la feuille volante

Articles de hervegautier

  • UNE SOIRÉE AU CAIRE – Robert Solé

     

    N°471– Novembre 2010

    UNE SOIRÉE AU CAIRE – Robert Solé - Le Seuil.

     

    Charles, le narrateur, se souvient que sa famille avait quitté l'Égypte qu'elle avait tant aimée, comme des parias. Mais à partir de ce moment, le monde qui s'offrait à eux leur appartenait et ils n'allaient pas tardé à le conquérir.

     

    A la mort de son oncle Michel, Charles, journaliste français, avait recueilli ses cahiers de souvenirs, sorte de journal intime et de témoignage de ces années bénies d'avant le départ. Pourtant, ce document resta longtemps dans un coin sombre sans que personne ne s'en préoccupe. Lui-même avait longtemps cultivé une amnésie volontaire malgré de fréquents retours dans ce pays « Notre monde a disparu, dit-il, mais je continue pourtant à guetter les battements de son cœur et ses sourires ». A l'occasion d'un retour au Caire, officiellement pour des recherches sur Bernard Bruyère, un égyptologie français qui y mena des fouilles dans l'entre-deux-guerres, Charles, 58 ans, choisit de revivre ses propres souvenirs d'enfance. Que reste-t-il de cette période ? Une maison, jadis propriété de son grand-père maternel, Georges Bey Batrakani. Elle est habitée par Dina, qui, en gardienne du temple, entretient la mémoire du lieu. Elle est sa tante par alliance, la veuve d'Alex, son oncle, un infatigable flambeur et coureur de jupons. Dina, malgré son âge avancé le fascine. C'est encore une belle femme qui le reçoit dans cette maison. Par la magie du souvenir, des photos et des extraits de ce journal, il les revoit tous comme avant dans cette maison. André, le père jésuite, Paul qui pensait à la Suisse où il finit par s'établir, Michel, le rêveur qui était resté célibataire, le vieux chauffeur de son grand-père, Yassa, qui avait la particularité de ne pas savoir conduire et avait «  appris en 1954 sur une Aston-Martin décapotable », ceux qui étaient au service de leur famille... Mais aussi Henri Touta, le grand oncle qui truffait sa conversation de citations latines, était consul d'une petite république d'Amérique Centrale et même anobli par le Vatican, ses grands parents maternels, particulièrement Georges qui a été nommé « Bey » à cause des « tarbouches » qu'il fabriquait, cette coiffure emblématique de l'Égypte d'alors... Mais tout cela c'était avant, avant le putsch de Nasser qui en supprima le port parce qu'il incarnait trop l'ancien régime ! Puis ce fut le départ de la famille pour le Liban...  « Nous avons quitté l'Égypte en masse au début des années 60 « sans tarbouche ni trompettes », comme l'écrit Michel dans son journal ». C'était une page qui se tournait.

     

    Maintenant Dina, qui n'est qu'une pièce rapportée comme disent les gens qui manquent d'éducation, évoque pour lui son enfance, ses fiançailles, son mariage avec Alex, sensiblement plus vieux qu'elle. Elle est revenue du Liban à cause de la mort de son mari, d'une histoire d' amour contrariée et de la guerre, pour habiter cette grande maison transformée en musée.

     

    A l'inverse des autres membres de cette famille qui préféraient « mourir avec de beaux souvenirs », les six enfants de Georges, qui eux aussi ont eu une descendance, se sont répandus de par le monde. Charles, qui n'était que le fils de Sélim, le gendre de Georges, mais son successeur choisi, était revenu plusieurs fois dans cette maison du Caire où Dina le charme toujours, mais cette fois elle va donner une soirée amicale à laquelle est conviée l'équipe archéologique à laquelle participe Charles. Ce sera donc cette « soirée au Caire » où il retrouve des membres de sa parentèle, d'anciens amis, des admirateurs de Dina. Il va à la rencontre de l'Égypte d'aujourd'hui [« Ce pays est en train d'étouffer entre les fous furieux qui mettent de la religion partout et un pouvoir épuisé et largement corrompu » avoue Amira ], du lointain souvenir de la présence et de la culture françaises. Il se sent maintenant comme un étranger dans ce pays qui fut pourtant le sien, se perd en conjectures, en face d'une photo jaunie, sur les relations qui ont pu exister entre son propre père et cette tante Dina si troublante ! Bref il va à la rencontre de souvenirs qui maintenant appartiennent à un passé définitivement révolu. De plus, il faudra bien se résoudre à faire éclater cette indivision qui dure depuis si longtemps, vendre cette maison, transiger avec Dina... C'est Charles qui s'est proposé pour cette délicate mission... Heureusement la mémoire de toutes ces années sera préservée avec en plus le charme d'Amira qui vient illuminer le présent et peut-être l'avenir !

     

    C'est un roman plein de nostalgie de l'enfance, du regret des belles années passées, de réalisme aussi mais la madeleine proustienne a pourtant perdu un peu de son goût et ce monde n'est plus qu'un souvenir«  Il y a dans nos familles d'exilés beaucoup d'affabulateurs et d'amnésiques ... Les uns et les autres ont tourné la page sans l'avoir toujours bien lue» écrit le narrateur évoquant le départ, le déracinement, les hasards, l'évolution des événements, les erreurs peut-être?

     

    J'avais déjà apprécié « le tarbouche » du même auteur (la Feuille Volante n° 119). J'ai retrouvé avec plaisir cette saga familiale, la vie personnelle de l'auteur nourrissant sa démarche d'écriture, cette dernière exorcisant son passé. J'ai apprécié le style fluide, simple et agréable à lire avec lequel elle est ici contée.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Le Tarbouche – Robert Solé

     

    N°119– Juillet 1992.

    Le Tarbouche – Robert Solé – Le Seuil.

     

     

    Le prétexte de ce roman est donné à la fois par l'évocation du « tarbouche », couvre-chef emblématique du costume égyptien traditionnel et par la publication partielle du journal intime que tient Michel Batrakani, élève des jésuites qui appartient à une famille chrétienne et francophile du Levant, assise entre deux mondes dans cette Égypte sous mandat britannique.

     

    Ce journal commence le 13 mai 1916 alors que la Grande Guerre fait rage en Europe « Ce matin, à dix heures et demie et cinq, le sultan est venu au collège. J'ai récité devant lui « le laboureur et ses enfants ». Il m'a félicité ». D'une plume alerte, l'auteur nous conte cette saga des Batrakani où la petite histoire qui se mêle à la grande le dispute à cette fascination de l'orient qui se rencontre à chaque page.

     

    Dans un style où l'humour et le dépaysement tiennent jusqu'à la fin le lecteur en haleine, l'auteur évoque le parcours de cette famille de commerçants chrétiens venus en Égypte et qui s'est mise à fabriquer des tarbouches par souci d'intégration. Georges Batrakani, le grand-père, n'a-t-il pas été fait « Bey de 1° classe » par le roi lui-même pour « services exceptionnels rendus à l'industrie locale ». Peut-on trouver mieux comme preuve d'assimilation ? C'était dans les années 20 !

     

    Les personnages évoluent dans cet univers qui semble hors du temps et singulièrement hors du quotidien de l'Égypte profonde. Il n'en sont pas moins originaux, truculents, attachants... Maguy avec sa cohorte d'amants , Nando, profondément usurier, André qui deviendra jésuite et restera seul en Égypte, Henri aux éternelles citations latines sera consul d'une république sud-américaine changeante, Makram, le copte qui a juré de porter le deuil jusqu'au départ des Anglais ...

    Ce paysage est fait de délicatesse, de douceur de vivre. Ce monde est à la fois proche et loin de nous, arabe et européen, mais surtout fascinant par ses couleurs, ses décors, ses senteurs...

     

    Au fil du roman, nous assistons à la naissance de l'Égypte, du sentiment national puis à un renversement de situation que personne n'avait prévu et qui débouchera sur la prise de pouvoir de Nasser, faisant de ce pays une nation arabe où les Batrakani n'ont plus leur place. Un à un, ils ont fini par partir, sauf André, le jésuite, non pas expulsés mais rejetés presque naturellement de ce pays qu'ils avaient aimé pour sa richesse et sa douceur de vivre mais où ils n'étaient pas vraiment chez eux « Nous sommes partis de notre propre gré, sur la pointe des pieds, sans tarbouche ni trompette » peut-on lire sous la plume de Michel, un peu comme s'ils s'étaient trompé de symbole, le tarbouche ne représentant dès lors plus rien, pas même le couvre-chef national !

     

    Alors, qu'étaient-ils, eux, ces grecs-catholiques perdus dans un pays arabe ? Michel, dans son journal, le dit sans fard «  Ils étaient entre deux langues, entre deux cultures, entre deux églises, entre deux chaises, ce n'était pas toujours très confortable mais [leurs] fesses étaient faites ainsi ».

     

    Nous assistons à la fin d'un monde, d'une société, d'une famille aussi qui laisse en terre égyptienne ses morts pour lâcher ses vivants au hasard de la géographie mondiale. C'est un nouveau départ, un nouvel exil pour ce clan qui ne veut pas mourir.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 1992.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • L'ombre du vent - Carlos Ruiz Zafón

     

    N°470– Novembre 2010.

    L'ombre du vent Carlos Ruiz Zafón - Grasset.

    (traduit de l'espagnol par François Maspero)

     

    Le décor : Barcelone, ville mythique que la période de l'après-guerre civile rend plus énigmatique encore, le quotidien difficile pour le père de Daniel Sempere, le narrateur, garçon de onze ans au début du récit que son père, modeste libraire emmène dans un lieu mystérieux du quartier gothique : « le cimetière des livres oubliés ». L'enfant qui pense toujours à sa mère morte quelques années plus tôt est convié à un étrange rituel transmis de génération en génération. Il doit « adopter » un livre parmi des millions et son choix se porte sur « l'ombre du vent », un roman de Juliàn Carax, auteur parfaitement inconnu. Il le saura plus tard, ce volume est le seul survivant d'une édition qui a été détruite en grande partie par le feu. La possession de ce livre, que chacun souhaite lui racheter, va transformer sa vie. Il ne le sait pas encore mais cet épisode va le conduire dans une histoire rocambolesque où il va être amené à pénétrer les secrets de gens dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Il va devenir le complice et même l'instrument d'une intrigue sans vraiment comprendre le rôle qu'il y joue. Son histoire, à travers destiné, amitiés, hasard, trahison, villa mystérieuse, se confondant avec celle de Juliàn Carax faisant de ce récit plus qu'une traditionnelle mise en abyme.

     

    Qui était donc ce Carax, obscur auteur barcelonais qui a vécu à Paris au début de XX° siècle et qui jouait du piano dans un bordel de Pigalle ? Il s'appelait aussi Fortuny, était le fils d'un chapelier qui prétendait le contraire et d'une mère pianiste. Il serait mort à Barcelone en 1936 au tout début de la guerre civile, mais rien n'est sûr puisque le mystère qui a toujours fait partie de sa vie, enveloppe aussi sa mort. Les rares romans qu'il a publiés en France ont été un fiasco. Il se révèle être un personnage énigmatique autant que ce qui entoure la publication de ses livres, un individu étrange, qui vit dans le souvenir d'une femme inaccessible qu'il a aimée mais qu'il a perdue : Pénélope Aldaya. Entre eux c'est une histoire d'amour passionnée, de rendez-vous manqués, de projets contrariés, de fausses pistes, de courriers interceptés et finalement de séparation définitive.

    Pourtant, dans sa quête d'informations à propos de Carax, Daniel est poursuivi par un homme assez étrange au visage défiguré par le feu, ce qui le fait assimiler au diable, Lian Courbet, qui souhaite lui racheter son livre et qui ressemble à s'y méprendre à un personnage de ce roman. Entre fiction et réalité, il finira peut-être par rejoindre les chapitres de cette histoire ? Je n'aurais garde d'oublier l'inspecteur Fumero, individu méprisable, flic de la pire espèce que la guerre civile et la franquisme qui la suivit permirent de révéler sa véritable personnalité, celle d'un traitre et d'un assassin. Il s'ensuit une sorte de course où la vie se mêle à la mort et au terme de laquelle Daniel se débarrasse de ce livre pour mieux le retrouver.

     

    C'est pour le lecteur l'occasion de visiter cette ville extraordinaire chargée d'histoire, à la fois port ouvert sur le monde, berceau de la liberté et de la création artistique. Il découvre également une étonnante galerie de portraits dont Fermín Romero de Torres, ex-clochard, ex-agent secret, qui se distingue surtout par des aphorismes bien sentis, par une érudition immense et précise, une grande connaissance des femmes, une grande aptitude à se tirer des situations les plus étranges, une misanthropie militante en générale et un anti-franquisme en particulier. Le père de Daniel est lui plus philosophe et désireux de survivre dans cette ville hantée par la police, les indicateurs et les traitres de tout poil. C'est aussi pour Daniel, à travers une histoire mouvementée, une sorte de voyage initiatique à la découverte de l'amour mais aussi de la condition humaine, de ses grandeurs comme de ses travers, la rencontre d'hommes mais surtout de femmes pleines de charme, de mystère et parfois aussi d'érotisme, Nuria Montfort, Beatrice Aguilar, Pénélope Aldaya, Clara Barcelo, Bernarda...

     

     

    C'est un roman labyrinthique, comme je les aime, entre personnages mystérieux et maison hantée, amours romantiques et destinés fatales, énigmatique aussi, où le suspense le dispute à une saga pleine de rebondissements. Le texte bien écrit, agréable à lire, avec des moments d'humour sertis dans des phrases finement ciselées et poétiques où le lecteur, tenu en haleine jusqu'à la fin, se perd avec plaisir.

     

    Dans ce récit, Ruiz Zafon évoque un personnage qui, parlant d'un roman Carax, indique qu' un lecteur qui le découvrait pour la première fois avait cette irrésistible envie de lire le reste de son œuvre. C'est étonnant, mais il s'est passé la même chose pour moi et ce livre, lu presque d'un trait malgré une longueur peu commune (525 pages), ce qui d'ordinaire est en ce qui me concerne rédhibitoire, m'a passionné jusqu'à la dernière ligne. Il ne fait pas de doute que je vais continuer la lecture de cet auteur.

     

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Les moissons du ciel – Un film de Terrance Malick.

     

    N°469– Octobre 2010.

    Les moissons du ciel Un film de Terrance Malick.

     

    C'est une version restaurée d'un film datant de 1979 (Prix de la meilleure réalisation- Cannes 1979) qui nous est ici donnée à voir.

     

    Ce qui m'a attiré dès l'abord, c'est le titre. Je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à Romain Gary, à cause sans doute de son roman, « les racines du ciel »? Mais cela n'a rien à voir.

    Ce qui me reste de ce film, ce sont les somptueux paysages américains, cette grande plaine où le blé pousse à perte de vue, où les animaux sauvages s'épanouissent dans cette nature authentique, la liberté qui émane de tout cela, le temps qui passe au rythme des saisons, tout juste esquissé par des images lentes et apaisantes, souligné par une grande économie de dialogue, de cette contrée généreuse.

    Les splendides images de Nestor Almendros (Oscar de la meilleure photographie 1979) où l'homme et la nature sont en harmonie contrastent avec le rythme effréné du travail en usine qu'on entraperçoit au début. Les éléments, quoique menaçants sous ces latitudes y sont présents comme quelque chose de rassurant, de reposant. Voilà pour la forme.

     

    Pour le fond, c'est autre chose. L'histoire qui nous est racontée par la voix off de Linda, gamine sauvage mais qui incarne elle aussi la liberté pauvre des hommes et des femmes qui voyagent au gré du travail à l'usine ou aux champs, de ces ouvriers sans véritable métier qui ne peuvent que louer leurs bras pour survivre dans cette Amérique de la libre entreprise et de l'opposition entre le prolétariat et les riches. La symbolique du train qui amène les hommes et les femmes dans cette ferme perdue dans la campagne et celui qui emportent les hommes (probablement les mêmes?) vers une armée et peut-être une guerre qui prendra leur vie à son tour, est très forte. Le mouvement des wagons, l'allure lente des convois évoquent cette transition entre deux mondes autant qu'ils suggèrent la liberté, la nouveauté de ce que vont découvrir ceux qui font ce voyage vers l'inconnu. Leurs visages ont cette clarté de ceux qui goûtent le plaisir de cette vie itinérante qui a fait partie de notre parcours personnel, voire de notre idéal à tous pendant au moins quelques temps!

     

    Pour autant, de quoi s'agit-il? Bill, le grand-frère de Linda assure sa subsistance en travaillant au rythme du marché du travail. Il vit avec Abby, sa petite-amie. Mais Bill est querelleur et à cause d'une rixe avec un contre-maître à l'usine où il travaille (Là aussi les photos de l'aciérie sont très belles, le rouge des fourneaux contrastant avec celui du ciel de la plaine). Le hasard les amène tous les trois à s'embaucher comme ouvriers agricoles pour une misère (3 dollars la journée) dans une ferme où, bien sûr, ils sont exploités. Là, le trio, à travers la vie dure mais parfois festive de la terre, retrouve cette opposition entre les riches et les pauvres, symbolisée par la maison du fermier, solennelle, solitaire, grande, confortable, lointaine. Elle domine tout. Un fermier jeune et célibataire l'habite et, toujours par hasard, Bill découvre qu'il est malade et qu'il n'a plus que quelques mois à vivre. Dans le même temps, ce même homme tombe amoureux d'Abby. Pour la caméra, la jeune-fille émerge soudain du flot des humains qui suent à la moisson. Le vent dans ses cheveux la révèle aux yeux de cet homme qui sait qu'il va mourir mais la demande en mariage.

    Bill, l'opportuniste a une idée. Après les hésitations d'usage, elle accepte ce qui ressemble fort à un contrat : à condition de demeurer en compagnie de son compagnon présenté comme son frère et Linda, elle sera sa femme. L'associé du fermier flaire l'arnaque et part après la cérémonie. C'est le début de la fin pour cette grande fortune, malgré les moments d'une joie éphémère entre les deux jeunes époux, malgré une complicité feinte avec Bill où la velléité d'assassinat du fermier commence à poindre. C'est que cet homme, promis à une mort prochaine reprend goût à la vie grâce à son mariage et recouvre peu à peu la santé, ce qui contrecarre les plans du trio. Il commence lui-même à se demander la nature exacte des relations réelles qui existent entre Abby et Bill, qui, jaloux part pour mieux revenir.

    Et puis tout se précipite, les sauterelles qui viennent dévaster les récoltes et l'incendie des blés, une explication qui tourne mal entre les deux hommes et le meurtre du fermier, la fuite éperdue du trio, maintenant non plus libre mais traqué par la police et l'ancien associé, la mort enfin de Bill, poursuivi et abattu.

     

    C'est un peu la morale de cette fable, le bien qui triomphe du mal, le happy-end de cette histoire dont je ne suis pas sûr que ce soit la même règle dans la vraie vie, le nouveau départ, toujours sous le signe de la liberté d'Abby et de Linda.

     

    J'ai été un peu déçu par ce film dont je ne retiens que le beau titre et les magnifiques photos.

     

     ©Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • L'ARDOISE MAGIQUE – Valérie Tong Cuong

     

    N°468– Octobre 2010.

    L'ARDOISE MAGIQUE Valérie Tong Cuong -Stock.

     

    Cela commence plutôt mal pour Mina, née de père inconnu, confiée après la mort de sa mère, alcoolique, chômeuse et marginale à une tante qui la déteste et un oncle qui l'ignore malgré le fait qui que c'est lui qui l'a imposée dans son foyer. Elle n'avait pas le choix, mais dans cette famille de substitution, établie dans une bourgeoisie traditionnelle et recroquevillée sur elle-même, elle bénéficiait au moins d'une stabilité que son jeune âge méritait.

    Au lycée, elle rencontre Alice, fille de banquier, brillante, cultivée et belle. Cette différence fait qu'elle est rapidement mise au ban de la classe. Il n'y avait donc aucune chance pour qu'elles deviennent amies, et pourtant cet isolement commun, cet appartenance à deux milieux dissemblables qu'elles souhaitent fuir, rapprochent les deux jeunes-filles. Tout les oppose et c'est paradoxalement peut-être ce qui va tisser entre elles une complicité solide. A l'indifférence, à la méfiance du départ, succède une relation amicale. Pourtant Alice est mystérieuse pour Mina et leur envie commune d'échapper à leur quotidien autant qu'à leur milieu se transforme en un projet de suicide. Alice sautera du pont et sera déchiquetée par un train et, au dernier moment, Mina qui était pourtant sa seule amie et qui avait promis de l'accompagner dans la mort, hésitera et restera en vie.

    Désormais seule, pour exorciser sa culpabilité de l'avoir trahie, elle va explorer l'univers doré d'Alice. Pour cela elle joue un rôle et va aller à la rencontre de cette famille tant décriée par son amie. Elle cherche à comprendre pourquoi Alice n'a pas hésité alors qu'elle a renoncé au dernier moment. Elle fera ce chemin en compagnie de David, dit « Sans larme », un garçon gothique et donc marginal, qui lui aussi refuse le monde tel qu'il est. Il va la guider dans sa recherche, la soutenir dans ses moments de doute, l'accompagner dans cette quête et dans les épreuves qu'elle entraine. La fin est à la fois surprenante et prévisible.

     

    J'ai lu ce roman jusqu'à la fin, désireux de connaître l'épilogue, de partager avec Mina son histoire personnelle et cabossée, de voir ce que David pouvait lui apporter, curieux aussi de cette Alice, de son existence plausible mais rebâtie par Mina, entre fiction et réalité. Est-elle folle au sens populaire du terme? Son amie n'est-elle qu'une fiction patiemment construite pour son seul usage et celle-ci ayant accompli son action peut-elle être effacée ainsi que le ferait une ardoise magique dans les mains d'un enfant?

    Au vrai, ce récit me laisse un peu perplexe, non qu'il soit mal écrit, au contraire, le style est fluide et s'attache le lecteur jusqu'à la dernière ligne, mais je reste dubitatif au sujet de Mina. Est-elle égoïste, cette jeune adolescente à la recherche d'elle-même ou une dangereuse affabulatrice, une mythomane en quête du pardon de fautes qu'elle n'a pas commises, du rachat de quelque chose d'indistinct dans sa vie et auquel elle veut échapper, un être qui, à la fois est attirée par la mort qu'elle porte en elle comme nous tous parce que sa vie est impossible et qui, en même temps la refuse parce que son parcours même épineux lui fait renoncer au néant?

     

    C'est le premier roman que je lis de cet auteur. J'ai été un peu déçu.

     

     ©Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Jusqu'au bout du festin – Michèle Reiser

      

     

     

    N°467– Octobre 2010

    Jusqu'au bout du festin – Michèle Reiser - Éditions Albin Michel.

     

     

    La narratrice, Victoire, férue de mathématiques, en rupture avec sa propre famille mais réfugiée chez sa grand-mère Adelaïde, nous parle, à la première personne de Chus, diminutif de Jesus, fils d'ouvrier émigré espagnol, jeune interne en chirurgie dont elle partage la vie. Son job est de prélever le cœur des morts accidentés de la route pour permettre à d'autres de vivre.

     

    Elle est amoureuse de lui et a compris qu'entre eux l'histoire était déjà écrite et qu'il suffisait de se laisser porter par elle. Cela pourrait donc être une aventure amoureuse comme beaucoup d'autres, passionnée et pleine de rebondissements mais ici elle est contrariée par la maladie de Chus qui exige, à la suite d'un dysfonctionnement cellulaire qu'on l'ampute d'une jambe. Ce récit est un peu une progression vers la mutilation, avec en filigranes l'aggravation du mal, un parcours vers le sacrifice contre lequel personne ne peut rien et qui est le seul possible pour qu'il sauve sa vie et conserver le reste de son corps.

     

    Une histoire d'amour est toujours quelque chose de passionné, de joyeux, et pourtant, c'est aussi un roman où il est question de mort, comme si l'amour et la mort était liés, comme si les gens qui meurent jeunes possèdent une aura à la fois mystérieuse, merveilleuse et cruelle pour ceux qui restent. Celui qui meurt jeune ne vieillira pas, ne constatera pas dans son corps la décrépitude et l'abandon de ce qui faisait son être même. Il laissera, pour ceux qui restent, l'image de la jeunesse, de la fougue, de la beauté, de l'extravagance parfois, c'est à dire de la vie. Ce sera son empreinte parmi les vivants, image indélébile qu'il lègue face à l'œuvre du temps, en contre-point du deuil. Chus choisit sa mort pour éviter que la maladie ne décide pour lui avec son cortège de souffrances et de larmes, il la choisit entouré de ses copains, de la femme de sa vie, dans un ultime pied de nez :«  Il nous avait déjà quittés entre le ciel et l'eau, son domaine d'éternité ».

     

    Dès lors, à cause peut-être de son prénom, le récit va prendre une dimension quasi-religieuse, celle du sacrifice à la fois consenti et redouté, celui d'une passion solitaire malgré l'amour de cette femme qui souhaite l'accompagner. Mais pas seulement. Qu'est-ce donc que ce festin dont parle le titre? C'est certes celui de l'amour, celui du repas de noces, mais pas uniquement ou à tout le moins une acception quasi-christique donnée à ce terme. C'est aussi une invitation à transgresser un tabou. Ce n'est probablement pas pour rien que l'auteur insiste sur l'amour et la dévoration qui envahit jusqu'à notre vocabulaire quotidien. Ce n'est pas pour rien que Chus choisit la mort volontairement après la célébration de son mariage avec Victoire, après le banquet, comme si cet acte d'amour était l'ultime de sa vie, comme s'il n'avait vécu jusque là que pour cela et qu'il n'avait plus rien à faire ici-bas puisque la maladie le condamne à mort. L'Évangile nous rapporte les paroles du Christ pendant la Cène « Ceci est mon corps, prenez et mangez en tous », ultime repas collectif avec ses apôtres et qui précède sa mort, cérémonie reprise depuis à l'infini dans la rituel de la messe qui perpétue à la fois le message et le souvenir. Est-ce vraiment un lapsus quand l'auteur écrit « Un ange, une fulgurance. Il ne faisait que traverser la scène. Il était ailleurs »?

     

    C'est un récit simplement écrit, sans fioriture, dans un style épuré, sobre, émouvant et facile à lire, d'une apparente légèreté, découpé en courts chapitres et qui s'accorde bien avec l'esprit de ce roman. C'est plus qu'un simple conte philosophique, c'est véritablement, à travers cette fiction, un hommage à l'amour avec aussi toute la symbolique du cœur qui permet aux malades de survivre et Chus qui est chargé de les transplanter. Au tabou du « festin » répond le serment de silence qui régnait autour de la robe de mariée qu'Adélaïde donne à Victoire malgré la malédiction qu'elle porte en elle.

     

    Il y a un clin d'œil à Rimbaud qui lui aussi vivait dans un autre monde, qui est mort relativement jeune et amputé d'une jambe et aussi celui fait aux républicains espagnols qui pendant la Guerre Civile trouvèrent une mort héroïque et parfois sacrificielle.

     

    En découvrant ce texte et aussi cette romancière qui porte un nom qui n'est inconnu de personne, je n'ai pas pu ne pas penser au dessinateur Reiser (mort en 1983 d'un cancer des os, comme Chus) dont elle est l'épouse et qui a, jeune lui aussi, été fauché par la mort.

