la feuille volante

Articles de hervegautier

  • LE ROMAN DE TOLSTOï – Vladimir Fédorovski

     

    N°526 – Juin 2011.

    LE ROMAN DE TOLSTOï Vladimir Fédorovski – Éditions du Rocher.

     

    Au départ, il y une passion de Vladimir Fédorosvovski pour Léon Tolstoï (1828-1910), l'auteur de «  Guerre et paix » et surtout de «  Anna Karénine », l'écrivain emblématique de la Russie éternelle. Ses livres seront des compagnons pour un séjour diplomatique africain de l'auteur, mais aussi tout au long de sa vie.

     

    L'auteur nous fait découvrir le jeune Léon, né en 1828 dans une grande famille d'aristocrates qui avait marqué l'histoire de la Russie tsariste. Une enfance passée à la campagne, malheureusement bouleversée par la mort de ses parents l'amène à Moscou où il découvre les prémices de sa personnalité : l'ambivalence entre l'individualisme qu'il porte en lui et son attirance pour l'universalité. Toute sa vie future sera conditionnée par une prise de conscience de cette période de l'enfance « heureuse époque perdue sans retour ». Durant son adolescence, il fréquente le lycée puis l'université mais est un étudiant irrégulier et hésitant, plus attiré vers la liberté et par l'indépendance et quitte les études sans diplôme. Il revient vers son domaine dont il est désormais le maître, tente de l'administrer mais y renonce. Il a la volonté d'être meilleur en tout, de se marier, de préférence avec une femme riche pour se ranger, est un temps désireux d'un poste dans l'administration mais abandonne ce projet ... « le comte Tolstoï » est surtout désireux de jeter sa gourme dans les plaisirs, la débauche, se laisse happer par la vie facile, le jeu, les femmes, et l'abstinence qu'il tente quand même d'observer lui pèse. Derrière la façade de l'aristocrate mondain et valétudinaire, il tente de dissimuler un tempérament « infatigable », amoureux, sensuel, charnel. Malgré tout la quête du bonheur reste un idéal[il ne l'atteindra que plus tard grâce au mariage], malgré son esprit indépendant, l'armée l'attire un moment, mais il revient du Caucase et de la Crimée avec une aversion pour les combats, un intérêt profond pour la nature humaine... et des notes et des personnages pour ses futurs romans. De l'armée où il sert comme officier, il laisse libre-court à son esprit indépendant et jouisseur, mais en revient désabusé bien qu' admiratif pour l'abnégation du simple soldat. A la religion dogmatique encombrée de rituels inutiles il préfère un christianisme primitif.

     

    Et pourtant, resté fidèle à la nature, à « sa terre », à sa patrie, pétri du message du siècle des Lumières français, il ressent un désir d'écrire qui ne le quittera plus. Écrire devient le vrai sens de sa vie mais, même s'il chérit la langue française, il reste Russe dans l'âme et souhaite que son pays soit reconnu comme un guide parmi les autres nations. Pourtant, après quelques hésitations, ce « dandy déchaîné », ce « vieux sot édenté » finit par quitter l'armée pour se consacrer aux Lettres, par voyager et après beaucoup d'hésitations, par prendre femme, malgré la différence d'âge avec sa jeune épouse, Sophie ! Elle deviendra vite la maîtresse des lieux autant que du vieux comte, pour quarante huit ans de bonheur, et de nombreuses maternités. C'est à ce moment que Tolstoï écrivit ses chefs-d'œuvre, s'affirma comme un immense écrivain.

     

    Lui-même se pose en prophète, en guide, sur cette terre d'exception située à la croisée des chemins et des influences. Il se veut précurseur mais quand ses idées prennent corps il regimbe à suivre le cours des choses qu'il à lui-même suscitées. Même s'il a longtemps succombé à l'appel de la chair et du jeu, il reste un être pétri de spiritualité, marqué par la volonté d'affranchir ses serfs et de partager ses terres. La vieillesse venant, il devint philosophe, philanthrope et chercha à se rapprocher de Dieu à cause peut-être de la culpabilité qu'il ressentait à cause de sa vie, de ses passions, de ses débauches...

     

    A l'occasion du centenaire de sa mort et s'appuyant sur des archives inédites et sur le « journal »de Tolstoï, Vlamidir Fédorovsky retrace la vie de cet écrivain emblématique de la Russie éternelle. Il évoque l'homme, tiraillé entre sensualité, érotisme et spiritualité, montre sa face cachée à la fois insolite et intime. Il ne manque pas non plus, malgré toute l'admiration qu'il peut avoir pour ce géant de la littérature russe et cet humaniste, d'exercer son droit de critique et de noter quelques remarques personnelles qui remettent les choses à leur vraie place, même si elles écornent un peu la légende. Il note, avec humour parfois, pour le lecteur non initié à l'âme russe, tout ce qu'un geste apparemment anodin peut cacher comme signification.

     

    Avec de courts chapitres enrichis d'illustrations et abondamment documentés, un texte limpide, directement écrit en français, dans un style fluide, précis et poétique, notre auteur fait de Tolstoï, personnage bien réel, un véritable héros romanesque, passionnant et passionné. Malgré la complexité de l'homme, fait d'oppositions et de contradictions, Vladimir Fédorowski réussit à nous le rendre attachant. Je ne suis qu'un simple lecteur, mais j'ai été enthousiasmé par ce portrait sans concession.

     

    Je connaissais Vladimir Fédorovski de réputation pour son rôle diplomatique et politique, notamment dans la « Pérestroïka ». Je le savais écrivain, amoureux de la langue et de la culture françaises, mais je n'avais jamais rien lu de lui. Avec le magistral « roman » sur Léon Tolstoï, je n'ai pas été déçu.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

  • LA TOUR DE GUET – Anna Maria Matute

     

    N°525 – Juin 2011.

    LA TOUR DE GUET – Anna Maria Matute – Éditions Phébus.

     Traduit de l'espagnol par Michelle Lévy-Provençal.

     

    C'est une ambiance du haut Moyen-Age que visite ce roman avec des personnages tels que le père du narrateur, « petit féodal très pauvre » mais surtout aux mœurs frustes et vicieuses. Le décor n'est pas en reste avec ces donjons inconfortables, ces hivers rigoureux, ces forêts mystérieuses, ces loups hurlants, ces buchers expiatoires où l'on brûle des sorcières, ces combats brutaux, ces marias peuplés de dragons ... L'ambiance aussi, témoin le récit de la mort de la baronne Mohl.

     

    C'est que ce texte commence quand le narrateur est encore un enfant, laid et abandonné par ses parents, fils d'un pauvre vassal inculte et brutal et d'une mère qui ne s'occupe pas de lui et termine sa vie dans un couvent et que ses frères maltraitent. Pour parfaire son éducation de chevalier qu'il a commencé seul, lui qui n'est encore qu'un enfant, se rend, comme ses trois frères avant lui, au château du suzerain de son père, le baron Mohl, un puissant et riche seigneur et tombe amoureux de l'énigmatique châtelaine qu'il surnomme l'ogresse. Là il apprend non seulement l'art de se battre, de manier l'épieu et l'épée mais aussi les bonnes manières, la lecture la musique et les bonnes manières. Là il vit dans un milieu plus raffiné, plus cultivé que dans la maison délabrée de son père, mais ses frères sont là qui l'observent, menaçants...

     

    Pourtant, son avis sur le baron change vite quand il apprend par une indiscrétion de soldat que le château abrite aussi de jeunes éphèbes et de tendre jeunes filles pour le plaisir du maître des lieux. Il comprend que son hôte n'est pas aussi vertueux qu'il l'avait supposé mais qu'il est au contraire injuste, sanguinaire et sadique, capable de tuer avec raffinement son jeune amant et de le livrer aux chiens !

    Le grand fleuve qui baigne ce pays inconnu est une frontière au-delà de laquelle s'étend la steppe inhospitalière

     

    Je ne suis que très modérément entré dans l'univers de ce roman déroutant, épique et fantasmagorique. L'auteur, Anna Maria Mature m'était inconnue malgré sa notoriété et l'importance de son œuvre couronnée du prestigieux prix Cervantes en 2010. C'est, certes un roman initiatique sur l'éducation d'un jeune chevalier, fort bien écrit, baroque et dépaysant. Le lecteur y retrouve des questions éternelles comme la place de l'homme dans le monde, le regard d'un humain porté sur l'espèce à laquelle il appartient et à laquelle il ressemble, l'idéal de puissance et de domination... C'est un roman de la découverte de soi, de la quête du bien et du mal, du passage de l'enfance à l'âge adulte, de la perte de l'innocence, de la solitude, de la prise de conscience de la complexité de ce monde et de l'angoisse d'y vivre. Finalement, le monde décrit ici n'est pas très différent de celui dans lequel nous vivons aujourd'hui et les paroles du narrateur sont parfaitement transposables « Je me promis de ne jamais plus participer à une vie qui n'étais pas ma vie, me mêler et me confondre à une race qui subsiste et gravit à force de coups, de ruses, de renoncements, de désespoirs, de haine, d'amour et de mort. »

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • MOURIR A GRENADE – Rémi Huppert

     

    N°524 – Juin 2011.

    MOURIR A GRENADE – Rémi Huppert – Éditions du Petit Pavé.

     

    Nous sommes en 1990 et Enrique, le narrateur alors professeur de lettres à Provins revient à Viznar, son village natal situé près de Grenade, pour y mourir peut-être ? Il se sait en effet condamné et a voulu revenir une ultime fois, lui l'enfant exilé, fils de républicain espagnol qui, à huit ans, a dû fuir son pays en compagnie de sa mère pour se réfugier en France. Il était déjà revenu dans cette ville en 1975 pour y rencontrer le reste de sa famille juste après la mort de Franco. Pendant les quelques semaines qu'il avait passées ici, il avait redécouvert un pays qu'il n'avait pas connu avec ses croyances d'un autre âge, ses coutumes. Il était devenu le précepteur de Juan, un adolescent, fils d'une famille d'aristocrates, et, malgré les différences sociales et politiques, une amitié s'était créée entre eux. Il avait fait découvrir à ce garçon, non seulement les lettres françaises mais aussi une Grenade inconnue, le Sacro Monte, le quartier populaire d'Albaïncin, la zarzuela, les marionnettes, les beautés du flamenco, la dureté de la musique, la danse qui porte en elle-même attirance, rejet et séduction.... c'est à dire toutes les richesses culturelles de cette ville qui, jusqu'ici, lui étaient inconnues. Il fut pour lui une sorte de père de substitution qui lui apprit aussi la vie [« Je lui fis cadeau du temps ». « Il y a du temps pour tout... Tout est là, rêver, être soi-même même pour ne rien faire, rêver le jour de façon consentie, rêver pour concevoir et imaginer »] que ses parents trop engoncés dans le traditionalisme n'avaient pas pu lui enseigner. Enrique lui apprit la tolérance, l'acceptation des différences de l'autre même s'il est lié à soi par le sang, la fierté et l'humilité, l'obéissance aussi ...

    Tout opposait l'élève et le professeur mais Juan avait en horreur sa propre famille patricienne qui ne pense qu'à s'enrichir, dominer et paraître. C'est sans doute ce rejet qui attira l'enfant vers cet adulte. Pourtant la rumeur autant que la malveillance ont raison de ces rencontres studieuses qui sont remplacées, sur ordre paternel, par un enseignement plus classique, mais loin de Grenade. Ces leçons autant que leur amitié nourriront plus tard le parcours créateur de Juan qui obtiendra en France un prix littéraire prestigieux.

     

    Enrique avait aussi rencontré Chica, une jeune fille sourde et muette dont les mains maniaient si bien l'aiguille [« Seules ses mains sculptaient l'espace avec détermination, et, à travers un ballet fascinant de gestes expressifs, saccadés et directs, elle renvoyait le miroir de son âme d'enfant impuissant à parler. »]. Il devint son ami et Juan apprit à la connaître et à l'aimer comme sa sœur. Le hasard de la vie fit que Chica, perdue dans la montagne au cours d'une promenade y est morte, peut-être à cause de son attirance pour les chevaux sauvages. Le mystère de sa disparition ajoute à l'aura de cette jeune infirme qui n'avait peut-être pas sa place dans ce monde ? Il avoue pourtant que Juan comme Chica lui ont été indispensables [« C'est grâce à ces deux adolescents que je me suis réconcilié avec la vie après un cortège d'épreuves et de déboires... Les quelques idées qui sont miennes se sont solidifiée à leur contact. »]

    Lui qui ne s'était pas marié, rencontre Carmen, sa logeuse à Grenade, une femme lumineuse marquée par la vie. C'est peut-être cela et leurs deux solitudes qui les ont réunis pour un amour véritable ?

     

    Pourtant Enrique n'était pas de ces exilés suffisants qui reviennent au pays pour impressionner leur auditoire et faire état de leur réussite. Lui, même s'il est l'héritier de deux cultures, vient au-devant de son enfance, de ses souvenirs heureux, de la vie de ce petit village qui semblait hors du temps, de l'image de sa mère, modeste commerçante, de son père, simple ouvrier conquis par les idées de la république qui fut arrêté pour cela puis choisit de s'engager dans l'armée pour les défendre. Sa famille ne le reverra pas...

     

    Avec l'exactitude de l'historien, l'auteur retrace à grands traits l'histoire de cette guerre civile qui, par les massacres perpétrés des deux côtés, ensanglanta l'Espagne et prépara la deuxième Guerre Mondiale. Il évoque les combats, la palinodie des notables qui choisirent le franquisme, la délation, le soutien que la population apporta aux insurgés, la répression, la terreur, les mauvais traitements infligés à la population ouvrière par la Garde Civile, les « paseos », les massacres, les exécutions sommaires, le ralliement de l'église catholique aux nationalistes... Pourtant, cette paisible bourgade devient, pour des raisons stratégiques, un poste avancé des franquistes. Puis ce fut la fuite de Grenade vers Barcelone puis vers les camps de concentration français sous la surveillance des troupes coloniales, les mauvais traitements, les injustices et les trahisons, la mort de ce petit frère qui repose sous le sable d'Argelès...

    Vient ensuite une longue errance dans ce pays qui ne voulait pas d'eux, le courage de sa mère et la volonté d'Enrique, son parcours exemplaire, l'aide des autres Espagnols émigrés, celui, fraternel et humaniste de la franc-maçonnerie et le retour à la foi chrétienne.

     

    Grenade et la guerre civile sont indissociables de Frederico Garcia Lorca, le poète assassiné par les franquistes. Sa figure tutélaire plane sur ce livre, comme le font celles du Gongora et de Manuel des Falla. Pourtant, en 1990, le narrateur constate que prévalent l'indifférence et l'hypocrisie des survivants qui ainsi choisissent d'oublier leur attitude d'alors. Cette terre grenadine sera pour Enrique qui meurt en 1991, son linceul comme elle a reçu, anonymement, la dépouille du poète andalou.

     

    A l'aide de nombreux analepses, l'auteur retrace pour son lecteur l'histoire de cette famille obligée de fuir à cause de la guerre et du parcours personnel et intime de ce personnage, de ses interrogations, de sa maladie et de sa réflexion sur la vie et sur la mort. C'est aussi un hymne à cette ville andalouse, creuset de populations et de cultures différentes [« Grenade a éveillé l'enfant qui dormait en moi, l'enfant rieur et l'enfant songeur, celui qui parle aux arbres et aux pierres et qui sait les écouter »]

     

    L'écriture de Rémi Huppert est fluide, ses descriptions poétiques suscitent senteurs, couleurs, formes et saveurs; elles font de ce livre émouvant et fort un agréable moment de lecture.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • LE RETOUR DE JIM LAMAR – Lionel Salaün

     



    N°523 – Juin 2011.

    LE RETOUR DE JIM LAMAR – Lionel Salaün – Éditions Liana Levi.

     

    « Il y a quand même une chose que tu dois savoir. Il y a trois sortes de gars qui sont revenus de là-bas: les vivants, les morts et les morts-vivants ! Et quelque chose me dit que Jim Lamar fait partie de la troisième catégorie... ». Celui à qui s'adressent ces paroles, c'est le jeune Billy qui est aussi le narrateur de ce récit et celui dont il est question, c'est Jim Lamar, parti contre son gré faire la guerre au Vietnam puis rentré, quand personne ne l'attendait plus, dans la maison de ses parents après la mort de ces derniers... mais treize ans après la fin du conflit ! Quant à la bâtisse, elle n'est plus qu'une quasi-ruine puisque les habitants de Stanford, une petite ville perdue du Missouri, se sont appliqués à la vandaliser. Bien entendu, il n'est plus qu'un étranger, un paria et chacun se met à le détester, sauf Billy.

     

    Pour l'enfant que le narrateur est encore, ce Lamar, après avoir été un fantôme absent, est une sorte de mythe. L'homme ressemble davantage à un géant qu'à un gringalet. Il est resté longtemps absent au point qu'on l'a cru mort et ceux qui ont fait la guerre et y ont survécu ont cette sorte d'aura qui les font distinguer du commun des mortels.

     

    A l'occasion d'un banal accident, Billy va faire la connaissance de Jim et cette rencontre va changer son quotidien fait de choses sans importance, d'une existence pauvre et solitaire au sein d'une famille banale et même un peu fruste. Rapidement leurs relations vont devenir différentes quand le jeune garçon découvre que derrière cet homme qu'il imaginait comme un baroudeur inculte se cachait un amateur de poésie, un être sensible, nanti de diplômes acquis depuis son retour du Vietnam. L'aura de cet homme va se transformer en complicité, le garçon trouvant en Jim une sorte de père de substitution que ne lui avait pas apporté sa famille, l'homme découvrant avec ce garçon un auditoire d'exception parmi cette communauté un peu sauvage qui le rejette. Jim lui parle de la guerre, de ses horreurs, de la fraternité d'arme, de l'héroïsme qui est un vain mot, de la chance qui choisit au hasard, comme la mort, mais aussi du racisme qui divise l'Amérique jusque dans l'armée, de ces noirs qui défendent un pays qui ne les reconnaît même pas... Il évoque l'attente de ceux qui restent, le vide laissé par un fils ou un mari silencieux depuis trop longtemps, l'espoir mêlé de crainte face à la mort, l'oubli.... Il lui parle, de cette espèce humaine égoïste, hypocrite et mauvaise et le personnage de son oncle Homer, branche pourrie de son arbre généalogique, est là pour illustrer ses propos.

     

    Ce vétéran lui parle aussi du respect de la parole donnée, ce serment fait entre quatre soldats : si l'un d'eux survit, il devra aller prendre contact avec la famille des autres pour leur annoncer leur mort. Jim est le seul survivant du groupe, s'acquitte de sa triste tâche et fait prévaloir la vie au point qu'il en oublie ses propres parents qui meurent de chagrin à force de l'attendre.

     

    J'ai lu ce roman avec plaisir du début à la fin. Il est écrit simplement, avec humour et poésie parfois. Avec en toile de fond le Mississipi, c'est un roman sur la tolérance, l'acceptation de l'autre et de ses différences, sur l'espèce humaine qui bien souvent est dénuée d'humanité.

     

     

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • L'HIVER DES LIONS – Jan Costin Wagner

     



    N°522 – Juin 2011.

    L'HIVER DES LIONS – Jan Costin Wagner – Éditions Jacqueline Chambon.

    Traduit de l'allemand par Marie-Claude Auger

     

    L'intrigue, se passe en Finlande, entre Noël et le 31 décembre.

    Le Commissaire Kimmo Joentaa est de garde et l'ambiance mi-festive mi-indolente à cause des fêtes de fin d'année gagne les locaux du commissariat de Turku à quelques deux cents kilomètres d'Helsinki. De toute manière, il sait qu'il passera la soirée de Noël seul puisque, depuis la mort de son épouse, Sana, il n'a plus vraiment le goût de vivre. La soirée est pourtant agitée et Larissa, c'est à tout le moins le nom qu'avoue cette jeune prostituée à l'imagination féconde, entre dans sa vie un peu par hasard et ne paraît guère disposée à en sortir.

     

    Cela ne fait que commencer puisque, le matin suivant, Kimmo apprend que Patrick Laukkanen, le médecin légiste, vient d'être assassiné. Bizarrement, il apparaît que les coups de couteau mortels, « portés au hasard sur presque tout le buste » ont été donnés sous le coup de la colère. Une enquête est donc ouverte.

     

    Un meurtre semblable est commis à Helsinki. Même mode opératoire, même absence de mobile. Cette fois, la victime est Harri Mäkelä, un fabricant de mannequins pour le cinéma. Le commissaire devine très vite que le seul lien existant entre ces deux crimes est le fait que les deux hommes ont participé à un talk-show télévisé, très suivi dans tout le pays. C'est l'émission de l'animateur Hämäläinen intitulée « Les maîtres de la vie et de la mort » et la prestation des deux hommes y a été particulièrement remarquée. Bien entendu on y a parlé de catastrophes mortels ou de crimes. Il se pourrait donc que le meurtrier s'en prenne systématiquement à ceux qui passent dans cette émission. Dès lors et si ce raisonnement est exact, l'animateur est en danger de mort ! Effectivement, il est l'objet d'une agression au couteau, mais moins violente, il n'y succombe pas. Le visionnage de l'enregistrement de l'émission n'apporte aucune information si ce n'est la bonne humeur générale dans le public alors que le thème ne s'y prête guère. La police est dans une sorte d'impasse. C'est alors que Joentaa a une idée. Il se pourrait que le coupable se trouve dans le public invité à l'émission et aussi parmi les victimes survivantes d'un accident spectaculaire d'avion ou de train et qui aurait transformé son deuil « en agression irrationnelle ». Cela paraît plausible bien que son supérieur estime que « les idées de Kimmo sont toujours saugrenues ». Faute de mieux, l'enquête explore cette piste, s'égare un peu pour finalement s'orienter, un peu par hasard, sur une femme dont l'attitude pendant l'émission télévisée a tranché sur l'ambiance générale. Son passé est systématiquement et laborieusement épluché...

     

    Je dois dire que ce roman m'a bien plu au départ, mais rapidement, peut-être à cause de diversions, j'ai un peu lâché le fil du récit. Je n'ai pas été très convaincu non plus par le personnage du commissaire qui ne cesse de s'excuser (de quoi ?), ni d'ailleurs par la présence de Larissa. Je n'ai pas vraiment adhéré à l'épilogue non plus. Le texte est pourtant agréable à lire, avec des passages poétiques notamment des descriptions hivernales inconnues sous nos latitudes et un suspense entretenu jusqu'à la fin.

     

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • ENQUETE SUR LA DISPARITION D'EMILIE BRUNET – Antoine Bello

      

     

     

     

     



    N°521 – Mai 2011.

    ENQUETE SUR LA DISPARITION D'EMILIE BRUNET – Antoine Bello – Gallimard.

     

     

    L'intrigue, condition indispensable à tout bon roman policier, est simple, à tout le moins en apparence. Comme l'indique le titre, Émilie Brunet, une des femmes les plus riches du pays, a disparu. Là où cela se complique, c'est que sa disparition coïncide avec celle de Stéphane Roget, professeur de Yoga, mais aussi amant d'Émilie et que Claude Brunet, son mari, connaissait leur liaison ! C'est même lui qui avertit la police en l'absence de son épouse. On sent déjà le vaudeville et ce d'autant plus que ce brillant professeur d'université s'octroyait largement des libertés de Don Juan ! Bien évidemment, ce dernier est suspecté et même quelque peu molesté lors d'une garde à vue musclée par un inspecteur zélé, partisan des méthodes expéditives, qui sans doute sont classiques et ont fait depuis longtemps la preuve de leur efficacité. Pourtant, dans son cas, cela amène notre suspect à l'infirmerie et certainement pas aux aveux. L'ennui c'est que Brunet est neurologue, professeur de sciences cognitives... mais ne se souvient de rien !

     

    Achille Dunot, détective de son état, compatit à ce qui pourrait être regardé comme une opportunité intéressante pour Brunet, et ce d'autant plus qu'il souffre lui aussi d'une amnésie chronique dite « antérograde ». Il ne peut, en effet, imprimer dans sa mémoire ses souvenirs immédiats. Chargé de l'enquête sur la disparition d'Émilie Brunet, notre détective s'en tient à la rédaction d'un journal relatant les différentes phases de ses investigations. Chaque matin il tente, grâce à sa chronique de se remémorer ce qu'il a fait la veille. Pourtant, cet adepte d'Agatha Christie à qui il fait constamment référence devient, petit à petit et sans presque s'en rendre compte le héros d'un roman policier dont il est aussi l'auteur.

     

    Le médecin est dans une bien étrange posture puisque tout l'accuse. Il a, en effet a plusieurs mobiles, et notamment financier... et aucun alibi ! Pour aggraver son cas, il fait constamment l'apologie du crime parfait, donnant à penser au détective qu'il n'est pas étranger à la disparition de son épouse. Il a d'ailleurs pour ce concept une véritable fascination. De part ses études sur le cerveau humain, il est parfaitement capable de compartimenter et de domestiquer sa propre mémoire. Il joue même avec Dunot en lui proposant d'écrire lui aussi ses propres sentiments sur cette affaire et de les livrer à l'enquêteur, tout en gardant, bien entendu, la maîtrise de cette situation. Dunot suspecte Brunet d'être coupable de ce double meurtre et ce dernier n'ignore rien des soupçons qui pèsent sur lui. Ainsi assiste-t-on à un chassé-croisé entre les deux hommes, le policier cherchant à s'identifier au médecin à travers son témoignage écrit et ainsi le confondre, le médecin s'obstinant à rester à l'hôpital, et donc à ne pas fuir, refusant puis acceptant de livrer ses écrits au policier pour mieux l'abuser par ses développements intellectuels et universitaires. Il sollicite même la justice pour être innocenté le plus vite possible, histoire de bénéficier de « la chose jugée ». Une sorte d'amitiés naît même de cet échange, ce qui fausse un peu les choses.

     

    Les personnages peuvent paraître peu originaux : un flic violent et borné, une domestique puritaine, tout droit sortie d'un roman d'Agatha Christie, un universitaire prétentieux et brillant, une étudiante fascinée par son professeur avec qui elle a, bien entendu, eu une liaison, et dans tout cela le mythe du crime parfait et le contexte un peu facile de l'amnésie. D'autre part les références souvent trop érudites sur l'œuvre d'Agatha Christie (mais aussi d'Edgar Poe et d'Alfred Hitchcock) donnent lieu à des longueurs quelque peu inutiles et tournent carrément à l'exégèse de ses romans et au panégyrique d'Hercule Poirot. Au point qu'on en oublie l'intrigue ! Le lecteur reste sur sa faim puisque cette sorte de mise en abyme (un roman dans le roman) ne conclut rien, n'explique rien, laisse en suspens toutes les questions que le lecteur s'est posées. C'est un peu dommage, la présentation du récit sous forme de journal dont Dunot caviarde certaines lignes pour tenter de circonvenir le médecin est intéressante. C'est un roman bien écrit, agréable à lire et au suspense savamment entretenu jusqu'à la fin, mais franchement, je m'attendais à autre chose !

     

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     

     

  • L'EVANGILE SELON JESUS-CHRIST – José Saramago

     

     

     

     


     

    N°520 – Mai 2011.

    L'EVANGILE SELON JESUS-CHRIST – José Saramago – Le Seuil.

    Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.

     

    À lire la 4° de couverture, et ayant déjà lu Saramago, je m'attendais à ce que ce texte prenne des allures blasphématoires. En effet, nous avions déjà la Vulgate, les évangiles apocryphes, rien de l'empêchait donc, en qualité d'homme de plume, de livrer une version très personnelle de cette histoire. En effet, l'Évangile n'a pas, comme dans d'autres religions, été dicté par Dieu, mais ce sont des hommes qui, ayant connu le Christ et ayant entendu son enseignement, ont décidé de le transcrire à l'intention de toute l'humanité. Certes Saramago n'a pas connu Jésus, mais il en a beaucoup entendu parler dans un Portugal catholique. Il avait donc le droit de nous livrer sa version. Après tout notre auteur est un homme de lettres doué d'imagination...

     

    Pourtant, ce texte est écrit par un narrateur anonyme (et non par Jésus lui-même comme pourrait le laisser penser le titre – Il s'agit ici véritablement d'un évangile selon Saramago) qui s'approprie à sa manière l'histoire de Jésus, la replaçant dans un contexte historique, décrivant avec une grande érudition le temple de Jérusalem avant sa destruction, citant les différentes phases du rituel juif pour un lecteur dont les cinq sens sont sollicités. Il évoque Hérode comme un roi malade et sanguinaire qui craignait pour son pouvoir à cause des Écritures et qui perpétra ce que nous connaissons sous le nom du « Massacres des saints innocents » à l'occasion d'un recensement imposé par les Romains. Certes, l'auteur prend des libertés avec le texte classique en nous présentant l'annonciation formulée non par l'archange Gabriel, mais par un simple mendiant [Marie ne saura que plus tard la vraie filiation divine de son fils et le lecteur pourra s'interroger sur la nature véritable de ce mendiant]. Il nous présente-il Joseph comme un charpentier un peu rustre, peu habitué aux mondanités, coupé du monde à cause de son métier d'artisan, mais respectueux des anciens et des rituels religieux, comme un bon père aussi, soucieux de sa famille et de son premier-né.

    Vers la onzième année de Jésus, l'auteur décrit une révolte nationaliste fomentée par un certain Judas de Galilée. Après tout, cela est une réaction normale dans un pays occupé par une puissance étrangère. Joseph, père maintenant de neuf enfants reste aux yeux de Saramago un traitre à la cause des Juifs. En effet, il l'accuse d'avoir été le témoin de l'ordre assassin d' Hérode et de ne pas en avoir averti les autres, portant en quelque sorte la responsabilité de l'assassinat des enfants de Bethléem. De plus, il fait de lui un martyr innocent, exécuté par erreur pour un délit qu'il n'avait pas commis. Face à cette mort injuste, son fils Jésus va se sentir coupable tout comme il est poursuivi par la responsabilité qu'il estime porter dans l'assassinat de ces enfants tués par Hérode au moment de sa naissance. Il en viendra à interroger les docteurs de la loi dans le temple de Jérusalem sur ce thème.

     

    Puis, Jésus part de chez lui, se fait berger en Judée, abandonne son métier de charpentier et rencontre Pasteur, un pâtre non juif, qui lui enseigne ses nouvelles fonctions autant qu'il lui sert de père. Jésus est révolté par la vie que les hommes suppriment parfois au nom de Dieu, rompt avec sa famille qu'il rencontre par hasard, se révolte contre le dogme et les rites religieux sacrificiels, s'interroge sur la vraie nature des gens qui croisent sa route, jusqu'à confondre sciemment Dieu et Satan [« J'ai compris que lorsque l'un et l'autre sont d'accord, on ne peut pas distinguer un ange du Seigneur d'un ange de Satan ». « Je vais vous conduire jusqu'à la rive pour que tous puissent enfin voir Dieu et le Diable comme ils sont. Ils verront comme ils s'entendent bien, comme ils se ressemblent »]. Saramago nous le présente comme un garçon de quinze ans, très averti du judaïsme, déjà un homme, qui a tout compris de la condition humaine et qui ressent, dans le désert, l'appel de Dieu auquel il ne peut se soustraire. Désormais, il sera l'élu, celui qui a vu Dieu (mais aussi celui qui a rencontré le Diable). Il sera obligé d'aller au devant d'un destin qu'il ne souhaitait pas mais qu'il finit par accepter, celui du Fils de Dieu devant mourir sur la croix pour racheter les péchés des hommes. Sauf qu'il voit dans cette destiné, une volonté divine qui utilise ce fils pour étendre sa domination sur le monde en ne lui laissant pas le choix. Dieu est présenté comme une puissance sanguinaire qui ne recule devant rien pour s'imposer aux hommes à qui il demande un lourd tribu en vie humaines à travers les martyrs, les guerres, l'inquisition [" Alors le diable dit, il faut être Dieu pour aimer autant le sang »]. Il est vrai que l'histoire de l'Église catholique est là pour illustrer ce propos. Il pose donc en ces termes le problème de la liberté et celui de la révolte, mais face à Dieu, cette insoumission est impossible.

