Articles de hervegautier
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Géographie d'un adultère
- Par hervegautier
- Le 23/10/2018
- Dans Agnès RIVA
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La Feuille Volante n° 1283
Géographie d'un adultère - Agnès Riva – Gallimard (collection l'arbalète).
Le titre menaçait d'annoncer un roman intéressant. L'adultère , ce sujet a largement été utilisé, analysé, illustré sous toutes les coutures et même épuisé mais, pourquoi pas ? La géographie, à part les lieux où se déroulent les différentes phases de cette aventure (voiture, chambre d'hôtel, domicile), je ne vois pas , mais là aussi pourquoi pas ? Qu'y a -t-il en effet de plus banal qu'un adultère ? Il serait le pendant presque naturel du mariage et illustre l'engouement de l'espèce humaine pour ce qui est interdit. Effectivement les deux protagonistes, Paul et Emma, sont mariés, mais pas ensemble, Ils ont chacun un conjoint, des enfants, une famille…bref vont chercher ailleurs ce qu'ils ont sans doute chez eux que la routine et le quotidien ont peu à peu érodé, et espèrent trouver un intérêt supplémentaire à leur vie dans une passade. Ils sont collègues de travail, ce qui favorise les rapprochements et ils souhaitent sans doute éprouver le frisson de la nouveauté, de la découverte de l'autre, le plaisir de transgresser un interdit ou l'illusion d'être différents des autres, tout en respectant les apparences qui, comme nous le savons tous, sont hypocrites. Là aussi pourquoi pas, cela n'a vraiment rien d'original mais cela peut quand même faire une bonne idée de roman.
La narratrice nous rend compte de cette aventure sur un mode neutre, presque détaché et parle surtout d'Emma, de ses attentes, de ses états d'âme, de ses souvenirs d'enfance, de ses fantasmes. On sent un Paul calculateur et froid, plus intéressé par son plaisir et par sa carrière, en tout cas quelqu'un qui n'en est pas à son premier faux-pas extra-conjugal, ce qui n'est peut-être pas forcément le cas d'Emma. On le perçoit même un peu mufle quand il fait allusion devant elle à toutes ses anciennes maîtresses et la façon peu élégante qu'il a choisi pour mettre fin à l'une de ses liaisons. Quant à Emma, elle paraît plus amoureuse, plus sentimentale, en attente d'autre chose qui ne viendra pas, en tout cas pas avec lui. Pas très glamour tout cela quand même mais cependant bien humain ! Pourtant ni l'un ni l'autre ne sont désireux de sauter le pas et de divorcer pour vivre ensemble. Ces amours en pointillés qui n'ont rien d'une folie, semblent leur suffire pour le moment. En principe les adultères ne durent pas et bien peu se prolongent par un mariage entre les amants. On sent bien que celui-là ne fera pas exception à cette règle. Cette relation prend fin effectivement et c'est elle qui décide de rompre. Pourquoi le fait-elle? La certitude de s'être trompée, la volonté de précipiter les choses pour éprouver les sentiments de Paul, la culpabilité d'avoir abusé de la confiance de son mari, la volonté de revenir au foyer après une tentative longtemps ajournée d'émancipation, le désir de connaître une jouissance différente d'un quotidien matrimonial devenu trop pesant ? Allez savoir ! On ne saura rien non plus de leurs conjoints respectifs, de leurs enfants, de leur vie en dehors de ces moments « libertins » mais on imagine bien que cela n'a pas été sans conséquences. On peut difficilement vivre une relation adultère sans que celle-ci n'affecte la vie de leur famille au quotidien .
Le livre refermé, je retire de tout cela une sensation de solitude plus que quelque chose qui ressemblerait à de l’exaltation des sens à laquelle peut-être je m'attendais. Cette liaison se terminera évidemment, laissant sans doute à Paul quelques souvenirs qui se dissiperont assez vite dans d'autres bras et à son amie sûrement des regrets et des remords. Nous ne saurons cependant pas si le secret qui a enveloppé cette toquade a été éventé. Les conjoints respectifs resteront au moins dans l'ignorance du faux-pas de l'autre ce qui aura l'avantage de faire perdurer pour un temps l'illusion qui est la leur d'avoir épousé quelqu'un de bien, de fidèle, d'honnête… Mais, n'ayant pas trouvé ce qu'elle cherchait dans cette séquence sentimentale parallèle, je ne doute pas qu'Emma poursuive sa recherche et ce d'autant plus volontiers qu'elle aura vu dans la confiance ou la naïveté de son mari un encouragement à le tromper à nouveau.
Le style est quelconque et les descriptions ont la froideur administrative d'un procès-verbal de gendarmerie ou d'un état des lieux rédigé par un agent immobilier zélé, quant aux scènes érotiques, il faudra repasser, il n'y en a pas !
Je n'ai peut-être rien compris ou je suis sans doute passé à côté d'un chef d’œuvre, mais je me suis ennuyé à cette lecture et je n'en retire que de la déception. Tant pis pour moi.
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Quand Dieu apprenait le dessin
- Par hervegautier
- Le 22/10/2018
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La Feuille Volante n° 1282
Quand Dieu apprenait le dessin - Patrick Rambaud – Bernard Grasset.
Au Moyen-Age, Venise est déjà une puissance maritime, commerciale et politique qui s'affirme face au pape et à l'empereur d'Occident. Pourtant le duché est gouverné par Justinien, un doge vieillissant dont la vie est menacée. Il lui faut donc affirmer sa puissance par le rapatriement de la momie de l'évangéliste Saint Marc qui aurait jadis séjourné sur la lagune avant de terminer ses jours comme évêque d'Alexandrie où il est enterré. Mais Alexandrie est aux mains des Ottomans et selon la légende, le doge charge de cette mission deux marchands vénitiens rusés, voyageurs aguerris et tribuns, c'est à dire proches du doge, Rustico da Torcello et Buono da Malamocco qui s'en acquitteront avec succès et d'une manière rocambolesque, face à un Islam tout puissant qui menaçait la dépouille de profanation. Ils n'en tireront cependant aucune gloire et on oubliera jusqu'à leur nom .
Avec ce texte, l'auteur nous transporte dans un temps où les cités médiévales dominées par le pouvoir de l’Église, tiraient leur prestige de la possession de saintes reliques et Venise n'échappait pas à cette tradition, ne serait-ce que pour concurrencer Rome et le tombeau de Saint Pierre. Peu importe d'ailleurs l’authenticité de ces restes qui, à cette époque, faisaient l'objet non seulement d'une vénération un peu surréaliste mais surtout d'un négoce florissant. Nous sommes dans un Moyen-Age boursouflé d'obscurantisme et de superstition , gouverné par des prélats et des prêtres ignares, manipulateurs et dogmatiques qui ne juraient que par un dieu lointain, oublieux du message de l’Évangile dont ils étaient pourtant porteurs et exécutaient leurs semblables au moyen de ridicules ordalies. On se prosternait devant n'importe quoi pourvu que cela soit censé avoir appartenu à un saint ou mieux au Christ lui-même. Quant aux miracles qui leur sont attribués l’imagination était sans borne. Il n'y a que la foi qui sauve !
Si la dépouille du saint apôtre était effectivement en pays musulman, elle était entre les mains de l'église copte, donc concurrente des catholiques. Pour légitimer ce voyage on a un peu maquillé la réalité, les communautés chrétienne et musulmane vivant en bonne intelligence, ce qui est peut-être un signe de tolérance mais assurément la marque d'un autre monde, une autre culture où le commerce fait aussi sa loi avec palabres et profits, esclaves contre denrées. Pourtant, les religieux locaux s'avèrent tout aussi vénales que leurs collègues occidentaux, tout aussi hypocrites aussi, les miracles supposés ainsi que les dons des pèlerins étant une ressource importante de cette communauté..
Il y a une dimension épique dans ce récit qui prête vie à ces marchands intrépides, rusés et avides d'argent qui parcouraient l'Europe et l'Asie pour faire fortune en risquant leur vie. Sur des routes peu sûres du nord ils croisaient des brigands, des loups, des moines paillards et des religieuses lubriques protégés par la religion, l'hypocrisie et leur robe de bure. L'auteur s'approprie avec bonheur cette légende, adjoint à Rustico les services de Thodoalt, un aventurier pragmatique et instruit, un peu moine un peu médecin devenu son mentor. C'est l'occasion pour l'auteur de promener son lecteur dans cette cité médiévale vénète, d'en retracer l'histoire difficile et mouvementée, un duché florissant où le commerce prend la place des combats et où la paix doit être préservée parce qu'elle favorise le négoce quand tant d'autres villes s’appauvrissent dans la guerre.
Le dépaysement dans le temps comme dans l'espace est prenant dans cette fiction. L'auteur,balade son lecteur des brumes du nord de l'Europe à la touffeur d'Alexandrie en passant par les canaux humides de Venise. Par son style et la façon ironique et originale qu'il a de conter cette histoire autant que par la qualité et la précision de sa documentation historique et anecdotique, il fait revivre une époque méconnue et un peu oubliée, s'approprie l 'attention de son lecteur jusqu'à la fin et instille des remarques pertinentes sur les religions, l'hypocrisie, la superstition, les interdits, les batailles et les morts qu'elles suscitent.
J'ai lu ce roman avec délectation, pratiquement sans désemparer, et j'ai particulièrement apprécié la dédicace, notamment à tous ces anonymes vénitiens contemporains
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Parfums
- Par hervegautier
- Le 13/10/2018
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n° 1281
Parfums - Philippe Claudel – Stock.
Philippe Claudel égrène ses souvenirs d'enfance et d'adolescence mêlés à travers les fragrances qui les ont accompagnés. Ils sont attachés à son terroir lorrain , aux années difficiles et pauvres, Sa madeleine de Proust à lui c'est plutôt le charbon âcre qui prend à la gorge dans la rue des corons, les senteurs de moissons ou de pain chaud du matin. Il évoque la maigreur des jeunes années, les maladies infantiles, les cheveux portés ras et la phobie de choses inconnues qui plus tard le feront sourire, celle de l'hydrocution qu'on appelait pas encore comme cela, du respect du temps de la digestion avant de se baigner, l'odeur collante et grasse de la crème qui évitait les brûlures du soleil, les rituels des incontournables colonies de vacances, Plus tard se seront l'euphorie des terrains de foot, le recueillement craintif dans le mystère des églises, les messes servies dans l'odeur entêtante des cierges et de l'encens, une foi qui sera définitivement balayée par le raisonnement de la maturité, l'auteur dénonçant cette religion pas vraiment « en odeur de sainteté »! Puis viendront les tribulations du potache boutonneux qui fantasme sur les plus jolies filles de sa classe mais doit se contenter de la plus moche, les bals et les « surprise-party », les pantalons pattes d'éléphant et les minijupes, les cigarettes au goût mentholé, les « blousons noirs », les juke-box et les mobylettes pétaradantes et trafiquées… Il poursuit son chemin au rythme de sa vie et de ses souvenirs, Certains s'accrochent aux fragrances d'une eau de toilette, aux effluves qui suivent, comme une écharpe suave, la silhouette d'une passante, aux arômes d'alcool qui sortent d'un alambic de campagne ou qui embaument l'été de ses odeurs de foin coupé, à celles de la salle de « la communale » faites de craie et d'encre avec le crissement de la plume d'acier et ses calligraphies de pleins et de déliés, celles de colle blanche ou de l'eau de Javel... Quand il nous parle d'une chambres d'hôtel, ce n'est pas dans un palace, c'est pour évoquer des souvenirs de vacances d'été, c'est à dire pas ce que j'aurais pu imaginer avec mon mauvais esprit. Il n'oublie pas non plus l’effluve des vieux livres qui embaument les bibliothèques et qui, bien entendu, donne naissance à cette irrésistible envie d'écrire, celle de la résine des sapins et la fraîcheurs des sous-bois, « les parfums des corps qui s'aiment » dont le réveil nous fait l'obole quand la nuit n'est plus qu'un souvenir et le rêve des images qui s'effacent.
Il collige par ordre alphabétique, en commençant par « acacia » et terminant par « voyage » les différents parfums qui ont fait partie de son existence, qui n'est cependant pas terminée, et l'hédonisme prend souvent le dessus quand il s'agit de nourritures terrestres, Quant au sexe des femmes, il trouve, pour en parler, les mots du poète passionné et ému par leur corps, image de la beauté, de la tendresse et de la volupté.
Parfois les parfums se transforment en puanteur, l'haleine chargée d'apéritifs anisés des adultes, la fumée bleue de leurs cigarettes qui enroue la voix, le remugle des pièces jamais aérées à l'atmosphère moisie d'un air cent fois respiré… Il nous confie son attachement aux antiques pissotières et ses relents d'urine, à l'odeur du poisson juste pêché, à la sueur de l'effort ou des journées du dur labeur, mais aussi aux douces fragrances de torréfaction que les hasards d'une rue offrent au passant. Ce sont les marques de la vie, des senteurs évadées d'une géographie urbaine et rurale familières et qui s'attachent à un lieu-dit ou à un quartier, nommés ici par leur nom et les mots de notre si belle langue française sont convoqués pour exprimer ces émotions intimes et parfois fugaces. Ce ne sont plus vraiment des parfums mais les images et les odeurs qui jalonnent nos vies, nourrissent notre mémoire, maintiennent nos sens en éveil, s'attachent aux êtres et aux choses dont le destin est de disparaître parce qu'il en va ainsi de toutes les choses humaines. Malgré soi on embellit les moments passés, la nostalgie prend parfois le dessus et le temps lui-même s’abolit. C'est pourtant à l'aune de cela qu'on le mesure ce temps passé qui donne parfois le vertige, et aussi, le vieillissement, notre avancée vers la mort
Ce sont de courts textes baignés de poésie et j'ai retrouvé avec plaisir cette manière coutumière de l'auteur de faire chanter les mots et d'émouvoir son lecteur.
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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océan mer
- Par hervegautier
- Le 05/10/2018
- Dans Alessandro Baricco
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La Feuille Volante n° 1280
Océan mer - Alessandro Baricco – Albin Michel .
Traduit de l' italien pare Françoise Brun.
Imaginez la pension Almayer « posée sur la corniche ultime du monde », occupée temporairement par sept étranges personnages de passage, venus au bord de la mer pour guérir leurs maux, un endroit où « on prend congé de soi-même ». Il y a là Elisewin, une fragile et sensible jeune fille de 16 ans à la voix de velours. C'est le père Pluche, un homme d'église, féru de prières interminables et pourtant bien peu religieuses, qui ne dit jamais ce qu'il faudrait dire, qui l'a amenée ici pour la guérir de son hyper sensibilité, Le professeur Bartleboom qui observe la nature et écrit une étrange encyclopédie sur la limite des choses tout en cherchant désespérément l'amour, Plasson, l'ancien portraitiste en vogue qui ne finit jamais ses phrases et qui est venu ici pour faire le portait… de la mer, mais ses toiles, peintes à l'eau de mer, restent blanches pour la plupart ! Il y a entre ces deux hommes une sorte de point commun, une recherche folle, chacun à sa manière, de l'insaisissable. Annn Devéria quant à elle, vient ici avec son mari, pour guérir... de l'adultère, sans apparemment y parvenir. Elle est d'une certaine manière le pendant de Bartleboom qui cherche l'amour alors qu'elle veut l'oublier, Il y a aussi entre eux une forme de solitude, différente mais bien réelle, une quête impossible. Entre le docteur Savigny et Adams, dont le vrai nom et Thomas, a existé une histoire un peu floue : tous les deux sont les rescapés du naufrage de « l'Alliance » qui nous est raconté dans la deuxième partie de ce roman et qui ressemble à l'épisode du « Radeau de la Méduse » immortalisé dans un tableau de Géricault. Ce sont les mêmes scènes de panique qui ont transformé les hommes en animaux meurtriers, les ont rendus cannibales pour survivre. Entre eux le point commun est la vengeance puisque le Savigny serait l'assassin de la compagne de Thomas. Ce qui rapproche Elisewin est subtil, l'une ne connaît rien du monde où elle vit et l'autre en connaît trop. Il y a aussi les enfants dont le prénom aux accents magiques commence par un D, chacun semblant être un témoin de cette comédie qu'est la vie des adultes autour d'eux!
Il y a bien sept personnages qui ont entre eux une sorte de complémentarité, comme une sorte de puzzle étrange, mais le huitième, omniprésent, c'est la mer, censée guérir tous les maux de ceux qui sont venus ici, dans ce coin oublié de la planète où chacun est là, en attente de quelque chose qui ressemble peut-être à une renaissance, avec son histoire, ses interrogations, ses fêlures, ses espoirs .Tous la considère comme une panacée, mais c'est pourtant cette même mer qui a tué lors de l'épisode du naufrage de « l'Alliance », celle qui détruisait aussi quand les habitants du littoral se transformaient en naufrageurs, Cet endroit où finit la terre et ou commence l'océan, avec son mystère ,est une sorte de transition entre deux mondes, ce lieu est étrange, cette pension est une antichambre face a un infini, plus vraiment la vie, pas encore la mort, un état temporaire et mystérieux comme l'est la septième chambre de cet hôtel son non moins mystérieux occupant.
Le texte aussi est mystérieux qui va de la période contemporaine au récit catastrophique du fameux « radeau de la Méduse » qui se désagrège comme disparaît à la fin du roman cette pension. C'est un récit labyrinthique évoquant la vie dont chacun d'entre nous n'est que le simple usufruitier et qui se termine inexorablement par la mort, Il évoque le Sénégal et la France et tisse autour de lui une sorte de halo d'intemporalité, à la fois dépaysant, dérangeant mais aussi captivant, autant par l'histoire de chacun que par l'écriture.
© Hervé Gautier – Septembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le petit garçon
- Par hervegautier
- Le 05/10/2018
- Dans Philippe Labro
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N°669– Août 2013.
LE PETIT GARCON – Philippe Labro - Gallimard.
Quelque part dans le sud-ouest de la France, quatre garçons et trois filles habitent avec leurs parents dans une maison, « La Villa » à l'écart de la ville sur une colline boisée, une sorte de microcosme paradisiaque où rien de mal ne peut arriver à cette famille unie et heureuse. Le père avait choisi cette région après avoir longtemps exercé à Paris comme conseiller juridique et fiscal et fait fortune. Pour le narrateur, il y avait les jeux insouciants, la vie au quotidien, l'école, les maladies infantiles et même un voisin, le docteur Sucre, psychiatre de son état et original comme il se doit. L'énigmatique « Homme sombre » venait parfois pour une visite épisodique et mystérieuse mais rien de plus ! Enfin pas tout à fait parce qu'il y avait aussi Mme Blèze, une belle femme élégante, vivant seule en ville, modiste et ancienne parisienne qui nourrissait ses fantasmes et sûrement pas que les siens !
Tout cela aurait pu durer aussi longtemps que l'enfance mais la voix chevrotante du vieux maréchal faisant « à la France le don de sa personne » allait tout changer: la France était vaincue, son armée écrasée par l'Allemagne, nous étions en 1940, ce monde n'allait pas tarder à s'écrouler, les vélos-taxis à apparaître dans le paysage urbain …et les uniformes couleur vert-de-gris ! Cela c'était pour les adultes, mais lui, le narrateur, poursuivait sa vie frivole et ses amours d'enfant.
La ville étant en zone libre et voisine de la frontière espagnole, des « visiteurs » énigmatiques se succédaient à la « Villa ». Ainsi le père initia-t-il ses enfants au secret qui entourait ces réfugiés temporaires et des mots nouveaux, lourds de sens, entrèrent-ils dans leur vocabulaire : antisémite, intolérance mais aussi discrétion, loyauté, prudence. L'enfance et son insouciance s'en allait déjà au rythme des changements du monde extérieur ! Ainsi affranchis, les enfants allaient apprendre à jouer la comédie, à faire semblant pour se protéger et protéger ceux qui avaient choisi de résister. Dès lors, le narrateur, encore enfant, allait-t-il apprendre à connaître les hommes, la vie en société un peu avant l'heure et prenait-t-il très au sérieux le rôle de « messager » que lui confiait son père. C’était presque pour lui un jeu où la volonté d'agir le disputait à l'inconscience de la jeunesse et il s'identifiait sans peine aux héros de roman qui peuplaient la bibliothèque paternelle. Plus le temps passait, plus la guerre jusque là lointaine se précisait : réquisition de la « Villa » par l'armée allemande, rafles, disparition de personnes ou départs pour le maquis, engagement dans la police allemande de Français connus dans la ville. Pourtant leur chance vint de l'installation chez eux d'un général SS ce qui constitua pour eux une protection involontaire et leur permit de mieux cacher les juifs en transit. Puis ce furent les messages personnels de la radio de Londres, la lente dégradation des armées du III° Reich, le débarquement en Normandie et l’inexorable avance des alliés, la fuite de l'occupant et les représailles, les réjouissances de la Libération. Puis, après toutes cette agitation et sur les conseils éclairés de Sam, le précepteur bénévole un peu excentrique mais pour une fois réaliste, ce fut, avec toute la famille réunie, le saut dans l'inconnu pour les enfants, la montée vers la Capitale où ils pourront s'épanouir, l'abandon de cette « Villa », autant dire une page qui se tournait définitivement pour ce « petite garçon » qui ne l'était déjà plus. Paris est un autre monde, une autre planète où il finit par perdre son accent du sud-ouest et aussi pas mal de ses illusions sur les gens, la société, ces idées reçues et ses convenances.
Dans ce texte, le narrateur idéalise son père, un notable érudit de province, dans les circonstances exceptionnelles de la guerre, mais apprend à connaître son histoire personnelle d'avant son mariage, voit venir le mystérieux Diego. Je retiens également le personnage de Sam, aussi déjanté que le père est sérieux et dont l'enseignement est aussi moderne qu'est classique celui du géniteur, image inversée de celle du père mais tout aussi enrichissante pour l'enfant.
Beaucoup d'écrivains ont évoqué leur enfance comme une période merveilleuse dont ils aimaient se souvenir, ont rendu hommage à leurs parents qui en ont été les artisans. Personnellement, j'ai avec elle un problème récurrent voire obsédant et je souscris plutôt à la citation de Malraux « Tous les écrivains que je connais aiment leur enfance, je déteste la mienne ». J'ai donc un intérêt tout particulier à lire ceux qui en parlent avec des mots choisis. Le narrateur fait fort bien cela et, à travers ce texte un peu nostalgique on sent qu'il en garde un souvenir ému et indélébile, excellent assurément. C'est vrai que l'enfance détermine la vie future. Il est essentiel qu'elle soit réussie, heureuse, qu'elle soit porteuse à la fois d'insouciance, d'attachement aux gens qui la font, de préparation aux années à venir qui sans doute n'y ressembleront pas. Je m'interroge cependant sur la dernière phrase de ce roman autobiographique [« l'enfant que je n'ai jamais cessé d'être »]. Je ne connais pas Philippe Labro, je crains cependant que cette sentence ne soit de l'ordre de l'apophtegme convenu. Mais peut-être me trompais-je ?
En tout cas j'ai passé avec ce roman bien écrit un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Noblesse oblige
- Par hervegautier
- Le 29/09/2018
- Dans Donna Leon
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N°660– Juillet 2013.
NOBLESSE OBLIGE – Donna Leon - Calman-Lévy.
Traduit de l'anglais par William Olivier Desmond
Tout près de Venise, on vient de découvrir le squelette d'un jeune homme qu'on identifie seulement grâce à la chevalière qu'il porte. Elle arbore les armoiries des Lorenzoni, une grande famille de Venise qui a appartenu à l'histoire. Pourtant, pendant la deuxième guerre mondiale, l'un de ses membres, le comte Picho Lorenzoni a livré aux SS le nom de tous les juifs de Venise dont beaucoup sont morts assassinés. Le corps qu'on vient de retrouver, apparemment exécuté d'un balle dans la tête, serait celui de Roberto Lorenzoni, un jeune homme d'une vingtaine d'années, kidnappé deux ans auparavant sous la yeux de sa fiancée dans les environs de Trévise. Deux demandes de rançon furent formulées mais rien ne fut payé pour cet unique enfant du couple mais après un temps, on n'eut plus de ses nouvelles. Devant l'éventualité d'une erreur sur la personne ou d'un canular, Brunetti qui n'avait pas à l'époque été chargé de cette enquête, se documente avec précisions sur les circonstances de cette affaire. Il interroge, évidemment, la signorina Elettra, la toujours aussi efficace secrétaire de la questure mais, s'agissant d'une famille noble vénitienne, le commissaire se souvient opportunément que sa belle famille qui est également aristocrate pourrait bien lui fournir de précieux renseignements sur les Lorenzoni. Le comte Falier, son beau-père accepte de lui dire ce qu'il sait. Les Lorenzoni étaient dans les affaires mais Roberto distrait, distant, superficiel, semblait moins doué pour cela que son père, tout comme il semblait peu versé dans les disciplines intellectuelles. Il n'était employé par le conte que dans le domaine de la représentation, des voyages. En revanche son cousin Maurizio, de deux ans son aîné et qui vivait dans sa famille, avait davantage de dispositions pour le commerce. Il aurait très bien pu avoir un rôle dans cet enlèvement. En effet, se positionnant comme véritable héritier, il avait un intérêt à la disparition de son cousin.
Dans le courant de ses investigations, le commissaire prend contact avec la petite-amie de Roberto qui a assisté à l'enlèvement ; elle est maintenant mariée et mère de l'enfant d'un autre homme, il s'assure de la véritable identité du cadavre et reprend en quelque sorte l'enquête initiale puisque, d'un simple enlèvement, il s’agit maintenant d'un assassinat. En fait Roberto était assez mystérieux mais Maurizio est lui-même un personnage assez énigmatique. Puis les événements se précipitent remettant en cause et les belles certitudes de Brunetti. Toute cette histoire devient logique, met en évidence un trafic international, la cupidité des hommes, le non respect des membres de cette famille, l’inconscience de tous...
J'ai moins aimé ce roman, à cause sans doute de ses longueurs mais il reste quand même un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Pour services rendus
- Par hervegautier
- Le 29/09/2018
- Dans Iain Levison
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La Feuille Volante n° 1279
Pour services rendus - Iain Levison – Liliana Levi.
Traduit de l'américain par Franchita Gonzalez Batle.
Fremantle , chef de la police du Michigan, devait se dire que c'était un poste de fin de carrière et que la retraite était pour bientôt. Il ne s'attendait sûrement pas à voir débarquer deux avocats désireux d'obtenir son témoignage et encore moins l'objet de celui-ci. Ce qu'on lui demande d'évoquer remonte à quarante-sept ans, mais pourtant, il n'a rien oublié ! Ancien sergent dans un régiment de l'armée américaine au Vietnam, il avait eu sous ses ordres une nouvelle recrue inexpérimentée, Drake, qui est maintenant candidat à sa réélection au poste de sénateur dans l'état du Nouveau Mexique. Durant sa campagne, Drake a cru bon, pour s'attirer les voix des vétérans, de vanter sa conduite militaire au Vietnam et de s’approprier des faits d'armes dont il n'était pas l'auteur. L'ennui pour lui fut que ces faits ont été contestés et les avocats engagés par Drake sont chargés de convaincre Fremantle de confirmer, en qualité d'ancien sous-officier de cette section, les paroles du candidat sénateur, au cours une interview télévisée. Il devra simplement confirmer les propos de Drake, c'est à dire pas vraiment mentir par affirmation mais seulement omettre de dire toute la vérité sur la façon de servir du candidat pendant cette période. En retour, après la réélection, il obtiendra des crédits pour financer son commissariat dont la gestion financière est des plus problématique. Il pourra donc léguer à son futur successeur une situation saine. L'ancien sergent accepte donc.
