Articles de hervegautier
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La vraie vie
- Par hervegautier
- Le 17/02/2019
- Dans Adeline Dieudonné
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La Feuille Volante n° 1326
La vraie vie – Adeline Dieudonné - L'iconoclaste.
Drôle de famille que celle de la narratrice, le père, sorte de tyran domestique, alcoolique, colérique, violent avec sa femme, grand chasseur de fauves, fan de Claude François et de la télévision, qui vit au milieu de ses trophées dans une sorte de lotissement à la périphérie de la ville, la mère qui nous est présentée comme une sorte « d'amibe », craintive et soumise à son mari, dédiée aux taches domestiques. Cette violence, on le verra, se déchaîne surtout au détriment des femmes, sans véritable raison. Avec Gilles, son petit-frère, six ans, la narratrice, une jeune adolescente, s'intéresse aux passages du glacier, aux chèvres élevées par sa mère, aux carcasses de vieilles voitures de la casse d'à côté qui sont pour elle une source inépuisable d'imaginaire, à Marie Curie et à la machine à remonter le temps qu'elle projette de construire, depuis la mort du marchand de glaces, avec la complicité d'une voisine un peu fantasque. Après tout c'est un univers comme un autre, celui de l'enfance que la narratrice veut faire perdurer surtout pour son petit frère qui pourtant se révèle au fil des pages quelque peu sadique, comme son père à qui il ressemble de plus en plus. Il changera à la fin.
Au fur et à mesure que le corps de la narratrice grandit, avec ses obsessions, ses folies, ses phobies et ses fantasmes, on la sent à la fois désireuse de demeurer encore un peu dans ce cocon et en même temps attirée par le monde des adultes. Elle montre en effet une aptitude hors du commun pour les mathématiques et les sciences qui n'échappe pas à ses professeurs, ce qui lui ouvre un avenir prometteur. Elle découvre également l'extérieur du microcosme familial à travers la montée du désir sensuel. Tout cela, face à l'indifférence de son père et les épreuves qu'il imagine pour la dominer comme il domine son épouse. Cela entretient une ambiance délétère et dénote une grande solitude au sein même de cette famille.
L'auteure nous invite à suivre, à travers cinq années, le combat de cette petite fille pour sortir de ce milieu hostile tout en préservant, pour son petit frère, cette parcelle d'enfance qui lui est nécessaire. On sent chez cette jeune fille la volonté de le maintenir dans cet univers, de protéger Gilles, et en même temps celle de d'entrer dans le monde des adultes, de grandir, de devenir femme.
C'est le premier roman de cette jeune auteure qui fait l'objet de beaucoup d''éloges. Je n'ai pourtant que très peu prisé l'ambiance un peu glauque de ce livre, alors que la quatrième de couverture en souligne le côté « drôle ». En outre, contrairement à ce qu'elle affirme également, je n'ai pas trouvé le style « fulgurant », mais au contraire bien ordinaire pour un roman qui cependant se lit facilement et rapidement. Le titre au départ m'avait attiré par son libellé même, et, ma lecture achevée, je me demande si la vraie vie est celle de l'enfance que pourtant Gilles et la narratrice quittent à la fin, et d'une manière peu commune, ou celle de la violence dans laquelle nous baignons tous jusque, parfois au sein de notre propre famille. Le noyau familial a toujours été considéré comme le pilier de notre société, mais pourtant, nous le savons tous, il est également le domaine de l'hypocrisie et du mensonge. Il n'y a pas, en effet, mieux placés que nos proches pour nous détruire si telle est leur volonté et, comme nous ne pouvons l'ignorer, l'espèce humaine est capable du pire comme du meilleur, mais bien trop souvent du pire. Je verrai plutôt ce roman comme un miroir assez fidèle de notre société. L'épilogue aussi m'a étonné, non par sa violence qui ainsi se retourne contre le père qui aime à la pratiquer, mais par les conclusions des enquêteurs autour de l'arme.
Mais je suis peut-être passé à côté d'un chef d’œuvre ou alors je n'ai peut-être rien compris !
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
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Dans la cathédrale
- Par hervegautier
- Le 15/02/2019
- Dans Christian Oster
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La Feuille Volante n° 1325
Dans la cathédrale – Christian Oster – Éditions de Minuit.
Paul, 35 ans, vit à Paris chez Jean, le narrateur qui a 20 ans de moins. Officiellement Paul cherche un appartement mais le moins qu'on puisse dire c'est qu'il ne met pas dans cette recherche une énergie débordante, tout comme dans la quête d'un travail pour la découverte duquel nous savons depuis peu qu'il suffit de traverser la rue. Il s'agit donc d'une cohabitation qui, de la part de Jean, est plus motivée par la charité que par l'attachement à la personne de son ami. Puis, tout d'un coup Paul disparaît pour aller rejoindre une femme. Jean se retrouve seul et il se souvient de différentes compagnes qui ont fait partie de sa vie. L'une d'elles y débarque en prétendant l'avoir connu alors qu'il n'en a aucun souvenir. Est-ce à cause de tous ces fantômes qui font irruption dans sa mémoire ou à la disparition subite de Paul qu'il choisit de partir, toujours est-il qu'il disparaît à son tour. Il choisit la Beauce, près de Chartres, peut-être par le plus grand des hasards, peut-être parce que c'est le siège social du journal où il travaille. Il y retrouve un collègue qu'il connaît à peine, Andrieu, qui va se marier, qui tombe malade et dont Jean va s'occuper.
L'auteur renoue avec son thème favori qu'est celui de la solitude, avec une variante ici, la solitude entre les hommes et les femmes. C'est un peu toujours la même chose avec Christian Oster. Ici Jean est tellement seul qu'il prend la décision un peu surréaliste de tout abandonner de ce qui fait sa vie, son appartement et son travail parisien, sans pour autant avoir le moindre projet de remplacement. Il part en se disant qu'il verra bien et que le hasard décidera pour lui. Les relations entre les hommes et les femmes sont également évoquées à l'aune de la solitude et Jean repense à toutes ses compagnes qu'il a eues auparavant et pour qui il n'a jamais éprouvé une vraie passion. Certaines retiennent un peu son attention alors que d'autres lui sont à ce point indifférentes qu'il a complètement oublié leur passage dans sa vie et on peut même supposer qu'il s'agit d'une erreur sur la personne. Physiquement je n'imagine pas Jean comme un « latin lover » et encore moins comme un « donnaiollo » comme disent si joliment nos amis Italiens, Je le vois comme un homme ordinaire, si seul cependant qu'il est capable de tomber amoureux d'une femme dont il sait qu'elle sera pour lui inaccessible, comme c'est le cas d'Anne, la fiancée d'Andrieu, même si on sent que cet amour, qui n'est peut-être qu'un désir fugace, ne durera pas. Un peu comme si cette femme juste entraperçue était moins l'objet de son amour que de son fantasme, justement parce qu'il est seul. Je l'imagine plutôt vivant dans la fidélité d'un chien ou le mystère d'un chat. Le titre du roman évoque la cathédrale de Chartres où se déroule la mariage d'Andrieu et d'Anne mais qui n'est qu'un lieu de transit, un moment éphémère dans la vie de Jean. Est-ce à dire que l'amour n'existe pas et qu'on se rapproche de quelqu'un un peu par hasard ou pour exorciser la solitude, en comptant sur la chance pour nous aider ? J'avoue que cette explication m'agrée un peu et, pour être personnelle, cette intuition éclaire pour moi l’œuvre de notre auteur au regard de notre société.
Les romans d'Oster sont pour moi, plus que les autres, l'objet d'une question que leur seul titre ne suffit pas à résoudre. Ici l'action, si on peut la qualifier ainsi (ce n'est que le déroulement d'une série de faits qu'on pourrait attribuer au hasard), se développe principalement aux alentours de Chartres. Depuis Péguy, nous savons que cette ville est indissociable de sa cathédrale or, de cet édifice, il n'est question en filigrane qu'à la fin, un peu comme le roman de Boris Vian « l'automne à Pékin » qui ne se passe ni en automne ni à Pékin. Les romans de notre auteur se lisent bien et même rapidement. Ils sont parfois écrits avec des phrases démesurées ce qui en rend la lecture difficile mais ce n'est pas le cas ici. Leur agencement est aussi quelque peu haché par une architecture peu conventionnelle. Le style est malgré tout fluide, agréable, l'usage des imparfaits du subjonctif ont un côté vintage et original qui ne me gêne pas du tout, bien au contraire et je trouve même que cela se marie bien avec l'ambiance du roman.
J'ai abordé sa lecture par hasard, en prenant, par curiosité un de ses romans sur les rayonnages d'une bibliothèque publique. Je l'ai lu, je me suis posé des questions sur ce que je venais de lire et aussi sur moi, mais finalement, je ne sais exactement pourquoi, j'ai résolu d'explorer plus avant son univers créatif. D'après ce que j'ai pu lire, il me semble que cela renvoie assez bien l'image de notre société contemporaine, que cela en est le miroir. En tout cas je m'y reconnais un peu. Il m'a sans doute fallu longtemps et de nombreuses hésitations pour appréhender cet auteur et peut-être le comprendre.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
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Un hosanna sans fin
- Par hervegautier
- Le 14/02/2019
- Dans Jean D'Ormesson
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La Feuille Volante n° 1324
Un hosanna sans fin – Jean d'Ormesson – Éditions Héloïse d'Ormesson.
Avec cet ouvrage publié en août 2018, Jean d'Ormesson clôt sa trilogie commencée avec « Comme un chant d'espérance » et poursuivie avec « Guide des égarés ». Cet immense écrivain, disparu en décembre 2017, qui a servi admirablement notre belle langue française tout au long de sa vie, nous prouve, s'il en était besoin, qu'il est un authentique « immortel ».
Il a consacré une partie de son œuvre à puiser dans sa biographie et à réfléchir sur le sens de la vie et de la mort, sur l'existence de Dieu. Il se penche sur notre naissance, rappelle qu'elle reste un mystère, due au hasard ou est prévue de toute éternité mais résulte avant tout de la copulation d'un homme et d'une femme qui sont nos parents, qu'avant nous n'étions nulle part et qu'il y a des chance pour que ce soit la même chose après notre mort, que nous ne sommes pour rien dans notre venue sur terre et que nous ne sommes sûrs que d'une chose, notre mort, parce que c'est la condition humaine. Entre notre naissance et notre mort, il y a notre vie dont nous sommes les victimes parce que nous ne l'avons pas voulue, mais qui reste une aventure unique, une chance ou une souffrance, une bénédiction ou une malédiction selon le cas, moins le domaine de la liberté que celui des possibilités sans que nous sachions bien ce que nous sommes venus faire ici-bas. Nous devenons héro ou salaud, quidam ou célèbre ! Il prétend que nous sommes viscéralement attachés à notre vie parce que, en la quittant, nous entrons dans l'inconnu et que c'est angoissant, parce que l'après-mort sera toujours une interrogation et que ce qui distingue l'homme des autres êtres vivants, c'est sa faculté de penser. Malgré cela, nous passerons notre vie à oublier cette échéance fatale, avec pour seule consolation la science qui nous aide à tout comprendre de la réalité du monde depuis le début, depuis le Big Bang. Il note alors que le vide régnait dans l'univers, la vie commençait timidement et en silence à s'organiser sans qu'on sache exactement comment ni à partir de quand. Plus tard, avec la venue de l'homme, se développeront les sentiments, la sensibilité, la souffrance, la notion de liberté, l'intuition de l'individu avec sa propension pour le mal et la mort qui s'impose parce que la vie est forcément temporaire. Face à cela la pensée qui est l'enchantement du monde va lentement s'installer et avec elle la parole puis triompher parce que Dieu, à l'origine de toutes choses, laisse l'homme libre de se substituer à lui, au hasard ou à la nécessite parce qu'il est orgueilleux. La pensée va donc transformer l'univers, éclairer et embellir ce monde grâce au langage qui exprime la vérité, organise les passions, la connaissance et donne naissance aux vertus qui sont le moteur de toute civilisation. Avec l'émergence du bien et du mal, deux concepts qu'on recherche et qu'on fuit naturellement, va s'installer l'erreur qui est la dimension diabolique de cette faculté de choisir, mais aussi l'espérance et l'angoisse qui selon notre auteur rapprochent l'homme de Dieu. La pensée humaine est fragile, est elle aussi appelée à disparaître parce que tout en ce monde est contingence. Mais qu'y aura-t-il après, demande-t-il. Ce qui est sûr c'est que la science qui pourra sans doute un jour tout expliquer de notre vie ne pourra jamais élucider notre destin après la mort ni apaiser notre angoisse. Y a-t-il donc autre chose ? Notre auteur tente une réponse : la religion et spécialement le monothéisme et la foi qui s'y attache. L'histoire est là pour nous enseigner que la religion, liée au doute et à l'ignorance et parfois même à l'absurde, a aussi déchaîné les passions et généré la mort autour d'elle. Notre auteur rappelle que la foi(et évidemment la foi chrétienne) est une chance puisqu'elle a inspiré la création d’œuvres d'art, a contribué, par la « grâce » qui est d'essence divine, à l'évolution des sociétés humaines et même à l'émergence d'une pensée laïque.
Puis viennent les confidences intimes, notre auteur confessant son agnosticisme, son ignorance à propos de l'existence de Dieu, tout au plus la souhaite-t-il ardemment, au moins a-t-il remplacé la foi par l'espérance parce qu'un monde sans Dieu serait injuste parce qu'Il est espérance ! Il en fait donc « le pari » mais note que la religion n'est pas sans faille. Il ne nous resterait, selon lui, que la naïveté et la gaieté mais la question reste entière : Que faisons-nous ici ? L'homme, et non le hasard, a organisé le monde en fonction de la nécessité. Et Dieu dans tout cela ? Il est un mystère ou plus exactement une invention des hommes, née de leur imagination et de leurs angoisses, une idée plus humaine que divine. Il est pourtant difficile, voire impossible d'imaginer Dieu mais il en va de même selon lui du miracle de la vie qui chaque se déroule sous nos yeux et les chrétiens ont au moins un modèle incontestable : Jésus-Christ.
J'ai lu attentivement ce petit livre autant par curiosité que par nécessité de recueillir une ultime fois le message d'un penseur que je ne partage pas entièrement. J'ai goûté avec le même plaisir ce texte sobre, érudit et remarquablement écrit, j'ai apprécié son humilité devant la mort, l'analyse pertinente qu'il fait des interrogations humaines, mais je dois dire que je m'attendais à quelque chose qui éclairerait mes doutes et résoudraient mes questions. J'ai été un peu déçu sur ce point. Que notre auteur qui a sans doute eu une belle vie, en attribue le mérite à un Dieu dont il imagine l'existence et l'en remercie, on peut facilement le concevoir. Dans la liturgie chrétienne, un hosanna, est une acclamation de joie, celle que le peuple a crié à Jésus lors de son entrée dans Jérusalem et qui nous est rappelée à la fête des Rameaux, mais c'est aussi une prière pour être sauvé. C'est peut-être l'ultime espoir de notre auteur ?
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
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Les yeux d'Arthur
- Par hervegautier
- Le 11/02/2019
- Dans Jean-Frédéric Vernier
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La Feuille Volante n° 1322
Les yeux d'Arthur– Jean-Frédéric Vernier – Éditions « les ateliers Henry Dougier ».
Tout d'abord je remercie les éditions « Les ateliers Henry Dougier » de m'avoir fait parvenir directement cet ouvrage.
Jean-Frédéric est bénévole au sein des « Petits frères de pauvres » de Paris et se rend chaque lundi auprès des personnes en fin de vie. Cela lui a permis de rencontrer Arthur, un vieil homme handicapé mental atteint d'un cancer en phase terminale. Quand il lui rend visite, dans son foyer, Arthur est dans son monde et s'y trouve bien, soliloque, mène des occupations puériles avec des sourires béats, se fait son cinéma en mélangeant un peu tout, alterne les longs silences, observe aussi, l'air de rien… Pourtant cet homme reste une énigme pour Frédéric qui fait difficilement la part des choses entre la supposée gentillesse des handicapés mentaux et les questions, les phobies et les obsessions d'Arthur. Quand l'établissement autorise une sortie à l'extérieur du foyer en compagnie de Frédéric, il devient mutin, ce n'est plus lui qui est accompagné mais lui qui accompagne. Il est espiègle, cabotin même, il revit, se métamorphose, se met en scène ou focalise son attention sur un détail, au point que les passants, mi intéressés, mi-interrogatifs pourraient croire qu'ils ont affaire à un comédien menant avec talent une saynète de rue. On pourrait même le croire « guéri » au moins de son affection mentale. Il est inventif, inattendu, mais cette transformation peut même devenir gênante à la longue puisque Arthur, sans la moindre retenue, s'appesantit sur des choses anodines qui pour lui, soudain, prennent une importance capitale. Un peu bateleur, il se met lui-même en scène, interpelle les passants sans retenue au point qu'on peut se demander si cette réaction sincère n'est pas une révolte longtemps refoulée contre sa notion personnelle de l'injustice ou de la logique. Qu'ils aient compris ou non son état, ces passants de hasard lui montrent souvent de la bienveillance, une certaine forme de tendresse, parfois même entrent pour un temps dans son jeu devant un Frédéric partagé entre la complicité et la retenue. Arthur, le vieillard, redevient un adolescent quand il voit une jolie femme et veut lui dire son admiration. Il devient même quasiment séducteur, mais, sans qu'on sache pourquoi, par peur sans doute, reste un « donnaiollo », comme disent nos amis italiens, timide et réservé.
Face à cela, la présence de Frédéric est protectrice. Ainsi pourrait-on penser qu'à la longue, ses visites sont devenues fastidieuses pour lui et vont se terminer, mais que nenni. Il découvre que s'est installée entre eux une sorte de connivence et même de symbiose, que le temps n'a plus la même valeur lors de leurs entrevues, que sa vie, faite de stress, connaît une manière d'apaisement, et même de bien-être intérieur, devient une invitation à la méditation, une incitation au sourire, un peu comme si Arthur, en son absence, l'accompagnait comme une ombre, comme son ombre ! De même ces rencontres hebdomadaires font du bien à Arthur qui l'attend et ne peut plus s'en passer. Elles sont devenues rassurantes et probablement indispensables, pourtant Frédéric n'est ni soignant, ni salarié du foyer ni même de la famille d'Arthur, tout juste un simple bénévole plein de bonne volonté, mais pourtant il entre dans son jeu, comme beaucoup de ceux qui le connaissent. On pourrait croire qu'ils le font par charité, pour ne pas le brusquer, mais j'ai pensé qu'ils agissaient ainsi peut-être ainsi pour faire une pause dans ce monde survolté qui est le leur, le nôtre. Quant à Frédéric, cet attachement se fait, de jour en jour, plus grand. Tout au long de ces lundis, il s'est tissé plus qu'un lien entre eux. Frédéric était bien plus que le copain d'Arthur comme celui-ci le disait. Nous ne saurons rien de ce jeune homme bénévole qui s'efface volontiers devant ce vieillard à qui il a finit par s'attacher.
C'est un témoignage brut, sans fioriture ni recherche de syntaxe qui est ici donné à lire. Cette collection s'attache à montrer combien sont importantes et uniques les vies ordinaires ou les voix singulières. Arthur est handicapé, c'est à dire un inadapté à notre société, mais il nous est plutôt présenté comme quelqu'un de simplement différent de nous, de la norme. Ce livre, ce geste, qui peut paraître dérisoire, c'est celui Frédéric qui lui aussi veut faire obstacle à l'oubli et à travers l'exemple donné, tendrait-il à prouver que l'attention donnée à ce vieil homme peut avoir une dimension de thérapie? Veut-on nous dire que la guérison de la maladie mentale ne peut se faire qu'à travers une réinsertion du malade dans la société, à condition toutefois qu'elle soit encadrée strictement ? Quant à son cancer, sa disparition tient sans doute du miracle, pour ceux qui y croient, mais c'est un fait !
La réalité est cependant différente et s'impose à nous tous qui ne sommes qu'usufruitiers de notre propre vie. Pour Arthur ce n'est peut-être pas le cancer qui, par une sorte de miracle inexpliqué, s'était mis en sommeil au point que la faculté le considérait au mieux comme guéri, au pire comme en rémission. Frédéric était tellement attaché à Arthur Eet à ses progrès qu'il a fini par se demander s'il avait conscience de l'évolution de sa maladie, s'il avait l'intuition de sa propre mort, s'il pensait à l'au-delà... La Camarde a fini par triompher du vieillard sans qu'il s'en rende compte et sans même qu'il s'y attende, un peu mystérieusement dans son cas, mais nous sommes tous mortels de toute façon.
Je ne sais pas pourquoi, je suis entré dans ce voyage décalé, dans cette relation d'exception entre ce jeune homme dévoué et ce vieillard que la maladie mentale rendait étonnamment jeune, je me suis installé aux côtés de Frédéric pour accompagner son protégé et écouter ses délires parfois dérangeants, parfois carrément comiques, toujours émouvants.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
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L' amie prodigieuse
- Par hervegautier
- Le 10/02/2019
- Dans Elena Ferrante
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La Feuille Volante n° 1319
L'amie prodigieuse (enfance-adolescence) – Elena Ferrante – Gallimard.
Traduit de l'italien par Esla Damien.
Cette amitié qui lie Elena Greco, fille d'un portier à la mairie et Lila Cerullo, fille d'un cordonnier, deux petites napolitaines d'un quartier pauvre de cette ville, commence dans les années 50. Comme c'est souvent le cas, elles ne se ressemblent pas. Lila est petite, maigre, provocante et exerce un ascendant sur Elena, la narratrice, plus timide, réservée et calme. Cette période est pour elles pleine des folies et des phobies de l'enfance, les poupées qui parlent et auxquelles elles confient leurs secrets, les ogres que les terrorisent, les histoires qu'elles se racontent...et la peur de la mort avec tous ces gens, adultes et enfants, décédés de maladies ou d'accidents dans ce quartier oublié dont la vie, avec ses ragots, ses péripéties, ses violences et ces moments anodins, nous est largement détaillée. Les aléas de l'existence vont séparer ces deux amies et Lila, pourtant surdouée doit quitter l'école pour travailler dans l'échoppe de son père alors qu'Elena, un peu moins brillante, reste dans le cursus scolaire, même si Lila continue à accompagner les études de son amie, d'inspirer ses réflexions, tout en nourrissant des projets commerciaux autour de la chaussure et de l'atelier de son père. L'adolescence aussi va les séparer, et Elena, plus belle et plus vite formée, verra autour d'elle s'agglutiner les garçons quand Lila restera à la traîne, pas pour longtemps cependant. Leurs amours ne seront pas en reste puisque les deux adolescentes de quinze ans sont le point de mire des garçons frimeurs de leur quartier qui font tout pour les impressionner et s'en faire remarquer. Pour elles les choses ne seront pas si simples, soit que ceux qui les désirent sont souvent éconduits, soit qu'elles se heurtent elles-mêmes à l'indifférence, coincées entre le fantasme du grand amour de gosse et la volonté de leurs parents de réaliser pour elles un riche mariage, parfois malgré elles et le regard qu'elles portent sur les adultes est à la fois contempteur ou enthousiaste... Leurs vies vont donc se croiser, s'opposer, entre jalousie et admiration, complicité et critiques, projets avortés et amours contrariées, sur fond de souvenirs de la guerre, dans l'ombre de la Camora, du parti communiste et du Vésuve. Elles auront des idées d'avenir chacune dans leur domaine, souffriront de l'opposition entre les riches et les pauvres dont elles font partie, rêveront à l'amour, devront elles aussi abandonner leurs chimères.
Je me mets un instant à la place de Lila et de son projet d'usine de chaussures auquel elle a dû renoncer. Cette jeune fille a du caractère, c'est une rebelle, ce qui lui a valut des réprimandes du côté familial. C'est vrai qu'elle n'est pas soumise comme l'est en principe une jeune-fille italienne de cette époque. Quand on est jeune, on imagine son avenir et il n'est pas rare qu'on y croie si fort que l'on prenne cela comme une promesse de la vie. Mais cette vie ne nous fait aucune promesse ni même aucun cadeau et nos projets ne sont bien souvent que des fantasmes promis à la déception. Lila finit, à seize ans, par choisir le mariage où l'argent prend le pas sur l'amour, Elena au contraire continue d'opter pour les les études et même si c'est dur pour elle, ne néglige pas le jeu de la séduction en opposants ses différents soupirants… La séparation apparente entre les deux amies se manifeste de plus en plus parce qu'elles se retrouvent rapidement dans deux mondes différents, mais sans pour autant se perdre de vue.
C'est bien écrit et vivant, passionnant même et si on est un peu perdu dans la multiplicité des acteurs , la liste généalogique du début aide un peu à s'y retrouver et ce détail est appréciable.
C'est le premier volume d'une saga sur la difficulté de se faire une place quand la vie vous impose un départ dans la pauvreté. Il commence par l'annonce de la disparition inquiétante de Lila à 66 ans qui a toujours avoué à son amie sa volonté de disparaître sans laisser de trace. Elena remonte donc le temps pour consacrer cette amitié et ce même si elle trahit un peu la volonté de son amie, mais, ce faisant, elle veut aussi faire échec à l'oubli qui est un des grands défauts de l'espèce humaine.
Je termine en précisant que l'auteur, Elena Ferrante, nonobstant son talent d'écrivain maintenant reconnu, a, jusqu'à présent préservé son identité et sa vie privée. Je salue ce détail à un moment où bien des gens font n'importe quoi pour être connus et pour qui la notoriété est plus important que tout le reste.
©Hervé GAUTIER – Février 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Mireille, ouvrière de la chaussure
- Par hervegautier
- Le 07/02/2019
- Dans Philippe Gaboriau
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La Feuille Volante n° 1323
Mireille, ouvrière de la chaussure – Philippe Gaboriau – Éditions « les ateliers Henry Dougier ».
Tout d'abord je remercie les éditions « Les ateliers Henry Dougier » de m'avoir fait parvenir directement cet ouvrage.
L'histoire de Mireille, née en 1924, est bien banale, comme celle des gens de ce petit village du Maine et Loire, peuplé de paysans et d'ouvriers, proche de Cholet qui était à l'époque la région la plus manufacturière de France. On entrait dans le monde du travail, tout juste sorti de l'enfance pour trimer chez les autres. Elle fut bonne à 12 ans puis, plus tard, ouvrière de la chaussure. Elle s'est mariée avec Cyrille, un Vosgien rencontré lors d'une noce, a eu deux enfants, a vécu sa vie entre l'usine et le travail de la maison, la messe du dimanche et la résignation prônée par l’Église catholique, a pris sa retraite pour mourir d'un cancer en 2007. Une vie dure mais tranquille finalement parce qu'elle n'a pas cherché à sortir de sa condition, n'a jamais eu de voiture, aimait la cuisine roborative, comptait en anciens francs, payait en liquide, faisait des économies, était réfractaire au changement d'heure, gaulliste, patriote et royaliste, à cause de la région sans doute …l'image d'une certaine France à la fois traditionnelle et attentiste.
L'auteur la met en scène en transcrivant ses propres paroles, brutes et sans aucune fioriture, dans ce qui peut s'apparenter à une étude sociologique. En effet, elle parle et puise son monologue dans ses souvenirs, évoque la vie rurale, les habitudes traditionnelles d'un petit village, puis plus tard l'arrivée de la radio, de la télévision avec les « informations » de l'époque et du monde, mais surtout des émissions grand public, alors fort prisées, des noms d'animateurs emblématiques qui ont émergé mais qui se sont dissous dans le passé où qui se sont installés dans la notoriété, des slogans qui ont un temps fait florès mais qui se sont dilués plus tard dans des années de silence, des titres de chansons qui étaient le miroir d'une société qui renaissait... Elle aimait chanter les rengaines où se mêlaient amour, humour, folklore, quotidien, temps qui passe et temps passé. Pour ceux qui ont connu cette période, cela leur dit sûrement quelque chose mais surtout ce n'est pas de nature à les rajeunir ! C'est que ce catalogue vintage où se bousculent les « réclames » et titres d'émissions maintenant oubliées, devient vite fastidieux. A travers cette trop longue énumération, on mesure certes l'évolution des choses, la marche du progrès, l'installation d'un mieux-être pour ceux qui ont connu la difficile période de la guerre, celle de l'après-guerre et l'explosion des « trente glorieuses » mais cet inventaire devient vite lassant. Pire peut-être ce n'est pas convivial comme cela pourrait l'être sans doute parce que les citations sont trop longues, trop nombreuses.
