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la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Dubuffet, artiste et collectionneur d'art brut

    La Feuille Volante n° 1473 – Juin 2020.

     

    Dubuffet, artiste et collectionneur d’art brut – Céline Delavaux - Seuil jeunesse.

     

    Je remercie Babelio et l’éditeur de m’avoir fait parvenir cet ouvrage.

     

    Dans le domaine de l’art, il est généralement admis que le novice commence par imiter les maîtres, c’est à dire les anciens, et ensuite crée et développe son propre style. Pour Jean Dubuffet (1901-1985)c’est un peu différent. Certes, à l’âge de 18 ans il s’est inscrit à l’école des Beaux-Arts du Havre où il est né, mais il s’y est vite ennuyé comme il sera déçu par cet enseignement quand il s’installera à Paris. Il poursuivra même une carrière de négociant en vins dans l’entreprise de son père et dans celle qu’il créera, sans pour autant perdre de vue son idée personnelle sur la peinture qu’il juge trop éloignée de la vie quotidienne. Il attendra cependant 41 ans pour s’intéresser à tout ce qui l’histoire de l’art refuse de voir, les dessins d’enfants, « les arts premiers », l’art populaire...Ainsi choisit-il de peindre des scènes familières, le métro, les magasins, les promeneurs et le fait en empruntant aux gamins leur fraîcheur, leur spontanéité, leur simplicité, leurs maladresses, oubliant volontiers les règles classiques de la perspective et des proportions, privilégiant les couleurs vives. Il pose même les les bases de son art personnel dans un livre où il promeut « la matière » qu’il emploie dans sa peinture y incorporant de la ficelle, du sable, des graviers… prétendant que ces matériaux donnent vie aux personnages, ce qui est ressenti comme une sorte de provocation… et provoque une surveillance policière ! Ainsi le terme « Beaux-Arts » atteint-il avec lui une sorte de paradoxe qui se manifeste dans les portraits pour le moins surprenants et loin des canons classiques qu’il fait de ses amis. Il ne leur demande pas de poser mais les observe au cours de la journée et les peint de mémoire, privilégiant une mimique, une expression, inventant ainsi un genre nouveau, comme une sorte de caricature, pas forcément apprécié du plus grand nombre. Ainsi « le nu », expression classique en peinture, prend-il une dimension pour le moins originale sous son pinceau, Dubuffet représentant le corps « des dames » non d’une manière traditionnelle qu’on rencontre dans les musées mais comme une vue intérieure, « un paysage mental » dont la complexité se retrouve dans le mélange de matières hétéroclites plâtre, colle, craie… Ce cheminement créatif se poursuivra jusqu’à sa mort dans sa volonté de peindre ses souvenirs personnels donnant des tableaux assez abscons. Il expérimente aussi l’art du collage, récupérant et agglomérant sur ses toiles ce que le hasard met sur sa route, ces assemblages faisant surgir une histoire, un ailleurs. Son imagination n’a pas de limites et le tableau final se dessine-t-il de lui-même comme un véritable puzzle. L’observation de la nature, l’habitude qu’il a prise d’incorporer à sa peinture des matériaux naturels l’amènent à réaliser de grandes toiles inspirées par la réalité même du sol qu’il foule, créant l’illusion d’un relief lilliputien. Paris, sa vie trépidante, ses magasins, ses passants ne pouvaient échapper à sa créativité mais cette volonté de représenter le mouvement se métamorphose dans une sorte de magma abstrait.

    Vers la cinquantaine, la fascination du désert opère une évolution dans sa peinture et l’étude des langues bédouines qu’il retranscrit phonétiquement sans les comprendre l’amène à créer une sorte de « jargon » où la grammaire et l’orthographe suivent le sort de sa peinture, une véritable recréation. Le hasard va faire évoluer son art et le faire devenir personnel privilégiant la représentation graphique des objets qu’il emploie, les dessinant d’un simple trait noir stylisé, leur attribuant seulement deux couleurs, créant ainsi meubles et immeubles, faisant de lui un sculpteur, un architecte. Il a aussi été un collectionneur d’ « art brut », cette facette cachée de la créativité, commune à des gens autodidactes, marginaux et souvent malades psychiatriques qui portent en eux une souffrance et l’exorcisent par la création d’un monde imaginaire. Cet art rejoint « l’art moderne » et Dubuffet en a été de promoteur. C’est un ouvrage passionnant et très pédagogique qui permet d’aborder cet artiste, sa volonté de marquer son temps et de faire évoluer la peinture.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsiteN° 1423 - Janvier 2020.

     

  • Les trois soeurs qui faisaient danser les exilés

    La Feuille Volante n° 1472 – Juin 2020.

     

    Les trois sœurs qui faisaient danser les exilés – Aurélia Cassigneul-Ojeda – Ateliers Henry Dougier.

     

    Je remercie l’éditeur de m’avoir fait parvenir cet ouvrage.

    Quand on achète une vieille maison, on acquiert aussi un peu de son histoire, de celle des gens qui l’ont habitée, surtout si on y découvre de vielles photos, des souvenirs cachés, de vieux cahiers, autant de jalons, de bribes de souvenirs laissés par les anciens occupants. C’est ce qui arrive à Gabriele, la quarantaine, fraîchement divorcé, fils de pauvres immigrés italiens des Pouilles, qui vient de faire l’acquisition, un peu par hasard d’une vieille bâtisse où il vit seul, à Cerbère, cette ville coincée entre la mer et la montagne, à la frontière espagnole. On appelle cette maison rose « La maison des Fleurs » parce ses dernières habitantes, trois sœurs espagnoles bien différentes les unes des autres, parties depuis longtemps, s’appelaient Bégonia, Rosa et Flora et y vivaient avec leur père Diego Sevilla, un artiste peintre. Après leur défaite en 1939, les républicains, fuyant à pied le franquisme, y ont été accueillis, une façon pour elles de gommer la culpabilité d’avoir été épargnées par cette guerre fratricide et meurtrière, alors que la France, « pays des droits de l’homme », les recevait si mal. Gabriele retrouve des clichés, des lettres, des carnets, des traces de cette période de la « Retirada », rédigés par Flora, l’aînée, qui témoignent de la détresse, du désespoir de ces pauvres gens qui ont tout abandonné, un peu comme ses parents partis des Pouilles. C’est comme un livre de bord qui témoigne de l’histoire de Clara, d’Alfredo, Eleidora, Raoul, Pedro qui ont passé ici quelques jours, cachés, pour repartir ensuite dans des camps indignes de la France, « les camps de la honte » a-t-on pu dire, avec la misère et la mort ou vers un autre destin d’exilés. Ils ont marqué leur passage dans cette maison et les « Fleurs » en ont gardé la mémoire. Plus tard, après la déclaration de guerre, ce seront des juifs en fuite, les maquisards et la Résistance, malgré les Allemands et l’Occupation, (plus tard des rapatriés d’Algérie s’y retrouveront) et toujours cette chronique en pointillés, entre témoignages, confidences et non-dits. Bien sûr, au cours de cette période troublée, les « Fleurs » ont connu l’amour, la peur, la cruauté, la trahison, le désespoir, la honte, le deuil, la lâcheté, la solitude et finalement ont quitté chacune leur tour cette bâtisse, son histoire, ses fantômes pour un ailleurs… Grace à ces vies qu’il a connues, en quelque sorte, par effraction, Gabriele s’est retrouvé lui-même à travers les carnets de sa mère qu’il n’avait pas pu lire auparavant .

    Plus qu’un roman, c’est une évocation de cette période qui a déchiré l’Espagne et qui s’est prolongée par une dictature de quarante années, privant pour longtemps les républicains de leur pays, les contraignant à s’établir ailleurs où ils n’ont été que des étrangers, condamnés plus que les autres à réussir leur vie en oubliant leur langue et leurs racines pour s’intégrer à leur nouvelle patrie. Cette obligation d’exil rejoint, mais dans un autre contexte, celle des parents de Gabriele qui eux aussi ont été des « ritals » à leur arrivée en France, un peu trop vite qualifiée de « pays de la liberté ». Cet ouvrage est d’une brûlante actualité quand les immigrés frappent encore aujourd’hui à nos portes.

    C’est une réflexion sur la mémoire, sur la vie de ces trois femmes qui ont vu dans cette maison se dérouler sous leurs yeux une page d’histoire, une réflexion sur la manière dont on mène sa propre vie, à la recherche légitime du bonheur, concept un peu vague construit intimement à coups de certitudes personnelles, de rêves de jeunesse, d’espoirs et d’illusions, qui peut être un rendez-vous manqué sans qu’on n’y puisse rien parce que des événements extérieurs ou simplement les autres sont venus bousculer cette quête et en ont fait une impossibilité définitive, douloureusement frustrante. Flora, l’auteur de ces carnets fait en quelque sorte le bilan de leurs vies aussi contrastées qu’elles ont été différentes et cela consacre l’effet cathartique de l’écriture, des mots écrits qui conservent la mémoire, qu’on ne garde plus pour soi et qu’on confie au fragile support du papier pour exorciser sa souffrance intime.

    C’est un témoignage poignant fort bien écrit avec des descriptions poétiques somptueuses. Cela fut pour moi un bon moment de lecture et un réel plaisir. ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

     

  • L'affaire écossaise; Leslie espion du roi.

    La Feuille Volante n° 1471 – Juin 2020.

     

    Leslie espion du Roi - L’affaire écossaise - Stéphane Genet – Librinova.

     

    Tout d’abord, je remercie Stéphane Genet de m’avoir fait parvenir son ouvrage.

     

    Nous sommes en 1745 à la bataille de Fontenoy qui peut décider du cours d’une guerre qui déchire l’Europe depuis cinq ans et qui oppose les maisons de Habsbourg et de Bourbon. Louis XV et son fils assistent en direct à une désertion spectaculaire dans le camp hollandais et on ne tarde pas à apprendre qu’il s’agit d’Erwan Alexander Georges, baron de Blantyre, Écossais, Major du Royal suédois qui avait guerroyé sur les champs de bataille de l’Europe. Les renseignements qu’il apporte favorisent la victoire française. Plus tard, Erwan se trouve mêlé à un complot visant à recruter des troupes suédoises et leurs officiers pour épauler les troupes françaises à Dunkerque. En réalité elles doivent intervenir en Écosse, sous l’égide de la France, et aider Charles-Edouard Stuart à conquérir le trône d’Angleterre et d’Écosse auquel il prétend. L’Angleterre est depuis longtemps l’ennemi héréditaire de la France. Le voilà donc devenu Leslie, agent secret du roi de France, mais accompagné de Crissac, un policier madré et rompu aux techniques d’espionnage.

     

    Tout au long de cette épopée aux multiples rebondissements le lecteur rencontrera Diderot et son projet d’encyclopédie, la franc-maçonnerie, de belles et aguichantes jeunes femmes dont il convient parfois de se méfier, l’encre sympathique, les messages codés, les duplicités et les trahisons, l’atmosphère de suspicion, les assassinats, le poison, les vraies informations, les fausses nouvelles, le non-respect des ordres et le devoir de désobéissance pour Leslie, redevenu pour un temps le baron de Blantyre, un aristocrate écossais respectueux de ses devoirs envers son pays et loyal envers son Prince, les valeurs ancestrales de courage et d’honneur... et l’inévitable contre-espionnage anglais auquel rien n’échappe, tout cela dans l’ambiance des combats meurtriers et les intrigues de cour.

     

    J’ai apprécié cette lecture passionnante autant que les péripéties de ce roman où se mêlent l’Histoire (les commentaires historiques sont nombreux et précis) et la fiction. C’est bien écrit, agréable à lire, bien documenté, plein de suspens.

    Cela a été pour moi un bon moment de lecture.

     

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

     

     

     

     

  • Ma poésie comme biographie

    Ma poésie comme biographie - Valentin Dolfi.

     

    Tout d’abord je remercie Tanderica (Gabrielle Danoux) de m’avoir permis d’aborder Valentin Dolfi, un poète roumain contemporain, né en 1961 qui vit dans la ville thermale de Băile Govora où il est bibliothécaire et dont elle est la traductrice.

    En réalité ce recueil est intitulé « Photos de famille », rebaptisé par la traductrice avec l’accord de l’auteur « Ma poésie comme biographie » et s’inscrit dans une anthologie « La nature éphémère des choses » . Le recueil se décline en plusieurs moments : « Casamate de papier », « Le monde de plâtre », « La vie de carton-pâte », « L’anthologie de la petite ville de Băile Govora ». Le titre général de ce recueil indique assez clairement que l’auteur va parler de lui, de sa vie, de sa mémoire.

    Aborder un écrivain étranger est toujours une aventure surtout si cette découverte se fait par le biais de l’écriture poétique, différente de celle du roman. La poésie n’est jamais aussi appréciée que lorsqu’elle se lit à haute voix mais ici je diviserai ce recueil en deux parties inégales. Dans les trois premiers chapitres, les mots sont un peu saccadés comme les images de rue qui se succèdent devant les yeux de celui qui écrit, des clichés du quotidien qui réveillent son enfance, ses rêves d’ailleurs et ses folies ou simplement s’imposent par leur banalité quotidienne. L’écriture est hachée, avec des inversions, des répétitions sans ponctuation, des expressions et des mots étrangers, ce qui ne facilite pas la lecture et on perd souvent en émotion. Il y a la fascination de l’Amérique ou de la France, c’est à dire de l’ailleurs que les événements, le destin où je ne sais quoi ont fait avorter, celle de l’amour qui donne l’illusion de la jeunesse et de la liberté mais n’enfante que la solitude déprimante face à la silhouette d’une femme en allée. Les mots qu’on emprisonne sur le papier, parce qu’ils doivent sortir pour fixer l’instant ou libérer l’âme grâce à son pouvoir cathartique, restent morts même face aux volutes bleues de la fumée d’une cigarette ou le farniente d’une bière sirotée à une terrasse de bistrot. Écrire est un accouchement douloureux et se heurte parfois à l’indifférence d’autrui, mais ceux qui ont choisi d’écrire le font quand d’autres préfèrent invoquer Dieu, verser des larmes ou boire de l‘alcool.

     

    Dans ces trois parties j‘ai senti l’auteur perdu dans ce monde, qu’il ait la couleur d’une grande ville ou le microcosme d’une maison, malgré la présence d’une mystérieuse Mme Fisher, j’ai senti l’omniprésence de l’ennui et du dérisoire quotidiens, « une vie de carton pâte », celle du travail chaque jour recommencé, sans intérêt, sans amour et avec des souvenirs qui la pourrissent tous les jours un peu plus. L’écriture ne parvient pas toujours à l’apprivoiser comme elle n’apprivoise pas davantage la vie ordinaire en général ni la mort, simple événement qui en marque la fin, sonne comme une sorte de délivrance, le terme d’une existence sans joie et souvent dans la souffrance, face à un Dieu absent, inutilement invoqué et qui restera toujours mystérieusement silencieux, comme un leurre. Un abandon, une déréliction que ni le travail ni l’écriture ne suffisent pas à exorciser, parce que les mots ne pèsent rien.

     

    En revanche j‘ai beaucoup plus apprécié la dernière partie consacrée à la ville de Băile Govora parce que l’auteur y parle des autres, des petites gens qui vivent comme ils le peuvent et se battent pour survivre ne trouvant leur salut que dans l’abnégation, le travail dur et ingrat ou l’alcool. La vie s’interrompt vite ou perdure dans la souffrance ou dans l’injustice de la maladie et la trahison des autres, toute chose que Dieu, ou l’idée qu’on s’en fait, ne suffit pas à adoucir. Ces moments délétères ainsi évoqués se conjuguent avec l’histoire de la Roumanie, l’arrivée des communistes, la dictature de Ceausescu et la cruauté de ceux à qui on croyait pouvoir faire confiance. Ces petits, ces sans grade, meurent ne laissant rien derrière eux que la désolation et le malheur et leur passage sur terre se dissout dans l’oubli ou dans un souvenir douloureux.

     

     

  • Boris Vian

    Boris Vian – Jacques Bens Bordas.

     

    Dans cette étude, Jacques Bens (1931-2001), qui était aussi écrivain, savait combien l’enfance d’un auteur nourrit son œuvre et influence sa vie et dans le cas de Boris Vian cette remarque est particulièrement pertinente. On peut en effet, au rythme de ses romans, suivre ses rencontres, ses amours, ses fantasmes, ses obsessions, ses craintes, à condition bien sûr de faire abstraction de ses mises en scènes, de son humour parfois grinçant, de son langage si particulier issu de son imagination féconde et de sa perception des choses. Bens analyse les personnages, leur psychologie, leurs relations entre eux et par rapport aux autres dans chacune des œuvres où l’on les rencontre. On les découvre souvent solitaires, désespérés. A travers eux on découvre un Vian (et aussi Vernon Sullivan) pessimiste, victime de son enfance et de son éducation, souvent découragé alors qu’on s’attend sans doute à voir un bon vivant, un amoureux des femmes mais bien souvent misogyne, un gourmand de vie mais aussi un inquiet attiré par la mort. Mais le paradoxe ne s’arrête pas là. Quand on lit un de ses romans on a l’impression que le monde qu’il décrit est onirique et complètement décalé. A bien y réfléchir cependant, il apparaît qu’il n’est pas fondamentalement différent du nôtre.

    On ne devient pas écrivain par hasard et les mots ne servent pas seulement à raconter une histoire mais parfois l’écriture a un effet cathartique. S’il n’avait été boudé par ses contemporains, habitués aux romans classiques ou ébranlés par la philosophie existentielle nouvellement révélée et bousculés par ce langage fantaisiste, ils auraient pu analyser les messages cachés derrière ce qu’ils ont pris pour un simple exercice de style et une certaine manière d’exercer le langage. Les thèmes évoqués par Boris sont à la fois symboliques et satiriques, le travail, l’amour, la mort, la religion, Dieu, la fatalité, le désespoir… mais aussi, à travers ses personnages qu’il place dans des situations marginales et parfois rocambolesques et Bens montre la méfiance voire le dégoût de Boris pour l’espèce humaine.

    Vian a écrit la majorité de ses romans entre vingt six et trente ans sans pour autant rencontrer le succès ce qui explique sans doute ses déceptions et son inquiétude. Malgré des soutiens prestigieux (Queneau, Sartre...) il a surtout connu la trahison, l’indifférence voire la critique polémique, c’est à dire l’ordinaire de l’espèce humaine appliquée à l’art. Certes il y a eu les romans de Vernon Sullivan, à la fois pastiches et œuvres alimentaires, mais le scandale qu’ils soulevèrent l’irrita et l’emporta.

    Il y a aussi eu Vian dans sa version germanopratine, une vie trépidante dans les caves, les café à la mode, sur un rythme de jazz et de trompette dont il devra pourtant arrêter de jouer pour raison de santé. Il y a eu le Collège de pataphysique, les autres romans, ceux de Vernon Sullivan, les pièces de théâtre qui, au sortir de la guerre ont eu un petit parfum scandaleux, parfois antimilitaristes, parfois énigmatiques, les traductions, les chroniques musicales sur le jazz, les chansons, les poèmes, les nouvelles, toute la richesse d’une œuvre que Jacques Bens développe et analyse avec une pertinence tès documentée, égrenant les idées reçues sur Boris, mettant le doigt sur ses contradictions, soulignant sa sensibilité.

    Membre lui-même de l’Oulipo (L’ouvroir de littérature potentielle) dont l’un des buts est de découvrir les nouvelles potentialités de langage, Jacques Bens ne pouvait pas ne pas s’intéresser à l’écriture de notre génial auteur et le fait qu’il ait été également le gendre de Célestin Frenet, célèbre instituteur, père de la non moins célèbre méthode qui porte son nom, l’a sans doute amené à présenter les choses sous une forme pédagogique. Cette étude est une façon originale de revisiter l’œuvre et de mieux connaître son auteur, et donc une invitation à la découverte et à la lecture (ou la relecture) d’un écrivain qui, par son langage, par la révélation de son univers, par son style a, à sa manière, révolutionné la littérature française et l’a marquée de son empreinte.

    (c)H.G.

  • Cœurs cicatrisés

    La Feuille Volante n° 1468.

     

    Max Blecher- Cœurs cicatrisés.

     

    Tout d’abord je remercie Tanderica de m’avoir permis d’aborder Max Blecher (1909-1938) romancier roumain dont elle est la traductrice.

    Ce roman a été publié en 1937 soit quelques mois avant la mort de son auteur. Emmanuel, un jeune étudiant roumain, atteint du mal de Pott, la tuberculose osseuse, interrompt ses études pour être soigné dans un sanatorium à Berck sur mer. A cette époque, cette maladie était redoutée parce que très contagieuse, sans traitement autre que le sanatorium réservé aux plus riches. Cet endroit est évidemment un microcosme où tout est exacerbé par cette maladie, la vie s’y déroule au rythme de la douleur, des espoirs de guérison, de la solitude, de la désespérance, avec ses histoires de haine et d’amour, de violences et de jalousies, une société en raccourci, mais avec des séances quelque peu surréalistes et même érotiques où les malades font semblant d’être bien portants. Les malades, de véritables morts-vivants, vivent couchés sur un chariot mobile et plâtrés, dans l’atmosphère aseptisée du sanatorium ou face à la mer, mais aussi dans la crasse et la sueur qui s’accumulent sous la coque qui les entrave. Le plus étonnant est que les soignants de cet établissement et même les habitants de Berck sont tous d’anciens malades qui ont été traités et guéris dans les sanatoriums de cette ville, comme si quitter cet univers leur était impossible. Pourtant Emmanuel, pendant cette période entre parenthèses fuit autant qu’il peut cette emprise « hospitalière », comme pour préparer son retour à la vraie vie. Ce récit débute en automne/hiver mais le plus surprenant est que cet établissement se transforme, l’été venu, en hôtel pour touristes, reléguant les malades dans une partie plus discrète des lieux.

    Le titre évoque des cicatrices, mémoires d’anciennes blessure souvent profondes qu’on porte sur la peau et aussi dans le souvenir, comme une empreinte douloureuse. Elles ne font pas mal mais elles portent en elles la trace de la souffrance. La peau s’est reformée mais différemment en laissant des marques souvent insensibles au froid ou à la chaleur. C’est bien la mémoire qui est sollicitée dans ce roman, mais celle des moments difficiles à l’image de l’exergue de Kierkegaard qui évoque « un terrible souvenir à affronter » . C’est aussi celle des femmes qui entourent Emmanuel et qui toutes semblent amoureuses de lui alors que lui-même, au bout du compte, s’en détache facilement. Quand il est encore étudiant, Colette lui voue un amour sincère mais il y a une sorte d’oubli entre eux et au sanatorium Solange s’attache à lui, mais finalement on a l’impression que naît entre eux une sorte de lassitude qui se traduit par le quasi suicide de Solange et la fuite d’Emmanuel. Apparemment il ne les considère que comme des partenaires sexuelles, destinées à lui adoucir la vie. Dans le domaine du souvenir il y a aussi une place pour ceux des malades dont certains guérissent, perdent la tête à force d’avoir espéré une guérison qui ne vient pas, s’en remettent à des charlatans ou simplement décèdent. A la fin Emmanuel est considéré comme guéri mais quand il quitte l’établissement on a l’impression que la camarde est en embuscade et qu’elle va bientôt le délivrer et lorsque Quintonce meurt, il y a une sorte de fou rire qui soit dédramatise la mort soit introduit une notion d’hallucination face au phénomène.

