Articles de hervegautier
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Nous voulons tous être sauvés
- Par hervegautier
- Le 21/07/2023
- Dans Daniele MENCARELLI
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N°1762– Juillet 2023
Nous voulons tous être sauvés – Daniele Mencarelli – Globe.
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer.
Qu’est-il arrivé à Daniele, vingt ans ? Il a , sans raison, quitté son travail et vandalisé l’appartement de ses parents, manquant de tuer son père, sans doute à cause de la coke qu’il a auparavant sniffée ? Une sorte de « pétage de plombs » ! C’est sa manière à lui d’exprimer son malheur et sa solitude face au monde extérieur. Résultat, il s’est retrouvé hospitalisé d’office, c’est à dire sans son consentement, dans un établissement psychiatrique autrement dit, enfermé pour huit jours, dans la touffeur de la campagne romaine, à la veille de la coupe du monde de football 1994. Les différents matches scanderont cette histoire. De cette période d’observation dépendra son avenir.
Il nous décrit donc cette semaine passée dans un univers quasi carcéral fait de brimades d’incompréhensions et de médicaments, enfermé dans une chambre collective malodorante avec des adultes ; c’est plutôt dépriment. Il est marqué par ce qu’on diagnostique chez lui comme une maladie mentale et il fait confiance aux soignants pour l’aider à en sortir. Il participe aux séries de tests, montre une volonté de guérir mais s’aperçoit très vite que cette démarche ne débouche sur rien. Au départ, il est terrifié par cet environnement mais rapidement il s’aperçoit que ces pensionnaires vont l’écouter et le comprendre. Il peut en effet parler de l’importance qu’a pour lui l’écriture qui, sous la forme de poèmes, représente un refuge, un exorcisme face à son inadaptation à la vie née d’une certaine nostalgie.
Il s’interroge sur le véritable sens de la folie née parfois simplement d’un fait banal, d’une fragilité et jette sur la thérapie et sur les médecins un regard critique. Chacun vit cette période à sa manière ce qui constitue une forme de salut mais la réponse médicale qui devrait être l’écoute, n’existe pas. En général, on ne prête pas d’importance aux fous parce qu’ils ne sont pas dans la norme, parce qu’ils sont dans leur monde et c’est ce que va découvrir Daniele pendant cette semaine. Quant à la guérison et au retour au quotidien ordinaire, ils sont décrétés parfois arbitrairement. Dans le cas de Daniele, il restera quoiqu’il en soit, un inadapté définitif à la vie.
C’est une approche de ce qu’on appelle la folie dans ses différentes facettes et son unique solution : l’enfermement avec une camisole chimique qui est quand même mieux que l’externement abusif qui est aussi la règle dans le traitement psychiatrique. Pour Daniele cela ressemblent à un enfer et la référence à Rimbaud, à sa saison en enfer et à sa formule « Je est un autre » n’est pas un hasard. Avec la covid nous avons appris que la médecine n’est pas une science exacte, la thérapie développée par les psys parait un peu approximative tant il est vrai que des expertises judiciaires pratiquées sur certains accusés pour analyser leur personnalité et leur maladie ont parfois donné des résultats contradictoires, affectant la manifestation de la vérité et qu’un patient peut parfaitement circonvenir son psychiatre.
C’est écrit comme on parle et j’attends quand même d’un livre qu’il soit bien écrit.
Au départ j’ai été assez réticent à lire ce livre à cause sans doute de l’univers qu’il décrivait. Au fil des pages mon intérêt a été suscité et j’ai poursuivi ma lecture avec une certaine curiosité.
Ce roman a été en Italie par le Prix « Strega Giovanni » qui est l’équivalent du Goncourt des lycéens
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Mon nom est sans mémoire
- Par hervegautier
- Le 16/07/2023
- Dans Michela Marzano
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N°1761– Juillet 2023
Mon nom est sans mémoire – Michela Marzano – Stock.
Michela a été élevée par sa famille dans un contexte politique de gauche qui l’a marquée au point d’avoir été elle-même députée du Parti Démocrate italien. Elle découvre que le quatrième prénom, jamais mentionné, de son père est Benito, le même que celui de Mussolini et que son grand-père, Arturo, juge et patriote royaliste, fut un des premiers soutiens du Duce. Ce ne sera pas ce seul prénom qui suscitera ses interrogations.
Dès lors débute pour elle l’exploration d’un pan oublié et peut-être tu de son histoire familiale, à commencer par le parcours de ce grand-père, Arturo, combattant et prisonnier pendant la Grande guerre puis adhérent au nouveau parti fasciste, participant à la « Marche sur Rome », « squadrista », inconditionnel de ce régime dont il était un dignitaire et auquel il devait sa promotion. Son engagement fasciste est pour elle une honte qu’elle ne supporte pas. Dès lors commence une interrogation intime sur ses origines, favorisée peut-être par la naissance de son neveu, par une psychanalyse qui dure déjà depuis vingt ans sans doute parce qu’à cinquante ans et malgré un beau parcours professionnel, elle n’est toujours pas mère, qu’elle est à la recherche d’un traumatisme inconnu subit dans l’enfance, qu’elle est devenue anorexique… Une interrogation psychiatrique est souvent culpabilisante et hasardeuse. Elle va donc remonter le temps laborieusement, entre consultations des documents officiels et découverte des archives retrouvées et des souvenirs familiaux. Elle ira ainsi à la rencontre des membres de sa famille, redessinera l’image d’un père autoritaire, socialiste et brillant universitaire, d’une mère effacée. Cela commence dans les Pouilles, berceau de ses origines et elle va ainsi remonter l’Histoire, celle de ces années qui ont précédé et suivi le « ventennio » mêlées à celles de sa parentèle et de ses soubresauts, aller au devant de ses propres contradictions et de ses failles jusqu’à devoir remettre en question les vérités les plus affirmées. Les images qu’on a lentement idéalisées se lézardent, les apparences patiemment tissées se délitent, les épisodes laissés dans l’ombre révèlent leur existence et ce qu’on croyait impossible affirme sa réalité, les mensonges qui font partie de l’espèce humaine se découvrent mais des questions restent cependant sans réponse. Ce grand-père reste un mystère même pour ses proches entre la volonté de laisser une trace de son passage sur terre, de brouiller les pistes, d’habiller la réalité d’hypocrisie et de non-dits, entre amnésie et mémoire.
Ces recherches généalogiques sont légitimes pour Michela mais il y a des noms lourds à porter surtout quand ils sont associés à des exactions comme ce fut le cas pendant la période fasciste. De cette auscultation du temps et des arcanes de la mémoire on sort rarement indemne. Cette démarche l’amène à s’interroger sur son père et sur elle-même, sur le parcours de chacun à travers sa volonté de cohérence et ses contradictions. Elle éprouve donc le besoin de faire le point dans ce livre baptisé « roman » alors qu’il me semble être davantage un témoignage qu’une fiction. A titre personnel, je m’interroge comme souvent sur l’effet cathartique de l’écriture et ce qu’il en est résulté pour l’auteure par rapport à sa propre démarche psychanalytique et des conséquences parfois inattendues de cette rencontre.
C’est un livre passionnant, fort bien écrit en français, mais également un ouvrage documentaire historiquement important dont le titre italien « Stirpe e Vergogna »(origine et honte) me paraît plus révélateur.
J’ai lu ce livre au départ parce qu’il est en lice pour un prix littéraire, mais rapidement j’ai été happé par la démarche autant que par le style. Ce fut pour moi une belle découverte
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Capitale de la douleur - L'amour la poésie
- Par hervegautier
- Le 12/07/2023
- Dans Paul Eluard
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N°1760– Juillet 2023
Capitale de la douleur – L’amour la poésie – Paul Eluard – Gallimard.
Que les femmes soient la plus belle création de Dieu, s’il existe, est une évidence. Leur meilleur chantre est sans conteste Paul Eluard (1895-1952) qui a su exprimer toutes les nuances de l’amour qu’elles inspirent.
Avec ces recueils qui datent respectivement de 1926 et 1929, l’auteur est dans sa période surréaliste où se conjuguent le rêve et la réalité. Il a été en effet influencé par le dadaïsme qui a dénoncé l’absurdité du monde et sa volonté de le révolutionner en le détruisant notamment à travers le langage . Il a fait ensuite partie du « Manifeste du surréalisme » d’André Breton qui fait appel notamment dans l’expression écrite à l’inconscient, à « l‘absence de tout contrôle exercé par la raison en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ». Cette philosophie marquera le début du XX° siècle notamment dans la peinture de Miro de Tanguy et de Dali et se manifestera en littérature par l’écriture automatique. Ces deux recueils, tout en s’inscrivant dans ce mouvement de l’évolution du langage, n’en évoquent pas moins l’amour avec ses deux versants traditionnels que sont la douceur et la douleur.
Paul Eluard a dû interrompre ses études et être hospitalisé à l’age de 16 ans dans un sanatorium suisse où il a rencontré Diane Diakonova, une jeune et brillante jeune-fille russe dont il tombe éperdument amoureux, qu’il surnomme Gala et qu’il épouse en 1917. elle sera sa muse. Plus tard ils rencontrent le peintre Max Ernst pour qui elle pose et devient son amante tout en restant mariée à Eluard. Il finit même par s’installer chez le couple et en 1928. Eluard fait un autre séjour en sanatorium en compagnie de Gala qui le quitte pour Salvador Dali qui en fera son unique modèle. Eluard fait ensuite la connaissance de Maria Benz qu’il surnomme Nusch et qu’il épouse en 1934.
« Capitale de la douleur » dont le titre original était « L’art d’être malheureux » est avant tout une exaltation du désir mais aussi exprime en quelque sorte la douleur du poète en lettres capitales. « L’amour la poésie » est également consacré à l’amour et est dédié à Gala !
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Après la pluie
- Par hervegautier
- Le 09/07/2023
- Dans Chiara Mezzalama
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N°1759– Juillet 2023
Après la pluie – Chiara Mezzalama – Mercure de France
Traduit de l’italien par Léa Drouet.
Ettore et Elena sont mariés depuis des années, ont ensemble deux enfants. Dès les premières pages on apprend qu’Ettore a une maîtresse, une femme évidemment plus jeune que son épouse et dont il est follement amoureux. C’est assez classique que ce soit le mari qui trompe sa femme, éternelle victime, une littérature boulevardière a largement popularisé ce genre de situation, comme si l’épouse ne pouvait pas elle aussi tromper son mari, surtout de nos jours. Et avec tout cela, Ettore qui se sent vieillir et Elena est la seule à ne rien savoir de la toquade de son mari ! Air connu. L’amour ne rime pas avec toujours comme on fait semblant de le croire, il ressemble à toutes les choses humaines, il est fongible et consomptible, est miné par l’hypocrisie, le fatalisme, la naïveté, l’indifférence qui finissent par s’installer dans le couple. C’est comme cela depuis toujours, la vie ne tient jamais ses promesses. Et avec tout cela les enfants à qui rien n’échappe, la culpabilité, les questions qu’on se pose et qui restent sans réponse, le sentiment d’échec, de perte de confiance, de révolte, d’injustice, le désir de vengeance, le besoin de partir pour faire le point...Et la solitude qui en résulte. Rien que de très classique donc. L’auteur en rajoute avec le traditionnel conflit de générations à propos de la prise de conscience écologique qu’illustre ce débordement du Tibre et cette pluie aux accents de fin du monde, ce qui n’est pas sans rappeler le déchirement de ce couple.
Je veux bien que le hasard fasse partie de notre vie mais que chacun des époux rencontrent séparément, pendant la tempête, quelqu’un qui ressemble au « bon samaritain » et qui remet en question leurs certitudes sur le travail, le quotidien, l’avenir, m’étonne aussi à l’heure où le « vivre ensemble » est plus que jamais problématique. Que ces personnages se connaissent entre eux, qu’ils soient aussi différents l’un de l’autre et soient près de la nature, des animaux et respectueux de l’environnement m’a aussi paru quelque peu artificiel. Que l’énergie nucléaire soit un danger même si elle apporte confort et bien-être est une chose évidente et incontournable aujourd’hui. Quant à l’amour, différent de l’attirance sexuelle, qui survient quand on ne l’attend pas, ça m’a paru avoir de légers relents d’eau de rose. Je passe sur l’épisode accueillant du monastère, véritable microcosme à la fois de paix et de mélange ethnique, je n’y ai pas vraiment cru non plus. Je suis volontiers respectueux de la nature et peu porté au gaspillage et au consumérisme à outrance, mais le discours écologiste, dans ce qu’il a de culpabilisant et qui rappelle trop le contexte judéo-chrétien dans lequel nous baignons tous, m’a franchement ennuyé par son côté sermonneur. Que l’auteur l’ait fait tenir par les moniales jeunes et inattendues a achevé de me décevoir.
C’est bien écrit (traduit?) et j’ai lu ce roman jusqu’au bout parce qu’il est en lice dans un concours littéraire qui requiert l’avis des lecteurs, mais il m’a un peu agacé avec ces remarques moralisatrices gratuites et répétées sur le mode de vie, la relativité des choses face aux dangers, avec une bonne dise d’aphorismes . Quant à l’épilogue, il m’a aussi déçu par son côté idéaliste.
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Brigantessa
- Par hervegautier
- Le 05/07/2023
- Dans Guiseppe Catozzella
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N°1758– Juillet 2023
Brigantessa- Guiseppe Catozzella- Haper Collin.
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer.
Au delà de l’authentique histoire de Maria Oliverio (1841-1879) qui avait déjà, en son temps retenu l’attention d’Alexandre Dumas et dont la notoriété dépassait largement les limite de la Calabre, ce que je retiens surtout c’est le destin de cette femme, élève brillante mais que les événements de sa vie ont maintenue dans la misère et dans le malheur, déçue par les politiques et leurs promesses fallacieuses et qui a été constamment la victime des siens, de sa sœur, Teresa qui toute sa vie la poursuivit d’une haine raouche, de son mari Pietro qui la trompa même s’ils étaient amoureux l’un de l’autre. Elle voulu refaire le monde, lui échapper en devenant « la Ciccilla » au sein d’une bande de déserteurs qui avaient pris le maquis pour échapper à la guerre et montrer ainsi leur détermination. Elle a recherché le bonheur mais celui-ci lui a constamment échappé.
Dans un pays miné par les luttes politiques Garibaldi assoit son pouvoir en promettant l’unification du pays mais Maria assiste, impuissante aux palinodies des tenants de l’ancien régime des Bourbon et en est profondément déçue d’autant que les promesses des « libérateurs » se révèlent vaines. Comme dan toutes les guerres, et notamment les guerres civiles, il y a des trahisons où les anciens oppresseurs sauvent leur vie et retrouvent leur place dans une société où finalement rien ne change. l’Idéal de liberté et d’égalité de Maria s’en trouve bouleversé et c’est au maquis, en compagnie de son mari et de quelques partisans calabrais devenus brigands, c’est à dire hors la loi qu’elle choisit de poursuivre la lutte. En réalité rien n’avait changé mais la figure de Maria s’inscrit dans l’histoire de la nation italienne.
C’est une histoire émouvante que nous raconte à la première personne. Elle illustre également la partition de ce pays entre le nord et le sud qui existe encore aujourd’hui.
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Nous sommes la nuit
- Par hervegautier
- Le 05/07/2023
- Dans Gwenael Le Guellec
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N°1757– Juillet 2023
Nous sommes la nuit – Gwenael Le Guellec - Éditions Prisma.
Yoran Rosko, la quarantaine, photographe breton, s’est exilé au Japon pour se rapprocher de la belle Reiko dont il est follement amoureux. Il doit peut-être à une achromatopsie qui lui fait voir le monde en noir et blanc son attirance vers la nuit, les ruelles et les quartiers sombres. Sa participation à un « photo game », sa curiosité autant que le hasard le mettent en présence d’une photo de crime d’autant plus terrible que sa mise en scène est mystérieuse, fait appel à la culture spécifique nippone, aux rituels d’un autre âge et ne correspond pas vraiment à ce à quoi on pouvait s’attendre dans la chambre d’un « love hotel ». L’aspect énigmatique du cliché publié sur internet, sa possible signification ésotérique, l’incitent à en décrypter le sens artistique, les médias ayant surnommé les auteurs inconnus de ce meurtre les « Tueurs au tableau » puis les « Tueurs aux estampes », Japon oblige- parce que la scène évoquait une œuvre d’art. Ce meurtre sera suivi d’autres tout aussi mystérieux, toujours sur le même mode opératoire. Yoran n’est ni policier ni détective privé mais cette série d’exécutions et sa volonté d’en comprendre le sens, l’amènent, au cours de la poursuite de ces tueurs de l’ombre, à fréquenter le monde marginal de la nuit, d’y faire d’improbables rencontres, d’explorer autant la mythologie que l’art de vivre des Japonais, jusqu’à mettre sa vie en danger dans la touffeur de Tokyo. Sa quête peuplée de fantômes le mène dans d’autres contrées du Japon, en Italie et jusqu’en République Tchèque.
Le hasard m’a fait lire ce roman au moment où les réseaux sociaux sont les vecteurs des violences qui gangrènent notre société au point de la déstabiliser d’une manière inattendue et surtout incompréhensible. Ils sont également présents dans ce livre où l’espèce humaine, dans tout ce qu’elle a de plus horrible, est mise en scène.
Après « Armorican Spycho » (Prix du suspens 2019 et Prix du Goéland masqué 2020) puis « Exil pour l’enfer « , ce roman clôt sa trilogie armoricaine. Gwenael Le Guellec poursuit les pérégrinations au Japon de son personnage favori que nous retrouverons sans doute plus tard avec le même plaisir . Ce n’est pas vraiment un roman policier au sens traditionnel du terme mais plutôt un « thriller-voyageur » à mi-chemin entre le roman noir et le thriller. Il y a donc des meurtres (spectaculaires) de l’argent, avec forcément des magouilles bancaires, du sexe, du sang, de la vengeance, des poursuites mouvementées. C’est le terreau traditionnel de ce genre littéraire qui exploite la face sombre de l’espèce humaine. L’auteur, au long de ces 500 pages, mêle modernité et tradition, avec de la musique en fond sonore, distille à la fois le suspense et l’intérêt de son lecteur par le mystère et le dépaysement qu’il lui procure. Il explore en effet, à l’occasion de ce qui ressemble à une véritable enquête, la géographie, l’histoire, le folklore et les légendes des lieux traversés qui évidemment recèlent en eux-mêmes des explications. La connaissance de la culture, du mode de vie et de l’esprit nippon, si différents de ceux de l’occident, la qualité de la documentation sont remarquables, notamment celle relative aux arts martiaux. Je retiens également, le livre refermé, une réflexion bienvenue sur la vanité des choses humaines suscitée par la phrase mise en exergue. Il procède par petites touches pour créer le climat délétère propre aux thrillers et y invite à la fin un chat qui vient ajouter son côté mystérieux. En outre, le style fluide et agréable à lire – tout particulièrement dans les descriptions- m’a procuré un bon moment de lecture. Ce fut une belle découverte.
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La vie est passée
- Par hervegautier
- Le 30/06/2023
- Dans Georges-Léon Godeau
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N°1756– Juillet 2023
La vie est passée - Léon Georges Godeau - Le dès bleu
Ce recueil qui date de 2002, c’est à dire qu’il est posthume, a fait l’objet pour sa réalisation de nombreuses recherches puisque les poèmes qui le composent ont été publiés dans différentes revues ou anthologies. Les thèmes sont traditionnels, ce sont les voyages effectués tout au long de sa vie et qui lui permirent de poser un regard sur la nature humaine, la famille, les amis mais surtout le Marais Poitevin qu’il chérissait pour y pêcher et s’y promener et les gens qu’il rencontrait, ces deux derniers sujets étant le principal ferment de son œuvre.
Sur le plan de la forme, l’auteur refuse la rime, ce sont des poèmes en prose mais qui ne prennent leur véritable épaisseur que dits de vive voix. En cela il suit l’idée qu’il défendait déjà à la sortie de ce qui est à ma connaissance son premier ouvrage, « Javeniles », qu’il publia en 1953 à l’âge de trente-deux ans et qui annonça l’édition d’une vingtaine de recueils. Il était édité par « La tribune des poètes », est actuellement introuvable et a fait l’objet d’une réédition numérique par FeniXX. Dans ce recueil initial il annonçait en effet son refus de la règle et de la prosodie, même si certains des textes en montraient encore la marque, une manière de tourner la page en quelque sorte.
Son écriture est simple, fluide, abordable par les gens ordinaires dont il parle et qui constituent, dans leur quotidien même, la véritable « matière-émotion » de son œuvre. Son univers familier c’est en effet la condition humaine universelle, celle du travail, les joies et les peines de la vie, des amours simples, des hasards, de l’instant fugitif comme de la permanence, de la mort...
La poésie de Godeau passe par l’œil, par sa vision des choses et des êtes vivants, par l’idée qu’il s’en fait, l’image qu’il veut nous faire partager, un peu comme ses dessins et tableaux.
Godeau est un poète injustement oublié, publié de son vivant majoritairement par de petites maisons d’édition ainsi que le note Louis Dubost (Le dés bleu) qui fut un de ses éditeurs. La France, pays de la culture et des Lumières boude un peu la poésie mais ce n’est pas le cas du Japon et de la Russie.
Godeau mérite assurément plus que cette indifférence.
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Votre vie m'intéresse
- Par hervegautier
- Le 24/06/2023
- Dans Georges-Léon Godeau
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N°15 – Août 1986.
VOTRE VIE M'INTERESSE – Georges-Léon GODEAU – Le Dé Bleu.
L'univers d'un poète est tout entier contenu dans ses mots et il rend compte de sa vision des choses d'une manière qui lui est propre, qui est unique. Léon-Georges Godeau possède cette qualité rare d'émouvoir en quelques phrases et de dire les choses et les gens aussi simplement qu'ils sont. Il fait sûrement sienne cette pensée de Victor Ségalen « Voir le monde et l’ayant vu dire sa vision ».
Son écriture est de plain-pied avec les gens de toute condition, dans leur quotidien, leurs joies, leurs peines, leur travail. Il en est le témoin privilégié, s’identifie à eux parce qu'il a su promener son regard attentif sur le monde qui l'entoure et montrer à son lecteur ce qu'il a lui-même perçu sans pour autant y prêter attention. N'avoue-t-il pas lui-même « Mon peuple, je suis bien avec » ? (« une gamine », « les petits voyous »).
