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Quelque chose en lui de Bartleby- Philippe Delerm
- Par ervian
- Le 01/10/2010
- Dans Philippe DELERM
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N°459 - Octobre 2010
Quelque chose en lui de Bartleby – Philippe Delerm – Mercure de France.
Le titre de ce roman évoque une chanson connue, mais qu'en est-il, et d'abord qui est ce Bartleby et qui se cache derrière ce « lui »?
Selon l'auteur, Bartleby est le nom d'une nouvelle d'Herman Melville (l'auteur de Moby Dick), c'est aussi le nom du personnage principal, simple employé aux écritures de Wall Street qui tout d'abord se montre discipliné, travailleur, lisse, solitaire mais qui, avec le temps, s'oppose à son patron en refusant de faire certains travaux en déclarant systématiquement « Je ne préférerais pas ». Peu à peu il cesse tout travail, s'installe définitivement dans son bureau où il finit par habiter et refuse même son licenciement par son patron!
« Lui », c'est Arnold Spitzweg, c'est le type même de l'anti-héros, simple employé de « La Poste », modeste, casanier, célibataire, solitaire, malgré une brève aventure avec une de ses collègues, demeurant dans deux pièces 226 rue Marcadet à Paris et cela dure depuis 20 ans, depuis qu'il a quitté son Alsace natale! Malgré son travail, il est imperméable à l'informatique, normal, il n'est pas né avec! A force d'être moqué par ses collègues, il va se mettre à tenir un blog, nom bizarre, « espèce de borborygme scandinave, moitié blizzard moitié grog », une sorte de journal intime qui ne l'est plus guère puisque confié à Internet. Il y confesse son envie de silence, de solitude, ses goûts simples pour la glace au café, le cigarillo où le plaisir de flâner dans Paris, surtout l'été, c'est à dire l'inverse de ce qui est la modernité, l'hyperactivité...
Tout cela est bel et bon, mais Bartleby la-dedans? Certes Arnold lui ressemble un peu et chacun d'eux marque sa différence à sa manière, pourtant notre postier reste un fonctionnaire modèle, respectueux de sa hiérarchie et de son travail.
Pour lui, ce blog sera son originalité, il y parle surtout de son quotidien, de la solitude sans qu'on sache très bien s'il la recherche ou s'il la subit [« Au Luxembourg où naissent vite les conversations sur le sens de l'existence, (il) évite les bancs... Il se choisit un fauteuil vert pâle, à défaut une chaise. Il se redit cette phrase de Léautaud qui le ravit « ce que j'ai dans la tête me suffit »]. Pour que les choses soient bien claires il baptise sa chronique du nom d' « antiaction. com ».
Le plus étonnant c'est qu'on finit par parler de lui à la radio et que, chose étrange sans doute, on goûte son écriture au point qu'on songe pour lui à une édition! Ainsi Arnold qui ne voulait pas entendre parler de l'informatique qui souhaitait surtout rester anonyme devient sujet de conversation, surtout de la part des femmes, reçoit des e-mails auxquels il ne répond jamais, découvre qu'il aime être aimé et être connu![« Il a là-dessous une angoisse métaphysique. Un besoin d'exister qui ne repose sur rien. Çà, c'est vraiment notre époque. Çà m'horripile évidemment. Mais bizarrement ça me concerne »]. Il sort tellement de l'anonymat que son amour de jeunesse qu'il n'avait cependant pas oublié se manifeste à nouveau grâce à la toile.
Que fera-t-il? Sortir de sa condition de quidam et devenir quelqu'un d'autre est-il si tentant? L'exergue qui, comme la préface fait partie d'un récit et que bien entendu il faut lire, nous avertissait déjà « Il n'y a pas de grandes vies, il n'y a pas de petites vies » Alors!
J'arrête là pour ne pas déflorer ce roman, présenté en courts chapitres et décliné dans une belle écriture, agréable à lire et avec parfois des accents poétiques, comme toujours chez Delerm. Le décor parisien procure un dépaysement bien venu, loin de l'agitation quotidienne du métro et des affaires médiatiques surtout quand l'auteur y met une touche bucolique.
Cela dit, on peut se poser moult questions. Quelle est la valeur de l'écriture et pourquoi la pratique-t-on? Est-elle un réel besoin et quelle est sa véritable raisonnance? Peut-on vouloir rester réellement anonyme en confiant ses états d'âme à Internet?Quid de la notoriété? Malgré tout, nous sommes dans une société de plus en plus indifférente aux autres mais où la réussite individuelle prime. Être différent est-il aujourd'hui bien reçu dans un monde en perpétuel mouvement, en quête d'uniformisation?... Internet a quelque chose de fascinant et de mystérieux, de dangereux aussi...
Beaucoup peuvent se retrouver dans ce personnage du blogueur sur qui se braquent un temps les projecteurs de la renommée pour l'abandonner ensuite...
J'ai bien aimé ce roman dans la lignée de ce que j'avais déjà lu de cet auteur.
© Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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Des hommes et des dieux ; Un film de Xavier Beauvais
- Par ervian
- Le 28/09/2010
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N°458 - Septembre 2010
Des hommes et des dieux – Un film de Xavier Beauvais – Prix du Jury au 63°Festival de Cannes
Il est des films dont la projection laisse le spectateur sans voix.
Ce film est de ceux-là et l'impression première que j'ai eue, la lumière revenue, fut le silence, l'immobilité des gens, leurs larmes secrètes peut-être? On pouvait y lire à la fois l'horreur pour cette mort atroce pourtant tout juste évoquée, l'admiration pour l'abnégation de ces hommes et pour leur sacrifice consenti, la révolte contre la violence, la fascination pour le courage d'aller au-devant d'une mort certaine et acceptée, la fin d'une mission terrestre, le commencement d'une autre vie... D'évidence, ce genre d'exemple ne laisse pas indifférent!
Au-delà des événements que tout le monde a encore en mémoire [ Une communauté de huit moines trappistes qui vit en harmonie depuis longtemps à Tibhérine au Maghreb algérien en contact avec la population arabe à qui elle vient en aide, sa prise en otage en 1996 puis son assassinat dans un rituel inconnu et barbare – on ne retrouvera que leurs têtes mais pas leurs corps] mais qui reste encore aujourd'hui un mystère, il y a ce film. Même s'il est librement inspiré de faits réels, il nous rappelle encore une fois que chaque homme est mortel, même si dans nos civilisations occidentales cette évidence est encore taboue. Il parle aussi de cette propension qu'ont les hommes à s'entretuer avec pour cela l'excuse de la religion comme le rappelle cette pensée de Pascal opportunément citée, mais aussi de l'acceptation de cette mort que l'on sent rôder, sous la forme de groupes armés islamiques incontrôlés.
Dès lors se pose, pour les moines, le problème de l'abandon de cette population arabe aux exactions des islamistes ou le maintien de leur présence au monastère quoiqu'il arrive. Un monastère est constitué par un groupe d'hommes venus d'horizons différents avec des personnalités différentes, soudés par la seule force de leur foi, de leur mission et par le règle de leur ordre. Dès lors, quitter les lieux revient aussi à fissurer la cohésion de la communauté, d'accepter d'opposer à la violence extérieure la force de la prière et de l'exemple quoiqu'il puisse en coûter! Ce cheminement vers l'acceptation du martyre est bien montré dans le doute de chacun au début puis, à la fin, dans un ultime repas pris en commun (la cène!) que Frère Luc (Michael Lonsdale époustouflant de réalisme et d'humanité qui se pose avant tout en homme libre) choisit d'agrémenter de vin rouge (comme le sang du sacrifice) et de la musique profane de Tchaïkovski (Le lac des cygnes) à la place de la traditionnelle lecture de textes sacrés, comme on abandonne ce monde terrestre, les larmes vite essuyées du vieux Frère Amédée, la détermination de Frère Christian (Lambert Wilson en contemplatif déterminé), la décision de toute la communauté...
Ce n'est pas un film confessionnel au sens strict du terme puisque la vie des moines dans ce coin de l'Atlas se déroule sans la moindre volonté de prosélytisme. Ils soignent indifféremment tous ceux qui se présentent au monastère, prient pour l'âme d'un enfant assassiné autant que celle du rebelle assassin, parlent librement du monde extérieur... Il n'y a pas de message proprement évangélique (les moines citent à la fois le Coran et l'Évangile - on peut parfaitement être athée et être bouleversé par cet exemple), seulement la mise en évidence des valeurs humaines de tolérance, de charité, de fraternité entre les hommes, maintenant fortement gommées par notre mode de vie où la réussite sociale, financière, professionnelle, le paraître, sont les seuls critères. L'image donnée par le monde au quotidien en procure tous les jours l'illustration.
Ces moines sont des hommes de dieu et choisissent d'opposer leurs fragiles chants liturgiques aux vrombissements des hélicoptères de l'armée, décident, contre toute logique, de rester au monastère malgré les mises en garde des autorités incapables d'assurer l'ordre public dans un pays en totale décomposition, opposent un refus silencieux à la délation même si elle vise à livrer des terroristes et même si en jouant ce jeu, les moines se protègent indirectement. Ils rappellent d'une manière apparemment anachronique que leur vie ne vaut rien parce qu'elle est déjà offerte à dieu et qu'ils doivent accepter sa volonté sous quelque forme qu'elle se présente. Il y a quelque chose de grand dans l'acceptation de ce sacrifice.
De nos jours encore, des hommes que tout désignait pour un parcours brillant et carriériste choisissent de tout quitter, de refuser une vie de famille, d'embrasser la pauvreté, l'abnégation, le service de l'humanité et la foi en un dieu qu'ils n'ont jamais vu mais qu'ils servent aveuglément, parce que là est le véritable sens de leur vie. Le silence, la prière, la foi sont leurs seules armes. En cela ils forcent le respect, apportent un certain apaisement et un exemple de dignité. Ce n'est pas un film qui oppose l'islam et l'Évangile, ce sont toutes deux des religions révélées, des religions du Livre, qui prônent la tolérance, la charité, le respect de l'autre, ce n'est même pas un film contre les islamistes, leur vision meurtrière du monde et leur mauvaise interprétation du Coran. Les circonstances « historiques » eussent été différentes, le résultat n'en aurait pas moins été le même. Les hommes continueront de s'entretuer tant qu'ils vivront!
Le film n'apporte pas de réponse à ces exécutions, ce n'était d'ailleurs pas le sujet, même si on a pu se livrer à des supputations sans le moindre fondement, si le mystère entoure encore cette prise d'otages et le marchandage qui y a fait suite. L'important est ailleurs, au-delà du spectacle qui ne veut sans doute pas emporter l'adhésion du spectateur mais lui donner l'occasion de remettre en question des idées reçues, de réfléchir sur un monde qui devient chaque jour plus fou.
C'est assurément la mise en évidence d'un exemple bouleversant.
Hervé GAUTIER – Septembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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Gaston Chérau (1872-1937).
- Par ervian
- Le 25/09/2010
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N°457 - Septembre 2010
Gaston Chérau (1872-1937).
[Exposition à la Médiathèque Centrale d'agglomération de Niort du 17 au 30 septembre 2010.]
Il n'est pas courant, dans une ville qui n'est guère réputée pour promouvoir son côté culturel, qu'une exposition rende hommage à un des écrivains qui l'a vu naître et soit ainsi proposée au public. C'est le cas puisque la médiathèque centrale d'agglomération de Niort expose, du 17 au 30 Septembre, sous l'égide de M. Erik Surget, conservateur en chef des bibliothèques, de nombreux documents (manuscrits, lettres, tapuscrits, photos...) relatifs à la vie et à l'œuvre de Gaston Chérau (né à Niort en 1872, décédé à Boston en 1937).
Cette exposition complète le fonds détenu par la Bibliothèque de l'Arsenal déjà détentrice d'une grande partie de la correspondance privée de l'écrivain. Déjà, dans le cadre de la journée du patrimoine (Samedi 18 septembre 2010, M. Surget avait fait, devant un auditoire clairsemé, une évocation de la correspondance échangée dans les années 30 entre Chérau, alors membre de l'Académie Goncourt, et Irène Némirovsky (1903-1942), romancière prometteuse alors âgée de 27 ans. [Elle obtiendra, fait rarissime puisque cette distinction n'est accordée qu'à un écrivain vivant, le prix Renaudot en 2004 à titre posthume pour « Suite française » roman publié la même année chez Denoël].
Mais revenons à cette exposition qui fait revivre Gaston Chérau. Elle fait suite à une précédente qui avait eu lieu à la Bibliothèque municipale de Niort du 24 octobre au 15 décembre 1987 ainsi qu'une autre à la bibliothèque de l'Arsenal du 5 février au 9 avril 1988 pour le cinquantenaire de la mort de l'écrivain [Le centenaire de sa naissance avait déjà été célébré par le Société des Gens de Lettres en 1972]. Un catalogue enrichi de photos, de fac-similés de lettres et de nombreux commentaires avait déjà été publié à Niort en 1987.
Il n'est pas inutile en effet de faire revivre l'itinéraire de cet auteur d'exception qui honora grandement les lettres françaises et notre si belle langue. Par son talent, il suggéra la vie en général autant que la province d'où il tenait ses origines, le Poitou par son père, le Berry par sa mère. Son œuvre ne se limite cependant pas à celle d'un auteur régionaliste, inspiré par ses seules racines. Elle porte en effet en elle « message, éthique, cosmogonie » comme cela est opportunément rappelé dans les quelques pages qui présentent cette manifestation.
Le catalogue de l'exposition niortaise de 1987, gracieusement offert aux visiteurs intéressés, retrace la vie et l'œuvre de cette auteur injustement oublié, pratiquement inconnu dans sa ville d'origine et qui mérite bien une découverte ou une relecture.
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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MONTEDIDIO – Erri de Luca
- Par ervian
- Le 22/09/2010
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N°456 - Septembre 2010
MONTEDIDIO – Erri de Luca - Éditions Gallimard.[Prix Fémina étranger 2002]
(Traduit de l'italien par Danièle Valin)
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai un attachement particulier pour les romans d'Erri de Luca, à cause du style simple servi par une traduction fidèle et qui me parle assurément.
Montedodido est situé sur une colline, un quartier pauvre de Naples dans les années 50. C'est une ville grouillante de vie qui est posée à côté d'un volcan qui peut lui apporter la mort. Le narrateur lui adresse un véritable chant d'amour. Il y décrit sa famille, fils unique d'un docker, il travaille comme apprenti chez un menuisier, mast'Errico, qui dit que « chaque journée est une bouchée ». Pour l'enfant qu'il est encore et qui n'a encore de treize ans, le salaire qu'il rapporte chez ses parents lui donne à penser qu'il est presque un homme. Le « boumeran » que lui offre son père est plus qu'un jouet et, comme il manque de place pour le lancer parce que les ruelles sont étroites, il s'entraine pour le jour où il aura assez d'espace pour le faire voler. Il parle de Rafaniello, un cordonnier juif, bossu et un peu naïf qui apprend les choses en songe et qui s'est arrêté à Naples par hasard sur la route de Jérusalem. Il croit que sous sa bosse se cachent des ailes d'ange qui vont l'aider à terminer son voyage vers la Terre Sainte en volant vers elle. C'est lui aussi qui apprend à l'enfant à rire de tout. Le narrateur rencontre aussi Maria, sa jolie voisine qui est attirée par lui, dit qu'ils sont fiancés et se donnent des rendez-vous, finissent par vivre ensemble...
Le narrateur qui parle le napolitain [« (langue) très à l'aise dans l'insolence »]mais apprend l'italien pour mieux raconter cette expérience de vie qu'il écrit en secret sur un rouleau de papier.
C'est un roman chronologique aux accents autobiographiques (ou plus exactement une auto-fiction, c'est à dire un récit où la pudeur de l'autobiographie se mêle intimement au merveilleux de la création. On s'inspire des choses faites et vues en les transformant au gré de son imagination et de sa volonté de refaire le monde à sa convenance) de transition entre l'enfance et l'âge adulte symbolisé par ce « boumeran » venu d'ailleurs et qu'il finira par lancer comme lui s'envolera vers la vie. Le temps qui passe est aussi noté par la voix du garçon qui mue, son corps qui affermit ses muscles (tous ses muscles), celui de Marie qui peu à peu devient femme et s'épanouit à l'éveil de la chair et de l'amour, la folie de Rafanielo (Il y a un parallèle entre le vol du « boumeran » et le futur essor de Rafanielo pour la Terre Sainte, véritable terre promise), l'évolution de la maladie de sa mère puis sa mort. C'est une seconde naissance à la vie, incarnée par la fête de Noël. A partir de là tout change (« à Naples, on grandit vite ») Comme souvent chez de Luca, ce passage se fait par les femmes. Ici, c'est Maria, mais c'est aussi sa mère malade.
Il y a aussi une naissance à l'écriture. Le narrateur jeune et parlant tout juste la langue nationale qui est nouvelle pour lui, choisit de faire le récit de tout cela sur un rouleau de papier (ici il n'y a pas de feuille éparses (volantes?) mais le déroulement continu d'un texte sur un support sans fin apparente (« Même le rouleau tourne plus vite, tiré par le poids de la partie écrite »). L'écriture qui sera plus tard sa véritable raison de vivre se régénère elle-même.
Ce récit qui se termine comme une fable est une peinture des petites gens pleine d'authenticité, de complicité et d'émotion. L'auteur écrit cela avec une grande économie de mots et un style dépouillé et poétique. Je ne me lasse pas de lire cet écrivain au parcours exceptionnel et à la langue envoûtante de simplicité.
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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OLIMPIA – Céline Minard
- Par ervian
- Le 18/09/2010
- Dans Céline Minard
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N°455 - Septembre 2010
OLIMPIA – Céline Minard - Éditions Denoël.
Est-ce la vie de l'auteur à la Villa Médicis qui lui inspira ces pages de la vie scandaleuse d'Olimpia Maidalchini (1592-1657) dont l'histoire a retenu le nom comme celui d'une papesse? Il est vrai que ce séjour dans la ville éternelle, qui est aussi le siège de l'État du Vatican, ne peut que donner envie de relater les multiples aventures qui émaillèrent l'existence de cette incarnation du pouvoir temporel et de ceux qui l'ont exercé, plus volontiers inspirés par les bassesses et les turpitudes humaines que par la conduite spirituelle du monde qu'ils étaient censés mener.
Au demeurant, c'est un petit livre en deux parties, la seconde complétant la première de ses précisions historiques sur la vie de cette femme de naissance modeste, belle et intelligente, issue d'une famille « de pauvre culture et de médiocres moyens ». Dans la première phase, l'auteur donne fictivement la parole à cette dernière qui, après des revers de fortune et après avoir régné sur Rome et sur le pape Innocent X quitte volontairement la ville après la mort du souverain pontife avant d'en être expulsée par son successeur. Elle n'oublie pas, dans un monologue haineux, de répandre sa morgue sur cette citée, sur ses habitants( tous ses habitants, des plus humbles aux plus fortunés), sur tous ceux qu'elle a contribué à élever, qui l'ont servie, qui l'on trahie qui l'ont calomniée. Elle distribue aussi les malédictions(« que la peste étouffe, les broie, les meule, les perce, qu'ils jettent leur dernier souffle en un pet par le cul en ensemble et qu'ainsi Rome en tremble »). Elle mourut l'année suivante de la peste qui envahit toute l'Italie. Comme tous les personnages un peu sulfureux, la légende a comblé le vide de sa présence et, après sa mort on dit qu'elle vient encore hanter une rue de Rome!
Dans un style truculent, charnel et même parfois ordurier (mais peu importe), l'auteur fait parler Olimpia, lui fait égrener les épisodes de sa vie tumultueuse qui l'amena à Rome. Malgré « ses connaissances lacunaires, propre à la noblesse du temps », elle réussit « à se mouvoir avec grâce pari les habits ecclésiastiques ». C'est là un euphémisme qui caractérise une vie tout entière consacrée à sa promotion et à son enrichissement personnels puisque, après un éphémère mariage qui fit d'elle une riche et jeune veuve, elle se remaria avec un influent et vieux romain qui eut le bon goût de mourir avant elle. Elle favorisa, à force d'intrigues, de prébendes et de manigances, l'accession au trône pontifical de son beau-frère, le médiocre cardinal Giovani Battista qui devint pape sous le nom d'Innocent X et dont elle devint la maîtresse et l'influent mentor. Rien ne se faisait donc sans elle. Comme il se doit, elle sera l'objet de critiques et de pamphlets mais admet elle-même que sa réputation n'est pas usurpée « Le peuple m'a suffisamment comblée en m'appelant Pimpaccia et impia et putain de pape et suceuse d'Innocent et vamp et vampiria et femme à sceptre... », sa vie scandaleuse la faisant reconnaître comme « Papesse, impie, courtisane, prostituée (tels) furent les noms qui la désignèrent alors dans les murs de Rome et dans les cours d'Europe ». On ne peut mieux caractériser cette femme, fine politique, ambitieuse, dominatrice, dénuée de scrupules et qui sut modeler les événements à son avantage.
Même si ce livre n'est pas le premier sur le sujet, j'ai goûté cette diatribe forte et brutale autant que l'histoire de cette Olimpia qui illustre l'éternel combat des femmes pour leur réussite en en servant de leur charmes et de leur intelligence au détriment des hommes qu'elles méprisent. Quant à l'histoire de la papauté...!
Je ne connaissais par Céline Minard, cet ouvrage m'invite à en lire davantage.
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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LUISA – Marie-Claude Roulet
- Par ervian
- Le 16/09/2010
- Dans Marie-Claude Roulet
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N°454 - Septembre 2010
LUISA – Marie-Claude Roulet - Éditions Le temps qu'il fait.
Plus qu'un roman, c'est une longue nouvelle qui met en scène Luisa, une jeune fille encore adolescente que sa mère, tenancière d'un café de village, « place » au château voisin.
Les premières pages la présente alors qu'elle y arrive, encore toute hésitante, comme on pénètre en territoire inconnu. Elle ne sera que servante parce qu'elle ne peut prétendre à autre chose, qu'elle n'a pas de diplômes et qu'elle n'a jamais été que serveuse dans l'établissement de sa mère. C'est pour elle inespéré de vivre ainsi une vie différente, elle qui n'est qu'une fille de la campagne, c'est donc « une bonne place » qu'elle devra garder. Dans ce nouvel univers, elle fait la connaissance d'Alice dont elle devra s'occuper. Elle est la vieille mère d'Étienne, sorte de notable dont on ne sait pas grand chose et dont le roman ne nous parle qu'à demi-mots. Il entretient avec Ray, un employé, des relations bizarres.
Rapidement, parce que c'est une fille sérieuse, elle gagne la confiance de tous au point qu'on lui confie des responsabilités et qu'elle prend en mains le domaine. C'est aussi un être original, loin des préoccupations des jeunes filles de son âge. Elle aime lire, et pas seulement des magazines, mais voue une admiration pour le roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre, au point de s'y retrouver elle-même. Elle est aussi liée d'amitié avec Camille dont elle est bien différente, elle qui a fait des études et qui est promise à un brillant avenir. Cette jeune fille a l'amour de la liberté, de la vie, mais pour Luisa, cette liberté a un autre sens: être libre, c'est être servante dans ce château, même si son amie lui dit qu'elle vaut mieux que cela. Elle connaît également Georges, le poivrot du village, occupé à détruire sa vie depuis qu'il est revenu de cette guerre d'Algérie qu'il ne parvient pas à oublier...
Elle qui est quand même différente des jeunes filles de son âge, avait compris que lorsque sa mère l'avait placée dans ce château, ce n'était pas exactement pour y rester comme servante. Les circonstances vont lui donner raison, un peu comme dans son roman préféré, même si elle doit voir partir Camille avec Jacques, un garçon qui ne lui est pas indifférent! Il est vrai que trop de choses les séparent.
Il y a plus qu'une simple connotation avec le roman de Charlotte Brontë et celui de Marie Claude Roulet : les personnages, les lieux, les circonstances semblent se répondre. Luisa accepte ce « contrat » qui l'a amenée au château. En avait-elle compris les termes avant d'en passer le seuil ou s'est-elle adaptée à cette vie nouvelle qui s'offrait à elle au point de prendre possession des lieux et d'accepter un mariage de façade avec Étienne lui permettant de poursuivre une idylle avec Ray? Elle parviendra sans doute à y faire venir Georges pour l'aider certes dans la bonne marche du domaine mais surtout pour qu'il fasse partie plus complètement de son histoire. On imagine mal que son mari le lui refuse, d'autant qu'il a connu Georges en Algérie. Cette complémentarité est étonnante entre ces deux êtres dont le lecteur imagine facilement que tout les sépare, leur âge d'abord et surtout leur manière de vivre. On saisit assez mal la personnalité de Luisa qui laisse partir Camille, son amie, avec Jacques sans chercher à le retenir auprès d'elle. Elle accepte donc par avance ces nombreuses années passées ici où elle mènera une vie tranquille et retirée qui semble être son idéal, une existence dénuée d'imprévus, d'amour, de folies dont on imagine sans peine que son âge est friand. Elle est un peu résignée à son sort, un peu actrice aussi puisque les choses se sont déroulée en dehors d'elle au début mais rapidement aussi avec sa complicité. Au bout du compte, un livre non-encore écrit résultera de tout cela, mais c'est une autre histoire. C'est peut-être celui que le lecteur, un peu perplexe, tient entre ses mains? C'est un récit-gigogne où le personnage principal s'identifie à l'héroïne de son roman favori qu'elle revit et un récit en devenir qu'elle porte en elle.
J'ai lu ce livre jusqu'à la fin, davantage par curiosité à cause du parallèle avec celui de Brontë que par réel intérêt, sans doute aussi à cause du style agréable du texte.
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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L'ANNÉE DU SOULÈVEMENT- Hubert Mingarelli
- Par ervian
- Le 14/09/2010
- Dans Hubert Mingarelli
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N°453 - Septembre 2010
L'ANNÉE DU SOULÈVEMENT– Hubert Mingarelli - Éditions du Seuil.
Bien étrange histoire que celle de ces deux hommes, Daniel et Clétus, seulement armés d'un fusil de chasse qui sont chargés d'escorter un prisonnier, l'officier San-Vitto, en haut d'une colline où d'autres soldats sont censés venir le récupérer sans doute pour le tuer. On sent que ces deux hommes n'aiment pas San-Vitto parce que c'est un adversaire mais aussi parce que c'est un officier. Ils se ressemblent tous, dans toutes les armées, parce qu'ils incarnent l'autorité, la discipline, la nécessaire obéissance aveugle aux ordres donnés, sans discussion. C'est eux aussi qui prononcent les sanctions souvent injustes et qui s'abattent sur les hommes du rang. Comme si, au sein d'une même armée, chacun se méfiait de l'autre...