    Il sourd de ce roman une sorte d’ambiance malsaine, une envie de fuir cet établissement, à cause de la maladie et de sa guérison hypothétique, un peu comme si toute la douleur du monde s’était donné rendez-vous en ces lieux, mais aussi de la mélancolie de cette côte du nord, déserte une grande partie de l’année, de la tristesse de la ville et l’ennui qu’elle suscite, mais c’est pourtant un ouvrage fort bien écrit, aux descriptions d’un émouvant réalisme sans négliger l’analyse psychologique des différents personnages.

    Il y a beaucoup de traits communs entre Emmanuel et l’auteur, mort de tuberculose à vingt-huit ans au point qu’on a parlé de roman autobiographique. Cependant il me semble que Max Blecher a pu écrire cette œuvre en y mettant de l’imaginaire, ce qui peut le faire classer dans la catégorie de l’auto-fiction, dans le but d’exorciser sa souffrance mais aussi de forcer le destin pour repousser l’échéance de sa propre disparition prochaine dont il avait peut-être l’intuition.

  • Le collectionneur de sons et autres nouvelles

     

     

    N° 1467 Mai 2020.

     

    Anton Holban – Le collectionneur de sons et autres nouvelles.

     

    Tout d’abord merci a Tandarica qui m’a permis de rencontrer Anton Holban (1902-1937), cet écrivain roumain mort à 34 ans dont les œuvres ont été publiées à titre posthume et dont elle est la traductrice.

     

    Découvrir un écrivain, surtout s’il est étranger, est toujours pour moi un événement, même à travers une seule œuvre. Le livre refermé il me reste de cet homme l’impression d’un écorché-vif, qui n’a pas trouvé sa place dans ce monde et qui s’est réfugié dans l’écriture et dans son pouvoir cathartique. Son oncle, Eugène Lovinescu qui était aussi un célèbre critique littéraire roumain de l’entre-deux guerres le considérait comme atteint de névrose. L’écriture d’Holban se caractérise par la pratique de l’autofiction qui consiste à mêler l’imaginaire à des événements de sa propre vie, comme l’ont fait Proust ou Colette, sans pour autant tomber dans l’autobiographie. Ce concept est récent et il m’a toujours paru évident qu’un écrivain, même s’il choisit l’imaginaire le plus effréné, projette toujours dans son texte un peu de sa propre personnalité, de ses fantasmes et de ses obsessions, voire de son inconscient et ce même dans l’évocation de personnages secondaires. En effet il parle souvent de lui, de ses goûts et de ses passions, de sa carrière de professeur (« Glorieuse journée à Cernica »), de ses voyages, de ses études ou de ses grands-parents et même s’il met en scène un tiers, par exemple Sandu dans « Le collectionneur de sons », c’est de sa vie dont il parle. Quand il mêle l’imaginaire à des souvenirs de voyage, comme dans « Châteaux sur le sable », des éléments de sa propre vie et de sa personnalité sont sous-jacents. Cela lui a même valu d’être considéré comme dépourvu d’imagination au point que certains de ses collègues se sont reconnus dans ses romans. Je notre cependant qu’il peine un peu à imaginer les années de maturité que vivront pour les jeunes filles croisées dans sa vie.

    Holban est notamment un explorateur de la mémoire, un peu à la manière de Proust et ce n’est sans doute pas un hasard s’il a emprunté le titre d’une de ses nouvelles à l’auteur français (« A l’ombre des jeunes filles en fleurs »). Dans cette nouvelle il se souvient qu’il a été professeur et se livre à une explication d’Andromaque de Racine, avec de nombreuses citations en français, en souvenir de son séjour dans notre pays, mais il s’adresse surtout à des jeunes filles. Pourtant, une autre caractéristique de cet écrivain tourmenté me paraît être la timidité, surtout vis à vis des femmes. Dans « Petite aventure sur une interminable plateforme »le narrateur raconte sa rencontre dans un train bondé d’étudiants en état d’ébriété avec une jeune japonaise réservée. Cela m’évoque le merveilleux poème d’Antoine Pol, « Les passantes » chanté par Georges Brassens avec cette silhouette furtive de femme qui s’évanouit. De femme Japonaise, (est-ce un fantasme personnel de l’auteur?) il sera encore question dans « Châteaux sur le sable » où un voyageur, Paul, accompagne Mitsuko lors d’un voyage en Égypte avec un groupe de touristes. Leurs relations va de la complicité amicale mais réservée de la part de le jeune femme aux discussions houleuses et à une certaine goujaterie de Paul, sans doute à cause du bousculement de ses obsession secrètes. L’épilogue lui donne une sorte de claque. De jeune fille il est encore question dans « Antonia », une jeune musicienne russe qui ne cache pas son attirance pour le narrateur, un jeune lycéen roumain qui, bien entendu est amoureux d’elle. Son attitude à elle est ambiguë et lui se comporte d’une manière jalouse et embarrassée au point de l’imaginer, de nombreuses années après, parce qu’évidemment il ne l’a pas oubliée. Pourtant ses relations avec les jeunes filles ou les femmes semblent être entachées d’impossibilité et de remords, un peu à l’image de son mariage, d’ailleurs bref et probablement malheureux.

    La musique tient une grande place dans la créativité d’Holban. Il y fait souvent des allusions précises dans nombre de ces nouvelles et mêmes des références nombreuses (« Le collectionneur de sons ») et montre une véritable addiction pour cet art. Avec « Le tarin et son maître », il nous parle d’un oiseau prénommé Boris qui a une préférence pour le violon et une œuvre d’un compositeur français admirée par Debussy ! C’est aussi l’occasion pour le lecteur de partager la culture musicale de l’auteur. Cependant son idée maîtresse qui revient sans cesse comme une obsession, c’est la mort. Elle plane sur l’ensemble de ce recueil au point d’être un leitmotiv prégnant. Nous sommes tous mortels mais dans nos sociétés occidentales nous vivons comme si nous ignorions cette échéance. Holban au contraire la rappelle constamment comme s’il savait que pour lui le parcours serait bref. Il l’évoque à travers son aïeule (« Grand-mère se prépare à mourir ») mais également il est souvent question de la mort de ses personnages. Je me suis toujours demandé si les êtres qui sont destinés à mourir jeunes n’en ont pas l’intuition et s’y préparent. Lui-même s’inquiète du devenir de sa collection de disques après sa mort. Dans « Hallucination» il met en scène son propre enterrement avec cette interrogation.

    Une belle découverte en tout cas.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

     

     

     

    et qui rend les rues petit à petit un peu moins bleues.

  • Trois jours à Berlin

    N° 1466 Mai 2020.

     

    Trois jours à Berlin – Christine de Mazières – Sabine Wespieser Éditeur

     

    Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, les Berlinois de l’Est sont avertis que les autorités est-allemandes n’exigeront plus d’autorisations pour passer à l’Ouest. Dès lors, ils se répandent dans la partie occidentale, le mur dont on parlait tant depuis 1961, « le mur de la honte », était désormais ouvert, c’était la fin d’une époque, et le début d’une autre, des images de liesse de calme et de liberté, le rideau de fer qui se lézarde, Mstillav Rostropovitch qui joue du violoncelle, un véritable bouleversement !

    A travers les  « témoignages » de citoyens allemands vivant de chaque côté, de citoyens ordinaires, de dignitaires, de dissidents, de militaires de tout grade, décontenancés ou pleins d’espoir, de dirigeants, d’étrangers de passage ou de journalistes occidentaux, qui pour certains vont se croiser, l’auteure, en mêlant fiction et réalité, nous fait partager ce qu’on été les jours et ces heures qui ont précédé et suivi cette décision qui a surpris les Allemands de l’Est autant que les gouvernants, nous rend leur impression d’assister à un moment exceptionnel où l’Histoire s’écrit sous leurs yeux face à leur destinée individuelle. Bien sûr, face à la dette colossale de la RDA, au désastre économique, à la propagande, à la privation de libertés et aux mensonges d’État les choses ne pouvaient rester en l’état perpétuellement et il fallait faire quelque chose ; il y avait Gorbatchev et sa perestroïka porteuse d’espoirs, l’ouverture de la frontière avec la Hongrie, mais quand même cette décision d’exécution immédiate et sans délai, c’était une sacrée surprise, surtout pour les membres staliniens de politburo médusés et incrédules. C’était la fin d’un monde, celui de leurs privilèges et de leurs pouvoirs exorbitants, celui aussi de cette rupture entre eux et le peuple qu’ils étaient censés représenter et qu’en réalité ils espionnaient et asservissaient. D’un côté c’est la défaite, la trahison de l’idéal socialiste, la dévastation, l’inconnu, de l’autre la joie, l’espoir, la liberté, la fraternité, mais surtout l’absence de violence.

    Pour donner à ce moment extraordinaire une dimension exceptionnelle, Christine de Mazières convoque l’ange Cassiel, l’ange des larmes, sorti d’un film allégorique de Wim Wenders, celui-là même qui a renoncé à l’éternité pour l’amour d’une femme et a été condamné à errer silencieux parmi les hommes .

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • l'écume des jours

    L’écume des jours - Boris Vian – Éditions Pauvert

     

    C’est sûrement le roman le plus connu de Boris Vian (1920-1959), dédié à sa première épouse Michelle Léglise, rédigé en secret et en trois mois de l’année 1946 au dos des imprimes de l‘AFNOR où il travaillait. Il avait alors vingt six ans, avait déjà publié «Troubles dans les Andins » et« Veroquin et le plancton », et affirmait ainsi sa volonté de révolutionner le roman, d’imprimer sa marque dans la littérature, mais le Prix de la Pléiade qu’il convoitait et qui aurait assuré son rang dans le paysage des Belles-lettres de cette époque, lui fut refusé. Sa déception fut grande et ce roman n’eut aucun succès jusqu’à sa publication à titre posthume en 1960.

    Il s’agit d’une fiction mais l’auteur prend la précaution d’avertir son lecteur « Cette histoire est entièrement vraie puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre ». Ainsi, quand on ouvre un roman de Boris Vian, on pénètre malgré soi dans un autre univers où les souris grises sont des animaux de compagnie et participent à la vie domestique quotidienne, où les carreaux cassés repoussent, où l’on fête l’anniversaire d’un chien, où un cuisinier très stylé qui concocte des plats improbables est aussi un maître à danser sur des rythmes de Duke Ellington ou du boogie-woogie, où les vêtements ont des couleurs invraisemblables et où ce qu’on souhaite très fort arrive comme par miracle... le tout enveloppé dans de l’authentique poésie, des jeux de mots dont lui seul à le secret, des néologismes à faire pâlir un normalien, des détails techniques inattendus, un dépaysement surréaliste qui me fait toujours lire Vian avec délectation et un humour parfois caustique où il règle volontiers quelques comptes, avec la religion catholique et son clergé qu’il ridiculise sans doute parce qu’ils ont un peu trop hanté sa jeunesse et son éducation bourgeoise. Boris est un écrivain et en tant que tel sa vie nourrit son œuvre et on retrouve parmi les aventures des deux personnages principaux, Colin et Chick, des épisodes de sa propre biographie, mais aussi son admiration pour la beauté des femmes, ses obsessions intimes et ses fantasmes.. C’est bien normal puisque c’est une histoire vraie ! C’est surtout un roman d’amour entre Alise et Chick mais ce dernier, bien qu’ingénieur pauvre, dilapide tout son argent pour acquérir les œuvres de Jean-Sol Parte, un écrivain à la mode dont il s’est entiché, et ce qui aurait pu être une belle aventure entre elle et lui se terminera tragiquement comme parfois dans la vraie vie. C’est aussi une vraie histoire d’amour, sans doute une des plus belles de la littérature française, entre Colin très riche et généreux et la belle Chloé. Comme souvent elle est à la fois merveilleuse et tragique et le burlesque le dispute au désespoir. Bien sûr ils se marieront mais ce qui aurait pu être un classique roman à l’eau de rose tourne au drame parce que la maladie s’attaque à la jeune femme et malgré toute l’attention, l’amour et l’argent de Colin qui se ruine pour la soigner, la mort vient conclure ce qui aurait pu être un conte de fée , cette mort qui sera présente dans les autres romans de Vian. Il n’a peut-être pas encore prédit sa disparition avant quarante ans, il est sûrement gourmand de vivre malgré sa santé fragile et il est amoureux de Michelle, mais dans ce microcosme où les choses ne se passent pas exactement comme dans le monde réel, où le temps a un rythme différent et les choses une autre valeur, où les instruments délivrent de la musique mais aussi des cocktails et où on ne s’amuse pas, où on ne vit pas selon nos critères habituels, la condition humaine de simple mortel, celle d’être malade et de mourir, rattrape ces personnages et s’impose à eux comme elle l’a déjà frappé et le rejoindra dans quelques années.

    Boris se cachait derrière un humour particulier, souvent incisif. On a beaucoup glosé sur cette façon d’appréhender la vie et ses vicissitudes, on a dit qu’il est la politesse du désespoir où une manière de rire des choses plutôt que d’avoir à en pleurer, simplement parce que la vie n’est pas aussi belle qu’on voudrait nous le faire croire. Il y a en effet du désespoir chez Vian, certes caché derrière un décor idyllique et souvent exagérément décalé, mais il est bien présent et cela se sent dans ce roman comme dans les suivants. C’est un peu, toutes choses égales par ailleurs, ce que conseillait Rabelais à son lecteur quand il lui disait de briser l’os pour en extraire « la substantifique moelle ».

  • L'herbe rouge

     

    N° 1464 Mai 2020.

     

    « L’herbe rouge » suivi de « Les lurettes fourrées » - Boris Vian – Jean Jacques Pauvert Éditeur.

     

    L’herbe rouge est l’avant dernier roman de Boris Vian (1920-1959) publié en 1950 .

    Ici, Wolf et Saphir ont inventé une machine à remonter le temps qui permet de se libérer de ses angoisses en les détruisant. Comme à son habitude l’auteur entraîne son lecteur dans son univers personnel et poétique que ses romans précédents, par l’alchimie de son langage, ont rendu presque coutumier, fait d’ironie créative, de jeux sur les mots, d’animaux qui parlent, de situations inattendues qu’il manipule à l’envi. Il tisse ainsi un monde parallèle, souvent outrageusement coloré, où les choses les plus ordinaires n’ont pas la même valeur ni les mêmes réalités, où ses personnages sont partagés comme lui, entre un appétit de liberté et une sorte de refoulement, comme Wolf et ses obsessions culpabilisantes et surtout comme Saphir qui voit constamment un homme qui le regarde en silence quand il est avec son amie. Cet aspect des choses me semble être évoqué dans la virée que font les deux hommes dans le quartiers des amoureuses. Pourtant, dans ce roman, et au-delà de cette histoire qu’il faut sans doute dépasser, Boris entend faire passer un message, celui de ses angoisses personnelles, de ses ressentiments. Ici, peut-être plus qu’ailleurs, il égrène les allusions à sa vie personnelle qu’il évoque sous le couvert de l’humour dont on dit qu’il est la politesse du désespoir ou qu’il permet de rire des choses plutôt que d’avoir à en pleurer. C’est l’époque des relations difficiles entre lui et Michelle Léglise, il a déjà rencontré Ursula Kübler qui deviendra sa deuxième épouse et cette situation le perturbe. Boris enfant a été surprotégé par sa mère à cause de l’état de sa santé chancelant. Il a reçu une éducation bourgeoise et catholique où il convenait de faire des études et de réussir dans la vie ce qu’il a fait en devenant ingénieur. Pourtant Wolf, et donc Boris, exprime face au vieil homme de la plage tout le ressentiment qu’il éprouve face à cette enfance, à cette éducation, à la religion, à cette société et même aux idées métaphysiques de son époque, autant de freins à son appétit de vivre. L’épisode de sa rencontre avec cet homme, qui est aussi un fonctionnaire borné, fait sans doute allusion à ses difficultés financières et fiscales du moment. Mais ce n’est pas tout, Wolf qui incarne peut-être le mieux Boris, est soumis à un jeu de questions qui explorent son passé personnel et intime à travers les discussions qu’il a avec des personnages comme Perle et Brul et aussi les deux vieilles demoiselles de la plage ou Carla. Cette analyse fait appel à la psychiatrie qui se nourrit de la mémoire et des fantasmes parfois refoulés des patients mais dont Boris semble nous dire qu’elle est limitée voire vaine et sans grand effet thérapeutique à cause des blocages qu’elle peut révéler sans les résoudre. Il en résulte une impression de solitude et de malaise.

    Le personnage de la femme est central dans ce roman, mais on pourrait s’attendre à une évocation très personnelle de Boris en faveur de sa mère qui l’a surprotégé en étant d’une attention de tous les instants pour ce fils fragile. Mais ici, l’image de la femme est incarnée alternativement par Folavril et Lil mais aussi par Carla. Elles disparaissent toutes, Carla dans une sorte d’évanouissement maritime qu’on peut interpréter comme une impossibilité définitive et surtout les deux compagnes de Saphir et de Wolf qui elles se révèlent à la fin sous leur vrai jour, celui de deux femmes qui se sont lassées de cette relation un peu trop sérieuse, qui semble leur préférer des Don Juan de sous-préfecture et des amours de contrebande passagers et libres et qui considèrent les hommes comme des êtres futiles qu’on peut éventuellement humilier par vengeance. Elles trouvent, elles aussi, leur salut dans la fuite.

    Il ne faut pas non plus perdre de vue que Boris avait prédit qu’il n’atteindrait pas quarante ans. A l’époque de ce roman il ne lui reste que neuf ans à vivre et même s’il ne le sait pas, il sent l’échéance se rapprocher. Le titre, à cet égard, est significatif, l’herbe c’est l’environnement, image qui revient souvent et le rouge (qui annonce la rivière rouge de l’arrache-coeur) c’est la couleur du sang, de la mort rappelée par la disparition de Wolf et de Saphir.

    Ce volume est suivi de trois nouvelles (« Le rappel », « Les pompiers », « Le retraité »), reliées sous le titre « Les lurettes fourrées » parues à titre posthume en 1965 et qui n’ont rien à voir avec ce roman. Vian qui est toujours sensible à la beauté des femmes y poursuit son parcours sur le mode absurde et de l’humour caustique, des jeux de mots, des situations surréalistes, des critiques, notamment de la religion, mais le thème qui s’impose le plus est celui de la mort.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • L'arrache-cœur

    L’arrache-coeur - Boris Vian – Éditions Jacques Pauvert.

     

    C’est le dernier roman de Boris Vian (1920-1959) publié en 1953. On ne devient pas écrivain par hasard et sa propre biographie, ses obsessions, ses remords, ses fantasmes, nourrissent l’œuvre de celui qui tient la plume, même s’il cache tout cela sous une fiction rocambolesque et poétique et s’il compte sur l’effet cathartique de l’écriture pour s’en libérer. C’est vrai que cette histoire a quelque chose d’inattendu, avec sa « foire aux vieux » où les anciens sont vendus à l’encan, ce Jacquemort au nom peu engageant, sorti on ne sait d’où et qui veut « psychiatrer » tout le monde et spécialement les bonnes, mais à sa manière seulement, ce vieil homme, La Gloïre dont la tâche essentielle est de repêcher avec les dents dans la rivière rouge tout ce qui y surnage, ou, pour dire autrement, se charger de la honte du village, et à sa mort, ce sera le psychiatre qui prendra sa place, ces triplés, les « trumeaux" au nom bizarre, pas vraiment frères puisque l’un deux, « Citroën », est différent, isolé par rapport aux jumeaux, Noël et Joël, ces relations conjugales surprenantes entre les parents Angèle et Clémentine, ces animaux qui parlent comme dans une fable, ce mélange volontaire entre sexualité et amour, la honte, la lâcheté que chacun porte avec soi et dont on prend conscience…

    A cette époque Boris est fatigué, malade, désabusé. Il a déjà dit, dans une sorte de prémonition, qu’il n’atteindrait pas quarante ans et sent l’échéance se rapprocher. J’ai toujours été fasciné par ceux qui ont dit connaître avec précision la date de leur mort, quand la plupart d’entre nous vivons comme si cette échéance n’existait pas. Il a donc logiquement vécu intensément une vie parisienne nocturne, grillant la chandelle par les deux bouts, gaspillant dans sa trompette un souffle qui de plus en plus lui manquait. Victime très jeune d’un rhumatisme articulaire aiguë, il était de santé fragile et c’est une crise cardiaque qui l’emportera. Il entraîne son lecteur dans un univers parallèle où le temps a une autre valeur et les mois des noms inattendus, le régale de jeux de mots, de néologismes aussi délicieux qu’improbables, de noms rares, s’amuse à lui faire perdre ses repères traditionnels et ses références littéraires notamment dans les descriptions insolites et colorées, ou l’entraîne dans des raisonnements ou la logique se fait illogique, comme si tout ce qui fait notre monde ordinaire et quotidien se dérobait. Dès lors le décor si particulier de Boris se met en place, la fuite du temps vue à travers le personnage du psychiatre, le rôle un peu marginal du curé ce qui indique peut-être une préparation à comparaître devant un éventuel dieu en se conciliant son représentant, la volonté d’Angel de partir dans le bateau(avec des pieds!) qu’il fabrique, la rivière rouge, couleur du sang et symbole de vie, l’arrogance dont fait preuve au fur et à mesure du récit le personnage de Jacquemort qui oscille entre besogner les bonnes et psychanalyser le maximum de gens et qui s’installe et s’incruste, une manière peut-être de dire adieu à cette vie, Clémentine qui ressemble de plus en plus à un mère hyper-protectrice et abusive qui fait fuir son mari parce qu’il n’aime pas les enfants, son image à lui peut-être ? J’en viens au titre de ce roman. Avec « L’automne à Pékin » Boris nous a entraînés dans une histoire absurde qui ne se passe ni en automne ni à Pékin. Ici il me semble que ce dernier roman fait référence au cœur qui fut pour lui toujours un problème et qu’on lui arrache, comme on lui arrache la vie !

    J’ai retrouvé dans cette relecture toute la poésie et la musique de Boris Vian que j’aime tant, ce dépaysement qu’on ne comprend pas mais qu’on s’approprie très vite parce que, sans doute, il correspond à quelque chose qu’on porte inconsciemment en soi mais qu’on aurait pas su soi-même exprimer. Vian est un homme de lettres longtemps boudé par les manuels scolaires, dont on ne faisait connaissance qu’au hasard de la rencontre d’un amateur conquis par cet univers si particulier tissé dans ses romans et qui ne laissait personne indifférent. On aimait ou on détestait mais on avait un avis. Et puis c’est un écrivain qui a longtemps connu le « purgatoire » parce qu’il dérangeait ou qu’on ne le comprenait pas puis, par un miracle inattendu, il revenait sur le devant de la scène, y restait quelque temps puis retombait dans l’oubli pour revenir plus tard, quand on ne l’attendait plus. Si Verlaine l‘avait connu, il aurait sûrement mis au nombre de ses « poètes maudits »ce « satrape de 2° classe » du collège de pataphysique, cet écrivain génial qui aimait tant bousculer tout sur son passage pour marquer son parcours sur terre.