Poète, Il n'en n'a pas moins été un homme de labeur, en contact constant avec d'autres hommes différents de lui mais qui lui ressemblent simplement parce qu'ils portent en eux la marque de la condition humaine. Ces paysans, ces ouvriers, ces bureaucrates, il les a côtoyés chaque jour de sa vie , mais ils sont aussi ses voisins, ses familiers (« Le nain », « Le rôdeur », « Le boueur », « Louise », « La meilleure secrétaire »).
Tel un artisan méticuleux, il procède par petites touches pleines de vie, pleine de cette vérité qu’on voudrait cacher mais que sa sensibilité sait déceler. Il sait aussi décrire avec minutie les frayeurs intimes et puériles qui sont les siennes et par conséquent les nôtres (« Le causse »). Quand il parle de jeunes-filles ou des femmes, le style fait une grande place au non-dit, comme une délicatesse qu'il nous invite à saisir (« La fille du mareyeur », « Les femmes »). Qu'on ne s'y trompe pas, l'économie engendre l’harmonie et les mots sonnent agréablement à l'oreille car l'écriture est stricte, dépouillée, claire, pleine de senteurs et d'images. Cette « matière-émotion » comme aurait dit Char, je la retrouve dans ses dessins à la plume plus que dans sa peinture et cette exigence, je le rencontre en lui-même quand il déclare que malgré les nombreux recueils publiés, dont un chez Gallimard, et malgré une notoriété qui s'étend jusqu'au Japon et en URSS où il est traduit , seuls quelques dizaines de textes trouvent grâce à se yeux. N'avoue-t-il pas « Rien n'est important sauf quelques vrais textes qui resteront après le grand remue-ménage » ? Ce n'est pas la moindre qualité de cette anthologie que d'offrir au lecteur l’occasion de connaître Godeau à travers 25 années d'écriture.
S'il n'a jamais été donné une définition de la poésie, celle qu'il fait sienne résume bien les choses « Les poèmes s'inventent au bord du monde, un pied sur la terre l'autre das le vide ». Ce que je retiens de ce livre c'est que son auteur a vu le monde, l'a mis dans ses yeux pour le remettre dans les nôtres. Il l'a fait simplement en nous invitant à nous arrêter. Tant pis pour ceux qui sont pressés !
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On verra bien
- Par hervegautier
- Le 24/06/2023
- Dans Georges-Léon Godeau
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N° 1755 -Juin 2023
On verra bien - Léon Georges Godeau - Le dès bleu
Avec ce titre assez peu poétique Léon Georges Godeau (1921-1999) nous donne à voir mais aussi à entendre des tranches de vies puisque la poésie en général et la sienne en particulier ne s’apprécie pleinement que dite de vive voix.
Un des grands intérêts de son écriture est la simplicité au sens où il transmets à son lecteur, avec une grande économie de mots, une sorte de flash et le laisse libre de graver dans sa mémoire cette impression fugace ou de l’oublier. On y lit le quotidien dans son immédiateté, presque rustique et surtout sans fard, c’est une vision discrète et fugitive du monde qui l’entoure, à l’image de ses dessins et peintures qui ornent les couverture de ses recueils, avec une prédilection pour les gens simples, amis ou voisins qui le peuplent et nourrissent son œuvre, de préférence aux plus aisés qui lui semblent avoir moins d’intérêt, être moins authentiques. Il nous la transmets telle qu’il la voit, spontanément mais non sans la dimension critique que lui inspire l’espèce humaine dans ce qu’elle a de tragique, de comique ou d’indigne, d’inintéressant. En cela il fait un choix. sans recherche de vocabulaire ni construction prosodique, en prose brute, une manière d’illustrer ce mot de Victor Segalen « Voir le monde et l’ayant vu, dire sa vision».
On peut y voir la tentation de la facilité, on a même parlé de simplisme, mais à mon sens, c’est plutôt la verbalisation de son émotion intime et celle qu’il souhaite faire naître chez son lecteur devenu son complice. C’est l’envie d’écrire qui prévaut, de faire danser les mots, de fixer une impression ou une idée, de la confier au fragile support du papier, d’y laisser une trace pour lui d’abord et surtout pour un improbable lecteur. Il écrit aussi pour être lu par tous ceux qui voudront bien lui prêter un peu d’attention mais pas pour une élite intellectuelle. On peut y lire la solitude qui est inhérente à la condition humaine mais qui fait tellement partie de la vie mais aussi la sollicitude du regard qu’il porte sur ses semblables, l’attention et l’intérêt qu’il leur témoigne.
L’homme était simple et menait une vie retirée loin des mondanités. Il se aimait se promener à pied, pêcher à la ligne dans ce Marais Poitevin qu’il appréciait pour sa douceur, son silence et son mystère, loin de la foule des gens pressés, mais cela n’excluait ni les voyages ni les amitiés solides, celle du linguiste Georges Mounin et du poète René Char. Des poèmes attestent d’une rencontre, d’un moment ... Il recevait toujours ses invités avec cordialité malgré une surdité bien réelle mais qui ne l’handicapait pas outre mesure.
Ce que je retiens après chacun de ces courts textes, c’est la mélodie des mots, pas une symphonie de couleurs et de sons mais au contraire des images tissées à petites touches pointillistes ;
Godeau reste un poète injustement oublié.
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Les partisans
- Par hervegautier
- Le 13/06/2023
- Dans Dominique BONA
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N°1754 – Juin 2023
Les partisans – Dominique Bona – Gallimard
Ce titre n’est pas pris au hasard puisque Joseph Kessel et Maurice Druon sont les deux auteurs du « Chant des partisans » dont la musique est due à Anna Marly, française d’origine russe. Il symbolise cette douloureuse période de l’histoire de notre pays dont il faut se souvenir parce que des gens sont morts pour que soyons libres et parlions le français. Ce sont aussi deux « hommes de Lettres », à la fois semblables et différents, oncle et neveu par filiation naturelle et que vingt ans séparent, ils sont unis par cet amour de la France, par leur envie de se battre pour elle et par cette irrésistible envie d’écrire, de porter témoignage. Ils seront tous les deux académiciens. Kessel, « Jef », a créé avec son neveu, français malgré un état-civil quelque peu bousculé, des liens quasi-filiaux en accompagnant premiers essais littéraires. Au cours de ce voyage pyrénéen à destination de Londres, ils sont accompagnés d’une femme, Germaine Sablon, une des nombreuses compagnes de Kessel, célèbre chanteuse de variétés qui sera une courageuse ambulancière de la « France libre », accompagnant des troupes alliées depuis l’Italie. Elle sera aussi, plus tard, l’interprète du «Chant ». Les quelques détails de sa vie présents dans cet ouvrage sont passionnants et mériteraient un développement plus grand sous la forme d’une biographie.
Ainsi commence cette évocation. Kessel, fils d’émigré juif d’origine russe, fait partie de ces étrangers qui ont choisi de défendre la France, pays de la liberté et des Lumières, contre la barbarie nazie. Il redeviendra aviateur, officier dans la RAF sous les couleurs de la France, grand reporter à la fin des combats puis de romancier et scénariste. Druon se transformera en correspondant de guerre puis à la Libération en homme de plume. Leur complicité littéraire est fructueuse, leur amour de la vie intact, leur regard sur les femmes est différent comme celui qu’ils portent sur la religion, Maurice est catholique, sur les origines sociales et ethniques, sur la famille, sur le style de vie, sur les fréquentations, mais chacun garde sa personnalité, son style d’écrivain. Le prix Goncourt que son oncle n‘aura jamais vient consacrer le talent d’un Druon trentenaire, plus bourgeois voire aristocrate qui plus tard sera le ministre jupitérien des Affaires culturelles de Pompidou puis député et Kessel reste lui un auteur à succès. Il est grand reporter, conteur, aventurier, globe-trotter, amateur de whisky, à lui les paysages bruts et les conflits du monde, à son neveu l’harmonie de l’Europe, la tempérance contre l’irrationnel et l’imprévu, l’Afghanistan contre la Grèce, le témoignage contre l’épopée. Les deux hommes poursuivent leur chemin dans un respect réciproque, donnant ensemble à leurs lecteurs l’émotion et le plaisir de partager leur talent. L’auteure se livre a une analyse détaillée et pertinente de leur deux modes d’écriture, un véritable travail de critique littéraire. Elle est aussi attentive à des détails anodins mais révélateurs à propos de leur entourage ; les mauvaises langues pourraient y voir quelques velléités de dénigrement mais ce n’est en réalité qu’une façon de remettre les choses à leur vraie place.
Deux personnalités différentes donc, deux parcours mais un seul amour du pays et de l’écriture, deux monuments de la littérature né dans un période bouleversée de notre histoire. La Camarde les a emportés, « Jef » d’abord, d’un coup, puis Maurice.
J’ai toujours plaisir à lire Dominique Bona, depuis son roman « Argentina » jusqu’aux différentes biographies dont elle est l’auteure, non seulement à cause du style fort agréable à lire qui m’a toujours attiré, mais aussi de la précision et de la richesse de la documentation qui font de chacune d’elles un document exceptionnel de référence. Son travail ne m’a jamais laissé indifférent. Elle déroule la saga familiale de ces deux géants de la littérature qui ont traversé leur époque parfois mouvementée en y laissant leur marque. C’est l’apanage des êtres exceptionnels que de laisser ainsi une trace pour les mortels que nous sommes. Elle dissèque leurs similitudes, leurs différences, explique leurs prises de position au regard de leur personnalité, de leurs convictions. Cela a été non seulement un moment passionnant de lecture mai aussi l’occasion d’en savoir davantage sur ces deux écrivains majeurs.
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Stefan Zweig
- Par hervegautier
- Le 12/06/2023
- Dans Dominique BONA
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N°893– Avril 2015
STEFAN ZWEIG – Dominique Bona – Perrin.
D'emblée l'auteure définit Zweig comme un mystère. Comment se fait-il que cet écrivain talentueux des années trente, grand bourgeois cultivé, polyglotte, sensible et discret au point de ne pas s'engager, citoyen du monde, continue-t-il de tant fasciner les lecteurs ? Est-ce la noirceur de son œuvre qui se marie si bien avec notre époque tourmentée ou l'espoir d'une amélioration reste possible ?
Quand il naît en 1881à Vienne, la ville comme le pays est multiethnique et cosmopolite. Fils d'un industriel juif mais élevé dans la laïcité il se prépare à une vie facile en rêvant de sa vocation d'écrivain. A l'époque Vienne est une ville paisible et musicale, carrefour de toutes les cultures mais une cité immobile mais le jeune Stefan est impatient de vivre. Étudiant il réside à Vienne puis à Berlin où il connaît la vie de bohème bien qu'il ait toute sa vie été rentier et à l'abri du besoin, renonce temporairement à son œuvre pour devenir traducteur, voyage aussi en Europe où il rencontre les grands esprits de son temps avec qui il se lie d'amitié. Il renoue pourtant avec l'écriture et c'est d'emblée le succès. Ce début de siècle est marqué par le progrès et Sweig s’enthousiasme pour la vie et pour la paix. C'est un européen et un pacifiste convaincu mais déjà la guerre couve. Il écrit pour le théâtre, a de nombreuses secrètes et éphémères liaisons amoureuses. C'est un bel homme, distingué qui tombe amoureux d'une femme mariée, Friderike, mère de famille et romancière qui divorce pour lui et qu’il épouse dans des conditions pour le moins originales. Il en divorcera en 1938 pour épouser Lotte, sa cadette de 27 ans. Même s'il considère la femme comme un apaisement autant qu'un plaisir, il la craint, la considère comme une tentatrice qui profite de la naïveté des hommes, la compare au serpent de la Bible. Il n'en a pas moins, tout au long de sa vie, de nombreuses et éphémères liaisons amoureuses avec des amantes de passage. Pourtant les femmes dont il parle dans toute son œuvre, ne lui porteront pas bonheur. Pour autant il refusera de donner la vie, d'être père.
La guerre qui éclate va d'abord remettre en cause son idéal européen de paix puis au fur et à mesure, l'affermir et aiguiser sa lucidité politique. Déclaré inapte au service, il s’engage quand même dans une unité de vétérans chargée de la propagande mais le conflit fait voler en éclats à la fois son idéal de paix et ses amitiés étrangères. Il condamnera finalement cette guerre fratricide et criminelle. A la fin du conflit, il devient biographe, rencontre Freud qui aura dans son œuvre créatrice une importance déterminante. Le nazisme qu'il perçoit rapidement menace la paix en Europe et l'Anschluss achève ce qui lui reste d’illusions, il perd sa nationalité, et même s'il a un passeport anglais, il reste un juif errant et se réfugie au Brésil où il met fin à ses jours en compagnie de sa femme. Même s'il doute de lui en permanence, il est un écrivain adulé qui aime la vie et son travail, mais qui n'oubliera pas d'aider les jeunes auteurs. Il voyage dans le monde entier mais la littérature commence un peu à le fatiguer au point qu'il songe à l'abandonner.
Cet ouvrage remarquable, richement documenté et fort bien écrit, comme toujours chez Dominique Bona, éclaire d'un jour nouveau cet auteur majeur qui a toujours été pour moi énigmatique. En ce qui me concerne je suis toujours interrogatif à la fois sur le destin de cet homme et sur sa mort. Lui qui choisit volontairement de ne pas s'engager, finit toujours par prendre position, ne serait-ce qu'intellectuellement[Peut-on vivre sans s'engager?]. Est-ce au nom du plaisir ou du refus de responsabilités qu'il refuse de donner la vie, de ne pas avoir de descendance ? Je suis toujours étonné voire bouleversé par le destin de ceux dont la vie s'arrêtera avec eux, qui n'auront, volontairement ou pas, personne après leur mort pour honorer leur mémoire [il est vrai que son œuvre suscite largement ce mouvement]. Sa mort aussi m'interpelle dans la mesure où elle a été volontaire , lui qui avait tout. Était-il à ce point désespéré qu'il décidât d'en finir alors que la Thora dont il ne respectait pas cependant pas les préceptes et la simple morale interdissent le suicide ? Pourtant, bien qu'il soit foncièrement laïc, la judéité baigne son œuvre. S'est-il senti trahi par son époque, par ses amis, par ses idéaux, la vie s'est-elle vengée de lui avoir trop donné, refusait-il simplement de vieillir(il a 60 ans en 1942) , l'être sensible qu'il était avait-il besoin d'un soutien que sa deuxième épouse, malade chronique, ne sut ou en put pas lui donner ? Interrompre ainsi délibérément un parcours aussi exceptionnel est un geste, un engagement intime qui m'interpellent chez cet amoureux de la vie !
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sur la dalle
- Par hervegautier
- Le 09/06/2023
- Dans Fred VARGAS
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N°1753 – Juin 2023
Sur la dalle - Fred Vargas – Flammarion.
Cela fait des années que je lis et apprécie Fred Vargas. Son dernier roman ne pouvait donc échapper à ma lecture attentive.
Louviec, petit village breton a la particularité d’avoir son fantôme, celui du Comte de Combourg mort en 1709, unijambiste. Après un long silence on entend à nouveau dans les rues la nuit le bruit de son pilon et de sa canne sur les pavés ainsi que les miaulements du chat qui l’accompagne. Il a aussi une autre particularité, celle d’abriter Josselin de Chateaubriand, dit « le vicomte », un descendant de l’auteur des « Mémoires d’outre-tombe », copie conforme de son ancêtre et qui constitue une attraction touristique du lieu. L’ennui c’est que deux meurtres ont été commis à Louviec, avec pour seul point commun de fraîches piqûres de puces sur les victimes, ce qui constitue une piste pour le commissaire Adamsberg qui, parce qu’il a antérieurement mené à son terme une enquête compliquée dans la région est amené à s’occuper de cette affaire en collaboration avec Matthieu, le commissaire local. Tous les soupçons se portent sur Josselin qui proteste de son innocence. Tout l’accuse, en effet, à l’exception du mobile.
Les assassinats se multiplient avec toujours un contexte un peu ésotérique qui convient bien à la Bretagne, terre de légendes. Il est aussi question de vieilles histoires d’adultères avec avortements, de luttes qui remontent à l’école primaire, de modus operandi à l’arme blanche, commun à chaque meurtre, une histoire un peu fumeuse d’héritage avec faux testament et retour au pays, depuis les États-Unis, d’un minable petit caïd qui règne sur une bande de tueurs, d’œufs plus ou moins fécondés, de piqûres de puces, le décryptage hasardeux des dernières bribes de paroles de certaines victimes, le rapt d’un enfant, le tout enveloppé dans les agapes dispensées par l’aubergiste local et arrosées de chouchen... En réalité, les indices sont bien minces, les impasses nombreuses, les supputations hasardeuses et nos commissaires un peu dubitatifs. J’ai eu le sentiment que ça partait un peu dans tous les sens et je m’y suis même un peu perdu.
J’ai aussi un peu regretté quelques incohérences. Certes la Bretagne est une terre de tradition qui accueille les superstitions les plus folles, mais quand même. En outre, pour un petit ville de 500 habitants qui en principe se dépeuple, je trouve qu’il y a beaucoup de commerçants et finalement pas mal d’animations… L’exiguïté de l’église m’a aussi paru étonnante dans ce pays voué aux calvaires et aux processions. Quant à l’intuition d’Adamsberg à la fin qui tient de la pirouette pour le moins inattendue, même si elle doit beaucoup aux dolmens et à leur symbolique mortuaire, j’ai eu quand même un peu de mal. Son interprétation psychologique, pour brillante qu’elle soit m’a semblé artificielle et seulement de nature à clore ces investigations au soulagement de tous les enquêteurs. 500 pages pour cela, ça m’a paru beaucoup. Le déplacement d’Adamsberg laisse la brigade parisienne aux mains du commandant Danglard et son absence dans cette enquête, sa personnalité et surtout sa grande érudition m’ont aussi un peu manqué,
C’est toujours un plaisir de lire Fred Vargas, surtout après un silence de six années mais je n’ai pas tout à fait retrouvé l’intérêt de j’avais eu à la lecture de ses précédents romans. Je l’ai pourtant lu jusqu’à la fin, mais, le livre refermé, je reste sur une déception.
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En direct de la morgue
- Par hervegautier
- Le 04/06/2023
- Dans Michel Sapanet
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N°1752 – Juin 2023
En direct de la morgue – Michel Sapanet - Plon.
Sous ce titre peu engageant, digne d’un polar, l’auteur, également médecin- légiste, évoque son métier qui l’amène parfois à faire entrer son lecteur dans une dimension insoupçonnée, témoin le récit ouvrant ce qu’on peut appeler ce recueil de nouvelles, qui tient davantage du « Jugement de Dieu »médiéval que de la science, mais pourquoi pas ? Le Docteur Sapanet, que rien ne prédisposait à l’écriture, y est arrivé un peu par hasard et ce métier d’expert judiciare, assez loin de ses rêves de carabin, s’est aussi imposé à lui. Vous avez dit destin ?
Voilà donc son quatrième opus où il invite son lecteur à plonger à sa suite à la fois dans les turpitudes humaines et dans un domaine qui nous inquiète et nous fascine par le mystère qu’il porte en lui, la mort. Il est en effet un maillon essentiel de la justice et lui apporte ses lumières en faisant parler les morts qui en principe sont muets, dénoue le vrai du faux, distingue un suicide d’un assassinat, participe à la manifestation de la vérité en remettant éventuellement en cause la sacro-sainte « présomption d’innocence » qui protège les criminels. En effet, pour ceux qui sont mis en examen par l’autorité judiciaire, il y a non seulement une privation de liberté avec tout ce qu’elle implique mais aussi l’opprobre d’être un repris de justice. Quand le légiste intervient c’est à la demande des magistrats parce que la Camarde a fait son office tout en laissant derrière elle des interrogations qu’il sera chargé d’éclaircir. C’est en effet du grand art de révéler les derniers instants du mort et de combattre les évidences. De ses conclusions dépendront les orientations des investigations des enquêteurs et les suite d’un éventuels procès
Le mouvement qui caractérise la vie est rassurant et l’immobilité d’un corps suffit à provoquer chez nous une réaction d’angoisse qui est souvent motivée par la peur de la mort et il n’y a gère que le sommeil, par son côté réparateur , apaisant et temporaire qui nous fait accepter cette inertie. La mort a quelque chose de révoltant non seulement parce qu’elle interrompt, parfois violemment ou douloureusement, le cours de la vie mais aussi parce qu’elle porte en elle une charge de secrets et de mystères que les religions, avec plus ou moins de succès, s’efforcent d’atténuer. Elle nous rappelle, par sa marque même, que nous ne sommes que de passage, victimes de notre commune condition humaine, simples usufruitiers de notre vie qui peut nous être enlevée sans aucun préavis, ce qui devrait relativiser les choses. C’est en tout cas pour lui, à chaque fois, l’occasion d’approcher les turpitudes humaines que des générations de philosophes naïfs ont voulu nous faire oublier. L’agressivité qui habite chacun d’entre nous, heureusement pas toujours mise en œuvre, témoigne de notre volonté de supprimer d’une manière ou d’une autre un concurrent gênant. Le climat de violence qui anime nos sociétés depuis la nuit des temps et qui se manifeste actuellement avec plus d’acuité, en témoigne.
Il n’empêche, il a une position privilégiée pour observer cette nature humaine peu fréquentable et qui déroule devant ses yeux ses énormes possibilités de nuisance, depuis la simple auto-permissivité jusqu’au crime, en passant par le vice, les pratiques sado-maso… l’imagination des délinquants n’a d’égal que leur volonté de nuire à leur prochain.
Certes, à l’inverse de ses malades que le praticien soigne, les clients (une sorte très particulière de patients) du docteur Sapanet ne se plaindront guère, nonobstant ce qu’il leur fait subir. Ce contexte de morbidité permanente doit quand même avoir quelque chose de déprimant pour lui. Il y a certes l’habitude et la routine qui lui permettent de s’extraire d’une réalité quotidienne qui bouleverserait le commun des mortels, les nécessités d’un métier qu’il aime et qui est indispensable à la justice, mais quand même. Apparemment notre auteur y oppose l’écriture qui est un formidable moyen d’exorcisation. Ce ne sont, pourrait on dire, que du vent, que des mots, mais leur pouvoir cathartique est une réalité d’autant plus efficace qu’ils se teintent d’humour qui est une manière supplémentaire de nous faire accepter la noirceur des choses de cette vie qui, dans son domaine, est bien réel. Oui, rire (ou sourire) des choses au lieu de se laisser aller à en pleurer est aussi une arme efficace ! Il y ajoute l’art culinaire dont le résultat est un des plaisirs de cette vie, même si cuisiner des viandes est aussi rester d’une certaine manière, dans le domaine de la mort, celle de l’animal qu’éventuellement il chasse. Cela ne l’éloigne pourtant pas beaucoup de son métier puisque que, la cuisine étant aussi de la chimie, les réactions qui se manifestent post-mortem remettent souvent en cause les évidences policières. Et puis son imagination est sans limite quand il se projette dans un avenir peut-être pas si lointain qui ressemblerait, comme il le dit, à une « médecine légale 2,0 » qui allégerait ses tâches mais menacerait son poste.
