses relations non seulement pour en proposer la publication par un grand éditeur français, mais aussi, par l'intermédiaire d'une ancienne maîtresse de Fabri devenue critique littéraire très en vue, pour susciter l'intérêt des milieux culturels et artistiques parisiens et ainsi obtenir le prestigieux Goncourt. Dans le même temps, et tout en restant dans l'ombre, Lamb va monter de toutes pièces un scénario attestant sans aucun doute possible la réalité d'un plagiat. Malgré toute sa suffisance Fabri n'y résistera pas.

     

    Sans le savoir Fabri se jette dans la gueule du loup sans se douter qu'il permet à Lamb de mettre en place une vengeance d'autant plus forte qu'elle attend depuis longtemps. Il tient entre ses mains la confession de cet homme responsable de ses amours malheureuses avec cette femme mais surtout Fabri lui déclare que sans cette épisode il n'aurait pas pu écrire ce roman. Dans le même temps le spectateur comprend que c'est précisément cet événement qui a déterminé Lamb à cesser d'écrire. C'est donc à une sorte de jeu de miroirs que ce texte se livre. Ainsi, l'apparition de la fille de la morte qui lui ressemble et porte le même prénom qu'elle et le suicide de cette femme victime d'un viol qui répondra à celui de Fabri qui en a été l'auteur. Lamb qui apparemment fait montre d'un calme très britannique face à la fatuité et à la cupidité de Fabri, est en réalité un bourreau intraitable, animé de la nécessité du châtiment, mais qui veut néanmoins conserver un strict anonymat dans ce processus.

     

    Il s'agit là d'une adaptation inspirée du roman de Jean-Jacques Fiechter. J'ai aimé l'ambiance toute britannique de l'intrigue autant que le développement machiavélique de cette intrigue et l'intensité de la rancune accumulée depuis si longtemps.

    Ce film est le premier long métrage de Bernard Rapp, disparu en 2006. On le connaissait comme un journaliste de talent, animateur d'émissions à succès comme « l'assiette anglaise » ou « Jamais sans mon livre », d'homme de culture et il convient, à l'occasion de ce film, de se souvenir de lui. 

     

    Hervé GAUTIER – Août 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     


     

     

     

     

  • LE CRIME DE L'HÔTEL SAINT-FLORENTIN – Jean-François PAROT

     

    N°538 – Août 2011

    LE CRIME DE L'HÔTEL SAINT-FLORENTIN – Jean-François PAROT JC LATTES

     

     

    Nous sommes en 1774 et Louis XV vient de mourir. Jean Le Noir vient de succéder à Sartine en qualité de Lieutenant général de police. Nicolas Le Floch, marquis de Ranreuil est toujours commissaire au Châtelet et doit donc s'adapter à son nouveau patron qui se méfie de lui, ce qui l'inquiète quelque peu. De plus ses collègues voient d'un assez mauvais œil qu'il ait les faveurs de Louis XVI comme il avait auparavant celles de Louis XV. Il craint une pause dans sa carrière, une disgrâce peut-être ?

     

    Le Duc de la Vrillières, M. de Saint-Florentin, ministre de la Maison du Roi le charge pourtant d'éclaircir un meurtre qui a eu lieu dans son hôtel particulier. Une femme de chambre a été égorgée d'une bien curieuse manière tandis que le maître d'hôtel, Léon Missery, est retrouvé blessé à ses côtés. Il va donc enquêter dans cette maison où il sent une hostilité de tous, en compagnie de son fidèle Bourdeau et de Guillaume Semacgus, chirurgien de marine. Comme toujours ses investigations vont révéler des faits curieux, la victime, Marguerite Pindron, était parée de bijoux et de vêtements bien au-dessus de sa condition, auparavant elle avait menée une vie pour le moins dissolue et entretenait des relations amoureuses avec le maître d'hôtel, lequel n'était pas vraiment en odeur de sainteté... Il va révéler la présence d'un autre amant qui a laissé des traces de sang, un trafic de chandelles, la présence d'un espion anglais, des témoignages contradictoires...

     

    Pour autant, les intrigues de cour vont bon train et chacun cherche à retrouver sa place auprès du nouveau roi. Ainsi Nicolas est-il sollicité par Le Noir pour éclaircir une histoire d'épidémie de charbon qui décime les bovins et menace l'approvisionnement de la capitale. Sartine, nouveau secrétaire d'État à la Marine, dont il reste l'ami mais qui ne perd rien de ses anciennes attributions de policier, le met en garde contre le duc de Vrillières. Nicolas, souhaitant ménager ses appuis mais restant quand même un zélé serviteur de l'État et du roi va enquêter tout en tenant compte de tout ce qui lui a été dit. Cela l'amènera chez les marchands de bestiaux autant que dans la maison de filles de St Michel, un couvent où vit retirée une parente du maître d'hôtel, il subira un attentat contre sa personne, devra également enquêter sur d'autres meurtres, connaîtra les horreurs de Bicêtre et les lieux de débauches fréquentés par des aristocrates souvent intouchables... Il découvrira que l'objet qui a tué les deux victimes ne peut-être qu'une « main d'argent », prothèse que porte le duc de Vrillière mais qu'il prétend avoir perdu...

     

    Comme toujours, j'ai apprécié ce Paris du XVIII° siècle, les recettes de cuisine et les remarques pertinentes sur la qualité des vins autant que le suspense parcimonieusement distillé jusqu'à la fin, la pratique jubilatoire de la langue française, la richesse du vocabulaire qui transforment chaque roman de Jean-François Parot en un bon moment de lecture.

     

    Hervé GAUTIER – Août 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ENQUETE SUR LA DISPARITION D'EMILIE BRUNET – Antoine Bello

     



    N°521 – Mai 2011.

    ENQUETE SUR LA DISPARITION D'EMILIE BRUNET – Antoine Bello – Gallimard.

     

     

    L'intrigue, condition indispensable à tout bon roman policier, est simple, à tout le moins en apparence. Comme l'indique le titre, Émilie Brunet, une des femmes les plus riches du pays, a disparu. Là où cela se complique, c'est que sa disparition coïncide avec celle de Stéphane Roget, professeur de Yoga, mais aussi amant d'Émilie et que Claude Brunet, son mari, connaissait leur liaison ! C'est même lui qui avertit la police en l'absence de son épouse. On sent déjà le vaudeville et ce d'autant plus que ce brillant professeur d'université s'octroyait largement des libertés de Don Juan ! Bien évidemment, ce dernier est suspecté et même quelque peu molesté lors d'une garde à vue musclée par un inspecteur zélé, partisan des méthodes expéditives, qui sans doute sont classiques et ont fait depuis longtemps la preuve de leur efficacité. Pourtant, dans son cas, cela amène notre suspect à l'infirmerie et certainement pas aux aveux. L'ennui c'est que Brunet est neurologue, professeur de sciences cognitives... mais ne se souvient de rien !

     

    Achille Dunot, détective de son état, compatit à ce qui pourrait être regardé comme une opportunité intéressante pour Brunet, et ce d'autant plus qu'il souffre lui aussi d'une amnésie chronique dite « antérograde ». Il ne peut, en effet, imprimer dans sa mémoire ses souvenirs immédiats. Chargé de l'enquête sur la disparition d'Émilie Brunet, notre détective s'en tient à la rédaction d'un journal relatant les différentes phases de ses investigations. Chaque matin il tente, grâce à sa chronique de se remémorer ce qu'il a fait la veille. Pourtant, cet adepte d'Agatha Christie à qui il fait constamment référence devient, petit à petit et sans presque s'en rendre compte le héros d'un roman policier dont il est aussi l'auteur.