Au début, les relations sont hostiles entre ces protagonistes, mais quand ils parviennent en haut de la colline, chacun s'enfonce dans l'inaction obligatoire en espérance que tout cela se termine bientôt. Daniel et Clétus parlent de la guerre mais aussi de leur quotidien d'avant les hostilités. Pour les hommes c'était autant de combats auxquels chacun, amis ou ennemis, a participé avec son lot de morts, d'absurdités, de devoir de tuer. Autour d'un feu, ils attendent, l'officier probablement la mort, les hommes, la relève qui tarde à venir et dont on se prend à imaginer qu'elle ne viendra pas parce que dans ce désordre des choses on a sûrement oublié jusqu'à cette mission un peu bizarre et peut-être jusqu'à leur propre vie. La peur s'installe, chacun la sienne, dans l'incertitude des combats et le futur immédiat qu'on imagine, l'abandon peut-être. Alors pour l'exorciser on fait un feu, (on le construit dit le texte) pour éclairer et réchauffer la nuit, on sort des cartes à jouer, on parle (Clétus emploie le tutoiement avec San-Vitto, Daniel, le vouvoiement), on s'offre des cigarettes, sans doute pour éviter de garder le silence, on s'intéresse à la vision furtive d'un cheval, on prête attention aux aboiements des chiens dans le lointain... Les dialogues sont au départ frustres mais deviennent plus personnels. Des relations quasi-humaines finissent par se tisser entre le prisonnier et ses gardiens, une sorte de syndrome de Stocholm ou de Lima. Pourtant, quoiqu'il arrive Daniel et Clétus devront obéir aux ordres et San-Vitto se soumettre, c'est la règle de ce jeu un peu surréaliste de la guerre qui transforment en ennemis des hommes qui autrement se seraient bien entendus. Alors l'empathie gagne et Clétus qui a le beau rôle parce que c'est lui qui a le fusil, donne des conseils à son prisonnier qui peuvent, le pense-t-il, sauver la vie de ce dernier quand ils sera entre les mains des autorités qui décideront de son sort. Autour d'eux c'est la nuit mystérieuse qui sert de décor. Avec la peur vient le doute et l'hostilité entre Daniel et Clétus qui finissent par s'opposer, se menacer...
Dans ce huis-clos un peu surréaliste en pleine nature, on évoque les combats de cette guerre autant que la paix et chacun s'évade comme il peut, avec les souvenirs de sa vie d'avant, un chien ou une partie de chasse, avec ses projets d'après ces hostilités. A la fin, la guerre elle-même disparaît pour laisser place à autre chose qui ressemble à la paix, à la sérénité. C'est un peu comme si l'absurdité de tout cela disparaissait derrière une sorte d'espérance d'un monde enfin redevenu normal, comme si ces hommes ordinaires précipités un peu malgré eux dans cette lutte, reprenaient leurs habits d'humains. Le style dépouillé suggère cette impression donnée au lecteur d'un temps suspendu entre deux gouffres, entre deux mondes, une sensation un peu trouble et malsaine cependant comme le sont souvent les choses humaines quand l'absurdité se met à peser sur elles.
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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L'ÉTÉ OÙ IL FAILLIT MOURIR– Jim Harrison
- Par ervian
- Le 11/09/2010
- Dans Jim Harrison
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N°452 - Septembre 2010
L'ÉTÉ OÙ IL FAILLIT MOURIR– Jim Harrison - Éditions Christian Bourgois.
Ce sont de nouveau trois longues nouvelles que nous propose ici Jim Harrison.
La première qui donne son titre au recueil met en scène « Chien Brun », un métis indien pas très intéressant, un peu marginal, menteur, buveur, obsédé par le sexe et qui se croit irrésistible. A la suite d'ennuis judiciaires, il a été contraint à un mariage un peu surréaliste qui ont fait de lui le père adoptif de deux enfants, Red et Baie, une petite fille originale qu'il tente de sauver de l'action des services sociaux qui veulent l'éloigner en la qualifiant d'handicapée mentale. Elle a en effet subi le traumatisme d'une mère qui a continué de boire pendant sa grossesse. Maintenant il travaille, mais par intermittence, cuisine, mais sa spécialité l'amène à confectionner des plats pas très ragoûtants. Il n'a cependant rien abandonné de son goût pour la pêche, l'alcool et les femmes. La nouvelle s'ouvre sur une rage de dents qui sera l'occasion d'une passade avec la dentiste qui le soigne et qui est comme lui obsédée sexuelle. Elle nous narre également ses aventures et son amour pour une assistante sociale lesbienne, la persistance de la pêche à la truite et une sorte d'obsessionnelle présence, par intermittence, d'un petit serpent noir et de la cueillette des morilles!
La seconde intitulée « Épouses républicaines », l'auteur met en scène trois femmes américaines riches, mariées et oisives dont l'une d'elles a tenté de tuer son amant, un écrivain gauchiste suffisant et inintéressant qui a été également l'amant des deux autres. Elle parlent à tour de rôle de cette histoire...A-t-il voulu dénoncer le vide de la vies de ces trois femmes ou le dégoût qu'il ressent pour cette Amérique des années 50 et 60 qu'il rejette?
La troisième, intitulée « Traces » a des accents autobiographiques d'une enfance dominée par la chasse et la pêche dans le pays qui a servi de cadre à son enfance.
Ces trois nouvelles ont pour cadre la péninsule du Nord Michigan dont l'auteur est originaire, une nature que Harisson célèbre avec plaisir, les plaisirs de la vie, les femmes et la bonne bouffe. Il y met en scène ses obsessions, notamment sexuelles mais aussi son penchant pour l'alcool. Pourtant, je suis plus particulièrement attentif aux personnages, Gretchen, travailleuse sociale et homosexuelle, Delmore, oncle possible des enfants, avare impénitent, Baie qui communique volontiers avec les oiseaux. Ce côté anti-héros me plait bien...Cependant les trois femmes américaines me laissent un peu indifférent, quant à « Traces », je trouve cela sans grand intérêt si ce n'est d'apprendre des détails biographiques sur l'auteur.
J'avais apprécié « Légendes d'automne » (La Feuille Volante n° 451) mais ici j'avoue que j'ai eu un peu de mal à accrocher avec ces trois nouvelles. Pourtant cet auteur passe pourtant pour un écrivain majeur!
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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LÉGENDES D'AUTOMNE-Jim Harrison
- Par ervian
- Le 06/09/2010
- Dans Jim Harrison
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LÉGENDES D'AUTOMNE– Jim Harrison - Éditions Robert Laffont.
Ce sont trois longues nouvelles que nous livre ici Harrison( même si la préface de Serge Lentz qui est aussi le traducteur préfère le terme de roman).
Dans la première, intitulée « vengeance », c'est une histoire d'amour qui nous est contée, celle de deux hommes qui sont à la fois amis et amoureux d'une même femme. L'un d'eux Cochran est ancien pilote de chasse ayant combattu dans la Navy, l'autre, Mendez, dit Tibey, est un ancien souteneur. Ils vont donc se battre pour l'amour de Miryea, la femme de Tibey dont Cochran va tomber éperdument amoureux et qui partira avec lui. Le début s'ouvre sur son corps abandonné en plein désert autour duquel tournent déjà chacals et vautours. Ce combat qui est aussi une course-poursuite ne va pas se dérouler seulement entre ces deux hommes, mais aussi contre cette femme, véritable enjeu de ce conflit qui ne peut que mal se terminer.
Le décor est celui du Mexique avec tout ce qu'on attend de ces paysages écrasés de chaleur, l'alcool, les bordels, les meurtres, cette chanson de Guadalajara que Miryea aimait tant mais aussi et surtout la vengeance qui broie chacun de ces trois personnages, cette femme d'abord mais surtout ces deux anciens amants qui sont comme réunis autour d'un cadavre sans qu'aucun d'eux puisse reprendre le cours normal de leur vie.
La deuxième nouvelle « L'homme qui abandonna son nom » entraine le lecteur dans un tout autre contexte, celui plus conventionnel d'une famille établie et aisée. Le père a épousé la collégienne qui, adolescent le faisait rêver, mais, après 18 années de mariage, une vie sentimentale qui est devenue une routine et la naissance d'un enfant, le couple décide de se séparer. L'homme veut changer radicalement de vie et découvre que même celle-ci ressemble à une longue léthargie.
C'est, et de loin, le récit que j'ai préféré.
La troisième qui donne son titre au recueil met en scène trois frères du Montana qui partent, au début du XX° siècle, faire la guerre en Europe. L'un deux, Samuel, ne reviendra pas et sa disparition provoque l'effondrement de la famille. Tristan, bouleversé par cette disparition, entame un voyage épique qui le mènera autour du monde. Dans ce récit, écrit par moments en termes poétiques, se mêleront mysticisme, meurtres et une incroyable aventure humaine où la vengeance, le doute et la rédemption ont aussi leur place.
Le point commun de ces trois nouvelles est la violence sous quelque forme qu'elle se présente, qui fait partie de la condition humaine. Elle est une nécessité vitale, se joue des frontières et des époques mais elle est également maudite comme le souligne la préface et n'est en rien gommée par la civilisation dont l'homme aime à se parer. Ce qui nous est montré ici est une évidence, la civilisation n'est qu'un mot, un vernis, une apparence dont les hommes se satisfont et parfois se recommandent pour justifier leurs actions les plus inavouables, leurs compromissions les moins acceptables. Les grandes et généreuses idées savamment distillées et qui flattent sont chaque jour occultées et remises en cause par la réalité quotidienne. C'est donc à une prise de conscience urgente que nous invite cet auteur américain.
le style est simple, précis, dépouillé même, poétique parfois mais assurément terrifiant. Il livre au lecteur, une image de l'homme bien éloignée des grands discours humanistes. Les personnages de Harrison sont humains, pas généreux et humanistes, mais sont l'incarnation de l'homme avec ses pulsions, ses grandeurs comme ses bassesses.
Comme l'indique Yann Quefellec « Les romans d'Harrison font entrevoir en chacun d'entre nous l'ombre portée du criminel, du tricheur et du saint. Au surplus, le style est à lui seul un chef-d'œuvre, une leçon pour les auteurs français, plus habiles à sodomiser les mouches de la ponctuation, à sacraliser les arguties qu'à livrer une inspiration urgente. Jim Harisson est un écrivain passionné, donc il nous passionne !».
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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LES SOEURS DE PRAGUE-Jérôme Garcin
- Par ervian
- Le 01/09/2010
- Dans Jérôme GARCIN
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N°450 - Septembre 2010
LES SŒURS DE PRAGUE– Jérôme Garcin - Éditions Gallimard.
Cela commence plutôt fort par une lettre peu amène et carrément insultante de Klara Gottwalt, tchécoslovaque sulfureuse à un homme dont on comprend tout de suite qu'il est romancier. Cela ressemble à une rupture ou quelque chose qui a ressemblé à un contrat non honoré. Klara est en effet un agent artistique qui souhaite avoir dans son agence toutes les célébrités littéraires. Cette femme est tout l'inverse du narrateur originel, people, exagérément cabotine, manipulatrice, séductrice au franc-parler, énigmatique et autoritaire, désireuse de faire prévaloir le paraître et proche du monde politique qu'elle entretient de ses flagorneries.
Le narrateur, un auteur pas vraiment sympathique, cynique, un peu jouisseur et pas mal profiteur, paresseux, et qui n'a connu qu'un succès un peu fade, refait le chemin à l'envers, narre le jour de leur rencontre et le bénéfice qu'il espère tirer de cette « collaboration » puisqu'elle le sollicite. En réalité, l'écriture n'est pas pour lui un besoin viscérale mais bien plutôt un moyen de réussir dans la société. Pour cela, il va trahir tout son milieu jusque et y compris lui-même pour atteindre, l'espère-t-il, le succès et une hypothétique adaptation cinématographique de son manuscrit. Il marche si bien dans ce jeu sordide que son amie le quitte définitivement tant il est devenu abject! Pour parvenir à ses fins il va épouser les manières glauques de cette société marginale et parisienne où l'hypocrisie le dispute à la vanité.
L'histoire de Klara qui abandonne son fils à des dérives artificielles et ses parents à l'oubli, pour mieux connaître la réussite sociale, doublée de celle de sa sœur Hilda qui reste cependant en retrait pour mieux se réfugier, à la fin, dans des pratiques religieuses illusoires, illustre parfaitement quelques travers de la condition humaine. La mort semble guetter au coin de chaque chapitre pour avoir finalement le dernier mot, qu'elle prenne la forme d'un saut dans le vide ou d'une relégation volontaire sur une île de la côte l'atlantique quand elle est désertée par les touristes.
Cet épisode de la vie du narrateur va le révéler à lui-même et quand cette entreprise douteuse faite de scandales et d'escroqueries financières en passant par le démantèlement d'un raison de call-girls, et un avertissement de la mafia de Prague, tourne court, il s'exile seul à Noirmoutier comme pour tourner définitivement la page. Dégoûté du monde mais surtout de lui-même, il décide en effet de jeter aux orties ses fantasmes, sa chronique à France-Inter, ses prétentions littéraires qui menaçaient, malgré des velléités stendhaliennes, d'enfanter des personnages pas vraiment apparentés à ceux de son modèle. Son héros finissait par lui ressemblaient beaucoup, n'avait donc plus rien de commun avec la fiction et devenait même un peu dérangeants! Au bout du compte le narrateur perd le goût d'écrire.
Alors, roman catharsique ou règlement de compte sous la forme de peinture d'une société que l'auteur, qui en fait peu ou prou partie, décrit en trempant sa plume dans une encre pas très sympathique? Récit qui met en scène un écrivassier vaniteux sans réel talent (comme il y en a tant) qui recherche la « protection » d'une femme d'influence pour obtenir un succès médiatique? Sorte de mise en abyme où le lecteur ne discerne pas bien la dénonciation un peu méchante d'un milieu intellectuel et la mise en garde contre une profession nouvelle, les « agents littéraires » présentés comme des parasites qui se veulent indispensables? Est-ce, peut-être, sous la forme d'une allégorie, une manière d'évoquer l'abandon maternel, cette Klara étant à la fois une mère indigne pour son fils et une « protectrice » peu crédible pour ceux qu'elle a réussi à engager dans son agence.
J'avoue que j'ai été peu convaincu par ce récit où même le style m'a laissé un peu indifférent. Je pense aussi que les nombreuses références aux chansons, aux films qui donnent l'illusion d'une certaine érudition n'ajoutent rien au texte. Quant à l'évocation de personnages bien réels qui trouvent ainsi leur place dans ce récit de fiction, je n'en vois pas l'intérêt. Je dois dire que je suis parfaitement étranger à ce milieu parisien et faussement intellectuel, même si on admet facilement que de décor ne puisse longtemps faire illusion.
J'avais bien aimé « Son excellence monsieur mon ami » (La Feuille volante n°447) et j'avais eu envie de poursuivre avec cet auteur. Je ne suis plus sûr d'être du même avis.
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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UN CHINOIS NE MENT JAMAIS - Frédéric Lenormand
- Par ervian
- Le 31/08/2010
- Dans Frédéric LENORMAND
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N°449 - Septembre 2010
UN CHINOIS NE MENT JAMAIS– Frédéric Lenormand - Éditions Fayard.
Ce n'est pas parce que la carrière du juge Ti s'est égarée dans des contrées du Nord-Est de l'empire, dans un coin désolé « où le lait gèle en été dans (les) marmites », ce n'est pas non plus parce que sa droiture et son efficacité ne lui ont pas profité qu'il doit se laisser aller. Pour cela, ses trois épouses légitimes ont l'idée, comme cadeau d' anniversaire, de recourir aux services d'un écrivain public dont la spécialité est d'enjoliver les faits et gestes des grands personnages et ainsi de favoriser leur avancement. Cette délicate attention de ses épouses, par ailleurs quelque peu intéressées par une promotion rapide de leur mari, trouve un écho plutôt favorable dans le déroulement des événements. La pratique de l'historiographie, voire de l'hagiographie, n'était en effet pas réservée à l'empereur, chaque mandarin y avait droit et la carrière de Ti, qui se terminera à la cour, ne pouvait, pensaient-elles qu'en sortir affermie.
Ti va en effet restituer à la ville, grâce à un procéder astucieux, les statues du temple de Pei-Tchéou, mystérieusement disparues dix ans plus tôt, ce qui lui permettra d'ajouter foi aux allégations controuvées de son historiographe. Il n'en reste pas moins que trois énigmes s'offrent à lui et sont autant d'occasions de mettre en valeur sa proverbiale sagacité. Si notre juge fait, certes, son travail avec probité, jouant habillement sur les travers humains et se révélant toujours plus pragmatique, il n'en n'est pas moins attentif à l'amélioration de sa situation. C'est qu'il a beau exercer ses talents au sein d'une civilisation qui réserve une large place à la superstition et aux pratiques religieuses magiques et qui est hantée en permanence par des divinités diverses, il n'en reste pas moins un enquêteur au solide bon sens qui promène sur la société de son temps sur laquelle il est chargé de veiller, un regard dubitatif et rationnel, inspiré par la pensée de son maître Confucius.
Il demeure néanmoins un haut-fonctionnaire qui entend se faire respecter et un fin limier capable de débusquer avec finesse et intelligence le contrevenant qui veut porter atteinte au bon fonctionnement de l'État dont il a la charge. C'est d'autant plus vrai qu'on s'est permis d'usurper son identité et ses fonctions pour dépouiller la guilde des marchands de jade. Il doit donc retrouver le trésor ainsi dérobé. Il en est à un point de sa carrière où, suite à des tractations d'où le favoritisme et le népotisme ne sont pas absents, il est promis à une prochaine mutation dans la montagne, chez les éleveurs de chèvres qui ne parlent même pas chinois! Cette perspective n'enthousiasme guère notre mandarin qui verra pourtant son destin administratif prendre une toute autre tournure et ce pour des pratiques qui lui sont néanmoins complètement étrangères!
Comme toujours, j'ai retrouvé avec bonheur la vie et les enquêtes de ce juge déjà évoquées dans nombre de romans de Frédéric Lenormand. Non seulement notre auteur déroule son récit avec un humour de bon aloi qui doit beaucoup à l'euphémisme, voire à la litote, mais c'est aussi pour le lecteur attentif une occasion d'en apprendre davantage sur cette civilisation de l'époque Tang. Chaque roman n'est ainsi pas seulement une fiction mais s'appuie sur des faits précis. On peut ainsi faire la connaissance de ce juge qui fut un personnage historique (nous sommes en 676 de notre ère) dont Lenormand, de livre en livre, nous révèle le parcours un peu atypique. On apprend ainsi les us et coutumes de cette civilisation, le détail de ses couches sociales, son système métrique, ses rites funéraires, ses procédures judiciaires, le panthéon compliqué de ses divinités, ses contradictions aussi parfois!
La Chine est indissociable du jade aux pouvoirs miraculeux qu'elle prisait fort mais ne produisait pas. Ainsi cette pierre sera-t-elle le prétexte d'une enquête et, pour le lecteur, l'occasion d'apprendre que les marchands qui en faisaient commerce appartenaient cependant à une caste méprisée.
Les trois épouses du juge ont toujours été, au cours de sa vie, des intermédiaires énergiques alors qu'on les imaginerait volontiers ravalées dans des rôles essentiellement domestiques. Encore une fois, elle se révèleront efficaces. Pour autant cela ne doit rien à l'imagination de l'auteur et s'inscrit dans un contexte où l'impératrice Wu Zetian qui régnait à cette époque, fit en effet beaucoup pour le statut de la femme chinoise au point de la mettre pratiquement à égalité avec l'homme. Elle ne s'oublia cependant pas elle-même puisqu'elle gouverna à la place de l'empereur et substitua sa propre dynastie à celle des Tang.
Dans de courts chapitres écrits dans un style jubilatoire et précédés par quelques mots qui les résument, Frédéric Lenormand dose savamment le suspense et émaille son récit de remarques humoristiques.
Depuis le temps que je « fréquente » le juge Ti, grâce aux romans de Lenormand, j'avoue que je ne m'en lasse pas. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans cette chronique, il est de ces auteurs qui intéressent leur lecteur dès la première ligne et l'accompagnent jusqu'à la dernière sans que l'ennui ait pu s'insinuer dans sa lecture.
Ils ne sont pas si nombreux!
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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DANS LE CAFÉ DE LA JEUNESSE PERDUE-Patrick Modiano
- Par ervian
- Le 26/08/2010
- Dans Patrick MODIANO
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N°448 - Août 2010
DANS LE CAFÉ DE LA JEUNESSE PERDUE– Patrick Modiano - Éditions Gallimard.
Le décor, un café (« Le Condé ») qui fermait tard dans ce quartier. L'auteur le définit comme « un point fixe » comme le sont, à ses yeux, tous les cafés, lieux publics où viennent parfois échouer des personnages flous et éphémères qu'on y croise et qui disparaissent comme ils sont venus. Dans cet établissement, d'autres clients font partie du décor dont Bowing, dit « Le Capitaine » qui tient une sorte de cahier relatant des allées et venues des clients, avec, à leur sujet, des renseignements personnels.
Pour raconter cette histoire qui se situe dans les années 60 au quartier latin, quatre narrateurs vont se succéder qui sont des habitués de cet établissement qui donneront en quelques sorte leur version des faits qui ressemblent un peu à des séquences successives d'un film. Parmi eux un étudiant de l'école des Mines, Caisley, un ancien membre des renseignements généraux, Roland, un jeune écrivain plein d'espoirs et Youki, alias Jacqueline Delanque épouse Chourreau, une énigmatique jeune femme. Tous fréquentent ce café pour des raisons différentes.
Ce récit qui fonctionne comme un voyage dans la mémoire, ce qui est souvent le cas chez Modiano. Tout d'abord, l'étudiant se souvient de ses moments passés au « Condé » et spécialement de l'apparition de Youki [« Des deux entrées du café, elle empruntait toujours la plus étroite, celle qu'on appelait la porte de l'ombre »]. Il la décrit comme une jeune femme qui avait envie, en venant ici, de changer de vie, de faire « peau neuve », de rompre avec une vie antérieure trop invivable. Modiano donne ensuite la parole à Caisley qui mène l'enquête sur la disparition de l'épouse de Jean Pierre Chourreau qui se trouve être Youki, la jeune femme du café. Cet enquêteur découvre son enfance cabossée, son envie de rompre avec ce mari qu'elle a sans doute trop vite épousé pour rompre avec une adolescence fragile d'où elle voulait s'évader... C'est ensuite le tour de Youki de s'exprimer. Elle évoque son enfance tumultueuse faite de fugues, de bars incertains, ses amours, son mariage rapide, son union un peu surréaliste avec Jean Pierre Chourreau, l'évocation d'un autre personnage Guy de Veer, passionné d'ésotérisme. Enfin Roland se rappelle de sa rencontre avec Youki et leur liaison. Ils forment ensemble un couple sans attache, errant dans la ville comme dans la vie dont ils sont un peu les passagers clandestins. Le jeune romancier passionné par le thème de « l'éternel retour » réfléchit sur ce qu'il appelle « les zones neutres ». Il se souvient aussi que c'est au café qu'il a appris au café qu'elle s'était suicidée.
Le thème du café, lieu de transit, dans ce Paris que Modiano connaît et affectionne, favorise les rencontres. C'est paradoxalement une zone un peu floue ou le temps s'arrête, où les valeurs et les préoccupations du monde extérieur n'existent plus dès lors qu'on en a poussé la porte. Cette impression est corroborée par les autres clients du débit de boissons, des personnages jeunes, un peu et bohèmes et qui appartiennent à « une jeunesse perdue » ce qui implique à la fois une sorte d'absence d'avenir pour eux qui choisissent d'oublier leur condition dans l'alcool et peut-être d'autres « paradis artificiels », de leur volonté de s'y perdre aussi. C'est ce qu'ils appellent « leurs voyages ». Ce sont peu ou prou des intellectuels, des artistes, des étudiants plus ou moins en rupture avec l'université qui refusent ce monde et se réfugient ailleurs. [« Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague, sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repères »]. La période des années 60 n'est pas non plus choisie au hasard, non plus d'ailleurs que le fait de tenir, sur les clients de l'établissement, un cahier qui ne sert à rien. Cela m'apparaît comme la culture du dérisoire et de l'inutile.
C'est aussi le thème du temps révolu qui est traité ici, celui de la mémoire qui fait revivre des faits appartenant à des tranches d'une vie passée (le thème de « l'éternel retour ») qui ne reprend vigueur que par la force des mots : la nostalgie n'est jamais loin chez Modiano. Le lecteur est envahi par un certain spleen aux contours assez indistincts cependant, une mélancolie proustienne faite de temps perdu et momentanément retrouvé à propos d'une histoire volontairement banale, trace laissée sur le sable du souvenir où le mystère n'est pas absent (thème de l'ésotérisme, de l'enquête « policière », le surnom donné à Louki), comme si la vie elle-même en était un permanent. C'est aussi la fuite qui est suscité ici, celle du temps mais aussi cette envie de changer d'univers, de quotidien qui nous hante tous sans que nous soyons pour autant capables de réaliser ce projet. Ces personnages qui ont existé( au moins dans le récit) mais appartiennent maintenant au passé, suscitent un vide, une absence. La mort par suicide est aussi une fuite, une issue probable ne serait-ce que pour matérialiser cette impossibilité de vivre dans ce monde, de s'y acclimater, d'être l'acteur de son propre rôle, même si c'est celui d'un quidam. Dans cette sorte de galerie de portraits, les personnages sont comme dessinés en creux, comme s'ils ne laissaient qu'une trace ténue dans ce récit.
Comme toujours j'ai bien aimé parce que, sans doute, cela me ressemble un peu.
© Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI - Jérôme Garcin
- Par ervian
- Le 25/08/2010
- Dans Jérôme GARCIN
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N°447 - Août 2010
SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI– Jérôme Garcin - Éditions Gallimard.
Qui se souvient encore de François-Régis Bastide? Il faut assurément n'être plus très jeune, être un amoureux passionné de la radio et de la culture et avoir un peu de mémoire! Qui était-il donc? Fondateur du « Masque et la plume », musicien, écrivain, séducteur, admirateur de Cocteau, mystificateur et ambassadeur de France ( d'où le titre). C'est en tout cas ce personnage que choisit d'évoquer Jérôme Garcin qui, entre autre, anime à son tour l'émission de France-Inter qui était celle de « son ami ».
Quand il choisit de revenir à La Garde-Freinet où il habitait, de remettre en quelque sorte ses pas dans les siens, Bastide est mort depuis dix ans déjà. Par un réflexe qui n'anime que ceux qui souhaitent que la mémoire d'un homme ne se perde pas tout à fait mais qui refusent l'édification d'une statue si tentante, irréaliste et peut-être inutile aux yeux des quidams pour qui il restera toujours un inconnu, l'auteur préfère un hommage appuyé à celui qui avait « le visage exact du séducteur qui suscita autrefois, à parts égales, de l'excitation et de l'exaspération, tant il était à la fois irrésistible et insupportable ». Le ton est donc donné. Mais comment le faire sinon avec des mots qui portent en eux à la fois la pérennité de l'airain et la fragilité du support que guette l'oubli, ce travers de la condition humaine? Et puis, nous le savons bien, ils enjolivent et trompent à la fois, et ce malgré l'auteur lui-même, se conjuguent souvent avec l'ombre, les anthologies étant souvent des vœux pieux que personne ne lit.
Quand il décline son enfance et son adolescence biarrottes baignées de musique, son engagement dans la 2°DB, son séjour en Allemagne occupée, pays qui fera toujours peu ou prou partie de lui-même, ses passionnantes découvertes littéraires, son entrée dans le monde culturel et médiatique, il montre que ce que veut Bastide c'est avant tout conquérir Paris et obtenir réussite et notoriété. Puis ce fut l'engagement politique aux côtés de François Mitterand en lorgnant en secret sur un ministère, à condition qu'il fût situé rue de Valois, pour finalement embrasser une carrière diplomatique, même si celle-ci ressemblait un peu à une disgrâce ou a un éloignement et qui mit entre parenthèses sa carrière d'écrivain. Malgré de fréquents séjours à Latché, celui que Garcin appelle familièrement « Régis » n'était pas non plus exempt de vanité.