Ce n’est pas la première fois que je lis Michel Sapanet dont je goûte avec plaisir son style et sa façon de montrer les choses qui, au départ se présentent assez mal, un peu comme le titre peu engageant de ce livre. Il y a certes l’aspect technique auquel je suis complètement imperméable mais j’y ai retrouvé cet humour né parfois de situations inattendues qui bien souvent dans nos vies nous aide à en supporter les vicissitudes et les épreuves et cela a été pour moi un bon moment de lecture.
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Bestiaire
- Par hervegautier
- Le 02/06/2023
- Dans Paul Léautaud
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N°1751 – Juin 2023
Bestiaire – Paul Léautaud – Grasset.
Dans sa chanson « Don Juan » Georges Brassens conjugue les accords de sa guitare avec ces deux vers « Gloire au flic qui barrait le passage aux autos pour laisser traverser les chats de Léautaud » C’est sans doute ce qui m’a fait ouvrir ce livre, autant que mon attachement à la gent féline. C’est un ouvrage composé à partir des éléments de son fameux « Journal » et consacrés aux animaux qu’il chérissait mais qu’il avait lui-même supprimés . Ces textes, publiés dans leur intégralité sont présentés chronologiquement, de 1908 à 1926 et évoquent les lieux où l’auteur à résidé en même temps que l’histoire fugace de ses bêtes dont il préférait la compagnie à celle des hommes. Ce sont souvent des animaux errants, abandonnés ou perdus, chats ou chiens, recueillis par lui pour leur éviter la fourrière ou simplement nés chez lui ou nourris et placés chez des Parisiens des faubourgs populaires. Il est même devenu un référant en matière de placement et son jardin s’est petit à petit transformé en cimetière animal (300 chats et une centaine de chiens selon Marie Dormoy, femme de Lettres, critique d’art, ancienne compagne de Léautaud et sa légataire universelle). Il déplore les sévices que leur infligent certains humains, désapprouve la vivisection et dénonce aussi les mauvais traitement infligés aux chevaux malgré le service essentiel qu’ils rendent, ce qui trahit une facette peu reluisante de l’espèce humaine qu’il a toujours fuit.
La vie de Leautaud (1872-1956) n’a pas été facile, de l’enfance à l’âge adulte et il s’est sans doute libéré de toutes les épreuves subies à la fois par l’écriture et par la fréquentation de la gent animale qui partage notre vie mais que bien souvent nous ignorons, une manière comme une autre de nourrir sa misanthropie d’écrivain maudit et de marginal. Cette posture n’a pas été qu’une façade, bien au contraire, il était généreux et authentique puisqu’il sacrifiait bien souvent sa propre nourriture, ne comptant ni son temps ni son argent au profit de ses protégés, regardés par lui comme meilleurs que les hommes. En 1907 il négligea même de terminer un roman destiné au jury Goncourt... pour s’occuper d’une chatte. Il ressentait du chagrin et même de la culpabilité quand la mort s’emparait de l’un d’eux.
Cet autodidacte a laissé de lui une image un peu ridicule, mal vêtu, vivant pauvrement, coléreux, angoissé, aux amours chaotiques, difficiles et blessées, célèbre pour sa mordacité critique, sa recherche de l’absolu, son indépendance d’esprit, sa soif de liberté qui ont fait de lui un être irrémédiablement seul. Il a peu publié (son Journal littéraire n’a été publié que dans les dernières années de sa vie puis après sa mort), n’a été connu que tardivement vers 1950, grâce à la radio, et préférait écrire ce qu’il voulait, et pour cette liberté accepta, au « Mercure de France », un emploi mal payé de chroniqueur. Son « Journal littéraire » qu’il rédigea en secret ne fut vraiment connu qu’après sa mort.
Le style qui le caractérise est fluide, dépouillé, sans fioriture, facile à lire, une sorte de mélange d’écriture et d’oralité mais le texte, né de sa volonté de sauver le maximum d’animaux, est quelque peu répétitif.
Ce bestiaire témoigne de son attachement de toute sa vie aux animaux, de son combat contre leurs souffrances, avec le regret de se voir vieillir et mourir et ainsi de devoir lâcher prise « Il n’est tout de même pas gai de penser qu’on mourra un jour , sans avoir rien pu changer à toutes la souffrance qu’on aura vu autour de soi ».
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la voix
- Par hervegautier
- Le 31/05/2023
- Dans Arnaldur Indridason
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La femme en vert
- Par hervegautier
- Le 28/04/2016
- Dans Arnaldur INDRIDASON
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La Feuille Volante n°1037– Avril 2016
LA FEMME EN VERT – Arnaldur INDRIDASON – Point.
Traduit de l'islandais par Eric Boury.
Tout ce que les bébés trouvent, ils le portent à leur bouche. Lors d'une fête d'anniversaire, on découvre une fillette en train de mâchonner ce qui se révèle être un os humain trouvé par son frère dans des fondations de futurs maisons d'un quartier de Reykjavík. Le commissaire Erlandur et deux de ses collègues sont chargés de cette enquête pas vraiment riche en indices, juste un squelette là depuis une soixantaine d'années, une maison, jadis propriété d'un commerçant, rasée et la vague indication d'une femmes vêtue de vert, la présence de groseilliers à proximité, la disparition mystérieuse d'une jeune fille peu avant son mariage ! Pour compliquer un peu les choses, les policiers son aidés d'un géologue et d'un archéologue pour dégager le corps, c'est dire le luxe de précautions qui accompagne ce travail, ce qui ne hâte pas vraiment les choses. Les recherches s'éternisent un peu autour de la présence de militaires anglais puis américains dans les environs pendant la guerre, ce qui permet au lecteur d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de ce pays. On nous raconte que Reykjavík était au départ une petite ville et qu'à l'endroit où on a trouvé le squelette il y avait des maisons d'été. La ville s'étendant, on a construit sur ces terrains et on a ainsi découvert ces restes humains. L'auteur nous raconte aussi le calvaire d'une femme, battue par son mari violent et qui a vécu ici vers 1937. Cette femme a été courageuse et a accepté sa condition de femme battue et bafouée pour protéger sa fille handicapée et ses deux fils. Nous assistons à la lente destruction d'une famille par un tyran domestique, sadique et pervers. Il y a sans doute un lien entre cette affaire et son enquête à propos du squelette découvert. Mais lequel ?
Ce roman nous apprend à connaître ce commissaire, pas vraiment intéressant, marié très tôt et qui a abandonné très tôt son épouse et ses deux enfants. Il voit rarement son fils et sa fille, Eva-Lind, enceinte et droguée est entre la vie et la mort et bien sûr, il culpabilise même si c'est un peu tard. Il entame ainsi une deuxième enquête, personnelle celle-là, pour en apprendre davantage sur la vie de sa fille et ce qui l'a amenée ainsi au pas de la mort. Il parviendra quand même à parler avec sa fille, de son enquête d'abord et faute de mieux puis petit à petit de son enfance, comme une sorte d'acte de contrition, ce qui nous en apprend un peu plus sur lui. Ainsi l'auteur fait-il une sorte de parallèle entre la famille qui a vécu dans cette maison maintenant détruite et ce qui a secoué celle du commissaire. Cet épisode familial a aussi des répercutions sur les relations qui existent entre les différents membres de l’équipe que dirige le commissaire.
Ce sont donc plusieurs histoires qui s’entremêlent dans ce roman, de nombreux analepses, ce qui le rend un peu difficile à lire et égare un peu l’attention du lecteur à mon avis malgré la tension qu'il entretient tout au long de trois cents pages. C’est un roman policier puisqu’il y a un cadavre ou plutôt un squelette et des investigations diligentées par des enquêteurs mais c'est aussi un roman psychologique et social que j'ai finalement bien aimé.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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La femme en vert
- Par hervegautier
- Le 31/05/2023
- Dans Arnaldur Indridason
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La Feuille Volante n°1037– Avril 2016
LA FEMME EN VERT – Arnaldur INDRIDASON – Point.
Traduit de l'islandais par Eric Boury.
Tout ce que les bébés trouvent, ils le portent à leur bouche. Lors d'une fête d'anniversaire, on découvre une fillette en train de mâchonner ce qui se révèle être un os humain trouvé par son frère dans des fondations de futurs maisons d'un quartier de Reykjavík. Le commissaire Erlandur et deux de ses collègues sont chargés de cette enquête pas vraiment riche en indices, juste un squelette là depuis une soixantaine d'années, une maison, jadis propriété d'un commerçant, rasée et la vague indication d'une femmes vêtue de vert, la présence de groseilliers à proximité, la disparition mystérieuse d'une jeune fille peu avant son mariage ! Pour compliquer un peu les choses, les policiers son aidés d'un géologue et d'un archéologue pour dégager le corps, c'est dire le luxe de précautions qui accompagne ce travail, ce qui ne hâte pas vraiment les choses. Les recherches s'éternisent un peu autour de la présence de militaires anglais puis américains dans les environs pendant la guerre, ce qui permet au lecteur d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de ce pays. On nous raconte que Reykjavík était au départ une petite ville et qu'à l'endroit où on a trouvé le squelette il y avait des maisons d'été. La ville s'étendant, on a construit sur ces terrains et on a ainsi découvert ces restes humains. L'auteur nous raconte aussi le calvaire d'une femme, battue par son mari violent et qui a vécu ici vers 1937. Cette femme a été courageuse et a accepté sa condition de femme battue et bafouée pour protéger sa fille handicapée et ses deux fils. Nous assistons à la lente destruction d'une famille par un tyran domestique, sadique et pervers. Il y a sans doute un lien entre cette affaire et son enquête à propos du squelette découvert. Mais lequel ?
Ce roman nous apprend à connaître ce commissaire, pas vraiment intéressant, marié très tôt et qui a abandonné très tôt son épouse et ses deux enfants. Il voit rarement son fils et sa fille, Eva-Lind, enceinte et droguée est entre la vie et la mort et bien sûr, il culpabilise même si c'est un peu tard. Il entame ainsi une deuxième enquête, personnelle celle-là, pour en apprendre davantage sur la vie de sa fille et ce qui l'a amenée ainsi au pas de la mort. Il parviendra quand même à parler avec sa fille, de son enquête d'abord et faute de mieux puis petit à petit de son enfance, comme une sorte d'acte de contrition, ce qui nous en apprend un peu plus sur lui. Ainsi l'auteur fait-il une sorte de parallèle entre la famille qui a vécu dans cette maison maintenant détruite et ce qui a secoué celle du commissaire. Cet épisode familial a aussi des répercutions sur les relations qui existent entre les différents membres de l’équipe que dirige le commissaire.
Ce sont donc plusieurs histoires qui s’entremêlent dans ce roman, de nombreux analepses, ce qui le rend un peu difficile à lire et égare un peu l’attention du lecteur à mon avis malgré la tension qu'il entretient tout au long de trois cents pages. C’est un roman policier puisqu’il y a un cadavre ou plutôt un squelette et des investigations diligentées par des enquêteurs mais c'est aussi un roman psychologique et social que j'ai finalement bien aimé.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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La voix
- Par hervegautier
- Le 31/05/2023
- Dans Arnaldur Indridason
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La voix – Arnaldur Indridason – Métaillé.
Traduit de l’islandais par Eric Boury.
Si le commissaire Erlandur croyait encore au Père Noël, ce qu’il a vu dans ce débarras d’un grand hôtel de Reykjavikl en ce matin d’hiver a dû lui mettre un sacré coup. Le Bonhomme rouge assassiné d’un coup de couteau dans le cœur, dans un sous-sol, le pantalon sur les chevilles, un préservatif imbibé de salive pendouillant entre ses cuisses… Pour la magie de Noël, on repassera ! Plus prosaïquement, Gudlaugur, la victime, était depuis vingt ans portier, en instance de licenciement, dans cet établissement. L’enquête s’annonce plutôt mal pour le commissaire et Oli, son adjoint, ça part dans tous les sens, on parle de prostitution, de drogue, du passé prometteur de la victime, d’homosexualité, de pédophilie, de solitude, de deuil, de difficiles relations parents-enfants, d’enfance sacrifiée, de déceptions, de solitude, de « promesses de l’aube » qui se transforment en catastrophes du soir, de l’implacable destin... Il est surtout question de l’éternel problème des parents qui reportent sur leur enfant leurs velléités d’une réussite qui s’est dérobée à eux ou qu’ils avaient patiemment tissée et dont la faillite devient insupportable au point qu’ils se désintéressent de leur progéniture.
J’ai retrouvé le commissaire Erlandur, comme une vieille connaissance croisée il y a longtemps et un peu oubliée (« La femme en vert »). Il est toujours aussi gourmand, a toujours les même problèmes personnels avec sa fille droguée et son fils alcoolique mais fait ce qu’il peut, depuis son divorce déjà lointain et difficile qu’il se reproche, pour s’en rapprocher et les aider. C’est une homme honnête, déprimé et seul qui fait son métier du mieux qu’il peut, mène une recherche laborieuse, pleine de conjectures hasardeuses avec la découverte de magouilles, de secrets, de tabous, de mensonges, avec en arrière-plan une autre enquête qui traite aussi de problèmes familiaux. Il reste marqué par le traumatisme et la culpabilité nés de la mort de son frère alors qu’il était encore un enfant et cette enquête est aussi pour lui l’occasion de remonter le temps avec nostalgie. J’ai apprécié qu’il n’y ait pas trop de sang ni trop de sexe ce qui est souvent le cas dans ce genre de roman mais aussi que l’auteur insiste sur de nombreuses facettes de notre espèce humaine, décidément bien peu fréquentable.
Dans le paysage littéraire islandais, Arnaldur Indridason est reconnu comme l’auteur de polars. Ici, il y a certes un contexte policier avec cadavre, enquêteurs, investigations, ambiance triste avec neige et froid malgré des préparatifs festifs de Noël auxquels notre commissaire reste étranger et je l’ai plutôt lu comme un roman psychologique, certes noir, mais aussi une étude de personnages qui, comme celui d’Erlandur est devenu plus attachant que lors de ma lecture antérieure.
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Dans la foule
- Par hervegautier
- Le 26/05/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1749 – Mai 2023
Dans la foule – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Les faits sont connus de tous puisqu’ils se sont inscrits, en ce 29 mai 1985, dans la mémoire collective. Nous sommes au stade du Heysel à Bruxelles pour le match de football entre la Juventus de Turin et Liverpool. Avant le commencement de la rencontre, les hooligans anglais envahissent la tribune des Italiens. La bousculade fait 39 morts et plus de 400 blessés.
Laurent Mauvignier s’empare de cet épisode pas très glorieux pour le football mais révélateur de nos sociétés et met en scène des personnages venus de France, de Grande Bretagne, d’Italie et de Belgique qui vont se croiser et prendre la parole en monologues. Tana et Francesco, des Italiens, sont en voyage de noces, de passage à Bruxelles et ne veulent pas manquer la rencontre. Lui sera tué en protégeant sa femme qui ensuite perdra pied dans l’alcool, la drogue, le sexe... Gabriel et Virginie sont belges et veulent assister au spectacle mais se font voler leurs billets par Jeff et Tino, des Français opportunistes et roublards qui seront blessés mais s’en sortiront, Goeff accompagne ses frères, Dough et Huggie, deux brutes, supporters de Liverpool. Trois ans plus tard Jeff et Tino, rongés par le remords, veulent retrouver Tana en Italie. Aucun des survivants n’est sorti indemne de ce désastre.
Ce triste épisode met en évidence le mouvement hooligans qui a bouleversé durablement les stades et il a fallu du temps aux autorités pour réagir et prendre des mesures pour le faire cesser. J’observe que cette volonté gratuite de détruire n’est pas du tout éteinte et que notre société actuelle en est fortement affectée. Ce qui aurait dû être un moment convivial, une communion autour d’une rencontre sportive a été gâté par la violence que porte en lui chaque être humain qui ainsi révèle sa vraie image et qui peut se réveiller à tout moment, surtout quand cela est amplifié par le phénomène d’hystérie collective. La foule a en effet ce pouvoir de modifier fondamentalement les réactions individuelles. La mort peut frapper sans préavis, quand on s’y attend le moins. Je ne suis pas bien sûr non plus que cela soit en passe de se calmer quand on assiste aux agressions en tout genre, à toutes occasions et dans tous les milieux dont notre époque est le théâtre. Le principe du « vivre ensemble », de la solidarité, qui sont louables, me semblent de plus en plus réduits à l’état de concept dans la mesure où chacun considère de plus en plus que tout lui est permis.
Je ne suis pas fan de football mais il faut bien noter que les autorités ont laissé jouer le « match du siècle »(1-0 pour Turin) malgré le drame, sans doute pour des raisons bassement financières. L’argent a continué à pourrir ce sport surtout si on considère l’attribution de la dernière coupe du monde… au Quatar. Je ne suis pas bien sûr non plus que les valeurs dont on nous rebattu les oreilles pendant des décennies sortent renforcées de cette collusion politico-financière (et pas seulement).
Dans ce texte à plusieurs voix, chaque personnage prend la parole, dévoilant sa personnalité, ses états d’âme, ses regrets, ses remords, ses obsessions, ses délires. L’écriture est volontairement hachée pour souligner l’horreur du drame. D’ordinaire, découvrir un roman de Mauvignier est pour moi un bon moment. Ici, j’ai eu un peu de mal à le suivre. Pourtant, à mes yeux, le rôle de l’écrivain, et de l’artiste en général, est aussi d’être le miroir de son époque.
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Une vie à coucher dehors
- Par hervegautier
- Le 20/05/2023
- Dans Sylvain Tesson
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N°1748 – Mai 2023
Une vie à coucher dehors- Sylvain Tesson- Gallimard.
Avec cette expression qui s’applique le plus souvent au nom (« un nom à coucher dehors » qui signifie avoir un drôle de patronyme) l’écrivain-voyageur décline, tout au long de 15 nouvelles, un concept qu’il connaît bien puisque c’est celui de la nature qu’à ses yeux il faut respecter parce que ceux qui veulent en contourner les règles vont droit à l’échec (l’asphalte). Il considère que le destin obéit également à cette loi et qu’il est vain de vouloir s’y opposer (le bug). Pour illustrer son propos il emmène son lecteur de la Sibérie à Mexico, des États-Unis à l’Écosse et au cours de ce voyage dans l’espace mais aussi dans le temps, il tricote un texte où la fiction le dispute parfois à la vraisemblance, tant il est vrai que cette nature qui nous entoure et dont nous sommes les hôtes bien souvent indélicats à son égard, se venge en faisant valoir ses droits à la survivance et même à une sort de justice (le lac). Cette dimension n’exclut évidemment pas le rêve et ses illusions qui nous aident à supporter la réalité du quotidien avec ses injustices, ses hasards malheureux et grâce auxquels on se redessine pour un temps un autre univers (la particule, la fille) ou la simple chance de profiter de moments fugaces tressés par la bonne fortune (le glen) . Parfois les choses reviennent à leur vraie place, celle qu’elles n’auraient jamais dû quitter si l’inconséquence et la cupidité des hommes n’étaient passées par là (la chance) et avec elles le respect du cycle de la vie (le naufrage).
Voyager c’est faire usage de sa liberté et la mer offre à ceux que l’aventure attire un espace où se conjuguent l’odeur de l’iode, le scintillement des vagues, la légèreté du vent qui gonfle la voile... Pour eux se priver de cette opportunité c’est renoncer au sens de leur vie qui est unique, dussent-ils pour cela tout quitter, leur famille, leur maison, leur travail...
Voyager permet d’observer le monde, de porter sur lui un regard critique, d’en apprécier la civilisation mais surtout d’en déplorer les injustices. Cette prise de conscience d’un environnement humain qui devient de jour en jour plus méprisable, fait que ses personnages fuient la foule, les autres, au point de rechercher et même de désirer la solitude (le phare, le courrier) comme un authentique art de vivre. Partager son existence avec autrui, ce qui semble être la règle aujourd’hui, le vivre ensemble dont on nous rebat les oreilles, suscite aussi les pires attitudes qui peuvent facilement aller jusqu’au meurtre, c’est à dire jusqu’à l’autorisation qu’on se donne à soi-même de disposer de la vie d’un de nos semblables, fût-il un proche.
Donc « une vie à coucher dehors » oui, mais seul !
Le voyage auquel il nous convie nous invite à observer les paysages parfois hostiles (le phrare), depuis les glaces de Sibérie (le lac)jusqu’aux tempêtes naufrageuses des îles inconnues (le courrier), parfois unique comme la couleur bleue, mystérieuse et insondable de la Mer Égée (la crique). C’est l’occasion de descriptions poétiques qui caractérisent si bien le style de notre auteur et qui à chaque fois retiennent mon attention et mon intérêt de lecteur.
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Vivre vite
- Par hervegautier
- Le 16/05/2023
- Dans Brigitte Giraud
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N°1747 – Mai 2023
Vivre vite – Brigitte Giraud – Flammarion.
Prix Goncourt 2022.
Avec ce roman Brigitte Giraud évoque la perte de son compagnon, Claude, mort il y a vingt ans d’un accident de moto. Elle s’apprête à vendre la maison qu’ils avaient achetée ensemble dans la région de Lyon et dont il n’a pas eu le temps de profiter. Ce roman est un acte de mémoire, un exercice d’exorcisme que permet l’écriture et le temps a mûri ce texte qui agit comme un exutoire. Elle analyse tous les moments qui ont précédé le drame où sa vie a basculé, remonte le temps, analyse les faits dans leur moindre détail, les redessine dans une longue série de « si » qui traduit la colère, la culpabilité, l’obsession de cet amour disparu trop tôt et qu’elle conjure par l’uchronie. En sort-elle libérée, apaisée, quand, au terme de sa démarche littéraire elle avoue « rendre les armes » ? C’est la une grande interrogation au regard de l’écriture. Perdre un être cher, l’amour de sa vie, est un drame dont on ne sort jamais indemne surtout quand cela arrive au moment où on s’y attend le moins, où l’avenir se dessinait sous les meilleurs auspices. On refuse alors d’y croire jusqu’à ce que l’évidence s’impose dans toute son horreur. On refait le chemin à l’envers, à s’en donner le vertige, avec sa cohorte d’interrogations qui resteront à jamais sans réponse.