     

    Le médecin est dans une bien étrange posture puisque tout l'accuse. Il a, en effet a plusieurs mobiles, et notamment financier... et aucun alibi ! Pour aggraver son cas, il fait constamment l'apologie du crime parfait, donnant à penser au détective qu'il n'est pas étranger à la disparition de son épouse. Il a d'ailleurs pour ce concept une véritable fascination. De par ses études sur le cerveau humain, il est parfaitement capable de compartimenter et de domestiquer sa propre mémoire. Il joue même avec Dunot en lui proposant d'écrire lui aussi ses propres sentiments sur cette affaire et de les livrer à l'enquêteur, tout en gardant, bien entendu, la maîtrise de cette situation. Dunot suspecte Brunet d'être coupable de ce double meurtre et ce dernier n'ignore rien des soupçons qui pèsent sur lui. Ainsi assiste-t-on à un chassé-croisé entre les deux hommes, le policier cherchant à s'identifier au médecin à travers son témoignage écrit et ainsi le confondre, le médecin s'obstinant à rester à l'hôpital, et donc à ne pas fuir, refusant puis acceptant de livrer ses écrits au policier pour mieux l'abuser par ses développements intellectuels et universitaires. Il sollicite même la justice pour être innocenté le plus vite possible, histoire de bénéficier de « la chose jugée ». Une sorte d'amitié naît même de cet échange, ce qui fausse un peu les choses.

     

    Les personnages peuvent paraître peu originaux : un flic violent et borné, une domestique puritaine, tout droit sortie d'un roman d'Agatha Christie, un universitaire prétentieux et brillant, une étudiante fascinée par son professeur avec qui elle a, bien entendu, eu une liaison, et dans tout cela le mythe du crime parfait et le contexte un peu facile de l'amnésie. D'autre part les références souvent trop érudites sur l'œuvre d'Agatha Christie (mais aussi d'Edgar Poe et d'Alfred Hitchcock) donnent lieu à des longueurs quelque peu inutiles et tournent carrément à l'exégèse de ses romans et au panégyrique d'Hercule Poirot. Au point qu'on en oublie l'intrigue ! Le lecteur reste sur sa faim puisque cette sorte de mise en abyme (un roman dans le roman) ne conclut rien, n'explique rien, laisse en suspens toutes les questions que le lecteur s'est posées. C'est un peu dommage, la présentation du récit sous forme de journal dont Dunot caviarde certaines lignes pour tenter de circonvenir le médecin est intéressante. C'est un roman bien écrit, agréable à lire et au suspense savamment entretenu jusqu'à la fin, mais franchement, je m'attendais à autre chose !

     

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE FANTOME DE LA RUE ROYALE – Jean-François PAROT

     

    N°537 – Août 2011.

    LE FANTOME DE LA RUE ROYALE – Jean-François PAROT – JC Lattès.

    Les enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet.

     

    Paris, le 30 mai 1770, c'est le mariage du dauphin et Louis XV veut que la fête se termine par un feu d'artifice sur la place qui porte son nom. Malheureusement les explosions provoquent un incendie et la panique s'empare de la foule venue en masse assister à ce spectacle. On relèvera des centaines de morts et de blessés. Nicolas Le Floch, marquis de Ranreuil, commissaire de police au Châtelet obtient de Sartine, grand amateur de perruques et actuel Lieutenant général de la police, le droit d'enquêter sur cette affaire où des erreurs ont été commises en matière de maintient de l'ordre, d'autant plus que cette responsabilité incombait à la compagnie des gardes de Paris. Durant son enquête, notre commissaire découvre le cadavre d'une jeune femme d'une vingtaine d'années tenant fermement dans sa main une perle noire. De plus, l'examen post mortem révèle qu'elle n'a pas été écrasée comme les autres victimes mais étranglée ! A l'évidence on a mêlé sa dépouille à celles des autres cadavres pour masquer ce qui est en réalité un assassinat. Tel est le point de départ de cette passionnante enquête policière menée dans ce Paris du siècle des Lumières où le lecteur aime à se perdre et à se retrouver. Il y rencontre les gardes de la ville aux nouveaux uniformes chamarrés qui montrent plus que de l'opposition à la police officielle, Sartine contre qui des libelles circulent dans la cité, tout un peuple de « mouches » et de domestiques, le fidèle adjoint Pierre Bourdeau, Sanson, le bourreau qui fait aussi office de légiste et Guillaume Semacgus, chirurgien de marine qui assistent le commissaire... Le lecteur y croise le quotidien des gens du peuple, des cabarets et des maisons de plaisirs mais aussi les intrigues de Cour...

     

    Les investigations du marquis vont le mener rue Royale, chez Charles Galaine, un maître pelletier chez qui vivait cette jeune femme, sa nièce, Élodie. Il loge chez lui, sur ordre du roi qui l'apprécie et à qui il fera personnellement ses rapports. Cette résidence forcée va l'amener à découvrir tout un décor où l'hypocrisie le dispute aux réalités les plus sordides. Témoins ce Naganda, personnage ambigu, indien Micmac au visage tatoué, fils de chef d'une tribu alliée à la France en terre d'Amérique, ancien élève des jésuites qui use d'un langage châtié et cite Saint-Jean en latin et Racine en français. Lui aussi loge chez Galaine, mais dans une soupente. Son personnages et ce qui lui arrive sont de nature à jeter sur lui les doutes les plus fondés. Il deviendra plus tard un espion du roi dans les territoires d'Amérique tenus par les Anglais, mais pour l'heure il fait partie des suspects. Notre commissaire va découvrir bien pire, une servante qui cache sa future maternité et qui, de lévitations en révélations [en état de transe elle parle allemand et latin avec la voix des morts et révèle à Le Floch des détails sur sa vie qui ne sont connus que de lui seul] donnera toutes les marques d'une possession du démon, au point que l'archevêque de Paris soi-même va dépêcher un exorciste auprès d'elle. Semacgus qui ne croit ni aux fantômes ni au diable, rappelle le marquis à plus de rationalité et préfère à tout cela la manifestation de l'hystérie. Une telle procédure qui évoque le Moyen-Age n'a pas sa place au siècle de Voltaire et des encyclopédiste, mais pour Le Floch qui a reçu une éducation de qualité chez les bons pères, il en va aussi de l'ordre public dont il est le garant. Quant à Élodie, elle n'était pas exactement la jeune fille rangée qu'il avait imaginé, des personnages sont escamotés, d'autres disparaissent pour réapparaitre, un attentat est perpétré par les gardes de la ville contre un ancien procureur mais visait en réalité notre commissaire, un monstre au visage blanc est évoqué, un reçu est découvert dans la maison de Galaine et qui date du jour du drame, un testament caché et retrouvé par hasard par une enfant qui en sait probablement plus qu'elle ne veut en dire. Comme si tout cela ne suffisait pas il y a un infanticide, une faillite annoncée, des dettes de jeu et des vêtements mis en gage, des chantages, des amours contrariées, un procès un peu long où notre commissaire prend des accents de procureur... Mais la vérité finit par éclater ...

     

    Jean-François Parot dessine peu à peu pour le lecteur la personnalité et l'histoire parfois intime de son héros mais aussi se livre avec bonheur à des descriptions évocatrices [ Je retiens particulièrement l'épisode de l'exorcisme et aussi le portait de l'archevêque de Paris dont les états d'âmes transparaissent sous les mots]. J'aime bien le texte de ce récit, l'érudition de son auteur, les notes qui suivent les chapitres...

     

    Je continue avec bonheur et passion à découvrir l'œuvre de cet auteur qui sert si bien notre belle langue française, replonge son lecteur dans le contexte de ce siècle des Lumières, le dépayse agréablement et distille un suspense de bon aloi jusqu'à la fin. C'est à chaque fois un bon moment de lecture.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • L'HONNEUR DE SARTINE – Jean-François PAROT –

     

     

     



    N°536 – Août 2011.

    L'HONNEUR DE SARTINE – Jean-François PAROT – JC Lattès.

     

    Nous sommes en 1780, à Paris, sous le règne de Louis XVI, M. Edme de Chamberlin, ancien contrôleur général de la Marine, vient de mourir. Celui-ci, susceptible de détenir des archives intéressant la Couronne, Nicolas le Floch, commissaire de police au Châtelet, se présente au domicile de M. Jacques Bougard de Ravillois, fermier général et oncle par alliance du défunt qui résidait chez lui. Comme rien n'échappe au policier, il constate que Chamberlin a été assassiné, écrasé par la baldaquin de son lit préalablement scié. Poursuivant ses investigations, le Floch va de surprise en surprise : testament volé, documents disparus qui pourraient être compromettants pour les affaires de l'État, codicille caché dans un meuble à secrets puis découvert, objets précieux subtilisés, billes qui ne seraient pas exactement des agates en verre... Il y a aussi cette absence d'échelle qui aurait permis de scier la courtine et ainsi de perpétrer le meurtre ... La poursuite de l'enquête mène notre commissaire et son inspecteur, le fidèle Bourdeau, successivement chez M. La Borde, fermier général et ancien premier valet du roi et M. Saint-James, ancien trésorier des colonies, et nombre de gens avec qui le défunt étaient en affaires, parfois un peu louches. Tout cela le mène à Gabriel de Sartine, ministre de la Marine... Comme il se doit, s'agissant de personnages importants, on demande à Le Floch d'être des plus discrets !