Il évoque aussi ses aventures amoureuses se demandant « S'il n'était pas un collectionneur vaniteux qui trop embrasse ou un pénitent inconsolé qui mal étreint ». Pourtant Gilles Jacob le dira « brillant avec les mots, brillant avec les femmes ». C'est plutôt un compliment!
Quand il parle du chroniqueur littéraire qu'il fut aussi, Garcin note que « c'était un troublant mélange de jeune amant transi et de vieux critique râleur, de cabot et d'exégète qui donnait à ses chroniques un charme coquin , ébouriffé, fougueux, parfaitement inactuel. ». On ne fait sans doute pas ce métier sans se créer des inimitiés. A lui non plus elles ne manquèrent pas!
Comme tout personnage en vue, il a suscité la polémique. C'est à cela qu'on reconnaît aussi la valeur des gens, surtout s'ils sont, comme il aimait à le dire de ceux qui participait à son émission « des insolents plutôt convenables », au moins, ils ne laissent pas indifférents. Et Bastide ne s'est pas contenté de la créer dans le cadre de son émission de radio du dimanche soir!
En réalité s'il parle de cette amitié qui les unissait et les unit encore par-delà la mort, c'est peut-être à cause de leurs deux vies parallèles et le désir de Garcin de rédiger non pas une biographie mais une évocation amicale, tout en y glissant, mais on ne saurait lui en vouloir, des anecdotes personnelles. Et d'ajouter « J'aimais que notre amitié fondée sur des désaccords parfaits que rien jamais n'ébrécha ni n'assombrit. Il m'arrive de croire qu'il a été, à son insu, mon ange gardien ».
C'est donc la fidélité en amitié imperméable au temps qui anime l'auteur qui ne voudrait pas « qu'on négligeât François-Régis Bastide » simplement parce qu'il ne fait plus partie du monde des vivants. C'est un hommage émouvant, sans grandes concessions et qui évite autant la dithyrambe que les révélations malsaines qui font trop souvent le succès des livres actuels, et n'a pour unique but que de faire revivre un ami disparu. De cet écrivain adepte du « mentir-vrai » il fait un portrait attendrissant : « Il m'a toujours semblé que cet admirateur de Saint-Simon s'était trompé de siècle et qu'il était fait pour vivre au temps de la litote, de la prétérition, du clair-obscur et du baisemain... Maladroit en amour, gaffeur en société, querelleur avec ses amis, d'une grandiloquente timidité, bravache sans raison, préférant être amoureux qu'aimer, et caressant peut-être mieux les mots que les corps, mon ami, cela au moins lui sera-t-il accordé, était beau de langage ».
L'écriture de ce livre est calme, musicale, limpide et procure une lecture agréable, donne aussi envie, pourquoi pas, de lire Bastide et peut-être aussi et même sûrement, d'en découvrir davantage chez Garcin.
© Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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L'HORIZON - Patrick Modiano
- Par ervian
- Le 25/08/2010
- Dans Patrick MODIANO
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N°446 - Août 2010
L'HORIZON – Patrick Modiano - Éditions Gallimard.
L'univers de Modiano m'a toujours paru original et intéressant parce qu'il explore des tranches de vie recouvertes par l'oubli ou qu'il choisit de faire revivre différents épisodes qui ont baigné dans l'échec ou par le hasard qui aurait pu lui être favorable, mais ne l'a pas été [« Un vertige le prenait à la pensée de ce qui aurait pu être et qui n'avait pas été »], choisit de redonner aux rêves voire aux fantasmes les traits de la réalité et illustre, une nouvelle fois, une impression de mal-être au quotidien.
Pour cela, il met en scène une série de personnages modestes, sans grande envergure, un peu en marge du monde ou, à tout le moins, qui semblent n'y être que par intermittence. Bosmans remonte le cours du temps, quarante ans en arrière alors qu'il était un tout jeune écrivain mais aussi employé dans une librairie spécialisée en sciences occultes, en feuilletant un petit carnet où il a confié ses impressions, privilégiant la « matière sombre » [« Brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues... »]. C'est un nom, un visage, le son d'une voix, les accents d'un rire, une impression floue au début et qui s'affirme avec le temps, des fantômes qui sortent du néant! Une rencontre, le hasard, des images furtives, des phrases banales et convenues, mais « chaque première rencontre est une blessure ». Il évoque le souvenir d'une femme, Margaret Le Croz, dont il ne sait presque rien et dont le passage dans sa vie semble tenir du rêve autant que du mystère. Leurs relations sont volontairement distantes, juste amicales, à peines complices et même pas amoureuses, comme s'ils ne faisaient que se côtoyer en entretenant une sorte de crainte permanente [« Tout ce qu'on vit au jour le jour est marqué par les incertitudes du présent »]. Ils forment un couple irréel, presque intemporel [« Margaret et moi, assis l'un en face l'autre dans une lumière limpide et intemporelle »]. Ils ont leur pendant inversés dans le couple d'avocats, les époux Ferne, qui, eux aussi, vivent sur une autre planète, mais différemment d'eux puisqu'ils sont plus ancrés dans leurs certitudes, plus conscients de leur valeur, de leur supériorité. Ils sont aussi sérieux qu'est énigmatique le couple Poutrel-Gaucher.
L'auteur nous fait partager des moments de vie de Bosmans, poursuivi par une femme qui lui demande de l'argent, qu'il suppose être sa mère sans en être sûr lui-même et un homme ressemblant à un prêtre défroqué. Margaret, après avoir exercé divers petits métiers en Suisse est arrivée à Paris où elle se dit harcelée par un homme, Boyaval, sans bien savoir s'il existe ailleurs que dans sa tête. Bosmans et Margaret ont en commun une sorte de détachement du monde que les lieux parisiens évoqués ne parviennent pas à dissiper, une solitude, une forme d'angoisse même. Margaret ne veut pas en apprendre davantage sur Boyaval tandis que Bosmans est tout prêt à se laisser rançonné, un peu comme si ces deux personnages se complaisaient dans cet état de fait ou n'y opposaient qu'une résistance assez molle! [« Demander à des avocats de le défendre contre quoi? La vie?...le sentiment de culpabilité qu'il éprouvait depuis son enfance, sans savoir pourquoi, et cette impression désagréable de marcher souvent sur du sable mouvant... »]. C'est un peu comme si la vie était pour lui un poids, une sorte de croix trop lourde à porter. Leurs deux existences se sont déroulées indépendamment l'une de l'autre, puis, par hasard, ils se sont rencontrés. Chacun à leur manière, ils avaient essayé de son fondre dans la masse en prenant bien soin de ne pas se distinguer.
A la fin, c'est un Bosmans vieillissant et désormais écrivain confirmé qui retrouve Boyaval à Paris, près de quarante ans plus tard et ils parlent de Margaret qu'il a cru retrouvée comme on croise « un fantôme du passé ».
Comme c'est souvent le cas dans les romans de Modiano, les personnages sont fuyants, insaisissables, fragiles, tourmentés par leur passé et en même temps se cherchent eux-mêmes à travers leur histoire personnelle qu'ils ont parfois du mal à assumer. C'est un peu comme s'ils allaient à leur propre rencontre et que ce qu'ils découvraient ne leur plaisaient guère, mais qu'ils s'en accommodaient quand même.
Face à cela, le titre [l'horizon] évoque l'avenir, les projets alors que le roman se décline dans le temps et dans l'espace, c'est à dire fait appel aux souvenirs, explore les chemins plus tortueux de la mémoire. Aussi bien pour Margaret que pour Bosmans, la vie est une fuite et leur rencontre, même si elle est fragile et menacée dans sa pérennité, peut être regardée comme un refuge, un rempart contre le mal-être que chacun d'eux ressent et, à ce titre, être elle-même un horizon!
Son écriture est, comme toujours dépouillée, en phase avec l'histoire que le narrateur évoque, en cohérence aussi avec l'ambiance qui d'ordinaire baigne ses romans et que j'apprécie, et là, comme toujours, j'ai eu le même sentiment, celui d'une histoire qui ne se termine pas, dont l'épilogue est remis à plus tard. C'est sûrement un roman de soi-même pour Modiano, un de plus dans cette quête personnelle qui semble n'avoir jamais de fin.
Comme toujours, je suis entré dans cet univers proustien avec plaisir, parce que sans doute je m'y sens bien et que, dans ces personnages, j'ai retrouvé un peu de moi. Ou le contraire? Allez savoir!
© Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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COUP D'ÉTAT - Pierre Moinot
- Par ervian
- Le 16/08/2010
- Dans Pierre Moinot
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N°445 - Août 2010
COUP D'ÉTAT – Pierre Moinot - Éditions Gallimard.
Nous sommes en 1851 et le Prince Président, bien qu'ayant juré de défendre la Constitution, se prépare à la déchirer et devenir Napoléon III. Ayant obtenu les pleins pouvoirs, il se met en devoir de pourchasser et d'éliminer physiquement tous ceux qui ne partagent pas ses idées et ses projets, c'est à dire les républicains.
Dans un petit village du mellois, près de Niort, Paul Méhus, veuf de Laure qui éclaira sa vie, vétérinaire, proche du peuple, créateur de nombreuses sociétés d'entraide, mais aussi chef politique local apprécié et fervent républicain va devenir le gibier de cette chasse à l'homme. Des listes d'opposants sont dressées et son nom y figure. Il suffit d'ailleurs de peu de choses pour être recherché et traqué. Dans ce Bas-Poitou, nous sommes en pays protestant, rude et austère, encore tout meurtri par les dragonnades, un siècle et demi plus tôt. On ne s'endort jamais ici sans avoir dit ses prières et surtout on ne transige ni sur les idées ni sur l'honneur!
Naturellement, devant cet assassinat de la liberté, partout en France et dans la capitale, des hommes vont lutter pour le triomphe de la démocratie. Méhus songe à un soulèvement à Niort, mais le coup semble perdu d'avance. Comme toujours en pareil cas des traitres se révèlent mais aussi des amitiés, des fraternités se créent, nourries par le même idéal. Méhus, trahis et blessé devra fuir la plaine du mellois et trouvera refuge dans le Marais. Même s'il est catholique, c'est un refuge sûr pour ceux qui fuient quelque chose ou quelqu'un. De tout temps, dans ce pays où la terre et l'eau s'entremêlent, on parle peu et on n'aime guère les gendarmes et l'autorité. Il y sera en sécurité et trouvera, sous les traits de Madeleine, à la fois une infirmière attentive et les prémices d'un amour naissant qui lui rappela Laure et s'harmonisera avec le paysage ambiant, lui procurant une sorte de paix intérieure. Rêve et action se conjuguent dans ce roman inspiré par la phrase de Baudelaire citée en exergue.
Cet ouvrage tranche un peu sur les habituels thèmes traités par Pierre Moinot mais j'ai retrouvé avec bonheur son style extraordinairement pur et poétique, plein de descriptions et d'évocations de cette terre qu'il aimait tant et qu'il a si bien su faire vivre pour son lecteur. Ce récit est plein d'images apaisantes comme le sont celles qu'on rencontre dans ce qu'on nomme maintenant « La Venise Verte » : « Il tourna dans un chemin d'eau plus étroit bordé de vergnes qu'ils appelaient une conche, puis dans une autre et du coup Méhus sentit qu'entrait en lui un grand silence peuplé de petits bruits lointains et du doux glissement de l'eau sous lui, la lumière mouillée de l'hiver, une paix d'un autre monde. Au passage des bas-fonds, Riffaut changeait sa pelle pour une longue perche ferrée qu'il appelait la pigouille et qui, lorsqu'il pesait sur elle de tout son poids faisait relever le nez du bateau. »
Ce fut, comme à chaque fois, un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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MA PREMIÈRE FEMME - Yann Queffélec
- Par ervian
- Le 14/08/2010
- Dans Yann QUEFELLEC
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N°444 - Août 2010
MA PREMIÈRE FEMME – Yann Queffélec - Éditions Fayard.
La 4° de couverture donne le ton « Un homme revient sur son enfance- il est peut-être mon double, mon agent le plus secret ». A ces mots, il est permis de penser que nous entrons dans l'univers de l'autobiographie d'autant qu'il est question du visage de la mère, évoqué ici malgré l'outrage du temps. L'auteur indique d'ailleurs que l'imagination est venue à son secours et a régénéré son écriture autant qu'il a transformé cette figure d'exception qu'il nous livre ici.
Ce sera donc elle, sa mère, « sa première femme ». Autant dire que de cette famille fictive, le père, conférencier international et écrivain sera absent en permanence, constamment sur les routes, dans les avions, parlant devant des aréopages d'intellectuels qui attendaient ses interventions...
Le narrateur, Marc Elern, se présente à nous avec un certain humour et évoque sa vie d'enfant au sein de cette famille un peu fantasque et dédiée au piano où sa mère, ancienne concertiste, a choisi d'abandonner la musique pour se consacrer à ses enfants, où sa petit sœur Cathy est aveugle. Il lui servira de guide au physique comme au moral, il sera un peu son double, son confident, son mentor comme elle sera son miroir...
Refaisant le chemin à l'envers, il nous conte son éveil à la vie, ses premiers émois amoureux d'adolescent avec ses fantasmes et ses déceptions mais quand il décroche le téléphone, la clinique, croyant avoir affaire au mari, lui annonce la mort de sa mère « Votre femme n'a pas passé la nuit ». Ce bout de phrase, prononcé par hasard et surtout par erreur va déclencher l'écriture parce que, dans son cas, cela lui apparaît comme le seul moyen d'exorciser la douleur née de cette absence. Certes, il avait déjà compris que sa mère avait déjà fait un bout de chemin avec la maladie et la souffrance, mais elle était là. Était-ce pour la faire revivre, garder une trace de son passage sur terre qu'il va égrener les moments de vie de cette femme, la première qu'il ait jamais connue, qu'il va se souvenir des moments d'intimité qu'il a eue avec elle, qu'il va retrouver les lettres qu'elle lui envoyait quand il était au pensionnat où elle lui parlait de liberté, d'amour et de Dieu, autant de jalons qui vont gommer l'oubli, autant d'occasions de relire les confidences maternelles, de déchiffrer après coup ses peurs, les réalités savamment occultées, ses espoirs promis au néant!
Alors, ce fils attentif répond à ses missives et on imagine bien qu'il en peaufine les termes, en sculpte les phrases comme savent le faire ceux qui veulent que leurs mots portent et qu'ils soient compris par leur destinataire. Mais la mort vient interrompre tout cela. Il n'y aura plus jamais de lettres, plus jamais de réponse! Dès lors, l'absence s'installe, et avec elle les choses se bousculent, la révolte s'insinue devant cette injustice et l'espoir improbable d'une autre vie, dans un autre monde ou parait-il on se retrouve, ne console pas. Puis vient la culpabilisation d'être encore là, de n'avoir pas dit ou fait ce qu'il fallait au bon moment, avec en prime la haine de soi-même et des autres, incapables de partager sa douleur intime.
C'est que la vie continue comme on le dit un peu trop facilement et avec elle les déceptions amoureuses, la femme est jouissance mais aussi souffrance!... Pour lui, il y a le bac qu'il faut bien passer. Alors il joue la comédie et tient son rôle. Il le faut bien. Il se réfugie dans l'alcool parce qu'il endort et dans le sport parce qu'il est aussi une souffrance qui en combat une autre...
Seul restera l'écrivain qui usera de mots, lui aussi, mais autrement, avec l'arme de l'humour, voudra se jouer à lui-même une comédie, se faisant croire que tout cela n'a été qu'un mauvais rêve, qu'une mauvaise blague et que tout va revenir comme avant.
© Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE MATIN VIENT ET AUSSI LA NUIT – Pierre Moinot
- Par ervian
- Le 12/08/2010
- Dans Pierre Moinot
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N°443– Août 2010
LE MATIN VIENT ET AUSSI LA NUIT – Pierre Minot - Éditions Gallimard.
Qu'annonce le titre de ce roman qui s'inspire d'un verset biblique? Qu'y a t-il de commun entre ces personnages si différents les uns des autres? Maria la vieille servante qui pour la première fois accepte de parler de sa vie et de son unique et merveilleux amour qui l'a illuminée, Adrien, enfant de l'Assistance Publique qui s'enthousiasme pour la lecture, s'émerveille de la vie qui l'entoure mais fait une étrange découverte qui bouleverse son quotidien, Fernand et Clémence, un couple de paysans qui l'ont recueilli mais pour qui la vie commune n'est devenue supportable qu'en silence, Zacharie, le menuisier qui va devoir fabriquer deux cercueils parce que, dans la campagne, on vient de découvrir deux cadavres et qu'il s'agit de deux assassinats..., Malvina et Émile, ce couple aux semelles de vent qui gardera secret ce qu'ils ont vu, le confiant seulement et à demi-mots à Lortier qui va mener une enquête discrète et brouiller un peu les pistes sur ces deux meurtres parce qu'il ne conçoit pas que son pays puisse donner asile à un meurtrier mais ne veut pas non plus qu'un enfant paie pour ses peurs... Lui-même qui, tout au long de sa vie a couru et déchiffré le monde comme archéologue a fini par admettre que ce qu'il a toujours cherché se trouvait là, dans le simple village poitevin comme dans l'amour qu'il porte à sa femme...
L'auteur nous offre donc un texte avec, comme en contre-point, une énigme policière qui prend corps à la fin avec un suspense savamment distillé, mais surtout qui est écrit comme un véritable roman!
Les hommes et les femmes, quelle que soit leur place dans la société, se côtoient dans ce village poitevin du milieu du siècle dernier, y mènent une vie simple, sans artifice. Ils appartiennent tous à la condition humaine et sont donc tous assujettis à la fuite du temps qui vous pousse vers la mort ou vous sort de l'enfance, au vieillissement et vers cette fin tant redoutée dont on ne parle pas mais qu'il faut quand même accepter. Il évoque aussi l'enfance, la solitude et le secret, la crainte de la faute et la peur du monde des adultes, le poids de la culpabilité que la jeunesse amplifie. Ce sont tous des humains et, à ce titre, incarnent eux aussi, de génération en génération, et dans ce même décor familier, la cohabitation du bien et du mal.
La lecture de ce roman a révélé un écrivain qui manie avec bonheur notre belle langue française, la fait chanter avec justesse et simplicité, n'oublie rien des gestes ancestraux, des superstitions, des rites et des coutumes parfois incantatoires de ces paysans ni des légendes que ce Poitou a su faire naître ou accueillir. Les histoires qu'il conte non seulement s'inscrivent dans le terroir d'une enfance paysanne qu'il ne renie pas mais la nature qui l'inspire et qu'il sait si bien décrire baigne cette écriture d'une clarté apaisante, la peuple d'images à la fois évocatrices et poétiques. Ses mots tressent un univers qui ne peut laisser indifférent un lecteur attentif peu à peu gagné par la beauté des paysages suggérés et sa phrase est superbe...
Je dois bien avouer qu'avant que le hasard ne m'invite à croiser les ouvrages de Pierre Moinot, cet auteur n'était pour moi qu'un nom, celui d'un écrivain peut-être injustement méconnu!
Cela a été un moment exceptionnel de lecture que je n'ai pas regretté!
© Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE CONTRAT AVEC DIEU - Juan Gómez-Jurado
- Par ervian
- Le 06/08/2010
- Dans Juan Gómez-Jurado
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N°441– Août 2010
LE CONTRAT AVEC DIEU – Juan Gómez-Jurado. Éditions Plon.
(Traduit de l'espagnol par Pierre Gautier)
Cela paraît un peu confus au début, l'histoire d'un médecin nazi tortionnaire dans un camp de concentration qui a échappé au tribunal
grâce à des complicités, un prêtre Anthony Fowler, à la fois agent double de la CIA et du Vatican. Et puis cette histoire d'expédition secrète, officiellement sous couvert d'exploiter des phosphates dans une région où, d'évidence il n'y en a pas! Elle est baptisée « Moïse », financée par Raymond Kayn, un milliardaire américain agoraphobe à la vie déchirée, et dirigée par un vieil archéologue juif spécialiste de la Bible et de ses messages abscons, Cecyl Forrester, jusque dans les sables du désert de Jordanie avec le projet un peu surréaliste de retrouver l'Arche d'Alliance contenant les « Tables de la Loi » qui y serait enterrée, preuve matérielle de l'existence d'un contrat passé en Dieu et les hommes... C'est que, en 70 après JC, le temple de Jérusalem fut rasé et les Juifs, pour sauvegarder leur relation privilégiée avec Yahweh transportèrent cette Arche jusque dans le désert de Jordanie où ils l'enterrèrent. Le but de cette expédition est donc de la retrouver, mais le temps presse et le secret est de rigueur! Après tout pourquoi pas, l'idée, quoique déjà émise est plutôt bonne, surtout quand on est en pleine fiction?
Pour découvrir l'endroit exact, on fera appel au deuxième fragment des rouleaux de Qumran caché à l'intérieur d'une bougie qu'une famille juive a conservé de génération en génération sans en connaître la véritable importance !
C'est que différents personnages gravitent autour de cette histoire: Le père Fowler sera embarqué, un peu contre son gré dans cette aventure qui ne laisse pas le Vatican indifférent tout comme Jacob Russel, assistant exclusif de Kayn qui est le seul habilité à faire le lien entre lui et le monde extérieur, Andrea Otero, journaliste espagnole récemment licenciée d'El Globo dont les aventures un peu rocambolesques, entre scorpions et tentatives de meurtre sur sa personne, annoncent la disparitions violentes de nombreux protagonistes ainsi que différents attentats contre cette entreprise, Morgen Dekker, chef de la sécurité de l'expédition qui cite constamment Schopenhauer, le père Albert, ex-délinquant et génie de l'informatique qui lui aussi est au service du Vatican...
Pour que le récit gagne en intensité l'auteur y introduit un épisode de la Deuxième guerre mondiale qui met en scène le médecin nazi du début et ses expériences inutiles et cruelles sur les enfants des camps, une explication rationnelle de l'Arche loin de son contexte religieux, le Mossad israélien et un groupe islamique terroriste qui veut faire échouer cette expédition.
Tout au long du récit le suspense est entretenu par des chapitres brefs, apparemment sans lien entre eux au début, déclinés sous la forme d'un journal de bord avec dates et heures, agrémenté de références précises bien documentées, d'épisodes qui se déroulent à Washington et en Jordanie et de dessins qui rappellent les gravures qui illustraient des romans de Jules Vernes de mon enfance...
Je dois dire qu'au départ, j'ai eu un peu de mal à entrer dans ce scénario et j'ai été tenté de refermer le livre, mais la curiosité a été la plus forte. Même si le texte ne se signale pas par une recherche littéraire avérée mais privilégie un style simple, parfois émaillé d'humour, je retiendrai la relation palpitante qui tient jusqu'à la fin le lecteur en haleine. Ce récit qui mêle habilement fiction, réalité, politique et ésotérisme remet en question bien des personnages dont le portrait a été savamment brossé par l'auteur à travers leur histoire personnelle.
Gómez-Jurado invite son lecteur, à la fin, à méditer un poème de Sam Keen qui introduit ce roman. C'est peut-être là le véritable message de ce livre à la fois émouvant et excitant. Je lui ai donné une dimension religieuse, malgré le Cinquième Commandement mais j'y vois aussi une invitation à regarder son prochain autrement, une véritable leçon sur la condition humaine!
Le hasard qui avait guidé mon choix de lecture, le titre, la 4° de couverture, le secret qui entoure cette affaire un peu ténébreuse, les références bibliques qui évidemment excitent l'imaginaire humain, cette histoire d'alliance improbable entre Dieu et les hommes, ce contexte politico-religieux qui implique le Vatican mais aussi des groupes islamiques fondamentalistes et qui ne sont pas sans ajouter au mystère et nourrir les fantasmes, m'avaient un peu mis en appétit. Je me suis laissé happé par ce roman d'aventures et contrairement à ma première impression, je n'ai pas été déçu.
©Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.
- Par ervian
- Le 03/08/2010
- Dans Jean ROUSSELOT
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Je voudrais aujourd'hui, même si INFO-POESIE ne paraît plus, faire partager une étude qui y a été publiée et qui concerne le poème majeur qu'est Jean ROUSSELOT (1913-2004)
N°12
Février 1986
Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.
Info-poèsie publie un numéro spécial consacré à Jean Rousselot.
Sang, tel est bien le maître-mot de la poésie de Jean Rousselot, mais le sang de la mort et de la maladie devient celui de la naissance, de la renaissance, de la fertilité, mieux, il est le flot bouillonnant, la sève de la vie de l'homme-arbre. Sous sa plume, c'est aussi la source de l'énergie et du désir. Associé au feu, il devient synonyme de vitalité et de chaleur humaine, il est le nectar sacré, source de vie, rempart contre la fuite du temps, facteur d'éternité et c'est tout naturellement que le message chrétien passe à travers « le sang versé » qui génère la vie éternelle. Ainsi, la quête poétique devient-elle quête du Graal et la filiation avec Guillaume Appolinaire, réalité.
Le sang est aussi symbole de filiation entre le poète et le peuple, ce qui amène Rousselot à revendiquer des origines populaires dont il est fier à juste titre, mais cela va plus loin, elle pousse ses racines dans la grande famille des poètes.
A partir de cette image du sang, l'auteur s'intéresse à celui qui court sous la peau, mais aussi sous la terre, sous l'écorce, celui qui irrigue tous les mondes cachés, ce qui évoque la fascination des profondeurs. De cette quête passionnée naît le thème du voyage, du mouvement, de l'errance mais aussi celui du paradis perdu d'où le poète est exclus. La douleur apparaît aussi qui fait de la poésie de Rousselot une écriture d'un corps en lutte pour la vie.
Évoquant le décor froid et noir de son enfance poitevine où les choses s'établissaient dans une dureté à laquelle il n'était pas possible d'échapper avec la force des mots, Rousselot se présente à nous comme un poète tragique. C'est toute la condition humaine qui est ici évoquée. Une déchirure en résulte qui est non seulement intérieure, voire intime, mais également qui prend sa source dans les événements de la deuxième guerre mondiale. Dès lors son rêve, son idéal s'effondrent. Avec « L'homme au milieu du monde », Rousselot s'éveille à la perception des autres. Il ressentira certes l'écrasement, mais luttera avec espoir au nom des hommes et avec eux : il deviendra unanimiste. De là une volonté de ne pas se renfermer sur soi-même, de sourire à la vie, aux femmes... Il témoignera et participera de ce fait au monde des vivants.
Ce désir d'union s'établit en deux symboles, celui du pain et celui du feu. L'union devient partage et addition des forces, termes qui se conjuguent et se complètent pour s'épanouir dans une image de la femme chargée de vie et d'espoir.
Le poème est le devoir du poète. Il puise son existence aux racines mêmes de la vie, mais le langage porte en lui l'incommunicabilité qui rend la démarche difficile. Pourtant le poète est un veilleur générant des ferments d'avenir, les « grains de l'écriture ». Face aux réalité et aux contingences de l'humaine condition les mots se dressent, ils sont des outils des instruments dont le poète joue mais qui sont aussi parfois autant de pièges. Ils doivent, pour être vrais, puiser leur signification au cœur du vécu sous peine de n'être que du vent. Le langage est remis en question et habillé de doute car l'écriture n'est pas linéaire : il y a des moments de sécheresse, d'abattement... Cependant la poésie colle à la peau , s'insinue, revient à la charge, s'impose au point de trahir l'auteur qui pourtant ne peut vivre sans elle. Il doit donc jouer son rôle avec humilité puisque, au bout du compte la mort sera la plus forte et l'indifférence accueillera son cri pourtant vital. La poésie est engagement au service de l'homme, même dans ses plus subtiles contradictions. La créativité de Rousselot est liée à la vie mais a su évoluer au rythme de l'homme, s'organiser en termes précis, clairs, riches mais aussi simples voire populaires.