    Ce texte n'est pas une simple fiction. Certes, il y a l'histoire qui nous est confiée, mais pas seulement. J'ai choisi d'y voir une sorte de message d'amour à la fois douloureux et bouleversant, délivré par l'auteur à son lecteur, parce qu'un écrivain n'est pas uniquement « un raconteur d'histoires », un roman n'est pas un écrit gratuit publié pour le seul plaisir de voir son nom sur la couverture d'un livre ou pour étoffer sa bibliographie personnelle. J'ai pensé encore une fois que l'écriture est une formidable manière de faire revivre les gens qu'on a aimés, de faire perdurer leur vie en nous, de nous libérer aussi, autant qu'il est possible, de ce qui peut être la chagrin tissé par la mort. Il ne s'agit pas d'oubli mais au contraire d'un exorcisme dont chaque mot est porteur parce celui qui les trace sur le papier a cette double fonction de se libérer lui-même tout en transmettant quelque chose aux autres, en faisant perdurer un souvenir.

     

    Je ne regrette vraiment pas d'avoir lu ce livre, pris par hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque, à cause peut-être du beau visage de femme qui orne la couverture.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • LA MORT EN LUI - Pierre Moinot1

     

    N°442– Août 2010

    LA MORT EN LUI – Pierre Moinot1 - Éditions Gallimard.

     

    Le récit s'ouvre sur l'évocation d'une scène de chasse aux cerfs, à l'affût, dans le froid et la nuit ou plus exactement un épisode où le chasseur qui est aussi le narrateur, Lortier, est seul dans un mirador. Tout est silence et immobilité et il fait corps avec le paysage « A cette heure où tout est possible, l'attente soulevait en moi de légers vertiges d'espoirs, mais j'étais une pierre ». Puis, il descend de sa cachette et se perd, renonce à tirer un renard et rencontre un garde qui apparemment l'attend parce qu'il a comprit qu'il s'était perdu! Cet homme qui est un solitaire parce qu'il vit dans la forêt lui parle des cerfs qui ont changé, un peu de lui qui a été victime d'un accident à l'épaule qui l'a réduit à quelqu'un qui n'est plus capable de tirer au fusil comme avant. Une sorte de courant de sympathie s'installe entre les deux hommes, mais un halo de mystère entoure le forestier. Puis survient une petite fille qu'il appelle « mademoiselle » présentée comme une « messagère » de « la grande maison » et qui est porteuse « dans un petit écrin de velours bleu » d'une unique balle, du calibre de la carabine de Lortier, « brillante et blindée d'or, comme les balles qu'on fondait autrefois pour assassiner les rois » destinée à tuer un cerf dangereux pour le voisinage. C'est donc une sorte de marché que le chasseur accepte. Il ira donc à la rencontre du cerf, le tuera mais aura le sentiment bizarre de défendre sa propre vie.

     

    Le second récit évoque l'enfance mais aussi la nuit, le froid et la traque d'une fouine et de renards qui montre que le règne animal aussi à ses règles de mort. C'est un peu comme si la troisième nouvelle oppose la vie que porte la femme enceinte à la mort que sème l'homme sans qu'il puisse s'en empêcher et dont il se satisfait. Le quatrième récit décrit un bal mondain ou plus exactement quelque chose comme une transition, une prise de conscience d'un changement dans l'ordre des choses et contre lequel on ne peut rien. Le mari, Jérôme, fait figure de témoin un peu lointain d'une scène où Laura, sa femme, joue le rôle d'un pantin qui peu à peu se désarticule dans l'indifférence des autres danseurs plus jeunes, plus amoureux et face à cela en conçoit une solitude irrémédiable.

     

    Au cours de cette série de nouvelles un peu surréalistes, une sorte de rêve éveillé, c'est le thème de la mort qui est analysé ici. Le chasseur la porte au bout de son arme pour le gibier et une seule balle suffit à la lui imposer facilement. Pour lui, une bête sans vie est une victoire. C'est aussi le thème de la fuite du temps et de ses ravages sur le corps, l'esprit, la faculté d'aimer, la perte définitive de choses qui ne reviendront plus mais qu'il est sage d'accepter comme une réalité. C'est un récit passionnant, plein de belles descriptions tissées dans une langue pure et un vocabulaire parfois technique mais à la fois précis et riche.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

    1Pierre Moinot (1920-2007) résistant, combattant, conseiller au cabinet d'André Malraux et créateur des premières maisons de la culture, Procureur Général près la Cour des Comptes. Il est l'auteur de nombreux romans couronnés par des prix prestigieux, mais œuvra aussi dans le domaine de l'audiovisuel. Il a été élu à l'Académie française en 1982 au fauteuil de René Clair.

  • Lituma dans les Andes – Mario Vargas Llosa

     

    N°466 - Octobre 2010

    Lituma dans les Andes – Mario Vargas Llosa*

    (traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan)

    Lituma est un simple brigadier. En compagnie de son adjoint, le truculent garde civil Tomasino Carreňo, ce gradé grelotte de froid dans ce coin des Andes, lui, l'homme du littoral, mais peut-être bien aussi de trouille puisque les terroristes du Sentier Lumineux rodent et que les disparitions mystérieuses se multiplient comme celle de ce couple de touristes français qui se rendait à Cuzco en autocar ou celle de Mme d'Harcourt, cette scientifique écologiste. Ils exécutent les policiers, les cadres des mines ainsi que les étrangers et enrôlent de force les mineurs ou les « peones » dans leur milice. Les meurtres qu'ils perpétuent tiennent davantage du sacrifice humain rituel que de l'assassinat politique au nom du peuple qu'ils disent défendre. Cela procède probablement du mystère du Pérou qui est assez bien résumé par la remarque d'un personnage américain de ce roman :« C'est un pays que personne ne peut comprendre, fit Scarlatine en riant, et rien n'est plus attirant que l'indéchiffrable, pour des gens qui viennent de pays aussi clairs et transparent que le mien ».

     

    Ces deux militaires sont contraints de cohabiter dans ce poste de police perdu dans la montagne au-dessus de Naccos. C'est une pauvre bourgade entre la « puna » de la Cordillère et la « selva » des basses terres, une ancienne ville minière où la seule distraction pour les « peones » qui construisent une route qui ne sera jamais terminée et le bar où ils se soulent avec une grande régularité. Il est tenu par un couple énigmatique et un peu louche, Dionisio, tenancier bachique et sa femme Ariana, sorcière au passé un peu flou, au présent plus que douteux aussi, à la fois sorcière et habile intrigante. Leurs prénoms à eux seuls évoquent des personnages antiques, Dionysos et Ariane dont ils sont par certains côtés la réincarnation. Ils sont les véritables maîtres de Naccos ! Ils ont ensemble une histoire compliquée que le narrateur de cette histoire rocambolesque livre peu à peu au lecteur.

     

    Lituma devra donc devoir résoudre un de ces meurtres qui s'est produit dans sa juridiction, mais, cette fois, celui-là a été perpétré par les « peones » et non par les terroristes, sur la personne de Pedrito Tinoco, un pauvre muet, sorte d'idiot du village qui leur rendait de menus services au poste. Sa tâche ne sera pas facile parce qu'il doit enquêter sur fond de violence quotidienne, mais aussi dans la crainte des milices terroristes qui peuvent intervenir à tout instant et anéantir ces deux militaires, sans ignorer les croyances populaires héritées des Incas, les rites magiques d'un autre âge pleins de charlatanismes et de superstitions, la présence des « amarus », les « apus » esprits des montagnes qui inspirent à chacun la crainte et surtout les « pishtacos », sorte de personnages mystérieux mais apparemment bien réels qui vident ceux qu'ils rencontrent de leur substance, de leur graisse et dont les victimes finissent par mourir. Les tremblements de terre et autres catastrophes naturelles leur sont systématiquement attribué. Lituma échappera à l'une d'elles, par l'entremise probable de ces divinités, faisant de lui un homme que cette montagne accepte comme l'un des siens !

    Et tout cela dans le contexte d'une histoire d'amour passionnée et un peu compliquée entre Mercedes qui fut jadis vendue comme une vulgaire marchandise et Tomasino. Après moult péripéties, elle reviendra vers lui, faisant le choix de cet homme que tout cependant éloignait d'elle. Lutima, de son côté, a avec les femmes, des relations qui tiennent du fantasmes et de l'éternelle attente, comme une recherche de la compagne idéale ! Il verra son avenir professionnel prendre un tour enfin favorable.

     

    Ce roman un peu policier se déroule dans le décor grandiose, dépaysant et dépouillé de cette Cordillère mystérieuse et envoutante.

     

    Ce n'est pas le premier roman de Llosa que je lis. J'avais déjà apprécié « L'éloge de la marâtre » (la Feuille Volante n° 279) qui se situe pourtant dans un tout autre registre. Comme souvent chez les écrivains sud-américains, j'ai retrouvé cet art du conteur que j'attends toujours de la part d'un romancier.

     

    *Prix Nobel de littérature 2010].

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Lituma dans les Andes – Mario Vargas Llosa

     

    N°466 - Octobre 2010

    Lituma dans les Andes – Mario Vargas Llosa*

    (traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan)

    Lituma est un simple brigadier. En compagnie de son adjoint, le truculent garde civil Tomasino Carreňo, ce gradé grelotte de froid dans ce coin des Andes, lui, l'homme du littoral, mais peut-être bien aussi de trouille puisque les terroristes du Sentier Lumineux rodent et que les disparitions mystérieuses se multiplient comme celle de ce couple de touristes français qui se rendait à Cuzco en autocar ou celle de Mme d'Harcourt, cette scientifique écologiste. Ils exécutent les policiers, les cadres des mines ainsi que les étrangers et enrôlent de force les mineurs ou les « peones » dans leur milice. Les meurtres qu'ils perpétuent tiennent davantage du sacrifice humain rituel que de l'assassinat politique au nom du peuple qu'ils disent défendre. Cela procède probablement du mystère du Pérou qui est assez bien résumé par la remarque d'un personnage américain de ce roman :« C'est un pays que personne ne peut comprendre, fit Scarlatine en riant, et rien n'est plus attirant que l'indéchiffrable, pour des gens qui viennent de pays aussi clairs et transparent que le mien ».

     

    Ces deux militaires sont contraints de cohabiter dans ce poste de police perdu dans la montagne au-dessus de Naccos. C'est une pauvre bourgade entre la « puna » de la Cordillère et la « selva » des basses terres, une ancienne ville minière où la seule distraction pour les « peones » qui construisent une route qui ne sera jamais terminée est le bar où ils se soulent avec une grande régularité. Il est tenu par un couple énigmatique et un peu louche, Dionisio, tenancier bachique et sa femme Adriana, sorcière au passé un peu flou, au présent plus que douteux aussi, à la fois sorcière et habile intrigante. Leurs prénoms à eux seuls évoquent des personnages antiques, Dionysos et Ariane dont ils sont par certains côtés la réincarnation. Ils sont les véritables maîtres de Naccos ! Ils ont ensemble une histoire compliquée que le narrateur de cette histoire rocambolesque livre peu à peu au lecteur.

     

    Lituma devra donc devoir résoudre un de ces meurtres qui s'est produit dans sa juridiction, mais, cette fois, celui-là a été perpétré par les « peones » et non par les terroristes, sur la personne de Pedrito Tinoco, un pauvre muet, sorte d'idiot du village qui leur rendait de menus services au poste. Sa tâche ne sera pas facile parce qu'il doit enquêter sur fond de violence quotidienne, mais aussi dans la crainte des milices terroristes qui peuvent intervenir à tout instant et anéantir ces deux militaires, sans ignorer les croyances populaires héritées des Incas, les rites magiques d'un autre âge pleins de charlatanismes et de superstitions, la présence des « amarus », les « apus » esprits des montagnes qui inspirent à chacun la crainte et surtout les « pishtacos », sorte de personnages mystérieux mais apparemment bien réels qui vident ceux qu'ils rencontrent de leur substance, de leur graisse et dont les victimes finissent par mourir. Les tremblements de terre et autres catastrophes naturelles leur sont systématiquement attribué. Lituma échappera à l'une d'elles, par l'entremise probable de ces divinités, faisant de lui un homme que cette montagne accepte comme l'un des siens !

    Et tout cela dans le contexte d'une histoire d'amour passionnée et un peu compliquée entre Mercedes qui fut jadis vendue comme une vulgaire marchandise et Tomasino. Après moult péripéties, elle reviendra vers lui, faisant le choix de cet homme que tout cependant éloignait d'elle. Lutima, de son côté, a avec les femmes, des relations qui tiennent du fantasmes et de l'éternelle attente, comme une recherche de la compagne idéale ! Il verra son avenir professionnel prendre un tour enfin favorable/

     

    Ce roman un peu policier se déroule dans le décor grandiose, dépaysant et dépouillé de cette Cordillère mystérieuse et envoutante.

     

    Ce n'est pas le premier roman de Llosa que je lis. J'avais déjà apprécié « L'éloge de la marâtre » (la Feuille Volante n° 279) qui se situe pourtant dans un tout autre registre. Comme souvent chez les écrivains sud-américains, j'ai retrouvé cet art du conteur que j'attends toujours de la part d'un romancier.

     

    *Prix Nobel de littérature 2010].

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ELOGE DE LA MARATRE – Mario VARGAS LLOSA

     

    N°279 – Août 2007

     

    L'ELOGE DE LA MARATRE – Mario VARGAS LLOSA - Gallimard Editeur.

     

     

    Loin du registre qui a fait sa notoriété, l'auteur explore un univers familial particulier, celui, vu à la fois avec les yeux d'adultes et ceux d'un enfant, d'une femme, non seulement épouse mais aussi maîtresse, en ce qu'elle est la complice active des jeux de l'amour, mais surtout la belle-mère. Cette dernière emprunte son lien de parenté au mariage, c'est à dire qu'elle apparaît un peu par hasard dans la vie de gens qui n'ont rien fait pour la connaître. Elle est souvent l'intruse, le mauvais côté de l'image de la femme. Ici, il s'agit de la marâtre, terme un peu péjoratif qui désigne la deuxième femme du père, souvent plus jeune que lui, à la suite de cette détestable habitude qu'ont les hommes d'épouser, surtout en secondes noces, des femmes-enfants! Ils puisent en elles leur vitalité retrouvée, la volonté de combattre les affres de la vieillesse qui vient et parfois l'échec de leur premier mariage. Elle est porteuse de symboles mais aussi de promesses qu'elle ne doit pas décevoir. Pour l'enfant, dit « du premier lit »elle remplace la mère disparue ou partie, sans pour autant prendre sa place, bien au contraire. Il l'accueille souvent mal et s'engage entre eux un combat fait de subtils attaques ou d'affrontements violents peut-être parce que le complexe d'œdipe s'habille ici d'autres apparences, que chacun marque son territoire et tient à ses prérogatives parfois durement acquises...

     

    Mais le titre nous indique qu'il s'agit d'un éloge et donc que vont être battues en brèche les idées reçues que le sujet génère. Il s'agit d'une mise en perspective d'un trio, le père, Don Rigoberto, jouisseur-esthète et fort amoureux de Lucrecia, sa deuxième épouse, marâtre de son fils Alfonso. On pourrait croire qu'il va s'agir du théâtre d'une lutte entre ces trois personnages. D'ailleurs, l'auteur sollicite à la fois la culture et l'attention de son lecteur, par l'évocation qu'il fait de tableaux aussi différents que ceux de Jacob Jordeans, du Titien, de Fra Angélico ou de Fernando de Szyszlo. Les époques et les écoles s'y mélangent, comme le figuratif et l'abstrait. Vargas Llossa y livre sa lecture de ces œuvres où se retrouve toujours un trio, et, en filigranes, une histoire d'amour. Cet amour est à la fois chaste et jouisseur, emprunt de retenue ou de licence, humain et divin. Le corps de la femme y est alternativement montré et caché, mais aussi joliment évoqué avec des mots choisis. Un troisième personnage vient souvent s'immiscer dans le tableau, soit qu'il y est déjà et parle, soit qu'il en est le commentateur extérieur qui, à la manière du chœur antique traduit pour le lecteur-témoin les pensées de la femme ou se charge de débroussailler le subtils écheveau de ses désirs secrets oscillant entre lubricité et vertu parce qu' ainsi va la vie et que le plaisir procède de ces deux facettes.

     

    En même temps, la femme, prétexte aux désirs masculins est présentée alternativement comme objet mais aussi comme sujet de l'action amoureuse, à la fois passive et active. L'auteur nous rappelle, à travers ces fables écrotico-esthétiques, en réalité de longs poèmes, que l'amour n'est pas un acte bestial, voué à la seule procréation ou a l'assouvissement d'instincts animaux, la démarche, et ce qu'il en résulte est au contraire toute en nuances, faite de prolégomènes et de soins des apparences sans lesquels la séduction spontanée paraît impossible. En filigrane, je souhaite voir l'image de la mort, pendant de celle de l'amour et qui en est parfois la conséquence comme l'est paradoxalement la vie avec tous les fantasmes inhérents aux relations ambiguës hommes-femmes, mais aussi enfants-adultes.

     

    Je choisis de voir dans ce texte, non un éloge comme l'indique le titre mais une vengeance subtilement accomplie du beau-fils qui amène habillement sa marâtre à se compromettre et grâce à un écrit anodin, sorte de mise en abyme du livre de Vargas Llosa, à dénoncer l'adultère, à amener son père à se séparer de cette épouse infidèle ainsi démasquée, à le forcer peut-être à rester fidèle à son ancienne épouse, même si, pour cela, il doit perdre sa joie de vivre retrouvée et pénéter de plain-pied dans la mort. C'est probablement une manière de retrouver son père et peut-être aussi de le détruire, tant les relations entre les humains sont complexes, faites d'amour et de haine, de luttes et d'apaisements, de sincérité et de mensonge.

     

    © Hervé GAUTIER - Août 2007.

  • Lily et Braine – Christian Gailly

     

    N°465 - Octobre 2010

    Lily et Braine – Christian Gailly. Éditions du Minuit;

    Le quai d'une gare de campagne, en France, et comme toujours des gens qui arrivent, d'autres qui partent, d'autres encore qui attendent ou qui accompagnent...

    Louis est venue avec sa mère, Lily et avec sa chienne Lucie pour attendre Braine, son père qui revient d'un séjour en hôpital militaire après une longue campagne. Le lecteur supposera, mais bien plus tard, qu'il a été GI au Viet-Nam. Il a été gravement commotionné et après un coma prolongé ne reconnaît pas son fils. Seule la chienne lui fait fête... Les voies traversées, la gare quittée, on arrive en ville puis c'est le ciel, le soleil, la vitesse de la voiture qui le ramène chez lui et que conduit sa femme. Le voyage se fait en silence simplement parce que Braine ne parle plus depuis qu'il a participé aux combats. Il est maigre et affaibli, mais qu'importe, il est vivant et son beau-père, important concessionnaire automobile, lui a réservé une place dans son garage et un bel avenir pour lui et sa famille mais Lily ne le lui a pas encore dit.

     

    Puis les choses se précipitent. Braine rencontre par hasard Rose Braxton, une américaine jolie et énigmatique qui a racheté la boite de nuit de la ville et souhaite, parce qu'elle le connaît sans qu'on sache très bien comment, qu'il y reprenne son ancien métier de musicien. Lui ne se souvient pas d'elle, à cause de son coma sans doute? Pour cela elle reconstitue, avec l'aide d'Orlando, un individu un peu louche, l'ancienne formation de Jazz de Braine. Ce sont trois autres musiciens que la vie a séparés et qui finissent par se retrouver. Bizarrement son beau-père qui pourtant avait d'autres projets pour son gendre, soutient ce projet, allant même jusqu'à le financer.

     

    Le lecteur est le témoin de l'ancien parcours de Braine autant que de sa nouvelle vie avec Lily, sa femme qui est à nouveau enceinte. Cette dernière avait caché le bugle dont il jouait avant qu'il ne parte pour la guerre, mais on ne sait guère pourquoi. On sent aussi que Lily, pourtant amoureuse de son mari, sera mise à l'écart de cette nouvelle existence sans doute parce que celui-ci est un homme séduisant et que les femmes recherchent sa compagnie... On imagine aussi que c'est par son charme qu'il a su conquérir Lily mais on a du mal à imaginer qu'il a préféré la guerre à cette femme jolie et amoureuse, à cet enfant qui maintenant à trois ans et qu'il n'a peut-être pas vu naître, à cette vie établie et rangée!

     

    L'histoire se déroule jusqu'à la fin, avec de petits rebondissements qui n'apportent rien de marquant à l'intrigue et se termine d'une manière étonnante et inattendue.

     

    Cela part doucement au début, c'est même un peu mou, dans la forme comme dans le fond et j'ai eu du mal à me passionner pour cette histoire. Elle est racontée par un narrateur, ce qui lui confère une distance par rapport aux personnages. Il est un peu le témoin privilégie de ce parcours cahoteux de Braine, de son retour à la vie à travers le jazz... Le style est haché, sans recherche, pas vraiment agréable à lire, avec parfois des digressions bizarres.

     

    Tout est sans doute partie du cliché d'un marine américain prostré après une attaque, se tenant au canon de son fusil... Que l'auteur se le soit approprié pour en faire une œuvre de création est sans doute une bonne chose, qu'il choisisse de tisser un univers où le jazz est la toile de fond, soit ! Mais l'histoire dans tout cela... ?

    Elle m'a parue décevante et même peu crédible et il m'a fallu de la persévérance pour atteindre la fin.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Je l'aimais – Anna Gavalda.

     

    N°464 - Octobre 2010

    Je l'aimais – Anna Gavalda.

    Une histoire d'amour banale qui commence bien mais qui finit mal, par la fuite du mari Adrien, mais une fuite sans retour simplement parce qu'il n'aime plus sa femme Chloé, qu'il en aime une autre...

    Cette épouse avec ses deux filles, Marion et Lucie, se retrouve chez son beau-père, Pierre, tout aussi malheureux qu'elle de ce qui arrive. Il fait ce qu'il peut pour la consoler, pour amuser ses petites-filles mais on sent bien que le cœur n'y est pas? C'est vrai qu'il a toujours soutenu son fils et qu'il continue de le faire, parfois avec humour, parfois avec un certain détachement un peu feint, seulement pour sauver les apparences. Elle qui ne s'est jamais sentie très proche de cet homme n'oppose à cette situation que des larmes, se sent seule, « larguée »... Elle va devenir rapidement mauvaise, laide parce que c'est là une réaction quasi normale face à ce qui lui arrive. Dans cette maison étrangère elle est en transit et dehors il fait froid (l'été c'eût été sûrement un peu différent). Elle se dit qu'elle sort du piège du mariage (« Le piège c'est de penser qu'on a le droit d'être heureux ») et s'en veut de s'être laisser griser par tout ce qu'il a représenté pour elle et qui maintenant s'est effondré.

    La vie s'organise donc sans Adrien et Chloé, la narratrice, sent que tout peu à peu lui échappe et devient agressive face à ce beau-père désemparé (« J'étais la femme de ce garçon, vous savez, la femme, ce truc pratique qu'on emmène partout et qui sourit quand on l'embrasse ») et qui pourtant n'accable pas son fils.

    C'est que, profitant de cette cohabitation avec sa belle-fille, il va tenter quelque chose dans sa direction, lui avouer qu'il n'a pas été « le type bien » qu'il aurait voulu être ce qu'il paraissait sans doute. Toute sa vie il a été un patron tyrannique, un père absent, un époux en pointillés... Maintenant il se sent vieux et pense peut-être déjà à la mort! Cela ne semble pas fonctionner au début et Choé reste sur la défensive (« Je suis vieille. Je suis toute cabossée. Je sens que je vais devenir méfiante. Je vais regarder ma vie à travers un judas. Je n'ouvrirai pas la porte ») Puis, Pierre va souhaiter partager avec elle un secret qu'il gardé depuis tant d'années, timidement au début (« Toute ma vie est comme un poing serré »), plus plus précisément ensuite (« On parle toujours du chagrin de ceux qui restent mais as-tu déjà songé à celui de ceux qui partent »). Il finit par lui avouer «  je suis tombé amoureux comme on attrape une maladie , sans le vouloir, sans y croire , contre mon gré et sans pouvoir m'en défendre... et puis je l'ai perdue ». Rien là d'étonnant dans cette histoire, rien de bien original en somme mais il précise que bien qu'amoureux fou de cette Mathilde qui avait fait irruption dans sa vie, il a été lâche devant l'amour, refusant d'être heureux avec celle qu'il croit être la femme de sa vie, sans trop savoir si c'est à cause de son épouse, de ses enfants... Il la laisse partir pour une autre vie sans lui. Qu'en eut-il été s'il avait fait un autre choix? Les choses eussent-elles été différentes? L'usure du couple ne serait-elle pas manifesté avec son cortège de regrets et de remords? Autant de questions qui restent en suspens pour cet homme qui a préféré le confort d'un foyer au grand frisson des amours interdites...

    C'est un peu comme si ce père voulait racheter par son témoignage la fuite de son fils, l'expliquer peut-être, lui dire qu'Adrien avait été courageux là où lui avait été lâche... Mais cela ne fonctionne pas (on s'en serait douté ), Chloé reste avec son chagrin, la certitude d 'avoir été abandonnée pour une autre (« Être soi-même, ça veut dire planter sa femme et ses gosses ?») pour finalement éclater et refuser cette main gauchement tendue (« Partez maintenant. Laissez-moi. Je n'en peux plus de vos bons sentiments... Vous me gavez monsieur l'Ecorché Vif »).

     

    J'avoue que j'avais mal commencé avec Anna Gavalda (la feuille volante n° 463).

    Une histoire d'amour est toujours unique et l'écrivain par son style est un médiateur d'exception pour nous la faire partager. Cette fois j'ai goûté la couleur et même la douleur des mots. C'est à la fois simple et juste, colle parfaitement dans son dénuement à la situation.

    Je ne regrette cependant pas d'avoir persisté dans la lecture de cet auteur.

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part – Anna Gavalda.

     

    N°463 - Octobre 2010

    Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part – Anna Gavalda.

    Pour moi, cet auteur n'était qu'un nom et je n'avais rien lu d'elle. La nouvelle est un genre qui me plait bien et le titre a quelque chose de d'attirant, à la fois plein d'espoir et d'amour déçu, bref du quotidien, de l'humain, un livre qui parle sans prétention de chacun d'entre nous avec ses aspirations et ses échecs.

     

    Les douze nouvelles se succèdent et se déclinent sur le thème de l'amour déçu, contrarié ou hésitant. La première, une scène de drague ordinaire mais à St Germain des Prés quand même! Les autres sont de la même veine, celui qui attend, sinon le grand amour, à tout le moins la bonne fortune et un bon moment à passer. Pourquoi pas? Les autres ont ce petit côté déprimant de celui qui attend quelque chose ou quelqu'un et qui est frustré parce qu'il n'a pas de chance ou pas assez de culot? Il y a aussi cette histoire de viol qui tourne mal ou d'envie d'enfant insatisfaite, ces histoires ordinaires qui ne le sont pas forcément...On peut lire aussi cette solitude qui irrigue tellement nos sociétés pourtant pleines de médiatisation, qui fait en tout cas partie intégrante et définitive de la condition humaine... et le mal de vivre qu'elle sous-tend. L'opposition entre deux frères, même pour la « possession » d'une fille, l'usure du couple qui entraine le silence, l'indifférence ou la haine, le temps qui passe, la maladie, les regrets et les remords, les fantasmes tissés par les hommes à propos des femmes (les seins en sont souvent l'objet sous la plume de l'auteur), cela existe aussi et personnellement je trouve cela plutôt bien. Toutes ces choses appartiennent à la vraie vie. Après tout les thèmes préférés de la littérature sont toujours la vie, l'amour, la mort et on n'en veut pas à l'écrivain de les décliner à l'infini. Jusque là rien à dire, le fond me paraît plutôt bien traité par l'exemple et le lecteur aime se retrouver dans les préoccupation des personnages...