     

    Sartine, était pour la cabale une cible de choix et représentait pour Necker, directeur général des finances, un grand dépensier puisqu'il voulait moderniser la flotte ... Mais il semble que les documents disparus avaient une grande importance d'autant que le défunt lui-même y voyait, selon certains témoins, une assurance pour l'avenir. Ils porteraient atteinte à l'honneur du ministre, opération financières consenties au profit de la Marine, dispositions secrètes ? Sartine semble beaucoup tenir à ces documents et ce d'autant plus qu'il envoie un homme à lui pour les récupérer, sait s'attacher des espions...Vient se greffer une histoire de vases chinois également disparus dans des conditions énigmatiques mais dont un exemplaire au moins réapparait, proposé à un collectionneur, Tiburce, le fidèle valet de Chamberlin, également assassiné dans les conditions bizarres ... Bref, une affaire banale au départ qui prend une ampleur inattendue sur fond de guerre contre les Anglais pour la libération du peuple américain, de secrets, d'espionnages, de rebondissements inattendus, de contre-temps regrettables, de chantages dangereux, des rébus, avec en plus une tentative de meurtre sur la personne du commissaire, des problèmes familiaux le concernant, des dettes de jeu, des haines familiales et les apparences hypocrites qui veulent donner le change, des secrets d'alcôves, des trahisons, des adultères et un intérêt royal pour cette affaire dont Louis XVI se tient régulièrement informé ...

    L'enquête policière trouvera sa conclusion, mais le jeu politique prendra le dessus, avec la perfidie habituelle et sa volonté de puissance et de nuisance qui s'exerce souvent contre les plus fidèles serviteurs de l'État.

     

    Le livre aura toujours pour moi une supériorité sur les séries télévisées ou sur les films, si bien réalisés soient-ils. Je ne connaissais pas les œuvres de Jean-François Parot. Je dois dire que j'ai apprécié de me retrouver dans ce Paris du XVIII° siècle, dans le quotidien du peuple autant que les intrigues de cour. J'ai goûté cette histoire policière passionnante du début à la fin, distillée dans un texte emprunt d'un vocabulaire riche et parfois délicieusement suranné, avec des phrases ciselées avec bonheur, des expressions qui valent leur pesant d'histoire. J'ai bien aimé aussi les propos sur le vin, les recettes culinaires qui émaillent le récit et l'apparition épisodique mais bienvenue de la chatte Mouchette, sans oublier le chien Pluton qui gagne ici ses galons de limier.

     

    Un texte fort plaisant et bien écrit, un bon moment de lecture et un agréable dépaysement que je souhaite renouveler.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LA PASSION LIPPI – Sophie Chauveau

     

     

     



    N°535 – Juillet 2011.

    LA PASSION LIPPI – Sophie Chauveau – Folio.

     

    Nous sommes le 2 février 1414 et Cosme de Médicis règne sur Florence, la ville des fleurs, cette cité de Toscane au doux nom de femme qui rayonne déjà sur l'Europe entière. Ce prince puissant aime s'habiller simplement mais aime aussi s'entourer d'artistes. En ce jour, sa route va croiser celle d'un enfant qui dans une ruelle de la ville sculpte la poussière. C'est Filippo Lippi , un inconnu, un orphelin qui, il le vérifie tout de suite, excelle dans la peinture, sans jamais l'avoir apprise. Cosme le confie donc à celui qu'on appellera plus tard Fra Angélico, pour un apprentissage qui va durer six ans et pendant lesquels l'enfant sera confié aux bons soins des Carmes. Il n'aura donc plus à mendier ! Dans ce couvent, il se révèle pieux, son maître fait de lui un bon peintre, mais le séminariste se révèle aussi assidu au bordel ! C'est que son ordre n'est pas strict et il est le protégé de Cosme ! Il aime la peinture au point qu'il vole les couleurs... mais c'est pour décorer le lupanar où il a ses habitudes. Il est pauvre et peintre mais ressemble à un ange, c'est sans doute ce qui fait de lui le favori des prostituées chez qui il se réfugie volontiers, mais cela ne l'empêche pas de prononcer ses vœux. Il sera donc Fra Filippo Lippi, mais en apparence seulement.

     

    Pourtant, soumission, abnégation, abstinence, pauvreté et charité sont exactement le contraire de ce qu'il est et de ce qu'il veut devenir demain. Il mentira donc toute sa vie et comme apparemment Dieu a agrée ses vœux, il sera un homme avant d'être un serviteur de Jésus. Il est sensible à la beauté des femmes et professe volontiers que si Dieu a créé le plaisir c'est qu'il a été voulu par Lui et donc qu'il est divin. Il se vautre dans le stupre et fait désormais fructifier son talent un peu dans les chapelles... mais surtout en décorant les lupanars ! C'est certes incompatible avec son état, et cela indispose son protecteur, mais il peint si bien !

     

    Celui qui, en bon élève, avait copié ses maîtres veut maintenant leur voler leur talent et leur style. Ses condisciples Masaccio et Masolino l'ont beaucoup influencé, en peinture seulement. Il aime tellement les prostituées qu'il prête leurs traits et leur beauté à la vierge Marie, un comble !

     

    Le destin de Lippi épouse celui de Cosme son protecteur mais son âpreté au gain fait de lui un habile négociateur de ses œuvres puisqu'il a fini par découvrir son propre style et qu'il est désormais regardé comme « grand peintre ». Son talent artistique, son parti-pris de faire payer ses clients pour sa prestation intellectuelle, sa promotion dans la hiérarchie ecclésiastique, suscitent pas mal d'inimitiés mais une banale histoire de contrat non rempli lui vaut la prison et le supplice de l'estrapade qui peut compromettre son avenir en lui brisant les mains. Heureusement il s'en sort mais c'est pour mieux retomber dans ses vices ! Florence est, comme Venise, une république qui fonctionne grâce à la délation. Dans la Sérénissime, c'est la « Boca del leone » qui recueille les dénonciations. Ici c'est la « Tambulazione » qui veille et fait de lui un exilé. Lui qui fréquentait volontiers les prostituées vient de tomber éperdument amoureux d'une nonne vierge, Lucrezia Buti, qu'il prend comme modèle de Madone... et qu'il va engrosser et dont il veut garder l'enfant. C'est un peu le remake de l'Annonciation. Il n'y aura que le pape, sur intervention de Cosme, son éternel protecteur, pour les relever de leurs vœux, faire d'eux des laïcs à condition qu'ils se marient et élèvent chrétiennement leur enfant. Après quelques périodes de sécheresse, les commandes affluent, ce qui lui permet d'élever dignement sa famille et de l'agrandir, sans oublier cependant de retomber dans ses vieux démons du vice, de la débauche. Il aura pour élève Botticelli.

    Il vit de son art, c'est un artiste reconnu et non plus un simple artisan, protégé des Médicis, Cosme et maintenant son fils Pierre. Heureusement pour lui, Filippino, son fils aîné a des dispositions pour la peinture. A la mort de son père, c'est lui qui terminera les fresques de la cathédrale de Spolète.

     

     

    Tel est donc le fabuleux parcours de Lippi, tout à la fois voyou, ivrogne, libertin, jouisseur et peintre génial (1406-1469) que l'auteur, en quatre saisons, évoque magistralement pour son lecteur. Elle le plonge dans l'ambiance de ce siècle d'exception, dit de « la première renaissance » où cohabitent la ferveur religieuse et la débauche, la beauté et la trahison. C'est passionnant !

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LA BARONNE MEURT A CINQ HEURES – Frédéric Lenormand

     

    N°534 – Juillet 2011.

    LA BARONNE MEURT A CINQ HEURES – Frédéric Lenormand – JC Lattès.

    Prix Arsène Lupin 2011.