Il y a, pour lui, une deuxième raison de vivre: c'est la femme. Ce sont plutôt des femmes plurielles qu'il aperçoit dans la rue au hasard d'une rencontre fugace. De leur visage qui se dissipe dans la foule, il reste une image érotique que le poète sacralise, mais quand elles deviennent inaccessibles, le charme se rompt et elles redeviennent chair, c'est à dire promises à la mort. Il les traite alors avec ironie, voire mépris, révélant ce mélange d'attirance et de crainte qu'il éprouve devant elles.
La femme est pourtant associée au feu libérateur, à la chaleur, à la mère, recherchée à travers la femme aimée et elle devient médiatrice entre l'homme et le monde. La passion amoureuse devient éclatement, libération, et fait pièce au quotidien, au trépas... Des comparaisons reviennent, ce sont le pain, le lait, mais aussi le feu et l'eau, images paradoxales qui évoquent la pureté. Vierge et nue, la femme est assimilée à l'oiseau qui hante le monde des airs. Elle devient synthèse de l'univers et l'homme doit s'unir à elle car elle est le siège de découvertes nouvelles, de richesses à partager. Cette source n'est jamais tarie et, à partir d'elle, la communication est de règle: la femme devient la compagne absolue, intime, à un point tel que la parole est désormais inutile. La séparation d'avec elle est dès lors insupportable, la femme supplante l'homme jusqu'à devenir fascination, objet érotique et désir de vassalisation à sa personne. Aussi la mort ne pèse-t-elle plus rien si elle prend en même l'homme et la femme!
A partir de la cinquantaine Jean Rousselot évoque l'outrage du temps. Cela se sent au niveau des mots et la mort est de plus en plus pesante. L'auteur lui oppose l'humour, la dérision, la colère, l'impuissance aussi, mais l'accepte stoïquement. Le poète est habité par la détresse est « Hors d'eau » est une sorte de journal de bords où il n'en réaffirme pas moins sa présence au monde, dans un monde ou pourtant rien n'est stable, qui s'inscrit entre le passé et l'avenir qui certes inspire la lucidité mais impose une remise en cause continuelle .
Le message de Rousselot est donc l'expression de l'homme et le désir constant de changer le monde.
© Hervé GAUTIER. - Février 1986.
Cette étude très documentée, émaillée de dessins de Jean Rousselot lui-même est due à Joël Gueno et a été publiée dans Info-Poésie.
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LA FEMME SOUS L'HORIZON - Yan QUEFFELEC
- Par ervian
- Le 01/08/2010
- Dans Yann QUEFELLEC
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N°46
Juillet 1990
LA FEMME SOUS L’HORIZON – Yan QUEFFELEC – Editions Juillard.
J’avais encore en mémoire le climat qui baignait « Noces barbares » ont la lecture remontait pourtant à quelques mois quand ce roman s’offrit à ma curiosité. Le destin de ce petit garçon, né d’un viol collectif, rejeté par sa mère, aimé gauchement par un père qui n’était pas le sien et qui trouve refuge dans une épave m’a rappelé celui de Tina, née elle aussi par hasard avec une cicatrice énigmatique sur le visage et qui cherche le secret de sa naissance dans le silence gêné de ses proches et les figures du tarot. Son sang, son visage, son âme, elle les doit à sa mère, exilée elle aussi dans la vie, avec pour quotidien la haine et la violence de cette famille bizarre, aux vagues racines russes, jetée là dans un coin de France. Il y a nombre de points communs entre ces deux enfants, héros de deux romans, je devrais dire de deux tragédies ou la mort est le seul gagnant.
Comme toujours, les personnages sont fascinants. Carmilla, la Roumaine, belle, fuyant, indéfinissable, Vladimir, ce Russe qui ne connaît de son pays que les icônes et les souvenirs macabres de Zinnaïde, cette mère abusive qui règne sur une maison-épave, Lev qui vit dans son ombre, Zénia, attirée par le plaisir et par le néant parce que la vie est pour elle un fardeau, Misha, victime de sa passion pour Tina, ballotté au gré des sautes d’humeur de cette femme qui ne sera jamais vraiment à lui. Tous sont englués dans la trame d’un destin où le bonheur n’a aucun droit de cité. Tous s’accrochent à la vie, mais la mort veille qui aura le dernier mot et viendra les prendre en traître.
La vie n’est pour eux qu’une perpétuelle recherche du bonheur autant qu’une fuite éperdue devant lui, à l’image de ce feu omniprésent qui réchauffe et détruit, donne indifféremment la vie ou la mort. C’est une lutte incessante, comme un jeu à travers la séduction, la violence, les passions, les obsessions et la nostalgie, avec, à contre-jour la fascination de la mort, cette délivrance potentielle qui s’étale comme l’image virtuelle d’un visage reflété par un miroir.
Jusqu’à la dernière ligne, le lecteur passionné espère que tout cela n’est qu’un rêve et que la vie gagnera parce que dans les épreuves on puise aussi des raisons d’exister.
Mais, le livre refermé, il reste les personnages, leur destin, et cette impression assez indéfinissable qui se dégage d’un texte tressé avec un incontestable talent.
© Hervé GAUTIER.
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LE CIEL EST IMMENSE - Marie-Sabine Roger.
- Par ervian
- Le 27/07/2010
- Dans Marie-Sabine ROGER
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N°440– Juillet 2010
LE CIEL EST IMMENSE – Marie-Sabine Roger. Éditions Le Relié.
Après « La tête en friche », je m'étais promis de pousser un peu plus loin la découverte de cet auteur dont l'œuvre, par ailleurs, se déclinait autour des enfants.
« Je ne m'en vais pas contre quelqu'un ni malgré moi, je m'en vais, c'est tout, c'est un choix... C'est déjà trop de dire adieu lorsqu'on s'en va » C'est ainsi que la narratrice, une femme de 60 ans commence(presque) ce récit. Elle a choisi un petit hôtel au bord de la mer, à la morte saison, pour évoquer la fin d'une histoire, comme un ultime refuge, comme un point final face à l'immensité. Avec elle, elle emporte ses souvenirs, comme autant de trésors dont on veut se munir pour affronter une épreuve. C'est donc sur une plage de nulle part, en dehors de la saison touristique, qu'elle choisit de se retrouver face à elle-même. Dans ce décor un peu désolé, c'est la solitude et la tristesse qui surnagent, avec, au bout du chemin la mort volontaire. Un cadre idéal pour « boucler la boucle, en finir ».
C'est que la vie a été un peu ingrate pour elle, c'est ce qu'elle pense en tout cas peut-être parce qu'elle est toujours passée à côté du « grand amour » ou qu'elle a manqué le rendez-vous avec son fils, mais en réalité rien que que très normal en ce qui concerne les épreuves, les deuils, les chagrins, rien de plus que ce que la condition humaine, la chance ou le hasard imposent à chacun individuellement. Pourtant, c'est une « fêlure » qui l'a amenée au bord de l'océan, un homme de rencontre, aimé, mais d'un amour différent, pas charnel, pas jouissif, pas sensoriel mais comme un plaisir serein et tranquille, un désir en demi-teinte et silencieux « Nous n'avons jamais fait l'amour ensemble » avoue-t-elle! Un peu comme si les relations sexuelles entre eux étaient interdites, taboues ou impossibles! Cette cassure, cet échec ajoutés aux autres ont provoqué chez elle non seulement un chagrin mais un détachement face à la vie, un désamour de soi, une indifférence au monde extérieur, le repli sur soi, une profonde dépression à 59 ans!
Dès lors, c'est la ronde des médicaments compliqués et dangereux et si on en abuse, si on les mélange, c'est le coma et la mort. C'est un vide immense qu'on ressent sans pour autant avoir envie de se raccrocher à une ordonnance ou à une boîte de pilules. Dormir! le sommeil vécu comme un palliatif ou un cautère et le sommeil est un autre monde ou des difficultés se gomment, s'apaisent. Pourtant au réveil les choses sont là, dans leur réalité, leur cruauté et cet amour qu'on avait voulu d'autant plus fort qu'il serait sûrement le dernier s'en allait et avec lui l'envie de vivre.
Face à l'immensité de cette plage qui n'est pas sans rappeler le désert, apparaît un adolescent « comme un Petit Prince qui aurait un peu grandi » et, comme dans un autre roman célèbre, un dialogue un peu surréaliste va s'engager entre cette femme au bord du suicide et cet être sorti de nulle part. Comme un bon génie, il va lui demander de lui parler d'elle sous forme de quatre choses qui pourraient la résumer, une sorte d'obligation de se confier autant qu'une occasion de refaire le chemin à l'envers parce qu'il a compris très vite que ce paysage du bord de mer serait le dernier pour elle. A travers ces rencontres épisodiques, elle va donc revenir progressivement à la vie. A travers cet exercice, elle va aller à la rencontre de ses souvenirs, de ses amours et ainsi se rendre compte qu'elle n'a pas été aussi malheureuse qu'elle veut bien se le dire. C'est autant une acceptation de soi, de la vieillesse, de la condition humaine.
J'avais bien aimé « La Tête en friche », j'avoue qu'ici, si j'ai pu retrouver cette ambiance un peu délétère de la dépression, si j'ai goûté le style, les phrases courtes et fluides, j'ai rapidement décroché, lisant cependant jusqu'à la fin davantage par curiosité que par intérêt pour l'histoire, sans y entrer véritablement ... Peut-être parce qu'elle évoque trop St Ex?
© Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA TÊTE EN FRICHE - Marie-Sabine Roger
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- Le 25/07/2010
- Dans Marie-Sabine ROGER
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N°439– Juillet 2010
LA TÊTE EN FRICHE – Marie-Sabine Roger. Éditions La Brune
Qu'est ce qui m'a accroché d'emblée dans ce livre, le ton peut-être? Il n'est pourtant pas littéraire et même volontiers gouailleur. L'histoire peut-être, celle de Germain Chazes, 45 ans, pas vraiment attachant au début, un géant inculte voué aux petits boulots de manutentionnaire qui vit dans une caravane au fond du jardin de sa mère et s'amuse à compter les pigeons ou à écrire son nom sur le monument aux morts, à parler de Dieu comme si c'était un copain... C'est un poivrot qui raconte les épisodes de sa vie à ses copains de zinc qui se moquent de lui, ne comprend pas toujours tout, un mal aimé comme il y en a tant, abandonné par son père, délaissé par sa mère... C'est aussi celle de Margueritte (avec deux t) Escoffier, cette petite vieille de 85 ans, pensionnaire de la maison de retraite des « Peupliers », cultivée, discrète, qui n'aime ni le scrabble ni les lotos, qui préfère rester assise sur un banc dans un jardin public et qui passe son temps à nourrir les oiseaux, à les compter, elle aussi! C'est peut-être la seule chose qu'ils aient en commun, alors ils se rencontrent, ils parlent, se découvrent l'un l'autre une sorte de complicité.
Ainsi ce Germain, qui est aussi le narrateur, apprend, grâce à elle, des choses qui, dans sa vie lui étaient complètement étrangères jusqu'ici, le sens des mots, leur nouveauté, leur beauté[« Les mots, ce sont des boites de conserve qui servent à ranger les pensées, pour mieux les présenter aux autres et leur faire l'article. »]...
Lui qui n'avait été qu'un aimable cancre presque illettré, que tous ses copains prennent pour un imbécile, c'est cette vieille dame qui va réussir à lui faire prendre goût à la connaissance [ « apprendre à réfléchir, ça revient à donner des lunettes à un myope »] aux livres par la lecture à haute voix, qui va meubler sa « tête en friche » au point de lui faire changer son vocabulaire. Il va découvrir Albert Camus, Romain Gary, Sepulveda et le dictionnaire qu'elle va lui offrir parce que lui-même lui avait fait cadeau d'un petit chat sculpté dans un morceau de bois. Il ne baisera plus Annette, sa copine, mais lui fera l'amour... c'est quand même autre chose!
Margueritte va devenir sa vraie grand-mère, non seulement en l'intéressant aux mots et aux livres qu'il ne comprend pas toujours bien mais parce que elle s'installe dans sa vie à en devenir omniprésente et même indispensable[« Margueritte, elle prenait de la place, même sans être là »].
C'est l'histoire d'une rencontre improbable, d'une amitié entre deux êtres qui n'avaient aucune chance de se croiser, d'un échange, d'un apprentissage, d'une invitation au respect de soi et des autres[« Vous êtes quelqu'un de très bien, Germain »lui dit Margueritte], d'une tendresse réciproque, de l'acceptation de la vieillesse, de la maladie, de la mort qui font partie de la condition humaine, d'une révélation aussi, celle de cet homme mal dégrossi, un peu cabossé par la vie, que cette vielle dame, qui l'appelle « Monsieur » au début, va petit à petit amener à se découvrir lui-même, à bouleverser sa propre vie, à lui donner un sens. C'est une histoire pleine d'émotion [« Un jour, en comptant les pigeons, on tombe par coïncidence sur une grand-mère vacante et on finit avec la peste, les Jivaro et ce pauvre monsieur Gary qui pleure encore sur sa mère »] . C'est que ce Germain, même s'il parle mal, a des remarques pertinentes et pas si naïves que cela qui parviennent parfois à convaincre Margueritte par son bon sens. [« Cette fille, elle me rend dingue... c'est pire qu'un aimant. Aimant, ça doit venir du verbe aimer peut-être? »]
J'ai goûté la poésie qui se dégage de ces dialogues à la fois simples et authentiques parce que sincères, simplement.[« Margueritte... sa vie, elle doit avoir un goût de confiture...La mienne , elle a un goût de gerbe, et je vous parle pas des fleurs »].
C'est un roman vraiment surprenant, c'est sans doute pour cela qu'il m'a beaucoup plu. Allez savoir!
Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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PARIS-LA ROCHELLE - Le samedi 17 juillet 2010. Bernard Giraudeau.
- Par ervian
- Le 17/07/2010
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N°438– Juillet 2010
PARIS-LA ROCHELLE – Le samedi 17 juillet 2010. Bernard Giraudeau.
Comme tout le monde aujourd'hui, j'apprends la mort de Bernard Giraudeau dans un hôpital parisien.
Je n'ai pas l'intention de me livrer à un article nécrologique, d'autres le feront mieux que moi, et je n'ai vraiment pas la tête à cela. Je suis quand même satisfait que sa disparition ne passe pas inaperçue et qu'un hommage lui soit rendu. Ce n'est peut-être pas grand chose, mais quand même, le parcours de cet homme a quelque chose d'exceptionnel et de discret à la fois, de multiforme aussi...
Il ne suffit pas d'être né à La Rochelle pour aimer la mer, mais quand même, l'écume des vagues et le rythme de la houle coulent dans les veines de ceux qui sont nés et ont vécu dans un port et ce n'est sans doute pas un hasard si c'est dans la marine qu'il s'est engagé à 16 ans et si son œuvre d'écrivain est tournée vers le grand large, si la Royale l'a accueilli aussi comme écrivain de la marine. On avait d'ailleurs fait allusion à son nom lors du dernier défilé du 14 juillet.
Je ne m'étendrais pas sur son parcours de comédien, de réalisateur, de voyageur, de séducteur même, mais je retiendrai plus volontiers son talent d'écrivain. Cette revue s'en est d'ailleurs fait modestement l'écho [n°316 - 373].
Vraiment, j'ai bien aimé ce parcours, le succès populaire qu'il a rencontré, sa modestie aussi puisqu'il n'oubliait jamais de rappeler que, s'il était célèbre, et il n'y avait qu'à voir la foule qui se pressait à la signature de ses livres, il n'était pas de ces intellectuels prétentieux qui mettent en avant leur réussite. Il rappelait, à l'occasion qu'il n'avait pas fréquenté l'université ni fait de hautes études...
Ce que je retiens aussi, c'est son combat contre la maladie dont il avait choisi de parler simplement parce que cela pouvait aider ceux qui comme lui luttent contre le mal. Dans une civilisation qui occulte la souffrance et la mort, qui classe tout de suite et qui marginalise celui qui n'est pas dans la norme, il avait pris la décision de parler, et il fallait pour cela un certain courage! C'est vrai que le contact avec le public était pour lui une thérapie. Donner et recevoir...
Pourtant, quand je l'avais rencontré, ici à Niort, à l'automne dernier pour la sortie de son dernier livre, j'avais pensé que sa lutte contre la maladie était peut-être gagnée. De cette rencontre furtive il reste une dédicace, un visage de femme à peine esquissé qui l'accompagne et un souvenir devenu soudain plus précieux. Il avait parlé pendant plusieurs heures avec un public chaleureux qui était manifestement heureux de le rencontrer, de l'entendre parler, de le voir... Chacun avait noté non seulement le plaisir qu'il avait d'être là mais aussi la qualité de ce moment de partage... et sa bonne santé apparente.
La mort est une chose inéluctable, nous le savons tous, mais dans nos sociétés occidentales elle est cependant taboue et nous vivons comme si elle n'existait pas, comme si elle ne devait jamais arriver. Quand elle survient, par surprise ou parce qu'elle est annoncée, elle nous bouleverse. C'est à chaque fois pareil! Mais je le dis, cette disparition me touche profondément non pas seulement parce nous partagions le fait d'être nés le même jour au même endroit, mais parce que j'étais et je resterai admiratif du chemin parcouru et de l'exemple donné. C'était un beau parcours et quelqu'un de bien!
©Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE CONGRES - Jean-Guy Soumy
- Par ervian
- Le 09/07/2010
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N°437– Juillet 2010
LE CONGRES – Jean-Guy Soumy – Éditions Robert Laffont.
Le titre paraissait dès l'abord un peu rébarbatif. D'après le dictionnaire, un congrès c'est une réunion de personnes qui se rassemblent pour échanger leurs idées ou se communiquer leurs études. Pourtant, la couverture du livre ne laisse aucun doute, il s 'agit d'une autre chose!
Cette histoire peu banale, dont le héros est aussi le narrateur, commence en 1684. Guillaume Vallade, fils d'un riche bâtisseur du Roi et membre de cette confrérie, reçoit chez lui, en Limousin, des fuyards Huguenots qu'il accompagne jusqu'à la côte charentaise en vue de leur départ en Angleterre. Parmi eux, Esther, une jeune femme mariée dont il tombe amoureux mais qui lui demande de rejoindre sa sœur, Jehane, qui est restée en France parce qu'elle a abjuré et qui deviendra son épouse. Cependant, le père de Guillaume avait prévu de marier son fils avec une fille élevée dans sa corporation mais ne peut s'opposer à cette union. Cela lui déplait fortement et Louise, sa belle-sœur, qui espère évincer Guillaume au profit de son propre fils, va l'accuser d'impuissance. Il a en effet été gravement blessé au bas ventre et Jehane, victime des dragonnades, a été violée par la soldatesque et leur union n'a toujours pas produit d'enfant après plus d'une année. Seul un homme impuissant pouvait convoler avec un femme déshonorée!
Il y a donc un procès, précédé d'un interrogatoire et d'un examen intime où les juges ecclésiastiques posent des questions insidieuses où l'ironie le dispute à la concupiscence et à la curiosité malsaine, sous couvert, bien entendu du respect hypocrite de la légalité. Ces mêmes juges feront preuve d'un voyeurisme irrespectueux et lubrique pendant l'épreuve du « Congrès ». Le père de Guillaume, mourant et sous l'influence de sa bru et de l'Église ne veut pas s'y opposer et abandonne son fils à la honte. De plus, Guillaume et Jehane, réfugiés près de Versailles, sont l'objet de pamphlets publics, perdant du même coup leur honneur et leur respectabilité. Ils sont de plus en plus considérés comme la proie pour ce tribunal ecclésiastique. Le procès ne s'étant pas déroulé en leur faveur, ils devront apporter la preuve contraire en se soumettant à l'épreuve du Congrès: Les époux devront montrer devant une assemblée de médecins, de juges, de courtisans, de prêtres et la parentèle de la belle-sœur, qu'ils sont capables de relations sexuelles. Ils devront devant eux simplement faire l'amour! Guillaume doit donc « Dresser, pénétrer, mouiller », selon les termes de la procédure pour honorer publiquement Jehane! Une matrone devra se prononcer sur la consommation réelle de cette union manquant bien peu d'intimité et qui s'apparente à une mascarade judiciaire, un véritable viol public, une séance de pornographie sacrée... On imagine facilement l'issue de cette phase.
C'est vrai que la narration est un peu déroutante parce qu'elle mêle les époques et que Guillaume s'adresse à un loup, comme pour le prendre à témoin, ce qui hache un peu le récit. Mais ce que je retiens c'est le style fluide et poétique de ce roman facile à lire, découpé en courts chapitres et qui ne tombe heureusement pas dans le glauque (au contraire, la relation de l'épreuve du Congrès est faite avec beaucoup de retenue et de pudeur) comme cela pourrait se faire mais qui dénonce l'obscurantisme d'une époque où l'Église était toute puissante et le pouvoir du roi absolu.
La toile de fond de cette intrigue reste les querelles religieuses entre protestants et catholiques, mais aussi l'intolérance, la cruauté et la haine entre les hommes. Nous sommes à la veille de la révocation de l'édit de Nantes. C'est, certes, une fiction, mais elle s'appuie sur des recherches historiques et cette procédure dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle était inquisitoriale et dégradante, existait bel et bien dans l'ancien droit. Elle apparaissait dans différents dictionnaires et traités juridiques et fut supprimée. Le tribunal ecclésiastique pouvait, en effet, se reconnaître compétent pour juger d'une telle affaire parce qu'il y avait remise en cause des liens sacrés du mariage et de l'obligation morale faite aux époux de procréer. En cas d'échec, l'impuissance du mari était avérée et le mariage était irrémédiablement annulé.
C'est aussi le procès de la convoitise familiale qui ne recule devant rien pour parvenir à ses fins puisque Guillaume est l'héritier de la charge paternelle dans la construction du château de Versailles.
Ce roman nous donne à voir (en est-il besoin cependant) une facette de la condition humaine, celle qui ne recule devant rien pour humilier et de détruire un homme au nom d'intérêts bassement matériels ou de vengeance personnelle même si ces attaques viennent de la famille dont on nous dit à l'envi qu'elle est une valeur sûre, une force, une grandeur, un refuge!
Cela a été pour moi un bon moment de lecture, même s'il a été bouleversant.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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UN ROMAN DE QUARTIER - Francisco González LEDESMA
- Par ervian
- Le 07/07/2010
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N°436– Juillet 2010
UN ROMAN DE QUARTIER – Francisco González LEDESMA – Éditions L'Atalante.
Traduit de l'espagnol par Christophe Josse.
Je voudrais bien le rencontrer ce Mendez, un inspecteur de police à deux doigts de la retraite, choisi par son commissaire pour élucider une affaire un peu ténébreuse au seul motif qu'il dispose de temps libre.
L'affaire, justement, est une vengeance. Dans les années 1970, lors d'un hold-up, un garçon de trois ans est tué par erreur et, de nos jours, à Barcelone, un des deux braqueurs est assassiné dans un vieil immeuble promis à la démolition. Craignant le subir le même sort que son complice, le truand survivant va tenter de supprimer celui qu'il prend pour le vengeur, c'est à dire le père de l'enfant : David Miralles. Ce qui m'a intéressé aussi, c'est le combat intime de cet homme désespéré qui exorcise comme il peut la mort prématurée de son fils au point de lui réinventer une vie au quotidien, une forme différente de vengeance... Il se trouve que ce Miralles, garde du corps de son état et donc titulaire d'un port d'arme, n'est pas, selon le rapport de balistique, le responsable de cette exécution. Mendez le sait, mais pas le tueur et la course-poursuite qui va être menée passe par la fréquentation d'un avocat bizarre et la consultation de petites annonces coquines, d'autres rencontres insolites...
Il y a bien d'autres histoires dans ce récit, celle des relations qu'entretient Miralles avec une ancienne prostituée devenue son assistante, Eva, celle de cette vieille maquerelle barcelonaise, Ruth, devenue marquise et des rapports difficiles qu'elle entretient avec une de ses anciennes pensionnaires, Mabel, qui maintenant est chargée de s'occuper d'elle. Dans cette cohabitation difficile où la mort rode à chaque instant, le règlement de compte le dispute à la méchanceté et même au sadisme.
Ce que je retiens surtout c'est le cadre, cette ville catalane dont le seul nom fait rêver parce qu'il est associé à la Guerre Civile espagnole, à la contestation permanente, à une certaine idée de la liberté, au combat pour la vie, parce que là plus qu'ailleurs un art créatif s'y est développé et que dans ces quartiers chauds existe un certain art de vivre qu'on ne rencontre sans doute qu'ici! C'est le véritable personnage de ce roman. C'est l'occasion pour l'auteur d'exprimer la nostalgie d'un temps où les bourgeois venaient au Barrio Chino pour boire un verre ou s'encanailler avec des filles... La spéculation immobilière a eu peu à peu raison des bars, des bordels et des ruelles qui faisaient le charme de cette ville. Ces quartiers que connait bien notre inspecteur sont en train de mourir comme le suscite la 4° de couverture...
C'est aussi une peinture de la société barcelonaise faite de violence mais aussi des portraits de femmes dont l'auteur est l'admirateur inconditionnel qui luttent avec dignité dans un monde cruel.
Ce qui me plait bien, c'est surtout ce personnage de Ricardo Mendez, fonctionnaire de police un peu marginal, légèrement alcoolique et désabusé par la vie, qui fait son métier d'une manière efficace mais parfois discutable, un homme un peu frustre qui n'a pas vraiment le sens des convenances. Le style administratif et règlementaire de ses rapports, sa vie dans des pensions minables, ses déjeuners dans des bouibouis à la limite de l'insalubrité, son mépris pour l'avancement et pour sa hiérarchie retiennent mon attention et mon intérêt. Ses investigations ont cette particularité d'être pour le moins bizarres et originales, mais cela marche. On y rencontre d'anciennes putes, des proxénètes sur le retour, de vielles maquerelles rangées qui égrènent leurs souvenirs, ou d'autres êtres cabossés par la vie, bref toute une société interlope qui va si bien à ce quartier... Cet être familier des livres autant que de l'alcool bon marché (« Mendez vida son orujo du terroir, qui avait certainement voyagé à dos d'homme depuis la Galice en suivant la route des églises romanes ») , méprisé des femmes autant que de ses supérieurs[« Je ne suis qu'un chat de gouttière, admit Mendez, il n'est pas inutile de me le rappeler de temps en temps. »], aime sa ville et ce quartier où il a grandi et qu'il ne quitte pratiquement jamais, même s'il est promis à la démolition, ces rues qui sont sa véritable école... Sa qualité de policier se caractérise davantage par l'indépendance et la justice que par la soumission à la procédure, à la hiérarchie ou au plan de carrière, mais peut lui chaut. Il est « un vieux serpent » et avoue lui-même que sa « vie est toujours un désastre absolu » .
J'ai apprécié aussi le suspense, ce texte humoristique, le style alerte, un peu gouailleur et aussi ce sens de la formule [« Dans ce monde mécanisé, il ne reste que deux gâteries faites exclusivement à la main : le havane et la branlette »]qui sied si bien au roman noir autant qu'à son héros, le climat de ce récit où on rencontre que modérément ce qui peuple ordinairement, et à toutes les pages, les œuvres de ce registre : le sexe, la violence et le sang.