Pour Fremantle, cette période de sa vie qui est encore bien présente à sa mémoire et des souvenirs qu'il croyait évanouis lui reviennent et dérangent quelque peu le témoignage qu'il a promis d'apporter. En réalité il ne parle que de la guerre qui peut plaire, une version édulcorée en quelque sorte et surtout pas des atrocités qui s' y déroulaient. Nous sommes ici dans le domaine politique et s'il en est un aux États-Unis qui est incompatible avec le mensonge, c'est bien celui-là. Ainsi, pour grappiller quelques voix, d'ailleurs pas forcément indispensables à sa réélection compte tenu de son parcours parlementaire antérieur et pour se donner une dimension glorieuse d'ancien combattant toujours appréciée outre-atlantique, Drake s'est enfermé volontairement dans un mensonge, petit au départ , qui a malgré lui et avec le temps pris des proportions qui ont fini par lui échapper et qui n'ont pas manqué d'être exploitées par ses détracteurs. Pourtant Fremantle n'est pas vraiment à l'aise dans ce mensonge, lui qui, pourtant, en tant que policier, en entend tous les jours de la part des prévenus, puisqu'il retrouve des anciens camarades de combat qui connaissent la vérité, Mais la politique déroule son jeu avec ses prébendes, ses trahisons, ses artifices. Existe-il vraiment une justice immanente mais, comme le disaient les Anciens, « la roche tarpéienne est proche du Capitole », une réalité qui s'impose à Drake et la morale est sauve comme cela arrive parfois dans la vraie vie. Cet événement en tout cas fait prendre conscience au policier qu'il a vieilli et que l'heure de la retraite a sonné pour lui,
C'est donc non seulement une critique de cette Amérique démocratique et censée être vertueuse que nous prenons comme modèle qui est ici menée. Elle est pourtant inféodée au pouvoir de l'argent et l'hypocrisie, la palinodie, la flagornerie sont choses quotidiennes comme elles le sont dans nos sociétés occidentales qui s’accommodent du mensonge, de la trahison, des apparences, C'est évidemment une diatribe contre le monde politique où tous les coups foireux sont permis pour accéder au pouvoir, où les promesses les plus fantaisistes ont droit de cité. Ce milieu qui devrait être celui de l'évolution des choses au profit du plus grand nombre n'est en réalité qu'un creuset où se développent les inutiles, les incompétents, les arrivistes qui deviennent très vite des parasites. plus soucieux de leur enrichissement personnel et de leur parcours que du bien commun. C'est aussi une satire contre l'espèce humaine, toujours plus prétentieuse et désireuse de reconnaissance, avide d'avantages , et à laquelle nous appartenons tous .
© Hervé Gautier – Septembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Meurtres à Niort - Une affaire d'Etat
- Par hervegautier
- Le 25/09/2018
- Dans Frédéric Bodin
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La Feuille Volante n° 1278
Meurtres à Niort , une affaire d’État- Frédéric Bodin – Le gestenoir..
Nous sommes au printemps 1936 à Niort et le train de nuit venant de Paris arrive en gare avec deux passagers en moins. A Thouars, quelques heures plus tard, on retrouve deux cadavres sur la voie. Drôle d'affaire pour des villes de province réputées calmes. On songe à un accident, à un meurtre peut-être et le commissaire des Chemins de Fer Bonsergent est chargé de l'enquête, Mais rapidement, ce qui pouvait ressortir de la routine va prendre une autre dimension puisque l'une des victimes, Anna Comblet, est la belle-fille d'un important industriel niortais travaillant pour la défense nationale et l'autre, l'inspecteur Boismé, un policier parisien chargé d'enquêter sur d'éventuels faits d'espionnage dont serait victime cette entreprise. L'enquête qui démarre écarte très vite la thèse de l'accident pour privilégier celle d'un double homicide, des meurtres qui vont sortir Niort de sa torpeur avec, en contrepoint , les relations internationales dégradées à cause de la montée du nazisme et l’émergence du Front Populaire. De plus, la lutte entre la police locale et les espions allemands désireux de s'approprier des secrets militaires pour une guerre qui s 'annonce va embrouiller un peu les recherches. Tout se complique avec des rebondissements, des disparitions, des fausses pistes, des filatures, des prises de contact discrètes avec des cadres de l'usine niortaise, des meurtres, tous à l'arme blanches, et surtout une suspicion qui pèse sur Anna du fait de sa nationalité allemande et de ses parents qui, restés dans leur pays, sont l'objet de brimades de la part de la Gestapo . Le tout dans l'atmosphère électrique des élections législatives en France...
C'est écrit dans le style simple et précis d'un polar, Ce premier roman est bien documenté et se rattache à l'histoire et la vie locale de l'époque, notamment par les références aux journaux et aux documents d'archives. Je l'ai lu pratiquement sans désemparer tant l'intrigue est surprenante et passionnante, le suspense y est entretenu jusqu'à la fin.
A titre personnel, ce texte a réveillé dans ma mémoire ma fascination pour les trains, l'ambiance surannée d'une gare du milieu du siècle dernier, l'haleine blanche des locomotives au charbon inondant la marquise de la station, sur le quai le mécanicien attentif avec sa burette d'huile à la main et son visage noirci, la voix chuintante des hauts-parleurs, l'épaisse torpeur des trains de nuit, la promiscuité des compartiments, les photos en noir et blanc de paysages qui les décoraient, le filet à bagages, les miroirs qui se faisaient face et multipliaient une image fuyante et oblique à l'infini, le confort douillet des voitures de 1° classe auxquelles je n'avais pas accès et je ne parle pas des wagons inconfortables et malodorants de 3° classe, le contrôleur à qui je tendais mon petit carton rose, son composteur de laiton qui le poinçonnait, le tangage monotone des boggies, la peur de s'endormir dans le train et de manquer la gare ... Et je me suis aussi souvenu des michelines aux couleurs délavées qui s’arrêtaient à toutes les gares de campagne...J'y ai retrouvé la ponctualité des trains de l'époque, l'amour des cheminots pour leur métier, leur jargon, leur mémoire des correspondances et des horaires et cette sorte d'aristocratie du rail qui différenciait les « roulants » et les mécaniciens des autres cheminots…
J'y ai retrouvé aussi l'atmosphère d'une ville de province, sans doute différente de ce qu'elle est aujourd'hui, peut-être, moins attractive à l'époque, plus inconnue aussi sans doute, puisqu'on avait du mal à la situer sur le cadastre national. Le décor est au rendez-vous : le marché ici est toujours une tradition niortaise qui remonte au Moyen-Age, les foires de la place de la Brèche faisaient aussi partie de la vie de cette cité comme les bords de Sèvre qui annoncent le Marais Poitevin tout proche et « Le Grand Café » était le lieu de rencontre des Niortais . On pouvait même y croiser l'écrivain Ernest Perrochon, Prix Goncourt 1920 qui y avait ses habitudes. La balade dans la ville de l'époque a un petit côté suranné mais bien agréable quand même.
Cette intrigue mérite bien le sous-titre d'une « affaire d’État ». Ce fut pour moi un bon moment de lecture.
© Hervé Gautier – Septembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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L' archipel du chien
- Par hervegautier
- Le 21/09/2018
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n° 1277
L'ARCHIPEL DU CHIEN – Philippe Claudel – Stock.
Le Brau est un volcan qui domine l'île d'un archipel dont la forme générale rappelle celle d'un chien. Elle se caractérise par une terre généreuse, une mer poissonneuse et on envisage même d'y exploiter une source thermale. Tous les gens qui l' habitent sont nés ici et sans doute y mourront, de quoi cultiver l'envie de rester entre soi. Tout le monde, sauf l'Instituteur, un poète curieux de la science, égaré sur cette île, qui vient d'ailleurs, autant dire une étranger dont on se méfie, dont on épie les faits et gestes et qu'on évite autant que possible ! Il est l'archétype de celui qui vit différemment des autres et qui, bien entendu dérange par sa présence même. Il apprendra à ses dépends cette haine dont il est l'objet et prendra conscience de l'importance de cette intolérance. Un matin trois cadavres de migrants noirs s'échouent sur une plage et il faut s'en débarrasser en catimini, de quoi bousculer la routine de ce microcosme et le Maire intime l'ordre aux rares personnes qui sont dans la confidence de cet événement d'en garder le secret en évitant d'avertir les autorités. C'est la première fois qu'un tel événement à lieu sur cette île et il est bien de nature à contrecarrer tous les projets d'avenir et notamment celui des Thermes. Chacun réagit à sa manière et avec sa traditionnelle posture face à ce problème et Claudel choisit d'en dresser le catalogue à travers des types sociaux, tous affublés d'une majuscule pour plus de solennité. On s'en serait un peu douté, l'Instituteur est opposé au Curé, un vieil homme de plus en plus sceptique sur son ministère et même sur sa foi et qui s'intéresse davantage à l'apiculture qu'à ses ouailles, le Docteur qui ne se départit jamais de son masque souriant qui lui sert à la fois de bouclier et et de réponse à tout, la Vieille, une femme pleine de bon sens et qui pratique le franc-parler, le Maire, plus malin qu'il y paraît, soucieux de l'intérêt de sa commune mais qui profite de sa position pour imposer ses ordres à tous, « Amérique » et « Le Spadon » deux hommes du peuple qui obéissent sans sourciller aux diktats du premier magistrat. A l'extérieur, il y a la foule des anonymes, manipulable, réceptive aux peurs ancestrales comme aux images chocs et prompte à réagir avec aveuglement. La mise en scène quasi mystique des aveux de la petite Mila illustre à la fois le côté artificieux des choses et cette volonté de mystification. L'auteur dépeint sans concession le microcosme, ce « petit monde » qui est une illustration de l'espèce humaine.
L'air de rien, Claudel met le doigt sur un problème brûlant et qui ira s'amplifiant à cause de raisons sociologiques, politiques, climatiques, économiques, celui de la migration. C'est vieux comme le monde mais cela met chaque fois en évidence les mêmes réactions, égoïsme, peur et rejet de la part des populations établies, volonté de s'installer, de s'intégrer pour un avenir meilleur en étant le plus transparent possible, pour les migrants. Il dénonce aussi le désengagement de l’Église, l'hypocrisie de la société, ses mensonges... Il le fait avec humour qui, comme nous la savons est une arme bien plus efficace que la violence et les mots qu'il emploie mettent en évidence un sens de la formule de bon aloi qui traduit un regard aiguisé sur la marche du monde.Le style est fluide, pertinent et agréable à lire.
Tout serait allé pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si un Commissaire, alcoolique, misanthrope, imprévisible mais surtout perspicace et grand connaisseur de la nature humaine,, précédé de l'ombre des satellites qui voient tout depuis le ciel , n'était venu perturber ce bel agencement. Pour autant sa présence ne suffit pas à transformer ce roman en thriller et d'ailleurs, là non plus, on est sûr de rien puisque le monde dans lequel nous vivons n'est qu'une immense mascarade, qu'une vaste tartufferie. Pour que la fable soit parfaite on y ajoute une odeur pestilentielle qui s'installe sur l'île, des grondements intempestifs du volcan , une chaleur étouffante et la révélation d'un crime qui n 'a rien à voir avec la présence du policier et qui est bien entendu imputé à quelqu'un qui n'y est pour rien mais dont on veut se débarrasser, une sorte de version moderne du « bouc émissaire ».
L'épilogue est étonnant et toute cette affaire bien différente de ce qu'on pouvait imaginer même si au passage l'auteur dénonce cet instinct grégaire collectif au terme duquel on s'arroge le droit de juger et de détruire avec bonne conscience, en espérant que l'oubli recouvrira tout cela.
J'ai lu ce roman comme une fable sur l'espèce humaine capable du pire comme du meilleur mais bien souvent du pire et qui parvient tant bien que mal à vivre avec ses turpitudes. Je ne suis cependant pas sûr que la punition, sorte de justice immanente, soit toujours là pour sanctionner toutes les avanies des hommes.
© Hervé Gautier – Septembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Les chasseurs dans la neige
- Par hervegautier
- Le 17/09/2018
- Dans Jean-Yves Laurichesse
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La Feuille Volante n° 1276
LES CHASSEURS DANS LA NEIGE – Jean-Yves Laurichesse – Ateliers Henry Dougier éditeur,
Je remercie les éditions HD de m'avoir fait parvenir ce roman.
Tout commence par un coup de cœur d'enfance de Jean-Yves Laurichesse pour un tableau, « Les chasseurs dans la neige » et pour son auteur, le peintre flamand Pieter Bruegel (1525-1569) , dit l'Ancien, par opposition à ses deux fils qui ont, eux aussi, suivi la voie de la peinture. Puis, bien des années plus tard, quand la vie s'est installée, il retrouve intacte cette fascination qui non seulement ne s'est pas altérée, s'est même affermie avec le temps et peut-être a donné pour soi-même l'envie de laisser une trace de son passage sur terre. Naturellement il veut en savoir plus sur l’œuvre et sur l'auteur, sur sa vie et ses passions, alors, comme une sorte de témoin qui se joue du temps, il pénètre dans le tableau ou plus exactement se projette à l'époque de sa conception, inventant les phases et les circonstances de sa création, les rencontres que le peintre aurait pu faire. Il y a ce que la toile représente, une scène figée dans la neige, mais surtout ce que le spectateur ordinaire ne peut voir, et, par l'extraordinaire puissance de l'imagination humaine, Bruegel, par le truchement de Laurichesse, révèle sa présence virtuelle qui peu à peu devient bien réelle. C'est un homme de quarante ans, un peintre venu de Brussel en cette année 1565 pour croquer une fête de village flamand en hiver, une commande d'un riche client d'Anvers sur le thème des mois de l'année. Dans ce village, il a parlé et même dansé avec Maeke, puis a disparu, laissant à la jeune fille un souvenir ému. Plus tard il est revenu pour affiner ses croquis, noter des détails qui, dans sa toile à venir prendront une grande importance. Il se dit que peindre ainsi des scènes authentiques est bien mieux que d'évoquer des événements historiques ou bibliques comme il l'a déjà fait et préfère la compagnie de gens simples à celle des bourgeois riches, et peut-être aussi celle de Maeke , cette jeune brodeuse réservée et travailleuse de ce village perdu.
Même si ses tableaux sont célèbres dans le monde entier, on sait peu de choses de la vie de Bruegel. C'est sans doute pour cela que Jean-Yves Laurichesse lui prête une parcelle d'existence parmi ces gens qu'il découvre. Les relations qu'il a avec Maeke sont empreintes de respect, de retenue, d'admiration réciproque. La jeune fille apparaît comme une sorte d'inspiratrice, un prétexte à la création de cette œuvre où pourtant elle ne figure pas. C'est une révélation réciproque puisque, à l'occasion de ce tableau, la jeune fille prend soudain conscience de la beauté des lieux représentés par le peintre ; ils faisaient à ce point partie de son quotidien qu'elle ne les appréciait même plus. Il évoque Pieter, malgré des apparences bourgeoises, comme un homme bienveillant et bon, attentif à ces paysans qu'il ne connaît pas et aussi à l'avenir de la jeune fille,
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai bien voulu croire à cette tranche de vie , vue à travers ce tableau qui s'est lentement composé dans sa tête avant de prendre forme sur la toile. J'ai, bien sûr, cru aux difficultés de composition, aux failles de la mémoire, à l'impossibilité toujours possible de faire partager, à travers les formes et les couleurs, l'émotion intime du créateur qui prend sans doute plaisir à imaginer, à propos d'un petit détail d'une toile, les interrogations du spectateur quelques siècles plus tard. J'ai aimé aussi cette phase de doute qui étreint l'artiste avant qu'il décrète son œuvre terminée au point que cela nécessite un œil extérieur, et avec lui la crainte de la critique ou de l'indifférence.
C'est aussi une évocation peu flatteuse de la nature humaine, capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, avec son cortège d'hypocrisies, de médisances, de bassesses et cette jeune fille pure en fait l'expérience bien malgré elle. Cela peut paraître un roman mièvre dans son déroulement et dans son épilogue, quand une certaine forme de littérature nous a habitué à la violence et aux excès, mais il n'en est rien et je suis entré de plain pied dans cette fiction.
J'ai rencontré l'œuvre de Jean-Yves Laurichesse par hasard et cette chronique s'est fait l’écho des bons moments de lecture aux accents poétiques que cette rencontre a suscités [la feuille Volante n°1170 - 1171]. Je me suis volontiers laissé entraîné dans cette démarche créatrice à l'occasion de ce roman, parce que, il y a de cela bien longtemps, un pareil émerveillement à propos d'un autre peintre, s'était emparé de moi et j'ai apprécié cette manière qu'a notre auteur d'inviter son lecteur à partager son émotion ; Il le fait avec de courts chapitres à l'écriture .fluide comme les touches d'un pinceau posées sur la toile et l'ambiance qui en résulte est paisible comme l'est ce paysage d'hiver. La poésie que j'ai tant appréciée lors de mes lectures précédentes était également au rendez-vous.
© Hervé Gautier – Septembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Une affaire conjugale
- Par hervegautier
- Le 22/08/2018
- Dans Eliette Abecassis
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La Feuille Volante n° 1274
Une affaire conjugale – Eliette Abecassis – Albin Michel,
J'ai choisi ce roman un peu au hasard, à cause sans doute de sa couverture, la reproduction d'un tableau de Klimt évoquant l'amour, le nom de l'auteure m'étant inconnu. Dès les premières pages, j'ai senti qu'il allait s'agir d'un drame conjugal. En effet, Agathe, parolière de chansons qui a décidé de sacrifier sa carrière pour élever ses jumeaux découvre par hasard que son mari, Jérôme, patron d'une start-up, la trompe. Pour l'originalité, on repassera même si l'auteure met cela au goût du jour avec internet, facebook, le smartphone et tout ce que notre belle époque met à notre disposition pour agrémenter cette situation dans le domaine de la virtualité, des avatars et du camouflage. L'adultère qui a fait les beaux jours de la littérature, du théâtre et du cinéma, existe depuis la nuit des temps parce qu'il illustre un des travers de l'espèce humaine, capable du pire comme du meilleur mais bien souvent du pire. Puisque le décor est ainsi planté, il convient de parler de la dévastation de l'épouse trompée, qu'on n'ose même plus baptiser cocue, tant la mot est galvaudé, de la trahison et de l'injustice qu'elle ressent, de l'erreur qui a été la sienne de donner sa confiance et bien entendu son amour à quelqu'un qui ne les méritait pas, de la faute de jugement d'avoir cru que c'était « pour la vie », que tout cela était réservé aux autres et évidemment pas à soi. On n'échappe pas à l'image d’Épinal de l'épouse forcément vertueuse qui se sacrifie pour ses enfants, pour sa famille qui non seulement a son travail à l'extérieur et participe ainsi aux revenus du ménage, mais a aussi un deuxième métier, souvent bien plus prenant et moins bien considéré, celui de mère de famille également à la disposition de son mari… tout cela face à un homme volage, généralement alcoolique et ici drogué pour faire plus dans l'air du temps. La constatation de la faute de l'autre s'accompagne de l'espionnage ordinaire au sein du couple devenu soudain le lieu géométrique du doute, de la remise en question de chaque instant, de la demande comptes et bien entendu du mensonge et du secret, Alors on se dit que c'est bien à son tour de faillir, même si le cœur n'y est pas, ne serait-ce que pour satisfaire à la légitime vengeance. On parle évidemment de séparation, de divorce, des enfants et de leurs questions naïves et désespérées ; on sait qu'ils sont bien souvent les seuls à souffrir de la séparation de leurs parents qui eux trouvent ailleurs une consolation et vivent leur vie sans souvent se soucier de leur progéniture, Mais avant il faut affronter la réalité de la liquidation de la communauté c'est à dire celle des avocats, des notaires, des juges, des coachs, des médiateurs, des détectives, des psychiatres, des comptables de tout poil ...qui sont sur le passage de ce fait de société et entendent bien l'exploiter. Là aussi la mesquinerie est de rigueur avec l'hypocrisie ordinaire et le vrai visage de chacun apparaît, avec ses fantasmes et ses délires et, en contrepoint cet adage qu'il n'y a pas de vol entre époux. Puis ce sont les ruses, les bassesses habituelles avec le jeu de domination pour terminer par une lutte entre les ex-époux qui sonne définitivement le glas de ce mariage. Ensuite ça sera le jugement avec la garde des enfants, la pension alimentaire, le montant des sommes à se partager et des compensations à régler.
Tout cela est bel et bon, si je puis dire, mais c'est oublier un peu vite que, s'il est convenu depuis la nuit des temps, que c'est le mari qui trompe sa femme, l'inverse est également vrai, surtout depuis qu'elle travaille à l'extérieur. Cela va à l'encontre des idées reçues, mais c'est une réalité. Ce n'était certes pas le sujet mais cette « affaire conjugale » m'a paru être traitée à charge de ce mari peu recommandable, en oubliant délibérément que l 'inverse est de plus en plus commun. Ce que je retiens en revanche c'est la douloureuse prise de conscience du conjoint trompé qui prend soudain la dimension de son erreur, qui perçoit le vrai visage que l'autre lui avait caché, son égoïsme, son machiavélisme, dix ans de vie commune sans rien voir !. Pour cet être définitivement meurtri les choses ne seront plus jamais comme avant.
J'ai donc lu un roman très ordinaire, dans le style comme dans le sujet traité, brassant toutes les idées reçues et les arguments élimés et sans grande originalité, avec en plus un parti-pris certes convenu mais contestable. Ce livre a bien souvent failli me tomber des mains mais j'en ai poursuivi la lecture jusqu'au bout (plus de 300 pages) ne serait-ce que pour voir si je ne pourrai pas changer d'avis. Je n'ai pas été dupe non plus de la mystification réciproque qu' internet.permet. Cela fait effectivement très actuel, très tendance comme on dit, mais cela m'a paru convenu, artificiel et sans grand intérêt.Je n'ai pas cru non plus aux bonnes résolutions de la fin. Cela fait peut-être une chute très correcte pour un roman mais nous savons tous bien qu'on ne les respecte jamais.
© Hervé Gautier – Août 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Col de l'ange
- Par hervegautier
- Le 21/08/2018
- Dans Simoneta GREGGIO.
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La Feuille Volante n° 1273
Col de l'ange – Simonetta Greggio - Stock,
D'emblée l'auteure nous rappelle une évidence. Nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie et celle-ci peut nous être enlevée dans préavis, La mort fait partie de la vie et elle interviendra de toute manière même si nous faisons semblant , au cours de notre passage sur terre, d'oublier cette vérité.
Que me reste-t-il de ce roman lu sans désemparer tant il est poétique et émouvant ? Le narrateur, Nunzio, architecte parisien célèbre, homosexuel de 46 ans, est mort assassiné par l'intolérance et la haine de la différence. Il est absent depuis 17 jours, abandonnant derrière lui chantiers, projets et plans inachevés, laissant Ami, son amant et Blue, une cover-girl, son amie d'enfance, sa presque sœur jumelle, sans lui. Ce texte, c'est comme une sorte de message qu'il adresse à cette amie depuis un au-delà hypothétique où il flotterait comme un ange et qui verrait tout ce qui se passe dans notre pauvre monde. Il l'accompagne dans ses démarches de recherches, ses vains espoirs sans pouvoir rien faire pour l'aider. Blue, qu'enfant on appelait Nine, revient, bouleversée sur les traces de cette enfance enfuie peut-être pour retrouver Nunzio, peut-être pour exorciser cette période de la vie qui est unique et qu'on n'oublie jamais, dans leur village natal au Col de L'ange. Elle y vient avec cet espoir fou qu'il sera à ce rendez-vous parce que c'est ici et nulle part ailleurs qu'elle le retrouvera ; C'est Nunzio qui, par un artifice qui n'existe dans dans les romans et peut-être dans l'imagination intime, la guide dans l'exploration de ce passé encore chaud avec ses bons et ses mauvais moments. On y refait à l'envers un chemin qui parfois nous donne des frissons et souvent aussi le vertige, tant on peut regretter d'avoir fait quelque chose qu'on n'aurait pas dû faire et qui a décidé de notre avenir, entre liberté individuelle et destin implacable. C'est cette période un peu surréaliste où l'on croit aux fées et aux lutins et où on fait sur l'avenir des plans qui ne se réaliseront jamais. C'est l'enfance qui lui revient en pleine figure avec son insouciance mais aussi les émois de l'adolescence, les vacances d'été et les senteurs de l'automne… une amitié complice qui se jouait des différences sociales, une période de la vie qui se termine et une autre qui commence avec ses espoirs et ses doutes, un départ inévitable vers un ailleurs mystérieux, une carrière brillante pour Nunzio, la beauté de Nine qui enflammait déjà les adolescent du village et qui, devenue Blue, suscita, sur papier glacé, les fantasmes de tant d'hommes… Ce qu'elle retrouvera sur ces terres d'enfance est à la fois inattendu, lié à la mort qui a pointé le bout de son nez mais s'est éloignée pour cette fois, scellé à la vie qui continue son cours inexorable avec ses projets et ses certitudes, mais aussi peut-être guidé par la main de Nunzio venue d'outre-tombe. Pour ça il suffit d'y croire, de s'approprier cette chance qui est parfois si parcimonieuse qu'on hésite à la saisir. Mais il reste vrai qu'on va toujours rechercher ailleurs ce qu'on a chez soi en perdant un temps précieux, en brassant inutilement de l'air et en tirant d'improbables plans sur la comète.
Il y a aussi cette vérité, quand quelqu'un meurt, ceux qui l'aimaient restent avec lui par la pensée. C'est, pour les vivants, l’ultime manière de les faire revivre, de faire semblant qu'ils ne sont pas morts, c'est cette certitude de les voir partout, dans les animaux qu'ils ont chéris, dans les objets qu'ils ont touchés, dans les lieux qu'ils ont habités au point que cela se transforment en hallucinations, l'impression qu'ils nous guident et nous inspirent, qu'ils sont devenus encore plus une part de nous-mêmes, une présence malgré l'absence, qu'ils se sont transformés en une sorte de médiateurs entre le monde des vivants et celui des morts;
Je l'ai déjà dit dans cette chronique, j'aime beaucoup le style de Simonetta Greggio, cette Italienne qui écrit si bien en français. J'ai goûté ces portraits dessinés par petits touches à la fois précises et subtiles, pleins de détails, baignés et parfois abîmés par temps qui s'écoule aussi inexorablement que le sable qui s'échappe d'un poing fermé. J'ai apprécié également, dans un autre contexte son implication dans son difficile travail de romancière-documentaliste (« Les nouveaux monstres » - La Feuille Volante N°999), explorant les méandres du pouvoir politique italien et sa collusion avec la Mafia.
© Hervé Gautier – Août 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Montaigne
- Par hervegautier
- Le 21/08/2018
- Dans Stefan Zweig
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La Feuille Volante n° 1272
Montaigne – Stefan Zweig – PUF,
La biographie de Michel de Montaigne est l'ultime ouvrage de Stefan Zweig avant son suicide au Brésil en février 1942, On peut sans doute y voir une dernière tentative de conjurer son projet de quitter cette vie que Montaigne aimait tant mais qui ne lui convenait plus à lui, à moins qu'il n'ait fait sienne cette pensée des Essais « La plus volontaire mort est la plus belle » .