     

    J'avoue que j'ai quand même été un peu déçu par le style. Je m'attendais à mieux. Ce n'est pas mal écrit mais pas bien non plus. La manière de s'exprimer est celle de tous les jours à l'aune des aventures qui y sont racontées et qui appartiennent, elles aussi, au quotidien.

     

    Cela dit, qu'attend-on d'un écrivain, qu'il nous fasse rêver avec des histoires qui n'arrivent qu'aux autres ou qu'il nous parle de notre vécu? Souhaite-t-on qu'il contrebalance le factuel par l'imaginaire? Lui demande-t-on un dépaysement bien venu où qu'il évoque pour nous un train-train déprimant que nous souhaitons fuir précisément par la lecture d'un roman qui tisse pour nous la trame d'un rêve? Souhaite-t-on qu'il nous invite à réfléchir où qu'il nous endorme avec des histoires de midinettes? Qu'il le fasse dans un style populaire, brut et sans recherche où qu'il y mette des formes même si cela passe pour un exercice de style intellectuel qu'on a parfois du mal à comprendre? Souhaite-t-on trouver dans les livres que nous lisons notre langage ou l'usage correct de notre langue? L' écrivain doit-il prendre en compte l'évolution de la langue, l'employer à son tour comme le commun des mortels, comme Racan s'inspirait du langage des « crocheteurs du port aux foins » ou l'exercer dans un classicisme parfois désuet?

     

    C'est à chacun de voir, comme dit le comique. Cela dit, on peut violer la langue à condition de lui faire de beaux enfants. Je ne suis pas sûr que cela soit le cas ici. Pour moi qui ne suis qu'un simple lecteur sans aucune prétention je goûte peu ce style brut et ce que je demande à un écrivain c'est de servir correctement notre belle langue française par un usage fidèle et si possible poétique. Là, je ne l'ai guère rencontré et je suis resté un peu sur ma faim, surtout que le nom de l'auteur, sa renommée me laissaient espérer autre chose.

     

    Mais cela doit probablement tenir à moi!

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Cinq heures avec Mario – Miguel Delibes

     

    N°462 - Octobre 2010

    Cinq heures avec Mario – Miguel Delibes – Éditions de la découvertes.

    Mario Diez Collado, petit intellectuel de province et fervent humaniste, opposant au franquisme, intègre et désintéressé, vient de succomber à un infarctus à l'age de 49 ans. Carmen, sa veuve, procède à sa toilette funéraire, le veille, fait face à la traditionnelle mais douloureuse cérémonie des condoléances. A cette occasion incontournable, elle entend tous les truismes qu'on exprime d'ordinaire en pareilles circonstances. C'est un salmigondis d'hypocrisies, de regrets sincères, entre voyeurisme, désir de consolation, volonté de paraître fort et envie de se laisser aller. Une véritable épreuve!

     

    Quand tout ceci est terminé, Carmen s'installe aux côtés de Mario, en compagnie d'un exemplaire de sa Bible dont il a souligné certains passages et entreprend de régler ses comptes avec lui. Dès lors, tout ce qu'elle ne lui a pas dit de son vivant revient, entre refus d'acheter une voiture et écriture cachée de poèmes qui lui étaient destinés, son parcours un peu difficile d'écrivain incompris, son refus de s'installer confortablement dans une vie bourgeoise... Tout y passe et à travers les reproches que lui adresse, à la première personne, cette femme profondément catholique et à la mentalité de petit bourgeois, le lecteur découvre son véritable portait. C'est une dévote, engluée dans les valeurs de l'Espagne traditionnelle, puritaine et rigide, frustrée d'avoir été toute sa vie cantonnée aux tâches familiales et d'avoir dû vivre dans l'ombre de son mari. De même, à travers ses propos pleins de rancœurs et parfois de fantasmes, entre amour et mépris, apparaît la véritable figure de son époux, petit professeur idéaliste, dénué d'ambition mais épris de justice.

     

    A travers les propos acerbes et parfois mesquins de la jeune veuve on devine le gouffre qui séparaient les deux époux qui ne se ressemblaient pas. On sent que ses aveux couvaient depuis si longtemps qu'ils ne pouvaient pas ne pas être exprimés avant qu'on ne l'ensevelisse et ce d'autant qu'ils sont exprimés avec la Bible pour témoin. Il fallait qu'il soit présent physiquement pour qu'elle lui exprime une dernière fois tout ce qu'elle avait sur le cœur, tout ce que sa vie avait creusé en elle de désillusions et de remords dont il était, bien entendu, responsable. Au cours de cette nuit qui pour Mario annonce celle de l'ensevelissement, elle sent venir vers elle la solitude et le désespoir du veuvage qu'un traditionalisme exacerbé empêchera une nouvelle union avec un autre homme. Elle chérit peut-être encore cet époux mort, mais pendant les quelques heures de cette nuit qui précédera les obsèques elle refait à l'envers le parcours de ce couple dont la vie était vouée à l'échec mais un échec accepté, avec, malgré les apparences sa solitude, ses incompréhensions, les refuges de chacun pour échapper au quotidien. Peut-on dire que ce long monologue devant un mort est apaisant? Peut-être?

     

    Alors, portait d'une société espagnole engluée dans le franquisme, peut-être, celui d'une facette de la condition humaine sans doute aussi, et assurément la remise en cause de cette idée reçue que le mariage réunit deux êtres faits l'un pour l'autre. Ce livre écrit en 1966 est plein du traumatisme de la Guerre Civile qui déchira le pays et de la dictature qui suivit autant que que le désamour qui présida à la vie de ces deux êtres que tout opposait et pour lequel le divorce et l'adultère étaient impossible. C'est une sorte de roman d'amour à l'envers à travers ce monologue caricatural, une tentative de dépasser par l'écriture les dérives d'une société figée dans le conservatisme et l'immobilisme.

      

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Contes carnivores – Bernard Quiriny

     

    N°461 - Octobre 2010

    Contes carnivores – Bernard Quiriny – Le Seuil.

    L'architecture d'un recueil de nouvelles n'est pas chose facile. L'auteur est parfois tenté d'y mettre, sous un titre censé être révélateur, une somme de textes que lui seul considère comme y ayant leur place alors que le lecteur est en droit d'attendre de sa lecture une certaine unité tout au long de l'ouvrage.

     

    Qu'en est-il de ces « contes carnivores »? Ici, nous sommes dans le domaine du fantastique et ces 14 nouvelles aussi surréalistes que labyrinthiques, transportent le lecteur dans un ailleurs bien peu familier. On songe forcément à Edgar Poe, à Borges, mais ces parentés peuvent être artificielles. Jugez plutôt : une femme qui se laisse boire par son amant telle une orange, la vie d'un homme que compliquent les miroirs où se reflètent constamment le visages de ses nombreuses maîtresses, un prélat argentin dont le corps se dédouble, un peuple d'Amazonie dont le langage est incompréhensible par le commun des mortels ou une confrérie d'illuminés qui se veulent intellectuels et qui s'enthousiasment jusqu'à l'excès pour ... les marées noires, Je ne parle pas de ces tentatives musicales dont on a du mal à distinguer si elles sont géniales ou l'expression d'une imposture charlatanesque!

     

    On ne fait pas la lecture de nouvelles comme on lit un roman. L'histoire qui y est racontée est brève, parfois tronquée et décevante dans sa chute... Le parti-pris de l'auteur est ici bien marqué, il précipite son lecteur dans une autre dimension, dans un autre monde où tous les repères de celui qu'il vient de quitter momentanément n'existent plus. Il met l'accent sur l'absurde de la vie, met en perspective le quotidien avec une vision déjantée, irréelle, irrationnelle mais quand même attirante. Les gestes et les postures des personnages, les épisodes de leur vie aussi vont à l'encontre de la raison et piétinent la logique.

     

    Je voudrais m'arrêter aussi sur les personnages, pas seulement sur le narrateur qui apparaît tantôt comme un lamaneur, tantôt comme un critique musicale mais surtout ce Pierre Gould qui surgit d'une manière inattendue dans différentes nouvelles. Personnage énigmatique dont l'auteur nous dit qu'il est un chercheur belge, mais est-ce un double, un hétéronyme, un personnage voyageur qui apparaît et disparaît au gré de l'inspiration ou de la fantaisie de l'auteur?

     

    Ce livre est le premier que je lis de Bernard Quiriny, je ne peux donc réponse à cette question mais je note qu'il s'agit d'une démarche que j'affectionne particulièrement dans l'écriture de la fiction qui est la rencontre « réelle » de l'auteur avec l'un de ses personnages et des surprises qui en découlent. C'est à la fois mettre l'accent sur le côté fictif d'un récit mais aussi pointer du doigt le côté aberrant de de la vie, son aspect parfois irréel.

     

    Je l'ai déjà dit dans cette chronique, la préface fait aussi partie de l'œuvre, même si elle est le fait d'un autre, il convient de la lire attentivement, elle introduit le roman, l'éclaire parfois. Ici, cet Enrique Vilas-Matas, pourtant authentique écrivain espagnol mais dont je ne suis pas bien sûr qu'il n'ai pas quelque parenté avec Quiriny, tient des propos intéressants avec son projet de rédaction d' un « catalogue d'absents » et peut-être plus encore avec son projet d'écrire une « histoire générale du vide ». C'est bien cette impression que je ressens à la lecture de ces nouvelles, cette vacuité que pour moi et à chaque fois tisse le fantastique. C'est d'autant plus intéressant que le préfacier espagnol confesse son angoisse de devoir écrire un texte sur le vide, qu'il ne peut imaginer cette histoire si courte qu'avant même de la débuter, elle était déjà terminée! Il confie sa paresse pour justifier cette absence d'écriture mais à mes yeux c'est d'une impossibilité définitive dont il s'agit puisque cette histoire serait elle-même un vide!

    Je vois dans ce court chapitre une illustration pertinente de ce recueil de nouvelles.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Le contraire de un – Erri de Luca

     

    N°460 - Octobre 2010

    Le contraire de un – Erri de Luca – Gallimard.

    Le titre de ce recueil de nouvelles est à la fois énigmatique et évident ainsi que le note la 4° de couverture « Deux n'est pas le double de un, de sa solitude. ».

    Un recueil comporte toujours une unité que recherche inconsciemment le lecteur. Ici, il présente deux parties et singulièrement c'est la deuxième, intitulée « Les coups des sens » et qui est la reprise d'un recueil publié quelques années plus tôt, où se justifie le plus ce titre. Ces courts textes qui évoquent effectivement les cinq sens sont, selon l'auteur, destinés à défaire «  le temps de quelques pages le nœud lâche et le nœud serré des récits sur l'aventure du deux, le contraire de un ». Ils se réfèrent principalement à des souvenirs de son enfance napolitaine, solitaire sans doute. Il confesse «  Je suis d'un siècle et d'une mer mineurs. Je suis né en leur milieu, à Naples en 1950 ». Plus loin de Luca confie à son lecteur «  Il a bien dû exister pour moi une heure où j'ai connu de quoi était fait l'envers des solitudes, le contraire de un » ou bien encore «  nous sommes deux, le contraire de un et de sa solitude suffisante ». Le ton est donc donné.

     

    Le recueil s'ouvre sur un poème à Mamm'Emilia (sa mère?). Il se poursuit par des textes où il est possible de lire la trace de son expérience militante, entre charges de police, gaz lacrymogènes et manifestations révolutionnaires, mais rapidement cette impression se dissipe et laisse place à une vision du monde différente, plus intime bien que fugace, comme en filigranes : « La jeune fille à la jupe bleue s'éloigna ce jour-là et qui sait qui a mérité de l'avoir entre ses bras ». Vient un autre texte, celui qui met en scène une femme qui attend son assassin sans le connaître qui aspire à la mort mais rejoint la vie grâce à une rencontre de hasard. Les femmes (ou les jeunes filles) comptent beaucoup dans l'œuvre de de Luca, elles accompagnent souvent un parcours intime d'adolescent puis plus tard d'adulte, parce qu'elles sont l'objet de fantasmes, soit parce qu'il en tombe amoureux et qu'elles font un petit bout de chemin avec lui, soit parce qu'elles sont une sorte d'ombre dans sa vie qu'elles ne font que traverser. Que se soit durablement ou non, elles suspendent pour lui le temps et font échec à sa solitude, sont effectivement le contraire de un.

     

    Ce sont des impressions d'enfance et d'adolescence napolitaines, pas vraiment tristes mais empruntes d'une certaine mélancolie. Les phobies ne sont pas absentes non plus (la mort, le noir, l'enfermement, l'étouffement, la peur de l'avenir...) qui sont des variantes de la solitude. Cette impression est prégnante tout au long de ces nouvelles et même lorsque qu'une équipe se forme, il revient toujours à ce concept de l'unique (« la moindre cordée de deux, même si elle s'entend bien, en a toujours un qui encaisse moins bien la retraite, qui voudrait risquer un peu plus » ). Plus tard, c'est sans doute en réaction contre cette enfance solitaire qu'il s'engagera dans des actions collective où l'individu certes agit conformément à un idéal individuel, mais le fait à l'intérieur d'un groupe.

     

    Je ne peux passer sous silence la poésie qui s'attache à l'étrange attraction des mots (« J'observais plutôt la querelle des couleurs sur le marché de la palette qui avait un trou pour le pouce et le sien trempait dans la sauce de l'arc en ciel »).

     

    l'hypothétique lecteur de cette chronique se sera sans doute rendu compte de l'intérêt que je porte à l'œuvre d'Erri de Luca non seulement par la qualité de son écriture simple et authentique (qu'une traduction fidèle ne trahit pas) mais aussi à cause de son engagement politique, militant et humanitaire sans concession.

     

    Chacun de ses livres est en tout cas pour moi un bon moment de lecture.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelque chose en lui de Bartleby- Philippe Delerm

     

    N°459 - Octobre 2010

    Quelque chose en lui de Bartleby – Philippe Delerm – Mercure de France.

    Le titre de ce roman évoque une chanson connue, mais qu'en est-il, et d'abord qui est ce Bartleby et qui se cache derrière ce « lui »?

     

    Selon l'auteur, Bartleby est le nom d'une nouvelle d'Herman Melville (l'auteur de Moby Dick), c'est aussi le nom du personnage principal, simple employé aux écritures de Wall Street qui tout d'abord se montre discipliné, travailleur, lisse, solitaire mais qui, avec le temps, s'oppose à son patron en refusant de faire certains travaux en déclarant systématiquement « Je ne préférerais pas ». Peu à peu il cesse tout travail, s'installe définitivement dans son bureau où il finit par habiter et refuse même son licenciement par son patron!

     

    « Lui », c'est Arnold Spitzweg, c'est le type même de l'anti-héros, simple employé de « La Poste », modeste, casanier, célibataire, solitaire, malgré une brève aventure avec une de ses collègues, demeurant dans deux pièces 226 rue Marcadet à Paris et cela dure depuis 20 ans, depuis qu'il a quitté son Alsace natale! Malgré son travail, il est imperméable à l'informatique, normal, il n'est pas né avec! A force d'être moqué par ses collègues, il va se mettre à tenir un blog, nom bizarre, « espèce de borborygme scandinave, moitié blizzard moitié grog », une sorte de journal intime qui ne l'est plus guère puisque confié à Internet. Il y confesse son envie de silence, de solitude, ses goûts simples pour la glace au café, le cigarillo où le plaisir de flâner dans Paris, surtout l'été, c'est à dire l'inverse de ce qui est la modernité, l'hyperactivité...

     

    Tout cela est bel et bon, mais Bartleby la-dedans? Certes Arnold lui ressemble un peu et chacun d'eux marque sa différence à sa manière, pourtant notre postier reste un fonctionnaire modèle, respectueux de sa hiérarchie et de son travail.

    Pour lui, ce blog sera son originalité, il y parle surtout de son quotidien, de la solitude sans qu'on sache très bien s'il la recherche ou s'il la subit [« Au Luxembourg où naissent vite les conversations sur le sens de l'existence, (il) évite les bancs... Il se choisit un fauteuil vert pâle, à défaut une chaise. Il se redit cette phrase de Léautaud qui le ravit « ce que j'ai dans la tête me suffit »]. Pour que les choses soient bien claires il baptise sa chronique du nom d' « antiaction. com ».

     

    Le plus étonnant c'est qu'on finit par parler de lui à la radio et que, chose étrange sans doute, on goûte son écriture au point qu'on songe pour lui à une édition! Ainsi Arnold qui ne voulait pas entendre parler de l'informatique qui souhaitait surtout rester anonyme devient sujet de conversation, surtout de la part des femmes, reçoit des e-mails auxquels il ne répond jamais, découvre qu'il aime être aimé et être connu![« Il a là-dessous une angoisse métaphysique. Un besoin d'exister qui ne repose sur rien. Çà, c'est vraiment notre époque. Çà m'horripile évidemment. Mais bizarrement ça me concerne »]. Il sort tellement de l'anonymat que son amour de jeunesse qu'il n'avait cependant pas oublié se manifeste à nouveau grâce à la toile.

    Que fera-t-il? Sortir de sa condition de quidam et devenir quelqu'un d'autre est-il si tentant? L'exergue qui, comme la préface fait partie d'un récit et que bien entendu il faut lire, nous avertissait déjà « Il n'y a pas de grandes vies, il n'y a pas de petites vies » Alors!

     

    J'arrête là pour ne pas déflorer ce roman, présenté en courts chapitres et décliné dans une belle écriture, agréable à lire et avec parfois des accents poétiques, comme toujours chez Delerm. Le décor parisien procure un dépaysement bien venu, loin de l'agitation quotidienne du métro et des affaires médiatiques surtout quand l'auteur y met une touche bucolique.

     

    Cela dit, on peut se poser moult questions. Quelle est la valeur de l'écriture et pourquoi la pratique-t-on? Est-elle un réel besoin et quelle est sa véritable raisonnance? Peut-on vouloir rester réellement anonyme en confiant ses états d'âme à Internet?Quid de la notoriété? Malgré tout, nous sommes dans une société de plus en plus indifférente aux autres mais où la réussite individuelle prime. Être différent est-il aujourd'hui bien reçu dans un monde en perpétuel mouvement, en quête d'uniformisation?... Internet a quelque chose de fascinant et de mystérieux, de dangereux aussi...

    Beaucoup peuvent se retrouver dans ce personnage du blogueur sur qui se braquent un temps les projecteurs de la renommée pour l'abandonner ensuite...

     

    J'ai bien aimé ce roman dans la lignée de ce que j'avais déjà lu de cet auteur.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Des hommes et des dieux ; Un film de Xavier Beauvais

     

     

    N°458 - Septembre 2010

    Des hommes et des dieux – Un film de Xavier Beauvais – Prix du Jury au 63°Festival de Cannes

    Il est des films dont la projection laisse le spectateur sans voix.

    Ce film est de ceux-là et l'impression première que j'ai eue, la lumière revenue, fut le silence, l'immobilité des gens, leurs larmes secrètes peut-être? On pouvait y lire à la fois l'horreur pour cette mort atroce pourtant tout juste évoquée, l'admiration pour l'abnégation de ces hommes et pour leur sacrifice consenti, la révolte contre la violence, la fascination pour le courage d'aller au-devant d'une mort certaine et acceptée, la fin d'une mission terrestre, le commencement d'une autre vie... D'évidence, ce genre d'exemple ne laisse pas indifférent!

     

    Au-delà des événements que tout le monde a encore en mémoire [ Une communauté de huit moines trappistes qui vit en harmonie depuis longtemps à Tibhérine au Maghreb algérien en contact avec la population arabe à qui elle vient en aide, sa prise en otage en 1996 puis son assassinat dans un rituel inconnu et barbare – on ne retrouvera que leurs têtes mais pas leurs corps] mais qui reste encore aujourd'hui un mystère, il y a ce film. Même s'il est librement inspiré de faits réels, il nous rappelle encore une fois que chaque homme est mortel, même si dans nos civilisations occidentales cette évidence est encore taboue. Il parle aussi de cette propension qu'ont les hommes à s'entretuer avec pour cela l'excuse de la religion comme le rappelle cette pensée de Pascal opportunément citée, mais aussi de l'acceptation de cette mort que l'on sent rôder, sous la forme de groupes armés islamiques incontrôlés.

     

    Dès lors se pose, pour les moines, le problème de l'abandon de cette population arabe aux exactions des islamistes ou le maintien de leur présence au monastère quoiqu'il arrive. Un monastère est constitué par un groupe d'hommes venus d'horizons différents avec des personnalités différentes, soudés par la seule force de leur foi, de leur mission et par le règle de leur ordre. Dès lors, quitter les lieux revient aussi à fissurer la cohésion de la communauté, d'accepter d'opposer à la violence extérieure la force de la prière et de l'exemple quoiqu'il puisse en coûter! Ce cheminement vers l'acceptation du martyre est bien montré dans le doute de chacun au début puis, à la fin, dans un ultime repas pris en commun (la cène!) que Frère Luc (Michael Lonsdale époustouflant de réalisme et d'humanité qui se pose avant tout en homme libre) choisit d'agrémenter de vin rouge (comme le sang du sacrifice) et de la musique profane de Tchaïkovski (Le lac des cygnes) à la place de la traditionnelle lecture de textes sacrés, comme on abandonne ce monde terrestre, les larmes vite essuyées du vieux Frère Amédée, la détermination de Frère Christian (Lambert Wilson en contemplatif déterminé), la décision de toute la communauté...

     

    Ce n'est pas un film confessionnel au sens strict du terme puisque la vie des moines dans ce coin de l'Atlas se déroule sans la moindre volonté de prosélytisme. Ils soignent indifféremment tous ceux qui se présentent au monastère, prient pour l'âme d'un enfant assassiné autant que celle du rebelle assassin, parlent librement du monde extérieur... Il n'y a pas de message proprement évangélique (les moines citent à la fois le Coran et l'Évangile - on peut parfaitement être athée et être bouleversé par cet exemple), seulement la mise en évidence des valeurs humaines de tolérance, de charité, de fraternité entre les hommes, maintenant fortement gommées par notre mode de vie où la réussite sociale, financière, professionnelle, le paraître, sont les seuls critères. L'image donnée par le monde au quotidien en procure tous les jours l'illustration.

     

    Ces moines sont des hommes de dieu et choisissent d'opposer leurs fragiles chants liturgiques aux vrombissements des hélicoptères de l'armée, décident, contre toute logique, de rester au monastère malgré les mises en garde des autorités incapables d'assurer l'ordre public dans un pays en totale décomposition, opposent un refus silencieux à la délation même si elle vise à livrer des terroristes et même si en jouant ce jeu, les moines se protègent indirectement. Ils rappellent d'une manière apparemment anachronique que leur vie ne vaut rien parce qu'elle est déjà offerte à dieu et qu'ils doivent accepter sa volonté sous quelque forme qu'elle se présente. Il y a quelque chose de grand dans l'acceptation de ce sacrifice.

     

    De nos jours encore, des hommes que tout désignait pour un parcours brillant et carriériste choisissent de tout quitter, de refuser une vie de famille, d'embrasser la pauvreté, l'abnégation, le service de l'humanité et la foi en un dieu qu'ils n'ont jamais vu mais qu'ils servent aveuglément, parce que là est le véritable sens de leur vie. Le silence, la prière, la foi sont leurs seules armes. En cela ils forcent le respect, apportent un certain apaisement et un exemple de dignité. Ce n'est pas un film qui oppose l'islam et l'Évangile, ce sont toutes deux des religions révélées, des religions du Livre, qui prônent la tolérance, la charité, le respect de l'autre, ce n'est même pas un film contre les islamistes, leur vision meurtrière du monde et leur mauvaise interprétation du Coran. Les circonstances « historiques » eussent été différentes, le résultat n'en aurait pas moins été le même. Les hommes continueront de s'entretuer tant qu'ils vivront!

     

    Le film n'apporte pas de réponse à ces exécutions, ce n'était d'ailleurs pas le sujet, même si on a pu se livrer à des supputations sans le moindre fondement, si le mystère entoure encore cette prise d'otages et le marchandage qui y a fait suite. L'important est ailleurs, au-delà du spectacle qui ne veut sans doute pas emporter l'adhésion du spectateur mais lui donner l'occasion de remettre en question des idées reçues, de réfléchir sur un monde qui devient chaque jour plus fou.

     

    C'est assurément la mise en évidence d'un exemple bouleversant.

     

    Hervé GAUTIER – Septembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • Gaston Chérau (1872-1937).

     

    N°457 - Septembre 2010

    Gaston Chérau (1872-1937).

    [Exposition à la Médiathèque Centrale d'agglomération de Niort du 17 au 30 septembre 2010.]

     

    Il n'est pas courant, dans une ville qui n'est guère réputée pour promouvoir son côté culturel, qu'une exposition rende hommage à un des écrivains qui l'a vu naître et soit ainsi proposée au public. C'est le cas puisque la médiathèque centrale d'agglomération de Niort expose, du 17 au 30 Septembre, sous l'égide de M. Erik Surget, conservateur en chef des bibliothèques, de nombreux documents (manuscrits, lettres, tapuscrits, photos...) relatifs à la vie et à l'œuvre de Gaston Chérau (né à Niort en 1872, décédé à Boston en 1937).

     

    Cette exposition complète le fonds détenu par la Bibliothèque de l'Arsenal déjà détentrice d'une grande partie de la correspondance privée de l'écrivain. Déjà, dans le cadre de la journée du patrimoine (Samedi 18 septembre 2010, M. Surget avait fait, devant un auditoire clairsemé, une évocation de la correspondance échangée dans les années 30 entre Chérau, alors membre de l'Académie Goncourt, et Irène Némirovsky (1903-1942), romancière prometteuse alors âgée de 27 ans. [Elle obtiendra, fait rarissime puisque cette distinction n'est accordée qu'à un écrivain vivant, le prix Renaudot en 2004 à titre posthume pour « Suite française » roman publié la même année chez Denoël].

     

    Mais revenons à cette exposition qui fait revivre Gaston Chérau. Elle fait suite à une précédente qui avait eu lieu à la Bibliothèque municipale de Niort du 24 octobre au 15 décembre 1987 ainsi qu'une autre à la bibliothèque de l'Arsenal du 5 février au 9 avril 1988 pour le cinquantenaire de la mort de l'écrivain [Le centenaire de sa naissance avait déjà été célébré par le Société des Gens de Lettres en 1972]. Un catalogue enrichi de photos, de fac-similés de lettres et de nombreux commentaires avait déjà été publié à Niort en 1987.

     

    Il n'est pas inutile en effet de faire revivre l'itinéraire de cet auteur d'exception qui honora grandement les lettres françaises et notre si belle langue. Par son talent, il suggéra la vie en général autant que la province d'où il tenait ses origines, le Poitou par son père, le Berry par sa mère. Son œuvre ne se limite cependant pas à celle d'un auteur régionaliste, inspiré par ses seules racines. Elle porte en effet en elle «  message, éthique, cosmogonie » comme cela est opportunément rappelé dans les quelques pages qui présentent cette manifestation.