Cette première lecture favorisée par le hasard m'engage à en connaître davantage.
Et puis c'est vrai que je voudrais bien le rencontrer ce Mendez, et tant pis s'il est un personnage fictif comme tous les héros de romans, mais quand même, il me plaît bien!!
© Hervé GAUTIER – Juillet 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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PATIENCE DE LA BLESSURE - Dominique Sampiero
- Par ervian
- Le 21/06/2010
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N°434– Juin 2010
PATIENCE DE LA BLESSURE – Dominique Sampiero – Éditions Lettres Vives.
Au risque de me répéter, je mentionnerai volontiers le beau travail de l'éditeur dont j'ai déjà parlé dans un précédent article (La Feuille Volante n° 414). Je ne le lasserai pas de redire que le livre est avant tout un bel objet. On y goûte d'abord la fragrance de l'encre et la texture du papier n'échappe pas au plaisir du toucher. Et quand il faut, avant d'entamer la lecture, couper les pages pour révéler le texte, c'est un geste qui non seulement me rappelle mon enfance mais c'est aussi un supplément de plaisir à l'heure où on nous parle du livre électronique, dématérialisé... et sans doute inévitable à terme. Ce plaisir sensuel est d'autant plus apprécié que le texte du livre est poétique.
Quand l'écriture surgit-elle du néant? Quand les mots se forment-ils dans la tête avant d'être tracés sur la feuille blanche? Qu'est ce qui préside à leur formation dans les limbes de l'imagination, de l'émotion ou de la souffrance? Celui qui tient le crayon peut-il, lui-même expliquer ce phénomène dont il pourra parler un peu si on l'en prie mais qui, s'il y réfléchit, finira de toute manière par lui échapper puisque qu'il est à la fois l'auteur du texte qu'il signe et aussi l'objet attentif de cette inspiration qui lui dicte ses phrases mais peut tout aussi bien le quitter définitivement? Qu'est ce qui fait courir la main sur le papier et qui le laisse aussi sans voix, lui, le poète, l'écrivain qui parfois reste sec devant la page désespérément vierge parce que l'heure n'est pas venue ou qu'il a négligé de répondre à l'appel intime des mots? Pourquoi est-ce la quiétude de la nuit ou l'agitation du jour qui favorisent la création ou simplement le sourire d'une femme, la beauté d'un paysage, la parole naïve d'un enfant?
L'écriture est une alchimie et les mots se bousculent ou se dérobent, tissent des images ou n'enfantent que du néant. Le hasard a sa part dans cette démarche et il faut demeurer attentif à la moindre chose pour être capable de déceler l'émotion qu'elle porte en elle « Il suffit de croiser un visage de tige basse, de verger qui pleure au fond des yeux, de fumée sur les étangs, pour vaciller à son tour ». Faut-il inviter l'encre violette de l'école, l'enfance et sa cicatrice d'absence « habitée d'ombre plus large(s) que des soleils », de souvenirs enfuis ? Faut-il regarder le présent ou fermer les yeux sur le vide? Faut-il forcer les mots(« des mots trop grands pour moi », « abattre un à un les arbres de (la) phrase, obstacles à la ligne nue de la mort »)? Faut-il convoquer la « mémoire d'aube ou de crépuscule », « une mémoire minuscule, à la fois singulière et large, une sorte de mémoire de ciel, tantôt floue, tantôt précise »? Faut-il écouter cette blessure(« La brûlure jaillit en essaim de mots »), la confronter à la couleur des mots ou à la beauté d'une femme pour un éventuel apaisement ou pour en entretenir la réalité (« La mémoire ce matin est toute ma blessure »)? Est-il mieux de caresser la perspective de la mort ou d'attendre la nuit, sa vacuité, son calme, son énergie(« Comment ouvrir la nuit, la désherber sous la neige et prendre en elle des forces »), son vide aussi? Faut-il aussi admettre l'imperfection subie quand l'écriture, comme toute action créatrice, tend vers l'absolu et refuse l'ébauche mais laisse la place au non-aboutissement (« Non, le livre ne s'achève jamais, il ouvre une attente pleine de soleils et d'images cueillies dans leur fragilité ») ? Faut-il être attentif à l'échec (« Le mouvement des phrases épouse le doux séisme de sa noirceur »), favoriser le silence (« Il faut cesser d'écrire. Ou alors parler de cette stagnation qui pousse les feuilles mortes à encombrer l'épaule du chemin »)? Faut-il parler de la survivance face au poids du passé, de la « parole absente »? Faut-il privilégier l'inaction (« J'ai le droit de ne rien faire, pire, de faire le Rien ») ou l'imaginaire « invisible et friable », favoriser la patience, la confidence à l'autre (« je voudrais dire à l'autre mon chemin trouble, au bord du jour, et qu'exister est une eau bue par le vide ») ou le vertige des sens face à la nature.
L'écriture génère l'écriture (« J'avance péniblement dans une histoire qui...m'écarquille, déclenche une hémorragie de mots, de phrases »), elle est un merveilleux moyen d'exorciser la solitude ( « Ma bouche crache l'invisible des prières et des anges. Une sorte de croyance redresse mon corps. Pour me murer en elle, j'écris » « Écrire est une présence entre se lever et se coucher »)
A travers un texte fragmenté mais intensément poétique, plein de couleurs, de mouvements et de douleurs aussi, où reviennent des images d'eau, des obsessions de flaques (le mot revient une quinzaine de fois dans ce recueil, il est probablement significatif), d'éclaboussures de lumière, l'auteur nous propose son parcours au milieu des choses, des gens, de la solitude...
© Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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AMOUR, PROZAC ET AUTRES CURIOSITÉS - Lucía Etxebarría
- Par ervian
- Le 11/06/2010
- Dans Lucía Etxebarría
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N°433– Juin 2010
AMOUR, PROZAC ET AUTRES CURIOSITÉS – Lucía Etxebarría - Denoël.
(traduit de l'espagnol par Marianne Millon)
La découverte d'un auteur inconnu est toujours un moment fort pour moi et quand celui-ci est espagnol, mon appétit de lire en est augmenté. J'ai donc pris ce roman, un peu au hasard d'autant que la 4° de couverture était plutôt engageante. A l'en croire, le public de la péninsule l'avait accueilli comme « le roman d'une génération ».
Au vrai, cela commençait plutôt bien, je veux dire sur le ton de l'humour qui nous fait supporter bien des choses dans notre pauvre vie. D'abord Cristina, 24 ans, serveuse après avoir travaillé quelques temps dans un bureau, elle est un peu le vilain petit canard de cette famille Gaena... Elle n'arrive pas à se remettre d'avoir été larguée par son petit copain irlandais.. Quand, pour compenser ce manque, elle ne s'envoie pas en l'air avec des amants de passage, elle se met à songer à son enfance où s'entremêlent les regrets d'être une fille, une religiosité surréaliste, la fuite du père, ses débuts difficiles dans le monde du travail, et à ses autres sœurs auxquelles elle ne parle presque plus. Son problème principal semble être son taux de testostérone qui, par ailleurs justifie, pense-t-elle, sa propension à s'envoyer en l'air. Rosa, 30 ans, distante, froide, rationnelle, condescendante, suffisante, cadre supérieur consciente de ses responsabilités, de ses compétences, elle a réussi dans un monde d'hommes. Pourtant elle est seule dans son bel appartement, dans sa puissante voiture, avec ses tailleurs à la mode! Elle a perdu sa virginité comme on passe un examen... par nécessité! Ana, 32 ans. Elle a tout ce qu'une mère de famille et maîtresse de maison sérieuse, maniérée, bourgeoise peut désirer, un mari beau et brillant, un enfant adorable, une maison, une domestique... mais elle est fatiguée de vivre au quotidien parmi les marques de lessives et n'a même plus la force de faire le ménage ou de ranger ses placards. Elle sait tout de l'orgasme... mais par ouï-dire seulement et a dû la perte de sa virginité à un quasi-viol. Autant dire que la roulette de la génétique les a faites complètement différentes au physique comme au moral, mais leur mère ne voit rien de la détresse de ses filles!
Pourtant, elles ont en commun une sorte de mal de vivre que chacune combat à sa manière puisqu'elles dépriment tant qu'elle le peuvent: Cristina carbure à l'ecstasy, à l'alcool, on peut dire qu'elle est aussi un peu nymphomane (« j'ai besoin d'une queue entre les jambes » avoue-t-elle), Rosa a jeté son dévolu sur le Prozac et autres anxiolytiques, quant à Anna, ce sont les somnifères qu'elle affectionne... chacune sa panacée dans ce monde déshumanisé!
Dans ces « paradis artificiels », il me semble qu'il est surtout question d'amour, ou plus exactement de sexe. Pour Cristina, c'est un usage abusif et obsessionnel, peut-être à cause de la fuite du père, peut-être aussi parce qu'elle passe son temps à vouloir être aimée par des gens qui ne font même pas attention à elle (thème connu), pour Rosa c'est plutôt une absence cruelle tandis que pour Anna, ce serait plutôt la routine... avec des regrets et des remords.
Dans une sorte de catalogue alphabétique, l'auteur nous décline toute les facettes du mal-être commun à ces trois sœurs ainsi que leur parcours, leurs expériences, leurs apprentissages . Elle y parle d'un univers qui est aussi le nôtre, pourquoi pas! L'auteur le fait sur le ton de l'humour et dans un style volontiers enlevé qui s'attache le lecteur, plus attentif sans doute à l'anecdote qu'à la détresse que peu à peu elle instille dans sa description. C'est pourtant vers la fin que ce récit est carrément émouvant. Jusque là, la narratrice s'était surtout appesantie sur le cas de Cristina, mais sur un mode léger. Dans les dernières pages elle rappelle tout le désarroi de cette «jeune fille de bonne famille recyclée», en perpétuelle recherche d'un amour impossible, qui a 16 ans a fait une tentative de suicide et qui maintenant glisse vers l'héroïne. Le discours humoristique du début cède la place à l'horreur quand elle évoque l'épreuve de la seringue, la douleur de l'injection et la mort par overdose de son copain Santiago. A ce moment Cristina prend une autre dimension, elle goûte soudain « la chance d'être encore en vie. C'est un immense cadeau », mais n'a plus personne à qui se raccrocher et sûrement pas à sa mère que la vie a meurtri elle aussi, mais d'une autre manière et qui a toujours été absente.
Elle prend alors une résolution « Tant que je serai là, j'irai de l'avant », rappelle que la femme n'est pas comme la Bible le prétend sous la dépendance de l'homme, mais puise dans la Kabbale des exemples de femmes fortes ( Déborah, Athalie, Judith, Betsabée, Esther...) qui elles aussi ont su faire face... Alors, le message des bonnes sœurs qui a perturbé son enfance, il valait mieux l'oublier! Elle choisit de retenir l'exemple de Lilith, femme créée , selon la tradition rabbinique avant Ève et faite d'un peu de boue. Elle est l'égal d'Adam et sa compagne et non sous sa dépendance. Quant à ses sœurs, elles ont, elles aussi, décidé de réagir, Ana demande le divorce(et finira sans doute par l'obtenir) sans donner de raison et se voit internée dans un asile d'aliénés, Rosa s'accepte enfin comme elle est, à cause peut-être d'une chanson obsédante qu'elle entend au téléphone et qui lui rappelle son enfance. Bref, ces trois sœurs se retrouvent autour de la déchéance de l'une d'entre elles, se reparlent même si elles choisissent de rejeter leur mère. Une sorte de happy-end en quelque sorte, un message d'espoir dans cette société qui peu à peu a perdu tous ses repères!
C'est vrai qu'au départ, j'ai lu ce livre avec les yeux d'un lecteur que l'humour amusait un peu malgré un style oral et sans véritable recherche littéraire. J'ai même connu une certaine lassitude mais j'ai poursuivi jusqu'au bout, partagé entre la curiosité et la volonté d'en finir pour pouvoir en parler et me dire que j'avais au moins lu un ouvrage de cet auteur. J'ai été ému à la fin et je n'ai pas regretté ma persévérance en me disant que sans cela je serais sans doute passé à côté de quelque chose et que cela aurait été dommage.
Alors, roman d'une génération, sûrement! Sous couvert d'un certain humour, c'est en réalité une photographie sans fard de notre société, avec ses travers, ses dérives, un espoir... Peut-être?
© Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA BÊTE QUI MEURT - Philip Roth
- Par ervian
- Le 06/06/2010
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N°432– Juin 2010
LA BÊTE QUI MEURT – Philip Roth - Gallimard.
David Kepesh, 62 ans, professeur d'université, critique littéraire à la radio et à la télévision mais aussi séducteur impénitent va tomber amoureux d'une de ses étudiantes, Consuela Castillo, une jeune femme de 24 ans d'origine cubaine. D'évidence, ils n'appartiennent pas au même monde. Cette situation, sans être originale n'a rien d'exceptionnel, sauf que cet homme vieillissant va transformer, malgré lui sans doute et à cause de son âge, cette passion en véritable culte à la beauté, à la jeunesse, à la grâce féminine. Au début, leurs relations ont quelque chose de culturel et Consuela n'est pas exactement une étudiante comme les autres, ni d'ailleurs une femme puisqu'elle incarne pour lui la beauté par excellence. Lui qui a connu moult femmes et aussi la révolution sexuelle des années 60 aux USA, est en admiration béate devant ses seins. Là où cela devient du délire c'est lorsqu'il va jusqu'à se prosterner devant elle, contempler et même déguster son flux menstruel...
Bien entendu, malgré le fait qu'il ne soit jamais attaché à la moindre conquête féminine, il va connaître les affres de la jalousie et la peur de la perte, de la séparation qui pourtant va intervenir. Huit ans plus tard, après que les deux amants se furent perdus de vue, c'est à nouveau Consuela qui fait irruption dans sa vie, mais pas dans le même registre! Si elle est encore la belle jeune femme qu'il a connue et follement aimée, elle porte en elle désormais et dans ce qu'il a plus apprécié chez elle, la souffrance et la mort!
Ce bouleversement survenu dans la vie de David va provoquer la confidence, un long monologue (tout le récit se décline sur ce ton, il a alors soixante dix ans et parle avec nostalgie de cette femme à un témoin dont nous ne connaîtrons même pas le nom) où le vieil homme se livre sans fard, avec parfois des détails crus, dérangeants même (épisode des règles par exemple, mais pas seulement). Parfois aussi, il se laisse aller à des développements que son expérience lui inspire, sur l'adultère par exemple, ce qui n'est franchement pas le plus intéressant!
L'auteur qui prend volontiers et comme toujours la place de son personnage reprend ses thèmes favoris, la vieillesse, la maladie, la mort, la fuite du temps, les années qu'on ne rattrape pas, l'homme qui, parvenu à la fin de sa vie, va faire le grand saut dans le néant, inexorable, inévitable pour chacun d'entre nous. Il n'oublie cependant pas la femme, peut-être la seule consolation de l'homme dans ce monde où tout est perdu d'avance. Consuela qu'il évoque en poses érotiques et même pornographiques est pour lui, en quelque sorte une ultime conquête qu'il n'oubliera cependant pas malgré le temps, la séparation, la souffrance... Chez lui c'est un peu Éros qui danse avec Thanatos. D'ailleurs est-ce une danse ou un combat?
Je connais mal l'univers de l'auteur, mais cela pourrait passer pour quelque chose de monothématique, à tendance obsessionnelle même, mais au fond, non. Il y a le sexe qui est omniprésent dans ce livre, c'est incontestable (avoir une obsession pour la beauté des femmes me paraît être plutôt un bon signe et il me semble que l'auteur se pose ici en contradiction avec le puritanisme américain et anglo-saxon en général), mais cela me paraît surtout être une méditation de bon aloi sur la condition humaine dans tout ce qu'elle a de plus transitoire. L'auteur va analyser, disséquer même l'univers sensuel des femmes, ce que leur beauté, leur corps, leur jeunesse suscitent chez un homme vieillissant, l'émotion, l'attachement, l'attirance, le désir, les subtils rapports de domination, de soumission, de séduction et de capitulation...
Je pense que je vais continuer à explorer le monde de cet auteur qui nous donne à voir une image de cette condition humaine que nous partageons tous.
© Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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L'HÔTE - Guadaluppe Nettel
- Par ervian
- Le 06/06/2010
- Dans Guadaluppe Nettel
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N°395– Février 2010.
L'HÔTE – Guadaluppe Nettel – Actes Sud.
Ana est habitée par une « Chose » qui fait partie d'elle depuis l'enfance. Elle vit avec elle, ou plus exactement est en elle depuis toujours, elle ne la voit pas mais elle la sent et celle-ci se sert d'elle, s'en nourrit presque, jusqu'à à en devenir insupportable. La chose grandissait en effet en elle « comme une chrysalide »;
Durant l'enfance, elle a été sa compagne-complice ce qui meubla la solitude de la fillette. Seul son frère, Diego, échappait à son emprise, mais plus tard ses réactions furent inattendues, dévastatrices au point de s'attaquer à ce frère lui-même... et l'anéantir, le vider de sa propre substance! C'est à tout le moins l'explication qu'Ana donna à la mort prématurée de son frère, associant le sang de ses premières règles à celui qui accompagnait la mort de Diego. Parfois la chose alternait entre accalmie et violence, parfois se manifestait sous la forme d'une petite voix mais avant la mort de ce frère aimé, il semble que la « chose » a laissé sur son bras une sorte de cicatrice qui évoque le braille. Alors, message codé ou annonce de mauvaise augure, rite cabalistique ou volonté de voir un mystère à déchiffrer? Ce fut pour elle l'occasion d'entrer dans le monde des aveugles, pourquoi pas en devenant lectrice dans un institut pour non-voyants? Ce serait une façon bien originale et sûrement efficace pour Ana de se débarrasser de cette « chose » qui devenait de plus en plus un parasite, de l'exorciser en quelque sorte par une sorte de transfert, comme si l'hépatite dont elle souffrit un temps lui aurait permis de partager sa souffrance avec cet « hôte » encombrant?
Pourtant, à force d'explorer le monde souterrain des aveugles, de les fréquenter jusque dans leur quotidien, à la fois dans cet établissement qui l'emploie mais surtout dans un monde interlope fait de rencontres improbables, de mendicité, de handicap et de vie cachée dans le métro mexicain, véritable cloaque où pourtant elle finit par se mouvoir presque naturellement, elle finit par décrypter le message sur le bras de son frère!
Alors, manifestation d'un dédoublement de personnalité dont nous souffrons tous sans bien nous en rendre compte, peur intrinsèque à l'enfance de voir disparaître des êtres que nous aimons face à l'inconscience des adultes qui préfèrent transformer la mort en tabou, habitude prise dès les premières années de vivre avec autre chose qui fait que les adultes, et parfois nous-mêmes, craignons pour notre santé mentale, volonté de se recréer un monde différent de celui dans lequel nous vivons, sentiment de culpabilité ou désir de voir dans autre chose le responsable de ses propres malheurs, phobie irraisonnée de cette enfance qui pourtant s'en va, mythomanie dévorante qui confine parfois à la folie, itinéraire intime qui consiste à se libérer définitivement d'une obsession? Qui sait!
J'avoue que j'ai lu ce livre avec une certaine circonspection, partagé entre intérêt et curiosité... Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais cet ouvrage, malgré les éloges que j'ai pu en lire par ailleurs m'a laissé une impression bizarre, non par le sujet traité qui me parlerait peut-être, mais par la manière de l'aborder, entre fiction et réalité.
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PLUS TARD TU COMPRENDRAS – Jérôme CLÉMENT
- Par ervian
- Le 06/06/2010
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N°397– Février 2010
PLUS TARD TU COMPRENDRAS – Jérôme CLÉMENT - GRASSET.
Je ne savais rien du film quand j'ai parcouru la 4° de couverture de ce livre pris par hasard sur le rayonnage d'une bibliothèque. Je me suis dit que ce serait encore un énième ouvrage sur la Shoah. Je n'ai pas de sympathie particulière pour les bourreaux nazis, mais je dois dire que cette abondante littérature finit, à la longue, par m'insupporter. Le style pourtant m'a accroché dès le départ, l'histoire aussi puisqu'il ne s'agissait pas de ce que j'avais cru dès l'abord, mais d'un itinéraire intime et à rebours, une sorte de volonté de comprendre des choses qui étaient restées en suspens depuis si longtemps. D'ailleurs aux questionnements souvent exprimés, la réponse de Raymonde, la mère, revenait toujours, énigmatique et simple « Plus tard, tu comprendras », remettant à plus tard une explication qu'on cherchait à éviter. C'est que la silhouette de cette mère, maintenant morte, est présente durant toute cette quête « Qui est cette femme qui m'a aimé et que j'aime et qui m'a donné la vie? » . L'auteur, alors qu'il vend ce qui a appartenu à sa mère, choisit donc de faire revivre ses souvenirs, de refaire à l'envers, l'itinéraire de cette femme, Raymonde Clément née Gornick, juive russe, mariée à un Français catholique, que la guerre , le nazisme et la vie ont broyée. C'est un peu comme une photo qui se révèle petit à petit, à travers des lettres jaunies, des objets disparates, un appartement vide, il retrouve par bribes l'histoire de cette famille, son père, l'arrestation sur dénonciation, la déportation et la mort de certains des membres du côté maternel, la vie de cette femme, ses fiançailles, son mariage, son entrée dans une famille hostile, sa vie difficile puis son divorce, son remariage... A travers elle, il retrouve aussi quelques fantômes qui ont peuplés sa vie d'enfant et d'adolescent et qui maintenant ont disparu, happés par la mort dans les camps de concentration...Raymonde avait décidé d'enfouir tout cela dans les placards de l'oubli, éludant les questions de ce fils un peu trop curieux qui maintenant refait le chemin à l'envers.
L'auteur ne cache rien de sa démarche, il écrit à la première personne et indique qu'il s'agit d'une autobiographie, une manière de s'approprier, enfin, sa part de judaïté, lui qui a été élevé comme un français catholique avec la complicité silencieuse de sa mère qui voulait protéger Jérôme par son silence.
Ce livre m'a ému par sa sincérité, par son authenticité, mais ce que je retiens également, c'est la démarche secondaire de l'auteur qui, ayant écrit ce qu'il portait en lui, a dû, par la suite et parce que les sollicitations tendaient à l'écriture d'un film, se réapproprier son histoire et se cacher, en quelque sorte, derrière un autre personnage, à la fois lui-même et différent de lui, accepter d'être incarné par un autre, et que sa mère ait une autre apparence, un autre visage, troquer le « je » par le « il »... Ce travail aussi m'intéresse parce qu'il est différent et semblable à la fois. « Maintenant, je sais » n'est pas seulement la suite de l'évocation, cela en est le complément, une sorte déchirement aussi, sans doute parce que s'il n'est assurément pas facile de se livrer devant une page blanche, il est probablement aussi difficile, après avoir fait cette démarche intime, de charger une autre personne d'incarner celui qu'on est et ceux qu'on a aimés. C'est une chose que de faire vivre un personnage de papier, c'est sûrement une autre chose que de le voir évoluer sur un écran, de le présenter au spectateur pour le lui faire accepter, transmettre à travers lui des émotions, des sentiments, des interrogations, revoir autrement qu'en imagination des scènes difficiles... et surtout ne pas le trahir! Dans la première partie de sa démarche l'auteur à imaginé à partir de documents, maintenant il faut donner à tout cela une apparence, une vérité, une mémoire.
©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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UN HOMME- Philip Roth
- Par ervian
- Le 06/06/2010
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N°430– Juin 2010
UN HOMME- Philip Roth – Gallimard.
L'histoire commence dans un petit cimetière juif un peu délabré où un homme va être enterré. Cette petite cérémonie réunit sa fille, née d'un second mariage qui l'adore et qui prononce quelques mots sur sa tombe, mais aussi deux fils, nés d'une première union houleuse, qui le méprisent parce qu'il a abandonné leur mère, son frère aîné, une infirmière qui s'était occupé de lui avant son décès et quelques collègues... Cet enterrement n'a cependant rien d'exceptionnel, juste quelques poignées de terre jetées sur le cercueil, quelques paroles puisées dans le chagrin et le souvenir mais aussi des marques d'indifférence, de soulagement, de rancœur même...
Par une classique analepse, l'auteur va retracer la vie de cet homme, dont nous ne connaîtrons pas le nom. Enfant de santé fragile, il avait été l'objet des soins attentifs de ses parents. Il est devenu un homme torturé par des affections cardio-vasculaires mais il envie et même déteste ce frère aîné, à cause de sa bonne santé... Il ne reprit pas la profession de son père, bijoutier juif, mais devint un publicitaire célèbre puis s'est mis à la peinture pendant ces années de retraite. Ses trois mariages se soldèrent par autant de divorces entrecoupés de quelques liaisons amoureuses ...
C'est une vie banale qui nous est ainsi livrée par le narrateur comme s'il nous prenait à témoin, celle d'un homme ordinaire, pleine de poncifs, de désillusions, de frustrations, avec son lot de joies, d'épreuves, d'amours et de rêves brisés, d'erreurs, de prises de conscience que les choses changent, que le temps perdu ne se rattrape pas... Lui qui fut un amant ardent, il connaît maintenant la perte du désir, l'impossibilité de séduire ..., Roth reprend devant nous, à l'occasion de cette histoire, tous les truismes habituels loin des préoccupations intellectuelles et philosophiques, avec la hantise ordinaire à tout humain, celle de la vieillesse, de la solitude, de la mort. Cet homme n'attend rien d'un hypothétique autre monde ou d'une vie éternelle, les choses s'arrêtent avec celle-ci, et tant pis si toute cette agitation n'a servi à rien et ne débouche que sur le néant.
Sa vie n'aura donc été qu'un vaste gâchis qu'il a lui-même tressé, remettant en cause ce qu'il avait pourtant patiemment construit. Dans notre société, il est sûrement une sorte de parangon, lui dont la réussite professionnelle a été avérée, dont la vie familiale a été un savant mélange d'adultères, de mensonges, d'hypocrisies et de complicités malsaines et même coupables, d'humiliations imposées aux siens, comme si son existence ne se résumait qu'à une recherche effrénée de la jouissance sexuelle, du plaisir animal à tout prix, dût-il lui sacrifier la stabilité de sa famille, sa respectabilité, la vie et l'amour de ses enfants... Après tout il doit être comme un homme, cet être qui est en permanence habité par la folie de tout détruire autour de lui pour un peu de ce plaisir quêté dans une rencontre avec une inconnue!
Face à ces renoncements successifs, il lui reste la peinture que pratique comme une sorte d'exorcisme ce Don Juan insatiable, toujours à la recherche de femmes qui lui procureront du plaisir, mais qui, à présent, ne peut plus que les suivre du regard en fantasmant sur leur corps, en espérant qu'elles lui feront l'aumône d'une étreinte. Quant au maniement du pinceau, cet exercice artistique devient lassant et il n'en retire plus rien...
C'est un récit un peu mélancolique, un rien désabusé, un peu tragique aussi si on estime que vivre de la naissance à la mort en acceptant de n'être plus ce qu'on a été, est aussi participer à une sorte de tragédie. C'est assurément dramatique aussi d'accepter sans peur la réalité de la mort, cet inévitable saut dans le néant, parce que, quand on a goûté à la vie, on ne peut la quitter sans regret ni terreur.