  • Stéphane Mallarmé

     

    N° 1462 Mai 2020.

     

    Stéphane Mallarmé. Pierre-Olivier Walzer-Seghers

     

    S’il est un poète inclassable c’est bien Stéphane Mallarmé (1842-1898). Quand Verlaine fait paraître en 1884 « Les poètes maudits », son nom figure à côté de celui d’Arthur Rimbaud et de Tristan Corbière . Il doit sans doute cette mention au fait d’avoir entretenu une correspondance avec l’auteur des « Poèmes saturniens ». L’expression remonte au romantisme et a eu avec le temps une définition plus complète. Elle désigne des poètes incompris de leur vivant à cause de leurs textes difficiles et qui, rejetés par la société, se comportent d’une manière scandaleuse, dangereuse voire autodestructrice et ne connaissent généralement le succès qu’après leur mort. Enfant, il reçoit une éducation bourgeoise et catholique  qui inspirera son œuvre ; il était, comme il l’a dit lui-même « d’âme lamartinienne » mais il découvre la mélancolie de Baudelaire dont le besoin d’idéal lui correspond parfaitement et bien entendu l’imite, comme il imite l’éloquence d’Hugo et adopte le rigorisme d’Edgar Poe dont il traduira les poèmes. Après une courte période dans l’Enregistrement, il devient professeur d’anglais en province puis à Paris, par nécessité, est un temps journaliste, mais il manque d’autorité pour ce métier d’enseignant, la banale réalité quotidienne le rebute et même la chaleur d’un foyer ne répond pas à ses attentes. Toute sa vie sera rythmée par des deuils, celui de sa mère, d’une amie proche, de sa sœur puis de son fils, ce qui le plongera dans une atmosphère dépressive cyclotymique et quasi suicidaire (« Le guignon »). C’est qu’il poursuit désespérément un idéal poétique qui lui échappe et génère pour lui une atmosphère délétère. Il commence par collaborer au « Parnasse contemporain », attire l’attention du romancier Joris-Karl Huysmans, mais on ne peut pas dire que sa vie a été scandaleuse à l’égal de celle de Verlaine. Au contraire puisque ses « Mardis » de la rue de Rome où il recevait admirateurs et amis (Gide, Valery), s’inscrivaient dans la tradition des salons littéraires du XVIII° siècle, le luxe en moins. Fatigué, il obtient sa mise en retraite anticipée, se retire à Vulaines sur Seine où il meurt après avoir succédé à Verlaine comme « Prince des poètes ».

     

    Le jeune Mallarmé est tenté au début par l’érotisme (« La négresse »- « Le placet »)ce qui était dans l’air du temps mais plus tard il se révèle surtout animé d’un idéal poétique qui le fait ressembler à Baudelaire et classer parmi les symbolistes. Comme lui il est envahi par le spleen et veut combattre son dégoût des choses par le voyage même s’il craint le naufrage(« Brises marines ») ou simplement attend la mort (« Le sonneur »). Puisqu’il refuse le monde tel qu’il est, il va se tresser un univers personnel imaginaire et même mystique («Las de l’amer repos », « Les fenêtres »), même si cette perfection rêvée est inaccessible (« L’azur ») à en devenir une obsession et que la page blanche est pour lui un défi symbolisant à la fois l’isolement et l’impuissance. Il est véritablement un poète, un malheureux perdu dans le monde des hommes qu’il veut fuir (« tourner l’épaule à la vie ») à la manière de Baudelaire, tout en ayant conscience de l’éventuel échec de son action. Son écriture est le résultat d’un travail sur les mots, les combinaisons, les allitérations, la musicalité, l’incantation verbale, la rigueur dans la composition des strophes, la concision et le respect de la prosodie, ce qui génère une sacralisation du langage et fait de lui un véritable magicien du verbe mais cela implique aussi une certaine inaccessibilité. Ainsi Mallarmé devient hermétique, il élabore des poèmes obscurs comme « Le cygne » ou la série des « Tombeaux » qui donnent une impression de vide, de néant. Avec « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard», poème déroutant tant par la forme que par le fond, il disloque la phrase, la déstructure, y glisse des blancs qui la rend inaudible, incompréhensible pour un public non préparé à une telle évolution et qui sans doute se coupa de lui, mais cela montre sa volonté d’exprimer sa vision de la réalité absolue tout en admettant peut-être que cette trop ambitieuse recherche ne peut qu’être vouée à l’échec, avec toujours cette obsession de la page blanche et peut-être aussi une certaine forme d’aveu de cette impossibilité de s’exprimer. Mallarmé, fait partie des poètes qui ont fait évoluer leur art en le remettant en question en même temps qu’en y instillant de la sacralisation et du mystère.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

    et qui rend les rues petit à petit un peu moins bleues.

  • Gérard de Nerval

     

    N° 1461- Avril 2020.

    Gérard de Nerval.

     

    Parmi les poètes romantiques, Gérard de Nerval (1808-1855) tient une place à part. En effet, il a donné à voir de multiples facettes de luu-même durant son existence, dont certaines ont été dominantes. Il a contribué à créer autour de lui une légende dont il a été victime. Il aurait pu figurer sur la liste des « Poètes maudits » de Verlaine publié en 1884 et 1888, mais celle-ci, limitative, ne le mentionne pas. On peut cependant lui donner cette caractéristique, née de l’expression d’Alfred de Vigny, qui présente le poète maudit comme une figure tragique, versant à l’occasion dans la démence, donnant de lui l‘image d’un être asocial, contempteur des valeurs de la société et qui se comporte d’une manière scandaleuse voire autodestructrice et qui meurt généralement sans que son génie soit reconnu.

    De son vrai nom Gérard Labrunie, il est le fils d’un médecin militaire de la Grande Armée, il perd sa mère de bonne heure alors qu’elle n’a que 25 ans . Il portera toujours son deuil comme un idéal perdu et cela expliquera, dans sa vie et dans son œuvre, son comportement à l’égard des femmes et sa vision de l’amour mystique. Il est confié à son grand oncle chez qui il trouve des livres d’occultisme qui occupent sa jeunesse insouciante. Ayant quitté l’armée, son père s’installe à Paris avec son fils, étudiant en médecine puis clerc de notaire, où ce dernier fréquent Gautier, Dumas et Hugo, publie ses poèmes tout en traduisant des poètes allemands, fréquente en dandy la bohème romantique, rencontre Jenny Colon, une jeune cantatrice dont il tombe amoureux et pour qui il écrit un opéra comique inspiré par son amour pour elle et même si leur liaison tourna court, il garda intacte son image idéalisée, entre mère perdue et femme idéale, ce qui altérera plus tard sa santé mentale. La figure de Jenny, mais aussi celle de Marie Pleyel, une pianiste belge qui l’inspira, sera incarnée sous sa plume en personnages féminins idéalisés (Sylvie, Aurélia) ou dénoncée comme la source des malheurs humains(Pandora). Sa rupture avec Jenny Collon qui se marie en 1838 avec un flûtiste correspond au renforcement de son mysticisme amoureux en même temps qu’au début de ses troubles mentaux qui ne cesseront de s’aggraver. Aux alentours de trente ans il effectue nombre de déplacements en Europe puis en Orient, publie dans diverses revues des récits de voyages et des traductions et des œuvres en prose. Sa vie sera néanmoins placée sous le signe de l’impécuniosité (On aurait retrouvé sur lui à sa mort une lettre demandant de l’argent pour survivre) Plus jeune, il avait traduit Faust ce qui avait éveillé son goût pour l’occultisme, son obsession pour le passé et pour le théâtre, mais cette dernière discipline connut pour lui des fortunes diverses. Vers la quarantaine, des périodes de délire pendant lesquelles il est interné alternent avec des phases plus calmes et il fait l’expérience de l’exploration obsédante du rêve, du délire mystique et du pouvoir cathartique de l’écriture, signant notamment un recueil de nouvelles « Les filles du feu » et de sonnets « Les Chimères » mais la pauvreté s’en mêlant on le retrouve pendu dans une sordide ruelle parisienne.

    Son œuvre littéraire, poèmes et nouvelles, reflète son drame intérieur et son obsession de l’idéal féminin et bien que tardive, cette manifestation créatrice est cependant restée dans la mémoire collective, davantage peut-être que son œuvre en prose, théâtrale et romanesque. « Les chimères » vers quoi porte mon intérêt personnel, est un recueil de douze sonnets dont le nombre lui-même à une connotation biblique mais leur signification quelque peu obscure empreinte à l’ésotérisme, à l’alchimie autant qu’à l’autobiographie. Le poème emblématique de ce recueil est « El desdichdo » (le malheureux »). Il a fixé les images de ses rêves grâce à la poésie mais elle est marquée par l’image de la femme, à la fois idéalisée et obsédante.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Jadis et naguère

     

    N° 1460- Avril 2020.

     

    Jadis et naguère – Paul Verlaine.

     

    C’est un recueil de 42 poèmes publiés chez l’éditeur Vanier en 1884 et écrits par l’auteur longtemps auparavant. Malgré sa présentation en deux parties d’ailleurs d’inégale importance et qui veulent évoquer le passé immédiat (naguère) et un laps de temps plus éloigné (jadis) le recueil ne présente pas vraiment d’unité et comprend des poèmes écartés lors des éditions précédentes ainsi qu ‘une comédie « Les uns et les autres » qui date peut-être de 1871.

    Verlaine n’a pas cessé de boire, de mener une vie scandaleuse et dispendieuse et surtout d’être violent avec sa femme, avec son enfant et même, avec sa mère qui pourtant l’a toujours soutenu. Pourtant il entame maintenant une carrière d’homme de lettres besogneux. En publiant « Sagesse »(1881), il avait voulu être reconnu comme un écrivain catholique, désireux de vivre de sa plume, mais ce recueil est passé inaperçu et, quand il revient à Paris, en 1882, il tente de renouer avec ses anciens amis et y parvient mais les difficultés financières se font plus pressantes. Il sollicite même sa réintégration à la mairie de Paris mais en vain, le souvenir de son engagement dans « la garde sédentaire » de Paris au côté de la Commune et son séjour en prison n’ont guère plaider en sa faveur et la mort de Lucien Létinois, avec qui il avait eu une liaison amoureuse, achève de le bouleverser. C’est sûrement la pire période de la vie de Verlaine même si la publication de « Poètes maudits »(1883) le ramène un temps sur le devant de la scène.

    Il y a des textes disparates qui évoquent les baladins des rues (« Le pitre », »Le clown »), souhaitent apparemment choquer (« Vers pour être calomnié », « Luxures »), comportent même une comédie (« Les uns et les autres »), rappellent la mort de Jeanne d’Arc (« La pucelle »), la misère (« La soupe du soir »), une sorte de comptine («Pantoum négligé »), des textes qui, peut-être suggèrent son parcours personnel (« L’aube à l’envers », « Les vaincus ») ou d’autres textes plus descriptifs(« La princesse Bérénice » ) et d’autres inspirés par une certaine forme de la déchéance (« Allégorie , « Langueur »). Le plus important de ces textes est « l’art poétique » qui énonce les bases de l’expression artistique de Verlaine. Il s’est remis à boire de l’absinthe et va bientôt apprendre le jugement de divorce qui met fin officiellement à son mariage avec Mathilde. Quoi qu’il ait pu faire dire ou écrire, il regrettera toujours la perte de cette femme, comme il portera toute sa vie le deuil de l’amour impossible qu’il éprouvait pour Élisa, une cousine recueillie par ses parents, dont il était follement amoureux et qu’il souhaitait épouser. D’ailleurs ses poèmes font souvent allusion à des femmes comme à un paradis perdu.

    L’auteur y distille sa douce musique et ses vers impairs, parfois alexandrins classiques mais parfois aussi d’une métrique différente et variée mais qui respectent toujours la rime, même s’il parle lui-même de « ce bijou d’un sou qui sonne creux et faux sous la lime ». Il faudra attendre quelques années encore pour que le vers libre impose chez les autres son rythme et ses images.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Parallèlement

    Parallèlement . Paul Verlaine.

     

    C’est un recueil, publié en 1889, moins disparate de « Jadis et naguère »(quoique) bien qu’il réunisse lui aussi des poèmes écrits à des époques différentes et certains textes (« Les amies ») avaient déjà été publiés en Belgique par Poulet-Malasis, l’éditeur de Baudelaire ; D’autres que Verlaine avait signés sous le pseudonyme de Pablo Maria de Herlaňes relatifs aux amours saphiques (« Ballade sappho », « Sappho ») avaient été condamnés à être détruits par le tribunal de Lille en 1868. D’autres sont écrits en prison  Impression fausse », « Autre »), sans doute pour passer le temps, où évoquent les pérégrinations de l’auteur en Belgique (« L’impénitent », « l’impudent », « Poème saturnien »)ou portent témoignage de ses relations avec Rimbaud, de sa vie avec Mathilde que peu ou prou il regrette(« dédicace ») ou de ses errements solitaires après la mort en 1883, de Lucien Létinois avec qui il vécu une passion amoureuse. On y trouve aussi des poèmes où Verlaine s’amuse à s’adresser à son lecteur (c’est toute la série de « Révérence parler »). L’auteur trouve la force de rire de lui-même (« La dernière fête galante», »poème saturnien »), regrettant le temps passé. Un autre aussi(« Princesse Roukline ») témoigne, après la mort de sa mère, de sa liaison avec une prostituée, Marie Gambier qui ne fut d’ailleurs pas sa seule compagne de sa fin de vie. On est donc bien loin de « La bonne chanson » et de « Sagesse » et de leurs louables intentions !

    Le décès de sa mère qui, malgré tout ce qu’il lui a fait subir, l’a toujours soutenu et a été à ses côtés jusqu’à la fin, le hante toujours (« Mains », « Les morts que l’on fait saigner »).

     

    Ce recueil fut relativement bien accueilli à cause sans doute de sa connotation érotique qui s’inscrit dans une tradition poétique française, même si l’auteur s’en est mollement défendu. Il témoigne du parcours quelque peu cahoteux de Verlaine mais illustre agréablement la musique verlainienne de ses vers.

  • Parallèlement

    Parallèlement . Paul Verlaine.

     

    C’est un recueil, publié en 1889, moins disparate de « Jadis et naguère »(quoique) bien qu’il réunisse lui aussi des poèmes écrits à des époques différentes et certains textes (« Les amies ») avaient déjà été publiés en Belgique par Poulet-Malasis, l’éditeur de Baudelaire ; D’autres que Verlaine avait signés sous le pseudonyme de Pablo Maria de Herlaňes relatifs aux amours saphiques (« Ballade sappho », « Sappho ») avaient été condamnés à être détruits par le tribunal de Lille en 1868. D’autres sont écrits en prison  Impression fausse », « Autre »), sans doute pour passer le temps, où évoquent les pérégrinations de l’auteur en Belgique (« L’impénitent », « l’impudent », « Poème saturnien »)ou portent témoignage de ses relations avec Rimbaud, de sa vie avec Mathilde que peu ou prou il regrette(« dédicace ») ou de ses errements solitaires après la mort en 1883, de Lucien Létinois avec qui il vécu une passion amoureuse. On y trouve aussi des poèmes où Verlaine s’amuse à s’adresser à son lecteur (c’est toute la série de « Révérence parler »). L’auteur trouve la force de rire de lui-même (« La dernière fête galante», »poème saturnien »), regrettant le temps passé. Un autre aussi(« Princesse Roukline ») témoigne, après la mort de sa mère, de sa liaison avec une prostituée, Marie Gambier qui ne fut d’ailleurs pas sa seule compagne de sa fin de vie. On est donc bien loin de « La bonne chanson » et de « Sagesse » et de leurs louables intentions !

    Le décès de sa mère qui, malgré tout ce qu’il lui a fait subir, l’a toujours soutenu et a été à ses côtés jusqu’à la fin, le hante toujours (« Mains », « Les morts que l’on fait saigner »).

     

    Ce recueil fut relativement bien accueilli à cause sans doute de sa connotation érotique qui s’inscrit dans une tradition poétique française, même si l’auteur s’en est mollement défendu. Il témoigne du parcours quelque peu cahoteux de Verlaine mais illustre agréablement la musique verlainienne de ses vers.

  • Fêtes galantes

     

     

     

    N° 1459- Avril 2020.

     

    Fêtes galantes. Paul Verlaine.

     

    C’est le deuxième recueil officiel de Verlaine (1844-1896) publié en 1869 chez Lemerre à compte d’auteur. Il y aura trois autres rééditions chez Vanier en 1886, 1891 et 1896. Il n’a rencontré que peu d’écho dans le public comme beaucoup de ses écrits, à sa publication initiale, même si dans les dernières années de sa vie, cet ouvrages sera considéré comme son meilleur et que Claude Debussy mettra en musique certains textes. Il fait suite aux « Poèmes saturniens » datés de 1866, déjà empreints de mélancolie et de malheur et à une autre plaquette « Les amies » publiée en 1867 sous le pseudonyme de Pablo-Maria de Herňales et qui traite des amours saphiques. L’ambiance générale de cet ouvrage fait un peu illusion. Elle est légère, raffinée, inspirée par les toiles de Watteau qui font l’objet une exposition au Louvre, et qui sont à la mode à cette époque dans la bonne société. Les scènes sont bucoliques ou galantes et insouciantes comme dans une Cour royale où l’ont pratique le badinage amoureux. Apparemment Verlaine, en voulant ici évoquer le XVIII° siècle, a souhaité accompagner l’engouement général du public pour cette période et la Cour impériale avait presque officiellement consacré ce style. D’autres poètes contemporains ont d’ailleurs fait de même, mettant à l’honneur la poésie et la comédie italiennes.

    L’ambiance générale du recueil est légère. Ce sont vingt-deux poèmes à la métrique variée et rapide avec des strophes courtes, écrits dans une langue simple et qui évoquent la futilité et la désinvolture des scènes. Certains personnages, Colombine, Pierrot et Arlequin(« Pantomime », « Colombine »), rappellent la Commedia dell’arte et dans ce contexte des plaisirs amoureux, les hommes et les femmes jouent le jeu de la séduction, qui n’est qu’un jeu frivole et même sensuel, puis passent à autre chose avec silence, oubli et inconstance comme dans le théâtre de Marivaux. C’est un univers précieux et superficiel où l’on rencontre un abbé galant, un marquis à la perruque de travers, des femmes déguisées en bergères (« Sur l’herbe »). Verlaine évoque même quelques souvenirs personnels (« En bateau »), c’est ainsi que « Lettre » semble s’adresser à Mme de Villard en des termes convenus et quelque peu artificiellement précieux. L’ambiance est insouciante ainsi qu’il convient à cette société, même si, à bien y regarder, il y a une sorte d’impression de l’échec amoureux (« l’amour par terre »), de la mélancolie derrière un masque rieur(« Claire de lune ») et il est difficile de ne pas voir l’émotion à peine voilée de Verlaine qui évoque Élisa et leur funeste destin commun (« A Clymène », « Colloque sentimental ») et son obsession de la mort. Il semble avoir voulu exorciser son désespoir dans le souvenir confié l’écriture poétique (« Dans la grotte »).

    C’est un recueil d’inspiration parnassienne, c’est à dire rejetant le lyrisme sentimental du romantisme, privilégiant l’impersonnalité par le refus du « je », mettant en exergue la théorie de « l’art pour l’art », refusant le présent et l’engagement politique pour se réfugier dans le passé (« Claire de lune », »Mandoline »).

    Et pourtant malgré tout ce décor patiemment tissé par l’auteur, ce dernier est dans une phase difficile. Son père est mort en 1865, Élisa, la cousine élevée par les Verlaine et dont était follement mais platoniquement amoureux, s’est mariée en 1861 et meurt en couches en 1867 ; l’absinthe est déjà entrée dans sa vie et fait de lui un être violent qui s’attaque à sa mère qui pourtant l’a soutenu toute sa vie. Il n’a peut-être pas encore rencontré Mathilde qui deviendra son éphémère épouse. Pourtant, malgré les critiques parfois dithyrambiques de certains de ses amis, le recueil n’a pas vraiment été un succès à sa sortie.

     

    C’est donc un recueil à la double inspiration, parnassienne et personnelle où son auteur s’exprime comme on le fait à cette époque friande de légèreté mais dévoile à la fois ses sentiments de tristesse, ses vers impairs et leur musique si caractéristique.

     

     

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Les amours jaunes

    Les amours jaunes - Tristan Corbière.

     

    Dans trois éditions, entre 1884 puis en 1888, Verlaine (1844-1896) publie un ouvrage « Les poètes maudits » dans lequel il rend hommage au Parnasse et à quelques autres poètes dont lui-même, caché sous un pseudonyme de Pauvre Lelian, et à Rimbaud notamment. L’expression remonte au romantisme et désigne des poètes incompris de leur vivant à cause de leurs textes difficiles et qui, rejetés par la société, se comportent d’une manière scandaleuse, dangereuse voire autodestructrice. On pense évidemment à Rimbaud. Dans cette liste il révèle le nom de Tristan Corbière, en réalité Edouard-Joachim dit Tristant (1845-1875), poète breton, épris d’aventures maritimes, complètement inconnu de son vivant, proche des symbolistes et auteur d’un seul recueil de poèmes « Les amours jaunes » publié à compte d’auteur en 1873 mais réédité en 1891. Mort à vingt neuf ans, il eut une enfance bourgeoise (il est le fils d’Édouard-Antoine Corbière, romancier et marin), voyageuse mais difficile, marquée par la maladie qui l’obligea à arrêter ses études, mena une vie parisienne marginale, solitaire, mélancolique et misérable. Il rencontra une petite actrice parisienne, Armida Josefina Cuchiani qui devint sa muse et qu’il nomme bizarrement « Marcelle », cigale italienne qui était la maîtresse du comte Rodolphe de Battine, et à qui il dédit deux poèmes éponymes qui encadrent le recueil et s’inspirent de la fable de La Fontaine. Il semblerait qu’elle ait été une femme volage qui maintint Corbière en dehors de sa vie et se refusa à lui, ne lui laissant que les pensionnaires du bordel qu’il nomme « cocotes ». Sous sa plume, la femme sera toujours associée à la nuit, cachée derrière le masque de l’hypocrisie, une sorte d’être un peu mystérieux, accessible mais lointain et vénal.