Pourtant on a de l'empathie pour cette femme, pour ses jugements définitifs et sans nuance, pour son parler patoisant et peu respectueux de la grammaire où, si on tend un peu l'oreille, on entend l'accent chantant de la Vendée. Elle a travaillé dur toute sa vie et a bien mérité sa retraite, est sans doute satisfaite de son chemin et de celui de son mari, parce qu'ils sont été honnêtes et ont fait simplement leur devoir d'état sans rien demander aux autres, mais bizarrement peut-être cela n'a pas suffit à m'émouvoir, c'est trop descriptif, trop administratif, trop long, pas assez chaleureux. Elle n'a pas manqué pas d'évoquer ses regrets « du bon vieux temps » d'avant, quand elle était jeune mais pauvre même si celui d'après, où elle a été certes plus à l'aise financièrement, lui a permis de réaliser certains de ses rêves. Mais la peinture qu'elle a pratiquée en autodidacte, à la retraite, dans le silence, la réflexion et la création, a accentué un isolement que j'ai ressenti dans ses propos tout au long de ce récit et que son veuvage a consacré. Certes, c'est elle le sujet, mais j'ai eu l'impression dans son témoignage d'une solitude psychologique, Mireille ne parlant vraiment de son mari que lorsqu'il tombe malade et va mourir, un peu comme si, pendant toute leur union, il n'avait été qu'une ombre, que toute la responsabilité de cette famille avait pesé exclusivement sur ses épaules à elle, qu'elle avait exercé une sorte de matriarcat au sein du couple. A l'époque on ne divorçait pas pour des raisons religieuses ou culturelles, et ils ont donc vécu côte à côte, en se supportant plus qu'en s'aimant, comme cela arrive finalement dans les vieux couples.
Je retiens cependant que cet ouvrage est une manière de tirer Mireille de l'oubli qui est un grand défaut de l'espèce humaine, de marquer son passage en ce monde, de souligner une trace qui sans cela se serait vite effacée. Elle était la tante de l'auteur et cela a été pour lui un acte de mémoire à l'intention des générations à venir, un travail autour de sa famille, de son village natal, autour de la condition ouvrière en milieu rural, une manière d'explorer sa généalogie personnelle, la culture populaire et la vie qui est fragile, unique, même si elle est très ordinaire.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
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Pour te voir cinq minutes encore
- Par hervegautier
- Le 05/02/2019
- Dans Aurélie Le Floch
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La Feuille Volante n° 1321
Pour te voir cinq minutes encore – Aurélie Le Floch – Éditions « les ateliers Henry Dougier ».
Tout d'abord je remercie les éditions « Les ateliers Henry Dougier » de m'avoir fait parvenir directement cet ouvrage.
On a beau philosopher sur la mort, parler de la condition humaine, de la brièveté et de la fragilité de la vie, quand elle frappe les proches qu'on a aimés, c'est le vide, le deuil, le sentiment d'injustice. On se sent abandonné de tous, même si bien des gens se pressent autour du cercueil par sympathie ou par convenances et tentent de trouver les mots pour réconforter ceux qui restent. Bientôt, pour eux, l'oubli s'installera parce que la nature humaine est ainsi faite. Il y a peut-être des prises de parole ou peut-être rien, mais chacun, dans son for intérieur, évoque sans la nommer la maladie, le gâchis de mourir à trente-six ans quand on a la vie devant soi et une fille à chérir, la révolte... La cérémonie achevée, la narratrice se retrouve seule avec son chagrin, ses larmes, sa peine. Elle l'évoque avec des mots simples, parce qu'ils ne peuvent être que simples. A l'époque, elle a quinze ans et son père vient de mourir en ce mois de janvier 1994. Pour elle le temps s'est arrêté.
Beaucoup de choses se bousculent dans sa tête à propos de ses parents, des souvenirs, des amours, des épisodes d'une vie qui s'arrête là, des projets qui ne verront jamais leur réalisation alors, pour rendre hommage à cet homme, pour que son souvenir ne se perde pas pour les générations à venir, on sent la nécessité de faire quelque chose, un acte de mémoire, on fixe avec des mots l'histoire de celui qui vient de disparaître, on écrit, même si c'est longtemps après, même si cela peut paraître dérisoire. C'est donc ce que fait Aurélie le Floch dans ce premier ouvrage biographique, rédigé à la première personne. Il lui faut remonter le temps, interroger les proches et les anciens, découvrir et parfois accepter une généalogie compliquée et longtemps cachée, parfois pleine de surprises. De ses parents elle évoque les moments de révolte, de joie quand ils étaient amoureux, ce temps qu'ils auraient voulu voir durer toujours. Leur histoire aurait dû être une belle histoire, mais la vie reprend ses droits, les passions la bouleverse. A l'époque on commençait à divorcer facilement et c'est ce qu'ils ont fait; comme c'est toujours le cas, ce sont les enfants qui en font les frais. Elle a été confiée à sa mère qu'elle n'aime pas et qui multiplie les amants de passage, ne voit son père qu'au rythme du traditionnel « droit de visite », deux mondes qui désormais ne se rencontreront plus. Elle est tiraillée entre l'univers triste et glacé de sa mère et celui de son père associé au travail, à la réussite sociale mais aussi au soleil, à la mer, aux vacances. Elle grandit, s'étonne, se pose des questions sur ce qu'elle voit, sur les amis de son père, un univers essentiellement masculin, sur leurs relations cachées...
Elle l'aimait très fort ce père, l'idéalisait même et dans sa tête il ne pouvait rien lui arriver. Pourtant malgré son jeune âge, malgré la volonté de cet homme et de son entourage de lui cacher son mal, elle entend des mots nouveaux, « système immunitaire défaillant », « séropositivité », « sida », cette maladie venue d'ailleurs, un acronyme, le VIH, et les morts qui se multiplient sans que la médecin y puisse rien. Malgré le sourire fragile de cet homme, l'inévitable n'était pas loin.
Plus tard viendront les différentes facettes du travail de deuil, le rapprochement avec Dieu dont on se demande à quoi il sert vraiment dans ces circonstances, les tentatives de résilience, la prière pour ceux qui croient à son pouvoir, le temps qui passe et qui est censé cautériser ce genre de plaie, même s'il n'en est rien, la difficile réalité qui est celle de l'absence définitive des morts. Reste la mémoire confiée aux mots, le souvenir dont se chargent certains vivants le temps de leur vie, le rituel de la Toussaint qui une fois l'an refleurit les tombes, les larmes et le chagrin qui vous font voir la vie autrement, parce que les morts ne le sont vraiment que lorsque les vivants ne pensent plus à eux.
Aurélie Le Floch nous livre ici un récit authentique et bouleversant que, pour des raisons personnelles j'ai lu avec émotion, même si les circonstances pour moi sont bien différentes. La mort fait partie de la vie, en est simplement la fin, elle nous frappe et c'est toujours une épreuve d'autant plus dure que nous vivons en occident comme si elle n'existait pas. Tout au long de ma lecture, j'ai associé ce texte, sans trop savoir pourquoi, à la voix chaude de Jean Ferrat disant à son père qu'il « aurait pu vivre encore un peu ».
Je ne connaissais pas cette collection « une vie, une voix » ni son slogan auquel je souscris « Des vies ordinaires, des voix singulières dessinent notre patrimoine sensible, notre mémoire est commune . Ces récits sont réels. Ces histoires sont la nôtre ». Elle était ordinaire la vie de cet homme, mais elle était aussi unique.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
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Massif Central
- Par hervegautier
- Le 04/02/2019
- Dans Christian Oster
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La Feuille Volante n° 1320
Massif central – Christian Oster – Éditions de l'Olivier.
Comme dans tous les romans de Christian Oster, le thème est assez simple au départ. Paul, ex-architecte, vient de quitter Maud, sa compagne, qui l'avait préféré à Carl Denver, un individu assez inquiétant et même violent mais extrêmement cultivé dans le domaine du cinéma où il exerce le métier critique et dont les jugements tranchés sont redoutés. Jusque là, rien de bien original. Paul avait connu Maud quand elle était encore avec Carl et la jeune femme avait été si impressionnée par la culture de ce dernier qu'elle avait fini, inconsciemment, par être dépositaire de l'agressivité de son compagnon. Ainsi, quand elle avait décidé de vivre avec Paul, était-elle toujours sous l'influence culturelle de ce son ex, ce qui indisposait son nouveau compagnon et provoquait de fréquentes disputes entre eux. Il vivait cela comme une sorte de possession et ce genre de situation avait érodé l'amour qu'il avait pour elle de sorte que, pour s'en libérer, il avait résolu de la quitter. Il était devenu pour elle une véritable étranger, ce qui lui était insupportable, et c'était en quelque sorte une victoire involontaire de Carl qui cependant ignorait tout de leurs relations difficiles et de leur séparation mais regrettait amèrement Maud au point, apprit Paul, de le rechercher dans Paris, sans doute pour lui faire payer physiquement sa trahison. Il décide donc de fuir au hasard. Après pas mal d'étapes, pas mal d'amis rencontrés, parfois par hasard, il souhaite aller dans le Massif central, où il ne va d'ailleurs pas (Limoges n'est pas à ma connaissance dans ce massif montagneux). Ici nous n'avons pas affaire à un banal adultère mais à une rupture d'un tout autre genre et, bien entendu, le thème « ostérien » de la fuite s'invite à nouveau. Les anciens l'on exprimé à leur manière puisque voyager n'est pas guérir son âme. Au fur et à mesure que le temps passe, Paul s'aperçoit qu'il aime toujours Maud, mais à propos de ses diverses rencontres avec ses amis, le souvenir de Carl ne le quitte pas non plus, à en devenir obsédant, ce qui témoigne d'une dangereuse tendance à la paranoïa. Ainsi s'instaure une sorte de ménage à trois différent du schéma classique mais intéressant dans sa configuration, quelque peu fugace et fantasmée. La solitude de Paul favorise son voyage dans le passé et il se souvient qu'au début de sa vie commune avec Maud, Carl avait continué de les fréquenter tous les deux en une relation bizarrement apaisée, puis avait disparu sans aucune explication. La crainte d'une confrontation physique avec lui n'était venue que par la suite et avait déterminé Paul à fuir après avoir rompu avec Maud. On se demande s'il ne devient pas fou, mais la présence supposée de Carl qui serait constamment à sa poursuite est tellement obsédante qu'il le voit partout et va même jusqu'à l'accuser du meurtre d'un de ses amis qui apparemment n'est qu'un suicide, imagine qu'il rencontre son double, l'accuse de folie, c'est à dire qu'il est maintenant carrément mythomane.
Dans sa course vers le néant, il semble se ressaisir en s'intéressant à Hermine, une cliente d'un des hôtels où il est descendu mais aussi un être plus désespéré que lui. Avec elle, il fait le projet de partir et apprend qu'elle partage avec lui une certaine recherche du vide. On ne sait rien des relations qu'il entretient d'ordinaire avec les femmes, ce qu'il pouvait bien dire à Maud, mais celles qu'il a avec Hermione paraissent aussi absurdement surréalistes que ses affabulations autour de Carl. Il part avec elle en direction des plages du Nord mais ce que nous aurions pu imaginer comme une passade entre eux se termine différemment, avec en toile de fond la silhouette de Carl, comme une obsession.
Je dois dire que la découverte de l’œuvre d'Oster me procure des impressions contradictoires, à la fois un rejet à cause des phrases trop longues que je retrouve cependant chez Mathias Enard, avec en plus une appétence pour le détail parfois inutile et une architecture bizarre, mais aussi une sorte d'attirance due peut-être à l'analyse psychologique au scalpel des personnages, l'ambiance labyrinthique de ses romans où le lecteur est toujours un peu perdu, à la lisière de quelque chose qui se dérobe devant lui. Il n'est pas rare que, le livre refermé, je me demande si j'ai bien compris ce que je viens de lire et qu'il serait bien possible que je sois passé à côté d'un chef d’œuvre sans même m'en rendre compte. Ici, le titre laissait à penser que l'action devait se dérouler dans le Massif central que Paul n'atteint jamais nonobstant ses nombreuses pérégrinations. Après tout, ce n'est pas grave puisque Boris Vian a bien écrit « L'automne à Pékin » qui ne se passe ni en automne ni à Pékin mais qui n'en est pas moins un roman magnifique.
J'ai donc appris à me méfier avec Oster, la simplicité du départ n'est qu'apparence. Paul me fait l'impression de quelqu'un qui se fuit lui-même, incapable de se lier à une femme, incapable de vivre normalement, définitivement seul.
©Hervé GAUTIER – Février 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Sur la dune
- Par hervegautier
- Le 31/01/2019
- Dans Christian Oster
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La Feuille Volante n° 1318
Sur la dune - Christian Oster- Éditions de Minuit.
Ça commence un peu comme dans tous les romans de Christian Oster une manière banale, le narrateur, Paul, célibataire, désireux de s'installer à Bordeaux, rend visite à ses amis, Jean et Catherine, à Saint-Girons-Plage pour les aider à dégager leur maison secondaire menacée d'ensablement. En réalité il ne les trouve pas et se loge dans un hôtel si bondé qu'il doit partager sa chambre avec un inconnu, Charles Dugain-Liedgester, dont l'épouse, Ingrid, dort dans une autre chambre et dont il apprendra par la suite qu'ils ne se supportent pas. En fait d'amis le narrateur a pris ses distances avec eux d'autant plus qu'il a été l'amant de Catherine quelques années avant son mariage avec Jean, mais ils se sont momentanément séparés à la suite d'une dispute.
Suivent de nombreuses pages qui ne sont que des réflexions un peu oiseuses sur la présence du narrateur dans la salle de bains, sa lecture avant de dormir, ses échanges oraux éphémères avec Charles, sa façon de s'habiller et de prendre son petit déjeuner et la composition de celui de son compagnon de chambre le lendemain, puis, en faisant son office de manœuvre bénévole, les souvenirs qui lui reviennent à la mémoire, comme une sorte d'introspection obsédante… Que des choses passionnantes ! J'ai eu l'impression de m'ensabler dans ma lecture comme le narrateur dans sa dune. En dehors de pelleter du sable pour dégager la porte d'entrée de la maison de ses amis, ce qui n'a rien de particulièrement exaltant, surtout en leur absence, il avait un autre centre d'intérêt en la personne d'Ingrid, aperçue la veille et à la beauté de qui il ne semble pas insensible. Les relations de Paul avec les femmes sont compliquées, mais les événements semblent le servir dans la mesure où il propose à Charles de lui servir de chauffeur pour aller aux obsèques de Jean-Marc, leur voisin à Chartres, Ingrid, pour qui il nourrit de plus en plus de fantasmes secrets, rentrant seule dans sa propre voiture. Pendant le voyage aussi long et monotone que la forêt landaise, il apprend que le couple que formait Jean-Marc avec Brigitte ne s'entendait pas. Dans l'entourage de Paul et pendant ce bref laps de temps, cela fait beaucoup de couples en difficultés.
Comme c'est souvent le cas des célibataires qui sont invités par hasard dans un couple, Paul observe plus attentivement Ingrid et le drôle de couple qu'elle forme avec Charles, et aussi Brigitte qui devient pour lui une opportunité, peut-être consentante… L'éventualité de trouver une place parmi eux a sûrement dû l'effleurer. L'auteur ne nous dit rien de Paul, ni de son métier ni de son apparence physique, mais je l'imagine bel homme, attirant un peu malgré lui ces deux femmes. Pourtant lui semble être un cérébral, l'inverse en tout cas de l'amoureux fou ou du froid Don Juan. Il réfléchit, hésite en présence d'une femme sur la conduite qui doit être la sienne… A moins bien sûr qu'il ne soit, tout bonnement, maladivement timide.
Oster met à profit le récent veuvage de Brigitte pour renouer avec son thème favori de la solitude. Il est vrai que cela tombe plutôt bien dans le cadre du décès de Jean-Marc, mais il noircit un peu trop le trait en prêtant ce sentiment à Paul qui ne l'a jamais vu auparavant. C'est pourtant lui qui, la cérémonie passée, prend l'initiative de réunir les rares amis venus accompagner le défunt. Pire peut-être, l'auteur y ajoute celui de l'abandon de l'être aimé. Bizarrement, alors que c'est Jean-Marc qui vient de mourir et qu'on s'apprête à enterrer, c'est Brigitte qui le quitte, symboliquement il est vrai, puisqu'elle choisit de partir avant la fin de la cérémonie des obsèques et de disparaître définitivement. C'est un geste lourd de sens de sa part qui témoigne de l'attachement tout relatif qu'elle éprouvait pour son époux. L'épilogue vient conclure d'une manière finalement pas si inattendue que cela, ce thème de l'abandon.
Au terme des différentes et nombreuses lectures que j'ai faites des romans de Christian Oster, j'ai parfois noté mon ennui, parfois ma désapprobation, notamment au regard de son style et de ses trop longues phrases, mais pour une fois, le thème qu'il choisit de la solitude à l’intérieur de mariage me paraît pertinent. Pour des raisons religieuses, mais pas uniquement, on a trop longtemps voulu faire perdurer une institution en la présentant comme un des piliers de la société, alors qu'on faisait bon ménage de l'hypocrisie qui allait forcément avec comme elle va avec toutes les activités humaines qu'on déguise à l'envie avec de la moralité. Le tableau qu'il nous brosse ici me paraît judicieux parce que, l'amour, à supposer qu'il existe au début d'une union, n'en reste pas moins une valeur consomptible et ne dure pas toute la vie.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Le coeur du problème
- Par hervegautier
- Le 30/01/2019
- Dans Christian Oster
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La Feuille Volante n° 1317
Le cœur du problème - Christian Oster- Éditions de l'Olivier
Simon, un conférencier, rentre chez lui, probablement à une heure inhabituelle, trouve un homme mort, inconnu de lui, dans son salon et sa compagne, Diane, en train de prendre un bain. Il ne faut pas être grand clerc pour imaginer le scénario, un cocuage bien banal, mais ce qu'il l'est beaucoup moins c'est que la femme en dit le moins possible, prétend que cette mort n'est qu'un accident, une chute depuis la mezzanine dont la balustrade s'est rompue, s'en va et disparaît complètement, en lui laissant le soin de solutionner cette affaire. Ce qui l'est encore moins, c'est que Simon, au lieu d'appeler la police, ce qu'il aurait logiquement dû faire, va tout faire pour cacher ce qui est réalité un meurtre et on balance entre un trop grand amour pour sa compagne qu'il aime et à qui il pardonne cette incartade et une déstabilisation telle qu'il est amené à faire ce qu'en temps ordinaire il n'aurait pas fait. Se sent-il coupable de n'avoir pas été à la hauteur des aspirations amoureuses de Diane ou s'en veut-il de s'être trompé dans son choix ? En fait nous ne savons rien de leurs relations intimes. Comme à chaque fois dans pareil cas, faire disparaître le corps était indispensable et la solution qu'il trouve paraît un peu inattendue. Un tel scénario policier menaçait d'être intéressant et tranchait quelque peu sur l'ambiance ordinaire des romans de cet auteur
En l'absence de Diane, qui à l'évidence l'a quitté définitivement, Simon se sent abandonné et bien des choses lui passent par la tête, ce qui donne à l'auteur l'occasion de renouer avec son thème favori : la solitude. Dans le cadre d'un adultère, celui qui est laissé pour compte a parfois un sentiment d'injustice, de trahison, d'abandon d'autant que Simon n'a pas beaucoup d'amis à qui se confier et qu'on est, de toute façon guère fier d'une telle situation personnelle. Il n'en parle donc à personne sauf peut-être à un ex-gendarme, Henri, qui malgré sa récente retraite est ému par son histoire. Mais un gendarme, même à la retraite, reste en enquêteur suspicieux et quand intervient l'épouse de l'ex-amant de Diane, cette dernière étant réfugiée en Angleterre, les choses se compliquent. Non seulement elle sort du jeu définitivement de part son éloignement mais Simon devient son complice pour avoir fait disparaître le corps. Dès lors, on à l'impression de l’étau se resserre autour de lui et que c'est lui qui tâtera des Assises. Le hasard, mais est-ce vraiment lui, met Simon dans une situation délicate qui, paradoxalement, tout en le maintenant sur ses gardes, donne l'impression qu'il est au bord d'un gouffre et a la ferme intention de mettre fin à cette situation de plus en plus intenable par une action qui le mette en porte à faux. On a même l'impression qu'Henri, qui a sans doute tout compris, tourne autour de Simon, joue avec lui, le balade à son gré et lui portera bientôt l'estocade. En réalité on oublie rapidement cette histoire de mort au gré des événements, on est embarqué dans plusieurs autres épisodes qui n'ont rien à voir, outre que Simon confesse un peu hasard, un crime qu'il n'a pas commis, comme pour sortir de cet imbroglio, mais tout cela est sans aucune suite. On constate la solitude prégnante de tous les protagonistes, mariés ou non, le naufrage du mariage et les idylles possibles entre Simon et les différentes femmes qu'il croise s'avèrent autant d'impasses, par timidité de sa part, par peur d'être éconduit ou simplement par crainte du mensonge ou de la trahison de la partenaire.
Je déplore toujours la même chose chez cet auteur, non qu'il écrive mal, loin s'en faut, mais la longueur de ses phrases, et ses descriptions dont la méticulosité est poussée à l'excès ont tendance à me déconcentrer. J'accorde cependant de l'attention à ses romans seulement peut-être parce qu'ils se lisent facilement. J'ai quand même une interrogation sur cet auteur qui parle si abondamment de la solitude et des femmes, et dédit pratiquement tous ses romans à Véronique B qui reste une inconnue pour le lecteur. Pourtant l'analyse psychologique que Oster fait des différents personnages et des situations entretient le suspense même si, à la fin, j'ai été carrément déçu. Les chapitres sont courts au début puis vers la fin s'étoffent un peu plus mais ce qui pouvait passer au départ pour un roman policier n'en est, en fait, pas un. C'est, ai-je cru le lire, une longue digression sur l'isolement cher à Oster, la solitude des êtres à cause sans doute du désamour dans lequel ils vivent, de la fragilité des choses de cette vie. Ne serait-ce pas cela le cœur du problème ?
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Là où les chiens aboient par la queue
- Par hervegautier
- Le 28/01/2019
- Dans Estelle-Sarah Bulle
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La Feuille Volante n° 1316
Là où les chiens aboient par la queue – Estelle-Sarah Bulle– Liana Levi.
La narratrice (la nièce), née à Créteil d'un père guadeloupéen et d'une mère du nord de la France, ignore tout de la culture antillaise et de l'histoire de sa propre famille, les Ezéchiel. Elle demande à ses deux tantes, l'aînée, Antoine (appelée aussi Appolone), sa cadette, Lucinde et à son père, dit Petit-Frère, de les évoquer pour elle. Chacun d'un prendra donc la parole à son tour dans cette sorte de saga familiale sur deux générations, et même sur trois puisque les membres de cette fratrie racontent aussi l'histoire de leurs propres parents, Hilaire, le père flambeur, trop tôt veuf de leur mère, Eulalie, qui épouse celle de la Guadeloupe, une île partagée entre les blancs riches, les békés, et les nègres pauvres. L'auteure s'exprimera aussi, notamment sur sa vie en Guadeloupe, puis en métropole, le racisme de la population blanche, sa propre identité métisse et le leurre de réussite sociale entretenu par la République. Ce récit s'articule donc autour de quatre personnages. Ça commence au milieu du XX° dans un village de la Guadeloupe, Morne-Galand, si perdu et pauvre que « les chiens aboient par le queue » et que quitte, à 16 ans, la tante Antoine à cause de son fort caractère et de son esprit d'indépendance ; c'est la plus rebelle, un peu mystique et superstitieuse, la plus fantasque de la famille. Elle quittera son île avec ses rêves inassouvis pour connaître le béton de la banlieue parisienne puis Montmartre. Lucinde au contraire est plus aristocrate, possède des doigts magiques de couturière. Ce sont deux sœurs à la fois rivales et complices, leurs relations s'expriment entre tendresse et aigreur. Petit-Frère est plus effacé à cause de son âge mais il est désireux de s'élever par l'adaptation, la promotion, le syndicalisme. Ils partiront tous pour Paris, seront des déracinés. Leur itinéraire sera protéiforme, hésitant. Le lecteur suit avec plaisir les pérégrinations de chacun d'eux, leur vie, leurs amours, leurs espoirs, leurs passions, leurs déceptions.
Depuis que les écrivains ont choisi de raconter une histoire sous forme de témoignage ou à travers la fiction du roman, la famille a toujours été un prétexte d'exception prisé par les lecteurs. Ici la narratrice va à la découverte des siens autant que de son île natale. Pourtant, quand elle y revient, elle n'est plus qu'une métropolitaine en vacances. Dès lors, elle mène une réflexion sur son identité, son appartenance à une communauté qui en Guadeloupe n'est plus visible que par la couleur de peau ou par le nom de famille et fait d'elle une étrangère qu'elle est également en métropole où elle est victime du racisme.
Ce roman est aussi l'occasion de dresser un portrait sans concession de la société guadeloupéenne, de l'économie agricole traditionnelle, au mirage des années 60 avec le bétonnage des côtes, au chômage, à la fasciation pour la métropole, puis, souvent, au désenchantement. Plus tard, ce sera une insurrection oubliée par l'histoire nationale, une révolte des guadeloupéens noyée dans le sang. Ainsi se déroule sous nos yeux l'histoire de cette île ultramarine, qui fait partie de la France mais qui n'est souvent pour nous aujourd'hui qu'une simple destination touristique au cours de l'hiver européen.
Ce premier roman se lit agréablement et même passionnément d'autant qu'il comporte des expressions créoles aussi authentiques et colorées qu'originales où la poésie, l'humour et le dépaysement entraînent le lecteur dans un univers différent. La présence de ces éléments de langage vernaculaire est d'autant plus étonnante que l'auteure, née en métropole, ne parle pas cette langue. C'est autant une musique qu'un fort agréable moment de découverte mais aussi pour l'auteur un occasion d'explorer sa généalogie à travers ses souvenirs et de transmettre son travail à sa parentèle.
J'ai vraiment bien aimé cette saga pour son écriture vive et colorée, pour l'authenticité et la simplicité de son témoignage. L'auteure signe ici des débuts littéraires prometteurs unanimement salués par la critique.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Rouler
- Par hervegautier
- Le 24/01/2019
- Dans Christian Oster
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La Feuille Volante n° 1315
Rouler – Christian Oster – Éditions de l'Olivier.
Le narrateur , Jean, prend le volant et part au hasard de Paris en direction du sud, sans véritable destination, roule, rencontre des gens qui un moment monopolisent son attention au point de parler avec eux mais sans s'y intéresser outre mesure. Il est particulièrement attentif aux femmes, à leur présence mais surtout à leur beauté, mais on le sent en retrait avec elles, un peu comme s'il pouvait entrevoir avec une inconnue une étreinte amoureuse furtive mais que néanmoins il laissait partir, comme si lui-même la fuyait ! Par timidité, par peur d'être éconduit ...? On sent que lorsqu'une telle rencontre a lieu avec une de ces femmes qui traversent secrètement sa vie et voudraient peut-être faire un petit bout de chemin avec lui, il privilégie le hasard mais ne tente aucunement un pas vers elle; bien sûr il ne passe rien et on ne sait pas trop s'il le regrette où s'il en est soulagé. On ne saura pas grand chose de lui, mais peu importe, seulement peut-être qu'une femme avec qui il partageait sa vie l'a quitté puis est morte. Depuis, il roule au hasard vers le sud aussi fébrilement qu'il achète des objets improbables, pour l'oublier peut-être ? Il lui arrive de croiser des hommes, des inconnus ou de vieilles connaissances de lycée, qu'il n'a pas revus depuis des années. Là aussi rien de bien attachant et quand chacun, avec toute la retenue qui convient, a fini de raconter son histoire ou d'évoquer une tranche de sa vie, on tourne la page pour une nouvelle rencontre… ou pour le vide de la route. Il le dit, ce qu'il veut c'est rester seul et semble considérer cette solitude comme une sorte de panacée ou la source d'une forme de résilience ? Ces rencontres font parfois renaître des souvenirs oubliés qui reviennent par bribes. Il privilégie l'imprévu mais là aussi cela débouche souvent sur le vide, le banal, l'ennuyeux et les personnages évoqués sont souvent creux et sans grand intérêt, perdus et seuls, comme Jean. Ce thème de la solitude, pour intéressant qu'il soit, parce que, en autre, il est l'image de notre société moderne et que parfois elle se cache sous des apparences trompeuses, me semble de plus en plus prendre des accents mono-thématiques, avec une dangereuse tendance obsessionnelle. Comme dans l'ensemble de son œuvre ! Après tout la solitude, voulue par lui et entretenue par ses soins, est peut-être la solution. Sa voiture semble être un des personnages importants de cette fiction et peut, sans doute à ses yeux, passer pour un élément de sa thérapie. Sa vie ne semble pas passionnante et la cinquantaine peut-être pour lui une source de troubles existentiels… ou pas ? Il semble vouloir ne s'attacher à rien ni à personne et quand le moment de quasi convivialité est passé et qu'il n'a surtout pas voulu voir se développer, il retourne à sa voiture et privilégie à nouveau le hasard.