     

    Saramango donne à Jésus une véritable dimension humaine dans sa révolte comme dans sa vie, un homme qui ne peut résister notamment à l'appel de la chair. Marie-Madeleine le déniaise et vit avec lui une authentique histoire d'amour ( son personnage est particulièrement bien rendu ). Celle qui était à l'origine une prostituée change de vie pour être sa compagne fidèle et complice au quotidien. Jésus est présenté comme un nomade solitaire, intelligent et vif d'esprit, pauvre et sympathique qui, par ses miracles aide les hommes à vivre, tout en leur rappelant qu'il n'y est pour rien et que c'est le Seigneur dont il est véritablement le fils qui parle par sa voix. Il reste un être tourmenté, partagé entre Dieu et Satan et les Juifs autour de lui le prennent pour un être d'exception, un mage, le Messie des Écritures ou celui qui pourrait bien libérer la terre d'Israël du joug romain. Les apôtres et les disciples ne viendront qu'ensuite et le suivront. Même si Saramago bouleverse un peu l'ordre et le contexte des miracles de l'Évangile, choisit de mettre en exergue un fait plutôt qu'un autre ou la personnalité d'un apôtre ou d'un personnage, même s'il fait de Marie une mère incrédule, loin en tout cas du dogme de la virginité puisqu'elle une vie sexuelle normale et féconde avec son mari, il ne donne pas à voir un Jésus antipathique, bien au contraire. Il le présente comme une victime de son destin implacable, un instrument de la domination divine sur le monde. C'est à Dieu le père qu'il s'en prend.

     

    On le voit bien ici, c'est davantage une fiction romanesque qu'un véritable évangile qui, en d'autres temps lui aurait valu le bucher [Je dois quand même avouer que le dialogue entre Dieu et le Diable à quelque chose de naïf et de peu convainquant]. A la suite de l'édition des « versets sataniques » Salman Rushdie a été victime d'une fatwa et dut se cacher pour sauver sa vie. Après la publication de ce roman en 1991, et devant la réaction violente de l'église catholique portugaise, Saramago dut s'exiler aux Canaries où il mourût en 2010.

     

    J'entends que sa démarche soit romanesque, que son droit à la recréation lui soit reconnu ( comment ne le serait-il pas ? Martin Scorsese reprenant « La dernière tentation du Christ » de Nikos Kazantzakis avait fait de même ...). Je ne suis pas attaché au texte du Nouveau Testament, je ne suis peut-être qu'un vulgaire mécréant sans importance et promis au feu de l'enfer, mais cette grande fresque largement sacrilège, pourtant bien écrite (bien traduite, malgré une disposition des dialogues un peu difficile à suivre) avec des moments agréablement poétiques, m'a un peu gêné sans que je sache vraiment pourquoi.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE DIEU MANCHOT – José Saramago

     

    N°519 – Mai 2011.

    LE DIEU MANCHOT – José Saramago – Albin Michel.

    Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.

     

    Nous sommes au XVIII° siècle au Portugal sous le règne de Jean V dit « le Magnanime » (1706-1750). Ce roi fait le serment à Dieu de lui élever un couvent dans la ville de Mafrat contre la promesse d'un héritier légitime. L'infante Maria Barbara naîtra peu après. Ce projet vaniteux et quelque peu pharaonien devra rivaliser avec St Pierre de Rome devient possible grâce à l'or du Brésil.

     

    Ce texte met en scène Balthazar Mateus, dit Sept Soleils, un soldat portugais que la guerre a rendu manchot de la main gauche, mendiant et vagabond et Blimunda, une sorte de sorcière qui a le pouvoir de lire dans les âmes de ses contemporains. Ensemble, ils forment un couple symbolique mais surtout illégitime, condamné par l'Église mais pas par le Père jésuite Bartolomeu de Gusmão (1685-1724), un génial et authentique inventeur qui a conçu la « Passarole », une machine au mécanisme compliqué à base de boules d'ambre, d'aimants, de chaleur du soleil, de voiles, de sphères contenant des volontés humaines et... de grâce de Dieu ! En principe, elle doit s'élever « en vertu d'attraction contraire à la chute des corps graves ». C'est lui d'ailleurs qui révèle à Balthazar que Dieu est, comme lui, manchot de la main gauche [« Je suis le seul à le dire mais Dieu n'a pas de main gauche puisque c'est à sa droite que s'asseyent les élus... Personne de s'assied à la gauche de Dieu, c'est le vide, le néant, l'absence d'où il résulte que Dieu est manchot. »] et qui baptise sa compagne du nom de « Sept-Lunes ».

    Cette femme révèle à son compagnon des vérités religieuses qui vont à l'encontre de l'enseignement catholique [ « Les saints n'ont pas été sauvés...personne n'est sauvé et personne n'est damné... Le péché n'existe pas, seuls existent la vie et la mort »]. Ensemble, ils secondent le jésuite dans la construction de cette machine qui volera effectivement devant le roi en 1710 (et donc bien avant la montgolfière) mais dont le projet, quelque peu dangereux sera abandonné. (La relation romancée du premier vol de cette machine tel que l'imagine Saramago est particulièrement savoureuse).

     

    Baltahazar et Blimunda vivent sans doute dans le péché, mais le moine en fait encore un bien plus grand qui est de vouloir voler, c'est à dire de vouloir aller contre les choses établies par Dieu et ainsi vouloir l'offenser. Ainsi le prêtre est inquiet parce que l'inquisition veille et craint autant pour sa vie que pour son invention. D'ailleurs la mère de Blimunda est morte sur le bucher du Saint Office pour sorcellerie.

     

    C'est aussi l'occasion pour l'auteur de nous conter, à travers les yeux de Balthazar, l'histoire de ces opprimés qui construisent le monastère de Mafrat. Ce chantier sera une hécatombe pour les ouvriers chargés de sa construction, recrutés et traités comme de véritables esclaves. A dix sept ans, Maria Barbara part du Portugal pour devenir reine d'Espagne mais le monastère qu'on va consacrer n'est même pas encore terminé.

     

    Publié en 1982, ce roman épique promène le lecteur dans une Lisbonne baroque faite de richesses des découvertes, de dévotions religieuses, d'autodafés, de fornications adultères, de luttes d'influence, de sorcières, d'alchimie, d'inquisiteurs, de nobles, de toute une population interlope, d'un petit peuple qu'on sacrifie pour l'édification de ce monastère, de mortifications religieuses inutiles, avec, en toile de fond, le clavecin de Domenico Scarlati... C'est une histoire d'amour, une fable blasphématoire autant qu'un roman historique qui replonge le lecteur dans cette société lusitanienne du XVIII d'avant le tremblement de terre de 1755.

     

    En dépit de phrases longues et difficiles à suivre parfois, à cause de la ponctuation et des dialogues disposés bizarrement, l'auteur, dans un style luxuriant, poétique, jubilatoire et complice, transporte littéralement son lecteur dans une ambiance dépaysante et particulière qui le fascine.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • CAIN- José Saramago

     

     

     

     


     

    N°518 – Mai 2011.

    CAĪN – José Saramago – Le Seuil.

    Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.

     

    Après « L'Évangile selon Jésus-Christ », sorti en 1992, où José Saramago (1922-2010) présente Jésus perdant sa virginité avec Marie-Madeleine, l'auteur récidive dans ses attaques contre Dieu avec ce roman. A l'évidence, il a, sinon l'envie de créer la polémique, à tout le moins celle de vider avec Lui un lourd contentieux. Alors que nombre d'écrivains ont célébré le Créateur ou ont choisi, au contraire de l'ignorer, Saramago le dénonce comme « un dieu cruel, envieux et insupportable qui n'existe que dans notre tête ». Quand il parle de Lui, il évite soigneusement la majuscule qui d'ordinaire orne son nom et choisit dans ce roman de présenter le meurtre d'Abel par son frère Caïn non comme le disent les Écritures à cause de l'envie mais bien plutôt à cause de l'injustice de Dieu. Il dépeint Caïn, pourtant présenté comme le premier meurtrier, comme un être bon et amoureux de la vie mais qui, s'étant rebellé contre l'arbitraire divin, est méprisé par Dieu. Ainsi le seul coupable de la mort d'Abel ce n'est pas Caïn mais Dieu. « Qui donc es-tu pour mettre à l'épreuve ce que tu as crée ? » lui dit Caïn.

     

    Dès lors il est condamné à errer (juif errant !)sur la terre, succombe aux charmes de Lilith qui est à la fois la maîtresse d'une ville, l'épouse de Noé et l'amante des hommes de passage. Il aime la vie, est le témoin impuissant des grands événements de « l'Histoire Sainte ». C'est lui qui arrête le bras d'Abraham sacrifiant son fils unique à Dieu, c'est lui qui voit la tour de Babel et ce qu'il en résulte pour les hommes, qui assiste à la mort des innocents de Sodome, au bras vengeur de Moïse tuant les adorateurs du veau d'or, sans oublier des souffrances pour lesquelles Dieu s'allie à Satan pour tourmenter Job. C'est une sorte de roman philosophique voltairien, un conte plaisant, écrit et traduit sur un mode jubilatoire qui revisite les saintes écritures en s'adressant directement au lecteur. Caïn est présenté comme une sorte de Candide qui se promène dans le temps sur le dos d'un âne. Ensemble, et par le miracle de l'écriture, ils traversent le « présent-futur » ou « le présent-alternatif » mais aussi visitent le passé. Dieu est toujours présenté comme un dictateur sanguinaire, jaloux, manipulateur, rancunier et injuste qui fait un choix parmi les hommes. Déjà dans « Le Dieu manchot » Saramago avait posé le problème de l'injustice : un roi décide d'offrir à Dieu un monastère pour le remercier de lui avoir donné un fils mais cette construction occasionne la mort de nombreux innocents. Il pose le problème de la coexistence entre les hommes et Dieu, entre les puissants et les humbles.

     

    C'est, d'évidence, un combat de la créature contre son créateur à travers la personnalité d'un être que la Bible, toujours manichéenne, a présenté comme quelqu'un de mauvais. L'Évangile prendra plus tard ce relais, notamment avec Judas. Caïn ose interroger Dieu et s'opposer à lui ! Prendre parti pour un désavoué, un réprouvé est toujours un défi intéressant, d'autant que c'est un prix Nobel de littérature qui fait ce choix. Combattre la soumission à une divinité qui est le socle de toute religion peut paraître iconoclaste. Cela n'en est pas moins la marque de cet homme engagé qui a, tout au long de sa vie, choisi d'être « politiquement incorrect », d'être en quelque sorte rebelle aux idées reçues et même à l'ordre établi, surtout contre l'Église . Depuis toujours, il a choisi son camp, celui des opprimés. On se souvient de ses positions pro-palestiniennes qui lui ont valu beaucoup de critiques au Portugal qu'il a été obligé de quitter, en Europe et dans le monde.

     

    Il ne pose pas pour autant le problème de la foi (s'adressant à Dieu il n'en nie pas l'existence mais remet en cause la bonté qui est censée le caractériser) qui est personnelle à chacun mais celui de la transcendance de Dieu et de la résignation humaine. Il est lui-même un écrivain dont le rôle est de raconter des histoires (Il précise qu'il est « un simple rapporteur d'histoires antiques »). Il considère que la Bible est un livre d'histoire emprunt de violence et qu'il peut parfaitement réécrire à sa manière en le désacralisant. Il m'apparaît que c'est un écrivain qui n'accepte pas le compromis et qui a choisi de se rebeller contre ce que l'humanité dans son ensemble considère comme une évidence : la soumission aveugle et consentante à une sorte de destin dicté par Dieu avec tout ce qu'il a d' injuste et d'irrationnel. Il me semble que, dans la mesure où l'on reste soi-même, où l'on assume ses choix, surtout s'ils vont à l'encontre de ceux du plus grand nombre, de ceux dictés par les institutions, on est parfaitement respectable. La peur de la mort, celle de l'enfer, de la damnation éternelle dont on nous a si abondamment parlé dans nos sociétés tant marquées par le judéo-christianisme, n'ont pas de prise sur lui. Il affirme ses convictions et en accepte les conséquences et je ne vois pas au nom de quoi il devrait se taire. Son style est remarquable, humoristique et toujours plaisant pour le lecteur. Il a fait valoir son talent comme le dit la parabole et je ne vois pas ce qui justifierait son silence. Et tant pis si d'aucuns ont pu voir dans ce texte une fable blasphématoire !

     

    Cela dit, même s'il a dû s'exiler en Espagne à cause sans doute de l'Église catholique qui n'a pas supporter ses écrits et ses prises de position, il n'en reste pas moins qu'il est le seul écrivain de langue portugaise à avoir obtenu le prix Nobel de littérature (1998), et, à ce titre, son pays en est fier. Heureusement !

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

  • L’EMPIRE D’UN HOMME – Ramon Sender

     

    N°299– Mai 2008



    L’EMPIRE D’UN HOMME – Ramon Sender – Éditions Actes Sud

    Roman traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

     

     

     

    C’est d’une bien «ténébreuse affaire » dont nous parle Sender. Dans une petite contrée espagnole on retrouve un homme disparu depuis bientôt quinze années à cause d’un pressentiment inexpliqué, et qui vivait solitaire dans la montagne. Tout porte à croire qu’il s’agit de Sabino, pauvre hère qui serait mort assassiné depuis longtemps mais dont on n’a jamais retrouvé le cadavre. De ce meurtre on a accusé Juan et Vicente dont les aveux ont été obtenus avec zèle par le brigadier de la Garde Civile locale et avec des méthodes héritées de l'inquisition.

     

    L’instruction quelque peu courtelinesque le dispute à l’imagination de l’avocat de la défense pour expliquer les circonstances de cette affaire. Les deux prévenus ont fini par avouer tout et n’importe quoi, pourvu qu’on les laisse en paix. Ils sont donc devenus deux assassins et ont fait pour cela quinze années de prison. Tout cela sur fond politique où, dans un petit village, les Libéraux s’opposent aux Conservateurs, dans une lutte d’influence où l'Église prend ses marques, s’allie à la force, pourvu que les apparences soient sauves, l’ordre public sauvegardé, et la religion maintenue dans son autorité morale.

     

    Mais voilà, ce Sabino, mort depuis quinze ans, refait son apparition à la surprise générale au point qu’on se demande s’il ne s’agit pas de son fantôme et les femmes, mères ou épouses, laissent leur empreinte dans ce drame fait de fantasmes populaires et de croyances d’un autre âge au point que de vieilles querelles, où l’honneur familial et la moralité sont mis en cause, vont se réveiller et trouveront leur épilogue « sur le pré ».

     

    Je remarque qu’à l’heure où l’on revient enfin à une compréhension et un apprentissage plus traditionnel de la grammaire française, ce texte est restitué en français avec un grand respect de la concordance des temps chère aux Espagnols

  • LE ROI ET LA REINE – Ramón Sender

     

     

     

     

    N°517 – Avril 2011.

    LE ROI ET LA REINE – Ramón Sender – Éditions Attila.

    Traduit de l'espagnol par Emmanue Roblès

     

    Ce roman qui a l'origine avait été publié en 1955, fait l'objet d'une réédition, enrichie de dessins d'Anne Careil.

     

    Cette histoire commence d'une manière assez inattendue. La jeune Duchesse d'Arlanza est complètement nue dans la piscine de son palais madrilène. Entre Romulo, son jardinier, mais elle néglige de se couvrir le corps au seul motif qu'il n'est qu'un simple domestique et surtout pas « un homme ». Le lecteur mesure ainsi, dès les premières lignes le ton de ce roman, l'image d'une société espagnole d'un autre âge. Le lendemain, le 13 juillet 1936, José Calvo Sotelo, chef du parti anarchiste est assassiné. C'est le point de départ du soulèvement franquiste et le début de la sanglante guerre civile qui va déchirer le pays.

     

    Le mari de la duchesse, officier d'artillerie dans le rang des nationalistes rejoint son poste mais retrouve son épouse nuitamment dans leur demeure où la duchesse s'est cachée. Après la réquisition de son château par les républicains et la nomination de Romulo comme gardien des lieux, le duc est livré et tué. La duchesse, pétrie de convictions surannées, semble étrangère aux bouleversements du dehors, continue de regarder son jardinier comme un domestique, de se recommander à Dieu et d'attendre l'intervention du roi Alfonse XIII. Les visites nocturnes du duc qu'il prend pour un autre amant, rendent Romulo jaloux. Ainsi cet homme du peuple, devient-il, par hasard et compte tenu des circonstances, l'égal de ses anciens maîtres, du moins le pense-t-il ! Cependant, compte tenu de l'amour qu'il croit porter à la duchesse, il se met en devoir de la protéger, même contre les « rouges » dont il fait pourtant officiellement partie. Avec sa complicité, elle reste cloîtrée dans le donjon du château sans que les miliciens en sachent rien et lui bénéficie d'une grande liberté à l'intérieur de ces lieux dont il a la charge. Il joue pourtant un double jeu et choisit, par amour pour cette femme, un camp auquel il n'appartiendra cependant jamais. Il accepte par avance de prendre sur lui l'assassinat du capitaine républicain dans lequel il n'est pour rien pour sa seule raison que la duchesse le lui demande. Il fait d'ailleurs disparaître le corps pour qu'elle ne soit pas inquiétée. Quand il sent qu'elle peut le dénoncer en échange d'un sauf-conduit qui la sauvera, il accepte ce sacrifice et attend patiemment la mort. C'est aussi cette même mort qu'il va chercher au front en s'engageant, un peu comme si elle devait le délivrer de cette emprise qu'a sur lui la duchesse tout aussi bien qu'elle allait l'élever au-dessus de sa condition.

     

    Pourtant, c'est un peu comme si les événements extérieurs étaient presque secondaires au regard des relations quelque peu ambiguës qui s'établissent en lui (le roi) et elle (le reine). Elles sont faites de fantasmes et de mort, d'attente et de fuite, de fols espoirs et de projets surréalistes... C'est, dans ce microcosme, un huis clos, qui figure une sorte d'unité de lieu, que se déroule ce combat inégal. Le personnage de la duchesse, qui est à ce point immatériel qu'elle ne porte même pas de prénom, est à la fois fantasque, détaché de la réalité, ambigu aussi. Quand son mari meurt, elle se donne à Estéban, un Donjuan cynique et égoïste qu'elle a pourtant toujours regardé comme « le Diable » alors qu'elle songe plutôt à se servir de Romulo comme d'un instrument. Elle est, pour ce dernier, un « rêve », une illusion inaccessible et, quand elle s'enfuie, Romulo se répète à l'envi « Elle m'attend quelque part ».

     

    C'est une espèce de jeu de miroirs, une valse-hésitation entre eux, un drame où les dialogues sont réduits au minimum et où s'opposent deux êtres à la personnalité différente, un maître et un esclave. Et pourtant la duchesse ne cesse de descendre des étages à l'intérieur du donjon où elle s'est réfugiée, alors que son jardinier tente de prendre de l 'ascendant sur cette femme qui l'impressionne. Il ne ressent aucune peine pour la mort de son épouse tuée dans un bombardement fasciste et accepte même que la duchesse revête ses vêtements pour passer inaperçue dans sa fuite.

     

    Il y a aussi des personnages secondaires, Elena, le nain qui bizarrement porte un nom de femme qui mène un combat contre les rats, comme Romulo le fait contre lui-même. Il peut représenter un danger pour le jardinier mais dès lors qu'il sent que la duchesse est morte, il cesse de le craindre. Esteban qui est seulement évoqué représente le côté bestial et érotique de l'amour, Romulo incarnant son aspect idéalisé. Cette idéalisation est fondée sur la vision fugitive de la nudité féminine, complète au départ puis limitée à un bout de sein à la fin. Les marionnettes ont un rôle révélateur dans ce récit, celui peut-être du chœur dans le théâtre grec, celui assurément de l'espèce humaine qu'elles représentent. Chaque marionnette est un homme qu'on peut aisément manipuler et c'est à l'une d'elle que l'auteur laisse le dernier mot : « acta est fabula » !

     

    Ce texte est illustré de dessins dus à Anne Careil qui soulignent bien le thème traité : la danse d'Eros avec Thanatos !

     

    Je continuerai à m'intéresser à cet auteur qui avait déjà retenu mon attention [la feuille volante n° 299 -Mai 2008]

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2011. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LES CLES DE SAINT PIERRE – Roger Peyrefitte

     



    N°515 – Avril 2011.

    LES CLES DE SAINT PIERRE – Roger Peyrefitte - Flammarion.

     

    Mon hypothétique lecteur se souviendra peut-être que cet auteur avait déjà retenu mon attention pour un roman quelque peu iconoclaste de la même veine que celui-ci et qui avait donné lieu à un échange épistolaire éphémère avec Roger Peyrefitte. [La Feuille Volante n° 37 de janvier 1990 à propos de « La soutane rouge »]. Des lectures toujours aussi délicieuses précédèrent et suivirent celle de cette intrigue « policière » vaticane. Comme je l'ai déjà écrit dans cette chronique, la nouveauté n'est pas le seul critère de la valeur d'un livre, tant s'en faut, surtout quand il s'agit de l'œuvre d'un auteur majeur. Ce roman, publié en 1955 (c'est la date de mon édition qui est si vieille que j'ai même dû en couper les pages et Dieu sait combien j'aime séparer les feuillets d'un livre avant de le lire !), me paraît illustrer parfaitement cette manière de voir d'autant qu'il ne me semble pas que l'œuvre de notre auteur soit rééditée.

     

    Quand il fut publié, ce roman fit scandale parce que François Mauriac avait condamné ce livre qui présentait Pie XII comme un homosexuel. [Je dois dire que cette lecture m'a laissé dubitatif sur ce point]. Peyrefitte avait répondu par une lettre ouverte dénonçant la tartuferie de son détracteur...et sa possible homosexualité (il semblerait d'ailleurs que Peyrefitte ait été quelque peu visionnaire puisque, actuellement, la question de l'homosexualité de Mauriac est officiellement abordée).

     

    L'histoire qui sert de prétexte à ce roman est par ailleurs bien simple : un jeune séminariste français, l'abbé Victor Mas, séjourne pour une année à Rome chez le vieux cardinal-chapelain Belloro, dont il devient le secrétaire, pour parfaire sa formation. Pour corser un peu le récit, l'auteur fait intervenir une jeune et belle Romaine, Paola, nièce du chapelain. L'auteur ajoute « un valet de chambre cynique » qui ne manque pas de faire des remarques parfois croustillantes à l'intention du jeune ecclésiastique.

     

    Ce roman est surtout l'occasion de mettre en exergue l'érudition de son auteur. Les choses de la religion catholique ne lui sont pas étrangères au point qu'il livre à son lecteur un inventaire complet (et savoureux) des richesses vaticanes, de l'histoire des saints et de leurs pouvoirs, évoque « le saint prépuce » et les querelles byzantines qu'il a suscité, se fait l'écho des pouvoirs supposés des médailles votives, du chapelet, du scapulaire et des eaux miraculeuses vantés par chaque ordre religieux... On sent bien sa volonté de railler un peu le Vatican dont il connaît bien les travers, témoin cette savoureuse relation de la canonisation de Pie X. Il n'oublie pas non plus son anticléricalisme coutumier et sa volonté de pourfendre l'hypocrisie. Son humour, ses bons mots sont irrésistibles et il laisse libre cours à sa verve dont ses fidèles lecteurs sont friands. Il s'en donne d'ailleurs à cœur-joie sur ce thème, maniant le calembour et donnant à penser que l'argent tient une grande place dans cette Église qui est bien loin des pauvres et du message de l'Évangile. « Les clés de Saint Pierre ouvrent les portes du ciel, mais il faut graisser la serrure », « Le Vatican doit louvoyer sans cesse entre le temporel et le spirituel  pour ne pas les compromettre l'un par l'autre. Certains le disent dénué de courage, d'autres dénué de scrupules.», « Les clés de St Pierre sont les clés de la caisse »... Il écorne au passage les jésuites, « La soutane des jésuites étant sans boutons, elle se retourne plus vite ». Il s'établit entre le vieux prélat et le jeune séminariste un dialogue un peu surréaliste pour le profane à propos des symboles, des reliques miraculeuses, de leur multiplication inquiétante, de leur extravagance parfois, du rituel un peu compliqué des cérémonie religieuses ainsi que sur l'efficacité des indulgences et la manière de les gagner. Elles pleuvent maintenant gracieusement sur les fidèles d'aujourd'hui alors qu'elles furent l'objet, dans le passé de sordides transactions. Quant aux canonisations, elles ne seraient pas, selon lui, exactement et uniquement affaire de mérite ...

    Entre eux, deux conceptions de l'Église s'affrontent. D'un côté le prélat prétend que « seule l'Église de Rome a le sens de l'universel », affirmant par là sa prééminence et sa supériorité tandis que son jeune confrère plaide volontiers en faveur des prêtres-ouvriers et une conception plus moderne, plus française peut-être et ouverte sur le monde...

    La présence de la nièce du cardinal, Paola, ajoute à la confusion du séminariste. Comme on peut s'y attendre, l'abbé succombera, parce que la chasteté n'est attachée qu'aux ordres majeurs qu'il n'a pas encore reçus, que la femme est considérée par l'Église comme une tentatrice, et que Victor n'est qu'un homme, beau de surcroît ! Il en oubliera pour un temps la théologie, le dogme, la discipline... ce qui ne sera pas sans lui poser de cas de conscience. Paola finira même par mettre notre jeune prêtre en demeure de choisir entre elle et Dieu ! Heureusement les choses reviendront à leur vraie place...

     

    Peyrefitte ne serait pas lui-même s'il ne parlait de la pédérastie de certains membres du clergé, même si notre abbé y reste complètement imperméable, s'il ne se faisait l'écho des ragots et des mesquineries qu'il prête aux prélats et aux ordres religieux et qui sont loin de la charité chrétienne. On sent  bien que l'auteur, ancien élève des jésuites, est à son affaire dans le domaine des comptes qu'il entend régler avec l'Église. Que ce soit la chasteté « C'est Saint Paul qui a plongé le christianisme dans cette continence furieuse pour se venger de n'avoir pu lui-même l'observer », la foi « la foi du charbonnier exige au moins du charbon », le rituel exagérément symbolique ou le prétendu pouvoir des amulettes religieuses qui confine à la superstition. Et pour être plus convainquant, il mêle adroitement les personnages fictifs aux personnages réels au point que le lecteur reste dans une heureuse confusion. Ce roman est aussi l'occasion d'un parcours jubilatoire dans la Rome catholique.

     

    Il reste que Roger Peyrefitte, quel que soit ce qu'il était par ailleurs au regard d'une morale d'un autre âge, a été un grand serviteur de la langue française par la richesse de son vocabulaire, par la distinction de son style, par son érudition, par la pertinence et aussi l'impertinence de ses propos. Il sont certes un peu malveillants et emprunts d'un parti-pris indubitable, mais après tout, cela fait son charme.

    Pour moi, lire un de ses romans a toujours été, de la première à la dernière page (il y en a quand même 436 !) un bon moment de lecture.

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LES GENS DU HUIT MAI (et d'autres quartiers du monde) - Jean-François POCENTEK

     

    N°516 – Avril 2011.

    LES GENS DU HUIT MAI (et d'autres quartiers du monde) - Jean-François POCENTEK – Éditions la contre-allée.

     

    Comprenez, « les gens de la place du 8 mai 1945», une date qui marque la fin de la deuxième guerre mondiale et qui s'inscrit probablement en lettres blanches sur fond d'émail bleu de la commune d'Aulnoye-Aymerie (Nord). Ce sont eux qui ont inspiré cet ouvrage à l'auteur qui préfère parler d'une « création » à partir de témoignages collationnés entre octobre 2008 et mars 2009, lors d'une « résidence » dans cette commune. C'est donc à la fois un livre de souvenirs, à la fois intimes et collectifs, des lambeaux d'enfance avec des images qu'on n'oublie pas « J'allais lui raconter tous les genoux écorchés, les chaises posées sur le devant des portes, les fils à linge décrochés quand le charbon arrivait... », un retour aussi dans un décor familier mais presque fantomatique « Les parpaings ont commencé de clore les yeux et la bouche des maisons des en-allés, pour que d'autres, en mal de logement, ne puissent venir y prendre refuge ».

     

    Dans ce « pays d'enfance » qui « a des allures de terre sacrée » on évoque des jeux où parfois on endosse la panoplie d'un personnage ( Un-deux-trois Cho-co-lat-Meu-nier – Zorro, Thierry la Fronde...), l'arrivée (tard, au bloc Havret) de la télé en noir et blanc qu'on allait voir chez un voisin ou qui marquait un moment de la journée. « Trois bouts de musiquette et la boite à nostalgie se remet en route ». Tout n'est cependant pas idyllique et là comme ailleurs « le sublime a dû côtoyer le grotesque comme le rire tutoyait les larmes ».

     

    A travers les souvenirs des habitants, on remonte à l'après-guerre des bidonvilles, de l'entre-aide, de la solidarité, de la débrouille. On vivait simplement « oui, c'était une autre époque, Ginette... », puis c'est l'arrivée du confort avec le déménagement au bloc Havret, la rencontre d'anciens et de nouveaux voisins, un monde qui se recompose, comme avant. Et quand on quitte ce paysage pour quelques rares jours de vacances, ce n'est jamais pour longtemps !

     

    Le Nord, c'est l'accent qui chuinte, la baraque à frites, l'usine, les jardins-ouvriers, la Sambre, le canal et les péniches qui passent, la messe du dimanche, la lutte des classes, l'école pour le enfants, le cimetière où l'on parle aux morts... Le Nord, c'est la pluie, le ciel bas, mais aussi une terre de migrants venus du soleil, Arabes ou Italiens, à cause du travail qui apportent avec eux leurs coutumes. Sylvie ne sait plus si, ici, place du 8 mai, elle a vécu les meilleures ou les pires années de sa vie, parce qu'il y avait le soutien des autres mais aussi la violence, la drogue qui l'ont rendue peureuse et méfiante. « Qui a menti Nordine ? Personne. » et tout se brouille avec l'alcool, la combat syndical, les fins de mois difficiles, le licenciement, le chômage et les maigres allocations, la révolte contre les injustices, le mal de vivre qu'on essaie d'oublier « Mais ce n'est pas peine de trop touiller ce qui est du jus saumâtre ».

    Sur cette place, il y a aussi une bibliothèque où l'on vient lire, emprunter des livres ou des disques, faire « provision de rêve » ou faire des rencontres pour le simple plaisir de voir des gens ou des silhouettes de femmes. On y parle de soi, on vient y faire partager un peu de sa vie, les joies, les peines, les doutes, les deuils... . Il y a ceux qui restent et ceux qui chaussent leurs « semelles de vent » parce que l'appel de l'ailleurs est le plus fort... et qui reviennent ! Ce n'est pourtant pas un lieu idyllique et la violence, parfois gratuite, s'y exprime aussi. Ici on lit les auteurs au hasard ou en respectant l'ordre alphabétique, c'est selon, mais il y a aussi les conseils et le sourire de « la dame aux livres »...

    Ce lieu va être « déconstruit » (pas démolis) mais malgré ce qu'en dit l'auteur il y a toujours un peu de tristesse dans ce mot, même si ce qui viendra sera plus moderne, plus fonctionnel...