    Ce titre est énigmatique, évoque peut-être la couleur de la trahison ou peut-être l’envie de rire(jaune) de lui-même qui est un être incompris et de ses échecs amoureux dus à sa laideur (« Le crapaud »), les villageois le surnommant «l'Akou » , la mort. L’ouvrage se présente d’une manière un peu hétéroclite en 7 parties, « Ça », « Les amours jaunes », « Sérénades des sérénades », « Raccrocs », « Armor », « Gens de mer », « Rondels pour après » en tout une centaine de poèmes. Corbière s’inspire de la ville, des rues, de la Bretagne et de ses légendes, de la mer, des marins. Sur le plan de la forme, la ponctuation est hachée, faite de tirets, de points d’exclamation et de suspension ce qui lui confère un rythme irrégulier, il use d’onomatopées, de l’argot mais aussi de mots latins, anglais, espagnols ou italiens, déstructure le sonnet (« Le crapaud »), pratique la rime, parfois un peu facile, adopte l’alexandrin mais en malmène la césure, fait des répétitions. On a l’impression d’une écriture quasi automatique (c’est sans doute pour cela que les surréalistes aimèrent Corbière), heurtée, brute, de laquelle il ressort un aspect tragique, une sorte de mal-être exprimé ainsi par un homme qui se sent exclu du monde, qui combat et exorcise ainsi cette solitude. Il y a, dans son écriture, une dimension spontanée et cathartique exceptionnelle.

     

    L’art est pour l’homme une façon de témoigner de l’idée qu’il se fait de sa vie, de la partager avec le reste du monde et cela lui attire soit la notoriété, la critique ou pire l’indifférence de ses contemporains. Il le fait dans l’imitation des ses maîtres ou dans la volonté de faire évoluer les choses, de renverser la table, de marquer son passage sur terre, de s’inscrire en faux face aux courants littéraires de son époque. Corbière, qui n’a sûrement pas aimé sa vie et qui ne s’est sans doute pas aimé lui-même, a exprimé à sa manière toute la révolte et la violence qu’il portait en lui et, à titre personnel, je respecte cette voix d’autant qu’elle n’a vraiment résonné qu’après sa mort. Son cri est celui de la désespérance.

    En ce qui me concerne, je demande à l’art en général et à la poésie en particulier, de me procurer ce petit supplément d’âme et d’émotion intime qui fait que je m’attache à un artiste à raison de ce qu’il nous a laissé en héritage. Corbière a pratiqué la sincérité et même l’impulsivité sans souci des règles de la prosodie et je retiens cela, mais je ne rencontre pas dans ses poèmes la couleur et la musique qui d’ordinaire me parlent et m’émeuvent.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Poèmes saturniens

     

    N° 1457- Avril 2020.

     

    Poèmes saturniens. Paul Verlaine.

     

    C’est le premier recueil de Verlaine paru en 1866 à compte d’auteur chez Lemerre. Il comporte des poèmes écrits lorsqu’il était au lycée , c’est donc une œuvre de jeunesse qui fleure bon les devoirs scolaires et l‘imitation de ses aînés dont Baudelaire à propos de qui il fera une étude. L’auteur a alors 22 ans quand est publié cet ouvrage ; il est alors employé à la mairie de Paris mais est peu assidu à ce travail qu’il perdra d’ailleurs à la suite de son engagement dans la Commune. Verlaine a toujours été un enfant puis un adolescent difficile, secoué par la mort de son père en 1865 et par le mariage en 1861 d’Élisa, sa cousine, élevée par les Verlaine, dont il était amoureux et qu’il souhaitait épouser (C’est elle qui aurait fourni l’argent de cette édition). Sa mort en couches en 1867 le précipitera encore davantage dans l’alcool ce qui fera de lui un être violent, notamment contre sa mère. A l’époque de ce recueil il a déjà fréquenté les cafés littéraires, rencontré des poètes « Parnassiens » et publié quelques poèmes dans différentes revues. Pourquoi placer ces poèmes sous le signe de Saturne ? Verlaine s’en explique dès le début, il s’estime lié à cet astre parce qu’il est synonyme de malheur et qu’il doit donc souffrir, puisqu’il est sous son influence « maligne ». Il se pense exclut de l’amour et traîne sa peine dans un décor de jardin triste (« Promenade sentimentale »), la solitude, l’isolement, les remords baignent ses vers, et c’est avec mélancolie et regrets qu’il pense à « l’Absente » (Le rossignol), se plaint (« Jésuitisme ») et voit toujours la femme (Élisa) comme un être lointain, inaccessible (« Mon rêve familier »), idéal. Il ne lui reste que le souvenir d’un amour (« Nevermore »), le rêve (et le fantasme?)(« il bacio ») mais il porte en lui une révolte qu’avec l’absinthe et la violence cherchera toujours à exorciser. Pour autant, ce recueil présente différents tons, mélange des impressions visuelles un peu crépusculaires et automnales (Soleils couchants), voire romantiques (« Chanson d’automne »), des pièces plus alertes (« Femme et chatte »- « La chanson des ingénues »), des visions macabres et peut-être une obsession de la mort (« Sub urbe »- « La mort de Philippe II »), des évocations parisiennes (« Nocturne parisien »)...

     

    La composition du recueil est très classique notamment dans les personnages empruntés aux Latins et aux Grecs, il est divisé en « prologue » et « épilogue », avec des sections intermédiaires (mélancholia, eaux-fortes, paysages tristes), comme cela se faisait à l’époque. A la fin du prologue, il confie son livre au destin (« Maintenant, va, mon livre, où le hasard te mène », comme s’il lui souhaitait lui-même « bon vent » et dans l’épilogue il conclue dans une sorte de vœu, sur l’inspiration indispensable au poète mais surtout l’étude, l’effort, le combat, le travail d’où sortira le chef-d’œuvre qui fera sa notoriété. Il présente l’esquisse du style symboliste dont se recommanderont plus tard des poètes comme Gustave Kahn .

     

    Sur le plan de la forme, même s’il reste classique dans sa composition,Verlaine commence déjà, dans ce premier recueil à assouplir l’alexandrin, à pratiquer les vers de cinq, sept, huit et dix syllabes, s’essaie à manier des rythmes impairs, à instiller une sorte d’ambiance un peu vague, une sensibilité exacerbée, des couleurs sombres, des images parfois agressives qui tissent l’ambiance générale de ce recueil.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

  • La bonne chanson

     

    N° 1455- Avril 2020.

     

    La bonne chanson - Verlaine.

     

    C’est le troisième recueil de Verlaine (1844-1896) publié à compte d’auteur. Il a rencontré en 1869 Mathilde Mauté de Fleurville, très jeune fille de seize ainsi qu’il épousera quelques mois plus tard et pour qui il écrit ces poèmes. Elle est la cousine d’un de ses camarades et on l’imagine frêle, innocente face à un homme, employé peu assidu comme expéditionnaire à la mairie de Paris, qui est le fils d’une bonne famille catholique et bourgeoise. Il s’est déjà signalé par une fréquentation régulière des cafés littéraires et aussi des estaminets et la publication de deux œuvres, les « Poèmes saturniens » où malgré une influence assez nette des parnassiens, il laisse déjà deviner le grand poète qu’il deviendra. Le second recueil, « Les fêtes galantes » évoque au contraire la frivolité d’une société élégante du XVIII° siècle avec cependant quelques notes de nostalgie. Il était donc bien normal qu’il dédiât ces vingt et un poèmes à celle qui allait devenir sa femme et il y a fort à parier qu’elle en fut flattée et qu’elle les reçut avec plaisir avant leur publication. Ce fut donc « La Bonne chanson » (1870) et tout sans doute se présentait sous les meilleurs auspices. On imagine un Verlaine amoureux, jadis instable et un peu triste, qui aspire aux joies simples et apaisantes d’un foyer, un homme qui voit en cette jeune fille, plus jeune que lui de neuf ans, « un être de lumière » qui l’épaulera dans sa lutte contre lui-même et contre ses démons. Il veut oublier son passé (« Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore ») et il a à l’égard de Mathilde toute la retenue qui convient à l’époque à un jeune homme à marier. On a du mal à s’imaginer que c’est le même auteur que celui des fêtes galantes mais on peut faire crédit à Verlaine de l’authenticité de ses bonnes résolutions et de ses sentiments tout neufs.

     

    L’auteur évoque presque chronologiquement leur rencontre puis leur mariage. Il décrit avec une réelle sensibilité romantique les paysages qui ont servi d’écrin à son amour, évoque ses joies et son enthousiasme, se fait bucolique, varie la métrique, allant de l’alexandrin à l’octosyllabe, voire au décasyllabe. Il use de rimes plates, voire parfois un peu mièvres ce qui ajoute une nuance de facilité à la composition malgré une ambiance générale lumineuse. De sa future femme il vante, peut-être un peu naïvement la beauté simple, la sainteté, la sagesse, en parle au début à la troisième personne, puis au fil des textes passe au vouvoiement puis au tutoiement, ce qui souligne son attachement à Mathilde.

     

    Verlaine était un être tourmenté et l’ambiance de son ménage ne tarda pas à se détériorer à cause des violences imposées à Mathilde et à leur fils, à cause de l’absinthe, de sa liaison tumultueuse avec Rimbaud, de son séjour en prison, de ses errances en France, en Belgique, en Angleterre. Cette idylle ne dura donc que peu de temps et même si Verlaine tenta un retour à résipiscence en se tournant vers Dieu « Sagesse ») il n’en retomba pas moins dans la violence contre sa propre mère, la solitude, l’alcool puis la ruine malgré son élection comme « Prince des poètes » peu de temps avant sa mort.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

     

  • Romances sans paroles

    Romances sans paroles. Verlaine - N°1456 Avril 2020

     

    Le titre tout d’abord est paradoxale. Une romance est une pièce poétique simple, populaire sur un sujet sentimental. Ici le terme est au pluriel et on peut toujours considérer que chaque poème est une romance. Il y a un aspect musical dans la romance et, s’agissant de Verlaine qui met « la musique avant toute chose » et dont la mélodie du vers n’est plus à démontrer, cela tombe plutôt bien. Quant aux paroles, elles sont bien là…Le titre est emprunté à une œuvre de Mendelssohn, reprend un vers des « Fêtes galantes » (A Clymène) mais sa publication initiale est plutôt passée inaperçue. Sa réédition en 1887 eut davantage d’audience.

    Ces poèmes publiés en1874 ont été écrits en 1872 et 1873, c’est à dire à l’époque où il quitte son foyer malgré son récent mariage avec Mathilde et entame sa folle épopée avec Raimbaud sur qui il tire deux coups de pistolet, ce qui l’envoie en prison pour deux ans à Mons. C’est d’ailleurs dans sa cellule qu’il reçoit les premiers exemplaires de ce recueil.

    Ces textes épousent l’itinéraire de ces deux poètes quelque peu marginaux, retracent leur épopée amoureuse (« Ariettes oubliées ») avec peut-être un peu de regret de celle qu’il a abandonnée (VII) et dont il souhaite de pardon (IV) On peut même voir dans la V° une allusion à peine voilée au piano dont jouait sa belle-mère, férue de musique et sûrement aussi à Mathilde. Il parle d’ailleurs du « boudoir longtemps parfumé d’Elle ». Regrette-il à ce moment ce foyer dont il a tant rêvé dans « La bonne chanson » ? Dans la VII° « O triste triste était mon âme, A cause à cause d’une femme » on peut y voir la marque de ce remords, de cette volonté de solliciter son aide, peut-être ? Ces textes portent la marque du talent et de l’influence de son ami notamment lorsque Verlaine dans la VI° évoque « le chien de Jean Nivelle », Rimbaud lui ayant communiqué son goût pour les chansons populaires. Verlaine abandonne ici l’esthétique du Parnasse qui lui servit de boussole à ses débuts.

    Comme une transition avec ce qui va suivre, ces ariettes se terminent sur des descriptions de paysages. C’est en effet l’évocation des villes de Walcourt, de Charleroi, de Bruxelles et de Malines qui témoigne de leur itinéraire belge. L’Angleterre lui succédera. Voilà que Mathilde, en juillet 1872, part pour Bruxelles accompagnée de sa mère dans le but évident de reconquérir son mari ; « Birds at night » relate cette entrevue dans un hôtel puis dans un dans un jardin public, Verlaine lui réitère son amour, l’accuse un peu de ne l’avoir pas compris («  Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie, encor que de vous vienne ma souffrance ») , l’invective même dans « Child wife », justifie sa fuite et la quitte. Avec « Aquarelle » il est en Angleterre et il écrit encore pour Mathilde, mais le destin est en marche et il est implacable !

    De tout ce recueil Verlaine fait entendre la musique de son vers, son aspect « impair », ses descriptions, les couleurs quelque peu estompées et qu’on peut apparenter à l’ « impressionnisme » . Pour autant, j’en retire une sorte d’impression assez malsaine où Verlaine exprime son désarroi devant les choses d’une vie dans laquelle il a du mal à se glisser. Il relate un parcours un peu chaotique, ses amours avec Rimbaud et ceux avec Mathilde, une situation assez ambiguë, une unité assez difficile à trouver qui témoigne de son mal-être. Il n’abandonne pas la rime adopte des métriques différentes, parfois même étonnantes ce qui montre sa soif de liberté dans le domaine de la poésie comme il l’exprime dans son « Art poétique ». Cela annonce le vers libre qui s’épanouira plus tard, mais il reste sur cette position assez traditionnelle. Cette époque d’après la Commune, correspond à sa rupture avec le Parnasse. Pour autant il émane de ces textes une immense tristesse, celle peut-être de n’avoir pas sa place en ce monde, celle peut-être d’avoir définitivement perdu Mathilde même s’il n’était pas très sûr de l’aimer, triste de voir l’escapade amoureuse avec Rimbaud tourner court, triste peut-être de ne plus être capable d’aimer personne et de n’être pas capable de dominer la violence qu’il porte en lui et de ne pouvoir que s’abandonner à ses démons.

     

  • Sagesse

    N° 1454- Avril 2020.

     

    Sagesse – Verlaine.

     

    Ce recueil, paru en 1881 à compte d’auteur, a été écrit par Verlaine (1844-1896) soit en prison soit après la captivité. Il témoigne de son retour à résipiscence, un itinéraire intime vers Dieu. Quand il en commence la rédaction, nous sommes en juillet 1873, Verlaine a perdu son poste à l’Hôtel de ville de Paris, s’est remis à boire et après avoir tiré sur Rimbaud avec qui il a eu une liaison tumultueuse, il est en prison à Bruxelles puis à Mons et évoque sa geôle (« Le ciel est par dessus le toit »), se désole de son sort, se posant en malheureux (« Gaspart Hauser chante ») . Elles sont loin les bonnes résolutions et les serments d’amour exprimés dans « La bonne chanson »(1870) dédiée à Mathilde qu’il a épousée quelques mois et où il rêve d’une vie paisible avec elle. Pourtant il les réitère, entre habileté en candeur (« Écoutez la chanson bien douce ») mais, malmenée par son mari, elle obtiendra leur séparation puis le divorce plus tard. Libéré, il poursuivra un parcours chaotique entre scènes violentes, condamnations pénales, rechutes dans l’alcool, séjours à l’hôpital, liaisons houleuses, errances puis reconnaissance de ses pairs comme « Prince des poètes » en 1894, mais il meurt dans la misère. Ce recueil, publié après une longue période de silence, a été publié dans l’indifférence générale et il faudra attendre la mort de l’auteur pour qu’il soit reconnu comme un chef-d’œuvre puisque notamment on y retrouve toute la musique du vers de Verlaine.

     

    Revenons à ce recueil qui atteste de sa conversion religieuse. Est-ce un authentique parcours mystique comme on l’a dit, une tentative de résilience, l’usage de l’écriture comme un exorcisme face à l’adversité ? Je note, même s’il existe des vers d’une métrique différente, que l’usage majoritaire de l’alexandrin dans ce recueil peut donner une note de sincérité dans sa démarche. Sa scansion a quelque chose de religieux, à tout le moins à mes yeux. Abandonné, emprisonné, il débute son recueil par une sorte d’allégorie médiévale où le Malheur, la souffrance, l’ont aidé à connaître l’amour divin(« Bon chevalier masqué ») puis c’est un dialogue entre Dieu et son âme humble de pécheur, (« Mon dieu m’a dit ») et, à longueur de poèmes, il confesse sa faiblesse, chasse les péchés pour privilégier obéissance à Dieu et louer son action (« Ah, Seigneur, qu’ai-je ? Hélas »), évoque la foi catholique, en appelle à Marie, aux chrétiens célèbres, à la foi des bâtisseurs de cathédrales…

     

    J’en reviens à la question posée. Il n’est évidemment pas question de nier le chef-d’œuvre que l’auteur nous a laissé, ni l’immense apport qui fut le sien à la poésie. Il est, lui aussi, à mes yeux un exceptionnel serviteur de notre belle langue française et redécouvrir la poésie à travers lui est toujours une démarche enrichissante. Verlaine était baptisé, élevé dans une famille bourgeoise catholique. Même s’il a un peu oublié le message religieux avant son incarcération, il est parfaitement plausible que, dans l’état de déréliction qu’il connaissait alors, il se soit tourné vers Dieu. Cette expérience n’est pas unique, bien au contraire et elle a même donné de grands mystiques, mais dans son cas, la liberté retrouvée, il a renoué avec ses vieux démons. On peut toujours changer d’avis, certes la chair est faible, mais quand même !Fut-il sincère dans sa démarche vers Dieu. C’est possible et cette sorte d’extase spirituelle qui apparemment fut la sienne eut des prolongements dans sa volonté de reconquérir sa femme («Écoutez la chanson bien douce »)et ainsi de rentrer dans le rang de l’époux traditionnel, d’avoir avec Rimbaud des relations plus apaisées (« Aimons-nous en Jésus » lui écrit-il, tentant vainement de le convertir), et d’effectuer un séjour à l’abbaye de Chimay, mais il est possible aussi que ce parcours vers Dieu ait atteint ses limites et l’ait déçu. Verlaine était un poète, certes peu célèbre et reconnu seulement sur le tard mais qui aspirait à la consécration. Qu’il ait puisé dans cet épisode délétère de sa vie pour nourrir sa créativité n’a rien d’exceptionnel et cela peut mettre en lumière la force cathartique de l’écriture qu’il ne faut pas négliger. Il a publié ce recueil chez un éditeur catholique et non chez Lemerre comme précédemment, sans doute pour donner plus d’ampleur à son message.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

  • Philippe Soupault

    N°1453 – Avril 2020

     

    Philippe Soupault – Henri-Jaques Dupuy - Seghers

     

    Philippe Soupault (1899-1990) est issu d’un milieu grand bourgeois parisien qu’il décida très tôt de fuir. Son père qu’il perdit très jeune était médecin des hôpitaux et le constructeur automobile Louis Renault devint son oncle par alliance qu’il vilipenda plus tard. C’est la guerre de 14-18 qui fit naître en lui la vocation de poète et notamment la découverte des textes de Rimbaud et de Lautréamont. Toute sa vie il ne cessera d’écrire sous l’empire de la spontanéité, refusant la rime et le rythme imposés par la prosodie mais cultivant l’assonance, la dissonance des mots, les allitérations, les répétitions, l’exploration de l’insolite ... C’est à cette période aussi qu’il fit les rencontres décisives d’Apollinaire déjà célèbre, mais aussi de Tristan Tzara et d’Aragon et d’André Breton. Avec ce dernier dont il se séparera par la suite pour des raisons politiques et d’évolution intellectuelle, il participera au mouvement provocateur et destructeur « Dada » puis au surréalisme. Ensemble, ils collaboreront à l’élaboration des « Champs magnétiques », une expérience menée dans le domaine de l’écriture automatique alliant la spontanéité de Rimbaud et de Lautréamont à l’exploration du rêve sans négliger pour autant le contexte paradoxale de la nuit, à la fois support créateur du songe et de l’insomnie angoissante. Cette œuvre majeure a permis la compréhension du mystère poétique surréaliste. Qu’on ne s’y trompe pas, cette ambiance destructrice dadaïste qui fait suite à la guerre s’apparente à la mort et cela influença forcément Soupault. Il finira par prendre ses distances avec le mouvement « dada »qui a contribué à remettre en question la notion d’esthétisme en vigueur à cette époque, une sorte de concept de « l’art pour l’art » qu’il refusait. Il sera même sanctionné par ses amis surréalistes avec qui il prit ses distances, pour insoumission à une ambiance interne autoritariste du mouvement. Cette posture à la fois littéraire et anti-littéraire, qu’on peut juger quelque peu ambiguë à cette époque, s’explique sans doute par sa soif de vivre, de voyager, d’être libre et sans doute aussi de répondre à ses ambitions littéraires incompatibles à ses yeux avec les vaines querelles de terrasses de café à la mode. Ainsi devint-il journaliste et grand reporter pour éviter l’étouffement parisien, ce qui le conduisit en Europe, puis plus tard en Amérique du Nord, en Afrique, en Amérique latine et en Russie avec des fonctions très officielles, même si ces voyages ont pu prendre la forme d’une évasion et même d’une fuite, il rencontra beaucoup de gens, devint ainsi adepte de la vitesse et des romans qu’il se mit à écrire et dont l’un d’eux (« Les frères Durandeau »-1924) frôla même le prix Goncourt, un éclectisme intellectuel qui fait de lui un homme complexe et d’une grande culture mais qui n’adhéra jamais à aucun parti politique, fuyant les honneurs officiels. Sa démarche poétique n’était cependant pas exempte d’un certain regard pertinent posé sur les relations internationales, surtout quand la liberté était menacée. Dans le domaine du roman, il étouffa quelque peu le poète pour laisser la place à l’autobiographe, au contempteur d’une certaine société intellectuelle de poètes et de grands bourgeois mais ça met en quelque sorte en évidence une certaine impuissance à vivre et peut-être même à écrire. Il se passionna très tôt pour le cinéma à travers les films de « Charlot » et contribua par ses chroniques à reconnaître à cette nouvelle manifestation artistique une dimension poétique. Il écrivit même un scénario en 1934 et participa au mouvement théâtral en adaptant des écrits d’Edgard Poe ou d’Andersen ou en étant lui-même l’auteur du livret d’un oratorio. La radio fut aussi une de ses passions, créant et animant notamment « Radio-Tunis » jusqu’à son arrestation et son incarcération en 1942 par les troupes de Vichy. Il ne cessa de s’intéresser à la musique, notamment le jazz, à la chanson, à la peinture à travers une collection personnelle de toiles de Chirico, de Picasso, de Chagall… et surtout d’Henri Rousseau à qui il consacra une étude comme il le fit également pour Apollinaire, Baudelaire et ...Eugène Labiche.

     

    Son séjour à l’hôpital pendant la première guerre lui fit connaître Lautreamont et ses « Chants de Maldoror » qui furent pour lui une révélation qui influença non seulement son écriture mais aussi toute sa vie puisqu’il ne cessa vraiment jamais, même dans les actes les plus anodins du quotidien, d’être surréaliste.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

  • Paroles

    N° 1452– Avril 2020.

     

    Paroles – Jacques Prévert- Folio.