Du propre aveu de Zweig, la rencontre avec l'auteur des « Essais » n'a pas facile puisque, bien que nourri de culture française il n'était pas prêt, à vingt ans, à en recevoir le message. Il lui a fallu attendre longtemps qu'il mûrisse en lui pour qu'il lui consacre cette biographie comme on retrace la parcours d'un ami. Même si notre auteur, qui est aussi connu comme romancier et nouvelliste, a consacré son talent à nombre de biographies, ce sujet n'a peut-être pas été choisi par hasard à cause peut-être de similitudes qui existaient entre eux. Les voyages, la fuite de Montaigne quittant Bordeaux pour échapper à la peste à laquelle répond celle de Zweig fuyant le nazisme, une autre peste, mais brune celle-là, la violence des guerres de religion et celle qui poussa l'écrivain autrichien à errer par le monde... Il a souhaité honorer le combat de Montaigne pour la liberté, de penser, d'agir, d'écrire, d'aimer … une valeur si menacée en cette première moitié du XX° siècle en Europe et qui lui manqua tant parce que son absence signifiait aussi l'intolérance. Il célèbre sa lucidité face au naufrage de l'humanisme et à la folie meurtrière des hommes qui ne vivent que pour la violence, parle de sa dénonciation de l'inhumanité, de la fragilité de la condition humaine de son époque et de sa volonté d'être lui-même, c'est à dire un homme qui refuse de prendre part à toute ce déchaînement de haine à l'extérieur. Pourtant il attendra longtemps pour devenir véritablement Montaigne ; il renoncera aux charges publiques et se retirera dans sa tour comme en lui-même et bien sûr avec le rempart de ses livres, sans pour autant renoncer à ses richesses ni aux voyages. Pourtant, cette forme d'égoïsme de Montaigne qui ne parle que de lui, cesse d'une certaine façon quand il devient écrivain, c'est à dire accepte d'écrire non plus pour lui mais pour les autres en leur confiant le résultat de ses méditations personnelles et intimes. Son œuvre est en effet une « quête de soi-même » menée au rythme d'une vie retirée dans sa tour. Pourtant sa notoriété littéraire le fait élire maire de Bordeaux, ce qu'il apprend quand il est en Italie et alors même qu'il n'a rien demandé . Plus tard ce mandat sera renouvelé et il sera, lui-même sollicité par le roi pour des médiations et des négociations dont l'avenir du royaume a peut-être dépendu, Ainsi, par un revirement du sort, quand plus jeune il avait sollicité des charges publiques et que, celles-ci lui avait été refusées , il se voit, alors qu'il avait décidé de se retirer du monde, de méditer et de se préparer à la mort, pressé par le roi lui-même d’intervenir dans les affaires de l’État. Est-ce à dire que Zweig voyait entre eux beaucoup de similitudes ? Peut-être.
L'auteur refait la généalogie des Eyquem, commerçants enrichis et anoblis qui s'allient à une demoiselle Louppe de Villeneuve, d'une famille de commerçants prospères d'origine juive espagnole , la mère de Michel, ce qui n'est pas sans rappeler es propres origines de Stefan. Si Montaigne chercha à cacher cette ascendance, Zweig ne se signalera pas comme écrivain juif mais, lui aussi, comme un humaniste brillant, éclairant le monde de sa pensée. Comme Michel il reçut une éducation de qualité caractéristique de chaque époque et chacun aura une lente maturation d'écrivain. Zweig comme Montaigne honoreront le nom de leur famille par la culture et le transmettront aux générations futures.
Pourtant si Montaigne, mis à part un « journal » de voyage, est l'homme d'un seul livre, ce n'est pas le cas de Zweig, plus prolixe. et si les « Essais » n'ont jamais cessé d'être une référence de notre littérature, les écrits de l'écrivain autrichien ont longtemps été dans l'oubli même s'ils sont heureusement redécouverts actuellement
Montaigne s'interroge abondamment sur lui-même, cherche à se connaître, se demandant notamment « Que sais-je ? » ce qui le distingue des érudits et des religieux de son époque qui affirmaient péremptoirement détenir la vérité. Je note que s'il revenait aujourd’hui, il pourrait utilement se poser la même question. Ainsi,se peignant lui-même, il constate au long de sa vie des changements que le font passer de l'épicurisme au scepticisme, au stoïcisme pour finalement lui conférer une certaine sagesse mais aussi un forme de solitude, Cela , à mes yeux, fait de lui un écrivain de l'humain, de « l'humaine condition ».
© Hervé Gautier – Août 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Vingt minutes de silence
- Par hervegautier
- Le 16/08/2018
- Dans Hélène Bessette
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La Feuille Volante n° 1271
Vingt minutes de silence – Hélène Bessette (LNB7) – Éditions Le Nouvel Attila..
Je ne dois pas être le seul, mais l'auteure Hélène Bessette [LNB7] (1918-2000) m'était complètement inconnue. Elle a pourtant publié une vingtaine de romans dont treize chez Gallimard, a été en lice par deux fois pour les prix Goncourt et Médicis et a un temps été acclamée par la critique et par certains auteurs comme Raymond Queneau ou Marguerite Duras. Pourtant, et la chose n'a rien d'exceptionnel, elle a fini par être lâchée par tous et ainsi être oubliée. Son parcours est résumé, à grands traits et à grandes flèches, sur le couverture de ce livre.
« Étonne-moi » dit un jour Diaghilev à Jean Cocteau et cette petite phrase décida de sa démarche créatrice future. J'avoue que j'ai été étonné moi aussi par ce roman dit « policier » même si sa présentation sous forme de poème en prose ne m'a pas tellement parue poétique, mais quand même assez originale pour qu'elle retienne mon attention dès l'abord simplement parce que cela sortait des sentiers trop souvent battus.
De quoi s'agit-il donc ? Comme souvent, une fiction part d'un fait réel et là, compte tenu de la nature humaine, il n'y a rien d'étonnant. Dans une villa sur les côtes de la Manche, un milliardaire est assassiné et la police soupçonne son fils de quinze ans qui n'aimait pas son père, mais est-ce une raison pour le tuer, et sa femme dont le lecteur ne tardera pas à apprendre qu'elle lui est infidèle ; Là non plus rien de très original. Il faut dire que le mari-père avait tout fait pour cela sans doute parce qu'au fil des pages, le lecteur apprend par la bouche de son épouse qu'il n'a pas eu une conduite irréprochable pendant la guerre et que lui-même est volage. Il y a aussi la domestique, Rose Trémière(eh oui !) et le mystère qui entoure cette affaire et que l'auteur ne cesse d'épaissir de page en page. Il est question d'un revolver qui a bien souvent changé de place qu'on n'a même pas cherché à dissimuler, alors que la mer était toute proche, de bougie, de coffre-fort de voiture et de beaucoup d'autre choses aussi et de ces vingt minutes, temps qu'il a fallu à cette famille pour prévenir le médecin de la mort de cet homme. Et pourtant ce praticien était leur voisin. Ces précieuses minutes ont peut-être servi a organiser une mise en scène et simuler un cambriolage...allez savoir !
Il y a les aveux, les témoignages qui changent en fonction des circonstances et des états d'âme, ce qui compliquent la tâche des enquêteurs, la conduite de l'épouse, la psychologie du fils, le manque d'amour de la part de ses parents, sa volonté de tuer son père, l'incompréhension dont il souffre et son esprit de vengeance, des souvenirs obsessionnels... et là interviennent les professionnels, les psychologues et autres psychiatres qui vont fouiller dans son âme, expliquer et justifier, et leur rapport nourrira les plaidoiries des avocats. Rien de bien original. On sent bien que, en ce qui la concerne, la mère n'aime guère ce mari, elle l'a peut-être aimé au début de leur mariage, comme tout le monde, mais rapidement tout cela a changé parce que;l'amour ne dure pas toujours, comme on voudrait nous le faire croire, alors elle a fait bon ménage avec la fidélité conjugale, au point que la paternité du père n'est qu'une éventualité bien mince...Alors, pourquoi ne pas s'en débarrasser ?
Puis entre en scène Marie-Rose Decortembert, ou à tout le moins son cadavre...
Loin de m'avoir étonné, le livre m'a plutôt ennuyé et a bien failli me tomber des mains à plusieurs reprises. J'en ai poursuivi la lecture peut-être pour connaître l'épilogue, qui m'a bien déçu ! Je suis peut-être passé à côté d'un chef d’œuvre ?
© Hervé Gautier – Août 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Alma Mahler ou l'art d'être aimée
- Par hervegautier
- Le 05/08/2018
- Dans Françoise Giroud
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La Feuille Volante n° 1270
Alma Mahler ou l'art d'être aimée – Françoise Giroud – Robert Laffont.
Elle devait être une sacrée belle femme cette Alma Shindler (1879-1964) que l'auteur nous présente dès les premières pages de cette biographie comme la. maîtresse de Johannes Hollensteiner, un prêtre théologien qu'on pressentait volontiers comme le futur cardinal de Vienne et qui défroqua pour elle ; elle avait alors la cinquantaine et lui beaucoup moins ! Amante, Alma l'a aussi été successivement du peintre Oscar Kokoschaka puis l'épouse de Gustave Mahler et de Walter Gropius puis de Frank Werfel … tous des artistes créateurs à qui elle communiqué une énergie créatrice qui nourrissait leur talent, ce qui lui a valu le surnom de « la veuve des Quatz' arts », C'est à tout le moins les plus connus car les passades et les demandes en mariage furent nombreuses. C'est qu'elle rayonnait de beauté, de culture, d'ambition et de caractère parce qu'elle attirait les hommes et que c'était elle qui les rejetait ensuite non sans les avoir malmenés et trompés pour parfois revenir vers eux... et en divorcer. Elle était également peintre et compositeur, notamment de lieder, mais d'elle il ne reste que peu de choses puisque, à l'image d'autres épouses d'hommes ou d'auteurs célèbres, elle a dû s'effacer devant la carrière de son premier époux Gustave Mahler (1860-1911). Alma devait tenir de sa mère le goût des frivolités puisqu'elle fut beaucoup courtisée mais elle épousa cependant Mahler malgré leur différence d'âge (Il avait alors 43 ans et elle 23). Leur mariage fut un fiasco non seulement parce que son mari était un mystique chrétien et un puritain maladroit, uniquement intéressé par sa musique mais surtout parce qu'il entendait l'asservir à son seul bonheur égoïste alors qu'Alma ne rêvait que de s'épanouir dans son art. Leur vie de couple fut tumultueuse, elle s'ennuya et se cantonna dans le rôle de maîtresse de maison, de régisseuse , de comptable, ce qui ne lui plût guère puisque cela l'éloignait de son art et ne fut pas sans occasionner des périodes de gêne pour elle. Elle a consacré sa vie à son mari, et ce rôle a certainement dû être un peu trop étriqué pour elle puisque la mort de Gustav fit d'elle une veuve de 31 an et cela sonna comme une délivrance. Elle multiplia les aventures, se remaria avec l'architecte Walter Gropius (1883-1969) qui fut son amant passionné, alors qu'elle était encore mariée à Gustav, avant d'être son époux. Cette période adultère fut pour elle une sorte de revanche. Non seulement elle aima passionnément Walter mais elle resta avec Gustav qui se serait laissé mourir si elle l'avait abandonné, mais elle en profita pour le dominer, passant du rôle d’esclave à celui de maîtresse de ce mari redevenu un amoureux transi ! A cette époque elle composa même des leader qui furent joués. Ce qui fut une manière de reconnaissance, enfin ! Mais pour un temps seulement. Elle prit sans doute plaisir à l'adultère qu'elle pratiqua avec régularité puisque, mariée avec Gropius elle vécut une idylle passionnée avec l'écrivain Frantz Werfel (1890-1945 ) qui fut plus tard son troisième mari.
Face à l’ascension des nazis, elle tournera le dos à la vieille Europe pour s'établir aux USA où elle mourut à l'âge de 85 ans dans la peau d'une institution, celle de la veuve Mahler
Cet ouvrage est riche de correspondances échangées entre Alma et ses maris et ses amants tout au long de sa vie. Cette biographie, un peu, il est vrai, menée par le petit trou de la serrure, complète une galerie de portraits déjà riche de femmes qui bien souvent ont vécu dans l'ombre d'hommes célèbres au point d'être, à cause d'eux, anonymes et oubliées..Est-ce à dire qu'une femme s'épanouit mal dans le mariage avec un génie alors qu'on présente volontiers cet état comme comme le but de chaque être humain ? Elle a certes été une femme courtisée et désirée par les hommes mais je retiens aussi qu'elle a été veuve de deux de ses maris mais surtout que, à l'exception d'Anna, la deuxième fille qu'elle a eue avec Mahler, les trois autres enfants nés de ses mariages successifs sont morts avant elle, sans compter ses fausses-couches et ses avortements. De tout cela elle a conçu de la culpabilisation. Judéo-chrétienne mais c'est un peu comme si, en elle, Éros dansait avec Thanatos.
L'auteure, volontiers féministe, qui n'a sans doute pas choisi par hasard de faire revivre pour nous une telle figure oubliée par l'histoire, a-t-elle voulu en faire une sorte d’héroïne tragique, à la fois victime des hommes qu'elle a aimés mais aussi leur bourreau ? C'est probable, mais je la vois volontiers comme une femme belle, jalouse de sa liberté, consciente de son charme, cultivée et esthète, aimant la vie et dévoreuse d'hommes célèbres qui se précipitent à ses pieds , une femme fatale qui effectivement comme le dit le sous-titre, a pratiqué avec un grand talent, l'art d'être aimée.
© Hervé Gautier – Août 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Angoisses
- Par hervegautier
- Le 03/08/2018
- Dans Stefan Zweig
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La Feuille Volante n° 1269
Angoisses – Stefan Zweig – Gallimard.
Traduit par Bernard Lortholary.
C'est une histoire simple, presque banale que Stefan Zweig nous offre dans cette longue nouvelle : En sortant de chez son jeune amant, Irène, la trentaine, femme mariée et mère de famille de la bonne société viennoise est agressée par une femme pauvre et frustre qui se dit l'amie de l'homme qu'elle vient de quitter. Revenue au foyer, Irène y reprend sa place grâce à son aplomb et l'hypocrisie bourgeoise qui la caractérise. Cependant, le lendemain elle gamberge mais heureusement la mode féminine est à la voilette et elle ne craint pas d'être reconnue. Pourtant son agresseuse de la veille la retrouve et c'est le début d'un chantage au terme duquel elle peut tout perdre, sa famille, son confort , sa place dans la société... Elle est dès lors assaillie par des certitudes contradictoires. Certes elle est encore belle, désirable et est attirée par des passades, mais n'est pas prête à tout sacrifier d'autant que l'adultère qu'elle pratique n'est en rien une vengeance envers son mari à qui elle n'a rien à reprocher, mais n'a pour but que de briser l'ennui et le confort routinier de son univers quotidien,
C'est l'occasion pour elle de pratiquerun de ces retours en arrière qui donnent le vertige, son mariage arrangé par ses parents avec un jeune avocat pénaliste, huit ans de bonheur paisible plein d'indifférence et d'oisiveté, mais la certitude que pour elle son mari n'est qu'un étranger. Elle a donc parfaitement de droit de s'octroyer, de temps en temps, un petit accroc. Vient ensuite l'inévitable culpabilité judéo-chrétienne qui se double de la nécessité de rester chez elle pour échapper à la maître chanteuse, Cela brise ses habitudes et et elle vit sous la menace d'une révélation, ce qui ne manque pas d'éveiller les soupçons de son entourage. Elle essaie bien de rompre son isolement en dansant, lors d'une soirée avec un autre homme, suscitant la jalousie de son mari, mais rien n'y fait. Cette situation devient rapidement une obsession génératrice de panique, d'angoisse, de frayeur et de désespoir, une vraie descente aux enfers. On lui demande de payer de plus en plus et elle le fait, se mettant elle-même dans un état de dépendance qu'elle voulait éviter et dont elle ne voit pas comment sortir. En réalité elle n'était pas préparée à cette vie de mensonge comme nombre de ses amies qui s'y complaisaient et elle fit ce qu'elle pouvait pour se déculpabiliser. Non seulement elle n'aimait pas cet amant, elle s'aimait elle-même et évidemment le plaisir qu'elle retirait de cette toquade, mais son bonheur était aussi celui d'enfreindre l’interdit. et elle chercha à se convaincre, dans une sorte de dédoublement de personnalité, que c'était une autre femme qu'elle qui avait commis ce faux-pas. Elle se voulait une femme libre, au mépris du code pénal de l'époque qui n'était pas tendre avec l'épouse adultère, capable de vivre en pointillés une vie quelque peu dépravée au mépris de son mari et de ses enfants, mais le hasard s'en était mêlé qui venait brouiller ce bel agencement. Elle se découvrait différente, certes attachée à son confort mais suspicieuse, persuadée que son mari connaissait son faux-pas mais n'en parlait pas (L'épisode où il fustige sa fille pour un mauvais geste n'est pas sans rappeler la scène où Raimu, dans « la femme du boulanger » tance sa chatte devant sa jeune épouse contrite), incapable elle-même de discerner les discordances dans l'attitude de la maître-chanteuse mais acculée à une décision qu'elle n'avait jamais imaginée.
Je ne suis pas sûr cependant que cet épisode venant bouleverser leur vie commune se termine par cette forme de « happy-end » que je trouve toujours artificiel et un peu trop éloigné de la vraie vie. Je ne suis pas sûr non plus qu'il ne restera rien de cela dans leur vie commune future, d'un côté des adultères pas forcément avoués de l'épouse et de l'autre, ce montage un peu grossier d'un mari qui certes veut récupérer sa femme, mais apprend du même coup à la connaître vraiment et se rend compte qu'il a donné son amour et sa confiance à quelqu'un qui ne le méritait pas. Certes l'auteur joue sur la différence sociale entre le jeune pianiste et la maître chanteuse, laide et grossière, mais est-ce vraiment crédible ? L'auteur, puisant sans doute dans son vécu personnel (A cette époque Zweig a commencé une liaison avec une femme mariée qu'il finira par épouser), réussit non seulement à se livrer, selon son habitude, à une fine analyse de l'esprit humain et de ses passions, mais il le fait avec un sens consommé du suspens qui tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin. Il montre comment la culpabilité finit par s'imposer à elle, puis le regret et enfin la réaction finale. Ce qui aurait pu être l'histoire d'une banale passade devient malgré tout, une étude psychologique passionnante.
Comme toujours, il déroule son récit avec un style fluide qui transforme une lecture en moment d'exception.
© Hervé Gautier – Août 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Diego et Frida
- Par hervegautier
- Le 01/08/2018
- Dans Jean Marie Gustave LE CLEZIO
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La Feuille Volante n° 1268
DIEGO & FRIDA– Jean-Marie-Gustave Le Clézio – Stock.
Il y a des couples d'artistes mythiques, Simone de Beauvoir et Jean Paul Sartre, Louis Aragon et Elsa Triolet, Annabel et Bernard Buffet, André et Clara Malraux… Un des plus étonnants est sans doute celui que formèrent Diego Rivera (1886–1957) et Frida Kahlo (1907-1954). Quand ils s'unirent, en 1929, on parla de leur mariage comme celui d'un éléphant et d'une colombe, tant ils étaient différents l'un de l'autre, et pas seulement à cause de l'âge (il avait 43 ans et elle 22). Pourtant, quelques mois auparavant, lors de leur première rencontre,,, elle n'était qu'une jeune et belle adolescente alors qu'il avait la notoriété et la maturité, mais ce fut le coup de foudre réciproque ! Elle, militante communiste, artiste engagée et révoltée, admirative de Rivera, est issue de la petite bourgeoisie désargentée d'origine allemande, venue à la peinture à cause d'un grave accident. Lui est déjà un peintre connu, grand voyageur, exubérant et laid, marqué à gauche et surtout un séducteur impénitent et divorcé. Frida avait déjà la maladie et la douleur pour compagnes et la peinture était pour elle comme un élan vital, une consolation, face à la solitude et la souffrance qui caractériseront toute sa vie, Pourtant les années de cette union furent émaillées de part et d'autre par de nombreux orages que leur célébrité réciproque et leur engagement auprès des plus défavorisés, amplifia.
Comme la société, l'art se doit d'évoluer car sans cela il s'étiole et meurt. Pour Diego, cette évolution (révolution) de la peinture passe par par le « muralisme » figuratif parce que c'est une création monumentale qui lui ressemble, mais surtout parce que c'est un extraordinaire moyen d'éducation des masses populaires majoritairement indiennes, ignorantes de l'écriture et de l'Histoire nationale. Il choisit ce support inspiré des Italiens parce qu'il est visible et compréhensible par tous, loin de l'enfermement des musées. C'est l'affirmation du principe de l'art au service du peuple et c'est aussi une manière d'affirmer sa foi en la vie et en la beauté du corps féminin. Sa peinture est aussi religieuse, mais pas tournée vers le catholicisme qui est, selon lui, l'allié du pouvoir et de l'argent, mais au contraire célèbre une foi païenne et primitive, tournée vers la femme considérée comme une déesse-mère, fertile et généreuse. Sa peinture est aussi une provocation publique où il affirme ses convictions artistiques et politiques. Pourtant, lui le communiste, est fasciné par les États-Unis et une amitié un peu étonnante, teintée d'admiration, se tresse entre Diego et Henri Ford. Il renonce cependant, par amour pour Frida, autant que par idéal artistique et politique, à décorer le Rockefeller Center à New-York et sa fresque est détruite. Son art rejoint cependant celui de son épouse et le féconde.
L’œuvre de Frida au contraire est plus intimiste, axée souvent sur ses autoportraits, Elle parle de sa souffrance physique et morale, de sa solitude, de son obsession de la mort face à son amour de la vie et ne témoigne pas de son engagement politique contrairement à Diego. Elle milite cependant pour la liberté des femmes mexicaines dominées par les hommes, s'oppose à la bourgeoisie. Elle n'est pas seulement l'épouse d'un génie qui partage ses désillusions et les trahisons dont il est l'objet, elle devient son inspiratrice, son modèle. Frida s'ennuie aux États-Unis, regrette Mexico et dès lors elle pratique la peinture comme un exorcisme à sa solitude, notamment après sa fausse couche. Alors que Diego prend goût à son séjour new-yorkais, redevient un séducteur et fréquente les femmes dont il ne peut se passer et qui nourrissent sa création artistique, Frida se languit de son pays natal et leur couple commence à se déliter. Le retour à Mexico correspond à nouveau à la maladie mais surtout à la liaison de sa sœur avec Diego qui débouche sur une séparation puis sur leur divorce en 1939, Mais ce bien étrange parcours amoureux, avec de part et d'autre des aventures, les conduit à se remarier ensemble un an plus tard, ce qui conforte l'idée qu'ils ne peuvent vivre l'un sans l'autre ! Pourtant, si elle revient avec Diego, elle connaît à nouveau la solitude et la dépression causées notamment par son infertilité mais recouvre un équilibre fragile après tant d'épreuves, A l'âge de 47 ans, diminuée physiquement, elle précède Diego dans la mort. Jusqu'à sa disparition à 71 ans, emporté par une attaque cérébrale, il ne cessera, malgré un autre mariage, de penser à Frida, « la prunelle de ses yeux » mais le hasard fera qu'ils ne seront pas inhumés ensemble.
Ce récit richement documenté et pertinemment argumenté, prend sous la plume lumineuse de Le Clézio, une dimension épique, à la mesure de ces deux personnages hors du commun
© Hervé Gautier – Août 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Bitna, sous le soleil de Séoul
- Par hervegautier
- Le 29/07/2018
- Dans Jean Marie Gustave LE CLEZIO
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La Feuille Volante n° 1267
Bitna, sous le soleil de Séoul – Jean-Marie-Gustave Le Clézio – Stock.
Bitna est dans Séoul une étudiante pauvre de 19 ans, d'origine rurale, dépendant pour survivre d'une parentèle ingrate et méchante. Grâce à une petite annonce, elle fait la connaissance de Salomé, une jeune femme dans la quarantaine, atteinte d'une maladie invalidante et incapable de sortir de chez elle, et qui souhaite, contre rétribution, que Bitna vienne lui raconter le monde extérieur qu'elle ne peut voir. Bitna devient donc conteuse et Salomé ne peut plus se passer du voyage dans l'irréel qu'elle lui offre à travers ses histoires. La jeune étudiante prend peu à peu conscience de son pouvoir sur la malade puisque, grâce à ses fictions, elle atténue ses souffrances et repousse peut-être la date de sa mort en différant chaque épilogue et même en espaçant ses visites . C'est aussi une manière d'asseoir son pouvoir sur Salomé avec qui elle est volontiers cruelle, Pourtant Salomé, par la rétribution qu'elle donne à Bitna lui permet de vivre et d'étudier, c'est à dire de sortir de sa condition et d'envisager l'avenir.
Bitna invente donc les histoires qu'elle raconte à Salomé, et cette dernière y prend goût et ce qui n'est qu'un mensonge devient pour elle un merveilleuse réalité simplement parce qu'elle y croit. Ce ne sont que des paroles, des romans en raccourci, mais peu importe du moment que celle qui les écoute y ajoute foi et que celle qui les dit le fait avec sincérité et conviction. On peut toujours se rappeler l'avant-propos de « l'écume des jours » où Boris Vian avouait à son lecteur « l'histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre ». Et Bitna ne manque pas d'imagination, en prend conscience à cette occasion et transporte son auditrice dans un monde à la fois fantastique et bien réel ! Et puis les fables sont comme les promesses électorales qui n'engagent que ceux qui les croient ! Ces histoires ne sont pas forcément idylliques. Celle de Nabi est plutôt inspirée par la vraie vie, sordide et hypocrite quand à celle de Naomi et de son oiseau O'Jay, elle anticipe carrément ce que sera le destin de Salomé contre lequel nul ne peut rien et donc, indirectement. l'incitera à accepter sa condition
Ainsi sommes-nous invités à Séoul à travers le récit consacré à M. Cho, un amoureux des pigeons-voyageurs ,qui confie des messages au vent, les papotages d'un salon de beauté alimentés par les voyages d'une chatte, les ruelles interlopes de cette ville ou la vie d'Hanna, une infirmière en mal d'enfant. Ce sont des fables, certes, mais le lieu qui leur est assigné, la Corée, « le pays du matin clame »,leur donne un côté dépaysant et même un peu merveilleux.
Mais les fictions ont toutes un fond de vérité et bizarrement et sans même qu'elle le sache c'est Salomé elle-même qui suscite une des histoires que Bitna lui raconte. Non seulement la jeune fille donne à ses fables une certaine unité dans la mesure où elles les relie entre elles, mais surtout parce qu'elle y mêle sa propre vie que ne connaît pas Salomé. La jeune étudiante qui tresse volontiers des paraboles pour la malade , est elle aussi, confrontée à la vraie vie, à l'abandon,de son ami, aux chagrins d'amour, à l'échec dans ses études, à la méchanceté de sa cousine... Avec cet intermède, elle comprend que finalement, cette grande ville de Séoul est caractérisée, comme partout, par la solitude et l'indifférence, Cette femme qui sait qu'elle va mourir a été pourtant la seule à s'intéresser à elle. Certes, elle s'est servie d'elle mais surtout elle lui a permis de sortir de la pauvreté et d'une certaine façon l'a protégée des agressions de ce monde extérieur dont elle voulait qu'elle lui parle. A la fin Bitna regrette ses méchancetés et convient que Salomé lui a permis de rester elle-même et, au terme de ses interventions la jeune fille sera libérée et commencera une nouvelle vie, cet intermède d'une année fonctionnant comme un épisode transitoire vers autre chose, un autre départ, comme une sorte de rituel de passage..
Des moments poétiques .intenses et aussi une grande ambiance émotionnelle dans ce roman où se mêlent imaginaire et réalité, mensonges, violences douceurs et vérités L'auteur en profite pour évoquer l'histoire de ce pays coupé en deux par l'Histoire et la violence des hommes .