     

    Le catalogue de l'exposition niortaise de 1987, gracieusement offert aux visiteurs intéressés, retrace la vie et l'œuvre de cette auteur injustement oublié, pratiquement inconnu dans sa ville d'origine et qui mérite bien une découverte ou une relecture.

     

     

     

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  • MONTEDIDIO – Erri de Luca

     

    N°456 - Septembre 2010

    MONTEDIDIO – Erri de Luca - Éditions Gallimard.[Prix Fémina étranger 2002]

    (Traduit de l'italien par Danièle Valin)

     

    Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai un attachement particulier pour les romans d'Erri de Luca, à cause du style simple servi par une traduction fidèle et qui me parle assurément.

     

    Montedodido est situé sur une colline, un quartier pauvre de Naples dans les années 50. C'est une ville grouillante de vie qui est posée à côté d'un volcan qui peut lui apporter la mort. Le narrateur lui adresse un véritable chant d'amour. Il y décrit sa famille, fils unique d'un docker, il travaille comme apprenti chez un menuisier, mast'Errico, qui dit que « chaque journée est une bouchée ». Pour l'enfant qu'il est encore et qui n'a encore de treize ans, le salaire qu'il rapporte chez ses parents lui donne à penser qu'il est presque un homme. Le « boumeran » que lui offre son père est plus qu'un jouet et, comme il manque de place pour le lancer parce que les ruelles sont étroites, il s'entraine pour le jour où il aura assez d'espace pour le faire voler. Il parle de Rafaniello, un cordonnier juif, bossu et un peu naïf qui apprend les choses en songe et qui s'est arrêté à Naples par hasard sur la route de Jérusalem. Il croit que sous sa bosse se cachent des ailes d'ange qui vont l'aider à terminer son voyage vers la Terre Sainte en volant vers elle. C'est lui aussi qui apprend à l'enfant à rire de tout. Le narrateur rencontre aussi Maria, sa jolie voisine qui est attirée par lui, dit qu'ils sont fiancés et se donnent des rendez-vous, finissent par vivre ensemble...

    Le narrateur qui parle le napolitain [« (langue) très à l'aise dans l'insolence »]mais apprend l'italien pour mieux raconter cette expérience de vie qu'il écrit en secret sur un rouleau de papier.

     

    C'est un roman chronologique aux accents autobiographiques (ou plus exactement une auto-fiction, c'est à dire un récit où la pudeur de l'autobiographie se mêle intimement au merveilleux de la création. On s'inspire des choses faites et vues en les transformant au gré de son imagination et de sa volonté de refaire le monde à sa convenance) de transition entre l'enfance et l'âge adulte symbolisé par ce « boumeran » venu d'ailleurs et qu'il finira par lancer comme lui s'envolera vers la vie. Le temps qui passe est aussi noté par la voix du garçon qui mue, son corps qui affermit ses muscles (tous ses muscles), celui de Marie qui peu à peu devient femme et s'épanouit à l'éveil de la chair et de l'amour, la folie de Rafanielo (Il y a un parallèle entre le vol du « boumeran » et le futur essor de Rafanielo pour la Terre Sainte, véritable terre promise), l'évolution de la maladie de sa mère puis sa mort. C'est une seconde naissance à la vie, incarnée par la fête de Noël. A partir de là tout change (« à Naples, on grandit vite ») Comme souvent chez de Luca, ce passage se fait par les femmes. Ici, c'est Maria, mais c'est aussi sa mère malade.

     

    Il y a aussi une naissance à l'écriture. Le narrateur jeune et parlant tout juste la langue nationale qui est nouvelle pour lui, choisit de faire le récit de tout cela sur un rouleau de papier (ici il n'y a pas de feuille éparses (volantes?) mais le déroulement continu d'un texte sur un support sans fin apparente (« Même le rouleau tourne plus vite, tiré par le poids de la partie écrite »). L'écriture qui sera plus tard sa véritable raison de vivre se régénère elle-même.

     

    Ce récit qui se termine comme une fable est une peinture des petites gens pleine d'authenticité, de complicité et d'émotion. L'auteur écrit cela avec une grande économie de mots et un style dépouillé et poétique. Je ne me lasse pas de lire cet écrivain au parcours exceptionnel et à la langue envoûtante de simplicité.

     

     

     

     

     

     

     

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  • OLIMPIA – Céline Minard

     

    N°455 - Septembre 2010

    OLIMPIA – Céline Minard - Éditions Denoël.

     

    Est-ce la vie de l'auteur à la Villa Médicis qui lui inspira ces pages de la vie scandaleuse d'Olimpia Maidalchini (1592-1657) dont l'histoire a retenu le nom comme celui d'une papesse? Il est vrai que ce séjour dans la ville éternelle, qui est aussi le siège de l'État du Vatican, ne peut que donner envie de relater les multiples aventures qui émaillèrent l'existence de cette incarnation du pouvoir temporel et de ceux qui l'ont exercé, plus volontiers inspirés par les bassesses et les turpitudes humaines que par la conduite spirituelle du monde qu'ils étaient censés mener.

     

    Au demeurant, c'est un petit livre en deux parties, la seconde complétant la première de ses précisions historiques sur la vie de cette femme de naissance modeste, belle et intelligente, issue d'une famille « de pauvre culture et de médiocres moyens ». Dans la première phase, l'auteur donne fictivement la parole à cette dernière qui, après des revers de fortune et après avoir régné sur Rome et sur le pape Innocent X quitte volontairement la ville après la mort du souverain pontife avant d'en être expulsée par son successeur. Elle n'oublie pas, dans un monologue haineux, de répandre sa morgue sur cette citée, sur ses habitants( tous ses habitants, des plus humbles aux plus fortunés), sur tous ceux qu'elle a contribué à élever, qui l'ont servie, qui l'on trahie qui l'ont calomniée. Elle distribue aussi les malédictions(« que la peste étouffe, les broie, les meule, les perce, qu'ils jettent leur dernier souffle en un pet par le cul en ensemble et qu'ainsi Rome en tremble »). Elle mourut l'année suivante de la peste qui envahit toute l'Italie. Comme tous les personnages un peu sulfureux, la légende a comblé le vide de sa présence et, après sa mort on dit qu'elle vient encore hanter une rue de Rome!

     

    Dans un style truculent, charnel et même parfois ordurier (mais peu importe), l'auteur fait parler Olimpia, lui fait égrener les épisodes de sa vie tumultueuse qui l'amena à Rome. Malgré « ses connaissances lacunaires, propre à la noblesse du temps », elle réussit « à se mouvoir avec grâce pari les habits ecclésiastiques ». C'est là un euphémisme qui caractérise une vie tout entière consacrée à sa promotion et à son enrichissement personnels puisque, après un éphémère mariage qui fit d'elle une riche et jeune veuve, elle se remaria avec un influent et vieux romain qui eut le bon goût de mourir avant elle. Elle favorisa, à force d'intrigues, de prébendes et de manigances, l'accession au trône pontifical de son beau-frère, le médiocre cardinal Giovani Battista qui devint pape sous le nom d'Innocent X et dont elle devint la maîtresse et l'influent mentor. Rien ne se faisait donc sans elle. Comme il se doit, elle sera l'objet de critiques et de pamphlets mais admet elle-même que sa réputation n'est pas usurpée « Le peuple m'a suffisamment comblée en m'appelant Pimpaccia et impia et putain de pape et suceuse d'Innocent et vamp et vampiria et femme à sceptre... », sa vie scandaleuse la faisant reconnaître comme « Papesse, impie, courtisane, prostituée (tels) furent les noms qui la désignèrent alors dans les murs de Rome et dans les cours d'Europe ». On ne peut mieux caractériser cette femme, fine politique, ambitieuse, dominatrice, dénuée de scrupules et qui sut modeler les événements à son avantage.

     

    Même si ce livre n'est pas le premier sur le sujet, j'ai goûté cette diatribe forte et brutale autant que l'histoire de cette Olimpia qui illustre l'éternel combat des femmes pour leur réussite en en servant de leur charmes et de leur intelligence au détriment des hommes qu'elles méprisent. Quant à l'histoire de la papauté...!

     

    Je ne connaissais par Céline Minard, cet ouvrage m'invite à en lire davantage.

     

     

     

     

     

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  • LUISA – Marie-Claude Roulet

     

    N°454 - Septembre 2010

    LUISA – Marie-Claude Roulet - Éditions Le temps qu'il fait.

     

    Plus qu'un roman, c'est une longue nouvelle qui met en scène Luisa, une jeune fille encore adolescente que sa mère, tenancière d'un café de village, « place » au château voisin.

    Les premières pages la présente alors qu'elle y arrive, encore toute hésitante, comme on pénètre en territoire inconnu. Elle ne sera que servante parce qu'elle ne peut prétendre à autre chose, qu'elle n'a pas de diplômes et qu'elle n'a jamais été que serveuse dans l'établissement de sa mère. C'est pour elle inespéré de vivre ainsi une vie différente, elle qui n'est qu'une fille de la campagne, c'est donc « une bonne place » qu'elle devra garder. Dans ce nouvel univers, elle fait la connaissance d'Alice dont elle devra s'occuper. Elle est la vieille mère d'Étienne, sorte de notable dont on ne sait pas grand chose et dont le roman ne nous parle qu'à demi-mots. Il entretient avec Ray, un employé, des relations bizarres.

    Rapidement, parce que c'est une fille sérieuse, elle gagne la confiance de tous au point qu'on lui confie des responsabilités et qu'elle prend en mains le domaine. C'est aussi un être original, loin des préoccupations des jeunes filles de son âge. Elle aime lire, et pas seulement des magazines, mais voue une admiration pour le roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre, au point de s'y retrouver elle-même. Elle est aussi liée d'amitié avec Camille dont elle est bien différente, elle qui a fait des études et qui est promise à un brillant avenir. Cette jeune fille a l'amour de la liberté, de la vie, mais pour Luisa, cette liberté a un autre sens: être libre, c'est être servante dans ce château, même si son amie lui dit qu'elle vaut mieux que cela. Elle connaît également Georges, le poivrot du village, occupé à détruire sa vie depuis qu'il est revenu de cette guerre d'Algérie qu'il ne parvient pas à oublier...

     

    Elle qui est quand même différente des jeunes filles de son âge, avait compris que lorsque sa mère l'avait placée dans ce château, ce n'était pas exactement pour y rester comme servante. Les circonstances vont lui donner raison, un peu comme dans son roman préféré, même si elle doit voir partir Camille avec Jacques, un garçon qui ne lui est pas indifférent! Il est vrai que trop de choses les séparent.

     

    Il y a plus qu'une simple connotation avec le roman de Charlotte Brontë et celui de Marie Claude Roulet : les personnages, les lieux, les circonstances semblent se répondre. Luisa accepte ce « contrat » qui l'a amenée au château. En avait-elle compris les termes avant d'en passer le seuil ou s'est-elle adaptée à cette vie nouvelle qui s'offrait à elle au point de prendre possession des lieux et d'accepter un mariage de façade avec Étienne lui permettant de poursuivre une idylle avec Ray? Elle parviendra sans doute à y faire venir Georges pour l'aider certes dans la bonne marche du domaine mais surtout pour qu'il fasse partie plus complètement de son histoire. On imagine mal que son mari le lui refuse, d'autant qu'il a connu Georges en Algérie. Cette complémentarité est étonnante entre ces deux êtres dont le lecteur imagine facilement que tout les sépare, leur âge d'abord et surtout leur manière de vivre. On saisit assez mal la personnalité de Luisa qui laisse partir Camille, son amie, avec Jacques sans chercher à le retenir auprès d'elle. Elle accepte donc par avance ces nombreuses années passées ici où elle mènera une vie tranquille et retirée qui semble être son idéal, une existence dénuée d'imprévus, d'amour, de folies dont on imagine sans peine que son âge est friand. Elle est un peu résignée à son sort, un peu actrice aussi puisque les choses se sont déroulée en dehors d'elle au début mais rapidement aussi avec sa complicité. Au bout du compte, un livre non-encore écrit résultera de tout cela, mais c'est une autre histoire. C'est peut-être celui que le lecteur, un peu perplexe, tient entre ses mains? C'est un récit-gigogne où le personnage principal s'identifie à l'héroïne de son roman favori qu'elle revit et un récit en devenir qu'elle porte en elle.

    J'ai lu ce livre jusqu'à la fin, davantage par curiosité à cause du parallèle avec celui de Brontë que par réel intérêt, sans doute aussi à cause du style agréable du texte.

     

     

     

     

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  • L'ANNÉE DU SOULÈVEMENT- Hubert Mingarelli

     

    N°453 - Septembre 2010

    L'ANNÉE DU SOULÈVEMENT– Hubert Mingarelli - Éditions du Seuil.

     

    Bien étrange histoire que celle de ces deux hommes, Daniel et Clétus, seulement armés d'un fusil de chasse qui sont chargés d'escorter un prisonnier, l'officier San-Vitto, en haut d'une colline où d'autres soldats sont censés venir le récupérer sans doute pour le tuer. On sent que ces deux hommes n'aiment pas San-Vitto parce que c'est un adversaire mais aussi parce que c'est un officier. Ils se ressemblent tous, dans toutes les armées, parce qu'ils incarnent l'autorité, la discipline, la nécessaire obéissance aveugle aux ordres donnés, sans discussion. C'est eux aussi qui prononcent les sanctions souvent injustes et qui s'abattent sur les hommes du rang. Comme si, au sein d'une même armée, chacun se méfiait de l'autre...

     

    Au début, les relations sont hostiles entre ces protagonistes, mais quand ils parviennent en haut de la colline, chacun s'enfonce dans l'inaction obligatoire en espérance que tout cela se termine bientôt. Daniel et Clétus parlent de la guerre mais aussi de leur quotidien d'avant les hostilités. Pour les hommes c'était autant de combats auxquels chacun, amis ou ennemis, a participé avec son lot de morts, d'absurdités, de devoir de tuer. Autour d'un feu, ils attendent, l'officier probablement la mort, les hommes, la relève qui tarde à venir et dont on se prend à imaginer qu'elle ne viendra pas parce que dans ce désordre des choses on a sûrement oublié jusqu'à cette mission un peu bizarre et peut-être jusqu'à leur propre vie. La peur s'installe, chacun la sienne, dans l'incertitude des combats et le futur immédiat qu'on imagine, l'abandon peut-être. Alors pour l'exorciser on fait un feu, (on le construit dit le texte) pour éclairer et réchauffer la nuit, on sort des cartes à jouer, on parle (Clétus emploie le tutoiement avec San-Vitto, Daniel, le vouvoiement), on s'offre des cigarettes, sans doute pour éviter de garder le silence, on s'intéresse à la vision furtive d'un cheval, on prête attention aux aboiements des chiens dans le lointain... Les dialogues sont au départ frustres mais deviennent plus personnels. Des relations quasi-humaines finissent par se tisser entre le prisonnier et ses gardiens, une sorte de syndrome de Stocholm ou de Lima. Pourtant, quoiqu'il arrive Daniel et Clétus devront obéir aux ordres et San-Vitto se soumettre, c'est la règle de ce jeu un peu surréaliste de la guerre qui transforment en ennemis des hommes qui autrement se seraient bien entendus. Alors l'empathie gagne et Clétus qui a le beau rôle parce que c'est lui qui a le fusil, donne des conseils à son prisonnier qui peuvent, le pense-t-il, sauver la vie de ce dernier quand ils sera entre les mains des autorités qui décideront de son sort. Autour d'eux c'est la nuit mystérieuse qui sert de décor. Avec la peur vient le doute et l'hostilité entre Daniel et Clétus qui finissent par s'opposer, se menacer...

     

    Dans ce huis-clos un peu surréaliste en pleine nature, on évoque les combats de cette guerre autant que la paix et chacun s'évade comme il peut, avec les souvenirs de sa vie d'avant, un chien ou une partie de chasse, avec ses projets d'après ces hostilités. A la fin, la guerre elle-même disparaît pour laisser place à autre chose qui ressemble à la paix, à la sérénité. C'est un peu comme si l'absurdité de tout cela disparaissait derrière une sorte d'espérance d'un monde enfin redevenu normal, comme si ces hommes ordinaires précipités un peu malgré eux dans cette lutte, reprenaient leurs habits d'humains. Le style dépouillé suggère cette impression donnée au lecteur d'un temps suspendu entre deux gouffres, entre deux mondes, une sensation un peu trouble et malsaine cependant comme le sont souvent les choses humaines quand l'absurdité se met à peser sur elles.

     

     

     

     

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  • L'ÉTÉ OÙ IL FAILLIT MOURIR– Jim Harrison

     

    N°452 - Septembre 2010

    L'ÉTÉ OÙ IL FAILLIT MOURIR– Jim Harrison - Éditions Christian Bourgois.

     

    Ce sont de nouveau trois longues nouvelles que nous propose ici Jim Harrison.

     

    La première qui donne son titre au recueil met en scène « Chien Brun », un métis indien pas très intéressant, un peu marginal, menteur, buveur, obsédé par le sexe et qui se croit irrésistible. A la suite d'ennuis judiciaires, il a été contraint à un mariage un peu surréaliste qui ont fait de lui le père adoptif de deux enfants, Red et Baie, une petite fille originale qu'il tente de sauver de l'action des services sociaux qui veulent l'éloigner en la qualifiant d'handicapée mentale. Elle a en effet subi le traumatisme d'une mère qui a continué de boire pendant sa grossesse. Maintenant il travaille, mais par intermittence, cuisine, mais sa spécialité l'amène à confectionner des plats pas très ragoûtants. Il n'a cependant rien abandonné de son goût pour la pêche, l'alcool et les femmes. La nouvelle s'ouvre sur une rage de dents qui sera l'occasion d'une passade avec la dentiste qui le soigne et qui est comme lui obsédée sexuelle. Elle nous narre également ses aventures et son amour pour une assistante sociale lesbienne, la persistance de la pêche à la truite et une sorte d'obsessionnelle présence, par intermittence, d'un petit serpent noir et de la cueillette des morilles!

    La seconde intitulée « Épouses républicaines », l'auteur met en scène trois femmes américaines riches, mariées et oisives dont l'une d'elles a tenté de tuer son amant, un écrivain gauchiste suffisant et inintéressant qui a été également l'amant des deux autres. Elle parlent à tour de rôle de cette histoire...A-t-il voulu dénoncer le vide de la vies de ces trois femmes ou le dégoût qu'il ressent pour cette Amérique des années 50 et 60 qu'il rejette?

    La troisième, intitulée « Traces » a des accents autobiographiques d'une enfance dominée par la chasse et la pêche dans le pays qui a servi de cadre à son enfance.

     

    Ces trois nouvelles ont pour cadre la péninsule du Nord Michigan dont l'auteur est originaire, une nature que Harisson célèbre avec plaisir, les plaisirs de la vie, les femmes et la bonne bouffe. Il y met en scène ses obsessions, notamment sexuelles mais aussi son penchant pour l'alcool. Pourtant, je suis plus particulièrement attentif aux personnages, Gretchen, travailleuse sociale et homosexuelle, Delmore, oncle possible des enfants, avare impénitent, Baie qui communique volontiers avec les oiseaux. Ce côté anti-héros me plait bien...Cependant les trois femmes américaines me laissent un peu indifférent, quant à « Traces », je trouve cela sans grand intérêt si ce n'est d'apprendre des détails biographiques sur l'auteur.

     

    J'avais apprécié « Légendes d'automne » (La Feuille Volante n° 451) mais ici j'avoue que j'ai eu un peu de mal à accrocher avec ces trois nouvelles. Pourtant cet auteur passe pourtant pour un écrivain majeur!

     

     

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  • LÉGENDES D'AUTOMNE-Jim Harrison

     

    LÉGENDES D'AUTOMNE– Jim Harrison - Éditions Robert Laffont.

     

    Ce sont trois longues nouvelles que nous livre ici Harrison( même si la préface de Serge Lentz qui est aussi le traducteur préfère le terme de roman).

     

    Dans la première, intitulée « vengeance », c'est une histoire d'amour qui nous est contée, celle de deux hommes qui sont à la fois amis et amoureux d'une même femme. L'un d'eux Cochran est ancien pilote de chasse ayant combattu dans la Navy, l'autre, Mendez, dit Tibey, est un ancien souteneur. Ils vont donc se battre pour l'amour de Miryea, la femme de Tibey dont Cochran va tomber éperdument amoureux et qui partira avec lui. Le début s'ouvre sur son corps abandonné en plein désert autour duquel tournent déjà chacals et vautours. Ce combat qui est aussi une course-poursuite ne va pas se dérouler seulement entre ces deux hommes, mais aussi contre cette femme, véritable enjeu de ce conflit qui ne peut que mal se terminer.

    Le décor est celui du Mexique avec tout ce qu'on attend de ces paysages écrasés de chaleur, l'alcool, les bordels, les meurtres, cette chanson de Guadalajara que Miryea aimait tant mais aussi et surtout la vengeance qui broie chacun de ces trois personnages, cette femme d'abord mais surtout ces deux anciens amants qui sont comme réunis autour d'un cadavre sans qu'aucun d'eux puisse reprendre le cours normal de leur vie.

     

    La deuxième nouvelle « L'homme qui abandonna son nom » entraine le lecteur dans un tout autre contexte, celui plus conventionnel d'une famille établie et aisée. Le père a épousé la collégienne qui, adolescent le faisait rêver, mais, après 18 années de mariage, une vie sentimentale qui est devenue une routine et la naissance d'un enfant, le couple décide de se séparer. L'homme veut  changer radicalement de vie et découvre que même celle-ci ressemble à une longue léthargie.

    C'est, et de loin, le récit que j'ai préféré.

     

    La troisième qui donne son titre au recueil met en scène trois frères du Montana qui partent, au début du XX° siècle, faire la guerre en Europe. L'un deux, Samuel, ne reviendra pas et sa disparition provoque l'effondrement de la famille. Tristan, bouleversé par cette disparition, entame un voyage épique qui le mènera autour du monde. Dans ce récit, écrit par moments en termes poétiques, se mêleront mysticisme, meurtres et une incroyable aventure humaine où la vengeance, le doute et la rédemption ont aussi leur place.

     

    Le point commun de ces trois nouvelles est la violence sous quelque forme qu'elle se présente, qui fait partie de la condition humaine. Elle est une nécessité vitale, se joue des frontières et des époques mais elle est également maudite comme le souligne la préface et n'est en rien gommée par la civilisation dont l'homme aime à se parer. Ce qui nous est montré ici est une évidence, la civilisation n'est qu'un mot, un vernis, une apparence dont les hommes se satisfont et parfois se recommandent pour justifier leurs actions les plus inavouables, leurs compromissions les moins acceptables. Les grandes et généreuses idées savamment distillées et qui flattent sont chaque jour occultées et remises en cause par la réalité quotidienne. C'est donc à une prise de conscience urgente que nous invite cet auteur américain.

     

    le style est simple, précis, dépouillé même, poétique parfois mais assurément terrifiant. Il livre au lecteur, une image de l'homme bien éloignée des grands discours humanistes. Les personnages de Harrison sont humains, pas généreux et humanistes, mais sont l'incarnation de l'homme avec ses pulsions, ses grandeurs comme ses bassesses.

     

    Comme l'indique Yann Quefellec « Les romans d'Harrison font entrevoir en chacun d'entre nous l'ombre portée du criminel, du tricheur et du saint. Au surplus, le style est à lui seul un chef-d'œuvre, une leçon pour les auteurs français, plus habiles à sodomiser les mouches de la ponctuation, à sacraliser les arguties qu'à livrer une inspiration urgente. Jim Harisson est un écrivain passionné, donc il nous passionne !».

     

     

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  • LES SOEURS DE PRAGUE-Jérôme Garcin

     

    N°450 - Septembre 2010

    LES SŒURS DE PRAGUE– Jérôme Garcin - Éditions Gallimard.

     

    Cela commence plutôt fort par une lettre peu amène et carrément insultante de Klara Gottwalt, tchécoslovaque sulfureuse à un homme dont on comprend tout de suite qu'il est romancier. Cela ressemble à une rupture ou quelque chose qui a ressemblé à un contrat non honoré. Klara est en effet un agent artistique qui souhaite avoir dans son agence toutes les célébrités littéraires. Cette femme est tout l'inverse du narrateur originel, people, exagérément cabotine, manipulatrice, séductrice au franc-parler, énigmatique et autoritaire, désireuse de faire prévaloir le paraître et proche du monde politique qu'elle entretient de ses flagorneries.

    Le narrateur, un auteur pas vraiment sympathique, cynique, un peu jouisseur et pas mal profiteur, paresseux, et qui n'a connu qu'un succès un peu fade, refait le chemin à l'envers, narre le jour de leur rencontre et le bénéfice qu'il espère tirer de cette « collaboration » puisqu'elle le sollicite. En réalité, l'écriture n'est pas pour lui un besoin viscérale mais bien plutôt un moyen de réussir dans la société. Pour cela, il va trahir tout son milieu jusque et y compris lui-même pour atteindre, l'espère-t-il, le succès et une hypothétique adaptation cinématographique de son manuscrit. Il marche si bien dans ce jeu sordide que son amie le quitte définitivement tant il est devenu abject! Pour parvenir à ses fins il va épouser les manières glauques de cette société marginale et parisienne où l'hypocrisie le dispute à la vanité.

     

    L'histoire de Klara qui abandonne son fils à des dérives artificielles et ses parents à l'oubli, pour mieux connaître la réussite sociale, doublée de celle de sa sœur Hilda qui reste cependant en retrait pour mieux se réfugier, à la fin, dans des pratiques religieuses illusoires, illustre parfaitement quelques travers de la condition humaine. La mort semble guetter au coin de chaque chapitre pour avoir finalement le dernier mot, qu'elle prenne la forme d'un saut dans le vide ou d'une relégation volontaire sur une île de la côte l'atlantique quand elle est désertée par les touristes.

     

    Cet épisode de la vie du narrateur va le révéler à lui-même et quand cette entreprise douteuse faite de scandales et d'escroqueries financières en passant par le démantèlement d'un raison de call-girls, et un avertissement de la mafia de Prague, tourne court, il s'exile seul à Noirmoutier comme pour tourner définitivement la page. Dégoûté du monde mais surtout de lui-même, il décide en effet de jeter aux orties ses fantasmes, sa chronique à France-Inter, ses prétentions littéraires qui menaçaient, malgré des velléités stendhaliennes, d'enfanter des personnages pas vraiment apparentés à ceux de son modèle. Son héros finissait par lui ressemblaient beaucoup, n'avait donc plus rien de commun avec la fiction et devenait même un peu dérangeants! Au bout du compte le narrateur perd le goût d'écrire.

     

    Alors, roman catharsique ou règlement de compte sous la forme de peinture d'une société que l'auteur, qui en fait peu ou prou partie, décrit en trempant sa plume dans une encre pas très sympathique? Récit qui met en scène un écrivassier vaniteux sans réel talent (comme il y en a tant) qui recherche la « protection » d'une femme d'influence pour obtenir un succès médiatique? Sorte de mise en abyme où le lecteur ne discerne pas bien la dénonciation un peu méchante d'un milieu intellectuel et la mise en garde contre une profession nouvelle, les « agents littéraires » présentés comme des parasites qui se veulent indispensables? Est-ce, peut-être, sous la forme d'une allégorie, une manière d'évoquer l'abandon maternel, cette Klara étant à la fois une mère indigne pour son fils et une « protectrice » peu crédible pour ceux qu'elle a réussi à engager dans son agence.