J’ai toujours eu, à titre éminemment personnel, face à un tel événement, la même interrogation faisant mal la part des choses au regard du phénomène de l’écriture qui en même temps fixe les choses et apaise peut-être celui qui écrit. La réponse qui s’est imposée à moi, longuement élaborée et remise en question, s’est révélée fluctuante, entre la résilience naturelle de l’être humains, le temps qui passe et qui retisse le souvenir, la tentation dérisoire de vouloir remonter le temps, l’extraordinaire pouvoir de vie des êtres vivants, le hasard… L’écriture est un échec à l’oubli auquel nous sommes tous voués. La démarche de notre auteure impose le respect et traduit pour son fils ce qu’a représenté cet homme pour elle en même temps qu’elle conforte pour lui l’image de ce père mort trop tôt, même si sa disparition fige son image définitivement dans la jeunesse et la beauté. On se révolte légitimement contre le déroulement des faits, la malchance, l’inconscience, la négligence, l’imprudence, la recherche d’une certaine ivresse que procure la vitesse, la mort, surtout quand elle vient interrompre le bonheur qui emplit notre vie, quand elle brise trop tôt un parcours qui ne demandait qu’à se dérouler passionnément. Elle est la marque de notre condition humaine qui n’est pas non plus vouée à la justice, à la douceur, à la chance. On se raccroche à des signes, à d’étranges coïncidences où on veut absolument voir un sens... Nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie qui peut nous être enlevée à tout moment, surtout quand nous y attendons le moins.
J’avoue quand même que j’ai eu un peu de mal à la suivre, que j’ai été un peu gêné par la série incantatoire des « si » dont certains ne me paraissent pas justifiés au regard de la logique. J’ai trouvé dérisoire la tentative de vouloir refaire cette série d’évènements qui, comme tout ce qui concerne notre vie, entre hasard et destiné, est prévu à l’avance et se produira malgré nous, sans que nous y puissions rien, surtout si, à ce moment précis, la Camarde est en embuscade. J’ai trouvé anachronique cette culpabilité inspirée par cette religion judéo-chrétienne qui nous oblige à nous accuser de quelque chose dont nous ne sommes pas responsables et qui nous maintient ainsi, depuis des siècles, dans un état de dépendance au regard d’une hypothétique démarche de rachat de péchés pas encore commis. Ainsi sommes nous amenés, après la mort d’un proche, à nous demander si telle attitude, telle réflexion antérieures de notre part n’auraient pas été la cause des événements et nous en concevons des remords qui bouleversent notre vie pour longtemps, jusqu’à l’obsession. Cette attitude va même jusqu’à nous faire reproche d’être nous-mêmes encore en vie.
L’histoire est attachante, émouvante, intime, le style est fluide, facile à lire.
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S'abandonner à vivre
- Par hervegautier
- Le 12/05/2023
- Dans Sylvain Tesson
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N°1746 – Mai 2023
S’abandonner à vivre – Sylvain Tesson – Gallimard.
Qu’il choisisse d’évoquer la rencontre cocasse d’un mari cocu avec l’amant, escaladeur de façades, de sa femme, qu’il nous parle de la fin tragique d’une mission britannique au Pôle ou qu’il dénonce avec délectation les Russes, leur addiction à la fornication et à la vodka ou la beauté et la sensualité de leurs femmes, Sylvain Tesson ne se départit pas de son style alerte et jubilatoire où les descriptions poétiques le disputent à la qualité de sa documentation, ce qui donne pour son lecteur un texte facile à lire et dont il se délecte jusqu’à la fin. A lire ses nouvelles il semble avoir un particulier attachement à la montagne et à l’escalade et il nous balade dans le monde entier, sous toutes les latitudes et dans tous les milieux. Sous sa plume, même la mort n’a pas cette dimension tragique et c’est entre les lignes qu’il conseille de privilégier la vie, même si celle-ci peut parfois réserver bien des surprises et pas toujours des bonnes.
Le titre a pourtant quelque chose de fataliste. En effet, pour notre auteur, il faudrait accepter le monde dans son absurdité, car il n’en manque pas, se laisser porter par la vie sans chercher à en combattre les évènements parce que ce combat est perdu d’avance, accepter le hasard qui fait partie de nos vies bien plus que nous voulons bien l’avouer, le sort ou la destiné selon le nom qu’on veut lui donner.
Quand nous naissons, c’est à dire quand nous sortons du néant, une hypothétique divinité ouvre à notre nom un livre dont nous tournons plus ou moins longtemps les pages. Quand nous retournons au néant, la Camarde en arrache une, la dernière, et range ce livre dans la grande bibliothèque de l’oubli. Alors, pourquoi pas accepter la vie telle qu’elle est, telle qu’elle vient, au jour le jour, sans se poser trop de questions. C’est une philosophie qui en vaut bien un autre et qui a au moins l’avantage de la simplicité, loin des interdits religieux censés nous valoir une incertaine éternité heureuse et les déductions oiseuses des supposés penseurs qui se targuent de nous servir de boussole.
Ce titre viendrait du mot russe « pofigisme » qui est intraduisible en français, qui est une sorte de philosophie, une torpeur métaphysique qui ferait partie de l’âme russe. C’est un peu l’attitude des personnages de ces dix-neuf histoires qui, avec une certaine forme d’humour, acceptent la vie comme elle vient, surtout quand le merveilleux et l’inexplicable, selon critères du cartésianisme, s’invitent dans nos vies.
J’avoue que je partage cette vision des choses.
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Loin d'eux
- Par hervegautier
- Le 10/05/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1745 – Mai 2023
Loin d’eux– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Il est communément admis que si, pour un couple, la venue d’un enfant peut éventuellement être le couronnement de leur amour, il n’en reste pas moins qu’on n’a pas d’enfants pour soi, c’est à dire que, la période de jeunesse passée, même si elle a été heureuse, ils partent faire leur vie ailleurs. Luc ne se sentait pas bien chez ses parents, ne voulait pas leur ressembler, ne supportait plus la vie avec eux, trop seul, trop incompris, il voulait autre chose. Il a donc quitté la province pour un travail et une vie à Paris, loin d’eux. Au sein de sa famille, son absence pesante était seulement adoucie par quelques courriers rédigés en termes convenus, des communications téléphoniques, des visites rapides… Cela aurait pu être une histoire banale sur les relations, souvent difficiles, parents-enfants, comme on en rencontre dans toutes les familles. Cela aurait pu s’arranger avec un mariage, la naissance de petits-enfants et un nouvel intérêt pour la vie et pour l’avenir, mais les choses se sont déroulées autrement. Pour Céline, sa cousine avec qui il a eu une longue complicité, c’est un peu différent. Elle s’est mariée tôt, a fondé une entreprise avec son mari mais ce dernier est mort dans un accident et tout a basculé pour elle. Elle est partie avec un inconnu, qui le restera pour sa famille, vers une autre vie, un autre espoir, mais sans grande conviction.
Avec une intense écriture, c’est l’évocation de la mort qui est ici déclinée à travers ces deux personnages. La Camarde s’est insinuée entre les pages de leur deux livres, en arrachant la dernière pour Luc et pour Céline en creusant un vide qu’elle cherchera à combler sans jamais y parvenir, inversant ainsi le cours normal des choses et des deuils. Un désastre pour elle, une délivrance pour lui. La mort, on vit sans vraiment y penser et quand elle se manifeste chez les autres on se félicite qu’elle nous ait épargnés. Certes Céline survit au décès de son mari et refait sa vie, mais elle choisit une forme de fuite avec un inconnu pour exorciser son chagrin. C’est simplement pour nous rappeler les termes de notre pauvre condition humaine, c’est à dire que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie, qu’elle peut nous être enlevée quand nous nous y attendons le moins et sans le moindre préavis. Pour Luc et son option qu’on sent venir tout au long de ce court texte, il exprime définitivement un refus, un échec. Tous les deux ont fait le constat que la vie ne les aimait pas et qu’ils ne l’aimaient pas non plus. Leur choix et plus spécialement celui de Luc, s’est exprimé sans tenir compte de ceux qui restent, qui ne méritaient pas cette épreuve et qui vont porter ce poids toute leur vie, avec leurs interrogations inévitables, leur refus d’y croire, la certitude que le monde autour d’eux s’effondre, leur incontournable culpabilisation, la certitude grandissante de n’avoir pas fait ou pas dit ce qu’il fallait quand il le fallait. Ils auront beau verser des larmes, se dire qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu, que la vie continue, que le temps aplanira leur peine, se convaincre que les morts revivent dans la mémoire des vivants, se raccrocher aux souvenirs, aux photos pour artificiellement faire revivre le disparu, tout cela sera dérisoire face à la réalité, au vide, à l’absence. Même l’affirmation de la religion sur la résurrection se révèle artificielle. Ce qui restera de cette épreuve c’est la solitude, les remords, tout juste atténués par de bienveillantes présences amies, porteuses de mots ou de silences.
Chacun des deux parents, Jean et Marthe, prend alternativement la parole, de même que Gilbert et Geneviève, ses oncle et tante et que Céline, sa cousine. Lui aussi s’exprime mais ce sont des monologues et tous racontent leurs interrogations, leurs difficultés, leur bonne foi, leur solitude, leur impuissance, leur désarroi.
Ce que j’attends d’un romancier c’est, entre autre d’être le miroir de son temps mais aussi de notre condition humaine dont la mort fait partie, même si l’image qu’il nous renvoie est cruelle, simplement parce que la vie est ainsi quand elle choisit ses victimes.
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Tout mon amour
- Par hervegautier
- Le 06/05/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1744 – Mai 2023
Tout mon amour– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Ici il s’agit d’une pièce de théâtre assez particulière , à la mise en scène dépouillée, faite de peu de décor, de jeux de lumières avec une prédilection pour le noir, la couleur du costume du père, celle de la mère au début mais aussi un jeu sur la symbolique des vêtements de chacun et notamment le rouge vif, celui des robes de la mère et de la fille, de son cosmétique. Les dialogues sont hésitants, parfois faits de non-dits, de silences et de soliloques, comme ce qu’ils avaient à dire était impossible à formuler, la progression de l’intrigue est assez lente de l’intrigue, les personnages sans nom, juste individualisés par leur place dans la famille (le père, la mère...qu’une seule lettre résume). Seule la fille a un prénom, Élisa. Ils semblent s’ignorer entre eux et quand ils se parlent, les dialogues sont peu apaisés, parfois violents, parce que ce qu’ils évoquent appartient à un lourd passé que personne ne peut oublier, les vivants parlent aux morts, les absents imposent leur présence, leur attitude les uns par rapport aux autres indique les qualité de leurs relations personnelles entre eux, leurs oppositions. Certains semblent régler des comptes qu’ils n’ont pas su solder de leur vivant. Cette pièce est la première de Laurent Mauvignier qui nous avait habitué dans ses différents romans à une écriture plus fluide et poétique.
Le Grand-père vient d’être enterré, son fils (Le père) a assisté aux obsèques avec son épouse (La mère) en l’absence de leur fils (Le fils) et d’un oncle qu’on ne verra pas. Tous ont envie d’expédier les formalités de la succession peut-être pour vendre la maison qui porte en elle trop de souvenirs. Intervient une fille Elsa dont on découvre qu’elle a disparu dans un bois dix ans plus tôt. S’engage entre eux une conversation hachée, faite de regrets, de remords, de souvenirs mal digérés, de querelles non réglées, de colères rentrées où l’urgence le dispute à l’hésitation, ou attendre devient la règle. La maison de famille qui sert d’ environnement et qui, petit à petit devient elle-même un personnage.
Je ne sais pas si j’ai bien compris mais Elsa qui revient et que la mère ne veut pas voir, pose le problème. C’est une petite fille de six ans, c’est à dire innocente et incapable de réagir face aux décisions des adultes qu’on a éloigné de sa famille parce qu’elle y était devenue un élément indésirable et parce qu’on voulait favoriser le fils qu’ainsi on surprotège. C’est la mère, castratrice et dominatrice qui est responsable de tout cela parce qu’elle en a décidé ainsi et qui déplore l’évolution de ce fils qui un jour tombera sous l’influence d’une jeune-fille qui le soustraira à son influence.
L’auteur nous replonge dans les vieilles querelles de famille, la solitude, le fossé entre parents et enfants, le favoritisme au sein d’une même famille qui crée des injustices dans la fratrie, la culpabilité, les secrets enfouis au fond de la mémoire, les souvenirs oubliés mais qui peu à peu reviennent, ressassés à devenir obsessionnels, une volonté de se faire mal pour mieux goûter une forme peut-être illusoire de rédemption. L’opposition entre la mère et Elsa est constante et on sent un désir de vengeance chez cette dernière, tandis que la mère, responsable de tout cela, cherche à se donner de bonnes raisons d’avoir agi ainsi et même se pose en victime. La fuite de cette maison chargée de souvenirs malsains est une façon de les nier.
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Tout mon amour
- Par hervegautier
- Le 06/05/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1744 – Mai 2023
Tout mon amour– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Ici il s’agit d’une pièce de théâtre assez particulière , à la mise en scène dépouillée, faite de peu de décor, de jeux de lumières avec une prédilection pour le noir, la couleur du costume du père, celle de la mère au début mais aussi un jeu sur la symbolique des vêtements de chacun et notamment le rouge vif, celui des robes de la mère et de la fille, de son cosmétique. Les dialogues sont hésitants, parfois faits de non-dits, de silences et de soliloques, comme ce qu’ils avaient à dire était impossible à formuler, la progression de l’intrigue est assez lente de l’intrigue, les personnages sans nom, juste individualisés par leur place dans la famille (le père, la mère...qu’une seule lettre résume). Seule la fille a un prénom, Élisa. Ils semblent s’ignorer entre eux et quand ils se parlent, les dialogues sont peu apaisés, parfois violents, parce que ce qu’ils évoquent appartient à un lourd passé que personne ne peut oublier, les vivants parlent aux morts, les absents imposent leur présence, leur attitude les uns par rapport aux autres indique les qualité de leurs relations personnelles entre eux, leurs oppositions. Certains semblent régler des comptes qu’ils n’ont pas su solder de leur vivant. Cette pièce est la première de Laurent Mauvignier qui nous avait habitué dans ses différents romans à une écriture plus fluide et poétique.
Le Grand-père vient d’être enterré, son fils (Le père) a assisté aux obsèques avec son épouse (La mère) en l’absence de leur fils (Le fils) et d’un oncle qu’on ne verra pas. Tous ont envie d’expédier les formalités de la succession peut-être pour vendre la maison qui porte en elle trop de souvenirs. Intervient une fille Elsa dont on découvre qu’elle a disparu dans un bois dix ans plus tôt. S’engage entre eux une conversation hachée, faite de regrets, de remords, de souvenirs mal digérés, de querelles non réglées, de colères rentrées où l’urgence le dispute à l’hésitation, ou attendre devient la règle. La maison de famille qui sert d’ environnement et qui, petit à petit devient elle-même un personnage.
Je ne sais pas si j’ai bien compris mais Elsa qui revient et que la mère ne veut pas voir, pose le problème. C’est une petite fille de six ans, c’est à dire innocente et incapable de réagir face aux décisions des adultes qu’on a éloigné de sa famille parce qu’elle y était devenue un élément indésirable et parce qu’on voulait favoriser le fils qu’ainsi on surprotège. C’est la mère, castratrice et dominatrice qui est responsable de tout cela parce qu’elle en a décidé ainsi et qui déplore l’évolution de ce fils qui un jour tombera sous l’influence d’une jeune-fille qui le soustraira à son influence.
L’auteur nous replonge dans les vieilles querelles de famille, la solitude, le fossé entre parents et enfants, le favoritisme au sein d’une même famille qui crée des injustices dans la fratrie, la culpabilité, les secrets enfouis au fond de la mémoire, les souvenirs oubliés mais qui peu à peu reviennent, ressassés à devenir obsessionnels, une volonté de se faire mal pour mieux goûter une forme peut-être illusoire de rédemption. L’opposition entre la mère et Elsa est constante et on sent un désir de vengeance chez cette dernière, tandis que la mère, responsable de tout cela, cherche à se donner de bonnes raisons d’avoir agi ainsi et même se pose en victime. La fuite de cette maison chargée de souvenirs malsains est une façon de les nier.
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Le colibri
- Par hervegautier
- Le 04/05/2023
- Dans Francesca Archibugi
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N°1741 – Mai 2023
Il colibrì ( Le colibri)– Un film italien (coproduction franco-italienne) de Francesca Archibugi (2022)*.
Ce film est une adaptation du roman homonyme de Sandro Veronesi, couronné en 2020 par le Prix Strega. Cet ouvrage, expérimental dans la forme, a la caractéristique d’être destructuré en ce sens que son auteur ne respecte pas la linéarité narrative. C’est une histoire compliquée d’amour et de vie, déclinée sous forme de nombreux flash-back où le spectateur se perd un peu entre survivance à un accident d’avion, un problème de culpabilité, des amours chastes, des parties de poker...
Au début, un ophtalmologue, marié et père de famille, Marco Carrera (Pierfrancesco Favino), surnommé « Le Colibri » par sa mère à cause sans doute d’un retard de croissance mais surtout parce que cet oiseau a la caractéristique de rester à la même place et même de voler à reculons en bravant les changements, apprend de la bouche de Daniele Carradori (Nanni Moretti), le psychiatre de sa femme Marina (Kasia Smutniak) que celle-ci le trompe. Cette révélation, déontologiquement interdite, met en exergue le destin compliqué de Marco, qui a peut-être toujours voulu refuser l’évidence, qui cherche à résister aux coups que le sort lui envoie. Sa femme est jalouse et cette jalousie est justifiée par le fait que Marco a effectivement une maîtresse, Luisa (Bérénice Bejot), elle-même mariée, mais cet amour qui remonte à l’adolescence est platonique, fait de courriers amoureux et seulement de sages baisers sans qu’aucun des deux ne se résolve à obtenir le divorce et à vivre cette liaison au grand jour, un peu comme si cette règle du jeu amoureux était un gage de survie pour tous les deux. A partir de ce moment, il explore sa mémoire, remonte le temps en évoquant les personnages qu’il a croisés. C’est son frère avec qui il a des relations compliquées au point de ne plus lui adresser la parole à cause du suicide de leur sœur mais surtout les femmes, la sienne qui finit par lui avouer qu’elle ne l’a jamais aimé et qui obtient le divorce, son amoureuse avec qui il vit un amour passionné, sage mais secret, sa fille, perturbée par la certitude d’avoir un fil invisible dans le dos qui la retient(cette obsession la suivra jusqu’à la fin), sa sœur qui se suicide, puis sa petite-fille de qui il choisit de s’occuper seul parce qu’elle est sans doute, à ses yeux, celle qui peut racheter toute la tragédie de sa vie.
Dans cette histoire se bousculent l’hypocrisie des liens familiaux et matrimoniaux, l’adultère, la culpabilité, la résilience, le mensonge, le pardon, le deuil, mais aussi la maladie et la mort. Pour autant je ne suis pas bien sûr que Marco mérite son surnom jusqu’à la fin puisqu’il choisit lui-même de mettre volontairement un terme à son drame personnel, refusant en quelque sorte de se laisser encore ballotter par un destin funeste, un peu comme si, épuisé, il renonçait. Car c’est la Camarde qui s’invite aussi dans sa vie, à travers notamment le suicide de sa sœur, Irène, l’accident mortel de sa fille, ce qui dans sa vie inverse le cours naturel des choses et qui impose aux parents le deuil de leur enfant.
Un film qui interroge le spectateur et assurément ne le laisse pas quitter la salle indemne.
*Film présenté dans le cadre de Cinetalia- Premier festival du film italien à Niort.
A propos de ce premier festival de cinéma, qui je l’espère sera suivi par d’autres les années suivantes, j’en profite pour signaler aux amoureux de l’Italie et de la langue italienne l’existence de « Il Botteghino », un bulletin d’informations bilingue, uniquement diffusé sur internet (italscene@hotmail.com)
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Le lien
- Par hervegautier
- Le 04/05/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1743 – Mai 2023
Le lien– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
J’apprécie le style de Laurent Mauvignier et le lire est toujours un plaisir.
C’est un dialogue entre « Elle » et « Lui », une manière de faire le point sur leurs relations au cours de leur vie. Lui est parti il y a trente ans photographier le monde et user de sa liberté et elle est restée dans la chambre, leur chambre, de cette maison isolée dans la campagne, avec sa crainte du danger et seulement des courriers pour l’apaiser. Il s’aimaient sans doute au début mais le fait de passer leur vie ensemble, de voir ce lien originel se détendre et s’altérer en même temps que les forces de leur corps, les a découragés. Constater que partager le même quotidien routinier pendant des années révèle plus que tous les grands discours les failles et les faiblesses de l’autre, son vrai visage, au point qu’on finit par se dire qu’on s’est trompé… c’est une réalité à laquelle ils ont choisi d’échapper ! Il est parti pour ne pas passer à côté de sa vie, pour ne pas avoir, en fin de parcours, à se dire qu’il n’a pas tenté de faire ce qu’il voulait réellement réaliser, pour n’avoir pas de regrets. Et elle l’a regardé s’éloigner par manque de courage ou peut-être pour jouer, avec une certaine vanité, le rôle de celle qui attend, la victime passive ou la gardienne orgueilleuse des lieux ? Il l’a quittée parce qu’il s’ennuyait, par crainte de l’usure du couple qui s’ouvre souvent sur l’indifférence voire la haine, la séparation, mais cette longue absence ressemble aussi à une fuite. Il lui envoyait ses carnets de voyage et ses clichés et elle les archivait, mais la maladie qui l’assaille et la mort qui s’annonce lui interdisent désormais ce travail et c’est pour cela qu’il revient. Il veut réaliser avec elle un livre sur ses errances, des images et des mots quasi clandestins qui voudraient changer un monde immuable dans ses violences et ses injustices.