. J'ai redécouvert avec plaisir le style fluide de Le Clezio et son extraordinaire faculté de transporter son lecteur dans un univers à la fois parallèle mais aussi extraordinairement réel et dépaysant, ce qui fait de lui un conteur d'exception.
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© Hervé Gautier – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Amok
- Par hervegautier
- Le 25/07/2018
- Dans Stefan Zweig
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La Feuille Volante n° 1266
Amok – Stefan Zweig – Stock
Traduit de l'allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac.
C'est un recueil de trois nouvelles. Le première qui lui donne son titre évoque une sorte de folie meurtrière chez les Maltais (amok) et ceux qui en sont victimes portent aussi ce nom. C'est ce qui est arrivé à ce médecin européen de la jungle qui a refusé par orgueil de venir en aide à une femme blanche de la bonne société et qui le regrette au point de la poursuivre frénétiquement, en vain. Il y a dans leur attitude respective de l'attachement amoureux chez le médecin ainsi qu'une volonté de se racheter et de l’orgueil hautain et destructeur chez cette femme, une sorte de stupidité paralysante et suicidaire pour les deux. La deuxième (« Lettre d'une inconnue ») est la lettre d'une jeune femme qui va se donner la mort et qu'elle destine à un écrivain connu et riche séducteur qui fut son amant d'un soir et à qui elle révèle la mort de son enfant ainsi qu'un secret qu'il ne pouvait connaître. La troisième (« La ruelle au clair de lune ») se passe dans un port argentin et son quartier chaud avec ses bars et ses bordels. Même si on trouve de la poésie aux ruelles sombres, elles abritent toujours une faune interlope, des habitués et des putes. L'homme que rencontre le narrateur est un être abandonné par son épouse tombée dans la prostitution et qui l'humilie.
Il y a dans ces nouvelles à la fois une crainte et un désir de la mort face à l'impuissance ou à l'inutilité désormais évidente de la vie. Dans ces situations la vie n'est pas belle comme on nous en rebat un peu trop les oreilles mais au contraire est une épreuve constante qui justifie ou peut justifier l'atteinte à sa propre existence ou à celle de l'autre qui la pourrit. A cela s'ajoute le culte du secret, le respect de la parole, celle qu'on donne à un autre et qu'on se donne à soi-même, la volonté que personne ne sache la vérité sur un drame devenu une chose à cacher, mais que le hasard contribue à révéler...
Nous assistons au déroulements d'événements qui annihilent la liberté individuelle comme si le destin implacable se manifestait soudain dans le quotidien et bouleversait définitivement les choses au point que les personnages, lassés peut-être de vouloir agir, mais désespérés par le cours que prennent les circonstances, s'en remettent au hasard pour finalement s'autodétruire posant cet acte comme le seul qui vaille dans cette vie dont ils veulent enfin se libérer. Dois-je rappeler que Stefan Zweig lui-même devait sans doute voir ainsi les choses puisqu'il s'est suicidé. .
Monologue dans un cas, lettre d 'amour anonyme et témoignage quasi solitaire dans les autres, nous avons là une confession qui précède la mort et la sanction qu'on s'inflige est avant tout une délivrance de cette vie désormais insupportable. Au-delà de l'absence de noms qui est un artifice parfois inutile, l'anonymat est important dans ces textes où les personnages principaux racontent leur histoire. Il donne sa tonalité de l'ensemble du recueil, un peu comme si, indépendamment de chaque contexte, tout cela ressortait de la condition humaine, appartenait à chacun d'entre nous simplement parce que, s'agissant de l'amour que nous avons tous un jour ou l'autre ressenti, cela ne peut pas ne pas nous parler. Dans ces trois nouvelles, l'amour est associé à la mort, c'est encore une fois Éros qui danse avec Thanatos dans une sarabande infernale . Il y a le personnage principal, celui qui parle et qui ressent les choses . Il est humilié par celui ou celle pour qui il éprouve de l'amour et qui le décevra forcément parce qu'il ou elle le méprise ou l'ignore, C'est souvent l'image de la condition humaine quand l'amour n'est pas partagé et qu'on met en scène des personnages orgueilleux et qui se considèrent comme supérieurs aux autres , se croient tout permis et ne peuvent donc frayer qu'avec leurs semblables en jetant sur le reste du monde un regard condescendant. Il y a de la folie dans tout cela, celle du médecin devenu « amok », celle de la femme inconnue qui n'a plus rien au monde , celle de ce pauvre homme qui veut croire que sa femme reviendra à lui alors qu'il finira par la tuer dans un geste désespéré.
Ces nouvelles sont une analyse de l'espèce humaine et notamment tout ce qui concerne la fierté. Le médecin commence par refuser son assistance à la femme parce que celle-ci ne veut pas le supplier de lui venir en aide. L'homme de la dernière nouvelle attend de son épouse qu'elle le remercie pour l'avoir sortie de la pauvreté et c'est aussi une certaine forme d'orgueil, conjugué il est vrai avec un amour fou, qui fait que la femme de la deuxième nouvelle refuse le mariage avec des hommes fortunés pour ne vivre qu'avec son enfant et le souvenir idéalisé de son seul amant. Il y a aussi cette incroyable légèreté de ceux qui se croient autorisés à infliger à leurs semblables toutes les vilenies avec cette volonté d'humilier l'autre, surtout quand il s'agit de son conjoint,. L'homme de la troisième nouvelle qui prend plaisir à rabaisser son épouse en lui refusant de l'argent est lui-même mortifié par elle quand il veut la reprendre.
J'ai, comme à chaque fois que je lis une œuvre de Stefan Zweig, apprécié à la fois le style fluide et agréable à lire de l'auteur autant que la finesse de l'analyse des sentiments et de la condition humaine.
© Hervé Gautier – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Les disparus du phare
- Par hervegautier
- Le 23/07/2018
- Dans Peter May
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La Feuille Volante n° 1265
Les disparus du phare – Peter May – Rouergue Noir.
Traduit de l'anglais par Jean-René Dastugue.
Le paysage, celui du nord de l’Écosse, l’île de Lewis, un homme, Neal MacLean se retrouve sur la côte, apparemment victime d'un naufrage, vivant mais complètement amnésique ; Il ne se souvient vraiment de rien, ni qu'il est en train d'écrire un livre, ni de son adresse, ni du nom de son chien, ni même de celui de sa maîtresse (en revanche elle se souvient bien de lui, grâce à la naïveté ou à la complicité de son mari.) Pourtant, même si elle revient vers lui et l'aide de remonter dans ses souvenirs, cela entame quelque peu la confiance qu'elle a en lui et, se demande s'il ne simule pas.
Était-ce pour retrouver cette mémoire de lui-même qui lui fait gravement défaut, il reprend la mer pour les îles Flannan, cet archipel perdu en mer au large de Lewis qui fut le décor d'un mystérieux événement en décembre 1900 pendant lequel les trois gardiens du phare disparurent sans laisser de trace. Cet épisode est tellement étrange qu'il est devenu une légende. Neal est-il cet écrivain universitaire en congé sabbatique, installé ici depuis dix-huit mois, qui écrit un livre sur ce thème ? Le plus étonnant est qu'il n'a retrouvé aucune note sur ce travail, plus bizarre encore est que, de retour sur ces îles, il découvre le cadavre d'un homme assassiné qui porte sur les mains, il le saura ensuite, les mêmes traces de piqûres d'abeilles que lui , et que, à cause de sa perte totale de mémoire, il pense être l'auteur de ce crime. Les investigations policières vont d'ailleurs en ce sens. De plus il refait son propre parcours pour retrouver qui il est vraiment mais apparemment sans succès. Une enquête criminelle est donc ouverte mais Neal a autant de difficultés à explorer sa mémoire que les enquêteurs à apporter la preuve de sa culpabilité dans ce meurtre. Autour de lui, et sans qu'il le sache obligatoirement, se multiplient les rebondissements, les enlèvements et les morts. En contrepoint il y a toujours cet homme, une sorte de marginal, qui l'observe de loin à la jumelle et qui semble espionner tout le monde.
C'est un cheminement classique qu'emploie ici l'auteur, faisant refaire à l'envers un hypothétique chemin au personnage principal ayant perdu la mémoire. C'est un travail intéressant sur le processus de la réminiscence auquel il mêle à l'envi l'atmosphère du roman policier en maintenant le suspens jusqu'à la fin, dans un décor tourmenté. Le roman prend une sorte de deuxième souffle avec l'entrée en scène de Karen, la fille en pleine crise d'adolescence d'un chercheur, Mickael Fleming dont les travaux portaient sur les ravages des pesticides sur les abeilles. Il se serait suicidé deux ans auparavant, mais plus sa fille en apprend sur ce père absent, plus elle pense qu'en réalité il n'est pas mort et s'attache à le retrouver, ce qui s'avère être une entreprise risquée. L'inspecteur de police Gunn fait ce qu'il peut pour dérouler la pelote un peu compliquée de cette affaire. L'auteur y ajoute, à travers l'évocation des abeilles, de leur rôle dans la survie des hommes, une dimension actuelle tournée vers l'écologie.
J'ai apprécié en tout cas les descriptions poétiques de l'auteur qui parvient toujours à conférer une certaine beauté à un paysage désolé. Je ne suis pas sûr en revanche que les développements sur le rôle des abeilles dans la nature, certes essentiel et incontestable, et l'implication financière qu'implique le maintient des pesticides, apportent quelque chose de nouveau dans le cadre de ce roman. J'ai trouvé l'intrigue un peu artificielle, un peu trop axée autour de ce thème.
Depuis « l'homme de Lewis » (Histoire d'un vieillard atteint de la maladie d'Alzheimer) Peter May semble avoir une prédilection pour les esprits marqués par la vie, autant qu'il renoue avec les paysages traditionnels de son Écosse natale. Il remet en scène l'inspecteur Gunn pour une nouvelle plongée dans le passé et, comme toujours, j'ai, à nouveau apprécié le style qui a malgré tout transformé cette lecture en un bon moment .
© Hervé Gautier – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Mensonges et vérités
- Par hervegautier
- Le 18/07/2018
- Dans James Comey
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La Feuille Volante n° 1264
Mensonges et vérités – James Comey – Flammarion.
Traduit de l'américain par Laure Joanin et Laurent Barucq.
D'ordinaire, je prise peu les écrits de nature politique. Ici j'ai fait une exception à la lecture de la quatrième de couverture, non pas tant à cause de la personnalité peu attirante de Donald Trump que parce que ce président atypique qui passe son temps à dire et faire n'importe quoi, bousculant au passage les usages diplomatiques et les alliances traditionnelles des États-Unis, au point que son entourage souvent critique doive en permanence expliquer voire rectifier ses prises de position, et dont on dit, par égard au chef du plus grand pays du monde, (respect élémentaire qu'il ne pratique cependant pas lui-même), qu'il est « imprévisible ». En réalité ici il s'agit de « mémoires » et je dois dire qu'au fil de ma lecture, que j'abordais au départ avec quelques réticences, j'ai été convaincu par l'auteur, C'est certes lui qui tient la plume et la tentation est grande, en retraçant son propre parcours, de régler des comptes et d'être son propre thuriféraire mais, le livre refermé, j'ai vraiment eu la certitude d'avoir rencontré un authentique serviteur de l’État dans tous les postes qu'il a occupés dans l'Administration. Né en 1960, avocat, il a exercé différents fonctions dans le secteur privé, mais confie :« le service public me manquait et je regrettais même son mobilier dépareillé et ses faibles émoluments » , Il sert en effet sous l'administration de Georges Bush à qui il s'oppose sur le programme « Stellar Wind » (surveillance, pour lutter contre le terrorisme des communications privées) et sur la torture ce qui provoque sa démission et son retour dans le privé. En septembre 2013 est nommé par Barack Obama, directeur du FBI, organisme qu'il veut, contrairement à Edgar Hoover, un de ses prédécesseurs, indépendant et au service de la protection du peuple américain, dans le respect de la Constitution et de l' esprit des Pères Fondateurs. Tout au long de sa carrière il s'est en effet efforcé de servir l’État d'une manière impartiale et honnête. Nommé statutairement pour 10 ans il pensait pouvoir exercer son action en toute indépendance, ce qu'il fit notamment en 2016 en rouvrant une enquête, sur les courriels d'Hillary Clinton, ex-secrétaire d’État, devenue la candidate favorite du camp démocrate pour les élections présidentielles de 2016.
La nomination de Donald Trump à la magistrature suprême changea la donne dans la mesure il se trouvait en présence d'un être « imprévisible », homme d'affaires aux agissements quasi-mafieux selon Comey, qui considère qu'on gère l’État comme une entreprise privée et qui n'a jamais exercé aucune fonction élective comme c'est la règle aux USA ; Il était en effet peu enclin, lui le républicain, et contrairement à ses affirmations répétées, à maintenir à son poste un haut-fonctionnaire qui avait jusque là servi sous des administrations démocrates. Il l'était d'autant moins qu'il avait exigé de Comey une « loyauté honnête », ce à quoi le directeur du FBI avait répondu en l'assurant de sa parfaite « honnêteté ». Le contexte était en effet difficile car James Comey avait ouvert une enquête sur les agissements personnels de Trump avec des prostituées russes lors d'un voyage à Moscou et surtout sur des éventuelles ingérences de la Russie dans les élections américaines qui avaient porté Trump au pouvoir. Comey , refusant d'abandonner cette enquête comme le lui demandait avec insistance le président fut donc, en mai 2017 , licencié sans ménagement ce qui provoqua un scandale outre-atlantique et sa déposition devant la Commission Judiciaire du Sénat. Cette polémique tournait autour du mensonge réciproque dont s'accusaient les deux protagoniste dans un pays où, on le sait, mentir aux autorités est une faute qui a brisé bien des carrières. Ce licenciement a rendu à Comey sa liberté de parole et les éléments que contient son livre font légitimement craindre pour la survivance de la démocratie surtout sous la magistrature de Trump .
Comey parle abondamment de l'indépendance du FBI par rapport au pouvoir politique, ce qui est un gage de démocratie et une assurance donnée au peuple américain mettant un exergue le douloureux dilemme « parler ou dissimuler ». C'est un ouvrage intéressant, honnête, bien écrit, plein de révélations et qui s'oppose au nom de l'intégrité et de l’honnêteté à toutes les déviations anti-démocrates ainsi qu'à tous ceux qui n'ont comme but que leur réussite personnelle à n'importe quel prix.
© Hervé Gautier – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Variations poétiques
- Par hervegautier
- Le 16/07/2018
- Dans Bruno Antoine Pol
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La Feuille Volante n° 1263
Variations poétiques de 1906 à 2018- Bruno Antoine POL - Autoédition.
Nous aimons Georges Brassens (1921-1981) pour sa voix particulière, son côté libertaire voire anarchiste, l'attachement qu'il témoignait à ses copains, son âme de poète parfois tourmentée, amoureux des mots et de la littérature, sa marginalité, sa langue , son franc-parler,.. Il n'y a rien de tel que la chanson pour vulgariser la poésie qui est un peu le parent pauvre de nos Lettres françaises et Georges Brassens s'y est employé avec bonheur. Il a ainsi contribué à faire mieux connaître Francis James, Paul Fort, Victor Hugo, Aragon, François Villon… Parmi tous ces poètes, il en est un dont on a sûrement oublié le nom mais dont un texte est resté dans nos mémoires parce que Brassens y a accroché quelques notes de guitare. Ce nom c'est Antoine Pol (1888-1971), officier pendant la guerre 14-18 puis chef d'entreprise, le titre c'est « Les passantes », un émouvant poème consacré à la beauté des femmes inconnues qu'on ne fait que croiser sans les retenir, à l'émotion furtive qu'elles suscitent mais qui ne laissent dans notre mémoire qu'une trace vite effacée « Je veux dédier ce poème à toutes les femmes qu'on aime pendant quelques instants secrets, à celles qu'on connaît à peine, qu'un destin différent entraîne et qu'on ne retrouve jamais.. .»
Ce texte qui m'a personnellement toujours ému, fait partie du recueil « Émotions poétiques »(1918), édité à compte d'auteur par Antoine Pol. Le hasard voulut que Brassens découvrit par hasard ce texte chez un bouquiniste parisien, le mit en musique mais, l'auteur, longtemps recherché par Georges, n'entendra jamais la mélodie puisqu'il décédera avant. Ce poème, devenu une chanson, la préférée de l acteur Lino Ventura, a été également interprétée par Maxime Le Forestier.
Antoine Pol publia tout au long de sa vie, en autoédition et donc en tirage limité, entre 1909 et 1972 des recueils de poèmes mais aussi écrivit des pièces de théâtre et des romans, des poèmes dont certains restèrent inédits. Son petit-fils, Bruno Antoine Pol, qui avait déjà rendu hommage à son grand-père en publiant ce texte dans « Des passantes à l'oiseau blanc » a voulu à nouveau évoquer la mémoire de son aïeul, non seulement en publiant ses poèmes, accompagnés d'une courte biographie, mais aussi en mettant en exergue ceux des générations suivantes,, Ainsi publie-t-il des textes de son père, Alain (1916-2013), les siens (lui né en 1943 ) mais aussi ceux de ses trois filles (Clotilde, Céline, Jennifer) et de ses sept petits-enfants(Édith, Sacha, Joshua, Sorenza, Nathan, Victor, Juliette), poèmes illustrés d'aquarelles de Monique Pol, une manière de signifier que la créativité littéraire d'Antoine Pol ne s'est pas perdue et que dans cette famille on chasse de race.
Notre Georges Brassens, celui que nous gardons tous dans un coin de notre mémoire et dont les paroles et les notes continuent de défier le temps, qui était un merveilleux poète, même s'il s'en défendait, disait « Que serait notre monde sans la poésie ? Hélas celui-ci serait bien triste »
© Hervé Gautier – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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l'énigme des Blancs-Manteaux
- Par hervegautier
- Le 07/07/2018
- Dans Jean-François PAROT
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La Feuille Volante n° 1261
L’énigme des Blancs-Manteaux – Jean-François Parot – JC Lattès.
J'aurais donc, par le plus grand des hasards, lu en dernier l'un des premiers romans de Jean-François Parot consacré au commissaire Le Floch. Je les ai certes lu avec beaucoup de plaisir comme en atteste les commentaires recueillis dans cette chronique, mais je n'ai pu me défaire, tout au long de cette lecture, de la désagréable certitude que cela serait la dernière fois puisque son auteur vient malheureusement de nous quitter.
Nous assistons donc à la naissance « littéraire » de Nicolas le Floch qui, il ne le sait pas encore, est promis à un bel avenir puisqu'il va rencontrer tous ceux qui le côtoieront et l'aideront dans son office. Venant de sa province bretonne, il débarque à Paris et dans sa vie personnelle autant que professionnelle, cet épisode correspond à une page qui se tourne. Il est d'emblée mis dans le bain de son métier de policier, qu'il n'a cependant pas choisi, et rencontre M. de Sartine, lieutenant général de Police, à qui il a été recommandé et qui sera son mentor mais restera un personnage énigmatique. Le hasard va lui faire rencontrer divers personnages qui compteront dans sa future vie et notamment son fidèle inspecteur Bourdeau à qui Sartine lui-même a demandé d'exercer une particulière attention pour qu'il ait toujours la vie sauve. Nicolas va ainsi passer sans transition et pour les besoins de l'enquête, des écuelles immondes des tavernes malfamées des bas-fonds de Paris aux soupers fins de l'aristocratie.
C'est peut-être la période du carnaval mais bien des gens disparaissent autour de lui, qu'il est chargé de retrouver et la rue des Blancs-Manteaux où il loge momentanément, chez le commissaire Lardin, est elle-même le lieu de la disparition énigmatique de celui-ci. C'est que Sartine, en grand connaisseur de l'espèce humaine se méfie de ses policiers qui peuvent se laisser corrompre, mais pas de Nicolas le Floch. Il fait pourtant, après une période d'observation, confiance à ce jeune homme qui lui paraît prometteur et digne d'intérêt, nous en saurons plus tard la raison. Bien entendu les enquêtes qui lui sont confiées seront jalonnées d'assassinats, d'adultères, de trahisons, de mystérieuses rencontres, de bordels et d'épouses perverses, de suspicions, de chantages et de corruptions mais aussi de concours amicaux durables. C'est à ce prix qu'il deviendra un zélé serviteur de son roi à qui il sera présenté mais aussi fera son apprentissage de policier et d'homme, les turpitudes et la pègre qu'il rencontre dans la capitale étant à cent lieues de sa vie bretonne paisible et studieuse. La résolution de l'affaire qui lui a été confiée contribuera à faire de lui le futur « commissaire aux affaires extraordinaires » du Châtelet.
J'ai eu à nouveau plaisir à arpenter, par procuration, les rues de ce Paris du XVIII° siècle qui me plaît tant, à goûter les plaisirs culinaires qui accompagneront ses aventures policières, à me replonger avec intérêt dans le contexte social et culturel de l'époque et dans l'histoire elle-même, la vraie, qui entoure ce personnage de fiction.
© Hervé Gautier – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Racconti romani ( Nouvelles romaines)
- Par hervegautier
- Le 06/07/2018
- Dans Pier Paolo Pasolini
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La Feuille Volante n° 1260
Racconti romani (Nouvelles romaines) Pier Paolo Pasolini – Folio.
Traduit de l'italien par René de Ceccatty. (édition bilingue)
Ce recueil de nouvelles écrites par Pasolini (1922-1975) dans les années 50 et publiées dans la presse puis initialement sous le titre « Histoires de la cité de Dieu, nouvelles et chroniques romaines » sont des textes épars qui constituaient la première partie du volume édité en 1998, c'est à dire vingt ans après l'assassinat de l'auteur. Il s'agit donc d'un recueil posthume qui retrace l'itinéraire de Pasolini dont certains textes ont été publiés dans la presse de l'époque ou repris en partie dans d'autres écrits. Quand il arrive à Rome en 1950 venant du Frioul, il est pauvre comme le sont les personnages de ces textes et découvre cette ville qui comptera tant pour lui. Il s'attache d'ailleurs à la décrire et notamment le quartier du Trastevere, pittoresque, vivant populaire et même malfamé à cette époque, ce qu'il ne n'est évidemment plus aujourd'hui. C'est en tout cas une balade dans cette partie de Rome, favorisée par la consultation de mon vieux « guide bleu » des années 50 . Il n'est pas encore le critique littéraire, et le cinéaste célèbre qu'il deviendra quelques années plus tard mais a déjà publié des poèmes et la société dans laquelle il vit reste pour lui une occasion unique de réflexion.
Des ces quatorze textes, il cherche à dire ce qu'il voit, à rendre compte de la pauvreté de cette époque et de la débrouillardise des petites gens pour survivre et son style est plutôt descriptif que poétique en ce sens qu'il souhaite avant tout témoigner de l'environnement social qu'il côtoie sans cependant négliger les images oniriques. Comment en effet, gommer le lyrisme de son écriture ? Parfois, comme dans « Roma allucinante », il laisse parler son âme de poète et cela donne un texte aux accents surréalistes, plein d'images, de couleurs et de sons qu'il faut lire à haute voix pour apprécier toute la musicalité de cette langue. Plus tard il se penchera sur la société dans laquelle il vit, cherchera à la décrypter pour, peut-être, l'améliorer ou à tout le moins y imprimer sa marque.
Ce recueil comporte aussi des idées de films, futurs scénarios écrits sans recherche poétique, un style plus ordinaire et haché mais qui sont autant de pistes de réflexion sur la ville de Rome qu'il aime tant mais aussi sur ceux et celles qui la peuplent (I morti di Roma – Donne di Roma). Il y parle du quotidien des vivants mais aussi de la violence qui en est indissociable, du côté transitoire et dur de la vie, de la mort qui guette chacun parce que c'est notre condition à tous. Pour souligner ce trait, il prendra plus volontiers dans ses films des acteurs amateurs plutôt que des comédiens professionnels connus. Il prend l'image des ponts parce que, à cette époque, le Tibre est encore une frontière dans cette ville. D'un côté la richesse et de l'autre la misère. Ce sont certes des points de passage mais aussi des instants dans la vie des Romains de toute condition, aristocrates, prolétaires, petites frappes ou prostituées.
Pasolini était un personnages atypique a bien des titres, homosexuel revendiqué, communiste marginal et dont l'assassinat lui-même reste, encore aujourd'hui, une énigme, ce qui épaissit le mystère mais aussi la passion que peut inspirer un tel personnage. J'ai, en tout cas, découvert ici, et avec intérêt, un écrivain que je ne connaissais pas.
© Hervé Gautier – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le Prince de Cochinchine
- Par hervegautier
- Le 03/07/2018
- Dans Jean-François PAROT
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La Feuille Volante n° 1259
Le prince de Cochinchine – Jean-François Parot – JC Lattes.
En cet automne 1787, c'est une ambiance de fin de règne pour Louis XVI avec le déficit record du budget, les troubles dans le pays, la disette dans les campagnes et l’effondrement de l’État. Nicolas le Floch qui a rejoint ses terres bretonnes pour la naissance de son petit-fils est convoqué à Paris sans qu'il sache exactement par qui, et échappe à deux agressions. Dans la Capitale, les choses ont changé mais Nicolas voit dans cette convocation mystérieuse l'ombre de Sartine qui, bien que retiré des affaires, continue à s'intéresser à la marche du royaume et y imprimer sa marque. Le commissaire se trouve en possession d'un papier qui porte des idéogrammes orientaux qu'il ne comprend pas et qu'il confie à son ami de jeunesse, Pierre Pigneau de Behaine devenu évêque in partibus aux missions étrangères et chargé de négocier un traité commercial avec le roi de Cochinchine. Les ennemis de la France souhaitent avant tout faire échouer ce projet et c'est à cause de sa réputation de probité autant qu'à son amitié avec l'évêque qui a fait appel à lui que Nicolas doit cette volonté de l'éliminer. Il va se trouver malgré lui pris dans un piège machiavélique assez incompréhensible et devra, avec l'aide de son fidèle Bourdeau, déjouer les pièges tendus par une mystérieuse secte orientale, la Triade, ainsi que les différentes trahisons inspirées parfois par de vieilles rancœurs et haines qui sont le propre de l'espèce humaine, sera accusé à tort d'assassinat, embastillé (sur l'ordre du lieutenant criminel soi-même, c'est à dire son supérieur hiérarchique), enlevé, torturé avec le but évident d'attenter à sa vie autant que de faire capoter ces négociations prometteuses qui s'inscrivent néanmoins dans un contexte d'affaiblissement croissant du roi.
Pluton, son fidèle chien, tient dans cette aventure un rôle non négligeable où le mystère s'épaissit de jour en jour avec des témoignages oscillant entre rétention d'informations, propos vagues et suppositions malveillantes. D’imbroglios en rebondissements, de marivaudages en fausses pistes, d'assassinats en trahisons, le marquis de Ranreil n'aura jamais autant mérité son titre de « commissaire aux affaires extraordinaires » qu'au cours de ces investigations. La naissance de son petit fils a peut-être asséné à Nicolas un coup de vieux mais son esprit reste en éveil et il demeure toujours aussi attentif au charme et à la beauté des femmes. Tous ces événements sont sujets à questionnement pour le commissaire tant leur déroulement est pour le moins bizarre, la diplomatie s'y mêle à l'intrigue, le vol et les meurtres aux coteries politiques que l'insécurité de l'époque et les scandales liés à la reine favorisent, le tout face à l'incapacité grandissante d'un roi qui trouvait sans doute dans la régularité des mouvements d'horlogerie qu'il affectionnait l'image d'une société à laquelle il aspirait. Que pouvait faire dans tout cela Le Floch puisqu'on avait, par des moyens grossiers, cherché à le mettre en cause personnellement et à attenter à sa vie ?