     

    J'avoue que j'ai été peu convaincu par ce récit où même le style m'a laissé un peu indifférent. Je pense aussi que les nombreuses références aux chansons, aux films qui donnent l'illusion d'une certaine érudition n'ajoutent rien au texte. Quant à l'évocation de personnages bien réels qui trouvent ainsi leur place dans ce récit de fiction, je n'en vois pas l'intérêt. Je dois dire que je suis parfaitement étranger à ce milieu parisien et faussement intellectuel, même si on admet facilement que de décor ne puisse longtemps faire illusion.

     

    J'avais bien aimé « Son excellence monsieur mon ami » (La Feuille volante n°447) et j'avais eu envie de poursuivre avec cet auteur. Je ne suis plus sûr d'être du même avis.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • UN CHINOIS NE MENT JAMAIS - Frédéric Lenormand

     

    N°449 - Septembre 2010

    UN CHINOIS NE MENT JAMAIS– Frédéric Lenormand - Éditions Fayard.

     

    Ce n'est pas parce que la carrière du juge Ti s'est égarée dans des contrées du Nord-Est de l'empire, dans un coin désolé « où le lait gèle en été dans (les) marmites », ce n'est pas non plus parce que sa droiture et son efficacité ne lui ont pas profité qu'il doit se laisser aller. Pour cela, ses trois épouses légitimes ont l'idée, comme cadeau d' anniversaire, de recourir aux services d'un écrivain public dont la spécialité est d'enjoliver les faits et gestes des grands personnages et ainsi de favoriser leur avancement. Cette délicate attention de ses épouses, par ailleurs quelque peu intéressées par une promotion rapide de leur mari, trouve un écho plutôt favorable dans le déroulement des événements. La pratique de l'historiographie, voire de l'hagiographie, n'était en effet pas réservée à l'empereur, chaque mandarin y avait droit et la carrière de Ti, qui se terminera à la cour, ne pouvait, pensaient-elles qu'en sortir affermie.

     

    Ti va en effet restituer à la ville, grâce à un procéder astucieux, les statues du temple de Pei-Tchéou, mystérieusement disparues dix ans plus tôt, ce qui lui permettra d'ajouter foi aux allégations controuvées de son historiographe. Il n'en reste pas moins que trois énigmes s'offrent à lui et sont autant d'occasions de mettre en valeur sa proverbiale sagacité. Si notre juge fait, certes, son travail avec probité, jouant habillement sur les travers humains et se révélant toujours plus pragmatique, il n'en n'est pas moins attentif à l'amélioration de sa situation. C'est qu'il a beau exercer ses talents au sein d'une civilisation qui réserve une large place à la superstition et aux pratiques religieuses magiques et qui est hantée en permanence par des divinités diverses, il n'en reste pas moins un enquêteur au solide bon sens qui promène sur la société de son temps sur laquelle il est chargé de veiller, un regard dubitatif et rationnel, inspiré par la pensée de son maître Confucius.

     

    Il demeure néanmoins un haut-fonctionnaire qui entend se faire respecter et un fin limier capable de débusquer avec finesse et intelligence le contrevenant qui veut porter atteinte au bon fonctionnement de l'État dont il a la charge. C'est d'autant plus vrai qu'on s'est permis d'usurper son identité et ses fonctions pour dépouiller la guilde des marchands de jade. Il doit donc retrouver le trésor ainsi dérobé. Il en est à un point de sa carrière où, suite à des tractations d'où le favoritisme et le népotisme ne sont pas absents, il est promis à une prochaine mutation dans la montagne, chez les éleveurs de chèvres qui ne parlent même pas chinois! Cette perspective n'enthousiasme guère notre mandarin qui verra pourtant son destin administratif prendre une toute autre tournure et ce pour des pratiques qui lui sont néanmoins complètement étrangères!

     

    Comme toujours, j'ai retrouvé avec bonheur la vie et les enquêtes de ce juge déjà évoquées dans nombre de romans de Frédéric Lenormand. Non seulement notre auteur déroule son récit avec un humour de bon aloi qui doit beaucoup à l'euphémisme, voire à la litote, mais c'est aussi pour le lecteur attentif une occasion d'en apprendre davantage sur cette civilisation de l'époque Tang. Chaque roman n'est ainsi pas seulement une fiction mais s'appuie sur des faits précis. On peut ainsi faire la connaissance de ce juge qui fut un personnage historique (nous sommes en 676 de notre ère) dont Lenormand, de livre en livre, nous révèle le parcours un peu atypique. On apprend ainsi les us et coutumes de cette civilisation, le détail de ses couches sociales, son système métrique, ses rites funéraires, ses procédures judiciaires, le panthéon compliqué de ses divinités, ses contradictions aussi parfois!

    La Chine est indissociable du jade aux pouvoirs miraculeux qu'elle prisait fort mais ne produisait pas. Ainsi cette pierre sera-t-elle le prétexte d'une enquête et, pour le lecteur, l'occasion d'apprendre que les marchands qui en faisaient commerce appartenaient cependant à une caste méprisée.

    Les trois épouses du juge ont toujours été, au cours de sa vie, des intermédiaires énergiques alors qu'on les imaginerait volontiers ravalées dans des rôles essentiellement domestiques. Encore une fois, elle se révèleront efficaces. Pour autant cela ne doit rien à l'imagination de l'auteur et s'inscrit dans un contexte où l'impératrice Wu Zetian qui régnait à cette époque, fit en effet beaucoup pour le statut de la femme chinoise au point de la mettre pratiquement à égalité avec l'homme. Elle ne s'oublia cependant pas elle-même puisqu'elle gouverna à la place de l'empereur et substitua sa propre dynastie à celle des Tang.

     

    Dans de courts chapitres écrits dans un style jubilatoire et précédés par quelques mots qui les résument, Frédéric Lenormand dose savamment le suspense et émaille son récit de remarques humoristiques.

     

    Depuis le temps que je « fréquente » le juge Ti, grâce aux romans de Lenormand, j'avoue que je ne m'en lasse pas. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans cette chronique, il est de ces auteurs qui intéressent leur lecteur dès la première ligne et l'accompagnent jusqu'à la dernière sans que l'ennui ait pu s'insinuer dans sa lecture.

    Ils ne sont pas si nombreux!

     

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • DANS LE CAFÉ DE LA JEUNESSE PERDUE-Patrick Modiano

     

    N°448 - Août 2010

    DANS LE CAFÉ DE LA JEUNESSE PERDUE– Patrick Modiano - Éditions Gallimard.

     

    Le décor, un café (« Le Condé ») qui fermait tard dans ce quartier. L'auteur le définit comme « un point fixe » comme le sont, à ses yeux, tous les cafés, lieux publics où viennent parfois échouer des personnages flous et éphémères qu'on y croise et qui disparaissent comme ils sont venus. Dans cet établissement, d'autres clients font partie du décor dont Bowing, dit « Le Capitaine » qui tient une sorte de cahier relatant des allées et venues des clients, avec, à leur sujet, des renseignements personnels.

     

    Pour raconter cette histoire qui se situe dans les années 60 au quartier latin, quatre narrateurs vont se succéder qui sont des habitués de cet établissement qui donneront en quelques sorte leur version des faits qui ressemblent un peu à des séquences successives d'un film. Parmi eux un étudiant de l'école des Mines, Caisley, un ancien membre des renseignements généraux, Roland, un jeune écrivain plein d'espoirs et Youki, alias Jacqueline Delanque épouse Chourreau, une énigmatique jeune femme. Tous fréquentent ce café pour des raisons différentes.

     

    Ce récit qui fonctionne comme un voyage dans la mémoire, ce qui est souvent le cas chez Modiano. Tout d'abord, l'étudiant se souvient de ses moments passés au « Condé » et spécialement de l'apparition de Youki [« Des deux entrées du café, elle empruntait toujours la plus étroite, celle qu'on appelait la porte de l'ombre »]. Il la décrit comme une jeune femme qui avait envie, en venant ici, de changer de vie, de faire « peau neuve », de rompre avec une vie antérieure trop invivable. Modiano donne ensuite la parole à Caisley qui mène l'enquête sur la disparition de l'épouse de Jean Pierre Chourreau qui se trouve être Youki, la jeune femme du café. Cet enquêteur découvre son enfance cabossée, son envie de rompre avec ce mari qu'elle a sans doute trop vite épousé pour rompre avec une adolescence fragile d'où elle voulait s'évader... C'est ensuite le tour de Youki de s'exprimer. Elle évoque son enfance tumultueuse faite de fugues, de bars incertains, ses amours, son mariage rapide, son union un peu surréaliste avec Jean Pierre Chourreau, l'évocation d'un autre personnage Guy de Veer, passionné d'ésotérisme. Enfin Roland se rappelle de sa rencontre avec Youki et leur liaison. Ils forment ensemble un couple sans attache, errant dans la ville comme dans la vie dont ils sont un peu les passagers clandestins. Le jeune romancier passionné par le thème de « l'éternel retour » réfléchit sur ce qu'il appelle « les zones neutres ». Il se souvient aussi que c'est au café qu'il a appris au café qu'elle s'était suicidée.

     

    Le thème du café, lieu de transit, dans ce Paris que Modiano connaît et affectionne, favorise les rencontres. C'est paradoxalement une zone un peu floue ou le temps s'arrête, où les valeurs et les préoccupations du monde extérieur n'existent plus dès lors qu'on en a poussé la porte. Cette impression est corroborée par les autres clients du débit de boissons, des personnages jeunes, un peu et bohèmes et qui appartiennent à « une jeunesse perdue » ce qui implique à la fois une sorte d'absence d'avenir pour eux qui choisissent d'oublier leur condition dans l'alcool et peut-être d'autres « paradis artificiels », de leur volonté de s'y perdre aussi. C'est ce qu'ils appellent « leurs voyages ». Ce sont peu ou prou des intellectuels, des artistes, des étudiants plus ou moins en rupture avec l'université qui refusent ce monde et se réfugient ailleurs. [« Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague, sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repères »]. La période des années 60 n'est pas non plus choisie au hasard, non plus d'ailleurs que le fait de tenir, sur les clients de l'établissement, un cahier qui ne sert à rien. Cela m'apparaît comme la culture du dérisoire et de l'inutile.

     

    C'est aussi le thème du temps révolu qui est traité ici, celui de la mémoire qui fait revivre des faits appartenant à des tranches d'une vie passée (le thème de « l'éternel retour ») qui ne reprend vigueur que par la force des mots : la nostalgie n'est jamais loin chez Modiano. Le lecteur est envahi par un certain spleen aux contours assez indistincts cependant, une mélancolie proustienne faite de temps perdu et momentanément retrouvé à propos d'une histoire volontairement banale, trace laissée sur le sable du souvenir où le mystère n'est pas absent (thème de l'ésotérisme, de l'enquête « policière », le surnom donné à Louki), comme si la vie elle-même en était un permanent. C'est aussi la fuite qui est suscité ici, celle du temps mais aussi cette envie de changer d'univers, de quotidien qui nous hante tous sans que nous soyons pour autant capables de réaliser ce projet. Ces personnages qui ont existé( au moins dans le récit) mais appartiennent maintenant au passé, suscitent un vide, une absence. La mort par suicide est aussi une fuite, une issue probable ne serait-ce que pour matérialiser cette impossibilité de vivre dans ce monde, de s'y acclimater, d'être l'acteur de son propre rôle, même si c'est celui d'un quidam. Dans cette sorte de galerie de portraits, les personnages sont comme dessinés en creux, comme s'ils ne laissaient qu'une trace ténue dans ce récit.

     

    Comme toujours j'ai bien aimé parce que, sans doute, cela me ressemble un peu.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI - Jérôme Garcin

     

    N°447 - Août 2010

    SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI– Jérôme Garcin - Éditions Gallimard.

     

    Qui se souvient encore de François-Régis Bastide? Il faut assurément n'être plus très jeune, être un amoureux passionné de la radio et de la culture et avoir un peu de mémoire! Qui était-il donc? Fondateur du « Masque et la plume », musicien, écrivain, séducteur, admirateur de Cocteau, mystificateur et ambassadeur de France ( d'où le titre). C'est en tout cas ce personnage que choisit d'évoquer Jérôme Garcin qui, entre autre, anime à son tour l'émission de France-Inter qui était celle de « son ami ».

     

    Quand il choisit de revenir à La Garde-Freinet où il habitait, de remettre en quelque sorte ses pas dans les siens, Bastide est mort depuis dix ans déjà. Par un réflexe qui n'anime que ceux qui souhaitent que la mémoire d'un homme ne se perde pas tout à fait mais qui refusent l'édification d'une statue si tentante, irréaliste et peut-être inutile aux yeux des quidams pour qui il restera toujours un inconnu, l'auteur préfère un hommage appuyé à celui qui avait « le visage exact du séducteur qui suscita autrefois, à parts égales, de l'excitation et de l'exaspération, tant il était à la fois irrésistible et insupportable ». Le ton est donc donné. Mais comment le faire sinon avec des mots qui portent en eux à la fois la pérennité de l'airain et la fragilité du support que guette l'oubli, ce travers de la condition humaine? Et puis, nous le savons bien, ils enjolivent et trompent à la fois, et ce malgré l'auteur lui-même, se conjuguent souvent avec l'ombre, les anthologies étant souvent des vœux pieux que personne ne lit.

     

    Quand il décline son enfance et son adolescence biarrottes baignées de musique, son engagement dans la 2°DB, son séjour en Allemagne occupée, pays qui fera toujours peu ou prou partie de lui-même, ses passionnantes découvertes littéraires, son entrée dans le monde culturel et médiatique, il montre que ce que veut Bastide c'est avant tout conquérir Paris et obtenir réussite et notoriété. Puis ce fut l'engagement politique aux côtés de François Mitterand en lorgnant en secret sur un ministère, à condition qu'il fût situé rue de Valois, pour finalement embrasser une carrière diplomatique, même si celle-ci ressemblait un peu à une disgrâce ou a un éloignement et qui mit entre parenthèses sa carrière d'écrivain. Malgré de fréquents séjours à Latché, celui que Garcin appelle familièrement « Régis » n'était pas non plus exempt de vanité.

     

    Il évoque aussi ses aventures amoureuses se demandant «  S'il n'était pas un collectionneur vaniteux qui trop embrasse ou un pénitent inconsolé qui mal étreint ». Pourtant Gilles Jacob le dira « brillant avec les mots, brillant avec les femmes ». C'est plutôt un compliment!

     

    Quand il parle du chroniqueur littéraire qu'il fut aussi, Garcin note que «  c'était un troublant mélange de jeune amant transi et de vieux critique râleur, de cabot et d'exégète qui donnait à ses chroniques un charme coquin , ébouriffé, fougueux, parfaitement inactuel. ». On ne fait sans doute pas ce métier sans se créer des inimitiés. A lui non plus elles ne manquèrent pas!

     

    Comme tout personnage en vue, il a suscité la polémique. C'est à cela qu'on reconnaît aussi la valeur des gens, surtout s'ils sont, comme il aimait à le dire de ceux qui participait à son émission « des insolents plutôt convenables », au moins, ils ne laissent pas indifférents. Et Bastide ne s'est pas contenté de la créer dans le cadre de son émission de radio du dimanche soir!

     

    En réalité s'il parle de cette amitié qui les unissait et les unit encore par-delà la mort, c'est peut-être à cause de leurs deux vies parallèles et le désir de Garcin de rédiger non pas une biographie mais une évocation amicale, tout en y glissant, mais on ne saurait lui en vouloir, des anecdotes personnelles. Et d'ajouter « J'aimais que notre amitié fondée sur des désaccords parfaits que rien jamais n'ébrécha ni n'assombrit. Il m'arrive de croire qu'il a été, à son insu, mon ange gardien ».

     

    C'est donc la fidélité en amitié imperméable au temps qui anime l'auteur qui ne voudrait pas « qu'on négligeât François-Régis Bastide » simplement parce qu'il ne fait plus partie du monde des vivants. C'est un hommage émouvant, sans grandes concessions et qui évite autant la dithyrambe que les révélations malsaines qui font trop souvent le succès des livres actuels, et n'a pour unique but que de faire revivre un ami disparu. De cet écrivain adepte du « mentir-vrai » il fait un portrait attendrissant : « Il m'a toujours semblé que cet admirateur de Saint-Simon s'était trompé de siècle et qu'il était fait pour vivre au temps de la litote, de la prétérition, du clair-obscur et du baisemain... Maladroit en amour, gaffeur en société, querelleur avec ses amis, d'une grandiloquente timidité, bravache sans raison, préférant être amoureux qu'aimer, et caressant peut-être mieux les mots que les corps, mon ami, cela au moins lui sera-t-il accordé, était beau de langage ».

     

    L'écriture de ce livre est calme, musicale, limpide et procure une lecture agréable, donne aussi envie, pourquoi pas, de lire Bastide et peut-être aussi et même sûrement, d'en découvrir davantage chez Garcin.

     

     

     

     

     

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  • L'HORIZON - Patrick Modiano

     

    N°446 - Août 2010

    L'HORIZON – Patrick Modiano - Éditions Gallimard.

     

    L'univers de Modiano m'a toujours paru original et intéressant parce qu'il explore des tranches de vie recouvertes par l'oubli ou qu'il choisit de faire revivre différents épisodes qui ont baigné dans l'échec ou par le hasard qui aurait pu lui être favorable, mais ne l'a pas été [« Un vertige le prenait à la pensée de ce qui aurait pu être et qui n'avait pas été »], choisit de redonner aux rêves voire aux fantasmes les traits de la réalité et illustre, une nouvelle fois, une impression de mal-être au quotidien.

     

    Pour cela, il met en scène une série de personnages modestes, sans grande envergure, un peu en marge du monde ou, à tout le moins, qui semblent n'y être que par intermittence. Bosmans remonte le cours du temps, quarante ans en arrière alors qu'il était un tout jeune écrivain mais aussi employé dans une librairie spécialisée en sciences occultes, en feuilletant un petit carnet où il a confié ses impressions, privilégiant la « matière sombre » [«  Brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues... »]. C'est un nom, un visage, le son d'une voix, les accents d'un rire, une impression floue au début et qui s'affirme avec le temps, des fantômes qui sortent du néant! Une rencontre, le hasard, des images furtives, des phrases banales et convenues, mais « chaque première rencontre est une blessure ». Il évoque le souvenir d'une femme, Margaret Le Croz, dont il ne sait presque rien et dont le passage dans sa vie semble tenir du rêve autant que du mystère. Leurs relations sont volontairement distantes, juste amicales, à peines complices et même pas amoureuses, comme s'ils ne faisaient que se côtoyer en entretenant une sorte de crainte permanente [« Tout ce qu'on vit au jour le jour est marqué par les incertitudes du présent »]. Ils forment un couple irréel, presque intemporel [« Margaret et moi, assis l'un en face l'autre dans une lumière limpide et intemporelle »]. Ils ont leur pendant inversés dans le couple d'avocats, les époux Ferne, qui, eux aussi, vivent sur une autre planète, mais différemment d'eux puisqu'ils sont plus ancrés dans leurs certitudes, plus conscients de leur valeur, de leur supériorité. Ils sont aussi sérieux qu'est énigmatique le couple Poutrel-Gaucher.

     

    L'auteur nous fait partager des moments de vie de Bosmans, poursuivi par une femme qui lui demande de l'argent, qu'il suppose être sa mère sans en être sûr lui-même et un homme ressemblant à un prêtre défroqué. Margaret, après avoir exercé divers petits métiers en Suisse est arrivée à Paris où elle se dit harcelée par un homme, Boyaval, sans bien savoir s'il existe ailleurs que dans sa tête. Bosmans et Margaret ont en commun une sorte de détachement du monde que les lieux parisiens évoqués ne parviennent pas à dissiper, une solitude, une forme d'angoisse même. Margaret ne veut pas en apprendre davantage sur Boyaval tandis que Bosmans est tout prêt à se laisser rançonné, un peu comme si ces deux personnages se complaisaient dans cet état de fait ou n'y opposaient qu'une résistance assez molle! [«  Demander à des avocats de le défendre contre quoi? La vie?...le sentiment de culpabilité qu'il éprouvait depuis son enfance, sans savoir pourquoi, et cette impression désagréable de marcher souvent sur du sable mouvant... »]. C'est un peu comme si la vie était pour lui un poids, une sorte de croix trop lourde à porter. Leurs deux existences se sont déroulées indépendamment l'une de l'autre, puis, par hasard, ils se sont rencontrés. Chacun à leur manière, ils avaient essayé de son fondre dans la masse en prenant bien soin de ne pas se distinguer.

    A la fin, c'est un Bosmans vieillissant et désormais écrivain confirmé qui retrouve Boyaval à Paris, près de quarante ans plus tard et ils parlent de Margaret qu'il a cru retrouvée comme on croise « un fantôme du passé ».

     

    Comme c'est souvent le cas dans les romans de Modiano, les personnages sont fuyants, insaisissables, fragiles, tourmentés par leur passé et en même temps se cherchent eux-mêmes à travers leur histoire personnelle qu'ils ont parfois du mal à assumer. C'est un peu comme s'ils allaient à leur propre rencontre et que ce qu'ils découvraient ne leur plaisaient guère, mais qu'ils s'en accommodaient quand même.

     

    Face à cela, le titre [l'horizon] évoque l'avenir, les projets alors que le roman se décline dans le temps et dans l'espace, c'est à dire fait appel aux souvenirs, explore les chemins plus tortueux de la mémoire. Aussi bien pour Margaret que pour Bosmans, la vie est une fuite et leur rencontre, même si elle est fragile et menacée dans sa pérennité, peut être regardée comme un refuge, un rempart contre le mal-être que chacun d'eux ressent et, à ce titre, être elle-même un horizon!

     

    Son écriture est, comme toujours dépouillée, en phase avec l'histoire que le narrateur évoque, en cohérence aussi avec l'ambiance qui d'ordinaire baigne ses romans et que j'apprécie, et là, comme toujours, j'ai eu le même sentiment, celui d'une histoire qui ne se termine pas, dont l'épilogue est remis à plus tard. C'est sûrement un roman de soi-même pour Modiano, un de plus dans cette quête personnelle qui semble n'avoir jamais de fin.

     

    Comme toujours, je suis entré dans cet univers proustien avec plaisir, parce que sans doute je m'y sens bien et que, dans ces personnages, j'ai retrouvé un peu de moi. Ou le contraire? Allez savoir!

     

     

     

     

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  • COUP D'ÉTAT - Pierre Moinot

     

    N°445 - Août 2010

    COUP D'ÉTAT – Pierre Moinot - Éditions Gallimard.

     

    Nous sommes en 1851 et le Prince Président, bien qu'ayant juré de défendre la Constitution, se prépare à la déchirer et devenir Napoléon III. Ayant obtenu les pleins pouvoirs, il se met en devoir de pourchasser et d'éliminer physiquement tous ceux qui ne partagent pas ses idées et ses projets, c'est à dire les républicains.

     

    Dans un petit village du mellois, près de Niort, Paul Méhus, veuf de Laure qui éclaira sa vie, vétérinaire, proche du peuple, créateur de nombreuses sociétés d'entraide, mais aussi chef politique local apprécié et fervent républicain va devenir le gibier de cette chasse à l'homme. Des listes d'opposants sont dressées et son nom y figure. Il suffit d'ailleurs de peu de choses pour être recherché et traqué. Dans ce Bas-Poitou, nous sommes en pays protestant, rude et austère, encore tout meurtri par les dragonnades, un siècle et demi plus tôt. On ne s'endort jamais ici sans avoir dit ses prières et surtout on ne transige ni sur les idées ni sur l'honneur!

     

    Naturellement, devant cet assassinat de la liberté, partout en France et dans la capitale, des hommes vont lutter pour le triomphe de la démocratie. Méhus songe à un soulèvement à Niort, mais le coup semble perdu d'avance. Comme toujours en pareil cas des traitres se révèlent mais aussi des amitiés, des fraternités se créent, nourries par le même idéal. Méhus, trahis et blessé devra fuir la plaine du mellois et trouvera refuge dans le Marais. Même s'il est catholique, c'est un refuge sûr pour ceux qui fuient quelque chose ou quelqu'un. De tout temps, dans ce pays où la terre et l'eau s'entremêlent, on parle peu et on n'aime guère les gendarmes et l'autorité. Il y sera en sécurité et trouvera, sous les traits de Madeleine, à la fois une infirmière attentive et les prémices d'un amour naissant qui lui rappela Laure et s'harmonisera avec le paysage ambiant, lui procurant une sorte de paix intérieure. Rêve et action se conjuguent dans ce roman inspiré par la phrase de Baudelaire citée en exergue.

     

    Cet ouvrage tranche un peu sur les habituels thèmes traités par Pierre Moinot mais j'ai retrouvé avec bonheur son style extraordinairement pur et poétique, plein de descriptions et d'évocations de cette terre qu'il aimait tant et qu'il a si bien su faire vivre pour son lecteur. Ce récit est plein d'images apaisantes comme le sont celles qu'on rencontre dans ce qu'on nomme maintenant « La Venise Verte » : « Il tourna dans un chemin d'eau plus étroit bordé de vergnes qu'ils appelaient une conche, puis dans une autre et du coup Méhus sentit qu'entrait en lui un grand silence peuplé de petits bruits lointains et du doux glissement de l'eau sous lui, la lumière mouillée de l'hiver, une paix d'un autre monde. Au passage des bas-fonds, Riffaut changeait sa pelle pour une longue perche ferrée qu'il appelait la pigouille et qui, lorsqu'il pesait sur elle de tout son poids faisait relever le nez du bateau. »

     

    Ce fut, comme à chaque fois, un bon moment de lecture.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • MA PREMIÈRE FEMME - Yann Queffélec

     

    N°444 - Août 2010

    MA PREMIÈRE FEMME – Yann Queffélec - Éditions Fayard.

     

     

    La 4° de couverture donne le ton « Un homme revient sur son enfance- il est peut-être mon double, mon agent le plus secret ». A ces mots, il est permis de penser que nous entrons dans l'univers de l'autobiographie d'autant qu'il est question du visage de la mère, évoqué ici malgré l'outrage du temps. L'auteur indique d'ailleurs que l'imagination est venue à son secours et a régénéré son écriture autant qu'il a transformé cette figure d'exception qu'il nous livre ici.

     

    Ce sera donc elle, sa mère, « sa première femme ». Autant dire que de cette famille fictive, le père, conférencier international et écrivain sera absent en permanence, constamment sur les routes, dans les avions, parlant devant des aréopages d'intellectuels qui attendaient ses interventions...

    Le narrateur, Marc Elern, se présente à nous avec un certain humour et évoque sa vie d'enfant au sein de cette famille un peu fantasque et dédiée au piano où sa mère, ancienne concertiste, a choisi d'abandonner la musique pour se consacrer à ses enfants, où sa petit sœur Cathy est aveugle. Il lui servira de guide au physique comme au moral, il sera un peu son double, son confident, son mentor comme elle sera son miroir...