     

    J'ai rencontré les textes de Pocentek par hasard sur les rayons d'un bibliothèque publique. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire (La feuille volante n° 414- 417- 420- 421) j'ai bien aimé cette belle écriture qui est le témoin de « semaines de collectage de paroles d'habitants », elle parle simplement de ces tranches de vie, des gens, de leurs malheurs et de leurs moments de bonheurs, leurs souvenirs, leurs secrets. J'aime cette petite musique des mots, cette nostalgie douce que j'ai retrouvées ici avec autant de plaisir.

     

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LE MARIN A L'ANCRE - Bernard Giraudeau

     



    N°514 – Avril 2011.

    LE MARIN A L'ANCRE – Bernard Giraudeau – Métailié.

     

    D'abord l'histoire sans laquelle un roman n'en est probablement pas un. Deux personnages principaux, l'un d'eux, Roland est tétraplégique, « ancré » sur un fauteuil roulant, sa « galère à roulettes » et Bernard a été ce marin de dix-sept ans, sur la Jeanne d'Arc, naviguant sur les mers du globe, puis est devenu comédien, réalisateur... Pour lui il sera « témoin »... Entre eux, des lettres écrites par Bernard pour Roland, pendant dix années... Il y raconte ses souvenirs, ses aventures, une sorte de voyage par procuration dans les ports et sur les lieux de tournage, dans des pays lointains que son ami ne verra jamais, qu'il ne connaîtra que par la force de ses mots... Il lui offre avec pudeur des paysages magnifiques, comme ceux des cartes postales mais aussi des images de ports parfois crasseux, avec leurs relents de graisse et d'alcool et de vomissures. Il lui livre aussi ses réflexions personnelles sur la vie, sur ceux qu'il croise, note que l'homme n'est pas aussi bon que les philosophes du Siècle des Lumières ont voulu nous le faire croire, met ses pas dans ceux de René Caillié, de Pierre Loti, de Francisco Colloane ou d'Antoine de Saint-Exupery. Il mêle dans son récit ses souvenirs de jeune matelot embarqué, d'élève de l'école des mécaniciens de la marine à St Mandrier où à quinze ans les rêves d'enfant s'effondrent dans des odeurs de cuisine, d'équipages ou de salles des machines, que naissent les fantasmes et les fanfaronnades d'une adolescence à peine entamée... Il y ajoute ses expériences d'homme, d'écrivain-voyageur, retrace la découverte des femmes et de leur fragrance, celle de lui-même aussi, de son destin qui peu à peu se tisse, une chronique à la fois nomade et intime, livrée à travers un texte parfois intensément poétique, parfois trivial, brut et sans artifice... Cela aussi j'aime bien !

     

    Des femmes, il dit « qu'elles naviguent dans le vent comme l'algue sur l'océan, (qu') elles bougent comme la houle », mais sous chaque mot qui les évoque, je choisis de voir leur beauté à laquelle nul ne peut être indifférent. Il parle simplement de « la douceur des femmes du sud », des vahinés de Gauguin, des femmes à la peau ambrée et en paréos bleus des Marquises, des filles de Manille dont «( les) rires s'éparpillent sur la pierre chaude », de cette irréelle et sensuelle dame de Balboa dont un quartier-maître de la Jeanne fut l'éphémère amant, de cet Iva «  qui avait du satin au creux des cuisses »... Il parle aussi des bordels tristes, des étreintes fugaces et sans joie, des prostituées qui se vendent aux marins en escale pour manger parce que la misère est leur quotidien. Il évoque tout aussi bien ces épouses adultères qui trompent leur conjoint pour un peu de jouissance, pour le plaisir d'enfreindre l'interdit ou de cultiver la trahison. Pour cet interlocuteur lointain resté à terre, il se fait tour à tour guide, témoin d'exception, érudit, historien même, respectueux des coutumes et des traditions, mais aussi simple étranger de passage quelque fois pressé de partir, pour qu'à l'immobilité de l'un réponde le mouvement de l'autre. C'est la marque d'une amitié tissée à travers des mots confiés au papier messager, l'ambiance des ports, de La Rochelle à Dakar de Diego Suarès à Marseille ou Valparaiso, autant de lieux mythiques où le dépaysement le dispute à l'invitation au voyage, où l'écriture de l'auteur suscite l'émotion et l'imaginaire du lecteur. Bernard et Roland voulait partir ensemble aux Marquises. Ils n'en ont pas eu le temps, Roland qui n'a connu que l'île de Ré et les pertuis a été rejoint par la mort en décembre 1997, a « décidé de voyager libre comme un papillon du silence ».

     

    Ce roman a été publié en 2001 et a sans doute consacré la naissance d'un auteur. Il fut suivi d'autres qui ne laissèrent pas cette revue indifférente (La Feuille Volante n°316 - 373) Pour moi, simple lecteur, je ne considérerai jamais que la valeur d'un livre réside dans sa seule nouveauté, il reste un témoignage pérenne. Au delà de ce premier ouvrage, du regard bleu de l'acteur et de son charisme, de sa lutte désespérée contre la souffrance et contre la mort, de son témoignage et de l'émotion qui a suivi sa disparition brutale (La Feuille Volante n° 438), Bernard Giraudeau avait ce talent d'écrivain qui, de livre en livre, allait s'affirmant. Je ne me lasserai jamais de dire que la mort est un gâchis et, si elle ne l'avait pas fauché, il serait assurément devenu un écrivain majeur, apprécié à la fois pour son message et pour la façon originale qu'il avait de l'exprimer. Sa démarche créatrice n'était pas différente de celle formulée par Victor Segalen, un autre marin-écrivain, [« Voir le monde et, l'ayant vu, dire sa vision »], de redessiner pour son lecteur un décor, de l'y inviter et de susciter le rêve.

     

    J'ai lu ce livre comme je l'aurais fait d'un roman d'Alvaro Mutis, d'Henri de Monfreid ou de Jack London. J'ai suivi Bernard dans le désert et sur les mers, j'ai imaginé le sac de l'éternel errant, du marin perpétuellement en partance, moi qui ne suis qu'un terrien pantouflard ! [je dois probablement à mes origines charentaises le goût du port des chaussons du même nom ].

    J'ai surtout lu ce roman avec émotion à cause du message, certes mais aussi parce que celui qui en a tracé les lignes a maintenant rejoint le néant, que son destin s'est soudain brisé et qu'il n'écrira plus.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

  • LE TESTAMENT D'OLYMPE – Chantal Thomas

     

     

     

     



    N°513 – Mars 2011.

    LE TESTAMENT D'OLYMPE – Chantal Thomas – Le Seuil.

     

     

    La narratrice, Apolline, une jeune bordelaise du XVIII° siècle, vit dans une famille nourrie de catholicisme dont elle nous narre le quotidien. Elle ne comprend pas tout à fait le déroulement des choses qui l'entourent, pleines de religiosité, de peurs, de fantasmes, de non-dits, d'hypocrisie, de disette. Son père, bourgeois paresseux et inconséquent a jadis jouit d'une grande aisance, mais son impéritie a précipité sa maison dans la misère « Pour mon père, l'idée de besoin était abominable. Il ne se sentait pas concerné par notre problème de subsistance. A ses yeux, la vie matérielle n'était abjection ». Pire peut-être, il justifie son aversion pour le travail par des textes sacrés censés le conforter dans son attitude. La famille ne survit que grâce à la charité.

    Sa mère vit dans l'ombre de cet époux indolent et se contente, en plus d'assurer difficilement l'ordinaire, de faire des enfants dont beaucoup sont morts. Il ne lui reste que quatre filles. L'une d'elles, Ursule, la plus délurée, la plus belle aussi, comprend vite que son avenir n'est pas au sein de cette famille et disparaît. A cette époque Louis XV vient de survivre à un attentat et la guerre de 7 ans s'éternise. Apolline, quant à elle, est mise dans un couvent et ses deux sœurs restent au foyer pour aider leur mère... Pour la narratrice, St Marie de la Miséricorde est dorénavant son univers. On ne sort de là que pour se marier avec un inconnu ou prendre définitivement le voile, mais pour elle, bien qu'elle croie en Dieu, ces deux alternatives sont inacceptables puisque une seule chose compte : l'étude. Elle devient donc préceptrice. Son destin est sans doute d'être instable puisque elle finit par quitter cette place qui, au vrai ne lui plaisait guère. Elle débarque à Paris où elle retrouve Ursule mourante et dans le plus complet dénuement.

     

    Grâce à des cahiers manuscrits cousus dans un sac qu'elle lui laisse, son unique héritage (son testament), elle apprend ce que fut la vie de cette sœur, partie à l'âge de quatorze ans du foyer familial, devenue Olympe, et qui a vécu dans le luxe, la richesse, le succès et choyée par le roi. Par chance, Olympe qui n'était alors qu'Ursule a pu faire partie de l'entourage du Maréchal-Duc de Richelieu, le petit-neveu du cardinal, « le roi d'Aquitaine », comme on l'appelait, tout puissant dans son fief mais simple courtisan à Versailles. Il l'emmène avec lui à Paris, l'entretient sans pour autant la toucher. Elle se construit des « châteaux en Espagne », rêve d'être une actrice de théâtre, entre dans le monde, même si c'est par la petite porte, se sent capable de tout pourvu qu'elle ne retombe pas dans la pauvreté d'où elle vient, pourvu qu'elle rompe définitivement avec son passé et sa condition !

    Faute d'être la maîtresse du duc, elle devient sa confidente mais la réalité est toute autre. Cet homme n'est plus que l'ombre vieillissante de lui-même, un être valétudinaire, triste et seul sous le masque du libertinage, hâbleur mais désespéré, prenant du plaisir à compromettre ses maîtresses et à les abandonner ensuite. Ce qu'elle ne sait pas c'est qu'elle est une proie, une carte dans les mains du duc qui, en disgrâce à la cour, souhaite l'offrir au roi, jeune et vierge, se serait-ce que pour reconquérir les faveurs royales. Elle entre donc dans l'intimité du roi qui la déflore et l'entretient, mais ce n'est pas la cour qu'elle connaît, mais le « Parc aux cerfs » de Passy, maison isolée, prison dorée où le roi vient la retrouver de temps en temps. Elle sera l'objet d'intrigues, de jalousies. Elle ne verra le château royal que de loin, ne sera qu'une putain de plus dans la vie du souverain. Aveuglée autant par l'amour qu'elle portait au roi que par sa volonté d'officialiser son union avec lui et d'en recueillir les fruits, elle en était devenue naïve. Reste la Pompadour dont le roi ne peut se passer. Olympe elle, rêve de supplanter cette maitresse et de faire son entrée à la cour. Pour cela, quoi de plus sûr que de donner à ce roi déjà vieux, un enfant. Ce fut un garçon, Louis Aimé, mais comme les autres rejetons du roi conçus hors mariage, il resta un bâtard, et elle une clandestine. Elle voyait en cet enfant un prince promis au plus brillant avenir mais non seulement Louis XV refuse de le reconnaître et le fait enlever, mais il constitue une dot à Olympe, la marie à un barbon de l'Aubrac sans héritier et surtout sans richesse. Autant dire qu'elle est vendue ! Dans cette province reculée, froide et déserte, elle se morfond, apprend que son fils est mort et finalement tente de revoir son roi. A Paris elle apprend qu'elle est interdite de séjour. La misère à laquelle elle avait voulu échapper à Bordeaux la rattrape définitivement.

     

    C'est donc l'histoire de deux destins opposés, celui d'Apolline qui croit en Dieu et en sa grâce et celui d'Ursule devenue Olympe, une aventurière ambitieuse qui croit en sa beauté et grâce à elle en la possibilité d'échapper à sa condition, mais qui échoue. Son exemple illustre bien l'impossible liberté des femmes, le destin des filles sans fortune qui, à l'époque, connaissaient l'enfermement, quelle que soit la forme qu'il pouvait prendre. Ce siècle des lumières étaient bien souvent pour elles celui des ombres. Ces deux choix de vie débouchent sur deux échecs : Apolline, même si elle ne l'avoue pas, est déçue par Dieu et sa malheureuse sœur l'est par les hommes !J'y ai lu aussi, outre la tragédie de la condition féminine, l'irrésistible envie que suscitent les femmes ...

     

    Grâce à ce roman que j'ai lu d'une seule traite tant il est passionnant et agréablement écrit, le lecteur entre dans l'intimité de Louis XV et de sa famille. Il voit non pas un monarque puissant mais un homme, libertin à ses heures, cynique parfois, mélancolique, crépusculaire et dévot, craignant la mort, l'enfer, méprisant le dauphin et la reine, adorant la Pompadour et les femmes.

    Le style est fluide et recherché, le choix des mots, leur rareté, leur charge érotique et leur poésie aussi m'ont enchanté. Le texte est un savant mélange de création et de riche érudition. J'ai apprécié l'ambiance, le dépaysement, l'étude des caractères et des situations qui font se juxtaposer l'ambition d'une femme et la petitesse et la lâcheté des hommes que cependant on nomme grands,) mais qui ne sont que des êtres humains bien ordinaires.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • CHIEN DU HEAUME – Justine Niogret – Mnémos éditions.

     

     

    N°512 – Mars 2011.

    CHIEN DU HEAUME – Justine Niogret – Mnémos édition.

     

     

    Nous sommes au Moyen-Age et Chien de Heaume est le nom d'une jeune femme, pas vraiment belle et même plutôt laide, devenue mercenaire par amour de la liberté. Elle n'échappe pas aux clichés convenus et n'est pas la dernière pour tuer et semer la terreur autour d'elle. En réalité, le lecteur apprend très tôt que l'objet de sa véritable motivation est seulement... son nom, qu'elle dit avoir perdu depuis son enfance. Elle n'a pour richesse qu'un médaillon et ses armes et plus spécialement une hache sur laquelle apparaît un décor de serpent. Elle les tient de son père et sa hache est semblable à celle que possède le Chevalier Sanglier mais ce dernier ne sait pas la renseigner. Pourtant elle est détentrice d'un secret. Elle a vu mourir son père dans un combat simulé qu'il avait lui-même provoqué avec sa fille. Ainsi, il a voulu l'initier à l'art de la lutte, comme un rite de passage, lui transmettre un savoir qui garantirait sa vie dans un monde hostile. Il a aussi choisi sa mort, volontairement, en préférant la hache qu'il allait lui léguer parce que la vie lui était devenue insupportable. Il a voulu entrer dans le néant en intronisant sa fille à une existence qu'il menait lui-même, celle d'un mercenaire, avide de sang et de batailles et qui serait dorénavant la sienne !

     

    Dans sa quête qui la mène de château en château, elle va croiser des personnages tels qu'on se les imagine, batailleurs, violents, durs, à cent lieux de l'amour courtois et des troubadours. Le seigneur Bruec, le chevalier Sanglier, est l'un d'eux et une amitié va naître qui les aidera à se découvrir l'un l'autre.

     

    L'auteur se livre ici à une véritable reconstitution historique où se mêle l'imaginaire. Elle transporte le lecteur dans un autre temps, une autre ambiance, dans un climat glacial, une terre inhospitalière, des châteaux froids et sombres. Rien ne manque dans ce décor que les mots accompagnent, les campagnes désolées et brumeuses, les paysans pauvres et superstitieux, les famines, les forêts mystérieuses qui abritent des enfants-fées et des necrebestes, les combats sans merci, les légendes et les monastères perdus, les champs de bataille et les animaux fabuleux, les morts violentes, l'exil, l'errance, la magie... En revanche, il n'y a pas d'érotisme comme on pourrait s'y attendre, même pas d'amours entre Chien et Sanglier, le peu d'appas de l'héroïne ne les suscite pas. Il y a en revanche beaucoup de sang et de violence.

     

    Le narrateur qui est en fait un conteur, comme au Moyen-Age, raconte cette histoire, intervient parfois dans le récit pour une explication. Elle nous averti d'ailleurs « Les conteurs sont une race étrange... leur langue ne sait jamais se taire. On les aime... mais on les craint ... Eux peuvent couper les âmes avec un seul mot... (Ils) sont à la frontière de notre monde et de l'autre, celui où dorment merveilles et monstres et de là vient tout leur pouvoir. ».

     

    Chien de Heaume est un personnage tourmenté, solitaire, désespéré même. Sa quête se décline à travers divers personnages qu'elle rencontre, du chevalier Sanglier à Orains et au forgeron Rehegir et le temps qui passe s'égrène à travers les saisons. On songe un peu à un personnage d'un BD « fantasie » (suivant la définition officielle : genre situé à la croisée du merveilleux et du fantastique qui prend ses sources dans l'histoire, les mythe, les contes et la science-fiction ») comme la couverture le suscite.

     

    Le livre se lit rapidement et l'intrigue est passionnante. On a cependant l'impression qu'elle pourrait ainsi durer plus longtemps. Le thème de la quête, très en vogue à cette époque, entretient le suspense même si le lecteur reste un peu sur sa faim et si on peut déplorer le côté un peu trop gore.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • L'ILE DES CHASSEURS D'OISEAUX – Peter May

     

    N°511 – Mars 2011.

    L'ILE DES CHASSEURS D'OISEAUX – Peter May – Rouergue noir.

    Traduit de l'anglais par Jean-René Dastugue.

     

    Le décor est celui de l'île Lewis au nord de l'Écosse. C'est l'île natale de l'inspecteur Fin Macleod qu'il a quittée voilà bien des années. Il fallait bien faire quelque chose, entrer dans la vie active puisqu'il avait abandonné ses études et était sans diplôme. Alors la police, pourquoi pas ? Il avait donc été affecté à Edimbourg et y poursuivait sa carrière. Il se serait bien passé de ce retour au pays mais l'ordinateur ou le hasard l'ont désigné pour cette mission à cause des similitudes entre un meurtre qui s'était déroulé sur cette île et une affaire dont il s'était occupé antérieurement à Edimbourg. Mais c'est un autre monde que cette contrée perdue entre un ciel plombé et un décor lunaire. Il est fait de landes battues par les vents et les embruns, on s'y chauffe à la tourbe, on y pratique le sabbat chrétien, on y parle encore le gaélique et les pubs sont la seule distraction... Pas la seule cependant car il existe une coutume barbare qui consiste à escalader des falaises d'un caillou perdu au large pour y tuer des poussins de fous de Bassan qui y nichent... C'est une tradition, une sorte de rite de passage, unique et incontournable, surtout pour les jeunes.

     

    Oui, il s'en serait bien passé et pas seulement pour ce triste décor. Il vient, dans un accident de la circulation de perdre son fis unique, Robbie, ce qui fait de lui un être définitivement à part. On ne se remet jamais d'une telle épreuve, entre silence et larmes, révolte et culpabilité, regrets et absence... Et chacun l'évite par respect, par crainte d'évoquer cette épreuve, par incompréhension, par volonté de se protéger d'un malheur qui peut arriver à chacun d'entre nous. Cela fait de lui un homme seul, tenté peut-être de rejoindre dans la mort ce fils qu'il ne reverra plus. Parce que, même si une vie qui lui est chère s'est arrêtée, la sienne poursuit son cours. Elle est devenue soudain un fardeau plus lourd chaque jour, un chemin de croix au quotidien. Face à cela, il y le deuil qu'on vit toujours seul et qu'on ne fait jamais complètement, les cautères qu'on invente pour nous aider à supporter le quotidien maintenant hanté par le fantôme d'un enfant qu'on ne verra pas vieillir, qui n'aura pas lui-même d'enfants. Le travail est l'un d'eux. Il permet de penser à autre chose, de s'occuper un peu l'esprit, de faire semblant, même si cela n'est et ne sera jamais qu'un décor fragile, une sorte de château de cartes édifié dans un courant d'air... Il part donc pour son île malgré son chagrin, l'attitude compassée de ses collègues et son épouse, Monna, qui lui déclare que s'il part, elle ne sera plus là à son retour...

     

    Fin revient aussi sur les traces de son enfance. Il y retrouve évidemment ceux qui étaient ses copains alors, ceux qui sont restés au pays. Au premier de ceux-ci, Ange, le chef d'une bande dont le policier a fait jadis partie. C'est lui qui a été assassiné selon le même « modus operandi » que dans l'affaire dont l'inspecteur s'est occupé à Edimbourg. Cet Ange était un homme tyrannique, cruel, alcoolique, dealer, magouilleur, bagarreur et même fortement soupçonné de viol et convaincu d'avoir agressé un défenseur des oiseaux... Il ne manquait pas d'ennemis qui voulaient sa mort, mais pourtant, il pouvait être attachant, amical... Et c'est lui, Fin, qui est chargé de retrouver son assassin, c'est lui qui est à la fois un enfant du pays mais aussi un policier, le représentant de l'ordre, qui devra dénouer les fils de cette histoire compliquée, percer les secrets qui unissent ces gens qu'il connait. Dans ce coin perdu des Hébrides, il va aller, un peu malgré lui, au devant des souvenirs personnels et pas toujours bons qu'il a avec chacun. En quittant l'île, il avait choisi de les oublier et avec eux son cortège de regrets, de remords... A l'occasion de cette enquête, c'est aussi son passé, la mort accidentelle de ses parents qui lui reviennent en pleine figure ! Tout cela ne va pas faciliter son enquête d'autant que ceux qu'il interroge ont déjà déposé auprès de la police locale.

     

    Il retrouve tous ses copains mais surtout Artair dont le père, M. Maccines, a perdu la vie en sauvant celle de Fin lors d'une expédition contre les oiseaux. Il a épousé Marsaili, le premier amour de Fin, celui qu'on n'oublie pas. Il la rencontre à nouveau, se demande si elle pense encore à lui, fait connaissance de son fils qui porte le même prénom que lui, sympathise avec lui, refait à l'envers un chemin qu'il croyait définitivement oublié, se demande dans son for intérieur si ce garçon n'a pas quelque chose de lui, une parenté jusque là inconnue... Cela aussi risque de bouleverser les choses établies depuis tant d'années... Mais le temps a passé, les choses se sont figées dans un quotidien apparemment immuable, irréversible, violent aussi... Cette enquête remettra en cause bien des vérités établies, bien des certitudes et il faudra que Fin accepte d'entendre et d'admettre ce qui n'était pas pour lui des évidences, qu'il aille au devant de lui-même, assume ses souvenirs personnels, ses attachements, ses certitudes ... Pourtant, iI n'est pas venu là par hasard mais est victime d'un règlement de compte personnel, manipulé par le tueur qui s'apprêtait à nouveau à tuer...

     

    Il est bien des gens pour affirmer que la littérature policière tient un rang mineur dans la création littéraire qu'on écrirait volontiers avec une majuscule. Pourtant si le roman policier plait, c'est sans doute parce qu'il endosse un tas de fantasmes humains. L'écriture en est parfois moins étudiée, moins ciselée, plus populaire, on y met souvent du sexe, de la violence, du sang, probablement pour marquer la différence avec des fictions plus intellectuelles... J'ai toujours pensé que, plus que d'autres forme d'arts peut-être, la fiction policière nous rappelle que nous sommes mortels, que les hommes ne sont ni aussi bons ni aussi humains que des générations de philosophes ont tenté de nous le faire croire. Elle est, au moins autant que les autres, et malgré le fait qu'on la relègue volontiers au rang de lecture estivale, le miroir de la condition humaine.

     

    Dans un style agréable à lire, plein d'émotions et d'évocations de ce coin de terre un peu perdu et désolé, l'auteur, malgré de nombreuses digressions, retient l'attention de son lecteur jusqu'à la fin, avec un sens consommé du suspense.

    Ce roman a été pour moi un bon moment de lecture.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LE COIFFEUR DE CHATEAUBRIAND – Adrien Goetz

     

    N°510 – Mars 2011.

    LE COIFFEUR DE CHATEAUBRIAND – Adrien Goetz – Grasset.

     

    Nous sommes à Paris au milieu du XIX° siècle. Chateaubriand à 72 ans et Adolphe Pâques, son coiffeur seulement 24 ! L'écrivain menacé d'une calvitie totale veut constamment ressembler au portrait de sa jeunesse, immortalisé par Girodet, dans les ruines de Rome, les cheveux aux vent ! C'est, pour notre figaro, un véritable défi, autant dire la quadrature du cercle !

    C'est que, malgré la différence d'âge et de condition, il existe entre les deux hommes bien des affinités. François René de Chateaubriand, écrivain reconnu par tous, ancien diplomate, Pair de France est un homme célèbre qui ne veut pas vieillir. Adolphe Pâques non seulement admire son client mais aussi, sans oser le lui avouer, connaît par cœur des pages entières de ses œuvres et conserve pieusement, comme des reliques, toutes les mèches de ses cheveux. Il y a donc entre eux plus qu'une relation professionnelle et Adolphe voue à René une véritable admiration. Adolphe est donc à la fois un grand témoin, une sorte de confident et un homme de l'ombre [« Nous sommes plus efficaces que des avocats, nous dénouons les problèmes comme les chignons, nous démêlons, nous passons les appartements au peigne fin. »]. Il a aussi le privilège de le voir au naturel dès le matin, mal rasé et ébouriffé, et a la lourde tâche de masquer les outrages du temps. D'autant que, arrive dans sa vie une jeune mulâtre, Sophie de Kerdal, venue de Saint-Malo. Elle ne peut laisser indifférent le vieux séducteur qui a aussi consacré sa vie aux femmes. Elle ne donne pourtant pas l'image traditionnelle de la femme romantique. Elle incarne non seulement la beauté, mais aussi la liberté, la culture, l'exotisme, mais s'habille en homme, ce qui est, pour l'époque, peu commun... En fait c'est un personnage fictif mais qui correspond à toutes ces femmes enamourées qui écrivaient au Malouin. C'est aussi pour sauver d'autres apparences qu'il organise leurs rencontres... chez son coiffeur.

    A ses derniers cheveux correspondent les derniers feux de ce symbole du Romantisme qui, après avoir passionnément aimé la vie ne veut pas mourir. Sophie ne se contente pas de séduire le vieillard et de disparaître [fut-elle son dernier amour ? S'enfuit-elle en sa compagnie à Venise ?], elle révèle la vraie personnalité du coiffeur, son côté caché, jaloux, un peu espion, ses velléités meurtrières aussi pour un écrivain tant admiré et qu'il finit par haïr.

     

    On pouvait craindre un récit austère des dernières années de vie de l'auteur d' « Atala », celles-ci ayant été dédiées à la maladie, à la religion, à la nostalgie et à l'édification de sa nécessaire statue pour la postérité sous la forme de la rédaction peaufinée et toujours en gestation des « Mémoires d'Outre-tombe »... Il n'en est rien cependant. C'est une plaisante narration, fort bien écrite, bien documentée, pleine d'humour, de sensibilité et de subtilités. Goetz en professeur passionné nous fait découvrir le secret de cette société dont les actionnaires avaient investi dans la publication des « Mémoires d'Outre-tombe » pour toucher des dividendes... après sa mort. Chateaubriand, à la fois matois et craint pour les éventuelles révélations qu'il pourrait y faire, n'était guère pressé [« Il fallait organiser l'attente, et malgré tout, vivre le plus longtemps possible. Chateaubriand voulait jouir du spectacle. C'était Charles Quint dans son monastère suivant son propre enterrement derrière un pilier. »].

    On y voit Mme Céleste de Chateaubriand révélant des secrets de la famille de son époux, sur sa noblesse et surtout sur sa fortune. Elle nous confie que les œuvres de son époux sont pour elle illisibles et même soporifiques.

     

    Adrien Goetz ressuscite cet authentique coiffeur qui durant huit années et jusqu'à la mort de Chateaubriand fut aussi son confident. Ce fut un homme obscur mais il restitua des moments de ce grand homme tant vénéré de son vivant. Il a lui-même réalisé un tableau représentant la chambre natale de l'écrivain avec les cheveux du vicomte, mais aussi laissé des mémoires publiés en 1872.

     

    Je ne connaissais pas cet écrivain révélé par hasard. Je continuerai d'explorer son imaginaire, son érudition, la magie de son écriture.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • LE JOUR AVANT LE BONHEUR – Erri de LUCA

     

    N°509 – Mars 2011.

    LE JOUR AVANT LE BONHEUR – Erri de LUCA – Gallimard.

    Traduit de l'italien par Danièle Valin.

     

    Tout commence par un match de foot improvisé dans une cour d'immeuble à Naples après la guerre, un ballon égaré sur le balcon du premier étage et un enfant qui le récupère. Le garçon découvre la phobie des fantômes, le mystère des cachettes et des trafics autant que la vision fugace d'une fille derrière la vitre du 3° étage, Anna. Il ne la reverra que quelques années plus tard !

    A l'occasion de l'épisode du ballon perdu, il découvre une cachette qui a servi à un juif pendant la deuxième guerre. Don Gaetano lui parle constamment de cette période, de l'histoire de cette ville... Il lui révèle le don qu'il a de deviner les pensées des gens qui l'entourent. Cela achève de faire de lui un personnage d'exception, capable d'accompagner l'accession de l'enfant vers l'âge adulte.

    Ce garçon, orphelin à la suite d'un drame sentimental, recueilli par une mère adoptive qu'il ne voit jamais, vit grâce à Don Gaetano, le concierge, homme simple et généreux qui se charge de lui. Il est son modèle. Il a quitté, il y a bien longtemps le séminaire pour l'amour d'une femme, s'est exilé en Argentine pour revenir à Naples. Ce garçon, qui est aussi le narrateur vit librement, attiré autant par la rue que par l'école et par les livres. Le soleil, le sang, la mer, sont le quotidien de ce décor. Là il apprend à lire à écrire, acquiert les rudiments d'un métier, rend des services et reçoit de Don Gaetano tout ce qu'un père peut donner à son fils, même s'il n'est pas le sien. Il favorise sa découverte du corps des femmes, le pousse vers cette veuve qui fera son éducation sexuelle. C'est aussi lui qui lui révèle le secret de sa filiation. Il était le fils de personne, il devient donc, grâce à lui « le fils de quelqu'un » !

     

    Quand Anna revient, des années après, Don Gaetano est encore là pour aider le garçon devenu adulte et l'incite à la rencontrer. Avec elle il connaîtra les émois, les tourments et les plaisirs de l'amour, le bonheur ! C'est un peu comme si, tout son parcours d'avant n'avait existé que pour cette rencontre. Il devra aussi affronter, dans une bagarre mortelle l'ami de cet Anna et c'est encore Don Gaetano qui fournira au garçon devenu un homme à la suite de cet épisode initiatique, l'opportunité d'une fuite vers l'Amérique du Sud et avec elle l'espoir d'une nouvelle vie...Là aussi le sang et le soleil servent de lien à ce passage.

     

    Je suis toujours étonné par la démarche d'écriture de De Luca. Le terme roman, c'est à dire fiction, ne s'applique peut-être pas exactement dans son cas tant il égrène ses souvenirs personnels de son enfance à Naples. C'est en fait une autre tranche de sa vie, de son enfance, qu'il nous offre dans cette ville d'exception qui a toujours fait rêver le monde entier [« Naples est une ville espagnole, elle se trouve en Italie par erreur »]. Il égrène les moments parcellaires de son histoire, la chaleur, les différents quartiers, le Vésuve, les détails du décor [« Le soleil tapait contre les vitres des derniers étages et faisait gicler des ricochets jusqu'à terre. Les vitres de Naples se passaient le soleil entre elles. »] et finalement lui donne le rôle de personnage principal. Il mêle à ce récit la marque d'une imagination féconde qui transporte le lecteur.

     

    Il ne manque jamais un détail, une évocation poétique : « C'était une journée pour les lézard sortis de dessous les pierres et qui se consolaient au soleil. Après les claques de la tramontane, le sirocco apportait ses caresses. ». Ce roman rappelle à bien des égards « Montedidio » (la Feuille volante n°456). Sa dimension initiatique, que la trajectoire hasardeuse d'un ballon de foot-ball provoque, passe ici aussi par une femme.