Tout au long de ma lecture, je me suis demandé si je n'allais pas l'interrompre, m'interrogeant intimement sur mes motivations. Si j'ai poursuivi la découverte de cette fiction, ce n'est assurément pour l'écriture qui m'a parue quelconque, plate et sans relief comme on peut la retrouver dans tous les romans de cet auteur. Pourtant et paradoxalement, le texte se lit bien et facilement mais avec cependant quelques longueurs qui peuvent devenir ennuyeuses, mais l'histoire s'impose parfois à travers un détail, une remarque. Si le livre ne m'est pas tombé des mains c'est peut-être à cause de l'épilogue à venir, me demandant s'il allait m'étonner et si toute cette mise en scène annonçait quelque chose… ou rien ? Ici, il m'a paru cependant quelque peu déconcertant. Après tout le hasard paraît être le moteur de cette fiction, inspiration de l'auteur ou manifestation toujours complexe et inattendue de la liberté des personnages ? Allez savoir ! Je me suis même demandé, bien inutilement d'ailleurs, si ce roman résultait d'une expérience vécue ou de son imagination créative ? La réponse importe peu et n'influe en rien sur le texte.
Christian Oster fait partie de ces écrivains que je lis sans véritable passion, parce qu'il est un auteur connu, plus pour pouvoir en parler que par réel intérêt pour ce qu'il fait. A ce rythme là, je pense pouvoir me lasser assez rapidement, à moins que son état d'esprit légèrement pessimisme soit communicatif et que je sois, moi aussi, phagocyté par l'ambiance un peu délétère qui préside à chacun de ses romans. Au lieu de les lire, j'aurais peut-être dû, moi aussi, prendre le volant et abandonner la lecture de ses livres parce qu'elle ne me procure pas ce que je demande à une fiction : me détendre et m'emmener ailleurs ! Même si je ne trouve pas ce monde passionnant et cette vie belle comme on nous en rebat un peu trop les oreilles en permanence, je ne parviens pour autant pas à me retrouver ou à m'insérer dans le monde parallèle imaginaire de cet auteur.
Bref, comme d'habitude, je me dis que je n'ai peut-être rien compris à son message et à sa démarche, que je suis passé à côté d'un chef-d’œuvre, mais j'ai été un peu déçu quand même.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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En ville
- Par hervegautier
- Le 22/01/2019
- Dans Christian Oster
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La Feuille Volante n° 1314
En ville – Christian Oster – Éditions de l'Olivier.
Le narrateur, Jean, la cinquantaine, seul, sans famille, rend visite à Paul et Louise, chez eux, en compagnie de Georges et William pour un vague projet de vacances en Toscane ou plutôt à Hydra, une île grecque, Depuis trois ans, ils partent ensemble l'été, sans ce connaître vraiment, mais cette année ce sera sans Christine, séparée de Georges depuis peu, Ce ne sera pas la seule péripétie de cette année puisque Jean, qui papillonne beaucoup mais qui vit seul mais va avoir un enfant, avec une femme qu'il n'aime pas. Pire peut-être, il est tellement désabusé qu'il n'est même plus ému par la beauté des femmes ! Pour autant il déménage pour un appartement sur les quais de Seine. Pourquoi pas ? Pourtant ce quartier lui ne semble pas l'attirer particulièrement, à cause de la voie rapide sans doute. Alors pourquoi changer ?
Pour Paul et Louise, ce sera la dernière fois car a l'issue de ces vacances qu'ils passeront bien ensemble, ils ont le projet de se séparer quant à Georges, ses déboires amoureux n'ont été que de courte durée puisqu'il est tombé amoureux d'une autre femme d'une grande beauté ; Plus tard, ce projet de départ sera encore bouleversé par la mort de William, l'accident de Jean et le projet de vacances se limitera, pour ceux qui restent, peut-être au Gers… mais cela n'a aucune vraie importance, comme le reste d'ailleurs !
Comme le titre l'indique, il y a la ville, et cette ville c'est Paris avec ses bistrots, ses restaurants, ses rues , la Seine et cette ambiance unique de grande ville. Pourtant ces personnages donnent l'impression de vivre dans une sorte de huis-clos et ce roman se résume à une sorte de long monologue. L'auteur balade son lecteur à travers les moments de vie, parfois insignifiants de ses personnages, les détaillant à l'envi évoquant des situations finalement assez vides.
C'est vrai qu'ici, il est question comme dans la plupart des romans de préoccupations humaines, la vie, le temps qui passe, l'amour, la mort...Je l'ai pourtant lu sans véritable passion, simplement peut-être pour me tenir informé de la bibliographie de l'auteur et de son parcours littéraire. Les petits moments de la vie de chacun dont il est question dans cet ouvrage n'ont guère retenu mon attention au-delà du raisonnable ce qui a généré chez moi au mieux du désintérêt, au pire de l'ennui. Est-ce la crise de la cinquantaine que l'auteur a voulu illustrer (Les protagonistes ont tous à peu près le même âge et cela correspond à peu près à celui de l'auteur) ? Le thème de la solitude, certes réel dans nos sociétés, est repris ici comme il a déjà été traité dans d'autres livres du même auteur ce qui ne confère pas à cette fiction beaucoup d’originalité. Corrélativement on peut voir la vie de chacun de ses personnages (spécialement pour Jean) comme une sorte d'errance , un parcours un peu aléatoire et hésitant, sans but et réelle volonté d'aller de l'avant.. Quant à l'humour je ne l'ai guère ressenti.
Tout au plus puis-je dire que cet aspect de sa démarche créative est différente de ses autres publications destinées à la jeunesse.
Comme d' habitude, les phrases d'Oster sont trop longues et je n'aime guère ce style. D'autre part, sa tournure d'écriture, basée sur un soliloque pourrait passer pour une musique mais est plutôt à mes yeux un ronronnement, certes pas désagréable mais un peu entêtant quand même à la longue. La façon qu'il a d'insérer les formules comme « je dis », « dit-il »...dans un texte descriptif est finalement un peu pénible.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Trois hommes seuls
- Par hervegautier
- Le 21/01/2019
- Dans Christian Oster
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La Feuille Volante n° 1313
TROIS HOMMES SEULS – Christian Oster – Éditions de Minuit.
Marie, l'ex-femme de Serge, invite ce dernier à venir passer quelques jours de vacances en Corse où elle habite. Il en profitera ainsi pour lui rapporter une vieille chaise qu'elle a hérité de son père. C'est plutôt sympathique comme invitation, même un peu étonnant de la part d'une épouse divorcée depuis deux ans... et elle d'ajouter qu'il peut amener qui il veut, ce qui témoigne en outre d'un sens aigu de l'hospitalité. Il propose à Marc, un partenaire de tennis qu'il connaît à peine de l'accompagner, qui lui-même va inviter Cyril, un ancien funambule reconverti dans la banque. Voilà donc nos trois hommes et leur chaise partis en voiture de Paris à destination de l'île de Beauté.
Tout cela est bel et bon, ces vacances s'annoncent sous les meilleurs auspices, sauf que ces trois passagers qui s'engagent sur la route ne se connaissent pas et qu'il va bien leur falloir se trouver des points communs pour que ce voyage ne leur paraisse pas trop long. On passe rapidement sur la place de chacun dans la voiture, le temps qu'il fait et celui qu'il faut pour voyager, la fatigue de la conduite et l'alternance au volant, l'organisation des pauses et la déclinaison des passions de chacun… Que des sujets passionnants entrecoupés de longs silence briseurs de cette ambiance nécessaire à faire oublie la longueur du trajet !. A l'arrivée chez Marie, un village perdu, une sorte de malaise s'installe assez bizarrement pour Serge qui choisit, geste déplacé dans le cadre de l'invitation de Marie, de fuir et de s'installer à l'hôtel de la ville toute proche. Il n'a certes plus rien à lui dire après ces deux années de séparation mais surtout semble s'installer en lui cette solitude coutumière, un peu comme s'il ne pouvait plus s'en passer. En son absence la vie s'organise, sans lui. Ces trois hommes semblent avoir en commun une solitude qui leur a fait accepter cette invitation plutôt insolite et ce d'autant plus que la seule vue d'une femme inconnue les fait fantasmer. Pour Serge la fin est étonnante et peut-être pas tant que cela dans une société ou l' isolement est la règle pour tous.
J'ai lu ce récit sans véritable passion à cause sans doute du style qui est toujours aussi déconcertant et des phrases un peu longues déclinées avec un grand culte du détail, Cela caractérise peut-être le genre littéraire de l'auteur mais ménage quand même pas mal de longueurs.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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la vie automatique
- Par hervegautier
- Le 20/01/2019
- Dans Christian Oster
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La Feuille Volante n° 1312
La vie automatique – Christian Oster – Éditions de l'Olivier.
A quoi ça tient quand même hasard, un fait qui arrive et qu'on laisse se dérouler sans réagir parce que, inconsciemment on l'attendait depuis longtemps. C'est un peu ce qui arrive à Jean Enguerrand, acteur de troisième zone qui, parce qu'il a hérité d'un cageot de courgettes par erreur, qu'il a voulu les cuisiner et les a oubliées sur le feu, voit sa maison brûler et en profite pour disparaître et entamer une nouvelle vie. On a l'impression qu'il est soulagé par cet événement alors que, pour le commun des mortels, ça devrait être un drame. Il prend le train pour Paris bien décidé à s'effacer de ce monde, un peu comme si sa propre vie lui était devenue complètement indifférente , comme si cet événement était pour lui l'occasion d'oublier définitivement quelque chose, de tourner la page ! De cela nous ne saurons rien et il gardera son secret. Il a conscience de n'être rien et cela ne le dérange pas. Sa vie est une sorte de vide, il ne souhaite même pas réagir devant cet état de chose qui fait partie de sa vie mais qui, maintenant, à cause de l'incendie de sa maison, se révèle dans toute son évidence. Il logera simplement à l'hôtel ! Dans son métier, il croise des gens, sûrement semblables à lui mais c'est la même indifférence à leur égard. Pourtant dans cette société qui est la nôtre, il convient de se mettre en valeur, de se « vendre », de réussir, faute de quoi il ne manque pas de gens pour jeter l'anathème sur vous, vous culpabiliser ou simplement vous détruire. Ainsi détonne-t-il sur ses contemporains, mais peu lui chaut parce que, il le sait, son nom ne sera jamais en haut de l'affiche, tout juste au générique de films de série B. Il fait quand son métier de comédien, se lance même dans le théâtre, mais le fait d'une manière détachée, comme pour gagner simplement sa vie. Pourtant son errance l'amène par hasard chez France, une ancienne actrice qui a eu son heure de gloire mais qui veut, elle aussi, tout oublier. Ils se sont peut-être croisés sur les plateaux dans une autre vie, mais Jean a toujours été voué aux rôles secondaires. Il squatte cependant chez elle parce qu'elle l'y invite mais ils ne deviendront cependant pas amants comme on pourrait s'y attendre! Puis ce sera Charles, le fils de France qu'il suivra dans ses dérives psychiatriques. Assez bizarrement Jean se donne pour mission, un peu à la demande de France, de le surveiller et sans doute aussi de le soutenir, s'attache à lui comme une ombre au point qu'on peut se demander si, par une sorte de transfert, il ne souhaite pas le sauver, l'insérer dans une société dans laquelle lui, Jean, ne veut plus entrer, un peu comme si cette rencontre avait déclenché chez lui une sorte de regain d'intérêt pour la vie de l'autre, Cette posture se justifie à la fin par le geste de Charles qu'il analyse en une invitation à contourner ce monde. Il y a entre Jean et France une communauté de vue, mais apparente seulement. France souhaite revenir au théâtre et le fait avec talent mais Jean au contraire veut le fuir comme il veut fuir tout ce qui est autour de lui, C'est un personnage assez insaisissable, qui peut paraître un peu extravagant, pas tellement désagréable cependant, qui jette sur l'existence un regard désabusé et même désespéré parce qu'il ne se sent même plus concerné par sa propre vie.
Alors, « une vie automatique », comme si un mécanisme déroulait son ressort dans le vide, une sorte d'inaptitude à vivre normalement comme le commun des mortels. Mais Jean ne se laissera pas aller à un geste létal et attendra la mort avec fatalisme voire curiosité parce que simplement elle la conclusion normale de cette vie
C'est écrit simplement, sans doute à l'image de ce Jean de plus en plus détaché de tout. Ce style est un peu déconcertant quand même. Je ne suis pas fan des héros qui crèvent l'écran et, même si cette fiction est quelque peu étonnante et décalée, j'y suis entré quand même. Ce Jean m'a rappelé le personnage de Pessoa, le grand écrivain portugais qui a vécu une vie en pointillés dans le quartier populaire de Lisbonne comme simple employé de bureau ou peut-être celui du capitaine Drogo du « Désert des tartares » de Dino Buzzati qui attend quelque chose qui ne viendra jamais. Avaient-ils résolu d'attendre que la vie qu'ils avaient imaginée pour eux tienne ses promesses, oubliant que dans ce domaine leur imagination n'engendre que des fantasmes toujours déçus. Jean. aussi a eu conscience de n'être rien, une sorte d'anti-héro solitaire et marginal mais en réalité qui me plaît bien. Il ne m'est pas antipathique du tout, bien au contraire et vouloir vivre en dehors de cette société de plus en plus contestée, de cette vie qui n'est finalement qu'une agitation vaine et dérisoire, ne me paraît pas absurde le moins du monde.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Roissy
- Par hervegautier
- Le 18/01/2019
- Dans Tiffany Tavernier
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La Feuille Volante n° 1310
Roissy – Tiffany Tavernier -Sabine Wespieser éditeur.
Roissy- Aéroport international ; Rien que le nom fait rêver parce qu'il est synonyme de voyage, de départ, de dépaysement et voir les avions décoller, regarder les panneaux de destination et entendre les gens parler toutes les langues, les voir arborer des costumes improbables, c'est déjà partir loin sans bouger des salles de transit. La magie opère en permanence. C'est ce que, apparemment vient ici chercher cette femme et les baies vitrées qui ouvrent largement vers l'extérieur donnent l'image de l'ailleurs, nourrissent les fantasmes autant qu'elles nous renvoient partiellement notre propre image, alliant ainsi l'immatérialité du rêve à la banalité de notre existence. Être ici ne tient pas forcément du hasard. Pourtant, la narratrice qui se fait appelée Anna parce qu'elle a oublié jusqu'à sa propre identité, traîne derrière elle une valise comme un voyageur pressé, un peu perdu dans ce dédale de couloirs. Le lecteur peut donc la supposer en transit entre deux vols pour ses affaires ou ses loisirs, mais il n'en est rien, elle joue ici un rôle, ment constamment. ne bouge pas de cette zone, elle y a trouvé son bagage, se change en permanence à l'aide de vêtements qu'elle a volés pour ne pas attirer l'attention des caméras et des vigiles, marche constamment de terminal en gare TGV, mange la nourriture des poubelles, dort dans les galeries souterraines de Roissy, Bref, elle vit ici, avec cependant la peur de se faire arrêter, s'invente en permanence une vie artificielle dans ce lieu fréquenté par des SDF mais aussi par des travailleurs pauvres qui viennent passer la nuit ici parce que la rue leur fait peur, Sa vie antérieure lui revient par bribes mais elle préfère rester dans cet univers où elle disparaît, où elle est transparente. Un aéroport est le lieu idéal pour faire des rencontres : avec elle il y a Vlad, Josias, Liam, Joséphine, tous aussi paumés qu'elle et qui, eux aussi, tentent de survivre ici oubliant leur passé qui donne le vertige, la nausée parfois.
Elle croise aussi cet homme, Luc qui attend désespérément un vol qui ne viendra plus et dans lequel sa femme a trouvé la mort. Sa vie est maintenant hantée par son fantôme. Anna ne peut lui parler et une équivoque s'installe entre eux, Luc supposant qu'elle a, elle aussi, perdu quelqu'un dans un crash. Si l'une a perdu la mémoire mais joue un rôle et fuit résolument, l'autre au contraire est obsédé par ses souvenirs et souhaite de bonne foi refaire sa vie avec elle. Ainsi par une sorte d'effet miroir cette confusion va s'affermir, elle continuant à lui mentir et à le repousser, lui s'accrochant à elle désespérément . On comprend pourquoi Luc attend à l'aéroport un vol qui n'arrivera plus mais Anna, elle, se réfugie ici, s'y claquemure au point de ne pouvoir être ailleurs parce que c'est ici qu'elle est chez elle et qu'elle peut tracer autour d'elle des cercles qui l'isolent du monde et de ses obsessions,
J'ai eu quand même un peu de mal à suivre, surtout dans l'attachement qu'elle porte à Vlad alors que Luc lui offre une chance de retrouver une vie normale. Elle le fuit mais en réalité l'attend dans ce lieu à la fois immense et minuscule parce que, finalement, il représente sans doute pour elle une sorte de retour à la vie qui vaut plus que la mort, mais c'est un retour progressif, comme hésitant. Pour moi, entrer dans cette histoire, un peu difficile à croire à été laborieux, Elle est pourtant bien écrite et bien construite malgré quelques longueurs. Le Livre refermé, j'ai l'impression d'avoir suivi Anna qui en réalité reprend à la fin son véritable prénom, Maude, en même temps qu'elle semble s'éveiller de quelque chose qui ressemble à une période entre parenthèses qui se termine dans le brouhaha d'un aéroport où tous les vols sont annulés à cause d'un volcan qui a explosé à l'autre bout du monde. Toute la planète est paralysée par ses cendres et, un peu comme pour Maude, la vie s'est arrêtée à cause des souvenirs qui la hantent. Pendant cette période qui n'a duré sans doute que le temps d'un malaise, ses obsessions sont revenues à la surface, celles où la mort est présente. Celles de Vlad lui seront fatals, alors qu'Anna réussira, peut-être malgré elle à s'en libérer. Comme elle, parce que notre quotidien ne nous convient pas, ne correspond pas à l'idée que nous nous faisions de notre vie, nous traînons tous avec nous des certitudes et des espoirs déçus qui embourbent notre parcours et qui sont à ce point angoissants qu'ils reviennent même dans nos rêves ou dans nos périodes d'inconscience. Pour les combattre notre imagination entre en action parce qu'elle est une compensation, certes artificielle, mais qui, tant que dure son effet, nous aide à vivre ou à survivre. Nous refaisons notre monde, le remodelons aux contours de nos fantasmes et de nos illusions, un peu comme cette tranche de vie qu'elle mène en marge, dans ce monde souterrain un peu irréel. Certes tout cela ne sert à rien, nous nous mentons à nous-mêmes et le réel reprendra rapidement ses droits mais au moins la vie, qui est un bien fragile mais unique, s'est imposée face à la mort qui reste une solution facile et avec elle la résilience, la renaissance, un nouveau départ… Ce malaise, cette période d'inconscience, a aidée Anna-Maude à se défaire de ses obsessions prégnantes et finalement malsaines. En se réveillant, les choses pour elle reprennent leur vraie place mais elle est libérée de ses chimères et c'est sans doute l'essentiel.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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L'eau de rose
- Par hervegautier
- Le 14/01/2019
- Dans Christophe Carlier
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La Feuille Volante n° 1311
L'eau de rose – Christophe Carlier - Phébus.
Sigrid est ce genre d'auteure qui ne peut écrire un livre qu'en dehors de chez elle. Elle arrive donc dans une île des Cyclades pour écrire l'un de ces romans à l'eau de rose si décriés mais qu'elle affectionne. On y rencontre le même prince charmant, les mêmes héroïnes évanescentes, le même scénario à base de serments, de longs baisers langoureux, d'amours idylliques, d'attentes passionnées, de frivolités, d'illusions, de souffrances, de jalousie et de pleurs… sans oublier les fadaises, les clichés, les niaiseries incontournables dans ce genre de littérature. Elle est donc a l'écoute de l'inspiration, ne doutant pas que les mots viendront animer ses doigts sur le clavier de son ordinateur. Après tout le cadre s'y prête et la clientèle de l'établissement est là pour nourrir son écriture. Ainsi deux romans se déroulent-ils sous nos yeux de lecteur, celui de Sigrid, avec son héroïne, la superficielle Priscilla, et celui de Christophe Carlier, avec la sienne, cette même Sigrid, qui dans une atmosphère de fin de saison estivale, véritable microcosme digne d'Agatha Christie où tout peut arriver, mène son travail littéraire. Cela, prend de plus en plus des accents de thriller, avec le vol d'un bijou de grande valeur, des idylles qui se font et se défont, le départ précipité d'un client et l'attitude équivoque d'autres résidents qui à l'occasion s'érigent en détectives. Parmi l’aréopage original de cet hôtel, Gertrude une jeune femme énigmatique, de quelques années sa cadette, attire bizarrement l'attention de la romancière qui semble éprouver pour elle des sentiments amoureux.
Il y a beaucoup de personnages dans ce roman. Celui de Sigrid me paraît intéressant à plus d'un titre. Elle est timide, réservée et vit l'amour à travers ses romans, des situations forcément décalées par rapport à la réalité. Elle regarde Gertrude de loin vivre sa vie amoureuse sans oser y pénétrer malgré son brûlant désir, comme si elle laissait au hasard le soin de décider à sa place, se contentant de la prendre en photo à son insu et de remodeler son aspect sur papier glacé, une autre façon de se l'approprier. L'écriture, qui dans son cas est une activité de substitution, lui tient lieu de boussole, la fiction qu'elle est en train de créer, nourrie de ses propres fantasmes, semble suffire à meubler sa solitude. Ses romans sont des bulles où elle entretient cette vision décalée de la vraie vie, mais sa rencontre avec Gertrude fait ressurgir des souvenirs d'enfance, ce qui lui permet de revisiter sa vie avec ses échecs et ses vides, de remonter le temps mais le concept d'invisibilité devient carrément surréaliste. Ainsi remet-elle en cause les apparences, introduisant l'image du masque déjà suscitée dans l'exergue d'Oscar Wilde, où les mirages s'évanouissent et se révèlent les vraies personnalités .
Mais l'écriture est un phénomène facétieux et les personnages du roman de Sigrid reprennent en quelque sorte leur liberté, modifiant son idée de départ, sans doute à cause de ce qu'elle vit au quotidien dans cet hôtel avec notamment la transformation de la pharmacienne qui, déçue par sa vie, s'érige en détective mais surtout perd la tête pour l’archéologue. Le moins que l'on puisse dire est que Christophe Carlier sait mesurer son effet, distiller le suspense et embrouiller les choses puisque le fameux « roman à l'eau de rose » n'est pas vraiment là où on l'attend. Les choses s'inversent quelque peu et si dans son roman, le mariage de Priscilla, si longtemps désiré, est compromis par une passade de dernière minute, à l'inverse, ce que vit Sigrid avec Gertrude , ses états d'âme, ses projets fous, ses fantasmes amoureux, les attitudes volontairement provocatrices, ses espoirs, la nostalgie et les départs annoncés, connaît carrément l'ambiance d'un de ses ouvrages. Dans ce microcosme, des idylles se font et se défont, amours de vacances ou simple passades d'un moment, retrouvailles quasi-miraculeuses auxquelles on a un peu de mal à croire même si on se persuade que le monde est petit, que le hasard fait bien les choses ou qu'il y a un Cupidon qui veille sur le destin des amoureux, un retour d'affection de deux époux après un épisode adultère, le tout sous l’œil inquisiteur d'observatrices inhibées, bref une vraie ambiance à « l'eau de rose ». La différence d'âge et de goûts entre Sigrid et Gertrude et le temps qui passe annoncent l'épilogue ; Pour autant, je veux bien que nous soyons dans une fiction, mais cette rencontre entre des personnages qui n'avaient à priori aucune chance de se croiser me laisse dubitatif. On peut y voir une pirouette de Carlier, une volonté d'embarquer son lecteur dans un autre univers, de jouer sur des situations improbables, de conclure sur le mode « happy end », pourquoi pas ? C'est tout juste si on ne nous prononce pas à la fin la traditionnelle phrase « Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants » comme dans les pires romans à l'eau de rose. Je suis peut-être passé à côté de quelque chose mais ce livre ne m'a pas vraiment convaincu, même si par ailleurs je n'ai pas détesté de nombreuses autres qualités de ce roman .
Je remercie Babelio et les éditions Phébus qui m'ont permis de découvrir cette œuvre. J'ai quand même retrouvé avec plaisir le style fluide et poétique de cet auteur qui ne m'était cependant pas inconnu puisque ses romans ont déjà fait de ma part l'objet de nombreux commentaires (La Feuille Volante n° 1058-1083-1103-1210).
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Le poids de la neige
- Par hervegautier
- Le 03/01/2019
- Dans Christian Guay-Poliquin
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La Feuille Volante n° 1308
Le poids de la neige – Christian Guay-Poliquin – Les Éditions de l'Observatoire.
Nous sommes dans une bourgade isolée où tout est rationné, en pleine forêt, par un froid sibérien. Au dehors, c'est le chaos et l'insécurité sur les routes. De retour dans ce lieu qu'il a quitté depuis bien des années et après la mort de son père, un jeune homme a un accident de voiture grave qui l'immobilise. On le soigne sommairement et on confie sa vie à Matthias, un vieux marginal, de passage qui vit un peu en dehors du bourg, dans une maison abandonnée. Cette position excentrée et légèrement en hauteur permet au jeune homme de jeter sur ce décor un regard privilégié. Dès lors, ces deux hommes qu'une génération sépare vont apprendre, dans ce huit-clos, à se connaître, à s'apprivoiser peut-être.
Au départ, j'ai eu un peu de mal à entrer dans cette histoire, mais au fil des pages l'intérêt pour ce récit est venu. Le décor est dépaysant et même un peu surréaliste. A certains petits détails, je situe ces lieux dans le nord du Canada (Après tout l'auteur est né au Québec) où l'hiver sévit plus fort qu'ailleurs et où une panne électrique générale contraint les habitants qui y sont restés, à organiser leur survie d'autant que les alentours ne sont pas très sûrs et que tenter de s'en échapper est risqué. Pourtant certains sont partis, laissant leur maison à l'abandon mais aussi à d'éventuels pillages. Ce contexte ainsi tissé donne à imaginer un microcosme où tout peut arriver. Ainsi chacun s'organise comme il peut, ce qui exacerbe l'égoïsme, mais la solidarité qui force les gens à s'entre-aider joue aussi parfaitement et le jeune homme, reconnu par certains habitants, est soigné malgré ses graves blessures. Cette histoire de deux hommes en attente de quelque chose au milieu d'une nature hostile mais grandiose et angoissante a quelque chose d'attachant. Matthias veut rejoindre sa femme en ville et le jeune homme qui n'a plus aucune attache ici souhaite revenir chez lui. Pourtant, rapidement, cette solidarité apparente, cette organisation de survie, vont disparaître, l'égoïsme traditionnel de l'espèce humaine prenant le dessus. Si le vieil homme mesure, au fil des événements, combien sa qualité d'étranger au village va l'exclure de la collectivité, le jeune homme, au contraire, va aller au devant de ses souvenirs d'enfance, ceux qui donnent la nausée parce qu'ainsi on mesure le temps passé et les regrets qui vont avec parce qu'à cette période on n'a pas su prendre les bonnes décisions. C'est particulièrement vrai pour lui quand il rencontre Maria, la vétérinaire qui fait aussi office de médecin et qui va le soigner. Adolescent il a été follement amoureux d'elle, elle illumine maintenant ses pensées et ses rêves, mais il la perdra définitivement.
Tout ce texte baigne dans une ambiance mystérieuse, celle de la nature blanchie par la neige, raidie par le froid, décrite avec talent et parfois même avec poésie et au milieu, les habitants qui tentent tant bien que mal de survivre malgré le rationnement de la nourriture et la mort qui rôde. La situation est tellement désespérée qu'il n'y a plus que la prière pour donner l'illusion qu'elle peut tout arranger. Le printemps viendra comme une renaissance, parce que le cycle des saisons s'impose naturellement mais aussi montrera à chacun des deux hommes la route qu'il doit suivre. Ce que je retiens aussi de ce roman, c'est le vertige, non seulement celui qui résulte de cette solitude, cette survie dans cet univers glacé, avec la mort qui rôde mais aussi celui que ressent le jeune homme qui revient dans ce village au devant de ses souvenirs d'enfance.