     

    Refaisant le chemin à l'envers, il nous conte son éveil à la vie, ses premiers émois amoureux d'adolescent avec ses fantasmes et ses déceptions mais quand il décroche le téléphone, la clinique, croyant avoir affaire au mari, lui annonce la mort de sa mère «  Votre femme n'a pas passé la nuit ». Ce bout de phrase, prononcé par hasard et surtout par erreur va déclencher l'écriture parce que, dans son cas, cela lui apparaît comme le seul moyen d'exorciser la douleur née de cette absence. Certes, il avait déjà compris que sa mère avait déjà fait un bout de chemin avec la maladie et la souffrance, mais elle était là. Était-ce pour la faire revivre, garder une trace de son passage sur terre qu'il va égrener les moments de vie de cette femme, la première qu'il ait jamais connue, qu'il va se souvenir des moments d'intimité qu'il a eue avec elle, qu'il va retrouver les lettres qu'elle lui envoyait quand il était au pensionnat où elle lui parlait de liberté, d'amour et de Dieu, autant de jalons qui vont gommer l'oubli, autant d'occasions de relire les confidences maternelles, de déchiffrer après coup ses peurs, les réalités savamment occultées, ses espoirs promis au néant!

     

    Alors, ce fils attentif répond à ses missives et on imagine bien qu'il en peaufine les termes, en sculpte les phrases comme savent le faire ceux qui veulent que leurs mots portent et qu'ils soient compris par leur destinataire. Mais la mort vient interrompre tout cela. Il n'y aura plus jamais de lettres, plus jamais de réponse! Dès lors, l'absence s'installe, et avec elle les choses se bousculent, la révolte s'insinue devant cette injustice et l'espoir improbable d'une autre vie, dans un autre monde ou parait-il on se retrouve, ne console pas. Puis vient la culpabilisation d'être encore là, de n'avoir pas dit ou fait ce qu'il fallait au bon moment, avec en prime la haine de soi-même et des autres, incapables de partager sa douleur intime.

    C'est que la vie continue comme on le dit un peu trop facilement et avec elle les déceptions amoureuses, la femme est jouissance mais aussi souffrance!... Pour lui, il y a le bac qu'il faut bien passer. Alors il joue la comédie et tient son rôle. Il le faut bien. Il se réfugie dans l'alcool parce qu'il endort et dans le sport parce qu'il est aussi une souffrance qui en combat une autre...

    Seul restera l'écrivain qui usera de mots, lui aussi, mais autrement, avec l'arme de l'humour, voudra se jouer à lui-même une comédie, se faisant croire que tout cela n'a été qu'un mauvais rêve, qu'une mauvaise blague et que tout va revenir comme avant.

     

     

     

     

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  • LE MATIN VIENT ET AUSSI LA NUIT – Pierre Moinot

     

    N°443– Août 2010



    LE MATIN VIENT ET AUSSI LA NUIT – Pierre Minot - Éditions Gallimard.

     

     

    Qu'annonce le titre de ce roman qui s'inspire d'un verset biblique? Qu'y a t-il de commun entre ces personnages si différents les uns des autres? Maria la vieille servante qui pour la première fois accepte de parler de sa vie et de son unique et merveilleux amour qui l'a illuminée, Adrien, enfant de l'Assistance Publique qui s'enthousiasme pour la lecture, s'émerveille de la vie qui l'entoure mais fait une étrange découverte qui bouleverse son quotidien, Fernand et Clémence, un couple de paysans qui l'ont recueilli mais pour qui la vie commune n'est devenue supportable qu'en silence, Zacharie, le menuisier qui va devoir fabriquer deux cercueils parce que, dans la campagne, on vient de découvrir deux cadavres et qu'il s'agit de deux assassinats..., Malvina et Émile, ce couple aux semelles de vent qui gardera secret ce qu'ils ont vu, le confiant seulement et à demi-mots à Lortier qui va mener une enquête discrète et brouiller un peu les pistes sur ces deux meurtres parce qu'il ne conçoit pas que son pays puisse donner asile à un meurtrier mais ne veut pas non plus qu'un enfant paie pour ses peurs... Lui-même qui, tout au long de sa vie a couru et déchiffré le monde comme archéologue a fini par admettre que ce qu'il a toujours cherché se trouvait là, dans le simple village poitevin comme dans l'amour qu'il porte à sa femme...

    L'auteur nous offre donc un texte avec, comme en contre-point, une énigme policière qui prend corps à la fin avec un suspense savamment distillé, mais surtout qui est écrit comme un véritable roman!

     

    Les hommes et les femmes, quelle que soit leur place dans la société, se côtoient dans ce village poitevin du milieu du siècle dernier, y mènent une vie simple, sans artifice. Ils appartiennent tous à la condition humaine et sont donc tous assujettis à la fuite du temps qui vous pousse vers la mort ou vous sort de l'enfance, au vieillissement et vers cette fin tant redoutée dont on ne parle pas mais qu'il faut quand même accepter. Il évoque aussi l'enfance, la solitude et le secret, la crainte de la faute et la peur du monde des adultes, le poids de la culpabilité que la jeunesse amplifie. Ce sont tous des humains et, à ce titre, incarnent eux aussi, de génération en génération, et dans ce même décor familier, la cohabitation du bien et du mal.

     

    La lecture de ce roman a révélé un écrivain qui manie avec bonheur notre belle langue française, la fait chanter avec justesse et simplicité, n'oublie rien des gestes ancestraux, des superstitions, des rites et des coutumes parfois incantatoires de ces paysans ni des légendes que ce Poitou a su faire naître ou accueillir. Les histoires qu'il conte non seulement s'inscrivent dans le terroir d'une enfance paysanne qu'il ne renie pas mais la nature qui l'inspire et qu'il sait si bien décrire baigne cette écriture d'une clarté apaisante, la peuple d'images à la fois évocatrices et poétiques. Ses mots tressent un univers qui ne peut laisser indifférent un lecteur attentif peu à peu gagné par la beauté des paysages suggérés et sa phrase est superbe...

     

    Je dois bien avouer qu'avant que le hasard ne m'invite à croiser les ouvrages de Pierre Moinot, cet auteur n'était pour moi qu'un nom, celui d'un écrivain peut-être injustement méconnu!

     

    Cela a été un moment exceptionnel de lecture que je n'ai pas regretté!

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • LE CONTRAT AVEC DIEU - Juan Gómez-Jurado

     

    N°441– Août 2010

    LE CONTRAT AVEC DIEU – Juan Gómez-Jurado. Éditions Plon.

    (Traduit de l'espagnol par Pierre Gautier)

     

    Cela paraît un peu confus au début, l'histoire d'un médecin nazi tortionnaire dans un camp de concentration qui a échappé au tribunal

     grâce à des complicités, un prêtre Anthony Fowler, à la fois agent double de la CIA et du Vatican. Et puis cette histoire d'expédition secrète, officiellement sous couvert d'exploiter des phosphates dans une région où, d'évidence il n'y en a pas! Elle est baptisée « Moïse », financée par Raymond Kayn, un milliardaire américain agoraphobe à la vie déchirée, et dirigée par un vieil archéologue juif spécialiste de la Bible et de ses messages abscons, Cecyl Forrester, jusque dans les sables du désert de Jordanie avec le projet un peu surréaliste de retrouver l'Arche d'Alliance contenant les « Tables de la Loi » qui y serait enterrée, preuve matérielle de l'existence d'un contrat passé en Dieu et les hommes... C'est que, en 70 après JC, le temple de Jérusalem fut rasé et les Juifs, pour sauvegarder leur relation privilégiée avec Yahweh transportèrent cette Arche jusque dans le désert de Jordanie où ils l'enterrèrent. Le but de cette expédition est donc de la retrouver, mais le temps presse et le secret est de rigueur! Après tout pourquoi pas, l'idée, quoique déjà émise est plutôt bonne, surtout quand on est en pleine fiction?

     Pour découvrir l'endroit exact, on fera appel au deuxième fragment des rouleaux de Qumran caché à l'intérieur d'une bougie qu'une famille juive a conservé de génération en génération sans en connaître la véritable importance !

     C'est que différents personnages gravitent autour de cette histoire: Le père Fowler sera embarqué, un peu contre son gré dans cette aventure qui ne laisse pas le Vatican indifférent tout comme Jacob Russel, assistant exclusif de Kayn qui est le seul habilité à faire le lien entre lui et le monde extérieur, Andrea Otero, journaliste espagnole récemment licenciée d'El Globo dont les aventures un peu rocambolesques, entre scorpions et tentatives de meurtre sur sa personne, annoncent la disparitions violentes de nombreux protagonistes ainsi que différents attentats contre cette entreprise, Morgen Dekker, chef de la sécurité de l'expédition qui cite constamment Schopenhauer, le père Albert, ex-délinquant et génie de l'informatique qui lui aussi est au service du Vatican...

     Pour que le récit gagne en intensité l'auteur y introduit un épisode de la Deuxième guerre mondiale qui met en scène le médecin nazi du début et ses expériences inutiles et cruelles sur les enfants des camps, une explication rationnelle de l'Arche loin de son contexte religieux, le Mossad israélien et un groupe islamique terroriste qui veut faire échouer cette expédition.

    Tout au long du récit le suspense est entretenu par des chapitres brefs, apparemment sans lien entre eux au début, déclinés sous la forme d'un journal de bord avec dates et heures, agrémenté de références précises bien documentées, d'épisodes qui se déroulent à Washington et en Jordanie et de dessins qui rappellent les gravures qui illustraient des romans de Jules Vernes de mon enfance...

     Je dois dire qu'au départ, j'ai eu un peu de mal à entrer dans ce scénario et j'ai été tenté de refermer le livre, mais la curiosité a été la plus forte. Même si le texte ne se signale pas par une recherche littéraire avérée mais privilégie un style simple, parfois émaillé d'humour, je retiendrai la relation palpitante qui tient jusqu'à la fin le lecteur en haleine. Ce récit qui mêle habilement fiction, réalité, politique et ésotérisme remet en question bien des personnages dont le portrait a été savamment brossé par l'auteur à travers leur histoire personnelle.

    Gómez-Jurado invite son lecteur, à la fin, à méditer un poème de Sam Keen qui introduit ce roman. C'est peut-être là le véritable message de ce livre à la fois émouvant et excitant. Je lui ai donné une dimension religieuse, malgré le Cinquième Commandement mais j'y vois aussi une invitation à regarder son prochain autrement, une véritable leçon sur la condition humaine!

     Le hasard qui avait guidé mon choix de lecture, le titre, la 4° de couverture, le secret qui entoure cette affaire un peu ténébreuse, les références bibliques qui évidemment excitent l'imaginaire humain, cette histoire d'alliance improbable entre Dieu et les hommes, ce contexte politico-religieux qui implique le Vatican mais aussi des groupes islamiques fondamentalistes et qui ne sont pas sans ajouter au mystère et nourrir les fantasmes, m'avaient un peu mis en appétit. Je me suis laissé happé par ce roman d'aventures et contrairement à ma première impression, je n'ai pas été déçu.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.

     

    Je voudrais aujourd'hui, même si INFO-POESIE ne paraît plus, faire partager une étude qui y a été publiée et qui concerne le poème majeur qu'est Jean ROUSSELOT (1913-2004)

     

    N°12

    Février 1986

     

    Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.

     

     

    Info-poèsie publie un numéro spécial consacré à Jean Rousselot.

     

    Sang, tel est bien le maître-mot de la poésie de Jean Rousselot, mais le sang de la mort et de la maladie devient celui de la naissance, de la renaissance, de la fertilité, mieux, il est le flot bouillonnant, la sève de la vie de l'homme-arbre. Sous sa plume, c'est aussi la source de l'énergie et du désir. Associé au feu, il devient synonyme de vitalité et de chaleur humaine, il est le nectar sacré, source de vie, rempart contre la fuite du temps, facteur d'éternité et c'est tout naturellement que le message chrétien passe à travers « le sang versé » qui génère la vie éternelle. Ainsi, la quête poétique devient-elle quête du Graal et la filiation avec Guillaume Appolinaire, réalité.

     

    Le sang est aussi symbole de filiation entre le poète et le peuple, ce qui amène Rousselot à revendiquer des origines populaires dont il est fier à juste titre, mais cela va plus loin, elle pousse ses racines dans la grande famille des poètes.

    A partir de cette image du sang, l'auteur s'intéresse à celui qui court sous la peau, mais aussi sous la terre, sous l'écorce, celui qui irrigue tous les mondes cachés, ce qui évoque la fascination des profondeurs. De cette quête passionnée naît le thème du voyage, du mouvement, de l'errance mais aussi celui du paradis perdu d'où le poète est exclus. La douleur apparaît aussi qui fait de la poésie de Rousselot une écriture d'un corps en lutte pour la vie.

     

    Évoquant le décor froid et noir de son enfance poitevine où les choses s'établissaient dans une dureté à laquelle il n'était pas possible d'échapper avec la force des mots, Rousselot se présente à nous comme un poète tragique. C'est toute la condition humaine qui est ici évoquée. Une déchirure en résulte qui est non seulement intérieure, voire intime, mais également qui prend sa source dans les événements de la deuxième guerre mondiale. Dès lors son rêve, son idéal s'effondrent. Avec « L'homme au milieu du monde », Rousselot s'éveille à la perception des autres. Il ressentira certes l'écrasement, mais luttera avec espoir au nom des hommes et avec eux : il deviendra unanimiste. De là une volonté de ne pas se renfermer sur soi-même, de sourire à la vie, aux femmes... Il témoignera et participera de ce fait au monde des vivants.

     

    Ce désir d'union s'établit en deux symboles, celui du pain et celui du feu. L'union devient partage et addition des forces, termes qui se conjuguent et se complètent pour s'épanouir dans une image de la femme chargée de vie et d'espoir.

     

    Le poème est le devoir du poète. Il puise son existence aux racines mêmes de la vie, mais le langage porte en lui l'incommunicabilité qui rend la démarche difficile. Pourtant le poète est un veilleur générant des ferments d'avenir, les « grains de l'écriture ». Face aux réalité et aux contingences de l'humaine condition les mots se dressent, ils sont des outils des instruments dont le poète joue mais qui sont aussi parfois autant de pièges. Ils doivent, pour être vrais, puiser leur signification au cœur du vécu sous peine de n'être que du vent. Le langage est remis en question et habillé de doute car l'écriture n'est pas linéaire : il y a des moments de sécheresse, d'abattement... Cependant la poésie colle à la peau , s'insinue, revient à la charge, s'impose au point de trahir l'auteur qui pourtant ne peut vivre sans elle. Il doit donc jouer son rôle avec humilité puisque, au bout du compte la mort sera la plus forte et l'indifférence accueillera son cri pourtant vital. La poésie est engagement au service de l'homme, même dans ses plus subtiles contradictions. La créativité de Rousselot est liée à la vie mais a su évoluer au rythme de l'homme, s'organiser en termes précis, clairs, riches mais aussi simples voire populaires.

     

    Il y a, pour lui, une deuxième raison de vivre: c'est la femme. Ce sont plutôt des femmes plurielles qu'il aperçoit dans la rue au hasard d'une rencontre fugace. De leur visage qui se dissipe dans la foule, il reste une image érotique que le poète sacralise, mais quand elles deviennent inaccessibles, le charme se rompt et elles redeviennent chair, c'est à dire promises à la mort. Il les traite alors avec ironie, voire mépris, révélant ce mélange d'attirance et de crainte qu'il éprouve devant elles.

     

    La femme est pourtant associée au feu libérateur, à la chaleur, à la mère, recherchée à travers la femme aimée et elle devient médiatrice entre l'homme et le monde. La passion amoureuse devient éclatement, libération, et fait pièce au quotidien, au trépas... Des comparaisons reviennent, ce sont le pain, le lait, mais aussi le feu et l'eau, images paradoxales qui évoquent la pureté. Vierge et nue, la femme est assimilée à l'oiseau qui hante le monde des airs. Elle devient synthèse de l'univers et l'homme doit s'unir à elle car elle est le siège de découvertes nouvelles, de richesses à partager. Cette source n'est jamais tarie et, à partir d'elle, la communication est de règle: la femme devient la compagne absolue, intime, à un point tel que la parole est désormais inutile. La séparation d'avec elle est dès lors insupportable, la femme supplante l'homme jusqu'à devenir fascination, objet érotique et désir de vassalisation à sa personne. Aussi la mort ne pèse-t-elle plus rien si elle prend en même l'homme et la femme!

     

    A partir de la cinquantaine Jean Rousselot évoque l'outrage du temps. Cela se sent au niveau des mots et la mort est de plus en plus pesante. L'auteur lui oppose l'humour, la dérision, la colère, l'impuissance aussi, mais l'accepte stoïquement. Le poète est habité par la détresse est « Hors d'eau » est une sorte de journal de bords où il n'en réaffirme pas moins sa présence au monde, dans un monde ou pourtant rien n'est stable, qui s'inscrit entre le passé et l'avenir qui certes inspire la lucidité mais impose une remise en cause continuelle .

     

    Le message de Rousselot est donc l'expression de l'homme et le désir constant de changer le monde.

     

     

    © Hervé GAUTIER. - Février 1986.

     

    Cette étude très documentée, émaillée de dessins de Jean Rousselot lui-même est due à Joël Gueno et a été publiée dans Info-Poésie.

  • LA FEMME SOUS L'HORIZON - Yan QUEFFELEC

     

    N°46

    Juillet 1990

     

     

     

    LA FEMME SOUS L’HORIZON – Yan QUEFFELEC – Editions Juillard.

     

     

    J’avais encore en mémoire le climat qui baignait « Noces barbares » ont la lecture remontait pourtant à quelques mois quand ce roman s’offrit à ma curiosité. Le destin de ce petit garçon, né d’un viol collectif, rejeté par sa mère, aimé gauchement par un père qui n’était pas le sien et qui trouve refuge dans une épave m’a rappelé celui de Tina, née elle aussi par hasard avec une cicatrice énigmatique sur le visage et qui cherche le secret de sa naissance dans le silence gêné de ses proches et les figures du tarot. Son sang, son visage, son âme, elle les doit à sa mère, exilée elle aussi dans la vie, avec pour quotidien la haine et la violence de cette famille bizarre, aux vagues racines russes, jetée là dans un coin de France. Il y a nombre de points communs entre ces deux enfants, héros de deux romans, je devrais dire de deux tragédies ou la mort est le seul gagnant.

     

    Comme toujours, les personnages sont fascinants. Carmilla, la Roumaine, belle, fuyant, indéfinissable, Vladimir, ce Russe qui ne connaît de son pays que les icônes et les souvenirs macabres de Zinnaïde, cette mère abusive qui règne sur une maison-épave, Lev qui vit dans son ombre, Zénia, attirée par le plaisir et par le néant parce que la vie est pour elle un fardeau, Misha, victime de sa passion pour Tina, ballotté au gré des sautes d’humeur de cette femme qui ne sera jamais vraiment à lui. Tous sont englués dans la trame d’un destin où le bonheur n’a aucun droit de cité. Tous s’accrochent à la vie, mais la mort veille qui aura le dernier mot et viendra les prendre en traître.

     

    La vie n’est pour eux qu’une perpétuelle recherche du bonheur autant qu’une fuite éperdue devant lui, à l’image de ce feu omniprésent qui réchauffe et détruit, donne indifféremment la vie ou la mort. C’est une lutte incessante, comme un jeu à travers la séduction, la violence, les passions, les obsessions et la nostalgie, avec, à contre-jour la fascination de la mort, cette délivrance potentielle qui s’étale comme l’image virtuelle d’un visage reflété par un miroir.

     

    Jusqu’à la dernière ligne, le lecteur passionné espère que tout cela n’est qu’un rêve et que la vie gagnera parce que dans les épreuves on puise aussi des raisons d’exister.

     

    Mais, le livre refermé, il reste les personnages, leur destin, et cette impression assez indéfinissable qui se dégage d’un texte tressé avec un incontestable talent.

     

     

    © Hervé GAUTIER.

     

  • LE CIEL EST IMMENSE - Marie-Sabine Roger.

     

    N°440– Juillet 2010

    LE CIEL EST IMMENSE – Marie-Sabine Roger. Éditions Le Relié.

     

    Après « La tête en friche », je m'étais promis de pousser un peu plus loin la découverte de cet auteur dont l'œuvre, par ailleurs, se déclinait autour des enfants.

     

    « Je ne m'en vais pas contre quelqu'un ni malgré moi, je m'en vais, c'est tout, c'est un choix... C'est déjà trop de dire adieu lorsqu'on s'en va » C'est ainsi que la narratrice, une femme de 60 ans commence(presque) ce récit. Elle a choisi un petit hôtel au bord de la mer, à la morte saison, pour évoquer la fin d'une histoire, comme un ultime refuge, comme un point final face à l'immensité. Avec elle, elle emporte ses souvenirs, comme autant de trésors dont on veut se munir pour affronter une épreuve. C'est donc sur une plage de nulle part, en dehors de la saison touristique, qu'elle choisit de se retrouver face à elle-même. Dans ce décor un peu désolé, c'est la solitude et la tristesse qui surnagent, avec, au bout du chemin la mort volontaire. Un cadre idéal pour « boucler la boucle, en finir ».

     

    C'est que la vie a été un peu ingrate pour elle, c'est ce qu'elle pense en tout cas peut-être parce qu'elle est toujours passée à côté du « grand amour » ou qu'elle a manqué le rendez-vous avec son fils, mais en réalité rien que que très normal en ce qui concerne les épreuves, les deuils, les chagrins, rien de plus que ce que la condition humaine, la chance ou le hasard imposent à chacun individuellement. Pourtant, c'est une «  fêlure » qui l'a amenée au bord de l'océan, un homme de rencontre, aimé, mais d'un amour différent, pas charnel, pas jouissif, pas sensoriel mais comme un plaisir serein et tranquille, un désir en demi-teinte et silencieux « Nous n'avons jamais fait l'amour ensemble » avoue-t-elle! Un peu comme si les relations sexuelles entre eux étaient interdites, taboues ou impossibles! Cette cassure, cet échec ajoutés aux autres ont provoqué chez elle non seulement un chagrin mais un détachement face à la vie, un désamour de soi, une indifférence au monde extérieur, le repli sur soi, une profonde dépression à 59 ans!

     

    Dès lors, c'est la ronde des médicaments compliqués et dangereux et si on en abuse, si on les mélange, c'est le coma et la mort. C'est un vide immense qu'on ressent sans pour autant avoir envie de se raccrocher à une ordonnance ou à une boîte de pilules. Dormir! le sommeil vécu comme un palliatif ou un cautère et le sommeil est un autre monde ou des difficultés se gomment, s'apaisent. Pourtant au réveil les choses sont là, dans leur réalité, leur cruauté et cet amour qu'on avait voulu d'autant plus fort qu'il serait sûrement le dernier s'en allait et avec lui l'envie de vivre.

     

    Face à l'immensité de cette plage qui n'est pas sans rappeler le désert, apparaît un adolescent « comme un Petit Prince qui aurait un peu grandi » et, comme dans un autre roman célèbre, un dialogue un peu surréaliste va s'engager entre cette femme au bord du suicide et cet être sorti de nulle part. Comme un bon génie, il va lui demander de lui parler d'elle sous forme de quatre choses qui pourraient la résumer, une sorte d'obligation de se confier autant qu'une occasion de refaire le chemin à l'envers parce qu'il a compris très vite que ce paysage du bord de mer serait le dernier pour elle. A travers ces rencontres épisodiques, elle va donc revenir progressivement à la vie. A travers cet exercice, elle va aller à la rencontre de ses souvenirs, de ses amours et ainsi se rendre compte qu'elle n'a pas été aussi malheureuse qu'elle veut bien se le dire. C'est autant une acceptation de soi, de la vieillesse, de la condition humaine.

     

    J'avais bien aimé « La Tête en friche », j'avoue qu'ici, si j'ai pu retrouver cette ambiance un peu délétère de la dépression, si j'ai goûté le style, les phrases courtes et fluides, j'ai rapidement décroché, lisant cependant jusqu'à la fin davantage par curiosité que par intérêt pour l'histoire, sans y entrer véritablement ... Peut-être parce qu'elle évoque trop St Ex?

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • LA TÊTE EN FRICHE - Marie-Sabine Roger


     

     

    N°439– Juillet 2010

    LA TÊTE EN FRICHE – Marie-Sabine Roger. Éditions La Brune

    Qu'est ce qui m'a accroché d'emblée dans ce livre, le ton peut-être? Il n'est pourtant pas littéraire et même volontiers gouailleur. L'histoire peut-être, celle de Germain Chazes, 45 ans, pas vraiment attachant au début, un géant inculte voué aux petits boulots de manutentionnaire qui vit dans une caravane au fond du jardin de sa mère et s'amuse à compter les pigeons ou à écrire son nom sur le monument aux morts, à parler de Dieu comme si c'était un copain... C'est un poivrot qui raconte les épisodes de sa vie à ses copains de zinc qui se moquent de lui, ne comprend pas toujours tout, un mal aimé comme il y en a tant, abandonné par son père, délaissé par sa mère... C'est aussi celle de Margueritte (avec deux t) Escoffier, cette petite vieille de 85 ans, pensionnaire de la maison de retraite des « Peupliers », cultivée, discrète, qui n'aime ni le scrabble ni les lotos, qui préfère rester assise sur un banc dans un jardin public et qui passe son temps à nourrir les oiseaux, à les compter, elle aussi! C'est peut-être la seule chose qu'ils aient en commun, alors ils se rencontrent, ils parlent, se découvrent l'un l'autre une sorte de complicité.

    Ainsi ce Germain, qui est aussi le narrateur, apprend, grâce à elle, des choses qui, dans sa vie lui étaient complètement étrangères jusqu'ici, le sens des mots, leur nouveauté, leur beauté[« Les mots, ce sont des boites de conserve qui servent à ranger les pensées, pour mieux les présenter aux autres et leur faire l'article. »]...

    Lui qui n'avait été qu'un aimable cancre presque illettré, que tous ses copains prennent pour un imbécile, c'est cette vieille dame qui va réussir à lui faire prendre goût à la connaissance [ « apprendre à réfléchir, ça revient à donner des lunettes à un myope »] aux livres par la lecture à haute voix, qui va meubler sa « tête en friche » au point de lui faire changer son vocabulaire. Il va découvrir Albert Camus, Romain Gary, Sepulveda et le dictionnaire qu'elle va lui offrir parce que lui-même lui avait fait cadeau d'un petit chat sculpté dans un morceau de bois. Il ne baisera plus Annette, sa copine, mais lui fera l'amour... c'est quand même autre chose!

    Margueritte va devenir sa vraie grand-mère, non seulement en l'intéressant aux mots et aux livres qu'il ne comprend pas toujours bien mais parce que elle s'installe dans sa vie à en devenir omniprésente et même indispensable[« Margueritte, elle prenait de la place, même sans être là »].

    C'est l'histoire d'une rencontre improbable, d'une amitié entre deux êtres qui n'avaient aucune chance de se croiser, d'un échange, d'un apprentissage, d'une invitation au respect de soi et des autres[« Vous êtes quelqu'un de très bien, Germain »lui dit Margueritte], d'une tendresse réciproque, de l'acceptation de la vieillesse, de la maladie, de la mort qui font partie de la condition humaine, d'une révélation aussi, celle de cet homme mal dégrossi, un peu cabossé par la vie, que cette vielle dame, qui l'appelle « Monsieur » au début, va petit à petit amener à se découvrir lui-même, à bouleverser sa propre vie, à lui donner un sens. C'est une histoire pleine d'émotion [« Un jour, en comptant les pigeons, on tombe par coïncidence sur une grand-mère vacante et on finit avec la peste, les Jivaro et ce pauvre monsieur Gary qui pleure encore sur sa mère »] . C'est que ce Germain, même s'il parle mal, a des remarques pertinentes et pas si naïves que cela qui parviennent parfois à convaincre Margueritte par son bon sens. [« Cette fille, elle me rend dingue... c'est pire qu'un aimant. Aimant, ça doit venir du verbe aimer peut-être? »]

    J'ai goûté la poésie qui se dégage de ces dialogues à la fois simples et authentiques parce que sincères, simplement.[« Margueritte... sa vie, elle doit avoir un goût de confiture...La mienne , elle a un goût de gerbe, et je vous parle pas des fleurs »].