     

    Pauvre Voltaire, en cet été 1731, voilà que meurt M. de Maison qui était son protecteur. Notre écrivain qui n'est jamais aussi bien chez lui que chez les autres, se met en quête d'un nouveau mécène qu'il trouve en la personne de la baronne Fontaine-Martel qui a le bon goût de l'héberger et de le nourrir pendant près de deux années. Las, cette dernière meurt sauvagement assassinée et aux yeux de René Herault, lieutenant général de police, Voltaire, philosophe controversé, fait figure de suspect idéal. Il va donc devoir se défendre en cherchant à qui profite le crime ! Pourtant, on imagine mal notre philosophe en auxiliaire de la maréchaussée, mais, ce défenseur du bon droit et de la liberté est surtout attentif à la sienne. Il va mener sa propre enquête non seulement parce qu'il ne souhaite pas retourner à la rue, et encore moins à la Bastille, mais aussi parce qu'il espère tirer quelque bénéfice des dernières volontés de la défunte. C'est donc à une chasse au testament plus ou moins falsifié qu'il va consacrer son temps et son énergie. L'estime qu'a de sa propre personne cet « empêcheur de penser en rond » l'amène à supposer qu'on en veut aussi à sa vie et ce d'autant plus qu'il est l'ennemi de tout ce qui porte soutane, jésuites et jansénistes.

     

    Dans sa quête, il sera aidé brillamment par Mme du Châtelet, femme de sciences et d'esprit, délaissée par un mari qui préfère les champs de bataille, et présentement enceinte jusqu'aux oreilles. Ses qualités ne seront pas de trop pour affronter tous ces héritiers avides, ces abbés ridicules, ces spadassins aux mystérieux codes, ces assassins qui « connaissent la musique »... et pour tenir tête à cet écrivain, certes génial, mais un peu trop envahissant. Heureusement son intuition féminine prendra le pas sur la philosophie et nos deux limiers feront, à cette occasion, de surprenantes découvertes sur la nature humaine et sur l'hypocrisie qui va avec, la volonté de s'enrichir et les secrets d'alcôves !

     

    Estimant qu'une enquête est quand même comparable à un raisonnement philosophique, et ne perdant pas de vue son intérêt personnel, notre homme mène donc des investigations attentives en même temps qu'une activité littéraire et mondaine en n'oubliant pas d'échapper à la censure et de lorgner vers l'Académie. Malheureusement pour lui, tout le monde prend Ériphyle, la tragédie qu'il est en train d'écrire et dont il ne cesse de parler, pour une maladie de peau ! Mais, éternel valétudinaire à l'article de la mort malgré ses trente neuf ans, il n'omet pas non plus d'exploiter ceux qui ont l'imprudence de faire appel à ses qualités de comédien-usurier, ce qui, à ses yeux, n'est pas incompatible !

     

    Je ne dirai jamais assez le plaisir que j'ai à lire Frédéric Lenormand [Cette chronique lui a déjà consacré de nombreux articles depuis quelques années]. J'aime son humour [J'ai beaucoup ri pendant ces trois cents pages], son érudition rigoureuse, sa maîtrise jubilatoire de la langue française, sa délicate pratique de la syntaxe, ses saillies aussi inattendues que pertinentes. Il est vrai que le sujet, Voltaire, dont il est un éminent spécialiste, s'y prête particulièrement. L'auteur des « Lettres philosophiques anglaises » avait déjà été mis en scène par Lenormand dans « La jeune fille et le philosophe » [La feuille volante n° 240]. L'auteur ne se contente pas d'être l'heureux chroniqueur des enquêtes du « juge Ti », il est aussi un grand connaisseur du XVIII° siècle. A ce titre, il promène son lecteur dans les rues de ce Paris hivernal qui n'est pas toujours celui des philosophes et y fait déambuler notre « propagateur d'idées impies » d'autant plus volontiers que sa liberté est en jeu.

     

    Avec de courts chapitres au style alerte, annoncés d'une manière quasiment théâtrale, Lenormand s'attache l'attention de son lecteur dont il suscite l'intérêt dès la première ligne de ce roman sans que l'ennui s'insinue dans sa lecture. Il le régale de la silhouette de Voltaire autant que de son esprit et lui prête des propos et des attitudes que n'eût pas désavoués l'auteur de « Candide »

     

    Comme je l'ai souvent écrit, un roman de Frédéric Lenormand est pour moi un bon moment de lecture et, comme toujours...j'attends le prochain.

     

     

    .

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LA MAISON OÙ JE SUIS MORT AUTREFOIS – Keigo Higashino

     

     

    N°533– Juillet 2011.

     

    LA MAISON OÙ JE SUIS MORT AUTREFOISKeigo Higashino – Actes Sud.

    Traduit du japonais par Yukata Makino.



     Le narrateur, un universitaire japonais, n'avait plus de nouvelles de son ex-petite amie, Sayaka, mariée à un homme d'affaires qui s'absente beaucoup. Même la maternité n'a pas suffi à la faire aller mieux puisque qu'elle maltraite sa fille de trois ans qui a été confiée à la garde de ses beaux-parents. Son enfance à elle a été un cauchemar dont elle ne garde pas de bons souvenirs. Elle n'apparaît guère dans les albums de sa famille avant l'âge de cinq ans, et elle ne sourit jamais sur les photos ! Après la mort de son père, elle découvre dans le sac de pêche de ce dernier une clé à tête de lion et une carte annotée d'indications bizarres, conduisant à une maison de montagne, isolée et située près d'un lac. Accompagnée du narrateur, elle décide de la retrouver pour l'explorer.

    Après avoir longtemps cherché et hésité, ils finissent par découvrir la maison et par y entrer à l'aide de la clé, mais par une porte du sous-sol seulement. Étrange détail, cette maison, maintenant complètement abandonnée et fermée et dont les habitants de la région ne connaissent même pas l'existence, semble avoir été habitée par une famille. La porte d'entrée est verrouillée, toutes les pendules sont arrêtées à 11h10 et la vie semble s'y être arrêtée précipitamment 23 ans plus tôt ! C'est un peu comme si le temps avait interrompu son cours ! De plus, sans être vide, cette demeure n'a ni télévision, ni téléphone, ni appareils ménagers, ni calendrier, ni même d'électricité... La famille qui habitait là se composait d'un couple avec un garçon, le petit Yusuke qui tenait un journal intime que nos détectives découvrent. L'enfant, apparemment bon élève, y notait qu'il recevait des jouets d'un homme, ce qui semblait indisposer son père et y faisait mention d'une certaine Mme Otai, d'une petite fille et d'un chat, Chami ! Puis son père mourut et un autre homme vint prendre sa place...

    Le journal du garçon recèle des détails troublants qui vont servir de fil d'Ariane pour recomposer ce passé un peu confus. Il s'interrompt brusquement mais des lettres retrouvées vont poser plus de questions qu'elles n'apportent de réponses ! Sayaka qui au départ n'a aucun souvenir de cette maisons finit par ressentir une impression de déjà vu, et va retricoté sa propre histoire à travers de petits détails comme un rideau vert, un vase, une porte qui apparemment n 'existe plus et un coffre-fort. C'est Sayaka qui en découvrira la combinaison, mais son contenu épaissit le mystère !

    J'ai toujours pensé que ce n'est pas parce qu'un roman se fonde sur des énigmes qu'il doit être violent et même sanglant. Ici l'intérêt de ce récit noir est tout en nuances. Le thème de la mémoire perdue puis retrouvée est bien exploité et avec lui celui de l'enfance disparue. La complicité née d'une ancienne histoire d'amour entre le narrateur, incrédule au départ et Sayaka, anéantie par la vie, fera, petit à petit, éclater la vérité.

    A l'invite du narrateur et de cette aventure hors du commun, le lecteur échafaude diverses hypothèses, suit les péripéties de ce récit dont le style, volontairement sobre et dépouillé et la construction bien menée distillent le suspense jusqu'à la fin. De plus, ce roman a le mérite de se dérouler dans le calme et la vraisemblance. Passionnant !

    Jusqu'à présent je n'avais jamais lu de romans policiers japonais. Je n 'ai pas été déçu.

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2011.

     

  • NI A VENDRE NI A LOUER – Un film de Pascal Rabaté.

     

    N°532– Juillet 2011.