     

    L’expression « inventaire à la Prévert » se vérifie encore pour ce recueil(un texte en est l’illustration) et on a l’impression que les poèmes en prose qui se succèdent s’accumulent presque par hasard au long des pages, un peu comme des mots, des «paroles », jetées au vent... L’écriture est toujours spontanée, il y a, bien sûr de l’humour, de la dérision ; l’auteur a démocratisé la poésie, l’a libérée, comme d’autres avant lui, de la gangue et du conformiste de la prosodie, c’est ce qui fait l’originalité de cet auteur atypique et c’est aussi pour cela qu’on l’aime.

     

    Il évoque la vie dans ce qu’elle a de quotidien, de dérisoire, d’ordinaire voire de stupide ou d’absurde (complainte de Vincent- dimanche, page d’écriture…), la vie dans les rues de Paris et sur les quais de la Seine mais aussi la mort qui en est simplement la fin parce que telle est la condition humaine. On suit ses histoires, celles qu’il nous raconte, même si c’est parfois un peu long et qu’il se laisse aller à des facilités de langage et de rimes...

    Il y a aussi la haine de la guerre. Quand ce recueil paraît, en 1946, on sort de ce deuxième conflit mondial qui a bouleversé l’humanité et qui, comme à chaque fois a semé la mort et donné libre court à la folie des hommes (Le sultan). C’est une espérance de paix (Le bouquet) parce que l’homme, même s’il pratique la guerre depuis la nuit des temps, aspire quand même à la paix et cela passe souvent par les bras des femmes.

    Ce que je retiens surtout dans ce recueil ce sont les textes inspirés par les femmes qui elles lui inspirent l’amour, un amour qu’on voudrait éternel certes mais aussi qui est surtout fragile parce qu’il est comme toutes les choses humaines, éphémères, transitoires, fongibles. Partout, il y a des visages, des silhouettes de femmes furtives, irréelles, des passantes croisées dans une rue et qui s’évaporent, ne laissant derrière elles que la fragrance d’un parfum, l’illumination d’un sourire, la légèreté d’un fantasme . Sans en citer aucune par son nom (est-ce bien nécessaire) Prévert se contente de les évoquer, d’en dessiner l’esquisse. Parfois il appelle l’une d’elles « Mon amour » sans plus de détails, peut-être pour souligner la permanence de leur relation peut-être pour marquer que tout cela est précaire et constamment remis en question.

    On ne peut parler de ce recueil sans s’arrêter un instant sur le texte emblématique intitulé « Barbara » qui est sans doute un des plus beaux poèmes d’amour que je connaisse et qui a été sublimé par les voix envoûtantes d’ Yves Montant et de Mouloudji. Prévert plante le décor, fait appel à sa mémoire : la ville de Brest avant la guerre, pluvieuse mais heureuse comme cette femme jeune et jolie, croisée au hasard d’une rue. Un homme l’appelle par son nom et ils s’étreignent. Alors, à partir de là, entre l’auteur et cette jeune femme qui ne l’a sûrement pas remarqué, pour qui il est sans doute invisible, va se créer une sorte d’intimité unilatérale, soulignée par le tutoiement, un peu comme si ce poète, bouleversé la beauté et le bonheur de cette femme, et qui avait peut-être lui aussi un peu le cœur en jachère, va choisir de regarder ces deux jeunes gens et d’oublier le reste. Plus tard quand la guerre a tout détruit de cette ville, il se souvient de ce moment et comme une incantation intime, l’appelle par ce seul nom qu’il connaisse, se demandant si elle et son amoureux sont encore vivants après tout ce déluge de feu. Il imprime ce moment avec des mots pour qu’ils restent dans sa mémoire parce que ces instants sont précieux aussi furtifs qu’un sourire de femme que le temps efface inexorablement. Seule la page blanche en garde témoignage de cet épisode qui maintenant appartient au passé.

    J’avais émis des réserves sur « Histoires », paru la même année. Ce recueil me plaît infiniment plus.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Poésies

    N° 1451 – Avril 2020.

     

    Jules Laforgue.

     

    L’amnésie étant une des grandes caractéristiques de l’espèce humaine, et c’est sans doute le lot de la plupart des poètes de ne pas rester dans la mémoire collective sauf si un chanteur à succès décide d’accrocher des notes à leurs vers, la poésie étant de nos jours le parent pauvre de la littérature. Jules Laforgue (1860-1887) fait partie de ces oubliés et pourtant il a permis à la poésie d’évoluer, donnant entre autre, naissance au vers libre qu’illustreront bien après lui bien des poètes qui dont nous disons encore les textes aujourd’hui. Né à Montevideo (Uruguay) d’une famille française émigrée espérant faire fortune, il revint en France à l’âge de 6 ans, interrompit ses études puis mèna à Paris une vie difficile, marquée par le spleen, le sentiment de ne pas être à sa place en ce monde, le mal-être, le pessimisme du « poète maudit » et la solitude qui baignent ses poèmes. Il fréquenta les milieux littéraires parisiens, devint secrétaire d’un critique d’art, acquit un goût sûr en peinture, notamment dans le domaine de l’impressionnisme, et rencontra des poètes qu’on appellera plus tard « Symbolistes ». Il obtint le poste de lecteur de l’impératrice allemande Augusta de Saxe-Weimar Eisenach, âgée à l’époque de 71 ans, qu’il suivit à travers l’Europe. Il était en effet d’usage qu’à la cour on parlât le français. Cet emploi lui assura une relative aisance financière et lui permit surtout de voyager. Cela dura 5 années pendant lesquelles il écrivit et publia, mais uniquement à ses frais, traduisit le recueil, « Feuilles d’herbe » du grand poète américain Walt Whitman (1819-1892), se maria en 1886 et mourut de phtisie l’année suivante à Paris. Certaines de ses œuvres ne furent publiées qu’à titre posthume. Tel est le parcours de ce poète mort à 27 ans.

     

    L’évolution de l’écriture de Laforgue est caractéristique. Ses premiers poèmes d’adolescents sont empreints de classicisme, « Complaintes » paru en 1885 et « L’imitation de Notre-Dame La Lune », en 1886 sont deux recueils de facture classique, respectueux de la prosodie et attestent de son inspiration traditionnelle lyrique. Les vers employés sont des alexandrins (parfois irréguliers) ou des vers de 8 ou de 10 syllabes avec des rimes alternativement plates, embrassées et alternées souvent tressées sous forme de poèmes à forme fixe comme le sonnet qui attestent de son héritage baudelairien. Avec « Derniers vers », paru en 1890, il prend une dimension de modernité cependant déjà annoncée en filigrane dans ses œuvres précédentes, à la fois dans la forme (absence de rimes, mots résolument actuels) et dans le fond (thèmes traités). Il prend cependant des libertés avec les mots et les fait parfois agréablement sonner entre eux mais aussi réagir agressivement, brise le rythme classique.

     

    Les thèmes sont classiques, celui de la condition humaine, de la brièveté de la vie, de l’ennui, de la mort qu’il a connue très tôt avec le décès de sa mère alors qu’il n’avait que 17 ans. Il parvient même à y instiller de l’humour et de la dérision. Il est un poète injustement méconnu et oublié.

     

    Je poursuis mon évocation, forcément limitée et trop superficielle, des poètes que la mémoire collective a quelque peu « confinés » dans un anonymat à mes yeux incompréhensible.

     

     

  • Histoires

    N° 1450- Avril 2020.

     

    Histoires – Jacques Prévert. Folio

     

    Ce recueil de poèmes est une véritable énumération « à la Prévert » sans aucune unité. On y trouve pêle-mêle des contes pour enfants (pas sages), des évocations de son enfance parisienne avec des lieux de la capitale, des rues réelles ou imaginaires, des stations de métro, des quais de Seine, des allusions aux cimetières qui rappellent la mort mais aussi les vicissitudes de la vie, la misère, un bestiaire varié, une courte saynète surréaliste dans un restaurant, des allusions à d’autres lieux, d’autres villes… Bref des textes plus ou moins longs comme juxtaposés.

     

    Il n’omet pas le calembour , l’humour, l’ironie et les situations cocasses, il ne serait pas Prévert sans cela. Mais un peu décevant quand même !

     

    Ce recueil c’est un peu comme « Paroles » paru cette même année 1946

     

     

  • Henri Michaux par René Bertelé

    N° 1449- Avril 2020.

     

    Henri Michaux – René Bertelé – Seghers.

     

    S’il est une caractéristique d’Henri Michaux (1899-1984), c’est bien d’être impossible à situer parmi les poètes. Voyageur, peintre, dessinateur, chroniqueur, conteur, il refusait la tyrannie des mots et de la syntaxe pour s’inventer son propre univers, s’inscrivant lui-même loin des médias et des milieux littéraires. Il resta volontairement étranger au mouvement surréaliste qui, dans les année 30, avait un rôle de boussole pour nombre d’écrivains. Pourtant, il en cultiva la spontanéité et la liberté d’écriture qui entourent nombre de ses textes d’un halo de mystère. Refus est sans doute le mot qui caractérisa sa vie, celle de l’enfance qu’il vécut comme un étranger (son personnage de Plume lui ressemble beaucoup, c’est un inadapté au monde, un malchanceux qui s’habitue à sa condition au point de s’en sentir responsable, un véritable personnage kafkaïen enveloppé d’un humour décalé), refus du contexte extérieur caractérisé par l’usage de la drogue, refus de son pays, la Belgique, qu’il n’aima pas, celui du quotidien auquel il s’opposa avec ses mots pour mieux s’affirmer face à lui comme un écorché-vif. C’est sans doute dans les hésitations successives de sa vie où il changea souvent de parcours qu’on peut déchiffrer sa démarche. Ses dessins, sa peinture, son autre moyen d’expression, reproduits partiellement dans cet ouvrage, ou plutôt des esquisses de quelque choses, ajoutent à cette impression un peu malsaine. Sa poésie est un refus du monde dont il a une vision pessimiste, la prise de conscience du vide qui l’entoure et dont il cherche à se libérer et à le remplacer par la création de mondes imaginaires qui peuvent rapidement devenir obsédants voire angoissants mais dans lesquels il nous entraîne. Elle s’inscrit aussi dans un refus des romantiques et de leur mélancolie à qui il substitue une poésie moins conventionnelle et tellement libérée que visuellement elle s’apparente à de la prose, avec des mots pleins d’une musique forte, parfois faite de néologismes, mais une écriture libératrice au fort pouvoir cathartique. Il nous accompagne d’ailleurs dans cette démarche au point d’en être obsédé et tellement possédé que cette posture peut devenir agressive et angoissante. On a même cette impression bizarre que les mots échappent à celui qui entend se les approprier et les maîtriser au point qu’existe entre eux une véritable lutte. C’est un thème qui m’a toujours paru intéressant dans la démarche d’un écrivain et qui remet en question le vrai sens de l’écriture qui n’est pas qu’un simple remplissage de pages blanches. Dans une démarche créatrice qui n’est jamais gratuite, on croise souvent ses propres fantômes, ses obsessions qui ressemblent à des absences, à du dénuement ou pire à des échecs, ce qui a pu faire dire qu’on ne sort jamais indemne d’une telle expérience qui n’existe que dans le contexte d’ un univers douloureux. Ce phénomène est ici exacerbé par l’usage de la drogue, conçue par notre auteur (selon Bertelé) non comme une addiction, non comme une évasion mais comme une libération de soi, une expérimentation intellectuelle, un combat créateur né d’une connaissance analytique approfondie et duquel naissent les mots mais aussi avec une sorte de fascination. Sa démarche n’est pas dénuée d’aliénation, de violence, de culpabilité nées de l’impuissance à créer, du jugement qui viendra sanctionner tout cela comme un tribunal suprême dont il serait son propre juge. Il y a de l’abscons comme si son univers et ses mots lui échappaient, se refusaient, se dérobaient à ses yeux, comme si c’était le mal-être de celui qui sait ne pas être à sa place et qui combat mollement cet état de fait par l’humour, le corps à corps avec les mots, le voyage intérieur vers un improbable salut.

     

    Cela faisait longtemps que je voulais me replonger dans le monde imaginaire de Michaux ce qui d’une certaine façon fut une redécouverte assez inattendue et surprenante, cette période de confinement favorable à la lecture m’y a incité.

  • Au cœur du monde

    N° 1448 Mars 2020.

     

    Au cœur du monde précédé de « Feuilles de route sud-Américaines – poèmes divers »– Blaise Cendrars – Gallimard.

     

    Ce recueil divisé en quatre parties inégales comporte des poèmes écrits entre 1924 et 1929 par Blaise Cendrars (1887-1961), de son vrai nom Frédéric Sauser, publiés plus tardivement.

    L’auteur est en lui-même un paradoxe, en opposition avec l’image traditionnelle du poète. C’est un aventurier, un bourlingueur qui ne peut demeurer longtemps à la même place et rester assis à une table en attendant l’inspiration ne correspond pas du tout à son caractère. Il est pourtant un grand écrivain, né pour voyager, qui cultive sa spontanéité et dont l’écriture sans fioriture ressemble a sa manière de vivre. Très jeune déjà, il a répondu à l’appel du voyage, de l’inconnu et bien avant d’écrire, il exerce sans le moindre diplôme de nombreux métiers qui lui font parcourir l’Europe, la Russie et l’Amérique du Nord, rencontrer un nombre impressionnant de personnages et devenir un découvreur de jeunes peintres alors inconnus à propos de qui il émet de pertinentes remarques. Dans ses bagages il y a toujours des poèmes. Quand il choisit l’écriture, il a à ce sujet des idées bien arrêtées et scandalise Apollinaire en lui déclarant que la poésie doit être libérée de toutes contraintes prosodiques, célébrer « la vie moderne » et créer un langage nouveau. D’ailleurs ce recueil se caractérise, entre autre, par une absence de ponctuation et on sait qu’Apollinaire, quand il publiera « Alcools » s’inspirera de ce détail en gommant lui-même ces signes. Une amitié autour de l’écriture puis une opposition naquirent entre ces deux poètes, qui eut au moins l’avantage d’enrichir la palette de chacun d’eux et de transformer la poésie. Grâce à eux on n’écrira plus comme avant ! La Grande Guerre va lui donner l’occasion, à lui qui est de nationalité suisse, de s’engager pour la France dans la Légion Étrangère, d‘y avoir une conduite héroïque, puis, amputé de l’avant-bras droit, d’être réformé et décoré. On ne retrouvera lors du deuxième conflit comme correspondant de guerre .

     

    Feuilles de route date de 1924. C’est son dernier recueil de poèmes. Ensuite il se consacrera au roman, au journalisme... Ce sont des textes emprunts d’une grande liberté d’écriture où il se moque des règles classiques pour ne privilégier que les images, les sons, les impressions, les remarques. Cela fonctionne comme un compte-rendu de voyage. Il quitte Paris, seul, par le train, arrive au Havre, destination le Brésil. Il évoque les escales, La Rochelle, le Portugal, Dakar, un point au milieu de l’océan donné par l’œil d’un sextant. Il dit simplement ce qu’il voit et entend à bord ou à l’escale, les « lettres-océan » qu’il reçoit, la beauté des femmes noires, les ciels, les poissons-volants, le passage de la ligne… Puis ce sera la terre, la piste, les découvertes. Et bien sûr il écrit parce qu’il n’y a rien de tel que le voyage pour solliciter les cinq sens et titiller la plume. Il est tout entier dans son parcours, en goûte les moindres instants, à propos de rien, d’un petit détail anodin.Il veut être un témoin qui vit intensément et explore à sa sa manière les thèmes éternels que sont l’amour, la liberté, la pitié devant la misère ...

    Avec « Poèmes divers » il évoque la guerre, la Grande, rend hommage à Apollinaire et il retrouve Paris dans « Au cœur du monde »mais toujours en solitaire et quelque peu désabusé à cause de ce conflit, des bombardements, des sirènes et de sa jeunesse enfuie…

     

    Dans ces temps de longs confinements où la lecture reprend ses droits, chez moi Cendrars est toujours le bienvenu.

     

     

    ©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • La chanson d'un gâs qu'a mal tourné

    N° 1447 Mars 2020.

    n° 1447

    Gaston Couté, le « gars qu’a mal tourné »

     

    Gaston Couté (1880-1911) passa toute son enfance à Meung sur Loire où son père était meunier. Il n’aimait pas beaucoup d’école et lui préférait les bois et la nature. Dût-il à Villon qui fut un poète contestataire et qui y fut incarcéré quelques temps, d’être lui aussi « un gars qu’à mal tourné » mais Gaston connaissait par cœur des poèmes du Maître François et marqua très tôt sa préférence pour le français et l’histoire, délaissant les mathématiques au lycée d’Orléans qu’il finit par quitter en abandonnant définitivement ses études au grand dam de son père. Comme il n’était pas question d’en faire un meunier, on fit de lui, pour un temps seulement, un agent de perception, puis un reporter dans un journal du Loiret qui publia ses poèmes. Rapidement il fut invité à déclamer ses œuvres dans les cafés d’Orléans et se laissa convaincre de partir pour Paris où il débarqua en octobre 1898 à l’âge de 18 ans. Les cabarets montmartrois accueillirent favorablement ce poète beauceron patoisant, lui procurant des applaudissements, mais pas de cachet. Il connut une longue période de misère et malgré des rencontres comme celles de Jehan Rictus et de Georges Oble qui l’invitèrent dans un cabaret qu’ils animaient, la bohème désargentée qui fut la sienne à cette période fit de lui un SDF.

    Il revenait parfois chez ses parents à Meung qui lui pardonnaient volontiers de ne pas avoir appris le métier de meunier mais l’acceptaient comme il était, rêveur et insoumis, indifférent aux biens matériels et incompris. Il reste un poète de la terre, de la nature, des bords de Loire du patois, des déshérités, des filles de ferme jetées à la rue... C’était un être mélancolique, précoce mais farouchement indépendant, ennemi des compromissions, solitaire et dépourvu d’ambition, indifférent à la réussite sociale… Tout cela fit de lui un révolutionnaire, réfractaire à tout ce qui compose une société, la justice, l’armée, l’Église, les notables, la religion mais sa vieille croyance religieuse le rapprocha de Dieu avant de mourir et lui inspira l’émouvant « Notre-Dame des sillons ». Il ne se contenta plus d’être un poète libertaire, anarchiste, délaissant à partir de la trentaine les cabarets où se pressaient les bourgeois, pour devenir un militant, défenseur du Peuple, dénonçant l’injustice, contestant la guerre, la maréchaussée, la prison, les flics. il s’engagea dans « La guerre sociale », le journal d’extrême gauche de Gustave Hervé qui lui ouvrit ses colonnes pour des textes contestataires et subversifs contre l’autorité mais aussi l’accueillit comme polémiste, dessinateur, caricaturiste et lui rendit hommage à sa mort. Ainsi se termina dans la misère le bref parcours de ce poète mort à 31 ans de privations, d’excès d’absinthe, de la tuberculose qui l’emporta. Son enterrement fut cependant suivi par une foule populaire.

    Il y aurait beaucoup de choses intéressantes à dire sur ce personnage, pourtant mort jeune et qui ne chercha pas la notoriété de son vivant, mais une biographie n’est pas mon sujet, d’autres s’en sont brillamment chargé. A titre personnel, je me suis intéressé à l’œuvre de Gaston Couté à travers les travaux de Gérard Pierron, rencontré il y a bien longtemps lors d’un spectacle, et qui mit certains de ses poèmes en musique et les chanta. Il ne fut d’ailleurs pas le seul à être ému par le talent du Beauceron et beaucoup se penchèrent sur son œuvre et la commentèrent. Il est pourtant aujourd’hui un poète injustement oublié. De nos jours, il n’est meilleur vecteur de la poésie que la chanson et je me suis demandé pourquoi Georges Brassens qui pourtant a popularisé nombre de poètes comme Francis Jammes, Paul Fort, Victor Hugo, Antoine Pol … n’a pas fait mention, à tout le moins à ma connaissance, dans son œuvre immense, de Gaston Couté. Il y avait certes le patois beauceron, difficile à acclimater pour Georges qui n’en était pas familier mais on peut toujours voir dans les chansons sentimentales et surtout libertaires et anarchistes qui firent sa renommée, le souffle du Beauceron. Couté a peut-être mal tourné, c’est peut-être un poète maudit, mais il n’a pas vieilli.

    ©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • l'étrier d'argile

    Pour ne pas oublier les poètes disparus qui, sans doute plus que les autres, à notre époque, sombrent dans l’oubli, je choisis de republier un article paru en son temps à propos de la publication d’un recueil déjà ancien de Simonomis (1940-2005), de son vrai nom Jacques Simon.

    Hervé GAUTIER- Mars 2020.

    N°14 – Mai 1987.

    L’étrier d’argile – Simonomis – Éditions Barré et Devez.

     

    Je n’avais jusque là, il est vrai,de Simonomis que l’approche d’un ardent serviteur de la poésie des autres. Je n’en veux pour preuve que les études qu’il a faites de l’œuvre de Tristan Corbières, de Gaston Couté et plus récemment d’Eugène Bizeau… Ce recueil m’a agréablement surpris et m’a rappelé qu’il est aussi un créateur… C’est une poésie d’homme. Il proclame « Sors poème, il faut naître », considère la poésie comme « l’aorte de la terre ». Il veut dire le monde, y mettre des bornes, son écriture ressemble à une osmose « Cette nuit j’ai saigné des étoiles par mes poignets ouverts sur tes espaces ». Pour lui, écrire est un besoin malgré le temps « Le temps, prends-le, serre le col du sablier jusqu’à ton sang entre le pouce de l’enfant et l’index accusant », les contingences de la vie « L’encre bat mes poignets d’un grondement de poix ». Mieux, écrire est une jouissance « Voici l’animal-mot dans le besoin d’unir qui me force à pétrir sur la table à jouir ». C’est surtout une force à laquelle l’écrivain, à la fois sujet et élu de ce royaume, ne peut se dérober.

    Il sait que le poète trempe sa plume dans la sueur le sang et les larmes, qu’un livre est un univers douloureux « Hisse-toi du bancal, mon crayon dur de vie », « Ongles, gravez quand même l’espoir au visage des veuves », que l’écriture ne peut être tiède, qu’elle est un message. Il dit ce qu’il croît, c’est le regard chaud de l’amitié, la beauté du monde, la paix pour demain, l’espoir… Il accorde une place très grande aux mots, instruments dont il joue et qui sont aussi ses notes. De leurs allitérations, il tire une musique faite pour l’oreille comme pour l’esprit et sait distiller de belles images « Les mots enterrés pourriront car nulle voix ne peut fleurir sans oreille », il souhaite sublimer son inspiration, ce don divin, jusqu’à l’usure des mots. C’est vrai que c’est une fête pour l’oreille et chaque syllabe est une note à contre-courant de la prose qui parle autant qu’on veut bien l’écouter, même si le « franc-grec » flirte parfois avec le « parigot ».