    C'est un roman vraiment surprenant, c'est sans doute pour cela qu'il m'a beaucoup plu. Allez savoir!

    Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • PARIS-LA ROCHELLE - Le samedi 17 juillet 2010. Bernard Giraudeau.

     

    N°438– Juillet 2010

    PARIS-LA ROCHELLE – Le samedi 17 juillet 2010. Bernard Giraudeau.

     

    Comme tout le monde aujourd'hui, j'apprends la mort de Bernard Giraudeau dans un hôpital parisien.

     

    Je n'ai pas l'intention de me livrer à un article nécrologique, d'autres le feront mieux que moi, et je n'ai vraiment pas la tête à cela. Je suis quand même satisfait que sa disparition ne passe pas inaperçue et qu'un hommage lui soit rendu. Ce n'est peut-être pas grand chose, mais quand même, le parcours de cet homme a quelque chose d'exceptionnel et de discret à la fois, de multiforme aussi...

     

    Il ne suffit pas d'être né à La Rochelle pour aimer la mer, mais quand même, l'écume des vagues et le rythme de la houle coulent dans les veines de ceux qui sont nés et ont vécu dans un port et ce n'est sans doute pas un hasard si c'est dans la marine qu'il s'est engagé à 16 ans et si son œuvre d'écrivain est tournée vers le grand large, si la Royale l'a accueilli aussi comme écrivain de la marine. On avait d'ailleurs fait allusion à son nom lors du dernier défilé du 14 juillet.

     

    Je ne m'étendrais pas sur son parcours de comédien, de réalisateur, de voyageur, de séducteur même, mais je retiendrai plus volontiers son talent d'écrivain. Cette revue s'en est d'ailleurs fait modestement l'écho [n°316 - 373].

    Vraiment, j'ai bien aimé ce parcours, le succès populaire qu'il a rencontré, sa modestie aussi puisqu'il n'oubliait jamais de rappeler que, s'il était célèbre, et il n'y avait qu'à voir la foule qui se pressait à la signature de ses livres, il n'était pas de ces intellectuels prétentieux qui mettent en avant leur réussite. Il rappelait, à l'occasion qu'il n'avait pas fréquenté l'université ni fait de hautes études...

    Ce que je retiens aussi, c'est son combat contre la maladie dont il avait choisi de parler simplement parce que cela pouvait aider ceux qui comme lui luttent contre le mal. Dans une civilisation qui occulte la souffrance et la mort, qui classe tout de suite et qui marginalise celui qui n'est pas dans la norme, il avait pris la décision de parler, et il fallait pour cela un certain courage! C'est vrai que le contact avec le public était pour lui une thérapie. Donner et recevoir...

    Pourtant, quand je l'avais rencontré, ici à Niort, à l'automne dernier pour la sortie de son dernier livre, j'avais pensé que sa lutte contre la maladie était peut-être gagnée. De cette rencontre furtive il reste une dédicace, un visage de femme à peine esquissé qui l'accompagne et un souvenir devenu soudain plus précieux. Il avait parlé pendant plusieurs heures avec un public chaleureux qui était manifestement heureux de le rencontrer, de l'entendre parler, de le voir... Chacun avait noté non seulement le plaisir qu'il avait d'être là mais aussi la qualité de ce moment de partage... et sa bonne santé apparente.

     

    La mort est une chose inéluctable, nous le savons tous, mais dans nos sociétés occidentales elle est cependant taboue et nous vivons comme si elle n'existait pas, comme si elle ne devait jamais arriver. Quand elle survient, par surprise ou parce qu'elle est annoncée, elle nous bouleverse. C'est à chaque fois pareil! Mais je le dis, cette disparition me touche profondément non pas seulement parce nous partagions le fait d'être nés le même jour au même endroit, mais parce que j'étais et je resterai admiratif du chemin parcouru et de l'exemple donné. C'était un beau parcours et quelqu'un de bien!

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • LE CONGRES - Jean-Guy Soumy

     

    N°437– Juillet 2010

    LE CONGRES – Jean-Guy Soumy – Éditions Robert Laffont.

     

    Le titre paraissait dès l'abord un peu rébarbatif. D'après le dictionnaire, un congrès c'est une réunion de personnes qui se rassemblent pour échanger leurs idées ou se communiquer leurs études. Pourtant, la couverture du livre ne laisse aucun doute, il s 'agit d'une autre chose!

     

    Cette histoire peu banale, dont le héros est aussi le narrateur, commence en 1684. Guillaume Vallade, fils d'un riche bâtisseur du Roi et membre de cette confrérie, reçoit chez lui, en Limousin, des fuyards Huguenots qu'il accompagne jusqu'à la côte charentaise en vue de leur départ en Angleterre. Parmi eux, Esther, une jeune femme mariée dont il tombe amoureux mais qui lui demande de rejoindre sa sœur, Jehane, qui est restée en France parce qu'elle a abjuré et qui deviendra son épouse. Cependant, le père de Guillaume avait prévu de marier son fils avec une fille élevée dans sa corporation mais ne peut s'opposer à cette union. Cela lui déplait fortement et Louise, sa belle-sœur, qui espère évincer Guillaume au profit de son propre fils, va l'accuser d'impuissance. Il a en effet été gravement blessé au bas ventre et Jehane, victime des dragonnades, a été violée par la soldatesque et leur union n'a toujours pas produit d'enfant après plus d'une année. Seul un homme impuissant pouvait convoler avec un femme déshonorée!

     

    Il y a donc un procès, précédé d'un interrogatoire et d'un examen intime où les juges ecclésiastiques posent des questions insidieuses où l'ironie le dispute à la concupiscence et à la curiosité malsaine, sous couvert, bien entendu du respect hypocrite de la légalité. Ces mêmes juges feront preuve d'un voyeurisme irrespectueux et lubrique pendant l'épreuve du « Congrès ». Le père de Guillaume, mourant et sous l'influence de sa bru et de l'Église ne veut pas s'y opposer et abandonne son fils à la honte. De plus, Guillaume et Jehane, réfugiés près de Versailles, sont l'objet de pamphlets publics, perdant du même coup leur honneur et leur respectabilité. Ils sont de plus en plus considérés comme la proie pour ce tribunal ecclésiastique. Le procès ne s'étant pas déroulé en leur faveur, ils devront apporter la preuve contraire en se soumettant à l'épreuve du Congrès: Les époux devront montrer devant une assemblée de médecins, de juges, de courtisans, de prêtres et la parentèle de la belle-sœur, qu'ils sont capables de relations sexuelles. Ils devront devant eux simplement faire l'amour! Guillaume doit donc « Dresser, pénétrer, mouiller », selon les termes de la procédure pour honorer publiquement Jehane! Une matrone devra se prononcer sur la consommation réelle de cette union manquant bien peu d'intimité et qui s'apparente à une mascarade judiciaire, un véritable viol public, une séance de pornographie sacrée... On imagine facilement l'issue de cette phase.

     

    C'est vrai que la narration est un peu déroutante parce qu'elle mêle les époques et que Guillaume s'adresse à un loup, comme pour le prendre à témoin, ce qui hache un peu le récit. Mais ce que je retiens c'est le style fluide et poétique de ce roman facile à lire, découpé en courts chapitres et qui ne tombe heureusement pas dans le glauque (au contraire, la relation de l'épreuve du Congrès est faite avec beaucoup de retenue et de pudeur) comme cela pourrait se faire mais qui dénonce l'obscurantisme d'une époque où l'Église était toute puissante et le pouvoir du roi absolu.

     

    La toile de fond de cette intrigue reste les querelles religieuses entre protestants et catholiques, mais aussi l'intolérance, la cruauté et la haine entre les hommes. Nous sommes à la veille de la révocation de l'édit de Nantes. C'est, certes, une fiction, mais elle s'appuie sur des recherches historiques et cette procédure dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle était inquisitoriale et dégradante, existait bel et bien dans l'ancien droit. Elle apparaissait dans différents dictionnaires et traités juridiques et fut supprimée. Le tribunal ecclésiastique pouvait, en effet, se reconnaître compétent pour juger d'une telle affaire parce qu'il y avait remise en cause des liens sacrés du mariage et de l'obligation morale faite aux époux de procréer. En cas d'échec, l'impuissance du mari était avérée et le mariage était irrémédiablement annulé.

     

    C'est aussi le procès de la convoitise familiale qui ne recule devant rien pour parvenir à ses fins puisque Guillaume est l'héritier de la charge paternelle dans la construction du château de Versailles.

     

    Ce roman nous donne à voir (en est-il besoin cependant) une facette de la condition humaine, celle qui ne recule devant rien pour humilier et de détruire un homme au nom d'intérêts bassement matériels ou de vengeance personnelle même si ces attaques viennent de la famille dont on nous dit à l'envi qu'elle est une valeur sûre, une force, une grandeur, un refuge!

     

    Cela a été pour moi un bon moment de lecture, même s'il a été bouleversant.

     

     

     

     

     

     

      

     

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  • UN ROMAN DE QUARTIER - Francisco González LEDESMA

     

    N°436– Juillet 2010

    UN ROMAN DE QUARTIER – Francisco González LEDESMA – Éditions L'Atalante.

     Traduit de l'espagnol par Christophe Josse.

     

    Je voudrais bien le rencontrer ce Mendez, un inspecteur de police à deux doigts de la retraite, choisi par son commissaire pour élucider une affaire un peu ténébreuse au seul motif qu'il dispose de temps libre.

     

    L'affaire, justement, est une vengeance. Dans les années 1970, lors d'un hold-up, un garçon de trois ans est tué par erreur et, de nos jours, à Barcelone, un des deux braqueurs est assassiné dans un vieil immeuble promis à la démolition. Craignant le subir le même sort que son complice, le truand survivant va tenter de supprimer celui qu'il prend pour le vengeur, c'est à dire le père de l'enfant : David Miralles. Ce qui m'a intéressé aussi, c'est le combat intime de cet homme désespéré qui exorcise comme il peut la mort prématurée de son fils au point de lui réinventer une vie au quotidien, une forme différente de vengeance... Il se trouve que ce Miralles, garde du corps de son état et donc titulaire d'un port d'arme, n'est pas, selon le rapport de balistique, le responsable de cette exécution. Mendez le sait, mais pas le tueur et la course-poursuite qui va être menée passe par la fréquentation d'un avocat bizarre et la consultation de petites annonces coquines, d'autres rencontres insolites...

     

    Il y a bien d'autres histoires dans ce récit, celle des relations qu'entretient Miralles avec une ancienne prostituée devenue son assistante, Eva, celle de cette vieille maquerelle barcelonaise, Ruth, devenue marquise et des rapports difficiles qu'elle entretient avec une de ses anciennes pensionnaires, Mabel, qui maintenant est chargée de s'occuper d'elle. Dans cette cohabitation difficile où la mort rode à chaque instant, le règlement de compte le dispute à la méchanceté et même au sadisme.

     

    Ce que je retiens surtout c'est le cadre, cette ville catalane dont le seul nom fait rêver parce qu'il est associé à la Guerre Civile espagnole, à la contestation permanente, à une certaine idée de la liberté, au combat pour la vie, parce que là plus qu'ailleurs un art créatif s'y est développé et que dans ces quartiers chauds existe un certain art de vivre qu'on ne rencontre sans doute qu'ici! C'est le véritable personnage de ce roman. C'est l'occasion pour l'auteur d'exprimer la nostalgie d'un temps où les bourgeois venaient au Barrio Chino pour boire un verre ou s'encanailler avec des filles... La spéculation immobilière a eu peu à peu raison des bars, des bordels et des ruelles qui faisaient le charme de cette ville. Ces quartiers que connait bien notre inspecteur sont en train de mourir comme le suscite la 4° de couverture...

    C'est aussi une peinture de la société barcelonaise faite de violence mais aussi des portraits de femmes dont l'auteur est l'admirateur inconditionnel qui luttent avec dignité dans un monde cruel.

     

    Ce qui me plait bien, c'est surtout ce personnage de Ricardo Mendez, fonctionnaire de police un peu marginal, légèrement alcoolique et désabusé par la vie, qui fait son métier d'une manière efficace mais parfois discutable, un homme un peu frustre qui n'a pas vraiment le sens des convenances. Le style administratif et règlementaire de ses rapports, sa vie dans des pensions minables, ses déjeuners dans des bouibouis à la limite de l'insalubrité, son mépris pour l'avancement et pour sa hiérarchie retiennent mon attention et mon intérêt. Ses investigations ont cette particularité d'être pour le moins bizarres et originales, mais cela marche. On y rencontre d'anciennes putes, des proxénètes sur le retour, de vielles maquerelles rangées qui égrènent leurs souvenirs, ou d'autres êtres cabossés par la vie, bref toute une société interlope qui va si bien à ce quartier... Cet être familier des livres autant que de l'alcool bon marché (« Mendez vida son orujo du terroir, qui avait certainement voyagé à dos d'homme depuis la Galice en suivant la route des églises romanes ») , méprisé des femmes autant que de ses supérieurs[« Je ne suis qu'un chat de gouttière, admit Mendez, il n'est pas inutile de me le rappeler de temps en temps. »], aime sa ville et ce quartier où il a grandi et qu'il ne quitte pratiquement jamais, même s'il est promis à la démolition, ces rues qui sont sa véritable école... Sa qualité de policier se caractérise davantage par l'indépendance et la justice que par la soumission à la procédure, à la hiérarchie ou au plan de carrière, mais peut lui chaut. Il est « un vieux serpent » et avoue lui-même que sa « vie est toujours un désastre absolu » .

     

    J'ai apprécié aussi le suspense, ce texte humoristique, le style alerte, un peu gouailleur et aussi ce sens de la formule [« Dans ce monde mécanisé, il ne reste que deux gâteries faites exclusivement à la main : le havane et la branlette »]qui sied si bien au roman noir autant qu'à son héros, le climat de ce récit où on rencontre que modérément ce qui peuple ordinairement, et à toutes les pages, les œuvres de ce registre : le sexe, la violence et le sang.

     

    Cette première lecture favorisée par le hasard m'engage à en connaître davantage.

    Et puis c'est vrai que je voudrais bien le rencontrer ce Mendez, et tant pis s'il est un personnage fictif comme tous les héros de romans, mais quand même, il me plaît bien!!

     

     

     

     

      

     

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  • PATIENCE DE LA BLESSURE - Dominique Sampiero

     

    N°434– Juin 2010

    PATIENCE DE LA BLESSURE – Dominique Sampiero – Éditions Lettres Vives.

     

    Au risque de me répéter, je mentionnerai volontiers le beau travail de l'éditeur dont j'ai déjà parlé dans un précédent article (La Feuille Volante n° 414). Je ne le lasserai pas de redire que le livre est avant tout un bel objet. On y goûte d'abord la fragrance de l'encre et la texture du papier n'échappe pas au plaisir du toucher. Et quand il faut, avant d'entamer la lecture, couper les pages pour révéler le texte, c'est un geste qui non seulement me rappelle mon enfance mais c'est aussi un supplément de plaisir à l'heure où on nous parle du livre électronique, dématérialisé... et sans doute inévitable à terme. Ce plaisir sensuel est d'autant plus apprécié que le texte du livre est poétique.

     

    Quand l'écriture surgit-elle du néant? Quand les mots se forment-ils dans la tête avant d'être tracés sur la feuille blanche? Qu'est ce qui préside à leur formation dans les limbes de l'imagination, de l'émotion ou de la souffrance? Celui qui tient le crayon peut-il, lui-même expliquer ce phénomène dont il pourra parler un peu si on l'en prie mais qui, s'il y réfléchit, finira de toute manière par lui échapper puisque qu'il est à la fois l'auteur du texte qu'il signe et aussi l'objet attentif de cette inspiration qui lui dicte ses phrases mais peut tout aussi bien le quitter définitivement? Qu'est ce qui fait courir la main sur le papier et qui le laisse aussi sans voix, lui, le poète, l'écrivain qui parfois reste sec devant la page désespérément vierge parce que l'heure n'est pas venue ou qu'il a négligé de répondre à l'appel intime des mots? Pourquoi est-ce la quiétude de la nuit ou l'agitation du jour qui favorisent la création ou simplement le sourire d'une femme, la beauté d'un paysage, la parole naïve d'un enfant?

     

    L'écriture est une alchimie et les mots se bousculent ou se dérobent, tissent des images ou n'enfantent que du néant. Le hasard a sa part dans cette démarche et il faut demeurer attentif à la moindre chose pour être capable de déceler l'émotion qu'elle porte en elle « Il suffit de croiser un visage de tige basse, de verger qui pleure au fond des yeux, de fumée sur les étangs, pour vaciller à son tour ». Faut-il inviter l'encre violette de l'école, l'enfance et sa cicatrice d'absence « habitée d'ombre plus large(s) que des soleils », de souvenirs enfuis ? Faut-il regarder le présent ou fermer les yeux sur le vide? Faut-il forcer les mots(« des mots trop grands pour moi », « abattre un à un les arbres de (la) phrase, obstacles à la ligne nue de la mort »)? Faut-il convoquer la « mémoire d'aube ou de crépuscule », « une mémoire minuscule, à la fois singulière et large, une sorte de mémoire de ciel, tantôt floue, tantôt précise »? Faut-il écouter cette blessure(« La brûlure jaillit en essaim de mots »), la confronter à la couleur des mots ou à la beauté d'une femme pour un éventuel apaisement ou pour en entretenir la réalité (« La mémoire ce matin est toute ma blessure »)? Est-il mieux de caresser la perspective de la mort ou d'attendre la nuit, sa vacuité, son calme, son énergie(« Comment ouvrir la nuit, la désherber sous la neige et prendre en elle des forces »), son vide aussi? Faut-il aussi admettre l'imperfection subie quand l'écriture, comme toute action créatrice, tend vers l'absolu et refuse l'ébauche mais laisse la place au non-aboutissement (« Non, le livre ne s'achève jamais, il ouvre une attente pleine de soleils et d'images cueillies dans leur fragilité ») ? Faut-il être attentif à l'échec (« Le mouvement des phrases épouse le doux séisme de sa noirceur »), favoriser le silence (« Il faut cesser d'écrire. Ou alors parler de cette stagnation qui pousse les feuilles mortes à encombrer l'épaule du chemin »)? Faut-il parler de la survivance face au poids du passé, de la « parole absente »? Faut-il privilégier l'inaction (« J'ai le droit de ne rien faire, pire, de faire le Rien ») ou l'imaginaire « invisible et friable », favoriser la patience, la confidence à l'autre (« je voudrais dire à l'autre mon chemin trouble, au bord du jour, et qu'exister est une eau bue par le vide ») ou le vertige des sens face à la nature.

     

    L'écriture génère l'écriture (« J'avance péniblement dans une histoire qui...m'écarquille, déclenche une hémorragie de mots, de phrases »), elle est un merveilleux moyen d'exorciser la solitude ( « Ma bouche crache l'invisible des prières et des anges. Une sorte de croyance redresse mon corps. Pour me murer en elle, j'écris » « Écrire est une présence entre se lever et se coucher »)

     

    A travers un texte fragmenté mais intensément poétique, plein de couleurs, de mouvements et de douleurs aussi, où reviennent des images d'eau, des obsessions de flaques (le mot revient une quinzaine de fois dans ce recueil, il est probablement significatif), d'éclaboussures de lumière, l'auteur nous propose son parcours au milieu des choses, des gens, de la solitude...

     

     

     

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  • AMOUR, PROZAC ET AUTRES CURIOSITÉS - Lucía Etxebarría

     

    N°433– Juin 2010

    AMOUR, PROZAC ET AUTRES CURIOSITÉS – Lucía Etxebarría - Denoël.

    (traduit de l'espagnol par Marianne Millon)

     

    La découverte d'un auteur inconnu est toujours un moment fort pour moi et quand celui-ci est espagnol, mon appétit de lire en est augmenté. J'ai donc pris ce roman, un peu au hasard d'autant que la 4° de couverture était plutôt engageante. A l'en croire, le public de la péninsule l'avait accueilli comme « le roman d'une génération ».

     

    Au vrai, cela commençait plutôt bien, je veux dire sur le ton de l'humour qui nous fait supporter bien des choses dans notre pauvre vie. D'abord Cristina, 24 ans, serveuse après avoir travaillé quelques temps dans un bureau, elle est un peu le vilain petit canard de cette famille Gaena... Elle n'arrive pas à se remettre d'avoir été larguée par son petit copain irlandais.. Quand, pour compenser ce manque, elle ne s'envoie pas en l'air avec des amants de passage, elle se met à songer à son enfance où s'entremêlent les regrets d'être une fille, une religiosité surréaliste, la fuite du père, ses débuts difficiles dans le monde du travail, et à ses autres sœurs auxquelles elle ne parle presque plus. Son problème principal semble être son taux de testostérone qui, par ailleurs justifie, pense-t-elle, sa propension à s'envoyer en l'air. Rosa, 30 ans, distante, froide, rationnelle, condescendante, suffisante, cadre supérieur consciente de ses responsabilités, de ses compétences, elle a réussi dans un monde d'hommes. Pourtant elle est seule dans son bel appartement, dans sa puissante voiture, avec ses tailleurs à la mode! Elle a perdu sa virginité comme on passe un examen... par nécessité! Ana, 32 ans. Elle a tout ce qu'une mère de famille et maîtresse de maison sérieuse, maniérée, bourgeoise peut désirer, un mari beau et brillant, un enfant adorable, une maison, une domestique... mais elle est fatiguée de vivre au quotidien parmi les marques de lessives et n'a même plus la force de faire le ménage ou de ranger ses placards. Elle sait tout de l'orgasme... mais par ouï-dire seulement et a dû la perte de sa virginité à un quasi-viol. Autant dire que la roulette de la génétique les a faites complètement différentes au physique comme au moral, mais leur mère ne voit rien de la détresse de ses filles!

     

    Pourtant, elles ont en commun une sorte de mal de vivre que chacune combat à sa manière puisqu'elles dépriment tant qu'elle le peuvent: Cristina carbure à l'ecstasy, à l'alcool, on peut dire qu'elle est aussi un peu nymphomane (« j'ai besoin d'une queue entre les jambes » avoue-t-elle), Rosa a jeté son dévolu sur le Prozac et autres anxiolytiques, quant à Anna, ce sont les somnifères qu'elle affectionne... chacune sa panacée dans ce monde déshumanisé!

     

    Dans ces « paradis artificiels », il me semble qu'il est surtout question d'amour, ou plus exactement de sexe. Pour Cristina, c'est un usage abusif et obsessionnel, peut-être à cause de la fuite du père, peut-être aussi parce qu'elle passe son temps à vouloir être aimée par des gens qui ne font même pas attention à elle (thème connu), pour Rosa c'est plutôt une absence cruelle tandis que pour Anna, ce serait plutôt la routine... avec des regrets et des remords.

     

    Dans une sorte de catalogue alphabétique, l'auteur nous décline toute les facettes du mal-être commun à ces trois sœurs ainsi que leur parcours, leurs expériences, leurs apprentissages . Elle y parle d'un univers qui est aussi le nôtre, pourquoi pas! L'auteur le fait sur le ton de l'humour et dans un style volontiers enlevé qui s'attache le lecteur, plus attentif sans doute à l'anecdote qu'à la détresse que peu à peu elle instille dans sa description. C'est pourtant vers la fin que ce récit est carrément émouvant. Jusque là, la narratrice s'était surtout appesantie sur le cas de Cristina, mais sur un mode léger. Dans les dernières pages elle rappelle tout le désarroi de cette «jeune fille de bonne famille recyclée», en perpétuelle recherche d'un amour impossible, qui a 16 ans a fait une tentative de suicide et qui maintenant glisse vers l'héroïne. Le discours humoristique du début cède la place à l'horreur quand elle évoque l'épreuve de la seringue, la douleur de l'injection et la mort par overdose de son copain Santiago. A ce moment Cristina prend une autre dimension, elle goûte soudain « la chance d'être encore en vie. C'est un immense cadeau », mais n'a plus personne à qui se raccrocher et sûrement pas à sa mère que la vie a meurtri elle aussi, mais d'une autre manière et qui a toujours été absente.

    Elle prend alors une résolution « Tant que je serai là, j'irai de l'avant », rappelle que la femme n'est pas comme la Bible le prétend sous la dépendance de l'homme, mais puise dans la Kabbale des exemples de femmes fortes ( Déborah, Athalie, Judith, Betsabée, Esther...) qui elles aussi ont su faire face... Alors, le message des bonnes sœurs qui a perturbé son enfance, il valait mieux l'oublier! Elle choisit de retenir l'exemple de Lilith, femme créée , selon la tradition rabbinique avant Ève et faite d'un peu de boue. Elle est l'égal d'Adam et sa compagne et non sous sa dépendance. Quant à ses sœurs, elles ont, elles aussi, décidé de réagir, Ana demande le divorce(et finira sans doute par l'obtenir) sans donner de raison et se voit internée dans un asile d'aliénés, Rosa s'accepte enfin comme elle est, à cause peut-être d'une chanson obsédante qu'elle entend au téléphone et qui lui rappelle son enfance. Bref, ces trois sœurs se retrouvent autour de la déchéance de l'une d'entre elles, se reparlent même si elles choisissent de rejeter leur mère. Une sorte de happy-end en quelque sorte, un message d'espoir dans cette société qui peu à peu a perdu tous ses repères!

     

    C'est vrai qu'au départ, j'ai lu ce livre avec les yeux d'un lecteur que l'humour amusait un peu malgré un style oral et sans véritable recherche littéraire. J'ai même connu une certaine lassitude mais j'ai poursuivi jusqu'au bout, partagé entre la curiosité et la volonté d'en finir pour pouvoir en parler et me dire que j'avais au moins lu un ouvrage de cet auteur. J'ai été ému à la fin et je n'ai pas regretté ma persévérance en me disant que sans cela je serais sans doute passé à côté de quelque chose et que cela aurait été dommage.

     

    Alors, roman d'une génération, sûrement! Sous couvert d'un certain humour, c'est en réalité une photographie sans fard de notre société, avec ses travers, ses dérives, un espoir... Peut-être?

     

     

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  • LA BÊTE QUI MEURT - Philip Roth

     

    N°432– Juin 2010

    LA BÊTE QUI MEURT – Philip Roth - Gallimard.

     

    David Kepesh, 62 ans, professeur d'université, critique littéraire à la radio et à la télévision mais aussi séducteur impénitent va tomber amoureux d'une de ses étudiantes, Consuela Castillo, une jeune femme de 24 ans d'origine cubaine. D'évidence, ils n'appartiennent pas au même monde. Cette situation, sans être originale n'a rien d'exceptionnel, sauf que cet homme vieillissant va transformer, malgré lui sans doute et à cause de son âge, cette passion en véritable culte à la beauté, à la jeunesse, à la grâce féminine. Au début, leurs relations ont quelque chose de culturel et Consuela n'est pas exactement une étudiante comme les autres, ni d'ailleurs une femme puisqu'elle incarne pour lui la beauté par excellence. Lui qui a connu moult femmes et aussi la révolution sexuelle des années 60 aux USA, est en admiration béate devant ses seins. Là où cela devient du délire c'est lorsqu'il va jusqu'à se prosterner devant elle, contempler et même déguster son flux menstruel...