A l'occasion de ce roman haletant, le lecteur constatera les idées révolutionnaires de Bourdeau, admirateur de Rousseau, contre notamment la vénalités des charges, l'abolition des privilèges et en faveur de l'égalité de tous les citoyens, que la double origine de Le Floch ne peut ignorer. Le bouillonnement des idées inspirées par les Lumières, la volonté de changement exprimée par le peuple donne l'opportunité de passes d'armes entre les tenants de la royauté et ceux pour qui un changement de la société est inévitable. Ce sera également l'occasion de croiser de grandes figures de l'époque comme l'ambigu Restif de la Bretonne, déjà connu de Le Floch, la fascinante Olympe de Gouges et bien entendu Pierre Pigneau de Behaine, (1741-1799) authentique missionnaire devenu évêque et diplomate qui a contribué à la présence française dans le royaume d'Annam et dont Jean-François Parot, alors consul général à Saigon en 1983, a obtenu des autorités le transfert des cendres en France.
J'ai apprécié, comme toujours et avec le même plaisir de le lire, les notes culinaires, la langue, l'érudition et le style de Jean-François Parot qui vient malheureusement de nous quitter.
© Hervé-Lionel – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
La Feuille Volante n° 1259
Le prince de Cochinchine – Jean-François Parot – JC Lattes.
En cet automne 1787, c'est une ambiance de fin de règne pour Louis XVI avec le déficit record du budget, les troubles dans le pays, la disette dans les campagnes et l’effondrement de l’État. Nicolas le Floch qui a rejoint ses terres bretonnes pour la naissance de son petit-fils est convoqué à Paris sans qu'il sache exactement par qui, et échappe à deux agressions. Dans la Capitale, les choses ont changé mais Nicolas voit dans cette convocation mystérieuse l'ombre de Sartine qui, bien que retiré des affaires, continue à s'intéresser à la marche du royaume et y imprimer sa marque. Le commissaire se trouve en possession d'un papier qui porte des idéogrammes orientaux qu'il ne comprend pas et qu'il confie à son ami de jeunesse, Pierre Pigneau de Behaine devenu évêque in partibus aux missions étrangères et chargé de négocier un traité commercial avec le roi de Cochinchine. Les ennemis de la France souhaitent avant tout faire échouer ce projet et c'est à cause de sa réputation de probité autant qu'à son amitié avec l'évêque qui a fait appel à lui que Nicolas doit cette volonté de l'éliminer. Il va se trouver malgré lui pris dans un piège machiavélique assez incompréhensible et devra, avec l'aide de son fidèle Bourdeau, déjouer les pièges tendus par une mystérieuse secte orientale, la Triade, ainsi que les différentes trahisons inspirées parfois par de vieilles rancœurs et haines qui sont le propre de l'espèce humaine, sera accusé à tort d'assassinat, embastillé (sur l'ordre du lieutenant criminel soi-même, c'est à dire son supérieur hiérarchique), enlevé, torturé avec le but évident d'attenter à sa vie autant que de faire capoter ces négociations prometteuses qui s'inscrivent néanmoins dans un contexte d'affaiblissement croissant du roi.
Pluton, son fidèle chien, tient dans cette aventure un rôle non négligeable où le mystère s'épaissit de jour en jour avec des témoignages oscillant entre rétention d'informations, propos vagues et suppositions malveillantes. D’imbroglios en rebondissements, de marivaudages en fausses pistes, d'assassinats en trahisons, le marquis de Ranreil n'aura jamais autant mérité son titre de « commissaire aux affaires extraordinaires » qu'au cours de ces investigations. La naissance de son petit fils a peut-être asséné à Nicolas un coup de vieux mais son esprit reste en éveil et il demeure toujours aussi attentif au charme et à la beauté des femmes. Tous ces événements sont sujets à questionnement pour le commissaire tant leur déroulement est pour le moins bizarre, la diplomatie s'y mêle à l'intrigue, le vol et les meurtres aux coteries politiques que l'insécurité de l'époque et les scandales liés à la reine favorisent, le tout face à l'incapacité grandissante d'un roi qui trouvait sans doute dans la régularité des mouvements d'horlogerie qu'il affectionnait l'image d'une société à laquelle il aspirait. Que pouvait faire dans tout cela Le Floch puisqu'on avait, par des moyens grossiers, cherché à le mettre en cause personnellement et à attenter à sa vie ?
A l'occasion de ce roman haletant, le lecteur constatera les idées révolutionnaires de Bourdeau, admirateur de Rousseau, contre notamment la vénalités des charges, l'abolition des privilèges et en faveur de l'égalité de tous les citoyens, que la double origine de Le Floch ne peut ignorer. Le bouillonnement des idées inspirées par les Lumières, la volonté de changement exprimée par le peuple donne l'opportunité de passes d'armes entre les tenants de la royauté et ceux pour qui un changement de la société est inévitable. Ce sera également l'occasion de croiser de grandes figures de l'époque comme l'ambigu Restif de la Bretonne, déjà connu de Le Floch, la fascinante Olympe de Gouges et bien entendu Pierre Pigneau de Behaine, (1741-1799) authentique missionnaire devenu évêque et diplomate qui a contribué à la présence française dans le royaume d'Annam et dont Jean-François Parot, alors consul général à Saigon en 1983, a obtenu des autorités le transfert des cendres en France.
J'ai apprécié, comme toujours et avec le même plaisir de le lire, les notes culinaires, la langue, l'érudition et le style de Jean-François Parot qui vient malheureusement de nous quitter.
© Hervé-Lionel – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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L' homme qui regarde
- Par hervegautier
- Le 29/06/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1258
L'homme qui regarde – Alberto Moravia – Flammarion.
Traduit de l'italien par René de Ceccatty.
Quand on est dans l’œuvre de Moravia, ce titre un peu original ne peut s'appliquer qu'au regard d'un homme pour une femme, même à une passante inconnue, un plaisir des yeux innocent, furtif et frustrant chez un timide, prometteur chez un séducteur. L'homme exerce ce regard inquisiteur ou fantasmé comme un voyeur, un scopophyle mais celui (ou celle) qui est regardé peut aussi être un exhibitionniste avec toute la charge valorisante, érotique voire pornographique que cela suppose, le plaisir de regarder et d'être regardé étant ainsi partagé, entre envie d'être vu et attirance sexuelle. Les yeux sont le vecteur essentiel du regard. Par eux on perçoit la réalité extérieure mais quand on rencontre ceux d'un autre, ils peuvent faire office de miroir où se reflète sa propre personnalité mais aussi se transforment en verre transparent ce qui permet la lecture des pensées les plus secrètes de l'autre. Moravia excelle évidemment dans ce registre où la psychologie se mêle parfois à la sexualité. Ici l'auteur met en scène Eduardo, le narrateur, jeune mais obscur professeur de littérature française, époux et amoureux de la belle Sylvia qui l'aime mais le quitte sans autre raison que de vouloir « réfléchir », situation bâtarde et hypocrite puisqu'il y a un autre homme dans sa vie dont elle ne dévoile pas l'identité à Eduardo qu'elle accepte cependant de revoir. Auparavant, ils vivaient ensemble dans l'appartement du père d'Eduardo, un brillant professeur d'université, un Don Juan sur le retour, cloué momentanément au lit à la suite d'un accident de voiture, mais encore plein de vitalité.
Eduardo est un intellectuel, et, à ce titre, convoque Mallarmé, Baudelaire et Dostoïevski et même l'apocalypse de St Jean pour nourrir ses fantasmes. Ce thème du regard, favori des philosophes, des psychiatres, des artistes est traité par Moravia, avec son habituel style fluide et son regard aigu, est intéressant même si l'histoire se perd un peu dans un épisode de vie entre Eduardo et Sylvia, dans sa rencontre avec une autre femme, dans l'opposition œdipienne entre un fils et son père, et pas au seul niveau théorique de la comparaison. Il y a autre chose pour Eduardo qui regarde par le trou de serrure, ce qui lui donne une vision réductrice des choses en ce sens qu'il ne voit pas ce qu'il devrait voir, pour la seule raison que cela se passe devant ses yeux, même s'il est vrai que sa cécité est favorisée par le mensonge et la trahison et que ses soupçons sont suscités par le seul hasard. Pour autant, devant ce qu'il croit finalement être une évidence, a-t-il réellement envie d'en avoir confirmation, au point de cultiver le non-dit voire le silence ou la dénégation, alors qu'il pourrait facilement lever ses doutes. Il y a même ce refus d'admettre les certitudes au point de se mentir à soi-même et aux autres pour sauver les apparences et son acceptation étonnante de la décision finale de son épouse qui néanmoins maintient le secret. Il y a aussi le fantasme d'Eduardo pour un improbable champignon nucléaire au dessus du Vatican, un contexte de fin du monde ! Cette obsession n'est évidemment pas gratuite, l'explosion dévastatrice éventuelle rompant le silence dans lequel il vit, la fission de l'atome évoquant la fente, allusion forcément sexuelle, mais aussi l'endroit par lequel le voyeur regarde puisqu'il doit rester caché.
Moravia sollicite ici beaucoup le registre érotique, voire pornographique, à ce titre use beaucoup de l'état d'infériorité physique du père d'Eduardo et de la mise en retrait de celui-ci, autant que l'opposition de son fils. L'âge et la condition du père d'Eduardo ouvrent une réflexion sur la vieillesse, même si cette période nécessairement déclinante en matière de vitalité est ici compensée par une activité sexuelle quelque peu débridée. Tout ce contexte permet à l'auteur de mener son analyse intime sur les rapports toujours compliqués entre les hommes et les femmes faits d'amour, de sexe, de plaisirs mais aussi de trahisons, de mensonges, d'adultères et de secrets. Encore doit-on se sentir soulagé quand, comme c'est le cas ici, on accepte de solliciter le pardon de l'autre, de tourner la page en tentant de réinstaller la confiance perdue.
© Hervé-Lionel – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Histoires de guerre et d'intimité
- Par hervegautier
- Le 27/06/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1257
Histoires de guerre et d'intimité – Alberto Moravia – Flammarion.
Traduit de l'italien par Simone Casini et Francesca qui en ont également établi l'édition.
Ce que j'aime chez Moravia, outre son style fluide et agréable à lire, ce qui est toujours un plaisir, c'est l'observation des choses de la vie et l'analyse pertinente qu'il en fait. Ces nouvelles, écrites par l'auteur entre 1928 et 1951 en sont une preuve supplémentaire et nous concernent tous. Elle sont, selon les éditeurs, des « Nouvelles dispersées » dont beaucoup avaient déjà été publiées dans la presse avant de l'être sous forme de recueil.
Dans une vie où tout est terne, n'avons nous pas, n'avons nous pas la tentation d'avoir recours à notre imagination pour lui donner plus d'éclat ? Même si le résultat est bien souvent nul ! L'auteur excelle dans l'évocation qu'il fait des relations amoureuses, l'analyse de la faute, de l'adultère qu'on commence par regretter quand il est découvert, qu'on justifie ensuite pour se donner bonne conscience avec la volupté d'être en tort, coupable d'avoir transgresser un interdit, au point qu'on se promet de renouveler l'expérience à la première occasion, le moment d'orage passé. Les relations intimes entre les hommes et les femmes l'intéressent donc plus particulièrement. Elles sont faites d'amour, de sexe, d'érotisme mais aussi de silences, de non-dits, de mensonges, de trahisons, d'adultères. Il les analyse avec l’œil aiguisé d'un observateur de la condition humaine qu'il porte spécialement sur les femmes à cause peut-être du fait qu'une littérature complaisante les a longtemps parées de la vertu artificielle que confère le rôle de donner la vie et d'être le garant de la stabilité de la famille, le rôle de l'infidélité étant traditionnellement réservé aux hommes. Il y a sans doute quelque plaisir à tromper ceux qui sont autour de nous et qui nous font confiance et personne ne peut raisonnablement jurer qu'on n'en sera pas capable parce qu'ainsi on aura l'impression d'être différent, peut-être plus malin, plus désirable que le commun des mortels et on se sent autorisé à prendre ce genre de liberté en jetant par dessus les moulins l'amour qu'on vous porte.
Un peu selon son habitude Moravia met en scène des décors et des personnages bourgeois avec des femmes qu'il aime à présenter comme belles, sensuelles et parfois érotiques, ce qui, dit-on lui coûtât un prix Nobel pourtant largement mérité.
Ce recueil cède aussi à la réalité, celle que l'auteur a vécu pendant cette période de guerre où il dût, pour échapper au fascisme, parce qu'ils était un opposant à ce régime mais aussi parce qu'il était juif, se réfugier dans les montagnes près de Naples, avec son épouse. Ce fut une période de neuf mois où il mena une vie rustique, dépouillée, parmi les paysans, dans la crainte des Allemands qui se battaient avec un certain désespoir et les Alliés attendus impatiemment. Là il abandonne la fiction pour évoquer cette période mouvementée où il est plus question de la peur de mourir, de la faim, des bombardements… Il n'oublie pas son traditionnel regard critique porté sur l'espèce humaine, capable du pire comme du meilleur, mais surtout du pire avec hypocrisies, mensonges et fourberies parce que ce genre de période où la vie est en jeu réveille des valeurs parfois enfouies de solidarité, d'hospitalité mais aussi de recherche du profit, de trahison ou pire encore. Il y a chez lui une manière d'angoisse existentielle, de pessimisme que n'auraient pas désavoué Sartes et Camus, une sorte d'ennui de vivre mais aussi, peut-être en réaction et illustration à celle-ci, un univers créatif fait de manipulations, de perversions, de voyeurisme.
Je suis assez partagé après cette lecture qui me laisse une impression inégale. Certes, comme je l'ai déjà dit dans cette chronique, sélectionner des nouvelles pour en faire un recueil est une chose difficile et délicate mais, à titre personnel, lire Moravia correspond toujours à un bon moment .
© Hervé-Lionel – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Se i delfini vennisero in aiuto
- Par hervegautier
- Le 20/06/2018
- Dans Erri De Luca
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La Feuille Volante n° 1256
Se i delfini venissero in aiuto – Erri De Luca – Dantes & Descartes éditeur.
(Si les dauphins nous venaient en aide).
Le titre de ce court récit (48 pages) évoque la traditionnelle aide qu'apporteraient les dauphins aux humains en haute mer quand le danger les menace. Cela a donné lieu au mythe d'Arion de Methymne, ce chanteur et musicien grec qui, selon l'historien Hérodote, avait fait une tournée en Italie et en Sicile ce qui lui avait permis d'amasser une fortune. Pour regagner Corinthe, il s'embarqua sur un navire dont les marins voulurent le tuer pour s'emparer de ses richesses et lui ordonnèrent de se jeter par dessus bord. Il obtint cependant le droit de jouer une dernière fois avant de se jeter à l'eau. Ayant attiré un dauphin par ses chants et sa musique, celui-ci le sauva de la noyade et l'emporta jusqu'à Corinthe où il retrouva sa liberté et son argent, le tyran Periandre châtiant les marins à leur arrivée au port. L'antiquité a beaucoup représenté les dauphins comme amis de l'homme et notre époque entretient encore cette complicité avec eux.
Ici, c'est un peu différent. Nous sommes certes en Méditerranée et notre auteur s'est embarqué pour deux semaines sur « La « Prudence », un bateau affrété par « Médecins sans frontière » pour sauver les migrants qui, partis de Libye tentent, dans les conditions périlleuses et sur des embarcations de fortune, de gagner l'Europe par l'Italie. Erri De Luca, se souvenant sans doute du mythe d'Arion, souhaite seulement que dans cette entreprise les dauphins leur viennent en aide, mais de dauphins il n'est question qu'une fois quand il en voit, dans une vision furtive, à la proue du navire, ce qui sans doute lui inspire ce titre. Il est ici observateur actif, surveillant à la jumelle l'horizon et tient aussi à rendre compte de cette expérience, témoigner de la détresse de ces naufragés que les passeurs abandonnent à la mer sur des bateaux pneumatiques surchargés, autant que du dévouement des sauveteurs dont les photos ainsi que celle des membres de l'équipage illustrent ce court récit qui est son dernier ouvrage. Il note que des vedettes libyennes ont intercepté des embarcations qu'elles ont contraintes au retour, et ce même au-delà de la limite des eaux territoriales. Enfin, pour ceux qui ne se sont pas noyés à la suite du chavirage d'un canot, il détaille le sauvetage, l’accueil, les soins apportés à leurs « hôtes » qui répondent par des chants, des danses et des prières. Citant l’Évangile, De Luca voit dans ces sauveteurs de MSF « des pêcheurs d'homme », d'autant qu'ils sont treize !
Ce récit écrit en 2017 prends une actualité particulière au moment ou le tout nouveau gouvernement italien a décidé de fermer ses ports aux migrants. L'épisode de « l'Aquarius », ce navire affrété par l'association SOS Méditerranée, avec plusieurs centaines de migrants ayant fui les camps libyens, les vols, les meurtres, les viols, est révélateur d'un malaise européen, d'une hypocrisie, d'une crise politique et de l'état d'esprit général au regard de l’accueil des migrants, du droit maritime et des grandes idées humanistes dans un contexte par ailleurs difficile sur le plan économique social et sociétal des états d'une Europe malade. Notre auteur souhaite surtout porter témoignage face à ce problème ainsi qu'Il l'explique dans la 4° de couverture. Ce voyage n'est pas sans rappeler celui de l'Exodus, ce vieux rafiot qui amenait en Israël les juifs rescapés des camps de la mort et qui fut empêché par la Royal Navy d'aborder dans ce pays.
J'ai lu ce court récit en italien pour le plaisir de profiter de cette langue si chantante et du témoignage de De Luca ... mais aussi parce qu'il n'est pas encore traduit en français. L'écrivain napolitain n'est pas un étranger pour cette chronique qui lui a bien souvent rendu hommage. J'ai souvent noté la qualité du style de De Luca et la poésie dont ses phrases sont imprégnées. Ici, est-ce l'urgence ou le désarroi, on a l'impression que ce texte est jeté sur le papier, une manière de se révolter contre ce qu'il voit, sans l'habituel souffle lyrique qui caractérise d'ordinaire son écriture. Même s'il est vrai que le thème ne s'y prête pas vraiment.
© Hervé-Lionel – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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l'étrange histoire de l'ours brun abattu dans les quartiers espagnols de Naples
- Par hervegautier
- Le 17/06/2018
- Dans Antonio Menna
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La Feuille Volante n° 1255
L'étrange histoire de l'ours brun abattu dans les quartiers espagnols de Naples– Antonio Menna – Éditions Liliana Levi.
Traduit de l'italien par Nathalie Bauer.
C'est une bien étrange affaire que celle de cet ours brun emblématique des Abruzzes tué par balle dans le quartier espagnol de Naples à la manière de la Mafia. C'est que Tony Perduto, trente cinq ans, célibataire, un échotier marginal, insomniaque, désargenté et myope a découvert son cadavre aux petites heures de ce matin de juin. Une aubaine pour passer à la « une » du journal pour lui qui n'a jamais fait que des piges minables, en plus des mises à jour d'un site de jardinage napolitain et des cours particuliers à Carletto, le fils un peu flemmard de son médecin. Une vie plus merdique on ne peut pas ! Enfin ce n'est pas tout, parce qu'en plus il y a sa mère, une femme abusive qui le presse de fonder une famille, son amie d'enfance Marinella qu'il aime bien mais qui a une vie sentimentale agitée, mais sans lui [ la nature de leurs relations est intéressante, elle souhaite rester son amie sincère tandis que Tony en ferait bien sa maîtresse et la mère de ce dernier l'épouse de son fils mais tout cela reste en suspens], l'adjudant Pallone toujours débordé et circonspect. Son article le met sur le devant de la scène, c'est enfin la consécration, mais les douilles qu'il a trouvées intéressent la justice qui voit dans cet épisode la marque d'un avertissement de la « Camorra », ce qui suffit à classer l'affaire. Quant aux voisins, ils inclinent plutôt pour une fuite de la pauvre bête affamée du zoo, même si l'autopsie est énigmatique ! Bref il entrevoit enfin un décollage de sa foutue carrière et fait sa propre enquête, encouragé en cela par le directeur qui voit les ventes du journal décoller, mais plus il investigue, plus il remue le passé, plus revient cette phrase comme un leitmotiv qu'on l'invite à méditer « Occupe-toi de tes oignons ! ».
Il ne faut jamais mésestimer les cancres et Tony a sans doute fait lui aussi cette découverte en lisant la rédaction qu'il avait imposée à Carletto qui, innocemment, va peut-être lui offrir une nouvelle piste, ni méconnaître le hasard qui lui a fait croiser les yeux bleus de cette jeune fille étrange qui habite le quartier.
C'est un « giallo » comme disent nos amis italiens, jaune comme le soleil qui inonde cette ville et qui la rend moite de chaleur, un polar haletant, plein d'humour et de rebondissements, à l'épilogue un peu surprenant quand même, bien écrit et agréable à lire, où le lecteur découvre la ville de Naples que l'auteur connaît et aime, à la fois mystérieuse, inquiétante et meurtrière et un quartier souterrain, pas tellement reluisant par ailleurs, mais très populaire et qui reste un des attraits de ce roman. Ici le fragile équilibre qui y règne réside dans les apparences, dans ce qu'on voit qui est bien souvent en marge de la légalité mais qu'on a intérêt à taire. Le plus intéressant et attachent est sans doute le personnage de Tony avec défauts et ses insuffisances, un loser forcément sympathique pour qui le lecteur croise les doigts tant ses entreprises hasardeuses risquent à tout moment de se retourner contre lui. Quant à sa futur carrière de grand reporter… !
Ce roman au titre un peu long (l'intitulé italien l'est davantage - « Il misterio dell'orso marsicano ucciso come un boss ai quartieri spagnoli) est donc un polar distrayant, lu alternativement en italien et en français pour la beauté et la musique de cette langue cousine.
© Hervé-Lionel – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
© Hervé-Lionel – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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La femme-léopard
- Par hervegautier
- Le 15/06/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1254
La femme-léopard – Alberto Moravia – Flammarion.
Traduit de l'italien par René de Ceccatty.
Au début de ce roman, Lorenzo, journaliste, décide d'aller au Gabon pour un reportage, en compagnie d'un ami plus vieux que lui, Flavio, entrepreneur de travaux publics, chargé d'y construire une route et également copropriétaire du journal qui l'emploie. Nora, l'épouse de Lorenzo doit être du voyage mais refuse dans un premier temps, l'épouse de Flavio, Ada, devant rester en Italie. Finalement les deux femmes accompagneront leur mari en Afrique. Les deux couples se reçoivent et rapidement s'établit entre eux une relation de séduction sur fond de désamour conjugal, de jalousie, d'attirance mutuelle, de mensonges et de travestissements de la réalité pour le plaisir ou la provocation. Lorenzo un peu naïf, simplement amoureux de sa femme et pas désireux du tout de la tromper, assiste à ce jeu de blandices entre Nora et Flavio mais ressent aussi pour Ada un désir partagé. Ainsi, en Afrique, s'installe entre ces deux couples une ambiance un peu bizarre faite de jalousie, de sexe, de non-dits et de silences, de refus et d'accords passionnés entre fidélités maladroites et désirs fougueux, dans un contexte bourgeois et mondain. Ils sont heureux en ménage et ne peuvent qu'être malheureux en adultère, le savent, mais sont désireux de tenter une expérience extraconjugale sans qu'on sache si elle est vraiment menée à son terme, peut-être pour mieux resserrer leurs liens intimes. C'est un peu comme si le sexe de contrebande était indispensable à la stabilité de leur couple. Ada se sait trompée mais reste irrémédiablement fidèle à son mari, malgré ses velléités extraconjugales toujours avortées, quant à Lorenzo, il hésite toujours.
Le fait que Flavio veuille séduire la femme de Lorenzo n'est pas vraiment une lutte d'homme à homme mais une relation subtile de supérieur à inférieur, Lorenzo étant, de part sa position dans le journal, dépendant de Flavio, ce qui trouble un peu le jeu entre eux entre le patron et l'ami, entre le journaliste qui se veut indépendant et veut dénoncer les ravages écologiques causés par la construction de la route et l'organe de presse qui peut difficilement le faire, entre le séducteur impénitent qu'est Flavio et l'amoureux de son épouse qu'est Lorenzo, le tout sur fond d'atermoiements amoureux et félins de Nora, la « femme-léopard », son esprit apparent de tolérance en ce qui concerne les relations supposées de son mari et d'Ada, le secret qu'elle entretient sur les siennes avec Flavio. Il plane sur les rapports qu'ils ont avec l'autre conjoint une atmosphère de mystère. Une autre lecture intéressante est celle de la 4° de couverture qui est un extrait d'une conversation avec l'auteur où il parle de son expérience, de l'importance de la femme et de l'amour qu'elle donne, essentiel dans la vie de l'homme, de la jalousie aussi. « On peut aimer et tromper, l'amour n'empêche pas l'infidélité, le sexe est infidèle, le cœur ne l'est pas » déclare-t-il. Nous avons tous dans ce domaine un vécu, ou nous l'aurons un jour, et je ne suis pas sûr, à titre personnel, de partager complètement son analyse. Ses personnages, comme souvent, sont conscients de l'inauthenticité des rapports qu'ils vivent avec les autres mais aspirent à autre chose sans toutefois pouvoir y parvenir. Chez lui le sexe fait partie de ces buts inatteignables sous les apparences ici du double triangle amoureux. L'épilogue laisse le lecteur (et Lorenzo) dans le doute sur la réalité des relations entre Flavio et Nora, laquelle oppose un fin de non-recevoir aux questions pressantes de son mari., ce qui épaissit encore le secret que les entoure.
Lire un roman de Moravia a toujours été pour moi un grand moment de lecture non seulement par la qualité de son écriture (ici les descriptions des paysages africains) mais aussi d'une l'analyse particulièrement fine et impitoyable où il dissèque les relations intimes, sexuelles et psychologiques de chacun des personnages. A lire la postface, ce roman, qui est le dernier de l'auteur, a été particulièrement travaillé, comme s'il voulait, de cette manière, prendre congé de la vie.
© Hervé-Lionel – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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La dormeuse de Naples
- Par hervegautier
- Le 11/06/2018
- Dans Adrien Goetz
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La Feuille Volante n° 1253
La dormeuse de Naples – Adrien Goetz – Éditions Le passage.
Avant d'être un roman, c'est un tableau qui représente une femme nue endormie dans une pause lascive, peint par Ingres pour Joachim Murat, Roi de Naples, quelques années avant « La grande odalisque » réalisée par le même artiste pour Caroline Murat et qui fit scandale, l'un des tableaux étant le pendant de l'autre. Or « la dormeuse de Naples » a disparu en 1815 lors de la chute du royaume de Naples, le pillage du palais royal et le rétablissement des Bourbons. Pour sa réalisation Ingres s'est inspiré autant de la Renaissance que de la statuaire antique.