    Son cheminement, il le mène avec la femme, pour fanal (celle qu’il appelle « Le Colibri », sa compagne, son révélateur) avec de nombreuses évocations du sang qui ne pouvaient pas laisser Jean Rousselot, signataire de la préface, indifférent...Ce précieux liquide, source de santé et de vie est le témoin d’une existence coincée entre la naissance et la mort. La femme, cet être diaphane est présente derrière chaque poème, assiste à la création de cette musique jouée pour elle. Elle est porteuse d’espoir, partageuse de solitude, ainsi l’amour tient-il une énorme place dans cet ouvrage. L’auteur ne déplore-t-il pas la mort qui « aspire trop d’amour » ?

    Je sens dans ces mots un véritable « vouloir-vivre » au point qu’il les triture et les marie toujours avec bonheur, qu’il leur fait parfois violence et les fait chanter, créant un dépaysement verbal « Le zéro jaspineur chuinte au col des gouttières… Je parle de la chair au mirador des pierres ». C’est à ces mêmes mots qu’il donne une dimension sensuelle voire universelle « Colibri des accords tends-moi tes rondeurs pour cette terre ». Ainsi, à travers le cahot des mots, leur mystique aussi, la femme reste le recours suprême de l’humanité, « l’alpha et l’oméga du monde », la source d’amour qui triomphe tout de même de la mort. Je ne peux pas rester insensible à la poésie de cet homme  « porteur de ponts » qui voudrait « palper les hanches du futur ».

     

     

    ©Hervé GAUTIER.

     

     

     

     


     

  • Niels

    N° 1446 Mars 2020.

     

    Niels – Alexis Ragougneau – Viviane Hamy.

     

    Nous sommes au Danemark à la fin de la deuxième Guerre Mondiale. Niels Rasmussen qui a été un résistant courageux pendant cette période est maintenant confronté à l’après-guerre où il n’est plus question de combattre les troupes allemandes mais d’empêcher les communistes d’occuper le pays. Pourtant, au moment où il va pouvoir recevoir les lauriers de son action, il part pour la France où un auteur de ses amis, Jean-François Canonnier, dont jadis il a mis en scène trois de ses pièces à Paris, va passer devant une cour de justice pour intelligence avec l’ennemi et a toutes les chances d’être exécuté. Il considère de son devoir de le défendre, et ce malgré Sarah et son enfant à naître et traverse une partie de l’Europe dans des conditions rocambolesques. Il ne tarde pas à s’apercevoir que, par un mystère qui s’est vérifié chez beaucoup d’acteurs et d’écrivains pendant cette période, son ami, oubliant son talent littéraire, à préféré se compromettre avec l’occupant pour obtenir la reconnaissance et faire échec au silence et sans doute à l’oubli. Certes il n’était qu’un auteur de seconde zone, une seconde plume de la littérature mais c’était un choix suicidaire qui a amené, à la Libération, à son arrestation comme ce fut le cas de nombreux hommes de Lettres et de théâtre, avec des fortune diverses cependant. Cette prise de conscience de la part de Rasmussen, authentique Résistant, se sent au fil des pages, on le voit hésiter, se renseigner, tenter de comprendre, reporter la rencontre avec cet ami et peut-être son témoignage qui le sauvera. Comme par contraste et pour illustrer la différence entre l’attitude de Canonnier et la sienne, les analepses se succèdent , les exécutions des traîtres à la patrie danoise avec cette interrogation intime de savoir si son rôle de justicier était justifié. En détruisant les décors du théâtre de l’Olivier, il cherche à effacer la trahison de son ami mais les fantômes de ce cette période lui reviennent en pleine figure. Au cours de son procès, Canonnier est absent, comme s’il avait hâte d’en finir avec cette épreuve et peut-être aussi avec la vie. Cette attitude peut apparaître étrange à Rasmussen mais ce qu’il va apprendre par la suite, comme une confession, la justifiera. Il va prendre conscience de s’être complètement trompé à son sujet, d’être passé de bonne foi à côté de cette facette de sa personnalité qui devait sans doute dormir depuis longtemps et que les circonstances ont réveillé. L’amitié peut-elle survivre à ce genre de révélation, peut-on à ce point oublier ce qu’on a été et tourner la page pour une nouvelle vie, l’oubli étant un des apanages de l’espèce humaine, a-t-on le droit moral de vendre son âme pour un peu de notoriété et de reconnaissance, peut-on s’octroyer toutes les libertés au seul motif que les circonstances les favorisent, peut-on se tenir quitte de ses faux-pas quand on a « payé sa dette à la société » ?

    Ce genre de temps troublés nous donne à voir des aspects peu glorieux de l’espèce humaine, veulerie, couardise, trahison, palinodie, flagornerie, délation, opportunisme, ce qui n’est pas sans nous inviter à nous poser des questions sur nous-mêmes et surtout sur ceux qui, après la guerre ont mis en sourdine leur période de collaboration pour tenir des rôles retirés ou officiels une fois la paix revenue. C’est sans doute facile pour nous qui n’avons pas connu cette période où il fallait survivre, de prendre position. Que penser de ces temps qu’on croyait révolus alors que notre XXI° siècle connaît des périodes meurtrières d‘antisémitisme… ?

    C’est un roman divisé en 5 actes, comme une pièce de théâtre, haletant passionnant autant que dérangeant par les questions qu’il pose parce qu’il met l’être humain, face à lui-même, Rasmussen, l’idéaliste face à Canonnier, l’opportuniste, dans des circonstances aussi exceptionnelles que douloureuses. Il s’y mêle des moments du quotidien, de l’Histoire de cette période, et surtout des pistes de réflexions, dans un style fluide, agréable à lire.

    ©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • La petite conformiste

    N° 1443- Mars 2020.

    N° 1443 - Mars 2020

    La petite conformiste – Ingrid Seyman – Philippe Rey Éditeur.

     

    J’ai lu ce roman dans l’ambiance délétère de notre pays bloqué à cause du coronavirus, et peut-être aussi grâce à lui. Dès des premières pages l’ambiance est installée et le décor posé, à Marseille dans les années 70-80, par Esther elle-même, la jeune narratrice qui nous parle de ses parents de la manière dont elle a été conçue (en levrette), de leur mode vie au quotidien, entre les découverts bancaires chroniques de sa mère Élisabeth, secrétaire et anticléricale, et les listes de tâches à accomplir établies par son père, Patrick, un banquier juif, tenu par sa femme pour un poète, dans seul but d’exorciser un prochain holocauste. La mère est soixante-huitarde vote à gauche, et est adepte comme son mari du naturisme permanent mais seulement domestique. La famille se complète par un frère cadet, Jérémy, hyperactif et surtout bordélique et de grands parents qui vivent dans la nostalgie de l’Algérie. Bref, un véritable foyer anticonformiste et libertaire. Esther tente de vivre dans cette famille et ses secrets, entre les excentricités de son père et les lubies de sa mère, les disputes de ce couple hétérogène, sur fond de divorce autant redouté que désiré mais toujours reporté. Comme on n’est pas à un paradoxe près, Esther est placée dans un collège catholique privé, évidemment de droite, ce qui n’est pas sans conséquence sur son quotidien. Ce sera même un profond bouleversement mais aussi une prise de conscience de ces réalités familiales puisqu’elle choisit de rappeler à sa mère « qu’il est interdit d’interdire »(loi du 22 mars 1968, si ma mémoire est bonne), de mettre en sourdine ses velléités parricides, de se laisser aller à une satire sociale et de se concentrer au rangement de sa bibliothèque. On assiste à la découverte du monde, à la transformation physique et psychologique ainsi qu’à la révélation des secrets de famille de cette petite fille atteinte du syndrome de Peter Pan.

     

    Le style est enlevé, l’histoire drôle et pleine de découvertes, les situations cocasses, jusqu’à un certain point cependant. Si je ne me suis pas ennuyé à cette lecture, j’ai cependant quelques remarques personnelles. On peut rire de tout et la famille, par sa diversité et ses contradictions est une source inépuisable d’inspiration pour l’écrivain et elle se prête particulièrement à cet exercice. On peut la célébrer ou la dénigrer, lui trouver d’innombrables qualités et autant de défauts, disserter à l’infini sur ce qu’elle est et sur ce qu’on voudrait qu’elle soit. L’auteure ne se gêne d’ailleurs pas et choisit l’ironie, l’humour, la dérision pour nous décrire la sienne. Mais, passé le moment où j’avoue avoir parfois ri (ou simplement souri) il m’est difficile de ne pas voir, derrière cette mascarade, l’ambiance assez artificielle et même délétère qui y règne. C’est certes comique mais aussi assez absurde et ça doit bien cacher quelque chose parce que l’hypocrisie et le mensonge font ici comme ailleurs partie du jeu. l’épilogue bouleversant et tragique va d’ailleurs dans ce sens. Par le mariage on lie sa vie à celle d’un autre sans toujours le connaître, on fonde une famille dans laquelle on met tous ses espoirs et ses illusions mais malgré tous les serments et les promesses la réalité se révèle est bien souvent différente de ce qu’on avait imaginé. Alors on va de contradictions en compromis en fonction de ce qu’on veut sauver ou sacrifier jusqu’à ce que tout cela semble à ce point dérisoire et inutile que la décision qu’on porte en soi depuis longtemps et qu’on étouffe par crainte, s’impose naturellement parce que tous ces compromissions sont devenues insupportables.

     

    Le livre refermé, cette histoire, même si elle nous est présentée sous un angle humoristique rendra-t-elle Esther plus « conformiste » ? Je n’en suis pas sûr.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Alcools

    N° 1444 - Mars 2020.

     

    Alcools – Apollinaire – Poésie Gallimard.

     

    Lorsque en 1913, ce recueil est édité, Apollinaire (1880-1918) a déjà publié des romans, des contes, des critiques d’art sur la peinture, « Calligrammes » paraîtra en 1918 et les « poèmes à Lou » longtemps après sa mort. Il est composé de textes écrits auparavant et publiés dans des revues d’où il ressort différents thèmes d’ inspirations. On ne retient généralement d’ « Alcools » que « Le Pont Mirabeau » ou « La chanson du Mal-Aimé »(Cette édition comporte également « Le bestiaire » et »Vitam impendere amori »). Le titre, « alcools » (au pluriel) évoque le vin, l’eau de vie qui soûlent, (Vendemiaire- Zone), l’amour qui grise, mais aussi Baudelaire qui dans un de ces textes invite son lecteur à s’enivrer « de vin, de poésie ou de vertu, à votre guise » . Ce recueil est composé de nombreux poèmes où se mêlent le passé et le présent. C’est une poésie expérimentale où, à l’exemple de Blaise Cendras, il supprime toute ponctuation. On sent une inspiration classique, narrative tragique et même lyrique dans les références qu’il fait dans ses poèmes, mais l’architecture des textes va des vers libres au respect de la prosodie, de la métrique et de la rime mais aussi son écriture s’épanouit dans la plus grande liberté de création.

    Cette énième relecture laisse apercevoir un homme qui est sensible à la beauté des femmes, qu’elles soient passantes (Annie- 1909), amantes (Le pont Mirabeau - Marie) ou prostituée (Marizibill), un homme qui cherche désespérément le grand amour à travers toutes celles qu’il rencontre, sans peut-être jamais le trouver(L’Adieu), et cette recherche révèle un être tourmenté quand il est éconduit par une femme(La chanson du mal-aimé), par la liaison quelque peu orageuse qu’il entretient avec Marie Laurencin, ou par son amour non partagé avec Annie Playden, lui à qui on prête pourtant de multiples conquêtes. Il en résulte pour lui une sorte de mal-être, d’enfermement (hôtels) et, dans le poème « les colchiques » il fait une allusion à la beauté des femmes mais aussi à leur nocivité, cette fleur secrétant également un poison et paradoxalement, il associe sa saison préférée, l’automne, à l’infidélité (Automne). Il finira par épouser Jacqueline (Amélia Kolbe- « La jolie rousse ») qui réalisera des publications posthumes de ses œuvres, le 2 mai 1918, quelques mois avant sa mort en novembre.

    Le mystère qui plane sur le nom de son père et qui générera une crise d’identité exorcisée par l’écriture, ajoutera sans doute à cette souffrance. Cette quête se conjugue à une certaine obsession de la fuite du temps et de la mort (Cortège), à la résurrection (La maison des morts), mais aussi de nombreuses allusions au Christ, à la religion chrétienne, comme un recours (Zone). D’ailleurs ses états d’âme transparaissent et il en conçoit de la mélancolie et même de la souffrance (Automne malade - Automne) qu’il exorcise dans l’amour qu’il porte à la nature, au voyage, à la ville(Paris), à la vie... Pourtant, c’est avec « Vendémiaire » qui évoque aussi l’automne et les vendanges, qu’il renaît à la vie et entrevoit l’avenir . Il y a beaucoup de référence au Rhin à cause d’un voyage qu’il fit en Allemagne mais il choisit ce fleuve mythique pour ses secrets, ses mystères ses légendes (La Loreley- Nuit rhénane)

    C’est donc un recueil qui explorent une mosaïque de thèmes d’inspiration qu’il traite d’une manière originale. C’est un truisme que de dire qu’Apollinaire a été un poète de transition qui révolutionna la poésie par son amour des mots, de leur musique et par la liberté de sa plume qui célébra notre si belle langue française. De lui se recommanderont les surréalistes qui lui doivent leur nom, un courant de la poésie italienne (« la poésie narrative »)son existence et la chanson française qui est un formidable vecteur de la poésie s’en est largement inspiré. Il n’est heureusement pas comme beaucoup aujourd’hui un poète oublié, « maudit », puisqu’il a influencé durablement la poésie française et que l’histoire, la littérature et la culture se souviennent de son passage sur terre.

    ©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • oeuvres poétiques

    Jules Supervielle

     

    Jules Supervielle (1884-1960) fait partie des poètes oubliés, malgré les rééditions au XX° siècle de ses œuvres, trop éloignées des courants de la poésie moderne et par ailleurs assez rebelles au classement, sans doute après son élection comme « Prince des poètes » en 1960 . L’auteur, né en Uruguay comme avant lui Lautréamont (en1846) et Jules Laforgue (en 1860), de parents français, a très tôt été tiraillé entre deux patries et deux cultures. Il sera toujours à cheval entre deux continents. Très tôt aussi, il a été orphelin ce qui l’a initié à l’idée de la mort. Ce furent pour lui deux déchirures qui ont nourri sa poésie d’autant que le décès de ses parents lui fut longtemps cachée par sa famille d’adoption et qu’il a dû, à l’âge de dix ans, quitter l’Uruguay pour venir en France avec son oncle et sa tante qui l’avaient recueilli, ce qui s’est traduit chez lui par une crise d’identité. Ses premiers essais d’écriture datent de cette époque, comme un exorcisme, mais son mode d’expression, inspiré de la poètes classiques français, ne lui a pas permis, à cette époque, de s’exprimer pleinement.

    Son pays d’origine lui a donné cette impression d’espace et de liberté avec la pampa et la mer mais à son arrivée en France, Paris et son lycée parisien lui ont paru bien petits et il n’a trouvé en littérature que bien peu de références de son pays perdu. Ce n’est que bien plus tard qu’il retournera en Uruguay, s’y mariera, mais son écriture n’aura pas pour autant cette empreinte américaine et restera marquée par les parnassiens, et ce d’autant que les milieux littéraires uruguayens était largement influencés par la culture française. Rentré en France en 1910, son second recueil de poèmes(Comme des voiliers) est salué en Sorbonne pour la qualité de la langue française et ce d’autant qu’on s’intéresse de plus en plus à cette époque à ce qui se fait outre-atlantique. Revenu à Montevideo il raille gentiment la société citadine mais c’est la guerre qui le ramène en France où, après le conflit, il commence à s’affranchir des contraintes de la prosodie, adopte le vers libre pour ensuite donner libre court à son envie de célébrer la nature sud-américaine en vers rimés plus personnels et rejette l’alexandrin français au profit de l’alexandrin espagnol (14 syllabes). Il s’exprime aussi en prose et s’essaie à la fiction du conte et de la nouvelle, parfois un peu extraordinaire et même inattendue, ainsi qu’ au théâtre, retrouve la trace de sa famille française à Oloron Sainte-Marie et réussit grâce à l’écriture à faire la synthèse de sa double origine, réalisant une sorte de trait d’union entre l’Europe et l’Amérique du sud autant qu’entre la vie et la mort.

    Il participe d’ailleurs activement, après la deuxième guerre mondiale à des échanges culturels entre la France et l’Uruguay, reste un poète résolument français, à la fois couronné par l’Académie française et attentif à la poésie contemporaine, mais toujours respectueux de ses deux cultures et de ceux qui les ont illuminées de leur talent. Il sera d’ailleurs, peu de temps avant sa mort sacré par ses pairs français « Prince des poètes » avec un hommage conjoint rendu par la NRF et une célèbre revue culturelle de Buenos Aires. Il reste un écrivain, à cause de ses origines sans doute, où se conjuguent les contraires, poète à l’écriture classique, en marge du mouvement surréaliste auquel il ne participa pas, désireux au contraire de maîtriser l’inspiration inconsciente pour mieux la fixer avec des mots même si ses poèmes peuvent parfois avoir un aspect ambigu.

     

    Actuellement en France la poésie qui fait pourtant partie intégrante de la littérature n’est connue par le grand public que si elle passe par la chanson. Que je sache ce n’est pas le cas des poèmes de Jules Supervielle. C’est sans doute dommage et son côté « classique » y est sans doute pour beaucoup. On peut toujours rêver qu’un chanteur à succès se penche sur son œuvre. Ce serait une belle redecouverte.

  • Tout le bleu du ciel

    N° 1442 - Mars 2020.

     

    Tout le bleu du ciel Mélissa da Costa – Le livre de poche.

     

    Émile, 26 ans, atteint d’un Alzheimer précoce a l’idée un peu folle de passer une annonce pour rechercher un compagnon de voyage en camping-car et il sait que ce périple pour lui sera le dernier. Il n’y a vraiment aucune raison pour qu’il obtienne une réponse mais Joanne, 29 ans, accepte de partir à l’aventure avec lui. C’est plutôt étonnant et surtout risqué pour l’un et pour l’autre qui ne se connaissent pas et partent vers l’inconnu, mais comme dit le poète « Soyez fou, dans la vie on ne l’est jamais assez ». Et c’est parti pour une randonnée dans les Pyrénées comme une sorte de fuite puisque le lecteur ne tarde pas à s’apercevoir que chacun des deux à quelque chose à oublier. Mais « voyager n’est pas guérir son âme » nous le savons, même si la route et l‘errance portent en elles une forme de renouveau. Ils forment quand même un couple étrange, au départ détaché l’un de l‘autre, pas amoureux comme on pourrait le croire en les voyant, mais deux êtres qui vivent une sorte de pacte non écrit et portent chacun un croix trop lourde pour eux. Cette relation improbable change avec le temps, à devenir un attachement complice et charnel. C’est la mort qui attend Émile, il le sait et il a du mal à se situer, entre son ancienne liaison avortée avec Laura, ce qui donne lieu a de nombreux analepses obsédants, ses années d’enfance et d’étudiant et cette aventure actuelle, entrecoupée de ses absences, ses trous de mémoire, « ses black-out » et Joanne qui elle-même se révèle au fil des pages de plus en plus étrange, indépendante et même sauvage, avec en contre-champ une liaison difficile avec Léon et la silhouette de ce petit garçon énigmatique, Tom, obsédé par le bleu. Chacun d’eux entame une sorte de journal qui gardera le souvenir de leur escapade commune, de ce retour à la nature, mais aussi ce cheminement douloureux dans le souvenir. Pour Joanne la peinture prend le relai, comme une quête, à la recherche du bleu parfait, comme la marque d’un passé impossible à oublier. Pour chacun d’eux, l’écriture et le voyage sont des essais de thérapie comme l’est l’expérience méditative suscitée par la jeune femme et dans laquelle elle veut entraîner Émile et leurs écrits sont autant d’évocation du passé et du présent, autant de lettres dont l’envoi est différé, autant de tentatives d’exorciser une vie antérieure trop lourde en épreuves qui interfèrent sur leur quotidien. C’est bien la mémoire qui est au centre de ce roman, différente pour les deux, celle qui disparaît petit à petit pour lui et lui fait oublier le présent et celle qui pour elle, tournée vers le passé, l’obsède.

    Je suis un peu partagé à propos de ce long roman, aux nombreuses références dont celles de Paul Coelho (« l’alchimiste »). Je l’ai lu avec plaisir malgré son rythme parfois lent, parfois intense mais écrit dans un style fluide et agréable. Pourtant j’ai l’impression d’avoir été le témoin d’une fiction qui fait se rencontrer, dans une sorte de bulle, des gens qui n’auraient autrement aucune chance de se croiser, qui les fait s’aimer et s’attacher l’un à l’autre au cours d’une histoire extraordinaire qui m’a, certes, ému, mais qui, plus elle avançait plus elle me laissait sceptique, tant elle détone avec la réalité d’aujourd’hui. Ce lent cheminement vers la perte des réalités et la mort d’Émile est prévisible mais cet amour qui va croissant au point de lui survivre m’a paru un peu trop idyllique. L’idée de départ était séduisante mais j’ai eu du mal à croire à la patience et à l’abnégation constante de Joanne et l’épilogue, même s’il est porteur d’avenir et de nature à estomper le passé douloureux de la jeune femme, m’a semblé un peu trop surréaliste pour notre époque dans laquelle pourtant ce livre s’inscrit. La résilience peut passer par la création artistique, même si j’ai du mal aujourd’hui à admettre son effet cathartique. Je suis sans doute imperméable au merveilleux, même s’il s’inscrit dans le domaine du roman dont par ailleurs j’aime passionnément la lecture, mais cet ouvrage m’a donné à voir un espace de ferveur amoureuse entre deux êtres auquel j’ai eu du mal à croire.

    ©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.co

     

     

  • La peur qui rôde et autres nouvelles

    N° 1438 - Mars 2020.

     

    La peur qui rôdeHoward Phillips Lovecraft- Denoël.

    Traduit de l’américain par Yves Rivière.

     

    C’est un recueil de trois nouvelles avec pour unique thème la peur, comme son titre l’indique. La première, qui donne son titre à l’ouvrage évoque une maison hantée habitée par une vieille légende et une présence mystérieuse, une famille maudite, des disparitions, des souterrains et des tombes viennent compléter le décor que les éclairs et la nuit illuminent.

    Je serais, à titre personnel, assez versé dans ce genre littéraire mais j’avoue être très peu entré dans l’histoire étrange et absurde de la première nouvelle intitulée « La peur qui rode » . En revanche l’histoire labyrinthique de « la maison maudite » et l’évocation de la lande irlandaise désolée et chaotique et les allusions au Moyen-Age et à la peste de « La tourbière hantée » m’ont passionné.

     

    Je ne connaissais pas Lovecraft [1890-1937] avant d’avoir lu ce recueil, son enfance meurtrie par la mort de son père, ses obsessions morbides et oniriques qu’il exorcise par l’écriture, l’influence d’Edgar Poe et de Guy de Maupassant notamment à l’exemple de sa nouvelle « l’appel de Cthulhu ». Son nom est associé à l’horreur à la peur, au mystère, à la superstition, aux spectres... et il a influencé et inspiré nombre d’écrivains tel Jorge Luis Borges ainsi que des auteurs de science- fiction.