     

    J'aime décidément beaucoup la prose de De Luca, le décor qu'il plante, son style dépouillé, poétique et sa démarche d'écriture. C'est à la fois un enchantement et un dépaysement.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

  • LE FRONT RUSSE – Jean-Claude Lalumière

     

     

    N°508 – Février 2011.

    LE FRONT RUSSE – Jean-Claude Lalumière – Le Dillettante .

     

    L'auteur d'abord qui est aussi le narrateur. Il se nomme Lalumière, un nom qu'on imagine davantage être celui d'un personnage de roman et qui se prête évidemment au calembour facile. Il y a aussi une histoire, celle d'un enfant unique d'une famille bourgeoise et provinciale aimant à la fois l'ordre, le profit, la réussite sociale, le paraître et ayant la phobie de l'imprévu et de l'homosexualité. «  Eh oui, petit, tout cela c'est pour ton bien et tu me remercieras plus tard ! » [air connu].

    Pour un malheureux bambin qui ne pense qu'à l'évasion, au voyage et à la liberté, c'est plutôt mal parti !

     

    Bref, après une enfance trop vite passée et peut-être aussi quelque peu perturbée, il faut songer à entrer dans la vie active. Pour lui, les Affaires Étrangères, cela sonne plutôt bien et puis cela correspond à ses rêves d'atlas, ses fantasmes de terres lointaines et ses mirages de missions ultramarines... Réussir un concours c'est bien, mais si on est reçu dans les derniers, il vaut mieux faire une croix sur ses espoirs de nomination prestigieuse, ses idées reçues et faire une place au désenchantement voire à l'abandon de ses illusions, se faire au gris dominant de la Fonction Publique qui n'affecte pas seulement le décor vestimentaire, renoncer définitivement aux ors de la République et aux décors d'huissiers à chaine que la fonction avait pu, un temps, lui faire miroiter. Il ne sera pas nommé au « Quai d'Orsay » mais dans un sombre bureau de la banlieue coincé entre une bretelle d'autoroute et une voie de chemin de fer ! Et comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, on l'affecte à l'antenne du ministère qui a en charge les « Pays en voie de création - section Europe de l'Est et Sibérie », que le jargon administratif appelle « le Front russe », euphémisme qui désigne un service où personne ne veut aller, où rien ne se passe, où le moindre chose prend soudain des allures de révolution... Bref une version bureaucratique mais bien réelle du « goulag » ! Pour un jeune homme plein d'illusions et surtout d'ambition, c'est un départ un peu compromis. Il déchante d'ailleurs très vite : [« J'avais l'impression d'être seul, on ne peut plus seul »] se dit-il, réaliste. Même un voyage professionnel ne parvient pas à assouvir ses rêves de dépaysement [« j'avais l'impression d'être loin sans être ailleurs. Ma frustration était immense » ] note-t-il, un tantinet blasé.

     

    Si le monde du travail est sans pitié, il est aussi plein d'enseignements. Là il rencontre des gens improbables, Boutineau, le chef de Section qui affectionne le parler et les usages militaires, à la fois atypique et inconscient, voire incompétent, mais aussi de femmes dont la présence dans un bureau est une bénédiction, mais en apparence seulement ! C'est Aline, [« Elle portait un maquillage juste assez marqué pour attirer l'œil plein de convoitise de l'homme en mal de tendresse sans atteindre l'outrancière vulgarité qui aurait suscité des pensées inavouables chez ce même homme, voir un sifflement d'admiration. »]. Elle sera pour lui une maîtresse éphémère, qui se révèlera rancunière, jalouse et même méchante au point que les vacances en sa compagnie deviennent une épreuve [« Je vis venir la fin des vacances avec la lenteur d'un courrier transmis par la voie hiérarchique »]. Elle est, à n'en pas douter, promise assurément à un avenir de vieille fille ! C'est aussi Arlette [« Elle avait un air blafard et valétudinaire sous des cheveux mi-longs et filasses qui n'étaient pas sans rappeler un balai espagnol retourné, des lunettes rondes dont les verres très larges, trop sans doute, étaient légèrement fumés et dissimulait ses cernes ainsi que, tel un accessoires de carnaval, un bon tiers de son visage. »] aux accoutrements couturiers personnels et incertains ... et quelques autres qu'on a aussi mis au placard.

     

    Il ne tarde pas à s'apercevoir du rythme de travail dans cette unité administrative un peu oubliée, de son côté parcellaire voire inutile, des redondances, des décisions prises mais jamais appliquées, du respect aveugle voire flagorneur due à une hiérarchie tatillonne et consciente de son importance, des coutumes qui y sont en usage, des hypocrisies et des tabous qu'il faut respecter... [« Rire avec modération à la blague du chef est un précepte à garder à l'esprit si l'on veut survivre en milieu administratif. Il faut toujours rire à la blague du chef. Mais ce rire doit cependant être modéré si on ne veut pas passer pour un lèche-bottes auprès de ses collègues. C'est un dosage difficile, un équilibre malaisé lorsqu'on débute, mais, bien vite, on acquiert ces automatismes. »]. Tout juste débarqué de sa province, il est aussi en butte à la suffisance de ses collègues parisiens qui tiennent leur importance de leur ancienneté dans ce ministère autant du nombre d'années passées dans la capitale, supériorité indéniable et qui ne supporte pas la contestation !

     

    Après s'être promis de ne pas y rester toute sa vie, il tentera quelque chose pour donner un nouveau souffle à sa carrière mais c'est sans compter avec les petitesses et les bassesses médiocres et mesquines qui émaillent le quotidien d'un bureau. Il finira par se résigner, par rentrer dans un moule pour lequel il n'était pas fait, à se plier au train-train administratif et à s'en accommoder [« Je vis et il ne se passe rien. »].

     

    L'auteur en profite même pour glisser quelques remarques sur la vie en générale. [« J'ai parfois eu l'impression qu'élever un enfant c'était lui transmettre des problèmes qu'il parviendrait peut-être à résoudre un jour, avec un peu de chance. »], et sur l'amour en particulier [« L'expérience de l'amour, c'est aussi l'expérience du néant »]. Ses parents pourtant si attentifs mais bien trop conventionnels à son goût de jeune homme n'échappent à la règle. Malgré sa volonté d'être différent, il s'achemine vers une solitude imposée et égoïste, à cent lieues de ce qu'il imaginait pour lui-même. On peut même penser qu'il finira par leur ressembler !

     

    Ce n'est pas pour autant un livre noir, au contraire c'est même une peinture très juste de cet univers quotidien qu'on a du mal à qualifier de moderne. Le narrateur, mélangeant peut-être son isolement personnel à celui de son travail, y voit pour ce qui le concerne une défaite [« L'histoire d'une vie c'est toujours l'histoire d'un échec »].

     

    En tout cas, malgré quelques longueurs, j'ai bien aimé son humour doux-amer et de bon aloi, son style jubilatoire, et ce regard mi-désabusé mi-amusé, assurément fataliste, qu'il promène sur ce monde. Avec ce livre qui se lit facilement, j'ai passé un bon moment et j'ai même carrément ri de bon cœur, grâce à une galerie de portraits et des situations à la fois authentiques et burlesques que ni Courteline ni Kafka n'auraient reniées.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     


     

  • MATCH POINT - Un film de Woody Allen

     

     

     

     

     

     

     

     

    N°507 – Février 2011.

    MATCH POINT – Un film de Woody Allen – France 2 – Dimanche 20/02/2011 – 20H35.

     

    Woody Allen est assurément un fin observateur des choses de la vie, un illustrateur inspiré et génial des noirceurs de l'âme humaine mais aussi un maître du suspense .

     

    Qu'avons nous ici, oh, quelque chose de banal ! En Angleterre, de nos jours, un jeune professeur de tennis, Chris Wilton (Jonathan Rhys Meyer), issu d'un milieu modeste, passablement désargenté mais passionné d'opéra et de peinture, se fait embaucher dans un club huppé pour riches désœuvrés. Grâce à sa passion pour la musique, il se lie d'amitié avec Tom Hewet (Matthew Goode) qu'il a la charge d'entraîner. Le hasard fait bien les choses puisque, sans rien faire et sans presque le vouloir, il va conquérir la sœur de Tom, Chloé, et l'épouser. Puisque c'est un garçon bien sous tous rapports, qu'il est discret, cultivé, bien élevé, il va plaire à la famille, à sa belle-mère d'abord puis à son beau-père que les affaires et la spéculation ont enrichi. Il va le faire passer du statut de simple professeur de tennis à celui de collaborateur, favorisant son ascension sociale, son salaire, la vie devenue soudain plus facile. Il veut à la fois partager avec Chris son goût pour la musique et les arts et le faire sortir de la position subalterne dans laquelle la vie l'avait mise. Il va même jusqu'à lui offrir une formation dans une école de commerce ce qui fait de lui un cadre supérieur compétent et apprécié de ses collègues, gomme volontiers, au nom de la volatilité du marché, ses erreurs d'investissements, pardonne ses décisions hasardeuses... et les finance sans lui adresser le moindre reproche. Le voilà donc parfaitement intégré dans cette famille qui ne lui demande... qu'un héritier !

     

    Quand il rencontre Tom, ce dernier est fiancé à Nola, une américaine belle et sensuelle mais une actrice ratée qui peine à s'imposer dans son métier. Comme Chris, elle vient d'un milieu modeste mais elle s'est toujours promis de tout faire pour y échapper. Ses fiançailles arrivent à point nommé pour satisfaire son ambition. Elle en fait sans doute un peu trop et sa future belle-famille, surtout sa future belle-mère, la rejette au point que Tom finit par convoler avec une autre. Le temps passe et Nola revient à Londres où elle vivote et rencontre à nouveau Chris. Ce qui n'avait été qu'une passade du temps de ses fiançailles avec Tom devient une liaison torride. Chris trompe sa femme, apprend à vivre dans le mensonge et, bien entendu, Chloé ne se rend compte de rien et lui qui ne peut, malgré ses efforts, avoir un enfant avec sa femme met Nola enceinte. Certes, la situation devient compliquée mais cela se rencontre souvent dans les couples illégitimes. Face à cela Chris tergiverse, ment aussi facilement à Nola qu'il mentait à Chloé, cherche à gagner du temps, propose de l'argent pour avorter, cherche à se dérober devant ses nouvelles responsabilités... Mais rien n'y fait, Nola entent garder son enfant et même profiter de cette situation pour parvenir enfin à sortir de sa condition modeste. Pour lui, son laborieux et méticuleux travail d'acquisition de la notabilité va s'effondrer tout d'un coup s'il choisit la vie avec sa maîtresse. Au lieu de quitter sa femme qui a enfin réussi à avoir un enfant de lui et de renoncer du même coup à sa situation confortable, à sa vie dorée, à sa sécurité, il tue Nola (et son enfant), camoufle ce crime en assassinant la voisine et en faisant croire à un cambriolage qui a mal tourné. Le quartier se prête d'ailleurs à la délinquance habituelle autour de la drogue. Cet homme riche, établi, devient donc un vulgaire assassin !

     

    Là où Woody Allen est remarquable, c'est qu'il se fait le témoin de cette situation, mais pas dans un scénario moralisateur où la justice triomphe, le meurtrier est condamné et l'ordre public est sauf ! Dans ce cas de figure notre esprit de midinette ou notre vieux fond judéo-chrétien en sortiraient satisfaits. Mais pas du tout ! Avec l'aide du hasard (ou de la chance !) l'impunité de Chris va être établie. A l'image du début, où la caméra montre une balle de tennis qui heurte le filet et tombe d'un côté ou de l'autre, donnant ou refusant le point, répond celle de la fin où Chris, ayant dérobé l'alliance de la vielle dame qu'il vient de tuer, lance le bijou dans la Tamise. Il heurte une rambarde mais tombe sur le quai. Non seulement cela ne servira pas de preuve contre lui, comme on pourrait le penser, mais au contraire se révélera favorable dans l'enquête qui le met en cause dans le meurtre de Nola. La chance, toujours elle, fait intervenir des événements similaires quelques jours après et l'alliance trouvée dans les poches de l'assassin disculpe définitivement Chris qu'un policier, plus inspiré que les autres, était persuadé de pouvoir faire condamner.

     

    Alors, satire sociale : certainement ! Mais ce qui me paraît bien vu dans ce film c'est que, le temps passant, Chris va complètement occulter ses fautes, s'en accommoder et vivre sans aucune difficulté avec. La petite fable de la fin, où il est fictivement en présence du fantôme des deux femmes qu'il a assassinées quelques temps plus tôt en est la preuve. A Nola, il dit que c'est mieux ainsi, qu'il ne pouvait pas faire autrement et qu'elle devait disparaître. A la vieille voisine qui se plaint de n'être pour rien dans ce différend, il déclare qu'elle n'est qu'un dommage collatéral et que pour lui tout est rentré dans l'ordre. Ce drame est une illustration brillante de « l'amour et du hasard » mais aussi d'un des nombreux travers de l'homme qui n'est ni aussi bon ni aussi généreux que des générations de philosophes ont bien voulu nous l'affirmer. On finit toujours par vivre, même confortablement, avec une faute, si grave soit-elle. On la cache, on la justifie, on s'en accommode, quitte à chercher des responsabilités chez la victime elle-même. Plus le temps passe plus on accumule les bonnes raisons qui nous ont fait agir ainsi. On imagine très bien que Chris vivra longtemps en oubliant tout simplement ses crimes puisque la chance l'a favorisé.

     

    C'est aussi un clin d'œil à ce que cette famille attendait de Chris : être le géniteur d'une descendance en opposant opportunément cette parole de Sophocle « Échapper à la naissance est sans doute la plus grande des chances » à l'image de l'enfant tant désiré, enfin né.

     

    Ce n'est peut-être pas ce qu'on pouvait attendre mais c'est malheureusement ce qui se produit souvent dans la vraie vie et l'hypocrisie, l'amnésie, la bienséance et le culte du paraître font le reste. Quant aux malheureux qui ont été les victimes, on peut peut toujours dire d'eux « qu'ils se sont trouvés là, au mauvais endroit au mauvais moment ».

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • IL NE FAUT PAS MOURIR DEUX FOIS – Francisco Gonzales Ledesma

     

    L A F E U I L L E V O L A N T E

    La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,

    elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

     

    N°505 – Février 2011.

    IL NE FAUT PAS MOURIR DEUX FOIS – Francisco Gonzales Ledesma* – L'Atalante.

    Traduit de l'espagnol par Christophe Josse.

     

    Le début est un peu déroutant. Trois histoires apparemment indépendantes les unes des autres qui se déroulent quand même dans la ville mythique de Barcelone. Elle est le véritable personnage central de tous les romans de Ledesma.

    Gabri qui sort de prison vient se recueillir sur la tombe de sa femme quand on lui propose de tuer un inconnu. Une vieille maquerelle, Dalia, qui loue une adolescente trisomique aux assauts sexuels de notables locaux. Un mariage qui se transforme en tuerie, les deux futurs époux ayant fait le projet de s'assassiner l'un l'autre...

     

    Le pauvre inspecteur Méndez, toujours aussi marginal, indiscipliné, alcoolique et désœuvré, va s'intéresser à toute cette délinquance malgré une hiérarchie qui ne l'aime guère et qui ne lui fait même plus confiance. Et d'ailleurs on ne lui confie même pas cette enquête ! Il est, selon ses propres termes « un policier à la manque que personne ne croit, un policier des rues ». Son patron a l'apparence de Monterde, commissaire principal, impénitent fumeur de havanes et accessoirement fort sensible aux charmes des femmes, de ses collègues féminines en particulier. Il a, à l'endroit de son inspecteur une formule peu académique pour s'adresser à lui (« Putain Méndez ») mais son subordonné reste égal à lui-même, prenant des initiatives toujours à la limite de la légalité. Il reste, malgré son âge un élément de valeur que, pour une fois, son administration songe à récompenser !

     

    Gabri est un dur qui a décapité celui qui a violé son épouse, Elisa, morte en couches et tué en prison l'assassin d'une fillette. L'homme qu'on lui demande de d'exécuter se révèle être une femme, Greda, enceinte qui plus est des œuvres de son ex-patron, qui ainsi souhaite se débarrasser d'un double problème qui risque de lui coûter sa place et son riche mariage. Son beaux-père qui ne l'aime guère rêve de le voir disparaître. L'ex-taulard est cousu de dettes mais c'est quand même un type bien et propose à Greda de s'enfuir.

     

    Près de la maison de Dalia, Haliz, un type un peu mystérieux et ancien souteneur est tué. Cela n'arrange pas les petites affaires de l'ex-tenancière qui voit fuir sa clientèle puisque que Méndez veille. Il se rend vite compte que la clientèle tourne autour de trois hommes, un conducteur de porsche 911, un type au nœud papillon, au regard de mort et Barrerra, un gros toujours vêtu de noir, vicieux et collectionneur de poupées gonflables. Tous des pédophiles... mais Méndez observe... Cela n'empêche pas une autre victime d'être exécutée ce qui oriente l'enquête vers le terrorisme et le péril islamique.

     

    Heureusement, Méndez ne lâche jamais une proie ni une idée. Sa mémoire infaillible, un véritable disque dur, doit autant à son ancienneté dans le métier que dans les fréquentations pas toujours très catholiques qui ont été les siennes, l'aide beaucoup dans sa traque. Il s'ensuit des développements improbables, des aventures parfois sanglantes, bref une parcours labyrinthique qui sied si bien à la littérature policière.

    J'ai bien aimé le personnage de Méndez décidément très attachant et son admiration pour la beauté des femmes. Ce récit décliné en chapitres courts et relatés dans un vocabulaire parfois poétique et émouvant mais surtout truculent ne m'a pas laissé indifférent. Il tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin et ce roman lui donne l'occasion de formuler des aphorismes bien sentis sur la nature humaine et des réflexions de bons sens sur la marche du monde. Je retiens la traduction qui est pour beaucoup dans l'attachement du lecteur au texte du roman.

     

    Je ne connaissais pas cet écrivain espagnol, son sens de la formule et son admiration inconditionnelle pour les charmes féminins. Il m'a été révélé par hasard (la Feuille Volante n° 436) et je ne regrette pas.

     

     

     

    * Écrivain et journaliste espagnol, né à Barcelone en 1927.

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

     

     

     

     

     

     

     

  • LIBERO – Film italien de et avec Kim Rossi Stuart.

     

     

    N°502 – Février 2011.

    LIBERO – Film italien de et avec Kim Rossi Stuart.

    Arte – 3 février 2011 - 20H40.

     

    Il est des films qu'on découvre par hasard lors d'une soirée télé où rien n'est prévu. On zappe et on s'arrête sans savoir pourquoi sur un long métrage, à cause du titre ou des quelques mots de la critique qui l'accompagne... et on se laisse happer par l'histoire. Pour moi, cela a été le cas de « Libero », avec, peut-être cet accent d'Italie qui pourtant ne doit rien au foot-ball.

     

    J'ai bien aimé ce film qui avait toute les chances d'échapper à mon attention [Kin Rossi Stuart m'était complètement inconnu, et je ne suis pas un cinéphile averti]. L'histoire pourrait être banale, en cette fin de XX° siècle en Italie : une famille mono parentale, avec à sa tête Renato, un caméraman un peu paumé mais qui parvient tant bien que mal à maintenir un équilibre précaire dans cette famille secouée par les départs répétés de son épouse. C'est pourtant un père aimant, à la fois colérique et touchant, qui fait ce qu'il peut pour assurer à chacun plus que le nécessaire et que ses enfants adorent. Il cache autant que possible les errances amoureuses de Stefania qui pourtant débarque un soir, désireuse de réintégrer le domicile conjugal. Pour cela elle supplie tout le monde, fait à tous des promesses de fidélité qu'elle ne tiendra pas. Renato, peu convaincu finit par plier cependant, Viloa, la fille un peu naïve y croie mais Tommi, un préadolescent écorché-vif à qui l'inconduite de sa mère n'a pas échappé ne se fait guère d'illusions.

    Tout reprend donc comme avant, en apparence seulement, mais Stefania, immature jusque dans l'éducation de sa progéniture en fait beaucoup trop pour être crédible. Elle manie l'hypocrisie autant que l'amnésie mais finit par céder aux sirènes de l'adultère.

     

    Le spectateur voit ce film à travers les yeux de Tommi [Alessandro Morace, à la fois émouvant et incarnant parfaitement cet enfant que les événements font grandir trop vite]. Certes, sa sœur fait ce qu'elle peut pour tenir auprès de lui le rôle de la mère absente, mais on le sent comme étranger à ses efforts. C'est lui qui regarde le monde des grands, de loin, parfois à la jumelle, mais toujours solitaire. On le voit marcher dangereusement au bord du toit, escalader les murs... et regarder le vide avec une certaine attirance. C'est surtout sur lui que pèse cette situation délétère et qui l'empêche de vivre son enfance comme les autres. En classe, il est maladivement timide devant les filles et se rapproche de l'élève rendu muet par un drame familial, un peu comme celui qu'il connaît chez lui. Cet épisode accentue encore davantage sa solitude. Avec son camarade de l'immeuble où il habite, il ne peut, malgré une invitation, partager avec lui des vacances à la neige, comme si ce genre de joies familiales lui étaient définitivement interdites. On imagine ce que sera sa vie d'adulte ensuite ! C'est lui qui rappelle à sa mère que lors d'une de ses maladies infantiles elle était encore une fois absente ! C'est lui qui fait remarquer à son père que Stefania ne perdra jamais ses mauvaises habitudes. C'est lui aussi que pressent le prochain départ de sa mère quand il la voit discuter avec un homme lors du vernissage de l'exposition. Il réagit comme il le peut, au passage en chagrinant son père qui pourtant était attentif à ses performances sportives, en délaissant la piscine pour le foot-ball. C'est aussi sur lui, sans doute parce qu'il est le plus faible, que s'abat l'ire paternelle.

     

    On imagine le calvaire de cet homme qui maintient un semblant de vie familiale mais à qui le quotidien se charge de rappeler en permanence qu'il a choisi la mauvais personne pour partager sa vie. Tant qu'il n'acceptera pas un éventuel divorce (et probablement ne il fera-t-il pas ne serait-ce que pour ne pas traumatiser durablement ses enfants), il connaîtra cet opprobre. Ce film passe sur cette chaine au moment où on parle des ravages occasionnés par la séparation des parents sur la vie de leurs enfants.

     

    Ce film est émouvant et bien en phase avec la société actuelle. La psychologie des personnages est dessinée toute en finesse et d'une manière juste et épurée, ce qui tranche peut-être avec l'idée qu'on se fait du cinéma italien traditionnel, exubérant et démonstratif. Je veux retenir la dernière image du film, celle où Renato accède enfin à l'envie qu'a Tommi de jouer au foot-ball, lui conférant sa vraie place au sein de cette famille déchirée, lui rendant son sourire : « Anche libero va bene » !

     

     

     

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • L'armée des cendres – José Pablo Feinmann

     

     

    N°501 – Février 2011.

    L'armée des cendres – José Pablo Feinmann – Abin Michel.

    Traduit de l'espagnol par Hélène Visotsky.

     

    Découvrir un écrivain inconnu à travers un premier livre a toujours quelque chose de fascinant. J'ai donc abordé ce récit avec tout l'attachement que je porte d'ordinaire aux auteurs sud-américains.

    Nous sommes en 1828 à Buenos Aires et le lieutenant Julian Quesada vient de tuer en duel le docteur Nicasio Costa, père du lieutenant Juan Ramon Costa. On imagine ce militaire familier de cette « procédure » à cause de son côté hâbleur ou de son attirance pour les femmes. Quesada a en effet tenu des propos diffamants sur l'officier Costa, l'accusant de lâcheté devant l'ennemi. Une telle issue implique que Quesada quitte la ville. On lui confie donc une étrange mission qui consiste à remettre une lettre au Colonel Andrade qui tient garnison dans le sud lointain. Pour cela, il lui faut traverser le désert en compagnie d'un pisteur. Il arrive à destination mais le colonel se révèle être un homme étrange, héros de la guerre d'indépendance au passé militaire glorieux mais aussi un être insaisissable qui, malgré l'importance du pli qui lui est destiné refuse, pendant quelques jours de recevoir le lieutenant.

    Finalement, il décide de partir en guerre contre les insoumis, quitte le fort avec un détachement dont fait partie Quesada, poursuit d'une manière étrange un ennemi invisible qui finit quand même par l'attaquer. Est-ce le désert, cette étrange et labyrinthique traque ponctuée d'assassinats ou ses années de luttes émaillées de défaites et d'incarcérations qui dérangent l'esprit du colonel?

    Celui-ci agit d'une manière si démente que le lieutenant Quesada le démet de ses fonctions et prend le commandement. Il remettra l'officier supérieur aux instances militaires de la capitale qui l'interneront dans un asile où il va rapidement mourir. Attaché à son chef, Quesada l'enterre dans le désert. Il rencontre le Lieutenant Juan Ramon Costa, retour d'une longue campagne au Brésil qui, apprenant les circonstances de la mort de son père, provoque Quesada en duel. Ce dernier y trouvera une mort qu'il recherchait depuis longtemps. Voilà à peu près la trame de ce roman.

     

    J'avoue que cet ouvrage m'a laissé un peu dubitatif, pas vraiment passionné par l'histoire racontée. Tout au plus la personnalité du colonel-fou m'a-t-elle fait, un moment, penser à Don Donquichotte. Pour le reste, la langue (la traduction) donne à voir des paysages parfois grandioses et c'est peut-être la seule chose que je retiens !

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     





     

     

     





     

  • LES FUNAMBULES – Antoine Bello

     

    N°498– Janvier 2011.

    LES FUNAMBULES – Antoine Bello– Gallimard.

     

     

    L'art de la nouvelle est difficile, celui de concocter un recueil qui ait une unité l'est encore davantage. Pour l'auteur, il s'agit de capter l'attention de son lecteur avec des textes assez brefs, une action resserrée avec un minimum de personnages et une fin souvent inattendue. Elle favorise une lecture « d'une traite » censée procurer au lecteur un souvenir plus pérenne que le roman nécessaire plus long. Elle est soit réaliste soit fantastique. De plus, le recueil de ces textes se caractérise, en principe par une unité de ton. Baudelaire fait prévaloir une nouvelle courte à un plus longue précisément pour sauvegarder cet effet.

    Est-ce cette préoccupation qui anima l'auteur dans la dernière nouvelle intitulée « l'année Zu » ? Il s'agit de l'histoire d'un romancier dont le premier roman est composé de 6 pages soit 1400 mots. Il y parle d'un jeune garçon qui s'intéresse aux rats de son quartier parisien au point de tenter de percer le secret de leurs dialogues et de devenir lui-même cet animal. Suivent d'autres œuvres qui ont pour caractéristique de s'inscrire dans « le minimalisme » qui part du principe simple que, puisque la plupart des mots sont galvaudés et donc dévalués, il est plus simple de s'exprimer par des mots rigoureusement pesés, en privilégiant l'ellipse et la ponctuation. Poussant au bout ce raisonnement, Zu pensa qu'il pouvait résumer un roman en un mot, le dernier ! Ainsi, au fur et à mesure des publications, Zu s'attacha-t-il à réduire progressivement le nombre des mots employés, sa dernière nouvelle n'en comptant que 14 et que sa trilogie pouvant être rassemblée en 4 pages !

    Que dire de l'histoire de Soltino, ce funambule qui marche rapidement et sans aucune hésitation sur une corde, sans balancier, au mépris du vide et qui n'a de cesse d'améliorer sa précédente performance ? Il dit lui-même que ce qui l'intéresse n'est ni le succès ni l'argent mais d' « aller voir ce qu'il y avait au bout ». Sa quête le mène de plus en plus loin, jusque sur le toit du monde et à la mort.

    L'histoire de l'exégète Fiodor Sadanov n'est pas moins étonnante. Il a consacré sa vie à étudier tout ce qui a été écrit autour d'Igor Kribolski [coupures de presse, extraits d'études, de journaux intimes...], joueur de quilles russe de l'ancienne URSS. Si son enfance a été quelque peu perturbée, sa vie a été celle d'un sportif de haut niveau choyé par le régime, celle aussi d'un simple citoyen qui ne voulu jamais s'engager en politique. Le commentateur a néanmoins réussi à extraire des écrits de Kribolski, des messages subliminaux de nature contestataire en bouleversant complètement la structures des phrases.

     

    Que penser du sculpteur de mannequins Kreuzer dont la laideur fait peur. C'est pour cela sans doute qu'il poursuit la beauté dans son œuvre, chacune de ses sculptures étant l'ébauche de la suivante. Toute la longue série des « manikin » commencée en 1938 devra se terminer par le n°100 qui représente le summum de sa démarche artistique et au bout du compte son corps lui-même devient du bois !

     

    Quant à l'histoire qui nous projette en 2058 de ce cosmonaute américain, Jim Mute (au nom prédestiné), qui accepte de faire partie du programme spatial d'exploration de la planète Jupiter tout en sachant pertinemment qu'il n'en reviendra jamais. Dans une société qui a besoin de martyrs, Il se sacrifie pour la grandeur de son pays et les détracteurs de ce projets finissent par se taire.

     

    A travers ces témoignages, Antoine Bello transporte son lecteur dans une sorte de monde parallèle où il est permis de se demander si ces fictions n'ont pas été des réalités tant les références « historiques » sont précises. A l'occasion de ces destins quelque peu hors du commun, l'auteur nous invite à la recherche de la perfection sous toutes ses formes et parfois des plus inattendues. Cette quête fait d'eux des « funambules » qui marchent au-dessus du vide de leur existence. Ils la dépassent, la transcendent, l'oublient pour aller au bout de leur idéal. Il le formule avec ces mots « Arrive un moment où les intérêt d'un astronaute et ceux de son employeur se rejoignent et se confondent. Alors la vie d'un homme devient un paramètre modélisable, en l'occurrence, important, mais non essentiel ».

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • La ligne de partage – Nicholas EVANS

     

    N°496– Janvier 2011.

    La ligne de partage – Nicholas EVANS- Albin Michel.

    Traduit de l'américain par Françoise du Sorbier.

     

     

    Le roman s'ouvre sur la découverte par deux skieurs du cadavre d'une jeune fille emprisonné dans la glace à « Goat Creek ». Les recherches, difficiles au début, révèlent son identité: il s'agit d'Abbie Cooper recherchée par le FBI.

     

    Ainsi débute une histoire aux multiples rebondissements que le lecteur va découvrir grâce à la rétrospective. Derrière ce titre un peu sibyllin, il faut entendre « la ligne de partage des eaux » Cette histoire commence en effet il y a quelques années dans un hôtel de l'état de Montana aux États-Unis. En réalité cet établissement est un ranch, nommé « la Ligne » qui reçoit des hôtes et qui est situé « au sommet d'une vallée tortueuse ». A cet endroit précis, la rivière se divise en deux. D'un côté « Lost Creek », dont « l'existence est aléatoire » et de l'autre « Miller's Creek » dont le cours est impétueux. De chaque côté de cette colline, le paysage est bien différent et le filet d'eau d »une rivière ne donne vie qu'à une végétation maigre tandis que l'autre permet une flore luxuriante. Dans ce ranch, plusieurs familles se retrouvent chaque été. Sarah et Benjamin Cooper, les parents d'Abbie et de Josh, Les Bradstock, les Delroy. Apparemment ces couples sont satisfaits de se retrouver chaque année avec leurs enfants et Abbie, encore adolescente, s'imaginait que ses parents étaient heureux de vivre ensemble. Effectivement, leur vie est simple et normale, mais ils n'ont pas échappé à l'usure du couple, au temps qui passe, à l'envie de l'inconnu... Abbie vit sa vie d'adolescente et profite de ses amours de vacances en même temps qu'elle tombe amoureuse de la nature sauvage du Montana où habite Ty.