Avec de courts chapitres, l'auteur égrène les différents moments de cette aventure où l'homme est confronté à une nature hostile et face à laquelle il n'est que bien peu de chose. Il égrène les jours de solitude et inverse son décompte au moment où le temps semble se radoucir et les choses s'améliorer ;
C'est un beau roman, bien écrit qui aurait pu être ennuyeux à cause du sujet mais ne l'est pas et qui se lit bien.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Spiriti
- Par hervegautier
- Le 31/12/2018
- Dans Stefano Benni
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La Feuille Volante n° 1307
Spiriti – Stefano Benni – Acte Sud.
Traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli.
Qu'est ce que c'est que ce président « qui compte pour du beurre », joue au golf, est sous la domination de généraux belliqueux comme le sont en principe les militaires et court après une secrétaire ? En tout cas bienvenue en « Absurdie »
Cela à beau être une fable, par ailleurs un peu délirante, comme les aime Benni, elle n'est pas sans nous rappeler des pays et des personnages bien réels et même un peu inquiétants. Ces derniers sont nombreux et parfois carrément secondaires, le lecteur s'y perd un peu et il doit constamment se référer à la liste annexée au texte en premières pages. Sans être versé dans la politique intérieure italienne, il est convenu de voir Berlusconi sous les traits de Berlanga, Rutalini qui incarne Rutelli, l'emblématique maire de Rome et homme politique italien, Leur nom, comme on le voit, est d'ailleurs peu modifié par rapport à la réalité. Quant à John Morton Max, le président de l'Empire, il n'est pas sans rappeler des dirigeants américains.
Ce texte, ironique et franchement déjanté où se mêlent des digressions parfois complètement folles, est une critique acerbe du monde politique italien caractérisé au yeux de l'auteur par le peu de différence qui existe entre les opposants et leur interminables discussions qui ne débouchent sur rien. C'est aussi une allégorie du monde dominé par la mondialisation et l'argent, par la volonté d'un pays d'asservir les autres par le recours à la guerre et à la violence, une diatribe contre les politiciens corrompus capables de renoncer à leurs idéaux pour une promotion ou une consolidation de leur carrière politique par la pratique de la trahison. C'est en tout cas la chose du monde la mieux partagée dans tous les pays. Ici la nature est sacrifiée au profit et à l'économie sans égard pour la survie de la planète, ce qui est bien l'attitude actuelle du dirigeant d'outre-atlantique et son peu d'égard pour l'écologie. Il n'oublie pas non plus le star système qui organise des spectacles mettant en scène « Riaz», un groupe de « reich-rock » à la musique et aux pratiques violentes ou égratigne Michael Téphlon, un « chanteur en saumure » qui, pour ne pas vieillir vit « constamment sous vide comprimé dans un gros bocal en verre transparent», L'allusion ne peut-être plus claire ! Il distribue d'ailleurs les critiques tous azimuts, dénonçant au hasard les gourons qui fleurissent dans nos sociétés et qui se targuent de deviner l'avenir ou de servir de guide à des hommes et des femmes de plus en plus désemparés. En fait tout le monde en prend un peu pour son grade. Derrière ce décor un peu irréel, c'est aussi une critique de l'espèce humaine dans tout ce qu'elle a de superficiel, d'inconstant, de mesquin mais aussi animée par cette volonté de détruire son prochain à son seul profit égoïste.
Il faut bien rassurer « les gens » (comme dit un de nos hommes politiques français, parfois un peu inattendu et surprenant) et l'auteur le fait sous la forme de l'existence d'une petite île peuplée d'esprits inventifs dont le but est de résister à cet Empire en défendant tout ce qui ne s'achète pas, ne se négocie pas, et faire échec, grâce à leurs sortilèges, à ses manœuvres pour rallier les jeunes à sa cause. Ainsi décident-ils de s'opposer à un grand spectacle de musique destiné à soutenir l'effort de guerre et qui doit avoir lieu dans leur île.
L'auteur reste cependant fidèle à lui-même, à ses engagements politiques et culturels. Il adopte un style complètement exubérant et même excessif et anarchique, tisse le décor d'une autre planète, un peu à la manière de Boris Vian, entraînant derrière lui un lecteur circonspect et parfois un peu perdu. Cela donne des développements bizarres où on peut aisément trouver quelques longueurs. C'est une histoire difficile à raconter tant elle est échevelée et riche en détails aussi éphémères que loufoques et carrément déroutante parfois. Il n'abandonne cependant pas son habituelle poésie et sa volonté de rire de tout, ce qui est une autre manière, non moins efficace, de critiquer les choses de ce monde et d'en tisser un autre où chacun est libre d'entrer ou pas, un autre univers où je ne suis cependant pas très sûr d'avoir accédé malgré mon appétence pour tout ce qui est un peu hermétique.
J'ai lu d'autres romans de Stefano Benni qui m'avaient bien plu, notamment « le bar sous la mer » ( La Feuille Volante n°888), mais là j'ai été un peu déçu.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2018.http://hervegautier.e-monsite.com
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Le sumo qui ne pouvait pas grossir
- Par hervegautier
- Le 26/12/2018
- Dans Eric-Emmanuel Schmitt.
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La Feuille Volante n° 1187
Le sumo qui ne pouvait pas grossir– Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.
Jun est adolescent, un petit vendeur de rue à la sauvette d'objets bizarres. C'est un jeune homme maigrichon en rupture avec sa famille, un marginal, un SDF, qui survit à Tokyo dans des conditions difficiles. Shomintsu, un vieillard à la rôle d'allure, directeur d'une école de sumo, voit en lui un gros et sans doute un futur champion, une manière de lui dire que, selon lui, il a toutes les qualités pour devenir un vrai sumo. A-t-il besoin de lunettes ou bien est-il à ce point doué de double vue pour deviner l'avenir, allez savoir ? Toujours est-il que malgré ses réticences, et aussi sans doute poussé par la nécessité, Jun s'inscrit à l'école de Shomintsu. Et ce n'est pas tout, dans la série des prémonitions dont il est l'objet, voila que Reiko, la jeune sœur du champion sumo lui prédit le mariage et des enfants… avec elle ! Au terme de son apprentissage, il ne sortira pas « grossi » mais « grandi » de ce parcours, assurément transformé et plus confiant en l'avenir.
Cette histoire est évidemment une fable qui tient un peu du conte de fée où le merveilleux côtoie l'impossible et où le happy-end est obligatoire. On peut y voir ce que l'on veut et pourquoi pas l'histoire d'une renaissance, d'un apprentissage de soi-même autant qu'une acceptation de sa propre personne, une remise en question des certitudes les plus ancrées en nous, des préjugés, des idées reçues, une manière d'être en paix avec soi et avec les autres, de changer de vie, de devenir soi-même... Redescendant sur terre, j'avoue aussi avoir goûté l'humour, d'ailleurs d'un goût assez douteux, de cette histoire peu commune. A l'affirmation que Shomintsu adresse à Jun pour l'encourager à sortir de sa condition, « Je vois le gros en toi », répond, non sans un certain à propos celle que ce dernier adresse à Reiko, qu'il veut maintenant épouser et avec qui il veut évidemment avoir des enfants, « Je vois la grosse en toi ». Cela a au moins le mérite d'être explicite mais à mes yeux peu flatteur à l'endroit d'une jeune fille fluette et délicate et passerait même sous nos latitudes et dans la période formidable que nous vivons actuellement, pour du harcèlement sexuel.
Ce petit livre s'inscrit dans le « cycle de l'invisible » qui nous conduit aux racines du bouddhisme mais nous fait aussi faire quelques pas dans l'univers merveilleux des légendes.
J'ai apprécié comme toujours le style de l'auteur même si je n'ai probablement pas lu ce conte dans l'esprit dans lequel il l'a écrit. Cela tient à moi, assurément, pas assez zen, trop tourmenté, pas assez réceptif à la spiritualité, pas assez versé vers le merveilleux qui n'existe que dans les romans, jamais dans la réalité. Je suis, et sans doute définitivement, irrécupérable !
© Hervé GAUTIER – Novembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Un matrimonio, un funerale, per non parlare del gatto
- Par hervegautier
- Le 25/12/2018
- Dans Francesco Guccini
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La Feuille Volante n° 1306
Un matrimonio, un funerale, per non parlare del gatto – Francesco Guccini. Mondadori.
(Un mariage, un enterrement, sans parler du chat)
Dans ces courts nouvelles écrites à la première personne, l'auteur évoque son enfance paysanne des années 50 en Italie, puise dans ses souvenirs, explore sa mémoire et donne à voir à son lecteur, à travers les mots, des instantanés d'une vie révolue où, bien entendu tout était différent. Comme il se doit, il décrit un mariage, une noce précédée du joueur d'accordéon et du mélangeur de vin, où, jeune homme il avait été invité et où il fit aux mariés un cadeau original assez inattendu. Nous avons droit aussi aux souvenirs d'école, aux premiers émois amoureux entre garçons et filles, mais qui restaient dans la limite du raisonnable, se limitaient seulement à quelques baisers sages et surtout respectaient la virginité indispensable pour le futur mariage des jeunes filles. L’enterrement faisait aussi partie des rassemblements incontournables des gens du village, avec son rituel immuable de faire-part public qui faisait que personne ne pouvait ignorer l'événement. Les femmes entraient à l'église pour la messe mais les hommes restaient à l'extérieur, parlant du défunt, ce qu'il était et ce qu'il avait fait, une dernière fois, comme un hommage. L'auteur nous invite dans les petites boutiques qui faisaient la vie sociale et qui maintenant n'existent plus parce que la vie a changé. On y venait pour parler souvent autour d'un verre, parce que cela faisait aussi partie du jeu, on s'y vantait un peu d'exploits imaginaires, on s'y moquait gentiment du voisin qui était aussi un ancien camarade de classe…Il nous convie au marché d'antan où les transactions se faisaient à grand coups de mains, avec un sens du théâtre que chacun avait à cœur de respecter et où les chanteurs de rue, à la fois clowns, musiciens, comédiens et journalistes animaient la place de leurs voix et de leurs gestes, de leur présence. Il évoque aussi des étrangetés comme cette bergère italienne analphabète qui chantait naturellement, et sans jamais avoir appris la métrique, en vers octosyllabes, le mauvais œil qui sévissait dans les campagnes ou des histoires simples comme celle de ce migrant italien parti au États-Unis pour y trouver du travail et qui revient chez lui !
Quant au chat qu'il ne faut surtout pas oublier, ce serait injuste. Il est un des animaux emblématiques des écrivains, les inspire, leur souffle sans même le savoir leurs plus belles créations. Il a une place particulière dans le bestiaire de chaque auteur. C'est un être mystérieux, bien supérieur aux humains me semble -t-il : c'est un animal tellement secret, tellement étrange qu'il en est attirant et qu'on lui prête volontiers des pouvoirs divins voire sataniques. Ses ronronnements ont quelque chose d'envoûtant. Il paraît qu'il a neuf vies, qu'il a sa propre façon de s'exprimer, qu'il est diabolique, et encore on ne nous dit pas tout ! Paradoxalement on le rejette par méfiance où au contraire on cherche à se concilier ses bonnes grâces, mais finalement sa liberté et son indépendance sont les plus fortes.
Ce sont des récits courts, un peu comme des clichés qui auraient recueillis des visages sur un papier cru aux couleurs sépia, une façon de tisser autours d'eux la mémoire de quelqu'un qui, à un certain moment, a fait partie du monde des vivants mais n'est plus qu'un souvenir que les mots retiennent de tomber dans l'oubli.
Il y a de la nostalgie, de la mélancolie dans tout cela, des regrets du temps qui passe, la certitude que nous ne sommes ici que de passage, que notre vie n'est finalement qu'une bien faible vibration dans le grand mouvement du monde, que nous n'y laissons somme toute aucune trace. Peut-être mais n'est ce pas la source d'inspiration de bien des créateurs ?
Textes lus en italien et à haute voix (malgré quelques mots dialectaux parfois difficiles à comprendre) pour apprécier la musicalité de cette belle langue cousine.
Francesco Guccini, né en 1940 est chanteur-compositeur, également écrivain et dessinateur de bandes dessinées.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2018.http://hervegautier.e-monsite.com
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Goliarda Sapienza
- Par hervegautier
- Le 22/12/2018
- Dans Goliarda SAPENZA
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La Feuille Volante n° 1305
Goliarda Sapienza... – Angelo Maria Pellegrino – Éditions Le Tripode.
Traduit de l'italien par Nathalie Castagné.
Étrange destin littéraire que celui de cette femme de Lettres italienne (1924-1996) qui dut attendre longtemps pour accéder à la notoriété et que son roman emblématique, « L'art de la joie » achevé en 1979, paraisse en France avec succès en 2005, pour que son propre pays la reconnaisse. Son manuscrit avait d'ailleurs été refusé par la plupart des maisons d'éditions italiennes et ne parut intégralement qu’après sa mort. L'auteur, Angelo Maria Pellegrino fut son dernier compagnon et consacra en, 2015, ce court ouvrage pour honorer la mémoire de celle qui désormais est reconnue comme un grand écrivain et se chargea de l'édition complète de l’œuvre de Goliarda, publiée par les éditions Einaudi, l'équivalent italien de « La Pléiade ».
J'imagine les moments de découragements de cette femme qui voyait ainsi contester son talent mais surtout l'existence de son message. J'évalue aussi le rôle de Pellegrino qui la rencontra alors qu'il n'avait que 29 ans alors qu'elle en avait 50 et qui l'épousa quelques années plus tard . On pense ce que l'on veut de ce choix de vie, de cette différence d'âge qu'on rencontre souvent dans le domaine artistique et qui ne concerne que les intéressés. Est-ce pour le plus âgé la volonté de ne pas vieillir ou de s'en donner l'illusion dans le partage avec quelqu'un de plus jeune, une source de création ou de vitalité ou un tremplin pour quelqu'un qui peine à démarrer dans la vie ? Angelo est devenu lui même comédien, écrivain, traducteur et éditeur. Qu'importe d'ailleurs ! Entre exaltations créatives et périodes de dépressions, au moins a-t-elle eu avec lui un soutien qui lui avait manqué pendant toute ces années d'une vie antérieure agitée qui la conduisit d’hôpitaux psychiatriques, après des tentatives de suicide suite à des déboires sentimentaux, et en prison après un vol de bijoux ! Ses différents romans, bien que boudés par les maison d'édition, attestent de son parcours cahoteux. Ils sont autant de jalons autobiographiques comme c'est le cas de beaucoup d'écrivains qui puisent dans leur existence et dans leur expérience, la substance de leur œuvre. Ainsi le vol de bijoux dont elle se rendit coupable, et surtout les circonstances de son arrestation et de sa détention, inspirèrent largement son œuvre. Bizarrement son compagnon note que cela fit renaître sa créativité, la libéra de la dépression, lui faisant découvrir une certaine socialisation qui n'existait pas dans le milieu intellectuel qu'elle fréquentait ! La passion amoureuse qu'elle connut alors pour Roberta, une jeune détenue toxicomane et terroriste, n'est peut-être pas étrangère à cette renaissance. Par un retournement du destin, c'est l'administration pénitentiaire qui s'intéressa à « L'université de Rebibbia » comme à un document littéraire exceptionnel et qu'on créa ensuite « Le Prix Goliarda Sapienza » récompensant chaque année vingt récits de détenus, parrainés par des écrivains italiens reconnus. C'est une tentative réussie de réunion de la littérature à la vie. Angelo nous confie que le parcours de Goliarda fut hors du commun et nous en détaille les phases, note qu'elle ne pouvait passer une journée sans écrire, retient son sourire lumineux que de nombreuses photos attestent. Elle fut pourtant marquée par cette solitude qui enfante les grandes œuvres parce qu'il n'y a rien de tel pour transmettre à la feuille blanche ses états d'âme et pour se libérer de ses maux, pour les exorciser, que de les coucher sur le papier. Pourtant quand on choisit cette posture, on n'est jamais assuré du résultat, Les périodes de sécheresse et de déprime existent et Pellegrino nous révèle que malgré tout, et peut-être malgré lui, cette solitude perdurera jusqu'à la mort de sa compagne. C'est le côté obscur de l'écrivain et c'est d'autant plus étonnant qu'elle venait du théâtre et du cinéma où la vie sous les projecteurs est la règle. Il faut en effet se méfier de l'écriture qui peut être une thérapie mais aussi être destructrice parce qu'elle est sous-tendue par des souffrances intimes qui peuvent résister et se retourner contre l'auteur qui souhaite les apprivoiser. S'incarner soi-même dans un personnage qu'on a crée peut être révélateur mais parfois aussi dévastateur. Cela complique le travail d'écriture et isole parfois l'auteur au point de se transformer pour lui en une impossibilité d'écrire, de s'exprimer complètement, et ainsi s'insinue en lui la certitude d'être en retrait de ce qu'il veut vraiment formuler, tissant petit à petit une frustration prégnante.
Angelo s'est consacré à la révélation de l’œuvre de cette auteure négligée. Le portait qu'il en fait est forcément subjectif mais qu'importe. On naît tous à une époque et dans un pays qui impriment leur marque dans notre vie. Pour elle, à cause de ses parents, ce fut très tôt l'engagement politique marqué à gauche, face au fascisme, la guerre, une enfance en Sicile dans un quartier populaire, le choix du théâtre et du cinéma et les rencontres qu'elle a pu y faire. Son roman emblématique, « L'art de la joie » est achevé quand l'Italie traverse « les années de plomb », mais il reste longtemps dans un tiroir. Pour autant Modesta, l’héroïne, a ce côté libre, rebelle et sensuelle de Goliarda
Personnage complexe, passionné, contradictoire, idéaliste mais incompris de ses contemporains, Goliarda renaît actuellement à travers la publications de ses œuvres que, paradoxalement, elle eut un peu de mal à faire éditer de son vivant. C'est une revanche posthume mais aussi une invitation à découvrir cette œuvre protéiforme,
©Hervé GAUTIER – Décembre 2018.http://hervegautier.e-monsite.com
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Goliarda Sapienza
- Par hervegautier
- Le 22/12/2018
- Dans Angelo Maria Pellegrino
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La Feuille Volante n° 1305
Goliarda Sapienza... – Angelo Maria Pellegrino – Éditions Le Tripode.
Traduit de l'italien par Nathalie Castagné.
Étrange destin littéraire que celui de cette femme de Lettres italienne (1924-1996) qui dut attendre longtemps pour accéder à la notoriété et que son roman emblématique, « L'art de la joie » achevé en 1979, paraisse en France avec succès en 2005, pour que son propre pays la reconnaisse. Son manuscrit avait d'ailleurs été refusé par la plupart des maisons d'éditions italiennes et ne parut intégralement qu’après sa mort. L'auteur, Angelo Maria Pellegrino fut son dernier compagnon et consacra en, 2015, ce court ouvrage pour honorer la mémoire de celle qui désormais est reconnue comme un grand écrivain et se chargea de l'édition complète de l’œuvre de Goliarda, publiée par les éditions Einaudi, l'équivalent italien de « La Pléiade ».
J'imagine les moments de découragements de cette femme qui voyait ainsi contester son talent mais surtout l'existence de son message. J'évalue aussi le rôle de Pellegrino qui la rencontra alors qu'il n'avait que 29 ans alors qu'elle en avait 50 et qui l'épousa quelques années plus tard . On pense ce que l'on veut de ce choix de vie, de cette différence d'âge qu'on rencontre souvent dans le domaine artistique et qui ne concerne que les intéressés. Est-ce pour le plus âgé la volonté de ne pas vieillir ou de s'en donner l'illusion dans le partage avec quelqu'un de plus jeune, une source de création ou de vitalité ou un tremplin pour quelqu'un qui peine à démarrer dans la vie ? Angelo est devenu lui même comédien, écrivain, traducteur et éditeur. Qu'importe d'ailleurs ! Entre exaltations créatives et périodes de dépressions, au moins a-t-elle eu avec lui un soutien qui lui avait manqué pendant toute ces années d'une vie antérieure agitée qui la conduisit d’hôpitaux psychiatriques, après des tentatives de suicide suite à des déboires sentimentaux, et en prison après un vol de bijoux ! Ses différents romans, bien que boudés par les maison d'édition, attestent de son parcours cahoteux. Ils sont autant de jalons autobiographiques comme c'est le cas de beaucoup d'écrivains qui puisent dans leur existence et dans leur expérience, la substance de leur œuvre. Ainsi le vol de bijoux dont elle se rendit coupable, et surtout les circonstances de son arrestation et de sa détention, inspirèrent largement son œuvre. Bizarrement son compagnon note que cela fit renaître sa créativité, la libéra de la dépression, lui faisant découvrir une certaine socialisation qui n'existait pas dans le milieu intellectuel qu'elle fréquentait ! La passion amoureuse qu'elle connut alors pour Roberta, une jeune détenue toxicomane et terroriste, n'est peut-être pas étrangère à cette renaissance. Par un retournement du destin, c'est l'administration pénitentiaire qui s'intéressa à « L'université de Rebibbia » comme à un document littéraire exceptionnel et qu'on créa ensuite « Le Prix Goliarda Sapienza » récompensant chaque année vingt récits de détenus, parrainés par des écrivains italiens reconnus. C'est une tentative réussie de réunion de la littérature à la vie. Angelo nous confie que le parcours de Goliarda fut hors du commun et nous en détaille les phases, note qu'elle ne pouvait passer une journée sans écrire, retient son sourire lumineux que de nombreuses photos attestent. Elle fut pourtant marquée par cette solitude qui enfante les grandes œuvres parce qu'il n'y a rien de tel pour transmettre à la feuille blanche ses états d'âme et pour se libérer de ses maux, pour les exorciser, que de les coucher sur le papier. Pourtant quand on choisit cette posture, on n'est jamais assuré du résultat, Les périodes de sécheresse et de déprime existent et Pellegrino nous révèle que malgré tout, et peut-être malgré lui, cette solitude perdurera jusqu'à la mort de sa compagne. C'est le côté obscur de l'écrivain et c'est d'autant plus étonnant qu'elle venait du théâtre et du cinéma où la vie sous les projecteurs est la règle. Il faut en effet se méfier de l'écriture qui peut être une thérapie mais aussi être destructrice parce qu'elle est sous-tendue par des souffrances intimes qui peuvent résister et se retourner contre l'auteur qui souhaite les apprivoiser. S'incarner soi-même dans un personnage qu'on a crée peut être révélateur mais parfois aussi dévastateur. Cela complique le travail d'écriture et isole parfois l'auteur au point de se transformer pour lui en une impossibilité d'écrire, de s'exprimer complètement, et ainsi s'insinue en lui la certitude d'être en retrait de ce qu'il veut vraiment formuler, tissant petit à petit une frustration prégnante.
Angelo s'est consacré à la révélation de l’œuvre de cette auteure négligée. Le portait qu'il en fait est forcément subjectif mais qu'importe. On naît tous à une époque et dans un pays qui impriment leur marque dans notre vie. Pour elle, à cause de ses parents, ce fut très tôt l'engagement politique marqué à gauche, face au fascisme, la guerre, une enfance en Sicile dans un quartier populaire, le choix du théâtre et du cinéma et les rencontres qu'elle a pu y faire. Son roman emblématique, « L'art de la joie » est achevé quand l'Italie traverse « les années de plomb », mais il reste longtemps dans un tiroir. Pour autant Modesta, l’héroïne, a ce côté libre, rebelle et sensuelle de Goliarda
Personnage complexe, passionné, contradictoire, idéaliste mais incompris de ses contemporains, Goliarda renaît actuellement à travers la publications de ses œuvres que, paradoxalement, elle eut un peu de mal à faire éditer de son vivant. C'est une revanche posthume mais aussi une invitation à découvrir cette œuvre protéiforme,
©Hervé GAUTIER – Décembre 2018.http://hervegautier.e-monsite.com
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Mon désir le plus ardent
- Par hervegautier
- Le 21/12/2018
- Dans Pete Fromm
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La Feuille Volante n° 1304
Mon désir le plus ardent – Pete Fromm – Gallmeister.
Traduit de l'américain par Juliane Nivelt.
C'est l'histoire d'amour de Maddy et de Dalton, deux adolescents américains, qui commence dans les rapides du Wyoming. Ils sont persuadés d'êtres faits l'un pour l'autre et que leur rencontre tient du miracle d'autant plus que Maddy s'était promis de ne jamais choisir un garçon de son âge, encore moins un guide de rivière comme elle. Pourtant il en a été tout autrement et elle a même abandonné Troy pour lui préférer Dalton. La nature et la liberté les accompagnent, tissent autour d'eux un bonheur unique dont ils entendent bien profiter. Ils forment un couple fusionnel, ont la vie devant eux, ils sont jeunes, beaux, se font mutuellement des serments de fidélité, font des projets, vont se marier, avoir des enfants et fonder une entreprise de rafting dans l'Oregon puis une activité de pêche. Il y a cette symbolique de l'eau vive et pure où ce couple évolue au début. Elle se réfère à leur amour et l'image est parlante. Comme rien n'est jamais parfait en ce monde, c'est la sclérose en plaques qui se déclare chez Maddy et va durablement bouleverser sa vie et celle du couple. C'est d'autant plus terrible que cette maladie se manifeste au moment où elle se croit enceinte, attribuant ses vertiges à son état de future mère, une manière d'opposer la douleur et la maladie à la vie à venir. Cela commence par le tremblement d'une main, puis se prolonge par une fatigue générale qui lui enlève la possibilité de tenir normalement sa maison, puis viennent les pertes de sensations tactiles de plus en plus fréquentes, une détérioration durable de son corps, la marche avec une canne, l'usage du fauteuil roulant manuel puis électrique, l'invalidité qui s'installe de plus en plus...
Ce que je veux retenir ici, c'est le destin de ces deux personnages pour qui tout paraissait idyllique et qui, tout d'un coup, sont frappés par le malheur sous la forme d'une maladie que la médecine peine à soulager et surtout à guérir. D'ordinaire c'est plutôt la lassitudes, l'usure des choses, les rencontres extérieures, la certitude qu'ailleurs c'est mieux que chez soi... qui mettent fin à l'amour et à un des piliers de notre société qu'est le mariage. Ici l'auteur choisit de réveiller le bagage génétique que nous portons tous en nous et qui peut se révéler destructeur. La maladie peut détruire un couple mais dans leur cas elle le soude, le renforce parce que ensemble ils ont résolu de faire triompher la vie, d'avoir des enfants malgré le risques de transmission héréditaire. Dalton abandonne le rafting et la pêche pour devenir charpentier et ainsi être aux côtés de son épouse, aménage pour elle leur maison, s'occupe des enfants, Pourtant c'est la naissance de leur premier enfant qui révèle le mal que Maddy porte en elle, un peu comme si cette naissance faisait triompher la vie sur la douleur et la mort qu'elle sous-tend.
Le lecteur suit passionnément cette histoire vécue et racontée par Maddy. Il y a une dualité dans ces deux personnages. Elle est forte et fera face courageusement à cette épreuve, choisit même d'en rire, fait ce qu'elle peut pour éviter les maternités mais, par amour pour Dalt qui veut avoir des enfants, elle cède et Atty et Azzy naîtront. Lui est amoureux fou de sa femme, prêt à tout pour elle, même à abandonner sa passion de la rivière pour se consacrer à elle, la soigne comme il peut, se consacre à sa famille. L'auteur nous montre un couple plus fort que l'adversité, qui résiste à la tentation de la séparation. Quand Maddy parle à son mari de divorce parce que sa vie à lui n'est pas terminée et qu'il peut encore être heureux avec une autre femme en bonne santé, celui-ci lui rétorque que même s'il a pensé un instant à la mort, la sienne, il ne conçoit pas la séparation avec elle, mais finit par détester l'homme qu'il est devenu. La séparation de leurs parents qui bien souvent, pour les enfants, fait de la famille la pire chose de leur vie est ici balayée d'un revers de mains, un peu comme si la maladie de Maddy était, pour eux, une raison supplémentaire de resserrer les liens familiaux, un peu comme si la fuite du temps n'avait aucune prise sur eux, comme s'ils avaient décidé une bonne fois pour toute que pour eux la vie a été belle, qu'ils ont été chanceux de se rencontrer et de vivre ensemble et ce malgré le temps qui passe, les enfants qui quittent la maison et la mort qui viendra inévitablement.
Le récit de Fromm se joue du temps et de la chronologie, chaque chapitre pouvant pratiquement être lu presque séparément du roman, faisant fi de maladie qui n'est plus dès lors mentionnée que sous le sigle SP, comme une sorte de déni.
J'avoue que je ne sais quoi penser à une époque où le mariage se termine de plus en plus souvent par le divorce et ce pour des raisons bien plus futiles, ce qui fait largement douter de la solidité des liens qu'on dit devoir exister toute une vie. Nous sommes certes dans une fiction et surtout dans une histoire intime et je suis partagé entre cet univers qui le temps d'un roman, transporte le lecteur dans une autre dimension, et la réalité. J'avoue n'avoir vraiment ressenti de l'émotion qu'à la fin.