     

     

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  • Une vie et des poussières

    N° 1441 - Mars 2020.

     

    Une vie et des poussières Valérie Clo – Bucher Chastel.

     

    Je remercie les éditions Buchet Chastel et Babelio de m’avoir fait découvrir ce roman.

     

    Si on en croit les premières pages, le texte a été écrit par Mathide, une femme âgée désormais décédée, encouragée par une jeune aide-soignante de l’Ehpad où elle est accueillie. Cette soignante aurait envoyé ce texte à l’éditeur qui l’aurait publié en l’état. J’oubliais que nous sommes dans un roman !

     

    Ce roman justement qui s’inscrit pourtant bien dans l’actualité tant il est question de nos aînés qui, de canicules en épidémies, sont les plus menacés. C’est le journal d’une ancienne journaliste juive, retraitée de 83 ans (et des poussières) qui raconte sa vie dans cet établissement,, pour faire des révélations mais aussi son enfance pendant la guerre, la traque des Allemands, la déportation et la mort de ses parents, sa vie de femme et de mère, le quotidien dans la maison de retraite avec les extravagances inconscientes des différents pensionnaires, la décision de ses enfants de la placer ici, leur attitude à son égard, leur culpabilisation, sa détermination de combattre la maladie d’Alzheimer, et, à travers le personnage de Maryline, la vie infernale des aides-soignantes à qui on en demande toujours plus pour être rentables, leur attachement aux personnes âgées qu’elles ont en charge. C’est aussi un hommage à sa sœur aînée qui lui a servi de mère pendant toutes ces années de galère, un remerciement à la famille qui les a accueillies pendant la guerre, une réflexion sur ce monde qui change où elle ne se reconnaît pas, sur son rendez-vous avec la Camarde... Elle a de l’humour mais surtout beaucoup de lucidité face à la réalité quotidienne et surtout à la solitude et au combat perdu d’avance contre la mort qui, ici plus qu’ailleurs, est ressentie comme la seule issue possible.

     

    A quoi cela sert-il d’écrire ce genre de journal ? Pour l’effet cathartique de l’écriture, pour ne pas perdre la mémoire et collationner ses souvenirs, pour laisser une trace de son passage sur terre pour ses enfants et répondre aux questions qu’ils peuvent se poser au sujet de leurs parents, pour faire des révélations, pour se justifier, pour régler ses comptes et confier à la page blanche des remarques et détails qu’on ne peut ou ne veut donner de vive voix, sur ses propres décisions, ses amours, ses erreurs, pendant qu’il en est encore temps… Peut-être ?

     

    J’ai lu ce roman sans désemparer parce qu’il est écrit simplement avec des mots et des expressions du quotidien au point que parfois j’ai eu du mal à croire que Mathilde avait été un grande journaliste de la presse écrite. Pour autant ses remarques sur sa vie actuelle et passée, sur toutes ces « poussières », sont une illustration de la condition humaine vouée à la disparition.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Meurtriers sans visage

    N° 1440 - Mars 2020.

     

    Meurtriers sans visage – Henning Mankell- Christian Bourgois éditeur.

    Traduit du suédois par Philippe Bouquet.

     

    Dans une ferme isolée, un couple d’agriculteurs retraités a été sauvagement assassiné. Ce qui intrigue les enquêteurs c’est le nœud coulant peu commun qui a servi a étrangler la femme qui, avant de mourir a prononcé des mots inaudibles et le terme « étranger »semble avoir été entendu. L’information ayant fuité ça ne va pas manquer de déclencher une vague de xénophobie dans la région où séjournent nombre d’immigrés. Il y avait sûrement eu des fuites au commissariat ! Ce sera l’occasion pour Wallander, et pour le lecteur, de prendre conscience que la société suédoise est moins lisse et policée qu’il y paraît et connaît les mêmes soubresauts racistes que les autres.

     

    De dénonciations en investigations, il apparaît que cette famille aurait fait une fortune illicite pendant la deuxième guerre mondiale . De plus les circonstances du meurtre sont des plus bizarres et le mot « étranger » qu’un policier a cru entendre dans la bouche de cette femme qui allait mourir et qui a miraculeusement été publié dans la presse , nourrit les tensions xénophobes et génère un autre meurtre.

    Au cours de cette enquête Wallander qui vient de se séparer de sa femme vit une solitude difficile ainsi que des relations conflictuelles avec sa fille. Les visites qu’il fait à son père vieillissant sont également pour lui une épreuve, les relations entre les deux hommes n’ayant jamais été vraiment bonnes, et notre inspecteur est confronté à titre personnel, outre à cette enquête qui n’avance pas, à des difficultés d’ordre familiale dont il se passerait bien.

     

    Ce policier désabusé, un peu dépressif et même alcoolique me plaît bien.

     

    C’est le premier roman de cette série qui sera popularisé en France par la télévision, sûrement pas le meilleur de la série et dont l’intrigue traîne un peu mais qui met en lumière cet inspecteur devenu emblématique.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Les rues Bleues

    N° 1439 - Mars 2020.

     

    Les rues bleuesJulien Thèves – Buchet-Chastel.

     

    Je remercie les éditions Buchet-Chastel de m’avoir fait parvenir ce roman.

     

    Paris, nous le savons, est une ville merveilleuse, mythique et fascinante qui depuis toujours a attiré les hommes et les femmes du monde entier. L’auteur, un jeune homme de province, fuit sa famille pour venir y faire ses études parce que c’est prestigieux d’être étudiant ici. En même temps il va au-devant de lui-même, de sa connaissance intime, de sa liberté mais rencontre aussi la solitude, sa propre homosexualité, la drogue… Il narre cela dans une sorte de journal de bord rédigé entre les années 1989 et 2018 où il mêle le passé au présent évoquant pêle-mêle le minitel, la mode, la gay-pride, le sida, la coupe du monde 1998, les manifestations, les grèves, les élections présidentielles, les SDF, internet, les réseaux sociaux, les attentats, les migrants, les bobos, les gilets jaunes ... C’est pour lui une découverte de chaque jour, au départ dans un contexte estudiantin et donc un peu bohème, mais avec une volonté de s’approprier cette ville, de devenir parisien. La tentation de l’écriture est là aussi, comme une fascination ou un fantasme ! Puis, avec la trentaine, l’ancien étudiant doit bien entrer dans le monde du travail, mais en free-lance à cause de la liberté à laquelle il tient. L’auteur est à sa manière « un piéton de Paris » qui profite de l’instant, ne voit pas vraiment le temps passer mais compte ses amis morts et songe un peu à l’avenir…

    C’est un récit idyllique, un parcours insouciant, une révélation pour lui qui est bien différente de l’itinéraire de bien d’autres personnes qui ont été tenues de venir y vivre, « de monter à Paris » pour y trouver un travail de plus en plus absent ne province, mais ils habiteront dans les banlieues parce que Paris intra-muros leur sera interdit et ils ne pourront profiter pleinement de l’aspect culturel et festif de cette cité.

    Portant sur trois décennies, ce roman qui se lit rapidement instille de la nostalgie, c’est une visite de Paris à travers le temps et l’espace, avec en contrechamp la vieillesse qui s’installe et qui rend les rues petit à petit un peu moins bleues.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Le vieil homme et la mer

    N° 1437 - Mars 2020.

     

    Le vieil homme et la merErnest Hemingway. Gallimard

    Traduit de l’américain par Jean Dutour.

     

    C’est la courte histoire de Santiago, un vieux pêcheur cubain malchanceux qui n’a pas attrapé de poisson depuis quatre vingt quatre jours au point que les parents de Manolin, le garçon qui d’ordinaire l’accompagne, ont embarqué le gamin sur un autre bateau qui, lui, rapporte du poisson, mais le petit aime bien Santiago et en prend soin. « Le vieux » prend la mer, attrape un gros marlin et après une longue lutte de deux jours et trois nuits qui l’amène bien au-delà du Gulf-Stream, sa zone coutumière de pêche, l’arrime à sa barque mais à ce moment il subit l’attaque de requins qu’il combat également mais c’est un squelette d’espadon qu’il ramène au port. Il retrouve Manolin et s’endort en rêvant à sa jeunesse.

    C’est un cour roman ou un longue nouvelle, comme on voudra, qui se lit d’une traite et qui commence comme un conte par « il était une fois », comme une de ces histoires merveilleuses pour enfants qu’il faut aussi que les adultes comprennent comme un message. Cet ouvrage a fait l’objet de nombreux commentaires sur l’amitié entre ce vieil homme et ce jeune garçon qui prend soin de lui, mais ce sont sans doute les monologues de Santiago qui soulignent sa solitude qui est aussi probablement celle de l’auteur. C’est peut-être une vue de mon esprit mais dans cette lutte aussi bien du poisson que du vieux j’y vois quelque chose qui ressemble à la quête d’Hemingway pour acquérir sa qualité d’écrivain, que certes il portait en lui depuis toujours, mais qu’il devait reconquérir et réaffirmer à la publication de chacun de ses livres. Le combat du vieux contre le poisson, avec les souffrances que cela implique pour lui , c’est un peu la même chose. Ce que Santiago ramène au port et qui ne lui rapportera rien, c’est peut-être aussi la conquête de l’inutile ou la reconquête de son honneur de pêcheur, une victoire sur la malchance ou l’intuition de l’humilité face à un trop grand appétit de réussite. J’y vois aussi le simple cours de la vie qui pour l’auteur a sans doute été belle mais qu’il sent petit à petit lui échapper. Quand il écrit ce roman il a 52 ans et décédera 10 an plus tard. Peut-être se ressent-il déjà des maux qui précéderont sa mort [il n’a d’ailleurs pas été à Stockholm recevoir son Prix en raison de sa santé défaillante]. On peut y voir aussi un dernier combat, une sorte de baroud d’honneur avant de se retirer définitivement. Le sommeil du vieux à la fin ressemble symboliquement à la mort inévitable avec ses regrets et ses remords d’une vie qui s’achève. Il y a dans la démarche de Santiago qui demande pardon au poisson pour l’avoir tué et en ressent de la culpabilisation une dimension religieuse, c’est à mes yeux, le dernier message de quelqu’un qui va mourir. Les requins pourraient tout aussi bien symboliser les « autres », tous ceux qui, par nécessité, par jalousie ou par plaisir font obstacle à la bonne volonté de quelqu’un et s’acharnent sur lui. Sa réussite littéraire, son talent ont à coup sûr suscité des rivalités et chacun d’entre nous, à sa suite, peut donner un visage à tous ceux qui souhaitent la disparition, la mise sur la touche de son semblable qui a réussi.

     

    Cet ouvrage, écrit en 1951 et, comme à son habitude dans un style fluide et agréable à lire a été un immense succès qui relança sa carrière et lui valut le Prix Pulitzer en 1952 et, pour l’ensemble de son œuvre le Prix Nobel en 1954. Hemingway met beaucoup de lui-même dans cette dernière œuvre majeure publiée de son vivant, comme un ultime message qui lui ressemble. Il parle du base-ball, de Di Maggio en particulier, de sa passion pour la pêche au gros qu’il a longtemps pratiquée et dont il donne force détails techniques

    Hemingway est un monument de la littérature américaine.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Paris est une fête

     

    N° 1436 - Mars 2020.

     

    Paris est une fête – Ernest Hemingway. Gallimard

    Traduit de l’américain par Marc Saporta.

     

    Après la première Guerre mondiale pendant laquelle il servit comme ambulancier volontaire dans la Croix-Rouge italienne, Hemingway(1899-1961) fut engagé comme journaliste et arriva à Paris avec femme, enfant et chat en 1921, quelque peu désargenté. Ils y resteront cinq ans. Ce livre est, selon son auteur, un mélange d’imaginaire et de réel, un récit autobiographique qu’enchante la ville et son aura insouciante. On le voit déambulant dans les rues de la capitale, s’arrêtant dans les cafés pour y écrire à l’invitation de l’ambiance du lieu, de l’alcool ou du regard d’une belle inconnue, visitant les musées de peinture ou les librairies, flânant sur les bords de Seine en discutant avec les bouquinistes ou les pêcheurs, s’intéressant aux courses hippiques ou cyclistes. Il retrouve ici son travail de journaliste en ce sens que ce roman peut aussi être regardé comme un reportage, écrit dans un style fluide comme à son habitude. Il est attentif à tout ce que cette ville lui réserve, même si les vrais Parisiens en sont absents, aux événements les plus banals de la rue, la pratique du turf comme à une rencontre à la Closerie des Lilas ou dans les bars de Montparnasse. Il doute certes mais croit en lui, en son talent, abandonne le journalisme pourtant lucratif, veut sortir de l’anonymat par l’écriture mais ça s’avère difficile et la faim fait partie de son quotidien. Il constate, amer, que lui qui sera Prix Nobel de littérature ne parvient pas à s’imposer dans un milieu qui boude son talent, mais il ne perd pas espoir. Il fait la rencontre d’autres américains comme la riche collectionneuse Gertrud Stein qui tient salon, plus âgée que lui elle jouait à la mécène découvreuse de talents, l’écrivain Scott Fitzgerald pourtant bien différent de lui mais déjà célèbre, le poète Ezra Pound, l’Irlandais James Joyce, Picasso, Blaise Cendras… Il faut cependant souligner le fait que les contacts avec les écrivains français n’ont pas vraiment déterminants pour Hemingway à cause peut-être de la barrière de la langue. Il se tient au courant des potins littéraires parisiens, se laisse aller à son côté épicurien et on le sent amoureux de cette ville mythique où il faut être en ce début du XX° siècle surtout pour de jeunes écrivains américains qui peinent à être reconnus aux USA et aussi du style de vie à la française, et ce même si l’auteur fait partie, comme Pound, d’une « génération perdue » selon le mot de Gertrud Stein. Il y avait certes un taux de change plus intéressant pour les Américains mais Paris était en quelque sorte un milieu littéraire de référence et de légitimation, une éducation créatrice à laquelle l’exil pouvait sans doute un peu contribuer. La France, c’était un contexte de liberté qui contrastait avec la côté puritain d’Outre-Atlantique. Pour Hemingway, c’est aussi un moment fort de son histoire d’amour avec sa femme Hardley Richardson, dont pourtant il divorcera.

    Certes aujourd’hui nous sommes loin du Paris des années 20, emblématique et même allégorique, loin aussi de la vie un peu bohème qu’y menait l’auteur alors jeune auteur talentueux. L’ambiance y était différente, on sortait d’une guerre qu’on voulait oublier parce qu’elle évoquait les souffrances et la mort. Cette ville représentait un espoir de reconnaissance pour lui, un lieu où il voulait vivre ce moment de sa vie, lui l’Américain alors inconnu qui sentait grandir cette envie d’écrire. Certes Paris reste encore aujourd’hui ce lieu d’une réussite potentielle où, plus qu’ailleurs sans doute, des rencontres d’exception peuvent décider de toute une vie, même si les fantasmes y ont une large place et que la désillusion peut aussi faire partie de la réalité. J’ai apprécié que ce roman moins connu d’Hemingway, composé au départ de notes éparses, écrit longtemps après son séjour parisien puis remanié et publié après sa mort, soit redécouvert et brandi par les Parisiens, et par les Français, au lendemain des attentats de novembre 2015 en réponse à l’obscurantisme meurtrier de Daech.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • l'appel

    N° 1435 - Mars 2020.

     

    L’appel Fanny Wallendorf – Éditions Finitudes.

     

    Ce livre est réellement un roman dans la mesure où le personnage principal, Richard, est un être fictif. L’auteur n’a retenu pour écrire son ouvrage que les événements sportifs et peut-être quelques détails de la vie de Dick Fosbury, athlète qui révolutionna le saut en hauteur en franchissant la barre … sur le dos quand la façon classique et reconnue était la technique du « ciseau » ou du rouleau ventral. Ce faisant il a ouvert une brèche, a créé une voie qu’il a portée jusqu’aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968, a inventé quelque chose de nouveau qui désormais porte son nom [le « Fosbury flop »]et que chacun désormais peut adopter.

     

    Revenons au roman. Nous somme en Amérique, dans l’État de l’Oregon, en 1957 et Richard est un adolescent ordinaire pas vraiment doué pour les études, dégingandé, timide et qui fait le désespoir des coachs sportifs de l’établissement dont le but est de le voir améliorer son saut en hauteur qui stagne depuis des années. Selon eux, il n’est vraiment pas fait pour ce sport mais fait pourtant ce qu’il peut pour perfectionner sa technique du « ciseau ». A l’occasion d’une rencontre sportive et d’une idée venue par hasard en regardant une branche d’arbre, il passe la barre d’une manière peu académique, sur le dos, et améliore son propre record, ce qui lui vaut le surnom d’ « hurluberlu ». Dès lors le regard des autres change et son saut, même s’il ne déroge pas au règlement mais suscite des critiques extérieures, des moqueries et évidemment des jalousies. Beckie, son amie, s’éprend de lui et ensemble ils vivent le parfait amour et lui continue à améliorer ses performances. Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes mais, comme d’habitude, tout finit par aller de travers, son entraîneur le quitte sans raison, Beckie se fait plus absente et disparaît, son meilleur ami s’éloigne et ses espoirs de bourses pour sa prochaine entrée à l’université deviennent de plus en plus hypothétiques... même s’il fait quand même la Une des journaux et multiplie les victoires. Comme toux ceux qui sortent du rang et veulent poursuivre leur rêve, il doit faire face à l’adversité et son parcours se révèle chaotique . Le doute s’installe en lui et ce d’autant que l’ombre de la guerre du Vietnam le rejoint et avec elle le risque de disparaître définitivement, de voir son combat personnel cesser sans qu’il y puisse rien.

    L’appel, c’est l’impulsion du saut mais c’est aussi l’invitation à être soi-même, à se réaliser dans quelque chose de nouveau et qui nous ressemble, à être solliciter par la gloire aussi peut-être ?

     

    Je me suis un peu ennuyé au cours de ce roman même si j’ai apprécié cette lutte de Richard pour un idéal, cette manière de s’approprier quelque chose d’original qui répondait à un défi apparemment impossible à atteindre, qui se bat contre une adversité aux multiples visages et qui finit peu à peu par le dépasser.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Les attentifs

    N° 1434 - Février 2020.

     

    Les attentifs – Marc Mauguin – Robert Laffont.

     

    C’est sans doute très personnel mais je partage depuis longtemps avec l’auteur l’intuition que les toiles d’Edward Hopper, parce qu’elles suggèrent l’attente, invitent à l’écriture parce qu’elles portent en elles quelque chose d’inexprimé qui vous transporte ailleurs, dans un autre univers et vous incitent à le partager, un peu comme si les formes, les couleurs et les êtres suscitaient le prolongement de l’histoire. Les personnages de ses tableaux ont dans les yeux quelque chose de mélancolique qui trahit l’état de leur âme et on peut y lire, pour peu qu’on y soit attentif, les aspects délétères de la condition humaine, le désamour, la trahison, l’incompréhension, l’abandon, le désespoir, le vide, le mal de vivre, les fantômes et les remords que chacun d’entre nous porte comme une croix. Je les sens abandonnés, victimes des autres et spécialement de leurs proches qui les connaissent mieux que personne, savent comment les blesser efficacement et qui ne s’en privent pas. Ils le font par vengeance, par méchanceté, par intérêt, par plaisir ou simplement pour se prouver qu’ils existent. Ils sont victimes de leur destin et l’acceptent parce qu’ils ne peuvent faire autrement et ce fatalisme engendre la solitude, le désarroi, une sorte de néant qui fait que, comme le dit Pessoa, ils ne sont rien, mais portent en eux «  tous les rêves du monde », à jamais trahis et impossibles. Ils se raccrochent à n’importe quoi mais tout se dérobe devant eux et les mots qu’ils pourraient prononcer ou écrire pour se libérer restent en eux parce qu’ils n’ont pas réussi, malgré leur bonne foi et leur volonté de bien faire, à trouver leur place dans ce monde, et savent pas qu’ils ne la trouveront jamais mais auront à subir au contraire critiques et lazzis.

     

    Cette « saudade », comme disent les Portugais, les rend un peu mythomanes, parfois trop confiants et ils s’imaginent, à titre de compensation pour ce que la vie ne leur donnera jamais, des situations où ils ont le meilleur rôle, se tricotant des fragments d’une vie dont ils ne verront jamais l’ombre d’une réalisation et ils finissent même par y croire malgré les douleurs, les rides ou le fard. Ils font même semblant d’être heureux dans cette solitude faite de frustrations ou dans une vie de couple qui lentement se désagrège au fil du temps, se transforme en mensonges, en trahisons et en adultères, dans une société au vernis suranné où ils voudraient oublier le quotidien avec ses désillusions, sa recherche du plaisir de l’instant et de l’inconnu, la légèreté de l’être, le temps qui passe et l’écume des jours, mais la routine s’impose à eux avec ses usages, son hypocrisie et c’est le vide qui s’installe et avec lui le souvenir des mauvais moments, les regrets, le silence pesant et désespéré, avant-coureur d’une mort considérée comme la fin d’un parcours ou peut-être désirée comme une délivrance. Cette condition humaine qui parfois est une comédie se mue petit à petit en drame intime et silencieux.

     

    Nombres de ces nouvelles ont pour cadre le Cap Cod, inséparable de Hopper. J’en imagine les dunes battues par le vent, le bruit du ressac, le cris des mouettes et ce paysage se marie aux personnages de ses peintures, d’autres ont pour cadre New-York, cette ville mythique qui fait aussi partie de l’univers créatif du peintre. L’écriture de Marc Mauguin épouse parfaitement l’ambiance que Hopper entend instiller sous son pinceau. L’auteur choisit un tableau, se l’approprie en le décrivant ou en l’évoquant et retrace autour des personnages et du décor une autre histoire qui témoigne de la communion qui existe entre eux et de la force créatrice qu’il porte. Ces êtres fictifs, il les fait même se croiser, se rencontrer, se connaître, s’oublier, fuir vers un autre quotidien pour découvrir du nouveau ou du mystère, se retrouver malgré le temps et la distance, comme cela arrive parfois dans la vraie vie.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Le parti pris des choses suivi de Proêmes

    N° 1432 - Février 2020.

     

    Le parti pris des choses (1942) suivi de Proêmes (1949) Francis PONGE- Gallimard.