A-t-elle accepté cette situation, ce quasi veuvage, cette solitude par amour ou parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement? Ça n’a pas été ni pour l’un ni pour l’autre une période chaste, « il faut bien que le corps exulte » dit la chanson, il y a eu des moments de rapides étreintes avec d’autres partenaires où on ne recherche que le plaisir au détriment du bonheur et évidemment de l’amour, et lui y a même ajouté quelques litres d’alcool parce que cela collait bien avec son personnage d’aventurier. Elle a accepté de passer pour une marginale, une séductrice, un briseuse de ménages et a assumé cette image dans cette contrée perdue. Ils auraient pu faire un enfant qui est aussi un gage d’amour pour conforter ce lien entre eux, mais ils s’en sont dispensés, peut-être par sécurité. Il est certes parti au loin mais a emporté avec lui les senteurs et les couleurs du jardin, la chaleur de la pierre et, bien sûr, son visage à elle, mais il parti quand même et dans un geste égoïste où j’ai du mal à voir de l’amour pour elle. Il revient parce qu’elle est malade et qu’elle va mourir c’est à dire qu’il veut garder d’elle une dernière image. Tous les deux ont choisi leur vie, leur recherche d’une forme de bonheur, l’un sans l’autre, avec cette sorte d’assurance de pouvoir se retrouver ensemble si son entreprise était par trop altérée par les découragements et les échecs. Pendant ces retrouvailles qui seront sans doute courtes, ils égrènent les bonnes raisons d’avoir agit ainsi, un peu comme pour se justifier l’un l’autre, comme une confession qui n’exclut évidemment pas la culpabilité. Mais quand même, trente ans ça fait long ! Il a beau dire qu’il ne l’a jamais oubliée, que c’était elle qu’il retrouvait dans le visage des autres femmes, ça me paraît un peu artificiel ! A la fin, elle prétend être heureuse parce qu’elle va mourir c’est à dire qu’elle va enfin être libérée de ses remords, de ce sentiment de gâchis, de ces déceptions, de ces moments de solitudes et de craintes accumulés pendant ses trente années, c’est vraiment tout ce qui lui reste.
Je n’ai peut-être rien compris mais j’ai lu dans ce dialogue deux formes de déréliction, d’échec, deux évidences face à la vie qui est unique et qu’on choisit.
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La chambre bleue
- Par hervegautier
- Le 03/05/2023
- Dans Georges Simenon
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N°1742 – Mai 2023
La chambre bleue – Simenon – Presses de la cité.
C’est une histoire assez banale au départ, un homme, Tony, rencontre une femme, Andrée, et ils se retrouvent dans une chambre d’hôtel pour des étreintes furtives et frénétiques. Ce qui l’est un peu moins c’est que ces amants, la trentaine, mariés mais chacun de leur côté, sont convoqués devant la justice, pas pour le prononcé d’un divorce mais devant la Cour d’Assises avec instruction, décorum, ministère public, psychiatres et jurés, leurs conjoints respectifs ayant trouvé la mort dans des circonstances troublantes qui ont intrigué les habitants manifestement au courant de cette liaison. Lui, il est plutôt bel homme, assez volage, du genre « donnaiollo »comme disent si joliment nos amis Italiens et ce qui l’intéresse c’est surtout assouvir ses désirs sexuels. Elle, mariée à un triste et valétudinaire épicier de son village est fascinée par son amant et veut refaire passionnément sa vie avec lui, ce qui n’emballe guère Tony, attaché malgré tout à sa famille, plus par tradition que par amour. Il voulait bien d’Andrée comme maîtresse, mais pas comme conjointe, mais elle voyait les choses autrement avec lettres anonymes et rendez-vous convenus. C’est ainsi lui qui décide de mettre fin à leur aventure d’à peine un an. Le mensonge qu’il a toujours pratiqué avec sa naïve et douce épouse, il l’adopte à nouveau avec son amante et même avec le juge qui éprouve pour lui une certaine sympathie et qui tente de cerner sa personnalité mais les aveux d’Andrée sont révélateurs et le piège se referme.
C’est le type de roman psychologique dans lequel Simenon excelle et qui ne doit rien au commissaire Maigret. Les scène érotiques sont à la mesure de la passion éprouvée par Andrée. Ce genre de situation ne se rencontrent pas que dans les romans puisque l‘amour, qu’on fait, Dieu sait pourquoi, rimer avec « toujours », n’a pourtant rien de définitif dans un couple à cause des rencontres, des tentations, des illusions, de l’usure des choses, de l’ennui qui s’installe, des trahisons, des humiliations, des déceptions... Le fait de faire durer le mariage ne tient souvent qu’à des raisons financières, sociales ou religieuses et si le bonheur qui est une aspiration légitime n’est pas toujours au rendez-vous, il est toujours tentant de peser illégalement sur le cours des événements. L’auteur fin spécialiste de la psychologie humaine ne pouvait passer à côté de cela.
Le suspense est entretenu avec les lettres laconiques mais parlantes qu’Andrée adresse à Tony et on ne sait pas très bien s’il est acteur de ce drame ou victime des circonstances.
J’ai lu ce roman sans désemparer tant il est bien écrit et passionnant. Paru en 1964 il a fait l’objet d’une adaptation cinématographique éponyme par Mathieu Amalric en 2014 .
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Avec la permission de Gandhi
- Par hervegautier
- Le 02/05/2023
- Dans Abir Mukherjee
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N°1739 – Avril 2023
Avec la permission de Gandhi - Abir Mukherjee – Liana Levi
Traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Battle.
Calcutta fin décembre 1921, le prince de Galles est en visite officielle dans cette partie de l’Empire et les partisans de Gandhi, favorables à l’indépendance, entendent bien en profiter pour fomenter des troubles que le capitaine de police Wyndham, opiomane et alcoolique, et son adjoint le sergent Banerfee sont précisément chargés d’éviter. Il ne manquerait plus que la visite princière soit polluée par une révolte populaire. Des entrevues ont lieu avec les meneurs indépendantistes d’autant plus facilement que le sergent est de leur famille, mais compte tenu des événements cela ne servira à rien puisque le sergent il a du mal à concilier ses sympathies pour les mouvements indépendantistes et son appartenance à la police britannique. Un soir qu’il quitte précipitamment une fumerie d’opium, le capitaine tombe sur le cadavre d’un chinois qui peu de temps après disparaît pour se retrouver dans une morgue, une infirmière portugaise est retrouvée morte, assassinée dans d’étranges circonstances, d’autres cadavres sont découverts, exécutés selon le même modus operandi et les troubles se multiplient dans le quartier résidentiel anglais, ce qui commence à faire beaucoup. Il enquête donc, dans les vapeurs de son whisky favori et le brouillard des fumeries d’opium, mais ses investigations sont troublées par les militaires anglais, un peu comme si ses recherches gênaient paradoxalement les autorités britanniques.
Le style est alerte, agréable à lire, avec un sens consommé du suspense.
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il campione
- Par hervegautier
- Le 28/04/2023
- Dans Leonardo Agostini
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N°1740 – Avril 2023
Il campione (Le défi du champion) – Un film italien de Leonardo d’Agostini (2019)*.
Qu’y a-t-il de plus fédérateur que le football dans la société moderne et en Italie en particulier ?
Pour Christian Ferro (Andrea Carpenzano), jeune joueur vedette de l’AS Roma, c’est l’assurance d’une longue et fructueuse carrière mais sa popularité le transforme en un être arrogant qui considère que tout lui est dû, que tout lui est permis et qui se laisse facilement éblouir par l’argent facile et par la notoriété. Las de ses excès, le président du club, pour améliorer son image auprès du public et son attitude agressive sur le terrain, conditionne sa future participation aux matchs à ses résultats scolaires et à sa réussite au baccalauréat. Dans ce but, il recrute Valerio Fioretti (Stefano Accorsi), un enseignant solitaire et fauché, dubitatif au départ eu égard au quasi illettrisme du jeune homme et à ses relations amicales faites d’insignifiants, de parasites et même d’un père escroc. Grâce à une méthode pédagogique originale qui est acceptée par Christian, Valerio réussit à intéresser son élève, à améliorer son éducation et même à faire changer son comportement sur le terrain comme dans sa vie. La complicité des deux hommes se transforme progressivement en une relation intime et quasi filiale, ce qui bouleverse l’existence de Valerio mais est également importante pour Christian qui, depuis la mort de sa mère, vit sans véritable famille. La rencontre de Christian avec avec une amie d’enfance, Alessia (Ludovica Martino ) qui travaille pour payer ses études de médecine, raccroche le jeune joueur à ses racines pauvres et populaires. Mais les choses ne sont jamais aussi simples et pérennes dans une société superficielle basée sur l’argent et le monde du football qui fait et défait la carrière de ceux qu’elle a un temps promus. Il partira pour son nouveau club, assurément seul, et l’AS Roma l’oubliera.
Ce qui semblait au départ n’être qu’une comédie légère se transforme petit à petit en une pertinente étude de personnages portée par des acteurs de talent, une réflexion sur la notoriété et la réussite éphémères face à la remise en cause de son propre parcours et à la rencontre d’êtres différents.
Il s’agit là du premier film de Leonardo d’Agostini en tant que metteur en scène.
*Film présenté dans le cadre de Cinetalia- Premier festival du film italien à Niort.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com
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Autour du monde
- Par hervegautier
- Le 27/04/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1738 – Avril 2023
Autour du monde – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Avec ce titre à la Blaise Cendras, l’auteur nous entraîne dans des fragments de vie de quatorze personnages repartis dans divers pays du monde qui n’ont aucun lien entre eux, ne se connaissent même pas et qui n’ont que pour point commun que le tsunami de Fukushima du 22 mars 2011 qui porte la mort en lui, c’est assez dire la fragilité de la vie face à la puissance destructrice de la nature.
Ces personnages sont toujours en mouvement, comme pris dans une sorte de maelström d’une société vide de sens, uniformisée, sans aucune originalité surtout caractérisée par la solitude malgré l’agitation, les expériences individuelles, l’amour et la guerre, un peu comme si chacune de ces séquences se résumait à une sorte de carte postale comme les images qui accompagnent chaque récit. J’ai eu un peu de mal a entrer dans cette lecture, certes on passe d’un univers à l’autre, de la Russie à l’Afrique, de New York à Paris, les histoires sont différentes et n’ont aucun point commun, tout comme les personnages qui les font vivre, le seul lien étant la catastrophe du Japon. On peut peut-être regretter de ne pas en savoir davantage sur tous ceux qui nous sont ainsi présentés l’espace de quelques pages puisqu’ils s’effacent ainsi trop rapidement aux yeux du lecteur. C’est sans doute l’effet recherché par l’auteur qui, au départ avait souhaité évoquer un jardin public avec des gens qui s’y croisent avec chacun son histoire, sa tranche de vie, ses expériences, tout en commentant l’actualité parfois cruelle comme un fait divers, le monde prenant la place du simple square.
Mon allusion à Cendrars n’était pas fortuite puisque il a lui-même indiqué que ce qui importait à ses yeux c’était moins le voyage qu’il relatait dans « La prose du transsibérien » que ce que le lecteur pouvait éprouver à sa lecture, ce qui rejoint la phrase de Nicolas Bouvier notée en exergue « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait »
Comme toujours le style est fluide et agréable à lire, les transitions entre les histoires sont subtiles et le miroir dans lequel se reflète le monde, sans concession.
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The quiet Girl
- Par hervegautier
- Le 24/04/2023
- Dans Colm Bairéad
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N°1737 – Avril 2023
The quiet girl – Un film de Colm Bairéad (2022).
Nous sommes dans l’Irlande catholique des années 1980. Càit (Catherine Clinch), une fillette de neuf ans, effacée, mal aimée, pas vraiment fan de l’école et soucieuse de sa liberté et de sa solitude, vit à la campagne, dans une famille nombreuse qui connaît des difficultés financières avec un père peu attentif à son foyer. Parce que sa mère est de nouveau enceinte, ses parents décident de l’envoyer pour les vacances d’été dans une ferme appartenant à de lointains cousins sans enfants, qu’elle n’a jamais vus mais qui la connaissent. En réalité c’est une manière peu élégante de se débarrasser d’une bouche à nourrir.
C’est le début d’une histoire pleine d’émotions qui aurait pu être banale mais qui fait découvrir à la petite fille, une femme, Eibhin (Carrie Crowley) qui la prend d’emblée en amitié puis son mari Seàn (Andrew Bennett), plus taiseux et froid au départ mais qui l’adoptera vite. Cela devient pour elle une vraie famille, bien différente de celle que le hasard lui avait désigné. Cet attachement est subtilement distillé par de petites touches de la part de Seàn, un petit gâteau sur le coin d’une table, un gros billet pour qu’elle s’achète une simple crème glacée ou des robes neuves qu’on lui offre, un complicité grandissante entre Càit et lui, comme la course quotidienne vers la boîte aux lettres et un symbole, une troisième lumière aperçue au bord de la mer, dans la nuit. Càit y trouvera sa place, sortira de la torpeur malsaine de son enfance et illuminera ce couple malmené par la vie, malgré les hésitations, un secret qu’elle y découvre par hasard, les méchancetés curieuses des voisins, une autre manière pour elle d’entrer malgré tout dans le monde des adultes avec ses difficultés, ses secrets et ses deuils. C’est une sorte de période de transition pour la petite fille et pour ses cousins, chacun reprenant à sa manière le goût de vivre. Elle prendra chez eux quelques centimètres et des couleurs grâce à une nourriture saine et une attention de tous les instants, ils puiseront durant ces quelques semaines une nouvelle occasion de se rapprocher l’un de l’autre et cette expérience d’un été se conclut dans une émouvante image de fin. Ce long-métrage souligne la fragilité des choses humaines, la délicatesse des sentiments malgré les épreuves, la douceur du sourire retrouvé, la redécouverte d’un amour qu’on croyait définitivement perdu.
Ce film est une adaptation d’un roman de Claire Keegan, « Foster », paru en 2011, publié en France par les éditions Sabine Wespieser sous le titre « Les trois lumières ». C’est une belle histoire, remarquablement servie par des personnages lumineux, tout en nuances et en sensibilité, admirablement photographiée et mise en scène avec une simplicité apparente mais cependant poétique et bouleversante.
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Des hommes
- Par hervegautier
- Le 19/04/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1736 – Avril 2023
Des hommes – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Peut-on oublier la guerre, celle qu’on a faite à vingt ans sans vraiment le vouloir.
Le narrateur qui est le cousin de Bernard, du même pays et de la même classe que lui, évoque l’histoire personnelle de ce dernier, la conscription des années 60 qui a arraché à leur terroir boueux qu’ils n’avaient jamais quitté des jeunes gens à peine sortis de l’adolescence pour les précipiter dans la guerre du djebel. Il raconte le traumatisme subi par ces petits gars de la campagne qui découvrent certes un pays, un climat et des gens qu’il ne connaissent pas, apprennent l’ennui et les corvées des longues journées de caserne mais surtout le dégoût de la violence perpétrée contre les populations civiles, l’horreur des combats et des exécutions, la trahison, la peur du danger, des attentats et de la mort, au bled comme en ville, le devoir de tuer si on ne veut pas perdre la vie, la trouille qu’on appelle aussi le courage. Ils doivent défendre le territoire parce que là aussi c’est la France. Libéré après de longs mois Bernard revient en métropole, rompt avec sa famille, tente de refaire sa vie loin d’elle, avec femme et enfants mais revient longtemps après dans son village comme SDF alcoolique et marginal. Les vielles histoires de famille reviennent longtemps après avec des conséquences inattendues et une banale fête d’anniversaire va faire ressurgir tout ce passé qu’on croyait oublié.
Cette guerre d’Algérie que l’auteur n’a évidemment pas faite revient dans son œuvre comme un leitmotiv oppressant et accompagne la figure muette de son père. Cela a traumatisé toute une génération de jeunes gens envoyés là-bas et dont certains ne sont jamais revenus, et tout cela pour rien, pour un pays perdu d’où ont été expulsés tant de « pieds-noirs » trahis par les hommes politiques, on a sacrifié des harkis qui avaient pourtant fait le choix de la France, trompé ceux des arabes qui avaient combattu pour la France et qui ne seraient jamais Français, déconsidéré l’armée française dont certains membres se sont rebellés parce qu’ils se sont considérés comme trahis et parce qu’elle a commis la-bas les mêmes crimes dont les nazis s’étaient rendus coupables pendant la 2° guerre mondiale en métropole, répondant aux massacres de l’autre camp, cette même armée qui refusa, parce que les ordres étaient ainsi, de protéger les Français contre les massacres perpétrés par les Algériens. Pour ces jeunes gens, le service militaire effectué dans ces conditions est plus qu’un rite traditionnel de passage vers l’âge adulte, c’est une blessure indélébile pour ces jeunes devenus des hommes. Leur longue absence a parfois fait basculer leurs projets les plus intimes. Il reste de vieilles photos jaunies, des visages oubliés, l’espoir de la quille libératrice, des odeurs, de rares permissions, du soleil, de sales souvenirs liés à la mort dont il ne parle pas, un fort sentiment de révolte contre les ordres donnés qu’il faut exécuter, la culpabilité d‘avoir survécu que toutes les vaines prières n’effaceront jamais, une page qui trouble même le sommeil et qu’on ne tournera vraiment jamais parce qu’on ne peux même pas en parler, qu’on camoufle mal sous de folkloriques banquets d’associations d’anciens d’AFN, de médicaments ou d’alcool.
Le style est volontairement haché, brut, des phrases parfois inachevées, déstructurées où les silences le disputent à avalanche des mots, comme s’ils avaient été trop longtemps tus...
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Ce que j'appelle oubli
- Par hervegautier
- Le 16/04/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1735 – Avril 2023
Ce que j’appelle oubli– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Cela paraît à peine croyable tant les choses sont simples. Un jeune marginal entre dans un supermarché se dirige vers une gondole de bières, prend une canette, la boit, quatre vigiles interviennent, le traînent dans un local de stockage à l’abri des regards, le frappent et le tuent, pour une simple bière volée! On se croirait revenu au Moyen-âge. C’est un simple « fait divers » comme on dit, c’est à dire un événement que la presse locale mentionne à peine en quelques lignes maigres en fin de journal entre les développements d‘une guerre lointaine qui fait rage et bouleverse des vies innocentes et les misérables tergiversations clownesques de politicards véreux, une anecdote authentique qui s’est produite à Lyon en décembre 2009 qui serait passée inaperçue si elle n’avait inspiré ce récit.
Le narrateur remet la victime au centre du récit, s’adresse à son frère pour lui raconter ce qu’il n’a pas vu, pour évoquer ce qu’il ne pourra plus vivre avec lui, décrit les quatre vigiles qui maintenant vont devoir répondre devant la justice d’un assassinat qui n’aurait jamais dû avoir lieu, tant l’enjeu était dérisoire. Ils se sont mal défendus, ont évidemment menti, ont protesté de leur absence de volonté de tuer, ont invoqué enchaînement absurde des événements... Ils n’en sont pas moins devenus des assassins, responsables d’un meurtre gratuit et injustifiable, que rien, pas même le paiement de leur dette à la société, comme on dit, n’effacera, que rien ne pourra jamais justifier, ni la nécessité, ni la légitime défense, ni l’ostracisme, ni une improbable conscience professionnelle. Cela leur collera à la peau toute leur existence, avoir sans aucune raison pris une vie, avoir à ce point outrepassé leurs fonctions, imposer une sanction définitive à un être humain. On pourra dire tout ce qu’on voudra, que nous sommes mortels, simples usufruitiers d’une vie qui peut nous être enlevée à tout moment sans préavis, que ce pauvre jeune homme s’est trouvé là au mauvais moment, au mauvais endroit, que l’espèce humaine est capable du pire comme du meilleur mais bien souvent du pire, mais cet homme qui vivait, faisait l’amour, respirait, ne le fera plus et maintenant n’est plus qu’un cadavre voué à l’oubli. Ces vigiles devront affronter les tribunaux et surtout la violence des prisons, légale celle-là, qui aura au moins l’avantage pour eux, si on peut dire, de les maintenir en vie alors que leur victime elle ne vieillira pas.
Ce geste est révélateur de ceux qui sont dépositaires d’une parcelle même infime de l’autorité et se croient autorisés à en abuser, une image banale mais pourtant quotidienne qui s’inscrit dans une société de plus en plus en manque de repères, où la violence est devenue tellement banale qu’elle n’étonne même plus, où un nombre exponentiel d’individus ordinaires ne rêvent que d’en découdre et pour cela ne reculent devant rien pour s’affirmer, se prouver qu’ils existent.
J’ai déjà dit dans cette chronique que j’apprécie Laurent Mauvignier non pas tant pour le longueur de ses phrases (ces 61 pages ne sont qu’une seule et même phrase) mais notamment parce qu’il est, ce que devrait être un écrivain, c’est à dire le reflet de son temps, jusques et y compris si celui-ci, n’est pas reluisant.
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continuer
- Par hervegautier
- Le 15/04/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1734 – Avril 2023
Continuer – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Sibylle Ossokyne, fille d’émigrés russes, la quarantaine fragile, dont l‘avenir était prometteur mais s’est transformé en un lamentable échec, voyage à cheval avec son fils Samuel dans les montagnes du Kirghizistan, c’est à dire au milieu de nulle part. Ils ne sont pas là par hasard. Elle, mère divorcée et seule, élevant difficilement son fils adolescent, a considéré que cette expérience ne pouvait-être qu’être bénéfique pour son enfant unique en décrochage scolaire, en rupture familiale et au bord de la délinquance, qui estime que tout lui est permis, excès comme rébellions, avec préjugés racistes, dominateurs, homophobes ... Elle a pensé que ce voyage, en bousculant les choses de leur vie au point de les mettre en danger, serait libérateur pour tous les deux et serait en tout cas pour Samuel plus bénéfique qu’un séjour dans un pensionnat catholique comme le suggère son père. A chaque fois que ce dernier apparaît il réveille les tensions et catalyse les oppositions, ce qui est néfaste pour le fils et sa mère. Samuel ne voit pas l’intérêt de cette chevauchée, se rebiffe contre cette forme de fuite, contre ce itinéraire qui se veut initiatique et qui sera peut-être celui de la dernière chance. Le regard qu’il porte sur sa mère fait montre d’une profonde incompréhension qui s’affirmera au cours du voyage. Sibylle tient une sorte de journal intime, un carnet noir sur lequel elle note ses impressions au jour le jour, une sorte de bouée à laquelle elle s’accroche. Cela deviendra peut-être un roman comme elle aime en écrire ou peut-être rien.