Je ne connaissais pas Pete Fromm avant que le hasard ne me fasse croiser son œuvre. Son style direct, abrupt même et sans véritable recherche évoque la maladie dans sa cruauté, dans les difficultés qu'elle sous-tend pour cette famille. Je me suis un peu forcé pour croire à cette histoire d'amour qui défit et triomphe de la maladie et du le temps qui passe.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2018.http://hervegautier.e-monsite.com
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le sens de ma vie
- Par hervegautier
- Le 19/12/2018
- Dans Romain Gary
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N°832 – Novembre 2014.
Le sens de ma vie – Romain Gary - Gallimard
« Mon fils sera ambassadeur de France, mon fils sera un grand écrivain » ainsi parlait la mère de Romain Gary. Je suis toujours fasciné par les paroles de pythonisse, surtout quand elles se réalisent même partiellement. Ce livre est la retranscription d'un entretient qu'il accorda à Radio Canada en 1980. Au cours de celui-ci il indiqua, un peu comme une excuse : « Je pense ne pas avoir assez de vie devant moi pour écrire un autre autobiographie » Effectivement quelques mois après il mettait fin à ses jours. Cette affirmation laissait à penser qu'il était l'homme d'un seul livre c'est à dire que tous ses romans étaient d'inspiration autobiographique. Effectivement, dans chacun de ses livres, il fait allusion a une ou plusieurs expériences personnelles. J'ai toujours pensé que les grands écrivains exploitaient ainsi leur vie dans une longue exploration égocentrique et étaient en quelque sorte des transcripteurs de leur propre vie.
D'une manière générale, à une époque où il faut absolument être efficace, on peut s'interroger sur la fonction de l'écrivain surtout quand il se cantonne dans la fiction et qu'il évite soigneusement le scandale où les révélations croustillantes. On peut aussi juger la qualité d'un auteur à l'expression de son raisonnement ou à ce qu'il réussit à tisser un décor qui dépayse, le lecteur échappant ainsi, le temps du roman, à un quotidien qui de plus en plus est déprimant. Il est possible de se demander si son œuvre, qui est le plus souvent axée sur un égocentrisme qui le conduit à se considérer lui-même comme quelqu'un d'exceptionnel, n'a d'autre intérêt que de lui faire gagner de l'argent ou de la notoriété. Il y a certes, le bon usage de la langue et j'ai déjà dit ici le plaisir que j'éprouve à la lecture d'un texte bien écrit dont les mots, judicieusement choisis, chantent agréablement. Il y a aussi, à mon sens, la capacité de s'ausculter, s'analyser soi-même, de préférence sans concession, ce qui permet, le cas échéant aux lecteurs de se retrouver puisque l’écrivain est avant tout un homme avec ses préoccupations, ses douleurs, ses souvenirs. Mettre des mots sur ses maux personnels peut être un soutient pour qui veut bien les lire. Parlant de lui, il parle en fait de l'humanité et c'est sans cela qu'il est un miroir révélateur de nous-mêmes.
En ce qui concerne Romain Gary, il confie ici à l’interviewer et à travers lui au lecteur, combien sa vie a été placée sous le signe de la violence mais qu'il a surtout fait prévaloir son amour pour la France, son pays d'adoption qu'il a servi de bien des manières, lui le fils d'émigrés russes. Il ne manqua pas, à l’occasion, de dénoncer l'hypocrisie, le mensonge voire les contradictions de certaines institutions, le plus souvent sous un pseudonyme. Il refait en raccourci son parcours en insistant sur l'écriture d'une œuvre dont il menait le développement au rythme de ses expériences. Ça, c'est pour l'image publique, celle d'un trublion, d'un marginal qui sut se moquer, parfois avec génie du monde qui l'entourait. Pourtant au fil de l’interview, il révèle que, durant sa vie, il a joué un personnage, tissé par lui-même et par les médias et qu'il ne faut pas chercher dans ce qu'il écrit une quelconque ressemblance avec sa véritable personnalité, pointant ainsi du doigt un paradoxe et mettant à mal mon interrogation. Il évoque « ce petit tas de secrets » cher à Malraux que l'écrivain se doit de garder pour lui. Dès lors qu'en est-il de cet effet miroir de dont je parlait tout à l'heure ? Peut-on penser que ce qu’il a écrit n'était rien d'autre qu’un exercice de styles ? Je n'ai qu'une connaissance très partielle du personnage et de l’œuvre mais je ne cesse de m’interroger sur un homme dont, à mes yeux et peut-être à tort, la vie et l'écriture ont été intimement liées, quelqu'un qui a su admirablement nommer les choses qui lui arrivaient, caractériser les situations, mettre sur elles des mots avec une étonnante maîtrise du vocabulaire et aussi avec humour de bon aloi, mais dont le dernier message, griffonné avant de mettre fin à ses jours, était « Je me suis enfin exprimé complètement ».
©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
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La trace de l'ange
- Par hervegautier
- Le 17/12/2018
- Dans Stefano Benni
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La Feuille Volante n° 1302
La trace de l'ange – Stefano Benni – Actes sud.
Traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli.
Nous sommes à Noël et Morphée, huit ans, rêve devant la fenêtre à la neige qui tombe… En ce jour de joie il n'y a pas qu'elle qui tombe mais aussi une persienne, et sur la tête de ce petit garçon en plus, ce qui lui provoque une commotion cérébrale, une perte de mémoire et surtout une insomnie chronique que les remèdes peinent à guérir. Dès lors, toute sa vie va se résumer à la reconquête de ce sommeil, avec bien sûr la prise d'une foule de médicaments, la fréquentation des psychiatres, les hospitalisations… Le lecteur aura noté que ce n'est pas sans un certain humour que son nom est « Morphée » ! Il s'ensuit toute une séries de remarques, parfois acerbes, sur les comprimés et leurs effets, sur la confiance qu'on peut mettre en eux (nos amis Italiens appellent en effet la feuille explicative qui y est jointe « Il burgiardino » - le petit menteur!), sur la dépendance, l'addiction des malades, sur l'effet du sevrage, sur les psychiatres souvent plus attirés par l'argent que par leurs fonctions de soignants, sur leur diagnostic fluctuant et parfois carrément faux, surtout en ce domaine, sur la fidélité des couples, sur Dieu, sur la folie... Il me semble qu'il y a dans ce roman une chose intéressante qui est juste effleurée dans le titre. C'est celle de l'ange. Non seulement il incarne la pureté, la vertu mais il aussi évidemment une dimension religieuse de protection et de conseil (l'ange gardien). Ici, il perd cette caractéristique et ne devient plus qu'une éventualité, son intervention se transformant en possibilité(« Sa caractéristique c'est que, tantôt il vient, tantôt il t'abandonne. Ne jamais savoir s'il viendra : c'est cela l'essence, la trace de l'ange »). Cette dualité est d'ailleurs soulignée par la couleur de ses ailes qui, suivant les circonstances et les personnes qui l'incarnent, peuvent être blanches ou noires et dans ce dernier cas il est franchement maléfique. Il y a peut-être davantage : Quand Morphée entre dans l'hôpital qui doit le guérir et qui est à l'image du monde extérieur, l'ange n'a plus cette dimension de préservation et dès lors, un compagnon de chambre étant livré à lui-même se donne la mort par suicide ce qui formellement interdit par le christianisme. Le lecteur suit Morphée pendant toute son existence, il partage ses joies, ses peines, sa solitude, sa désespérance, ses rebellions, ses espoirs, sa peur de la vie et de la mort, ses obsessions subtilement suscitées par l'image d'un ange aperçu dans une ombre ou dans le prénom ou le nom des gens qui le côtoient. Cela devient une véritable angoisse. Pourtant, la maturité (ou la lassitude) venant, il décide de prendre sa vie en mains, de n'être plus la victime de ceux qui sont censés le soigner et il entre de lui-même dans une clinique, en réalité un autre enfer, qui commence dans l'univers confiné de la chambre 412 qui lui est attribuée. Ici se décidera son sort., guérison ou maintient définitif dans la condition de malade.
Les personnages qu'il croise sont nombreux, éphémères et chacun vient avec son voyage, ses fêlures, ses espoirs, ses déceptions . Puisque nous sommes dans l'imaginaire pourquoi ne pas y convoquer Van Gogh ou Moby Dick, oui, pourquoi pas ?
Avec ce court roman, en réalité une fable, Stefano Benni abandonne son humour habituel dont cette chronique s'est souvent fait l'écho. Je ne connais pas la biographie de l'auteur ni son parcours, mais il m'a semblé qu'ici il réglait des comptes, se livrait volontiers à une satire, comparant le microcosme de l'hôpital à la société qui traite différemment les pauvres et les riches qui devraient être égaux devant les soins comme ils le sont devant la maladie, s'attaque à l'industrie pharmaceutique, au corps médical qui devrait vivre son métier comme un sacerdoce mais au contraire en profite pour s'enrichir. Il dénonce cette « camisole chimique », véritable panacée, souvent préférée à la thérapie par la parole dans un monde où le stress est permanent. Mais après tout l'écriture sert aussi à cela, surtout dans l'univers apparemment irréel de la fiction, surtout si l'auteur en conçoit quelque chose d'agréable à lire. Son style est d'ailleurs particulier, fait de jeux de mots en italien qu'il n'est pas forcément aisé de traduire en français. Je me souviens avoir lu avec des amies des nouvelles de lui, dans le texte, et avoir franchement davantage ri à cette lecture qu'à celle du texte traduit. Je ne sais si c'est mon attachement à l’œuvre de Benni déjà largement commentée par mes soins, ou peut-être aussi à une certaine compréhension, voire à une communion avec Morphée, mais j'ai lu ce roman dans désemparer, autant pour en connaître l'épilogue que pour l'accompagner à l'envi dans les pérégrinations de son vécu.
Nous sommes dans une fiction où l'absurde, le hasard, l'inspiration, la fantaisie de l'auteur ou simplement la liberté des personnages ont leur place et où, bien entendu, tout est possible. Alors, supposons que tout cela n'est pas arrivé, que la persienne est bien tombée, mais qu'au dernier moment l'ange, toujours lui, mais dans sa version bénéfique, soit intervenu pour préserver Morphée, alors l'histoire est différente. Pourquoi pas ?
©Hervé GAUTIER – Décembre 2018.http://hervegautier.e-monsite.com
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Panorama de la bande dessinée érotique clandestine
- Par hervegautier
- Le 16/12/2018
- Dans Bernard Joubert
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La Feuille Volante n° 1303
Panorama de la Bande dessinée érotique clandestine – Bernard Joubert – Éditions La Musardine
Tout d'abord je remercie Babelio et les éditions La Musardine de m'avoir fait parvenir cet ouvrage qui figurait parmi un choix plus éclectique .
La bande dessinée est désignée comme le « neuvième art » et son origine remonterait au XIX° siècle aux États-Unis. Au siècle suivant, elle devient populaire, prend le nom de « Comics » et met en scène des super-héros. Constituée d'une succession de vignettes sur un support papier, elle est considérée comme un sous-genre de la littérature, un art mineur par rapport à la peinture mais, destinée initialement aux enfants, elle acquiert sa légitimité, accède à la notoriété et peut être considérée comme un mode d'expression artistique reconnu. Il en va différemment des BD érotiques qui, dès le début, censure et bonnes mœurs obligent, circulent à destination des adultes sous le manteau, tout comme les estampes, gravures grivoises et écrits libertins des siècles précédents auxquels se sont essayés, souvent avec talent, les meilleurs auteurs qui, au nom de la morale bourgeoise hypocrite, se retrouvaient parfois dans les prétoires. Elles sont toujours dédiées à la représentation de corps féminin dénudé, ce qui peut être regardé comme une reconnaissance de sa beauté et l'attirance qu'il suscite chez les hommes. Il en va différemment de la version graveleuse de la BD(devenue « dirty comic ») et cet ouvrage qui, si son titre se réfère à l'érotisme, montre beaucoup de pornographie et, de ce fait, sera donc cantonnée dans la clandestinité. En France elle apparut après la Libération, dans le paquetage des GI fraîchement débarqués qui n'ont pas apporté avec eux que le chewing-gum et le Coca-cola, puis, l'émancipation des mœurs s'affirmant, elle fut diffusée, mais toujours dans une clandestinité obligée par la morale chrétienne, le puritanisme bourgeois, les poursuites policières et les sanctions judiciaires. Bernard Joubert étudie ce phénomène à travers des publications diverses éditées et diffusées en français. Elles présentent souvent un graphisme approximatif, souvent monochrome, plutôt pauvre, parfois grossier dans le coup de crayon, presque uniquement concentré sur les parties génitales représentées d'une manière surdimensionnée et même caricaturée, au détriment du reste du corps et sur les poses parfois acrobatiques dignes du kamasutra ayant pour seul but la recherche de la jouissance et n'excluant pas une certaine perversité parfois même scatologique. Les jeux sexuels qu'elles représentent font la part belle au vice, voire à la luxure qui trouvent ici un libre épanouissement. Le texte, quant à lui reste très accessoire, présenté ou non sous forme de bulles, il est à l'avenant des images et offre parfois des jeux de mots triviaux; les scénarios sont assez simples voire simplistes, les développements lubriques et rarement imaginatifs et les épilogues attendus, ce qui témoigne rarement de l'originalité, laisse beaucoup de place au plagiat mais répond à la demande du lecteur devenu voyeur. Le moins que l'on puisse dire est que le but recherché est atteint.
Ce genre nourrit et se nourrit des pulsions sexuelles les plus intimes, parfois les plus refoulées et des fantasmes les plus enfouis des êtres humains des deux sexes. Mettant en scène des hommes et des femmes, il cantonne souvent ces dernières dans des rôles actifs et consentants mais bien souvent dans celui de victimes passives, parfois exagérément naïves, ce qui n'est sans doute pas sans induire à terme les manifestations féministes en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps. Si ces BD montrent des pratiques saphiques elles ne prennent en compte que marginalement et plus récemment le mouvements gay. Il y a même parfois des scènes de zoophilie !
Cette étude est bien documentée et largement illustrée par des publications sous le crayon d'auteurs français, mais examine aussi les revues spécialisées étrangères qui œuvrent aussi dans le même registre illicite, de libération des mœurs mais aussi de leur volonté affichée de choquer. C'était souvent des combats militants contre les personnalités qui incarnaient la bigoterie ou les ligues de vertu, mais aussi des critiques satiriques sans doute un peu faciles et gratuites qui visaient à ridiculiser le personnel politique, une manière de se moquer des dirigeants. Mais interviennent ici des notions juridiques de « droit à l'image » et d'atteinte à la vie privée qui nourrissent les procès et les avocats, mais c'est là un autre sujet.
J'ai été à la fois surpris et intéressé par cet ouvrage qui a l'avantage de me sortir de mes lectures habituelles tournées vers la fiction littéraire.
© Hervé Gautier – Décembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Il neigeait
- Par hervegautier
- Le 11/12/2018
- Dans Patrick Rambaud
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La Feuille Volante n° 1301
Il neigeait – Patrick Rambaud – Grasset.
Juin 1812, la Grande Armée vient d'entrer dans Moscou. La ville est déserte et s'embrase, la répression violente suit les exactions, l'Empereur est malade et son Empire commence à montrer des signes inquiétants de délitement à cause notamment des nombreuses défections de ses alliés, des désertions dans leurs rangs. L'armée de l'Empereur est affaiblie par la dysenterie, désorientée, réduite au pillage pour survivre. Il espérait conclure la paix mais le Tsar ne se montre pas, se dérobe même. Tout cela n'était pas dans les plans de Napoléon qui, jusque là paraissait infaillible et quasiment indestructible. A l'automne, cette armée en guenilles suivie des civils quittent Moscou avec provisions, butin et surtout sa foi inébranlable en l'Empereur. Ainsi commence ce repli désordonné et désastreux sur des routes impraticables, des marais insalubres, des rivières gelées, des soldats harcelés par les paysans russes et par les attaques des Cosaques. L'Empereur est de plus en plus délirant et, coupé des réalités, refuse l'évidence, se satisfait de la désinformation véhiculée dans le « Bulletin » de l'armée, ne conçoit ni la défaite ni sa propre capture qu'il évitera grâce éventuellement au poison qu'il porte sur lui et avance vers Paris où déjà on le dit mort.
C'est le capitaine d'Herbigny, manchot et matamore, un officier des dragons de la Garde qui va nous servir de guide pendant cette épopée mais aussi Sébastien Roque, un sous-secrétaire de l'Empereur sans oublier Henry Beyle, chargé du ravitaillement de l' armée, qui ne s'appelle pas encore Stendhal. A travers leurs yeux, le lecteur va assister au chemin de croix de cette armée en loques, jadis victorieuse et qui maintenant agonise dans l'hiver russe où non seulement chacun doit sauver sa propre vie face à la peur de la mort et aux épidémies mais où la faim autorise les pires atrocités au mépris de la discipline et du respect de la vie de ses propres compagnons d'armes. A la progression surréaliste des hommes et des chevaux dans cet univers hostile et glacé il faut ajouter le délire qui s'empare des soldats livrés à eux-mêmes, le dévouement désespéré des pontonniers de la Bérézina et bien entendu, l'esprit de lucre de quelques-uns qui profitent d'une situation inédite pour s'enrichir au détriment des autres. C'est une belle évocation de cette espèce humaine dont on nous vante un peu trop souvent le côté altruiste
L'image de Napoléon en prend un coup. Il n'est plus le génial tacticien et le stratège militaire devant qui l'Europe entière a plié, le général adoré par ses soldats… Il redevient un homme vaincu par les éléments, seulement capable d'abandonner à elle-même cette belle armée qui faisait sa fierté et la terreur de ses ennemis, au point que ses soldats finissent par préférer la mort par suicide pour abréger leurs souffrances. Une telle attitude qui rappelle celle qui fut la sienne en Égypte, est évidement indigne d'un vrai chef, d'autant qu'il justifie cette lâcheté par sa présence indispensable à Paris pour défendre le peu de pouvoir qui lui reste. Abandonner ainsi ses soldats à eux-mêmes, avec pour seul mot d'ordre la survie est impensable pour des hommes qui ont accepté aveuglément de le suivre. Au-delà de l'administrateur, du conquérant, du magnifique souverain, du séducteur, il montre son vrai visage, lui qui parlait volontiers de paix mais ne cessa de faire la guerre pendant toute sa vie et de semer la mort autour de lui. Ce roman, dont le titre est emprunté à un poème épique de Victor Hugo, retrace cette désolante retraite de Russie, Napoléon, ce grand stratège militaire, vaincu par l'hiver ! Il n'est plus l'homme providentiel qui a sorti la France du chaos révolutionnaire mais celui qui au contraire l'y a à nouveau précipité. Et pourtant, la foi de ses soldats est telle qu'une seule lueur d'espoir suffit à les faire revivre et avancer. Je suis aussi toujours étonné par le destin de ces maréchaux qui, chargeant à le tête de leurs hommes, dans des engagements meurtriers sont souvent miraculeusement épargnés par les balles et les boulets.
Ce roman s'inscrit dans la tétralogie que notre auteur a consacré à Napoléon. Fidèle à son habitude, Patrick Rambaud nous offre un roman richement documenté, particulièrement réaliste dans ses vocations et descriptions, fort bien écrit et passionnant jusqu'à la fin, et qui, au-delà de l'historiographie officielle, nous donne à réfléchir sur le destin de ces hommes autoproclamés sauveurs de l'humanité mais qui en fait sont rattrapés par la réalité.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2018.http://hervegautier.e-monsite.com
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Rade amère
- Par hervegautier
- Le 10/12/2018
- Dans Ronan Gouézec
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La Feuille Volante n° 1300
Rade Amère- Ronan Gouezec – Rouergue noir.
La rade, c'est celle de Brest, une ville de marins battue par les vents de l'océan où vivent deux personnages, Jos Brieuc, un ancien libraire divorcé qui a fondé une entreprise de taxi maritime. Il est à ce point seul qu'il s'accroche encore désespérément à son ex-épouse et que les yeux d'une simple passante suffisent à le bouleverser. Pour lui la vie ressemble à une véritable galère. Caroff, un ancien marin-pêcheur qui, il y a quelques années a voulu braver la mer en furie et a perdu un matelot de seize ans. Cette mort lui colle à la peau, il est rejeté par ses anciens collègues, n'ose plus sortir en mer et depuis, sans travail, il vit avec sa femme et sa fille dans un pauvre mobile-home, rêve de remettre son vieux rafiot à la mer pour peut-être gagner l'Irlande et laisser derrière lui cette vieille histoire. Ces deux hommes, cabossés par la vie, qui ne se connaissent pas et qui n'ont à priori aucune chance de se rencontrer vont pourtant se croiser par le plus grand des hasards . Il y a aussi un troisième personnage, un petit délinquant, Delmas, qui propose à Caroff un travail pas très net, une combine tordue, des colis à récupérer en mer et qu'il va cependant accepter parce qu'il pense que cela peut arranger les choses pour lui. En fait, elle va les compliquer, le faire sortir d'un enfer pour le précipiter dans un autre. Pourtant, même si ce « travail » n'est pas très clair au début, Caroff choisit de s'y impliquer, d'y voir une chance pour lui et pour sa famille. Il prend les choses en mains, les organise, dirige et même transforme les deux loubards d'une cité voisine que Delmas lui a adjoint pour le surveiller. Eux qui n'avaient jamais mis les pieds sur un bateau deviennent ses matelots puisque, pour donner le change, Caroff reprend la mer sur son vieux rafiot et pose à nouveau ses casiers au large. Cette activité, pour marginale qu'elle soit, fait de lui un homme nouveau, déterminé à se sortir de l'adversité, d'envisager une nouvelle vie en Irlande.
Ce livre est le premier roman de l'auteur. On sent les embruns, la pluie bretonne, le bruit du ressac, l'écume des vagues, le cris des goélands, on navigue entre les balises du chenal et le lecteur apprend des détails techniques de navigation, de timonerie, de mécanique puisque Gouezec, lui-même Breton, sait de quoi il parle.
Ces deux histoires sont, sans mauvais jeu de mots, des tentatives de « remises à flot » face à l'adversité qui frappe les hommes au cours de leur vie. Tout au long de ce roman, le lecteur a de la sympathie pour Caroff et pour Brieuc qui cherchent à s'en sortir, même si ce dernier poursuit ce but louable sur un terrain délictueux où l'argent est trop facilement gagné. Ils sont tous les deux marqués par la poisse et on sent bien que, quoiqu'ils fassent, qu'ils ne parviendront jamais à s'en sortir. C'est un peu comme si toutes leurs tentatives étaient d'avance promises à l'échec et l'épilogue est là pour conclure à sa manière que ces hommes sont destinés à être le jouet du hasard et de la malchance. Cette prise de conscience donne le vertige.
Le style est celui d'un roman noir mais avec des moments émouvants et poétiques parfois et aussi avec des parenthèses en italique, comme si une petite voix extérieure ponctuait la pensée de chacun.
© Hervé Gautier – Décembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Madame Pylinska et le secret de Chopin
- Par hervegautier
- Le 05/12/2018
- Dans Eric-Emmanuel Schmitt.
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La Feuille Volante n° 1299
Madame Pylinska et le secret de Chopin – Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.
Elle devait bien être particulière, voire farfelue, cette madame Pylinska, professeure polonaise de piano de son état, qui demandait à son élève de 20 ans, alors étudiant à l’École Normale Supérieure, et désireux de se perfectionner dans la discipline de Chopin, d'aller dès le matin cueillir des fleurs au Jardin du Luxembourg sans en faire tomber la rosée pour la seule raison que ce jeune homme devait ainsi, préalablement à tout exercice, rendre ses doigts « dévoués, subtils, policés, secourables... », d'examiner les carpes des bassins, d'observer le jeu du vent dans le feuillage des arbres et de ne pas oublier d'appliquer cette méthode avant d'aborder la séance et même de faire l'amour avant de venir s'installer devant le clavier. Tout cela était selon elle une manière décontractée, indispensable pour aborder l'apprentissage de la musique ! Apparemment, les leçons de piano chez elle n'étaient pas seulement consacrées aux gammes ou aux déchiffrages des partitions. Cela ressemblait à la philosophie de la musique, aux mérites comparés de Liszt et de Chopin et autres grands compositeurs et même aux interprètes non moins talentueux, à l'étalage d'une grande culture musicale, mais surtout c'était souvent elle qu'on entendait jouer...
Il y a l'étonnant personnage de ce professeur à la fois amoureuse de ses chats, attentive à la réincarnation de l'un d'eux en une araignée devenue miraculeusement mélomane, parlant beaucoup, inventant encore davantage, dérapant parfois à la limite de la critique sans doute facile, mais ne s'y engouffrant pas, au nom de la charité chrétienne. Mais il y a celui d'Aimée, la tante du narrateur qui l'initie un peu malgré elle, alors qu'il n'a que 9 ans, à la musique de Chopin et et, plus tard, lui confie l'existence de son unique amour alors qu'elle se laisse appeler dans sa famille « La gourgandine », ce qui est un surnom peu flatteur. Elle prête le flanc à la critique familiale mais c'est surtout pour elle, est une manière de se protéger. Elle lui donne l'image de ce qu'est la liberté de l'usage qu'on peut en faire et du peu d'importance qu'on doit accorder à l'avis des autres. Ce personnage m'émeut franchement davantage que celui de la professeur de piano puisque j'ai senti sa présence en filigrane, subtilement tout au long de ce roman. Elle en est l'initiatrice et finalement une sorte de conclusion. Il y a enfin, l'image furtive de cet instrument au nom imprononçable, initialement présenté comme un intrus dans la famille de son enfance et qui finalement, grâce à cette tante, bien des années plus tard, sera le témoin de sa transformation, de sa maturité et de l'invitation à l'écriture à laquelle, heureusement, il répond.
C'est un roman auto-biographique et qu'un bon auteur nous parle de son parcours et enrichisse ainsi son œuvre, est toujours un moment intéressant, qu'il nous parle de lui, de sa passion pour la musique classique et pour Chopin en particulier, qu'il y mêle une dose d'imaginaire qu'il est le seul à connaître, pourquoi pas, qu'il le fasse à sa manière, fluide et poétique, c'est à dire en servant notre belle langue française comme doit le faire tout écrivain, il nous y a toujours habitués et c'est à chaque fois pour moi un bon moment de lecture comme je l'ai souvent dit dans cette chronique.
J'ai donc pour E.E. Schmitt un a priori favorable. Le livre refermé, que reste-t-il de ma lecture ? Un court roman du souvenir, de la nostalgie, de l'émotion face au temps qui passe et à la mort qui engloutit les humains après leur passage sur terre, la certitude que le difficile apprentissage de Chopin est une école de la vie, et peut-être aussi de la façon d'aborder et de vivre l'amour, comme le sont les choses ardues à acquérir, que rien n'est vraiment facile, que rien n'est fait d'avance et qu'il faut persister, ne pas se décourager... Pourquoi pas ? Pourtant, je ressens quelque chose de bizarre, comme si ce que nous recherchons tous dans la littérature comme dans l'art n'avait pas fonctionné. Quand j'ouvre un roman, parfois choisi au hasard ou sur le seul nom de son auteur, je le fais pour, inconsciemment, y trouver quelque chose qui me sort du quotidien, qui m'apprend quelque chose ou m'invite à la réflexion. Je sais que je pénètre dans un autre monde, une autre dimension le temps de ma lecture et j'aime tellement cela que j'en redemande volontiers. Les livres se succèdent avec leur dépaysement, leur invitation au voyage immobile ou à la remise en cause d'idées reçues.... Cela doit tenir à moi, et en tout cas pas au talent de l'auteur, mais pour une fois cela n'a pas fonctionné, je sens que je suis passé à côté et bien sûr je le regrette sans peut-être être capable de m'en expliquer la vraie raison.
© Hervé Gautier – Décembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le chat botté
- Par hervegautier
- Le 03/12/2018
- Dans Patrick Rambaud
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La Feuille Volante n° 1298
Le chat botté - Patrick Rambaud – Grasset.