     

    Bien entendu, malgré le fait qu'il ne soit jamais attaché à la moindre conquête féminine, il va connaître les affres de la jalousie et la peur de la perte, de la séparation qui pourtant va intervenir. Huit ans plus tard, après que les deux amants se furent perdus de vue, c'est à nouveau Consuela qui fait irruption dans sa vie, mais pas dans le même registre! Si elle est encore la belle jeune femme qu'il a connue et follement aimée, elle porte en elle désormais et dans ce qu'il a plus apprécié chez elle, la souffrance et la mort!

     

    Ce bouleversement survenu dans la vie de David va provoquer la confidence, un long monologue (tout le récit se décline sur ce ton, il a alors soixante dix ans et parle avec nostalgie de cette femme à un témoin dont nous ne connaîtrons même pas le nom) où le vieil homme se livre sans fard, avec parfois des détails crus, dérangeants même (épisode des règles par exemple, mais pas seulement). Parfois aussi, il se laisse aller à des développements que son expérience lui inspire, sur l'adultère par exemple, ce qui n'est franchement pas le plus intéressant!

     

    L'auteur qui prend volontiers et comme toujours la place de son personnage reprend ses thèmes favoris, la vieillesse, la maladie, la mort, la fuite du temps, les années qu'on ne rattrape pas, l'homme qui, parvenu à la fin de sa vie, va faire le grand saut dans le néant, inexorable, inévitable pour chacun d'entre nous. Il n'oublie cependant pas la femme, peut-être la seule consolation de l'homme dans ce monde où tout est perdu d'avance. Consuela qu'il évoque en poses érotiques et même pornographiques est pour lui, en quelque sorte une ultime conquête qu'il n'oubliera cependant pas malgré le temps, la séparation, la souffrance... Chez lui c'est un peu Éros qui danse avec Thanatos. D'ailleurs est-ce une danse ou un combat?

     

    Je connais mal l'univers de l'auteur, mais cela pourrait passer pour quelque chose de monothématique, à tendance obsessionnelle même, mais au fond, non. Il y a le sexe qui est omniprésent dans ce livre, c'est incontestable (avoir une obsession pour la beauté des femmes me paraît être plutôt un bon signe et il me semble que l'auteur se pose ici en contradiction avec le puritanisme américain et anglo-saxon en général), mais cela me paraît surtout être une méditation de bon aloi sur la condition humaine dans tout ce qu'elle a de plus transitoire. L'auteur va analyser, disséquer même l'univers sensuel des femmes, ce que leur beauté, leur corps, leur jeunesse suscitent chez un homme vieillissant, l'émotion, l'attachement, l'attirance, le désir, les subtils rapports de domination, de soumission, de séduction et de capitulation...

     

    Je pense que je vais continuer à explorer le monde de cet auteur qui nous donne à voir une image de cette condition humaine que nous partageons tous.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • L'HÔTE - Guadaluppe Nettel

     

    N°395– Février 2010.

    L'HÔTE – Guadaluppe Nettel – Actes Sud.

     

    Ana est habitée par une « Chose » qui fait partie d'elle depuis l'enfance. Elle vit avec elle, ou plus exactement est en elle depuis toujours, elle ne la voit pas mais elle la sent et celle-ci se sert d'elle, s'en nourrit presque, jusqu'à à en devenir insupportable. La chose grandissait en effet en elle « comme une chrysalide »;

     

    Durant l'enfance, elle a été sa compagne-complice ce qui meubla la solitude de la fillette. Seul son frère, Diego, échappait à son emprise, mais plus tard ses réactions furent inattendues, dévastatrices au point de s'attaquer à ce frère lui-même... et l'anéantir, le vider de sa propre substance! C'est à tout le moins l'explication qu'Ana donna à la mort prématurée de son frère, associant le sang de ses premières règles à celui qui accompagnait la mort de Diego. Parfois la chose alternait entre accalmie et violence, parfois se manifestait sous la forme d'une petite voix mais avant la mort de ce frère aimé, il semble que la « chose » a laissé sur son bras une sorte de cicatrice qui évoque le braille. Alors, message codé ou annonce de mauvaise augure, rite cabalistique ou volonté de voir un mystère à déchiffrer? Ce fut pour elle l'occasion d'entrer dans le monde des aveugles, pourquoi pas en devenant lectrice dans un institut pour non-voyants? Ce serait une façon bien originale et sûrement efficace pour Ana de se débarrasser de cette « chose » qui devenait de plus en plus un parasite, de l'exorciser en quelque sorte par une sorte de transfert, comme si l'hépatite dont elle souffrit un temps lui aurait permis de partager sa souffrance avec cet « hôte » encombrant?

    Pourtant, à force d'explorer le monde souterrain des aveugles, de les fréquenter jusque dans leur quotidien, à la fois dans cet établissement qui l'emploie mais surtout dans un monde interlope fait de rencontres improbables, de mendicité, de handicap et de vie cachée dans le métro mexicain, véritable cloaque où pourtant elle finit par se mouvoir presque naturellement, elle finit par décrypter le message sur le bras de son frère!

     

    Alors, manifestation d'un dédoublement de personnalité dont nous souffrons tous sans bien nous en rendre compte, peur intrinsèque à l'enfance de voir disparaître des êtres que nous aimons face à l'inconscience des adultes qui préfèrent transformer la mort en tabou, habitude prise dès les premières années de vivre avec autre chose qui fait que les adultes, et parfois nous-mêmes, craignons pour notre santé mentale, volonté de se recréer un monde différent de celui dans lequel nous vivons, sentiment de culpabilité ou désir de voir dans autre chose le responsable de ses propres malheurs, phobie irraisonnée de cette enfance qui pourtant s'en va, mythomanie dévorante qui confine parfois à la folie, itinéraire intime qui consiste à se libérer définitivement d'une obsession? Qui sait!

     

    J'avoue que j'ai lu ce livre avec une certaine circonspection, partagé entre intérêt et curiosité... Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais cet ouvrage, malgré les éloges que j'ai pu en lire par ailleurs m'a laissé une impression bizarre, non par le sujet traité qui me parlerait peut-être, mais par la manière de l'aborder, entre fiction et réalité.

     

    © Hervé GAUTIER - Février 2010.

  • PLUS TARD TU COMPRENDRAS – Jérôme CLÉMENT

     

    N°397– Février 2010

    PLUS TARD TU COMPRENDRAS – Jérôme CLÉMENT - GRASSET.

     

    Je ne savais rien du film quand j'ai parcouru la 4° de couverture de ce livre pris par hasard sur le rayonnage d'une bibliothèque. Je me suis dit que ce serait encore un énième ouvrage sur la Shoah. Je n'ai pas de sympathie particulière pour les bourreaux nazis, mais je dois dire que cette abondante littérature finit, à la longue, par m'insupporter. Le style pourtant m'a accroché dès le départ, l'histoire aussi puisqu'il ne s'agissait pas de ce que j'avais cru dès l'abord, mais d'un itinéraire intime et à rebours, une sorte de volonté de comprendre des choses qui étaient restées en suspens depuis si longtemps. D'ailleurs aux questionnements souvent exprimés, la réponse de Raymonde, la mère, revenait toujours, énigmatique et simple « Plus tard, tu comprendras », remettant à plus tard une explication qu'on cherchait à éviter. C'est que la silhouette de cette mère, maintenant morte, est présente durant toute cette quête « Qui est cette femme qui m'a aimé et que j'aime et qui m'a donné la vie? » . L'auteur, alors qu'il vend ce qui a appartenu à sa mère, choisit donc de faire revivre ses souvenirs, de refaire à l'envers, l'itinéraire de cette femme, Raymonde Clément née Gornick, juive russe, mariée à un Français catholique, que la guerre , le nazisme et la vie ont broyée. C'est un peu comme une photo qui se révèle petit à petit, à travers des lettres jaunies, des objets disparates, un appartement vide, il retrouve par bribes l'histoire de cette famille, son père, l'arrestation sur dénonciation, la déportation et la mort de certains des membres du côté maternel, la vie de cette femme, ses fiançailles, son mariage, son entrée dans une famille hostile, sa vie difficile puis son divorce, son remariage... A travers elle, il retrouve aussi quelques fantômes qui ont peuplés sa vie d'enfant et d'adolescent et qui maintenant ont disparu, happés par la mort dans les camps de concentration...Raymonde avait décidé d'enfouir tout cela dans les placards de l'oubli, éludant les questions de ce fils un peu trop curieux qui maintenant refait le chemin à l'envers.

    L'auteur ne cache rien de sa démarche, il écrit à la première personne et indique qu'il s'agit d'une autobiographie, une manière de s'approprier, enfin, sa part de judaïté, lui qui a été élevé comme un français catholique avec la complicité silencieuse de sa mère qui voulait protéger Jérôme par son silence.

     

    Ce livre m'a ému par sa sincérité, par son authenticité, mais ce que je retiens également, c'est la démarche secondaire de l'auteur qui, ayant écrit ce qu'il portait en lui, a dû, par la suite et parce que les sollicitations tendaient à l'écriture d'un film, se réapproprier son histoire et se cacher, en quelque sorte, derrière un autre personnage, à la fois lui-même et différent de lui, accepter d'être incarné par un autre, et que sa mère ait une autre apparence, un autre visage, troquer le « je » par le « il »... Ce travail aussi m'intéresse parce qu'il est différent et semblable à la fois. « Maintenant, je sais » n'est pas seulement la suite de l'évocation, cela en est le complément, une sorte déchirement aussi, sans doute parce que s'il n'est assurément pas facile de se livrer devant une page blanche, il est probablement aussi difficile, après avoir fait cette démarche intime, de charger une autre personne d'incarner celui qu'on est et ceux qu'on a aimés. C'est une chose que de faire vivre un personnage de papier, c'est sûrement une autre chose que de le voir évoluer sur un écran, de le présenter au spectateur pour le lui faire accepter, transmettre à travers lui des émotions, des sentiments, des interrogations, revoir autrement qu'en imagination des scènes difficiles... et surtout ne pas le trahir! Dans la première partie de sa démarche l'auteur à imaginé à partir de documents, maintenant il faut donner à tout cela une apparence, une vérité, une mémoire.

    ©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN HOMME- Philip Roth

     

    N°430– Juin 2010

    UN HOMME- Philip Roth – Gallimard.

     

    L'histoire commence dans un petit cimetière juif un peu délabré où un homme va être enterré. Cette petite cérémonie réunit sa fille, née d'un second mariage qui l'adore et qui prononce quelques mots sur sa tombe, mais aussi deux fils, nés d'une première union houleuse, qui le méprisent parce qu'il a abandonné leur mère, son frère aîné, une infirmière qui s'était occupé de lui avant son décès et quelques collègues... Cet enterrement n'a cependant rien d'exceptionnel, juste quelques poignées de terre jetées sur le cercueil, quelques paroles puisées dans le chagrin et le souvenir mais aussi des marques d'indifférence, de soulagement, de rancœur même...

     

    Par une classique analepse, l'auteur va retracer la vie de cet homme, dont nous ne connaîtrons pas le nom. Enfant de santé fragile, il avait été l'objet des soins attentifs de ses parents. Il est devenu un homme torturé par des affections cardio-vasculaires mais il envie et même déteste ce frère aîné, à cause de sa bonne santé... Il ne reprit pas la profession de son père, bijoutier juif, mais devint un publicitaire célèbre puis s'est mis à la peinture pendant ces années de retraite. Ses trois mariages se soldèrent par autant de divorces entrecoupés de quelques liaisons amoureuses ...

     

    C'est une vie banale qui nous est ainsi livrée par le narrateur comme s'il nous prenait à témoin, celle d'un homme ordinaire, pleine de poncifs, de désillusions, de frustrations, avec son lot de joies, d'épreuves, d'amours et de rêves brisés, d'erreurs, de prises de conscience que les choses changent, que le temps perdu ne se rattrape pas... Lui qui fut un amant ardent, il connaît maintenant la perte du désir, l'impossibilité de séduire ..., Roth reprend devant nous, à l'occasion de cette histoire, tous les truismes habituels loin des préoccupations intellectuelles et philosophiques, avec la hantise ordinaire à tout humain, celle de la vieillesse, de la solitude, de la mort. Cet homme n'attend rien d'un hypothétique autre monde ou d'une vie éternelle, les choses s'arrêtent avec celle-ci, et tant pis si toute cette agitation n'a servi à rien et ne débouche que sur le néant.

    Sa vie n'aura donc été qu'un vaste gâchis qu'il a lui-même tressé, remettant en cause ce qu'il avait pourtant patiemment construit. Dans notre société, il est sûrement une sorte de parangon, lui dont la réussite professionnelle a été avérée, dont la vie familiale a été un savant mélange d'adultères, de mensonges, d'hypocrisies et de complicités malsaines et même coupables, d'humiliations imposées aux siens, comme si son existence ne se résumait qu'à une recherche effrénée de la jouissance sexuelle, du plaisir animal à tout prix, dût-il lui sacrifier la stabilité de sa famille, sa respectabilité, la vie et l'amour de ses enfants... Après tout il doit être comme un homme, cet être qui est en permanence habité par la folie de tout détruire autour de lui pour un peu de ce plaisir quêté dans une rencontre avec une inconnue!

     

    Face à ces renoncements successifs, il lui reste la peinture que pratique comme une sorte d'exorcisme ce Don Juan insatiable, toujours à la recherche de femmes qui lui procureront du plaisir, mais qui, à présent, ne peut plus que les suivre du regard en fantasmant sur leur corps, en espérant qu'elles lui feront l'aumône d'une étreinte. Quant au maniement du pinceau, cet exercice artistique devient lassant et il n'en retire plus rien...

     

    C'est un récit un peu mélancolique, un rien désabusé, un peu tragique aussi si on estime que vivre de la naissance à la mort en acceptant de n'être plus ce qu'on a été, est aussi participer à une sorte de tragédie. C'est assurément dramatique aussi d'accepter sans peur la réalité de la mort, cet inévitable saut dans le néant, parce que, quand on a goûté à la vie, on ne peut la quitter sans regret ni terreur.

     

    Le titre anglais (evryman : n'importe quel homme) résume assez bien le but de l'auteur; il s'agit de la vie de chacun d'entre nous qui est esquissée ici. Ce n'est donc pas exactement une fiction, mais la copie plus ou moins conforme dans sa diversité du parcours de chacun d'entre nous sur cette terre.

     

    Le style est dépouillé et atteint son but, celui de nous donner à voir « cet homme » sans nom, (et cela doit aussi valoir pour les femmes?), un véritable quidam, un être ordinaire dont on nous raconte la vie également ordinaire, celui de nous faire partager, avec cet art consommé du conteur, son passage sur terre plein de fougue mais finalement aussi plein de désillusions et de bassesses.

    Une véritable image de la condition humaine!

     

     

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • SI RIEN NE BOUGE- Hélène GAUDY

     

    N°431– Juin 2010

    SI RIEN NE BOUGE- Hélène GAUDY – Éditions La Brune.

     

    Une maison de vacances qui ne sert que quelques semaines par an, sur une île méditerranéenne avec pinède, piscine, la mer en contrebas, la maison des voisins... La même chose tous les ans depuis des années...

     

    Le père, Samuel et la mère Lise ont invité Sabine (16 ans) à tenir compagnie à leur fille unique Nina, (14 ans). Le lecteur se dit que jusque là, il n'y a rien de bien original pour une période de vacances, sauf que, rapidement, cette Sabine pose un problème. Les parents qui l'ont conviée à les accompagner se disent qu'ils ne savent rien de cette jeune fille dont le père est mort et dont la mère n'a pas vraiment donné l'impression de l'être lors d'une rencontre précédente. Son milieu social est différent du leur et cela se sent rapidement jusque dans les gestes les plus anodins du quotidien... Peu importe après tout, en vacances, les choses sont entre parenthèses, la vie est différente. Et puis il ne faut pas s'en faire et se poser des questions n'est pas vraiment de mise. C'est après tout un beau geste que fait cette famille aisée pour une adolescente moins favorisée...

     

    Nina a avec ses parents des relations ordinaires, une petite complicité avec son père et avec sa mère parfois quelques difficultés, bref une famille ordinaire qui vit en autarcie. L'amitié souhaitée entre Nina et Sabine n'est cependant pas au rendez-vous. Les deux jeunes filles sont trop différentes Nina, qui est «  un enfant de vieux », est plus jeune, réservée, timide et même craintive tandis que Sabine est plus fruste, rebelle, libérée, peut-être plus expérimentée et avertie, plus âgée, plus perfide, plus « femme » en un mot. Elle se révèle même dominatrice, initiatrice ... De plus, elle ne semble faire aucun effort pour remercier les parents de Nina de cet intermède estival, ce qui, bien entendu perturbe un peu cette famille conventionnelle... Ces deux adolescentes semblent vivre cette période chacune à son rythme, à sa manière, sans réelle complicité...

     

    Se succèdent des images de vacances adolescentes, le soleil, le farniente, un feu d'artifice et la rencontre de garçons. Toni forme avec Sabine un couple d'occasion et Alban, le fils des voisins retrouve Nina. On songe à des amourette de vacances, pourquoi pas? Le drame final, davantage suscité que décrit, ne me fait pas changer d'avis, l'ennui a beaucoup accompagné ma lecture. Le livre refermé, je suis assez circonspect!

     

    Je suis peut-être passé à côté de quelque chose mais je ne suis pas sûr de partager les termes un peu laudatifs que révèle la 4° de couverture. L'écriture, simple et sans artifice, un peu brute parfois, ne m'a pas convaincu. Ce roman reste une sorte d'énigme pour moi, tout comme le titre puisé dans les paroles d'une chanson «  Regarde las-bas, au bout de mon doigt, si rien ne bouge, le ciel devient rouge ».

     

    A la lecture de cette œuvre, je n'ai pas vraiment eu envie de poursuivre la découverte de cet auteur.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • COLONIE- Frédérique Clémençon

     

    COLONIE- Frédérique Clémençon – Les Éditions de Minuit.

     

    Léonce n'est plus ce petit garçon de huit ans, secret et craintif, qui a vu partir son père, cédant aux attraits de la vie coloniale, un jour d'hiver, Il s'imaginait y faire facilement fortune, sur les traces de Brazza ou de Stanley, c'est à tout le moins ce que lui avait promis Toinet, le notaire, comme il lui avait certifié qu'il reviendrait bientôt, fortune faite, évidemment puisqu'il ne pouvait en être autrement... Léonce vit maintenant, soixante ans après, avec sa vielle mère, dans cette grande maison triste coincée maintenant entre la rivière et la route nationale et les nouveaux lotissements... C'est mieux pour elle que la maison de retraite, autant dire le mouroir, mais quand même, cela aurait pu être autrement!

     

    Aux yeux de son père, l'enfant n'était pas autre chose qu'un petit être insignifiant, transparent, qui ne méritait même pas qu'on s'intéressât à lui qui serait donc mis en pension, pour l'endurcir et le préparer à la vie... Le père est donc parti, seul, abandonnant sa femme qu'il n'aimait pas vraiment, son poste de directeur à l'usine de son beau-père, ses beaux-parents qui avaient fait sa fortune et avec qui il vivait dans cette maison pourtant agréable et ce décor de province qu'il ne supportait plus... Il avait fait des promesse de réussite et renouvelait souvent par lettre son intention de les faire tous venir en Afrique, auprès de lui, mais...

     

    Léonce est vieux maintenant, mais il évoque la façon dont son père est arrivé, un peu par hasard dans cette maison, accompagné et invité par celui qui allait être son grand-père. Il se remémore la façon un peu cavalière et sans grande élégance, avec laquelle il s'est établi dans cette famille et en a séduit la fille. Ce mariage s'est donc fait, à cause de la promesse d'un enfant à naître, Léonce, mais il n'a jamais été heureux! Son père s'est révélé être une sorte d'écornifleur, mais aussi un ingrat, abandonnant tout ce petit monde pour entreprendre cette aventure africaine, parce que dans les années 192O il y avait ce rêve suscité par l'Empire français et les encouragements du notaire Toinet qui lui prêta aussi quelque argent. Mais cette escapade exotique a rapidement tourné au cauchemar et les rêves d'aventure et de réussite sociale de ce père se sont vite transformés en quotidien bureaucratique, pratiques douteuses et risques inconsidérés qui finirent par lui couter la vie. Pour Léonce et sa mère, ce fut aussi la ruine...

     

    C'est donc l'histoire d'une fuite, d'une recherche vaine de quelque chose d'inaccessible, faite de souvenirs tristes, dans un décor décrépis face à la réussite des autres... L'épilogue surprend un peu.

     

    J'ai lu ce roman jusqu'à la fin, un peu par goût, un peu par curiosité. Le style en est agréable mais Frédérique Clémençon fait des phrases un peu longues, ce qui ne favorise pas la lecture.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • GABRIEL GARCIA MÁRQUES - UNE VIE- Gérald Martin

     

    N°428– Mai 2010

    GABRIEL GARCĺA MÁRQUES – UNE VIE- Gérald Martin -Grasset.

     

    Cette chronique qui s'est si souvent fait l'écho des romans de García Márques ne pouvait rester muette à la sortie d'un livre sur sa biographie. C'est cependant un quasi-paradoxe d'écrire la biographie d'un auteur dont l'œuvre est toute entière inspirée par sa propre vie autant d'ailleurs que par la réalité qui l'entoure.

     

    Né en Colombie en 1927,(et non pas en 1917 comme on peut le lire dès la 1° ligne de l'avant-propos, mais cette coquille n'entache en rien le travail de cet universitaire britannique qui met en perspective la vie de l'auteur et son œuvre ), il est l'ainé de onze enfants et porte l'espoir de toute sa famille. Prix Nobel de littérature en 1982, homme de gauche engagé, volontiers défenseur des grandes causes, il est le plus connu, le plus populaire et le plus emblématique romancier du continent sud américain et chacun des grands de ce monde recherche son amitié. Sa généalogie labyrinthique, largement évoquée dans « Cent ans de solitude »(son livre le plus important) et dans toute son œuvre, irrigue son écriture tout comme son enfance dont gardera une durable nostalgie. Elle se déroule sur fond de guerre civile, de troubles sociaux, de corruption politique, de filiation illégitime, de bouleversements familiaux... Il sera fortement marqué par son grand-père maternel, le colonel Nicolas Ricardo Márques Mejila, sa grand-mère Tranquilina, ses parents, une mère effacée et un père volage et aventurier et son village d'enfance, Aracataca devenu Macondo ...

    Le petit Gabito entame un chemin difficile avec en contre-point la maladie, des études parfois laborieuses, ses premiers émois amoureux, une ascension sociale nécessaire, un éveil à l'étude de la littérature, la manifestation d'un talent précoce, des aventures sentimentales souvent épiques... Gabriel se révèle cependant angoissé, hypersensible, hypocondriaque, bref kafkaïen...

    Son père, avec qui il s'entendait assez mal, estimait que la littérature était une chose mineure, son fils fera donc du droit pour être avocat mais n'oubliera jamais son penchant pour l'écriture. Il poursuivra cependant ses études, mais avec une grande irrégularité et un grand amateurisme et l'assassinat de l'avocat libéral Gaitan sera pour lui révélateur. Il choisira de prendre ses distances avec le droit, et de gagner sa vie dans le journalisme. Il est à l'époque un garçon maigre timide et désargenté et affirme une vocation déjà connue d'écrivain mais aussi un engagement politique dans un contexte de luttes partisanes faites de violence et de corruption. Ses articles, notamment sur le glissement de terrain de Médellin et sur le naufrage d'un destroyer de la marine colombienne le mettent en position de délicatesse avec le pouvoir politique et c'est le départ pour l'Europe, vécu comme un exil volontaire et professionnel. A Rome, Paris, en Allemagne de l'Est, à Cuba, à New-York, à Mexico où il fut reporter et critique de film avec plus ou moins de bonheur, il connut des difficultés d'écriture mais surtout financières. Il devient « Gabo » et lui qui au départ ne gagnait pas sa vie même comme journaliste va crouler sous les honneurs et la reconnaissance, la fortune avec la consécration littéraire.

     

    Ses romans sont certes inspirés par sa vie, par son enfance, mais il mêle toujours à la fiction, l'histoire, les superstitions, les tabous et le folklore de son pays et de tout le continent sud-américain. Il ne manque jamais de dénoncer les inégalité sociales et de prendre parti pour les plus démunis ce qui fait de son œuvre non seulement un extraordinaire moment de lecture mais aussi le plaidoyer social d'un grand témoin de son temps. Son écriture flamboyante, son humour, son imagination débordante et cet extraordinaire talent de conteur et de narrateur révèlent l'âme de la Colombie. C'est véritablement son pays qui a fait de lui l'auteur que nous connaissons. Pourtant, il a fini par prendre ses distances avec lui!

    C'est donc un destin d'écrivain qui est présenté ici mais aussi l'illustration d'un paradoxe: comment concilier une vie littéraire, politique et personnelle avec tant de notoriété? C'est que, avec le temps, il s'est largement impliqué dans la politique, est devenu thuriféraire des gouvernants qui avaient sa sympathie, jusqu'à être sans doute dépassé par cet engagement. Mais cet homme au « réalisme magique » cache cependant un sentiment de solitude qui irriguera sans aucun doute son écriture, tout comme l'amour et le sexe d'ailleurs! A ce propos, malgré cette société dont il fait évidemment partie où les hommes ont volontiers des relations avec les prostituées ou des aventures avec des femmes mariées, il ne cessera, malgré sa vie privée mouvementée, de penser à Mercedes, pourtant plus jeune que lui, qu'il a demandée en mariage quand elle avait 9 ans, et qu'il épousera!

    Il est maintenant un vieil homme luttant contre la maladie qui devient de plus en plus amnésique, un paradoxe de plus pour un écrivain qui a fait de la mémoire le thème central de son œuvre. Même s'il attend la mort, se perd un peu dans son propre labyrinthe, il a déjà l'acquit l'immortalité.

     

    C'est, sous un titre sobre, un travail monumental, qui n'est cependant pas une hagiographie, et qui est présenté pédagogiquement sous une forme chronologique par son biographe « officiel ». C'est aussi une bonne idée d'avoir enrichi le livre de cartes de géographie, d'arbres généalogiques et de notes.

     

    Je ne peux que saluer la sortie de ce livre, fruit de dix-sept années de travail assidu et constant, une version cependant courte selon Martin (Ce livre comporte plus de 650 pages avec les notes alors que l'autre, « longue », sera publiée plus tard en compte 2000!), qui nous montre un être à plusieurs faces, à la fois narcissique et tourmenté, mystérieux et parfois empêtré dans ses contradictions, à l'occasion flagorneur et manipulateur, mais conscient de sa notoriété... L'auteur fait un analyse pertinente de l'œuvre de Márques et replace sa vie dans le contexte des événements politiques auxquels il n'est pas resté indifférent.

    Mais, prenons garde, Márques a avoué à son biographe, sans doute en guise d'avertissement, « Tout le monde a trois vies, une vie publique, une vie privée et une vie secrète! ». Cet ouvrage nous aide un peu à comprendre cette dernière!

     

    C'est en tout cas un hommage majeur à un homme et à un écrivain exceptionnel.