Depuis Sénèque nous savons que voyager n’est pas guérir son âme. Cet itinéraire incertain voulu par Sibylle dans ce pays étranger apparaît à son fils comme un parcours cahoteux et incertain comme une fuite inutile, antidote de la peur en général et surtout dangereux parce qu’il est révélateur d’un malaise profond qui touche à son éducation. Non seulement le divorce de ses parents l’a privé d’un père qui, même s’il n’est qu’un être égoïste, lâche et menteur, absent de la vie de son fils n’en fait pas moins partie de leur famille, valeur traditionnelle mais qui a été détruite par ses soins. De plus l’exemple que Sibylle lui a donné se révèle néfaste, elle qui est depuis longtemps familière de l’échec à titre personnel et en matière d’éducation de sin fils en particulier. Cette posture au regard de ce fiasco constant fera naître une forme de culpabilité qui se retournera contre elle. Cette étrange épopée restera en suspens avec peut-être un espoir rendu fragile par l’avenir toujours incertain.
Comme je l’ai déjà mentionné, je sais gré à l’auteur d’être le miroir de son temps, de parler de la solitude qui gangrène nos sociétés jusque dans nos propres familles dans les relations parents-adolescents par essence difficiles et l’incompréhension qui va avec à cause de la différence de génération, de l’hypocrisie qui gouverne nos vies et la bonne conscience qui en découle, de la volonté de bien faire et de l’échec qui souvent en résulte, de dénoncer l’espèce humaine qui n’est pas fréquentable, ce que nous savons puisque nous en faisons tous partie, Elle est minée par l’individualisme, la violence, la haine… De plus, j’aurais toujours un intérêt particulier pour l’étude des personnages par rapport à l’écrivain, pour leur itinéraire interne qui s’opposent à celui qui tient le stylo, qui imposent leur personnalité et l’amènent là où ils le souhaitent. Comme dans la vraie vie les personnages de roman ont une existence propre, une liberté qu’ils entendent faire valoir. Comme dans la vraie vie des choses leur réussissent mais surtout leur échappent … J’aime le style de Laurent Mauvignier, à la fois précis, poétique dans les descriptions, pertinent dans les arguments, un texte qu’on suit passionnément jusqu’au bout. Je note également la performance de l’auteur qui a réussi à nous faire rêver de grands espaces… sans quitter sa feuille blanche, sans quitter son bureau.
Alors continuer à écrire comme acte de résilience contre les multiples agressions que cette vie nous réserve, même si ce ne sont que des mots qui ne font qu’attester des échecs qu’elle nous réserv pourquoi pas, mais pas seulement, continuer parce que la vie est là, pleine de surprises et de projets...Peut-être ?
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Ceux d'à côté
- Par hervegautier
- Le 12/04/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1733 – Avril 2023
Ceux d’à côté – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Tout d’abord il y a deux femmes qui alternativement prennent la parole sous forme de monologue, Catherine et Claire qui sont voisines de palier et amies. Catherine prépare un concours de chant et assure la surveillance d’une cantine scolaire, c’est à dire qu’il ne lui arrive rien, qu’elle n’attend plus rien de sa vie et s’y ennuie. Elle sait qu’elle ne sera jamais une grande chanteuse mais elle trompe sa tristesse en attirant des hommes chez elle pour une étreinte rapide et sans lendemain. Claire au contraire a un homme dans la sienne, Sylvain, mais elle est violée par un inconnu dans son appartement et même si dans ce vieil immeuble on perçoit chaque bruit venu de l’appartement voisin, Catherine, un casque sur les oreilles et qui s’exerçait au chant, n’a rien entendu. Elle culpabilise pour cela autant que pour le silence qui a suivi le départ de son amie, hospitalisée et qui laisse son appartement désormais vide.
Claire parle à Catherine qui se rend compte que les mots de son amie, censés la soulager, sont pour elle une sorte de nourriture dont elle se repaît puisque ce récit vient combler le vide de son existence. Elle en conçoit une honte intérieure mais aussi une sorte de jalousie et même l’espoir que quelque chose de semblable lui arrive enfin à elle. Après tout l’auteur de ce crime n’a pas été arrêté et peut parfaitement revenir et elle imagine même qu’elle le croise sans ressentir aucune crainte. La perspective de son concours ne suffit même plus à la motiver et c’est l’ennui qui baigne maintenant toute sa vie. Ce sont donc deux solitudes qui se font face.
L’auteur y ajoute une troisième, celle du violeur qui confie, lui aussi sous forme de monologue, son mal de vivre, sa difficulté de parler aux autres, de se regarder lui-même dans une glace à cause des pulsions sexuelles qu’il ne peut refréner, même par la marche, de se supporter lui-même et d’avoir détruit cette femme. Il est bourrelé de remords, repense à elle constamment, veut même la revoir pour vérifier qu’elle est encore en vie et songe à sa propre mort comme à une délivrance. Pourtant c’est vers Catherine qu’il se sent attiré...
C’est un roman sur la solitude, sur le vide. Nous vivons dans un siècle de la communication, des brassages de populations où plus qu’avant, des rencontres parfois improbables sont possibles. Et pourtant l’ isolement s’impose de plus en plus, un peu comme un constant contraire à cette apparente réalité, à l’image de l’être humain qui est lui-même un paradoxe entre volonté et impossibilité.
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La république du crâne
- Par hervegautier
- Le 09/04/2023
- Dans Brugeas et Toulhoat
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N°1732 – Avril 2023
La République du Crâne – Vincent Bugeas (scénario) – Toulhoat (dessins)– Dragaud.
Tout au long de ma lecture, je n’ai cessé de penser à cette phrase attribuée à Socrate « Il y a les vivants, les morts et les marins ». C’est bien de la vie des marins dont il va être question dans cette BD, et pas n’importe quels marins puisqu’il s’agit de pirates qui ont souvent nourri et illuminé notre enfance et son imaginaire où se mélangeaient les termes « forbans », « flibustiers », « corsaires », « boucaniers » sans que nous sachions bien souvent faire la différence entre eux. En tout cas ils ont nourri et illuminé notre imaginaire avec la soif de liberté, le goût de l’inconnu, des voyages, de la violence, une vie courte qui souvent se terminait au bout d’une corde ou d’un coup de sabre, mais intense et libre … On connaissait déjà le « Capitaine Crochet », », l’ancêtre du capitaine Haddock dans « Le secret de la licorne », « Barbe rouge », « Long John Silver », les pirates étaient souvent présentés comme de pauvres bougres qui n’avaient que ce métier pour subsister, qui souvent avaient survécu aux différents combats maritimes et à la dure discipline du bord, se retrouvaient abandonnés dans les ports en attente d’un embarquement et vivaient d’expédients. Ils étaient analphabètes, violents, buveurs, sans foi ni loi ... Quant aux femmes, elles étaient dans ce domaine assez rares, même si la chanson « Les filles de La Rochelle » mentionne leur existence. Là c’est autre chose, c’est une version plus romantique, plus démocratique, plus humaniste et républicaine, peut-être aussi un peu utopique, qui nous est présentée, non dénuée pour autant d’abordages, de drapeau noir, de chasses au trésor, de tempêtes et de Caraïbes, mais peuplée d’« honnêtes hommes » et cela bouscule un peu leur image traditionnelle.
Nous suivons les aventures un peu mouvementées de cette frégate prise aux Anglais et dont le nouveau nom est inspiré de leur drapeau, celles de la belle et un peu mystérieuse reine Maryam avec sa « cour » d’anciens esclaves, celle de ses membres d’équipage partagés entre la fraternité et les rivalités, les assauts meurtriers, la traque des navires marchands, les rituels pirates, la survie dans le secret d’un repli de la côte, la propension bien humaine des chefs à devenir tyrans, à adopter pour leur compte les méthodes qui les ont jadis asservis et ainsi à trahir leur idéal, leurs engagements et satisfaire leurs ambitions, la tentation de rentrer dans le rang et d’obtenir le pardon en se mettant au service du roi, bref des attitudes parfaitement humaines...
J’ai bien aimé que ce récit, qui casse un peu le mythe traditionnel du capitaine barbu, souvent borgne avec une jambe de bois, nous soit narré sous la forme d’un authentique journal de bord, qui plus est rédigé avec précision par Olivier de Vannes, le second devenu capitaine qui en profite pour écrire à un correspondant fictif, le Commodore Jonas qui est un officier de marine anglais, ennemi définitivement héréditaire de la France, ce que l’Histoire ne démentira pas. L’épilogue sera à la mesure de cette aventure passionnée. Le capitaine Sylla est imberbe et idéaliste, parle à l’occasion en alexandrins, est élu et respecté par ses hommes, participe à un jeu de rôle du procureur « maindeferettêtdebois » dans d’ improbables procès. J’ai bien aimé que cette histoire remette à sa vrai place la réalité de la traite négrière qui était certes un commerce immoral d’être humains mais commençait, ce qu’on a un peu oublié, au sein même des tribus africaines. Le récit m’a paru plausible quoique sûrement un peu imaginaire mais néanmoins bien documenté et qui n’exclut pas les doutes et les luttes internes à l’équipage. Il est servi par des couleurs et des dessins particulièrement précis et expressifs surtout en ce qui concerne la beauté des femmes.
Je ne suis pas très versé dans la bande dessinée, cette lecture ayant été surtout motivée par la participation hasardeuse à un jury, mais je dois dire que cet ouvrage m’ a passionné et je ne regrette pas d’avoir été embarqué, moi aussi, l’espace d’un long moment, sur « la République du Crâne ».
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Seuls
- Par hervegautier
- Le 08/04/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1731 – Avril 2023
Seuls – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Un soir Pauline appelle Tony pour qu’il vienne la chercher à l’aéroport. Lui qui vit seul d’un travail qu’il n’aime pas, veut y voir un signe du destin qui va précipiter les choses et faire revenir vers lui cette jeune fille devenue femme qu’il connaît depuis l’enfance et à qui il n’a jamais cessé de penser depuis qu’ils étaient étudiants ensemble. A cette époque ils partageaient un appartement en colocataires et il n’y avait entre eux qu’une solide amitié, une vie de frère et sœur. Puis elle est partie longtemps à l’étranger avec un homme, abandonnant tout. Avec son accord elle s’installera chez lui le temps de trouver un appartement. Pendant quelques temps ils vivront donc ensemble, comme ils l’ont déjà fait jadis, et pour les yeux des autres seront comme un couple d’amoureux, singeant une vie de couple. Ce mensonge le ravit et il voudrait que cela dure toujours, qu’elle reste enfin avec lui, devienne amoureuse de lui. Il revit au point d’envisager de quitter son travail, de reprendre ses études... Pourtant, tout les a toujours séparé, elle était toujours très courtisée et lui était un garçon complexé, sentimental, idéaliste, timide et qui rêvait d’un « grand amour » et elle était sensuelle, libre et aimait l’amour physique. Rien n’a changé entre eux mais la réapparition inattendue de Pauline réveille pour Tony cet amour refoulé qu’il a toujours éprouvé pour elle sans oser le lui avouer et sans même qu’elle-même s’en aperçoive. Maintenant, c’est un peu comme s’il voulait rattraper le temps perdu et il transforme son appartement pour que Pauline s’y sente bien et peut-être y reste, une démarche pourtant vouée à l’échec Leur relation est révélatrice de la complexité de l’être humain qui trahit à la fois son besoin d’être aimé et la crainte de l’être, l’illustration de l’attirance et de la répulsion des êtres entre eux. Mais Pauline se lasse vite de cette monotonie, de cette routine banale de Tony devenu vieux garçon à force de l’attendre et disparaît à nouveau et s’installe avec Guillaume, plongeant Tony dans un désespoir dévastateur qui provoque sa disparition brutale dont le père cherche l’explication auprès de Pauline.
De ce roman au titre évocateur il ressort une grande solitude, une fragilité, celle du père qu’on sent tourmenté, désemparé face à ses souvenirs de guerre, qui s’aperçoit bien tard qu’il est passé à côté de ce fils sans avoir cherché à le connaître et peut-être à l’ aider, celle de Tony, ballotté par les événements qui s’imposent à lui mais aussi celle de Pauline, incapable de se fixer et qui ne pense qu’à elle. C’est un peu comme si, hautaine, indifférente, volontiers arrogante, elle vivait à ses côtés sans le voir, comme s’il était un témoin transparent, impuissant face aux aventures amoureuse de cette femme. J’ai même eu l’impression qu’elle jouait avec lui, avec sa candeur, avec sa timidité et prenait un certain plaisir à détruire tous les espoirs fous que Tony avait tressés et auxquels il s’accrochait désespérément. Ce sont à l’évidence deux êtres qui ne se ressemblent pas, qui ne sont pas faits l’un pour l’autre mais que la vie a réuni pour mieux les séparer et pour qui la vie commune eût été impossible, de toute manière.
Cette impression de solitude est renforcé par l’absence de dialogues, le style est fluide, poétique parfois, agréable à lire malgré des phrases un peu longues.
Je redis ici que j’apprécie cet auteur pour la qualité de son style, à la fois simple et précis mais aussi pour les thèmes de réflexion qu’il choisis pour nourrir son œuvre.
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Apprendre à finir
- Par hervegautier
- Le 05/04/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1730 – Avril 2023
Apprendre à finir – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
La voix de ce monologue c’est celle d’une femme blessée dont le mari, après un accident de voiture, est paralysé et revient chez lui après une hospitalisation. C’est un couple déjà vieux, la fille aînée est mariée et deux adolescents sont encore au foyer. Elle lui a fait de la place dans leur petite maison, s’occupe de lui avec une attention de tous les instants, avec dévouement et amour et se consacre principalement à lui. Elle sait qu’il remarchera mais qu’il faudra du temps, elle accepte cela avec abnégation mais cette perspective lui permet de faire des projets de voyages avec lui, accepte d’aller faire des ménages pour rendre cela possible, l’immobilisation de son mari compromettant l’équilibre financier du ménage. C’est un peu comme si elle récupérait cet homme, certes diminué, mais qui revenait au foyer, comme si elle cherchait à oublier ce qu’avait été leur vie d’avant l’accident, faite d’invectives, d’insultes, d’hostilités et même de coups de sa part à elle et dont leurs enfants meurtris, désemparés et dégoûtés de leurs parents, avaient été les témoins, comme si cette tranche de vie n’avait jamais existé, comme si cette ambiance délétère était imaginaire, comme si cet homme au passé un peu secret, fait de souffrances dues à la guerre, de doutes et de chômage n’était pas allé chercher dans d’autres bras un bonheur qu’il savait impossible chez lui, comme si elle n’avait jamais été jalouse et agressive. Elle était trompée, le savait et l’acceptait, impuissante à s’opposer à cet adultère.
Maintenant, pour elle c’est une véritable renaissance, avec une volonté de chaque instant de lui témoigner son amour par de petits gestes dévoués du quotidien et, après avoir été désespérée, agressive même, elle revit de l’avoir retrouvé et ce d’autant plus qu’il est coincé chez lui. Elle veut donc lui faire oublier cette maîtresse, cherchant intimement les raisons de cet abandon, en éprouvant même de la culpabilité, se présentant comme une épouse attentive, patiente, absolutoire, tentant d’apprendre à finir cette histoire d’amour de contrebande pour en recommencer une autre avec lui et effacer cette passade, de se poser en garante de la famille. Pourtant tout avait bien commencé entre eux, mais dégénéra très vite, imperceptiblement, sous les coups du quotidien. Elle se présente comme une femme courageuse, patiente, honnête, pleine de sollicitudes face aux erreurs passées de ce mari qui grâce à elle aujourd’hui revit. C’est un peu comme si elle choisissait d’oublier ses rancœurs, sa soif de vengeance, l’ éventualité d’une reprise de cette relation adultère, pour un retour à une vie de famille apaisée, pour que les choses rentrent dans l’ordre, reviennent à une place qu’elles n’auraient jamais dû quitter et peut-être un nouvel amour avec lui.
Lui n’a rien de contrit, de repentant, au contraire, il est bizarrement silencieux comme s’il opposait à ses bons soins une attitude bizarrement indifférente voire négative. C’est à peine s’il prend la parole, se félicite de ses progrès, se réapproprie son entourage, son quartier. Il n’est pas douteux qu’il a de la chance d’être ainsi cocooné, d’être chez lui, avec sa femme aux petits soins. Il vit peut-être mal, comme un reproche , une honte ou une vengeance intime cette sollicitude face à son adultère passé.
Son attitude à elle est peut-être inspirée par l’amour mais j‘y vois une forme d’égoïsme, une manière de se protéger elle-même mais aussi peut-être une opportunité, une dernière chance qu’il ne faut pas laisser passer pour une meilleure qualité de vie commune. Elle envisage même de lui pardonner, d’oublier son orgueil et sa résignation passée et de lutter dans les plus petits gestes du quotidien dans ce seul but et invite même un de ses fils à adopter son attitude. Toute cette posture est évidemment méritoire et porteuse d’avenir pour eux mais j’avoue aussi que je partage ses doutes pour l’avenir, inopportunité des voyages qui les eût réunit, la menace de la reprise de cette relation extraconjugale parce que, malgré tous ses efforts pour paraître plus jeune et plus désirable, l’ombre de l’autre femme qui l’obsède.
Le livre refermé, ce roman me laisse pourtant quelque peu perplexe par les sujets qu’ il soulève, l’amour entre les êtres qui est fragile, le pardon qui est malgré tout difficile, l’oubli, les compromis voire les compromissions, les mensonges qu’on se fait à soi-même pour enjoliver le présent, la honte d’avoir été trompé et aussi de s’être tromper soi-même, d’avoir vu sa confiance trahie et son impuissance à réagir, de connaître les regrets et les remords, les doutes qui empoisonnent le présent et hypothèquent l’avenir, l’hypocrisie qui force à ne rien voir ou à tout supporter, le sentiment d’injustice de voir comment a été récompensé chaque moment d’abnégation passée, la certitude qu’on est plus rien pour celui qu’on a choisi et sa volonté de tourner la page, de passer à autre chose, l’évidence d’être partagé entre la crainte de son départ définitif et la volonté qu’il parte pour que les choses soient enfin claires, que tout ce qu’on avait imaginé s’effondre, la certitude que leur passé destructeur sera toujours le plus fort.
J’apprécie cet auteur pour son style à la fois simple, dénué d’artifices littéraires, parfois brusque, plein d ‘émotions mais aussi pour les thèmes humains qu’il a choisis et qu’il traite à la fois avec humanité et humilité. C’est toujours pour moi un bon moment de lecture mais aussi de réflexion.
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Les derniers jours des fauves
- Par hervegautier
- Le 01/04/2023
- Dans Jerome Leroy
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N°1729 – Mars 2023
Les derniers jours des fauves – Jérôme Leroy – La manufacture de livres.
Nathalie Séchard, huitième Présidente de la République (de gauche) terminera son mandat et ne se représentera pas, ça nous rappelle quelque chose. Son parti « Nouvelle Société » a les mêmes initiales que les siens. Là aussi ça nous évoque quelque chose. Certes les sondages ne sont pas brillants et sa popularité quelque peu bousculée, mais il faut se méfier de l’opinion publique versatile, non, ce qui motive cette décision assez étonnante c‘est qu’elle adore la baise en écoutant Haydn et que cela lui semble incompatible avec la fonction. Accessoirement nombre de ses prédécesseurs, mâles il est vrai, n’y ont pas regardé de si près qui ont combiné sans aucune difficultés « pouvoir, épouse et maîtresses », il y en même un qui en est mort, sauf que pour elle c’est que cela se passe avec son jeune et vigoureux mari de vingt six ans son cadet. Mutatis mutandis, ça nous rappelle aussi quelque chose. La seule originalité de cette situation politique inédite en France, c’est que son compagnon, rebaptisé non sans quelque ironie « Premier Monsieur », reste dans l’ombre.
Bref, on est en pleine uchronie. Cela n’a pas été simple pour elle non parce qu’elle est une femme, son adversaire (de droite) l’est aussi, mais son mandat s’est inscrit en pleine pandémie de Covid et ses différents variants au nom grec, avec l’obligation vaccinale, le confinement et les polémiques inévitables, la jacquerie des Gilets jaunes, les fake-news, les habituelles forfaitures et autres combats politiques sans merci, la baisse inquiétante du PIB et pour corser le tout la sécheresse et les conséquences du dérèglement climatique, les attentats terroristes les troubles à l’Ordre public, la montée de l’extrême droite, ça commence à faire beaucoup et on sent qu’elle ne va pas regretter son initiative. Renoncer à cette fonction prestigieuse et aux avantages qui s’y attachent demande réflexion d’autant que les candidats à la magistrature suprême ont une fâcheuse tendance à se bousculer et ainsi réveiller leur ego démesuré en se sentant pousser des ailes, pour, une fois en poste n’en faire qu’à leur tête en manipulant tout le monde. Depuis sa décision chacun fourbit ses armes, prépare ses alliances et ses tartuferies. On se méfie de ses amis politiques et de leur propension à trahir, on suppute leurs chances, on observe leurs manœuvres, dans un contexte délétère de guerre des services de l’État, de coups bas et de règlements de comptes, un vrai monde de fauves. Après tout on peut toujours y voir le jeu normal de la démocratie qui précède la présentation d’une candidature.
Au cours de ce texte savoureux écrit avec humour, au vrai un festival de sexe, de jouissance mais aussi d’assassinats parce qu’on y meurt beaucoup et pas seulement à cause du virus, j’ai beaucoup ri grâce aux situations parfois ubuesques ou cocasses mais aussi au style alerte qui les décrit. Il y a beaucoup de personnages et on s’y perd un peu mais, même si elle est quelque peu surréaliste, j’ai été sensible à l’histoire de ce « Capitaine » et de son appétence pour la littérature. On pourra toujours, si le cœur nous en dit, voir des ressemblances « avec des personnes existant ou ayant existé », mais ce serait là une appréciation personnelle même si ce genre de littérature fait toujours recette.
Nous le savons, la politique est un jeu qui chez nous existe grâce à la démocratie, qui est officiellement le gouvernement du peuple par le peuple et en sa faveur et qui surtout nourrit ceux qui en font profession, les transformant souvent en parasites. Ils appartiennent à une caste de plus en plus éloignée du peuple qu’elle est censée représenter. Là aussi ça nous rappelle peut-être quelque chose.
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Histoires de la nuit
- Par hervegautier
- Le 27/03/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1728 – Mars 2023
Histoires de la nuit - Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
D’emblée, le décor est planté, un hameau de trois maisons au nom mystérieux et inquiétant au milieu de nulle part, une maison vide, la deuxième occupée par Christine, une artiste-peintre retirée des mondanités qui s’est réfugiée là pour finir ses jours, Patrice Bergogne, un agriculteur bourru qui a toujours vécu ici, c’est un brave homme, un peu naïf mais surtout amoureux de son épouse la belle Marion qui travaille dans la ville d’à côté, Ida leur jeune fille à qui Christine sert de Tatie. Tout est modeste et désert ici et les lettres anonymes de menace déposées chez l’artiste prennent soudain une dimension énigmatique, viennent troubler la paix de ce microcosme rural et précèdent une visite qui se révèle vite indésirable.