Ce surnom, digne d'un conte de Perrault avait été donné à Bonaparte par une femme, Laure Permont, future épouse de son fidèle Junot dont il fera un général, à cause de ses grandes jambes maigres et bottées, un vrai chat efflanqué. Il n'était alors qu'un obscur général désargenté de 25 ans, au fort accent corse qui cherchait sa voie dans le tumulte de la Révolution, arrivait de Marseille dans une capitale qui venait de voir la chute de Robespierre. Nous étions au printemps 1795 et son ascension commençait. C'était une de ces situations surréalistes qu'on rencontre dans les périodes d’extrême tensions: le peuple de Paris affamé grondait et les muscadins fêtards que pourchassait la Convention dépensaient largement de faux assignats dans les restaurants à la mode, les agioteurs s'activaient, la violence et l'insécurité étaient partout, le pouvoir vacillait et avec lui les Institutions, l'armée. Lui dont les débuts avaient été difficiles, attendait son heure, observait les faits et les gens, apprenait, rêvait de guerre en Italie, méditait les auteurs latins qu'il affectionnait qui racontaient la vie d'hommes illustres où de simples citoyens, et parfois même des généraux, devenaient dictateurs ou empereurs… Une atmosphère insurrectionnelle terrorisait les gens, les Jacobins menaçaient de revenir, les royalistes relevaient la tête, la guerre civile s'installait, rappelant la Terreur et les exactions de Robespierre. Comme toujours en pareil cas, des noms émergent qui se perdront dans la tourmente de la révolte et d'autres comme Murat, Marmont, Junot seront favorisés par le destin ou par l'Histoire. Bonaparte attendait, réfléchissait et agissait en vrai républicain.
Ce général inconnu qui avait refusé d'aller en Vendée combattre la rébellion anti républicaine n'hésitera pas à faire feu au canon sur les royalistes de Paris à l'église Saint Roch. Pourtant, dans cette ambiance ahurissante, malgré les canons qui sèment la mort, on dîne dans les restaurants parisiens, on danse, on va au théâtre, enfin ceux qui en ont les moyens. Après le siège de Toulon où il s'était illustré victorieusement, Saint Roch est le deuxième acte de son parcours républicain, mais c'est aussi le début de la reconnaissance, de l'ascension vers le pouvoir suprême, vers la richesse. Il devient rapidement une sorte de dictateur de Paris, fait surveiller tout le monde, croise Fouché, le futur ministre de la police, rétablit l'Ordre Public si malmené pendant cette longue période de chienlit. L'aigle se sent pousser des ailes, déjà, parce qu'il faut un chef à la France et qu'il sera celui-là. Le Directoire n'a rien de bien sérieux, se trouve incapable de créer des richesses , de renflouer le Trésor, de juguler la hausse des prix, d'avoir de l'argent qui est le nerf de la guerre . Et c'est bien une guerre que ce général impétueux et ambitieux attend. Ce sera l'Italie.
Il ne lui reste qu'à tomber amoureux et à se marier, ce qu'il fait avec Rose de la Pagerie, veuve Beauharnais. Il fallait qu'il le soit parce que celle qu'il appellera désormais Joséphine n'était ni noble, ni riche, comme il le pensait, mais surtout pas vertueuse comme il aurait pu l'espérer, ce qui excite sa jalousie. Tout est en place pour que Bonaparte devienne Napoléon.
Alors qu'il était encore jeune, quelqu'un avait dit de lui qu'il fallait porter de l'attention à cet homme et ne pas oublier de le nommer à des postes importants, sans quoi il le ferait lui-même ! La suite de sa biographie a illustré cette appréciation pertinente.
L'ouvrage allie avec bonheur un travail d'historien, précis et authentique et un talent d'écrivain. Le style est fluide et facile à lire, ce qui transforme ce livre en un bon moment de lecture. Nous sommes en effet dans un roman historique qui, certes s'inscrit dans un contexte très concret mais qui laisse aussi la place à la fiction, même si, à titre personnel, je ne suis que très peu entré dans certains épisodes qui laissent la place à l'imaginaire.
Cet ouvrage, paru en 2006 fait partie, avec « La Bataille » (1997), « Il neigeait » (2000) et « l'absent » (2003) de l'épopée napoléonienne.
© Hervé Gautier – Décembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le Maître
- Par hervegautier
- Le 01/12/2018
- Dans Patrick Rambaud
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La Feuille Volante n° 1297
Le Maître - Patrick Rambaud – Grasset.
Tchouang-tseu est un peu un Diogène qui préfère la vie dans la solitude de la nature à celle des villes et des privilèges que sa haute naissance et son éducation de lettré lui promettaient. Le poste de son père est important et sa puissance est enviée, ce fils est choisi par lui pour lui succéder, sa voie est donc toute tracée et, obéissant à la volonté paternelle, il devient Superviseur des Laques, situation lucrative qu'il aurait pu conserver toute sa vie. Quand il aurait pu mener une carrière dorée, corrompue et flagorneuse auprès de roi et de la cour ou profiter d'une situation recherchée, il préfère la vie itinérante et libre qui lui apprend davantage que ce qu'il aurait pu découvrir dans les livres et, lorsque les circonstances font de lui un mort officiel, il déclare préférer cet état à celui de vivant. Quand on lui demande ce qui est vraiment important en ce monde il répond simplement Le Ciel ! Il connaît l'enseignement de Confucius mais il n'en fait pas pour autant une règle de vie inconditionnelle. Cela fait de lui un personnage marginal, individualiste, vivant volontiers à l'écart du monde, à la fois craint, respecté mais surtout connu et dont on recherche les jugements. Pourtant, adepte de l’oisiveté, une option qui en vaut bien une autre face à la brièveté de la vie, à son côté provisoire et transitoire, et amoureux de la nature, il donne sa préférence à une vie simple, pauvre et proche du peuple. Son parcours, autant que la manière dont il appréhende l'existence dans ce royaume de la Chine lui confèrent une sorte de sagesse qui lui permet de survivre face aux tyrans sanguinaires qui le peuplent et le font connaître et apprécier par sa philosophie et les conseils qu'il prodigue. Il jette en effet sur le monde qui l'entoure un regard mi-amusé mi-circonspect qui lui font exprimer des sentences parfois énigmatiques ou adopter des postures quasi suspectes qui ne sont pas sans déconcerter ceux à qui l'entourent ou à qui il les destine.
Ce roman ne manque ni d'humour ni de sobriété dans les termes. C'est une sorte de fable qui met en scène un authentique personnage hors du commun mais dont on sait peu de choses à part qu'il aurait illustré par ses écrits et sa vie la doctrine taoïste qui allie quiétude et équilibre mais aussi qu'il aurait effectivement refusé des fonctions politiques importantes, mettant ainsi en œuvre cette philosophie. Les sentences que l'auteur met dans sa bouche sont certes des aphorismes choisis pour cette fiction mais aussi ont une valeur universelle et sont pour nous aussi une invite à la réflexion. Elles témoignent d'une observation fine et attentive des travers de l'espèce humaine dans le quotidien pour les gens du peuple, comme dans l'exercice du pouvoir pour les dirigeants. L'auteur nous présente Tchouang-tseu comme bienveillant vis à vis des gens qui le sollicitent, soucieux de remettre en cause toutes les superstitions, invitant ses disciples à la tolérance, à la tempérance, à réfléchir avant d'agir, à bousculer les habitudes et les traditions héritées du passé, usant volontiers de paraboles pour illustrer et expliquer sa pensée.
C'est peu dans l'air du temps où on met en lumière ceux qui ont réussi en évitant de mentionner tous ceux qu'ils ont écrasé pour obtenir postes et distinctions, mais, eu égard sans doute à la brièveté de la vie, j'aurais toujours un secret attachement pour ceux qui choisissent de rester dans l'ombre.
J'ai lu avec plaisir les romans historiques de Patrick Rambaud qui ici change de registre. Cela m'a un peu surpris mais pas moins intéressé, autant par la mise en lumière de ce personnage que par la qualité de son enseignement et de son exemple. Le style d’écriture aussi a retenu mon attention, simple mais attachant.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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L"absent
- Par hervegautier
- Le 26/11/2018
- Dans Patrick Rambaud
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La Feuille Volante n° 1296
L'absent– Patrick Rambaud – Grasset.
Nous sommes en 1814, c'est la fin de l'Empire, les alliés de la coalition sont dans Paris et les Parisiens sont partagés entre la fidélité à Napoléon et la trahison. Talleyrand n'est pas en reste qui selon son habitude conspire, trompe son monde, trahit et assure son propre avenir. Face à une armée qui se débande et des hommes qui désertent, l'Empereur envisage une dernière tentative autour des officiers qui sont restés loyaux, face aux royalistes qui relèvent la tête et espèrent l'avènement de Louis XVIII, tergiverse puis finalement abdique. Il part pour l'île d'Elbe à travers une France qui, suivant les régions, l'acclame ou le rejette. Lui qui voulait soumettre l'Europe entière se retrouve à administrer et développer une simple sous-préfecture dépendant de Livourne, ce qu'il fait d'ailleurs avec efficacité et talent, réveillant une île qui dormait depuis des années. Tel est cet épisode qui caractérise la fin d'un règne.
Comme il en a l'habitude, Patrick Rambaud procède par petits détails. Ici, il choisit notamment de gommer l'aura de Bonaparte au pont d'Arcole que, quelques années plus tard, le peintre Jean-Antoine Gros représenta pour la postérité comme un entraîneur d'hommes. En effet il remet à l'honneur Pierre Augereau, simple soldat devenu maréchal d'Empire et vrai héro de cet événement guerrier à la place de Napoléon, tombé dans un fossé avant ce fameux pont (p.157) et qui se couvrit de gloire par la suite. Dans une note à la fin du roman, il apporte d'ailleurs quelques précisions bien utiles sur les personnages de cette époque , sur la vie dans l’île et le débarquement de l'ex-Empereur à Golfe Juan, ce qui témoigne de son travail d'historien. Il prête aux personnages de cette fiction historique des propos qu'ils auraient pu tenir lors de cet épisode qui a précédé les « Cents jours » et Waterloo.
Napoléon qui était parti de rien, que les événements avaient servi, et qui s'en était également servi, avait eu des succès en tous genres, la notoriété, la richesse, le pouvoir et maintenant il n'était plus rien, rien qu'un homme déjà malade, contraint de quitter son pays à bord d'un navire anglais, en se cachant de peur d'être assassiné. En outre il devait faire face à la trahison de ceux qui lui devaient tout et qui maintenant, par opportunisme ou par peur, se retournaient contre lui et menaçaient sa vie. Quand il arriva à l'île d'Elbe il reçut un accueil digne d'un « sous-préfet aux champs » de la part d'une population flagorneuse qui l'ovationna mais qui, avant son arrivée, demandait sa tête et l'aurait bien vu pendu. Pour quelqu'un qui se targuait de connaître les hommes, la leçon était bonne ! Il rencontrait ici la versatilité de l'espèce humaine autant qu'un revirement de son destin personnel.
La France n'a sans doute jamais été aussi grande que sous l'Empire mais je retiens aussi que Napoléon, fin stratège et grand chef militaire, a souvent, quand cela allait mal pour lui et sous un prétexte souvent étranger, abandonné ses hommes, ce qui est indigne d'un vrai chef. Je reste quand même très étonné que ses soldats l'aient suivi dans toutes les guerres qui émaillèrent l'Empire.
C'est le quatrième volet de la saga napoléonienne consacrée par Patrick Rambaud à cette période de déclin de l'Empire commencé à la bataille d'Essling (« La Bataille ») et l’hécatombe de la campagne de Russie (« Il neigeait »).[Le premier « Le chat botté » -publié plus tard- évoque l’ascension de Bonaparte] Ici, l'ardeur des combats et le froid ont laissé place à la moiteur et au calme de l’île d'Elbe et ce malgré la préparation des « Cent Jours » et les différents projets d' assassinats déjoués. Encore une fois, mais d'une manière différente et pacifique, l'ex-Empereur devenu roitelet d'un caillou perdu en Méditerranée, réussit à s'imposer à la population locale en qualité d'administrateur.
Le style est précis, simple, agréable à lire. J'ai passé un bon moment de lecture avec ce livre. J'aime en effet le roman historique surtout quand il a l'avantage, comme c'est le cas ici, d'évoquer certes une grande figure de l'Histoire mais aussi d'en noter les petits travers.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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L'espion des Tuileries
- Par hervegautier
- Le 23/11/2018
- Dans Jean-Christophe Portes
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La Feuille Volante n° 1294
L'espion des Tuileries – Jean-Christophe Portes – City éditions.
En pleine tourmente, le roi Louis XVI dont le pouvoir vacille, est contraint par les Girondins qu'il a appelés au gouvernement de déclarer la guerre à l'Autriche au début de l'année 1792. Ce faisant, il espère sauver son trône. Le lieutenant de gendarmerie Victor Dauterive, toujours fidèle à La Fayette, est chargé, dans ce contexte politiquement difficile et en ce mois d'avril, d'escorter un convoi transportant la paye de l'armée du Nord cantonnée en Lorraine, pas moins de 500 000 livres, autant dire une petite fortune. La région fourmillant d'espions et de déserteurs, le convoi est attaqué et l'argent disparaît. Il ne fait aucun doute que ce vol est destiné à porter préjudice à l'image du marquis de La Fayette, général en chef de cette armée, qui charge son protégé Dauterive d'en retrouver les auteurs. S'engage donc une course poursuite à travers le nord de la France, fertile en rebondissements, désertions et assassinats. Dans un tel contexte de grande confusion, avec massacres d'officiers, démissions ou trahisons de l'encadrement souvent composé d'aristocrates et rébellions au sein d'une armée populaire souvent miséreuse et indisciplinée, l'idéal de liberté suscité par la Révolution a laissé la place à l'anarchie. Face à cette guerre qui menace de s'enliser, Victor est dépêché par La Fayette pour rencontrer le roi à Paris et lui soumettre un projet visant à restaurer l'autorité royale. Cette mission s'annonce difficile compte tenu de la position ambiguë du général dans cette période d'insécurité, de la difficulté d'atteindre le roi et ce d'autant que la vie de Dauterive est menacée entre arrestations arbitraires et tentatives d'assassinat, et cette histoire de vol qui refait surface, attise les convoitises et complique quelque peu les choses pour le lieutenant.
A la suite de Victor et de son fidèle Joseph, un jeune mendiant dont il décidé de prendre en charge l'éducation et qui lui sert aussi de messager, le lecteur va, grâce à une carte de 1791, déambuler dans les vieux quartiers de la Capitale, rencontrer des petits métiers qui servent parfois de couverture aux mouchards de la police, accéder au palais des Tuileries où siège la Cour puisque le peuple a contraint le roi à y résider trois ans plus tôt. Il y règne une ambiance délétère où le secret et la délation le disputent à la crainte d'autant qu'à l'extérieur on réclame la tête du monarque. Le lieutenant y croisera des personnages historiques, des tribuns révolutionnaires qui parfois jouent double-jeu, des écrivains comme Olympe de Gourges, une pamphlétaire dont il est secrètement amoureux, de simples citoyens fanatiques ou animés par l'opportunisme et qui voient dans cette période troublée un moyen de se mettre en valeur dans les clubs comme à l'Assemblée ou des aristocrates séduits par les idées nouvelles. Cette fiction qui est remise dans son contexte historique fourmille de petits détails culinaires dont la recette est parfois parvenue jusqu'à nous, de descriptions vestimentaires, de petits notes anecdotiques ou historiques, de dénonciations de trafics et de remises en cause de nombres d'idées reçues sur cette époque, la menace de coup d'état, les conspirations, la spéculation sur le pain... L'immersion dans l'ambiance de cette période est totale et le dépaysement garanti, un vrai travail d'historien !
L'auteur affine le portait de Dauterive commencé dans les romans précédents. Il nous présente un jeune homme qui n'est pas insensible à la beauté des femmes qu'il croise et se révèle parfois secoué dans ses certitudes personnelles, lui qui, ancien aristocrate, a changé son nom pour un patronyme plus populaire, attiré par les idées généreuses et novatrices de la Révolution. Ici, il est tiraillé entre son choix intime de changement de cette société fondée sur l'arbitraire et l'intolérance, sa fidélité à La Fayette et à la mission qu'il lui a confiée qui est une marque de loyauté envers un roi imprévisible, tantôt courageux face au peuple, tantôt indécis, et le rôle toujours ambiguë du marquis, désireux à la fois, dans ce contexte difficile, de servir la Révolution et de sauvegarder la personne de Louis XVI. Victor a beau n'être qu'un personnage de fiction, il n'en est pas moins un témoin de son temps marqué par la peur, la colère, la violence, la trahison, la solitude, l’égoïsme, la corruption, la duplicité, les illusions qu'on se fait sur autrui, autrement dit l'ordinaire de l'espèce humaine !
Comme toujours, par son le style fluide baigné par le suspense, l'auteur s'attache son lecteur jusqu'à l'épilogue. Je suis avec plaisir et depuis le départ, le parcours du lieutenant Dauterive avec d'autant plus d'intérêt que le roman policier historique m'a toujours enthousiasmé comme ont retenu mon attention les romans de Jean-François Parot qui nous a quittés récemment et à qui cet ouvrage est dédié. La plume de Jean-Christophe Portes fait revivre une période, certes agitée et meurtrière, mais qui m'a toujours passionné par le bouillonnement des idées qu'elle a portées et l'évolution de la société qu'elle a engendrée.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Un air de famille
- Par hervegautier
- Le 20/11/2018
- Dans Agnès Jaoui - Roland Bacri
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La Feuille Volante n° 1295
Un air de famille – Une pièce d'Agnès Jaoui et de Roland Bacri - Un film de Cédric Klapisch.
Ce film tourné en 1996 par Cédric Klapisch est d'abord une pièce de théâtre, portant le même titre, écrite en 1994 par Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui qui sont aussi au générique.
La famille Ménard a quelque chose de traditionnel. « La Mère » (Claire Maurier) est veuve et parmi ses trois enfants Philippe, la quarantaine (Wladimir Yordanoff), marié à Yolande (Catherine Frot), est cadre dans une société d'informatique. C'est le préféré de sa mère, celui qui a réussi, qui prend les décisions pour tout le monde, tandis que Henri (Jean-Pierre Bacri), l’aîné, marié à Arlette, le raté de la famille, s'est contenté de reprendre « Au père tranquille », le café minable, auparavant tenu par son père, sans y avoir fait aucune modification. On y retrouve l'ancien juke-box en panne, la décoration et le mobilier d'un autre âge. Il vivote entre le « plat du jour » à midi et les retraités qui font durer un ballon de rouge tout l'après-midi en tapant le carton. Betty (Agnès Jaoui), la benjamine, qui a du travail grâce à Philippe dans son entreprise, célibataire de trente ans, conserve son indépendance et son franc-parler, ce qui inquiète sa mère. Sa marginalité rebelle face à sa hiérarchie risque de lui coûter sa place mais elle n'en n'a cure, elle reprendra sans doute son errance professionnelle faite de petits boulots et d'allocations- chômage. L'employé d'Henri, Denis, (Jean-Pierre Darroussin) est un peu le souffre-douleur de ce patron sans envergure mais qui cependant ne s'en laisse pas conter et fait valoir sa différence et ses préférences.
C'est le soir du 35° anniversaire de Yolande qui doit être célébré dans un bon restaurant du coin mais l'absence d'Arlette, dont on apprend très vite qu'elle a quitté le domicile conjugal, retarde le départ des convives, ce qui fait que tout se passera « au père tranquille » dans l'improvisation la plus totale. Rapidement, ce qui devait être une réunion de famille annuelle, traditionnelle et surtout paisible tourne à l'affrontement. A propos du passage raté à la télévision régionale de Philippe qui devait y parler de son entreprise, de vieilles querelles familiales ressortent et des disputes éclatent. Denis quant à lui, malgré sa non-appartenance à cette parentèle, fait ce qu'il peut pour donner un semblant de fête à cette soirée ratée. Le côté naturel et naïf de Yolande ressort qui énerve quelque peu son mari qui depuis longtemps ne lui accorde que peu d'importance, tandis que la mère campe exactement l'archétype de la « Belle-mère » et de la mère abusive, faisant ouvertement des différences entre ses enfants. Caruso, le pauvre chien paralysé, qui bien entendu ne dit rien et ne bouge pas, a même de la présence.
La traditionnelle règle du théâtre de l'unité de temps, de lieu est d'action est pratiquement respectée dans ce microcosme et le drame peut éclater, heureusement conclu par un épilogue moins sombre.
Cette œuvre est une évocation très juste de ce qui se passe dans toutes les familles, entre hypocrisies et non-dits, une entente de façade qui dégénère très vite en règlements de compte à propos de rien, ici d'un bafouillage de Philippe devant les caméras ou de sa cravate jugée peu conforme aux vues de sa mère et accessoirement une prise de bec entre Betty, décidément bien en état d'insubordination, et un des cadres de l'entreprise où elle travaille. Ces détails, savamment étudiés et exploités à l’extrême vont entraîner les membres de cette famille dans une sorte de maelstrom révélateur et destructeur.
J'ai trouvé le jeu des acteurs convaincant, les dialogues incisifs, les intonations de voix étudiées, bien dans l'ambiance un peu délétère d'une famille traditionnelle composée de membres qui ne se ressemblent pas forcément et qui ont entre eux d'inévitables désaccords et rivalités. Les différences sociales et familiales sont bien marquées ce qui fait de cette œuvre une satire fort pertinente.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Un air de famille
- Par hervegautier
- Le 20/11/2018
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La Feuille Volante n° 1295
Un air de famille – Une pièce d'Agnès Jaoui et de Roland Bacri - Un film de Cédric Klapisch.
Ce film tourné en 1996 par Cédric Klapisch est d'abord une pièce de théâtre, portant le même titre, écrite en 1994 par Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui qui sont aussi au générique.
La famille Ménard a quelque chose de traditionnel. « La Mère » (Claire Maurier) est veuve et parmi ses trois enfants Philippe, la quarantaine (Wladimir Yordanoff), marié à Yolande (Catherine Frot), est cadre dans une société d'informatique. C'est le préféré de sa mère, celui qui a réussi, qui prend les décisions pour tout le monde, tandis que Henri (Jean-Pierre Bacri), l’aîné, marié à Arlette, le raté de la famille, s'est contenté de reprendre « Au père tranquille », le café minable, auparavant tenu par son père, sans y avoir fait aucune modification. On y retrouve l'ancien juke-box en panne, la décoration et le mobilier d'un autre âge. Il vivote entre le « plat du jour » à midi et les retraités qui font durer un ballon de rouge tout l'après-midi en tapant le carton. Betty (Agnès Jaoui), la benjamine, qui a du travail grâce à Philippe dans son entreprise, célibataire de trente ans, conserve son indépendance et son franc-parler, ce qui inquiète sa mère. Sa marginalité rebelle face à sa hiérarchie risque de lui coûter sa place mais elle n'en n'a cure, elle reprendra sans doute son errance professionnelle faite de petits boulots et d'allocations- chômage. L'employé d'Henri, Denis, (Jean-Pierre Darroussin) est un peu le souffre-douleur de ce patron sans envergure mais qui cependant ne s'en laisse pas conter et fait valoir sa différence et ses préférences.
C'est le soir du 35° anniversaire de Yolande qui doit être célébré dans un bon restaurant du coin mais l'absence d'Arlette, dont on apprend très vite qu'elle a quitté le domicile conjugal, retarde le départ des convives, ce qui fait que tout se passera « au père tranquille » dans l'improvisation la plus totale. Rapidement, ce qui devait être une réunion de famille annuelle, traditionnelle et surtout paisible tourne à l'affrontement. A propos du passage raté à la télévision régionale de Philippe qui devait y parler de son entreprise, de vieilles querelles familiales ressortent et des disputes éclatent. Denis quant à lui, malgré sa non-appartenance à cette parentèle, fait ce qu'il peut pour donner un semblant de fête à cette soirée ratée. Le côté naturel et naïf de Yolande ressort qui énerve quelque peu son mari qui depuis longtemps ne lui accorde que peu d'importance, tandis que la mère campe exactement l'archétype de la « Belle-mère » et de la mère abusive, faisant ouvertement des différences entre ses enfants. Caruso, le pauvre chien paralysé, qui bien entendu ne dit rien et ne bouge pas, a même de la présence.
La traditionnelle règle du théâtre de l'unité de temps, de lieu est d'action est pratiquement respectée dans ce microcosme et le drame peut éclater, heureusement conclu par un épilogue moins sombre.
Cette œuvre est une évocation très juste de ce qui se passe dans toutes les familles, entre hypocrisies et non-dits, une entente de façade qui dégénère très vite en règlements de compte à propos de rien, ici d'un bafouillage de Philippe devant les caméras ou de sa cravate jugée peu conforme aux vues de sa mère et accessoirement une prise de bec entre Betty, décidément bien en état d'insubordination, et un des cadres de l'entreprise où elle travaille. Ces détails, savamment étudiés et exploités à l’extrême vont entraîner les membres de cette famille dans une sorte de maelstrom révélateur et destructeur.
J'ai trouvé le jeu des acteurs convaincant, les dialogues incisifs, les intonations de voix étudiées, bien dans l'ambiance un peu délétère d'une famille traditionnelle composée de membres qui ne se ressemblent pas forcément et qui ont entre eux d'inévitables désaccords et rivalités. Les différences sociales et familiales sont bien marquées ce qui fait de cette œuvre une satire fort pertinente.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Un air de famille
- Par hervegautier
- Le 20/11/2018
- Dans cinéma français
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La Feuille Volante n° 1295
Un air de famille – Une pièce d'Agnès Jaoui et de Roland Bacri - Un film de Cédric Klapisch.
Ce film tourné en 1996 par Cédric Klapisch est d'abord une pièce de théâtre, portant le même titre, écrite en 1994 par Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui qui sont aussi au générique.
La famille Ménard a quelque chose de traditionnel. « La Mère » (Claire Maurier) est veuve et parmi ses trois enfants Philippe, la quarantaine (Wladimir Yordanoff), marié à Yolande (Catherine Frot), est cadre dans une société d'informatique. C'est le préféré de sa mère, celui qui a réussi, qui prend les décisions pour tout le monde, tandis que Henri (Jean-Pierre Bacri), l’aîné, marié à Arlette, le raté de la famille, s'est contenté de reprendre « Au père tranquille », le café minable, auparavant tenu par son père, sans y avoir fait aucune modification. On y retrouve l'ancien juke-box en panne, la décoration et le mobilier d'un autre âge. Il vivote entre le « plat du jour » à midi et les retraités qui font durer un ballon de rouge tout l'après-midi en tapant le carton. Betty (Agnès Jaoui), la benjamine, qui a du travail grâce à Philippe dans son entreprise, célibataire de trente ans, conserve son indépendance et son franc-parler, ce qui inquiète sa mère. Sa marginalité rebelle face à sa hiérarchie risque de lui coûter sa place mais elle n'en n'a cure, elle reprendra sans doute son errance professionnelle faite de petits boulots et d'allocations- chômage. L'employé d'Henri, Denis, (Jean-Pierre Darroussin) est un peu le souffre-douleur de ce patron sans envergure mais qui cependant ne s'en laisse pas conter et fait valoir sa différence et ses préférences.
C'est le soir du 35° anniversaire de Yolande qui doit être célébré dans un bon restaurant du coin mais l'absence d'Arlette, dont on apprend très vite qu'elle a quitté le domicile conjugal, retarde le départ des convives, ce qui fait que tout se passera « au père tranquille » dans l'improvisation la plus totale. Rapidement, ce qui devait être une réunion de famille annuelle, traditionnelle et surtout paisible tourne à l'affrontement. A propos du passage raté à la télévision régionale de Philippe qui devait y parler de son entreprise, de vieilles querelles familiales ressortent et des disputes éclatent. Denis quant à lui, malgré sa non-appartenance à cette parentèle, fait ce qu'il peut pour donner un semblant de fête à cette soirée ratée. Le côté naturel et naïf de Yolande ressort qui énerve quelque peu son mari qui depuis longtemps ne lui accorde que peu d'importance, tandis que la mère campe exactement l'archétype de la « Belle-mère » et de la mère abusive, faisant ouvertement des différences entre ses enfants. Caruso, le pauvre chien paralysé, qui bien entendu ne dit rien et ne bouge pas, a même de la présence.
La traditionnelle règle du théâtre de l'unité de temps, de lieu est d'action est pratiquement respectée dans ce microcosme et le drame peut éclater, heureusement conclu par un épilogue moins sombre.
Cette œuvre est une évocation très juste de ce qui se passe dans toutes les familles, entre hypocrisies et non-dits, une entente de façade qui dégénère très vite en règlements de compte à propos de rien, ici d'un bafouillage de Philippe devant les caméras ou de sa cravate jugée peu conforme aux vues de sa mère et accessoirement une prise de bec entre Betty, décidément bien en état d'insubordination, et un des cadres de l'entreprise où elle travaille. Ces détails, savamment étudiés et exploités à l’extrême vont entraîner les membres de cette famille dans une sorte de maelstrom révélateur et destructeur.
J'ai trouvé le jeu des acteurs convaincant, les dialogues incisifs, les intonations de voix étudiées, bien dans l'ambiance un peu délétère d'une famille traditionnelle composée de membres qui ne se ressemblent pas forcément et qui ont entre eux d'inévitables désaccords et rivalités. Les différences sociales et familiales sont bien marquées ce qui fait de cette œuvre une satire fort pertinente.