Le titre anglais (evryman : n'importe quel homme) résume assez bien le but de l'auteur; il s'agit de la vie de chacun d'entre nous qui est esquissée ici. Ce n'est donc pas exactement une fiction, mais la copie plus ou moins conforme dans sa diversité du parcours de chacun d'entre nous sur cette terre.
Le style est dépouillé et atteint son but, celui de nous donner à voir « cet homme » sans nom, (et cela doit aussi valoir pour les femmes?), un véritable quidam, un être ordinaire dont on nous raconte la vie également ordinaire, celui de nous faire partager, avec cet art consommé du conteur, son passage sur terre plein de fougue mais finalement aussi plein de désillusions et de bassesses.
Une véritable image de la condition humaine!
Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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SI RIEN NE BOUGE- Hélène GAUDY
- Par ervian
- Le 05/06/2010
- Dans Hélène GAUDY
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N°431– Juin 2010
SI RIEN NE BOUGE- Hélène GAUDY – Éditions La Brune.
Une maison de vacances qui ne sert que quelques semaines par an, sur une île méditerranéenne avec pinède, piscine, la mer en contrebas, la maison des voisins... La même chose tous les ans depuis des années...
Le père, Samuel et la mère Lise ont invité Sabine (16 ans) à tenir compagnie à leur fille unique Nina, (14 ans). Le lecteur se dit que jusque là, il n'y a rien de bien original pour une période de vacances, sauf que, rapidement, cette Sabine pose un problème. Les parents qui l'ont conviée à les accompagner se disent qu'ils ne savent rien de cette jeune fille dont le père est mort et dont la mère n'a pas vraiment donné l'impression de l'être lors d'une rencontre précédente. Son milieu social est différent du leur et cela se sent rapidement jusque dans les gestes les plus anodins du quotidien... Peu importe après tout, en vacances, les choses sont entre parenthèses, la vie est différente. Et puis il ne faut pas s'en faire et se poser des questions n'est pas vraiment de mise. C'est après tout un beau geste que fait cette famille aisée pour une adolescente moins favorisée...
Nina a avec ses parents des relations ordinaires, une petite complicité avec son père et avec sa mère parfois quelques difficultés, bref une famille ordinaire qui vit en autarcie. L'amitié souhaitée entre Nina et Sabine n'est cependant pas au rendez-vous. Les deux jeunes filles sont trop différentes Nina, qui est « un enfant de vieux », est plus jeune, réservée, timide et même craintive tandis que Sabine est plus fruste, rebelle, libérée, peut-être plus expérimentée et avertie, plus âgée, plus perfide, plus « femme » en un mot. Elle se révèle même dominatrice, initiatrice ... De plus, elle ne semble faire aucun effort pour remercier les parents de Nina de cet intermède estival, ce qui, bien entendu perturbe un peu cette famille conventionnelle... Ces deux adolescentes semblent vivre cette période chacune à son rythme, à sa manière, sans réelle complicité...
Se succèdent des images de vacances adolescentes, le soleil, le farniente, un feu d'artifice et la rencontre de garçons. Toni forme avec Sabine un couple d'occasion et Alban, le fils des voisins retrouve Nina. On songe à des amourette de vacances, pourquoi pas? Le drame final, davantage suscité que décrit, ne me fait pas changer d'avis, l'ennui a beaucoup accompagné ma lecture. Le livre refermé, je suis assez circonspect!
Je suis peut-être passé à côté de quelque chose mais je ne suis pas sûr de partager les termes un peu laudatifs que révèle la 4° de couverture. L'écriture, simple et sans artifice, un peu brute parfois, ne m'a pas convaincu. Ce roman reste une sorte d'énigme pour moi, tout comme le titre puisé dans les paroles d'une chanson « Regarde las-bas, au bout de mon doigt, si rien ne bouge, le ciel devient rouge ».
A la lecture de cette œuvre, je n'ai pas vraiment eu envie de poursuivre la découverte de cet auteur.
© Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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COLONIE- Frédérique Clémençon
- Par ervian
- Le 01/06/2010
- Dans Frédérique Clémençon
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COLONIE- Frédérique Clémençon – Les Éditions de Minuit.
Léonce n'est plus ce petit garçon de huit ans, secret et craintif, qui a vu partir son père, cédant aux attraits de la vie coloniale, un jour d'hiver, Il s'imaginait y faire facilement fortune, sur les traces de Brazza ou de Stanley, c'est à tout le moins ce que lui avait promis Toinet, le notaire, comme il lui avait certifié qu'il reviendrait bientôt, fortune faite, évidemment puisqu'il ne pouvait en être autrement... Léonce vit maintenant, soixante ans après, avec sa vielle mère, dans cette grande maison triste coincée maintenant entre la rivière et la route nationale et les nouveaux lotissements... C'est mieux pour elle que la maison de retraite, autant dire le mouroir, mais quand même, cela aurait pu être autrement!
Aux yeux de son père, l'enfant n'était pas autre chose qu'un petit être insignifiant, transparent, qui ne méritait même pas qu'on s'intéressât à lui qui serait donc mis en pension, pour l'endurcir et le préparer à la vie... Le père est donc parti, seul, abandonnant sa femme qu'il n'aimait pas vraiment, son poste de directeur à l'usine de son beau-père, ses beaux-parents qui avaient fait sa fortune et avec qui il vivait dans cette maison pourtant agréable et ce décor de province qu'il ne supportait plus... Il avait fait des promesse de réussite et renouvelait souvent par lettre son intention de les faire tous venir en Afrique, auprès de lui, mais...
Léonce est vieux maintenant, mais il évoque la façon dont son père est arrivé, un peu par hasard dans cette maison, accompagné et invité par celui qui allait être son grand-père. Il se remémore la façon un peu cavalière et sans grande élégance, avec laquelle il s'est établi dans cette famille et en a séduit la fille. Ce mariage s'est donc fait, à cause de la promesse d'un enfant à naître, Léonce, mais il n'a jamais été heureux! Son père s'est révélé être une sorte d'écornifleur, mais aussi un ingrat, abandonnant tout ce petit monde pour entreprendre cette aventure africaine, parce que dans les années 192O il y avait ce rêve suscité par l'Empire français et les encouragements du notaire Toinet qui lui prêta aussi quelque argent. Mais cette escapade exotique a rapidement tourné au cauchemar et les rêves d'aventure et de réussite sociale de ce père se sont vite transformés en quotidien bureaucratique, pratiques douteuses et risques inconsidérés qui finirent par lui couter la vie. Pour Léonce et sa mère, ce fut aussi la ruine...
C'est donc l'histoire d'une fuite, d'une recherche vaine de quelque chose d'inaccessible, faite de souvenirs tristes, dans un décor décrépis face à la réussite des autres... L'épilogue surprend un peu.
J'ai lu ce roman jusqu'à la fin, un peu par goût, un peu par curiosité. Le style en est agréable mais Frédérique Clémençon fait des phrases un peu longues, ce qui ne favorise pas la lecture.
© Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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GABRIEL GARCIA MÁRQUES - UNE VIE- Gérald Martin
- Par ervian
- Le 28/05/2010
- Dans Gabriel Garcia Màrquez
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N°428– Mai 2010
GABRIEL GARCĺA MÁRQUES – UNE VIE- Gérald Martin -Grasset.
Cette chronique qui s'est si souvent fait l'écho des romans de García Márques ne pouvait rester muette à la sortie d'un livre sur sa biographie. C'est cependant un quasi-paradoxe d'écrire la biographie d'un auteur dont l'œuvre est toute entière inspirée par sa propre vie autant d'ailleurs que par la réalité qui l'entoure.
Né en Colombie en 1927,(et non pas en 1917 comme on peut le lire dès la 1° ligne de l'avant-propos, mais cette coquille n'entache en rien le travail de cet universitaire britannique qui met en perspective la vie de l'auteur et son œuvre ), il est l'ainé de onze enfants et porte l'espoir de toute sa famille. Prix Nobel de littérature en 1982, homme de gauche engagé, volontiers défenseur des grandes causes, il est le plus connu, le plus populaire et le plus emblématique romancier du continent sud américain et chacun des grands de ce monde recherche son amitié. Sa généalogie labyrinthique, largement évoquée dans « Cent ans de solitude »(son livre le plus important) et dans toute son œuvre, irrigue son écriture tout comme son enfance dont gardera une durable nostalgie. Elle se déroule sur fond de guerre civile, de troubles sociaux, de corruption politique, de filiation illégitime, de bouleversements familiaux... Il sera fortement marqué par son grand-père maternel, le colonel Nicolas Ricardo Márques Mejila, sa grand-mère Tranquilina, ses parents, une mère effacée et un père volage et aventurier et son village d'enfance, Aracataca devenu Macondo ...
Le petit Gabito entame un chemin difficile avec en contre-point la maladie, des études parfois laborieuses, ses premiers émois amoureux, une ascension sociale nécessaire, un éveil à l'étude de la littérature, la manifestation d'un talent précoce, des aventures sentimentales souvent épiques... Gabriel se révèle cependant angoissé, hypersensible, hypocondriaque, bref kafkaïen...
Son père, avec qui il s'entendait assez mal, estimait que la littérature était une chose mineure, son fils fera donc du droit pour être avocat mais n'oubliera jamais son penchant pour l'écriture. Il poursuivra cependant ses études, mais avec une grande irrégularité et un grand amateurisme et l'assassinat de l'avocat libéral Gaitan sera pour lui révélateur. Il choisira de prendre ses distances avec le droit, et de gagner sa vie dans le journalisme. Il est à l'époque un garçon maigre timide et désargenté et affirme une vocation déjà connue d'écrivain mais aussi un engagement politique dans un contexte de luttes partisanes faites de violence et de corruption. Ses articles, notamment sur le glissement de terrain de Médellin et sur le naufrage d'un destroyer de la marine colombienne le mettent en position de délicatesse avec le pouvoir politique et c'est le départ pour l'Europe, vécu comme un exil volontaire et professionnel. A Rome, Paris, en Allemagne de l'Est, à Cuba, à New-York, à Mexico où il fut reporter et critique de film avec plus ou moins de bonheur, il connut des difficultés d'écriture mais surtout financières. Il devient « Gabo » et lui qui au départ ne gagnait pas sa vie même comme journaliste va crouler sous les honneurs et la reconnaissance, la fortune avec la consécration littéraire.
Ses romans sont certes inspirés par sa vie, par son enfance, mais il mêle toujours à la fiction, l'histoire, les superstitions, les tabous et le folklore de son pays et de tout le continent sud-américain. Il ne manque jamais de dénoncer les inégalité sociales et de prendre parti pour les plus démunis ce qui fait de son œuvre non seulement un extraordinaire moment de lecture mais aussi le plaidoyer social d'un grand témoin de son temps. Son écriture flamboyante, son humour, son imagination débordante et cet extraordinaire talent de conteur et de narrateur révèlent l'âme de la Colombie. C'est véritablement son pays qui a fait de lui l'auteur que nous connaissons. Pourtant, il a fini par prendre ses distances avec lui!
C'est donc un destin d'écrivain qui est présenté ici mais aussi l'illustration d'un paradoxe: comment concilier une vie littéraire, politique et personnelle avec tant de notoriété? C'est que, avec le temps, il s'est largement impliqué dans la politique, est devenu thuriféraire des gouvernants qui avaient sa sympathie, jusqu'à être sans doute dépassé par cet engagement. Mais cet homme au « réalisme magique » cache cependant un sentiment de solitude qui irriguera sans aucun doute son écriture, tout comme l'amour et le sexe d'ailleurs! A ce propos, malgré cette société dont il fait évidemment partie où les hommes ont volontiers des relations avec les prostituées ou des aventures avec des femmes mariées, il ne cessera, malgré sa vie privée mouvementée, de penser à Mercedes, pourtant plus jeune que lui, qu'il a demandée en mariage quand elle avait 9 ans, et qu'il épousera!
Il est maintenant un vieil homme luttant contre la maladie qui devient de plus en plus amnésique, un paradoxe de plus pour un écrivain qui a fait de la mémoire le thème central de son œuvre. Même s'il attend la mort, se perd un peu dans son propre labyrinthe, il a déjà l'acquit l'immortalité.
C'est, sous un titre sobre, un travail monumental, qui n'est cependant pas une hagiographie, et qui est présenté pédagogiquement sous une forme chronologique par son biographe « officiel ». C'est aussi une bonne idée d'avoir enrichi le livre de cartes de géographie, d'arbres généalogiques et de notes.
Je ne peux que saluer la sortie de ce livre, fruit de dix-sept années de travail assidu et constant, une version cependant courte selon Martin (Ce livre comporte plus de 650 pages avec les notes alors que l'autre, « longue », sera publiée plus tard en compte 2000!), qui nous montre un être à plusieurs faces, à la fois narcissique et tourmenté, mystérieux et parfois empêtré dans ses contradictions, à l'occasion flagorneur et manipulateur, mais conscient de sa notoriété... L'auteur fait un analyse pertinente de l'œuvre de Márques et replace sa vie dans le contexte des événements politiques auxquels il n'est pas resté indifférent.
Mais, prenons garde, Márques a avoué à son biographe, sans doute en guise d'avertissement, « Tout le monde a trois vies, une vie publique, une vie privée et une vie secrète! ». Cet ouvrage nous aide un peu à comprendre cette dernière!
C'est en tout cas un hommage majeur à un homme et à un écrivain exceptionnel.
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L'AMOUR EST UN FLEUVE DE SIBÉRIE - Jean-Pierre Milovanoff
- Par ervian
- Le 21/05/2010
- Dans Jean-Pierre Milovanoff
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N°427– Mai 2010
L'AMOUR EST UN FLEUVE DE SIBÉRIE – Jean-Pierre Milovanoff -Grasset.
Qu'est ce qui pose question à un homme, Silvio, qui est le fils d'une mère célibataire, dont « le regard suggère l'étreinte et l'amour flou comme une absinthe », et qui n'a jamais connu son père? Le fait qu'elle ait tenu seule et pendant longtemps un café-hôtel au bord de la méditerranée et qu'elle ait été entourée d'hommes et de clients rajoute au mystère. Ce petit garçon féru de baby-foot et de blues a grandi, il est devenu le gardien du camping municipal et se souvient que, avant que l'hôtel ne soit démoli pour laisser la place à un port de plaisance, il était heureux avec cette femme comme on l'est, en principe, au cours de son enfance!
Était-ce ce pauvre play-boy un peu camé de Johnnie Wood qui cachait son vrai nom français de Jonas Dubois sous des accoutrements ringards, des voitures excentriques, des airs de guitariste, un accent de l'Alabama, une voix de canard en caoutchouc? Un véritable mensonge, un minable chanteur, riche cependant, déguisé en mauvaise bête de scène... Il finit par disparaître en laissant au garçon un vélo moteur et le goût des disques de blues!
Était-ce ce yachtman approximatif, taiseux, mystificateur, un peu pochard, un peu artiste aussi, qui attendait la marée et un gouvernail neuf pour appareiller mais pour qui la mer était toujours désespérément basse et la manœuvre remise à plus tard? Il finit par s'installer dans le lit et dans la vie de sa mère. Il n'était à l'origine qu'un skipper, convoyeur du bateau des autres, à l'occasion vantard animateur de croisières pour riches désœuvrés (« Un mensonge libre de droit n'est-il pas le plus court chemin vers la vérité?»),
Et puis il y a ce Milianoff que ce garçon interpelle « On se connaît depuis longtemps, Vous fréquentiez le café-hôtel de la Bélugue. Ma mère vous réservait toujours sa meilleure chambre ». C'est peut-être lui aussi, cet improbable géniteur, ou un confident à qui cet ancien petit garçon confie cette impossible mission de recherche en paternité?
En tout cas, c'est le début d'un retour vers le passé, mélancolique comme le blues qu'il affectionne et que le lecteur partage, pour cet homme qui rêve l'hiver entre les bungalows vides et la côte venteuse, à cette enfance évanouie, envolée. Il n'est qu'une ombre, qu'un quidam sans importance, mais il se perd dans ses souvenirs, ceux qu'on enjolive évidemment... Et puis il y a ce qui reste, peu de choses en réalité, pas mal de fantasmes, des occasions manquées, des regrets et des remords, des fausses vérités, tout cela tressé en phrases sobres, spontanées, simples... Elles évoquent la vie, la folie, le bonheur, la souffrance, les chagrins, l'amour, la mort, la futilité de l'existence... c'est à dire ce qui est le parcours de tout homme ici-bas, avec des moments plus ou moins forts cependant!
Cette quête de filiation, c'est sans compter avec les coups de foudre, les rencontres amoureuses sans lendemain, l'envie soudaine de changer de vie pour une passade ou une passion, le hasard qui est souvent malicieux et parfois pernicieux, les occasions qu'il ne faut pas laisser passer... C'est faire abstraction de cette volonté de voir partout ce géniteur, de l'imaginer grand, beau, intelligent alors qu'il n'est peut-être que le premier venu, un simple amant de passage, vite envolé. C'est le refus de voir la réalité, le quotidien vide de sens et d'horizon, c'est délibérément prendre le parti de l'imagination qui barbouille tout de bleu, qui repeint le monde aux couleurs qu'on aurait soi-même choisies, c'est la volonté de croire à tout cela, même si on sait que ce n'est pas vrai!
J'ai bien aimé les accents mélancoliques de ce texte au style fluide et parfois envoutant, agréablement poétique en tout cas. Je l'ai lu presque d'un trait, en goûtant toute l'émotion qui s'en dégage et qui ne peut pas ne pas captiver le lecteur attentif.
© Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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SANS ENTRAVES ET SANS TEMPS MORTS - Cécile Guilbert
- Par ervian
- Le 18/05/2010
- Dans ESSAI - BIOGRAPHIE
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N°426– Mai 2010
SANS ENTRAVES ET SANS TEMPS MORTS – Cécile Guilbert - Gallimard.
Le titre est déjà tout un programme dans une société qui aspire à davantage de liberté, qui est possédée par la vitesse obligatoire d'exécution de tâches alors que l'espèce humaine est encline à la paresse, à la nonchalance...
La 4° de couverture m'en dit un peu plus qui cherche à caractériser l'écrivain contemporain et qui propose comme définition « un corps capable de se déplacer à travers le temps sur un maximum de théâtres d'opérations en trouvant partout matière à penser », autant dire quelqu'un à qui rien n'est étranger, qui promène sur le monde passé et présent un regard curieux et surtout critique, et il faut dire que notre pauvre monde se prête bien à cet exercice! Et des écrivains cités dans ce livre, il n'en manque pas!
A première vue, c'est une sorte de mosaïque de 50 textes déjà parus dans diverses revues, embrassant l'avis de l'auteur(e) sur les époques, les genres, les cultures... et surtout la littérature. Tout cela est bel et bon, mais qu'y a t-il de commun entre une réflexion menée sur le luxe, les vêtements noirs [elle en profite pour nous confier son goût immodéré pour cette couleur appliquée au porte-jarretelles], son témoignage pour Jean-Luc Godard, l'urbanisation contemporaine, l'histoire du rock ou la cruauté de Johnathan Swift? Et de nous avertir « contrairement au préjugé courant, les mots, servent pas à décrire la réalité, mais à créer du réel ». C'est une approche originale du phénomène de l'écriture et une piste finalement pas si inintéressante par laquelle on peut aborder la littérature.
Auteur(e) de romans, elle ne pouvait pas ne pas consacrer une partie de sa réflexion au langage qui est notre commun moyen d'expression et surtout le matériau de prédilection des « gens de lettres ». Elle note que chacun possède ses mots ou plus exactement en fait un usage personnel, ce qui complique un peu les choses puisque, par définition, ils sont une convention. Elle croit bon de préciser également que « la plupart des livres actuels sont écrits comme on cause ... pour aboutir à une absence de pensée quasi aphasique», ce qui n'est pas faux. Et de fustiger, pour illustrer ce propos, Houllebecq et Beigbeder, ce qui n'est pas pour déplaire à l'auteur de cette chronique! Elle dénonce le roman actuel, pas vraiment romanesque, trop autobiographique, trop standard ou trop impersonnel, c'est selon. Elle pointe du doigt le mélange des genres, comme le passé s'oppose à l'avenir ou quelque chose comme cela. Elle défend aussi ceux qui font partie de sa bibliothèque personnelle, Artaud, Chamford, Rimbaud, Sade, Céline, les appellent en quelque sorte à la rescousse, et là c'est plutôt bien. Elle réhabilite aussi des écrivains oubliés, des icônes actuelles, ce qui n'est pas mal non plus.
J'ai lu cet essai jusqu'au bout en appréciant peut-être davantage le ton que le style. Le livre est dense par la diversité des articles et des sujets traités. J'avoue bien volontiers que j'étais sceptique au départ puisque ma curiosité va plutôt vers la fiction. Le livre refermé, j'y vois un regard qui m'a paru pertinent, même si on peut toujours dire que la critique est facile. Elle a au moins le mérite d'être exprimée, de remettre en cause les choses les plus convenues et les plus consacrées par notre société prompte à la louange en faveur de ceux qu'elle a consacrés et ainsi d'ouvrir un débat. Je dois avouer que j'ai apprécié aussi l'érudition, le goût de la polémique, la sensualité et la liberté de parole qui justifie le titre, surtout si elle se fait libertaire et libertine, ce que je ne peux pas ne pas apprécier. C'est une invite à la lecture, à la fréquentation de notre belle langue française, et je ne pouvais pas en faire l'économie, d'autant qu'elle mène une large réflexion sur la littérature.
Cette invitation à jouir, dont il est question sur la 4° de couverture me paraît, évidemment de bon aloi. On la peut résumer en quelques mots: beauté, luxe, liberté, volupté, amour, vie... et la liste n'est pas exhaustive, reste ouverte à toutes les déclinaisons, et là aussi, c'est sans entraves et sans temps morts!
J'avoue que je ne connaissais pas Cécile Guilbert. Ce livre sera peut-être l'occasion de poursuivre cette découverte, quoique j'y préférerais sans doute son écriture romanesque, mais davantage pour faire « un petit bout de chemin » avec elle et apprécier, par la lecture, le plaisir évident qu'elle a d'écrire. Il est gourmand, jubilatoire...
Je préfère toujours cette approche à celle que la « presse spécialisée », trop souvent laudative, conseille pour le seul motif qu'un jury littéraire aura consacré un de ses ouvrages.
© Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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RAVEL - Jean ECHENOZ
- Par ervian
- Le 09/05/2010
- Dans Jean ECHENOZ
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N°425– Mai 2010
RAVEL – Jean ECHENOZ - Éditions de Minuit.
D'emblée, l'auteur donne le ton de ce roman biographique consacré à Ravel: « Il lui reste aujourd'hui, pile, dix ans à vivre ».
Dans la première partie de cette œuvre, il nous le présente comme un obsédé vestimentaire, insomniaque, impénitent fumeur de gauloises malgré une tuberculose oubliée, un artiste qui habitue son entourage à ses caprices de star et ses sautes d'humeur, un égocentrique, plus préoccupé par sa personne et par le luxe que par sa musique, distrait, oublieux des convenances mondaines. Pourtant, il n'aime rien tant que de parler d'autre chose que de partitions et de composition, apprécie les manifestions populaires, surtout quand elles se déroulent dans son pays basque natal ou en Espagne. Il part pour les États-Unis en transatlantique pour ce qui sera une tournée triomphale... Nous sommes en décembre 1927, il a 52 ans.
Echenoz nous le présente au quotidien, sur le bateau sur lequel il travers l'Atlantique, dans les trains qui lui font sillonner l'Amérique, dans sa grande maison bizarre, « drôlement foutue, structurée comme un quartier de Brie », entouré d'amis, de cigarettes, d'alcool. Il y a son « Boléro » qui a tant fait pour sa notoriété, toutes ces orchestrations prévues et abandonnées parfois sans raison, sa rencontre et ses relations un peu houleuses avec le pianiste manchot Paul Wittgenstein d'où naitra « Le concerto pour la main gauche », ses nombreuses tournées internationales. Auparavant, l'auteur a évoqué la participation de Ravel à la Grande Guerre ... Mais surtout il semble s'ennuyer, témoigner de l'indifférence autant à ceux qui le critiquent qu'à ceux qui applaudissent à ses succès et se pressent aux manifestations organisées en son honneur. Peu à peu il devient irascible...
Pour ce qui me concerne, seule la deuxième partie m'a ému, peut-être parce que c'est la chronique d'une fin annoncée et que la maladie neurologique dont il souffre et qui va petit à petit lui faire perdre le sens des choses les plus quotidiennes, est pathétique. Non seulement la mémoire lui fait défaut, mais il ne souvient même plus qui il est, se révèle incapable d'écrire, de travailler... Cela ne diffère cependant pas de celle des autres hommes atteints comme lui d'un telle dégénérescence. Le spectacle de la déchéance est toujours dramatique
Avec une une foule de détails sur sa vie, sur son quotidien, Echenoz nous montre un Ravel secret, angoissé et sans fard, à cent lieues de ce qu'on peut imaginer. On pourra toujours dire que nous avons affaire à un névrosé, un malade du détail, il nous est dépeint dans son intimité : c'est presque un homme ordinaire, peut-être, et c'est sans doute étonnant, parce qu'il est aussi question de sa solitude. Il semble préférer les brèves rencontres et la fréquentation des bordels. Pourquoi pas après tout! Quant à l'amour qu'il semble n'avoir jamais trouvé, il juge que « ce sentiment ne s'élève jamais au-delà du licencieux » et tous les efforts de son entourage pour le marier resteront vains. Pourtant, il a des femmes autour de lui, mais ce sont des admiratrices avec qui il n'a pas d'intimité. Peut-être n'a-t-il pas trouvé de femmes à sa mesure, peut-être lui font-elles peur ou ne l'aiment-elles pas comme il le voudrait? C'est bien cela que je retendrai volontiers, malgré ses proches qui font montre d'une infinie patience, malgré son public qui lui témoigne sans cesse de l'admiration et de l'attachement, malgré les foules qui l'acclament... N'est-il pas un célèbre musicien? C'est quand même un homme seul face à la vie comme il le sera, comme chacun de nous, face à la mort.
Echenoz nous livre ici un travail d'archiviste, collationnant les témoignages de ses intimes ou imaginant (un peu peut-être?) ce qu'à pu être sa vie au jour le jour et jusqu'à la fin. A mon sens, il le fait dans un style neutre, comme quelqu'un qui raconte simplement une histoire. Je n'ai pas retrouvé ici le ton que j'ai parfois apprécié dans ses autres romans et je le regrette. Si ce livre ne m'avait apporté une foule de détails sur la fin de vie de Ravel, je m'y serais presque ennuyé et cela me paraît indigne de quelqu'un qui a obtenu un prix prestigieux!
© Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE MAÎTRE DE LA-TOUR-DU-PIN - Jan Laurens Siesling
- Par ervian
- Le 08/05/2010
- Dans Jan Laurens Siesling
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N°424– Mai 2010
LE MAÎTRE DE LA-TOUR-DU-PIN – Jan Laurens Siesling - Éditions « Le temps qu'il fait. »
Cette histoire, celle de la vie d'un peintre anonyme, a quelque chose de captivant peut-être justement parce que son nom n'est pas resté attaché au triptyque qu'il a réalisé lors de son passage dans cette ville. D'après lui, il a tout fait pour rester inconnu, ne laissant pour trace que cette œuvre, et c'est sans doute pour cela qu'il a attiré mon attention. Il n'a pas signé mais a seulement prêté ses traits, selon l'auteur, à un personnage secondaire, voire surnuméraire du tableau.