C’est aussi l’histoire de ce couple mal assorti qu’observe Christine, où l’amour a laissé place à la routine et où les époux s’éloignent l’un de l’autre à cause de l’usure inévitable du couple, avec leurs petits accrocs ordinaires et les petites libertés qu’on s’octroie dans le secret. Ida qui adore ses parents grandit dans cette famille et se réfugie dans ces « histoires de la nuit », un livre plein d’aventures à la fois effrayantes et merveilleuses qui nourrissent ses rêves. Cela aurait pu durer comme cela pendant des années sans même qu’on voit le temps passer, mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille, avec ses bouleversements qui interviennent quand on s’y attend le moins, avec cette volonté de croire que tout est possible et que peuvent prévaloir l’oubli, la bonne foi, la justice, le bon droit contre l’opportunisme et la trahison, contre les envieux, les destructeurs qui se croient tout permis parce qu’ils ont une parcelle de pouvoir et qu’ils entendent en abuser ou contre ceux qui ont choisi d’évoquer un passé aux souvenirs délétères. C’est compter sans le hasard qui fait partie de la vie bien plus qu’on ne veut l’admettre, sans le passé qui vient soudain présenter sa créance qu’on croyait oubliée, avec le silence qui n’est qu’un bouclier dérisoire contre des turpitudes longtemps cachées, avec son lot de rancœurs et sa volonté de vengeance contre toutes les injustices qu’on nous a imposées, le poids d’une enfance assassinée, ses ressentiments contre la vie que d’autres nous ont obligés à subir avec suffisance et arrogance parce que les comptes se règlent toujours d’une façon ou d’une autre. On peut avoir la naïveté d’inventer un passé banal à ceux qu’on a choisi pour les siens et avec qui on a résolu de lier sa propre vie, ou de ne pas trop chercher à connaître le déroulé de périodes où on n’était pas, la réalité revient toujours pour remettre les choses à leur vraie place, elle nous ouvre les yeux qu’on avait malencontreusement maintenus fermés. Leur vrai image s’impose alors à nous dans toute sa rudesse, dans toute sa cruauté, les ressentiments longtemps tus éclatent dans le déroulement brutal des événements, les zones d’ombre apparaissent enfin, nous révélant l’étendue de notre erreur et de leur hypocrisie. Le pardon est désormais impossible tant les choses ont été si longuement et sciemment cachées. C’est un peu tout cela qu’Ida découvre lors de cette soirée qui qui se voulait festive mais qui la fait soudain sortir de son univers protégé de l’enfance, lui révélant autrement que dans ses contes du soir le monde des adultes, leur violence, leurs mensonges, leurs non-dits, leur volonté de domination, leurs aspirations à la liberté et leur image qui soudain se délite. Le visage convenu de Marion s’efface au rythme des mots prononcés, son image se gomme peu à peu en révélant une autre bien moins idyllique, des comptes se règlent entre frères mais Patrice non plus n’est pas en reste et il ne sort pas indemne de tout cela.
Malgré des phrases un peu longues, ce roman est agréable à lire, avec une écriture à la fois brute et fluide, un luxe de détails et de précisions, une architecture subtile ce qui maintient l’attention et l’intérêt du lecteur jusqu’à la fin. A travers un récit aux multiples rebondissements, l’auteur nous présente une analyse psychologique à la fois fine et brutale, une galerie de portraits d’où la nature humaine ne ressort pas grandie parce que l’habiller de vertus et de bons sentiments est une erreur. Les situations qu’il nous donne à voir sont pertinentes et révélatrices d’une volonté de mystification, de violence, de secret qui caractérise les êtres humains noyés dans une société qui a perdu ses repères traditionnels et c’est aussi le rôle de l’écrivain que d’être un miroir de son temps et de l’humanité. J’ai aimé ce roman où s’insinue une intrigue si habillement menée qu’elle tient le lecteur en haleine , distillant dans un huis-clos pesant un suspense de bon aloi.
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la lucarne
- Par hervegautier
- Le 19/03/2023
- Dans José Saramago
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N°1726 – Mars 2023
La lucarne – José Saramago – Seuil.
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.
Ce roman écrit entre 1940 et 1950, qui est le deuxième d’un jeune auteur alors inconnu, fut refusé par l’éditeur portugais à qui il avait été envoyé et qui ne prit même pas la peine de lui répondre. On imagine la frustration de ce jeune homme qui avait mis dans cet ouvrage tous ses espoirs et aussi sans doute pas mal d’illusions. Ce ne fut qu’en 1989 que ce même éditeur, prétextant un déménagement et la découverte fortuite de ce manuscrit, en proposa l’édition, ce qui fut refusé par l’auteur qui maintint sa décision jusqu’à sa mort. L’ouvrage ne fut publié qu’à titre posthume, mettant notre auteur, toutes choses égales par ailleurs, dans la même posture que Fernando Pessoa, son illustre prédécesseur, qui confia une partie de son œuvre à une vielle malle avant son décès. Il n’est pas inutile de préciser que José Saramago (1922-2010) avait entre-temps acquis une vraie notoriété et fut plus tard, en 1998, couronné par le Prix Nobel de littérature. Cela n’est pas sans rappeler la mésaventure littéraire de Marcel Proust qui vit son roman « Du coté de Chez Swan » refusé par Gallimard mais obtint l’année suivante, en 1919, le Prix Goncourt pour « A l’ombre des jeunes filles en fleurs », deuxième tome de « A la recherche du temps perdu ». La même péripétie est arrivée à Mathias Enard pour « Boussole » qui reçut le Goncourt en 2015 ! Tout cela n’est pas sans poser question sur la fonction d’éditeur dont le rôle principal est la découverte de talents ! Ça n’a pourtant pas été simple pour Saramago, né dans un milieu quasi analphabète et qui dû très tôt exercer des métiers ingrats avant de voir son talent reconnu.
Ce roman se passe dans un immeuble de Lisbonne où vivent six couples avec ou sans enfants où chacun connaît son voisin, lui parle, l’observe, le juge, se limitant à des rapports de voisinage sans plus. L’auteur commence par les présenter pour ensuite décliner leur histoire personnelle alternativement au cours des chapitres suivants et ainsi affiner chaque portrait. Dans ce microcosme Saramago observe les familles, jeunes et vieilles, qui connaissent des difficultés financières, recherchent le bonheur mais aussi qui sont minés par le malheur, l’envie, la crainte du quand dira-ton, le désir sexuel et la frustration qui va avec, la jalousie, l’autoritarisme, la critique, les adultères, les bassesses, la morale, l’hypocrisie, les haines ordinaires, communes à tous. Il complète le tableau en évoquant une jeune femme entretenue par un homme plus vieux et plus riche et la tromperie qui va avec, la fin d’une idylle et la naissance d’une autre, le désamour entre parents et enfants, le vice et la délation, l’usure du couple et avec lui tous les regrets que suscite cet amour qui, bien entendu, ne rime jamais avec toujours... Il y a ce jeune homme qui se pose des questions sur lui-même et sur sa vie future et qui doit bien avoir quelques ressemblances avec l’auteur ! Chacun rêve d’une vie meilleure, fait ce qu’il peut pour échapper à son quotidien par la lecture ou la musique mais il n’y a rien là d’extraordinaire puisque cette recherche nous est commune à tous dans cette comédie humaine.
A travers cette lucarne, l’auteur nous donne à voir la photographie d’une société en raccourci, qui se bat au quotidien contre la misère, les ennuis quotidiens, quelque chose de très semblable à toutes les sociétés humaines populaires et désargentées. Pour cela il se fait un peu voyeur, indiscret et curieux, nous détaillant par le menu ce qui fait la vie de chacun, jusque dans les détails les plus anodins voire des plus intimes d’un couple. Il s’ensuit une série de réflexions pertinentes sur l‘espèce humaine, ses secrets et ses fantasmes, le sens de la vie et de la solitude qui nous est commune à tous. Pour autant tout cela baigne dans une sorte d’ambiance de suspicion et de retenue, de secrets qui est due à la dictature de Salazar à moins que cela ne soit la marque de la « saudade », cette nostalgie où se conjugue le passé et le présent, mâtinée du désir de ce qui manque et de l’espoir de le trouver un jour, une sorte de mal de vivre, un état d’esprit si propre à l’âme lusitanienne et dont l’homme de Lettres portugais ne peut manquer de se faire l’écho.
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Les Feuillets poétiques et Littéraires
- Par hervegautier
- Le 17/03/2023
- Dans MARJAN
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N°1727 – Mars 2023
Les Feuillets poétiques et Littéraires – Marjan.
Je reprends ici une études qui date de nombreuses années à propos des Feuillets poétiques et Littéraires fondés par Marjan (1918-1998).
...Puis rapidement les choses se précisèrent. Son métier de typographe à l'imprimerie l'amena rapidement à fonder sa propre revue. Ce furent Les Feuillets Poétiques et Littéraires (FPL) qui virent le jour en juillet 1935. Marcel Auger avait 17 ans. Pendant 50 ans, cette revue qui en fait était plutôt une collection rayonna sur le monde poétique et littéraire français et publia des centaines de poètes. Il en était à la fois l'animateur, l'homme de peine (puisqu'il les composait lui-même à l'imprimerie surtout au début) et surtout le commanditaire. Marjan a toujours répugné à demander de l'argent (Marjan ne rimait pas avec argent). Chacun donnait ce qu'il voulait selon son bon cœur ou son appréciation ce qui lui a fait dire non sans humour "qu'il avait laissé des plumes pour celles des autres". Qu'importe, il vivait cela comme une sorte de passion personnelle avec l'écriture. Je me souviens qu'il me disait ne pas vouloir tenir de comptabilité... par peur de ne plus pouvoir dormir la nuit!
Les FPL étaient originaux à plus d'un titre. Il ne publiait que des poèmes mais cela se faisait sans exclusion ni censure. Tout au plus fallait-il qu'ils présentent un minimum de qualité littéraire. La périodicité n'était pas régulière mais surtout se mêlaient dans chaque numéro des textes d'auteurs connus et d'autres méconnus et souvent même des poètes locaux ou régionaux. Marjan tenait beaucoup à ce voisinage qui était à ses yeux une des raisons d'être de sa publication. Citer toutes les grandes signatures qui ont honoré les FPL n'est pas possible mais me reviennent en mémoire les noms d'Hervé Bazin, Eugène Guillevic, Pierre Mac Orlan, Jean Cocteau, Maurice Carême, Paul Fort... Ces grands noms qui souvent étaient des amis personnels lui offraient un poème parfois inédit ce qui ajoutait à l'importance des FPL. L'invité d'honneur avait sa photographie au sommaire de chaque numéro et le classement des participants se faisait par ordre alphabétique. Cette collection publiait également des recueils individuels consacrés à un seul poète.
Il y eut bien entendu une interruption pendant la guerre avec destruction de certaines archives et des premières séries mais jusqu'au n°142 qui marqua la fin de cette collection en 1986 il resta fidèle à la présentation sous forme de travail d'imprimerie de ces feuillets.
Je dois noter que si la parution était irrégulière, la sortie de chaque numéro n'en était pas moins saluée comme un événement et circulait dans le monde entier. Je me souviens d'avoir lu des lettres de félicitations (et pas seulement de ses amis) pour la qualité des textes publiés.
J'ai déjà dit son aversion pour ce qui touchait à l'argent. Il a toujours déclaré que la poésie ne se monnayait pas, qu'elle devait se partager, se donner ce qui à ses yeux la rendait d'autant plus appréciable. Je me souviens que lorsqu'il toucha de rares droits d'auteur, il en fut presque étonné.
Les FPL ne fonctionnaient pas par abonnement, ne bénéficiaient d'aucune subvention ni d'aucune réduction postale. Il est clair qu'une revue qui ne vit que grâce aux cotisations de ses abonnés est tenue de publier ces derniers quand ils proposent un texte. Pour l'animateur qui est souvent aussi le trésorier, refuser c'est se condamner à se priver de la participation financière de l'adhérent éconduit. Accepter c'est assurer la survie de sa revue même s'il doit pour cela sacrifier la qualité de sa publication et parfois perdre un peu de son âme. Pour Marjan, le prix à payer était lourd mais chacun participait. Il a quand même fini par abandonner! Il n'empêche, grâce à eux et d'ailleurs à tout ce qu'il a pu écrire par la suite il a noué correspondance et amitié avec de nombreuses personnes et singulièrement avec des grandes signatures de la littérature de son temps.
Dans le même temps, notre homme, débordant d'activité avait également fondé La Revue des Jeunes dont il était l'unique journaliste mais aussi en supplément des FPL les Feuillets Tribunes et la Circulaire bibliographique. Il convient également de noter qu'il participait activement à l'Académie du Marais, au Comité de la Tribune des Jeunes, à l'Affiche de Poésie, Actuelles Poétiques, Actuelles du Terroir, Poètes du Bas-Poitou, Main dans la Main, Prise de sang, Carnets Poétiques, qui étaient des réseaux d'édition.
Il n'était pas peu fier d'être le secrétaire perpétuel de l'Académie des XIII qu'il fonda en 1954 avec son cousin Gil Roc et cette mention figurait jusque sur sa carte de visite personnelle. Cette docte assemblée, dissoute en 1986 décernait chaque année son prix à l'auteur d'un ouvrage spirituel ou pour l'ensemble de son oeuvre. A ce propos je me souviens qu'en tant que secrétaire perpétuel il dut écarter (avec malice) un ouvrage présenté... par un ecclésiastique. Celui-ci avait mal interprété le sens du mot spirituel! La devise de cette académie était 'humour et poésie". Le prix consistait en une douzaine de bouteilles de Bordeaux d'un grand cru ce qui avait fait dire à Roland Bacri, journaliste au "Canard Enchaîné" et également membre de cette académie qu'il s'agissait « d'un prix de boissons ». Ils étaient 13 mais avaient de l'esprit comme 40!
Ils étaient effectivement 13 dans cette académie dont l'acte de naissance officiel paraît au Journal Officiel du 24 août 1954 n°3393. Outre Marjan et Gil Roc y figuraient également Marie-Louise Perot, Max d'Arthez, Pierre Autize, Pons-Desalberes, Bon Harvest, Lucienne Jouan, Paul Baudenon, Tristan Maya, Jules Mougin, Jean l'Anselme, Roland Bacri, Gérard de Lacaze-Duthiers, Paul Reboux, Louis Chazai et Jean Valrey.
On retrouvait aussi Marjan au sein du Jury du Grand Prix de l'Humour Noir où il fut accueilli pendant
15 ans par Tristan Maya.
Quand il décida de mettre un terme au FPL, il dut ressentir comme un vide car l'année précédente (1985), il entama la publication de deux collections, Le Bouc des Deux-Sèvres et Poètes du Pays Niortais et des Environs. Il ne devait pas au départ penser au succès qui vint cependant rapidement puisque les premiers numéros du Bouc n'étaient même pas numérotés. Le premier était ouvert à tous et le second se consacrait plus volontiers aux auteurs régionaux. On retrouve ici l'esprit qui animait les FPL. Il s'agissait non plus d'un recueil de plusieurs pages mais d'une feuille 21/29,7 dactylographiée ou composée par collage recto-verso, photocopiée et surtout gratuite qui circulait dans la correspondance privée de Marjan. Ils étaient collectifs et accueillaient plusieurs poètes ou bien "spéciaux" et ne donnait l'hospitalité qu'à un seul auteur. Ils étaient, suivant son expression "Hors commerce-hors de prix". Là non plus pas d'exclusion. Il publia plus largement qu'auparavant d'autant plus que le coût était moindre que pour les FPL et les autres publications. On y retrouva la mélancolie, l'humour, la dérision, le sérieux aussi et la poésie la plus classique voisinait avec la plus libérée. Le nombre de poètes publiés étaient ici beaucoup plus important qu'auparavant.
Si les FPL recueillirent beaucoup d'éloges, le Bouc des Deux-Sèvres et dans une moindre mesure Poètes du Pays Niortais révélèrent très tôt nombre de détracteurs. Il faut bien admettre que la présentation sous forme de photocopie n'incitait guère à la lecture. Marjan laissait aux auteurs le soin de réaliser leur propre maquette ce qui n'était pas toujours une réussite. Lui se contentait de diffuser ces numéros sans souvent intervenir ni dans le choix ni dans la présentation des textes. On lui a reproché aussi, et je crois qu'il l'avait admis parfois de publier pour publier ou augmenter la collection en laissant un nécessaire choix de côté. Tout cela tranchait beaucoup sur la qualité des FPL dont le Bouc et Poètes du Pays Niortais étaient les héritiers naturels. A cette époque j'ai eu le sentiment qu'il recherchait une sorte de performance, gratuite par ailleurs ou plus exactement génératrice de frais pour lui puisqu'il supportait souvent les coûts postaux. Son slogan était que ces publications étaient "Hors commerce-hors de prix". Parfois ses correspondants lui faisaient parvenir des timbres, mais c'était rare. A cette époque il publiait parfois plus d'un numéro par semaine déclarant à qui voulait l'entendre "qu'il était pris dans un engrenage" signifiant par-là qu'il était victime de son succès.
A sa mort le Bouc totalisait 424 numéros et Poètes du Pays Niortais 103 .
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La sanction
- Par hervegautier
- Le 14/03/2023
- Dans Trevanian
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N°1725 – Mars 2023
La sanction – Trevanian – Gallmeister.
Traduit de l’américain par Jean Rosenthal.
Jonathan Hemlock est un alpiniste chevronné et célèbre, bel homme, célèbre professeur dans une université américaine et spécialiste des Impressionnistes français qu’il collectionne à grands frais, mais cela c’est pour la couverture ; en réalité c’est un tueur à gages au service de l’organisation sécrète CII (Central Intelligence Institute) et il doit, un peu contraint à cause de son impérieux besoin d’argent, accepter d’infliger une « sanction », c’est à dire un meurtre , à l’ennemi en représailles à l’assassinat d’un des agents de l’institut. Il apprend que cela doit avoir lieu dans le cadre d’une ascension très médiatisée dans les Alpes suisses de la face nord de l’Eiger, voie demeurée inviolée. Il s’intègre donc à ce groupe sans savoir qui des trois hommes qui le composent il doit exécuter ; il ne le saura qu’au dernier moment, situation d’autant plus délicate pour lui que la victime potentielle peut aussi devenir son assassin et que sa mission doit évidemment demeurer secrète pour tous. Même s’il a vieilli et que ses réflexes de sa jeunesse se sont émoussés, Jonathan reste un montagnard passionné pour qui cette escalade est un défi personnel , d’autant que la météo est ici particulièrement capricieuse et le danger constant. Il ne connaît guère les membres de l’expédition mais ils ont tous une idée précise pour la réaliser, sous les yeux curieux d’une faune avide de sensations fortes, les « oiseaux de l’Eiger », journalistes, riches curieux, acteurs désireux d’être vus… Au passage l’auteur se livre à une étude pertinente sur l’espèce humaine et ses comportements. C’est donc une histoire haletante, bien écrite et agréable à lire, entre roman d’espionnage et thriller où Jonathan a tout d’un agent secret, séducteur, prompt à la bagarre, toujours en éveil et efficace qui ne peut croiser une jolie femme, mariée ou non, sans la mettre dans son lit, ce qui risque de compromettre cette mission.
De « La sanction » on a tiré un film en 1975.
De l’auteur on ne sait pas grand-chose si ce n’est qu’il s’agirait de Rodney Whiteker (1931-2005) et qu’il usait souvent de pseudonymes pour écrire ses nombreux romans, qu’il aurait vécu au pays basque français, que ses livres ont pour la plupart été des succès de librairies et traduits dans de nombreuses langues. Il a toujours refusé les interviews filmées et les photos pour préserver son anonymat. Ce détail assez original me paraît importante à l’heure où chacun recherche, par des moyens pas toujours honnêtes, à se faire connaître du grand public. J’avais déjà fait cette remarque à propos d’Elena Ferrante, la talentueuse auteure de « L’amica geniale », (« l’amie prodigieuse » en français) qui cultive également le mystère autour de sa personne.
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Le livre de la pitié et de la mort
- Par hervegautier
- Le 06/03/2023
- Dans Pierre LOTI
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N°1724 – Mars 2023
Le livre de la pitié et de la mort – Pierre Loti – Petite bibliothèque Payot.
C’est un recueil de onze nouvelles paru en 1891 alors que Pierre Loti, âgé de 41 ans, vient d’être élu à l’Académie française dont il est le plus jeune membre. Il y compile des souvenirs et des réflexions personnels sur son passage sur terre et sur la mort. C’est un ouvrage émouvant où l’auteur évoque pudiquement le souvenir d’êtres chers ou inconnus, qu’ils soient humains ou animaux. C’est une réflexion sur la vie et sur le trépas, une occasion de nous rappeler que la lecture n’est pas seulement un loisir mais que la littérature est aussi une évocation voire une interprétation du monde réel où le lecteur peut se retrouver mais que pour l’auteur qui s’attache à cette tache c’est un véritable défi. Il s’agit donc de textes autobiographiques dont le thème central est la mort et les rituels qui l’entourent. Très tôt confronté à la disparition de son frère Gustave, au souvenir des défunts de sa parentèle, des visages happés par l’oubli, des corps qui ont été vivants et beaux et qui sont devenus des ombres, de la poussière, Loti n’a jamais oublié sa condition de simple mortel parce que, au-delà de l’écrivain il y avait l’homme, celui qui accompagna la longue agonie de sa chère tante Claire au cœur de cet hiver charentais.