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Quand Dieu apprenait le dessin
- Par hervegautier
- Le 17/11/2018
- Dans Patrick Rambaud
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La Feuille Volante n° 1282
Quand Dieu apprenait le dessin - Patrick Rambaud – Bernard Grasset.
Au Moyen-Age, Venise est déjà une puissance maritime, commerciale et politique qui s'affirme face au pape et à l'empereur d'Occident. Pourtant le duché est gouverné par Justinien, un doge vieillissant dont la vie est menacée. Il lui faut donc affirmer sa puissance par le rapatriement de la momie de l'évangéliste Saint Marc qui aurait jadis séjourné sur la lagune avant de terminer ses jours comme évêque d'Alexandrie où il est enterré. Mais Alexandrie est aux mains des Ottomans et selon la légende, le doge charge de cette mission deux marchands vénitiens rusés, voyageurs aguerris et tribuns, c'est à dire proches du doge, Rustico da Torcello et Buono da Malamocco qui s'en acquitteront avec succès et d'une manière rocambolesque, face à un Islam tout puissant qui menaçait la dépouille de profanation. Ils n'en tireront cependant aucune gloire et on oubliera jusqu'à leur nom .
Avec ce texte, l'auteur nous transporte dans un temps où les cités médiévales dominées par le pouvoir de l’Église, tiraient leur prestige de la possession de saintes reliques et Venise n'échappait pas à cette tradition, ne serait-ce que pour concurrencer Rome et le tombeau de Saint Pierre. Peu importe d'ailleurs l’authenticité de ces restes qui, à cette époque, faisaient l'objet non seulement d'une vénération un peu surréaliste mais surtout d'un négoce florissant. Nous sommes dans un Moyen-Age boursouflé d'obscurantisme et de superstition , gouverné par des prélats et des prêtres ignares, manipulateurs et dogmatiques qui ne juraient que par un dieu lointain, oublieux du message de l’Évangile dont ils étaient pourtant porteurs et exécutaient leurs semblables au moyen de ridicules ordalies. On se prosternait devant n'importe quoi pourvu que cela soit censé avoir appartenu à un saint ou mieux au Christ lui-même. Quant aux miracles qui leur sont attribués l’imagination était sans borne. Il n'y a que la foi qui sauve !
Si la dépouille du saint apôtre était effectivement en pays musulman, elle était entre les mains de l'église copte, donc concurrente des catholiques. Pour légitimer ce voyage on a un peu maquillé la réalité, les communautés chrétienne et musulmane vivant en bonne intelligence, ce qui est peut-être un signe de tolérance mais assurément la marque d'un autre monde, une autre culture où le commerce fait aussi sa loi avec palabres et profits, esclaves contre denrées. Pourtant, les religieux locaux s'avèrent tout aussi vénales que leurs collègues occidentaux, tout aussi hypocrites aussi, les miracles supposés ainsi que les dons des pèlerins étant une ressource importante de cette communauté..
Il y a une dimension épique dans ce récit qui prête vie à ces marchands intrépides, rusés et avides d'argent qui parcouraient l'Europe et l'Asie pour faire fortune en risquant leur vie. Sur des routes peu sûres du nord ils croisaient des brigands, des loups, des moines paillards et des religieuses lubriques protégés par la religion, l'hypocrisie et leur robe de bure. L'auteur s'approprie avec bonheur cette légende, adjoint à Rustico les services de Thodoalt, un aventurier pragmatique et instruit, un peu moine un peu médecin devenu son mentor. C'est l'occasion pour l'auteur de promener son lecteur dans cette cité médiévale vénète, d'en retracer l'histoire difficile et mouvementée, un duché florissant où le commerce prend la place des combats et où la paix doit être préservée parce qu'elle favorise le négoce quand tant d'autres villes s’appauvrissent dans la guerre.
Le dépaysement dans le temps comme dans l'espace est prenant dans cette fiction. L'auteur,balade son lecteur des brumes du nord de l'Europe à la touffeur d'Alexandrie en passant par les canaux humides de Venise. Par son style et la façon ironique et originale qu'il a de conter cette histoire autant que par la qualité et la précision de sa documentation historique et anecdotique, il fait revivre une époque méconnue et un peu oubliée, s'approprie l 'attention de son lecteur jusqu'à la fin et instille des remarques pertinentes sur les religions, l'hypocrisie, la superstition, les interdits, les batailles et les morts qu'elles suscitent.
J'ai lu ce roman avec délectation, pratiquement sans désemparer, et j'ai particulièrement apprécié la dédicace, notamment à tous ces anonymes vénitiens contemporains
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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La bataille
- Par hervegautier
- Le 17/11/2018
- Dans Patrick Rambaud
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La Feuille Volante n° 1292
La bataille – Patrick Rambaud – Grasset. Prix Goncourt 1997 – Grand prix de l’Académie Française.
Ce roman historique, Balzac en avait rêvé sans pour autant en venir à bout.
Nul n'est resté indifférent au personnage de Napoléon, son génie de militaire et d'organisateur, son charisme, l'admiration qu'il inspirait à ses soldats, ses ambitions bien souvent contestables, ses failles… Il a certes été un excellent stratège, ce qui lui valut un destin hors du commun, mais son étoile guerrière n'a pas pâlit seulement à Waterloo. Nous sommes en mai 1809 dans la banlieue de Vienne, à Essling et l'armée de l'Empereur est face aux Autrichiens. Si ça n'a pas une défaite pour Napoléon, ça n'a pas été une victoire non plus, avec de lourdes pertes françaises, dont la mort du maréchal Lannes, et les désertions et les suicides dans son armée autant que les troubles en France annoncent déjà la fin de l'Empire.
Patrick Rambaud nous donne à voir, avec force détails le quotidien de cette armée en campagne, les vols, les viols, les pillages, la mort qui rode et les doutes qui commencent à pointer sous l'apparente excitation des combats et la gloire militaire de la Grande Armée. Il nous révèle les mouvements de troupes, les actes de bravoures des maréchaux combattant à la tête de leurs hommes dans des engagements meurtriers, les détails techniques des uniformes et des armes dans les deux camps, ce qui témoigne du côté documentaire de cet ouvrage. Son roman est plein du fracas des préparatifs de cet affrontement, du bruit des sabres et des charges meurtrières, du fracas des canonnades, du hennissements des chevaux qui, vivants participent aux combats et morts servent à améliorer le maigre ordinaire de la troupe, des charges des maréchaux aux uniformes brodés d'or et les soldats souvent en guenilles, de la mitraille, de la faim qui assaille les hommes, de la construction des fragiles ponts de bateaux face à la crue du Danube et des coups de boutoir des Autrichiens, des morts, officiers ou simples soldats, des amputations des blessés, une bataille de deux jours et de deux nuits...La troupe est toujours fidèle à l'Empereur, mais on sent néanmoins que la lassitude gagne les soldats et les officiers qui en ont assez le guerroyer loin de chez eux. Napoléon au contraire, confiant en sa bonne étoile, est toujours aussi autoritaire. Pourtant il ne s'est jamais vraiment relevé du désastre récent de la guerre d'Espagne. Il est certes toujours un fin stratège et un manœuvrier visionnaire au cœur même des combats mais l'auteur nous le révèle colérique, injuste pour ses hommes de qui il n'attendait qu'une obéissance servile, n'hésitant pas à opposer les maréchaux entre eux pour mieux les dominer, gourmand de parmesan, quelque peu négligé parfois et aussi superstitieux. Il nous laisse même deviner le son de sa voix à travers des expressions puisées dans un dialecte italo-corse. Charles Meynier aura beau peindre quelques années plus tard un Empereur vainqueur au milieu de ses soldats blessés, on sent déjà une ambiance de fin de règne dont ce roman témoigne. Même la victoire de Wagram quelques semaines plus tard aura un goût amer
Au cours de ce roman le lecteur rencontrera Henry Beyle, pourvoyeur de vivres pour l'armée qui ne s'appelle pas encore Stendhal et le compositeur Haydn ; Comme nous sommes dans un roman, il y a un côté romantique : des hommes sont engagés dans la guerre et peuvent mourir à tout moment mais gardent une pensée pour une femme restée loin d'eux. Ce sont de simples soldats, des paysans arrachés à la terre par la conscription mais qui songent à revenir chez eux pour les moissons et regrettent leur pays. Il y a des rivalités d'amoureux d'autant plus dérisoires que la mort rôde…
C'est un ouvrage fort agréable à lire, écrit dans un style fluide.
Il y a certes un petit croquis indiquant sommairement les lieux de cette bataille mais il me semble que, s'agissant d'un texte traitant de cet engagement important pour l'Empire, une carte plus détaillée aurait sans doute été préférable.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le bruit du monde
- Par hervegautier
- Le 16/11/2018
- Dans Stéphanie Chaillou
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La Feuille Volante n° 1293
Le bruit du monde – Stéphanie Chaillou – Éditions Notab/lia .
Tout au long de ce court roman, j'ai entendu la voix chaude de Jean Ferrat murmurer que « nul ne guérit de son enfance » et c'est un peu l'histoire de Marie-Hélène Coulanges, dite Marilène, née dans une famille pauvre de la France profonde, rurale et catholique et confrontée très tôt à la faillite de l'entreprise familiale et à un état de gêne chronique que ses parents combattent comme ils le peuvent. Par chance, et contrairement à ses frère et sœur promis à l'apprentissage, elle a la passion de la littérature et des facilités qui la destinent à de hautes fonctions. Boursière elle s'inscrit dans une classe préparatoire à une grande école et on imagine le boulevard qui s'offre à elle, la réussite, la revanche sur son enfance pauvre coincée entre une mère abusive et névrosée et un père transparent, on songe à la méritocratie, à la réussite grâce à l'éducation, à l'égalité des chances, à l'ascenseur social de la République dont on nous parle tant depuis tant d'années...Pourtant, sans qu'elle sache exactement pourquoi, elle renonce à cet avenir brillant, à cette promotion, à cette vengeance aussi, choisit de se souvenir d'où elle vient, et, ne se sentant pas à sa place dans ce monde nouveau des élites où, pense-t-elle, elle n'a pas sa place, elle abandonne tout. Il en résulte un mal-être qui lui fait détester le monde entier autour d'elle. Interloqués, ses parents qui sont fiers d'elle, cherchent à comprendre mais elle ne parvient même pas à formaliser avec des mots son refus de la réalité, à se confier à quelqu'un et la solitude qui résulte de cet état génère une souffrance intime. Elle tente bien un sursaut pour s'intégrer dans cette vie, pour faire comme toute le monde. Elle se marie mais divorce peu d'années après, malgré toutes les attentions amoureuses de son époux, devient institutrice alors qu'elle n'aime ni les enfants ni même enseigner. Là aussi c'est l'échec et elle abandonne une carrière qui aurait occupé sa vie et l'aurait mené vers la retraite. La mécréante qu'elle est prie même et attend sans trop savoir quoi, espérant sans doute qu'un miracle la sortira de là, oubliant simplement que la justice immanente n'existe pas. Elle a constamment à l'esprit l'image de ce hameau pauvre de son enfance et du Christ en croix à un carrefour, comme deux visions à la fois contradictoires et obsédantes. Puis c'est l'exil volontaire dans le sud-Ouest de la France, peut-être à cause de l'accent et de la douceur de vivre et c'est là qu'elle trouve un semblant d'équilibre à sa solitude, grâce à l'écriture.
Le livre refermé et bien que cet ouvrage porte la mention « Roman », je me suis demandé si c'en était effectivement un. Moi j'ai lu le témoignage de quelqu'un mal dans sa peau, qui n'a pas sa place en ce monde et le sait et je me suis dit que nous sommes nombreux à avoir espéré quelque chose de notre vie, d'y avoir cru au point de prendre nos espérances pour des promesses, de les avoir artificiellement entretenues et bien entendu, à la fin du parcours, de nous être aperçu que tout cela n'est que du vent. On peut toujours se culpabiliser, accuser la malchance, le hasard ou les autres, le bonheur dont on nous rabâche qu'il est dû à chaque être humain, est rarement au rendez-vous.
Une autre idée m'est venue, celle du refus de l'avenir au nom de la peur de n'être pas à la hauteur d'une tâche juchée impossible à accomplir simplement parce qu'on y est pas à sa place, qu'on a peur de n'être pas à la hauteur. On peut toujours nous dire que c'est un défi et qu'on se doit de relever. Il ne manquera jamais de gens pour le faire, surtout maintenant où on ne parle que de réussite et ils jetteront un anathème d'autant plus facilement que cet aspect des choses leur échappe.
Le livre se termine sur la solution trouvée qui consiste à mettre « des mots sur ses maux », à formaliser ses craintes, à expliquer ses doutes, ses renoncements. Pourquoi pas ? Mais je ne suis pas sûr que l'écriture soit vraiment une libération à ce point salvatrice, qu'il suffise de tracer des mots sur une feuille blanche pour être libérer d'un mal de vivre qui vous suivra toute votre vie. Que la souffrance soit un extraordinaire moteur de la création artistique, c'est indéniable, mais qu'un apaisement s'en suive et avec lui une amélioration durable, j'en suis maintenant beaucoup moins sûr. Le malaise ressenti et exprimé, me semble lui coller à sa peau comme une ombre. A ce destin implacable on pourra toujours opposer la liberté individuelle mais Marilène a le sentiment que, quoiqu'elle fasse, la partie est perdue d'avance pour elle. Elle est comme prédestinée au malheur, au mal-être, maintenue dans une vie qu'elle n'a pas voulue, qu'elle ne supporte plus, où elle est perdue et qui est pour elle vide et inutile.Je ne suis pas bien sûr non plus que les parents de Marilène apprécient son choix d'écrire ainsi sa vie où forcément ils vont figurer, pas forcément à leur avantage, mais c'est un autre sujet.
J'avoue avoir été été étonné par ce livre, autant par le sujet traité que par le style volontairement dépouillé et sec de l'auteure. Ma lecture a été attentive et curieuse et même si je ne partage pas l'épilogue que j'imaginais différent il constitue un bon sujet de réflexion.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Elsa mon amour
- Par hervegautier
- Le 11/11/2018
- Dans Simoneta GREGGIO.
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La Feuille Volante n° 1290
Elsa mon amour – Simonetta Greggio – Flammarion.
Elsa Morante (1912-1985), écrivain (et non pas écrivaine) de grand talent, de nos jours injustement oubliée, a été l'épouse, à partir de 1941 et durant toute sa vie d'Alberto Moravia (1907-1990) également écrivain et ce malgré leur séparation et ses nombreuses maîtresses. Elle l'a suivi dans son exil provoqué en 1943 et 1944 par le fascisme. Ce roman est l'histoire de la vie d'Elsa, mais pas vraiment une biographie au sens habituel malgré les nombreux biographèmes égrenés dans ce livre, mais plutôt un récit où le rêve, l'illusion prennent un peu, l'espace d'un instant, la place du réel, en modifie les apparences. Cela donne un récit acerbe et un peu désabusé et Simonetta Greggio précise elle-même qu'il s'agit d'une fiction où elle se glisse dans la peau d'une Elsa qui prend la parole en refaisant le chemin à l'envers. Elle n'échappe pas à la règle commune à chacun d'entre nous qui, parce que notre vie ne ressemble pas à ce dont nous avions rêvé, à ce que nous avons cru qu'elle nous réservait au point de l'ériger en promesses, se laisse aller à son désarroi et la repeint en couleurs vives, mais ce badigeon s'écaille au fils du temps. Nous avons beau rejouer cette comédie en faisant semblant d'y croire, de nous réfugier dans la beauté, la perfection ou l'imaginaire, nous dire que tout peut arriver, au bout du compte il nous reste les regrets, les remords, la culpabilité peut-être de n'avoir pas fait ce qu'il fallait ou nous incriminons la malchance... Ainsi, sous la plume de l'auteure de « La douceur des hommes », Elsa Morante fait, dans un texte rédigé à la première personne, directement au lecteur la confidence de sa vie, de son parcours, jusqu'aux détails les plus intimes. Avant de rencontrer Moravia, elle avait connu des ruptures avec sa famille, des années de galère financière, n'était qu'un écrivain en devenir, avec pour soutien des amours de passage et surtout cette envie d'écrire qui sera sa passion toute sa vie, qui sera sans doute comme un exorcisme à ses illusions, à ses peines, à son absence de bonheur et d'amour. Quand elle croise Moravia, ils sont à peu près du même âge et lui est déjà couronné par la succès de ses romans. En outre ce qui les rapproche est sans doute leur demi-judéité commune et sûrement aussi le désir (« Nous avons cela en commun, Moravia et moi. Nous ne lambinons pas avec le désir ». Ce fut peut-être de sa part à elle, un amour sincère mais elle nos confie qu'Alberto était à la fois « passionnel et infidèle, indéchiffrable » à la fois amoureux fou de ses conquêtes de passage et homosexuel non assumé. Elle qui n'avait pas connu le bonheur avec ses parents n'aura pas non plus un mariage heureux mais, malgré leur séparation, refusera le divorce, par principe (elle était l'épouse d'Alberto Moravia et le restera) ou pour des raisons religieuses. Ainsi l'histoire de cette longue liaison (49 ans), consacrée par le mariage ne fut pas un long chemin tranquille avec au début la fuite à cause des rafles de juifs, la peur d'être dénoncé et d'être déporté et plus tard, la paix revenue, un quotidien houleux où elle a été malheureuse de trop vouloir être aimée et d'avoir gauchement tout fait pour être détestée. La symbolique de la pluie, l'univers énigmatique des chats accompagnent cette ambiance un peu délétère tissée par l'indifférence de son mari devenu aussi un rival, l'abandon, la fuite ou la mort de ses amants successifs.
Nous ne sommes qu’usufruitiers de cette vie qui nous est confiée avec la mission non écrite et quelque peu hasardeuse d'en faire quelque chose. La sienne Elsa l'a dédiée à l'écriture, à l'amour par passion, à la patience, à la souffrance aussi, sans pour autant l'avoir voulue,mais qui est, elle aussi, un élan vers les mots. C'est avec ces mêmes mots qu'elle parle des maîtresses de son mari, de son inconstance mais aussi de la période noire de Mussolini qui endeuilla l'Italie. Elle ne résiste pas non plus à nous confier des anecdotes sur ses contemporains plus ou moins liés au fascisme, à la mafia, à la culture, peut-être pour tromper son ennui et surtout sa solitude. Elle les meublera en tombant à son tour amoureuse d'autres hommes, parfois des homosexuels mais reviendra toujours vers Moravia et surtout vers l'écriture. Elle devint un écrivain majeur de la littérature italienne..
Il y a des détails biographiques très précis, des citations qui témoignent d'un travail de documentation très poussé, des envolées poétiques émouvantes et même envoûtantes, le tout ressemblant à un tableau composé par petites touches d'où la personnalité et la sensibilité de Simonetta Greggio ne sont sans doute pas absentes. Parfois j'ai même eu l'impression que, derrière Elsa qui est censée s'exprimer à la première personne, c'est carrément elle qui parle au cours de ce bel hommage.
J'apprécie depuis longtemps l'écriture de Simonetta Greggio, sa sensibilité littéraire, ses choix et la qualité de ses romans, mais aussi sans doute parce que elle, Italienne, choisit d'écrire directement en français, ce que je prends comme un hommage à notre si belle langue.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Cette nuit
- Par hervegautier
- Le 09/11/2018
- Dans Joachim Schnerf
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La Feuille Volante n° 1291
Cette nuit – Joachim Schnerf - Zulma.
La nuit dont il va être question n'est pas n'importe laquelle. C'est celle de Seder de Pessa'h qui, dans le rituel hébraïque, commémore la fuite d’Égypte, c'est à dire le retour à la liberté pour le peuple juif après des années d’esclavage. Cette cérémonie a lieu au cours d'un repas familial le soir où les mets sont chargés de symboles et dont le déroulement répond à une codification précise avec ablutions, bénédictions psaumes et lectures. C'est un moment consacré à la fête, au souvenir, à l'espoir aussi. L'auteur détaille toutes ces phases pour les non initiés.
Ce n'est pas non plus n'importe quelle nuit puisque c'est le premier Seder que Salomon, le narrateur, célèbre sans Sarah, l'amour de sa vie, morte quelques mois plus tôt. Il la revoit pourtant toujours à ses côtés. C'est l'occasion de réunir toute la famille, ses deux filles Michelle et Denise, leur mari respectif Patrick et Pinhas, ses petits enfants, Samuel et Tania et d'autres membres de la parentèle. Tout le récit est baigné par le souvenir de Sarah, de leur vie commune, mais aussi de la Shoah, des rafles, de la vie dans les camps à laquelle il a survécu ... En plus de la liturgie on évoque les absents, on moque gentiment les présents, on s'amuse avec les petits-enfants, on plaisante parfois comme s'est son cas, usant d'un humour particulier aux juifs, comme lors de tous les repas dans les familles traditionnelles. Les personnalités s'affrontent aussi et pour Salomon les analepses se bousculent dans sa tête et avec eux le souvenir obsessionnel de son épouse On ne coupe pas non plus à l'éternel opposition entre les Séfarades et les Ashkénazes, aux vieilles histoires et querelles, aux questions des plus jeunes sur Israël, sur Dieu, sur le peuple juif… Salomon doit jouer les pères de famille et maître de cérémonie malgré les souvenirs personnels douloureux qui l'assaillent et bien que les circonstances ne s'y prêtent pas, aborde la délicate question de l'héritage et de la maison qu'ils vont acheter et qui sera celle de toute la famille. La querelle des générations est elle aussi inévitable, l'Europe s'est faite et avec elle la réconciliation franco-allemande à laquelle les petits-enfants sont plus sensibles, malgrè le ressentiment des adultes à propos des nazis…
Ce que je retiens, moi qui ait toujours cru que les êtres faits l'un pour l'autre n'existent pas, c'est l'amour de Salomon pour Sarah et je choisis de croire qu'il est sincère, qu'il perdure par delà la mort quand bien des couples se promettent fidélité pour la vie, se séparent quelques années après et chacun recommence avec un autre partenaire en faisant semblant de croire que cette fois c'est la bonne et que cela durera toujours. Entre eux c'est un amour qui n'a plus besoin de la dimension physique du corps. Il ne remplacera jamais Sarah. Nous sommes dans un roman et donc dans une fiction et que l'auteur choisisse de donner à ce récit une dimension sacrée en l'évoquant à propos d'une fête religieuse ne change rien. A la fin du livre, c'est un peu comme si Salomon devenait fou, comme si le fantôme de Sarah devenait tellement présent que lui-même n'existait plus, un peu comme si, d'avoir ainsi remonter le temps vécu en commun lui avait donné le vertige, comme si la vie sans cette femme était effectivement impossible pour lui. Il sent que la mort le guette parce que la solitude lui semble soudain insupportable et que ce premier Seder depuis la disparition de Sarah sera pour lui le dernier . Il prend conscience qu'il est à la fois un veuf et un vieillard et que la camarde le guette du coin de l’œil. Cette cérémonie terminée, la nuit s'annonce et avec elle le sommeil, antichambre de la mort et toutes ses plaisanteries sur la Shoah n'y feront rien, comme deviennent prégnantes les souffrances que les nazis infligeaient aux juifs dans les camps, il perd son souffle comme ses congénères étouffaient dans les chambres à gaz et les crématoires. Le Seder évoque le voyage des Hébreux fuyant l’Égypte vers la Terre Promise et c'est pour lui la fin de son parcours terrestre.
Même si je ne suis pas familier des coutumes traditionnelles juives, détaillées ici dans leurs significations et leurs procédures, si je ne partage pas le message de ce livre, pour peu que je l'aie compris, je dois reconnaître son côté émouvant.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Un petit boulot
- Par hervegautier
- Le 06/11/2018
- Dans Iain Levison
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La Feuille Volante n° 1289
Un petit boulot – Iain Levinson – Liana Levi.
Traduit de l’américain par Franchita Gonzalez Battle.
Nous sommes dans l'Amérique profonde, une petite ville qui vient de perdre son unique usine qui donnait du travail à la plupart des habitants. Pour compléter le décor, c'est l'hiver et le froid est rude. Jack est de ces chômeurs qui, bien entendu, a tout perdu en plus de son travail, même sa petite amie. Il ne survit que grâce à son allocation chômage et la bière dont il fait une consommation exagérée, mais bien des dettes restent impayées. Pour y faire face et ne pas perdre l'estime de lui-même, il est prêt à accepter n'importe quel boulot et Ken, un dealer et un bookmaker à qui il doit de l'argent lui propose de tuer son épouse qui le trompe. Lui qui jusqu'à présent était quelqu'un de bien, accepte et devient donc tueur à gages ! Non seulement d'autres contrats s'ajoutent au premier mais sa nouvelle fonction l'aide à régler ses comptes personnels. Il tue d'ailleurs avec une étonnante facilité pour quelqu'un qui n'a pas à priori l'usage ordinaire des armes, apprend vite les ficelles et devient même inquiétant pour son patron qui a suscité cette nouvelle activité. Il n'est quand même pas aussi buté qu'un porte-flingue ordinaire puisqu'il se fait engager dans une station-service pour un salaire de misère de manière à avoir ainsi une couverture. On a beau être aux États-Unis, tous ces morts dans une petite ville dépeuplée, ça commence à faire beaucoup et la police va s'intéresser à lui et à ses relations avec Ken. La situation d'homme de main suppose la solitude et l'absence de femmes commence à lui peser et c'est précisément au commissariat où il est convoqué qu'il va en croiser une. C'est une sorte de paradoxe pour lui, mais elle lui fait vraiment beaucoup d'effet ! Et puis si les flics ont de graves soupçons à son sujet, ils n'ont aucune preuve contre lui. L'air de rien, Levinson transforme ce roman en véritable triller, entretenant jusqu'au bout le suspense à propos de Jack devenu bizarrement sympathique et de ses aventures un peu rocambolesques.
Son nouveau métier qui pourtant lui rapporte de l'argent commence-t-il, à la longue à secouer son sens de la moralité, il rêve de racheter la station-service qui l'emploie et fait des projets d'association parfaitement légale avec un autre salarié de l'entreprise. La chance lui sourira quand même dans une fin assez inattendue pour un assassin !
L'auteur nous brosse un portrait bien peu flatteur de ce pays, de son mode de vie qu'on associe au « rêve américain » ce qui reste encore pour le vieux continent un parangon. Il le fait sur un mode mi- humoristique mi-sérieux et dénonce les travers d'un système économique où l'être humain ne compte guère, qu'il soit un simple salarié qu'un petit chef pointilleux a décidé de licencier, parfois pour une broutille, ou qu'il soit l'objet d'un contrat mafieux. La déshumanisation est la constante de ce contexte.
J'ai découvert avec plaisir l’œuvre de Iain Levison un peu par hasard à la lecture de « Tribulations d'un précaire » (La Feuille Volante n° 1287) et je me suis demandé si, au nom de notre appétit de modèles, surtout quand ils sont mauvais, nous ne serions pas nous aussi en train de copier nos amis Américains dans ce qu'ils ont de plus déshumanisé. Certes tous les licenciés ne deviennent pas tueurs à la solde d'un caïd, mais la nécessaire reconversion, y compris en traversant simplement la rue, peut amener à des situations surréalistes. Jack devient vraiment compétent dans son nouveau métier et la police est soit malchanceuse soit vraiment pas très curieuse. Les circonstances de ces différents meurtres semblent être à ce point détachées de la réalité que s'en est un peu suspect. Je ne suis pas fan des épilogues tragiques, mais celui-ci, je le trouve vraiment idyllique.
Ce roman a été adapté à l'écran en 2016 avec Romain Duris et Michel Blanc.
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le paquet
- Par hervegautier
- Le 03/11/2018
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n° 1288
Le paquet - Philippe Claudel - Stock .
Il est bizarre cet homme, on dirait une sorte de SDF. Nous le voyons assis sur un banc public, traînant derrière lui un lourd paquet, aussi gros que lui et tout au long de cette pièce en un acte et le spectateur-lecteur pourra toujours fantasmer sur son contenu au rythme des marques d'intérêt qu'il lui témoignera. Sur la scène où il est seul, il se laisse aller à la philosophie, mais à celle des halls de gare ou de comptoirs de bistrot, dans ces endroits où l'on refait le monde sans que quiconque ne vous ait demandé quelque chose. Bien sûr il va nous parler de ses amis, de ses voisins, de sa femme aujourd'hui décédée, de ses souvenirs de jeunesse, s'adonne volontiers au début, à sa passion pour l'alexandrin qui, à l'entendre, est naturelle chez lui bien que cette figure de style ne réapparaisse pas au cours de son intervention. Il se met à disserter, passant volontiers du coq à l'âne, sur l'amour, les slogans publicitaires, son psychiatre, le service militaire, le déclin de la France, la mort ...C'est un peu comme s'il vidait son sac, une ultime fois avant le grand saut. Le regard qu'il porte sur la société dans laquelle il vit donne lieu à des remarques pleines de bon sens et qu'il serait bon de méditer. Par exemple « L'imbécile donne de l'espoir. C'est sa mission sur terre. C'est d'ailleurs pour cela que dans les pays progressistes et démocrates nous en élisons un à la tête de l’État. ». On ne saurais être plus précis ! Pourtant, au fur et à mesure on voit bien qu'il est victime de tous les malheurs du monde. On ne sait vraiment pas trop qui il est, entre un modeste employé de banque ou un homme d'affaires important. On se perd autant dans ses confidences que dans ses remarques sur la société présentée alternativement comme dangereusement consumériste et menacée par la mondialisation. Pour s’exprimer, il choisit tour à tour le sérieux et l'humour et cela finit par ressembler à une sorte de délire verbal à la fois incohérent et décousu, et nous ne savons pas trop s'il faut en rire ou en pleurer !