     

    C'est dans ce décor que Benjamin, que tout le monde appelle Ben, tombe amoureux, six mois auparavant, de Eve Kinsella ce qui acheva l'histoire du couple qu'il formait avec Sarah. Les deux époux se séparent ce qui bouleverse Abbie, mais laisse apparemment indifférent son frère Josh. Est-ce pour cela que la jeune fille devenue étudiante, se passionne au rythme de ses rencontres et de ses aventures amoureuses, pour l'écologie, pour la contestation et même pour la révolution ? Elle rencontre Ty, le jeune fils d'un couple d'agriculteurs dont la propriété est ravagée par des forages de gaz. Elle prend conscience des choses, s'engage dans le militantisme et la défense de la nature, s'émancipe en même temps qu'elle finit par admettre, malgré sa révolte, la séparation de ses parents incapables d'êtres heureux ensemble. Ce qui est vécu par elle comme un échec [a-t-on le droit, quand on a fondé une famille, de la sacrifier au nom d'un nouvel amour ?] est pour son père un nouveau départ. Avec Eve « il se sent revivre » tandis qu'Abbie bascule petit à petit dans un monde marginal qui menace de la broyer. Elle participe, au côté de Rolf, devenu son mentor mais aussi son amant à un incendie criminel contre ceux qui s'enrichissent en détruisant la nature. Ce malheureux épisode se solde par la mort d'un homme. Abbie et Rolf sont donc recherchés par la police. Il mènent ensemble une vie de traqués, un peu comme Bonny et Clyde. En fait Abbie est victime du syndrome de Patti Hearst (syndrome de Stokholm) : Une jeune femme, issue d'un milieu aisé tombe, à l'occasion d'une période difficile de sa vie, sous l'influence d'un homme charismatique, plus âgé qu'elle. Il parvient à la convaincre que le système d'éducation sous lequel elle a vécu jusqu'à présent est pervers et il l'entraîne dans une vie où le crime est à la fois une obligation morale et une nécessité romanesque. Elle devient donc une « eco-terrorisme » poursuivie. Sa fuite éperdue et son désir de se livrer à la police lui font à nouveau croiser la route de Ty qui fut un temps inquiété comme éventuel complice d'Abbie. L'idylle avec Rolf tourne court malgré la future maternité d'Abbie et le piège se referme sur elle.

     

    A travers cette histoire se mêlent le traumatisme du Worl Trade Center, les préoccupations écologiques et un drame familial. Les Cooper se déchirent sous les yeux de leurs deux enfants qui tentent comme ils peuvent de se raccrocher à leur vie et d'y donner un sens. Même si Sarah et Ben réussissent à refaire leur vie chacun de leur côté, même si Josh, muri par cette épreuve, parvient à s'insérer dans la société, il reste que l'éclatement du couple me semble responsable de la dérive d'Abbie et de sa fin tragique. La question de la responsabilité reste posée [autant que celle de la culpabilité !] et du hasard qui met les gens en situation et pèse sur leur choix. Je ne partage que très difficilement l'apaisement de l'épilogue et je doute que chacun puisse, après un pareil malheur, retrouver le bonheur perdu. En ce sens le roman me paraît un peu superficiel et semble privilégier une manière de « happy end » qui ne m'a guère convaincu.

     

    Malgré quelques longueurs et de nombreux personnages, parfois furtifs, l'auteur, grâce à des descriptions poétiques des grands espaces américains et un suspens savamment entretenu, tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • La femme du V° – Douglas Kennedy

     

    N°495– Janvier 2011.

    La femme du V° – Douglas Kennedy- Belfond.

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Nous sommes quelques jours avant Noël dans un Paris un peu glauque où Harry Ricks vient de débarquer. Il y a quelques mois, il était encore enseignant dans une université américaine et vivait aux État-Unis avec sa femme et sa fille. Désargenté, en instance de divorce et radié à vie de l'université à cause d'une aventure amoureuse et tragique avec une étudiante, il arrive à Paris avec pas mal d'illusions. Il les a pourtant perdues définitivement quand il a appris que son épouse filait le parfait amour avec le doyen de la faculté dont il a été expulsé. Paris représente pour lui un nouveau départ et reste, dans son esprit, la ville de tous les fantasmes d'autant qu' il habite « rue du Paradis »! Il se retrouve pourtant au fin fond du X° arrondissement, dans une chambre de bonne lugubre. Ici, il a vraiment la certitude « d'être tombé plus bas que terre ». Les toilettes sont d'une propreté plus que discutable. C'est là un obsessionnel leitmotiv qui me paraît révélateur.

     

    Il ne trouve son salut que dans l'écriture d'un roman, dans un travail un peu mystérieux mais bien payé de veilleur de nuit, dans la fréquentation des cinémas, celle d'un cybercafé... et surtout celle d'une faune interlope. Jusqu'au jour où il rencontre un peu par hasard une hongroise d'âge mûr, un peu mystérieuse, Margit, dont il tombe, bien entendu, amoureux. Leurs relations deviennent rapidement torrides et chacun raconte son histoire. La sienne est tragique et ils se retrouvent chez elle, dans le V° arrondissement de Paris. Si elle accepte de le rencontrer régulièrement, elle y met cependant une condition bizarre mais sine qua non qu'il accepte : Elle ne le verra que tous les trois jours de cinq heures à huit heures ! Caprice ou nécessité ? Pourtant cette liaison « lui donne l'illusion d'échapper à la banalité de sa vie ». Harry saura par la suite que ce « contrat » est pour lui à la fois vital... et viager ! Il respectera cependant cet « accord » et ne cherchera pas à repartir pour les États-Unis, malgré la présence de sa fille. Margit alterne passion et réserve, souffle le chaud et le froid, paraît en savoir beaucoup sur lui, pilote sa vie et parfois celle des autres. Elle est pour lui un véritable ange gardien.

     

    Dans le même temps, Harry est l'objet d'un chantage, il est soupçonné de meurtre, se rend compte qu'il est constamment surveillé, se retrouve carrément dans un monde parallèle qui lui échappe mais qui semble lui envoyer des messages, se demande en quoi consiste exactement son travail et qui est ce « M. Monde »[une référence à Siménon qui figure aussi en exergue du roman] que viennent voir nuitamment ses visiteurs mystérieux, s'interroge sur tout les « événements » qui l'entourent et dont il est le témoin, sur cette femme-fantôme décidément bien énigmatique.

     

    J'ai bien aimé les évocations érotiques de Kennedy.[je ne lis pas encore cet auteur dans le texte mais je pense que le traducteur ne trahit pas l'auteur] autant que l'alternance des expressions crues violentes ... En revanche, je ne suis pas sûr d'avoir apprécié ses développements et digressions parfois pénibles sur la culpabilité très judéo-chrétienne, même si c'est là un thème récurrent dans son œuvre. En cela il est un digne Américain puritain et austère qui pourtant dénonce cette société manichéenne que, apparemment, il n'aime guère. Pourtant, cette histoire de quatrième dimension, cette Margit fantôme qui apparaît et disparaît opportunément au gré des besoins du roman et sait prévoir l'avenir me paraît un peu forcé. Pour accréditer cette idée, l'auteur oppose intuition et raison... Je veux bien que nous soyons dans une fiction, mais quand même, recourir dans un polar aux forces surnaturelles ![A moins que Paris soit pour Dougal Kennedy un lieu à ce point magique et envoutant que rien n'y est comme ailleurs ?- Alors, la femme du V° arrondissement ou celle de la 5° dimension ?]

     

    J'ai goûté avec plaisir ses remarques sur le mariage raté de Harry et sur les circonstances qui l'ont fait capoter, sur la petitesse et la mesquinerie des personnages mis en scène. C'est apparemment un thème qui lui est cher et dont il parle souvent avec gourmandise. En cela il est le témoin de son temps qui est aussi celui des divorces et des échecs matrimoniaux, de l'hypocrisie mais aussi de la vengeance. Il paraphrase opportunément Alexandre Dumas quand ce dernier prétend que les chaines du mariage sont si lourdes à porter qu'il faut parfois s'y mettre à plusieurs !

     

    Il faut y voir aussi le regard sans concession d'un étranger sur Paris qu'il connaît bien et sur la France. Kennedy a simplement voulu nous dire que ce n'est pas une ville aussi belle que cela, que la liberté n'y est pas aussi complète, qu'on et bien loin du Paris d'Hemingway, des artistes, et de celui de Gershwin.

     

    C'est un roman plein de suspens et un polar très noir, une sorte de texte gigogne, un peu trop surnaturel quand même mais qui tient en haleine son lecteur jusqu'à la fin.

     

    Ce livre illustre une nouvelle fois une de ses phrases «  Dans mes livres, je rôde toujours autour de l'idée que chaque homme est très doué pour construire sa propre prison, le mariage étant la prison la plus commune. Le couple, rongé par le sentiment confus de culpabilité est l'un de mes thèmes obsessionnels »

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

  • Piège nuptial – Douglas Kennedy

     

    N°494– Janvier 2011.

    Piège nuptial – Douglas Kennedy- Belfond.

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Nick, le narrateur, est journaliste en poste dans la province américaine du Maine. Fasciné par l'Australie, il décide de tout plaquer pour y aller. Curieux, il se dit que Darwin, au nord du continent, serait un point départ opportun pour une exploration.

     

    Après une rencontre avec un « révérend », ministre du culte et apparemment seul adepte de « l'Église apostolique de la foi inconditionnelle » à qui il achète son minibus Volkswagen, il se lance sur la route en solitaire. Après avoir percuté nuitamment un kangourou, il fait la connaissance, par le plus grands des hasards, d'Angie, belle plante autochtone qui se présente à lui comme une jeune vierge. Les présentations faites et fier de sa bonne fortune, Nick ne tarde pas à s'apercevoir que sa conquête ne correspond pas tout à fait à l'image qu'elle voulait donner d'elle. Amatrice de bière, de bagarre et dévoreuse d'hommes, elle n'a pas vraiment les manières d'une blanche pucelle. Pourtant, elle sera sa compagne de route puisque Nick a choisi de descendre vers le sud.

     

    Nick n'est pas vraiment un tombeur mais il profite de la compagnie d'Angie. Un peu malgré lui, les choses évoluent et il se réveille en plein désert, au milieu de nulle part et apprend qu'il a demandé la main d'Angie à son père et que cela a été suivi aussitôt d'une cérémonie nuptiale. Bref, il se retrouve marié malgré lui d'autant plus qu'il aurait donné son consentement après avoir été préalablement drogué. Il est « l'amerloque » un peu paumé qui va faire connaissance de sa nouvelle belle-famille, des gens complètement déjantés, que les événements qu'il apprendra plus tard, ont amené ici, dans une ville fantôme, rayée de la carte à la suite de l'incendie d'une mine d'amiante. Ils ont fondé ici une communauté familiale alcoolique, violente et marginale qui, pour éviter la consanguinité, recherche activement des mâles qui feraient office de géniteurs. Sans le savoir Nick s'est donc retrouvé pris au piège, mais il s'est refermé sur lui ... en plein désert ! Pour un célibataire explorateur, c'est un comble ! Il a beau n'être qu'un étranger, il représente une opportunité que les membres de ce clan ne veulent surtout pas laisser s'échapper. Il apprend d'ailleurs que ses prédécesseurs qui s'y sont aussi essayés ont tous connu un destin tragique !

     

    Il fait véritablement connaissance de sa femme (elle se révèle « aussi tendre qu'un demi de mêlée »), de sa belle famille aux habitudes néandertaliennes et apprend du même coup qu'Angie est enceinte. Tant bien que mal il essaie de s'adapter à sa nouvelle situation de captif tout en songeant à fuir ce microcosme désert et oublié. Malheureusement pour lui, on a pris soin de lui confisquer son passeport et son argent, ce qui compromet encore davantage ses velléités de départ.

     

    Il s'aperçoit vite que la seule façon de s'en sortir est de donner le change et pour faire davantage illusion il simule la dépression qu'il soigne comme il peut malgré les dangers que cela représente puisqu'il s'aperçoit qu'il est soumis à une surveillance constante. Il fait cependant la connaissance de la seule personne qui n'a pas été contaminée par ce clan. Il s'agit de Krystal qui se trouve être sa belle-sœur, institutrice de cette ville fantôme, animée elle aussi de velléités de fuite. Avec elle, il met au point un plan laborieux mais qui malheureusement tournera mal pour elle.

     

    J'ai bien aimé ce roman au style, certes peu académique et même argotique mais quand même un peu drôle. Le texte qui se lit facilement entraîne le lecteur passionné dans une aventure ou le suspense et le dépaysement sont garantis.

     

    Avec ce roman un peu cauchemardesque par moments, paru précédemment sous le titre « Cul-de-sac », Kennedy poursuit sa quête du bonheur impossible comme il l'avait fait avec « Quitter ce monde »(la feuille volante n° 485 ) Ces personnages se débattent comme ils peuvent dans des mariages improbables. J'aime assez cette peinture originale de la condition humaine et son style est toujours aussi attachant.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Thriller – Iegor Gran

     

    N°493– Janvier 2011.

    Thriller – Iegor Gran- P.O.L.

     

    Norman Mayfield est maintenant professeur d'économie à l'université de Berkeley. Il ne songe qu'à une chose : résoudre l'équation de l'économie sociale. Suzanne est son épouse « qui serait jeune dans sa tête... mais qui fait bien ses quarante six balais, peut-être même davantage. » Ils forment ensemble un couple classique et un peu superficiel d'Américains. Avec le temps (vingt ans de vie commune) ils se sont installés dans la routine, il est content de lui mais elle s'ennuie un peu malgré son emploi, toutes les marques extérieures de cette réussite et elle lui reproche une certaine forme d'immobilisme. Pour palier cette situation qu'elle juge délétère, elle prend un amant en la personne de Lorch, « le doyen... un peu soporifique ... qui s'accroche à son poste comme à son cardiogramme », et cela fait dix ans que cela dure ! Au cours du récit, il sera présenté comme un vieux-beau, infatué de lui-même, divorcé, tombeurs de ses étudiantes et fervent lecteur du Kama Sutra. C'est pourtant lui que choisit Suzanne, mariée et mère de famille, pour s'encanailler. Ils se plaisent réciproquement, deviennent amants et vivent une liaison régulière et enflammée sans que Norman ne se doute de rien, passionné qu'il est par son travail et ses recherches.

    Le tableau se complète par La Fayette, un ami de Norman et Syd, l'adolescent féru d'informatique et enfant du couple.

     

    Cette histoire commence par une salade au saumon consommée chez Norman et le rappel d'un épisode oublié de la vie de ce dernier. Il aurait dérobé un portefeuille à un clochard, ce qui, pour un professeur d'université n'est guère reluisant. Il prétend ne pas s'en souvenir et d'ailleurs, au cours de cette fiction, la mémoire semblera lui manquer douloureusement. L'épilogue en donnera la raison. Dans le même temps, une femme blonde est étranglée sur un terrain vague près de chez les Mayfield.

     

    Jouant sur cette amnésie que le lecteur peut supposer feinte, Lorch, désireux sans doute de justifier sa propre turpitude, fait naître dans l'esprit de Suzanne l'existence d'une passade entre une étudiante et son mari. Non seulement elle y croit, mais soupçonne Norman d'être l'auteur du crime du terrain vague. L'installation de caméras de surveillance dans l'enceinte de l'université, présentée un temps comme devant établir la faute de Norman, se révèle être un leurre mais fait, un temps, illusion. Désireuse sans doute de masquer son adultère, Suzanne apparaît comme une mythomane un peu déjantée, accusant son mari du crime du terrain vague, sans doute pour mieux d'en débarrasser. Tout cela trouvera son explication à la fin même si l'épilogue est à la fois surprenant et un brin artificiel.

     

    Le style peu académique, incisif et caustique, plein d'apartés que je préfère appeler longueurs, ne sert pas le suspense qui est censé baigner le récit. Quant aux notes de bas de page relatives à l'économie, elles n'apportent rien de pertinent ni d'intéressant pour un lecteur ordinaire. L'intervention du narrateur baptisé « le psychopathe » vient seulement compliquer les choses mais sûrement pas rendre le récit plus passionnant. Quant à l'existence du « journaliste bidonneur » et du docteur Lane...

     

    Finalement tout rentrera dans l'ordre, Norman, après une opération au cerveau, retournera à ses travaux (sa tumeur au cerveau lui occasionnait des pertes de mémoire), Suzanne mettra fin à son aventure amoureuse en se consacrant à sa famille et à son mari, Lorch prendra enfin sa retraite et Cyd s'installera dans la société de consommation. Tout sera « pour le mieux dans le meilleurs des mondes » en quelque sorte. Ou, pour parler plus simplement : beaucoup de bruit pour rien !

     

    Je ne connaissais pas cet auteur. Ce n'est pas avec ce roman, qui sans doute se veut drôle, que je continuerai à le lire.

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Des éclairs – Jean Etchenoz

     

    N°492– Janvier 2011.

    Des éclairs – Jean Etchenoz*- Éditions de minuit.

     

    C'est un roman surprenant que nous offre ici Echenoz. Il l'est par son sujet. C'est certes une fiction, l'histoire de Gregor, mais elle s'inspire largement de celle bien réelle de Nikola Tesla (1856-1943), né selon la tradition un jour d'orage en Croatie. Sa vie sera donc placée sous le signe des éclairs et de l'électricité. Il sera lui-même brillant comme l'éclair, rapide et éphémère dans ses conceptions comme dans ses réalisations. C'est le type même de « l'ingénieux ingénieur » comme dirait Boris Vian à qui rien n'est vraiment étranger et dont la vie entière sera consacrée à des découvertes scientifiques et ce pour le bien de l'humanité. Comme de nombreux génies, il est ombrageux, peu sympathique, méprisant pour ses collaborateurs, excentrique, capricieux, invivable, susceptible, défauts qui feront de lui un célibataire définitif et un misanthrope convaincu . Il est aussi extrêmement nerveux, fragile, obsédé par la propreté, constamment en train de compter (avec une prédilection pour les multiples de trois !)avec la volonté constante de débusquer les microbes qu'il craint par dessus tout.

     

    Malheureusement, il est obnubilé par ses découvertes au point de négliger ses propres intérêts personnels, de négliger l'argent qu'il dépense sans compter ce qui fait rapidement de cet homme qui vit constamment à crédit, un endetté permanent. S'il avait une passion pour les comptes, c'était plutôt celle du dénombrement des choses ou des gens, pas celui de l'argent, ce qui n'est pas pour arranger ses affaires !

     

    A l'époque, il fallait les USA à ce talent inventif, d'autant qu'en Europe, il commençait à devenir encombrant, gênant à cause de sa supériorité et de l'avance qu'il avait sur son temps. C'est donc dans ce pays neuf qu'il se rend à l'âge de 28 ans. Il y déploie tout son génie inventif, remplaçant après un combat difficile le courant continu peu pratique, dangereux et peu fiable par le courant alternatif moins couteux dont il développe des applications qui lui sont tout aussitôt volées par ses contemporains malgré une quantité impressionnante de brevets déposés. C'est le cas de la radio (attribuée à tort à Marconi) du radar (conçu par lui dès 1900, il ne sera réalisé que pendant la 2°guerre mondiale par les Alliés) l'automatisme sous toutes ses formes, les rayons X, les robots et même les rudiments de l'informatique. Las, nombres de ses inventions seront attribuées à d'autres ! Ce qui le caractérise aussi c'est la vitesse, celle du raisonnement, de la conception mais rarement de la réalisation qu'il laissera aux autres ou dont les autres s'empareront.

     

    Pourtant toute sa vie sera consacrée à rendre plus facile celle des autres et de leur procurer de l'énergie gratuite, ce qui n'est guère du goût des financiers. Il voulait aussi éviter les guerres et procurer au monde une harmonie générale ce qui était quelque peu utopique. De son vivant il ne dédaignait pas le grand spectacle mais toujours pour mettre en valeur cette électricité qu'il considérait comme devant améliorer le sort de l'humanité. Excentrique, il concevait parfois des inventions irréalisables voire inutiles, trop en avance sur son temps il en proposait parfois qui ne virent le jour que tardivement. Il devint même suspect quand il pensa engager un dialogue avec les extraterrestres, et, négligeant la compagnie des hommes quand il se passionna pour les pigeons ou quand il conçu le « rayon de la mort ».

     

    Nikola Tesla est présenté, peut-être par le miracle de la création littéraire comme un rêveur un peu déconnecté de la réalité, fuyant ses semblables mais aussi aimant les étonner, un altruiste frustré et un scientifique génial spolié de ses découvertes, un bel homme mais un amoureux perpétuellement timide et incapable d'exprimer ses sentiments.

    Après un parcours à la fois brillant et controversé, il mourut à New-York, incompris, ruiné, seul et complètement oublié à l'âge de 86 ans !

     

    Original, ce roman l'est aussi de part le style d'écriture, à la fois emprunt d'un humour de bon aloi et carrément dans l'oralité. C'est en effet sur un ton confidentiel et presque complice qu'il s'adresse au lecteur... et qu'il le tient en haleine jusqu'à la fin. J'ai bien aimé ce changement de ton par rapport aux autres romans que j'ai lus. Je l'ai trouvé plus personnel, plus intimiste peut-être ?

    Et puis, il ne faut pas manquer de saluer le travail de documentation scientifique réalisé par l'auteur. Ce livre à beau être un roman, il n'en est pas moins largement inspiré de la vie de ce savant-fou qui, finalement, nous est bien sympathique. Ce n'est pas à proprement parlé une biographie qui est un exercice difficile et parfois ingrat. Le parti pris de la fiction modifie sans doute un peu l'image du modèle mais le résultat est pertinent.

     

    Après « Ravel » et « Courir » (consacré  à Émile Zatopek), Echenoz clôt brillamment avec ce roman sa «  trilogie des trois vies ». Il a fort opportunément fait revivre sous l'angle de la fiction cet homme peu connu en France mais dont la vie est un véritable roman.

     

     

    *Prix Goncourt 1999 pour « Je m'en vais ».

     

    L'œuvre de Jean Echenoz est largement évoquée dans cette chronique.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Six jours, six mois – Karine Tuil

     

    N°491– Janvier 2011.

    Six jours, six mois – Karine Tuil- Grasset

     

     «  J'ai décidé de raconter cette histoire par ambition personnelle, je rêve de voir mon nom imprimé sur la couverture d'un livre. De l'orgueil, bien sûr, mais chacun à droit à son heure de gloire, non ». D'emblée, le lecteur ne peut donc l'ignorer, il va avoir affaire à un déballage de linge sale, mais pas n'importe lequel, celui qu'on cache dans une grande famille de cette Allemagne industrielle de l'après-deuxième-guerre, triomphante, écrasante, clanique. Le délateur, Karl Fritz, soixante-dix-huit ans, homme de confiance de la famille Kant depuis deux générations, quelqu'un qui avait fini par faire partie de ce clan. Il leur est tellement dévoué qu'il accepte de renoncer à l'amour d'une femme pour continuer de demeurer avec eux. Pourtant, après une vie de bons et loyaux services, il est mis à la porte sans ménagement.

     

    Au départ, Juliana Kant, fille du grand patron de la firme automobile K&S et son héritière. Elle est donc riche et puissante mais aussi une jolie femme. Elle est mariée depuis plusieurs années avec Chris Bruner, mais leur vie s'étiole et devient ennuyeuse. Alors, quoi de mieux que de tromper ce mari trop occupé à sa réussite. Ce n'est guère original sauf que cette passade va bouleverser sa vie. Herb Braun, l'amant d'occasion se présente comme un photographe, mais c'est surtout un aventurier, un gigolo. Il la séduit, la subjugue et la fascine sans grands efforts. Mais Braun poursuit un but bien différent. Il réussit à filmer leurs ébats amoureux avec sa maîtresse et la menace de tout révéler à la presse. L'affaire tourne court et Braun est emprisonné ce qui sauvegarde la morale de cette histoire et aussi un peu l'argent. Pour autant, celui qui était l'homme de confiance des Kant, suspecté de complicité dans cette affaire, est licencié brutalement et, par vengeance, s'apprête à révéler les dessous de cette scandaleuse affaire. Le père de Braun aurait été, durant la guerre, exploité par la famille Kant. Le but de tout ce scandale ne serait donc pas l'argent, mais le nécessaire châtiment et le rachat des fautes de cette famille.

     

    C'est l'occasion pour l'auteur de revisiter l' arbre généalogique des Kant, leur attitude complice et coupable avec l'Allemagne nazie, leur fortune basée sur la main d'œuvre gratuite fournie par les camps de concentration, leur compromissions dans la lutte contre les juifs jusque dans leur famille, la sauvegarde accordée par les alliés vainqueurs au nom de la richesse et de la prospérité. C'est que l'histoire de cette famille se confond avec celle de l'Allemagne du 3° Reich à qui elle doit en grande partie sa richesse et son influence. C'est une famille à la fois recomposée et décomposée. Le grand-père de Juliana, nazi notoire, a échappé au Tribunal de Nuremberg malgré la part active qu'il avait prise dans la politique de guerre nazie et Magda, qui fut sa première épouse se remaria avec Geobbels. Juliana a complètement renié son père adoptif au seul motif qu'il était juif. Le père de Braun a-t-il été véritablement déporté dans un camp de concentration ?

    C'est aussi l'histoire d'une vengeance qui dépasse largement un banale histoire de coucherie et de maître-chanteur. L'auteur pose une question qui est le fondement de la culpabilité judéo-chrétienne : les fils sont-ils responsables des fautes de leur père. Le pardon est-il possible ? Qu'en est-il de l'amour-fou et du désir qui bravent tous les interdits et tous les tabous ? A-t-on le droit de trahir ceux qu'on aime et de faire prévaloir son propre intérêt ? Que reste-t-il de la famille et de l'image du père quand on choisit de la détruire à ce point ? Quel est le poids de la solitude de Juliana Kant, véritable héroïne de ce livre ? Un femme, si belle soit-elle, peut-elle être aimée ?

     

    Sur le ton mi-confidentiel mi-agressif de celui qui souhaite créer le scandale, mais au compte-goutte seulement, celui qui fut l'homme de confiance de cette famille distille, sur le mode de la revanche, l'histoire d'une saga.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

  • Un garçon parfait – Alain Claude Sulzer

     

    N°490– Janvier 2011.

    Un garçon parfait – Alain Claude Sulzer- Editions Jacqueline Chambon.

    Traduit de l'allemand par Johannes Honigmann

     

     

    En ce mois de Septembre 1966, Ernest vient de recevoir une lettre postée de New-York par son ami Jacob Meier qu'il n'a pas revu depuis 1936. Pourtant, il tarde à ouvrir l'enveloppe comme s'il savait ce qu'elle contenait. C'est que cette missive, qui en réalité est un appel au secours, va faire revivre un passé qu'il voulait oublier.

     

    Ernest est un homme qui passe parfaitement inaperçu. Serveur attentif et effacé, il mène une vie personnelle indépendante, solitaire et anonyme. Employé depuis de nombreuses années dans le restaurant d'un palace suisse à Giessbach, il est très professionnel au point qu'il résiste sans le vouloir vraiment à tous les licenciements. En ce sens, c'est un garçon parfait. Il est le témoin muet des relations parfois adultères qui se nouent entre les clients comme celle d'une de ses cousines, mariée à un industriel français, qui file le parfait amour, et ce pendant presque vingt ans, avec son amant anglais. Ils se retrouvent régulièrement dans cet hôtel et Ernest est leur messager secret.

     

    En 1935 Jacob a fait irruption dans sa vie professionnelle puisqu'il a été chargé de sa formation. Il a fait de lui un employé à son image, un garçon parfait lui aussi ! Il a conçu pour lui une passion amoureuse à la fois violente et exclusive mais sa liaison avec lui a été brutalement interrompue par une passade de Jacob avec un client de l'hôtel, le célèbre écrivain allemand Julius Klinger. Sur fond de montée de nazisme et de guerre mondiale qui couve, les deux hommes partent pour les États-Unis, en compagnie de la famille du poète. Officiellement, il sera son serviteur, situation qui masquera leurs véritable relation. Pourtant Jacob n'a jamais oublié complètement Ernest. Dès lors il se tisse entre Jacob et l'écrivain une relation complexe de dominant à dominé et même de prostitué à client et l'attitude de Jacob est davantage dictée par son propre intérêt que par l'amour qu'il prétend porter à son protecteur. En réalité Julius est subjugué par la beauté et la jeunesse de son amant alors qu'il est, lui, en réalité vieux et dépendant.

     

    Cette lettre de Jacob, envoyée trente ans après sa fuite, est donc l'occasion pour Ernest de revivre des souvenirs qu'ils souhaitaient rayer de sa mémoire. Elle est suivie d'une autre qu'il finit par ouvrir et qui lui demande de reprendre contact avec Klinger revenu en Suisse. Après bien des hésitations, il s'exécute et prend contact avec l'écrivain. En réalité ce que lui révèle celui-ci le bouleverse durablement. Non seulement Jacob ne l'a pas oublié, mais il s'est longtemps servi de lui ou plus exactement de son souvenir, pour dominer encore plus Julius. Troublé par ce qu'il a appris et dans le seul but de venir en aide à son ancien ami, Ernest se transforme en maître-chanteur, menaçant de révéler à la presse à scandale l'homosexualité de l'écrivain, devenu entre-temps un citoyen fort respectable. Il n'est cependant pas au bout de ses surprises et la fin du roman révèle les rapports complexes qui existent dans la famille de l'écrivain et le rôle réel que Jacob y joue.

     

    Le style de Sulzer parvient à tisser cette ambiance impersonnelle et lisse qu'on imagine faire partie du patrimoine de la Suisse. Le lecteur ressent parfaitement la nature des rapports qui existent entre les clients et les employés de cet hôtel ainsi qu'entre les différents personnages de cette fiction.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Le temps vieillit vite – Antonio Tabucchi

     

    N°488– Janvier 2011.

    Le temps vieillit vite – Antonio Tabucchi- Gallimard.

    Traduit de l'italien par Bernard Comment.

     

    « En allait-il donc ainsi ? Le temps était-il de l'air qu'elle avait laissé sortir par un petit trou minuscule dont elle ne s'était pas rendu compte ? Mais où était le trou ? Elle ne réunissait pas à le voir.». Le ton est donné des les premières pages et l'auteur s'interroge sur ce qui fait si intimement partie de la condition humaine, le temps et surtout la conscience qu'en a l'homme.

     

    A travers neuf récits, Tabucchi illustre son propos à l'occasion de tranches de vie de personnages aussi différents qu'un ex-agent secret jadis chargé de la surveillance et qui, désormais désœuvré, déambule dans Berlin en pensant à la femme qu'il a aimée mais qui l'a trahi ou que celui d'une vielle femme qui, à l'hôpital, tente de faire revivre ses souvenirs pour son jeune neveu. Chacun de leur discours révèle une expérience différente. C'est une variation sur un thème du temps qui passe inexorablement et qui ne laisse dans notre souvenir que des bribes qu'on retrouve à l'occasion d'un exercice de mémoire. Il nous permet de mesurer son action autant que l'impact qu'il laisse sur nous-mêmes, sans que nous y puissions rien. Ce thème philosophique qui sera toujours une obsession majeure pour l'humanité est à la fois, pour soi, un aveu d'impuissance car il coule malgré nous et nous ne pouvons le retenir en même temps qu'une impossibilité de partager la vie des autres ainsi résumée dans leurs souvenirs. On écoute l'histoire d'autrui, mais, si passionnante soit-elle, elle nous est étrangère. C'est un peu comme si, l'impact du temps étant le même pour chacun d'entre nous, nous en avions une perception différente. Nous avons beau être tous contemporains, nous vivons les mêmes choses différemment, avec un autre rythme, avec une autre intensité, une autre intimité. Il y aurait donc, face au temps « officiel » autant de manières de le vivre que d'individus.