Loti est un romancier injustement oublié qui a été l’incarnation de son temps et a marqué de la plus belle des manières son passage sur terre en y laissant une trace exceptionnelle. Il se livre ici à une somme de remarques sur ce que les vivants ont tous en commun, la mort et la souffrance, et il exprime la pitié qu’on ressent au contact de cet aspect de la condition humaine, ce qu’il éprouve au spectacle de deux époux japonais, vieux, malades et mendiants, qui luttent dérisoirement, avec tout la richesse de leur amour, pour leur vie misérable, pour les veuves et les orphelins de marins pêcheurs péris en mer, les naufrages sont si fréquents à son époque, et le désarroi ressenti face à l’inexorable fin des hommes. Nous autres occidentaux, faisons semblant d’ignorer que la vie est une chose fragile, que nous n’en sommes que les usufruitiers et qu’elle peut nous être enlevée sans préavis. Quand il évoquent les enfants scrofuleux de l’hôpital de Pen-Bron, torturés leur vie durant par le mal de Pott, il exprime sa pitié pour leurs douleurs et souhaitent que ses contemporains en prennent eux aussi conscience. Le simple fait d’abattre un bœuf à bord du bâtiment qu’il commande, pour la simple subsistance de l’équipage, le bouleverse. Quand il nous parle du quotidien de ses deux chattes, Moumoutte Blanche et Moumoutte Chinoise, toutes deux dotées d’une carte de visite comme les humains, arrivées dans sa vie par hasard et vivant dans sa maison de Rochefort quand il courrait les mers, c’est pour mieux évoquer leur envol au paradis des chats. Elles étaient confiées aux bons soins charentais de sa mère et de sa tante Claire qui furent aussi happées par la camarde. Qu’est ce que la vie en effet, une parenthèse qui s’inscrit dans l’écume du temps entre deux extrémités, la naissance et la mort. Rien de plus !
Sous ce titre quelque peu sinistre, Loti qui était un être à la fois fantasque, révolté, controversé, curieux du monde et des arcanes de l’esprit, se révèle tourmenté par la condition humaine. Certes, il est un écrivain du XIX° siècle qui s’exprime comme on le faisait à son époque, sa langue est bien différente de celle d’aujourd’hui mais je la comprends et l’apprécie, j’aime sa subtile écriture aux couleurs et aux rythmes changeants et l’émotion qui s’en dégage
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Si ce livre pouvait me rapprocher de toi
- Par hervegautier
- Le 04/03/2023
- Dans Jean-Paul Dubois
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N°1723 – Mars 2023
Si ce livre pouvait me rapprocher de toi – Jean-Paul Dubois – Éditions de l’olivier.
Paul Permüller, 46 ans, est un écrivain plein de doutes et qui exerce sans conviction des petits boulots. Après son divorce et désespéramment seul, il décide de reprendre sa vie en mains et de partir pour le Québec où son père allait deux fois par an pour pêcher le brochet sur un lac où il s’est noyé. Il est accueilli à Montréal par un ami de son père qui lui révèle laborieusement un secret auquel il n’était pas préparé.
J’apprécie les romans de Jean Paul Dubois et le film de Philippe Lioret (2016) qui s’en inspire sans pour autant en être une adaptation m’a paru être parfaitement être dans l’ambiance que tisse à chaque occasion cet auteur.
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le livre des soeurs
- Par hervegautier
- Le 02/03/2023
- Dans Amélie Nothomb
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N°1722 – Mars 2023
Le livres des sœurs– Amélie Nothomb – Albin Michel.
Les deux sœurs c’est Tristane et Leaticia, quatre ans et demi de différence entre elles. Leurs parents Nora et Florent vivent le parfait amour depuis leur rencontre mais n’éprouvent pas le besoin de le couronner par la naissance d’un enfant. Pourtant Tristane naît, plus par convenance que par réel désir des époux. Plus tard Laeticia voit le jour et leur deux filles éprouvent l’une pour l’autre un attachement très fort.
Nora qui exerce le métier de comptable a une sœur, Bobette, célibataire, qui passe le plus clair de son temps à fumer devant la télévision et à boire de la bière, quand elle ne fait pas des enfants... avec des hommes différents. Ces deux sœurs ne s’apprécient guère et pourtant Bobette nous est présentée comme une mère démissionnaire, quelqu’un de définitivement perdu, de suicidaire et elle transmet son attirance vers la mort à sa fille Cosette. On peut penser un moment que ce sont ces deux jeunes femmes qui vont faire l’objet de ce livre mais en réalité, Amélie Nothomb se penche plus volontiers sur le cas de Leatitia et de Tristane qui, même si elles sont inséparables, si elles sont liées par un amour fusionnel, abordent l’existence chacune à sa façon, d’une manière optimiste pour la première dont le prénom évoque la joie et d’une manière plus triste pour la seconde dont le sien suscite la morosité. Nora lui a un jour collé l’étiquette de « petite fille terne » qu’elle traînera toute sa vie comme une obsession qui sonne comme une interdiction d’être elle-même. Nora ira même jusqu’à la culpabiliser. Cette forme de rejet, cette faille, ce traumatisme issu de l’enfance qui font d’elle un être transparent est d’autant plus fort qu’il est crée par les parents qui son censés protéger leurs enfants sans la moindre différence et les préparer à leur future vie. A cause de cela, elle passera involontairement à côté du bonheur. Gaston Bachelard nous rappelle qu’on ne guérit jamais de son enfance. Pire peut-être, l’amour de Nora et de Florent, fait qu’ils négligent complètement leurs enfants. Même si cela peut paraître exceptionnel et presque irréel, on peut facilement admettre que la fondation d’une famille avec enfants n’efface en rien la volonté des parents qui bien souvent poursuivent leurs projets personnels sans penser à ceux qu’ils peuvent laisser en chemin. L’image traditionnelle de la mère protectrice reste un mythe de nos jours. Nora, laisse au début à Tristane la charge de s’occuper de sa sœur, ce qui est souvent le cas des aînées et les prépare à leurs futures maternités. Ce qui est plus contestable en revanche c’est qu’elle fasse une différence entre ses deux filles, à l’évidence elle favorise Leatitia et cantonne sciemment Tristane dans la tristesse, freinant son développement, même si Florent lui exprime ses félicitations. Les mères abusives et destructrices, cela existe, la littérature en est pleine, même si, face à cette faute maternelle, Tristane n’éprouve que de l’amour et de l’indulgence ! Un tel régime ne peut qu’être néfaste à cette fille aînée qui développe une atmosphère de solitude avec un pseudo dialogue avec sa cousine morte et une correspondance constante avec sa sœur.
Ce roman est présenté comme non autobiographique, C’est à tout le moins ce que j’ai entendu dans les différentes interviews. Je ne suis pas spécialiste de la vie de l’auteure mais cette affirmation, un peu trop répétée me paraît sonner faux. L’amour de la musique rock développé par Laetitia et celui de la littérature chez Tristane me paraissent bien correspondre à Amélie Nothomb. Un dédoublement de l’auteure en quelque sorte et chacune des deux sœurs cultive sa passion, poursuit son propre rêve. De toute manière nous savons bien que, nonobstant la fiction, il y a toujours un peu de l’écrivain dans ses personnages et il n’y a rien là d’extraordinaire et surtout d’inavouable. J’arrêterai cependant ici, s’agissant de ce roman, la portée de cette remarque. D’autre part, l’amour fou de Nora et de Florent me paraît un peu artificiel et même égoïste, l’épilogue semble le montrer, même si la différence faite entre deux enfants , elle, ne l’est pas. J’ai cependant bien aimé l’analyse qui est faite de la situation d’infériorité artificielle de Tristane
J’ai l’habitude de lire la 4° de couverture avant d’entamer ma lecture d’un roman. Ici c’est plus que laconique « Les mots ont le pouvoir qu’on leur donne ». On n’attend pas autre chose de la part d’un écrivain !
De cette auteure dont je n’ai pas toujours aimé les romans, je retiens le premier « Stupeur et tremblements » et le précédent « Premier sang ». Ce livre, le 31°, m’interpelle à titre personnel, il est bien écrit et , au-delà de l’amour fusionnel entre ces deux sœurs et même entre un homme et une femme, ce que je retiens c’est le personnage de la mère qui va à l’encontre de la traditionnelle image qu’on en donne. Elle me paraît juste précisément parce qu’elle est à l’opposé de ce qui est communément admis.
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L'arbre de colère
- Par hervegautier
- Le 27/02/2023
- Dans Guillaume Aubin
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N°1721 – Février 2023
L’arbre de colère – Guillaume Aubin – la Contre-Allée.
Fille-Rousse. une jeune amérindienne de la tribu des « Longues-Tresses » est née dans la violence, tirée du ventre de sa mère mourante par un guerrier de celle des «Yeux-Rouges ». Les deux peuplades sont en guerre pour le Qaa, une plante hallucinogène qui donne la vie mais aussi la mort, qui favorise la communication avec les esprits, l’eau, la montagne, la forêt. La fillette grandit parmi son nouveau clan, dans un environnement fait à la fois de nature sauvage et de brutalité et rapidement le chamane puis chef la considèrent comme une « Peau-mêlée », un garçon dans le corps d’une fille, ce qui lui vaut d’être éduquée comme un futur guerrier et elle attire sur elle admiration, méfiance et rejet de la part de la communauté du fait de ses origines. Elle devra donc batailler pour ce faire une place dans ce microcosme entre recherche de la liberté et solitude dans une société en principe basée sur la solidarité. C’est aussi une réflexion sur la recherche d’une place à la fois sexuelle et sociale, dans une société traditionnellement patriarcale où le rôle de la femme est limité aux fonctions maternelles et aux tâches ménagères autant que la reconnaissance d’une différence. Elle ira jusqu’à briser le tabou ancestral pour obtenir vengeance et peut-être l‘acceptation de sa propre nature.
Dès les premiers lignes, le texte est emprunt de violence ordinaire, meurtres, viols, rapts de femmes pour assurer le renouvellement, ce qui fait le quotidien de ces clans du nord Canada en perpétuelle lutte entre eux. Plus tard, intégrée dans sa nouvelle tribu Fille-Rousse doit se battre contre les garçons pour leur imposer sa présence jusque dans les traditionnels rituels de passage vers l’âge adulte.
Les mots sont crus, les descriptions sont réalistes, à la fois violentes et poétiques, bien dans l’idée de cet univers dépaysant où l’auteur entend plonger son lecteur. Pour autant, si elle s’impose comme un homme et guerrier dans sa tribu, c’est en femme et en prostituée qu’elle aborde les pêcheurs de morue sur la côte pour la survie de sa tribu.
J’ai poursuivi ma lecture jusqu’à la fin sans vraiment entrer dans l’univers créatif de l’auteur.
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Ceci n'est pas un fait divers
- Par hervegautier
- Le 24/02/2023
- Dans Philippe Besson
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N°1720 – Février 2023
Ceci n’est pas un fait divers – Philippe Besson – Juillard.
Qu’est ce qu’un fait divers ? C’est un type d’évènement qui n’est classable dans aucune catégorie qui habituellement compose l’actualité. Ainsi « les faits divers » forment-t-ils eux-mêmes pour la presse une rubrique à part qui regroupe des circonstances particulières n’ayant aucun lien entre elles ce qui ne signifie pas qu’elles sont sans importance. Ici, les faits sont brutaux, ce n’est pas un crime passionnel jadis absout par la justice, il s’agit du meurtre d’une femme par son mari en présence de leur fille Lea, 13 ans. C’est elle qui annonce par téléphone la nouvelle à son frère, 19 ans, danseur à l’Opéra de Paris. Quant au père, il a disparu. S’ensuit une enquête où les détails horribles ne nous sont pas épargnés, ce qui le transforme moins en roman policier qu’en un dossier d’analyse psychologique pour tenter d’expliquer l’inexplicable.
Aujourd’hui, on ne peut pas consulter les médias sans apprendre ce genre catastrophe qui en devient presque banale, les statistiques en font foi et on a même crée un mot nouveau pour cela : féminicide. Et cela ne sera jamais un fait divers. Ce roman est basé sur un fait réel et Philippe Besson se l’est approprié sur la demande d’un de ses lecteurs à qui il laisse la parole. L’auteur quitte donc son registre habituel où il nous faisait partager ses états d’âme souvent intimes (pas tout à fait cependant) pour nous parler d’autres gens. Au-delà de l’histoire, toujours racontée avec la même écriture à la fois simple, économe en mots et juste, Philippe Besson met en lumière moult questions. Les êtres choisissent naturellement de se rapprocher entre eux pour faire obstacle à la solitude. Cela donne des couples qui, lorsqu’ils sont mal assortis, traînent derrière eux le malheur comme une destiné. Ils sont condamnés à voir le bonheur de loin, chez les autres et à souffrir de cette injustice. C’est sur ce terrain que croissent des frustrations qu’on garde souvent enfouies en soi par pudeur ou pour ne pas traumatiser ses proches. Quand on est jeune et qu’on rencontre l’amour qui n’est souvent qu’une attirance physique passagère, on fait semblant de croire à l’avenir qu’on habille de projets et de fantasmes. On tente même de forcer le destin en fondant une famille. Souvent, cela ne dure guère et s’use sous le coups du quotidien et l’idée qu’on se faisait du bonheur s’érode peu à peu pour souvent disparaître définitivement. Puis viennent les hasards qui ne font pas toujours bien les choses et on se sent rejoint par le malheur, celui d’être né sous une mauvaise étoile, qui s’accroche à vous comme un cancer et vous dévore de l’intérieur, rendant vain votre combat contre cette adversité. On fait la constatation que l’amour, s’il a existé, s’est dissout, le couple choisit de se séparer, souvent dans les premières années de vie commune, comme c’est le cas actuellement et ce sont les enfants qui en pâtissent. Parfois on compose, on patiente, on se fait une raison, on se drogue, on va voir ailleurs, on fait durer le couple par hypocrisie, pour des raisons sociales, financières ou religieuses, l’espoir d’un impossible changement, de la survenue hypothétique d’un accident ou de la maladie. La violence s’invite parfois comme dans cette sordide histoire.
Ici Léa incarne ces enfants qui, trop souvent ignorés, sentent les choses, veulent les faire changer, sont témoins et donc presque complices, mais qui ne peuvent rien faire face aux secrets, aux silences, aux manipulations des adultes, à part générer contre eux-mêmes cette colère et cette détestable culpabilité qu’ils traîneront toute leur vie. Chacun des deux enfants s’interrogent, se critiquent, s’accusent, se souviennent de l’incompréhension voire de l’animosité de leur père, de sa duplicité, se raccrochent aux souvenirs apaisants tissés avec leur mère, mais la réalité l’emporte avec les exigences de la procédure, les obligations de l’enquête, les réalités administratives, les rituels, les remises en cause de chacun pour son avenir et ses ambitions, l’acceptation des échecs qu’on voulait éviter, le procès à venir, l’impossible travail de deuil...
Une autre idée s’impose à moi, celle de l’utilité de la littérature bien différente de celle de vendre des livres puisque notre société apprécie bien souvent ses membres à l’aune d’un critère comptable. Elle classe bien souvent les écrivains dans une élite intellectuelle qui les éloigne du quotidien. Parmi les nombreux rôles qu’on peut lui assigner, celui d’être le miroir de notre société ne me paraît pas être le moins important. Pour l’écrivain, donner la parole à ceux qui ne veulent ou ne peuvent la prendre, mettre des mots sur leurs souffrances secrètes, formuler simplement les choses qui les bouleversent, donner à voir une facette non idyllique de la condition humaine dans laquelle d’autres pourront se reconnaître et peut-être y puiser du réconfort, tout cela me paraît essentiel.
Philippe Besson s’empare de ce type de fait de société avec beaucoup d’humilité.
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Ce que faisait ma grand-mère à moitié nue sur le bureau du Général
- Par hervegautier
- Le 23/02/2023
- Dans Christophe Donner
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N°1719 – Février 2023
Ce que faisait ma grand-mère à moitié nue sur le bureau du Général – Christophe Donner – Grasset.
Ce titre quelque peu racoleur est sans doute de nature à décider les plus sceptiques. Quant au Général, malgré le fait que nous ayons de plus en plus d’officiers étoilés, il ne peut s’agir que de de Gaulle puisque dans la mémoire collective des Français il n’y en aura jamais qu’un seul dont on prend même la précaution d’enrichir son grade d’une majuscule. Pourtant cela colle mal avec l’image qu’a laissé de lui « l’homme du 18 juin » qu’on imagine assez mal en Don Juan, mais on ne sait jamais !
J’ai été un peu perdu au début avec ce roman qui est la suite d’un ouvrage précédent que je n’ai pas lu, avec ces histoires entrecroisées d’oligarque russe qui a fait fortune grâce à la cryptomonnaie et qui achète à l’auteur le roman qu’il est en train d’écrire sur sa famille et plus spécialement sur la figure du docteur Henri Gosset, son arrière-grand-père qui soigna le fils révolté du royaliste Léon Daudet, un des fondateurs de l’Action française qui faillit faire basculer la France dans le fascisme et sur cette partie de la vie du jeune officier de Gaulle qui croisa pour la première fois le déjà vieux Pétain au début du XX° siècle. Cela sent le drame œdipien de la lutte à mort du fils contre le père sans qu’on sache très bien parfois qui veut tuer l’autre. Mais la grand-mère dans tout cela et la raison de sa posture qu’on imagine au service d’une ambition précise que la morale d’aujourd’hui semble vouloir hypocritement bannir des relations hommes-femmes pourtant immuables ? Qui était-elle? C’est Denise, dite Amin, quant aux véritables raisons, peut-être pas forcément historiques de sa présence sur le bureau du général, elles sont assez surprenantes. Que m’étais-je imaginé ?
Tout cela m’a paru intéressant sur le plan historique, mais quand même bien confus et surtout romancé. J’ai appris des choses sur les relations entre de Gaulle et Pétain, les postures déférentes mais fermes du jeune capitaine conscient de sa valeur et suffisantes et hiérarchiques du vieux maréchal avide d’honneurs. On sait comment tout cela va se terminer. Il est souvent question de l’auteur et surtout de Léon Daudet, le fils du célèbre écrivain, politicien ambitieux et surtout de sa famille, de son fils Philippe, adolescent perturbé, fugueur et anarchiste et de son projet un peu fou, pourtant réalisé. Une véritable saga avec des morts, et pas seulement à cause de la guerre, des adultères, des ambitions politiques, des démêlés judiciaires...
C’est étonnant, écrit sur le mode jubilatoire, et il faut attendre les dernière pages pour connaître la raison de la présence incongrue de cette femme sur un meuble quasiment historique. Finalement j’ai bien aimé et cela m’a donné en tout cas l’envie de découvrir cet auteur prolifique.
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La vie suspendue
- Par hervegautier
- Le 22/02/2023
- Dans Baptiste Ledan
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N°1718 – Février 2023
La vie suspendue – Baptiste Ledan- Éditions Intervalles.
Depuis la mort de son épouse et de ses deux enfants, Tomas Fischer est seul au monde, sa vie n’a plus de sens et il aspire à quitter sa ville et ses souvenirs pour s’installer dans une cité-état érigée en république indépendante, lointaine et isolée, pleine d’interdits, de codes et de choses étranges, Lasciate, qu’on peut traduire de l’italien par oubliée ou abandonnée. Après quelques jours dans sa nouvelle résidence qui n’a pourtant aucun attrait tant elle est quelconque, grise, désespérante, il éprouve le besoin de s’y installer définitivement, mais sa vie ici ne peut être que clandestine parce que les étrangers y sont indésirables. Il s’ingénie donc à y devenir invisible dans une cité vouée à l’immortalité grâce à une immunisation, lui le mortel parmi les immortels, mais une opportunité s’offre à lui qu’il saisit spontanément autant par volonté de rendre service que de consolider son nouveau statut. Il se rend donc indispensable, ce qui lui vaut l’estime de tous et une bonne situation financière dans cette ville de l’éternelle jeunesse où la mort est l’exception et l’éternité la règle générale, mais où il choisit volontairement de me pas profiter de l’opportunité offerte à tous. Il trouvera l’amour, se mariera, fera sa vie, vieillira et mourra comme un humain ordinaire, ce qui ne sera pas sans l’amener à s’interroger sur cette société lascebberote et sur lui-même, sur ses contradictions existentielles, sur ses choix, sa culpabilité.
C’est une fiction dans laquelle je suis entré de plain-pied et où, toutes choses égales par ailleurs, je me suis trouvé nombre d’affinités personnelles, malgré le fait que je ne perdais pas de vue que ce microcosme citadin n’existait évidemment pas, que la situation décrite étaient pleine d’extravagances et de paradoxes. Au fil des pages, je me suis installé dans cette contradiction tout en me disant que si l’histoire racontée était imaginaire, la vie des habitants de Lasciate avec leurs phobies, leurs fantasmes, leurs hypocrisies, leurs mensonges et leur désespoir n’était peut-être pas si différente de la nôtre et cela méritait réflexion. L’immortalité est un fantasme distillé par certaines religions qui imaginent un mode meilleur que le nôtre pour nous aider à accepter cette vallée de larmes qu’est notre parcours terrestre. Nous autres, pauvres mortels, nous vivons en faisant semblant d’oublier que nous ne sommes que les usufruitiers de notre vie et qu’elle peut nous être enlevée sans préavis, que la mort n’est que son terme, qu’elle en fait donc simplement partie, mais cet aspect des choses, à travers la maladie et les accidents, les suicides, est aussi présent dans ce microcosme lascebberote qui connaît aussi la lassitude de vivre. A l’issue de sa vie choisie entre liberté et destiné, Tomas, malgré les obstacles qui se dressent devant lui, ouvre volontairement ses bras à la camarde comme un dernier sommeil, comme une parenthèse enfin refermée sur un cheminement terrestre parfois hasardeux, comme une délivrance qui tient à la fois de la fascination et du mystère, accepte pour lui le néant tout en confiant son exemple aux vivants qui jugeront ses choix et ses actions, les rejetteront ou les respecteront d’autant plus aisément qu’eux sont éternels. Sa attirance pour les cimetières me paraît significative. En effet, les traces qu’il laisse après lui, son exemple parfois cahoteux, des milliers de mots écrits par lui, inspirés par sa vie transitoire, ses réflexions, ses états d’âme, confiés au fragile support du papier et légués post mortem aux vivants qui le suivent et à leur appréciation, existent néanmoins. Ils en sont désormais les maîtres et son immortalité à lui dépend d’eux. Je choisis d’y voir quelque chose qui ressemble à des remarques personnelles de l’auteur sur le fait d’écrire et surtout ce qui reste de nous-même après notre mort.
Avec de courts chapitres dont le titre est emprunté à des œuvres d’autres écrivains, Baptiste Ledan, dans ce qui est son premier roman, balade son lecteur, avec son écriture fluide et agréable à lire, dans une fable un peu folle mais qui n’est pas sans rappeler, avec humour et réflexion, notre condition humaine, la vanité des choses. Cela tient de la science-fiction et de la métaphysique mais me paraît être un miroir assez fidèle de notre société qui se referme sur elle-même et qui refuse la différence.
Le livre refermé, l’acceptation de la mort par Tomas, son refus volontaire d’une éternelle jeunesse tout en cherchant une autre forme d’immortalité ramènent les choses à leur vraie dimension, interrogent sur nous-mêmes, sur notre démarche, sur ce qui reste de nous.