Il s'agit d'un monologue, pire peut-être d'un soliloque pendant lequel il prend les spectateurs à témoin, leur parle du loto, de recettes de cuisine, des progrès techniques et de lui bien entendu et de ses malheurs et de ses failles. Finalement, il change de ton, abandonne son humeur un peu badine du début pour se concentrer sur une phrase tronquée, lue sur la vitre du métro parisien « Chacun mérite ce qu'il a, le riche sa fortune, le pauvre son... » . Cette interrogation va se transformer en un quête éperdue et définitivement vaine et se terminer par une sorte de confession un peu surréaliste. Cette pièce écrite et mise en scène par l'auteur a été créée en janvier 2010 au Petit Théâtre de Paris et interprétée par Gérard Jugnot.
J'aime bien Philippe Claudel quand il choisit d'écrire un roman où le dépaysement et la poésie sont au rendez-vous. Je l'ai assez dit au fil de cette chronique. Là j'avoue que j'ai un peu décroché, peut-être pas compris grand-chose et je suis peut-être passé à côté d'un chef-d’œuvre, à part que cet homme est bien seul, entre vide et angoisse, à l'image de nombre de nos contemporains et peut-être de nous-même. Le monologue qu'il mène souligne ce trait (Je note aussi que l’écriture est aussi une forme de soliloque) qui est à la fois une réalité et un lieu commun dans notre société. C'est évidemment bien écrit, mais d'une manière plus quelconque et ordinaire qu'à l'accoutumée mais je m'attendais à autre chose et, le livre refermé, je suis partagé et je dois bien avouer que, n'ayant pas retrouvé ici l'auteur que j'aime lire, je suis un peu déçu..
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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la douceur des hommes
- Par hervegautier
- Le 03/11/2018
- Dans Simoneta GREGGIO.
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La Feuille Volante n° 1262
La douceur des hommes – Simonetta Greggio – Stock.
Constance, jeune femme trentenaire narre l'enterrement de Fosca, une vielle dame de 87 ans rencontrée par hasard à Venise. Par un effet d'analepse Constance se souvient de cette rencontre et d'un voyage en Italie qui a suivi où Fosca, une épicurienne devenue un peu sa grand-mère de substitution a abondamment parlé d'elle, de sa vie, de ses amants...Elle a péroré sur l'amour, sur le mariage qui ne tient pas ses promesses et enfante souvent du malheur contrairement aux apparences ou précipite dans les amours de contrebande, sur la souffrance qui n'est pas rédemptrice contrairement à ce qu'on nous a affirmé avec force dans les confessionnaux, sur le désir… Constance prend parfois le relais et parle de ses pérégrinations souvent solitaires autour du monde, se pose des questions sur elle-même, sur son parcours, ses aventures amoureuses, face à cette vieille femme qui semble plus jeune qu'elle mais qui veut lui communiquer son message comme elle le ferait à une parente, à un amie chère, avant de mourir. Elle lui parle avec tendresse des hommes qu'elle a aimés mais cette plongée dans le passé a pour Fosca des accents de testament, ce voyage en Italie, des relents de dernière séance et pour le lecteur, cette profusion de mots transalpins et chantants est une invitation au voyage, au dépaysement. Cette immersion intemporelle s'accompagne de photos en noir et blancs, aux bords dentelés, avec des annotations au dos, une date, un nom, un lieu pour réveiller la mémoire et derrière les sourires, une histoire, des lettres reçues, témoins de passions, d'amertumes ou de regrets, un journal intime aux pages jaunies qui gardent la trace secrète des émotions et des remords…
J'ai lu ce roman avec curiosité et attention, Le titre était engageant, je n'ai pas souvent entendu des auteures parler ainsi de la douceur des hommes, mais, le livre refermé je ne l'ai pas vraiment ressentie tout au long de cette lecture. Fosca a peut-être tendrement aimé ces hommes mais ceux qui sont passés dans sa vie semblent l'avoir fait rapidement, en y laissant seulement une trace comme l'empreinte d'un pied dans le sable, vite effacée par la vague et sa mémoire en a conservé un souvenir à la fois fort et fragile. Quant à ceux que Constance évoque, c'est la même chose, la même marque furtive, vite envolée ! Il faut dire que le sujet s'y prête, les relations entre les hommes et les femmes, leurs liaisons amoureuses sont des sujets récurrents et largement traditionnels dans les romans. Le mariage , tenté deux fois par Fosca, qu'on nous présente comme un point de passage obligé dans la vie de chacun d'entre nous, au nom de la perpétuation de la race et de l'enrichissement du pays, en nous faisans croire que le bonheur passe par lui, est un leurre. Cette certitude initiale, si souvent répétée au point qu'elle est ancrée en nous, a pourtant des accents d'hypocrisie et d'échec, même si nous trouvons toujours de petits arrangement pour la faire perdurer. Quant à l'amour qui en principe préside à tout cela, il n'est lui aussi qu'une illusion fugace, qu'une image virtuelle dont les traits se dissipent rapidement sous les coups de la réalité. Il ne se conjugue pas avec « toujours », même si on le voudrait bien et souvent c'est la solitude qui prévaut parce qu'avant, ou à la place, il y a eu des attentes, des atermoiements, des faux-pas, des renoncements des trahisons et bien sûr des larmes . Elle est l'antichambre de cette mort qui nous attend tous parce que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie, même si nous voulons toute notre vie l'oublier.
Simonetta Greggio n'est pas une inconnue pour cette chronique où son talent d'écrivain a déjà été apprécié. J'ai retrouvé, dans ce qui est son premier roman (paru en 2005), avec plaisir son style fluide et agréable à lire, avec des accents poétiques émouvants et une somme d'aphorismes bien sentis et pertinents.
© Hervé Gautier – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Tribulations d'un précaire
- Par hervegautier
- Le 02/11/2018
- Dans Iain Levison
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La Feuille Volante n° 1287
Tribulations d'un précaire - Iain Levinson – Liana Levi.
Traduit de l'américain par Franchita Gonzales BatlLe .
La recherche d'un travail a toujours été vital pour l'homme, c'est même un droit humain fondamental parce qu'avec un emploi stable on peut envisager de construire quelque chose, une vie, une famille.. mais actuellement cela ne court pas les rues. Pourtant, à. en croire certains, il suffirait de traverser tout simplement la rue pour en trouver un ! Pourtant, si on considère le nombre de chômeurs qui ne cesse d'augmenter, on pourrait légitimement croire que ce n'est pas aussi facile, ou alors nous manquons de rues ! Et puis à traverser la rues comme cela, constamment, on devient un « travailleur itinérant », tout comme le narrateur et ce n'est pas sa licence de Lettres, obtenue après une dépense de 40.000 dollars, qui peut lui procurer un emploi pérenne. Comme nous sommes à l'échelle des États-Unis, c'est carrément tout le pays qu'il traverse ! Alors , faute de mieux, il devient ce travailleur précaire à la recherche de petits boulots, en attendant mieux, même si ce « mieux » n'arrive jamais. Donc pas question pour lui de faire des projets, d’avoir une famille et une vie normale … Il reste célibataire et sa copine va voir ailleurs. Il devient, au hasard des petites annonces et surtout de la chance, vendeur dans une poissonnerie, marin-pêcheur en Alaska, électricien… Tous ces emplois furtifs lui donnent à voir le côté hypocrite de la société, les non-dits, la hiérarchie tatillonne et les règles non-écrites qui ont cours dans l'entreprise ainsi que des pratiques contestables de la part des collègues qui pourtant sont comme lui. Heureusement il est bricoleur, débrouillard et sait se rendre indispensable.. Pourtant, il vit dans le pays le plus riche du monde, celui du « rêve américain », qui pour le monde entier est une référence.
Parfois on le sent à l'aise dans ce contexte qui lui permet de changer d'employeur quand il le souhaite, au gré de ses envies ou de ses intérêts, Il ne manque pas de se poser des questions sur cette société américaine, se demandant si devenir mendiant ; c'est à dire marginal, ne serait pas la solution,tant la motivation, ce mot magique qui permet de vaincre toutes les difficultés et d'atteindre les sacro-saints objectifs fixés par d'autres, lui manque de plus en plus. En outre il finit par comprendre que les possibilités de carrière et les « postes à responsabilités » qu'on lui fait miroiter pour le décider, ne sont que des leurres. Dans ce contexte il en est réduit a effectuer des travaux les plus dangereux, les plus sales, donc les plus dévalorisants et évidemment les plus mal payés, ce qui n'encourage pas. De plus, sa position dans l'entreprise fait qu'il n'est pas en situation de se défendre quand il est victime d'injustices de la part de ses collègues ou de son employeur qu'il ne peut combattre efficacement. Quand il revient dans le monde quotidien, c'est à dire pour lui hors de l'exercice d'un de ces jobs, Internet, malgré les facilités qu'il offre, ne le convainc pas. Sa posture de travailleurs itinérant lui permet de poser sur le monde du travail un regard critique qui certes s'applique prioritairement au contexte des États-Unis et donne lieu à des poncifs bien sentis, mais a une portée universelle tant ce pays a toujours été pour nous une sorte de modèle. Ses remarques sont frappées au coin du sens commun et on le sent vraiment désabusé.
J'ai abordé l’œuvre de Iain Levison un peu par hasard notamment à la lecture de son roman « Pour services rendus » (La Feuille Volante n° 1279)où il dénonce le pouvoir politique et ses connotations coupables avec l'argent. Il me paraît être, cette fois encore et dans un autre registre, un observateur pertinent de la société américaine et ses remarques peuvent parfaitement être transposables dans la nôtre.
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Quelques-uns des cent regrets
- Par hervegautier
- Le 30/10/2018
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n° 1286
Quelques-uns des cent regrets- Philippe Claudel – Stock.
Le narrateur revient dans son village natal, après seize longues années d'absence, pour assister aux obsèques de sa mère. C'est évidemment pour lui l'occasion d'explorer les souvenirs de son enfance qui lui reviennent à la mémoire. Il revoit l'image de cette trop jeune fille qui avait déjà donné la vie avant même d'entrer dans l'âge adulte, qui avait, pour son fils unique, tressé l'histoire d'un impossible amour avec un aviateur de passage que la guerre lui avait enlevé mais dont la seule photo trônait dans sa chambre comme la marque de la fatalité mais aussi celle d'un bonheur trop tôt envolé. L'enfant avait vécut toute sa jeunesse dans cette absence à la fois héroïque et vide, le corps de ce combattant n'ayant jamais été retrouvé.
Au cours de ses déambulations dans le village, le narrateur revoit cette jeunesse passée auprès de cette mère célibataire qui travaille durement pour élever son enfant. Il revoit ses tribulations de jeunesse, ses années de dur apprentissage de la vie où il l'aidait gauchement à gagner leur pain en servant de factotum d'occasion aux commerçants ambulants les jours de marché. Ainsi apprit-il, bien souvent à ses dépens, à connaître l'espèce humaine capable du pire comme du meilleur mais bien souvent du pire et à se tricoter une philosophie pour la future existence qui l'attendait. Leurs visages, leurs manies, leurs boniments resurgissent aussi et cela donne lieu sous la plume de notre auteur à une galerie de portraits originaux qui n'a d'égal que la description savoureuse de quelques habitants de ce coin perdu, coincés entre un comptoir de bistrot et un banc public, à attendre eux aussi une mort qui tarde à se manifester. Et puis il est parti pour découvrir le monde, comme le font tous les enfants, abandonnant cette femme à la pauvreté, au travail ingrat, au mépris et à la condescendance des riches, à la solitude aussi
Pour suivre le cercueil il est bien seul et accomplit le dernier geste d'un fils qui n'a même pas pu voir sa mère vivante une dernière fois. Ses souvenirs à la fois amers et sucrés de cette enfance ne sont pas les seuls à se réveiller. Ils sont accompagnés de fantômes qui eux aussi s'agitent dans sa mémoire. Refaire ainsi le chemin à l'envers donne le vertige avec son cortège de fantasmes, d'espoirs déçus, de regrets et de remords. Il a certes abandonné cette femme et cette famille étriquée mais il a surtout fuit l'hypocrisie et les mensonges qui y régnaient. C'est que cette femme part avec un secret qui a, il y a bien longtemps, provoqué la fuite de cet adolescent. Il y a des vérités qu'on ne veut pas voir tant elles sont difficiles à admettre et les ombres de ce passé et leur nombreux non-dits s'offrent maintenant à lui mais il refuse de les affronter parce que, sans doute, il les connaît déjà. Il ressent maintenant avec plus d'acuité peut-être la honte d'avoir ainsi abandonné sa mère à qui il ne peut même plus demander pardon, autant qu'il prend conscience, face à tous ces morts , de tout ce que cette famille lui avait si longtemps caché. Ce qui n'est pas autre chose qu'une trahison face aux secrets et aux souffrances inavouables d'une famille engluée dans le silence met en lumière sa propre naïveté, sa crédulité innocente d'enfant qui maintenant découvre les choses dans leur triste réalité. Ravaler sa haine l'a sans doute aidé, tout au long de son existence, à supporter l'injustice, le silence et même un certain mépris, surtout quand ils viennent de nos proches !
C'est toujours un plaisir de lire Philippe Claudel, quel que soit par ailleurs le sujet traité ; Le texte, toujours poétique, est une invitation au rêve pour le lecteur et l'épilogue est à la dimension de ce roman émouvant. Notre auteur parvient même à instiller quelque humour dans cette question difficile tant le secret est commun à beaucoup de familles.
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le bruit des trousseaux
- Par hervegautier
- Le 28/10/2018
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n° 1285
Le bruit des trousseaux- Philippe Claudel – Stock.
Ce petit livre d'à peine cent pages, au petit format, n'est pas un roman, c'est une sorte de recueil de pensées, une compilation de de remarques, de moments, de réflexions autour du thème de la prison et de ceux qui la peuplent, détenus et gardiens, le bruit des trousseaux évoquant évidemment les clés qui accompagnent l'univers carcéral. Philippe Claudel nous dévoile ici un pan de sa vie d'ailleurs assez long, onze années pendant lesquelles il a fréquenté la maison d'arrêt de Nancy, non comme pensionnaire mais comme professeur professionnel, une fonction différente de visiteur de prison qui serait chargé de cours. Il a été le « Prof » , le « Maître » pour une foule de gens, souvent peu intéressés, souvent même analphabètes et pour qui la culture ne représente rien, qui ne venaient à ses cours que pour passer le temps, échapper au rituel et à l'inaction du quotidien et avoir, à travers son enseignement, un semblant d'évasion temporaire. Il a donc été cet être différent qui passait régulièrement les portes du pénitencier pour apporter son savoir, c'est à dire faire entrer la littérature à l'intérieur de l'univers carcéral pour préparer peut-être à une meilleure réinsertion. Ses mots à lui sont différents de ceux qui hantent ces lieux, gardiens, avocats, visiteurs, policiers, aumôniers ou assistants sociaux. Il fait figure d'extraterrestre, celui qui ne juge pas qui n'a pas d’à priori non plus, parle d'autre chose que de code pénal ou de cours d'Assises, même s'il est en présence d'exclus temporaires de la société. A lui les détenus parlent différemment et pour notre auteur, le dialogue qu'il peut avoir avec eux est d'une autre nature plus humaine, plus accessible peut-être. Pour lui, ceux qui viennent l'écouter sont ses élèves, qu'ils aient tué, violé, dealé ou braqué une banque. C'est un peu comme s'il faisait semblant de rien, comme si rien ne s'était passé pour eux, un peu comme on fait dans la vie courante !
De la fréquentation de ces lieux, il a retiré une foule d'images, d'odeurs, de postures, de refus, de fantasmes, d'illusions et d'espoirs. Il y a des visages, des morceaux de vies… Cela l'a remis en face de ses certitudes sur l'espèce humaine, lui a peut-être donné la vraie valeur de la liberté, celle de chaque jour, celle d'aller et venir que la société, dès lors qu'elle condamne au nom de la loi et de l'ordre public, refuse aux prisonniers. Bizarrement, et contrairement sans doute à ce qu'on pourrait penser vu de l'extérieur, l'évasion,réservée à quelques caïds de la pègre, reste un fantasme pour la plupart et ne nourrit que la fiction du cinéma ou du roman. Ce sont des visions fugaces qui mettent, l'espace d'un moment, l'accent sur l'aspect contradictoire, humoristique, tragique que la vie peut chaque jour lui apporter dans cet espace qui est un microcosme où les choses les plus banales prennent des proportions différentes, comme si les hauts murs d'une prison, le côté punitif et privatif de liberté modifiaient jusqu'au sens des mots, jusqu'à la signification des choses. Cependant il considère son écrit comme un « faux-témoignage » dans la mesure où il n'a pas passé une seule nuit en prison et donc n'a pas pris la vraie mesure de cette vie de reclus. Il ne voit d'ailleurs de la prison que ce qu'il entend de la part des détenus… et les murs délavés des couloirs qu'il traverse. Il dit d'ailleurs volontiers à qui veut l'entendre, non pas qu'il « sort de prison » quand il quitte l'établissement, ce qui pour le commun des mortels que nous sommes , implique procès, condamnation, emprisonnement, inscription au casier judiciaire… c'est à dire quelqu'un qu'on classe définitivement dans la catégorie des délinquants voire des criminels, mais « qu'il sort de la prison » ce qui pour lui est bien différent. Cette expérience a dû le marquer, être un moment particulier dans sa vie, parce que, dans ce livre, il parle peu de lui, ce qui chez un écrivain est assez rare, le solipsisme guettant toujours celui qui tient la plume
L'écriture est sobre et sans fioriture, les paragraphes courts comme des flashs sont agréables à lire et j'ai retrouvé avec plaisir ce style poétique qui pour moi correspond toujours à un bon moment de lecture.. Sans vouloir faire de parallèles toujours difficiles et réducteurs, cette lecture m'a rappelé les poèmes en prose de Léon-Georges Godeau, pas le Godot de Samuel Becket qu'on attend désespérément, mais le poète du quotidien et du Marais Poitevin. Quand j'ai pris ce petit livre sur les rayonnages d'une bibliothèque, je me suis dit que j'en aurais vite terminé. Et pourtant, au fur et à mesure de ma lecture, j'ai eu l'impression que je n'avançais pas, que la dernière page s'éloignait, que retardait le moment où j'allais refermer ce livre ! Le signe sans doute de l'intérêt que ce petit ouvrage a suscité.
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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casting sauvage
- Par hervegautier
- Le 27/10/2018
- Dans Hubert Haddad
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La Feuille Volante n° 1284
Casting sauvage - Hubert Haddad - Zulma.
Le personnage principal de ce roman est bien sûr une ville, et pas n'importe laquelle puisque Paris s'impose d'emblée, non comme le simple décor d'une fiction mais comme un acteur majeur, une sorte de metteur en scène qui imposerait aux comédiens d'un jour sa volonté, sa vision de cette comédie du quotidien avec ses coïncidences, ses rencontres, ses revirements de situations, ses joies secrètes. Ce n'est pas non plus cette « ville lumière » comme on se plaît encore à l'appeler puisque, hors mis les scènes filmées pour un improbable long métrage dont on ne sait finalement pas grand-chose à part qu'il est l'adaptation de «La douleur » de Marguerite Duras, ce roman nous donne à voir des scènes et des situations où le gris et la solitude dominent,.
Damya, une danseuse ratée, fragile, écorchée vive, mais pleine d'une beauté intérieure, parcourt cette ville à pied, un peu claudicante quand même à cause de son genou éclaté par la balle d'un terroriste qui a mitraillé la terrasse d'un café où elle se trouvait. Puis ce fut l'opération, la rééducation et l'envol de son avenir de ballerine incapable de danser comme une professionnelle. Elle traînera avec elle, comme une mauvaise ombre, ses rêves de réussite et de célébrité. On lui propose par hasard de recruter les figurants pour un film. Ils devront incarner les revenants des camps de concentration, c'est à dire être maigres, décharnés, perdus dans cette société dans laquelle ils reviennent... et avoir la tête rasée. Au cours de, ce « casting sauvage », elle n'a aucun mal à recruter des SDF qui tendent la main, des migrants sans papier, des étudiants pauvres, des chapardeurs, des drogués, des paumés, c'est à dire des gens comme elle, abandonnés.désabusés qui vivent comme ils le peuvent leur douleur intime et que les citoyens ordinaires fuient.. Elle porte comme un fardeau son passé, détricote ses souvenirs pas forcément beaux, son enfance étriquée, ses rêves brisés...Elle assistera même à la général du ballet dans lequel elle devait danser, condamnée à regarder les autres tenir un rôle qu'elle n'aura plus. Avec son grand cœur et son appareil photo elle parcourt les quartiers interlopes, croise des gens abandonnés de la société qui s'accrochent à la vie ou en décrochent Ils devront, sans maquillage, incarner toute la détresse humaine. Le cadastre parisien ne cache même plus leur existence. C'est une gageure mais elle va au devant de chacun d'eux et réussit à réunir une centaine de ces pauvres gens qui ne seront jamais de vrais acteurs mais rien d'autre qu'un décor humain misérable mais d'autant plus facile à diriger que leur désarroi est semblable à celui des survivants des camps. Elle prendra sa mission à cœur, mais le film terminé, elle retournera dans l'anonymat.
Elle croisera Amir, le terroriste qui a participé à l'attentat qui lui a brisé le genou. Ce rendez-vous manqué est pour elle l'occasion d'une quête impossible dans la capitale, sa silhouette se dérobant toujours devant elle. Par un paradoxe improbable dû à ce rendez-vous manqué et de la surveillance ou le hasard, elle devient aussi pour la police une éventuelle complice de cette agression et fait l'objet de tracasseries inutiles. Elle fera quand même de belles rencontres, celle du peinte de la pleine lune et quand elle décide de danser au dessus du vide de la Seine, sur le parapet d'un pont, comme sur une scène soudain bien étroite, c'est Matheo, un artiste désespéré et alcoolique, batelier immobile accroché au quai, aussi paumé et idéaliste qu'elle, qui la sauve du suicide,et c'est un jongleur de rue qui la ramène à la vie , réussit à la convaincre d'accepter sa condition....
J'ai été séduit par la qualité de l'écriture d'Hubert Haddad, poétique, dramatique et émouvante. Ce roman est écrit par petites touches, comme un tableau impressionniste mais qui cependant donnerait à voir avec beaucoup de précisions ce qu'il veut montrer, la pauvreté, le désenchantement, l'échec, l'abandon. On parle toujours beaucoup, ventant leur esprit d'entreprise, leur culot, leur talent, de ceux qui réussissent mais jamais de ceux qui ayant travaillé aussi dur que les autres n'ont pas vu leurs efforts couronnés de succès, à cause du hasard, de la malchance, de la malveillance des autres.. Damya est de ces malchanceux même si, l'épilogue peut donner à penser que les choses pour elle peuvent changer, que cet inconnu dont nous parle Baudelaire quelque part dans son œuvre peut être quelque chose de nouveau et peut-être de beau face à la fragilité de cette jeune femme .
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Géographie d'un adultère
- Par hervegautier
- Le 23/10/2018
- Dans Agnès RIVA
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La Feuille Volante n° 1283
Géographie d'un adultère - Agnès Riva – Gallimard (collection l'arbalète).
Le titre menaçait d'annoncer un roman intéressant. L'adultère , ce sujet a largement été utilisé, analysé, illustré sous toutes les coutures et même épuisé mais, pourquoi pas ? La géographie, à part les lieux où se déroulent les différentes phases de cette aventure (voiture, chambre d'hôtel, domicile), je ne vois pas , mais là aussi pourquoi pas ? Qu'y a -t-il en effet de plus banal qu'un adultère ? Il serait le pendant presque naturel du mariage et illustre l'engouement de l'espèce humaine pour ce qui est interdit. Effectivement les deux protagonistes, Paul et Emma, sont mariés, mais pas ensemble, Ils ont chacun un conjoint, des enfants, une famille…bref vont chercher ailleurs ce qu'ils ont sans doute chez eux que la routine et le quotidien ont peu à peu érodé, et espèrent trouver un intérêt supplémentaire à leur vie dans une passade. Ils sont collègues de travail, ce qui favorise les rapprochements et ils souhaitent sans doute éprouver le frisson de la nouveauté, de la découverte de l'autre, le plaisir de transgresser un interdit ou l'illusion d'être différents des autres, tout en respectant les apparences qui, comme nous le savons tous, sont hypocrites. Là aussi pourquoi pas, cela n'a vraiment rien d'original mais cela peut quand même faire une bonne idée de roman.
La narratrice nous rend compte de cette aventure sur un mode neutre, presque détaché et parle surtout d'Emma, de ses attentes, de ses états d'âme, de ses souvenirs d'enfance, de ses fantasmes. On sent un Paul calculateur et froid, plus intéressé par son plaisir et par sa carrière, en tout cas quelqu'un qui n'en est pas à son premier faux-pas extra-conjugal, ce qui n'est peut-être pas forcément le cas d'Emma. On le perçoit même un peu mufle quand il fait allusion devant elle à toutes ses anciennes maîtresses et la façon peu élégante qu'il a choisi pour mettre fin à l'une de ses liaisons. Quant à Emma, elle paraît plus amoureuse, plus sentimentale, en attente d'autre chose qui ne viendra pas, en tout cas pas avec lui. Pas très glamour tout cela quand même mais cependant bien humain ! Pourtant ni l'un ni l'autre ne sont désireux de sauter le pas et de divorcer pour vivre ensemble. Ces amours en pointillés qui n'ont rien d'une folie, semblent leur suffire pour le moment. En principe les adultères ne durent pas et bien peu se prolongent par un mariage entre les amants. On sent bien que celui-là ne fera pas exception à cette règle. Cette relation prend fin effectivement et c'est elle qui décide de rompre. Pourquoi le fait-elle? La certitude de s'être trompée, la volonté de précipiter les choses pour éprouver les sentiments de Paul, la culpabilité d'avoir abusé de la confiance de son mari, la volonté de revenir au foyer après une tentative longtemps ajournée d'émancipation, le désir de connaître une jouissance différente d'un quotidien matrimonial devenu trop pesant ? Allez savoir ! On ne saura rien non plus de leurs conjoints respectifs, de leurs enfants, de leur vie en dehors de ces moments « libertins » mais on imagine bien que cela n'a pas été sans conséquences. On peut difficilement vivre une relation adultère sans que celle-ci n'affecte la vie de leur famille au quotidien .
Le livre refermé, je retire de tout cela une sensation de solitude plus que quelque chose qui ressemblerait à de l’exaltation des sens à laquelle peut-être je m'attendais. Cette liaison se terminera évidemment, laissant sans doute à Paul quelques souvenirs qui se dissiperont assez vite dans d'autres bras et à son amie sûrement des regrets et des remords. Nous ne saurons cependant pas si le secret qui a enveloppé cette toquade a été éventé. Les conjoints respectifs resteront au moins dans l'ignorance du faux-pas de l'autre ce qui aura l'avantage de faire perdurer pour un temps l'illusion qui est la leur d'avoir épousé quelqu'un de bien, de fidèle, d'honnête… Mais, n'ayant pas trouvé ce qu'elle cherchait dans cette séquence sentimentale parallèle, je ne doute pas qu'Emma poursuive sa recherche et ce d'autant plus volontiers qu'elle aura vu dans la confiance ou la naïveté de son mari un encouragement à le tromper à nouveau.
Le style est quelconque et les descriptions ont la froideur administrative d'un procès-verbal de gendarmerie ou d'un état des lieux rédigé par un agent immobilier zélé, quant aux scènes érotiques, il faudra repasser, il n'y en a pas !
Je n'ai peut-être rien compris ou je suis sans doute passé à côté d'un chef d’œuvre, mais je me suis ennuyé à cette lecture et je n'en retire que de la déception. Tant pis pour moi.
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]