     

    C'est aussi un questionnement pour les philosophes. Le temps est-il un cercle et un éternel recommencement ? A-t-il une trajectoire rectiligne et disparait-il après son passage ? S'écoule-t-il comme un fleuve dont il aurait la consistance physique ou a-t-il la subtile nature du rêve, de l'air ? Les traces qu'il laisse en nous sont-elles fiables et notre mémoire fidèle ? Quelle est la valeur du souvenir face aux incertitudes et aux doutes que l'action du temps sème derrière lui ? Le temps guérit-il vraiment les blessures de la vie par l'oubli ou, au contraire entretient-il les douleurs, les deuils par l'action répétée de l'exercice du souvenir. Peut-on faire obstacle à son action destructrice en gravant la pierre ou en écrivant des mots sur un support de papier ? Quelles sont les formes que le temps peut prendre, laisse-t-il la place à la nostalgie ? L'amnésie n'est-elle pas la réponse à nos compromissions, à nos contradictions, à nos trahisons ordinaires, à nos renoncements qui sont aussi la marque de la condition humaine ?

     

    C'est une méditation sur les différentes formes que prend le temps, sur la vieillesse, sur la vie qui aurait pu être belle mais qui a pris un autre chemin à cause de soi et parfois malgré soi. Elle reste « la plus belle chose du monde », comme le dit cette petite fille meurtrie par la maladie. C'est une réflexion sur l'enfance disparue dans dialogue un peu surréaliste entre cette petite fille qui tient de propos d'adulte et ce vieil homme qui veut deviner l'avenir dans la forme des nuages. C'est une forme de folie qu'il oppose à cette fuite inexorable du temps (« C'est un cirrus, un très beau cirrus enfant qui bientôt sera englouti par le ciel »). Elle parle aussi, en filigrane de la mort à venir, de la trace que chacun d'entre nous laisse après son passage, de la fragilité de la vie.(« L'air, pensa-t-il, la vie est faite d'air, un souffle et c'est parti, du reste nous non plus ne sommes rien d'autre qu'un souffle, une respiration, puis, un jour, la respiration cesse et la machine s'arrête. »)

     

    Chaque nouvelle est une fable où la vie trouve son justificatif, s'il en fallait un. Mais c'est aussi l'évidence qu'elle ne pèse rien au regard de la collectivité, des régimes politiques totalitaires, de la pensée unique. Le passé ne laisse qu'une empreinte ténue qui s'efface aussi sûrement qu'un dessin qu'on trace sur le sable face à la marée montante. La mémoire individuelle elle-même est malléable «  ils prétendent t'astiquer la mémoire comme un miroir, voilà le but, la faire fonctionner non pas comme elle veut elle mais comme ils le veulent eux, qu'elle n'obéisse plus à elle-même, à sa nature... et eux, les grands docteurs, ils veulent la trigonométriser. »

     

    Je choisis de voir dans ce livre plein de poésie l'expression d'une révolte à la fois contre l'intolérance, la cruauté des hommes et contre notre condition humaine. Comment imaginer que l'auteur qui a passionnément aimé l'œuvre de Fernando Pessoa et s'est si violemment opposé à Berlusconi [ce livre est paru en France avant de l'être en Italie pour la raison que Tabucchi s'est opposé politiquement au pouvoir dans son pays !] puisse ne serait-ce qu'admettre le moindre obstacle à la liberté et à la vie ? On pourra peut-être objecter que c'est un combat perdu d'avance mais ce sont ces luttes qui font la grandeur de ceux qui les mène, surtout s'ils le font avec talent !

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Elles vivaient d'espoir – Claudie Hunzinger

     

    N°488– Décembre 2010.

    Elles vivaient d'espoir – Claudie Hunzinger- Grasset.

     

    Au départ, un cahier de toile vert-amande entre les mains de la narratrice qui va ainsi remonter le temps. Il contient des lettres recopiées, écrites jadis par Emma, sa mère. Elle en retrouvera d'autres qu'elle va « visiter comme les pièces d'une maison abandonnée ». Elle trouvera aussi des photos où des personnages figés sur papier glacé regardent l'objectif et l'hypothétique spectateur pour l'éternité, toute une histoire en pointillés de deux femmes qu'elle va faire revivre...

     

    Ces cahiers commencent à la Toussaint 1927. Emma, née en 1906, fille et petite-fille d'instituteur de la Côte d'Or sort de l'adolescence et veut entrer dans la vie par la grande porte qui ouvre sur l'émancipation, la liberté, le savoir... Thérèse, née en 1908, fille elle aussi d'instituteur fait la connaissance d'Emma à Nancy. Elles ne se ressemblent pas, Emma est littéraire, amoureuse de la vie et Thérèse est scientifique, plutôt réservée et souffreteuse, « l'une émettait la lumière, l'autre la contenait ». Elles préparent ensemble le concours de Normale Supérieure qu'Emma réussit mais pas Thérèse. L'une sera professeur de lettres modernes à Mende et l'autre surveillante à Felletin, ce qui lui permet de travailler le concours d'entrée. A partir de ce moment, elles ne cesseront de s'écrire, de se voir...avec, comme en toile de fond des hommes, Pierre de Villeneuve mais surtout Karl, étudiant communiste, juif allemand qui fuit son pays mais pourtant y retourne avec dans ses bagages un amour tout neuf pour Emma.

     

    Entre Emma et Thérèse naît un amour fou et définitif. Emma jouit pleinement de sa liberté, alternant une passion vertigineuse pour Marcelle et une aventure passionnée avec François, un homme marié et établi, qui est différent d'elle mais dont elle espère un enfant(« Oui, cet homme est moins cultivé que moi et la société me l'interdit... Ce que je cherche c'est ma propre force, ma force en face de lui, de la société »). Peu lui chaut l'opinion des autres et elle est prête à tous les compromis pour assouvir ses passions même les plus passagères ( « Je trouve plus honorable d'être au ban de la société qu'en ses trônes d'honneur ».) Elle semble ne pas pouvoir choisir mais n'oublie pourtant pas Thérèse avec qui elle veut vivre de toutes manières et quoi qu'il lui en coûte (« l'amour, lui, le nôtre n'est pas un événement, c'est un chant continu »). Emma qui puise dans la littérature ses propres des références comme si elles lui servaient de justificatif, recherche la jouissance de l'instant, le plaisir que ressent son corps (« Je ne suis coupable, Thérèse, que de trahisons momentanées »).Thérèse, elle, travaille pour le but qu'elle s'est fixée, échoue pourtant toujours. Mais déjà le nazisme monte en Allemagne et la guerre couve. Karl est de retour en France et lui fait prendre conscience de la nécessité de l'action politique ! Emma réfléchit, vient d'avoir trente ans et ne sait quoi penser «  Ce n'était pas non plus le mariage qui lui manquait. Mais elle ne savait pas quoi faire d'elle. Elle se disait que les prisons conjugales sont aussi redoutables que les prisons politiques. Mais que la solitude aussi est une prison ». Face à cette contradiction, celle qui aime passionnément une femme va se marier avec un homme, Marcel, rencontré par hasard. Il ne lui ressemble pas, il est alsacien, chef d'entreprise, veuf avec deux enfants mais, à ce moment de sa vie, quand la guerre menace, elle ressent, comme le dit Gide « l'impérieuse obligation d'être heureu(se). ».

     

    La guerre va donc la séparer de Thérèse qui, mutée en Bretagne en tant que professeur de Sciences va se jeter dans la lutte politique, embrasser le communisme et la Résistance. Elle ne la reverra plus !

     

    L'écriture qui épouse si bien le rythme intime des bouleversement humains reprend en 1940, à la naissance de la narratrice. Un autre cahier de toile, rouge comme l'enfer, débute, suivi d'un autre, et d'autres photos.... Emma devenue mère de famille nombreuse dans une Alsace redevenue allemande, écrit pour elle-même. Malgré son idéal et ses convictions, elle choisit, à la suite de son mari, l'idéologie nazie ! ( elle parle elle-même de « l'âme féminine toujours en mal d'un maître »). Celle qui aimait tant la vie et la liberté lui sera soumise, par amour, par dépit peut-être, comme si elle avait épuisé cette formidable envie de brûler sa vie. Il y aura des silences et des écrits personnels, comme pour exorciser cette brisure ! « J'écris pour donner abri aux fantômes » dira-t-elle.

     

    Thérèse qui refusait tous les pouvoirs, surtout celui d'un homme, sera arrêtée, torturée, massacrée, mais ne parlera pas. Elle ira rejoindre « le terrible cortège » des ombres qu'évoquera Malraux et un établissement scolaire portera plus tard son nom !

     

    De toutes les lettres qu'il lui ont été envoyée, Emma n'a conservé que celles des femmes. Celles des hommes qui furent éperdument amoureux d'elle ne trouvèrent pas leur place dans ses cahiers. Seule une signature masculine s'y rencontre, celle qui lui annonce la fin tragique de Thérèse.

     

    J'ai aimé ce livre qui tire son titre d'un vers de Paul Eluard. Le style est empreint de sensibilité, de sobriété et de tragédie. L'écriture est pleine d'émotion, comme seule en est capable une fille qui recherche sa mère dans ses passions, ses contradictions, ses renoncements.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     



     

     

     

     

     

     

  • Un cabinet d'amateur – Georges Perec

     

    N°487– Décembre 2010.

    Un cabinet d'amateur  – Georges Perec - Balland.

     

    Les familiers de Perec pourraient probablement émettre des doutes au seul énoncé du titre de ce roman, se demandant où l'auteur de « La vie mode d'emploi » voulait bien les emmener une fois encore. L'exergue puisée chez  Jules Verne donnait à penser qu'il allait s'agir de tableaux, mais attention, notre auteur à la fois érudit et génial provocateur n'aime rien tant que d'embarquer son lecteur dans un univers où lui seul possède la clé ! Il ne faut pas non plus perdre de vue sa parenté plus que naturelle avec Boris Vian qui, lui aussi excellait dans cet exercice. Il convient donc d'aborder ce livre avec circonspection, mais surtout en évitant de trop faire montre de préjugés puisque, bien qu'il s'agisse d'un roman, c'est à dire d'une fiction, il recèle des détails techniques, historiques et érudits qui font qu'il ne peut être autre chose que véridique !

     

    Si on en croit Perec, « Un cabinet d'amateur » est une toile du peintre américain d'origine allemande, Henrich Kürz. Elle fut exposée pour la première fois en 1913 à Pittsburg en Pensylvanie (USA), mais passa quasiment inaperçue à cause de la présence, ce jour-là, de critiques célèbres et de collectionneurs illustres parmi lesquels Hermann Raffke, riche amateur d'art. L'exposition fut néanmoins un franc succès pour les autres artistes. On s'intéressa à partir de ce moment-là d'un peu plus près au tableau de Kürz notamment à cause de la notice, par ailleurs anonyme, du catalogue. Grâce à une description grandement laudative, on apprit qu'elle représentait Raffke lui-même, entouré des tableaux de sa collection. Dès lors on se passionna pour ce peintre inconnu. Ainsi organisa-t-on, la semaine suivante, une présentation de l'œuvre dans une pièce qui reprenait la topographie exacte des lieux décrits dans le tableau de Kürz.

     

    En réalité, Perec, s'est inspiré d'une tradition picturale ancienne pratiquée notamment par le peintre flamand du XVII° Guillaume Van Haecht. Dans une série de mises en abymes, il emmène son lecteur où il veut, c'est à dire dans une sorte de maelström où la mise en scène le dispute au culte du plus petit détail et où le faux, qui est toujours possible en peinture, voisine avec les informations les plus crédibles, s'appuyant notamment sur des articles de la presse spécialisée de l'époque. Cela est rappelé par le papier d'un critique dont le thème était «  Toute œuvre est le miroir d'une autre », ce qui constitue un terrain de réflexion intéressant en matière d'art et l'occasion d'une mise en perspective passionnante ! Il mettait l'acte de peindre le « cabinet d'amateur » dans une sorte de jeu de miroirs comme une « dynamique réflexive » au terme de laquelle l'œuvre d'un artiste nourrit et inspire celle des autres.

    Comme toujours, j'ai bien aimé, même si, je dois l'avouer, je me suis laissé un peu emporter, en me demandant où Perec voulait bien en venir, avec l'énoncé de cette liste un peu longue et très technique qui ressemble, pendant de nombreuses pages, davantage à un catalogue de vente à l'usage d'un commissaire-priseur ou d'acheteurs potentiels ! L'effet labyrinthique, bien dans l'esprit de la philosophie pataphysicienne, est justement obtenu par la rédaction de l'index de la deuxième vente initiée après la mort de Raffke. Les précisions techniques apportées par l'auteur en font un documents crédible et, de page en page, Perec réussit à convaincre son lecteur qu'il a entre les mains la description d'une collection authentique et qui d'ailleurs fait référence en matière d'art. Un véritable effet de trompe-l'œil où le spectateur est à la fois mystifié et séduit par ce qu'il perçoit.

    Il faut attendre la dernière ligne du dernier paragraphe de cette « histoire d'un tableau » pour en avoir le fin-mot, c'est à dire le mot de la fin.

     

    La circonspection du début était donc parfaitement justifiée autant d'ailleurs que la référence à Vian puisque, à l'occasion de ce roman, il me souvient de l'exergue de « L'écume des jours » ainsi rédigée « Cette histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre. Sa réalisation matérielle proprement dite consiste essentiellement en une projection de la réalité, en atmosphère biaise et chauffée, sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion. On le voit, c'est un procédé avouable s'il en fut.»

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com



     

  • Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? Georges Perec

     

    N°486– Décembre 2010.

    Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?  – Georges Perec* - Denoël.

     

    Il est des livres qu'on apprécie pour l'histoire qu'ils racontent, parce qu'elle est émouvante ou simplement ordinaire, d'autres retiennent notre attention par leur côté déjanté.

    Ici l'idée consiste pour quelques copains, dont le narrateur, de tenter de faire réformer en l'estropiant un de leur camarade, « Un mec qui s'appelait Karamanlis ou quelque chose comme ça : Karawo? Karawasch ? Karacouvé ? Enfin bref Karatruc... [son nom variera d'ailleurs beaucoup au cours du récit et on ne manquera pas de remarquer qu'il en change beaucoup plus souvent que de chemise !] deuxième classe dans un régiment du Train à Vincennes depuis quatorze mois», qui ne veut pas aller en Algérie pour y faire la guerre.

    Ils bénéficient du concours actif et amical de « Henri Pollack soi-même, maréchal des Logis ... qui menait une double vie : tant que brillait le soleil, il vaquait à ses occupations margistiques... mais quand sonne la demi de dix huit heures... il regagnait son Montparnasse natal où c'est qu'il avait sa bien-aimée, sa piaule, ses potes et ses chers bouquins ». C'est que notre ami, subséquemment appelé du contingent, s'ennuie ferme au Fort Neuf de Vincennes, dans « ce Bon Dieu de Bon Dieu de Saloperie de Service Militaire ». Contrairement aux gradés de carrière, il est plutôt sympathique et bien vu, la preuve, les hommes du rang « l'ovationnait de divers cris d'oiseaux » au lieu de le saluer réglementairement. Il chevauche, pour se rendre à Montparnasse, un vélomoteur pétaradant dont le guidon est chromé.

     

    C'est en tout cas l'occasion, pour l'auteur pas vraiment militariste, de dénoncer les méthodes d'enrôlement que, évidemment, il réprouve. Il le fait avec le talent que nous lui connaissons et dans une manière qui n'aurait certainement pas déplu à Boris Vian [à qui un discret hommage est rendu sous la forme d'un nom de rue], un autre grand contestataire de la chose militaire, un autre auteur talentueux dont les œuvres qui ne vieillissent décidément pas méritent, elles aussi, de figurer dans les anthologies de la littérature française.

     

    Le titre de ce « récit épique et en prose agrémenté d'ornements versifiés » s'interroge sur ce que fait un petit vélo au fond d'une cour. Le livre refermé, le lecteur demeure dubitatif... La parenté avec Vian est plus qu' évidente, lui qui nous a gratifié d'un roman intitulé « L'automne à Pékin » dont la caractéristique est de ne se dérouler ni en automne ni à Pékin !

     

    Un livre est toujours pour Perec un exercice de style avec des contraintes qui nourrissent sa créativité. En en bon littéraire et en virtuose de l'écriture, il égrène les figures de rhétorique comme l'apophtegme, l'anaphore, l'hypotypose... et pour que son lecteur n'en ignore rien et les savoure comme il convient, il les liste lui-même à la fin de cet ouvrage avec les référence aux pages pour une illustration plus complète ! C'est aussi une autre manière de faire de la pédagogie mais si vous préférez la cuisine, vous pourrez toujours vous essayer à la recette du riz aux olives.

     

    J'ai aimé lire et relire, pour le plaisir et surtout à haute voix, les pages de ce petit livre, à cause aussi des digressions et des parenthèses qui enrichissent le texte... On sent qu'il écrit avec délectation, jubilation et délire. Cela donne une véritable musique agréable à l'oreille. L'humour qui est présent à chaque ligne m'a en tout cas bien fait rire. Cela a été pour moi un bon moment de lecture.

    Perec en profite pour violer un peu la langue, mais c'est plutôt bien puisqu'il lui fait, selon l'expression désormais consacrée, de beaux enfants ! Après tout c'est rassurant que « de temps à autres, un poète que n'effraie pas l'air raréfie des cimes, ose s'élever au-dessus du vulgaire pour, dans un souffle épique, exalter notre Aujourd'hui ». Quand ce poète se nomme Perec, le plaisir de lire et d'être ailleurs est toujours un enchantement pour le lecteur.

     

    * Georges PEREC (1936-1982) – Membre du mouvement Oulipo - Prix Renaudot 1965 pour « les Choses »– Prix Médecis 1978 pour « La vie mode d'emploi ».

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com



     

     

  • QUITTER LE MONDE – Douglas Kennedy

      

     

    N°485– Décembre 2010.

    QUITTER LE MONDE – Douglas Kennedy – Belfond.

     

    Tout commence par une scène de ménage ordinaire entre époux qui ne s'aiment plus et qui choisissent le jour du treizième anniversaire de leur fille unique, Jane Howard, pour se jeter à la figure les griefs qu'ils ont accumulés pendant de longues années de mariage. Pour que l'effet soit complet, l'adolescente déclare à ses parents « qu'elle ne se mariera jamais et qu'elle n'aura jamais d'enfant ». Le lendemain, le père alcoolique notoire, quitte la maison pour ne plus jamais y revenir en laissant une lettre d'explications qui fait allusion à la remarque péremptoire de l'adolescente. Dès lors s'installe entre la mère et la fille une atmosphère de culpabilisation où s'insinue la traditionnelle question que chacun se pose sur son propre destin. En est-on maître ou s'impose-t-il à nous ?

     

    Plus tard, sa mère qui a choisi elle-aussi l'alcool pour mourir à petit feu, accepte la mort comme une délivrance tout en rappelant à sa fille devenue une femme ses paroles d'adolescente. Pourtant, Jane a une vie normale, bousculée seulement par des aventures mal vécues et une relation adultérine interrompue par la mort de l'amant. Après un séjour rapide dans un fonds de pension ou elle connaît la vie trépidante d'un trader, elle prend un poste dans une université de Nouvelle Angleterre, devint mère d'une petite fille et s'aperçoit que son compagnon, dont elle se sépare, la trompe et l'escroque. Elle apprend que son père qui ne s'était guère occupé d'elle a été non seulement un aigrefin mais aussi un collaborateur du régime chilien de Pinochet et prend conscience, à la mort de sa mère que celle-ci ne l'a jamais aimée. Seule sa fille est une source de joie pour elle alors qu'elle se rend compte que tout autour d'elle l'abandonne. C'est pourtant cette même Jane qui avait juré ne pas vouloir d'enfant !

     

    On ne dit pas assez que la mort fait partie de la vie et quand elle frappe ceux qui nous sont chers et plus spécialement nos enfants cela devient insupportable. Comme si sa vie n'avait pas été un assez long chemin de croix, comme si le destin devait s'acharner sur ceux qu'il a choisis, Jane croise encore une fois le malheur et sa fille périt dans un accident. Face à cela, la vie de Jane s'arrête, il ne peut d'ailleurs en être autrement et le tentation est grande de « quitter ce monde » où elle n'a décidément plus rien à faire. Après une telle épreuve, rien ne peut plus être comme avant. Cela commence par la volonté de se marginaliser elle-même simplement parce qu'à partir de ce moment-là, elle n'est plus comme les autres gens. Ils ne peuvent rien pour elle et souvent l'évitent, pour leur confort personnel. Il n'est facile ni de comprendre et à plus forte raison d'aider ces malheureux parents en deuil qui n'admettrons jamais l'absence définitive de leur enfant. Pour eux l'enfer est bien dans ce monde et non dans une hypothétique vie post-mortem. La culpabilisation d'être encore vivant face à ce malheur est une réalité et le contexte judéo-chrétien qui baigne nos sociétés occidentales ne fait que rajouter à l'horreur. Quant au message de la religion, il ne pèse rien face à cette douleur !

     

    Jane se réfugie alors dans les médicaments et l'alcool mais aussi dans la parole toujours difficile à formuler, dans le travail, dans le dépaysement. Cela la protège du monde extérieur, met en évidence la tentation du suicide momentanément écartée parce qu'impossible, cette incompréhensible ressource de l'être humain face à la vie qui pourtant ne pèse plus rien. «  Il faut continuer, je ne peux continuer, je vais continuer » dit Samuel Beckett, illustrant toute l'ambiguïté et la complexité de cette situation.

     

    Elle suit alors un parcours un peu cahoteux qui la mène au Canada où elle croise à nouveau la mort et l'injustice, mais dans le cadre d'une intrigue policière où elle joue un rôle primordial mais qu'elle souhaite anonyme (ce détail prend une importance capitale), de découverte du coupable. Bizarrement, cela commence par par une intuition féminine qui va à l'encontre des certitudes des enquêteurs et de la vindicte publique mais agit comme un véritable miroir de sa propre souffrance. Elle se jette seule, avec une énergie longtemps refoulée par son deuil, dans des investigations qui vont mettre à mal sa réputation et vont menacer sa vie. Finalement son action solitaire et un peu désespérée fera éclater la vérité et bousculer pas mal d'idées reçues sur la religion et ses ministres ! C'est en réalité un combat pour la vie qui reprend le dessus et avec lui une acceptation des malheurs qu'elle n'as pas souhaités et qui ont peuplé son parcours,. Elle doit y faire face et les assumer parce que cela est sa destinée et qu'elle ne peut rien faire contre elle. Elle restera pourtant définitivement différente des autres, imperméable au bonheur humain !

     

    Malgré des longueurs, Douglas Kennedy se révèle être un excellent illustrateur de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus intimement sordide. Il parle avec justesse des rapports qui existent entre les gens, à l'intérieur même d'une famille, la confiance qu'on peut faire aux autres et les mensonges, les trahisons qu'ils peuvent nous faire subir, de l'hypocrisie qui règne en ce monde, des épreuves et des deuils qui pourrissent la vie de certains d'entre eux, choisis arbitrairement par le destin ou le hasard.

    Il est aussi un bon critique des idées reçues qui sont souvent opportunément entretenues, même si les valeurs de charité et d'amitié, de solidarité si volontiers proclamées, en sortent quelque peu écornées.

     

    Kennedy poursuit dans ce roman sa quête du bonheur impossible. Finalement Jane semble choisir de demeurer dans ce monde qu'elle souhaitait quitter mais en restera en marge parce que c'est sa façon de s'en protéger.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA DISPARITION – Georges Perec

     

    N°484– Décembre 2010.

    LA DISPARITION – Georges Perec – Denoël.

     

    Le thème principal de ce roman est la disparition d'Anton Voyl. Ses amis se lancent à sa recherche sans qu'ils sachent vraiment s'il s'agit d'une véritable disparition, d'un rapt ou d'un suicide. Cette quête est d'autant plus difficile qu'il laisse un journal avec un postscriptum particulièrement sibyllin que la police a du mal à interpréter et qui laisse à penser qu'il avait perdu la raison «  Portons dix bons whiskys à l'avocat goujat qui fumait au zoo ».

    Pourtant, l'avocat dont il est question, Hassan Ibn Abbou disparait à son tour et ses amis réunis à Azincourt afin de faire toute la lumière sur cette seconde absence vont exhumer des souvenirs anciens...

    En toile de fond la mort reste tapie avec en toile de fond la damnation éternelle !

     

    Ce sera l'occasion pour l'auteur, non seulement de dérouler une trame policière qui va ravir son lecteur d'autant que cela s'accompagne d'une débauche de vocabulaire, de phrases aussi mystérieuses que triturées pour faire entre eux sonner et parfois chanter les mots empruntés à l'argot ou au plus précieux jargon. Cette histoire un peu déjantée, fantastique, digne des fables les plus hystériques où se mêlent la littérature, les mathématiques et quelques langues étrangères, mérite d'être dite à haute voix à cause des allitérations, de la musique résultant de l'association parfois approximative mais assurément gourmande des termes. Instinctivement le lecteur goûte le calembour, le jeu sur les mots et recherche, souvent vainement, la contrepèterie.

     

    Il est convenu de dire maintenant, même si cela ne fut pas évident à la sortie du livre, qu'il s'agit d'un roman lipogramme(le plus long jamais écrit), c'est à dire qu'il ne comporte pas une fois la lettre « e ». D'ailleurs, pour parvenir à ce qui est quand même une performance, Perec triture les mots aussi bien que la syntaxe. De cela il résulte un étrange phénomène mais pour autant agréable à l'oreille. Et puis, cela va bien dans le sens de l'Oulipo ( acronyme de « l'ouvroir littéraire potentiel » qui peut parfaitement être rattaché au « Collège de 'Pataphysique » dont il est une sous-commission). C'est un groupe international de mathématiciens et de littéraires qui, selon la formule de Raymond Queneau sont « des rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ». Ils considèrent que les contraintes formelles sont un puissant stimulant de l'imagination. Dans le cas de Perec, c'est particulièrement réussi et le texte qui en résulte, tout à la fois absurde et abracadabrantesque n'aurait sans doute pas été désavoué par Boris Vian ! De plus il convoque des auteurs référents en n'oubliant pas de leur faire quelques violences littéraires bien dans l'esprit de l'Oulipo.

     

    Mais quel est le véritable sens de cette absence de « e »? La considérer comme un exercice gratuit peut paraître un peu court. Alors, thème peut-être biographique de l'absence, pourquoi pas ? Cela donnerait au texte une autre dimension loin de l'aspect jubilatoire du récit, peut-être pas tant que cela d'ailleurs ! Est-ce une invitation à réfléchir sur le poème de Rimbaud « Voyelles », rebaptisé « Vocalisations », trituré et amputé de tous ces « e » ? Est-ce aussi, et ce malgré le côté décalé du récit, l'invitation à réfléchir sur un des aspects de la condition humaine ? Pourquoi pas ?

     

    Il reste que j'ai lu ce roman devenu un classique avec gourmandise.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • LES POUPÉES RUSSES – Un film de Cédric Klapisch

     

    N°483– Décembre 2010.

    LES POUPÉES RUSSES – Un film de Cédric Klapisch (2005)

     

    Nous retrouvons Xavier (Romain Duris), 30 ans que nous avions laissé lors d'un précédent film (« L'auberge espagnole » sorti en 2002), alors qu'il partait en courant de Bercy et abandonnait ainsi une carrière sûre de fonctionnaire. Au moins en avait-il le courage dans un monde du travail fluctuant et incertain ! Grâce à un appui important et au succès à un concours, il avait décroché cet emploi qui devait lui assurer un avenir sans nuage mais le premier contact avec ses futurs collègues avait dû être décisif et c'est sans doute que qui avait motivé sa course rapide mais déterminée vers un ailleurs différent. C'est vrai que cela était fondamentalement différent de l'année universitaire qu'il venait de passer à Barcelone, la fin d'un DEA d'économie, dans le cadre du programme « Erasmus ». Là-bas, il avait connu cette ville merveilleuse et pleine de surprises, avait rencontré des étudiants étrangers avec qui il avait cohabité, un appartement co-loué par des étudiants européens de toutes les nationalités, parlant des langues différentes, avait appris l'espagnol autant que la tolérance, avait mené une vie de liberté, avait rompu avec sa copine française Martine, (Audrey Tautou), avait eu une liaison brève mais torride avec l'épouse d'un médecin français qui l'avait un temps hébergé...

     

    Pour autant l'économie ne l'avait pas passionné et cet épisode de sa vie lui avait permis de se confirmer à lui-même sa véritable vocation : celle d'être écrivain. Il en était résulté un roman « L'auberge espagnole » qui méritait bien son nom et qui retraçait son expérience barcelonaise insouciante, libre, sans entrave... Et il avait jugé que cette situation était incompatible avec un emploi de fonctionnaire. Cette révélation soudaine avait sans doute motivé sa course effrénée loin de cet immeuble du bord de Seine, ce symbole de la Fonction Publique...

     

    Être écrivain était un rêve d'enfance qui méritait bien, à ses yeux, qu'il s'y consacrât pleinement, sauf que, maintenant qu'il n'avait pas d'emploi stable ni de revenus réguliers, il avait un peu peur, était même un peu perdu surtout face à sa banquière qui elle ne comprend que les chiffres et la réalité concrète... Alors que lui se contente de ne lui servir que des mots et des perspectives aléatoires.

     

    Par voie de conséquences sans doute, un peu comme il l'avait fait à Barcelone l'année précédente, il a un peu de mal à se fixer durablement avec une fille, à mener une aventure amoureuse sérieuse. Il faut dire que sa condition d'écrivain, son roman dont personne ne veut, ne l'incitent pas à considérer qu'il a fait le bon choix en fuyant l'administration. Il en vient même à fuir le travail, l'amour et l'écriture. Pourtant, après avoir envisagé d'être « nègre », il finit par décrocher quelque chose à la télévision, une espèce de scénario à l'eau de rose... mais la mondialisation ou plus surement les économies budgétaires le rattrapent. Ses rêves d'enfance, ses illusions en ont quand même pris un coup.

    A la suite d'un concours de circonstances, il se retrouve à Londres puis de temps à autres à Paris pour participer à la rédaction des mémoires d'une jeune actrice superficielle mais célèbre, à peine sortie de l'adolescence mais dont il tombe amoureux. En Angleterre, il retrouve Wendy (Kelly Reilly) qu'il avait connue à Barcelone. Ils doivent collaborer professionnellement et bien entendu ils s'aiment, se quittent pour se retrouver enfin à St Petersbourg pour le mariage de son frère William qui est, lui, tombé amoureux à Paris d'une danseuse-étoile russe.

     

    Alors, amours impossibles, éternelles hésitations face à la beauté des femmes, volonté de rester célibataires pour mieux profiter d'elles et de la liberté, peur de s'engager dans la vie d'adultes pour des jeunes gens un peu immatures, états d'âme de post-adolescents qui n'ont pas encore perdu toutes leurs illusions... Il faudra bien pourtant qu'il se décide puisque les autres l'ont fait (Isabelle – Cécile de France - a décroché un job sur une chaine de télévision financière). Après tout, il est encore temps mais il sera vite trop tard s'il laisse s'éloigner Wendy...