     

    Ce sont des poèmes en prose écrits par Ponge (1899-1988) au cours des années pendant lesquelles il a travaillé au Messageries Hachette et qu’il a qualifiées de « bagne ». On retrouve cette ambiance et ce rythme de la journée de travail dans certains de ces textes. Il a prétendu que cette période lui a laissé peu de temps pour écrire mais il s’est cependant laissé émouvoir par les choses les plus banales du quotidien comme une bougie, un cageot, une huître, le pain, la pluie, les lieux familiers, les humains… On est loin des sources d’inspiration des surréalistes dont il a pourtant été proche sans adhérer au mouvement. Le langage est précis avec la volonté de se dégager des contraintes de le versification. Pour Ponge, la poésie n’est ni romantique ni même une façon de s’engager mais au contraire de une manière de célébrer la matérialité des choses. C’est sans doute la raison pour laquelle il contestait pour lui-même la qualité de poète. Le titre même du recueil indique qu’il prend effectivement le parti des choses, qu’il les choisit. Il multiplie les images, file des métaphores, use de périphrases, joue sur les mots, réenchante le quotidien par la description qu’il en fait. Quand il évoque à sa manière, c’est à dire d’une façon fine et subjective, un objet ordinaire, il insiste sur son utilité, sa trivialité, sa brève durée de vie, sa simplicité, sa vanité, mais, paradoxalement il en souligne l’importance et nous invite à porter sur lui un regard différent. En choisissant ainsi de parler des objets banals, il renouvelle à sa manière le langage poétique. Cela m’évoque cette citation de Victor Ségalen « Voir le monde et l’ayant vu dire sa vision ». Il choisit de collationner les choses, de leur donner sa propre définition comme le ferait un dictionnaire, de procéder à une véritable « leçon de choses ».

     

    Ce recueil est aussi une sorte d’exorcisme à cause de la douloureuse perte de son père. Après cette épreuve, il se réfugie dans le monde des objets quotidiens dont il croise chaque jour la réalité. Dans une moindre mesure il évoque aussi la réalité de la vie de salarié.

     

    Avec « Poême », mot valise qui est la contraction de  prose et poème  mais aussi vient d’un mot latin signifiant prélude, il semble nous dire que ce qu’il écrit n’est finalement qu’un préliminaire à autre chose qui viendra par la suite puisque toutes les choses qui sont le prétexte de sa poétique sont elles-mêmes perpétuellement changeantes. Il réitère en créant l’expression « l’objeu », contraction des mots objets et jeu, non seulement il joue sur les lettres d’un mot mais il semble aussi nier ainsi l’arbitraire du langage. Il y a une forme de lyrisme chez Ponge, dans la façon d’appréhender les choses et de les évoquer pour son lecteur, de leur donner en quelque sorte une âme.

     

    Il reste pourtant un poète inconnu du grand public, un « inconnu célèbre » que Sartres révéla à l’occasion de la publication de ce recueil. Ponge est sans doute un grand poète mais je dois bien avouer que j’ai assez peu vibré à ces textes.

     

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • La France à l'heure américaine- Controverse de la Libération.

    N° 1433 - Février 2020.

     

    La France à l’heure américaine. Controverse de la libération – Régine Torrent - Chronos.

     

    Je remercie Babelio et les éditions Chronos de m’avoir permis de découvrir ce livre.

    En Juin 1944, les Alliés ont libéré la France au nom de la démocratie et contre l’obscurantisme du nazisme. Sans eux, sans leur logistique et leur matériel, notre pays serait resté sous la botte allemande. Les GI’S et les soldats alliés ont payé un lourd tribu lors du débarquement en Normandie puis par la suite et nombre d’entre eux sont morts pour un pays que souvent ils ne connaissaient même pas. Préalablement, les bombardements étaient destinés à détruire les infrastructures allemandes, les nœuds ferroviaires et les ports mais leur grande imprécision a ravagé le territoire sans égard pour les populations civiles et les valeurs du patrimoine national, des villes entières ont été rasées, parfois inutilement provoquant des critiques amères des Français malgré leur volonté farouche de chasser l’occupant. Les troupes américaines ont été accueillies joyeusement en France et la libération de Paris reste inscrite dans la mémoire collective avec distribution de chewing-gum, de cigarettes blondes, de chocolat et de bas nylon... Ça c’est pour la vitrine, mais le pays a de plus en plus le statut de territoire occupé, avec des restrictions alimentaires pour les populations civiles, des trafics de marchandises, des libertés prises par les soldats enivrés, des viols, sans compter les réquisitions abusives et les pillages de l’armée américaine de plus en plus contestée malgré son rôle de libération. Il ne faut cependant pas sous-estimer ni oublier leur sacrifice en faveur de notre liberté.

    Dès 1940, de Gaulle, autoproclamé chef de la France-Libre, n’a pas été considéré comme fiable par Roosevelt qui lui préférait l’amiral Darlan, au moins pour ce qui concerne l’Afrique du Nord. Il se méfiait de ce général qui ne tenait pas son pouvoir des urnes et qui ne constituait pas pour les Américains le seul représentant de la Résistance. Les anglo-américains qui ont toujours privilégié leur alliance ont maintenu la France en dehors des négociations alliées internationales. Dans la perspective de la reconquête des pays occupés par l’Allemagne, il a été décidé de créer l’AMGOT, un organisme militaire destiné à administrer civilement, mais sous la tutelle de l’armée, les pays ennemis ou occupés au fur à mesure de l’avancée des troupes américaines. Même si la France faisait partie des Alliés, l’utilité de cet organisme semblait s’imposer dans la mesure où les autorités françaises, inféodées à Vichy, avaient disparu et qu’il fallait remettre en marche la machine administrative et économique d’un pays dévasté. Il y eut donc, en plus des difficultés d’ordre juridique, une crainte que les anglo-américains ne veuillent gouverner et occuper notre pays notamment après l’émission, par les Américains d’une monnaie déjà expérimentées en Sicile, destinée aux troupes alliées débarquant en France. Cette situation instable, compliquée pour de Gaulle par les difficultés rencontrées avec les réseaux de Résistance, la mise en place difficile des instances administratives françaises, l’animosité existante entre Roosevelt et lui et la volonté des Américains de voir le peuple français choisir librement son propre gouvernement, même si cette controverse finit par connaître un dénouement différent, elle nourrira longtemps « l’antiaméricanisme » du Général, Roosevelt mettant l’accent sur le succès des opérations militaires afin de terminer la guerre.

    l’AMGOT fait l’objet dans cet ouvrage d’une étude particulièrement approfondie, détaillée et argumentée de la part de l’auteure. A l’aide de documents d’archives, Régine Torrent met en exergue cette polémique qui hantera longtemps des relations franco-américaines jusqu’à la suppression dans les années soixante de la présence militaire américaine sur notre sol. Très documenté, explicative, agréable à lire, cette étude de journalisme d’investigation, est instructive et passionnante !

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • l'Aleph

    N° 1431 - Février 2020.

     

    L’Aleph – Jorge Luis Borges – Gallimard.

    Traduit de l'espagnol par Roger Gallois et et René LF Durand.

     

    Le titre tout d’abord évoque la première lettre de l’alphabet hébreux, elle-même issue de l’écriture phénicienne et on peut y voir une idée de début de quelque chose puisque, dans les autres alphabets cela aurait donné le A. En mathématiques c’est « Le nombre d’éléments d’un ensemble infini », une sorte d’idée d’α et d’ω. Dans cette nouvelle éponyme l’auteur nous confie que c’est « l’un des points de l’espace qui contient tous les points… le lieu où se trouvent sans se confondre, tous les lieux de l’univers ». Pour Borges on pourrait le définir comme le concept d’un savoir impossible où se croisent toutes les disciplines. Plus simplement c’est un ensemble de 17 nouvelles fantastiques, écrites par Borges à différentes périodes de sa vie dont chacune raconte une histoire distincte, soit à la première personne sur le ton de la confidence, soit sous la forme d’une histoire narrée par un témoin, avec des symétries, des antinomies, des préoccupations obsessionnelles propres à l’auteur. Le concept d’oxymore est d’ailleurs présent dans ce recueil. Il est un écrivain réputé difficile qui donne à réfléchir, mais on y retrouve ses thèmes métaphysiques favoris, l’immortalité, la notion d’infini, l’existence de Dieu et sa difficile connaissance par l’homme, le bien et le mal, la vie, le labyrinthe en même temps que la dualité de l’homme, sa folie, ses obsessions, son destin parfois brisé, parfois surprenant voire contradictoire et qui le met souvent dans des situations ambiguës, sa mort dans la violence, la trace qu’il laisse, souvent ténue et vite oubliée dans la mémoire des autres hommes, autant dire des questions existentielles que tout homme est capable de se poser. Argentin, Borges y ajoute une certaine admiration pour les gauchos, leur mode de vie et leur liberté, leurs absence d’attaches, le tout enveloppé dans une immense érudition de nature notamment mythologique, théologique et philosophique, une grande culture et dans un style parfois diffus mais agréable à lire. Il nous rappelle que la vie est une quête, un combat avec beaucoup de cruauté et de vengeance, qui se termine inéluctablement par la mort. Chaque texte demanderait un commentaire approfondi mais je voudrais mettre l’accent sur le miroir dont l’exemple revient souvent dans ces textes. Il met en exergue cette notion de la double nature que l’homme porte en lui, l’image réelle qui est celle qu’il donne à voir et celle, virtuelle et bien différente parce qu’inversée et située derrière la glace, qu’il est seul à voir et à connaître, lue dans son propre reflet. Cela fait de Borges, certes un conteur d’exception, mais aussi, à travers les personnages qu’il met en scène, un fin observateur de la condition humaine.

    L’idée du labyrinthe appelle l’image du Minotaure d’ailleurs évoquée dans une nouvelle. Elle peut sans doute être rapprochée de la lettre « Aleph » qui donne son titre au recueil et qui, dans l’écriture phénicienne, signifie taureau.

    Je me suis souvent demandé ce qui pousse quelqu’un à écrire. C’est souvent la volonté de raconter une histoire réelle ou imaginaire, ces deux concepts qui, sous la plume de l’écrivain se conjuguent et se complètent, peuvent parfaitement se contredire, s’inverser ou se renforcer. Dans ce processus narratif et descriptif il y met toute son inspiration, sa sensibilité, son travail, son humanisme, ses convictions, ou laisse libre court à son inconscient comme l’ont fait les surréalistes. Cette volonté d’écrire réside autant dans la faculté d’accepter les épreuves ou de les exorciser dans le huit clos de son intimité que de rechercher la reconnaissance, la notoriété ou de stabilité financière. Il y a aussi, me semble-t-il, de l’utopie, de l’idéalisme à écrire, une volonté d’expliquer le monde dans lequel il vit ou de le refaire à sa convenance, autant dire une constante de la condition de certains hommes d’exception. Cette quête menée dans les arcanes de soi-même me paraît révéler aussi sa propre solitude et c’est, me semble-t-il, ce qui principalement motive l’écriture, et peut-être, pourquoi pas, celle de Borges ?

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

  • Une main encombrante

    N° 1430 - Février 2020.

     

    Une main encombrante Henning Mankell – Éditions du Seuil.

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

     

    Il est plutôt chanceux l’inspecteur Kurt Wallander. En ce mois d’octobre 2002, il vient de trouver ce dont i rêve depuis longtemps, lui qui voulait quitter son appartement d’Ystad pour vivre à la campagne, avec Linda sa fille qui travaille avec lui au commissariat et avec un chien, un avant-goût de la retraite en quelque sorte. Ça tombe plutôt bien puisqu’il est vraiment lessivé et même un peu désabusé par son métier, par la vie en général, sauf que la réalité va être un peu différente. En explorant le jardin de cette propriété qui lui plaît bien, il tombe sur les os d’une main, et donc sur une enquête. Au bout de la main il y a évidemment un squelette dont l’état laisse à penser que les investigations vont être difficiles à cause de la mort qui remonte au siècle dernier, de la charge de travail qui augmente pour des enquêteurs de moins en moins nombreux et par-dessus tout cela la presse qui s’en mêle et qu’un autre squelette est découvert.

     

    J’ai retrouvé avec plaisir le personnage de Wallander et l’ambiance de cette courte enquête qui nous fait remonter le temps et qui insiste sur son état d’esprit et ses aspirations. Selon l’auteur, ce serait la dernière de l’inspecteur, fatigué, désireux de se retirer... Mais aussi pour l’auteur cette volonté de passer à autre chose, de l’abandonner à la vieillesse, à une sorte de néant ! On sent que Mankell lui aussi est sans doute gagné par la nostalgie. Les investigations sont quelque peu hésitantes mais mon attention a été attirée par les dernières pages consacrées par l’auteur aux rapports qu’il entretenait avec Wallander, c’est à dire les relations créateur-créature. Il nous parle de la « naissance » de son personnage, de l’origine de son nom, de son diabète, de sa solitude dans l’attente d’une hypothétique compagne, de son côté désabusé... Mankell aborde la question d’une manière originale se demandant si Wallender lisait les mêmes livres que lui. Et lui de répondre, à sa place, en précisant que Kurt n’était sans doute pas un grand lecteur, avec peut-être un faible pour Sherlock Holmes ! Puis il passe à autre chose. Mais là, je suis resté un peu sur ma faim. Le personnage de roman vit en effet, certes par intermittence, mais néanmoins une existence quasi réelle puisque, en Suède, il est souvent arrivé qu’on interpelle Mankell dans la rue... en lui demandant des nouvelles de Wallander ! J’aurais bien voulu le voir développer les rapports qu’entretient, à l’intérieur de l’intrigue, l’écrivain qui tient la plume et reste, en principe, maître du jeu avec le personnage qui lui obéit mais souvent, au fils des pages, entend bien imposer sa manière de vivre les événements et de faire valoir sa liberté individuelle. Ce concept qui peut paraître anodin voire inutile m’a toujours fasciné et n‘est pas, à mon avis, un simple exercice de style mais fait partie intégrante du processus créatif. Laisser au personnage son libre arbitre, se laisser porter par lui au point de modifier son idée de départ est pour l’écrivain une façon de s’effacer devant sa création.

     

    Henning Mankell est mort en 2015. A ma connaissance, il n’a pas renouvelé ce genre d’explications, passionnantes pour moi.

     

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Opus 77

    N° 1429 - Février 2020.

     

    Opus 77 Alexis Ragougneau – Éditions Viviane Hamy.

     

    L’opus 77 de Dimitri Chostakovitch, concerto n°1 en la mineur pour violon, qui selon l’auteur « symbolise le combat de la lumière face aux forces obscures » est l’image de la vie de ce compositeur, ballotté par Staline entre la reconnaissance et la déchéance. C’est aussi autour de cette œuvre que tourne cette histoire, celle des Claessens, dominée par le père, pianiste virtuose puis chef de l’Orchestre de la Suisse Romande, à la manière de la statue du Commandeur. La mère Yaël est cantatrice mais arrête tôt sa carrière, dans la dépression et fait figure d’absence dans ce roman, David le fils aîné, génial violoniste doué d’une impressionnante mémoire et Ariane, pianiste d’exception, complètent ce tableau. C’est elle, la narratrice de cette saga qui, presque sur le ton de la confidence et au rythme de cet opus 77 dont elle détaille chaque mouvement, nocturne, scherzo, passacaille, cadence, burlesque, prête au lecteur l’envol des notes, la difficulté du rôle de soliste face à la partition et à l’orchestre, lui fait partager tout le plaisir de la musique autant que les rebondissements de cette histoire familiale. A l’aide de nombreux analepses, elle alterne les derniers moments de son père et son cheminement vers la mort avec les souvenirs qui ont émaillé la vie de cette famille et spécialement ceux qu’elle partage avec son frère. Aux obsèques, Ariane jouera au seul piano cette pièce au lieu d’une marche funèbre et c’est ce même morceau qui aurait pu ouvrir les portes du succès à David au prestigieux concours « Reine Elizabeth » de Belgique, mais qu’il a refusé de jouer jusqu’au bout, annihilant ses chances de succès, puis disparaissant du jeu, de la société, de la musique pour une retraite solitaire. C’est ce même opus qui réunira au pas de la mort le fils et le père, comme si cette ultime rencontre pouvait gommer toutes ces années perdues.

    Ce que je retiens, c’est l’attitude de David qui, surdoué et promis à un bel avenir, choisit le silence face à un concours dont ils aurait été le lauréat et qui choisit l’isolement quasi monastique dans un bunker suisse en pleine montagne. Cette manière de gâcher ses chances et ses dons m’interpelle dans un monde où la réussite est portée au pinacle, où il faut impérativement se faire valoir, se vendre pour avoir la notoriété, l’argent, l’admiration des autres et peut-être l’estime de soi.

     

    Tout au long de ma lecture, j’ai pensé à cette citation d’André Gide « Famille je vous hais » qui tranche tellement sur la vision traditionnelle qu’on veut en donner et qui ressemble un peu trop à une image d’Épinal. Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes dans ce microcosme voué à la musique mais l’ambiance y était étouffante. Si le frère et la sœur sont intimement liés et la mère vouée aux médicaments, le père, que la narratrice n’appelle que par son nom, rendu volage par le succès et peut-être aigri par la maladie naissante, entend imposer le piano à ses enfants. Mais c’est le violon que choisit David, comme un désaveux. C’est cette même forme de contestation qui le fait s’éloigner du giron familial et se donner en spectacle dans la rue pour quelques pièces. Certes Ariane surnommée « La rouquine » sera pianiste, mais elle n’est pas tendre avec son géniteur et ce qu’elle dit ressemble à un règlement de compte. Ce qu’elle aime, elle, c’est surtout c’est la liberté et la vie dont elle entend bien profiter.

     

    Je ne suis pas un mélomane averti et encore moins musicien mais j’ai apprécié la manière dont l’auteur, dans un style fluide et agréable à lire, détaille et explique cette œuvre musicale, c’est souvent technique et approfondi mais ça n’exclut ni l’émotion ni le plaisir de la lecture.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.comN° 1423 - Janvier 2020.

     

  • Le livre de sable

    N° 1428 - Février 2020.

     

    Le livre de sable - Jorge Luis Borges- Folio.

    Traduit de l'espagnol par Françoise Rosset.

     

    C’est une atmosphère bien étrange qui baigne les différentes nouvelles de ce recueil tel Borges qui rencontre un autre lui-même. Il y a d’ailleurs beaucoup d entrevues dans ces textes au nombre de treize [est-ce une allusion au mystère de ce nombre? L’auteur précise lui-même qu’il est le fruit du hasard ou de la fatalité], le narrateur est toujours un sud-américain d’un certain âge qui croise, d’ailleurs fortuitement et sans suite pour l’avenir, un interlocuteur (ou trice) plus jeune. Le conteur, qui ressemble à l’auteur tant les détails biographiques donnés le concernent (certains de ses personnages ont en effet des problèmes de vue), est toujours seul voire solitaire malgré quelques rencontres amoureuses mais qui ne durent pas. Les textes où le rêve tient un grande place sont souvent labyrinthiques, inquiétants, mystérieux, fantastiques avec des connotations d’horreur. Il est souvent fait allusion à d’autres écrivains de la même inspiration. Refusant d’écrire une préface à son propre livre Borges lui préfère un épilogue dans lequel il s’explique ou donne des clés de ces différentes fictions. Il souhaite que les rêves qu’elles ne manqueront pas de susciter continuent à nourrir l’imaginaire de ses lecteurs.

     

    C’est sans doute la caractéristique d’un esprit quelque peu dérangé mais je dois bien avouer que je suis entré de plain-pied, sans le comprendre complètement peut-être, dans cet univers que je caractérise moi-même d’énigmatique et je souscris à la remarque de notre auteur faite au début de la nouvelle qui donne son titre au recueil. Il y écrit « C’est devenu une convention aujourd’hui d’affirmer de tout conte fantastique qu’il est véridique ». Cette remarque m’évoque à la fois celle de Boris Vian dans la préface de « l’écume des jours » : « L'histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre. » ou, à contrario , le tableau de Magritte «Ceci n’est pas une pipe ».

     

    Ce recueil illustre bien le parti-pris d’écriture qui fut celui de Borges. Il est en effet connu pour être un nouvelliste privilégiant le fantastique et l’aspect infini des choses comme peut l’indiquer la référence au sable qui figure dans le titre donné à cet ouvrage.

     

    Je retiens aussi cette citation de Borges signant également la 4° de couverture « Je n’écris pas pour une petite élite dont je n’ai cure ni pour une entité platonique adulée qu’on surnomme la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères aux démagogues. J’écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps ».

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.comN° 1423 - Janvier 2020.

     

  • Un soupçon légitime

    N° 1427 - Février 2020.

     

    Un soupçon légitime - Stefan Zweig- Bernard Grasset.

    Traduit de l'allemand par Baptiste Touverey.

     

    Le titre lui-même peut évoquer une fiction policière, ce qui est étonnant sous la plume de Zweig, mais après tout pourquoi pas ? C’est une longue nouvelle publiée longtemps après sa mort mais écrite par Zweig alors qu'il s'est installé en Angleterre pour fuir le régime nazi et qui fait allusion dès la première page à un meurtre. La narratrice, Betsy s'est installée avec son mari dans la campagne anglaise pour une paisible retraite. Un couple d'Anglais plus jeune dont le mari John Limpley est aussi excessif et exubérant que son épouse, Ellen, est oisive et réservée, devient leur voisin. Face à l’état de déréliction de l’épouse et au nom des relations de bon voisinage, les retraités leur offre un chien, baptisé Ponto, auquel John s’attache, à en devenir esclave. Quand son épouse tombe enceinte l'animal est rejeté et c'est le drame.

     

    Comme toujours chez Stefan Zweig, outre le style élégant et coutumier de notre auteur, c'est l'analyse psychologique des personnages et des sentiments qui est importante bien que le personnage principal soit un chien. Dans le couple Limpley le mari est amoureux de sa femme et l’entoure de son attention mais en réalité l’oppresse par son attitude excessive et même par sa présence débordante, tandis que cette dernière est particulièrement effacée et aspire à la solitude. John déborde d’amour et devant la relative indifférence d’Ellen, reporte cette affection sur son chien. Puis tout change à partir du jour de la naissance de l’enfant du couple. Zweig décrit cette manière de s'attacher à quelqu'un avec passion au point de l'idéaliser, voire de l'idolâtrer pour ensuite, soit à la longue soit à la suite d'un évènement extérieur de le rejeter au point de l'ignorer complètement de l'humilier voire de le haïr. Cette attitude, bien qu'elle s'adresse à Ponto et qu'elle ait quelque chose d'excessif, est vérifiable tous les jours dans l'espèce humaine. D’un autre côté, si le rôle du chien me paraît quelque peu exagéré, son attitude au regard de l’état de déréliction que lui impose plus tard son maître, ses pulsions d’hypocrisie et de vengeance et bien entendu de mort, ont quelque chose d’humain.

     

    Pour autant j'ai été un peu surpris par cette nouvelle qui me paraît quelque peu différente du registre traditionnel de Zweig. Je lis que ce texte aurait été écrit lors de son passage en Angleterre soit entre 1935 et 1940 et publié en 1987 (et en 2009 dans sa traduction française) soit longtemps après sa mort. Certes, mettre ainsi en scène un animal est original et tient de la fable, ce qui est peu commun chez Zweig, de même que le caractère enjoué de John tranche quelque peu sur l’atmosphère qui baigne généralement les œuvres de notre auteur et ce même si cette histoire porte au paroxysme le message qu’il entend faire passer. Mais après tout pourquoi pas puisqu’il y ajoute une atmosphère de suspense ? Je reste cependant dubitatif devant cette nouvelle, et ce bien que j'aie pour l’œuvre de Zweig un intérêt intact.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

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