    NI A VENDRE NI A LOUER Un film de Pascal Rabaté.

     

    Il est des œuvres dont on parle beaucoup à leur sortie, qu'on rattache à une parenté parfois prestigieuse ou originale mais qui, au bout du compte, sans vraiment décevoir, laissent un goût d'autant plus amer qu'on s'attendait à mieux.

     

    Qu'avons nous ? Une petite station balnéaire un peu quelconque de Loire-Atlantique où vont se retrouver, l'espace d'un week-end des personnages aussi hétéroclites que cette période des vacances peut mettre en situation : un couple de retraités qui regagne sa maisonnette en bord de mer, deux familles qui campent, un supermarché vide dont les codes-barres sont le seul intérêt, un couple de punk avec chiens, un enterrement, un cadre en mosaïque à demi terminé par le défunt, une histoire de cerf-volant perdu qui provoque un adultère, un épisode sado-maso dans une chambre d'hôtel, un lapin à contre-emploi, deux golfeurs un peu imposteurs et, pour finir un spectacle franchement minable où un chanteur nous répète que « les vacances à la mer, c'est super ! ». Le tout sans vraiment de dialogue, avec seulement des bruits de fond ou des onomatopées et sur une musique entrainante et épisodique. C'est donc une mosaïque de personnages qui ne se rencontrent pratiquement pas, une succession de saynètes indépendantes les unes des autres où les gags fleurissent sans, à mon sens, jamais convaincre vraiment.

     

    Le décor, les personnages, le scénario (s'il y en a un), l'absence de dialogue (ce qui n'en fait pas pour autant un film muet), évoquent Jacques Tati[« Les vacances de M. Hulot » (1953)]. C'est sans doute pour cela qu'on a qualifié ce film de génial, même si de son vivant Jacques Tati n'a pas vraiment convaincu dans ce domaine et qu'on a attendu qu'il soit mort pour s'intéresser à son œuvre cinématographique et pour lui trouver du génie ! Tati s'était approprié un phénomène récent, les vacances populaires, l'avait traité avec cet humour décalé qui faisait son originalité. Mais ici, il me semble que, malgré une touche de tendresse, les gags sont parfois un peu trop forcés et caricaturaux, parfois un peu trop répétitifs aussi. Le comique existe pourtant, c'est indéniable, mais c'est plutôt une succession de cartes postales animées, burlesques et dérisoires, mais sans la poésie que la spectateur était en droit d'attendre eu égard à la filiation annoncée de ce film. Pascal Rabaté se différencie de Tati en ce sens qu'il actualise son message par la prise en compte de l'échangisme, genre amour de vacances, le phénomène sado-maso, le camp de nudistes ou l'homosexualité punk. Pourtant je m'attendais à une sorte de fresque sociologique, une peinture de la société française comme aimait à le faire l'auteur de « Mon oncle ». Seule peut-être l'émotion prévaut autour de la mort de l'époux ou de la prise en compte un peu furtive de la fuite du temps à travers le dessin de la petite fille qui a grandi et qui est maintenant devenue une femme.

     

    Le film est cependant servi par un choix d'artistes dont le talent n'est pas assez mis en valeur par le parti-pris de l'absence de dialogue. On pouvait s'attendre à ce que le comique, voire l'émotion, naissent de de l'expression ou de la seule situation. C'était une volonté louable, mais cela ne fonctionne pas toujours, malheureusement. J'ai assisté à une sorte d'exercice de style un peu décevant et sans réel rythme où le comique que j'aime tant chez Tati n'était pas vraiment au rendez-vous.

      ©Hervé GAUTIER – juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SUTTREE – Cormac Mac Carthy

     

    N°531– Juillet 2011.

    SUTTREE Cormac Mac Carthy – Actes Sud

    Traduit de l'américain par Guillemette Belleteste et Isabelle Reinharez.

     

    Il est des romans qui possèdent en eux un souffle émotionnel unique. Suttree est de ceux-là. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si son auteur a mis vingt ans à l'écrire en puisant dans sa vie personnelle. C'est le propre des écrits à ce point intimes que d'être laborieux, comme si les mots ne voulaient pas sortir alors que l'auteur porte en lui, dans sa chair et dans sa vie, les morceaux de cette histoire.

     

    Nous sommes dans le sud des États-Unis pendant les années 50. Cornélius Suttree vient de sortir de prison et tente comme il peut de survivre sur les bords de la rivière Tennessee en pêchant. Il mène dans la banlieue de Knoxville une vie de marginal sur une péniche délabrée. Il a tourné le dos à sa famille, à sa femme et à son fils. Pour cette raison, elle le considère comme un raté, un moins que rien. Le roman s'ouvre sur une sorte de poème en prose où les mots s'entrechoquent en altérations surréalistes. Pour en goûter toute la musique, il faut le lire à haute voix. Il s'adresse à un inconnu, au lecteur peut-être, comme une sorte d'avertissement et dessine un décor un peu glauque mais surtout réaliste [« Nous voici arrivés dans un monde au cœur du monde »]. Pour que son interlocuteur comprenne bien, il poursuit par une scène assez sordide où on sort un noyé de l'eau, un suicidé ! Tout le reste de ce long roman sera baigné par une sorte de souffle épique où la mort, la souffrance, la violence et la pauvreté sont omniprésentes. Mac Carthy, tout au long de ce texte, alterne avec bonheur les passages poétiques et les scènes d'un réalisme cru et pathétique qui décrivent les bas-fonds et leur faune désespérée. Suttree donne l'impression d'être victime de sa vie, un paria, et, à travers diverses analepses, l'auteur nous le présente comme soumis à une malédiction qui pèserait sur lui, comme cet épisode de la mort de son fils aux obsèques de qui il ne peut assister que de loin.

     

    A travers une histoire initiatique, Mac Carthy donne à voir, et sans aucune concession, la descente aux enfers puis la relative renaissance de Suttree et à travers lui la vie des laissés-pour-compte de cette Amérique profonde qui est bien loin du rêve américain. Suttree, comme les personnages de « La Route » (La Feuille Volante  n° 530) poursuit un chemin ou plutôt erre dans un décor hostile. La rivière Tennesse fonctionne comme une sorte de miroir qui renvoie une image de la vie de cette ville mais aussi celle de l'âme de ce personnage un peu étrange. lI y a de la compassion dans ces évocations de déshérités, dans cette lumière qui baigne ces scènes sans compromis où la misère voisine avec la violence. Les autres personnages de ce roman ne sont pas en reste, à la fois décalés et sordides, dans ce tableau. De décor dans lequel évolue Suttree donne asile à tout une faune de marginaux, ivrognes, chômeurs ou repris de justice, putains... Son histoire est celle d'un désespéré, un de ces blessés de la vie qui, pour se consoler, fréquente les prostituées, les sorcières et les diseuses de bonne aventure, des femmes qui peuvent lui faire croire, l'espace d'un instant, que la vie est non pas exactement belle mais viable, malgré les épreuves. C'est quelqu'un qui ne se suicidera pas, peut-être à cause de l'espoir un peu fou de voir les choses s'arranger, que la chance puisse lui sourire enfin, avec alcool et patience. Ces êtres supportent la vie avec abnégation et fatalisme et leur stoïcisme plonge ses racines dans les replis insondables du mystère. Autour de lui il y a la mort, omniprésente qui le guette et il le sait, mais il poursuit son chemin. Il supplie même Dieu de le délivrer de ce fardeau qu'est sa vie. Le thème du parcours cahoteux est récurrent dans ce livre. Il est spectateur de sa vie comme de celle des autres qu'il croise comme on croise des fantômes, un peu comme si tout cela n'était qu'une vision, un décor de théâtre, mais un décor agressif. Quand il rencontre l'amour, qu'une femme lui fait l'hospitalité de son corps et qu'il peut envisager l'avenir sous un meilleur jour, la mort est forcement au bout du parcours. Tout cela fait de lui un malheureux définitif. Il y a aussi un retour vers l'enfance, le paradis perdu comme dans « La Route » et avec lui la mesure de la fuite inexorable du temps, la misère, la marginalité, la mort. La mort, signe indélébile de la condition humaine est encore présente dans la disparition de Wanda, l'amante de Suttee, écrasée par un effondrement. La solitude aussi, autre pendant le cette « humaine condition » dont chaque être porte en lui la marque comme le disait si bien Montaigne, A la fin, il y a une sorte d'apaisement, de nouvelle vie possible pour Suttree...