Cette disparition qui reste toujours un mystère pour les historiens de l'art, a librement inspiré notre auteur pour ce roman. Adrien Goetz s'approprie effectivement cet épisode pour mener une sorte d'enquête, mais sous la triple personnalité d'Ingres, de Corot, d'un ami de Géricault. Il imagine qu'Ingres vieillissant, comblé d'honneurs, se remémore sa rencontre dans Naples avec une femme pauvre d'une étonnante beauté qui accepte d'être son modèle. Bien entendu, avant même de la peindre il en tombe éperdument amoureux et cela laisse évidemment la place au fantasme le plus échevelé et même au délire, mais elle ne devient pas pour autant sa maîtresse même s'il l'évoque comme une séductrice. L'auteur nous décrit le vieux peintre solitaire, meurtri par la perte de son tableau et la mort de son modèle, désenchanté de tout, qui règle même quelques comptes avec ses contemporains au sujet de la peinture et du sens qu'ils ont de l'esthétique et surtout qui regrette Naples et sa jeunesse, qui voudrait bien retrouver cette ville incognito pour y mourir tant sa nostalgie est grande. Puis vient le tour de Corot, également vieux et semble-t-il préoccupé par la vie après la vie (il est beaucoup question d'indulgences). Selon lui il n'appréciait guère Ingres mais confesse au lecteur tout l’effet que lui a fait le tableau… et le modèle, bien qu'il fût plutôt attiré par la peinture des paysages..Quant au troisième intervenant, nous ne saurons rien de lui, sinon qu'il est Italien établi en France comme propriétaire terrien, peintre amateur, « élève de Géricault » comme il aime à se qualifier lui-même, mais en fait un simple rapin devenu photographe. Chacun d'eux, entre affirmations convaincantes et déclarations intimes teintées d'une bonne dose d'extravagance, prétend avoir revu le tableau disparu autant qu'avoir croisé ou connu celle qui a servi de modèle, sujet passionnant s'il en est, ce qui laisse la place à pas mal de commentaires inspirés autant par le souffle de l'histoire que par celui de l'imagination. C'est en fait un ouvrage pas le moins du monde historique selon l'aveu même de l'auteur.
J'ai lu ce court roman fort bien écrit et documenté comme un hymne à la beauté de la femme, ce qui n'est pas pour me déplaire, mais en revanche je me suis un peu ennuyé à l'évocation de « aventures » de ce tableau, de ses modèles supposés et de ces trois protagonistes. Il est vrai qu'il reste un mystère encore aujourd'hui et se prête évidemment à tous les fantasmes. Cet ouvrage a au moins permis de réveiller la mémoire et l’œuvre d'Ingres et, à titre personnel, de m'inviter à méditer sur la « vérité littéraire » .
J'avais déjà croisé Adrien Goetz avec « Le coiffeur de Chateaubriand » (La Feuille Volante n°510) que j'avais peut-être mieux aimé.
© Hervé GAUTIER – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le paradis
- Par hervegautier
- Le 09/06/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1252
Le paradis – Alberto Moravia - Flammarion.
Traduit de l'italien par Simone de Vergennes.
Ce sont 34 nouvelles, écrites à la première personne et qui mettent en scène des femmes. Il n'y a rien là d'anormal puisque Moravia n'a jamais caché qu'il les aimait, ce qui est plutôt une preuve de bon goût. Elle sont souvent jeunes, célibataires, mariées, mères de famille, amantes, belles, élégantes, sensuelles, minces, provocantes parfois, mais quand même quelque peu superficielles, oisives, bourgeoises. C'est sans doute ainsi que l'auteur les voyait à son époque, en Italie, simplement parce qu'un écrivain est aussi le reflet de son temps. Les choses ont bien changé et il n'y a pas lieu d'en prendre ombrage. C'est peut-être aussi, et plus subtilement une manière pour l'auteur de régler un compte avec elles, allez savoir, l'écriture a aussi cette fonction. En effet souvent les hommes qui les accompagnent ne partagent pas vraiment leur univers. Quand ils ont le qualificatif de « maris » ou de « compagnons », passé les premiers moments d’excitation, ils ne semblent que de passage, chargés de les faire vivre et surtout de disparaître au premier coup de vent, autrement dit des êtres incontournables mais surtout qu'on jette à la première occasion, au besoin par le biais de l'homicide. Qui plus est, ils ne sont que des « père absents » assez peu soucieux de leur progéniture. Quant à leurs enfants, ils ne valent guère mieux et sont pour elles une charge et parfois une gêne. Heureusement que d'autres hommes existent sous les traits d'amants. Au moins ceux-là ils ne s'imposent pas et savent souvent s’éclipser à temps, par élégance, ou par opportunisme...
C'est sans doute une conséquences de la manière dont il les évoque, mais elles semblent s'ennuyer fortement au point de cambrioler pour le plaisir ou « d'allumer » les automobilistes le long d'une route à la manière d'une prostituée...pour se dérober ensuite à leurs ardeurs ou d'envisager le suicide, mais sans jamais passer véritablement à l'acte. En tout elles font semblant, mais, juste retour des choses sans doute, elles sont souvent perdantes dans leurs entreprises. Ce qui ne manque pas d'être frustrant ! Bien entendu le fantasme et le sexe ne sont jamais très loin avec en prime l'obsession de leur corps. C'est une manière comme une autre de meubler leur ennui. Pour cela, il y a aussi l'écriture, comme pour cette femme qui, songeant fortement au sabordage de sa propre vie, refait le chemin à l'envers. Elle s'était jadis vainement essayée au journalisme, puis tout aussi vainement à la littérature ; Ces souvenirs semblent lui redonner goût à la vie, sans doute parce qu'elle est la plus forte et que, pour la mort, elle préfère attendre un peu ! Parfois une forme de folie s'insinue dans tout cela mais après tout, ce n'est peut-être qu'une autre manière de vivre, différente certes, moins dans les normes, mais qu'importe !
Alors, quid du paradis qui, à l'instar de l'enfer, serait sur terre et non dans une hypothétique vie après la mort ? A la lecture de ce recueil de nouvelles, j'ai l'impression qu'il n'existe pas et qui, si pour l'homme, la femme en serait l'incarnation, je ne peux pas ne pas me souvenir de cette remarque de Saint-Cyprien (et de la méditer) qui déclarait que « Les femmes sont des démons qui nous font entrer en enfer par la porte du paradis » .
Reste l'humour qui conclue souvent chacun de ces courts textes puisque, nous le savons bien, face à l'adversité, à la déconvenue et surtout à l'impuissance, à l'abandon, il ne nous reste que la possibilité de rire de tout
J'ai quand même et comme toujours apprécié le style fluide de Moravia et l'acuité de son regard sur les hommes et les femmes.
© Hervé GAUTIER – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Quand sort la recluse
- Par hervegautier
- Le 05/06/2018
- Dans Fred VARGAS
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La Feuille Volante n° 1251
Quand sort la recluse – Fred Vargas – Flammarion.
Retour des brumes de l'Islande, le Commissaire Adamberg se retrouve plongé dans le quotidien d'un flic, une histoire d'épouse tuée, de mari soupçonné, d'amant interrogé, la routine quoi...Il se charge même, pendant qu'il y est, d'une autre affaire, menée rondement d'ailleurs, mais ce qui va surtout le passionner, c'est que, un peu par hasard, parce qu'un de ces adjoints, frustré d'une carrière passionnée ichtyologue, s'intéresse à autre chose qu'à son travail, il croise le nom de la Loxolesceles rufescens, une araignée si peureuse qu'elle se terre dans son trou, d'où son surnom de « recluse ». Elle aurait tué, du côté de Nîmes, trois octogénaires, mais il y a quelque chose qui cloche, notamment parce que le venin de cet insecte n'est en principe pas dangereux et qu'il y a eu d'autres morsures sans grandes conséquences. S'agirait-il du résultat d'une mutation génétique, de l'adaptation d'un insecte au réchauffement de la planète, où tout cela n'a-t-il rien à voir ? Il n'en faut pas davantage pour que notre commissaire déploie toute son énergie dans cette affaire qui ne lui est même pas confiée officiellement, qu'il s'approprie volontiers et qu'il qualifie ces morts de meurtre. Il ne va pas tarder à s'apercevoir qu'il y a eu d'autres meurtres inexpliqués. C'est un peu obscur au début, avec une histoire d'orphelinat et de sévices qu'y pratiquaient un bande de « mauvais garçons » avec des « recluses », des handicaps lourds qui en étaient résultés pour leurs souffre-douleur, un viol quelques années plus tard et des victimes qui ainsi chercheraient à se venger même longtemps après, voilà le fond de cette enquête qui ne tarde pas a être illustrée de dossiers, de témoignage, d'images d'archives, de commentaires sur les réseaux sociaux, de rêves et de pensées inachevées, les « bulles gazeuses », autrement nommées « Proto-pensées » du commissaire, lequel va monopoliser sa brigade, à l' exception toutefois de l'érudit commandant Danglard qui reste volontairement en retrait.
Ce ne sera pas simple avec évidemment pour la brigade des voyages au sud de la France pour retrouver ceux qui envisagent de tuer leurs anciens tortionnaires et ces derniers, ou à tout le moins ceux qui restent, pour les avertir de ce qu'ils risquent et leur éviter une mort certaine. Pour Adamberg ce sera aussi un petit détour par l’île de Ré et aussi par son enfance parce que « la recluse » ce n'est pas pour lui qu'une araignée tueuse. Danglars, toujours aussi érudit, lui parlera, à sa demande, des « recluses » du Moyen-Age, ces femmes qui acceptaient volontairement d'être enfermées jusqu'à la mort, un peu comme si le mot même de « recluses » devenait chez lui une obsession ; c'est sans doute là la vraie raison de son intérêt pour cette affaire. Il croise nombre d'autres personnes au cours de ses investigations dont une femme qui a plutôt une sacrée araignée, mais au plafond ! Bref l'enquête piétine, s'égare et sent de plus en plus l'impasse mais Adamberg s'accroche, remue des histoires de famille sur fond de passé fangeux, motive ses hommes pour un travail de fourmi, en toute illégalité d'ailleurs, entre leurres, trahisons, hésitations, fouilles quasi-archéologiques. Il se torture l'esprit, réfléchit jusqu'à l'absurde simplement peut-être parce qu'il a compris que dans cette affaire c'est la vengeance (un plat qui selon le sens commun se mange froid et même ici quelque peu faisandé) qui est la vrai motivation.
J'avoue que j'ai un peu décroché pendant cette lecture me demandant où Adamberg voulait en venir et surtout où il voulait aller. Comme toujours ce roman remplit son office et atteint son but, celui de faire passer un bon moment de lecture, celui d'étonner aussi.
© Hervé GAUTIER – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Agostino
- Par hervegautier
- Le 31/05/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1249
Agostino - Alberto Moravia – Flammarion.
Traduit de l'italien par Marie Canavaggia.
Agostino, c'est un garçon de 13 ans, seul en vacances sur une plage d'été avec sa mère, une belle et riche veuve… Cela fait monter chez lui un sentiment de fierté et de bonheur d'avoir une jolie femme rien que pour lui. Il est normal qu'à cet âge il voit sa mère comme une véritable déesse déshumanisée, pure et idéale devant ses yeux d'enfant. Mais si un homme, inconnu vient s'insinuer dans cette relation filiale, avec sa complicité à elle, il n'en faut pas davantage pour le perturber. Elle est certes sa mère mais aussi une femme jeune, jolie, désirable et sensuelle, que ne rebute pas une passade d'été. S'imaginait-il qu'elle devait restée fidèle à la mémoire de son mari mort ou s'occuper jusqu'à l'étouffer de son fils naïf ? Pour exorciser cette prise de conscience, provoquée peut-être aussi par un gifle maternelle, il se rapproche d'une bande de vauriens, fils de pêcheurs pauvres avec qui il n'a rien de commun et qui l'humilient, ce qui ne va pas arranger ses désillusions. Leur relation, bien qu'éphémère, sera toujours emprunte de malentendus, Agostino. souhaitant s'identifier à eux alors qu'ils le rejettent comme un étranger. Nous savons que les enfants entre eux ne se font pas de cadeaux et c'est sans doute leur façon d'aborder cette vie qui ne leur en fera pas non plus, et lui, le gosse de riche, devient rapidement leur tête de Turc. C'est la sortie de l'enfance, cette période le plus souvent perturbée où l'on prend conscience des ses erreurs, avec peut-être l'intuition de ce que sera la suite. Moravia, comme c'est souvent le cas dans son œuvre, fait appel à la mémoire pour évoquer cette période où l'on perd son innocence, parfois brutalement, et où nos yeux s'ouvrent sur le monde qui nous entoure. Agostino, enfant vivant dans une sorte de bulle, aura donc, et sur un court laps de temps, la révélation de ce qu'est l'argent, la violence, le sexe, la sensualité, le vice, l'hypocrisie, la méchanceté, bref la vraie image des gens et de la société, bien loin de ce qu'il imaginait. Ce sera donc pour lui l'été des initiations désastreuses, une véritable chute.
C'est que pour Agostino, le désenchantement ne s'arrête pas là, il comprend aussi qu'il devra attendre et souffrir pour accéder à cette condition d'homme à laquelle il aspire. Sa volonté de quitter prématurément ce séjour de vacances est révélateur comme l'est cette envie subite de mourir dans la barque, pleine de ses copains obscènes, qui le ramène sur la plage. Dans cette Italie marquée par le catholicisme et la culpabilité judéo-chrétienne, je vois dans l'innocence de cet enfant, une sorte de « péché originel », dont il a hérité avec la vie. C'est une faute qu'il veut se faire pardonner, celle d'avoir cru que le monde autour de lui était idyllique à la mesure de ses convictions personnelles et la violence avec laquelle tout cela s'effondre a une dimension rédemptrice. Dans le même contexte, il peut aussi être vu comme un être chassé brutalement de ce « paradis terrestre » de son enfance. Pour lui sa mère ne sera plus cet être idéal et désincarné qu'il avait rêvé, mais une femme désireuse de profiter de la vie et de ses plaisirs. Pour autant, il n'en a pas fini avec les désillusions et la vie se chargera de lui donner d'autres leçons et achèvera de le corrompre. Personnellement, je ne sais ce qui, au bout du compte, en résultera, s'il choisira de se couler dans le moule du plus grand nombre ou s'il refusera la réalité.
Comme toujours, j'ai apprécié le style, toujours fluide et poétique de l'auteur autant que les analyses psychologiques de ses personnages qui ici marquent les étapes de la prise de conscience d'Agostino, des mutations et des crises qu'il subit.
© Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Damalis
- Par hervegautier
- Le 30/05/2018
- Dans Marie Barthelet
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La Feuille Volante n° 1250
Damalis – Marie Barthelet – Buchet-Chastel.
Esclave, c'est maintenant la vie de ce très jeune prince thrace, pourtant promis à un bel avenir. Survivant d'un terrible massacre, il sera vendu ou tué parce qu'il n'est plus rien qu'une vulgaire marchandise. Par chance il arrive à Milet une ville de Grèce (actuellement en Turquie) où il est acheté par une riche famille d'armateur qui lui donne son nouveau nom, Damalis, et lui, à la fois curieux et désireux de survivre, va s'adapter à sa nouvelle vie, adoptant la langue et la culture de ce peuple qui, au VII° siècle avant Jésus-Christ inventa la philosophie. Sa vie sera riche en rencontres, celle d'une hétaïre, cultivée et attentive qui va l'encourager à apprendre à lire et à écrire le grec, celle d'un potier amoureux de lui, d'un soldat attentif à la nature ou d'un maître des poisons, tous, vont être pour lui l'occasion de s'adapter à sa nouvelle vie, de mener des expériences personnelles et de devenir un esclave hors du commun. Cette courtisane, une prostituée érudite qui écrit de la poésie, une activité réservée aux hommes, sort ici de son rôle traditionnel et va l'aider à s'extraire de sa condition servile et faire de lui un lettré alors que les Grecs tenaient les Thraces pour des brutes ignares. Pourtant, pour eux, il restera un esclave soumis, un étranger, alors que lui voudra être un homme à la fois désireux de ne pas décevoir ses maîtres et d'assurer sa propre survie, fût-ce au prix d'une trahison difficile à mener cependant. Il va très vite apprendre et grâce à la chance, ou à l'action des dieux qui sans doute le protègent, être affranchi des tâches matérielles dévolues à ses semblables et profiter de l'éducation qui lui est ainsi dispensée avec l'accord de son maître. Il va même s'affirmer au sein de cette famille, devenir pédagogue, être intéressé à la gestion de la fortune du maître et ce malgré les soubresauts politiques, les trahisons et les meurtres qui agitent la cité. Cette existence, qu'il n'aurait jamais imaginée pour lui, il va la façonner comme un extraordinaire destin donnant au récit une dimension épique, ce qui se sent jusque dans le style de l'écriture de cette fiction qui a parfois des accents poétiques, une fresque antique d'où ne sont absents ni l'aventure, ni la passion, ni le rêve. C'est aussi une évocation des rapports de la servitude et de la soumission, de l’obéissance, de la chance, de l'amour même tel que le concevaient les Grecs, de la haine, du désir, de la mort, de la solitude, de la passion, de la vie…
Les cités grecques étaient perpétuellement en guerre et Milet n'échappe pas à cette tradition ; depuis longtemps le royaume voisin de Lydie souhaite revenir à ses anciennes frontières et convoite cette riche ville portuaire. Damalis vivra lui aussi dans la hantise des combats, de leur cruauté, de la crainte d'être tué et de voir la guerre ruiner cette cité et sa propre vie, réduisant à néant ces années de fidélité et de loyauté à ses maîtres.
L'auteure s'approprie un moment de cette histoire antique, faisant pour un temps renaître des personnages historiques et cette rivalité entre la cité de Milet et le royaume de Lydie, la transforme en une fiction, peut-être un peu longue mais passionnante, surtout à la fin. Elle replonge son lecteur dans une sorte de dépaysement, à travers un vocabulaire dédié à l'époque, des uses et coutumes, des rites et l’organisation de cette société antique. Au départ, j'ai eu un peu de mal à entrer dans ce récit, mais finalement, le livre refermé, et même si nous sommes dans une création littéraire, j'y vois, comme à chaque fois, des connotations en phase avec la réalité. La nouvelle vie d'esclave de Damalis était menacée et avait toutes les chances d'être brutalement interrompue. Grâce à ses qualités personnelles il a su se maintenir en vie dans un univers hostile, mais la chance, et aussi la rencontre de personnages pourtant étrangers, ont favorisé sa réalisation personnelle, sa survie et son ascension sociale. A la fin Damalis reprend son vrai nom, comme une transformation personnelle radicale, comme une renaissance. C'est peut-être un peu idyllique et tient de la fable, mais il ne manque pas, dans la vraie vie, de gens pour favoriser notre propre réalisation ou, au contraire, et pour des raisons bien souvent inavouables, qui œuvrent à notre destruction. Cette fresque, même si elle est imaginée s'inspire donc aussi de la réalité.
Je remercie Babelio et les éditions Buchet-Chastel de m'avoir permis de découvrir ce livre.
© Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le syndrome de Garcin
- Par hervegautier
- Le 23/05/2018
- Dans Jérôme GARCIN
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La Feuille Volante n° 1248
Le Syndrome de Garcin - Jérôme GARCIN – Gallimard.
Une partie de l’œuvre de Jérôme Garcin est consacrée à la vie de ceux qui ont disparu en ne laissant dans la mémoire collective qu'une trace bien ténue.
Ici, il remonte son propre arbre généalogique, sur sept générations, et choisit plus particulièrement de nous parler de ses deux grands-pères, tous les deux professeurs de médecine, Raymond Garcin du côté paternel qui s'était consacré à la neurologie et Clément Launay du côté maternel qui avait choisi la psychiatrie. Même si tout les opposait, ils furent dans leur métier qu'ils exercèrent l'un et l'autre avec passion, des précurseurs. Cette lignée «hypocratique » du côté paternel doit d’ailleurs beaucoup à la compétence mais aussi aux mariages successifs «entre soi» (l'étudiant brillant qui épouse la fille de son grand patron) qui favorisent les carrières, la lignée médicale et le mandarinat, sans oublier l'alliance traditionnelle avec l’Église catholique. Le titre de ce récit s'inspire d'ailleurs du syndrome annonciateur de troubles neurologiques invalidants décrit par le professeur Garcin. L'auteur découvre donc cette généalogie inconnue de lui et cela commence un peu par hasard et du côté paternel, avec un autodidacte garçon barbier d'Uzerche, monté à Paris et qui termine sa vie comme premier chirurgien de Napoléon Bonaparte, avec Légion d'Honneur, baronnie et une confortable pension. Puis suivent des professeurs, auteurs d'ouvrages et académiciens de médecine, dont l'un d'eux soigna le cirrhose de Verlaine, un autre occupa la chaire de Charcot et un troisième fut le médecin de Pierre Loti.
Du côté maternel, Launay, le hasard voulu que cette famille de médecins commence par la ruralité pour se prolonger par la pédopsychiatrie, mais en ligne directe cette fois, et si son grand-père Raymond Garcin vint de la Martinique, son aïeul Clément Launay avait ses racines en Normandie. Ils exercèrent cependant leur science, qui était un art, dans la capitale. Les travaux de son grand-père Launay prennent ici une dimension toute personnelle pour l'auteur puisque son frère jumeau a été fauché par un chauffard à l'âge de 6 ans le laissant « orphelin » de « ce double éternel ». Pourtant ni l'un ni l'autre de ces éminents médecins ne dérogea à la règle non écrite qui veut qu'on ne soigne pas les siens, ce qui augmentait leur aura et leur mystère pour le petit garçon qu'était alors Jérôme.
Ce livre est consacré aux deux grands-pères de l'auteur avec peut-être davantage de détails et de pages pour le de Professeur Raymond Garcin. Le titre de ce récit-hommage est tiré du syndrome éponyme, l'auteur y ajoute de nombreux témoignages de médecins et de patients et bien entendu ses souvenirs personnels, en passant par deux phrases mises en exergue de cet ouvrages et tirées de ses écrits. Pourtant la lignée semble s'arrêter là puisque aucun de leurs enfants n'a choisi la médecine.
Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique, j'ai apprécié le style fluide et agréable à lire de Jérôme Garcin, un de ces auteurs contemporains capable de réconcilier avec la lecture même les plus réticents. Il y a certes des mots techniques inévitables de maladies et de thérapies, sans doute rebutants pour le non-spécialiste, mais derrière la nostalgie du temps qui passe et aussi le chagrin, camouflés sous les mots qui inspirent au lecteur de l'émotion, il y a parfois cette touche d'humour subtil qui imprime, au détour d'une phrase, un sourire fugace sur son visage.
Ce livre vient compléter, mais d'une façon très particulière et personnelle, la démarche de l'auteur entamée, il y a quelques années déjà, pour que nous n'effacions pas de notre mémoire ceux qui, jeunes ou vieux, ont été fauchés par la mort. Un tel parti-pris ne peut laisser personne indifférent tant il est vrai que les mots aussi peuvent arracher quelque chose à la mort, à l'oubli.
© Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Maman a tort
- Par hervegautier
- Le 22/05/2018
- Dans Michel Bussi
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N°891– Avril 2015
MAMAN A TORT – Michel Bussi – Presses de la Cité.
La vérité sort de la bouche des enfants dit-on. Pourquoi pas et il y aura toujours des gens pour ajouter foi aux propos de leur progéniture surtout quand cela les arrange. Ici, c'est un peu différent puisque qu'un petit garçon de trois et demi, Malone Moulin, prétend que son père n'est pas son père, que sa mère en l'est pas non plus et qu'il a eu une autre vie avant eux. Quand on est un enfant, on peut regretter ses parents, vouloir en changer au gré des événements mais de là à contester sa filiation, surtout quand on est si petit, c'est étonnant et ce d'autant que Malone prétend qu'il tient cette vérité de Gouti, sa vieille peluche qui ressemble à un rat ! Pourtant, contre toute attente, puisque rien de concret ne vient étayer cette affirmation et surtout pas la moindre trace de maltraitance, un psychologue scolaire, Vasile Dragonman, prend ces propos au sérieux au point qu'il en avertit une commandante de police, Marianne Augresse, afin qu'elle diligente une enquête discrète et non officielle qui entraînera le lecteur en Normandie. Il faut d’ailleurs faire vite parce que, selon lui, les souvenirs s'effacent rapidement dans la tête d'un enfant, même si le monde dans lequel Malone s'est réfugié, les histoires qu'il raconte, l'intriguent au plus haut point. Pourtant la commandante, même si elle n'est pas insensible au charme du spy, comme à celui des hommes en général, n'a pas vraiment que cela à faire. En effet un braquage à Deauville occupe largement la brigade, d'autant que les dangereux malfaiteurs narguent la police depuis neuf mois et que leur important butin reste introuvable, alors cette histoire de doudou qui parle… ! Pourtant l'homme s'accroche à cette idée que Malone n'est pas un fabulateur, pioche dans ce qu'il sait de sa vie d'avant, s’accroche à ses fantasmes et à son imaginaire, [pour créer le décor l’auteur y met du sien ne serait-ce que dans le choix des noms (Dragonman et Augresse)] de sorte que la policière qui au départ prenait la chose un peu à légère s'y attache maintenant, peut-être davantage à cause du charme de Vasile que par réelle conviction. Cela fait donc deux enquêtes parallèles, avec en toile de fond la vie sentimentale un peu compliquée du psy qui a quand même reçu des menaces de mort et la révélation de pas mal de zones d'ombre inquiétantes sur la vie passée des parents Moulin. Ces investigations n'ont à priori rien à voir l'une avec l'autre mais la mort de Vasile va donner une dimension officielle à ce qui n'était à l'origine que des recherches empiriques. Et des cadavres il va y en avoir d'autres, comme dans tout bon thriller !
Tout cela tient du puzzle, mais, pour reconstituer l'ensemble ce n'est pas aisé tant tout cela est fort habilement mené. Je dois dire qu'au départ j'ai été un peu dubitatif au sujet de cette histoire. Malone nous est présenté comme un enfant qui s'enferme dans un univers fait de fantômes, de châteaux forts, de pirates, d'ogres, ce qui n'a rien d'extraordinaire au demeurant. D'autre part, qu'un psychologue scolaire s'intéresse à ce garçon, contre ses parents au point de menacer l'équilibre familial, contre sa hiérarchie, et tout cela sur des allégations d'un enfant dont on sait parfaitement qu'elles peuvent être mensongères et mener des adultes innocents devant les tribunaux, c’est sans doute pousser un peu loin la conscience professionnelle ou l'imagination. Pourtant, entre intuitions policières, dessins et phobies d'un enfant, recherches ADN, exploitation de passés douteux et manipulations, tout cela se met en place petit à petit et balade le lecteur au rythme des révélations distillées avec parcimonie. Il y a certes beaucoup de rebondissements qui entretiennent le suspens mais cette histoire d'enfant, un peu farfelue au départ, va se révéler essentielle. L'épilogue vient heureusement éclairer tout cela et pas seulement pour la justice et l’ordre public.
Jusqu'à présent ce titre m'évoquait plutôt une chanson de Mylène Farmer, pas vraiment sur le même registre. C'est un polar écrit dans le style du polar, découpé en courts chapitres faciles à lire et agréablement écrits, avec, parfois des touches poétiques bienvenues notamment quand Marianne parle de la couleur des yeux de Vasile. J'avoue que je n'avais rien lu de Michel Bussi auparavant et je remercie l'éditeur de me l'avoir fait parvenir directement. Je pense que je poursuivrai la découverte de ses œuvres.
©Hervé GAUTIER – Avril 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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L'attention
- Par hervegautier
- Le 22/05/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1247
L'ATTENTION - Alberto Moravia – Flammarion.
Traduit de l'italien par Claude Poncet.