Au début du XVI°siècle, un peintre, accompagnée de sa chère Madeleine, de retour d'Italie, tombe gravement malade à La Tour du Pin où il est soigné par les religieuses de l'Hôtel-Dieu. Il lie connaissance avec l'abbesse, à qui il trouve quelque charme, qui lui commande un triptyque pour la salle des malades. Cependant, lui qui ne jure que par la Saint Suaire, devra exécuter un travail avec pour thème la piété de Notre-Dame et la crucifixion. En reconnaissance des soins apportés par les nonnes, il accepte de réaliser ce travail, d'autant plus volontiers que l'évêque de Vienne donne son accord tout en lui demandant de rédiger un texte retraçant son expérience dans le domaine de la peinture. Ce sera donc pour lui l'occasion de remonter le temps, de faire revivre son enfance dans le Brabant où il entre en apprentissage chez le maître de Kalkar où il découvre l'œuvre de Hubert de Eyck. Puis, après la mort de son père, c'est le départ et la rencontre à Alkmaar avec des peintres de renom. Puis ce sera Bruges, Gand, la découverte des peintres qui ont fait la renommée de cette école. Grâce à ses voyages, il fait le point sur ses connaissances (« la manière flamande n'est qu'une manière parmi d'autres »), les remet peu ou prou en question mais est reçu maître, à son tour, à Alkmaar. Puis, c'est à nouveau le départ pour Anvers, puis Aix La Chapelle, Cologne... et l'Italie, berceau de tous les arts. Il y améliorera son style au contact des maîtres transalpins.
Pour autant, ce travail d'écriture, en marge de de celui de peintre, devra, à la demande même du prélat, être en accord avec la morale chrétienne, ce qui est peut-être un peu frustrant, mais qu'importe. Seul son triptyque compte et il le réalisera, à la fin à ses propres frais, autant en remerciement de sa guérison qu'en l'honneur de cet abbesse un peu énigmatique. C'est une manière aussi d'accompagner dans la mort sa chère compagne autant que pour soulager les souffrances des malades accueillis dans cet établissement.
C'est là un ouvrage attachant écrit en français par cet auteur néerlandais, dans une langue dépouillée et agréable à lire, un livre bien documenté, agréablement érudit. L'auteur fait ici honneur à sa formation d'historien de l'art, de critique aussi. Dans cette biographie imaginaire mais parfaitement crédible, l'auteur s'identifie à cet inconnu, endosse la personnalité de cet artiste, nous fait partager ses remarques sur les femmes, sur la mort, ses révoltes, ses rêves, ses états d'âme.
Il plonge son lecteur dans l'atmosphère de ce siècle renaissant, baigné de religiosité un peu naïve mais surtout dans une expérience humaine unique, celle de laisser une œuvre d'art après soi, tout en étant suffisamment humble pour ne pas la signer et même pour en assumer les frais.
C'est à la fois un bon moment de lecture autant que l'évocation d'une époque et de son empreinte artistique.
© Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA VAGUE - Todd STRASSER - Éditions Jean-Claude Gawsewitch.
- Par ervian
- Le 05/05/2010
- Dans Todd STRASSER
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N°423– Mai 2010
LA VAGUE – Todd STRASSER - Éditions Jean-Claude Gawsewitch.
C'est un récit assez déconcertant, encore que, inspiré par une histoire qui s'est réellement déroulée dans un lycée américain dans les années 70. Imaginez un professeur d'histoire qui, pour faire comprendre à ses élèves idéologie nazie et leur faire toucher du doigt l'horreur de ses crimes, leur passe un film sur les camps d'extermination. C'est pour eux une révélation en même temps qu'une occasion de poser des questions sur la réalité de ces faits mais aussi sur la raison de la passivité de la population allemande, de son hypocrisie, l'inertie des juifs face à la mort. Çà, c'est pour le programme scolaire.
Dans le même temps, il se heurte, en tant qu'enseignant, aux difficultés liées à l'indiscipline, à l'absentéisme, au manque de sérieux des élèves qui règne dans sa classe quand ce n'est pas également dans les activités extra scolaires. Mis à part les rares bons élèves, l'atmosphère de son cours se résume à une sorte de léthargie. Il s'aperçoit en outre qu'il n'est pas vraiment capable de répondre à toutes les questions des élèves d'une manière satisfaisante. Pour remédier à cet état de chose quelque peu délétère autant que dans un but pédagogique, il prend l'initiative, s'inspirant de la doctrine nazie, d'inscrire au tableau « La force par la discipline », et d'expliquer que la discipline entraine la réussite, le pouvoir... Lui, qui d'ordinaire avait beaucoup de peine à capter leur attention, fut étonné du résultat. Cela au début pouvait passer pour un nouveau jeu mais les potaches, ordinairement peu passionnés par ses cours et un tantinet indisciplinés, se changèrent en soldats obéissants, respectueux de leur professeur, et arborant une tenue correcte!
Et le professeur de constater « On aurait dit qu'ils n'attendaient que cela depuis toujours ». Puis, il affina la notion parlant de « communauté », de l'esprit d'équipe qui devait prendre la pas sur l'individualisme... Puis, pour que les choses soient plus parlantes, il fait adopter un symbole, « la vague », qu'il compléta par un salut, un slogan, des meetings, le culte du chef, le tout dans un contexte de discipline librement acceptée et même réclamée! L'instinct grégaire gagna petit à petit chaque élève et, presque naturellement on finit par encourager la délation, l'autorégulation du groupe en vue de l'action, l'informatisation, le prosélytisme, l'obsession de l'ordre et du résultat, l'esprit de compétition autant que l'absence d'esprit critique, l'endoctrinement systématique... L'illustration se fait plus précise quand un élève juif est agressé par un membre du groupe. Mais ce message ne passe pas auprès de tous cependant. Une réaction s'organise, ce qui est rassurant. L'épilogue l'est également.
Cette expérience fait évidemment débat. Doit-on voir dans ce qui n'était à l'origine qu'un jeu ou l'illustration du cours, un mode d'éducation dont l'histoire nous a enseigné les conséquences et les méfaits, une manipulation, un réel besoin de transformation, une contagion, une expérience qui tourne rapidement au drame et menace de déborder tout le monde, une propagation de la peur et de la passivité du groupe devant la force, l'attitude du professeur, partagé entre la griserie du pouvoir et la peur d'être dépassé par le phénomène?
Cela a beau s'appuyer sur des faits réels, j'avoue bien volontiers que j'ai été, au début, partagé entre la peur et le scepticisme. On a beau se dire que tout cela ne peut pas se reproduire, il ne faut pas perdre de vue ce qu'est la condition humaine, avec ses grandeurs mais aussi ses turpitudes, sa volonté de domination autant que celle de se réfugier sous la houlette d'un chef providentiel qui dictera sa loi, la tentation du totalitarisme...
J'ai lu jusqu'à la fin ce récit en me demandant la part de fiction et de réalité. Ce n'est pourtant pas un chef-d'œuvre d'écriture. Le texte adopte le ton d'un témoignage sec, au phrasé simple et direct, ce qui permet un abord facile. Il a cependant eu un réel succès en Allemagne ainsi que le film qui en a été tiré (Réalisé par Denis Gensel – sorti en 2008).
Il y a quand même quelque chose d'effrayant dans ce témoignage.
© Hervé GAUTIER – Mai 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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JE M'ATTACHE TRÈS FACILEMENT - Hervé LE TELLIER
- Par ervian
- Le 29/04/2010
- Dans Hervé Le Tellier
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N°421– Avril 2010
JE M'ATTACHE TRÈS FACILEMENT – Hervé LE TELLIER - Éditions Mille et une nuits.
Avant de commencer un roman, je lis toujours l'exergue qui en fait partie. Ici, j'apprends que l'ouvrage emprunte son titre à une citation de Romain Gary. L'intérêt que je porte depuis longtemps à cet auteur m'incite à ouvrir le livre avec confiance. Et puis, cette expression me ressemble tellement que c'est sans doute bon signe. Moi aussi, je m'attache très facilement, mais laissons cela!
L'histoire qu'il faut bien raconter, est banale si tant est qu'une histoire d'amour puisse l'être. Nous savons tous qu'elle est au contraire unique. L'homme, c'est « notre héros » et la femme « notre héroïne », cela me paraît un peu désincarné, j'aurais sans doute préféré des êtres nominatifs, mais laissons cela! Il a la cinquantaine, c'est donc « un homme mûr »(j'apprécie l'euphémisme qui cache un début de vieillesse avec ses rides, ses bourrelets et sa calvitie) qui pense encore qu'il est capable de séduction... et elle a vingt ans de moins que lui. « Notre héroïne » est donc jolie, elle est « grande, élancée, possède de charmants petits seins ». Je n'aurais jamais imaginé qu'une telle maîtresse fût laide et repoussante. Bien sûr, « notre héros » en est follement amoureux. Comment pourrait-il en être autrement? On n'est cependant pas très sûr que la réciproque soit encore vraie, même si le plaisir est encore au rendez-vous de leurs étreintes. Mais laissons cela!
Notre homme a décidé de rejoindre cette femme en Écosse où elle est partie voir sa mère, mais sans pour autant y avoir été invité. Le rendez-vous de ce qui ressemble de plus en plus à une rupture, est fixé à l'embranchement de deux routes. C'est un symbole évident, mais laissons cela! Pourtant notre héros n'abandonne rien au hasard, il téléphone, prend l'avion, réserve pour lui seul une chambre d'hôtel, loue une automobile. C'est là que le lecteur, que le narrateur prend constamment à témoin, se rend compte que le titre est un jeu de mots, puisqu'il apprend que « notre héroïne » ne s'attache pas facilement, comprenez qu'elle ne boucle pas automatiquement sa ceinture de sécurité en voiture. Là aussi la polysémie est soit bienvenue, soit facile, c'est selon.
Ce même lecteur comprend aussi très facilement que la tendresse ne fait plus partie du jeu et que l'espoir, pour lui, n'est plus permis puisque la décision de « notre héroïne » est apparemment sans appel, à cause sans doute de la lassitude, de l'usure des choses, d'une autre passade ou d'une autre passion. Mais laissons cela! Puis c'est le retour à Paris, non sans avoir fait un détour par le beau visage d'une autre femme plus jeune, mais tout aussi inaccessible pour « notre héros », la solitude qui revient et avec elle la vieillesse qui se fait plus pesante. Même s'il veut se jouer la comédie de la jeunesse et de l'avenir, il repense à Romain Gary.
C'est donc une histoire comme tant d'autres, une page qui se tourne, une tentative de
ravaudage sentimental et... un désastre annoncé!
Je suis pourtant volontiers attentif aux manifestations de l'Oulipo dont l'auteur fait partie mais j'ai très modérément aimé le style haché de cette histoire pourtant courte.
J'ai quand même préféré « assez parlé d'amour »du même auteur.[La Feuille Volante n°419]
© Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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LE CAHIER DE CAMILLE - Jean-François POCENTEK
- Par ervian
- Le 26/04/2010
- Dans Jean-François Pocentek
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N°420– Avril 2010
LE CAHIER DE CAMILLE – Jean-François POCENTEK – Plein Chant.
Décidément, j'aime bien cette écriture, je la trouve poétique, mais pas seulement. Elle est évocatrice de ce paysage un peu désolé des terrils et des personnages «Ces hommes aux poumons mangés (qui) toussaient et crachaient la haine de leur ouvrage passé ...qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur coron »...
Camille, 70 ans, attend la mort, boit de la bière et ouvre son cahier pour cet anniversaire. Il y décrit sa maison, prise dans la courbe d'une rivière tout près de la Belgique, pleine d'humidité et d'araignées et habitée par ses parents, son père, mineur, « (qui) n'était pas fier de son métier mais ne savait faire que cela ». Par tradition parce que ici, comme ailleurs aussi sans doute, on apprend le métier de son père sans se poser de question, il était destiné à la mine. Sa mère refusait pour son fils cette chose inévitable, mais la Compagnie a eu le dessus parce qu'elle seule commande et donne à chacun « le logement, le travail, les sous et les soins ». C'était sans doute dans l'ordre des choses.
Avant, il y a eu l'école, c'était bien l'école, avec la récréation, les plumes Sergent-Major, les ardoises et l'encre violette « comme une aurore trop rare ou un crépuscule oublié », les livres couverts...
Ce cahier, c'est pour parler de la mine (« mais un cahier ce n'est pas si vaste »), pourtant c'est toute une vie rythmée par le travail , les grèves, un long chemin de 43 ans de noir, de chaud, d'humidité, de honte et d'humiliations aussi parce que le monde du travail est sans pitié, 43 ans pour atteindre la retraite!
Voilà, à 55 ans c'est la liberté, et avec elle celle d'écrire ses souvenirs, de marcher qui est un luxe quand, toute sa vie, on a rampé dans des boyaux de mine étroits où le « dos tente de soulever les mille mètres de croute terrestre qui le tiennent prisonnier des sous à gagner », luxe de respirer, d'exister, de profiter de cette « matutinale liberté d'homme maintenant de terre et de campagne, je pisse n'importe où avec l'innocence du pur ».
Mais la mine se rappelle à son mauvais souvenir « Elle est là encore, cette putain de mine, elle est là dans mes poumons et ... je crache de la boue, je crache mon gavage de poussière et ... ça brille comme un diamant noir ou parfois des rubis fulgurants ». Il est urgent de porter témoignage et de noircir ce cahier de souvenirs, des siens comme de ceux des autres, comme le charbon a noirci sa vie « Je marchais à nouveau, là sur le quadrillage bleu léger que m'offrait chaque page. Des carreaux pour le bonheur, d'autres pour le malheur, une mosaïque d'amour, de mort et d'indifférence ». Mais le vrai témoignage, c'est celui de sa propre vie qu'il confie à la page blanche « Ce soir je me mets au centre de la page, je me glisse entre les petits carreaux, je me cache derrière la ficelle blanche qui empêche ma vie de s'éparpiller ». Pourtant, cette nouvelle vie, celle de la retraite, celle de la liberté, cette dernière longueur, il la parcourra seul, comme il a vécu sa vie entière et son enfance quand sa seule distraction était « d'aller au bout du jardin » qui « était la limite, la fenêtre de notre monde ». A 70 ans, Camille, par amour des chiffres ronds, décide de mettre un terme à cette équipée du souvenir, pour ne pas aller à l'hôpital qui réclame sa charretée de morts qui ont momentanément échappé à la mine. Alors, une dernière fois, une dernière bière, un dernier morceau de lapin, un dernier café et, s'étant apprêté comme quelqu'un qui « a traversé la vie en ayant peur de déranger », il écrit l'épilogue sur ce dernier cahier qui succède à tant d'autres , usés et flétris, parce que celle qu'il attend, qu'il a toujours attendue n'est pas là. Il va tracer les derniers mots qui feront escorte à une vie banale qui maintenant s'en va « Moi qui ai tant aimé écrire, je dis à mon cahier que je ne peux emporter. La fin de l'histoire y est écrite ».
©Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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ASSEZ PARLÉ D'AMOUR - Hervé Le Tellier
- Par ervian
- Le 26/04/2010
- Dans Hervé Le Tellier
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L A F E U I L L E V O L A N T E
La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,
elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.
N°375– Octobre 2009
ELDORADO – Laurent GAUDE- Actes Sud.
Ce sont deux portraits croisés que nous livre l'auteur.
L'un, Soleiman, un Soudanais, va faire jusqu'aux barbelés de Ceuta, un chemin cahoteux vers l' Europe, son Eldorado, un monde qui, pourtant, ne veut pas de lui. Comme ses compagnons d'infortune, il porte le devenir de toute une famille et espère trouver là-bas du travail mais, il le sait, tous ne parviendront pas au bout de ce chemin. Il est comme les autres clandestins la proie de passeurs sans scrupule et de tous ceux qui font commerce de leur espoir, et lui qui était digne et fier au départ va se découvrir, tout au long de ce voyage, solitaire, égoïste, voleur... Sa vie et son projet en dépendent et son aventure est celle du chacun pour soi nonobstant la présence de Boubakar. Il ira pourtant jusqu'au bout de ce rêve.
L'autre, celui du commandant Salvador Piracci qui protège depuis 20 ans les frontières de l'Europe sur les côtes de Sicile à la barre de sa frégate[« Vous êtes là pour garder les portes de la citadelle, vous êtes la muraille de l'Europe » lui a -t-on dit]. Son rôle consiste à repousser le flot toujours plus grand des candidats à l'exil qui viennent chercher en occident une autre vie, mais aussi à sauver de la mort ces malheureux abandonnés en pleine mer, sur des embarcations de fortune. Quand ils les aura ramenés à terre et remis aux autorités, ils seront renvoyés dans leur pays d'origine et la ronde recommencera. Nous avons tous dans un coin de notre mémoire leur image qu'un journal télévisé nous a, au moins une fois, donné à voir...
Ce métier ne lui plaît guère mais, jusque là, il s'en est accommodé même s'il croisait, sans vouloir rien faire pour eux, le regard désespéré de ces hommes. Il décide pourtant de réagir à la suite de sa rencontre avec une femme rescapée d'une cruelle traversée et dont l'histoire l'émeut. Il va donc assumer ses contradictions et pour cela il quitte tout, au point de n'être plus personne, de n'avoir même plus d'identité et fait le chemin inverse de celui de Soleiman qu'il ne connaît pas, à la recherche, lui aussi, d'une autre forme d'Eldorado. Il endossera en quelque sorte le destin de ceux qu'il pourchassait!
Lui aussi connaîtra des épreuves dans cette improbable quête et la fable, parce que c'en est une, réunira à la fin, ces deux hommes, sous l'égide de Massambalo, le dieu des émigrés et d'un collier de perles vertes, comme un talisman, comme un témoin que l'un passe à l'autre sans presque le toucher. Au bout du compte chacun trouvera ce qu'il cherche.
C'est donc une histoire très actuelle que nous conte l'auteur dans un style agréable et fluide. Le livre refermé, j'ai pourtant un sentiment bizarre, quelque chose comme une sorte de malaise, de tristesse parce que les grandes et généreuses idées cèdent le pas devant les réalités [ On se souvient de Michel Rocard, alors Premier ministre, déclarant à la tribune de l'assemblée Nationale que la France ne pouvait prendre toute la misère du monde], mais aussi d'incrédulité au regard de l'attitude de Piracci et du dénuement qu'il a choisi. C'est une histoire qui emprunte à l'actualité son scénario, le commandant est certes seul au monde et sa liberté est entière, mais je ne suis pas sûr de la réponse qu'il apporte soit appropriée. Il me paraît que c'est plutôt une fuite, un aveu d'impuissance, quelque chose de peu constructif en tout cas!
Soleiman est allé jusqu'au bout de son rêve, mais il me paraît que Piracci n'est pas parvenu au bout de sa révolte et le hasard a mis fin à une quête qui aurait pu avoir un épilogue différent! Au cours de cette histoire, tous les deux se sont découverts différents de ce qu'ils croyaient être et leur rencontre est véritablement improbable.
Devant le problème éternel des pays riches qui, malgré les discours politiques officiels, se protègent des pays pauvres l'hypocrisie reste la réponse constante. Si Soleiman aura à coup sûr des imitateurs, je ne suis pas sûr que Piracci fasse des émules.
©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
N°419– Avril 2010
ASSEZ PARLÉ D'AMOUR – Hervé Le Tellier – Jean Claude LATTÈS.
Ce titre était un peu engageant, après tout, les romans sont pleins d'histoires d'amour mais c'est aussi la dernière phrase du dernier chapitre qui revient ainsi comme un leitmotiv. Pourtant, le livre refermé, il apparaît que c'est une sorte d'antiphrase ironique puisqu'on pouvait penser qu'il n'y serait pas question d'amour, alors que, au contraire, c'est le thème unique de cet ouvrage où il n'est question que de cela! En réalité on se trompe, on se ment, on se quitte, on se croise et on tisse beaucoup d'histoires d'amour dans ce roman.
Ce qui frappe d'abord c'est le temps bref (trois mois d'un automne plutôt chaud)pendant lequel se déroule ce récit. Le panel des personnages va de l'écrivain, à l'avocate célèbre, de l'analyste au scientifique connus... bref des intellectuels, mais aussi des notables parisiens, à l'abri des soucis d'argent, satisfaits d'eux-mêmes, comme il se doit. C'est surtout deux destins de femmes mariées, Anna et Louise, la quarantaine, mères de famille et heureuses. Elles se ressemblent sans se connaître et vont vivre deux amours semblables. Anna, pédopsychiatre mariée à un chirurgien,Stan, va croiser la route de Yves, l'écrivain et Louise, l'avocate, mariée à un scientifique, Romain, celle de Thomas qui est aussi l'analyste d'Anna. Thomas deviendra l'amant de Louise et Yves celui d'Anna. Ces deux passions adultères se recoupent donc avec pour toile de fond les maris auxquels elles n'ont pourtant rien à reprocher, qui sont amoureux d'elles et qui les protègent. Ils sont sans doute seulement les victimes de cette usure des choses, de cette envie d'ailleurs de leur épouse mais assurément ne méritaient pas cette épreuve... Quand ils finiront par comprendre ils en seront malheureux et peut-être aussi honteux [« Bien, dit Romain, pour résumer, je suis marié, nous avons des enfants, ma femme a rencontré un autre homme... Je suis très malheureux ». « Stan s'engloutit dans ce lent tourbillon qui le ramène soudain vers Anna, vers la pensée noire du corps nu d'Anna sous celui d'un autre, et l'image qui surgit le broie »].
Pourtant elles se demandent si cet amant qui débarque dans leur quotidien et le bouleverse pourra être le nouvel homme de leur vie, avec toute la remise en cause que cela entraîne inévitablement. Ce sont, bien sûr des liaisons potentiellement dangereuses puisqu'elles bousculent les certitudes établies, l'ordre des choses et ne laissent pas place, en apparence, à cette culpabilité judéo-chrétienne qui nous entoure. Tout cela est un peu compliqué d'autant que dans cette affaire il ne faut pas oublier les enfants. Ils ont toute leur place dans ce récit, même s'ils restent un peu en retrait. Le Tellier ne leur donne la parole qu'à la fin, notamment avec la métaphore d'Alice [« Oui, songe Anna, le Chat a raison, quand on ne sait pas où aller, le chemin n'a pas d'importance »].
Louise et Anna, comme Thomas et Yves se croisent,(sans oublier les rencontres inévitable entre les amants et les maris cocus) Ce n'est peut-être pas si artificiel que cela et cela caractérise les personnages, pas si fictifs cependant. J'ai toujours plaisir à voir comment ils réagissent par rapport à l'auteur, j'aime imaginer l'usage qu'ils font de leur liberté... Yves, l'écrivain est un peu le double de Le Tellier et réagit probablement comme un auteur, surtout quand il écrit, pour les 40 ans d'Anna, un livre qui sera comme un cadeau et dont il sera évidemment question d'amour. Ce « livre dans le livre », c'est plus qu'une manière de mise en abyme, c'est une véritable trouvaille pleine d'émotions, de souvenirs.
L'auteur s'interroge et interpelle son lecteur: A un âge où la vie semble définitivement tracée, où les choses sont établies, l'amour peut-il venir frapper, même sous la forme du « coup de foudre »qui autorise les folies, les espoirs, les remises en question, parce que le corps change, que le temps a passé et qu'on ne le rattrape pas, qu'on croit s'être trompé dans son choix d'avant, et que, pour cela on est capable de tout briser et de tout recommencer, malgré les convenances sociales, la honte, la culpabilité, les enfants qui nous jugeront plus tard... Avec aussi la certitude que l'être qui vous a préféré à un autre peut parfaitement remettre en cause, avec le temps, le choix qu'il a fait de vous!
Il est aussi question de judéité dans ce récit mais aussi de dominos abkhases( et ce n'est pas un hasard tant les règles en sont compliquées mais Anna suggérera à Yves de substituer le titre initial prévu pour son livre « Tu parles d'amour dans ton livre...Alors met simplement « amour »), d'interrogations sur le langage, de la cryptobiose des tartigrades, des iguanes marins des Galapagos, de jalousie, d'hommage (celui que l'auteur rend à l'écrivain Edouard Levé qui s'est tué), de mort et de chagrin et de deuil.
C'est vrai que c'est bien écrit, le style est fluide et agréable, avec un jeu sur les mots, où l'auteur joue sur l'ambiguïté du langage, les quiproquos, les lapsus(« fais-le pas » et « fais le pas »), parle, dans son roman, constamment d'amour,« cette chose qu'on donne sans la posséder », une occasion unique pour Le Tellier, qui, un peu comme au théâtre, fait apparaître les personnage deux par deux, pour que, alternativement, ils se donnent la réplique. Leur rencontre a toujours quelque chose d'intime. Le contexte oulipien caractéristique ajoute de l'intérêt à tout cela !
Une autre problématique se pose à l'auteur, celle de rencontrer son public. Avec ce roman, Il est permis de penser que oui!
Je continuerai à suivre la démarche littéraire de cet auteur, son analyse de ces « vertiges de l'amour » m'a bien plu.
©Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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CONTES FAROUCHES - Neel DOFF
- Par ervian
- Le 19/04/2010
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N°418– Avril 2010
CONTES FAROUCHES – Neel DOFF[1858- 1942]– Plein Chant.
Ils sont bien nommés, ces « contes farouches », sauvages, barbares, violents, cruels, implacables, timides aussi. Ils incarnent la misère qu'a connue l'auteure surtout au cours de son enfance et elle tenta probablement de l' exorciser ainsi, par lécriture. Au cours de longues nouvelles, au début, c'est le quotidien du XIX° siècle en pays flamand qu'elle fait revivre pour son lecteur. Mais elle choisit un sous-prolétariat caractéristique.
Les hommes y sont présentés comme des êtres vulgaires et violents, les garçons comme maladroits, timides ou malchanceux, les femmes sont souvent des victimes, vouées aux maternités répétées, à la domesticité ou à la prostitution et l'âpreté de la vie sert toujours de décor.
Ce ne sont que des nouvelles, c'est à dire des œuvres de fiction, mais il est difficile de ne pas y voir une touche auto-biographique. Comme la narratrice du « Grelotteux », elle appartient à une famille de neuf enfants dont les parents sont présentés comme de braves gens irresponsables, aime lire et fait acte de révolte contre le sens des choses qui gouvernent sa vie. Comme elle, elle baigne dans une extrême pauvreté dans le froid et la faim et suit ses parents dans leurs déplacements successifs de la Hollande à la Belgique, pour échapper à la misère. Elle parle de la prison qu'a connu un de ses frères, de la maladie et de la mort. Après de petits emplois de domestiques, elle finit par poser pour un peintre qu'elle impressionne par son intelligence sa culture et son jugement, ce qui tranche avec ses origines modestes. Elle servira de modèle à d'autres artistes ce qui assurera en quelque sorte sa promotion sociale et lui permettra d'échapper à sa condition.
Plus tard, elle se fixe dans la région de Bruxelles et, n'oubliant rien de son passé, choisit de défendre les ouvriers et les plus pauvres en s'engageant dans l'action politique et le socialisme. C'est dans ce contexte qu'elle rencontre son premier mari qui était journaliste puis, une fois veuve, le second qui était avocat. Elle se fixe ensuite à Anvers et commence à écrire, en français, langue portant apprise tardivement, un premier livre largement autobiographique « Jour de famine et de détresse » où elle raconte la triste histoire de Keetje, fillette pauvre qui doit se prostituer pour nourrir ses frères et sœurs. [Il semble cependant qu'elle prétendra ne pas être passée, elle-même, par cet état de prostitution, mais après tout peu nous importe] . D'autres suivront, toujours inspirés par des faits réels et peuplés de personnages qu'elle a effectivement rencontrés.