     

    Dans ces deux films, Cédrik Klapisch retrouve son acteur fétiche, Romain Duris et on songe évidemment à la collaboration fructueuse de François Truffaut et Jean-Pierre Leaud.

    J'ai, en tout cas, bien aimé l'humour et l'ambiance de ces deux films.

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Michel HOUELLEBECQ

     

    N°482– Décembre 2010.

    LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Michel HOUELLEBECQ - Flammarion.

    (Prix Goncourt 2010)

     

    Tout commence un 15 décembre par la panne d'un chauffe-eau chez Jed Martin, peintre et ex-photographe. Son père, Jean-Luc Martin, ancien architecte et P.DG d'une entreprise de construction, veuf, vit actuellement dans une maison de retraite. Le père et le fils qui ne sont pas vus depuis longtemps prennent ensemble un repas de Noël. Entre eux, il n'y a jamais eu que des relations distantes. Auparavant, à l'occasion des obsèques de sa grand-mère, dans la Creuse, Jed se prend de passion pour les cartes routières Michelin qu'il photographie. De plus, il rencontre une très belle femme d'origine russe, Olga, qui justement travaille dans cette entreprise. Naturellement, ils deviennent amants et elle le lance. Avec lui, la carte, Michelin, objet éminemment utilitaire, va entrer dans le monde de l'art avec une exposition de ses œuvres intitulée « La carte est plus intéressante que le territoire ». Le lecteur cherchera peut-être vainement la signification du titre de ce roman dans cette phrase. Il se souviendra opportunément que, sans faire de parallèle abusif, le génial Boris Vian a écrit une merveilleuse histoire qui, bien qu'elle s'intitule « L'automne à Pékin » ne se passe ni en automne ni à Pékin.

     

    Jed s'intéresse ensuite aux « métiers simples », c'est à dire en voie de disparition avant de revenir à la peinture. Cela lui permet d'envisager une exposition dont il confie la rédaction du catalogue à Michel Houllebecq, soi-même ! Pourquoi ne pas admettre cette manière de mise en abyme originale ? Et ce d'autant qu'il lui propose de faire son portait ! Son exposition porte d'ailleurs sur des célébrités et cela fait de lui un véritable « artiste » international...mais surtout lui assure la richesse. Ce qu'il veut pourtant c'est être le témoin privilégié par sa peinture « des différents rouages qui concourent au fonctionnement d'une société ». Cette exposition est un véritable succès et après tout ce temps passé sans Olga, il la retrouve...

     

    La fin de l'année est pour lui l'occasion du repas de Noël avec son père, de réfléchir sur le succès qui est fragile et éphémère et sur la mort, sur la déchéance physique qui sont inéluctables, sur la relation au père aussi. Tout cela se termine en Suisse dans une clinique spécialisée dans la mort assistée.

     

    La troisième partie du livre s'ouvre, quelques années plus tard, sur la mort de l'écrivain, un meurtre particulièrement atroce et apparemment rituel. Houellebecq a été assassiné chez lui, son corps, en même temps que celui de son chien, décapité au laser, découpé en lanières reparties dans la pièce. Jed, que la police finira par retrouver à cause du portrait qu'il avait peint de l'écrivain, donnera un avis sur le meurtre et sur sa mise en scène, en faisant référence à l'œuvre picturale de Jackson Pollock ! Le lecteur appréciera l'épilogue de cette partie policière du roman. Je ne suis pas très sûr cependant qu'elle soit à la hauteur des attentes suscitées, même si elle est rattachée, peut-être un peu artificiellement, au fameux portrait que réalisa Jed de Houllebecq !

     

    C'est l'occasion pour l'auteur de nous donner une photo du quotidien, à la fois dans le domaine de la télévision, de l'internet mais aussi de l'univers des people ou de la jet-set, en fait tout un monde superficiel, glamour et parisien. Il y glisse des images poétiques et, pèle-mêle, des aphorismes bien sentis autant que des remarques pertinentes, et même impertinentes sur les femmes, les artistes, les universitaires, les architectes, le droit pénal, la fortune, les banquiers, le vin, le monde rural, celui de l'art et de l'argent, la fatuité des puissants qui réclament leur portrait seulement pour passer à la postérité...

     

    Sans qu'on comprenne bien pourquoi, un exil dans le Loiret, puis dans la Creuse le fait philosopher sur sa vie qui se termine. Il mène une réflexion sur l'art en général, sur l'utopie, sur le monde (« le monde est médiocre » dit finalement Jed »), sur la solitude et peut-être la vanité du succès, la fuite du temps, la mort, le suicide. La projection qu'il imagine, la France comme une sorte de paradis qui a survécu aux crises, me laisse un peu dubitatif.

     

    Le texte se lit facilement, le style est précis avec un grand culte du détail, parfois technique, même s'il a été décrié et dénoncé comme un éventuel plagiat. Son humour à base d'apophtegmes m'a bien plu. J'ai même bien ri quand il se met lui-même en scène comme un marginal solitaire, maniacodépressif, alcoolique, misanthrope, agressif à l'occasion et détaché de toute contingence, c'est à dire comme quelqu'un de pas vraiment fréquentable. Le fait de n'être pas très tendre avec lui-même, au moment où il convient de s'auto-encenser, correspond à ma manière de voir les choses. Se moquer de soi me parait être une valeur ajoutée intéressante ! On peut même penser qu'il existe une grande connotation entre Jed et Houllebecq, à la mesure sans doute de leurs relations, à la fois distantes et quasi-chaleureuses. Que l'un soit le double de l'autre me parait une évidence.

    L'idée de cette fiction n'est pas mauvaise encore que son intérêt labyrinthique m'a un peu échappé.

     

    Les deux précédents romans m'avaient laissé une impression plutôt mitigée et pour tout dire pas très bonne (La feuille Volante n° 354 et 358). Ce n'est pas parce que ce roman a obtenu le Prix Goncourt (Mon hypothétique lecteur peut constater en lisant cette chronique que je n'ai pas toujours partagé les choix des jurys en général et de celui-ci en particulier), là j'ai pris un certain plaisir à lire, sans trop savoir si cela était dû au style, à la mélancolie de la fin ...ou à ma curiosité !

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'HOMME QUI VOULAIT VIVRE SA VIE – Douglas KENNEDY

     

    N°481– Décembre 2010.

    L'HOMME QUI VOULAIT VIVRE SA VIE Douglas KENNEDY- Éditions Belfond.

     

    Le moins que l'on puisse dire est que Ben Bradford, la trentaine, a réussi, à tout le moins au sens social du terme. Pour faire plaisir à son père, il est devenu avocat d'affaires, travaille dans un prestigieux cabinet de Wall Street. Marié à Beth, une jolie femme, quoiqu'un peu superficielle, deux enfants, il vit fort confortablement dans une banlieue riche de New-York. Cela devrait suffire à sa vie puisqu'il a tout pour être heureux, comme on dit, mais en apparence seulement ! Il se trouve qu'il n'aime pas le rythme routinier de son existence. D'ailleurs Beth elle-même n'y met pas beaucoup du sien et les hurlements de Josh, leur petit-dernier, n'arrangent rien. Quant aux exigences d'Adam, l'aîné, ce n'est guère mieux. Le thème de l'insatisfaction peut paraître banal chez un être à qui la vie semble avoir tout donné, pourtant, ce qu'il aurait voulu, c'est être photographe. C'est un rêve de jeunesse qu'il n'a jamais vraiment abandonné autant qu'un défi lancé par sa petite-amie d'alors, Kate Bryner, devenue correspondante de guerre à CNN. Cela se complique un peu quand il constate que tout s'y met pour lui pourrir la vie, les absences répétées et sans raison de son épouse... et sa froideur récente au lit qu'il ne peut raisonnablement pas mettre sur le seul compte de la dépression post-natale. Elle a bien changé ces derniers temps, est devenue distante, presque étrangère. Des disputes éclatent entre les deux époux à propos de rien de sorte qu'il parvient rapidement à détester sa propre maison... et ses habitants ! Et pourtant, il aime sa femme; l'usure du couple est aussi un sujet éculé jusqu'à la trame. Pour que le tableau soit complet, il découvre qu'elle le trompe avec un moins que rien, un minable, un inconnu qui ne lui arrive même pas à la cheville, un photographe-amateur un peu mythomane du nom de Garry Summers. La certitude de s'être trompé avant de l'avoir été prend possession de lui.

     

    La trahison, le mensonge, l'adultère débouchent nécessairement sur un divorce annoncé, la perte de tout ce qui faisait sa vie. Non seulement Beth se révèle sous son vrai jour mais surtout, pour Ben, cela va correspondre à la séparation d'avec ses enfants qu'il ne peut se résoudre à admettre. Face à cela, le désespoir se dessine et avec lui le suicide comme une solution...

    C'est pourtant mal connaître notre avocat, qui est avant tout un être intelligent et organisé et qui, pour avoir été ainsi bafoué et humilié, choisit de se débarrasser définitivement de l'amant de sa femme. Il met au point un scénario qui ressemble au manuel du parfait petit assassin ou, si l'on préfère, au mythique « crime parfait » !

     

    Il convient donc de mettre à profit cette opportunité pour « vivre enfin sa vie », organiser sa propre disparition pour mieux réapparaître ailleurs, sous une autre identité, pour une autre existence plus conforme à ses désirs, avec un niveau de vie plus modeste, bref devenir Garry Summers ! C'est le début d'une course anonyme, d'autant plus effrénée qu'elle ne mène nulle part si ce n'est vers ce qu'il a toujours rêvé : devenir photographe. Le hasard sert ses projets un peu malgré lui, dans le Montana où il rencontre la notoriété et l'amour, avec en toile de fond le mensonge, la supercherie, puisqu'il est désormais célèbre, mais sous un faux nom !

     

    Je ne dévoilerai pas l'épilogue, mais ce roman, tissé de mort, de vie et de renaissance, de rebondissements inattendus, de notoriété, de succès et d'oubli, m'a conquis par le réalisme de ses descriptions (notamment l'incendie) autant que par la pertinence de ses remarques sur le système, sur la réussite, sur la condition humaine autant que la précision de son scénario et un grand souci du détail.

     

    J'observe que les personnages de Kennedy, même les plus secondaires, ont plus ou moins subi l'échec du mariage ou côtoyé la mort. C'est certes un roman policer plein de suspense, mais que le lecteur passionné finit par oublier au profit d'une authentique et émouvante histoire d'amour, la victoire de la vie.

     

    Alors, problème de recherche de sa propre identité, interrogations sur le sens de la vie, sur la fuite en avant, sur le refus de voir les choses ? C'est aussi une réflexion sur la renommée éphémère et son cortège inévitable d'argent, de reconnaissance et d'oubli, sur la peur de la réussite et l'angoisse de la perte, sur la fragilité des choses humaines ou l'invitation à se méfier de l'inconstance des femmes que la présence d'un conjoint et d'enfants ne dissuade pas de l'adultère ? Pourquoi pas ? « Ça te conduit à penser que tout est fragile, que tout n'a qu'un temps. Tu finis par douter du bonheur, douter que ça puisse exister. Et chaque fois qu'il t'arrive quelque chose de bien dans ta vie, tu sais que ça ne restera pas, qu'on va te le reprendre à un moment ou à un autre... »

     

    J'ai bien aimé le style délié, parfois jubilatoire, l'humour et le rythme de ce roman. Au début, l'auteur réussit à faire sourire le lecteur avec une situation matrimoniale certes classique, mais qui n'amuse que lorsqu'elle arrive aux autres, sur une scène de théâtre de boulevard ou au cinéma. En prime nous avons aussi un résumé de « l'American way of Life » qui, malgré son côté futile et sa consommation effrénée de whisky et de médicaments, deviendrait presque sympathique. Je ne parle pas des procédures de licenciements brutales et inhumaines dont l'Europe s'est malheureusement inspirée. Puis vient l'invitation à réfléchir...

     

    Tout cela donne un roman passionnant, agréable à lire où l'auteur tient en haleine son lecteur jusqu'à la fin.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • MARIA DEL PILAR – Catherine LABORDE

     

    N°480– Décembre 2010.

    MARIA DEL PILAR Catherine LABORDE – Éditions Anne Carrière.

     

    Qu'est ce qui m'a fait ouvrir ce livre ? La notoriété télévisuelle de son auteur ? Sûrement pas ! La beauté de la femme qui apparaît sur la couverture ? Peut-être car un livre commence aussi par là ! C'est plus assurément son nom espagnol et la mention qui apparaît en filigrane sur la photo d'identité : « combattant ». Sa coiffure évoque les années 40 quand, en France, il y avait la guerre. On a un peu trop vite oublié le rôle qu'ont joué les Espagnols, qui étaient le plus souvent républicains, dans ce conflit. Ils ont choisi d'aider notre pays qui les avait pourtant bien mal accueillis, ils ont choisi, le plus souvent dans l'ombre, de combattre ainsi contre le fascisme, comme ils l'avaient fait, chez eux, pendant le conflit sanglant de la « guerre civile ». Nous leur devons beaucoup et c'est sûrement cela qui m'a fait ouvrir ce livre !

     

    Ce n'est pas un roman, où si peu [Ce livre ne comporte sur la couverture aucune mention de ce genre, mais une telle démarche laisse toujours une place à l'imaginaire]. La présentation sous forme de journal semble, dans sa première partie, indiquer un document brut retrouvé longtemps après et qui narre dans un style anecdotique une histoire simple, peut-être un peu enjolivée, mais peu importe. C'est une histoire d'amour comme il y en a tant, sans doute, mais celle-là se passe en temps de guerre. Maria est couturière à Tarbes, membre d'un réseau de Résistance. Irène est son nom de guerre et elle est Espagnole. Elle est amoureuse de Charles, lorrain et également chef de ce réseau. Elle est à ses côtés pendant la durée de la guerre, ils s'aiment mais, peu avant la Libération, il disparaît, probablement arrêté. De Tarbes à Paris elle le recherche, pendant un an, glanant d'improbables nouvelles, lui écrivant des lettres que, faute d'adresse, elle garde et range dans une valise en attendant son retour. Il aurait été fait prisonnier par les Allemands, serait dans un camp... Elle l'attend, avec pour soutien des nouvelles rares, hypothétiques et parcimonieuses, avec aussi le risque de ne pas le reconnaître à son retour. Elle n'a de lui que de rares photos, les épreuves meurtrissent les visages et les corps. Il se peut aussi qu'il l'ait oubliée, qu'il soit vivant, mais ailleurs, avec une autre...

     

    A la Libération, ceux qui étaient partis rentrent, mais immanquablement il y a des absents, et Charles est de ceux-là. Il est à Buchenwald, mais il est prisonnier de guerre, officier britannique, en principe protégé par la Convention de Genève. Il ne fait pas partie des déportés, gazés et passés au crématoire. Les premiers camps sont libérés mais Charles reste absent et les nouvelles sont contradictoires, tissant l'espoir et l'angoisse. Pour Maria la paix ne sera pas joyeuse ! Puis en ce printemps 1945, quand la nature renaît, elle apprend la mort de Charles, peu de temps avant. Le journal s'arrête là.

     

    En 1947 Maria épouse Robert, rescapé d'un oflag. Sans jamais oublier Charles, malgré les larmes et la blessure, elle fonde avec lui famille, sans rien lui cacher de sa vie d'avant. Et cet homme « tombe fou amoureux d'une femme qui pleure, plus fou d'amour sans doute que si elle n'avait pas pleuré ».

     

    Dans la deuxième partie du livre, Catherine Laborde, qui jusque là était restée un peu en retrait, choisit donc de parler de sa mère qui avait elle-même rédigé en 1972 un cahier où elle évoque cette jeunesse de guerre, endeuillée par la mort de l'homme dont elle était éperdument amoureuse. Pour elle, l'écriture est un exorcisme autant qu'un témoignage qui dormait depuis longtemps dans un repli de sa mémoire... Pour ne pas le perdre, pour ses enfants, pour elle aussi qui avait un peu tendance à se complaire dans un passé révolu, intense et peut-être trop lourd, elle rédige naïvement ses souvenirs, ses espoirs. Ce genre de tentative intimiste tombe rarement au bon moment d'autant que le silence et le non-dit prennent le pas sur la confidence. Alors on le remet à plus tard, puis la vie continue... et s'arrête!

     

    Parce qu'elle reçoit par hasard une lettre qui évoque cette période, l'auteur fait le chemin à l'envers, aidée de quelques photos, quelques témoignages... Entre crainte et vertige, elle va au devant de la famille de Charles, héros de la Résistance et dont une rue de Sarreguemines porte le nom. Elle découvre l'existence de sa parentèle, à la fois discrète et admirative pour cette histoire d'amour avec Maria que personne n'a oubliée, apprend la trahison et les circonstances de sa mort.

     

    C'est un livre plein de sensibilité, d'émotion communicative, un hommage aussi à cette femme, à son amour devenu impossible pour un homme à cause de la guerre, du danger et finalement de la mort. C'est un témoignage bouleversant sur les chemins de la vie, du destin, sur la grandeur des hommes, sur le hasard qui fait se rencontrer les gens et sur la volonté de faire prévaloir la vie, sur la force de l'écriture qui gomme l'oubli...

     

    Pour des raisons personnelles, j'ai lu ce livre avec passion et émotion. Je ne le regrette pas !

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA LUCIDITÉ – José Saramago

     

     

     

    N°479– Décembre 2010.

    LA LUCIDITÉ José Saramago *– Le Seuil

     

    « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil » disait René Char. Je ne gloserai pas sur cet aphorisme, d'autres le feront sans doute mieux que moi mais selon de dictionnaire, la lucidité évoque la raison saine et claire, la conscience, la clairvoyance...

     

    Selon son habitude, Saramago met en scène une capitale sans nom dans un pays également anonyme et concocte une fable apparemment surréaliste : lors d'une élection municipale, 83% des électeurs ont voté blanc. Il n'y a pas eu d'abstention, c'est à dire que ces mêmes citoyens ont fait leur devoir électoral, mais ce qu'ils ont signifié au pouvoir sort des réponses traditionnelles que les sondages sont censés prévoir. D'ordinaire l'électorat porte la droite au pouvoir face à une gauche inexistante, mais là, la réaction populaire est sans précédent. Il n'est pas imaginable que cela exprime un rejet de la politique en général, qu'elle soit proposée par le parti au pouvoir ou par l'opposition. C'est une forme d'expression qui n'est, de ce fait, pas admissible en démocratie.

    Les hommes politiques n'estiment jamais tant le peuple dont ils tiennent leur mandat qu'au moment des campagnes électorales. Elles révèlent leur imagination et excitent leurs facultés de surenchère, mais surtout, ils ne peuvent pas s'imaginer que leur fonction est menacée. La paranoïa ordinaire refait surface et avec elle la théorie bien connue du complot qui prend ici la forme d'une improbable conspiration subversive d'un petit groupe d'anarchistes contre la pensée unique. Le pouvoir politique, loin de s'interroger sur les raisons profondes de cette attitude, ne songe qu'à culpabiliser les électeurs, estimant que ces bulletins n'auraient pour but que d'attenter à la stabilité du régime. Le vote blanc rend le système ingérable, même s'il y a une tentative d'auto-gestion par le peuple. Tout cela aurait contaminé tout le pays et il est urgent d'y mettre un terme.

    Les « blanchards » assument pourtant leur option politique avec calme, le peuple s'organise au quotidien mais, à cause de leur posture jugée illégitime par les hommes politiques, ils sont des adversaires tout trouvés contre lesquels la violence va se déchaîner. Cela va donner une intrigue policière où il va falloir trouver des coupables... ou en inventer ! Dans les situations de crise, davantage peut-être que dans le quotidien ordinaire, la faculté humaine de délation trouve son terrain de prédilection. Ici, le sycophante ne peut pas ne pas se manifester et grâce à lui, le pouvoir trouve aisément le responsable de ce vote blanc. Il s'agit d'une femme qui aurait échappé quatre ans plus tôt à une épidémie temporaire de cécité et qui aurait commis un meurtre. Ce fait est regardé comme hautement suspect par les autorités même s'il n'y a évidemment aucun lieu entre les deux événements. Une enquête est quand même diligentée qui doit être menée à son terme. Elle mettra en évidence, non la vérité mais la nécessaire et judéo-chrétienne culpabilisation de l'individu et une conclusion déjà concoctée par les autorités . Dans une ville en état de siège un commissaire de police diligente cependant des investigations réglementaires où Courteline donne la main à Kafka, sans pour autant se faire beaucoup d'illusions sur le sens de sa mission. L'épilogue sera celui d'un véritable roman policier.

     

    Je n'oublie pas non plus que Saramago a été membre du parti communiste portugais, a milité dans les rangs des altermondialistes et n'a pas caché sa sympathie pour les Palestiniens contre Israël. Il a même été tenté par une carrière politique en se présentant aux élections européennes en 2009. Faut-il voir dans ce roman le prolongement de ses réflexions personnelles ou une critique ironique des démocraties occidentales. C'est un roman subversif comme les aime Saramago. L'auteur, sous couvert d'une fiction un peu surréaliste met en évidence les travers de l'espèce humaine qui est bien moins humaniste qu'on veut bien le dire. Il lui permet de pointer du doigt la fragilitéde la démocratie qui est toujours mise en avant et regardée comme une avancée face aux dictatures. Selon Churchill, elle est « la pire forme de gouvernement , sauf tous les autres qui ont été essayées ». Il est donc parfaitement possible de l'instrumentaliser. Est-ce la reconnaissance implicite d'un rejet populaire des partis politiques traditionnels ou la mise en évidence de l'absurde d'une situation, le peu de cas qui est fait du citoyen face à la raison d'état ?

     

    Saramago quitte ici son rôle purement littéraire pour revêtir l'habit du militant, pour donner aux citoyens du monde l'occasion d'inviter le pouvoir à redessiner autrement le paysage politique, de prendre en compte ce qui et un véritable « suffrage exprimé », loin des partis politiques traditionnels, même s'il ne correspond pas à ce qu'on s'attend à voir sortir des urnes. Conclut-il à un échec programmé de toutes les subversions, même les plus constructives ? Pense-t-il que l'appareil politique reste le plus fort face à l'individu ou que le « pré carré » des politiques doit resté ce qu'il est ?

     

    Je continue d'être enthousiasmé, malgré des pratiques rédactionnelles originales et des digressions parfois un peu longues et difficiles à suivre, par l'œuvre de Saramago dont cette revue s'est largement fait l'écho (La Feuille Volante n° 475 – 476 - 478)

     

    *José Saramago (1922-2010] – Prix Nobel de littérature 1998.

     

     

     

     

     

  • L'AUTRE COMME MOI – José Saramago–

     

    N°478– Décembre 2010.

    L'AUTRE COMME MOI José Saramago– Le Seuil

     

    Nous avons tous un sosie, dit-on. Tertuliano Maximo Alfonso, la quarantaine, divorcé solitaire, un peu dépressif, professeur d'histoire découvrira le sien par hasard en louant , sur le conseil d'un collègue de travail, une cassette dont le nom seul est tout un programme « Qui cherche trouve ». Le nom de cet homme lui est jusque là inconnu : Daniel Santa-Clara, un obscur acteur de cinéma dont la vraie identité est Antonio Claro. Il est son double parfait. Revenu de sa surprise il va chercher à en savoir davantage à son sujet. Il découvre que 5 ans auparavant, lui-même Tertuliano ressemblait trait pour trait à Antonio. Dès lors, il se met à explorer toute la filmographie où son double apparaît. Ses recherches laborieuses finissent cependant par aboutir et les deux hommes conviennent d'une rencontre. Découvrir son alter-ego exact est toujours un choc. Tertuliano n'y échappe pas. Alors, fantaisie de la nature, occasion de se poser des questions sur sa propre vie, son propre parcours, celle de l'autre... Notre professeur va bousculer les habitudes de sa vie bien rangée, bien morne, jusqu'à mettre à convaincre Maria da Paz, la femme avec qui il a une liaison en pointillés, de se livrer à des canulars téléphoniques et postales ou user de postiches pour tenter d'espionner celui qui reste pour lui à la fois un mystère et une invitation permanent à en savoir plus à son propos. Cette quête se révèle absurde et inutile et il découvre un personnage aussi falot que lui, acteur de seconde zone, sans grande envergure et sans grand talent, juste un coureur de cachets, vivant comme lui, mais un peu différemment.

     

    Comme toujours on omet quelque chose dans les rapports entre les humains, leurs passions, leurs folies aussi et tout n'est pas aussi simple [« L'âme humaine est une boîte d'où peut toujours sortir un clown grimaçant qui nous tire la langue, mais parfois ce même clown se borne à nous regarder par-dessus le bord de la boîte et s'il voit que nous agissons selon ce qui est juste et honnête, il nous adresse un signe d'approbation avec la tête et il disparaît se disant que nous ne sommes pas un cas entièrement désespéré »] . Est-ce parce que Antonio est un séducteur-né où que son métier d'acteur le pousse naturellement vers les passades? Ce dernier, quand il apprend cette gémellité, se croit obligé de séduire Maria, la compagne de Tetuliano. Celui-ci, partagé entre sa volonté d'éprouver son amie et de pousser au bout cette expérience, finit par accepter la proposition d'Antonio, et ce d'autant qu'il va, lui aussi et à cette occasion, partager une nuit avec Héléna, la femme légitime d'Antonio. Les deux protagonistes soignent le mimétisme jusque dans les moindres détails pour arriver à leurs fins. Pour Antonio, c'est le simple plaisir de séduire une femme, mais pour Tertuliano c'est plutôt l'occasion de sortir de son quotidien, de mettre un peu de sel dans sa vie intime, de remettre en question un amour qu'il met en doute, de pousser jusqu'à l'absurde un jeu un peu ridicule. Las, le hasard s'en mêle, la petite enclouure à laquelle on n'avait pas pensé vient tout remettre en question, la Camarde entre en scène comme une punition d'avoir ainsi voulu brouiller les cartes, comme pour signifier que cela ne peut durer ainsi bien longtemps ! Alors, sanction voulue par l'auteur pour punir les auteurs de ce qui aurait pu rester une bonne blague ou manifestation d'une forme de justice immanente pour qu'on ne fasse pas n'importe quoi ?

     

     

    Comme à chaque fois, j'ai apprécié l'effet labyrinthique, l'humour subtil et le suspense qui caractérisent le style de Samarago. La manipulation des phrases et des dialogues, la pratique de l'incise, l'emploi anachronique des majuscules, la syntaxe parfois chaotique qui constituent sa singularité sont quand même un peu déroutantes à la longue et ce qui peut passer pour une originalité littéraire finit par lasser. Je regrette, malgré l'intérêt du thème traité, les nombreuses longueurs et digressions dont l'auteur est friand d'autant que le lecteur doit attendre les dernières lignes pour découvrir l'épilogue. L'idée du double et son application littéraire au pseudonyme, les variations sur une personnalité autre que la sienne, la face cachée de soi-même, le principe de l'altérité et les questionnements et les fantasmes qu'elle entraîne inévitablement donnent lieu à des développements passionnants. La perte de la certitude de l'unicité que peut avoir chaque être est angoissant face à la prise de conscience que que la société moderne est constituée d'êtres de plus en plus semblables, de plis en plus standardisés. L'étude des passions et des travers humains est habillement menée et jusqu'à la dernière ligne le lecteur se demande encore qui est qui.

     

    J'avais déjà été intéressé par la découverte de cet auteur [« Tous les noms » et « Les intermittences de la mort » -La Feuille volante n° 475 et 476] . Malgré une première approche un peu difficile de ce roman, je n'ai pas été déçu.

     

     

     

  • Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants – Mathias Enard

     

    N°477– Novembre 2010.

    Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants Mathias Enard– Actes sud.*

     

    Nous sommes en 1506, Michel-Angelo Buonarroti (Michel-Ange) vient d'être éconduit par le pape Jules II, souverain pontife guerrier et avare avec qui il est engagé pour l'édification de son tombeau à Rome. Devant le refus d'une avance pour poursuivre ses travaux, le sculpteur fuit Rome, se réfugie à Florence où il reçoit une offre alléchante du sultan de Constantinople, Bajazet, de concevoir un pont sur la Corne d'Or et qui réunira les deux parties de cette ville. C'est un extraordinaire défi qu'il veut relever. L'occasion est trop belle, d'autant que Léonard de Vinci, son illustre aîné, a échoué dans ce projet et que Jules II ne se manifeste plus.

     

    Il débarque donc à Constantinople, s'enthousiasme rapidement pour la culture turque et la vie semi-oisive qu'il mène, mais, malgré un truchement, il ne parle pas la langue... Pourtant tout ici l'intéresse, il goûte le raffinement des plaisirs, les langueurs de l'Orient, les couleurs et les senteurs du bazar, l'harmonie de l'architecture, la beauté des corps et des visages dont il se souviendra plus tard et qu'on retrouvera dans son œuvre ...Mais il est avant tout sculpteur, pas architecte ni ingénieur et ce qu'il dessine volontiers ce sont les animaux et l'anatomie humaine, pas les ponts! Le seul spécimen dont il se souvient est celui qui enjambe d'Arno à Florence, et il ne le trouve pas beau !

    Il se désintéresse même quelque peu de son travail, gagné qu'il est par tout ce qu'il découvre dans cette ville. Et puis, malgré cette invitation tentante du sultan, il s'aperçoit qu'ici comme à Rome « il faut s'humilier devant les puissants » et faire ce qu'ils attendent. Alors il rêve, pense qu'ici comme ailleurs « les hommes sont des enfants... On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois, d'éléphants et d'êtres merveilleux... ». Tout est donc possible.

     

    Et puis, malgré cette ville fabuleuse, mystérieuse et cosmopolite où il vit incognito, il regrette Rome et sa patrie, son travail n'avance guère et surtout il est chez les infidèles et a le sentiment d'avoir trahi tout le monde à commencer par Dieu. Et il y a cette lettre qu'il reçoit et où il comprend qu'il est découvert, que la cabale qui s'est tissée contre lui va le broyer, que Jules II va se venger de sa désertion. Pour lui ce sera la ruine, l'excommunication, la mort...Il cauchemarde, se remémore le supplice de Savonarole à Florence...Pourtant le Grand Turc est en paix avec les cités d'Italie. Il n'a donc rien à craindre. Alors, lui qui n'est pourtant pas beau et qui n'a rien de la délicatesse des ottomans, s'adonne aux plaisirs qu'offrent cette ville et bien sûr y rencontre l'amour « cette promesse d'oubli et de satiété », mais aussi l'ambiguïté des relations entre les hommes faites de sensualité et de violence, d'infidélités, de querelles politiques inoubliées aussi, dans cette contrée au carrefour des civilisations.

     

    Est-ce ce son jeune âge, son séjour merveilleux ou ce pays, il se met au travail et parvient à un dessin qui enthousiasme le sultan mais Michel-Ange comprend que « Turcs ou romains les puissants nous avilissent », que la mort frappe pour exorciser cette jalousie que l'oubli et la fréquentation des plaisirs terrestres auront du mal à dissiper. Trahi par ce pays qu'il ne peut pas comprendre et où il sera toujours un étranger, abandonné comme un paquet encombrant, c'est sans le sou et en secret, qu'il repart vers l'Italie qui lui manque tant.