Quand j'ai pris ce volume sur les étagères d'une bibliothèque, le titre évoquait plutôt un sujet de cours de ma lointaine année du bac de philo mais en réalité, c'est un roman rédigé à la première personne par un narrateur, Francesco, journaliste de son état mais se pique aussi d'être romancier, prend conscience que son mariage est un échec et fuit Cora, son épouse, grâce à ses voyages professionnels qui lui procurent un dépaysement et un éloignement bienvenus. Quand il l'a épousée, c'était une fille du peuple, pauvre, différente de lui et même un peu prostituée. Au début il l'a aimée mais les choses ont vite changé et maintenant il lui témoigne de l'inattention, c'est à dire qu'il l'ignore tout en restant officiellement avec elle, le divorce étant à l'époque (nous sommes dans les années 50) interdit en Italie sous la pression de l’Église. Espérant que l'écriture l'aidera à exorciser ce fiasco matrimonial, il entreprend d'écrire un roman mais n'y parvient pas, illustrant cette hantise de l'écrivain de vouloir s'exprimer pleinement par l'écriture et de ressentir un réel désespoir par la prise de conscience de ne pouvoir y parvenir. Après 10 ans d'une telle vie de séparation, il décide la tenue d'un journal intime qui relatera son quotidien et sera, dans son esprit, le prétexte du roman qu'il projette d'écrire et dont il sera le personnage principal. Il souhaite sans doute profiter du rôle cathartique de l'écriture qui l'aidera à accepter cette situation faite de désamour, d'amours impossibles, de regrets, d'imagination, de déprime... Lors d'un de ses retours à Rome où il habite, il reçoit une lettre anonyme l'informant que Cora est proxénète et prostitue sa propre fille Baba, ce qui s'avère être vrai, mais, entre sincérité et hypocrisie, il choisit néanmoins de s'installer durablement au sein de sa famille: Voilà donc le sujet de son roman qui va se trouver nourri par les faits recueillis dans son journal et dont le texte qui en résultera tiendra à la fois du fantasme, du désir, de l'invention, de la confession, de l'hésitation et de la retenue, sans oublier l'imagination et l’uchronie qui en découlera.
L'auteur veut sans doute nous dire qu'il vaut mieux se marier à l'intérieur de sa classe sociale et que si on enfreint cette règle non écrite on va vers la catastrophe et ce d'autant plus que l'amour est comme tout ce qui est humain, quelque chose qui s'use et qui passe avec le temps. Quant au mariage, passés les premiers temps marqués par l'optimisme béat et les illusions, le bonheur est rarement au rendez-vous. Il y a bien des côtés ambigus dans cette relation entre Cora et Francesco mais bien plus encore entre lui et Baba qui n'est pas son enfant légitime et dont l'attitude tient parfois bien plus à celui de la maîtresse potentielle que de la fille qu'il aurait voulu adopter. La tentation d'être l'amant de Baba est forte pour lui et Moravia fait volontiers dans l'érotisme quand il évoque leurs rapports, cultivant ainsi l’ambiguïté qu'il tisse par rapport au lecteur, mais comme nous sommes dans un roman, on ne sait vraiment pas où s'arrête la réalité et où commence la fiction. Pour Francesco qui est à la constante recherche de l’authentique, c'est un paradoxe que ce rapport quasi-incestueux et il le qualifie « d'inauthentique », comme est d'ailleurs celui qu'il entretient avec Cora, Ce concept permet à l'auteur, non seulement de se livrer à une analyse psychologique des personnages mais aussi d'explorer certaines pistes d’écriture et certaines postures différentes suivant qu'il se place en tant qu'homme ou en tant que romancier. Il y a aussi cette notion de dédoublement des personnages, celui de Baba, mais aussi celui de Cora, cette volonté de Francesco de savoir pour comprendre et cette idée de culpabilité et d'expiation avant la maladie et la mort. Son retour au sein de sa famille fait de lui un autre homme qui tourne une page de sa vie et entraîne dans sa démarche Cora et Baba, comme s'il était un acteur déterminant dans la recherche de contrition de ces deux femmes.
Les romans de Moravia sont très « existentiels », parlant de sexe, de religion, d'argent, des thèmes très courants dans la première partie du XX° siècle en Italie auquel il faut ajouter la solitude et l'ennui qui sont des thèmes constants de l'espèce humaine, malgré les apparences. L'auteur renoue aussi dans ce roman avec deux de ses obsessions, la maladie et le voyage. S'y ajoute ce curieux sentiment d'être étranger, indifférent et donc inattentif au monde extérieur et de l'angoisse de vivre qui va avec, mais j'ai bien aimé son style toujours aussi fluide, poétique et cette subtile mise en abyme qui maintient le lecteur dans une ambiance complexe entre fiction et réalité.
© Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Nouvelles romaines
- Par hervegautier
- Le 18/05/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1246
NOUVELLES ROMAINES- Alberto Moravia – Flammarion.
Traduit de l'italien par Claude Poncet.
Moravia était romain, sans doute amoureux de la ville où il vivait, il n'y avait donc aucun raison pour qu'il n'y situât pas ces trente-six courtes nouvelles des années 50 ce qui est aussi une invitation à la balade pour son lecteur. Pour autant le livre refermé, il m'apparaît que ce regard porté sur la société italienne de cette époque déborde largement de la Ville Éternelle et s'applique à l'humanité. J'observe que toutes ces nouvelles sont écrites à la première personne ce qui renforce l'idée d'universalité. D'ordinaire notre auteur met en scène des gens aisés, c'est à dire qui n'ont guère besoin de travailler pour vivre, mais ici ce sont de petites gens dont il choisit de parler et qui nous confient leurs difficultés et leur gêne quotidiennes.
Qu'y a-t-il de plus banal qu'une femme quitte son mari (ou l'inverse), que la chaleur étouffante de l'été provoque des situations surréalistes, à moins qu'elles ne révèlent les arcanes de l'inconscient, qu'un homme choisisse d'en finir avec sa vie parce qu'il ne la supporte plus ou que, amoureux d'une femme, il soit simplement berné par elle parce qu'il est tombé sous le charme de sa jeunesse ou de sa beauté… ? Rien de plus commun en effet ! Quant à l'adage qui veut que plus le mensonge est gros plus il prend, surtout quand il est enveloppé dans la religion et qu'on invoque opportunément l'intervention de la Madone, cela passe beaucoup mieux, surtout dans l'Italie d'après-guerre, que le mariage ait des effets désastreux sur le caractère des époux qui change avec le temps, il n'y a rien là de bien original, quant aux projets qui foirent, aux châteaux en Espagne que nous nous bâtissons à l'aide de notre imagination débordante (après tout ça ne coûte rien et ça aide à vivre) et aux rapports nécessairement compliqués qui existent entre les hommes et les femmes, où la séduction est une arme irrésistible au service des intérêts de la personne qui en fait usage, là non plus rien de bien nouveau.
Notre auteur parle de la beauté des femmes qui est souvent engageante et énigmatique, mais ces nouvelles qui sont aussi une analyse psychologique fine comme il sait les faire, me fait inévitablement penser à cette phrase de François Nourissier qui nous rappelle que « les hommes et les femmes qui sont faits l'un pour l'autre n'existent pas, (que) c'est une invention niaise des amoureux pour justifier leur entêtement ou leur optimisme » et on peut toujours se donner du courage ou de l'espoir, habiller le hasard qui a favorisé une rencontre avec des vœux, des intuitions et surtout des illusions, mais les promesses et les serments durent rarement longtemps et se brisent souvent sur les murs du mensonge, de la trahison et de l'adultère. La multiplication des divorces actuellement me paraît illustrer cette réalité.
Moravia n'oublie pas non plus que la société célèbre toujours ceux qui réussissent leur vie et les montre en exemple mais il n'oublie pas non plus qu'elle est surtout composée des cohortes de malchanceux, de ratés et de quidams qui survivent tant bien que mal dans l'anonymat de l'échec quotidien, quand ils ne subsistent pas de charité, de rapines ou d'expédients. Mais la morale veille, enfin pas toujours !
J'ai redécouvert avec plaisir cet auteur croisé il y a bien longtemps et ce fut un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Histoires d'amour
- Par hervegautier
- Le 15/05/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1245
HISTOIRES D'AMOUR- Alberto Moravia – Flammarion.
Traduit de l'italien par René de Ceccatty.
C'est une série de quatorze nouvelles écrites de 1927 à 1951 par Alberto Moravia (1907- 1990).
Parler de cet écrivain italien majeur n'est pas chose facile et le regard qu'il porte sur l'espèce humaine est acéré en ce sens qu'il dissèque à travers les personnages de ses romans et nouvelles, et avec pertinence, les rapports qui existent entre les êtres à travers leurs relations amoureuses, sexuelles ou sociales. Il s'intéresse en effet à la société italienne de son temps, puritaine, fasciste, bourgeoise, sur laquelle il jette un regard critique et choisit d'étudier plus spécialement les couples homme-femme .
Les personnages que Moravia met en scène sont souvent oisifs, peut-être rentiers, en ce sens que le lecteur n'a pas l'impression qu'ils ont besoin de travailler pour vivre. Ainsi peuvent-ils jouir de la vie sans grandes contraintes et l'auteur nous livre leurs états d'âme, leurs réactions face notamment à la séduction amoureuse qui est une des caractéristiques des êtres humains entre eux, même si ces manœuvres ne visent qu'à un moment d’exaltation charnelle pour ensuite n'être qu'un souvenir, avec son lot de regrets, de remords et un sentiment d'inutilité, de gâchis (La mexicaine). S'agissant des relations qui gouvernent un couple, cela ne va pas sans manipulations, trahisons, mensonges et adultères et bien entendu les désillusions qui vont avec, parce qu’ainsi les grands sentiments et les serments qu'on voulait définitifs sont foulés au pied et quand tout cela est révélé, celui ou celle qui en est victime en ressent l'impression malsaine de s'être trompé avant même de l'avoir été, ses certitudes antérieures définitivement envolées et éclatées sous les évidences. Il en résulte bien sur une bonne dose de frustrations, d'insatisfactions et on ne ressort pas indemnes de ce genre d'épreuves qui pourrit toute une vie et la confiance qui doit régir les couples en sort forcément meurtrie. Si les liens perdurent, ils sont forcément artificiels et minés par le doute et si tout cela débouche sur une séparation, c'est le goût amer de l'échec qui domine et que peut difficilement exorciser avec une autre liaison. Bien sûr, tous ne succombent à la luxure, au nom de l'amitié ou d'un rigorisme bourgeois ou religieux désuets, comme Perrone qui résiste à la sensuelle Véronica (Le malentendu) mais quand même les manœuvres de séduction sont là pour attester de ce besoin de tout remettre en question, pour manifester que l'amour entre les êtres n'est que factuel, peut parfaitement être bousculé voire anéanti par intérêt ou par opportunité et que finalement tout cela est interchangeable, dépend autant du hasard que du profit personnel. Contrairement à ce qu'on voudrait croire, l'amour passe et s'use avec le temps, n'a rien de perpétuel, même si on parvient toujours à jouer une sorte de comédie un peu triste autour de ce thème. Les personnages de Moravia évoluent souvent dans des décors hors d'âge, des villas isolées, sont souvent mal dans leur peau, fantomatiques, mélancoliques, hypocondriaques, désespérés au point que leurs relations impossibles ensemble se terminent souvent par la mort ou l'assassinat (L'amant malheureux – Retour à la mer), seule issue possible à cette solitude insupportable mais inévitable (Malinverno). Je retrouve chez lui la certitude que j'ai toujours nourrie que la relation durable et heureuse entre un homme et une femme dans une vie commune est difficile voire impossible et ce nonobstant le désir charnel (Retour à la mer) , y compris féminin (L'officier anglais). Ses personnages semblent perdus dans ce monde avec la jalousie et le secret qui baignent une amitié utopique mais aussi dans un monde injuste qui justifie la violence (Aller vers le peuple).
A la lecture de ces nouvelles j'ai ressenti une sorte de malaise, quelque chose de malsain qui préside à la rapports artificiels et froids qu'ils ont entre eux et ce malgré l'évocation de la beauté de certaines femmes. Ils sont ici mais assurément souhaiteraient être ailleurs mais je choisi d'y voir une réalité parfaitement humaine. Il y a comme un deuxième mouvement dans ce recueil, celui qu évoque la guerre et la période troublée du fascisme.
Moravia était surtout connu pour ses romans mais pour autant, l'art de la nouvelle ne lui était pas étranger, il ne tenait pas pour ce genre pour mineur et j'ai, comme toujours, apprécié son style fluide, à la fois précis, poétique dans les descriptions, agréable à lire et sa subtile analyse psychologique des personnages.
© Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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l'amour conjugal
- Par hervegautier
- Le 12/05/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1244
L'AMOUR CONJUGAL- Alberto Moravia – Folio.
Traduit de l'italien par Claude Poncet.
Le titre est déjà tout un programme et, dans le domaine de la littérature notamment, a fait couler beaucoup d'encre. On le verra vers la fin, ce roman, qui parle d'un autre roman qui porte le même titre et parle du même sujet, est une sorte de mise en abyme. Silvio est un être un peu oisif, vaguement critique littéraire, qui voudrait devenir écrivain, mais qui est surtout amoureux fou de sa femme Léda. Il voudrait bien écrire un roman mais il a toujours douté de lui et pour l'heure, il pense que l'amour qu'il porte à son épouse l'en empêche, imagine que l'abstinence pourrait favoriser sa créativité mais refuse cette posture. Comme c'est souvent le cas dans le mariage, on épouse quelqu'un qu'on ne connaît pas vraiment et ce ne sont que les années de vie commune qui permettront cette prise de conscience de la réalité, ce qui ne va pas, évidemment, sans désillusions. Silvio n'échappe pas à la règle. Il la supposait indifférente à ses velléités artistiques, mais c'est elle qui maintenant le pousse à écrire et lui, avec quelques réticences, accepte à la demande de Léda de mettre son désir entre parenthèses, de faire chambre à part le temps d'accoucher de son roman. L'idée est plutôt bonne puisque il se met à écrire sans désemparer. Il est maintenant un autre homme et enfin un véritable écrivain grâce aux encouragements de son épouse. Elle devient sa muse et sans doute mieux, puisque c'est elle qui le pousse à être enfin lui-même. Du coup, il la voit avec d'autres yeux sans pour autant cesser de l'aimer, bien au contraire et il semble vouloir prolonger artificiellement cet état second dans lequel il crée pour mieux posséder charnellement sa femme à nouveau, son roman achevé. Ce couple n'avait pas d'enfant et j'ai eu le sentiment que leur amour commun se matérialiserait vraiment, non dans la naissance d'un bébé comme c'est le cas pour la plupart des gens, mais dans l’écriture de ce livre, inversant au passage le rôle de chacun. Ça c'est pour les apparences.
En bon écrivain qu'il est, Moravia-Silvio analyse ce travail d'écriture, son cheminement parfois lent, parfois fulgurant et ce qui en résulte, une fois l’œuvre terminée, une sensation d'apaisement, mais aussi, plus subtilement, le doute qui s'insinue en lui avec l'inutilité, la folie, une absurdité révélatrice de lui-même, une sorte de lucidité que le critique littéraire qu'il redevient pour sa propre œuvre lui souffle. Il y a , en effet, dans le fait d'écrire une sensation parfois avérée d'une impossibilité de s'exprimer pleinement et de n'enfanter que des fadaises. Face à son roman terminé, Silvio le juge mauvais, se montrant pour lui-même sans complaisance, même si Léda lui exprime son soutien amoureux. L'auteur parle avec fougue de cet amour de Silvio pour Léda en en soulignant aussi la fragilité et tout ce qui le menace. Avant de l'épouser il l'avait crue réservée, mais lui révélant un moment de son passé où il n'était pas, elle se montra à lui sous un tout autre jour, une amante sensuelle et fougueuse, l'avertit à demi-mots de la vulnérabilité de leur relation qu'elle choisit cependant de trahir, mais lui, aveuglé par cet amour ne veut rien voir. L'être humain est complexe et quand, dans sa légitime quête du bonheur, il choisit de s'unir à quelqu'un d'autre, les choses se compliquent, les duplicités se révèlent, les fantasmes se réveillent, le mensonge et l'hypocrisie s’installent et ce qu'on croyait définitif est bouleversé. De cela on ne sort jamais indemne, quelque soit l'attitude qu'on choisit d'adopter face à ces révélations et ce d'autant plus qu'à l'absence de scrupules de Léda, son appétit de l'instant, répond la naïveté de Silvio. Cette découverte, c'est autant la certitude de s'être trompé que celle de n'avoir rien vu venir parce que sa passion pour cette femme a été la plus forte et qu'il choisisse de ne rien lui révéler de ce qu'il sait désormais pour tenter d'oublier ce moment d'égarement, m'étonne. Pour autant Silvio prend conscience de la réalité et le sentiment de médiocrité, d'inutilité qu'il avait ressenti face à son roman terminé se trouve ici renforcé. Même s'il refuse cette évidence, cela est désastreux pour lui, remet les choses à leur vraie place et même s'il choisit unilatéralement de passer outre, cela augure mal de leur avenir à tous les deux. Même s'ils restent ensemble, planera toujours sur leur couple cette désillusion amoureuse de Silvio qui verra dorénavant Léda avec d'autres yeux même si l'écriture pourra être pour lui un exutoire, avoir une fonction cathartique .
J'ai retrouvé avec ce roman cet écrivain, croisé il y a bien longtemps déjà et toujours apprécié. J'ai aimé son style fluide, poétique dans les descriptions et agréable à lire, cette façon de distiller un certain suspens dans le récit, mais aussi sa manière de disséquer les sentiments humains qui, dans le domaine choisi ici, illustre parfaitement un des travers les plus marquants de l'espèce humaine et le regard lucide qu'on peut y porter, même si j'avais imaginé un autre épilogue et que je ne partage pas exactement l'attitude de Silvio.
© Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Illusions dangereuses
- Par hervegautier
- Le 06/05/2018
- Dans Vitaly Malkin
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La Feuille Volante n° 1242
ILLUSIONS DANGEREUSES – Vitaly Malkin - Éditions Hermann.(Traduit et adapté du russe.)
Le récent Salon du Livre de Paris a accueilli l'écrivain russe Vitaly Malkin et son dernier ouvrage. J'ai personnellement toujours eu des interrogations sur la religion et dans nos sociétés, parler de ce sujet a toujours été tabou, d'autant plus que, la religion, qui a plus ou moins fait partie de notre éducation, n'a pas manqué de faire naître en nous illusions et fantasmes. Le livre de Vitaly Malkin, aimablement envoyé par Babelio et les éditions Hermann, ce dont je les remercie, ne pouvait donc pas me laisser indifférent, son sous-titre étant « Quand les religions nous privent du bonheur », la recherche de celui-ci étant une aspiration légitime de l'homme lors de son passage sur terre. Prendre pour thème la religion qui, en France en tout cas, semble être boudée par les citoyens, est une gageure face à la phrase attribuée à Malraux « Le XXI° siècle sera religieux ou ne sera pas ») et à la montée des fondamentalismes. C'est un ouvrage qui est d'abord un beau livre dans sa présentation, mais aussi un document important pas seulement par le nombre de ses pages (447) mais surtout par les arguments développés, la richesse de ses illustrations, l'érudition des citations choisies et le style simple et accessible avec lequel il est rédigé. L'auteur le présente comme un livre de combat, un pamphlet politiquement incorrect qui s'inscrit dans le droit fil des « Lumières » où les auteurs du XVIII° siècle n'ont pas hésité à remettre en question la religion et le pouvoir et l'influence de l’Église catholique. Il le veut un acte guerrier contre les pratiques inspirées par le monothéisme qui n'ont pour objet que de manipuler et asservir les fidèles pour mieux les dominer au moyen de rituels et d'interdits religieux. Ici l'auteur choisit de réfléchir dans le détail opposant les religions polythéistes de l'Antiquité, le bouddhisme, aux trois grands cultes monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l'islam et jette sur chacun d'eux un œil critique formulant un avis personnel avec parfois une pointe d'humour. Pour faire bonne mesure, il étend même sa démonstration aux régimes totalitaires en mettant en perspective leurs méthodes.
Face à la croyance religieuse, à la foi, qui implique une adhésion aveugle et sans aucune preuve à des vérités souvent illogiques et même absurdes qui amènent les fidèles à vivre dans une complète illusion, l'auteur oppose la raison. Il note que le monothéisme de ces trois religions du Livre, présenté comme un progrès dans le domaine spirituel, contribue au contraire à l'appauvrissement de la raison et de la liberté de pensée, qui promet certes le bonheur, mais dans l'au-delà seulement, et conseille aux croyants pendant leur séjour sur terre l'observation stricte de règles censées leur garantir une place dans le Paradis, la soumission entière aux dogmes et la piété face aux manifestations surnaturelles qui ne peuvent émaner que de Dieu qui préside à la marche du monde, ce qui n'est pas sans engendrer des « Chimères ». Dans ces conditions on peut douter légitimement de l'amour de Dieu, si hautement proclamé, d'autant que les exemples ne manquent pas où la divinité s'est complètement désintéressée de cette humanité pourtant chérie et on ne peut pas ne pas constater que, contrairement à ce qui nous est répété à l'envi, les religions monothéistes sont plus tournées vers la mort que vers la vie. La tolérance est bien entendu sacrifiée et avec elle la raison ce qui n'est pas sans enfanter des violences et des conflits qui ont émaillé l'histoire du monde. L'auteur remet en cause les dogmes du catholicisme, y substitue une lecture plus logique et humaine que celle de l’Église, les analyse à travers l'histoire de l'humanité, en explique les dérives, les absurdités et les contradictions, dénonce nombre d'idées considérées comme immuables, voire utopiques et qui faisaient sans doute jusqu'à il y a peu la solidité de nos sociétés traditionnelles, en France notamment où les églises étaient pleines, la hiérarchie religieuse respectée et le message évangélique basé sur l'amour et la crainte de Dieu, observé. Face à cela l'auteur invite son lecteur au culte du plaisir, conteste l'ascétisme et l’abstinence sexuelle, la souffrance volontaire qui a longtemps été l'apanage du christianisme, le concept de sainteté, les symboles du Mal, refuse la virginité de Marie, tente une explication à propos de l'expulsion de l'homme du jardin d’Éden, prône l'épicurisme et le plaisir charnel, dénonce le principe selon lequel l’Église ordonne l'abstinence et condamne le sexe uniquement destiné à la procréations, étudie l'approche de la sexualité et la place de la femme dans ces trois croyances, évalue l'impact des religions sur notre vie, déplore l'instinct grégaire des fidèles si prisé par les religions, se désole du célibat des prêtes catholiques et encore plus de leur pédophilie et du silence qui l'entoure ...
On peut ne pas partager toutes les analyses faites par cet auteur, il faut cependant admettre qu'elles sont érudites et pertinentes et qu'elles ont le mérite de s'inscrire en faux face aux idées ancrées en nous depuis des siècles. A titre personnel, j'avoue avoir apprécié cette lecture.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Pays de neige
- Par hervegautier
- Le 01/05/2018
- Dans Yasunari Kawabata
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La Feuille Volante n° 1241
Pays de neige – Yasunari Kawabata – Albin Michel.
Traduit du japonais par Bunkichi Fujimori.
C'est dans un wagon de chemin de fer que Shimamura, un homme entre deux âges, marié et père de famille qui va rejoindre la jeune geisha, Komako, dans une petite station thermale de montagne, croise le regard de Yôko, une jeune femme accompagnée d'un homme, Yukio, visiblement très malade. On ne dira jamais assez la magie des trains pour les rencontres qu'ils suscitent. Ce n'est certes pas le thème principal, mais je note que l'intrigue de « Tristesse et beauté » est également introduite par un voyage dans ce moyen de transport. Il y a bien du sortilège dans cette relation triangulaire subtile entre Komako, Shimamura, Yôko, ces trois personnages qui vont se croiser tout au long de ce roman, Yukio, quant à lui restant en retrait, au pas de la mort, mais dont la personne a également hanté Komako dans le passé. Shimamura doit sans doute être un bel homme qui ne peut oublier le regard envoûtant de Yôko comme par le son de sa voix suave et il se sent attiré par elle, cette attirance semblant réciproque mais tout en retenues cependant du côté de Yôko. Pour Komako, c'est un peu différent, elle cherche toujours la compagnie de Shimamura qui n'est pas un inconnu pour elle, mais quand son travail de geisha lui en laisse le loisir et elle se laisse même aller à l'ivresse du saké, ce qui donne d'elle une dimension différente. La relation entre les deux femmes n'est pas non plus exempte d'une certaine jalousie. La mémoire, et spécialement celle que l'amour irrigue, revient sous la plume de Kawabata comme une obsession, mais la thématique du temps qui passe, à travers le très japonais rythme et de l'harmonie de la nature et des saisons de « ce pays de neige », est ici également agréablement soulignée.
J'ai également retrouvé ce charme et cette musicalité des mots, parce que le style de Kawabata est toujours aussi épuré et poétique, surtout quand il évoque la nature apaisante et la beauté et la sensualité féminines qu'à la lecture de « Belles endormies » j'avais qualifié d'hymne à la femme. Mais, comme nous le rappelle Armel Guerne qui préface cet ouvrage, notre auteur est certes un poète, mais qui n'écrit pas de poésie, se limitant à des romans, véritables poèmes en prose, ce qui lui a valu le Prix Nobel de littérature.
La blancheur de la neige est aussi récurrente comme elle l'est dans « Premières neiges sur le Mont Fouji ». Il note son importance dans le blanchissage particulier des exceptionnels tissus de chanvre qu'on tisse dans ce pays. Il faut sans doute y voir une obsession de la pureté, tout comme l'eau dont elle est issue, qui sort ici directement de la terre, c'est à dire de la nature et qui est représentée sous la forme du bain qui non seulement est un rituel nippon mais aussi une sorte de hantise chez cet auteur, comme le symbole fort, une sorte de toilette qui débarrasse l'esprit de ses fantasmes et de ses obsessions.
La mort qui chez Kawabata est un sujet prégnant, puisqu'il a été très tôt orphelin de ses deux parents, perdit également les grands-parents à qui il avait été confié et se suicidera. Ce thème n'est pas absent de ce roman et qui est annoncé par Yukio dont l'état de santé donne des signes de faiblesse. L'embrasement de la fin du roman est comme un point d'orgue mis sur l'éphémère de la vie, sur son côté transitoire et aussi sur l'impossible amour entre Yôko et Shimamura. La solitude qui en résulte et qui fut celle de l'auteur ressurgit dans ce personnage, tiraillé entre ces deux femmes et sa propre famille. Jouant sur la symbolique des couleurs, Kawabata évoque la voie lactée mais aussi oppose à la fin le blanc immaculé du kimono de Komako au rouge du vêtement qu'elle porte en dessous et qui répond à l'embrassement des flammes qui vont mettre fin à la magie de « ce pays de neige », présenté comme une sorte d’Éden hors du temps, un véritable paradis perdu, autant qu'à l 'impossible amour qu'éprouve Shimamura pour Yôko.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Niort et la main morte
- Par hervegautier
- Le 28/04/2018
- Dans Alain Bouchon
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La Feuille Volante n° 1240
Niort et la main morte – Alain Bouchon – Le geste noir.