Sa langue et son style sont d'une grande limpidité, d'une lucidité étonnante. Elle emploie un vocabulaire précis mais non précieux et surtout sans aucune prétention intellectuelle. Son témoignage qui fait montre d'un grand réalisme et d'une particulière authenticité est bouleversant et l'a parfois fait comparée à Émile Zola. Son personnage et son œuvre ont fait l'objet de nombreuses études.
©Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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ASSISE DEVANT LA MER - Pierre Silvain - Éditions Verdier.
- Par ervian
- Le 16/04/2010
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N°416 – Avril 2010
ASSISE DEVANT LA MER - Pierre Silvain – Éditions Verdier.
Gaston Bachelard écrit quelque part que l'enfance subsiste en nous toute la vie.
Ce récit est celui d'un homme qui évoque cette enfance marocaine à travers le figure de sa mère et de l'amour exclusif qu'il lui porte, avec, en contre-point, la silhouette du père qu'elle rejoint sur cette terre africaine où ils vont s'établir. Il la revoit assise sur une plage, apparemment oublieuse de l'enfant qui l'accompagne, il se remémore l'image du père, mais seulement à travers ses silences, ses absences et ses étreintes d'époux. Il incarne le travail de la terre, il est « ce revenant de l'aube qui, environné d'un silence de tombe à peine froissé, n'est déjà plus là », autant dire un fantôme qu'accompagne cependant le visage tourmenté de Samuel Beckett auquel son fils l'identifie. Il choisit de se souvenir de lui à travers des épisodes de sa vie, sa guerre dans le Rif, son mariage à trente ans, sa nouvelle vie dans une ferme d'Afrique du Nord, de l'histoire et de l'amour de ce pays, de la ferme isolée devenue dangereuse, des attentats aveugles, de la terre que l'on fuit à cause de l'indépendance, pour rester en vie et des tombes qu'on abandonne, la mort du père devenu désœuvré et le veuvage de la mère. Il parlera aussi de la grande guerre, mais c'est comme si l'histoire du monde autour de lui ne comptait pas au regard de la sienne. Parce que c'est elle, Angèle, qu'il revoit, petite fille dans un village du Limousin. Il ne voit qu'elle, à la fois femme et mère, étrangère et familière qui alterne tendresse, attention et détachement. Il tente de profiter de ses moments de complicité et d'intimité avec elle. Le narrateur, qui finit à la fin par décliner son récit à la première personne, lui donnant ainsi un tour plus personnel, refait à l'envers la vie de ses parents avant sa naissance autant qu'il évoque la sienne, en Allemagne, loin de cette mère qu'il adorait.
Bien qu'il ne soit pas un enfant unique de ce couple [deux autres sont restés en France et un autre frère naîtra emporté par le croup], le narrateur donne l'impression d'être seul face à cette mère qu'il nous présente au début, assise face à l'océan. Elle regarde au loin vers l'horizon et semble absente. Il semble que le temps ne compte pas dans ces instants faits de détachement et de complicité et cette image silencieuse de la vie, évoque celle de cette même femme, face à la fenêtre de sa cuisine, qui entre silencieusement dans la mort. Il choisit de cristalliser son souvenir sur la figure maternelle toujours présente à son esprit malgré les nombreuses années écoulées depuis sa disparition.
Avec de nombreuses analepses[« le temps bouleversant du ressouvenir »], l'auteur, juste avant sa mort en 2009, nous fait revivre cette période de l'enfance, à la fois tendre et tourmentée, grâce à une écriture poétique et fascinante. La langue qu'il emploie pour son cette évocation de l'amour filial donne pour son lecteur un texte bouleversant, un véritable poème ne prose. Cet écrivain qui a été toute sa vie d'une grande discrétion offre là une œuvre ultime, comme un message destiné autant à l'au-delà qu'à l'humanité du présent et de l'avenir. Son écriture précieuse et simple reste, pour notre plus grand plaisir.
© Hervé GAUTIER – Avril 2010 http://hervegautier.e-monsite.com
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LES MANGEURS DE POMMES DE TERRE - Jean-François Pocentek
- Par ervian
- Le 16/04/2010
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N°417 – Avril 2010
LES MANGEURS DE POMMES DE TERRE - Jean-François Pocentek – Plein chant.
Malheureusement, j'ai commencé à lire l'œuvre de Pocenteck à l'envers, mais je finirai bien par m'y retrouver. Ce récit en annonce d'autres qui feront sans doute partie de ma bibliothèque personnelle ou imaginaire.
Le titre évoque d'emblée un tableau de Vincent Van Gogh. D'ailleurs, le décor, c'est un peu cela, le Nord de la France et ses corons, une famille de mineurs et un petit garçon qui nous livre ses souvenirs, des dimanches interminables au rituel immuable, le costume un peu raide, la cravate à élastique, le repas dans la salle à manger, la visite du grand-père, ses encouragements pour l'école parce que ainsi l'enfant échappera à la mine [« à chaque rencontre avec mon grand-père, il m'a embrassé le front et donné une pièce »], l'hiver, la chambre sans chauffage, le café au lait avec des tartines épaisses, la toilette sur l'évier... L'école publique, les culottes courtes, les jeux guerriers de la cour de récréation qui permettaient tous les possibles et s'inspiraient des bandes dessinées, le tableau noir, l'encre violette, les cours de morale, les plumes Sergent-Major avec ses pleins et ses déliés, les amitiés et les brouilles entre camarades...
C'était aussi la mort, parce qu'un enterrement est toujours une occasion de rassembler une famille dispersée dont les membres ne se connaissent plus, on promet de se revoir, mais pas pour une occasion funèbre et on oublie vite... C'est l'horloge qu'on arrête et les miroirs qu'on voile, le cortège des visites, la casquette à la main, l'accompagnement du cercueil, la visite annuelle de la Toussaint au cimetière avec ses incontournables pots de chrysanthème et son souvenir ravivé une fois l'an. Mais aujourd'hui l'enfant a grandi, habite ailleurs dans un pays de pâture, la mine s'est arrêtée et le chevalement rouille. Il ne reste que les souvenirs, ceux du triumvirat, maire, curé et instituteur, mais le premier est maintenant plus attentif à sa carrière politique qu'au bien-être de ses concitoyens, les vocations sacerdotales se font plus rares, seul le maître d'école perdure encore... Le décor est complété par l'inévitable bistrot où tous les hommes se retrouvent, et même parfois quelques femmes...
Il y a aussi la figure des gens qui peuplaient ce microcosme, ils sont comme des fantômes avec leur cortège de remords et de nostalgie parce que, contrairement au contes de l'enfance, le monde n'est pas beau, les turpitudes existent, les hommes et les femmes sont loin d'être semblables au portait idyllique des fables.
L'évocation se poursuit en Bretagne là ou le narrateur se réfugie parce que le souvenir est trop fort, pour y faire d'autres rencontres ou des retrouvailles amicales renouvelées. C'est toujours aussi poétique et nostalgique, et cela me plait bien comme l'allégorie de fin qui conjugue une belle image de femme et un air de violoncelle.
Je reste attentif au parcours créatif de cet auteur. Il m'intéresse.
© Hervé GAUTIER – Avril 2010
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APNÉES - Antoine CHOPLIN
- Par ervian
- Le 13/04/2010
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N°415 – Avril 2010
APNÉES - Antoine CHOPLIN – Éditions La fosse aux ours.
Il doit bien y avoir sur notre pauvre terre des zones inconnues du cadastre international, non répertoriées sur les cartes routières, ignorées des guides touristiques. Une telle éventualité est sans doute redoutée des automobilistes égarés mais doit être une opportunité intéressante si ce conducteur est attentif aux phénomènes paranormaux.
Plan-les-Ouates, le nom sonne déjà comme un mystère dans sa musicalité, même si on a de bonnes raisons de penser que cette localité existe effectivement et se trouve près du lac de Genève. Assurément, cela invite à la réflexion, à la circonspection même... Voilà que notre narrateur, Arène Margay, friand de lexicographie et adepte par ailleurs de l'apnée qu'il se proposait de pratiquer justement ce jour, y tombe en panne de voiture. La Suisse est pourtant un pays où tout paraît prévu, répertorié, organisé, sans surprise, mais bon, pourquoi pas?
Le temps de réparer, une visite de la ville s'impose donc d'autant qu'elle s'inscrit dans le domaine du temps obligatoirement perdu, qu'on ne compte plus et que le printemps qui s'annonce, après sans doute un long hiver, va rendre agréable. La flânerie est donc de rigueur! Comme il se doit, dans un tel lieu, ce parcours ne peut qu'être confié au hasard et suivre un marcheur semble être une bonne méthode, et quand ce guide improvisé est une jolie femme, cela ne peut mieux tomber... Dès lors, toutes les illusions sont possibles, les visuelles comme les auditives, donnant asile à l'extraordinaire, au fantastique... Apparemment, celle qu'il a prise, à son insu, pour guide dans cette ville de nulle part s'y dirige elle aussi avec une boussole aléatoire et le fait qu'elle possède un appareil photo et choisisse de fixer l'image d'Arsène sur la pellicule fait naître chez notre homme une multitude de fantasmes. D'autant que de suivant, il devient suivi et qu'un dialogue s'engage, vite transformé en balade commune et peut-être complice. Les présentations se font, elle s'appelle Marine Duchamp, lui avoue qu'elle est amnésique suite à un accident de voiture... De là à imaginer un monde approximatif où les références vitales ordinaires n'ont plus court, il n'y a qu'un pas et respirer devient incongru. Arsène pousse son avantage, profite de cette défaillance de mémoire pour lui faire croire abusivement qu'ils sont été amants et finit par être pris à son propre jeu.
Derrière l'histoire, j'observe que le texte se décline à la première personne, l'emploi du « je », dans le contexte de ce qui est une sorte de fable, peut apparaître comme une personnalisation à outrance, laissant par ailleurs la place à l'humour, à la liberté d'écriture et de création. Cela s'annonçait bien pourtant, avec cette mise en scène où le lecteur pouvait tout imaginer, mais la chute ne me paraît pas être à la hauteur de ce qui aurait pu être un récit singulier...
Et l'apnée dans tout cela? Est-ce la même ivresse qu'on ressent autant à se priver d'oxygène qu'à se souler de mots, un moment de quasi folie que seule la fiction permet et que s'accorde un auteur-narrateur pour s'évader du monde, une panne qui est peut-être plus qu'une allégorie pour justifier le plaisir de suivre une inconnue, d'entamer avec elle une passade ou une passion? Est-ce une action expiatoire pour avoir joué et s'être laissé emporté par son désir? Est-ce une volonté de se couper du monde? Le baiser qu'elle choisit de lui donner est-il lui aussi, à sa manière, une forme allégorique de l'apnée?
Pour ce qui est du vocabulaire, le lecteur friand de mots rares et d'usage inhabituel est servi. Il pourra aisément les mâcher, les déguster avec gourmandise à la suite de ce narrateur et de son appétit de langage. Je ne suis pas bien sûr cependant que cette débauche sémantique s'attache durablement le lecteur, d'autant que, dans le même temps, la rigueur syntaxique, pour sa part, n'est pas toujours observée, surtout dans les dialogues entre Arsène et Marine. Je ne suis pas bien sûr non plus, à titre personnel, de partager l'enthousiasme exprimé dans la 4° de couverture du narrateur et de sa passion pour le lexicologie. Ce récit est sûrement un exercice de style intéressant, une occasion passionnante de laisser libre cours à la musique des mots, voire à une démonstration d'érudition, mais, au fil des pages, les phrases emphatiques, voire amphigouriques ont fini par me lasser, par m'ennuyer même...
Comme toujours, le hasard a guidé mon choix et j'ai conscience d'être peut-être passé à côté de quelque chose, mais je ne suis pas bien sûr de vouloir accompagner cet auteur dans un parcours créatif qui, d'emblée, me plaisait bien.
© Hervé GAUTIER – Avril 2010
http://hervegautier.e-monsite.com
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L'ECLUSE DES INUTILES - Jean-François Pocentek
- Par ervian
- Le 12/04/2010
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L A F E U I L L E V O L A N T E
La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,
elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.
N°414 – Avril 2010
L'ÉCLUSE DES INUTILES - Jean-François Pocentek – Éditions Lettres vives.
D'abord il y a le livre, un objet qu'on tient dans ses mains mais dont il faut couper les pages avant de les lire; cette opération un peu nostalgique laisse toujours des barbes de papier sur la tranche. Au coin de chaque feuillet qui a échappé à la lame on trouve même un peu du suivant et cela rappelle l'enfance, donne l'image d'une certaine imperfection qui me plait bien quand tout aujourd'hui tend vers l'excellence... On peut donc entamer la lecture!
Le titre ensuite dans lequel figure le mot « inutiles » qui résonne bizarrement dans cette société où chacun doit être efficace et surtout étaler sa réussite sans quoi elle n'a aucune valeur!
Le décor enfin, celui du Nord de la France en novembre, un canal très ordinaire, une eau sombre avec une écluse et quatre maisons perdues. On y accède à pied et dans l'une d'elle, celle de Mathilde, on vient y partager un repas en l'honneur d'on ne sait quoi, la mort d'une chienne ou la venue de la suivante. Images d'un temps immobile, de gens plus ou moins exclus de cette société parce qu'ils sont sans travail ou infirmes, sorte de « bernard l'ermite » occupant des coquilles vides qui passent dans cette vie et finissent par mourir parce que là est la condition de tous les hommes. Que ce soit Marceau, l'ancien maître de forge, Marcial l'infirme, Marthe, Mathilde, l'enfant immobile ou le narrateur, simple employé d'un bureau d'objets trouvés près de la gare, ils sont tous porteurs d'un message, ont tous une histoire à raconter, mais le font en silence et c'est pour cela qu'ils partagent ce repas, peut-être aussi parce qu'ils se ressemblent tous, qu'ils sont tous des anonymes.
C'est une sorte de rituel autours de la cuisinière à charbon qu'on ferme avec des cercles de fonte, du tabac à fumer qu'on roule entre ses gros doigts, des odeurs domestiques, le son d'un carillon, les arômes du café, les silences et l'économie des mots qu'on prononce en hommage aux morts, le vin qu'on boit dans des verres entrechoqués... On y évoque le passage sur terre de ceux qui ne font plus partie des vivants mais qui « ont marqué la mémoire des lieux », ont aimé cette vie parce qu'elle est un bien unique auquel on s'accroche parfois désespérément. A la fin de ce repas, on avance vers le canal, comme on mènerait une procession, pour aider à la digestion ou voir le paysage...
Puis on se quitte parce que c'est la règle et que le temps a ses exigences, avec en prime le chagrin, l'eau dans les yeux, mâtinés si on veut y croire, par l'espoir d'un retour, d'une nouvelle rencontre, avec le rituel des embrassades, des accolades, des serrements de mains et des paroles. Et puis le temps change, les maisons sont détruites, les gens meurent ou disparaissent ...
Je ne sais pas pourquoi, peut-être à cause de ma vieille attirance pour la poésie, pour la musique des mots, pour l'ambiance que distille ce texte, mais j'ai bien aimé ce livre et j'ai eu envie de tourner les pages de ce qui n'est peut-être pas un roman. J'y ai entendu une sorte de musique un peu triste mais aussi très douce, un monde différent devant lequel on passe parfois sans le voir tant il est ordinaire. Il est question de l'éclusier, parce que l'écluse justifie sa présence [il parle aussi à la première personne, comme le narrateur] il est présent et absent à la fois, à contre-champ, à contre-jour, à la fois gardien de ce petit bout de planète, veilleur, guetteur... Comme les autres personnages il ressemble à des fantômes. Ils parlent de la petitesse du monde qui les entoure et dont il ne font même plus partie. C'est que le peuple du canal est fait de « ramasseurs de trésor », de « cueilleurs de grenouilles », de « coupeurs de queues de rat » autant de membres d'une communauté qui s'identifie au canal, à son chemin, à ce paysage lui-même!
Et puis il y a les mots qu'on porte en soi, parfois longtemps et qui finissent par sortir un beau jour ou une belle nuit, sans crier gare, parce que c'est l'heure, parce qu'ils en ont décidé ainsi. Les gens pressés appellent cela l'inspiration, mais on n'est pas forcé d'acquiescer à leurs allégations. Pourtant ces mots sont maintenant emprisonnés dans un livre, imprimés sur des pages qu'ils noircissent, à jamais exprimés pour des lecteurs innombrables, passionnés ou indifférents, c'est selon!
© Hervé GAUTIER – Avril 2010
http://hervegautier.e-monsite.com
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CHEROKEE – Jean Echenoz
- Par ervian
- Le 08/04/2010
- Dans Jean ECHENOZ
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N°413 – Avril 2010
CHEROKEE – Jean Echenoz – Éditions de Minuit.
Décidément, je lis l'œuvre d'Echenoz à rebours puisque ce roman date de 1983. Le hasard sans doute?
Si j'en crois la 4° de couverture, Georges Chave est le type même du quidam. Il vit en solitaire à Paris et meuble son temps comme il peut entre la fréquentation des bars et des aventures sans lendemain. Il aime les disques de jazz et l'un d'eux lui manque, cherokee, qu'on lui a dérobé voici dix ans. Jusque là rien de notable et Véronique surgit dans sa vie, ce qui la bouleverse un peu, mais ce qui ne dure qu'un temps puisqu'elle le quitte rapidement. Puis c'est la figure d'une autre femme qui elle aussi disparaît de sa vie, mais il décide, sans raison apparente de la poursuivre. Non seulement cette fuite va l'amener jusqu'en mer du Nord et dans le sud de la France, mais il ne sera pas le seul à mener des investigations pour la retrouver et sa quête se fera en compagnie d'autres protagonistes... Voilà en peu de mots l'intrigue, le décor...
Raconter un roman a toujours quelque chose de frustrant. Certes, il y a l'histoire, mais celle-ci n'a rien de passionnant. Est-ce un jeu de piste? C'est un peu déconcertant. Comme souvent dans les romans d'Echenoz, le personnage principal retient mon attention surtout à cause du peu d'originalité qui se dégage de lui-même. Cette sorte d'anti-héros m'intéresse toujours et je guette volontiers ses réactions, ses agissements. Les relations un peu ambiguës et assurément fugaces qu'il a avec les femmes m'interpellent. Est-ce de la timidité, de l'indifférence ou simplement parce qu'elles ne lui trouvent rien d'original ou d'attachant? Pourtant il semble qu'il émane de lui une sorte de séduction, au moins au début, mais peut-être épuisent-elles rapidement les joies de sa compagnie? Pour lui les femmes sont lointaines, pas vraiment inaccessibles, plutôt éphémères et de passage et il semble en poursuivre constamment le fantôme, comme une sorte d'indien(un cherokee?) qui suit patiemment une piste. Il me paraît obsédé par leur beauté, ce qui est plutôt un signe rassurant. Il me semble un peu perdu dans un monde pas vraiment fait pour lui, dans lequel il survit en confiant au hasard le soin de l'étonner. Mais l'étonnement est rarement au rendez-vous! Cette solitude qui se dégage du personnage, le mal de vivre qu'il distille sans doute un peu malgré lui est-il exorcisé dans l'écriture?
Pourtant cette écriture a quelque chose d'attachant, il s'en dégage une sorte de musique un peu triste, avec une grande précision descriptive, une richesse dans le choix des mots et un sens humoristique de la formule qui étonne plus qu'elle n'amuse. Il en résulte parfois des description surréalistes dignes de Lewis Carroll, avec toujours pour toile de fond la ville de Paris en même temps qu'une sorte d'errance révélatrice.
C'est aussi un roman policier au décor un peu nauséabond, aux enquêteurs approximatifs du cabinet Benedetti, aux flics bizarres flanqués d'un indicateur qui ne l'est pas moins et la présence d'une secte d'illuminés. Ces aventures abracadabrantes semblent, comme souvent chez Echenoz, ne jamais vouloir se terminer.
© Hervé GAUTIER – Avril 2010
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NOUS TROIS - Jean Echenoz
- Par ervian
- Le 06/04/2010
- Dans Jean ECHENOZ
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N°412 – Avril 2010
NOUS TROIS – Jean Echenoz – Éditions de Minuit .
Je poursuis, par une sorte d'intérêt que je ne m'explique pas très bien moi-même, la lecture de l'œuvre d'Echenoz. D'emblée le titre semble évoquer une relation vaudevillesque, pourquoi pas?
Cette histoire commence par un récit à la première personne, un peu anonyme quand même, et il y est question de technique. Puis ensuite on comprend, parce que le texte se décline sous la forme d'un récit, qu'entre en scène Louis Meyer, polytechnicien, astigmate, la cinquantaine...homme infidèle, solitaire et divorcé de Victoria Salvador, une femme avec qui il a eu pourtant une relation de lune de miel. Lui, c'est le type même du quidam. Il s'apprête à partir seul en vacance au bord de la mer chez une amie. Sur l'autoroute, l'incendie d'une voiture qu'il suit lui fait rencontrer une femme qu'il surnomme Mercedes, du nom de sa voiture, parce qu'elle lui parle peu et qu'il accompagne à Marseille[Il serait sans doute intéressant d'analyser ce mutisme qu'on retrouve dans d'autres romans, de même d'ailleurs que la relation qu'il a avec les femmes en général...]. Là un tremblement de terre intervient qui détruit une partie de le cité. Ensuite il est contacté par un collègue pour tester un vaisseau spatial destiné à prévoir les séismes. Le voilà donc soumis à un entrainement intensif qu'on imagine aisément et qui n'est vraiment plus de son âge. A cette occasion, il retrouve Mercedes d'une manière un peu surréaliste dans le cadre de ce ce projet un peu fou de fusée en orbite... Là cela devient de la science-fiction. Pourquoi pas?
C'est un peu comme si l'histoire n'était là que comme un prétexte, presque sans importance. En réalité, l'impression du début est fausse. La relation tripartite dont il s'agit ici s'établit plutôt entre le narrateur, le personnage principal et le lecteur, ce qui bouscule un peu les bases traditionnelles du roman. Pourquoi pas? A moins qu'il faille voir dans cette tierce personne, cette voix étrangère qui intervient à la fin, une sorte de dédoublement de la personnalité de ce Louis Meyer, une sorte de soliloque intérieur ou la volonté de l'auteur de s'insinuer dans le récit?
Faire intervenir le lecteur n'est peut-être pas une mauvaise initiative, explorer de nouvelles pistes sur le thème de la création littéraire aussi...Mais les narrateurs semblent se succéder presque à l'infini sans qu'on sache très bien ce qui justifie une telle démultiplication. La technique du flash-back est intéressante mais des personnages apparaissent pour disparaître définitivement ensuite et le lecteur est amené à se demander s'ils sont pas là par la seule force de l' imagination débordante de l'auteur, pour compléter un décor changeant... Est-ce pour brouiller les pistes, pour accentuer l'aspect labyrinthique d'un récit où pour mystifier ce lecteur à qui, pourtant, il semble donner quelque importance? Est-ce pour exprimer une sorte de désespérance, de mal de vivre, de solitude? Est-ce pour étonner dans un monde où rien n'est plus vraiment surprenant? Ce questionnement reste entier pour moi et je me demande si je ne suis pas passé complètement à côté de quelque chose.
De plus, la façon d'écrire me paraît un peu déconcertante, pourtant j'ai poursuivi jusqu'à la fin. Ce qui, au départ, me semblait une intéressante initiative, une tentative pleine de promesses finit par lasser quelque peu et m'a laissé pensif et même interloqué, plus vraiment passionné par l'expérience et au bord de l'ennui, ne poursuivant ma lecture que pour savoir si la fin de ce roman sera aussi échevelé que ses improbables développements.
Il semble qu'Echenoz se rattache au « nouveau roman ». Cette manière d'écrire est sans doute l'illustration de la remarque un peu déconcertante de Robbe-Grillet « Nos romans n'ont pour but ni de faire vivre des personnages ni de raconter des histoires ».
© Hervé GAUTIER – Avril 2010
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JE M'EN VAIS - Jean Echenoz
- Par ervian
- Le 04/04/2010
- Dans Jean ECHENOZ
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N°411 – Avril 2010
JE M'EN VAIS – Jean Echenoz [Prix Goncourt 1999]– Éditions de Minuit .
Le titre peut étonner, le laconisme de l'expression est révélateur... d'autant que cette petite phrase commence et termine ce roman! Félix Ferrer, bel homme, galériste parisien passionné, quinquagénaire et cardiaque, décide, après un léger infarctus, de quitter sa femme, Suzanne qui lui portait sur les nerfs depuis trop longtemps! Cela ne l'empêche pas, à l'invite de son assistant, Delahaye, de partir pour l'Arctique, à la recherche d'une hypothétique épave vieille de 4O ans dont le contenu pourrait bien redresser ses finances vacillantes, et de collectionner les aventures amoureuses, ce qui est quelque peu incompatible avec sa santé!
De rebondissements en mésaventures, ce roman devient un authentique policier à partir du moment ou son assistant meurt, que les objets d'art retrouvés dans l'épave sont volés, qu'intervient ce mystérieux Baumgartner dont on n'apprend à la fin qui il est réellement et l'inspecteur Supin. Et tout semble s'arranger avec la découverte des objets dérobés, l'argent qui revient, la vie plus facile de Ferrer avec évidemment un plus bel appartement et une nouvelle femme! Un happy-end qu'on ne voit sans doute que dans les romans!
Le style d'Echenoz proche de l'oralité, quasiment familier et plein d'interactions entre le narrateur et le lecteur continue de me surprendre et de m'intéresser. Mais l'auteur reste, en quelque sorte à côté de son récit et des personnages qui le peuplent, qui sont décrits parfois avec force détails, se présentant davantage comme un témoin que comme le maître du jeu, tissant avec son « liseur » une manière de complicité, laissant peut-être au hasard la conduite des opérations ou à chacun une plus grande liberté d'expression? De plus, ce parti-pris de style permet d'alterner les points de vue de l'auteur et des personnages et l'absence de guillemets de brouiller un peu plus les cartes.
L'histoire qu'il raconte est faite d'une fuite perpétuelle, d'une juxtaposition de solitudes ce qui n'est finalement que la prise en compte de la condition humaine, d'une constante envie de fuir à la fois sur le plan de la géographie que sur celui de l'appétit personnel de changement comme l'indique le titre. Cela m'apparaît comme étant aussi une quête, à la fois de l'âme-sœur, de la compagne idéale apparemment introuvable, (Les femmes évoquées sont présentées davantage comme des conquêtes passagères que comme de vraies complices et la seule qui aurait pu l'être, son épouse, il la quitte. De plus celles qu'il rencontre parlent peu ou pas du tout ce qui les fait ressembler à des fantômes de passage), d'un idéal peut-être matérialisé par la recherche de cette épave lointaine, dans un monde fait d'argent, d'hypocrisie, d'instants fugaces et qui finalement nous rapprochent de la mort.
Pour autant, l'aspect policier me paraît un peu facile, peut-être pas assez travaillé pour maintenir jusqu'à la fin l'intérêt. Je dirai presque que le livre refermé, j'emporte avec moi une certaine déception peut-être parce que l'attribution de ce prix prestigieux m'avait donné à penser qu'il ne pouvait s'agir que d'un roman digne d'intérêt.
Était-ce aussi à cause de la forme de ce qu'on appelle le nouveau-roman?
© Hervé GAUTIER – Avril 2010
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