     

    Qu'est ce qui a poussé Michel-Ange dans cet intermède oriental ? L'appât du gain, l'envie de voir autre chose, la vanité d'être sollicité par un personnage puissant pour réaliser quelque chose qui était destiné à traverser les siècles, la volonté de se venger d'un pape mauvais payeur, la consécration de son génie précoce alors qu'il était boudé dans sa propre patrie ? L'auteur s'approprie des événements historiques et des moments de la vie du sculpteur florentin pour tisser cette histoire passionnante dont il nous fait seuls juges [« Pour le reste, on n'en sait rien » précise-t-il]. Il prête à son sujet un désir de revanche, une période de doute, d'exaltation, de découverte du merveilleux et de l'inconnu, d'expériences, de soif de reconnaissance, de foi dans les mirages, de recherche d'autre chose qui ressemble à l'enfance perdue, comme cela arrive à chacun d'entre nous... Dès le livre ouvert, il l'exprime en termes poétiques « La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brûle. On la porte au bûcher, à l'aube. Et avec elle ses gens, les buveurs, les poètes, les amants... Je ne sais quelle douleur ou quel plaisir l'a poussé vers nous, vers la poudre d'étoile, peut-être l'opium, peut-être le vin, peut-être l'amour; peut-être quelque obscure blessure de l'âme bien cachée dans un replis de la mémoire... Tu habites une autre prison, un monde de force et de courage où tu penses pouvoir être porté en triomphe; tu crois obtenir la bienveillance des puissants, tu cherches la gloire et la fortune. Pourtant quand la nuit arrive tu trembles. Tu ne bois pas, car tu as peur; tu sais que la brûlure de l'alcool te précipite dans la faiblesse, dans l'irrésistible besoin de retrouver des caresses, une tendresse disparue, le monde perdu de l'enfance, la satisfaction, le calme face à l'incertitude scintillante de l'obscurité... Alors tu souffres, perdu dans le crépuscule infini, un pied dans le jour et l'autre dans la nuit ».

     

    C'est un livre agréable à lire, tout en nuances, plein de moments poétiques intenses et bienvenus. Il évoque autant le personnage de Michel-Ange que cette cité mythique où le lecteur se promène avec ravissement. Il est le témoin privilégié de ce rendez-vous manqué entre l'homme de la Renaissance et l'Orient.

     

     

    *Prix Goncourt des lycéens 2010.

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES INTERMITTENCES DE LA MORT – José Saramago

     

    N°476– Novembre 2010.

    LES INTERMITTENCES DE LA MORT José Saramago *[1922-2010]– Le Seuil.

     

    Dès la première ligne le ton est donné « Le lendemain personne ne mourut ».

     

    C'est que dans ce pays imaginaire, la mort n'existe plus. Certes le temps n'est pas aboli, la jeunesse n'est pas éternelle et les gens vieillissent, les accidents se produisent et la maladie sévit toujours mais la mort n'intervient pas, transformant la vie en une gigantesque agonie. « Depuis le début de l'an neuf, plus précisément depuis zéro heure de ce mois de janvier pas un seul décès n'avait été enregistré dans l'ensemble du pays ».

    L'auteur s'attaque à sa manière au grand tabou de nos société occidentales : la mort. Elle est certes inévitable, fait partie de la condition humaine, mais nous vivons comme si elle n'existait pas et ce vieux rêve de l'homme, l'immortalité, prend ici corps dans une longue et douloureuse vieillesse. La société est complètement désorganisée, les vieux ne meurent plus comme avant, les hôpitaux sont surchargés, les pompes funèbres et les société d'assurances ruinées, l'État désemparé et au bord de la faillite, le société dans son ensemble complètement perturbée (ne parlons pas du financement des retraites !), l'Église dépossédée de son fonds de commerce. En effet, la mort ayant disparu, plus de résurrection, plus de morale, plus de menaces surréalistes avec la sanction de l'enfer ou de promesse du paradis. C'en est fini des fantasmes judéo-chrétiens... Quant à l'idée même de Dieu, il vaut mieux ne pas l'évoquer ! L'homme ne peut plus basculer dans le néant ni s'offrir à lui-même son propre trépas comme une délivrance. On ne peut même plus se servir des accidents pour faire peur aux imprudents... Reste la souffrance aussi implacable que la peur de mourir, comme une punition ! C'est un peu comme si le premier jour de cette nouvelle année introduisait une nouvelle façon de vivre puisque la vie devenait, à partir de ce moment, définitive. Il y a de quoi s'alarmer face à cette Camarde qui ne remplit plus son macabre office alors que les animaux eux, continuent de mourir et qu'à l'extérieur des frontières de ce fabuleux pays on continue normalement de payer son tribut à Thanatos ! Y aurait-il deux poids et deux mesures dans ce grand chambardement ?

    Alors face à cela, les philosophes se mirent à philosopher, les religieux à organiser des prières pour que les choses reviennent un ordre plus classique et les habitants des régions frontalières à transporter leurs mourants de l'autre côté de la frontière, là où le monde ressemblait encore à quelque chose. C'est là qu'entre en jeu la « maphia »(avec « ph » pour la différencier de l'autre) qui va organiser, avec l'aval du pouvoir, un peu mieux ces choses qui ne vont décidément plus. Pourtant, cela n'est pas sans poser quelques problèmes diplomatiques, militaires, enfin des difficultés humaines avec leur lot d'exagérations de volonté de tirer partie d'une situation nouvelle et lucrative...

    Heureusement, après une année de grève, la Grande faucheuse décide de reprendre du service ce qui bouleverse un peu les toutes nouvelles habitudes prises. Pire, elle éprouve le besoin d'avertir chacun de son décès par lettre personnelle de couleur violette (y a-t-i une symbolique dans cette couleur qui n'est pas le noir ?). Las l'une d'elle, adressée à un violoncelliste solitaire, revient, refusée par son destinataire, et ce trois fois de suite !

     

     

    Avec un certain humour, il croque cet homme dans son quotidien, fait allusion à cet échec surréaliste de la mort, évoque l'improbable dialogue de la Camarde avec sa faux à qui elle confie ses doutes, ses hésitation face à ce cas de résistance, déplore le retour par trois fois (y a-t-il là une symbolique ?) de ces missives macabres et annonciatrices qui peuvent parfaitement figurer l'ultime combat du malade face à sa fin ?

    Avec son habituel sens de la dérision, il évoque Dieu autant que « l'instant fatal » nécessairement solitaire, va jusqu'à parler directement avec la mort, la tutoyer comme si elle lui était devenue familière, la tourner en dérision avec gourmandise, lui faire abandonner son triste linceul pour lui prêter les traits d'une jolie femme élégamment vêtue [à l'inverse de Proust qui la voyait comme une grosse femme habillée de noir], la réintègre dans ce pays imaginaire allant à la rencontre du fameux violoncelliste qui refuse de mourir, filant à l'envi son interminable fable...

     

    Saramago s'en donne à cœur joie dans cette cour ou le Père Ubu mène la danse. Dans sont style goguenard habituel, parfois difficile à lire et déroutant dans la construction de ses phrases et son habitude de se jouer des majuscules, l'auteur pratique les digressions pour le moins fantaisistes et philosophiques. Quelle sera l'épilogue de cette fable? Quel rôle joue véritablement l'auteur ? L'écriture est-elle, comme souvent, un exorcisme ? Est-ce pour lui une façon de se moquer de la mort ou de s'y préparer ?[roman paru en 2005 - Disparition de l'auteur en 2010 après une longue maladie ]. L'auteur nourrit-il par ce roman le fantasme inhérent à la condition humaine qu'est l'immortalité ? Veut-il rappeler à son lecteur que, même mort, un écrivain continue d'exister à travers ses livres ? Autant d'interrogations...

     

    J'ai retrouvé avec plaisir cet auteur qui traite d'une manière originale mais aussi sérieuse les problèmes de l'humanité, promène son lecteur attentif et curieux de l'épilogue dans un univers décalé qui lui fait voir autrement les choses... même si ce n'est pas vrai, mais c'est l'apanage des romanciers que de redessiner le monde avec des mots !

     

     

    * Prix Nobel de littérature 1998.

     

  • TOUS LES NOMS – José Saramago

     

     

    N°475– Novembre 2010.

    TOUS LES NOMS José Saramago *– Le Seuil.

     

    Cela commence plutôt bien puisque l'auteur, non sans un certain humour, caractérise la division hiérarchique du travail «  Les préposé aux écritures doivent trimer sans répit du matin jusqu'au soir, tandis que les officiers d'administration travaillent de temps en temps, les sous-chefs de loin en loin seulement, et le conservateur presque jamais ... Imaginer le chef du Conservatoire en train de faire des heures supplémentaires équivalait à peu près à imaginer la quadrature du cercle ».

     

    Celui dont il va être question est M. José, fonctionnaire du plus bas grade, employé au Conservatoire général de l'État Civil dont le rôle est de répertorier les vivants et les morts. Or ce monsieur n'a rien d'extraordinaire : la cinquantaine, célibataire solitaire, sans enfant, et pour occuper le peu de temps que lui laisse sa tâche de subalterne, il va se mettre à collectionner des articles de presse sur les cent personnalités les plus importantes du pays. Un jour, par hasard, il tombe sur le dossier d'une femme de trente six ans, divorcée, professeur de mathématiques et, sans qu'il y ait à cela la moindre explication va s'intéresser à elle. Lui, le petit fonctionnaire modèle, ponctuel, zélé et servile, qui n'a jamais enfreint le moindre article du règlement interne, qui a toujours mené à bien sa tâche sans jamais faillir, va, pour la retrouver, bouleverser ses habitudes, prendre des risques inconsidérés, détricoter la vie de son sujet, se livrer au détournement de quelques imprimés administratifs, falsifier des autorisations et même enfreindre la loi pour atteindre le but surréaliste qu'il s'est fixé. Et cela sans la moindre raison ... Las, sa quête sera vaine puisque la femme inconnue est morte mais il aura, à cette occasion réussi à être un autre homme au moins pendant ces quelques semaines pendant lesquelles il a voulu s'abstraire de cette condition de petit scribouillard courtelinesque aussi transparent que sont abstraites les identités que son emploi l'amène à gérer. Deviendra-t-il amoureux de cette femme désormais définitivement absente ? Il ira même jusqu'à consigner tout cela par écrit dans une sorte de journal intime, peut-être pour garder la mémoire de ce qui a été l'unique action importante de sa pauvre vie.

     

    Dans un style délibérément ironique, jubilatoire, luxuriant, malgré des phrases un peu longues et une mise en page qui rend parfois la lecture un peu délicate, l'auteur fait partager à son lecteur les rebondissements qui vont bouleverser le quotidien de ce vieux garçon pendant quelques temps, montrant tout à la fois les absurdités de cette administration kafkaïenne qui ne permet pas à un subalterne de prendre la moindre initiative, si petite soit elle, sans en référer à son supérieur, où la moindre réclamation prend des proportions monstrueuses, où les discours des chefs sont de minables péroraisons, et met en évidence la personnalité de ce pauvre homme. Son travail est toute sa vie, et il l'accomplit avec dévouement et abnégation sans s'apercevoir qu'il l'abrutit complètement. Pourtant, lui le vulgaire gratte-papier qui n'existe presque pas, va bénéficier d'une sorte de complicité inattendue du conservateur ! Ce dernier, inaccessible et protégé par des pratiques hiérarchiques d'un autre âge, va s'intéresser à lui, ne le considérant plus comme un être « taillable et corvéable à merci », respectant soudain sa personnalité.

     

    Alors, roman à énigme baroque qui moque ce pauvre homme enfermé dans une administration déshumanisée et tentaculaire qui finirait peut-être par le broyer malgré cette tentative de donner un sens à sa vie, ou image en creux de chacun d'entre nous, coincé dans cette société du quotidien qui ignore l'homme et ne cherche qu'à l'avilir ? Elles ne sont pas si forcées que cela les évocations de ce monde du travail que la hiérarchie tronçonne et que les coutumes en usage dans dans ce bureau empreintent à la pratique de la délation et de suspicion entre collègues et de la flagornerie avec l'autorité. Est-ce que cette tentative de vouloir sortir de sa condition a donné à la hiérarchie l'occasion de s'intéresser à un agent qui a soudain voulu faire autre chose que son travail ? Que signifie ce coup de folie de ce petit employé couleur muraille qui choisi par hasard de mener des investigations aussi inutiles que l'est son travail au quotidien ? Qui est ce « monsieur José » (cette civilité lui donne quand même une certaine originalité dans ce récit) qui étrangement est le seul parmi les protagonistes pourtant importants de ce roman à porter réellement un nom (Je ne peux pas ne pas remarquer que l'auteur lui-même se prénomme ainsi, ce qui renvoie immanquablement au personnage de Joseph K du « Procès » de Franz Kafka, lui aussi poursuivi par l'absurde !) ? Que signifie ce berger facétieux qui, à la fin du roman s'amuse à mêler dans ce cimetière les pierres tombales ? L'auteur veut-il insister sur l'inutilité d'un travail improductif et impersonnel pourtant imposé par une hiérarchie aveugle et grisée par son pouvoir ? S'agit-il de dénoncer l'ambiance oppressante de ce bureau ? Que signifie cette attention du conservateur à son égard, paternalisme ou réelle complicité ?

     

    L'auteur s'attache son lecteur tout au long du roman. Nous convie-t-il, sous couvert d'une fable, à nous interroger sur le concept même de l'identité, sur la solitude de l'existence, la place de chacun dans cette société, l'importance de son travail, le néant de la mort, la vanités des choses humaines, le destin ou la volonté d'exister que chacun d'entre nous possède en lui? A quoi sert un écrivain ? Probablement à être le miroir du monde dans lequel il vit, à renvoyer à son lecteur une image bien réelle de son univers quotidien ... et ce n'est peut-être pas là la moindre de ses qualités.

     

    A chacun d'apporter sa réponse.

     

     

    * Prix Nobel de littérature 1998.

     

  • LE JEU DE L'ANGE – Carlos Ruiz Zafón

     

    N°474– Novembre 2010

    LE JEU DE L'ANGE – Carlos Ruiz Zafón – Éditions Robert Laffont.

    [Traduit de l'espagnol par François Maspero]

    Dès l'abord, l'auteur entre dans dans la problématique d'où va découler tout ce roman « Un écrivain n'oublie jamais le moment où, pour la première fois, il a accepté un peu d'argent ou quelques éloges en échange d'une histoire ». On pourrait penser qu'il allait y être question d'écriture mais aussi de la difficulté d'un auteur, de ses relations jubilatoires mais parfois difficiles avec l'écriture elle-même et aussi avec les éditeurs ! C'était déjà une perspective intéressante.

    Dans ce texte l'auteur reste fidèle aux années 20 et à Barcelone qui, encore une fois est le décor où va se dérouler cette action au cours de laquelle David Martín, fils d'un vétéran de la guerre qui n'aimait pas les livres, travaille dès son plus jeune âge dans un journal,« La voix de l'industrie », mais comme simple manutentionnaire. A la suite d'une défection, il est amené, grâce à Pedro Vidal, un riche citoyen, chroniqueur d'occasion dans ce journal et auteur besogneux sans grand talent, à écrire une série de textes qui révèlent ses dons d'écrivain. Tout semble aller bien pour lui puisque, pour la première fois de sa vie il est payé pour écrire, et que le succès est au rendez-vous ! Rapidement il va être pris dans une spirale où il va devoir « produire » des feuilletons sous un pseudonyme et non plus créer comme il l'aurait souhaité, et ce en étant exploité par un éditeur sans scrupule. Le rythme qui lui est imposé l'épuise de sorte qu'il doit renoncer d'autant qu'il est licencié de ce journal.

    Pourtant il tente d'écrire son propre roman mais, boudé par la critique c'est un échec, et, dans le même temps, il en écrit un pour Vidal qui le signe et qui est un succès. Il est désespéré, d'autant plus que la jeune fille, Cristina, qu'il aime en secret et pour qui il avait écrit son propre roman va épouser Vidal dont elle était la secrétaire.

    Quand il a quitté le bouge où il habitait, il a élu domicile dans une villa, «  la maison de la tour », qui avait appartenu à Diego Marlasca, cet avocat qui avait quitté son cabinet florissant pour se consacrer à l'écriture et venir y vivre avec sa maîtresse, l'énigmatique Irène Sabino. L'immeuble aussi labyrinthique que mystérieux, est fermé depuis 20 ans et dit-on, porte malheur.

    Son ami, le libraire Sempere amène David au « Cimetière des livres » où il va déposer son œuvre malheureuse et un éditeur parisien Andréas Corelli, personnage par ailleurs assez secret, lui propose sans raisons apparentes et moyennant une petite fortune, d'écrire une sorte de Bible, un livre qui serait fondateur d'une religion basée sur un messie vengeur. A dater de ce jour, une sorte de mécanique mortelle se met en place autour de lui, faisant passer de vie à trépas ses amis et même Cristina qui pourtant ne l'avait pas oublié. Un peu comme si, en acceptant ce contrat avec Corelli, il s'était coupé lui-même de l'inspiration, avait sacrifié sa liberté d'écrivain, avait peut-être vendu son âme au diable?

    Quand il reçoit une correspondance de Corelli, la lettre est toujours scellée et l'empreinte dans la cire représente un ange aux ailes déployées qui est son emblème. D'ailleurs, chacune de leurs rencontres, toujours dans des lieux improbables, est placée sous le signe de l'ange. Sa symbolique peut aussi bien s'attacher à l'annonciation qu'à l'apocalypse ou à Lucifer! Le titre du roman trouvera ici son explication et il appartiendra au lecteur d'en percer le mystère.

    C'est une histoire contée avec brio, imagination parfois délirante, humour et poésie et que j'ai pris plaisir à lire malgré quelques longueurs et parfois des digressions, un roman à énigme (je préfère ce terme à celui de roman policier) qui tient vraiment le lecteur en haleine jusqu'à la fin. L'auteur reste fidèle à son univers, celui des livres[« Un livre a une âme, l'âme de celui qui l'a écrit, l'âme de ceux qui l'ont lu, ont vécu et ont rêvé avec lui »], des maisons mystérieuses, des personnages qui apparaissent et disparaissent ensuite, des morts suspectes et parfois violentes, des flics pour le moins méprisables... Il y a aussi un rapport aux parents [la mère de David l'a abandonné, son père ne s'est guère occupé de lui à cause de sa vie désordonnée et de sa mort prématurée et par erreur], aux amours contrariées [les rapports d'Isabella et de David sont bizarres, comme ceux d'Isabella et de Sempere junior, cette fable de la petite fille, à la fois avatar et fantôme de Cristina], au feu [il y a toujours un incendie de livre dans un entrepôt d'éditeur et Marlasca meurt non pas noyé mais brûlé vif ], et cette référence à la saga des Sempere et de leur librairie...

    Pour autant, est-ce le fruit de mon expérience personnelle au regard de l'écriture, j'ai fait de cet ouvrage une lecture particulière. Je me suis attaché aux différentes tentatives avortées voire impossibles de certains personnages autour de l'écriture [ Isabella, Vidal, Marlasca, David Martín lui-même qui connaît aussi bien le succès que des déboires dans ce domaine, sa difficulté à écrire le livre commandé par Corelli et finalement son destin, les hésitations, des recherches et les doutes dont il parle « L'un des principaux expédients propres à l'écrivain professionnel qu'Isabella a appris de moi était l'art et la pratique de la procrastination »..], le rapport de l'écriture à l'argent [la somme importante proposée par Corelli vient probablement de la fortune de Marlasca dérobée par un ami de sa maîtresse, mais rien n'est sûr... C'est un peu comme si l'écriture de David allait racheter ce vol et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un livre religieux]. Je préfère privilégier le rôle d'exorcisme de l'écriture. Je ne connais pas Carlos Ruiz Zafón , mais j'imagine assez bien un être torturé qui trouve dans l'écriture un exutoire bienvenu et salutaire. C'est généralement le cas de beaucoup d'écrivains authentiques.

    J'ai apprécié la lecture de ce livre à cause du style fluide, captivant et agréable à lire malgré la longueur de l'ouvrage (536 pages). Ce texte écrit à la première personne m'a quand même laissé un peu perplexe pour ne pas dire déçu, à cause peut-être des répétitions de scènes déjà évoquées dans son premier roman [ Décor de la libraire Sempere, du « cimetière des livres oubliés » -Incendie constaté dans un entrepôt de livres, victimes gravement brûlées - il y aurait sans doute une explication dans cette permanence du feu – Omniprésence de la police aux méthodes inquisitoriales, violentes et parfois illégales ...] et de la fin qui m'a surpris. J'avais encore en mémoire « L'ombre du vent » qui m'avait enthousiasmé. La Feuille Volante n°470) ! Pourtant les nombreuses références à ce roman, autant par son côté mystérieux, énigmatique donnent plutôt une unité à l'œuvre.

    © Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • CARTAGENA CARAÏBE ET COLOMBIENNE – Bernard Lucquiaud

      

     

    N°473– Novembre 2010

    CARTAGENA CARAÏBE ET COLOMBIENNE – Bernard Lucquiaud – Éditions du Panthéon.

     

    Qu'est ce qui fait que nous éprouvons le besoin de relater par écrit une partie de notre vie, de transmettre aux nôtres et aussi aux autres une expérience qui nous a marqués ? Pourquoi choisissons-nous de privilégier un moment de celle-ci plutôt qu'un autre ? Peut-être parce qu'il a été plus créatif, plus enthousiaste, plus émouvant, qu'il a été riche en rencontres et en circonstances d'exception en quelque sorte ...

     

    C'est sans doute le cas pour Bernard Lucquiaud qui, venant de Toronto (Canada) où il avait été professeur dans le cadre de l'Alliance Française, a pris la direction de l'antenne de Carthagène en Colombie. S'en suivirent six années pendant lesquelles il eut à remettre sur pied cet établissement voué au rayonnement de notre culture et notre si belle langue. Cela n'a pas été facile et il a fallu en passer par des exigences et des contingences, des mondanités aussi. Malgré des moyens financiers parfois dérisoires, il lui a fallu de l'imagination, de la créativité, du culot, de la chance, de la bonne volonté, du courage pour affronter les truands mais aussi l'administration et la diplomatie, un grand sens de l'organisation, de l'abnégation aussi pour finalement faire évoluer les mentalités, reculer la délinquance, faire naître des vocations professionnelles et finalement, dans le contexte de l'amitié colombo-française, de donner de notre pays une belle image, c'est à dire celle qu'il mérite.

     

    « Carthagène des Indes », une ville coloniale et andalouse, un nom qui fleure bon le dépaysement, l'aventure, les terres lointaines, les tropiques, l'exotisme, l'ensorcellement du lieu aussi. On la surnomme d'ailleurs « la perle des Caraïbes ». L'auteur aborde cette ville avec les yeux émerveillés de l'étranger mais aussi avec dans la tête toutes les connaissances de la civilisation pré-colombienne, le mythe de l'El Dorado, l'histoire de ces Espagnols en quête de l'or, arrivés par la mer et que les Indiens prenaient pour des dieux, de la folie qui s'était emparé des conquistadors qui n'étaient bien souvent que des voyous, de l'extermination de cette civilisation au nom de la recherche du profit aussi de l'inquisition, de la colonisation... L'enseignant qu'il est se fait guide touristique et aussi refait l'histoire pour son lecteur, émaille son propos de citations littéraires, mais le pays de cocagne, la terre de tous les superlatifs est régulièrement pillée, se défend parfois victorieusement, est en partie détruite, renaît de ses cendres, devient un port négrier au XVIII° siècle et accède à l'indépendance avec Bolivar.

     

    Mais tous ses rêves d'enfant tissés au fil des lectures et de l'imaginaire deviennent d'un seul coup des réalités d'adulte, tout cela va s'évanouir et faire place rapidement à la déception. La circulation y est désordonnée, les transports publics approximatifs, le service de santé folklorique, la corruption est partout, le trafic de drogue fait partie de l'économie, la criminalité est omniprésente, l'insécurité est quotidienne, la mort rode ... Pour cette antenne de l'Alliance française, les subventions sont minces, parfois détournées, l'auto-financement et souvent la débrouille deviennent la règle pour obtenir l'équilibre financier. Entre vivoter et se développer, il a choisi, mais cette politique d'épanouissement due à son ambition de directeur n'est pas sans soulever des difficultés, susciter des critiques, froisser des susceptibilités et générer des échecs ... Mais ici tout est différent, l'extraordinaire est banal, il n'y a pas de fêtes sans alcool, sans euphorie, sans extravagances, sans couleurs, sans musique...

     

    Le professeur de Lettres qu'il reste cependant ne peut pas ne pas rencontrer Gabriel Garcia Marques, le fabuleux « Gabo », dont le talent sera, quelques années après cette rencontre, consacré par le prix Nobel de littérature. Son parcours personnel, chaque moment de sa vie et de celle de sa famille nourrissent son écriture et deviennent autant de romans qu'il a su, avec génie, faire partager à son lecteur, avouant lui-même que « La vie n'est pas ce que l'on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient ».

     

    Une telle expérience ne saurait laisser celui qui la vit indifférent. Il en tire nécessairement un enseignement sur le peuple qu'il a appris à connaître, mais il ne suffit pas de faire rayonner sa propre culture en la considérant comme supérieure à celle des autres. A l'heure de le mondialisation, il conclut en paraphrasant Candide « il faut cultiver ensemble le même jardin, notre planète » car la nature que l'homme asservit et tue de plus en plus lui est pourtant essentielle. Il clôt ce récit par une réflexion personnelle et une manière d'avertissement à la fois humaniste et écologiste « Homme, arrête de convoiter ton voisin et de le mépriser... C'est en puisant dans nos cultures respectives et en respectant notre environnement que nous assurerons l'avenir de nos enfants ».

     

    Il ne s'agit pas d'un roman comme il est dit dans la préface, mais d 'un témoignage rédigé dans un style narratif et anecdotique, plein de détails et parfois même émaillé d'humour et d'images poétiques qui témoignent de cette aventure d'exception. J'ai lu ce livre avec le yeux d'un sédentaire toujours émerveillé par les voyages lointains, par une ville jusqu'alors inconnue, maintenant vouée à la modernité et assurément fascinante. Je reste admiratif devant son action personnelle en faveur de la France mais aussi attentif au rayonnement de notre culture. Il nous rappelle opportunément que nous sommes tous citoyens du monde.

     

     

     

      

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.  http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles – Jack London

     

    N°472– Novembre 2010.

    LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles – Jack London - Phébus Libretto.

     

    Le seul nom de Jack London évoque l'aventure, la nature, la liberté.

     

    Dans la première nouvelle, qui est plutôt un court roman et qui donne son nom au recueil, un vieillard qui fut jadis professeur évoque pour ses petits-enfants sauvages et illettrés ce qu'était, soixante ans plus tôt la vie en 2013, date de l'apparition de la peste écarlate, ainsi nommée parce qu'elle colore le visage en rouge. Elle décima la population de la terre et réduisit les humains pourtant civilisés et cultivés, à l'état d'êtres égoïstes, défendant le seul bien qui leur reste : leur vie ! Nous sommes donc en 2073 et l'ex-professeur Smith raconte ce qu'était la société civilisée et organisée et comment, épargné par la pandémie, il a survécu dans ce monde hostile redevenu sauvage où les opprimés d'alors ont réussi à s'affirmer grâce à leur brutalité et à prendre le pas sur leurs oppresseurs d'avant. Ses petits-enfants ne peuvent se figurer ce qu'il décrit pour eux mais il place son espoir dans les livres et la clé de lecture qui permet de les déchiffrer. Il a caché le tout dans une grotte et espère que l'espèce humaine retrouvera, grâce à cela, sa splendeur passée.

    La seconde nouvelle, intitulée « Le dieu rouge » évoque la croyance d'une tribu sauvage en un dieu extraterrestre matérialisé par une sphère rouge qui émet un son. Un blanc, perdu dans la forêt, tente de percer ce mystère qui ne peut s'expliquer qu'au prix de la vie.

    La troisième intitulée « Qui croit aux fantômes ?» met en scène deux rationalistes qui se sont donnés rendez-vous dans une maison hantée. Ils vont se trouver « possédés » par deux fantômes qui reviennent pour disputer une partie d'échecs dont leur vie dépendra.

    « Mille morts » parle d'un fils de famille parti sur les mers et récupéré par un navire commandé par son père. Ce dernier va se servir de ce fils pour mener à bien des expériences où la mort est suivie de résurrections successives. Mais le fils ne saurait, jusqu'au bout être son cobaye.

    L'auteur change de registre avec« la seconde jeunesse du major Rathbone » où il analyse, sur le mode humoristique, les conséquences des tentatives de rajeunissement du corps et de l'esprit d'un vieillard. Il faudra quand même compter avec Déborah, son ancien amour de jeunesse qui, elle aussi, bénéficia de cette expérience.

     

    L'architecture d'un recueil de nouvelles n'est pas chose facile. Avec celui-ci, paru en 1912, Jack London (1876-1916) passe du registre tragique à l'humour, au moins en apparences. Avec la première nouvelle, publiée peu de temps avant sa mort, il semble nous avertir d'une possible fin du monde, provoquée par la maladie. Songeait-il à la Grande Guerre qui allait bouleverser le monde? Peut-être? Encore qu'il nous confie que les survivants restent capables de le reconstruire au moyen des livres refaire et de la connaissance que le Professeur Smith a sauvegardés. Il explore ici un registre plus mystérieux voire apocalyptique, jouant à la fois sur le fantasme de la fin du monde, de la mort, de l'éventuelle résurrection, l'anéantissement de la vie et la responsabilité humaine dans ce cataclysme ?

     

    Avec la se seconde nouvelle, c'est clairement l'angoisse de la mort et une certaine désespérance qui transparaissent ici. La couleur rouge rappelle celle de la peste du premier texte et les mots évoquent une certaine perfection des formes et des sons, comme quelque chose qu'on découvre enfin après l'avoir tant recherché. Ce qui est ici suggéré c'est à la fois l'attrait de l'inconnu et la fascination et l'acception de la mort, une sorte de sérénité devant elle, le terme du parcours qui fut le sien durant sa vie et que l'écriture magnifia. Même la présence de Balatta n'y fera rien. Il la repoussera faisant prévaloir Thanatos sur Eros. Rappelons-nous que ce texte a été écrit quelques mois avant sa disparition.

    Avec les deux autres textes, il semble présenter les choses sous un angle différent, peut-être plus léger? Voire. Celui où il évoque la présence de fantômes et qu'il écrivit à dix-neuf ans, doit sans doute beaucoup à Edgar Poe dont il fut le lecteur attentif. C'est la fascination de l'étrange qui habite la condition humaine avec son cortège de névroses, de perversions, de dérèglements... la mère de l'auteur était une spirite convaincue et celui qui fut son père et qui les abandonna tous les deux, versait lui aussi dans l'ésotérisme. Voulut-il régler ainsi, par l'écriture et l'imaginaire, ses comptes personnels avec eux? Quand il choisit le thème des expériences sur l'humain, sur le vivant, on songe à un médecin fou mais le registre ici est le fantastique. Derrière des considérations techniques difficiles à suivre, il évoque des expériences un peu déjantées qui procurent la mort mais aussi qui redonnent la vie. C'est certes de la pure fiction, mais c'est aussi une autre forme de réflexion sur la mort. N'oublions pas que Jack London est avant tout un athée, lecteur de Marx et que donc l'idée de Dieu est absente de ces textes.

    On peut aussi y voir une forme de victoire de l'homme sur les événements qui pèsent sur sa vie, le triomphe du pessimisme, du défaitisme. Au dernier moment il réagit et fait prévaloir sa liberté. Le héros de « Mille morts » s'échappe, le vieux major redevenu jeune convole avec son amour de jeunesse,

     

    Avec ce recueil, Jack London qui fut un auteur prolifique de plus de 50 livres qui, pour la plupart évoquent l'aventure explore ici un registre différent. Encore une fois, sa vie personnelle ses expérience ont nourri son écriture, mais celle-ci a joué pour lui un rôle d'exorcisme, mais c'est aussi le sien!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

×