C'était quand même bizarre que Catherine Valet, lieutenant de police de la Criminelle parisienne, soit ainsi désignée pour venir enquêter sur une mystérieuse affaire : A l'occasion de travaux de réfection dans la mutuelle d'assurance niortaise « La Master » on avait découvert la main d'une femme et on soupçonnait que le reste de son corps devait bien se trouver dans les doubles-cloisons de cet établissement. De quoi réveiller la torpeur de cette ville de province, même si la police locale était ainsi désavouée. Elle était certes originaire de cette ville que beaucoup, en dehors des régionaux, ont du mal à situer sur la carte de France, mais quand même, la plupart des policiers parisiens sont généralement nés en dehors de la capitale et ne sont pas pour autant déplacés temporairement pour une enquête provinciale. Catherine Valet ne tarde cependant pas à s'apercevoir que le côté traditionnel et rural de cette ville du Poitou qu'elle a connue il y a longtemps, a bien changé et son enquête s'annonce plutôt mal, s'égare quelque peu vers un marchand de frites égyptien et une vieille taxidermiste, la main, amputée de ses empreintes digitales ayant été en effet embaumée. Ses investigations la conduisent vers le personnel de la Master qui, bien entendu, y va de ses clabaudages sur la la hiérarchie et plus particulièrement sur la personne d'une jolie femme, séductrice et énigmatique, Nina Vanhagen, jadis investie de fonctions directoriales au sein de cette mutuelle et qui a depuis disparu. De là à supposer que la main découverte lui appartient, il n'y a qu'un pas que notre officier de police franchit gaillardement. Forcément elle n'a pas d'autre piste et. cette Nina ferait une morte très acceptable. Sauf que, lorsqu'elle réapparaît, bien entière, toutes les investigations de Catherine Valet tombent à l'eau et elle n'a plus ni preuves, ni mobile, ni coupable ni même de victime ! C'est dommage parce que les autorités locales, le procureur et le préfet, souhaitent une conclusion rapide au nom de l'efficacité, de la sécurité publique et de l'emploi de l'argent du contribuable. Et le classement sans suite d'un possible meurtre fait toujours mauvais effet.
Notre lieutenant fera bien entendu le tour de Niort, interrogeant les cirrhoses de comptoir avec le succès qu'on imagine, et même le curé d'une paroisse, dans l'improbable espoir de l'inviter à se libérer du secret de la confession, mais la confession de nos jours, c'est comme la pratique religieuse, cela fait partie du folklore, surtout à Niort. Ainsi la manifestation de la vérité tarde-t-elle quelque peu, avec son lot de digressions, de rebondissements inattendus, de remises en cause des idées reçues et des plus solides convictions. En revanche, pour ce qui concerne l'intrigue et son épilogue qu'il faut attendre longtemps, c'est carrément décevant et à la limite du vraisemblable. Je veux bien que nous soyons dans une fiction où l'imagination est reine, mais quand même. Le style est celui du polar, avec images et remarques traditionnelles et ce roman a au moins l'avantage de se lire rapidement..
Je retiens une agréable balade niortaise dans une ville trop méconnue mais qui ne manque pas de charmes et qui mérite bien qu'on la mette en scène, une évocation bucolique du Marais Poitevin et des bords de Sèvre.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Le dernier arrivé
- Par hervegautier
- Le 26/04/2018
- Dans Marco Balzano
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La Feuille Volante n° 1239
Le dernier arrivé – Marco Balzano - Philippe Rey Éditeur.
Traduit de l'italien par Nathalie Bauer.
Ninetto a 57 ans et va bientôt être libéré de sa prison milanaise. C'est pour lui l'occasion de revenir sur le parcours cahoteux d'un migrant sicilien qui est venu chercher du travail dans le nord industriel. La vie n'a pas très tendre pour lui puisque la pauvreté et la faim ont été ses deux compagnes d'enfance. On l'appelait d'ailleurs « Sac d'os » et c'est de bonne heure, à contre-cœur, avec la bénédiction paternelle et en compagnie d'un ami de son père, Guivà, qu'il dût quitter son village sicilien et son école qu'il aimait tant. Pour lui Milan c'est l'étranger à cause du climat, de la grisaille, de la langue qu'il ne comprend pas bien, de l'ostracisme aussi que lui témoignent les Milanais qui n'aiment point les gens du sud, mais, débrouillard, il y trouve quand même rapidement un petit boulot de livreur dan une blanchisserie. Il n'a alors que 10 ans et doit renoncer au destin de poète dont il rêvait mais il fallait attendre d'avoir 15 ans pour espérer être engagé à l'usine. Il a fini par l'être, chez Alfa-Romeo, et cela a duré 32 ans de galère.
Le lecteur a droit à son parcours personnel raté comme l'est son mariage et sa vie de couple, rien d'autre que celui de quelqu'un né sous une mauvaise étoile, comme nombre d'entre nous sans doute. Ce n'est qu'à la fin qu'on comprends ce qui lui a valu la prison et la raison pour laquelle il ne peut rencontrer ni sa fille ni sa petite-fille.
Ce livre a de nombreuses fois failli me tomber des mains. J'en ai cependant poursuivi ma lecture à cause d'un engagement pris de participer à un jury littéraire où ce roman était en lice, mais je n'y ai pas pris un grand intérêt.
Le style de Marco Balzano est alerte, souvent empreint d'humour mais, au-delà de l'histoire il y a une réalité ; celle des migrants de l'intérieur, même des enfants, qui ont dû pendant des décennies quitter le soleil du sud pour les brumes du nord industriel. Nous étions dans les années 50 mais l'immigration ne s'arrêtait pas là, Depuis longtemps les Italiens partaient pour la France et pour les États-Unis.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Acide, arc en ciel
- Par hervegautier
- Le 23/04/2018
- Dans Erri De Luca
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La Feuille Volante n° 1238
Acide, Arc en ciel – Erri de Luca – Rivages.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
C'est un livre assez singulier dans son architecture. Le personnage principal est seul, comme cloîtré dans sa maison et apparemment il reçoit la visite de trois de ses amis, un militant ouvrier, un missionnaire et un courtisan qui évoquent leur vie. Le narrateur qui les reçoit se présente d'emblée au lecteur et parle à la première personne mais ce même « Je » est utilisé aussi par celui qui raconte sa propre histoire. Parfois le « tu » apparaît dans le texte et cela peut déconcerter quelque peu le lecteur mais le message passe et c'est l'essentiel..
L'ouvrier fait part de son expérience, de ses mains caleuses, des coups qu'il a portés et reçus, de la sueur et de la douleur, parle de son métier avec passion mais, inévitablement, les choses ont changé et il a basculé dans les débordements inspirés par la politique et les luttes sociales. Cette atmosphère, justifiée par la légitime amélioration de sa condition, l'ont rapidement conduit à des actes en marge de la légalité qu'en d'autres temps on réprouverait mais qui, compte tenu des circonstances, ont trouvé leur justification dans une nécessité incontournable. Ce furent des délits et même des crimes de sang parce que c'était dans l'ordre des choses et qu'on justifiait volontiers toute cette violence par l'instauration d'une nouvelle justice, d'un nécessaire changement dans la société, d'une mission à laquelle on ne peut se dérober. Il a épousé cette cause avec bonne foi et conviction, a connu l'ivresse de la toute puissance face à une vie sans défense, mais son courage a été trahi parce que c'est humain et inévitable. Il est rentré dans le rang, a repris son travail sans renier ses aspirations, ce qui a fait de lui un révolté définitif.
Pour le prédicateur c'est autre chose, c'est sa voix que d'emblée il remarque, même enfant. Je dois dire que, ma jeunesse s'étant passée dans la fragrance de l'encens et la fumée des cierges, j'ai toujours été fasciné par la voix des prédicateurs, la modulation de leurs phrases dont les sons retombaient des voûtes où ils s'étaient élevés. Le narrateur décrit cette vocation religieuse aussi mystérieuse que prégnante et cette volonté de devenir un humble missionnaire d'Afrique et leur amitié est ici soulignée et affermie à travers l'étude des Écritures. C'est sans doute la le côté mystique de De Luca, lecteur et traducteur de la Bible. Il y ajoute la poésie du désert et des tropiques mais le discours est apaisé, fraternel. Il parle avec passion et émotion de cet appel religieux et j'y ai vu des accents personnels. Là aussi il est question de sueur, mais elle a une autre odeur, une autre acidité, même si c'est toujours l'effort qui la génère. Le missionnaire parle de sa tâche ingrate et solitaire et des résultats parfois décevant de toutes années passées au soleil de l'Afrique, une sorte de constat d'échec, le côté aigre de cet arc en ciel originel. La voix se fait prosélyte malgré cette vie transitoire au service des autres, animée par la charité. Puis la page se tourne, la dernière, loin de la réussite sociale, dans la poussière et les sanglots.
Pour le dernier ami, c'est un peu différent. Il tranche sur les autres par son physique, son mode d'être, ses habitudes. Le narrateur se lance dans un panégyrique de ce jeune homme plus beau, plus charmeur que les autres garçons de son âge et qui le sait, de ceux qu'on admire pour ce qu'il sont et qu'on n'est pas. Il ne manque rien, Vespa, sérénade au clair de lune et jeunes filles enamourées et lui « le donnaiollo » (comme disent nos amis Italiens) qui allait de femme en femme sans vouloir s’attarder, parce que s’attarder c'est posséder, entre modestie savamment feinte et assurance que sans lui rien n'est possible. C'est un registre différent mais l'admiration du personnage principal qui ne lui ressemble en rien n'en est pas moins grande, pourtant, on sent la vanité de tout cela. Le narrateur à la fin reprend la parole et tout semble s'effondrer autour de lui, à l'image de sa maison de vieillit et des visites qui se font rares, l'image du temps qui passe et de la vie qui s'en va.
Il y a plus qu'une amitié de façade, presque une connivence puisque le personnage principal a suivi au moins un peu du parcours de ses hôtes. Ce sont donc trois itinéraires qui peuvent sans doute se résumer à un seul, celui de De Luca lui-même qui prête ainsi quelques tranches de sa vie à d'autres visages. Le livre refermé, j'ai apprécié le style poétique de De Luca qui est sa signature, mais il y a autre chose qui tient à la fonction de l'écriture. On peut rendre compte d'un témoignage, être son propre scribe, mais ici j'ai plutôt l'impression qu'à partir de faits plus ou moins réels, peut-être puisés dans sa vie et ses souvenirs, l'auteur pousse son raisonnement et peut-être son fantasme à l’extrême, et les maquille avec de la fiction. Reste le titre. L'acide, ou plus exactement le mots italien « aceto »(vinaigre)traduit sans doute l'amertume, la désespérance, face aux choses établies et qui ne changeront pas, quoiqu'on fasse ; l'arc en ciel symbolise le but à atteindre, bien souvent inaccessible, même si la légende veut qu'à chacune de ses extrémités se cache un trésor ! Ce sont deux mots d'un improbable dictionnaire bilingue que l'auteur a gravé dans sa mémoire, des sons de cette belle langue italienne si chantante.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Essais de réponse
- Par hervegautier
- Le 20/04/2018
- Dans Erri De Luca
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La Feuille Volante n° 1237
Essais de réponse – Erri de Luca – Gallimard.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
C'est un livre assez singulier que celui-ci puisque, à l'origine il retrace des entretiens dont on aurait gommé les questions en y substituant certains passages de ses livres, pour ne retenir que les réponses. Il retrace bien le parcours d'un créateur littéraire puisque que, d'emblée l'auteur parle de ces voix qu'entend l'écrivain et auxquelles il doit impérativement être attentif sous peine de ne plus rien écrire. Elles sont sans doute semblables à celles de la terre qu'il entendait dans la maison paternelle construite en pierre de lave à Naples. C'était aussi ces voix qui venaient du large, de ce désert africain qui lui parvenaient sur les épaules du vent de mer. Il ne doit pas se contenter de les écouter, le plus souvent dans la quiétude du soir, mais y ajoute aussi la sienne, avec sa sensibilité sa culture parce qu'il n'est pas un écrivain sans origine, sans terre : pour lui c'est Naples. Il y naît par hasard, sans qu'il lui soit évidemment possible de choisir, mais il s'approprie cette ville meurtrie par la guerre qui est celle de son enfance, tout comme il prend possession aussi cette île d'Ischia toute proche, symbole pour lui de liberté et de vacances, adopte le mystérieux et chantant dialecte napolitaine.
Naître dans un port est toujours pour un écrivain, une invitation au voyage, au départ. Tous ne prennent pas la mer mais dans son sang coule un peu de son écume et le ressac gronde en lui qui lui inspire la révolte. Pour un italien, héritier des Romains qui se sont approprié la Méditerranée, il ne peut passer à côté de tous ceux qui l'ont célébrée et ne peut rester muet face au large, au vent et aux vagues. Même s'il y a du Kerouac, en lui, l'abandon de ses études, de sa famille et de cette ville, pour un destin de simple ouvrier, de travailleur manuel, révèle cette révolte intérieure, cette volonté de voir autre chose, au rythme de la liberté, des luttes sociales, de la rencontre avec les hommes démunis et meurtris par la guerre. Il admet « une dette de reconnaissance » vis à vis de tous ceux qui se sont révoltés à un moment de leur vie. Il a été chauffeur de camions à Mostar du temps de la guerre en ex-Yougoslavie et dans cette fonction humanitaire il a vu des gens mourir de faim et mourir pour un simple morceau de pain. On sent qu'il porte sur l'humanité un regard triste de témoin impuissant face à la détresse, à la violence et à la guerre.
Être écrivain c'est aussi avoir la modestie de lire les auteurs, de se nourrir de leur culture, de leur talent, de leur inspiration. Pour lui la bibliothèque paternelle, bâtie par quelqu'un qui était curieux de tout, a été une fenêtre sur le monde, une extraordinaire invitation à la connaissance. L'envie d'écrire, comme une nécessité, comme un automatisme qu'on porte en soi et qui se révèle, est née de cette enfance solitaire. Plus tard la patience ( il parle de « l'infinie patience d'une feuille de papier »), la chance aussi, ont favorisé ce talent et l'ont développé mais ce que je retiens plus volontiers c'est cette humilité, cette volonté de ne pas se draper dans la superbe de celui qui est différent des autres, de l'intellectuel, mais de reconnaître que l'inspiration est étrangère à sa personne, ce qui fait de lui, de son propre aveu, non un véritable écrivain mais un simple rédacteur. Quand Rimbaud proclamait « Je est un autre » il ne disait pas autre chose. Certes ce qu'il écrit lui appartient et il l'assume peut-être parce ce qu'il dit a longuement mûri en lui et sort à un moment précis à cause d'un événement, d'un souvenir ou d'une volonté de faire revivre l'ombre d'une personne disparue. Un écrivain raconte une histoire mais de Luca note pertinemment qu'elle ne lui appartient pas tout à fait puisque elle ne prend tout son sens que lorsqu'un lecteur se l'approprie. C'est une question de respect envers celui sans qui l'écrivain ne serait rien.
Cet itinéraire intime face à l'expérience l'amène à rendre hommage à sa langue maternelle dans laquelle il s'exprime, avec une prédilection pour la parole écrite ce qui l'amène presque naturellement à étudier et traduire la Bible parce qu'une telle lecture est « émotion ». Sa démarche personnelle de vie ne serait pas complète sans une mention particulière à la montagne qu'il escalade comme il mènerait une quête personnelle. Elle a pour lui un langage de silence et entame avec lui un dialogue minéral. Elle fait désormais partie de sa vie au même titre que l'écriture qu'elle nourrit.
C'est un livre mince (76 pages) mais érudit et dense dans son écriture. J'y ai retrouvé comme à chaque fois ce style poétique plein d'images. Bien sûr il parle de lui, de son parcours qui n'est pas celui d'un homme de Lettres traditionnel mais qui, à mes yeux, est authentique ;
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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La nature exposée
- Par hervegautier
- Le 15/04/2018
- Dans Erri De Luca
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La Feuille Volante n° 1236
La nature exposée – Erri de Luca – Gallimard.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
Le livre refermé, je suis assez interrogatif sur cette histoire qui en fait en comporte plusieurs. On met en scène un narrateur qui a été mineur, qui est actuellement alpiniste et sculpteur. Il vit dans un petit village de montagne où il aide ceux qui veulent passer la frontière mais le fait bénévolement, ce qui attire l'attention des médias et, pour rester lui-même, il déménage et s'installe au bord de la mer. On lui propose de restaurer un christ grandeur nature, à l'origine sculpté nu, parce que c'était l'usage chez les Romains pour une ultime humiliation du condamné, mais l’Église avait demandé d'ajouter un pagne pour cacher « la nature » du crucifié, même s'il est évident que, le travail de reconstitution effectué, tous les regards convergeront sur cet endroit. Pour lui qui n'est qu'un artisan, c'est comme un hommage à celui qui a signé cet authentique chef-d’œuvre digne de la Renaissance. C'est que le travail est délicat, non seulement il faut précautionneusement ôter ce qui a été ajouté sans détériorer le corps du Christ, mais surtout il doit reconstituer le sexe en lui imprimant une érection qui est l'ultime signe de la vie face à la mort. C'est non seulement pour lui l'occasion d'étudier l'anatomie du corps humain, la tension des muscles, le frissonnement de la peau et les vaisseaux sanguins apparents au moment de la crucifixion, mais aussi d'accompagner cette étude de méditations sur les textes sacrés, l’Évangile et la Bible, de revisiter les mythes religieux et de rencontrer un rabbin, un curé et un lecteur du Coran. Il y a cette histoire certes originale mais qui est l'occasion d'une démarche religieuse pour le narrateur, la circoncision qu'il adopte pour s'identifier au personnage, la fusion du sang de Saint Janvier, rapproché de la lave que pourrait un jour vomir le Vésuve, la statue du saint patron de Naples qu'il visite également, comme un exorcisme contre les fureurs du volcan. Ce texte recèle sa part de mystères dans les inscriptions qu'ils trouve sur la statue et qui ont une dimension hébraïque. C'est aussi une sorte de combat contre lui-même avec le souvenir de son frère jumeau mort longtemps avant lui et qu'il fait revivre par la pensée dans une sorte de compagnonnage. Je ne sais si j'ai bien compris, mais j'ai vu une allégorie littéraire, celle de la création artistique en général, dans le refus de la statue de se laisser greffer cette nouvelle « nature ». Il faut, pour qu'elle l'accepte, que le narrateur fasse preuve de simplicité naturelle qui était la sienne auparavant. Écrire c'est aussi respecter cet état d'humilité face au néant de la feuille blanche. Est ce à dire que la nudité que finalement il adopte, la même que celle de la statue, lui confère cet état ? Et un écrivain est aussi un « passeur », comme le narrateur.
Il y a aussi une histoire d'amour et on peut penser qu'elle est inévitable dans un roman. Il semble que son aura l'ayant précédé, le narrateur expérimente sans le vouloir le principe de séduction qui fait qu'un homme tranche sur ses contemporains, pas vraiment différent mais pas vraiment semblable et attire l'attention des femmes. Celle qui s'attache à ses pas le fait d'une manière inattendue. C'est, vers la fin, une sorte d'énigme quasi-policière qui vient se greffer sur l'intrigue principale, une passade entrecoupée d'absences et qui se terminera dans la montagne et dans la solitude, avec la mort d'un homme inconnu, faisant jaillir une foule de questions. Doit-on y voir une allégorie opposant la vie d'un amour de chair à celui d'un amour divin? Doit-on voir la montagne comme un symbole de la mort solitaire, celle de cet homme inconnu, comme celle du sculpteur du christ nu, le thème du voyage étant lui-même très présent à travers le personnage du narrateur et de la femme.
J'ai retrouvé avec le même plaisir la fluidité du style poétique et dépouillé de de Luca, cette sorte de façon d'écrire qui transporte son lecteur dans un univers particulier, à la fois connu et inconnu.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Et l'amour aussi a besoin de repos
- Par hervegautier
- Le 12/04/2018
- Dans Drago Jancar
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La Feuille Volante n° 1235
Et l'amour aussi a besoin de repos – Drago Jančar – Phébus.
Traduit du slovène par Andrée Lück-Gaye.
Tout commence par une carte postale de Maribor, une ville de Slovénie, pendant la Deuxième Guerre mondiale et la rencontre d'une jeune fille Sonja et Ludwig qu'elle a connu quelques années auparavant et qui est devenu officier SS. Elle compte sur lui pour faire libérer Valentin, son petit ami, qui a été arrêté en état d'ivresse par les Allemands à la suite d'une maladresse. Cette ville, près de la frontière autrichienne compte beaucoup pour l'occupant et Ludwig fait libérer Valentin qu'il espère ainsi utiliser pour infiltrer les réseaux de résistance. Malheureusement pour lui Valentin lui échappe et va rejoindre les partisans qui le connaissent et Sonja sera déportée à Ravensbrück. C'est donc l'histoire de trois jeunes gens que la guerre réunit et sépare. La mort rôde partout mais pourtant chacun d'eux survivra à cette guerre mais pas exactement de la manière qu'il imaginait. Le hasard se joue de leur vie qui n'est pas grand chose en ces temps troublés comme c'est le cas pour chacun d'entre nous. La chance en servira certains et en oubliera d'autres mais ils survivront aux hostilités et aux règlements de compte de l'épuration. C'est aussi un rapport de forces entre eux. Valentin a été arrêté par la Gestapo, mais est libéré par Ludwig qui souhaite grâce à lui infiltrer les réseaux de résistants qu'il rejoint cependant. Chez les partisans, on le soupçonne d'être un infiltré parce qu'on ne sort jamais vivant des prisons de la Gestapo, mais il devra imposé sa bonne foi et pour cela changer sa perception du monde. A cette occasion il ira à la rencontre de l'incompréhension, de l'absurde qui tuent aussi sûrement que l'ennemi en temps de guerre. Dans cet univers hostile ou la mort lui fait peur, la sienne probable et celle qu'il donne sur ordre ou pour continuer à vivre, lui est obligé d'obéir aveuglément, lui qui n'a pas été préparé à se battre. Il apprend à résister à la fois aux tortures des nazis et à la crainte d'être tué par les partisans qui doutent de lui. De son côté Ludwig, solitaire mais puissant, peut disposer de la mort et de la vie des gens, tant que le succès des armes est de son coté. Il cherche à séduire Sonja en contrepartie de cette libération mais la jeune fille est partagée entre sa volonté de sauver son ami et celle de ne pas le trahir. Après son arrestation, les camps brisent sa vie définitivement. Puis la victoire change de camp et Ludwig devient un fuyard traqué.
L'accent est mis sur la trahison qui est caractérise bien souvent l'espèce humaine à laquelle nous appartenons tous, trahisons pour survivre, par peur, pour obtenir des prébendes, des avantages, de l'argent, pour se donner de l'importance ou pour le plaisir de porter préjudice et ce genre d'époque les favorise. Dans cette aventure Valentin n'a pour boussole que le souvenir de Sonja dont il ne sait plus ce qu'elle est devenue. L'unique photo où ils sont représentés ensemble, celle « d'un couple heureux » comme leur a dit le photographe de rue qui l'a prise, la photo d'une histoire d'amour, a été perdue par Valentin et petit à petit Sonja devient pour lui cette amie irréelle à qui il a jadis écrit des poèmes et qu'il recherche à travers d'autres femmes. Il l'oubliera comme il oubliera ses serments d'amour pour le jeune fille parce sa vie l'aura entraîné ailleurs et que les choses sont ainsi. L'amour qui existait entre eux n'aura plus sa place dans aucune de leur vie et le temps passera pour chacun, avec les regrets et la mélancolie, puis l'oubli effacera tout. Comme à la suite de chaque guerre, la violence fait suite à la violence et la vengeance et la haine inspirent les hommes qui donnent ainsi libre court à leurs instincts destructeurs qui caractérisent bien souvent la condition humaine.
Ce roman douloureux a un goût de gâchis, comme bien souvent dans nos vies et ce malgré des moments de poésie.
Je ne connaissais pas cet auteur et je remercie Babelio et les éditions Phébus de m'avoir permis de le découvrir.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Antisémite
- Par hervegautier
- Le 09/04/2018
- Dans Pascal Boniface
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La Feuille Volante n° 1234
ANTISÉMITE – Pascal Boniface – Max Milo Éditeur.
Être accusé d'antisémitisme en France n'est pas une chose anodine compte tenu de l'histoire de notre pays, de son combat en faveur de la liberté et des droits de l'homme, de son héritage des « Lumières », de sa traditionnelle vocation à recevoir et assimiler les étrangers désireux de devenir Français. Le cas des Juifs est un peu particulier puisqu'ils ont été pourchassés, accusés de tous les maux et même longtemps considérés par les catholiques comme le peuple déicide. Depuis 1948, date de la création de l’État d’Israël, la politique internationale et l'opinion publique ont évolué entre son soutien et sa condamnation au gré des événements. Pascal Boniface, universitaire, chercheur et directeur d'un centre de recherche géopolitique (IRIS), qui ne cache pas sa sensibilité de gauche et son appartenance au PS, n'échappe pas à ce phénomène et quand il rédige en 2001 une note pour le parti socialiste sur le conflit israélo-palestinien suivi d'un article dans « Le Monde », il assiste à un déchaînement médiatique qui le qualifie « d'antisémite ». Cette réaction lui paraît d'autant moins justifiée que critiquer le gouvernement d’Israël suffit à passer pour un antisémite et qu'il est un fervent adepte du débat, que toute sa vie, tous ses combats personnels sont en complète contradiction avec cette accusation. Ces écrits déchaînent les passions, réveillent les vielles querelles, troublent les certitudes les plus affirmées et portent préjudice à leur auteur qui ainsi cherche à se justifier par ce livre d'autant plus volontiers qu'il s'estime injustement accusé, qu'il n'a jamais été inquiété par la justice et qu'il mesure ainsi tout le poids de la solitude, de l'hypocrisie et de l'instinct grégaire d'autant plus actif qu'il vise à le détruire, lui et son centre de recherche. L'émotion a été grande à la publication de cet article, suivi d'un livre où notre auteur se demande si on peut « critiquer Israël ». Elle s'accompagna d'insultes, de critiques et même de menaces de mort qui caractérisent cette espèce humaine à laquelle nous appartenons tous et ce d'autant plus qu'il disait ce que beaucoup d'autres pensent mais n'ont pas l'opportunité et sûrement le courage de le verbaliser et que la société israélienne elle-même montre une diversité d'opinions sur le rapprochement avec les Palestiniens. La presse se déchaîna mettant en lumière la mauvaise foi, la désinformation, l'intolérance voire les erreurs volontaires des rédacteurs souvent inspirés par les organisations juives de France, mais des soutiens se manifestèrent également, illustrant le fait que ce problème est dans notre pays épidermique et de nature à réveiller les vielles idées reçues. Ainsi fut-il l'homme à abattre et il démissionna du PS.
J'avoue que je suis assez peu sensible aux essais politiques, mais je remercie Babelio et les éditions Max Milo de m'avoir fait parvenir cet ouvrage pour tenter de comprendre cette polémique qui, en France, a toujours un retentissement particulier. Je retiens une brillante analyse historico-politique de ce problème et je reconnais un certain courage à Pascal Boniface d'avoir ainsi pointé du doigt les positions contradictoires du PS sur le conflit israélo-palestinien rappelant notamment que si le peuple juif avait souffert de la Shoah, cela ne lui donnait pas pour autant droit d'opprimer les Palestiniens, que ces derniers avaient droit à un État au même titre que les Israéliens, que l'ONU, pourtant en charge de la paix mondiale et de la protection des populations civiles a toujours eu une position plus que tiède, acceptant d'intervenir en ex-Yougoslavie mais jamais en Israël et que les préoccupations électorales ne sont jamais loin des positions officielles d'un parti politique. La difficulté vient sans doute que sur ce sujet inflammable on mélange souvent antisémitisme et antisioniste mais notre auteur ne manque pas non plus de relever les nombreuses contradictions qui sont soulevées par ce problème dans le cadre de la démocratie française. Je dois dire que si l'antisémitisme n'est pas pour moi une découverte, je note que les contre-vérités ont la vie dure, surtout quand elles sont répétées à l'envi dans un contexte médiatique.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]