     

    Comme dans tous les romans de Mac Carthy, on peut voir une symbolique religieuse. Suttree m'évoque tous ces prophètes que Yahweh a abandonné pour les éprouver. Le printemps pluvieux fait inexorablement penser au déluge et son fragile esquif à l'arche de Noé voguant sur une tempête liquide. La typhoïde (l'évocation du délire est fantastique) qui lui vaut l'extrême-onction fournit une sorte de transition vers une vie meilleure. Pourtant, son approche de Dieu n'a rien de religieu .

     

    Je reste fasciné par le souffle poétique de ce long roman, par son réalisme pathétique. Ils doivent sans doute beaucoup à une traduction somptueuse. L'univers de l'auteur, sa démarche d'écriture entre gouaille populaire et authentique poésie, tissent pour le lecteur, un attachement et même une sorte de complicité. L'image qu'il donne de l'homme nous est familière, soit que nous la connaissions, soit que nous la déplorions, mais elle est réelle.

     

      ©Hervé GAUTIER – juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • LA ROUTE – Cormac Mac Carthy

     

    N°530– Juillet 2011.

    LA ROUTE Cormac Mac Carthy – Éditions de l'olivier. [Prix Pulitzer 2007]

    Traduit de l'américain par François Hirsch.

     

    Le décor est dantesque, un spectacle de fin du monde ou plus exactement un monde détruit en presque totalité par quelque chose comme une explosion nucléaire ou un cataclysme qui auraient anéanti une grande partie de la planète. Dans ce décor apocalyptique où tout est réduit en cendres encore fumantes, où les seuls humains qui restent sont devenus anthropophages, un père et son fils cheminent sans vouloir s'arrêter dans le froid et la nuit. Ils n'ont pas de nom, comme pour signifier que ce monde est à ce point déshumanisé. L'auteur les appelle respectivement « l'homme » et «  le petit ». Ce dernier est un enfant de cinq ou six ans qui pose sans cesse des questions inquiétantes sur les gens qui les entourent ou qu'ils rencontrent au gré de leurs pérégrinations. Ils sont devenus de véritables bêtes. Nos voyageurs n'ont pour seul bagage qu'un caddy de supermarché qui contient toute leurs richesses de survie, couvertures et nourriture. Un sac à dos recevra ce contenu en fin de parcours. Un révolver leur sert de protection illusoire.

     

    Doit-on voir là la métaphore d'un paradis perdu [« Autrefois il y avait des truites de torrents dans les montagnes... Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. »], d'un monde qui est le nôtre et qui court inévitablement à sa perte, du retour de l'homme à l'état sauvage, de l'instinct de survie, de l'abandon de tout ce qui a fait l'humanité et l'humanisme, du retour de la barbarie, de sa solitude ? Les personnages qu'ils rencontrent dans cette fuite sont eux aussi en recherche de quelque choses. Eux aussi marchent vers un lieu différent mais qui est censé leur servir de refuge. Ils sont souvent hostiles et fantomatiques, en instance de mort, ou simplement des cadavres. Je note que malgré tout, l'homme et l'enfant marchent sans désemparer vers une destination inconnue, au sud, mais qui semble les attirer inexorablement. Quand ils atteignent la mer, ils errent dans un paysage désolé et hostile dans lequel « l'homme » finira par perdre la vie parce que la maladie le mine. Peut-on y voir une explication sombre et désespérée qui serait par exemple celle de l'inutilité d'une action inutilement répétée, une sorte de mythe de Sisyphe, [la route est forcément un horizon sans fin], l'image de la condition humaine qui est promise à la souffrance et à la mort ? Le père est malade et l'enfant, dénutri, au bord de l'épuisement et, apparemment, cette marche inexorable dure depuis longtemps et a des chances de se poursuivre... Jusqu'à quand ? L'homme mourra mais ce ne sera cependant pas une mort violente, simplement un sorte de passage, comme s'il se dissolvait dans ce décor macabre. A la fin, l'enfant, livré à lui-même trouvera un autre homme et sa femme qui lui serviront de parents, ce sera pour lui, comme un nouveau départ. Il n'oubliera cependant pas celui qui fut son père et qui le guida. Doit-on y voir la marque de l'espoir, d'une certaine confiance en quelque chose qui pourrait ressembler à une divinité, à un improbable salut ? Les deux protagonistes « portent le feu », sont des « gentils », comme le couple qui recueillera l'enfant mais le monde autour d'eux est peuplé de « méchants ». On songe, évidemment que la mort est au bout de ce chemin, même si l'enfant peut, en lui-même, incarner le renouveau, un espoir pour cette humanité en perdition, le relais qu'un père passe à son fils. C'est un livre hautement symbolique sur la vie humaine, transitoire, qui porte en elle à la fois la destruction et la transmission.

     

    J'ai choisi d'y voir l'évocation, certes romancée et habillée différemment, de notre monde au quotidien voué à la réussite personnelle, à la destruction par l'homme de son prochain au mépris de tout ce qu'on a pu nous dire sur sa supposée grandeur ! J'ai toujours cru que les hommes sont les destructeurs de la planète qu'ils habitent et qui pourtant est irremplaçable et unique. Ils sont eux-mêmes les plus grands prédateurs de leur espèce et ce ne sont pas des entreprises individuelles louables mais promises à l'échec qui peut racheter leurs méfaits.

    De ce roman initiatique, je retiens aussi la chaine humaine et la vie qui se transmet de génération en génération.

     

    Les dernières lignes se veulent porteuse d'espoir, mêlant Dieu au souvenir de ce père qui a guéri son fils et l'a amené vers l'âge adulte. [« Il essayait de parler de Dieu, mais le mieux c'était de parler de son père et il lui parlait vraiment et il n'oubliait pas. La femme disait que c'était bien. Elle disait que le souffle de Dieu était encore le souffle de son père bien qu'il passe d'une créature humaine à une autre au fil des temps éternels. »] Je ne suis donc pas sûr qu'il s'agisse réellement d'un roman de science-fiction, bien au contraire !

     

    J'avoue que j'ai été très décontenancé par cette écriture volontairement sèche et brève dans les dialogues et très économe dans les descriptions autant que par l'histoire elle-même. C'est pourtant un livre fascinant ou l'auteur s'attache son lecteur jusqu'à la fin.

     

      ©Hervé GAUTIER – juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE PAS DE L'ADIEU – Giovanni Arpino

     

    N°529– Juillet 2011.

    LE PAS DE L'ADIEU Giovanni Arpino [1985] – Belfond.

    Traduit de l'italien par Nathalie Bauer.

     

    Nous sommes à Turin par une fin d'été étouffante d'un dimanche après-midi. Le rituel est toujours le même. Le vieux professeur Giovanni Bertola reçoit la visite de son ancien élève, Carlo Meroni, déjà vieux garçon, à cause ou malgré la quarantaine. Ensemble ils parlent à bâton rompu des mathématiques, de la science, de la marche du monde, de la vanité des choses, de la vieillesse, des femmes... Ou plus exactement, c'est bien souvent le vieil homme qui parle. Puis c'est l'immuable partie d'échecs que le vieillard perd toujours. Ainsi se passent les dimanches sous la houlette de deux vieilles demoiselles, les sœurs Rubino, férues de respectabilité, de musique classique et de propreté, et accessoirement logeuses, depuis de nombreuses années du vieux professeur. Ici, on ne déroge jamais aux habitudes, comme les évanouissements temporaires du professeur que celui-ci vit comme l'antichambre de la mort à cause de son artériosclérose. C'est que c'est bien de mort qu'il s'agit puisque Bertola se plaint d'être encore en vie et ne cesse d'invoquer « Mme Requiem ». Meroni désire ardemment assassiner le vieillard lors d'une de ses « évaporations » mais recule toujours. Bref, on est ainsi depuis longtemps, dans cet état attentiste ou rien ne se produit de ce qui est espéré... et le vieil homme encourage son disciple à le faire passer dans l'au-delà puisqu'il se sait condamné. Ce sont les termes du pacte conclu entre eux.

     

    Voilà que dans cet océan d'habitudes surannées qui sentent fort le moisi derrière la cire et l'absence de poussière et qu'il ne faut surtout pas bousculer, apparaît Ginetta, nièce des vieilles filles. Cela ne fut pas pour déplaire au vieillard « sa silhouette lui apparut comme une minuscule et joyeuse virgule tombée sur la page du quotidien ». Elle apporte dans cette atmosphère grise « un éclair blanc » et voilà que le vieil homme se découvre des souvenirs de jeune Don Juan qu'il n'avait peut-être jamais été. La jeune femme est mal élevée mais sensuelle, pleine de vie et sa spontanéité bouscule la logique mathématique de Meroni . Dès lors, Bertola qui l'encourage à se marier, à profiter de la vie, voit dans la jeune fille une maîtresse possible pour le jeune homme. Effectivement, elle le deviendra mais Bertola disparaitra dans la nuit et des idées de suicide ou les prémices de la maladie d'Alzheimer s'emparent de ses proches. Sans vouloir se l'avouer ils pensent que cela solutionnerait la situation. Pourtant des rapports particuliers se font jour entre le vieil homme et la jeune femme qui saura ce qu'il faut faire.

    Il ne faudrait pas oublier non plus parmi les personnages secondaires, Nino Zarra, un pizzaïolo au grand cœur avide de connaissances.

     

    Je ne connaissais Giovanni Arpino (1927-1987) qu 'à travers un film éponyme adapté par Dino Risi d'un de ses romans (Parfum de femme – La Feuille Volante n° 350). Je n'ai pas été déçu. Malgré le thème axé sur la mort, ce roman n'est pas triste. Bien écrit, bien traduit, le style humoristique et poétique rend la lecture agréable et même captivante. Mais il reste que, malheureusement, cet écrivain, romancier, nouvelliste, journaliste est inconnu en France.

     

      ©Hervé GAUTIER – juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

  • DERRIERE LE DOS DE DIEU – Lorand Gaspar

     

    N°527 – Juin 2011.

    DERRIERE LE DOS DE DIEU – Lorand Gaspar – Gallimard.

     

    Cela fait quelques années que cette chronique s'intéresse à la poésie de Lorand Gaspar (La Feuille Volante n° 241 – 250). Comme à chaque fois, j'ai retrouvé avec plaisir ce verbe fluide, cette musique des mots qui tire sa légèreté de sa simplicité même. C'est un hymne à la vie qui est un miracle renouvelé chaque matin au réveil, une vibration unique qui se transmet malgré la fuite du temps, un creuset où gîte la mémoire des choses et des gens, une imperceptible légèreté [« Tu ne veux être rien qu'une chose pensante et fluide, comme une musique qui passe entre les rochers »]. C'est la célébration d'un corps fragile qui vient de naître, beauté de l'instant immédiat et fugace [« la clarté lumineuse d'être là, de toucher l'infini où se déploient les choses qui meurent »).

     

    La poésie de Gaspar est faite du plaisir de l'instant [« Bonheur de cette eau déliant les marbres dissolvant la figure lisible un instant dans la bruissante chapelle d'écume »] d'opposition qui se manifeste au simple niveau des mots. Ici, « braise » et « cendre » répondent à « semences », « l'eau » à « la pierre », deux éléments apparemment contradictoires, l'un symbolisant la fin et l'autre le commencement de quelque chose, la transmission de la vie, l'un usant l'autre du frottement de ses molécules, canalisant l'autre au rythme du froissement de ses plis. L'obscurité appelle la lumière[« Je ramasse un tas de pensées sombres pour allumer un feu » « Je vois toujours et encore que suis lumière et nuit les deux me disent l'absence totale de toute certitude de ma pensée. »], la chaleur s'oppose à la froidure, le connu à l'inconnu, le continu au fini, l'endormissement au réveil... Gaspar s'approprie les mots, précieux, rares, techniques et mélangés parfois pour tresser aux yeux du lecteur attentif une évocation fugace, touche sensible et délicate et qui lève pour lui un coin du voile sur ce monde extérieur qu'il oppose à celui, intérieur, de la connaissance et de la pensée ou celui plus secret qu'on trouve sous le scalpel du chirurgien, les roches répondant au corps [« Sahara, tissus de roches et de corps »].

     

    L'eau, source de vie, a dans sa démarche poétique, une importance essentielle. Qu'elle soit évoquée sous la forme boueuse de l'Euphrate, de la rosée perlée du matin, ou d'un torrent dévalant une pente, elle reste un élément vital et purificateur de la pensée mais aussi la source de la vie.

     

    Sa poésie fait penser aux moments fugaces de la nuit qui s'habillent d'instants précieux et qu'il faut saisir de la main et du crayon, cadeau que fait l'inspiration dans la quiétude nocturne et l'endormissement [« Cuisson d'images et de mots, les mêmes bruits d'eau, de feuilles et de voix dans le silence absolu où s'enracinent mes pensées »], poésie lumineuse associée à la musique [« Comme s'il y avait un blé du souffle dans la meule des pierres »], à la peinture, au vol léger d'une hirondelle ou aux délicates volutes d'un pinceau chinois [« écriture d'herbe du pinceau chinois »], en opposition au monde extérieur fait de téléphones portables, d'agitations vaines et de colonnes de chiffres. Le séjour sur terre est fait de vitesse et de recherche du profit. Le poète est « un arpenteur de déserts, de roches et de cerveaux » et ce monde mercantile et superficiel, ce « maelström des coureurs » n'est pas le sien [« plus envie de cette vie terne, rigide, cousue d'avance, sérieuse... »]. Il lui oppose la solitude du désert, celle de l'écriture, de la pensée... Cette solitude est son lot face à lui-même, aux mots, au silence propice à la réflexion[« j'ai besoin du silence qu'ils(les mots) font pour entendre ma pensée »], à la création[« Je ne peux rien entreprendre sans risque au fond...]. Sa poésie est un hymne au présent, à l'instant [« mon seul avenir est l'instant présent »], pourtant, il a conscience des limites à la fois de la connaissance, de la vie et du monde [« je regarde longuement la nuit écoute ce qu'on appelle le silence »].

     

    L'appel du voyage est fort, un voyage sans but, au hasard, mais le paysage qui fut longtemps le sien est désolé, désertique, sec et pauvre mais éblouissant de soleil et de clarté. Il est le reflet d'une âme solitaire face au monde qu'il veut célébrer [« vois, disait la voix, comme tout est mort, désolé-en moi-même je pensais: « j'entends creuser le silence »]

     

    L'écriture est une étrange alchimie qui révèle et cache les replis de l'âme [«L'œil, le cerveau, les couleurs de l'âme, esprit et corps sans ligne de partage, jouent de tous leurs doigts, de toute leur chimie, d'idées et d'images sur les eaux ... »]. C'est une manière d'émerveillement devant la vie qui se décline en cellules nerveuses, en évocations... Le médecin n'est jamais très loin qui parle du cerveau, des neurones, des quasars et marie ainsi avec bonheur science et poésie. Il nomme d'ailleurs ces textes des « Neuropoèmes ». Dans « l'Approche de la Parole » (Gallimard 2004) Lorand Gaspar avait par ailleurs exprimé cela comme une évidence puisqu'il les rattache toutes les deux à la vie. La poésie la constate et la célèbre, la science l'explique et la maintient. De sorte qu'en parlant des neurones qui sont l'organe de la connaissance, de la mémoire, il parle aussi de la vie

     

    C'est que ce monde est transitoire, l'homme finalement peu de chose face au destin, à l'amour [« encore et encore s'ouvrir chaque jour et chaque nuit à la pensée claire de l'amour »] et à la vie qui continue [« Un coquille de noix sur un torrent, voilà ce que je suis »]. Ces textes semblent être un monologue intérieur ou un dialogue avec un être sans visage, une femme peut-être, à qui il s'adresse sur le registre de la mémoire et des sentiments [« Essaye essaye encore d'aimer vraiment d'aimer assez... »]. Le temps s'écoule inexorablement et avec lui la vie dans son lent mais incontournable chemin vers la mort que, fataliste, il faut accepter [« Je suis juste un peu d'air qui passe... »] comme il faut aussi admettre une grande humilité face à l'écriture [« J'apprends à n'être qu'un peu d'air qui passe dans une forêt de couteaux » « Trouver les mots pour essayer de dire. Écrire quelque chose qu'on appelle un poème sachant qu'on ne sait pas ce que c'est » ], à la connaissance [« Il n'y a pas de plafond, il n'y a pas de fond... tout ce que nous croyons savoir... ce n'est pas grand chose »] , au monde [« Trois cailloux dans ma poche ramassés près de la mer...je pense en les touchant au désir d'aller dans l'inconnu »], au corps qui est promis à la destruction, à la mémoire qui s'envole sur les épaules du temps [« J 'oublie le passé et me concentre sur l'instant dénudé de connaissance et riche de sensations »]. C'est donc, et peut-être bizarrement s'agissant d'un poète majeur, une grande modestie qui transparait dans son écriture autant que devant le spectacle de la vie.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

  • 31° anniversaire de « la Feuille Volante » et « Le rendez-vous de St Pezenne »

     

     

         

    N°528 – Juin 2011.

     

    31° anniversaire de « la Feuille Volante » et « Le rendez-vous de St Pezenne » - Éditions du Petit Pavé.

     

    Depuis de nombreuses années, j'ai pris l'habitude de signaler à mon hypothétique lecteur la date anniversaire de cette revue devenue « blog », tout en étant étonné d'être encore là. Trente et un ans de parution, cela ne me rajeunit pas et marque ainsi le temps qui passe inexorablement. Cet anniversaire est un non-événement et je serai sans doute le seul à en parler. Cela fait en effet longtemps que j'ai choisi de commenter les œuvres des autres, leurs poèmes, leurs romans ... parce que la lecture est pour moi un plaisir. Mais celui de l'écriture n'est jamais très loin et j'ai souvent envie d'exprimer avec des mots ce que j'ai pensé d' un livre que je viens de refermer, non seulement pour en laisser une trace dans ma mémoire, mais aussi pour le faire éventuellement partager. Il en va de même pour les films, les émissions de télévision, les pièces de théâtre... Je le fais seulement parce que cela m'a plu, m'a ému, mais surtout parce que personne ne me demande rien. Et ce, même si mon avis de simple lecteur, de simple témoin [je ne serai jamais que cela], est indifférent aux personnes qui me lisent... Je ne regrette pas ce choix, il m'a apporté la joie d'échanges épistolaires, la désillusion de quelques déconvenues aussi, mais peu importe !

     

    Alors, pour la première fois et sûrement pour la dernière, et parce que c'est aussi le but de cette revue, je vais parler de mes livres puisque personne n'en n'a rien dit [j'aurais pu le faire sous couvert d'un pseudonyme mais j'aime mieux que les choses soient claires]. Ce n'est pourtant pas dans mes habitudes de parler de moi et c'est un exercice dans lequel je n'excelle pas vraiment. Je vais donc faire une exception.

    Tout d'abord ces livres ne sont pas si nombreux parce que j'ai toujours fait prévaloir le plaisir d'écrire à cette auto-flatterie de l'ego qui consiste à avoir son nom sur la couverture d'un ouvrage et ainsi de pouvoir se dire « écrivain ». Et d'ailleurs, j'ai toujours banni ce mot de mon vocabulaire, préférant, pour moi-même seulement, celui « d'écrivassier » dont j'assume et même revendique l'aspect péjoratif.

     

    Je dois dire aussi que l'édition n'a jamais été vraiment une fin en soi, à tout le moins pour moi. Cela explique sans doute le petit nombre de parutions... Et puis, l'âge venant, la retraite aussi, j'ai fini par me décider. Soyons juste, plus jeune et plein d'illusions, il m'est bien arrivé de chercher dans le domaine de l'édition quelqu'un qui me ferait confiance. Ce fut vainement ! Faute de chance, de parrainage, de connaissance du milieu, de talent peut-être ? J'ai donc renoncé, sans pour autant cesser d'écrire, au contraire ! Mes tiroirs sont maintenant pleins de nouvelles, de romans (saga, romans à énigme, poèmes) et, cela me surprend parfois, la recherche d'un éditeur reprend le dessus, mais pour un temps seulement !

     

    Puis internet est arrivé qui m'a permis de mieux faire connaître cette revue, « la Feuille Volante » et d'avoir accès à une liste plus complète d'éditeurs. C'est vrai aussi que, malgré mes démarches, si je n'ai jamais pu intéresser un grand éditeur parisien, ma quête en province ne m'a guère été plus favorable. Pourtant, l'un d'eux (Éditions du Petit Pavé – St Jean des Mauvrets - 49320 Brissac-Quincé www.petitpave.fr) m'a fait confiance une fois et a renouvelé l'expérience cette année. Ce n'est pas (encore ?) la notoriété, mais je lui sais gré de m'avoir non seulement tiré de l'anonymat, mais surtout de m'avoir incité à écrire encore davantage, à faire partager mon écriture. Tout en faisant honnêtement et professionnellement son travail d'éditeur, c'est à dire de « découvreur », il privilégie le livre imprimé, aime qu'il soit d'abord un bel objet. J'ai déjà dit dans cette chronique mon attachement à la forme traditionnelle du livre, l'odeur de l'encre, le grain du papier, le plaisir du toucher ...Et puis ces rencontres, aux solstices d'hiver et d'été où se tissent des liens amicaux dans la « douceur angevine »... Il n'est bien entendu pas le seul à faire ce choix, mais actuellement, avec la politique de profit, de rentabilité, un auteur inconnu ne peut raisonnablement pas espérer que ses écrits soient publiés autrement qu'à ses frais, ce qui est bien souvent pour lui, rédhibitoire. Il faut rappeler une évidence, l'auteur n'est rien sans son éditeur, ils partagent ensemble cette grande aventure qu'est l'écriture et la publication d'un livre.

     

    Après « Un été niortais » paru en 2008, c'est « Le rendez-vous de St Pezenne » qui introduit, à partir de cette année, le cycle des « enquêtes du commissaire Martineau ». Beaucoup d'autres romans de la même inspiration restent encore inédits.

     

    Ce ne sont pas des polars au sens commun du terme, mais des romans à énigme, c'est à dire des fictions policières écrites comme un roman. Je mêle à l'enquête classique sur un meurtre, des descriptions de la ville de Niort (Deux-Sèvres), des évocations, mais aussi de l'histoire locale et parfois des légendes, le Poitou étant une terre à la fois mystérieuse et mythique. Dans ces textes, point de violence, de sexe ou de sang, rien que des démarches psychologiques, des investigations parfois hasardeuses, rien qu'une histoire imaginée et que j'essaie de restituer aussi agréablement que possible. Je suis en effet un lecteur impénitent et je cherche toujours à faire que mes livres soient, pour ceux qui me consacrent un peu de leur temps et aussi de leur argent, un bon moment de lecture !

     

    C'est vrai que je l'aime bien ce commissaire Martineau. C'est un solitaire qui fonctionne à l'intuition, parfois aux fulgurances, mais c'est plus rare. Il est aussi chanceux. Il ne boit que de l'eau minérale ( à condition qu'elle soit d'une bonne année !), roule dans une vieille 4 L et parle volontiers à son chat avec qui il a des conversations le plus souvent silencieuses mais quand même enrichissantes. Il s'est domicilié un peu par hasard à Niort après une longue errance administrative sur le territoire national consécutive à un divorce qu'il n'a jamais vraiment accepté. Il est amoureux des femmes, mais de leur beauté seulement parce que, même s'il voudrait bien que les choses fussent différentes, il reste un solitaire. C'est pour moi aussi l'occasion de faire découvrir à mon lecteur une ville finalement peu connue, dont je ne suis pourtant pas originaire, mais qui, à mes yeux, cache un intérêt certain, pas mal de belles choses. Chaque roman n'est pas pour autant un guide touristique mais un prétexte à une balade niortaise (ou dans les environs – ici le quartier de St Pezenne est à la fois pittoresque et plein de surprises), une découverte, par petites touches, à la fois de la ville, de son histoire, de la culture qu'elle porte.

     

    Il y a d'autres choses, bien sûr, une longue saga, des nouvelles, des poèmes et d'autres romans à énigme, et puis cette « chronique » qui n'en finit pas parce que j'aime dire aux auteurs que je ne connais pas et que je ne verrai jamais tout le plaisir que j'ai eu à les lire.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com



     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     



×